CWM (Fre) Set of 18 volumes
Éducation Vol. 12 of CWM (Fre) 502 pages 2008 Edition
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ABOUT

Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre.

Éducation

The Mother symbol
The Mother

Dans ce volume ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère avec des étudiants et des professeurs de l’école de l’Ashram, et trois pièces de théâtre : Vers l’Avenir, Le Grand Secret et L’Ascension vers la Vérité.

Collection des œuvres de La Mère Éducation Vol. 12 502 pages 2008 Edition
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Le Grand Secret : narration by The Mother

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Note de l'Éditeur

Dans ce volume, ont été réunis des articles, des messages, des lettres et des conversations de la Mère sur l'éducation, et trois pièces qu'elle a écrites pour la représentation théâtrale annuelle du Centre International d'Éducation Sri Aurobindo.

Tout ce qui a été écrit ou dit en français figure dans ce volume. Dans l'appendice, sont publiées les traductions des lettres et messages dont l'original est en anglais.

PREMIÈRE PARTIE : ARTICLES

Ces articles ont d'abord paru dans le Bulletin d'Éducation Physique (appelé par la suite Bulletin du Centre International d'Éducation Sri Aurobindo) entre 1949 et 1955.

DEUXIÈME PARTIE : MESSAGES, LETTRES ET CONVERSATIONS

I. Le Centre International d'Éducation Sri Aurobindo. Cette section contient principalement la correspondance et les conversations de la Mère avec les élèves et les professeurs du Centre Éducation Certains messages et certaines lettres à d'autres institutions et à d'autres personnes y figurent aussi. Il en est qui ont d'abord paru dans différentes publications de l'Ashram ; d'autres sont présentés ici pour la première fois.

À l'intérieur d'une sous-section les déclarations datées sont en général disposées dans l'ordre chronologique, celles qui ne le sont pas, là où elles s'adaptent le mieux. Les déclarations écrites à la même personne et formant une série sont séparées simplement par un blanc ; les déclarations à des personnes différentes, par un astérisque (*). Le symbole * indique un commentaire oral de la Mère, noté de mémoire par un sâdhak et approuvé ensuite par la Mère en vue d'une publication.

Il convient de noter que nombre de ces déclarations ont été écrites pour des personnes particulières, dans des circonstances particulières, et qu'elles n'étaient pas prévues pour une diffusion générale.

II Le Département Éducation Physique de l'Ashram de Sri Aurobindo. Les neuf brefs écrits placés en tête de cette section ont paru pour la première fois dans le Bulletin entre 1949 et 19.50. Les sous-sections du milieu comprennent des messages écrits et enregistrés au magnétophone à l'intention des participants aux compétitions sportives ainsi qu'à la démonstration annuelle de culture physique organisées par le Département Éducation Physique. La dernière sous-section comprend des messages d'ordre général et des lettres individuelles.

III. Aperçus du travail de la Mère à l'École. Ces lettres et les commentaires oraux de la Mère (pris en note) ont été adressés à un professeur du Centre Éducation entre 1960 et 1972. L'ensemble a d'abord paru dans les numéros d'avril et d'août 1978 du Bulletin.

IV. Réponses à une monitrice. Écrits à une jeune capitaine du Département d'Éducation Physique, les sept "soûtras" ont d'abord paru dans le Bulletin de novembre 1959 ; la correspondance qui y fait suite a d'abord été publiée intégralement en 1975 dans Réponses de la Mère à une monitrice. Certaines de ces lettres ont paru dans des revues de l'Ashram, y compris le Bulletin qui en a publié une série dans son numéro de février 1970.

V. Réponses à un moniteur. Cette section comprend les lettres qui traitent spécifiquement de l'éducation dans la correspondance que la Mère a entretenue avec un jeune capitaine d'éducation physique. La correspondance complète a été publiée dans le Bulletin, entre avril 1973 et novembre 1975.

VI. Conversations. Cette section comprend deux conversations datant de 1967, et six de février-mars 1973. Les conversations de 1973, tenues avec un ou deux professeurs du Centre d'Éducation, sont les dernières déclarations enregistrées de la Mère sur le sujet de l'éducation. Certaines ont précédemment paru dans des publications de l'Ashram ; cette série, plus complète, a paru pour la première fois dans le Bulletin du mois d'août 1978.

TROISIÈME PARTIE : THÉÂTRE

La Mère a écrit trois pièces pour la représentation théâtrale que donnent tous les ans, le 1erdécembre, les élèves et les professeurs du Centre Éducation Vers l'Avenir a été créé en 1949, Le Grand Secret en 1954 et L'Ascension vers la Vérité en 1957. Chaque pièce, aussitôt après sa représentation, a été publiée en fascicule. Pour Le Grand Secret, la Mère a écrit les rôles de l'Homme d'État, de l'Artiste et de l'Inconnu ; les rôles des quatre autres personnages ont été écrits, en collaboration avec la Mère, par ceux qui tenaient les rôles. Ceux de l'Écrivain et de l'Athlète ont été écrits en anglais et traduits par la Mère. Une lettre adressée à celui qui a brossé le portrait de l'Industriel est donnée ici en guise d'introduction à la pièce.

APPENDICE : Traductions des messages et des lettres dont l'original est en anglais.

Ces messages et ces lettres ont été écrits en anglais pour les élèves et les professeurs du Centre Éducation, ou pour les capitaines et administrateurs du Département Éducation Physique.







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La Mère en 1969







Première partie

Articles




La science de vivre

Se connaître et se contrôler

Une vie sans but est une vie sans joie.

Ayez tous un but; mais n’oubliez pas que de la qualité de votre but dépendra la qualité de votre vie.

Que votre but soit élevé et vaste, généreux et désintéressé; ainsi votre vie deviendra précieuse pour vous-mêmes et pour les autres.

Cependant, quel que soit l’idéal que vous vous proposez d’atteindre, vous ne pourrez le réaliser parfaitement que si vous réalisez la perfection en vous-mêmes.

Le premier pas dans ce travail de perfectionnement de soi est de devenir conscients de vous-mêmes, des différentes parties de votre être et de leurs respectives activités. Il faut apprendre à distinguer ces différentes parties l’une de l’autre, afin de vous rendre compte clairement de l’origine des mouvements qui se produisent en vous, des impulsions, des réactions, des velléités diverses qui vous poussent à agir. C’est une étude assidue qui exige beaucoup de persévérance et de sincérité; car la nature humaine, surtout sa nature mentale, a la tendance spontanée de donner une explication favorable à tout ce que nous pensons, nous sentons, nous disons et nous faisons. C’est seulement en observant ces mouvements avec beaucoup de soin, en les faisant passer, pour ainsi dire, devant le tribunal de notre idéal le plus haut, dans une volonté sincère de nous soumettre à son jugement, que nous pouvons espérer éduquer en nous un discernement qui ne se trompe point. Car si nous voulons vraiment progresser et acquérir la capacité de connaître la vérité de notre être, c’est-à-dire ce pour quoi nous sommes vraiment faits, ce que nous pouvons appeler notre mission sur terre, il 5 nous faut, très régulièrement et très constamment, rejeter de nous ou abolir en nous ce qui est en contradiction avec la vérité de notre existence, ce qui s’oppose à elle. C’est ainsi que peu à peu toutes les parties, tous les éléments de notre être peuvent être organisés en un tout homogène autour de notre centre psychique. Ce travail d’unification exige beaucoup de temps pour être amené à un degré quelconque de perfection; ainsi, pour l’accomplir, nous devons nous armer de patience et d’endurance, dans une détermination de prolonger notre vie autant qu’il est nécessaire pour réussir dans notre entreprise.

En même temps que vous poursuivez ce travail de purification et d’unification, il faut prendre grand soin de perfectionner la partie extérieure et instrumentale de votre être. Lorsque la vérité supérieure se manifestera, il faudra qu’elle trouve en vous un mental assez riche et souple pour être capable de donner à l’idée qui veut s’exprimer, la forme de pensée qui lui conserve sa force et sa clarté. Cette pensée elle-même, quand elle veut se revêtir de mots, doit trouver en vous un pouvoir d’expression suffisant pour que les mots révèlent la pensée et ne la déforment point. Et cette formule dont vous aurez revêtu la vérité doit être manifestée dans tous vos sentiments, toutes vos volontés, toutes vos actions, tous les mouvements de votre être. Finalement ces mouvements eux-mêmes doivent, par un effort constant, atteindre à leur plus haute perfection.

Tout cela peut être réalisé à l’aide d’une quadruple discipline dont les grandes lignes vont être données ici. Ces quatre aspects de la discipline ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, et peuvent être suivis en même temps, en fait il est préférable qu’il en soit ainsi. Le point de départ sera ce qui peut être appelé la discipline psychique. Nous donnons le nom de psychique au centre psychologique de notre être, le siège en nous de la plus haute vérité de notre existence, ce qui a le pouvoir de connaître et de mettre en mouvement cette vérité. Il est donc d’une importance capitale de devenir conscient de sa présence en nous, de nous concentrer sur cette présence jusqu’à ce qu’elle soit un fait vivant pour nous et que nous puissions nous identifier à elle.

À travers le temps et l’espace, beaucoup de méthodes ont été préconisées pour obtenir cette perception et finalement pour accomplir cette identification. Certaines méthodes sont psychologiques, certaines religieuses, certaines même, mécaniques. À vrai dire, chacun doit trouver celle qui lui convient le mieux ; et si son aspiration est ardente et tenace, si sa volonté est persistante et dynamique, il est sûr de rencontrer d’une façon ou d’une autre, extérieurement par la lecture ou l’enseignement, intérieurement par la concentration, la méditation, la révélation et l’expérience, l’aide dont il a besoin pour atteindre son but. Une seule chose est tout à fait indispensable : la volonté de trouver et de réaliser. Il faut que cette découverte et cette réalisation soient la préoccupation primordiale de l’être, la perle de grand prix que l’on acquiert coûte que coûte. Quoi que ce soit que vous fassiez, quelles que soient vos occupations et vos activités, la volonté de trouver la vérité de votre être et de s’unir à elle, doit être toujours vivante et présente derrière tout ce que vous faites, tout ce que vous éprouvez, tout ce que vous pensez.

Pour compléter ce mouvement de découverte intérieure, il sera bon de ne pas négliger le développement mental. Car l’instrument mental peut être indifféremment ou une grande aide ou un très grand obstacle. La mentalité humaine, dans son état naturel, est toujours limitée dans sa vision, bornée dans sa compréhension, rigide dans ses conceptions. Il faut donc faire un constant effort pour l’élargir, l’assouplir et l’approfondir. Ainsi il est très nécessaire de considérer toute chose à autant de points de vue que possible. Dans cette direction, il est un exercice qui donne beaucoup de souplesse et d’élévation à la pensée. Voici en quoi il consiste : on pose une thèse en la formulant clairement. Puis on lui oppose son antithèse formulée avec la même précision. Ensuite, par la réflexion attentive, il faut La science de vivre élargir le problème ou s’élever au-dessus de lui, jusqu’à ce que l’on ait trouvé la synthèse qui unisse les deux contraires dans une idée plus vaste, plus haute et plus compréhensive.

Beaucoup d’autres exercices du même genre peuvent être faits; quelques-uns ont un effet bienfaisant sur le caractère et ont ainsi un double avantage : celui d’éduquer le mental et celui d’établir un contrôle sur les sentiments et leurs conséquences. Par exemple, il ne faut jamais permettre à son mental de juger des choses et des gens; parce que le mental n’est pas un instrument de connaissance; il lui est impossible de trouver la connaissance, mais il doit être mis en mouvement par elle. La connaissance appartient à un domaine beaucoup plus élevé que celui de la mentalité humaine, bien au-dessus de la région des idées pures. Le mental doit être silencieux et attentif pour recevoir la connaissance d’en haut et pour la manifester; car il est un instrument de formation, d’organisation et d’action; et c’est dans ces fonctions qu’il prend sa pleine valeur et sa réelle utilité.

Une autre habitude, qui peut être très profitable au progrès de la conscience, consiste, lorsque l’on est en désaccord avec quelqu’un sur un sujet quelconque, une décision à prendre, une action à accomplir, à ne jamais rester enfermé dans sa propre conception, son propre point de vue. Au contraire, il faut s’efforcer de comprendre le point de vue de l’autre, de se mettre à sa place, et au lieu de se disputer ou même de se battre, il faut trouver la solution qui puisse raisonnablement satisfaire les deux parties : il y en a toujours une pour les gens de bonne volonté.

C’est ici que nous mentionnerons la discipline du vital. L’être vital en nous est le siège des impulsions et des désirs, de l’enthousiasme et de la violence, de l’énergie dynamique et des dépressions désespérées, des passions et des révoltes. Il peut mettre tout en mouvement, construire et réaliser; mais il peut aussi tout détruire et tout gâter. Ainsi peut-être, dans l’être humain, est-il la partie la plus difficile à discipliner. C’est un travail de longue haleine et de grande patience qui exige une sincérité parfaite, car, sans sincérité, dès les premiers pas on se « décevra » 1 soi-même, et toute tentative de progrès restera vaine. Avec la collaboration du vital, aucune réalisation ne paraît impossible, aucune transformation impraticable. Mais la difficulté est d’obtenir cette constante collaboration. Le vital est un bon travailleur, mais le plus souvent il recherche sa propre satisfaction. Quand elle lui est totalement ou même partiellement refusée, il se vexe, boude, fait grève; l’énergie disparaît plus ou moins complètement et laisse à sa place le dégoût des choses et des gens, le découragement ou la révolte, la dépression et le mécontentement. À ces moments-là, il est bon de rester tranquille et de se refuser d’agir; car ce sont les moments où l’on fait des bêtises et où, en quelques instants, on peut détruire ou abîmer des mois d’efforts réguliers et le progrès qui en résulte. Ces crises sont moins durables et moins dangereuses chez ceux qui ont suffisamment établi le contact avec leur être psychique pour garder vivante en eux la flamme de l’aspiration et la conscience de l’idéal à réaliser. À l’aide de cette conscience, ils peuvent agir sur leur vital, comme on agit sur un enfant révolté, patiemment et avec persévérance, lui montrant la vérité et la lumière, tâchant de le convaincre et de réveiller en lui la bonne volonté qui pour un moment a été voilée. Grâce à cette patiente intervention, chaque crise peut être changée en un progrès nouveau, en un pas de plus fait vers le but. Les progrès peuvent être lents, les rechutes peuvent être fréquentes, mais en gardant une volonté courageuse on est sûr de triompher un jour et de voir toutes les difficultés fondre et disparaître devant le rayonnement de la conscience de vérité.

Finalement, il faut, par une éducation physique rationnelle et clairvoyante, rendre notre corps assez fort et souple pour qu’il devienne dans le monde matériel l’instrument approprié de la force de vérité qui veut s’exprimer à travers nous.

En fait, le corps ne doit pas gouverner; il doit obéir; et par sa nature même, il est un serviteur docile et fidèle. Malheureusement, il a rarement la capacité de discernement nécessaire à l’égard de ses maîtres : le mental et le vital. Il leur obéit aveuglément, au grand détriment de son propre bien-être. Le mental avec ses dogmes et ses principes rigides et arbitraires, le vital avec ses passions, ses excès et ses débordements, ont vite fait de détruire l’équilibre naturel du corps et de créer en lui les surmenages, les épuisements et les maladies. Il faut le soustraire à cette tyrannie, et cela ne peut se faire que par l’union constante avec le centre psychique de l’être. Le corps a une remarquable capacité d’adaptation et d’endurance. Il est apte à faire tellement plus de choses qu’on ne le pense d’ordinaire. Si, au lieu des maîtres ignorants et despotiques qui le gouvernent, il est régi par la vérité centrale de l’être, on sera émerveillé de ce dont il est capable. Calme et tranquille, fort et équilibré, il pourra à chaque minute fournir l’effort qui lui sera demandé, car il aura appris à trouver le repos dans l’action, et à récupérer, par le contact avec les forces universelles, les énergies utilement et consciemment dépensées. Dans cette vie équilibrée et saine, une nouvelle harmonie se manifestera en lui, reflétant l’harmonie des régions supérieures, qui donnera à son corps la perfection des proportions et la beauté idéale des formes. Et cette harmonie sera progressive, car la vérité de l’être n’est point statique; elle est le perpétuel déroulement d’une perfection croissante, de plus en plus totale et compréhensive. Dès que le corps aura appris à suivre ce mouvement d’harmonie progressive, il lui sera loisible, par une transformation ininterrompue, d’échapper à la nécessité de la désintégration et de la destruction. Ainsi l’irrévocable loi de la mort n’aura plus de raison d’être.

Dès que nous aurons atteint ce degré de perfection qui est notre but, nous nous apercevrons que la vérité que nous recherchons, est constituée de quatre aspects principaux : l’amour, la connaissance, le pouvoir et la beauté. Ces quatre attributs de la vérité s’exprimeront spontanément dans notre être. Le psychique sera le véhicule de l’amour vrai et pur, le mental celui de la connaissance infaillible, le vital manifestera le pouvoir et la puissance invincibles, et le corps sera l’expression d’une beauté et d’une harmonie parfaites.

Bulletin, novembre 1950

Éducation

L’éducation d’un être humain doit commencer à sa naissance et se prolonger pendant toute la durée de sa vie.

À dire vrai, si l’on veut que cette éducation ait son maximum d’effet, il faut la commencer avant la naissance; et dans ce cas, c’est la mère elle-même qui procède à cette éducation au moyen d’une double action : une sur elle-même, pour son propre perfectionnement, une sur l’enfant qu’elle est en train de former physiquement. Car il est certain que la nature de l’enfant qui va naître dépend considérablement de la mère qui le forme, de son aspiration et de sa volonté, ainsi que de l’entourage matériel dans lequel elle vit. Veiller à ce que les pensées soient toujours belles et pures, les sentiments nobles et beaux, et l’entourage matériel aussi harmonieux que possible, dans une grande simplicité, est la part de l’éducation qui doit s’appliquer à la mère elle-même, et si elle ajoute à cela une volonté consciente et précise de former l’enfant suivant le plus haut idéal qu’elle peut concevoir, alors seront réalisées les conditions les meilleures pour que l’enfant fasse son apparition dans le monde avec son maximum de possibilités. Combien d’efforts difficiles et de complications inutiles seront ainsi évités.

Pour être complète, une éducation doit avoir cinq aspects principaux, s’adressant aux activités principales de l’être humain : le physique, le vital, le mental, le psychique et le spirituel. Généralement ces phases de l’éducation se succèdent dans un ordre chronologique accompagnant la croissance de l’individu; mais l’une n’est pas faite pour remplacer l’autre, et toutes doivent continuer, se complétant l’une l’autre, jusqu’à la fin de la vie.

Nous nous proposons d’étudier ces cinq aspects de l’éducation l’un après l’autre et aussi dans leurs relations réciproques. Mais avant d’entrer dans les détails du sujet, je veux faire une recommandation aux parents. La plupart d’entre eux se soucient fort peu, pour des raisons diverses, de l’éducation véritable à donner aux enfants. Quand ils ont mis un enfant au monde et qu’ils lui donnent la nourriture et satisfont à ses divers besoins matériels, en veillant plus ou moins bien au maintien de sa bonne santé, ils pensent avoir fait tout leur devoir. Plus tard, ils le mettront à l’école et se déchargeront sur les maîtres du souci de son instruction.

D’autres parents savent que leur enfant doit recevoir une éducation et s’essayent à la faire. Mais fort peu d’entre eux, même parmi les plus sérieux et les plus sincères, savent que la première chose à faire pour être capable d’éduquer un enfant, est de s’éduquer soi-même, de devenir conscient et maître de soi, afin de ne jamais donner un mauvais exemple à leur enfant. Car c’est surtout par l’exemple que l’éducation est efficace. Dire de bonnes paroles et donner de sages conseils à un enfant, a fort peu d’effet, si soi-même on ne lui donne pas l’exemple de ce qu’on lui enseigne. La sincérité, l’honnêteté, la droiture, le courage, le désintéressement et l’oubli de soi, la patience, l’endurance et la persévérance, la paix, le calme et la maîtrise de soi, sont toutes choses qui s’enseignent par l’exemple infiniment mieux que par les beaux discours. Parents, ayez un idéal élevé et agissez toujours en accord avec cet idéal, vous verrez peu à peu votre enfant refléter cet idéal en lui et manifester spontanément les qualités que vous désirez voir exprimées dans sa nature. Tout à fait naturellement un enfant a respect et admiration pour ses parents; à moins qu’ils ne soient des êtres tout à fait indignes, ils apparaîtront toujours à leur enfant comme des demi-dieux qu’il s’efforcera d’imiter de son mieux.

À fort peu d’exceptions près, les parents ne se rendent pas compte de l’influence désastreuse que leurs défauts, leurs impulsions, leurs faiblesses et leur manque de contrôle sur euxmêmes exercent sur leurs enfants. Si vous voulez être respectés par un enfant, respectez-vous vous-mêmes et soyez à tout moment dignes de respect; ne soyez jamais ni autoritaires, ni despotiques, ni impatients, ni emportés; quand votre enfant vous pose une question, ne lui répondez pas par une ânerie ou une sottise, sous prétexte qu’il ne peut pas vous comprendre : il y a toujours moyen de se faire comprendre si l’on en prend la peine, et en dépit du dicton populaire que la vérité n’est pas toujours bonne à dire, j’affirme que la vérité est toujours bonne à dire, mais l’art consiste à savoir la dire de façon accessible au cerveau qui vous écoute. Au début de sa vie, jusqu’à douze ou quatorze ans, la mentalité de l’enfant n’est guère accessible aux notions abstraites et aux idées générales; pourtant on peut l’habituer à les comprendre en se servant d’images concrètes, de symboles et de paraboles. Jusqu’à un âge assez avancé, et pour certains qui mentalement restent toujours des enfants, un récit, un conte, une histoire, bien racontés, enseignent beaucoup plus qu’une quantité d’explications théoriques.

Encore un écueil à éviter : ne grondez votre enfant qu’à bon escient et lorsque c’est tout à fait indispensable. Un enfant trop souvent grondé, s’endurcit contre les reproches et n’attache plus beaucoup d’importance aux mots et au ton sévère. Et surtout prenez bien garde de ne jamais le gronder pour une faute que vous commettez vous-mêmes; les enfants sont des observateurs attentifs et perspicaces; ils ont vite fait de découvrir vos faiblesses et les noteront impitoyablement.

Si un enfant a commis une faute, faites en sorte qu’il vous la confesse spontanément et franchement, et lorsqu’il a confessé, faites-lui gentiment et affectueusement comprendre ce qu’il y avait de faux dans son mouvement afin qu’il ne le répète pas; mais ne le grondez jamais : une faute confessée doit toujours être pardonnée. Il ne faut permettre à aucune peur de se glisser entre vous et votre enfant; la peur est un moyen d’éducation néfaste : elle donne invariablement naissance à la dissimulation et au mensonge. Seule une tendresse perspicace, ferme mais douce, et une connaissance pratique suffisante, créeront les liens de confiance indispensables pour que vous puissiez efficacement éduquer votre enfant. Et n’oubliez pas qu’il faut constamment vous surmonter vous-mêmes pour être à la hauteur de la tâche et remplir vraiment le devoir que vous avez encouru vis-à-vis d’un enfant par le seul fait que vous l’avez mis au monde.

Bulletin, février 1951

L’éducation physique

De tous les domaines de la conscience humaine, le physique est celui qui est le plus complètement régi par la méthode, l’ordre, la discipline, le procédé. Le manque de plasticité et de réceptivité de la matière doit y être remplacé par une organisation de détail, à la fois précise et compréhensive. Dans cette organisation, il ne faut pas oublier l’interdépendance et l’interpénétration de tous les domaines de l’être. Cependant, même une impulsion mentale ou vitale, pour s’exprimer physiquement, doit se soumettre à un procédé exact. C’est pourquoi toute éducation du corps, pour être efficace, doit être rigoureuse et détaillée, prévoyante et méthodique. Cela se traduira par des habitudes; le corps est un être d’habitudes. Mais celles-ci doivent être contrôlées et disciplinées, tout en restant suffisamment souples pour s’adapter aux circonstances et aux besoins de la croissance et du développement de l’être.

Toute éducation corporelle doit commencer à la naissance même et se prolonger toute la vie : il n’est jamais trop tôt pour commencer, jamais trop tard pour continuer.

L’éducation physique aura trois aspects principaux :

(1)— contrôle et discipline du fonctionnement du corps;

(2)— développement intégral méthodique et harmonieux de toutes les parties et de tous les mouvements du corps;

(3)— rectification des défauts et des déformations s’il y a lieu.

On peut dire que, dès les premiers jours, presque les premières heures de sa vie, l’enfant doit être soumis à la première partie de ce programme en ce qui concerne l’alimentation, le sommeil, l’évacuation, etc. Si dès le début de son existence, l’enfant prend de bonnes habitudes, cela lui évitera beaucoup d’ennuis et de désagréments pour tout le reste de sa vie. Et aussi ceux qui, durant ses premières années, auront la charge de veiller sur lui, trouveront leur tâche beaucoup plus facile.

Il est bien entendu que pour être rationnelle, éclairée et efficace, cette éducation doit être basée sur un minimum de connaissance du corps humain, de sa structure et de son fonctionnement. À mesure que l’enfant se développe, il faudra l’habituer petit à petit à percevoir le fonctionnement de ses organes internes, afin qu’il puisse progressivement les contrôler et veiller à ce que ce fonctionnement soit normal et harmonieux. Au point de vue des attitudes, des postures et des mouvements, les mauvaises habitudes se prennent très tôt et très vite, et elles peuvent avoir des conséquences funestes pour la vie tout entière. Ceux qui prennent au sérieux la question de l’éducation physique et veulent donner à leurs enfants les meilleures conditions pour se développer normalement, trouveront facilement les indications et instructions nécessaires. Le sujet est de plus en plus soigneusement étudié, et de nombreux ouvrages ont paru et continuent à paraître, donnant tous les renseignements voulus.

Il m’est impossible d’entrer ici dans les détails de l’exécution, car chaque problème diffère des autres, et la solution doit s’adapter au cas individuel. La question de la nourriture a été longuement et soigneusement étudiée; le régime à suivre pour aider les enfants dans leur croissance est à peu près généralement connu et peut utilement être appliqué. Mais il est très important de se souvenir que l’instinct du corps, lorsqu’il est intact, est plus sûr que toute théorie. Ainsi, ceux qui veulent laisser leur enfant se développer normalement, ne doivent pas le contraindre à manger les aliments pour lesquels il éprouve du dégoût; car le plus souvent, à moins que l’enfant ne soit particulièrement capricieux, le corps a un sûr instinct de ce qui lui est nuisible.

Dans son état normal, c’est-à-dire sans l’intervention des notions mentales ni des impulsions vitales, le corps sait aussi très L’éducation physique bien ce qui lui est bon et nécessaire, mais pour que cela puisse se produire effectivement, il faut éduquer l’enfant avec soin, et lui apprendre à distinguer entre ses désirs et ses besoins.

Il faut lui donner le goût de la nourriture saine et simple, substantielle et appétissante, mais sans complications inutiles. Dans son régime quotidien, il faut éviter tout ce qui alourdit et empâte; et surtout il faut lui apprendre à manger à sa faim, ni plus ni moins, et non à faire des repas une occasion de satisfaire sa gourmandise ou sa gloutonnerie. Il est nécessaire de savoir, dès l’enfance, que l’on se nourrit pour donner à son corps la force et la santé, non pour jouir des plaisirs du palais. On doit donner aux enfants la nourriture qui convient à leur tempérament, préparée avec toutes les garanties de l’hygiène et de la propreté, d’un goût agréable, mais d’une grande simplicité. Cette nourriture doit être choisie et dosée d’après l’âge de l’enfant et ses activités régulières; elle doit contenir tous les éléments chimiques et dynamiques nécessaires à son développement et à la croissance équilibrée de toutes les parties du corps.

Comme on ne donnera à manger à l’enfant que ce qui est utile pour le maintenir en bonne santé et le pourvoir des énergies nécessaires, il faut soigneusement s’abstenir de se servir de la nourriture comme d’un moyen de coercition ou de punition. L’habitude de dire à un enfant : « Tu n’as pas été sage, tu seras privé de dessert », etc., est tout à fait pernicieuse. On crée ainsi dans sa petite conscience l’impression que les aliments lui sont donnés principalement pour faire plaisir à sa gourmandise et non parce qu’ils sont indispensables au bon fonctionnement de son corps.

Une autre chose doit être enseignée à un enfant dès son jeune âge, c’est le goût de la propreté et l’habitude de l’hygiène; mais pour obtenir cette propreté et le respect des règles de l’hygiène, on prendra grand soin de ne pas lui inculquer la peur des maladies : la peur est le plus mauvais levier d’éducation et le plus sûr moyen d’attirer ce que l’on redoute. Cependant, sans craindre la maladie, il ne faut pas, non plus, avoir une inclination pour elle. Couramment, on rencontre la croyance que les brillants esprits sont dans des corps chétifs. C’est une opinion aussi illusoire que mal fondée; et si, peut-être, il y avait à une époque un goût romantique et morbide pour le déséquilibre physique, heureusement cette tendance a disparu. Maintenant on apprécie à sa juste valeur un corps bien bâti, solide, musclé, fort et en bon équilibre. Dans tous les cas, il faut inculquer aux enfants le respect de la santé et l’admiration pour l’homme bien portant dont le corps vigoureux sait repousser les attaques de la maladie. Souvent un enfant prétend être malade pour échapper à une nécessité ennuyeuse, à un travail qui ne l’intéresse pas, ou simplement pour attendrir ses parents et obtenir d’eux la satisfaction d’un caprice quelconque. Aussi jeune que possible, il faut apprendre à l’enfant que le procédé ne vaut rien et qu’on ne devient pas plus intéressant parce qu’on est malade, au contraire. Chez les êtres faibles, il y a une tendance à croire que leur faiblesse les rend particulièrement intéressants, et à se servir de cette faiblesse et même, au besoin, de la maladie, comme d’un moyen pour attirer sur eux l’attention et la sympathie des personnes qui les entourent ou vivent avec eux. On ne doit d’aucune façon encourager cette tendance néfaste; pour cela il sera bon d’apprendre à l’enfant que d’être malade est le signe d’une défaillance ou d’une infériorité, non d’une vertu ou d’un sacrifice.

C’est pourquoi, dès que l’enfant pourra se servir de ses membres, il faudra consacrer quotidiennement un certain temps au développement méthodique et normal de toutes les parties de son corps. De vingt à trente minutes tous les jours, de préférence au réveil si possible, suffiront à assurer le bon fonctionnement et la croissance équilibrée de ses muscles, tout en prévenant l’ankylose des jointures et de la colonne vertébrale qui se produit beaucoup plus tôt qu’on ne le pense. Dans le programme général de l’éducation d’un enfant, il faut donner L’éducation physique 19 une bonne place aux sports et aux jeux en plein air; cela, plus que toutes les médecines du monde, lui assurera une bonne santé. Une heure de mouvement au soleil fait plus pour guérir la faiblesse et même l’anémie, que tout un arsenal de toniques. Je conseillerai de ne se servir des médicaments que lorsqu’il est absolument impossible de faire autrement; et cet « absolument impossible » doit être très rigoureux. Dans le programme de culture physique, quoiqu’il y ait des lignes générales bien connues pour le meilleur développement à donner au corps humain, dans chaque cas, cependant, la méthode, pour être pleinement efficace, doit être considérée individuellement, si possible avec l’aide d’une personne compétente, sinon, en se servant des nombreux traités qui ont déjà paru sur le sujet et continuent à paraître.

Mais dans tous les cas, et quelles que soient ses activités, un enfant doit avoir un nombre d’heures de sommeil suffisant. Ce nombre variera avec l’âge. Au berceau, les bébés doivent dormir plus longtemps qu’ils ne restent éveillés. Le nombre d’heures de sommeil diminuera à mesure que l’enfant grandira ; mais jusqu’à maturité, ce nombre ne devra pas être inférieur à huit heures dans un endroit tranquille et bien ventilé. On ne doit jamais faire veiller un enfant inutilement. Les heures avant minuit sont les meilleures pour le repos des nerfs. Même pendant les heures de veille, la détente est une chose indispensable pour tous ceux qui veulent garder leur équilibre nerveux. Savoir détendre ses muscles et ses nerfs est un art qui devrait être enseigné aux enfants très jeunes; tandis que, tout au contraire, il y a beaucoup de parents qui poussent leur enfant à une constante activité. Quand l’enfant reste tranquille, ils s’imaginent qu’il est malade. Et même, il y a des parents qui ont la mauvaise habitude de faire faire à leur enfant des travaux ménagers, au détriment de son repos ou de son délassement. Rien n’est plus mauvais pour un système nerveux en formation qui ne pourra résister à la tension d’un effort trop soutenu ou d’une activité imposée et non librement choisie. Au risque de contrecarrer beaucoup d’idées courantes et de froisser bien des préjugés, j’affirme qu’il n’est pas juste d’exiger les services d’un enfant, comme s’il était de son devoir de servir ses parents. Le contraire serait plus vrai; et certainement il est naturel pour les parents de servir leur enfant, ou tout au moins de prendre grand soin de lui. Ce n’est que si un enfant choisit librement de travailler pour sa famille et qu’il fasse ce travail comme un amusement, que la chose est acceptable. Et encore, faudra-t-il veiller à ce que cela ne diminue en rien les heures d’un repos absolument indispensable pour le bon fonctionnement de son corps.

J’ai dit que dès le jeune âge, il faut inculquer aux enfants le respect de la bonne santé, de la force et de l’équilibre physiques. Il faut insister aussi sur la grande importance de la beauté. Un jeune enfant doit aspirer à la beauté, non dans le but de plaire ou d’avoir du succès, mais pour l’amour de la beauté elle-même; car la beauté est l’idéal à réaliser pour toute vie physique. Dans chaque être, il y a la possibilité d’une harmonie des différentes parties de son corps entre elles, et des mouvements de son corps en action. Tout corps qui, dès le début de son existence, est soumis à une méthode rationnelle de culture, peut réaliser son harmonie propre, et ainsi être apte à manifester la beauté. Quand nous parlerons des autres aspects d’une éducation intégrale, nous verrons quelles sont les conditions intérieures à remplir pour que cette beauté puisse se manifester un jour.

Jusqu’à présent, je n’ai fait mention que de l’éducation à donner aux enfants, parce que, par une éducation physique éclairée, donnée en temps voulu, bien des défauts corporels peuvent être corrigés, bien des déformations peuvent être évitées. Mais si, pour une raison quelconque, cette éducation physique n’a pas été donnée durant l’enfance et même la jeunesse, elle peut être commencée à n’importe quel âge, et poursuivie pendant toute la vie. Mais plus on débutera tard, plus il faudra s’attendre à rencontrer de mauvaises habitudes à L’éducation physique redresser, des rigidités à assouplir, des déformations à rectifier. Et ce travail préparatoire demandera beaucoup de patience et de persévérance, avant que l’on ne puisse aborder un programme constructif d’harmonisation de la forme et de ses mouvements. Mais en gardant vivant en soi l’idéal de beauté à réaliser, on est sûr d’atteindre tôt ou tard le but que l’on s’est proposé.

Bulletin, avril 1951

L’éducation vitale

De toutes les é ducations, l’éducation vitale est peut-être la plus importante, la plus indispensable. Pourtant elle est rarement entreprise et poursuivie avec discernement et méthode. Il y a à cela plusieurs raisons, dont la première est que la pensée humaine est dans une grande confusion en ce qui concerne ce sujet spécial ; la seconde, que l’entreprise est très difficile et que pour y réussir, il faut une endurance, une persistance sans limite et une volonté qu’aucun insuccès ne peut fléchir.

En effet, dans la nature humaine, le vital est un tyran despotique et exigeant. De plus, comme il est le détenteur du pouvoir, de l’énergie, de l’enthousiasme et du dynamisme réalisateur, beaucoup de gens éprouvent pour lui un respect craintif et essayent toujours de lui plaire. Mais c’est un maître que rien ne satisfait et ses exigences n’ont pas de bornes. Deux idées très répandues, surtout en Occident, contribuent à rendre sa domination plus souveraine. L’une est que le but principal de la vie est d’être heureux. L’autre, que l’on naît avec un certain caractère et qu’il est impossible d’en changer.

La première de ces deux idées est la déformation enfantine d’une vérité très profonde. C’est que toute existence est basée sur la joie d’être et que sans la joie d’être il n’y aurait pas de vie. Mais il ne faut pas confondre cette joie d’être qui est un attribut du Divin et qui, par conséquent, est inconditionnée, avec la recherche du plaisir dans la vie, qui dépend dans une grande mesure des circonstances. La conviction de se croire le droit d’être heureux, conduit tout naturellement à la volonté de « vivre sa vie » coûte que coûte; cette attitude, par son obscur et agressif égoïsme, mène à tous les conflits, toutes les misères, toutes les déceptions, tous les découragements, et aboutit bien souvent à des catastrophes.

Dans le monde tel qu’il est à présent, le but de la vie n’est pas d’obtenir un bonheur personnel, mais d’éveiller progressivement l’individu à la conscience de la vérité.

La seconde idée provient du fait que changer fondamentalement le caractère, nécessite une maîtrise presque totale du subconscient et une discipline très rigoureuse de ce qui vient de l’inconscient et qui se traduit, dans les natures ordinaires, par les résultats de l’atavisme et du milieu dans lequel on naît. Seules une croissance presque anormale de la conscience et l’aide constante de la grâce peuvent venir à bout de cette tâche herculéenne. Aussi a-t-elle été rarement tentée; et beaucoup d’instructeurs célèbres l’ont déclarée irréalisable et chimérique. Pourtant elle n’est pas irréalisable; la transformation du caractère a été effectivement réalisée à l’aide d’une clairvoyante discipline et d’une persévérance si obstinée que rien, même les échecs les plus persistants, ne peut la décourager.

Le point de départ indispensable est une observation détaillée et perspicace du caractère que l’on veut transformer. Dans la plupart des cas, cela même est une tâche difficile et souvent très déroutante. Mais il est un fait que les anciennes traditions connaissaient et qui peut servir de fil conducteur dans le labyrinthe de la découverte intérieure. C’est que chacun, dans une grande mesure et avec une précision qui va s’affirmant chez les individus d’exception, possède dans son caractère, en proportion presque égale, les deux tendances opposées qui sont comme la lumière et l’ombre d’une même chose. Ainsi, celui qui portera en lui-même la capacité d’être exceptionnellement généreux, verra soudain surgir dans sa nature une avarice opiniâtre; le courageux sera quelque part un lâche et le bon aura soudain des impulsions méchantes. Ainsi la vie semble donner à chacun, avec la possibilité d’un idéal à exprimer, les éléments opposés qui peuvent représenter de façon concrète la bataille à livrer et la victoire à remporter pour que la réalisation devienne possible. Par suite, toute vie est une éducation poursuivie plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement. Dans certains cas cette éducation favorisera les mouvements qui exprimeront la lumière, dans d’autres, ce sera, à l’opposé, les mouvements qui exprimeront l’ombre; si les circonstances et le milieu sont favorables, la lumière croîtra au détriment de l’ombre, sinon, c’est le contraire qui se produira. Et ainsi se cristallisera le caractère de l’individu selon les caprices de la nature et les déterminismes de la vie matérielle et vitale. À moins que n’intervienne à temps un élément supérieur, une volonté consciente qui ne permettra pas à la nature de suivre ses procédés fantaisistes, en y substituant une discipline logique et clairvoyante. Cette volonté consciente est ce que nous appelons une méthode rationnelle d’éducation.

C’est pourquoi il est d’une importance capitale de commencer l’éducation vitale de l’enfant le plus tôt possible, en fait, dès qu’il est capable de se servir de ses sens; ainsi beaucoup de mauvaises habitudes seront évitées et beaucoup d’influences funestes seront annulées.

Cette éducation vitale a deux aspects principaux, très différents dans leur but et leurs procédés, mais tous deux également importants. Le premier concerne le développement et l’emploi des organes des sens, le second, la prise de conscience et la maîtrise progressive du caractère pour aboutir finalement à sa transformation.

L’éducation des sens a elle-même plusieurs aspects s’ajoutant l’un à l’autre à mesure que l’être croît, et, à vrai dire, elle ne devrait jamais cesser. Les organes des sens, par une culture appropriée, peuvent atteindre à une précision et à une puissance de fonctionnement dépassant de beaucoup ce que d’ordinaire on attend d’eux.

Certaines initiations antiques affirmaient que le nombre des sens que l’homme peut développer est non de cinq mais de sept, et dans certains cas spéciaux, même de douze. À certaines époques, certaines races humaines ont, par nécessité, développé L’éducation vitale 25 plus ou moins parfaitement l’un ou l’autre de ces sens supplémentaires. Par une discipline appropriée et tenace, ils sont à la portée de tous ceux qui sont sincèrement intéressés par ce développement et ses conséquences. Parmi les facultés dont il est souvent parlé, il y a celle, par exemple, d’élargir sa conscience physique, de la projeter hors de soi, pour la concentrer sur un point défini, et obtenir ainsi la vision, l’audition, l’odorat, le goût et même le contact à distance.

À cette éducation générale des sens et de leur fonctionnement s’ajoutera, le plus tôt possible, la culture du discernement et du sens esthétique, la capacité de choisir et d’adopter ce qui est beau et harmonieux, simple, sain et pur; car il y a une santé psychologique comme il y a une santé physique; il y a une beauté et une harmonie des sensations, comme il y a une beauté des corps et de leurs mouvements. Dans l’éducation, à mesure que la capacité de comprendre croîtra chez l’enfant, il faudra lui apprendre à ajouter le goût artistique et le raffinement à la puissance et à la précision. Il faudra lui montrer, lui faire apprécier, lui apprendre à aimer les choses belles, hautes, saines et nobles, que ce soit dans la nature ou dans la production humaine. Ce devra être une véritable culture esthétique qui le protégera contre les influences dégradantes. Car, à la suite des dernières guerres et de l’affreuse tension nerveuse qu’elles ont suscitée, comme un signe, peut-être, de dégénérescence de la civilisation et de décomposition sociale, une croissante vulgarité semble s’être emparée de la vie humaine, collective et individuelle, tout particulièrement sur le plan de ce qui fut la vie esthétique et sensorielle des hommes. Une culture méthodique et éclairée des sens peut éliminer peu à peu de l’enfant ce qui, par contagion, est vulgaire, banal et grossier; et cette culture aura de très heureuses répercussions sur son caractère lui-même. Car celui qui atteint à un vrai raffinement du goût se sentira empêché, par ce raffinement même, d’agir d’une façon grossière, brutale ou vulgaire. Le raffinement, s’il est sincère, apporte à l’être une noblesse et une générosité qui se traduiront spontanément dans sa façon d’agir et le mettront à l’abri de beaucoup de bassesses et de perversions.

Et ceci nous mène tout naturellement au second aspect de l’éducation vitale, celui qui concerne le caractère et sa transformation.

Généralement, toutes les disciplines s’occupant de l’être vital, de sa purification et de sa maîtrise, procèdent par coercition, suppression, abstinence, ascétisme. Certes le procédé est plus facile et plus rapide, quoique moins profondément durable et efficace que celui d’une éducation rigoureuse et détaillée. De plus, il supprime toute possibilité d’intervention, d’aide et de collaboration du vital. Pourtant cette aide est des plus importantes si l’on veut que la croissance de l’individu et son action soient totales.

Devenir conscient des divers mouvements en soi, se rendre compte de ce que l’on fait et de pourquoi on le fait, est un point de départ indispensable. Il faut apprendre à l’enfant à observer, à noter ses réactions, ses impulsions et leurs causes, à devenir le témoin perspicace de ses désirs, des mouvements de violence et d’emportement, des instincts de possession, d’accaparement et de domination et de l’arrière-fond de vanité sur lequel ils s’appuient avec leur contrepartie de faiblesse, de découragement, de dépression et de désespoir.

De toute évidence, pour que le procédé soit utile, en même temps que croîtra le pouvoir d’observation, doit croître aussi la volonté de progrès et de perfectionnement. Cette volonté sera inculquée à l’enfant dès qu’il sera capable d’avoir une volonté, c’est-à-dire beaucoup plus jeune qu’on ne le croit d’ordinaire.

Pour éveiller cette volonté de surmonter et de vaincre, il y a des modes différents qui s’adapteront aux cas différents. Sur certains individus les arguments raisonnables ont de l’effet; pour d’autres il faut faire agir les sentiments et la bonne volonté, chez d’autres encore la dignité et le respect de soi; L’éducation vitale pour tous, l’exemple donné constamment et sincèrement est le moyen le plus puissant.

Une fois que la résolution est bien établie, il n’y a plus qu’à procéder avec rigueur et persistance, et ne jamais accepter les défaites comme définitives. Pour éviter tout fléchissement et tout recul, il est un point très important à connaître, et que l’on ne doit jamais oublier : la volonté peut être cultivée et développée comme on développe les muscles, par l’exercice méthodique et progressif. Il ne faut pas craindre de demander à sa volonté son effort maximum, même pour une chose qui paraît sans importance, car c’est par l’effort que sa capacité croît et qu’elle acquiert peu à peu le pouvoir de s’appliquer même aux choses les plus difficiles. Ce que vous avez décidé de faire, il faut le faire, coûte que coûte, même si pour cela, il faut recommencer votre effort un grand nombre de fois. Votre volonté se fortifiera par l’effort et il ne vous restera plus qu’à choisir avec discernement le but auquel vous l’appliquerez.

Nous résumerons ainsi : acquérir la complète connaissance de son caractère, puis le contrôle de ses mouvements pour aboutir à une parfaite maîtrise et à la transformation des éléments qui doivent être transformés.

Maintenant tout va dépendre de l’idéal pour l’accomplissement duquel sera fait l’effort de maîtrise et de transformation. De la valeur de l’idéal, dépendra la valeur de l’effort et de son résultat. C’est le sujet qui sera traité dans l’éducation mentale.

Bulletin, août 1951

L’éducation mentale

De toutes les éducations, l’éducation mentale est la plus connue et la plus pratiquée; pourtant, à part quelques cas d’exception, elle contient des lacunes qui font d’elle quelque chose de très incomplet et, en définitive, de très insuffisant.

D’une façon générale, l’instruction est considérée comme l’éducation mentale nécessaire. Et quand on a soumis un enfant, pendant des années, à un dressage méthodique qui ressemble plus à un bourrage de crâne qu’à une véritable instruction, on s’imagine avoir fait le nécessaire pour son développement mental. Mais il n’en est rien. Même en admettant que le dressage soit fait avec mesure et discernement, et qu’il ne détériore pas pour toujours le cerveau, il n’est pas capable de donner au mental humain les facultés requises pour être un bon et utile instrument. L’instruction telle qu’elle est donnée usuellement peut, tout au plus, servir comme une gymnastique pour augmenter la souplesse du cerveau. Et à ce point de vue, chaque branche du savoir humain représente un genre spécial de gymnastique mentale, comme chaque formule verbale donnée à chacune de ces ramifications constitue un langage spécial et défini.

La vraie éducation mentale, celle qui préparera l’homme pour une vie supérieure, a cinq phases principales. Normalement ces phases se succèdent, mais chez les individus exceptionnels elles peuvent alterner ou même être concomitantes. Brièvement ces cinq phases sont :

(1)—développement du pouvoir de concentration, de la capacité d’attention;

(2)—développement des capacités d’expansion, d’élargissement, de complexité, de richesse;

(3)—organisation des idées autour d’une idée centrale, idéal supérieur ou idée souverainement lumineuse qui servira de guide à la vie;

(4)—contrôle des pensées, rejet des pensées indésirables, pour arriver à ne penser que ce que l’on veut et quand on le veut;

(5)—développement du silence mental, du calme parfait et d’une réceptivité de plus en plus totale aux inspirations venant des régions supérieures de l’être.

Il n’est pas possible de donner ici tous les détails concernant les méthodes à employer pour appliquer aux différents individus ces cinq phases d’éducation. Pourtant quelques explications de détail peuvent être fournies.

Incontestablement, ce qui empêche le plus le progrès mental chez les enfants est la constante dispersion de la pensée. Leur pensée flotte de-ci de-là comme un papillon et pour la fixer il leur faut un très grand effort. Pourtant la capacité est latente en eux, car lorsque vous réussissez à les intéresser, ils sont capables d’une bonne somme d’attention. C’est donc l’ingéniosité de l’éducateur qui, peu à peu, rendra l’enfant capable d’un effort d’attention soutenu et d’une faculté d’absorption de plus en plus totale dans le travail au moment où il est fait. Pour développer cette faculté d’attention, tous les moyens sont bons et peuvent être employés selon le besoin et les circonstances, depuis les jeux jusqu’aux récompenses. Mais l’action psychologique est la plus importante, et le moyen suprême est de susciter chez l’enfant l’intérêt pour ce que l’on veut lui enseigner, le goût pour le travail, la volonté de progrès. Aimer à apprendre est le don le plus précieux que l’on puisse faire à un enfant; aimer à apprendre toujours et en tous lieux ; que toutes les circonstances, tous les événements de la vie soient des occasions, constamment renouvelées, d’apprendre encore et toujours plus.

Pour cela, à l’attention et à la concentration doivent s’ajouter l’observation, l’exactitude de la notation et la fidélité du souvenir. Cette faculté d’observation peut être développée par des exercices variés et spontanés, en profitant de toutes les occasions offertes pour maintenir la pensée de l’enfant dans un état d’éveil, alerte et prompt. Il faut insister beaucoup plus sur la croissance de la compréhension que sur celle de la mémoire. On ne sait bien que ce que l’on a compris. Les choses apprises par cœur, mécaniquement, s’estompent peu à peu et finissent par s’effacer. Ce que l’on comprend, on ne l’oublie jamais. De plus, il ne faut en aucun cas refuser d’expliquer à un enfant le comment et le pourquoi des choses. Si l’on ne peut le faire soimême, il faut adresser l’enfant aux gens qualifiés pour répondre, ou lui indiquer les livres qui traitent de la question. C’est ainsi que l’on éveillera progressivement chez l’enfant le goût de l’étude vraie et l’habitude de l’effort fait avec persistance pour savoir.

Ceci mènera tout naturellement à la seconde phase du développement, celle où le mental doit s’élargir et s’enrichir.

Progressivement, on montrera à l’enfant que tout peut devenir un sujet d’étude intéressant, pourvu que l’on aborde la question de la bonne manière. La vie de chaque jour, de chaque moment, est la meilleure des écoles, variée, complexe, riche en expériences imprévues, en problèmes à résoudre, en exemples frappants et clairs, en conséquences évidentes. Il est si facile d’éveiller une bonne curiosité chez les petits si l’on répond avec intelligence et clarté aux nombreuses questions qu’ils posent. Avec une réponse intéressante, on en suscite facilement d’autres, et ainsi l’enfant attentif apprend sans effort beaucoup mieux qu’il ne le fait généralement sur les bancs de l’école. Par un choix clairvoyant et soigneux, on doit lui donner aussi le goût de la bonne lecture, celle qui est instructive en même temps qu’attractive. Ne pas craindre ce qui éveille et contente l’imagination; c’est par l’imagination que l’on développe la faculté mentale créatrice, c’est par elle que les études deviennent vivantes et que le mental se développe dans la joie.

Pour augmenter sa souplesse et sa « compréhensivité », il faut non seulement veiller au grand nombre et à la variété des L’éducation mentale matières d’étude, mais surtout à la diversité d’approche du même sujet, afin de faire comprendre d’une façon pratique à l’enfant qu’il y a beaucoup de manières de faire face au même problème intellectuel, de le considérer et de le résoudre. Ceci enlèvera toute rigidité à son cerveau et en même temps enrichira sa pensée, l’assouplira et la préparera à une synthèse plus complexe et plus compréhensive. De la sorte aussi on lui inculquera le sens de l’extrême relativité du savoir mental et peu à peu on éveillera en lui l’aspiration à une source plus vraie de connaissance.

En effet, avec le progrès dans les études et la croissance en âge, le mental de l’enfant mûrit et devient de plus en plus capable d’idées générales; avec elles, vient presque toujours un besoin de certitude, d’une connaissance assez stable pour que l’on puisse en faire la base d’une construction mentale, ce qui permettra d’organiser et de mettre en ordre toutes les notions dispersées et diverses, souvent contradictoires, qui se sont accumulées dans le cerveau. Ce classement est, en vérité, très nécessaire si l’on veut éviter le chaos de ses pensées. Toutes les contradictions peuvent être transformées en complémentaires, mais pour cela il faut découvrir l’idée plus haute qui aura le pouvoir de les unir harmonieusement. Il est toujours bon de considérer tout problème à tous les points de vue possibles afin de n’être ni partial ni exclusif, mais si l’on veut que la pensée soit active et créatrice il faut que dans chaque cas elle soit la synthèse naturelle et logique de tous les points de vue adoptés. Et si l’on veut faire de l’ensemble de ses pensées une force dynamique et constructrice, il faut prendre grand soin dans le choix de l’idée centrale de sa synthèse mentale; car d’elle dépendra la valeur de cette synthèse; plus l’idée centrale est haute et vaste, plus elle est universelle et s’élève au-dessus de l’espace et du temps, plus grand et complexe sera le nombre des idées, des notions, des pensées qu’elle sera capable d’organiser et d’harmoniser.

Il va de soi que ce travail d’organisation ne peut pas être fait une fois pour toutes. Le mental, pour garder sa vigueur et sa jeunesse, doit constamment progresser, réviser ses notions à la lumière de connaissances nouvelles, élargir ses cadres pour adopter des notions nouvelles et constamment reclasser et réorganiser ses pensées pour que chacune d’elles soit à sa vraie place par rapport aux autres, afin que le tout reste harmonieux et ordonné.

Tout ce qui vient d’être dit concerne le mental spéculatif, celui qui apprend. Mais apprendre est seulement un aspect de l’activité mentale; l’autre, qui est au moins aussi important, est la faculté constructrice, la capacité de former et ainsi de préparer l’action. Cette très importante partie de l’activité mentale est rarement l’objet d’une étude et d’une discipline spéciales. Seulement ceux qui veulent pour une raison quelconque exercer un strict contrôle sur leurs activités mentales, songent à observer et à discipliner leur faculté formatrice; aussi dès qu’ils s’y essayent, ils ont à faire face à des difficultés si grandes qu’elles paraissent presque insurmontables.

Pourtant le contrôle de cette activité mentale formatrice est l’un des aspects les plus importants de l’éducation de soi, et on peut dire qu’aucune maîtrise du mental n’est possible sans elle. Du côté de l’étude, toutes les idées sont acceptables et doivent être admises à faire partie d’une synthèse qui a pour fonction de devenir de plus en plus riche et complexe; mais du côté de l’action c’est tout l’opposé. Les idées admises à s’exprimer en action doivent être strictement contrôlées et celles-là seules qui sont en accord avec la tendance générale de l’idée centrale formant la base de la synthèse mentale, doivent être autorisées à se traduire en action. Cela signifie que toute pensée qui pénètre la conscience mentale doit être mise en présence de l’idée centrale; si elle trouve une place logique parmi les pensées déjà groupées, elle sera admise à faire partie de la synthèse; sinon elle sera rejetée afin qu’elle ne puisse avoir aucune influence L’éducation mentale sur l’action. Ce travail de purification mentale doit être fait très régulièrement afin d’obtenir un contrôle complet sur ses actions.

Pour cela il est bon de garder tous les jours un peu de temps libre et tranquille pendant lequel on fera la revue de ses pensées et on mettra de l’ordre dans sa synthèse. Une fois l’habitude prise, même pendant l’action, le travail, on garde le contrôle sur ses pensées et l’on ne laisse venir à la surface que celles qui sont utiles pour ce que l’on fait. Surtout si l’on a continué à cultiver le pouvoir de concentration et d’attention, on peut ne laisser passer dans la conscience extérieure active que les pensées requises, qui deviennent alors beaucoup plus dynamiques et efficaces. Et si, dans l’intensité de la concentration, il devient nécessaire de ne plus penser du tout, on peut calmer toute vibration mentale et obtenir un silence presque total. C’est dans ce silence que peu à peu on s’ouvre à des régions supérieures du mental et que l’on apprend à enregistrer les inspirations qui viennent de là.

Mais même avant d’en arriver là, le silence en lui-même est une chose souverainement utile, car chez la plupart des gens qui ont un mental un peu développé et actif, leur mental ne se repose jamais; dans la journée son activité est soumise à un certain contrôle, mais la nuit, pendant le sommeil du corps, le contrôle de l’état de veille étant à peu près totalement aboli, le mental se livre à des activités parfois excessives et souvent incohérentes. Cela produit une grande tension qui aboutit à la fatigue et à la diminution des facultés intellectuelles. Le fait est que, de même que le reste de l’être humain, le mental a besoin de repos, et ce repos il ne l’a pas à moins que nous ne sachions comment le lui donner. L’art de reposer son mental est une chose à acquérir. Changer d’activité mentale est certainement un moyen de se reposer, mais le plus grand repos possible est le silence. Et en ce qui concerne les facultés mentales, quelques minutes passées dans le calme du silence sont un repos plus efficace que des heures de sommeil.

Lorsqu’on aura appris à taire son mental à volonté et à le concentrer dans un silence réceptif, alors il n’est plus de problème que l’on ne puisse résoudre, plus de difficulté mentale à laquelle on ne puisse trouver une solution. Dans l’agitation, la pensée est confuse et impotente; dans une tranquillité attentive, la lumière peut se manifester, ouvrant des horizons nouveaux aux capacités humaines.

Bulletin, novembre 1951

L’éducation psychique et l’éducation spirituelle

Jusqu’à présent il n’a été question que de l’éducation qui peut être donnée à tout enfant naissant sur terre, et qui ne s’occupe que des facultés purement humaines. Mais il n’est pas inévitable de s’en tenir là. Tout être humain porte, cachée au-dedans de lui, la possibilité d’une conscience supérieure qui dépasse les cadres de sa vie actuelle et le fait participer à une vie plus haute et plus vaste. En fait, chez tout être d’élite, c’est cette conscience qui gouverne sa vie et organise à la fois les circonstances de son existence et sa réaction individuelle à ces circonstances. Ce que la conscience mentale de l’homme ne sait pas et ne peut pas, cette conscience-là le sait et le fait. Elle est comme une lumière qui brille au centre de l’être et rayonne à travers les couches épaisses de la conscience extérieure. Certains ont une vague prescience de sa présence; un grand nombre d’enfants sont soumis à son influence qui parfois se fait sentir très distinctement dans leurs actions spontanées et même dans leurs paroles. Malheureusement, comme le plus souvent les parents ne savent pas ce que c’est et ne comprennent pas ce qui se passe dans leur enfant, leur réaction à l’égard de ces phénomènes n’est pas bonne, et toute leur éducation consiste à rendre l’enfant aussi inconscient que possible dans ce domaine pour concentrer toute son attention sur les choses extérieures, lui donnant ainsi l’habitude de les considérer comme les seules importantes. Il est vrai que cette concentration sur les choses extérieures est très utile, pourvu qu’elle soit faite de la bonne manière. Les trois éducations, physique, vitale et mentale s’occupent de cela, et on pourrait les définir comme le moyen de construire la personnalité, de faire surgir l’individu de la masse amorphe et subconsciente pour en faire une entité bien définie et consciente d’elle-même. Avec l’éducation psychique, nous abordons le problème du vrai mobile de l’existence, de la raison d’être de la vie sur terre, de la découverte à laquelle cette vie doit mener et du résultat de cette découverte : la consécration de l’individu à son principe éternel. D’une façon assez générale on associe cette découverte à un sentiment mystique et à une vie religieuse, parce que ce sont surtout les religions qui se sont occupées de cet aspect de la vie. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi ; et si l’on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique de Vérité, la découverte restera essentiellement la même, mais la route pour y arriver pourra être parcourue par le positiviste le plus intransigeant. Car, pour se préparer à une vie psychique, les notions et idées mentales n’ont qu’une importance très secondaire. La chose importante, c’est l’expérience vécue; elle porte sa réalité et sa force en elle-même, indépendante de toute théorie qui peut la précéder, l’accompagner ou la suivre. Car le plus souvent les théories ne sont que des explications que l’on se donne à soi-même pour avoir plus ou moins l’illusion de la connaissance. Suivant le milieu dans lequel il est né et l’éducation qu’il a reçue, l’homme revêt de noms différents l’idéal ou l’absolu qu’il s’efforce d’atteindre. L’expérience, si elle est sincère, est essentiellement la même; ce sont seulement les mots et les phrases dans lesquels elle se formule qui diffèrent suivant la conviction et l’éducation mentale de celui qui a l’expérience. Toute formulation n’est donc qu’une approximation qui doit progresser et se préciser à mesure que l’expérience devient de plus en plus précise et coordonnée. Cependant, pour tracer les grandes lignes de l’éducation psychique, il faut donner une idée, si relative soit-elle, de ce que l’on veut dire par être psychique. On pourrait dire, par exemple, que la création d’un être individuel provient de la projection, dans l’espace et le temps, d’un des innombrables possibles latents dans l’origine suprême de toute manifestation qui, par l’intermédiaire de la conscience unique et universelle, se concrétise en la loi ou la L’éducation psychique et l’éducation spirituelle vérité d’un individu et devient ainsi, par un développement progressif, son âme ou être psychique.

J’insiste sur le fait que ce qui est dit ici brièvement n’a pas la prétention d’être un exposé complet de la réalité et n’épuise pas le sujet, il s’en faut même de beaucoup. C’est seulement une explication très succincte donnée dans un but pratique, afin qu’elle serve de base à l’éducation dont nous voulons nous occuper.

C’est par l’intermédiaire de cette présence psychique que la vérité d’un être individuel entre en contact avec lui et les circonstances de son existence. Dans la plupart des cas, cette présence agit de derrière un voile, pour ainsi dire, méconnue et ignorée; mais pour certains elle est perceptible et son action est reconnaissable; chez quelques-uns même, un très petit nombre, la présence devient tangible et son action tout à fait effective. Ceux-là avancent dans la vie avec une assurance et une certitude particulières, ils sont les maîtres de leur destinée. C’est dans le but d’obtenir cette maîtrise et de devenir conscient de la présence psychique que l’éducation psychique doit être pratiquée. Mais pour cela un facteur spécial est requis, c’est la volonté personnelle. Car, jusqu’à présent, la découverte de l’être psychique et l’identification avec lui ne font pas partie des sujets d’éducation reconnus, et quoique dans des ouvrages spéciaux on puisse trouver des indications utiles pour la pratique et que dans des cas exceptionnels on puisse avoir la bonne fortune de rencontrer quelqu’un qui est capable de montrer le chemin et d’aider à le parcourir, le plus souvent la tentative est laissée à l’initiative privée; la découverte est une affaire personnelle et une grande détermination, une forte volonté et une persévérance inlassable sont indispensables pour atteindre le but. Chacun doit, pour ainsi dire, tracer sa propre route à travers ses propres difficultés. Le but est en quelque sorte connu, car la plupart de ceux qui l’ont atteint, l’ont décrit plus ou moins clairement. Mais la plus grande valeur de la découverte vient de sa spontanéité,

de son ingénuité et elle échappe aux lois mentales ordinaires. C’est pourquoi, le plus souvent, celui qui veut s’engager dans cette aventure va d’abord à la recherche de quelqu’un qui l’a entreprise avec succès et qui pourra le soutenir et l’éclairer sur la route. Pourtant il est des voyageurs solitaires et pour eux quelques indications générales peuvent être utiles.

Le point de départ est la recherche en soi de ce qui est indépendant du corps et des circonstances de la vie, de ce qui ne provient pas de la formation mentale que l’on a reçue, de la langue que l’on parle, des habitudes et des coutumes du milieu dans lequel on vit, du pays où l’on est né ou de l’époque à laquelle on appartient. Il faut trouver, dans les profondeurs de son être, ce qui porte en soi un sens d’universalité, d’expansion sans limites, de durée sans interruption. Alors on se décentralise, on se répand, on s’élargit, on commence à vivre en toute chose et en tous les êtres; les barrières qui séparent les individus les uns des autres, tombent; on pense dans leurs pensées, on vibre dans leurs sensations, on sent dans leurs sentiments, on vit dans la vie du tout; ce qui paraissait inerte soudain s’anime, les pierres vibrent, les plantes sentent, veulent et souffrent, les animaux parlent un langage plus ou moins muet mais clair et expressif, tout s’anime d’une conscience merveilleuse qui n’a plus de temps ni de limites. Et ceci n’est qu’un aspect de la réalisation psychique. Il y en a d’autres, beaucoup d’autres. Tous contribuent à vous faire sortir des barrières de votre égoïsme et des murs de votre personnalité extérieure, de l’impuissance de vos réactions et de l’incapacité de votre volonté.

Mais, ainsi que je l’ai déjà dit, pour en arriver là le chemin est long et difficile, semé d’embûches et de problèmes à résoudre, qui exigent une détermination à toute épreuve. Cela ressemble à la marche de l’explorateur à travers la forêt vierge, en quête d’une terre inconnue, d’une grande découverte. L’être psychique aussi est une grande découverte, demandant, pour être faite, au moins autant d’intrépidité et d’endurance que la L’éducation psychique et l’éducation spirituelle 39 découverte de continents nouveaux. Pour celui qui est résolu à l’entreprendre, un nombre de simples conseils pourront être utiles. En voici quelques-uns :

Le premier point, et peut-être le plus important, est que le mental est incapable de juger des choses spirituelles. Tous ceux qui ont écrit sur le sujet l’ont dit; mais très peu nombreux sont ceux qui l’ont mis en pratique, et pourtant pour avancer sur le chemin il est absolument indispensable de s’abstenir de toute opinion et de toute réaction mentales.

Renonce à toute recherche personnelle de confort, de satisfaction, de jouissance ou de bonheur; sois seulement un feu brûlant pour le progrès et prends tout ce qui vient à toi comme une aide pour progresser et accomplis immédiatement le progrès requis.

Tâche de prendre plaisir à tout ce que tu fais, mais le plaisir ne doit jamais être le mobile de ton action.

Ne deviens jamais excité, nerveux ni agité. Reste parfaitement calme en face de toutes circonstances. Et pourtant sois toujours en éveil pour trouver le progrès qu’il te reste à faire et pour le faire sans perdre de temps.

Ne prends jamais les événements physiques pour ce qu’ils semblent être. Ils sont toujours des essais maladroits pour exprimer quelque chose d’autre qui est la vraie chose et échappe à notre compréhension superficielle.

Ne te plains jamais de la conduite de quelqu’un à moins que tu n’aies le pouvoir de changer dans sa nature ce qui le fait agir ainsi; et si tu as ce pouvoir, accomplis le changement au lieu de te plaindre.

Quoi que ce soit que tu fasses, n’oublie jamais le but que tu t’es proposé. Dans l’entreprise de cette grande découverte il n’y a pas de petites et de grandes choses; toutes sont également importantes et peuvent contribuer à son succès, ou bien le retarder. Ainsi, avant de manger, concentre-toi quelques secondes dans l’aspiration que cette nourriture que tu vas absorber, apporte à ton corps la substance nécessaire pour servir de base solide à ton effort vers la grande découverte, et lui confère l’énergie de la persistance et de la persévérance dans l’effort.

Avant de t’endormir, concentre-toi quelques secondes dans l’aspiration que le sommeil répare la fatigue de tes nerfs, apporte à ton cerveau le calme et la tranquillité, afin qu’après avoir dormi, tu puisses reprendre avec une ardeur renouvelée ta marche sur le chemin de la grande découverte.

Avant d’agir, concentre-toi dans la volonté que ton action aide et en tout cas n’entrave en rien ta marche en avant vers la grande découverte.

Quand tu parles, avant que les mots ne sortent de ta bouche, concentre-toi juste assez de temps pour contrôler tes paroles et ne laisser passer que celles qui sont absolument nécessaires, et seulement celles-là qui ne peuvent en rien nuire à ton progrès sur le chemin de la grande découverte.

En résumé, n’oublie jamais la raison et le but de ta vie. Laisse la volonté de la grande découverte planer constamment au-dessus de toi, de ce que tu fais et de ce que tu es, comme un immense oiseau de lumière dominant tous les mouvements de ton être.

Devant l’inlassable persistance de ton effort, une porte intérieure s’ouvrira soudain et tu surgiras dans une splendeur éblouissante qui t’apportera la certitude de l’immortalité, l’expérience concrète que tu as toujours vécu et que tu vivras toujours, que les formes extérieures seules sont périssables et que, par rapport à ce que tu es en réalité, ces formes sont semblables à des habits que l’on rejette quand ils sont usés. Alors tu te dresseras libre de toutes chaînes, et au lieu d’avancer péniblement sous le poids des circonstances que la nature t’imposait et que tu devais subir et porter si tu ne voulais pas être écrasé par elles, tu pourras marcher droit et ferme, conscient de ton destin, maître de ta vie.

Et pourtant ce détachement de tout esclavage à la chair, cette libération de tout attachement personnel, n’est pas l’accomplissement suprême. Il est d’autres pas à franchir avant d’atteindre au sommet; et ces pas eux-mêmes pourront et devront être suivis d’autres qui ouvriront les portes de l’avenir. Ce sont ces prochains pas qui vont faire l’objet de ce que j’appelle l’éducation spirituelle.

Mais avant d’aborder cette nouvelle étape et de traiter la question en détails, une explication devient nécessaire. Pourquoi une distinction est-elle faite entre l’éducation psychique, dont nous venons de parler, et l’éducation spirituelle dont nous allons nous occuper maintenant? Car les deux sont généralement confondues sous le terme global de discipline yoguique, quoique les buts auxquels elles tendent soient très différents, l’un étant une réalisation supérieure sur la terre, l’autre une fuite hors de toute manifestation terrestre et même hors de l’univers tout entier, un retour à ce qui n’est pas manifesté.

On peut donc dire que la vie psychique, c’est la vie immortelle, le temps sans fin, l’espace sans limite, le changement perpétuellement progressif, la continuité ininterrompue dans l’univers en formes. Tandis que la conscience spirituelle, c’est vivre l’infini et l’éternité, c’est être projeté hors de toute création, hors du temps et de l’espace. Pour devenir conscient de son être psychique et vivre une vie psychique, il faut abolir en soi tout égoïsme. Mais pour vivre vraiment la vie spirituelle, on ne doit plus avoir d’ego.

Ici encore, dans l’éducation spirituelle, le but que l’on se propose sera, dans la formulation mentale, revêtu de noms divers, suivant le milieu dans lequel on a été formé, le chemin que l’on a parcouru et les affinités de son tempérament. Ceux qui ont une tendance religieuse l’appelleront Dieu et leur effort spirituel consistera à vouloir s’identifier au Dieu transcendant, au-dessus de toute forme, par opposition au Dieu immanent qui habite en chaque forme. D’autres l’appelleront l’Absolu ou l’origine suprême, d’autres le Nirvâna, d’autres la seule Réalité, considérant le monde comme une illusion irréelle; d’autres l’unique Vérité, traitant toute manifestation de mensonge. En chacune de ces expressions, il y a un élément correct, mais toutes sont incomplètes, n’exprimant qu’un aspect de ce qui est. Pourtant là aussi, la formulation mentale n’a pas beaucoup d’importance, et une fois les étapes intermédiaires franchies, l’expérience est identique. Dans tous les cas, le don total de soi est le point de départ le plus efficace, la méthode la plus prompte. D’ailleurs il n’est pas de joie plus parfaite que celle du don total de soi à ce qui est au sommet de sa conception : pour certains ce sera la notion de Dieu, pour d’autres celle de la Perfection. Si ce don est fait avec persistance et ardeur, un moment vient où l’on dépasse le concept pour aboutir à une expérience qui échappe à toute description mais qui, presque toujours, est identique dans ses effets. À mesure aussi que le don de soi sera plus parfait et plus intégral, il s’accompagnera de l’aspiration à une identification, une fusion totale avec Ce à quoi on s’est donné, et peu à peu cette aspiration aura raison de toutes les différences, de toutes les résistances, surtout si à l’aspiration vient s’ajouter un amour intense et spontané, car alors rien ne peut plus s’opposer à son élan victorieux.

Il y a une différence essentielle entre cette identification et celle avec l’être psychique. Cette dernière peut être rendue de plus en plus durable et dans certains cas elle devient permanente et ne quitte plus jamais celui qui l’a réalisée, quelles que soient ses activités extérieures. C’est-à-dire qu’elle n’est plus seulement obtenue en méditation et en concentration, mais que ses effets se font sentir à tous les moments de l’existence, pendant le sommeil aussi bien que pendant la veille.

Tout au contraire, la libération de toute forme et l’identification avec ce qui est au-delà de la forme, ne peut pas durer d’une façon absolue, car elle amènerait automatiquement la dissolution de la forme matérielle. Certaines traditions disent L’éducation psychique et l’éducation spirituelle 43 que cette dissolution se produit inévitablement dans les vingt jours qui suivent l’identification totale. Pourtant il n’en est pas nécessairement ainsi, et même quand l’expérience n’est que momentanée, elle produit dans la conscience des résultats qui ne s’effacent point et ont des répercussions sur tous les états intérieurs et extérieurs de l’être. De plus, une fois que l’identification a été obtenue, elle est renouvelable à volonté, pourvu qu’on sache se remettre dans des conditions identiques.

Cette immersion dans le sans-forme est la suprême libération recherchée par ceux qui veulent échapper à une existence qui n’a plus d’attrait pour eux. Qu’ils ne soient pas satisfaits du monde dans sa forme actuelle n’a rien de surprenant. Mais une libération qui laisse le monde tel qu’il est et qui n’affecte en rien les conditions de la vie dont souffrent les autres, ne peut contenter ceux qui se refusent à jouir d’un bienfait dont ils sont les seuls détenteurs, ou presque, et qui rêvent d’un monde plus digne des splendeurs qui se cachent derrière son apparent désordre et ses misères généralisées. Ils rêvent de faire profiter les autres des merveilles qu’ils ont découvertes dans leur exploration intérieure. Et le moyen de le faire est à leur portée maintenant qu’ils ont atteint le sommet de l’ascension.

De par-delà les frontières de la forme, une force nouvelle peut être évoquée, une puissance de conscience qui ne s’est pas encore exprimée et qui, par son apparition, pourra changer le cours des choses et faire naître un monde nouveau. Car la vraie solution au problème de la souffrance, de l’ignorance et de la mort, n’est pas une fuite individuelle hors des misères terrestres par l’annihilation dans le non-manifesté, ni une problématique fuite collective hors de la souffrance universelle, par un retour intégral et définitif de la création à son créateur, guérissant ainsi l’univers par son abolition, mais une transformation, une transfiguration totale de la matière, amenée par la continuation logique de la marche ascendante de la nature dans son progrès vers la perfection, la création d’un type nouveau qui sera à l’homme ce que l’homme est à l’animal et qui manifestera sur terre une force nouvelle, une conscience nouvelle, un pouvoir nouveau. Alors commencera ainsi une nouvelle éducation qui peut être appelée l’éducation supramentale et qui, par son action toute-puissante, agira non seulement sur la conscience des êtres individuels, mais sur la substance dont ils sont façonnés et sur le milieu dans lequel ils vivent.

À l’encontre des éducations dont nous avons parlé précédemment, qui progressent de bas en haut par un mouvement ascendant des diverses parties de l’être, l’éducation supramentale progressera de haut en bas dans une influence se propageant d’états d’être en états d’être pour atteindre finalement le physique. La transformation de ce dernier ne prendra place de façon visible que lorsque les états d’être intérieurs seront déjà considérablement transformés. Il est donc tout à fait déraisonnable de vouloir se rendre compte de la présence supramentale par les apparences physiques. Car celles-ci seront les dernières à être changées et la force supramentale peut être à l’œuvre dans un individu longtemps avant que quelque chose ne devienne perceptible dans sa vie corporelle.

Pour résumer, on peut dire que l’éducation supramentale aura pour effet, non plus une formation progressive de la nature humaine et un croissant développement de ses facultés latentes, mais une transformation de la nature elle-même, une transfiguration de l’être dans sa totalité, une ascension nouvelle de l’espèce au-delà et au-dessus de l’homme vers le surhomme, pour aboutir à l’apparition d’une race divine sur la terre.

Bulletin, février 1952

Un centre universitaire international

Un centre universitaire international-I

Les conditions dans lesquelles les hommes vivent sur terre sont le résultat de leur état de conscience. Vouloir changer les conditions sans changer la conscience est une vaine chimère. Dans les différents domaines de la vie humaine économique, politique, sociale, financière, éducative et sanitaire, ceux qui ont eu la perception de ce qui pouvait et devait être fait pour améliorer la situation sont des individus qui, dans une mesure plus ou moins grande, ont développé leur conscience d’une façon exceptionnelle et se sont mis en rapport avec des plans supérieurs de connaissance. Mais leurs idées sont restées plus ou moins théoriques, ou si une tentative a été faite pour les réaliser pratiquement, elle a toujours échoué lamentablement dans un délai plus ou moins long, parce qu’aucune des organisations humaines ne peut changer radicalement à moins que la conscience humaine elle-même ne change. Les prophètes d’une humanité nouvelle se sont succédés, des religions spirituelles ou sociales ont été créées; leurs débuts ont parfois été pleins de promesses, mais comme l’humanité n’a pas été foncièrement transformée, les vieilles erreurs dues à la nature humaine elle-même ont peu à peu fait leur réapparition et au bout d’un certain temps on s’est retrouvé à peu de chose près à l’endroit même d’où on était parti avec tant d’espoirs et d’enthousiasmes. Dans l’effort pour l’amélioration des conditions humaines, il y a eu aussi toujours deux tendances opposées en apparence, mais qui devraient se compléter pour que le progrès puisse être accompli. L’une préconise une réorganisation collective, quelque chose qui puisse mener à l’unité effective de l’humanité. L’autre affirme que tout progrès est accompli par l’individu d’abord et insiste pour que les conditions dans lesquelles l’individu pourra progresser librement lui soient données. Les deux sont également vraies et nécessaires; et l’effort doit porter sur les deux à la fois. Car il y a une interdépendance du progrès collectif et du progrès individuel. Pour que l’individu puisse faire un bond en avant, il est nécessaire que quelque chose au moins du progrès précédent soit réalisé dans la collectivité. Il faut donc trouver un moyen pour que les deux progrès s’accomplissent de front.

