CWM (Fre) Set of 18 volumes
Commentaires sur Le Dhammapada Vol. 13 of CWM (Fre) 141 pages 2008 Edition
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Ce volume comporte les commentaires de la Mère sur le Dhammapada, et le texte, traduit par une disciple.

Commentaires sur Le Dhammapada

The Mother symbol
The Mother

Ce volume comporte les commentaires de la Mère sur le Dhammapada, et le texte, traduit par une disciple.

Collection des œuvres de La Mère Commentaires sur Le Dhammapada Vol. 13 141 pages 2008 Edition
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Commentaires sur Le Dhammapada (1957-58)

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Note de l'Éditeur

Entre le mois d'août 1957 et le mois de septembre 1958, la mère faisait chaque semaine une classe aux enfants de l’ashram, au cours de laquelle elle lisait, puis commentait, quelques versets du dhammapada, qui constitue en quelque sorte la somme de l’enseignement bouddhique. nous avons rassemblé ici le texte de ces commentaires, tels qu’ils ont été enregistrés à l’époque. la traduction des stances du dhammapada, en tête de chaque commentaire, est de Bhâratîdî







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La Mère







Versets conjugués

Chaque vendredi, je vous lirai quelques versets du Dhammapada, puis nous méditerons sur ce texte. C’est pour vous apprendre le contrôle mental. Si je pense que c’est nécessaire, je vous donnerai une explication.

Le Dhammapada commence par des versets conjugués; voici le premier d’entre eux :

En toutes choses, l’élément primordial est le mental. Le mental est prédominant. Tout provient du mental.

Naturellement, il est question de la vie physique ici, il n’est pas question de l’univers.

Si un homme parle ou agit avec un mauvais mental, la souffrance le suit d’aussi près que la roue suit le sabot du bœuf tirant le char.

C’est-à-dire que la vie humaine ordinaire, telle qu’elle est dans le monde actuel, est gouvernée par le mental, et, par conséquent, la chose la plus importante est de contrôler son mental; c’est pourquoi nous allons suivre une discipline graduée, ou « conjuguée » selon l’expression du Dhammapada, pour développer et contrôler notre mental.

Il y a quatre mouvements qui sont généralement consécutifs, mais qui finalement peuvent être simultanés : observer ses pensées, c’est le premier; surveiller ses pensées, c’est le second ; contrôler ses pensées, c’est le troisième; et maîtriser ses pensées, c’est le quatrième. Observer, surveiller, contrôler, maîtriser. Tout cela pour se débarrasser d’un mauvais mental, parce qu’il nous est dit que l’homme qui agit et parle avec un mauvais mental est suivi par la souffrance d’aussi près que la roue suit le sabot du bœuf quand il laboure ou tire le char. Telle test notre première méditation.

30 août 1957


En toutes choses, l’élément primordial est le mental. Le mental est prédominant. Tout se fait par le mental. Si un homme parle ou agit avec un mental purifié, le bonheur l’accompagne d’aussi près que son ombre inséparable.

C’est la contrepartie de ce que nous avons lu la dernière fois. Le Dhammapada oppose à un mental mauvais un mental purifié. Nous savons déjà qu’il y a quatre stades successifs pour la purification du mental. Un mental purifié, c’est naturellement un mental qui n’accepte aucune pensée mauvaise, et nous avons vu que la maîtrise complète de la pensée, qui est nécessaire pour obtenir ce résultat, est le dernier accomplissement dans les quatre stades dont je vous ai parlé. Le premier, c’est : observer le mental.

Ne croyez pas que ce soit chose si facile, parce que, pour observer ses pensées, il faut d’abord se détacher d’elles. Dans l’état ordinaire, l’homme ordinaire ne se distingue pas de ses pensées. Il ne sait même pas qu’il pense. Il pense par habitude. Et si on lui demande subitement : « À quoi penses-tu? » il n’en sait rien. C’est-à-dire que quatre-vingt-quinze fois sur cent il vous répondra : « Je ne sais pas. » Il y a identification totale entre le mouvement de la pensée et la conscience de l’être.

Pour observer la pensée, le premier mouvement est donc de se reculer et de la regarder, de se détacher de ses pensées, que le mouvement de la conscience et celui de la pensée ne soient pas confondus. Ainsi, quand nous disons qu’il faut observer ses pensées, ne croyez pas que ce soit si simple; c’est un premier pas. Je propose que, ce soir, pendant notre méditation, nous Commentaires sur le Dhammapada fassions ce premier exercice qui consiste à se tenir en arrière de sa pensée et à la regarder.

6 septembre 1957


« Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé. » Ceux qui nourrissent de telles pensées n’apaisent point leur haine.

Le Dhammapada nous a dit tout d’abord que les mauvaises pensées amènent la souffrance et que les bonnes pensées amènent le bonheur. Maintenant, il nous donne des exemples de ce que sont les mauvaises pensées et il nous dit comment éviter la souffrance. Voici le premier exemple, je répète : « Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé. » Et il ajoute : « Ceux qui nourrissent de telles pensées n’apaisent point leur haine. »

Nous avons commencé notre discipline mentale en nous basant sur les étapes successives du développement mental et nous avons vu que cette discipline comportait quatre mouvements consécutifs que nous avons ainsi décrits, si vous vous souvenez bien : observer, surveiller, contrôler et maîtriser; et, lors de la dernière leçon, nous avons appris — je l’espère — à nous détacher de nos pensées afin de pouvoir les observer comme un spectateur attentif.

Aujourd’hui, il nous faut apprendre à surveiller ces pensées. D’abord, on les regarde, puis on les surveille. Apprendre à les regarder comme un juge éclairé afin de discerner entre les bonnes et les mauvaises, entre les pensées utiles et celles qui sont nuisibles, entre les pensées constructrices qui mènent à la Victoire et les pensées défaitistes qui nous en éloignent. C’est ce pouvoir de discernement que nous devons acquérir maintenant et qui fera l’objet de notre méditation de ce soir.

Comme je vous l’ai dit, le Dhammapada nous donnera des exemples, mais les exemples ne sont que des exemples. Il faut que Versets conjugués nous-mêmes apprenions à discerner les pensées qui sont bonnes de celles qui ne le sont pas, et, pour cela, il faut regarder, j’ai dit comme un juge éclairé, c’est-à-dire avec autant d’impartialité que possible; c’est l’une des conditions les plus indispensables.

13 septembre 1957


« Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé. » Ceux qui ne nourrissent pas de telles pensées n’entretiennent pas la haine.

Ceci est la contrepartie de ce que nous avons lu l’autre jour, mais notez qu’il n’est question ici que des pensées qui produisent le ressentiment. C’est parce que la rancune, avec la jalousie, est l’une des causes les plus répandues de la misère humaine.

Mais comment ne pas avoir de rancune? Un cœur vaste et généreux est certainement le meilleur moyen; mais ce n’est pas à la portée de tous. Le contrôle de sa pensée peut être d’un emploi plus général.

Le contrôle de la pensée est la troisième étape de notre discipline mentale. Une fois que le juge éclairé de notre conscience aura discerné entre les pensées utiles et les pensées nuisibles, viendra la police intérieure qui ne laissera passer que les pensées agréées et refusera strictement l’admission à tout élément indésirable.

D’un geste magistral, cette police fermera l’entrée à toute pensée mauvaise et la repoussera aussi loin que possible.

C’est ce mouvement d’admission et de refus que nous appelons le contrôle de la pensée, et ce sera l’objet de notre méditation ce soir.

20 septembre 1957


Commentaires sur le Dhammapada Car, en vérité, dans ce monde, la haine ne s’apaise pas par la haine; mais seul l’amour apaise la haine. C’est là une loi éternelle.

C’est l’un des versets les plus célèbres du Dhammapada, un de ceux qui sont les plus cités — j’aimerais pouvoir dire les plus obéis dans le monde, malheureusement ce ne serait pas vrai. Car on parle beaucoup de cet enseignement, mais on ne le suit pas.

Cependant, il y a un aspect du problème dont on parle moins et qui peut-être semble encore plus urgent si l’on veut que les choses changent dans le monde, quelque chose à quoi l’on pense très peu; je vais vous surprendre. C’est que, si l’amour doit répondre à la haine pour que le monde puisse changer, ne serait-il pas encore plus naturel que l’amour réponde à l’Amour?

Si l’on regarde comment est la vie, l’action et le cœur des hommes, on pourrait s’étonner à bon droit de toute la haine, le mépris et, au mieux, l’indifférence, qui répondent à cette immensité d’Amour que la Grâce divine répand sur le monde, à cette immensité d’Amour qui agit à chaque seconde sur le monde pour le conduire vers la joie divine, et qui trouve une si pauvre réponse dans le cœur humain. Mais on n’a de compassion que pour ceux qui sont méchants, incomplets, mal venus, les fruits secs et les ratés — c’est vraiment un encouragement à la méchanceté et à l’insuccès!

Si l’on pensait un peu plus à cet aspect du problème, peut-être aurait-on moins besoin d’insister sur la nécessité de répondre à la haine par l’amour, parce que, si, en toute sincérité, le cœur humain répondait à l’Amour qui est versé sur lui, par la gratitude spontanée d’un amour qui comprend et apprécie, les choses changeraient vite dans le monde.

27 septembre 1957


Nombreux sont ceux qui ne se rendent pas compte qu’un jour nous devons tous mourir. Et ceux qui s’en rendent compte apaisent leurs querelles.

Lorsqu’on pense que l’on peut mourir à la minute suivante, il se produit immédiatement, automatiquement, un détachement de toutes les choses matérielles; logiquement, on ne pense plus qu’à ce qui ne dépend pas de cette vie physique et qui est la seule chose qui nous appartiendra encore quand nous aurons quitté ce corps, c’est-à-dire l’existence éternelle. Le Bouddha n’employait pas le mot « Divin », mais essentiellement c’est la même chose.

Penser que l’on peut mourir à la minute suivante était autrefois, dans les anciennes initiations, l’une des disciplines que l’on devait suivre pendant un certain temps pour la raison que je viens de dire, et aussi pour surmonter toute peur de la mort et s’habituer à elle. En ce temps-là, et au moment où le Dhammapada a été prononcé par le Bouddha, on ne mentionnait jamais la possibilité d’une immortalité terrestre, parce que cette possibilité appartenait à un avenir si lointain qu’en parler n’aurait pas eu de sens.

Maintenant, Sri Aurobindo nous a dit que cette possibilité était proche et qu’il fallait seulement s’y préparer. Mais la condition essentielle pour pouvoir même s’y préparer est d’abolir complètement toute peur de la mort.

Il ne faut ni la craindre, ni la désirer.

Être au-dessus d’elle, dans une tranquillité absolue — ni la craindre, ni la désirer.

4 octobre 1957


Tout comme l’ouragan déracine un faible arbuste, de même Mâra-le-Malin se rend maître de l’homme qui ne vit qu’à la poursuite des plaisirs, qui ne contrôle Commentaires sur le Dhammapada point ses sens, qui ne sait pas mesurer son appétit, qui est indolent et qui gaspille son énergie.

Dans la littérature bouddhique, Mâra représente l’esprit du mal, tout ce qui est contraire ou opposé à la vie spirituelle; dans certains cas, il représente la mort — pas tant la mort physique que la mort à la vérité, à l’être spirituel.

Ici, cela veut dire que tant que l’on ne maîtrise pas ses sens et ses désirs et que l’on s’occupe de toutes les satisfactions matérielles extérieures comme de la chose la plus importante, on n’a pas la volonté nécessaire pour résister à l’attaque des forces adverses et à tout ce qui nous tire vers le bas et nous éloigne de la réalité spirituelle.

Ce n’est pas tant au point de vue moral que le Dhammapada se place, ce n’est pas le mal comme l’entendent les hommes avec leur justice aveugle et leur sens arbitraire du bon et du mauvais. Le mal, au point de vue spirituel, c’est vraiment ce qui nous éloigne du but, et qui parfois même nous arrache à notre raison d’être profonde, à la vérité de notre être, et nous empêche de la réaliser.

C’est ainsi qu’il faut le comprendre.

11 octobre 1957


Tout comme l’ouragan n’a aucune prise sur un rocher, de même Mâra n’a-t-il aucune prise sur un homme qui ne vit pas à la poursuite des plaisirs, qui contrôle bien ses sens, qui sait mesurer son appétit, qui est doué d’une foi inébranlable et qui ne gaspille point son énergie.

Ce qu’entend le Dhammapada quand il parle de foi, ce n’est pas du tout la croyance en un dogme ou en une religion; ce n’est même pas la foi dans l’enseignement du Maître; c’est la foi en sa propre possibilité, cette certitude que, quelles que soient les Versets conjugués difficultés, quels que soient les obstacles, quelles que soient les imperfections, les négations mêmes dans l’être, on est né pour la réalisation et on réalisera.

La volonté ne doit jamais fléchir, l’effort doit être persévérant et la foi inébranlable. Alors, au lieu de mettre des années à réaliser ce que l’on doit réaliser, on peut le faire en quelques mois, parfois en quelques jours, et si l’intensité est suffisante, en quelques heures. C’est-à-dire que l’on peut prendre position intérieurement, et toutes les volontés mauvaises qui sont à l’attaque de la réalisation n’ont pas plus de pouvoir sur vous que n’en a l’ouragan sur un rocher.

Après cela, le chemin n’est plus difficile; il devient extraordinairement intéressant.

18 octobre 1957


Celui qui revêt la robe jaune alors qu’il est encore impur, sans contrôle sur soi-même et sans loyauté, il est en vérité indigne de porter la robe jaune de moine.

Naturellement, au sens littéral, la robe jaune est la robe des moines bouddhistes — c’est devenu la robe de tous ceux qui pratiquent l’ascétisme —, mais ce n’est pas cela que le Dhammapada veut dire vraiment, parce qu’il ne manque pas de gens qui portent la robe jaune et qui ne sont pas purifiés de leurs souillures. La robe jaune est prise comme le symbole de la consécration à la vie spirituelle, le signe extérieur du renoncement à tout ce qui n’est pas une concentration exclusive sur la vie spirituelle.

Ce que le bouddhisme entend par « impureté », c’est principalement l’égoïsme et l’ignorance, parce que, du point de vue bouddhique, de toutes les souillures, la plus grande est l’ignorance, non l’ignorance des choses extérieures, des lois de la Nature et de tout ce que l’on apprend en classe, mais Commentaires sur le Dhammapada l’ignorance de la vérité profonde des choses, de la loi de l’être, du dharma.

Il est très remarquable que les deux défauts sur lesquels on insiste ici, c’est le manque de contrôle sur soi-même et le manque de loyauté. Loyauté veut dire ici sincérité, honnêteté; c’est l’hypocrisie que le Dhammapada blâme très sévèrement : prétendre que l’on veut vivre la vie spirituelle et ne pas le faire, prétendre que l’on veut chercher la vérité et ne pas le faire, afficher les signes extérieurs d’une consécration à la vie divine — ici symbolisée par la robe jaune — et intérieurement s’occuper de soi-même, de son égoïsme et de ses besoins.

Il est intéressant de noter cette insistance du Dhammapada sur le contrôle de soi, parce que, selon l’enseignement bouddhique, l’excès est mauvais en toutes choses. Le Bouddha insistait toujours sur « le chemin du milieu ». Il ne faut pas être trop d’un côté ni trop de l’autre, exagérer une chose ou exagérer l’autre. Il faut avoir de la mesure, un équilibre en toutes choses, l’équilibre de la modération.

Ainsi, les qualités qui vous rendent dignes de suivre la vie spirituelle, c’est d’avoir un équilibre intérieur, un équilibre dans votre action, et d’être modéré en toutes choses, sincère, honnête, loyal.

Équilibre, modération, loyauté, honnêteté : voilà le sujet de notre méditation.

8 novembre 1957


Mais celui qui a éliminé en lui toute impureté, qui est fermement attaché aux préceptes de morale et qui sait mesurer son appétit et qui est loyal, celui-là, en vérité, est digne de porter la robe jaune.

Je ne voudrais pas que vous preniez ce texte pour un petit catéchisme moral. Il a certainement un sens beaucoup plus profond Versets conjugués et plus vrai, parce que, dans tous les enseignements vraiment spirituels, la moralité telle qu’elle est conçue mentalement n’est pas du tout de mise.

Ainsi, le mot « impureté ». « Pur », tel qu’on le comprend moralement, n’a pas du tout le sens qu’on lui donne dans un enseignement vraiment spirituel ; et particulièrement, du point de vue bouddhique, la pureté est l’absence d’ignorance, comme je vous l’ai déjà dit la dernière fois, et l’ignorance, c’est la méconnaissance de la loi intérieure, de la vérité de l’être. Et la loyauté, c’est de ne pas prendre l’illusion pour la Réalité, les apparences changeantes et fluctuantes pour la permanence intérieure et réelle de l’être.

Nous pouvons donc dire que le contrôle et la maîtrise de soi, la mesure et l’absence de désir, la recherche de la vérité intérieure de l’être et de la loi de sa manifestation propre, sont des soucis très nécessaires pour ceux qui veulent pratiquer la vie spirituelle.

Être vrai vis-à-vis de soi-même et de son but, ne pas se laisser aller à des impulsions désordonnées et ne pas prendre les apparences changeantes pour la Réalité, telles sont les vertus qu’il faut pour avancer sur le chemin de la spiritualité.

15 novembre 1957


Ceux qui considèrent l’erreur comme vérité et la vérité comme erreur n’atteindront jamais le but suprême, car ils errent parmi les vains désirs ou vues fausses.

On pourrait ajouter un commentaire, parce que si l’on se contentait de prendre l’erreur pour la vérité et la vérité pour l’erreur, il devrait être très facile, logiquement, dès que, pour une raison quelconque ou avec une aide quelconque, on s’aperçoit de ce qui est vraiment la vérité et de ce qui est vraiment l’erreur, de faire son choix : on adopte la vérité et on rejette l’erreur. Mais le malheur est qu’on aime son erreur et qu’il y a quelque part dans l’être une sorte de mauvaise volonté à reconnaître ce qui est vrai.

Mon expérience est comme ceci : c’est que, dès que l’on veut sincèrement connaître la vérité, on la connaît. Il se trouve toujours quelque chose pour vous faire toucher du doigt l’erreur, pour vous faire reconnaître la vérité.

Et si l’on s’observe attentivement, on s’aperçoit que c’était parce que l’on préférait l’erreur qu’on ne trouvait pas la vérité.

Même pour de petits détails, le moindre détail (sans parler des grandes choses de la vie, des grandes décisions à prendre), même pour les toutes petites choses, dès que l’aspiration à la vérité et la volonté d’être vrai sont tout à fait sincères, l’indication vient toujours. Et justement, avec la méthode de discipline bouddhique, si l’on poursuit intérieurement les causes de sa manière d’être, on s’aperçoit toujours qu’une persistance dans l’erreur vient d’un désir. C’est parce qu’on a une préférence, un désir pour sentir d’une certaine façon, pour agir d’une certaine façon, pour penser d’une certaine façon, que l’on commet l’erreur. Ce n’est pas parce que l’on ignore tout simplement ce qui est vrai. On l’ignore surtout parce que c’est d’une façon vague, générale, imprécise, que l’on dit : « Oh ! je veux la vérité! » Mais en fait, si l’on prend un détail — tous les détails — et que l’on mette juste le doigt dessus, on s’aperçoit qu’on fait l’autruche, pour ne pas voir. On établit une imprécision, quelque chose de vague, un voile pour ne pas regarder derrière.

Dès qu’il y a sincérité, on découvre que l’aide, la direction, la Grâce, sont toujours là pour répondre, et qu’on ne se trompe pas longtemps.

C’est la sincérité dans l’aspiration au progrès, dans la volonté de vérité, dans le besoin d’être vraiment pur — pur comme on l’entend dans la vie spirituelle —, c’est cette sincérité-là qui est la clef de tous les progrès. Avec elle, on sait — et on peut.

Il y a toujours quelque part dans l’être quelque chose qui préfère se tromper, autrement la lumière est là, toujours prête à guider, mais on ferme les yeux pour ne pas la voir.

22 novembre 1957


Ceux qui connaissent le vrai pour être vrai et le faux pour être faux atteignent le but suprême, car ils poursuivent de justes désirs, des vues correctes.

Nous avons vu la dernière fois qu’il ne suffit pas de savoir distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. À première vue, cela paraît le point le plus difficile. Il est de toute évidence que si chacun doit trouver par lui-même, c’est un très long travail ; vous pouvez passer toute votre vie à faire des expériences innombrables qui, petit à petit, vous éclaireront sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

C’est pourquoi il est plus facile de s’en remettre à quelqu’un qui a fait le travail avant vous et à qui il suffit de demander : « Est-ce que ça, c’est vrai? Est-ce que ça, c’est faux ? » Cela présente évidemment un grand avantage, mais malheureusement ce n’est pas toujours suffisant, parce que si on a le désir que les choses soient d’une certaine manière et que ce que l’on préfère soit juste, on n’est pas toujours prêt à écouter le bon conseil.

Et cette dernière phrase, « et ils poursuivent de justes désirs », qui semble presque un lieu commun, est peut-être la partie la plus difficile du problème.

Dans ce livre, dans cet enseignement, on vous dit des petites phrases qui paraissent si simples! Si on lit sans réfléchir suffisamment, on se dit : « Mais enfin c’est évident, on reconnaît pour vrai ce qui est vrai et pour faux ce qui est faux, qu’est-ce que cela veut dire? » Mais d’abord, il n’est pas si facile de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas, puis de reconnaître, c’est-à-dire d’admettre, que telle chose est vraie; et surtout, peut-être plus difficile encore, de reconnaître que telle chose est fausse.

Au fond, pouvoir discerner exactement ce qui est faux, cela implique une telle sincérité dans l’aspiration, une telle volonté de vouloir être vrai, que rien que cette toute petite phrase « connaître le vrai pour être vrai et le faux pour être faux » est une réalisation très considérable. Et la conclusion, « ils atteignent le but suprême », est une grande promesse.

Certains enseignements disent qu’il ne faut pas avoir de désir du tout — ce sont ceux qui tendent au retrait total de la vie pour entrer dans l’immobilité de l’Esprit : l’absence de toute activité, de tout mouvement, de toute forme, de toute réalité extérieure. Pour atteindre à cela, il ne faut plus avoir de désir du tout, c’est-à-dire qu’il faut complètement sortir de toute volonté de progrès; le progrès lui-même devient quelque chose d’irréel et d’extérieur. Mais si, dans votre conception du yoga, vous gardez cette idée de progrès et si vous admettez que l’univers tout entier suit une progression, alors ce qu’il faut, c’est déplacer l’objectif du désir : au lieu de le tourner vers les choses extérieures, artificielles, superficielles et égoïstes, il faut l’ajouter comme une force de réalisation à l’aspiration orientée vers la vérité.

