CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1953 Vol. 5 of CWM (Fre) 472 pages 2008 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.

Entretiens - 1953

The Mother symbol
The Mother

Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.

Collection des œuvres de La Mère Entretiens - 1953 Vol. 5 472 pages 2008 Edition
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Note de l'Éditeur

Entre 1951 et 1953, il n'y a pas eu d'entretiens, mais ce que l'on appelait des "classes de traduction" au cours desquelles la Mère traduisait des œuvres de Sri Aurobindo comme l'Idéal de l'Unité Humaine, le Cycle Humain (plus tard, les derniers chapitres de la Vie Divine et une partie de la Synthèse des Yoga). Pourtant, dès 1951 et pendant près de deux ans, la Mère a eu de nombreuses conversations avec les enfants, mais elles n'ont jamais été enregistrées. Le soir, assise sur un banc au milieu du Terrain de Jeu de l'Ashram, la Mère assistait à l'entraînement des moniteurs d'éducation physique et, pendant qu'Elle regardait les exercices, quelques enfants venaient s'asseoir près d'Elle. Ils se sont mis à poser des questions. C'était une nouvelle génération, beaucoup plus jeune que celle des Entretiens précédents. Souvent, leurs questions se bornaient à des explications de texte ou de langue qui échappaient à de jeunes Indiens. Puis leur nombre a grandi et la Mère les a réunis chaque mercredi dans une classe. Finalement, les professeurs et les disciples se sont joints aux enfants, et, comme la classe devenait trop petite, les réunions ont commencé à ..avoir lieu au milieu du Terrain de Jeu. Ainsi ont débuté en mars 1953 ce qu'on a appelé les "classes du mercredi", qui se sont poursuivies jusqu'en novembre 1958.

Notons que les tout premiers entretiens de 1953 n'ont été que partiellement enregistrés. Nous les reproduisons ici tels qu'ils nous sont parvenus.







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La Mère







mars




Le 18 mars 1953

« Nous sommes conscients seulement d’une partie insi gnifiante de notre être... »

(La Mère, Entretien du 7 avril 1929)

Quelles sont les parties insignifiantes de notre être?

Presque toutes.

Il y a très peu de choses qui ne soient pas insignifiantes : toutes vos réactions ordinaires, toutes vos pensées ordinaires, vos sensations, vos actions, vos mouvements, tout cela est très insignifiant. Ce n’est que de temps en temps, quand il y a un éclair de conscience plus haute avec le psychique, une ouverture sur quelque chose d’autre, un contact avec l’être psychique (qui peut durer une seconde), à ce moment-là, ce n’est pas insignifiant. Autrement, tout le reste se répète à des millions et des millions d’exemplaires. Votre façon de voir, d’agir, toutes vos réactions, toutes vos pensées, tous vos sentiments, tout cela est ordinaire. Et vous croyez être extraordinaire, surtout quand vous êtes pris par des sensations, des sentiments extraordinaires, que vous considérez comme extraordinaires, vous croyez que vous êtes plus élevé, c’est l’approche du surhumain — vous vous êtes tout à fait trompé. Ce n’est qu’un état ordinaire, si ordinaire que c’en est lamentable. Il faut rentrer plus profond, essayer de voir en soi-même pour trouver quelque chose qui ne soit pas insignifiant.

Tu as dit que dans une vie antérieure nous étions en semble, mais si nous n’avions pas fait le yoga, est ce que nous n’aurions pas pu nous rencontrer tout de même?

Pas nécessairement.

Je me souviens des circonstances dans lesquelles j’ai dit cela ; c’était à une dame qui était venue ici et qui m’avait demandé comment il se faisait qu’elle était venue ici... C’est vrai d’une façon générale; quand des gens qui sont nés dispersés dans le monde, à de très grandes distances, sont poussés par les circonstances ou par une impulsion à venir se rassembler ici, c’est presque toujours parce qu’ils se sont rencontrés dans une vie ou une autre (pas tous la même) et que leur être psychique s’est senti appartenir à une même famille, alors ils ont fait le vœu intérieur de continuer à agir ensemble et à collaborer. C’est cela qui fait que même s’ils sont nés très loin, il y a quelque chose qui les force à venir se rassembler; c’est l’être psychique, la conscience psychique qui est derrière. Et c’est seulement dans la mesure où la conscience psychique est assez forte pour ordonner, organiser les circonstances ou la vie, c’est-à-dire pour ne pas se laisser contredire par les forces extérieures, les mouvements extérieurs de la vie, que l’on peut se rencontrer.

C’est vrai profondément dans la réalité; il y a de grandes « familles d’êtres » qui travaillent à la même œuvre et qui se sont rencontrés plus ou moins nombreux et qui viennent par espèce de groupes. C’est comme si, à certains moments, il y avait des éveils dans le monde psychique; comme si l’on éveillait un tas de petits enfants qui dormaient : « Il est temps, vite, vite, descendez! » et ils se précipitent. Et

quelquefois, ils ne tombent pas au même endroit, ils sont dispersés; alors intérieurement il y a quelque chose qui les gêne, qui les pousse; par une raison ou une autre ils sont tirés, et cela les rassemble. Mais c’est une chose profonde dans l’être, quelque chose qui n’est pas du tout à la surface; autrement, même si l’on se rencontrait, on ne s’apercevrait peut-être même pas du lien. On se rencontre et on se reconnaît seulement dans la mesure où l’on devient conscient de son être psychique, que l’on obéit à son être psychique, que l’on est poussé par lui; sinon, il y a tout ce qui vient le contredire, tout ce qui voile, tout ce qui abrutit, autant d’obstacles pour vous empêcher de vous retrouver profondément et de pouvoir vraiment collaborer à l’Œuvre. On est ballotté par les forces de la Nature.

Il n’y a qu’une solution, c’est de trouver son être psychique, et une fois trouvé, de s’accrocher à lui désespérément, de le laisser vous conduire pas à pas, quel que soit l’obstacle. C’est la seule solution.

Tout cela, je ne l’ai pas écrit, mais je l’ai expliqué à cette dame; elle m’avait posé la question : « Comment suis-je arrivée ici? » Je lui ai dit que ce n’était certainement pas pour les raisons de la conscience extérieure, c’était quelque chose dans son être intérieur qui l’avait poussée. Seulement, l’éveil n’a pas été assez fort pour surmonter tout le reste et elle est retournée à la vie ordinaire avec des raisons très ordinaires de vivre.

Extérieurement, c’était une drôle de chose qui l’avait fait venir ici : c’était une jeune femme comme les autres, elle avait été fiancée et elle ne s’était pas mariée; son fiancé avait rompu. Elle était très triste, elle avait beaucoup pleuré et cela lui avait abîmé sa jolie figure, creusé des rides. Et quand le gros chagrin était parti, elle n’était plus si jolie. Alors elle était très ennuyée; elle a consulté des gens qui font métier de vous rendre jolie. Ils lui ont conseillé des injections de paraffine dans la figure : « Après cela, on n’a plus de rides! » On lui a injecté de la graisse; et au lieu de l’effet voulu, elle a eu des boules de graisse ici et là. Elle était désespérée, car elle était encore plus laide. Puis elle a rencontré un charlatan qui lui a dit qu’en Angleterre il n’y avait pas moyen de lui rendre sa jolie figure : « Allez en Inde, il y a de grands yogis qui vous feront passer cela ! » C’est pourquoi elle était venue ici. C’est la première chose qu’elle m’avait dite : « Vous voyez comme j’ai une figure abîmée, est-ce que vous pouvez me rendre ma jolie figure? » J’ai dit non! Puis elle a fini par me poser des questions sur le yoga et elle a été touchée. Ce jour-là, elle m’a dit : « J’étais venue dans l’Inde pour faire passer Le 18 mars 1953 3 mes rides; maintenant ce que vous me dites m’intéresse. Mais alors pourquoi suis-je venue? Ce n’est pas le vrai motif qui m’a fait venir ici. » Je lui ai expliqué qu’il y avait autre chose que son être extérieur et que c’est son être psychique qui l’avait conduite ici. Les motifs extérieurs sont simplement des prétextes dont se sert le psychique pour se réaliser.

Mais c’était une personne bien admirable! D’abord, elle avait pris une attitude de bienveillance et de bonne volonté envers toutes choses et tout le monde, même le pire chenapan; elle ne voyait que le bon côté. Puis en restant ici, sa conscience s’est développée; au bout d’un certain temps, elle a commencé à voir les gens comme ils étaient. Alors un jour, elle m’a dit : « Avant, quand j’étais inconsciente, je pensais que tout le monde était gentil, les gens me paraissaient si gentils! Pourquoi m’avez-vous rendue consciente? » Je lui ai répondu : « Ne vous arrêtez pas en route. Allez un peu plus loin. »

Quand on a commencé le yoga, il vaut mieux aller jusqu’au bout.

Le 25 mars 1953

Tu as dit : « Vous devez être vigilant et ne pas vous ser vir du Divin comme d’un beau manteau pour couvrir la satisfaction de vos désirs. »

(Entretien du 14 avril 1929)

Beaucoup de gens adoptent certaines théories, dont quelquesunes sont très commodes, et ils disent : « Tout est l’effet de la Volonté divine. » Il y en a d’autres qui disent : « Le Divin est partout et en tout, et fait tout »; d’autres disent : « Ma volonté est unie à la Volonté divine, c’est Lui qui m’inspire. » Enfin, il y a beaucoup de théories et ils disent cela. Naturellement, leur ego est aussi vivant. Ils font tout ce qu’ils désirent faire en disant : « C’est le Divin qui le fait en moi. » Tout ce que peut fournir leur tête est la « Volonté divine ». Ce n’est pas une inspiration personnelle : « Tout est l’effet de la Volonté divine. Ce n’est pas moi qui agis, c’est le Divin qui agit à travers moi. » Ils font tout ce qu’ils ont envie de faire. Des gens comme cela, il y en a beaucoup. Alors j’ai dit : « Ne vous servez pas du Divin comme d’un beau manteau pour cacher vos désirs. »

« Le tout est d’être sincère. Si vous n’êtes pas sincère, n’entreprenez pas le yoga. »

( Entretien du 14 avril 1929.)

La sincérité est peut-être de toutes choses la plus difficile, et peut-être est-ce aussi la plus efficace.

Si vous avez une sincérité parfaite, vous êtes sûr de la victoire. C’est infiniment difficile. La sincérité consiste à faire que tous les éléments de l’être, tous les mouvements (que ce soient les mouvements extérieurs ou les mouvements intérieurs), toutes les parties de l’être aient, toutes, une volonté égale d’appartenir au Divin, de ne vivre que pour le Divin, de ne vouloir que ce que le Divin veut, de n’exprimer que la Volonté divine, de n’avoir d’autre source d’énergie que celle du Divin.

Et vous vous apercevez qu’il n’y a pas de jour, pas d’heure, pas de minute où il ne faut intensifier, rectifier votre sincérité — un refus absolu de tromperie du Divin. La première chose est de ne pas se tromper soi-même. On sait que l’on ne peut pas tromper le Divin; même le plus habile des asuras ne peut pas tromper le Divin. Mais même quand on a compris cela, on voit que bien souvent dans sa vie, dans sa journée, on essaye de se tromper soi-même sans même le savoir, d’une façon spontanée et presque automatique. On donne toujours des explications favorables à tout ce que l’on fait, à ses paroles, à ses actes. C’est ce qui vient d’abord. Je ne parle pas de grosses bêtises comme de se quereller et de dire : « C’est la faute de l’autre », je parle des toutes petites choses de la vie quotidienne.

Je connais un enfant qui s’était cogné contre la porte et qui a donné un bon coup de pied dans la porte! C’est la même chose. C’est toujours l’autre qui a tort, qui a commis la faute. Même quand on a dépassé le stade de l’enfant, quand on a un peu de raison, on donne encore la plus sotte de toutes les excuses : « S’il n’avait pas fait cela, je n’aurais pas fait ceci. » Mais c’est justement le contraire qui doit se produire!

C’est cela que j’appelle être sincère. Quand vous êtes avec quelqu’un, si vous êtes sincère, instantanément votre façon de réagir doit être de faire la chose vraie, même quand vous êtes en présence d’une personne qui ne la fait pas. Prenez l’exemple le plus commun de celui qui se met en colère. Au lieu de dire des choses qui font souffrir, on ne dit rien, on reste tranquille, calme, on ne subit pas la contagion de la colère. Vous n’avez qu’à regarder vous-même pour voir si c’est facile. C’est une chose tout à fait élémentaire, un tout petit commencement pour savoir si vous êtes sincère. Et je ne parle pas de ceux qui subissent toutes les contagions, même celles des plaisanteries grossières, ni de ceux qui font la même bêtise que les autres.

Je vous dis : si vous vous regardez avec des yeux aigus, vous attraperez en vous des insincérités par centaines, même si dans votre attitude générale vous essayez d’être sincère. Vous verrez comme c’est difficile.

Je vous dis : si vous êtes sincère dans tous les éléments de votre être, jusque dans les cellules de votre corps, et que tout votre être intégralement veuille le Divin, vous êtes sûr de la victoire, mais pas à moins de cela. C’est cela que j’appelle être sincère.

Je ne parle pas de choses grossières comme d’obéir à ses impulsions, à ses caprices et de dire : « Je ne m’appartiens plus, j’appartiens au Divin; c’est le Divin qui fait tout en moi, qui agit en moi », cela, c’est assez grossier. Je parle de gens plus raffinés, un peu plus nobles, qui mettent un joli manteau pour couvrir leurs désirs.

Combien de choses dans votre journée, combien de pensées, combien de sensations, combien de gestes sont-ils exclusivement tournés vers le Divin dans une aspiration? Combien? Je crois que si vous en avez un seul dans votre journée, vous pouvez mettre une croix blanche.

Quand je dis « si vous êtes sincère, vous êtes sûr de la victoire », je veux parler de la vraie sincérité : être constamment la vraie flamme qui brûle comme une offrande. Cette joie intense de n’exister que par le Divin et pour le Divin, et que sans Lui rien n’existe, que la vie n’a plus de sens, que rien n’a de raison d’être, rien n’a de valeur, rien n’a d’intérêt, si ce n’est cet appel, cette aspiration, cette ouverture à la Vérité suprême, à tout ce que nous appelons le Divin (parce qu’il faut se servir d’un mot), la seule raison d’être de l’univers. Enlevez cela et tout disparaît.

avril




Le 1er avril 1953

« L’ambition a été la perte de bien des yogis. Ce ver rongeur peut se dissimuler longtemps. Beaucoup de gens partent sur le sentier sans même se rendre compte de sa présence. Mais dès qu’ils obtiennent quelques pouvoirs, l’ambition se lève en eux, d’autant plus violemment qu’elle ne s’était pas fait jour dès le commencement. »

(Entretien du 14 avril 1929)

Qu’est ce que tu appelles un « ver rongeur » ?

C’est une image, comme d’une belle mangue, si belle du dehors, et quand on l’ouvre, il y a un parasite dedans. C’est parce que la mouche a déposé un œuf avant que le fruit ne se forme. Dehors, il n’y a aucune trace. Tout a l’air candide, désintéressé. Mais dedans, tout au fond, il y a une grande ambition, le désir d’avoir une position exceptionnelle, d’être respecté de tout le monde... c’est-à-dire l’ego. C’est le ver rongeur, il se tient bien tranquille, mais il est là. Quand le pouvoir vient, au lieu de se rendre compte que l’on n’est rien, que l’on n’a aucun mérite et que tout ce que l’on a à faire est de rester aussi passif que possible, on se trompe soi-même, on sent le besoin que les autres s’en aperçoivent aussi! C’est cela que j’appelle le ver rongeur. Cela mange tout ce qui est dedans et ça laisse l’apparence intacte.

Tu dis qu’il faut établir une « homogénéité dans l’être » ?

Tu ne sais pas ce que c’est qu’une chose homogène, faite de parties toutes semblables? Cela veut dire que tout l’être doit être sous la même influence, même conscience, même tendance, même volonté. Nous sommes formés de toutes sortes de morceaux différents. Ils sont actifs l’un après l’autre. Suivant le morceau qui est actif, on est une toute autre personne, on devient presque une autre personnalité. Par exemple, on avait d’abord une aspiration, on avait l’impression que tout n’existait que pour le Divin, puis quelque chose arrive, quelqu’un vient, on a quelque chose à faire, et tout s’en va. On essaye de se rappeler son expérience, il ne reste même pas le souvenir de l’expérience. On est complètement sous une autre influence, on se demande comment cela a pu arriver. Il y a des exemples de double, triple, quadruple personnalités, absolument inconscientes d’elles-mêmes... Mais ce n’est pas de cela que je parle; je parle de quelque chose qui vous est arrivé à tous : on a eu une expérience, et pendant quelque temps on a senti, compris, que cette expérience était la seule chose importante, qui ait une valeur absolue — une demi-heure après, vous essayez de vous en rappeler, c’est comme une fumée qui s’échappe. L’expérience a disparu. Et pourtant, une demi-heure avant elle était là et si forte... C’est que l’on est fait de toutes sortes de choses différentes. Le corps est comme un sac avec des cailloux et des perles tout mélangés, et c’est seulement le sac qui réunit tout cela. Ce n’est pas une conscience homogène, uniforme, mais hétérogène.

Vous pouvez être une personne différente à différents moments de votre vie. Je connais des gens qui prenaient des décisions, qui avaient une volonté, qui savaient ce qu’ils voulaient et s’apprêtaient à le faire. Puis il y avait un petit renversement dans l’être; une autre partie venait à la place et abîmait tout le travail en dix minutes. Ce que l’on avait fait en deux mois, tout est défait. Quand le premier revient, il est consterné, il dit : « Comment!... » Alors il faut recommencer tout le travail, lentement. Donc il est évident qu’il est très important de prendre conscience de l’être psychique, il faut avoir comme un poteau indicateur, ou un miroir où toutes les choses viennent se mirer et se montrer telles qu’elles sont vraiment. Et alors, suivant ce qu’elles sont, on les met à telle place ou à telle autre; on commence à expliquer, on organise. Cela prend du temps. La même partie revient trois ou quatre fois et chaque partie qui arrive dit : « Mets-moi à la première place; ce que les autres font n’a pas d’importance, cela n’a aucune importance, c’est moi qui déciderai, parce que je suis la plus importante. » Je suis sûre que si vous vous regardez, vous verrez qu’il n’y en a pas un parmi vous qui n’ait eu cette expérience. Vous voulez être conscient, avoir de la bonne volonté, vous avez compris, votre aspiration brille — tout est brillant, illuminé — mais tout d’un coup quelque chose arrive, une conversation inutile, une lecture malencontreuse, et cela tourne tout. Alors on se dit que c’était une illusion dans laquelle on vivait, que toutes les choses étaient vues sous un certain angle.

C’est la vie. On se casse le nez à la première occasion. On se dit : « Oh! on ne peut pas être toujours si sérieux », et quand l’autre revient, une autre fois, on se repent amèrement : « J’étais fou, j’ai perdu mon temps, maintenant il faut que je recommence... » Quelquefois, il y a une partie qui est de mauvaise humeur, révoltée, pleine de soucis, et une autre partie qui est progressive, pleine de soumission. Tout cela, l’une après l’autre.

Il n’y a qu’un remède : il faut que ce soit toujours là, le poteau indicateur, un miroir bien planté dans ses sentiments, dans ses impulsions, dans toutes ses sensations. On les voit dans ce miroir. Il y en a qui ne sont pas très belles ni agréables à regarder; il y en a d’autres qui sont belles, agréables et qui doivent être gardées. On fait cela cent fois par jour s’il le faut. Et c’est très amusant. On fait comme un grand cercle autour du miroir psychique, et on arrange tous les éléments autour. S’il y a quelque chose qui ne va pas, cela fait comme une ombre grise sur le miroir : c’est un élément à déplacer, à organiser. Il faut lui parler, lui faire comprendre, il faut sortir de cette obscurité. Si vous faites cela, vous ne vous ennuyez jamais. Quand les gens ne sont pas gentils, quand on a un rhume de cerveau, quand on ne sait pas ses leçons, et ainsi de suite, on commence à regarder dans ce miroir. C’est très intéressant, on voit le ver rongeur. « Je croyais que j’étais sincère! » — pas du tout.

Pas une chose n’arrive dans la vie qui ne soit intéressante. Ce miroir est très, très bien fait. Faites cela pendant deux ans, trois ans, quatre ans — il faut le faire quelquefois pendant vingt ans. Puis au bout de quelques années, regardez comme cela, tournez votre regard sur ce que vous étiez trois ans auparavant : « Comme je suis changé!... J’étais comme cela ?... » C’est très amusant. « Je pouvais parler comme cela ? Je pouvais dire comme cela, penser comme cela ?... Mais j’étais très bête! Comme j’ai changé! »

C’est très amusant, non?

Le 8 avril 1953

« L’une des formes les plus communes de l’ambition est l’idée du service de l’humanité. Tout attachement à cette idée ou à cette œuvre est un signe d’ambition personnelle. »

(Entretien du 14 avril 1929)

Pourquoi dis-tu que c’est de l’ambition?

Pourquoi voulez-vous servir l’humanité, quelle est votre idée? C’est de l’ambition, c’est pour devenir un grand homme parmi les hommes.

C’est difficile à comprendre?... Je vois bien!

Le Divin est partout. Donc si l’on sert l’humanité, on sert le Divin?

C’est merveilleux ! La chose la plus claire dans cette affaire, c’est de dire : « Le Divin est en moi-même. Si je me sers moi-même, je sers aussi le Divin! » (rires) En effet, le Divin est partout. Le Divin fera sa propre affaire très bien sans vous.

Je vois bien que vous ne comprenez pas. Mais vraiment, si vous compreniez que le Divin est là, en toute chose, de quoi vous mêlez-vous de servir l’humanité? Pour servir l’humanité il faut que vous sachiez mieux que le Divin ce qu’il faut faire pour elle. Savez-vous mieux que le Divin comment servir?

Le Divin est partout. Oui. Les choses n’ont pas l’air d’être divines... Pour moi, je ne vois qu’une solution : si vous voulez aider l’humanité, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de vous prendre aussi totalement que possible et de vous offrir au Divin. Voilà la solution. Parce que comme cela, au moins, la réalité matérielle que vous représentez pourra ressembler un peu plus au Divin.

On dit que le Divin est en toute chose. Pourquoi les choses ne changent-elles pas? Parce que le Divin n’obtient pas de réponse, toute chose ne répond pas au Divin. Il faut chercher au fond de la conscience pour Le voir. Qu’est-ce que vous voulez faire pour servir l’humanité? Donner à manger aux pauvres? Vous pouvez en nourrir des millions, ce ne sera pas une solution, le problème restera le même. Donner des conditions nouvelles et meilleures à l’humanité? Le Divin est en elle, comment se faitil que cela ne change pas? Le Divin doit savoir mieux que vous les conditions de l’humanité. Qu’est-ce que vous êtes? Vous ne représentez qu’une petite quantité de conscience et une petite quantité de matière, c’est cela que vous appelez « moi ». Si vous voulez aider l’humanité, le monde ou l’univers, la seule chose à faire est que cette petite quantité-là soit entièrement donnée au Divin. Pourquoi le monde n’est-il pas divin?... Il est clair que le monde n’est pas en ordre. Alors la seule solution au problème est de donner ce qui vous appartient. Donnez-le totalement, entièrement au Divin — pas seulement pour vousmême mais pour l’humanité, pour l’univers. Il n’y a pas de meilleure solution. Comment voulez-vous aider l’humanité? Vous ne savez même pas ce qu’il lui faut! Peut-être savezvous encore beaucoup moins quelle puissance vous servez. Comment pouvez-vous changer quelque chose sans justement avoir changé vous-même?

En tout cas, vous n’êtes pas assez puissant pour le faire. Comment voulez-vous aider un autre si vous n’avez pas une conscience plus haute que lui? C’est une idée tellement enfantine! Ce sont les enfants qui disent : J’ouvre un dortoir, je vais construire une crèche, offrir de la soupe aux pauvres, prêcher une connaissance, répandre une religion... C’est seulement parce que vous considérez que vous êtes meilleur que les autres, que vous savez mieux qu’eux ce qu’ils doivent être ou faire. Voilà ce que c’est, servir l’humanité. Vous voulez continuer tout cela ? Cela n’a pas changé grand-chose. Ce n’est pas pour aider l’humanité qu’on ouvre un hôpital ou une école.

Tout de même, cela a aidé? Si l’on supprimait toutes les écoles...

Je ne crois pas que l’humanité soit plus heureuse qu’elle n’ait été avant, ni qu’il y ait une grande amélioration. Cela vous donne surtout le sentiment de « je suis quelque chose ». C’est cela que j’appelle ambition.

Si l’on dit à ces mêmes personnes qui sont prêtes à donner de l’argent pour des écoles, qu’il y a une Œuvre divine à accomplir, que le Divin a décidé de faire comme cela, même si elles sont convaincues que c’est bien l’Œuvre du Divin, elles se refusent à donner, parce que ce n’est pas une forme reconnue de bienfaisance — on n’a pas la satisfaction d’avoir fait quelque chose de bien! C’est cela que j’appelle ambition. J’ai eu l’exemple de gens capables de donner des lakhs de roupies pour ouvrir un hôpital, parce que cela leur donne la satisfaction de faire quelque chose de grand, de noble, de généreux. On se glorifie soi-même, c’est cela que j’appelle ambition.

J’ai connu un humoriste qui disait : « Ce n’est pas de si tôt que le règne du Divin viendra, parce que les pauvres philanthropes, qu’est-ce qu’il leur resterait? Si l’humanité ne souffrait plus, les philanthropes seraient sans travail. » C’est difficile de sortir de là. Pourtant, c’est un fait que jamais le monde ne sortira de l’état dans lequel il se trouve à moins qu’il ne se donne au Divin. Toutes les vertus, vous pouvez les glorifier, elles augmentent votre satisfaction, c’est-à-dire votre ego ; elles ne vous aident pas à prendre vraiment conscience du Divin. Ce sont les gens généreux et sages de ce monde qui sont les plus difficiles à convertir. Ils sont très satisfaits de leur vie. Un pauvre homme qui a fait toutes sortes de bêtises toute sa vie regrette immédiatement et dit : « Je ne suis rien, je ne peux rien. Fais de moi ce que Tu voudras. » Celui-là est plus juste et beaucoup plus proche du Divin que celui qui est sage et plein de sa sagesse et de vanité. Il se voit tel qu’il est.

L’homme généreux et sage qui a fait beaucoup pour l’humanité est trop satisfait pour avoir la moindre idée de changer. Ce sont généralement ces gens-là qui disent : « Si, moi-même, j’avais créé le monde, je ne l’aurais pas fait ainsi, je l’aurais créé beaucoup mieux que cela », et ils essayent de réparer ce que le Divin a mal fait. D’après leur image, tout cela est stupide et inutile... C’est un fait de conscience et, à moins que vous n’ayez la véritable attitude... des choses et du monde à son propre point de vue, vous n’aurez jamais... l’attitude qui convient pour appartenir au Divin. Il y aura toujours entre vous et Lui l’ego conscient de sa supériorité intellectuelle qui juge le Divin et qui est sûr de ne pas se tromper. Parce qu’ils sont convaincus que s’ils avaient fait le monde, ils n’auraient pas fait toutes les bêtises que Dieu a faites! Et tout cela vient de l’orgueil, de la vanité, de la suffisance; et il y a justement ce grain-là dans les gens qui veulent servir l’humanité.

Qu’est-ce qu’ils vont donner à l’humanité? Rien du tout! même s’ils donnaient toutes les gouttes de leur sang, toutes les idées de leur tête, tout l’argent de leur poche, cela ne pourrait pas changer l’individu, qui est une seconde dans l’éternité. Ils s’imaginent qu’ils peuvent servir l’éternité? Il y a même des êtres plus hauts que l’humanité qui sont venus, qui ont apporté la lumière, donné leur vie, et cela n’a pas changé grand-chose. Alors comment un petit homme, un être microscopique, peutil vraiment aider? C’est de l’orgueil. On donne l’argument : « Si chacun faisait de son mieux, tout irait bien. » Je ne crois pas, et puis c’est impossible. D’une certaine façon, chaque chose dans l’univers fait de son mieux. Mais ce mieux-là ne vaut rien du tout. À moins que tout ne change, rien ne changera. Il faut que ce soit ce mieux qui change. Il faut qu’à la place de l’ignorance naissent la connaissance et la capacité et la conscience, autrement on tournera toujours en rond autour de la même stupidité.

Vous pouvez ouvrir des millions d’hôpitaux, cela n’empêchera pas les gens d’être malades. Au contraire, ils auront toute facilité et tout encouragement pour tomber malades. On est pétri d’idées de ce genre. Cela met votre conscience à l’aise : « Je suis venu au monde, je dois aider les autres. » On se dit : « Comme je suis désintéressé! Je vais aider l’humanité. » Tout cela n’est rien que de l’égoïsme.

En fait, la première humanité qui vous concerne, c’est vousmême. Vous voulez atténuer la souffrance, mais à moins que vous ne puissiez changer la capacité de souffrir en une certitude d’être heureux, le monde ne changera pas. Ce sera toujours pareil, on tourne en rond — une civilisation suit l’autre, une catastrophe suit l’autre. Mais la chose ne change pas, parce qu’il y a quelque chose qui manque, quelque chose qui n’est pas là : c’est la conscience. C’est tout.

Enfin, c’est mon opinion. Je vous la donne pour ce qu’elle vaut. Si vous voulez construire des hôpitaux, des écoles, vous pouvez le faire; si cela vous rend heureux, tant mieux pour vous. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Quand j’ai vu le film Monsieur Vincent, j’ai été très intéressée. Il s’est aperçu que quand il nourrissait dix pauvres, mille arrivaient. C’est ce que lui disait Colbert : « Il semble que vous les faites naître, vos pauvres, en les nourrissant! » Et ce n’est pas tout à fait faux. Enfin, si c’est votre destinée de fonder des écoles et de donner de l’instruction, de soigner les malades, d’ouvrir des hôpitaux, c’est bien, faites-le. Mais il ne faut pas prendre cela au sérieux. C’est quelque chose de grandiose que vous faites pour votre plaisir. Dites : « Je le fais parce que cela me fait plaisir. » Mais ne parlez pas de yoga. Ce n’est pas le yoga que vous faites. Vous croyez que vous êtes en train de faire une grande chose, c’est tout, et c’est votre satisfaction personnelle.

On raconte que le rishi Vishwâmitra avait aussi créé un monde nouveau ?

Qu’est-ce qu’il a fait, dites-le-moi?... Il n’était pas content de ce monde-ci et il en faisait un autre? Où est-il ce monde?

Naturellement la première idée, c’est d’être supérieur à celui qui a créé le monde. Parce qu’on pense qu’il était mal fait. C’est possible, vous pouvez dire qu’il était mal fait. Si vous vous imaginez que vous pouvez faire mieux que le Divin, je ne dis pas que vous aurez tort. Je dis que vous ne pouvez pas dire que vous n’êtes pas ambitieux. Je ne dis pas qu’ils ont eu tort; je dis qu’ils sont ambitieux. Ce n’est pas autre chose que cela. La preuve, c’est que ce sont les gens qui font du bien, ce sont les gens généreux, bons, désintéressés qui sont les plus difficiles à convertir; leur ego est formidable. Leur idée de justice, de générosité, etc., est tellement grosse qu’il n’y a pas de place pour autre chose, pour le Divin.

Avant de pouvoir bien faire, il faut aller tout au fond de soi, et faire une très importante découverte. C’est que l’on n’existe pas. Il y a une chose qui existe : c’est le Divin, et tant que vous n’avez pas fait cette découverte-là, vous ne pouvez pas avancer sur le chemin. Mais c’est une carapace tellement dure!... Si vous avez l’esprit philosophique, vous vous demanderez : « Qu’est-ce que j’appelle “moi” ? Est-ce que c’est mon corps? Il change tout le temps, ce n’est plus la même chose. Est-ce que ce sont mes sentiments? J’ai changé tant de fois de sentiments. Est-ce que ce sont mes pensées? Elles se construisent et se détruisent sans cesse. Ce n’est pas moi. Où est le moi? Qu’est-ce qui me donne le sens de ma continuité? » Si vous continuez avec sincérité, vous remontez quelques années en arrière. Cela devient de plus en plus embarrassant. Vous continuez à regarder, vous vous dites : « C’est ma mémoire. » Mais même si l’on perdait sa mémoire, on serait soi. Si l’on continue avec sincérité cet approfondissement, alors vient un moment où tout disparaît et une chose seule existe : c’est le Divin, la Présence divine. Tout disparaît, se dissout, tout fond comme du beurre au soleil... Quand on a fait cette découverte, on s’aperçoit qu’on n’était rien qu’un ensemble d’habitudes. C’est toujours ce qui ne connaît pas le Divin et n’est pas conscient du Divin qui parle. En chacun, ce sont des centaines et des centaines de « moi » qui parlent et de centaines de façons toutes différentes. Des « moi » inconscients, changeants, fluides. Le moi qui parle aujourd’hui n’est pas le même qu’hier; et si vous regardez loin, le moi a disparu. Il n’y en a qu’un qui reste. C’est le Divin. C’est le seul qu’on puisse toujours voir le même. Et à moins que vous ne soyez allé jusque-là...

Si tout vient de Lui, pourquoi y a-t-il tant d’erreurs?

Il ne faut pas croire que tout ce qui vous arrive dans la vie vous vient naturellement du Divin, c’est-à-dire que c’est la Conscience-de-Vérité qui dirige votre vie. Parce que si tout venait de Lui, il vous serait impossible de vous tromper.

Comment se fait-il que l’erreur soit partout? Pourquoi les choses vont-elles à l’encontre du Divin et de ce qu’elles devraient être?... Parce qu’il y a une quantité d’éléments qui s’entrecroisent, qui interviennent. Les volontés s’entrecroisent, celui qui est le plus fort a le dessus. C’est cette complexité de normes qui a créé un déterminisme. La Volonté divine est tout à fait voilée par cet ensemble de choses. Alors j’ai dit ici : (Mère prend son livre) « Vous devez accepter toutes les choses — et celles-là seules — qui viennent du Divin. Car certaines peuvent provenir de désirs cachés. Les désirs sont à l’œuvre dans le subconscient et ils attirent vers vous des choses dont il se peut que vous ne reconnaissiez pas l’origine, mais qui vous viennent non du Divin mais de désirs déguisés. »

Si vous avez un fort désir de quelque chose que vous ne pouvez pas avoir, vous projetez votre désir hors de vous. Il s’en va comme une petite personnalité séparée de vous et il se promène dans le monde. Il fera un petit cercle, plus ou moins grand, et reviendra à vous, peut-être quand vous l’aurez oublié. Les gens qui ont une sorte de passion, qui désirent quelque chose, cela sort d’eux comme un petit être, comme une petite flamme au milieu. Ce petit être a son destin. Il se promène dans le monde, ballotté par d’autres choses peut-être. Vous l’avez oublié, mais il n’oubliera jamais qu’il doit produire tel résultat... Pendant des jours, vous vous dites : « Comme je voudrais aller à tel endroit, au Japon, par exemple, et voir tant de choses », et votre désir est parti de vous; mais parce que les désirs sont des choses très fugitives, vous avez complètement oublié ce désir que vous aviez lancé avec une telle force. Il y a beaucoup de raisons pour que vous pensiez à autre chose. Et au bout de dix ans, ou plus, ou moins, il vous revient comme un plat servi tout chaud. Oui, comme un plat tout chaud, bien arrangé. Vous dites : « Cela ne m’intéresse plus. » Cela ne vous intéresse plus dix ans ou vingt ans après. C’était une petite formation, et elle a été faire son travail comme elle a pu... Il est impossible d’avoir des désirs sans que cela se produise, même si c’est un tout petit désir. La formation a fait ce qu’elle a pu; elle a eu beaucoup de peine, elle a bien travaillé, et après des années elle revient. C’est comme un serviteur que vous avez envoyé et qui a fait de son mieux. Quand il revient, vous lui dites : « Qu’est-ce que tu as fait! — Pourquoi? Mais Monsieur, parce que vous l’avez désiré! »

Vous ne pouvez pas émettre une pensée forte sans qu’elle sorte de vous, comme un petit ballon pourrait-on dire. On raconte certaines histoires qui ne sont pas invraisemblables, comme celle de cet avare qui ne pensait qu’à son argent; il avait caché son magot quelque part et toujours il allait le voir. Après sa mort, il a continué de venir comme un fantôme (c’est-à-dire son être vital), il veillait sur son argent. Personne ne pouvait s’en approcher sans qu’il lui arrive une catastrophe. C’est comme cela, si vous avez travaillé pour qu’une chose se produise, elle se réalise toujours. Elle peut se réaliser même après votre corps! Oui, parce que quand votre corps a cessé d’être, aucune des vibrations ne cesse d’être. Elles se réalisent quelque part. C’est ce que le Bouddha disait : les vibrations continuent d’exister, de se perpétuer. Elles sont contagieuses. Elles continuent chez d’autres, elles passent en d’autres, et chacun y ajoute un peu.

Est ce qu’avec une vibration de bonne volonté, on peut aider le monde?

Avec des bonnes volontés on peut changer beaucoup de choses, seulement il faut que ce soit une bonne volonté excessivement pure et sans aucun mélange. Il est de toute évidence qu’une pensée, une prière parfaitement pure et vraie, si elle est projetée dans le monde, fait son œuvre. Mais où est cette pensée parfaitement pure et vraie quand elle passe dans le cerveau humain? Il y a des dégradations. Si vous pouvez en vous-même, par un effort de conscience et de connaissance intérieures, surmonter, c’est-à-dire dissoudre et abolir un désir vraiment, et que vous soyez capable, par la bonne volonté intérieure, par la conscience, par la lumière, la connaissance, de dissoudre le désir, vous serez d’abord pour vous personnellement cent fois plus heureux que si vous aviez satisfait ce désir, et puis cela aura un effet merveilleux. Cela aura une répercussion dans le monde, dont vous n’avez pas idée. Cela se répandra. Parce que les vibrations que vous avez créées continueront de se répandre. Ce sont des choses qui s’amplifient comme la boule de neige. La victoire que vous remportez dans votre caractère, si petite soitelle, est une victoire qui pourra être remportée dans le monde entier. Et c’est cela que je voulais dire tout à l’heure : toutes les choses qui se font extérieurement sans changer la nature intérieure — hôpitaux, écoles, etc. — sont faites par vanité, pour le sentiment d’être grand, tandis que ces petites choses obscures surmontées en soi remportent une victoire infiniment plus grande, bien que les effets soient cachés. Tout mouvement en vous qui est faux et contraire à la vérité est une négation de la vie divine. Vos petits efforts ont des effets considérables, que vous n’avez même pas la satisfaction de connaître mais qui sont vrais et qui justement ont un effet impersonnel et général.