C’est en réponse à ce pressant besoin que Sri Aurobindo a conçu le plan de son université internationale afin que soit préparée l’élite humaine qui sera capable de travailler à l’unification progressive de l’humanité et en même temps sera prête à incarner la force nouvelle qui descend pour transformer la terre. Quelques idées générales serviront de base à l’organisation de ce centre universitaire et présideront au programme des études. La plupart sont déjà exposées dans les divers écrits de Sri Aurobindo et dans la série d’articles sur l’éducation dans ce Bulletin.

La plus importante est que l’unité de la race humaine ne peut être accomplie ni par uniformité, ni par domination et sujétion. Seule l’organisation synthétique de toutes les nations, chacune occupant sa vraie place suivant son génie propre et le rôle qu’elle doit jouer dans l’ensemble, est capable de produire une unification compréhensive et progressive qui aura quelque chance de durer. Et pour que la synthèse soit vivante, le groupement doit se faire autour d’une idée centrale aussi large et haute que possible, dans laquelle toutes les tendances, même les plus contradictoires, peuvent trouver leur place respective. Cette idée plus haute est de fournir aux hommes les conditions de vie nécessaires pour qu’ils puissent se préparer à manifester la force nouvelle qui créera la race de demain.

Toute impulsion de rivalité, toute lutte pour la préséance et la domination doivent disparaître pour faire place à une volonté d’organisation harmonieuse et de collaboration clairvoyante et efficace.

Un centre universitaire international Pour que cela soit possible, il faut que dès leur jeune âge les enfants soient habitués non seulement à l’idée elle-même mais à sa mise en pratique. C’est pourquoi le centre universitaire international sera international, non parce que des élèves de tous les pays y seront admis, non pas même parce que l’enseignement leur sera donné dans leur propre langue, mais surtout parce que les cultures des différentes parties du monde y seront représentées de façon accessible à tous, non seulement intellectuellement dans les idées, les théories, les principes et le langage, mais aussi vitalement dans les habitudes, les coutumes, l’art sous toutes ses formes : peinture, sculpture, musique, architecture, décoration, et physiquement par les paysages, les costumes, les jeux, les sports, les industries, la nourriture. Il faut organiser une sorte d’exposition universelle permanente où tous les pays seront représentés de façon concrète et vivante. L’idéal serait que chaque nation ayant une culture bien définie ait un pavillon représentatif de cette culture, construit sur le type le plus expressif des habitudes du pays, et dans lequel seront exposés les produits les plus représentatifs de ce pays, aussi bien les produits naturels que les manufacturés, jusqu’aux expressions les meilleures de son génie intellectuel et artistique et de ses tendances spirituelles. Chaque nation aurait ainsi un intérêt très pratique et concret dans cette synthèse culturelle et pourrait collaborer à l’œuvre en prenant la charge du pavillon qui la représenterait. On pourrait y adjoindre une maison d’habitation, plus ou moins grande suivant le besoin, pour y loger les étudiants de la même nationalité qui jouiront ainsi de la vraie culture de leur pays d’origine tout en recevant au centre universitaire l’éducation qui leur fera connaître toutes les autres cultures existant sur terre. Ainsi l’enseignement international ne sera pas uniquement théorique, sur les bancs de l’école, mais pratique dans tous les détails de l’existence.

Seule l’idée générale de cette organisation est donnée ici; la mise en œuvre dans tous les détails sera exposée peu à peu dans ce Bulletin au fur et à mesure de l’exécution.

Le premier but sera donc d’aider les individus à prendre conscience du génie profond de la nation à laquelle ils appartiennent, et en même temps de les mettre en contact avec les modalités de vie des autres nations, afin qu’ils apprennent à connaître et à respecter également l’esprit véritable de tous les pays de la terre. Car toute organisation mondiale pour être réelle et viable doit être basée sur ce respect et cette compréhension réciproques des nations les unes pour les autres, aussi bien que des individus les uns pour les autres. C’est seulement dans l’ordre, l’organisation collective et la collaboration basée sur la bonne volonté réciproque qu’il y a une possibilité de faire surgir l’homme hors du chaos douloureux où il se trouve. C’est dans ce but et cet esprit que tous les problèmes humains seront étudiés au centre universitaire; et leur solution sera donnée à la lumière de la connaissance supramentale telle que Sri Aurobindo l’a révélée dans ses écrits.

Bulletin, avril 1952


Un centre universitaire international-II

Au sujet des principes qui régiront l’éducation donnée dans le centre universitaire international de Sri Aurobindo, il a été mentionné que chaque nation doit occuper sa propre place et remplir son rôle dans le concert mondial.

Il ne faudrait pas comprendre par là que chaque nation peut décider de sa place arbitrairement, selon ses ambitions et ses convoitises propres. La mission d’un pays n’est pas une chose qui puisse être décidée mentalement avec toutes les préférences égoïstes et ignorantes de la conscience extérieure, parce que, dans ce cas la place du conflit entre nations serait peut-être déplacée, mais le conflit demeurerait avec une force probablement accrue.

De même que chaque individu a un être psychique qui est son vrai moi et gouverne plus ou moins ouvertement sa destinée, de même chaque nation a un être psychique qui est son être véritable et qui façonne sa destinée de par-derrière le voile; c’est l’âme du pays, le génie national, l’esprit de chaque peuple, le centre de l’aspiration nationale, la source de tout ce qui est beau, noble, grand et généreux dans la vie d’un pays. Les vrais patriotes sentent sa présence comme une réalité tangible. Dans l’Inde on en a fait une entité presque divine et tous ceux qui aiment vraiment leur pays l’appellent « Notre Mère l’Inde » (Bhârat Mâtâ) et lui adressent quotidiennement une prière pour le salut de la contrée. C’est elle qui symbolise et incarne le vrai idéal du pays, sa vraie mission dans le monde.

L’élite pensante de l’Inde l’identifie même à un des aspects de la Mère universelle, comme en témoigne cet Hymne à Durgâ, dont nous donnons ci-dessous la traduction de quelques extraits :

« Durgâ, notre Mère, toi qui chevauches le lion et donnes toute force — nous qui sommes nés des éléments de ta puissance, nous, la jeunesse de l’Inde, sommes assis ici dans ton temple; écoute, ô Mère, descends sur la terre, manifeste-toi sur cette terre de l’Inde.

« Durgâ, notre Mère, Mère Durgâ, toi qui donnes la force, l’amour et la connaissance, tu es terrible dans ton être de puissance, Mère merveilleuse et terrible. Dans la bataille de la vie, la bataille de l’Inde, nous sommes les guerriers par toi désignés; Mère, donne à notre cœur et à notre esprit la force d’un titan, l’énergie d’un titan, à notre âme et notre intelligence donne le caractère et la connaissance d’un dieu.

« Durgâ, notre Mère, l’Inde, la plus noble race du monde, est plongée dans l’obscurité; Mère, tu te lèves à l’horizon oriental, l’aurore arrive avec le rayonnement de tes membres divins dispersant l’obscurité. Répands la lumière, Mère, détruis l’obscurité.

« Durgâ, notre Mère, nous sommes tes enfants; par ta grâce, par ton influence, rends-nous dignes de la grande œuvre, du grand idéal. Mère, détruis notre petitesse, notre égoïsme, notre crainte.

« Durgâ, notre Mère, tu es Kâlî — l’épée à la main, tu frappes l’asura. Déesse, frappe de ton cri sans pitié les ennemis qui se cachent au-dedans de nous, pas un seul ne doit rester vivant, pas un seul. Que nous devenions purs et sans tache, ô Mère, manifeste-toi.

« Durgâ, notre Mère, l’Inde est plongée très bas dans l’égoïsme, la peur et la petitesse. Rends-nous grands, que nos efforts soient grands, que nos cœurs soient vastes, rends-nous fidèles à notre résolution. Que nous ne désirions plus ce qui est petit, vide d’énergie, adonné à la paresse, frappé de peur.

« Durgâ, notre Mère, répands largement le pouvoir du yoga. Nous sommes tes enfants aryens, développe de nouveau en nous l’enseignement perdu, le caractère, le pouvoir de l’intelligence, la foi et la dévotion, la force de l’austérité, la puissance de la chasteté et la vraie connaissance; répands tout cela sur le monde. Apparais pour aider l’humanité, ô Mère du monde. Anéantis le mal.

« Durgâ, notre Mère, frappe l’ennemi du dedans, puis déracine tous les obstacles du dehors. Que la race indienne noble, héroïque, puissante, suprême en amour, en unité, en vérité et en pouvoir, dans les arts et les lettres, la force et la connaissance, demeure toujours dans ses forêts sacrées, ses champs fertiles sous ses montagnes escaladant le ciel, le long des berges de ses rivières au courant clair. Telle est notre prière aux pieds de la Mère. Manifeste-toi.

« Durgâ, notre Mère, entre dans nos corps avec ta force yoguique. Nous deviendrons tes instruments, ton épée fauchant tout mal, ta lampe dispersant toute ignorance. Accomplis cette aspiration de tes jeunes enfants, ô Mère. Sois le maître et conduis tes instruments, brandis l’épée et frappe Un centre universitaire international le mal, lève la lampe et répands la lumière de la connaissance. Manifeste-toi 2. »

On aimerait voir dans tous les pays la même vénération pour l’âme de la nation, la même aspiration à devenir des instruments propres à la manifestation de son idéal le plus élevé, la même ardeur vers le progrès et le perfectionnement permettant à chaque peuple de s’identifier à son être psychique national et de trouver ainsi sa vraie nature et son vrai rôle; ce qui fait de chacun une entité vivante et immortelle en dépit de tous les accidents de l’histoire.

Bulletin, août 1952


Un centre universitaire international-III

Conseils aux nouveaux venus

Le centre universitaire international s’organise petit à petit. En attendant de pouvoir construire les nouveaux bâtiments qui l’abriteront définitivement et dont les plans sont déjà prêts, certains services, comme la bibliothèque, la salle de lecture et un nombre restreint de classes, sont installés dans de vieux locaux destinés à être démolis. Déjà futurs professeurs et futurs élèves commencent à arriver, quelques-uns du dehors, nouveaux au climat et aux habitudes du pays. Pour la première fois ils arrivent à l’Ashram et ne connaissent rien de sa vie, ni de ses habitudes. Certains viennent avec une aspiration mentale, soit pour servir, soit pour apprendre, les autres viennent dans l’espoir de faire le yoga, de trouver le Divin et de s’unir à lui; enfin il y a ceux qui veulent se consacrer entièrement à l’œuvre divine sur terre. Tous arrivent sous l’impulsion de leur être psychique qui veut les mener vers la réalisation de soi. Ils arrivent avec leur psychique en avant et dominant leur conscience; ils ont un contact psychique avec les choses et les gens. Tout leur semble beau et bon, leur santé s’améliore, leur conscience s’éclaire; ils se sentent heureux, paisibles, en sécurité; ils ont l’impression d’avoir atteint le maximum de leur possibilité de conscience. En fait, c’est la paix, la plénitude et la joie données par le contact avec le psychique qu’ils trouvent naturellement partout, en toute chose et en tout être. Cela les rend réceptifs à la vraie conscience qui pénètre tout ici, et qui accomplit toute chose. Tant que la réceptivité est là, la paix, la plénitude et la joie demeurent avec leurs résultats immédiats de progrès; leur physique est dispos et en bonne santé, leur vital est tranquille et de bonne volonté, leur mental est clair et compréhensif, et de façon générale ils ont un sentiment de satisfaction et de certitude. Mais il est difficile pour un être humain de garder le contact constant avec son psychique. Dès que le nouveau venu s’installe et que l’expérience perd de sa fraîcheur, la vieille personne remonte à la surface avec toutes ses habitudes, ses préférences, ses petites manies, ses incapacités et ses incompréhensions; la paix est remplacée par l’agitation, la joie émerveillée s’évanouit, la compréhension est oblitérée et la sensation que cet endroit-ci est le même que partout ailleurs s’insinue sournoisement parce que l’on est redevenu ce que l’on était partout ailleurs. Au lieu de percevoir seulement ce qui est accompli, on s’aperçoit de plus en plus et presque exclusivement de ce qui est encore à faire, on devient morose et mécontent et on s’en prend aux choses et aux gens, au lieu de s’en prendre à soi-même. On se plaint du manque de confort, du climat qui est intolérable, de la nourriture qui ne convient pas et qui rend les digestions douloureuses. Et s’appuyant sur l’enseignement donné par Sri Aurobindo que le corps est une base indispensable pour le yoga, qu’il ne faut pas le négliger et que, tout au Un centre universitaire international contraire, on doit en prendre grand soin, la conscience physique se concentre presque exclusivement sur lui et cherche les moyens de le satisfaire, ce qui est pratiquement impossible, car, à fort peu d’exceptions près, plus on lui donne, plus il exige. D’ailleurs l’être physique est ignorant et aveugle; il est plein de notions fausses, d’idées préconçues, de préjugés et de préférences. Ce n’est pas lui qui peut s’occuper efficacement du corps. Seule la conscience psychique a la connaissance et la clairvoyance voulues pour faire la vraie chose, de la vraie manière.

Quel est le remède à cet état de choses, me demanderezvous? Car nous tournons ici dans un cercle vicieux, puisque tout le mal vient de l’éloignement du psychique et que seul le psychique peut trouver la solution des problèmes. Il n’y a donc qu’un seul remède : soyez sur vos gardes, cramponnez-vous au psychique, ne laissez rien dans votre conscience s’infiltrer entre lui et vous, bouchez vos oreilles et votre entendement à toutes les autres suggestions et ne vous fiez qu’à lui seul.

Généralement ceux qui deviennent conscients de leur être psychique attendent de lui la libération des attractions et des activités vitales et physiques, ils cherchent à s’évader hors du monde pour vivre dans les joies de la contemplation du Divin, et dans la paix immuable du constant contact avec Lui. L’attitude de ceux qui veulent suivre le yoga intégral de Sri Aurobindo est toute différente. Quand ils ont découvert leur être psychique et se sont unis à lui, ils lui demandent de tourner son regard vers l’être physique pour agir sur lui avec la connaissance provenant du contact avec le Divin, et pour transformer le corps afin qu’il soit capable de recevoir et de manifester la conscience et l’harmonie divines.

Tel est ici le but de nos efforts; tel sera l’aboutissement des études dans le centre universitaire international.

Donc, à ceux qui viennent pour entrer au centre universitaire, je répéterai : n’oubliez jamais notre programme et la raison profonde de votre venue. Et si malgré tous vos efforts, parfois l’horizon s’assombrit, si l’espoir et la joie s’estompent, si l’enthousiasme fléchit, rappelez-vous que c’est le signe que vous vous êtes éloignés de votre être psychique et que vous avez perdu le contact avec son idéal. Cela vous évitera de commettre l’erreur de jeter le blâme sur les gens et les choses qui vous entourent et d’augmenter ainsi, fort inutilement, vos souffrances et vos difficultés.

Bulletin, novembre 1952

Les quatre austérités et les quatre libérations

Les quatre austérités et les quatre liberations-I

Pour suivre l’éducation intégrale qui mène à la réalisation supramentale, quatre austérités sont nécessaires et quatre libérations aussi.

Généralement on confond austérité avec mortification, et, quand on parle d’austérités, cela fait penser à la discipline de l’ascète qui, pour éviter la tâche ardue de la spiritualisation de la vie physique, vitale et mentale, la déclare intransformable et la rejette loin de lui, sans merci, comme un objet encombrant et inutile, un esclavage et une entrave à tout progrès spirituel ; en tout cas, comme quelque chose d’incorrigible, un poids qu’il faut porter plus ou moins allégrement jusqu’à ce que la nature, ou la Grâce divine vous en libère par la mort. Au mieux, la vie terrestre est un champ de progrès dont il faut profiter le mieux qu’on peut, afin d’atteindre le plus tôt possible le degré de perfection qui mettra fin à l’épreuve en la rendant inutile.

Pour nous le problème est tout différent. La vie terrestre n’est pas un passage, ni un moyen; elle doit devenir par la transformation, un but et une réalisation. Quand donc nous parlons d’austérités, ce n’est pas par mépris du corps, pour nous détacher de lui, mais par nécessité de contrôle et de maîtrise. Car il y a une austérité bien plus grande, plus complète et plus difficile que toutes les austérités ascétiques, c’est l’austérité nécessaire à la transformation intégrale, la quadruple austérité préparant l’individu pour la manifestation de la vérité supramentale. Par exemple, on peut dire qu’il y a peu d’austérités aussi sévères que celles exigées par la culture physique en vue du perfectionnement corporel. Mais nous reviendrons sur ce point en temps voulu.

Avant d’aborder la description des quatre genres d’austérités requises, il est nécessaire d’éclaircir une question qui est la source de bien des malentendus et des confusions dans l’esprit de la plupart des gens; c’est celle des pratiques ascétiques qu’ils méprennent pour des disciplines spirituelles. Ces pratiques, qui consistent à maltraiter le corps afin, disent-ils, d’en libérer l’esprit, sont, en fait, une déformation sensuelle de la discipline spirituelle; c’est une sorte de besoin pervers de la souffrance qui pousse l’ascète aux macérations. L’emploi de la planche à clous du « sâdhu » ou des verges et du cilice de l’anachorète chrétien, est l’effet d’un sadisme plus ou moins voilé, inavouable et inavoué; c’est la recherche maladive ou le besoin subconscient de sensations violentes. En vérité, ces choses sont fort loin de toute vie spirituelle; car elles sont laides et basses, sombres et malsaines; et la vie spirituelle, tout au contraire, est une vie de lumière, d’équilibre, de beauté et de joie. Elles sont inventées et préconisées par une sorte de cruauté mentale et vitale s’exerçant sur le corps. Mais la cruauté, même à l’égard de son propre corps, n’en est pas moins de la cruauté; et toute cruauté est le signe d’une grande inconscience. Les natures inconscientes ont besoin de sensations très fortes, car, sans cela, elles ne sentent rien; et la cruauté, qui est une des formes du sadisme, procure des sensations très fortes. La raison avouée de semblables pratiques est d’abolir toute sensation, afin que le corps ne fasse plus obstacle à l’élan vers l’esprit; on peut douter de l’efficacité d’un tel moyen. C’est un fait reconnu que pour progresser rapidement, il ne faut pas craindre les difficultés; au contraire, c’est en choisissant à chaque occasion de faire la chose difficile que l’on augmente sa volonté et que l’on fortifie ses nerfs. Or, il est beaucoup plus difficile de vivre avec mesure et équilibre, dans l’égalité d’âme et la sérénité, que de vouloir lutter contre les abus de la jouissance et leurs conséquences obscurcissantes, par les abus de l’ascétisme et de leurs conséquences dissolvantes. Il est beaucoup plus difficile d’obtenir de son être physique un Les quatre austérités et les quatre libérations développement harmonieux et progressif dans le calme et la simplicité, que de le maltraiter au point de le réduire à néant. Il est beaucoup plus difficile de mener une existence sobre et sans désir que de priver son corps de la nourriture et de la propreté indispensables en se glorifiant orgueilleusement de son abstinence. Il est beaucoup plus difficile d’éviter ou de surmonter et de vaincre la maladie par l’harmonie, la pureté et l’équilibre intérieurs et extérieurs, que de la mépriser, de l’ignorer et de la laisser libre de faire son œuvre de destruction. Et le plus difficile de tout est de toujours maintenir sa conscience au sommet de sa capacité, sans jamais permettre à son corps d’agir sous l’effet d’une impulsion inférieure.

C’est dans ce but que nous aurons recours aux quatre austérités qui auront pour résultat en nous quatre libérations. La pratique de ces austérités constituera quatre disciplines ou « tapasyâs », qui peuvent être définies comme suit :

1) — tapasyâ de l’amour

2) — tapasyâ de la connaissance

3) — tapasyâ du pouvoir

4) — tapasyâ de la beauté

Cet énoncé est, pour ainsi dire, fait de haut en bas; mais il ne faut pas prendre ces termes dans le sens de supérieur et d’inférieur, ni de plus ou moins difficile, ni dans l’ordre où ces disciplines peuvent et doivent être pratiquées. L’ordre, l’importance, la difficulté varient suivant les individus et nulle règle absolue ne peut être formulée. Chacun doit trouver et élaborer son propre système, d’après ses capacités et ses besoins personnels.

Il ne sera donc exprimé, ici, qu’une vue d’ensemble exposant un procédé idéal aussi complet que possible. Chacun aura ensuite à en appliquer ce qu’il pourra et de la meilleure façon qu’il le pourra.

La tapasyâ ou discipline de la beauté nous conduira par l’austérité de l’existence physique à la liberté dans l’action. Son programme de base sera la construction d’un corps beau dans ses formes, harmonieux dans ses postures, souple et agile dans ses mouvements, fort dans ses activités, résistant dans son fonctionnement organique et sa santé.

Pour obtenir ces résultats il sera bon, d’une façon générale, de se servir des habitudes comme aides dans l’organisation matérielle, car le corps fonctionne plus facilement dans le cadre d’une routine régulière. Mais il faut savoir ne pas devenir l’esclave de ses habitudes, quelque bonnes qu’elles puissent être; il faut garder la plus grande souplesse pour pouvoir en changer chaque fois que cela devient nécessaire.

On doit se construire des nerfs d’acier dans des muscles élastiques et puissants pour pouvoir tout endurer lorsque c’est indispensable. Mais en même temps, il faut prendre grand soin de ne demander à son corps que l’effort strictement nécessaire, la dépense d’énergie qui favorise le progrès et la croissance en interdisant catégoriquement tout ce qui produit la fatigue épuisante et finalement mène à la déchéance et à la décomposition matérielles.

La culture physique en vue de construire un corps capable de servir d’instrument approprié à une conscience supérieure exige des habitudes très austères. Une grande régularité dans le sommeil, l’alimentation, l’exercice et toutes les activités. Par une étude scrupuleuse des besoins particuliers de son corps, car ils varient suivant les individus, un programme général sera établi; et une fois ce programme bien établi, il faut s’y tenir rigoureusement, sans fantaisies et sans relâchement : pas de ces petits accrocs à la règle que l’on ne se permet « qu’une fois », mais qui se répètent très souvent, car dès que l’on cède à la tentation, ne serait-ce « qu’une fois », on amoindrit la résistance de la volonté et on ouvre la porte à toutes les défaites. Il faut donc s’interdire toute faiblesse : plus de sorties nocturnes dont on revient éreinté, plus de festins et de bombances qui dérangent le fonctionnement normal de l’estomac, plus de distractions, Les quatre austérités et les quatre libérations 59 d’amusements et de jouissances qui gaspillent l’énergie et vous laissent sans vigueur pour l’entraînement quotidien. Il faudra se soumettre à l’austérité d’une vie sage et régulière où toute l’attention physique est concentrée sur la construction d’un corps s’approchant de la perfection autant qu’il le peut. Pour atteindre ce but idéal, on s’interdira strictement tous les excès et tous les vices, petits ou grands; on se refusera à l’usage de ces poisons lents, tabac, alcool, etc., dont les hommes ont coutume de faire des besoins indispensables et qui abolissent peu à peu la volonté et la mémoire. Cet intérêt si absorbant, que la presque totalité des êtres humains, même les plus intellectuels, prennent dans la nourriture, sa préparation et son absorption, doit faire place à une connaissance presque chimique des besoins du corps et à une austérité toute scientifique dans les moyens de les satisfaire. À cette austérité dans l’alimentation, il faut en ajouter une autre, celle du sommeil; elle ne consiste pas à se priver de sommeil mais à savoir comment dormir. Le sommeil ne doit pas être une chute dans l’inconscience, qui alourdit le corps plutôt que de le « rafraîchir ». Le fait de manger modérément et de s’abstenir de tout excès, diminue beaucoup la nécessité de passer de nombreuses heures à dormir; mais la qualité du sommeil est encore plus importante que sa quantité. Pour que le sommeil procure un repos et une détente vraiment efficaces, il est généralement bon de prendre quelque chose, une tasse de lait ou de soupe, un jus de fruit par exemple, avant d’aller se coucher; une nourriture légère rend le sommeil tranquille; il faut cependant s’abstenir de tout repas copieux, car alors le sommeil devient agité et troublé par des cauchemars, ou bien épais et lourd, abrutissant. Mais le plus important de tout est de se clarifier l’esprit, de se tranquilliser les sentiments et d’apaiser l’effervescence des désirs et des préoccupations qui les accompagnent. Si avant de se retirer pour dormir, on a beaucoup parlé ou eu une conversation animée, si on a lu un livre excitant ou d’un intérêt intense, il faut prendre quelque temps de repos sans dormir, afin de calmer l’activité mentale, pour que le cerveau ne se livre pas à des mouvements désordonnés tandis que les membres seuls seront endormis. Ceux qui pratiquent la méditation feront bien de se concentrer pendant quelques minutes sur une idée élevée et calmante, dans une aspiration vers une conscience plus haute et plus vaste. Leur sommeil en bénéficiera grandement et ils éviteront dans une large mesure le risque de tomber dans l’inconscience pendant qu’ils dorment.

Après l’austérité d’une nuit passée exclusivement à se reposer dans un sommeil calme et paisible, viendra l’austérité d’une journée organisée avec sagesse et dont l’activité sera partagée entre les exercices progressifs et savamment gradués nécessaires à la culture du corps et le travail, de quelque nature qu’il soit. Car les deux peuvent et doivent faire partie de la tapasyâ physique. En ce qui concerne les exercices, chacun choisira ceux qui conviennent le mieux à son corps et, si possible, se fera guider par un expert en la matière, qui saura combiner et graduer les exercices en vue d’un maximum d’effet. Aucune fantaisie ne présidera à leur choix, ni à leur exécution. Il ne faudra pas faire ceci ou cela parce que cela paraît plus facile ou plus amusant; on ne changera d’entraînement que lorsque l’instructeur jugera que le changement est nécessaire. Chaque corps, pour être perfectionné, ou même seulement amélioré, est un problème à résoudre dont la solution exige beaucoup de patience, de persévérance et de régularité. En dépit de ce que beaucoup de gens pensent, la vie de l’athlète n’est pas une vie d’amusement ou de distraction; au contraire c’est une vie toute faite d’efforts méthodiques et d’habitudes austères, ne laissant aucune place aux fantaisies inutiles et nuisibles au résultat que l’on veut obtenir.

Dans le travail aussi il y a une austérité; elle consiste à ne pas avoir de préférence et à faire avec intérêt tout ce que l’on fait. Pour celui qui veut se perfectionner, il n’y a pas de grands Les quatre austérités et les quatre libérations et de petits travaux, des travaux importants et d’autres qui ne le sont pas; tous sont également utiles pour celui qui aspire à être maître de lui-même et à progresser. Il est dit qu’on ne fait bien que ce que l’on fait avec intérêt; cela est vrai. Mais ce qui est plus vrai encore, c’est que l’on peut apprendre à trouver de l’intérêt dans tout ce que l’on fait, même les besognes les plus insignifiantes en apparence. Le secret de cet accomplissement se trouve dans l’élan de perfectionnement. Quelle que soit l’occupation ou la tâche qui vous est échue, il faut la remplir avec une volonté de progrès; quoi que ce soit que l’on fasse, il faut non seulement le faire aussi bien que l’on peut, mais s’appliquer à le faire de mieux en mieux dans un effort constant vers la perfection. De la sorte tout devient intéressant, tout sans exception, la besogne la plus matérielle aussi bien que les travaux les plus artistiques et les plus intellectuels; le champ de progrès est infini et peut s’appliquer à la moindre chose.

Ceci nous mène tout naturellement à la libération de l’action; car on doit être, dans son action, libre de toutes les conventions sociales, de tous les préjugés moraux ; mais ce n’est pas pour mener une vie de licence et de dérèglement. Tout au contraire, la règle à laquelle on se soumet est beaucoup plus sévère que toutes les règles des sociétés; car elle ne tolère aucune hypocrisie; elle exige une sincérité parfaite. Toute l’activité physique doit être organisée en vue de faire croître l’équilibre, la force et la beauté du corps. Dans ce but on doit s’abstenir de toute recherche de plaisir, y compris le plaisir sexuel. Car tout acte sexuel est un acheminement vers la mort. C’est pourquoi depuis les temps les plus anciens, dans les collèges les plus sacrés et les plus secrets, cet acte était interdit à tout aspirant à l’immortalité. L’acte sexuel est toujours suivi d’un moment plus ou moins long d’inconscience, qui ouvre la porte à toutes les influences et produit une chute de conscience. Or, si l’on veut se préparer à la vie supramentale, il ne faut jamais permettre à sa conscience de glisser vers le relâchement et l’inconscience, sous prétexte de jouissance ou même de repos et de délassement. C’est dans la force et la lumière que doit se produire la détente, non dans l’obscurité et la faiblesse. Pour tous ceux qui aspirent au progrès la continence est donc de règle. Mais spécialement pour ceux qui veulent se préparer à la manifestation supramentale, cette continence doit être remplacée par une abstinence totale, obtenue non par coercition et suppression, mais par une sorte d’alchimie intérieure, grâce à laquelle les énergies généralement utilisées dans l’acte procréateur sont transmuées en énergies de progrès et de transformation intégrale. Il va de soi que pour que le résultat soit total et vraiment bienfaisant, toute impulsion et tout désir sexuels doivent être éliminés de la conscience mentale et vitale aussi bien que de la volonté physique. C’est du dedans au dehors que se produit toute transformation radicale et durable, de sorte que la transformation extérieure en est la conséquence normale et, pour ainsi dire, inévitable.

Il y a un choix décisif à faire entre prêter son corps en obéissance aux fins de la nature, qui veut perpétuer l’espèce telle qu’elle est, ou préparer ce même corps à devenir un échelon dans la création de la race nouvelle. Car les deux ne peuvent se faire à la fois, et c’est à chaque minute qu’il faut opter entre demeurer dans l’humanité d’hier ou appartenir à la surhumanité de demain.

Il faut renoncer à être adapté à la vie telle qu’elle est et à y réussir, si on veut se préparer à la vie telle qu’elle sera et en être un membre actif et efficient.

Il faut refuser le plaisir, si on veut s’ouvrir à la joie d’être dans la beauté et l’harmonie totales.

Ceci nous mène tout naturellement à l’austérité vitale, celle des sensations, à la tapasyâ du pouvoir; car l’être vital est le siège du pouvoir, de l’enthousiasme réalisateur. C’est dans le vital que la pensée se change en volonté et devient un dynamisme d’action. Il est vrai aussi qu’il est le siège des désirs et des passions, des impulsions violentes et des réactions Les quatre austérités et les quatre libérations 63 également violentes, des révoltes et des dépressions. Le remède ordinaire est de juguler l’être vital, de l’affamer en le privant de toutes sensations; en effet c’est par les sensations qu’il se nourrit principalement et sans elles il s’endort, s’engourdit jusqu’à l’inanition.

À dire vrai, le vital a trois sources de subsistance. Celle qui lui est la plus facilement accessible vient d’en bas, des énergies physiques, par l’intermédiaire des sensations.

La seconde se trouve dans son propre plan, quand il est suffisamment vaste et réceptif, par le contact avec les forces vitales universelles.

La troisième, celle à laquelle il ne s’ouvre généralement que dans une grande aspiration de progrès, lui vient d’en haut par l’infusion et l’absorption des forces et de l’inspiration spirituelles.

Les hommes essayent toujours plus ou moins d’ajouter à celles-là une autre source qui est, en même temps, pour eux la source de la plupart de leurs tourments et de leurs infortunes. C’est l’échange de forces vitales avec leurs congénères, généralement en groupements par deux, que, le plus souvent, ils méprennent pour de l’amour, mais qui n’est que l’attraction de deux forces qui ont du plaisir à s’échanger.

Ainsi, si nous ne voulons pas affamer notre vital, les sensations ne doivent pas être rejetées, ni diminuées dans leur nombre et leur intensité; il ne faut pas les éviter non plus, mais s’en servir avec sagesse et discernement. La sensation est un excellent moyen de connaissance et d’éducation; mais pour servir ces fins, elle ne doit pas être utilisée égoïstement dans un but de jouissance, dans une recherche aveugle et ignorante de satisfaction propre et de plaisir.

Les sens doivent être capables de tout supporter sans dégoût ni déplaisir, mais en même temps, il leur faut acquérir et développer de plus en plus le pouvoir de discerner la qualité, l’origine et l’effet des vibrations vitales variées, afin de savoir si elles sont favorables à l’harmonie, la beauté et la bonne santé, ou si elles sont nuisibles à l’équilibre et au progrès de l’être physique et du vital. De plus, les sens doivent être utilisés comme instruments d’approche et d’étude des mondes physique et vital, dans toute leur complexité; ainsi ils prendront leur place véritable dans le grand effort vers la transformation.

C’est en éclairant, en fortifiant et en purifiant le vital, non en l’affaiblissant, qu’on peut aider au vrai progrès de l’être. Se priver de sensations est donc aussi pernicieux que de se priver de nourriture. Mais de même que le choix de la nourriture doit être fait savamment et seulement en vue de la croissance et du bon fonctionnement du corps, de même, le choix des sensations et leur contrôle doit aussi être fait avec une austérité toute scientifique, en vue seulement de la croissance et du perfectionnement du vital, cet instrument supérieurement dynamique, qui est aussi essentiel au progrès que toutes les autres parties de l’être.

C’est en éduquant le vital, en le rendant plus raffiné, plus sensible, plus subtil, on devrait presque dire, plus élégant, dans le meilleur sens du mot, qu’on peut avoir raison de ses violences et de ses brutalités, qui sont, en somme, des crudités et des ignorances, des manquements au goût.

En vérité, le vital cultivé et illuminé peut être aussi noble, héroïque et désintéressé, qu’il est, spontanément et livré à luimême, sans éducation, vulgaire, égoïste et perverti. Il suffit à chacun de savoir transformer en lui-même la recherche de la jouissance en aspiration vers la plénitude supramentale. Pour cela, si l’éducation du vital est poursuivie assez loin, avec persévérance et sincérité, il arrive un moment où, convaincu de la grandeur et de la beauté du but, le vital renonce aux mesquines et illusoires satisfactions sensorielles pour conquérir la joie divine.

Bulletin, février 1953


Les quatre austérités et les quatre liberations-II

Lorsqu’il est question d’austérité mentale, cela suggère immédiatement les longues méditations aboutissant au contrôle de la pensée et couronnées par le silence intérieur. Cet aspect de la discipline yoguique est trop connu pour qu’il soit nécessaire de s’étendre sur le sujet. Mais il en est un autre dont on s’occupe moins en général, c’est le contrôle de la parole. À très peu d’exceptions près, seul le silence absolu est opposé au libre bavardage. Pourtant, il y a une austérité beaucoup plus grande et plus féconde dans le contrôle de la parole que dans son abolition. Sur terre, l’homme est le premier animal qui puisse se servir de sons articulés. Il en est très fier d’ailleurs et utilise cette capacité sans mesure ni discernement. Le monde est assourdi du bruit de ses paroles, et parfois l’on est tenté de regretter le silence harmonieux du règne végétal.

C’est d’ailleurs un fait bien connu que moins est grand le pouvoir mental, plus est nécessaire l’emploi de la parole. Ainsi, il est des gens primitifs et sans instruction qui ne peuvent pas du tout penser, à moins qu’ils ne parlent; et on peut les entendre marmotter des sons, à voix plus ou moins basse. Car c’est leur seul moyen de suivre une pensée qui ne se formulerait pas en eux sans les mots prononcés.

Il y a aussi un grand nombre de gens, même parmi ceux qui ont reçu de l’instruction mais dont le pouvoir mental est faible, qui ne savent ce qu’ils veulent dire qu’à mesure qu’ils le disent. Cela rend leurs discours interminables et fastidieux. Car à mesure qu’ils parlent, leur pensée devient plus claire et plus précise, et ainsi ils sont obligés de répéter la même chose plusieurs fois afin de la dire de plus en plus exactement.

Il y a ceux qui doivent préparer à l’avance ce qu’ils auront à dire, et qui bafouillent s’ils sont obligés de parler à l’improviste, parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’élaborer progressivement les termes exacts de ce qu’ils veulent dire.

Il y a enfin les orateurs-nés qui ont la maîtrise de l’élocution; ils trouvent spontanément tous les mots nécessaires pour dire ce qu’ils veulent dire, et ils le disent bien.

Tout cela, pourtant, du point de vue de l’austérité mentale, ne sort pas de la catégorie des bavardages. Car j’appelle bavardage tous les mots prononcés sans qu’ils soient absolument indispensables. Comment en juger? dira-t-on. Pour cela, il faut d’abord classer d’une façon générale les différentes catégories de paroles prononcées.

Nous avons d’abord dans le domaine physique, tous les mots dits pour des raisons matérielles. Ce sont de beaucoup les plus nombreux, et dans la vie ordinaire, très probablement aussi les plus utiles.

Le constant bourdonnement des paroles semble l’accompagnement indispensable des besognes quotidiennes. Pourtant, dès qu’on s’exerce à réduire le bruit au minimum, on s’aperçoit que maintes choses se font mieux et plus vite dans le silence, et que cela aide à garder la paix intérieure et la concentration.

Si vous n’êtes pas seul et que vous vivez avec d’autres, prenez l’habitude de ne pas vous extérioriser constamment en paroles prononcées à haute voix, et vous vous apercevrez que peu à peu une compréhension intérieure s’établit entre vous et les autres; vous pourrez alors communiquer entre vous en réduisant les mots au minimum, ou même sans mots du tout. Ce silence extérieur est très favorable à la paix intérieure, et avec de la bonne volonté et de la constance dans l’aspiration, vous pourrez créer une ambiance harmonieuse très propice au progrès.

Dans la vie en commun, aux mots concernant l’existence et les occupations matérielles, viendront s’ajouter ceux exprimant les sensations, les sentiments, les émotions. C’est ici que l’habitude du silence extérieur s’avère une aide précieuse. Car lorsqu’on est assailli par une vague de sensations ou de sentiments, ce silence habituel vous donne le temps de réfléchir et, si c’est nécessaire, de vous ressaisir avant de projeter en mots la sensation ou le Les quatre austérités et les quatre libérations sentiment éprouvé. Combien de querelles peuvent ainsi être évitées. Combien de fois on sera sauvé d’une de ces catastrophes psychologiques qui ne sont que trop souvent le résultat d’une incontinence verbale.

Sans aller jusqu’à cet extrême, il faut toujours contrôler les mots que l’on prononce et ne jamais laisser la langue être mue par un mouvement de colère, de violence ou d’emportement. Ce n’est pas seulement la querelle qui est mauvaise dans ses résultats; c’est le fait de prêter sa bouche pour que des vibrations mauvaises soient projetées dans l’atmosphère, car rien n’est plus contagieux que les vibrations du son et en donnant à ces mouvements l’occasion de s’exprimer on les perpétue en soi et chez les autres.

Il faut classer aussi parmi les plus indésirables des bavardages, tout ce qui est dit concernant les autres.

À moins que vous ne soyez responsable de certaines personnes, en tant que gardien, instructeur ou chef de service, ce que les autres font ou ne font pas ne vous regarde d’aucune manière et il faut vous abstenir de parler d’eux, de donner votre opinion sur eux et sur ce qu’ils font, ou bien de répéter ce que les autres peuvent en penser et en dire.

Il se peut que par la nature même de votre occupation, ce soit votre devoir de faire un rapport sur ce qui se passe dans un service, dans une entreprise, dans un travail en commun. Mais alors le rapport doit être limité à ce qui concerne le travail seul et ne pas toucher aux choses privées. Et d’une façon absolue il doit être tout à fait objectif. Vous ne devez permettre à aucune réaction personnelle, aucune préférence, aucune sympathie ou antipathie de s’y introduire. Et surtout, ne mélangez jamais vos mesquines rancunes personnelles au travail qui vous incombe. Dans tous les cas et d’une façon générale, moins on parle des autres, même si c’est pour les louer, le mieux cela vaut. On a déjà tant de peine à savoir exactement ce qui se passe en soimême, comment savoir avec certitude ce qui se passe chez les autres? Abstenez-vous donc totalement de prononcer sur une personne un de ces jugements définitifs qui ne peuvent être qu’une sottise, si ce n’est une méchanceté.

Quand la pensée est exprimée par la parole, la vibration du son a un pouvoir considérable pour mettre la substance la plus matérielle en contact avec cette pensée et pour lui donner ainsi une réalité concrète et effective. C’est pourquoi il ne faut jamais médire des gens et des choses, ni exprimer par la parole prononcée à haute voix, les choses qui dans le monde contredisent le progrès de la réalisation divine. C’est une règle générale absolue. Pourtant elle comporte une exception. Aucune critique ne doit être faite à moins qu’on n’ait en même temps le pouvoir conscient et la volonté active de dissoudre les mouvements ou les choses critiqués ou de les transformer. Ce pouvoir conscient et cette volonté agissante ont en effet la capacité d’infuser dans la matière la possibilité de réagir et de refuser la vibration mauvaise et finalement de la corriger au point qu’il lui devienne impossible de continuer à s’exprimer sur le plan matériel.

Seul peut le faire sans risque et sans danger, celui qui se meut dans les régions gnostiques et qui possède dans ses facultés mentales, la lumière de l’esprit et la puissance de la vérité. Celui-là, l’ouvrier du Divin, est libre de toute préférence et de tout attachement; il a brisé en lui-même les limites de l’ego et il n’est plus qu’un instrument parfaitement pur et impersonnel de l’action supramentale sur la terre.

Il y a aussi tous les mots prononcés pour exprimer les idées, les opinions, les résultats des réflexions ou des études. Ici nous nous trouvons dans un domaine intellectuel et nous pourrions penser que dans ce domaine les hommes sont plus raisonnables, plus pondérés et que la pratique d’une rigoureuse austérité y est moins indispensable. Il n’en est rien pourtant, car même ici, dans ce séjour des idées et de la connaissance, l’homme a introduit la violence de ses convictions, l’intolérance de son sectarisme, la passion de ses préférences. Ainsi il faudra, ici Les quatre austérités et les quatre libérations aussi, faire appel à l’austérité mentale et éviter soigneusement les échanges d’idées aboutissant aux controverses trop souvent acerbes et presque toujours oiseuses, ou bien les oppositions d’opinions qui se terminent par des discussions vives et même des disputes provenant toujours d’une étroitesse d’esprit facilement guérissable quand on s’élève assez haut dans le domaine mental.

En effet le sectarisme devient impossible quand on sait que toute pensée formulée n’est qu’une façon de dire quelque chose qui échappe à toute expression. Chaque idée contient un peu de vérité ou un aspect de la vérité. Mais il n’est pas d’idée qui soit en elle-même absolument vraie.

Ce sens de la relativité des choses est une aide puissante pour garder son équilibre et conserver une sereine pondération dans ses discours. J’ai entendu dire à un vieil occultiste qui possédait quelque sagesse : « Il n’y a pas de chose qui soit essentiellement mauvaise; il n’y a que des choses qui ne sont pas à leur place. Mettez chaque chose à sa vraie place et vous obtiendrez un monde harmonieux. »

Pourtant, au point de vue de l’action, la valeur d’une idée est en fonction de son pouvoir pragmatique. Ce pouvoir est, il est vrai, très différent suivant les individus auxquels il s’applique. Telle idée qui a un grand pouvoir de propulsion chez un individu, peut en manquer totalement chez un autre. Mais ce pouvoir lui-même est contagieux. Certaines idées sont capables de transformer le monde. Ce sont celles-là qui doivent être exprimées; elles sont les étoiles maîtresses du firmament de l’esprit, celles qui serviront de guides pour conduire la terre vers sa suprême réalisation.

Enfin, nous avons toutes les paroles prononcées pour donner un enseignement. Cette catégorie s’étend du jardin d’enfants jusqu’aux cours universitaires, sans oublier toutes les productions humaines artistiques et littéraires qui veulent être distrayantes ou éducatives. Dans ce domaine, tout dépend de la valeur de la production et le sujet est trop vaste pour pouvoir être traité ici. C’est un fait que le souci éducatif est très en faveur actuellement et de louables efforts sont faits pour utiliser les nouvelles découvertes scientifiques en les mettant au service de l’éducation. Mais même en ceci une austérité s’impose à l’aspirant pour la vérité.

Il est généralement admis dans le processus éducatif qu’un certain genre de productions plus légères, plus futiles, plus amusantes est nécessaire pour réduire la tension de l’effort et reposer les enfants et même les adultes. À un certain point de vue, cela est vrai; mais malheureusement cette admission a servi d’excuse pour légitimer toute une catégorie de choses qui ne sont rien d’autre que l’efflorescence de tout ce qui est vulgaire, grossier et bas dans la nature humaine; ses instincts les plus canailles, son goût le plus dépravé trouvent dans cette admission une bonne excuse pour s’étaler et s’imposer comme une nécessité inévitable. Il n’en est rien pourtant; on peut se délasser sans être crapuleux, se reposer sans être vulgaire, se détendre sans permettre à tout ce qui est grossier dans la nature de remonter à la surface. Mais du point de vue de l’austérité, ces besoins eux-mêmes changent de nature; le délassement se transforme en silence intérieur, le repos en contemplation, la détente en félicité.

Ce besoin si généralement reconnu de distraction, de relâchement dans l’effort, d’oubli plus ou moins long et total du but de la vie, de la raison d’être de l’existence ne doit pas être considéré comme une chose tout à fait naturelle et indispensable, mais comme une faiblesse à laquelle on cède par manque d’intensité dans l’aspiration, par instabilité dans la volonté, par ignorance, inconscience, veulerie. Ne légitimez pas ces mouvements et vous vous apercevrez bientôt qu’ils ne sont pas nécessaires et même, à un moment donné, ils vous deviendront répugnants et inacceptables. Alors toute une partie, et non la moindre, de la production humaine soi-disant Les quatre austérités et les quatre libérations récréative, mais en vérité avilissante, perdra son support et cessera d’être encouragée.

Il ne faudrait pas croire, cependant, que de la nature du sujet de conversation dépend la valeur des paroles prononcées. On peut bavarder sur les sujets spirituels autant que sur tout autre et ces bavardages-là sont peut-être parmi les plus dangereux. Par exemple, le néophyte est toujours très anxieux de faire partager aux autres le petit peu qu’il a appris. Mais à mesure qu’il avance sur la voie, il s’aperçoit de plus en plus qu’il ne sait pas grand-chose et qu’avant de vouloir instruire les autres, il faut être bien sûr de la valeur de ce que l’on sait, jusqu’au jour où, devenu sage, il se rend compte que de nombreuses heures de concentration silencieuses sont nécessaires pour pouvoir parler utilement pendant quelques minutes. D’ailleurs, dès qu’il est question de la vie intérieure et de l’effort spirituel, l’usage de la parole doit être soumis à une réglementation encore plus stricte et rien ne doit être dit à moins qu’il ne soit absolument indispensable de le dire.

C’est un fait bien connu qu’il ne faut jamais parler de ses expériences spirituelles si l’on ne veut pas voir s’évanouir en un moment l’énergie accumulée dans l’expérience et qui devait servir à hâter les progrès. La seule exception qui puisse être faite à la règle est à l’égard de son guru, si on veut obtenir de lui quelque éclaircissement ou quelque enseignement sur le contenu et la signification de son expérience. En effet, c’est seulement à son guru qu’on peut parler de ces choses sans danger, car seul le guru par sa connaissance est capable d’utiliser pour votre bien les éléments de l’expérience comme de marchepieds pour des ascensions nouvelles.

Il est vrai que le guru lui-même est soumis à la même règle de silence en ce qui le concerne personnellement. Dans la nature tout est en mouvement; ainsi ce qui n’avance pas recule nécessairement. Le guru doit faire des progrès au même titre que ses disciples, quoique ces progrès puissent ne pas être sur le même plan. Et pour lui aussi, parler de ses expériences n’est pas favorable : la force dynamique de progrès contenue dans l’expérience s’évapore en grande partie dans les mots. Mais d’autre part en expliquant ses expériences à ses disciples, il aide puissamment à leur compréhension et par suite à leurs progrès. C’est à lui dans sa sagesse de savoir dans quelle mesure il peut et doit sacrifier l’un à l’autre. Il va de soi que dans son récit ne doit entrer aucune forfanterie, aucune gloriole; car la moindre vanité ferait de lui, non plus un guru, mais un imposteur.

Quant au disciple, je lui dirai : « Dans tous les cas, sois fidèle à ton guru quel qu’il soit; il te mènera aussi loin que tu peux aller. Mais si tu as le bonheur d’avoir le Divin pour guru, alors il n’y aura pas de limite à ta réalisation. »

Cependant, même le Divin, quand il s’incarne sur terre est soumis à la même loi de progrès. L’instrument de sa manifestation, l’être physique dont il s’est revêtu, doit être dans un constant état de progression et la loi de son expression personnelle est en quelque sorte liée à la loi générale du progrès terrestre. Ainsi, même le dieu incarné ne pourra être parfait sur la terre que lorsque les hommes seront prêts à comprendre et à accepter la perfection. Ce sera le jour où pourra être fait par amour pour le Divin, ce qui se fait maintenant par devoir à son égard. Le progrès sera une joie, au lieu d’être un effort et souvent même une lutte. Ou plus exactement, le progrès se fera dans la joie avec la pleine adhésion de tout l’être, au lieu de se faire par coercition sur la résistance de l’ego, nécessitant un grand effort et parfois même une grande souffrance.

Pour conclure, je vous dirai : si vous voulez que votre parole exprime la vérité et qu’elle acquière ainsi le pouvoir du Verbe, ne pensez jamais à l’avance ce que vous voulez dire, ne décidez pas de ce qui est bon ou mauvais à dire, ne calculez pas quel sera l’effet de ce que vous allez dire. Soyez silencieux mentalement et gardez-vous sans vaciller dans l’attitude vraie, celle d’une aspiration constante vers la toute-sagesse, la toute-connaissance, la Les quatre austérités et les quatre libérations toute-conscience. Alors, si votre aspiration est sincère, si elle n’est pas un voile pour votre ambition de bien faire et de réussir, si elle est pure, spontanée et intégrale, alors vous pourrez parler très simplement, vous pourrez prononcer les mots qui doivent être dits, ni plus ni moins, et ils auront un pouvoir créateur.

Bulletin, avril 1953


Les quatre austérités et les quatre liberations-III

De toutes les austérités, voici la plus difficile; c’est l’austérité des sentiments et des émotions, la tapasyâ de l’amour.

En effet, dans le domaine du sentiment, plus peut-être que dans tout autre, l’homme a l’impression de l’inévitable, de l’irrésistible, d’une fatalité qui le domine et à laquelle il ne peut échapper. L’amour (ou du moins ce que les êtres humains appellent de ce nom) est spécialement considéré comme un maître impérieux aux caprices duquel on ne peut se soustraire, qui vous frappe selon sa fantaisie et qui vous force à lui obéir, qu’on le veuille ou non. C’est au nom de l’amour que les pires crimes ont été perpétrés, que les plus grandes folies ont été commises.

Pourtant, les hommes ont inventé toutes sortes de règles morales et sociales dans l’espoir de contrôler cette force d’amour, de la rendre sage et docile; mais ces règles semblent n’avoir été faites que pour être violées; et la contrainte qu’elles opposent à son libre fonctionnement ne fait qu’augmenter sa puissance explosive. Car ce n’est pas par des règles que les mouvements de l’amour peuvent être disciplinés. Seule une puissance d’amour plus grande, plus haute et plus vraie peut avoir raison des impulsions incontrôlables de l’amour. Seul l’amour peut gouverner l’amour, en l’illuminant, le transformant, le magnifiant. Car ici aussi, plus que partout ailleurs, le contrôle consiste non en une suppression, une abolition, mais en une transmutation, une sublime alchimie. C’est parce que de toutes les forces agissant dans l’univers, l’amour est la plus puissante, la plus irrésistible. Sans amour le monde retomberait dans le chaos de l’inconscience.

La conscience est, en vérité, la créatrice de l’univers, mais l’amour est son sauveur. Seule l’expérience consciente peut donner un aperçu de ce qu’est l’amour, de son pourquoi et de son comment. Toute transcription verbale est nécessairement un travestissement mental de ce qui échappe de toute part à l’expression. Les philosophes, les mystiques, les occultistes s’y sont tous essayés, mais en vain. Je n’ai pas la prétention de réussir là où ils ont échoué. Mais je veux dire en termes aussi simples que possible ce qui, sous leur plume, prend des formes si abstraites et compliquées. Mes mots n’auront pas d’autre but que de mener vers l’expérience vécue, et ils veulent pouvoir y mener même un enfant.

L’amour, dans son essence, est la joie de l’identité; il trouve son ultime expression dans la félicité de l’union. Entre les deux sont toutes les phases de sa manifestation universelle.

Au début de cette manifestation, dans la pureté de son origine, l’amour est constitué de deux mouvements, les deux pôles complémentaires de l’élan vers la fusion complète. C’est d’une part le pouvoir d’attraction suprême et de l’autre le besoin irrésistible du don absolu de soi. Aucun mouvement ne pouvait mieux et plus que celui-là jeter un pont sur l’abîme qui se creusa quand, dans l’être individuel, la conscience se sépara de son origine et devint inconscience.

Il fallait ramener à soi ce qui avait été projeté dans l’espace, sans pour cela annuler l’univers ainsi créé. C’est pourquoi l’amour jaillit, puissance d’union irrésistible.

Il a plané au-dessus de l’ombre et de l’inconscience, il s’est dispersé, pulvérisé au sein de l’insondable nuit; et c’est à partir de ce moment-là que commença l’éveil et l’ascension, la lente formation de la matière et sa progression sans fin. N’est-ce Les quatre austérités et les quatre libérations point l’amour, sous une forme dévoyée et obscurcie, qui est associé à toutes les impulsions de la nature physique et vitale, comme l’élan de tout mouvement et de tout groupement, devenant tout à fait perceptible dans le règne végétal ; chez l’arbre et la plante, c’est le besoin de croître pour obtenir plus de lumière, plus d’air, plus d’espace; chez les fleurs, c’est le don de leur beauté et de leur senteur dans un épanouissement amoureux ; et ensuite chez les animaux n’est-il pas derrière la faim, la soif, le besoin d’appropriation, d’expansion, de procréation, en résumé, derrière tout désir, conscient ou non, et chez les espèces supérieures, dans le dévouement, plein d’abnégation de la femelle pour ses petits. Cela nous conduit tout naturellement à l’espèce humaine où, avec l’avènement triomphal de l’activité mentale, cette association atteint son point culminant, car elle est devenue consciente et voulue. En effet, dès que le développement terrestre l’a rendu possible, la nature s’est avisée d’utiliser cette sublime force d’amour pour la mettre au service de son œuvre créatrice, en l’associant, la mélangeant à son mouvement de procréation. Cette association est même devenue si étroite, si intime que fort peu de consciences humaines sont assez éclairées pour pouvoir dissocier les mouvements l’un de l’autre et les éprouver séparément. Et c’est ainsi que l’amour a subi toutes les dégradations, c’est ainsi qu’il a été avili au niveau de la bête.

C’est à partir de ce moment-là aussi qu’apparaît clairement dans les œuvres de la nature, sa volonté de reconstruire par étapes et gradations l’unité primordiale à l’aide de groupements de plus en plus nombreux et complexes. Après s’être servie de la force d’amour pour rapprocher un être humain d’un autre et pour créer le groupe duel, origine de la famille, après avoir rompu les limites étroites de l’égoïsme personnel pour le changer en un égoïsme à deux, par la venue des enfants elle produit une entité plus complexe, la famille, et au cours des temps, à l’aide des associations multiples entre familles, des interéchanges individuels et du mélange des sangs, les groupements plus grands sont formés : clans, tribus, castes, classes, pour aboutir à la création des nations. Le travail de groupement s’accomplit simultanément sur les différents points du monde, cristallisé dans les races diverses; et peu à peu la nature fera fusionner ces races elles-mêmes dans son effort pour construire une base matérielle et réelle à l’unité humaine.

Pour la conscience de la majorité des hommes, tout cela est l’effet des hasards de la vie; ils ne se rendent pas compte de la présence d’un plan d’ensemble et ils prennent les circonstances comme elles viennent, plus ou moins bien selon leur caractère; les uns sont satisfaits, les autres mécontents.

Parmi les satisfaits, il y a une certaine catégorie de gens qui sont parfaitement adaptés aux manières d’être de la nature, ce sont les optimistes. Pour eux les jours sont plus brillants parce qu’il y a les nuits, les couleurs sont vives à cause des ombres, les joies sont plus intenses à cause des souffrances, la douleur donne un plus grand charme au plaisir, les maladies octroient toute sa valeur à la bonne santé; j’en ai même entendu dire qu’ils se réjouissaient d’avoir des ennemis parce que cela leur faisait apprécier davantage leurs amis; en tout cas, pour tous ceux-là, les activités sexuelles sont une des occupations les plus savoureuses, les satisfactions gastronomiques font partie des délices de la vie dont on ne saurait se passer, et il est tout à fait normal de mourir puisqu’on est né : cela met fin à un voyage qui, s’il durait trop longtemps, deviendrait fastidieux.

En résumé, ils trouvent la vie très bien telle qu’elle est et ne se soucient pas de savoir si elle a une raison ou un but; ils ne se tourmentent pas de la misère des autres et ne voient aucune nécessité au progrès.

Ceux-là, n’essayez jamais de les « convertir », ce serait une faute grave. Si par malheur ils vous écoutaient, ils perdraient leur équilibre actuel sans pouvoir en trouver un autre. Ils ne sont pas prêts pour une vie intérieure, mais ce sont les favoris Les quatre austérités et les quatre libérations de la nature avec laquelle ils sont dans une alliance très intime et cette réalisation ne doit pas être inutilement dérangée.

À un degré moindre et surtout d’une façon moins durable, il y a d’autres satisfaits dans le monde. Leur satisfaction est due à la magie contenue dans l’action de l’amour. Chaque fois qu’un être rompt les limites étroites dans lesquelles son ego l’emprisonne, pour jaillir à l’air libre dans le don de soi-même, que ce soit à un autre être humain, ou à sa famille, à sa patrie ou à sa foi, il trouve dans cet oubli de soi un avant-goût des joies merveilleuses de l’amour, et cela lui donne l’impression qu’il entre en contact avec le Divin; mais le plus souvent ce n’est qu’un contact fugitif, parce que dans l’être humain l’amour est tout de suite mélangé à des mouvements égoïstes et inférieurs, qui l’avilissent et lui enlèvent la puissance de sa pureté. Mais même s’il restait pur, ce contact avec une existence divine ne pourrait pas toujours durer; parce que l’amour n’est qu’un aspect du Divin et un aspect qui, ici-bas, a subi les mêmes déformations que les autres.

D’ailleurs, toutes ces expériences sont fort bonnes et utiles pour l’homme ordinaire, qui suit la voie normale de la nature dans sa marche trébuchante vers l’unité future. Mais elles ne peuvent contenter ceux qui veulent hâter le mouvement, ou plutôt qui aspirent à appartenir à un autre genre de mouvement plus direct, plus rapide, à un mouvement exceptionnel qui les libérera de l’humanité ordinaire et de sa marche interminable, afin qu’ils puissent participer à l’avance spirituelle qui les mènera par les chemins les plus prompts vers la création de la race nouvelle, celle qui exprimera la vérité supramentale sur la terre. Ces êtres d’élite doivent rejeter toute forme d’amour entre êtres humains, car si beau, si pur soit-il, il produit une sorte de court-circuit et coupe la connexion directe avec le Divin.

Pour celui qui a connu l’amour du Divin, toutes les autres formes de l’amour sont obscures, trop mélangées de petitesses, d’égoïsmes et d’ombres; elles ressemblent à un marchandage ou à une lutte pour la suprématie et la domination; et même chez les meilleurs elles sont pleines de malentendus et de susceptibilités, de froissements et d’incompréhensions.

En outre, c’est un fait bien connu que l’on finit par ressembler à ce que l’on aime. Si donc vous voulez ressembler au Divin, n’aimez que Lui. Seul celui qui a connu l’extase de l’échange d’amour avec le Divin peut savoir à quel point tout autre échange, quel qu’il soit, est en comparaison fade, terne et sans force. Et même s’il faut la plus austère discipline pour arriver à cet échange-là, rien n’est trop dur, trop long ou trop sévère pour y atteindre, car il surpasse toute expression.

C’est cet état merveilleux que nous voulons réaliser sur terre, c’est lui qui pourra transformer le monde pour en faire un lieu d’habitation digne de la Présence Divine. Et alors l’amour vrai et pur pourra s’incarner dans un corps qui ne sera plus pour lui un déguisement et un voile. Bien des fois, pour rendre la discipline plus facile et pour créer une intimité plus proche et plus aisément perceptible, le Divin sous sa forme d’amour la plus haute a voulu se revêtir d’un corps physique semblable en apparence aux corps humains; mais chaque fois, enfermé dans les formes grossières de la matière, il n’est arrivé à exprimer qu’une caricature de lui-même. Et pour pouvoir se manifester dans la plénitude de sa perfection, il attend seulement que les êtres humains aient fait quelques progrès indispensables dans leur conscience et dans leur corps; car la vulgarité de la vanité de l’homme et la stupidité de sa fatuité prennent le sublime amour divin, quand il s’exprime dans une forme humaine, pour un signe de faiblesse, de dépendance et de besoin.

Pourtant l’homme sait déjà, obscurément d’abord mais de plus en plus clairement à mesure qu’il s’approche davantage de la perfection, que seul l’amour est capable de mettre fin aux souffrances du monde; seules les joies ineffables de l’amour dans son essence peuvent balayer de l’univers la douleur cuisante de la séparation; Les quatre austérités et les quatre libérations car c’est seulement dans l’extase de l’union suprême que la création découvrira sa raison d’être et son accomplissement.

Voilà pourquoi aucun effort n’est trop ardu, aucune austérité trop rigoureuse pour illuminer, purifier, perfectionner, transformer la substance physique afin qu’elle ne cache plus le Divin quand il prend forme extérieure en elle. Car alors pourra s’exprimer librement dans le monde cette merveilleuse tendresse divine qui a le pouvoir de changer la vie en un paradis de douce joie.

Ceci, me direz-vous, est l’aboutissement, le couronnement de l’effort, la victoire finale; mais pour arriver jusque-là que faut-il faire? Quel est le chemin à suivre et quels sont les premiers pas sur la route?

Puisque nous avons décidé de garder l’amour dans sa splendeur pour notre relation personnelle avec le Divin, nous le remplacerons dans nos relations avec autrui par une bienveillance et une bonne volonté totales et invariables, constantes et sans égoïsme; elles ne s’attendront à aucune récompense, aucune reconnaissance, à aucune recognition même. Quelle que soit la façon dont vous serez traité par les autres, vous ne permettrez jamais à aucun mauvais sentiment de s’emparer de vous; et dans votre amour sans mélange pour le Divin, vous le laisserez entièrement juge de la manière dont il faut vous protéger et vous défendre contre l’incompréhension et la mauvaise volonté des autres.

C’est du Divin seul que vous attendrez vos joies et vos plaisirs. C’est en lui seul que vous chercherez et trouverez l’aide et le soutien. Il vous consolera de toutes vos peines, vous conduira sur le chemin, vous redressera si vous trébuchez et, si des moments de défaillance et d’épuisement se produisent, c’est Lui qui vous recevra dans ses puissants bras d’amour et vous enveloppera de sa douceur réconfortante.

Pour éviter tout malentendu, je tiens à dire ici que, par suite des exigences de la langue dans laquelle je m’exprime, je suis obligée de me servir du genre masculin quand je mentionne le Divin. Mais en fait la réalité d’amour dont je parle est au-delà et au-dessus de tout genre, masculin ou féminin, et quand elle s’incarne dans un corps humain, elle le fait indifféremment, dans un corps d’homme ou de femme suivant les besoins de l’œuvre à accomplir.

En résumé, l’austérité du sentiment consiste donc à abandonner tout attachement affectif, de quelque nature qu’il soit, amoureux, familial, patriotique ou autre, pour se concentrer dans un attachement exclusif pour la Réalité Divine; cette concentration trouvera son aboutissement dans une identification intégrale et servira d’instrument à la réalisation supramentale sur la terre.

Ceci nous mène tout naturellement aux quatre libérations qui seront les aspects concrets de cet accomplissement. La libération des sentiments sera en même temps la libération de la souffrance, dans une réalisation totale de l’unité supramentale.

La libération mentale, ou libération de l’ignorance, établira dans l’être le mental de lumière, ou conscience gnostique, dont l’expression aura la puissance créatrice du verbe.

La libération vitale, ou libération des désirs, donne à la volonté individuelle le pouvoir de s’identifier parfaitement et consciemment à la volonté divine et produit la paix et la sérénité constantes, ainsi que la puissance qui en résulte.

Enfin, couronnant tout le reste, vient la libération physique, ou libération de la loi des conséquences matérielles. Par la maîtrise totale de soi, on n’est plus l’esclave des lois de la nature, qui font agir par impulsions subconscientes ou semi-conscientes et maintiennent dans l’ornière de la vie ordinaire. Grâce à cette libération, c’est en toute connaissance de cause qu’on peut décider du chemin à suivre, choisir l’action à accomplir et se dégager de tout déterminisme aveugle, pour ne laisser intervenir dans le cours de la vie que la volonté la plus haute, la connaissance la plus vraie, la conscience supramentale.

Bulletin, août 1953

Aux élèves petits ou grands

Il y a, dans l’histoire de la terre, des moments de transition où les choses qui ont été pendant des millénaires doivent céder la place à celles qui sont sur le point de paraître. À ces moments-là se produit une concentration spéciale de la conscience universelle, on pourrait presque parler d’une intensification de son effort, qui varie suivant le genre de progrès à faire, la qualité de la transformation à accomplir. Or, nous sommes précisément à un de ces tournants de l’histoire universelle; et de même que la nature a déjà créé sur terre un être mental, l’homme, de même c’est dans cette mentalité que l’action se concentre pour donner naissance à une conscience et à une individualité supramentales.

Certains êtres qui sont, pourrais-je dire, au courant des secrets des dieux, sont informés de l’importance de ce moment dans la vie universelle, et ils ont pris naissance sur terre pour y participer dans la mesure de leurs moyens. Une grande conscience lumineuse plane au-dessus de la terre et produit une sorte de remous dans son atmosphère. Tous ceux qui sont ouverts reçoivent une vague de ce remous, un rayon de cette lumière et, selon leurs capacités, ils essayent de lui donner une forme. Nous avons ici l’incomparable privilège de nous trouver au centre même de ce rayonnement de lumière, à la source de cette force de transformation.

Sri Aurobindo, incarnant dans un corps humain la conscience supramentale, nous a non seulement révélé la nature de la route à suivre et les moyens de la suivre pour atteindre le but, mais il nous a lui-même donné l’exemple par sa réalisation personnelle; il nous a fourni, pour ainsi dire, la preuve que la chose peut être faite et que le moment est venu de la faire.

Nous ne sommes donc pas ici pour répéter ce que les autres ont fait, mais pour nous préparer à l’éclosion d’une conscience et d’une vie nouvelles. Et c’est pourquoi je m’adresse à vous tous, les élèves, c’est-à-dire à tous ceux qui veulent apprendre, apprendre toujours plus, et toujours mieux, pour être un jour capables de vous ouvrir à la force nouvelle et de lui donner la possibilité de se manifester sur le plan physique. Car tel est notre programme et il ne faut pas l’oublier. Pour comprendre la raison véritable de votre présence ici, il faut vous rappeler que nous voulons être des instruments aussi parfaits que possible exprimant la volonté divine dans le monde; et, pour que les instruments soient parfaits, il faut les cultiver, les instruire, les éduquer. Il ne faut pas les laisser comme un terrain en friche, ou un morceau de pierre informe. C’est quand le diamant est artistement taillé qu’il révèle toute sa beauté. Pour vous, c’est la même chose. Quand vous voulez faire de votre être physique un instrument parfait pour manifester la conscience supramentale, il faut le cultiver, l’aiguiser, le raffiner, compléter ce qui lui manque, perfectionner ce qu’il possède déjà. C’est pour cela, mes enfants, que vous allez en classe, que vous soyez petits ou grands; car à tout âge on peut apprendre : il vous faut donc aller en classe.

Parfois, si vous n’êtes pas trop bien disposés, vous vous dites : comme cela va être ennuyeux ! En effet, la classe peut être faite par un professeur qui ne sait pas vous amuser. Il peut être un très bon professeur, mais en même temps ne pas savoir vous amuser, parce que ce n’est pas toujours facile... il y a des jours où on n’a pas envie d’être amusant. Pour lui, comme pour vous, certains jours on voudrait être ailleurs qu’à l’école. Mais tout de même, vous allez à la classe; vous y allez parce qu’il faut y aller, parce que si vous obéissez à toutes vos fantaisies vous n’aurez jamais de contrôle sur vous-mêmes, ce sont vos fantaisies qui vous contrôleront. Vous allez donc en classe, mais au lieu d’y aller en pensant : « Comme je vais m’ennuyer, sûrement cela ne sera pas intéressant », il faut vous dire : « Il n’y a pas une minute de l’existence, pas une circonstance qui ne puisse être Aux élèves petits ou grands une occasion de progrès; quel est donc le progrès que je vais faire aujourd’hui? Dans la classe où je me rends maintenant, on traite d’un sujet qui ne m’intéresse pas; mais peut-être est-ce parce qu’il y a quelque chose qui me manque; peut-être que, quelque part dans mon cerveau, un certain nombre de cellules sont déficientes et c’est pourquoi je ne sais pas trouver d’intérêt dans ce sujet. S’il en est ainsi, je vais essayer : je vais bien écouter, bien me concentrer, et surtout chasser de mon esprit cette futilité, cette légèreté extérieure qui fait que je m’ennuie quand il y a quelque chose que je ne saisis pas. Je m’ennuie parce que je ne fais pas effort pour comprendre, parce qu’il n’y a pas en moi cette volonté de progrès. » Quand on ne fait pas de progrès, on s’ennuie, les grands et les petits, tout le monde, parce que nous sommes sur terre pour progresser. Sans le progrès, comme la vie serait ennuyeuse! Elle est monotone; le plus souvent elle n’est pas gaie; elle est loin d’être belle. Mais si vous la prenez comme un champ de progrès, alors tout change, tout devient intéressant et il n’y a plus de place pour l’ennui. La prochaine fois que votre professeur vous paraîtra ennuyeux, au lieu de perdre votre temps à ne rien faire, essayez de comprendre pourquoi votre professeur vous ennuie. Alors, si vous avez la capacité d’observation et si vous faites effort pour comprendre, vous vous apercevrez bientôt qu’une sorte de miracle s’est accompli et que vous ne vous ennuyez plus du tout.

Le remède est bon, d’ailleurs, dans presque tous les cas. Parfois, dans un certain concours de circonstances, tout vous paraît morne, ennuyeux, stupide; cela veut dire que vous êtes aussi ennuyeux que les circonstances, et c’est une preuve évidente que vous n’êtes pas dans un état de progrès. C’est simplement une vague d’ennui qui passe et rien n’est plus contraire à la raison d’être de l’existence. Si, à ce moment-là, vous faisiez un petit effort et que vous vous demandiez : « Cet ennui est la preuve que j’ai quelque chose à apprendre, un progrès à faire au-dedans de moi, une inertie à vaincre, une faiblesse à surmonter. » L’ennui est une platitude de la conscience, et si c’est en vous que vous cherchez sa guérison, vous verrez que tout de suite il se dissipera. La plupart des gens, quand ils s’ennuient, au lieu de faire effort pour monter d’un degré au-dedans de leur conscience, descendent d’un degré plus bas; ils s’abaissent encore au-dessous de ce qu’ils étaient et ils font des bêtises, ils se rendent vulgaires dans l’espoir de s’amuser. C’est ainsi que les hommes s’intoxiquent, abîment leur santé, abrutissent leur cerveau. Si au lieu de descendre, ils étaient montés, ils auraient profité de l’occasion pour faire un progrès.

Il en est de même, d’ailleurs, dans toutes les circonstances, lorsque la vie donne un grand coup, un de ces coups que les hommes appellent des malheurs. La première chose qu’ils essayent de faire, c’est d’oublier, comme s’ils n’oubliaient pas assez vite! Et pour oublier ils font n’importe quoi. Quand quelque chose est très douloureux, ils veulent se distraire, ce qu’ils appellent se distraire, c’est-à-dire faire des bêtises, descendre dans leur conscience, descendre au lieu de monter. S’il vous arrive quelque chose d’extrêmement pénible, il ne faut pas essayer de vous abrutir, il ne faut pas oublier, il ne faut pas descendre dans l’inconscience; il faut pousser jusqu’au fond de la douleur, et vous y trouverez la lumière, la vérité, la force et la joie que cette douleur cache. Mais pour cela il faut être ferme et refuser de glisser.

Ainsi tous les événements de la vie, grands ou petits, peuvent être l’occasion d’un progrès. Même les détails les plus insignifiants peuvent mener à des révélations, si on sait en tirer parti. Chaque fois que votre occupation n’exige pas une concentration absorbante, profitez-en pour développer votre faculté d’observation et vous verrez que vous ferez des découvertes intéressantes. Pour vous faire comprendre ce que je veux dire, je vous donnerai deux exemples; ce sont deux de ces petits instants de la vie qui, en eux-mêmes, sont très peu de chose et pourtant laissent une impression profonde et durable.

Aux élèves petits ou grands Le premier exemple se passe à Paris. Vous avez une course à faire dans cette ville immense; tout y est bruit, confusion apparente, activité ahurissante. Voilà, tout à coup, que, devant vous, une femme marche; elle ressemble à la plupart des autres femmes; son habillement n’a rien qui attire le regard mais sa démarche est admirable, souple, rythmique, élégante, harmonieuse; votre attention est captivée et vous admirez. Alors, ce corps qui se déplace gracieusement évoque pour vous toutes les splendeurs de la Grèce antique et la leçon de beauté incomparable que sa culture a donnée au monde entier et vous vivez un moment inoubliable; tout cela parce qu’une femme sait marcher!

Le second exemple est à l’autre bout du monde, au Japon. Vous venez d’arriver dans ce pays si beau, pour un séjour prolongé et bien vite vous vous apercevez que si vous n’avez pas au moins une connaissance minimum de la langue, il vous sera très difficile de vous tirer d’affaire. Vous vous mettez donc à étudier le japonais et pour vous familiariser avec la langue, vous ne manquez pas une occasion d’entendre les gens parler; vous les écoutez avec attention, vous essayez de comprendre ce qu’ils disent; et justement, à côté de vous, dans le tramway où vous venez de vous asseoir se trouve un petit enfant de quatre à cinq ans, avec sa mère. L’enfant se met à parler d’une voix claire et pure et en l’écoutant vous avez la remarquable expérience que, lui, sait spontanément ce que vous faites tant d’efforts pour apprendre et qu’en ce qui concerne la langue japonaise, il pourrait être votre maître malgré son jeune âge.

De la sorte, la vie devient admirable et vous donne une leçon à chaque pas. Regardée sous cet angle, elle vaut vraiment d’être vécue.

Bulletin, novembre 1953

Prévision

Prévoir le destin! Combien s’y sont essayés, que de systèmes ont été élaborés, que de sciences divinatoires ont été créées, se sont développées, puis ont péri sous l’accusation de charlatanisme ou de superstition. Et pourquoi le destin est-il toujours si imprévisible, pourquoi lorsqu’il est démontré que tout est inéluctablement déterminé, on ne peut réussir à connaître de façon certaine ce déterminisme?

Ici encore la solution se trouve dans le yoga. Et par la discipline yoguique on peut non seulement prévoir le destin, mais le modifier, le changer presque totalement. Tout d’abord le yoga nous enseigne que nous ne sommes pas un être unique, une entité simple, qui nécessairement n’aurait qu’un unique destin, simple et logique. Mais on est obligé de constater que le destin de la plupart des hommes est complexe, d’une complexité qui va parfois jusqu’à l’incohérence. N’est-ce point cette complexité même qui crée l’impression d’inattendu, d’indéterminé et par suite d’imprévisible?

Pour résoudre le problème, il faut d’abord savoir que tout être vivant, et plus spécialement l’être humain, est fait de la combinaison de plusieurs entités qui se groupent, s’interpénètrent, parfois s’organisent et se complètent, parfois s’opposent et se contredisent. Chacun de ces êtres ou états d’être appartient à son monde propre et porte en lui-même son propre destin, son propre déterminisme. Et c’est la combinaison, parfois très hétéroclite, de tous ces déterminismes qui produit le destin de l’individu. Mais comme l’organisation et la relation de toutes ces entités peuvent être changées par une discipline personnelle et par l’effort de la volonté, comme ces divers déterminismes agissent l’un sur l’autre de façon différente suivant la concentration de la conscience, 87 leur combinaison est presque toujours variable et par suite imprévisible.

Par exemple, le destin physique ou matériel d’un être provient de ses antécédents paternels et maternels, des conditions et des circonstances physiques dans lesquelles il est né; on devrait pouvoir prévoir quels seront les événements de sa vie physique, son état de santé et l’approximative durée de son corps. Mais alors entre en jeu la formation de son être vital (l’être des désirs, des passions, mais aussi de l’énergie impulsive et de la volonté active) qui apporte avec lui son propre destin; ce destin influe sur le destin physique et peut complètement le changer et souvent même l’altérer. Par exemple, un homme qui est né avec un très bon équilibre physique et devrait vivre en très bonne santé, si son vital le pousse à des excès de tous genres, à de mauvaises habitudes, même à des vices, peut ainsi détruire en partie son bon destin physique et perdre l’harmonie de santé et de force qu’il aurait eue sans cette malencontreuse intervention. Ceci n’est qu’un exemple. Mais le problème est beaucoup plus complexe puisque, aux destins physique et vital, viennent s’ajouter le destin mental, le destin psychique et bien d’autres encore.

