CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1929-1931 Vol. 3 of CWM (Fre) 227 pages 2008 Edition
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La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.

Entretiens - 1929-1931

The Mother symbol
The Mother

La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.

Collection des œuvres de La Mère Entretiens - 1929-1931 Vol. 3 227 pages 2008 Edition
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N'oublie jamais que tu n'es pas seul. Le Divin est avec toi pour t'aider et te guider. Il est le compagnon qui ne faillit point, l'ami dont l'amour réconforte et fortifie. Si tu as confiance, Il fera tout pour toi.

La Mère









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La Mère à Tokyo en 1917









Entretiens 1929

Ces Entretiens ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois d'août 1929. La Mère s'adressait alors en anglais à un petit nombre de disciples, et particulièrement à une Anglaise qui posait toutes les questions que nous retrouvons ici. Ces textes furent traduits en français par la Mère, d'après les notes prises par un disciple, et publiés pour la première fois en 1933 sous le titre Entretiens avec la Mère.

1929




Le 7 avril 1929

Voulez-vous nous parler du yoga ?

Pourquoi désirez-vous le yoga ? Pour acquérir du pouvoir? Pour atteindre la paix et le calme? Pour servir l’humanité?

Aucun de ces motifs ne suffit à prouver que vous êtes prêt pour le sentier. La question à laquelle il vous faut répondre est celle-ci :

Désirez-vous le yoga pour l’amour du Divin? Le Divin est-il le but suprême de votre vie, à tel point qu’il vous serait totalement impossible de vous en passer? Croyez-vous que votre véritable raison d’être soit le Divin et que sans lui votre existence serait morne et dépourvue de sens?

Dans ce cas, et alors seulement, on peut dire que vous êtes prêt pour le sentier.

Voici la première étape : aspiration au Divin.

La seconde étape consiste à renforcer cette aspiration, à la tenir constamment en éveil, à la rendre vivante et puissante. Seule, la concentration vous mènera vers ce but — concentration sur le Divin pour obtenir une absolue et intégrale consécration à sa volonté et à ses fins.

Concentrez-vous dans le cœur. Pénétrez-y aussi loin, aussi profondément que possible. Retirez vers vous tous les fils épars de votre conscience dispersée; rassemblez-les et plongez dans le silence de votre être intérieur.

Une flamme brûle dans la calme profondeur de votre cœur : c’est le Divin en vous — votre être véritable. Écoutez sa voix. Obéissez à ses inspirations.

Il y a d’autres centres de concentration; par exemple, un au sommet de la tête, et un autre entre les sourcils. Chacun a son efficacité et vous donnera des résultats particuliers. Mais l’être central réside dans le cœur, et c’est dans le cœur que prend naissance tout mouvement dynamique, toute volonté de transformation, tout pouvoir de réalisation.

Que doit-on faire pour se préparer au yoga ?

Être conscient d’abord et avant tout.

Nous sommes conscients seulement d’une partie insignifiante de notre être; pour le reste, nous sommes inconscients. C’est cette inconscience qui nous lie à notre être inférieur et empêche tout changement et toute transformation d’y prendre place. C’est de cette inconscience que les forces antidivines prennent avantage pour s’introduire en nous et nous rendre leurs esclaves.

Vous devez être conscient de vous-même, de votre nature et de vos mouvements. Vous devez savoir comment et pourquoi vous faites les choses, vous les sentez, vous les pensez. Vous devez comprendre vos motifs et vos impulsions, les forces cachées ou apparentes qui vous font mouvoir. Vous devez, en quelque sorte, démonter en petits morceaux le mécanisme de votre être.

C’est seulement lorsque vous êtes conscient que vous pouvez distinguer et trier les choses, que vous pouvez voir quelles sont les forces qui vous tirent vers le bas et celles qui vous poussent en avant. Et quand vous êtes capable de discerner ce qui doit être de ce qu’il faut éviter, le vrai du faux, le Divin de l’antidivin, vous devez agir strictement selon cette connaissance, c’est-à-dire résolument rejeter l’un et accepter l’autre.

La dualité se présentera à vous à chaque pas, et à chaque pas vous aurez à faire votre choix. Vous devrez être patient, persévérant, vigilant, pleinement « éveillé », comme disent les adeptes. Vous devrez toujours refuser de donner une chance, quelle qu’elle soit, à l’antidivin contre le Divin.

Est-ce que le yoga doit être accompli pour l’humanité?

Non, il doit être accompli pour le Divin.

Ce n’est pas le bien de l’humanité que nous cherchons, mais la manifestation du Divin. Nous sommes ici pour réaliser la divine volonté, ou plutôt pour que la divine volonté se réalise en nous, afin d’être les instruments d’une incorporation progressive du Suprême et de l’établissement de son règne sur la terre.

Seule la portion de l’humanité qui répondra à l’appel du Divin recevra sa Grâce.

Que l’humanité dans son ensemble en bénéficie, sinon directement, du moins indirectement, cela dépendra de l’état de l’humanité elle-même. Si l’on doit en juger par la condition présente, il n’y a pas beaucoup d’espoir.

Quelle est aujourd’hui l’attitude de l’homme moyen représentatif de l’humanité? Ne se dresse-t-il pas avec colère et révolte dès qu’il rencontre quelque chose qui participe en toute sincérité de la nature divine? Ne sent-il pas que le règne du Divin équivaut à la destruction de ses possessions les plus chères? N’est-il pas toujours à protester violemment contre tous les desseins et les vouloirs du Divin?

L’humanité devra beaucoup changer avant qu’elle puisse espérer gagner quoi que ce soit par l’avènement du Divin.

Comment se fait-il que nous nous soyons rencontrés?

Nous avons tous été ensemble en des vies antérieures; autrement nous n’aurions pas pu nous rencontrer dans cette vie.

Nous appartenons tous à une même famille et avons travaillé ensemble à travers les âges pour la victoire du Divin et sa manifestation sur la terre.

Le 14 avril 1929

Quels sont les dangers du yoga ? Est-il particulièrement dangereux pour les Occidentaux ? On a prétendu que le yoga était bon pour l’Orient, mais qu’il faisait perdre tout équilibre à la mentalité occidentale.

Le yoga n’est pas plus dangereux pour les Occidentaux que pour les Orientaux. Tout dépend de l’esprit dans lequel on s’approche de lui. Le yoga devient dangereux si on l’utilise à des fins personnelles; il n’est pas dangereux, au contraire, c’est le salut et la sécurité même, si on vient à lui avec le sentiment de sa sainteté, en se rappelant toujours que le seul but est de trouver le Divin.

Les difficultés et les périls commencent dès qu’on poursuit le yoga, non pour l’amour du Divin, mais pour acquérir des pouvoirs, et, sous le couvert du yoga, pour chercher la satisfaction d’ambitions personnelles. Si vous ne pouvez pas rejeter toute ambition, ne touchez pas à la chose : c’est du feu qui brûle.

Deux chemins mènent au yoga : la discipline (tapasyâ) et la soumission.

Le premier est ardu. Là, vous êtes livré à vos propres moyens, vous ne pouvez compter que sur vous-même, vous vous élevez et vous réalisez en proportion de vos forces. Le danger de tomber vous accompagne à chaque pas, et, si vous tombez, vous roulez au fond d’un abîme d’où il est rare que l’on puisse sortir.

L’autre chemin, celui de la soumission, est sûr et certain. C’est ici, cependant, que les gens d’Occident trouvent leur difficulté. On leur a enseigné à craindre et à éviter tout ce qui pouvait menacer leur indépendance personnelle; ils ont sucé avec le lait de leur mère le sens de leur individualité. Et la soumission veut dire l’abandon de tout cela.

En d’autres termes, vous pouvez vous conformer, comme dit Râmakrishna, au petit singe ou au petit chat. Le petit singe s’agrippe à sa mère pour qu’elle le transporte, et il doit s’accrocher bien fort, car s’il desserrait son étreinte, il tomberait. À l’encontre du singe, le bébé chat ne se tient pas à sa mère, mais est tenu par elle; il n’a ni crainte ni responsabilité; il n’a rien d’autre à faire qu’à se laisser porter en criant : mâ, mâ.

Si vous adoptez en toute sincérité le chemin de la soumission, il n’y a plus de danger ni de difficulté sérieuse. Le tout est d’être sincère. Si vous n’êtes pas sincère, n’entreprenez pas le yoga. Si vous vous occupiez d’affaires humaines, vous pourriez, avec quelques chances de succès, avoir recours à la tromperie; mais il n’y a aucune place pour la tromperie dans vos relations avec le Divin. On ne trompe pas le Divin! Vous pouvez avancer sur le chemin en toute sécurité si vous êtes candide et ouvert jusque dans les profondeurs de votre être, et si votre unique but est d’atteindre et de réaliser le Divin, d’être guidé par lui seul.

Il y a un autre danger; il a rapport aux impulsions sexuelles.

Le yoga, dans son œuvre de purification, met à nu et fait monter à la surface les impulsions et les désirs cachés. Vous devez apprendre à ne rien celer ni laisser de côté. Vous devez faire face à ces mouvements d’ignorance, les conquérir, et leur donner une nouvelle forme. Cependant, le premier effet du yoga est la suppression du contrôle mental; et les appétits qui étaient assoupis, soudainement libérés, se précipitent pour envahir tout l’être. Tant que ce contrôle mental n’est pas remplacé par le contrôle divin, il y a une période de transition pendant laquelle votre sincérité et votre soumission sont mises à l’épreuve.

La force des impulsions, et surtout des impulsions sexuelles, réside dans le fait que les gens y attachent beaucoup trop d’importance. Ils protestent contre elles violemment et essayent de les contrôler par coercition, en les gardant emprisonnées en eux-mêmes. Mais, plus l’on concentre son attention sur une chose en pensant : « Je n’en veux pas, je n’en veux pas », plus on y est lié. Ce que vous devez faire, est de garder la chose éloignée de vous, de vous en dissocier, d’y attacher aussi peu d’importance que possible, et même s’il vous arrive d’y penser, de rester indifférent et détaché.

C’est avec un esprit de détachement et de sérénité qu’il vous faut faire face aux impulsions et aux désirs mis en évidence par la pression du yoga, comme à des choses étrangères à vous-même et appartenant au monde extérieur. Faites-en l’offrande au Divin, afin que le Divin puisse les prendre et les transmuer en vous.

Une fois que vous êtes ouvert au Divin et que le pouvoir du Divin a commencé à descendre en vous, si vous vous obstinez à rester en rapport avec les vieilles forces, vous vous préparez des ennuis, des difficultés sans fin, et des périls de toute sorte. Vous devez être vigilant et ne pas vous servir du Divin comme d’un beau manteau pour couvrir la satisfaction de vos désirs. Il y a beaucoup de soi-disant maîtres, qui se sont proclamés tels, et ne font rien d’autre que cela. Et quand on abandonne le droit chemin, si l’on a peu de connaissance et pas beaucoup de pouvoir, il arrive que l’on devienne la proie d’entités d’un certain type, qui font de vous leur instrument aveugle et finissent par vous dévorer. Il est funeste, sur le sentier, de tâcher de passer pour ce que l’on n’est pas. On ne peut tromper Dieu. Ne venez pas à lui, disant : « Je veux l’union avec toi », et pensant en votre for intérieur : « Je veux des pouvoirs et des jouissances. » Prenez garde! Vous iriez droit vers le précipice.

Et cependant, il est si facile d’éviter toute catastrophe. Devenez comme un enfant. Donnez-vous entièrement à la Mère; laissez-la vous porter, et il n’y a plus de danger pour vous.

Ceci ne veut pas dire que vous n’ayez à faire face à aucun genre de difficulté, ni à combattre et à vaincre aucun obstacle. La soumission ne garantit pas un progrès égal, uniforme et continu. Et cela, parce que votre être n’est pas encore unifié, ni votre soumission absolue et complète. Une partie seulement de vous se soumet, une aujourd’hui, une autre demain, et ainsi de suite.

La discipline du yoga consiste à rassembler toutes ces parties divergentes de l’être et à les fondre en une unité sans division. Jusque-là, vous ne pouvez espérer être sans difficultés et libre, par exemple, du doute, de l’hésitation, de la dépression. Le monde entier est plein de ce poison; vous l’absorbez chaque fois que vous respirez. Si vous échangez quelques mots avec un homme indésirable, ou même qu’un tel homme passe seulement près de vous, vous pouvez attraper de lui la contagion. Il suffit de s’approcher d’un endroit où il y a la peste pour être infecté; il n’est pas besoin pour cela de savoir qu’elle est là. C’est ainsi qu’en quelques minutes vous pouvez perdre ce qu’il a fallu des mois pour acquérir.

Tant que vous appartenez à l’humanité et menez la vie ordinaire, vos relations avec les gens sont de peu d’importance. Mais si vous voulez la vie divine, il vous faut devenir très soigneux en ce qui concerne vos fréquentations et votre entourage.

Par quels moyens peut-on établir l’unité et l’homogénéité dans son être?

Gardez votre volonté ferme et traitez les parties récalcitrantes comme des enfants désobéissants. Agissez sur elles constamment, patiemment; persuadez-les de leur erreur.

Dans les profondeurs de votre conscience, l’être psychique, qui est l’habitacle en vous du Divin, est le centre autour duquel doit se faire l’unification de toutes ces parties divergentes et de tous ces mouvements contradictoires de votre être.

Une fois que vous êtes devenu conscient de l’être psychique et de ses aspirations, toutes les difficultés et tous les doutes peuvent être détruits. Cela prend plus ou moins de temps, mais vous êtes sûr du succès final. Dès que vous vous êtes tourné vers le Divin, lui disant : « Je veux être tien », et que le Divin vous a accepté, le monde tout entier ne peut vous empêcher de le joindre. Quand l’être central a fait sa soumission, la difficulté principale a disparu. L’être extérieur est comme une écorce. Chez les gens ordinaires, l’écorce est si dure et si épaisse qu’ils ne sont point conscients du Divin au-dedans d’eux. Mais si, même pour un moment, l’être intérieur s’est éveillé et a dit : « Je suis ici et je t’appartiens », c’est comme si un pont était construit, et petit à petit, l’écorce s’amincit jusqu’à ce que les deux parties soient complètement jointes et que l’être interne et l’être externe ne fassent plus qu’un.

L’ambition a été la perte de bien des yogis. Ce ver rongeur peut se dissimuler longtemps. Beaucoup de gens partent sur le sentier sans même se rendre compte de sa présence. Mais dès qu’ils obtiennent quelques pouvoirs, l’ambition se lève en eux, d’autant plus violemment qu’elle ne s’était pas fait jour dès le commencement.

On raconte l’histoire d’un yogi qui avait acquis des pouvoirs merveilleux. Un jour, il fut invité par un de ses disciples à un grand festin. Le repas était servi sur une longue table basse. Les disciples insistèrent auprès de leur maître pour qu’il leur fasse voir son pouvoir d’une façon quelconque. Il savait que cela ne devait pas se faire, mais la graine de l’ambition n’était pas entièrement extirpée de sa conscience, et il pensa : « Après tout, la chose est bien innocente; elle leur donnera une preuve que de semblables faits sont possibles et augmentera leur respect pour la grandeur de Dieu. » Ainsi, il dit aux disciples : « Enlevez la table sans toucher à la nappe ni à ce qui se trouve sur elle. » Les disciples protestèrent : « Mais c’est impossible, tout va tomber! » — « Faites », insista le maître. La table fut retirée et le miracle se produisit : la nappe resta suspendue en l’air portant toute la vaisselle du dîner comme si la table la soutenait encore. Les disciples s’émerveillaient, mais soudain le maître se dressa et s’enfuit de la salle du festin en criant : « Plus jamais, plus jamais je n’aurai de disciples! Malheur à moi, j’ai trahi mon Dieu! » Son cœur était en feu; il avait fait servir les pouvoirs divins à des fins personnelles.

Faire montre de pouvoirs est toujours une erreur. Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse faire d’eux aucun usage. Mais on doit s’en servir de la même manière qu’on les a reçus. C’est l’union avec le Divin qui les donne. C’est au service de la volonté divine qu’ils doivent être mis, et non à celui d’une vanité plus ou moins déguisée.

Admettons, par exemple, que vous possédiez le pouvoir de guérir les aveugles. Vous en rencontrez un sur votre chemin. Si c’est la volonté de Dieu que vous le guérissiez, vous n’aurez qu’à dire : « Qu’il voie », et il verra. Par contre, si vous désirez lui rendre la vue simplement pour le guérir, pour vous assurer à vous-même ou pour montrer que vous savez le faire, alors vous faites usage de votre pouvoir pour satisfaire votre ambition personnelle. Et dans ce cas, non seulement vous risquez fort de perdre ce pouvoir, mais aussi, le plus souvent, vous occasionnez un grand bouleversement chez l’homme dont vous vous occupez. Cependant, en apparence, il n’y a rien qui distingue les deux manières. Mais dans un cas, vous agissez suivant la volonté du Divin, et dans l’autre, pour un motif personnel.

Comment savoir, me demanderez-vous, si c’est la volonté divine qui nous fait agir? La volonté du Divin n’est pas difficile à distinguer. On ne peut s’y tromper. Il n’est pas nécessaire d’être très loin sur le sentier pour pouvoir la connaître. Mais pour cela, il faut écouter sa voix, la petite voix tranquille et paisible qui parle dans le silence de votre cœur.

Quand vous avez pris l’habitude d’écouter, si vous faites quoi que ce soit de contraire à la volonté divine, vous éprouvez immédiatement un malaise; si, en dépit de cela, vous persistez dans la mauvaise voie, un grand trouble s’empare de vous. Vous pourrez cependant donner quelque excuse matérielle à ce trouble, et continuer sur cette route. Alors graduellement, vous perdrez la faculté de perception, et finalement vous pourrez faire toutes sortes de mauvaises actions sans ressentir aucun avertissement. Mais si, au contraire, dès que vous éprouvez le moindre malaise, vous vous arrêtez et vous questionnez votre être intérieur : « Quelle est la cause de ceci? », vous recevrez la vraie réponse et la chose deviendra tout à fait claire. Quand vous ressentez une petite dépression ou un léger malaise, n’essayez pas de leur donner une explication matérielle. Et lorsque vous vous arrêtez pour chercher la raison de ce qui se passe, soyez absolument droit et sincère. Tout d’abord, votre pensée construira quelque explication plausible et favorable. Ne l’acceptez pas, mais regardez au-delà et demandez-vous : « Qu’y a-t-il derrière ce mouvement? Pourquoi ai-je fait ceci? » À la fin, vous découvrirez, caché dans un coin, le faux pli — une légère déviation ou déformation de votre attitude — qui est la cause du trouble.

Une des formes les plus communes de l’ambition est l’idée du service de l’humanité. Tout attachement à cette idée ou à cette œuvre est un signe d’ambition personnelle. Le maître qui croit avoir une grande vérité à enseigner à l’humanité et qui veut beaucoup de disciples, qui n’aime pas voir ses disciples le quitter, ou qui se saisit du premier venu pour en faire un disciple, est évidemment l’esclave de son ambition.

Si vous êtes prêt à suivre l’ordre du Divin, vous devez être capable de vous mettre tranquillement à n’importe quel travail qui vous est donné, même s’il est formidable, et de l’abandonner le jour suivant avec la même tranquillité, sans croire que la responsabilité soit vôtre. Il ne doit y avoir d’attachement à aucun objet ni à aucun mode de vie. Vous devez être absolument libre.

Si vous voulez avoir la véritable attitude yoguique, vous devez être capable d’accepter quoi que ce soit qui vienne du Divin et de le laisser aller sans résistance et sans regret. L’attitude de l’ascète qui dit : « Je ne veux rien », et l’attitude de l’homme de ce monde qui dit : « Je veux cette chose », sont les mêmes. L’un peut être aussi attaché à son renoncement que l’autre à sa possession.

Vous devez accepter toutes les choses — et celles-là seules — qui viennent du Divin. Car certaines peuvent provenir de désirs cachés. Les désirs sont à l’œuvre dans le subconscient et ils attirent vers vous des choses dont il se peut que vous ne reconnaissiez pas l’origine, mais qui vous viennent, non du Divin, mais de désirs déguisés.

Il vous est facile de savoir quand quelque chose vient du Divin. Vous vous sentez libre, vous êtes à l’aise, vous êtes en paix. Par contre, si une chose se présente à vous et que vous vous jetiez sur elle en vous écriant : « Enfin, je l’ai! » vous pouvez être sûr qu’elle ne provient pas du Divin. L’égalité d’âme est la condition essentielle de l’union et de la communion avec le Divin.

Est-ce que le Divin ne donne pas parfois ce que l’on désire?

Certainement.

Un jeune homme se sentait attiré par le yoga, mais il avait un père mesquin et cruel qui le tourmentait beaucoup et s’efforçait par tous les moyens de contrecarrer son aspiration spirituelle. Le fils souhaita ardemment d’être libéré de l’intervention de son père. Presque aussitôt, le père tomba sérieusement malade; il était sur le point de mourir. Sur ces entrefaites, l’autre côté de la nature du garçon s’éveilla ; il se lamenta de son infortune et cria : « Mon pauvre père est si malade! Quelle triste chose! Hélas, que vais-je faire? » Le père fut guéri. Le fils se réjouit et se tourna de nouveau vers le yoga ; et de nouveau aussi le père se dressa contre lui et le tourmenta avec un acharnement redoublé. Le jeune homme s’arracha les cheveux de désespoir et gémit : « Maintenant mon père se met plus que jamais en travers de ma route... »

Le tout, en vérité, est de savoir exactement ce que l’on veut. Le Divin apporte toujours avec lui la paix et le calme parfaits. Une certaine catégorie de bhaktas cependant, se présentent sous un aspect très différent. Ils sautent et crient et rient et chantent dans des accès de soi-disant dévotion. Mais en réalité, de telles gens ne vivent pas dans le Divin; ils vivent presque exclusivement dans le monde vital.

Vous me dites que même Râmakrishna avait des périodes de surexcitation émotive, et qu’il lui arrivait de se déplacer les bras levés, en dansant. Voici ce qu’il en est vraiment. Le mouvement de l’être intérieur peut être parfait en soi, mais il rend réceptif à certaines forces qui, par leur intensité même, et pour peu que l’être extérieur soit faible et non transformé, remplissent ce dernier d’une émotion si violente qu’elle est parfois incontrôlable. Partout où l’être extérieur offre une résistance à l’être intérieur, ou n’est pas capable de contenir la totalité de l’Ânanda reçu, il se produit une confusion et une anarchie dans l’expression.

Vous devez avoir un corps et des nerfs solides. Vous devez avoir une forte base d’égalité dans votre être extérieur. Si vous possédez cette base, vous pouvez contenir un monde d’émotion sans avoir à la laisser échapper en cris. Ceci ne veut pas dire que l’émotion ne doive pas être exprimée, mais elle peut l’être d’une façon belle et harmonieuse. Pleurer, crier ou danser par émotion est toujours le signe d’une faiblesse de la nature vitale, mentale ou physique; car sur tous ces plans, ces mouvements prennent place pour la satisfaction personnelle. En effet, celui qui danse, saute et crie, a l’impression que son excitation le rend très extraordinaire, et sa nature vitale y prend grand plaisir.

Pour pouvoir supporter la pression de la descente du Divin, vous devez être très fort et très puissant; autrement vous seriez réduit en miettes.

Il y a des gens qui demandent : « Pourquoi le Divin n’est-il pas encore apparu? » Parce que vous n’êtes pas prêt. Une petite goutte qui tombe suffit à vous faire chanter, danser et crier. Qu’arriverait-il si le tout descendait?

C’est pourquoi nous disons à ceux qui n’ont pas dans leur corps, leur vital et leur mental une base suffisamment ferme et vaste : « Ne tirez pas », c’est-à-dire « n’essayez pas d’attirer par violence les forces du Divin, mais attendez dans la paix et le calme. » Car ils ne seraient pas capables de supporter la descente. Mais à ceux qui possèdent l’assise nécessaire, nous disons au contraire : « Aspirez et tirez. » Car ils peuvent recevoir les forces qui descendent du Divin, sans être bouleversés par elles.

Il arrive que certaines personnes perdent, dès qu’elles se tournent vers le Divin, tout appui matériel et tous les objets qu’elles aiment. Si elles ont une affection quelconque, elle leur est également retirée.

Cela n’arrive pas à tout le monde, mais seulement à ceux qui sont appelés.

Quelle que soit la différence entre l’Ouest et l’Est en ce qui concerne la vie spirituelle, elle ne réside pas dans la nature ou l’être intérieur, qui est une chose constante et invariable, mais dans les habitudes mentales, les modes d’expression, qui sont le résultat de l’éducation, du milieu et autres conditions extérieures. Tous les gens, qu’ils soient occidentaux ou orientaux, sont les mêmes dans leurs sentiments profonds; ils diffèrent dans leur façon de penser et d’exprimer. La sincérité, par exemple, est une qualité qui est la même partout. Ceux qui sont sincères, quelle que soit la nation ou la race à laquelle ils appartiennent, le sont de la même manière; les formes seules données à cette sincérité changent. L’esprit travaille de façon différente dans les différents peuples, mais les profondeurs du cœur sont les mêmes partout. Il y a beaucoup plus de vérité dans le cœur que dans les parties superficielles de l’être, auxquelles appartiennent toutes les divergences. Dès que vous plongez assez profondément, vous rencontrez quelque chose qui est un en tous. Tous se rencontrent dans le Divin. Le soleil est le symbole du Divin dans la Nature physique; des nuages peuvent modifier son apparence, mais quand ils ont disparu, on voit le même soleil partout et toujours.

Si vous ne pouvez vous sentir un avec quelqu’un, cela veut dire que vous n’êtes pas allé assez profondément dans votre sentiment.

Le 21 avril 1929

C’est une idée fort répandue que les visions sont un signe de haute spiritualité. Est-ce vrai?

Pas nécessairement. De plus, avoir des visions est une chose, comprendre et interpréter ce que l’on voit en est une autre, et bien plus difficile.

En général, ceux qui voient sont induits en erreur parce qu’ils donnent à leur vision le sens ou l’interprétation qu’ils préfèrent, suivant leurs désirs, leurs espoirs et leurs opinions préconçues. En outre, il y a aussi différents plans sur lesquels on peut voir. Il y a la vision mentale, la vision vitale, et il y a certaines visions que l’on a sur un plan très proche du matériel. Les visions appartenant à cette catégorie apparaissent sous des formes et des symboles qui semblent absolument matériels tant ils sont clairs, réels et tangibles. Et si vous savez comment les interpréter, vous pouvez avoir des indications très exactes sur les circonstances et l’état psychologique des gens.

Donnons un exemple. Voici une vision que quelqu’un a eue réellement. Une route grimpe les escarpements d’une colline bordée de précipices, baignée par un ardent soleil. Sur cette route, une lourde diligence traînée par six forts chevaux avance avec difficulté. Elle va son chemin lentement, mais régulièrement. Arrive un homme qui regarde la situation, prend position derrière le véhicule et commence à le pousser, ou plutôt à essayer de le pousser, pour monter la colline. Alors survient une personne qui a la connaissance et qui lui dit : « Pourquoi vous fatiguez-vous en vain ? Pensez-vous que votre effort puisse avoir quelque résultat? Pour vous, la tâche est impossible; même les chevaux la trouvent difficile. »

La clef du sens de la vision se trouve dans l’image des six chevaux. Le cheval est le symbole du pouvoir, et le nombre six est celui de la création divine. Ainsi, les six chevaux signifient les pouvoirs de création divine. La diligence représente la réalisation, ou plutôt ce qui doit être réalisé, accompli, amené au sommet, sur la hauteur où se trouve la lumière. Ces pouvoirs de création sont divins, et cependant, même pour eux, un dur labeur est nécessaire afin d’atteindre à la réalisation, car ils ont à travailler dans des conditions très défavorables, ils ont à lutter contre toutes les forces de la nature qui tirent en bas. Alors arrive l’être humain qui, dans son arrogance et son ignorance, pense qu’avec son petit appoint de puissance mentale, il est quelqu’un et peut faire quelque chose. La meilleure chose qu’il puisse faire est, en vérité, de monter dans la diligence, de s’asseoir confortablement et de laisser les chevaux le tirer.

Les rêves sont quelque chose de tout différent. Ils sont plus difficiles à interpréter, car chacun a son monde propre d’images et de formes utilisées par ses rêves. Bien entendu, il est des rêves qui ne signifient pas grand-chose : ceux qui sont en rapport avec la couche de conscience physique la plus superficielle, ceux qui sont le résultat de pensées errantes, d’impressions fugitives, de réactions mécaniques ou d’activités réflexes. Ces rêves n’ont aucune organisation régulière dans la forme, la structure ou le sens; on s’en souvient à peine et ils ne laissent aucune trace appréciable dans la conscience. Mais même les rêves qui ont une origine quelque peu plus profonde sont encore obscurs, parce qu’ils sont spécifiquement personnels, dans ce sens qu’ils dépendent presque entièrement, pour leur formation, des expériences et de l’idiosyncrasie de l’individu. Il est vrai que les visions aussi sont construites avec des symboles qui n’ont pas nécessairement cours dans le monde entier. Le symbolisme varie suivant les races, les traditions, les religions. Un symbole peut être spécialement chrétien, et un autre spécialement hindou, un troisième peut être commun à tout l’Orient, et un quatrième compris seulement de l’Occident. Les rêves, par contre, sont exclusivement personnels; ils dépendent des circonstances et des impressions de chaque jour. Il est extrêmement difficile pour un homme d’expliquer ou d’interpréter les rêves d’un autre. Mais chacun peut étudier ses propres rêves, les démêler et découvrir leur signification.

Vous voulez savoir la manière de procéder avec les rêves et le pays des songes? Tout d’abord, devenez conscient, conscient de vos rêves. Observez les rapports entre eux et les événements des heures de veille. Si vous vous souvenez de vos nuits, il vous sera très souvent possible d’établir une relation entre votre état de la journée et celui de la nuit. Toujours, durant le sommeil, quelque activité se produit sur le plan mental, vital ou autre; des choses se passent là, qui gouvernent votre conscience de veille. Par exemple, certains sont très anxieux de se perfectionner et font de grands efforts pendant le jour. Ils vont dormir et, quand ils se réveillent le lendemain, ils ne trouvent plus aucune trace de ce qu’ils avaient gagné par leur effort du jour précédent; il leur faut de nouveau parcourir le même chemin. Ceci veut dire que l’effort et le résultat obtenu, quels qu’ils aient été, appartenaient aux parties les plus superficielles ou les plus éveillées de l’être; mais d’autres parties, plus profondes ou plus endormies, n’avaient pas été touchées. Dans le sommeil, on tombe sous l’emprise de ces régions inconscientes qui absorbent et font disparaître tout ce que l’on avait si laborieusement édifié pendant les heures de veille.

Soyez conscient! Soyez conscient de la nuit aussi bien que du jour. D’abord, il vous faut devenir conscient; ensuite, vous pourrez avoir le contrôle. Ceux qui se souviennent de leurs rêves connaissent cette expérience de savoir qu’ils rêvent même pendant le rêve; ils savent qu’ils ont une expérience qui n’appartient pas au monde matériel. Une fois que l’on a cette connaissance, on peut agir là de la même manière que dans le monde matériel ; on ne se sent plus lié par ce qui se passe; même pendant que l’on rêve, on peut exercer sa volonté consciente et changer tout le cours des événements rêvés.

Et tandis que vous deviendrez de plus en plus conscient, vous commencerez à avoir autant de contrôle de votre être pendant la nuit que durant le jour, peut-être même davantage. En effet, pendant la nuit, vous êtes au moins partiellement libéré de la sujétion au mécanisme du corps. Le contrôle des mouvements de la conscience corporelle est beaucoup plus difficile, car ces mouvements sont plus rigides et moins susceptibles de changement que ne le sont ceux du mental ou du vital.

Pendant la nuit, le mental et le vital (particulièrement le vital) sont très actifs. Le jour, ils sont tenus en échec ; automatiquement la conscience physique met un frein au libre jeu de leur expression. Dans le sommeil, ce frein est retiré, et ils apparaissent avec toute la spontanéité de leurs mouvements naturels.

Quelle est la nature du sommeil sans rêve?

En général, quand vous avez ce que vous appelez un sommeil sans rêve, c’est l’une de ces deux choses : ou vous ne vous souvenez pas de ce que vous avez rêvé, ou vous êtes tombé dans une inconscience absolue très semblable à la mort, un avant-goût de la mort. Mais il existe un sommeil dans lequel toutes les parties de l’être entrent dans une immobilité, une paix, un silence absolus; et la conscience s’immerge dans Satchidânanda. On peut à peine appeler cet état « sommeil », car il est extrêmement conscient. Quelques minutes dans cette condition donnent plus de repos et de délassement que des heures de sommeil ordinaire. Mais vous ne pouvez pas l’avoir par hasard ; cela exige un long entraînement.

Comment se fait-il que l’on rencontre et connaisse en rêve des gens que l’on rencontrera et connaîtra ensuite dans la vie ordinaire?

Cela vient des affinités qui rapprochent certaines personnes les unes des autres, affinités des mondes mental ou vital. Les gens, souvent, se rencontrent sur ces plans avant de se rencontrer sur la terre. Ils peuvent se réunir là, se parler les uns aux autres et avoir tous les rapports qui existent dans la vie physique. Quelques-uns se rendent compte de ces activités, d’autres les ignorent. Certains (en vérité la plupart) sont inconscients de leur être intérieur et de ses relations, et cependant, quand ils rencontreront la nouvelle figure dans le monde extérieur, ils la trouveront très familière, en quelque sorte bien connue.

N’y a-t-il pas de visions fausses?

Il existe, en effet, des visions que l’on peut appeler fausses. Il y a, par exemple, des centaines et des milliers de gens qui disent avoir vu le Christ. De ce nombre, ceux qui l’ont réellement vu représentent peut-être moins d’une douzaine; et même pour ceux-là, il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’ils ont vu. Ce que les autres ont perçu est peut-être une émanation ou une pensée, ou même une simple image rappelée par la mémoire. Il y a aussi de grands croyants dans le Christ, qui ont eu la vision d’une force, d’un être, ou d’une image remémorée, très lumineuse, qui fait sur eux une forte impression. Ils ont vu quelque chose qu’ils sentent appartenir à un autre monde, d’un ordre surnaturel, et cela a suscité en eux une émotion, une crainte, une révérence ou une joie, et, comme ils croient en le Christ, ils ne peuvent penser à rien d’autre et disent que c’est lui. Cependant, la même vision ou expérience, si elle venait à un croyant de la religion hindoue, de la religion musulmane ou de toute autre, se revêtirait d’une autre forme et d’un autre nom. La chose vue ou expérimentée peut être fondamentalement la même, mais elle se formule différemment d’après les notions différentes des esprits qui la perçoivent. Ceux-là seuls qui peuvent aller au-delà des croyances, des fois, des mythes et des traditions sont capables de dire ce que cette chose est réellement; mais ceux-là sont bien peu nombreux. On doit être affranchi de toute construction mentale, débarrassé de tout ce qui est seulement local ou temporel, avant d’avoir la connaissance de ce que l’on voit.

L’expérience spirituelle veut dire le contact avec le Divin en soi-même (ou en dehors de soi, ce qui revient au même dans ce domaine). Et c’est une expérience identique partout et toujours, dans tous les pays, parmi tous les peuples, et même à travers tous les âges. Si vous entrez en contact avec le Divin, votre contact sera le même toujours, quel que soit le lieu ou le temps. Les différences se produisent parce que, entre l’expérience et sa formulation, il y a presque un abîme. À peine avez-vous une expérience spirituelle (qui se produit toujours dans votre conscience interne), qu’elle se traduit dans votre conscience externe et s’y exprime d’une manière ou d’une autre suivant votre éducation, votre croyance, vos tendances mentales. Il n’y a qu’une vérité, qu’une réalité; mais les formes dans lesquelles elle se traduit peuvent être innombrables.

Quelle fut la nature des visions de Jeanne d’Arc?

Jeanne d’Arc était évidemment en rapport avec des entités appartenant à ce que nous appelons le monde des dieux (ou, comme disent les catholiques, le monde des saints, quoique ce ne soit pas exactement le même). Les êtres qu’elle voyait, elle les appelait des archanges. Ces êtres appartiennent au monde intermédiaire entre le mental supérieur et le Supramental. C’est le monde des créateurs, des formateurs. Si les mêmes êtres qui apparaissaient et parlaient à Jeanne, étaient vus par un Indien, ils auraient, pour lui, une apparence tout à fait différente; car lorsque l’on voit, on projette sur la vision les formes familières à son esprit. Vous donnez à ce que vous voyez l’aspect de ce que vous vous attendez à voir. Si le même être apparaissait simultanément à un groupe composé de chrétiens, de bouddhistes, d’hindous et de shintoïstes, chacun lui donnerait un autre nom; chacun décrirait l’apparition d’une façon tout à fait différente; pourtant, ils parleraient tous d’une seule et même manifestation. Celle que l’on appelle dans l’Inde la Mère Divine, pour les catholiques c’est la Vierge Marie, et pour les Japonais, c’est Kwannon, la déesse de la Miséricorde; et d’autres encore lui donnent d’autres noms. C’est la même force, la même puissance, mais les représentations qui en sont faites diffèrent avec les religions.

Quelle est la place de la discipline dans la soumission? Si l’on se soumet, ne peut-on se passer de discipline? Est-ce que la discipline n’est pas parfois un obstacle?

Cela se peut. Mais il faut savoir distinguer entre une méthode de développement, ou discipline, et une action voulue. Si vous suivez le chemin de la soumission, vous devez mettre fin à l’effort personnel; mais cela ne veut pas dire qu’il vous faille aussi abandonner toute volonté dans l’action. Au contraire, vous pouvez hâter la réalisation en adjoignant votre volonté à la Volonté Divine. Ceci aussi est de la soumission, sous une autre forme. Ce qui vous est demandé n’est pas une soumission passive par laquelle vous devenez comme un bloc inerte, mais de mettre votre volonté à la disposition du Divin.

Mais comment peut-on le faire avant que l’union ne soit un fait accompli?

Vous avez une volonté et vous pouvez faire l’offrande de votre volonté. Prenez, par exemple, la question de devenir conscient de vos nuits. Si vous adoptez l’attitude de la soumission passive, vous direz : « Quand ce sera la Volonté du Divin que je devienne conscient, je deviendrai conscient. » Au contraire, si vous offrez votre volonté au Divin, vous prenez une résolution et vous Le 21 avril 1929 21 dites : « Je deviendrai conscient de mes nuits. » Vous avez la volonté qu’il en soit ainsi; vous n’attendez pas sans rien faire, paresseusement. La soumission entre en jeu quand vous prenez l’attitude de dire : « Je donne ma volonté au Divin, mais je n’ai pas la connaissance. Que la Volonté Divine accomplisse cela en moi. » Votre volonté doit continuer à agir régulièrement, non pas dans le choix d’une action particulière, ni pour demander un objet précis, mais comme une ardente aspiration concentrée sur le but à atteindre. Ceci est le premier pas. Si vous êtes vigilant, si votre attention est en éveil, certainement vous recevrez quelque chose sous la forme d’une inspiration de ce qui doit être fait, et vous vous mettrez à le faire immédiatement. Seulement, n’oubliez jamais que la soumission exige d’accepter le résultat de votre action, quel qu’il soit, même s’il est tout à fait différent de ce que vous attendiez. Au contraire, si votre soumission est passive, vous ne voudrez rien ni n’essayerez rien; vous vous endormirez tout simplement en attendant le miracle.

Pour savoir si votre volonté et votre désir sont ou ne sont pas en accord avec la Volonté du Divin, vous devez observer et voir si vous recevez une réponse ou si vous n’en avez pas, si vous vous sentez soutenu ou contredit, non pas par le mental, le vital ou le corps, mais par ce quelque chose qui est toujours là dans votre être intérieur, tout au fond de votre cœur.

Est-ce qu’un effort croissant de méditation n’est pas nécessaire? N’est-il pas vrai que plus on médite, plus on fait des progrès?

Le nombre d’heures passées en méditation n’est pas un indice du progrès spirituel. Quand vous n’avez plus à faire d’effort pour méditer, vous avez réellement progressé.

Il arrive un moment où l’on a plutôt à faire effort pour mettre fin à la méditation ; il devient difficile de ne pas méditer, difficile de s’arrêter de penser au Divin, difficile de redescendre vers la conscience ordinaire. Vous pouvez être sûr d’avoir accompli un vrai progrès quand la concentration sur le Divin est devenue la nécessité de votre vie, quand vous ne pouvez plus vous en passer, quand elle se poursuit naturellement, depuis le matin jusqu’au soir, quelle que soit votre occupation par ailleurs, que vous vous asseyiez pour méditer, ou que vous bougiez pour agir et travailler. Ce qui est exigé de vous, c’est la conscience; il n’y a qu’une chose nécessaire : être constamment conscient du Divin.

Mais n’est-ce point une discipline indispensable que de s’asseoir pour méditer; et n’obtient-on pas ainsi une union avec le Divin plus intense et plus concentrée?

C’est possible. Mais une discipline en elle-même n’est pas ce que nous recherchons. Ce que nous voulons, c’est être concentrés sur le Divin dans tout ce que nous faisons, en tout temps, dans tous nos actes, tous nos mouvements. Il y en a quelquesuns ici, à qui l’on a dit de méditer; mais il y en a d’autres aussi à qui l’on n’a jamais demandé de le faire. Et pourtant, il ne faudrait pas croire qu’ils ne progressent pas. Eux aussi suivent une discipline, mais d’une autre nature. Travailler, agir avec dévotion et avec une consécration intérieure, est aussi une discipline spirituelle. Le but final est d’être en union constante avec le Divin, non seulement en méditation, mais dans toutes les circonstances de la vie active.

Certains, quand ils s’assoient pour méditer, entrent dans un état qu’ils pensent très remarquable et délicieux. Ils y demeurent, contents d’eux-mêmes, et oublient le monde; mais s’ils sont dérangés, ils en sortent furieux et agités, parce que leur méditation a été interrompue. Ceci n’est certes pas un signe de discipline ou de progrès spirituel. Certains autres, qui ont une vie active, semblent penser que leur méditation à heure fixe est une dette qu’il leur faut payer au Divin; ils sont comme les hommes qui vont à l’église une fois par semaine et croient qu’ainsi ils ont donné à Dieu ce qu’ils lui devaient.

S’il vous faut faire un effort pour entrer en méditation, vous êtes encore très loin de pouvoir mener la vie spirituelle. Quand, au contraire, cela demande un effort pour en sortir, votre méditation peut indiquer que vous êtes dans la vie spirituelle.

Il y a des disciplines, telles que le Hathayoga et le Râjayoga, que l’on peut pratiquer sans avoir rien de commun avec la vie spirituelle; le premier conduit principalement au contrôle du corps, le second au contrôle du mental. Mais entrer dans la vie spirituelle veut dire plonger dans le Divin comme l’on plonge dans la mer. Et ceci n’est pas la fin, mais seulement le commencement; car après avoir fait le plongeon, on doit apprendre à vivre dans le Divin. Comment faut-il faire cela ? Vous devez simplement sauter droit dedans, sans penser : « Où vais-je tomber? Qu’adviendra-t-il de moi? » C’est l’hésitation peureuse de votre mental et de votre vital qui vous empêche de le faire. Laissezvous aller tout bonnement. Si vous désirez plonger dans la mer et que vous ne cessiez de penser : « N’y a-t-il pas un rocher ici ou une pierre là ? », vous ne sauterez jamais.

Mais la mer se voit et ainsi on peut sauter droit audedans d’elle. Comment peut-on sauter dans la vie spirituelle?

Bien entendu, on doit avoir eu un aperçu de la Réalité Divine, comme il faut voir la mer et la connaître un peu avant de s’y plonger. Cet aperçu vient généralement d’un éveil de la conscience psychique. En tout cas, une réalisation quelconque est nécessaire — que ce soit un fort contact mental ou vital, sinon un profond contact psychique ou même un contact intégral. La Présence Divine doit avoir été perçue fortement au-dedans ou autour de soi; on doit avoir senti le souffle du monde Divin. Et il faut aussi avoir ressenti le souffle opposé, celui de la vie ordinaire, comme une oppression suffocante, vous contraignant en quelque sorte à faire effort pour sortir de son atmosphère asphyxiante. Si vous avez éprouvé cela, alors il ne vous reste plus qu’à chercher refuge, sans réserve, dans la Divine Réalité, à vivre dans son aide et sa protection, et nulle part ailleurs. Ce mouvement d’abandon, que vous avez peutêtre fait partiellement au cours de votre vie ordinaire, dans une ou plusieurs parties de votre être, à certains moments ou en certaines occasions, il vous faut le faire complètement et pour de bon. Tel est le plongeon qu’il faut faire; et à moins que vous ne le fassiez, vous pouvez pratiquer le yoga pendant des années et pourtant ne rien savoir de la vraie vie spirituelle. Faites ce plongeon totalement et sans restriction, et vous serez libéré de la confusion du monde extérieur, vous aurez la vraie expérience de la vie spirituelle.

Le 28 avril 1929

Il a été dit que pour progresser dans le yoga, on doit tout offrir au Divin, jusqu’à la moindre petite chose que l’on ait ou que l’on fasse dans la vie. Quel est le sens exact de cela ?