Ces quelques mots « et ils poursuivent de justes désirs » sont une preuve que, essentiellement, l’enseignement du Bouddha ne détournait pas de la réalisation dans le monde, mais de ce qu’il y a de faux dans la conception du monde et dans les activités telles qu’elles se poursuivent dans le monde. Ainsi, quand il enseigne qu’il faut échapper à la vie, ce n’est pas échapper à une vie qui serait l’expression de la vérité mais à la vie illusoire telle qu’elle est vécue ordinairement dans le monde.

Sri Aurobindo nous dit que pour atteindre à la Vérité et avoir le pouvoir de réaliser cette Vérité, il est nécessaire d’associer la conscience spirituelle à la conscience mentale progressive.

Et certainement, ces quelques mots prouvent que telle était aussi la conception originelle de l’enseignement bouddhique.

6 décembre 1957


Tout comme la pluie pénètre dans une maison à la toiture de chaume disjointe, de même les passions pénètrent le mental déséquilibré.

On trouve d’innombrables petites sectes bouddhiques de toutes sortes, en Chine, au Japon, en Birmanie, et chacune suit ses propres méthodes, mais les plus répandues parmi elles sont celles qui ont pour toute pratique de faire taire le mental.

Ils restent assis un certain nombre d’heures dans la journée, et même dans la nuit, et ils tranquillisent leur mental. Pour eux, c’est la clef de toute réalisation — un mental tranquille, qui sait rester tranquille, sans bouger, pendant des heures. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que ce soit très facile, mais ils n’ont pas d’autre objet. Ils ne se concentrent pas sur une pensée, ils ne tâchent pas de comprendre mieux, de savoir davantage, non, pour eux, la voie consiste à avoir un mental tranquille, et parfois ils passent des années et des années d’efforts avant d’arriver à ce résultat : faire taire son mental, le tenir tout à fait silencieux et immobile; parce que, comme il est dit ici dans le Dhammapada, si le mental est déséquilibré, ce mouvement perpétuel d’idées qui se suivent, quelquefois sans beaucoup de suite, qui se contredisent et s’opposent l’une à l’autre, qui spéculent sur les choses, tout cela qui s’entrechoque dans la tête, fait comme des trous dans le toit. Alors tous les mouvements indésirables pénètrent dans la conscience par ces trous, comme l’eau entre dans la maison par un toit qui n’est pas étanche.

Quoi qu’il en soit, je crois que c’est une pratique à conseiller à tout le monde : prendre un certain temps tous les jours pour essayer de rendre son mental tranquille, plan, immobile. Et il est un fait indéniable, c’est que plus on est développé mentalement, plus on y parvient vite; plus le mental est dans un état élémentaire, plus c’est difficile.

Ceux qui sont tout en bas de l’échelle, qui n’ont jamais éduqué leur mental, ont besoin de parler pour penser. Il arrive même que ce soit le son de leur voix qui leur permette d’associer des idées; s’ils ne les expriment pas, ils ne pensent pas. À un échelon plus haut, il y a ceux qui, pour penser, ont encore besoin de remuer des mots dans leur tête, même s’ils ne les prononcent pas à haute voix. Ceux qui commencent vraiment à penser sont ceux qui arrivent à penser sans mots, c’est-à-dire à être en contact avec l’idée et à l’exprimer à travers des mots et des phrases très différentes. Il y a des degrés, beaucoup de degrés supérieurs, mais ceux qui pensent sans mots commencent vraiment à atteindre un état intellectuel; et pour eux, il est beaucoup plus facile de rendre le mental tranquille, c’est-à-dire d’arrêter ce mouvement d’association des mots qui se meuvent constamment comme des piétons sur une place publique, et de contempler une idée dans le silence.

J’insiste sur ce fait, parce qu’il y a pas mal de personnes qui, lorsqu’on leur passe le silence mental par des moyens occultes, sont immédiatement alarmées et craignent de perdre leur intelligence. Parce qu’ils ne peuvent plus penser, ils craignent de devenir stupides! Mais cesser de penser est un accomplissement très supérieur à celui de pouvoir dérouler sans fin des pensées, et cela demande un développement beaucoup plus grand.

Ainsi, à tous points de vue, et pas seulement au point de vue spirituel, il est toujours très bon de pratiquer quelques minutes de silence, au moins deux fois par jour, mais un silence véritable, pas seulement s’abstenir de parler.

Maintenant, nous allons essayer d’être tout à fait silencieux pendant quelques minutes.

(méditation)

13 décembre 1957


Tout comme la pluie ne peut pénétrer dans une maison bien couverte de chaume, de même les passions ne peuvent pénétrer dans le mental équilibré.

(Il se met à pleuvoir.) Voilà, ce doit être le mental du ciel qui est déséquilibré! (rires) Il pleut.

Alors, je crois que le ciel n’a pas d’équilibre et qu’il vaut mieux que vous vous en alliez chez vous. (La pluie augmente.) Alors il n’y a rien à faire!

L’équilibre ne se rétablit pas. Vous allez tous rentrer chez vous et méditer sur la nécessité d’avoir un mental équilibré. Voilà !

20 décembre 1957


Dans les deux mondes, en ce monde-ci et en l’autre, l’être malfaisant se lamente. Il gémit et souffre en se remémorant ses mauvaises actions.

Il est tout à fait évident que lorsqu’on agit d’une façon laide et basse, on est tout naturellement malheureux ; mais être malheureux parce qu’on est conscient de la laideur de ses actes, cela me paraît déjà un état très avancé, parce qu’il faut être très conscient pour être conscient du mal que l’on fait, et être conscient du mal que l’on fait c’est déjà le premier pas pour ne plus le faire.

Généralement, on est tout à fait aveugle sur la laideur de ses actes. On fait le mal par ignorance, par inconscience, par petitesse, par cette espèce de repli sur soi qui vient de l’inconscience, qui vient de l’ignorance, cet instinct de préservation obscur qui fait que l’on est prêt à sacrifier le monde tout entier à son propre bien-être; et plus on est petit, plus le sacrifice offert à sa petitesse paraît naturel.

Il faut être beaucoup plus haut dans l’échelle pour voir que ce que l’on fait est laid. Il faut avoir déjà tout au fond de soi une sorte de prescience de ce qu’est la beauté, la noblesse, la générosité, pour souffrir de ne pas les porter en soi.

Je pense que le Dhammapada parle ici de ceux qui savent déjà ce qui est beau et noble, et qui font le mal volontairement, par calcul. Pour eux, la vie devient en effet terriblement douloureuse. Faire d’une façon persistante ce que l’on sait qui ne doit pas être fait, c’est au prix de tout le repos, toute la tranquillité possible, tout le bien-être que l’on peut avoir. Celui qui ment est constamment inquiet dans la crainte que son mensonge sera découvert; celui qui a mal agi est dans l’anxiété constante à l’idée que, peut-être, il sera puni; celui qui essaye de tromper n’a pas de repos, de crainte de laisser voir qu’il trompe.

Au fond, même pour une raison purement égoïste, faire le bien, être juste, être droit, être honnête, c’est la meilleure façon d’être tranquille et paisible, et de réduire le souci au minimum. Si, en plus, on peut être désintéressé, sans calcul et sans égoïsme, alors il est possible d’être vraiment heureux.

On porte avec soi, autour de soi, en soi, l’atmosphère produite par ses actions, et si ce que vous faites est beau et harmonieux et bon, votre atmosphère est belle, harmonieuse et bonne; tandis que si vous vivez dans l’égoïsme sordide et l’intérêt sans scrupule, la mauvaise volonté sans pitié, c’est cela que vous respirez à chaque minute de votre existence, et cela, c’est la misère, c’est le malaise perpétuel, c’est la laideur désespérée d’être laide.

Et il ne faut pas croire que de quitter ce corps vous libère de cette atmosphère, au contraire, le corps est une sorte de voile d’inconscience qui diminue l’intensité de la souffrance. Si vous êtes sans la protection du corps dans la vie vitale la plus matérielle, la souffrance devient bien plus aiguë et vous n’avez plus l’occasion de changer ce qui est à changer, de corriger ce qui est à corriger, de vous ouvrir à une vie et à une conscience plus hautes et plus lumineuses, plus heureuses.

Il faut se dépêcher de faire son travail ici, car c’est ici qu’on peut le faire vraiment.

N’espérez rien de la mort. La vie est votre salut.

C’est en elle qu’il faut se transformer. C’est sur terre qu’on progresse, c’est sur terre qu’on réalise. C’est dans le corps qu’on remporte la Victoire.

27 décembre 1957


L’être bienfaisant se réjouit dans les deux mondes, dans ce monde-ci et dans l’autre. Il se réjouit de plus en plus en se remémorant ses bonnes actions.

L’être malfaisant souffre dans les deux mondes, dans ce monde-ci et dans l’autre. « J’ai fait le mal », cette pensée le tourmente. Et ses tourments augmentent encore plus lorsqu’il suit la voie qui mène au monde infernal.

L’être bienfaisant se réjouit dans les deux mondes, dans ce monde-ci et dans l’autre. « J’ai fait le bien », cette pensée le réjouit et son bonheur augmente de plus en plus lorsqu’il suit la voie qui mène au monde céleste.

D’après ces textes, il semblerait presque que le bouddhisme accepte l’idée d’un enfer et d’un paradis; mais c’est là une façon tout à fait superficielle de comprendre, parce que, profondément, ce n’était pas la pensée du Bouddha. L’idée sur laquelle il insistait toujours, c’est que l’on crée, par sa conduite et par ses états de conscience, le monde dans lequel on vit. Chacun porte en soi-même le monde dans lequel il vit, et dans lequel il continuera de vivre même lorsqu’il perdra son corps, parce que, selon l’enseignement du Bouddha, il n’y a pour ainsi dire pas de différence entre la vie dans un corps et la vie hors du corps.

Certaines personnes croient, certaines traditions enseignent, que sortir de son corps est une bénédiction et que toutes les difficultés disparaissent, à condition, cependant, dans certaines religions, qu’on ait rempli les rites nécessaires, et c’est même ce qui donne tant d’importance aux rites religieux qui sont comme un passeport pour aller dans une région heureuse une fois que l’on a quitté son corps. Certaines personnes s’imaginent même que dès que l’on a quitté son corps, on a quitté toutes ses misères, mais c’est loin d’être vrai, et ici même le Dhammapada l’indique : ce qu’il appelle le monde infernal, ce sont les cercles psychologiques, les états de conscience particuliers dans lesquels on se trouve quand on a fait le mal, c’est-à-dire quand on s’est éloigné de tout ce qui est beau, pur, heureux, qu’on vit dans la laideur et dans la méchanceté. Rien n’est plus décourageant que de vivre dans une atmosphère de méchanceté.

Ce que le Dhammapada dit ici d’une façon qui nous paraît presque enfantine est essentiellement vrai. Naturellement, il ne s’agit pas de ceux qui pensent : « Oh! comme je suis bon, comme je suis gentil ! » et qui s’en trouvent heureux. C’est un enfantillage. Mais en étant bon, en étant généreux, noble, désintéressé, en étant bienveillant, on crée une certaine atmosphère en soi, autour de soi, et cette atmosphère est comme une détente lumineuse. On respire, on s’épanouit comme la fleur au soleil, on n’a pas de repli sur soi douloureux, d’aigreurs, de révoltes, de misères; c’est spontanément, naturellement que l’atmosphère s’illumine et que l’air qu’on respire est un air heureux. Et cet air-là, c’est l’air qu’on respire dans son corps, et aussi hors de son corps, dans l’état de veille et dans l’état de sommeil, dans la vie et dans le passage hors de la vie — hors de la vie terrestre jusqu’à une vie nouvelle.

Tout acte mauvais produit sur la conscience l’effet d’un vent qui dessèche, ou d’un froid qui gèle, ou de flammes brûlantes qui vous consument.

Toute action bonne et bienveillante donne la lumière, le repos, la joie, le soleil dans lequel les fleurs s’épanouissent.

3 janvier 1958


Il aura beau réciter une grande partie des textes sacrés, s’il n’agit pas en conséquence, cet insensé sera comme le bouvier qui compte les vaches des autres. Il ne peut prendre part à la vie de disciple du Bienheureux.

S’il ne récite qu’une infime partie des textes sacrés et qu’il mette en pratique leur enseignement, ayant rejeté toute passion, toute malveillance et toute infatuation, il possède la vraie sagesse; le mental totalement affranchi n’étant plus attaché à quoi que ce soit, n’appartenant ni à ce monde-ci ni à aucun autre monde, il prend part à la vie de disciple du Bienheureux.

C’est une chose qui a été tellement dite et répétée qu’il semble inutile d’insister sur le fait qu’un tout petit peu de pratique est infiniment plus précieux que des montagnes de discours. Il est certain que toute l’énergie que l’on dépense à expliquer une théorie est beaucoup plus utilement employée à surmonter en soi une faiblesse ou un défaut.

Alors, pour nous conformer à la sagesse de cet enseignement, nous allons réfléchir au meilleur moyen de rejeter toute passion, toute malveillance et toute infatuation.

L’infatuation consiste à prendre l’apparence pour la réalité, et les choses passagères pour la seule chose qui vaille d’être poursuivie : la Vérité permanente.

Il est assez intéressant de remarquer que le Dhammapada souligne clairement qu’il ne suffit pas seulement d’être libre des liens de ce monde, mais de tous les mondes.

Car les bouddhistes zélés et véritables vous disent que les religions ordinaires vous captivent en faisant miroiter devant elles les avantages que l’on rencontrera après la mort dans leur paradis, si vous pratiquez leurs principes; tandis que le bouddhisme n’a ni enfer ni paradis. Il ne vous effraye pas par des punitions éternelles, et il ne vous tente pas par des félicités célestes.

C’est dans la Vérité pure que vous trouvez votre satisfaction et la récompense de tous vos efforts.

10 janvier 1958

La vigilance

La vigilance est la voie qui mène à l’immortalité ou Nirvâna. La négligence est la voie qui mène à la mort. Les vigilants ne meurent pas. Les négligents sont déjà morts.

Dans ces textes, le mot Nirvâna n’est pas employé au sens d’anéantissement, comme vous le voyez, mais dans le sens d’une existence éternelle, par opposition à la vie et à la mort telles que nous les connaissons dans l’existence actuelle, terrestre, et qui sont l’une le contraire de l’autre : la vie est le contraire de la mort, la mort est le contraire de la vie. Ce n’est pas de cette vie-là qu’il est question, c’est de l’existence éternelle qui est par-delà la vie et la mort — l’existence vraie.

La vigilance, c’est d’être éveillé, sur ses gardes, sincère — ne pas se laisser prendre par surprise. À chaque moment de la vie, quand on veut faire une sâdhanâ, il y a un choix entre faire un pas vers ce qui mène au but, et s’endormir, ou même quelquefois reculer, se dire « oh! plus tard, pas tout de suite », s’asseoir sur le chemin.

Être vigilant, ce n’est pas seulement résister à ce qui tire vers le bas, mais surtout être en éveil pour ne pas perdre l’occasion de faire un progrès, l’occasion de surmonter une faiblesse, de résister à une tentation, l’occasion d’apprendre quelque chose, de corriger quelque chose, de maîtriser quelque chose. Si on est vigilant, on peut en quelques jours faire ce qui autrement prendrait des années. Si on est vigilant, on change chaque circonstance de la vie, chaque action, chaque mouvement en une occasion d’approcher du but.

Il y a deux sortes de vigilance : une vigilance passive et une vigilance active. Il y a la vigilance qui fait que l’on est averti si l’on va se tromper, si l’on est en train de mal choisir ou d’être faible, de se laisser tenter, et il y a la vigilance active qui est à la recherche de l’occasion de progresser, qui cherche à utiliser chaque circonstance pour avancer plus vite.

Il y a une différence entre s’empêcher de tomber et avancer plus vite.

Et les deux vigilances sont tout à fait nécessaires.

Celui qui n’est pas vigilant, il est déjà mort. Il a perdu le contact avec la vraie raison d’être, de vivre.

Alors les heures, les circonstances, la vie passent en vain sans rien apporter, et on s’éveille de sa somnolence dans un trou d’où il est très difficile de sortir.

17 janvier 1958


Ayant bien compris ce qu’est la vigilance, les sages s’en délectent et se complaisent dans la sphère de la connaissance des vrais disciples.

Tout au long de cet enseignement, il y a une chose à remarquer, c’est que l’on ne vous dit jamais que de bien vivre, de bien penser, soit le résultat d’un effort ou d’un sacrifice, mais au contraire que c’est l’état délectable qui guérit de toute souffrance. En ce temps-là, le temps du Bouddha, vivre la vie spirituelle était la joie, la béatitude, la condition la plus heureuse, celle qui vous libérait de tous les ennuis du monde, de toutes les souffrances, de tous les soucis, qui vous rendait heureux, satisfait, content.

C’est le matérialisme des temps modernes qui a fait de l’effort spirituel un effort douloureux et un sacrifice, un renoncement pénible à toutes les prétendues joies de la vie.

Cette insistance sur l’exclusive réalité du monde physique, des plaisirs physiques, des joies physiques, des possessions physiques est le résultat de toute la tendance matérialiste de la civilisation humaine. C’était impensable dans l’ancien temps.

Au contraire, la retraite, la concentration, la libération de tous les soucis matériels, la consécration à la joie spirituelle, c’est cela qui était le bonheur.

À ce point de vue, il est de toute évidence que l’humanité est loin d’avoir progressé; et ceux qui sont nés dans le monde dans ces centres de civilisation matérialiste ont dans leur subconscient cette chose affreuse que seules les réalités matérielles sont réelles et que s’occuper de choses qui ne sont pas matérielles représente un esprit de sacrifice merveilleux, un effort presque sublime. Ne pas être du matin au soir et du soir au matin préoccupé de toutes les petites satisfactions physiques, de tous les plaisirs physiques, de toutes les sensations physiques, les préoccupations physiques, c’est faire preuve d’un esprit remarquable. On ne se rend pas compte de cela, mais toute la civilisation moderne est bâtie sur cette conception : « Ah! ce qu’on touche, on est sûr que c’est vrai, ce qu’on voit on est sûr que c’est vrai, ce qu’on mange on est sûr qu’on l’a mangé, mais tout le reste — pff! nous ne sommes pas sûrs que ce ne soient pas de vains rêves et que nous ne lâchions pas le réel pour l’irréel, la proie pour l’ombre. Après tout, qu’allez-vous y gagner? Quelques rêves! Tandis que, lorsque vous avez de gros sous dans votre poche, vous êtes sûr que vous les avez là. »

Et cela, c’est partout, en dessous de tout. Vous grattez un petit peu les apparences et, dans votre conscience, c’est là ; et de temps en temps, vous entendez cette chose qui chuchote en vous : « Prenez garde, ne soyez pas dupe... » Au fond, c’est lamentable.

On nous dit que l’évolution est progressive et qu’elle suit une progression ascendante, en spirale; je ne doute pas que ce que l’on appelle confort dans les cités modernes soit un degré d’évolution très supérieur au confort de l’homme des cavernes, mais dans les histoires anciennes, on parlait toujours d’un pouvoir de prévision, d’un esprit prophétique, de l’annonce des événements par des visions, d’une intimité de la vie avec quelque chose de plus subtil, qui pour les gens simples de cette époque avait une réalité très concrète.

Maintenant, dans ces belles cités si confortables, quand on veut condamner quelque chose, qu’est-ce que l’on dit? « C’est un rêve, c’est une imagination. »

Et justement, l’homme qui vit dans une perception intérieure, on le regarde un peu de travers, on se demande s’il est tout à fait sain d’esprit. Celui qui ne passe pas son temps à essayer de s’enrichir ou d’augmenter son confort et son bien-être ou d’avoir une belle position ou de devenir une personne importante, l’homme qui n’est pas comme cela, on s’en méfie, on se demande s’il est bien sain d’esprit.

Et tout cela, c’est tellement l’étoffe de l’atmosphère, le contenu de l’air qu’on respire, l’orientation des pensées que l’on reçoit des autres, que cela paraît tout à fait naturel. On ne sent pas que c’est une monstruosité grotesque.

Devenir un peu plus conscient de soi-même, entrer en rapport avec la vie derrière les apparences, cela ne vous paraît pas de tous les biens le meilleur. Quand vous vous asseyez dans un fauteuil, confortable, devant une table bien garnie, et que vous vous remplissez l’estomac de mets délectables, cela vous paraît certainement beaucoup plus concret et beaucoup plus intéressant. Et si vous regardez la journée qui s’est passée, le bilan de votre journée, si vous avez eu quelque avantage matériel, un plaisir quelconque, une satisfaction physique, vous la marquez comme une bonne journée, mais si vous avez reçu une bonne leçon de la vie, si elle vous a donné une tape sur le nez pour vous dire que vous êtes un sot, vous ne remerciez pas la Grâce, vous dites : « Ah! ce n’est pas toujours drôle de vivre! »

Quand je lis ces textes anciens, j’ai justement l’impression qu’au point de vue intérieur, au point de vue de la vie vraie, eh bien, on a terriblement reculé, et que pour l’acquisition de quelques mécanismes ingénieux et de quelques encouragements à la paresse physique, l’acquisition d’instruments ou d’appareils qui économisent les efforts pour vivre, on a renoncé à la réalité de la vie intérieure. C’est ce sens-là que l’on a perdu, et il vous faut un effort pour songer à apprendre le sens de la vie, la raison d’être de l’existence, le but vers lequel nous devons nous avancer — vers lequel toute la vie s’avance, que vous le vouliez ou non. Un pas vers le but, ah! il faut beaucoup d’efforts pour le faire! Et généralement on n’y pense que quand les circonstances extérieures ne sont pas agréables.

Comme nous sommes loin du temps où le berger, qui n’allait pas à l’école et qui gardait ses troupeaux la nuit sous les étoiles, pouvait lire dans ces étoiles ce qui allait se passer, communier avec quelque chose qui s’exprimait à travers la Nature, et il avait le sens de la beauté profonde et cette paix que donne la simplicité de la vie.

C’est très malheureux qu’il faille abandonner une chose pour en avoir une autre. Quand je vous parle de la vie intérieure, je suis loin de m’opposer à toutes les inventions modernes, il s’en faut de beaucoup, mais comme ces inventions nous ont rendus artificiels et sots! Comme nous avons perdu le sens de la vraie beauté, comme nous nous encombrons de besoins inutiles!