Si vous voulez vraiment faire quelque chose de bien, ce que vous avez de mieux à faire, c’est de remporter vos petites victoires en toute sincérité, l’une après l’autre, et ainsi vous ferez pour le monde le maximum de ce que vous pouvez faire.

Est ce que notre victoire agira pour tout le monde?

Elle ne changera pas tout le monde. Parce que votre victoire est trop petite pour tout le monde. Il en faut des millions. C’est une toute petite victoire si on la compare au tout. Mais elle se mélange à d’autres choses... On pourrait dire que c’est comme si l’on apportait dans le monde la capacité de faire une chose. Mais pour que cela agisse d’une façon effective, il faut quelquefois des siècles; c’est une question de proportions. Vous pouvez faire l’expérience (et c’est beaucoup plus difficile) même avec les gens qui vous entourent. Il faut être tout à fait sincère, ne pas le faire avec l’idée d’obtenir un résultat quelconque mais parce que vous voulez remporter une victoire. Si vous remportez cette victoire, elle aura nécessairement un effet sur ceux qui vous entourent. Mais s’il s’y mêle un élément commercial, si vous faites telle chose parce que vous voulez obtenir telle autre : « Je veux surmonter mes défauts, mais il faut que celui-là aussi surmonte les siens », alors cela ne marche pas. C’est une attitude de commerçant : « Je donne ça, mais je prendrai ça. » Cela abîme tout. Il n’y a ni pureté ni sincérité. C’est un marchandage.

Il faut que rien ne puisse se mêler à votre sincérité, à votre aspiration, à votre motif. Vous faites les choses pour l’amour du Divin, pour la vérité, pour la perfection, sans autre motif et sans autre idée. Et cela produit des effets.

Le 15 avril 1953

Tu as écrit : « N’essayez pas d’attirer par violence les forces du Divin ».

(Entretien du 14 avril 1929)

Est ce que l’on peut attirer les forces divines par la violence?

Oui, si vous appelez avec beaucoup de force, si vous aspirez avec beaucoup de force, vous pouvez attirer une grande quantité de forces en vous, mais vous ne serez pas capable de les digérer, de les assimiler. C’est la même chose que pour la nourriture : quand on avale tout ce qui est là en une gorgée, cela cause une indigestion, cela vous étouffe. On ne peut pas le supporter. Alors si quelqu’un veut aller vite, s’il se dépêche, il fait une espèce d’appel et tire à lui des forces trop considérables, des forces qui autrement seraient venues moins vite.

Il suffit d’une petite ambition cachée... Il y a des gens qui ne font pas le yoga pour le yoga, mais pour obtenir un résultat, pour avoir des pouvoirs, pour savoir telle ou telle chose.

Mais alors cela veut dire qu’ils ne sont pas sincères? Alors comment se fait-il que le Divin réponde?

Tu crois que le Divin a un petit jugement humain! Il ne faut pas mettre des idées humaines sur le Divin.

Si vous n’êtes pas sincère, ce qui arrive, c’est que votre propre conscience se voile. Prenez, par exemple, quelqu’un qui ment; sa conscience se voile, et au bout de très peu de temps il ne peut plus distinguer le mensonge de la vérité. Il voit des images et les appelle la vérité. Quelqu’un qui est méchant perd son aspiration, il perd sa capacité de réalisation, il perd toute possibilité de comprendre, de sentir et de réaliser. C’est cela, la punition.

On construit des voiles, des obstacles entre soi et le Divin. C’est comme cela que l’on se punit soi-même. Le Divin ne se retire pas : on se rend incapable de Le recevoir. Le Divin ne distribue pas comme cela des récompenses et des punitions, ce n’est pas du tout comme cela.

Quand on est insincère, quand on a de la mauvaise volonté, quand on est un traître, on se punit soi-même instantanément. Les gens insincères perdent même le petit peu de conscience qui leur ferait savoir qu’ils sont méchants; ils deviennent comme inconscients. Ils finissent par ne plus savoir du tout.

Qu’est ce que tu appelles la « base d’égalité dans l’être extérieur » ?

(Entretien du 14 avril 1929)

C’est une bonne santé, un corps solide, bien équilibré, quand on n’a pas des nerfs de petite fille qui sont secoués à la moindre chose, quand on dort bien, mange bien... Quand on est bien tranquille, bien équilibré, bien calme, on a une base solide et on peut recevoir une quantité de forces.

Si quelqu’un d’entre vous a reçu des forces spirituelles, des forces du Divin, l’Ânanda par exemple, il sait par expérience qu’à moins qu’il ne soit en bonne santé, il ne peut pas les contenir, les garder. Il commence à pleurer, à crier, à s’agiter pour dépenser ce qu’il a reçu. Il faut qu’il rie, qu’il parle, qu’il gesticule, autrement il ne peut pas les garder, il se sent étouffé. Alors en riant, en pleurant, en s’agitant, il rejette dehors ce qu’il a reçu.

Pour être bien équilibré, pour pouvoir absorber ce que l’on reçoit, il faut être très tranquille, très calme. Il faut avoir une base solide, une bonne santé. Il faut avoir une base très solide. C’est très important.

Quelle est la différence entre l’égalité extérieure et l’éga lité d’âme?

L’égalité d’âme est une chose psychologique. C’est le pouvoir de supporter tous les événements, bons ou mauvais, sans être triste, découragé, désespéré, bouleversé. Quoi qu’il vous arrive, vous restez serein, paisible.

L’autre, c’est l’égalité dans le corps. Ce n’est pas psychologique, c’est une chose matérielle : avoir un équilibre physique, recevoir des forces sans être troublé.

Les deux sont également nécessaires si l’on veut progresser sur le chemin. Et d’autres choses encore. Par exemple, un équilibre mental; que toutes les idées, même les plus contradictoires, puissent venir de tous les côtés sans que vous soyez troublé. On peut les voir et les mettre chacune à sa place. C’est l’équilibre mental.

Le 22 avril 1953

L’Entretien suivant nous est parvenu tout à fait tronqué, à l’exception d’un bref passage concernant le sommeil et les rêves.

Quand on dort, comment distinguer la nature des visions?

Cela ne laisse pas du tout la même impression. Pour bien savoir, il faut s’éduquer, développer l’être conscient. Mais il y a toutes sortes de choses différentes, il y a des projections mentales, vitales, tout à fait comme dans le cinéma ; puis il y a les visions que vous pouvez avoir si vous vous extériorisez dans les régions mentales ou vitales; la grande différence, c’est que ces rêves s’imposent à vous, vous êtes pris là-dedans...1 Puis il y a l’innombrable quantité de rêves sans suite qui n’ont aucun intérêt. Parce que votre cerveau est comme un appareil enregistreur : ça vient et ça frappe des centaines de cellules, chacune doit frapper une petite note. Les choses vont frapper sur les circonvolutions cérébrales : un souvenir, une impression, toutes sortes de petites mémoires (cela dépend de votre condition). Mais vous avez le contrôle, les idées se suivent selon une certaine logique; il y a aussi un mécanisme qui met les souvenirs en mouvement par contagion, et le mouvement par contagion se fait suivant une logique (ce que vous appelez la logique). Mais quand vous dormez, cette faculté-là s’endort généralement, alors toutes ces petites cellules sont livrées à elles-mêmes et les connexions — comme les connexions des fils électriques — ne marchent plus, les choses arrivent à l’envers ou dans n’importe quel sens. Il ne faut pas chercher un sens. C’était une contagion : parce que celle-ci vibrait, celle-là aussi vibrait, une vibration éveille une autre vibration. Votre logique ne travaille plus. Et vous avez des rêves fantastiques, des rêves absurdes.

Il est très difficile de mettre son mental en repos. La plupart des gens se réveillent très fatigués, plus fatigués que quand ils se sont endormis. Il faut apprendre à calmer la tête, faire comme une neige blanche, et alors quand on se réveille, on se sent rafraîchi. Il faut détendre la tête entière dans le silence tout blanc, alors on a un minimum de rêves.

Le 29 avril 1953

Douce Mère, tu dis que l’on peut exercer sa volonté consciente et changer le cours de ses rêves?

Mais oui, je vous ai déjà raconté cela une fois. Si vous êtes au milieu d’un rêve et qu’il se passe quelque chose qui ne vous plaise pas (par exemple, quelqu’un crie qu’il veut vous tuer), vous dites : « Ça ne va pas du tout, je ne veux pas que mon rêve soit comme cela », et vous pouvez changer l’action ou le dénouement. Vous pouvez volontairement organiser votre rêve. On arrange son rêve. Mais pour cela, vous devez être conscient que vous rêvez, il faut savoir qu’on rêve.

Mais ces rêves n’ont pas beaucoup d’importance?

Si, ils ont de l’importance, et il faut être conscient de ce qui peut arriver. Admettons que vous soyez allé vous promener dans le monde vital ; là vous rencontrez des êtres qui vous attaquent (c’est généralement ce qui se passe), si vous savez que c’est un rêve, vous pouvez très bien rassembler vos forces vitales et vaincre. C’est un fait véritable : vous pouvez avec une certaine attitude, une certaine parole, une certaine manière d’être, faire des choses que vous ne feriez pas si vous rêviez simplement.

Si, dans le rêve, quelqu’un nous tue, cela ne fait rien, puisque c’est un rêve!

Je vous demande pardon! Généralement le lendemain vous êtes malade, ou quelque temps après. C’est un avertissement. Je connais une personne qui avait été attaquée à l’œil en rêve, et qui en réalité a perdu son œil peu de jours après. Moi-même, il m’est arrivé de rêver d’avoir reçu des coups à la figure. Eh bien, le matin au réveil, j’avais une marque rouge à l’endroit, sur le front et la joue... Fatalement, pour celui qui a reçu une blessure vitale, cette blessure se traduit physiquement.

Mais comment cela se fait-il? Il doit y avoir un intermédiaire?

C’est vitalement que j’étais frappée. C’est du dedans que cela vient. Rien ni personne n’a touché quoi que ce soit au dehors. Si tu reçois un coup vital, le corps subit la conséquence. La bonne moitié des maladies sont le résultat de coups de ce genre, et cela arrive beaucoup plus souvent qu’on ne le croit. Seulement, les gens ne sont pas conscients de leur vital, et comme ils ne sont pas conscients, ils ne savent pas que cinquante pour cent des maladies sont le résultat d’événements du vital : chocs, accidents, bataille, mauvaise volonté... Extérieurement, cela se traduit par une maladie. Si l’on sait comment cela réagit sur le physique, on va à l’origine, et on peut se guérir en quelques heures.

Comment se fait-il que le symbolisme des rêves varie suivant les traditions, les races, les religions?

Parce que la forme que l’on donne au rêve est mentale. Si vous avez appris que telle ou telle forme représente tel ou tel personnage mythologique, vous voyez cette forme et vous dites : « C’est ça. » Dans votre cerveau, il y a une association entre certaines idées et certaines formes, et en rêve cela se continue. Quand vous traduisez votre rêve, vous lui donnez l’explication qui correspond à ce que vous avez appris, à ce que l’on vous a enseigné, et avec l’image mentale que vous avez dans votre cerveau, vous connaissez. Du reste, je vous ai expliqué cela un peu plus loin, dans la vision de Jeanne d’Arc.

(Mère prend son livre et lit) « Si les mêmes êtres qui apparaissaient et parlaient à Jeanne, étaient vus par un Indien, ils auraient, pour lui, une apparence tout à fait différente; car lorsque l’on voit, on projette sur la vision les formes familières à son esprit. [...] Celle que l’on appelle dans l’Inde la Mère Divine, pour les catholiques c’est la Vierge Marie, et pour les Japonais, c’est Kwannon, la déesse de la Miséricorde; et d’autres encore lui donnent d’autres noms. C’est la même force, la même puissance, mais les représentations qui en sont faites diffèrent avec les religions. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Et puis? Vous n’êtes pas bavards aujourd’hui! C’est tout?

Tu dis que la formation des rêves dépend de l’idio syncrasie de l’individu ?

(Entretien du 21 avril 1929)

C’est la façon propre à tout individu de s’exprimer, de penser, de parler, de sentir, de comprendre. C’est la combinaison de toutes ses manières d’être, de tout cela qui forme l’individu. C’est pourquoi chacun ne peut comprendre que selon sa nature. Tant que vous êtes enfermé dans votre nature propre, vous ne pouvez connaître que ce qui est dans votre conscience. Tout dépend de la hauteur de la nature de votre conscience. Votre monde est limité à ce que vous avez dans votre conscience. Si vous avez une toute petite conscience, vous comprendrez seulement peu de choses. Si votre conscience est très vaste, universelle, alors seulement vous comprendrez le monde. Si la conscience est limitée à votre petit ego, tout le reste vous échappera... Il y a des gens qui ont le cerveau et la conscience plus petite qu’une noix. Vous savez qu’une noix ressemble au cerveau; eh bien, ils regardent les choses et ne les comprennent pas. Ils ne peuvent rien comprendre d’autre que ce qui est en rapport direct avec leurs sens. Pour eux, il n’y a que ce qu’ils goûtent, ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils touchent, qui ait une réalité, et tout le reste n’existe simplement pas, et ils nous accusent de parler par imagination! « Tout ce que je ne touche pas, n’existe pas », disent-ils. Mais la seule chose à leur répondre, c’est : « Cela n’existe pas pour vous, mais il n’y a pas de raison que cela n’existe pas pour d’autres. » Il ne faut pas insister avec ces gens et ne pas oublier que plus ils sont petits, plus ils ont d’audace dans leurs affirmations.

L’assurance est en proportion de l’inconscience : plus on est inconscient, plus on est sûr de soi. L’homme le plus sot est toujours le plus vaniteux. Votre sottise est en proportion de votre vanité. Plus on sait de choses... En fait, il y a un moment où l’on est tout à fait convaincu que l’on ne sait rien du tout. Il n’est pas de minute dans le monde qui n’apporte quelque chose, parce que le monde est en perpétuelle croissance. Si l’on en est conscient, on a toujours quelque chose à apprendre de neuf. Mais vous ne pouvez en être conscient que graduellement. La conviction que l’on sait est en proportion directe de l’ignorance et de la stupidité.

Douce Mère, les hommes de science ont alors une très petite conscience?

Pourquoi? Tous les hommes de science ne sont pas comme cela. Si vous rencontrez un vrai savant, qui a beaucoup travaillé, il vous dira : « Nous ne savons rien. Ce que nous savons aujourd’hui n’est rien à côté de ce que nous saurons demain. La découverte de cette année-ci sera dépassée l’année prochaine. » Un vrai savant sait très bien qu’il y a beaucoup plus de choses qu’il ne sait pas que de choses qu’il sait. Et c’est vrai pour toutes les branches de l’activité humaine. Je n’ai jamais rencontré un savant digne de ce nom qui soit fier. Je n’ai jamais rencontré un homme de valeur qui m’ait dit : « Je sais tout. » Ceux que j’ai vus m’ont tous déclaré : « En somme, je ne sais rien. » Après avoir parlé de tout ce qu’il a fait, de tout ce qu’il a réalisé, il vous dit très tranquillement : « Après tout, je ne sais rien. »

Il y a des gens qui disent parfois qu’ils ne sont rien, pour paraître modestes, mais ils ne croient pas ce qu’ils disent!

Il y a des gens insincères et hypocrites partout dans le monde. Tant pis pour eux. Ceux-là ferment la porte complètement à tout progrès. C’est tout.

Pour nous qui allons en classe, alors il est dangereux d’étudier?

Non, au contraire! Car si tu commences à bien étudier, ta conscience se réveille, et tu peux mieux te rendre compte de ce qui te manque encore. Cela me fait penser à cette dame qui en devenant peu à peu consciente, me disait : « Avant de vous avoir entendue parler, j’avais confiance dans les gens, tout le monde était bien gentil, j’étais heureuse. Maintenant que je commence à voir clair et à devenir consciente, j’ai perdu toute ma sérénité! C’est terrible de devenir conscient! »

Qu’est-ce qu’il faut faire? Devenir encore plus conscient. C’est très mauvais d’apprendre un peu. Il faut apprendre davantage, jusqu’au point où vous voyez que vous ne savez rien... Je vous ai parlé du néophyte qui veut passer aux autres ce qu’il a appris — jusqu’au jour où il voit qu’il n’a pas grand-chose à passer. Généralement, tout l’enseignement religieux est basé là-dessus. Un tout petit peu de connaissance, avec des formules précises qui sont bien écrites (généralement assez bien écrites), qui se cristallisent dans le cerveau, et qui affirment : « Ça, c’est la vérité. » Vous n’avez qu’à apprendre ce qu’il y a dans le livre. Comme c’est commode! Dans chaque religion, il y a un livre — que ce soit le catéchisme, les textes hindous, le Coran, bref tous les livres sacrés —, vous apprenez cela par cœur. On vous dit que ça-c’est-la-vérité, et vous êtes sûr que c’est la vérité et vous restez confortablement. C’est très commode, vous n’avez pas besoin de chercher à comprendre. Ceux qui ne savent pas la même chose que vous sont dans le mensonge, et même on prie pour ceux qui sont en dehors de la « Vérité »! C’est un fait général dans toutes les religions. Mais dans toutes les religions, il y a des gens qui en savent plus et qui ne croient pas ces choses-là. J’en ai rencontré un spécialement, qui appartenait à la religion catholique. C’était un grand personnage. Je lui avais parlé de ce que je savais et je lui ai demandé : « Pourquoi employez-vous cette méthode-là ? Pourquoi éternisez-vous l’ignorance? » Il m’a répondu : « C’est une politique de calme. Si nous ne faisions pas ainsi, les gens ne nous écouteraient pas. Cela, c’est le secret des religions. » Il m’a dit : « Il y a dans notre religion, comme dans les initiations anciennes, des gens qui savent. Il y a des écoles où l’on enseigne la vieille tradition. Mais il est interdit d’en parler. Toutes ces images religieuses sont des symboles qui représentent autre chose que ce que l’on enseigne. Mais on ne l’enseigne pas au-dehors. »

La raison en est très généreuse et très compatissante (selon eux) : « Les gens qui ont un petit cerveau — et ils sont nombreux —, si nous leur disons quelque chose de trop haut, de trop grand, cela les trouble, cela les dérange, et ils deviennent malheureux. Ils ne seront jamais capables de comprendre. Pourquoi les tracasser inutilement? Ils n’ont pas la capacité de trouver la vérité. Tandis que si vous leur dites : “Si vous croyez cela, vous irez au paradis”, ils sont bien contents. » Voilà. C’est très commode. C’est pour cela que ça se perpétue, autrement il n’y aurait pas de religions.

Je ne vous dis pas ceci pour encourager telle religion plutôt qu’une autre. Mais c’est un procédé qui semble généreux... Autrement il n’y aurait pas de religions : il y aurait des maîtres et des disciples, des gens qui auraient un enseignement supérieur et une expérience exceptionnelle. Ce serait très bien. Mais dès que le maître est parti, ce qui arrive c’est que la connaissance qu’il donnait se change en religion. On établit des dogmes rigides, les règles religieuses naissent et on ne peut plus que s’incliner devant les Tables de la Loi. Alors qu’au début ce n’était pas comme cela. On vous dit : « Cela est vrai, cela est faux, le maître a dit... » Quelque temps après, le maître devient un dieu, et on vous dit : « Dieu a dit. »

Remarquez, je vous dis cela parce que je sais que vous êtes tous ici libérés des religions. Si j’avais en face de moi quelqu’un qui ait une religion à laquelle il croie, je lui dirais : « C’est très bien, gardez votre religion, continuez. » Heureusement pour vous tous, vous n’en avez pas. Et j’espère que vous n’en aurez jamais parce que c’est la porte fermée à tout progrès.

mai




Le 6 mai 1953

« Les gens, souvent, se rencontrent sur ces plans [mental ou vital] avant de se rencontrer sur la terre. Ils peuvent se réunir là, se parler les uns aux autres et avoir tous les rapports qui existent dans la vie physique. Quelques-uns se rendent comptent de ces activités, d’autres les ignorent. Certains (en vérité la plupart) sont inconscients de leur être intérieur et de ses relations, et cependant, quand ils rencontreront la nouvelle figure dans le monde exté rieur, ils la trouveront très familière, en quelque sorte bien connue. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Cela dépend beaucoup du degré de conscience que l’on a dans son être intérieur. Pour la plupart des gens, tout cela est un mélange dans les plans mental, vital, physique; ils ne sont pas du tout conscients de ce qui se passe. Certains sont conscients, et généralement ils ont une impression analogue quand on leur dit : « Tiens, c’est comme cela que je vous ai connu, que je vous connais déjà intimement, et j’ai une impression, mais c’est très vague. » Très peu de gens sont suffisamment développés pour dire : « Tiens, je vous ai vu dans telle ou telle circonstance. » C’est arrivé pourtant.

Et puis il y a ceux qui ont appris un petit peu, qui sont plus ou moins occultistes, ou qui croient à la réincarnation à la façon enfantine, qui croient que c’est une petite personne qui a mis un vêtement physique, c’est-à-dire un corps, et quand ce vêtement tombe, ils s’en vont et ils en mettent un autre, et puis un autre... comme des poupées dont on change le costume. Pour eux, c’est comme cela : on change de corps comme d’un vêtement physique. Il y a même des gens qui ont écrit des livres très sérieusement pour vous dire toutes leurs vies depuis qu’ils étaient singes! Ça, c’est absolument de l’enfantillage. Parce que dans neuf cent quatre-vingt-dix-neuf cas sur mille, ce n’est que la toute petite formation psychique qui est au centre de l’être, qui persiste après la mort; tout le reste se dissout, s’en va en morceaux, en petits morceaux ici et là, l’individualité n’existe plus. Or, dans une vie physique, combien de fois l’être psychique participe-t-il consciemment à ce que fait l’être physique?... Je ne parle pas des gens qui font le yoga et qui sont un peu disciplinés; je parle des gens moyens, qui ont une capacité psychique, en ce sens que leur psychique est déjà suffisamment formé pour pouvoir intervenir dans la vie et la guider — certains passent des années et des années sans qu’il se produise une intervention psychique. Et alors ils viennent vous dire dans quel pays ils sont nés et comment étaient leur père et leur mère et la maison qu’ils habitaient, le toit de l’église et la forêt qui était à côté, et tous les petits événements de leur existence! C’est tout à fait idiot, parce que c’est effacé, ce sont des choses qui n’existent plus. Tandis que le souvenir tel qu’on peut l’avoir, c’est quand, à un moment donné de l’existence, il y a une circonstance spéciale, des moments « vitaux » pour ainsi dire, où tout d’un coup le psychique participe par un appel intérieur ou par une nécessité absolue — tout d’un coup le psychique intervient — et alors cela se grave dans la mémoire psychique. Quand vous avez la mémoire psychique, vous avez le souvenir d’un ensemble de circonstances d’un moment de la vie, surtout de l’émotion intérieure, de la conscience qui agissait à ce moment-là. Puis cela passe dans la conscience avec certains rapports, avec tout ce qui vous entourait, peut-être un mot dit, une phrase entendue; mais ce qui était le plus important, c’était l’état d’âme dans lequel on se trouvait : cela, ça reste gravé d’une façon très claire. Ce sont comme des jalons de la vie psychique, des choses qui ont laissé une impression profonde et qui ont participé à sa formation. Et alors, quand vous retrouvez votre psychique en vous d’une façon constante, continue, claire, ce sont des choses comme cela dont vous vous souvenez. Il peut y en avoir un certain nombre, mais ce sont des éclairs dans une existence, et on ne peut pas dire : « J’ai été telle ou telle personne, j’ai fait telle ou telle chose, je me suis appelé comme cela, et je faisais comme cela. » Ou alors cela veut dire à ce moment-là (rarement) qu’il y avait un ensemble de circonstances suffisant pour que l’on puisse situer la date ou l’endroit, dans un pays, à une époque. Cela peut arriver.

Naturellement le psychique participe de plus en plus, et de plus en plus l’ensemble des souvenirs croît. Et alors on peut reformer une existence, mais pas tous les détails de l’existence. On peut dire qu’à certains moments, « c’était comme cela » ou « j’étais cela ». Des moments, oui, des moments très importants de l’existence... Il faut un être qui s’est identifié totalement avec son psychique, qui a organisé toute son existence autour de lui, qui a unifié tout son être — toutes les particules, tous les éléments, toutes les tendances de l’être autour du centre psychique —, qui a fait de soi un être unique et uniquement tourné vers le Divin; alors si le corps tombe, cela reste. C’est un être conscient, entièrement formé, qui peut se souvenir dans une autre vie exactement de tout ce qui est arrivé. Il peut même passer consciemment d’une vie à une autre sans rien perdre de sa conscience. Combien y a-t-il d’êtres sur la terre qui soient arrivés à cet état?... Je ne crois pas beaucoup. Et généralement ils n’ont aucun goût à raconter leurs aventures.

Il y a des personnes qui disent la vie des autres.

Oui, je sais. Je connais beaucoup de choses, j’ai entendu tout ce que l’on peut entendre. Ils vous racontent et ils vous racontent... Ils vous regardent et ils disent : « Vous avez été telle personne dans telle vie, vous avez fait telle chose. » Eh bien, je garantis que ce n’est pas vrai. Parce que je sais comment on peut savoir où l’on a vu une personne et ce qu’elle a été, et comment c’est — ce n’est pas une petite histoire que l’on peut écrire dans un livre. Si vous regardez quelqu’un intérieurement, quand vous avez la perception justement du monde psychique, qui permet de reconnaître le psychique là où il a été, alors tout d’un coup on peut voir une scène, une image, une forme, un mot; il y a une sorte d’affiliation qui fait que même dans l’être actuel de cette personne, il reste certaines sympathies, certaines attractions qui proviennent de certaines vies antérieures. Mais comme je le disais, ce sont des « moments » de vie. Et alors on voit, on peut voir ces différents moments, mais on ne peut pas raconter une existence.

Je crois que Sri Aurobindo a écrit quelque chose de très amusant là-dessus, sur le nombre de César que l’on a reconnus, le nombre de tous les grands êtres, les Napoléon et tous les personnages importants, les Shakespeare, tous les gens dont les noms sont restés dans l’histoire! Combien y en a-t-il! Ils sont par centaines! Et ils vous racontent : « J’ai été ceci, j’ai été cela, j’ai fait ceci », ou bien dans les séances, les soi-disant esprits qui viennent vous parler. Il y a une quantité de gens qui se livrent à cet amusement avec les « esprits », qui font de l’écriture mécanique sur la table et surtout de la communication avec les esprits. Alors il y a des esprits qui sont très bavards. Ils viennent dans beaucoup d’endroits à la fois, surtout les gens comme Napoléon (je ne sais pas pourquoi ils ont la spécialité de Napoléon), partout Napoléon arrive et vous raconte des histoires extraordinaires sur sa vie, et généralement très contradictoires, et peut-être toutes au même moment! Ce sont des gens vraiment très actifs. Enfin, c’est surtout comique — et c’est impossible.

La vérité est que ce sont des petites entités du vital, des espèces d’êtres formés par la décomposition des désirs qui ont persisté après la mort et qui sont restés en forme; des imaginations qui sont restées coagulées et qui essayent de se manifester, de se montrer. Quelquefois ce sont des petits êtres du monde vital qui ne sont pas d’une bonne disposition : dès qu’ils voient les gens qui s’amusent à faire des choses comme cela — écriture automatique, communication avec les esprits —, ils viennent et puis ils s’amusent. Et alors, comme ils sont dans un domaine où il est facile de lire dans la pensée humaine, ils vous racontent très bien ce que vous avez dans votre tête. Ils répondent à ce que vous attendiez. Vous voulez avoir une réponse quelconque : ils vous donnent la réponse avant même que vous ayez posé la question! Ils peuvent vous donner des précisions, ils peuvent vous dire qu’il vous est arrivé telle et telle chose, que tel et tel membre de votre famille... Ils savent très bien. Ils font de la lecture de pensée excellente, et ils vous disent des choses tout à fait convaincantes. « Je n’ai pas dit que j’étais marié, et que j’avais trois fils et quatre filles, comment se fait-il qu’il sache tout? »... Parce que c’est dans votre tête.

Les souvenirs psychiques ont un caractère très spécial et sont d’une intensité merveilleuse. Mais cela ne peut pas se raconter comme cela... Ce sont des moments inoubliables de la vie, où la conscience est intense, lumineuse, forte, active, puissante, et quelquefois des tournants de l’existence qui ont changé l’orientation de votre vie. Mais jamais on ne pourra dire la robe que l’on portait ou le monsieur avec qui l’on a parlé et les voisins et le genre de champ dans lequel on se trouvait.

Pourquoi oublie-t-on ses rêves?

Parce que l’on ne rêve pas toujours dans le même endroit. Ce n’est pas toujours la même partie de l’être qui rêve, et ce n’est pas au même endroit que l’on rêve. Si l’on était en communication consciente, directe et continue avec toutes les parties de son être, on se souviendrait de tous ses rêves. Mais il y a très peu de parties de l’être qui soient en communication.

Par exemple, vous avez un rêve dans le physique subtil, c’est-à-dire tout proche du physique. Généralement, ce sont des rêves que l’on a de bonne heure le matin, c’est-à-dire entre quatre heures et cinq heures, à la fin du sommeil. Si vous ne faites pas de mouvement brusque dans votre lit quand vous vous réveillez, si vous restez bien tranquille, bien immobile et un petit peu attentif — tranquillement attentif — et concentré, vous vous en souviendrez, parce que la communication est établie entre le physique subtil et le physique — il est rare qu’il n’y ait pas de communication.

Maintenant, ce qui fait le plus oublier les rêves, c’est que tu as un rêve dans un certain état, puis tu passes dans un autre. Par exemple, quand tu t’endors, ton corps est endormi, ton vital est endormi, mais ton mental est encore actif. Alors ton mental commence à avoir des rêves, c’est-à-dire que son activité est plus ou moins coordonnée, l’imagination est très active, et on voit toutes sortes de choses, on participe à des événements extraordinaires... Au bout d’un certain temps, ça se calme et le mental commence aussi à somnoler. Le vital, qui se reposait, se réveille; il sort du corps, il se promène, il va ici et là, il fait toutes sortes de choses, réagit, quelquefois il se bat, enfin il mange. Il fait toutes sortes de choses. Le vital est très aventureux. Il veille. Quand il a un caractère héroïque, il va sauver les gens qui sont en prison, ou il va détruire des ennemis, ou il fait des découvertes merveilleuses. Mais cela repousse très loin derrière tout le rêve mental. Il est effacé, oublié : naturellement on ne peut pas s’en souvenir, parce que le rêve vital prend sa place. Mais si vous vous réveillez subitement à ce moment-là, vous vous en souviendrez. Il y a des gens qui ont fait l’expérience, qui se sont réveillés à certaines heures précises de la nuit, et quand ils se sont réveillés brusquement, ils se souviennent. Il ne faut pas se secouer, mais se réveiller selon la courbe naturelle, alors on se souvient.

Après un certain temps, le vital qui s’est bien promené a besoin de se reposer aussi, et alors il se met au repos et en tranquillité, bien fatigué, après toutes sortes d’aventures. Alors c’est quelque chose d’autre qui se réveille. Mettons, par exemple, que c’est le physique subtil qui va se promener. Il entre en mouvement et commence à se promener, à voir les chambres et... Tiens! cet objet qui était à cette place, mais il est venu à celleci, et celui-là qui était dans cette chambre est maintenant dans celle-là, et ainsi de suite. Si tu te réveilles sans bouger, tu te souviens. Mais cela a repoussé très loin derrière dans la conscience toutes les histoires du vital. Elles sont oubliées. Et alors tu ne peux pas te souvenir de tes rêves. Mais si au moment de te réveiller tu n’es pas pressé, tu n’es pas obligé de sortir de ton lit, au contraire tu peux rester aussi longtemps que tu veux, tu n’as même pas besoin d’ouvrir les yeux : tu laisses la tête exactement à la même place où elle était et tu fais au-dedans de toi comme un miroir tranquille et tu te concentres là-dessus. Tu attrapes un petit bout de la queue du rêve. Tu attrapes cela et tu commences à tirer doucement, toujours sans bouger. Tu commences à tirer tout doucement, et puis une partie vient, après il en vient une autre. On va à reculons. C’est le dernier qui vient le premier. Tout va à reculons, doucement, et tout d’un coup tout le rêve apparaît : « Ah! voilà, c’était comme ça ! » Surtout ne saute pas, ne bouge pas : tu te répètes le rêve à toi-même plusieurs fois — une fois, deux fois — jusqu’à ce que ce soit clair dans tous les détails. Une fois que ce rêve-là est réglé, tu continues à ne pas bouger, tu essayes d’aller plus loin au-dedans, et tout d’un coup tu attrapes la queue d’une autre chose. Ça, c’est plus lointain, plus vague, mais tu pourras encore l’attraper. Et puis là aussi, tu accroches et tu attrapes et tires, et tu vois que tout change, et tu entres dans un autre monde : tout d’un coup, tu as une aventure extraordinaire — c’est un autre rêve. Tu suis le même procédé. Tu te racontes à toi-même le rêve une fois, deux fois, jusqu’à ce que tu sois certain. Tu restes toujours très tranquille. Puis tu commences à pénétrer encore plus profondément au-dedans de toi, comme si tu entrais très loin, très loin, très loin. Et puis tout d’un coup tu vois une forme vague, tu as une impression, une sensation... comme un courant d’air, une petite brise, un petit souffle; tu dis : « Tiens, tiens... » Cela prend une forme, cela devient clair — et la troisième catégorie arrive. Il faut beaucoup de temps, beaucoup de patience, il faut être très tranquille dans sa tête et son corps, très tranquille, et on peut arriver à raconter toute sa nuit, depuis la fin jusqu’au commencement.

Même sans faire cet exercice qui est très long et très difficile, pour se rappeler un rêve, que ce soit le dernier ou celui du milieu qui a fait une impression violente sur l’être, il faut faire ce que j’ai dit quand on se réveille : faire bien attention de ne même pas bouger la tête sur l’oreiller, rester absolument tranquille, et laisser le rêve revenir.

Certaines gens n’ont pas de chemin entre un état d’être et l’autre, il y a un petit trou, et alors ils sautent de l’un à l’autre, il n’y a pas de chemin traversant tous les états d’être sans interruption de conscience. Un petit trou noir, on ne se souvient pas. C’est comme un petit précipice où il faut prolonger la conscience. Pour construire un pont, il faut très longtemps; cela prend encore plus de temps que pour construire un pont physique. Il y a peu de gens qui sachent et veuillent le faire. Ils peuvent avoir des activités magnifiques, ils ne s’en souviennent pas, ou quelquefois seulement de la dernière petite activité plus proche, plus physique, où le mental est très agité, fatigué, avec un mouvement sans coordination, des rêves qui n’ont aucun sens.

Mais il y a autant de nuits et de sommeils différents qu’il y a de journées et d’activités différentes. Il n’y a pas beaucoup de jours qui soient pareils, chaque jour est différent. Il n’y a pas de jours semblables, il n’y a pas de nuits semblables. Toi et tes amis, vous faites en apparence la même chose, mais pour chacun c’est très différent. Aussi chacun doit avoir son procédé.

Pourquoi n’y a-t-il pas deux rêves pareils?

Parce que toutes les choses sont différentes. Il n’y a pas deux minutes semblables dans l’univers et ce sera ainsi jusqu’à la fin de l’univers, il n’y aura pas deux minutes semblables. Et les gens s’obstinent à vouloir faire des règles! Il faut faire ceci et pas cela... Bah! il faut laisser les gens s’amuser.

Tu aurais pu me poser une question très intéressante : « Pourquoi ai-je quatorze ans aujourd’hui? » Les gens intelligents diront : « C’est parce que c’est la quatorzième année depuis que tu es née. » C’est la réponse de quelqu’un qui se croit très intelligent. Mais il y a une autre raison. Je te la dirai à toi toute seule... Je vous ai bien noyés — suffisamment! Maintenant il va falloir apprendre à nager!

Si l’on peut trouver la vérité dans les choses, est ce que cela veut dire que l’on a trouvé le Divin?

Sûrement! dans n’importe quoi, c’est la seule manière. Il n’est pas de chose qui ne porte en elle-même une vérité éternelle, autrement elle ne pourrait pas être. L’univers ne pourrait pas exister plus d’une millième partie d’une seconde s’il ne contenait pas une vérité en soi.

Si on a le contact avec le Divin, quel effet cela aura-t-il ?

Pour chacun un effet différent. Parce que nous sommes en présence d’un fait : il y a un univers, du moins il y a une terre — de cela nous sommes à peu près sûrs, on ne peut pas discuter làdessus, tu l’admets?... Tu t’es quelquefois demandé pourquoi il y a une terre? Non! Probablement c’était très sage. Un jour, je vous ai parlé de cet occultiste que je connaissais. C’était un sage à sa manière. Il y avait des gens qui venaient lui demander : Premièrement, pourquoi y a-t-il un univers? Réponse : qu’est-ce que cela peut vous faire?

Deuxièmement, alors pourquoi est-il ce qu’il est? Réponse : il est comme il est, qu’est-ce que cela peut vous faire?

Troisièmement, je ne trouve pas qu’il soit satisfaisant.

Alors très bien, nous commençons à toucher à la pratique. À ceux qui ne le trouvent pas satisfaisant, je dirai : il n’y a qu’une chose à faire, mettez-vous au travail pour que cela change, trouvez un moyen que ce soit autrement et que ce soit bien. Les choses sont comme elles sont. Pourquoi elles sont comme cela ?... Peut-être pourrait-on le savoir — ce n’est pas sûr. En tout cas, elles sont comme cela. Le plus remarquable, c’est que si vous êtes sincère, vous trouverez pourquoi elles sont comme cela et comment elles sont comme cela : la cause, l’origine et le procédé. Parce que c’est une seule chose. Il y a ce que nous appelons la Vérité, la base de toute chose; parce que si ce n’était pas là, il n’y aurait rien. Une fois que vous avez trouvé la Vérité, vous trouvez l’origine, vous trouvez le moyen de changer la cause : comment c’est comme cela, pourquoi c’est comme cela, et le moyen de le changer. Si vous êtes en contact avec le Divin, vous avez la clef de tout. Vous savez le comment, le pourquoi et le procédé pour que cela change.

Il y a quelque chose à faire : à travailler, c’est tellement intéressant! Vous représentez une petite masse de substance agglomérée qui forme vous-même. Entrez dedans et trouvez la clef. Vous n’avez qu’à descendre là-dedans. Vous ne pouvez pas dire : cela me dépasse, c’est trop grand pour moi. Allez audedans de la petite personne et vous trouverez la clef qui ouvre toutes les portes.

Le 13 mai 1953

« Certains, quand ils s’assoient pour méditer, entrent dans un état qu’ils pensent très remarquable et déli cieux. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Quel est cet état?