Yoga veut dire union avec le Divin, et l’union s’effectue grâce à l’offrande; elle est fondée sur l’offrande de votre être au Divin. Au début, vous faites cette offrande d’une façon générale, comme une fois pour toutes; vous dites : « Je suis un serviteur du Divin; ma vie est entièrement donnée au Divin; tous mes efforts tendent vers la réalisation de la Vie Divine. » Mais ce n’est que le premier pas, car ce n’est pas suffisant. Quand votre résolution a été prise, quand vous avez décidé que votre vie entière serait consacrée au Divin, il vous reste encore à vous en souvenir à chaque moment, et à le mettre à exécution dans tous les détails de votre existence. Vous devez sentir à chaque pas que vous appartenez au Divin; vous devez avoir constamment l’expérience que, dans tout ce que vous pensez et faites, c’est toujours la Conscience Divine qui agit à travers vous. Dorénavant, vous n’avez plus rien que vous puissiez appeler vôtre; vous sentez que toutes choses viennent du Divin, et qu’il vous faut les retourner à leur source. Quand vous êtes à même de comprendre et d’éprouver cela, alors, même la plus petite chose, à laquelle vous n’attachiez auparavant que peu ou pas d’importance et de soin, cesse d’être triviale ou insignifiante; elle devient pleine de sens et ouvre devant vous un vaste horizon d’observation et d’étude.

Voici comment il faut vous y prendre pour transformer votre offrande d’ensemble en offrande de détail. Vivez constamment dans la présence du Divin; vivez dans le sentiment que c’est cette présence qui vous fait mouvoir et accomplit toute chose en vous. Offrez-lui tous vos mouvements, non seulement chaque action mentale, chaque pensée, chaque sentiment, mais aussi les activités les plus ordinaires et extérieures, comme celle de manger, par exemple; quand vous mangez, vous devez sentir que c’est le Divin qui mange en vous. Lorsqu’il vous est possible de rassembler ainsi tous vos mouvements dans la Vie Unique, la division en vous fait place à l’unité. Vous en avez fini avec cet état où une partie de votre nature est donnée au Divin, tandis que le reste persiste dans la voie ordinaire, occupé des choses ordinaires; votre vie entière a pris une orientation unique; une transformation complète s’effectue graduellement en vous.

Dans le yoga intégral, la vie intégrale, jusque dans son plus petit détail, doit être transformée, divinisée. Dans cette entreprise, il n’y a rien qui soit insignifiant ou indifférent. Vous ne pouvez pas dire : « Quand je médite, quand je lis de la philosophie ou quand j’écoute ces conversations, je me maintiens dans un état d’aspiration à la Lumière et de réceptivité à la Lumière; mais quand je sors pour me promener ou voir des amis, je peux me permettre d’oublier tout cela. » Si vous persistez dans cette attitude, vous ne serez jamais transformé et n’aurez jamais la vraie union : vous resterez toujours divisé; au mieux, vous n’aurez que des lueurs de la vie plus haute. Vous pourrez peut-être obtenir certaines expériences, certaines réalisations dans votre conscience interne pendant votre méditation, mais votre corps et votre vie extérieure demeureront inchangés. Une illumination intérieure, qui ne tient pas compte du corps ni de la vie extérieure, n’est pas d’une grande utilité, car elle laisse le monde tel qu’il est. C’est cela qui s’est passé constamment jusqu’à présent. Même ceux qui avaient une très grande et puissante réalisation se retiraient du monde pour vivre, sans être dérangés, dans une quiétude et une paix intérieures; le monde était laissé à lui-même, et la misère, la stupidité, la Mort et l’Ignorance gardaient leur souveraineté incontestée sur ce plan matériel d’existence. Pour ceux qui se retirent ainsi, c’est peut-être très agréable d’échapper à la tourmente, de tourner le dos à la difficulté et de trouver ailleurs pour eux-mêmes un état de félicité. Mais ils laissent la vie et le monde non transformés; leur propre conscience extérieure aussi, ils la laissent inchangée, et leur corps est moins régénéré que jamais. Quand ils reviennent vers le monde physique, ils y sont en général pires que les gens ordinaires eux-mêmes; car ils ont perdu la maîtrise des choses matérielles, et leur façon d’agir dans la vie a des chances d’être incohérente et impuissante, à la merci de chaque force qui passe.

Un idéal de ce genre peut être bon pour ceux qui le veulent; mais ce n’est pas notre yoga. Car nous voulons la conquête divine de ce monde et de tous ses mouvements, la réalisation du Divin ici, sur la terre. Mais si nous voulons que le Divin règne ici, nous devons lui donner tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons. Cela ne ferait pas l’affaire de penser qu’il y a des choses sans importance, ou que la vie extérieure avec ses nécessités ne fait pas partie de la Vie Divine. Si nous pensions ainsi, nous resterions toujours où nous en sommes, sans bouger; et il n’y aurait pas de conquête du monde matériel ; rien de durable ne pourrait être fait.

Ceux qui sont très avancés, reviennent-ils sur le plan physique?

Oui. S’il y a en eux la volonté de changer ce monde, plus ils sont avancés, plus sûrement ils reviennent. Même ceux qui ont la volonté de s’enfuir, quand ils arrivent de l’autre côté, peuvent trouver que la fuite ne sert pas à grand-chose après tout.

Est-ce que beaucoup se souviennent d’avoir passé de l’autre côté et d’être revenus encore une fois?

On se souvient quand on a atteint un certain état de conscience. Il n’est pas très difficile de toucher cet état partiellement, pour un court moment; en méditation profonde, en rêve, dans une vision, on peut avoir la sensation ou l’impression d’avoir déjà vécu dans une vie antérieure, d’avoir eu une expérience similaire, d’avoir connu telle ou telle vérité. Mais ceci n’est pas une complète réalisation; pour l’obtenir, on doit avoir atteint, intérieurement, la conscience permanente, celle qui a toujours été et sera toujours, et qui relie entre elles toutes les existences, passées, présentes et futures.

Quand nous sommes concentrés dans les mouvements du mental ou les spéculations intellectuelles, pourquoi oublions-nous parfois le Divin ou perdons-nous contact avec lui?

Vous perdez le contact parce que votre conscience est encore divisée. Le Divin n’a pas encore fait de votre esprit sa demeure; vous n’êtes pas encore entièrement consacré à la Vie Divine. Autrement, vous pourriez vous concentrer autant que vous voudriez sur les choses dont vous parlez, et vous n’en conserveriez pas moins la perception que vous êtes aidé et soutenu par le Divin.

Dans toutes vos recherches, intellectuelles ou autres, votre devise doit être : « Se souvenir et offrir ». Quoi que vous fassiez, faites-le comme une offrande au Divin. Et ce sera aussi une excellente discipline pour vous : cela vous empêchera de faire beaucoup de choses sottes et inutiles.

Souvent on peut faire ainsi au début de l’action ; mais à mesure que l’on s’absorbe dans le travail, on oublie. Que faire pour se souvenir?

La condition à laquelle il faut tendre, le réel accomplissement du yoga, la perfection et l’acquisition finales, dont tout le reste n’est qu’une préparation, est un état de conscience dans lequel il est impossible de faire quoi que ce soit sans le Divin; car, sans le Divin, la source même de votre action disparaît; connaissance, pouvoir, tout est parti. Mais tant que vous croyez vôtres les pouvoirs que vous utilisez, vous ne vous sentez pas privé par l’absence du soutien Divin.

Au commencement du yoga, on est sujet à oublier très souvent le Divin. Mais par une constante aspiration, le souvenir est augmenté et l’oubli diminué. Pourtant, le maintien de cette aspiration ne doit pas être comme une discipline sévère, un devoir rigoureux ; le mouvement doit être plein d’amour et de joie. Alors, très vite on atteint une condition où, si l’on n’est pas conscient de la présence du Divin à chaque moment et en tout ce que l’on fait, on se sent immédiatement isolé, triste et misérable.

Toutes les fois que vous vous apercevrez que vous pouvez faire quelque chose sans percevoir la présence du Divin, et pourtant rester parfaitement confortable, vous devez comprendre que dans cette partie-là de votre être, vous n’êtes pas consacré. C’est ainsi que vit l’homme ordinaire, qui ne sent pas du tout la nécessité du Divin; mais il ne peut en être de même de celui qui recherche la Vie Divine. Et lorsque vous avez réalisé une complète unité avec le Divin, alors, si le Divin se retirait de vous, ne serait-ce que pour une seconde, vous tomberiez mort, tout simplement; car le Divin est devenu la Vie de votre vie, votre existence entière, votre unique et complet support. Si le Divin n’est pas là, il ne reste rien.

Aux premiers stades du yoga, est-il bon pour le sâdhak de lire des livres ordinaires?

Vous pouvez lire des livres sacrés et cependant être très loin du Divin; et vous pouvez lire les plus stupides productions soi-disant littéraires et être tout de même en contact avec le Divin. Il n’est pas possible d’avoir une idée de ce que sont les mouvements de la conscience transformée jusqu’à ce qu’on ait goûté à la transformation. Il y a un état de conscience en union avec le Divin, dans lequel on peut jouir de tout ce qu’on lit, ainsi que de tout ce que l’on observe, même du livre le plus banal ou des choses les moins intéressantes. On peut entendre de la très pauvre musique — ce genre de musique qui donne généralement envie de s’enfuir — et quand même y trouver un plaisir, non pas dans sa forme extérieure, mais dans ce qui se trouve par-derrière. On ne perd pas le discernement entre la bonne et la mauvaise musique, mais on passe par-delà l’une et l’autre également, pour atteindre à ce qu’elles expriment. Car il n’existe rien dans ce monde qui n’ait, dans le Divin, son soutien et sa vérité ultimes. Et si vous ne vous arrêtez pas aux apparences physiques, morales ou esthétiques, mais allez au-delà et entrez en rapport avec l’Esprit, l’âme Divine dans les choses, vous pouvez atteindre la beauté et la félicité, même à travers ce qui affecte les sens ordinaires et leur paraît laid, pauvre, douloureux ou discordant.

Peut-on dire, comme justification du passé de quelqu’un, que tout ce qui est arrivé dans sa vie devait arriver?

De toute évidence, ce qui est arrivé devait arriver; cela n’aurait pu être si cela n’avait pas dû être. Même les erreurs que nous avons commises et les adversités qui sont tombées sur nous, devaient être; car il y avait en elles quelque nécessité, quelque utilité pour nos vies. Mais à dire vrai, de semblables choses ne peuvent ni ne doivent être expliquées mentalement. Car tout ce qui arrive est nécessaire, non pour quelque raison mentale, mais pour nous conduire bien au-delà de tout ce que le mental peut imaginer. Et est-il nécessaire d’expliquer, après tout? L’univers tout entier explique toute chose à chaque moment, et une chose particulière arrive parce que l’univers dans son ensemble est ce qu’il est. Ceci ne veut pas dire que nous soyons liés, dans une acceptation aveugle, aux lois inexorables de la Nature. Vous pouvez accepter le passé comme un fait établi et percevoir son utilité, et, tout de même, vous servir de l’expérience acquise pour édifier en vous le pouvoir conscient qui vous permettra de diriger et de façonner votre présent et votre avenir.

L’époque des événements est-elle aussi décidée dans le grand Plan du Divin?

Tout dépend de la région dont on parle et dans laquelle on voit. Il y a une région de conscience divine où tout est connu absolument et où le plan des choses, dans son ensemble, est prévu et prédéterminé. Cette manière de voir appartient aux sommets les plus élevés du Supramental ; c’est la vision même du Suprême. Mais quand nous ne possédons pas cette conscience, il ne sert à rien de nous exprimer en termes qui ne sont bons que dans cette région et ne correspondent pas à notre manière présente de voir et de comprendre les choses. Car, dans un domaine inférieur de conscience, rien n’est fixé ni réalisé d’avance; tout est en cours de fabrication. Ici, il n’y a pas de faits préétablis, il n’y a que le jeu des possibilités; et c’est du choc de ces possibilités que jaillit la chose qui doit arriver. Dans ce domaine-ci, nous pouvons choisir et sélectionner; nous pouvons refuser une possibilité et en accepter une autre; nous pouvons suivre un chemin et nous détourner d’un autre. Et cela, nous pouvons le faire, même si ce qui arrive réellement a été prévu et prédéterminé dans une région supérieure.

La Conscience Suprême connaît toute chose d’avance, parce que toute chose existe dans son éternité. Mais par la nécessité de son jeu et afin d’amener à l’exécution dans le domaine physique ce qui a été préordonné dans son Moi suprême, Elle se meut ici, sur terre, comme si Elle ne connaissait pas toute l’histoire; Elle travaille comme si Elle tissait avec un fil nouveau et pas encore essayé. C’est ainsi que par son oubli apparent de sa propre préconnaissance dans les régions supérieures, la Conscience Suprême donne à l’individu, dans la vie active du monde, le sentiment de liberté, d’indépendance et d’initiative. Ces choses en lui sont les instruments et les procédés pragmatiques dont Elle se sert et à travers lesquels les mouvements et les circonstances prévus et décrétés ailleurs sont réalisés ici-bas.

Si vous prenez l’exemple d’un acteur, cela pourra vous aider à comprendre. Un acteur connaît son rôle tout entier : il porte dans sa mémoire l’ensemble des faits qui vont se dérouler dans la pièce. Mais quand il est en scène, il doit paraître ne rien savoir d’avance; il doit sentir et jouer comme s’il éprouvait toutes ces choses pour la première fois, comme si c’était un monde entièrement nouveau, avec tous ses hasards, ses circonstances et ses surprises, qui se déroulait devant ses yeux.

N’y a-t-il donc alors aucune vraie liberté? Est-ce que tout est absolument déterminé, même notre liberté? Le fatalisme est-il donc le plus haut secret?

La liberté et la fatalité, le libre arbitre et le déterminisme sont des vérités qui appartiennent à des états de conscience différents. C’est l’ignorance mentale qui les met sur le même plan et les dresse en opposition l’une à l’autre. La conscience n’est pas une réalité simple et uniforme, elle est complexe, elle n’est pas comme une plaine plate, elle a de multiples dimensions. Au plus haut point de l’échelle, est le Suprême, et au plus bas, la matière, et il y a une infinie gradation de plans de conscience entre ce qui est tout en haut et ce qui est tout en bas.

Dans le domaine de la matière et au niveau de la conscience ordinaire, vous êtes pieds et poings liés. Esclave du mécanisme de la Nature, vous êtes pris dans la chaîne du karma ; et là, dans cette chaîne, tout ce qui arrive est rigoureusement la conséquence de ce qui a été fait auparavant. Il y a une illusion de mouvement indépendant; mais en fait, vous répétez ce que tous les autres font, vous répondez en écho aux mouvements mondiaux de la Nature, vous tournez impuissant sur la roue écrasante de sa machine cosmique.

Mais cela n’est pas inévitable. Vous pouvez changer de place si telle est votre volonté; au lieu de rester en bas, écrasé par le mécanisme ou mû comme une marionnette, il vous est possible de monter et de regarder d’en haut; et en changeant votre conscience, vous pouvez même vous saisir de quelque levier pour agir sur des circonstances en apparence inéluctables et changer des conditions fixes. Dès que vous vous êtes extirpé du tourbillon et que vous vous tenez très haut au-dessus de lui, vous vous apercevez que vous êtes libre, libre de toute contrainte; non seulement vous n’êtes plus un instrument passif, mais vous devenez un agent actif; non seulement vous n’êtes plus lié par les conséquences de votre action, mais vous pouvez même changer ces conséquences. Une fois que vous percevez le jeu des forces, une fois que vous vous élevez jusqu’au plan de conscience où se trouvent les origines de ces forces et que vous vous identifiez à ces sources dynamiques, vous n’appartenez plus à ce qui est mû, mais à ce qui fait mouvoir.

Ceci est justement l’objet du yoga : sortir du cycle du karma pour entrer dans le mouvement divin. Par le yoga, on quitte la ronde mécanique de la Nature, dans laquelle on est un esclave ignorant, un instrument misérable et impuissant, pour monter à un autre plan où l’on devient un participant conscient et un agent dynamique dans l’édification d’une plus haute Destinée. Ce mouvement de la conscience se poursuit sur une double ligne. Avant tout, il y a une ascension ; on se hausse hors du niveau de la conscience matérielle vers des régions supérieures. Mais cette ascension de l’inférieur vers le supérieur appelle, en réponse, une descente du supérieur dans l’inférieur. Quand on s’élève au-dessus de la terre, on fait aussi descendre sur elle quelque chose de ce qui est au-dessus, une lumière, un pouvoir qui transforment ou tendent à la transformation de sa vieille nature. Alors ces choses qui étaient, en nous, distinctes l’une de l’autre, sans connexion et disparates — le supérieur et l’inférieur, les couches intérieure et extérieure de notre être et de notre conscience — se rencontrent et se joignent lentement, et graduellement elles fusionnent en une vérité, une harmonie unique.

C’est de cette façon qu’arrivent ce que l’on appelle les miracles. Le monde est fait d’innombrables plans de conscience, et chacun a ses propres lois distinctives; les lois d’un plan ne sont pas valables sur un autre. Un miracle n’est rien d’autre qu’une descente subite, l’incursion sur le plan matériel d’une autre conscience et de ses pouvoirs, et le plus souvent ce sont les pouvoirs du vital. Un mécanisme d’un plan supérieur est précipité dans le mécanisme matériel. C’est comme un éclair perçant soudain le nuage de notre conscience ordinaire et infusant en celle-ci d’autres forces, d’autres mouvements, d’autres enchaînements. Le résultat, nous l’appelons un miracle, parce que nous voyons une soudaine altération, un brusque renversement des lois naturelles de notre domaine ordinaire, sans en connaître ni en percevoir l’ordre ou la raison, car la source du miracle se trouve sur un autre plan. De telles incursions des mondes de l’au-delà dans notre monde de la matière ne sont pas rares; ce sont même des phénomènes très fréquents, et si nous avons des yeux et savons observer, nous pouvons voir des miracles en abondance. Ils sont particulièrement constants dans l’existence de ceux qui s’efforcent de faire descendre les sphères plus élevées dans la conscience terrestre ici-bas.

La création a-t-elle un but défini? Y a-t-il un point final vers lequel elle évolue?

Non, l’univers est un mouvement qui se déroule indéfiniment. Il n’y a rien que l’on puisse considérer comme la fin et le but uniques. Mais pour les besoins de l’action, nous devons sectionner le mouvement, qui est en lui-même sans fin, et dire que ceci ou cela est le but; car dans l’action, nous avons besoin de quelque chose que nous puissions prendre comme point de mire. Pour faire un tableau, il est nécessaire d’avoir un projet de composition défini ; on doit se fixer des limites, placer le tout dans un encadrement précis, mais les limites sont illusoires, le cadre n’est qu’une convention. Il y a une perpétuelle continuation du tableau, qui se prolonge au-delà de tout cadre particulier, et chaque section de cette continuation pourrait être fixée, de la même manière, dans une série sans fin de cadres. Nous disons que notre but est ceci ou cela ; mais nous savons que c’est seulement le commencement d’un autre but qui est au-delà et qui, à son tour, conduit à un autre, et ainsi de suite : la série se développe toujours et ne s’arrête jamais.

Le 5 mai 1929

Quelle est la fonction exacte de l’intellect? Est-ce qu’il aide ou gêne la sâdhanâ ?

Que l’intellect soit une aide ou une entrave dépend de la personne et de l’usage qu’elle en fait. Il y a un vrai mouvement de l’intellect, et il y a un faux mouvement; l’un aide, l’autre gêne la sâdhanâ. L’intellect qui croit trop à sa propre importance et qui veut la satisfaction pour lui-même, est un obstacle à la plus haute réalisation. D’ailleurs ceci est vrai, non dans un sens spécial et pour l’intellect seul, mais d’une façon générale et pour d’autres facultés aussi. Par exemple, on n’a pas l’habitude de considérer comme une vertu la satisfaction aveugle et immodérée des désirs du vital ou des appétits animaux ; le sens moral est accepté comme un mentor qui trace les limites que l’on ne doit pas transgresser. Et c’est seulement dans les activités intellectuelles que l’homme pense qu’il peut se passer de mentor ou de censeur!

Toute partie de l’être qui reste à sa place et joue le rôle qui lui est assigné, est une aide; mais dès qu’elle sort de sa sphère, elle devient déformée et pervertie, et par conséquent fausse. Le mouvement d’un pouvoir est vrai quand ce pouvoir est mis en activité pour la cause Divine; le mouvement est faux quand le pouvoir entre en activité pour sa propre satisfaction.

L’intellect, dans sa vraie nature, est un instrument d’expression et d’action. C’est quelque chose comme un intermédiaire entre la vraie connaissance, dont le siège est dans les régions supérieures, au-dessus du mental, et la réalisation ici-bas. L’intellect, ou, pour parler de l’ensemble, le mental, donne la forme; le vital y ajoute le dynamisme et le pouvoir de vie; la matière vient en dernier et donne corps.

De quelle façon doit-on faire face aux forces adverses, qui sont invisibles et pourtant si vivantes et tangibles?

Beaucoup dépend du stade de développement de votre conscience. Au commencement, si l’on n’a aucune connaissance ni aucun pouvoir occultes particuliers, le mieux que l’on puisse faire est de rester aussi tranquille et paisible que l’on peut. Si l’attaque prend le caractère de suggestions hostiles, essayez avec calme de les repousser, de même que vous repoussez un objet matériel. Plus vous êtes calme, plus vous devenez fort. La base ferme de tout pouvoir spirituel est l’égalité d’âme. Vous ne devez permettre à rien de troubler votre équilibre; car, en gardant votre équilibre, vous pouvez résister à toutes les attaques. Si, en plus, vous possédez assez de discernement pour percevoir et démasquer les suggestions mauvaises quand elles viennent vers vous, il vous deviendra d’autant plus facile de les rejeter; mais parfois elles arrivent sans qu’on s’en aperçoive, et alors il est plus difficile de les combattre. Quand cela se produit, il faut rester tranquille et faire descendre la paix et un profond calme intérieur. Tenezvous en main fermement et appelez avec confiance et foi ; si votre aspiration est pure et persistante, vous êtes sûr de recevoir l’aide dont vous avez besoin.

Les attaques des forces adverses sont inévitables; il faut les considérer comme des épreuves sur le chemin et traverser courageusement la tourmente. La lutte peut être dure, mais quand on en sort, on a gagné quelque chose, on a avancé d’un pas. Il y a même une nécessité à l’existence des forces hostiles : elles rendent la résolution plus forte, l’aspiration plus claire. Il est vrai, aussi, qu’elles existent parce que vous leur donnez des raisons d’exister. Tant qu’il y a en vous quelque chose qui leur répond, leur intervention est parfaitement légitime. Si rien en vous ne répondait, si elles n’avaient de prise sur aucune partie de votre nature, elles se retireraient et vous laisseraient tranquille. En tout cas, il ne faut pas leur permettre d’arrêter ou d’entraver votre progrès spirituel.

La seule manière de perdre la bataille avec les forces hostiles est de ne pas avoir vraiment confiance en l’aide Divine. La sincérité dans l’aspiration attire toujours le secours nécessaire. Un appel calme et fervent, la conviction que dans l’ascension vers la réalisation, on ne marche jamais seul, et la foi que toujours l’aide est là quand on en a besoin, mènent facilement et sûrement à la victoire.

Est-ce que les forces hostiles viennent généralement du dehors ou du dedans?

Si vous pensez ou sentez qu’elles viennent du dedans, cela prouve que vous leur êtes ouvert et qu’elles se sont installées en vous sans que vous vous en aperceviez. La vraie nature des choses est une harmonie, mais il y a une distorsion dans certains mondes, qui produit la perversion et l’hostilité. Si vous avez une affinité pour ces mondes de déformation, vous pouvez devenir l’ami des êtres qui y vivent et répondre pleinement à leur influence. Cela arrive, mais ce n’est pas une très heureuse condition. La conscience est immédiatement obscurcie et on ne peut plus distinguer le vrai du faux ; on ne peut même plus dire ce qui est un mensonge et ce qui ne l’est pas.

En tout cas, quand une attaque se produit, la plus sage attitude est de considérer qu’elle vient du dehors et de dire : « Ceci n’est pas moi, et je ne veux rien avoir à faire avec ! » Il vous faut agir de la même manière vis-à-vis de toutes les impulsions et tous les désirs inférieurs, de tous les doutes et toutes les incertitudes du mental. Si vous vous identifiez à eux, la difficulté de les combattre devient d’autant plus grande; car vous avez alors le sentiment qu’il faut faire face à la tâche jamais commode de surmonter votre propre nature. Mais dès que vous êtes capable de dire : « Non, ceci n’est pas moi, et je ne veux rien avoir à faire avec ! », il devient beaucoup plus facile de les disperser.

Où peut-on tracer la ligne de démarcation entre le dedans et le dehors?

La ligne est très flexible; elle peut être aussi proche ou aussi éloignée de vous que vous le voulez. Vous pouvez prendre en vous-même toute chose et la sentir comme une parcelle de votre être réel, ou vous pouvez la rejeter comme vous le feriez d’un cheveu ou d’un bout d’ongle, sans en être le moins du monde affecté.

Il y a eu des religions dont les croyants ne se seraient pas séparés, même d’un bout de cheveu ou d’ongle, par peur de perdre ainsi quelque chose de leur personnalité. Ceux qui sont capables de rendre leur conscience aussi vaste que le monde deviennent le monde; mais ceux qui s’enferment dans leur petit corps et leurs sensations limitées s’arrêtent à ces limites; leurs corps et leurs mesquines sensations forment pour eux la totalité de leur être.

Est-ce que la foi, à elle seule, peut tout créer, tout conquérir?

Oui. Mais ce doit être une foi intégrale et absolue. Elle doit être de la vraie sorte, non pas seulement la force d’une pensée ou d’une volonté mentale, mais quelque chose de bien plus profond. La volonté émanant du mental fait surgir des réactions opposées et crée une résistance. Vous devez avoir entendu parler de la méthode de Coué pour guérir les maladies. Il connaissait quelque chose de ce pouvoir, et en l’utilisant, il a obtenu des résultats remarquables; mais il appelait ce pouvoir, imagination, et sa méthode donnait une forme trop mentale à la foi qu’il utilisait. La foi mentale n’est pas suffisante; elle doit être complétée et fortifiée par une foi vitale et même physique, une foi du corps. Si vous réussissez à créer en vous-même, dans tout votre être, une force intégrale de ce genre, alors rien ne peut lui résister; mais vous devez établir la foi jusque dans les cellules de votre corps. Il y a maintenant, par exemple, une connaissance qui commence à se répandre parmi les savants et qui tendrait à prouver que la mort n’est pas une nécessité. Mais l’humanité, dans son ensemble, croit fermement à la mort; on peut dire que c’est une suggestion humaine générale fondée sur une longue et invariable expérience. Si cette croyance pouvait être rejetée, d’abord de la mentalité consciente, puis de la nature vitale et des couches subconscientes du physique, la mort ne serait plus inévitable.

Mais ce n’est pas seulement dans la pensée de l’homme que cette idée de la mort existe. La création animale connaissait la mort avant lui.

En fait, la mort a été attachée à toute vie sur terre; mais l’homme lui donne un sens différent de celui qui lui fut donné par la Nature originairement. Dans l’homme et les animaux qui sont les plus proches de son niveau, la nécessité de la mort a pris, pour leur conscience, une forme et une signification spéciales; mais la connaissance subconsciente dans la Nature inférieure, qui soutient la mort, est la sensation de la nécessité du renouvellement, du changement et de la transformation.

C’est l’état de la matière sur la terre qui a rendu la mort indispensable. Tout le sens de l’évolution de la matière a été une croissance qui partait d’un premier état d’inconscience pour se diriger vers une conscience toujours accrue. Et à cause de la façon même dont les choses arrivèrent, la dissolution des formes devint une implacable nécessité dans ce processus de croissance. Car une forme fixe était nécessaire pour que la conscience individuelle organisée pût avoir un support stable.

Et en même temps, ce fut la fixité des formes qui rendit la mort inévitable. La matière devait être mise en formes; l’individualisation et l’incorporation concrète des forces de vie et des forces de conscience auraient été impossibles sans cette mise en formes; et sans ces forces, les conditions essentielles à l’existence organisée sur le plan matériel auraient manqué. Mais une forme définie et concrète a immédiatement tendance à devenir rigide, dure et pétrifiée. La persistance même de la forme individuelle en fait un moule qui emprisonne trop ; elle ne peut pas suivre les mouvements des forces; elle ne peut satisfaire continuellement les demandes de la Nature ni avancer du même pas qu’elle; ainsi elle est rejetée hors du courant. À un certain point de cette croissante disparité, de cette désharmonie entre la forme et la force qui fait pression sur elle, une complète dissolution de la forme est inévitable. Une nouvelle forme doit être créée, une nouvelle harmonie, une nouvelle parité rendues possibles. Tels sont la vraie signification de la mort et l’usage que la Nature en fait. Mais si la forme devenait plus prompte et plus souple, si les cellules du corps s’éveillaient à la capacité de changer avec le changement de la conscience, la nécessité d’une dissolution brutale n’existerait plus et la mort ne serait plus inévitable.

On a dit que les désastres et catastrophes de la Nature — séisme, déluge et disparition de continents — sont la conséquence d’une humanité discordante et pécheresse, et qu’avec le progrès et le développement de la race humaine, un changement correspondant se produirait dans la Nature physique. Quelle créance peut-on accorder à ce dire?

Peut-être serait-il plus vrai de dire que c’est un seul et même mouvement de conscience qui s’exprime par une Nature surchargée de calamités et de catastrophes, et par une humanité Entretiens 1929 42 inharmonieuse. Les deux choses ne vont pas de cause à effet, mais se trouvent sur le même niveau. Au-dessus d’elles, est une conscience qui cherche à se manifester, à s’incorporer sur terre, et qui, dans sa descente vers la matière, rencontre partout la même résistance, que ce soit dans l’homme ou dans la Nature physique. Tout le désordre, toute la discordance que nous voyons sur terre sont le résultat de cette résistance. Les calamités et les catastrophes, les conflits et les violences, l’obscurité et l’ignorance, tous les maux proviennent de la même source. L’homme n’est pas la cause de la Nature extérieure, pas plus que la Nature extérieure n’est la cause de l’homme; mais tous deux dépendent d’une même et unique chose qui est derrière eux et plus grande qu’eux ; et tous deux font partie d’un mouvement perpétuellement progressif pour exprimer Cela.

Il est vrai que s’il y a, éveillées quelque part sur terre, une réceptivité et une ouverture suffisantes pour faire descendre quelque chose de la Conscience Divine dans sa pureté, cette descente, cette manifestation sur terre pourra changer, non seulement la vie intérieure, mais aussi les conditions matérielles, l’expression physique dans l’homme et dans la Nature. Pour être possible, cette descente ne dépend pas de la condition de l’humanité dans son ensemble. Si nous devions attendre, pour que les conditions matérielles et les mouvements de la Nature puissent changer, que la masse humaine ait atteint un état d’harmonie, d’unité et d’aspiration assez fort pour faire descendre la Lumière, il y aurait bien peu d’espoir. Mais il est possible pour un individu ou un petit groupe d’un nombre limité d’obtenir cette descente. Ce ne sont pas la quantité ni l’étendue qui importent. Une goutte de la Conscience Divine pénétrant dans sa pureté originelle la conscience de la terre suffirait à tout changer.

C’est le mystère du contact et de la fusion des plans de conscience supérieurs et inférieurs qui est le grand secret, la clef cachée. Ce contact et cette fusion ont toujours une force transformatrice; dans le cas dont nous parlons, cependant, le résultat serait d’une plus vaste étendue et d’une plus haute portée. Si quelqu’un sur terre est capable d’entrer consciemment en contact avec une région qui ne s’est pas encore manifestée ici-bas, et si, en s’élevant jusqu’à elle en pleine conscience, il peut faire que cette région et le monde matériel se rencontrent et s’harmonisent, alors se produira le grand mouvement décisif de la transformation de la Nature, jusqu’ici irréalisée. Un nouveau pouvoir descendra et changera les conditions de la vie sur la terre.

Même dans l’état actuel des choses, chaque fois qu’une grande âme est venue et a révélé une lumière, une vérité, ou a fait descendre sur terre une force nouvelle, les conditions de la terre ont changé, quoique pas exactement de la manière attendue ou espérée. Par exemple, un être qui avait atteint un certain plan de connaissance, de conscience et d’expérience spirituelle vint et dit : « Je vous apporte la libération »; ou un autre : « Je vous apporte la paix. » Ceux qui étaient autour de l’un ou de l’autre crurent, peut-être, que leur promesse devait s’entendre d’une façon matérielle; quand ils découvrirent qu’il n’en était pas ainsi, ils ne comprirent plus ce qui avait été fait. Ce qui avait été effectué, c’était un changement dans la conscience, la possibilité d’une paix jusqu’alors inconnue, ou une capacité de libération qui n’existait pas ici auparavant. Mais ces mouvements appartenaient à la vie intérieure et ne produisirent aucun changement extérieur tangible dans le monde. Peut-être que l’intention de changer le monde extérieurement n’était pas là ; peut-être que la connaissance nécessaire manquait; cependant, malgré tout, ces pionniers réalisèrent quelque chose.

En dépit de toutes les apparences contraires, il se peut que la terre se soit préparée à une certaine réalisation, pas à pas, par étapes. Il y a eu un changement dans les civilisations et un changement dans la Nature. Si cela ne nous semble pas très apparent, c’est parce que nous regardons les choses d’un point de vue extérieur; et aussi parce que, au point de vue de la Vie Divine, la matière et ses difficultés n’ont jamais été prises en sérieuse considération jusqu’à présent. Toutefois, il y a eu des progrès intérieurement; dans la conscience interne il y a eu des descentes de Lumière. Mais en ce qui concerne une réalisation quelconque dans la matière, il est difficile de rien dire, car nous ne savons pas exactement ce qui aurait pu se produire dans ce domaine.

Dans un passé très lointain, il y a eu de belles et grandes civilisations, peut-être aussi avancées matériellement que la nôtre. Envisagée d’un certain point de vue, la culture la plus moderne semble être seulement une répétition des cultures anciennes, et cependant, on ne peut pas dire qu’il n’y ait eu de progrès nulle part. Un progrès intérieur, au moins, a été accompli, et une plus grande aptitude à répondre à la conscience supérieure est née dans les domaines matériels. Il a été nécessaire de faire et de refaire les mêmes choses encore et encore parce que ce qui avait été essayé n’avait pas été suffisamment bien fait; mais à chaque tentative, on s’est approché davantage du but à atteindre. Quand nous répétons maintes fois un exercice pour nous entraîner, nous semblons recommencer toujours la même chose, et cependant le résultat d’ensemble est un changement effectif.

L’erreur est de regarder ces choses à la dimension de la conscience humaine, car, vus ainsi, ces mouvements vastes et profonds paraissent inexplicables. Il est dangereux d’essayer de les comprendre et de les interpréter avec l’intelligence mentale limitée. Telle est la raison pour laquelle la philosophie a toujours été incapable de dévoiler le secret des choses; c’est parce qu’elle a essayé de réduire l’univers à la taille de l’esprit humain.

Combien d’entre nous se souviennent-ils de leurs vies antérieures?

En tous, quelque part dans la conscience, il y a un souvenir. Mais ce sujet est dangereux, car le mental humain aime trop les romans. Dès qu’il sait quelque chose de cette vérité de la réincarnation, il veut construire autour d’elle de belles histoires. Beaucoup de gens vous conteront des merveilles sur la façon dont le monde fut construit et sur ce qu’il deviendra dans l’avenir; ils vous diront où et comment vous êtes né dans le passé et ce que vous serez plus tard, les vies que vous avez vécues et celles qu’il vous reste à vivre. Tout cela n’a rien à voir avec la vie spirituelle. Il se peut que le vrai souvenir des existences passées fasse partie de la connaissance intégrale; mais ce souvenir ne peut être obtenu au moyen de fantaisies imaginatives. Car, si d’un côté c’est une connaissance objective, de l’autre côté ce souvenir dépend largement de l’expérience subjective, et ceci laisse beaucoup de place à l’invention, la déformation et la construction fausse. Pour atteindre la vérité de ces choses, la conscience qui a l’expérience doit être pure et limpide, libre de toute intervention mentale ou vitale, débarrassée de toutes notions et de tous sentiments personnels, délivrée de l’habitude du mental d’interpréter et d’expliquer tout à sa manière. Une expérience de vie passée peut être vraie; mais entre ce qui a été vu et éprouvé et les explications et les constructions faites à ce sujet par le mental, il y a toujours un abîme. C’est seulement quand on peut s’élever au-dessus des sentiments humains et sortir du mental, que l’on est sûr d’atteindre la vérité.

Le 12 mai 1929

Il y a des êtres humains qui sont comme des vampires. Que sont-ils et pourquoi sont-ils ainsi?

Ils ne sont pas humains; la forme, l’apparence seule est humaine. Ce sont des incarnations d’êtres qui proviennent d’un monde juste voisin du physique, d’êtres qui vivent sur un plan que nous appelons le monde vital. C’est le monde de tous les désirs, toutes les impulsions et toutes les passions, le monde de la violence, de l’avidité, de la ruse et de tous les genres d’ignorance; mais tous les dynamismes aussi sont là, toutes les énergies de vie et bien des pouvoirs. Les êtres de ce monde ont, de par leur nature, une étrange emprise sur le monde matériel et peuvent exercer sur lui une influence sinistre. Certains d’entre eux sont constitués de fragments d’êtres humains qui persistent après la mort, dans l’atmosphère vitale, près du plan terrestre. Les désirs et les appétits des hommes continuent à flotter là et conservent leur forme, même après la dissolution du corps; souvent ils cherchent encore à se manifester et à se satisfaire, et la naissance de ces créatures du monde vital en est la conséquence. Mais ceux-là sont des êtres de peu d’importance, et, quoiqu’ils puissent être très désagréables, il n’est pas impossible de se tirer d’affaire avec eux. Il y en a d’autres, beaucoup plus dangereux, qui n’ont jamais appartenu à une forme humaine; jamais ils ne naquirent dans un corps humain sur terre; car, le plus souvent, ils refusent ce mode de naissance qui rend esclave de la matière, et ils préfèrent rester dans leur propre monde, puissants et nuisibles, et, de là, garder leur emprise sur les êtres terrestres. Car, bien qu’ils n’acceptent pas de naître sur terre, ils veulent être en contact avec la nature physique, mais sans être liés par elle.

Leur méthode consiste à essayer d’abord de jeter leur influence sur un homme. Ensuite, ils entrent lentement dans son atmosphère, et, à la fin, ils peuvent prendre complètement possession de lui, chassant entièrement la vraie âme humaine et sa personnalité. Ces créatures, quand elles sont ainsi en possession d’un corps terrestre, peuvent avoir l’apparence humaine, mais elles n’ont certes pas la nature humaine. Elles ont l’habitude de tirer à elles la force de vie des êtres humains; elles attaquent et capturent le pouvoir vital partout où elles peuvent s’en nourrir. Si elles pénètrent dans votre atmosphère, vous vous sentez soudain déprimé et épuisé; si vous restez près d’elles quelque temps, vous tombez malade; si vous vivez avec l’une d’elles, cela peut vous tuer.

Mais comment peut-on débarrasser son entourage de telles créatures, une fois qu’elles y sont entrées?

Le pouvoir vital incarné dans de tels êtres est d’un genre tout à fait matériel et agit seulement à une très courte distance. D’ordinaire, si vous ne vivez pas dans la même maison qu’eux, ou que vous ne soyez pas en leur compagnie, vous ne risquez guère de tomber sous leur influence. Mais si vous établissez entre eux et vous un chemin de liaison ou de communication, par lettre, par exemple, alors vous rendez possible un échange de forces et vous vous exposez à être influencé par eux, même à grande distance. La méthode la plus sage avec ces êtres est de couper toute relation et de ne rien avoir à faire avec eux — à moins, en vérité, que vous n’ayez une grande connaissance et un fort pouvoir occultes et que vous sachiez comment vous couvrir et vous protéger; mais, même dans ce cas, il est toujours dangereux de les fréquenter. Espérer les convertir, comme le souhaitent certaines personnes, est une vaine illusion; car ils ne veulent pas être convertis. Ils n’ont aucune intention de permettre une transformation et tout effort dans ce sens est inutile.

Ces êtres, quand ils sont dans un corps humain, n’ont pas souvent conscience de ce qu’ils sont réellement. Quelquefois ils ont la vague sensation qu’ils ne sont pas tout à fait humains à la manière ordinaire. Cependant, il y a des cas où ils sont conscients, et très conscients; non seulement ils savent qu’ils n’appartiennent pas à l’humanité, mais ils savent aussi ce qu’ils sont, agissent selon cette connaissance et poursuivent délibérément leurs fins. Les êtres du monde vital sont puissants par leur nature même; quand à leur pouvoir ils ajoutent la connaissance, ils sont doublement dangereux. Il n’y a rien à faire avec ces créatures; on doit éviter soigneusement tout rapport avec elles, à moins qu’on n’ait le moyen de les écraser et de les détruire. Si vous êtes forcé par les circonstances d’entrer en contact avec l’une d’elles, prenez bien garde au charme qui se dégage d’elle. Les êtres du vital, quand ils se manifestent sur le plan physique, ont toujours un grand pouvoir hypnotique, car le centre de leur conscience est dans le monde vital et non dans le matériel, et ils ne sont pas voilés et rapetissés par la conscience matérielle comme le sont les êtres humains.

N’est-ce point un fait qu’une étrange fascination attire ces créatures vers la vie spirituelle?

Oui, parce qu’elles sentent qu’elles n’appartiennent pas à cette terre, mais viennent d’ailleurs; elles sentent aussi qu’elles possédaient des pouvoirs qu’elles ont à moitié perdus, et elles sont impatientes de les regagner. Ainsi, chaque fois qu’elles rencontrent quelqu’un qui peut leur donner une connaissance du monde invisible, elles courent à lui. Mais elles prennent le monde vital pour le spirituel, et leur recherche tend à des fins vitales et non spirituelles. Parfois aussi, elles s’efforcent délibérément de corrompre la spiritualité et d’en construire une imitation dans le monde de leur nature propre. Même dans ce cas, c’est un genre d’hommage qu’elles rendent, ou une sorte de dédommagement qu’elles payent à leur manière, à la vie spirituelle. Elles sont aussi contraintes par une sorte d’attraction ; elles se sont révoltées contre la loi divine, mais en dépit de leur révolte, ou peut-être même à cause d’elle, elles se sentent en quelque sorte liées et sont puissamment attirées par la présence du Divin.

C’est pourquoi on peut les voir parfois servir d’instruments pour mettre en rapport les uns avec les autres ceux qui doivent réaliser la vie spirituelle sur terre. Ce n’est pas volontairement qu’elles remplissent ce rôle, mais elles y sont contraintes. C’est une sorte de compensation qu’elles ont à payer. Car elles sentent la pression de la lumière qui descend, elles pressentent que le temps est venu ou viendra bientôt, où elles auront à choisir entre la conversion et la dissolution, choisir entre se soumettre à la volonté divine et prendre leur place dans la Grande Œuvre, ou sombrer dans l’inconscience et cesser d’être. Le contact avec un chercheur de la vérité donne à de telles créatures leur chance de changement. Tout dépend de comment elles utilisent cette chance. Prise de la bonne manière, elle peut leur ouvrir le chemin de la libération et les faire sortir du mensonge, de l’obscurité et de la misère, qui sont l’étoffe même dont sont faits les êtres du vital, et les mener à la régénération et à la vie.

Est-ce que ces êtres n’ont pas un grand pouvoir sur l’argent?

En effet, le pouvoir sur l’argent est maintenant sous l’influence ou entre les mains des forces et des êtres du monde vital. C’est à cause de cette influence que jamais on ne voit l’argent aller en sommes considérables à la cause de la vérité. Toujours il se fourvoie, car il est sous la griffe des forces hostiles et c’est un de leurs principaux moyens de garder leur emprise sur la terre. La mainmise des forces hostiles sur le pouvoir de l’argent est puissamment, complètement et soigneusement organisée, et c’est une tâche des plus difficiles que d’extraire quoi que ce soit de cette compacte organisation. Chaque fois que l’on essaye de retirer un peu d’argent à ses gardiens actuels, on doit livrer une bataille féroce.

Et pourtant, une seule victoire sérieuse remportée quelque part sur les forces adverses qui ont le contrôle de l’argent, rendrait la victoire possible, simultanément et automatiquement, à tous les autres points aussi. Si sur un point ces forces cédaient, tous ceux qui maintenant sentent qu’ils ne peuvent pas donner d’argent à la cause de la vérité, soudain éprouveraient un grand, un intense désir de donner. Ce n’est pas que ces hommes riches, qui sont plus ou moins des jouets et des instruments entre les mains des forces vitales, aient une répugnance à dépenser; leur avarice se montre seulement quand les impulsions vitales et les désirs ne sont pas éveillés en eux. Lorsqu’il s’agit de satisfaire quelque désir qu’ils appellent le leur, ils dépensent facilement; mais quand il leur est demandé de donner une part de leur confort et des bénéfices de leurs richesses à l’œuvre de vérité, alors ils trouvent bien dur de se séparer de leurs biens. Le pouvoir vital qui contrôle l’argent est comme un gardien qui conserverait son bien dans un grand coffre-fort toujours soigneusement fermé. Chaque fois qu’il est demandé aux gens qui sont sous son influence de se défaire de quelque argent, ils posent toutes sortes de questions méfiantes avant de consentir à ouvrir leur bourse, ne serait-ce qu’un tout petit peu; mais si l’impulsion vitale se lève en eux avec toutes ses exigences, le gardien est heureux d’ouvrir son coffre tout grand et l’argent coule à flots librement. En général, les désirs auxquels ces gens obéissent ont rapport aux impulsions sexuelles, mais très souvent aussi ils cèdent au désir de la renommée et de la considération, au désir de la bonne chère ou à tout autre qui se trouve sur le même niveau vital. Tout ce qui n’appartient pas à cette catégorie est questionné et scruté avec soin, accepté à contre-cœur, et, le plus souvent, repoussé à la fin. Chez ceux qui sont les esclaves des êtres du vital, le désir d’acquérir la vérité, la lumière et la réalisation spirituelle, même s’il les touche, ne peut en aucune façon contrebalancer le désir de l’argent. Gagner pour la cause divine l’argent qui est en leurs mains, équivaut à chasser d’eux le diable; il faut d’abord conquérir ou convertir l’être vital qu’ils servent, et ce n’est pas une tâche aisée. Plutôt que de mettre ce qu’ils possèdent au service du Divin, les hommes qui sont sous l’emprise des êtres du vital préfèrent parfois renoncer à leur vie de confort; mais ils peuvent rejeter loin d’eux toute jouissance et devenir intensément ascétiques sans pour cela rien perdre de leur perversité; il arrive même que ce changement les rende pires qu’ils n’étaient auparavant.