Peut-être le temps est-il venu de continuer l’ascension dans la courbe de la spirale, et avec tout ce que cette connaissance de la matière nous a apporté, nous pourrons donner à notre progrès spirituel une base plus solide; forts de ce que nous avons appris des secrets de la Nature matérielle, nous pourrons alors joindre les deux extrêmes et retrouver la suprême Réalité au centre de l’atome.

24 janvier 1958


Ceux qui sont intelligents, méditatifs, persévérants, luttant contre eux-mêmes sans relâche, atteignent au Nirvâna qui est la félicité suprême.

Quiconque sait entretenir son zèle, rester pur en ses actions, agir d’une manière réfléchie, restreindre ses passions, vivre selon la Loi ou la morale, celui-là verra grandir sa renommée.

Cette promesse d’avoir une bonne renommée ne me semble pas tout à fait digne de l’enseignement bouddhique. Il est probable que cela voulait dire autre chose. Et vivre selon la morale, il faudrait savoir de quelle morale il s’agit, parce que si c’est la morale sociale, admise et reconnue, cela ne me paraît pas une promesse très alléchante! Ceux qui ont décidé d’abandonner toutes les faiblesses de ce monde n’ont certainement pas le souci de satisfaire à la morale sociale... ni d’acquérir une bonne renommée!

Entretenir son zèle est chose excellente, rester pur dans ses actions est aussi indispensable, agir d’une manière réfléchie, c’est parfait, on ne le fait jamais assez, et restreindre ses passions, cela va de soi, c’est le commencement... mais cette conclusion!

Mais je vois que dhamma a été rendu ici par « Loi » et yasa par « renommée », alors que dhamma signifierait plutôt la vérité intérieure et yasa, la gloire spirituelle. Nous pourrions donc interpréter ainsi le texte : « Quiconque sait entretenir son zèle, rester pur dans ses actions, agir d’une manière réfléchie, restreindre ses passions, vivre selon la vérité intérieure, celui-là verra grandir sa gloire spirituelle. »

Ainsi conçu, ce texte est tout à fait excellent. On ne peut mieux faire que de s’y conformer.

31 janvier et 7 février 1958


Que l’homme intelligent se crée une île qu’aucun flot ne sera capable de submerger et cela par ses efforts, sa vigilance, sa discipline et sa maîtrise de soi.

Les insensés, dans leur manque d’intelligence, s’abandonnent à la négligence. Le vrai sage conserve la vigilance comme son trésor le plus précieux.

Ne vous laissez pas aller à l’insouciance ni au plaisir des sens. Celui qui est vigilant et adonné à la méditation acquiert un grand bonheur.

L’homme intelligent qui par sa vigilance a écarté la négligence, gravit les hauteurs de la sagesse d’où il contemple la foule des affligés comme un montagnard contemple les gens de la plaine.

Vigilant parmi les négligents, parfaitement éveillé parmi les somnolents, l’homme intelligent avance tel un rapide coursier laissant derrière lui la pauvre rosse.

La vigilance est admirée. La négligence blâmée. Par la vigilance, Indra s’est élevé au plus haut rang des dieux.

Le bhikkhu28 qui se délecte dans la vigilance et qui redoute la négligence avance comme un feu consumant tous ses liens, grands ou petits.

Le bhikkhu qui se plaît dans la vigilance et redoute la négligence ne peut plus déchoir. Il se rapproche du Nirvâna.

Je vous ai lu tout le chapitre parce qu’il m’a semblé que c’est l’ensemble de ces versets qui crée une atmosphère et qu’ils sont faits plus pour être pris en une seule fois que chacun séparément. .

Mais je vous recommande vivement de ne pas prendre les mots employés ici dans leur sens littéral habituel.

Ainsi, par exemple, je suis bien convaincue que la pensée originale ne voulait pas dire qu’il faut être vigilant pour être admiré et qu’il ne faut pas être négligent pour ne pas être blâmé. Et d’ailleurs, l’exemple donné le prouve, car ce n’est certainement pas pour être admiré qu’Indra, le chef des dieux du Surmental dans l’ancienne tradition hindoue, a pratiqué la vigilance. C’est une façon très enfantine de dire les choses. Pourtant, si l’on prend ces versets tous ensemble, ils ont, par leur répétition et par leur insistance, un pouvoir évocateur de la chose qui veut être exprimée; cela vous met en rapport avec une certaine attitude psychologique qui est très utile et qui a un effet assez considérable si l’on suit cette discipline.

Les deux derniers versets particulièrement sont très évocateurs. Le bhikkhu avance comme la flamme ardente de l’aspiration et il redoute la négligence.

La négligence, c’est vraiment ce relâchement de la volonté qui fait que l’on oublie son but et que l’on passe son temps à faire toutes sortes de choses qui, loin de contribuer au but que l’on veut atteindre, vous arrêtent sur le chemin, et souvent même vous en détournent. Alors, la flamme d’aspiration du bhikkhu lui fait redouter la négligence. Il se souvient à chaque moment que le temps est relativement court, qu’il ne faut pas le gaspiller en route, qu’il faut aller vite, aussi vite que l’on peut, ne pas perdre une minute. Et celui-là qui est vigilant et qui ne perd pas de temps, il voit ses entraves tomber, toutes — les grandes, les petites, toutes les difficultés s’évanouissent grâce à la vigilance; et si l’on persiste dans cette attitude, que l’on y trouve sa pleine satisfaction, il arrive au bout d’un certain temps que le bonheur ressenti à être vigilant est si puissant que, bientôt, on se sentirait très malheureux si l’on perdait cette vigilance.

C’est un fait que lorsqu’on s’est appliqué à ne pas perdre de temps en chemin, tout temps perdu devient une souffrance et on ne peut y trouver aucun plaisir d’aucune sorte. Et une fois que l’on est dans cet état-là, une fois que cet effort de progrès et de transformation est la chose la plus importante de la vie, celle à laquelle on pense constamment, alors vraiment on est en route vers l’existence éternelle, la vérité de l’être.

Il y a certainement un moment du développement intérieur où loin d’avoir à faire un effort pour se concentrer, s’absorber dans la contemplation et la recherche de la vérité et de son expression la meilleure — ce que les bouddhistes appellent la méditation —, on éprouve, au contraire, une sorte de soulagement, de détente, de repos, de joie, et d’avoir à en sortir pour s’occuper de choses qui ne sont pas essentielles, tout ce qui peut ressembler à un gaspillage de temps, devient terriblement douloureux. Les activités extérieures se réduisent à la nécessité absolue, et celles qui sont faites comme un service pour le Divin. Tout ce qui est futile, inutile, et qui justement ressemble à un gaspillage de temps et d’effort, tout cela, loin de donner la moindre satisfaction, crée une sorte de malaise et de fatigue; on ne se sent heureux que quand on est concentré sur son but.

Alors, on est vraiment en route.

14 février 1958

Le mental

De même que celui qui fabrique les flèches veille à ce qu’elles soient droites, de même l’homme intelligent redresse sa pensée hésitante et incertaine, difficile à garder droite, difficile à maîtriser.

De même qu’un poisson rejeté hors de l’eau, notre esprit tremble et pantelle quand il abandonne le royaume de Mâra.

Difficile à maîtriser, instable est le mental toujours en quête de jouissances. Il est bon de le dominer. Un mental dompté assure le bonheur.

Que le sage reste maître de ses pensées, car elles sont subtiles et difficiles à saisir et toujours en quête de jouissances. Un mental bien guidé assure le bonheur.

Errant au loin, solitaire, sans consistance et caché au plus profond du cœur, tel est le mental. Quiconque parvient à le soumettre, se libère des entraves.

L’intelligence de celui dont le mental est instable, qui ignore la vraie Loi et dont la foi est chancelante, ne pourra jamais se développer.

Si les pensées d’un homme ne sont pas agitées, si son mental n’est pas troublé par le désir, s’il ne s’inquiète plus du bien et du mal, cet homme bien éveillé ne connaît pas de crainte.

Observant que le corps est fragile comme un vase, et fortifiant le mental comme une cité armée, qu’on attaque Mâra avec l’épée de l’intelligence, et que l’on conserve précieusement ce qui a été acquis.

Avant peu ce corps sera gisant sur le sol, abandonné, sans vie comme un soliveau.

Quoi que puisse faire un ennemi à un autre ennemi ou un haineux à un autre haineux, le mal causé par un mental mal dirigé est encore plus grand.

Ni mère, ni père, ni aucun autre parent ne pourra nous faire autant de bien qu’un mental bien dirigé.

Ces quelques versets répondent à tous les besoins de ceux dont le mental n’est pas maîtrisé. Ils montrent l’attachement que l’on a pour ses vieilles manières d’être, de penser et de réagir, même quand on essaye d’en sortir. Dès que, par un effort, vous en êtes sorti, vous êtes comme un poisson hors de l’eau, et qui pantelle parce qu’il n’est plus dans son milieu d’obscur désir.

Même quand on prend des résolutions, le mental est instable. Il est subtil aussi, difficile à saisir. Sans en avoir l’air, il est constamment à la recherche de sa propre satisfaction; et ses intentions sont cachées au plus profond du cœur afin de ne pas montrer leur vraie nature.

Et, sans oublier la faiblesse du corps mais en essayant de fortifier le mental contre sa propre faiblesse, il faut, avec l’épée de la sagesse, lutter contre les forces adverses et garder précieusement les progrès que l’on a faits afin que ces forces ne vous dépouillent pas de vos progrès, parce qu’elles sont de terribles voleurs.

Puis il y a un petit couplet pour ceux qui ont peur de la mort, pour essayer de les libérer de cette peur. Puis un dernier petit couplet pour ceux qui sont attachés à leur famille, pour leur montrer la vanité de cet attachement.

Enfin le dernier avertissement : une pensée mal dirigée et mal contrôlée fait plus de mal que l’ennemi n’en fait à l’ennemi et que le haineux n’en fait au haineux, c’est-à-dire que même ceux qui ont les meilleures intentions du monde, s’ils n’ont pas le sage contrôle de leur pensée, se font plus de mal à eux-mêmes et font plus de mal à ceux qu’ils aiment, que l’ennemi n’en fait à l’ennemi et que le haineux n’en fait au haineux.

Le mental a une puissance de tromperie à son propre égard, qui est incalculable. Il revêt ses désirs et ses préférences de toutes sortes d’intentions merveilleuses, et il cache ses supercheries, ses dépits et ses désappointements sous les apparences les plus favorables.

Pour surmonter cela, il faut avoir l’intrépidité d’un vrai guerrier, et une honnêteté, une droiture, une sincérité à toute épreuve.

28 février 1958

Les fleurs

Qui domptera ce monde d’illusion et le royaume de Yama29 avec celui des dieux ? Qui découvrira la voie de la Loi comme l’habile jardinier découvre les fleurs les plus rares?

Le disciple sur la bonne voie domptera ce monde d’illusion et le royaume de Yama avec celui des déités. Il découvrira la voie de la Loi comme l’habile jardinier découvrira les fleurs les plus rares.

Sachant que son corps est de nature éphémère comme l’écume, et illusoire comme un mirage, le disciple sur la bonne voie brisera la flèche fleurie de Mâra et s’élèvera hors de l’atteinte du roi de la mort.

La mort emporte l’homme qui ne recherche que les fleurs des plaisirs sensuels tout comme les inondations torrentielles emportent un village endormi.

La mort, ce destructeur, subjugue celui qui ne recherche que les fleurs des plaisirs sensuels avant même qu’il n’en soit satisfait.

Que le sage aille de porte en porte dans son village pour quêter, comme l’abeille recueille le miel des fleurs sans même avoir porté atteinte ni à leur coloris ni à leur parfum.

Qu’on ne critique point les autres pour ce qu’ils font ou n’ont pas fait, mais que l’on soit conscient de ce que l’on a fait ou point fait soi-même.

Tout comme une belle fleur est resplendissante mais sans parfum, de même sont les belles paroles de celui qui n’agit pas en conséquence.

Tout comme une belle fleur est resplendissante et parfumée, de même sont les belles paroles de celui qui agit en conséquence.

Tout comme l’on peut faire de nombreuses guirlandes d’un monceau de fleurs, de même un être mortel peut accumuler de nombreux mérites.

La parfum des fleurs, ni même celui du santal, ou de l’encens, ni même celui du jasmin, ne peut aller contre le vent; mais le doux parfum de l’intelligence va contre le vent. Tout alentour, l’homme intelligent répand le parfum de sa vertu.

Nul parfum, pas même celui du santal ou de l’encens, ou du lotus, ou du jasmin, ne peut être comparé à celui de l’intelligence.

Faible est le parfum de l’encens ou du santal comparé à celui de l’homme vertueux et qui parvient jusqu’aux divinités les plus élevées.

Mâra ne peut découvrir la voie que suivent ceux qui mènent une vie parfaitement pure et qui, grâce à leur totale connaissance, sont libérés.

Comme le beau lys parfumé émerge au bord de la route, de même le disciple du Parfaitement Éveillé30 qui resplendit d’intelligence émerge des masses ignorantes et aveugles.

Il y a ici quelques très sages recommandations, par exemple celle de ne pas s’occuper de ce que font les autres ni des fautes qu’ils commettent, mais de s’occuper plutôt de ses propres fautes et de ses propres négligences pour les réparer. Un autre sage conseil est de ne pas prononcer trop de paroles éloquentes qui restent sans effet dans l’action — parlez peu et agissez bien. Les belles paroles, disent-ils, qui ne sont que des paroles, sont des fleurs sans parfum.

Et finalement, afin que l’on ne soit pas découragé par ses propres fautes, le Dhammapada vous donne cette image consolante : le lys le plus pur peut sortir d’un tas de déchets sur le bord de la route. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de choses si pourries qu’il ne puisse en sortir la réalisation la plus pure.

Quel que soit le passé ou les fautes commises ou l’ignorance dans laquelle on a vécu, on porte au fond de soi la pureté suprême qui peut se transformer en une réalisation merveilleuse.

Le tout est de songer à cela, de se concentrer là-dessus et de ne pas s’occuper de tous les obstacles et de toutes les difficultés et de tous les empêchements.

Se concentrer exclusivement sur ce que l’on veut être, et oublier aussi totalement que possible ce que l’on ne veut pas être.

7 mars 1958

L’insensé

Longue est la nuit pour celui qui est sans sommeil ; longue est la route pour celui qui est fatigué; longue est la suite des renaissances pour l’insensé qui ne connaît pas la vraie Loi.

Si un homme se met à la recherche de quelqu’un qui lui est supérieur ou même son égal, et qu’il ne le trouve pas, qu’il suive résolument une voie solitaire; car il ne peut y avoir de camaraderie avec un insensé.

L’insensé se tourmente en pensant : « Ce fils est mien, cette fortune est mienne. » Comment peut-il posséder fils et richesse quand il ne s’appartient pas à soi-même?

L’insensé qui connaît sa sottise est au moins sage en cela. Mais l’insensé qui se croit intelligent est en vérité un fou.

Si même l’insensé vit avec un homme intelligent durant toute sa vie, il n’en demeure pas moins ignorant de la vérité, tout comme la cuillère ignore le goût de la soupe.

Si un homme intelligent vit, ne fût-ce qu’un moment, avec un homme sage, il comprendra promptement la vérité, tout comme la langue perçoit aussitôt la saveur de la soupe.

Les insensés, les ignorants n’ont pas de pire ennemi qu’eux-mêmes; amer est le fruit qu’ils recueillent de leurs mauvaises actions.

L’acte mauvais dont on se repent ensuite n’apporte que regrets, et le fruit que l’on récoltera sera de larmes et de lamentations.

Le bon acte dont on n’a pas à se repentir ensuite n’apporte aucun regret, et le fruit que l’on récoltera sera plaisir et satisfaction.

Aussi longtemps que la mauvaise action n’a pas porté ses fruits, l’insensé s’imagine que c’est aussi doux que du miel. Mais lorsque cet acte porte ses fruits, il ne récolte que souffrance.

Quoique pendant des mois l’insensé mange sa nourriture sur la pointe d’un brin d’herbe koussa31 , il n’en vaudra même pas le seizième de celui qui a compris la vérité.

Une mauvaise action ne récolte pas de suite ses fruits, tout comme le lait ne tourne pas aussitôt; mais tout comme le feu couvert de cendres, de même couve la mauvaise action.

Quelle que soit la vaine connaissance qu’ait pu acquérir l’insensé, elle ne le mène qu’à sa ruine.

La moine insensé a soif de réputation et d’occuper un haut rang parmi les bhikkhus, d’avoir toute l’autorité sur le monastère et vénération des laïcs. .

« Que les séculiers et les religieux apprécient hautement ce que j’ai fait ; qu’ils me soient soumis ! » Telle est l’aspiration de l’insensé dont l’orgueil ne fait qu’augmenter.

Une route conduit aux biens terrestres, et il en est une tout autre qui conduit au Nirvâna. Sachant cela, le bhikkhu, le disciple du Parfaitement Éveillé, n’aspire plus aux honneurs mais au contraire cultive la solitude.

Ceci semble directement dirigé contre les hypocrites, ceux qui prennent les formes extérieures et les apparences de la sagesse, mais dans leur cœur conservent tous les désirs, les ambitions, le besoin de paraître, et qui vivent pour la satisfaction de cette ambition et de ces désirs au lieu de vivre pour la seule chose qui vaille la peine d’exister : l’acquisition de la vraie conscience, le don de soi intégral au Divin, la paix, la lumière et la joie qui viennent de la vraie sagesse et de l’oubli de soi.

On pourrait facilement remplacer dans tout ce texte le mot insensé par le mot ego. Celui qui vit dans son ego, pour son ego et dans l’espoir de satisfaire son ego, est un insensé. Et à moins qu’on ne dépasse son ego, qu’on n’arrive à l’état de conscience où l’ego n’a plus de raison d’être, on ne peut pas espérer atteindre le but.

L’ego semble avoir été indispensable, pendant un temps, pour la formation de la conscience individuelle, mais avec l’ego sont nés tous les obstacles, toutes les souffrances, toutes les difficultés, tout ce qui nous apparaît maintenant comme des forces adverses et antidivines. Mais ces forces elles-mêmes étaient une nécessité pour arriver à la purification intérieure et à la libération de l’ego ; l’ego est à la fois le résultat de leur action et la cause de leur prolongement. Quand l’ego disparaîtra, les forces adverses disparaîtront, n’ayant plus aucune raison d’être dans le monde.

Avec la libération intérieure, la sincérité totale, la pureté parfaite, toute souffrance disparaîtra, parce qu’elle ne sera plus nécessaire pour faire avancer la conscience vers son but final.

La sagesse est donc de travailler énergiquement à la transformation intérieure afin de sortir victorieusement d’une lutte qui aura porté ses fruits mais qui n’aura plus de raison d’être.

14 mars 1958

Le sage

Que l’on recherche la compagnie du sage qui nous montre nos défauts, comme s’il nous montrait un trésor caché; mieux vaut cultiver les relations avec un tel homme car il ne peut nous être nuisible, bien au contraire.

Celui qui nous exhorte au bien et qui nous dissuade de faire le mal est apprécié de l’homme droit et détesté de l’homme sournois.

Il ne convient pas de rechercher la compagnie ou l’amitié d’hommes au vil caractère, mais frayons avec les hommes de bien et recherchons l’amitié des meilleurs parmi les hommes.

Celui qui boit directement à la source de la Doctrine32 vit heureux dans la sérénité de l’esprit. Le sage se réjouit toujours de la Doctrine qu’enseignent les nobles disciples du Bouddha.

Les constructeurs d’aqueducs conduisent l’eau où besoin est ; celui qui fabrique les flèches les redresse; les charpentiers tournent le bois ; le sage se contrôle lui-même.

Pas plus que le rocher ne peut être ébranlé par le vent, de même le sage ne peut être sensible au blâme ou aux louanges.

Le sage, après qu’il s’est pénétré de la Doctrine, devient parfaitement paisible comme un lac profond, calme et clair.

Quel que soit le lieu où il se trouve, le vrai sage renonce à tout plaisir. Ni peine ni joie ne peuvent l’affecter.

Ni pour son propre compte, ni pour celui d’autrui, le sage ne désire enfants, fortune, royaume. Il ne fonde pas sa propre réussite avec des moyens malhonnêtes. Un tel homme est vertueux, sage et juste.

Peu nombreux sont les hommes qui passent sur l’autre rive. Ceux qui demeurent, la majorité, ne font qu’aller et venir le long de ce rivage.

Mais ceux qui vivent selon la Doctrine franchissent le domaine de la mort, quelle que soit la difficulté du passage.

Le sage abandonnera les voies obscures de l’existence mais poursuivra la voie lumineuse. Il quittera son foyer pour la vie sans foyer, et dans la solitude recherchera la joie qu’il est si difficile de trouver.

Ayant renoncé à tous désirs et attachements sensuels, le sage se lavera de toutes les souillures du mental.

Celui dont le mental est bien entraîné à tous les degrés du savoir (discernement de la vérité, énergie, allégresse du vrai, sérénité, méditation, égalité d’âme), qui, détaché de toutes choses, se complaît dans son renoncement et dont les appétits ont été subjugués, est radieux et, en ce monde même, atteint le Nirvâna.

Il y a ici une phrase qui est particulièrement heureuse, justement la première que nous avons lue : « Que l’on recherche la compagnie du sage qui nous montre nos défauts, comme s’il nous montrait un trésor caché. »

Dans toutes les Écritures destinées à faire progresser les hommes, il est toujours dit qu’il faut être très reconnaissant à ceux qui vous montrent vos défauts, et qu’il faut rechercher leur compagnie; mais la forme employée ici est particulièrement heureuse : si l’on vous montre un défaut, c’est comme si l’on vous faisait voir un trésor — c’est-à-dire que chaque fois que l’on découvre en soi des fautes, des incapacités, des manques de compréhension, des faiblesses, des insincérités, tout ce qui empêche de progresser, c’est comme si l’on découvrait un trésor merveilleux.

Au lieu de s’attrister et de se dire : « Oh! voilà encore un défaut », on devrait au contraire se réjouir comme d’une acquisition merveilleuse, parce que l’on vient de saisir une des choses qui empêchait de progresser; et une fois que vous l’avez saisie, arrachez-la ! Car ceux qui pratiquent une discipline yoguique considèrent que de la minute où l’on sait qu’une chose ne doit pas être, on a le pouvoir de la déplacer, de l’écarter, de la détruire.

Découvrir un défaut est une acquisition : c’est comme s’il y avait un flot de lumière qui entrait à la place du petit bout d’obscurité que l’on vient de chasser.