En fait, plus un être est haut dans l’échelle humaine, plus son être est complexe, plus ses destins sont multiples et, par suite, plus sa destinée semble imprévisible. Ce n’est cependant qu’une apparence. Et la connaissance de ces divers états d’être et des mondes intérieurs qui y correspondent donne en même temps la capacité de discerner les destins divers, leur interpénétration et leur action combinée ou dominante. Les destins supérieurs sont de toute évidence les plus proches de la vérité centrale de l’univers, et s’il leur est permis d’intervenir, leur action est nécessairement bienfaisante. L’art de vivre consisterait donc à se maintenir dans son état de conscience le meilleur et à permettre ainsi à son destin le meilleur de dominer les autres dans la vie et l’action. On peut dire sans crainte de se tromper : soyez toujours au sommet de votre conscience et toujours c’est le meilleur qui vous adviendra. Mais cela est un maximum qui n’est pas facile à atteindre. Au cas où cette condition idéale ne peut être réalisée, l’individu peut, tout au moins, lorsqu’il est confronté par un danger ou une situation critique, faire appel à son destin le meilleur par l’aspiration, la prière, l’abandon confiant à la volonté divine. Alors, dans la mesure de la sincérité de l’appel, ce destin supérieur intervient de façon favorable dans le destin ordinaire de l’être et change le cours des événements en ce qui le concerne personnellement. Ce sont les événements de ce genre qui apparaissent à la conscience extérieure comme des miracles, des interventions divines.

Bulletin, février 1950

Transformation

Nous voulons une transformation intégrale, la transformation du corps et de toutes ses activités. Mais il est un premier pas, tout à fait indispensable, qui doit être accompli avant que rien d’autre ne puisse être entrepris; c’est la transformation de la conscience. Le point de départ est, cela va sans dire, l’aspiration vers cette transformation et la volonté de la réaliser, sans cela rien ne peut se faire; mais si à l’aspiration on ajoute une ouverture intérieure, une sorte de réceptivité, on peut pénétrer d’un seul coup dans cette conscience transformée et s’y maintenir. Ce changement de conscience est, pour ainsi dire, brusque; lorsqu’il se produit c’est de façon soudaine, quoique la préparation puisse en avoir été longue et lente. Je ne parle pas ici d’un simple changement dans le point de vue mental, mais d’un changement de la conscience elle-même. C’est un changement complet et absolu, une révolution de l’équilibre de base; le mouvement est le même que celui de retourner une balle du dedans au dehors. Pour la conscience transformée tout paraît non seulement nouveau et différent, mais presque l’opposé de ce que cela paraissait à la conscience ordinaire. Dans la conscience ordinaire, vous avancez lentement, par des expériences successives, de l’ignorance vers une connaissance très éloignée et souvent douteuse. Dans la conscience transformée votre point de départ est la connaissance et vous avancez de connaissance en connaissance. Cependant ceci n’est qu’un commencement, car la conscience extérieure, les différents plans et parties de l’être extérieur et actif ne se transforment que lentement et graduellement comme une conséquence de la transformation intérieure.

Il y a un changement partiel de la conscience qui vous fait perdre tout intérêt dans les choses que l’on considérait autrefois comme désirables; mais ce n’est qu’un changement de conscience, 90 et non pas ce que nous appelons la transformation, car celle-ci est fondamentale et absolue; ce n’est pas seulement un changement, c’est un renversement de la conscience, l’être se retourne, pour ainsi dire, et se place dans une position entièrement différente. Dans la conscience ainsi retournée, l’être se tient au-dessus de la vie et des choses et de là s’occupe d’elles; il est au centre de tout et de là dirige son action vers le dehors. Tandis que dans la conscience ordinaire l’être se tient au-dehors et en dessous; du dehors il s’efforce d’atteindre le centre; d’en dessous, écrasé sous le poids de son ignorance et de son aveuglement, il lutte désespérément pour s’élever au-dessus d’eux. La conscience ordinaire ignore ce que les choses sont en réalité, elle ne voit que leur coquille. Mais la vraie conscience se trouve au centre, au cœur de la réalité et a la vision directe de l’origine de tous les mouvements. Située au-dedans et au-dessus, elle connaît la source, la cause et l’effet de toutes les choses et de toutes les forces.

Et je le répète, ce renversement est subit. Quelque chose s’ouvre en vous et vous vous trouvez tout d’un coup dans un nouveau monde. Le changement peut ne pas être dès le début final et définitif, il demande parfois du temps pour s’installer de façon permanente et devenir votre nature normale. Mais une fois que le changement a pris place, il est là en principe, une fois pour toutes; et ensuite ce qui est nécessaire est de l’exprimer graduellement dans les détails de la vie concrète. La première manifestation de la conscience transformée semble être toujours brusque. Vous ne vous sentez pas changer lentement et graduellement d’un état à un autre; vous vous sentez soudain comme éveillé, ou nouvellement né. Aucun effort de la pensée ne peut vous y amener, car vous ne pouvez pas vous imaginer avec la pensée ce que c’est, pas plus qu’aucune description mentale ne peut être adéquate.

Et tel est le point de départ de toute transformation intégrale.

Bulletin, août 1950

La peur de la mort et les quatre méthodes pour la conquérir

D’une façon générale, le plus grand peut-être des obstacles qui entravent le progrès humain, est la peur, la peur multiple, innombrable, contradictoire, illogique, irraisonnée et souvent déraisonnable. Et de toutes les peurs la plus subtile et la plus tenace est la peur de la mort. Elle a ses racines profondes dans le subconscient, et ce n’est pas facile de l’en déloger. Elle est évidemment faite de plusieurs éléments entremêlés : l’esprit de conservation et le souci de la préservation pour assurer la continuité de la conscience, le recul devant l’inconnu, le malaise causé par l’inattendu et l’imprévisible, et peut-être, derrière tout cela, caché dans les profondeurs des cellules, l’instinct que la mort n’est pas inéluctable et que, si certaines conditions sont remplies, elle peut être conquise; quoique à dire vrai, la peur en elle-même soit un des plus grands obstacles à cette conquête. Car on ne peut vaincre que ce que l’on ne craint point. Ainsi celui qui craint la mort est déjà vaincu par elle.

Comment surmonter cette peur? Plusieurs méthodes peuvent être employées à cet effet. Mais tout d’abord, certaines notions fondamentales sont nécessaires pour nous aider dans notre entreprise. Le premier point, le plus important, est de savoir que la vie est une et immortelle. Ce sont seulement les formes qui sont innombrables, passagères et friables. Il faut établir cette connaissance dans son esprit d’une façon certaine et durable, et dans la mesure du possible, identifier sa conscience à la vie éternelle indépendante de toute forme mais se manifestant dans toutes les formes. Ceci donne la base psychologique indispensable pour faire face au problème, car le problème demeure. Même si l’être intérieur est suffisamment éclairé pour être au-dessus de toute peur, la peur reste cachée 92 dans les cellules du corps, obscure, spontanée, échappant à la raison, la plupart du temps presque inconsciente. C’est dans ces profondeurs obscures qu’il faut la découvrir, la saisir et jeter sur elle la lumière de la connaissance et de la certitude.

Donc la vie ne meurt point, mais la forme se dissout et c’est cette dissolution que la conscience corporelle redoute. Pourtant cette forme est en constant changement et rien n’empêche essentiellement que ce changement soit progressif. Seul ce changement progressif pourrait faire que la mort ne soit pas inévitable, mais il est fort difficile à accomplir et exige des conditions que peu de personnes sont à même de remplir. Ainsi, suivant la catégorie des cas et des états de conscience, la méthode à suivre pour surmonter la peur de la mort sera différente. On peut classer ces méthodes en quatre genres principaux, quoique chaque genre comporte un grand nombre de variétés; à dire vrai, chacun doit élaborer son propre système.

La première méthode fait appel à la raison. On peut dire que, dans l’état actuel du monde, la mort est inévitable; tout corps qui a pris naissance, périra nécessairement un jour ou l’autre; et dans la presque totalité des cas la mort vient quand elle doit venir; on ne peut ni hâter ni reculer son moment; celui qui la recherche a parfois fort longtemps à attendre pour l’obtenir, celui qui la redoute peut être frappé par elle subitement, en dépit de toutes les précautions qu’il aura prises. L’heure de la mort semble donc fixée inéluctablement, excepté pour un tout petit nombre d’êtres qui possèdent des pouvoirs dont la race humaine ne dispose pas généralement. La raison enseigne qu’il est absurde d’avoir peur d’une chose que l’on ne peut éviter. La seule chose à faire est d’en accepter l’idée et de faire tranquillement, de jour en jour, d’heure en heure, ce que l’on peut faire de mieux, sans se soucier de ce qui arrivera. Ce procédé est très efficace quand il est employé par les intellectuels qui ont l’habitude d’agir selon les lois de la raison; mais il réussirait moins chez les émotifs qui vivent dans leurs sentiments et se laissent La peur de la mort gouverner par eux. Ceux-là devront, sans doute, avoir recours à la seconde méthode, celle de la recherche intérieure.

Au-delà de toutes les émotions, dans les profondeurs silencieuses et tranquilles de notre être, il y a une lumière qui brille constamment, c’est la lumière de la conscience psychique. Partez à la recherche de cette lumière, concentrez-vous sur elle; elle est au-dedans de vous; avec de la persévérance dans votre volonté, vous êtes sûr de la trouver et dès que vous pénétrez en elle, vous vous éveillez au sens de l’immortalité; vous avez toujours vécu, vous vivrez toujours; vous devenez tout à fait indépendant de votre corps; votre existence consciente ne dépend pas de lui; et ce corps est seulement une des formes fugitives à travers lesquelles vous vous êtes manifesté. La mort n’est plus un anéantissement, elle n’est qu’une transition. Instantanément toute peur s’évanouit et on marche dans la vie avec la calme certitude de l’homme libre.

La troisième méthode est pour ceux qui ont foi en un Dieu, leur Dieu, et qui se sont donnés à lui. Ils lui appartiennent intégralement; tous les événements de leur vie sont l’expression de la volonté divine et ils les acceptent non seulement avec une paisible soumission, mais avec reconnaissance, car ils sont convaincus que tout ce qui leur arrive est toujours pour leur bien. Ils ont une confiance mystique dans leur Dieu et dans la relation personnelle qu’ils ont avec lui; ils ont fait le don absolu de leur volonté à la sienne et ont le sentiment de son amour et de sa protection invariables, tout à fait indépendants des accidents de la vie et de la mort. Ils se sentent constamment couchés aux pieds de leur Bien-Aimé dans un abandon absolu, ou blottis dans ses bras, jouissant d’une sécurité parfaite. Il n’y a plus, dans leur conscience, aucune place pour la peur, l’anxiété ou le tourment; tout cela est remplacé par une calme et délicieuse béatitude.

Mais tout le monde n’a pas la bonne fortune d’être un mystique.

Pour finir, il y a ceux qui sont nés guerriers. Ils ne peuvent accepter la vie telle qu’elle est, et sentent vibrer en eux leur droit à l’immortalité, une immortalité totale et terrestre. Ils ont une sorte de connaissance intuitive que la mort n’est qu’une mauvaise habitude, et ils semblent être nés avec la résolution de la vaincre. Mais cette victoire nécessite un combat acharné contre une armée d’assaillants terribles et subtils, combat qui doit être livré constamment, pour ainsi dire à chaque minute. Seul celui dont le tempérament est intrépide doit s’y risquer. La lutte a plusieurs aspects; elle est située dans plusieurs plans qui s’entremêlent et se complètent.

La première bataille à livrer est déjà formidable; c’est la bataille mentale contre la suggestion collective, massive, impérieuse, contraignante; suggestion basée sur des millénaires d’expérience, sur une loi de la nature qui ne paraît pas avoir encore rencontré d’exception. Elle se traduit par cette affirmation obstinée : « Il en a toujours été ainsi, il ne peut pas en être autrement. La mort est inévitable et c’est une folie d’espérer qu’elle ne le soit pas. » Le concert est unanime et jusqu’à présent, même le savant le plus avancé ose à peine faire entendre une note discordante, un espoir pour l’avenir. Quant à la plupart des religions, elles ont basé leur pouvoir d’action sur le fait de la mort, et elles affirment que Dieu a voulu que l’homme meure puisqu’il l’a créé mortel. Beaucoup d’entre elles ont fait de la mort une délivrance, une libération, parfois même une récompense. Elles ordonnent : « Soumets-toi à la volonté du Très-Haut, accepte sans révolte l’idée de la mort, et tu seras paisible et heureux. » Il faut, en dépit de tout cela, que la conviction mentale reste inébranlable pour soutenir une volonté qui ne fléchit point. Mais pour celui qui s’est promis de vaincre la mort, toutes ces suggestions sont sans effet et ne peuvent affecter sa certitude basée sur une révélation profonde.

La seconde bataille est celle du sentiment, la lutte contre l’attachement à tout ce que l’on a construit, tout ce que l’on a La peur de la mort aimé. Par un travail assidu, parfois au coût de grands efforts, vous avez érigé votre foyer, votre carrière, votre œuvre sociale, littéraire, artistique, scientifique ou politique; vous vous êtes créé un milieu dont vous êtes le centre et dont vous dépendez au moins autant qu’il dépend de vous. Vous êtes entouré d’un ensemble de personnes, parents, amis, collaborateurs, et quand vous pensez à votre vie, ils occupent dans votre pensée une place presque aussi grande que vous-même, au point que s’ils vous étaient brusquement enlevés, vous vous sentiriez perdu, comme si une très importante partie de votre être avait disparu.

Il n’est pas question de renoncer à toutes ces choses, puisqu’elles constituent, au moins en grande partie, la raison d’être et le but de votre existence, mais il faut renoncer à tout attachement pour elles, afin de vous sentir capable de vivre sans elles, ou plutôt, afin d’être toujours prêt, si elles vous quittent, à vous reconstruire une vie nouvelle dans de nouvelles circonstances, et cela indéfiniment, car tel est le résultat de l’immortalité. On peut définir cet état ainsi : savoir tout organiser et tout exécuter avec le maximum de soin et d’attention, mais en restant libre de tout désir et de tout attachement; car si l’on veut échapper à la mort, il ne faut être lié à rien de périssable.

Après les sentiments viendront les sensations. Ici la lutte est sans merci, et les adversaires sont redoutables. Ils savent percevoir la moindre faiblesse et frappent là où vous êtes désarmé; les victoires remportées ne sont que passagères et les mêmes combats se répètent indéfiniment; l’ennemi que vous croyiez avoir vaincu se redresse encore et encore pour vous frapper. Il faut avoir un caractère fortement trempé et une endurance inlassable pour résister à toutes les défaites, tous les déboires, tous les démentis, tous les découragements, et à l’immense lassitude d’être toujours en contradiction avec l’expérience quotidienne et les événements terrestres.

Maintenant nous en arrivons au combat le plus terrible de tous, le combat matériel, celui qui se livre dans le corps; car il est sans répit et sans trêve. Il commence à la naissance et ne peut se terminer qu’avec la défaite de l’un des deux belligérants : la force de transformation et la force de désintégration. Je dis depuis la naissance, car en fait les deux tendances sont en conflit dès l’entrée dans le monde, quoique ce conflit ne devienne conscient et volontaire que beaucoup plus tard. Car toutes les indispositions, les maladies, les malformations, les accidents même, sont l’effet de l’action de la force de désintégration, comme la croissance, le développement harmonieux, la résistance aux attaques diverses, la guérison des maladies, tous les rétablissements au fonctionnement normal, toutes les améliorations progressives sont dus à l’action de la force de transformation. Plus tard, avec le développement de la conscience, quand la lutte devient volontaire, elle se change en une course compétitive effrénée entre les deux tendances contraires, une course à celle qui atteindra son but la première : la transformation ou la mort. C’est l’effort ininterrompu, la concentration constante pour faire descendre la force régénératrice et pour augmenter la réceptivité des cellules à cette force, pour lutter pas à pas, point à point contre l’action dévastatrice des forces de destruction et de déchéance, pour arracher à son emprise tout ce qui est capable de répondre à l’impulsion ascendante, pour éclairer, purifier, équilibrer. Combat obscur et obstiné, le plus souvent sans résultat apparent, et sans signe extérieur des victoires partielles remportées dont on ne peut avoir la certitude, car le travail fait semble toujours à refaire; chaque pas en avant est le plus souvent payé par un recul ailleurs, et ce qui a été accompli un jour peut être redéfait le lendemain; en effet la victoire ne peut être assurée et durable que si elle est totale. Et tout cela prend du temps, beaucoup de temps, et les années passent inexorables, augmentant la puissance des forces adverses.

Pendant tout ce temps la conscience est comme une sentinelle debout dans la tranchée : il faut tenir, tenir à tout prix, La peur de la mort sans un tressaillement de peur, sans un relâchement de vigilance, gardant une foi inébranlable dans la mission à remplir et dans l’aide d’en haut qui vous anime et vous soutient. Car le triomphe est au plus endurant.

Il y a bien un autre moyen de vaincre la peur de la mort, mais il est à la portée d’un si petit nombre, qu’il n’est mentionné ici qu’à titre de renseignement. C’est d’entrer dans le domaine de la mort volontairement et consciemment, tandis qu’on est en vie; puis de retourner de cette région vers le corps physique pour rentrer en lui et reprendre le cours de l’existence matérielle, en toute connaissance de cause. Mais pour cela il faut être un initié.

Bulletin, février 1954


RÉPONSES À DES QUESTIONS

Suscitées par le dernier paragraphe de « La peur de la mort et les quatre méthodes pour la conquérir ».

Toutes les questions posées peuvent se réduire à une seule : quelle est cette connaissance ou cette discipline qui donne la faculté d’affronter la mort sans crainte?

Jusqu’à présent rien n’a été dit ici de ce mode de connaissance, qui est aussi un mode d’action, parce que l’étude et la pratique de cette science ne peuvent pas être laissées à la portée de tous. Parler des choses occultes a peu de valeur; il faut les expérimenter. Et cette expérimentation exige, non seulement des capacités spéciales, qui ne sont possédées que par un petit nombre d’hommes, mais aussi un développement psychologique que peu de gens peuvent obtenir. Dans le monde moderne, cette connaissance n’est guère reconnue comme scientifique; et pourtant elle l’est, car elle remplit les conditions généralement requises pour une science. C’est un ensemble de connaissances ordonnées d’après des principes; elle suit des procédés précis et, en reproduisant exactement les conditions données, on obtient les mêmes effets. C’est aussi une connaissance progressive, à l’étude de laquelle on peut se consacrer et que l’on peut développer d’une manière régulière et logique, comme toutes les autres sciences telles qu’on les admet à présent. Mais cette étude s’occupe de réalités qui n’appartiennent pas au monde le plus matériel. Pour l’entreprendre, il faut posséder des sens spéciaux, car le domaine où elle se meut échappe à nos sens ordinaires. Ces sens spéciaux sont latents chez les hommes. De même que nous avons un corps physique, nous avons aussi d’autres corps plus subtils qui possèdent des sens; ces sens sont beaucoup plus raffinés et plus précis, beaucoup plus puissants que nos sens physiques. Mais naturellement, comme l’éducation n’a pas l’habitude de s’occuper de ce domaine, ces sens ne sont généralement pas développés, et les mondes où ils s’exercent échappent à la connaissance ordinaire. Pourtant les enfants, spontanément, vivent beaucoup dans ce domaine-là. Ils voient toutes sortes de choses qui sont pour eux aussi réelles que les choses physiques. Ils en parlent et, le plus souvent, on leur dit qu’ils sont stupides ou menteurs, parce qu’ils mentionnent des phénomènes dont les autres n’ont pas l’expérience, mais qui sont pour eux aussi vrais, aussi tangibles, aussi réels que ce que tout le monde peut voir. Les rêves que les enfants ont si souvent, soit pendant leur sommeil, soit à l’état de veille, sont d’une grande intensité et ont une importance capitale dans leur vie. C’est seulement avec le développement mental intensif que ces capacités s’atténuent chez les enfants, et finissent même parfois par disparaître. Cependant il y a des gens qui ont la bonne fortune d’être nés avec un développement spontané des sens intérieurs, et rien ne peut empêcher que ces sens restent éveillés et même se développent. Si de telles gens rencontrent à temps quelqu’un qui ait la connaissance et puisse les aider dans une éducation méthodique des sens subtils, ils deviendront des La peur de la mort instruments très intéressants pour les études et les découvertes dans les mondes occultes.

De tout temps, il y a eu sur terre des individus isolés ou de petits groupes détenteurs d’une très ancienne tradition, corroborée par leurs expériences propres, qui pratiquaient ce genre de science. Ils recherchaient ces éléments particulièrement doués et leur donnaient l’instruction nécessaire. Généralement ces groupes vivaient plus ou moins secrets ou cachés, parce que les hommes ordinaires sont très intolérants de ce genre de capacités et d’activités, qui les dépassent et les effrayent. Mais il y a eu de belles époques de l’histoire humaine où furent fondées des écoles initiatiques reconnues, très appréciées et respectées, comme dans l’ancienne Égypte, l’ancienne Chaldée, l’Inde ancienne, et même partiellement en Grèce et à Rome. Il y a eu des collèges enseignant la science occulte même dans l’Europe du Moyen Âge; mais ils devaient se cacher très soigneusement, car ils étaient poursuivis et persécutés par la religion chrétienne officielle. Et si par hasard on découvrait que celui-ci ou celle-là pratiquait cette science occulte, on les plaçait sur un bûcher et on les brûlait vivants, comme des sorciers. Maintenant la connaissance est presque perdue; il n’y a que très peu de gens qui l’ont. Mais avec la connaissance, l’intolérance aussi est partie. À notre époque, il est vrai, la plupart des gens instruits préfèrent nier cette science ou la taxer d’imagination, voire même de supercherie, pour se voiler à eux-mêmes leur propre ignorance et le malaise qu’ils éprouveraient à devoir reconnaître la réalité d’un pouvoir sur lequel ils n’ont aucun contrôle. Et même parmi ceux qui ne nient pas, la plupart n’aiment pas beaucoup ces choses-là ; elles les dérangent et les ennuient; mais enfin ils sont obligés d’admettre que ce ne sont pas des crimes. Et on ne met plus, ni sur le bûcher ni en prison, les gens qui pratiquent l’occultisme. Seulement, depuis qu’il n’est plus nécessaire de se cacher, beaucoup de personnes prétendent savoir, mais il y en a très peu qui savent vraiment. Profitant du mystère dont s’enveloppait autrefois la science occulte, certains ambitieux sans scrupules s’en servent pour en faire un moyen de mystification et de tromperie. Mais ce n’est pas d’après eux qu’il faut juger de la connaissance qu’ils prétendent à tort avoir. Dans tous les domaines de l’action humaine, il y a des charlatans et des imposteurs; mais on ne doit pas laisser leurs supercheries jeter le discrédit sur une science réelle qu’ils se targuent faussement de posséder. C’est pourquoi, aux belles époques du développement de cette science, alors qu’il y avait des écoles officielles pour la pratiquer, avant d’admettre qui que ce soit à entreprendre ces études, on le soumettait pendant fort longtemps, parfois pendant des années, à une double discipline très sévère de développement et de maîtrise de soi. D’une part on s’assurait, autant qu’il est possible, de la sincérité et du désintéressement des intentions de l’aspirant, de la pureté de ses mobiles, de sa capacité d’oubli de soi et d’abnégation, de son sens du sacrifice, de son absence d’égoïsme. Tandis que, de la sorte, étaient prouvées la hauteur et la noblesse de son aspiration, le candidat était d’autre part soumis à une série d’épreuves ayant pour but de démontrer que ses capacités étaient suffisantes et qu’il pouvait sans danger pratiquer la science à laquelle il voulait se consacrer. Ces épreuves insistaient particulièrement sur la maîtrise des passions et des désirs, sur l’établissement d’un calme inébranlable et surtout sur l’absence de toute peur; car dans cette entreprise, une intrépidité à toute épreuve est la condition essentielle de la sécurité.

Dans un de ses aspects, la science occulte est, en quelque sorte, une chimie s’appliquant au jeu des forces et à la constitution des mondes et des formes individuelles dans les dimensions internes. Et, de même que dans la chimie matérielle, la manipulation de certaines substances ne va pas sans danger, de même dans les domaines occultes, le maniement de certaines forces et le contact avec elles comportent des risques, que seuls un grand sang-froid et un calme inébranlable rendent inoffensifs.

Sous un autre de ses aspects, la science occulte est, pour le chercheur individuel, comme la découverte et l’exploration de régions inconnues dont on apprend, souvent à ses dépens, les lois et les coutumes; certaines de ces régions sont même assez terrifiantes pour le commençant, qui se voit entouré de périls imprévus et nouveaux pour lui. Cependant, la plupart de ces dangers sont plus imaginaires que véritables et, pour celui qui les affronte sans crainte, ils perdent la majeure partie de leur réalité.

En tout cas, il a de tout temps été recommandé de ne pas entreprendre ces études sans un guide très sûr pour indiquer les chemins à suivre, pour mettre en garde contre les dangers, illusoires ou non, et pour protéger le cas échéant.

Il est donc difficile de donner ici plus de détails sur la science elle-même, excepté que la base indispensable des études occultes est l’admission de la réalité concrète et objective des multiples états d’être et des mondes internes, application psychologique de la théorie des espaces à quatre dimensions et plus.

Ainsi la science occulte pourrait être définie : une objectivation concrète dans le monde des formes de ce que les disciplines spirituelles enseignent au point de vue purement psychologique. Les deux doivent se compléter pour la perfection du développement et de l’action intégrale. La connaissance occulte sans la discipline spirituelle est un outil dangereux pour celui qui s’en sert comme pour les autres, s’il tombe dans des mains impures. La connaissance spirituelle sans la science occulte manque de précision et de certitude dans ses effets objectifs; elle n’est toutepuissante que dans le domaine subjectif. Les deux, combinées dans l’action, soit intérieure, soit extérieure, sont irrésistibles et constituent des instruments appropriés pour la manifestation de la puissance supramentale.

Bulletin, avril 1954

Un rêve

Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n’aurait le droit de dire : « Il est à moi »; où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme un citoyen du monde et n’obéir qu’à une seule autorité, celle de la suprême vérité; un lieu de paix, de concorde, d’harmonie, où tous les instincts guerriers de l’homme seraient utilisés exclusivement pour vaincre les causes de ses souffrances et de ses misères, pour surmonter ses faiblesses et ses ignorances, pour triompher de ses limitations et de ses incapacités; un lieu où les besoins de l’esprit et le souci du progrès primeraient la satisfaction des désirs et des passions, la recherche des plaisirs et de la jouissance matérielle. Dans cet endroit, les enfants pourraient croître et se développer intégralement sans perdre le contact avec leur âme; l’instruction serait donnée, non en vue de passer des examens ou d’obtenir des certificats et des postes, mais pour enrichir les facultés existantes et en faire naître de nouvelles. Dans ce lieu, les titres et les situations seraient remplacés par des occasions de servir et d’organiser; il y serait pourvu aux besoins du corps également pour tous, et la supériorité intellectuelle, morale et spirituelle se traduirait dans l’organisation générale, non par une augmentation des plaisirs et des pouvoirs de la vie, mais par un accroissement des devoirs et des responsabilités. La beauté sous toutes ses formes artistiques, peinture, sculpture, musique, littérature, serait accessible à tous également — la faculté de participer aux joies qu’elle donne étant limitée uniquement par la capacité de chacun et non par la position sociale ou financière. Car dans ce lieu idéal, l’argent ne serait plus le souverain seigneur; la valeur individuelle aurait une importance très supérieure à celle des richesses matérielles et de la position sociale. Le travail n’y serait pas le moyen de gagner sa vie, mais le moyen de s’exprimer et de développer ses capacités et ses possibilités, tout en rendant service à l’ensemble du groupe qui, de son côté, pourvoirait aux besoins de l’existence et au cadre d’action de chacun. En résumé, ce serait un endroit où les relations entre êtres humains, qui sont d’ordinaire presque exclusivement basées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d’émulation pour bien faire, de collaboration et de réelle fraternité.

La terre n’est pas prête pour réaliser un semblable idéal, parce que l’humanité ne possède pas encore la connaissance suffisante pour le comprendre et l’adopter, ni la force consciente indispensable à son exécution; et c’est pourquoi je l’appelle un rêve.

Pourtant, ce rêve est en voie de devenir une réalité; et c’est à cela que nous nous efforçons à l’Ashram de Sri Aurobindo, sur une toute petite échelle, à la mesure de nos moyens réduits. La réalisation est certes loin d’être parfaite, mais elle est progressive; et petit à petit, nous nous avançons vers notre but qui, nous l’espérons, pourra un jour être présenté au monde comme un moyen pratique et efficace de sortir du chaos actuel, pour naître à une vie nouvelle plus harmonieuse et plus vraie.

Bulletin, août 1954

Soulager l’humanité

Pour celui qui veut réaliser le yoga intégral, le soulagement de l’humanité ne peut pas être un but en lui-même, ce n’est qu’une conséquence et un résultat. Et si justement tous les efforts pour apporter une amélioration aux conditions humaines ont en définitive lamentablement échoué, malgré toute l’ardeur des enthousiasmes et des dévouements qu’ils ont tout d’abord suscités, c’est parce que la transformation des conditions de la vie humaine ne peut être obtenue que par une autre transformation préliminaire, celle de la conscience des hommes ou tout au moins d’un petit nombre de sujets exceptionnels qui seraient capables de construire les bases d’une transformation plus générale.

Mais sur ce sujet nous reviendrons plus tard; il fera l’objet de notre conclusion. Je veux vous parler tout d’abord de deux exemples frappants choisis parmi les adeptes de la vraie philanthropie.

Aux deux extrêmes de la pensée et de l’action, deux êtres d’élite, deux des plus belles âmes humaines s’exprimant dans un cœur sensible et compatissant, reçurent le même choc psychique au contact de la misère des hommes. Tous deux consacrèrent leur vie entière à trouver un remède aux souffrances de leurs congénères et crurent l’avoir trouvé. Mais comme leurs deux solutions, qu’on peut qualifier de contraires, étaient, chacune dans son domaine propre, incomplètes et partielles, elles échouèrent, et les souffrances de l’humanité n’en furent point soulagées.

L’un en Orient, le Prince Siddhârtha, connu plus tard comme le Bouddha, l’autre en Occident, Monsieur Vincent, que l’on devait appeler après sa mort Saint Vincent de Paul, se tenaient, pour ainsi dire, chacun à un pôle de la conscience humaine, et leurs méthodes d’aide étaient diamétralement opposées. Pourtant tous les deux croyaient au salut par l’esprit, par cet absolu inconnaissable à la pensée, que l’un appelait Dieu et l’autre le Nirvâna.

Vincent de Paul avait une foi ardente et prêchait à ses ouailles qu’il fallait sauver son âme; mais au contact de la misère humaine, bien vite il s’aperçut que pour trouver son âme il faut avoir le temps de la chercher; et ceux qui peinent du matin au soir, et souvent du soir au matin, pour gagner une maigre pitance à peine suffisante pour les garder en vie, quand ont-ils vraiment le temps de penser à leur âme? Alors, dans la simplicité de son cœur charitable, il en conclut que si les pauvres avaient au moins le strict nécessaire assuré par ceux qui ont plus qu’il ne leur faut, ces malheureux auraient le loisir de vivre une vie meilleure. Il crut à la vertu et à l’efficacité des œuvres sociales, de la charité active et matérielle; il crut qu’on pouvait guérir le mal en multipliant les guérisons individuelles, en soulageant un plus grand nombre, un très grand nombre d’individus. Mais ceci n’est qu’un palliatif, ce n’est pas une guérison. Pourtant le dévouement, l’abnégation et le courage dont Vincent de Paul a fait preuve dans l’accomplissement de son œuvre étaient si exceptionnellement complets et généreux qu’ils ont fait de lui une des plus belles, des plus émouvantes figures de l’histoire de l’humanité. En fin de compte, cependant, son effort semble avoir multiplié plutôt que diminué le nombre des indigents et des incapables. Certainement le résultat le plus positif de son apostolat est d’avoir créé dans la mentalité d’une certaine catégorie de la classe fortunée un sens de charité appréciable; et à cause de cela l’œuvre a été vraiment plus utile à ceux qui ont fait la charité qu’à ceux qui ont été l’objet de cette charité.

Tout à l’autre bout de la conscience, se trouve le Bouddha avec sa pure et sublime compassion. Pour lui, les douleurs résultant de la vie ne pouvaient être abolies que par l’abolition de la vie; car la vie et le monde sont la conséquence du désir d’être, le fruit de l’ignorance; abolissez le désir, supprimez l’ignorance, et le monde disparaîtra, entraînant avec lui la souffrance et la misère. Dans un grand effort d’aspiration spirituelle et de concentration silencieuse, il élabora sa discipline, une des disciplines les plus hautes et les plus efficaces qui aient jamais été données aux hommes assoiffés de libération.

Des millions ont cru à sa doctrine, quoique le nombre des individus capables de la mettre en pratique ait été minime; mais la condition terrestre est restée pratiquement la même et il n’y a pas eu de diminution appréciable dans la masse des souffrances humaines.

Cependant les hommes ont canonisé le premier et déifié le second, dans leur tentative de donner une expression à leur gratitude et à leur admiration. Mais bien peu nombreux sont ceux qui ont essayé sincèrement de mettre en pratique la leçon et l’exemple qui leur étaient donnés, quoique cela soit vraiment la seule manière efficace de prouver sa reconnaissance. Pourtant, même si cela avait été fait, les conditions de la vie humaine n’auraient pas été améliorées de façon très sensible. Car, soulager n’est pas guérir, et échapper n’est pas conquérir. En effet, soulager les maux physiques, la solution proposée par Vincent de Paul, ne peut en aucune façon suffire à guérir l’humanité de sa misère et de sa souffrance; car toutes les souffrances humaines ne proviennent pas du dénuement physique et ne peuvent pas être guéries par des moyens matériels — loin de là ; le bienêtre du corps n’apporte pas forcément la paix et la joie; et la pauvreté n’est pas nécessairement une cause de misère, comme le prouve la pauvreté volontaire des ascètes de tout pays et de toute époque qui ont trouvé dans leur dénuement la source et la condition d’une paix et d’un bonheur parfaits. Tandis que, tout au contraire, la jouissance des biens de ce monde, de tout ce que les richesses matérielles peuvent donner de confort, d’agrément et de satisfactions extérieurs, est impuissante à empêcher Soulager l’humanité celui qui possède ces choses, d’être atteint par la douleur et la tristesse.

L’autre solution, celle du Bouddha, la fuite, ne peut pas non plus apporter un remède pratique au problème. Car même en admettant qu’un très grand nombre d’individus soient capables de pratiquer la discipline et d’obtenir la libération finale, cela ne pourrait en aucune manière abolir la souffrance de la terre et en guérir les autres, tous les autres qui sont encore incapables de suivre le chemin menant au Nirvâna.

En fait, le vrai bonheur est celui qu’on peut éprouver en toutes circonstances quelles qu’elles soient parce qu’il provient de régions que les conditions extérieures ne peuvent affecter. Mais ce bonheur-là n’est accessible qu’à un très petit nombre d’individus, et la majorité de l’espèce humaine est encore soumise aux conditions terrestres. Nous pouvons donc dire que, d’une part, un changement dans la conscience humaine s’impose comme indispensable; et que, d’autre part, sans la transformation intégrale de l’atmosphère terrestre, les conditions de la vie humaine ne peuvent être efficacement changées. Dans les deux cas, le remède est le même : une conscience nouvelle doit se manifester à la fois sur la terre et dans l’homme. Seule l’apparition d’une force, d’une lumière, d’une puissance nouvelles, accompagnant la descente dans ce monde de la conscience supramentale peut faire surgir l’homme hors des angoisses, des douleurs et des misères dans lesquelles il est plongé. Car seule la conscience supramentale apportant à la terre un équilibre supérieur et une lumière plus pure et plus vraie, peut accomplir le grand miracle de la transformation.

C’est vers cette manifestation nouvelle que la Nature s’efforce. Mais ses chemins sont tortueux et sa marche est incertaine, pleine d’arrêts et de reculs, au point qu’il est difficile de percevoir son vrai dessein; il devient cependant de plus en plus clair qu’elle veut faire surgir de l’espèce humaine une espèce nouvelle, une race supramentale qui sera à l’homme ce que l’homme est à l’animal. Mais l’avènement de cette transformation, cette création d’une espèce nouvelle que la Nature prendrait des siècles de tâtonnements et de tentatives à produire, peut être effectué par la volonté intelligente de l’homme, non seulement en beaucoup moins de temps, mais aussi avec beaucoup moins de gaspillages et de déchets.

C’est ici que le yoga intégral prend sa vraie place et son utilité. Car le yoga est destiné à surmonter, par l’intensité de sa concentration et de son effort, les délais que le temps impose à toute transformation radicale, à toute création nouvelle.

Le yoga intégral n’est pas une fuite hors du monde physique, l’abandonnant à son sort irrévocablement; ce n’est pas non plus une acceptation de la vie matérielle telle qu’elle est, sans espoir de changement décisif, et du monde comme étant l’expression définitif de la Volonté Divine.

Le yoga intégral a pour but de franchir dans la conscience tous les échelons menant depuis la conscience mentale ordinaire jusqu’à une conscience supramentale et divine; et lorsque l’ascension est achevée, de retourner vers le monde matériel pour y infuser la conscience et la force supramentales acquises, afin de transformer peu à peu cette terre en un monde supramental et divin.

Le yoga intégral s’adresse plus particulièrement à ceux qui ont réalisé en eux-mêmes tout ce que l’homme peut réaliser, et cependant ne sont pas satisfaits, car ils veulent de la vie autre chose que ce qu’elle peut leur donner. Ceux qui sont assoiffés d’inconnu et qui aspirent à la perfection, ceux qui se posent des questions angoissantes et n’y ont pas trouvé de réponses définitives, ceux-là sont mûrs pour le yoga intégral.

Car il y a une série de questions essentielles que ceux qui s’intéressent au sort de l’humanité et ne se contentent pas des formules courantes, se posent nécessairement. Elles peuvent se formuler à peu près comme suit :

Pourquoi naître si c’est pour mourir?

Pourquoi vivre si c’est pour souffrir?

Pourquoi aimer si c’est pour être séparés?

Pourquoi penser si c’est pour se tromper?

Pourquoi agir si c’est pour faire des fautes?

La seule réponse acceptable est que les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être et que ces démentis non seulement ne sont pas inévitables, mais qu’ils sont réparables et disparaîtront un jour. Car le monde n’est pas irrémédiablement ce qu’il est. La terre est dans une période de transition, longue certes pour la durée de la conscience humaine si brève, mais infinitésimale pour la conscience éternelle; et cette période prendra fin avec l’apparition de la conscience supramentale. Alors les contradictions seront remplacées par des harmonies et les oppositions par des synthèses.

Cette nouvelle création, cette apparition d’une race surhumaine a été déjà l’objet de bien des spéculations et de beaucoup de controverses. L’imagination humaine se plaît à faire des portraits plus ou moins flatteurs de ce que sera le surhomme. Mais seul le semblable connaît le semblable, et c’est une prise de conscience de la nature divine dans son essence qui pourra permettre la conception de ce que cette nature divine sera dans la manifestation. Cependant ceux qui ont réalisé cette conscience en eux-mêmes sont généralement plus anxieux de devenir le surhomme que de faire sa description.

Pourtant il peut être utile de dire ce que ce surhomme ne sera sûrement pas, afin d’écarter du chemin certaines incompréhensions. Par exemple, j’ai lu quelque part que la race surhumaine serait essentiellement cruelle et insensible; étant elle-même au-dessus de la souffrance, elle n’attachera aucune importance à la souffrance des autres et la prendra pour un signe de leur imperfection et de leur infériorité. Sans doute, ceux qui pensent ainsi, jugent des relations entre surhomme et homme d’après la manière dont se conduit l’homme à l’égard de ses frères inférieurs, les animaux. Mais cette façon d’agir, loin d’être la preuve d’une supériorité, est un signe certain d’inconscience et de stupidité. Nous en voyons d’ailleurs la preuve dans le fait que l’homme, dès qu’il s’élève à un niveau un peu supérieur, commence à éprouver de la compassion pour les bêtes et s’efforce d’améliorer leur sort. Cependant il y a un élément de vérité dans la conception d’un surhomme insensible; c’est qu’une race supérieure n’éprouvera pas le genre de pitié égoïste, faible et sentimentale que les hommes appellent charité. Cette pitié, plus nuisible qu’efficace, sera remplacée par une compassion éclairée et forte, dont le seul but sera de porter vraiment remède à la souffrance et non de la perpétuer.

D’autre part, cette conception décrit assez bien ce que serait le règne sur terre d’une race d’êtres du monde vital qui sont immortels dans leur nature et beaucoup plus puissants que l’homme dans leurs capacités, mais qui, dans leur volonté, sont incurablement antidivins, et qui semblent avoir pour mission dans l’univers de retarder la réalisation divine jusqu’à ce que les outils de cette réalisation, les hommes, soient assez purs, forts et parfaits pour avoir raison de tous les obstacles. Et peutêtre ne serait-ce point inutile de mettre la pauvre terre, déjà trop affligée, en garde contre la possibilité de cette domination néfaste.

En attendant que le surhomme puisse en personne prouver à l’homme ce qu’est sa vraie nature, il serait peut-être sage pour tout être de bonne volonté de devenir conscient de ce qu’il peut concevoir de plus beau, de plus noble, de plus vrai, de plus pur, de plus lumineux et de meilleur, et d’aspirer à ce que cette conception se réalise en lui-même pour le plus grand bien du monde et des autres.

Bulletin, novembre 1954

Le problème de la femme

Je voudrais vous parler du problème de la femme; un problème aussi vieux que l’humanité dans son apparence, mais infiniment plus vieux dans sa source. Car si on veut trouver la loi qui le régit et le résout, il faut remonter jusqu’à l’origine de l’univers, par-delà même la création.

Certaines traditions parmi les plus anciennes, peut-être même les plus anciennes, ont donné comme cause à la création de l’univers, la volonté d’un Suprême Absolu de se manifester dans une objectivation de lui-même; et le premier acte de cette objectivation aurait été l’émanation de la Conscience créatrice. Or, ces anciennes traditions parlent d’habitude de l’Absolu au masculin et de la Conscience au féminin, faisant ainsi de ce geste primordial, l’origine de la différenciation entre l’homme et la femme, et, du même coup, donnant une sorte de priorité au masculin sur le féminin; en effet, quoiqu’ils soient un, identiques et coexistants avant la manifestation, le masculin a pris la décision première, et a émané le féminin pour exécuter cette décision; ce qui revient à dire que s’il n’y a pas de création sans le féminin, il n’y a pas, non plus, de manifestation féminine sans une décision préalable du masculin.

On pourrait certes se demander si cette explication n’est pas un peu trop humaine. Mais, à dire vrai, toute explication que les hommes peuvent donner, tout au moins dans sa formulation, sera toujours et forcément humaine. Car, dans leur ascension spirituelle vers l’Inconnaissable et l’Impensable, certains individus exceptionnels ont pu dépasser la nature humaine et s’identifier à l’objet de leur recherche, dans une expérience sublime et en quelque sorte informulable. Mais lorsqu’ils ont voulu faire bénéficier les autres de leur découverte, ils ont dû la formuler et, pour être compréhensible, leur formule devait nécessairement être humaine et symbolique.

On pourrait aussi se demander si ce sont ces expériences et leur révélation qui sont responsables du sens de supériorité que l’homme a presque toujours vis-à-vis de la femme, ou si, au contraire, c’est ce sens de supériorité, si généralement répandu, qui est responsable de la formule donnée aux expériences...

En tout cas, le fait demeure, indiscutable : l’homme se sent supérieur et veut dominer, la femme se sent opprimée et se révolte, ouvertement ou secrètement; et l’éternelle querelle entre sexes se perpétue d’âge en âge, identique dans son essence, innombrable dans ses formes et ses nuances.

Il est bien entendu que l’homme jette tout le blâme sur la femme et que, de même, la femme jette tout le blâme sur l’homme; en vérité le blâme doit être également distribué sur tous deux et aucun ne peut se targuer d’être supérieur à l’autre. D’ailleurs, tant que ne sera pas éliminée cette notion de supériorité et d’infériorité, rien ni personne ne pourra mettre fin au malentendu qui divise l’espèce humaine en deux camps opposés, et le problème ne sera pas résolu.

Tant de choses ont été dites et écrites sur ce problème, il a été abordé par tant d’angles différents, qu’un volume ne suffirait pas à faire l’exposé de tous ses aspects. En général, les théories sont excellentes, ou, en tout cas, ont toutes leurs vertus, mais la pratique s’est avérée moins heureuse, et je ne sais pas si, sur le plan de la réalisation, nous sommes beaucoup plus avancés qu’à l’âge de pierre. Car dans leurs relations réciproques, l’homme et la femme sont à la fois, et l’un pour l’autre, des maîtres assez despotiques et des esclaves un peu pitoyables.

Oui, des esclaves, car tant qu’on a des désirs, des préférences et des attachements, on est l’esclave de ces choses, ainsi que de ceux dont on dépend pour leur satisfaction.

Ainsi la femme est l’esclave de l’homme à cause de l’attraction qu’elle éprouve pour le mâle et sa force, à cause du désir Le problème de la femme d’un « chez-soi » et de la sécurité qu’il procure, enfin à cause de l’attachement à la maternité; de son côté, l’homme aussi est l’esclave de la femme, par suite de son esprit de possession, sa soif de pouvoir et de domination, à cause du désir de la relation sexuelle, et à cause de l’attachement aux petits conforts et aux facilités de la vie conjugale.

C’est pourquoi aucune loi ne peut libérer les femmes à moins qu’elles ne se libèrent elles-mêmes; et de même, les hommes aussi, en dépit de toutes leurs habitudes de domination ne pourront cesser d’être des esclaves que lorsqu’ils se seront libérés de tout esclavage intérieur.

Et cet état de lutte sourde, souvent inavouée, toujours présente dans le subconscient, même dans les cas les meilleurs, semble inévitable, à moins que les êtres humains ne s’élèvent au-dessus de leur conscience ordinaire, pour s’identifier à la conscience parfaite, pour s’unifier à la Suprême Réalité. Car, dès qu’on atteint cette conscience supérieure on s’aperçoit que la différence entre homme et femme se réduit à une différence purement corporelle.

En effet, il se peut que sur terre il y ait eu à l’origine un type masculin et un type féminin purs, ayant chacun leurs caractères spéciaux et nettement différenciés; mais par la suite des temps, les mélanges inévitables, les hérédités, tous les fils ressemblant à leur mère, toutes les filles ressemblant à leur père, les progrès sociaux, les occupations similaires, tout cela a rendu impossible, de nos jours, la découverte d’un de ces types purs : tous les hommes sont féminins sous bien des aspects, toutes les femmes sont, par beaucoup de traits, masculines, surtout dans les sociétés modernes. Mais malheureusement, à cause de l’apparence physique, l’habitude de la querelle se perpétue, aggravée même, peut-être, par un esprit de concurrence.

À leurs meilleurs moments, tous deux, l’homme et la femme, peuvent oublier leur différence de sexe, mais à la moindre provocation cela réapparaît, la femme se sent femme, l’homme se sait homme et la querelle renaît indéfiniment, sous une forme ou une autre, ouverte ou voilée, et peut-être d’autant plus aiguë qu’elle est moins avouée. Et on se demande s’il n’en sera pas ainsi jusqu’au jour où il n’y aura plus d’hommes et de femmes, mais des âmes vivantes exprimant leur origine identique dans des corps asexués.

Car on rêve d’un monde où, enfin, toutes ces oppositions disparaîtront et où pourra vivre et prospérer un être qui sera la synthèse harmonieuse de tout ce que l’espèce humaine a produit de meilleur, identifiant dans une conscience et une action uniques, la conception et l’exécution, la vision et la création.

En attendant cette heureuse et radicale solution du problème, sur ce point, comme sur bien d’autres, l’Inde est le pays des contrastes violents et contradictoires, qui peuvent, cependant, se résoudre par une synthèse très vaste et compréhensive.

En effet, n’est-ce point dans l’Inde que l’on trouve la plus intense adoration, la plus complète vénération pour la Mère Suprême, créatrice de l’univers, triomphatrice de tous les ennemis, mère de tous les dieux et de tous les mondes, dispensatrice de tous les bienfaits.

Et n’est-ce point aussi dans l’Inde qu’on trouve la condamnation la plus radicale, le mépris le plus profond du principe féminin, Prakriti, Mâyâ, l’illusion corruptrice, cause de toutes les chutes et de toutes les misères, la Nature qui trompe et souille et entraîne loin du Divin.

Toute la vie de l’Inde est imprégnée de cette contradiction; elle en souffre dans sa pensée et dans son cœur. Des divinités féminines sont partout dressées sur ses autels; c’est de leur Mère Durgâ que les enfants de l’Inde attendent le salut et la libération; et pourtant l’un d’entre eux n’a-t-il pas dit que l’Avatâr ne s’incarnerait jamais dans un corps de femme, parce qu’aucun hindou bien pensant ne le reconnaîtrait! Heureusement que le Divin n’est pas affecté par un esprit aussi étroitement sectaire et qu’il n’est pas mû par des considérations aussi mesquines; et Le problème de la femme lorsqu’il lui plaît de se manifester dans un corps terrestre, il se soucie fort peu d’être ou de ne pas être reconnu par les hommes. D’ailleurs, à travers toutes ses incarnations, il paraît avoir toujours préféré aux érudits, les enfants et les cœurs simples.

Dans tous les cas, en attendant que la manifestation d’une conception et d’une conscience nouvelles contraigne la Nature à créer une espèce nouvelle qui, n’ayant plus besoin de se soumettre à la nécessité de la procréation animale, ne serait plus obligée de se scinder en deux sexes complémentaires, le mieux que l’on puisse faire pour le progrès de l’espèce humaine actuelle, est de traiter les deux sexes sur un pied de parfaite égalité, de leur donner une éducation et une instruction identiques, et de leur apprendre à trouver, dans un contact constant avec une Réalité Divine qui est au-dessus de toute différenciation sexuelle, la source de toutes les possibilités et de toutes les harmonies.

Et peut-être que l’Inde, terre des contrastes, sera aussi celle des réalisations nouvelles, comme elle fut le berceau de leur conception.

Bulletin, avril 1955

Deuxième partie

Messages, Lettres et Conversations




Le Centre International d'Éducation Sri Aurobindo




Messages

Une des formes les plus récentes sous lesquelles Sri Aurobindo envisageait le développement de son œuvre était d’établir à Pondichéry un Centre Universitaire ouvert aux étudiants du monde entier.

Nous considérons que le meilleur moyen de commémorer son nom est de fonder cette Université maintenant, de façon à donner une expression concrète au fait que son œuvre continue avec une rigueur non diminuée.

1951

MESSAGES POUR INAUGURER LA CONVENTION À LA MÉMOIRE DE SRI AUROBINDO

Sri Aurobindo est présent parmi nous. C’est avec la puissance de son génie créateur qu’il préside à la formation du Centre Universitaire qu’il considérait comme un des meilleurs moyens de préparer l’humanité future à recevoir la lumière supramentale qui transformera l’élite d’aujourd’hui en une race nouvelle manifestant sur terre la lumière, la force et la vie nouvelles. C’est donc en son nom que je déclare ouverte aujourd’hui cette convention, réunie en ce lieu dans le but de réaliser un de ses projets les plus chers.

24 avril 1951

PRIÈRE DES ÉLÈVES

(Donné lors de l’inauguration du Centre Universitaire International Sri Aurobindo)

Fais de nous les guerriers héroïques que nous aspirons à devenir, pour livrer avec succès la grande bataille de l’avenir qui doit naître, contre le passé qui veut durer; afin que les choses nouvelles puissent se manifester et que nous soyons prêts à les recevoir.

6 janvier 1952


Nous ne sommes pas ici pour faire (peut-être un peu mieux) ce que les autres font.

Nous sommes ici pour faire ce que les autres ne peuvent pas faire parce qu’ils n’ont même pas l’idée que cela peut être fait.

Nous voulons ouvrir la voie de l’avenir aux enfants qui appartiennent à l’avenir.

Tout le reste ne vaut pas la peine d’être fait et n’est pas digne de l’aide que Sri Aurobindo nous donne.

6 septembre 1961

MESSAGES POUR LA RENTRÉE DES CLASSES

Une autre année est passée après avoir déposé son fardeau de leçons dont quelques-unes ont été dures et même pénibles.

Mais une nouvelle année commence apportant ses possibilités de progrès et de réalisation.

À nous de prouver que nous sommes sincères dans notre aspiration, par un effort soutenu et discipliné vers une vie plus consciente et plus vraie.

Bénédictions.

16 décembre 1966


Que la Vérité soit votre maître et votre guide.

Nous aspirons à la Vérité et à son triomphe dans notre être et nos activités.

Que l’aspiration à la Vérité soit le dynamisme de nos efforts.

Ô Vérité! nous voulons être guidés par toi. Que ton règne vienne sur terre.

16 décembre 1967


Quand on vit dans la Vérité, on est au-dessus de toutes les contradictions.

16 décembre 1968


Il faut avoir vécu ce que l’on veut enseigner.

Pour parler de la conscience nouvelle, laissez-la pénétrer en vous pour vous révéler ses secrets. Car alors seulement, vous pourrez en parler avec compétence.

Pour jaillir dans la conscience nouvelle, la première condition est une modestie mentale suffisante pour être convaincu que tout ce que l’on croit savoir n’est rien en comparaison de ce qui reste à apprendre. Tout ce que l’on a appris extérieurement ne doit être qu’un échelon pour permettre de s’élever vers les connaissances supérieures.

Bénédictions.

16 décembre 1969


Nous sommes ici pour faire mieux qu’ailleurs et nous préparer à un avenir Supramental. Ceci ne doit jamais être oublié.

Je fais appel à la sincère bonne volonté de tous pour que notre idéal soit réalisé.

Bénédictions.

16 décembre 1971

Buts

Pourquoi sommes-nous ici à l’Ashram de Sri Aurobindo ?

Il y a une évolution ascendante de la nature qui va de la pierre à la plante, de la plante à l’animal, de l’animal à l’homme. Parce que l’homme est, pour le moment, le dernier échelon au sommet de cette évolution ascendante, il se considère comme le point final de cette ascension et il croit qu’il ne peut rien y avoir de supérieur à lui sur la terre. En cela, il se trompe. Car par la presque totalité de sa nature physique, il est encore un animal, un animal pensant et parlant, mais un animal par ses habitudes et ses instincts matériels. Or il est certain que la nature ne peut se contenter d’un résultat si imparfait, et qu’elle s’efforce de produire un être qui sera à l’homme ce que l’homme est à l’animal, un être qui sera encore homme par la forme extérieure, mais dont la conscience s’élèvera très au-dessus du mental et de son esclavage à l’ignorance.

Sri Aurobindo est venu sur la terre pour enseigner cette vérité aux hommes. Il leur a dit qu’ils sont seulement des êtres de transition vivant dans une conscience mentale, mais possédant la possibilité d’acquérir une conscience nouvelle, la conscience de la Vérité, et capables de vivre une vie parfaitement harmonieuse, belle et bonne, heureuse et pleinement consciente. Pendant toute la durée de sa vie sur terre, Sri Aurobindo a passé son temps à établir en lui-même cette conscience, et à aider ceux qui se sont groupés autour de lui à réaliser cette conscience à laquelle il a donné le nom de Supramentale.

Vous avez l’immense avantage d’être venus à l’Ashram tout jeunes; c’est-à-dire encore plastiques et capables d’être formés selon cet idéal nouveau pour devenir les représentants de la race nouvelle. Ici, à l’Ashram, vous êtes dans les conditions les plus favorables de milieu, d’influence, d’enseignement et d’exemple, pour éveiller en vous cette conscience supramentale et pour vous développer selon sa loi.

Maintenant, tout dépend de votre volonté et de votre sincérité. Si vous voulez ne plus appartenir à l’humanité ordinaire, si vous voulez ne plus être seulement des animaux évolués, si vous voulez devenir des hommes nouveaux réalisant l’idéal supramental de Sri Aurobindo, si vous voulez vivre une vie nouvelle et supérieure, sur une terre renouvelée, alors vous trouverez ici toute l’aide nécessaire pour y parvenir; vous profiterez pleinement de votre présence à l’Ashram, et vous pourrez devenir de vivants exemples pour le monde.

24 juillet 1951


Nous ne sommes pas ici pour mener une vie facile et confortable. Nous sommes ici pour trouver le Divin, pour devenir divins, pour manifester le Divin.

Ce qui nous arrive est l’affaire du Divin, ce n’est pas notre affaire.

Le Divin sait mieux que nous ce qui est bon pour le progrès du monde et pour le nôtre.

23 août 1967


Il ne faut pas confondre un enseignement religieux et un enseignement spirituel.

L’enseignement religieux appartient au passé et arrête le progrès.

L’enseignement spirituel est l’enseignement de l’avenir — il éclaire la conscience et la prépare pour la réalisation future.

L’enseignement spirituel est au-dessus des religions et s’efforce vers une Vérité totale.

Il nous apprend à entrer en rapport direct avec le Divin.

12 février 1972


L’éducation ne doit pas avoir pour but de préparer un homme à réussir dans la vie et dans la société, mais à augmenter sa perfectibilité jusqu’à son maximum.

Élèves

Être jeune, c’est vivre dans l’avenir.

Être jeune, c’est être toujours prêt à abandonner ce que l’on est pour devenir ce que l’on doit être.

Être jeune, c’est ne jamais admettre l’irréparable.

28 mars 1967


Ce n’est pas le nombre d’années vécues qui vous rend vieux ; vous devenez vieux dès que vous cessez de progresser.

Quand vous sentez que vous avez fait tout ce que vous aviez à faire, quand vous pensez que vous savez tout ce que vous devez savoir, quand vous voulez vous asseoir et jouir du résultat de votre effort avec le sentiment que vous avez assez travaillé dans la vie, alors immédiatement vous devenez vieux et vous commencez à décliner.

Quand, au contraire, vous êtes convaincu que ce que vous savez n’est rien en comparaison de tout ce qui reste à savoir, quand vous sentez que ce que vous avez fait est juste le point de départ de tout ce qui reste à faire, quand vous voyez l’avenir comme un soleil attrayant, rayonnant de toutes les innombrables possibilités qui restent à accomplir, alors vous êtes jeune, quel que soit le nombre d’années que vous avez passées sur la terre, jeune et riche de toutes les réalisations de demain.

Et si vous ne voulez pas que votre corps vous trahisse, évitez de gaspiller vos énergies en agitation inutile. Quoi que vous fassiez, faites-le dans le calme et l’équilibre. La plus grande force est dans la paix et le silence.

21 février 1958


Sincérité, humilité, persévérance et soif insatiable de progrès, sont essentielles pour une vie heureuse et efficace. Et surtout il faut être convaincu que la possibilité de progrès est sans limite.

Le progrès, c’est la jeunesse; on peut être jeune à cent ans.

14 janvier 1972


Si la croissance de la conscience était considérée comme le but principal de la vie, bien des difficultés trouveraient leur solution.

La meilleure façon de ne pas vieillir est de faire du progrès le but de notre vie.

18 janvier 1972


Apprendre toujours, non seulement intellectuellement mais aussi psychologiquement, et progresser au point de vue du caractère, cultiver les qualités et corriger les défauts; que tout soit l’occasion de nous guérir de l’ignorance et de l’incapacité — et la vie devient prodigieusement intéressante et vaut la peine d’être vécue.

27 janvier 1972


L’enfant ne se préoccupe pas de sa croissance. Il croît tout simplement.


Pourquoi les enfants ont-ils peur? — parce qu’ils sont faibles.

Physiquement ils sont plus faibles que les grandes personnes autour d’eux et, généralement, ils sont plus faibles aussi vitalement et mentalement.

La peur vient du sens de l’infériorité.

Il y a pourtant un moyen de ne pas avoir peur, c’est d’avoir la foi en la Grâce Divine et de s’en remettre à Elle pour vous protéger en toutes circonstances.

À mesure que tu grandis, tu peux surmonter ta peur si tu laisses se développer en toi le contact avec ton âme, c’est-à-dire la vérité de ton être, et que tu fasses toujours effort pour que tout ce que tu penses, tout ce que tu dis, tout ce que tu fais, soit de plus en plus l’expression de cette vérité profonde.

Quand tu vivras consciemment en elle, tu n’auras plus peur de rien, dans aucun domaine de ton être, parce que tu seras unie à la Vérité universelle qui gouverne le monde.

8 août 1964


Douce Mère, comment puis-je m’abstenir des erreurs?

En sachant ce qui est vrai.

Seigneur, nous te prions :

Fais-nous mieux comprendre pourquoi nous sommes ici,

Mieux faire ce que nous avons à y faire,

Mieux être ce que nous devons y devenir,

Afin que Ta volonté s’accomplisse harmonieusement.

15 janvier 1962


Que notre effort de chaque jour et de tout le temps soit pour Te mieux connaître et Te mieux servir.

1er janvier 1973


Douce Mère,

Permets que nous soyons dès maintenant et pour toujours, simplement Tes petits enfants.

Bonne Fête!

Je t’embrasse de tout cœur et te donne mes bénédictions pour l’accomplissement de ton aspiration la plus haute.

Avec ma tendresse.

30 août 1963


Bonne Fête!

Avec toute une collection de roses (surrender 3) pour que ton aspiration se réalise et que tu deviennes mon enfant idéale, consciente de ton âme et du but véritable de ta vie.

Avec mes bénédictions et ma tendresse.

30 août 1964


MESSAGES AUX DORTOIRS D’ÉTUDIANTS

Au Dortoir Big Boys

Que ce jour soit pour vous le commencement d’une nouvelle vie où vous vous efforcerez de comprendre de mieux en mieux pourquoi vous êtes ici et ce qui est attendu de vous.

Vivez toujours dans l’aspiration de réaliser votre perfection la plus totale et la plus vraie. .

Et pour commencer, veillez à être honnêtes, sincères, droits, nobles et purs dans une discipline rigoureuse que vous vous imposerez à vous-mêmes.

Je serai toujours présente pour vous aider et vous guider.

Mes bénédictions.

1963


À l’Annexe du Dortoir

En ce jour qui nous réunit dans un commun souvenir, nous aspirons à ce que cette intensité soit le symbole d’une union véritable basée sur un commun effort vers des réalisations toujours plus parfaites et plus vraies.

15 janvier 1968

Étude

Quand tu sens que tu ne sais rien, alors tu es prêt pour apprendre 4 .

Toute la question est de savoir si les élèves vont à l’école pour augmenter leur connaissance et pour apprendre ce qu’il est nécessaire de savoir pour bien vivre — ou s’ils vont à l’école pour prétendre et pour avoir de bonnes notes dont ils puissent se vanter.

Devant la Conscience Éternelle, une goutte de sincérité a plus de valeur qu’un océan de prétention et d’hypocrisie.

23 avril 1968 .


Vois-tu, mon petit, le malheur est que tu es trop occupé de toi-même. À ton âge j’étais exclusivement occupée de mes études, m’instruire, apprendre, comprendre, savoir. Voilà ce qui m’intéressait, me passionnait même. Ma mère qui nous aimait beaucoup, mon frère et moi, ne tolérait jamais que nous soyons de mauvaise humeur ou mécontents ou paresseux. Si nous allions nous plaindre à elle d’une chose ou d’une autre et dire que nous n’étions pas contents, elle se moquait de nous ou nous grondait et nous disait : « Qu’est-ce que ces bêtises? Ne soyez pas ridicules, voulez-vous vite aller travailler et ne pas vous occuper de si vous êtes de bonne ou de mauvaise humeur! Cela n’a aucun intérêt. »

Ma mère avait parfaitement raison et je lui ai toujours été très reconnaissante de m’avoir appris la discipline et la nécessité de l’oubli de soi dans la concentration sur ce que l’on fait.

Je t’ai raconté cela parce que l’inquiétude dont tu parles provient du fait que tu es beaucoup trop occupé de toi-même. Il vaudrait mieux que tu t’occupes davantage de bien faire ce que tu fais (peinture ou musique), de développer ton cerveau qui est encore bien inculte et apprendre les éléments de connaissance indispensables à un homme s’il ne veut pas être un ignorant sans culture.

Si tu travaillais régulièrement huit à neuf heures par jour, tu aurais faim et tu mangerais bien, tu aurais sommeil et tu dormirais tranquillement, et tu n’aurais pas le temps de te demander si tu es de bonne ou de mauvaise humeur.

C’est avec toute mon affection que je te dis ces choses, et j’espère que tu les comprendras.

Ta maman qui t’aime.

15 mai 1934


Ô Maman, je ne veux agir que selon Ta volonté et rien de plus.

Alors sors bien vite du chemin que tu as pris — ne perds pas ton temps à flâner et à parler aux filles. Recommence sérieusement à travailler, étudie, instruis-toi, occupe ton cerveau à des choses intéressantes et utiles et non pas en de vains bavardages et ne donne pas de fausses excuses à tes attractions vitales. Si ta volonté est vraiment sincère tu es sûr d’avoir ma force pour t’aider à conquérir.

27 septembre 1934

Le jour où je n’étudie pas, je sens plus de malaise. Mais après avoir commencé à étudier, le bonheur vient. Je ne comprends pas ce procédé.

Que veux-tu dire par procédé? Ce n’est pas un procédé; la disparition du malaise est le très naturel résultat de la concentration du mental sur l’étude, ce qui d’un côté lui donne une activité saine et de l’autre détourne son attention de cette contemplation morbide du petit ego physique.

3 décembre 1934

Maman, est-ce désirable d’aller chez D. lire les poésies qu’il a écrites en goujérati?

Tout dépend de l’effet que cela te produit. Si tu en sors plus paisible et content, c’est bien. Si, au contraire, cela te rend mélancolique et insatisfait, il vaut mieux n’y point aller. Tu n’as qu’à observer et voir l’effet que cela te fait et décider en conséquence.

13 décembre 1934

Dans le rêve j’ai vu que Tu avais écrit : « Mon cher enfant, pourquoi as-tu cessé d’étudier? » Tu avais écrit beaucoup plus, et je souhaite que Tu l’écrives ici, si c’est possible.

En effet, la nuit dernière je t’ai demandé pourquoi tu n’avais pas étudié et je t’ai dit que de céder ainsi aux impulsions du vital n’était certes pas la manière de le contrôler. Il faut se créer une discipline et se l’imposer coûte que coûte si l’on veut venir à bout des mauvaises volontés vitales et des dépressions mentales. Sans discipline on ne peut rien faire dans la vie, et tout yoga est impossible.

Pour le travail physique ce n’est pas difficile, mais pour l’étude, il devient difficile d’obéir à la discipline quand il y a du malaise. Tout de même, je décide que le jour où je n’étudierai pas, je ne prendrai pas mon déjeuner.

Quelle drôle d’idée tu as! punir ton corps pour une faute que le vital a commise! ce n’est pas juste.

22 décembre 1934

Juste ce matin, il y a une très grande dépression, et ainsi il devient impossible d’étudier.

C’est inadmissible.

Ô Maman, que ferai-je?

Force-toi à étudier et ta dépression s’en ira. Tu t’imagines un écolier qui serait au collège et viendrait dire à son professeur : « Monsieur, je n’ai pas fait mes devoirs aujourd’hui parce que j’étais déprimé. »

Sûrement le professeur le punirait très sévèrement.

16 janvier 1935

Je pense que Tu n’aimes pas beaucoup une chose, c’est que je ne m’applique pas bien à mes études.

Les études fortifient le mental et détournent l’attention de sa concentration sur les impulsions et les désirs du vital. La concentration sur l’étude est un des plus puissants moyens de contrôler le mental et le vital, voilà pourquoi c’est si important d’étudier.

28 janvier 1935

Mon mental ne devient pas paisible, parce que, comme je pense, je n’étudie pas rigoureusement. L’étude ne me donne pas beaucoup de plaisir.

On n’étudie pas pour avoir du plaisir — on étudie pour apprendre et se développer cérébralement.

1er février 1935

Il m’est tout à fait impossible d’étudier, puisque l’inertie s’est installée.

Si tu n’étudies pas l’inertie ira en grandissant.

4 mars 1935

Je ne sais comment passer le temps sans rien comprendre.

Étudie, c’est la meilleure façon de comprendre.

Tu me dis d’étudier, mais j’ai un dégoût pour l’étude.

Tu ne donnes pas assez de temps à l’étude, c’est pourquoi cela ne t’intéresse pas. Tout ce que l’on fait avec soin devient nécessairement intéressant.

10 avril 1935

Alors quel chemin dois-je prendre? Et comment faire l’effort d’une manière exacte et vraie?

Fais ce que je t’ai expliqué hier — fais travailler ton cerveau en étudiant de façon régulière et systématique; alors aux heures où tu n’étudieras pas, ton cerveau qui aura suffisamment travaillé pourra se reposer et il te sera possible de te concentrer dans les profondeurs du cœur et d’y trouver la source psychique, avec elle tu deviendras conscient en même temps de la gratitude et du bonheur véritable.

22 mai 1935

Mon étude souffre à cause de la dépression perpétuelle.

Je t’avais dit que c’était par l’étude que tu pouvais surmonter la dépression.

27 juillet 1935

Je voudrais savoir si, d’une façon générale, c’est bon que les petits enfants jouent toujours.

Pour les enfants il doit y avoir le temps du travail et de l’étude et le temps du jeu.

16 novembre 1936

Crois-Tu que mon esprit se développe?

Certainement l’étude régulière ne peut manquer de le développer.

7 décembre 1936

De plus en plus je tourne mon visage vers l’étude et je fais moins attention à ma sâdhanâ. Je ne sais si c’est désirable.

C’est bien; l’étude peut devenir partie de la sâdhanâ.

8 décembre 1936

Si quelqu’un m’enseigne, est-il nécessaire qu’il s’identifie à moi, se concentre sur moi?

Sans concentration on n’arrive à rien.

18 mai 1937

Crois-Tu que la fatigue provient de l’excès de travail mental?

Non, cela provient du tamas mental.

21 janvier 1941


Les élèves ne peuvent pas apprendre leurs leçons, même quand ils ont leur livre.

Il faut beaucoup de patience avec de jeunes enfants, et leur répéter plusieurs fois la même chose en la leur expliquant de diverses manières. Ce n’est que peu à peu que cela entre dans leur cerveau.


Douce Mère,

Nous ne savons pas ce qui se passe cette année-ci. Nous sommes incapables de faire aucun progrès, ni dans nos études ni au Terrain de Jeux. Notre esprit est toujours agité et troublé. Nous avons perdu notre concentration. Nous gaspillons notre temps en bavardant et en pensant aux choses mauvaises. Nous ne sommes pas capables de surmonter nos défauts.

Douce Mère, nous vous prions de nous délivrer de cette situation pénible. Nous voudrions faire des progrès. Nous voudrions être vos vrais enfants. S’il vous plaît, montrez-nous le chemin.

Rien ne sert de gémir.

Il faut vouloir et faire l’effort nécessaire.

Bénédictions.


Que faire pour que la volonté devienne plus forte?

L’éduquer, l’exercer, comme on exerce les muscles par l’usage.

26 mars 1934


La concentration et la volonté peuvent être développées aussi bien que les muscles; elles croissent par un entraînement et un exercice réguliers.

Ce n’est pas en quelques mois qu’on peut apprendre quelque chose. Il faut travailler assidûment pour faire des progrès.

12 novembre 1954


C’est une impulsion transitoire qui me pousse tant à mon étude. Le Centre d’

Tant que tu auras besoin de te former, de construire ton cerveau, tu auras ce fort penchant à l’étude; mais quand le cerveau sera bien formé, le goût de l’étude s’éteindra petit à petit.

Quelle est l’utilité de la raison dans la vie?

Sans la raison, la vie humaine serait incohérente et désordonnée, nous serions comme des animaux impulsifs ou des fous déséquilibrés.

6 avril 1961


Douce Mère,

Qu’est-ce que la connaissance et l’intelligence?

Jouent-elles des rôles importants dans notre vie?

La connaissance et l’intelligence sont justement les qualités mentales supérieures de l’homme, celles qui le différencient de l’animal.

Sans connaissance et sans intelligence, on n’est pas un homme mais un animal en forme humaine.

Bénédictions.

30 décembre 1969


Dans Tes « Entretiens », Tu as dit que l’intellect est comme un intermédiaire entre la vraie connaissance et la réalisation ici-bas. Ne s’ensuit-il pas que la culture intellectuelle est indispensable afin de monter au-dessus du mental pour y trouver la vraie connaissance?

La culture intellectuelle est indispensable pour créer un bon instrument mental, large, souple et riche, mais son action s’arrête là.

Pour monter au-dessus du mental, elle est plus souvent une entrave qu’une aide, car, en général, un mental raffiné et éduqué trouve sa satisfaction en lui-même et cherche rarement à se taire pour être surpassé.

La meilleure façon de comprendre est toujours de monter assez haut dans la conscience pour pouvoir unir dans une synthèse harmonieuse toutes les idées contradictoires.

Et pour l’attitude correcte, savoir passer avec souplesse d’une position à l’autre sans jamais, pour un moment, perdre de vue le but unique de consécration au Divin et d’identification avec Lui.

29 avril 1964


Le point important est de savoir que le mental est incapable de comprendre l’Un Suprême — c’est pourquoi tout ce que l’on en dit et en pense est un travestissement et une approximation et forcément plein de contradictions irréconciliables.

C’est pourquoi aussi il a toujours été enseigné que le silence mental est indispensable pour avoir la vraie connaissance.

31 août 1965


Une tête très, très tranquille est indispensable pour voir et comprendre clairement et pour agir correctement.

Comment apprendre à un élève à penser correctement?

C’est dans la méditation silencieuse que l’on développe sa capacité mentale.

23 mars 1966


Mâ, je vais essayer de travailler à l’aide de l’intuition. Aide-moi dans mes efforts.

Calmer le vital.

Taire le mental.

Garder le cerveau silencieux et immobile comme une surface plane tournée vers le haut et attentive.

Et attendre...

29 septembre 1967


Ce n’est pas par l’activité mentale que tu peux calmer ton mental, c’est d’un plan plus haut ou plus profond que tu peux recevoir l’aide dont tu as besoin. Et ces deux plans ne peuvent être atteints que dans le silence.

18 décembre 1971

LECTURE

Douce Mère, Tu as dit que je ne pense pas bien. Comment peut-on développer sa pensée?

Il faut lire avec beaucoup d’attention et de concentration, pas des romans ou des pièces de théâtre, mais des lectures qui font réfléchir. Il faut méditer sur ce que l’on a lu, réfléchir à une pensée jusqu’à ce qu’on l’ait comprise. Parler peu, rester tranquille et concentré, et ne parler que lorsque c’est indispensable.

31 mai 1960


Je lis un livre sur les automobiles; mais je le lis hâtivement; j’évite les descriptions des mécanismes compliqués.

Si tu ne veux pas apprendre à fond, consciencieusement et dans tous les détails, il vaut mieux ne pas s’en occuper du tout. C’est une grande erreur de croire qu’une petite connaissance superficielle et incomplète des choses peut servir à quoi que ce soit; cela ne sert à rien du tout qu’à faire des gens prétentieux qui s’imaginent savoir et en fait ne savent rien.


Lisez avec soin ce que vous lisez, et relisez une seconde fois quand vous n’avez pas bien compris.


Y vient de m’écrire la quantité considérable de romans que tu lis — je ne crois pas que ce genre de lecture soit bien bon pour toi — et si c’est pour étudier le style, comme tu me l’as dit, l’étude attentive d’un bon livre, écrit par un bon auteur, faite avec soin, apprend bien davantage que cette lecture hâtive et superficielle.

J’avais deux raisons pour lire les romans, savoir les mots et le style.

Pour apprendre il faut lire avec grand soin et choisir soigneusement ce que l’on lit.

25 octobre 1934

Que penses-Tu de cesser de lire de la littérature goujérati?

Tout dépend de l’effet que cette littérature a sur ton imagination. Si elle remplit ta tête d’idées indésirables et ton vital de désirs, sûrement il vaut mieux cesser de lire ce genre de livres.

2 novembre 1934

Y a-t-il aucun mal à ce que je lise des romans en français?

La lecture des romans n’est jamais salutaire.

24 mars 1937


Quand on lit une littérature sale, un roman obscène, le vital ne jouit-il pas à travers le mental?

Dans le mental aussi il y a des perversions. Il est bien pauvre et sans raffinement, le vital qui peut prendre plaisir à des choses pareilles!

Je n’approuve pas ces classes de littérature où, sous prétexte de connaissance (?) on patauge dans la boue d’un état d’esprit qui n’est pas de mise ici et ne peut, en aucune manière, aider à construire la conscience de demain. J’ai répété la chose à Pavitra hier à l’occasion de ta lettre, et je lui ai rapidement expliqué comment je voyais la période de transition entre ce qui fut et ce qui sera.

Si l’on pouvait découvrir, de-ci, de-là, l’expression d’une aspiration sincère et lumineuse, on pourrait en faire l’occasion d’une étude et d’un développement intéressants.

Voyez donc ensemble et écris-moi ce que vous aurez décidé.

En tout cas : plus de classes de « littérature ».

Mes bénédictions.

18 juillet 1959


Il y a un monde subtil dans lequel vous pouvez voir tous les sujets possibles de peintures, de romans, de pièces de théâtre de tous genres et même des scénarios de cinéma.

C’est de ce monde que la plupart des auteurs reçoivent leur inspiration.

(Un professeur suggérait que les livres ayant trait à des sujets comme le crime, la violence et le dérèglement des mœurs ne soient pas mis à la disposition des jeunes.)