Pourquoi est-il permis à une personne d’exercer sa volonté sur une autre?

Ce n’est pas qu’il soit permis à telle personne d’exercer sa volonté sur telle autre; mais il y a une volonté universelle, et ceux qui sont capables dans une certaine mesure de la manifester, semblent avoir une plus grande force de volonté. Elle est comme la force vitale, la lumière ou l’électricité, ou tout autre pouvoir de la Nature. Certains sont de bons conducteurs pour manifester sa puissance; d’autres, de mauvais conducteurs. Il n’est pas question de moralité en ceci. C’est un fait de la Nature, une loi du grand jeu.

Peut-on rencontrer les êtres du vital dans leur propre domaine?

Les êtres du vital évoluent dans un monde supraphysique où les hommes, s’ils y entrent par hasard, se sentent perdus, impuissants, sans défense. L’être humain est chez lui, en sécurité, dans son corps matériel ; le corps est sa protection. Il y a des gens qui sont pleins de dédain pour leur corps et qui pensent que tout deviendra bien meilleur et plus facile après la mort, sans lui. Mais en fait, le corps est leur abri, leur forteresse; tant qu’ils y sont logés, les forces du monde vital trouvent difficile d’avoir une prise directe sur eux. Savez-vous ce que sont les cauchemars? Ce sont vos sorties dans le monde vital. Et quelle est la première chose que vous essayez de faire quand vous êtes en proie à un cauchemar? Vous revenez en grande hâte vers votre corps et vous vous secouez jusqu’à ce que vous ayez repris votre conscience physique normale. Tandis que dans le monde des forces vitales, vous êtes un étranger; c’est une mer inconnue sur laquelle vous n’avez ni boussole ni gouvernail. Vous ne savez pas comment avancer ni où vous devez aller; et à chaque pas, vous faites tout juste le contraire de ce qui devrait être fait.

Dès que vous entrez dans une région du monde vital, ses habitants se pressent autour de vous pour vous soustraire tout ce que vous avez, se saisir de ce qu’ils peuvent, comme d’une proie, pour s’en nourrir. Si vous n’avez pas une forte et puissante lumière qui puisse rayonner du dedans de votre être, vous vous trouvez là, sans votre corps, comme si vous n’aviez pas de manteau pour vous protéger contre le froid, ou de maison pour vous abriter, ou même de peau pour couvrir vos nerfs mis à nu et exposés à tous les contacts. Il y a des hommes qui osent dire : « Comme je suis malheureux dans ce corps! » et qui pensent à la mort comme à une délivrance. Mais après la mort vous avez le même entourage vital et vous courez les mêmes dangers provenant des mêmes forces qui sont causes de vos misères durant cette vie. La dissolution du corps vous projette dans les étendues du monde vital; et vous n’y avez plus rien pour vous défendre, plus de corps physique dans lequel vous puissiez trouver refuge.

C’est ici, sur terre, dans le corps lui-même, que vous devez acquérir une complète connaissance et apprendre à faire usage d’un plein pouvoir. C’est seulement après avoir acquis cette connaissance et ce pouvoir, que vous pouvez librement vous mouvoir dans tous les mondes, en toute sécurité. C’est seulement quand il vous est impossible de ressentir la moindre peur, quand vous restez impassible, même, par exemple, au milieu du pire cauchemar, que vous pouvez affirmer : « Maintenant je suis prêt à entrer dans le monde vital. » Mais ceci veut dire l’acquisition d’un pouvoir et d’une connaissance qui ne viennent que lorsque l’on est parfaitement maître des impulsions et des désirs de la nature vitale. Vous devez être absolument libéré de tout ce qui peut attirer les êtres d’obscurité et leur permettre de vous gouverner. Si vous n’êtes pas libre, prenez garde!

Pas d’attachements, pas de désirs, pas d’impulsions, pas de préférences; une égalité d’âme parfaite, une paix invariable, une foi absolue en la protection Divine; avec cela, vous êtes en sûreté, mais sans cela vous êtes en péril. Et tant que votre sécurité n’est pas certaine, il vaut mieux faire comme les petits poussins et trouver un abri sous les ailes maternelles.

Comment le corps physique peut-il servir de protection?

Le corps agit comme une protection par sa lourdeur : la chose même dont nous lui faisons un reproche. Il est inerte et insensible, épais, rigide et dur; il est semblable à une forteresse avec ses murs compacts et forts. Le monde vital, au contraire, est fluidique; là, toutes choses se meuvent, se mélangent et s’interpénètrent librement; ce sont comme les vagues de la mer qui coulent, sans cesse, l’une dans l’autre, changent et se mêlent. On est sans défense contre cette fluidité du monde vital, à moins qu’on ne puisse lui opposer du dedans une force et une lumière très puissantes; sans cela, elle vous pénètre et il n’y a rien qui puisse contrecarrer son influence envahissante. Mais le corps intervient; il isole du monde vital et agit comme une digue enrayant le flot débordant de ces forces.

Comment peut-il y avoir une individualité dans les formes du monde vital, si elles sont si fluides?

L’individualité est là, seulement les formes ne sont pas si fixes et dures que celles des êtres incarnés. L’individualité ne signifie pas une rigidité dépourvue de toute plasticité. Une pierre a une forme très rigide, peut-être la plus rigide que nous connaissions, et pourtant elle possède bien peu d’individualité. Prenez dix ou vingt pierres ensemble, et il vous faudra être très soigneux si vous voulez les distinguer l’une de l’autre. Mais les êtres du monde vital peuvent être reconnus et différenciés au premier coup d’œil ; on les distingue par quelque chose dans la structure de leur forme, par l’atmosphère que chacun apporte avec lui, par la manière dont chacun se meut, parle et agit. De même que l’expression des êtres humains change suivant qu’ils sont heureux ou mécontents, de même chez ces êtres, les changements d’humeur altèrent les apparences; mais les altérations sont plus considérables dans le monde vital ; là, ce n’est pas l’expression seule, mais la forme elle-même des traits qui change.

Le 19 mai 1929

Quelle est la nature du pouvoir que la pensée possède? Comment et jusqu’à quel point suis-je le créateur de mon monde?

D’après l’enseignement bouddhique, tout homme vit et se meut dans un monde qui lui est particulier, tout à fait indépendant des mondes dans lesquels vivent les autres. C’est seulement quand une certaine harmonisation est établie entre ces différents mondes, qu’il leur est possible de s’interpénétrer; et alors les hommes peuvent se rencontrer vraiment et se comprendre l’un l’autre. Ceci est vrai pour le mental, car chacun se meut dans son propre monde mental, construit avec les pensées qu’il a faites siennes. Et c’est si vrai que, toujours, quand une chose est dite, chacun comprend d’une façon différente suivant sa formation mentale; en effet, ce que chacun saisit n’est pas ce qui a été dit, mais ce qu’il a déjà dans sa tête. Cependant, cette vérité n’appartient qu’aux mouvements du plan mental et ne s’applique que là.

Car le mental est un instrument d’action et de formation, non un instrument de connaissance; à chaque moment il crée des formes. Les pensées sont des formes et ont une vie individuelle, indépendante de leur auteur; envoyées par lui à travers le monde, elles y évoluent vers la réalisation de leur raison d’être. Quand vous pensez à quelqu’un, vos pensées prennent une forme et vont le trouver; et si vous avez associé votre pensée à une volonté qui la supporte, la forme-pensée qui est sortie de vous fait un effort pour se réaliser. Prenons un exemple : vous avez un grand désir qu’une certaine personne vienne vous voir, et, en même temps que l’impulsion vitale du désir, une forte imagination accompagne la forme mentale que vous avez faite; vous imaginez : « Si elle vient, il se passera ceci ou cela. » Après quelque temps, vous laissez complètement tomber la pensée et vous ne savez pas que, même après que vous l’avez oubliée, elle continue à exister et à agir. Car elle existe toujours et son action est indépendante de vous. En fait, il vous faudrait une grande puissance pour être capable de lui faire cesser son travail. Elle est à l’œuvre dans l’atmosphère de la personne à qui elle a été envoyée, pour créer en elle le désir de venir. Et en admettant qu’il y ait dans votre forme-pensée un pouvoir de volonté suffisant et que ce soit une formation bien faite, elle arrivera à ses fins. Mais entre la formation et sa réalisation, un certain temps se passe, et si, durant cet intervalle, votre pensée a été occupée par d’autres choses, quand se produit l’accomplissement de la pensée que vous avez oubliée, il se peut même que vous ne vous rappeliez plus que c’est vous qui lui aviez donné naissance; vous ne savez pas que vous avez été l’instigateur de son action et la cause de ce qui se passe. Il arrive aussi très souvent que quand le résultat se présente, vous avez cessé de le désirer ou même d’y attacher aucune importance.

Il y a des hommes qui ont un très fort pouvoir de formation de ce genre, et toujours ils voient leurs formations se réaliser; mais parce que leur être mental et vital n’est pas bien discipliné, parce que leur volonté n’est pas unique dans son orientation, ils veulent tantôt une chose, tantôt une autre, et ces formations différentes et parfois opposées produisent des résultats qui s’entrechoquent et se contredisent. Ces gens s’étonnent de vivre dans une si grande confusion et désharmonie! Ils ne comprennent pas que ce sont leurs propres pensées, issues de leurs désirs, qui ont construit autour d’eux les circonstances qui leur semblent incohérentes et contradictoires et qui rendent leur vie presque insupportable.

Cette connaissance est d’une grande importance, si elle est donnée en même temps que le secret d’en faire un bon usage. La discipline et la maîtrise de soi sont le secret; le secret est de trouver en soi-même la source de la Vérité et ce constant gouvernement de la Volonté Divine, qui seul peut donner à chaque formation son plein pouvoir et sa réalisation intégrale et harmonieuse.

En général, les hommes forment des pensées sans savoir comment ces formations se meuvent et agissent. Construites dans un état de confusion et d’ignorance, elles entrent en conflit l’une avec l’autre, créent une sensation de tension, d’effort et de fatigue, et donnent l’impression que l’on doit se percer un chemin à travers une multitude d’obstacles. Ces conditions d’ignorance et d’incohérence produisent une sorte de mêlée dans laquelle les formes les plus fortes et les plus durables remportent la victoire sur les autres.

Une chose est certaine au sujet du mental et de sa façon de travailler, c’est que l’on ne peut comprendre que ce que l’on sait déjà dans son être intérieur. Vous êtes frappé, dans un livre, par ce que vous avez déjà expérimenté profondément au-dedans de vous. Souvent, quand un homme trouve merveilleux un livre ou un enseignement, on l’entend dire : « Ceci est exactement ce que je sentais et savais, mais je ne pouvais pas l’exprimer aussi bien et clairement que c’est exprimé ici. » Quand un livre de vraie connaissance tombe entre les mains des hommes, chacun se découvre lui-même dans le livre, et à chaque nouvelle lecture, il fait de nouvelles trouvailles qu’il n’avait pas vues tout d’abord : chaque fois s’ouvre devant lui un nouveau champ de connaissance qui lui avait jusqu’alors échappé. C’est parce que, chaque fois, sont touchés de nouveaux plans de connaissance qui attendaient dans son subconscient le pouvoir de s’exprimer; maintenant, l’expression a été donnée par quelqu’un d’autre et bien mieux qu’il n’aurait pu le faire lui-même. Mais dès qu’il rencontre l’expression, il la reconnaît et sent que c’est la Vérité. La connaissance qui semble vous venir du dehors est seulement une occasion d’amener à la surface la connaissance qui était au-dedans de vous.

L’expérience de la déformation de ce qui a été dit est très fréquente et provient d’une source similaire. Par exemple, on dit une chose qui est parfaitement claire; mais la manière dont elle est comprise est stupéfiante! Chacun voit en elle quelque chose d’autre que ce que l’on voulait dire, et même parfois lui donne un sens contraire à celui qu’elle avait. Si vous voulez comprendre vraiment et éviter ce genre d’erreur, vous devez passer derrière le son et le mouvement des mots et apprendre à écouter en silence. Si vous écoutez en silence, vous entendrez et comprendrez correctement; mais tant qu’il y a quelque chose qui remue et fait du bruit dans votre cerveau, vous comprenez seulement ce qui est dans votre tête et non ce qui vous est dit.

Pourquoi est-on assailli par une armée de circonstances adverses dès qu’on entre en contact avec le yoga ? Il a été dit que lorsque l’on ouvre la porte au yoga, on a immédiatement à faire face à une multitude d’obstacles. Est-ce vrai?

Ce n’est pas une règle absolue; cela dépend surtout de la personne. Pour beaucoup, les circonstances adverses viennent mettre à l’épreuve les points faibles de leur nature. L’égalité d’âme est la base indispensable du yoga ; elle doit être bien établie avant que l’on puisse avancer librement sur le chemin. Il va de soi que, de ce point de vue, tous les ennuis sont des épreuves qu’il faut passer. Mais ils sont nécessaires aussi pour jeter bas les limites que vos constructions mentales ont dressées autour de vous et qui vous empêchent de vous ouvrir à la Lumière et à la Vérité. Le monde mental dans lequel vous vivez est limité, quoiqu’il se puisse que vous ne connaissiez ni ne sentiez ses limitations; quelque chose doit venir détruire cette construction dans laquelle votre mental s’est enfermé, et le libérer. Par exemple, la plupart ont des règles, des idées et des principes fixes, auxquels ils attribuent une importance capitale; le plus souvent ils adhèrent à certains préceptes moraux, tels que les commandements : « Tu honoreras ton père et ta mère », ou : « Tu ne tueras point », ou d’autres du même genre. Chaque homme a sa manie, son mot d’ordre préféré; chacun pense qu’il est libre de tel ou tel préjugé, dont les autres sont affublés, et il est prêt à condamner de telles notions comme tout à fait fausses; mais en même temps, il s’imagine que les siennes ne sont pas du tout du même genre; les siennes sont pour lui la vérité, la vraie vérité.

L’attachement à une règle mentale est l’indication d’un aveuglement qui se cache encore quelque part. Prenez, par exemple, cette superstition faisant loi dans le monde entier, que l’ascétisme et la spiritualité sont une seule et même chose. Si vous parlez de quelqu’un comme d’un homme spirituel, la plupart des gens se le représentent ne mangeant pas, assis toute la journée sans bouger, ou vivant très pauvrement dans une hutte, ayant donné tout ce qu’il possédait sans rien garder pour lui. Tel est le tableau qui vient immédiatement à l’esprit de quatrevingt-dix-neuf personnes sur cent quand vous leur parlez d’un homme spirituel ; pour elles, la seule preuve valable de spiritualité est la pauvreté et l’abstinence de tout ce qui peut être agréable ou confortable. C’est une construction mentale qui doit être détruite si l’on veut être libre de voir et de suivre la vérité spirituelle. Sinon, voici ce qui peut arriver : vous allez à la vie spirituelle avec une sincère aspiration et vous voulez rencontrer le Divin et Le réaliser dans votre conscience et votre vie; votre recherche vous amène à un endroit qui n’est pas du tout une cabane et vous vous trouvez en présence de l’Homme-Dieu vivant confortablement, mangeant librement, entouré de belles et luxueuses choses, ne distribuant pas ce qu’il a aux pauvres, mais acceptant et utilisant tout ce qui lui est donné. Immédiatement, à cause de votre idée préconçue, vous êtes déconcerté et vous vous écriez : « Comment? Je pensais rencontrer un homme spirituel ! » Cette fausse conception doit être brisée et disparaître. Dès que vous en êtes débarrassé, vous découvrez quelque chose de beaucoup plus haut et grand que votre étroite règle ascétique, vous trouvez une ouverture totale qui laisse l’être complètement libre. Si vous devez avoir quelque chose, vous l’acceptez; si cette même chose vous quitte, vous vous en séparez avec un égal bon vouloir. Les choses viennent à vous et vous les prenez, les choses s’en vont et vous ne les retenez pas, et vous conservez toujours la même sérénité souriante, que ce soit en prenant ou en laissant aller.

Ou bien, vous avez adopté pour règle d’or : « Tu ne tueras point », et vous êtes plein d’horreur pour la cruauté et les massacres. Ne soyez pas étonné si vous êtes mis immédiatement en présence du meurtre, non pas une fois seulement, mais de façon répétée, jusqu’à ce que vous ayez compris que votre idéal n’est rien de plus qu’un principe mental et que celui qui cherche la vérité spirituelle ne doit être lié ni attaché à aucune règle mentale; et dès que vous en serez libéré, vous vous apercevrez, probablement, que toutes les scènes qui vous troublaient cesseront comme par enchantement de se produire en votre présence; en effet, elles n’avaient d’autre but que de vous troubler et de secouer et faire s’écrouler votre édifice mental.

Quand on se tourne vers le Divin, il faut faire table rase de toutes les conceptions mentales; mais en général, au lieu de le faire, on jette toutes ses conceptions sur le Divin et l’on veut que le Divin leur obéisse. La seule vraie attitude pour un yogi est d’être plastique et prêt à exécuter l’ordre Divin, quel qu’il puisse être; rien ne doit lui être indispensable, rien ne doit non plus lui être à charge. Souvent, le premier mouvement de ceux qui décident de vivre la vie spirituelle est de rejeter loin d’eux tout ce qu’ils ont; mais ils le font parce qu’ils cherchent à se débarrasser d’un fardeau, non parce qu’ils veulent en faire une offrande au Divin. Lorsque les hommes qui ont du bien et sont entourés de choses qui donnent le luxe et des jouissances, se tournent vers le Divin, leur immédiate impulsion est de s’enfuir loin de ces choses; c’est ce qu’ils appellent « échapper à leur esclavage ». Mais c’est un mouvement ignorant et faux. Vous ne devez pas penser que les choses que vous avez vous appartiennent; toutes choses appartiennent au Divin. Si le Divin veut que vous ayez la jouissance de quoi que ce soit, jouissez-en; mais soyez prêt aussi à en faire l’abandon, d’aussi bonne grâce, la minute suivante, si telle est la Volonté Divine.

Que sont les maladies physiques? Sont-elles des attaques qui viennent des forces hostiles, de l’extérieur?

Deux facteurs sont à considérer en la matière. Il y a ce qui vient de l’extérieur, et aussi ce qui provient de la condition intérieure. L’état interne devient une cause de maladie quand s’y trouvent de la résistance ou de la révolte, ou quand quelque partie de l’être ne répond pas à la protection. Parfois même, il y a quelque chose qui appelle presque volontairement les forces adverses. Il suffit d’un très léger mouvement de ce genre; en un instant les puissances hostiles fondent sur vous et leur attaque se traduit le plus souvent par une maladie.

Mais les maladies ne sont-elles pas parfois le résultat de la présence de microbes, sans faire partie du mouvement du yoga ?

Où est-ce que le yoga commence et où est-ce qu’il finit? Votre vie tout entière n’est-elle pas un yoga ? Les possibilités de maladies sont toujours présentes dans votre corps et près de vous, tous les microbes et tous les germes de maladie pullulent autour de vous, et vous les portez au-dedans de vous. Comment se fait-il que, tout d’un coup, vous attrapiez une maladie, alors que pendant des années elle n’avait pu vous toucher? Vous direz que c’est dû à une « dépression de la force vitale ». Mais d’où vient cette dépression? Elle est le résultat d’une désharmonie dans l’être, d’un manque de réceptivité vis-à-vis des forces Divines. Quand vous coupez le rapport avec l’énergie et la force qui vous soutiennent, alors se produit la dépression, alors se crée ce que la science médicale appelle « un terrain favorable », et les ennemis invisibles en prennent avantage. Ce sont le doute, la mauvaise humeur, le manque de confiance, un retour égoïste sur soi, qui font cesser toute communication avec la lumière et l’énergie Divines et qui donnent à l’attaque sa chance. C’est aux mouvements de ce genre qu’il faut attribuer la cause des maladies et non aux microbes.

Cependant, n’a-t-il pas été prouvé que par une meilleure hygiène, la santé publique s’améliorait?

La médecine et l’hygiène sont indispensables dans la vie ordinaire, mais je ne parle pas en ce moment du public ; je parle de ceux qui font un yoga. Cependant, même pour tous il y a un désavantage à l’hygiène; c’est que, bien que vous diminuiez les chances de maladie, vous diminuez aussi votre pouvoir naturel de résistance. Le personnel des hôpitaux, qui doit toujours se laver les mains avec des désinfectants, trouve qu’elles s’infectent ensuite plus facilement et sont beaucoup plus sensibles que celles des autres. Il y a des gens, au contraire, qui ne connaissent rien de l’hygiène et font les choses les plus antihygiéniques, et cependant restent indemnes. Leur ignorance même les aide, en les protégeant contre les suggestions de la connaissance médicale. Il est vrai de dire aussi que votre croyance dans les précautions sanitaires que vous prenez, favorise leur œuvre; car vous pensez : « Maintenant je suis désinfecté et en sûreté », et dans la limite d’action de votre pensée, cela vous immunise.

Mais alors, pourquoi devons-nous prendre des précautions sanitaires et boire de l’eau filtrée?

Est-ce qu’il y en a un parmi vous qui soit assez pur et fort pour ne pas être affecté par une suggestion ? Si vous buvez de l’eau non filtrée et que vous pensiez : « Je suis en train de boire de l’eau impure », vous avez toutes les chances de tomber malade. Et même si vous ne permettez pas aux suggestions de pénétrer par la pensée consciente, tout votre subconscient est là, passivement ouvert à ces mêmes suggestions. Dans la vie ordinaire, c’est l’action du subconscient qui est la plus importante, il agit cent fois plus puissamment que les parties plus conscientes de l’être.

La condition humaine normale est un état plein d’appréhension et de peur. Si vous observez soigneusement votre mental physique pendant dix minutes, vous trouverez que durant neuf d’entre elles, il est plein de craintes. Il porte en lui-même la frayeur de beaucoup de choses, grandes et petites, proches et éloignées, visibles et invisibles; et quoique généralement vous ne la remarquiez pas consciemment, elle est là tout de même. Un effort et une discipline continus sont nécessaires pour se libérer de toute peur.

Même si, par la discipline et l’effort, vous avez libéré votre mental et votre vital de toute appréhension et de toute crainte, il est plus difficile de convaincre le corps. Mais cela aussi doit être fait. Quand vous entrez sur le sentier du yoga, vous devez vous débarrasser de toutes les peurs : peurs du mental, peurs du vital, peurs du corps qui sont logées dans les cellules mêmes. L’un des usages des chocs et des coups que vous recevez sur le chemin du yoga est de vous délivrer de toute crainte. Les causes de vos frayeurs fondent sur vous encore et encore, jusqu’à ce que vous puissiez vous tenir devant elles, libre et indifférent, impassible et pur. L’un a peur de la mer, l’autre du feu. Ce dernier aura, sans doute, à faire face à des incendies répétés jusqu’à ce qu’il soit si entraîné que pas une cellule de son corps ne tremble. La chose qui vous fait horreur revient obstinément jusqu’à ce que l’horreur soit guérie. Celui qui veut la transformation et marche sur le sentier, doit devenir irréductiblement intrépide; il ne doit permettre à rien de le troubler ni de l’ébranler, même dans la moindre partie de son être.

Le 26 mai 1929

Si notre volonté n’est que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle, quelle place reste-t-il à l’initiative individuelle? L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? N’a-t-il aucun pouvoir de création?

Tout dépend du plan de conscience d’où vous regardez les choses pour en parler, ou de la partie de votre être qui agit.

Si vous regardez d’un certain niveau de conscience, l’individu ne vous paraîtra pas seulement un instrument et un enregistreur, mais un créateur. Cependant, regardez d’un plan différent et plus élevé, et vous verrez que cela n’est qu’une apparence. Dans le déroulement de l’univers, tout ce qui arrive est le résultat de tout ce qui est arrivé auparavant. Comment vous proposez-vous de séparer un être du jeu intégral de la manifestation, ou un mouvement de la masse entière des mouvements? Où placerezvous l’origine d’une chose ou son commencement? Le jeu dans sa totalité est une chaîne rigoureusement liée; chaque chaînon est imperceptiblement soudé à l’autre. Rien ne peut être retiré de la chaîne ni expliqué en soi-même, comme si c’était une source et un commencement.

Et que voulez-vous dire quand vous parlez de l’individu créant ou engendrant un mouvement? Le tire-t-il tout entier de lui-même, ou de rien du tout, pour ainsi dire? Si un être était capable de créer de la sorte une pensée, un sentiment, une action ou quoi que ce soit d’autre, il serait le créateur du monde.

C’est seulement si l’individu remonte dans sa conscience jusqu’à la plus Grande Conscience qui est l’origine de toutes choses, qu’il peut devenir un créateur; il peut engendrer un mouvement seulement en s’identifiant au Pouvoir conscient qui est la source ultime de tous les mouvements.

Il y a beaucoup de plans de conscience, et le déterminisme d’un plan n’est pas le même que le déterminisme d’un autre. Ainsi, quand vous parlez de l’individu créateur, à quelle partie de lui-même pensez-vous? Car il est une entité très complexe. Est-ce de son être psychique que vous parlez, du mental, du vital, ou du physique? Entre la source invisible d’un mouvement et sa manifestation, son expression extérieure à travers l’individu, il y a toutes ces étapes et beaucoup d’autres; et à chacune d’elles, nombre de déformations, d’altérations, viennent modifier le mouvement originel. Ce sont ces changements qui donnent l’illusion d’une nouvelle création, d’une nouvelle origine, d’un nouveau point de départ pour un mouvement. C’est à peu près comme lorsque vous enfoncez un bâton en partie dans l’eau; vous voyez le bâton, non avec sa vraie ligne, mais formant un certain angle. Et cependant, c’est une illusion, une déformation de la vision; ce n’est même pas un angle véritable.

Vous pouvez dire de chaque conscience individuelle qu’elle apporte au mouvement universel quelque chose qu’il est possible d’appeler, d’un certain point de vue, sa déformation propre, ou d’un autre point de vue, sa qualité propre de mouvement. Ces qualités individuelles font partie du jeu du mouvement divin; elles ne portent pas en elles-mêmes leur origine; ce sont des transformations de choses dont il faut chercher l’origine dans l’univers en sa totalité.

Le sens de la séparation est partout répandu, mais c’est une illusion, c’est l’une de ces fausses tournures d’esprit dont nous devons nous guérir si nous voulons entrer dans la vraie conscience. Le mental découpe le monde en petits bouts; il dit : « Ceci s’arrête ici ; ceci commence là » et, par cette fragmentation, il réussit à déformer le mouvement universel. C’est le grand flot d’une Conscience Unique embrassant, contenant tout, qui se manifeste dans un univers en perpétuel déroulement. Telle est la vérité qui se trouve derrière toute chose, mais il y a aussi cette illusion qui vous cache la vérité, l’illusion de tous ces mouvements s’imaginant qu’ils sont séparés l’un de l’autre, qu’ils existent par eux-mêmes, en euxmêmes et pour eux-mêmes, et que chacun est une chose en soi, à l’écart du reste de l’univers. Ils ont l’impression que leurs actions et leurs réactions réciproques sont extérieures, comme s’ils étaient des mondes différents se tenant en face les uns des autres, sans points de contact, excepté quelques relations extérieures à distance. Chacun se voit comme s’il était une personnalité séparée, existant de son plein droit. Cette erreur du sens de la séparation a été permise comme une partie du jeu universel, parce qu’il était nécessaire que la Conscience Unique s’objectivât et fixât ses formes. Mais parce que cela a été permis dans le passé, il ne s’ensuit pas que l’illusion de la séparation doive toujours persister.

Dans le jeu universel, la plupart sont des instruments ignorants, tels des acteurs ne sachant rien, qui seraient mis en mouvement comme des marionnettes. D’autres sont conscients, et ceux-ci jouent leur rôle sachant que c’est un jeu. Et quelques-uns, tout en ayant la pleine connaissance du mouvement universel et lui étant identifiés ainsi qu’à la Divine Conscience, consentent cependant à agir comme s’ils étaient quelque chose de séparé, des fragments du tout. Il y a beaucoup de stades intermédiaires entre l’ignorance et cette pleine connaissance, beaucoup de manières de participer au jeu.

Il y a un état d’ignorance dans lequel vous faites une chose en croyant que c’est vous qui l’avez décidée. Il y a un état de moindre ignorance dans lequel vous faites la chose avec la connaissance que vous êtes poussé à la faire, tout en ne sachant ni comment ni pourquoi. Et il y a aussi un état de conscience dans lequel vous êtes pleinement éveillé, car vous savez ce qui agit à travers vous, vous savez que vous êtes un instrument, vous savez pourquoi et comment votre action est faite, son processus et son mobile. L’état d’ignorance, dans lequel vous croyez que vous êtes l’auteur de vos actes, persiste tant qu’il est nécessaire à votre développement. Mais dès que vous êtes prêt à passer à une plus haute condition, vous commencez à vous apercevoir que vous êtes un instrument de la Conscience Une. Alors vous montez d’un échelon et vous vous élevez à un niveau supérieur de conscience.

Est-ce que l’on est attaqué par les forces hostiles sur le plan mental aussi bien que sur le plan vital?

Il est difficile de répondre de façon précise sans entrer dans nombre d’explications, qu’il est impossible de donner ici.

Le mental est un mouvement; mais il y a beaucoup de variétés de ce mouvement, beaucoup de couches qui se touchent et même s’interpénètrent. En même temps, le mouvement que nous appelons mental s’infiltre en d’autres plans. Dans le monde mental lui-même, il y a des plans nombreux. Toutes ces régions et ces forces mentales sont interdépendantes; et cependant, il y a une différence dans la qualité de leurs mouvements, et, pour la facilité de l’expression, nous devons les séparer l’une de l’autre. C’est ainsi que nous parlons du mental supérieur, du mental intermédiaire, du mental physique, et même d’un mental tout à fait matériel ; et beaucoup d’autres distinctions pourraient encore être faites.

Certaines régions mentales se trouvent très au-dessus du monde vital et échappent à son influence; on n’y rencontre pas de forces ni d’êtres hostiles. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, qui peuvent être touchées et pénétrées par les forces vitales. Le plan mental appartenant au monde physique (ce que nous appelons généralement le « mental physique ») est plus matériel dans sa constitution et son mouvement que le mental véritable, et il est considérablement sous l’emprise du monde vital et des forces hostiles. D’ordinaire, ce mental physique est dans une sorte d’alliance avec la conscience vitale inférieure et ses mouvements; quand le vital inférieur manifeste certains désirs et impulsions, le mental le plus matériel vient à son aide pour les justifier et les supporter au moyen d’explications, d’excuses et de raisonnements spécieux. C’est cette région du mental qui est la plus ouverte aux suggestions venant du monde vital ; c’est elle qui est le plus souvent envahie par les forces adverses. Mais nous avons en nous un mental supérieur qui se meut dans la région des pensées désintéressées et des spéculations lumineuses et qui est le producteur des formes; celui ci n’est plus le complice des impulsions vitales. Et plus haut encore, se trouve le mental des idées pures, avant leur mise en formes; en ce dernier on ne trouve plus trace de l’influence des mouvements du vital et des forces adverses, parce qu’il se tient loin au-dessus d’eux. Il peut y avoir là des mouvements contradictoires, des mouvements qui ne soient pas en conformité avec la Vérité ou soient en conflit les uns avec les autres; mais il n’y a pas de trouble vital, rien qui puisse être appelé, à proprement parler, hostile. La vraie mentalité philosophique, le mental qui est uniquement occupé à penser, explorer et construire des formes, et aussi le mental des idées pures, au-delà de toutes formes, sont hors d’atteinte de l’invasion des mondes inférieurs et de leur influence. Mais il ne faudrait pas en conclure que les mouvements de ces régions mentales ne peuvent pas être imités, ou qu’un mauvais usage ne peut pas être fait de leurs créations, par des êtres pervers et hostiles de plus grande envergure et d’une plus haute origine que tous ceux dont j’ai parlé jusqu’à présent.

Quelles sont les conditions dans le monde psychique?

Quelle est sa situation vis-à-vis des forces hostiles?

Le monde ou plan de conscience psychique est cette partie du monde, de même que l’être psychique est cette partie de notre être, qui est directement sous l’influence de la Conscience Divine; les forces hostiles ne peuvent avoir sur lui la moindre influence. C’est un monde d’harmonie, et tout y évolue de lumière en lumière et de progrès en progrès. C’est la demeure de la Divine Conscience, du Moi divin dans l’être individuel. C’est un centre de lumière, de vérité, de connaissance et de beauté, que le Moi divin crée par sa Présence en chacun de nous, petit à petit; il est influencé, formé et mû par la Conscience Divine dont il est une part, une parcelle. En chacun, c’est l’être interne qu’il faut trouver afin d’entrer en contact avec le Divin en soi. Il est l’intermédiaire entre la Conscience Divine et la conscience ordinaire, c’est lui qui manifeste, dans la nature extérieure, l’ordre et la loi de la Volonté Divine. Si votre conscience extérieure s’aperçoit de la présence de l’être psychique en vous et s’unit à lui, vous pouvez découvrir la Conscience Éternelle pure et vivre en elle. Au lieu d’être mû par l’ignorance, comme le sont constamment les êtres humains, vous devenez conscient de la présence d’une lumière et d’une connaissance éternelles au-dedans de vous, et c’est à Cela que vous faites votre soumission, que vous vous consacrez intégralement afin de l’exprimer dans tous vos mouvements.

Car l’être psychique est cette partie de vous qui est déjà donnée au Divin. C’est son influence, se répandant graduellement du dedans au dehors, vers les frontières les plus matérielles de votre conscience, qui effectuera la transformation de votre nature entière. La plupart des gens sont inconscients du psychique au-dedans d’eux ; l’effort du yoga est de vous en rendre conscient afin que le processus de la transformation, au lieu d’être un lent labeur se poursuivant à travers les siècles, puisse être condensé en une vie unique ou même en plusieurs années.

L’être psychique est ce qui persiste après la mort, parce qu’il est le moi immortel ; c’est lui qui perpétue la conscience de vie en vie.

’être psychique possède la réelle individualité du vrai individu divin en vous; car l’individualité signifie le mode spécial d’expression, propre à chacun, et votre être psychique est l’un des innombrables aspects particuliers de la Conscience Divine unique qui a pris forme en vous. Mais dans la conscience psychique, il n’y a pas ce sens d’une division entre l’individuel et l’universel, qui affecte les autres parties de votre nature. En elle, vous savez que votre individualité est votre propre ligne d’expression, mais en même temps vous avez la connaissance que cette expression est seulement une objectivation de la Conscience Universelle une. C’est comme si vous aviez extrait une portion de vous-même et que vous l’ayez mise en face de vous pour permettre un échange mutuel de regards et de jeux entre les deux. Cette dualité était nécessaire pour créer et établir la relation objective et pour en jouir; mais pour l’être psychique, la séparation qui rend la dualité coupante n’est qu’une illusion, une apparence, et rien de plus.

Y a-t-il une différence entre le « spirituel » et le « psychique » ? S’agit-il de deux plans différents ?

Oui. Le plan psychique appartient à la manifestation personnelle; le psychique est la partie divine de l’être individuel jetée comme un dynamisme dans le jeu. Mais quand nous parlons du spirituel, nous pensons à quelque chose qui est concentré dans le Divin plutôt que dans la manifestation de surface. Le plan spirituel est statique et se tient derrière et au-dessus du jeu universel ; il supporte les instruments de la Nature, mais n’est pas lui-même inclus ni plongé dans la manifestation extérieure.

Pourtant, en parlant de ces choses, nous devons avoir soin de ne pas nous laisser emprisonner par les mots dont nous nous servons. Quand je dis le psychique ou le spirituel, je parle de choses qui sont très profondes et réelles, derrière la surface plate des mots, et en rapport intime entre elles, même dans leur différence. Les définitions et les distinctions intellectuelles sont trop superficielles et rigides pour saisir la totale vérité des choses. Et pourtant, à moins que l’on n’ait une grande habitude de se parler l’un à l’autre, il devient presque indispensable de définir le sens des mots employés, si l’on veut se faire comprendre. La condition idéale pour une conversation est que les esprits soient si bien accordés que les mots servent seulement de support à une compréhension mutuelle spontanée, ce qui évite d’avoir à expliquer à chaque pas le sens de ce que l’on dit. C’est l’avantage de parler toujours aux mêmes personnes; un accord harmonieux s’établit entre les esprits, leur permettant de saisir immédiatement la signification des paroles prononcées.

Il y a un monde des idées sans forme; c’est là que vous devez entrer si vous voulez saisir ce qui se trouve derrière les mots. Tant qu’il vous faut fonder votre compréhension sur des formes verbales, vous avez grande chance de vous tromper souvent sur le sens véritable; mais si, dans le silence mental, vous pouvez vous élever jusqu’au monde d’où les idées descendent pour prendre forme, de suite vous atteindrez à la compréhension. Pour être sûr de se comprendre l’un l’autre, il faut pouvoir se comprendre dans le silence. Il arrive que deux esprits soient si parfaitement accordés et harmonisés qu’ils peuvent réciproquement percevoir leurs pensées sans qu’aucune parole soit nécessaire. Mais si cet accord n’est pas établi, le sens de vos paroles sera toujours déformé, parce que, à ce que vous dites, votre interlocuteur substituera sa propre manière de comprendre. Par exemple, je donne à un mot un certain sens ou une certaine nuance de sens; vous êtes habitué à mettre en lui un autre sens ou une autre nuance; il est évident que quand je m’en servirai, vous ne comprendrez pas le sens exact que je lui donne, mais ce que le mot signifie pour vous. Ceci est vrai, non seulement de ce que l’on entend, mais aussi de ce que l’on lit. Pour comprendre un livre contenant un enseignement profond, il faut pouvoir le lire dans un complet silence mental ; il faut attendre et laisser l’expression s’enfoncer profondément au-dedans de soi, jusqu’à la région où les mots sont absents; de là, elle reviendra lentement jusqu’à la conscience externe et à sa compréhension de surface. Si vous laissez les mots sauter dans votre mental extérieur et que vous essayiez de les ajuster l’un à l’autre, leur vrai sens et leur pouvoir vous échapperont totalement. Il ne peut y avoir aucune compréhension parfaite, excepté dans l’union avec le mental inexprimé qui se trouve derrière le centre de l’expression.

Nous avons déjà parlé des esprits individuels comme d’autant de mondes distincts, séparés l’un de l’autre; chacun est enfermé en lui-même et n’a presque pas de points de contact directs avec les autres. Mais c’est la région du mental inférieur, où l’on est emprisonné dans ses propres formations; on ne peut pas plus sortir d’elles qu’on ne peut sortir de soi-même; on ne peut comprendre que soi et sa propre réflexion dans les choses. Mais dans la région plus haute, sur les pures altitudes du mental inexprimé, on est libre; quand on y entre, on sort de soi-même et on pénètre dans le plan du mental universel où chaque monde mental individuel est plongé comme dans une mer immense. Là, vous pouvez comprendre complètement ce qui se passe en un autre et lire dans son mental comme si c’était le vôtre, parce que là, aucune séparation ne divise un mental d’un autre. C’est seulement lorsque vous vous unissez aux autres dans cette région, que vous pouvez les comprendre; autrement, vous n’êtes pas accordés, vous n’avez pas de contact, vous n’avez aucun moyen de savoir avec précision ce qui se passe dans un autre mental que le vôtre. Le plus souvent, quand vous êtes en présence d’un autre, vous ignorez tout à fait ce qu’il pense et sent; mais si vous êtes capable d’aller au-delà et au-dessus de ce plan externe d’expression, si vous pouvez entrer dans un autre plan où une communion silencieuse est possible, alors vous pouvez lire l’un en l’autre comme vous le feriez en vous-même. Alors les mots dont vous vous servez pour vous exprimer n’ont plus que très peu d’importance, parce que la pleine compréhension se trouve au-delà d’eux, en quelque chose d’autre, et un minimum de mots suffit à rendre claire votre intention. De longues explications ne sont plus nécessaires; vous n’avez plus besoin de donner à une pensée son expression complète, car vous possédez la vision directe de ce qu’elle signifie.

Viendra-t-il un moment où les forces hostiles n’existeront plus?

Quand leur présence dans le monde ne sera plus d’aucune utilité, elles disparaîtront. Leur action est utilisée en manière d’épreuve, afin que rien ne soit oublié, que rien ne soit laissé de côté dans l’œuvre de transformation. Ces forces hostiles ne laissent passer aucune erreur. Si, dans votre propre être, vous avez fermé les yeux, serait-ce sur un tout petit détail, elles viendront toucher le point négligé, jusqu’à ce qu’il devienne si douloureusement évident que vous serez obligé de le changer. Quand elles ne seront plus nécessaires pour cette opération, leur existence deviendra inutile et prendra fin. Il leur est permis de persister ici, parce qu’elles sont nécessaires dans la Grande Œuvre; dès qu’elles ne seront plus indispensables, elles devront changer ou disparaître.

Est-ce qu’il faudra beaucoup de temps pour que cela arrive?

Tout dépend du point de vue. Car le temps est relatif; vous pouvez en parler du point de vue humain ordinaire, ou de celui, plus profond, d’une conscience interne, ou du haut de la perspective divine.

Si vous êtes un avec la conscience divine, il est de fort peu d’importance que la chose à réaliser prenne, d’après l’évaluation humaine, des milliers d’années ou seulement une année; car alors vous avez quitté les choses de la nature humaine pour entrer dans l’infinité et l’éternité de la nature divine. Alors, vous échappez à cette sensation d’extrême impatience qui obsède les hommes parce qu’ils veulent voir les choses accomplies. L’agitation, la hâte, l’inquiétude ne mènent nulle part. C’est l’écume sur la mer, beaucoup d’embarras ne produisant rien. Les hommes ont la sensation qu’ils ne font rien s’ils ne courent pas tout le temps, de tous côtés, en se précipitant dans des accès d’activité fiévreuse, en fondant des groupes, des sociétés, des mouvements. C’est une illusion de croire que tous ces soi-disant mouvements changent quelque chose. Cela revient à prendre une tasse et à agiter l’eau qu’elle contient; l’eau se déplace, mais n’est en aucune façon changée par cette agitation.

Cette illusion de l’action est l’une des plus grandes illusions de la nature humaine. Elle nuit au progrès, parce qu’elle incite à se jeter constamment dans quelque mouvement turbulent. Si seulement on pouvait se rendre compte de l’illusion, de l’inutilité de tout cela, voir à quel point cela ne change rien! Nulle part on ne peut accomplir quelque chose de cette manière. Ceux qui courent ainsi, de-ci, de-là, sont des jouets de forces qui les font danser pour leur propre amusement, et ce ne sont certes pas des forces de la meilleure qualité.

Tout ce qui a été fait dans le monde, l’a été par le petit nombre de ceux qui se tiennent en dehors de l’action, dans le silence, car ce sont eux qui sont les instruments du Pouvoir divin. Ils sont ses agents dynamiques, ses intermédiaires conscients; ils font descendre les forces qui transforment le monde. C’est ainsi que les choses peuvent être faites, non par une activité agitée. Dans la paix, le silence et le calme, le monde a été construit; et de même, chaque fois que quelque chose est à construire véritablement, c’est dans la paix, le silence et le calme que cela doit être fait. C’est une grande ignorance de croire que l’on doit courir du matin au soir et travailler à toutes sortes de choses futiles, afin d’accomplir quelque chose pour le monde.

Il suffit de faire un pas hors de ces forces tourbillonnantes et d’entrer dans les régions tranquilles pour voir combien grande est l’illusion! De là, l’humanité apparaît comme une masse de créatures aveugles, se précipitant en tous sens, sans savoir ce qu’elles font ni pourquoi elles le font, se heurtant constamment et trébuchant l’une contre l’autre. Et c’est cela qu’elles appellent action et vie! Ce n’est que vaine agitation; ce n’est certes pas une action réelle, ni une vie vraie.

J’ai dit, une fois, que pour parler utilement dix minutes on devrait rester silencieux pendant dix jours. Je pourrais ajouter que pour agir utilement une journée, il faudrait se tenir tranquille pendant un an. Il va de soi que je ne parle pas des actions ordinaires de la vie quotidienne, car elles sont nécessaires au maintien de cette vie; je parle pour ceux qui ont, ou croient avoir quelque chose à faire pour le monde. Et le silence dont je parle est cette quiétude intérieure que ceux-là seuls possèdent qui peuvent agir sans être identifiés à leur action, submergés par elle, aveuglés et assourdis par la forme et le bruit de leur propre mouvement. Tenez-vous en dehors de votre action; montez jusqu’à un sommet qui domine ces mouvements temporels; entrez dans la conscience de l’éternité. Alors vous saurez ce qu’est l’action véritable.

Le 2 juin 1929

Quel rapport y a-t-il entre l’amour humain et l’amour divin? L’amour humain est-il un obstacle à l’amour divin? Ou la capacité d’aimer humainement n’est-elle pas un indice de la capacité d’amour divin ? De grandes figures spirituelles, telles que le Christ, Râmakrishna et Vivékânanda n’avaient-elles pas une nature remarquablement aimante et affectueuse?