Quel qu’il soit, ils pensent que leur état est délicieux et remarquable. Ils ont une très bonne opinion d’eux-mêmes. Ils croient qu’ils sont des gens remarquables parce qu’ils peuvent s’asseoir tranquillement sans bouger; et s’ils ne pensent à rien, c’est remarquable. Mais généralement, c’est une espèce de kaléidoscope qui marche dans leur tête, ils ne s’en aperçoivent même pas. Enfin ceux qui peuvent rester un petit moment sans bouger, sans parler et sans penser, ont certainement une très bonne opinion d’eux-mêmes. Seulement, comme je l’ai dit, si on les tire de là, si on vient frapper à la porte et qu’on leur dise : « Il y a quelqu’un qui vous attend », ou : « Madame, l’enfant est en train de crier », alors on est furieux, et on dit : « Voilà, ma méditation est abîmée! Tout est abîmé. » Je dis là des choses que j’ai vues de mes propres yeux. Des gens qui étaient très sérieux dans leur méditation, et on ne pouvait pas interrompre leur méditation sans qu’ils entrent dans une grande colère... Naturellement ce n’est pas un signe de grand progrès spirituel. Ils tempêtaient contre tout le monde parce qu’on les avait tirés de leur béatifique méditation.

Parmi les gens qui méditent, il y en a un certain nombre qui savent méditer et qui se concentrent non pas sur une idée, mais dans un silence, une contemplation intérieure, où ils disent arriver jusqu’à une union avec le Divin; et cela, c’est parfaitement bien. Il y en a d’autres, un petit nombre, qui peuvent suivre une idée attentivement et tâcher de trouver exactement ce qu’elle veut dire; cela, c’est bien aussi. La plupart du temps, les gens essayent de se concentrer et entrent dans une sorte d’état semi-somnolent, et en tout cas très tâmasique. Ils deviennent une espèce de chose inerte : la pensée est inerte, le sentiment est inerte, le corps est immobile. Ils peuvent rester comme cela pendant des heures, parce qu’il n’y a rien de plus durable que l’inertie! Tout ce que je vous raconte là, ce sont des expériences de gens que j’ai rencontrés. Et ceux-là, quand ils sortent de leur méditation, ils croient sincèrement qu’ils ont fait quelque chose de très grand. Mais ils sont tout simplement descendus dans l’inertie, dans l’inconscience. Des gens qui savent méditer, il y en a très peu. Et en plus de cela, admettez que par une grande discipline et des années d’efforts, vous soyez arrivé dans votre méditation à entrer en relation consciente avec la Présence divine; c’est évidemment un résultat, et ce résultat doit nécessairement avoir un effet sur votre caractère et sur votre vie. Mais cet effet est très différent suivant les individus. Il y a des cas où ils sont coupés en deux d’une façon si radicale que, dans leur méditation, ils peuvent entrer en contact avec le Divin et avoir cette félicité suprême de l’identification, et puis, quand ils en sortent et qu’ils mènent leur vie, qu’ils se mettent à vivre et à agir, ils peuvent être les individus les plus ordinaires, avec les réactions les plus ordinaires et quelquefois même les plus vulgaires. Cela aussi, je connais des gens qui deviennent tout à fait l’homme ordinaire, et alors, par exemple, qui font toutes les choses qu’il ne faut pas faire, comme passer leur temps à bavarder sur les autres, ne penser qu’à soi, avoir toutes les réactions égoïstes et vouloir organiser leur vie pour leur petit bien-être personnel; qui ne pensent pas du tout aux autres et qui ne rendent jamais un service à personne, qui n’ont aucune idée générale. Et pourtant, dans leur méditation, ils ont eu ce contact. Et alors c’est cela qui fait dire à ceux qui ont découvert à quel point c’est difficile de changer cette petite nature extérieure que l’on a prise avec son corps, comme c’est difficile de se surmonter soi-même, de transformer ses mouvements : « Ce n’est pas possible, ce n’est pas la peine d’essayer. En venant au monde, vous avez pris un corps de poussière, vous n’avez qu’à le laisser tomber et vous préparer à vous en aller, laisser le monde comme il est; et la seule chose à faire est de s’enfuir aussi vite qu’on peut; et si tout le monde s’enfuit, alors il n’y aura plus de monde, donc plus de misère. » C’est une logique. Si on leur dit : « Mais c’est peutêtre très égoïste ce que vous faites là, de vous en aller, de laisser les autres patauger? » — « Eh bien, ils n’ont qu’à faire comme moi. Si tout le monde faisait comme moi, ils s’en sortiraient, il n’y aurait plus de monde, plus de misère. » Comme si cela pouvait dépendre de la volonté d’individus qui n’ont même pas participé à la fabrication du monde! Comment peuventils espérer le faire cesser? Si encore c’étaient eux qui l’avaient fait, ils pourraient savoir comment cela se fait et essayer de le défaire (quoique ce ne soit pas toujours facile de défaire les choses que l’on a faites), mais ce ne sont pas eux qui l’ont fait! ils ne savent même pas comment cela s’est fait! et ils ont la prétention de vouloir le défaire, parce qu’ils s’imaginent que, eux, peuvent s’enfuir... Je ne pense pas que ce soit possible. On ne peut pas s’enfuir, même si l’on essaye. Mais enfin cela, c’est un autre sujet. En tout cas, pour moi, mon expérience (qui est assez longue parce que voilà à peu près cinquante-trois ans que je m’occupe des gens, de leur yoga et de leurs efforts intérieurs; j’en ai vu beaucoup ici et là, un peu partout dans le monde), eh bien, je ne crois pas que ce soit par la méditation que vous puissiez vous transformer. Je suis même absolument convaincue du contraire.

Si en faisant ce que vous avez à faire — quoi que ce soit, quelque travail que ce soit — si vous le faites, et qu’en le faisant vous ayez soin de ne pas oublier le Divin, de Lui offrir ce que vous faites, et d’essayer de vous donner à Lui de façon qu’Il puisse changer toutes vos réactions — au lieu qu’elles soient égoïstes, mesquines, stupides et ignorantes, en faire quelque chose de lumineux, de généreux —, alors là, vous aurez fait un progrès. Et non seulement vous aurez fait un progrès, mais vous aurez aidé au progrès général. Je n’ai jamais vu de gens qui aient tout lâché pour venir s’asseoir dans une contemplation plus ou moins vide (parce qu’elle est plus ou moins vide), je n’ai jamais vu que ceux-là fassent des progrès, ou en tout cas leurs progrès sont très minimes. J’ai vu des êtres qui n’avaient aucune prétention de faire le yoga, qui seulement étaient enthousiasmés par l’idée de la transformation terrestre et de la descente du Divin dans le monde, et qui faisaient leur petit peu de travail avec cet enthousiasme dans le cœur, en se donnant totalement, sans réserve, sans idée égoïste de salut personnel, ceux-là, je les ai vus faire des progrès magnifiques, vraiment magnifiques. Et quelquefois ils sont admirables. J’ai vu des sannyâsis, j’ai vu des gens qui vivent dans des monastères, j’ai vu des gens qui faisaient profession d’être des yogis, eh bien, je ne donnerais pas un des autres pour une dizaine de ceux-là (je veux dire, en se plaçant au point de vue de la transformation terrestre et du progrès du monde, enfin de ce que nous voulons faire, tâcher que ce monde ne soit plus ce qu’il est et devienne vraiment l’instrument de la Volonté divine, avec la Conscience divine). Ce n’est pas en vous enfuyant du monde que vous allez le changer. C’est en y travaillant, modestement, humblement, mais avec une flamme dans le cœur, quelque chose qui brûle comme une offrande. Voilà.

Alors la méditation ne sert à rien?

Non, et dans la mesure où elle est nécessaire, elle vous viendra spontanément. Tout d’un coup, vous serez pris par quelque chose qui vous immobilise, qui vous concentre dans la vision d’une idée, ou dans la vision d’un état psychologique. Cela vous saisit. Il ne faut pas résister. Alors vous faites le progrès nécessaire. À ce moment-là vous voyez, vous comprenez quelque chose; et puis la minute d’après, vous repartez dans votre travail avec cela de gagné en vous, mais sans prétention. Ce que je crains le plus, ce sont les gens qui se croient très exceptionnels parce qu’ils s’assoient et qu’ils méditent. C’est de toutes choses la plus dangereuse, parce qu’ils deviennent si vaniteux et si pleins de satisfaction vis-à-vis d’eux-mêmes, qu’alors ils se bouchent toutes les voies de progrès...

Il y a une chose que l’on a toujours dite, mais qu’on a toujours mal comprise, c’est la nécessité de l’humilité. On le prend mal, on le comprend mal, et on s’en sert mal aussi. Soyez humble, si vous le pouvez de la vraie manière; ne le soyez surtout pas de la mauvaise manière parce que cela ne vous mène nulle part. Mais il y a une chose : si vous pouvez sortir de vous cette graine de mauvaise herbe qu’est la vanité, alors là vous aurez fait quelque chose. Mais si vous saviez comme c’est difficile! Vous ne pouvez pas faire une chose bien, vous ne pouvez pas avoir une bonne idée, vous ne pouvez pas avoir un bon mouvement, vous ne pouvez pas faire un progrès sans vous gonfler intérieurement (sans même vous en rendre compte) d’une satisfaction pleine de vanité. Et vous êtes obligé alors de donner des coups de marteau là-dessus pour que cela casse. Et encore, il en reste des morceaux ! et ces morceaux recommencent à germer. Il faut travailler toute sa vie et ne jamais oublier de travailler pour enlever cette mauvaise herbe, qui repousse et repousse d’une façon si insidieuse que vous croyez que c’est parti, et vous vous sentez très modeste, vous dites : « Ce n’est pas moi qui ai fait cela, je sens que c’est le Divin, je ne suis rien s’Il n’est pas là », et puis la minute d’après, vous êtes si content de vous, simplement parce que vous avez pensé cela !

Quelle est la vraie manière et la mauvaise manière d’être humble?

C’est très simple, quand on dit aux gens « soyez humbles », ils pensent tout de suite à « être humble vis-à-vis des autres hommes » et cette humilité-là est mauvaise. La vraie humilité, c’est l’humilité vis-à-vis du Divin, c’est-à-dire le sens précis, exact, vivant, que l’on n’est rien, que l’on ne peut rien, que l’on ne comprend rien sans le Divin, que même si l’on est un être exceptionnellement intelligent et capable, ce n’est rien en comparaison de la Conscience divine; et cela, on doit le garder toujours, parce que toujours on a la vraie attitude de réceptivité — réceptivité humble, qui n’oppose pas de prétention personnelle vis-à-vis du Divin.

Tu as dit : « Si vous suivez le chemin de la soumission, vous devez mettre fin à l’effort personnel ; mais cela ne veut pas dire qu’il vous faille aussi abandonner toute volonté dans l’action. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Mais si l’on « veut » faire quelque chose, c’est un effort personnel, non? Qu’est ce que la volonté?

Il y a une différence entre la volonté et ce sentiment de tension, d’effort, de ne compter que sur soi, de n’avoir recours qu’à soi, qu’est l’effort personnel ; cette espèce de tension, de quelque chose qui est très aigu, et quelquefois même très douloureux : vous ne comptez que sur vous et vous avez l’impression que si vous ne faites pas à chaque minute un effort, tout sera perdu. Ça, c’est l’effort personnel.

Mais la volonté est quelque chose de tout à fait différent. C’est la capacité de se concentrer sur tout ce que l’on fait, de le faire aussi bien que l’on peut et de ne pas cesser de le faire à moins que l’on n’ait reçu l’indication très précise que c’est fini. C’est difficile à vous expliquer. Mais, par exemple, par un concours de circonstances, il y a un travail qui vient entre vos mains. Prenez un artiste qui d’une façon ou d’une autre a reçu une inspiration et a décidé de faire un tableau. Il sait très bien que s’il n’a pas l’inspiration, s’il n’est pas soutenu par des forces autres que la sienne, il ne fera pas grand-chose. Cela ressemblera beaucoup plus à un barbouillage qu’à une peinture. Il sait cela. Mais cela a été décidé, cette peinture est à faire; il peut y avoir beaucoup de raisons, mais cette peinture est à faire. Alors, s’il avait l’attitude de la passivité, eh bien, il aurait sa palette, ses couleurs, ses pinceaux, sa toile, et puis il s’assiérait devant et dirait au Divin : « Maintenant tu vas peindre. » Mais le Divin ne fait pas comme cela. Il faut que le peintre lui-même prenne tout et arrange tout, se concentre sur son sujet, trouve les formes et les couleurs qui l’exprimeront, et qu’il mette toute sa volonté dans une exécution de plus en plus parfaite. Il faut que sa volonté soit là, tout le temps. Mais il gardera le sens qu’il doit être ouvert à l’inspiration, il n’oubliera pas que, malgré toute sa connaissance de la technique et malgré les soins qu’il prendra pour arranger, pour organiser et pour préparer ses couleurs et préparer les formes de son dessin, malgré tout cela, s’il n’a pas l’inspiration, ce sera un tableau comme il y en a des millions, et ce ne sera pas très intéressant. Il n’oublie pas. Il essaye, il tâche de voir, de sentir ce qu’il veut que ce tableau exprime et de quelle façon il veut que ce soit exprimé. Il a ses couleurs, il a ses pinceaux, il a son modèle, il a fait son esquisse, qu’il va agrandir pour en faire un tableau, il fait appel à l’inspiration. Il y en a même qui arrivent à avoir une vision claire, précise, de ce qu’il faut faire. Mais alors, jour après jour, heure après heure, ils ont cette volonté de travailler, d’étudier, de faire avec soin tout ce qu’il faut, jusqu’à ce qu’ils reproduisent aussi bien qu’ils peuvent l’inspiration première... Celui-là, il a travaillé pour le Divin, en communion avec Lui, mais pas d’une façon passive, pas avec une soumission passive : avec une soumission active et une volonté agissante. Le résultat, généralement, est quelque chose de très bien. Eh bien, l’exemple du peintre est intéressant, parce qu’un peintre qui est vraiment un artiste est capable de voir ce qu’il va faire, il est capable de se brancher sur cette Puissance divine qui est par-delà l’expression et qui inspire l’expression. Pour le poète, l’écrivain, c’est la même chose, et pour tous les gens qui font quelque chose, c’est la même chose.

Si vous essayiez cela pour vos leçons, vous ne croyez pas que cela réussirait?

Deux jours plus tard, au cours de la « classe du vendredi », Mère a repris le même thème :

Si vous vous disiez, mes enfants : « nous voulons être des instruments aussi parfaits que possible pour exprimer la Volonté divine dans ce monde », et pour que cet instrument soit parfait, il faut qu’il soit cultivé, éduqué, instruit. Il ne faut pas le laisser comme un morceau de pierre qui n’a pas de forme. Quand on veut construire avec une pierre, on la taille; quand on veut faire d’un bloc informe un beau diamant, on le taille. Eh bien, c’est la même chose. Quand avec votre cerveau et votre corps, vous voulez faire un bel instrument pour le Divin, il faut le cultiver, l’aiguiser, le raffiner, compléter ce qui manque, perfectionner ce qui est là.

Par exemple, vous allez à une classe. Si vous n’êtes pas très bien disposé, vous vous dites : « Oh! comme cela va être ennuyeux ! » Admettez que ce soit un professeur qui ne sait pas vous amuser (on peut être un très bon professeur, mais ne pas savoir amuser, parce que ce n’est pas toujours facile... il y a des jours où l’on n’a pas envie d’être amusant), on voudrait bien être ailleurs qu’à l’école. Mais enfin, vous allez en classe, comme cela, vous y allez parce qu’il faut y aller, parce que si vous faites toutes vos fantaisies, vous n’aurez jamais un contrôle sur vous, ce seront vos fantaisies qui vous contrôleront, ce n’est pas vous qui vous contrôlerez. Vous allez dans votre classe. Mais alors, au lieu d’y aller en disant : « Oh! comme je vais m’ennuyer, oh! là ! là ! ça ne va pas être intéressant », etc., si vous vous dites : « Il n’y a pas une minute de la vie, il n’y a pas une circonstance de l’existence qui ne puisse apporter une occasion de progrès, quel est donc le progrès que je vais faire aujourd’hui?... J’offre toute ma petite personne au Divin. Je veux que ce soit un bon instrument pour qu’Il s’exprime, qu’un jour je sois prêt, ou prête, pour la transformation. Qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui? Je vais là dans cette classe, c’est un sujet qui ne m’enthousiasme pas; mais si je ne sais pas trouver d’intérêt dans ce travail, c’est peut-être parce qu’il y a quelque chose qui me manque, qu’il y a quelque part dans mon cerveau un certain nombre de cellules qui sont absentes. Mais alors, si c’est ainsi, je vais essayer de trouver; je vais bien écouter, bien me concentrer, et surtout chasser de mon esprit cette espèce de futilité, de légèreté extérieure qui fait que s’il y a quelque chose que je ne saisis pas, eh bien, je m’ennuie. Pourquoi est-ce que je m’ennuie?... Parce que je ne progresse pas. » Quand on ne fait pas de progrès, on s’ennuie — les grands et les petits, tout le monde — parce que nous sommes sur la terre pour progresser. Si nous ne faisons pas de progrès à chaque minute, eh bien, vraiment c’est ennuyeux, c’est monotone, ce n’est pas toujours gai, c’est loin d’être joli. « Alors je vais trouver aujourd’hui le progrès que je peux faire dans cette classe; il y a quelque chose que je ne sais pas et que je peux apprendre. »

Quand on veut apprendre, on peut apprendre à chaque minute. Moi, j’ai appris même en écoutant des petits enfants bavarder. À chaque minute, il peut se passer quelque chose; quelqu’un peut vous dire un mot, même un idiot peut vous dire un mot qui vous ouvre à quelque chose qui peut vous faire faire un progrès. Et alors, si vous savez comme la vie devient intéressante! On ne peut plus s’ennuyer, c’est fini, tout est intéressant, tout est merveilleux — parce qu’à chaque minute on peut apprendre, à chaque pas on fait un progrès. Par exemple, quand vous êtes dans la rue, au lieu d’être là et puis de ne pas savoir ce que vous faites, si vous regardez, si vous observez... Je me souviens d’avoir été comme cela obligée d’être dans la rue pour faire une course, aller chez quelqu’un, aller acheter quelque chose, n’importe — n’est-ce pas, ce n’est pas toujours amusant d’être dans la rue —, mais si vous vous mettez à observer et si vous voyez comment celui-ci marche, comment celui-là bouge, comment cette lumière réagit sur cet objet, comment ce petit bout d’arbre tout d’un coup, là, rend le paysage joli, comment des centaines de choses brillent... alors à chaque minute on peut apprendre quelque chose. Non seulement on peut apprendre, mais je me souviens d’avoir eu une fois — simplement je marchais dans la rue comme cela —, d’avoir eu une sorte d’illumination, parce qu’il y avait une femme qui marchait devant moi, et qu’elle savait vraiment bien marcher. Que c’était joli ! Son mouvement était magnifique! J’ai vu cela, et tout d’un coup j’ai vu toute l’origine de la culture grecque, comment toutes ces formes descendent vers le monde pour exprimer la beauté — simplement parce que c’était une femme qui savait marcher! Vous comprenez, c’est comme cela que tout devient intéressant. Et alors, au lieu d’aller en classe et d’y faire des bêtises (et j’espère qu’aucun de vous n’en fait, je suis sûre que ceux qui viennent dans ma classe n’iront jamais faire des bêtises à l’école, que ce sont les exceptions qui confirment la règle; mais enfin, je sais que malheureusement il y en a trop qui vont là-bas pour faire toutes les idioties qu’on peut inventer), alors, au lieu de cela, si vous pouviez aller en classe pour faire un progrès, tous les jours un nouveau petit progrès — ne serait-ce que celui de comprendre pourquoi votre professeur vous ennuie — c’est une chose merveilleuse, parce que tout d’un coup il ne vous ennuiera plus, tout d’un coup vous découvrirez qu’il est très intéressant! C’est comme cela. Si vous regardez la vie comme cela, la vie devient quelque chose de merveilleux. C’est la seule façon de la rendre intéressante, parce que la vie sur la terre est faite comme un champ de progrès, et que si nous progressons au maximum, nous tirons le maximum d’avantage de notre vie sur la terre. Et alors on est content. Quand on fait aussi bien que l’on peut, on est content.

Douce Mère, quand on s’ennuie, est ce que cela veut dire qu’on ne progresse pas?

À ce moment-là, oui, certainement, sans aucun doute; non seulement on ne progresse pas, mais on manque une occasion de progresser. Il y avait un concours de circonstances qui vous paraissait terne, ennuyeux et stupide, et dans lequel vous vous trouviez; eh bien, si vous vous ennuyez, cela veut dire que vous êtes aussi ennuyeux que les circonstances! et c’est une preuve évidente que vous n’êtes pas en état de progrès, simplement. Cette vague d’ennui qui passe, il n’y a rien qui soit plus contraire à la raison d’être de l’existence. Si vous faites au-dedans de vous le petit effort à ce moment-là, si vous vous dites : « Tiens, qu’est-ce qu’il faut que j’apprenne? qu’est-ce que tout cela m’apporte pour que j’apprenne quelque chose? quel est le progrès que je dois faire sur moi-même? quelle est la faiblesse que je dois surmonter? quelle est l’inertie qu’il faut que je vainque? », si vous vous dites cela, vous verrez la minute d’après que vous ne vous ennuierez plus. Vous serez tout de suite intéressés, et vous ferez un progrès! C’est une platitude de la conscience.

Et alors, n’est-ce pas, la plupart des gens quand ils s’ennuient, au lieu de tâcher de monter à un degré plus haut, ils descendent un degré plus bas, ils deviennent encore au-dessous de ce qu’ils étaient, et ils font toutes les bêtises que les autres font, toutes les vulgarités, toutes les crapuleries, tout cela, pour s’amuser. On s’intoxique, on s’empoisonne, on abîme sa santé, on abîme son cerveau, on dit des grossièretés. On fait tout cela parce qu’on s’ennuie. Eh bien, si au lieu de descendre on était monté, on aurait profité des circonstances. Au lieu d’en profiter, on tombe un peu plus bas encore que l’on n’était. Quand les gens ont un grand coup dans leur vie, un malheur (ce que les hommes appellent des « malheurs », il y a des gens qui ont des malheurs), la première chose qu’ils essayent de faire, c’est d’oublier — comme si l’on n’oubliait pas assez vite! Et pour oublier, ils font n’importe quoi. Quand ils ont quelque chose de pénible, ils veulent se distraire — ce qu’ils appellent se distraire, c’est-à-dire faire des bêtises, c’est-à-dire descendre dans leur conscience, descendre un petit peu au lieu de monter... Il vous est arrivé quelque chose d’extrêmement pénible, de très douloureux ? Alors il ne faut pas s’abrutir, il ne faut pas oublier, il ne faut pas descendre dans l’inconscience; il faut aller jusqu’au fond et trouver la lumière qui est derrière, la vérité, la force et la joie, et pour cela, il faut être fort, et refuser de glisser. Mais cela, nous verrons un peu plus tard, mes enfants, quand vous serez un peu plus grands.

Le 20 mai 1953

Tu dis : « Même ceux qui ont la volonté de s’enfuir, quand ils arrivent de l’autre côté, peuvent trouver que la fuite ne sert pas à grand-chose après tout. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Qu’est ce que tu appelles « l’autre côté » ?

On dit l’autre côté du voile, l’autre côté de l’existence. C’est ne plus être dans le physique : être dans le vital, par exemple, ou dans la partie consciente du vital. On devient conscient des deux côtés et alors on sait ce qui se passe. Il y a des gens qui sortent méthodiquement de leur corps pour avoir l’expérience de la séparation entre les deux. Mais cela, il faut savoir le faire, et il ne faut pas le faire tout seul. Il faut qu’il y ait quelqu’un qui puisse être là et regarder et surveiller le corps.

Est ce que l’offrande et la soumission au Divin ne sont pas la même chose?

Ce sont deux aspects de la même chose, mais pas tout à fait pareils. L’un est plus actif que l’autre. Ils n’appartiennent pas tout à fait au même plan d’existence.

Par exemple, tu as décidé de faire l’offrande de ta vie au Divin, tu prends cette décision. Mais tout d’un coup, il t’arrive une chose tout à fait désagréable, inattendue, et ton premier mouvement est de réagir et de protester. Tu as pourtant fait l’offrande, tu as dit une fois pour toutes : « Ma vie appartient au Divin », et puis, tout d’un coup, une circonstance extrêmement désagréable arrive (cela peut arriver) et il y a quelque chose en toi qui réagit, qui n’en veut pas. Mais là, si tu veux vraiment être logique avec ton offrande, il faut que tu présentes cette circonstance désagréable, que tu en fasses l’offrande au Divin, en lui disant avec une expression sincère : « Que Ta volonté soit faite; si Tu décides comme cela, ce sera comme cela. » Et il faut que ce soit une adhésion volontaire et spontanée. Alors c’est très difficile.

Même pour la plus petite chose, quelque chose qui n’est pas en accord avec ce que tu attendais, ce pour quoi tu as travaillé, au lieu que ce soit une réaction opposée qui vienne — spontanément, irrésistiblement, il y a un recul : « Non, pas ça » —, si l’on a fait un « surrender » complet, une soumission totale, surrender » complet, une soumission totale, eh bien, ce n’est pas comme cela : on est aussi tranquille, aussi paisible, aussi calme dans un cas comme dans l’autre. Et on a peut-être conçu que ce serait mieux si la chose se faisait d’une certaine manière; mais si elle se fait autrement, on trouve que c’est aussi bien. On peut, par exemple, avoir travaillé très dur pour faire quelque chose, pour que quelque chose arrive, avoir donné beaucoup de son temps, beaucoup de son énergie, beaucoup de sa volonté, et tout cela non pas pour soi-même, mais, par exemple, pour une œuvre divine (cela, c’est l’offrande), et admets qu’après avoir pris tout ce mal, fait tout ce travail et tous ces efforts, cela tombe juste à l’envers, cela ne réussit pas. Si tu es vraiment soumis, tu dis : « C’est bon, c’est bien, j’ai fait ce que j’ai pu, aussi bien que j’ai pu; maintenant ce n’est pas ma décision, c’est la décision du Divin, je me soumets entièrement à ce qu’Il décide. » Tandis que si l’on n’a pas cette espèce de soumission profonde et spontanée, on se dit : « Comment! je me suis donné tant de mal pour faire une chose qui n’est pas une chose égoïste, qui est une chose pour l’Œuvre divine, et voilà le résultat, cela ne réussit pas! » Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent c’est comme cela.

La vraie soumission est une chose très difficile.

Pour la soumission, est ce qu’il faut continuer à faire ce que l’on doit faire?

Continuer à faire ce que l’on doit, ce qui est clairement indiqué que l’on doit faire, ce qui est à faire — que l’on réussisse ou que l’on ne réussisse pas, que le résultat soit ce que l’on pense ou ce que l’on espère, ou que cela ne soit pas, cela n’a aucune importance : on continue.

Mais quand on essaye, si l’on fait une faute inconsciem ment, comment comprendre?

Si l’on est tout à fait sincère, on comprend. Ne pas comprendre sa faute est toujours le signe d’une insincérité quelque part. Et généralement, c’est caché dans le vital. Quand le vital consent à collaborer (ce qui est déjà un grand pas), quand il décide qu’il va aussi travailler, qu’il va donner tout son effort et toute son énergie pour que le travail se fasse, il y a malgré tout en dessous, bien caché quelque part, une sorte de — comment pourronsnous appeler cela ? —, un espoir que les choses tourneront bien et que le résultat sera favorable. Et ça voile la complète sincérité. Parce que cet espoir est une chose égoïste, personnelle, et ça voile la complète sincérité. Alors on ne sait pas.

Mais si l’on est tout à fait, absolument sincère, dès que ce que l’on fait n’est pas exactement ce qu’il faudrait faire, on le sent d’une façon très précise — pas violente, mais très précise, très exacte : « Non, pas ça. » Et alors, si l’on n’a pas d’attachement, immédiatement cela cesse, instantanément cela cesse.

Seulement on a de l’attachement, même pour une œuvre désintéressée. C’est cela qu’il faut comprendre. Vous avez donné votre vie pour un but qui n’est pas égoïste, mais l’ego est là tout de même. Et vous avez une façon spéciale, personnelle de faire la chose; et vous avez en vous un espoir (pour ne pas dire un désir) que le résultat sera comme cela, que vous obtiendrez cela, que cela sera fait. Même un travail qui n’est pas fait pour vous mais qui est une œuvre que vous avez entreprise, vous espérez qu’elle réussira, que vous aurez du succès — pas personnellement : pour la chose que vous avez entreprise, l’œuvre que vous êtes en train de faire. Eh bien, cela donne juste un tout petit quelque chose comme ça en dessous, très caché, un tout petit quelque chose qui est un peu... pas très droit, un peu courbe, tordu. Et alors vous ne savez pas. Mais si ce n’était pas là, dès que vous ne faites pas exactement la chose qu’il faut, vous le savez. Vous le savez d’une façon absolument précise. C’est aussi délicat qu’un mouvement qui serait la millième partie d’un millimètre. Oui, il est là, et cela suffit, vous savez : « Je me suis trompé. » Mais il faut avoir cette sincérité absolue qui justement, à tout prix, ne veut pas se tromper soi-même; qui fera n’importe quoi, qui renoncera à tout, tout, tout, plutôt que de vivre dans une illusion quelconque. Mais c’est très difficile; cela prend du temps et beaucoup de travail. Quand on fait une chose, toujours les deux, le mental et le vital, sont là qui essayent de tirer un profit quelconque de ce que l’on fait : un profit de satisfaction personnelle, un profit de contentement, un profit de bonne opinion que l’on a de soi. C’est difficile de ne pas se tromper soi-même.

Quelle est la façon précise de sentir que nous apparte nons au Divin et que le Divin agit en nous?

Il ne faut pas sentir avec sa tête (parce qu’on le pense, mais c’est vague, comme cela), il faut sentir avec sa sensation. Naturellement on commence par vouloir avec sa tête, parce que c’est la première chose qui comprenne. Et puis on a une aspiration ici (geste au cœur), avec une flamme qui vous pousse à réaliser. Mais si l’on veut vraiment que ce soit la chose, eh bien, il faut le sentir.

Tu fais quelque chose, admets par exemple que tu fasses de l’exercice, du « weight-lifting 2 ». Et alors tout d’un coup, sans. même savoir comment cela s’est passé, tout d’un coup tu as l’impression qu’il y a une force qui est infiniment plus grande que toi, plus grande, plus puissante, une force qui lève pour toi. Ton corps devient une chose presque inexistante, et il y a cette Chose qui lève. Et alors tu verras; quand cela t’arrivera, tu ne demanderas plus comment il faut faire : tu le sauras. Cela arrive.

Cela dépend des gens, cela dépend de ce qui domine dans leur être. Pour les gens qui pensent, tout d’un coup ils ont l’impression que ce n’est plus eux qui pensent, qu’il y a quelque chose qui sait beaucoup mieux, qui voit beaucoup plus clair, qui est infiniment plus lumineux, plus conscient en eux, qui organise les pensées et les mots; et alors ils écrivent. Mais si l’expérience est complète, ce n’est même plus eux qui écrivent, c’est cette même Chose qui s’empare de la main et qui la fait écrire. Eh bien, on sait à ce moment-là que la petite personne physique n’est plus qu’un tout petit outil bien insignifiant et qui essaye de se tenir bien tranquille pour ne pas déranger l’expérience.

Il faut surtout ne pas déranger l’expérience. Si tout d’un coup on dit : « Oh! tiens, que c’est étonnant! »...

Comment arriver à cet état?

Aspirer, le vouloir. Essayer d’être de moins en moins égoïste, mais pas dans le sens d’être gentil pour les autres ou de s’oublier soi-même, pas cela : avoir de moins en moins la sensation d’être une personne, d’être une entité séparée, d’être quelque chose qui existe en soi, isolé du reste.

Et puis alors, surtout — surtout — c’est cette flamme intérieure, cette aspiration, ce besoin de lumière. C’est une sorte de... comment dire... d’enthousiasme lumineux qui vous saisit. C’est un besoin irrésistible de se fondre, de se donner, de ne plus exister que dans le Divin.

À ce moment-là, on a l’expérience de son aspiration.

Mais ce moment-là doit être absolument sincère et aussi intégral que possible; et pas seulement se passer dans la tête, pas seulement se passer ici, mais se passer partout, dans toutes les cellules du corps. Il faut que la conscience intégrale ait ce besoin irrésistible... Cela dure un certain temps, puis ça s’amoindrit, ça s’éteint. On ne garde pas ces choses très longtemps. Mais alors il arrive qu’un moment après, ou un jour après, ou quelque temps après, tout d’un coup on a l’expérience opposée. Au lieu de sentir cette montée, tout cela, ça n’existe plus, et on a l’impression de la Descente, de la Réponse. Et ce n’est plus que la Réponse qui existe. Ce n’est plus que la pensée divine, la volonté divine, l’énergie divine, l’action divine qui existent. Et vous, vous n’êtes plus.

C’est-à-dire que c’est la réponse à notre aspiration. Cela peut arriver tout de suite après — c’est très rare, ça peut arriver. Si on a les deux simultanément, alors l’état est parfait; généralement ils alternent; ils alternent de plus en plus proches, jusqu’au moment où la fusion est totale. Alors là, on ne fait plus de distinction. J’ai entendu dire à un soufi mystique (qui était d’ailleurs un grand musicien, un Indien) que pour les soufis il y avait un état supérieur à l’état d’adoration et de soumission au Divin, de dévotion, que cela, ce n’était pas la dernière étape : la dernière étape du progrès, c’est quand on ne fait plus de distinction; on n’a plus cette espèce d’adoration, de soumission, de consécration. C’est un état tout à fait simple et où l’on ne fait aucune distinction entre le Divin et soi-même. Ils connaissent cela. C’est même décrit dans leurs livres. C’est un état connu où alors tout devient tout à fait simple. On ne fait plus de différence. Il n’y a plus cette espèce de soumission extasiée devant « Quelque Chose » qui vous dépasse de toutes façons, que vous ne comprenez plus, qui est seulement l’effet de votre aspiration, de votre dévotion. Il n’y a plus de différence. Quand l’union est parfaite, il n’y a plus de différence.

Est ce que c’est la fin du progrès de soi?

Il n’y a jamais de fin au progrès — il n’y a jamais de fin, on ne peut jamais mettre un point là.

Est ce que cela peut arriver avant la transformation du corps?

Avant la transformation du corps?... C’est un phénomène de conscience. Par exemple, la conscience physique peut avoir cette expérience même pendant des années avant que les cellules ne changent. Il y a une grande différence entre la conscience physique (la conscience corporelle) et le corps matériel... Cela prend longtemps, parce que c’est une chose qui n’a jamais été faite. Cet état-là, je vous l’ai dit, c’est un état connu, qui a été réalisé par certaines gens — les plus avancés, les plus hauts parmi les mystiques —, mais la transformation du corps n’a jamais été faite, par personne.

Et cela prend terriblement longtemps. Sri Aurobindo disait... Je lui ai demandé un jour : « Combien de temps est-ce que cela prendra pour transformer le corps? » Il n’a pas hésité, il a dit : « Oh! quelque chose comme trois cents ans. »

Trois cents ans à partir de quand ?

Trois cents ans à partir du moment où l’on a cette conscience dont je viens de parler. (rires)

Non, la conclusion, ce qu’il faut arriver à faire, c’est obtenir la prolongation de la vie à volonté : ne quitter son corps que quand on le veut.

Alors si l’on a résolu de transformer son corps, eh bien, il faut attendre avec toute la patience qu’il faut — trois cents ans, cinq cents ans, mille ans, cela ne fait rien —, le temps qu’il faut pour changer. Moi, je vois que trois cents ans, c’est un minimum. Pour vous dire la vérité, avec l’expérience que j’ai des choses, je crois que c’est vraiment un minimum.

Mais imaginez. Vous n’avez jamais réfléchi à ce que c’est, n’est-ce pas? Comment est bâti votre corps? D’une façon purement animale, avec tous les organes et tout ce fonctionnement. Vous êtes absolument dépendant : si votre cœur s’arrête pendant plus d’un millième de seconde, vous vous en allez, et puis c’est fini. Tout cela fonctionne et ça fonctionne automatiquement, sans votre volonté consciente — heureusement pour vous, parce que si vous deviez surveiller le fonctionnement, il y a longtemps que cela aurait marché de travers! Tout cela est là. Tout est nécessaire puisque cela a été organisé comme cela. Vous ne pouvez pas vous passer d’un organe, du moins totalement : il faut qu’il y ait quelque chose qui le représente en vous.

La transformation veut dire que tout cet arrangement purement matériel est remplacé par un arrangement de concentrations de force selon certains genres de vibrations différentes remplaçant chaque organe par un centre d’énergie consciente mû par une volonté consciente et régi par un mouvement venu de tout en haut, des régions supérieures. Plus d’estomac, plus de cœur, plus de circulation, plus de poumons, plus de... tout cela disparaît. Mais c’est remplacé par un ensemble de vibrations représentant ce que ces organes-là sont symboliquement. Parce que les organes sont seulement les symboles matériels des centres d’énergie; ils ne sont pas la réalité essentielle : simplement ils lui donnent une forme ou un support dans certaines circonstances données. Alors le corps transformé fonctionnera par ses centres d’énergie réels et non plus par leurs représentants symboliques tels qu’ils se sont développés dans le corps animal. Par conséquent, il faut d’abord savoir ce que votre cœur représente dans l’énergie cosmique, et la circulation ce qu’elle représente, et l’estomac ce qu’il représente, et le cerveau ce qu’il représente. D’abord, il faut être conscient de tout cela pour commencer. Et puis, il faut avoir à sa disposition les vibrations d’origine de cela qui est symbolisé par ces organes. Et il faut lentement rassembler toutes ces énergies dans son corps, et changer chaque organe en un centre d’énergie consciente qui remplacera le mouvement symbolique par le mouvement réel... Tu crois que cela ne prendra que trois cents ans pour faire cela ? Je crois que cela prendra beaucoup plus de temps pour que l’on puisse avoir une forme avec des qualités qui ne seront pas exactement celles que nous connaissons, mais qui lui seront très supérieures; une forme que naturellement on rêve de voir plastique : comme l’expression de votre figure change avec vos sentiments, le corps changera (pas de forme, mais dans la même forme) selon ce que vous voulez exprimer avec votre corps. Il peut devenir très concentré, très développé, très lumineux, très assagi, avec une plasticité complète, une élasticité complète, et puis une légèreté à volonté... Vous n’avez jamais rêvé de donner un coup de pied par terre et puis de partir en l’air, de voler comme cela ? On se promène. On donne un coup d’épaule, on va par ici; on donne un coup d’épaule, on va par là ; et puis on va partout où l’on veut, très facilement; et puis quand on a bien fini, on revient, on rentre dans son corps. Eh bien, il faut pouvoir faire cela avec son corps, et aussi certaines choses qui sont en rapport avec la respiration — mais ce ne seront plus des poumons : un mouvement vrai derrière un mouvement symbolique et qui vous donne cette capacité de légèreté. Vous n’appartenez plus au système de gravitation, vous y échappez. Et ainsi de suite 3 .