Quand on suit une discipline yoguique, on n’admet pas cette faiblesse, cette veulerie, ce manque de volonté, qui fait que la connaissance n’est pas immédiatement suivie du pouvoir. Savoir qu’une chose ne doit pas être et continuer à la laisser être est un tel signe de faiblesse que dans toute discipline sérieuse on ne l’admet pas; c’est un manque de volonté qui va jusqu’à l’insincérité. Vous savez qu’une chose ne doit pas être, et du moment où vous le savez, vous êtes le maître qu’elle ne soit pas, car connaissance et pouvoir sont essentiellement la même chose — c’est-à-dire que l’on ne doit pas accepter qu’il y ait quelque part dans l’être cette ombre de mauvaise volonté qui est en contradiction avec la volonté centrale de progrès, et qui vous rend impuissant, sans courage et sans force en face d’un mal que vous devez détruire.

Pécher par ignorance n’est pas un péché, cela fait partie du mal général du monde tel qu’il est, mais pécher quand on sait, c’est grave. Cela veut dire qu’il y a, caché quelque part, comme un ver dans le fruit, un élément de mauvaise volonté qu’il faut pourchasser et détruire à tout prix, parce que toute faiblesse sur un point de ce genre est la source de difficultés qui sont quelquefois, plus tard, irréparables.

Donc, la première chose est d’être parfaitement heureux quand quelqu’un ou une circonstance quelconque, vous met en présence consciente d’un défaut qui est en vous et que vous ne connaissiez pas. Au lieu de vous lamenter, il faut vous réjouir et, dans cette joie, trouver la force de vous débarrasser de ce qui ne doit pas être.

21 mars 1958

Le méritant

Il n’existe point de douleur pour celui qui a terminé son voyage, qui a abandonné tout souci, qui s’est libéré de toutes parts, qui a rejeté tous liens.

Ceux qui réfléchissent luttent toujours et abandonnent leur foyer, comme les cygnes qui abandonnent leur lac.

Ceux qui n’amassent rien, qui sont mesurés en mangeant, qui ont perçu la vacuité de toute chose et qui ont atteint la délivrance sans condition, leur trace est aussi difficile à suivre que celle d’un oiseau dans l’air.

Celui qui a détruit tout désir en lui et qui a perçu la vacuité de toute chose, qui se soucie peu de la nourriture, qui a atteint la délivrance sans condition, sa trace est aussi difficile à suivre que celle d’un oiseau dans l’air.

Les dieux eux-mêmes estiment celui dont les sens ont été domptés, comme les chevaux par le charretier, et qui s’est purgé de tout orgueil et libéré de toute corruption.

Celui qui fait son devoir est inébranlable comme la terre elle-même. Il est ferme comme un pilier, pur comme un lac sans limon; et pour lui le cycle des renaissances est terminé.

Tranquilles sont les pensées, les paroles et les actes de celui qui par la vraie connaissance s’est libéré et est parvenu au calme parfait.

Il est le plus grand parmi les hommes celui qui n’est pas crédule mais a le sens de l’incréé, qui a rompu toutes ses chaînes, qui a détruit tout élément de naissance nouvelle.

Que ce soit dans un hameau, dans une forêt, dans la plaine ou sur la montagne que vivent les hommes méritants, il est toujours agréable d’habiter avec eux.

Délicieuses sont les forêts que la foule dédaigne. Là, l’homme méritant et sans passion trouvera son bonheur, parce qu’il ne recherche pas les plaisirs sensuels.

Il y a ici une phrase très intéressante : « ... celui qui n’est pas crédule, mais a le sens de l’incréé... »

Celui qui n’est pas crédule — on peut mettre dans ce mot toutes sortes de choses. La première impression est qu’il s’agit de celui qui ne croit pas aux choses invisibles à moins d’en avoir l’expérience, à la différence des gens qui suivent une religion, par exemple, et qui croient aux dogmes simplement parce qu’on le leur a appris. « Mais il a le sens de l’incréé... », c’est-à-dire qu’il est en rapport avec les choses invisibles et qu’il les connaît telles qu’elles sont, par identité. Le Dhammapada nous a dit pour commencer que c’est le plus grand parmi les hommes, celui qui, sans croire à ce qui est enseigné, a l’expérience personnelle des choses qui ne sont pas visibles, celui qui, libéré de toute croyance, a fait lui-même l’expérience des choses invisibles.

On peut donner une autre explication aussi : celui qui n’est pas crédule, c’est celui qui ne croit pas à la réalité des apparences, des choses telles que nous les voyons, qui ne les prend pas pour la vérité, qui sait que ce sont seulement des apparences trompeuses et que, derrière elles, il y a une vérité à trouver et à connaître par expérience personnelle et par identité.

Et ceci fait réfléchir au nombre de choses — au nombre incalculable de choses — que nous croyons sans aucune connaissance personnelle, simplement parce qu’on nous a enseigné qu’elles étaient comme cela, ou parce qu’on a l’habitude de penser qu’elles sont comme cela, ou parce qu’on est entouré de gens qui croient qu’elles sont comme cela. Si nous regardons toutes les choses que nous croyons, et non seulement que nous croyons mais que nous affirmons avec une autorité indiscutable : « Ça, c’est comme ça », « Ça ! mais c’est comme ça », « Et telle chose, c’est cela »... au fond, nous n’en savons rien; c’est tout simplement parce que nous avons l’habitude de penser qu’elles sont comme cela. Quelles sont les choses dont vous avez une expérience personnelle, avec lesquelles vous avez un contact direct, et dont vous pouvez dire, au moins avec sincérité : « Je suis convaincu que c’est comme cela, parce que j’en ai l’expérience »? Il n’y en a pas beaucoup.

Et au fond, si l’on veut vraiment avoir une connaissance, on devrait commencer par faire une étude assez importante : vérifier les choses qui nous sont enseignées, même les plus usuelles, les plus insignifiantes. Alors on comprend pourquoi ce texte nous dit « le plus grand parmi les hommes », parce que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui aient fait cette expérience.

Rien que de constater le nombre de choses que nous croyons et que nous affirmons, simplement parce que c’est l’habitude de les croire et de les affirmer, voilà une découverte assez intéressante.

Maintenant, vous allez regarder dans votre pensée et dans votre conscience toutes les choses que vous affirmez, sans preuves. Vous verrez!

28 mars 1958

Les mille

Meilleur que mille mots privés de sens est un seul mot raisonnable qui peut amener le calme chez celui qui l’entend.

Meilleur que mille versets privés de sens est un seul verset raisonné qui peut donner le calme à celui qui l’entend.

À cent versets dénués de sens, un seul verset de la Doctrine est préférable, qui donne la paix à celui qui l’entend.

Le plus grand des conquérants n’est pas celui qui, dans une bataille, est vainqueur de milliers d’hommes, mais celui qui est vainqueur de lui-même.

La victoire que l’on remporte sur soi-même est plus importante que celle que l’on remporte sur tous les peuples.

Ni dieu, ni gandharva33 , ni Mâra, ni Brahmâ ne peut changer cette victoire en défaite.

Si, mois après mois pendant un siècle, on offre des sacrifices par milliers, et si pendant un seul moment on rend hommage à un être pénétré de sagesse, cet hommage seul vaut mieux que tous ces innombrables sacrifices.

Si, pendant cent ans, un homme entretient la flamme sur l’autel d’Agni34 , et si d’autre part il rend hommage pendant un seul instant à l’homme qui a dompté ses instincts, ce bref hommage a plus de valeur que sa longue dévotion.

Quels que soient les sacrifices et les oblations qu’un homme en ce monde puisse offrir pendant une année entière pour acquérir du mérite, cela ne vaudrait pas même le quart de l’hommage rendu à un homme juste.

Pour celui qui est rempli de respect envers les vieillards, quatre choses augmentent : longévité, beauté, bonheur et santé.

Un seul jour vécu dans la sagesse et la méditation vaut mieux que cent années passées dans le vice et la sensualité.

Un seul jour vécu dans la sagesse et la méditation vaut mieux que cent années passées dans la sottise et l’égarement.

Un seul jour vécu dans la sagesse et la méditation vaut mieux qu’un siècle vécu dans la paresse et l’inertie.

Un seul jour vécu dans le sentiment que toute chose apparaît et disparaît, vaut mieux qu’un siècle vécu dans l’ignorance du transitoire.

Un simple jour vécu dans la contemplation du chemin qui mène à ce qui ne meurt pas, vaut mieux qu’un siècle vécu dans l’ignorance de la voie du Nirvâna.

Un seul jour vécu dans la contemplation de la Vérité suprême vaut mieux qu’un siècle vécu dans l’ignorance de la Vérité suprême.

Toutes sortes de choses différentes sont ici rangées sous le même titre. C’est une association verbale plus qu’une association d’idées. Mais la tendance principale est qu’il est préférable d’avoir un moment de sincérité qu’une longue vie d’apparente dévotion; et qu’une victoire psychologique et spirituelle remportée sur soi est plus importante que toutes les victoires extérieures.

Il y a aussi une réflexion intéressante, c’est que la victoire remportée sur soi est la seule qui soit vraiment à l’abri de l’intervention de tous les dieux et de toutes les puissances de la Nature et de tous les instruments du mal. Si vous avez obtenu la maîtrise de vous-même sur un point, cela échappe à toutes les interventions, même des puissances les plus hautes, que ce soient les dieux du Surmental ou toutes les puissances antidivines dans le monde.

Au début du texte, il est dit qu’un seul mot qui vous donne la paix vaut mieux que des milliers de mots qui n’ont pas de sens — cela, n’importe qui peut le comprendre —, mais il est même dit que le mot qui donne la paix vaut mieux que des milliers de mots qui peuvent satisfaire l’activité mentale, mais qui n’ont pas un effet psychologique sur votre être.

Au fond, quand vous avez trouvé quelque chose qui a le pouvoir de vous aider à remporter une victoire sur votre inconscience et votre inertie, il faudrait épuiser jusqu’au résultat final l’effet produit par ce mot ou cette phrase avant de chercher à en trouver d’autres.

Il est plus important de pousser jusqu’au bout la pratique de l’effet obtenu par une idée que l’on a rencontrée, d’une manière ou d’une autre, que d’essayer d’accumuler dans sa tête une quantité d’idées. Les idées peuvent toutes être très utiles, en leur temps, si on les laisse venir au moment voulu, et surtout si l’on pousse jusqu’à l’extrême limite le résultat d’une de ces idées dynamiques qui ont le pouvoir de vous faire remporter une victoire intérieure. C’est-à-dire que l’on devrait avoir pour but principal, sinon unique, la mise en pratique de ce que l’on sait, plutôt que d’accumuler en soi une connaissance qui demeure purement théorique.

On pourrait résumer ainsi : mettez intégralement en pratique ce que vous savez, alors vous pourrez utilement augmenter votre savoir théorique.

11 avril 1958

Le mal

Hâte-toi vers le bien, abandonne les mauvaises pensées, car faire le bien sans ardeur, c’est avoir un esprit qui se délecte dans le mal.

Si quelqu’un commet une mauvaise action, qu’il se garde de recommencer, qu’il ne s’y complaise pas, car douloureuse est l’accumulation du mal.

Si quelqu’un agit bien, qu’il continue à agir de la sorte et qu’il s’en réjouisse. Bienheureuse est l’accumulation du bien.

Tant que sa mauvaise action n’a pas encore mûri, un être malfaisant peut éprouver de la satisfaction. Mais lorsqu’elle mûrit, le malfaisant connaît le malheur.

Un être bienfaisant peut avoir de mauvais jours, tant que sa bonne action n’a pas mûri. Mais quand elle mûrit, le bienfaisant connaît des jours heureux.

Ne traite pas légèrement le mal en te disant : « Cela ne me touchera pas. » Une jarre s’emplit goutte à goutte; de même l’insensé s’emplira peu à peu de malignité.

Ne traite pas légèrement le bien en te disant : « Cela ne me touchera pas. » La jarre s’emplit goutte à goutte; de même le sage s’emplira petit à petit de bonté.

Le marchand qui transporte d’abondantes richesses et n’a qu’une faible escorte évite les routes dangereuses, et un homme qui aime la vie se garde du poison; de même doit-on agir à l’égard du mal.

Une main saine et sans blessure peut toucher impunément du poison; agis de même, car le mal n’affecte pas l’homme bienfaisant.

Offenser une personne pure, innocente, et sans défense, c’est s’exposer au retour de l’injure, comme si l’on jetait de la poussière contre le vent.

Certaines gens reprennent naissance ici sur terre; les êtres malfaisants s’en vont dans les sphères du Niraya35 ; les justes vont dans les sphères célestes; mais ceux qui se sont libérés de tout désir atteignent le Nirvâna.

Ni dans les cieux, ni dans les profondeurs de l’océan, ni dans les antres des rochers, nulle part sur terre, il n’existe de place où l’homme trouvera un abri pour échapper à ses mauvaises actions.

Ni dans les cieux, ni dans les profondeurs de l’océan, ni dans les antres des rochers, nulle part sur terre, il n’existe de place où l’homme trouvera un abri pour échapper à la mort.

On a l’habitude de traiter très légèrement les pensées qui viennent. Et l’atmosphère est pleine de pensées de toutes sortes qui, en fait, n’appartiennent à personne en particulier, mais qui sont dans un mouvement perpétuel et passent de l’un à l’autre, assez librement, beaucoup trop librement; parce qu’ils sont très rares ceux qui peuvent faire la police de leurs pensées. .

Quand on entreprend la discipline bouddhique, justement pour apprendre à contrôler ses pensées, on fait des découvertes assez intéressantes. On s’essaye à observer ses pensées. Au lieu de les laisser passer librement, et quelquefois de les laisser entrer dans la tête et s’y installer d’une façon tout à fait inopportune, on les regarde, on les observe et on s’aperçoit, avec ahurissement, que, dans l’espace de quelques moments, il passe dans la tête une série absolument invraisemblable de pensées tout à fait malfaisantes.

On se croit bien bon, bien gentil, bien disposé et toujours plein de bons sentiments. On ne veut du mal à personne, on ne veut que le bien, tout cela on se le dit avec complaisance; mais si l’on se regarde penser, sincèrement, on s’aperçoit que l’on a dans sa tête une collection de pensées quelquefois effroyables, dont on ne s’apercevait même pas.

Par exemple, vos réactions quand quelque chose ne vous a pas plu : comme on se dépêche d’envoyer ses amis, ses parents, ses connaissances, tout, au diable! Comme on leur souhaite toutes sortes de choses désagréables, sans même s’en apercevoir! Comme on dit : « Ah! ça lui apprendra à être comme ça ! » Et quand on critique : « Il faudrait bien qu’il s’aperçoive de ses fautes! » Quand quelqu’un n’a pas agi selon votre conception : « Il en sera puni! » et ainsi de suite.

Vous ne le savez pas, parce que vous ne vous regardez pas penser. Quelquefois on le sait, quand c’est un peu trop fort; mais quand cela ne fait que passer, on s’en aperçoit peu — ça vient, ça entre, ça sort. Et alors on découvre que si, vraiment, on veut être pur et totalement du côté de la Vérité, cela demande une vigilance et une sincérité, une observation, un contrôle, qui ne sont pas communs. On commence à s’apercevoir qu’il est difficile d’être vraiment sincère.

On se flatte de n’avoir que de bonnes dispositions et de bonnes intentions et que tout ce que l’on fait, on le fait pour le bien — oui! tant que l’on est conscient et que l’on contrôle, mais de la minute où l’on n’est pas très attentif, toutes sortes de choses se passent au-dedans, dont vous n’êtes pas du tout conscient, et qui ne sont pas très jolies.

Si l’on veut nettoyer complètement la maison, il faut faire attention pendant longtemps, très longtemps; et surtout ne pas croire que l’on est arrivé au but comme ça, d’emblée, parce qu’un jour on a décidé que l’on serait du bon côté — c’est évidemment un point tout à fait essentiel et important, mais qui doit être suivi de beaucoup d’autres jours où l’on fait une police sévère pour ne pas démentir sa résolution.

4 avril 1958

Le châtiment

Tous tremblent devant le châtiment; tous craignent la mort. Jugeant les autres d’après vous-mêmes, ne tuez pas, ne soyez pas cause d’un meurtre.

Tous tremblent devant le châtiment; à tous la vie est chère. Jugeant les autres d’après vous-mêmes, ne tuez pas, ne soyez pas cause d’un meurtre.

Quiconque torture les créatures avides de bonheur tout en recherchant son propre bonheur, néanmoins ne l’obtiendra pas après sa mort.

Quiconque ne torture pas les créatures avides de bonheur tout en recherchant son propre bonheur, l’obtiendra après sa mort.

Ne dis à personne des paroles blessantes car elles te seront retournées. Les paroles coléreuses sont blessantes, et celui qui les prononce en subira le retour.

Si tu restes aussi silencieux qu’un gong brisé, tu es déjà entré en Nirvâna ; car toute violence s’est apaisée en toi.

Comme le vacher, de son bâton, conduit le troupeau vers le pâturage, ainsi la vieillesse et la mort conduisent la vie hors de tous les êtres vivants.

L’insensé fait le mal sans s’en rendre compte, il est consumé et tourmenté par ses actions comme par le feu.

Celui qui fait le mal à qui n’en commet point, qui offense celui qui n’offense point, subira rapidement l’un des dix états suivants :

Il endurera d’intenses souffrances, il subira des pertes désastreuses et de pénibles douleurs corporelles, une maladie sérieuse, la folie.

Ou il sera en lutte avec l’autorité, il sera en butte à une calomnie grossière, il perdra des proches ou ses biens.

Ou bien encore l’incendie ravagera son habitation ; et au moment de la dissolution de son corps il renaîtra en enfer.

Ni la coutume d’aller nu, ni celle des cheveux en torsade, ni celle d’être sale, ni le jeûne, ni le sommeil à même le sol, ni le fait de s’enduire le corps de cendres, ni le fait de prendre des postures d’ascètes, ne peuvent purifier le mortel qui n’a pas écarté tout doute.

Quoique richement vêtu, si un homme cultive la tranquillité d’esprit, s’il est calme, résigné, maître de soi, pur, s’il ne fait le mal à aucune créature, il est un brâhmane, il est un ascète, il est un bhikkhu.

Y a-t-il en ce monde assez irréprochable pour ne mériter aucun blâme, comme un pur-sang ne mérite aucun coup de fouet?

Comme un cheval fougueux, sois vif et rapide vers le but. Par la confiance, la vertu, l’énergie, la méditation, la recherche de la vérité, la perfection du savoir et de la conduite, par la foi, détruis en toi toute souffrance.

Les bâtisseurs d’aqueducs amènent l’eau. Ceux qui fabriquent les flèches les redressent. Les menuisiers tournent le bois. Les sages se maîtrisent.

On a l’impression que ces choses ont été écrites pour des gens assez primitifs. La série des calamités qui tomberont sur vous si vous faites le mal, est assez plaisante.

Il semblerait — si c’est bien la notation des paroles que le Bouddha a prononcées — qu’il devait changer les termes de ses discours suivant son auditoire, et que s’il avait affaire à des gens tout à fait frustes et sans éducation, il leur parlait un langage très matériel, avec des comparaisons tout à fait pratiques et concrètes pour qu’ils puissent comprendre. Il y a une différence de niveau très considérable entre ces choses. Certains sont devenues très célèbres, comme le dernier verset par exemple, où il est dit que l’artisan façonne la matière pour réaliser ce qu’il a à faire, et cette conclusion qui devient très frappante : le sage se maîtrise lui-même.

On a vraiment l’impression que la mentalité humaine a progressé depuis cet âge-là. La pensée est devenue plus complexe, la psychologie plus profonde, si bien que ces arguments paraissent presque enfantins. Mais si l’on se met à vouloir pratiquer, on s’aperçoit, alors, que l’on est resté à peu près au même niveau, et que si la pensée a progressé, la pratique, loin d’être meilleure, semble être pire; et il y a une simplicité enfantine, un peu saine, un manque de perversion que malheureusement l’espèce humaine ne possède plus.

Il y avait une santé morale en ce temps-là, qui maintenant a complètement disparu. Ces arguments vous font sourire, mais la pratique de ce qui est enseigné ici est beaucoup plus difficile maintenant qu’elle ne l’était alors. Il semble qu’une sorte d’hypocrisie, de prétention, de sournoise duplicité, se soit emparée de l’esprit humain, et surtout de sa manière d’être, et que les hommes aient appris à se tromper eux-mêmes d’une façon tout à fait pernicieuse.

Dans le temps, on pouvait dire : « Ne fais pas le mal, tu en seras puni », et les cœurs étaient simples, l’esprit aussi, et on disait : « Ah! vaut mieux ne pas faire le mal, parce qu’on sera puni », mais maintenant (un sourire ironique) : « Oh! je m’arrangerai bien pour éviter la punition. »

La capacité mentale semble avoir grandi, le pouvoir mental semble s’être développé, on paraît être beaucoup plus capable de jouer avec les idées, de dominer mentalement tous les principes, mais, en même temps, on a perdu la candeur simple et saine des gens qui vivaient plus proches de la Nature et qui savaient moins jouer avec les idées. Ainsi, toute l’humanité semble être arrivée à un tournant très dangereux ; ceux qui essayent de trouver une solution à la corruption générale prêchent un retour à la simplicité d’antan, mais c’est naturellement tout à fait impossible : on ne va pas en arrière.

Il faut aller plus loin, il faut avancer, monter vers des hauteurs plus grandes et dépasser la recherche avide du plaisir et du bien personnel, non par peur du châtiment, même d’un châtiment extra-terrestre, mais par le développement d’un sens nouveau de la beauté et d’une soif de vérité et de lumière, par la compréhension que c’est seulement en s’élargissant, en s’illuminant, en s’embrasant d’une ardeur de progrès que l’on peut trouver à la fois la paix intégrale et le bonheur durable.

Il faut monter et s’élargir — monter... et s’élargir.

18 avril 1958

La vieillesse

Pourquoi cette joie, cette allégresse, alors que le monde est ravagé par les tourments? Ô toi qui es enveloppé de ténèbres, pourquoi ne recherches-tu pas la lumière?

Regarde donc cette pauvre forme déguisée, cette masse d’éléments corruptibles, d’infirmités et de désirs vains, où rien n’est permanent ou stable.

Ce corps fragile n’est qu’un nid de misère, de décrépitude et de corruption; car la vie se termine par la mort.

Quel plaisir y a-t-il à contempler ces os blanchis éparpillés comme des calebasses à l’automne?

Dans cette forteresse faite d’os et recouverte de chair et de sang, l’orgueil et la jalousie, la décrépitude et la mort se sont installés.

Même les chars pompeux des rajahs finissent par s’user. Ainsi en est-il de ce corps même qui finit par s’user avec l’âge; mais la bonne Loi ne s’use jamais et c’est ainsi qu’un sage peut la transmettre à un autre sage.

L’homme ignorant vieillit comme un bœuf; il augmente en poids mais non en intelligence.