L’amour est une des grandes forces universelles; il existe en lui-même, indépendamment des objets dans lesquels, à travers lesquels et pour lesquels il se manifeste, et son mouvement est toujours libre. Il se manifeste partout où il trouve une possibilité de manifestation, partout où il y a une réceptivité, en tout ce qui s’ouvre à lui. Ce que vous appelez amour, en pensant que c’est une chose personnelle ou individuelle, n’est que la capacité de recevoir et de manifester cette force universelle. Mais, parce que cette force est universelle, il ne s’ensuit pas qu’elle soit inconsciente; bien au contraire, c’est une puissance souverainement consciente. C’est consciemment qu’elle cherche sa manifestation et sa réalisation sur terre; c’est consciemment qu’elle choisit ses instruments, éveille à ses vibrations ceux qui sont capables d’une réponse, essaye de réaliser en eux son but éternel, et quand l’instrument se montre incapable, elle l’abandonne et se tourne vers d’autres. Les hommes pensent qu’ils sont soudain tombés amoureux ; ils voient leur amour naître, croître et s’évanouir, ou bien durer un peu plus longtemps chez ceux qui sont plus spécialement adaptés à la prolongation de son mouvement. Mais en tout cas, la sensation qu’ils ont d’une expérience personnelle, leur appartenant en propre, est une illusion : ce n’était qu’une vague de l’océan sans fin de l’amour universel.

L’amour est universel et éternel ; toujours il se manifeste et toujours identique en son essence. C’est une force divine, car les déformations que nous voyons dans son expression sont dues à ses instruments. Ce n’est pas dans les êtres humains seuls que l’amour se manifeste, il est partout. Son mouvement est là dans les plantes, peut-être dans les pierres elles-mêmes; il est facile de reconnaître sa présence chez les animaux. Toutes les altérations de cette grande puissance divine viennent de l’obscurité, l’ignorance et l’égoïsme de ses instruments limités. L’amour, force éternelle, n’a pas de convoitise, de désir, de soif de possession, d’attachement personnel ; dans son mouvement pur, c’est la recherche de l’union du moi avec le Divin, une recherche absolue, ne tenant nul compte d’aucune autre chose. L’amour divin se donne et ne demande rien. Ce que les êtres humains en ont fait, il vaut mieux ne pas en parler; ils l’ont travesti en quelque chose de laid et de répugnant! Et cependant, même chez les êtres humains, le premier contact de l’amour apporte avec lui un reflet de sa plus pure substance; pour un moment, ils sont capables de s’oublier eux-mêmes; pour un moment le toucher divin de l’amour éveille et magnifie tout ce qui est noble et beau. Mais bien vite la nature humaine reprend le dessus, pleine de demandes impures, exigeant quelque chose en échange de ce qui est donné, trafiquant de ce qui devrait être un don désintéressé, réclamant à grands cris la satisfaction de désirs inférieurs, dénaturant et salissant ce qui fut divin.

Pour manifester l’amour divin, on doit être capable de le recevoir. Car ceux-là seuls peuvent le manifester, qui sont ouverts à son mouvement essentiel. Plus est vaste et claire l’ouverture en eux, plus ils manifestent l’amour divin dans sa pureté originelle; plus, au contraire, il se mélange en eux aux sentiments humains inférieurs, plus grande devient la déformation.

Celui qui n’est pas ouvert à l’amour dans son essence et sa vérité ne peut approcher le Divin. Même ceux qui le cherchent par le chemin de la connaissance arrivent à un point au-delà duquel, s’ils veulent aller plus loin, ils sont obligés d’entrer en même temps dans l’amour et de sentir les deux comme un : la connaissance, lumière de l’union divine, et l’amour, âme même de cette connaissance. Il y a un moment du progrès de l’être où les deux se rencontrent et où l’on ne peut plus les distinguer l’un de l’autre. La division, la distinction que l’on fait entre les deux, sont une création du mental ; dès qu’on s’élève à un plan supérieur, elles disparaissent.

Parmi ceux qui sont venus dans ce monde afin d’y révéler le Divin et de transformer la vie terrestre, certains ont manifesté plus pleinement l’amour divin. En quelques-uns, la pureté de la manifestation est si grande qu’ils sont incompris de l’humanité entière, et sont même accusés d’être durs et sans cœur; et pourtant, l’amour divin est en eux. Mais en eux, il est divin et non humain en sa forme et sa substance. Car lorsque l’homme parle d’amour, il l’associe à une faiblesse émotive et sentimentale. Mais l’intensité divine de l’oubli de soi, cette capacité de se donner entièrement, sans réserves ni restrictions, sans rien demander en échange, n’est guère connue des êtres humains. Et quand elle se manifeste sans aucun mélange émotif de faiblesse sentimentale, elle est accusée par les hommes de dureté et de froideur; ils ne peuvent pas reconnaître en elle le plus haut, le plus intense pouvoir d’amour.

Voulez-vous savoir comment le Divin manifesta son amour dans le monde? Il le fit sous la forme d’un grand holocauste, du don de soi suprême. La conscience parfaite accepta de plonger et d’être absorbée dans l’inconscience de la matière, afin que la conscience puisse être éveillée dans les profondeurs mêmes de l’obscurité, et que, peu à peu, la puissance divine émerge et fasse de l’univers manifesté tout entier une plus haute expression de la conscience et de l’amour divins. Tel fut vraiment l’amour suprême : accepter de perdre l’état divin parfait, sa conscience absolue, sa connaissance infinie, pour s’unir à l’inconscience et demeurer dans le monde avec l’ignorance et l’obscurité. Et pourtant, personne peut-être ne l’appellerait amour; car il ne se drape pas de sentiments superficiels, il n’exige rien en échange de ce qu’il a fait, il ne fait pas parade de son sacrifice.

La force d’amour dans le monde essaye de trouver des consciences qui soient capables de recevoir ce mouvement divin dans sa pureté et de l’exprimer. Cette course à l’amour de tous les êtres, cet irrésistible élan, cette recherche du cœur du monde et de tous les cœurs sont le résultat de l’impulsion donnée par l’amour divin caché derrière les passions humaines. Il touche des millions d’instruments, essayant toujours, toujours déçu; mais par ce contact constant, les instruments sont préparés, et soudain, un jour, s’éveillera en eux la capacité du don de soi, la capacité d’aimer.

Le mouvement de l’amour n’est pas limité aux êtres humains, et peut-être est-il moins déformé en d’autres mondes que dans le leur. Regardez les fleurs, regardez les arbres. Au soleil couchant, quand tout devient silencieux, asseyez-vous un moment sous les arbres et entrez en communion avec la Nature; vous sentirez s’élever de la terre, des racines les plus profondes des arbres, pour monter à travers les fibres jusqu’aux branches qui s’étendent le plus haut, l’aspiration d’un amour et d’un besoin intenses — le besoin de quelque chose qui apporte la lumière et donne le bonheur, de la clarté qui est partie et dont le retour est imploré. Cela monte comme une action de grâces où la gratitude la plus vibrante s’unit à la plus fervente prière. Cet élan est si pur et si spontané que si vous pouvez vous mettre en rapport avec ce mouvement dans les arbres, votre propre être aussi s’élèvera dans une ardente invocation à la paix, la lumière et l’amour qui ne sont pas encore manifestés ici.

Une fois que vous serez entré en contact avec cet amour divin pur, vaste et vrai, ne l’auriez-vous senti que pour un temps très court et dans sa plus petite forme, vous vous rendrez compte de la chose abjecte que le désir de l’homme en a fait. Dans la nature humaine, il est devenu bas, brutal, égoïste, violent, laid ou, sinon faible et sentimental, tout fait des sensations les plus mesquines, fragile, superficiel, exigeant. Et cette bassesse, cette brutalité, ou cette faiblesse ne s’occupant que de soi, c’est cela qu’on appelle amour!

Notre être vital doit-il participer à l’amour divin ? Si oui, quelle est la forme juste et correcte que cette participation devrait prendre?

Y a-t-il une limite à la manifestation de l’amour divin? Doit-elle être confinée dans une région irréelle ou immatérielle? L’amour divin plonge, dans sa manifestation sur terre, jusque dans la matière la plus matérielle. Il est vrai qu’on ne peut le trouver dans les distorsions égoïstes de la conscience humaine. Mais en lui-même, le vital est un élément aussi important pour la manifestation de l’amour divin que pour toute autre manifestation dans l’univers. Il n’y a aucune possibilité de mouvement progressif sans l’intermédiaire du vital. Mais parce que ce pouvoir de la nature a été si terriblement déformé, certains préfèrent croire qu’il doit être complètement arraché et rejeté de l’être et du monde. Pourtant, c’est seulement à travers le vital que la matière peut être touchée par la puissance transformatrice de l’esprit. Si le vital n’était pas là pour infuser son dynamisme et sa force vivante, la matière resterait morte; car les plus hautes parties de l’être, ne pouvant pas entrer en contact avec la terre et être concrétisées dans la vie se retireraient insatisfaites et disparaîtraient.

L’amour divin dont je parle, est un amour qui se manifeste ici, sur cette terre physique, dans la matière; cependant, il doit être gardé pur de toutes les perversions humaines pour qu’il accepte de s’incarner. En ceci, comme en toute manifestation, le vital est un agent indispensable; mais ainsi qu’il arrive toujours, à cause même de sa valeur, les puissances adverses s’en sont emparées. C’est l’énergie du vital qui pénètre la morne et insensible matière pour la faire répondre et vivre. Mais les forces hostiles ont déformé cette énergie; elles l’ont changée en un champ de violence, d’égoïsme, de désirs et de tous genres de laideurs, et ainsi elles l’ont empêchée de prendre sa place dans l’œuvre divine. La seule chose à faire est de la transformer, non de supprimer ses mouvements ni de la détruire. Car sans elle, aucune intensité n’est possible nulle part. Le vital, dans sa nature même, est en nous ce qui peut se consacrer généreusement. Justement parce qu’il a toujours l’impulsion et la force de prendre, il est aussi capable de se donner à l’extrême; parce qu’il sait comment posséder, il sait aussi s’abandonner sans réserve. Le vrai mouvement vital est l’un des plus beaux, des plus magnifiques; mais il a été tourné et tordu en le plus laid, le plus corrompu, le plus répugnant de tous.

Partout où, dans une histoire humaine d’amour, s’est trouvé même un atome d’amour pur et qu’il lui ait été permis de se manifester sans trop de déformation, nous sommes en présence de quelque chose de vrai et de beau. Et si le mouvement ne dure pas, c’est qu’il n’est pas conscient de son but véritable; il ignore que ce n’est pas l’union d’un être avec un autre qu’il veut obtenir, mais l’union de tous les êtres avec le Divin.

L’amour est une force suprême que la Conscience Éternelle a émanée et envoyée dans un monde inerte et obscur afin de ramener vers le Divin ce monde et ses êtres. Dans son obscurité et son ignorance, le monde matériel avait oublié le Divin. L’amour descendit dans les ténèbres; il éveilla tous ceux qui étaient endormis; il murmura, ouvrant ainsi les oreilles scellées : « Il existe quelque chose qui vaut que l’on s’éveille et que l’on vive : l’amour! » Et avec l’éveil à l’amour, entra dans le monde la possibilité du retour au Divin. À travers l’amour, la création s’élève vers le Divin, et en réponse, l’amour divin et sa Grâce se penchent à la rencontre de la création. L’amour ne peut exister dans sa pure beauté, il ne peut revêtir son pouvoir naturel, la joie intense de sa plénitude, que dans cet échange, cette fusion entre la terre et le Suprême, ce mouvement d’amour qui va du Divin à la création et de la création au Divin. Ce monde était un monde de matière morte jusqu’à ce que l’amour divin y descendît et l’éveillât à la vie. Depuis lors, il est parti en quête de cette source divine de vie; mais dans sa recherche, il a pris tous les mauvais tournants et tous les faux chemins, il s’est égaré en tous sens dans la nuit. La masse de cette création s’est avancée sur la route comme un aveugle cherchant l’inconnu, ignorant même ce qu’il cherche.

Le maximum atteint est ce qui apparaît aux êtres humains comme l’amour sous sa forme la plus haute, dans son genre le plus pur et le plus désintéressé, l’amour de la mère pour son enfant, par exemple. Ce mouvement humain d’amour cherche secrètement quelque chose d’autre que ce qu’il a déjà trouvé; mais il ne sait pas où le trouver, il ne sait même pas ce que c’est. Du moment où sa conscience s’éveille à l’amour divin, pur et indépendant de toute manifestation dans les formes humaines, l’homme connaît ce pour quoi, depuis toujours, son cœur soupirait vraiment. C’est le début de l’aspiration de l’âme éveillant la conscience au besoin de l’union avec le Divin. Dès lors, toutes les formes nées de l’ignorance, toutes les déformations produites par elle doivent s’effacer et disparaître pour faire place à un mouvement unique de la création répondant à l’amour divin par son amour pour le Divin. Dans une création consciente, éveillée, ouverte à l’amour pour le Divin, le Divin déverse, en réponse, son amour sans limite. Le cercle du mouvement complet est achevé; les deux extrémités se rencontrent; les deux extrêmes, l’Esprit suprême et la matière manifestée, se joignent, et leur divine union devient complète et constante.

De grands êtres ont pris naissance dans ce monde pour y faire descendre quelque chose de la pureté et de la puissance souveraines de l’amour divin. Ou plutôt, l’amour divin s’est projeté en forme personnelle dans leur être, pour que sa réalisation sur terre puisse être à la fois plus facile et plus parfaite. L’amour divin, quand il est manifesté dans un être personnel, est compris plus aisément que lorsque son mouvement reste impersonnel. Un être humain, éveillé à la conscience de l’amour divin par ce contact personnel et par l’intensité qui lui est propre, s’aperçoit que l’œuvre de transformation est rendue plus facile; l’union qu’il s’efforçait d’atteindre devient plus naturelle et plus intime. Cette réalisation, cette union sera aussi plus pleine et plus parfaite; car la vaste uniformité d’un amour impersonnel et universel sera éclairée et vivifiée par la couleur et la beauté de toutes les relations possibles avec le Divin.

Le 9 juin 1929

Quelle est la nature exacte de la religion? Est-elle un obstacle sur le chemin de la vie spirituelle?

La religion appartient au mental supérieur de l’humanité. C’est l’effort de l’homme pour s’approcher, dans la mesure de son pouvoir, de quelque chose qui le dépasse et auquel il donne les noms de Dieu, d’esprit, de vérité, de foi, de connaissance ou d’infini, une sorte d’absolu que le mental humain ne peut atteindre et que, cependant, il s’efforce d’atteindre. La religion peut être divine dans son origine première; dans sa nature actuelle, elle n’est pas divine, mais humaine.

En fait, nous devrions parler des religions, plutôt que de la religion; car les religions faites par les hommes sont innombrables. Ces différentes religions, même quand leur origine n’est pas semblable, ont été presque toutes faites de la même façon. Nous savons comment a pris naissance la religion chrétienne. Ce n’est certainement pas Jésus qui est responsable de ce qu’on appelle le christianisme. Quelques hommes très érudits et ingénieux s’entendirent et construisirent la chose que nous voyons. Il n’y eut rien de divin dans la manière dont elle fut formée, et il n’y a rien de divin non plus dans la manière dont elle fonctionne. Et cependant, l’excuse ou l’occasion de sa formation fut, sans aucun doute, des révélations issues d’un être divin, un être qui venait d’ailleurs, apportant avec lui d’une plus haute région une certaine connaissance, une certaine vérité pour la terre. Il vint et souffrit pour sa vérité; mais très peu comprirent ce qu’il disait, très peu se soucièrent de trouver la vérité pour laquelle il avait souffert, et de s’y conformer.

Le Bouddha se retira du monde, s’assit en méditation, et découvrit un chemin conduisant hors de la souffrance et la misère terrestres, hors de la maladie, la mort, le désir, le péché et la faim. Il vit une vérité qu’il s’efforça de communiquer aux disciples et adeptes qui s’assemblaient autour de lui. Mais avant même qu’il fût mort, son enseignement était déjà détourné de son sens véritable. C’est seulement après le départ du Bouddha, que le bouddhisme fit son apparition comme une religion pleinement équipée, fondée sur les paroles que le maître était supposé avoir prononcées et sur la soi-disant signification de ses dires. Mais bien vite, parce que les disciples, et les disciples des disciples, ne pouvaient pas s’entendre sur ce que leur maître avait dit, ou sur ce qu’il avait voulu dire, une armée de sectes et de sous-sectes prit naissance dans le corps de la religion-mère — « Le Petit Véhicule » ou Voie du Sud, « Le Grand Véhicule » ou Voie du Nord, et les nombreuses Voies d’Extrême-Orient —, chacune se proclamant la seule, l’originale, la pure doctrine du Bouddha.

Ce que le Christ enseigna eut un sort pareil. Là aussi d’innombrables petites églises sortirent de la religion première. Il est souvent dit que si Jésus revenait, il ne serait pas capable de reconnaître son enseignement sous les travestissements qui le recouvrent. Et si le Bouddha redescendait sur terre et voyait ce que l’on a fait de sa révélation, découragé, il s’en retournerait bien vite au Nirvâna ! Chacune des religions peut raconter la même histoire. L’occasion de sa naissance est la venue d’un grand instructeur dans le monde; il est l’incarnation d’une divine vérité et s’efforce de la révéler; mais les hommes s’en saisissent, en font commerce et en tirent une organisation pour ainsi dire politique. La religion est munie par eux d’un gouvernement, d’une administration et de lois, avec ses articles de foi et ses dogmes, ses règles et ses règlements, ses rites et ses cérémonies, tous imposés aux adhérents comme des choses absolues et inviolables. De même que les États, la religion ainsi construite distribue des récompenses au loyal et inflige des punitions à celui qui se révolte ou s’égare, à l’hérétique, au renégat.

Le premier et principal article de foi de ces religions établies et formelles est toujours : « Ma religion possède la vérité suprême, la seule; toutes les autres sont dans le mensonge ou, en tout cas, sont inférieures. » Car sans ce dogme fondamental, aucune religion fondée sur la croyance n’aurait pu exister. Si vous n’êtes pas convaincu et ne proclamez pas que vous seul possédez la vérité unique, la plus haute vérité, vous ne pourrez pas impressionner les gens et les faire accourir vers vous en foule.

Cette attitude est naturelle à la mentalité religieuse; mais c’est précisément ce qui rend la religion si contraire à la vie spirituelle. Les articles et dogmes d’une religion sont des productions du mental, et si vous vous attachez à eux et que vous vous enfermiez dans un code de vie tout fait, vous ne connaissez pas et ne pouvez pas connaître la vérité de l’esprit qui se tient libre et vaste au-delà de tous les codes et de tous les dogmes. Quand vous vous arrêtez à une croyance religieuse, vous liant à elle et la prenant pour la seule vérité dans le monde, vous arrêtez du même coup la marche en avant et l’épanouissement de votre être intérieur.

Cependant, si l’on considère la religion sous un autre angle, elle n’est pas nécessairement un obstacle au progrès de tous les hommes. Si on la regarde comme l’une des plus hautes activités de l’humanité, et si l’on peut y voir les aspirations des hommes, sans pour cela ignorer l’imperfection de tout ce qui est de fabrication humaine, elle peut bien prendre sa place parmi les choses qui aident à s’approcher de la vie spirituelle. En prenant la religion de façon sérieuse et attentive, on peut découvrir la vérité qui s’y trouve, l’aspiration qui est cachée derrière les formes, l’inspiration divine qui était à son origine et a subi tant de déformations par le fait de l’intervention, l’interprétation et l’organisation humaines; et, avec une position mentale appropriée, on peut faire que la religion, même telle qu’elle est, jette de la lumière sur le chemin et serve comme une aide dans l’effort spirituel.

Dans toutes les religions, nous trouvons invariablement un certain nombre de gens qui possèdent une grande capacité émotive et sont animés d’une réelle et ardente aspiration, mais qui n’ont qu’une intelligence très simple et ne sentent pas le besoin d’approcher le Divin par le chemin de la connaissance. Pour de telles natures, la religion est utile et même, le plus souvent, nécessaire; car, au moyen des formes extérieures, comme les cérémonies de l’église, elle apporte une sorte d’aide et de support à leur aspiration spirituelle intérieure.

Dans toutes les religions, il y a aussi des croyants qui ont développé une haute vie spirituelle. Mais ce n’est pas la religion qui leur a donné leur spiritualité; ce sont eux qui ont mis leur spiritualité dans la religion. Placés n’importe où, nés dans tout autre culte, ils y auraient trouvé et vécu la même vie spirituelle. C’est leur propre capacité, c’est le pouvoir de leur être intérieur, et non la religion qu’ils professent, qui les a faits ce qu’ils sont. Ce pouvoir en eux est de telle nature que la religion ne devient pas pour eux un esclavage ou une servitude. Seulement, comme leur mental n’est ni fort, ni clair, ni actif, ils ont besoin de croire que tel ou tel dogme est l’expression d’une vérité absolue, afin de pouvoir s’y consacrer sans aucune question, sans aucun doute troublant. Dans toutes les religions, j’ai rencontré des gens de cette sorte; et ce serait un crime de déranger leur foi. Pour eux, la religion n’est pas un obstacle; elle est un obstacle pour ceux qui ont la capacité d’aller plus loin; mais pour ceux qui ne peuvent pas aller au-delà d’elle, et qui pourtant sont capables d’avancer jusqu’à un certain point sur les chemins de l’esprit, elle est souvent une aide.

La religion a été l’instigatrice des pires et des meilleures choses. Les guerres les plus meurtrières ont été livrées, et les persécutions les plus hideuses exécutées en son nom. Mais aussi, quels sublimes héroïsmes, quels suprêmes sacrifices de soi sa cause n’a-t-elle pas suscités! De même que la philosophie, elle marque la limite atteinte par le mental humain dans ses plus hautes activités. Elle est un empêchement et une chaîne si vous êtes l’esclave de sa forme extérieure; si vous savez comment utiliser sa substance interne, elle peut vous servir de tremplin pour prendre votre élan vers les régions de l’esprit.

Celui qui s’en tient à une foi particulière, ou qui a découvert quelque vérité, est toujours enclin à penser que lui seul a trouvé la vérité pleine et entière. Telle est la nature humaine! Un mélange de mensonge semble nécessaire aux êtres humains pour qu’ils se tiennent debout et avancent sur leur chemin. Si la vision de la vérité leur était donnée soudain, ils seraient écrasés sous son poids.

Chaque fois que quelque parcelle de la vérité et de la force divines descend pour se manifester sur la terre, un changement est effectué dans l’atmosphère terrestre. Tous ceux qui sont réceptifs, au contact de cette descente, s’éveillent à une inspiration, à un commencement de vision. S’ils étaient capables de contenir et d’exprimer correctement ce qu’ils ont reçu, ils diraient : « Une grande force est descendue; je suis en contact avec elle, et ce que j’en comprends, je vais vous le dire. » Mais la plupart d’entre eux ne peuvent pas s’en tenir à cela, parce que leur mental est petit. Ils deviennent illuminés, possédés pour ainsi dire, et ils s’écrient : « J’ai la divine vérité; je l’ai reçue pleine et entière! » Il y a maintenant sur terre au moins deux douzaines de Christ et peut-être autant de Bouddha ; l’Inde à elle seule peut fournir une quantité innombrable d’Avatârs, sans compter les manifestations moindres. Présentée de cette façon, la chose paraît grotesque; mais si vous regardez derrière les apparences, elle n’est pas si stupide qu’elle semble à première vue. En fait, la personnalité humaine est entrée en contact avec un être, un pouvoir, et sous l’influence de l’éducation et de la tradition, elle l’appelle le Bouddha ou le Christ, ou de tout autre nom familier. Il est difficile de vérifier si c’était le Bouddha luimême ou le Christ avec lequel ils sont entrés en rapport. Mais personne ne peut affirmer non plus que l’inspiration reçue par eux ne venait pas de la même source qui inspira le Christ ou le Bouddha. Ces instruments humains peuvent bien avoir été mis en rapport avec une source semblable; s’ils étaient simples et modestes, ils seraient satisfaits de dire ce qui est arrivé, et rien de plus. Ils annonceraient : « J’ai reçu cette inspiration de tel ou tel grand être. » Mais au lieu de cela, ils proclament : « Je suis celui-là. » J’en ai connu un qui prétendait être à la fois le Christ et le Bouddha. Il avait réellement reçu quelque chose; son expérience était vraie, il avait vu la divine présence en lui-même et dans les autres. Mais l’expérience fut trop forte pour lui, la vérité trop grande; sa tête en fut dérangée, et le jour suivant, il se promena dans les rues, déclarant qu’en lui le Christ et le Bouddha étaient devenus un.

La conscience divine unique travaille ici dans tous ces êtres, préparant son chemin à travers toutes ces manifestations. En ce jour, elle est à l’œuvre sur terre plus puissamment qu’elle ne l’a jamais été. Quelques-uns sont touchés par elle, d’une certaine façon et à un certain degré; mais ce qu’ils reçoivent, ils le déforment, ils en font quelque chose à eux. D’autres sentent le contact, mais ne peuvent supporter la force et perdent l’esprit sous la poussée. Un petit nombre seulement ont la capacité de recevoir et la force de supporter, et ce sont eux qui deviennent les réceptacles de la pleine connaissance, ses instruments, ses agents choisis.

Si vous voulez évaluer à sa juste valeur la religion dans laquelle vous êtes né et avez été élevé, ou avoir une perspective correcte du pays et de la société auxquels vous appartenez par votre naissance, si vous voulez vous rendre compte combien est relatif l’entourage particulier dans lequel vous avez été projeté en venant au monde et où vous avez grandi, vous n’avez qu’à faire le tour de la terre et vous verrez que ce que vous pensez être bien est regardé comme mal ailleurs, et que ce qui, à un endroit, est considéré comme mauvais est accueilli comme bon à un autre. Toutes les nations et toutes les religions sont également édifiées sur une masse de traditions. En toutes, vous rencontrerez des saints et des héros, de grandes et puissantes personnalités, aussi bien que des gens mesquins et malfaisants. Vous comprendrez alors combien il est ridicule de dire : « J’ai été élevé dans cette religion, par conséquent c’est la seule vraie; je suis né dans ce pays, c’est donc le meilleur de tous les pays. » On pourrait aussi bien avoir la même prétention pour sa famille et déclarer : « J’appartiens à telle famille, qui a vécu à tel endroit pour tant d’années ou tant de siècles; par conséquent je suis lié par ses traditions, elles seules sont l’idéal. »

Les choses acquièrent une valeur intérieure et deviennent réelles pour vous, seulement quand vous les avez obtenues par le libre exercice de votre choix, et non quand elles vous ont été imposées. Si vous voulez être sûr de votre religion, vous devez la choisir; si vous voulez être sûr de votre pays, vous devez le choisir; si vous voulez être sûr de votre famille, même elle, il vous faut la choisir. Si vous acceptez, sans questionner, ce que le hasard vous a apporté, vous ne pouvez pas être certain que ce soit bon ou mauvais pour vous, ou que ce soit la vérité de votre vie.

Faites un pas en arrière, hors de tout ce qui constitue votre entourage naturel, votre héritage atavique, qui a été fabriqué et mis de force sur vous par la marche aveugle et mécanique de la Nature; rentrez au-dedans de vous-même et regardez toutes ces choses, tranquillement et sans passion. Pesez leur valeur respective et choisissez librement. Alors vous pourrez dire avec vérité : « Voici ma famille, mon pays, ma religion. »

Si nous faisons un peu de chemin au-dedans de nous-mêmes, nous découvrirons qu’en chacun de nous, il y a une conscience qui a vécu à travers les âges et s’est manifestée dans une multitude de formes. Chacun de nous est né dans beaucoup de pays différents, a appartenu à de nombreuses nationalités, a cru aux religions les plus diverses. Pourquoi devrions-nous accepter la dernière comme la meilleure? Les expériences que nous avons amassées durant toutes ces vies, en des contrées et des religions variées, sont conservées dans la continuité interne de notre conscience, qui persiste à travers toutes les naissances. Il y a en nous de multiples personnalités créées par ces expériences passées; et quand nous devenons conscients de cette multitude en nous, il ne nous est plus possible de parler d’une forme particulière de vérité comme de la vérité unique, d’un pays comme de notre seul pays, d’une religion comme de la seule vraie.

Il y a des gens qui naissent dans un pays, tandis que les éléments les plus importants de leur conscience appartiennent de façon évidente à un autre. J’en ai rencontré qui étaient nés en Europe et qui pourtant étaient, de toute évidence, des Indiens; j’en ai connu d’autres, revêtus de corps indiens, et qui, sans aucun doute, étaient des Européens. Parmi les Japonais, j’en ai vu qui étaient des Indiens, d’autres qui étaient Européens. Et si n’importe lequel d’entre eux va dans le pays ou entre dans la civilisation avec lesquels il est en affinité, il se trouvera là tout à fait chez lui.

Si votre but est d’être libre de la liberté de l’esprit, vous devez vous débarrasser de tous les liens qui ne sont pas la vérité intérieure de votre être, mais proviennent d’habitudes subconscientes. Si vous voulez vous consacrer entièrement, absolument et exclusivement au Divin, faites-le d’une façon complète et sincère; ne laissez pas des fragments de vous-même enchaînés ici ou là. Vous pouvez me dire qu’il n’est pas facile de couper radicalement toutes ses amarres! Mais avez-vous jamais regardé en arrière dans votre vie et observé les changements qui ont pris place en vous en l’espace de quelques années? Lorsque vous le faites, vous vous demandez presque toujours comment il se peut que vous ayez senti ce que vous avez senti et agi comme vous l’avez fait en certaines circonstances; et parfois même, vous n’arrivez plus à vous reconnaître en celui que vous étiez seulement dix ans auparavant. Comment pouvez-vous donc vous lier à ce qui a été ou à ce qui est? et comment pouvez-vous fixer d’avance ce qui peut ou ne peut pas être dans l’avenir?

Toutes vos relations doivent être nouvellement bâties sur une liberté et un choix intérieurs. Les traditions dans lesquelles vous vivez ou avez été élevé, vous ont été imposées par la pression du milieu, de la suggestion collective, ou du choix des autres. Il y a inévitablement un élément de compulsion dans votre acquiescement. La religion elle-même a été imposée aux hommes; le plus souvent elle est maintenue par l’influence d’une peur religieuse ou par quelque menace spirituelle ou autre. Il ne peut y avoir aucune contrainte de ce genre dans votre relation avec le Divin; elle doit être libre, le résultat du choix de votre mental et de votre cœur, suivi avec enthousiasme et joie. Quelle est donc cette union dans laquelle on tremble et dit : « Je suis obligé, je ne puis faire autrement »?

La vérité est évidente en soi et n’a pas besoin d’être imposée au monde; elle ne sent nulle nécessité d’être acceptée par les hommes. Car elle existe par elle-même; elle ne dépend pas de ce que les gens en disent ni de leur adhésion. Mais celui qui fonde une religion a besoin de beaucoup de partisans. La force et la grandeur d’une religion sont jugées par les hommes d’après le nombre de ses sectateurs, quoique la grandeur véritable ne soit pas en cela. La grandeur de la vérité spirituelle ne se trouve pas dans le nombre. J’ai connu le chef d’une religion nouvelle, fils de son fondateur, et je l’ai entendu dire que telle ou telle religion avait pris tant de centaines d’années pour être construite, tandis que la sienne, vieille seulement de cinquante ans, avait déjà plus de quatre millions d’adhérents. « Ainsi, voyez-vous, ajouta-t-il, combien grande est notre religion! » Les religions peuvent, en effet, supputer leur grandeur par le nombre de leurs croyants; mais la vérité resterait toujours la vérité, même si elle n’avait pas un seul partisan. L’homme moyen est attiré par ceux qui ont de grandes prétentions; il ne va pas là où la vérité se manifeste sans tapage. Ceux qui ont de grandes prétentions doivent se proclamer à grand renfort de publicité, car comment pourraient-ils autrement attirer la multitude? Le travail qui est fait sans souci de ce que les gens en pensent, n’est pas connu et ne peut facilement atteindre la masse. La vérité seule n’a pas besoin de publicité; elle ne se cache pas, mais ne se déclare pas non plus. Il lui suffit de se manifester, sans s’occuper des résultats, sans chercher l’approbation ni éviter la désapprobation, sans être ni attirée ni troublée par l’acceptation ou le désaveu du monde.

Quand vous venez au yoga, il faut vous attendre à voir mis en pièces toutes vos constructions mentales et tous les échafaudages de votre vital. Vous devez être prêt à être suspendu en l’air sans rien pour vous supporter, excepté votre foi. Vous aurez à oublier complètement votre moi passé et tous ses attachements, à l’arracher de votre conscience pour renaître à nouveau, libre de tout esclavage. Ne pensez plus à celui que vous étiez, mais à celui que vous aspirez à être; soyez tout entier dans ce que vous voulez réaliser. Détournez-vous de votre passé mort et regardez droit devant vous vers l’avenir. Vous n’aurez plus qu’une religion, qu’un pays, qu’une famille : le Divin.

Le 16 juin 1929

Est-ce que toutes les maladies physiques peuvent être attribuées à un désordre du mental comme cause ultime? Dans ce cas, quelle sorte de désordre mental serait la cause, par exemple, d’une éruption ou d’un mal de gorge?

Il y a autant de raisons à une maladie qu’il y a de malades; l’explication est différente dans chaque cas. Si vous me demandez : « Pourquoi ai-je telle maladie ou telle autre? » je puis regarder en vous et vous en donner la raison; mais il n’y a pas de règle générale.

Les maladies du corps ne sont pas toujours le résultat d’un désordre, d’une désharmonie ou d’un mouvement faux du mental. La source de la maladie peut être dans le mental, mais elle peut être aussi dans le vital ; ou elle peut encore être quelque chose de plus ou moins purement physique comme dans les maladies qui proviennent de contacts extérieurs. Pour finir, certains troubles résultent d’un mouvement du yoga ; et dans ce cas aussi, il y a une multitude de causes possibles.

Occupons-nous des maladies provenant du yoga, car elles nous intéressent plus directement et intimement. Quoiqu’une raison unique ne puisse être donnée à aucune indisposition particulière, nous pouvons cependant séparer les maladies en groupes variés suivant la nature de la cause qui les a provoquées.

La force qui descend en celui qui fait un yoga et l’aide dans sa transformation, agit de bien des façons, et les résultats diffèrent suivant la nature qui la reçoit et le travail qui est à faire. Tout d’abord, elle hâte dans l’être la transformation de tout ce qui est prêt à changer. Si c’est dans son mental qu’il est ouvert et réceptif, le mental, touché par la puissance du yoga, se met à progresser rapidement. La même promptitude de changement peut se produire dans la conscience vitale si elle est prête, ou même dans le corps. Mais dans le corps, le pouvoir transformateur du yoga agit seulement jusqu’à un certain point, car la réceptivité du corps est limitée. La condition de la région la plus matérielle de l’univers est encore telle que la réceptivité y est largement mélangée de résistance. Un rapide progrès d’une partie de l’être, qui n’est pas suivi d’un progrès équivalent des autres parties, produit un désaccord dans la nature, une dislocation quelque part; et partout où cette dislocation se produit, elle peut se traduire par une maladie. La nature de la maladie dépend de la nature de la dislocation. Un certain genre de désharmonie affecte le mental, et le dérangement qui en résulte peut conduire même à la folie; un autre genre affecte le corps, et on voit apparaître la fièvre, ou une éruption, ou tout autre désordre d’importance plus ou moins grande.

Ainsi, d’un côté, l’action des forces du yoga précipite le mouvement de transformation dans les parties de l’être qui sont prêtes à recevoir le pouvoir à l’œuvre et à y répondre. C’est de cette façon que le yoga gagne du temps. Le monde entier est en voie de transformation progressive : en prenant la discipline du yoga, on active en soi-même ce procédé. Le travail qui demanderait des années par la méthode ordinaire, peut être fait par le yoga en quelques jours, ou même en quelques heures. Mais c’est la conscience intérieure qui obéit à l’impulsion d’accélération, car les parties les plus hautes de l’être suivent volontiers le mouvement rapide et concentré du yoga, et se prêtent facilement aux adaptations et aux ajustements constants que ce mouvement exige.

De l’autre côté, le corps est en général dense, inerte et apathique; et si, en lui, quelque chose ne répond pas et résiste à l’action des forces supérieures, c’est qu’il est incapable d’avancer aussi rapidement que le reste de l’être. Le temps lui est nécessaire; il ne peut marcher qu’à son propre pas, comme il le fait dans la vie ordinaire. Il en est de même lorsque les adultes marchent trop vite pour les enfants qui les accompagnent; ils doivent s’arrêter de temps en temps et attendre que les enfants qui sont en arrière puissent les rejoindre. Cette divergence entre le progrès de l’être intérieur et l’inertie du corps, crée souvent dans l’organisme un désordre qui se manifeste par une maladie. C’est ce qui explique pourquoi ceux qui entreprennent le yoga souffrent souvent, au début, de quelque malaise ou indisposition physique. Cela n’est certes pas inévitable s’ils sont soigneux et sur leurs gardes. Il va de soi aussi qu’ils sont à l’abri si leur corps possède une réceptivité remarquable et inaccoutumée. Mais une réceptivité sans mélange, permettant à l’être physique de suivre pas à pas la transformation intérieure, n’est guère possible, à moins que la substance du corps n’ait été déjà préparée dans le passé à une discipline yoguique.

Dans la vie ordinaire de l’homme, une dislocation progressive est de règle. Le mental et le vital humains suivent de leur mieux le mouvement des forces universelles, et le courant d’évolution et de transformation du monde les porte une partie du chemin; mais le corps, soumis aux lois de la nature la plus matérielle, se meut très lentement. Après quelques années, soixante-dix ou quatre-vingts ans, cent ou deux cents ans — et ceci est peut-être le maximum — la discordance est si grande que l’être extérieur tombe en morceaux. La divergence entre la demande et la réponse, l’incapacité croissante du corps à suivre, amènent le phénomène de la mort.

Par le yoga, la transformation intérieure, qui se poursuit constamment mais lentement dans la création, est rendue plus intense et rapide; mais l’allure de la transformation extérieure reste à peu près la même que dans la vie ordinaire. Il en résulte que la désharmonie entre l’être interne et l’être externe de quelqu’un qui pratique le yoga tend à être d’autant plus grande, à moins que des précautions ne soient prises et qu’une protection spéciale ne vienne aider le corps à suivre la marche intérieure d’aussi près que possible. Mais même en ce cas, il est dans la nature du corps de retarder la marche. C’est pour cette raison que nous devons dire à beaucoup de sâdhaks : « Ne tirez pas, ne vous pressez pas; donnez à votre corps le temps de suivre. » Certains doivent être retenus pendant des années entières, et il ne leur est pas permis de trop faire ou de progresser loin. Quelquefois il devient impossible d’éviter le déséquilibre; et alors se produit un dérangement qui varie suivant la nature de la résistance et suivant la mesure de la négligence ou du soin que l’on a pris.

Telle est la raison aussi pour laquelle chaque sérieux mouvement de progrès est presque invariablement suivi d’une période d’immobilité. Celle-ci apparaît à ceux qui ne sont pas avertis comme une vague d’engourdissement, de stagnation et de découragement, arrêtant tout progrès; et ils pensent anxieusement : « Qu’arrive-t-il? Suis-je en train de perdre mon temps? Rien n’est fait. » Mais la vérité est que ce temps est nécessaire pour l’assimilation ; c’est une pause donnant au corps le moyen de s’ouvrir davantage, de devenir plus réceptif et de s’approcher plus près du niveau atteint par la conscience intérieure. Les parents sont allés trop loin sur le chemin : ils doivent faire halte afin que l’enfant, laissé en arrière, puisse courir et les rattraper; alors seulement ils pourront repartir et voyager de concert.

Chaque point du corps est symbolique d’un mouvement intérieur; il y a là un monde de correspondances subtiles. Mais c’est un sujet long et complexe et nous ne pouvons pas entrer dans les détails pour le moment. La partie particulière du corps qui est atteinte de maladie est l’indice de la nature du désordre intérieur qui a pris place; elle nous indique l’origine de la maladie, elle est un signe de sa cause. Elle révèle aussi la nature de la résistance qui empêche l’être d’avancer dans son ensemble avec la même rapidité. Et ceci nous apprend quels sont le traitement et la guérison. Si l’on pouvait comprendre parfaitement où gît l’erreur, trouver ce qui a manqué de réceptivité, ouvrir cette partie à la force et à la lumière, il serait possible de rétablir en un moment l’harmonie qui a été dérangée, et la maladie disparaîtrait immédiatement.

L’origine d’une maladie peut être dans le mental; elle peut être dans le vital ou dans toute autre partie de l’être. La même maladie peut être due à des causes diverses; dans des cas différents, elle provient de sources de désharmonie différentes. Il peut y avoir aussi une apparence de maladie, sans qu’il y ait aucune maladie réelle. Dans ce dernier cas, si vous êtes suffisamment conscient, vous verrez qu’il y a tout juste une friction quelque part, un arrêt dans le mouvement, et, en ajustant la chose, vous serez guéri de suite. Cette sorte de maladie n’a pas de vérité en elle, même quand elle semble avoir des effets physiques; elle est à moitié faite d’imagination et n’a pas la même prise sur la matière qu’une maladie véritable.

En résumé, les sources d’une maladie sont multiples et obscures; chacune peut avoir une multitude de causes, mais toujours elle est l’indication d’un point faible de l’être.

D’ailleurs, que la cause d’une maladie soit matérielle ou mentale, extérieure ou intérieure, elle doit, avant de pouvoir affecter le corps physique, toucher une autre couche de l’être, qui entoure et protège ce corps. Cette couche plus subtile est appelée de noms divers dans les différents enseignements : le sous-degré nerveux, le double éthérique, l’enveloppe nerveuse. C’est un corps subtil, et pourtant presque visible. Il ressemble, en densité, aux vibrations que l’on perçoit autour d’un objet très chaud; il émane du corps physique et le recouvre étroitement. Toutes les communications avec le monde extérieur se font à travers cet intermédiaire, et c’est lui qui doit être pénétré et envahi avant que le corps puisse être atteint. Si cette enveloppe est absolument forte et intacte, on peut aller dans les endroits infectés des pires maladies, même de la peste ou du choléra, avec une impunité totale. C’est la plus efficace des protections contre les attaques possibles de maladie, mais pour cela, il faut que cette enveloppe soit complète et entière, d’une constitution cohérente, composée d’éléments en parfait équilibre.

Ce corps subtil est construit, d’une part avec une base matérielle, faite de conditions matérielles plutôt que de matière physique, et d’autre part avec les vibrations de nos états psychologiques. Ce deuxième élément en lui est constitué par la paix, l’égalité d’âme, la confiance, la foi en la santé, un repos et une bonne humeur invariables, un brillant contentement, qui lui donnent sa force et sa substance. C’est un intermédiaire très sensible, qui a des réactions faciles et promptes; il est ouvert à toutes sortes de suggestions, et celles-ci peuvent, en un moment, changer et presque reformer sa condition. Une suggestion mauvaise agit sur lui très fortement, de même qu’une bonne opère en sens contraire avec la même force. La dépression et le découragement ont un effet désastreux ; ils le criblent de trous, pour ainsi dire, affaiblissent son étoffe, lui enlèvent toute résistance et ouvrent en lui un passage commode pour les attaques hostiles.

C’est l’action de ce médium qui explique partiellement pourquoi les gens sentent souvent l’un pour l’autre une attraction ou une répulsion spontanée et irraisonnée. Le premier siège de ces réactions est dans cette enveloppe protectrice. Nous nous sentons facilement attirés par ceux qui apportent une force nouvelle à notre enveloppe nerveuse; nous éprouvons de l’aversion pour ceux qui la dérangent ou lui font du mal. Tout ce qui lui donne une sensation d’expansion, de confort, de bien-être, tout ce qui la fait répondre avec bonheur ou plaisir, exerce sur nous une attraction immédiate; quand l’effet est en sens inverse, la réponse est une antipathie protectrice. Lorsque deux personnes se rencontrent, cette impression est souvent mutuelle. Ce n’est certes pas la seule cause des affinités; mais c’est l’une des causes, et la plus fréquente.

Si l’être tout entier pouvait avancer simultanément dans sa transformation progressive, d’accord avec la marche interne de l’univers, il n’y aurait pas de maladies, il n’y aurait pas de mort. Mais il faudrait que ce soit littéralement l’être tout entier, intégralement, depuis les plans supérieurs, où il est plus plastique et se prête dans la mesure requise aux forces transformatrices, jusqu’au plus matériel qui est, par sa nature, rigide, stationnaire, réfractaire à tout rapide changement de forme.

Il y a des régions qui offrent une bien plus grande résistance que d’autres à l’action des forces yoguiques, et les maladies qui les affectent sont bien plus dures à guérir. Ce sont les parties les plus matérielles et extérieures de l’être avec des maladies qui leur sont propres, comme les maladies de peau et les maux de dents.

J’ai entendu de source certaine l’histoire d’un yogi qui, ayant vécu près d’un siècle sur les rives de la Narmadâ, jouissait encore d’une santé robuste et avait un physique magnifique. Un de ses disciples lui offrit un jour une médecine pour soulager un mal de dent; en refusant, il fit la remarque que cette dent l’avait tracassé pendant plus de deux cents ans. Ainsi ce yogi avait obtenu une telle maîtrise de la nature matérielle qu’il avait vécu pendant plus de deux cents années, et pourtant, durant tout ce temps, il n’avait pas pu vaincre un mal de dent!

Certaines maladies, qui sont considérées comme très dangereuses, sont des plus faciles à guérir; certaines, auxquelles on n’accorde que peu d’importance, peuvent offrir une résistance obstinée.