Il n’y a pas de fin à l’imagination : être lumineux quand on veut, être transparent quand on veut. Naturellement il n’y a plus besoin d’os aussi dans le système; ce n’est pas un squelette avec de la peau et des viscères, c’est autre chose. C’est de l’énergie concentrée qui obéit à la volonté. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de formes définies, reconnaissables; la forme sera construite par des qualités plutôt que par des particules solides. Ce sera, si l’on peut dire, une forme pratique ou pragmatique; elle sera souple, mobile, légère à volonté, contrairement à la fixité de la forme matérielle grossière.

Alors, pour changer ça en ce que je viens de décrire, je crois vraiment que trois cents ans, c’est très peu. Il semble qu’il faille beaucoup plus que cela. Peut-être qu’avec un travail très, très, très concentré...

Trois cents ans avec le même corps?

Eh bien, on change, ce n’est plus le même corps.

Mais, n’est-ce pas, quand notre petite humanité dit trois cents ans avec le même corps, vous dites : « Voilà, quand j’ai cinquante ans, ça commence déjà à se décomposer, alors trois cents ans, ça va être une chose horrible! » Mais ce n’est pas comme cela. Si c’est trois cents ans avec un corps qui va en se perfectionnant d’année en année, peut-être que quand on arrivera à la trois-centième année, on dira : « Oh! il m’en faut encore trois ou quatre cents pour que je sois comme je veux être. » Si chaque année qui passe représente un progrès, une transformation, on voudra avoir de plus en plus d’années pour pouvoir se transformer de plus en plus. Quand quelque chose n’est pas tout à fait comme vous voulez que ce soit — mettons, par exemple, rien que l’une des choses que je viens de décrire, comme la plasticité, ou la légèreté, ou l’élasticité, ou la luminosité, et que tout cela n’est pas exactement comme on le veut, alors il faut encore au moins deux cents ans pour que ce soit fini, mais on ne pense jamais : « Comment! ça va encore durer deux cents ans! » Au contraire, on dit : « Il faut absolument encore deux cents ans pour que ce soit vraiment fait. » Et puis, quand tout est fait, quand tout est parfait, alors il n’est plus question d’années, parce qu’on est immortel.

Mais il y a beaucoup d’objections que l’on peut faire. On peut dire qu’il serait impossible qu’un corps change sans que quelque chose ne change dans l’entourage. Quelle sera votre relation avec les autres objets si vous avez tellement changé? Avec d’autres êtres aussi? Il semble nécessaire qu’il y ait tout un ensemble de choses qui change, au moins dans certaines proportions relatives, pour que l’on puisse exister, continuer à exister. Et alors cela se complique beaucoup, parce que ce n’est plus une conscience individuelle qui doit faire le travail, cela devient une conscience collective. Alors c’est encore beaucoup plus difficile.

(silence)

Est ce que l’on ne progresse pas si l’on n’est pas conscient de tout ce que le Divin fait en nous?

On progresse, mais on n’est pas conscient de son progrès; et alors le progrès n’est pas volontaire. C’est-à-dire, c’est un progrès que le Divin fait en vous sans votre collaboration. Cela prend beaucoup plus de temps. Cela se fait, mais cela prend beaucoup plus de temps. Quand on est conscient et que l’on collabore, et que justement on fait consciemment ce qu’il faut faire, cela se fait beaucoup plus vite.

Il y a beaucoup de gens qui ne sont même pas conscients, l’immense majorité des gens ne sont même pas conscients de l’action de la Force divine en eux. Si on leur parle de cela, ils vous regardent avec des yeux ronds, ils croient que vous êtes à moitié fou, ils ne savent pas de quoi vous parlez. C’est l’immense majorité des êtres humains. Et pourtant, la Conscience est à l’œuvre et travaille tout le temps. Elle les pétrit du dedans, qu’ils le veuillent ou non. Mais alors, quand on en devient conscient, il y a des êtres que cela révolte, qui sont tellement bêtes qu’ils commencent par se révolter en disant : « Ah ! non, je veux que ce soit moi! » Moi, c’est-à-dire un imbécile qui ne sait rien. Et puis cela passe aussi. Enfin il y a un moment où l’on collabore, et l’on dit : « Oh ! quel bonheur! » Et on se donne, et on se veut aussi passif, aussi réceptif que possible afin de ne pas faire obstacle à cette Volonté divine, à cette Conscience divine qui agit. On devient de plus en plus attentif, et à mesure justement que l’on est plus attentif et plus sincère, on sent dans quelle direction, dans quel mouvement agit cette Conscience divine, et on se donne tout entier. Cela mûrit plus vite. Et on peut faire vraiment en quelques minutes, de cette façon-là, le travail qui prendrait des années autrement. Et c’est cela, le but du yoga : on peut faire le travail en quelques heures, dans un temps qui est concentré, rétréci ; on peut faire autrement ce que la Nature fait — la Nature le fera, la Nature arrivera à transformer tout cela, mais quand on voit le temps qu’elle a pris pour faire ce qu’elle a fait jusqu’à présent, si l’on veut faire de cela l’autre chose... Évidemment, pour la Conscience divine, le temps est très peu de chose, mais pour la conscience ici, c’est beaucoup. Il y a un point de vue où l’on dit : « Bah ! ça se fera, c’est sûr de se faire, alors c’est bon, il n’y a qu’à laisser faire. » Mais la conscience humaine extérieure alors, ne participe plus, parce que cette petite conscience qui a été formée par le corps (ce corps qui est fabriqué maintenant de cette façon-là), eh bien, elle sera partie longtemps avant que cela ne se fasse. Parce que le progrès de la Nature ne s’effectue tout de même pas d’un siècle à l’autre. Si nous regardons en arrière, on ne peut pas voir qu’il y ait vraiment beaucoup de progrès par rapport à ce que les hommes étaient il y a trois mille ans — un peu, quelque chose; quelque chose qui se passe surtout dans la tête, qui comprend un petit peu mieux ; et puis une espèce de contrôle de ce que la Nature fait, une compréhension de ses procédés, on commence à comprendre ses trucs. Alors, comme on comprend ses trucs, on commence à intervenir. Mais comme on n’a pas la connaissance vraie, quand on interviendra, on peut bien faire des bêtises... Ça, je ne sais pas ce qui arrivera quand les hommes connaîtront tous les secrets de la formation de la matière, par exemple. Ils ont déjà inventé un très bon moyen de se détruire. Nous allons voir ce qui arrivera. Mais cela, c’est une toute petite étape; ça se passe surtout là (geste au front), avec des résultats matériels très relatifs.

Comment faut-il pratiquer cette conscience?

Il faut établir cette volonté d’être conscient d’une façon constante, et puis changer la volonté mentale en une aspiration. Il faut avoir ce mouvement. Et puis ne jamais oublier. Il faut regarder, se regarder, et alors se regarder vivre avec cette sincérité de ne pas se tromper, ne jamais se tromper. Oh ! comme c’est difficile!

Est-ce qu’il t’est arrivé d’avoir spontanément — spontanément, sans effort — la perception que tu t’es trompé? Je ne parle pas d’une réaction extérieure qui te donne un coup, tout à coup te réveille, et tu dis : « Ah! diable, qu’est-ce que j’ai fait là ! » Je ne parle pas de cela. Quand tu fais une chose, quand tu sens une chose, quand tu dis une chose — prends simplement les petites querelles comme j’en entends au moins une douzaine tous les jours (au moins), idiotes (je me demande comment, ayant sa raison, on peut se quereller pour des choses pareilles), eh bien, est-ce qu’au moment où l’on prononce des mots que l’on ne devrait pas prononcer, qui sont des inepties, est-ce que l’on se rend compte qu’on est vraiment stupide — pour ne pas dire pire — spontanément?... On se donne toujours une excuse. On a toujours le sentiment que l’autre a tort et que l’on a raison et que, ma foi, il faut bien lui dire qu’il a tort, hein? Autrement, il ne le saurait jamais! Non? Je le mets d’une façon un peu grossière, là, comme sous un petit microscope pour que cela se voie un petit peu plus gros. Mais c’est comme cela. Et tant que c’est comme cela, on est à des millions de lieues de la conscience véritable. Quand on ne peut pas immédiatement, instantanément faire un pas en arrière, se mettre à la place de l’autre, comprendre pourquoi il a ce sentiment, avoir un peu la vision de sa propre faiblesse, comparer les deux, et en venir à la conclusion : « Eh bien, c’est cela, la vraie chose », c’est que l’on est encore très loin derrière. Quand on peut faire cela spontanément, instantanément, que cela ne prenne pas de temps, que cela soit le mouvement naturel, alors là, on peut être satisfait qu’on a fait un petit progrès... Tu as l’expérience combien de fois dans ta journée? Même si l’on n’en vient pas à une querelle prononcée, combien de fois il y a la réaction dans la tête, là, quelque chose qui saute dans la tête, au lieu de cette sagesse égale qui, au moment même où les choses se passent et quand elle les voit, comprend comment elles se passent et pourquoi c’est comme cela — et d’une façon suffisamment impersonnelle pour pouvoir toujours sourire et ne jamais avoir de réaction violente, jamais.

Et même, si l’on perçoit la Vérité, qui est bien au-delà et bien au-dessus, la Vérité qui n’est pas réalisée et que l’on veut réaliser, si on en a la vision claire et que l’on puisse voir d’une façon constante la différence entre ce qui est vrai et qui devrait être, et ce qui est faux et déformé et qui devrait céder la place à l’autre, la voir d’une façon si claire, il n’y a plus de réactions, et même les choses qui vous paraissent les plus stupides, les plus idiotes, les plus obscures, les plus ignorantes, les plus vulgaires, les plus grossières, peuvent vous faire sourire, parce que l’on voit tout le chemin qu’il faut parcourir pour que Cela qui est là-haut vienne ici. Et si l’on avait des réactions violentes, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de monde. Parce que, vraiment, si le monde ne devait exister que s’il était vrai, il y a longtemps qu’il n’existerait plus! Parce qu’il n’a jamais été vrai jusqu’à maintenant.

Mais si l’on reste dans cette conscience-là et qu’on regarde, alors on peut commencer à comprendre quelque chose de la vérité. Et cette conscience doit être si totale que même si les choses viennent directement contre vous, même le mouvement matériel de quelqu’un qui vient pour vous battre (il ne faut pas se laisser tuer, non; il faut peut-être faire ce qu’il faut pour ne pas être tué), mais si l’on est soi-même dans cette conscience parfaite et que l’on n’ait plus de réaction personnelle, eh bien, moi, je garantis que l’autre ne peut pas vous tuer. Il ne pourra pas, même s’il essaye. Il ne pourra pas vous battre, même s’il essaye. Seulement, il ne faut pas que vous ayez seulement une vibration violente ou fausse, n’est-ce pas : s’il y a une petite vibration fausse, cela ouvre la porte, cela rentre dedans et tout va de travers. Il faut que vous soyez en pleine conscience, dans la pleine connaissance, la parfaite maîtrise de tout, la vision claire de la Vérité — et une paix parfaite.

Il faut faire un effort tout le temps.

Voilà.


APPENDICE

Extrait d’une conversation de Sri Aurobindo avec un disciple polytechnicien

Le 8 mai 1926

En Occident, les esprits les plus élevés ne sont pas tournés vers la vérité spirituelle, mais vers la science matérielle. Le domaine de la science est très étroit, il n’embrasse que la part la plus extérieure du plan physique.

Et même là, que connaît réellement la science? Elle étudie le fonctionnement des lois, édifie des théories sans cesse renouvelées qui n’en sont pas moins tenues chaque fois comme le dernier mot de la vérité! Nous avions récemment la théorie atomique, maintenant vient la théorie électronique.

Il y a par exemple deux énoncés de la science moderne qui remueraient chez un occultiste des résonances plus profondes :

1) Les atomes sont des systèmes en révolution, comme le système solaire.

2) Les atomes de tous les éléments sont faits des mêmes constituants. Un arrangement différent est la seule cause des propriétés différentes.

Si ces énoncés étaient considérés sous leur aspect vrai, ils pourraient conduire la science à de nouvelles découvertes dont on n’a maintenant aucune idée et à côté desquelles la connaissance actuelle semblerait bien pauvre.

Suivant l’expérience des anciens yogis, la matière sensible était faite de cinq éléments, Bhûtâni : Prithivî, Apas, Agni (Téjas), Vâyu, Âkâsha.

Agni est triple :

1) le feu ordinaire, Jala Agni;

2) le feu électrique, Vaïdyuta Agni;

3) le feu solaire, Saura Agni.

La science n’a pénétré que le premier et le second de ces feux. Le fait que l’atome est semblable au système solaire pourrait la conduire à la connaissance du troisième 4 .

Par-delà Agni est Vâyu dont la science ne sait rien. C’est le support de tout contact, de tout échange, la cause de la gravitation et des champs (magnétique et électrique). Par lui est rendue possible l’action d’Agni, l’élément formel, architecte des formes.

Et par-delà Vâyu est l’éther, Âkâsha.

Mais ces cinq éléments ne constituent que la part la plus grossière du plan physique. Immédiatement derrière est le physique-vital, l’élément de la vie ensevelie dans la matière. J. C. Bose entra en contact avec cet élément dans ses expériences. Par-delà est le mental dans la matière. Ce mental est très différent du mental chez l’homme, mais reste une manifestation du même principe d’organisation. Et plus profond, il y a deux autres niveaux cachés...

Telle est la connaissance occulte concernant seulement le plan physique. La science est très en retard sur cette connaissance.

Les yogis hindous qui étaient arrivés à cette expérience ne s’occupèrent pas de l’élaborer et de la tourner en connaissance scientifique. D’autres champs d’action et de connaissance leur étaient ouverts, et ils ont négligé ce qui, pour eux, n’était que l’aspect le plus extérieur de la manifestation.

Il y a une différence entre la mentalité scientifique et le moule mental d’un occultiste. Sans doute, celui qui pourrait réunir ces deux groupes de facultés, conduirait la science vers de grands progress 5 .

Le 27 mai 1953

« Il y a un état de conscience en union avec le Divin, dans lequel on peut jouir de tout ce qu’on lit, ainsi que de tout ce que l’on observe, même du livre le plus banal ou des choses les moins intéressantes. On peut entendre de la très pauvre musique — ce genre de musique qui donne généralement envie de s’enfuir — et quand même y trouver un plaisir, non pas dans sa forme extérieure, mais dans ce qui se trouve par-derrière. On ne perd pas le discernement entre la bonne et la mauvaise musique, mais on passe par-delà l’une et l’autre également, pour atteindre à ce qu’elles expriment. Car il n’existe rien dans ce monde qui n’ait, dans le Divin, son soutien et sa vérité ultimes. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Qu’est ce qui se trouve « par-derrière » la forme exté rieure de la musique?

La musique est un moyen d’exprimer certaines pensées, certains sentiments, certaines émotions, certaines aspirations. Il y a même un domaine où tous ces mouvements sont là, et de là, en les faisant descendre, ils prennent une forme musicale. Celui qui est un très bon compositeur peut, avec une certaine inspiration, produire une très belle musique, parce que c’est un bon musicien. Celui qui est un mauvais musicien peut avoir aussi une très bonne inspiration, il peut recevoir quelque chose qui est bien; seulement, comme il n’a pas la capacité musicale, ce qu’il produit est terriblement banal, ordinaire et pas intéressant. Mais si l’on passe par-delà, si l’on va justement à l’endroit où il y a cette origine de la musique — de l’idée, de l’émotion, de l’inspiration — si l’on va là, on peut goûter ces choses sans du tout être gêné par les formes; cette forme musicale banale peut être reliée à cela, parce que c’est cela qui a été l’inspiration de celui qui a écrit cette musique. Naturellement, il y a des cas où il n’y a pas d’inspiration, où l’origine est simplement une sorte de mécanique musicale. Ce n’est pas toujours intéressant dans tous les cas. Mais je veux dire qu’il y a une condition intérieure dans laquelle la forme extérieure n’est pas la chose la plus importante; c’est l’origine de la musique, c’est l’inspiration qui est au-delà, qui est importante; ce ne sont pas purement les sons, c’est ce que les sons expriment.

Alors l’expression ne peut pas être mieux que l’inspi ration?

Il y a des musiques qui n’ont pas d’inspiration, qui sont comme des mécaniques. Il y a des musiciens qui ont une grande virtuosité, c’est-à-dire qui ont appris la technique à fond et qui, par exemple, exécutent sans faire de fautes les choses les plus rapides et les plus difficiles. Ils peuvent faire de la musique, mais cela n’exprime rien : c’est comme une machine. Cela ne veut rien dire, sauf qu’ils ont beaucoup d’habileté. Parce que le plus important c’est l’inspiration, dans tout ce que l’on fait; dans toutes les productions humaines, le plus important est l’inspiration. Naturellement, il faut que l’exécution soit à la hauteur de l’inspiration; pour pouvoir exprimer vraiment bien les choses les plus hautes, il faut avoir une très bonne technique. Ce n’est pas pour dire que la technique n’est pas nécessaire, elle est même indispensable, mais elle n’est pas seule à être indispensable, elle est moins importante que l’inspiration.

La qualité essentielle de la musique dépend de la place d’où vient cette musique, de son origine.

Qu’est ce que cela veut dire, son origine?

Son point de départ. Comme la source est l’origine de la rivière.

Il y a beaucoup d’origines pour toute chose?

Toute la vie physique a la vie vitale et mentale comme origine. La réalité mentale et la réalité vitale elles-mêmes ont une autre origine, et ainsi de suite. Rien ne peut être manifesté physiquement sur la terre qui n’ait à son origine une vérité supérieure, autrement le monde n’existerait pas. Si c’était une chose plate, qui ait son origine en elle-même, elle cesserait d’exister très vite. C’est parce qu’il y a une force qui pousse, une énergie qui pousse vers la manifestation, que la vie continue à exister. Autrement elle s’épuiserait très vite.

Si chaque chose qui est manifestée dans le monde phy sique a pour origine la Vérité supérieure, qu’est ce qui la rend laide quand elle s’exprime? Pourquoi y a-t-il des choses laides, alors?

Parce qu’il y a des forces qui interviennent entre l’origine et la manifestation.

Si je te demande à toi : « Est-ce que tu connais la vérité de ton être? », qu’est-ce que tu diras?... Tu la connais?... Eh bien, c’est la même chose pour tout. Et toi, pourtant, tu es déjà un être pensant suffisamment évolué qui as déjà passé par toutes sortes de raffinements. Tu n’es plus tout à fait comme, disons, le lézard qui court sur le mur; et pourtant tu serais incapable de dire quelle est la vérité de ton être. C’est justement le secret de toutes les déformations dans le monde. C’est parce qu’il y a toute l’inconscience qui s’est produite par le fait de la séparation de l’Origine. C’est cette inconscience qui fait que l’Origine, elle est là, mais elle ne peut pas se manifester. Elle est là, c’est pour cela que le monde existe. Mais dans son expression elle est déformée, parce qu’elle se manifeste à travers l’inconscience, l’ignorance et l’obscurité.

C’est quelque chose que je vais essayer d’expliquer dans le prochain numéro du Bulletin 6 . Mais enfin, en très court résumé, c’est ceci :

Pour créer l’univers tel qu’il était, la Volonté était une projection individuelle — individuelle, tu comprends, un morcellement : au lieu d’être une unité qui contient tout, c’est une unité qui est faite d’innombrables petites unités qui sont des individualisations, c’est-à-dire des choses qui se sentent séparées. Et du fait que c’est séparé de tous les autres, c’est cela qui, en toi, te donne l’impression que tu es un individu. Autrement tu aurais l’impression que tu es une masse fluide. Par exemple, au lieu d’être conscient de ta forme extérieure et de tout ce qui, dans ton être, fait de toi une individualité séparée, si tu étais conscient des forces vitales qui se meuvent partout, ou bien de l’inconscience qui est à la base de tout, tu aurais l’impression d’une masse mouvante avec toutes sortes de mouvements contradictoires, mais que l’on ne pourrait pas séparer l’un de l’autre; tu n’aurais pas du tout l’impression d’être un individu : tu aurais l’impression de quelque chose comme une vibration dans un tout. Eh bien, la Volonté originelle était de former des êtres individuels qui seraient capables de redevenir conscients de leur Origine divine. Le procédé d’individualisation a fait que, pour être un individu, il faut se sentir séparé. De la minute où l’on est séparé, on est coupé de la Conscience originelle, au moins apparemment et on tombe dans l’inconscience. Puisque la seule chose qui est la Vie de la vie, c’est l’Origine, si vous vous coupez de cela, la conscience naturellement se change en inconscience. Et alors, c’est cette inconscience même qui fait que vous ne vous rendez plus compte de la vérité de votre être...

C’est un processus. On ne peut pas discuter si c’était inévitable ou évitable : le fait est que c’est comme cela. Ce processus de formation, de création, a fait que la pureté ne se manifeste plus dans son essence et sa pureté, mais à travers la déformation de l’inconscience et de l’ignorance. Si tu m’avais répondu immédiatement : « Mais oui, je sais la vérité de mon être! », c’était fini, il n’y avait plus de problème.

C’est pour cela qu’il y a toutes les laideurs, qu’il y a la mort. C’est pour cela qu’il y a les maladies, c’est pour cela qu’il y a la méchanceté; c’est pour cela qu’il y a la souffrance. Il n’y a pas d’autre remède, il n’y a qu’une seule façon pour toutes ces choses. Cela se produit dans des domaines différents et avec des vibrations différentes, mais la cause de tout cela est la même. C’est cette inconscience qui s’est produite à cause de la nécessité de la formation individuelle. Je le dis encore : je n’affirme pas que c’était indispensable. Cela, c’est un autre problème que, peut-être, plus tard, nous serons à même de résoudre; mais enfin, pour le moment, nous sommes obligés de constater que c’est comme cela.

Et alors, le remède? Puisque telle est la cause, le seul moyen de tout arranger, c’est de reprendre conscience. Et c’est très simple, c’est très simple.

Admets qu’il y ait dans l’univers deux éléments opposés et contradictoires, comme certaines religions l’ont prêché : il y avait le bien et le mal, et il y aura toujours le bien et le mal, ce sera un conflit, une bataille, une lutte. Celui qui sera le plus fort, que ce soit le bien ou le mal, triomphera : s’il y a un peu plus de bien ce sera le bien, s’il y a un peu plus de mal ce sera le mal ; mais les deux existeront toujours. Si c’était comme cela, ce serait sans espoir, et alors il n’y aurait pas à dire ni que c’est difficile ni que c’est facile : ce serait impossible. On ne pourrait pas s’en sortir. Mais il se trouve que ce n’est pas comme cela.

Il se trouve qu’il n’y a qu’une Origine, et que cette Origine c’est la perfection de la Vérité, puisque c’est la seule chose qui soit vraiment existante; et en s’extériorisant, en se projetant audehors, en s’éparpillant, cela produit ce que nous voyons, et des tas de petits cerveaux qui sont tous très gentils, très brillants, mais qui sont à la recherche de quelque chose qu’ils n’ont pas encore attrapé — mais qu’ils peuvent attraper, parce que la chose qu’ils cherchent est au-dedans d’eux. Cela, c’est une certitude. Cela peut prendre plus ou moins de temps, mais c’est sûr d’arriver. Le remède est au centre même du mal, voilà.

On a appelé cela de toutes sortes de noms, chacun l’a présenté à sa façon. Selon l’angle on a une expérience. Tous les gens qui ont trouvé le Divin au-dedans d’eux l’ont trouvé d’une certaine façon, après une certaine expérience et sous un certain angle, et cet angle était pour eux évident. Et alors, s’ils ne sont pas bien sur leurs gardes, ils commencent à dire : « Pour trouver le Divin, il faut faire ceci et cela. Et c’est comme cela, et c’est ce chemin-là qu’il faut suivre », parce que c’est celui qui leur a réussi. Quand on est un peu plus loin, quand on a un peu plus d’expérience, on se rend compte que ce n’est pas nécessairement comme cela, que cela peut être par des millions de moyens... Il n’y a qu’une chose qui est sûre, c’est que ce que l’on trouve est le même. Et c’est cela qui est remarquable, c’est que quel que soit le chemin suivi, quelle que soit la forme qu’on lui ait donnée, le résultat est le même. Leur expérience à tous est la même. Quand ils ont touché à la Chose, c’est pour tous la même chose. C’est justement la preuve qu’ils ont touché à Ça, parce que c’est la même chose pour tous. Si ce n’est pas la même chose, cela veut dire qu’ils n’ont pas encore touché à Ça. Quand ils ont touché Ça, c’est la même chose. Et à Cela, vous pouvez donner tous les noms que vous voulez, cela ne fait rien.

Les mots sont des mots. Au fond, cela ne veut rien dire s’il n’y a pas quelque chose derrière. Tu n’as jamais remarqué que quand tu parles à certaines gens, tu peux t’exprimer tout à fait clairement, ils ne comprennent rien; et à d’autres gens, tu dis deux mots, ils comprennent tout de suite? Tu n’as pas eu cette expérience? Non? Moi, je l’ai eue souvent. Par conséquent cela ne dépend pas de la forme extérieure, des mots que l’on dit, mais de la force de pensée que l’on met dedans; et plus la force de pensée est grande, puissante, précise, claire, plus ce que vous dites a une chance d’être perçu par les gens qui sont capables de recevoir cette force-là. Mais si quelqu’un parle sans penser, généralement il est impossible de comprendre ce qu’il dit. Ça fait une sorte de bruit, c’est tout. Par exemple, quand vous avez l’habitude de parler avec quelqu’un, d’échanger vos idées, et que vous vous êtes ajustés mentalement, c’est-à-dire que vous avez pris la précaution de dire : « Quand je dis ce mot-là, je veux dire cela » et que l’autre a dit : « Quand je dis ce mot-là, je veux dire cela », et ainsi de suite; quand on a pris l’habitude de l’échange, que l’on a établi une sorte de contact entre cerveau et cerveau — même ne serait-ce que cela —, on se comprend très facilement. Mais avec des gens qui viennent tout à fait d’ailleurs, avec qui vous n’avez jamais parlé, il vous faut un petit moment d’ajustement, d’adaptation pour comprendre ce qu’ils veulent dire avec les mots qu’ils emploient... Qu’est-ce qui fait que vous vous comprenez? C’est justement cette espèce de sens mental qui est derrière les mots. Quand la pensée est pensée fortement, on a une puissance de vibrations, et c’est cela qui est perçu; le mot n’est qu’un moyen intermédiaire. On peut développer cela au point d’avoir un contact mental direct avec un minimum de mots, ou même pas de mots du tout; mais alors il faut avoir une très grande force de concentration de pensée. Et pour tout ce que l’on fait, c’est comme cela. Quand la conscience est développée derrière, quand on a le pouvoir de la concentrer, alors on peut faire n’importe quoi, cette conscience agira 7 . Ce n’est certainement pas la mécanique corporelle qui vous fait agir; la mécanique est simplement un instrument, pas plus. Le jour où vous attrapez cela (c’est invisible mais on peut le saisir), quand on attrape cela et qu’on le met dans son mouvement, ce mouvement devient conscient et on fait bien tout ce que l’on fait. Le jour où on ne l’attrape pas, cela vous échappe comme de l’eau à travers les doigts; et alors vous êtes maladroit, vous ne comprenez pas, vous ne savez pas ce qu’il faut faire. Par conséquent ce n’est pas la mécanique physique qui compte, c’est ce qui est derrière.

De quel plan vient la musique, généralement?

Cela va en échelons. Il y a toute une catégorie de musique qui vient d’un vital supérieur, qui est très prenante, un petit peu (pour ne pas dire exactement) vulgaire, c’est quelque chose qui vous tord les nerfs. Cette musique n’est pas forcément désagréable, mais généralement ça vous prend là, dans les centres nerveux. Il y a donc une musique qui a une origine vitale. Il y a une musique qui a une origine psychique — c’est tout à fait autre chose. Et puis il y a une musique qui a une origine spirituelle : c’est tout à fait brillant et cela vous emporte, cela vous prend tout entier. Mais si vous voulez exécuter exactement cette musique-là, il faut être capable de la faire passer par le passage vital — votre musique qui vient d’en haut peut être extérieurement tout à fait plate si vous n’avez pas cette intensité de vibration vitale qui lui donnera sa splendeur et sa puissance. J’ai connu des gens qui avaient vraiment une inspiration tout à fait haute, et cela devenait très plat parce que le vital ne bougeait pas. J’avoue que par leurs pratiques spirituelles, ils avaient endormi complètement leur vital — il dormait littéralement, il n’agissait pas du tout — et la musique venait tout droit dans le physique, et si l’on était branché sur l’origine de la musique, on voyait que c’était quelque chose de très merveilleux, mais extérieurement cela n’avait pas de force, c’était une petite mélodie très pauvre, très mince : il n’y avait pas toutes les puissances de l’harmonie. Quand on peut faire jouer le vital, alors toute la puissance de vibration est là. Si l’on met dedans cette origine supérieure, cela devient de la musique de génie.

Pour la musique, c’est très particulier; c’est difficile, cela a besoin d’un intermédiaire. Et c’est comme cela pour toute chose, pour la littérature aussi, pour la poésie aussi, pour la peinture aussi, pour tout ce que l’on fait. La valeur véritable de ce que l’on crée dépend de l’origine de son inspiration, du plan, de la hauteur à laquelle on la trouve. Mais la valeur de l’exécution dépend de la puissance du vital qui l’exprime. Pour que le génie soit complet, il faut que les deux y soient. C’est très rare. Généralement c’est l’un ou l’autre, plus souvent le vital. Et alors, il y a de ces musiques que l’on donne — les musiques de café-concert, de cinéma — c’est d’une habileté extraordinaire, et en même temps c’est d’une platitude extraordinaire, d’une vulgarité extraordinaire. Mais comme c’est d’une habileté extraordinaire, cela vous attrape dans le plexus solaire et c’est de cette musique dont on se souvient; immédiatement cela vous prend et ça vous tient, et c’est très difficile de s’en débarrasser, parce que c’est bien fait, c’est de la musique qui est bien faite. Elle est faite vitalement avec des vibrations vitales, mais ce qui est derrière est épouvantable.

Mais imaginez cette même puissance vitale d’expression avec l’inspiration venant de tout en haut — la plus haute inspiration possible, quand tous les cieux s’ouvrent à nous —, alors cela devient merveilleux. Il y a certaines choses de César Franck, il y a certaines choses de Beethoven, certaines choses de Bach, il y en a d’autres aussi qui ont cette inspiration et cette puissance. Mais c’est un moment, ça vient comme un moment, cela ne dure pas. Vous ne pouvez pas prendre toute l’œuvre d’un artiste comme située à ce niveau-là. L’inspiration vient comme un éclair; quelquefois elle dure assez longtemps, quand l’œuvre se tient; et quand ça, c’est là, alors cela produit le même effet, c’est-à-dire, si vous avez un esprit attentif et concentré, tout d’un coup cela vous soulève, ça soulève toutes vos énergies, c’est comme si l’on vous ouvrait la tête comme cela, et cela vous lance en l’air dans des hauteurs extraordinaires et des lumières magnifiques. Cela produit en quelques secondes l’effet que l’on obtient avec tant de difficultés par des années de yoga. Seulement, généralement, après on peut tomber, parce qu’il n’y a pas la base de la conscience; on a l’expérience et après on ne sait même pas ce qui est arrivé. Mais si l’on est préparé, si justement on a préparé sa conscience par le yoga et que cela vous arrive, c’est presque une chose définitive.

Qu’est ce qui fait cette grande différence entre la musique européenne et la musique indienne? C’est l’origine ou l’expression ?

Ce sont les deux, mais en sens inverse.

Cette très haute inspiration n’arrive que rarement dans la musique européenne; rarement aussi il y a une origine psychique, très rarement. Ou bien cela vient de très haut, ou bien c’est vital. L’expression est presque toujours, à part quelques cas très rares, une expression vitale — intéressante, puissante. La plupart du temps, l’origine est purement vitale. Quelquefois cela vient de tout en haut, alors c’est merveilleux. Quelquefois c’est psychique, surtout dans ce qui a été une musique religieuse, mais ce n’est pas très fréquent.

La musique indienne, presque toujours, quand ce sont de bons musiciens, a une origine psychique; par exemple les râgas ont une origine psychique, cela vient du psychique. L’inspiration ne vient pas souvent de plus haut. Mais la musique indienne est très rarement revêtue d’un vital puissant. C’est plutôt d’origine intérieure et intime. J’ai entendu beaucoup de musique indienne, beaucoup; j’ai rarement entendu de la musique indienne qui ait une puissance vitale, très rarement; peut-être pas plus de quatre ou cinq fois. Mais très souvent, j’ai entendu de la musique indienne qui avait une origine psychique; elle se traduit presque directement dans le physique. Et vraiment il faut alors se concentrer, et comme c’est... comment dire... très mince, très ténu, qu’il n’y a pas ces vibrations vitales intenses, on peut très facilement glisser là-dedans et remonter à cette origine psychique de la musique. Cela vous fait cette effet, c’est une espèce de transe extatique, comme d’une intoxication. Cela vous fait un peu entrer en transe. Alors, si on écoute bien et qu’on se laisse aller, on va comme cela et on glisse, on glisse dans une conscience psychique. Mais si on reste seulement dans la conscience extérieure, c’est tellement mince qu’il n’y a aucune réponse du vital; cela vous laisse plat comme tout. Quelquefois, il y avait une force vitale, alors cela devenait bien... Moi, j’aime beaucoup cette musique-là, cette espèce de thème qui se développe en un jeu. C’est très essentiellement musical, le thème; et alors il se développe avec des variations, d’innombrables variations, et c’est toujours le même thème qui se développe d’une façon ou de l’autre. Il y avait des musiciens qui étaient vraiment musiciens en Europe, et ils avaient cela aussi : Bach avait cela, il faisait des choses comme cela ; Mozart avait cela, sa musique était purement musicale, il n’avait pas l’intention d’exprimer autre chose, c’était de la musique pour la musique. Mais cette façon de prendre un certain nombre de notes dans une certaine relation (ce sont comme des variations presque infinies), moi, je trouve cela merveilleux pour vous mettre au repos, et vous entrez au-dedans profondément. Et alors, si vous êtes prêt, cela vous donne la conscience psychique : quelque chose qui vous fait reculer de la conscience extérieure, qui vous fait entrer autre part, entrer au-dedans.

Sous quelle forme la musique se manifeste-t-elle chez les grands compositeurs? C’est-à-dire, est ce seulement la mélodie qui vient, ou bien ce que l’on entend ?

Mais cela dépend du musicien. C’est justement ce que je disais. Par exemple, ici dans l’Inde, la science harmonique n’existe pas beaucoup, alors cela se traduit par la mélodie. Dès que le vital intervient, il y a une sorte de complexité harmonique qui se produit dans la musique. Cela lui donne une richesse, une plénitude qu’elle n’avait pas trouvée.

Mais c’est la mélodie qui vient?

Non, c’est la musique, et la musique n’est pas nécessairement une mélodie. C’est une relation de sons qui n’est pas nécessairement mélodique. La mélodie fait partie de cette relation de sons.

« Quand votre résolution a été prise, quand vous avez décidé que votre vie entière serait consacrée au Divin, il vous reste encore à vous en souvenir à chaque mo ment, et à la mettre à exécution dans tous les détails de votre existence. Vous devez sentir à chaque pas que vous appartenez au Divin ; vous devez avoir constamment l’expérience que, dans tout ce que vous pensez et faites, c’est toujours la Conscience divine qui agit à travers vous. »

(Entretiens du 28 avril 1929)

Est ce que, quand on est conscient, on perçoit le Divin dans sa forme en toute chose?

Oh! c’est-à-dire que tu t’attends à voir une forme divine dans chaque chose!... Je ne sais pas, cela peut arriver. Mais j’ai l’impression qu’il y a une grande partie d’imagination là-dedans, parce que ce n’est pas comme cela. On change de conscience — on change d’état de conscience et on change d’état de perception.

Si je comprends bien ce que tu veux dire, tu t’attends à voir une forme, comme par exemple la forme de Krishna, ou la forme du Christ, du Bouddha, dans chaque personne? Cela me paraît être un enfantillage. Mais enfin, je ne dis pas que cela ne puisse pas se produire. Je pense que cela doit se produire. Mais là-dedans, il y a beaucoup de la conscience humaine ajoutée à la perception, parce que ce ne serait plus justement ce que je viens de vous dire : pour ceux qui ont la conscience du Divin, quand ils ont le contact avec le Divin, qui que ce soit, à quelque époque qu’ils appartiennent, à quelque pays qu’ils appartiennent, l’expérience est la même. Tandis que si c’était comme tu le dis, les Hindous verraient une de leurs divinités, les Européens une de leurs divinités, les Japonais une de leurs divinités, et ainsi de suite. Alors ce ne serait plus une perception pure, il y aurait déjà une addition de leur propre formation mentale. Ce n’est plus la Chose dans son essence et sa pureté, qui est au-delà de toute forme.

Mais on peut avoir une perception, et une perception très concrète de la Présence divine, oui. On peut avoir un contact très personnel avec le Divin, oui. Mais pas comme cela. Et c’est inexprimable, excepté pour ceux qui ont eu l’expérience. Si l’on n’a pas une expérience, je pourrais vous en parler pendant des heures, vous n’y comprendriez rien; cela échappe à toute explication. Ce n’est que quand on a l’expérience qu’on pourrait dire.

Et que voulez-vous, quand on parle des choses ou quand on écrit sur les choses, nécessairement il y a une addition mentale, autrement on ne pourrait pas parler et on ne pourrait pas écrire. Eh bien, cette addition mentale fait que chacun a tâché de donner une explication à son expérience; et alors ils ont dit ou écrit des choses comme cela : « Je vois les images de Dieu. » Ce sont des façons de parler. Il se peut que la chose dont tu parles arrive : d’être tout d’un coup dans un état et de voir une Présence divine et que cette Présence prenne une forme qui vous est familière — on est habitué à associer certaines formes avec le Divin, par suite de l’éducation, de la tradition, et cela prend une forme extérieure. Mais ce n’est pas l’essence suprême de l’expérience : c’est la forme, et cela doit donner une sorte de restriction à l’expérience, cela doit lui enlever son universalité et une grande partie de sa puissance.