Ce n’est pas tant une question de sujet mais de vulgarité d’esprit et d’étroitesse et d’égoïste bon sens dans la conception de la vie, exprimée dans une forme sans art, sans grandeur et sans raffinement, qui doivent être soigneusement éliminés de la lecture des enfants petits et grands. Tout ce qui rabaisse et avilit la conscience doit être banni.

1er novembre 1959


Si on veut savoir ce qui se passe réellement dans le monde, il ne faut pas lire les journaux quels qu’ils soient parce qu’ils sont pleins de mensonges.

Lire un journal, c’est participer aux grands mensonges collectifs.

2 février 1970


Douce Mère,

Comment saurait-on ce qui se passe dans les autres pays, ou même dans le nôtre, si on ne lisait pas les journaux ? Là, on a au moins une idée, n’est-ce pas? Ou vaut-il mieux ne pas les lire du tout?

Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas lire les journaux. J’ai dit qu’il ne fallait pas croire aveuglément à ce qu’on lit et savoir que la

vérité est tout autre.

Bénédictions.

4 février 1970


J’ai envie de voir ce qui m’arrive si je cesse absolument de lire des livres.

Il est difficile de garder son mental toujours fixé sur la même chose, et si on ne lui donne pas assez de travail pour l’occuper, il commence à s’agiter. Ainsi, je crois qu’il vaut mieux choisir avec soin ses lectures plutôt que de cesser complètement de lire.

Une bibliothèque doit être un sanctuaire intellectuel.

Il faut y chercher la lumière et le progrès.

COMPORTEMENT

CE QU’UN ENFANT DOIT TOUJOURS SE RAPPELER

Un enfant doit toujours se rappeler la nécessité d’une sincérité absolue.

Un enfant doit toujours avoir la certitude que finalement la vérité triomphera.

Un enfant doit savoir la possibilité du progrès constant et avoir la volonté de l’accomplir.


L’ENFANT IDÉAL

A BON CARACTÈRE

Il ne se fâche pas quand les choses semblent tourner contre lui, ou que les décisions ne sont pas prises en sa faveur.

EST BON JOUEUR

Quoi qu’il fasse, il le fait au mieux de sa capacité, et continue à le faire même si l’insuccès est presque certain. Il est toujours droit dans sa pensée et son action.

EST VÉRIDIQUE

Il ne craint pas de dire la vérité quelles qu’en puissent être les conséquences.

EST PATIENT

Il n’est pas découragé quand il a à attendre très longtemps pour constater les résultats de ses efforts. Le Centre d’

EST ENDURANT

Il fait face sans se plaindre aux difficultés et aux souffrances inévitables.

EST PERSÉVÉRANT

Jamais il ne relâche son effort, si longue que doive être sa durée.

EST ÉQUILIBRÉ

Il garde son égalité d’âme dans le succès comme dans la défaite.

EST COURAGEUX

Il continue toujours à lutter pour la victoire finale, quel que soit le nombre des défaites qu’il subit.

EST DE BONNE HUMEUR

Il sait comment sourire et garder un cœur heureux en toute circonstance.

EST MODESTE

Il ne s’enorgueillit pas de son succès et ne se sent pas supérieur à ses camarades.

EST GÉNÉREUX

Il apprécie le mérite des autres, et il est toujours prêt à aider un autre à réussir.

EST LOYAL ET OBÉISSANT

Il observe la discipline et il est toujours honnête.

Bulletin, août 1953

L’enfant idéal est intelligent. Il comprend tout ce qu’on lui dit et répond à toutes les questions qu’on lui pose.


L’enfant idéal
aime étudier quand il est à l’école,
il aime jouer quand il est sur le terrain de jeu,
il aime manger aux moments de se nourrir,
il aime dormir à l’heure du sommeil,
et toujours il est plein d’amour
pour tous ceux qui l’entourent,
plein de confiance en la Grâce divine,
plein d’un respect profond pour le Divin.


Il a foi en l’avenir qui est riche de toutes les réalisations futures, pleines de beauté et de lumière.

L’enfance est le symbole de l’avenir et l’espoir de toutes les victoires futures.


Quelle est la chose principale à voir dans l’éducation, pour les enfants de onze à treize ans?

La chose la plus importante à leur apprendre, c’est la nécessité absolue d’être sincère.

Il faut se refuser à tout mensonge si petit qu’il soit.

En plus, il faut leur apprendre à toujours progresser parce que dès qu’on s’arrête de faire des progrès, on recule et c’est le commencement de la déchéance.


Selon ce que je vois et sais, d’une façon générale, les enfants après quatorze ans doivent être laissés indépendants et ne doivent être conseillés que dans la mesure où ils le demandent.

Ils doivent savoir qu’ils sont responsables de la conduite de leur propre existence.


(Extrait du compte rendu sommaire de la réunion des professeurs.)

Les professeurs se font du souci à propos du manque de discipline, de bonnes manières et de comportement correct.

J’insiste sur la nécessité d’avoir de bonnes manières. Je ne vois aucune grandeur dans des manières de voyou.

4 mars 1960


Cette immense liberté qui est à notre disposition, n’estelle pas dangereuse pour ceux qui ne sont pas encore éveillés, qui sont encore inconscients? Comment expliquer cette chance, ce bonheur, qui nous est donné?

Le danger et le risque font partie de tout mouvement en avant. Sans eux, rien ne bougerait jamais; et aussi ils sont indispensables pour former le caractère de ceux qui veulent progresser.

13 avril 1966


La discipline est indispensable pour être un homme. Sans discipline on n’est qu’un animal. Je te donne quinze jours pour prouver que vraiment tu veux changer et devenir discipliné. Si tu deviens discipliné et obéissant, je veux bien te donner une Le Centre d’autre chance. Mais n’essaye pas de tromper... Au moindre signe d’insincérité je serai obligée de te renvoyer.

On commence à être un homme seulement quand on aspire à une vie plus haute et plus vraie et qu’on accepte une discipline de transformation.

Pour cela il faut commencer par maîtriser sa nature inférieure et ses désirs.

8 mars 1972


Aux élèves

Faire du bruit en classe est un acte d’égoïste stupidité.

Si vous n’avez pas l’intention d’assister à la classe silencieusement et attentivement, il vaut mieux ne pas y venir.


Il est défendu de se battre à l’École, de se battre en classe, de se battre dans la cour, de se battre dans la rue, de se battre à la maison (soit chez ses parents, soit dans un boarding boarding).

Toujours et partout il est défendu aux enfants de se battre entre eux, car chaque fois qu’on donne un coup à un autre, c’est à sa propre âme qu’on le donne.

15 janvier 1963


Quelques paroles pour les enfants.

1). Ne te moque jamais de personne si tu ne veux pas qu’on se moque de toi.

2) Agis toujours d’une façon respectable si tu veux qu’on te respecte.

3) Aime tout le monde si tu veux que tout le monde t’aime.


J’ai dit et j’insiste sur cette décision que les enfants au-dessous de quinze ans ne doivent pas se coucher après 9h — ceux qui le font, le font en désobéissant et c’est regrettable.


Douce Mère,

Pourquoi les heures avant minuit sont-elles meilleures pour dormir que les heures après minuit?

Parce que, symboliquement, durant les heures jusqu’à minuit, le soleil se couche, tandis que dès la première heure après minuit, il commence à se lever.

Bénédictions.

22 août 1969


Douce Mère,

Pourquoi vaut-il mieux se coucher de bonne heure et se lever de bonne heure?

Quand le soleil se couche, une sorte de paix descend sur la terre et cette paix est salutaire pour le sommeil.

Quand le soleil se lève, une énergie vigoureuse descend sur la terre et cette énergie est salutaire au travail.

Quand on se couche tard et qu’on se lève tard, on contredit les forces de la Nature, ce qui n’est pas très sage.

Bénédictions.

21 décembre 1969


Douce Mère,

Quelle doit être notre attitude vis-à-vis des capitaines et des professeurs ici?

Une attitude obéissante, docile et affectueuse. Ce sont de grands frères et de grandes sœurs qui se donnent beaucoup de mal pour vous aider.

Bénédictions.

1er février 1970

VACANCES

Les élèves qui ne sont pas présents à la rentrée des classes le 16 décembre, ne seront pas admis aux cours pendant toute l’année scolaire.

Novembre 1959


Deux bruits courent à l’Ashram au sujet des vacances. Le premier, c’est que Tu as dit que cette fois Tu nous permets d’aller ailleurs pendant les vacances, mais que l’année prochaine Tu ne nous permettras pas. Le deuxième, c’est que Tu ne veux pas que nous allions ailleurs pendant les vacances.

Je voudrais savoir lequel des deux est vrai, parce que beaucoup d’élèves ont déjà reçu Ta permission pour aller ailleurs pendant ces vacances.

Ni l’un, ni l’autre n’est vrai.

Ni l’un, ni l’autre n’est faux.

Les deux, et beaucoup d’autres sont l’expression plus ou moins déformée de ma volonté synthétique et harmonieuse.

À chacun individuellement ma réponse, s’il est sincère, est l’expression de son besoin.

17 octobre 1964

Mère, pourquoi et comment perd-on le gain spirituel en allant ailleurs? On peut faire un effort conscient et Ta protection est toujours là, n’est-ce pas?

Aller chez ses parents, veut dire retourner à une influence plus forte, généralement, que toute autre; et il est peu de cas où les parents vous aident au progrès spirituel, parce qu’ils sont généralement plus intéressés par une réalisation mondaine.

Les parents qui sont principalement intéressés par la réalisation spirituelle ne demandent pas d’habitude à leurs enfants d’aller les retrouver.

Bénédictions.

8 novembre 1969


Pour ceux à Auroville qui veulent être de vrais serviteurs, est-ce que le dimanche est un jour de congé?

Tout d’abord l’organisation de la semaine était conçue ainsi : six jours de travail pour la collectivité à laquelle l’individu appartenait; le septième jour de la semaine était réservé pour la recherche intérieure du Divin et l’offrande de son être à la volonté divine. Ceci est la seule signification et la seule vraie raison du prétendu repos du dimanche.

Inutile d’ajouter que la sincérité est la condition essentielle de la réalisation, toute insincérité est une dégradation.

25 octobre 1971

LES ÉTUDES AILLEURS QU’À L’ASHRAM

On voit beaucoup de gens qui sont partis de l’Ashram, soit à la recherche d’une carrière, soit pour étudier, et ce sont en général ceux qui étaient ici dès leur enfance. Il y a une sorte d’incertitude parmi les jeunes gens quand ils voient les autres s’en aller d’ici et ils disent prudemment : « Qui sait si ce ne sera pas mon tour, un jour! » Je sens qu’il y a une force derrière tout cela. Qu’est-ce que c’est?

Cette incertitude et ces départs sont l’effet de la nature inférieure qui résiste à l’influence du pouvoir yoguique et essaye de ralentir l’action divine, non pas par mauvaise volonté, mais pour être sûre que rien ne soit oublié ou négligé dans la hâte d’atteindre le but. Peu nombreux sont ceux qui sont prêts à une consécration totale. Beaucoup d’enfants qui ont étudié ici ont besoin d’affronter la vie avant d’être prêts pour l’œuvre divine et c’est pourquoi ils partent pour passer par l’épreuve de la vie ordinaire.

11 novembre 1964


(Un étudiant reçoit une invitation pour suivre un cours d’études pratiques à Calcutta.)

Ceux qui sincèrement veulent apprendre ont ici toutes les possibilités pour le faire. La seule chose qu’on a dehors, mais qui n’est pas ici, c’est la contrainte morale d’une discipline extérieure.

Ici on est libre et la seule contrainte est celle qu’on se donne à soi-même, quand on est sincère.

Maintenant c’est à toi de décider.

3 août 1966

Professeurs

C’est une possession inestimable pour tout être vivant que d’avoir appris à se connaître et à se maîtriser. Par se connaître, j’entends savoir les motifs de ses actions, de ses réactions, le pourquoi et le comment de tout ce qui se passe en soi. Se maîtriser, c’est faire ce que l’on a décidé de faire, et ne faire que cela, sans écouter ni suivre ses impulsions, ses désirs, ses fantaisies.

Donner une loi morale à un enfant n’est évidemment pas fameux ; mais il est bien difficile de s’en passer. On peut lui apprendre, au fur et à mesure qu’il grandit, la relativité des lois morales et sociales, et qu’il peut trouver en lui-même une loi plus haute et plus vraie. Mais ici il faut procéder avec circonspection et insister sur la difficulté de découvrir cette loi véritable. La plupart des gens qui repoussent les lois humaines, affichant leur liberté et leur décision de « vivre leur vie », ne font qu’obéir aux mouvements les plus ordinaires du vital, qu’ils déguisent et essayent de justifier, sinon à leurs yeux propres, du moins à ceux des autres. Ils ne donnent un coup de pied à la morale que parce qu’elle gêne la satisfaction de leurs instincts.

On n’a le droit de juger les lois morales et sociales que si l’on se place au-dessus d’elles, et on ne peut les abandonner qu’en les remplaçant par quelque chose de supérieur, ce qui n’est pas si facile.

Dans tous les cas, le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un enfant c’est de lui enseigner à se connaître et à se maîtriser.

Juillet 1930


N’oubliez jamais que pour être un bon professeur, il faut abolir en soi-même tout égoïsme 5.

10 décembre 1959


Et pour être digne d’enseigner selon la vérité supramentale telle que Sri Aurobindo nous l’a donnée, il ne faut plus avoir d’ego 6.

Décembre 1960


Toutes les études, ou en tout cas la plus grande partie des études consiste à apprendre le passé, dans l’espoir que cela vous fera mieux comprendre le présent. Mais si l’on veut éviter le danger que les élèves restent accrochés au passé et refusent de regarder l’avenir, il faut prendre grand soin de leur expliquer que tout ce qui est arrivé dans le passé avait pour but de préparer ce qui se passe maintenant et que tout ce qui se passe maintenant ne fait que préparer la route pour l’avenir qui est vraiment la chose la plus importante pour laquelle nous devons nous préparer.

C’est en cultivant l’intuition que l’on se prépare à vivre pour l’avenir.

18 novembre 1967


Pensez plutôt à l’avenir qu’au passé.

15 décembre 1972

ENSEIGNEMENT

L’école doit être une occasion de progrès pour le professeur aussi bien que pour l’élève. Chacun doit avoir la liberté de se développer librement.

On n’applique jamais aussi bien une méthode que lorsqu’on l’a découverte soi-même. Autrement c’est aussi ennuyeux pour le professeur que pour l’élève.

Pour éviter que les élèves du Cours Supérieur aient trop de travail, sans pour cela abaisser le niveau des études, ceux qui se sentent surchargés pourraient être invités à abandonner quelques cours. Ils pourraient alors concentrer leur temps et leur énergie sur ceux qu’ils conserveraient. Cela vaudrait mieux que d’alléger les cours, qui perdraient alors leur valeur pour les autres élèves. À côté d’élèves bien doués, qui suivent facilement, il est normal que nous ayons des élèves moins doués ou plus lents qui ne peuvent suivre aussi vite. Ceux-là pourraient laisser de côté certains cours, quitte à les reprendre plus tard en faisant une année supplémentaire. Est-ce là une bonne solution?

Cela dépend. Ce n’est pas absolument général. Il y en a beaucoup à qui cela ne servirait pas à grand-chose. Ils n’ont pas le niveau suffisant pour savoir se concentrer davantage sur certains sujets, s’ils ont moins de sujets à étudier. Cela risquerait seulement de provoquer en eux un relâchement — tout le contraire d’une concentration! — et d’aboutir à un gaspillage de temps.

La solution n’est pas là. Ce qu’il faut faire, c’est apprendre aux enfants à s’intéresser à ce qu’ils font — ce n’est pas la même chose que d’intéresser les enfants! Il faut éveiller en eux le désir de connaissance, de progrès. On peut s’intéresser à n’importe quoi — balayer une chambre, par exemple — si on le fait avec concentration, dans le but d’acquérir une expérience, de faire un progrès, de devenir plus conscient. Je le dis souvent aux élèves qui se plaignent d’avoir un mauvais professeur. Même s’ils n’aiment pas le professeur, même si celuici leur dit des choses inutiles ou n’est pas à la hauteur, ils peuvent toujours tirer parti de leur heure de classe, apprendre quelque chose de très intéressant et faire un progrès dans la conscience.

La plupart des professeurs cherchent à avoir de bons élèves : des élèves qui soient studieux, attentifs, qui comprennent et sachent beaucoup de choses, qui peuvent répondre — de bons élèves. Cela gâte tout. Les élèves se mettent à consulter les livres, à étudier, à apprendre. Ils n’ont plus confiance que dans les livres, dans ce que les autres disent ou écrivent, et perdent le contact avec cette partie supraconsciente qui reçoit la connaissance par intuition. Ce contact existe souvent chez le jeune enfant, mais il se perd pendant l’éducation.

Pour que les élèves puissent progresser dans la bonne direction il faut évidemment que les professeurs aient compris cela et qu’ils aient modifié leur ancienne façon de voir et d’enseigner. Sans cela, je me trouve arrêtée dans le travail.

16 décembre 1959


Ce n’est pas par « l’uniformité » qu’on obtient l’unité.

Ce n’est pas par l’uniformité des programmes et des méthodes que vous obtiendrez l’unité de l’enseignement.

L’unité s’obtient par une référence constante, silencieuse ou exprimée suivant les cas, à l’idéal central, la force ou la lumière centrale, la raison d’être et le but de notre éducation.

La vraie, la suprême Unité s’exprime dans la « diversité ». C’est la logique mentale qui réclame l’unicité. Pratiquement, chacun doit trouver et appliquer sa méthode propre; celle qu’il comprend et qu’il sent. C’est seulement ainsi que l’enseignement peut être efficace.

13 octobre 1960


Mère, voudrais-tu bien définir en quelques mots ce que tu entends essentiellement par « Libre Progrès ».

Un progrès guidé par l’âme et non pas soumis aux habitudes, aux conventions et aux idées préconçues.

20 juillet 1965


(Plusieurs professeurs soumirent un rapport où ils exprimaient leurs inquiétudes quant à l’irrégularité dont les élèves faisaient preuve pour étudier et venir en classe. Selon les professeurs, quelques étudiants seulement travaillaient de façon satisfaisante. La solution qu’ils suggéraient consistait en une organisation plus stricte des classes. La Mère fit ce commentaire :)

Pour les professeurs d’abord :

Je dis que je suis satisfaite des chiffres que le rapport indique. En dépit de tout ce qu’on peut penser la proportion de très bons élèves est satisfaisante. Si sur cent cinquante élèves, il y en a sept qui sont des personnalités de valeur, c’est très bien.

Pour l’organisation maintenant :

L’ensemble des classes peut être réorganisé de façon à répondre aux besoins de la majorité, c’est-à-dire de ceux qui, sans pression extérieure, sans discipline imposée, travaillent mal et ne progressent pas.

Mais il est essentiel que le système d’éducation actuel des nouvelles classes soit maintenu, afin de permettre aux éléments d’élite de se manifester et de se développer librement. C’est cela notre vrai but. Il faut que l’on sache — il ne faut pas hésiter à le proclamer — que notre école est faite pour découvrir et encourager ceux en qui le besoin de progrès est devenu conscient au point d’orienter la vie. Ce doit être un privilège d’être admis dans ces classes de libre progrès.

À intervalles réguliers (tous les mois, par exemple) il faudra faire le tri et remettre dans la filière ordinaire ceux qui ne peuvent pas profiter de l’éducation spéciale.

Les critiques faites dans le rapport s’adressent aux professeurs aussi bien qu’aux élèves. Pour un élève de qualité supérieure, un professeur très versé dans son sujet suffit (à la rigueur, un bon livre de classe, avec des encyclopédies et des dictionnaires, suffiraient). Mais à mesure que l’on descend l’échelle et que la qualité de l’élève baisse, il faut que le professeur ait, lui, des qualités de plus en plus hautes : discipline, maîtrise de soi, consécration, compréhension psychologique, enthousiasme communicatif, pour éveiller dans l’élève ce qui est endormi : volonté de savoir, besoin de progrès, contrôle de soi, etc.

De même que nous organisons l’École de façon à pouvoir découvrir et aider les élèves d’élite, de même il faudrait que la responsabilité des classes soit donnée à des professeurs d’élite.

Je demande donc à chacun des professeurs de considérer son travail à l’école comme le meilleur et le plus rapide moyen de faire son yoga. Et aussi il faudrait pour lui que chaque difficulté et chaque élève difficile soit une occasion de trouver une solution divine au problème.

Bénédictions.

5 août 1963


Mère, d’après mes élèves il paraît que Z leur a dit qu’on pouvait développer ses facultés latentes par des exercices méthodiques et que Tu lui avais indiqué ces exercices. Il a ajouté que c’est cela qu’on devait essayer dans le Centre d’Éducation ici. Alors mes élèves m’ont demandé si sous Ta direction on pouvait essayer cela dans notre réunion le soir. Je leur ai répondu que j’étais complètement ignorant de ces choses, que je n’avais aucune faculté développée en moi et que je considère cela même un peu dangereux. J’ai ajouté que peut-être il vaut mieux laisser Mère s’occuper de cela et que ces facultés se développeront en nous quand Elle le jugerait bon. Mère, est-ce que mon attitude est correcte? Sinon, indique-moi le droit chemin.

Tu as raison et ce que tu as dit est correct.

Sur l’insistance de Z j’avais indiqué un exercice de début — mais les résultats ont été plutôt fâcheux, et j’ai dû arrêter. Quand le moment est venu, ces choses viennent naturellement, spontanément pour ainsi dire, et il vaut mieux ne pas prendre des résolutions arbitraires.

L’éducation qu’on nous donne ici actuellement diffère peu de l’éducation qu’on donne ailleurs. Précisément donc, on doit essayer ici d’éduquer les facultés latentes et spirituelles de l’élève. Mais comment faire cela à l’école?

Ce n’est pas par des méthodes extérieures que cela peut être fait. Cela dépend presque entièrement de l’attitude et de la conscience du professeur. Si lui-même n’a pas la vision et la connaissance intérieures, comment peut-il les passer à ses élèves?

À vrai dire, on compte surtout sur l’atmosphère ambiante chargée de force spirituelle et qui a un effet, même si elle n’est pas perçue ou sentie.

20 avril 1966

Aux professeurs et aux élèves

Les classes « Vers la Perfection 7 » sont en accord avec l’enseignement de Sri Aurobindo.

Elles mènent vers la réalisation de la Vérité.

Ceux qui ne comprennent pas cela tournent le dos à l’avenir.

Septembre 1966


Si nous devons avoir un système nouveau, quel sera exactement ce système?

Cela va être mis en pratique pour le mieux, selon la capacité de chaque professeur.

27 juillet 1967


(Un professeur suggérait de réorganiser les cours des étudiants d’un certain groupe. Il conseillait de réduire le nombre de classes programmées; les professeurs donneraient le matin une aide individuelle à leurs élèves et ne les verraient en groupes que l’après-midi. Sa lettre se terminait ainsi :)

Beaucoup de professeurs sentent que la division qui existe entre les classes de X et ce qui est appelé « Old SysOld System » n’est pas désirable. Avec la réorganisation proposée, les différences entre les deux diminueront de beaucoup. .

Est-ce que Tu penses que cette division doit continuer? Faut-il attendre encore pour qu’elle disparaisse?

Ce serait infiniment préférable que la division disparaisse immédiatement. L’efficacité de ce que vous proposez ne sera visible qu’à la pratique. Ainsi, il me semble que le mieux est d’essayer, soit pour une année entière si les résultats sont lents à se révéler, soit pour trois mois si, après ce temps, les résultats sont clairement visibles.

Avec de la sincérité et de la souplesse vous devez venir à bout du problème.

Bénédictions.

6 novembre 1967


(Au sujet d’un choix de livres pour une classe de mathématiques.)

Le livre français est le seul qui me paraisse possible — les autres sont rébarbatifs et vous dégoûtent du travail.

Mais je ne suis pas d’avis de donner ce livre français aux élèves. À vrai dire, ils n’ont pas besoin de livres. C’est le ou les professeurs qui devraient, d’après le livre, préparer des leçons adaptées à la connaissance, la capacité et les besoins des élèves. C’est-à-dire que le professeur devrait apprendre ce qui est dans le livre et le transcrire et l’expliquer aux élèves, petit à petit, peu à la fois, avec beaucoup d’explications, de commentaires et d’applications pratiques pour rendre le sujet accessible et attrayant; c’est-à-dire de la pratique vivante au lieu de la théorie sèche et morte.

3 décembre 1967


X m’a demandé, il y a quelque temps, si j’aimerais travailler dans les classes du Libre Progrès. À présent, j’enseigne dans les classes dites de l’ancienne méthode.

Mère, me diras-Tu si je dois rester là où je suis maintenant, ou si je dois travailler dans les classes du Libre Progrès?

La vieille méthode d’enseignement est évidemment périmée et sera peu à peu abandonnée dans le monde entier.

Mais à dire vrai, il faudrait que chaque professeur, en s’inspirant des idées modernes, trouve la méthode qui lui semble la meilleure et la plus adaptée à sa nature. C’est seulement s’il [le professeur qui a posé la question] ne sait pas ce qu’il doit faire, qu’il peut joindre sa classe à celles de X.


Les classes ordinaires appartiennent au passé et disparaîtront petit à petit. Quant au choix entre travailler seul ou joindre les classes « Vers la Perfection », cela dépend de toi. Parce que pour enseigner et conduire une classe il faut passer de la théorie et des spéculations intellectuelles à une pratique très concrète qui doit être élaborée dans tous ses détails.

Apprendre à enseigner en faisant une classe est certainement très bon pour le candidat professeur, mais certainement moins utile pour les élèves.

Se joindre à « Vers la Perfection » est une sorte de dressage qui peut être utile pour un débutant qui y apprendra facilement la pratique de l’enseignement.

C’est à toi de choisir.

Bénédictions.


J’ai observé deux sortes d’idées contradictoires en moi : les unes pour le travail individuel, les autres pour le travail en commun. J’hésite entre les deux et ne peux me lancer entièrement dans aucune.

N’est-il pas possible de diviser le temps de la classe en deux parties (inégales ou égales suivant la nécessité) et essayer les deux systèmes? Cela donnerait de la diversité à l’enseignement et un champ d’observation des élèves et de leurs capacités plus étendu.


(Les questions ci-dessous concernent deux groupes de classes pour les enfants de quatorze à dix-huit ans. Bien que les deux groupes soient basés sur le système du Libre Progrès, le programme de « En Avant » était plus structuré que celui de « Vers la Perfection ».)

(1) Il y a des différences d’opinion parmi les professeurs quant à la direction dans laquelle notre école doit s’engager. Comment faire disparaître ces différences?

(2) Doit-on avoir des classes fixes et un programme fixe pour les enfants au-dessous de quatorze ans, ou bien peut-on leur donner aussi la liberté de choisir leur ligne de travail et celle de travailler à leur rythme?

(3) Notre tâche essentielle est-elle ou n’est-elle pas de réaliser des conditions dans lesquelles l’âme intérieure de l’enfant pourra trouver la possibilité de venir au premier plan et de guider sa croissance?

(4) Faut-il envisager une fusion des deux groupes « Vers la Perfection » et « En Avant » ?

Ils ont tous raison et tous tort à la fois.

Il semble d’abord qu’au-dessus de sept ans, ceux qui ont une âme vivante sont si éveillés qu’ils sont prêts pour la trouver, si on les aide. Au-dessous de sept ans, ce sont des cas exceptionnels.

Parmi nos enfants il y a de grandes différences. Il y a d’abord ceux qui ont une âme vivante. Pour ceux-là, pas de question. Il faut les aider à la trouver.

Mais il y en a d’autres. Ceux qui sont comme de petits animaux. Si ce sont des enfants de la société extérieure, dont les parents s’attendent à ce qu’ils soient instruits — pour ceux-là les classes d’« En Avant » conviennent. Ça n’a pas d’importance.

Le problème n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir de classes, de programmes. Le problème est de choisir les enfants.

Jusqu’à sept ans, il faut que les enfants s’amusent. Toute l’école doit être un jeu, et ils apprennent en jouant. C’est en jouant qu’ils prennent goût à apprendre, le goût de savoir et de comprendre la vie. Le système n’a pas beaucoup d’importance. C’est l’attitude du professeur qui importe. Le professeur ne doit pas être quelque chose que l’on subit parce qu’on est contraint. Il doit toujours être l’ami que l’on aime parce qu’il vous aide et vous amuse.

Au-dessus de sept ans on peut appliquer le nouveau système à ceux qui sont prêts, à condition d’avoir une classe où les autres peuvent travailler de la façon ordinaire. Et pour cette classe le professeur doit être convaincu que ce qu’il fait est la bonne méthode. Il ne doit pas se sentir relégué à une tâche inférieure.

Quand les gens ne s’entendent pas, c’est leur petitesse, leur étroitesse qui les en empêche. Ils peuvent avoir raison dans l’idée... mais ils peuvent ne pas faire la vraie chose, s’ils n’ont pas l’ouverture nécessaire.

Ces choses-là devraient être au-dessus des questions de personne. C’est une faiblesse de mélanger les deux. Il ne devrait pas y avoir de questions de personne.

Il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Par exemple, si l’on voulait élever tous les enfants avec la nouvelle méthode, il faudrait les prendre tous à l’essai, pendant un ou deux mois, voir ceux qui peuvent suivre et renvoyer les autres à leur famille.

C’est impossible.

Nous devons donc faire la solution à l’intérieur. Il y a des enfants qui n’aiment pas la nouvelle méthode — la responsabilité les gêne. J’ai reçu des lettres d’enfants dans ce sens. Il n’y a qu’à les laisser.

Pour tous, sans exception, sans exception, savoir qu’on n’est pas quelqu’un qui sait et qui applique ce qu’il sait. Tout le monde est en train d’apprendre à être et à faire ce qu’il faut 8.

16 novembre 1968


J’ai lu avec satisfaction ce que vous dites de votre travail et je l’approuve pour votre propre travail.

Mais il faut comprendre que d’autres professeurs peuvent concevoir différemment leur propre travail et ont également raison.

La critique que vous faites de X m’étonne parce qu’elle ne répond pas à ce que je connais de lui et de son attitude.

Je profite de cette occasion pour vous assurer que le progrès spirituel et le service de la Vérité sont basés sur l’harmonie et non sur la division et la critique.

25 novembre 1968


Le progrès est dans l’élargissement; pas dans la restriction.

Il faut joindre les points de vue en mettant chacun à sa vraie place, non pas insister sur les uns aux dépens des autres.

Le vrai progrès est dans l’élargissement de l’esprit et l’abolition des limites.

22 octobre 1971


À propos des questions qui vont être posées aux élèves, je voudrais demander aux professeurs de penser avec des idées au lieu de penser avec des mots.

Et, un peu plus tard, quand normalement ils penseront toujours avec des idées, je leur demanderai un progrès de plus qui sera le progrès décisif, c’est, au lieu de penser avec des idées, de penser avec des expériences. Quand on peut le faire, on commence à vraiment comprendre.

Vous avez demandé aux professeurs « de penser avec des idées au lieu de penser avec des mots ». Vous avez aussi dit que vous leur demanderez plus tard de penser avec des expériences. Voudriez-vous donner un éclaircissement sur ces trois façons de penser?

Notre maison a une tour très haute; tout en haut de la tour il y a une chambre claire et nue, la dernière avant de surgir à l’air libre, en pleine lumière.

Parfois, lorsque nous en avons le loisir, nous montons jusqu’à cette chambre claire; et là, si nous y restons bien tranquilles, nous recevons la visite d’une ou de plusieurs visiteuses; les unes sont grandes, les autres petites, certaines sont seules, certaines en groupes; toutes sont claires et gracieuses.

Généralement, dans la joie que donne leur arrivée et dans notre hâte de les bien accueillir, nous perdons notre tranquillité et nous descendons au galop pour nous précipiter dans la grande Le Centre d’salle qui forme la base de la tour et qui est le magasin des mots. Là, dans une excitation plus ou moins grande, nous choisissons, nous rejetons, nous assemblons, nous combinons, nous dérangeons, nous réarrangeons tous les mots qui sont à notre portée, pour tâcher de reproduire telle ou telle visiteuse qui est venue à nous. Mais, le plus souvent, l’image que nous réussissons à faire d’elle ressemble plus à une caricature qu’à un portrait.

Pourtant, si nous étions plus sages, nous resterions là-haut, au sommet de la tour, bien tranquilles, dans une contemplation joyeuse. Alors nous nous apercevrions qu’au bout d’un certain temps, plus ou moins long, les visiteuses elles-mêmes descendent lentement, gracieusement, calmement, sans rien perdre de leur élégance ou de leur beauté; et en traversant le magasin des mots, sans effort, automatiquement elles se revêtent des mots nécessaires pour être perceptibles dans la maison matérielle elle-même.

C’est cela que j’appelle penser avec des idées.

Quand ce procédé n’aura plus pour vous de mystère, alors je vous expliquerai ce que c’est que de penser avec des expériences.

31 mai 1960


La seule manière d’être vraiment convaincant dans sa parole, c’est de penser, non pas avec des idées mais avec des expériences.

As-tu assisté à la réunion des professeurs avec X? Ils se réunissaient parce qu’en plus de leur étude, ils voulaient donner à chacun un projet particulier. Ils voulaient leur faire découvrir ce que les savants découvrent en ce moment — « Qu’est-ce que l’eau? », « Pourquoi le sucre se dissout dans l’eau? » — et toutes ces choses qui conduisent les savants à conclure qu’ils ne savent rien.

Alors moi, je leur ai posé la question : « Qu’est-ce que la mort? »

C’est très important! depuis des siècles les hommes se sont posé la question.

Ils n’en savent rien.

Ils diront (les élèves) : « On ne sait pas ce que c’est que la mort », mais ils apprendront en recherchant. Pour comprendre ça, il faut savoir ça (Mère fait de la main des gestes indiquant plusieurs directions), et à la fin, la connaissance est beaucoup plus large que si on suit une ligne.

Dans le silence, on entre en rapport avec la Vérité.

Après l’idée descend, passe par la bibliothèque des mots et elle ramassera ceux qui sont les plus aptes.

Au commencement ça vient flou. Il faut continuer jusqu’à ce que ce soit précis. On peut noter, mais il faut rester tranquille et continuer. Alors on a le mot exact. Le mot qui vient alors est employé dans son sens essentiel mais non pas dans son sens conventionnel.

Ce n’est pas tout à fait la réalité, c’est les mots qui se rapprochent le plus de la réalité. Il faudrait que les professeurs fassent cela, ce serait très utile au lieu de... (geste de tourbillons dans la tête)

(silence)

Je ne sais pas si vous avez essayé d’obtenir le silence mental. Vous pouvez y passer toute votre vie, vous n’arriverez à presque rien, tandis que ça, c’est passionnant.

D’abord il ne se passe rien. Il faut rester comme ça. Pas activement. Être dans une aspiration vers le Divin. Il ne faut pas de mouvement dans le mental, ce n’est même pas la soumission, c’est un mouvement de parfait... quelque chose entre le don de soi et l’abdication.

Et si le mental fait don de sa manière d’être, un jour la réponse vient spontanément. Ça tombe comme une lumière. Plus on est calme, plus on est confiant, plus on est attentif, plus ça vient clairement.

À un moment, on n’a plus qu’à faire ça (geste de s’ouvrir). L’élève pose une question. On reste (geste de s’ouvrir).

Et surtout pas penser activement : « Je veux savoir... Qu’est-ce qu’il faut lui dire? » Non!

Alors on a toujours la réponse pour l’élève.

Peut-être pas la réponse à la question qu’il a posée, mais la réponse dont il a besoin. Et ce sera toujours intéressant...

Là-haut, on sait. Quand on arrive à croire que le mental est impuissant, qu’il ne sait rien, on se tait. On a de plus en plus la conviction que là-haut, il y a une conscience, non seulement qui sait, mais qui peut, mais qui perçoit le moindre détail, et donc le besoin de l’élève — et qui répond à ça.

Quand on est convaincu de ça, on abdique son intervention personnelle et on dit : « Prends ma place. »

31 juillet 1967


J’ai laissé ces trois garçons se « droguer » avec leurs jeux, espérant que cela leur passerait plus vite.

C’est en effet ce qui est arrivé au début de la troisième semaine : les trois enfants s’inscrivent pour des jeux individuels et oublient leurs jeux bruyants.

Puis-je continuer d’agir ainsi : laisser les abcès extrascolaires se former puis craquer, sans m’occuper du temps qui passe et qui semble être perdu au point de vue scolaire?

Certainement, c’est la meilleure chose à faire.

Devons-nous admettre, dans le cadre de l’école, des jeux d’une certaine catégorie extra-scolaire, tels que cachecache, jeux de balle (cricket), construire une maison... En voyant les élèves réclamer à grands cris, cela nous fait penser à une activité dont nos enfants sont peut-être frustrés; pouvoir, parfois, jouer absolument librement dans un grand parc!

Y a-t-il un besoin réel des enfants?

Sans aucun doute.

23 novembre 1960

Il est très difficile de choisir des jeux qui soient utiles et profitables pour un enfant. Cela demande beaucoup de considération et de réflexion, et tout ce que l’on fait à la légère peut avoir des conséquences fâcheuses.


Les professeurs ne doivent pas s’absenter aux jours et aux heures de leurs classes.

Si quelqu’un est obligé d’avoir des activités extérieures aux heures des classes, il ne peut pas être professeur.

11 mars 1970

DISCIPLINE

Contraindre n’est pas le meilleur ni le plus efficace principe d’éducation. La vraie éducation doit épanouir et révéler ce qui est déjà présent dans les êtres en formation. De même que les fleurs s’épanouissent au soleil, les enfants s’épanouissent dans la joie. Il va sans dire que joie ne signifie pas faiblesse, désordre et confusion — mais une bienveillance lumineuse qui encourage ce qui est bien et n’insiste pas sévèrement sur ce qui est mauvais. La grâce est toujours plus proche de la vérité que la justice.

1961


Mère, que faire dans une classe quand un enfant refuse de suivre une discipline? Faut-il le laisser faire à sa guise?

D’une façon générale, au-dessous de douze ans, tous les enfants ont besoin d’une discipline.

Certains professeurs croient que Tu es opposée à la discipline.

Pour eux, la discipline est une règle arbitraire que l’on impose aux petits, sans la suivre soi-même. C’est à cette discipline-là que je suis opposée.

La discipline est donc une règle que l’enfant doit s’imposer à lui-même. Comment l’amener à en reconnaître la nécessité? Comment l’aider à la suivre?

L’exemple est le plus puissant des instructeurs. Ne demandez jamais à un enfant un effort de discipline que vous ne fassiez pas vous-même.

Le calme, l’égalité d’humeur, l’ordre, la méthode, l’absence de paroles inutiles, doivent être constamment pratiqués par le professeur s’il veut les inculquer à ses élèves.

Le professeur doit être toujours exact, arriver en classe quelques minutes avant l’heure, toujours proprement habillé.

Et surtout, pour que ses élèves ne mentent pas, il ne devra jamais mentir lui-même; pour que ses élèves ne se mettent pas en colère, il ne devra jamais se mettre en colère avec eux ; et pour pouvoir leur dire en toute justice que « jeux de mains (donner des coups) sont jeux de vilains », il ne devra jamais lever la main sur aucun d’eux.

Ce sont les choses élémentaires et préliminaires qui doivent être pratiquées dans toutes les écoles sans exception.


On ne peut être le maître psychologique des enfants que lorsqu’on est le maître de sa propre nature.

16 juillet 1963


Bien savoir, d’abord, ce que tu dois enseigner. Tâcher de bien comprendre tes élèves et leurs besoins particuliers.

Être très calme et très patient; ne jamais t’emporter; il faut être maître de soi-même pour être maître des autres.

7 décembre 1964


Et pour les petits enfants, Mère, que faire?

Ah! les petits enfants, c’est merveilleux. Je vois beaucoup de petits enfants. On a pris l’habitude de me les amener. Mais ceux qui ont moins de deux ans, c’est magnifique, la conscience qu’il y a déjà là. Ils sont conscients. Ils n’ont pas les moyens des’exprimer, il n’y a pas les mots, mais ils sont très conscients. Et alors gronder un enfant, ça paraît...

L’autre jour, avant-hier, on m’en a amené un et il grognait. Et sa mère naturellement... alors je lui ai donné une rose : « Tiens! c’est pour toi! » Évidemment, il n’a pas compris les mots, mais il a tourné la rose, comme ceci, comme cela et il s’est calmé. Les petits enfants, c’est merveilleux. Il suffit de mettre les choses autour d’eux et de les laisser vivre. Ne jamais intervenir, sauf si c’est absolument nécessaire. Et les laisser vivre. Et ne jamais les gronder.

31 juillet 1967


Les élèves bavardent tant dans la classe qu’il me faut les gronder très souvent.

Ce n’est pas avec la sévérité, mais avec la maîtrise de soi qu’on gouverne les enfants.


Il faut que je te dise que si un professeur veut être respecté, il faut qu’il soit respectable. X n’est pas le seul à dire que tu uses de violence pour te faire obéir; rien n’est moins respectable. Il faut d’abord te maîtriser toi-même et ne jamais te servir de la force brutale pour imposer ta volonté.


J’ai toujours pensé que quelque chose dans le caractère du professeur était responsable de l’indiscipline de ses élèves.


J’espère que Tu me donneras des instructions précises qui me permettront de garder l’ordre dans mes classes.

Le plus important est de te maîtriser toi-même et de ne jamais lose your temper 9 comme on dit en anglais. Si tu n’as pas contrôle sur toi-même, comment peux-tu espérer contrôler les autres, surtout des enfants qui sentent tout de suite quand quelqu’un n’est pas maître de lui-même.


Aux professeurs
de toutes les classes enfantines

Une règle qui doit être rigoureusement appliquée.

Il est absolument interdit de battre les enfants — tous les coups sont interdits, même la simple petite claque ou la bourrade soi-disant amicales. Donner un coup à un enfant parce qu’il n’obéit pas ou ne comprend pas ou dérange les autres, est le signe d’un manque de contrôle sur soi, et c’est aussi pernicieux pour le professeur que pour l’élève.

Des mesures disciplinaires peuvent être prises si elles sont nécessaires, mais dans un calme complet, et non pas par une réaction personnelle.


Que faire pour avoir une atmosphère silencieuse dans les classes?

Être toi-même dans un silence complet. Tu apportes avec toi un morceau de carton d’un mètre de long environ sur lequel tu écris en très grosses lettres, noir sur blanc :


SILENCE

(beaucoup plus gros que cela) et dès que les élèves se mettent à parler tu places le carton devant toi.

Bénédictions.


Ne dites jamais à un enfant quelque chose qu’il devra oublier pour savoir vraiment. Ne faites jamais devant un enfant quelque chose qu’il ne devra pas faire lui-même quand il sera grand.


N’oubliez jamais qu’un petit enfant de moins de six ans sait beaucoup plus de choses qu’il ne peut en exprimer.

DEVOIRS

Tous les élèves se plaignent que chacun de leurs professeurs ne pense qu’à sa propre classe et veut leur donner du travail à la maison, pensant que ce qu’il donne est fort peu et ne comprenant pas que tous ces « peu » ensemble, cela fait une quantité considérable.

Je ne puis leur donner tort.

Il faudrait que tous les professeurs donnant des leçons à un certain groupe d’élèves, s’entendent entre eux pour doser le travail de façon à ce que les élèves ne soient pas surchargés et puissent jouir d’un repos et d’un délassement indispensables.

Il faut que cette préparation collective soit prête avant que je puisse donner des conseils utiles.

Pour les sujets il est indispensable de choisir ceux qui coïncident avec leur expérience personnelle afin d’encourager l’introspection, l’observation et l’analyse des impressions personnelles.

Décembre 1959


« Dans notre classe d’arithmétique nous voudrions qu’on nous donne des devoirs à faire. »

Si seulement vous pouviez écrire le français un peu correctement! !

Vous pouvez faire des devoirs si vraiment vous le voulez — mais il vaut mieux faire peu et bien, plutôt que de faire beaucoup, sans soin et sans concentration.

Si vous voulez pouvoir faire quoi que ce soit, il faut apprendre à vous discipliner et à vous concentrer.

28 juin 1960


Je ne suis pas d’accord pour que les enfants travaillent à la maison. Chez eux, ils doivent être libres de faire ce qu’ils veulent.

La solution du problème se trouve dans la classe de silence10

14 septembre 1967

EXAMENS

Ce n’est pas par des examens conventionnels qu’on peut choisir les élèves pour une classe. C’est seulement en développant en soi le vrai sens psychologique.

Choisissez les enfants qui veulent apprendre, non pas ceux qui veulent se faire valoir.

29 octobre 1965


(Au sujet de ceux qui trichent aux examens.)

Que dois-je faire? Faut-il faire comme à l’extérieur — mettre trois professeurs dans une salle qui surveilleront avec vigilance? Les professeurs n’aiment pas cette manière de faire les choses ici à l’Ashram.

Ou doit-on abolir les tests? Cette dernière proposition me semble douteuse, car on fait la même chose dans les devoirs et les compositions.

En tout cas, le problème est là, et pour vraiment résoudre le problème il faut comprendre pourquoi les enfants agissent comme cela.

Je Te prie de me dire la cause de cette perversion et la solution de ce problème.

C’est tout à fait simple. C’est parce que la majorité des enfants étudient parce qu’ils y sont contraints par la famille, l’habitude et les idées courantes, et non pas parce qu’ils veulent apprendre et savoir. Tant que le mobile de leurs études n’est pas rectifié, tant qu’ils ne travaillent pas parce qu’ils veulent savoir, ils feront toutes sortes de trucs pour rendre leur travail plus facile et pour obtenir des résultats avec le minimum d’effort.

Juin 1967


(La Mère signale que de répéter la déclaration ci-dessous, cent fois ou mille fois tous les jours, jusqu’à ce qu’elle devienne une vibration vivante, aiderait l’élève à instiller en lui-même la volonté juste et le motif juste pour étudier.)

Ce n’est pas pour notre famille, ce n’est pas pour avoir une situation, ce n’est pas pour gagner de l’argent, ce n’est pas pour obtenir un diplôme, que nous étudions.

Nous étudions pour apprendre, pour savoir, pour comprendre le monde, et pour la joie que cela nous donne.

Juin 1967


Selon quel critère devons-nous donner des prix dans nos « Classes de Libre Progrès » ?

Cela ne peut certainement pas être des prix compétitifs de classement.

Mais un prix d’appréciation d’une valeur équivalente peut être donné à ceux qui ont dépassé un certain niveau de (1) capacité, plus (2) bonne volonté et régularité dans l’effort.

Les deux doivent être présents pour légitimer le prix.

ÉTUDE DES ŒUVRES DE SRI AUROBINDO ET DE LA MÈRE

Douce Mère, comment est-ce qu’on doit lire tes livres, et les livres de Sri Aurobindo, pour qu’ils entrent dans notre conscience au lieu de les comprendre seulement par le mental?

Lire mes livres n’est pas très difficile parce qu’ils sont écrits dans le langage le plus simple, presque le langage parlé. Pour en tirer profit, il suffit de les lire avec attention et concentration et une attitude de bonne volonté intérieure avec le désir de recevoir et de vivre ce qui est enseigné.

Lire ce que Sri Aurobindo écrit est plus difficile parce que l’expression est hautement intellectuelle et le langage est beaucoup plus littéraire et philosophique. Le cerveau a besoin d’une préparation pour pouvoir vraiment comprendre et généralement cette préparation prend du temps, à moins qu’on ne soit spécialement doué, avec une faculté intuitive innée.

En tout cas, je conseille toujours de lire peu à la fois, en gardant le mental aussi tranquille que l’on peut, sans faire des efforts pour comprendre, mais en gardant la tête aussi silencieuse que possible, et en laissant entrer profondément la force contenue dans ce que l’on lit. Cette force reçue dans le calme et le silence fera son œuvre de lumière et créera, au besoin, dans le cerveau les cellules nécessaires à la compréhension. Ainsi, quand on relit la même chose quelques mois après on s’aperçoit que la pensée exprimée est devenue beaucoup plus claire et proche, et même parfois tout à fait familière.

Il est préférable de lire régulièrement, un peu tous les jours, et à heure fixe si possible; cela facilite la réceptivité cérébrale.

2 novembre 1959

Douce Mère,

Avec quelle attitude dois-je lire les livres de Sri Aurobindo quand ils sont difficiles et que je ne comprends pas? « Savitri », « La Vie Divine » par exemple.

Lis, peu à la fois, relis et relis encore jusqu’à ce que tu aies compris.

25 mai 1960


Quelle est la méthode vraie pour étudier les œuvres de Sri Aurobindo ?

La vraie méthode est de lire peu à la fois, avec concentration, puis garder le mental aussi silencieux que possible, sans essayer activement de comprendre, mais tourné vers le haut, dans le silence, et aspirant à la lumière. La compréhension viendra peu à peu.

Et plus tard, dans un an ou deux, tu reliras la même chose et alors tu sauras que le premier contact avait été vague et incomplet, et que la vraie compréhension vient plus tard après avoir essayé de mettre en pratique.

14 octobre 1967


Tu es venu sur terre pour apprendre à te connaître toimême.

Lis les livres de Sri Aurobindo et regarde attentivement audedans de toi-même aussi profondément que tu peux.

4 juillet 1969


Douce Mère,

Cette année du centenaire de Sri Aurobindo, disnous, comment nous, professeurs et élèves de l’école, nous pouvons servir Sri Aurobindo ?

D’abord étudie ce que Sri Aurobindo a écrit sur l’éducation.

Puis il faudra trouver le moyen de le mettre en pratique.

Bénédictions.

1972

Sri Aurobindo est venu sur la terre pour annoncer la manifestation du monde supramental. Et non seulement il a annoncé cette manifestation mais aussi il a incarné en partie cette force supramentale et nous a donné l’exemple de ce qu’il faut faire pour se préparer à la manifester. Que pouvons-nous faire de mieux que d’étudier tout ce qu’il nous a dit et de nous efforcer de suivre son exemple et de nous préparer à la nouvelle manifestation.

Ceci donne le vrai sens à la vie et nous aidera à surmonter tous les obstacles.

Vivons pour la nouvelle création et nous serons de plus en plus forts en restant jeunes et progressifs.

30 janvier 1972


Douce Mère,

Pour le centième anniversaire de Sri Aurobindo, quelle est la meilleure offrande que je puisse faire à Sri Aurobindo personnellement?

Offre-lui ton mental en toute sincérité.

13 novembre 1970


Douce Mère,

Pour pouvoir offrir mon mental à Sri Aurobindo en toute sincérité, n’est-il pas très nécessaire de développer un grand pouvoir de concentration? Veux-Tu me dire par quelle méthode je pourrais cultiver cette faculté précieuse?

Fixe une heure à laquelle tu peux être tranquille tous les jours.

Prends un livre de Sri Aurobindo. Lis une phrase ou deux. Puis reste silencieux et concentré pour comprendre cette signification profonde. Essaye de te concentrer assez profondément pour obtenir le silence mental et recommence quotidiennement jusqu’à obtenir un résultat.

Naturellement il ne faut pas s’endormir.

3 février 1972

Si on lit soigneusement Sri Aurobindo, on trouve la réponse à tout ce que l’on veut savoir.

25 octobre 1972


Sri Aurobindo n’appartient pas au passé et à l’histoire.

Sri Aurobindo est l’avenir en marche vers sa réalisation.

Il nous faut donc nous revêtir d’une jeunesse éternelle pour pouvoir avancer avec la rapidité voulue et ne pas être des retardataires sur le chemin.

Bénédictions.

2 avril 1967


On a suggéré qu’il était souhaitable que les Entretiens de la Mère et d’autres articles importants du Bulletin qui, à l’origine, ont été destinés aux enfants du Centre d’Éducation puissent leur être lus et expliqués en classe. On a suggéré pour ce faire qu’une ou deux périodes par mois soient réservées à ce sujet. Quant à la langue dans laquelle ces classes doivent être faites, nous prions la Mère de décider.

Si on veut se servir de mes articles ou entretiens il faut le faire en français.

27 juillet 1959

Sri Aurobindo doit être lu en anglais, et moi, en français.

4 mars 1966


Tu as dit que cela prendra une ou deux années pour comprendre Sri Aurobindo. Les professeurs ont-ils donc raison de nous poser des questions (sur les textes de Sri Aurobindo étudiés en classe)?

J’ai dit des années pour bien comprendre. Mais si vous êtes intelligents vous pouvez comprendre tout de suite quelque chose; et le professeur veut se rendre compte du degré de votre intelligence.

7 octobre 1967


Tu pourras utilement enseigner la biologie. Et en même temps continuer ton étude de Sri Aurobindo.

Il vaut mieux faire à fond et tout à fait sérieusement ce que l’on fait plutôt que de multiplier ses occupations.

Être un bon professeur n’est pas chose facile; mais c’est très intéressant et une bonne occasion de se développer soi-même.

Quant à la lecture des œuvres de Sri Aurobindo, elle nous ouvre la porte de l’avenir.

16 novembre 1972


Ma Mère bien-aimée, je veux suivre un cours systématique de métaphysique et d’éthique. Je pense aussi lire « The Life Divine ».

Si tu lis de la métaphysique et de l’éthique, il faut le prendre juste comme une gymnastique mentale pour donner de l’exercice à ton cerveau, mais ne jamais perdre de vue que ce n’est pas une source de connaissance et que ce n’est pas de cette façon qu’on peut s’approcher de la connaissance. Naturellement, il n’en est pas de même pour La Vie Divine...


Il me semble qu’en dehors du travail du Building Service, si tu sens l’envie d’étudier, il vaudrait mieux lire les livres de Sri Aurobindo sérieusement et soigneusement, sans se hâter. Cela t’aidera plus que toute autre chose pour ta sâdhanâ.

Avec mes bénédictions.

9 mars 1941

Par quel livre de Sri Aurobindo dois-je commencer?

La Vie Divine.

Mes bénédictions.

11 mars 1941

LANGUES

Faut-il considérer le français comme une langue particulière, destinée à mettre les élèves en rapport tout d’abord avec vous, ensuite avec une certaine manifestation de la beauté?

Quelque chose comme cela.

Tout ce que je peux te dire est que nous sommes considérés comme une des meilleures et peut-être la meilleure école pour enseigner le français dans l’Inde, et je considère qu’il serait bon de mériter cette appréciation.

Dans mes relations avec les enfants ici, je leur parle toujours en français.


Le français est, en vérité, la langue la plus précise et la plus claire. Mais au point de vue spirituel, il n’est pas exact que le français soit la meilleure langue à employer; car l’anglais a une souplesse, une fluidité que le français n’a pas et cette souplesse est indispensable pour ne pas déformer ce que l’expérience spirituelle a de plus vaste et de plus compréhensif que ce que l’expression mentale peut formuler.

Je vous enverrai le livre [Prières et Méditations de la Mère] demain; mais il faut bien étudier la grammaire si vous voulez comprendre ce que vous lisez.

20 juin 1932


Où faut-il que j’apprenne le style de la langue française?

Cela s’enseigne dans les cours avancés de grammaire, et aussi il y a des livres spéciaux. Une des principales règles de style est, dans un récit, de ne pas se servir de « je » excepté quand il est absolument impossible de faire autrement et en tout cas de ne jamais commencer deux phrases de suite avec « je ». Vous voyez d’ici ce qu’il faudrait faire pour que votre rapport quotidien ait du style!

20 juillet 1933


La langue française demande à être écrite avec simplicité et clarté.

23 septembre 1933


Mon cher petit sourire,

Tu as tout à fait raison, et je ne vois pas pourquoi, au lieu de lire des choses intéressantes, vous vous mettriez à faire d’ennuyeux exercices.

Pour apprendre une langue il faut lire, lire, lire — et parler autant que l’on peut.

Avec toute ma tendresse.

10 juillet 1935


Maman, voudrais-Tu me dire les noms de quelques bons écrivains que je puisse lire?

Si c’est pour apprendre la langue française il faut prendre un traité de la littérature française pour l’étudier et lire un ou deux livres de chaque auteur mentionné dans le traité en commençant par le commencement, c’est-à-dire les auteurs les plus anciens.

22 septembre 1936

Si Tu veux, je prendrai un livre selon mon goût et un autre des auteurs les plus anciens, comme Tu m’as conseillé.

Je n’ai pas dit de lire seulement les plus anciens; j’ai dit de lire un ou deux livres de chaque auteur mentionné dans le cours de littérature en commençant par les plus anciens.

24 septembre 1936


Mère, j’ai commencé à lire des livres français — S m’en a donné une liste.

C’est bien que tu lises beaucoup de français; cela t’apprendra à écrire.

7 avril 1965

(Langues à étudier à Auroville 11)

(1) le tamoul

(2) le français

(3) le sanskrit simplifié, pour remplacer le hindi comme langue de l’Inde.

(4) l’anglais comme langue internationale.

15 décembre 1970

FAC-SIMILÉ DE L’ÉCRITURE DE LA MÈRE EN DIVERSES LANGUES

Les huit pages qui suivent contiennent des exemples de l’écriture de la Mère en sanskrit (Îsha Upanishad, avec la traduction française), hébreu, phénicien, chinois, japonais, bengali.

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ARTS

Dans le monde physique, c’est de toutes choses la beauté qui exprime le mieux le Divin; le monde physique est le monde de la forme et la perfection de la forme, c’est la beauté. Elle interprète, exprime, manifeste l’Éternel. Son rôle est de mettre toute la nature manifestée en contact avec Lui par la perfection de la forme, l’harmonie, et un sens d’idéal qui élève et qui porte vers quelque chose de supérieur.


Fais de la Beauté ton constant idéal.

La beauté de l’âme

la beauté des pensées

la beauté des sentiments

la beauté de l’action

la beauté dans le travail,

que rien ne sorte de tes mains qui ne soit une expression de beauté pure et harmonieuse.

Et l’aide divine sera toujours avec toi.

21 janvier 1963


Si, dans la vie divine, l’art doit manifester quelque chose, là aussi une vaste et lumineuse paix s’exprimera.

La beauté spirituelle a un pouvoir contagieux.

La beauté est l’offrande joyeuse de la nature.

L’art aussi exige que l’on demeure toujours sur les hauteurs. Le bon goût est l’aristocratie de l’art.


PEINTURE

Voulez-vous que je dessine quelquefois des oiseaux ou des animaux ?

Comme vous voudrez — mais les dessins d’après nature sont les meilleurs pour apprendre.

23 décembre 1932


J’ai essayé de copier le dessin que vous m’avez envoyé aujourd’hui.

Pour apprendre il vaudrait mieux agrandir le dessin afin de pouvoir montrer les détails.

5 janvier 1933


La plus grande des peintures de fleurs est la meilleure parce qu’elle est plus spontanée et libre. Il faut que tu sentes ce que tu peins et que tu le fasses avec joie.

Copie beaucoup et beau, mais tâche encore plus d’avoir l’émotion, la vie profonde des choses.

12 août 1962

Pour T’expliquer ma difficulté je T’envoie mes deux dernières peintures. J’ai fini l’une des deux, mais pas à ma satisfaction. Dans l’autre où le centre n’est pas complété je sais ce que je veux faire, pourtant je n’y arrive pas. Je veux Te demander si je ferais plus de progrès en étudiant à Paris, ou si c’est mieux pour moi d’essayer ici même. Je suivrai Ta décision volontiers.

Ma chère enfant,

J’ai vu tes peintures — elles sont presque tout à fait bien. Mais ce qui leur manque, ce n’est pas la technique — c’est la conscience. Si tu développes ta conscience tu trouveras spontanément comment t’exprimer. Personne et surtout pas des professeurs officiels, ne peuvent t’enseigner cela.

Ainsi, t’en aller d’ici, pour aller n’importe où, dans n’importe laquelle des « Académies d’Art », ce serait sortir de la lumière pour descendre dans un trou d’obscurité et d’inconscience.

On n’apprend pas à être un artiste avec des trucs — c’est comme si tu voulais réaliser le Divin en imitant des cérémonies religieuses.

Avant tout et toujours la chose la plus importante est la sincérité.

Développe ton être intérieur — trouve ton âme et du même coup tu trouveras la vraie expression artistique.

Avec mes bénédictions.

25 mai 1963

Pourquoi veux-tu faire des détails? Ce n’est pas du tout nécessaire. La peinture n’est pas faite pour copier la Nature, mais pour exprimer une impression, un sentiment, une émotion que nous éprouvons en voyant la beauté de la Nature. C’est cela qui est intéressant et c’est cela qu’il faut exprimer et c’est parce que tu as la possibilité de faire cela que je t’encourage à peindre.

1963

J’ai vu tes peintures et certainement il y a progrès sur l’année dernière.

L’art moderne est un essai, encore très maladroit, d’exprimer quelque chose d’autre que la simple apparence physique. L’idée est bonne — mais naturellement la valeur de l’expression dépend entièrement de la valeur de ce qui veut s’exprimer.

Pour le moment presque tous les artistes sont dans la conscience vitale et mentale la plus inférieure et les résultats sont assez pauvres.

Tâche de développer ta conscience, fais effort pour découvrir ton âme, et alors ce que tu feras sera vraiment intéressant.

12 août 1963


Je regrette d’avoir à dire que je ne vois pas beaucoup de progrès dans les peintures sur l’année dernière. Cela manque de sincérité et de spontanéité; ce n’est pas vu, c’est pensé et pensé d’une façon enfantine. Ce que j’ai dit l’année dernière reste à accomplir. Il faut que la conscience croisse dans la lumière et la sincérité et que les yeux apprennent à voir artistiquement.

12 août 1964


C’est seulement aujourd’hui que j’ai pu regarder tes peintures. Certainement elles constituent un effort, et celle qui est encadrée est agréable à voir. Mais tu penses trop et tu ne vois pas assez. C’està-dire que ta vision n’est pas originale, spontanée et directe, ce qui fait que ton exécution est encore conventionnelle et manque d’originalité — une imitation de ce que les autres font.

Il y a, derrière toute chose, une beauté, une harmonie divine : c’est avec cela qu’il faut entrer en contact; c’est cela qu’il faut exprimer.

12 août 1965


MUSIQUE

Je ne sais qui répand le bruit que je n’aime pas la musique. Ce n’est pas du tout vrai. J’aime beaucoup la musique, mais elle doit être entendue en petit comité, c’est-à-dire jouée devant cinq ou six personnes au plus. Quand il y a une foule cela devient une réunion mondaine, le plus souvent, et l’atmosphère créée n’est pas bonne.

Douce Mère, comment peut-on entrer dans les sentiments d’une musique jouée par quelqu’un d’autre?

De la même façon que l’on peut partager les émotions d’une autre personne, par sympathie, spontanément, par une affinité plus ou moins profonde, ou bien par un effort de concentration qui aboutit à l’identification. C’est ce dernier procédé que l’on adopte quand on écoute la musique avec une attention intense et concentrée, au point d’arrêter tout autre bruit dans la tête et d’obtenir un silence complet, dans lequel tombent goutte à goutte les notes de la musique dont seul le son demeure; et avec le son, tous les sentiments, tous les mouvements d’émotion peuvent être perçus, éprouvés, ressentis comme s’ils se produisaient en nous-mêmes.

20 octobre 1959


Douce Mère, qu’est-ce qu’on doit essayer de faire quand on médite avec ta musique au Terrain de Jeux ?

Cette musique a pour but d’éveiller certains sentiments profonds.

Pour l’écouter il faut donc se rendre aussi silencieux et passif que possible. Et si, dans le silence mental, une partie de Le Centre d’

l’être peut prendre l’attitude du témoin qui observe sans réagir ni participer, alors on peut se rendre compte de l’effet que la musique produit sur les sentiments et les émotions; et si elle produit un état de calme profond et de semi-transe, alors c’est tout à fait bien.

15 novembre 1959


X et moi jouons de la flûte ensemble. Nous avons trouvé un livre dont les chansons ont des airs très beaux, très simples et faciles à jouer. J’aimerais savoir si les chants d’amour ou de meurtre qui ne semblent pas aller avec notre idéal à l’Ashram ont un mauvais esprit dans l’air. Est-ce que les musiques religieuses catholiques qui sont jouées dans les églises sont mauvaises à jouer? Si oui, nous ne jouerons ni les airs accompagnés de paroles vulgaires ni les musiques religieuses.

Il faut supprimer les mots et garder seulement la musique, dans les deux cas.

Si vous savez écrire la musique, faites des copies des airs que vous voulez jouer (sans copier les mots). Si vous ne savez pas écrire la musique, demandez à quelqu’un qui sait — Y par exemple — de le faire pour vous ou de vous apprendre à le faire.

Ne gardez pas les livres avec vous, car les livres peuvent avoir une mauvaise influence.

1965

Qu’est-ce qu’on doit attendre de la musique? Comment juger de la qualité d’un morceau de musique? Comment développer le bon goût (pour la musique)? Que penses-Tu de la musique légère (cinéma, jazz, etc.) que nos enfants aiment beaucoup ?

Le rôle de la musique consiste à aider la conscience à s’élever vers les hauteurs spirituelles.

Tout ce qui avilit la conscience, encourage les désirs et excite les passions va à l’encontre du vrai but de la musique et doit être évité.

Ce n’est pas une question de dénomination mais d’inspiration — et seule la conscience spirituelle peut en juger.

22 juillet 1967


(À propos d’une chanson d’amour du Moyen Âge.)

Ces mots sont ridicules et même de mauvais goût. Généralement, quand on étudiait une chanson et que les mots en étaient déplacés, on changeait les mots en gardant seulement la musique.

Quelqu’un qui a le sens du rythme peut le faire très facilement.

Février 1968


(À propos des paroles de deux canons chrétiens, « Alléluia » et « Dona nobis pacem », inscrits à un programme Dona nobis pacem », inscrits à un programme de musique vocale.)

Ça va, à condition que cela ne soit pas exclusif, et que d’autres religions soient aussi représentées. Mars

1968


POÉSIE

Douce Mère, dans le Bulletin, tu as écrit : « La poésie, c’est la sensualité de l’esprit. » Qu’est-ce que cela veut dire 12?

Qu’est-ce que ça veut dire?... C’est parce que la poésie a rapport avec les formes et les images des idées : les formes, les images, les sensations, les impressions, les émotions des idées, tout ça c’est le côté sensuel des choses. Tout le rapport avec les formes et les sensations, les images, les impressions, tout ça c’est la sensualité des choses. Et la poésie, c’est ce côté-là de la pensée; c’est cette façon-là d’aborder le monde, d’aborder le monde de la pensée, c’est par les images de ces pensées, les formes, les apparences, les émotions et les sensations et le jeu de ces choses, le jeu des apparences, des idées. Ce n’est pas du tout comme la philosophie ou la métaphysique, qui cherchent l’intérieur de l’idée, le principe de l’idée. La poésie, elle, n’est poétique que quand elle évoque. C’est le monde de la forme et de la sensation. Alors juste on prend une expression un peu... comment dire... épigrammatique, et on peut dire : « C’est la sensualité de l’esprit. » Comme les gens qui sont exclusivement occupés des sensations de tout ce que le monde matériel exprime par ses formes, et tout le côté des formes des sensations de la vie physique, ce sont des gens qui vivent dans leurs sens, et quand ils jouissent de toutes ces choses, eh bien, ce sont des gens qu’on appelle des sensuels.

Là, au lieu d’être appliqué à la vie physique extérieure, c’est appliqué à la vie de l’esprit, aux idées et à ce qui est au-delà des idées. Et c’est tout ce monde-là, vu sous l’aspect de la beauté de sa forme — cela c’est la poésie. Elle exprime la beauté des idées, l’harmonie des pensées et donne à tout ça une forme qui devient concrète, des images, le jeu des images, le jeu des sons, le jeu des mots.

Alors, au lieu d’être la sensualité de la matière, c’est la sensualité de l’esprit. Ce n’est pas pris dans un sens péjoratif, ni moral — du tout —, c’est simplement descriptif.


CINÉMA

Nous voyons trop de films ces jours-ci, et je ne sais pas comment ils nous éduquent!

Quand on a la vraie attitude, tout peut être une occasion d’apprendre.

En tout cas, cette abondance peut vous faire comprendre que le désir si impérieux, pour certains, de voir des films est aussi pernicieux que tous les autres désirs.

11 mai 1963


On aimerait pouvoir montrer aux enfants des représentations imagées de ce que la vie doit être, mais nous n’en sommes pas là, bien loin de là. Ces films-là restent encore à faire. Et pour le moment, le plus souvent, le cinéma montre ce que la vie ne doit pas être, d’une façon assez frappante pour vous en donner le dégoût.

Cela aussi a son utilité préparatrice.

Les films sont admis à l’Ashram non comme un amusement, mais comme faisant partie de l’éducation. C’est donc le problème de l’éducation qui se pose.

Si l’on considère que l’enfant ne doit apprendre, savoir et connaître que ce qui peut le garder pur de tout mouvement inférieur, grossier, violent et dégradant, c’est tout le contact avec le reste de l’humanité qu’il faudrait d’un coup supprimer, à commencer par tous ces récits de guerres, de meurtres, de conflits et de tromperies, qu’on appelle l’Histoire; c’est le contact actuel avec la famille, les parents, les amis, qu’il faudrait supprimer; c’est le contact avec toutes les impulsions vitales de leur propre être qu’il faudrait contrôler constamment.

C’est cette idée-là qui a été cause de la vie monastique enfermée dans les couvents, ou de la vie ascétique dans la caverne et la forêt.

Ce remède s’est prouvé tout à fait inefficace et n’a pas tiré l’humanité de son bourbier.

Selon Sri Aurobindo, le remède est tout autre.

Il faut faire face à la vie intégrale et à tout ce qu’elle comporte encore de laideur, de mensonge et de cruauté, mais en prenant soin de découvrir en soi-même la source de toute bonté, toute beauté, toute lumière et toute vérité, pour mettre consciemment cette source en rapport avec le monde afin qu’elle le transforme.

C’est infiniment plus difficile que de s’enfuir ou de fermer les yeux pour ne pas voir — mais c’est le seul moyen vraiment efficace, le moyen de ceux qui sont vraiment forts et purs et capables de manifester la Vérité.

29 mai 1968


Douce Mère,

Comment doit-on voir un film? Si l’on s’identifie aux personnages et si c’est un film tragique ou de « suspense », on devient si impliqué qu’on pleure ou qu’on a peur. Et si l’on se tient à l’écart, on ne peut pas bien l’apprécier. Alors, que fait-on?

C’est le vital qui s’affecte et s’émeut.

Si l’on regarde mentalement, l’intérêt n’est plus le même, au lieu d’être ému ou troublé, on peut juger calmement de la valeur du film, s’il est bien composé et bien joué et si les images ont de la valeur artistique.

Dans le premier cas on est « bon public », dans le second cas on est plus paisible.

Bénédictions.

30 janvier 1970


(À propos du cinéma à Auroville.)

Les enfants au-dessous de quinze ans ne doivent voir que des films éducatifs.

Les films montrés à Auroville doivent être choisis avec soin

Tout ce qui encourage les actions et les mouvements inférieurs doit être évité 13.

25 février 1972

AUTRES SUJETS

Par exemple, savoir lire et écrire, parler au moins une langue correctement, un peu de géographie générale, une vue d’ensemble de la science actuelle et quelques règles de conduite sont indispensables pour la vie en groupe ou en communauté. .

L’histoire et la géographie ne peuvent devenir intéressantes que pour les cerveaux anxieux de connaître la terre sur laquelle ils habitent.

Avant de pouvoir s’intéresser à ces deux sujets, il faut élargir l’horizon de sa soif de connaissance et le champ de sa conscience.


Comment les mathématiques, l’histoire ou les sciences peuvent-elles m’aider à te trouver?

Elles peuvent aider de plusieurs manières :

(1) Pour être capable de recevoir et de supporter la lumière de la Vérité, le mental doit être fortifié, élargi et assoupli. Ces études sont un très bon moyen d’y parvenir.

(2) Les sciences, si vous les étudiez assez profondément, vous apprendront l’irréalité des apparences et vous conduiront ainsi à la réalité spirituelle.

(3) L’étude de tous les aspects et les mouvements de la Nature physique vous mettra en contact avec la Mère universelle, et ainsi vous serez plus proche de moi.

17 décembre 1966


Pour le calcul, je suis beaucoup plus en faveur du calcul pratique que du calcul écrit, avec insistance sur le développement de la faculté de calculer de mémoire. C’est plus difficile mais cela favorise beaucoup la capacité de visualiser intérieurement et de raisonner. C’est un moyen très efficace de développer l’intelligence vraie, au lieu de la connaissance apprise.

Quand on sait calculer de mémoire et qu’on comprend le calcul, il faut ensuite très peu de temps pour apprendre le calcul écrit.

À l’aide d’objets similaires — on peut commencer avec les enfants eux-mêmes pour les petits chiffres et prendre ensuite des cailloux ou des jetons quand il s’agit de dizaines et de centaines.

On peut ainsi, en se donnant un peu de mal, leur apprendre logiquement toutes les opérations qui deviennent ainsi pour les élèves une chose réelle et vivante ayant un sens concret.

MESSAGE POUR L’INAUGURATION D’UN INSTITUT FRANÇAIS À PONDICHÉRY

Dans chaque pays, la meilleure éducation à donner aux enfants, consiste à leur enseigner quelle est la vraie nature de leur pays, ses qualités propres et la mission que leur nation doit remplir dans le monde, sa place véritable dans le concert terrestre. À cela doit s’ajouter une vaste compréhension du rôle des autres nations, mais sans esprit d’imitation et sans jamais perdre de vue le génie propre de leur pays.

La France, c’était la générosité des sentiments, la nouveauté et la hardiesse des idées, l’action chevaleresque. C’est cette France-là qui commande le respect et l’admiration de tous; c’est par ces vertus qu’elle a dominé le monde.

Une France utilitaire, calculatrice et mercantile n’est plus la France; ces choses ne sont pas conformes à sa vraie nature, et en les pratiquant, elle perd la noblesse de sa position mondiale.

Voilà ce qu’il faudrait faire savoir aux enfants d’aujourd’hui.

4 avril 1955

Le Département Éducation Physique de l'Ashram de Sri Aurobindo




Jeunesse

La jeunesse ne dépend pas du petit nombre des années, mais de la capacité de croître et de progresser. Croître, c’est augmenter ses potentialités, ses capacités; progresser, c’est perfectionner sans cesse les capacités que l’on possède déjà. La vieillesse ne vient pas du grand nombre des années, mais de l’incapacité ou du refus de continuer à croître et à progresser. J’ai connu des vieillards de vingt ans et des jeunes gens de soixante-dix ans. Dès que l’on veut s’installer dans la vie et profiter des efforts passés, dès que l’on pense avoir fait ce que l’on devait faire et accompli ce que l’on avait à accomplir, en un mot dès que l’on cesse de progresser, d’avancer sur le chemin de la perfection, on est sûr de reculer et de vieillir.

Au corps aussi, on peut apprendre qu’il n’y a pour ainsi dire aucune limite à sa croissance en capacités, et à son progrès, pourvu que l’on découvre la vraie méthode et les vrais conditionnements. Telle est une des nombreuses expériences que nous voulons tenter, pour rompre les suggestions collectives et montrer au monde que les possibilités humaines dépassent toute imagination.

2 février 1949

Concentration et dispersion

Dans les activités sportives, ceux qui veulent réussir choisissent la ligne ou le sujet qui leur plaît davantage et qui convient à leur nature; ils se concentrent sur l’objet de leur choix et prennent grand soin de ne pas disperser leur énergie dans différentes directions. De même que dans la vie un homme choisit sa carrière et concentre sur elle toute son attention, ainsi le sportif choisit une activité spéciale et concentre tous ses efforts pour réaliser dans cette ligne toute la perfection qu’il peut. Cette perfection s’obtient généralement par le développement de réflexes spontanés qui sont le résultat d’une constante répétition des mêmes mouvements. Mais ces réflexes spontanés peuvent, avec avantage, être remplacés par une faculté d’attention concentrée. Cette faculté de concentration n’appartient pas seulement à l’intellect, mais à toutes les activités et s’obtient par le contrôle conscient des énergies.

Il est bien connu que la valeur d’un homme est en proportion de sa capacité d’attention concentrée; plus la concentration est grande, plus exceptionnel est le résultat, à tel point qu’une attention concentrée parfaite et sans défaut imprime la marque du génie sur ce qu’elle produit. Le génie peut exister dans le sport comme dans toute autre activité humaine.

Devons-nous donc conseiller de limiter son action dans le but de parvenir à la perfection dans la concentration?

Les avantages de la limitation sont bien connus, mais elle a aussi ses inconvénients, apportant l’étroitesse et l’infériorité dans toute autre ligne que celle choisie. Ceci est contraire à l’idéal d’un être humain parfaitement développé et harmonisé. Comment concilier ces deux tendances contradictoires? Il semble n’y avoir qu’une solution au problème.

De la même façon que l’athlète développe méthodiquement ses muscles par un entraînement scientifique et gradué, la faculté d’attention concentrée peut se développer scientifiquement par un entraînement méthodique — se développer au point d’obtenir que la concentration puisse se produire à volonté et sur n’importe quel sujet ou activité. Ainsi le travail de préparation, au lieu d’être fait dans le subconscient par une répétition lente et soutenue des mêmes mouvements, est fait consciemment par la concentration à volonté et l’attention rassemblée, centrées sur un point ou l’autre suivant le plan et la décision. La difficulté principale semble être d’obtenir ce pouvoir de concentration indépendamment de toute circonstance intérieure ou extérieure, résultat difficile peut-être, mais pas impossible pour celui qui est déterminé et persévérant. D’ailleurs, quelle que soit la méthode de développement choisie, la détermination et la persévérance sont indispensables au succès.

Le but de l’entraînement est de développer ce pouvoir de concentrer l’attention à volonté sur tout sujet ou toute activité que l’on choisit, depuis les plus spirituels jusqu’aux plus matériels, sans rien perdre de la plénitude du pouvoir — par exemple, dans le champ d’activité physique en transférant l’emploi de ce pouvoir d’un jeu à un autre, ou d’une activité à une autre, et en réussissant également dans tous.