Les neuf dixièmes du danger dans une maladie proviennent de la peur. La peur peut vous donner les symptômes apparents d’une maladie; elle peut même vous rendre malade, tant sont puissants ses effets. Il n’y a pas longtemps, la femme d’un de ceux qui fréquentent l’Ashram, mais elle-même ne pratiquant pas le yoga, apprit qu’il y avait un cas de choléra dans la maison où demeurait son laitier; elle fut saisie par la peur et, le moment suivant, elle commença à montrer les symptômes de la maladie. Cependant elle fut rapidement guérie, parce qu’on ne permit pas à ces signes extérieurs de se développer en la maladie véritable.

Il y a des mouvements physiques provenant de la pression du yoga, qui créent quelquefois des craintes sans fondement, mais capables de faire du mal si la peur n’est pas rejetée. Il y a, par exemple, une certaine pression sur la tête, dont nous avons déjà parlé et que beaucoup éprouvent, spécialement dans les commencements quand quelque chose en eux est encore fermé et doit s’ouvrir. C’est un malaise sans importance et qu’on peut surmonter facilement en sachant que c’est l’effet de la pression des forces quand elles travaillent fortement dans le corps pour produire un résultat rapide et hâter la transformation. En le prenant tranquillement, cet effet peut se changer en une sensation pas du tout déplaisante. Mais si l’on est effrayé, on est sûr de se donner un violent mal de tête, qui peut même aller jusqu’à la fièvre. Le malaise est dû à une résistance dans la nature; si vous savez relâcher la résistance, vous êtes immédiatement débarrassé du malaise; mais si vous êtes effrayé, cette simple incommodité se transforme en quelque chose de bien pire. Quel que soit le caractère de l’expérience que vous avez, ne laissez jamais place à la peur; vous devez garder une confiance inébranlable et sentir que, quoi qu’il arrive, c’est cela même qui devait arriver. Une fois que vous avez choisi la voie, vous devez hardiment accepter toutes les conséquences de votre choix. Mais si vous choisissez et puis que vous reculiez, pour choisir encore et encore reculer, hésitant toujours, doutant toujours, toujours effrayé, vous créez une désharmonie dans votre être, qui non seulement retarde votre progrès, mais peut être l’origine de toutes sortes de désordres dans l’être mental et l’être vital, et de malaises ou d’indispositions dans le corps.

Le 23 juin 1929

Un yogi peut-il atteindre un état de conscience dans lequel il soit à même de savoir toute chose, de répondre à toutes les questions, même celles qui ont trait à des problèmes scientifiques abstrus tels que, par exemple, la théorie de la relativité?

Théoriquement et en principe, il n’est pas impossible à un yogi de connaître toute chose. Naturellement, tout dépend du yogi.

Mais il y a connaissance et connaissance. Le vrai yogi ne connaît pas à la façon du mental. S’il connaît toute chose, ce n’est pas parce qu’il a accès à toutes les possibilités d’information, ni parce qu’il contient, en son mental, tous les faits de l’univers, ni parce que sa conscience ressemble à une encyclopédie miraculeuse. Il connaît par sa capacité de contenir les choses, les personnes et les forces, ou de s’identifier à elles dynamiquement, ou bien encore il connaît parce qu’il vit dans une conscience, ou est en contact avec une conscience où se trouvent la vérité et la connaissance.

Car si vous êtes dans la conscience de vérité, la connaissance que vous aurez sera celle de la vérité. Et dans ce cas aussi, on peut savoir directement, en étant un avec ce que l’on veut savoir. Si un problème vous est posé, ou qu’il vous soit demandé ce qui doit être fait dans une circonstance particulière, vous pouvez, en regardant avec assez d’attention et de concentration, voir apparaître spontanément la connaissance requise et la réponse juste.

Ce n’est pas par la rigoureuse application d’une théorie que vous atteignez à la connaissance, ni par un travail mental d’analyse et de déduction. La mentalité scientifique a besoin de ces procédés pour arriver à ses conclusions. Mais le savoir du yogi est direct et immédiat; il n’est pas déductif. Quand un ingénieur veut trouver la position exacte d’une arche à construire, la courbe de son profil et la dimension de son ouverture, il le fait par des calculs, en compulsant et comparant ses informations, en déduisant et raisonnant d’après ses données. Mais un yogi n’a besoin d’aucune de ces choses; il regarde, il a la vision de l’arche, il voit qu’elle doit être faite de cette manière et non d’une autre, et cette perception est sa connaissance.

Quoiqu’il puisse être vrai, d’une façon générale et dans un certain sens, qu’un yogi sache toute chose et puisse répondre à toutes les questions du propre point de vue de sa vision et de sa conscience, il ne s’ensuit pas cependant qu’il n’y ait aucun genre de questions auxquelles il ne voudrait ou ne pourrait pas répondre. Un yogi qui a la connaissance directe, la connaissance de la vraie vérité des choses, se soucierait peu, ou peut-être trouverait difficile de répondre à des questions appartenant complètement au domaine des constructions mentales humaines. Peut-être ne pourrait-il pas ou ne voudraitil pas résoudre des problèmes ou des difficultés qui lui seraient présentés et n’auraient rapport qu’à l’illusion des choses et à leur apparence. Le fonctionnement de sa connaissance n’est pas dans le mental ; si vous lui posez quelque sotte question mentale de ce genre, probablement ne répondra-t-il pas. Il est stupide de croire, comme on le fait communément, que l’on peut lui poser n’importe quelle question ignorante comme à un supermaître d’école et lui demander toutes sortes d’informations sur le passé, le présent et le futur, et que sûrement il répondra. C’est aussi inepte que d’attendre de l’homme spirituel des exploits et des miracles qui satisferaient le mental extérieur vulgaire et le laisseraient béat d’admiration.

De plus, le terme yogi est très vague et vaste. Il y a beaucoup de types de yogis, beaucoup de lignes et de classes de recherches spirituelles et occultes, et des hauteurs différentes de développement. Il y a des yogis dont les pouvoirs ne s’étendent pas au-delà du plan mental; d’autres l’ont dépassé. Tout dépend du champ et de la nature de leur effort, de la hauteur à laquelle ils sont arrivés, de la conscience avec laquelle ils sont en rapport et dans laquelle ils entrent.

Est-ce que les savants ne vont pas quelquefois au-delà du plan mental? On dit qu’Einstein a découvert sa théorie de la relativité non par un procédé de raisonnement, mais par une soudaine inspiration. Cette inspiration a-t-elle quelque chose de commun avec le supramental?

Le savant qui a une inspiration lui révélant une vérité nouvelle, la reçoit du mental intuitif. La connaissance lui arrive sous forme d’une perception directe dans le plan mental supérieur, lui-même illuminé par une lumière venant de plus haut encore. Mais tout cela n’a rien à voir avec l’action du supramental, et cette région du mental supérieur est bien éloignée du plan supramental.

Les hommes croient trop facilement qu’ils sont montés jusqu’à des régions tout à fait divines, quand ils se sont élevés un peu seulement au-dessus du niveau moyen. Il y a de nombreuses gradations entre le mental humain ordinaire et le supramental, beaucoup d’étapes et beaucoup de plans intermédiaires. Si un homme ordinaire entrait en contact direct, ne serait-ce qu’avec un de ces plans intermédiaires, il serait ébloui et aveuglé; il se sentirait écrasé sous le poids de l’immensité perçue, et perdrait son équilibre; et pourtant, ce n’est pas le supramental.

Pour en revenir à ce que nous disions, derrière l’idée commune qu’un yogi peut savoir toute chose et répondre à toutes les questions, se tient le fait réel qu’il y a un plan du mental où le souvenir de toutes les choses est préservé et existe toujours. Tous les mouvements du mental appartenant à la vie terrestre sont enregistrés et conservés dans ce domaine. Ceux qui sont capables d’aller à cet endroit, peuvent, s’ils en prennent la peine, y lire et y apprendre tout ce qu’ils veulent. Mais cette région ne doit, en aucune façon, être prise pour l’un des plans du supramental. Et cependant, pour atteindre seulement là, il faut faire taire les bruits du mental physique ou matériel, mettre de côté toutes les sensations et arrêter les mouvements ordinaires de la pensée, quels qu’ils soient; il faut sortir du vital et se libérer de l’esclavage du corps. C’est alors seulement que l’on peut entrer dans cette région et y voir. Toutefois, si vous êtes suffisamment intéressé pour faire l’effort nécessaire, vous pouvez aller à cet endroit et y lire ce qui est écrit dans la mémoire de la terre.

Ainsi, si vous entrez profondément dans le silence, vous pouvez atteindre à un niveau de conscience où il devient possible de recevoir une réponse à toutes vos questions. Et si quelqu’un est ouvert consciemment à l’entière vérité du supramental et reste en contact constant avec elle, il peut certainement répondre à toute question qui mérite une réponse de la lumière supramentale. Les questions doivent provenir du sens de la vérité et de la réalité derrière les choses. Beaucoup de questions et de problèmes très débattus ne sont qu’un tissu d’abstractions mentales, ou bien se meuvent sur la surface illusoire des choses. Ces pseudo-problèmes n’appartiennent pas à la connaissance véritable; ils sont une déformation de la connaissance; leur substance même est faite d’ignorance.

Certainement, la connaissance supramentale peut donner une réponse — sa propre réponse — aux problèmes soulevés par l’ignorance mentale; mais cette réponse ne serait probablement pas du tout satisfaisante, ni même intelligible pour ceux qui, du plan mental, posent la question. Vous ne devez pas vous attendre à ce que le supramental travaille de la même manière que le mental, ou bien que la connaissance propre à la vérité puisse être mise bout à bout avec le demi-savoir propre à l’ignorance. Le système mental est une chose, mais le supramental est quelque chose d’autre, de tout à fait différent, qui cesserait d’être supramental s’il s’adaptait aux exigences du système mental. Les deux n’ont point de commune mesure et ne peuvent être mis ensemble.

Quand la conscience a obtenu les joies supramentales, prend-elle encore intérêt aux choses du mental?

Le supramental ne s’intéresse pas aux choses mentales de la même manière que le fait l’esprit humain. Il a sa propre manière de s’intéresser à tous les mouvements de l’univers, mais c’est d’un autre point de vue et avec une autre vision. Le monde revêt pour lui une apparence très différente de son apparence ordinaire. Il y a un renversement dans le point de vue. Tout ce qui est perçu de là, apparaît différent de ce que cela apparaît au mental, et même souvent opposé. Les choses ont un autre sens; leur aspect, leur mouvement, leur procédé, tout ce qui les concerne, est observé avec d’autres yeux. Tout ce qui se passe ici est suivi par le supramental ; les mouvements du mental, et aussi ceux du vital et du matériel, tout le jeu de l’univers, sont pour lui du plus grand intérêt, mais d’une autre manière.

C’est à peu près la même différence qu’entre l’intérêt pris à un théâtre de marionnettes par celui qui tire les ficelles, connaît ce que les pantins doivent faire, la volonté qui les fait mouvoir et sait aussi qu’ils ne peuvent rien faire que cela, et l’intérêt pris par les spectateurs qui regardent la comédie, mais voient seulement ce qui arrive de moment en moment, sans rien connaître d’autre. Celui qui assiste à la pièce et se trouve en dehors de son secret, s’intéresse d’une façon bien plus forte, bien plus intense, bien plus passionnée à ce qui va se passer et suit avec une attention excitée les événements imprévus et dramatiques; l’autre, qui tient les ficelles et met tout en mouvement, est lui-même immobile et tranquille. Il y a une certaine intensité d’intérêt qui vient de l’ignorance; elle est intimement liée à l’illusion et disparaît quand on en est sorti. L’intérêt que les êtres humains prennent aux choses est fondé sur l’illusion même; si elle était enlevée, le jeu ne les intéresserait plus du tout; ils le trouveraient aride et terne. Voilà pourquoi toute cette ignorance et toute cette illusion ont duré si longtemps; c’est parce que l’homme les aime, parce qu’il s’accroche à elles et au genre particulier d’attrait qu’elles apportent.

Que doit-on faire quand on veut changer la condition de son corps, obtenir une guérison ou corriger une imperfection physique? Doit-on se concentrer sur le but à réaliser et exercer sa volonté, ou doit-on seulement vivre dans la confiance que ce sera fait, ou encore s’en remettre entièrement à la puissance divine pour qu’elle produise le résultat désiré, en son temps et à sa manière?

Ce sont autant de manières de faire la même chose, et chacune, dans des conditions différentes, peut être efficace. La méthode par laquelle vous aurez le plus de succès dépend de la conscience que vous avez développée en vous et du caractère des forces que vous êtes capable de faire entrer en jeu.

Vous pouvez vivre dans la conscience de la guérison radicale et, par la force de votre formation intérieure, amener lentement le changement extérieur. Ou bien, si vous connaissez et voyez la force qui est capable d’effectuer les choses requises et que vous sachiez la manier, vous pouvez l’appeler et la concentrer aux endroits où son action est nécessaire, et elle-même amènera le changement. Ou encore, vous pouvez présenter votre difficulté au Divin et lui demander de vous guérir, en plaçant toute votre confiance dans le pouvoir divin.

Mais quoi que vous fassiez, quel que soit le procédé que vous adoptiez, et même si vous avez acquis une grande habileté et un pouvoir réel, vous devez laisser le résultat entre les mains du Divin. Vous pouvez toujours essayer, mais c’est au Divin de vous donner le fruit de votre effort ou de ne pas vous le donner. C’est là que s’arrête votre pouvoir personnel; si le résultat vient, c’est le pouvoir du Divin et non le vôtre qui le produit.

Vous vous demandez s’il est juste de solliciter du Divin de telles choses. Mais il n’y a pas plus de mal à se tourner vers le Divin pour guérir une imperfection physique qu’à prier pour la guérison d’un défaut moral. En tout cas, quoi que vous demandiez et quel que soit votre effort, vous devez sentir, alors même que vous essayez de votre mieux et en vous servant de la connaissance ou du pouvoir dont vous disposez, que le résultat dépend entièrement de la grâce divine. Une fois que vous avez entrepris le yoga, tout ce que vous faites doit être fait dans un esprit de soumission. Telle doit être votre attitude : « J’aspire, j’essaye de guérir mes imperfections, je fais de mon mieux ; mais quant au résultat, je me mets entièrement entre les mains du Divin. »

Cela aide-t-il de dire : « Je suis sûr du résultat, je sais que le Divin me donnera ce dont j’ai besoin? »

Vous pouvez le prendre de cette façon. L’intensité même de votre foi peut vouloir dire que le Divin a déjà décidé que la chose en question sera faite. Une foi inébranlable est le signe de la présence de la volonté divine, une preuve de ce qui sera.

Quelles forces sont à l’œuvre quand on est en silencieuse méditation ?

Cela dépend de qui médite.

Mais dans la méditation silencieuse, ne doit-on pas faire en soi le vide complet? Alors, comment cela peut-il dépendre de celui qui médite?

Mais si vous faites le vide en vous, cela n’altère pas la nature de votre aspiration, ni ne change son domaine. En certains, l’aspiration se meut dans le plan mental ou dans le plan vital ; d’autres ont une aspiration spirituelle. De la qualité de l’aspiration dépend la force qui répond et le travail qu’elle vient faire. Faire le vide en soi dans la méditation crée un silence intérieur; cela ne veut pas dire que l’on ne soit plus rien ou que l’on soit devenu une masse inerte et morte. À faire le vide, on invite ce qui va le remplir. C’est-à-dire que l’on permet une détente dans l’insistance de la conscience sur la réalisation. Cependant, la nature de la conscience et le degré habituel de l’insistance déterminent non seulement les forces que l’on met en jeu, mais également la manière dont elles agiront : si elles aideront et accompliront, ou bien échoueront, ou même si elles entraveront et seront nuisibles.

Les conditions dans lesquelles on peut méditer sont nombreuses, et chacune a son effet sur les forces qui descendent et pénètrent, et sur leur action. Si vous méditez seul, c’est votre propre condition interne et externe qui compte. Si vous méditez en groupe, c’est la condition générale qui est de première importance. Mais dans les deux cas, les conditions seront toujours variables, et les forces qui répondront ne seront jamais deux fois les mêmes.

Une concentration unifiée, faite comme il convient, peut avoir une force remarquable. Il est dit, dans une vieille tradition, que si douze hommes sincères unissaient leur volonté et leur aspiration pour évoquer le Divin, il serait obligé de se manifester. Mais la volonté doit être unique et semblable, l’aspiration d’une sincérité complète. Car ceux qui tentent l’expérience peuvent être unis dans une sorte d’inertie, ou même dans un désir erroné et perverti, et le résultat est alors désastreux.

En méditation, la première et la plus impérieuse nécessité est un état de sincérité parfaite et absolue dans la conscience entière. Il est indispensable de ne pas se tromper soi-même et de ne pas tromper les autres ou être trompé par eux. Nous avons déjà dit quelle futile et vaine entreprise serait celle de vouloir tromper le Divin. Souvent, les gens souhaitent certaines choses, ils ont une préférence mentale ou un désir vital; ils veulent que l’expérience se produise d’une certaine façon ou qu’elle prenne une certaine tournure qui satisfasse leurs idées, leurs désirs ou leurs préférences; ils ne restent pas impartiaux, comme une page blanche prête à enregistrer simplement et fidèlement le phénomène. Dans ce cas, si ce qui se passe ne leur plaît pas, ils peuvent facilement se tromper eux-mêmes; ils voient une certaine chose, mais ils la tordent juste un petit peu et en font quelque chose d’autre; ils détournent de son sens une chose qui peut être simple et droite, pour la magnifier en une expérience extraordinaire.

Quand vous entrez en méditation, vous devez être aussi candide et aussi simple qu’un enfant, n’intervenant pas avec votre mental extérieur, n’attendant rien, n’insistant sur rien. Lorsque vous avez obtenu cette condition, tout dépend ensuite de l’aspiration qui est au fond de vous-même. Si, des profondeurs, vous demandez la paix, elle viendra à vous; si c’est la force, le pouvoir, la connaissance, ils viendront aussi. Mais tous viendront dans la mesure de votre capacité de les recevoir. Et si vous appelez le Divin, alors aussi — en admettant que le Divin entende votre appel, c’est-à-dire que votre appel soit assez pur et fort pour l’atteindre — vous recevrez sa réponse.

Le 30 juin 1929

Quelle est la raison de la répulsion que l’on éprouve instinctivement pour certains animaux, comme les serpents et les scorpions?

Sentir cette répulsion, ou toute autre, n’est pas une inévitable nécessité. N’avoir aucune espèce de répulsion est une des conquêtes fondamentales du yoga.

La répulsion dont vous parlez, vient de la peur; s’il n’y avait pas de peur, elle n’existerait pas. Cette peur n’est pas fondée sur la raison, elle est instinctive; elle n’est pas individuelle, mais appartient à la race; c’est une suggestion générale, commune à la conscience humaine dans son ensemble. Quand on revêt le corps humain, on accepte en même temps une quantité de suggestions, d’idées raciales, de sentiments, d’associations, d’attractions, de répulsions, de peurs appartenant au genre humain.

Cependant, à un autre point de vue, il y a quelque chose de très personnel dans la nature des attractions et des répulsions; car ces mouvements ne sont pas les mêmes pour tout le monde et dépendent principalement de la qualité vibratoire de l’être vital en chacun. Certains hommes, non seulement ne sentent aucune répulsion pour les serpents, mais même ont pour eux une sympathie, une affinité vitale, une préférence.

Le monde est plein de choses qui ne sont ni plaisantes ni belles, mais ce n’est pas une raison pour vivre dans une constante répugnance pour ces choses. Toutes les sensations de recul, de dégoût, de peur qui troublent et affaiblissent le mental humain, peuvent être maîtrisées. Un yogi doit surmonter ces réactions, car, dès les premiers pas dans le yoga, il est nécessaire de garder une parfaite sérénité en présence de tous les êtres, de toutes les choses, de tous les événements. Toujours, on doit rester calme, impassible et inébranlable; la force du yogi réside en cela. Ainsi les animaux féroces les plus dangereux ne lui feront aucun mal si, en leur présence, il conserve une paix et une tranquillité entières.

La répulsion est un mouvement d’ignorance. C’est un geste instinctif de défense. Pourtant, ce qui protège le mieux du danger, ce n’est pas un recul irraisonné, mais la connaissance, la connaissance de la nature du danger, et l’emploi conscient des mesures qui l’écarteront ou l’annihileront. L’ignorance, qui est à la source des mouvements irraisonnés, est la condition générale de l’humanité; mais elle peut être conquise, car nous ne sommes pas forcément liés à la nature humaine grossière qui nous entoure et qui est le point de départ de l’être extérieur.

L’ignorance est abolie par la croissance de la conscience; ce qui vous est nécessaire, c’est la conscience, toujours plus de conscience, une conscience pure, simple et lumineuse. Dans la lumière de cette conscience parfaite, les choses apparaissent comme elles sont et non comme elles veulent paraître. Elle est comme un écran montrant fidèlement toutes les choses à mesure qu’elles se déroulent. Sur lui, on voit clairement ce qui est lumineux et ce qui est sombre, ce qui est droit et ce qui est tortueux. Quand on est en contemplation, en spectateur seulement, la conscience devient comme un écran ou un miroir; quand on est actif, elle ressemble à un projecteur. Il suffit alors de la tourner dans la direction choisie pour voir en pleine lumière et examiner de façon pénétrante n’importe quoi, à n’importe quel endroit.

La façon d’obtenir cette conscience parfaite, est d’augmenter votre conscience présente, en la faisant sortir de ses ornières et de ses limites actuelles, en l’éduquant, ou en l’ouvrant à la lumière divine afin que celle-ci puisse y travailler pleinement et librement. Mais la lumière ne peut accomplir son œuvre complètement et sans gêne que lorsque vous êtes débarrassé de tout désir et de toute crainte, quand vous n’avez plus de préjugés dans le mental, de préférences dans le vital, d’appréhensions et d’attractions dans le physique, qui puissent vous obscurcir et vous entraver.

La répulsion est un mouvement de faiblesse. Elle survient parce que vous avez éprouvé un contact désagréable ou douloureux, et vous reculez devant ce qui vous a fait mal. L’atmosphère d’un être, d’un homme, d’un animal, ou ses émanations peuvent vous être nuisibles (quoiqu’il puisse ne pas en être de même pour tout le monde) et, dès qu’elles vous touchent, vous vous jetez en arrière pour les éviter. Mais si vous étiez assez fort, vous pourriez arrêter le danger à distance et l’empêcher de vous atteindre et de vous faire du mal. Car vous verriez et sauriez immédiatement qu’il y a là quelque chose de mauvais et vous vous entoureriez d’une barrière défensive; et même si la chose s’approchait de vous, elle ne pourrait pas vous toucher; vous demeureriez indemne et inébranlable en sa présence.

Si le Divin, qui est tout amour, est à la source de la création, d’où proviennent tous les maux qui abondent sur terre?

Tout vient du Divin; mais le Suprême n’a pas fait sortir le monde directement hors de lui-même; un pouvoir conscient est sorti de lui et s’est répandu à travers beaucoup de gradations descendantes, en passant par beaucoup d’agents. Beaucoup de créateurs, ou plutôt de formateurs, de faiseurs de formes, ont participé à la création du monde. Ce sont des agents intermédiaires, et je préfère les appeler formateurs plutôt que créateurs, car ils n’ont fait que donner à la matière sa forme, son caractère, sa nature. Ils ont été nombreux ; certains ont formé des choses harmonieuses et bienfaisantes, d’autres en ont produit de mauvaises et de malfaisantes. Certains aussi ont été des déformateurs plutôt que des constructeurs, car ils sont intervenus et ont gâté ce qui avait été bien commencé par d’autres.

Notre monde matériel n’est-il pas très bas dans l’échelle des mondes qui constituent la création?

Notre monde est le plus matériel, mais ce n’est pas une raison pour qu’il soit « très bas ». S’il est bas, c’est parce qu’il est obscur et ignorant, non parce qu’il est matériel. C’est une erreur de faire du mot « matière » le synonyme d’obscurité et d’ignorance. De plus, le monde matériel n’est pas le seul dans lequel nous vivions; c’est plutôt l’un des nombreux mondes où nous existons simultanément, et, d’une certaine manière, le plus important de tous. C’est le champ de concrétisation de tous les mondes; c’est le lieu où tous auront à se manifester. Il est vrai que pour le moment, il est désharmonieux et obscur; mais c’est seulement un accident, un faux départ. Un jour, il deviendra beau, rythmique, plein de lumière; car c’est là l’accomplissement pour lequel il a été fait.

Le 28 juillet 1929

Est-il possible à un yogi de devenir un artiste, et un artiste peut-il être un yogi? Quelle relation existe-t-il entre l’art et le yoga ?

Les deux ne sont pas si opposés que vous semblez le croire. Il n’y a rien qui empêche un yogi d’être un artiste ou un artiste de devenir un yogi. Mais quand on est dans le yoga, un grand changement se produit dans la valeur des choses, dans l’art aussi bien que dans le reste. On regarde l’art d’un point de vue tout à fait différent; ce n’est plus la chose suprême, contenant tout, qu’il est pour l’artiste. L’art ne se suffit plus à lui-même; il devient un moyen, non une fin. L’artiste lui-même cesse de croire que le monde tout entier tourne autour de ce qu’il fait, ou que son travail est la chose la plus importante qui ait jamais existé. Sa personnalité, si absorbante en général, ne compte plus; il est un agent, un canal. Son art est un moyen d’exprimer son rapport avec le Divin; il s’en sert à cet usage, comme il aurait pu se servir de tout autre pouvoir qui aurait fait partie de sa nature.

Mais quand un artiste a entrepris le yoga, éprouve-t-il encore l’impulsion de créer?

Pourquoi n’aurait-il pas cette impulsion? Il peut exprimer sa relation avec le Divin par le moyen de son art, exactement comme il le ferait par tout autre moyen. Si vous voulez que votre art soit le plus haut et le plus vrai, il doit exprimer un monde divin qu’il aura fait descendre dans le monde matériel. Tous les vrais artistes ont un sentiment de ce genre : l’impression qu’ils sont des intermédiaires entre un monde supérieur et l’existence physique.

Si vous le considérez sous ce jour, l’art n’est pas très différent du yoga. Il va de soi que, le plus souvent, l’artiste n’a qu’une sensation indéfinissable; il n’a pas la connaissance. Pourtant, j’en ai connu qui l’avaient; ils travaillaient consciemment à leur art, sachant ce qu’ils faisaient. Dans leur création, ils ne poussaient pas en avant leur personnalité comme le facteur le plus important; ils considéraient leur travail comme une offrande au Divin ; ils essayaient d’y exprimer leur relation avec le Divin.

C’était la fonction reconnue de l’art au Moyen Âge. Les peintres primitifs, les constructeurs de cathédrales dans l’Europe médiévale n’avaient pas d’autre conception de l’art. Dans l’Inde, toute l’architecture, la sculpture, la peinture vinrent de cette source et furent inspirées par cet idéal. Les chansons de Mîrâbaï et la musique de Tyâgarâj, la littérature poétique des inspirés, des saints et des rishis se rangent parmi les plus grandes possessions artistiques du monde.

Mais quand un artiste fait le yoga, est-ce que sa production y gagne?

La discipline de l’art, à son centre, possède le même principe que la discipline du yoga. Dans les deux, le but est de devenir de plus en plus conscient; dans les deux, on doit apprendre à voir et à sentir quelque chose qui est au-delà de la vision et de la sensation ordinaires, à se retirer au-dedans de soi pour faire surgir de là des choses plus profondes. Pour accroître la conscience de leurs yeux, les peintres ont à suivre une discipline qui, en ellemême, est presque un yoga. Les vrais artistes essayent de voir au-delà des apparences, afin d’utiliser leur art pour exprimer un monde interne; et, par cette concentration, ils développent une conscience qui est semblable à la conscience donnée par le yoga. Pourquoi donc la conscience yoguique ne serait-elle pas une aide pour la création artistique?

J’ai connu des personnes qui avaient peu d’entraînement et d’habileté, et qui cependant, par le yoga, acquirent une remarquable capacité pour écrire et pour peindre. Je peux vous donner deux exemples. L’un, est celui d’une jeune femme qui n’avait aucune instruction; elle était danseuse de profession et dansait bien. Après avoir pris le yoga, elle dansa seulement pour ses amis; et sa danse atteignit une profondeur d’expression et de beauté qu’elle n’avait jamais eue auparavant. De plus, cette jeune femme, en dépit de son manque d’instruction, se mit à écrire de façon excellente; elle avait des visions et les exprimait en un fort beau langage. Cependant, son yoga avait des hauts et des bas qui se traduisaient en elle de manière frappante; quand elle était en bonne condition, elle écrivait des choses tout à fait intéressantes; mais quand elle retombait dans sa conscience ordinaire, son mental, laissé à ses propres moyens, redevenait terne et stupide et n’avait aucune force créatrice.

Le second cas est celui d’un jeune homme qui avait fait des études d’art, mais très superficiellement. Fils d’un diplomate, il avait été préparé à la carrière diplomatique; mais il vivait dans le luxe et ses études n’étaient guère approfondies. Cependant, dès qu’il entreprit le yoga, il commença à faire des dessins inspirés qui avaient un caractère symbolique et transmettaient l’expression d’une connaissance interne. Finalement, il devint un grand artiste.

Pourquoi les artistes ont-ils généralement une conduite légère et un caractère peu sérieux ?

Quand ils sont ainsi, c’est qu’ils vivent presque constamment dans la conscience vitale. Leur être vital, extrêmement sensible, est influençable par les forces de ce plan, et en reçoit toutes sortes d’impressions et d’impulsions sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Souvent aussi, ils sont très libres mentalement et ne croient pas aux étroites conventions sociales et à la moralité qui gouvernent la vie des gens ordinaires. Ils ne se sentent pas liés par les règles coutumières de conduite et n’ont point encore trouvé au-dedans d’eux-mêmes la loi plus haute qui doit les remplacer. Comme ils n’ont rien pour tenir en échec les mouvements du désir en eux, ils mènent souvent une vie de libertinage et de licence.

Mais il n’en est pas toujours ainsi. J’ai vécu pendant dix ans parmi les artistes, et j’en ai rencontré beaucoup qui étaient bourgeois jusqu’à l’âme; ils étaient mariés et établis, bons pères, bons époux et vivaient en accord avec les idées morales les plus strictes sur ce qui peut et ne peut pas se faire.

Dans un certain cas, le yoga peut arrêter l’impulsion créatrice d’un artiste. Si l’origine de son art est dans le monde vital, lorsqu’il deviendra un yogi, il perdra son inspiration, ou plutôt la source d’où lui venait son inspiration ne l’inspirera plus; car le monde vital lui apparaîtra dans sa vraie lumière, il prendra sa valeur réelle, et cette valeur est très relative. La plupart de ceux qui se disent des artistes, tirent leur inspiration du monde vital ; et cette inspiration n’apporte avec elle rien de haut ni de grand.

Mais au contraire, si un vrai artiste, celui qui cherche son inspiration dans un monde plus élevé, se tourne vers le yoga, il s’apercevra que son inspiration devient plus directe et plus puissante, et son expression plus claire et plus profonde. Chez ceux qui ont une valeur véritable, le pouvoir du yoga augmentera leur valeur; mais chez ceux qui n’ont qu’une fausse apparence d’art, cette apparence elle-même disparaîtra, ou en tout cas, perdra tout son attrait pour eux.

La première et simple vérité qui frappe celui qui est sincère dans le yoga, est la relativité de ce qu’il fait en comparaison de la manifestation universelle, tandis qu’un artiste est généralement vaniteux et se considère comme un personnage de haute importance, une sorte de demi-dieu dans le genre humain. Beaucoup d’artistes disent que s’ils ne croyaient pas à l’importance capitale de ce qu’ils font, ils ne pourraient rien faire. Et pourtant, j’en ai connu dont l’inspiration venait d’un monde supérieur et qui ne pensaient tout de même pas que ce qu’ils faisaient était d’une si immense importance. Cette dernière attitude est plus proche du véritable esprit artistique. Si un homme est vraiment amené à s’exprimer par un art, c’est que le Divin a choisi ce moyen de se manifester à travers lui, et, dans ce cas, le yoga améliorera son art et ne lui fera rien perdre.

Mais toute la question est là : l’artiste a-t-il été décrété tel par le Divin, ou bien par lui-même?

Mais si quelqu’un fait un yoga, peut-il s’élever à des hauteurs semblables à celles de Shakespeare et de Shelley? Il n’y en a pas d’exemple!

Pourquoi pas? Le Mahâbhârata et le Râmâyana ne sont certainement pas inférieurs aux créations de Shakespeare ou de tout autre poète. Il est dit que ce sont les œuvres d’hommes qui furent des rishis et s’étaient soumis à une tapasyâ yoguique. La Gîtâ, qui se range, comme les Upanishads, parmi les plus grandes œuvres littéraires et spirituelles, ne fut pas écrite par quelqu’un qui n’avait aucune expérience du yoga ! Et en quoi sont inférieurs à votre Milton et à votre Shelley, les poèmes fameux écrits dans l’Inde, ou en Perse, ou ailleurs, par des mystiques et des soufis, des hommes réputés pour leur sainteté et leur dévotion?

Et encore, connaissez-vous tous les yogis et toutes leurs œuvres? Parmi les poètes et les créateurs, pouvez-vous dire qui était ou n’était pas en contact conscient avec le Divin? Il y a des gens qui ne sont pas officiellement des yogis; ils ne sont pas des gurus et n’ont pas de disciples; le monde ne sait pas ce qu’ils font; ils ne courent pas après la gloire et n’attirent pas sur eux l’attention des hommes; mais ils ont une très haute conscience, sont en contact avec un pouvoir divin, et, quand ils créent, leur production vient de là. Les meilleures peintures dans l’Inde, et beaucoup des meilleures sculptures et architectures furent produites par des moines bouddhistes qui passaient leur vie dans la contemplation et la pratique spirituelles; ils firent un travail suprêmement artistique, mais ne se soucièrent pas de laisser leur nom à la postérité.

La raison principale pour laquelle les yogis ne sont pas généralement connus pour leur art est qu’ils ne considèrent pas leur expression artistique comme la partie la plus importante de leur vie et qu’ils n’y consacrent pas autant de temps et d’énergie que le fait un simple artiste. De plus, ce qu’ils font n’arrive pas toujours jusqu’au public. Combien en est-il qui ont fait de grandes choses et qui ne les ont pas fait connaître au monde!

De plus beaux drames que ceux de Shakespeare ont-ils été composés par des yogis?

Le théâtre n’est certes pas l’art le plus élevé. Un écrivain m’a dit un jour que le théâtre est le plus grand des arts et que l’art est plus grand que la vie. C’est une opinion, mais elle est contestable...

L’erreur de la plupart des artistes est de croire que la production artistique a sa fin en elle-même, pour elle-même, indépendamment du reste du monde. L’art, tel qu’il est compris par ces artistes, est comme un champignon sur le vaste terrain de la vie, quelque chose de fortuit et d’extérieur, qui n’est pas intimement lié à la vie; il n’atteint ni ne touche les réalités profondes et durables; il ne fait pas partie de l’existence de façon essentielle et inséparable. L’art, il est vrai, a pour mission d’exprimer la beauté, mais dans un rapport étroit avec le mouvement universel. Les plus grandes nations et les races les plus cultivées ont toujours considéré l’art comme faisant partie de la vie et l’ont toujours mis à son service. Tel fut l’art du Japon à ses meilleurs moments; et il en fut de même partout, à tous les meilleurs moments de l’histoire de l’art. Mais la plupart des artistes sont comme des parasites vivant en marge de la vie; ils semblent ne pas savoir que l’art doit être l’expression du Divin dans la vie et par la vie. En toute chose, partout, dans tous les rapports, la vérité doit être manifestée en son rythme innombrable, et chaque mouvement de la vie doit être une expression de beauté et d’harmonie. L’habileté n’est pas de l’art, le talent n’est pas de l’art. L’art est une harmonie et une beauté vivantes que tous les mouvements de l’existence doivent révéler. Cette manifestation de l’art véritable fait partie de la divine réalisation ; peut-être en est-elle la plus grande partie.

Car, du point de vue supramental, la beauté et l’harmonie sont aussi importantes que toute autre expression du Divin. Mais elles ne doivent pas être isolées, mises à part de toutes les autres relations, retirées de l’ensemble; elles doivent s’unir à l’expression de la vie dans sa totalité.

Les gens sont dans l’habitude de s’écrier : « Oh, c’est un artiste! » Comme si un artiste n’était pas un homme parmi les autres, mais un être extraordinaire appartenant à une classe à part, et que son art aussi était quelque chose d’extraordinaire et de spécial, qu’il ne fallait pas confondre avec les autres choses du monde. La devise « l’art pour l’art » essaye, par son emphase, de faire passer cette faute d’appréciation pour une vérité. C’est une erreur semblable qui fait mettre au beau milieu d’un salon, un tableau encadré qui n’a rien à voir ni avec le mobilier ni avec les murs environnants, mais qui est placé là seulement parce que c’est un « objet d’art ».

L’art véritable est un tout et un ensemble; il est un et d’une seule tenue avec la vie. Vous pouvez constater quelque chose de ce tout intime et harmonieux dans l’ancienne Grèce et l’ancienne Égypte; car là, tableaux, statues, objets d’art, avaient leur place et leur raison d’être dans le plan architectural d’un monument; chaque détail n’était qu’une portion du tout et concourait à l’harmonie de l’ensemble. Il en est de même au Japon; tout au moins en était-il ainsi hier encore, avant l’invasion d’un modernisme utilitaire et pratique. Une maison purement japonaise est un tout merveilleusement artistique; chaque chose y est exactement à sa place; il n’y a rien de trop, mais rien ne manque non plus. On a l’impression, tant le tout se tient, que chaque chose est juste ce qu’elle devait être; et la maison elle-même est admirablement adaptée à la nature environnante. De même dans l’Inde, la peinture, la sculpture et l’architecture s’unissaient dans une beauté intégrale, dans un mouvement coordonné d’adoration pour le Divin.

À ce point de vue, une grande décadence est apparue assez récemment dans le monde. Dès l’époque de la reine Victoria, et en France depuis le second Empire, le goût artistique avait considérablement dégénéré. On avait pris l’habitude de pendre dans les chambres des tableaux qui n’avaient aucun sens par rapport aux objets à l’entour; n’importe quel tableau ou objet d’art pouvait être mis n’importe où sans que cela fasse grande différence. L’art n’avait plus pour mobile que l’étalage du talent, de l’habileté, de l’adresse; il s’était égaré bien loin de son but véritable, il avait oublié la nécessité d’être une expression intégrale et organisée de beauté et d’harmonie dans la demeure des hommes.

Mais tout dernièrement, une révolte s’est produite contre cet embourgeoisement du goût. La réaction fut si violente qu’elle ressembla à un complet égarement; et l’on put croire que l’art allait sombrer dans l’absurde. Mais lentement, hors de ce chaos, quelque chose a émergé, quelque chose de plus rationnel, de plus logique, de plus cohérent, à quoi il est possible de redonner le nom d’art, un art rajeuni et peut-être — espérons-le — régénéré.

Dans sa vérité fondamentale, l’art n’est rien de moins que l’aspect de beauté dans la manifestation divine. Peut-être, si on regarde de ce point de vue, ne pourra-t-on trouver que fort peu de vrais artistes; mais cependant il y en a, et ceux-ci peuvent très bien être appelés des yogis. Car, de même qu’un yogi, un artiste digne de ce nom entre en profonde contemplation pour atteindre et recevoir son inspiration. Pour créer une chose vraiment belle, il doit d’abord la voir avec les yeux intérieurs, composer son ensemble dans sa conscience profonde. C’est seulement après l’avoir ainsi trouvée, vue, possédée audedans de lui, qu’il peut l’exécuter extérieurement; sa création est l’épanouissement objectif de sa vision conceptive interne.

C’est aussi un genre de discipline yoguique; car ainsi l’artiste entre en communion intime avec les mondes intérieurs. Un homme comme Léonard de Vinci n’était rien autre qu’un yogi. Et il était, sinon le plus grand, du moins l’un des plus grands peintres, quoique sa production ne s’arrêtât pas à la peinture seule.

De même, la musique est essentiellement un art spirituel et elle a toujours été associée au sentiment religieux et à la vie intérieure. Mais elle aussi a été détournée de son sens véritable; elle est devenue indépendante, se suffisant à elle-même, un champignon d’art, comme la musique d’opéra, par exemple. La majeure partie des productions musicales sont de ce genre et intéressantes tout au plus du point de vue de la technique.

Je ne veux pas dire que même la musique d’opéra ne puisse servir de médium à l’expression d’un art supérieur; car quelle que soit la forme, elle peut être utilisée dans un but profond. Tout dépend de la chose elle-même, de ce qui est derrière elle et de l’usage qu’on en fait; il n’est rien qui ne puisse être mis au service des fins divines. De même que n’importe quoi peut prétendre venir du Divin et n’appartenir cependant qu’à l’espèce « champignon ».

Parmi les grands musiciens modernes, il y en a quelquesuns dont la conscience, quand ils créaient, entrait en rapport avec la conscience supérieure. César Franck était un inspiré lorsqu’il jouait de l’orgue; quelque chose en lui s’ouvrait à la vie psychique; il en était conscient, et, dans une grande mesure, il l’exprimait. Beethoven, quand il composa la Neuvième Symphonie, eut la vision d’une ouverture sur un monde supérieur et de la descente de ce monde sur le plan terrestre. Wagner a fait des allusions puissantes et perspicaces aux mondes occultes; il avait l’instinct et le sens de l’occultisme, et à travers eux, il reçut ses plus grandes inspirations. Mais il travailla principalement sur le plan vital, et de plus, son mental intervenait constamment et mécanisait l’inspiration. La majeure partie de son œuvre est très mélangée, trop souvent obscure et lourde, quoique puissante. Mais chaque fois qu’il put traverser les plans vital et mental et parvenir à un monde plus élevé, les aperçus qu’il en reçut furent d’une beauté exceptionnelle, comme dans Parsifal et dans plusieurs passages de Tristan et Yseult, spécialement dans la fin du dernier acte.

Voyez encore ce que les temps modernes ont fait de la danse; comparez-le à ce que fut la danse dans l’Antiquité. Il y eut un temps où la danse était une des plus hautes expressions de la vie intérieure; elle était associée à la religion et occupait une place importante dans les cérémonies sacrées, la célébration des fêtes et l’adoration du Divin. En certains pays, elle atteignit un très haut degré de beauté et une extraordinaire perfection. Au Japon, la danse fait traditionnellement partie de la vie religieuse; et parce que les Japonais possèdent naturellement un sens exact de la beauté et de l’art, ils ne permirent pas à la danse de dégénérer et de perdre sa signification et son but primitifs. L’Inde aussi a connu et cultivé les danses religieuses.

Il est vrai que de nos jours, on a essayé de ressusciter les danses anciennes, grecques et autres; mais tout sens religieux fait défaut à ces résurrections, et elles ressemblent plus à de la gymnastique rythmée qu’à de la danse.

Aujourd’hui, les danses russes sont célèbres; mais elles expriment le monde vital, et cela même, sous un de ses aspects les plus terribles. Comme tout ce qui nous vient de cette région, ces danses peuvent être très attractives ou très répulsives, mais toujours elles existent pour elles-mêmes et non pour la manifestation d’une vie plus haute. Même le mysticisme des Russes est d’ordre vital. Comme techniciens de la danse, ils sont merveilleux ; mais la technique n’est qu’un instrument. Si votre instrument est bon, tant mieux ; mais s’il n’est pas soumis au Divin, quelque remarquable qu’il puisse être, il est dépourvu de ce qui est supérieur et ne peut servir à des fins divines. Ainsi que je l’ai déjà dit, la difficulté vient de ce que la plupart de ceux qui deviennent des artistes croient qu’ils peuvent voler de leurs propres ailes et qu’ils n’ont pas besoin de se tourner vers le Divin. C’est très regrettable, car dans la manifestation divine, le talent est un élément aussi utile que tout autre. Le talent fait partie de la construction divine; seulement, il doit savoir se subordonner à ce qui est plus grand que lui.

Très loin au-dessus du mental, se trouve un domaine que nous pouvons appeler le monde de l’Harmonie. Si vous réussissez à aller jusque-là, vous y découvrirez la racine de toute harmonie qui s’est manifestée sur terre, sous quelque forme que ce soit. Pour vous donner un exemple, il y a un certain thème musical, composé de quelques notes suprêmes, qui se trouve derrière deux œuvres de deux artistes qui vécurent l’un après l’autre; l’une est un concerto de Bach, l’autre un concerto de Beethoven. Les deux ne sont pas semblables sur le papier et diffèrent pour l’oreille extérieure, mais leur origine est la même. Une seule et même vibration de conscience, une vague d’harmonie expressive toucha ces deux artistes. Beethoven en saisit davantage, mais chez lui, elle fut plus mélangée aux inventions et interpolations de son mental. Bach en reçut moins, mais ce qu’il transmit fut plus pur. La vibration était celle de l’éveil victorieux de la conscience, surgissant des profondeurs de l’inconscience dans une naissance triomphante. Cette vibration avait son origine dans le monde d’Harmonie dont je viens de vous parler.

Le yoga peut vous donner la capacité d’atteindre à la source de tout art; alors vous serez maître, si vous le voulez, de tous les arts. Bien souvent, ceux qui sont allés là ont dû trouver plus agréable et confortable de demeurer dans les délices de cette beauté et de cette félicité, sans les manifester ni leur donner un corps sur terre. Mais cette abstention n’est pas la vérité finale du yoga ; c’est plutôt une déformation, une diminution de la liberté dynamique du yoga, résultant de l’esprit négatif de l’ascétisme. La volonté du Divin est de se manifester, non de se retirer dans une complète inaction, un absolu silence. Si la conscience divine était réellement inaction et béatitude non manifestée, il n’y aurait jamais eu de création.