« De toute évidence, ce qui est arrivé devait arriver; cela n’aurait pu être si cela n’avait pas dû être. Même les erreurs que nous avons commises et les adversités qui sont tombées sur nous, devaient être; car il y avait en elles quelque nécessité, quelque utilité pour nos vies. Mais à dire vrai, de semblables choses ne peuvent ni ne doivent être expliquées mentalement. Car tout ce qui arrive est nécessaire, non pour quelque raison mentale, mais pour nous conduire bien au-delà de tout ce que le mental peut imaginer. Et est-il néces saire d’expliquer, après tout ? L’univers tout entier explique toute chose à chaque moment, et une chose particulière arrive parce que l’univers dans son en semble est ce qu’il est. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Comment l’univers explique-t-il à chaque moment l’univers?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Si tu veux une explication de quelque chose, c’est un univers qui explique ce quelque chose; et toute chose s’explique par toute chose; et tu ne peux rien expliquer excepté par l’univers tout entier, et l’univers tout entier s’explique par toute chose... Tu peux voir : si tu lis toutes les explications qui sont données dans toutes les sciences, toutes les connaissances humaines, toujours on explique une chose par une autre, et si l’on veut expliquer l’autre on l’explique par une autre, et si l’on veut expliquer l’autre on l’explique encore par une autre. On continue ainsi et on va faire le tour de l’univers pour expliquer une chose. Seulement, généralement, les gens sont fatigués au bout d’un moment : ils acceptent la dernière explication et ils s’en tiennent là. Autrement, s’ils continuaient, pour trouver une explication il faudrait faire le tour de tout, et on reviendrait toujours au même point. Les choses sont comme cela parce qu’elles sont comme cela, parce qu’elles devaient être comme cela, autrement elles ne seraient pas. Les choses sont comme cela parce qu’elles sont comme elles sont. Il n’y a pas de doute. Et cela, c’est vraiment une sagesse suprême.

N’y a-t-il pas une loi physique qui puisse expliquer toute chose dans l’univers?

Trouve-la, je serai très contente.

Est ce que l’on peut trouver par la science?

Oui, si elle s’en va dans une direction très définie, si elle progresse suffisamment, si elle ne s’arrête pas en route, ils trouveront la même chose que les mystiques ont trouvée, que les gens religieux ont trouvée, que tout le monde a trouvée, parce qu’il n’y a qu’une chose à trouver et il n’y en a pas deux. Il n’y en a qu’une. Alors on peut faire beaucoup de chemin, on peut tourner et tourner et tourner, et si l’on tourne assez longtemps sans s’arrêter, on est obligé d’arriver au même endroit. Une fois que l’on est arrivé là, on a l’impression qu’il n’y a rien à trouver du tout. Comme je viens de dire, il n’y a rien à trouver. C’est cela, le pouvoir 8 . C’est cela, c’est tout. C’est comme cela.

Encore une question?

Est ce que le Divin peut se retirer de nous?

C’est une impossibilité. Parce que si le Divin se retirait de quelque chose, immédiatement cela s’écroulerait, parce que cela n’existerait pas. Pour dire plus clairement : Il est la seule existence 9 .

Si le Divin se retirait, cela voudrait dire qu’Il se retirerait de l’univers, il n’y aurait plus d’univers (c’est une image pour faire comprendre la chose : je parle d’une impossibilité). Les êtres humains peuvent se retirer du Divin, et ils le font assez souvent.

Mais que ce soit le Divin qui se retire des êtres humains, c’est une impossibilité.

Pourquoi, en suivant le chemin de la musique ou de l’art, ou d’autre chose, ne peut-on pas arriver à la réali sation divine et à la transformation?

Qui vous a dit cela ? Vous savez tout ce qui se passe en vous? Vous ne croyez pas qu’il y a beaucoup de gens qui ont réalisé le Divin, qui n’en ont jamais rien dit et qui n’en savaient rien 10 ? Il y a des gens qui l’ont dit — des philosophes, dont c’est nécessairement la profession d’exprimer ce qui leur est arrivé. Mais il y a des gens qui ont eu des expériences, qui n’ont jamais rien dit; et je sais qu’il y a des artistes qui, par leur art, purement, sont arrivés à la réalisation divine.

Mais quant à la transformation, je serais contente si vous pouviez me montrer un exemple. Je serais contente de le voir. Un exemple. Quelque chemin que l’on suive, que ce soit le chemin religieux, le chemin philosophique, les chemins yoguiques, le chemin mystique, personne n’a réalisé une transformation.

Puisque l’art n’arrive pas à la transformation, cela n’a pas grande valeur!

Mais qui est-ce qui y est jamais arrivé jusqu’à présent? Voulezvous me le dire? Ni la philosophie, ni la religion, ni le yoga. Si vous mettez la valeur dans la réalisation et la transformation du monde — par exemple une seule transformation individuelle, en admettant que ce soit possible, et je ne crois pas — alors rien n’a aucune espèce de valeur, parce que jamais rien n’est arrivé là jusqu’à présent. Comprenez pas?

Oui, cela je comprends.

Alors pourquoi tout d’un coup dites-vous que l’art n’a pas de valeur? Rien n’a de valeur parce que rien n’a mené vers cela ? Mais tout aide. L’univers tout entier aide à la transformation.

Mais il peut arriver qu’après avoir atteint une hauteur où il est le maître de son art, l’artiste doive arrêter son métier pour procéder à la transformation de sa vie?

Pourquoi? Pour la transformation de sa vie? Qui vous a dit cela ? Si vous faisiez un travail manuel... il y a eu nombre d’artistes qui ont eu une conversion merveilleuse. On a l’exemple d’un cordonnier qui est devenu l’un des plus grands yogis du monde. Cela ne dépend pas de ce que l’on fait, heureusement! Il faudrait s’asseoir en méditation, comme cela, avec une robe orange, sous un arbre, pour pouvoir réaliser le Divin?

Alors je ne comprends pas du tout ce que vous dites.

Il peut arriver un moment où il faut changer d’acti vité?

Mais par n’importe quel chemin, si vous le suivez assez sincèrement et d’une façon assez constante, vous arrivez, par n’importe quel chemin — je vous dis : vous pouvez faire des chaussures et trouver le Divin. Il y a eu des exemples illuminants, qui sont incontestables. Peu importe ce que l’on fait. Il y a des exemples nombreux de gens qui faisaient du jardinage, qui cultivaient, et qui ont trouvé le Divin, tout en travaillant matériellement; ils n’avaient pas du tout besoin d’arrêter leur travail pour le faire.

Vous ne comprenez pas? Vous croyez qu’il faut avoir quoi? Une connaissance philosophique?

Non, ce n’est pas cela, mais je ne sais pas comment m’exprimer...

Non, je comprends très bien ce que vous voulez dire, mais, excusez-moi, c’est une sottise.

juin




Le 3 juin 1953

« La liberté et la fatalité, le libre arbitre et le détermi nisme sont des vérités qui appartiennent à des états de conscience différents. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Quels sont ces états de conscience différents?

Mais je l’ai expliqué après. Tout ce qui suit est l’explication.

Je vous ai déjà parlé de différents plans de conscience. Eh bien, dans le plan matériel, purement matériel (si on le sépare du plan vital), c’est un mécanisme absolu où toutes les choses s’enchaînent en conséquence les unes des autres; et comme je le disais l’autre jour, si vous voulez trouver quelle est la cause d’une chose, ou quel est le résultat d’une chose, vous en trouverez une autre et encore une autre, et vous ferez tout le tour de l’univers. Et c’est comme cela, tout est absolument mécanisé. Seulement, dans ce plan purement matériel peut intervenir — et en fait intervient déjà dans la nature végétale — le plan vital. Le plan vital a entièrement un autre déterminisme, un déterminisme qui lui est propre. Mais quand vous faites entrer le déterminisme vital dans le déterminisme physique, cela fait une sorte de combinaison qui change tout. Et au-dessus du plan vital, il y a le plan mental. Le plan mental aussi a son déterminisme propre où toutes les choses s’enchaînent d’une façon rigoureuse.

Mais cela, c’est le mouvement que vous pourriez appeler « horizontal ». Si vous prenez un mouvement vertical et que le mental descende dans le vital et que le vital descende dans le physique, voilà trois déterminismes qui vont intervenir, et qui naturellement produisent quelque chose de tout à fait différent. Et là où le mental est intervenu, le déterminisme sera nécessairement différent de l’endroit où il n’intervient pas; c’est-à-dire que dans la vie animale supérieure, il y a déjà un déterminisme mental qui intervient et qui est tout à fait différent des déterminismes du plan végétal.

Au-dessus de ces plans, il y en a d’autres — au-dessus de chaque plan il y en a d’autres, ainsi de suite jusqu’au plan suprême. Le plan suprême, c’est le plan de la liberté absolue. Si vous êtes capable, dans votre conscience, de traverser tous ces plans, pour ainsi dire en une ligne verticale, et d’aller jusqu’au plan suprême et, par cette connexion, de faire descendre ce déterminisme de liberté parfaite dans les déterminismes matériels, vous changez tout. Et tous les intermédiaires changent tout. Alors à force de changements de plan en plan, cela donne tout à fait l’apparence de la liberté complète; parce que l’intervention ou la descente d’un plan dans un autre a des conséquences imprévisibles pour l’autre plan, pour le plan inférieur. Le plan supérieur peut prévoir, mais les plans inférieurs ne le peuvent pas. Alors comme ces conséquences sont imprévisibles, cela donne tout à fait l’impression de l’inattendu et de la liberté. Et ce n’est que si vous restez d’une façon consciente et constante dans le plan le plus élevé, c’est-à-dire la Conscience suprême, que là vous pouvez voir que, à la fois, tout est absolument déterminé mais que, par la complexité de l’enchevêtrement de ces déterminismes, tout est absolument libre. C’est le Plan où il n’y a plus de contradictions, où toutes les choses sont, et sont en harmonie sans se contredire.

Dans les plans inférieurs, on ne peut pas dire ce qui arrivera à un moment?

Cela dépend. Il y a des plans où se trouvent les consciences qui forment, qui font des formations et qui essayent de les faire descendre sur la terre et de les manifester. Ce sont les plans où il y a les grands jeux de forces, de forces qui sont en lutte les unes avec les autres pour organiser les choses d’une manière ou de l’autre. Dans ces plans sont tous les possibles, tous les possibles qui se présentent et qui ne sont pas encore arrivés à la décision de ce qui descendra... Supposez un plan qui soit plein de toutes les imaginations de gens qui veulent que certaines choses se réalisent sur la terre — ils inventent un roman, ils racontent des histoires, ils produisent toutes sortes de phénomènes; cela les amuse beaucoup. C’est un plan de formateurs, et ils sont là à imaginer toutes sortes de circonstances, d’événements : ils jouent avec les forces; ils sont comme les auteurs d’une pièce de théâtre et ils préparent tout cela là, et puis ils voient ce qui va se produire. Toutes ces formations sont en présence l’une de l’autre; alors ce sont celles qui sont les plus fortes, les mieux réussies ou les plus insistantes, ou celles qui ont l’avantage d’un concours de circonstances plus favorable, qui dominent. Elles se rencontrent, puis du conflit il résulte encore quelque chose d’autre : on perd une chose et on en prend une autre, on fait une nouvelle combinaison; et puis tout d’un coup, on trouve, ploff! cela descend. Alors si cela descend avec une force suffisante, cela met en mouvement l’atmosphère terrestre et les choses se combinent; comme, par exemple, quand on donne un coup de poing dans la sciure de bois, vous savez comment cela fait, n’est-ce pas? Vous prenez votre main, vous donnez un coup de poing formidable : tout s’organise autour de votre poing. Eh bien, c’est comme cela. Ces formations-là descendent avec cette force dans la matière, et tout s’organise automatiquement, mécaniquement autour du coup de poing. Et puis voilà que votre circonstance va se réaliser, quelquefois avec des petites déformations à cause de la résistance, mais enfin cela se réalisera comme la personne qui a raconté l’histoire là-haut a voulu plus ou moins que cela se réalise. Alors, si vous êtes pour une raison quelconque dans les secrets de la personne qui a construit l’histoire, si vous suivez la façon dont elle crée son chemin pour arriver jusqu’à la terre, et si vous voyez comment un coup de poing agit sur la matière terrestre, alors vous pouvez dire ce qui va arriver, parce que vous avez vu dans le monde là-haut, et comme cela prend un peu de temps pour faire tout ce trajet, vous voyez d’avance. Et plus vous montez haut, plus vous prévoyez d’avance ce qui va se passer. Et si vous dépassez trop, si vous allez trop loin, alors tout est possible.

C’est un déroulement qui suit une grande route, qui est pour vous inconnaissable; parce que tout se déroulera dans l’univers, mais dans quel ordre et de quelle façon? Il y a des décisions qui se prennent là-haut, qui échappent à notre conscience ordinaire, et alors c’est très difficile à prévoir. Mais là aussi, si vous entrez consciemment et que vous puissiez assister de là-haut... Comment vous expliquer cela ? Tout est là d’une façon absolue, statique, éternelle; mais tout cela va se dérouler dans le monde matériel, naturellement plus ou moins une chose après l’autre; parce que dans l’existence statique tout peut être là, mais dans le devenir tout devient dans le temps, c’est-à-dire une chose après l’autre. Eh bien, quel chemin suivra le déroulement? Là-haut, c’est le domaine de la liberté absolue... Qui vous dit qu’une aspiration suffisamment sincère, qu’une prière suffisamment intense n’est pas capable de faire changer le chemin du déroulement?

Cela veut dire que tout est possible.

Maintenant, il faut avoir l’aspiration suffisante et la prière suffisamment intense. Mais cela, c’est donné à la nature humaine. C’est l’une de ces grâces merveilleuses qui est donnée à la nature humaine; seulement on ne sait pas s’en servir.

Ce qui revient à dire qu’en dépit des déterminismes les plus absolus en ligne horizontale, si l’on sait franchir toutes ces lignes horizontales et arriver jusqu’au point suprême de la conscience, on est capable de faire changer les choses qui en apparence sont absolument déterminées. Alors vous pouvez appeler cela du nom que vous voulez, mais c’est une sorte de combinaison Entretiens 1953 96 d’un déterminisme absolu avec une liberté absolue. Vous vous en tirerez comme vous voulez, mais c’est comme cela.

J’ai oublié de dire dans ce livre (peut-être que je n’ai pas oublié, mais j’ai senti qu’il était inutile de le dire) que toutes ces théories ne sont que des théories, c’est-à-dire des conceptions mentales qui sont seulement des représentations plus ou moins imagées de la réalité; mais ce n’est pas la réalité du tout. Quand vous dites le « déterminisme » et quand vous dites la « liberté », vous dites des mots, et tout cela n’est qu’une description très incomplète, très approchée et très affaiblie de ce qui est en vérité au-dedans de vous, autour de vous et partout; et pour que vous puissiez commencer à comprendre comment est l’univers, il faut que vous sortiez de vos formules mentales, autrement vous ne comprendrez jamais rien.

À dire vrai, si vous vivez seulement une petite minute, toute courte minute, de cette aspiration absolument sincère ou de cette prière d’une intensité suffisante, vous saurez plus de choses que si vous méditez pendant des heures.

« ... la Conscience Suprême donne à l’individu, dans la vie active du monde, le sentiment de liberté, d’indé pendance et d’initiative. Ces choses en lui sont les instruments et les procédés pragmatiques dont Elle se sert et à travers lesquels les mouvements et les circons tances prévus et décrétés ailleurs sont réalisés ici-bas. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Ces « choses en lui », c’est-à-dire dans l’individu, ce sont : le sentiment de liberté, d’indépendance et d’initiative. Tu sais ce que c’est que l’indépendance? C’est justement la liberté de choix. L’indépendance, c’est la liberté de choix, et l’initiative, c’est le fait de choisir. D’abord, on sent qu’on est libre; et puis on sent que personne ne peut vous empêcher de choisir; et finalement on use de sa liberté pour choisir et on décide. Ce sont les trois étapes. Et alors ces trois étapes — le sentiment que tu es libre, l’idée que tu vas te servir de ta liberté pour choisir, et puis le choix —, ces trois choses, je les appelle les instruments et les procédés pragmatiques.

Je suis désolée, mes enfants, c’est dit dans des formes un petit peu trop philosophiques que je n’approuve pas beaucoup maintenant. J’étais obligée de parler un langage qui me paraît maintenant un peu trop compliqué. Mais enfin, c’était comme cela. Je disais que ces trois choses-là, ce sentiment de liberté, cette volonté de choisir, et le choix que l’on fait, ce sont les procédés dont la Nature se sert au-dedans de nous pour nous faire agir, autrement on ne bougerait pas.

Si nous n’avions pas cette illusion que nous sommes libres, cette seconde illusion que nous pouvons nous servir de notre liberté pour choisir, et cette troisième illusion de choisir, eh bien, nous ne bougerions pas. Alors la Nature nous donne ces trois illusions et nous fait bouger, parce qu’elle a besoin que nous bougions.

Ce Elle, avec « E » majuscule, j’ai dit que c’était la Conscience Suprême, mais en fait c’est la Nature et c’est le truc de la Nature; parce que la Conscience Suprême n’a pas de trucs, c’est la Nature qui a des trucs. La Conscience Suprême, tout simplement Elle entre en toute chose avec toute sa conscience (parce que c’est la conscience) et avec cela, Elle essaye de faire mouvoir toute cette inconscience vers la conscience, simplement, sans trucs. Elle n’a pas besoin de trucs : Elle est partout. Elle agit partout et Elle met la conscience dans l’inconscience. Quand on allume une lampe dans une chambre sombre, dès qu’on tourne l’électricité, la chambre n’est plus sombre. Dès qu’on met la conscience, il n’y a plus d’inconscience. Alors c’est ce qu’Elle fait. Partout où Elle voit l’inconscience, Elle essaye d’entrer. Quelquefois les portes sont fermées à clef, alors cela prend un peu plus longtemps, mais quelquefois les portes s’ouvrent, alors Elle se précipite immédiatement, l’inconscience disparaît et la conscience vient — sans besoin d’aucun truc ni d’aucun intermédiaire. Elle devient consciente. Mais la Nature matérielle, la Nature physique n’est pas comme cela, elle est pleine de trucs. Elle vous fait marcher tout le temps, elle tire les fils des marionnettes; pour elle, vous êtes autant de petits pantins : on tire les fils et puis on les fait mouvoir. Elle vous met toutes sortes d’illusions dans la tête pour que vous fassiez les choses qu’elle veut sans même que vous le vouliez. Elle n’a pas besoin que vous le vouliez : elle tire la ficelle et vous le faites.

C’est pour cela que nous nous querellons quelquefois, mais cela, il ne faut pas le dire!

Tu as dit ici que l’on est « pris dans la chaîne du karma », mais alors parfois, quand la Grâce divine agit, cela contredit...

Complètement, la Grâce divine contredit complètement le karma. Tu sais, cela le fait fondre comme quand on met du beurre au soleil.

C’est ce que je disais tout à l’heure. Ce que tu viens de me dire est une autre façon de parler. Moi, je me mettais à votre place et je disais : voilà, si vous avez une aspiration assez sincère ou une prière assez intense, vous pouvez faire descendre en vous Quelque Chose qui changera tout, tout — véritablement on change tout. On peut donner un exemple, qui est extrêmement limité, tout petit, mais qui fait bien comprendre les choses : mécaniquement, une pierre tombe; disons qu’une tuile tombe (si elle se détache, elle tombera, n’est-ce pas), mais s’il vient un déterminisme, par exemple vital ou mental, de quelqu’un qui passe et qui ne veut pas que cela tombe et qui met sa main, cela tombera sur la main, mais cela ne tombera pas par terre. Alors il a changé la destinée de cette pierre ou de cette tuile. C’est un autre déterminisme qui est venu, et au lieu que la pierre vienne tomber sur la tête de quelqu’un, elle tombe dans la main et elle ne tuera personne. Cela, c’est l’intervention d’un autre plan, d’une volonté consciente qui entre dans un mécanisme plus ou moins inconscient.

Alors les conséquences du karma ne sont pas rigou reuses?

Non, pas du tout. Les gens qui ont dit cela dans toutes les religions, qui ont donné de ces règles si absolues, moi, je crois que c’était pour se substituer à la Nature et pour tirer les ficelles. Il y a toujours cette espèce d’instinct de vouloir se substituer à la Nature et de tirer les ficelles des gens. Alors on leur dit : « Il y a une conséquence absolue à tout ce que vous faites. » C’est un concept qui est nécessaire à un moment donné de l’évolution pour empêcher les gens d’être dans un égoïsme complètement inconscient et dans une inconscience totale des conséquences de ce que l’on fait. Il ne manque pas de gens qui sont encore comme cela, je crois que c’est la majorité : ils suivent leurs impulsions et ne se demandent même pas si ce qu’ils ont fait va avoir des conséquences pour eux et pour les autres. Alors c’est bon que quelqu’un vous dise tout d’un coup, avec un air sévère : « Prenez garde, cela a des conséquences qui dureront pendant un temps très long ! » Et puis, il y a ceux qui sont venus vous dire : « Vous payerez cela dans une autre vie. » Cela, c’est une de ces histoires fantastiques... Mais enfin, cela ne fait rien; cela aussi peut être pour le bien des gens. Il y a d’autres religions qui vous disent : « Oh! si vous faites ce péché-là, vous irez en enfer pour l’éternité. » Tu vois cela d’ici!... Alors les gens ont tellement peur que cela les empêche un peu, cela leur donne juste une seconde de réflexion avant d’obéir à l’impulsion — et pas toujours; quelquefois la réflexion vient après, un peu tard.

Ce n’est pas absolu. Ce sont encore des constructions mentales, plus ou moins sincères, qui coupent les choses en petits morceaux comme cela, bien nettement coupés, et qui vous disent : « Fais ça ou fais ça. Si ce n’est pas ça, ce sera ça. » Oh! comme c’est embêtant la vie comme cela ! Et alors les gens s’affolent, ils sont épouvantés : « C’est ça ou bien ça ? » Et s’ils ont envie que ce ne soit ni ça ni ça, comment faire? Ils n’ont qu’à monter à l’étage supérieur. Il faut leur donner la clef pour ouvrir la porte. Il y a une porte à l’escalier, il faut une clef. La clef, c’est ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est l’aspiration suffisamment sincère ou la prière suffisamment intense. Et j’ai dit « ou » — je ne crois pas que ce soit « ou ». Il y a des gens qui aiment mieux l’un et il y a des gens qui aiment mieux l’autre. Mais il y a un pouvoir magique dans tous les deux ; il faut savoir s’en servir.

Il y a quelque chose de très beau dans les deux, je vous en parlerai un jour, je vous dirai ce qu’il y a dans l’aspiration et ce qu’il y a dans la prière, et pourquoi tous les deux sont beaux... Certains détestent la prière (s’ils allaient tout au fond de leur cœur, ils verraient que c’est un orgueil — pire que cela, une vanité). Et alors, il y a ceux qui n’ont pas d’aspiration, qui essayent, qui ne peuvent pas; c’est parce qu’ils n’ont pas la flamme de la volonté, c’est parce qu’ils n’ont pas la flamme d’humilité.

Il faut les deux : il faut une très grande humilité et une très grande volonté pour changer son karma.

Voilà, au revoir mes enfants.

Le 10 juin 1953

« Les attaques des forces adverses sont inévitables; il faut les considérer comme des épreuves sur le chemin et tra verser courageusement la tourmente. La lutte peut être dure, mais quand on en sort, on a gagné quelque chose, on a avancé d’un pas. Il y a même une nécessité à l’exis tence des forces hostiles : elles rendent la résolution plus forte, l’aspiration plus claire. Il est vrai, aussi, qu’elles existent parce que vous leur donnez des raisons d’exister. Tant qu’il y a en vous quelque chose qui leur répond, leur intervention est parfaitement légitime. Si rien en vous ne répondait, si elles n’avaient de prise sur aucune partie de votre nature, elles se retireraient et vous laisse raient tranquille. »

(Entretien du 5 mai 1929)

Quelquefois, quand on est attaqué par une force adverse et que l’on s’en sort, pourquoi est-on attaqué encore une fois par la même force?

Parce qu’il était resté quelque chose dedans. Nous avons dit là, que la force ne peut attaquer que parce qu’il y a quelque chose qui correspond dans la nature — si peu que ce soit. Il y a une sorte d’affinité, il y a quelque chose qui correspond, il y a un désordre ou une imperfection qui attire cette force adverse en lui répondant. Alors, si l’attaque vient, que l’on reste bien tranquille et qu’on la renvoie, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’on se soit débarrassé de la petite partie en soi qui permet à l’attaque de se produire.

Vous avez quelque chose qui attire cette force; mettez, par exemple (c’est l’une des choses les plus fréquentes), la force de dépression, cette espèce d’attaque, de vague de dépression qui vous tombe dessus : on perd confiance, on perd tout espoir, on a l’impression qu’on ne pourra jamais rien faire, on est déprimé. Cela veut dire qu’il y a dans le vital de l’être quelque chose qui est naturellement égoïste, sûrement un peu vaniteux et qui a besoin d’être encouragé pour rester en bon état. Alors c’est comme un petit signal pour ces forces-là, qui leur fait savoir : « Vous pouvez venir, la porte est ouverte. » Mais il y a une autre partie de l’être qui veillait quand les forces sont arrivées; au lieu de les laisser entrer, la partie qui voit clair, qui connaît, qui a le pouvoir, qui résiste, dit : « Non, je ne veux pas de ça, ce n’est pas vrai, je n’en veux pas », et les renvoie. Mais on n’a pas nécessairement guéri au-dedans de soi la petite chose qui a permis que cela vienne. Il faut aller très profondément, travailler d’une façon très soutenue au-dedans de soi pour effacer la possibilité d’appel. Et tant qu’on ne l’a pas complètement effacée, les attaques se reproduiront presque inattendues. Vous repoussez — c’est comme une balle qu’on renvoie sur le mur, cela revient; vous repoussez encore et cela revient; jusqu’au moment où il n’y a plus rien pour attirer. Alors cela ne revient plus.

Par conséquent, la chose la plus importante quand vous êtes attaqué par une force adverse, c’est de vous dire : « Oui, la force vient du dehors et l’attaque est là, mais il y a certainement une correspondance dans ma nature, autrement elle ne pourrait pas attaquer. Eh bien, je vais voir au-dedans de moi ce qui permet à cette force de venir et je vais le renvoyer, ou le transformer, ou mettre la conscience de la lumière dessus de façon que cela se convertisse, ou bien le chasser pour que cela ne reste plus audedans de moi... » Il y a un moyen, n’est-ce pas. Quand la force vient, la force adverse, quand elle attaque, la partie qui correspond se précipite à sa rencontre, elle va au-devant. Il y a une sorte d’union qui se produit. Si, à ce moment-là, au lieu d’être tout à fait débordé, pris par surprise et hors de ses gardes, on observe très attentivement ce qui au-dedans de soi a vibré (cela fait tat, tat, tat, une autre chose est arrivée), alors on peut l’attraper. À ce moment-là, on l’attrape, on lui dit : « Va-t’en avec tes amis, je ne te veux plus! » On renvoie les deux ensemble, la partie qui a attiré et ce qu’elle a attiré; on les renvoie et on est tout à fait clair.

Pour cela, il faut être très vigilant et avoir un petit peu de courage, dans le sens que quelquefois il faut pincer fort et puis arracher — cela fait un petit peu mal —, et puis on l’envoie promener avec les forces qu’on renvoie. Après cela, c’est fini. Et tant que ce n’est pas fait, cela revient et puis cela revient; alors, si on n’est pas soi-même suffisamment courageux ou vigilant, ou persévérant, à la quatrième ou cinquième fois, on s’aplatit, on dit : « C’est trop, j’en ai assez! » Alors la force s’installe, contente, satisfaite de son œuvre; et puis vous pouvez la voir rire, elle s’amuse beaucoup, elle a réussi son coup. Donc c’est une œuvre très considérable pour la renvoyer. Mais si vous suivez l’autre moyen, si vous regardez attentivement, comme cela : « Tiens, je vais attraper ce qui a permis à cela d’arriver », on voit quelque part dedans quelque chose qui se lève, qui frétille et qui arrive en réponse à la force mauvaise qui vient. Alors c’est le moment de l’attraper et puis de le jeter dehors avec le reste.

Mais quand on le jette en dehors, cela ne meurt pas. Alors cela peut aller ailleurs encore une fois, parce que cela reste dans le monde?

C’est exact. Cela reste dans le monde et cela s’en ira sûrement ailleurs — jusqu’à ce que ça rencontre quelqu’un qui ait le pouvoir spirituel et occulte suffisant pour le dissoudre, et c’est très difficile... Il faut être très fort, avoir une très grande connaissance et un très grand pouvoir pour dissoudre un mouvement qui a (tout ce que l’on peut dire au moins) sa raison d’être dans le monde — je ne dis pas légitime, mais enfin il a sa raison d’être. Il y a de ces choses que l’on peut dissoudre; mais si quelque part dans le monde cela existe dans quelqu’un, ce quelqu’un est capable de le reconstituer. C’est la même chose quand les gens sont attaqués par des petites entités du monde vital, des entités hostiles qui les attaquent, qui s’installent dans leur atmosphère en essayant de les posséder, c’est-à-dire d’entrer au-dedans d’eux et de se servir de leur corps et du reste. Ces êtres-là, il est très difficile pour l’individu de s’en débarrasser : cela veut dire yoga, très, très dur. Mais quelqu’un qui a la connaissance et le pouvoir, et qui les voit, peut très bien les faire sortir de l’atmosphère et les détruire. Mais si la personne qui avait été attaquée garde au-dedans d’elle cette petite affinité qui a permis à la chose d’entrer, elle la rappellera. J’ai eu des exemples comme cela, plusieurs.

J’ai eu l’exemple d’une personne qui était aux trois quarts possédée et qui, à ce moment-là, exprimait une sorte de puissance, de force — qui n’était pas très bonne, mais enfin cela donnait l’impression d’une force, d’une puissance, d’une capacité. Seulement elle se rendait compte que c’était mauvais, que c’était pour le mal, et elle priait pour en être débarrassée. L’occasion arrive : l’être se montre séparément de la personne qu’il possède, on peut l’attraper, le tirer, le dissoudre. Alors la personne qui était possédée sent tout d’un coup qu’elle devient aussi plate que n’importe qui. Cette sensation de pouvoir qu’elle avait, elle l’a perdue, elle a l’impression qu’elle devient tout à fait ordinaire et dit : « Je n’ai pas de facultés spéciales, je n’ai pas de valeur spéciale, je n’ai pas de capacité spéciale, je suis un être tout à fait ordinaire et plus qu’ordinaire, d’une banalité écœurante! » Qu’est-ce qu’elle fait? Elle prie pour ravoir sa possession. Et alors quelques jours après, je la retrouve aussi possédée qu’avant.

Là, ce n’est vraiment pas la peine, il n’y a qu’à les laisser à leur destin. C’est arrivé plusieurs fois. N’est-ce pas, chez ces gens, c’est une vanité qui ouvre généralement la porte à ces forces-là : ils ont voulu être grands, être puissants, jouer un rôle important, être quelqu’un ; cela attire la force et puis ils deviennent comme cela, possédés. On leur enlève cela : toute leur capacité remarquable disparaît en même temps, et leur vanité n’est pas contente. Ils ont l’impression qu’ils sont devenus quelque chose de tout à fait ordinaire, et une toute petite chose au-dedans dit : « Oh ! c’était mieux avant... » Pour un que l’on détruit, il y en a toujours dix qui sont prêts à venir. C’est cela, c’est une grande besogne!

Vous connaissez l’histoire de Durgâ, n’est-ce pas, qui tous les ans est obligée de détruire son Titan ; et elle est toujours obligée de recommencer. Cela va comme cela jusqu’à la fin du règne reconnu des Titans. Quand ils seront bannis de ce monde, alors ce ne sera plus. Mais jusque-là, c’est-à-dire tant qu’ils seront utiles pour (comme je l’ai dit dans ce livre) intensifier une aspiration, pour clarifier une conscience, pour mettre à l’épreuve la sincérité des gens, ils seront là. Le jour où l’on n’aura plus besoin d’être mis à l’épreuve, où la sincérité sera pure et existera en elle-même, alors ils disparaîtront. Alors, ce jour-là, Durgâ n’aura plus besoin de recommencer tous les ans sa bataille.

Est ce que ce ne serait pas mieux de les changer?

Ah! mon petit, certainement ce serait mieux, beaucoup mieux. Mais alors là...

C’est un domaine où j’ai une expérience très approfondie. Après quarante ans d’efforts soutenus, je me suis aperçue qu’il est absolument impossible de changer quelqu’un à moins que, vraiment, il ne le veuille sincèrement. S’il ne se met pas lui-même à l’ouvrage avec une sincérité absolue, eh bien — j’ai fait cela pendant quarante ans, on peut le faire pendant cent quarante ans, ce sera la même chose —, il ne bougera pas. Et ces êtres-là, c’est leur caractère même d’être parfaitement satisfaits d’euxmêmes, et ils ne désirent pas, ils n’ont pas la moindre intention de changer! Même actuellement parmi les êtres qui s’occupent de la terre, les êtres âsuriques, le plus grand des asuras qui reste à s’occuper de la terre maintenant, qui est l’asura du Mensonge et qui s’appelle le « Seigneur des Nations » (il s’est donné un beau nom, il est Seigneur des Nations), celui-là, partout où il y a quelque chose qui va mal, vous pouvez être sûr que lui ou un de ses représentants est là. Il est parfaitement sûr aussi que bientôt son heure sera venue et que ce sera fini pour lui, qu’il faudra qu’il disparaisse. Et il refuse absolument de changer. Il n’en a pas l’intention — parce que, immédiatement, il perdrait tout son pouvoir. C’est impossible. Et il sait qu’il disparaîtra. Mais il annonce d’une façon catégorique qu’avant de disparaître, il détruira tout ce qu’il peut... Au fond, il ne consentirait à disparaître que si tout disparaissait en même temps que lui. Malheureusement pour lui, ce n’est pas possible. Mais il fera tout ce qui est en son pouvoir pour détruire, démolir, abîmer, pourrir autant de choses qu’il pourra. C’est sûr. Et après, c’est la culbute. Il accepte la culbute à cette condition. Il ne lui a jamais traversé l’esprit qu’il puisse se convertir. Ce ne serait plus lui, n’est-ce pas, il ne serait plus lui.

Il y a une grande différence entre un être humain et ces êtres du domaine vital. Je vous l’ai déjà dit plusieurs fois, je vais vous le répéter :

Dans un être humain, il y a la Présence divine et l’être psychique — au commencement embryonnaire, mais à la fin un être tout à fait formé, conscient, indépendant, individualisé. Cela, ça n’existe pas dans le monde vital. C’est une grâce spéciale qui a été donnée aux êtres humains qui existent dans la matière et sur la terre. Et à cause de cela, il n’y a pas un être humain qui ne puisse se convertir, s’il le veut; c’est-à-dire qu’il y a une possibilité qu’il le veuille, et de la minute où il le veut, il peut le faire. Il est sûr de réussir, de la minute où il le veut. Tandis que ces êtres du vital n’ont pas d’être psychique en eux, ils n’ont pas la Présence divine directe (naturellement, à l’origine, ils descendaient directement du Divin, mais c’était à l’origine, il y a fort longtemps de cela). Ils ne sont pas en rapport direct avec le Divin au-dedans d’eux, ils n’ont pas d’être psychique. Et s’ils se convertissaient, il n’en resterait rien, parce qu’ils sont entièrement faits du mouvement opposé : ils sont entièrement faits d’affirmation personnelle, d’autorité despotique, de séparation de l’Origine, et du plus grand dédain pour tout ce qui est pur, beau et noble. Ils n’ont pas au-dedans d’eux cette chose psychique qui, dans un homme, même chez le plus avili, lui fait respecter ce qui est beau, pur; même l’être humain le plus bas, malgré lui, en dépit de sa propre volonté, respecte ce qui est pur, noble et beau. Mais ces êtres-là n’ont pas cela. Ils sont entièrement contre, totalement contre. Cela les dégoûte de toute façon. C’est pour eux la chose qu’on ne doit pas toucher, parce que cela vous détruit : c’est la chose qui vous fait disparaître. La bonne volonté, la sincérité, la pureté et la beauté, ce sont les choses qui les font disparaître. Alors ils les haïssent.

Alors je ne vois pas sur quel pied on pourrait les convertir. Quel serait le point d’appui? Je ne le trouve pas. Même les plus grands. C’est-à-dire qu’il y a de ces êtres qui ne disparaîtront que quand la haine disparaîtra de la terre... On pourrait me dire le contraire. On pourrait me dire que la haine disparaîtra de la terre quand ils disparaîtront; mais pour la raison que je viens de dire, le pouvoir de faire surgir la lumière au lieu de l’obscurité, la beauté au lieu de la laideur, la bonté au lieu de la méchanceté, ce pouvoir-là, l’homme le possède, mais l’asura ne le possède pas. Alors c’est l’homme qui fera la besogne, c’est lui qui changera, c’est lui qui transformera sa terre. Et c’est lui qui obligera l’asura à s’enfuir dans d’autres mondes, ou à se dissoudre. Alors après cela, ce sera bien tranquille. Voilà.

Question?

Tu as dit ici, à propos du mental : « Toute partie de l’être qui reste à sa place et joue le rôle qui lui est assi gné, est une aide; mais dès qu’elle sort de sa sphère, elle devient déformée et pervertie, et par conséquent fausse. Le mouvement d’un pouvoir est vrai quand ce pouvoir est mis en activité pour la cause Divine; le mouvement est faux quand le pouvoir entre en activité pour sa propre satisfaction. »

(Entretien du 5 mai 1929)

Quand une partie de l’être sort de sa sphère, pour quoi se déforme-t-elle et se pervertit-elle?

J’emploie le mot « sphère » dans le sens de place et de rôle que l’on a à jouer. Chaque partie de l’être a sa place dans le tout et un rôle défini à jouer. Si, au lieu de jouer ce rôle-là, elle veut en jouer un autre, naturellement elle perd les qualités qui lui sont nécessaires pour jouer son vrai rôle, et elle ne peut pas prendre les autres parce qu’elles lui sont étrangères. Alors nécessairement, elle se déforme et elle se pervertit. Par exemple, nous disons ici que le vrai rôle du mental est un rôle formateur en vue de l’action. Une idée pénètre dans le mental, le mental s’en saisit, lui donne une forme pour la réalisation, la change en un mobile d’action et l’envoie vers le matériel. Il organise cette idée pour lui permettre de se réaliser dans une action. Cela, c’est son rôle vrai, et tant qu’il fait cela et qu’il le fait avec soin, il remplit son rôle, il reste à sa place et il est tout à fait utile. Mais si le mental s’imagine qu’il sait, qu’il n’a pas besoin de recevoir la connaissance et l’idée d’une autre partie de l’être — d’une partie supérieure —, s’il s’imagine qu’il sait et qu’en associant des mouvements intérieurs, il croit avoir trouvé une connaissance, qui n’est jamais que la réflexion de quelque chose d’autre, et qu’il veuille imposer cette connaissance à la vie physique, alors il sort de son rôle et il devient tyran — cela lui arrive assez souvent, il est complètement perverti, et au lieu d’aider la sâdhanâ, il la détruit. On peut facilement faire cette observation. Naturellement, il faut pouvoir suivre le fonctionnement vrai, les activités au-dedans de soi.