Bien des fois j’ai traversé en vain le cycle des renaissances à la recherche de l’architecte de cette maison. Ô combien douloureux est ce cycle des renaissances!

Ô je t’ai enfin découvert, architecte! Plus jamais tu ne construiras cette maison qu’est mon corps. Toutes les poutres en sont brisées et le faîtage écroulé. Mon mental délivré est parvenu à l’extinction de tout désir.

Ceux qui n’ont pas mené une vie méritante, et qui durant leur jeunesse n’ont pas su recueillir les vraies richesses, dépérissent comme de vieux hérons auprès d’un lac sans poisson.

Ceux qui n’ont pas mené une vie méritante, et qui durant leur jeunesse n’ont pas su recueillir les vraies richesses, sont comme des arcs brisés; ils se lamentent sur leur force perdue!

Il y a une chose certaine, qui n’est pas clairement dite ici, mais elle est au moins aussi importante que tout le reste, c’est qu’il y a une vieillesse beaucoup plus dangereuse et beaucoup plus véritable que l’accumulation des années : c’est l’incapacité de croître et de progresser.

Dès que l’on s’arrête d’avancer, dès que l’on s’arrête de progresser, de s’améliorer, de s’accroître, de grandir, de se transformer, on vieillit véritablement, c’est-à-dire que l’on descend vers la désintégration.

Il y a des jeunes gens qui sont vieux, et des vieillards qui sont jeunes. Si l’on porte en soi cette flamme de progrès et de transformation, si l’on est prêt à tout laisser derrière soi pour avancer d’un pas alerte, si l’on s’ouvre toujours au progrès nouveau, à l’amélioration nouvelle, à la transformation nouvelle, alors on est éternellement jeune. Et si l’on s’assoit satisfait de ce que l’on a accompli, si on a le sentiment qu’on a atteint son but et qu’il n’y a plus qu’à jouir du résultat de ses efforts, alors on a déjà plus de la moitié de son corps dans la tombe, c’est la décrépitude et la vraie mort.

Tout ce que l’on a fait, toujours, n’est rien à côté de ce qui reste à faire.

Il ne faut pas regarder en arrière. Il faut regarder en avant, toujours en avant, et toujours avancer.

25 avril 1958

L’ego

Un homme est cher à soi-même s’il se surveille de près. Que le sage veille sur l’une des trois veilles de son existence (ou jeunesse, ou maturité, ou vieillesse).

Que l’on commence par s’établir dans le droit chemin, ensuite l’on pourra conseiller les autres. Alors on ne pourra rien reprocher au sage.

Si chacun met en pratique ce qu’il enseigne aux autres, étant maître de lui-même, il peut bien diriger autrui; car il est difficile, en vérité, de se maîtriser.

En vérité, on est son propre maître, car quel autre maître pourrait-il y avoir? En se maîtrisant soi-même, on acquiert une maîtrise qu’il est difficile de trouver.

Le mal fait par soi-même, engendré en soi, émanant de soi, écrase l’insensé comme le diamant pulvérise les autres gemmes dures.

Tout comme la plante grimpante s’attache à l’arbre sâl, de même celui qui est pris au piège de ses mauvaises actions se fait à lui-même le mal que lui souhaiterait un ennemi.

Il est si facile de se faire du tort et du mal; mais combien il est difficile de faire ce qui est bien et profitable!

C’est l’insensé qui, à cause de ses vues perverses, rejette l’enseignement des Méritants, des Nobles et des Justes; il œuvre à sa propre destruction comme le fruit du bambou qui le tue.

En faisant du mal, on se fait du mal à soi-même. En évitant de faire du mal, on se purifie; pureté et impureté dépendent de nous-mêmes ; nul ne peut purifier un autre.

Qu’aucun homme ne néglige son Bien suprême, pour en suivre un autre, aussi grand soit-il. Percevant clairement quelle est sa meilleure ligne de conduite, qu’il n’en dévie pas.

Il semble qu’il soit plus question d’égoïsme que d’ego ici.

L’égoïsme est une chose relativement assez facile à corriger, parce que tout le monde sait ce que c’est. C’est facile à découvrir et facile à corriger, si l’on veut vraiment le faire, si l’on y tient.

Mais l’ego est beaucoup plus difficile à saisir, parce que, au fond, pour s’apercevoir de ce qu’est l’ego, il faut déjà en être sorti, autrement on ne le trouve pas. On en est tout pétri, depuis les cheveux jusqu’aux pieds, depuis le dehors jusqu’au dedans, depuis le physique jusqu’au spirituel, tout pétri d’ego. Il est mélangé à tout et on ne se rend pas compte de ce que c’est. Il faut l’avoir vaincu déjà, en être sorti, en être libéré, au moins partiellement, même dans une toute petite partie de l’être quelque part, pour s’apercevoir de ce que c’est que l’ego.

L’ego est ce qui nous aide à nous individualiser et ce qui nous empêche de devenir divin. Voilà. Arrangez cela ensemble et vous trouverez l’ego. Sans ego, tel que le monde est organisé, il n’y aurait pas d’individu, et avec l’ego le monde ne peut pas devenir divin.

Il serait logique de conclure : « Eh bien, devenons d’abord des individus conscients, puis nous renverrons l’ego et nous deviendrons divins. » Seulement, quand nous sommes devenus des individus conscients, nous sommes tellement habitués à vivre avec notre ego que nous ne pouvons même plus le discerner, et il faut beaucoup de travail pour s’apercevoir de sa présence.

Tandis que tout le monde sait ce que c’est que l’égoïsme : quand vous voulez tout tirer pour vous et que les autres ne vous intéressent pas, cela s’appelle de l’égoïsme, quand vous vous installez au centre de l’univers et que toutes les choses n’existent que par rapport à vous, c’est de l’égoïsme. Mais c’est très évident, il faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’on est égoïste. Tout le monde l’est un peu, plus ou moins — enfin il y a une proportion d’égoïsme qui d’ordinaire est acceptable —, mais même dans la vie ordinaire, quand on l’est un peu trop, eh bien, on reçoit des tapes sur le nez, parce que, comme chacun est égoïste, on n’aime pas beaucoup l’égoïsme de l’autre.

C’est une affaire entendue, cela fait partie de la moralité publique — oh! il faut bien être un petit peu égoïste, mais pas trop, que cela ne se remarque pas! Tandis que l’ego, personne n’en parle, parce que personne ne le connaît. C’est un compagnon si intime que l’on ne connaît même pas son existence; et pourtant, tant qu’il est là, on n’aura jamais la conscience divine.

L’ego, c’est ce qui fait que l’on est conscient d’être une personne séparée des autres. S’il n’y avait pas d’ego, on ne s’apercevrait pas qu’on est une personne séparée des autres. On aurait l’impression d’être une petite partie d’un tout, une toute petite partie d’un très grand tout. Tandis que chacun de vous, très certainement, est tout à fait conscient d’être une personne séparée. Eh bien, c’est l’ego qui vous donne cette impression. Tant que vous êtes conscient de cette façon, cela veut dire que vous avez un ego.

Quand vous commencez à avoir conscience que tout est vous-même et que cela, c’est seulement un tout petit point au milieu de milliers, milliers d’autres de cette même personne que vous êtes partout, quand vous sentez que vous êtes vousmême dans toute chose, qu’il n’y a pas de séparation, alors vous savez que vous êtes en voie de n’avoir plus d’ego.

Il y a même un moment où il est impossible de se penser, de dire : « Ce n’est pas moi », car même cette façon de s’exprimer, de dire que le Tout c’est vous, ou que vous êtes le Tout, ou que vous êtes le Divin, ou que le Divin c’est vous, cela prouve qu’il y a encore quelque chose qui reste.

Il y a un moment — cela arrive par éclair, et cela a de la peine à rester — où c’est le Tout qui pense, c’est le Tout qui sait, c’est le Tout qui sent, c’est le Tout qui vit. Il n’y a même pas — même pas — l’impression que... vous en êtes arrivé là.

Alors là, c’est bon, mais jusque-là, c’est qu’il y a encore un petit coin d’ego quelque part : généralement ce qui regarde, le témoin qui regarde.

Donc, n’affirmez pas que vous n’avez plus d’ego. Ce n’est pas exact. Dites que vous êtes en voie de n’avoir plus d’ego, c’est la seule chose correcte.

Je ne crois pas que cela vous soit arrivé, n’est-ce pas — pas encore! C’est pourtant indispensable si vraiment vous avez l’intention de savoir ce que c’est que le Supramental. Si vous êtes candidat à la surhumanité, il faut que vous soyez résolu à vous passer de votre ego, à le dépasser, parce que tant que vous le garderez avec vous, le Supramental sera pour vous une chose inconnue, inaccessible.

Mais si, par un effort, par une discipline, une maîtrise progressive, vous avez surmonté votre ego et que vous l’ayez dépassé, ne serait-ce que dans une infime partie de votre être, cela fait comme une toute petite fenêtre quelque part, et par la fenêtre, en regardant attentivement, on peut apercevoir le Supramental. Et cela, c’est une promesse. Quand on l’aperçoit, on trouve que c’est si joli qu’immédiatement on a envie de se débarrasser de tout le reste... de l’ego !

Je ne dis pas, notez bien, qu’il faut être tout à fait libéré de tout ego pour avoir un aperçu du Supramental, parce que, alors, ce serait une chose presque impossible. Non, être débarrassé de l’ego un tout petit peu quelque part, dans un coin de votre être, même un petit coin mental seulement; si c’est mental et vital, c’est bien; mais si, par hasard — oh! pas par hasard —, si à la suite de nombreux efforts vous êtes entré en contact avec votre être psychique, là, la porte est grande ouverte. Par le psychique, vous pouvez tout d’un coup avoir une belle vision bien claire de ce qu’est le Supramental ; une vision seulement, pas une réalisation. Cela, c’est la grande porte de sortie. Mais même sans aller jusqu’à cette jolie réalisation-là, la réalisation psychique, si vous avez réussi à libérer une partie de votre mental ou une partie de votre vital, cela fait comme un trou dans une porte, le trou d’une serrure; par le trou de la serrure, vous avez une petite, toute petite vision. Et c’est déjà très attirant, très intéressant.

2 mai 1958

Le monde

Ne suis pas la voie du mal. Ne cultive pas la paresse de l’esprit. Ne choisis pas les vues erronées. Ne sois pas de ceux qui s’attardent dans le monde.

Lève-toi. Ne sois pas négligent. Suis l’enseignement de la sagesse. Le sage connaît la félicité dans ce monde et dans les autres.

Suis l’enseignement de la sagesse, et non pas celui du mal ; la sage connaît la félicité dans ce monde et dans les autres.

Celui qui considère le monde comme une bulle de savon ou comme un mirage, Yama, le roi de la mort, ne peut le trouver.

Viens, considère ce monde comme le char multicolore d’un rajah, qui attire les insensés, mais où, en vérité, il n’y a rien qui vaille la peine de t’attirer.

Celui qui, après avoir été négligent, devient vigilant, éclaire la terre comme la lune émergeant des nuées.

Celui dont les bonnes actions effacent le mal qu’il a fait, éclaire la terre comme la lune émergeant des nuées.

Le monde est enveloppé de ténèbres, et rares sont ceux qui trouvent leur chemin et qui, tel un oiseau s’échappant du filet, s’en vont vers le céleste séjour.

Les cygnes s’envolent dans le sentier du soleil. Ceux qui possèdent des pouvoirs psychiques volent à travers les airs. Les sages quittent ce monde après avoir vaincu Mâra et son armée du mal.

Il est capable de commettre tout le mal possible, l’homme qui transgresse un seul article de la Doctrine, qui profère de mauvaises paroles et qui méprise le monde supérieur.

En vérité, les avares ne parviennent point jusqu’au monde divin; et les insensés ne connaissent point le bonheur de donner. Mais le sage se réjouit en donnant, et dans l’autre monde en éprouve du bonheur.

Plutôt que de dominer la terre, plutôt que d’atteindre le ciel, plutôt que de régner sur les univers, mieux vaut entrer dans le courant du méritant.

Il y a ici quatre conseils que je veux retenir pour notre méditation. « Ne cultive pas la paresse d’esprit », « Ne choisis pas les vues erronées » (malheureusement, c’est une chose que l’on fait tout le temps), et « Lève-toi. Ne sois pas négligent. »

Le monde est ainsi fait, du moins jusqu’à présent — il ne le sera plus pendant très longtemps, espérons-le —, que spontanément, un homme qui n’est pas cultivé, quand il est mis en contact avec des idées, choisit toujours les idées fausses.

Et un enfant qui n’est pas éduqué choisit toujours la mauvaise compagnie. C’est une chose dont j’ai l’expérience concrète constante. Si vous gardez un enfant dans une atmosphère spéciale et que, dès sa tendre jeunesse, vous lui infusiez une atmosphère spéciale, une pureté spéciale, il a une chance de ne pas mal choisir; mais un enfant qui est pris dans le monde tel qu’il est, et qui est mis dans une société où il y a de bons et de mauvais éléments, ira tout droit vers ceux qui peuvent le gâter et lui enseigner des choses fausses, enfin vers la plus mauvaise compagnie.

Et un homme qui n’a pas de culture intellectuelle, si vous lui donnez un certain nombre d’idées mélangées, comme cela, à choisir, il choisira toujours les bêtises, parce que, comme Sri Aurobindo nous l’a dit, c’est un monde de mensonge et un monde d’ignorance, et il faut un effort, il faut une aspiration, il faut entrer en contact avec son être profond — un contact conscient et éclairé — pour pouvoir discerner le vrai du faux et la bonne influence de la mauvaise. Si on se laisse aller, on coule dans le trou.

Les choses sont ainsi faites parce que, ce qui gouverne le monde (oh! mettons les choses au passé pour que cela devienne vrai), ce qui gouvernait le monde, c’était le Mensonge et l’Ignorance.

En fait, pour le moment c’est encore comme cela, il ne faut pas se faire d’illusions; mais peut-être que, avec un gros effort et une grande vigilance, on arrivera à ce qu’il en soit autrement... bientôt — le peut-être est pour bientôt.

Sûrement cela arrivera un jour, mais nous voulons que ce soit bientôt, et c’est pourquoi ces deux dernières recommandations me plaisent : « Lève-toi et sois vigilant. »

9 mai 1958

L’Éveillé

Celui dont la majesté n’a jamais été dépassée ni même égalée, le Sublime Éveillé, qui est dans la sphère que rien ne peut limiter, par quelle piste le dépister, lui qui est sans traces?

Celui en qui il n’y a plus ni convoitise ni désir, de quelle façon peut-on se diriger vers lui? Par quelle piste le dépister, lui, l’Éveillé qui est sans traces?

Les dieux eux-mêmes envient les sages adonnés à la méditation, les Éveillés, les vigilants, qui vivent avec délice dans la retraite du renoncement.

Il est difficile d’obtenir de naître à l’état d’homme. Il est difficile de vivre cette vie mortelle. Il est difficile d’avoir l’occasion d’entendre la vraie Doctrine. Et difficile en vérité est l’avènement des Éveillés, des Bouddhas.

Abstiens-toi du mal ; cultive le bien et purifie ton mental : tel est l’enseignement des Bouddhas.

La meilleure des pratiques ascétiques est la patience. L’état nirvânesque est le plus parfait, disent les Bouddhas. N’est point un moine celui qui fait du mal aux autres; n’est point un vrai ascète celui qui opprime les autres.

Ne faire d’outrage ni de tort à personne, pratiquer la discipline selon la loi monastique, être modéré dans sa nourriture, vivre à l’écart et s’adonner à de hautes méditations, tel est l’enseignement des Bouddhas.

Même une pluie d’or ne saurait étancher la soif des désirs, car ils sont insatiables et engendrent la douleur; voilà ce que sait le sage.

Même les plaisirs célestes sont sans saveur pour le sage; le disciple du Bouddha, du Parfaitement Éveillé, ne peut se réjouir que dans l’abolition de tout désir.

Poussés par la peur, bien des hommes cherchent un refuge en maints endroits : dans la montagne, dans la forêt, dans les bosquets, dans les sanctuaires.

Mais ce n’est certes pas un sûr refuge; ce n’est point le refuge suprême. Y avoir recours ne délivre pas l’homme de toutes les douleurs.

Celui qui prend refuge en Bouddha, dans le Dhamma et le Sangha36 , avec une parfaite connaissance, perçoit les quatre vérités, à savoir :

La souffrance, l’origine de la souffrance, l’anéantissement de la souffrance et l’octuple Voie qui conduit à son anéantissement.

En vérité, c’est là le sûr refuge, c’est le souverain refuge. Le choisir, c’est s’affranchir de toute souffrance.

L’homme Parfaitement Noble est difficile à rencontrer. Un tel être ne naît point partout. Et là où naît un tel sage, ceux qui l’entourent vivent dans le bonheur.

Bénie est l’apparition des Bouddhas, bénie la diffusion de la vraie Loi. Bénie est l’unité du Sangha, bénies sont les observances des disciples.

Il n’est point de mesure au mérite de l’homme qui révère ceux qui sont dignes de révérence, que ce soit un Bouddha ou ses disciples, eux qui se sont affranchis de tout désir et de toute vue erronée, eux qui ont surmonté tous les obstacles et qui ont franchi le fleuve des détresses et du désespoir.

Il est question ici des quatre Vérités et des huit Sentiers qui conduisent à l’anéantissement de la souffrance. Voici les détails que donne le texte. Les quatre nobles Vérités sont :

  1. La vie — prise dans le sens de la vie ordinaire, de la vie dans l’Ignorance et le Mensonge — est indissolublement liée à la souffrance : souffrance du corps et souffrance du mental.

  2. La cause de la souffrance est le désir, causé par l’ignorance de la nature de la vie séparée.

  3. Il y a un moyen d’échapper à la souffrance, de faire cesser la douleur.

  4. Cette libération est obtenue en suivant la discipline de l’Octuple Sentier, qui purifie peu à peu le mental de l’Ignorance. La quatrième Vérité est appelée : la méthode contenue dans l’Octuple Sentier.

Le Noble Sentier consiste dans l’entraînement aux huit stades suivants :

  1. Vues justes. Voir les choses telles qu’elles sont, c’est-à-dire une vision pure, correcte, et la meilleure vision.

Trois états caractérisent l’existence : a) la douleur; b) l’impermanence; c) l’absence d’un ego fixe, dit le Dhammapada. Mais ce n’est pas du tout à fait cela, c’est plutôt l’absence d’une personnalité fixe, durable et séparée dans le faisceau psychologique, le manque de continuité véritable dans la conscience personnelle; c’est pour cette raison, par exemple, que dans l’état ordinaire, on n’a pas le souvenir de ses existences passées ni le sens d’une continuité consciente à travers toutes les existences.

Le premier point est donc de voir juste, et voir juste, c’est voir que la douleur est associée à l’existence ordinaire, que toute chose est impermanente et qu’il n’y a pas de continuité dans la conscience personnelle.

  1. Intentions ou désirs justes. Mais il n’aurait pas fallu employer le même mot, désir, puisqu’on nous dit précisément qu’il ne faut pas de désirs; ce sont plutôt des aspirations justes. Il faudrait remplacer le mot désir par aspiration.

Se libérer des attachements et avoir des pensées de bienveillance pour toute ce qui existe. Être dans un état de bienveillance perpétuel. Vouloir le mieux pour tous, toujours.

  1. Paroles justes, qui ne blessent personne. Ne jamais parler inutilement et éviter scrupuleusement toute parole malveillante.

  2. Conduite juste, pacifique, honnête, à tous les points de vue, pas seulement matériellement mais moralement et mentalement. L’honnêteté mentale est l’une des choses les plus difficiles à obtenir.

  3. Moyens d’existence justes, ne causant ni mal ni danger à aucune créature. Ceci est relativement facile à comprendre. Il y a des gens qui poussent ce principe à l’extrême, contre tout bon sens, ce sont ceux qui se mettent un mouchoir sur la bouche, par exemple, pour ne pas avaler de microbes, et qui se font balayer le chemin devant eux pour ne pas mettre le pied sur un insecte37. Cela paraît un peu excessif, parce que la vie tout entière est faite de destruction, telle qu’elle est actuellement; mais si l’on comprend correctement ce texte cela veut dire qu’il faut éviter toute possibilité de faire du mal et ne causer aucun danger volontairement, à aucune créature. On peut inclure ici toutes les créatures vivantes, et, si l’on étend cette précaution et cette bienveillance à tout ce qui vit dans l’univers, c’est très favorable au développement intérieur.

  1. Efforts justes. Ne pas faire des efforts inutiles pour des choses inutiles, mais réserver toute son énergie d’effort pour surmonter l’Ignorance et se libérer du Mensonge; cela, on ne le fera jamais assez.

  2. Et le septième principe vient confirmer le sixième : Vigilance juste. Avoir l’esprit actif et vigilant. Ne pas vivre dans une demi-somnolence, dans une semi-inconscience : on se laisse aller dans l’existence et advienne que pourra ! C’est ce que tout le monde fait. De temps en temps, on se réveille et on s’aperçoit qu’on a perdu son temps, alors on fait un grand effort, pour retomber dans l’indolence la minute d’après. Il vaut mieux quelque chose de moins véhément mais de plus constant.

  3. Et finalement : *Contemplation*juste. Pensée concentrée sans égoïsme sur l’essence des choses, la vérité profonde et le but à atteindre.

Que de fois on a une sorte de vide dans le courant de l’existence, un moment inoccupé, quelques minutes, parfois davantage. Qu’est-ce que l’on fait? Immédiatement on essaye de se distraire et on invente une sottise ou une autre pour passer son temps. Cela, c’est un fait général. L’homme, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, passe la majorité de son temps à essayer de ne pas s’ennuyer. Pour lui, la bête noire, c’est l’ennui, et le moyen d’échapper à l’ennui, c’est de faire des bêtises.

Eh bien, il y a un moyen qui est meilleur que celui-là : c’est de se souvenir.

Quand on a un peu de temps, que ce soit une heure ou quelques minutes, se dire : « Enfin! j’ai le temps de me concentrer, de me rassembler, de revivre la raison d’être de ma vie et de m’offrir à Ce qui est vrai et éternel. » Si l’on prenait soin de faire cela chaque fois qu’on n’est pas harcelé par les circonstances extérieures, on s’apercevrait que l’on avance très vite sur le chemin. Au lieu de gaspiller son temps à bavarder, à faire des choses inutiles et à lire des choses qui rabaissent la conscience (ceci pour choisir le meilleur des cas, je ne parle pas des autres imbécillités qui sont beaucoup plus graves), au lieu de chercher à s’étourdir, à faire que le temps, qui est déjà si court, devienne plus court encore, et de s’apercevoir, quand on est à la fin de sa vie, qu’on a perdu les trois quarts de sa chance — alors on veut mettre les bouchées doubles, mais ça ne marche pas —, il vaut mieux être modéré, pondéré, patient, tranquille, mais ne jamais perdre l’occasion qui vous est donnée, c’est-àdire utiliser pour le vrai but la minute inoccupée qui se trouve devant vous.