Le 4 août 1929

La soumission n’est-elle pas la même chose que le sacrifice?

Dans notre yoga, il n’y a pas de place pour le sacrifice. Mais naturellement, tout dépend du sens que vous donnez au mot. Dans son sens pur, il veut dire sanctifier, consacrer par l’offrande au Divin. Mais par la signification qu’on lui donne à présent, le mot sacrifice est devenu synonyme de destruction; il apporte avec lui une atmosphère de négation. Ce genre de sacrifice ne peut être un accomplissement; c’est une diminution, une immolation de soi. Car ce sont vos possibilités que vous sacrifiez, les réalisations de votre personnalité, depuis le plan matériel jusqu’au plan spirituel le plus élevé. Le sacrifice diminue votre être. Si vous sacrifiez physiquement votre vie, votre corps, vous perdez toutes vos possibilités dans le monde matériel; vous renoncez à l’accomplissement de votre existence terrestre. De la même manière, vous pouvez moralement sacrifier votre vie; vous renoncez alors à l’amplitude et au libre épanouissement de votre vie intérieure. Il y a toujours, dans cette idée d’immolation de soi, un sens d’obligation, de compulsion, un déni de soi imposé. C’est un idéal qui ne laisse pas de place aux plus profondes et plus larges spontanéités de l’âme.

Par soumission, nous n’entendons rien de ce genre, mais un don de soi spontané, le don de votre moi au Divin, à une plus grande conscience dont vous faites partie. La soumission ne vous diminuera pas, mais vous augmentera ; elle ne réduira pas, ni n’affaiblira, ni ne détruira votre personnalité, mais au contraire la fortifiera et l’agrandira. Par soumission, nous voulons dire un don intégral, fait librement, avec toute la félicité que le mouvement comporte; il n’y a aucun sens de sacrifice en cela. Si vous avez la moindre sensation que vous faites un sacrifice, alors ce n’est plus la vraie soumission; car cela implique que vous vous réservez ou que vous essayez de vous donner, mais à contrecœur, avec douleur et effort — et ainsi vous n’avez pas la joie du don — ou peut-être même n’avez-vous pas le sentiment de vous donner, mais celui d’être pris de force. Quand vous faites quoi que ce soit avec le sentiment que votre être subit une contrainte, soyez sûr que vous le faites de la mauvaise manière.

La vraie soumission vous élargit, elle augmente votre capacité; elle vous donne, en qualité et en quantité, une plus grande mesure que celle que vous auriez jamais eue par vousmême. Cette plus grande mesure de qualité et de quantité est différente de tout ce que vous auriez pu atteindre autrement; vous entrez dans un autre monde, dans une ampleur où vous n’auriez jamais pu pénétrer si vous n’aviez fait votre soumission. C’est comparable à une goutte d’eau qui tombe dans la mer; si elle y gardait son identité séparée, elle ne serait qu’une petite goutte d’eau et rien de plus, une petite goutte écrasée par l’immensité qui l’entoure; mais en perdant sa forme propre, elle se fond dans la mer, s’unit à elle et participe de sa nature, de son pouvoir et de son immensité. Ainsi en est-il de la vraie soumission.

Il n’y a aucune ambiguïté, aucune imprécision dans le mouvement; il est clair, fort et défini. Si un petit mental humain se tient en face du mental universel, et persiste à rester séparé, il demeurera ce qu’il est, une toute petite chose limitée, incapable de connaître la nature de la plus haute réalité, ou même d’entrer en contact avec elle. Les deux, le petit et l’immense, continuent à se tenir à part, tout à fait différents l’un de l’autre, aussi bien qualitativement que quantitativement. Mais si le petit mental humain se soumet, il se fondra dans le mental universel; il sera un, en qualité et en quantité, avec lui, ne perdant rien que ses limitations et ses déformations pour recevoir en échange l’ampleur et une lumineuse clarté. La petite existence changera de nature; elle revêtira la nature de la plus grande vérité à laquelle elle se soumet. Si, au contraire, le mental humain résiste, s’il se bat et se révolte contre le mental universel, alors devient inévitable un conflit dans lequel ce qui est petit et faible est sûr d’être submergé par le pouvoir de l’immensité. S’il ne se soumet pas, le sort qui l’attend est l’absorption et l’extinction.

Un être humain qui entre en contact avec l’esprit divin et se soumet, découvrira que son mental commence immédiatement à être purifié de ses obscurités et à participer au pouvoir et à la connaissance du mental universel. S’il se tient en face de lui, mais séparé, sans aucun contact, il restera ce qu’il est, une petite goutte d’eau dans l’incommensurable immensité. S’il se révolte, il perdra l’esprit; sa faculté de penser diminuera jusqu’à disparaître.

Et ce qui est vrai du mental, est vrai aussi de toutes les autres parties de la nature. C’est comme si vous vouliez vous battre avec quelqu’un de bien plus fort que vous — une tête cassée serait tout ce que vous y gagneriez. Comment songer à lutter contre quelque chose des millions de fois plus fort que soi? À chaque révolte, on reçoit un choc en retour, et chaque nouveau coup enlève un peu plus de force. Cela ressemble à un pugilat avec un adversaire de beaucoup supérieur; on reçoit coup après coup, et chaque fois on devient plus faible, jusqu’à ce qu’on soit mis hors de combat. Il n’est pas nécessaire qu’une volonté intervienne pour obtenir ce résultat; l’action est automatique. Rien d’autre ne peut se produire si l’on se précipite en révolte contre l’immensité.

Tant que vous restez dans votre coin en suivant la vie ordinaire, il ne vous est fait aucun mal ; mais si vous entrez en contact avec le Divin, deux voies seulement sont ouvertes devant vous. Vous vous soumettez et vous vous unissez à lui, et par votre soumission vous êtes grandi et glorifié; ou vous vous révoltez, et toutes vos possibilités sont détruites, vos pouvoirs de réalisation s’éloignent de vous pour être finalement absorbés en cela que vous essayez de combattre.

Beaucoup d’idées fausses circulent au sujet de la soumission. Bien des gens considèrent la soumission comme une abdication de la personnalité; mais c’est une grave erreur. En effet, la raison d’être de chaque individu est de manifester un aspect de la conscience divine, et le caractère de cette manifestation, l’expression de sa nature spéciale constituent la personnalité de chacun. Par conséquent, en prenant l’attitude vraie vis-àvis du Divin, l’individu ne peut être que purifié de toutes les influences de la nature inférieure qui diminuent et déforment sa personnalité; celle-ci n’en devient que plus fortement personnelle, plus elle-même, plus complète. La vérité et la puissance de la personnalité ressortent avec d’autant plus de splendeur distinctive; son caractère est marqué avec beaucoup plus de précision que lorsqu’il était mélangé à toute l’obscurité, toute l’ignorance, toute la saleté et tout l’alliage de la nature inférieure. Le résultat final est l’élévation, la glorification, l’agrandissement des capacités de la personnalité, dont les possibilités se réalisent à leur maximum.

Mais pour obtenir cette sublimation, l’individu doit d’abord abandonner tout ce qui, en déformant, limitant et obscurcissant sa vraie nature, enchaîne, avilit et défigure sa vraie personnalité; il doit rejeter loin de lui tout ce qui appartient aux ignorants mouvements inférieurs de l’homme ordinaire et de sa vie aveugle et trébuchante. Et avant toute chose, il doit abandonner ses désirs, car, de tous les mouvements de la nature inférieure, le désir est le plus obscur, le plus obscurcissant. Les désirs proviennent de la faiblesse et de l’ignorance, et ils vous gardent enchaîné à votre faiblesse et à votre ignorance. Les hommes ont l’impression que leurs désirs naissent au-dedans d’eux ; ils les sentent émerger des profondeurs de leur être pour s’élancer au-dehors. Mais cette impression est fausse. Les désirs sont des vagues appartenant à la vaste mer de l’obscure nature inférieure et ils circulent d’une personne à l’autre. Les hommes n’engendrent pas les désirs en eux-mêmes, mais sont envahis par ces vagues; quiconque est ouvert et sans défense, est pris et ballotté par elles.

Quand l’homme est possédé par le désir, il perd tout discernement et croit que satisfaire ce désir est une nécessité de sa nature. En réalité, le désir n’a rien à voir avec la vraie nature de l’homme. Il en est de même de toutes les impulsions inférieures : jalousie, envie, haine, violence. Ce sont aussi des mouvements qui vous saisissent, des vagues qui vous submergent et vous roulent; elles déforment, elles n’appartiennent pas au vrai caractère de la vraie nature; elles ne font pas partie intrinsèque et inséparable de vous-même, mais sortent de la mer de l’obscurité environnante et sont mises en mouvement par les forces de la nature inférieure. Ces désirs, ces passions, n’ont aucune personnalité; il n’y a rien en eux, ou dans leur action, qui vous soit particulier; ils se manifestent de la même manière en tous.

Les mouvements obscurs du mental, les doutes, les erreurs et les difficultés qui voilent la personnalité et diminuent son expansion et son accomplissement, viennent eux aussi de la même source. Ce sont des vagues qui passent et qui se saisissent de tous ceux qui se laissent prendre et utiliser comme des instruments aveugles. Et pourtant, chacun continue à croire que ces mouvements font partie de lui-même et sont un précieux produit de sa propre personnalité libre. On rencontre même des gens qui s’accrochent à eux et à leur impuissance comme au signe et à l’essence même de ce qu’ils appellent leur liberté!

Si vous avez compris ce que je viens de dire, vous êtes prêt à comprendre la différence, la grande différence qui existe entre la spiritualité et la moralité, deux choses que l’on confond constamment. La vie spirituelle, la vie du yoga, a pour but une croissance aboutissant à l’union avec la conscience divine, et pour résultat, de purifier, intensifier, glorifier et perfectionner ce qui est en chacun de nous. Elle nous donne le pouvoir de manifester le Divin; elle exhausse le caractère de chaque personnalité jusqu’à sa pleine valeur et l’amène au maximum de son expression. Car ceci fait partie du plan divin.

La morale, au contraire, procède par construction mentale, et, avec un certain nombre de principes sur ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, érige un type idéal auquel chacun doit ressembler. Cet idéal moral diffère, en ses constituants et en son ensemble, suivant les temps et les lieux. Et cependant, il se proclame toujours unique en son genre, un absolu catégorique; il n’en admet aucun autre en dehors de lui; il ne tolère même pas de variation au-dedans de lui-même. Tous les hommes doivent être fondus dans le moule unique d’un seul idéal, tous doivent être faits semblables, uniformément et sans exception. C’est parce que la morale est de par sa nature même si rigide et irréelle, qu’elle est, dans son principe et son action, le contraire de la vie spirituelle.

Il est vrai que la vie spirituelle révèle l’essence unique en tous; mais elle en dévoile aussi la diversité infinie. Elle travaille à la diversité dans l’unité et à la perfection dans cette diversité. La morale érige un modèle artificiel, contraire à la variété de la vie et à la liberté de l’esprit. Faisant une création mentale fixe et limitée, elle demande à tous de s’y conformer. Tous doivent travailler à acquérir les mêmes qualités et la même nature idéale. La morale n’est pas divine et ne vient pas du Divin; elle est faite par l’homme et n’est qu’humaine. Elle établit à sa base une division rigide entre le bien et le mal ; mais c’est une notion arbitraire. Elle prend des choses relatives et veut les imposer comme des absolus; mais ce bien et ce mal diffèrent avec les climats, les époques, les pays.

Certaines notions morales vont jusqu’à affirmer qu’il y a de bons désirs et de mauvais désirs, et demandent que l’on rejette les uns et accepte les autres. Mais la vie spirituelle implique le rejet de tout désir. Sa loi est d’écarter de soi tous les mouvements susceptibles d’éloigner du Divin. On doit les repousser, non parce qu’ils sont mauvais en eux-mêmes — car ils peuvent être bons pour un autre homme et dans une autre sphère —, mais parce qu’ils font partie des impulsions, des forces ignorantes et non illuminées qui se tiennent en travers du chemin menant vers le Divin. Tous les désirs, bons ou mauvais, appartiennent à cette catégorie; car le désir, quel qu’il soit, provient d’un vital obscur et ignorant. D’autre part, on doit accepter tous les mouvements qui rapprochent du Divin. On les accepte, non parce qu’ils sont bons en eux-mêmes, mais parce qu’ils mènent vers le Divin.

Acceptez donc tout ce qui vous conduit au Divin, rejetez tout ce qui vous en éloigne. Mais ne dites pas : ceci est bien et cela est mal, et n’essayez pas d’imposer votre point de vue aux autres, car le chemin des autres peut être très différent du vôtre; et même, ce que vous appelez mauvais, est très souvent tout à fait excellent pour votre voisin qui ne s’efforce pas de réaliser la vie divine.

Prenons un exemple pour illustrer la différence entre la façon dont la morale et la spiritualité regardent les choses. Les notions morales ordinaires distinguent l’homme généreux de l’avare. Et dans une certaine société, l’avare est blâmé et méprisé, tandis que l’homme généreux est estimé pour son absence d’égoïsme et son utilité sociale, et il est loué pour sa vertu. Mais du point de vue spirituel, tous deux se trouvent au même niveau; la générosité de l’un et l’avarice de l’autre sont des déformations d’une vérité plus haute, d’un plus grand pouvoir divin. Il y a un pouvoir qui, dans son mouvement divin, répand, diffuse, projette librement les forces, les choses et tout ce qu’il possède sur tous les plans, depuis le plus matériel jusqu’au plus spirituel. Derrière l’homme généreux et sa générosité, se trouve une âme type qui exprime ce mouvement; elle est un pouvoir de diffusion, de large distribution. Il y a un autre pouvoir qui, dans son mouvement divin, collectionne, amasse, rassemble et accumule les forces, les choses et tout ce qui peut être possédé, depuis le plan le plus matériel jusqu’au plus haut. L’homme qui est accusé d’avarice avait été créé pour être un instrument de ce dernier mouvement. Les deux types sont importants; les deux sont nécessaires dans la réalisation d’ensemble; le mouvement qui attire et concentre n’est pas moins utile que celui qui répand et disperse. Ces deux types d’hommes, quand ils sont vraiment soumis au Divin, deviennent des instruments de son œuvre, au même degré et à valeur égale. Mais tant qu’ils n’ont pas fait leur soumission, les deux sont également mus par les impulsions de l’ignorance; l’un est poussé à gaspiller, l’autre à tirer à lui; les deux sont entraînés par des forces obscures pour leur propre conscience, et entre les deux on ne peut guère choisir. Du point de vue supérieur du yoga, on pourrait dire le plus souvent à l’homme généreux tant prisé : « Toutes vos impulsions de générosité n’ont aucune valeur spirituelle, car elles viennent de l’ego et d’un désir ignorant. » Et d’autre part, parmi ceux qui sont accusés d’avarice, vous pouvez parfois découvrir un homme amassant et accumulant, plein d’une détermination tranquille et concentrée dans le travail qui lui a été assigné par sa nature; et une fois éveillé, cet homme fera un très bon instrument du Divin. Mais généralement, l’ego et le désir sont les instigateurs de l’avare comme ils le sont de son opposé; c’est l’autre bout de la même ignorance. Tous deux auront à se purifier et à changer avant de pouvoir entrer en contact avec la chose supérieure qui est derrière eux et de l’exprimer selon le mode de leur vraie nature.

De la même manière, vous pouvez prendre beaucoup d’autres types et remonter à travers eux jusqu’à l’intention originelle de la force divine. Chacun est la diminution ou la caricature du type prévu par le Divin, une déformation mentale et vitale de choses qui ont une plus grande valeur spirituelle. C’est un mouvement faussé qui crée la distorsion et la caricature. Une fois qu’il est maîtrisé, que la vraie attitude est prise, que le mouvement correct est trouvé, tous ces types révèlent également leur valeur divine; tous sont justifiés par la vérité qui est au-dedans d’eux, également importants, également nécessaires, tous différents, mais tous indispensables à la divine manifestation.

1930 - 1931




La vie ordinaire et l’âme vraie

La vie ordinaire est une ronde de convoitises et de désirs variés. Tant que vous en êtes préoccupé, il ne peut pas y avoir de progrès durable. Il faut découvrir un moyen d’échapper à cette ronde. Prenez, par exemple, la préoccupation la plus commune de la vie ordinaire : les gens pensent constamment à ce qu’ils vont manger, à l’heure où ils vont manger et s’ils auront assez à manger. Pour conquérir l’attachement à la nourriture, il vous faut devenir équanime au point d’être parfaitement indifférent vis-à-vis de la nourriture. Si vous avez des aliments, vous les mangez, si vous n’en avez pas, cela ne vous tourmente pas le moins du monde, et surtout vous ne passez pas votre temps à y penser. Et il ne faut pas non plus y penser négativement. S’absorber dans la découverte de moyens et de méthodes d’abstinence, comme le font les ascètes, revient à se préoccuper de la nourriture presque autant que lorsqu’on en rêve avec convoitise. Ayez une attitude d’indifférence à cet égard, c’est la chose la plus importante. Que l’idée de la nourriture sorte de votre conscience; n’y attachez pas la moindre importance.

Tout cela sera très facile du moment où vous entrerez en contact avec votre être psychique, l’âme vraie au-dedans de vous. Car vous sentirez alors, immédiatement, l’insignifiance de toutes ces choses, et que seul le Divin importe. Demeurer dans le psychique, c’est être soulevé au-dessus de toute convoitise. Vous n’aurez plus d’envies, de tracas, de désirs fiévreux. Et vous sentirez aussi que tout ce qui arrive, arrive pour le mieux. Comprenez-moi bien, je ne veux pas dire que vous deviez toujours penser que tout est pour le mieux. Tout n’est pas pour le mieux tant que vous êtes dans la conscience ordinaire. Vous pouvez vous égarer sur des chemins complètement faux si vous n’êtes pas dans l’état de conscience vrai. Mais dès que vous êtes établi dans le psychique et que vous avez fait l’offrande de vousmême au Divin, tout ce qui arrive arrive pour le mieux, car toute chose, même sous un déguisement, est pour vous une réponse précise du Divin.

En vérité, le don de soi sincère et spontané porte en luimême sa propre récompense immédiate; il s’accompagne d’un tel bonheur, d’une telle confiance, d’une telle sécurité, que rien d’autre ne peut donner. Mais tant que le don de soi n’est pas fermement psychique, il y aura des périodes de troubles, des intervalles sombres entre les moments lumineux. C’est seulement le psychique qui progresse d’une façon ininterrompue; son mouvement est une ascension perpétuelle. Tous les autres mouvements sont brisés et discontinus.

Et vous ne pouvez même pas être un individu tant que le psychique n’est pas perceptible en vous; car il est votre vrai moi. Avant de connaître votre vrai moi, vous êtes une place publique, non un être. Tant de forces en conflit sont à l’œuvre en vous! Si vous voulez faire de réels progrès, il vous faut connaître votre être véritable qui est en constante union avec le Divin; c’est alors seulement que la transformation est possible. Toutes les autres parties de votre nature sont ignorantes; le mental, par exemple, commet souvent l’erreur de prendre n’importe quelle idée brillante pour une idée lumineuse. Il peut avec une égale énergie avancer des arguments pour et contre le Divin : il n’a aucun sens infaillible de la vérité. Généralement, le vital est impressionné par tout étalage de pouvoir et il est prêt à voir en lui la Divinité. Seul, le psychique a un discernement juste : il est directement conscient de la Présence suprême; il distingue infailliblement entre le Divin et l’antidivin. Si, même pour un moment, vous êtes entré en contact avec Lui, vous porterez audedans de vous une conviction que rien ne peut ébranler.

Vous demandez : comment pouvons-nous connaître notre être véritable? Il faut demander pour l’avoir, aspirer à l’avoir, le vouloir plus que toute autre chose. La plupart d’entre vous, ici, sont influencés par lui; mais une influence ne suffit pas; vous devez vous sentir identifié à lui. Toute aspiration à la perfection vient de lui, mais vous êtes inconscient de la source; quand vous collaborez avec lui, c’est sans le savoir; vous n’êtes pas identifié à sa lumière. Ne croyez pas que je fasse allusion à la partie émotive de votre être quand je parle du psychique. Les émotions appartiennent au vital supérieur, non au pur psychique. Le psychique est une flamme qui brûle en vous sans vaciller; elle monte tout droit vers le Divin, et apporte avec elle le sentiment d’une force qui brise toutes les oppositions. Quand vous vous êtes identifié à elle, vous avez la perception de la vérité divine; alors vous ne pouvez vous empêcher de sentir que le monde tout entier marche sur la tête, les pieds en l’air!

Vous devez apprendre à unir ce que vous appelez votre être individuel à votre vraie individualité psychique. Votre individualité actuelle est une chose très mélangée, une série de changements qui conservent cependant une certaine continuité, une certaine ressemblance ou une identité de vibrations dans ce courant qui passe. Elle est presque comme une rivière qui n’est jamais la même et qui a cependant un certain caractère et une certaine persistance qui lui sont propres. Votre être normal est simplement l’ombre de votre vraie individualité, et c’est seulement quand cet individu normal qui est centré différemment à différents moments, soit dans le mental, soit dans le vital, le plus souvent dans le physique, entrera en contact avec le psychique et le sentira comme son être réel, que vous réaliserez votre vraie individualité. Alors, vous serez unifié, rien ne pourra vous ébranler ni vous troubler, vous ferez des progrès réguliers et durables, et vous vous trouverez audessus des mouvements mesquins comme la convoitise pour la nourriture.

Soumission, don de soi et consécration

La soumission est la décision prise de remettre au Divin la responsabilité de votre vie. Sans cette décision, rien n’est possible; si vous ne faites pas votre soumission, le yoga est entièrement hors de question. Le reste vient ensuite naturellement, car tout le cours du yoga débute par la soumission. Vous pouvez faire votre soumission, soit à l’aide de la connaissance, soit à l’aide de la dévotion. Vous pouvez avoir une forte intuition que seul le Divin est la Vérité, et une conviction lumineuse que sans Lui vous ne pouvez rien faire. Ou vous pouvez avoir le sentiment spontané que ce chemin est le seul qui mène vers le bonheur, un fort élan psychique pour appartenir exclusivement au Divin : « Je ne m’appartiens pas à moi-même », dites-vous, et vous passez à la Vérité la responsabilité de votre être. Ensuite vient le don de soi : « Me voici, une créature de qualités diverses, bonne et mauvaise, sombre et illuminée. Je m’offre à Toi tel que je suis; accepte-moi avec tous mes hauts et mes bas, mes impulsions et mes tendances contradictoires; fais de moi ce que tu veux. » Au cours de l’offrande que vous faites de vous-même, vous débutez par l’unification de votre être autour de ce qui a pris la première décision : la volonté psychique centrale. Tous les éléments discordants de votre nature doivent être harmonisés; ils doivent être pris l’un après l’autre et unifiés à l’être central. Vous pouvez vous offrir au Divin dans un mouvement spontané; mais il n’est pas possible de vous donner effectivement sans cette unification. Plus vous êtes unifié, plus vous êtes capable de réaliser le don de soi. Et quand le don de soi est complet, la consécration suit; c’est le couronnement du processus entier de réalisation, le dernier pas de l’ascension après lequel il n’y a plus de difficultés et tout se déroule aisément. Mais vous ne devez pas oublier que vous ne pouvez pas être tout de suite intégralement consacré. Car il arrive souvent qu’on soit l’objet d’une semblable illusion. Pendant un jour ou deux, vous sentez en vous une grande ardeur de consécration, et cela vous conduit à espérer que votre être tout entier suivra automatiquement le mouvement. Mais, en fait, si vous avez la moindre suffisance, vous retardez votre marche en avant. Car votre être est plein de tendances innombrables en guerre les unes avec les autres; nous pouvons dire que ce sont presque des personnalités différentes. Quand l’une d’entre elles se donne au Divin, les autres se lèvent et refusent leur adhésion : « Nous ne nous sommes pas données », protestent-elles, et elles commencent à crier, à réclamer leur indépendance et leur expression propre. Alors vous leur ordonnez de se tenir tranquilles et vous leur montrez la vérité. Vous devez patiemment faire le tour de tout votre être, explorant tous les replis, tous les recoins, affrontant tous ces éléments anarchiques qui attendent au-dedans de vous le moment psychologique favorable pour venir à la surface. Et c’est seulement quand vous aurez fait le tour complet de votre nature mentale, vitale et physique, quand vous aurez persuadé le tout de se donner au Divin, et que vous aurez ainsi accompli une consécration unifiée absolue, que vous aurez mis fin à toutes vos difficultés. Alors, en vérité, votre marche vers la transformation devient glorieuse; car vous n’avancez plus de l’obscurité vers la connaissance, mais de connaissance en connaissance, de lumière en lumière, de bonheur en bonheur. Sans aucun doute, la consécration totale n’est pas chose facile, et elle pourrait prendre un temps presque indéfini si vous aviez à l’accomplir tout seul, par votre propre effort indépendant. Mais il n’en est pas tout à fait ainsi quand la Grâce divine est avec vous. Avec de temps en temps un petit coup de main du Divin, dans une direction ou dans l’autre, le travail devient comparativement facile. Bien entendu, la durée du temps dépend de chaque individu, mais il peut être considérablement raccourci, si votre résolution est ferme.

La résolution est la chose requise, la résolution est la clef qui ouvre toutes les portes.

Renoncement

De tous les renoncements, le plus difficile est de renoncer à ses bonnes habitudes.

Dans les livres, on trouve beaucoup de choses écrites sur le renoncement; il y est dit que vous devez renoncer à toute possession, à tout attachement, à tout désir. Et moi, je vous dis que tant que vous avez à renoncer à quelque chose, vous n’êtes pas encore sur ce chemin. Car, tant que vous n’êtes pas complètement dégoûté des choses telles qu’elles sont et que vous avez à faire un effort pour les rejeter, vous n’êtes pas prêt pour la réalisation supramentale. Si les constructions du Surmental, si le monde qu’il a érigé et l’ordre existant qu’il soutient, vous satisfont encore, vous ne pouvez pas espérer prendre part à la nouvelle réalisation. C’est seulement quand vous trouverez le monde actuel dégoûtant, insupportable et inacceptable que vous serez mûr pour le changement de conscience. C’est pourquoi je ne donne aucune importance à l’idée de renoncement. Si vous renoncez à quelque chose, cela veut dire que vous devez abandonner ce que vous appréciez, que vous devez rejeter ce qui vous paraît digne d’être gardé. Ce que vous devez sentir, au contraire, c’est que ce monde est laid, stupide, brutal et plein d’une souffrance intolérable; et quand vous sentez de cette manière, toute la conscience physique et matérielle qui ne veut pas qu’il en soit ainsi et travaille pour que cela change, s’écrie : « Je veux quelque chose d’autre, quelque chose qui soit vrai et beau, plein de félicité, de connaissance et de conscience. Ici tout flotte sur un océan de sombre inconscience. » Mais quand vous voulez le Divin de toute votre volonté, toute votre résolution, toute votre aspiration et votre intensité, Il vient sûrement.

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’améliorer le monde. Bien des gens réclament un changement de gouvernement, une réforme sociale, des œuvres philanthropiques, dans l’illusion qu’ils pourront ainsi rendre le monde meilleur. Mais nous, nous voulons un monde nouveau, un monde vrai, l’expression de la Vérité-Conscience. Ce monde sera réalisé; il doit l’être; et le plus tôt sera le mieux.

Mais ce ne doit pas être seulement un changement subjectif. La vie physique tout entière doit être transformée. Ce que demande le monde matériel, ce n’est pas un simple changement de conscience en nous; il dit, en effet : « Vous vous retirez dans votre béatitude, vous devenez lumineux, vous avez la connaissance divine; mais cela ne me change pas, moi. Et je reste toujours l’enfer que je suis pratiquement! » Le vrai changement de conscience est celui qui changera les conditions physiques du monde et en fera une création entièrement nouvelle.

Aspiration du monde physique vers l’Amour divin

Voici une fleur que nous avons appelée « Aspiration du Physique à l’Amour Divin ». Par le « Physique », j’entends la conscience physique, la conscience la plus ordinaire et la plus tournée vers l’extérieur, la conscience normale de la plupart des êtres humains, celle qui attache tant de prix au confort, à la bonne nourriture, aux beaux habits, aux relations heureuses, etc., au lieu d’aspirer aux choses plus élevées. L’aspiration dans le physique à l’Amour divin suppose que le physique ne demande rien d’autre que de sentir combien l’aime le Divin. Il comprend que toutes ses satisfactions habituelles sont absolument insuffisantes. Mais il ne peut pas y avoir de compromis : si le physique veut l’Amour divin, il ne doit vouloir que cela et ne pas dire : « J’aurai l’Amour divin et, en même temps, je garderai mes autres attachements, mes besoins, mes plaisirs... »

C’est le centre psychique qui est le siège fondamental de l’aspiration; de là, celle-ci rayonne ou se manifeste dans l’une ou l’autre des parties de l’être. Quand je parle d’aspiration dans le physique, je veux dire que la conscience elle-même qui en vous recherche avidement le confort matériel et le bienêtre devrait d’elle-même, sans y être contrainte par les parties supérieures de votre nature, demander exclusivement l’Amour divin. D’ordinaire, vous devez lui montrer la Lumière à l’aide des parties supérieures de votre être, et il faut le faire vraiment avec persistance, sinon le physique n’apprendrait jamais et il faudrait attendre la ronde habituelle de la Nature pendant des âges avant qu’il ne comprenne les choses de lui-même. En fait, cette ronde de la Nature est destinée à lui montrer toutes sortes de satisfactions possibles et, en les épuisant, à le convaincre qu’aucune d’elle ne peut vraiment le satisfaire et que ce qu’il cherche au fond, c’est une satisfaction divine. Par le yoga, nous accélérons ce lent processus de la Nature et nous insistons pour que la conscience physique voie elle-même la vérité et qu’elle apprenne elle-même à la reconnaître, à la vouloir. Mais comment lui montrer la Vérité? Eh bien, de la même façon que vous apportez une lumière dans une pièce obscure. Illuminez l’obscurité de votre conscience physique avec l’intuition et l’aspiration des parties plus affinées de votre être et persistez à le faire jusqu’à ce qu’elle réalise l’insuffisance et la vanité de sa soif pour les choses inférieures et ordinaires, et jusqu’à ce qu’elle se tourne spontanément vers la vérité. Et si elle se tourne vraiment, toute votre vie en sera changée — l’expérience est décisive.

Lorsque j’étais enfant et que je me plaignais à ma mère de la nourriture ou de petites choses de ce genre, elle me disait toujours d’aller faire mon travail ou de continuer à étudier au lieu de donner de l’importance à des futilités. Elle me demandait si j’avais l’illusion de croire que j’étais née pour mon plaisir. « Tu es née pour réaliser le plus haut Idéal », disait-elle, et elle m’envoyait promener. Elle avait bien raison, mais naturellement son idée du plus haut Idéal était plutôt pauvre par rapport au but que nous poursuivons ici. Nous sommes tous nés pour le plus haut Idéal. Par conséquent, dans notre Ashram, chaque fois que l’une de vos petites requêtes pour plus de confort ou plus de bonheur matériel vous est refusée, c’est pour votre propre bien et pour vous faire réaliser ce pour quoi vous êtes ici. Ce refus est réellement une faveur car, de cette façon, vous êtes considérés comme dignes de faire face au plus haut Idéal et d’être façonnés selon lui.

L’aspiration des plantes

Avez-vous jamais observé une forêt avec ses arbres et ses plantes innombrables qui ne luttent que pour saisir la lumière, qui s’efforcent et se tordent de mille manières, simplement pour être au soleil? C’est cela précisément le sentiment d’aspiration dans le monde physique — l’élan, le mouvement, la poussée vers la lumière. Les plantes, dans leur être physique, ont une aspiration plus grande que les hommes. Leur vie tout entière est une adoration de la lumière. Naturellement, la lumière est le symbole matériel du Divin, et le soleil représente, en certaines conditions, la Conscience suprême. Les plantes ont senti cela très distinctement, à leur manière aveugle et simple. Et leur aspiration est intense, si vous savez la voir. Ce sont elles qui sont les plus ouvertes à mon influence sur le plan matériel. Je peux transmettre un état de conscience plus facilement à une fleur qu’à un homme : elles sont très réceptives, bien qu’elles ne sachent pas se formuler à elles-mêmes leur expérience, n’ayant point de mental. Mais instinctivement, elles ont la pure conscience psychique. Ainsi, lorsque vous m’offrez une fleur, son état est presque toujours un indice du vôtre. Il y a des gens qui n’arrivent jamais à m’apporter une fleur dans toute sa fraîcheur — même si la fleur vient d’être cueillie, elle perd de sa vigueur entre leurs mains. D’autres, par contre, apportent toujours des fleurs fraîches et redonnent même de la vitalité à celles qui commencent à se faner. Si votre aspiration est forte, votre offrande de fleurs sera fraîche. Et si vous êtes réceptif, vous pouvez aussi très facilement absorber le message que je mets dans les fleurs que je vous donne.

Quand je vous donne des fleurs, je vous donne des états de conscience.

Les fleurs sont des messagères et leur efficacité dépend entièrement de votre réceptivité.

L’union avec la Conscience et la Volonté divines

C’est la même force qui, absorbée dans l’Ignorance, prend la forme des désirs vitaux et qui, sous sa forme pure, constitue l’élan dynamique vers la transformation. Il faut donc, à la fois, prendre garde de ne pas s’abandonner sans contrainte aux désirs sous prétexte que ce sont des besoins qui doivent être satisfaits, et de ne pas rejeter la force vitale comme une chose absolument mauvaise.

Ce que vous devriez faire, c’est d’ouvrir toutes grandes au Divin les portes de votre être. À partir du moment où vous cachez quelque chose, vous entrez tout droit dans le Mensonge. La moindre dissimulation de votre part vous tire immédiatement vers le bas, dans l’inconscience. Si vous voulez être pleinement conscient, tenez-vous toujours face à la Vérité; ouvrez-vous complètement et faites tout votre possible pour la laisser pénétrer profondément en vous, dans tous les coins de votre être. Cela seul amènera en vous la lumière, la conscience et tout ce qu’il y a de plus vrai. Soyez absolument modeste, c’est-à-dire sachez la distance qui sépare ce que vous êtes de ce qui doit être, et ne permettez pas au mental physique grossier de croire qu’il sait alors qu’il ne sait pas, et de croire qu’il peut juger alors qu’il en est incapable. La modestie implique que l’on se donne de tout son cœur au Divin et que l’on demande l’aide; en se soumettant on parvient à une liberté et à une absence de responsabilité qui donnent au mental un calme absolu. C’est la seule façon d’arriver à l’union avec la Conscience divine et la Volonté divine.

Naturellement, selon la voie par laquelle vous vous approcherez du Divin, c’est l’union avec la Conscience qui viendra la première ou l’union avec la Volonté. Si vous descendez profondément à l’intérieur, c’est évidemment l’union avec la Conscience qui précédera, tandis que si vous prenez votre point d’appui dans le mouvement universel, c’est probablement l’union avec la Volonté qui sera réalisée d’abord. Mais il est difficile de faire des généralisations tranchantes parce que la sâdhanâ est souple et fluide, et aussi parce que la Conscience et la Volonté divines sont très étroitement liées ensemble, ce sont deux aspects d’un seul et même Être. Remarquez, cependant, qu’une simple similarité, dans votre pensée ou vos actions, ne prouve pas que cette union ait été accomplie. Toutes les preuves de ce genre sont superficielles, car l’union réelle signifie un changement intégral, un total renversement dans votre conscience normale. Vous ne pouvez pas obtenir cela dans votre mental ni dans un état de conscience ordinaire. Il vous faut sortir de là complètement — alors, et pas avant, vous pouvez être uni à la Conscience divine. Une fois que l’expérience de l’union est réellement faite, l’idée même de prouver cette union par une similarité entre vos pensées, vos actions et les miennes, vous apparaîtra comme une chose risible. Les gens qui pendant des années vivent dans la même maison, ou sont journellement en contact intime, pensent et agissent de la même manière. Mais vous ne pouvez pas prétendre être semblable au Divin par un simple contact mental de ce genre. Il vous faut consentir à un total renversement de votre conscience! Le signe authentique de l’union, c’est que votre conscience a la même qualité, la même façon de fonctionner que celle du Divin, et qu’elle est issue de la même source supramentale de Connaissance. S’il vous arrive parfois d’agir dans le monde extérieur comme le Divin semble agir, ce n’est peut-être qu’une coïncidence, et démontrer l’union par des comparaisons de ce genre, c’est vouloir prouver une très grande chose par une toute petite! La véritable preuve, c’est l’expérience directe de la Conscience divine dans tout ce que vous faites. C’est une preuve indiscutable, car elle change votre être tout entier.


Évidemment, vous ne pouvez d’un seul coup être fixé dans la Conscience divine; mais même avant qu’elle ne s’établisse en vous, vous pouvez de temps à autre en avoir l’expérience. La Conscience divine viendra et se retirera, mais aussi longtemps que l’union durera, vous serez vraiment une autre personne! L’univers tout entier aura un nouveau visage et vous de même, et toute votre perception, votre vision des choses sera de même métamorphosée. Tant que vous n’avez pas cette expérience, vous avez tendance à chercher des preuves, mais les preuves et les résultats sont secondaires — ce que signifie l’union, fondamentalement, c’est que dans votre conscience vous en savez plus qu’un être humain. Si, ayant obtenu un mental pur, calme, réceptif, vous arrivez à penser et à agir en accord avec mes intentions, c’est très bien, mais ne confondez pas une étape sur la route avec le but final. Car la différence principale entre l’union positive et une réceptivité mentale, c’est que je dois formuler ce que je veux que vous exécutiez et je dois mettre cette formulation dans le calme et la pureté de votre mental, tandis que dans le cas d’une union effective, je n’ai besoin de rien formuler. Je mets seulement en vous la conscience de vérité nécessaire et le reste s’élabore automatiquement, car, alors, c’est Moi-même qui suis en vous.

Je comprends que tout cela est pour vous plutôt difficile à imaginer, car l’expérience est à peu près indescriptible. Cependant, il est moins difficile d’imaginer l’union de la volonté avec la Volonté divine, car vous pouvez imaginer une Volonté qui est efficace sans avoir à lutter, et qui se manifeste victorieusement partout. Et si votre volonté tout entière tend à s’unir à cette Volonté, alors vous arrivez à quelque chose qui est proche de l’union. C’est-à-dire que vous commencez à perdre votre volonté égoïste séparée; spontanément, votre être a soif d’accomplir les ordres du Divin, et, sans même savoir ce qu’est la Volonté suprême, veut exactement ce que souhaite le Divin. Mais ceci signifie une acceptation sans question de la Direction plus haute. L’énergie qui, en vous, s’est déformée dans les désirs vitaux mais qui, originellement, est un élan vers la réalisation, doit s’unir à la Volonté divine de façon que tout votre pouvoir de volition se mélange à la Volonté divine comme une goutte d’eau dans l’océan. Ainsi, plus de faiblesses ni de défaillances, mais toujours plus de cette suprême qualité de la Volonté divine — la Toute-Puissance!

L’endurance — les signes de la conversion du vital

Que l’endurance soit votre mot d’ordre. Apprenez à la force vitale en vous, à votre être vital, à ne pas se plaindre mais à accepter toutes les conditions nécessaires à un grand accomplissement. Le corps est un serviteur très endurant, il supporte sans broncher la tension des circonstances, comme une bête de somme. C’est l’être vital qui est toujours à grogner et qui s’agite. L’esclavage auquel il soumet l’être physique et les tourments qu’il lui inflige sont inimaginables. Il faut voir comment il tourne et retourne ce pauvre corps selon ses lubies et ses fantaisies, exigeant sans la moindre raison que tout se plie à ses bizarreries. Mais l’essence même de l’endurance, c’est d’apprendre au vital à abandonner ses goûts et ses dégoûts capricieux et à garder l’équanimité au milieu des situations les plus pénibles. Si vous êtes malmené par quelqu’un ou si vous manquez de quelque chose qui soulagerait votre inconfort, vous devez garder votre bonne humeur sans vous laisser troubler. Que rien ne puisse le moins du monde vous contrarier, et chaque fois que le vital cherche à exposer ses petits griefs avec une exagération solennelle, arrêtez-vous juste un moment pour penser combien vous êtes heureux en comparaison de tant d’autres en ce monde. Réfléchissez un instant à ce que durent subir les soldats qui ont combattu dans la dernière guerre. Si vous étiez obligé de supporter des épreuves comme celles-là, vous comprendriez la parfaite stupidité de vos mécontentements. Cependant, je ne vous demande pas de rechercher les difficultés, je vous demande simplement d’apprendre à endurer les petits ennuis sans importance de votre vie.

Rien de grand ne peut s’accomplir sans endurance. Si vous étudiez la vie des grands hommes, vous verrez comme ils se sont dressés comme de la pierre contre les faiblesses du vital. Et même de nos jours, le véritable sens de notre civilisation, c’est la maîtrise du monde physique par l’endurance du vital. L’esprit sportif et aventureux et l’intrépidité à faire face à des forces plus grandes sont évidents dans tous les domaines de la vie et font partie de cet idéal d’endurance. Dans les sciences elles-mêmes, le progrès dépend des innombrables et difficiles épreuves et des innombrables essais qui précèdent l’accomplissement. Certainement, il ne nous faut pas moins d’endurance pour accomplir le travail capital que nous avons entrepris dans notre Ashram. Ce qu’il faut faire, c’est donner à votre vital une bonne rossée aussitôt qu’il proteste. Quand il s’agit du physique, on a raison d’être attentif et de prendre des précautions, mais avec le vital, la seule méthode, c’est une bonne taloche. Flanquez une gifle au vital au moment même où il se plaint, car il n’y a pas d’autre moyen de sortir de cette conscience mesquine qui attache tant d’importance à l’aisance matérielle et aux commodités de l’existence au lieu de demander la Lumière et la Vérité.

L’une des exigences les plus communes du vital, c’est celle des louanges. Il déteste être critiqué et traité comme s’il avait peu d’importance. Mais il doit toujours être prêt à recevoir des rebuffades et à les supporter avec un calme absolu. Il ne doit pas non plus faire attention aux compliments ni oublier que tout mouvement de gloriole est une offrande faite aux seigneurs du Mensonge. Les êtres subtils du monde vital, avec lesquels notre vital est en rapport, vivent et se nourrissent de l’adoration de leurs fidèles, et c’est pourquoi ils ne cessent d’inspirer de nouveaux cultes et de nouvelles religions pour que les cérémonies d’adoration et l’adulation ne s’épuisent jamais. Il en va de même avec votre propre être vital ; les forces vitales qui sont derrière se développent — c’est-à-dire engraissent leur ignorance — en absorbant les flatteries des autres. Mais rappelez-vous que les compliments faits par les êtres qui appartiennent au même niveau d’ignorance que soi-même, ne valent absolument rien, ils ont aussi peu de valeur que les critiques qu’ils vous adressent. Peu importe la prétentieuse origine de ces compliments ou de ces critiques : ils sont vides et futiles. Mais malheureusement, le vital est affamé même de la nourriture la plus avariée, et il est si avide qu’il est prêt à accepter des louanges même de ceux qui sont l’incompétence personnifiée. Cela me rappelle l’ouverture annuelle des salons de peinture à Paris lorsque le président de la République passe en revue les tableaux, découvrant avec pénétration que celui-ci est un paysage et celui-là un portrait, et faisant de plats commentaires avec l’air de connaître la peinture jusqu’au fond de l’âme. Les peintres savent parfaitement l’ineptie de ces remarques et cependant ne manquent pas une occasion de faire état du témoignage rendu à leur génie par le président. Car tel est bien le vital chez les êtres humains, voracement affamé de gloire.

Mais ce qui a une valeur authentique, c’est l’opinion de la Vérité. Lorsque quelqu’un est en contact avec la Vérité divine et qu’il peut l’exprimer, alors les opinions qu’il donne ne sont pas de vulgaires compliments ou critiques, c’est ce que le Divin pense de vous, la valeur qu’Il attache à vos qualités, l’infaillible sceau dont Il marque votre effort. Votre seul désir doit être de n’estimer rien que la parole de la Vérité — et pour vous élever ainsi à ce niveau, vous devez maintenir brûlant en vous Agni, la flamme transformatrice. Il vaut d’être remarqué, d’ailleurs, que lorsque Agni s’enflamme, vous commencez aussitôt à être dégoûté des louanges bon marché qui autrefois avaient le don de vous faire tant plaisir, et vous comprenez clairement que votre amour des louanges était un mouvement inférieur de votre nature non transformée. Agni vous fait voir quelle immense perspective d’amélioration possible s’étend devant vous, en vous remplissant d’un sens aigu de votre présente insuffisance. Les éloges qui vous sont prodigués par les autres vous dégoûtent tellement que vous éprouvez presque de l’amertume vis-à-vis de ceux que vous auriez autrefois considérés comme vos amis. Toutes les critiques, par contre, sont bien accueillies, car elles viennent attiser votre humble aspiration à la Vérité. Vous ne vous sentez plus désormais déprimé ni diminué par l’hostilité des autres. Car, au moins, vous êtes capable de l’ignorer avec la plus grande facilité et au mieux, vous appréciez cette hostilité comme un nouveau témoignage de votre état non régénéré, ce qui vous incite à vous dépasser vous-même en vous soumettant au Divin.