C’est la même chose avec le vital. Le vital est destiné à mettre l’élan, la force de réalisation, l’enthousiasme, l’énergie nécessaire pour que l’idée formée par le mental puisse être transmise au corps et réalisée en action. Eh bien, tant que le vital se borne à cette activité-là, c’est-à-dire à mettre toute son énergie, tout son enthousiasme, toute sa puissance à l’œuvre pour collaborer avec cette idée, c’est très bien. Mais si, au lieu de cela, tout d’un coup il est pris par un désir — ce qui lui arrive assez souvent — et qu’il emploie toutes ses activités pour réaliser non pas l’idée supérieure qui voulait se manifester, mais son propre désir, alors il sort de sa zone d’action, il se pervertit et il déforme tout, et il arrive à créer des catastrophes.

Quelquefois, nous ne nous apercevons pas que les forces adverses nous attaquent, pourquoi?

On ne s’en aperçoit pas! Cela, c’est quand on n’est pas vigilant, quand on n’est pas attentif et que l’on est occupé de choses tout à fait extérieures, des toutes petites choses de la vie pratique de chaque jour. Alors les forces peuvent vous attaquer, entrer, s’installer sans même que l’on s’en aperçoive. Le plus souvent, elles ne vous attaquent pas directement comme cela, parce que si elles vous attaquent directement, il y a une chance pour que vous le sentiez (vous vous sentez mal à l’aise tout d’un coup, cela peut éveiller votre attention). Elles descendent dans l’inconscient et puis remontent, comme ça, gentiment, par en bas. Alors vous ne savez pas du tout ce qui vous arrive. Quand vous vous en apercevez, c’est déjà là, tout installé, bien confortablement.

Quelquefois, on ne peut pas distinguer les forces adverses des autres.

Cela, c’est quand on est très inconscient.

Il n’y a que deux cas où cela puisse se produire. Ou bien on est très inconscient des mouvements de son être — on n’a pas étudié, on n’a pas observé, on ne sait pas ce qui se passe au-dedans de soi —, ou bien on est absolument insincère, c’est-à-dire que pour ne pas voir la réalité des choses, on fait l’autruche : on cache sa tête, on cache son observation, sa connaissance et on dit « ce n’est pas là ». Mais enfin cela, j’espère que ce n’est pas en question ici. Alors, c’est simplement parce que l’on n’a pas l’habitude de s’observer, qu’on est très inconscient de ce qui se passe au-dedans de soi.

Avez-vous jamais fait l’exercice de distinguer ce qui vient de votre mental, ce qui vient de votre vital, ce qui vient de votre physique?... Parce que c’est mélangé; c’est mélangé dans l’apparence extérieure. Si l’on ne prend pas soin de distinguer, cela fait une sorte de soupe, tout cela ensemble. Alors c’est indistinct, c’est difficile à trouver. Mais si l’on s’observe, au bout d’un moment on voit que certaines choses, vous les sentez là, comme ça, comme si elles étaient dans votre peau; certaines autres choses, vous avez l’impression qu’il faut rentrer au-dedans pour s’apercevoir d’où elles viennent; d’autres choses, il faut entrer encore un peu plus en dedans, ou alors il faut monter un petit peu là-haut : cela vient de l’inconscience. Et puis d’autres, alors, il faut aller très profond, très profond, pour trouver d’où elles viennent. Cela, c’est un petit commencement.

Simplement observez. Vous avez un certain état, vous vous trouvez dans un certain état, indéfinissable. Alors regardez : « Tiens! pourquoi est-ce que je suis comme cela ? » Vous cherchez d’abord si vous avez de la fièvre ou si vous avez une maladie quelconque; mais ça va bien, tout va bien. « Pas mal à la tête, pas de fièvre, mon estomac ne proteste pas, mon cœur fonctionne convenablement, enfin ça va, je suis normal. Mais pourquoi est-ce que je me sens si mal à l’aise?... » Alors on entre un petit peu au-dedans. Cela dépend des cas. Quelquefois on trouve tout de suite : tiens, il y a eu un petit incident qui n’était pas agréable, quelqu’un a dit un mot qui n’a pas fait plaisir, ou on a raté son exercice, ou bien on n’a pas très bien su sa leçon, le professeur a fait une remarque. Sur le moment, on n’a pas fait bien attention, mais après, cela commence à travailler, ça laisse une impression pénible. Cela, c’est le second stade. Après, s’il n’y a rien eu : « Tout est bien, tout est normal, tout est ordinaire, je n’ai rien à noter, il ne s’est rien passé; pourquoi est-ce que je me sens comme cela ? » Alors cela commence à être intéressant, parce qu’il faut entrer beaucoup plus profondément au-dedans de soi. Et alors, cela peut être toutes sortes de choses : ce peut être justement l’expression d’une attaque qui se prépare; ce peut être une petite angoisse intérieure à la recherche d’un progrès qu’il faut faire; ce peut être la prémonition qu’il y a quelque part en contact avec soi quelque chose qui n’est pas tout à fait harmonieux et que l’on doit changer, une chose qu’il faut voir, découvrir, changer, sur laquelle il faut mettre de la lumière, quelque chose qui est encore là au fond et ne devrait plus y être. Alors si l’on regarde bien soigneusement, on s’en aperçoit : « Tiens! je suis encore comme ça ; dans ce petit coin-là, il y a encore ça qui est comme ça, pas clair : un petit égoïsme, une petite mauvaise volonté, quelque chose qui refuse de changer. » Alors on le voit, puis on le prend par le bout du nez, ou par le bout de l’oreille, et puis on le met juste en pleine lumière : « Hein ! tu es caché! Tu t’es caché, toi? mais moi, je ne te veux plus. » Et puis c’est lui qui est obligé de s’en aller.

Cela, c’est un grand progrès.

Dans la classe, si cette sorte d’état arrive, si l’on se sent mal à l’aise...

Cela vous arrive en classe? Cela veut dire qu’on n’écoute pas son professeur, autrement cela ne vous arriverait pas. Si vous étiez bien attentif à la classe et à la leçon, cela ne pourrait pas vous arriver. Quand vous en sortiriez, vous le sentiriez, mais pas dans la classe. Cela veut dire que vous êtes en train de rêver ou de vivre au-dedans de vous ou de suivre votre imagination, mais que vous n’êtes pas à écouter votre classe... C’est cela qui est merveilleux, mes enfants : quand on apprend quelque chose, quand on étudie, quand on est concentré sur son étude, ces choses-là ne vous arrivent jamais. Cela peut vous arriver avant, cela peut vous arriver après; cela ne vous arrive pas à ce moment-là. Parce que si vous êtes bien concentrés, toutes les énergies sont concentrées sur l’étude, et là il n’y a pas de choses désagréables. On comprend ce qu’on apprend et on est intéressé par ce que l’on apprend.

Quelquefois, on tâche d’être concentré, mais on ne peut pas.

Alors, si vraiment on ne peut pas, il n’y a qu’à passer son temps à chercher au-dedans de soi pourquoi on est comme cela ! Puis, si le professeur vous interroge, on est obligé de lui dire : « Je regrette, je n’ai pas écouté. »

Tu n’aimes pas apprendre?

Si.

Alors comment cela peut-il arriver?

Mais dans certaines classes, on ne comprend pas.

Alors dans certaines classes, tu n’aimes pas apprendre! Tu peux dire d’une façon générale : « Oui, oui, j’aime apprendre! » Mais si on aime vraiment apprendre, il n’y a pas de classe où l’on ne puisse apprendre quelque chose. Sûrement, quelle que soit la classe, il y a toujours quelque chose que l’on ne sait pas, on peut toujours apprendre. Tu n’es pas une encyclopédie vivante! Même si (ce qui arrive, je crois, dans certaines classes) on redouble avec le même livre, alors on peut dire : « Oh! j’ai déjà vu ce livre, cela m’ennuie », mais c’est tout simplement parce que l’on ne veut pas apprendre; parce que certainement, si on redouble avec le même livre, cela veut dire que l’on n’a pas convenablement appris la première fois, et il faut prendre grand soin d’apprendre ce qu’on n’avait pas appris. Même un livre de grammaire! Je ne dis pas que les livres de grammaire soient très excitants, mais même un livre de grammaire est une chose intéressante si l’on se met à apprendre; même les règles de grammaire les plus abstraites. Vous ne pouvez pas vous imaginer comme c’est amusant quand on veut vraiment apprendre, si l’on veut comprendre pourquoi c’est comme cela ; au lieu de mettre simplement dans sa mémoire, de se souvenir, si l’on veut comprendre : « Qu’est-ce que ces mots qui sont mis là ? Pour quelle idée, quelle connaissance vraie, sont-ils mis là ? Qu’est-ce qu’ils représentent?... » N’importe quelle règle est tout simplement une formule mentale humaine de quelque chose qui existe en soi. Prenez n’importe quelle règle, quelle qu’elle soit, c’est tout simplement quelques cerveaux qui ont fait un effort pour formuler de la façon qui, pour eux, était la plus claire, la plus condensée, quelque chose qui existe en soi. Alors si l’on se met derrière les mots à rechercher ce quelque chose — la chose qui existe en elle-même, qui est là, derrière les mots —, comme cela devient intéressant! C’est palpitant, c’est passionnant! C’est comme de traverser la jungle pour trouver un pays nouveau, comme on fait une exploration au pôle nord! Et alors, si vous faites cela avec un théorème de grammaire, je vous assure que rien au monde ne peut vous ennuyer après.

Comprendre au lieu d’apprendre.

J’avoue que cela demande une très grande concentration. Cela demande une concentration qui est capable de pénétrer, de creuser un trou dans la carapace mentale et de passer de l’autre côté. Et après, cela vaut la peine... On est poussé contre quelque chose qui est froid, rigide, dur, sans élasticité. Puis on se concentre, concentre, concentre suffisamment jusqu’à ce que... tout à coup on est de l’autre côté. Et alors on émerge dans une lumière et on comprend : « Ah! ça, c’est épatant! Là, j’ai compris. » Une toute petite chose, cela vous donne une grande joie.

Vous voyez que l’on peut ne pas s’ennuyer à l’école.

À l’école, il y a un cours à finir dans une année. Il faut aller parfois un peu vite. Avant que l’on ait pu bien comprendre une question, il faut passer à l’autre chapitre.

Cela, mon petit, je suis pleinement d’accord avec toi, ce n’est pas bien. Mais nous essayerons de changer tout cela. Parce que, après tout, je ne vois aucune raison pour que l’on finisse un livre dans une année. C’est tout à fait arbitraire. On ne devrait laisser un chapitre que lorsqu’on l’a bien compris, puis prendre le suivant, et ainsi de suite. Et si on l’a fini, on l’a fini ; et si on n’a pas fini, on n’a pas fini.

La vérité, c’est qu’au lieu de faire son cours sur un livre, le professeur devrait se donner assez de mal pour faire son cours lui-même. Il devrait savoir assez et se donner assez de mal pour préparer au jour le jour son cours, et alors il n’arrêterait un sujet que lorsque... je ne dis pas lorsque tout le monde a compris, parce que c’est impossible, mais enfin lorsque ceux qu’il considère comme les éléments intéressants de sa classe ont compris. Alors on prend le sujet suivant. Et si cela dure, si un genre de sujet s’étend sur deux ans au lieu d’un an, ou un an et demi au lieu de deux, cela ne fait rien; parce que c’est sa propre production, son propre cours qu’il écrit, et il écrit suivant le besoin de sa classe. Cela, c’est ma conception de l’enseignement. Maintenant, cela a ses difficultés. Mais c’est la vraie façon de faire, parce que prendre un livre et le suivre, et surtout un livre qui peut très bien ne pas du tout être adapté aux élèves... Je ne dis pas qu’un cours puisse être adapté à tous, c’est impossible de contenter tout le monde. Mais il y a ceux qui veulent faire un effort; c’est de ceux-là qu’il faut s’occuper. Ceux qui sont paresseux ou endormis ou indolents, eh bien, il faut les laisser à leur paresse ou à leur sommeil ou à leur indolence. S’ils veulent dormir toute leur vie, qu’ils dorment jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose qui les secoue assez pour les réveiller! Mais ce qui est intéressant dans une classe, ce sont ceux qui veulent apprendre, ceux qui veulent réellement apprendre, et c’est pour eux que la classe doit être faite. N’est-ce pas, la méthode d’instruction actuelle est une sorte de nivellement : il faut que tout le monde soit à la même hauteur. Alors ceux qui ont la tête au-dessus, on la leur coupe, et ceux qui sont trop petits, on les pousse par en bas. Mais cela ne fait rien de bon. Il faut s’occuper seulement de ceux qui émergent, les autres prendront ce qu’ils pourront. Et au fond, je ne vois aucune nécessité pour que tout le monde sache la même chose — parce que ce n’est pas normal. Mais ceux qui veulent savoir et ceux qui peuvent savoir, ceux qui doivent travailler, alors ceux-là, il faut leur donner tous les moyens possibles pour qu’ils travaillent et les pousser autant que possible, leur donner toujours de la nouvelle nourriture. Ce sont les affamés, il faut les nourrir... Ah! si j’avais du temps, je prendrais une classe. Cela m’intéresserait beaucoup, pour montrer comment il faut faire. Seulement on ne peut pas être partout à la fois!

Voilà, mes enfants, maintenant il est très tard. Bonne nuit.

Le 17 juin 1953

« Il y a un vrai mouvement de l’intellect, et il y a un faux mouvement; l’un aide, l’autre gêne la sâdhanâ. »

(Entretien du 5 mai 1929)

Quel est le vrai mouvement de l’intellect?

Qu’est-ce que tu entends par intellect exactement? Est-ce une fonction du mental, ou est-ce une partie de l’être humain? Comment l’entends-tu?

Une fonction du mental.

Une fonction du mental? Alors c’est la partie du mental qui s’occupe des idées, c’est cela que tu veux dire?

Pas des idées, Douce Mère.

Pas des idées? Alors de quoi?

Des idées, mais...

Il y a une partie du mental qui reçoit les idées, les idées qui sont formées dans un mental supérieur. Enfin, je ne sais pas, c’est une question de définition et il faut savoir ce que tu veux dire exactement.

L’intellect, c’est ce qui met les idées en forme de pensées, puis qui assemble et organise les pensées. Il y a de grandes idées qui sont au-delà de la mentalité humaine ordinaire, qui peuvent se revêtir de toutes les formes possibles. Ces grandes idées ont tendance à descendre et à vouloir se manifester dans des formes précises. Ces formes précises, ce sont les pensées — et c’est généralement, je crois, ce que l’on entend par intellect : c’est ce qui donne la forme de pensée aux idées.

Et puis, il y a aussi l’organisation des pensées entre elles. Il faut que tout cela soit mis dans un certain ordre, autrement on est incohérent. Et après, alors, il y a l’utilisation de ces pensées pour l’action; c’est encore un autre mouvement.

Pour pouvoir dire quel est le vrai mouvement, il faut savoir d’abord de quel mouvement on parle. Tu as un corps, n’est-ce pas, tu n’attends pas de ton corps qu’il marche sur sa tête ou sur ses mains, ou qu’il se traîne à plat ventre, ou bien que ta tête soit en bas et que tes pieds soient en l’air. Tu donnes à chacun de tes membres une occupation spéciale qui lui est propre. Cela te paraît tout naturel parce que c’est une habitude; autrement les tout petits, ils ne savent pas du tout quoi faire, ni avec leurs jambes, ni avec leurs mains, ni avec leur tête; c’est seulement petit à petit qu’ils apprennent cela. Eh bien, c’est la même chose avec les fonctions mentales. Il faut savoir de quelle partie du mental on parle, quelle est sa fonction propre, et alors on peut dire quel est son vrai mouvement et quel n’est pas son vrai mouvement. Par exemple, pour la partie qui doit recevoir les idées maîtresses et les changer en pensée, son vrai mouvement est d’être ouverte aux idées maîtresses, de les recevoir et de les changer en une pensée aussi exacte, aussi précise, aussi expressive que possible. Pour la partie du mental qui est chargée d’organiser toutes ces pensées entre elles afin que cela fasse un ensemble cohérent et classifié, pas un chaos, le vrai mouvement est justement de faire la classification selon une logique supérieure et dans un ordre tout à fait clair, précis et expressif, qui puisse servir chaque fois que l’on doit se référer à une pensée afin que l’on sache où la trouver et qu’on ne mette pas ensemble des choses très contradictoires. Il y a des individus dont la mentalité ne travaille pas comme cela ; toutes les idées qui viennent, sans même qu’ils s’aperçoivent de ce qu’est l’idée, se traduisent par des pensées confuses qui restent dans une sorte de chaos intérieur. J’ai connu des gens qui, au point de vue philosophique — quoique cela n’ait rien eu de philosophique! — pouvaient mettre côte à côte les choses les plus contradictoires, comme des idées d’ordre hiérarchique et en même temps des idées d’indépendance absolue de l’individu et d’anarchisme, et les deux étaient reçues avec la même sympathie, se cognaient dans la tête dans un désordre fou et ils ne s’en apercevaient même pas!... Tu sais ce que l’on dit : « Une question bien posée est aux trois quarts résolue. » Alors maintenant, pose ta question. De quoi veux-tu parler? Je t’ai tendu la perche, tu n’as qu’à l’attraper. De quoi parles-tu, qu’est-ce que tu appelles intellect? Sais-tu la différence entre une idée et une pensée?

Pas bien.

Ah! c’est la première pierre d’achoppement. Quelqu’un peut-il me dire cela ici? (À un enfant) Toi, tu sais la différence entre une idée et une pensée?

Une pensée, c’est vague, plus vague que l’idée?

Non, ce n’est pas une question de pensée vague dans un esprit vague, ni de pensée claire si l’esprit est clair. Ce n’est pas comme cela.

Tu as dit juste maintenant que les idées venaient d’en haut et se traduisaient en pensées...

Oui, mais elles viennent d’en haut comment?

Des parties supérieures du mental.

Oui, mais si tu me donnais une idée et les pensées dans lesquelles elle peut s’exprimer. C’est cela que je demande. Que quelqu’un me donne un exemple. (Regardant un disciple) Il brûle de parler. Dites-nous quelque chose, nous allons voir.

La manifestation du Divin sur la terre est une idée, et la transformation est la pensée.

Tiens, vous êtes moniste? Si je ne me trompe, c’est le principe du monisme.

C’est une pensée de Dieu qui a fait l’univers, mais alors au lieu d’une pensée, nous disons une idée.

Quelqu’un a-t-il quelque chose d’intéressant à dire?

(Un professeur) En logique, on dit : « la mortalité est une idée », et « l’homme est mortel est une pensée ».

Maintenant, vous avez compris la différence entre l’idée et la pensée? C’est clair. L’idée se traduit par toutes sortes de pensées. Ce peuvent être les pensées les plus contradictoires, et le tout est de les organiser d’une façon cohérente. Je pense vous avoir déjà dit plusieurs fois que les pensées contradictoires peuvent se trouver en union si l’on monte assez haut, si l’on remonte vers l’idée... On pourrait peut-être jouer à ce petit jeu-là, ce serait très intéressant. Nous avons une thèse, on va trouver une antithèse, puis on trouvera la synthèse.

Qui pose la thèse?... Ah! moi, je vais vous poser cela tout de suite : « L’homme est mortel. » L’antithèse est : « L’homme est immortel. » Maintenant trouvez l’endroit où cela s’accorde : la synthèse.

C’est une ignorance qui empêche l’homme de s’unir à l’immortalité.

C’est une façon un peu vague de dire la chose. On pourrait le dire plus intellectuellement. On pourrait dire : dans sa réalité, l’homme est immortel ; et à cause de l’ignorance ou de l’inconscience, il est devenu mortel. Cela va mieux ? Et alors un peu plus loin : pourquoi est-il immortel? pourquoi est-il mortel? et comment, de mortel, peut-il devenir immortel?

Quelle que soit la partie de l’être, que ce soit l’intellect ou une autre partie, que ce soit le mental, que ce soit le vital, que ce soit n’importe où, le vrai mouvement est double : d’abord, qu’il n’intercepte pas la Vérité divine dans sa manifestation, et secondement qu’il l’aide à se manifester. Un côté négatif qui consiste à ne pas être un écran, à ne rien intercepter, à ne pas boucher le passage à la Force divine qui veut s’exprimer; l’autre côté, c’est d’être suffisamment clair et pur pour pouvoir aider à cette manifestation.

On peut appliquer cela partout, c’est très commode.

Voilà.

Maintenant une autre question?

Si les hommes ne mouraient pas, avec l’âge leur corps deviendrait inutile?

Ah ! non. Tu vois à l’envers. Ils pourraient ne pas mourir seulement si leur corps ne dégénérait pas. C’est justement parce que leur corps dégénère qu’ils meurent. C’est parce que le corps devient inutile qu’ils meurent. Pour qu’ils ne meurent pas, il faudrait que leur corps ne devienne pas inutile. C’est juste le contraire. C’est justement parce que le corps dégénère, se détériore et finit par une dégradation complète que la mort est nécessaire. Mais si le corps suivait le mouvement de progression de l’être intérieur, s’il avait le même sens de progrès et de perfectionnement que l’être psychique, il n’aurait pas besoin de mourir. Il n’est pas nécessaire qu’une année sur l’autre apporte une détérioration. C’est seulement l’habitude de la Nature. C’est seulement l’habitude de ce qui se passe en ce moment. Et c’est justement cela qui est la cause de la mort. On peut très bien prévoir, au contraire, que ce mouvement de perfectionnement qui est au commencement de la vie puisse continuer sous une autre forme. Je vous ai déjà dit qu’on ne prévoit pas une croissance ininterrompue, parce qu’il faudrait changer la taille des maisons au bout d’un certain temps! Mais cette croissance en hauteur peut se changer en une croissance en perfection : la perfection de la forme. Toutes les imperfections de la forme peuvent petit à petit s’améliorer, toutes les faiblesses peuvent être remplacées par des forces, toutes les incapacités par des habiletés. Pourquoi ne serait-ce pas comme cela ? Vous ne pensez pas comme cela parce que vous avez l’habitude de voir les choses autrement. Mais il n’y a aucune raison que cela ne soit pas.

Avez-vous jamais regardé un arbre pousser, un palmier? Il y en a un dans la cour de l’Ashram (dans la cour du Samâdhi), tout près de la porte d’entrée par où vous venez tous les jours, vous n’avez jamais vu comment il pousse? Vous savez que cet arbre a quelque chose comme quarante, quarante-cinq ou cinquante ans peut-être. Voyez comme il est petit. Ils peuvent devenir bien plus grands que la maison. Ils peuvent vivre plusieurs centaines d’années, facilement, dans leur état naturel, sans accident. Vous n’avez jamais vu comment il fait? Moi, je vois cela d’en haut. C’est tout à fait joli. Cela arrive une fois par an. D’abord, on voit une espèce de petite boule brune. Puis cette petite boule brune commence à grossir et à devenir d’une couleur un peu plus claire, moins foncée. Petit à petit, on voit que c’est fait d’un tas de petites lignes un peu complexes, qui ont le bout recroquevillé, comme cela, tourné sur soi-même; et cela commence à pousser, cela sort, cela devient de plus en plus clair, jusqu’à ce que cela commence à devenir vert, d’un vert jaunâtre un peu pâle et cela pousse en forme de crosse d’évêque. On les voit ensuite qui se multiplient et qui se séparent. C’est encore un peu brun, un peu bizarre (presque comme vous), quelque chose comme une chenille. Et tout d’un coup, c’est comme si cela jaillissait, cela s’élance. C’est vert pâle, c’est frêle. C’est d’une couleur délicieuse. Cela s’allonge. Cela dure un jour, deux jours; et puis le lendemain, il y a des feuilles. Ce sont des feuilles que je n’ai jamais comptées, je ne sais pas combien il y en a. Chaque fois il y a une nouvelle rangée de feuilles. Elles restent très pâles. Elles sont exquises. Elles sont comme un petit enfant, avec ce quelque chose de tendre, joli et gracieux d’un petit enfant. Mais on a encore l’impression de fragilité; et en effet, si cela reçoit un coup, c’est abîmé pour la vie. C’est très frêle, mais c’est délicieusement tendre. Cela a son charme et on dit : « Tiens, pourquoi est-ce que la Nature ne reste pas comme cela ? » Le lendemain... ploff! elles sont séparées, elles sont d’un vert brillant, elles sont admirables, avec toute la puissance, la force d’une jeunesse, et d’un vert éclatant magnifique. Cela devrait s’arrêter là — pas du tout. Cela continue. Alors vient la poussière, vient la détérioration des gens qui passent. Alors cela commence à retomber, à devenir jaunâtre, d’un autre jaune, le jaune de la sécheresse, jusqu’à ce que ce soit complètement abîmé et que cela tombe. C’est remplacé par le tronc. Tous les ans, le tronc augmente un peu. Et cela mettra plusieurs centaines d’années pour arriver jusqu’au bout. Mais tous les ans, cela se reproduit et passe par tous les degrés de beauté, de charme, d’attraction, et on se dit : « Tiens, pourquoi cela ne s’arrête pas là ? » Et puis la minute d’après, c’est autre chose. On ne peut pas dire que c’est mieux, mais c’est autre chose. Et alors cela passe d’une chose à l’autre par tous les degrés de l’épanouissement. Après commencent les accidents; avec les accidents vient la détérioration, et avec la détérioration, il y a la mort.

C’est comme cela. Mais les accidents ne sont pas indispensables. Et même, ce qui a l’air d’une mort aide à la croissance de l’arbre. On se dépouille de quelque chose, mais c’est pour pouvoir grandir encore et avoir quelque chose de plus. On doit pouvoir garder l’harmonie et la beauté jusqu’au bout. Il n’y a aucune raison que l’on ait un corps qui n’ait plus de raison d’être, d’exister, parce qu’il ne serait plus bon à rien. N’être plus bon à rien, c’est justement cela qui le fait disparaître. On pourrait avoir un corps qui va de perfection en perfection. Il y a beaucoup de choses dans votre corps qui vous font dire : « Ah! si c’était comme cela ! Ah! je voudrais que ce soit comme cela ! » Je ne parle pas de votre caractère, parce que là, il y a tant de choses à changer; je parle simplement de votre apparence physique, on s’aperçoit d’une désharmonie quelque part, on dit : « Si cette désharmonie disparaissait, comme ce serait mieux !... » Mais pourquoi ne pensez-vous pas que cela pourrait être? Si vous vous regardez d’une façon tout à fait objective — pas avec cette espèce d’attachement que l’on a pour sa petite personne, mais d’une façon tout à fait objective; on se regarde comme on regarderait quelqu’un d’autre et on se dit : « Tiens, cette chose-là n’est pas tout à fait en harmonie avec celle-là », et si l’on regarde encore plus attentivement, cela devient très intéressant : on s’aperçoit que cette désharmonie est l’expression d’un défaut dans le caractère. C’est parce que, dans votre caractère, il y a quelque chose d’un peu tordu, de pas tout à fait harmonieux, et dans votre corps cela se reproduit quelque part. Vous essayez de l’arranger dans votre corps, et vous vous apercevez que pour remonter à la source de cette désharmonie physique, il faut que vous trouviez le défaut dans votre être intérieur. Et alors vous commencez à travailler et le résultat s’obtient.

Vous ne savez pas à quel point le corps est plastique! D’un autre point de vue, je dirais qu’il est terriblement rigide, et c’est pour cela que le corps se détériore. Mais c’est parce que nous ne savons pas nous en servir. Nous ne savons pas, quand nous sommes encore frais comme les petites feuilles, vouloir un épanouissement somptueux, magnifique, sans défaut. Et au lieu de se dire d’un air un peu misérable : « Comme c’est malheureux que mes bras soient trop maigres ou que mes jambes soient trop longues, ou que mon dos ne soit pas droit, ou que ma tête ne soit pas tout à fait harmonieuse », si l’on se dit : « Il faut que ce soit autrement, il faut que mes bras soient proportionnés, que mon corps soit harmonieux, que toutes mes formes soient expressives d’une beauté de plus haut », alors vous y arriverez. Et vous y arriverez si vous savez le faire avec la vraie volonté, persistante, tranquille, qui n’est pas impatiente, qui ne s’occupe pas des apparences de défaite, qui continue son travail tranquillement, très tranquillement, qui continue à vouloir que ce soit, à chercher la raison intérieure, à la découvrir, à travailler avec énergie. Tout de suite, quand on voit un petit ver noir quelque part, qui n’est pas joli, qui fait une petite tache un peu déplaisante, dégoûtante, on le prend, on l’arrache, on l’enlève, et on met une jolie lumière à la place. Et au bout de quelque temps, on s’aperçoit : « Tiens! cette désharmonie que j’avais dans la figure est en train de disparaître; ce signe de brutalité, d’inconscience qui était dans mon expression, mais cela s’en va ! » Et puis dix ans après, on ne se reconnaît plus.

Et vous êtes tous, là, de la matière jeune; il faut savoir en profiter — et pas pour des petites raisons égoïstes et sottes, mais par amour de la beauté, par besoin d’harmonie.

Pour que le corps dure, il ne faut pas qu’il se détériore. Il ne faut pas de déchéance. Il faut qu’il gagne d’un côté : que ce soit une transformation, que ce ne soit pas une déchéance. Avec la déchéance, il n’y a pas de possibilité d’immortalité.

Où va-t-on après la mort?

Ah! mon enfant, tu veux un livre! Ce n’est pas une question! Eh bien, ce sera pour la prochaine fois. D’ailleurs, je crois qu’il y a un chapitre qui nous en parle, si je me souviens bien. Nous aurons l’occasion d’en parler... Je vais te dire tout de suite une chose : quand tu nais sur la terre, tu sais où tu vas? Et tous les gens qui sont sur la terre, est-ce qu’ils vont tous au même endroit? Dis-moi cela !

Chacun suit son chemin. Chacun a une destinée différente. Pourquoi veux-tu que ce soit pareil pour tous les gens quand ils sont morts? Pour chacun c’est autre chose.

Bonne nuit.

Le 24 juin 1953

« Les êtres du monde vital sont puissants par leur nature même; quand à leur pouvoir ils ajoutent la connais sance, ils sont doublement dangereux. Il n’y a rien à faire avec ces créatures; on doit éviter soigneusement tout rap port avec elles, à moins qu’on n’ait le moyen de les écraser et de les détruire. Si vous êtes forcé par les circonstances d’entrer en contact avec l’une d’elles, prenez bien garde au charme qui se dégage d’elles. Les êtres du vital, quand ils se manifestent sur le plan physique, ont toujours un grand pouvoir hypnotique, car le centre de leur cons cience est dans le monde vital et non dans le matériel, et ils ne sont pas voilés et rapetissés par la conscience maté rielle comme le sont les êtres humains. »

(Entretien du 12 mai 1929)

Douce Mère, « ces êtres sont très puissants », quelle sorte de pouvoir ont-ils?

Le pouvoir que le vital a sur la matière. Et en fait, vous ne pouvez rien faire sans le pouvoir vital. S’il n’y avait pas de pouvoir vital, la matière serait inerte et inconsistante. Le pouvoir vital est ce que les hommes appellent généralement « le pouvoir » tout court.

Est ce que l’on ne peut pas remplacer le pouvoir vital par un autre pouvoir plus haut?

Non. Il faut transformer celui-là. J’ai toujours dit que l’on ne pouvait rien faire sans le vital, mais il faut que le vital se convertisse; c’est-à-dire qu’au lieu d’être un instrument de ces êtres-là, il devienne un instrument de la Volonté divine. On ne peut rien faire dans le monde physique sans le vital. C’est justement là l’erreur des ascétiques; comme ils savent que c’est un pouvoir qui est plein de désirs et justement de besoin de se réaliser, ils l’abolissent, ils l’abrutissent au point qu’il n’existe plus. Toutes les méthodes ascétiques sont faites pour abolir et pour abrutir le vital. Parce que c’est le moyen évidemment le plus commode de couper toute connexion avec la vie matérielle : on devient une espèce d’être pire que végétatif.

Ce qu’il faut, c’est que le vital, au lieu de servir ses propres fins ou d’être un instrument des forces antidivines, devienne un instrument du Divin et mette toute sa puissance au service du Divin. C’est tout à fait possible.

Quand nous avons peur, est ce dû à la méchanceté de ces êtres?

Oui, mon petit. La peur est le plus beau cadeau que ces êtreslà ont donné au monde. C’est leur premier cadeau, et c’est le plus puissant. C’est par la peur qu’ils tiennent les êtres humains. D’abord, ils créent un mouvement de peur — le mouvement de peur vous affaiblit, puis vous livre petit à petit à leur pouvoir. Et ce n’est même pas une peur raisonnée : c’est une espèce de peur qui vous saisit, on ne sait pas pourquoi, quelque chose qui vous fait trembler, qui vous donne une angoisse. Vous ne savez pas pourquoi, cela n’a pas de raison apparente. C’est leur action.

Quand on a peur, qu’est ce que l’on doit faire?

Cela dépend de qui l’on est. Il y a beaucoup de manières de se guérir de la peur.

Si l’on a un contact quelconque avec son être psychique, il faut y faire appel tout de suite, et dans la lumière psychique remettre les choses en ordre. C’est le moyen le plus puissant.

Quand on n’a pas ce contact avec le psychique, mais que l’on est un être raisonnable, c’est-à-dire qu’on a le libre mouvement de la mentalité raisonnante, on peut s’en servir pour se raisonner, pour se parler comme on parlerait à un enfant, en expliquant que cette peur est une chose mauvaise en soi et que même s’il y a un danger, faire face au danger avec la peur est la plus grande stupidité. S’il y a un vrai danger, ce n’est qu’avec la puissance du courage que vous avez une chance de vous en sortir; si vous avez la moindre peur, vous êtes fini. Alors avec ce raisonnement-là, arrivez à convaincre la partie qui a peur qu’elle doit cesser d’avoir peur.

Si vous avez la foi et que vous soyez consacré au Divin, il y a un moyen très simple, c’est de dire : « Que Ta volonté soit faite. Rien ne peut me faire peur, parce que c’est Toi qui diriges ma vie. Je T’appartiens et Tu diriges ma vie. » Cela agit instantanément. C’est de tous les moyens le plus efficace : ma foi, voilà. C’est-à-dire qu’il faut vraiment être consacré au Divin. Si l’on a ça, cela agit instantanément, toute peur s’évanouit comme un rêve, immédiatement. Mais l’être à l’influence mauvaise aussi s’évanouit comme un rêve en même temps que la peur. Il faut le voir s’enfuir en vitesse, prrt! Voilà.

Maintenant, il y a des gens qui ont une puissance vitale en eux et qui sont des combattants, qui immédiatement lèvent la tête et disent : « Ah! il y a un ennemi ici, nous allons l’abattre. » Mais pour cela, il faut avoir la connaissance et un très grand pouvoir vital. Il faut être un géant vital. Cela n’arrive pas à tout le monde.

Cela fait beaucoup de manières différentes. Elles sont toutes bonnes si l’on sait se servir de celle qui est en conformité avec sa propre nature.

Si l’on veut faire un saut pendant la gymnastique, et qu’on ait peur, qu’est ce que c’est?

Ah! là, mes enfants, cela dépend. Il faut distinguer entre deux choses très différentes et il faut les traiter d’une façon très différente.

Si c’est une peur vitale, il faut se raisonner et aller tout de même. Mais si c’est un instinct physique (c’est possible, cela arrive très souvent qu’il y ait une sorte d’instinct physique), dans ce cas, il faut l’écouter, parce que l’instinct du corps est une chose très sûre, s’il n’est pas dérangé par la pensée ou par la volonté vitale. Le corps livré à lui-même sait très bien ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas faire. Et non seulement cela, mais même une chose que l’on peut faire et que l’on fait d’habitude, si un jour on sent une sorte de répugnance, comme si l’on se contractait, il faut surtout ne pas la faire; c’est une indication que, pour une raison quelconque — une raison purement matérielle de dérangement de fonctionnement du corps —, on n’est pas apte à faire la chose à ce moment-là. Il ne faut pas la faire. Dans ce cas-là, ce n’est même pas une peur, c’est quelque chose qui se contracte, qui se retire — il n’y a rien dans la tête, cela ne correspond pas à une espèce de pensée comme : « Qu’est-ce qu’il va arriver? » Quand la tête se met à marcher et qu’on se dit : « Qu’est-ce qui va arriver? », il faut le balayer, parce que cela ne vaut rien; il faut user de tous ses moyens de raison et de bon sens pour chasser cela. Mais si c’est une sensation purement physique, comme quelque chose qui se contracte, une sorte de répugnance physique, si le corps lui-même se refuse pour ainsi dire, il ne faut jamais le forcer, jamais, parce que c’est généralement quand on le force qu’il arrive un accident. Cela peut très bien être une espèce de prescience qu’il va arriver un accident, que si on fait la chose, on n’ira pas loin. Et dans ce cas, il ne faut pas la faire. Il ne faut même pas y mettre le moindre amour-propre. Il faut se rendre compte : « Aujourd’hui, je ne suis pas en état. »

Mais si c’est une peur vitale, si par exemple vous avez un concours ou un tournoi, que vous sentiez cette peur et puis : « Qu’est-ce qui va arriver? », il faut balayer cela bien vite, cela ne vaut rien.

Mais quelquefois, c’est la paresse qui nous empêche de faire.

Ah! si l’on est tâmasique, c’est encore autre chose. Si on a une nature tâmasique, il faut user d’un autre procédé. Il faut mettre sa conscience, sa volonté, sa force, rassembler son énergie, se secouer un peu et se donner des coups de fouet : clac ! clac ! marche! Si c’est la paresse qui vous empêche, par exemple, de faire de la voltige, il faut faire immédiatement quelque chose de beaucoup plus fatigant et dire : « Ah! bien, tu ne veux pas faire ça ? Eh bien, tu vas courir 1500 m! » Ou bien : « Je ne veux pas lever le poids aujourd’hui, je ne me sens pas disposé : bon, je sauterai à la corde quatre mille fois sans m’arrêter. »

On applique la même méthode pour les études aussi?

Oui, exactement. Si l’on n’a pas envie d’apprendre sa leçon, on prend un livre dix fois plus embêtant, quelque chose qui est sec, et on s’oblige à le lire avec attention. Il y a de ces livres qui sont tellement secs, d’une connaissance tellement aride... Eh bien, si vous n’avez pas envie de lire votre livre d’histoire ou de géographie, qui après tout sont très faciles et très amusants, au lieu de cela on prend un de ces livres comme on vous en donne (Mère regarde un professeur)... je n’ose pas dire parce que votre professeur est là !... excessivement aride, et on s’oblige à étudier au moins la moitié du livre. Après, le reste vous paraît enchanteur.

Est ce qu’il ne serait pas bon de continuer le travail même si l’on sent la paresse?