Cette extrême attention concentrée sur un jeu ou une activité physique, comme le travail aux poids et haltères, la voltige, le punching punching, la course, etc... faisant converger toutes , la course, etc... faisant converger toutes , la course, etc... faisant converger toutes les énergies sur n’importe laquelle de ces activités, produit dans le corps le tressaillement d’un enthousiasme joyeux, qui apporte la perfection dans l’exécution et le succès. Généralement ceci arrive quand le sportif a un intérêt spécial dans un jeu ou une activité, et cela échappe à tout contrôle, décision ou volonté.

Cependant, par un entraînement convenable de l’attention concentrée, on peut obtenir ce phénomène à volonté, au commandement pour ainsi dire, et la perfection résultante dans l’exécution d’une activité quelconque s’ensuit inévitablement.

Ceci est exactement ce que nous voulons essayer dans notre Section d’Éducation Physique. Par ce procédé, le résultat viendra peut-être plus lentement que par la méthode ordinaire, mais le manque de rapidité sera certainement compensé par la plénitude et la richesse dans l’expression.

Bulletin, avril 1949

Notre couverture et notre drapeau

Le drapeau qui paraît sur la couverture de notre Bulletin est formé du symbole d’un lotus doré pleinement ouvert avec deux rangées de pétales, quatre à l’intérieur et douze à l’extérieur, exactement au centre d’un carré bleu argent.

Ce bleu est le bleu de l’esprit, et l’or la couleur de la Mère Suprême. Le rouge de la couverture entourant le drapeau signifie la conscience physique illuminée.

Tout d’abord ce drapeau avait été choisi comme drapeau de la J.S.A.S.A. 14; mais plus tard, le jour où nous avons célébré l’indépendance de l’Inde (le 15 août 1947), nous avons trouvé qu’il exprimait aussi la mission spirituelle de l’Inde tout entière. Il est donc pour nous le drapeau symbolique d’une Inde ressuscitée, unie et victorieuse, qui, se soulevant au-dessus de la torpeur des siècles, ayant rejeté les chaînes de l’esclavage, après avoir passé par toutes les angoisses de la nouvelle naissance, émerge une fois de plus comme une nation grande et unie pour conduire le monde et son humanité vers le plus haut idéal de l’esprit.

Nous nous trouvons donc très fortunés de posséder un drapeau ayant un tel symbole et nous le chérissons profondément.

Bulletin, avril 1949

L’énergie inépuisable

Une des aides les plus puissantes que la discipline yoguique peut fournir à l’homme de sport, est de lui apprendre à renouveler ses énergies en les puisant à la source de l’énergie universelle qui ne tarit point.

La science moderne a fait de grands progrès dans l’art de se nourrir, qui est le moyen le plus connu de récupérer ses énergies. Mais au mieux le procédé est précaire et soumis à toutes sortes de limitations. Nous n’en parlerons pas ici, car c’est un sujet déjà très rebattu. Mais il est bien entendu que tant que le monde et les individus sont ce qu’ils sont, la nourriture est un facteur indispensable. La science yoguique connaît d’autres moyens d’acquérir l’énergie, parmi lesquels nous en mentionnerons deux des plus importants.

Le premier est de se mettre en rapport avec les énergies accumulées dans le monde matériel terrestre et de s’approvisionner librement à cette source inépuisable. Ces énergies matérielles sont obscures et à demi inconscientes; elles encouragent l’animalité dans l’homme, mais, en même temps, elles établissent une sorte de relation harmonieuse entre l’être humain et la nature matérielle. Ceux qui savent recevoir et utiliser ces énergies, rencontrent généralement le succès dans la vie et réussissent dans tout ce qu’ils entreprennent. Mais ils dépendent encore beaucoup des conditions de leur existence et de l’état de santé de leur corps. L’harmonie créée en eux n’est pas à l’abri de toute attaque, et elle disparaît généralement quand les circonstances deviennent adverses. L’enfant reçoit spontanément cette énergie de la Nature matérielle lorsqu’il dépense toutes ses forces sans compter, joyeusement et librement. Mais chez la plupart des êtres humains, à mesure qu’ils grandissent, cette faculté s’émousse par suite des soucis de la vie et de la place prédominante que les activités mentales prennent dans la conscience.

Pourtant il y a une source d’énergie qui, une fois découverte, ne tarit jamais quelles que soient les circonstances extérieures et les conditions physiques de la vie. C’est l’énergie qui peut être qualifiée de spirituelle, celle qui est reçue non plus d’en bas, des profondeurs inconscientes, mais d’en haut, de l’origine suprême de l’univers et de l’homme, des splendeurs supraconscientes, toutes-puissantes et éternelles. Elle est là, partout autour de nous, pénétrant tout, et pour entrer en contact avec elle et la recevoir, il suffit d’y aspirer sincèrement, de s’ouvrir à elle avec foi et confiance, d’élargir sa conscience afin de l’identifier à la Conscience universelle.

Au premier abord cela peut paraître bien difficile sinon impossible. Cependant en considérant le phénomène de plus près on peut voir qu’il n’est pas si étranger, si éloigné de la conscience humaine normalement développée. En effet, il est peu de gens qui ne se soient sentis, au moins une fois dans leur vie, comme soulevés au-dessus d’eux-mêmes, remplis par une force inattendue et peu commune qui les a rendus, pour un temps, capables de faire n’importe quoi ; à ces moments-là rien n’est trop difficile et le mot « impossible » perd son sens.

Cette expérience, si fugitive soit-elle, donne un aperçu de ce que peut être le contact obtenu et maintenu avec l’énergie supérieure grâce à la discipline yoguique.

La méthode pour acquérir ce contact ne peut guère être donnée ici. C’est d’ailleurs une chose individuelle propre à chacun, le prenant là où il en est, s’adaptant à ses besoins personnels et l’aidant à faire un pas de plus. Le chemin est parfois long et lent, mais le résultat vaut la peine qu’on se donne. On peut facilement s’imaginer quelles sont les conséquences du pouvoir de puiser à volonté et en toutes circonstances à la source sans limite d’une énergie toute-puissante dans sa lumineuse pureté.

La fatigue, l’épuisement, la maladie, l’âge, et même la mort deviennent de simples obstacles sur le chemin qu’une volonté persistante est sûre de surmonter.

Bulletin, août 1949

Un jugement correct

Un des grands problèmes dans les compétitions sportives est l’équité des jugements.

Pour éviter les conflits et les disputes qui seraient autrement inévitables, il a été décidé, une fois pour toutes, que les concurrents se soumettraient sans discussion à la décision des juges. Ceci peut résoudre le problème en ce qui concerne ceux qui sont jugés, mais non pas pour ceux qui jugent; car, s’ils sont sincères, plus on leur fait confiance, plus ils doivent avoir le souci d’une parfaite correction dans leurs jugements. C’est pourquoi j’élimine tout d’abord les cas où le jugement est, pour ainsi dire, décidé d’avance pour des raisons politiques ou autres. Car quoi que cela se fasse malheureusement trop souvent, tout le monde est d’accord pour trouver que c’est une vilenie, et que la dignité humaine exige que cela ne se fasse pas.

En général, on pense que tout est bien quand les jugements sont basés sur une connaissance technique approfondie et une impartialité suffisante. Ces jugements s’appuient sur la perception des sens qui est communément considérée comme indéniable. Or, il est certain que ce mode de perception est lui-même peu sûr. Les organes des sens sont directement sous l’influence de l’état psychologique de l’individu qui les utilise, et ainsi les perceptions sensorielles sont altérées, faussées, déformées, dans un sens ou dans l’autre, par les sentiments qu’éprouve celui qui perçoit à l’égard de la chose perçue.

Par exemple, ceux qui appartiennent à un groupe ou à une association sont ou trop indulgents ou indûment sévères pour les membres de ce groupe. Du point de vue de la vérité, indulgence ou sévérité ne valent pas mieux l’une que l’autre; car dans les deux cas, le jugement est basé sur un sentiment et non sur la perception objective et désintéressée des faits. Ceci est un cas très flagrant; mais même sans aller jusqu’à cet extrême, aucun être humain, s’il n’est pas un yogi, n’est libre de ces attractions et de ces répulsions qui sont rarement perçues par la conscience active, mais qui n’en ont pas moins une grande influence sur le fonctionnement des sens.

Seul celui qui est au-dessus de toute sympathie et de toute antipathie, de tout désir et de toute préférence, peut considérer toute chose avec une parfaite impartialité, à l’aide de sens dont la perception, purement objective, devient semblable à celle d’un mécanisme extrêmement délicat et perfectionné, bénéficiant de la clarté d’une conscience vivante.

Là encore la discipline yoguique viendra à notre secours pour créer des caractères d’une élévation telle qu’ils puissent devenir des instruments de vérité.

Bulletin, novembre 1949

Les anneaux olympiques

On a annoncé officiellement que les cinq anneaux du symbole des Jeux Olympiques représentaient les cinq continents, sans qu’aucune signification particulière soit attachée aux couleurs des anneaux ni qu’on ait eu l’intention de donner à chaque continent une couleur spécifique.

Il est cependant intéressant d’étudier ces couleurs et de voir quel sens on peut leur trouver et quel message elles peuvent porter.

Que chaque couleur ait un sens est suffisamment connu; mais les significations attachées aux diverses couleurs par des interprètes différents varient et sont souvent contradictoires. Il ne semble pas qu’il existe une classification universellement acceptée de ces significations. La raison en est que ces couleurs sont regardées d’un point de vue mental, ou tout au moins que la vision est influencée par le mental de l’interprète. Mais si l’on s’élève au-dessus du mental jusqu’aux régions vraiment occultes, le sens réel de chaque couleur est le même pour tous ceux qui peuvent le lire directement. Ceci est vrai non seulement pour ce cas particulier, mais pour toute expérience spirituelle et occulte. Il existe une remarquable similarité dans les expériences des mystiques de tous temps et de tous lieux.

Si donc on regarde de ce point de vue les couleurs des anneaux du Symbole Olympique, on pourra découvrir leur sens ésotérique réel et étudier leur application aux cinq continents.

Le vert dénote un sentiment vaste et pacifique, avec un contact direct et une relation très harmonieuse avec la nature. Il peut représenter un continent ayant de vastes espaces libres et une population non pervertie et proche de la nature et du sol.

Le rouge est la couleur du monde physique et matériel. L’anneau rouge pourrait donc s’appliquer à un peuple ayant acquis une grande maîtrise sur le monde physique. Cette couleur indiquerait en même temps que le succès matériel lui a conféré la prédominance sur les autres. En tout cas, elle représente un peuple mettant l’insistance sur les choses physiques et matérielles.

Le bleu, d’autre part, indique un continent jeune, ayant tout l’avenir devant lui et de grandes possibilités, mais encore neuf et en pleine croissance.

Le noir est un très malheureux choix de couleur, car il ne peut représenter qu’un continent tombant rapidement dans l’obscurité profonde, la descente dans un sombre oubli d’un peuple sur son déclin.

Tout au contraire le jaune est la couleur la plus glorieuse de toutes. C’est la couleur d’or de la Lumière, de la Lumière qui procède de la Source et de l’Origine de toutes choses et qui ramènera d’une main secourable l’humanité en évolution à son Origine divine.

L’arrangement des anneaux possède aussi un sens. Le noir est la couleur centrale et le soutien de tout, et ceci est en vérité une indication du noir chaos qui règne actuellement sur le monde et de l’aveuglement de ceux qui à présent luttent pour diriger le vaisseau de l’humanité sur l’obscure mer de l’ignorance.

Notre espoir est qu’à l’avenir cet anneau noir soit remplacé par un anneau blanc, lorsque se produira le renversement de la marée des affaires humaines, quand les ombres de l’ignorance se dissiperont devant l’aurore d’une nouvelle lumière, la lumière blanche, brillante, lumineuse en elle-même, de la nouvelle Conscience, et quand à la barre du navire seront ceux qui, les yeux face à l’étincelant éclat, maintiendront le cap sur la Terre Promise.

Bulletin, novembre 1949

L’insigne des champions

Dans les championnats athlétiques de la J.S.A.S.A. qui eurent lieu ce trimestre, le champion de chaque sous-groupe reçut en prix un insigne de champion. Cet insigne a la forme d’une tortue d’or avec un cercle rouge au centre, d’où irradient douze rayons blancs. On trouvera parmi les gravures de ce numéro, la photographie de cet insigne.

La forme et la couleur de cet emblème ont une signification occulte et peuvent être ainsi interprétées.

La tortue est le symbole de l’immortalité terrestre, c’està-dire de l’immortalité du corps physique sur cette terre. Le centre rouge symbolise le physique illuminé, et de lui partent les douze rayons blancs de la Lumière intégrale de vérité. Les rayons sont courbes pour montrer que la Lumière est dynamique dans sa nature et son action.

La couleur de la tortue elle-même montre que c’est le Supramental qui soutient cette immortalité physique et qui, seul, peut effectuer la transformation.

Bulletin, novembre 1949

Tournois

Janvier, février, mars et avril sont, pour nous, les mois des tournois. Petits et grands y prennent part, tous avec la même ardeur. Mais, je dois le dire, dans un autre esprit que celui des concurrents habituels. Car nous nous efforçons toujours, non de gagner, mais de jouer au mieux de notre capacité, pour rendre possible un nouveau progrès.

Nous ne recherchons pas le succès : notre but est la perfection. Nous n’aspirons pas à la gloire et à la bonne renommée : nous voulons nous préparer pour une manifestation divine.

C’est pourquoi nous pouvons dire hardiment : il vaut mieux être que paraître. Nous n’avons pas besoin de paraître bons si notre sincérité est parfaite. Et par sincérité parfaite, nous voulons dire que dans toutes nos pensées, tous nos sentiments, toutes nos sensations et toutes nos actions nous n’exprimions rien que la vérité centrale de notre être.

Bulletin, avril 1950

Réponse aux prières des groupes de l’Éducation Physique

(Les groupes sont présentés ici tels qu’ils furent formés à l’origine. Groupe A   : enfants de six à quatorze ans; Groupe B : enfants de quinze à dix-sept ans; Groupe C   : garçons de dix-huit à vingt et un ans; Groupes D, DG (gymnastique) et DK (kaki) : hommes; Groupe E : femmes au-dessus de dix-huit ans. Depuis lors, tous ces groupes ont été réorganisés.)

GROUPE A

Douce Mère, pour nous, Tu as gardé la route libre de tous dangers et de toutes difficultés, la route qui conduit sûrement vers le but; et quand la victoire finale sera remportée, elle s’étendra à l’infini.

Mère, garde-nous toujours verts, afin que nous puissions avancer sans arrêt sur le chemin que Tu as si laborieusement préparé pour nous.

Mes tout petits, vous êtes l’espoir, vous êtes l’avenir. Gardez toujours cette jeunesse qui est la faculté de progresser, et pour vous la phrase « C’est impossible » n’aura pas de sens.

22 avril 1949


GROUPE B

Douce Mère, nous voulons être Tes soldats fidèles pour combattre pour Ta victoire finale.

Victoire à la Douce Mère!

Je vous salue mes braves petits soldats, et vous donne rendezvous à la Victoire!

3 avril 1949 .


GROUPE C

Seigneur, délivre de toute ignorance Tes suprêmes ouvriers et guide leur étendard de pureté par le chemin le plus court, vers la réalisation.

Que Ta volonté soit faite et non la nôtre.

Le Seigneur appellera « suprêmes » ceux de ses ouvriers qui auront totalement surmonté et surpassé toute animalité en euxmêmes. Soyons d’abord ses fidèles et sincères ouvriers et avec l’accomplissement de ce plus modeste programme nous nous préparerons pour des réalisations plus grandes.

23 avril 1949


GROUPE D

Douce Mère, nous voulons être Tes vaillants guerriers, nous voulons Te suivre jusqu’à la Victoire finale.

D’un même cœur sincère, tous, nous voulons la victoire, mais c’est par étapes qu’elle peut être réalisée. Une scrupuleuse discipline est le premier pas. Que votre nouvel uniforme soit le symbole de son accomplissement.

17 avril 1949


GROUPE DG

Douce Mère, nous sommes Tes petits enfants aspirant à Ta Lumière toute-puissante. Et Toi, Douce Mère, Tu nous as donné l’assurance de la Victoire finale et Tu as voulu que nous soyons Tes soldats fidèles, sincères, braves, disciplinés.

Douce Mère, voici notre promesse. Nous sommes déterminés à le devenir et surtout à nous placer, sans réserve, dans Tes mains. Donne-nous-en le pouvoir.

Je reçois votre promesse, et vous pouvez compter sur mon aide pour la réaliser. L’âge n’existe que pour ceux qui acceptent de vieillir.

En avant, toujours en avant, sans crainte et sans hésitation!

22 avril 1949


GROUPE DK

Ô Mère Divine, voici notre prière :

Permets que nous soyons toujours Tes soldats obéissants et sincères et que Ta force nous rende capables de combattre toutes les puissances hostiles et de remporter Ta victoire.

Victoire à la Mère!

Soyez toujours fidèles et persévérants et vous aurez votre part de la réalisation.

22 avril 1949


GROUPE E

Nous voulons être ce que Tu veux que nous soyons.

J’ai pleine confiance en votre bonne volonté. Ayez confiance en mon aide.


LE GROUPE DES CAPITAINES

À tous les Capitaines de l’Éducation Physique :

Vous pouvez et devez être l’élite. J’ai pensé qu’à l’Ashram, il devrait y avoir un noyau autour duquel tout serait organisé. Les Capitaines de l’Éducation Physique peuvent être le noyau de l’éducation physique. Ils n’ont pas besoin d’être très nombreux, mais une bonne sélection, des gens de premier ordre, de vrais candidats à la surhumanité, prêts à se donner entièrement et sans réserve à la Grande Œuvre divine. C’est cela que l’on attend de vous. Cela doit être votre programme.

Mars 1961

Douce Mère,

Nous aspirons à travailler ensemble vers le but que Tu nous proposes.

Donne-nous la droiture, le courage, la persévérance et la bonne volonté nécessaires pour accomplir cette tâche sublime.

Allume en nous cette flamme qui brûle toute résistance et nous rend dignes d’être Tes serviteurs fidèles.

Mes enfants,

Nous sommes unis dans un même but, pour un même accomplissement, une œuvre unique et nouvelle que la Grâce divine nous a donnée à accomplir. J’espère que de plus en plus vous comprendrez l’importance exceptionnelle de cette œuvre et que vous sentirez en vous une joie sublime qu’il vous ait été donné de l’accomplir.

La force divine est avec vous, sentez de plus en plus sa présence et soyez bien soigneux de ne jamais la trahir.

Sentez, voulez, faites que vous soyez des êtres nouveaux pour la réalisation d’un monde nouveau.

Et pour cela mes bénédictions seront toujours avec vous.

24 avril 1961

Messages pour les compétitions

COMPÉTITIONS D’ATHLÉTISME 1959

Derrière les apparences que l’œil physique peut voir, il y a une réalité beaucoup plus concrète et durable. C’est dans cette réalité que je suis avec vous aujourd’hui et le serai pendant toute la saison d’athlétisme. La force, le pouvoir, la lumière et la conscience seront constamment avec vous pour donner à chacun selon sa réceptivité, le succès dans son entreprise et le progrès qui résulte de tout effort sincère.

19 juillet 1959


COMPÉTITIONS DE GYMNASTIQUE 1959

Ce que je vous ai dit lors de l’ouverture des compétitions d’athlétisme s’applique également au concours de gymnastique. Je serai avec vous tout au long, vous aidant dans votre effort et me réjouissant de vos succès.

Avec mes bénédictions.

16 octobre 1959


COMPÉTITIONS D’ATHLÉTISME 1960

Dans la joie et la confiance que tous fassent de leur mieux avec ma force, mon aide et mes bénédictions.

21 août 1960


COMPÉTITIONS D’ATHLÉTISME 1962

Remplace l’ambition de gagner par la volonté de faire le mieux possible.

Remplace l’envie du succès par l’ardent désir de progresser.

Remplace la soif d’éloges par l’aspiration pour la perfection.

L’éducation physique se propose d’apporter au corps, conscience et contrôle de soi, discipline et maîtrise, autant de choses nécessaires à une vie plus haute et plus belle.

Rappelle-toi tout cela, agis sincèrement et tu deviendras un bon athlète; c’est le premier pas sur le chemin de devenir véritablement un homme.

15 juillet 1962


COMPÉTITIONS D’ATHLÉTISME 1963

À tous ceux qui veulent préparer leur corps pour une vie divine, je dis de ne pas manquer l’excellente occasion des compétitions d’athlétisme et de ne jamais oublier que, quoi que nous fassions, nous devons aspirer à la perfection.

C’est cette recherche de la perfection qui, en dépit de toutes les difficultés, nous conduira à notre But.

Bénédictions.

21 août 1963


COMPÉTITIONS D’ATHLÉTISME 1964

Nous sommes ici pour poser les fondations d’un monde nouveau. Toutes les vertus et toute l’adresse nécessaires pour réussir en athlétisme sont exactement les mêmes que celles que l’homme doit posséder physiquement pour être capable de recevoir et de manifester la Force nouvelle.

Je m’attends à ce que vous abordiez ces épreuves athlétiques avec cette connaissance et dans cet esprit et que vous les affrontiez avec succès.

Mes bénédictions sont avec vous.

24 août 1964


COMPÉTITIONS DE GYMNASTIQUE 1964

Le 18 octobre est un beau jour.

La gymnastique est un bel art.

Et vous serez de beaux gymnastes.

Bénédictions.

18 octobre 1964


COMPÉTITIONS 1966

Peut-être serait-il bon de vous rappeler que nous sommes ici pour une œuvre spéciale, un travail qui ne se fait pas ailleurs — nous voulons entrer en contact avec la conscience suprême, la conscience universelle, nous voulons la recevoir et la manifester. Pour cela il faut avoir une base très solide, et notre base, c’est notre être physique, notre corps. Il faut donc que nous préparions un corps solide, bien portant, endurant, habile, agile et fort afin qu’il soit prêt à toute éventualité. Et il n’y a pas de meilleur moyen de préparer le corps que de faire des exercices physiques : les sports, l’athlétisme, la gymnastique et tous les autres jeux sont les meilleurs moyens de développer et de fortifier le corps.

Je vous invite donc à mettre tout votre cœur, toute votre énergie et toute votre volonté dans les épreuves qui commencent aujourd’hui.

1er avril 1966


COMPÉTITIONS 1967

À l’occasion de notre éducation physique et de nos activités sportives, je tiens à vous redire que notre vie spirituelle ne consiste pas à mépriser la matière mais à la diviniser; nous ne voulons pas rejeter le corps, mais le transformer. Pour cela, l’éducation physique est un des moyens les plus directement efficaces.

Ainsi, je vous engage à participer avec enthousiasme et discipline, au programme qui commence aujourd’hui; discipline, parce qu’elle est l’indispensable condition de l’ordre; enthousiasme, la condition essentielle du succès.

Bénédictions.

1er avril 1967


COMPÉTITIONS 1968

La première condition pour acquérir la puissance est d’être obéissant.

Le corps doit apprendre à obéir avant d’être capable de manifester de la puissance; et l’éducation physique est la discipline corporelle la plus complète.

Ainsi donc, soyez ardents et sincères dans vos efforts en éducation physique et vous acquerrez un corps puissant.

Mes bénédictions sont avec vous.

1er avril 1968


COMPÉTITIONS 1969

Depuis le commencement de cette année, une nouvelle conscience est à l’œuvre sur la terre pour préparer les hommes à une nouvelle création, le surhomme. Pour que cette création soit possible, la substance qui constitue le corps de l’homme doit subir un grand changement, elle doit devenir plus réceptive à la conscience et plus plastique sous son travail.

Ce sont justement les qualités que l’on peut acquérir par l’éducation physique.

Ainsi, si nous suivons cette discipline avec un tel résultat en vue, nous sommes sûrs d’obtenir le résultat le plus intéressant.

Mes bénédictions à tous, pour le progrès et l’accomplissement.

1er avril 1969


COMPÉTITIONS 1970

Quelle meilleure offrande pouvons-nous faire au Divin que celle de l’habileté de notre corps qui se développe.

Faisons l’offrande de nos efforts vers la perfection, et l’éducation physique prendra pour nous une signification nouvelle et une valeur plus grande. Le monde se prépare pour une nouvelle création, nous pouvons aider par l’éducation physique, en rendant notre corps plus fort, plus réceptif et plus plastique, en route pour la transformation physique. 1er avril 1970


COMPÉTITIONS 1971

Nous sommes à l’une de ces « Heures de Dieu » où la base tout entière est ébranlée et il y a une grande confusion. Mais c’est une merveilleuse occasion pour ceux qui veulent faire un bond en avant, les possibilités de progrès sont exceptionnelles. Ne serez-vous pas de ceux qui profitent de l’occasion?

À l’aide de l’éducation physique, préparez votre corps pour ce merveilleux changement.

Bénédictions.

1er avril 1971


COMPÉTITIONS 1972

Cette année, offrons toutes les activités de notre corps en consécration à Sri Aurobindo.

1er avril 1972

Messages pour la démonstration annuelle

DÉMONSTRATION 1960

Bravo à tous ceux qui ont participé à la representation 15 d’hier. Elle était excellente. Mes félicitations à tout le monde. Tout était bien conçu et bien exécuté. Mon amour et mes bénédictions à tous.

Novembre 1960


DÉMONSTRATION 1963

C’est tout à fait exact.

Hier j’étais avec vous tout le temps avec toute la force et toute la conscience pour vous aider et vous soutenir — je savais que la pluie était une épreuve qu’il fallait surmonter.

Vous l’avez fait victorieusement et j’en suis très heureuse.

Transmets à tous mon entière satisfaction avec mes bénédictions.

3 décembre 1963


DÉMONSTRATION 1964

Mes bénédictions à tous ceux qui prendront part à cette démonstration, pour qu’ils puissent être au sommet de leurs possibilities 16.

2 décembre 1964


DÉMONSTRATION 1966

Soyez courageux, endurants, vigilants, et surtout sincères, d’une honnêteté parfaite.

Alors vous pourrez faire face à toutes les difficultés.

Et vous aurez la Victoire.

2 décembre 1966


DÉMONSTRATION 1967

La prière des cellules du corps

Maintenant que par l’effet de la grâce, nous émergeons lentement de l’Inconscient et que nous nous éveillons à une vie consciente, une prière ardente s’élève en nous :

« Ô Seigneur suprême de l’univers, nous T’implorons, donne-nous la force et la beauté, la perfection harmonieuse, qui nous permettront de devenir Tes instruments divins sur terre. »

2 décembre 1967

Messages et lettres d’intérêt général

La culture physique est le meilleur moyen de développer la conscience du corps, et plus le corps est conscient plus il est capable de recevoir les forces divines qui sont à l’œuvre pour le transformer et faire naître la race nouvelle.

Bénédictions.

15 décembre 1971


(À propos d’une chambre où l’on avait l’intention de faire de la gymnastique)

Y a-t-il de l’air et de la lumière dans cette chambre? Sans air et sans lumière les exercices font plus de mal que de bien.

5 octobre 1945


C’est une éducation à faire, urgente et indispensable. Rien d’utile ne peut être obtenu sans l’esprit d’équipe et la discipline sportive.

15 janvier 1947


Aux gymnastes soviétiques 17

Nous vous saluons, frères déjà si avancés sur le chemin de la perfection physique à laquelle nous aspirons tous ici. Soyez les bienvenus à l’Ashram, parmi nous. Nous sommes certains que ce jour marque un nouveau pas vers l’unité de la grande famille humaine.

3 avril 1956


Établissez en vous l’harmonie totale afin que, en son temps, la Beauté parfaite puisse s’exprimer dans votre corps.

1959


À PROPOS DU HATHA-YOGA

Nous avons trouvé, par expérience, qu’un système particulier d’exercices ne peut pas à lui seul être qualifié de système yoguique, à l’exclusion des autres, et nous ne pouvons pas dire de façon définitive que de participer à ces seuls exercices aidera à obtenir la santé parce que ce sont des exercices yoguiques.

Tout système rationnel d’exercices adapté aux besoins et aux capacités de chacun aidera celui qui le pratiquera à améliorer sa santé. D’ailleurs, c’est l’attitude qui importe le plus. N’importe quel programme d’exercices bien conçu et organisé scientifiquement deviendra yoguique s’il est exécuté dans une attitude yoguique, et la personne qui pratiquera ces exercices en tirera le plus grand profit au point de vue de la santé physique comme au point de vue du progrès moral et spirituel.

Bulletin, avril 1959


(Une monitrice écrivit qu’elle avait dit à quelques enfants que la Mère serait contente s’ils suivaient la discipline de leur groupe. La Mère fit ce commentaire :)

Ta réponse est correcte.

Quand on est incapable de se plier à une discipline, on est incapable aussi de rien faire de durable et valable dans la vie.

16 février 1967


Douce Mère,

J’ai vu que je ne peux pas forcer mon corps physique à faire un peu mieux que ma capacité réelle. Je voudrais savoir comment je peux le forcer. Mais, Douce Mère, est-ce bien de forcer son corps?

Non.

Le corps est capable de progresser et peu à peu il peut apprendre à faire ce qu’il ne pouvait pas faire. Mais sa capacité de progrès est beaucoup plus lente que le désir vital de progrès et la volonté mentale de progrès; et si le vital et le mental sont laissés les maîtres de l’action, tout simplement ils harassent le corps, détruisent son équilibre et troublent sa santé.

Par conséquent il faut être patient et suivre le rythme du corps, qui est plus raisonnable et sait ce qu’il peut ou ne peut pas faire.

Naturellement, certains corps sont tamasiques et ont besoin d’un peu d’encouragement pour progresser.

Mais en toute chose et dans tous les cas, il faut garder l’équilibre.

Bénédictions.

13 octobre 1969


Douce Mère,

Pourquoi doit-on faire des compétitions et des démonstrations sportives?

Parce que c’est l’occasion d’un plus grand effort et, par suite, d’un plus rapide progrès.

Bénédictions.

16 novembre 1969


(À propos des accidents pendant les sports.)

Je ne pense pas qu’il y ait plus d’accidents ici qu’ailleurs. Certainement il devrait y en avoir moins. Mais pour cela, il faudrait que les enfants qui travaillent ici, prennent soin de faire croître leur conscience (une chose qu’ils pourraient faire ici plus facilement qu’ailleurs); mais malheureusement, peu d’entre eux prennent la peine de le faire; et ainsi ils perdent la bonne occasion qui leur est donnée.

22 décembre 1969


Douce Mère,

Quelle est la différence entre les sports et l’éducation physique?

Les sports, ce sont tous les jeux, les compétitions, les concours, etc., toutes choses basées sur l’émulation et se terminant par un classement et des prix.

L’éducation physique, c’est principalement tous les exercices combinés pour le développement et le bon entretien du corps.

Naturellement, ici, nous avons les deux combinés. Mais c’est surtout parce que les êtres humains, surtout dans l’enfance, ont encore besoin d’une certaine excitation pour faire effort.

Bénédictions.

14 janvier 1970


Le sport aide le corps à se préparer pour la transformation.

30 septembre 1972


(Message accompagnant la peinture « Œdipe et le Sphinx », par Gustave Moreau, reproduite sur les cartes données comme prix de Compétition de Gymnastique.)

L’Énigme du Monde

Si tu la résous, tu seras immortel, mais si tu échoues, tu périras.

Aperçus du travail de la Mère à l'École




LE FRANÇAIS À L’ASHRAM ET À L’ÉCOLE

(Deux ou trois professeurs discutent des langues dans lesquelles on enseigne à l’école. La discussion est soumise à la Mère, avec cette remarque : « Sri Aurobindo dit, dans son livre sur l’éducation, que l’enseignement devrait être donné à l’enfant dans sa langue maternelle. »)

Sri Aurobindo a dit cela, mais il a dit aussi beaucoup d’autres choses qui complètent son conseil et annulent toute possibilité de dogmatisme. Sri Aurobindo lui-même a maintes fois répété que si l’on affirme une chose, il faut être capable d’affirmer le contraire, autrement on ne peut pas comprendre la Vérité.

(Dans la même lettre, l’un des professeurs se demande quel est l’avenir du français à l’Ashram.)

On continuera à enseigner le français à l’Ashram, en tout cas tant que j’y suis présente, parce que Sri Aurobindo, qui aimait beaucoup le français et le savait fort bien, considérait que c’était une partie essentielle de la connaissance des langues.

23 août 1965

(Au cours d’une conversation à propos du français, un disciple fait remarquer à la Mère que maintenant, beaucoup de Français, surtout des nouveaux venus, parlent en anglais, même à des personnes qui savent parfaitement le français. La Mère se concentre un moment et dit : « Tant pis pour eux. » Le disciple demande alors s’il serait utile qu’elle donne un message à ce sujet. Elle écrit de sa main le message ci-dessous, et conseille qu’il soit affiché à l’Ashram, à l’école, et qu’un exemplaire soit mis dans la salle de la Bibliothèque Choisie. Des photocopies ont été faites à cet effet.)

Sri Aurobindo aimait beaucoup le français. Il disait que c’était une langue claire et précise, dont l’usage encourageait la clarté d’esprit. Au point de vue du développement de la conscience, c’est précieux. En français, on peut dire exactement ce que l’on veut dire.

Bénédictions.

19 octobre 1971

L’ORGANISATION DU TRAVAIL DANS LES CLASSES DE FRANÇAIS

(Un groupe de professeurs envisagent de réorganiser certaines classes. L’un d’eux demande à la Mère si elle a une objection.)

Aucune objection, ce sont des choses que vous devez librement arranger entre vous.

Janvier 1961

(Deux professeurs ont eu une discussion assez chaude à l’occasion du travail. L’un d’eux expose le problème à la Mère et lui demande son opinion. La Mère répond :)

À dire vrai, je n’ai pas d’opinion. Selon une vision de vérité, tout est encore terriblement mélangé, une combinaison plus ou moins heureuse de lumière et d’obscurité, de vérité et de mensonge, de connaissance et d’ignorance, et tant que les décisions seront prises et que l’action sera faite suivant des opinions, il en sera toujours ainsi.

Nous voulons donner l’exemple d’une action faite en accord avec une vision de vérité, mais malheureusement nous sommes encore fort loin de réaliser cet idéal; et la vision de vérité, même si elle s’exprime, se trouve immédiatement déformée dans l’exécution.

Ainsi, dans l’état actuel des choses, il est impossible de dire : « Ceci est vrai et ceci est faux, ceci nous éloigne du but, ceci nous rapproche du but. »

Tout peut être utilisé en vue du progrès à faire; tout peut être utile si on sait l’utiliser.

La chose importante est de ne jamais perdre de vue l’idéal que l’on veut réaliser et de se servir de toutes les circonstances dans ce but.

Et, en fin de compte, il est toujours préférable de ne pas prendre de décision pour ou contre les choses et de regarder les événements se dérouler, avec l’impartialité du témoin, s’en remettant à la Sagesse divine qui, Elle, décidera pour le mieux et fera le nécessaire.

Juillet 1961

(Un professeur a communiqué à quelques collègues une réponse personnelle de la Mère sur des questions de travail. Regrettant cette indiscrétion, il en parle aussitôt à la Mère.)

Il n’y a pas de mal à avoir dit ce que tu as dit; parce que, vois-tu, à chacun je puis dire, en toute sincérité, que « je suis d’accord ». En effet, c’est une chose que vous avez quelque difficulté à comprendre, car le mental ne peut guère l’approuver. Mais derrière le point de vue de chacun il y a un aspect, parfois un tout petit aspect de la vérité, et je suis toujours d’accord avec cet aspect; Aperçus du travail de la Mère à l’École à condition, bien entendu, qu’il ne se veuille pas exclusif en essayant d’éliminer les autres.

Et je suis à la recherche d’un moyen dans l’action, pour que tous les aspects puissent être exprimés, chacun à sa place, sans se nuire les uns aux autres. Le jour où j’aurai trouvé ce moyen, je me mettrai à réorganiser l’école. En attendant, vous pouvez toujours remuer des idées; c’est salutaire, à condition de n’être ni dogmatique, ni exclusif, ni agressif, et de ne jamais se disputer.

Août 1961

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS AUX PROFESSEURS INDIENS ENSEIGNANT EN FRANÇAIS

RECHERCHE D’UN LIVRE D’ÉTUDE

(Il s’agissait de choisir un texte d’étude pour un jeune professeur indien qui voulait améliorer son français. Le professeur français avait demandé à la Mère son avis sur La Peste, d’Albert Camus.)

Certaines lectures peuvent être bonnes pour les Européens qui ont l’enveloppe assez coriace, afin d’éveiller en eux un sentiment de vraie compassion; mais ici, dans l’Inde, ce n’est pas nécessaire; et il n’est pas bon d’assombrir l’image d’une vie qui est déjà assez sombre en elle-même.

(La Mère indique Recherche d’une église, de Jules Romains, et envoie son propre exemplaire au professeur français pour que celui-ci en prenne connaissance. Le professeur est « choqué » par certains chapitres du livre, et fait part de son sentiment à la Mère, en termes assez vifs. La Mère répond :)

Recherche d’une église, était le livre de mon choix. Jules Romains est un grand écrivain et son français est de première classe. Si j’avais parlé de coupures 18 , c’est parce que certains passages ne sont pas tout à fait appropriés pour un cerveau de jeune fille. Mais il était facile de faire ces coupures, et le reste est très bien.

(Le professeur français continue sa recherche de textes et propose : La France d’aujourd’hui, de Marc Blancpain.)

Je viens de regarder le livre, avec intérêt. Cette fois, c’est très bien. Mai 1960


RECHERCHE D’UN PROGRAMME DE TRAVAIL

(Un professeur français ébauche un projet d’étude de l’histoire des civilisations, pour un de ses élèves, jeune professeur indien, et soumet ce projet à la Mère.)

Le travail peut, en effet, être intéressant, mais seulement s’il était basé sur Le Cycle Humain, de Sri Aurobindo (il a paru dans le Bulletin). Car, dans ce livre, non seulement tous les problèmes Aperçus du travail de la Mère à l’École de l’évolution humaine sont posés, mais aussi résolus. Chaque fois que Sri Aurobindo mentionne une civilisation ou un pays, les faits historiques correspondants pourraient être étudiés, et cela constituerait un travail vraiment intéressant.

Septembre 1960

Dans une classe de français pour des professeurs indiens, plusieurs voudraient lire des œuvres d’auteurs contemporains, parce que la langue en est plus actuelle que celle des œuvres classiques. Quel est l’avis de la Mère?

Ce que je connais des auteurs modernes m’a enlevé toute envie d’en lire davantage.

Pourquoi entrer volontairement dans le marécage; que peuton y gagner? La connaissance que le monde d’Occident se vautre dans la boue? Ce n’est guère nécessaire. Des morceaux choisis, et bien choisis, semblent être la solution.

Mai 1963

(À propos d’un jeune professeur qui devait apprendre le français d’une manière intensive pour pouvoir enseigner en français, et en même temps assurer un programme assez chargé à l’école.)

Je suis tout à fait d’accord. X doit avoir le temps d’apprendre le français à fond; et ses heures de travail et d’enseignement doivent être organisées de telle sorte qu’elle ait le temps de continuer ses leçons avec toi, jusqu’au moment où elle sentira que ces leçons ne sont plus nécessaires.

Septembre 1966

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS AUX ÉLÈVES

Comment améliorer l’orthographe des élèves?

Généralement, pour l’orthographe, il faut prendre l’aide des yeux. Chaque mot doit avoir sa forme à lui, dont l’œil se souvient; la mémoire visuelle est plus utile que la mémoire mentale. Beaucoup lire. Voir, voir, voir, au tableau, dans les livres, sur les images.

Pour le style, le genre, la grammaire aussi, le meilleur est de lire, beaucoup lire. Ainsi, tout cela entre dans le subconscient. C’est la meilleure manière d’apprendre.

Janvier 1962


À PROPOS DES TESTS

Les « tests » peuvent être utiles pour donner la valeur scolaire d’un enfant, mais pas sa valeur réelle. Pour la valeur réelle

de l’enfant, quelque chose est à trouver, mais ce sera pour plus tard, et d’une autre nature.

Je n’oppose pas la valeur réelle à la valeur scolaire; elles peuvent être ensemble dans le même individu, mais c’est un phénomène assez rare et qui produit des types exceptionnels.

1962

(Commentaire de la Mère, en marge d’une lettre d’un professeur à propos du français à l’école. Les élèves travaillaient avec des fiches :)

Une des raisons pour lesquelles les enfants ne progressent pas en français, c’est que les professeurs ne les corrigent pas.

Très vrai.

Le travail de fiches ne sera efficace que si les corrections sont rigoureuses.

Très vrai.

J’ai commencé à préparer les corrigés de tous les devoirs, à l’intention des professeurs et des élèves.

Très bien.

Il faudrait au moins que les professeurs lisent une fois ces corrigés...

Certainement plus d’une fois.

... afin d’être mis en éveil sur leurs propres fautes.

Oui, ils en ont grand besoin.

Il serait bon que l’enfant ait en main ce corrigé, pour confronter avec lui son travail.

Oui, c’est très utile.

Se contenter de souligner les fautes, cela n’apprend rien aux enfants.

C’est vrai.

Je crains bien que les corrigés que je fais à l’intention des professeurs ne restent pieusement dans un tiroir.

Horreur!

S’il en est ainsi, à la fin de l’année, les enfants auront fait une masse considérable de travail, qui n’aura servi à rien.

Exact. Ce sont presque tous les professeurs, à peu d’exceptions près, qui sont paresseux, plus que les élèves.

Je crois que je t’embête avec ce français.

Non, tu ne m’embêtes pas, tu as raison.

Il me semble qu’il y a tant de bonne volonté perdue. La bonne volonté des enfants est perdue parce que, bien que l’atmosphère des classes soit bonne, le travail est peu efficace, et le travail nécessaire n’est pas fait.

Oui.

Décembre 1962

LA BIBLIOTHÈQUE CHOISIE

(Bibliothèque multilingue, plus spécialement réservée aux élèves du Centre d’Éducation)

(Un professeur s’aperçoit que la Bibliothèque Choisie contient une assez forte proportion d’ouvrages qui ne devraient pas y figurer, si elle doit mériter son nom. Il en parle à la Mère au cours de plusieurs entrevues, et voici les conseils qu’elle a donnés pour la composition de la Bibliothèque Choisie 19:)

Enlever tous les romans modernes.

Mettre seulement des ouvrages d’érudition, de philosophie, d’art, de sciences.

Le mieux serait d’apporter la liste des livres petit à petit pour que la Mère sache le contenu des livres.

C’est une question importante.

(Le professeur demande à la Mère ce qu’elle entendait par « ouvrages d’érudition ». Elle répond :)

Tous les livres qui ont pour but d’enseigner.

Le but de la Bibliothèque Choisie est d’enseigner aux élèves le bon français, et la pensée française dans ce qu’elle a de meilleur.

Elle doit comprendre surtout des ouvrages d’érudition, c’està-dire qui ont pour but d’enseigner : livres de philosophie, d’art, de sciences, etc.

Il doit y avoir très peu de romans (les élèves ne lisent que trop de romans), et pas de romans modernes, à moins qu’ils ne soient d’une qualité particulièrement bonne.

La littérature a sa place à la Bibliothèque Choisie, pour que les élèves puissent apprendre ce que c’est que la littérature.

La chose la plus importante à considérer dans le choix des livres, c’est la qualité de la langue et du style 20 , quelque chose de « splendide » comme chez Flaubert. Pas de traductions, ou très peu, et seulement s’il s’agit d’œuvres fameuses; on ne peut pas dire de « chefs-d’œuvre », parce qu’il y en a si peu 21!

(À propos des mauvais livres à retirer de la Bibliothèque Choisie, Mère a dit :)

Il faut les mettre dans un endroit spécial, une pièce spéciale appelée « Mauvais livres », pour que ceux qui veulent étudier ce que contiennent ces livres puissent le faire.

Il faut faire très attention quand on commande des livres.

La question de la Bibliothèque Choisie est une question importante.


MESSAGE POUR LA BIBLIOTHÈQUE CHOISIE

La Bibliothèque Choisie a pour mission d’apprendre bien le français.

  1. Les livres doivent être bien écrits.

  2. Il faut donner la préférence à ceux qui sont intéressants d’un point de vue instructif.

  3. N’admettre les romans que si vraiment ils sont écrits d’une façon remarquable.

  4. Très peu de traductions; les limiter à ceux des livres qui sont fameux.

  5. Envoyer tout le reste à la Grande Bibliothèque avec la mention « Peu recommandable » 22

1971

(Le professeur lit à la Mère une lettre qu’il lui a écrite, et où il dit, entre autres : « Je crois qu’il est possible de renouveler, en grande partie, le contenu de la Bibliothèque Choisie, et d’en relever un peu le niveau. Veux-Tu me dire si Tu approuves cette idée et si je puis essayer de la réaliser? » La Mère répond oralement, avec force :)

Pleinement, j’approuve pleinement. C’est indispensable. Nous sommes descendus à un tel niveau! pour tout! Ah! Je suis pleinement d’accord!

1972

ACTION DE LA MÈRE DANS UNE CLASSE D’ENFANTS DE DIX À DOUZE ANS

Comment enseigner le français aux jeunes enfants?

Le mieux serait de leur raconter une histoire en employant des mots et des tournures de phrases très simples, pour qu’ils puissent comprendre (une petite histoire courte et intéressante ou amusante), et leur demander ensuite de rédiger en classe ce qu’ils ont entendu.

Oui, mais les enfants font beaucoup de bruit.

Un minimum de silence est nécessaire. Je sais que les enfants les plus indisciplinés sont généralement les plus intelligents. Mais pour être matés, ils doivent sentir la pression d’une intelligence plus puissante que la leur. Et pour cela, il faut savoir ne pas descendre à leur niveau, et surtout ne pas être affecté par ce qu’ils font. En fait, c’est un problème yoguique.

Le calme, chez le professeur, peut-il donner la solution de tous les problèmes?

Oui, mais pour cela, le calme doit être parfait dans toutes les parties de l’être, afin que le pouvoir s’exprime à travers lui.

(Les cahiers des enfants avaient été envoyés à la Mère pour son appréciation.)

J’ai mis des notes sur les cahiers des enfants sans faire de classification. Est-elle très nécessaire, cette classification? Chacun a des mérites différents, et il est difficile de les classer entre eux.

Juin-juillet 1960

(Extrait d’une lettre du professeur :) J’ai confiance en Toi, et j’ai confiance en les enfants à cause de Toi; en ce qui me concerne, je ne sais rien et je ne veux rien, sauf ce que Toi Tu veux pour nous. Daigne seulement me montrer pas à pas ce qu’il faut faire et comment il faut répondre. Conduis-nous, et puissions-nous Te suivre silencieusement, dans la profondeur de notre cœur, quels que soient les résultats extérieurs. Que seulement les enfants se développent et s’épanouissent dans Ta Paix et Ton Amour, et que nous vivions tous ensemble pour Toi.

Le rapport qui s’est réellement établi entre la classe, toi, les enfants, et moi, est certainement la chose la plus importante et qu’il faut conserver à tout prix. Mais il dépend beaucoup plus d’une attitude intérieure que d’un cadre ou d’une organisation matérielle. En fait, cette même attitude devrait être présente dans toute l’École, toutes les classes, chez tous les professeurs et tous les élèves. C’est cela qu’il faut obtenir et vers quoi on doit s’efforcer.

(Il y a dans la classe une amélioration considérable. Le professeur écrit :) Tout cela, qui a si totalement changé, est le résultat de Ton travail en nous, n’est-ce pas?

Oui, certainement.

(Le professeur demande si, à cause de l’expérience en cours avec la Mère, il ne vaudrait pas mieux garder ces mêmes enfants l’année suivante, plutôt que de changer de classe.)

Une expérience doit être assez souple et plastique pour pouvoir s’appliquer et s’adapter à tous les enfants, avec les changements de détail que leurs divers caractères peuvent rendre nécessaires.

Ainsi, tu peux être assurée que l’expérience continuera. Seuls, les enfants ne seront peut-être pas les mêmes.

(Le professeur a organisé avec les enfants des groupes de travail. Les résultats sont inégaux et la classe est bruyante. Faut-il continuer?)

Il faut les laisser continuer l’expérience. Peu à peu cela s’organisera, et les résultats seront meilleurs.

(Après une excellente période, le travail avec les enfants devient plus difficile.)

Le relâchement est sans doute dû à l’approche des vacances.

Octobre 1960

ACTION DE LA MÈRE DANS UNE CLASSE D’ENFANTS DE SEPT À NEUF ANS

(La Mère donne à la classe le nom d’Arbre Ensoleillé, d’après les idées exprimées par les enfants eux-mêmes. Elle explique :)

L’arbre, c’est la vie qui aspire et qui croît. Le soleil, c’est la lumière de la Vérité.

Ce n’est pas la froide lumière de la raison qui aide la vie à croître et à s’épanouir; c’est la chaude et vivifiante lumière de la Vérité; c’est le soleil, quand il déverse ses rayons joyeux sur le monde.

(Le professeur introduit des activités telles que bricolage, jardinage, création d’un zoo en carton, observation d’une chrysalide, etc. Les enfants apprécient ces activités, mais acceptent difficilement de faire, à partir de là, un travail plus « scolaire ».)

Un bon commencement. Cela évoluera tout naturellement vers des activités plus intellectuelles et, en attendant, chaque travail fait avec soin est une occasion d’apprendre quelque chose.

(Réponse à des questions d’ordre pratique.)

  1. Il est préférable de ne pas enfermer les enfants dans la classe, même pour jouer.

  2. Un moment de silence et de concentration est toujours bon pour tous les enfants. Mais la prière ne doit pas être obligatoire. Ceux qui veulent la faire seront encouragés. Je propose que dans la classe on mette une pancarte sur laquelle seront écrits en grosses lettres ces mots :

« Mère est toujours ici, parmi nous, pour nous aider et nous guider. »

La plupart des enfants comprendront, et certains sont capables de sentir.

Décembre 1960


(Le professeur trouve les enfants turbulents, plutôt paresseux, et bavards comme des perroquets. Il demande :) S’il en est ainsi, est-ce parce que leur intérêt réel n’est pas tourné vers l’étude?

Oui.

Que faut-il faire pour avoir le calme et la tranquillité dans la classe et obtenir que les enfants travaillent?

La seule chose efficace est de créer ou d’éveiller en eux un intérêt réel pour l’étude, le besoin d’apprendre et de savoir, éveiller leur curiosité mentale.

(Le professeur se plaint du manque de résultats.)

Ce n’est qu’après des mois, et même des années, d’un effort assidu, régulier et obstiné qu’on peut dire à juste titre (et encore!) qu’il a été inutile et infructueux.

Comment faire?

Contraindre n’est pas le meilleur ni le plus efficace principe d’éducation.

La vraie éducation doit épanouir et révéler ce qui est déjà présent dans les êtres en formation. De même que les fleurs s’épanouissent au soleil, les enfants s’épanouissent dans la joie. Il va sans dire que joie ne signifie pas faiblesse, désordre et confusion. Mais une bienveillance lumineuse, qui encourage ce qui est bien et n’insiste pas sévèrement sur ce qui est mauvais.

La Grâce est toujours plus proche de la Vérité que la justice.

Comment faire pour que la Mère puisse agir dans la classe?

Il n’y a rien, aucune méthode, aucun procédé, qui soit mauvais en soi; tout dépend de l’esprit dans lequel c’est fait.

Si tu veux mon aide, ce n’est pas en acceptant ce principe d’action et en rejetant celui-là que tu peux l’avoir. C’est en te concentrant avant la classe, en faisant le silence et la paix dans ton cœur (et ta tête aussi, si possible), et en appelant ma présence avec une aspiration sincère que je sois derrière toutes tes actions, non pas à la manière dont tu penses que j’agirais (car cela ne peut être qu’une opinion arbitraire et nécessairement fausse), mais dans le silence et le calme et la spontanéité intérieure. Voilà la seule façon véritable de sortir de ta difficulté.

Et en attendant que tu puisses réaliser cela, fais de ton mieux avec calme et persévérance, selon tes capacités propres et les circonstances, avec simplicité et sans te tourmenter.

La Grâce est toujours présente avec celui qui veut bien faire.

Qu’est-ce que la Mère appelle « persévérer », en ce qui concerne le travail avec les enfants?

Ce que je voulais dire sur le cahier, c’est qu’il est toujours préférable de continuer tranquillement ce que l’on fait, jusqu’à ce qu’un changement psychologique intérieur amène sans heurt le changement extérieur. C’est cela que j’appelle persévérer.

Janvier 1961


Le travail et la discipline se relâchent. Est-ce à cause d’une « grève du vital » chez le professeur?

Certainement. C’est le fléchissement du pouvoir provenant de la non-collaboration du vital qui est la cause du relâchement. Les enfants ne vivent pas suffisamment dans le mental pour obéir spontanément à une volonté mentale qui n’est pas soutenue par un pouvoir vital, dont la présence seule les influence, sans qu’il soit nécessaire d’aucune manifestation extérieure. Quand le vital collabore, ma force agit à travers lui et maintient automatiquement l’ordre, par sa seule présence dans le vital.

Les jeunes enfants sont peu sensibles à une puissance mentale pas revêtue de puissance vitale. Et pour avoir une puissance vitale, il faut être toi-même parfaitement calme.

(Le professeur propose d’établir avec les enfants un projet d’études sur les sujets qui les intéressent.)

Oui, c’est une bonne idée. Une atmosphère de collaboration amicale est toujours la meilleure.

Février 1961


Une période difficile commence. Quelle serait la vraie attitude, pour le professeur?

Seule l’inspiration psychique est vraie. Tout ce qui vient du vital et du mental est nécessairement mélangé d’égoïsme, et arbitraire. Il ne faut pas agir par réaction aux contacts extérieurs, mais dans une vision d’amour et de bonne volonté immuable. Tout le reste est un mélange qui ne peut que donner des résultats confus et mélangés, et perpétuer le désordre.

(Extrait d’une lettre du professeur :) Il me semble que ce sont seulement des impulsions mentales qui me font agir, et qu’elles tombent à faux. C’est pourquoi, bien que j’intervienne peu, je sens que c’est encore trop, parce que ce n’est pas la vraie chose. Et je crois avoir compris de Toi que le vrai calme est beaucoup plus efficace que toute intervention extérieure.

Il me semble également que, si je fais là une expérience, il en est peut-être de même pour les enfants, et qu’en fait, cette expérience, nous la faisons ensemble, embarqués sur le même bateau; le Divin seul en connaît la signification et l’issue 23.

Le problème a plus de portée qu’il ne semble à première vue. C’est, en effet, une rébellion des forces vitales des enfants contre toute discipline et toute contrainte. La méthode normale ordinaire aurait été de renvoyer de l’école tous les indisciplinés, et de garder seulement ceux qui sont « sages ». Mais cela est une défaite et un appauvrissement.

Si par la transmission, dans le calme absolu, de la puissance intérieure, on peut finalement maîtriser cette rébellion, cela devient une conversion et un véritable enrichissement. C’est ce que je veux essayer, et j’espère qu’il te sera possible de continuer à collaborer à mon action. Et maintenant que tu as compris non seulement ce que je veux faire, mais aussi le mécanisme et le procédé de cette action, j’ai confiance que nous réussirons. Il faut s’attendre à des rechutes et ne pas en être découragée.

Les forces vitales, surtout chez les enfants dont la raison est peu développée, livrent des batailles désespérées avant d’accepter la lumière et de se laisser convertir par elle. Mais le succès final est certain, et il faut savoir durer et attendre.

(Le professeur prie pour avoir la lumière, l’amour, la souplesse, et tout ce qui est nécessaire pour collaborer au travail de la Mère dans la classe.)

Tout cela est constamment avec toi. Reste ouverte et laisse-le agir.

Mars 1961


(Le professeur envisage de faire travailler les enfants par groupes. Doit-il lui-même constituer les groupes selon les niveaux, ou laisser les enfants le faire selon leurs affinités?)

Laisse les enfants se grouper selon leurs sympathies spontanées.

Le calme, chez le professeur, entraînerait-il nécessairement le calme dans la classe, c’est-à-dire « une atmosphère tranquille, où chacun travaillerait selon son rythme et ses capacités, sans bruit ni agitation, sans impatience ni paresse... » ?

Si ton calme est intégral, c’est-à-dire à la fois intérieur et extérieur, basé sur la perception de la Présence divine, et immuable, c’est-à-dire constant et invariable en toute circonstance, il sera sans aucun doute tout-puissant, et les enfants en subiront nécessairement l’influence, et la classe serait certainement ce que tu la veux, spontanément et presque automatiquement 24.

Avril 1961


(Le professeur pense qu’il faut développer chez les enfants le goût du travail et la joie du travail. La Mère répond :)

Tu as tout à fait raison dans tout ce que tu dis à propos de l’école, de la classe et du travail, et j’approuve pleinement l’effort d’organisation que tu veux faire.

(La Mère adresse aussi ces deux messages aux enfants :)

Si l’on n’aime pas le travail on est toujours malheureux dans la vie. .

Pour être vraiment heureux dans la vie, il faut aimer le travail.

Juillet 1961


QUELQUES MESSAGES DE LA MÈRE AUX ENFANTS DE CETTE CLASSE

Mes chers enfants, aimez le travail et vous serez heureux. Aimez à apprendre et vous ferez des progrès.

(Les enfants ont établi avec leur professeur un programme pour l’année : parler en français, lire correctement, écrire le français sans faute, savoir bien compter, comprendre les problèmes, savoir faire les additions, les soustractions, les multiplications et les divisions. La Mère répond sur le cahier de la classe :)

Mes chers enfants, j’ai lu votre lettre et je suis d’accord qu’il serait fort bon qu’à la fin de l’année vous sachiez toutes les choses que vous énumérez ici.

Mais il y a un point sur lequel je veux attirer votre attention, car c’est le point central et le plus important, c’est votre attitude en classe et l’état d’esprit dans lequel vous allez à l’école.

Pour tirer profit de votre séjour quotidien en classe, il faut y aller avec une volonté sincère d’apprendre, d’être attentif et concentré, d’écouter ce que votre professeur vous dit, et de travailler tranquillement et sérieusement.

Si vous passez votre temps à crier, vous agiter et tout bousculer comme des enfants inconscients et mal élevés, vous perdez votre temps, vous gaspillez le temps du professeur, et vous n’apprendrez rien du tout. Et à la fin de l’année, je serai obligée de dire de vous que vous êtes de mauvais élèves et que vous ne méritez pas de passer à une classe supérieure.

Il faut venir en classe avec la volonté d’apprendre, autrement ce n’est pas la peine, car il suffit que l’un d’entre vous ne soit pas sage pour que tous les autres soient dérangés. Ainsi, c’est cette décision-là que je veux que vous preniez : celle d’être sages, tranquilles, attentifs, et de bien travailler; c’est cela qu’il faut que vous me promettiez de faire dans ce cahier.

Et quand vous aurez écrit chacun avec toute sa bonne volonté, alors renvoyez-moi le cahier pour que je vous donne mes bénédictions.

Début 1961

(Les enfants ne se tiennent pas droits, et ils écrivent mal. La Mère écrit :)

Il n’est pas plus fatigant de se tenir droit que de se tenir de travers. Quand on se tient droit, le corps grandit harmonieusement. Quand on se tient de travers, le corps se déforme et devient laid.

Il n’est pas plus fatigant d’écrire soigneusement que de griffonner. Quand le devoir est écrit soigneusement, il est lu avec plaisir. Quand il est trop mal écrit, il ne peut même pas être lu.

Faire avec soin tout ce que l’on fait est la base de tout progrès.

1961

Les jours passent, les semaines passent, les mois passent, les années passent, et le temps s’évanouit dans le passé. Et plus tard, quand ils sont devenus grands, ceux qui n’ont plus l’immense avantage d’être des enfants regrettent tout le temps qu’ils ont perdu, et qu’ils auraient pu utiliser à apprendre toutes les choses nécessaires pour savoir vivre.

Mars 1961

ACTION DE LA MÈRE DANS UNE CLASSE D’ÉLÈVES DE SEIZE À DIX-HUIT ANS

(En 1968, à l’occasion d’une réorganisation des études à l’École, la Mère avait déclaré qu’elle était prête à répondre elle-même si des élèves désiraient lui poser des questions sur des sujets d’étude intéressants. Comme quelqu’un lui demandait de choisir un sujet, elle avait répondu : « La mort ». Cette offre était faite à tous les élèves. Le travail ci-dessous représente la réponse d’une classe de français à l’offre de la Mère, qui donne oralement au professeur les indications nécessaires.

Au cours des différentes séances, les questions furent formulées personnellement par chaque élève, et groupées pour un envoi collectif à la Mère.)

Le sujet est : « Qu’est-ce que la mort? »

Comment commencer? Il faut chercher en soi-même; regarder au-dedans; ne pas essayer de savoir par la lecture des livres; ne pas chercher ce qui se passe dans le vital et le mental : ce qu’on sent, ce qu’on pense à propos de la mort.

La recherche doit se situer uniquement sur le plan matériel : qu’est-ce que la mort, du point de vue physique.

Il faut se concentrer et trouver les réponses en soi. Ne pas faire de discours. Dire une phrase. Plus on est intelligent, moins on a besoin de mots pour s’exprimer.

27 avril 1968

(Réponses des élèves à la question : « Qu’est-ce que la mort, du point de vue physique? »)

« Toute circulation du sang cesse dans les cellules du cerveau. »

« Quand le cerveau cesse de fonctionner et que la décomposition du corps commence, c’est la mort. »

« La cessation de toute activité physique due à l’absence de la source d’énergie, ou âme. »

« Le fait réel de la mort me suggère l’idée d’une expérience où on est lancé dans l’espace avec un élan croissant. »

(La Mère adresse sa réponse à la classe :)

J’ai lu votre envoi avec intérêt. Et voici ma réponse :

La mort est le phénomène de décentralisation et de dispersion des cellules qui constituent le corps physique.

La conscience est, par sa nature même, immortelle, et pour se manifester dans le monde physique, elle se revêt de formes matérielles plus ou moins durables.

La substance matérielle est en voie de transformation pour devenir un mode d’expression multiforme de plus en plus perfectionné et durable pour cette conscience.

18 mai 1968


(Cette fois, la Mère a répondu séparément à chaque question, et adressé sa réponse au professeur :)

Voici mes réponses aux questions de tes élèves. J’espère qu’ils pourront comprendre.

Si une cellule devient consciente de sa personnalité, elle risque d’agir uniquement dans son propre intérêt, sans tenir compte de l’intérêt collectif?

Quel est l’intérêt d’une cellule!


Est-ce que la décentralisation se fait tout d’un coup ou par degrés?

Tout ne se disperse pas d’un coup; cela prend longtemps.

La volonté centrale de l’être physique abdique sa volonté de tenir toutes les cellules ensemble. C’est le premier phénomène. Elle accepte la dissolution pour une raison ou une autre. L’une des raisons les plus fortes, c’est le sens d’une désharmonie irréparable; l’autre, c’est une sorte de dégoût de continuer l’effort de coordination et d’harmonisation. En fait, il y a d’innombrables raisons, mais à moins que ce ne soit un accident violent, c’est surtout cette volonté de maintenir la cohésion qui abdique pour une raison ou pour une autre, ou sans raison. C’est ce qui précède inévitablement la mort.

Chaque cellule doit être consciente de son unité avec le centre?

Ce n’est pas comme cela. C’est encore une conscience semi-collective, ce n’est pas une conscience individuelle des cellules.


Est-ce que la décentralisation se fait toujours après la mort, ou peut-elle commencer avant?

Elle commence souvent avant.

Les cellules se dispersent-elles dans l’espace ou dans le corps même? Si c’est dans l’espace, le corps doit disparaître avec les cellules?

Naturellement, le corps se dissout après la mort, mais cela prend longtemps.

Dans l’expression « dispersion des cellules », le mot dispersion n’a-t-il pas un sens particulier? Dans ce cas, lequel?

J’ai employé le mot dispersion des cellules dans son sens tout à fait positif.

Quand la concentration qui forme le corps est arrêtée et que le corps se dissout, toutes les cellules qui ont été particulièrement développées et qui sont devenues conscientes de la Présence divine au-dedans d’elles, se répandent et entrent dans d’autres combinaisons où elles éveillent, par contagion, la conscience de la Présence que chacune a eue. Et ainsi, c’est par ce phénomène de concentration, de développement et de dispersion, que toute la matière évolue et apprend par contagion, se développe par contagion, a l’expérience par contagion.

Naturellement, la cellule se dissout avec le corps. C’est la conscience des cellules qui pénètre dans d’autres combinaisons.

5 juin 1968


Quand la volonté de l’être physique abdique sans raisons, est-ce sans raisons physiques, ou sans raisons du tout?

La conscience physique n’est consciente que physiquement; alors, la volonté de l’être physique peut abdiquer sans raison dont elle soit consciente.

D’où vient le dégoût de l’être physique de continuer l’effort de coordination et d’harmonisation?

Généralement, ce dégoût se produit quand il y a dans une partie de l’être (une partie importante, ou vitale ou mentale), un refus absolu de progrès. Et alors, physiquement, cela se traduit par un refus de faire effort contre la détérioration qui vient du temps.

Où se fait la liaison entre la volonté centrale de l’être physique et les cellules? Comment se fait-elle?

Les cellules ont une composition ou une structure intérieure correspondant à la structure de l’univers. Alors, le rapport se fait entre les états identiques extérieurs et intérieurs... Ce n’est pas « extérieur », mais c’est extérieur pour l’individu. C’est-à-dire que la cellule, dans sa composition interne, reçoit la vibration de l’état correspondant dans la composition totale. Chaque cellule est composée de différentes radiances, avec un centre tout à fait lumineux, et la connexion se fait de lumière à lumière. C’est-à-dire que la volonté, la lumière centrale, agit sur la cellule en touchant les lumières correspondantes, par un contact intérieur de l’être. Chaque cellule est un monde en miniature correspondant au tout.

15 juillet 1968


Est-ce que la volonté de progrès suffit pour empêcher la détérioration qui vient du temps? Comment l’être physique peut-il empêcher cette détérioration?

C’est justement cela, la transformation du corps : c’est que les cellules physiques deviennent non seulement conscientes, mais réceptives à la Force-Conscience vraie; c’est-à-dire qu’elles admettent le travail de cette Conscience supérieure. C’est cela, le travail de transformation.

Comment la volonté, la lumière centrale, qui n’est pas matérielle, agit-elle sur la matière grossière de la cellule?

C’est exactement comme de demander : « Comment la volonté agit-elle sur la matière? » Toute la vie est comme cela. Il faudrait expliquer à ces enfants que toute leur existence est le résultat de l’action de la volonté; que sans la volonté, la matière serait inerte et immobile, et que c’est justement le fait que la vibration de la volonté a une action sur la matière, qui permet la vie; autrement, il n’y aurait pas de vie. S’ils veulent une réponse scientifique et savoir le comment, c’est plus difficile, mais le fait est là, c’est un fait qui se voit à chaque seconde.

20 juillet 1968


Comment devient-on conscient de l’être physique?

L’humanité, presque dans sa totalité, n’est consciente que de l’être physique. Avec l’éducation, le nombre des hommes conscients de leur vital et de leur mental va en augmentant. Quant aux êtres humains conscients de leur être psychique, leur nombre est relativement minime.

Si vous voulez dire : « Comment éveille-t-on la conscience de l’être physique? », c’est justement le but de l’éducation physique. C’est l’éducation physique qui apprend aux cellules à être conscientes. Mais pour développer le cerveau, c’est l’étude, l’observation, l’éducation intelligente; surtout, l’observation et le raisonnement. Et naturellement, pour toute l’éducation de la conscience au point de vue du caractère, c’est le yoga.

La volonté centrale de l’être physique a-t-elle un siège particulier dans le corps?

C’est le cerveau.

Peut-on avoir l’expérience de la mort sans mourir?

C’est sûr. On peut avoir yoguiquement l’expérience de la mort; on peut même l’avoir matériellement, si la mort est assez courte pour que les docteurs n’aient pas le temps de vous déclarer mort.

Après la mort, quelle est la partie de l’être qui se rend compte qu’on est mort?

N’importe laquelle des parties de l’être qui survit, se rend compte que le corps n’est plus là. Cela dépend.

Comment peut-on dire avec certitude que le corps physique est mort?

Seulement quand il se décompose.

Comment contrôler ou empêcher le processus de désintégration?

En ayant soin de garder l’équilibre physique.

Lorsqu’on meurt, sent-on nécessairement une douleur physique?

Pas nécessairement.

28 septembre 1968


Que faut-il faire, dans notre vie quotidienne, pour arrêter le processus de la mort?

Le procédé est de détacher du corps sa conscience et de la concentrer sur la vie profonde, de façon à amener cette conscience profonde dans le corps.

Si le sens du « moi » s’est identifié plutôt au mental dans la vie, est-ce que c’est le même sens du « moi » qui a toutes les expériences après la mort; c’est-à-dire gardant en même temps les souvenirs de la vie? Je demande cela pour le mental, car il reste formé un peu plus longtemps que les autres parties après la mort.

Ce n’est pas vrai que le mental soit plus durable. La conscience psychique qui s’est identifiée à la petite portion du physique, sort de cette petite personne physique. Dans la mesure où cette conscience a façonné la vie, elle se souvient de ce qu’elle a façonné, et le souvenir est étroitement lié à la conscience psychique dans les événements; là où la conscience psychique n’a pas participé aux événements, il n’y a pas de souvenir. Et c’est seulement la conscience psychique qui peut continuer; ce n’est pas le mental qui garde les souvenirs, c’est tout à fait une erreur.

1er février 1969


(Quelques jours plus tard, au cours d’un entretien avec le professeur à propos de cette étude, la Mère dit, en manière de conclusion :)

En fait, il n’y a pas de mort.

Réponses à une monitrice




Sutras

(1) N’ambitionne rien, surtout ne prétends jamais rien, mais sois à chaque instant le maximum de ce que tu peux être.

25 février 1957

(2) Quant à ta place dans la manifestation universelle, seul le Suprême te la désignera.

2 mai 1957

(3) C’est le Seigneur suprême qui a décrété inéluctablement la place que tu occupes dans le concert universel, mais quelle que soit cette place, tu as le même droit que tous les autres également à gravir les sommets suprêmes jusqu’à la réalisation supramentale.

17 mai 1957

(4) Ce que tu es dans la vérité de ton être est décrété de façon inéluctable et rien ni personne ne peut t’empêcher de l’être; mais le chemin que tu prendras pour y parvenir est laissé à ton libre choix.

19 mai 1957

(5) Sur le chemin de l’évolution ascendante, chacun est libre de choisir la direction qu’il prendra : la montée rapide et escarpée vers les sommets de Vérité, vers la réalisation suprême, ou, tournant le dos aux cimes, la descente facile vers les méandres interminables des incarnations sans fin.

23 mai 1957

(6) Au cours des temps et même au cours de ta vie actuelle, tu peux faire ton choix une fois pour toutes, irrévocablement, et alors tu n’as plus qu’à le confirmer à chaque occasion nouvelle; ou bien si tu n’as pas pris au début de décision définitive, il te faudra à chaque moment choisir à nouveau entre le mensonge et la vérité.

23 mai 1957

(7) Mais même au cas où tu n’aurais pas pris au début la décision irrévocable, si tu as le bonheur de vivre à un de ces instants inouïs de l’histoire universelle où la Grâce est présente, incarnée sur la terre, Elle te redonnera, à certains moments exceptionnels, la possibilité de refaire un choix définitif qui te mènera tout droit vers le but.

23 mai 1957

Correspondance

Douce Mère,

Pourquoi ne donne-t-on pas de diplômes et de certificats aux élèves du Centre d’Éducation?

Depuis un siècle environ, le monde humain souffre d’une maladie qui semble se répandre de plus en plus et qui, de nos jours, a atteint sa période la plus aiguë; c’est ce que nous pouvons appeler l’utilitarisme. Les choses et les gens, les circonstances et les actions semblent n’être considérés et appréciés que sous cet angle exclusif. Rien n’a de valeur que ce qui est utile. Certes, ce qui est utile est mieux que ce qui ne l’est pas. Mais il faudrait s’entendre d’abord sur ce que l’on qualifie d’utile; utile à qui? à quoi? pour quoi?

Or, de plus en plus, les races qui se considèrent civilisées qualifient d’utile ce qui peut amener, acquérir ou produire de l’argent. Tout est jugé et évalué sous un angle monétaire. C’est cela que j’appelle l’utilitarisme. Et cette maladie est fort contagieuse, car les enfants eux-mêmes n’y échappent pas.

À l’âge où l’on devrait avoir des rêves de beauté, de grandeur et de perfection, rêves trop sublimes peut-être selon le bon sens ordinaire, mais très supérieurs cependant à ce plat bon sens, maintenant les enfants rêvent d’argent et s’inquiètent de la manière d’en gagner.

Ainsi, quand ils pensent à leurs études, ils pensent surtout à ce qui pourra leur être utile pour que plus tard, quand ils seront grands, ils puissent gagner beaucoup d’argent.

Et ce qui devient pour eux le plus important, c’est de se préparer à passer les examens avec succès, car c’est avec des diplômes, des certificats et des titres qu’ils pourront trouver de bonnes places et gagner beaucoup d’argent.

Pour eux, les études n’ont pas d’autre but, pas d’autre intérêt.

Apprendre pour savoir, étudier pour connaître les secrets de la Nature et de la vie, s’éduquer pour faire croître sa conscience, se discipliner pour devenir maître de soi, pour surmonter ses faiblesses, ses incapacités et ses ignorances, se préparer à avancer dans la vie vers un but plus noble, plus vaste, plus généreux et plus vrai... ils n’y pensent guère et considèrent tout cela comme bien utopique. La seule chose importante est d’être pratique, de se préparer et d’apprendre à gagner de l’argent.

Les enfants atteints de cette maladie ne sont pas à leur place dans le Centre d’Éducation de l’Ashram. Et c’est pour bien le leur prouver que nous ne les préparons à aucun des examens et des concours officiels, et que nous ne leur donnons pas de diplômes et de titres dont ils puissent se servir dans le monde extérieur.

Nous voulons ici, seulement ceux qui aspirent à une vie plus haute et meilleure, ceux qui ont soif de connaissance et de perfection, ceux qui regardent ardemment vers un avenir plus totalement vrai.

Il y a assez de place dans le monde pour tous les autres.

17 juillet 1960


Douce Mère,

Dans la Section d’Éducation Physique, Tu as fait tous les arrangements nécessaires afin que par l’entraînement physique nous puissions développer notre corps de toutes les manières possibles et qu’ainsi nous devenions prêts à participer à la Grande Œuvre de transformation intégrale.

Nous enseignons les jeux, les sports, et toutes sortes d’activités physiques depuis plusieurs années, mais nous trouvons que la plupart de nos élèves ne peuvent pas saisir cet esprit fondamental. Ils sont généralement égarés par l’amusement, l’excitation, l’humeur impulsive et toutes sortes de préférences et d’aversions. En conséquence la discipline, la volonté, la résolution, le travail dur et l’attitude vraie qui rendent notre progrès certain, manquent généralement. Un match de football ou un jeu excitant éveille beaucoup d’enthousiasme, mais un travail consciencieux et concentré qui aidera à maîtriser certaines qualités physiques et à rectifier certains défauts est toujours fait d’une manière peu empressée. Une grande majorité des élèves, grands et petits, souffrent de cette maladie. Il y en a très peu qui pratiquent l’éducation physique avec l’esprit vrai. Comment apprendre à faire de cela notre pratique générale?

C’est le contenu de la conscience qui doit changer, le niveau de la conscience qui doit s’élever, la qualité de la conscience qui doit progresser.

Les choses sont telles que tu les décris, parce que la plupart des enfants ont leur conscience centrée dans le physique qui est tamasique et peu enclin à l’effort. Ils veulent une vie facile, et c’est seulement l’excitation ou l’émulation d’un jeu ou d’une compétition qui éveille en eux assez d’intérêt pour qu’ils consentent à faire un effort. Il faut pour cela qu’une passion vitale s’éveille et intensifie la volonté.

L’idée de progrès appartient à la volonté intelligente qui est active seulement chez ceux, un nombre minime, qui sont en contact avec leur être psychique; plus tard, chez ceux qui sont plus développés mentalement et commencent à comprendre la nécessité de se développer et de se surmonter soi-même.

J’ai dit que le remède est d’élever la conscience à un niveau supérieur. Mais, naturellement, il faut commencer par le niveau de conscience des capitaines et des instructeurs eux-mêmes.

Ils doivent, tout d’abord, avoir une conception claire de ce qu’ils veulent obtenir de ceux dont ils ont la responsabilité; et non seulement cela, mais ils doivent avoir réalisé Réponses à une monitrice en eux-mêmes les qualités qu’ils exigent des autres. En plus même de ces qualités, ils doivent avoir développé dans leur caractère et leur action, beaucoup de patience, d’endurance, de bienveillance, de compréhension et d’impartialité. Ils ne doivent pas avoir de préférences ni d’antipathies, pas d’attractions ni de dégoûts.

C’est pourquoi le nouveau groupe de capitaines doit vraiment être un groupe d’élite pour donner le bon exemple aux élèves et aux étudiants, si nous voulons qu’à leur tour ils adoptent l’attitude vraie.

À tous je dis donc : mettez-vous au travail sincèrement et les obstacles seront, tôt ou tard, surmontés.

5 juillet 1961


Douce Mère,

Il y a certaines activités dans notre programme d’éducation physique qui sont d’une nature plus sérieuse que d’autres et qui demandent plus de concentration ; celleslà tendent à devenir ennuyeuses pour les enfants. Les capitaines doivent-ils organiser leur groupe de façon que tout ce qu’ils enseignent soit intéressant et amusant, ou est-ce que les enfants doivent essayer de créer l’intérêt en eux-mêmes?