Un autre signe frappant de la conversion de votre vital, c’est que vous pouvez, grâce à l’influence d’Agni, faire face aux difficultés et aux obstacles avec un sourire. Il n’est plus besoin de vous asseoir, couvert d’un sac et de cendres, en vous lamentant de vos erreurs et en vous sentant complètement abattu parce que vous n’êtes pas encore tout à fait à la hauteur. Vous chassez tout simplement ce sentiment de dépression avec un sourire. Mille erreurs n’ont plus d’importance pour vous : avec un sourire vous reconnaissez que vous vous êtes trompé, et avec un sourire vous prenez la résolution de ne plus répéter la sottise à l’avenir. Toute dépression, toute mélancolie est la création des forces hostiles qui ne sont jamais si contentes que si elles peuvent jeter sur vous une humeur sombre. L’humilité est une chose, la dépression est une tout autre chose; l’une est un mouvement divin et l’autre une forme très grossière des forces de l’ombre. Par conséquent, faites face joyeusement à vos ennuis, opposez une bonne humeur invariable aux obstacles qui se dressent sur la route de la transformation. La meilleure façon de mettre l’ennemi en déroute, c’est de lui rire au nez! Vous pouvez vous bagarrer et lutter corps à corps pendant des jours et l’ennemi peut faire preuve d’une vigueur intacte, mais moquez-vous de lui une fois seulement, et le tour est joué! Il prend la fuite. Un rire confiant et plein de foi en le Divin est la force la plus foudroyante qui soit, elle brise le front de l’ennemi, fait des ravages dans ses lignes et vous emporte triomphant vers l’avant.

Le vital converti connaît aussi la joie de la marche vers la réalisation. Toutes les difficultés que comporte cette marche, il les accepte avec entrain, il ne se sent jamais plus heureux que lorsque la Vérité lui est montrée et qu’est mis à nu le jeu du mensonge dans sa nature inférieure. Il ne fait pas le yoga comme s’il portait sur les épaules un fardeau, mais comme si c’était une occupation très agréable. Il est prêt à endurer le pire avec un sourire, si c’est une condition de la transformation. Ne se plaignant ni ne grognant, il endure tout avec joie, parce que c’est pour le Divin qu’il travaille. Il a l’inébranlable conviction que la Victoire sera remportée. Pas un instant il ne vacille dans sa foi que l’immense travail de Transformation assumé par Sri Aurobindo s’achèvera par un succès. Car c’est un fait, vraiment; il n’y a pas l’ombre d’un doute quant à l’issue du travail que nous avons entrepris. Ce n’est pas un simple essai, mais l’inévitable manifestation du Supramental. Le vital converti a la prescience de la victoire, il garde une volonté de progresser qui jamais ne revient en arrière, il se sent plein d’une énergie née de la certitude du triomphe du Divin, il perçoit toujours en lui le Divin qui fait tout ce qui est nécessaire et lui infuse l’inébranlable pouvoir de résister, et finalement de vaincre ses ennemis. Pourquoi désespérerait-il ou se plaindrait-il? La transformation se fera : rien ne pourra l’arrêter, rien ne viendra faire échouer ce que le Tout-Puissant a décrété. Rejetez donc tout manque d’assurance, toute faiblesse, et prenez la résolution d’être endurant, bravement, jusqu’à ce que le grand jour arrive où la longue bataille se transformera en une victoire à jamais.

La Victoire sur le Mensonge

Les seigneurs du Mensonge exercent maintenant un empire à peu près total sur cette pauvre humanité. Non seulement l’énergie vitale inférieure, l’être vital inférieur, mais aussi le mental tout entier chez l’homme acceptent leur pouvoir. Innombrables sont les manières dont on les adore, car ils sont très subtils dans leur ruse et cherchent à parvenir à leurs fins sous des déguisements divers et séducteurs. Il en résulte que les hommes se cramponnent à leur mensonge comme si c’était un trésor et le chérissent plus que les plus belles choses de la vie. Ils craignent pour sa sécurité et prennent soin de l’enfouir profondément en eux-mêmes; mais à moins qu’ils ne l’extirpent et n’en fassent l’abandon au Divin, ils ne trouveront jamais le bonheur véritable.

En vérité, le seul fait de sortir le mensonge et de le mettre à la Lumière serait en soi une conversion capitale qui préparerait le chemin à la Victoire finale. Car, chaque fois que l’on met à nu un mensonge, c’est en soi une victoire; chaque fois que l’on s’avoue une erreur, on détruit l’un des seigneurs des Ténèbres. Cet aveu peut être fait à soi-même, pourvu qu’il soit absolument honnête et que ce ne soit pas un vague regret que l’on oublie le moment d’après sans avoir la force de prendre la résolution inébranlable de ne pas répéter la même erreur. Cet aveu peut encore être fait au Divin incarné dans le guru, et du fait de votre confession directe et personnelle au guru, votre résolution n’est plus la vôtre, parce que, si vous êtes sincère, le fiat divin est prononcé en votre faveur. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, je vais vous raconter l’expérience que j’ai eue lorsque j’ai rencontré pour la première fois Sri Aurobindo à Pondichéry. J’étais dans un état de concentration profonde et voyais les choses du plan supramental, des choses qui devaient se réaliser mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne se manifestaient pas. Je racontai à Sri Aurobindo ce que j’avais vu et lui demandai si ces choses se manifesteraient. Il répondit simplement : « Oui. » Et aussitôt, je vis que le Supramental avait touché la terre et commençait à se réaliser! C’était la première fois que j’étais le témoin du pouvoir de rendre réel ce qui est vrai. Et c’est le même pouvoir qui accomplira en vous la réalisation de la vérité lorsque vous direz, en toute sincérité : « Je veux me débarrasser de ce mensonge », et la réponse que vous obtiendrez sera : « Oui. »

Les difficultés dans le yoga

La nature de votre difficulté indique la nature de la victoire que vous devez remporter, de la victoire que vous représentez dans le yoga. Ainsi, s’il y a un égoïsme obstiné, cela indique que votre accomplissement principal dans l’avenir sera une réalisation d’universalité. Si l’égoïsme est en vous, vous avez aussi le pouvoir de retourner cette même difficulté en son contraire et d’en faire une victoire d’absolue largeur.

Quand vous avez quelque chose à réaliser, vous avez juste en vous la caractéristique opposée à ce que vous devez réaliser. Face au défaut, à la difficulté, vous dites : « Oh! je suis comme cela, c’est terrible! » Mais vous devriez voir la vérité de la situation. Vous devriez vous dire : « Ma difficulté me montre clairement ce que je dois finalement représenter — parvenir à son contraire absolu, à la qualité de l’autre pôle, telle est ma mission. »

Même dans la vie ordinaire, nous trouvons parfois l’exemple de ces contraires. Celui qui est le plus timide et n’a aucun courage devant les circonstances se révèle capable de supporter le plus.

Pour celui qui aspire au Divin, la difficulté qui frappe le plus souvent à sa porte indique justement la porte par laquelle il arrivera à Dieu à sa manière personnelle — c’est son chemin particulier de réalisation divine.

Et c’est un fait aussi que si quelqu’un a des centaines de difficultés, cela veut dire qu’il aura une réalisation considérable — à condition, bien entendu, qu’il ait de la patience et de l’endurance, et qu’il fasse brûler en lui Agni, la flamme d’aspiration qui dévore tous les défauts.

Et souvenez-vous : la grâce divine est généralement proportionnée à vos difficultés.

La conversion du vital — réincarnation et survivance personnelle

Il est très important que le vital accepte de changer. Il doit apprendre à accepter de se convertir. En soi, le vital n’est pas à mépriser — en fait, toute énergie, tout dynamisme et tout élan viennent de lui; sans lui, vous pourriez être calme et sage et détaché, mais vous resteriez absolument immobile, sans pouvoir créateur. Le corps serait inerte, exactement comme une pierre, sans la force qui lui est infusée par le vital. Si le vital était écarté, vous seriez incapable de réaliser quoi que ce soit. Mais il peut être récalcitrant, comme un cheval fougueux, et par conséquent il exige une solide maîtrise. Il faut tenir la bride serrée et garder prêt votre fouet pour tenir sous votre contrôle ce puissant animal. Mais bien sûr, à partir du moment où le vital a consenti à se laisser transformer, il n’y a plus besoin ni de serrer la bride ni d’apprêter le fouet : vous avancez sans encombre vers le but, en sautant avec légèreté par-dessus chacun des obstacles de la route. Sinon, le vital trébuchera sur chacune des barrières ou il aura peur de sauter. C’est peine perdue de penser que tout aurait été parfait s’il n’y avait pas eu du tout d’obstacles ni de haies; ils font partie du jeu et si vous n’y faites pas face, si vous ne sautez pas, en cette vie, sur terre, vous devrez surmonter des obstacles cent fois plus grands, sur d’autres plans de l’existence et en d’autres vies. Le mieux est de vous décider une fois pour toutes et de dresser votre vital à courir la course, ici-bas, pendant que vous êtes dans un corps, et, si possible, de l’entraîner à gagner la course. Vous êtes sûr de gagner, à condition que votre mental physique se réforme et qu’il aide le vital à changer, au lieu de jouer le rôle du voleur qui tient par terre sa victime pendant que le complice fait main basse sur ses biens.

L’état de votre être, après la mort, dépend beaucoup de la conversion ou non du vital ici-bas. Si vous n’êtes vous-même qu’un pêle-mêle d’impulsions incohérentes, alors, au moment de votre mort, lorsque la conscience se retire à l’arrière-plan, les différentes personnalités qui vous constituent se séparent et se précipitent ici et là pour trouver le milieu propre qui leur conviendra. Une partie peut entrer dans une autre personne qui a une affinité pour elle, une autre peut même entrer dans un animal, tandis que ce qui était éveillé à la Présence divine peut rester attaché à l’être psychique central. Mais si vous êtes totalement converti et organisé en un seul individu, résolu à atteindre le but de l’évolution, alors vous resterez conscient après la mort et vous préserverez votre continuité.

Quant à la réincarnation, il faut reconnaître qu’aucune règle n’est valable pour tous les cas. Certaines personnes renaissent presque immédiatement, et cela arrive le plus souvent avec des parents dont une partie est assimilée dans les enfants, si ceux-ci leur sont très attachés. D’autres personnes, par contre, attendent des siècles et même des milliers d’années avant d’être réincarnées. Elles attendent que mûrissent les conditions nécessaires qui leur offriront le milieu souhaitable. Celui qui a la conscience yoguique peut effectivement préparer le corps qui servira à sa prochaine incarnation. Il peut, avant la naissance du corps, le façonner et le modeler, si bien que c’est lui qui en est le véritable artisan, tandis que les parents du nouvel enfant ne sont que des agents accessoires et purement physiques.

Il faut noter ici en passant qu’il y a une idée fausse très répandue au sujet de la réincarnation. Les gens s’imaginent que c’est « eux-mêmes » qui se réincarnent, ce qui est une erreur flagrante. Il est vrai que certaines parties de l’être s’amalgament avec d’autres et continuent d’agir ainsi à travers de nouveaux corps, mais leur être tout entier ne se réincarne pas, pour la simple raison que ce qu’ils entendent évidemment par « euxmêmes » n’est pas une entité réelle individualisée, mais une personnalité extérieure, la personnalité faite d’un nom et d’une forme extérieure. Ainsi, on a tort de dire que A. s’est réincarné en B., car A. est une personnalité organiquement distincte de B., et on ne peut pas dire qu’elle s’est réincarnée en B. Vous ne seriez justifié à dire cela que si vous disiez que la même lignée de conscience utilise à la fois A. et B. comme instruments de sa manifestation. Car, ce qui reste vraiment constant, c’est l’être psychique, qui n’est pas du tout la personnalité extérieure mais quelque chose de profond à l’intérieur, quelque chose qui n’est ni la forme ni le nom extérieurs.

Vous voulez savoir si tous les êtres humains gardent leur identité après la dissolution du corps? Eh bien, cela dépend. La masse ordinaire des gens est si étroitement identifiée à son corps que rien d’eux ne subsiste après la désintégration du corps physique. Cela ne veut pas dire que rien absolument ne survive, car la substance vitale et mentale reste toujours, mais elle n’est pas identique à la personnalité physique. Ce qui survit n’a pas une marque distincte comme celle de la personnalité extérieure, parce que celle-ci se contentait de rester un méli-mélo d’impulsions et de désirs, une unité organique temporaire constituée par la cohésion et la coordination des fonctions corporelles, et lorsque cessent ces fonctions, leur pseudo-unité prend aussi fin, naturellement. C’est seulement si une discipline mentale a été imposée aux différentes parties de l’être et si celles-ci ont été dressées à servir un idéal mental commun, qu’il peut avoir un certain genre d’individualité vraie gardant la mémoire de sa vie terrestre et donc survivant de façon consciente. L’artiste, le philosophe et d’autres personnes développées qui ont organisé, individualisé et, jusqu’à un certain point, converti leur être vital, peuvent être considérés comme survivant, parce qu’ils ont introduit dans leur conscience extérieure quelque reflet de l’entité psychique qui est immortelle de par sa nature même et dont le but est de construire l’être, progressivement, autour de la Volonté divine centrale.

Résurrection

Par résurrection, nous entendons le dépouillement de la vieille conscience. Mais ce n’est pas seulement une renaissance, un changement soudain qui brise complètement avec le passé. Il y a, dans la résurrection, une certaine continuité entre le moment où l’on meurt à son ancien moi, la nature extérieure et inférieure, et le moment où l’on part sur de nouvelles bases. Dans l’expérience de la résurrection, le mouvement par lequel on se défait de l’être ancien est en rapport étroit avec l’avènement de la conscience nouvelle et de la force nouvelle, si bien que le meilleur de ce qui a été rejeté peut s’unir en une nouvelle création avec ce qui vient de naître.

Le vrai sens de la résurrection, c’est que la Conscience divine s’éveille de l’inconscience où elle avait sombré et où elle s’était perdue. Une fois de plus, la Conscience divine devient consciente d’elle-même en dépit de sa descente dans le monde de la mort, de la nuit et de l’obscurité. Ce monde de l’obscurité est plus sombre encore que notre nuit physique elle-même : si vous en sortiez après y avoir plongé, vous trouveriez vraiment que la nuit la plus impénétrable est encore claire à côté de ce monde; et de même, en revenant de la vraie Lumière de la Conscience divine, la Lumière supramentale sans obscurité, vous trouveriez que le soleil physique est noir. Mais même dans les profondeurs de cette suprême obscurité se trouve cachée la suprême Lumière.

Que cette Lumière et cette Conscience s’éveillent en vous, que cette grande Résurrection soit!

Réincarnation et mémoire des vies passes

Pour comprendre correctement le problème de ce que l’on appelle la réincarnation, suivant l’expression populaire, vous devez comprendre qu’elle comporte deux facteurs qui doivent être examinés. En premier lieu, il y a la lignée de la conscience divine qui, d’en haut, cherche à se manifester et donne son appui à une série de formations qui lui sont particulières dans l’univers, champ de sa manifestation. En second lieu, il y a la conscience psychique, semence du développement divin à travers le temps, qui fait son ascension depuis le bas jusqu’à ce qu’elle rencontre la Force d’en haut et reçoive l’empreinte de la Vérité supramentale.

Cette conscience psychique est l’être intérieur dans l’homme, c’est la matière première à partir de laquelle l’âme véritable, ou jîva, peut être façonnée lorsque, répondant à son aspiration, le Supramental descend pour lui donner une personnalité cohérente. L’être extérieur chez l’homme est une formation périssable faite de la substance de la Nature universelle — mentale, vitale et physique — et il est le résultat du jeu complexe de toutes sortes de forces. Le psychique absorbe, pour ainsi dire, l’essence des expériences faites par les formations diverses derrière lesquelles il se tient; mais n’étant pas en contact constant avec ces formations, il ne garde pas dans sa totalité la mémoire des vies auxquelles il sert de support. C’est pourquoi il ne suffit pas de prendre simplement contact avec le psychique pour se rappeler en détail toutes les vies passées.

Ce que l’on fait généralement passer sous le nom de mémoire des vies antérieures n’est le plus souvent qu’une imposture délibérée ou une invention construite à partir de quelques suggestions spasmodiques reçues de l’intérieur. Il y a beaucoup de gens qui prétendent aussi se souvenir de leurs vies animales et qui disent avoir été tel ou tel singe, vivant dans telle ou telle partie de la terre. Mais s’il y a une chose bien certaine, c’est que le singe n’a pas le moindre contact avec la conscience psychique et ne peut donc pas lui transmettre le moindre atome de ses expériences. Les impressions reçues par sa nature singe extérieure s’évanouissent avec la désintégration de son corps animal, et prétendre avoir connaissance de ces impressions, c’est montrer que l’on ignore de la façon la plus grossière les faits réels et le problème que nous examinons. Et même en ce qui concerne les vies humaines, c’est seulement lorsque le psychique vient en avant qu’il peut emporter et garder des souvenirs précis — mais certainement pas tous les détails de la vie, à moins qu’il ne soit constamment en avant et en union constante avec l’être extérieur. Car, en règle générale, le mental physique et le vital physique se dissolvent à la mort de l’organisme; ils se désintègrent et retournent à la Nature universelle, et rien ne reste de leurs expériences. Tant qu’ils ne se sont pas unis au psychique pour former une conscience unique et non deux moitiés, tant que la nature tout entière n’est pas unifiée autour de la Volonté divine centrale et jusqu’à ce que cet être centralisé soit relié à la lignée de la conscience divine qui est au-dessus, on ne peut pas recevoir la connaissance qui appartient à cette conscience ni percevoir la série entière des formes et des vies que soutenait cette conscience et qui furent les instruments successifs d’une expression progressive de soi. Tant que cela n’est pas fait, il est vain de parler de ses naissances passées et de leurs divers incidents. Ce précieux « soi-même » est tout juste la nature extérieure actuelle, sans durée, et celle-ci n’a absolument rien à voir avec les diverses autres formations derrière lesquelles se tient l’être véritable, comme il se tient derrière la formation présente. Seule la conscience supramentale contient toutes ces naissances comme si elles étaient attachées à un même fil, et seule elle peut en donner la réelle connaissance.

La présence psychique et l’être psychique La véritable origine de l’idée de supériorité de race

Si l’on considère l’évolution ascendante, il est plus exact de parler de présence psychique que d’être psychique. Car c’est la présence psychique qui, peu à peu, devient l’être psychique. Dans chaque forme évolutive, il y a cette présence, mais elle n’est pas individualisée. C’est une chose qui peut croître et qui suit le mouvement de l’évolution. Ce n’est pas le résultat d’une descente, d’une involution d’en haut. Cette présence prend forme progressivement autour de l’étincelle de la Conscience divine qui est destinée à être le centre de l’être qui grandit et qui devient l’être psychique lorsqu’il s’est finalement individualisé. C’est cette étincelle qui est permanente et qui rassemble autour d’elle toutes sortes d’éléments pour former l’individualité de l’être psychique vrai, et celui-ci n’est formé que lorsque la personnalité psychique est complètement développée, complètement bâtie autour de l’étincelle divine éternelle. L’être psychique n’atteint son point culminant, sa plénitude totale, que lorsqu’il s’unit à un être ou à une personnalité d’en haut.

Au-dessous du niveau humain, il n’y a généralement pas de formation individuelle, ou elle existe à peine — il y a seulement cette présence, plus ou moins nette. Mais lorsque, avec le développement du corps autour de l’étincelle de la Conscience divine, l’humanité a fait ses débuts sur terre, certains organismes humains se sont suffisamment perfectionnés au cours de cette croissance progressive et ils ont pu, grâce à leur ouverture et à leur réceptivité, établir une jonction avec certains êtres descendus d’en haut. Ainsi s’est formée une sorte d’humanité divine, ce que l’on peut appeler une race d’élite. Si seulement ils étaient restés entre eux, ces gens auraient continué à former une race unique et surhumaine. Bien entendu, de nombreuses races ont prétendu à cela : les Aryens, les Sémites et les Japonais se sont tous, tour à tour, considérés comme la race élue. Mais en fait, il s’est produit un nivellement général de l’humanité, un mélange considérable. Car la race supérieure s’est trouvée devant la nécessité de se prolonger et elle a été poussée à se mélanger au reste de l’humanité — c’est-à-dire à l’humanité animale. Ainsi sa valeur s’est dégradée et cela s’est achevé par la grande Chute de l’homme dont parlent les Écritures du monde entier, la sortie du Paradis, la fin de l’Âge d’Or. Évidemment, ce fut une perte du point de vue de la conscience, mais non du point de vue de la force matérielle, puisque l’humanité ordinaire y a gagné immensément. Il y a eu, bien entendu, certains êtres qui ont énergiquement refusé de se mélanger et qui ont été très offensés de perdre leur supériorité, et c’est cela exactement qui est l’origine véritable de la fierté de race, de l’exclusivisme racial et de cette distinction d’une caste spéciale comme celle que chérissaient les brâhmanes en Inde. Mais à présent, on peut dire qu’aucune partie de l’humanité n’est purement animale — toutes les races ont été touchées par la descente d’en haut et, par suite du mélange extensif, les résultats de l’involution se sont plus largement répandus. Naturellement on ne peut pas dire que tout homme ait un être psychique, pas plus qu’on ne peut refuser de reconnaître un être psychique à tous les animaux. Beaucoup d’animaux qui ont vécu près de l’homme ont un commencement d’être psychique, alors que l’on rencontre si souvent des gens qui semblent n’être que de simples brutes. Là aussi, il y a eu un grand nivellement. Mais dans l’ensemble, le psychique, au vrai sens de ce mot, commence au niveau humain, et c’est pourquoi la religion catholique déclare que seul l’homme a une âme. Dans l’homme seul existe la possibilité d’un être psychique qui grandit jusqu’à ce qu’il atteigne sa pleine stature, et qui peut même grandir assez haut pour finalement se joindre et s’unir à un être qui descend, à une divinité d’en haut.

La foi

La perception de la conscience extérieure peut nier la perception du psychique. Mais le psychique a la connaissance vraie, une connaissance intuitive instinctive. Il dit : « Je sais. Je ne peux pas donner de raisons, mais je sais. » Car sa connaissance n’est pas mentale, ni basée sur l’expérience, ni prouvée. Il ne croit pas après avoir reçu des preuves, car la foi est le mouvement de l’âme et sa connaissance est spontanée et directe. Même si le monde entier disait le contraire en apportant des milliers de preuves, cela ne l’empêcherait pas de savoir par une connaissance intérieure, une perception directe qui peut résister à tout, une perception par identité. La connaissance du psychique est une chose concrète et tangible, une masse solide. Vous pouvez aussi amener cette connaissance dans votre mental, votre vital et votre physique, et alors vous avez une foi intégrale, une foi qui peut vraiment soulever les montagnes. Mais il faut que rien dans l’être ne vienne dire : « Ce n’est pas ainsi », ni demander des preuves. La moindre faiblesse dans la foi abîme tout. Comment le Suprême pourrait-il se manifester si la foi n’était pas intégrale et immuable? En soi, la foi est toujours inébranlable, c’est sa nature même, sinon ce ne serait pas de la foi. Mais il peut arriver que le mental ou le vital ou le physique ne suivent pas le mouvement psychique. Un homme peut venir chez un yogi et avoir la foi soudaine que cette personne le conduira au but. Il ne sait pas si cette personne a la connaissance ou non, mais il sent un choc psychique et sait qu’il a rencontré son maître. Il ne croit pas après de longues considérations mentales ni après avoir vu des miracles. Et c’est le seul genre de foi qui ait de la valeur. Vous raterez toujours votre destinée si vous commencez à discuter. Il y a ainsi des gens qui s’assoient et se mettent à examiner si l’impulsion psychique est raisonnable ou non.

Ce n’est pas ce que l’on appelle la foi aveugle qui vraiment égare les gens. Souvent ils disent : « Oh! j’ai cru en telle ou telle personne et elle m’a trahi. » En fait, ce n’est pas la faute de cette personne, mais la faute de celui qui croyait en elle, c’est qu’il y avait en lui-même quelque faiblesse. S’il avait gardé intacte sa foi, il aurait changé l’autre. C’est parce qu’il n’est pas resté dans la même conscience pleine de foi qu’il s’est retrouvé trahi, et parce qu’il n’a pas su obtenir que cette personne devienne ce qu’il voulait qu’elle fût. S’il avait eu une foi intégrale, il aurait obligé cette personne à changer. C’est toujours par la foi que les miracles arrivent. Quelqu’un va chez un autre et entre en contact avec la Présence divine : s’il peut garder ce contact d’une façon pure et continue, il obligera la Conscience divine à se manifester jusque dans le monde le plus matériel. Tout dépend de votre propre niveau et de votre sincérité, et plus vous êtes prêt psychiquement, plus vous êtes conduit vers la source vraie, vers le vrai maître. Le psychique et sa foi sont toujours sincères, mais s’il y a de l’insincérité dans votre être extérieur et si vous cherchez des pouvoirs personnels, et non la vie spirituelle, alors cela peut vous égarer. C’est cela, et non votre foi, qui vous égare. Une foi qui est pure en soi peut se trouver mélangée dans l’être avec des mouvements inférieurs, et c’est cela qui vous égare.

Le pouvoir de l’attitude juste

Ce qui arrive est-il vraiment toujours ce qui pouvait arriver de mieux?... Il est évident que tout ce qui est arrivé devait arriver, il ne pouvait pas en être autrement — suivant le déterminisme universel cela devait arriver. Mais on ne peut dire cela qu’après coup, pas avant. Car le problème du mieux qui peut arriver est un problème individuel, quel que soit l’individu, nation ou être humain particulier — et tout dépend de l’attitude personnelle. Si, en présence de circonstances qui sont sur le point de se dérouler, vous pouvez prendre l’attitude la plus haute possible, c’est-à-dire si vous mettez votre conscience en contact avec la plus haute conscience qui soit à votre portée, vous pouvez être absolument certain, en ce cas, que ce qui vous arrivera sera ce qui pouvait arriver de mieux. Mais aussitôt que vous tombez de cette conscience et descendez dans un état inférieur, alors évidemment ce qui vous arrive n’est pas le mieux qui pouvait arriver, pour la simple raison que vous n’êtes pas dans votre état de conscience le meilleur... J’irai même jusqu’à affirmer que dans la zone d’influence immédiate de chacun, l’attitude juste a non seulement le pouvoir de faire tourner toutes les circonstances à son avantage, mais elle peut changer jusqu’aux circonstances elles-mêmes. Par exemple, si un individu vient pour vous tuer et si vous restez dans la conscience ordinaire, si vous êtes effrayé et perdez la tête, il réussira très probablement à mettre à exécution son projet. Si vous vous élevez un tout petit peu plus haut et si, malgré votre peur, vous appelez l’aide divine, il se peut que cet homme vous manque ou ne vous blesse que légèrement. Mais si vous avez l’attitude juste et la pleine conscience de la présence divine partout autour de vous, il ne pourra même pas lever le petit doigt contre vous.

Cette vérité est la clef véritable de tout le problème de la transformation. Restez toujours en contact avec la présence divine, essayez de la faire descendre, et ce qui arrivera sera toujours ce qui pouvait arriver de mieux. Bien sûr, le monde ne va pas changer tout de suite, mais il progressera aussi rapidement qu’il lui est possible de progresser. Et n’oubliez pas que c’est seulement si vous restez sur la voie droite du yoga qu’il en sera ainsi et non si vous déviez et perdez votre chemin, si vous errez capricieusement ou à l’abandon comme dans une forêt vierge.

Si chacun de vous faisait tout son possible, alors il y aurait une vraie collaboration et le résultat serait beaucoup plus rapide. J’ai vu d’innombrables exemples du pouvoir de l’attitude juste. J’ai vu des foules sauvées de la catastrophe par une seule personne qui gardait l’attitude juste. Mais cette attitude juste ne doit pas rester quelque part très haut tandis que le reste du corps est abandonné à ses réactions habituelles. Si vous restez comme cela dans les hauteurs en disant : « Que la volonté de Dieu soit faite », vous risquez de vous faire tuer quand même, car votre corps tout tremblant de peur n’est peut-être pas divin du tout. Il faut pouvoir garder la conscience vraie jusque dans le corps lui-même et ne pas avoir la moindre peur, il faut être rempli de la paix divine. Alors, vraiment, il n’y a pas de danger. Non seulement vous pouvez parer les attaques des hommes, mais vous pouvez aussi agir sur les bêtes et même sur les éléments.

Je peux vous donner un petit exemple. Vous vous souvenez de la nuit du grand cyclone, lorsqu’il y avait ce bruit épouvantable et ces cataractes de pluie partout sur la ville. J’ai pensé que je devrais aller dans la chambre de Sri Aurobindo pour l’aider à fermer ses fenêtres. J’entrouvris sa porte et le trouvai tranquillement assis à son bureau, en train d’écrire. Il y avait dans cette chambre une paix si solide que personne n’aurait imaginé qu’un cyclone faisait rage dehors. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, pas une goutte de pluie n’entrait.

Le pouvoir de l’imagination

L’imagination est en fait un pouvoir formateur mental. Quand ce pouvoir est mis au service du Divin, il est non seulement formateur, mais créateur. D’ailleurs il n’existe pas de formations irréelles, car toute image est une réalité sur le plan mental. L’intrigue d’un roman, par exemple, est là tout entière sur le plan mental et elle existe indépendamment du plan physique. Chacun de nous est romancier dans une certaine mesure et a le pouvoir de créer des formes sur ce plan. En fait, la majeure partie de notre vie est le produit de notre imagination. Chaque fois que vous laissez aller votre imagination sur des voies malsaines en donnant forme à vos peurs et en prévoyant des accidents ou des malheurs, vous minez votre propre avenir. Par contre, plus votre imagination est optimiste, plus vous avez des chances d’atteindre votre but. Monsieur Coué a su saisir cette puissante vérité et il a guéri des centaines de gens simplement en leur apprenant à imaginer qu’ils étaient sortis de leurs misères. Il a raconté un jour le cas d’une dame qui perdait ses cheveux. Elle commença par se suggérer à elle-même que son état s’améliorait chaque jour et que ses cheveux étaient certainement en train de pousser. En imaginant cela constamment, ses cheveux se sont réellement mis à pousser et ils devinrent même assez longs grâce à une auto-suggestion prolongée.

Le pouvoir formateur mental est aussi très utile dans le yoga. Quand le mental est mis en communication avec la Volonté divine, la vérité supramentale commence à descendre en traversant les couches qui séparent le mental de la Lumière la plus haute, et si, en atteignant le mental, elle y trouve le pouvoir de créer des formes, alors elle peut facilement s’incarner et elle reste comme une force créatrice en vous. C’est pourquoi, je vous le répète, ne soyez jamais déprimé ni triste. Que votre imagination soit toujours pleine d’espoir, qu’elle reste toujours plastique, joyeusement, sous la pression de la Vérité plus haute, afin que celle-ci trouve en vous toutes les formations nécessaires pour contenir sa lumière créatrice.

L’imagination est comme un couteau, elle peut être utilisée pour le bien ou pour le mal. Si vous gardez toujours l’idée ou le sentiment que vous allez être transformé, alors vous aidez le processus du yoga. Si, au contraire, vous vous laissez aller à la dépression et si vous vous lamentez en répétant que vous n’êtes pas prêt ou que vous n’êtes pas capable d’arriver à la réalisation, vous empoisonnez votre être. C’est justement à cause de cette vérité très importante que j’insiste tant et vous répète inlassablement : arrive ce qui arrive, mais ne vous laissez pas déprimer. Au contraire, vivez avec l’espoir constant, la conviction constante que ce que nous faisons finira par réussir. En d’autres termes, que votre imagination se laisse modeler par votre foi en Sri Aurobindo, car cette foi n’est-elle pas l’espoir et la conviction même que la volonté de Sri Aurobindo doit fatalement s’accomplir, que son œuvre de transformation doit nécessairement finir par une victoire suprême et que ce qu’il appelle le monde supramental doit descendre sur terre et être réalisé par nous, ici et maintenant!

L’admiration sans égoïsme

Les gens mettent tant de mauvaise volonté à reconnaître tout ce qui peut exprimer le Divin, qu’ils sont toujours à l’affût pour trouver à redire, découvrir des défauts apparents et ramener ainsi à leur propre niveau ce qui est supérieur. Ils sont tout simplement furieux lorsqu’ils se sentent dépassés et ils ne sont jamais si contents que lorsqu’ils réussissent à découvrir des « imperfections » superficielles. Mais ils oublient qu’avec leur mental physique grossier, s’ils se trouvaient mis en face du Divin lui-même, quand sa présence est sur la terre, ils ne verraient fatalement que ce qui est grossier. Ils ne peuvent pas espérer voir ce qu’ils sont eux-mêmes incapables de voir ou ce qu’ils ne veulent pas voir. Ils peuvent être sûrs de méconnaître le Divin s’ils s’en tiennent à l’aspect superficiel de ses actions, car ils ne comprendront jamais que ce qui paraît ressembler à une activité humaine est cependant totalement différent et provient d’une source qui n’est pas humaine.

Lorsqu’il se manifeste lui-même pour accomplir son œuvre sur la terre, le Divin semble agir comme les autres hommes, mais ce n’est qu’une apparence. Il n’est pas possible de le juger d’après les normes de l’évidence ou de l’apparence. Mais les hommes adorent leur propre infériorité et ils ne peuvent ni supporter de se soumettre à une réalité plus haute ni l’admettre. Ce désir de trouver à redire, cette passion malveillante qui critique et qui doute alors qu’en vous-même quelque chose vous dit que c’est une réalité supérieure, voilà la marque distinctive de l’humanité, c’est une caractéristique bien humaine. Par contre, partout où il y a une admiration spontanée pour ce qui est vrai, ce qui est beau, noble, c’est que quelque chose de divin s’exprime. Vous devriez savoir, avoir la certitude que c’est avec l’être psychique, l’âme en vous, que votre conscience physique entre en contact lorsque votre cœur s’élance pour adorer et admirer ce que vous sentez être d’une origine divine.

Au moment où vous vous trouvez en présence de ce que vous sentez être divin, vous devriez verser des larmes de joie. Ce sont les gens mesquins qui s’arrêtent pour réfléchir : « Oui, il y a là quelque chose de grand mais cela vaudrait la peine d’être admiré si cela m’arrivait à moi, si j’étais l’heureux possesseur de cette qualité, l’instrument de cette manifestation supérieure. » Pourquoi s’occuper de son propre ego quand la chose principale est que le Divin se révèle partout où il choisit de se révéler et comme il l’entend? Vous devriez vous sentir comblé quand il s’exprime ainsi, vous devriez être capable de briser les étroites limites de votre misérable personnalité et vous élancer dans une joie sans égoïsme. Cette joie est le signe véritable que votre âme s’est éveillée et a senti la vérité. C’est à partir de ce momentlà seulement que vous pouvez vous ouvrir à l’influence de la vérité qui descend et être façonné par elle. Je me souviens de certaines occasions où j’étais émue jusqu’aux larmes en voyant des enfants, et même des bébés, faire des choses qui étaient divinement belles et simples. Sentez cette joie et vous pourrez profiter de la Présence divine qui est parmi nous.

Prendre du recul

La plupart d’entre vous vivent à la surface de leur être, exposés au contact des influences extérieures. Vous vivez, pour ainsi dire, presque projetés à l’extérieur de votre corps, et lorsque vous rencontrez un être désagréable, projeté comme vous hors de son corps, vous êtes bouleversés. Toute la difficulté vient de ce que votre être n’a pas l’habitude de prendre du recul. Il faut toujours rentrer en vous-même. Apprenez à descendre profondément à l’intérieur. Prenez du recul et vous serez en sûreté. Ne vous abandonnez pas aux forces superficielles qui se meuvent dans le monde extérieur. Même si vous êtes pressé de faire quelque chose, prenez du recul un instant et vous découvrirez, à votre propre surprise, que vous ferez beaucoup plus vite et beaucoup mieux le travail que vous avez à faire. Si quelqu’un est en colère contre vous, ne vous laissez pas prendre dans ses vibrations, mais simplement prenez du recul, et sa colère ne trouvant en vous ni support ni réponse, s’évanouira. Restez toujours en paix, résistez à toute tentation de perdre cette paix. Ne décidez rien sans prendre du recul, ne dites jamais un mot sans prendre du recul, ne vous jetez jamais dans l’action sans prendre du recul.

Tout ce qui appartient au monde ordinaire est fugitif, sans durée, il n’y a là rien qui vaille la peine de se laisser bouleverser. Ce qui dure, ce qui est éternel, immortel et infini, c’est cela en vérité qui vaut la peine d’être obtenu, conquis, possédé. C’est la Lumière divine, l’Amour divin, la Vie divine, et c’est aussi la Paix suprême, la Joie parfaite et toute Maîtrise sur terre, avec la Manifestation intégrale comme couronnement. Ayez le sens de la relativité des choses; alors, quoi qu’il arrive, vous pourrez prendre du recul et regarder, vous pourrez rester paisible et appeler la Force divine et attendre sa réponse. Alors vous saurez exactement ce qu’il faut faire. Rappelez-vous aussi que vous ne pouvez pas recevoir de réponse à votre appel tant que vous n’êtes pas parfaitement paisible. Mettez en pratique cette paix intérieure; au moins essayez un peu et continuez à vous exercer jusqu’à ce que cela devienne une habitude en vous.

La connaissance du savant et celle du yogi

Le sommet de la conscience ordinaire, c’est la science. Pour la science, ce qui se trouve sur terre est vrai, pour la simple raison que c’est là. Ce qu’elle appelle Nature est pour elle la réalité ultime, et son but est de construire une théorie pour expliquer son fonctionnement. Ainsi, elle grimpe aussi haut que peut aller la conscience physique et elle essaye de découvrir les causes de ce qu’elle croit être le monde vrai, le monde réel. Mais en fait, elle adapte les « causes » aux « effets », car elle a commencé par prendre ce qui est pour le vrai, le réel, et elle cherche seulement à expliquer les choses mentalement. Par contre, pour la conscience yoguique, ce monde n’est pas la réalité ultime. S’élevant au-dessus du mental jusqu’au Surmental, puis jusqu’au Supramental, la conscience yoguique entre dans le monde divin des vérités premières et, de là, dirigeant son regard vers le bas, elle voit ce qui est arrivé ici-bas à ces vérités, comme elles ont été déformées, complètement falsifiées. Ainsi, pour le yogi, ce soi-disant monde des faits est un mensonge et pas du tout la vraie réalité. Il n’est pas ce qu’il devrait être, il est même presque le contraire de ce qu’il devrait être, alors que, pour le savant, ce monde est absolument fondamental.

Notre but est de changer les choses. Le savant déclare que tout ce qui est, est naturel et ne peut être fondamentalement changé. Mais à dire vrai, les lois dont il parle habituellement sont une création de son propre mental, et c’est parce qu’il admet que la Nature telle qu’elle est, est la vraie base, que les choses ne changent pas et ne peuvent pas changer pour lui de façon vraiment complète. Mais selon nous, tout cela peut être changé, parce que nous savons qu’il y a quelque chose au-dessus, une vérité divine qui cherche à se manifester. Il n’y a pas de lois fixes ici-bas, et la science elle-même, aux heures où elle n’est pas trop dogmatique, reconnaît que les lois sont de simples constructions mentales. Il n’y a que des cas d’espèce, et si le mental pouvait se pencher sur toutes les circonstances, il s’apercevrait qu’il n’y a pas deux cas pareils. Les lois sont faites pour la commodité du mental, mais le processus de la manifestation supramentale est différent, on peut même dire qu’il est le contraire du mental. Dans la réalisation supramentale, chaque chose portera en soi une vérité qui se manifestera à chaque instant sans être liée par ce qui a été ou par ce qui suivra. Cet enchaînement compliqué du passé et du présent, qui donne aux choses de la Nature l’apparence d’un déterminisme tellement immuable, n’est rien d’autre qu’une façon mentale de concevoir les choses; ce n’est pas une preuve que tout ce qui existe est inévitable et ne peut être autrement.

La connaissance que possède le yogi apporte aussi une réponse à cette terrible théorie qui prétend que tout ce qui arrive est l’action directe de Dieu. Car, à partir du moment où vous vous élevez jusqu’au Supramental, vous percevez immédiatement que le monde est faux et déformé. La vérité supramentale n’a pas encore du tout trouvé à se manifester. Alors comment le monde pourrait-il être une expression véritable du Divin ? C’est seulement lorsque le Supramental se sera établi ici-bas et gouvernera que l’on pourra dire que la Volonté suprême seule s’est authentiquement manifestée. Mais en même temps, nous devons éviter d’exagérer dangereusement le mensonge de ce monde, ce qui arrive à ceux qui se sont élevés jusqu’à la conscience supérieure. Ce qui s’est passé avec Shankara et d’autres comme lui, c’est qu’ils ont eu un aperçu de la conscience vraie, et cet aperçu faisait ressortir d’une façon si aiguë le mensonge de ce monde qu’ils affirmèrent que l’univers était non seulement faux mais, plus encore, une illusion non existante qu’il fallait entièrement abandonner. Nous, de notre côté, nous voyons ce mensonge, mais nous savons aussi que cet univers doit être changé et non abandonné comme une illusion. Seulement, la vérité a été mal traduite, quelque chose s’est introduit qui a perverti la Réalité divine, mais cependant, en fait, le monde est destiné à exprimer cette Réalité. Exprimer la Réalité divine, tel est en vérité notre yoga.

Le hasard

Qu’entendons-nous par le mot « hasard »? Le hasard ne peut être que le contraire de l’ordre et de l’harmonie. Il y a une seule harmonie véritable, et c’est l’harmonie supramentale — le règne de la Vérité, l’expression de la Loi divine. Par conséquent, le hasard n’a pas de place dans le Supramental. Mais dans la Nature inférieure, la Vérité suprême est obscurcie, c’est pourquoi on ne trouve pas cette unité divine d’action et de but qui seule constitue l’ordre. Privé de cette unité, le domaine de la Nature inférieure est gouverné par ce que nous appelons le hasard — c’est-à-dire un champ où se mélangent des forces diverses qui sont en conflit et n’ont pas de but unique défini. Tout ce qui peut résulter de cette bousculade générale, c’est la confusion, la dissonance et le mensonge — un produit du hasard. Le hasard n’est pas une simple idée pour dissimuler notre ignorance des causes qui sont à l’œuvre, c’est une description de la mêlée incertaine de la Nature inférieure à laquelle fait défaut cette calme unité de but qui est le propre de la Vérité divine.

Le monde a oublié son origine divine et il est devenu une arène où s’affrontent des énergies égoïstes; cependant, il lui est encore possible de s’ouvrir à la Vérité, de la faire descendre par son aspiration et d’opérer un changement dans ce tourbillon du hasard. Ce que les hommes considèrent comme une suite mécanique d’événements, par suite de leurs associations de pensées, de leurs expériences et de leurs généralisations, est en fait le résultat d’une manipulation par des agents du monde subtil qui cherchent chacun à réaliser sa propre volonté. Le monde a fini par être tellement soumis à ces agents non divins que la victoire de la Vérité ne peut être remportée à moins que l’on ne se batte pour elle. Cette Vérité ne revient pas de droit au monde, il doit la gagner en rejetant le mensonge et la perversion — et une importante partie de ce mensonge, de cette perversion, consiste à dire que toute chose trouvant son origine ultime dans le Divin, il en résulte que toutes les activités immédiates viennent aussi directement de lui. En fait, ici-bas, dans la Nature inférieure, le Divin est voilé par l’ignorance cosmique, et ce qui se passe ne provient pas directement de la connaissance divine. Dire que tout est la volonté de Dieu, sans distinction, est une suggestion très commode des influences hostiles qui voudraient bien enfoncer la création aussi solidement que possible dans la laideur et le désordre auxquels elle se trouve réduite. Alors que faire, demandez-vous? Eh bien, faites descendre la Lumière, ouvrez-vous au pouvoir de Transformation. D’innombrables fois la paix divine vous a été donnée, mais chaque fois vous l’avez perdue, parce que quelque chose en vous refuse d’abandonner sa petite routine égoïste. Si vous ne restez pas sans cesse vigilant, votre nature reviendra à ses vieilles habitudes non régénérées, même après avoir été remplie de la Vérité qui descend. C’est la lutte entre l’ancien et le nouveau qui forme le centre du yoga, mais si vous êtes décidé à rester fidèle à la Loi et à l’Ordre suprêmes qui vous ont été révélés, les parties de votre être qui appartiennent au domaine du hasard finiront par se convertir et par se laisser diviniser, si lentement que ce soit.

Différentes sortes d’espace et de temps L’intrépidité sur le plan vital

L’espace et le temps ne commencent pas avec la conscience mentale et ne finissent pas avec elle, ils existent même dans le Surmental. Ce sont les formes de toute existence cosmique, mais ils varient à chaque niveau. Chaque monde a son propre espace et son propre temps.

Ainsi, le temps mental et l’espace mental ne correspondent pas à ce que nous observons ici dans l’univers matériel. Dans le monde du mental, nous pouvons nous mouvoir en avant et en arrière à volonté, suivant notre bon plaisir. Dès que vous pensez à une personne, vous êtes avec elle. Même si vous êtes tout près de quelqu’un, vous pouvez en être très loin si vos pensées sont tout occupées par quelqu’un d’autre. Le mouvement est immédiat, car les conditions spatio-temporelles sont très libres sur ce plan-là. Dans le monde vital, par contre, il faut faire usage de sa volonté : là aussi les distances sont moins rigides, mais le mouvement n’est pas immédiat, il faut exercer sa volonté.