Cela dépend du travail. Nous entrons dans un autre domaine.

Si c’est un travail que vous faites pour la collectivité, qui n’est pas pour vous personnellement, quoi que ce soit qui vous arrive, il faut le faire. C’est une discipline élémentaire. Vous avez pris l’engagement de faire ce travail, ou on vous a donné ce travail et vous l’avez pris, par conséquent vous l’avez accepté, et dans ce cas-là il faut le faire. Dans tous les cas, à moins que l’on ne soit absolument malade, au dernier degré de la maladie, que l’on ne puisse pas bouger, il faut le faire. Si l’on est même un peu malade, il faut le faire. Un travail désintéressé vous guérit toujours de vos petites maladies personnelles. Naturellement, si vraiment vous êtes obligé d’être sur votre lit sans pouvoir bouger, avec une fièvre formidable ou une maladie très grave, c’est autre chose. Mais autrement, si vous êtes seulement un petit peu mal à l’aise — « Je ne me sens pas très bien, j’ai un peu mal à la tête, ou j’ai une mauvaise digestion, ou j’ai un fort rhume, je tousse », des choses comme cela — faire son travail, ne pas penser à soi, penser au travail, le faire aussi bien que l’on peut, cela vous remet d’aplomb.

Au fond, une maladie est seulement un déséquilibre; et alors, si vous avez le pouvoir d’établir un autre équilibre, ce déséquilibre-là disparaît. Une maladie est tout simplement, toujours, dans tous les cas, même quand les docteurs vous disent qu’il y a des microbes, dans tous les cas, c’est un déséquilibre dans l’être : un déséquilibre entre divers fonctionnements, un déséquilibre entre les forces.

Ce n’est pas pour dire qu’il n’y ait pas de microbes : il y en a, il y a beaucoup plus de microbes encore qu’on n’en connaît. Mais ce n’est pas pour cela que vous êtes malade, parce qu’ils sont toujours là. Il se trouve qu’ils sont toujours là et qu’il y a des jours où ils ne vous font rien, et puis tout d’un coup, un jour, il y en a un qui s’empare de vous et qui vous rend malade. Pourquoi? Simplement parce que la résistance n’était pas ce qu’elle était d’habitude, parce qu’il y a eu un déséquilibre quelque part, que le fonctionnement n’était plus normal. Mais si, par un pouvoir intérieur, vous pouvez rétablir l’équilibre, alors c’est fini, il n’y a plus de difficulté, le déséquilibre disparaît.

Il n’y a pas d’autre manière de guérir les gens. C’est simplement quand on voit le déséquilibre et que l’on est capable de rétablir l’équilibre que l’on est guéri. Seulement on rencontre deux catégories très différentes... Les uns tiennent à leur déséquilibre — ils y tiennent, ils s’y cramponnent, ils ne veulent pas le laisser aller. Alors vous pouvez essayer tout ce que vous voulez : même si vous rétablissez l’équilibre, la minute suivante ils se déséquilibreront encore, parce qu’ils aiment cela. Ils disent : « Oh! non, je ne veux pas être malade », mais au-dedans d’eux il y a quelque chose qui tient ferme à un déséquilibre, qui ne veut pas le laisser. Il y en a d’autres, au contraire, qui sont sincèrement amoureux de l’équilibre, et dès que vous leur donnez le pouvoir de retrouver leur équilibre, l’équilibre est rétabli et en quelques minutes ils sont guéris. Ils n’avaient pas la connaissance suffisante ou ils n’avaient pas le pouvoir suffisant pour rétablir l’ordre — le déséquilibre est un désordre. Mais si vous intervenez, que vous ayez la connaissance et que vous rétablissiez l’équilibre, tout naturellement la maladie va disparaître; et les gens qui vous laissent faire guérissent. Ce sont seulement ceux qui ne vous laissent pas faire qui ne guérissent pas; et c’est visible, ils ne vous laissent pas faire, ils s’agrippent. Je leur dis : « Ah! vous n’êtes pas guéri? Allez donc voir un docteur. » Et le plus beau de l’affaire, c’est qu’ils croient aux docteurs la plupart du temps, alors que le fonctionnement est le même! Tout docteur qui est un petit peu philosophe vous dira : « C’est comme cela : nous, nous donnons seulement l’occasion, mais c’est le corps qui se guérit. Quand le corps veut guérir, il se guérit. » Eh bien, il y a des corps, à moins qu’on ne leur fasse absorber une médecine ou quelque chose de très précis qui leur donne l’impression qu’on s’occupe vraiment d’eux, qui n’acceptent pas que l’équilibre soit rétabli; mais si vous leur donnez un traitement très précis, très exact, et quelquefois très difficile à suivre, ils commencent à être convaincus qu’il n’y a rien de mieux à faire que de se remettre en équilibre, et ils se remettent en équilibre!

Je connaissais un docteur qui était un neurologue, qui traitait les maladies d’estomac, et qui disait que toutes les maladies d’estomac provenaient d’un état nerveux plus ou moins mauvais. C’était un docteur pour gens riches et c’étaient des gens riches et inoccupés qui allaient à lui. Alors ils venaient et disaient : « J’ai mal à l’estomac, je ne peux pas digérer », ceci, cela... Ils avaient des douleurs atroces, ils avaient mal à la tête, ils avaient... enfin tous les phénomènes. Alors il les écoutait très sérieusement. J’ai connu une dame qui y est allée et à qui le docteur a dit : « Ah! votre cas est très grave. Mais à quel étage habitez-vous? Au rezde-chaussée! Bien. Eh bien, voilà ce qu’il faut que vous fassiez pour guérir votre maladie d’estomac. Vous prenez une grappe de raisins bien mûrs (vous ne prenez pas de petit déjeuner, parce que le petit déjeuner bouleverse votre estomac), vous prenez une grappe de raisins. Vous la tenez dans votre main, comme cela, bien soigneusement. Alors vous vous arrangez pour sortir — pas par votre porte, il ne faut jamais sortir par la porte! Il faut que vous sortiez par la fenêtre. Vous arrangez un marchepied. Vous sortez par la fenêtre. Vous allez dans la rue et là, vous marchez en mangeant un grain de raisin tous les deux pas — pas plus! surtout pas plus! vous auriez mal à l’estomac ! Un grain de raisin tous les deux pas. Vous faites deux pas, vous mangez un grain de raisin, et vous continuez jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de grains. Ne vous retournez pas, continuez tout droit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de grains de raisin. Il faut une grosse grappe. Et quand vous avez fini, vous pouvez retourner tranquillement. Mais ne prenez pas une voiture! revenez à pied parce que tout le mal reviendrait. Revenez tranquillement, et je vous garantis que si vous faites cela tous les jours, au bout de trois jours vous serez guérie. » Et en effet cette dame était guérie!

(Un enfant) Quelquefois, on a beaucoup de travail. On ne sait pas comment faire.

Beaucoup de travail... Vraiment beaucoup de travail?

Beaucoup de genres de travaux. Par exemple, pour les études, on a beaucoup de sujets à lire.

Qu’est-ce que tu fais dans la journée, toi, depuis le matin jusqu’au soir? Combien de temps passes-tu à ta toilette, prendre ton bain, t’habiller? À peu près, pas à une minute près.

Trois quarts d’heure à peu près.

Combien de temps passes-tu à manger?

Quinze minutes.

Chaque fois? Combien de fois par jour? Quatre? Bon. Combien de temps passes-tu à bavarder?... Ça, tu ne sais pas!

Je ne bavarde pas.

Tu ne bavardes pas! Toi, tu es un phénomène. Je te mettrai sur un piédestal. Tu ne bavardes pas?

Si, je bavarde, mais quand j’ai du travail, je ne bavarde pas.

Oui. Et combien d’heures par jour faut-il que tu travailles pour faire tes devoirs?

Le matin, quelquefois je me lève à quatre heures et demie.

Pour faire tes devoirs? Tu es encore un peu endormie, non, à quatre heures et demie? Tu es bien réveillée?...

Non! Ah! Et alors, tu te mets à travailler tout de suite?

Oui, quelquefois.

Parce que c’est justement à cela que je tends... Quand tu travailles, si tu arrives à te concentrer, tu peux faire absolument en dix minutes ce qui te prendrait autrement une heure. Si tu veux gagner du temps, apprends à te concentrer. C’est par attention que l’on peut faire les choses vite, et on les fait beaucoup mieux. Si tu as un devoir qui doit te prendre une demi-heure — je ne dis pas s’il te faut écrire pendant une demi-heure, évidemment — mais si tu as à réfléchir et que ton esprit soit flottant, que tu penses non seulement à ce que tu fais, mais aussi à ce que tu as fait et à ce que tu auras à faire et à tes autres phénomènes, tout cela te fait perdre trois fois autant de temps qu’il n’en faut pour faire ton devoir. Quand on a trop de travail, il faut apprendre à se concentrer exclusivement sur ce que l’on fait, avec une intensité d’attention, et vous pouvez faire en dix minutes ce qui autrement vous prendrait une heure.

Alors je ne sais pas, je ne peux pas décider en toute connaissance de cause si tu as trop de travail, à moins que tu ne m’apportes tous les devoirs que tu as à faire; mais je ne crois pas que l’on vous accable de travail. Je dis, je ne le crois pas. Maintenant je n’affirme pas, parce que je ne sais pas ce que tous les professeurs font. Mais en tout cas, si l’on a beaucoup à faire, il faut apprendre à se concentrer beaucoup, d’autant plus, et quand on fait une chose, ne penser qu’à cela et rassembler toute son énergie sur ce que l’on fait. On gagne au moins la moitié du temps. Alors si tu me dis : « J’ai trop de travail », je te réponds : « Tu n’es pas assez concentrée. »

(Un autre enfant) Pour un problème de mathématiques, quelquefois la solution vient vite, quelquefois cela prend trop de temps.

Oui, c’est justement cela : cela dépend du degré de concentration. Si tu t’observes, tu le remarqueras très bien : quand ça ne vient pas, c’est qu’il y a une espèce de flottement dans le cerveau, quelque chose de nuageux, comme un brouillard quelque part, et alors tu es là comme dans un rêve. Tu pousses pour tâcher de trouver, et c’est comme si tu poussais dans du coton, tu n’y vois pas clair. Et alors rien ne vient. Tu peux rester dans cet état-là pendant des heures.

La concentration consiste justement à enlever le nuage. Tu rassembles tous les éléments de ton intelligence, tu les fixes sur un point, et puis tu n’essayes même pas activement de trouver : tout ce que tu fais, c’est de te concentrer de façon à ne voir que le problème — mais pas seulement voir sa surface : le voir dans sa profondeur, ce qu’elle cache. Si tu arrives à rassembler toutes tes énergies mentales, à faire une sorte de pointe qui est fixée sur l’énoncé du problème, et que tu restes là, fixé, comme si tu allais faire un trou dans un mur, tout d’un coup cela viendra. Et c’est la seule manière. Si tu essayes : est-ce ceci, est-ce cela, est-ce ceci, est-ce cela ?... tu ne trouveras jamais rien, ou alors il te faudra des heures. Il faut que tu fasses une pointe des forces mentales, suffisamment forte pour percer les mots et tomber sur la chose qui est derrière. Il y a une chose qui est à trouver — tomber là-dessus.

Et c’est toujours les jours où l’on est un peu flottant que c’est difficile. On est flottant : comme quelque chose qu’on a l’impression d’attraper et qui vous échappe.

Naturellement, s’il y a une impossibilité matérielle, vous n’avez pas affaire à des monstres! Je crois que vos professeurs sont suffisamment raisonnables et si vous allez leur dire : « Eh bien, je n’ai pas pu, je n’ai pas eu le temps; j’ai fait tout ce que j’ai pu, je n’ai pas eu le temps », ils ne vous gronderont pas, je ne le crois pas. Mais là, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c’est une sorte de demi-inertie mentale qui vous fait trouver que vous avez trop de travail. Si vous vous observez, vous vous apercevrez qu’il y a toujours quelque chose qui tire ici, quelque chose qui tire là, et puis cette espèce de flou, comme si l’on vivait dans du coton, dans des nuages : ce n’est pas clair.

L’utilité du travail n’est pas autre que celle-là : cristalliser ce pouvoir mental. Parce que, ce que vous apprenez (à moins que vous ne le mettiez en pratique par un travail ou par des études approfondies), la moitié de ce que vous apprenez, au moins, s’enfuira, disparaîtra avec le temps. Mais cela vous aura laissé une chose : la capacité de cristalliser votre pensée, d’en faire quelque chose de clair, précis, exact et organisé. Et c’est cela, la vraie utilité du travail : organiser votre capacité cérébrale. Si vous restez dans le mouvement de flottement, dans cette sorte de fluidité nuageuse, vous pourrez travailler pendant des années, cela ne vous servira à rien; vous n’en sortirez pas plus intelligents que vous n’y êtes entrés. Tandis que si, même pour une demi-heure, vous arrivez à concentrer votre attention sur des choses qui ont l’air très peu intéressantes, comme une règle de grammaire, par exemple (les règles de grammaire font partie des choses arides dont je parlais; il y a d’autres choses beaucoup plus arides, mais enfin les règles de grammaire sont suffisamment arides), si vous en prenez une et tâchez de la comprendre — pas apprendre par cœur et appliquer d’une façon mécanique ce que vous avez appris par cœur, cela ne vous servira à rien —, mais tâchez de comprendre la pensée qui est derrière les mots : « Pourquoi a-t-on formulé cette règle de cette façon? » et tâchez de trouver votre propre formule pour la chose; cela, c’est si intéressant. « Tiens, ce monsieur qui a écrit cette règle, l’a écrite comme cela ; mais moi, j’étudie, je tâche de comprendre pourquoi; pourquoi a-t-il mis ce mot après celui-ci et ce mot-là après celui-là, et pourquoi a-t-il établi cette règle de cette manière? C’est qu’il a pensé que c’était la façon la plus complète et la plus claire d’exprimer la chose. » Et alors, c’est cette chose qu’il faut trouver. Et quand vous la trouvez, vous vous dites tout d’un coup : « C’est cela que ça veut dire! Il faut le voir comme cela, alors c’est très clair. »

Et je vais vous expliquer : quand vous avez compris, cela fait en vous un petit cristal, comme un petit point qui brille. Et quand vous en aurez mis beaucoup, beaucoup, beaucoup, alors vous commencerez à être intelligents. C’est à cela que sert le travail — pas simplement à se bourrer la tête d’un tas de choses qui ne mènent nulle part.

Pourquoi, chez les gens qui font des études scientifiques, l’imagination artistique fait-elle défaut? Ces deux choses sont-elles opposées?

Pas nécessairement.

En général.

Elles n’appartiennent pas au même domaine. C’est exactement comme si tu avais ce qu’on appelle en anglais « torch-light », un torch-light », un petit phare dans ta tête, à la place de l’observation. Les savants qui veulent faire un travail tournent le phare d’une certaine manière, ils le mettent toujours là, et le phare reste comme cela : ils le tournent vers la matière, vers les détails de la matière. Mais les gens imaginatifs le tournent vers le haut, parce que là-haut, il y a tout, n’est-ce pas, toutes les inspirations des choses artistiques et littéraires : cela vient d’un autre domaine. Cela vient d’un domaine beaucoup plus subtil, beaucoup moins matériel. Alors eux, ils se tournent vers le haut et veulent recevoir la lumière d’en haut. Mais c’est le même instrument. Les autres le tournent vers le bas, et c’est tout simplement un manque de gymnastique. C’est le même instrument. C’est le même pouvoir d’un rayon lumineux sur quelque chose. Mais parce qu’on a pris l’habitude de le concentrer dans une certaine direction, on n’est plus souple, on perd l’habitude de faire autrement.

Mais vous pouvez à n’importe quel moment faire les deux. Quand vous faites de la science, vous le tournez dans une direction, et quand vous faites de la littérature et de l’art, vous le tournez dans l’autre direction; mais c’est le même instrument : tout dépend de l’orientation. Si vous avez de la concentration, vous pouvez promener ce pouvoir de concentration d’une place à l’autre, et dans tous les cas ce sera efficace. Si vous vous occupez de science, vous l’utilisez d’une façon scientifique, et si vous voulez faire de l’art, vous l’utilisez d’une façon artistique. Mais c’est le même instrument et c’est le même pouvoir de concentration. C’est simplement parce que les gens ne savent pas cela qu’ils se limitent eux-mêmes. Alors les gonds se rouillent, ils ne tournent plus. Autrement, si on garde l’habitude de les faire tourner, ils continuent à tourner. D’ailleurs, même au point de vue ordinaire, il n’est pas rare de voir un savant qui ait comme passe-temps une occupation artistique quelconque — et l’inverse aussi. C’est parce qu’ils ont découvert que l’un ne nuisait pas à l’autre et que c’était la même faculté qui pouvait s’appliquer dans les deux cas.

Au fond, au point de vue général, surtout au point de vue intellectuel, la capacité d’attention et de concentration est la chose la plus importante, celle qu’il faut travailler à développer. Au point de vue de l’action (de l’action matérielle), c’est la volonté : il faut travailler pour se construire une volonté inébranlable. Au point de vue intellectuel, il faut travailler pour se construire une concentration que rien ne peut ébranler. Et si vous avez les deux, la concentration et la volonté, vous êtes un être génial et rien ne vous résistera.

juillet




Le 1er juillet 1953

« L’être humain est chez lui, en sécurité, dans son corps matériel; le corps est sa protection. Il y a des gens qui sont pleins de dédain pour leur corps et qui pensent que tout deviendra bien meilleur et plus facile après la mort, sans lui. Mais en fait, le corps est leur abri, leur forte resse; tant qu’ils y sont logés, les forces du monde vital trouvent difficile d’avoir une prise directe sur eux. [...] Dès que vous entrez dans une région du monde vital, ses habitants se pressent autour de vous pour vous sous traire tout ce que vous avez, se saisir de ce qu’ils peuvent, comme d’une proie, pour s’en nourrir. Si vous n’avez pas une forte et puissante lumière qui puisse rayonner du dedans de votre être, vous vous trouvez là, sans votre corps, comme si vous n’aviez pas de manteau pour vous protéger contre le froid, ou de maison pour vous abriter, ou même de peau pour couvrir vos nerfs mis à nu et exposés à tous les contacts. Il y a des hommes qui osent dire : “Comme je suis malheureux dans ce corps!” et qui pensent à la mort comme à une délivrance. Mais après la mort, vous avez le même entourage vital et vous courez les mêmes dangers provenant des mêmes forces qui sont causes de vos misères durant cette vie. [...] C’est ici, sur terre, dans le corps lui-même, que vous devez acquérir une complète connaissance et apprendre à faire usage d’un plein pouvoir. C’est seulement après avoir acquis cette connaissance et ce pouvoir, que vous pouvez librement vous mouvoir dans tous les mondes, en toute sécurité. »

(Entretien du 12 mai 1929)

(Un enfant) Après leur mort, les gens entrent dans le monde vital, mais ceux qui font de bonnes choses vont au paradis?

Où est ton paradis? Qui est-ce qui t’a enseigné cela ? On t’a parlé du paradis, de l’enfer, du purgatoire?... Non? Pas de tout cela ? Où est-ce que tu as ramassé ton idée de paradis? Dans quel livre?

J’en ai entendu parler.

Par qui alors?

Je ne m’en souviens plus.

C’est généralement ce que les prêtres des religions disent aux croyants pour les encourager à bien faire. Parce que c’est un fait notoire que la vie n’est pas plus facile pour les bons que pour les méchants; généralement, c’est le contraire : les méchants réussissent mieux que les bons! Alors, les gens qui ne sont pas très spirituels se disent : « Pourquoi est-ce que je me donnerais du mal pour être bon ? Il vaut mieux que je sois méchant et que ma vie soit facile. » Il est très difficile de leur faire comprendre qu’il y a plusieurs genres de bien, et que quelquefois cela vaut la peine, peut-être, de faire un effort pour être bon. Alors, pour rendre cela intelligible aux gens les moins intelligents, on leur dit : « Voilà, c’est très simple. Si vous êtes bien obéissants, bien gentils, bien désintéressés, si vous faites toujours de bonnes œuvres et puis que vous croyiez au dogme que nous vous enseignons, eh bien, quand vous mourrez, le Dieu vous enverra au paradis. Si vous avez quelquefois de la bonne volonté, quelquefois de la mauvaise volonté, si quelquefois vous faites le bien, quelquefois vous ne faites pas le bien, et si vous pensez beaucoup à vous-mêmes et très peu aux autres, alors, quand vous mourrez, on vous enverra faire une autre expérience au purgatoire. Et puis, si vous êtes carrément méchants, si vous faites tout le temps du mal aux autres, si vous faites toutes sortes de mauvaises choses et que vous ne vous souciez du bien de personne, et surtout si vous ne croyez pas au dogme que nous vous enseignons, alors vous irez tout droit en enfer, et pour l’éternité. »

C’est une des plus belles inventions que j’aie jamais entendues : ils ont inventé l’enfer pour l’éternité. C’est-à-dire qu’une fois que vous êtes dans l’enfer, c’est éternellement... Tu comprends ce que cela veut dire, éternellement? Vous serez torturés et brûlés (dans les pays chauds vous êtes brûlés, dans les pays froids vous êtes gelés) et cela pour l’éternité. Voilà ! Alors je ne sais pas qui t’a enseigné ces jolies choses-là, mais ce sont simplement des inventions pour faire obéir les gens, pour les tenir sous contrôle.

Il y a des enseignements qui ne sont pas comme cela. Il y a des religions qui ne sont pas comme cela. Mais enfin, on peut, d’une façon poétique, imagée, descriptive, parler d’un paradis; parce que ce paradis veut dire un endroit merveilleux où il y a le maximum de joie, de bonheur, de confort... Et encore, cela dépend de la religion à laquelle vous appartenez. Parce qu’il y a des paradis où l’on passe son temps à chanter les louanges de Dieu — on ne fait rien d’autre que cela (à la longue cela doit être un peu ennuyeux !), mais enfin on passe son temps à faire de la musique et à chanter les louanges de Dieu. Il y a d’autres paradis, au contraire, où l’on jouit de tous les plaisirs possibles : toutes les choses que l’on a désiré avoir durant la vie, on les a dans le paradis. Il y a des paradis où l’on est constamment dans une méditation béatifique — mais pour les gens qui ne tiennent pas beaucoup à méditer, cela doit être plutôt ennuyeux ! Enfin, cela dépend, n’est-ce pas, on a inventé toutes sortes de choses pour que les gens aient bien envie d’être sages et d’obéir aux lois qu’on leur a données.

Et l’imagination humaine est si créative, si formatrice, qu’il y a dans le monde des endroits qui sont comme ces paradis. Il y a des endroits qui sont comme ces enfers, il y a des endroits qui sont comme ces purgatoires. L’homme crée de toutes pièces les choses qu’il imagine. Si on arrive à éclairer la conscience de quelqu’un, on peut le sortir de ces endroits-là ; autrement il y est enfermé, emprisonné par la croyance qu’il avait quand il était vivant. Vous me direz que cela équivaut à une existence, mais c’est une existence tout à fait illusoire et extrêmement limitée. Cela n’a de réalité que pour ceux qui pensent comme cela. Dès que vous pensez autrement, cela n’existe plus pour vous; vous pouvez en sortir. On peut faire sortir quelqu’un de ces endroitslà, et immédiatement il s’aperçoit qu’il était enfermé dans sa propre formation.

Les hommes ont un pouvoir de création extraordinaire. Ils ont créé tout un ensemble de divinités qui sont à leur image, et qui ont les mêmes défauts que les hommes, qui font en grand, avec plus de pouvoir, ce que font les hommes. Ces êtres ont une existence qui est relative, mais enfin ils ont une existence indépendante, de même que votre pensée. Quand vous avez une pensée, une formation mentale bien faite qui s’en va hors de vous, elle devient une entité indépendante, et puis elle continue son chemin et elle fait ce pour quoi elle a été formée. Elle continue de faire indépendamment de vous. C’est pour cela qu’il faut se méfier. Si vous faites une formation comme cela et qu’elle soit partie, elle est partie faire son œuvre; et puis au bout d’un certain temps, vous vous apercevez que ce n’était peut-être pas très heureux de penser comme cela, que cette formation n’était pas une chose très bénéfique. Elle est partie, c’est très difficile pour vous de la rattraper. Il faut avoir une grande connaissance occulte. Elle est partie, elle fait son chemin... Admettez que dans un moment de grande fureur (je ne dis pas que vous le fassiez, mais enfin), quand vous êtes tout à fait en colère contre quelqu’un, vous disiez : « Ah! s’il pouvait lui arriver un malheur! » Votre formation est partie. Elle est partie, vous n’avez plus de contrôle sur elle, et elle va, elle organise un malheur quelconque : elle va faire son œuvre. Et après quelque temps, ce malheur arrive. Heureusement, généralement vous n’avez pas assez de connaissance pour vous dire : « Oh! c’est moi qui suis responsable. » Mais c’est la vérité.

Notez que ce pouvoir formateur a un grand avantage si l’on sait s’en servir. Vous pouvez faire de bonnes formations, et si vous les faites bien, elles agiront de la même façon que les autres. Vous pouvez faire beaucoup de bien aux gens tout en restant assis dans votre chambre — peut-être plus de bien qu’en vous donnant beaucoup de mal extérieurement. Si vous savez penser correctement, avec force, intelligence, bonté, si vous aimez quelqu’un et que vous lui vouliez du bien très sincèrement, très profondément, de tout votre cœur, cela lui fait beaucoup de bien, beaucoup plus que vous ne le pensez certainement. Je l’ai dit souvent; par exemple, à ceux qui sont ici, qui apprennent qu’un membre de leur famille est très malade et qui ont cette impulsion enfantine de vouloir se précipiter tout de suite là-bas pour soigner le malade. Je vous le dis, à moins que ce ne soit un cas exceptionnel et qu’il n’y ait personne pour s’occuper du malade (et encore, même dans ce cas-là), si, ici, vous savez garder la bonne attitude et que vous vous concentriez avec affection et bonne volonté sur la personne qui est malade, si vous savez prier pour elle et faire des formations qui sont bienfaisantes, vous lui ferez beaucoup plus de bien que si vous allez lui donner des soins, la nourrir, l’aider à se laver, enfin ce que tout le monde peut faire. N’importe qui peut soigner quelqu’un. Mais n’importe qui ne peut pas faire de bonnes formations et envoyer des forces qui agissent pour guérir.

En tout cas, pour en revenir à notre paradis, c’est une déformation enfantine — ignorante ou politique — de quelque chose qui est vrai dans un sens, mais qui n’est pas du tout comme cela... Je vous ai dit beaucoup de fois et je ne saurais vous le répéter trop souvent, qu’on n’est pas fait d’un seul morceau. Nous avons au-dedans de nous beaucoup d’états d’être, et chaque état d’être a sa vie propre. Tout cela est réuni dans un seul corps, tant que vous avez un corps, et agit à travers un seul corps; alors cela vous donne l’impression que c’est une seule personne, un seul être. Mais il y en a beaucoup, et surtout il y a des concentrations dans des plans différents : de même que vous avez un être physique, vous avez un être vital, vous avez un être mental, vous avez un être psychique, vous en avez beaucoup d’autres et tous les intermédiaires possibles. Mais c’est un peu compliqué, vous pourriez ne pas comprendre. Mettez que vous viviez une vie de désir, de passion, d’impulsion : vous vivez avec une prédominance en vous de votre être vital; mais si vous vivez avec un effort spirituel, une grande bonne volonté, le désir de bien faire, et un désintéressement, une volonté de progrès, vous vivez avec une prédominance de l’être psychique. Alors, quand vous allez quitter votre corps, tous ces êtres vont se disperser. Ce n’est que si vous êtes un yogi très avancé et que vous ayez été capable d’unifier votre être autour du centre divin que ces êtres restent reliés ensemble. Si vous n’avez pas su vous unifier, alors au moment de la mort tout cela se disperse : chacun retourne dans son domaine. Par exemple, pour l’être vital, vos différents désirs vont se séparer et courir chacun à sa réalisation, tout à fait indépendamment, parce qu’il n’y aura plus d’être physique pour les tenir ensemble. Mais si vous avez uni votre conscience à la conscience psychique, quand vous mourrez vous resterez conscient de votre être psychique, et l’être psychique retourne dans le monde psychique, qui est un monde de béatitude, de joie, de paix, de tranquillité, et d’une connaissance croissante. Alors, si vous voulez appeler cela un paradis, c’est très bien; parce que, en effet, dans la mesure où vous êtes identifié à votre être psychique, vous restez conscient de lui, vous êtes uni à lui, et lui est immortel et va dans son domaine immortel vivre d’une vie ou d’un repos parfaitement heureux. Si vous voulez appeler cela paradis, appelez-le paradis. Si vous êtes bon, que vous ayez pris conscience de votre psychique et que vous viviez en lui, eh bien, quand votre corps mourra, vous irez avec votre être psychique vous reposer dans le monde psychique, dans un état de béatitude.

Mais si vous avez vécu dans votre vital et dans toutes les impulsions, chaque impulsion va essayer de se réaliser ici et là... Par exemple, l’avare qui était concentré sur son argent, quand il meurt, la partie de son vital qui était intéressée par son argent va se fixer là et restera à veiller sur l’argent pour que personne ne le prenne. Les gens ne le voient pas, mais il est là tout de même, et très malheureux s’il arrive quelque chose à son cher argent. J’ai connu très bien une dame qui avait une certaine fortune et des enfants; elle avait cinq enfants qui étaient tous plus prodigues les uns que les autres; autant elle avait pris soin de se créer une fortune, autant ils semblaient prendre soin de la dilapider; ils la dépensaient à tort et à travers. Et alors cette pauvre vieille dame, quand elle est morte, elle est venue me trouver et elle m’a dit : « Ah! maintenant ils vont gaspiller tout mon argent! » Et elle était très malheureuse. Je l’ai consolée un peu, mais j’ai eu beaucoup de peine à la décider à ne pas rester à veiller sur son argent pour qu’on ne le gaspille pas. Voilà.

Et maintenant, si vous vivez exclusivement dans votre conscience physique (c’est difficile parce que vous avez, après tout, des pensées et des sentiments), mais si vous vivez exclusivement dans votre physique, quand l’être physique disparaît, vous disparaissez en même temps, c’est fini... Il y a un esprit de la forme : votre forme a un esprit qui persiste pendant sept jours après votre mort. Les docteurs ont déclaré que vous êtes mort, mais l’esprit de votre forme est vivant, et non seulement vivant, mais conscient dans la plupart des cas. Mais cela dure de sept à huit jours, et après, cela aussi se dissout — je ne parle pas des yogis, je vous parle des gens ordinaires. Les yogis n’ont pas de lois, c’est tout à fait différent; pour eux, le monde est différent. Je vous parle des gens ordinaires, vivant une vie ordinaire; pour eux, c’est comme cela.

Donc, la conclusion est que si vous voulez préserver votre conscience, il vaut mieux la centraliser sur une partie de votre être qui est immortelle; autrement elle s’évaporera comme une flamme dans l’air. Et c’est très heureux parce que s’il en était autrement, il y aurait peut-être des dieux ou des espèces d’hommes supérieurs qui créeraient des enfers et des paradis comme ils en créent dans leur imagination matérielle, où ils vous enfermeraient; vous seriez enfermé dans le paradis ou enfermé dans l’enfer suivant que vous leur auriez plu ou déplu. Ce serait une situation très critique; et heureusement ce n’est pas comme cela.

On dit qu’il y a un dieu de la mort. Est ce vrai?

Oui. Moi, je l’appelle un « génie de la mort ». Je le connais bien. Et c’est une organisation extraordinaire. Vous ne savez pas à quel point c’est organisé.

Je crois qu’il y a beaucoup de ces génies de la mort, je crois qu’il y en a des centaines. J’en ai rencontré au moins deux. L’un, je l’ai rencontré en France et l’autre, je l’ai rencontré au Japon, et ils étaient très différents; ce qui fait croire que probablement, suivant la culture mentale, suivant l’éducation, suivant les pays, suivant les croyances, il doit y avoir des génies différents. Mais il y a des génies de toutes les manifestations de la Nature : il y a des génies du feu, il y a des génies de l’air, de l’eau, de la pluie, du vent; il y a des génies de la mort.

Chaque génie de la mort, quel qu’il soit, a droit à un certain nombre de morts par jour. C’est en vérité une organisation fantastique. C’est une sorte d’alliance entre les forces vitales et les forces de la Nature. Par exemple, s’il a décidé : « Voilà le nombre de gens auquel j’ai droit », mettons quatre ou cinq, ou six, ou une ou deux personnes, cela dépend des jours... il a décidé que telles personnes mourraient, il va tout droit s’installer près de la personne qui va mourir. Mais s’il se trouve que vous êtes conscient (pas la personne), si vous voyez le génie et qu’il aille à une personne et que vous ne vouliez pas qu’elle meure, alors vous pouvez, si vous avez un certain pouvoir occulte, lui dire : « Non, je te défends de le prendre. » C’est une chose qui s’est produite, pas une fois, plusieurs fois, au Japon et ici. Ce n’était pas le même génie. C’est ce qui me fait dire qu’il doit y en avoir beaucoup.

— Je ne veux pas qu’il meure.

— Mais j’ai droit à une mort!

— Va trouver qui est prêt à mourir.

Alors j’ai vu plusieurs cas : quelquefois, c’est juste le voisin qui meurt soudain à la place de l’autre, quelquefois c’est une connaissance, et quelquefois c’est l’ennemi. N’est-ce pas, il y a une relation quelconque, bonne ou mauvaise, de voisinage (ou n’importe) qui, extérieurement, a l’air d’un hasard. Mais c’est le génie qui a pris son mort. Le génie a droit à une mort, il aura une mort. Vous pouvez lui dire : « Je te défends de prendre celui-là » et avoir le pouvoir de le renvoyer, et il n’a rien à faire qu’à s’en aller; mais il ne renonce pas à son dû et il va ailleurs.

Il y a une autre mort.

C’est la même chose avec le feu. J’ai vu le génie du feu, surtout au Japon parce que le feu est une chose extraordinaire dans ce pays-là. Quand un feu s’allume, c’est quatre-vingts maisons qui brûlent : tout un quartier. C’est quelque chose de fantastique. Les maisons sont en bois et ça brûle comme des boîtes d’allumettes; on voit un feu qui s’allume et puis tout d’un coup, poff!... Vous n’avez jamais vu une boîte d’allumettes prendre feu? Pfft! Comme ça, Pfft! un, deux, trois, dix, vingt maisons qui ont brûlé sous mes yeux !... Alors il y a des génies du feu. Un jour, j’étais dans mon lit : j’étais en train de me concentrer, de regarder les gens. Je vois tout d’un coup comme une espèce de nuage de flammes qui s’approchait de la maison. Je regarde et je vois que c’est un être conscient.

— Eh! qu’est-ce que tu viens faire?

— J’ai le droit de brûler la maison, d’allumer un incendie.

— C’est possible, lui ai-je dit, mais pas ici.

Et il n’a pas pu résister.

C’est une question de qui sera le plus fort. J’ai dit : « Non, ici tu ne peux pas brûler, voilà tout! » Cinq minutes après, j’entends des cris : « Ha ! Ha ! » Deux ou trois maisons plus loin, une maison avait pris feu. Il était allé là parce que je lui avais défendu de venir chez moi. Il avait droit à une maison. Voilà !

Quelquefois, quand les gens meurent, ils comprennent qu’ils vont mourir. Pourquoi ne disent-ils pas au génie de s’en aller?

Ah! eh bien, cela dépend des gens. Il y a deux choses nécessaires. D’abord, que rien dans votre être, aucune partie de votre être ne désire mourir. Cela n’arrive pas souvent. Vous avez toujours un défaitiste en vous, quelque part : quelque chose qui est fatigué, quelque chose qui est dégoûté, quelque chose qui en a assez, quelque chose qui est paresseux, quelque chose qui ne veut pas lutter et qui dit : « Tiens! ah! que ce soit fini, tant mieux. » Cela suffit, vous êtes mort.

Mais c’est un fait : si rien, absolument rien de vous ne consent à mourir, vous ne mourrez pas. Pour que quelqu’un meure, il y a toujours une seconde, peut-être la centième partie d’une seconde, où il va consentir. S’il n’y a pas cette seconde de consentement, il ne meurt pas.

J’ai connu des gens qui, vraiment, selon toutes les lois physiques et vitales, auraient dû mourir; et ils ont refusé. Ils ont dit : « Non, je ne mourrai pas », et ils ont vécu. Il y en a d’autres qui n’auraient pas du tout besoin de mourir, mais ils sont comme cela : « Ah! bien! oui, tant mieux, ce sera fini », et c’est fini. Même rien que cela, même pas plus que cela. Vous n’avez pas besoin d’un désir persistant, vous n’avez qu’à dire : « Eh bien, oui, j’en ai assez! » et c’est fini. Alors c’est vraiment comme cela. Comme tu dis, on peut avoir la mort debout à son chevet et lui dire : « Je ne te veux pas, va-t’en », et elle sera obligée de s’en aller. Mais généralement on fléchit, parce qu’il faut lutter, parce qu’il faut être fort, parce qu’il faut être très courageux et endurant et avoir une grande foi dans la nécessité de la vie; comme quelqu’un, par exemple, qui sent très fortement qu’il a encore quelque chose à faire et qu’il faut absolument qu’il le fasse. Mais qui est sûr qu’il n’a pas au-dedans de lui un petit bout de défaitiste, quelque part, qui juste cède et dit : « C’est bien »?... C’est cela, la nécessité de s’unifier.

Quel que soit le chemin que nous suivons, le sujet que nous étudions, nous arrivons toujours au même résultat. La chose la plus importante, pour un individu, c’est de s’unifier autour de son centre divin; comme cela, il devient un vrai individu, maître de lui-même et de sa destinée. Autrement, il est un jouet des forces qui le ballottent comme un bouchon sur une rivière. Il va où il ne veut pas aller, on lui fait faire ce qu’il ne veut pas faire, et finalement il se perd dans un trou sans avoir aucun pouvoir de se rattraper. Mais si vous êtes organisé consciemment, unifié autour du centre divin, gouverné, dirigé par lui, vous êtes le maître de votre destinée. Cela vaut la peine d’essayer... En tout cas, je trouve qu’il est préférable d’être le maître que d’être l’esclave. C’est une sensation assez désagréable de sentir qu’on est tiré par des ficelles et qu’on vous fait faire des choses que vous voulez ou que vous ne voulez pas faire — c’est tout à fait indifférent —, mais que vous êtes obligé de faire parce que quelque chose vous tire par des ficelles et que vous ne le voyez même pas. C’est très ennuyeux. Enfin, je ne sais pas, moi j’ai trouvé cela très ennuyeux, même quand j’étais toute petite. À cinq ans, cela a commencé à me paraître tout à fait intolérable, et j’ai cherché un moyen pour que ce soit autrement — sans que personne puisse rien me dire. Parce que je ne connaissais personne qui puisse m’aider et je n’avais pas la chance que vous avez, quelqu’un qui peut vous dire : « Voilà ce qu’il faut faire! » Il n’y avait personne pour me le dire. Il a fallu que je le trouve toute seule. Je l’ai trouvé. J’ai commencé à cinq ans. Et vous, il y a longtemps que vous avez eu cinq ans...