Les deux sont indispensables et doivent, autant que possible, être toujours présents.

Avec un peu d’imagination et de souplesse inventive, les instructeurs doivent donner de l’attrait et de l’imprévu à ce qu’ils enseignent.

De leur côté, les enfants, en cultivant en eux-mêmes la volonté de progrès et le goût du progrès, doivent créer un intérêt constant pour ce qu’ils font.

En attendant que cela soit fait, les capitaines peuvent confier aux enfants, partiellement, le soin d’organiser leurs propres exercices, en utilisant autant que possible les idées qui leur viennent si elles sont ingénieuses.

Si le sens de collaboration et de responsabilité est éveillé chez les enfants, du même coup ils s’intéresseront à ce qu’ils font et le feront avec plaisir.

21 juillet 1961


Douce Mère,

Nous avons une minute de concentration avant et après le groupe chaque jour. Que doit-on essayer de faire pendant cette concentration?

Avant, faire l’offrande au Divin de ce que l’on va faire pour que cela soit fait dans un esprit de consécration.

Après, demander au Divin d’augmenter en nous la volonté de progrès, pour devenir des instruments de plus en plus aptes à Le servir.

On peut aussi, avant de commencer, se donner au Divin en silence.

Et, à la fin, remercier le Divin en silence.

Je veux dire un geste du cœur sans paroles dans la tête.

24 juillet 1961


Dans la vie humaine, la cause de toutes les difficultés, tous les désaccords, toutes les souffrances morales, est la présence en chacun de l’ego avec ses désirs, ses préférences et ses répulsions. Même dans un travail désintéressé qui consiste à aider les autres, lorsqu’on n’a pas pris l’habitude de surmonter son ego et ses réclamations et qu’on ne le tient pas par force silencieux et tranquille dans un coin, cet ego réagit à l’égard de tout ce qui ne lui plaît pas, produit un orage intérieur qui surgit à la surface et vient tout gâter dans le travail.

Ce travail de surmonter son ego est long, lent et difficile, il demande une attention constante et un effort soutenu.

Pour certains cet effort est plus facile, pour d’autres il est plus difficile.

Nous sommes ici à l’Ashram pour faire ce travail en commun avec l’aide de la connaissance et de la force de Sri Aurobindo, dans un essai de réaliser une communauté plus harmonieuse, plus unie et par conséquent beaucoup plus efficace dans la vie. Tant que j’étais présente physiquement avec vous tous, ma présence vous aidait à réaliser cette maîtrise de l’ego et c’est pourquoi il n’était pas nécessaire que je vous en parle très souvent individuellement.

Mais maintenant, il est nécessaire que cet effort soit à la base de l’existence de chacun; plus particulièrement chez ceux qui ont un travail responsable et qui doivent s’occuper des autres. Les chefs doivent toujours montrer l’exemple, les chefs doivent toujours pratiquer les vertus qu’ils demandent à ceux dont ils s’occupent; ils doivent être compréhensifs, patients, endurants, pleins de sympathie et de bonne volonté chaleureuse et amicale, non pas par égoïsme pour se faire des amis, mais par générosité pour pouvoir comprendre et aider les autres.

L’oubli de soi, de ses goûts et de ses préférences est indispensable pour être un chef véritable.

Et c’est cela que je te demande maintenant pour que tu puisses faire face à tes responsabilités comme tu dois le faire. Et alors tu t’apercevras que là où tu sentais le désordre et la désunion, ils auront disparu, et l’harmonie, la paix et la joie seront à leur place.

Tu sais que je t’aime et que je suis toujours avec toi pour te soutenir, t’aider et te montrer le chemin.

Bénédictions.

26 août 1969


Douce Mère,

Certains enfants me demandent la meilleure façon de passer leurs vacances ici.

C’est une excellente occasion de faire un travail intéressant, d’apprendre quelque chose de nouveau, ou de développer quelque point faible de leur nature ou dans leurs études.

C’est une excellente occasion de choisir librement une occupation et de découvrir ainsi quelles sont les vraies capacités de leur être.

Bénédictions.

1er novembre 1969


Douce Mère,

Approuves-tu que les élèves aillent passer leurs vacances chez leurs parents ou ailleurs?

On pourrait plutôt dire que ce que les enfants font pendant leurs vacances donne une preuve de ce qu’ils sont et de la mesure où ils sont aptes à profiter de leur séjour ici. Ainsi, pour chacun c’est différent et la qualité de sa réaction indique la qualité de son caractère.

À vrai dire, ceux qui aiment mieux rester ici que faire quoi que ce soit d’autre, sont ceux qui sont aptes à bénéficier entièrement de leur éducation ici, et sont capables de comprendre pleinement l’idéal qu’on leur enseigne.

Bénédictions.

2 novembre 1969


Douce Mère,

Est-ce à dire que ceux qui s’en vont, sont incapables de comprendre pleinement l’idéal qu’on leur enseigne, ou est-ce notre incapacité de leur faire comprendre l’idéal?

Je ne dis pas que l’enseignement ici est parfait et justement ce qu’il doit être. Mais il est certain que nombre des élèves sont très intéressés et comprennent fort bien qu’il y a ici quelque chose que l’on ne trouve pas ailleurs.

C’est donc ceux-là qui devraient rester ici, et comme nous manquons de place pour accommoder toutes les demandes, le choix serait plus facile.

Bénédictions.

3 novembre 1969


Douce Mère,

Est-il possible d’enseigner l’idéal à ceux qui ne le comprennent pas, et comment peut-on le leur enseigner? Est-ce que nous, les instructeurs et les professeurs, sommes dignes de ce travail formidable?

Ce que nous voulons enseigner n’est pas seulement un idéal mental, c’est une conception nouvelle de la vie et une réalisation de la conscience. Pour tous cette réalisation est nouvelle, et pour enseigner aux autres, la seule vraie manière est de vivre soi-même selon cette nouvelle conscience et de se laisser transformer par elle. Il n’est pas de meilleure leçon que celle de l’exemple. Dire aux autres : « Ne soyez pas égoïstes », ne sert pas à grand-chose, mais si quelqu’un est libre de tout égoïsme, il devient un merveilleux exemple pour les autres; et celui qui aspire sincèrement à agir selon la Vérité Suprême crée une sorte de contagion pour ceux qui l’entourent. Ainsi, tous ceux qui sont professeurs ou instructeurs ont pour premier devoir de donner l’exemple des qualités qu’ils enseignent aux autres.

Et si, parmi ces professeurs et ces instructeurs, il y en a qui ne sont pas dignes de leur poste, parce que, par leur caractère, ils donnent un mauvais exemple, leur premier devoir est de devenir dignes en changeant leur caractère et leur action; il n’y a pas d’autre moyen.

Bénédictions.

4 novembre 1969


Douce Mère,

Quelles sont les qualifications que Tu considères comme essentielles pour un instructeur ou un professeur à l’Ashram? Ne vaut-il pas mieux s’abstenir de ce travail si l’on sent que l’on n’est pas digne de le faire bien, car alors ce sont les enfants qui souffrent à cause de nous, n’est-ce pas?

Quelles que soient les imperfections des professeurs ou des instructeurs ici, ils seront toujours meilleurs que ceux du dehors. Car tous ceux qui travaillent ici le font sans rémunération et pour le service d’une cause supérieure. Il est bien entendu que chacun, quels que soient son mérite et ses capacités, peut et doit toujours progresser pour réaliser un idéal qui est encore très supérieur à la réalisation actuelle de l’humanité.

Mais si l’on est vraiment anxieux de faire le mieux possible, c’est en faisant le travail qu’on progresse et apprend à le faire de mieux en mieux.

La critique est rarement utile, elle décourage plus qu’elle n’aide. Et toute bonne volonté mérite d’être encouragée, car avec de la patience et de l’endurance il n’est pas de progrès qui ne puisse être accompli.

Le tout est de garder la certitude que quelle que soit la chose accomplie, on peut toujours mieux faire si on en a la volonté.

L’idéal à accomplir est une égalité d’âme et de conduite, sans défaillance, une patience à toute épreuve et, bien entendu, l’absence de préférence et de désir.

Il va sans dire que pour celui qui enseigne, la condition essentielle au bon accomplissement de sa tâche est l’absence de tout égoïsme; et il n’est pas d’être humain qui échappe à la nécessité de cet effort.

Mais, je le répète, cet effort est plus facile à faire ici que n’importe où ailleurs.

Bénédictions.

5 novembre 1969


Douce Mère,

Ceux qui sont très attirés par les plaisirs de la vie ordinaire, comme les cinémas, les hôtels, la vie sociale, etc., doivent-ils venir étudier dans notre école? Car, en général, on a l’impression que c’est pour cela que la plupart de nos élèves vont passer leurs vacances à l’extérieur, et quand ils reviennent, il leur faut chaque fois assez longtemps pour se réadapter ici.

Ceux qui sont fortement attachés à la vie ordinaire et à son agitation, ne devraient pas venir ici, car ils y sont dépaysés et ils y créent du désordre.

Mais il est difficile de savoir cela avant qu’ils ne viennent, car la plupart sont très jeunes, et leur caractère n’est pas encore bien formé.

Mais dès qu’ils sont pris par la frénésie du monde, il vaudrait mieux, pour eux-mêmes et pour les autres, qu’ils retournent chez leurs parents et leurs habitudes.

Bénédictions.

14 novembre 1969


Douce Mère,

Il y a plusieurs enfants ici qui sont envoyés par leurs parents uniquement pour leur éducation. Cette idée qu’ils sont seulement des étudiants et qu’ils vont partir d’ici après leurs études, est déjà bien établie dans leur conscience.

Une fois que l’on sait que ces enfants ont une claire idée de ce qu’ils veulent faire, ne vaut-il pas mieux leur conseiller officiellement d’aller ailleurs faire leurs études? Ou, puisqu’on les a déjà acceptés, doit-on les laisser continuer et finir leurs études ici?

Malheureusement, il y a beaucoup de parents qui envoient leurs enfants ici non pas parce qu’ils pensent qu’ils auront ici une éducation spéciale, mais parce que l’Ashram ne demande pas d’argent pour les études; et par conséquent les parents ont à dépenser beaucoup moins d’argent ici qu’ailleurs.

Mais les pauvres enfants ne sont pas responsables de ce marchandage, et nous devons leur donner une chance de se développer pleinement s’ils en sont capables. Par conséquent, nous les acceptons si nous voyons en eux une possibilité. Et c’est seulement quand ils donnent une preuve évidente qu’ils ne sont pas capables de profiter de leur éducation ici, que nous sommes prêts à les laisser partir s’ils le veulent.

Bénédictions.

15 novembre 1969


Douce Mère,

Pour les élèves qui savent qu’ils vont partir d’ici après leurs études, n’est-il pas nécessaire qu’ils aillent dehors de temps en temps afin de pouvoir s’adapter à la vie ordinaire après?

Il n’y a aucune difficulté à s’adapter à la vie ordinaire, c’est l’esclavage auquel on est soumis dès la naissance, car tous le portent en eux-mêmes par atavisme, et même pour ceux qui sont nés pour être libérés, il faut qu’ils luttent sérieusement et continuellement pour se débarrasser de cet atavisme afin d’être vraiment libérés.

Bénédictions.

16 novembre 1969


Douce Mère,

Qu’attends-tu des élèves qui vont partir après leurs études ici? Sûrement, il doit y avoir une grande différence entre eux et les gens ordinaires. Quelle doit être la différence?

Souvent, beaucoup d’entre eux, dès qu’ils se trouvent dans la vie ordinaire, réalisent la différence et regrettent ce qu’ils ont perdu. Peu d’entre eux ont le courage de renoncer aux facilités qu’ils trouvent dans leur milieu ordinaire, mais même les autres ne font plus face à la vie avec la même inconscience que ceux qui n’ont jamais été en contact avec ici.

Le travail que nous faisons n’est pas fait dans l’attente de quelque chose en retour, mais simplement pour aider au progrès de l’humanité.

Bénédictions.

18 novembre 1969


Douce Mère,

Jusqu’à quel point considères-tu qu’il est du devoir d’un professeur ou d’un instructeur d’imposer la discipline aux élèves?

Empêcher les élèves d’être irréguliers, grossiers ou négligents, est de toute évidence indispensable; les méchancetés malveillantes et nuisibles ne peuvent être tolérées.

Mais en règle générale et d’une façon absolue, les professeurs et spécialement les instructeurs à l’éducation physique doivent être un exemple vivant et constant des qualités exigées des élèves; discipline, régularité, bonnes manières, courage, endurance, patience dans l’effort s’enseignent bien plus par l’exemple que par des mots. Et d’une façon absolue : ne jamais faire devant un enfant ce qu’on lui défend de faire.

Pour le reste, chaque cas implique sa solution propre, et il faut agir avec tact et discernement.

C’est pourquoi être un professeur ou un instructeur est, de toutes les disciplines la meilleure si l’on sait lui obéir.

Bénédictions.

20 novembre 1969


Un enfant doit cesser d’être méchant parce qu’il apprend à avoir honte d’être méchant; non pas par peur d’une punition 25 .

Dans le premier cas, il fait un vrai progrès.

Dans le second, il descend d’un échelon de plus dans la conscience humaine, car la peur est une dégradation de la conscience.

20 novembre 1969


Douce Mère,

Les responsabilités d’un professeur ou d’un instructeur s’arrêtent-elles après ses heures de travail à l’école ou au terrain de jeux ?

Je demande cela parce que nos enfants, en général, se conduisent très mal dans les rues. Ils marchent où ils veulent, ils bavardent au milieu de la rue; et le problème le plus difficile, c’est à bicyclette, quand ils vont sans lumière et sans freins, ou qu’ils roulent à deux sur une bicyclette. Personne ne se soucie de tout cela parce que, pour tout le monde, c’est en dehors des heures de travail.

Et puisque l’on ne fait rien pour mettre fin à cela, l’indifférence pour la loi est tellement répandue que l’on voit même des gens responsables qui ne prennent aucune connaissance de ces lois.

Le meilleur remède à ce fâcheux état de choses, serait, quand tous les enfants sont rassemblés (probablement sur le terrain de jeux), de leur faire un petit cours sur la manière de se conduire dans la rue, ce que l’on peut faire et ce que l’on ne doit pas faire.

Quelqu’un qui saurait leur parler et dire cela d’une façon intéressante, et même si possible amusante, pourrait, sans doute, obtenir un résultat.

Bénédictions.

21 novembre 1969


Douce Mère,

Cela veut-il dire qu’une fois que l’on a bien expliqué aux élèves la manière de se conduire dans la rue, nous n’avons plus aucune responsabilité de ce qu’ils font en dehors de nos heures de travail?

Il est difficile d’intervenir dans un incident dont on n’a pas été témoin. Les racontars sont toujours d’une qualité douteuse.

Mais si l’un des instructeurs assiste en personne à la mauvaise conduite d’un de ses élèves, son intervention devient opportune, à condition, bien entendu, que la relation avec l’élève soit bienveillante et affectueuse.

Bénédictions.

22 novembre 1969


Douce Mère,

Ne crois-tu pas que dans notre programme d’éducation, on devrait enseigner aux enfants à faire quelque travail désintéressé pour l’Ashram, au moins une fois par semaine?

C’est toujours bien de faire un travail désintéressé. Mais cela devient bien meilleur si ce travail devient un amusement et non une tâche ennuyeuse.

Bénédictions.

26 novembre 1969


Douce Mère,

Chaque année, nous donnons un prix spécial aux meilleurs élèves des groupes A1 et A2. Cette année, il y a un garçon qui a très bien travaillé toute l’année, mais maintenant il est parti chez ses parents pour les vacances et il n’a pas pris part à la démonstration du 2 décembre. Crois-tu que l’on doive encore lui donner le prix pour cette année?

Tout dépend de comment il est parti : si c’est pour obéir à ses parents, ou si lui-même le désirait. S’il a désiré partir, quel que soit son mérite extérieur, il est peut-être préférable de ne pas lui donner de prix, parce que cela voudrait dire que nous n’attachons aucune importance à l’attitude intérieure et à la compréhension par l’élève du but que nous poursuivons : c’est-à-dire de préparer les hommes de demain à la création nouvelle.

Bénédictions.

9 décembre 1969


Douce Mère,

Est-il désirable de donner des prix ou de récompenser les enfants pour les faire travailler ou pour créer un intérêt quelconque?

Il est évident que pour les enfants, il est préférable qu’ils étudient pour développer leur conscience et apprendre quelque chose de tout ce qu’ils ne savent pas; mais donner des prix à ceux qui se sont montrés particulièrement studieux, disciplinés et attentifs, n’est pas mauvais.

Bénédictions.

17 décembre 1969


Douce Mère,

Ne crois-tu pas que pour devenir un professeur ou un instructeur chez nous, spécialement pour les petits, il est nécessaire d’avoir vécu une certaine période à l’Ashram?

C’est une certaine attitude de la conscience qui est nécessaire, et malheureusement, de vivre, même plusieurs années à l’Ashram, ne donne pas toujours cette attitude correcte.

À dire vrai, il faudrait prendre les professeurs à l’essai pour voir s’ils peuvent acquérir cette attitude correcte et s’adapter aux besoins de leur tâche.

Bénédictions.

18 décembre 1969


Douce Mère,

Que veux-tu dire par « une certaine attitude de la conscience » ?

L’attitude de conscience qui est requise, est une certitude intérieure que, en comparaison de tout ce qu’il faut savoir, on ne sait rien; et qu’à chaque moment il faut être prêt à apprendre afin de pouvoir enseigner. Ceci est le premier point indispensable.

Il y en a un second.

C’est que la vie extérieure telle que nous la connaissons, est une apparence plus ou moins mensongère; et que nous devons constamment garder vivante l’aspiration à la Vérité.

Bénédictions.

19 décembre 1969


Douce Mère,

Quel est le rôle des parents et des gardiens chez nous?

Comment doivent-ils aider à la meilleure éducation de leurs pupilles?

Ici, le premier devoir des parents ou des gardiens est de ne pas contredire, par la parole ou l’exemple, l’éducation donnée à leurs enfants.

Positivement, le mieux qu’ils puissent faire est d’encourager les enfants à être dociles et disciplinés.

Bénédictions.

24 décembre 1969


Douce Mère,

Quelle est Ton opinion sur la mode, les habits et les ornements?

Qu’est-ce que Tu considères de bon goût dans notre vie de l’Ashram?

Dieu merci, je n’ai pas d’opinions.

Le bon goût pour moi c’est d’être simple et sincère. Bénédictions.

4 janvier 1970


Douce Mère,

Comment apprendre aux enfants à organiser la liberté que Tu nous donnes ici?

Les enfants ont tout à apprendre. Il faut que ce soit leur préoccupation principale pour se préparer à une vie utile et productive.

En même temps, à mesure qu’ils grandissent, ils doivent découvrir en eux-mêmes quelle est la ou les choses qui les intéressent le plus et qu’ils sont capables de bien faire. Il y a les facultés latentes qu’il faut développer. Il y a aussi celles que l’on peut découvrir.

Il faut apprendre aux enfants à aimer à surmonter les difficultés, que cela donne une valeur spéciale à la vie; et lorsque Réponses à une monitrice l’on sait le faire, cela détruit à jamais l’ennui, et donne un intérêt tout nouveau à la vie.

Nous sommes sur terre pour progresser et nous avons tout à apprendre.

14 janvier 1972


Douce Mère,

Hier Tu as écrit : « Il y a les facultés latentes qu’il faut développer. Il y a aussi celles que l’on peut découvrir. »

Quel est le rôle du professeur ou de l’instructeur dans la découverte de ces facultés?

Le professeur ne doit pas être un livre qui se lit à haute voix, le même pour tous, sans distinction de nature et de caractère. Le premier devoir du professeur est d’aider l’élève à se connaître lui-même et à découvrir de quoi il est capable.

Pour cela il faut observer ses jeux, vers quelle activité il va naturellement et spontanément et aussi ce qu’il aime à apprendre, si son intelligence est éveillée, quelles sont les histoires qui lui plaisent, quelles sont les activités qui l’intéressent, quelles sont les réalisations humaines qui l’attirent.

Il faut que le professeur découvre à quelle catégorie appartient chacun des enfants dont il a la charge. Et si après une observation attentive, il découvre deux ou trois enfants exceptionnels qui ont soif d’apprendre et qui aiment le progrès, il devra les aider à utiliser leurs énergies dans ce but en leur donnant la liberté de choix qui favorise le développement individuel.

La vieille méthode de la classe assise à qui le professeur fait la leçon, la même pour tous, est certainement économique et facile, mais aussi très inefficace, et ainsi le temps est perdu pour tout le monde.

15 janvier 1972


Douce Mère,

Tu as écrit : « Si après une observation attentive, il [le professeur] découvre deux ou trois enfants exceptionnels qui ont soif d’apprendre et qui aiment le progrès, il devra les aider à utiliser leurs énergies dans ce but en leur donnant la liberté de choix qui favorise le développement individuel. »

Est-ce que Tu veux dire que la liberté de choix doit être donnée seulement aux enfants exceptionnels? Et les autres?

J’ai dit de donner la liberté de choix aux enfants exceptionnels parce que pour eux c’est tout à fait indispensable si on veut vraiment les aider à se développer pleinement.

Naturellement on peut donner cette liberté de choix à tous les enfants, et en somme c’est un bon moyen de trouver leur vraie nature; mais la plupart d’entre eux se montreront paresseux et peu intéressés par l’étude. Mais par contre ils peuvent être adroits de leurs mains et apprendront volontiers à faire des choses. Cela aussi doit être encouragé. Ainsi les enfants trouveront leur vraie place dans la société, et seront préparés à la remplir quand ils seront grands.

À tous il faut apprendre la joie de bien faire ce que l’on fait, que ce soit un travail intellectuel, artistique ou manuel et surtout la dignité de tout travail quel qu’il soit, s’il est fait avec soin et habileté.

16 janvier 1972


Douce Mère,

Pour les enfants exceptionnels, crois-Tu que l’on doive tourner leurs énergies vers leur talent spécial ou vaut-il mieux les diriger vers un développement total?

Cela dépend exclusivement de l’enfant et de ses capacités.

18 janvier 1972


Douce Mère,

Une fois je T’ai demandé si dans notre programme d’éducation, on ne devrait pas enseigner aux enfants à faire quelque travail désintéressé pour l’Ashram au moins une fois par semaine. Et Tu as répondu :

« Il est toujours bien de faire un travail désintéressé. Mais cela devient bien meilleur si ce travail devient un amusement et non une tâche ennuyeuse. »

Peux-Tu nous suggérer comment on pourrait l’introduire dans notre programme?

Si les enfants pouvaient voir quels sont les différents travaux qu’ils peuvent faire, le goût s’éveillerait en eux pour faire l’un ou l’autre et cela deviendrait aussi amusant qu’un jeu pour eux, s’ils sont vraiment intelligents.

18 janvier 1972


Douce Mère,

Quand Tu as dit que l’on doit observer les jeux des enfants 26, quel âge d’enfants avais-Tu en vue?

Cela dépend entièrement de l’enfant. Certains sont déjà éveillés à sept ans, certains prennent plus de temps.

Ce qui est important c’est de donner aux enfants l’occasion de voir et de juger par eux-mêmes.

Mère, de sept ans jusqu’à quel âge 27?

On pourrait dire à peu près dix-huit ans. Cela dépend des cas. Il y a des enfants qui sont pleinement développés à quatorze ou quinze ans. C’est différent pour chacun. Cela dépend des cas.

18 janvier 1972 .


Douce Mère,

Tu as écrit : « Il faut que le professeur découvre à quelle catégorie appartient chacun des enfants dont il a la charge. »

Comment distinguer les catégories d’enfants?

En les regardant vivre.

Pour pouvoir classer les enfants il faut connaître leur caractère en observant leurs habitudes et leurs réactions.

Le professeur ne doit pas être une machine à réciter des leçons, il doit être un psychologue et un observateur.

19 janvier 1972


Douce Mère,

Doit-on grouper ensemble les enfants de chaque catégorie?

Cela a des avantages et des inconvénients. Le groupement des élèves doit être fait selon les éléments dont on dispose et les facilités que l’on a. L’arrangement doit être souple de façon à pouvoir l’améliorer si c’est nécessaire.

Pour être un bon professeur il faut avoir la clairvoyance et la connaissance d’un Guru avec une patience à toute épreuve.

19 janvier 1972


Douce Mère,

Tu as dit : « Le premier devoir du professeur est d’aider l’élève à se connaître lui-même. »

Comment peut-on aider un élève à se connaître lui-même? Pour cela n’est-il pas nécessaire qu’on ait soi-même atteint un certain niveau de conscience supérieur?

Ah oui, certainement 28 !

L’attitude du professeur doit être une volonté constante de progrès non seulement pour savoir toujours mieux ce que l’on veut enseigner aux élèves, mais surtout pour être un exemple vivant pour leur montrer ce qu’ils peuvent devenir.

(Après une méditation de cinq minutes.)

Le professeur doit être le vivant exemple de ce qu’il demande aux élèves de devenir.

19 janvier 1972


Douce Mère,

Est-ce la seule manière d’enseigner aux élèves à se connaître eux-mêmes 29?

C’est la seule bonne manière. N’est-ce pas, un professeur qui leur dit : « Il ne faut pas mentir », et qui ment; « Il ne faut pas se mettre en colère », et qui se met en colère; quel serait le résultat? Les enfants non seulement perdront confiance dans le professeur, mais aussi dans ce qu’il enseigne.

19 janvier 1972


Mère, tous les jours je tape à la machine ce que Tu écris, et P. le prend à l’école pour le montrer aux autres professeurs, et ça leur fait très plaisir. Et maintenant il y a des professeurs qui me donnent des questions à Te poser 30.

(Riant) C’est bon! C’est très bon!

19 janvier 1972


Douce Mère,

Lorsqu’il y a un effort d’organisation en catégories basées sur la capacité, chez l’enfant, de prendre des initiatives, on voit qu’il y a un mélange de niveaux scolaires dans les différents sujets. Cela rend la tâche très difficile pour certains professeurs qui ont l’habitude de prendre les classes ordinaires de la vieille façon classique.

Nous sommes ici pour faire les choses difficiles. Si nous répétons ce que les autres font, ce n’est pas la peine; il y a déjà beaucoup d’écoles dans le monde.

On a essayé de guérir l’ignorance de la masse et pour cela on a adopté les méthodes les plus faciles. Mais maintenant ce stade est passé et l’humanité est prête pour apprendre mieux et plus complètement. À ceux qui sont en tête de ligne de montrer le chemin pour que les autres puissent suivre.

21 janvier 1972


Douce Mère,

Comment envisages-Tu l’organisation de notre éducation, pour permettre aux enfants de découvrir leurs capacités, et ensuite de poursuivre la voie de leur développement individuel?

C’est ce qu’on essaye de faire ici. Cela dépend du professeur. Je n’ai pas une théorie que l’on puisse mettre sur papier 31 .

C’est ce que l’on essaye de faire ici. Mais pour le bien faire cela dépend du professeur, de la peine qu’il se donne, et de ses facultés de compréhension psychologique. Il faut être capable de connaître la nature et les possibilités de l’élève, pour adapter son enseignement aux besoins de chacun.

22 janvier 1972 .


Douce Mère,

Doit-on classer les professeurs selon les sujets? Est-ce la meilleure façon?

La classification par sujet est importante quand on veut étudier un ou plusieurs sujets à fond, et après qu’une base générale utile à tous a déjà été donnée à tous également : par exemple savoir lire et écrire, parler au moins une langue correctement, un peu de géographie générale, une vue d’ensemble de la science actuelle et quelques règles de conduite indispensables pour la vie en groupe ou en communauté.

Pour l’étude en détail et à fond d’un sujet, le moment opportun dépend des enfants et de leur capacité d’apprendre.

Les précoces peuvent commencer à douze ans. Pour la grande majorité ce sera plutôt quinze ans et même dix-sept ou dix-huit.

Et quand on veut se perfectionner dans un sujet spécial, surtout un sujet scientifique ou philosophique, c’est toute sa vie que l’on doit être prêt à apprendre; l’étude ne doit jamais cesser.

22 janvier 1972


Douce Mère,

J’en reviens à la même question. Que veux-Tu dire exactement par « catégorie d’enfants » ? Est-ce que ces catégories tiennent compte seulement de leur caractère ou aussi de leurs intérêts?

Les catégories de caractère.

Pour juger des possibilités d’un enfant, les notions morales ordinaires n’ont guère d’utilité. Les natures révoltées, indisciplinées, entêtées, cachent souvent des qualités que l’on n’a pas su utiliser. Les indolents peuvent aussi [cacher] de grandes possibilités de calme et de patience.

C’est tout un monde à découvrir et les solutions faciles ne sont guère utiles. Il faut que le professeur soit encore plus travailleur que l’élève pour savoir discerner et utiliser au mieux les caractères.

23 janvier 1972


Douce Mère,

Hier Tu as parlé des règles de conduite. Quelles sont les règles de conduite que Tu considères indispensables dans notre communauté?

Patience, persévérance, générosité, largeur d’esprit, clairvoyance, fermeté calme et compréhensive, et maîtrise de l’ego jusqu’à ce qu’il [soit] complètement dominé ou même aboli.

Mère, ce n’est pas exactement cela que j’ai voulu demander. Ce que j’ai compris par « règles de conduite » c’était « étiquette » ou « manners » en anglais.

L’étiquette appartient aux règles morales de la vie ordinaire et n’a aucune valeur à notre point de vue.

23 janvier 1972


Douce Mère,

Tu as parlé de ranger les élèves selon des catégories de caractère. Dans notre état actuel d’ignorance, si nous essayons d’imposer une classification, cela ne serait-il pas quelque chose de très arbitraire et même un jeu dangereux pour l’enfant en croissance?

Naturellement il vaut mieux ne pas prendre des décisions arbitraires et ignorantes. Ce serait funeste pour les enfants.

Ce que j’ai dit est pour ceux capables de reconnaître les caractères et de les apprécier justement, autrement le résultat serait détestable et plus néfaste que l’enseignement mécanique habituel.

24 janvier 1972


Douce Mère,

Pour pouvoir faire ce que Tu nous as demandé, n’est-ce pas le premier devoir du professeur de faire un yoga intense et sincère avant d’agir d’une façon hâtive et arbitraire?

Certainement 32 !

Ce que j’ai écrit est un idéal à réaliser; il faut se préparer pour pouvoir le faire.

Le professeur, pour pouvoir adopter cette méthode, doit être un psychologue clairvoyant et cela demande du temps et de l’expérience.

24 janvier 1972


Douce Mère,

Tu as dit que le professeur doit être un psychologue clairvoyant, un Guru. Tu sais bien que nous sommes loin d’être tout cela. Les professeurs étant ce qu’ils sont, comment organiser le système d’éducation afin d’améliorer notre façon d’enseigner?

Faire ce qu’ils peuvent en sachant qu’ils ont tout à apprendre.

Ainsi ils auront de l’expérience et feront de mieux en mieux. C’est la meilleure manière d’apprendre, et s’ils le font en toute sincérité, dans deux ou trois ans ils deviendront des experts et seront vraiment utiles.

Naturellement, fait de cette manière le travail devient vraiment intéressant et fait progresser les professeurs aussi bien que les élèves.

25 janvier 1972


Douce Mère,

Comme pour les enfants, est-ce qu’on doit avoir des catégories pour les professeurs aussi — selon leur façon d’enseigner, de voir les choses, et leur affinité pour certains sujets?

Pour cela il faudra que celui qui organise les études soit un psychologue clairvoyant, attentif et de très bonne volonté, sachant que lui aussi doit apprendre et progresser.

La vraie attitude est de prendre la vie comme un champ d’étude perpétuel où l’on ne doit jamais s’arrêter d’apprendre en croyant que l’on sait tout ce que l’on doit savoir. On peut toujours savoir davantage et comprendre mieux.

25 janvier 1972


Douce Mère,

Si les enfants veulent faire un travail pratique dès l’âge de neuf ans dans les branches de l’électronique ou de la technologie, faut-il les encourager?

Oui, bien sûr.

25 janvier 1972


Douce Mère,

Dans cette méthode de travail, le professeur doit consacrer suffisamment de temps à chacun individuellement. Or les professeurs ne sont pas nombreux. Comment respecter les demandes de chacun aussi complètement que possible tout en satisfaisant tous ceux qui demandent de l’aide?

On ne peut pas faire de théorie. Cela dépend des cas, des possibilités et des circonstances. C’est une attitude que le professeur doit avoir et qu’il doit appliquer aussi bien qu’il peut et de mieux en mieux si possible.

26 janvier 1972


Douce Mère,

Tu as dit l’autre jour qu’il y avait des professeurs qui n’étaient pas capables, et qu’ils devraient cesser d’enseigner. Quel est le critère pour juger de la capacité d’un professeur?

Il faut d’abord qu’il comprenne, qu’il sache ce que nous voulons faire et qu’il comprenne bien comment le faire.

Deuxièmement, qu’il ait un pouvoir de discernement psychologique vis-à-vis des élèves et qu’il comprenne ce que sont ses élèves et ce qu’ils sont capables de faire.

Naturellement il faut qu’il sache le sujet qu’il enseigne. S’il enseigne le français, qu’il sache le français. S’il enseigne l’anglais, la géographie, la science... il faut qu’il sache ce qu’il enseigne.

Mais le plus important c’est qu’il ait le discernement psychologique 33.

31 janvier 1972


Douce Mère,

De nos jours, dans les écoles ailleurs, spécialement en Occident, on donne beaucoup d’importance à « sex education ».

Qu’est-ce que c’est que « sex education » ? Qu’est-ce qu’on enseigne?...

Moi je n’aime pas qu’on s’occupe de ces choses. De mon temps on ne s’occupait jamais de ces choses. Maintenant les enfants en parlent tout le temps — c’est dans leurs têtes, c’est dans leurs sentiments. C’est dégoûtant. C’est difficile, c’est très difficile.

Mais si on en parle ailleurs, il faut qu’on en parle ici aussi. Il faut leur dire les conséquences de ces choses. Surtout aux filles, il faut leur dire que les conséquences peuvent être fatales. Quand j’étais jeune, en ce temps, on ne parlait jamais de tout ça, on ne s’occupait jamais de ces choses. En ce temps on ne parlait pas de tout cela. Ici je ne voulais pas qu’on discute ce sujet. C’est pour cela qu’on fait la culture physique. Comme ça les énergies sont utilisées pour développer la force, la beauté, l’habileté et tout ça ; et on est davantage capable de suppression. Tu verras, ceux qui font beaucoup de culture physique, ils sont beaucoup plus capables de maîtriser les impulsions 34.

(Après méditation) Les énergies qui chez les êtres humains sont utilisées pour la reproduction et qui prennent une place si prépondérante dans leur existence doivent au contraire être sublimées et employées pour le progrès et le développement supérieur, pour préparer la venue de la race nouvelle. Mais il faut d’abord que le vital et le physique soient libérés de tout désir, autrement on risque fort d’avoir des catastrophes.

1er février 1972


Douce Mère,

Quelle est la différence essentielle entre le comportement et la responsabilité d’un professeur vis-à-vis de jeunes enfants et des élèves plus grands (de plus de quatorze-quinze ans par exemple)?.

Naturellement, à mesure que la conscience et l’intelligence se développent chez les enfants, c’est de plus en plus par leur intermédiaire que l’on doit avoir affaire avec eux.

3 février 1972


Douce Mère,

Est-ce qu’on doit punir un enfant? Punir?

punir? Si un enfant fait du bruit dans la classe et empêche les autres de travailler, il faut lui dire de se mieux conduire, et s’il continue, vous pouvez le mettre hors de la classe. Ça, ce n’est pas une punition, c’est une conséquence naturelle de ses actions. Mais punir! punir! vous n’avez aucun droit de punir. Êtes-vous le Divin? Qui vous a donné le droit de punir? Les enfants aussi peuvent vous punir pour vos actions... Êtes-vous parfaits vous-mêmes? Est-ce que vous savez ce qui est bon ou ce qui est mauvais? Seul le Divin sait. Seul le Divin a le droit de punir 35.

Les vibrations que l’on émet vous mettent en rapport avec des vibrations correspondantes. Si l’on émet des vibrations méchantes et destructrices, tout naturellement on attire sur soi des vibrations analogues et cela c’est la vraie punition, si l’on veut employer ce mot; mais cela ne correspond pas du tout à l’organisation divine du monde.

Chaque acte a ses conséquences bonnes ou mauvaises, mais l’idée de récompense et de punition est une idée purement humaine et qui ne correspond pas du tout à la façon d’agir de la Conscience de Vérité. Si la Conscience qui régit le monde agissait selon les principes humains de punition et de récompense, il y aurait longtemps qu’il ne resterait plus d’hommes sur la terre.

Quand les hommes seront assez purs pour transmettre les .

vibrations divines sans les déformer, alors la souffrance sera abolie dans le monde. C’est le seul moyen.

3 février 1972


Il y a des professeurs qui m’ont écrit qu’ils avaient lu ce que j’ai écrit pour toi et que cela leur avait fait beaucoup de bien. Alors tu peux continuer à leur montrer 36.

Cette prière, Mère?

Oui, si tu tapes sur un papier, ça :

« Nous voulons être les vrais serviteurs du Divin. »

Et puis la prière :

« Seigneur Suprême, Conscience Parfaite, Toi seul sais vraiment ce que nous sommes, ce que nous pouvons faire, le progrès que nous devons faire pour être capables et dignes de Te servir comme nous le voulons. Rends-nous conscients de nos possibilités mais aussi de nos difficultés afin que nous puissions les surmonter pour Te servir fidèlement. »

Et puis ça, la conclusion :

« Le bonheur suprême est d’être de vrais serviteurs du Divin. »

Alors il y a des gens à qui ça fait du bien. Tu as montré ton cahier?

Ce cahier [cahier de méditations], je ne le montre pas à tout le monde. De l’autre cahier, je tape les questions sur l’éducation, et ça, je le donne à l’école. Mais ce cahier, je ne le montre pas à tout le monde...

Non, ça c’est pour toi. Mais tu peux copier des choses comme ça, qui sont pour tout le monde. Tous ceux de bonne volonté, tu peux leur montrer. Je reçois plusieurs lettres me disant que cela leur avait fait beaucoup de bien. Alors tu peux continuer.

Oui, Mère, je ne montre pas ce cahier à tout le monde parce que je croyais que Tu voulais l’utiliser tout de suite pour le Bulletin.

Pas tout. Ça, par exemple, je ne le mettrai pas dans le Bulletin.

14 février 1972


Douce Mère,

À propos des catégories pour l’école, dont Tu as parlé, doit-il y avoir aussi des catégories similaires pour l’éducation physique?

Pour les exercices physiques tout dépend des corps et de leurs possibilités. Les exercices faciles et qui ne fatiguent pas peuvent être donnés à tous.

Ensuite tout dépend des corps, de leur force, de leur santé, de leur résistance à la fatigue, etc., etc.

Il faudrait donner les exercices suivant les possibilités et le classement des enfants devrait être fait suivant ces possibilités. C’est une question d’expérience et d’observation.

Pour être un bon professeur de culture physique, il faudrait savoir l’anatomie, les différentes fonctions du corps, leur développement et leur fonctionnement.

16 février 1972


Douce Mère,

Peux-Tu nous écrire quelque chose sur la discipline?

La discipline est indispensable à la vie physique. Le bon fonctionnement des organes est basé sur une discipline. C’est justement quand un organe ou une partie du corps ne se soumet pas à la discipline générale du corps que l’on tombe malade.

La discipline est indispensable au progrès. C’est seulement quand on s’impose une discipline rigoureuse et éclairée qu’on peut se soustraire à la discipline des autres.

La suprême discipline est la soumission intégrale au Divin et de ne rien permettre ni dans ses sentiments ni dans ses activités. Jamais rien ne doit échapper à cette soumission — c’est la discipline suprême et rigoureuse.

17 février 1972


Douce Mère,

Hier Tu as écrit sur la discipline, mais quelle attitude doit-on prendre envers la discipline imposée à laquelle on doit se conformer dans une vie en communauté?

La vie en communauté doit nécessairement avoir une discipline pour que les plus faibles ne soient pas brimés par les plus forts; et cette discipline doit être respectée par tous ceux qui veulent vivre dans cette communauté.

Mais pour que la communauté soit heureuse il faut que cette discipline soit fixée par celui ou ceux qui ont la plus grande largeur d’esprit, si possible celui ou ceux qui sont conscients de la Présence Divine et lui sont soumis.

Pour que la terre soit heureuse, le pouvoir devrait être entre les mains seulement de ceux qui sont conscients de la Volonté Divine. Mais pour le moment cela est impossible parce que le nombre de ceux qui sont vraiment conscients de la Volonté Divine est minime, et qu’ils n’ont nécessairement pas d’ambition.

À vrai dire, quand le temps sera venu pour cette réalisation, elle prendra place tout naturellement.

Le devoir de chacun est de s’y préparer aussi complètement qu’il le peut.

18 février 1972


Mère, il y a des gens qui critiquent le fait que nous ayons trop de règles dans notre éducation physique et que nous imposions trop de discipline aux enfants.

Il ne peut pas y avoir d’éducation physique sans discipline. Le corps lui-même ne pourrait pas fonctionner sans une stricte discipline. En fait c’est le fait de ne pas reconnaître cela qui est la principale cause des maladies.

La digestion, la croissance, la circulation du sang, tout, tout, est une discipline... la pensée, les mouvements, les gestes, tout est une discipline, et s’il n’y a pas de discipline les gens tombent malades tout de suite 37.

18 février 1972


Douce Mère,

Les élèves, surtout les adolescents, se plaignent souvent qu’ils doivent faire même les exercices physiques qu’ils n’aiment pas et qu’ils ne trouvent pas intéressants. Peux-Tu répondre à cela, Mère?

On n’est pas sur la terre pour faire son bon plaisir mais pour progresser.

Les exercices physiques sont faits non pour vous amuser ou satisfaire vos caprices, mais comme une discipline méthodique pour développer et fortifier le corps.

La vraie sagesse est de prendre plaisir à tout ce que l’on fait et cela est possible si l’on prend tout ce que l’on fait comme un moyen de progresser. La perfection est difficile à obtenir et il y a toujours beaucoup de progrès à faire pour y arriver.

Rechercher le plaisir est certainement le meilleur moyen de se rendre malheureux.

Si vous voulez vraiment la paix et le bonheur, que votre préoccupation constante soit :

« Quel progrès dois-je faire pour pouvoir connaître et servir le Divin ? 38»

Tu montres ça à C. Elle ne devrait pas avoir écouté ce que les enfants disent. Il y a longtemps qu’elle est ici. Il faut savoir ça. Ça (rechercher le plaisir est certainement le meilleur moyen de se rendre malheureux), c’est une vérité absolue. Cela affirme que si vous voulez satisfaire votre petit ego, vous êtes sûr d’être malheureux. Sûr! C’est la meilleure manière de se rendre malheureux. Dire : « Oh, ça m’ennuie; oh, je dois faire mon bon plaisir; oh, celui-là n’est pas gentil avec moi; oh, la vie ne m’apporte pas ce que je demande. Ouha ! ! ! »

« Est-ce que je suis ce que je dois être?

Est-ce que je fais ce que je dois faire?

Est-ce que je progresse autant que je dois? »

Alors ça devient intéressant. Voilà !

« Qu’est-ce qu’il faut que j’apprenne dans mon prochain progrès? Quelle est mon infirmité qu’il faut que je guérisse? Quel est mon défaut qu’il faut que je surmonte? Quelle est ma faiblesse qu’il faut que je fasse disparaître? » Voilà !

Et puis naturellement, à l’instant suivant : « Comment être capable de comprendre et de servir le Divin? » Voilà !

Je l’ai écrit spécialement pour que tu le montres à C.

Oui Mère, elle le sait, mais elle voulait savoir comment faire comprendre aux élèves.

Oui, il n’y a que ça à dire.

19 février 1972

Réponses à un moniteur




Réponses à un moniteur

Ici, nos activités sont si diverses qu’il est difficile d’aller jusqu’au bout d’une même chose. C’est peut-être la raison pour laquelle nous ne sommes pas capables d’aller au delà d’une moyenne médiocre. Ou bien, est ce à cause de notre manque de concentration solide?

Ce n’est pas la variété et le nombre des activités qui sont la cause de la médiocrité du travail, mais l’absence de pouvoir de concentration.

Il faut apprendre à se concentrer et faire tout ce que l’on fait avec une pleine concentration.

4 juillet 1961


C’est vraiment un problème si l’on veut éveiller l’intérêt des élèves, que ce soit pour les jeux, l’athlétisme ou la gymnastique. Même notre enthousiasme se fatigue quand on voit leur manque d’intérêt pour tout.

L’intérêt des élèves est proportionnel à la vraie capacité de celui qui enseigne.

12 juillet 1961


(À propos d’un message aux Capitaines d’Éducation Physique.) Nous sommes très loin de ce que tu demandes de nous, du moins je le suis. C’est une tâche très ardue et cela prendra du temps, beaucoup de temps, mais que faire à présent? Changer notre conscience et devenir une élite prendra beaucoup de temps. À présent, nous sommes au même niveau que nos élèves, alors le problème immédiat n’est pas résolu. Comment créer un intérêt en eux pour chaque chose et chaque jour?

C’est encore plus impossible que de changer et de devenir une élite. Ainsi, le mieux est de se mettre immédiatement au travail. Le reste est seulement une excuse que notre paresse se donne à elle-même.

15 juillet 1961


Nous parlons très souvent du psychique et de l’âme, je ne comprends rien à ces choses. Quelles sont ces deux choses et comment en avoir l’expérience?

Sri Aurobindo a beaucoup écrit à ce sujet (dans ses lettres) et j’ai tout expliqué aussi dans le livre Éducation. Il faut lire, étudier et surtout pratiquer.

4 octobre 1961


Je voudrais que tu regardes attentivement en toi-même et que tu tâches de m’expliquer ce qui exactement t’amuse dans les histoires de détectives.

16 octobre 1961


Je les lis pour me détendre. Dans les histoires de détectives (surtout Perry Mason), il y a toujours une scène Perry Mason), il y a toujours une scène ), il y a toujours une scène à la cour où l’avocat Perry Maso Perry Mason est sûr de perdre sa n est sûr de perdre sa cause, son client est accusé de meurtre, toutes les preuves sont contre lui, mais le coup de maître de l’avocat Perry Mason change la situation. Tout au long de l’histoire, il y a des mystères et le procès est comme une acrobatie mentale d’un maître gymnaste. Mais chaque fois que je termine son livre, je sens que je n’ai rien gagné, rien appris de nouveau, c’était une perte de temps.

Ce n’est pas absolument inutile; sans doute avais-tu beaucoup de tamas dans ton mental et l’acrobatie mentale de l’auteur secoue le tamas et éveille le mental. Mais cela ne peut avoir qu’un temps et bientôt il faut se tourner vers des choses supérieures.

16 octobre 1961


Douce Mère,

J’ai remarqué une chose pour nous tous, c’est que nous prenons part à autant d’activités que possible au programme du 2 décembre 39. Ne vaut-il pas mieux choisir un ou deux sports et donner une très bonne démonstration dans ces sports-là que de faire plusieurs sports d’une façon médiocre?

Chacun fait selon sa nature et s’il (ou si elle) suit courageusement et sincèrement la loi de sa nature, il ou elle agit selon la vérité. Ainsi, il est impossible de juger et de décider pour les autres. On ne peut savoir que pour soi-même, et encore faut-il être très sincère pour ne pas se tromper.

4 novembre 1961


Douce Mère,

Tu nous as dit souvent que nos activités devaient être une offrande au Divin. Qu’est ce que cela veut dire exactement, et comment faire? Par exemple, quand on joue au tennis ou au basket-ball, comment le fait-on comme une offrande? Les formations mentales ne suffisent pas, naturellement!

Cela veut dire que ce que vous faites ne doit pas être fait dans un but personnel, égoïste, pour le succès, pour la gloire, pour le gain, pour un profit matériel ou d’amour-propre, mais comme un service et une offrande, pour devenir plus conscient de la volonté divine et pour se donner plus entièrement à elle, jusqu’au moment où l’on a fait assez de progrès pour savoir et sentir que c’est le Divin qui agit en vous, Sa force qui vous anime et Sa volonté qui vous soutient — non seulement une connaissance mentale, mais la sincérité d’un état de conscience et le pouvoir d’une expérience vécue.

Pour que cela soit possible, tous les mobiles égoïstes doivent disparaître.

20 novembre 1961


Douce Mère,

Nous avons eu une discussion avec des amis sur les problèmes et les méthodes possibles d’éducation physique. Le problème fondamental est celui-ci : comment établir un programme qui contentera tout le monde et qui sera aussi efficace que possible pour tous les membres en général? les tournois sont-ils nécessaires, ne doit-il y avoir aucune contrainte d’aucune sorte? et si on laisse une liberté complète, est ce pratique? etc... C’est un sujet auquel il n’est pas facile de trouver une réponse suffisamment satisfaisante pour tout le monde, sauf quand la Mère interviendra Elle-même.

C’est impossible. Chacun a son propre goût et son propre tempérament. On ne peut rien faire sans discipline — la vie tout entière est une discipline.

20 septembre 1962


Dans une discussion à propos de notre programme d’éducation physique et autres activités innombrables que nous avons ici, un ami m’a demandé : « Peux-tu me donner un exemple valable d’une personne, au moins, qui participe à autant d’activités et qui garde un niveau assez haut — une seule personne dans le monde tout entier? »

N’oubliez pas — vous tous qui êtes ici — que nous voulons réaliser quelque chose qui n’existe pas encore sur la terre; ainsi il est absurde de chercher ailleurs un exemple de ce que nous voulons faire.

Il me disait ceci : « Mère dit qu’il y a toute liberté et toutes les facilités pour ceux qui sont doués pour un sujet particulier et qui veulent le poursuivre au maximum. Mais où est cette liberté comme, par exemple, de devenir un grand musicien, etc.? » Douce Mère, peux-Tu me dire quelques mots au sujet de cette liberté?

La liberté dont je parle est celle de suivre la volonté de l’âme, non celle de suivre toutes les fantaisies du vital et du mental.

La liberté dont je parle est une vérité austère qui tend à surmonter toutes les faiblesses et les désirs de l’être inférieur et ignorant.

La liberté dont je parle est celle de se consacrer entièrement et sans réserve à son aspiration la plus haute, la plus noble, la plus divine.

Lequel d’entre vous suit sincèrement ce chemin-là ? Il est facile de juger, mais il est plus difficile de comprendre et encore beaucoup plus difficile de réaliser.

18 novembre 1962


Les filles ont toujours un désavantage : elles ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent comme les garçons.

Pourquoi?

On a des centaines de preuves du contraire.

31 mai 1963


J’ai trop de « matière grise » dans ma tête qui m’empêche de penser clairement et de saisir vite les idées nouvelles. Comment me libérer de cela ?

En étudiant beaucoup, en réfléchissant beaucoup, en faisant des exercices intellectuels. Par exemple, en énonçant clairement une idée générale, puis en énonçant l’idée contraire, puis en cherchant la synthèse des deux idées, c’est-à-dire en trouvant une troisième idée qui harmonise les deux autres.

25 juin 1963

Pourquoi lis-tu des romans? C’est une occupation stupide et une perte de temps. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles ton cerveau est encore en bouillie et manque de clarté.

27 juin 1963


Douce Mère,

J’ai noté quelque chose de très bizarre dans ces enfants du groupe A2 il y a quelques jours : les garçons ne veulent pas travailler avec les filles; ils ne veulent même pas rester l’un à côté de l’autre. Ils ne peuvent pas aller ensemble. Comment cette idée de différence est-elle venue dans ces petits enfants qui ont à peine onze ans! C’est étrange.

C’est atavique, cela vient du subconscient. Cet instinct est basé, à la fois, sur l’orgueil masculin, l’idée stupide de supériorité, et la peur encore plus stupide basée sur l’idée que la femme est un être dangereux qui vous attire dans le péché. Chez les enfants, tout cela est encore subconscient mais influence leurs actions.

3 juillet 1963


Douce Mère,

Tu as expliqué que cette séparation des filles et des garçons était atavique, mais il reste à Te demander ce que nous devons faire, nous, les capitaines? Personnellement, je pense qu’il vaut mieux fermer les yeux, mais il y en a d’autres qui préfèrent donner des conseils ou même gronder. En fermant les yeux, je pense que l’on donnera moins d’importance au problème et qu’ainsi cette idée de différence entre filles et garçons sera moins frappante. Qu’en penses-Tu ?

On ne peut pas faire de règle générale, tout dépend des cas et des occasions. Les deux méthodes ont du bon et du mauvais, des avantages et des inconvénients. Pour les capitaines, le tout est d’avoir du tact et une perception intérieure suffisante pour intervenir quand il le faut ou fermer les yeux quand il est préférable de ne pas voir.

15 juillet 1963


Ne vaudrait-il pas mieux avoir une discipline fondamentale au lieu d’avoir tant de liberté ici dont nous ne sommes pas capables de profiter?

Tu dis ainsi, mais tu es l’un de ceux qui se révoltent (du moins en pensée) contre le petit peu de discipline qui est exigée quand elle est tout à fait indispensable, comme dans l’éducation physique, par exemple.

21 juillet 1963


Notre professeur, X, nous a fait un discours d’un ton grave et significatif : « Soyez prêts à traverser de rudes épreuves, nous sommes à la veille de quelque chose de très difficile et de dangereux. » Mais il ne s’est pas expliqué.

C’est dommage qu’il n’ait pas expliqué sa pensée, parce que je ne sais pas de quoi il veut parler — probablement, il voulait vous mettre en garde contre votre légèreté d’esprit et votre insouciance, votre négligence et votre laisser-aller.

Vous tous, jeunes gens ici, vous avez eu la vie très facile, et au lieu d’en profiter pour concentrer vos efforts sur le progrès spirituel, vous vous êtes amusés autant que vous avez pu sans faire trop de scandale, et votre vigilance s’est endormie.

C’est sans doute pour la réveiller que X a parlé ainsi.

27 août 1963


Je ne me suis pas bien préparé pour la représentation du 1er décembre et, de plus, je ne me sens pas du tout enthousiaste.

Du moment où l’on a décidé, on a accepté de faire quelque chose, il faut le faire aussi bien qu’on le peut.

En toute chose, on peut trouver l’occasion d’un progrès dans la conscience et dans la maîtrise de soi. Et cet effort de progrès rend immédiatement la chose intéressante, quelle qu’elle soit.

26 septembre 1963 ,


Sri Aurobindo écrit dans l’un de ses Aphorismes (164) : « Ceux qui sont incapables d’observer librement, pleinement et intelligemment la loi qu’ils se sont imposée à eux-mêmes, doivent être assujettis à la volonté des autres. » Mère, je suis l’un de ceux-là. Me prends-Tu pour me discipliner?

Mon enfant, c’est justement ce que j’essaye de faire depuis assez longtemps, spécialement depuis que je reçois ton cahier et que je le corrige.

C’est dans ce but de discipline que je t’avais dit d’écrire une seule phrase par jour; elle n’avait pas besoin d’être longue, mais elle devait être sans fautes — hélas!

Jusqu’à présent, je n’ai guère réussi — tes phrases sont souvent longues et peu claires, les autres sont courtes —, mais toutes ont des fautes et souvent, très souvent, les mêmes fautes de genre, d’accord et de conjugaison ,que je t’ai maintes fois corrigées. ,

C’est à croire que si tu relis ton cahier quand je te le renvoie, tu ne l’étudies pas et n’essayes pas d’en profiter pour faire des progrès. ,

Discipliner sa vie n’est pas une chose aisée, même pour ceux qui sont forts, sévères avec eux-mêmes, courageux et endurants. ,

Mais avant d’essayer de discipliner sa vie tout entière, il faut au moins s’exercer à discipliner une de ses activités, et à persister jusqu’à ce que l’on réussisse. ,

13 octobre 1963 ,


Il semble que l’on T’avait envoyé une liste de livres (classiques anglais) pour Ton approbation. Mais Tu veux que l’on étudie seulement Tes œuvres et celles de Sri Aurobindo. Tu as même fait remarquer que de lire ces vieux classiques, c’était abaisser le niveau de sa conscience.,

Mère, est ce seulement pour ceux qui pratiquent le yoga que Tu conseilles cela ou est ce pour tout le monde?

D’abord ce que l’on a rapporté n’est pas correct. Deuxièmement, le conseil est adapté à chaque cas et ne peut pas être généralisé. ,

12 novembre 1963 ,


Je suis très irrégulier dans mes études, je ne sais pas que faire.

Secoue un peu ton « tamas », autrement tu deviendras comme une souche!

27 décembre 1963


On a souvent peur de faire ce qui est no,uveau : le corps refuse d’agir d’une façon nouvelle, comme d’essayer une nouvelle figure de gymnastique ou un autre type de plongeon. D’où vient cette peur? Comment peu,t-on s’en libérer? Et encore, comment peut-on encourager les autres à faire de même?

Le corps a peur de, tout ce qui est nouveau parce que sa base même est l’inertie, le tamas; c’est le vital qui amène une dom,inante de rajas, activité. C’est pourquoi, généralement, l’intrusion du vital sous forme d’ambition, d’émulation et d’amour-propre, oblige le corps à secouer le tamas et à faire l’effort de progrès nécessaire.

Naturellement, ceux chez qui le mental domine peuvent sermonner leur corps et lui fournir toutes les raisons nécessaires pour qu’il surmonte sa peur.

Le meilleur moyen pour tous est le don de soi au Divin ,et la confiance en Sa Grâce infinie.

13 mai 1964


En attendant que je sois prêt à la discipline spirituelle, ,que dois-je faire, à part aspirer à ce que la Mère me tire de la somnolence et éveille ma conscience psychique?

Pour développer ton intelligence, lis régulièrement et très attentivement l’enseig,nement de Sri Aurobindo. Pour développer et maîtriser ton vital, observe attentivement tes mou,vements et tes réactions avec la volonté de surmonter les désirs, et aspire à trouver ton psychique e,t à t’unir à lui. Physiquement, continue à faire ce que tu fais, développe et contrôle ton corps méthodiquement, rends-toi utile en travaillant au Terrain de Jeux et là où tu travailles en tâchant de le faire d’une façon au,ssi peu égoïste que possible.

Si tu es sincère et scrupuleusement honnête, mon aide est sûrement avec t,oi et un jour tu en deviendras conscient.

22 juillet 1964


Il y a des moments où j’ai envie d’abandonner ,toutes mes activités, comme le Terrain de Jeux, la fanfare, les études etc., et de consacrer tout mon ,temps au travail. Mais ma logique ne l’accepte pas. D’où vient cette idée et pourquoi?

En ceci ta lo,gique a raison. Il y a souvent dans la nature extérieure une tendance tamasique à la simplification des conditions de vie pour éviter l’effort d’organiser des circonstances plus compliquées. Mais lorsqu’on veut progresser dans l’intégralité de l’être, cette simplification est peu recommandable.

19 août 1964


Souvent, quand je lis les œuvres de Sri Aurobindo ou écoute Ses paroles, je m’émerveille : comment cette vérité éternelle, cette beauté d’expression échappe-t-elle aux gens! c’est vraiment étrange qu’Il ne soit pas encore reconnu, au moins comme un créateur suprême, un artiste à la lettre, un poète par excellence! Alors je me dis que mes jugements, mes appréciations sont influencés par ma dévotion pour le Maître — et tout le monde n’est pas dévoué. Je ne crois pas que cela soit vrai. Mais alors, pourquoi les cœurs ne sont-ils pas encore enchantés par Ses Mots?

Qui est-ce qui peut comprendre Sri Aurobindo ? Il est aussi vaste que l’univers et son enseignement n’a pas de limites...

La seule façon de s’approcher un peu de lui est de l’aimer sincèrement et de se donner sans réserve à son œuvre. Chacun, ainsi, fait de son mieux et contribue autant qu’il le peut à cette transformation du monde que Sri Aurobindo a prédite.

2 décembre 1964


Sri Aurobindo a dit quelque part que si l’on se soumet à la Grâce Divine, elle fera tout pour nous. Quelle valeur a donc la tapasyâ ?

Si tu veux savoir ce que Sri Aurobindo a dit sur un sujet donné, il faut, au moins, lire tout ce qu’il a écrit sur ce sujet. Tu verras alors qu’en apparence il a dit les choses les plus contradictoires. Mais lorsqu’on a tout lu, et un peu compris, on s’aperçoit que toutes les contradictions sont des complémentaires qui s’organisent et s’unifient dans une synthèse intégrale.

Voici une autre citation de Sri Aurobindo qui te fera voir que ta question est ignorante. Il y en a beaucoup d’autres que tu pourrais lire avec intérêt et qui assoupliront ton intelligence :

« if there is not a complete surrender, then it is not possible to If there is not a complete surrender, then it is not possible to adopt the baby cat attitude; it becomes mere tamasic passivity calling itself surrender. If a complete surrender is not possible in the beginning, it follows that personal effort is necessary 40. »

16 décembre 1964


Comment augmenter la concentration (single mindedsingle-mindedness) et la force de volonté — elles sont si nécessaires ) et la force de volonté — elles sont si nécessaires pour faire quoi que ce soit. .

Par l’exercice régulier, persévérant, obstiné, inlassable — je veux dire l’exercice de la concentration et de la volonté.

Mère, j’ai commencé à lire des livres français — S. m’en a donné une liste.

C’est bien que tu lises beaucoup de français; cela t’apprendra à écrire.

7 avril 1965


Est ce que l’indifférence et l’absence de curiosité mentales sont une sorte d’inertie mentale?

En général, elles sont le résultat d’une inertie mentale, à moins qu’on n’ait obtenu ce calme et cette indifférence par une sâdhanâ très intense résultant en une égalité parfaite pour laquelle le bon et le mauvais, le plaisant et le déplaisant, n’existent plus. Mais dans ce cas, l’activité mentale est remplacée par une activité intuitive de qualité très supérieure.

25 mai 1966


Comment sortir de cette paresse mentale et de cette inertie?

Le vouloir avec persistance et obstination. Faire chaque jour un exercice mental de lecture, d’organisation et de développement.

Ceci doit alterner dans la journée avec les exercices de silence mental dans la concentration.

1er juin 1966

Conversations




Le 5 avril 1967

(Mère écrit une note.) C’est une réponse à une question. Tu es au courant de ce que j’ai dit aux professeurs de l’école?... On m’a posé une autre question. C’est le début de ma réponse :

« C’est la division entre “vie ordinaire” et “vie spirituelle” qui est une antiquité périmée. »

Tu as lu sa question? Répète-moi la question.

« Nous avons discuté de l’avenir. Il m’a semblé que presque tous les professeurs étaient inquiets de faire quelque chose pour que les enfants deviennent plus conscients de pourquoi ils sont ici. À ce point, j’ai dit qu’à mon avis, de parler de choses spirituelles aux enfants, avait souvent un résultat contraire et ces mots perdaient toute leur valeur. »

Des « choses spirituelles », qu’est-ce qu’il entend par choses spirituelles?

Si les professeurs débitent cela comme une histoire, évidemment...

Les choses spirituelles... On leur apprend l’histoire ou les choses spirituelles, on leur apprend la science ou les choses spirituelles. C’est cela, l’idiotie. Dans l’histoire, il y a l’Esprit; dans la science, il y a l’Esprit — la Vérité est partout. Et ce qu’il faut, c’est de ne pas l’enseigner d’une façon mensongère : l’enseigner d’une façon véritable. Ils ne peuvent pas faire entrer ça dans leur tête.

« J’ai proposé, ajoute-t-il, qu’il serait peut-être mieux de se réunir pour entendre la voix de la Mère (les 341 enregistrements des classes du mercredi et du vendredi 41) car même si l’on ne comprenait pas tout, ta voix ferait son travail intérieur, que nous ne sommes pas à même d’apprécier. Je voudrais savoir à ce sujet quelle est la meilleure façon de mettre l’enfant en rapport avec toi, car toutes les suggestions, y inclus la mienne, m’ont semblé arbitraires et sans valeur réelle. [...]

« Mère, ne vaudrait-il pas mieux que les professeurs se concentrent uniquement sur les sujets qu’ils enseignent, car la vie spirituelle, c’est toi qui t’en occupes? »

Je vais lui répondre cela : il n’y a pas de « vie spirituelle »! C’est encore la vieille idée. Encore la vieille idée du sage, du sannyâsin, du... qui représente la vie spirituelle, et puis tous les autres représentent la vie ordinaire — et ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai du tout.

S’ils ont encore besoin d’une opposition entre deux choses (parce que le malheureux mental ne fonctionne pas quand on ne lui donne pas une opposition), s’ils ont besoin d’une opposition, qu’ils prennent l’opposition entre la Vérité et le Mensonge, c’est un peu mieux (je ne dis pas que ce soit parfait, mais c’est un peu mieux). Et alors, dans toute chose, il y a le Mensonge et la Vérité mélangés, partout; dans la soi-disant « vie spirituelle », chez les sannyâsins, chez les swâmîs, chez ceux qui croient représenter la vie divine sur terre, tout cela, il y a aussi le mélange du Mensonge et de la Vérité.

Il vaudrait mieux ne pas couper.

(silence)

Pour les enfants, à cause même du fait qu’ils sont enfants, le mieux serait de leur inculquer la volonté de conquérir l’avenir; la volonté de regarder toujours en avant et de vouloir avancer aussi rapidement qu’ils peuvent vers... ce qui sera. Mais pas traîner avec eux le fardeau — les boulets — de tout un passé qui alourdit. C’est seulement quand on est déjà très haut dans la conscience et la connaissance, qu’il est bon de regarder en arrière pour trouver les points où cet avenir commence à s’indiquer. Quand on peut regarder tout l’ensemble, quand on a une vision très générale, il y a intérêt à savoir que ce qui se réalisera en avant, a été déjà annoncé en arrière; de la même façon que Sri Aurobindo a dit que la Vie Divine se manifestera sur la terre, parce qu’elle est déjà enfouie dans les profondeurs de la Matière. C’est à ce point de vue-là qu’il est intéressant de regarder en arrière ou de regarder tout en bas — pas pour savoir ce qui s’est passé, ni pour savoir ce que les hommes ont su, c’est tout à fait inutile.

Pour l’enfant, il faudrait lui dire : « Il y a des merveilles qui doivent être manifestées, prépare-toi pour les recevoir. » Alors s’ils veulent quelque chose d’un peu plus concret et d’un peu plus facile à comprendre, on peut leur dire : « Sri Aurobindo est venu annoncer ces choses; quand tu pourras le lire, tu comprendras. » Alors cela éveille l’intérêt et le désir d’apprendre.

Je vois bien la difficulté à laquelle il fait allusion : la plupart des gens (et dans ce que l’on trouve écrit, ou dans les conférences que l’on fait) emploient des mots boursouflés, sans aucune vérité d’expérience propre, qui n’ont aucun effet. Qui ont plutôt un effet négatif. C’est à cela qu’il fait allusion.

Oui. Mais c’est pour cela qu’il faudrait agir comme je l’ai dit.

Ah! mais il n’y a pas encore si longtemps, la majorité des professeurs disaient : « Oh! mais il faut que nous fassions ça, parce qu’on fait ça partout. » Ils ont (souriant) déjà fait un peu de chemin. Mais il en reste encore beaucoup à faire.

Mais surtout, ce qui est tout à fait important, c’est de supprimer ces divisions. Et tous, tous, tous ils l’ont dans l’esprit. La division entre vivre d’une vie spirituelle ou vivre de la vie ordinaire, avoir une conscience spirituelle ou avoir une conscience ordinaire — il n’y a qu’une conscience.

Dans la majorité des gens, elle est aux trois quarts endormie et déformée; dans beaucoup, elle est encore tout à fait déformée. Mais ce qu’il faut tout simplement, ce n’est pas de sauter d’une conscience dans l’autre, c’est d’ouvrir sa conscience (geste vers le haut) et de la remplir des vibrations de Vérité, la mettre en harmonie avec ce qui doit être ici... là, c’est de toute éternité, mais ici, ce qui doit être ici : le demain de la terre. Et si vous vous alourdissez de tout un fardeau que vous devez traîner derrière — tout ce qu’il faut que vous quittiez si vous le traînez après vous —, vous ne pourrez pas avancer très vite.

Note que de savoir les choses du passé de la terre peut être très intéressant et très utile, mais ça ne doit pas être quelque chose qui vous lie ou vous attache en arrière. Si l’on s’en sert comme d’un tremplin, ça va bien. Mais au fond, c’est assez secondaire.

(silence)

Ce serait intéressant de formuler ou d’élaborer une nouvelle méthode d’enseignement pour les enfants; les prendre tout petits. Tout petits, c’est facile. Il faut des gens (oh! il faudrait des professeurs remarquables), d’abord qui aient une documentation suffisante de ce que l’on sait pour pouvoir répondre à toutes les questions; et en même temps, au moins la connaissance, sinon l’expérience (l’expérience serait mieux) de la vraie attitude intellectuelle intuitive, et... naturellement la capacité serait encore préférable, mais en tout cas la connaissance que la vraie manière de savoir, c’est le silence mental — un silence attentif, tourné vers la Conscience plus vraie, et la capacité de recevoir ce qui vient de là. Le mieux serait d’avoir cette capacité; en tout cas, il faudrait expliquer que c’est la vraie chose, une sorte de démonstration, et que ça travaille non seulement au point de vue de ce qui doit être appris, de tout le domaine de la connaissance, mais aussi de tout le domaine de tout ce qui doit être fait : la capacité de recevoir l’indication exacte de comment le faire, et, à mesure que l’on avance, ça se change en une perception très claire de ce qui doit être fait, et une indication précise de quand ça doit être fait. Il faudrait tout au moins que les enfants, dès qu’ils ont la capacité de réfléchir (ça commence à sept ans, mais vers quatorze-quinze ans c’est très clair), il faudrait leur donner des petites indications à sept ans, une complète explication à quatorze ans, de comment faire, et que c’est l’unique moyen de pouvoir être en rapport avec la vérité profonde des choses; et que tout le reste est une approximation mentale plus ou moins maladroite de quelque chose que l’on peut savoir directement.

La conclusion, c’est que les professeurs devraient eux-mêmes avoir au moins un début sincère de discipline et d’expérience; qu’il ne s’agit pas d’accumuler les livres et puis de les redire comme ça. On ne peut pas être professeur comme cela, il n’y a qu’à laisser le dehors être comme cela, si ça lui fait plaisir. Nous, nous ne sommes pas des propagandistes, nous voulons simplement montrer ce qui peut être fait, et essayer de prouver que ça doit être fait.

Quand on a les enfants tout petits, c’est merveilleux. Là, il y a si peu de choses à faire : il suffit d’être.

Ne jamais se tromper.

Ne jamais se fâcher.

Toujours comprendre.

Et comprendre et voir clairement pourquoi il y a eu ce mouvement, pourquoi il y a eu cette impulsion, quelle est la constitution intérieure de l’enfant, quelle est la chose qu’il faut fortifier et mettre en avant. Il n’y a que cela à faire, et puis les Conversations 345 laisser; les laisser libres de s’épanouir, leur donner seulement l’occasion de voir beaucoup de choses, de toucher beaucoup de choses, de faire autant de choses que possible. C’est très amusant. Et surtout, ne pas essayer de leur imposer ce que l’on croit savoir.

Ne jamais gronder. Toujours comprendre, et, si l’enfant est capable, expliquer; s’il n’est pas capable d’une explication (si l’on en est soi-même capable), remplacer la vibration fausse par une vibration vraie. Mais ça... Ça, c’est demander aux professeurs une perfection qu’ils ont rarement.

Mais ce serait très intéressant de faire un programme pour les professeurs et le vrai programme des études, depuis tout en bas — qui est si plastique et qui reçoit les impressions si profondément : si on leur mettait quelques gouttes de vérité quand ils sont tout petits, ça s’épanouirait tout naturellement à mesure que l’être croît. Ce serait du joli travail.

Le 11 novembre 1967

(Conversation de la Mère avec cinq professeurs du Centre d’Éducation)

Alors?

A. — La réponse que tu as donnée à la récente lettre de

B. a été interprétée de deux manières.

Les uns, insistant sur la première phrase qui dit : « Il serait infiniment préférable que la division disparaisse immédiatement », pensent que nous devrions chercher à faire disparaître cette division tout de suite jusque sur le plan pratique, en adoptant une organisation unique pour toute l’école, c’est-à-dire la généralisation des classes actuelles de Libre Progrès, ou un compromis.

Les autres estiment que c’est surtout les différences psychologiques qu’il s’agit de dissiper et que c’est l’esprit de Libre Progrès qu’il faut généraliser d’abord. Se fondant sur la suite de ta réponse, ils conçoivent la nécessité d’un délai de transition pour les classes qui ont suivi jusqu’à maintenant les voies traditionnelles, puis nous aviserions.

Moi, je voudrais d’abord, avant de répondre, savoir exactement, d’une façon tout à fait, tout à fait pratique et matérielle, quelle est la différence.

Voilà ce que je pense : au Libre Progrès, il n’y a pas de classe avec tous les élèves assis, le professeur sur son estrade qui fait son discours tout le temps; ce sont des élèves assis indifféremment, n’est-ce pas, à leur table. Ils font le travail qu’ils veulent faire et le professeur est simplement je ne sais où, ou dans une chambre ou dans un endroit spécial; ils vont le trouver pour lui poser des questions. C’est comme ça que je comprends, tout à fait...

A. — C’est exactement ça, Mère.

Alors, maintenant, pour continuer le vieux système, il faudrait qu’il y ait encore tous les élèves assis en rang, et puis le professeur assis sur son estrade, c’est-à-dire une situation qui est tout à fait ridicule. N’est-ce pas, je me souviens moi-même, quand j’allais au Playgroun Playground [terrain de Jeux], j’étais contente quand j’étais assise et tout le monde autour de moi et on était libre... Mais une table, une estrade, des élèves qui sont cloués sur... Je parle tout à fait matériellement, pas du tout au point de vue psychologique; par conséquent si ça, ça change, ce sera déjà une grande amélioration.

Pas que tous les élèves arrivent, n’est-ce pas, comme ça, presque en rang, et puis s’assoient chacun à sa place, et alors le professeur vient, s’assoit... Alors, quand on est bien élevé, tous les élèves se lèvent (rires), il s’assoit et commence son discours. Les élèves pensent à n’importe quoi, toutes leurs idées sont de tous les côtés, et puis ils écoutent si ça leur fait plaisir. Enfin, c’est du temps perdu, c’est tout. Voilà.

Ça, c’est très, très, très matériel et pratique, cela peut changer tout de suite. Le professeur peut choisir ou un coin ou un endroit, ou une petite chambre, je n’en sais rien, ça m’est égal, mais un endroit où les élèves peuvent venir lui demander un conseil, ou dans la salle ou dans une salle à côté. Lui-même peut être occupé d’une façon intéressante à préparer les réponses qu’il aura à faire à ses élèves, pas à penser à autre chose.

Ça, ça peut être fait tout de suite, hein? Voilà. Maintenant, n’est-ce pas, il n’est pas nécessaire qu’on prenne tous le même titre. C’est là, n’est-ce pas... Il y a dans l’homme une espèce d’esprit de... ah! on peut l’appeler poliment, mais enfin un esprit mouton... Il faut toujours que... qu’il y ait là quelqu’un pour les conduire.

L’élève doit venir à l’école non pas comme on va à un embêtement quotidien parce qu’on ne peut pas l’éviter, mais parce qu’il aurait la possibilité de faire quelque chose d’intéressant. Le professeur ne doit pas être à l’école, venir à l’école avec l’idée qu’il va, pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure, réciter quelque chose qu’il a plus ou moins bien préparé et qui l’embête lui-même, et par conséquent qu’il ne peut pas amuser les élèves, mais essayer d’entrer en contact mental — et si possible plus profond — avec une quantité de petites individualités en formation qui, espérons-le, ont des curiosités, et pour pouvoir satisfaire ces curiosités. Alors lui-même, très modestement, il doit se rendre compte qu’il ne sait pas assez et qu’il faut qu’il apprenne beaucoup; mais pas apprendre dans les livres — essayer de comprendre la vie.

Alors vous avez un autre cadre dans votre travail. Ça, je ne sais pas, n’est-ce pas... vous distribuez des choses aux élèves...

A. — Mère, je te dirai tout à l’heure comment nous allons travailler : c’est une liberté intégrale...

Bon, bon. Alors maintenant, continue. Ta question.

A. — De toute façon, dans notre optique nouvelle et même pour des raisons pratiques, une organisation unique et d’un seul bloc pour plusieurs centaines d’élèves se conçoit difficilement, surtout si l’on veut établir l’atmosphère d’intimité nécessaire à l’épanouissement de l’enfant. Lorsque nous avons évoqué ce problème avec C., nous avions songé à la formation de familles, c’est-à-dire d’ensembles parallèles de cent quatre-vingts à deux cents enfants au grand maximum, ayant certes une organisation inspirée du même idéal et comportant Conversations toutes les facilités que requiert le développement d’un enfant durant le cycle dit secondaire, mais gardant chacun une certaine originalité.

Ces ensembles conserveraient évidemment toutes les possibilités d’échanges et de contacts multiples entre eux, voire même certaines activités occasionnelles communes et de plus en plus fréquentes jusqu’à la fin du secondaire, au moment où une autre organisation intervient, adaptée aux spécialisations de la vie universitaire.

Tout en manifestant sur le plan général une grande unité d’intention, nous garderions ainsi une vivante diversité. Qu’est ce que tu en penses?

D’accord. Ça, ça va. Ça, c’est bien. C’est le principe, hein?

A. — Oui, Mère.

C’est le principe, et maintenant, pour descendre à la pratique, vous avez un certain nombre de salles et tout ça... Comment est-ce que vous allez...?

A. — Alors voilà, Mère, je parle de nos classes, c’est-à-dire de la continuation de ce qui existait, Mère, n’est ce pas?

Bon.

(Ici A. fait un long rapport à Mère au sujet de l’organisation des classes de Libre Progrès.)