La connaissance des différents espaces-temps peut être d’une grande valeur pratique dans le yoga. Tant d’erreurs viennent de ce que vous êtes incapable d’agir de la manière juste lorsque vous êtes dans votre corps vital et dans votre corps mental. Dans vos rêves, par exemple, souvenez-vous que vous êtes dans l’espace et le temps du monde vital et n’agissez pas comme si vous étiez encore dans votre corps physique. Si vous avez la connaissance nécessaire de l’état des choses sur ces plans, vous pouvez beaucoup plus efficacement venir à bout de ces êtres vitaux qui vous terrifient et vous donnent des cauchemars si déplaisants. L’une des caractéristiques de l’activité dans l’espace et le temps vital, c’est que les êtres de ces plans sont capables de prendre à volonté des formes gigantesques et de créer une vibration de peur en vous, ce qui est leur moyen le plus puissant de vous envahir et de vous posséder. Il faut se souvenir de leur pouvoir d’illusion terrifiante et rejeter toute peur. À partir du moment où vous leur faites face hardiment, sans fléchir, et où vous les regardez droit dans les yeux, pour ainsi dire, ils perdent les trois quarts de leur pouvoir. Et si vous m’appelez à l’aide, ce dernier quart lui-même disparaît et ils prennent la fuite ou se dissolvent. Un ami à moi qui avait l’habitude de sortir dans son corps vital, se plaignit un jour de se trouver chaque fois face à face avec un tigre gigantesque qui lui faisait passer des nuits épouvantables. Je lui dis de chasser toute peur et de marcher droit sur la bête en la regardant bien en face et en appelant à l’aide, bien sûr, si c’était nécessaire. C’est ce qu’il fit, et voilà que tout d’un coup le tigre se mit à rapetisser jusqu’à devenir un petit chat insignifiant!

Vous n’avez pas idée de l’effet presque magique que peut avoir le simple fait de regarder intrépidement dans les yeux un être vital. Même sur terre, si vous traitez de cette façon toutes ces incarnations des puissances vitales que nous appelons généralement les animaux, vous pouvez être assuré d’une maîtrise facile. Un tigre physique prendra aussi la fuite devant vous si, sans le moindre tremblement, vous le regardez droit dans les yeux. Un serpent sera incapable de vous mordre si vous arrivez à river son regard sur le vôtre sans éprouver la moindre terreur. Fixer le serpent tout en tremblant sur vos jambes ne sert à rien, il ne faut pas qu’il y ait le plus petit trouble en vous; vous devez être calme et plein de sang-froid quand vous saisissez son regard et qu’il se met à balancer la tête pour vous fasciner et vous remplir d’une peur affreuse. Les animaux perçoivent dans les yeux des hommes une lumière qu’ils sont incapables de supporter, si on la dirige comme il faut sur eux. Le regard de l’homme contient un pouvoir qui les paralyse, pourvu que ce regard soit ferme et sans peur.

Donc, pour résumer, rappelez-vous deux choses : ne soyez jamais, jamais effrayé et en toutes circonstances appelez l’aide juste qui rendra votre force cent fois plus forte.

La connaissance par unité avec le Divin La Volonté divine dans le monde

La conscience est la faculté de percevoir toute chose, quelle qu’elle soit, en s’identifiant à elle. La conscience divine, non seulement perçoit, mais connaît et réalise. Car une simple perception n’est pas une connaissance. Percevoir une vibration, par exemple, ne veut pas dire que vous la connaissiez entièrement. C’est seulement lorsque la conscience participe à la conscience divine qu’elle possède une complète connaissance par identification avec l’objet. Généralement, l’identification conduit à l’ignorance plus qu’à la connaissance, car la conscience se perd dans ce qu’elle devient et elle est incapable d’envisager les vraies causes, ce qui les accompagne et leurs conséquences. Ainsi, vous vous identifiez à un mouvement de colère et votre être tout entier devient une vibration de colère, il devient aveugle et précipité, oublieux de tout le reste. C’est seulement lorsque vous prenez du recul, quand vous restez détaché au milieu du tourbillon passionné, que vous êtes capable de voir le processus avec l’œil de la connaissance. La connaissance ne peut donc s’obtenir dans un état ordinaire de l’être qu’en prenant du recul par rapport au phénomène, en le regardant sans s’identifier à lui. Mais la conscience divine s’identifie à son objet et le connaît intégralement, parce qu’elle devient une avec la vérité essentielle ou la loi essentielle inhérente à chaque fait. Et non seulement elle connaît, mais, par sa connaissance, elle accomplit ce qu’elle veut accomplir. Être conscient, pour elle, c’est pouvoir. Chacun de ses mouvements est un éclair de toute-puissance qui, tout en illuminant, trace un chemin de feu jusqu’au but final ordonné par la nature de sa vérité.

Votre conscience ordinaire est toute mélangée d’inconscience; elle tâtonne, fait de grands efforts et subit des échecs; tandis que par unité avec le Suprême vous partagez la nature du Suprême et vous arrivez à la connaissance complète chaque fois que vous vous mettez à observer un objet, quel qu’il soit, et que vous vous identifiez à lui. Naturellement, cela ne veut pas dire nécessairement que vous embrassiez tout le contenu de la conscience divine. Vos mouvements deviennent vrais, mais vous ne possédez pas dans leur totalité les multiples richesses de l’activité du Divin. Cependant, dans votre propre sphère, vous devenez capable de voir les choses correctement et conformément à leur vérité — et ceci dépasse certainement ce que l’on appelle, dans le langage yoguique, la connaissance par identité. En effet, l’identification que de nombreuses disciplines enseignent élargit les limites de votre perception sans pénétrer jusqu’au cœur le plus intime d’un objet; elle permet de voir les choses de l’intérieur, en quelque sorte, mais seulement leur aspect phénoménal. Si, par exemple, vous vous identifiez à un arbre, vous arrivez à percevoir les choses à la façon dont un arbre perçoit, et cependant vous n’arrivez pas à connaître tout ce qui concerne l’arbre, pour la simple raison que l’arbre lui-même n’a pas cette connaissance. Vous partagez les sentiments intérieurs de l’arbre mais vous ne pouvez sûrement pas comprendre la vérité qu’il représente, pas plus qu’il ne suffit d’être conscient de votre propre moi naturel pour posséder aussitôt la réalité divine que vous êtes secrètement. Mais, par contre, si vous êtes un avec la conscience divine, vous connaissez la vérité qui est derrière l’arbre mieux qu’il ne la sent lui-même; bref, vous connaissez tout, parce que la conscience divine connaît tout.

En fait, il y a de nombreux moyens d’atteindre à cette unité. On peut y arriver par aspiration ou don de soi, ou par d’autres méthodes. Chacune d’elles, si elle est suivie avec persistance et sincérité, conduit à l’unité. L’aspiration est cet élan dynamique de votre nature tout entière, c’est elle qui est derrière votre résolution d’atteindre au Divin. Quant au don de soi, on peut le définir comme un abandon des limites de son ego. Se donner au Divin, c’est renoncer à ses propres limites étroites et se laisser envahir par lui, devenir un centre de son jeu. Mais souvenezvous bien que la Conscience Universelle tant aimée des yogis n’est pas le Divin; vous pouvez briser vos limites dans le sens horizontal si vous voulez, mais vous feriez tout à fait erreur si vous preniez pour le Divin ce sentiment d’élargissement et de multiplicité cosmique. Car, après tout, le mouvement universel est un mélange de mensonge et de vérité, si bien que s’arrêter là, c’est être imparfait. Vous pouvez donc fort bien participer à la conscience cosmique sans jamais atteindre à la Vérité transcendante. Par contre, aller au Divin, c’est aussi atteindre à la réalisation universelle, mais en évitant le mensonge.

Le véritable obstacle au don de soi, qu’il soit fait à l’Universel ou au Transcendant, c’est l’amour de l’individu pour ses propres limitations. C’est un amour naturel puisque dans la formation même de l’être individuel on trouve une tendance à se concentrer dans certaines limites — sans cela, le sens de la séparativité n’existerait pas, tout serait mélangé comme cela arrive très souvent dans les mouvements de conscience vitaux ou mentaux. C’est le corps tout particulièrement qui, par son manque de souplesse, préserve l’individualité séparatrice, et une fois que cette séparativité est établie, la peur de la perdre vient se glisser dans l’être — cet instinct est très sain, à beaucoup d’égards, mais il porte à faux en ce qui concerne le Divin. Dans le Divin, en effet, vous ne perdez pas vraiment votre individualité, vous ne faites qu’abandonner votre égoïsme pour devenir le vrai individu, la personnalité divine qui n’est pas temporaire comme l’est cette construction de la conscience physique que vous prenez généralement pour vous-même. Il suffit d’un seul contact avec la conscience divine pour voir immédiatement que l’on ne se perd pas en elle. Au contraire, on y trouve une permanence individuelle véritable qui peut survivre à des centaines de morts du corps et à toutes les vicissitudes de l’évolution mentale-vitale. Sans ce contact transfigurateur, vous restez toujours à errer dans la peur; avec lui, vous obtenez graduellement le pouvoir de rendre plastique votre être physique lui-même, sans perdre son individualité. Même maintenant, tel qu’il est, votre être physique n’est pas entièrement rigide, il est capable de sentir les mouvements conscients d’autrui par une sorte de sympathie qui se traduit sous forme de réactions nerveuses à leurs joies et à leurs souffrances; il est également capable d’exprimer vos propres mouvements intérieurs, et c’est un fait bien connu que le visage est un signe et un miroir du mental. Mais seule la conscience divine peut rendre le corps assez réceptif pour qu’il reflète tous les mouvements de l’immortalité supramentale et qu’il soit, en quelque sorte, une expression de l’âme véritable; en se divinisant ainsi, le corps atteint le sommet d’une individualité suprême qui peut, même physiquement, s’élever au-dessus de la nécessité de la mort et de la dissolution.

Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur un point qui fait très souvent obstacle à l’union vraie. C’est une grande erreur, en effet, de supposer que la Volonté divine opère toujours ouvertement dans le monde. En fait, tout ce qui arrive n’est pas divin; la Volonté suprême est défigurée dans la manifestation par suite du mélange des forces inférieures qui la traduisent ici-bas. Ce sont elles qui servent d’intermédiaire, qui falsifient l’impulsion donnée par la Volonté divine et produisent des résultats non divins. Si tout ce qui est arrivé était vraiment la traduction sans tache de la Volonté suprême, comment pourriez-vous expliquer toutes les déformations de ce monde?... Cela ne veut pas dire que la Volonté divine ne pourrait pas avoir été la cause de l’Ignorance cosmique. Elle est toute-puissante et toutes les possibilités sont en elle; elle peut mettre en œuvre tout ce dont elle voit, en sa vision originelle, la nécessité secrète. Car, bien sûr, la cause première du monde, c’est le Divin; mais il faut prendre garde de ne pas juger ce fait mentalement, suivant nos petites valeurs morales. Or, une fois que les conditions du cosmos furent fixées et que l’involution dans la nescience fut acceptée comme la base d’une manifestation progressive du Divin à partir de ce qui nous semble tout son contraire, il s’est produit une sorte de division entre le Supérieur et l’Inférieur. L’histoire du monde est alors devenue une bataille entre le Vrai et le Faux, bataille dans laquelle les détails ne sont pas tous des représentations directes de l’action progressive du Divin, mais bien plutôt une déformation de cette action du fait de la résistance massive opposée par la Nature inférieure. S’il n’y avait pas eu cette résistance, il n’y aurait rien eu du tout à conquérir dans le monde, car le monde eût été harmonieux, un passage constant d’une perfection à une autre au lieu du conflit qu’il est — un jeu de hasards et de possibilités multiples où le Divin affronte de réelles oppositions, de réelles difficultés et souvent de réelles défaites temporaires sur le chemin qui conduit à la victoire finale. C’est précisément cette réalité du jeu tout entier qui fait que ce n’est pas une plaisanterie.

La Volonté divine souffre réellement une déformation dès l’instant où elle touche les forces hostiles dans l’Ignorance. C’est pourquoi nous ne devons jamais relâcher nos efforts pour changer le monde et introduire un ordre différent. Il faut être vigilant pour coopérer avec le Divin, ne pas se contenter de penser placidement que tout ce qui arrive est toujours pour le mieux. Tout dépend de l’attitude personnelle. Si, en présence des circonstances qui sont sur le point de se dérouler, vous pouvez prendre la plus haute attitude possible — c’est-à-dire si vous mettez votre conscience en contact avec la plus haute Conscience qui soit à votre portée —, vous pouvez être absolument certain que, dans ce cas, ce qui arrive est le mieux qui pouvait vous arriver. Mais aussitôt que vous tombez de cette conscience pour entrer dans un état inférieur, il est évident, alors, que ce qui arrive n’est pas le mieux qui pouvait arriver, puisque vous n’êtes pas dans votre conscience la meilleure. Ainsi, Sri Aurobindo disait un jour à quelqu’un : « Ce qui est arrivé devait arriver, mais cela aurait pu être beaucoup mieux. » La personne en question n’étant pas dans sa conscience la plus haute, il n’y avait pas d’autre issue possible, mais si elle avait fait descendre le Divin, alors, même si la situation générale avait été inévitable, les choses auraient tourné différemment. Ce qui fait toute la différence, c’est la façon de recevoir l’impulsion de la Volonté divine.

Il faut s’élever très haut avant de pouvoir rencontrer cette Volonté dans toute la splendeur de son authenticité, et c’est seulement lorsque vous lui ouvrez votre nature inférieure qu’elle peut commencer à se manifester en termes de Vérité. Gardez-vous donc d’appliquer purement et simplement la norme nietzschéenne du succès temporaire pour différencier le Divin du non-divin. Car la vie est un champ de bataille et le Divin ne réussit dans les détails que lorsque la nature inférieure est réceptive à Ses impulsions au lieu de se mettre du côté des forces hostiles. Même alors, le critère est moins extérieur qu’intérieur, et c’est une certaine sorte de vibration qui permet de reconnaître la présence de la Volonté divine; les critères extérieurs ne servent à rien, puisque même ce qui en apparence ressemble à un échec peut, en réalité, être un accomplissement divin... Ce que vous devez faire, c’est vous abandonner à la Grâce du Divin, car c’est sous la forme de la Grâce, de l’Amour, qu’Il a consenti à élever cet univers, une fois que l’involution première fut accomplie. Avec l’Amour divin, se trouve le suprême pouvoir de Transformation. Il a ce pouvoir, car c’est pour la Transformation qu’Il s’est donné au monde et manifesté partout. Il s’est non seulement infusé dans l’homme, mais dans chacun des atomes de la matière la plus obscure afin de ramener le monde à la Vérité originelle. C’est cette descente que l’on désigne comme le suprême sacrifice dans les Écritures indiennes. Mais ce n’est un sacrifice que du point de vue humain, car les hommes pensent que s’ils étaient obligés de faire la même chose, ce serait un immense sacrifice! Mais le Divin ne peut pas vraiment être diminué, Son essence infinie ne peut jamais devenir moindre, quels que soient les « sacrifices » faits... Dès que vous vous ouvrez à l’Amour divin, vous recevez son pouvoir de transformation, mais ce n’est pas en termes de quantité que vous pouvez mesurer cela. Ce qui est essentiel, c’est le contact vrai, car vous découvrirez alors que le contact vrai avec cet amour suffit à remplir aussitôt la totalité de votre être.

Surmental et Supramental

L’œuvre de Sri Aurobindo est une transformation terrestre unique en son genre.

Au-dessus du mental, il y a plusieurs niveaux d’existence consciente, parmi lesquels le monde réellement divin que Sri Aurobindo a appelé le Supramental, le monde de la Vérité. Mais entre les deux, Sri Aurobindo a distingué ce qu’il appelle le Surmental, le monde des Dieux cosmiques. Jusqu’à présent, c’est le Surmental qui a gouverné notre monde, c’est le plus haut sommet que l’homme ait été capable d’atteindre dans la conscience illuminée. On l’a pris pour le Divin suprême et tous ceux qui ont atteint ce sommet n’ont jamais douté un seul instant d’avoir touché l’Esprit véritable. Car sa splendeur est si grande pour la conscience humaine ordinaire qu’elle en est absolument éblouie, et croit avoir enfin trouvé la Réalité suprême. Et cependant, c’est un fait que le Surmental se trouve loin au-dessous du Divin véritable. Ce n’est pas l’authentique demeure de la Vérité. Ce n’est que le domaine des formateurs, ces puissances et ces divinités créatrices devant lesquelles les hommes se sont inclinés depuis le commencement des temps. Et si le Divin véritable ne s’est pas manifesté et n’a pas transformé la nature terrestre, c’est précisément parce que l’on a confondu le Surmental avec le Supramental. Les Dieux cosmiques ne vivent pas entièrement dans la Conscience de Vérité, ils ne sont qu’en contact avec elle, et chacun d’entre eux représente un aspect de sa gloire.

Sans doute, le Supramental a-t-il aussi agi dans l’histoire du monde, mais toujours à travers le Surmental. Seule la descente directe de la Conscience et du Pouvoir supramentaux peut totalement recréer la vie dans les termes de l’Esprit. Car, dans le Surmental, se trouve déjà le jeu des possibilités qui marque le commencement de ce triple monde inférieur du mental, de la vie et de la matière, en lequel se déroule notre existence. Et chaque fois que nous trouvons ce jeu, et non le travail spontané et infaillible de la Vérité innée de l’Esprit, c’est que l’ignorance est là en germe, et la distorsion. Cela ne veut pas dire que le Surmental soit un champ d’ignorance, mais c’est la ligne frontière entre le Supérieur et l’Inférieur; et le jeu des possibilités, le jeu d’un choix séparé, même s’il n’est pas encore divisé, aboutira probablement à une déviation de la Vérité des choses.

Le Surmental, par conséquent, ne possède pas et ne peut pas posséder le pouvoir de transformer l’humanité pour lui donner une nature divine. Pour cela, le Supramental est le seul agent efficace. Et ce qui différencie exactement notre yoga des tentatives passées pour spiritualiser la vie, c’est que nous savons que les splendeurs du Surmental ne sont pas la réalité la plus haute, mais un échelon intermédiaire entre le mental et le Divin véritable.

Humilité véritable — plasticité supramentale — renaissance spirituelle

Comme l’on m’a souvent posé des questions à ce sujet, je vous dirai quelques mots sur la signification de l’humilité véritable, sur la plasticité supramentale et la renaissance spirituelle.

L’humilité est un état de conscience dans lequel vous savez, si haute que soit votre réalisation, que l’infini est toujours devant vous. Cette rare qualité d’admiration sans égoïsme dont je vous ai déjà parlé, n’est qu’un autre aspect de l’humilité véritable — car il faut être vraiment bien arrogant pour refuser d’admirer et pour être content de soi, de ses propres petits accomplissements, en oubliant l’infini qui est toujours loin au-delà de tout cela. De toute façon, il est nécessaire d’être humble, non seulement quand vous n’avez rien de substantiel ni de divin en vous, mais même quand vous êtes sur le chemin de la transformation. Aussi paradoxal que cela semble, le Divin qui est absolument parfait, est aussi, en même temps, parfaitement humble, humble comme rien d’autre ne peut l’être. Il ne s’occupe pas de s’admirer lui-même, car bien qu’il soit tout ce qui est, il cherche toujours à se trouver lui-même dans ce qui n’est pas lui-même — et c’est pourquoi il a créé dans son propre être ce qui semble un colossal non-lui, ce monde phénoménal. La forme qu’il a prise est telle qu’il doit découvrir indéfiniment dans le temps l’infini contenu de cela qu’il possède entièrement dans sa conscience éternelle.

L’une des plus grandes victoires de cette ineffable humilité de Dieu sera la transformation de la matière qui, apparemment, est des plus non divines. La plasticité supramentale est un attribut de la matière lorsqu’elle sera finalement transformée. Le corps supramental qui doit venir à l’existence possédera quatre attributs principaux : légèreté, adaptabilité, plasticité et luminosité. Lorsque le corps physique sera entièrement divinisé, il aura l’impression de toujours marcher dans les airs, il n’y aura pas de lourdeur ni de tamas ni d’inconscience en lui. Il n’y aura pas de limite non plus à son pouvoir d’adaptation; quelles que soient les conditions où il se trouve placé, il sera immédiatement à la hauteur de ce qui est exigé de lui, parce que sa pleine conscience rejettera toute l’inertie et l’incapacité qui font habituellement de la matière un boulet pour l’Esprit. La plasticité supramentale lui permettra de résister aux attaques de n’importe quelle force hostile qui voudrait le pénétrer — non pas qu’il opposera une lourde résistance à l’attaque, au contraire, il se fera si souple qu’il annulera la force en s’effaçant devant elle pour la laisser passer. Ainsi, il ne supportera aucune conséquence nuisible et sortira indemne des plus mortelles attaques. Finalement, il sera transformé en la substance de la lumière; chaque cellule irradiera la gloire supramentale. Ce ne sont pas seulement ceux qui sont assez développés pour posséder la vision subtile qui seront capables de percevoir cette luminosité, mais les hommes ordinaires la percevront aussi. Ce sera un fait évident pour tout le monde, une preuve permanente de la transformation qui convaincra même le plus sceptique.

La transformation corporelle sera la suprême renaissance spirituelle — ce sera un rejet total de tout le passé habituel. La renaissance spirituelle, en effet, suppose un rejet constant de nos anciennes associations, de nos vieilles façons d’agir et des circonstances passées de notre existence, pour vivre comme si chaque moment était vierge, comme si à chaque instant nous commencions une nouvelle vie. C’est cela être libre de ce qu’on appelle le Karma, le courant de nos actions passées; en d’autres termes, c’est une libération de l’esclavage des activités habituelles de la Nature, de ses causes et ses effets. Lorsque cette rupture avec le passé est victorieusement accomplie dans la conscience, toutes ces fautes, ces faux pas, ces erreurs et ces folies, si vivaces dans notre souvenir et qui s’accrochent à nous comme des sangsues pour boire le sang de notre vie, se détachent de nous et tombent, nous laissant le plus joyeusement libres. Cette liberté n’est pas une simple affaire de pensée; c’est un fait tout à fait concret, pratique, matériel. Réellement, nous sommes libres; rien ne nous lie, rien ne nous affecte, il n’y a plus d’obsession de la responsabilité. Si nous voulons neutraliser, annuler notre passé, ou devenir plus grand que lui, ce n’est pas par un simple repentir ni quelque chose de ce genre que nous pouvons y arriver; il nous faut oublier que le passé non transformé a jamais existé et entrer dans un état de conscience illuminé qui brise toutes les amarres. Renaître signifie avant tout que l’on entre dans la conscience psychique où nous sommes un avec le Divin et éternellement libres des réactions du Karma. Si l’on ne devient pas conscient du psychique, cela est impossible, mais une fois que l’on est solidement conscient de l’âme vraie en nous, toute servitude prend fin. Alors, à chaque instant, c’est une vie nouvelle, alors le passé ne s’accroche plus à nous. Pour vous donner une idée du sommet final de la renaissance spirituelle, je dirai que l’on peut avoir l’expérience constante de l’univers qui disparaît effectivement à chaque instant et qui à chaque instant est créé de nouveau !

La réalisation supramentale

Pour savoir à quoi ressemblera la réalisation supramentale, le premier pas, la première condition est de savoir ce qu’est la conscience supramentale. Tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont entrés en contact avec elle, ont eu quelque aperçu de la réalisation qui doit être. Mais ceux qui n’ont pas eu ce contact peuvent cependant aspirer à la réalisation supramentale, tout comme ils peuvent aspirer à obtenir la connaissance supramentale. La connaissance vraie suppose une perception par identité; une fois que vous prenez contact avec le monde supramental, vous pouvez parler de sa descente, en dire quelque chose, mais pas avant. Ce que vous pouvez dire avant, c’est qu’il y aura une création nouvelle sur la terre, et cela vous le dites avec votre foi puisque le caractère exact de cette création vous échappe. Et si vous êtes appelé à définir cette réalisation, vous pouvez dire que, individuellement parlant, elle signifie la transformation de votre conscience humaine ordinaire en une conscience divine et supramentale.

La conscience est semblable à une échelle. À chaque grande époque, il s’est trouvé un grand être capable d’ajouter un échelon de plus à l’échelle et d’atteindre un endroit où la conscience humaine n’avait jamais été. Il est possible de parvenir à un niveau élevé et de sortir complètement de la conscience matérielle, mais alors on abandonne l’échelle, tandis que le haut accomplissement des grandes époques de l’univers fut de pouvoir ajouter un échelon de plus à l’échelle, sans perdre contact avec le monde matériel, et de pouvoir atteindre le Suprême tout en reliant le sommet au bas de l’échelle, au lieu de laisser une sorte de vide sans lien avec les différents plans. Monter et descendre et joindre le sommet à la base, tel est le secret de la réalisation, et c’est l’œuvre de l’Avatâr. Chaque fois qu’il ajoute un échelon à l’échelle, il y a une création nouvelle sur la terre. L’échelon qui est en train de s’ajouter maintenant, Sri Aurobindo l’a appelé le Supramental. Son résultat sera de permettre à la conscience d’entrer dans le monde supramental tout en gardant sa forme personnelle, son individualisation, puis de redescendre pour établir ici-bas une création nouvelle. Certainement, ce n’est pas le dernier échelon, car il existe des régions de l’être encore plus éloignées; mais nous travaillons maintenant à faire descendre le Supramental, à effectuer une réorganisation du monde, à ramener le monde à son ordre divin véritable. C’est essentiellement une création d’ordre, une mise de chaque chose à sa vraie place, et l’Esprit ou la Force principale, la Shakti qui est actuellement active, c’est Mahâsaraswatî, la Déesse de la parfaite organisation.

Le travail qui consiste à réaliser une continuité permettant de monter et de descendre et d’amener dans la matière ce qui est en haut, se fait à l’intérieur de la conscience. Celui qui est destiné à faire cela, l’Avatâr, même s’il était enfermé dans une prison sans voir personne et sans sortir, pourrait tout de même l’accomplir, parce que c’est un travail qui se fait dans la conscience, un travail de liaison entre le Supramental et l’être matériel. Il n’a pas besoin d’être reconnu, ni d’avoir un pouvoir extérieur pour pouvoir établir cette liaison consciente. Et cependant, une fois que la liaison est établie, elle doit produire son effet dans le monde extérieur sous forme d’une création nouvelle, depuis la ville modèle jusqu’au monde parfait.

La descente supramentale

Savez-vous ce que cela signifie lorsque je vous donne la fleur que nous avons appelée « Succès dans l’Avenir »? Cela veut dire l’espoir — plus même : la promesse — que vous participerez à la descente du monde supramental. Car cette descente sera l’heureux couronnement de notre travail, ce sera une descente dont la gloire complète n’a encore jamais été, sinon la face entière de la terre eût été différente. Le Supramental est en train d’exercer graduellement son influence; c’est tantôt une partie de l’être, tantôt une autre partie qui se sent embrassée ou touchée par sa divinité, mais lorsqu’il descendra avec tout son pouvoir existant en soi, un changement suprême et radical saisira la nature tout entière. Nous nous approchons de plus en plus de l’heure de son complet triomphe. Une fois que les conditions seront prêtes dans le monde, la descente complète aura lieu; elle apportera tout avec elle. On ne pourra pas manquer de reconnaître sa présence; sa force ne souffrira aucune résistance; les doutes et les difficultés ne vous tortureront plus. Car le Divin sera manifesté, dévoilé dans sa totale perfection. Je ne veux pas dire, cependant, que le monde entier sentira immédiatement sa présence ni qu’il sera immédiatement transformé; mais je veux dire qu’une partie de l’humanité connaîtra sa descente et y participera — notre petit monde ici, par exemple. D’ici, la Grâce transfiguratrice rayonnera d’une façon tout à fait effective. Et heureusement pour les aspirants, ce bel avenir se matérialisera pour eux en dépit de tous les obstacles dressés sur le chemin par la nature humaine non régénérée!

Quelques Commentaires de Sri Aurobindo sur les Entretiens 1929

Ces commentaires sont tirés du volume 25, consacré à la Mère, dans l’Édition du Centenaire des œuvres complètes de Sri Aurobindo (Sri Aurobindo Birth Centenary Library). Ils ont été traduits par un disciple.


La Mère interroge : « Pourquoi désirez-vous le yoga ? Pour acquérir du pouvoir1 ? »

Est-ce que « pouvoir » désigne ici le pouvoir de communiquer ses expériences aux autres? Quel est le sens exact?

Pouvoir est un terme général — il n’est pas limité à un pouvoir de communiquer. La forme la plus courante du pouvoir est la maîtrise des choses, des personnes, des événements, des forces.

La Mère dit : « Seule, la concentration vous mènera vers ce but [qui est d’intensifier l’aspiration au Divin] : concentration sur le Divin pour obtenir une absolue et intégrale consécration à sa volonté et à ses fins2. »

Sa volonté est-elle différente de ses fins?

Les deux mots n’ont pas le même sens. Les fins, cela désigne l’intention, l’objet qu’a en vue le Divin dans son travail. Volonté est un terme plus large.

« Concentrez-vous dans le cœur3 ».

Qu’est-ce que la concentration? Qu’est-ce que la méditation?

Concentration signifie rassembler la conscience en un centre unique et la fixer sur un objet ou une idée ou un état uniques. Méditation est un terme général qui peut comprendre bien des genres d’activité intérieure.

1er janvier 1937


« Une flamme brûle dans la calme profondeur de votre cœur : c’est le Divin en vous — votre être véritable. Écoutez sa voix. Obéissez à ses inspirations4. »

Je n’ai jamais vu cette flamme en moi. Et pourtant, il me semble connaître le Divin en moi. Il me semble entendre sa voix, et je m’efforce le plus possible d’obéir à ses inspirations. Dois-je douter de ce que je sens?

Non, ce que vous sentez est probablement l’indication de l’être psychique par l’intermédiaire du mental. Pour être directement conscient de la flamme psychique, on doit avoir la vision subtile et le sens subtil actifs, ou bien l’action directe du psychique qui agit en pouvoir manifeste dans la conscience.

« Nous avons tous été ensemble en des vies antérieures5 ».

Qui sommes-« nous » précisément? Vous souvenezvous tous deux de moi? Vous ai-je souvent servi pour ce travail, dans le passé?

C’est un principe général qui est énoncé là et qui vaut pour tous ceux qui sont appelés à ce travail. À l’époque, la Mère voyait le passé (ou une partie du passé) de ceux à qui elle parlait, et c’est pourquoi elle a dit cela. Nous sommes maintenant trop pris par le travail décisif dans la conscience physique pour approfondir ces choses-là. Nous avons en outre constaté que cela encourageait chez les sâdhaks une sorte de romantisme vital qui leur faisait attacher plus d’importance à ces choses qu’au dur travail de la sâdhanâ ; aussi avons-nous cessé de parler des vies et personnalités passées.

2 janvier 1937


« Deux chemins mènent au yoga : la discipline [tapasyâ] et la soumission6. »

Vous avez autrefois interprété une vision que j’ai eue en expliquant qu’Agni, le feu de la purification et de la tapasyâ, engendrait le Soleil de Vérité. Quel chemin dois-je suivre? Quelle place la tapasyâ occupe-t-elle dans le chemin de la soumission?

Il y a une tapasyâ qui se fait automatiquement et résulte de la soumission, et il y a une discipline à laquelle on se plie sans aide et par son propre effort — c’est de cette dernière qu’il est question dans les « deux chemins du yoga ». Mais Agni, en tant que feu de la tapasyâ, peut brûler dans les deux cas.

« La force des impulsions, et surtout des impulsions sexuelles, réside dans le fait que les gens y attachent beaucoup trop d’importance7. »

Quelles sont les autres impulsions?

Il s’agit des fortes impulsions vitales.

« Le monde entier est plein de ce poison ; vous l’absorbez chaque fois que vous respirez8. »

Combien de temps un sâdhak est-il sujet à cette peur de la contagion? Il me semble que j’y échapperai maintenant. Puis-je me fier à mon impression?

Je ne crois pas. Il faut aller très loin sur le sentier du yoga pour être aussi sûr.

4 janvier 1937


« Mais à ceux qui possèdent l’assise nécessaire, nous disons au contraire : aspirez et tirez9. »

Cette capacité d’aspirer et de tirer indique-t-elle une grande avance?

Non, c’est comparativement un stade élémentaire.

5 janvier 1937


« L’expérience spirituelle veut dire le contact avec le Divin en soi-même (ou en dehors de soi, ce qui revient au même dans ce domaine)10. »

Qu’entend-on par le Divin « en dehors de soi » ? Est-ce que cela veut dire le Divin cosmique ou le Divin transcendantal, ou bien les deux ?

Cela veut dire le Divin que l’on voit au-dehors, dans les choses, les êtres, les événements, etc., etc.

La nature de Jeanne d’Arc a-t-elle été tant soit peu transformée, du fait de sa relation avec les deux archanges, les deux êtres du Surmental11 ?

Je ne vois pas ce que la question de la transformation vient faire. Jeanne d’Arc ne pratiquait pas le yoga, elle ne visait pas non plus la transformation.

Comment distinguer entre un rêve d’une origine plus profonde et une vision?

Il n’y a pas de critère, mais si l’on est dans l’état intérieur — pas le sommeil — où ont lieu la plupart des visions, on peut aisément faire la distinction grâce à la nature de l’impression laissée. Il est plus difficile de distinguer d’une expérience de rêve vivante une vision que l’on a dans un rêve, mais on doit sentir la différence.

On se souvient parfois des rêves ; parfois on ne s’en souvient pas. Pourquoi?

Cela dépend de la liaison entre les deux états de conscience au moment du réveil. Il y a d’habitude un renversement de la conscience lors duquel l’état de rêve disparaît plus ou moins abruptement, effaçant la fugitive impression causée par les événements du rêve (ou plutôt par leur transcription) sur l’enveloppe physique. Si le réveil est plus calme (moins abrupt), ou si l’impression est très forte, alors au moins le souvenir du dernier rêve demeure. Dans le dernier cas, on peut se rappeler longtemps le rêve, mais d’habitude, une fois que l’on s’est levé, les souvenirs oniriques s’évanouissent. Ceux qui veulent se rappeler leurs rêves ont parfois pour pratique de rester tranquilles et de remonter le cours de leurs rêves pour les récupérer l’un après l’autre. Quand l’état de rêve est très léger, on peut se souvenir de davantage de rêves que quand il est lourd.

9 janvier 1937


« Dorénavant, vous n’avez plus rien que vous puissiez appeler vôtre; vous sentez que toutes choses viennent du Divin, et qu’il vous faut les retourner à leur source. Quand vous êtes à même de comprendre et d’éprouver cela, alors, même la plus petite chose, à laquelle vous n’attachiez auparavant que peu ou pas d’importance et de soin, cesse d’être triviale ou insignifiante; elle devient Commentaires de Sri Aurobindo pleine de sens et ouvre devant vous un vaste horizon d’observation et d’étude12. »

Est-ce là un stade aussi élémentaire que celui d’« aspirer et tirer » ?

Pas si élémentaire.

« Mais si nous voulons que le Divin règne ici, nous devons lui donner tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons13. »

Si quelqu’un suit cela complètement, a-t-il encore quelque chose à faire?

Non. Mais ce n’est pas si facile à faire complètement.

Comment pouvons-nous reconnaître celui qui donne tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, tout ce qu’il fait au Divin?

Vous ne pouvez pas, à moins d’avoir la vision intérieure.

14 janvier 1937


« Car il n’existe rien dans ce monde qui n’ait, dans le Divin, son soutien et sa vérité ultimes14. »

Savoir cela par expérience, parfaitement, c’est avoir une grande réalisation, peut-être la réalisation finale; ai-je raison?

« De toute évidence, ce qui est arrivé devait arriver; cela n’aurait pu être si cela n’avait pas dû être15. »

Quelle est alors la place du repentir dans la vie d’un homme? A-t-il sa place dans la vie d’un sâdhak ?

La place du repentir est dans son effet sur l’avenir — s’il incite la nature à se détourner de l’état de choses qui a entraîné ce qui s’est produit. Pour le sâdhak, toutefois, ce n’est pas le repentir qui est nécessaire, mais la reconnaissance d’un mouvement faux et la nécessité qu’il ne se reproduise point.

« ... vous êtes pris dans la chaîne du Karma ; et là, dans cette chaîne, tout ce qui arrive est rigoureusement la conséquence de ce qui a été fait auparavant16. »

« Auparavant » signifie-t-il « toutes les vies passées », en comptant de la toute première jusqu’à celle-ci?

Cela désigne l’ensemble. Dans un sens métaphysique, tout ce qui arrive est la conséquence de tout ce qui a eu lieu auparavant et jusqu’au moment de l’action. En pratique, des conséquences particulières ont des antécédents particuliers dans le passé, et ce sont ces derniers dont on dit qu’ils sont déterminants.

(D’où viennent ces citations? Il arrive que l’esprit exact d’une citation dépende pour une grande part du context17.)

19 janvier 1937


« Beaucoup de gens vous conteront des merveilles sur la façon dont le monde fut construit et sur ce qu’il deviendra dans l’avenir; ils vous diront où et comment vous êtes né et ce que vous serez plus tard, les vies que vous avez vécues et celles qu’il vous reste à vivre. Tout cela n’a rien à voir avec la vie spirituelle18. »

Est-ce que ce que disent ces gens est pur charlatanisme? Y a-t-il un moyen autre que spirituel de connaître toutes ces choses?

C’est souvent de la blague, mais même quand c’est juste, cela n’a rien de spirituel. Nombre de médiums, de voyants ou de gens doués d’une faculté spéciale vous racontent ces choses. Cette faculté n’est pas plus spirituelle que la capacité de construire un pont ou de préparer un bon plat ou de résoudre un problème mathématique. Il y a des capacités intellectuelles, il y a des capacités occultes — c’est tout.

20 janvier 1937


« Ils [les vampires] ne sont pas humains; la forme, l’apparence seule est humaine. [...] Leur méthode consiste à essayer d’abord de jeter leur influence sur un homme. Ensuite, ils entrent lentement dans son atmosphère, et, à la fin, ils peuvent prendre complètement possession de lui, chassant entièrement la vraie âme humaine et sa personnalité19. »

X. a épousé une jeune fille dont la Mère a dit que, dans une certaine mesure, elle est comme un vampire. A-t-il tous ces dangers à affronter? Quelles précautions doit-il prendre? Dois-je le prévenir?

Tout d’abord, ce que cela signifie, ce n’est pas que le vampire, ou l’être vital, même en possession d’un corps humain, essaye de posséder encore un autre être humain. Mais c’est la description de la façon dont un être vital désincarné (vampire) prend possession d’un corps humain sans naître de la façon ordinaire — car tel est leur désir, posséder un corps humain mais sans avoir à naître. Une fois devenus humains de cette façon, ils représentent pour les autres ce danger qu’ils se nourrissent de la vitalité de qui est en contact avec eux — c’est tout.

En second lieu, dans le cas présent, la Mère a seulement dit « dans une certaine mesure comme un vampire ». Cela ne signifie pas qu’elle soit de ces êtres, mais qu’elle a dans une certaine mesure l’habitude de se nourrir de la vitalité des autres. Il n’est nullement nécessaire d’en parler à X. Cela ne ferait que le troubler et ne l’aiderait pas le moins du monde.

27 janvier 1937


La Mère dit, dans ses « Entretiens », que le yoga a pour premier effet de supprimer le contrôle mental, en sorte que les idées et les désirs que l’on a refoulés si longtemps deviennent étonnamment évidents et créent des difficultés .20

Ils ne ressortaient pas, car ils obtenaient quelque satisfaction, ou du moins, généralement, prêtait-on d’une façon ou d’une autre une oreille complaisante au vital. Quand on ne s’y abandonne plus, alors ils deviennent turbulents. Mais ce ne sont pas de nouvelles forces créées par le yoga — ils étaient là tout le temps.

Ce que l’on entend par suppression du contrôle mental, c’est que le mental les tenait simplement en échec, mais n’a pas pu les supprimer. Aussi, dans le yoga, le mental doit-il être remplacé par le contrôle de soi psychique ou spirituel qui pourrait faire ce que ne peut faire le vital ; seulement, nombre de sâdhaks n’opèrent pas ce changement à temps et se contentent de retirer le contrôle mental.

12 mai 1933


Dans « Entretiens », la Mère dit : « ... celui qui danse, saute et crie, a l’impression que son excitation le rend très extraordinaire, et sa nature vitale y prend grand plaisir21 ».

Veut-elle dire que l’on doit être banal et non pas extraordinaire en son excitation pendant l’expérience spirituelle?

La Mère n’a pas du tout voulu dire que l’on devait être banal en son excitation — elle a voulu dire que non seulement l’homme est excité, mais qu’en plus il veut être extraordinaire en son excitation. L’excitation elle-même est mauvaise, et le désir de paraître extraordinaire est pire.

7 juin 1933

Que veut dire la Mère par cette phrase des « Entretiens » : « ... quand vous mangez, vous devez sentir que c’est le Divin qui mange en vous22 ».

Cela signifie une offrande de la nourriture non à l’ego ou au désir, mais au Divin qui est derrière toute action.

11 janvier 1935


Dans « Entretiens », la Mère parle du pouvoir des pensées et donne comme exemple que si « vous avez un grand désir qu’une certaine personne vienne vous voir, et, en même temps que l’impulsion vitale du désir, une forte imagination accompagne la forme mentale que vous avez faite [...] et en admettant qu’il y ait dans votre forme-pensée un pouvoir de volonté suffisant et que ce soit une formation bien faite, elle arrivera à ses fins23. »

Dans l’exemple donné, s’il n’y a pas de fort désir dans le vital, mais seulement des pensées ou de vagues imaginations dans le mental, iront-elles inciter cette personne à venir?

C’est possible, surtout si cette personne était elle-même désireuse de venir, cela pourrait lui donner l’impulsion décisive. Mais dans la plupart des cas, le désir ou la volonté derrière la force-pensée serait nécessaire.

26 août 1936


Dans « Entretiens », la Mère dit que la dépression ou le découragement fait des trous dans l’enveloppe nerveuse et facilite les attaques hostiles24. En un sens, cela veut dire qu’on ne doit pas, par bonne volonté, décourager les idées, les impulsions, les mouvements mauvais de qui que ce soit. Mais cela ne serait-il pas contraire aux principes de la vie ordinaire autant que de la sâdhanâ ? Il y a la méthode de garder le silence quand on a affaire à ces gens, mais il arrive que même cela les blesse davantage que d’être catégoriquement découragés.

Est-ce que les suites négatives de la dépression et du découragement signalées par la Mère ont également lieu dans la vie ordinaire?

La connaissance des suites négatives des dépressions doit servir au sâdhak à apprendre à éviter ces choses. Il ne peut s’attendre à ce que les gens flattent ses échecs ou ses fautes, ou bien lui passent ses faiblesses uniquement parce qu’il a l’habitude de se laisser aller à la dépression et, par là même, d’endommager son enveloppe nerveuse. Demeurer à l’écart de la dépression est son affaire, non celle des autres. Par exemple, il est des gens qui ont l’habitude de faire de la dépression si la Mère ne se conforme pas à leurs désirs — il ne s’ensuit pas que la Mère doive se conformer à leurs désirs afin de leur conserver leur entrain. Ils doivent apprendre à se défaire de cette tournure d’esprit. De même pour le désir qu’ont les gens d’être encouragés ou loués pour tout ce qu’ils font. On peut se taire ou ne pas intervenir, mais si même cela les déprime, c’est leur faute à eux, et à personne d’autre.

Bien entendu, il en va de même dans la vie ordinaire — la dépression est toujours nuisible. Mais dans la sâdhanâ, c’est plus sérieux, parce que cela devient un obstacle important au progrès rapide et sans encombre vers le but.

18 juillet 1936


Dans « Entretiens », la Mère dit : « Même ceux qui ont la volonté de s’enfuir, quand ils arrivent de l’autre côté, peuvent trouver que la fuite ne sert pas à grand-chose après tout25. »

Que veut dire « arrivent de l’autre côté » dans cette phrase? Est-ce que cela veut dire « quand ils penetrant dans ce monde » ou « quand ils vont dans le monde de silence qu’ils ont réalisé » ?

Non — « arrivent de l’autre côté » veut simplement dire « quand ils meurent ». Ce que Mère entendait, c’est qu’en réalité, lorsqu’ils arrivent à leur Nirvâna, ils découvrent que ce n’est pas l’ultime solution ou la plus grande réalisation du Suprême et qu’en fin de compte il leur faut revenir et contribuer à l’action mondiale pour atteindre cette plus grande réalisation.

2 mai 1935


La Mère a dit dans « Entretiens » : « En fait, la mort a été attachée à toute vie sur la terre26. »

Les mots « En fait » et « attachée » tendent à donner l’impression qu’après tout la mort est inévitable. Mais la phrase précédente — « Si cette croyance pouvait être rejetée, d’abord de la mentalité consciente, [...] la mort ne serait plus inévitable27 » — introduit une ambiguïté, car elle ne fait pas de la mort quelque chose de si inévitable; elle laisse entendre une condition — un « si » — grâce à quoi on pourrait l’éviter. Mais l’aspect catégorique de la phrase commençant par « En fait » atténue plutôt l’espoir en une immortalité matérielle. En outre, le « si » de l’autre phrase est par trop formidable pour être satisfait.

Il n’y a pas à mes yeux d’ambiguïté. « En fait » et « attachée » ne donnent aucun sens d’inévitabilité. « En fait » veut simplement dire qu’en fait, en réalité, les choses étant ce qu’elles sont, à présent toute vie (sur la terre) a la mort pour terme désigné; mais cela ne transmet nullement l’idée qu’il ne pourra jamais en être autrement, ou que telle est la loi inchangeable de toute existence. Il en est à présent ainsi pour certaines raisons connues — du fait de certaines circonstances mentales et physiques; si ces dernières se trouvent modifiées, la mort n’est plus inévitable. De toute évidence, le changement ne peut venir que « si » certaines conditions sont remplies — tout progrès et tout changement par évolution dépendent d’un « si » auquel il faut satisfaire. Si le mental animal n’avait pas été poussé à développer le langage et la raison, le mental humain n’aurait jamais existé — mais le « si », un « si » stupéfiant et formidable, a reçu satisfaction. De même pour les « si » qui conditionnent un progrès nouveau.

31 juillet 1936









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