Quand vous n’avez rien à faire, vous vous agitez, vous courez, vous allez rencontrer des amis, vous allez vous promener — pour ne parler que du mieux, je ne veux pas parler des choses qui sont ouvertement à ne pas faire —, au lieu de cela, asseyez-vous donc tranquillement devant le ciel, devant la mer ou sous les arbres, suivant les possibilités (ici on les a toutes), et essayez de réaliser une de ces choses, de comprendre pourquoi l’on vit et d’apprendre comment il faut vivre, de songer à ce que l’on veut faire et ce qui doit être fait, quel est le meilleur moyen d’échapper à l’Ignorance, au Mensonge, à la douleur dans laquelle on vit.

16 mai 1958

Le bonheur

Parmi ceux qui haïssent, heureux sommes-nous de vivre sans haine. Au milieu des hommes qui haïssent, demeurons libres de haine.

Parmi ceux qui souffrent, heureux sommes-nous de vivre sans souffrir. Au milieu de ceux qui souffrent, demeurons libres de souffrance.

Parmi ceux qui sont remplis de convoitise, heureux sommes-nous de vivre sans convoitise. Au milieu de ceux qui convoitent, demeurons libres de convoitise.

Heureux en vérité sommes-nous, nous à qui rien n’appartient. Nous serons nourris de joie comme les dieux rayonnants.

La conquête engendre l’hostilité, et celui qui est conquis demeure dans la détresse. L’homme paisible vit dans l’allégresse, dédaignant à la fois victoire et défaite.

Il n’y a pas de feu plus dévorant que celui de la concupiscence. Pas de plus grand malheur que la haine. Il n’y a pas de misère comparable à celle de l’existence; pas de béatitude plus haute que la paix du Nirvâna.

La faim est la pire des maladies. L’existence est la pire des détresses. Celui qui a compris cela se rend compte que le Nirvâna est la béatitude suprême.

La santé est la plus grande des acquisitions, le contentement la plus grande des richesses. Un ami fidèle est le meilleur des compagnons et le Nirvâna est la plus haute des béatitudes.

Ayant goûté aux douceurs de la solitude et de la Paix nirvânesque, un homme s’est affranchi de la souffrance et du mal, car il boit la douceur de la dévotion à la Vérité.

Il est bon de contempler les nobles disciples; vivre auprès d’eux est un bonheur sans fin. On sera toujours heureux si l’on n’aperçoit jamais d’êtres insensés.

Celui qui fréquente les insensés s’expose à souffrir longtemps. La compagnie des insensés est aussi pénible que celle des ennemis. Demeurer en compagnie des sages, c’est goûter le même bonheur que celui de vivre au milieu des siens.

Recherche donc la société du sage qui est inébranlable, docte, savant, pieux et vertueux. Suis l’exemple d’un tel être foncièrement bon et sage, comme la lune suit le chemin des étoiles.

L’un de ses versets est très joli. On pourrait le traduire ainsi : « Heureux celui qui ne possède rien, il se nourrira de la joie des dieux rayonnants. »

Ne rien posséder, ce n’est pas du tout ne se servir d’aucun objet, ne disposer d’aucune chose.

Heureux qui ne possède rien — c’est celui qui n’a pas le sens de la possession, celui qui peut se servir des choses quand elles viennent à lui, en sachant qu’elles ne sont pas siennes, qu’elles appartiennent au Suprême, et qui, pour la même raison, quand les choses s’éloignent de lui, ne les regrette pas et trouve tout naturel que le Seigneur qui les lui a données les lui retire pour en faire jouir d’autres; et celui-là trouve une joie égale dans l’usage des choses et dans l’absence des choses. Quand on les a à sa disposition, on les reçoit comme un don de la Grâce; et quand elles vous ont quitté, quand elles vous ont été retirées, on vit dans la joie du dénuement — parce que c’est le sens de la propriété qui vous attache aux choses, qui vous rend leur esclave, autrement on peut vivre dans une joie constante et dans le mouvement perpétuel des choses qui vont, qui viennent, qui passent, et qui apportent avec elles à la fois le sens de la plénitude quand elles sont là et, quand elles s’en vont, la joie du détachement.

La joie! La joie, c’est de vivre dans la Vérité, c’est de vivre en communion avec l’Éternité, avec la Vie véritable, la Lumière qui ne s’éteint point. La joie, c’est d’être libre, libre de la Liberté véritable, la Liberté de l’union constante, invariable avec la Volonté divine.

Les dieux, ce sont ceux qui sont immortels, qui ne sont pas liés aux vicissitudes de la vie matérielle dans ce qu’elle a d’étroit, de mesquin, d’irréel et de faux.

Les dieux sont ceux qui sont tournés vers la Lumière et qui vivent dans le Pouvoir et dans la Connaissance; c’est cela que le Bouddha veut dire, il ne s’agit pas des dieux des religions. Ce sont des êtres qui ont le caractère divin, qui peuvent vivre dans des corps humains, mais libres de l’Ignorance et du Mensonge.

Quand on ne possède plus rien, on peut devenir aussi vaste que l’univers.

23 mai 1958

Le plaisir

Celui qui se donne entièrement à ce qui est sans profit, qui ne se consacre pas à ce qui est profitable, qui sacrifie les vraies connaissances à l’étreinte du plaisir, se prépare au regret de n’avoir point agi comme ceux qui ont choisi la voie de la connaissance.

Ne recherche donc pas le plaisir et encore bien moins ce qui est déplaisant, car il est douloureux d’être privé de ce qui est plaisant, et également douloureux de voir ce qui est déplaisant.

C’est pourquoi il ne faut rien considérer comme cher, car la perte de ce que l’on aime est douloureuse. Il n’existe aucun lien pour ceux qui n’éprouvent ni amour, ni haine.

La pensée de ce qui est cher engendre le chagrin, la pensée de ce qui est cher fait naître la crainte. Celui qui s’est dégagé du plaisir de chérir n’éprouve aucun chagrin, qu’a-t-il à craindre?

De l’affection naît le chagrin : de l’affection naît la crainte. Si l’on s’est entièrement dégagé de l’affection, il n’existe aucun chagrin, qu’a-t-on à craindre?

Du plaisir sensuel naît le chagrin, de ce plaisir naît la crainte. Pour celui qui s’est entièrement libéré de la convoitise, le chagrin n’existe pas et qu’a-t-il à craindre?

Le désir sensuel engendre le chagrin, le désir sensuel engendre la crainte. Si l’on est affranchi de cet attachement, on ne connaît pas le chagrin et qu’a-t-on à craindre?

La convoitise engendre le chagrin, la convoitise engendre la crainte. Pour celui qui s’est complètement libéré de la convoitise, il n’y a plus de chagrin et qu’a-t-il à craindre?

On affectionne celui qui possède sagesse et intuition, qui est juste et qui connaît la Vérité et qui remplit ses devoirs.

Celui qui aspire à l’ineffable Paix qu’est le Nirvâna, celui dont le mental est éveillé et dont les pensées ne sont plus prises dans les filets de la convoitise, celui-là est dit « remonter le courant [Vers la Perfection] ».

Tout comme, après une longue absence, un homme qui revient sain et sauf chez lui est reçu par ses parents et amis qui lui souhaitent la bienvenue, de même en estil avec celui qui agit bien; lorsqu’il passe de ce monde dans l’autre, ses propres bonnes actions l’accueillent à son arrivée comme un parent.

Il me semble toujours que les raisons que l’on donne pour devenir sage sont de pauvres raisons. « Ne faites pas ceci, ça vous donnera de la peine, ne faites pas cela, cela fera naître en vous la peur... » Et la conscience se dessèche de plus en plus, elle devient racornie, parce qu’elle a peur d’avoir du chagrin ou peur d’avoir de la peine.

Je préférerais que l’on dise qu’il y a un certain état de conscience — que l’on peut acquérir par l’aspiration et un effort intérieur continu — où la joie est sans mélange et la lumière sans ombre, et où toute possibilité de peur disparaît; c’est l’état où l’on ne vit plus pour soi-même, mais où tout ce que l’on fait, tout ce que l’on sent, tous les mouvements sont une offrande faite au Suprême, dans une confiance absolue, en se déchargeant de la responsabilité de soi-même et en Lui passant tout le fardeau, qui n’est plus un fardeau.

C’est une joie inexprimable de ne plus avoir la responsabilité de soi-même, de ne plus avoir à penser à soi. C’est si ennuyeux, si monotone, si insipide de penser à soi, d’avoir à se soucier de ce qu’il faut faire et ne pas faire, de ce qui vous fera du bien, de ce qui vous fera du mal, de la chose qu’il faut éviter, la chose qu’il faut rechercher, oh! comme c’est ennuyeux. Mais quand on vit comme cela, tout ouvert, comme une fleur qui s’épanouit au soleil devant la Conscience suprême, la Sagesse suprême, la Lumière suprême, l’Amour suprême qui sait tout, qui peut tout, qui prend la charge de vous et vous n’avez plus aucun souci, c’est la condition idéale.

Et pourquoi ne le fait-on pas?

On n’y pense pas, on oublie de le faire, les vieilles habitudes reviennent; et surtout, il y a derrière, quelque part caché dans l’inconscient ou même dans le subconscient, ce doute perfide qui vous glisse à l’oreille : « Oh! mais si tu ne fais pas attention, il va t’arriver malheur. Si tu oublies de veiller sur toi, tu ne sais pas ce qui va se passer... » Et on est si bête, si bête, si obscur, si stupide, qu’on écoute — alors on commence à faire attention à soi, et tout est démoli.

Il faut encore recommencer à infuser dans ses cellules un petit peu de sagesse, un petit peu de bon sens, et rapprendre à ne plus se faire de souci.

30 mai 1958

La colère

Qu’on écarte la colère, qu’on rejette l’orgueil, qu’on brise toutes les entraves. Celui qui ne s’attache ni au nom, ni à la forme, qui ne possède rien, est exempt de souffrance.

Quiconque maîtrise la colère montante, comme le charretier maintient en échec un char en marche, celui-là, en vérité, mérite le nom de bon conducteur. Les autres ne font que tenir les rênes.

Oppose à la colère la sérénité; au mal, le bien; conquiers l’avare par la générosité, et le menteur par la vérité.

Dis la vérité; ne t’abandonne pas à la colère; donne le peu que tu possèdes à celui qui te sollicite; par ces trois attitudes, les hommes peuvent se rapprocher des dieux.

Les sages qui sont dépourvus de toute violence, qui sont toujours maîtres de leurs sens, atteignent cet état impérissable où ils ne connaîtront plus la douleur.

Ceux qui sont toujours vigilants et qui se maîtrisent jour et nuit, et dont le mental est toujours tendu vers le Nirvâna, verront leurs souillures disparaître à jamais.

Ce n’est pas seulement d’aujourd’hui mais depuis toujours que sont critiqués ceux qui demeurent silencieux, ceux qui parlent beaucoup, et ceux qui parlent peu. Nul ici-bas n’échappe à la critique.

Il n’y a jamais eu et n’y aura jamais, ni n’existe-t-il un individu exposé rien qu’aux blâmes, ou rien qu’aux louanges.

Si un homme est loué par les sages, qui l’ont observé jour après jour, comme étant intelligent, irréprochable, comme doué d’intuition et de pureté, qui donc oserait le blâmer, lui qui est aussi pur que l’or? Les dieux euxmêmes le louent ainsi que Brahmâ lui-même.

Soyez sur vos gardes contre l’insubordination de votre corps. Contrôlez bien vos actes, et ayant abandonné les mauvaises façons d’agir, pratiquez en actes une conduite parfaite.

Soyez sur vos gardes contre l’insubordination du langage. Contrôlez vos paroles. Abandonnant les mauvaises façons de parler, pratiquez en paroles une bonne conduite.

Soyez sur vos gardes contre l’insubordination du mental. Contrôlez vos pensées. Abandonnant les mauvaises façons de penser, pratiquez la bonne conduite en pensées justes.

Les sages dont les actions sont bien maîtrisées, dont les paroles sont bien contrôlées et qui sont maîtres de leurs pensées, en vérité, ils se contrôlent bien.

Je propose que chacun de vous essaye — oh! pas pendant longtemps, pendant une heure par jour — de ne dire que les mots absolument indispensables. Pas un de plus, pas un de moins.

Vous prenez une heure dans votre vie, celle qui vous est la plus commode, et pendant ce temps-là, vous vous observez attentivement, et vous ne dites que les mots absolument indispensables.

D’abord, la première difficulté sera de savoir ce qui est absolument indispensable et ce qui ne l’est pas. Ce sera déjà une étude; et tous les jours vous ferez mieux.

Ensuite, vous verrez que tant qu’on ne dit rien, ce n’est pas très difficile de rester absolument silencieux, mais dès que l’on commence à parler, toujours ou presque toujours, on dit deux ou trois, ou dix, ou vingt mots inutiles, qu’il n’était pas nécessaire de dire.

Je vous donne cela comme exercice jusqu’à vendredi prochain. Nous verrons comment vous réussirez. Vous pourrez, à la fin de la semaine, le vendredi, me donner une petite note pour me dire jusqu’à quel point vous avez réussi — ceux qui ont essayé. Voilà.

6 juin 1958

L’impureté

Te voici comme une feuille desséchée; les messagers de Yama te guettent. Tu es à la veille du départ et tu n’as pas même de provisions pour le voyage !

Fais de toi-même rapidement une île pour ton refuge, donne-toi du mal et deviens sage. Lorsque tu te seras lavé et purifié de toute souillure, tu pourras alors entrer au céleste séjour des Êtres Nobles.

Tes jours sont à présent comptés, tu es en présence du dieu de la mort. Aucune halte pour toi sur la route, aucune provision pour le voyage!

Fais de toi-même rapidement une île pour ton refuge; donne-toi du mal et deviens sage. Lorsque tu te seras lavé et purifié de toute souillure, tu ne renaîtras plus et tu ne seras plus astreint à la décrépitude.

Ainsi que l’orfèvre raffine l’argent brut, ainsi, peu à peu et d’instant en instant, l’homme sage se purifie de ses impuretés.

Quand la rouille apparaît sur le fer, le fer même en est rongé. De même, les mauvaises actions de l’homme le rongent et l’exposent au malheur.

Le manque de répétition compromet l’efficacité des mantras38. Le manque d’entretien compromet la solidité des habitations. L’incurie compromet la beauté du corps. L’inattention trahit celui qui veille.

L’inconduite est une souillure pour la femme. La lésinerie est une souillure pour celui qui donne. La malfaisance est une souillure en ce monde et dans l’autre.

Bien pis encore que toutes les souillures est celle de l’ignorance. Lavez-vous de cette seule souillure et vous serez sans souillure, ô bhikkhus.

La vie est facile pour l’être sans vergogne, qui est impudent comme un corbeau, malicieux, fanfaron, présomptueux et corrompu.

La vie est toujours dure pour le modeste qui toujours recherche la pureté, qui est actif, poli, qui est chaste et dont le jugement est correct.

Déjà dans ce monde, il est déraciné, celui qui détruit la vie, qui ment, qui prend ce qu’on ne lui a pas donné, qui convoite la femme d’autrui et qui s’adonne aux spiritueux.

Sache que les maux sont difficiles à maîtriser. Que la convoitise et l’injustice ne t’exposent pas à une souffrance interminable!

Chacun donne selon sa foi ou son plaisir. Si tu prends ombrage des aliments et breuvages offerts à autrui, tu ne parviendras ni jour ni nuit à la concentration.

Mais celui qui déracine et détruit en lui jusqu’à la racine un tel sentiment d’ombrage, parvient jour et nuit à la concentration.

Point de feu comparable à celui de la convoitise, point d’emprise telle que la haine. Point de piège comme l’illusion, point de torrent impétueux comme le désir.

Facile à découvrir est le défaut d’autrui, mais difficile à percevoir est notre propre défaut. Nous trions les défauts d’autrui comme la paille du blé; mais nous cachons les nôtres comme le tricheur dissimule un coup malchanceux.

Le critique qui découvre toujours les défauts d’autrui, et qui s’en irrite, augmente ses propres vices et est loin de s’en défaire.

Point de sentier dans le ciel ; point de samana39 hors de la bonne Voie. La race humaine fait ses délices de la vanité. Les Tathâgatas40 ont surmonté ces obstacles.

Point de sentier dans le ciel ; point de samana hors de la bonne Voie. Aucune chose conditionnée n’est durable, mais les Bouddhas demeurent inchangés.

J’ai lu vos notes sur le contrôle de la parole. Certains ont essayé très sérieusement. Je suis contente du résultat. Je crois que ce sera bon pour tout le monde si vous continuez.

Quelqu’un m’a écrit une chose très vraie, c’est que quand on commence, on n’a plus de raison de s’arrêter; on commence une heure par jour mais cela devient une sorte de nécessité, une habitude, et on continue tout à fait naturellement.

Si votre exercice a vraiment ce résultat, ce sera excellent. On peut retenir trois choses dans ce que j’ai lu ce soit. La première est qu’il faut persister dans ce que l’on fait, si l’on veut obtenir un résultat. Le Dhammapada nous dit, par exemple, que si l’on a un mantra et qu’on ne le répète pas suffisamment, ce n’est pas la peine d’en avoir, que si l’on est inattentif, on perd le bénéfice de la vigilance, et que si l’on ne continue pas les bonnes habitudes que l’on prend, elles sont inutiles — c’est-à-dire qu’il faut persévérer. Comme, par exemple, pour cet exercice que je vous ai demandé la dernière fois, je vous l’ai demandé avec l’idée que si vous prenez l’habitude de le faire, cela vous aidera beaucoup à surmonter vos difficultés.

Il y a déjà quelqu’un qui m’a dit, avec beaucoup de raison, qu’en pratiquant ce demi-silence, ou en tout cas cette continence de langage, on arrive à maîtriser tout naturellement un grand nombre de ses difficultés de caractère, et que l’on évite aussi énormément de frictions et de malentendus. Ceci est vrai.

Un autre point à retenir dans notre lecture concerne la souillure, et le Dhammapada donne l’exemple de la mauvaise volonté ou de la malfaisance. La malfaisance est une souillure, dit notre texte, en ce monde et dans les autres; puis au verset suivant, il est dit qu’il n’est pas de souillure plus grande que l’Ignorance, c’est-à-dire que l’Ignorance est considérée comme la faute essentielle, centrale, celle qui doit, de façon urgente, être corrigée et ce que l’on appelle Ignorance, ce n’est pas de ne pas savoir les choses, les connaissances superficielles de ce monde, mais d’oublier la raison d’être essentielle de l’existence, la vérité qui est à découvrir.

Il y avait une troisième chose?... Oui, il ne faut pas se bercer de l’illusion que si l’on veut suivre le droit chemin, si l’on est modeste, si l’on est désintéressé, si l’on veut être solitaire et avoir un clair jugement, les choses deviendront faciles... c’est tout le contraire! Quand on commence à avancer vers la perfection intérieure et extérieure, en même temps commencent les difficultés.

J’ai entendu très souvent des gens me dire : « Oh! maintenant que j’essaye d’être bon, tout le monde semble être méchant avec moi! » Mais c’est justement pour vous apprendre qu’il ne faut pas être bon avec une intention intéressée, qu’il ne faut pas être bon afin que les autres soient bons avec vous — il faut être bon pour être bon.

C’est toujours la même leçon : il faut faire aussi bien que l’on peut, du mieux que l’on peut, mais sans s’attendre à un résultat, sans faire la chose en vue d’un résultat. Cette attitude même, d’espérer une récompense pour sa bonne action — devenir bon parce qu’on pense que cela rendra la vie plus facile — enlève toute valeur à la bonne action.

Il faut être bon par amour du bien, il faut être juste par amour de la justice, il faut être pur par amour de la pureté, et il faut être désintéressé par amour du désintéressement, alors vous êtes sûr d’avancer sur le chemin.

13 juin 1958

Le juste

Un homme n’est pas juste s’il juge arbitrairement. L’homme sage est celui qui distingue le juste de l’injuste, qui juge autrui en toute connaissance de cause, selon la Loi et l’équité; ce sage, détenteur de la Loi, est appelé un juste.

Le sage n’est pas celui qui parle le plus. C’est l’homme compatissant, serviable, vaillant, qu’on appelle un sage.

Ce n’est pas en parlant beaucoup qu’on est un soutien de la Doctrine; mais celui qui a quelque peu étudié la Doctrine et qui la réalise mentalement, en est vraiment le soutien. Il ne la néglige pas.

Un homme n’est pas un théra41 parce que ses cheveux sont gris. Il est mûr en années, mais il a vieilli sans fruit.

Mais celui qui possède la vérité, la droiture, la nonviolence et la maîtrise de soi-même, qui a rejeté toute souillure et qui est intelligent, est en vérité un théra.

Ni la parole déliée, ni une belle apparence, n’honorent un homme envieux, avare et faux ; mais celui chez qui de telles dispositions d’esprit sont complètement détruites et déracinées, cet homme intelligent est exempt de malveillance, il est bien entraîné.

Quant à l’homme indiscipliné et menteur, sa tête rasée ne fait point de lui un ascète. Plein de désir et d’avidité, comment peut-il être un samana ?

Celui qui s’est purgé de tout mal, petit et grand, on peut l’appeler samana.

Un homme n’est pas bhikkhu simplement parce qu’il va quêter sa nourriture. Il ne suffit pas de prononcer des vœux pour devenir un bhikkhu.

Mais celui qui est au-dessus du bien et du mal, qui mène une vie pure, qui est intelligent et qui réfléchit, peut être appelé un bhikkhu.

Un homme silencieux n’est pas pour cela un sage, s’il est ignorant et insensé, mais celui qui sait peser le pour et le contre et faire son choix, on peut l’appeler un sage. Celui qui réfléchit intelligemment sur ce monde et l’autre est un sage.

Un homme qui maltraite des créatures vivantes ne devient pas un Ârya42. Celui qui pratique la nonviolence envers toutes les créatures mérite certes d’être appelé un Ârya.

Ce n’est ni par les préceptes de morale et les observances, ni par un large savoir, ni par la pratique de la méditation, ni par la vie solitaire, ni en pensant : « J’ai pu atteindre la félicité de la délivrance qui est inconnue de ceux qui vivent dans le monde » que l’on peut être appelé un bhikkhu. Soyez donc sur vos gardes, ô bhikkhus, jusqu’à ce que vous ayez atteint l’extinction de tout désir.