C’est bien, c’est bien. Alors qu’est-ce que tu veux donc...? C’est bien. Mais ça peut être généralisé, ça !

A. — Mère, nous avons quelques hésitations parce que, dans les classes traditionnelles, il y a des enfants, évidemment grands, mais qui n’ont pas appris à travailler de cette façon. Alors nous pensions, conformément à ce que tu as écrit, n’est ce pas, dans ta dernière lettre, observer un délai de transition et si, par exemple, comme tu l’as suggéré, au bout de trois mois la situation était favorable à une évolution plus rapide, eh bien, nous changerions.

(à B.) Mais toi, par exemple, qu’est-ce que tu proposes pour remplacer ce que tu faisais?

B. — En principe c’est la même chose que ce que A. a suggéré.

Oui.

B. — La seule différence c’est que, l’après-midi, les professeurs veulent voir les élèves à une heure fixe, comme avant.

À une heure fixe? Les élèves viennent à l’école à une heure fixe, non?

B. — Il y aura l’après-midi trois périodes chaque jour.

Trois périodes?

B. — Trois périodes de quarante ou cinquante minutes.

Ça veut dire qu’on veut garder, l’après-midi, ce qui était avant. Le même principe.

Trois périodes? Voyons...

C. — Trois classes successives, Mère.

L’école ouvre à une heure fixe, n’est-ce pas? Les élèves doivent y être à cette heure-là. Ils ne peuvent pas arriver à n’importe quelle heure.

A. — Oui, Mère.

Parce que Libre Progrès ne veut pas dire indiscipline...

A. — Non, non, ça, c’est entendu.

Il ne faut pas que l’élève arrive une demi-heure en retard sous prétexte qu’il est libre, parce que ce genre de liberté, ce n’est pas de la liberté, c’est tout simplement du dérèglement. Il faut que chacun ait une discipline très stricte pour lui-même. Mais un enfant n’est pas capable de se discipliner, il faut lui donner l’habitude de la discipline. Par conséquent, il faut qu’il se lève à la même heure, qu’il soit prêt à la même heure et qu’il aille à l’école à la même heure. Ça, c’est indispensable; autrement, ça devient un fouillis impossible.

A. — À huit heures moins le quart, Mère.

Bon. Alors l’école, officiellement, ouvre à huit heures.

A. — Huit heures moins le quart.

Non. L’école, le bâtiment ouvre à huit heures moins le quart.

A. — Non, non... Les classes commencent à huit heures moins le quart.

Ah! Elles commencent à huit heures moins le quart. Et elles finissent?

A. — À onze heures et demie.

Onze heures et demie. (à B.) Alors toi, tu dis, l’après-midi, vous voulez...

B. — Ils viendront à l’école à deux heures moins dix.

Deux heures moins dix. Et puis ils s’en vont quand?

B. — À quatre heures.

Quatre heures. À quel moment est-ce qu’il faut qu’ils soient au Playground?

A. — Quatre heures et demie, Mère, quelque chose comme ça.

B. — Quatre heures et demie ou cinq heures.

A. — Quelquefois cinq heures.

Quand ils y vont, ils mangent, on leur donne à manger. C’est à quatre heures et demie. Enfin, c’est possible...

B. — On leur donne à manger, Mère, entre trois heures et demie et quatre heures et demie.

C’est possible, si on est bien réglé. Mais je voudrais comprendre. « Trois périodes » veut dire... le même professeur prend trois groupes différents d’élèves, ou les mêmes élèves vont à trois professeurs différents et le professeur enseigne à chacun particulièrement?

B. — Non, c’est un peu différent, Douce Mère.

Conversations 353 Explique-toi clairement. Vous avez combien d’élèves dans ta classe?

B. — Nous en avons presque cent cinquante.

Cent cinquante! Bon. Alors tes cent cinquante arrivent. Alors qu’est-ce qui se passe?

B. — Là, il y aura pour chaque élève une classe fixe où il est obligé d’aller.

Cent cinquante? Cent cinquante élèves dans une classe! Ce n’est pas possible!

B. — Pas dans une classe. On les divise en classes, pour le français et l’anglais, en niveaux différents.

Ah! Ils ne sont pas tous du même niveau.

B. — De cinq à dix 42.

Oh! Oh! Oh! Et alors, ça fait combien de professeurs pour ces cent cinquante élèves?

B. — Une trentaine de professeurs... presque une trentaine de professeurs.

Une trentaine de professeurs. Bon. Alors, qu’est-ce qui va se passer? Vous avez combien de classes, de salles?

B. — On a presque quinze ou seize salles.

Et alors qu’est-ce qu’on enseigne dans l’après-midi? Voilà : est-ce qu’on enseigne des choses fixes ou est-ce que c’est encore le même genre de travail?

A. — Mère, si tu permets... La différence qui subsistera, c’est que pour nous, n’est ce pas, le progrès est entièrement libre, alors que eux veulent laisser persister dans une certaine mesure des classes fixes comme auparavant.

Des classes fixes?

A. — C’est-à-dire un niveau déterminé, avec un nombre d’élèves déterminé, avec un professeur déterminé.

Ah! Et alors c’est la méthode d’enseigner du professeur qui va changer, mais il enseignera un sujet spécial à des élèves spéciaux...

A. — ... qui seront obligés de venir à ce moment-là.

Oui, oui. Ça, c’est bien. Ça peut aller. Seulement, ça veut dire qu’il faut... Mais qu’est-ce que vous enseignez à ce moment-là ? Les langues?

A. — Essentiellement les langues, oui, Mère.

Ah! c’est seulement pour les langues.

A. — C’est seulement pour les langues.

Ça, je comprends. Et alors il y aura combien de langues pour ces cent cinquante élèves?

B. — En principe trois : anglais, français, et leur langue maternelle.

Ah! mais ça fait beaucoup! Il y a bengali, goujérati, hindi, et puis tamoul, télougou. Ça fait déjà cinq.

B. — Sanskrit!

Ça, ce n’est pas... Ça, tout le monde devrait l’apprendre. Surtout tout le monde qui travaille ici devrait l’apprendre... pas le sanskrit des érudits... Tous, tous, quel que soit leur lieu de naissance.

A. — En principe, Mère, c’est la chose à laquelle nous pensons. L’année prochaine, faire faire du sanskrit à tous les enfants, plus leur langue maternelle.

Oui. Pas le sanskrit sur le plan de l’érudition, mais le sanskrit, un sanskrit... comment dire... qui ouvre la porte à toutes les langues de l’Inde. Je crois que c’est indispensable. L’idéal serait, dans quelques années, que la langue représentative de l’Inde soit un sanskrit rajeuni, c’est-à-dire un sanskrit parlé de façon à ce que... on retrouve le sanskrit derrière toutes les langues de l’Inde, et que ce soit ça. C’était une idée de Sri Aurobindo, quand nous avions parlé de cela. Parce que, n’est-ce pas, maintenant, c’est l’anglais qui est la langue de tout le pays; mais c’est anormal. C’est très bon pour faciliter les relations avec le reste du monde, mais de même que chaque pays a sa propre langue, il faudrait que... Et alors ici, dès que l’on commence à vouloir une langue du pays, tout le monde se met à se disputer. Chacun veut que ce soit la sienne, ce qui est idiot. Mais le sanskrit, personne n’aurait rien à dire, et c’est une langue plus ancienne que les autres et où il y a les sons, n’est-ce pas, les sons-racines de beaucoup de mots.

Ça, c’est une chose que j’ai étudiée avec Sri Aurobindo et qui est évidemment très intéressante. Il y a même de ces racines qui se retrouvent dans toutes les langues du monde, des sons, « root-sounds root-sounds 43», et qui sont dans toutes ces langues. Eh bien, ça, cette chose-là, c’est cela qu’il faudrait apprendre et c’est cela qui devrait être la langue du pays. Et tout enfant qui est né dans l’Inde doit savoir cela, comme tout enfant qui est né en France doit savoir le français. Il ne parle pas bien, il ne le sait pas à fond, mais il faut qu’il sache le français un peu, n’est-ce pas; et dans tous les pays du monde c’est la même chose. Il faut qu’il sache la langue du pays. Et puis, quand il apprend, il apprend autant de langues qu’il veut. Encore maintenant, n’est-ce pas, on se perd en querelles, ce qui est une très mauvaise atmosphère pour construire quelque chose. Mais j’espère qu’un jour viendra où ce sera possible.

Alors je voudrais qu’ici on enseigne un sanskrit simple, aussi simple que possible; mais pas « simplifié » : simple en remontant à son origine, n’est-ce pas... tous ces sons, ces sons qui sont la racine des mots qui se sont formés ensuite. Je ne sais pas si vous avez quelqu’un ici qui pourrait faire cela. En fait, je ne sais pas s’il y a quelqu’un dans l’Inde qui puisse le faire. Sri Aurobindo savait. Mais quelqu’un qui sait le sanskrit peut... Je ne sais pas. Vous avez comme professeur de sanskrit qui? V?

B. — V, W.

W? Mais il n’est jamais ici.

B. — Il revient en février.

Il y a longtemps, il y avait X, aussi.

B. — X... et puis il y a des jeunes professeurs, Y et Z.

Non, il faudrait quelqu’un qui sache un peu bien. J’avais parlé une fois à V. Il m’a dit qu’il préparait une grammaire simplifiée — je ne sais pas ce qu’il a fait — pour une langue qui puisse être universelle pour le pays. Je ne sais pas. Peut-être après tout que c’est V le meilleur.

L’après-midi, alors, qui vous avez comme professeurs? Tu dis une trentaine?

B. — Pour toutes les classes, pour les classes cinq à...

Pour toute l’école?

A. — Le secondaire, Mère.

En dessous, vous ne vous en occupez pas?

A. — Ce sont d’autres groupes de professeurs qui s’en occupent.

Oui, bien entendu. Et vous avez trente professeurs pour à peu près cent cinquante élèves du secondaire. Et alors, ils arrivent sachant quoi? Rien? Dans le Jardin d’enfants, on est censé leur apprendre le français, hein? On leur parle en français. Mais je ne sais pas si c’est strict.

A. — Pas très strict, Mère.

Pas très, hein?

D. — Avant c’était strict; maintenant on parle la plupart du temps en hindi.

Tout petits, tout petits, les enfants ont tendance à s’amuser, n’est-ce pas, ils ont... ce n’est pas cristallisé là-dedans, et ça les amuse beaucoup de savoir les différents noms que les différentes langues donnent à la même chose. Ils ont encore... ou ils n’ont pas encore la fixité mentale. Ils ont encore cette souplesse qui fait qu’on se rend compte que la chose existe en elle-même et que le nom qu’on lui donne est simplement une convention. Et alors pour eux, je pense que c’est comme ça, que le nom qu’on donne est une convention, et alors, n’est-ce pas, il y a beaucoup d’enfants qui s’amusent à dire telle chose, par exemple « oui » ou « non ». Prenez ces mots : « oui » ou « non », le sens d’affirmation ou de négation. En français on dit comme ça, en allemand on dit comme ça, en anglais on dit comme ça, en italien on dit comme ça, en hindi on dit comme ça, en sanskrit on dit comme ça... N’est-ce pas, ça, c’est un jeu très amusant. Si on savait le faire jouer, prendre un objet et puis dire : « Voilà, tu vois, ça, c’est... » Comme ça. Ou un petit chien vivant, ou un petit oiseau vivant, ou un petit arbre vivant, et puis leur dire : « Tu vois, il y a toutes ces langues et... » C’est très vierge là-dedans, ça s’apprend très bien, et très facilement. C’est un jeu très amusant. (à B.) Mais cela ne te concerne pas, toi, tu es déjà de...

Bon. Alors, naturellement, avec vos trente professeurs et vos cent cinquante élèves il faut... Ils vont dans les différentes classes suivant la langue qu’ils veulent apprendre. Ça, c’est assez naturel, cela me paraît même inévitable, parce que ce n’est pas la peine d’avoir tous les professeurs ensemble, qui se mettront à bavarder... Et puis les élèves viendront et ça, ça fera tout un... Non! ça, c’est bien.

Quand on veut savoir le français on entre dans cette classe, on veut savoir l’anglais on entre là, quand...

C. — Ce n’est pas comme ça, Mère.

Et alors?

B. — Ça, c’est le matin que c’est comme ça.

Et alors toi, qu’est-ce que tu enseignes?

B. — Moi, j’enseigne les mathématiques.

Ça n’a rien à faire avec les langues!

B. — Et l’histoire.

Tu enseignes en français les mathématiques? Oui, mais alors là, le problème se complique... Quoi? (rires) Qu’est-ce qu’il y a ? (à B) Qu’est-ce que tu as à me dire?

A. — (à B. qui s’est tourné vers lui) Qu’est ce qu’il faut expliquer?

B. — Ce que nous voulons faire exactement.

C. — Est ce que vous avez aussi des classes orales?

B. — Des classes orales, pas seulement pour les langues, aussi pour les mathématiques et les sciences.

A. — Mère, ils laissent subsister des classes fixes auxquelles les enfants sont obligés d’assister pour les langues, pour les mathématiques et pour les sciences, seulement l’après-midi, le matin étant réservé au travail libre. L’après-midi, ils conservent des classes fixes pour ces trois sujets, tandis que nous, nous n’avons rien...

Langues?

A. — Langues, mathématiques et sciences... et histoire aussi.

Les sciences?

A. — Et les sciences, oui, aussi : sciences naturelles, sciences physiques...

Oui, c’est un monde. Et alors pourquoi?... Qu’est-ce qui reste? La littérature? Et quoi? En dehors de vos sciences qui couvrent tout, il y a la littérature et puis? Les arts? Ça naturellement...

A. — (à B.) C’est pour tous les sujets que vous conservez des choses fixes? (à Mère) Mère, on peut dire pour résumer que dans une certaine mesure, l’après-midi, ils conservent une organisation qui ressemble beaucoup à ce qui existait avant, c’est-à-dire la classe fixe. Mais le matin, le travail est relativement libre.

Là, j’ai une curiosité. Comment est-ce qu’on enseigne une langue? Parce que le professeur qui commence à dire à tout le monde la même chose... et on sort de là, on n’a rien compris!... Ça, une langue, c’est justement la chose qui doit être la plus vivante, la plus vivante! Et pour que ce soit vivant, il faut que les élèves participent. Il ne faut pas qu’ils soient une oreille qui écoute assise sur un banc ! Autrement, on sort de là, on n’a rien appris.

A. — Mère, en ce qui nous concerne, les langues sont organisées de la façon suivante : pour tout le travail écrit, il y a une relation individuelle entre professeur et élève... Pour tout le travail oral, rencontres, etc., nous offrons aux enfants, tous les jours, différentes possibilités auxquelles ils sont libres d’assister... à celle-ci ou à celle-là :

Possibilités?

A. — C’est-à-dire, il y a par exemple le débat, la conversation, avec différents sujets de conversations — il y a des enfants qui préfèrent un sujet scientifique, par exemple, à un sujet d’actualité, etc. Ou il y aura aussi l’improvisation théâtrale, etc. Tout ceci est annoncé la veille ou le jour même aux enfants; ils doivent aller dans une classe, mais ils peuvent choisir où ils veulent aller... et tout ce qui est rédaction, grammaire, etc., tout cela.

Oui, parce que ce sont déjà des enfants qui savent la langue. (à B.) Et toi?

A. — Aussi, aussi... c’est la même chose.

(à A.) Ça, comme ça, ça va bien.

Mais alors (à B.), votre classe de l’après-midi... comment est-ce que vous pensez les faire? Comme ça ? Les élèves assis sur le banc et le professeur qui fait un discours? Dieu! que c’est embêtant! Le professeur s’embête, il est le premier à s’embêter, alors naturellement, son embêtement, il le passe à ses élèves.

N’est-ce pas, il pourrait y avoir une organisation comme ça : prendre un sujet, et le professeur demandant... des questions ici et là, à celui-ci : « Voilà. Qu’est-ce que tu as à dire là-dessus? Qu’est-ce que tu sais là-dessus? » Et comme ça... Et puis, naturellement, si les autres écoutent, ils en profitent. Une espèce d’organisation comme ça, vivante. Pas un discours embêtant, au bout de cinq minutes on s’endort. Poser des questions, ou alors, s’il y a un tableau, faire au tableau une grande question en grandes lettres pour que tout le monde puisse lire, et dire : « Qui est-ce qui peut répondre? » On fait ainsi, et puis alors on interroge, là et là, ceux qui ont demandé à... Et puis alors, quand l’un répond, alors on dit : « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut me compléter ce que celui-là a dit? » Il faut que le professeur soit vivant.

Ça, je comprends — une classe par langue, des groupes séparés, c’est entendu, l’après-midi. Mais pour l’amour du ciel, pas de ça... assis sur un banc et : « Quand est-ce que ça va être fini? » On regarde sa montre... Il n’y a pas un professeur sur cent qui soit assez amusant pour amuser tout le monde. Et d’abord, il est le premier à s’embêter. N’est-ce pas, pour lui, c’est... pas ici, mais dehors, c’est le gagne-pain, n’est-ce pas, alors...

Il faut que vous ayez là vingt, trente élèves, quarante élèves... combien à la fois? Une vingtaine à peu près?

B. — Oui, Mère.

Juste : « Ah! on va s’amuser. Voyons, qu’est-ce qu’on va faire pour pouvoir s’amuser? À quel jeu est-ce qu’on va pouvoir jouer? » Et alors, naturellement, comme ça, on trouve, on invente. Et lui-même [le professeur], il reste vivant parce qu’il est obligé de trouver. Et les élèves sont là, comme ça, à... Quand ils ont un peu d’amour-propre, ils veulent pouvoir dire quelque chose, et ça fait une atmosphère vivante. Cela ne t’amuserait pas plus que de faire... d’apprendre chez toi? Si tu es honnête, tu travailles le soir pour la classe que tu feras le lendemain, tu apprends bien soigneusement, tu prends des notes et tu écris, et... Tu peux préparer un sujet, préparer, n’est-ce pas, voir, pour être prêt à répondre à toutes les questions. Ce n’est pas toujours facile. Mais préparer bien ton sujet, ça, c’est bien, tâcher de recevoir un petit peu de lumière et d’inspiration pendant la nuit, et puis alors, le lendemain, trouver une façon vivante de vivre ce que tu sais. Et pas les élèves et le professeur... non! Un groupe d’êtres vivants dont les uns savent un petit peu plus que les autres, voilà tout.

A. — Mère, maintenant il y a une question, une autre question importante. Tu nous as dit souvent que c’est seulement dans le silence intérieur que l’on trouve la vraie réponse à la question que l’on se pose. Quelle est la meilleure façon de faire découvrir aux enfants comment s’établit ce silence? Est ce ainsi que la conscience se substitue à la connaissance?

(long silence)

N’est-ce pas, justement, dans ce système de classes où tout le monde est assis, le professeur est là et on a un temps déterminé pour faire le travail, ce n’est pas possible. Ce n’est que si on a une liberté absolue que l’on peut faire le silence quand on a besoin d’être silencieux. Mais quand tous les élèves sont en classe et que le professeur est en classe... Quand le professeur va faire le silence en lui, tous les élèves... alors, ce n’est pas possible.

Il peut faire le silence à la maison, la nuit, la veille, pour se préparer pour le lendemain, mais on ne peut pas... Ça ne peut pas être une règle immédiate. Naturellement, quand on est tout au bout de l’échelle et qu’on a l’habitude de garder son mental absolument silencieux, on ne peut pas faire autrement, mais vous n’en êtes pas là, ni les uns, ni les autres. Alors il vaut mieux ne pas en parler. Alors je crois que pendant les... surtout avec ce système-là, les classes d’un temps défini, d’un nombre d’élèves défini, avec un professeur défini, et un sujet défini, il faut être actif pendant qu’on est là.

Il faut que ce soit... Si les élèves veulent pratiquer la méditation, la concentration, essayer d’entrer... c’est pour entrer en contact avec le monde intuitif, c’est pour — au lieu de recevoir une réponse purement mentale qui est comme ça, n’est-ce pas —, pour recevoir une réponse d’en haut qui est un petit peu lumineuse et vivante. Mais ça, il faut prendre l’habitude quand on est chez soi.

Naturellement, celui qui a l’habitude, dans la classe — quand le professeur posera la question, mettra au tableau telle question :

« Qui est-ce qui peut répondre? » — il y a celui-là qui peut faire comme ça (Mère porte les deux mains à son front), recevoir, ah! et puis dire... Mais ça, quand nous en serons là, ce sera un gros progrès.

Autrement on sort du magasin, n’est-ce pas, tout ce que l’on a appris. Ce n’est pas très intéressant, mais enfin cela vous fait de la gymnastique mentale. Et, n’est-ce pas, le système de classe, c’est un système démocratique, hein? C’est parce que... il faut pouvoir en un temps limité, un espace limité, il faut enseigner au plus de gens possible, pour que tout le monde puisse en profiter. C’est tout à fait l’esprit démocratique. Alors cela nécessite, cela nécessite une sorte de... d’égalisation... enfin... on les met tous sur le même plan, ça, c’est lamentable. Mais dans l’état du monde, nous pouvons dire : « C’est encore une chose nécessaire. » Il n’y aurait que les enfants de riches qui pourraient se payer des... Évidemment, ce n’est pas agréable à penser. Non, il y aura un problème des classes primaires pour toute la population... pour Auroville. Et ça, ce sera un problème intéressant : comment préparer les enfants, des enfants pris n’importe où, qui n’ont aucun moyen pour apprendre chez eux, des parents ignorants, aucune possibilité d’avoir les moyens d’apprendre, rien, rien, rien que la matière brute, n’est-ce pas, comme ça — comment leur apprendre à vivre? Ce sera un problème intéressant.

A. — Avec ce que nous avons fait pour l’année prochaine, Mère, nous allons arriver au respect intégral de la personnalité de l’enfant, tu sais. Intégrale, à tout moment, ce sera seulement lui qui comptera, et non pas l’ensemble auquel il appartiendra. Absolument. Et alors, à propos de la question que je te posais maintenant, les conditions de travail le matin, elles sont un peu différentes puisque le travail sera libre. Alors, dans ces conditions, peut-être les enfants pourront-ils...

Oui, là, le travail du matin, le travail comme ils font là, à « Vers la Perfection 44 »... ils peuvent très bien faire ça : rester un moment silencieux, concentrés, taire tout ça, tout ce qui fait du bruit dedans, comme ça, et attendre. Ça, ça, le matin, ils peuvent le faire. Non, je veux dire, c’est quand on a une heure de classe, n’est-ce pas, ou trois quarts d’heure de classe, avec... tous ensemble et puis le professeur... on est obligé de s’occuper. Ce serait amusant que pendant trois quarts d’heure tout le monde reste... (rires)

Il y aurait bien une chose à faire une fois, au moins une fois : mettre un sujet, comme ça, n’est-ce pas, dans le cours des sujets, le mettre et leur dire : « Nous allons rester un quart d’heure silencieux, silencieux ; pas de bruit, personne ne devrait faire du bruit. On restera un quart d’heure silencieux. Tâchez pendant un quart d’heure d’être tout à fait silencieux, immobiles et attentifs, et puis nous verrons après le quart d’heure ce qui va sortir. » On peut réduire à cinq minutes pour commencer, trois minutes, deux minutes, ça ne fait rien, n’est-ce pas. Un quart d’heure, c’est beaucoup, mais faire... essayer ça... voir, n’est-ce pas. Il y en a qui vont commencer à trépigner. Il y a peut-être très peu d’enfants qui savent rester tranquilles; ou alors ils s’endorment — mais ça ne fait rien s’ils s’endorment. On pourrait essayer cela au moins une fois, voir ce que ça donne : « Voyons! Qui répondra à ma question après dix minutes de silence? Et dix minutes, non pas où vous serez en train d’essayer de raccrocher tout ce que vous pouvez savoir mentalement sur le sujet, non, non — dix minutes où vous serez bien comme ça, blancs, immobiles, silencieux, attentifs... attentifs et silencieux. »

Maintenant, si le professeur est un vrai professeur, pendant ces dix minutes, lui, il fait descendre du domaine de l’intuition la connaissance qu’il répand sur sa classe. Et alors, vous faites du travail intéressant, et vous verrez les résultats. Alors le professeur commencera lui-même à faire un peu de progrès. On peut essayer. Essayez, vous verrez bien!

A. — Nous avons essayé, Mère, ça.

N’est-ce pas, ceux qui sont sincères, sincères et très... comment dire... très droits dans leur aspiration, il y a une aide merveilleuse, il y a une conscience absolument vivante, active, n’est-ce pas, qui est prête à... à répondre à tout silence attentif. On pourrait faire en six mois le travail de six ans, mais il faut... n’est-ce pas, il ne faut pas qu’il y ait de prétention, il ne faut pas quelque chose qui essaye d’imiter, il ne faut pas vouloir avoir l’air, il faut, n’est-ce pas... il faut être vraiment, absolument honnête, pur, sincère, conscient que... on n’existe que par ce qui vient d’en haut. Alors... alors... alors on pourrait marcher à pas de géant.

Mais pas le faire quotidiennement, régulièrement, à une heure fixe, parce que cela devient une habitude et un embêtement, n’est-ce pas. Il faut... inattendu! Tout d’un coup, on dit : « Ah! si nous faisions ça... » quand on sent que soi-même on est un petit peu comme ça, un peu prêt. Ça, ce serait très intéressant.

Poser une question, une question aussi intelligente que l’on peut, n’est-ce pas, pas une question dogmatique, une question académique, non, une question un peu vivante. Ce serait intéressant.

(silence)

Vous verrez, à mesure que vous ferez effort pour réaliser, vous découvrirez dans la nature — la nature inférieure, c’est-à-dire le mental inférieur, le vital inférieur, le physique — combien il y Conversations a de prétention, de cabotinage, d’ambition... On peut utiliser n’importe quel... Le besoin de paraître, il faut que tout ça soit éliminé, absolument, radicalement, remplacé par une flamme sincère d’aspiration, d’aspiration vers cette pureté qui fait qu’on ne vit que ce que la suprême Conscience veut de vous, qu’on ne peut que ce qu’Elle veut, qu’on ne fait que ce qu’Elle veut, quand Elle veut. Alors on peut être tout autre... C’est un peu loin sur le chemin, mais on tente de faire ça, toujours, cette purification de tout l’être qui se...

Alors ce n’est plus l’école, les professeurs, les élèves, l’embêtement, c’est... la vie qui essaye de se transformer. Voilà. Ça, c’est l’idéal, il faut aller là.

Tu as encore des questions à me poser?

A. — Mère, est ce que tu voudras bien donner un message aux enfants pour la rentrée, le 16 décembre?

Si ça vient, je le donnerai.

E., donne-moi les fleurs. Il y a un vase qui a des fleurs rouges. Voilà. C’est pour ces deux-là. Voilà.

(à A.) Voilà, ça, c’est pour toi.

(à B.) Et ça, c’est pour toi. Toi, tu as tout un avenir devant toi. Il faut casser les... Tu sais, tu es encore ligoté dans de vieilles habitudes de penser. Tu n’as pas suffisamment profité du fait que tu as vécu ici tout le temps, tu es encore trop comme ça...

Alors maintenant, il faut prendre ça, casser tout, casser tout, casser tout. Ne vivre que par la Lumière qui vient d’en haut. Libérer, libérer ta conscience. C’est important. C’est bien que tu sois venu. Tu es encore très enfermé comme ça, ligoté dans toutes les vieilles habitudes et... Et encore, il y a encore autre chose, il y a encore le poids de l’atavisme et tout ça... C’est pour tout le monde, mais enfin, pour le moment c’est seulement... j’en suis à te libérer. Tu es comme ça encore... comme ça... comme ça... comme ça... tes vieilles habitudes de penser, tes vieilles habitudes d’apprendre, tes vieilles habitudes — pas très vieilles — mais des vieilles habitudes d’enseigner. Alors tout ça : casser! Comme ça... il faut que, quand tu vas en classe, tous les jours, qu’avant d’aller en classe, tu fasses une espèce de prière, une invocation à la Conscience suprême, et que tu Lui demandes de t’aider à amener toute cette masse, cette masse de matière vivante sous Son influence. Alors cela deviendra intéressant, vivant. Voilà.

Au revoir.

Et maintenant, pour D., une rose.

(à D.) Voilà. Tiens, ça, tu vois, c’est plus dynamique, tu ne le verras pas, mais c’est plus dynamique.

Mais les femmes, les femmes, elles sont en principe le pouvoir exécutif. Il ne faut jamais l’oublier. Et pour recevoir l’inspiration, vous pouvez vous appuyer sur une conscience masculine si vous en sentez le besoin. Il y a la Conscience suprême qui est plus sûre, mais enfin, si vous avez besoin d’un intermédiaire... Mais pour exécuter, c’est vous qui avez le pouvoir de le faire dans tous les détails, avec toute la puissance d’organisation. Je suis en train d’inculquer cela à nos députés-femmes — tu sais, il y a des femmes dans le Parlement, et je leur enseigne ça : ne soyez pas soumises aux hommes. C’est vous qui avez le pouvoir d’exécution. Ça fera son effet.

(à A. et B.) Oh! ce n’est pas pour diminuer... (rires) N’est-ce pas, l’inspiration vient... l’exécution est... Voilà.

Alors, je t’ai donné, je t’ai donné... (à E.) toi, je ne t’ai pas donné. Là-bas... !

Voilà. Et ça, c’est pour C.

Voilà, mes enfants. Au revoir.

(à A.) Et quand vous avez besoin de quelque chose, tu peux toujours écrire... Je ne dis pas que je répondrai immédiatement, mais comme ça (Mère porte la main à son front), je réponds immédiatement. Ça, il faut apprendre, hein? Comme ça Conversations (écrire), ça prend du temps. Mais enfin, tout de même, il vaut mieux me tenir au courant.

A. — Oui, Mère.

Au revoir.

Le 8 février 1973

A. — Quelle est la meilleure manière de nous préparer, jusqu’à ce que nous puissions mettre en place de nouvelles structures?

Naturellement, c’est d’élargir et d’éclairer votre conscience — mais comment faire? Votre propre conscience... l’élargir et l’éclairer. Et si vous pouviez trouver, chacun de vous, votre psychique et vous unir à lui, tous les problèmes seraient résolus. L’être psychique, c’est le représentant du Divin dans l’être humain. C’est ça, n’est-ce pas — le Divin n’est pas quelque chose de lointain et d’inaccessible. Le Divin est en vous mais vous n’en êtes pas complètement conscients. Vous avez plutôt... ça agit maintenant comme une influence plutôt que comme une Présence. Il faut que ce soit une Présence consciente, que vous puissiez à tout moment vous demander quel est... comment... comment le Divin voit. C’est comme ça : d’abord comment le Divin voit, et puis comment le Divin veut, et puis comment le Divin fait. Et ce n’est pas s’en aller dans des régions inaccessibles, c’est ici même. Seulement, pour le moment, toutes les vieilles habitudes et l’inconscience générale mettent comme une sorte de couverture qui nous empêche de voir et de sentir. Il faut... il faut lever, il faut soulever ça.

Au fond, il faut devenir des instruments conscients... conscients... conscients du Divin.

D’habitude, ça prend toute une vie, ou quelquefois, pour certains, c’est plusieurs vies. Ici, dans les conditions actuelles, vous pouvez le faire en quelques mois. Pour ceux qui sont... qui ont une aspiration ardente, en quelques mois ils peuvent le faire.

(long silence)

Vous avez senti quelque chose?

Soyez tout à fait sincères. Dites si vous avez senti quelque chose ou si ça n’a fait pour vous aucune différence. Tout à fait sincères. Alors? Personne ne répond? (Mère demande à chaque personne à son tour, et chacune lui fait part de sa réaction.)

B. — Douce Mère, je peux te demander s’il y a eu une descente spéciale?

Il n’y a pas de descente. C’est encore une idée fausse : il n’y a pas de descente. C’est quelque chose qui est toujours là mais que vous ne sentez pas. Il n’y a pas une descente : c’est une idée tout à fait fausse.

Vous savez ce que c’est que la quatrième dimension? Vous savez ce que c’est?

B. — On a parlé de ça...

Vous avez l’expérience?

B. — Non, Douce Mère.

Ah! mais c’est justement l’approche la meilleure de la science moderne : la quatrième dimension. Le Divin, pour nous, c’est la quatrième dimension... à l’intérieur de la quatrième dimension. C’est partout, n’est-ce pas, partout, toujours. Ça ne va pas et vient, c’est là, toujours, partout. C’est nous, notre imbécillité qui empêche de sentir. Il n’y a pas besoin de s’en aller, du tout, du tout, du tout.

Pour être conscient de votre être psychique, il faut une fois être capable de sentir la quatrième dimension, autrement, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est.

Mon Dieu! Il y a soixante-dix ans que je sais ce que c’est, la quatrième... Plus de soixante-dix ans!

(silence)

Indispensable, indispensable! La vie commence avec ça. Autrement on est dans le mensonge, dans un fouillis et dans un désordre et dans une obscurité. Le mental, mental, mental, mental ! Autrement, pour être conscient de votre propre conscience, vous devez la mentaliser. C’est effroyable, c’est effroyable! Voilà.

A. — La nouvelle vie, Mère, n’est pas la suite de l’ancienne, n’est ce pas, c’est un jaillissement du dedans.

Oui, oui...

A. — Il n’y a pas de point commun entre...

Il y a, il y a, mais vous n’en êtes pas conscients. Mais il faut, il faut... C’est le mental qui vous empêche de le sentir. Il faut être, n’est-ce pas... Vous mentalisez tout, tout... Ce que vous appelez conscience, c’est le penser des choses, c’est ça que vous appelez conscience : le penser des choses. Mais ce n’est pas ça du tout, ce n’est pas la conscience. La conscience, elle doit pouvoir être tout à fait lucide et sans mots.

(silence)

Voilà, tout devient lumineux et chaud... FORT ! Et la paix, la vraie paix, qui n’est pas l’inertie et qui n’est pas l’immobilité.

A. — Et Mère, on peut donner ça comme objectif à tous les enfants?

Tous... non, ils n’ont pas tous le même âge, même quand ils ont le même âge physiquement. Il y a des enfants qui... qui sont primaires. Il faudrait, n’est-ce pas... Si vous étiez pleinement conscients de votre psychique, vous sauriez les enfants Conversations qui ont un psychique développé. Il y a des enfants où le psychique est seulement embryonnaire. L’âge du psychique n’est pas le même, il s’en faut de beaucoup. Normalement le psychique met plusieurs vies à se former complètement, et c’est lui qui passe d’un corps dans un autre et c’est pour cela que nous ne sommes pas conscients de nos vies passées : c’est parce que nous ne sommes pas conscients de notre psychique. Mais quelquefois, il y a un moment où le psychique a participé à un événement; il est devenu conscient, et cela fait un souvenir. On a quelquefois... on a quelquefois un souvenir fragmentaire, le souvenir d’une circonstance ou d’un événement, ou d’une pensée ou même d’une action, comme ça : c’est parce que le psychique était conscient.

Qu’est-ce que vous voulez, maintenant je suis près de la centaine, n’est-ce pas, il s’en faut de cinq ans seulement. J’ai commencé l’effort pour devenir consciente à cinq ans, mon petit. Voilà, c’est pour vous dire... Et je continue, et ça continue. Seulement... Naturellement, j’en suis venue à faire le travail pour les cellules du corps, mais il y a longtemps que le travail est commencé.

Ce n’est pas pour vous décourager, mais... c’est pour dire que ça ne se fait pas comme ça !

Le corps... le corps est fait d’une matière qui est encore très lourde, et c’est la matière elle-même qui doit changer pour que le Supramental puisse se manifester.

Voilà.

Le 14 février 1973

(Au sujet d’une question concernant le besoin de continuité dans l’organisation du travail des jeunes enfants, Mère fait la remarque suivante :)

Mais il y a une chose, une chose qui est la difficulté principale : ce sont les parents. Quand les enfants vivent avec leurs parents, moi, je considère que c’est « hopeless 45», parce que les parents veulent que leur enfant soit éduqué comme ils l’étaient eux-mêmes, et qu’ils aient des positions, qu’ils gagnent de l’argent — toutes les choses qui sont contraires à notre aspiration.

Les enfants qui sont avec leurs parents... vraiment, je ne sais pas quoi faire. Les parents ont une si grande influence sur eux que, finalement, ils demandent à s’en aller dans une école ailleurs.

Et ça, n’est-ce pas, de toutes les difficultés, de toutes, la plus grande, c’est ça : l’influence des parents. Et si nous voulons contrecarrer cette influence, les parents commenceront à nous détester et ce sera encore pire qu’avant, parce qu’ils diront des choses désagréables sur nous. Voilà.

Et ça, c’est mon expérience. Sur cent cas, il y en a quatrevingt-dix-neuf où les enfants ont mal tourné à cause des parents.

Ça me paraît indispensable. Il faudrait faire une circulaire dans laquelle on dirait : « Les parents qui veulent que leurs enfants soient éduqués à la manière ordinaire pour apprendre à avoir une situation, à gagner leur vie et avoir de brillantes carrières, il ne faut pas qu’ils les envoient ici. » Voilà. .

Il faudrait... Et ça, c’est très important.

N’est-ce pas, il y en a beaucoup, beaucoup — des parents — qui envoient leurs enfants ici parce que c’est moins cher qu’ailleurs. Voilà. Et ça, c’est pire que tout, pire que tout. Il faudrait... il faudrait... il faut absolument qu’on leur dise : « Si vous voulez que vos enfants soient éduqués pour avoir une brillante carrière, à gagner de l’argent, ne les envoyez pas ici. » Voilà.

A. — Mère, on va faire une circulaire et puis je vais te lire le texte. On va faire quelque chose avec B. et les autres.

Il y avait des enfants qui étaient très bien et très contents. Ils sont allés en vacances chez leurs parents et ils sont revenus complètement changés et abîmés. Et alors, si nous leur disons ça, ce sera encore pire parce que leurs parents leur diront : « Oh! ce sont de méchantes gens, ils vous montent contre nous. » Alors il faut que ce soit... que les parents sachent ça avant qu’ils ne les envoient.

C’est mon expérience de tant, tant, tant d’années, tant d’années! Le danger, ce n’est pas les enfants, ce n’est pas la paresse, ce n’est même pas que les enfants soient révoltés : le danger, le grand danger, c’est les parents.

Il faut que ceux qui envoient leurs enfants le fassent exprès, qu’ils le fassent pour que ce ne soit pas comme c’est ailleurs. Et il y en a beaucoup qui ne viendront pas... Et ceux qui viennent seulement parce que c’est moins cher, eh bien, ils cesseront de les envoyer.

(Au moment du départ du professeur, Mère ajoute :)

Je voudrais... je voudrais que l’attitude de notre école soit connue des gens avant qu’ils n’envoient leurs enfants, parce que ce qui est dommage, c’est que les enfants sont contents et les parents pas; et alors, ça fait des situations ridicules et quelquefois dangereuses. C’est très important, très important!

Le 18 février 1973

A. — Ce soir, je vais te lire une lettre de X. Elle nous a donné une lettre à propos de sa classe. Tu sais que depuis cette année elle travaille avec des petits enfants.

Oh!

A. — Alors voilà ce qu’elle écrit : « Nous voudrions pouvoir donner à chaque enfant la possibilité d’un développement intégral et surtout conserver la spontanéité dans l’envie d’apprendre. » (Suite de la lettre relative aux jeux proposés aux enfants, au matériel préparé et aux différentes activités de groupe. La lettre continue :) « Mais comme toutes les tendances des enfants sont mises en jeu dès qu’on leur offre un cadre suffisamment libre, nous rencontrons plusieurs difficultés, surtout dans le contrôle du bruit et des mouvements. Cela a pris la forme, il y a quelques jours, de la construction d’épées et de pistolets avec le meccano. »

Oh!

A. — (Continuant sa lecture :) « Nous avons essayé de leur donner une pièce à jouer et espérons que cela se calmera après cela. Mais que faire avec ce désir de violence, cette préférence pour des histoires de batailles ou même policières? »

Tu as pour écrire?

A. — Oui.

La violence est nécessaire tant que les hommes sont dominés par leur ego et ses désirs... Ça va ?

A. — Oui, Mère.

Mais la violence ne doit être utilisée que comme moyen de défense si on est attaqué. L’idéal vers lequel l’humanité tend et que nous voulons réaliser, c’est un état de compréhension lumineuse où l’on tient compte des besoins de chacun et de l’harmonie générale.

A. — Oui, Mère.

L’avenir n’aura pas besoin de violence parce qu’il sera gouverné par la Conscience divine, dans laquelle tout s’harmonise et se complète.

Ça suffit?

A. — Oui. Je te relis ce que tu as dit, Mère. (A. relit la note.)

Ça va bien?

A. — Oui, Mère, très bien.

Alors, d’une manière générale, lorsque ces choses interviennent, lorsque les enfants ont ce genre d’activités, elle demandait : « Est ce qu’il faut intervenir, ou attendre que le mouvement diminue et disparaisse? »

Il faudrait... il faudrait interroger les enfants et, sans avoir l’air de rien, leur demander : « Ah! tu as des ennemis? Quels sont ces ennemis? » Tu diras comme ça... Il faudrait les faire parler un peu... C’est parce que, n’est-ce pas, ils voient ça... Il y a une force et une beauté dans l’armée que les enfants sentent Conversations 379 beaucoup. Mais il faut garder ça, n’est-ce pas. Seulement les armées doivent être utilisées non pour attaquer et prendre, mais pour défendre et...

A. — Protéger.

... et protéger. Voilà.

Qu’elle comprenne d’abord bien : pour le moment, nous sommes dans l’état où les armes sont encore nécessaires. Il faut comprendre que c’est un état passager, pas définitif, mais qu’il faut tendre vers cela. Voilà.

La paix — la paix, l’harmonie — doit être le résultat naturel d’un changement de conscience.

A. — Et alors, elle a une seconde question, Mère. Elle dit (je te rappelle qu’elle a des enfants de huit à dix ans), elle dit : « Comme c’est l’âge où l’approche mentale commence à naître chez plusieurs, comment utiliser ce mouvement mental et l’enrichir sans empêcher la spontanéité intérieure? »

Cela dépend tellement des cas et des enfants!

N’est-ce pas, il y a sur l’Inde cette idée de non-violence qui a remplacé la violence matérielle par une violence morale — mais c’est bien pire!

Ça, il faudrait leur faire comprendre... On peut dire cela, expliquer aux enfants que de remplacer la violence physique, la violence matérielle, par une violence morale, n’est pas mieux.

De se coucher devant un train pour l’empêcher de passer est une violence morale qui peut créer plus de désordres que la violence physique. Vous... vous m’entendez?

Mais cela dépend de l’enfant, cela dépend des cas. Il ne faut pas donner de noms, dire ce que celui-ci a dit ou celui-là ; il faut leur faire comprendre les idées et les réactions.

Il faudrait... C’est un bon exemple, ça : il faudrait leur faire comprendre que se coucher devant un train de façon à l’empêcher de passer est une violence autant... même pire que de l’attaquer avec des armes. Vous comprenez, n’est-ce pas, il y aurait beaucoup, beaucoup de choses à dire. Cela dépend des cas.

Moi-même, moi-même, j’ai encouragé beaucoup l’escrime parce que ça donne une habileté, un contrôle de ses mouvements et une discipline dans la violence. J’ai beaucoup encouragé l’escrime un temps, et alors, n’est-ce pas, aussi, j’ai appris à tirer. Je tirais au pistolet, je tirais à la carabine, parce que ça vous donne une stabilité et une habileté et un coup d’œil excellent, et ça vous oblige à rester calme au milieu du danger. Toutes ces choses, je ne vois pas pourquoi... Il ne faut pas être « hopelessly hopelessly non-violent 46 », ça donne des caractères... mous!

Si elle voit des enfants... Qu’est-ce que c’était? Ils faisaient des épées?

A. — Oui, Mère, ils ont fait des épées avec le meccano.

Il fallait en profiter pour leur dire : « Oh! il faut apprendre l’escrime. »

Et un pistolet aussi?

A. — Oui, Mère.

Et leur dire... leur apprendre à tirer... le changer en art, en art et en culture de l’habileté calme et maîtresse de soi. Il ne faut pas du tout... pas du tout pousser des cris... Ça ne va pas du tout, du tout, du tout. Je ne suis pas du tout pour ça. Il faut maîtriser les moyens de défense, et pour ça, il faut les cultiver.

(Ici A. fait allusion au tir à l’arc tel qu’on le pratique dans les Flandres, dans le nord de la France, mais faute d’explications, Mère pense qu’il s’agit du petit arc que l’on peut fabriquer avec un morceau de bois flexible.)

Ils vont s’amuser à tuer des oiseaux...

A. — Mais on n’a pas les facilités ici, Mère, pour le tir, et c’est ça la difficulté.

Ils commenceraient par faire des dégâts. Je ne suis pas beaucoup... Naturellement, s’il y a... Mais quand on a maîtrisé l’idée que cela doit être un moyen de défense, pas autre chose...

Non, nous aurions des accidents. Je ne crois pas que ce soit prudent. Leur apprendre l’escrime et le tir s’ils montrent que ça les intéresse, c’est-à-dire comme ça, comme ce que j’écris à X. Si elle voit un enfant qui fait ça, il ne faut pas... (Mère lève les bras comme l’on fait quand on s’émeut de quelque chose.) Il faut lui dire, il faut savoir lui expliquer : « Ça vous donne le contrôle sur les muscles, ça vous oblige à être fort et tranquille et maître de soi. » C’est l’occasion, au contraire, de leur donner une très bonne leçon. Mais il faut savoir comprendre soimême, et surtout, surtout, leur faire comprendre... leur faire comprendre que la violence morale est aussi mauvaise que la violence physique. Elle peut même être pire; c’est-à-dire, au moins la violence physique, cela vous oblige à devenir fort, maître de soi, tandis que la violence morale... On peut être comme ça (Mère simule une tranquillité apparente) et avoir une terrible « violence morale ».

Le 24 février 1973

A. — Pour ce soir je voudrais te lire une lettre de X, qui fait suite à ce que tu as dit l’autre jour à propos de sa question : « ... Nous avons remarqué qu’il y a chez certains un mouvement vital très fort dès que le geste physique est accompli. Pour d’autres, c’est un simple jeu. Il y en a même un qui marche le long de la véranda en annonçant qu’il sera un soldat dans l’armée de Douce Mère. Est ce que tu as une indication précise à nous donner sur ces cas différents? »

Marche quoi?

A. — Il marche sur la véranda.

Pas sur le bord?

A. — Non, non. Et alors il fait des demi-tours, il fait des garde-à-vous en disant : « Je serai un soldat dans l’armée de Douce Mère. »

C’est très bien ça.

A. — Je continue, Mère?

Oui, oui.

A. — « Pour la violence morale, je ne comprends pas très bien quels peuvent être les éléments dans la nature qui montrent sa possibilité. Est ce que c’est, par exemple, la tendance, chez un enfant, de bouder, de se révolter contre ce qui empêche la fantaisie, ou autre chose? Qu’est ce qu’il faut faire pour changer cela dans la bonne direction afin que cela puisse finalement se transformer? »

Je crois qu’il ne faut pas donner d’importance à ces petits mouvements des enfants, ça les encourage plutôt. Il faut ne pas s’en apercevoir, ne pas avoir l’air d’y attacher d’importance. C’est beaucoup mieux, pour les supprimer, que de leur donner de l’importance. Il ne faut pas... Tous les petits mouvements « d’importance », il faut ne pas y faire attention. Ne pas avoir l’air de même s’en apercevoir, n’est-ce pas, ça leur enlève tout appui moral. Un enfant boude, on ne s’en aperçoit pas. Cela enlève à sa bouderie tout effet. Tu comprends?

A. — Oui, Mère.

Ces petits mouvements des enfants, il ne faut pas leur donner d’importance... surtout pas d’importance.

A. — Parce que s’ils s’aperçoivent qu’on leur donne de l’importance, ils sont tentés de recommencer.

Et naturellement!

N’est-ce pas, les enfants, ils veulent instinctivement attirer l’attention sur eux. C’est comme celui qui fait le soldat sur la terrasse... et des choses comme ça. Il ne faut pas donner d’importance, il faut les laisser. Ne pas les gronder, surtout ne pas les gronder... et ne pas faire attention.

Les enfants, n’est-ce pas, sont des créatures faibles, et alors ils croient que c’est en se mettant de travers qu’ils attirent l’attention sur eux. Il faut qu’ils voient que ça ne réussit pas.

A. — Et il ne faut pas les gronder, n’est ce pas?

Oh! surtout pas! Surtout pas gronder, surtout pas gronder! Le professeur devient aussi vilain que l’élève. Quand il gronde, il donne, il donne l’impression que... he loses his temper 47. C’est-àdire qu’il est sur le même plan que l’élève. Il faut savoir garder le sourire... toujours.

A. — C’est très important.

Très, très, très important.

(B. lit à Mère un paragraphe de La Manifestation Supramentale sur la Terre de Sri Aurobindo :)

« Par essence, le supramental est une conscience-devérité, une conscience à jamais libre de l’Ignorance qui forme la base de notre existence naturelle ou évolutive présente à partir de laquelle la nature en nous s’efforce de parvenir à la connaissance de soi et à la connaissance du monde, à la conscience vraie et à l’utilisation vraie de notre existence en cet univers. Parce que le Supramental est une conscience-de-vérité, cette connaissance est innée en lui et ce pouvoir d’existence vraie est spontanée : sa marche est droite, il peut aller directement à son but, son champ est large et peut même devenir illimité. Car sa nature même est la connaissance; il n’a pas besoin d’acquérir la connaissance : il la possède de plein droit; ses pas ne vont pas de la nescience et de l’ignorance à quelque lumière imparfaite, mais de la vérité à une vérité plus grande, de la perception exacte à une perception plus profonde, d’intuition en intuition, de l’illumination à une clarté totale et sans limite, d’une largeur grandissante à l’immensité absolue et à l’infinitude même. À son sommet, il possède l’omniscience et l’omnipotence divines, mais même dans le mouvement évolutif de sa manifestation graduée qui finalement révélera ses hauteurs suprêmes, il est nécessairement, naturellement et essentiellement exempt de l’ignorance et de l’erreur — son point de départ est la vérité et la lumière; toujours il se meut dans la vérité et dans la lumière. Et de même que sa connaissance est toujours vraie, sa volonté est également toujours vraie — il ne tâtonne pas quand il manie les choses, il ne trébuche pas dans sa marche. Dans le Supramental, les sentiments et les émotions ne se départent point de leur vérité, ne font pas de faux pas ni d’erreur, ne dévient pas du juste et du réel, ne peuvent pas mal user de la beauté et de la félicité ni embrouiller la rectitude divine. Dans le Supramental, les sens ne peuvent pas s’égarer, ni tomber dans les grossièretés qui font ici leur imperfection naturelle et sont la cause de toutes les réprobations, les méfiances et les abus de notre ignorance. Même quand le Supramental énonce incomplètement les choses, c’est encore une vérité qui conduit à une prochaine vérité, même son action incomplète est un stade de l’accomplissement. Dans toute sa vie, dans tous ses actes, ses décisions, le Supramental est naturellement protégé du mensonge et des incertitudes qui sont notre lot — il marche en toute sûreté à sa perfection. Quand la conscience-de-vérité aura, ici-bas, établi ses fondations solides, l’évolution de la vie divine sera comme un progrès dans la félicité, une marche qui va de la lumière à l’Ânanda. » 48 .

C’est très, très, très important. Très important.

All the people who pretend to manifest the Supramental will be quieted down 49.

(silence)

B. — C’est tout pour ce soir, Douce Mère.

C’est bien, ça. Où est-ce que ça va paraître?

B. — Dans un livre que je prépare pour les jeunes.

Ah! C’est si bien... et si important.

Il y a à Auroville des gens qui croient qu’ils sont déjà en train de manifester le Supramental. Et quand on leur dit que non, ils ne vous croient pas. Il faudrait leur faire lire cela. Ça, ça devrait être lu de tout le monde.

A. — Mère, récemment, ils m’ont demandé si je voulais bien venir leur parler de Sri Aurobindo. Je vais profiter de cela pour leur lire ce passage.

Oh! très bien, très bien, très bien. Il faut le lire lentement, qu’ils aient le temps de bien entendre.

Le 26 février 1973

(A. lit à Mère une série de questions auxquelles les professeurs devront répondre.)

A. — Et la dernière question que nous avons, maintenant : « Mère a écrit qu’il ne doit y avoir dans l’esprit de l’enfant aucune différence entre le jeu et le travail, surtout pour les jeunes enfants, pour lesquels c’est l’intérêt qui doit amener la joie d’apprendre. Comment pensez-vous qu’il faudrait que les choses soient pour qu’il n’y ait pas de différence entre le jeu et le travail? Avez-vous des suggestions à faire? »

La chose la plus importante, c’est les parents et leur école... école... aller à l’école. On pourrait très bien ne pas leur dire : « Vous venez à l’école. Vous venez... aujourd’hui nous jouerons à tel jeu... aujourd’hui nous jouerons à tel jeu... » Et comme ça. Mais les parents? Ceux qui sont ici sans leurs parents sont...

A. — Privilégiés.

Oh! tout à fait privilégiés!

(Un peu plus tard, A. demande à Mère si elle n’a pas de questions à poser aux professeurs. Après un long silence, Mère répond en riant :)

Ma tête est « blank 50».

Le 14 mars 1973

B. lit à Mère la lettre d’un professeur qui exprime le désir « de sortir de cette agitation et de quitter l’Éc ole pour cette année ». Puis on explique à Mère les circonstances ayant motivé cette décision.)

Alor s, moi, je ne comprends rien à toutes ces choses. C’est pour moi... Qu’est-ce que A. a à dire là-dessus?

A. — Je ne sais pas que te dire, Mère.

Justement, dis-moi : quel effet ça te fait? Moi, j’ai l’impression qu’un esprit de confusion est entré à l’école et est en train de faire un... Ils veulent dire la même chose et ils emploient des termes différents, et alors les termes s’entrechoquent. Moi, je sais qu’ils ont une aspi ration très semblable, mais chacun parle son langage et alors les langages ne s’accordent pas et ils se di sputent pour rien. Voilà, je crois que ce qu’il y aurait de mieux, c’est que chacun se taise pendant un tem ps. Dis-moi ta solution.

Moi aussi, avec les gens qui sont... qui sont avec moi, je n’avais jamais aucune difficulté, et maintenant, c’est comme si on parlait un langage différent.

A. — Et au lieu d’insister sur ce qui rapproche, on insiste sur ce qui divise, n’est ce pas, alors...

Oui, on insiste là-dessus. Mais pour moi, ça a un curieux effet : ça me donne l’impression que je suis malade. Je n’ai rien. Je me porte bien et ça me donne l’impression, tout le temps, que je suis malade.

A. — C’est une vibration de désharmonie.

Oui, à la vérité, c’est le passage de la conscience mentale ordinaire à la conscience supramentale. La conscience mentale est affolée en présence de la conscience supramentale. J’ai l’impression — je vais te dire, c’est comme ça que ça me vient — qu’à chaque minute on peut mourir tellement la vibration est différente. Et alors, c’est seulement quand je suis très tranquille... l’être, la conscience... la conscience ancienne (qui n’est pas une conscience mentale du tout, mais enfin), l’ancienne conscience va répétant son mantra... il y a un mantra... elle va répétant son mantra. Et alors, ça, c’est comme un arrière-plan, comme un lieu de contact... C’est curieux... Et alors, au-delà, il y a quelque chose qui est plein de lumière et de force, mais qui est tellement nouveau que ça produit presque un affolement. Alors, tu comprends, si la même chose... Moi qui suis... j’ai une vieille expérience, hein? Alors si ça me produit ça à moi, si quelque chose comme ça se produit dans les autres, j’ai l’impression qu’on va tous devenir des fous! Voilà, maintenant fini!

Est-ce que ça correspond à quelque chose?

A. — Oui, Mère.

Alors je crois qu’il faut que nous nous tenions bien tranquilles pour ne pas perdre le...

A. — (Après une brève diversion sur une nouvelle approche possible de la biologie) Mais alors, pour revenir à notre situation, est ce qu’on ne pourrait pas, par exemple, en insistant sur ce qui rapproche et en essayant de réaliser au plus vite ce que tu disais l’autre jour, c’est-à-dire cette fusion des différents éléments... Je suppose que si chacun était préoccupé de savoir comment les différents aspects du travail pourront s’intégrer, eh bien, ils vont oublier ce qui les sépare pour ne penser qu’à ce qui les rapproche.

Oui, oui, mais notre langage... J’allais te dire : « C’est une bonne idée », mais je me suis attrapée par l’oreille au moment où je me le disais. Ce n’est pas une idée, tu comprends, c’est notre langage qui a le... c’est comme une cloche qui est sur lui, une cloche mentale dont il ne veut pas se débarrasser. Vraiment, c’est un moment difficile. Je crois qu’il faudrait être très tranquille, très tranquille, très tranquille. Je vais te dire mon ancien mantra ; celui-là tient l’être extérieur très tranquille :

Ôm namo bhagavaté

Ces trois mots. Pour moi, ils voulaient dire :

Ôm — J’implore le Seigneur Suprême.

Namo — Obéissance à Lui.

Bhagavaté — Rends-moi divin.

C’est une traduction de ça. Je veux dire... Tu as entendu?

A. — Oui, Mère.

Ça, pour moi, ça a le pouvoir de calmer tout.

Troisième partie

Théâtre




Vers L'avenir




Vers L’avenir

Un acte en prose pouvant se jouer dans n’importe quel pays, avec les petits changements de détail dans la mise en scène que les habitudes locales peuvent rendre nécessaires.

PERSONNAGES

ELLE
LE POÈTE
LA VOYANTE
LE PEINTRE
L’AMIE D’ENFANCE


(Lorsque le rideau se lève, Elle et l’Amie d’enfance sont assises côte à côte sur le divan.)

ELLE

Comme tu es gentille d’être venue me voir, après si longtemps... Je pensais que tu m’avais oubliée.

L’AMIE

Certes non, mais j’avais perdu ta trace, et je ne savais plus où te trouver. Et maintenant que je te retrouve, quelle surprise! Toi, mariée... quelle chose étrange, je n’y puis croire.

ELLE

Moi aussi, j’en suis toute étonnée.

L’AMIE

Je le comprends... Avec quelle ironie tu appelais le mariage une coopérative de consommation et de production, je m’en souviens; et aussi du dégoût que tu éprouvais à tout ce qui révélait l’animalité humaine, la bête dans l’homme. De quel ton tu disais : Ne soyons pas des mammifères.

ELLE

Oui, j’ai toujours pris plaisir à me moquer des idées courantes et des conventions sociales. Mais tu me rendras cette justice que je n’ai jamais rien dit contre l’amour vrai, celui qui provient d’une affinité profonde et s’accompagne d’une identité de vues et d’aspirations. J’ai toujours rêvé d’un grand amour partagé qui serait libre de toute activité animale; quelque chose qui puisse reproduire physiquement le grand amour qui est à l’origine des mondes. C’est ce rêve qui est responsable de mon mariage. Mais l’expérience n’a pas été bien heureuse. J’ai beaucoup, très sincèrement, très intensément aimé, mais mon amour n’a pas rencontré la réponse qu’il espérait...

L’AMIE

Pauvre amie...

ELLE

Oh! Ce n’est pas pour me faire plaindre que je te dis cela. Je ne suis pas à plaindre; mon rêve est pratiquement irréalisable dans le monde tel qu’il est. Il faudrait, pour que cela devienne possible, que la nature humaine change tellement! Nous sommes d’ailleurs de très bons camarades, mon mari et moi, ce qui n’empêche pas que nous nous sentions tout à fait isolés, chacun de son côté. L’estime et les concessions réciproques établissent une harmonie qui rend la vie mieux que supportable; mais est-ce là le bonheur?...

L’AMIE

Pour beaucoup peut-être ce serait le bonheur.

ELLE

C’est vrai; mais parfois je sens un tel vide dans ma vie! C’est pour combler ce vide, sans doute, que je me suis donnée toute entière et en toute sincérité à la cause merveilleuse qui m’est si chère : le soulagement de l’humanité souffrante, son éveil à ses capacités et à son but véritable, et sa transformation finale.

L’AMIE

Je vois que quelque chose de grand, de peu commun gouverne ta vie. Mais comme je ne sais pas de quoi il s’agit, cela me paraît assez mystérieux.

ELLE

En effet, je te dois une explication. Il faut que je t’en parle en détail, mais cela prendra du temps. Si j’allais te voir chez toi, qu’en dirais-tu?

L’AMIE

Quelle excellente idée; rien ne pourrait me faire plus plaisir. Et pour quand la visite? Aujourd’hui même, veux-tu?

ELLE

Oui, très volontiers. J’éprouve toujours une joie profonde à faire connaître cet enseignement merveilleux qui guide notre vie et oriente nos volontés. Pour le moment, j’ai à faire quelques petits arrangements afin que mon mari trouve tout prêt lorsqu’il reviendra de sa promenade. Et quand il se sera mis au travail, je pourrai sortir à mon tour et je viendrai te trouver.

L’AMIE

C’est entendu. Alors, au revoir, à bientôt.

(Elle accompagne son amie jusqu’à la porte derrière le tambour. Puis elle revient vers la table à écrire, y range quelques papiers, des livres, et tout ce qu’il faut pour écrire. Elle place quelques fleurs dans un vase sur la table, et jette un coup d’œil à la ronde pour voir si tout est en ordre. À ce moment on entend une clef qui tourne dans la serrure.)

ELLE

Ah! Le voilà. (Le poète entre; allant vers lui affectueusement.) La promenade a-t-elle été agréable?

LE POÈTE

(Distrait.) Oui, merci. (Il dépose son chapeau sur une chaise.) J’ai trouvé la fin de mon poème. Elle est venue pendant que je marchais. Décidément un peu d’activité en plein air facilite l’inspiration. Oui, je pense que ce sera bien comme cela : je termine sur un chant de triomphe, un hymne de victoire, la glorification de l’homme évolué ayant retrouvé, avec la conscience de son origine, la connaissance de tout ce dont il est capable, et le pouvoir de le réaliser; je le décris marchant dans la splendeur heureuse de l’union à la conquête de l’immortalité terrestre. Ce sera beau et vraiment universel, n’est-ce pas? Il est grand temps que l’art ne soit plus une apologie de la laideur et de la défaite... Comme il sera heureux le jour où la poésie, la peinture, la musique exprimeront seulement la beauté, la victoire et la joie, ouvrant ainsi le chemin qui mène vers la réalisation future, vers l’avènement d’un monde où n’existeront plus le mensonge, la souffrance, la laideur et la mort... Mais en attendant, que de misères encore pour les hommes, que de douleurs, que d’angoisses, que d’âpres solitudes, c’est terrible! Et chacun a son fardeau qu’il doit porter coûte que coûte, qu’il le veuille ou non. (Il reste plongé dans ses réflexions.)

ELLE

(S’approchant de lui affectueusement et posant la main sur son bras.) Allons, mets-toi au travail, tu sais que c’est le meilleur remède contre la tristesse. Je vais te laisser à ton inspiration. J’ai promis à mon amie d’aller passer l’après-midi avec elle pour lui faire connaître quelque chose du merveilleux enseignement qui guide notre vie. Sans doute lirons-nous ensemble quelquesunes de ces pages si pleines de vérité profonde. Réfléchir à toutes ces choses est notre grande joie à toutes deux. Voilà qui bouleverserait les idées de bien des hommes, n’est-ce pas? Ils sont persuadés que les femmes ne sont bonnes qu’à parler chiffons... En général ils n’ont pas tout à fait tort, la majorité des femmes sont terriblement frivoles, du moins en apparence; car bien souvent cette légèreté superficielle cache un cœur bien lourd, sert de voile à une vie bien peu satisfaite; les pauvres, j’en connais tant qui sont si à plaindre.

LE POÈTE

Tu as raison, les femmes sont bien à plaindre, presque toutes manquent de la protection nécessaire et sont comme de frêles barques sans port pour se mettre à l’abri de la tempête. Car la plupart ne reçoivent pas l’éducation qui leur apprendrait à se protéger elles-mêmes.

ELLE

C’est vrai; d’ailleurs même chez les plus fortes, il y a dans la femme le besoin profond d’une tendresse protectrice, d’une force pour elle toute-puissante qui se penche vers elle et l’enveloppe de sa douceur réconfortante; c’est cela qu’elle recherche dans l’amour, et lorsqu’elle a le bonheur de le trouver, c’est cela qui lui donne confiance dans la vie et qui ouvre devant elle la porte de tous les espoirs. Sans cela, la vie est pour elle un désert aride qui brûle et dessèche le cœur.

LE POÈTE

Ah! Comme tu dis bien ces choses, tu les dis comme quelqu’un qui les a fortement éprouvées. Je vais en prendre note pour mon prochain livre qui traitera de l’éducation à donner aux femmes. Allons, je me mets au travail.

ELLE

C’est cela, je sors. Au revoir, bon travail. (Elle prend un livre et sort.)

LE POÈTE

(S’installe à sa table et voit tout préparé pour son travail.) Toujours les mêmes attentions affectueuses et gentilles; elle ne se départ jamais de sa prévenance et de sa douceur. Quand je la regarde, il me semble voir une lumière, tant son intelligence et sa bonté rayonnent autour d’elle, se répandant sur tous ceux qui l’entourent et qu’elle guide vers des horizons meilleurs. Je l’admire, j’ai pour elle un profond respect... Mais tout cela n’est pas de l’amour... l’amour! Quel rêve! Deviendra-t-il jamais une réalité? (On entend une mélodie chantée par une voix superbe. Le poète se lève vivement et va à la fenêtre ouverte.) Quelle voix admirable! (Il écoute en silence, jusqu’à ce que la mélodie s’éteigne. Il pousse alors un soupir et s’apprête à retourner à la table, quand un coup est frappé à la porte.) Tiens, qui frappe? (Il va ouvrir la porte, le Peintre entre.)

LE POÈTE

C’est toi! Bonjour, mon vieux. Quel bon vent t’amène?

LE PEINTRE

J’avais à te parler et j’ai rencontré ta femme qui m’a dit que tu étais dans ton sanctuaire, alors, voilà, je suis venu...

LE POÈTE

Tu as très bien fait. Pénètre donc dans ce que tu appelles le « sanctuaire » et parle, ne me fais pas languir. S’agit-il de peinture?

LE PEINTRE

Non, la peinture va bien, mais je t’en parlerai une autre fois. Il s’agit de musique. (Le Poète devient attentif.) Hier, en soirée chez des amis, j’ai entendu chanter une vraie artiste, qui est, paraît-il, ta voisine. (Le poète fait un geste de surprise et d’intérêt.) Tu la connais?

LE POÈTE

Non, mais je l’entends souvent chanter d’ici ; elle a une voix superbe, une voix qui fait vibrer toutes les fibres de mon être; dès la première fois qu’elle a frappé mes oreilles, elle m’a semblé familière, comme l’écho d’un temps très ancien. Depuis près de six mois j’entends cette voix qui forme une sorte d’accompagnement sympathique à mon travail. Bien souvent j’ai désiré faire la connaissance de la personne qui possède un si bel organe.

LE PEINTRE

Voilà qui tombe à merveille. Hier soir j’ai donc été présenté à cette jeune personne qui m’a paru tout à fait gentille. Nous avons pas mal bavardé et au cours de la conversation elle m’a exprimé l’admiration qu’elle éprouve pour tes œuvres poétiques qu’elle semble lire avec ferveur. Elle m’a dit aussi qu’elle est toute seule dans la vie et qu’elle ne peut compter que sur elle-même, que parfois c’est difficile de se tirer d’affaire, etc. Elle rêve de chanter dans des concerts. J’ai de suite pensé à toi et à toutes tes relations. Ta complaisance est bien connue; je lui ai donc offert de te parler d’elle et de te demander si tu peux la présenter à quelques musiciens ou compositeurs en renom. Voilà pourquoi je suis venu.

LE POÈTE

Tu as rudement bien fait. C’est avec le plus grand plaisir que je m’occuperai d’elle. Qu’avez-vous donc décidé tous les deux ?

LE PEINTRE

Il a été entendu que si tu y consentais, j’irais la chercher tout de suite — il n’y a pas loin à aller — et que je te l’amènerais pour que vous fassiez connaissance.

LE POÈTE

C’est parfait. Va donc la chercher, je vous attends. (Le Peintre sort.)

LE POÈTE

(Marchant fiévreusement de long en large.) C’est étrange, étrange... le hasard n’existe pas; tout est l’effet de causes qui échappent simplement à notre contrôle... l’affinité peut beaucoup, qui sait?... Je suis curieux de savoir si l’instrument est aussi beau que le son qu’il donne. Les voilà. (La porte qui n’était que tirée est poussée du dehors.) Oh! Qu’elle est jolie! (La Voyante entre souriante, suivie du Peintre.)

LE PEINTRE

Mademoiselle, je vous présente mon ami le poète bien connu que vous admirez tant.

LE POÈTE

Très heureux, mademoiselle, de faire votre connaissance et de pouvoir vous dire toute l’admiration que j’éprouve pour votre voix si belle, dont vous vous servez avec tant d’art.

LA VOYANTE

Vous êtes très aimable, monsieur, et je vous remercie. Vous m’excuserez, n’est-ce pas, d’être venue sans façon; mais nous sommes si proches voisins. Je vous connaissais déjà avant de vous être présentée. J’avais remarqué que vous vous mettiez souvent à la fenêtre pour m’écouter chanter; et même les premiers temps je n’étais pas contente quand vous m’applaudissiez. Je croyais que vous vous moquiez de moi.

LE POÈTE

Quelle erreur! C’était simplement pour vous exprimer mon admiration et pour vous remercier des joies artistiques que vous me procurez.

LE PEINTRE

Maintenant que j’ai rempli mon office, je vais m’en aller. J’ai rendez-vous avec mon marchand de tableaux. Ah! le bougre! Il veut me faire faire des choses absurdes sous prétexte que c’est le goût du jour... Mais je résiste.

LE POÈTE

Oui, résiste, résiste vaillamment; n’encourage pas cette dégénérescence du goût moderne, cette chute dans le mensonge qui semble s’être répandue dans la conscience de tous nos contemporains, dans tous les domaines de la production humaine.

LE PEINTRE

C’est bon, mon vieux, je pars, animé d’un courage nouveau, en guerre pour la vérité. Au revoir.

LE POÈTE ET LA VOYANTE

Au revoir!

LE POÈTE

(Montrant le divan.) Asseyez-vous, mademoiselle, je vous en prie.

LA VOYANTE

(S’asseyant.) Ainsi vous voulez bien me présenter à quelques personnes et me faire entendre?

LE POÈTE

Certainement. Un de nos plus grands chefs d’orchestre est de mes amis, et avec un talent comme le vôtre, toutes les portes vous seront facilement ouvertes.

LA VOYANTE

Vous me rendrez un si grand service; je vous remercie.

LE POÈTE

Non, non, ne me remerciez pas. (Il vient s’asseoir à côté d’elle.) Si vous saviez toutes les belles joies que vous m’avez procurées... Si vous saviez comme l’harmonie de votre voix chaude faisait un accompagnement agréable à mon travail quotidien. Je vous dois de bonnes et belles heures, allez, et c’est moi qui vous ai de la reconnaissance.

LA VOYANTE

C’est très gentil de me dire tout cela. (Elle regarde autour d’elle, puis se tourne vers le Poète en souriant.) C’est curieux, tout m’est comme familier ici, peut-être pas tant les objets que l’air, l’atmosphère qui enveloppe les choses. Excusez ma hardiesse, mais je me sens pour ainsi dire comme chez moi; il me semble que je suis venue ici depuis toujours. Et j’ai l’impression qu’il va m’arriver toutes sortes de bonheurs maintenant.

LE POÈTE

Je serai le premier à en être heureux.

LA VOYANTE

(Après un petit silence.) Il faut que je vous raconte une chose curieuse. Lorsque, il y a de cela six mois environ, je suis venue m’installer dans cette ville, après la mort de ma mère, dans l’espoir de gagner ma vie, j’avais le choix entre plusieurs petits logements qui avaient tous leurs avantages et leurs inconvénients. Celui que j’ai loué ici dans cette maison ne valait pas mieux que les autres, mais j’ai été entraînée à le prendre par une espèce d’intuition que j’y serais heureuse, que de bons événements m’y attendaient... c’est étrange, n’est-ce pas?

LE POÈTE

(Rêveur.) Étrange, oui, très étrange... (À part.) Est-ce l’affinité... qui sait? (À la Voyante.) Voyez-vous, et c’est curieux aussi, je me suis senti beaucoup plus calme et plus satisfait depuis que j’entends chaque jour votre voix ; et j’avais un très grand désir de vous connaître.

LA VOYANTE

Et moi qui ne connaissais de vous que l’écrivain dont j’admirais immensément le talent et qui osais à peine espérer qu’un jour je vous rencontrerais. Il y a des choses si extraordinaires et mystérieuses dans la vie... mystérieuses peut-être seulement parce qu’on en ignore les causes, autrement tout doit être très simple et naturel. Et tenez, moi aussi en ce moment j’éprouve une sensation de bien-être et de calme, et j’en suis toute fortifiée. J’ai si grand besoin d’être fortifiée, encouragée, si vous saviez... La vie est dure pour une orpheline sans aide et sans protection, obligée de gagner sa subsistance toute seule, et ne connaissant personne pour la soutenir dans la lutte. Mais voilà que je vous ai rencontré, et je sens que maintenant toutes les difficultés vont être aplanies.

LE POÈTE

Soyez sûre que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider; c’est un devoir et un très grand bonheur de se rendre utile à une artiste et à une femme telle que vous.

LA VOYANTE

(Lui prenant la main dans ses mains, d’un mouvement spontané.) Merci. Il semble que nous avons toujours été assis comme cela, l’un à côté de l’autre, et que nous sommes des amis, de vieux amis... N’est-ce pas que nous sommes des amis?

LE POÈTE

(Gravement.) Oui, de tout cœur.

LA VOYANTE

Je me sens si à l’aise ici que j’en oublie toutes les convenances, et tenez, pour mettre le comble à mon incorrection, me voilà prise d’un impérieux besoin de dormir. Je dors si mal chez moi, depuis si longtemps; je me sens inquiète, guettée par des ennemis invisibles qui me veulent du mal. Je n’arrive pas à atteindre le calme qui me permettrait un repos salutaire. Tandis qu’ici, j’ai l’impression que quelque chose de chaud et de fort m’enveloppe comme un manteau vivant, et peu à peu le sommeil me gagne irrésistible...

LE POÈTE

(La regardant avec douceur.) Étendez-vous là, sur les coussins, mettez-vous bien à l’aise, que rien ne vous gêne; et surtout ne pensez pas une minute aux convenances, aux usages, ce sont des entraves sans valeur réelle, que l’homme semble avoir forgées pour le malheur de l’homme.

LA VOYANTE

J’ai grand besoin de dormir, j’ai une douleur persistante dans la tête qui me fait beaucoup souffrir; j’ai tant travaillé pour arriver le plus vite possible à un résultat, et ainsi je me suis terriblement fatigué le cerveau.

LE POÈTE

(Avec empressement.) Voulez-vous me permettre?... Je pense que je pourrai facilement vous soulager. (Il lui passe plusieurs fois la main sur le front; puis laisse sa main sur la tête pendant un moment. La Voyante qui s’est étendue sur les coussins, s’endort avec une expression de joie et de bien-être.)

LA VOYANTE

(À moitié endormie.) Cela va bien maintenant; je n’ai plus mal du tout... et je me sens si heureuse.

LE POÈTE

(Qui achève de l’installer confortablement sur le divan et reste assis à côté d’elle en tenant sa main dans la sienne — à lui-même.)

Pauvre petite, être si jolie et si seule...

LA VOYANTE

(Parlant dans son sommeil.) Oh! comme c’est beau!

LE POÈTE

(Doucement.) Qu’est-ce qui est beau?

LA VOYANTE

(Toujours endormie.) Là tout autour de vous, la lumière violette... C’est comme une améthyste vivante et lumineuse... J’en suis toute entourée aussi; c’est cela qui me fortifie... C’est une protection, une protection sûre... rien de mauvais ne peut plus approcher de moi maintenant. (Avec extase.) Qu’il est beau le violet qui vous entoure!

LE POÈTE

Puisque vous vous trouvez bien, dormez tranquille maintenant et sans rien voir.

LA VOYANTE

(D’une voix lointaine.) Je m’endors, je m’endors. Oh! quel calme, quel bien-être.

LE POÈTE

(La regardant avec tendresse.) Oui, dors enfant, dors du sommeil réparateur; la vie a été dure pour toi et tu as grand besoin de repos. (Après un moment de silence.) À quoi servirait de vouloir me tromper moi-même? Je suis obligé de le constater; de même que sa voix faisait vibrer tout mon être, de même sa présence me remplit d’un bonheur calme et profond. Et voilà Vers l’Avenir 409 qu’elle s’est endormie, sous ma protection, de son premier sommeil conscient. Sa confiance même crée pour moi une responsabilité, une responsabilité qui me serait bien douce. Mais celle que j’ai épousée? Je sais qu’elle est forte et vaillante, je sais que depuis longtemps elle s’est aperçue que je n’avais pour elle que l’affection d’un camarade; elle-même ne peut être satisfaite ainsi; les profondeurs de son amour ne sont pas touchées. Cependant, vis-à-vis d’elle aussi j’ai des responsabilités; comment lui dire que tout mon être est concentré sur une autre? Et pourtant je ne puis dissimuler; le mensonge est le seul mal ; et de plus il serait bien inutile : une femme comme elle ne peut être trompée. Oh! la vie est souvent cruelle!

LA VOYANTE

(Toujours endormie, se retourne et lui met sa main sur les mains.) Je suis heureuse... heureuse... (Elle appuie sa tête sur les genoux du poète dans un geste d’enfant confiant.)