Nous garderons ce dernier texte. Il est intéressant. Ce n’est ni par les préceptes de morale et les observances, ni par un large savoir, ni par la pratique de la méditation, ni par la vie solitaire, ni en pensant que l’on a atteint la félicité vraie, c’est en se débarrassant de tous les désirs. Se débarrasser de tous les désirs n’est certainement pas chose facile, cela demande toute une vie parfois. Et à dire vrai, cela paraît être un moyen très négatif, quoique, à un certain moment du développement, ce soit une discipline qu’il est très utile de pratiquer, indispensable même, si l’on veut ne pas se tromper soi-même. Parce que, on commence d’abord par se débarrasser des grands désirs, ceux qui sont tout à fait évidents et qui vous dérangent tellement que vous ne pouvez même pas avoir des illusions à leur sujet, puis viennent les désirs plus subtils qui prennent la forme de choses qui doivent être faites, qui sont nécessaires, parfois même d’ordres qui viennent du dedans, et cela demande du temps et beaucoup de sincérité pour les découvrir et les surmonter; enfin, il semble qu’on en ait fini avec ces maudits désirs, dans le monde matériel, dans les choses extérieures, dans le monde affectif, dans les émotions et les sentiments, dans le monde mental, pour les idées, mais voilà qu’on les retrouve encore dans le monde spirituel, et là, ils sont bien plus dangereux, plus subtils, plus perçants et beaucoup plus invisibles, et recouverts d’une apparence si sainte qu’on n’ose même plus les appeler des désirs.

Et quand on est arrivé à surmonter tout cela, à les découvrir, à les dénicher et à s’en débarrasser, on n’a encore fait que le côté négatif du travail.

Le Bouddha a dit, ou on lui a fait dire, que quand on était libre de tout désir, on entrait nécessairement dans la béatitude infinie. C’est peut-être une béatitude un peu desséchée, et en tout cas cela ne me paraît pas le chemin le plus prompt.

Si, tout de suite, on prend le problème à bras-le-corps, que l’on se précipite dedans avec courage et détermination, et qu’au lieu de faire une chasse longue, ardue, pénible, décevante aux désirs, on se donne simplement, totalement, inconditionnellement, que l’on s’abandonne à la Réalité suprême, à la Volonté suprême, à l’Être suprême, en s’en remettant à Lui tout entier dans un élan de tout l’être et de tous les éléments de l’être, sans calcul, c’est le moyen le plus prompt et le plus radical de se débarrasser de l’ego. On dira qu’il est difficile de faire cela, mais au moins il y a là une chaleur, une ardeur, un enthousiasme, une lumière, une beauté, une vie ardente et créatrice.

Il est vrai que sans désir, il ne reste pas grand-chose pour soutenir l’ego, et on a l’impression que la conscience devient si racornie que si l’ego tombe en poussière, quelque chose de soi aussi tombe en poussière, et que l’on est tout prêt à passer dans un Nirvâna qui est une annihilation pure et simple.

Mais ce que nous considérons ici comme le vrai Nirvâna, c’est la disparition de l’ego dans la splendeur du Suprême. Et ce moyen-là, c’est ce que j’appelle le moyen positif, le don de soi intégral, total, parfait, sans réserve et sans marchandage.

Rien que dans le fait de ne plus penser à soi, de ne plus exister pour soi, de ne plus rien rapporter à soi, de penser à ce qu’il y a de plus suprêmement beau, lumineux, joyeux, puissant, compatissant, infini, il y a une joie si profonde que rien ne peut être comparé à cela.

C’est la seule chose qui mérite, qui vaille d’être tentée. Tout le reste, ce sont presque des piétinements sur place.

C’est la différence qu’il y a entre gravir une montagne en faisant le tour, lentement, laborieusement, pas à pas, pendant des siècles, et ouvrir des ailes invisibles et s’envoler tout droit vers le sommet.

20 juin 1958

La Voie

La meilleure voie est l’Octuple Voie; la meilleure vérité est la Quadruple Vérité. Le meilleur des états est l’impassibilité; le meilleur parmi les hommes est Celui qui voit et comprend [le Bouddha].

En vérité, c’est là la Voie; il n’en est pas d’autre qui mène à la purification de l’intuition. Suivez cette Voie et Mâra43 sera confondu.

En suivant cette Voie, vous mettrez fin à la souffrance. J’ai découvert cette Voie depuis que j’ai appris à me garer des épines de la douleur.

L’effort doit venir de nous-mêmes. Les Tathâgatas ne font qu’indiquer la Voie. Ceux qui méditent et qui entrent dans cette Voie sont libérés des entraves de Mâra.

« Toutes choses conditionnées sont impermanentes. » Dès que l’on a compris cela, grâce à l’intuition, on est à l’abri de la douleur. C’est là la voie de la pureté.

« Toutes choses conditionnées sont sujettes à la souffrance. » Dès que l’on a compris cela, grâce à l’intuition, on est à l’abri de la douleur. C’est là la voie de la pureté.

« Toutes choses conditionnées sont insubstantielles. » Dès que l’on a compris cela, grâce à l’intuition, on est à l’abri de la douleur. C’est là la voie de la pureté.

Celui qui n’agit point quand c’est le moment d’agir, quoique jeune et fort, est livré à l’indolence, et son mental est la proie de vaines pensées; un être aussi indolent ne trouvera pas la voie de la sagesse.

Modéré dans son langage, contrôlant bien son mental, et s’abstenant de commettre des actes mauvais, tels sont les trois modes d’action à purifier avant tout pour atteindre la voie tracée par les sages.

De la concentration provient la sagesse; du manque de concentration provient l’absence de sagesse.

Connaissant ces deux voies du progrès et du déclin, que l’homme choisisse la voie qui augmentera son savoir.

Abattez toute cette forêt de convoitise, et non pas un arbre seulement; car de cette forêt de convoitise, surgit la crainte. Abattez cette forêt d’arbres et d’arbustes, et une fois hors de cette forêt, soyez, ô bhikkhus, exempts de convoitise.

Tant que l’on n’a pas extirpé la toute dernière racine du désir de l’homme convoitant une femme, le mental est captif et aussi dépendant qu’un veau tétant sa mère.

Romps l’amour de toi-même comme avec la main on arrache le lotus d’automne. Fais ta dilection de la voie de la Paix du Nirvâna qu’a enseignée le Sougata44.

« C’est ici que je vivrai pendant la saison des pluies; c’est là que je vais demeurer pendant la saison froide, et ailleurs pendant la saison chaude. » C’est ainsi que l’insensé fait mentalement des projets, alors qu’il ignore ce qui peut lui arriver.

Et cet homme attaché à ses enfants et à ses troupeaux, la mort le saisit et l’emporte comme le flot torrentiel balaye le village endormi.

Ni enfants, ni père, ni famille ne sont un refuge. Lorsque la mort nous saisit, la famille n’est d’aucun secours.

Sachant parfaitement cela, l’homme intelligent, protégé par une vie morale, ne temporise pas pour défricher la voie qui mène au Nirvâna.

Voilà quelques recommandations très utiles : modération de langage et contrôle du mental, abstention des actes mauvais. Ceci est fort bien.

Ici, c’est radical, mais c’est très bien aussi : « Tant qu’on n’a pas extirpé la toute dernière racine du désir de l’homme convoitant une femme, le mental est captif et aussi dépendant qu’un veau tétant sa mère. »

Et finalement : « Romps l’amour de toi-même comme avec la main on arrache le lotus d’automne. » Voilà de bons sujets de méditation.

Ces recommandations semblent s’adresser à des gens qui sont au commencement de la Voie au point de vue intellectuel. On imagine très bien une assemblée de paysans, de gens simples d’esprit, à qui il faut dire : « Écoutez bien, ce n’est pas la peine de faire des projets, parce que vous ne savez pas ce qui vous arrivera demain. Vous accumulez des richesses et vous vous prélassez dans votre famille, et vous faites des projets pour le lendemain et les jours suivants, et vous n’êtes pas conscients que la mort vous guette et qu’à n’importe quel moment, elle peut tomber sur vous. »

Il y a tout de même un développement intellectuel un peu plus avancé où ces choses n’ont pas besoin d’être dites — les vivre! Vivre dans cette conscience d’une impermanence totale des choses, et qu’il ne faut jamais s’attacher si l’on veut être libre de progresser avec l’univers et de se développer selon le rythme éternel. Ceci on le comprend. Mais ce qui est important, c’est la pratique. Et ici, on a l’impression que ces choses sont dites à des gens qui n’y avaient jamais pensé avant, alors elles avaient tout le pouvoir de la force active.

Après tout, malgré toutes les apparences, l’humanité progresse — elle a progressé surtout mentalement. Il y a des choses qui ne sont plus à dire... Ou alors il faut s’en aller en des pays qui sont à un stade très primitif — et encore : les idées sont répandues partout, la lumière mentale est répandue partout; dans les endroits les plus inattendus, on trouve des réceptivités, des compréhensions.

On a vraiment l’impression que, dans le dernier siècle, il y a eu une lumière qui s’est répandue sur la terre et qui fait que certaines idées, qui étaient des idées-forces, des idées neuves avec un pouvoir de remuer les consciences, ont perdu leur actualité — elles sont vieilles. Il y a une lumière nouvelle qui est au travail.

Dans la pratique, le progrès n’est pas très grand, peut-être même sur certains points y a-t-il eu régression, mais dans l’esprit, dans la compréhension, dans la vision intellectuelle des choses, il y a vraiment un grand changement.

Il semble que l’on marche sur la route d’un pas accéléré et que ces choses qui étaient d’une importance capitale deviennent presque des lieux communs devant les nouvelles découvertes. Que la vie, telle qu’elle est, est mauvaise, que le désordre est partout, que la douleur est partout, que la confusion est partout, que le chaos est partout, que l’ignorance est partout, nous le savons tous — non ! cela paraît une chose tellement rabâchée.

Mais que l’on peut en sortir par la voie d’une réalisation totale, d’une transformation totale, d’une lumière nouvelle qui mettra de l’ordre et de l’harmonie dans les choses : c’est un message d’espoir qu’il faut apporter. C’est celui-là qui est vrai et qui est dynamique. C’est une vie nouvelle qu’il faut bâtir. Et alors, toutes ces difficultés qui paraissaient si insurmontables — oh! elles tombent d’elles-mêmes.

Quand on peut vivre dans la lumière et la joie, est-ce qu’on s’accrochera à l’ombre et à la souffrance?

27 juin 1958

Mélanges

S’il suffit de renoncer à un moindre bonheur pour en apercevoir un plus grand, que l’homme intelligent renonce au premier en vue du second.

S’il recherche son propre bonheur au détriment d’autrui, c’est qu’il n’est pas exempt de haine, et demeure l’esclave de la haine.

Négliger ce qu’on devrait faire, et faire ce qu’on devrait négliger, c’est accroître l’arrogance et la négligence.

Être constamment en garde contre les surprises des sens, ne pas rechercher ce qui est mauvais, poursuivre avec persévérance ce qui est bien, c’est se montrer intelligent, réfléchi, et toute souillure disparaît.

Ayant tué son père [l’orgueil], sa mère [la volupté] et les deux rois [des vues fausses]; après avoir détruit le royaume du plaisir et toute sa dépendance, le brâhmane vit sans vices.

Ayant tué père, mère, les deux rois, et les tigres qui sont les entraves mentales, le brâhmane vit sans vices.

Les disciples de Gautama45 sont alertes et bien éveillés, car, jour et nuit, leur attention est portée sur le Bouddha, le Dhamma46 , le Sangha. .

Les disciples de Gautama sont alertes et bien éveillés, car leur attention, nuit et jour, reste attachée à la Doctrine.

Les disciples de Gautama sont alertes et bien éveillés, car leur attention, nuit et jour, reste attachée au Sangha.

Les disciples de Gautama sont alertes et bien éveillés, car, nuit et jour, ils se souviennent de la nature éphémère des formes.

Les disciples de Gautama sont alertes et bien éveillés, car leur mental, nuit et jour, se délecte dans la compassion.

Les disciples de Gautama sont alertes et bien éveillés, car leur mental, nuit et jour, se complaît dans la méditation.

Il est dur de renoncer au monde; il est également dur de vivre dans le monde. Âpre est la vie monastique, difficile est la vie de famille. Il est pénible de fréquenter ceux qui ne sont pas nos égaux, et il est pénible de vagabonder dans le cercle des renaissances. Ne soyez donc pas à la poursuite de la douleur, ni un vagabond sans but.

L’homme plein de foi et de vertu et qui possède gloire et richesse, où qu’il aille, il est révéré.

Les hommes de bien resplendissent de loin, comme les cimes neigeuses de l’Himâlaya. Tandis que les hommes fourbes ne sont pas plus visibles que les flèches tirées dans la nuit.

L’homme qui mange seul, qui dort seul, qui chemine seul, inlassable dans la maîtrise de soi-même, se réjouira dans la vie solitaire des forêts.

Il faudrait pourtant ne pas se tromper, et je crois que ce sont plutôt des images que des faits matériels, parce qu’il est tout à fait certain que de manger seul, dormir seul, de marcher seul et de vivre dans la forêt tout seul, ne suffit pas du tout à vous donner la liberté d’esprit.

On a constaté que la majorité de ceux qui vivent solitaires dans la forêt deviennent les amis de toutes les bêtes et de toutes les plantes qui les entourent; et ce n’est pas du tout le fait d’être tout seul qui vous donne le pouvoir d’entrer dans une contemplation intérieure et de vivre en communion avec la Vérité suprême. Peut-être est-ce plus facile, quand, par la force des circonstances, vous n’avez rien à faire, mais je n’en suis pas convaincue. On peut toujours inventer des occupations, et il me semble, d’après mon expérience de la vie, que si l’on arrive à dompter sa nature au sein des difficultés, si l’on fait effort pour être seul intérieurement avec la Présence éternelle, tout en gardant l’entourage tel que la Grâce nous l’a donné, la réalisation qu’on obtient est infiniment plus vraie, plus profonde, plus durable.

S’enfuir des difficultés pour les vaincre, ce n’est pas une solution. C’est très attrayant. Chez ceux qui cherchent la vie spirituelle, il y a quelque chose qui dit : « Oh! s’asseoir sous un arbre, tout seul, rester en méditation, ne plus avoir la tentation de parler, d’agir, comme ça doit être bon! » C’est parce qu’il y a une très forte formation dans ce sens, mais elle est très illusoire.

Les meilleures méditations, ce sont celles que l’on a subitement, parce qu’elles se saisissent de vous comme une nécessité impérieuse — vous ne pouvez pas faire autrement que de vous concentrer, de méditer, de regarder plus loin que les apparences. Et ce n’est pas nécessairement dans la solitude de la forêt que cela vous prend, c’est quand quelque chose au-dedans est prêt, quand le moment est venu, quand le besoin véritable est là, quand la Grâce est avec vous.

Pour moi, l’humanité a fait un progrès et la vraie victoire, c’est dans la vie qu’il faut la remporter.

Il faut savoir être seul avec l’Éternel et l’Infini au sein de toutes les circonstances. Il faut savoir être libre, avec le Suprême pour compagnon, au milieu de toutes les occupations. Cela, c’est la vraie victoire.

14 juillet 1958

Le Niraya

(État de douleur dans ce monde ou dans un autre)

Le menteur va à l’enfer ainsi que celui qui, ayant fait une chose, dit : « Je ne l’ai pas faite. » Tous deux, après la mort, partageront le même sort, car ce sont des hommes d’actions viles.

Quoiqu’ayant revêtu la robe jaune, ceux qui sont dissolus et instigateurs du mal, leurs mauvaises actions les font renaître en enfer.

Mieux vaudrait avaler une bille de fer chauffé au rouge plutôt que de vivre d’aumônes quêtées quand on mène une vie dissolue.

Quatre châtiments attendent l’homme sans scrupules qui convoite la femme d’autrui : le démérite, un sommeil agité, le blâme et le Niraya.

Il a donc acquis une mauvaise réputation et une renaissance mauvaise; bref est le plaisir des deux complices inquiets, outre la punition sévère du législateur. Qu’aucun homme ne recherche donc la femme d’autrui.

Tout comme l’herbe koussa coupe la main qui la saisit maladroitement, de même l’ascétisme mal compris mène au Niraya.

Un devoir accompli avec indifférence, une règle mal observée, et mener une vie vertueuse par crainte, rien de cela n’apportera de bons résultats.

Si une chose est à faire, qu’on la fasse avec ardeur. Un ascète aux mœurs relâchées déplacera de plus en plus la poussière des passions.

Mieux vaut se garder de faire une mauvaise action, car celui qui la commet en sera tourmenté. Mieux vaut accomplir une bonne action, car celui qui la fait n’aura pas à s’en repentir.

Comme une cité frontière est bien fortifiée à l’intérieur et à l’extérieur, qu’on se garde soi-même, qu’on ne gaspille pas un seul instant de vigilance, car ceux qui perdent cette occasion, ne fût-ce qu’une minute, en subiront les douloureuses conséquences, lorsqu’au Niraya.

Ceux qui éprouvent de la honte alors qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte et ceux qui n’éprouvent aucune honte alors qu’il y a lieu d’être honteux, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.

Ceux qui ont peur de ce qui n’est pas à craindre et qui ne redoutent pas ce qui est redoutable, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.

Ceux qui voient le mal où il n’y en a pas et qui n’en voient pas où il y en a, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.

Ceux qui reconnaissent le mal comme mal, et le bien comme bien, ces êtres qui ont des vues justes sont destinés à un état heureux.

Comme dans tous ces enseignements, il y a toujours plusieurs manières de comprendre. La manière extérieure est suffisamment banale. Dans tous les principes moraux, on dit la même chose. Ce Niraya, par exemple, que certains prennent pour une sorte d’enfer où l’on est puni des ses péchés, a un autre sens aussi. Le sens véritable du Niraya, c’est cette espèce d’atmosphère particulière que l’on crée autour de soi quand on agit en contradiction, non avec les règles morales extérieures ou les principes sociaux, mais en contradiction avec la loi intérieure de son être, la vérité particulière à chacun qui devrait gouverner tous les mouvements de notre conscience et tous les actes de notre corps. La loi intérieure, la vérité de l’être, c’est la présence divine en chaque être humain, ce qui devrait être le maître et le guide de notre vie.

Quand on prend l’habitude d’écouter cette loi intérieure, de lui obéir, de la suivre, d’essayer de plus en plus de la laisser guider la vie, on crée autour de soi une atmosphère de vérité, de paix, d’harmonie, qui naturellement réagit sur les circonstances et, pour ainsi dire, forme l’atmosphère dans laquelle on vit. Quand on est un être de justice, de vérité, d’harmonie, de compassion, de compréhension, de parfaite bonne volonté, cette attitude intérieure, plus elle est sincère et totale, plus elle réagit sur les circonstances extérieures — non qu’elle diminue nécessairement les difficultés de la vie, mais elle donne à ces difficultés un sens nouveau, et cela permet d’y faire face avec une force et une sagesse nouvelles; tandis que l’homme, l’être humain qui suit ses impulsions, qui obéit à ses désirs, qui s’embarrasse fort peu de scrupules, qui en arrive à vivre dans un cynisme complet, se moquant de l’effet que sa vie peut avoir sur les autres et des conséquences plus ou moins néfastes de ses actes, celui-là se crée une atmosphère de laideur, d’égoïsme, de conflit, de mauvaise volonté, qui nécessairement agit de plus en plus sur sa conscience et lui donne une âpreté dans l’existence, qui finalement devient un tourment perpétuel.

Bien entendu, cela ne veut pas dire que cet homme ne réussira pas dans ce qu’il entreprend, que ce qu’il désire, il ne pourra pas l’avoir : ces avantages extérieurs ne disparaissent que lorsqu’il y a, au fond de l’être, une étincelle de sincérité qui persiste et qui le rend digne de l’infortune.

Si vous voyez un mauvais homme devenir infortuné et misérable, il faut immédiatement le respecter. Cela veut dire que la flamme de sincérité intérieure n’est pas tout à fait éteinte et que quelque chose réagit encore à ses mauvaises actions.

Finalement, cela nous conduit encore à cette constatation qu’il ne faut jamais, jamais juger sur les apparences, et que tous les jugements que vous formez sur les circonstances extérieures sont toujours, nécessairement, des jugements faux.

Pour avoir un aperçu de la Vérité, il faut au moins faire un pas en arrière dans sa conscience, entrer un peu plus profondément dans son être, et essayer de percevoir le jeu des forces derrière les apparences et la Présence divine derrière le jeu des forces.

25 juillet 1958

L’éléphant

Comme l’éléphant sur le champ de bataille endure la flèche jaillie de l’arc, de même supporterai-je patiemment l’injure; car, en vérité, nombreux sont les malveillants en ce monde.

C’est un éléphant domestiqué que l’on conduit au champ de bataille. C’est lui que monte le rajah. Le meilleur parmi les hommes est celui qui supporte patiemment l’injure.

Les mulets dressés sont excellents, ainsi que les coursiers pur-sang du Sindh, et les puissants éléphants à défenses. Meilleur encore est l’homme qui a su se dompter.

Ce n’est point en montant l’un de ces animaux, que l’on atteint la voie encore inexplorée, mais en se domptant soi-même. On s’y rendra avec la maîtrise acquise.

À l’époque du rut, on parvient difficilement à maîtriser le puissant éléphant Dhammapâlako. Quand il est enchaîné, il refuse toute nourriture, il n’aspire qu’à redevenir un éléphant de la forêt.

Quand un homme est fainéant, glouton et ne pense qu’à dormir et à rouler sa boue de-ci de-là, comme un gros porc qui s’engraisse de détritus — ce pauvre insensé est appelé à renaître encore et encore.

Autrefois, ce mental errait à son gré d’objet en objet et aussi longtemps qu’il lui plaisait; mais aujourd’hui, je le maîtriserai complètement comme le cornac maîtrise de son aiguillon l’éléphant en rut.

Réjouissez-vous en étant diligents, surveillez bien votre mental. Dégagez-vous du cloaque du mal comme le fait l’éléphant embourbé dans un marécage.

Si pour ami vous trouvez un compagnon prudent, qui mène une vie convenable, intelligent et maître de soi, n’hésitez pas à vous mettre en route avec lui et à surmonter tous les obstacles.

Et si vous ne rencontrez pas un tel ami qui mène une vie convenable, intelligent et maître de soi, alors, comme un roi qui renonce au pays conquis, ou comme l’éléphant solitaire dans la forêt, poursuivez seul votre chemin.

Mieux vaux vivre seul, car on ne peut prendre l’insensé pour compagnon. Mieux vaut vivre seul et ne pas faire de mal, indépendant, comme l’éléphant à travers la jungle.

Il est bon d’avoir des amis lorsqu’on en a besoin. Il est bon de se contenter de ce que l’on a. Il est bon, à l’heure de la mort, d’avoir acquis des mérites. Il est bon de pouvoir laisser tout chagrin derrière soi.

Il est bon d’honorer sa mère. Il est bon d’honorer son père. Il est bon d’honorer les moines. Il est bon de vénérer les Méritants.

Il est bon de mener une existence pure tout le long de la vie. Il est bon de conserver une foi inébranlable. Il est bon d’acquérir la sagesse. Il est bon de s’abstenir de tout mal.

Le premier verset est un très sage conseil : l’éléphant de combat qui a été bien dressé ne se met pas à s’enfuir dès qu’il reçoit une flèche. Il continue d’avancer et supporte la douleur sans que cela change son attitude de résistance héroïque. Ceux qui veulent suivre le vrai chemin seront naturellement soumis aux attaques de toutes les malveillances, qui non seulement ne comprennent pas, mais, généralement, haïssent ce qu’elles ne comprennent pas.

Si vous êtes ennuyé, chagrin, même découragé par toutes les sottises malveillantes que les gens diront de vous, vous ne pourrez pas avancer beaucoup sur le chemin. Et ces choses viennent à vous, non parce que vous êtes malchanceux ou que votre sort n’est pas heureux, mais tout au contraire parce que la Conscience et la Grâce divines prennent au sérieux votre résolution et laissent les circonstances être les pierres de touche sur le chemin, pour voir si votre résolution est sincère et si vous êtes assez fort pour faire face aux difficultés.

Par conséquent, si quelqu’un se moque de vous, ou dit quelque chose qui n’est pas très bienveillant, la première chose à faire est de regarder au-dedans de soi quelle est la faiblesse ou l’imperfection qui a permis qu’une chose pareille se produise, et non d’être désolé ou indigné ou chagrin parce qu’on ne vous apprécie pas à ce que vous pensez être votre juste valeur; au contraire, il faut remercier la Grâce divine de vous faire toucher du doigt la faiblesse ou l’imperfection ou la déformation que vous devez rectifier.

Ainsi, au lieu d’être malheureux, vous pouvez être pleinement satisfait et tirer avantage, un grand avantage, du mal que l’on voulait vous faire.

D’ailleurs, si vous voulez vraiment suivre la voie et faire le yoga, il ne faut pas le faire pour qu’on vous apprécie et vous honore, il faut le faire parce que c’est un besoin impérieux de votre être, et parce que vous ne pouvez être heureux que de cette manière-là. Qu’on vous apprécie ou ne vous apprécie pas, cela n’a absolument aucune espèce d’importance. Vous pouvez d’avance vous dire que, plus vous serez loin de l’homme ordinaire, étranger à la manière d’être ordinaire, moins on vous appréciera, tout naturellement, parce qu’on ne vous comprendra pas. Et je le répète, cela n’a aucune espèce d’importance.

La vraie sincérité, c’est d’avancer sur le chemin parce que vous ne pouvez pas faire autrement, de vous consacrer à la vie divine parce que vous ne pouvez pas faire autrement, c’est d’essayer de transformer votre être et de surgir dans la Lumière parce que vous ne pouvez pas faire autrement, parce que c’est la raison d’être de votre vie.

Quand c’est comme cela, vous pouvez être certain que vous êtes sur le droit chemin.

1er août 1958

La convoitise

(La traduction de ces versets par Bhâratîdî ayant été égarée, nous avons emprunté celle de R. et M. de Maratray publiée par la Librairie Orientaliste Paul Geuthner (anciennement 13, rue Jacob, Paris) afin que le texte du Dhammapada soit complet.)

Chez l’homme sans vigilance, la convoitise croît comme la plante grimpante du Maluva. Il bondit d’existence en existence, comme le singe en quête de fruits dans la forêt.

Quiconque est dominé par la farouche convoitise voit ses peines croître et grandir comme le gazon du Birana après la pluie.

Mais quiconque domine cette convoitise si difficile à vaincre voit ses peines tomber comme la goutte d’eau glisse du lotus.

À tous ceux assemblés ici je donne ce conseil salutaire : extirpez la racine de la convoitise, comme on arrache le gazon du Birana. Ne laissez pas Mâra vous briser sans cesse, comme le fleuve casse le roseau.

Comme un arbre abattu jette encore des bourgeons si ses racines demeurent intactes et fortes, ainsi la souffrance jaillit encore et toujours, tant que l’on n’a point aboli en soi la convoitise.

Incapable de résister puissamment aux trente-six courants des passions, l’homme mal guidé, avide de plaisir, est emporté par le flot.

De toutes parts coulent ces courants, et la plante grimpante [de la sensation] s’agrippe et bourgeonne. En la voyant monter, soyez assez avisés pour la couper dans sa racine.

En laissant leur esprit s’attarder avec délice au milieu des voluptés, les hommes deviennent la proie de la naissance et de la mort.

Traqués par la convoitise, les hommes courent en tous sens comme des lièvres poursuivis. Saisis et ligotés, ils connaîtront longtemps encore la souffrance.

Traqués par la convoitise, les hommes courent en tous sens comme des lièvres poursuivis. Rejette donc le désir, ô Bhikkhu qui aspires à t’affranchir du passionnel.

Celui qui, libéré de la jungle du désir s’y replonge, regarde-le comme un être affranchi retournant à l’esclavage.

Aux yeux du sage, les lourdes chaînes ne sont pas faites de fer ni de bois ni de chanvre; ce sont plutôt l’ardente convoitise des joyaux et des parures, ainsi que l’attachement aux enfants et aux épouses.

Certes, c’est un puissant lien, déclare le sage, et il paralyse les hommes, et il est pénible de s’en débarrasser. Cependant, certains le coupent, et choisissent la vie sans foyer; ils abandonnent le plaisir et le désir sans regarder derrière eux.

Il en est qui s’emprisonnent dans leur propre filet d’acharnement au plaisir, comme l’araignée dans sa toile. Le sage passe au travers, sans se retourner, et laisse tout souci derrière lui.

Affranchis-toi du passé, affranchis-toi de l’avenir, affranchis-toi du présent pour les dépasser. Ayant ainsi libéré ton mental, tu ne reviendras plus dans la naissance et dans la décrépitude.

L’homme agité par le doute, subjugué par ses passions, attentif au seul plaisir, voit la convoitise grandir en lui, il se forge une lourde chaîne.

L’homme qui se délecte dans l’apaisement du mental, qui ne craint pas le déplaisir, en vérité, il brisera, il anéantira la chaîne de Mâra.

Il s’approche de la grande Consommation sans crainte, délivré de la convoitise, sans reproche, ayant détruit les épines de l’existence et ce sera sa dernière incarnation.

Délivré du désir, détaché de tout, habile à comprendre l’Enseignement, versé dans le sens réel des mots, tel il se montre en sa dernière incarnation ; et on l’appelle le Grand Homme, Grand Sage.

« Je suis celui qui a tout compris et tout appris, que rien ne pollue ni n’embarrasse, libéré par la destruction des convoitises, ayant seul tout pénétré. Qui donc pourrais-je appeler mon maître? »

Au-dessus de tous dons, règne le don de la Doctrine. Au-dessus de toutes saveurs, règne la saveur de la Doctrine. Au-dessus de tous les délices, règnent les délices de la Doctrine. Au-dessus de toute souffrance, règne la fin de la convoitise.

Les richesses anéantissent l’insensé s’il ne cherche point ce qui est au-delà. Par sa passion pour elles, l’insensé se tue comme il tuerait ses ennemis.

Les mauvaises herbes sont la perte des cultures; l’avidité est la perte de notre génération. En conséquence, le don de la doctrine du détachement produit beaucoup de fruits.

Les mauvaises herbes sont la perte des cultures; la haine est la perte de notre génération. En conséquence, le don qui vous libère de la haine produit beaucoup de fruits.

Les mauvaises herbes sont la perte des cultures; l’illusion est la perte de notre génération. En conséquence, le don qui vous libère de l’illusion produit beaucoup de fruits.

Les mauvaises herbes sont la perte des cultures; le désir égoïste est la perte de notre génération. En conséquence, le don qui vous libère de l’égoïsme produit beaucoup de fruits.

Nous garderons le dernier pour méditer.

8 août 1958

Le bhikkhu

Le contrôle de l’œil est une bonne chose; le contrôle de l’oreille est une bonne chose; le contrôle du nez et de la langue est une bonne chose.

Il est bon de contrôler ses actions, ses paroles, son mental. Le contrôle en toute chose est bon. Le bhikkhu qui se contrôle entièrement est affranchi de toute souffrance.

L’homme qui est maître de ses mains, de ses pieds et de sa langue, qui se contrôle totalement, qui se délecte dans la méditation, qui est calme et qui goûte la vie solitaire, on peut l’appeler un bhikkhu.

Le bhikkhu qui est maître de sa langue et mesuré dans ses propos, qui est modeste, qui interprète lumineusement la Doctrine, en vérité, ses paroles sont douces comme le miel.

Le bhikkhu qui vit de la Doctrine, qui se délecte de la Doctrine, qui médite sur la Doctrine, qui connaît bien la Doctrine, ne peut certes pas s’écarter de la Doctrine.

Le bhikkhu ne doit point traiter à la légère ses propres progrès [en sagesse et vertu], ni envier ceux d’autrui; car le bhikkhu envieux ne peut arriver à la concentration.

Même si le progrès qu’a fait le bhikkhu est petit, qu’il ne le dédaigne pas; si sa vie est pure et ses efforts constants, il en sera loué.

Celui qui est détaché de tout ce qui est conditionné [corps et mental], qui ne pense pas : « Ceci est à moi » et qui ne se lamente pas sur ce qui n’est point, en vérité, il s’appelle un bhikkhu.

Le bhikkhu qui vit dans un état de bonté toute d’amour et qui est rempli de foi dans l’Enseignement de l’Éveillé, ce bhikkhu atteindra la paix du Nirvâna, la félicité suprême d’où tout élément conditionné a disparu.

Jette du lest par-dessus bord, ô bhikkhu ; une fois allégée, la barque qu’est ton corps voguera plus légèrement, et ayant rejeté désir et haine, tu entreras en Nirvâna.

Romps les cinq liens qui sont : la croyance à l’ego, le doute, la croyance en l’efficacité des vains rites et cérémonies, la convoitise et la malveillance. Renonce à ces cinq autres liens : le désir de vivre dans le monde de la forme, celui de vivre dans le monde immatériel, l’orgueil, l’agitation mentale et l’ignorance. Cultive ces cinq autres : foi, énergie, concentration, attention mentale, méditation et intelligence. Le bhikkhu étant ainsi quintuplement libéré, est dit être « celui qui a traversé les flots ».

Méditez, ô bhikkhus, ne soyez pas négligents. Que votre mental ne se tourne pas vers les plaisirs sensuels, comme si par négligence vous avaliez une bille de fer chauffée au rouge et que, lorsque vous en ressentez les brûlures, vous vous lamentiez, disant : « Oh ! combien c’est douloureux ! »

Pour celui dénué d’intelligence, il n’y a pas de méditation; nulle méditation n’est possible pour celui qui manque d’intelligence. Il est proche du Nirvâna, celui en qui on trouve méditation et intelligence.

Le bhikkhu qui a rompu toute entrave, le bhikkhu au mental apaisé, goûte une joie surhumaine dans la claire vision de la Doctrine.

Chaque fois qu’avec une attention concentrée il réfléchit sur l’apparition et la disparition de toute chose conditionnée, il goûte le bonheur et la joie de ceux qui connaissent le Nirvâna.

Voici quelles sont, pour le bhikkhu intelligent, les bases mêmes de la vie religieuse : maîtrise des sens, être satisfait de ce que l’on a, retenue d’après le code de discipline, choisir pour amis des êtres nobles qui sans relâche mènent une vie pure.

Que le bhikkhu soit hospitalier, affable et courtois; ainsi, dans la plénitude de sa joie, il mettra un terme à la souffrance.

Tout comme le jasmin laisse tomber ses pétales fanés, de même, le bhikkhu se dépouille du désir et de la haine.

Modéré en action, modéré en paroles, mentalement calme, apaisé, et lorsqu’il a rejeté tout appétit mondain, ce bhikkhu est appelé « l’apaisé ».

Que de lui-même il s’éveille, qu’il s’examine lui-même; ainsi, gardé par lui-même et vigilant, le bhikkhu vivra dans la félicité.

En vérité, on est son propre protecteur, son propre refuge. Sache donc te contrôler comme le marchand maîtrise une noble monture.

Empli d’allégresse et de foi par la Doctrine du Bouddha, le bhikkhu parvient à l’état nirvânesque, à la cessation de toute existence composée.

Le jeune bhikkhu qui se consacre à l’Enseignement de l’Éveillé, éclaire ce monde tout comme la lune qui émerge des nuées.

L’un des conseils donnés ici est d’être toujours bienveillant. Il ne faut pas prendre cela pour un de ces conseils banals comme on en donne d’habitude. Il est dit une chose assez intéressante, très intéressante même, je commente : « Soyez toujours bienveillants et vous serez libres de la souffrance, toujours contents et heureux ; vous rayonnerez votre bonheur tranquille. »

Il est tout à fait remarquable que toutes les fonctions digestives sont d’une sensibilité extrême à l’attitude critique, malveillante, acide, au jugement acerbe. Rien plus que cela ne dérange le fonctionnement de la digestion, et c’est un cercle vicieux : plus le fonctionnement de la digestion est dérangé, plus vous devenez malveillant, critique, mécontent de la vie, des choses et des gens. Ainsi, on n’en sort pas. Et il n’y a qu’une guérison, c’est de sortir délibérément de cette attitude, de se refuser absolument à l’avoir et de s’imposer, par un contrôle constant, une attitude voulue de bienveillance totale. Essayez et vous verrez que vous vous porterez beaucoup mieux.

22 août 1958

Le brâhmane

Ô brâhmane! lutte, endigue le courant de convoitise, écarte tout plaisir sensuel. Sachant déraciner les éléments de l’existence composée, tu connaîtras le Nirvâna, l’Incomposé.

Quand le brâhmane est arrivé à la méditation et à la vision intérieure, toutes les entraves tombent alors, et il possède la Connaissance conforme à la réalité.

Celui pour qui il n’existe ni le subjectif, ni l’objectif, ni l’un ni l’autre, l’être sans crainte et sans entraves, je le considère un brâhmane.

Celui qui s’adonne à la méditation et qui est affranchi du désir, de l’amour de la vie et de l’illusion, qui est sans tache, qui a accompli son devoir, qui a atteint le but final, je le considère un brâhmane.

Le jour, le soleil brille. La nuit, la lune brille. En son armure, le guerrier rayonne. En méditation, le brâhmane étincelle. Jour et nuit, sans arrêt, le Bouddha rayonne.

L’homme qui a rejeté le mal, c’est un brâhmane. Celui dont la conduite est disciplinée, c’est un moine; et l’ascète est celui qui s’est purgé de ses impuretés.

Qu’on ne frappe pas un brâhmane, et que le brâhmane [s’il est attaqué] ne riposte pas. Honte sur celui qui frappe un brâhmane. Honte sur le brâhmane qui retourne l’injure.

Pour le brâhmane, il n’est rien de meilleur que le contrôle du mental et des inclinations mondaines. Autant il supprime la mauvaise intention, autant il apaise ses souffrances.

Celui qui ignore le mal dans ses actes, dans ses propos, dans son mental, l’homme voué à cette triple restriction, je le considère un brâhmane.

Quel que soit celui qui vous enseigna la Doctrine du Parfaitement Éveillé, rendez-lui hommage et vénérez-le comme fait le brâhmane devant le feu sacré.

Ni les cheveux en torsade, ni la caste, ni la naissance ne font un brâhmane. Celui en qui résident la vérité et la droiture, c’est un pur, c’est un vrai brâhmane.

Qu’importent tes cheveux en torsade, ô homme insensé! Qu’importe la peau d’antilope dont tu te revêts! En toi se cache une jungle de passions, tu n’as pas l’apparence de l’aménité.

L’homme vêtu de haillons ramassés dans la poussière, qui est émacié et dont les veines sillonnent le corps et qui médite solitaire dans la forêt, celui-là, je le considère un brâhmane.

Mais je n’appelle pas brâhmane celui qui, bien que de souche brâhmanique, est riche et arrogant. C’est celui qui ne possède rien, qui ne s’attache à rien, que je considère un brâhmane.

Celui qui a rompu toutes les entraves, qui ne redoute plus rien, qui s’est rendu maître de tous liens, qui s’est libéré, je le considère un brâhmane.

Celui qui, petit à petit, a rompu la courroie [de la haine], qui a ôté le bandeau [de l’attachement], coupé la corde [du scepticisme], qui a rejeté le joug [de l’ignorance] et qui est éveillé, je le considère un brâhmane. Celui qui, sans ressentiment, supporte les reproches, les coups et les chaînes, qui a fait de la patience son puissant soutien, je le considère un brâhmane.

Celui qui est affranchi de la colère, qui est fidèle à sa foi, vertueux et sans convoitise, qui a su se maîtriser et parvenir à sa dernière incarnation terrestre, je l’appelle un brâhmane.

Celui qui ne s’attache pas plus aux plaisirs sensuels que la goutte d’eau ne s’attache aux pétales du lotus, ou la graine de moutarde à la pointe d’une aiguille, celui-là, je le considère un brâhmane.

Celui qui, en cette vie-ci, a réalisé la cessation de la souffrance, qui a déposé son fardeau et qui s’est libéré du joug de l’attachement, je le considère un brâhmane.

L’homme intelligent doué d’une profonde sagesse, discernant la bonne et la mauvaise voie, qui a atteint le but suprême, je le considère un brâhmane.

Celui qui ne recherche ni la compagnie des laïcs, ni celle des moines, qui ne possède plus de foyer et qui a peu de besoins, je le considère un brâhmane.

Celui qui ne fait de mal à aucune créature, fût-elle faible ou puissante, qui ne commet point ou ne fait point commettre de meurtre, je le considère un brâhmane.

Amical parmi les êtres hostiles, calme parmi les violents, désintéressé parmi les intéressés, tel est celui que je considère un brâhmane.

Celui de qui la luxure et la haine, l’orgueil et l’envie sont tombés, comme la graine de moutarde tombe de la pointe de l’aiguille, je le considère un brâhmane.

Celui qui ne prononce que des paroles douces, instructives et vraies, et qui n’offense personne, je le considère un brâhmane.

Celui qui en ce monde ne prend rien qui ne lui ait été donné, que ce soit peu ou beaucoup, court ou long, bon ou mauvais, je le considère un brâhmane.

Celui qui n’a plus de désir en ce qui concerne ce monde ou l’autre, qui n’a plus ni attache ni joug, je le considère un brâhmane.

Celui en qui n’existe plus de désir, celui qui a atteint la perfection de la vraie connaissance, qui a écarté tout doute et qui a sondé les profondeurs du Nirvâna, celui-là, je le considère un brâhmane.

Celui qui a rompu en ce monde les liens — du bien et du mal — et qui est exempt de tourments, de souillures et d’impureté, je le considère un brâhmane.

Celui qui, telle la lune, est sans tache, pur, clair et serein, et en qui la soif des désirs mondains a disparu, je le considère un brâhmane.

Celui qui a franchi le cercle des renaissances, ce sentier bourbeux, cette route épineuse, et qui est parvenu à l’autre rive, adonné à la méditation, dépourvu de désir, exempt de doutes, détaché de tout et apaisé, je le considère un brâhmane.

Celui en qui toute luxure est consumée, qui, ayant renoncé à la vie mondaine, est devenu un sans-foyer menant la vie errante, je le considère un brâhmane.

Celui en qui toute convoitise est morte, car il s’est voué à la vie errante, et qui a tari la soif du devenir, je le considère un brâhmane.

Celui qui a rejeté tous les liens mondains et qui même s’est libéré des liens célestes, qui s’est détaché de tous liens, je le considère un brâhmane.

Celui qui a mis de côté plaisir et déplaisir, qui est indifférent, qui s’est dégagé de tout attachement et de toute entrave, qui a conquis tous les mondes, ce héros, je le considère un brâhmane.

Celui qui possède la connaissance parfaite relative à la naissance et à la mort de tous les êtres, et qui est détaché de tout lien, est un Bienheureux, un Éveillé; je le considère un brâhmane.

Celui dont l’état futur n’est connu ni des dieux, ni des demi-dieux, ni des mortels, sans désir et sans souillure, et qui est devenu un méritant, je le considère un brâhmane.

Celui qui ne possède plus rien, ni passé, ni présent, ni futur, qui s’est libéré de tout, qui n’est plus attaché à rien au monde, celui-là, je le considère un brâhmane.

Le Noble, l’Excellent, le Héros, le grand Sage, le Victorieux, l’Impassible, le Pur, l’Éveillé, celui-là, je le considère un brâhmane.

Celui qui connaît ses vies antérieures, celui qui perçoit de son œil mental les séjours célestes et infernaux, et qui est arrivé au terme des naissances, qui a atteint la perfection de la clairvoyance, qui est le Sage suprême, le Sage accompli de tous les accomplissements, en vérité, je le considère un brâhmane.

Telle est la conclusion du Dhammapada. Et si nous avons pratiqué seulement, pour reprendre leur image, une graine de moutarde de tout ce que l’on nous a enseigné, eh bien, nous n’aurons pas perdu notre temps.

Il y a une chose dont on ne parle pas ici, dans le Dhammapada, un suprême désintéressement et une suprême libération, c’est de suivre la discipline du perfectionnement, la marche du progrès, non dans un but précis comme celui qui est décrit ici, la libération du Nirvâna, mais parce que cette marche du progrès est la loi profonde et la raison d’être de la vie terrestre, la vérité de l’existence universelle, et que l’on se met d’accord avec elle, spontanément, quel que soit le résultat.

Il y a une confiance profonde en la Grâce divine, une soumission totale à la Volonté divine, une adhésion intégrale au Plan divin, qui fait faire la chose à faire sans se soucier du résultat; et cela, c’est la libération parfaite.

Cela, c’est vraiment l’abolition de la souffrance, la conscience remplie d’une joie immuable; et chaque pas que l’on fait vous révèle une merveille de splendeur.

Nous remercions le Bouddha de ce qu’il a apporté au progrès humain, et, comme je vous le disais au commencement, nous essayerons de réaliser un peu de toutes les belles choses qu’il nous a apprises, mais nous laisserons le but et le résultat de nos efforts à la Sagesse suprême qui dépasse toute compréhension.

5 septembre 1958









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