LE POÈTE

Chère petite! Comment faire? (Il la regarde longuement, plongé dans ses réflexions. La Voyante pousse un soupir, s’étire et se réveille.)

LA VOYANTE

(Regardant autour d’elle avec un peu de surprise.) J’ai dormi... comme j’ai bien dormi, jamais de ma vie je n’avais si bien dormi.

LE POÈTE

J’en suis tout heureux.

LA VOYANTE

(Le regardant affectueusement.) Voyez-vous, cette lumière qui vous entourait et qui s’étendait sur moi, était à la fois une nourriture et une protection; c’était si joli et si réconfortant.

Même maintenant que je suis réveillée je la sens autour de moi.

LE POÈTE

Elle reste autour de vous, en effet. Est-ce la première fois que vous voyez ainsi des lumières colorées?

LA VOYANTE

Je me souviens avoir vu tantôt des lumières, tantôt des brumes colorées autour de certaines personnes. Mais je n’en ai jamais vu de si belle que la vôtre et qui me soit aussi profondément sympathique. Souvent même autour des autres, c’est comme un brouillard trouble et malsain. Qu’est-ce donc ?

LE POÈTE

Pour être claire, la réponse devrait être un peu longue, mais je vais essayer de vous l’expliquer de mon mieux en quelques mots. Vous m’arrêterez si je vous ennuie. Nous sommes des êtres composés d’états différents qui sont, comparativement, comme la terre, l’eau, l’air et le feu. Vous suivez?

LA VOYANTE

J’écoute avec intérêt.

LE POÈTE

L’état le moins dense pénètre et traverse le plus dense, comme l’eau s’évapore à travers un vase poreux, avec cette différence qu’il ne s’ensuit aucune perte. Ainsi ce qui est plus subtil en nous forme une sorte d’enveloppe autour de notre corps, et nous appelons cet enveloppement subtil l’aura.

LA VOYANTE

Je comprends, c’est très clair. Mais alors cela peut être très utile de voir ainsi les auras?

LE POÈTE

Vous l’avez deviné; c’est d’une grande utilité. Vous comprendrez facilement que l’aura est le reflet exact de ce que nous avons au-dedans de nous, de nos sentiments et de nos pensées. Si les pensées et les sentiments sont harmonieux et calmes, l’aura sera harmonieuse et calme; si les sentiments sont tumultueux ou les pensées troublées, l’aura exprimera ce tumulte et ce trouble; elle sera semblable à ce brouillard que vous dites avoir vu autour de certaines personnes.

LA VOYANTE

Oui, je saisis; ces auras sont donc des révélatrices...

LE POÈTE

En effet, pour ceux qui voient ces entourages, la tromperie ne peut plus exister; car un homme de mauvaise volonté, par exemple, pourra bien essayer de se faire passer pour un ange de lumière, ce sera en vain : son aura dévoilera que ses pensées et ses buts sont ténébreux.

LA VOYANTE

(Avec admiration.) C’est magnifique! Quelles conséquences cette connaissance pourrait avoir dans le monde! Mais où avez-vous appris de si belles choses? Car je ne pense pas que beaucoup les sachent.

LE POÈTE

Non, surtout dans les temps modernes, à une époque comme la nôtre où seuls comptent le succès et les satisfactions matérielles qu’il donne. Pourtant un nombre toujours croissant de mécontents cherchent à savoir la raison et le but de la vie. Et d’autre part, il y a ceux qui savent et font effort pour aider l’humanité souffrante; ceux-là sont les détenteurs de la connaissance suprême transmise de génération en génération et qui sert de base à une méthode de développement qui a pour but d’éveiller l’homme à la conscience de ce qu’il est vraiment et de ce qu’il peut faire.

LA VOYANTE

Comme il doit être beau cet enseignement! Vous voudrez bien me le dévoiler peu à peu, n’est-ce pas? Car nous nous verrons souvent? Je voudrais tant que nous ne nous quittions plus... Pendant que je dormais, j’ai senti que vous êtes tout pour moi et que je vous appartiens définitivement; j’ai senti aussi que dorénavant votre protection m’envelopperait toujours et moi qui avais si peur, qui me sentais en butte à tant d’ennemis, je suis tranquille, calme et confiante maintenant, car je puis dire à tous ceux qui me veulent du mal : « Je ne vous crains plus, je suis efficacement protégée d’une protection qui ne me manquera jamais. » J’ai raison, n’est-ce pas?

LE POÈTE

Oui, oui, vous avez raison.

LA VOYANTE

Je suis si heureuse de vous avoir enfin rencontré; je vous attendais depuis si longtemps! et vous, êtes-vous heureux ?

LE POÈTE

Oui... Tout à l’heure pendant que vous dormiez, j’ai senti un calme et un bonheur tranquille que je n’avais jamais éprouvés auparavant... (Songeur.) Oui, cela c’est le vrai amour qui est une force; c’est l’union qui permet la réalisation des possibilités... Mais...

LA VOYANTE

Mais quoi? Puisque nous sommes si heureux d’être ensemble, qu’est-ce qui pourrait nous empêcher...?

LE POÈTE

(Se levant vivement.) Ah! Vous ne savez pas! (Il s’arrête en l’apercevant, Elle, qui est dans l’ombre du tambour depuis quelque temps déjà.) Oh! (Elle s’avance souriante et très calme.)

LA VOYANTE

(Bouleversée.) Je ne savais pas que vous étiez marié!

ELLE

(À la Voyante.) Ne soyez pas troublée. (Se tournant vers le Poète.) Ni vous non plus. Oui, j’ai entendu toute la fin de votre conversation. Je rentrais au moment où Mademoiselle allait se réveiller. Je n’ai pas voulu vous déranger et m’apprêtais à me retirer, lorsque j’ai pensé qu’il serait plus utile pour tous que j’entende, et je suis restée. Car j’étais sûre, mon ami, que vous alliez vous trouver dans un cruel embarras. Je connais votre droiture, votre loyauté et je savais que vous seriez douloureusement partagé entre deux routes opposées. Vous savez ce que dit l’enseignement qui est pour nous la vérité : l’amour est le seul lien d’union légitime. L’absence d’amour suffit à rendre non valable une union quelle qu’elle soit. Certes il est des unions sans amour, basées sur l’estime et les concessions réciproques, qui peuvent être tout à fait tolérables, mais j’estime que lorsque l’amour paraît, toute autre chose doit s’effacer. Vous vous souvenez, mon ami, de nos conventions : nous nous sommes promis de nous laisser libres réciproquement dès que l’amour se serait éveillé chez l’un de nous. Voilà pourquoi j’ai écouté, et maintenant je viens vous dire : vous êtes libre, soyez heureux.

LE POÈTE

(Très ému.) Mais toi, toi? Je sais que tu vis toujours au sommet de ta conscience, dans une lumière pure et sereine. Mais la solitude est dure parfois, et les heures peuvent être mornes et tristes.

ELLE

Oh moi, je ne serai pas seule, puisque je vais aller rejoindre ceux grâce à qui nous avons trouvé le chemin, ceux qui détiennent le savoir éternel et qui ont, de loin, guidé nos pas jusqu’à maintenant. Sûrement ils me donneront asile. (Elle se tourne vers la Voyante et la prend par la main.) Venez, ne soyez pas troublée. C’est un droit que les femmes sensitives sincères ont de choisir librement celui qui sera leur protection et leur guide dans la vie; vous avez agi selon la loi naturelle et tout est bien. Nos manières de voir et d’agir vous étonnent peut-être; elles sont nouvelles pour vous et vous n’en connaissez pas les raisons. (Montrant le poète.) Il vous les expliquera. Je vais partir; mais auparavant laissez-moi joindre vos mains. (Elle met la main de la Voyante dans celle du Poète.) Aucune bénédiction ne vaut celle de l’amour; pourtant j’y joins la mienne, sachant qu’elle vous sera douce. Et si vous le voulez bien, j’y ajouterai un avis qui est presque une requête. Ne permettez pas à votre union de servir de prétexte pour la satisfaction d’appétits animaux ou de désirs sensoriels; tout au contraire, faites d’elle un moyen d’entraide réciproque pour vous surmonter vousmêmes, dans une aspiration constante et un effort de progrès vers le perfectionnement de votre être. Que votre association soit à la fois noble et généreuse, noble dans sa qualité, généreuse dans son action. Soyez un exemple dans le monde et montrez à tous ceux de bonne volonté quel est le but véritable de la vie humaine.

LA VOYANTE

(Très émue.) Soyez sûre que nous ferons de notre mieux pour mériter la confiance que vous nous témoignez et pour être dignes de votre estime. Mais j’aimerais entendre de votre bouche que mon entrée dans cette maison et l’événement qui s’en est suivi ne représentent pas pour vous un malheur irréparable.

ELLE

Ne craignez rien. Maintenant je sais d’une façon certaine qu’un seul amour peut satisfaire mon être; c’est l’amour pour le Divin, l’amour divin, car lui seul ne déçoit jamais. Et peutêtre rencontrerai-je un jour les conditions propices et l’aide nécessaire pour que puisse s’accomplir la réalisation suprême, cette transformation, cette divinisation de l’être physique qui changera le monde en un lieu béni, tout fait d’harmonie, de lumière, de paix et de beauté.

(La Voyante de plus en plus émue se tient silencieuse, les mains jointes, comme en prière. Le Poète se penche respectueusement devant Elle, lui prend la main et y pose le front, tandis que le rideau tombe.)

Le Grand Secret




Lettre de la Mère au sujet de

Lettre de la Mère au sujet de

Mon cher André,

Je sais que tu es un homme très occupé et que tu n’as pas beaucoup de loisirs. Pourtant je vais te demander de faire quelque chose pour moi et j’espère qu’il te sera possible de le faire.

Voilà de quoi il s’agit.

Pour le premier décembre je prépare quelque chose qui ne peut être classé sous aucune rubrique théâtrale et qui certainement ne peut pas être appelé une pièce de théâtre, mais ce sera cependant mis sur scène et j’espère que cela ne manquera pas d’intérêt. Je fais parler des hommes ayant eu des vies et des occupations très différentes, et il serait mieux, naturellement, qu’ils ne parlent pas tous le même langage; je veux dire que leur style doit différer. J’ai demandé à plusieurs de se mettre dans la peau d’un personnage ou d’un autre, et de m’écrire ce que, selon eux, ce personnage dirait. Si ensuite il y a quelques retouches à faire, je les ferai.

Je t’envoie, ci-joint, l’introduction qui sera lue avant l’ouverture du rideau; cela te donnera une idée de ce que je veux faire et te fera mieux comprendre ce que je veux dire.

Parmi les personnages, tu verras qu’il y a un industriel, grand brasseur d’affaires. Je ne suis pas très au courant des termes et du langage industriels et j’ai pensé que tu pourrais m’aider à rédiger quelque chose de vraisemblable. L’homme raconte sa vie et je voudrais que ce soit une vie de grand magnat (américain ou autre) du genre Ford, par exemple. Je les fais parler l’un après l’autre, au maximum dix minutes chacun pour raconter leur vie, leurs grands succès qui, à cette heure critique, les laissent sans satisfaction, assoiffés de quelque chose qu’ils ne connaissent pas et ne comprennent pas : je t’envoie en même temps la conclusion du discours de l’industriel telle que je la conçois, mais, naturellement, tu pourrais y apporter tous les changements qui te paraissent nécessaires.

J’ai demandé à Pavitra de rédiger le récit du savant, Nolini s’occupe du littérateur, Pranab a déjà écrit ce que dira l’homme de sport (en anglais, mais je le mettrai en français), j’ai déjà esquissé l’homme d’État, je me charge de l’artiste et naturellement de l’Inconnu, puisque c’est moi qui parlerai à travers lui.

Il restera après à décider quels seront les acteurs; Débou fera l’Inconnu, Hriday l’homme de sport, j’essaye de convaincre Pavitra d’incarner l’homme de science, Manoj fera ou l’artiste ou l’écrivain. Udar va essayer de prendre l’homme d’État — restera l’industriel. Naturellement, l’idéal serait que tu viennes dire ce que tu auras écrit — mais peut-être considéreras-tu cela comme une folie irréalisable... À dire vrai, ceci n’est qu’un ballon d’essai; nous en reparlerons plus tard... j’espère n’avoir rien oublié d’important à te dire. Mais si tu veux plus de détails je te les enverrai.

Le 7 juillet 1954

Le Grand Secret

Six monologues et une conclusion

(Six parmi les hommes les plus célèbres du monde se trouvent réunis par un de ces hasards qui n’en sont pas, sur un canot de sauvetage où ils ont pris refuge lorsqu’a coulé en pleine mer le paquebot qui les emmenait à une conférence mondiale sur le progrès de l’humanité.

Sur le canot se trouve aussi un septième personnage qui semble jeune, ou plutôt ne pas avoir d’âge. Il est vêtu d’un costume qui n’a pas d’époque. Il est assis au gouvernail, immobile et silencieux, mais écoutant attentivement ce que disent les autres qui le traitent comme une quantité négligeable et ne s’occupent pas de lui.

Les personnages sont :

L’Homme d’État

L’Écrivain

Le Savant

L’Artiste

L’Industriel

L’Athlète

L’Inconnu.

L’eau va manquer, les provisions sont épuisées, les souffrances physiques commencent à être intolérables. Pas d’espoir à l’horizon; la mort approche. Pour échapper un peu à la misère actuelle, chacun à son tour raconte sa vie.)

(Le rideau s’ouvre.)


L’HOMME D’ÉTAT

Puisque vous me le demandez, c’est moi qui, le premier, vous dirai ce qu’a été ma vie.

Né d’un père politicien, j’ai été, dès mon enfance, familiarisé avec les questions de gouvernement et les problèmes politiques. Tout cela se discutait librement aux dîners que mes parents donnaient à leurs amis et auxquels j’assistais dès l’âge de douze ans. Les opinions des différents partis politiques n’avaient plus de secrets pour moi, et dans ma petite tête enthousiaste je trouvais déjà une solution facile à toutes les difficultés.

Mes études furent tout naturellement orientées dans ce sens, et je devins un brillant élève des sciences politiques.

Plus tard, quand il fallut passer de la théorie à la pratique, j’ai eu à faire face aux premières difficultés sérieuses, et j’ai commencé à comprendre combien il est presque impossible de mettre ses idées en pratique; il a fallu avoir recours aux compromis et mon grand idéal s’est peu à peu effrité.

J’ai constaté d’ailleurs que le succès ne répond pas vraiment à la valeur personnelle, mais plutôt à la capacité de s’adapter aux circonstances et de plaire. Pour cela, il faut flatter les faiblesses des gens plutôt que d’essayer de corriger leurs imperfections.

Ce qu’a été ma brillante carrière, vous le savez tous sans doute, et je ne m’étendrai pas là-dessus. Mais je désire vous dire que dès que j’ai été premier ministre et que ma position me donnait un réel pouvoir, je me suis souvenu des ambitions humanitaires de ma jeunesse et j’ai tâché d’être guidé par elles. J’ai essayé de ne pas être un homme de parti. J’ai voulu trouver une solution au grand conflit de tendances politiques et sociales qui déchirent le monde et qui, à mes yeux, ont toutes, pourtant, des avantages et des inconvénients. Aucune n’est parfaitement bonne, ni complètement mauvaise, et il faudrait trouver un moyen d’adopter ce qui est bon en chacune et d’en faire un tout harmonieux et pratique. Mais j’ai été incapable de découvrir la formule synthétique qui réconcilierait les contraires, et encore plus incapable de la traduire en actions.

Ainsi, j’ai voulu la paix, la concorde, l’entente entre nations, la collaboration pour le bien de tous, et j’ai été obligé, par une force plus grande que la mienne, à faire la guerre et à triompher par des moyens sans scrupules et des décisions sans charité.

Pourtant, on me considère comme un grand homme d’État; je suis couvert d’honneurs et de louanges, on m’appelle « un ami de l’humanité ».

Mais je sens mon infirmité, et je sais qu’il m’a manqué une connaissance et un pouvoir véritables qui m’auraient permis de mener à bien les beaux espoirs de mon enfance.

Et maintenant que la fin est proche, j’ai l’impression d’avoir fait bien peu, et peut-être même, bien mal, et je franchirai le pas de la mort, triste et déçu.


L’ÉCRIVAIN

Cette beauté et cette vérité toutes palpitantes au cœur des mortels, j’ai voulu d’une plume ailée les rendre captives. La création qui se déroule sous nos yeux, tel un panorama — hommes et créatures, êtres et choses, événements, paysages, et les autres mondes également déployés dans notre conscience à travers nos sentiments et nos perceptions —, forme avec eux tous une toile mystérieuse, un dédale compliqué. Ils m’ont ensorcelé et j’entends leur voix qui me presse de connaître, de comprendre et de saisir, leur voix plus douce et plus irrésistible que la voix même des sirènes égéennes. C’est le chant de cette voix que j’ai voulu prêter à mes paroles.

J’ai voulu dire le mystère des choses, j’ai voulu sans détours faire parler le Sphinx. Ce qui reste caché, ce qui demeure scellé, ce qui depuis les profondeurs secrètes anime les soleils et les étoiles et les cœurs, c’est cela que j’ai voulu dévoiler, livrer à la pleine lumière du jour. Le labeur des choses, terrestres ou supraterrestres, est une pantomime muette et souvent confuse; je lui ai prêté la parole et la conscience. Les mots me semblaient le plus merveilleux des instruments, l’instrument par excellence. Ils ont juste assez de consistance pour incarner et exprimer — ni trop fluides pour être vagues, ni trop compacts pour être opaques. Le mot appartient à deux mondes à la fois. Il est du monde matériel, et peut ainsi donner forme et substance; mais il est suffisamment immatériel pour rester en contact avec les mondes subtils : forces et vibrations, principes, idées. Il peut matérialiser l’immatériel, incarner ce qui est désincarné; mais il peut surtout donner leur sens aux choses, la signification exacte enclose dans les formes.

Dans mes poèmes lyriques, j’ai voulu mettre à nu les grandes nostalgies du cœur, celui de l’homme et de la Nature; j’ai voulu dire ce pour quoi éperdument ils appellent, pourquoi leurs larmes. Sur une plus large toile, j’ai peint en légendes et paraboles les mille facettes de la vie, ses humeurs et ses pulsions, ses rares sagesses, sa commune folie; j’ai donné un accent vibrant et une réalité lourde de sens aux épisodes qui forment l’histoire, l’histoire de la conscience dans l’homme et la Nature. Les tragédies et les comédies de la vie je les ai pétries en drames et il ne m’appartient pas de dire quelle fut votre satisfaction en voyant les formes anciennes répondre si magnifiquement aux besoins et aux exigences du tempérament moderne. En d’inoubliables personnages, j’ai façonné les figures et les caractères des forces vivantes. Mais il existe un instrument plus vaste encore et plus explicite, le roman, qui est peut-être plus agréable à l’esprit scientifique et chercheur de notre âge, car il donne un exemple en même temps qu’il explique. Ainsi, je vous ai raconté la vivante histoire d’individus et de groupements sociaux; j’ai également tenté de vous décrire l’histoire et la vie de l’humanité prise dans son ensemble, cet agrégat massif avec ses mouvements en rond et en spirale, ses ascensions. Mais je savais et je sentais que l’esprit humain ne peut se suffire d’une simple extension ou expansion : la vaste communauté. Aussi vous ai-je donné mon épopée. En vérité, ce fut l’œuvre de toute ma vie. Beaucoup d’entre vous, je dois dire, ne l’ont pas comprise et ne la comprennent pas; un plus grand nombre encore en est resté intimidé; mais tous vous avez senti son frémissement magique. Oui, ce fut une tentative désespérée pour déchirer le voile.

J’ai varié le thème et j’ai varié la manière. J’ai jonglé, comme un homme de science consommé, avec mes propres mots; je savais changer leur structure, comment les transmuer pour ainsi dire, comment les faire messagers d’un sens nouveau, d’un nouvel accent, d’une valeur nouvelle. Je possédais quelque maîtrise de la période cicéronienne, un peu de l’ampleur de Milton, un peu aussi de cette racinienne tendresse. Je n’étais pas incapable de la simplicité d’un Wordsworth à sa belle époque, et la magie shakespearienne ne me fut pas non plus tout à fait étrangère. Le sublime d’un Vâlmîki ou la noblesse de Vyâsa n’étaient point sommets si hauts que je ne les puisse franchir.

Et cependant je n’ai pas atteint mon but. Je ne suis pas satisfait, je reste malheureux. Car ce sont après tout des rêves que j’ai créés, des rêves que j’ai semés aux quatre vents. Je sens que je n’ai pas touché la vraie vérité des choses, ni leur âme de beauté. J’ai effleuré seulement leur surface, caressé la plus extérieure robe dont se pare la Nature, mais son corps lui-même, mais son être véritable s’est dérobé à ma poursuite. C’est un voile arachnéen que j’ai tissé autour des membres de la création, si réelle fût sa semblance, si enchanteur fût-il apparemment. Et les moyens, l’instrument lui-même qu’en un temps j’avais pu croire sans défaut, parfait dans sa nature pour pénétrer et révéler, pour exprimer, pour revêtir de chair, cet instrument m’a déserté. Un grand silence, un pur mutisme m’a finalement semblé plus proche du cœur des choses.

Au milieu de ce flot sans fin, au milieu de ces changeantes myriades, j’étends mes bras impuissants et tel Faust m’écrie : « Où, où te ferai-je captive, ô Nature infinie? » Un autre grand poète fut autrefois comparé à « un ange sans force battant dans le vide en vain ses ailes dorées ». Notre espèce tout entière ne vaut pas mieux.

À la fin de ma vie, je demande, avec l’ignorance d’un enfant : que veut dire tout cela ? Devant quel Dieu nous inclineronsnous pour déposer notre offrande? À quoi ressemble donc la vision de la Shékinah? Pourquoi avoir vécu, pourquoi mourir? Quel est le sens de cette apparition fugitive sur la terre, de tous ces efforts, de toutes ces luttes, de tous ces succès compensés par tant de souffrances? de ces merveilleux espoirs, de ces enthousiasmes triomphants menant vers des abîmes d’inconscience et d’ignorance que rien ne semble pouvoir combler? Et tout cela ayant pour conclusion inévitable une disparition, une dissolution encore plus mystérieuse que l’apparition, quelque chose qui donne l’impression de l’absurde, d’une mauvaise plaisanterie aussi macabre qu’inutile.


LE SAVANT

Contrairement à plusieurs d’entre vous, je ne me suis pas lancé dans la vie avec le but d’améliorer le sort de mes semblables. C’est la connaissance qui m’attirait, non l’action; et c’était la connaissance sous son aspect moderne : la science. Je ne voyais rien de plus beau que de soulever un coin du voile qui nous cache les secrets de la Nature, de comprendre mieux quelques-uns de ses ressorts cachés. Sans doute acceptais-je inconsciemment le postulat que tout accroissement de connaissance impliquait un accroissement de pouvoir et que de toute nouvelle maîtrise de la Nature devait tôt ou tard résulter une amélioration de la condition de l’homme, à la fois de sa condition matérielle et de sa condition morale. Pour moi — comme pour tous les penseurs dont les racines plongent dans le siècle dernier, le siècle de la fondation scientifique —, l’ignorance était le premier de nos maux, sinon le seul, celui qui retient l’humanité dans son essor vers la perfection. Nous admettions sans discussion la perfectibilité indéfinie du genre humain. Le progrès pouvait être plus ou moins rapide; il n’en était pas moins assuré. Du moment que nous en étions arrivés où nous en sommes, c’est que nous pouvions aller plus loin. Et pour nous, connaître davantage, c’était automatiquement savoir davantage, devenir plus sage, plus juste, en un mot devenir meilleur.

Il y a un autre postulat que nous admettions aussi, implicitement; c’est qu’il nous est possible de connaître l’univers tel qu’il est réellement, de saisir objectivement ses lois. Cela paraissait tellement évident que la question ne se posait pas... L’univers et moi, nous existons tous deux, l’un ayant pour fonction de connaître l’autre. Sans doute, je fais partie de l’univers. Mais, dans le processus de connaissance, je m’en détache, je le considère objectivement. J’admets que ce que j’appelle les lois de la Nature existent indépendamment de moi, de mon esprit, qu’elles existent en soi et qu’elles seront les mêmes pour tout autre esprit capable de les percevoir.

Animé par cet idéal de connaissance pure, je me mis au travail. Je choisis les sciences physiques, et, comme domaine particulier, celui de l’atome, la radioactivité, où Becquerel et les Curie avaient tracé une voie royale. C’était l’époque où la radioactivité spontanée commençait à céder la place à la radioactivité artificielle, où le rêve des alchimistes se changeait en réalité. Je travaillai avec les grands physiciens qui ont découvert la fission de l’uranium et j’assistai à la naissance de la bombe atomique... Années de labeur ardu, opiniâtre, exclusif. C’est à cette époque que je conçus l’idée qui devait me conduire à ma première découverte, celle qui nous permet aujourd’hui d’obtenir directement de l’énergie électrique à partir de l’énergie intra-atomique, de l’énergie nucléaire. Comme vous le savez, cette découverte entraîna un bouleversement profond des conditions économiques du monde entier, car elle signifiait l’énergie à bas prix, à la portée de tous. Si cette découverte eut un si grand retentissement, c’est qu’elle libérait l’homme de la malédiction du travail : de l’obligation de gagner son pain à la sueur de son front. Je réalisai donc là le rêve de mon adolescence — une grande découverte — et je m’aperçus en même temps de son importance pour l’humanité, à qui j’avais apporté, sans le chercher spécialement, un bienfait considérable.

J’aurais donc eu lieu d’être pleinement satisfait... Si je l’ai été, c’est peu de temps. Car peu après — je puis vous le dire puisque nous sommes à deux doigts de la mort et qu’elle ensevelira probablement mon secret —, peu après, dis-je, je découvris le moyen de libérer l’énergie atomique, non seulement de l’uranium, du thorium et de quelques autres métaux rares, mais de la plupart des métaux communs, le cuivre et l’aluminium entre autres. Mais alors se posa à moi un problème formidable, sous l’angoisse duquel je défaillis. Devais-je rendre publique ma découverte? À ce jour, personne en dehors de moi ne connaît ce secret.

Vous connaissez tous l’histoire de la bombe atomique, vous savez que celle-ci a fait place à un engin infiniment plus destructeur encore, la bombe à hydrogène. Vous savez aussi, comme moi, que l’humanité chancelle sous le poids des découvertes qui placent entre ses mains une puissance destructrice inégalée. Mais si je révélais maintenant ma nouvelle découverte, si je dévoilais mon secret, je placerais une puissance diabolique entre les mains du premier venu. Et cela sans contrôle, sans restriction... L’uranium, le thorium ont été aisément monopolisés par les gouvernements, en raison de leur rareté relative d’abord, et surtout de la difficulté de leur mise en œuvre dans les piles atomiques. Mais vous imaginez ce qui arriverait si tout criminel, tout détraqué, tout fanatique, pouvait, dans un petit laboratoire de fortune, confectionner un engin capable de faire sauter Paris, Londres ou New-York ! Ne serait-ce pas le coup de grâce assené à l’humanité? Moi aussi, j’ai chancelé sous le poids de ma découverte; j’ai hésité longtemps et je n’ai pu jusqu’à présent parvenir à aucune décision qui satisfasse à la fois ma raison et mon cœur.

Ainsi donc, le premier postulat avec lequel je suis parti, jeune savant, à la recherche des secrets de la Nature, s’est effrité. Si tout accroissement de connaissance confère une puissance accrue, il ne s’ensuit pas du tout que l’humanité s’en trouve automatiquement améliorée. Le progrès scientifique n’implique pas le progrès moral. À changer la nature humaine, la connaissance scientifique et intellectuelle est impuissante. Et pourtant cela devient urgent. Si les convoitises et les passions humaines restent ce qu’elles sont aujourd’hui — à peu de chose près ce qu’elles étaient à l’âge de pierre — l’humanité est vouée à disparaître. Nous sommes arrivés à un point où elle dispose d’une puissance telle qu’à moins d’un changement moral, radical et rapide, elle sera l’instrument de sa propre destruction.

Que reste-t-il du deuxième postulat de mon adolescence? Puis-je au moins avoir la joie de la connaissance pure, être certain que j’ai compris quelque chose aux rouages cachés de la Nature; puis-je espérer jouir de la compréhension des vraies lois qui la gouvernent? Hélas! Je crains bien que, là aussi, mon idéal ait fait faillite... Nous, hommes de science, avons depuis longtemps abandonné l’idée qu’une théorie devait être vraie ou fausse. Nous disons qu’elle est commode, qu’elle s’adapte aux faits et les explique. Quant à savoir si elle est vraie, c’est-à-dire si elle est conforme à la réalité, c’est une autre affaire. Et peutêtre la question n’a-t-elle pas de sens. Il existe sans doute — que dis-je? il existe sûrement — d’autres théories qui expliquent les mêmes faits aussi bien et qui, par conséquent, sont aussi valables que la première... Toutes ces théories, que sont-elles au fond? Des symboles, pas autre chose. Elles sont utiles, sans doute, car elles nous permettent de prévoir; elles nous disent comment les choses se passent, mais non leur raison d’être, leur pourquoi. Elles ne nous introduisent pas dans la réalité. On a constamment l’impression de tourner autour de la réalité, de la vérité, de l’aborder sous différents angles, sous différents points de vue, sans jamais réussir à la découvrir, sans jamais qu’on puisse la saisir, ni qu’elle jaillisse et se révèle.

Et puis, d’un autre côté, dans toutes les mesures que nous faisons et que nous pensions nous révéler quelque chose de l’univers extérieur, nous intervenons nous-mêmes. Par le fait de notre mesure, nous dérangeons, si peu que ce soit, les phénomènes extérieurs et l’aspect du monde s’en trouve modifié. Aussi la connaissance que nous donnent ces mesures n’est-elle pas certaine. Ce que nous pouvons en déduire, c’est un état probable du monde, pas une certitude. Pour les phénomènes à notre échelle, l’incertitude est négligeable; mais il n’en est pas de même pour l’infiniment petit, le monde de l’atome. Et il s’agit ici d’une impuissance essentielle, d’un obstacle que nous ne pouvons jamais espérer vaincre. Il est dû à la nature des choses, non à l’imperfection de nos moyens d’investigation. Si bien que nous ne réussirons jamais à rejeter les verres de couleur à travers lesquels nous observons l’univers. Toutes mes mesures, toutes mes théories me contiennent moi, l’esprit humain, tout autant qu’elles contiennent l’univers. Elles sont subjectives, tout autant qu’objectives. Et peut-être dans le fond, n’ont-elles d’existence que dans mon esprit...

Ayant découvert sur la grève de l’Infini une empreinte, j’ai entrepris de reconstituer l’être qui a laissé sur le sable cette trace. J’y ai enfin réussi. Et il se trouve que cet être, c’est moi-même...

Voilà où j’en suis; voilà où nous en sommes... Et je ne vois pas d’issue...

Après tout, que je n’aie sur le monde que des probabilités, pas de certitudes, laisse peut-être une lueur d’espoir... c’est que le sort de l’humanité ne soit pas définitivement scellé...


L’ARTISTE

Né dans une famille bourgeoise tout à fait respectable qui considérait l’art comme un passe-temps plutôt que comme une carrière, et les artistes comme des gens peu sérieux, aisément enclins à la débauche et ayant un mépris de l’argent très dangereux, j’ai senti, peut-être par esprit de contradiction, un besoin impérieux de faire de la peinture. Toute ma conscience était concentrée dans mes yeux et je m’exprimais plus facilement en croquis qu’en paroles. J’apprenais beaucoup mieux en regardant des images qu’en lisant des livres, et ce que j’avais vu une fois, paysages, figures humaines ou dessins, je ne l’oubliais jamais.

À treize ans, grâce à de grands efforts, j’avais à peu près maîtrisé la technique du dessin, de l’aquarelle, du pastel et de la peinture à l’huile. Alors j’ai eu l’occasion de faire de petits travaux rémunérateurs pour les amis et connaissances de mes parents; et du moment que j’ai gagné de l’argent, la famille a commencé à prendre au sérieux ma vocation. J’en ai profité pour pousser à fond mes études. Quand j’eus l’âge réglementaire, je suis entré à l’École des Beaux-Arts, et presque tout de suite je suis monté en loges. J’ai été l’un des plus jeunes à remporter le Prix de Rome, et ce fut l’occasion d’étudier à fond l’art italien. Plus tard, des bourses de voyage me permirent de voir l’Espagne, la Belgique, la Hollande, l’Angleterre, et d’autres pays encore. Je ne voulais pas être l’homme d’une époque ou d’une école et j’ai étudié l’art de tous les pays, sous toutes ses formes, en Orient aussi bien qu’en Occident.

En même temps, je poussais ma propre production et j’essayais de trouver une formule nouvelle. Alors cela a été le grand succès, la renommée; grands prix dans les expositions, membre des jurys, tableaux figurant dans les principaux musées du monde, engouement des marchands de tableaux ; c’était la fortune, les décorations, les honneurs; on a même prononcé le mot de génie... mais je ne suis pas satisfait. Ma conception du génie est tout autre. Il faudrait créer des formes nouvelles, avec des moyens et des procédés nouveaux, pour exprimer une beauté nouvelle plus haute et plus pure, plus noble et plus vraie. Tant que je me sens encore lié à l’animalité humaine, je ne puis pas me libérer complètement des formes de la Nature matérielle. L’aspiration était là, mais une connaissance ou une vision m’a manqué.

Et maintenant que nous allons mourir, je sens que je n’ai rien produit de ce que je voulais produire, je n’ai rien créé de ce que je voulais créer. Et malgré toute la gloire dont j’ai été comblé, il me semble que je suis un raté!


L’INDUSTRIEL

Puisque nous en sommes aux confidences et qu’au surplus ce que je vais vous dire ne pourra être utilisé ni par les concurrents ni par ceux qui m’en veulent de ma réussite, ou de ce qu’on appelle ainsi, je vais vous raconter ma vie telle que je la vois et non telle qu’elle a été décrite à de fréquentes reprises.

Sur les faits mêmes, on n’a rien dit qui ne soit matériellement exact. Mon père était maréchal-ferrant dans une petite ville de province. C’est lui qui m’a donné le goût de travailler le fer. C’est lui aussi qui m’a fait connaître la joie du travail bien fait, la satisfaction de se donner tout entier à la tâche entreprise. C’est lui qui m’a inculqué le désir de faire toujours mieux, mieux que les autres et mieux qu’avant. Chez lui, le désir du gain n’était pas le mobile principal mais il ne se défendait pas de l’orgueil d’être le premi er dans sa profession et goûtait sans fausse honte les louanges de ses concitoyens.

Quand, au début de ce siècle, le moteur à explosion a fait son apparition, les gamins, dont j’étais, se passionnaient pour les perspectives qu’il ouvrait et la réalisation d’une voiture sans chevaux, d’une automobile comme on commençait à l’appeler, s’offrait alors comme un but digne des plus grands efforts. À vrai dire, les quelques exemplaires qu’on avait déjà vus étaient fort loin de la perfection.

La première voiture, construite de mes mains avec des pièces détachées ramassées à droite et à gauche et qui n’avaient certes jamais été conçues pour le rôle que je leur faisais jouer, m’a donné sans aucun doute la plus grande joie de ma vie. Quand, juché sur un siège bien peu confortable, j’ai parcouru les quelques centaines de mètres qui séparaient l’atelier de mon père de l’hôtel de ville de mon pays natal, rien ne me paraissait plus beau que l’assemblage hétéroclite, brinquebalant et fumant qui faisait fuir les piétons, aboyer les chiens et cabrer les chevaux.

Je passe sur les années qui ont suivi, sur l’hostilité de ceux qui proclamaient que Dieu avait créé le cheval pour tirer les voitures et qu’il était bien assez impie d’avoir déjà fait des chemins de fer sans venir encore lancer ces nouvelles inventions diaboliques sur les routes et dans les villes. Plus nombreux encore étaient ceux qui ne voyaient aucun avenir dans une mécanique capricieuse, tout juste utilisable par des experts ou des fous inconscients. Les quelques esprits aventureux qui m’ont avancé les premiers dollars dont j’ai pu disposer et permis de monter un petit atelier, d’embaucher un ou deux compagnons, d’acheter un peu d’acier, paraissaient perpétuer la foi irraisonnée des premiers chercheurs d’or qui s’élançaient dans un pays hostile et sans ressources pour courir après une fortune aléatoire et fuyante.

Pour ma part, je ne poursuivais pas la fortune, mais la satisfaction de fabriquer une automobile plus facile à conduire et moins coûteuse que celles qui existaient. Je sentais confusément que ce moyen de transport devait être économique, puisque son moteur n’avait à être nourri que lorsqu’il travaillait. Si son prix d’achat pouvait être suffisamment abaissé il semblait évident que de nombreuses personnes l’acquerraient, qui hésitaient devant la dépense permanente que représentait un attelage.

Tout le monde se souvient encore de mon premier modèle construit en série. Haut sur pattes pour pouvoir passer dans les chemins de terre, mécanique robuste acceptant d’être menée rudement par le paysan le plus fruste, il était un peu méprisé par ceux qui concevait encore l’automobile comme un luxe accessible seulement aux plus fortunés. Déjà, pourtant, ce modèle, facile à conduire, presque sans

effort, laissait entrevoir le moment où l’automobile pourrait être mise entre les mains les plus inexpérimentées.

Il fallut cependant attendre la première guerre mondiale pour que l’automobile remporte sa première grande victoire sur le cheval. Ambulance, transports de munitions, tout ce Le Grand Secret qui devait aller vite, ou représentait de gros tonnages, tout cela fut « motorisé ». Mon usine connut une activité prodigieuse, les grandes séries commandées par l’armée permirent de perfectionner mon outillage et de mettre au point des méthodes nouvelles d’usinage et de montage.

La fin de la guerre me trouvait avec un outil bien au point, « tournant rond » comme on dit, mais qui paraissait hors de proportion avec les besoins civils. Mes collaborateurs prirent peur. Ils me pressaient de réduire les cadences de fabrication, de renvoyer une partie du personnel, d’annuler les commandes faites aux fournisseurs et d’attendre quelque temps pour voir à quel niveau s’établirait le flot des commandes. C’était sans doute la sagesse. Mais j’avais une occasion, probablement unique, de produire la voiture la moins chère du monde. Ralentir la production, c’était augmenter le prix de revient. Je décidais donc que le problème consistait à vendre notre production et non à produire ce qu’on voudrait bien nous acheter. En six mois, après une brillante campagne de publicité, la partie était gagnée.

Dès lors, la progression de mon entreprise se fit presque malgré moi. De plus en plus je devais laisser les décisions importantes à mes collaborateurs et me contenter de définir les principes généraux qu’ils devaient suivre. Produire au plus bas prix sans sacrifier la qualité, et sans réduire les salaires ouvriers. Plus précisément, mes ouvriers devaient être les mieux payés du monde. Vendre au plus bas prix pour atteindre toujours de nouvelles couches d’acheteurs. Non seulement la marge de bénéfice devait être réduite au minimum compatible avec l’équilibre de l’entreprise, mais la publicité devait être réglée de manière à amener le volume de ventes désiré, sans grever le prix de revient d’une manière insupportable. Enfin, ne pas hésiter à créer des fabrications de pièces détachées, de demi-produits et même de matières premières, lorsque les fournisseurs normaux cherchaient un profit exagéré.

Comme un être vivant qui se développe, mon entreprise se mit à grandir. Tout ce que j’entreprenais paraissait réussir. C’est ainsi que je suis devenu un personnage presque légendaire, un titan qui a créé un nouveau mode de vie, l’exemple à suivre, et cela à un point tel que mes paroles les plus futiles, mes actes les plus insignifiants sont analysés, décortiqués, reliés à de grands principes et présentés à la foule comme les versets d’un nouvel évangile.

Qu’y a-t-il de réel dans tout ceci? Mon entreprise ne vit que parce qu’elle grandit. Un arrêt dans sa progression lui serait fatal car les frais généraux, qui suivent avec un certain retard l’augmentation de la production, auraient tôt fait d’absorber une marge bénéficiaire très faible en pourcentage du chiffre d’affaires. Du fait que sa croissance est devenue trop rapide, mon entreprise ressemble maintenant davantage à un ballon de baudruche qui se gonfle qu’à un corps vivant dont le développement harmonieux tend vers un état de maturité stable. Ainsi, certains ateliers n’arrivent à suivre le rythme général qu’en imposant aux ouvriers une cadence de travail qui les ravale à la condition des anciens galériens. Si, par une amélioration de l’outillage, la situation se rétablit en un point, le défaut se retrouve ailleurs. Je me sens désarmé devant cet état de choses parce que l’enrayage de toute la mécanique entraînerait encore plus de misère.

Et qu’ai-je apporté à l’humanité? Les hommes se déplacent plus facilement. Se comprennent-ils mieux les uns les autres? Suivant mon exemple, toutes sortes d’appareils destinés à rendre la vie plus facile ont été produits en grande série, à des conditions qui les mettent à la portée d’un nombre de plus en plus grand d’acheteurs. Dans quelle mesure cela ne se bornet-il pas à créer de nouveaux besoins qui, pour être satisfaits, augmentent chez l’homme l’âpreté au gain? Mes ouvriers sont bien payés, mais il semble que j’aie seulement réussi à éveiller chez eux le désir de gagner toujours davantage, et surtout plus Le Grand Secret que ceux des autres usines. Je les sens insatisfaits, malheureux pour tout dire. Contrairement à ce que j’espérais, l’élévation de leur niveau matériel de vie, la sécurité qui leur est assurée, ne les ont pas amenés à développer leur personnalité humaine. En fait, la masse de la souffrance humaine est restée pratiquement la même, formidable et, semble-t-il, incurable, par les moyens que j’ai employés. Il y a quelque chose d’essentiellement faux qui échappe à mon action et même à ma compréhension. J’ai l’impression d’un secret à découvrir; car sans cette découverte tous nos efforts restent vains.


L’ATHLÈTE

Je suis né dans une famille d’athlètes. Mon père et ma mère se distinguaient brillamment dans toutes sortes de jeux, de sports et d’exercices physiques. Ma mère s’était spécialisée dans la nage, le plongeon, le tir à l’arc, l’escrime et la danse. Elle était bien connue pour son adresse dans ces exercices; elle remporta aussi de nombreux championnats locaux.

Mon père était un type formidable. Tout lui réussissait. Encore étudiant, c’était un joueur renommé au football, basketball et tennis. Il était déjà le meilleur de notre région à la boxe et dans le cross-country. Puis, plus tard, il entra dans un cirque et se rendit célèbre au trapèze volant et dans ses performances d’écuyer. Mais sa spécialité restait la lutte et le culturisme. Il se fit une grande réputation dans ces domaines.

Naturellement, ces conditions étaient idéales pour naître et pour grandir dans une solide bonne santé. J’héritai sans effort de toutes ces qualités physiques que mes parents avaient acquises à force d’ardeur et d’entraînement dans les divers exercices athlétiques. De plus, mes parents espéraient réaliser leur rêve à travers moi ; ils voulaient que je sois un grand athlète plein de succès. C’est ainsi qu’ils m’élevèrent avec soin, me consacrant tout leur savoir et leur expérience pour me donner santé, force, vigueur et vitalité. Ils n’épargnèrent rien pour m’aider à réaliser ce but. Dès ma plus tendre enfance, ils firent tout ce qui est matériellement possible pour réunir les meilleures conditions d’hygiène et de santé. Par la suite, au moyen d’exercices physiques soigneusement combinés, ils développèrent graduellement dans mon corps, symétrie, proportion, grâce, rythme et harmonie. Puis ils entretinrent mon agilité, un esprit audacieux, la vivacité, l’exactitude et la coordination ; finalement, on m’entraîna à acquérir la force et l’endurance.

Je fus mis en pension. Naturellement, c’était le programme d’éducation physique qui m’intéressait le plus. En quelques années, je pris place parmi les bons athlètes de mon école. Puis vint mon premier succès lorsque je gagnai le championnat interscolaire de boxe. Grande fut la joie et la fierté de mes parents lorsqu’ils virent leur rêve en voie de se réaliser! Ce succès m’encouragea fortement et je pris dès lors la ferme résolution de faire les plus durs efforts pour maîtriser la technique de toutes les branches de l’éducation physique et les pratiquer avec talent. J’étais persuadé que par un large entraînement physique il était possible de réussir brillamment et d’acquérir la maîtrise d’un sport, ou même de plusieurs. C’est dans cet esprit que je prenais part à toutes les compétitions sportives qui se présentaient à moi. Année après année, je fus régulièrement le vainqueur de grands championnats de lutte, de boxe, de poids et haltères, culturisme, natation, des épreuves d’athlétisme, de tennis, de gymnastique et bien d’autres sports encore.

J’atteignis alors mes dix-huit ans. Je voulais prendre part au championnat de jeux nationaux. Comme partisan du développement physique intégral, je choisis le décathlon au championnat national. C’est la plus dure de toutes les épreuves; elle exige une vitesse, une force, une endurance et une coordination à toute épreuve, et bien d’autres qualités encore. Je me mis à l’entraînement et, après six mois d’un rude travail, j’enlevai facilement le championnat, laissant le second loin derrière moi.

Évidemment, mon succès décida les organisateurs d’éducation physique à m’envoyer aux jeux olympiques mondiaux. On m’offrit de représenter mon pays dans l’épreuve du décathlon, aux Olympiades qui devaient avoir lieu dans les deux ans. Ce n’est pas une plaisanterie de disputer les championnats mondiaux où la crème des meilleurs athlètes s’affronte à travers le monde! Il n’y avait pas de temps à perdre.

Je me mis donc à l’entraînement sous la direction de mon père et le regard vigilant de ma mère. J’ai dû fournir un dur travail. Parfois, le progrès semblait impossible, tout paraissait si difficile. Mais je poursuivais mon effort jour après jour, mois après mois, quand vint finalement la date des jeux olympiques mondiaux.

Je ne voudrais pas me vanter, mais je réussis au-delà de toute espérance. Non seulement je remportai le titre de champion du monde dans l’épreuve du décathlon, mais le nombre de points que j’avais marqué n’avait jamais été atteint auparavant et ne devait jamais être répété. Personne ne croyait que c’était possible. Pourtant les choses se sont bien passées comme ça et je réalisai ainsi mes plus hautes ambitions et celles de mes parents.

Mais quelque chose d’étrange m’arriva. Bien qu’au faîte du succès et de la gloire, je remarquai en moi une sorte de tristesse, une sorte de vide qui lentement m’envahissait; comme si quelqu’un répétait en moi : « Il te manque quelque chose. Il y a quelque chose à trouver. Quelque chose doit être réalisé en toi. » Cette voix semblait dire : « Ton habileté physique, tes dons, ton énergie, pourraient servir peut-être un plus grand dessein. » Mais je n’avais pas la moindre idée de ce que ça pourrait être. Puis cet état d’esprit lentement s’effaça. Par la suite, je participai à de nombreuses et importantes compétitions et m’en tirai toujours très bien. Cependant, je remarquai que cet étrange sentiment de vide revenait me posséder après chaque succès.

Du fait de ma réputation, une petite troupe de jeunes se rassembla autour de moi. Ils demandaient une aide, que je leur donnais bien volontiers, dans les diverses activités relatives à l’entraînement physique. Alors je découvris une grande joie à aider les autres dans mon occupation favorite. Voyant mon succès comme professeur d’éducation physique, et parce que j’aimais tant les jeux et les sports que je ne voulais pas en perdre le contact, je pensai à me lancer dans le métier de professeur et à en faire ma vie. Afin de me préparer sur le plan théorique, je Le Grand Secret me fis admettre dans un célèbre collège d’éducation physique et, en quatre ans, je décrochai mon diplôme.

Maintenant que j’étais passé maître dans la théorie comme dans la pratique, je me mis au travail. Tant que j’avais été un athlète, mon seul but était d’obtenir la santé, la force, l’adresse, la beauté physique et de porter mon propre corps à un haut degré de perfection. Maintenant, je commençais à aider les autres pour qu’ils arrivent à la même perfection. À travers tout mon pays, j’organisai des centres d’entraînement pour professeurs et préparai d’excellents instructeurs et moniteurs. Avec leur aide, j’inaugurai d’innombrables centres d’éducation physique. Le but de ces centres, c’était de rendre populaire la pratique de la santé, de répandre de façon scientifique parmi les grandes masses de chez nous les jeux sportifs et l’éducation physique. Mes moniteurs firent un excellent travail et la santé générale de mon pays s’en trouva considérablement améliorée en l’espace de quelques années. Mon pays se fit bientôt une très grande réputation dans le monde sportif. Je dois dire que je fus aidé et soutenu par le gouvernement qui me donna un portefeuille spécial comme Ministre de l’Éducation Physique. C’est ainsi que j’ai pu réaliser un si vaste travail.

Mon nom se répandit bientôt dans tous les coins du monde comme celui d’un grand éducateur et organisateur sportif. Je fus invité par les autorités de nombreux pays à faire des conférences et à introduire chez eux mon système d’éducation. De tous les coins du monde, je recevais un flot de lettres me demandant renseignements et conseils sur certains problèmes particuliers du domaine de l’éducation physique.

Mais, au milieu même de mes jours surchargés, j’avais souvent le sentiment que toute mon énergie et mon habileté, que toute mon organisation nationale et la force qui en découlait, que toute cette puissante influence dont je jouissais dans les sphères internationales, pourraient servir, peut-être, quelque fin plus noble et plus élevée et qu’alors seulement tout ce que je faisais trouverait son véritable sens. Mais, jusqu’à maintenant, je n’ai encore aucune idée de ce que cette fin pourrait être.

Parfois même on m’a appelé « surhomme »; mais je ne suis pas un surhomme, je suis encore l’esclave de la Nature, un homme avec toutes ses ignorances, ses limitations, ses incapacités, à la merci d’un accident, d’une maladie, d’une passion humaine qui le vide de ses énergies. Je sens que, malgré tout, je ne suis pas au-dessus de tout cela et qu’il y a quelque chose d’autre à apprendre et à réaliser.

Maintenant que je me trouve face à face avec la mort, je n’ai pas la moindre peur de mourir. L’idée d’une extrême souffrance, de la faim et de la soif ne me trouble pas. Mais je reste navré de n’avoir pu, durant cette vie, résoudre mes problèmes. Ma vie a été un grand succès; j’ai eu gloire, honneurs, richesses et tout ce qu’un homme peut rêver. Mais je reste insatisfait, parce que je n’ai pas trouvé de réponse à mes questions : « Dans quel but puis-je utiliser au mieux mon organisation nationale, mon influence internationale? Quel peut être le plus noble usage de ma perfection physique et de mes dons? Qu’est-ce qui me manque donc si douloureusement au milieu même du succès? »

(Alors, la voix de l’Inconnu s’élève, calme, douce et claire, pleine d’une sereine autorité.)


L’INCONNU

Ce que vous voulez savoir, je puis vous le dire.

Pour vous tous, l’expérience a été similaire, quoique vos activités soient si différentes dans leur nature et leur champ. Vous êtes tous les six arrivés à une conclusion analogue, en dépit du succès qui a couronné vos efforts, parce que vous avez vécu dans une conscience de surface, voyant l’apparence des choses et ignorant la vraie Réalité de l’univers.

Vous représentez l’élite de l’humanité, vous avez, chacun dans sa sphère, accompli le maximum de ce que l’homme peut accomplir; vous êtes donc au sommet du genre humain, mais du haut de ce sommet vous êtes en présence d’un abîme et vous ne pouvez aller plus loin... Aucun d’entre vous n’est satisfait, mais, en même temps, aucun ne sait que faire : il ignore la solution du double problème que sa bonne volonté et la vie lui posent. Je dis double problème, parce qu’en effet il a deux aspects, l’un individuel, l’autre collectif : comment réaliser pleinement son bien propre et le bien de tous les autres? Nul d’entre vous n’a trouvé la solution parce que cette énigme de la vie ne peut pas être résolue par l’homme mental, quelque supérieur qu’il puisse être. Il faut, pour cela, naître à une conscience nouvelle et plus haute, à une Conscience de Vérité. Car derrière ces apparences fugitives, il y a une Réalité éternelle, derrière cette multitude inconsciente en conflit, il y a une Conscience unique et sereine, derrière ces mensonges constants et innombrables, il y a une Vérité pure et étincelante, derrière cette ignorance obscure et obstinée, il y a une Connaissance souveraine.

Et cette Réalité est là, toute proche, au centre de votre être, comme au centre de l’univers. Vous n’avez qu’à la découvrir et à la vivre, et vous serez capables de résoudre tous vos problèmes, de surmonter toutes vos difficultés.

Peut-être me direz-vous que c’est cela que les religions prêchent; que la plupart d’entre elles ont parlé de cette Réalité en l’appelant Dieu; mais qu’elles n’ont pas apporté de solution satisfaisante à votre problème, ni de réponse convaincante à vos questions, et qu’elles ont totalement échoué dans leur tentative de fournir un remède aux maux de l’humanité douloureuse.

Quelques-unes de ces religions étaient basées sur la révélation prophétique, d’autres sur un idéal philosophique et spirituel, mais bien vite la révélation s’est changée en rites cultuels et l’idéal philosophique en dogmes, et ainsi la vérité qu’elles contenaient s’est enfuie. De plus, et surtout, toutes les religions, pour ainsi dire sans exception, offrent aux hommes une solution extra-terrestre, presque similaire, basée sur la mort et non sur la vie. Cette solution consiste à peu près en ceci : supportez toutes vos misères sans vous plaindre car ce monde est irrémédiablement mauvais, et vous serez récompensés de votre soumission, après votre mort; ou bien : renoncez à tout attachement pour la vie et vous échapperez définitivement à la cruelle nécessité de vivre. Ceci ne peut certes pas apporter de remède aux souffrances de l’humanité sur terre et à la condition du monde en général. Tout au contraire, si nous voulons trouver une solution véritable à la confusion, au chaos et à la misère du monde, c’est dans le monde lui-même que cette solution doit être trouvée. Et c’est là, en effet, qu’elle peut être trouvée. Elle existe potentiellement, nous n’avons qu’à la découvrir : elle n’est ni mystique ni imaginative; elle est tout à fait concrète, et nous est fournie par la Nature elle-même si nous savons l’observer. Car le mouvement de la Nature est ascendant; d’une forme, d’une espèce, elle en fait surgir une nouvelle, capable de manifester quelque chose de plus de la Conscience universelle; tout tend à prouver que l’homme n’est pas le dernier échelon de l’évolution terrestre. À l’espèce humaine succédera Le Grand Secret nécessairement une espèce nouvelle qui sera à l’homme ce que l’homme est à l’animal; la conscience humaine actuelle sera remplacée par une conscience nouvelle, non plus mentale mais supramentale, et cette conscience donnera naissance à une race supérieure, surhumaine et divine.

L’heure est venue où cette possibilité, prévue et promise depuis si longtemps, doit devenir une réalité vécue sur la terre, et c’est pourquoi, tous, vous n’êtes point satisfaits et vous avez l’impression que vous n’avez pu obtenir de la vie ce que vous voulez d’elle. Rien qu’un changement radical de conscience peut sortir le monde de l’obscurité où il se trouve. En fait, cette transformation de la conscience, cette apparition d’une conscience plus haute et plus vraie, n’est pas seulement possible, elle est certaine, le but même de notre existence, la raison d’être de la vie sur terre. Il faut d’abord transformer la conscience, puis la vie, puis les formes; c’est dans cet ordre que la création nouvelle se produira. En effet, toute l’action de la Nature est un retour progressif vers la Suprême Réalité qui est à la fois l’origine et le but de l’univers dans son ensemble et dans le moindre de ses éléments. Il nous faut devenir concrètement ce que nous sommes essentiellement; il nous faut vivre intégralement la vérité, la beauté, la puissance et la perfection qui sont cachées dans les profondeurs de notre être; et alors toute la vie deviendra l’expression de la joie divine, sublime et éternelle.

(Un silence pendant lequel les six personnages se consultent du regard, en donnant des signes d’approbation. Puis :)


L’ÉCRIVAIN

Vos paroles ont une force convaincante, un pouvoir contagieux. Oui, nous sentons qu’une porte nouvelle s’est ouverte devant nous, qu’un nouvel espoir est né dans notre cœur. Mais pour réaliser cela il faut du temps, beaucoup de temps peut-être; et maintenant la mort nous guette, la fin est proche. Hélas! il est trop tard.


L’INCONNU

Non, il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard.

Unissons nos volontés dans une grande aspiration, implorons une intervention de la Grâce. Un miracle peut toujours s’accomplir; la foi a une puissance souveraine. Et si, en vérité, nous devons participer à la grande œuvre qui va s’accomplir, alors une intervention se produira et prolongera notre vie. Prions avec l’humilité du sage, avec la foi candide de l’enfant, invoquons avec sincérité cette Conscience nouvelle, cette Force, cette Vérité, cette Beauté nouvelles qui doivent se manifester pour que la terre soit transformée et que la vie supramentale soit réalisée dans le monde matériel.

(Tous se concentrent silencieusement et l’Inconnu reprend :)

« Ô Suprême Réalité, permets que nous puissions vivre intégralement le secret merveilleux qui vient de nous être révélé. »

(Tous répètent à mi-voix la prière, puis restent concentrés. Tout d’un coup, la voix de l’Artiste s’élève :)

Regardez! regardez!

(Un bateau apparaît comme un point à l’horizon et avance lentement. Diverses exclamations, et l’Inconnu dit :)

Notre prière a été entendue.

(Dès que le bateau est clairement perceptible, l’Athlète saute sur le rebord de la barque, agitant un mouchoir Le Grand Secret blanc qu’il a tiré de sa poche. Le bateau approche toujours; le Savant s’écrie :)

On nous a vus, on vient vers nous.

(Et l’Inconnu dit lentement :)

Voici le salut, voici la vie nouvelle!

(Le rideau se ferme.)

L'ascension Vers La Vérité




L’ascension Vers La Vérité

L’ascension Vers La Vérité

Drame de la vie

En

un prologue, sept étapes et un épilogue

PERSONNAGES :

LE PHILANTHROPE

LE PESSIMISTE

LE SAVANT

L’ARTISTE

TROIS ÉTUDIANTS

DEUX AMANTS

L’ASCÈTE

DEUX ASPIRANTS

Prologue : dans l’atelier de l’Artiste, réunion préliminaire.

Les sept étapes de l’Ascension, la septième étant au sommet.

Épilogue : le monde nouveau.

Prologue

Dans l’atelier de l’Artiste

(Le soir, à la tombée de la nuit, fin d’une réunion tenue par un petit groupe d’individus unis dans une commune aspiration de trouver la Vérité.

Sont présents :

L’homme de bonne volonté, le Philanthrope.

L’homme que la vie a déçu et qui ne croit plus à la possibilité du bonheur sur la terre.

Le Savant qui veut résoudre les problèmes de la Nature.

L’Artiste qui rêve d’un idéal plus beau.

Un groupe de trois Étudiants (deux garçons et une fille) qui ont confiance en une vie meilleure, et en eux-mêmes.

Deux Amants qui sont à la recherche de la perfection dans l’amour humain.

L’Ascète qui est prêt à toutes les austérités pour découvrir la Vérité.

Deux êtres qu’une semblable aspiration a rapprochés et qui ont choisi l’Infini parce qu’ils ont été choisis par l’Infini.)

Le rideau s’ouvre.

L’ARTISTE

Mes chers amis, notre réunion tire à sa fin, et avant de la clore et de prendre la résolution finale qui nous unira dans l’action, je tiens à vous demander, une fois de plus, si vous avez à ajouter quelque chose aux déclarations que vous avez déjà faites.

LE PHILANTHROPE

Oui, je tiens à redire que j’ai consacré toute ma vie au soulagement de l’humanité; pendant de nombreuses années, j’ai essayé de toutes les méthodes connues ou possibles; mais aucune ne m’a donné des résultats satisfaisants, et je suis maintenant convaincu qu’il me faut découvrir la Vérité si je veux réussir dans mon entreprise. En effet, à moins qu’on ait trouvé le sens véritable de la vie, comment peut-on aider efficacement les hommes? Tous les remèdes qu’on emploiera ne seront que des palliatifs, pas des guérisons. Seule la conscience de la Vérité peut sauver l’humanité.

LE PESSIMISTE

J’ai trop souffert dans la vie; j’ai éprouvé trop de désillusions, subi trop d’injustices, rencontré trop de misères; je ne crois plus à rien, je n’espère plus rien ni du monde, ni des hommes. Je n’ai plus qu’un seul espoir, c’est de trouver la Vérité — en admettant qu’il soit possible de la trouver!

LE PREMIER ASPIRANT

Vous nous voyez ensemble ici, parce qu’une aspiration commune a rapproché nos existences; mais aucun lien charnel ou même sentimental ne nous unit, une seule préoccupation domine notre vie : trouver la Vérité.

UN DES AMANTS

(Montrant les Aspirants.) À l’encontre de nos deux amis ici présents, nous deux (il enlace son Amante), ne vivons que l’un par l’autre, l’un pour l’autre; notre unique ambition est de réaliser une union parfaite, de ne plus être qu’un seul être dans deux corps, une seule pensée, une seule volonté, un seul souffle dans deux poitrines, un seul battement dans deux cœurs ne vivant que de leur amour, dans leur amour, pour leur amour. C’est la vérité parfaite de l’amour que nous voulons découvrir et vivre, c’est à cela que nous avons consacré notre existence.

L’ASCÈTE

Quant à moi, il ne me paraît pas que la Vérité puisse être atteinte si aisément. Le chemin pour y parvenir doit être sévère, abrupt, escarpé, plein de dangers, de risques, de menaces, d’illusions trompeuses. Une volonté inébranlable, des nerfs d’acier sont nécessaires pour surmonter tous les obstacles. Aussi suis-je prêt à tous les sacrifices, toutes les austérités, tous les renoncements, pour me rendre digne du but sublime que je me suis proposé.

L’ARTISTE

(Se tournant vers les autres.) Vous n’avez plus rien à ajouter?... Non. Alors nous sommes tous bien d’accord : nous allons tous ensemble et unissant nos efforts, gravir cette montagne sacrée qui mène vers la Vérité. C’est une entreprise difficile et ardue, mais qui vaut d’être tentée, car en arrivant au sommet on contemple la Vérité et nécessairement tous les problèmes sont résolus.

Ainsi, demain, nous nous retrouverons tous au pied de la montagne et, ensemble, nous commencerons l’ascension. Au revoir.

(Tous se retirent après avoir répondu : « Au revoir ».)

Les sept étapes de l’Ascension

PREMIÈRE ÉTAPE

(Une sorte de plateau verdoyant d’où l’on a une vue d’ensemble de la vallée. À partir de ce plateau la route, facile et large jusque-là, devient brusquement étroite et contourne les contreforts de la montagne qui s’élève massive et rocheuse, à gauche.

Tous arrivent ensemble, pleins d’énergie et d’enthousiasme. Ils contemplent la vallée qu’ils dominent. Puis d’un geste, le Philanthrope les rassemble.)

LE PHILANTHROPE

Mes amis, j’ai à vous parler. J’ai des choses graves à vous dire. (Silence, tous écoutent attentivement.)

Gaiement, aisément, nous avons gravi tous ensemble la montagne jusqu’à ce plateau d’où nous pouvons contempler la vie et mieux comprendre ses problèmes et la cause de la souffrance humaine; notre connaissance devient plus vaste et plus profonde, et nous sommes plus à même de trouver la solution que je recherche...

(un silence)

Mais ici, nous arrivons à un tournant décisif. Maintenant l’ascension va devenir plus escarpée, plus difficile, et surtout nous allons passer sur l’autre flanc de la montagne, d’où nous ne pourrons plus voir la vallée et les hommes. Ainsi il faudra que je renonce à mon œuvre, que je trahisse le serment que je me suis fait d’aider l’humanité. Ne me demandez pas de rester avec vous : il faut que je vous quitte et que je retourne à mon devoir.

(Il reprend la route de la descente. Les autres se regardent surpris et déçus, puis :)

L’ASCÈTE

Pauvre ami! le voilà redescendu, vaincu par l’attachement à son œuvre, par l’illusion du monde extérieur et de ses apparences; mais rien ne doit ralentir notre élan : continuons notre route, sans regret, et sans hésitation.

(Ils se remettent en route.)


DEUXIÈME ÉTAPE

(Une portion du chemin dont la pente s’accentue et qui tourne à angle droit, de sorte qu’il est impossible de voir où il mène. Au-dessus, un long nuage blanc très épais, l’isole complètement du monde.

Tous passent plus ou moins allégrement, excepté le Pessimiste qui arrive le dernier d’un pas traînant et qui tombe assis sur un talus bordant la route. Il se prend la tête dans les mains et reste là, sans bouger. Les autres, s’apercevant qu’il ne les suit pas, se retournent. Un des Étudiants revient sur ses pas et le touche à l’épaule.)

L’ÉTUDIANT

Eh bien, mon vieux ! qu’est-ce qu’il y a ? Tu es fatigué?

LE PESSIMISTE

(Le repoussant du geste.) Non, laisse-moi, laisse-moi tranquille. J’en ai assez! C’est impossible!

L’ÉTUDIANT

Mais pourquoi? Voyons! un peu de courage!

LE PESSIMISTE

Non, non, je te dis que je n’en peux plus. C’est une aventure idiote et impossible. (Montrant le nuage sous leurs pieds) Regardemoi ça ! Nous sommes complètement coupés du monde et de la vie; plus rien, plus rien sur quoi s’appuyer pour comprendre. (Il se retourne du côté du tournant à angle droit.)

Et là ! on ne peut même pas voir où l’on va ! C’est une absurdité ou une tromperie — peut-être les deux ! Après tout, peut-être n’y a-t-il même pas de Vérité à découvrir. Le monde, la vie, n’est-ce point un enfer sans issue dans lequel nous sommes emprisonnés! Continuez si vous voulez. Moi je ne bouge plus; je ne veux pas être une dupe!

(Il enfonce de nouveau sa tête dans ses mains. L’Étudiant perdant l’espoir de le convaincre et ne voulant pas s’attarder, le laisse à son désespoir et va rejoindre les autres, pour continuer leur ascension.)


TROISIÈME ÉTAPE

(Le Savant et l’Artiste arrivent ensemble à la queue du groupe, comme s’ils s’étaient attardés en parlant. Ils sont à la fin de leur conversation.)

LE SAVANT

Oui, comme je vous le disais, je crois que nous nous sommes embarqués un peu à la légère dans cette aventure.

L’ARTISTE

Il est vrai que jusqu’à présent notre ascension semble assez stérile. Ce n’est pas que nous ayons manqué d’observations fort intéressantes. Mais ces observations n’ont pas été très productives dans leurs résultats.

LE SAVANT

Oui, je préfère mes méthodes — elles sont beaucoup plus rationnelles; elles sont basées sur une expérimentation constante, et je n’avance d’un pas qu’après m’être assuré de la validité du pas précédent. Appelons nos amis — je crois nécessaire de leur faire une communication. (Du geste et de la voix il appelle les autres. Quand ils se sont approchés, le Savant reprend, s’adressant à eux :)

Mes chers amis, mes compagnons de route, de plus en plus, à mesure que nous nous éloignons du monde et de sa réalité concrète, j’ai l’impression croissante que nous agissons comme des enfants. Il nous a été révélé que si nous gravissons cette montagne escarpée que personne encore n’a pu escalader jusqu’au sommet, nous atteindrons la Vérité — et nous nous sommes mis en route sans même avoir pris soin d’étudier le chemin de l’ascension. Qui nous dit que nous ne nous sommes pas trompés de route? Qui nous assure que le résultat sera conforme à nos espérances? Il me semble que nous avons agi avec une légèreté impardonnable et que notre entreprise n’a rien de scientifique; j’ai donc décidé, à mon grand regret cependant, parce que mon amitié pour vous tous reste intacte, que je dois m’arrêter ici, pour étudier le problème, pour me former, si possible, une certitude sur le chemin à suivre, sur le chemin correct, celui qui doit aboutir. (Un temps)

D’ailleurs je suis convaincu que si je puis trouver le secret de la constitution de la moindre chose dans la nature, disons de cette modeste pierre sur le chemin, j’atteindrai du même coup à la Vérité que nous recherchons, je reste donc ici, et vous dis, au revoir — oui, au revoir, je l’espère; car peut-être reviendrez-vous vers moi et les méthodes scientifiques; ou bien, si j’ai trouvé ce que je cherche, irai-je vers vous pour vous porter la bonne nouvelle.

L’ARTISTE

Moi aussi, je pense à vous quitter. Mes raisons ne sont pas les mêmes que celles de notre ami le savant, mais elles sont aussi impérieuses.

Durant notre si intéressante escalade, j’ai eu des expériences; des beautés nouvelles m’ont été révélées; ou plutôt un sens nouveau de la beauté est né en moi; et, en même temps, j’ai été saisi d’un besoin ardent, impérieux, d’exprimer mon expérience en des formes concrètes, de les précipiter dans la matière, afin qu’elles puissent servir à l’éducation de tous, et surtout que le monde physique en soit illuminé.

Je vais donc vous quitter, à regret, et demeurer ici jusqu’à ce que je donne corps à mes impressions nouvelles. Lorsque j’aurai dit tout ce que je voulais dire, je reprendrai l’ascension et vous rejoindrai, en quête de nouvelles découvertes, là où vous serez arrivés.

Au revoir, et bonne chance!

(Tous les autres se regardent un peu interloqués — puis la jeune Étudiante s’écrie :)

L’ÉTUDIANTE

Que nous importent les défections! Chacun suit son destin et agit selon sa propre nature. Rien ne peut nous détourner de notre entreprise. Poursuivons notre route, courageusement, hardiment, sans faiblir!

(Tous s’éloignent, sauf le Savant et l’Artiste.)


QUATRIÈME ÉTAPE

(Les deux Aspirants et l’Ascète, en un seul groupe, passent sans s’arrêter, continuent leur ascension d’un pas ferme et régulier.

Derrière eux viennent les Amants, absorbés en euxmêmes, marchant la main dans la main, sans s’occuper des autres.

Juste derrière eux, les trois Étudiants arrivent, visiblement fatigués. Ils s’arrêtent.)

LE PREMIER ÉTUDIANT

Eh bien, mes enfants! pour une escalade, c’est une escalade! Quel chemin! Ça monte, ça monte sans arrêt, on n’a pas le temps de souffler — je commence à être fatigué.

L’ÉTUDIANTE

Quoi donc ! toi aussi tu veux nous lâcher? C’est pas chic !

LE PREMIER ÉTUDIANT

Non, non, il n’est pas question de lâchage. Mais si on se reposait un peu? si on s’asseyait un moment pour reprendre haleine? — rien que pour souffler un peu ; et les jambes, elles font mal ! On grimpera bien mieux après s’être détendu. Soyez gentils — asseyons-nous un petit moment, un petit moment seulement. On repartira après avec plus d’ardeur. Vous verrez!

LE DEUXIÈME ÉTUDIANT

Bon! on ne veut pas te laisser là tout seul à te morfondre. D’ailleurs, moi aussi, je me sens quelque peu fatigué. Asseyonsnous ensemble. Nous nous raconterons ce que nous avons vu et appris.

L’ÉTUDIANTE

(Après une seconde d’hésitation s’asseyant aussi.) C’est bien pour ne pas vous fausser compagnie. Mais il ne faut pas rester longtemps. Il est toujours dangereux de s’attarder en route... (Les Amants se retournent et, les voyant assis, s’éloignent.) L’Ascension vers la Vérité


CINQUIÈME ÉTAPE

(Sensiblement plus haut. La route est plus étroite et domine un vaste horizon — la vallée étant toujours cachée aux yeux par d’épais nuages blancs. À gauche, un peu en arrière de la route, se dresse une petite maison faisant face à l’espace. Les trois premiers passent sans s’arrêter. Puis arrivent les Amants enlacés, absorbés dans leur rêve à deux.)

L’AMANTE

(S’apercevant qu’ils sont seuls.) Tiens! plus personne — nous sommes seuls. Qu’importe les autres! nous n’avons pas besoin d’eux, ne sommes-nous pas parfaitement heureux ensemble!

L’AMANT

(Apercevant la maison en rebord de la route.) Regarde, ma chérie, cette petite maison au flanc de la montagne, solitaire mais si accueillante, si intime et pourtant ouverte sur l’espace infini. Elle semble avoir été créée exprès pour nous. Que nous faut-il davantage? Un lieu idéal pour abriter notre union. Car nous avons réalisé, à nous deux, une union parfaite, totale, sans ombre et sans nuage. Laissons les autres à leur escalade vers une problématique Vérité — nous avons trouvé la nôtre, notre vérité à nous — elle nous suffit.

L’AMANTE

Oui, mon bien-aimé, allons nous installer dans cette maison et jouissons de notre amour sans nous soucier d’autre chose.

(Toujours enlacés, ils quittent le chemin et se dirigent vers la maison.)


SIXIÈME ÉTAPE

(La fin du chemin devenu tout à fait étroit et s’arrêtant brusquement devant un rocher immense qui dresse vers le ciel sa muraille à pic dont on ne peut apercevoir le sommet. À gauche s’étend une sorte de plateau de petite dimension, au fond duquel on aperçoit une hutte basse et exiguë. L’ensemble est dénudé et désert.

Les trois derniers arrivent ensemble. Mais l’Ascète s’arrête et retient du geste les deux autres.)

L’ASCÈTE

J’ai une communication importante à vous faire. Ayez tous deux la bonté de m’entendre. Au cours de notre ascension, j’ai découvert mon être véritable, mon vrai Moi. Je me suis uni à l’Éternel et rien d’autre n’existe plus pour moi; rien de plus n’est nécessaire. Tout ce qui n’est pas Cela est illusion, méprisable. Je considère donc que je suis arrivé au bout du chemin. (Il montre du bras le plateau à gauche.) Et voilà, justement, un lieu sublime et solitaire; le lieu vraiment favorable à la vie que, désormais, je vais mener. J’y demeurerai dans une contemplation parfaite, loin de la terre et des hommes, enfin libéré de la nécessité de vivre.

(Sans rien ajouter, sans un geste d’adieu, sans se retourner, il s’éloigne tout droit vers la réalisation de son but personnel.

Les deux Aspirants restés seuls, se regardent un peu émus par la grandeur du geste. Mais aussitôt, ils se ressaisissent et l’Aspirante s’écrie :)

L’ASPIRANTE

Non! cela ne peut pas être la Vérité, toute la Vérité. La création universelle ne peut pas être rien qu’une illusion dont il L’Ascension vers la Vérité faille s’échapper. D’ailleurs nous ne sommes pas encore au sommet de la montagne; nous n’avons pas encore terminé notre ascension.

L’ASPIRANT

(Montrant la fin du chemin aboutissant à la muraille rocheuse presque verticale.) Mais ici s’arrête le chemin tracé. Il semble qu’aucun être humain ne soit allé plus loin. Pour escalader ce rocher abrupt qui se dresse devant nous et semble inaccessible, nous devrons découvrir par nous-mêmes le moyen d’avancer, pas à pas, par notre seul effort, sans guide, sans aide autre que notre volonté et notre foi. Nous aurons sans doute à creuser notre propre route.

L’ASPIRANTE

(Vivement.) Peu importe! avançons, avançons toujours. Il nous reste quelque chose à trouver : la création a un sens qu’il nous faut découvrir.

(Ils se remettent en marche.)


SEPTIÈME ÉTAPE

Le Sommet

(Les deux Aspirants qui ont résisté vaillamment à toutes les épreuves, se hissent par un suprême effort jusqu’au sommet, en pleine lumière. Tout n’est que lumière sauf le tout petit bout de rocher sur lequel ils sont parvenus et qui est à peine assez grand pour que leurs quatre pieds puissent s’y poser.)

L’ASPIRANT

Enfin, au sommet! La Vérité étincelante, éblouissante, rien qu’elle.

L’ASPIRANTE

Tout le reste a disparu. Les échelons à l’aide desquels nous avons si laborieusement gravi jusqu’à la cime, se sont effacés.

L’ASPIRANT

Le vide, derrière, devant, partout; juste la place de poser nos pieds, sans plus.

L’ASPIRANTE

Où aller maintenant? que faire?

L’ASPIRANT

La Vérité est là, seule, tout autour, partout.

L’ASPIRANTE

Pourtant, pour la réaliser, il nous faut aller plus loin. Et pour cela un autre secret est à trouver.

L’ASPIRANT

De toute évidence, ici prend fin toute possibilité d’effort personnel. C’est une autre puissance qui doit intervenir.

L’ASPIRANTE

La Grâce, seule la Grâce peut agir. Elle seule peut nous ouvrir le chemin, elle seule peut accomplir le miracle.

L’ASPIRANT

(Le bras tendu vers l’horizon.) Regarde, regarde, là-bas, très loin, de l’autre côté de l’abîme sans fond, ce sommet L’Ascension vers la Vérité resplendissant de lumière éclatante, ces formes parfaites, cette harmonie merveilleuse, la Terre promise, la Terre nouvelle!

L’ASPIRANTE

Oui, c’est là, là qu’il faut aller : mais comment?

L’ASPIRANT

Puisque c’est là que nous devons aller, le moyen nous en sera donné.

L’ASPIRANTE

Oui, il faut avoir la foi, la confiance absolue en la Grâce, l’abandon total au Divin.

L’ASPIRANT

Oui, un don de soi absolu à la Volonté Divine. Et puisque tout chemin visible a disparu, il faut nous jeter sans crainte et sans hésitation, dans une confiance totale.

L’ASPIRANTE

Et nous serons portés là où nous devons aller.

(Ils sautent.)

Épilogue

La Réalisation

(Un pays de lumière féerique.)

L’ASPIRANT

Nous voilà arrivés : portés sur des ailes invisibles, par un pouvoir miraculeux.

L’ASPIRANTE

(Regardant tout autour d’eux.) Quelle splendeur merveilleuse! Il ne nous reste plus qu’à apprendre la vie nouvelle.

(Rideau.)









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