Voilà.

Le 8 juillet 1953

« ... le mental est un instrument d’action et de forma tion, non un instrument de connaissance; à chaque moment il crée des formes. Les pensées sont des formes et ont une vie individuelle, indépendante de leur auteur; envoyées par lui à travers le monde, elles y évoluent vers la réalisation de leur raison d’être. Quand vous pensez à quelqu’un, vos pensées prennent une forme et vont le trouver; et si vous avez associé votre pensée à une vo lonté qui la supporte, la forme-pensée qui est sortie de vous, fait un effort pour se réaliser. »

(Entretien du 19 mai 1929)

Est ce que l’aspiration et les prières prennent des formes, comme les pensées?

Oui. Elles prennent même quelquefois la forme de la personne qui a l’aspiration ou qui fait la prière, souvent. Cela dépend. Les aspirations prennent quelquefois la forme de ce à quoi l’on aspire; mais le plus souvent, surtout les prières prennent clairement la forme de celui qui a prié.

Quelle est la différence entre une prière et une aspiration?

J’ai écrit cela quelque part. Il y a plusieurs genres de prières.

Il y a la prière purement mécanique, matérielle, de mots qui sont appris et que l’on répète mécaniquement. Cela ne signifie pas grand-chose. Et cela n’a généralement qu’un seul effet, celui de calmer la personne qui prie, parce que si l’on répète une prière plusieurs fois, les mots finissent par vous calmer.

Il y a une prière qui est une formule spontanée pour exprimer une chose précise que l’on veut demander : on prie pour ceci ou cela, on prie pour telle chose ou telle autre; on peut prier pour quelqu’un, on peut prier pour une circonstance, on peut prier pour soi-même.

Il y a l’endroit où l’aspiration et la prière se rencontrent, parce qu’il y a des prières qui sont une formulation spontanée d’une expérience vécue : cela jaillit tout prêt du dedans de l’être, comme une chose qui est l’expression d’une expérience profonde, et qui peut rendre grâce pour cette expérience, ou demander sa continuation, ou demander son explication aussi; et alors là, c’est tout près de l’aspiration. Mais l’aspiration ne se formule pas nécessairement en mots; ou si elle se formule en mots, c’est presque un mouvement d’invocation. Vous aspirez à une certaine condition; par exemple, vous avez découvert en vous quelque chose qui n’est pas conforme à votre idéal, un mouvement d’obscurité ou d’ignorance, peut-être même de mauvaise volonté, quelque chose qui n’est pas en accord avec ce que vous voulez réaliser; alors cela ne va pas se formuler en mots : cela va être comme une flamme qui jaillit et comme une offrande faite d’une expérience vécue, qui demande à être agrandie, magnifiée et de plus en plus claire et précise. Tout cela peut se dire en mots après, si l’on tâche de se souvenir et de noter son expérience. Mais l’aspiration jaillit toujours comme une flamme qui monte et porte en elle la chose que l’on désire être, ou que l’on désire faire, ou que l’on désire avoir. J’emploie le mot « désire », mais vraiment c’est là qu’il faudrait employer ce mot « aspirer », parce que cela n’a pas la qualité ni la forme d’un désir.

C’est vraiment comme une grande flamme de volonté purificatrice, et cela porte en son centre la chose qui demande à être réalisée.

Par exemple, si vous avez fait une action que vous regrettez d’avoir faite, si cela a des conséquences qui sont fâcheuses et qui dérangent quelque chose, et que plusieurs personnes soient impliquées; vous ne connaissez pas les réactions des autres, mais vous désirez vous-même que ce qui a été fait tourne pour le mieux, et que, s’il y a une faute, elle soit comprise, et que ce soit pour vous, quelle que soit la faute, l’occasion d’un plus grand progrès, d’une plus grande discipline, d’une ascension nouvelle vers le Divin, d’une porte ouverte sur un avenir que vous voulez plus clair, plus vrai et plus intense; alors cela se rassemble là (geste au cœur) comme une force, et puis cela jaillit et cela monte dans un grand mouvement d’ascension, et quelquefois sans l’ombre de formulation, sans mots, sans expression, mais comme une flamme qui jaillit.

Cela, c’est la vraie aspiration. Cela peut se produire cent fois, mille fois par jour si l’on est dans cet état où l’on veut constamment progresser et être plus vrai et plus totalement conforme à ce que la Volonté divine veut de vous.

La prière est une chose beaucoup plus extérieure, généralement à propos d’un fait précis, et toujours formulée parce que c’est la formule qui fait la prière. On peut avoir une aspiration et la transcrire en prière, mais l’aspiration dépasse de tous côtés la prière. Elle est beaucoup plus proche et beaucoup plus, pour ainsi dire, oublieuse de soi, ne vivant que dans la chose que l’on veut être ou faire, et l’offrande de tout cela que l’on veut faire au Divin. Vous pouvez prier pour demander quelque chose, vous pouvez prier aussi pour remercier le Divin de ce qu’Il vous a donné, et cette prière-là est d’une qualité beaucoup plus grande : on peut l’appeler une action de grâce. Vous pouvez prier en reconnaissance de l’apparence que le Divin a prise pour vous, de ce qu’Il a fait pour vous, de ce que vous voyez en Lui, et les louanges que vous voulez Lui faire. Et tout cela peut prendre la forme d’une prière. C’est évidemment la prière la plus haute, parce qu’elle n’est pas exclusivement occupée de soi, ce n’est pas une prière égoïste.

Certainement, on peut avoir une aspiration dans tous les domaines, mais le centre même de l’aspiration est dans l’être psychique, tandis que l’on peut prier dans tous les domaines, et la prière appartient au domaine dans lequel on prie. On peut faire des prières physiques, purement matérielles, des prières vitales, des prières mentales, des prières psychiques, des prières spirituelles, et chacune a son caractère propre, sa valeur propre.

Il y a une certaine prière, à la fois spontanée et désintéressée, qui est comme un grand appel, généralement pas pour soi personnellement, mais comme ce que l’on pourrait appeler une intercession auprès du Divin. C’est extrêmement puissant. J’ai eu d’innombrables exemples de choses qui se sont réalisées presque instantanément à cause de prières comme cela. Elle implique une grande foi, une grande ardeur, une grande sincérité, et une grande simplicité de cœur aussi, quelque chose qui ne calcule pas, qui n’organise pas, qui ne marchande pas, qui ne donne pas avec l’idée de recevoir en échange. Parce que la majorité des gens donnent avec une main et ils tendent l’autre pour avoir quelque chose en échange — la plus grande majorité des prières sont comme cela. Mais il y en a d’autres qui sont comme je l’ai dit, des actions de grâce, une sorte de cantique, et celles-là sont très bien.

Voilà. Je ne sais pas si je me suis fait comprendre, mais c’est comme cela.

Pour être plus clair, nous pouvons dire que la prière est toujours formulée en mots; mais les mots peuvent avoir des valeurs différentes suivant l’état dans lequel on les formule. La prière est une chose formulée et l’on peut aspirer. Mais il paraît difficile de prier sans prier quelqu’un. Par exemple, ceux qui ont une conception de l’univers d’où ils ont plus ou moins chassé la notion du Divin (il y a beaucoup de gens comme cela : cela les gêne, l’idée qu’il y a quelque chose qui sait tout, qui peut tout et qui leur est supérieur d’une façon tellement formidable qu’il ne peut pas y avoir de comparaison; c’est un peu gênant pour leur amour-propre, alors ils essayent de faire un monde sans Divin), ceux-là évidemment ne peuvent pas prier, parce qu’ils prieraient qui? À moins qu’ils ne se prient eux-mêmes, ce qui n’est pas l’habitude! Tandis que l’on peut aspirer à quelque chose sans avoir une foi en le Divin. Il y a des gens qui n’ont pas foi en l’existence d’un Dieu, mais qui ont foi dans le progrès. Ils ont la conception que le monde est en constant progrès et que ce progrès ira indéfiniment, sans cesser, vers un mieux qui sera toujours plus grand que le mieux précédent. Eh bien, ceux-là peuvent avoir une très grande aspiration pour le progrès, et ils n’ont pas même besoin d’avoir aucune notion d’une existence divine pour cela. L’aspiration comporte nécessairement une foi, mais pas nécessairement la foi en un être divin; tandis que la prière ne peut pas exister si on ne l’adresse pas à un être divin. Et quoi prier? On ne prie pas quelque chose qui n’a pas de personnalité! On prie quelqu’un qui peut nous entendre. S’il n’y a personne pour nous entendre, qui et comment pourraiton prier? Par conséquent, si l’on prie, cela veut dire que, même dans les cas où l’on ne se l’avoue pas, on a foi en quelque chose qui nous est infiniment supérieur, qui est infiniment plus puissant que nous et qui peut changer notre destin et nous changer nous-même, si l’on prie de façon à être écouté. Voilà la différence essentielle.

Alors les gens plus intellectuels admettent l’aspiration, et ils disent que la prière est une chose inférieure. Les gens mystiques vous disent que l’aspiration, c’est très bien, mais que si vous voulez être vraiment entendus et que vous vouliez que le Divin vous écoute, il faut prier, et prier avec la simplicité d’un enfant, une candeur parfaite, c’est-à-dire une confiance parfaite : « J’ai besoin de ceci ou cela (que ce soit un besoin moral, un besoin physique ou un besoin matériel), eh bien, je Te le demande, donne-le-moi. » « Tu m’as donné ce que je T’ai demandé, Tu m’as fait toucher du doigt des expériences qui étaient pour moi inconnues et qui sont maintenant des merveilles que je peux atteindre à volonté; eh bien, je Te suis infiniment reconnaissant et je Te fais une prière d’action de grâce pour chanter Tes louanges et Te remercier de Ton intervention. » C’est comme cela. Pour aspirer, il n’est pas nécessaire d’avoir une aspiration pour quelqu’un, vers quelqu’un. On a une aspiration à une condition, à une connaissance, à une réalisation, à un état de conscience; on aspire à quelque chose; mais ce n’est pas nécessairement une prière : la prière s’ajoute.

La prière est une chose personnelle, adressée à un être personnel, c’est-à-dire à quelque chose — une force ou un être — qui puisse vous entendre et vous répondre. Autrement vous ne pouvez rien demander. Tu comprends?

Quand quelqu’un a une mauvaise volonté contre une autre personne, comment cette volonté agit-elle sur cette personne?

La même chose. Par formation, formation mentale. Quand quelqu’un est de très mauvaise volonté et vous veut du mal, sa volonté s’exprime plus ou moins; quelquefois il n’ose pas se le dire à lui-même parce qu’il aurait honte, mais cela peut venir spontanément. Ou alors, ce peut être comme les gens rancuniers, quelque chose qui est enfermé très profond dans la conscience, tout le temps là, comme cela, à remuer sa rancune; et puis il y a les gens violents qui désirent qu’il arrive malheur à ceux qui leur ont fait du mal soi-disant, ou qui leur ont déplu pour une raison quelconque... Enfin voilà, c’est du domaine de la formation; et c’est tellement fort que si vous passez à côté de quelqu’un qui a une mauvaise volonté notoire, vous pouvez tout d’un coup vous sentir très mal à l’aise.

Maintenant, si vous avez un petit peu de connaissance et de conscience, vous pouvez vous rendre compte de la raison, et alors, quand on se rend compte de la raison, il n’y a qu’à faire comme cela, (geste) comme on fait pour une mouche. Les mouches sont très ennuyeuses et elles reviennent toujours; et les mauvaises formations, il faut faire attention, elles ont la même habitude que les mouches! On les pousse, elles reviennent, on les repousse, elles reviennent. Elles croient que c’est un jeu. Les mouches, vous n’avez jamais remarqué, elles prennent cela pour un jeu : vraiment, comme on les renvoie elles reviennent. Seulement, si à un moment donné vous vous mettez en colère, que vous soyez fâché et que vous fassiez comme cela (geste), même si vous ne la touchez pas, elle ne revient plus. Elle le sent. Essayez, vous verrez.

Mais une mauvaise pensée est une mauvaise action. Il y a des gens qui ne le savent pas, mais vraiment une mauvaise pensée est une mauvaise action, et si l’on pense et l’on veut du mal à quelqu’un, eh bien, on est responsable des malheurs qui lui arrivent tout autant que si l’on avait agi. Mais le malheur est que ce n’est pas reconnu et que jamais on n’intervient pour les mauvaises pensées des gens... Il y a même des individus que cela amuse beaucoup de susciter les mauvaises pensées des autres. J’en ai connu (malheureusement beaucoup trop), quand ils ont quelque chose de désagréable à dire à quelqu’un, ils ne manquent jamais l’occasion de le lui dire : « Vous savez, quelqu’un a dit cela de vous », et puis : « Vous savez, tel autre a dit cela de vous. » Et alors ils produisent autant de mal qu’ils en pensent. Et ils le font quelquefois simplement par stupidité, le plus souvent par vanité, pour avoir l’air de savoir quelque chose. Mais au fond, dans la conscience, il y a — ce qu’en anglais on appelle « mischief-making » — quelque chose qui mischief-making » — quelque chose qui aime bien faire du désordre, des malentendus, faire disputer les voisins, les situations pas jolies, et qui se sent à l’aise là-dedans. Il y a beaucoup de gens qui ont une langue très pointue. On appelle cela en français une langue de vipère. C’est leur grand amusement. Et ils font beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal. Mais même sans parler, si on a une pensée forte et que l’on pense du mal des gens, on fait une mauvaise action.

Pourquoi y a-t-il des mauvaises volontés?

Mon petit, c’est comme si tu me demandais pourquoi il y a l’inconscience, l’ignorance, l’obscurité dans la nature! C’est le pourquoi du monde que tu me demandes! Pourquoi le monde est comme cela et pas autrement?... Il y a des érudits qui ont écrit des volumes sur ce sujet. Et chacun l’explique à sa manière et cela ne change rien, en fait. Tu peux me demander : pourquoi il y a de la mauvaise volonté, pourquoi il y a de l’ignorance, pourquoi il y a de la stupidité, pourquoi il y a de la méchanceté, pourquoi il y a tout le mal, pourquoi le monde est un lieu pas très enchanteur?... Tous les philosophes te l’expliquent, chacun à sa manière. Les matérialistes l’expliquent à leur manière, les savants l’expliquent à leur manière — mais personne dans tout cela ne trouve le moyen d’en sortir! Et au fond, la seule chose vraiment importante, c’est, ce serait justement (tu me dis : pourquoi il y a la mauvaise volonté?), ce serait de trouver le moyen pour qu’il n’y ait plus de mauvaise volonté. Cela vaudrait la peine. Si tu me dis : « Pourquoi y a-t-il des souffrances, pourquoi y a-t-il la misère? »... Qu’est-ce que cela peut te faire, le pourquoi, à moins que ce ne soit un moyen de trouver le remède? Mais je ne le crois pas, parce que (nous avons dit cela ici), si vous cherchez le pourquoi, vous trouverez simplement au-dedans de vous toutes sortes d’explications qui seront plus ou moins inutiles et qui ne vous mèneront nulle part.

Le fait est que c’est, n’est-ce pas, et le second fait, c’est que l’on n’en veut pas, et le troisième, c’est de trouver le moyen que ce ne soit plus. Voilà notre problème. Le monde n’est pas comme nous concevons qu’il devrait être. Il y a dans ce monde beaucoup de choses que nous n’approuvons pas. Eh bien, il y a des gens qui aiment beaucoup ce qu’ils appellent la « connaissance » et qui se mettent à chercher pourquoi c’est comme cela. C’est très bien d’une certaine manière, mais comme je le dis, ce serait beaucoup plus important de chercher comment faire pour que ce soit autrement. C’est justement le problème que le Bouddha s’était posé. Il s’est assis sous un arbre, dit-on, jusqu’à ce qu’il ait trouvé la solution. Mais sa solution, elle n’est pas très bonne. Parce que vous me dites : « Le monde est mauvais. » Bon, sa solution, c’est : « Supprimons le monde. » — « Au bénéfice de qui? » comme Sri Aurobindo l’a écrit quelque part. Alors le monde ne sera plus mauvais parce qu’il n’existera pas? Mais à quoi cela sert qu’il ne soit plus mauvais, puisqu’il n’existera pas! C’est d’une logique très simple. C’est comme ceux qui veulent que le monde tout entier retourne à son Origine; et alors Sri Aurobindo répond : « Vous serez le maître tout puissant de quelque chose qui n’existe plus, un empereur sans empire ou un roi sans royaume. » Voilà... C’est une solution. Mais il y en a d’autres meilleures. Je crois que nous en avons trouvé de meilleures.

Il y a ceux qui disent que la mauvaise volonté vient de l’ignorance (c’était justement ce que le Bouddha prétendait) et que si l’ignorance disparaissait, il n’y aurait plus de mauvaise volonté. Il y en a d’autres qui disent que la mauvaise volonté vient de la division, de la séparation, que si l’univers n’était pas coupé de son Origine, il n’y aurait pas de mauvaise volonté. Il y en a d’autres qui disent que c’est la mauvaise volonté qui est la cause de tout : de la séparation et de l’ignorance. Et alors vient le problème : d’où vient-elle, cette mauvaise volonté? Si elle était à l’origine de tout, elle était donc dans l’Origine de tout. Nous voilà bien embarrassés, mes enfants! Nous pourrons spéculer pendant des années là-dessus, nous n’en sortirons pas. Et alors ceux qui poussent jusque-là, finissent par vous dire : la mauvaise volonté n’existe pas, c’est une illusion. Et c’est simplement parce qu’ils s’arrêtent en route dans leur raisonnement; parce que s’ils allaient un peu plus loin, ils pourraient dire : peut-être que c’est une invention humaine, la mauvaise volonté... C’est possible!

Les animaux n’ont pas de mauvaise volonté?

Je ne crois pas. Je ne puis pas le garantir puisque je ne connais pas toutes les espèces animales! mais j’ai entendu dire des choses qui, pour nous, semblent des monstruosités, mais qui ne sont pas du tout des faits de mauvaise volonté. Par exemple, le monde des insectes. De toutes les espèces animales c’est celle qui contient le plus le sens de ce que nous appelons la méchanceté — et que l’on pourrait appeler de la mauvaise volonté, mais il se pourrait bien que ce soit notre conscience appliquée à leur action, qui voie une action de méchanceté et de mauvaise volonté... Il y a des insectes dont les larves ne peuvent vivre que sur un être vivant. Elles ne peuvent se nourrir que sur un être vivant : la chair morte, pour eux, ne les nourrit pas. Alors le parent insecte qui va déposer ses œufs (qui se changeront en larves), commence par faire une sorte de piqûre à un centre nerveux d’un autre insecte, ou d’un petit animal inférieur qu’il paralyse, et après, gentiment dépose ses œufs à l’intérieur de façon que quand les œufs vont éclore, la larve se nourrira de cet animal paralysé, mais pas mort. C’est machiavélique, n’est-ce pas? Ce n’est évidemment pas l’effet d’un raisonnement, c’est un instinct. Est-ce que l’on peut appeler cela de la mauvaise volonté? Est-ce que c’est de la mauvaise volonté?... C’est simplement un instinct de procréation.

Peut-être, si nous disons que ces insectes sont mus par un esprit de l’espèce qui, lui, est conscient et a une volonté consciente, peut-on dire alors que toutes ces imaginations (je vous donne celle-là mais il y en a des quantités qui sont aussi terribles, aussi monstrueuses pour notre conscience humaine), que tous les êtres, les formateurs qui ont créé ces insectes, devaient être des êtres effroyables, n’est-ce pas, et avoir une imagination perverse et diabolique. C’est très possible, parce que, justement, on dit que l’origine de l’espèce insecte est une origine vitale, que les formateurs sont des formateurs de l’ordre vital, c’est-à-dire des êtres qui, eux, non seulement symbolisent mais représentent et vivent de la mauvaise volonté dans le monde. Ça, ils sont très conscients de leur mauvaise volonté, et c’est exprès. La mauvaise volonté des hommes n’est généralement qu’une espèce de réflexion — une imitation ou une réflexion — de la volonté des êtres du vital, qui est une volonté clairement hostile à la création et qui est une volonté de rendre les choses aussi pénibles, aussi laides, aussi douloureuses, aussi monstrueuses que possible. On dit que ce sont eux qui ont créé les insectes, et alors l’espèce insecte serait peut-être... Mais ils ne représentent pas le mal volontairement, n’est-ce pas : ils sont mus par un instinct inconscient. Ils ne font pas exprès de faire du mal. Ils le font parce que c’est dans leur nature. Moi, ce que j’appelle la mauvaise volonté, c’est vraiment la volonté de mal faire pour mal faire, de détruire pour détruire, de faire du mal pour faire du mal et de prendre plaisir dans le fait de faire du mal. Cela, c’est la mauvaise volonté. L’égoïsme, je crois bien que cela commence avec la naissance du mental (je ne garantis pas, parce que l’on découvre toujours des choses nouvelles). Mais tout ce que j’ai vu de l’espèce animale, surtout de l’espèce animale supérieure, ce peut être l’instinct de conservation, ce peuvent être des violences, des réactions obscures et brutales, mais est-ce vraiment ce que nous appelons de la mauvaise volonté?... C’est possible. Si quelqu’un venait me raconter une histoire qu’il a vue et qui me prouverait le contraire, je suis prête à l’admettre, mais pour le moment je ne l’ai pas vu. Tout ce que je sais des animaux, c’est leur instinct qui les pousse à faire, mais ils n’ont pas cette perversité qui est dans la mentalité humaine. Je crois que c’est avec cette sorte de fonctionnement mental et sous l’influence directe du vital que l’homme est un être de mauvaise volonté. Les Titans sont des êtres de mauvaise volonté, mais les Titans sont des êtres du monde vital manifesté dans des forces de la Nature : ils veulent faire du mal pour le plaisir de faire du mal, détruire pour le plaisir de détruire.

On parle toujours de la méchanceté des chats, par exemple, qui jouent avec la souris avant de la manger. C’est un exemple que l’on donne aux enfants; mais moi, j’ai vu des chats. Je sais ce qu’ils font. Ce n’est pas vrai du tout. Ils ne le font pas du tout par méchanceté. Généralement, c’est comme ceci : la mère fait la chasse pour les petits et elle attrape une souris. Si elle donnait la souris tout de suite à manger aux petits, ils ne pourraient pas la manger, parce que c’est dur, coriace, et ils n’ont pas la capacité de manger une chair si dure et si coriace. Par-dessus le marché, c’est mauvais quand c’est comme cela. Alors ils jouent avec (ils ont l’air de jouer avec), ils l’envoient sauter, ils la roulent, ils l’attrapent, ils la laissent courir, ils lui courent après jusqu’à ce que ce soit bien, bien ramolli. Et alors, quand c’est bien ramolli, que c’est prêt à être mangé, que c’est déjà de la chair un peu travaillée d’avance, alors ils la donnent aux petits, qui peuvent la manger. Mais certainement, ils ne vont pas jouer avec la souris pour le plaisir de jouer! Ils chassent d’abord, n’est-ce pas, et puis ils préparent le dîner. Ils n’ont pas de fourneau ni de feu pour faire cuire et amollir la chose. Il faut qu’ils la préparent pour que ce soit prêt à être mangé.

Mais on dit aussi que la première expression de l’amour chez les êtres vivants, c’est le désir de dévorer. On veut absorber, on désire dévorer. Il y a un fait qui tendrait à prouver que ce n’est pas tout à fait faux, c’est que quand le tigre attrape sa victime ou quand le serpent attrape sa victime, il se trouve que, à la fois, la victime du tigre et la victime du serpent s’abandonnent dans une espèce de délice d’être mangées. On raconte cette expérience d’un homme qui était dans la brousse avec des camarades et qui était un peu en arrière, et il a été attrapé par un tigre — un mangeur d’hommes. Les autres sont revenus quand ils se sont aperçus qu’il avait disparu. Ils ont vu les traces. Ils ont couru après, juste à temps pour empêcher que le tigre le mange. Quand il a été un peu remis, on lui a dit qu’il avait dû avoir une expérience effroyable. Il a dit : « Non! figurez-vous, je ne sais pas ce qui m’est arrivé, dès que ce tigre m’a attrapé et comme il me traînait par terre, j’avais pour lui un amour intense et un grand désir qu’il me mange! »

C’est véridique, ce n’est pas une invention. C’est une histoire vraie.

Eh bien, j’ai vu de mes propres yeux... Je crois que je vous l’ai déjà racontée : l’histoire du petit lapin qui avait été mis dans la cage du python. C’était dans la cage du Jardin des Plantes à Paris. C’était le jour du déjeuner. Je me suis trouvée là. On a ouvert la cage, on a mis le petit lapin blanc. C’était un joli petit lapin blanc qui immédiatement s’est enfui à l’autre bout de la cage et qui tremblait comme tout. C’était affreux à voir, parce qu’il savait bien ce que c’était, il avait senti le serpent, il savait bien. Le serpent était simplement tourné en rond sur sa natte. Il avait l’air de dormir et, tranquillement, il allongeait son cou et sa tête, puis il a commencé à regarder le lapin. Il le regardait sans bouger. Simplement il le regardait. Moi, j’ai vu ce lapin, qui a d’abord cessé de trembler, il ne tremblait plus. Il était tout recroquevillé. Il commençait à se remettre. Et puis je l’ai vu lever la tête, ouvrir de grands yeux, regarder le serpent et, lentement, très lentement, il s’avançait vers lui, jusqu’à ce qu’il soit juste à la bonne distance. Alors le serpent, d’un seul coup — il ne s’est pas dérangé, il ne s’est même pas déroulé, il était comme cela —, et hop ! il l’a pris. Et puis, il a commencé à le rouler, à le préparer aussi pour son dîner. Ce n’était pas pour jouer. Il l’a préparé. Il lui a bien écrasé tous les os, il l’a fait craquer; puis il a enduit cela d’une glu pour que ce soit bien glissant. Et quand cela a été bien préparé, il a commencé à avaler lentement, confortablement... Mais il n’a pas eu à se déranger, il n’a pas eu à faire un mouvement, excepté le dernier, rapide, juste pour l’attraper quand il était en face de lui.

C’est l’autre qui était venu vers lui.

Voilà, enfin il y a beaucoup de choses dans la Nature. Il y a ça, il y a peut-être aussi de la mauvaise volonté. Mais je ne suis pas bien sûre que ce ne soit pas l’un des cadeaux que l’activité mentale ait donnés à l’homme. Dès qu’il s’est séparé de son instinct et qu’il a voulu agir d’une façon indépendante...

L’instinct, qu’est ce que c’est exactement?

C’est la conscience de la Nature. Elle est consciente de son action, mais ce n’est pas une conscience individuelle. Il y a un instinct de l’espèce. Certains ont dit qu’il y avait même des « esprits de l’espèce », des êtres conscients pour chaque espèce. L’instinct dépend de la façon dont la Nature travaille, et la Nature est une force consciente, qui sait ce qu’elle veut, qui le fait à sa manière, qui sait là où elle va et les chemins : c’est elle-même qui les choisit. Pour l’homme, cela paraît incohérent parce que sa conscience à lui est trop étroite (il ne peut pas voir assez l’ensemble; quand on voit les petits détails des choses seulement, ou des petits fragments, on ne peut pas comprendre du tout), mais la Nature a un plan, elle a une volonté consciente, c’est une entité tout à fait consciente — on ne peut pas dire un être, parce que ce n’est pas la même proportion. Quand nous disons un « être » avec notre conscience humaine, nous imaginons tout de suite : peut-être un être humain un peu agrandi ou très agrandi, mais enfin toujours fonctionnant de la même façon. C’est pour cela que je ne dis pas que c’est un être, mais c’est une entité consciente, une volonté consciente qui fait les choses consciemment, volontairement, et qui a des forces formidables à sa disposition.

On dit aussi que les forces de la Nature sont aveugles et violentes. Mais ce n’est pas du tout cela ! C’est l’homme, dans sa proportion avec la Nature, qui juge comme cela. Tenez, prenons cet exemple. Quand il y a un tremblement de terre, il y a des îles qui s’engouffrent et des millions de gens qui sont tués. On dit : « Cette Nature est monstrueuse. » Du point de vue humain, cette Nature est monstrueuse. Qu’est-ce qu’elle fait? Elle fait le cataclysme. Mais figurez-vous qu’en sautant ou en courant ou en faisant n’importe quoi, vous vous donniez un bon coup, ce qu’on appelle un bleu, n’est-ce pas, que cela devienne bien noir. C’est la même chose pour nos cellules qu’un tremblement de terre; vous détruisez une quantité formidable de cellules! C’est la proportion. Pour nous, pour notre petite conscience, toute petite comme ça, cela paraît quelque chose de formidable, mais au fond, c’est tout simplement une contusion quelque part sur la terre (et même pas dans l’univers). Nous ne parlons que de la terre : qu’est-ce que c’est? Rien du tout, un tout petit jouet dans l’univers. Si nous parlons de l’univers, alors la disparition des mondes, ce sont des contusions. Ce n’est rien.

Il faut, si on peut, agrandir sa conscience.

J’ai connu quelqu’un qui voulait agrandir sa conscience; il disait qu’il avait trouvé un moyen, c’était de se coucher sur le dos dans la nuit, dehors, et de regarder les étoiles et de tâcher de s’identifier à elles, et de s’en aller là-dedans dans un monde immense, et alors de perdre tout à fait le sens de la proportion, de l’ordre de la terre et de toutes ces petites choses, et de devenir vaste comme le ciel — on ne peut pas dire comme l’univers parce que nous n’en voyons qu’un tout petit morceau, mais vaste comme le ciel avec toutes les étoiles. Et alors, vous savez, les petites saletés pendant ce temps-là, elles tombaient, et on comprenait les choses à une très grande échelle.

C’est un bon exercice.

Les deux sont un bon exercice. Cherchez à comparer, n’est-ce pas : vous marchez sur une route, il y a une armée de fourmis qui se promènent d’un nid à l’autre (vous ne regardez pas par terre, vous êtes en train de causer), très négligemment vous mettez un pied, et puis un autre pied, et vous écrasez des centaines de fourmis sans même vous en apercevoir. Si vous étiez fourmi, vous diriez : « Quelle force méchante et bête! » Simplement vous marchez. Vous n’avez pas fait attention. Mais admettez qu’il y ait des êtres qui soient comme cela, pour qui nous soyons de toutes petites fourmis. Ils mettent un pied, puis l’autre pied, et des millions de gens sont tués. Ils ne s’en sont même pas aperçus! Ils n’ont pas fait exprès. Ils marchaient, c’est tout. La seule différence que vous pourriez faire (et encore je ne suis pas tout à fait sûre), la seule différence entre la fourmi et l’homme, c’est que l’homme est capable de penser à ce qui lui est arrivé, et peut-être la fourmi n’en est-elle pas consciente? Je n’en sais rien. Je ne le garantis pas. Voilà.

Le 15 juillet 1953

« Chaque homme a sa manie, son mot d’ordre préféré; chacun pense qu’il est libre de tel ou tel préjugé, dont les autres sont affublés, et il est prêt à condamner de telles notions comme tout à fait fausses; mais en même temps, il s’imagine que les siennes ne sont pas du tout du même genre; les siennes sont pour lui la vérité, la vraie vérité.

« L’attachement à une règle mentale est l’indication d’un aveuglement qui se cache encore quelque part. »

(Entretien du 19 mai 1929)

Est ce que les superstitions sont des règles mentales?

Non, pas des règles, mais des formations mentales. Généralement, l’origine d’une superstition est une expérience. Par exemple, il y a une superstition en Europe, et l’on vous dit : « Ne passez jamais sous une échelle, il vous arrivera malheur. » Il est probable que quelqu’un a passé sous une échelle, que l’échelle a glissé et lui est tombée dessus, et l’histoire part comme cela. Il se peut que ce soit une expérience répétée parce que, en effet, si une échelle est mal placée, si vous passez dessous et qu’elle tombe à ce moment-là, cela fait un malheur! Il y a d’innombrables superstitions comme cela. Cela dépend des pays, d’ailleurs; ce sont des choses très locales et on peut même trouver des superstitions contradictoires dans des pays différents. Il y a des pays où si vous voyez un chat noir, c’est le signe qu’il va arriver une catastrophe. Il y a d’autres pays, si vous voyez un chat noir, cela veut dire qu’il va arriver quelque chose de très bien! Si vous mettez les choses ensemble, vous pourrez arriver à la conclusion qu’il ne vous arrivera rien du tout! C’est comme cela. Presque toutes les superstitions sont le résultat d’une expérience tout à fait locale, occasionnelle, exceptionnelle, et qui est érigée en principe mental. C’est une formation mentale, ce n’est pas une règle.

Maintenant, il y a d’autres cas comme, par exemple, un grand nombre de règles religieuses qui sont uniquement fondées sur des principes d’hygiène, sur une connaissance médicale, et qui ont été érigées en principes religieux parce que c’était le seul moyen de les faire observer. Si l’on ne vous dit pas que « le Dieu veut » que vous fassiez comme ceci, comme cela, on ne le fait pas, la majorité des gens ordinaires ne le font pas. Par exemple, cette chose très simple de se laver les mains avant de manger; dans les pays qui ont une civilisation peu scientifique, il y a des gens qui ont découvert qu’en effet il était probablement plus hygiénique de se laver les mains avant! S’ils n’avaient pas fait une règle religieuse, s’ils n’avaient pas dit que « le Dieu voulait » qu’on se lave les mains avant de manger, autrement c’était une offense qu’on lui faisait, les gens auraient dit : « Oh! mais non, pas aujourd’hui, demain. Je n’ai pas le temps, je suis pressé! » Tandis que comme cela il y a cette peur constante derrière les gens, qu’il vous arrivera malheur à cause de la colère divine. C’est aussi une superstition, une grosse superstition.

Ils font les choses parce qu’on leur dit de les faire. Il y a toute une catégorie de religions — ainsi la religion chaldéenne — qui défend de manger du porc. Ils disent que c’est tout à fait impur et que vous serez impurs si vous en mangez. La vérité est que dans ces pays (parce que ce sont des pays chauds), la viande de cochon est remplie de petits vers qu’on absorbe avec la viande, même si elle est cuite. Il faut la cuire extrêmement longtemps pour tuer les vers. Et alors ces petits vers résistent à une cuisson ordinaire et ils s’installent dans votre estomac ou votre intestin, et puis ils florissent là et finissent même quelquefois par vous tuer, en tout cas par vous rendre très malade. Ce sont des vers particuliers à ce genre de viande. Alors si l’on explique cela aux gens, ils ne comprennent pas; ils n’ont aucune notion médicale, scientifique ou hygiénique et cela ne les intéresse pas du tout : « Ah! mais ce n’est pas cher, c’est de la viande bon marché! on verra bien ce qui arrivera. » Ce qui arrivera, c’est qu’au bout de quelque temps, ils auront des douleurs terribles dans leur intestin, et puis ils deviendront de plus en plus maigres et ils mangeront de plus en plus, d’une façon tout à fait inutile; ils ne sauront pas ce qui est arrivé; ils seront simplement dévorés par des vers. Mais si on leur dit : « Ne faites pas ça, le Dieu sera furieux et vous punira », cela suffit. Ils ne le feront pas.

Une autre question?

(Question) « Il a été dit que lorsque l’on ouvre la porte au yoga, on a immédiatement à faire face à une multi tude d’obstacles.

(La Mère) « Ce n’est pas une règle absolue; cela dépend surtout de la personne. Pour beaucoup, les circonstances adverses viennent mettre à l’épreuve les points faibles de leur nature. L’égalité d’âme est la base indispensable du yoga ; elle doit être bien établie avant que l’on puisse avancer librement sur le chemin. Il va de soi que, de ce point de vue, tous les ennuis sont des épreuves qu’il faut passer. Mais ils sont nécessaires aussi pour jeter bas les limites que vos constructions mentales ont dressées autour de vous et qui vous empêchent de vous ouvrir à la Lumière et à la Vérité. »

(Entretien du 19 mai 1929)

Quand nous venons à la vie spirituelle avec une as piration, est ce que nous pouvons être attaqués par les forces adverses?

Tout le monde, sans exception.

Qui ont l’apparence très gentille?

Quelquefois, oui. Quelquefois, ce sont les plus dangereuses.

Mais comment savoir?

Ah! le moyen le plus facile, quand on a un guru, c’est d’aller le lui demander. C’est à la portée de tous. Il suffit d’avoir la foi dans son guru, d’aller le trouver, lui demander — il vous le dira, parce que lui, il sait.

Si vous n’avez pas de guru, alors c’est un peu plus difficile, parce que ces forces sont très habiles : elles ne prennent pas l’apparence de catastrophe, de misère ou de méchanceté parce que, immédiatement, on saurait, on ne se laisserait pas prendre; généralement, elles viennent avec les apparences d’un ami. Si vous êtes très sincère, vous vous apercevez bientôt de quelques petites indications, comme de petites suggestions pour satisfaire votre vanité, ou pour éveiller en vous des doutes, ou pour vous rendre un peu inconscient de ce qu’il faut faire exactement — des toutes petites choses. Si vous êtes très sincère, vous les voyez; surtout si vous êtes assez vigilant pour ne pas vous laisser tromper par des compliments ou des tentatives qui vous encouragent dans ces satisfactions d’amour-propre. Les choses qui donnent juste un petit encouragement à votre vanité, c’est le signe le plus certain; quelque chose qui vous fait penser : « Après tout, je ne suis pas si mal. Tout ce que je fais, je le fais bien. Ma tentative est très méritoire. Ma sincérité est à l’abri de tout reproche », etc. On devient de plus en plus satisfait, et là, alors vous pouvez être sûr. Mais même là, cela ne prend pas toujours ces formes. Il y a d’autres choses, cela dépend des gens. Pour les uns, c’est cela ; pour d’autres, elles éveillent des idées de grandeur : « Si je continue comme cela, je deviendrai un grand yogi. J’aurai de grands pouvoirs. Je ferai de belles œuvres. Comme je vais bien servir le Divin, comme il sera content de moi! » C’est très dangereux. Il y a tout l’opposé aussi : « Après tout, peut-être que je ne suis bon à rien. Est-ce la peine que je fasse un effort? Rien ne sortira de cet effort. Est-ce que je suis capable de vie spirituelle? Probablement je ne ferai jamais rien. Je renonce à des choses tangibles pour un rêve irréalisable. Et qu’est-ce que je suis après tout? Un grain de poussière. Est-ce que c’est la peine que je fasse un effort pour trouver le Divin? Je ne trouverai probablement rien du tout et tous mes efforts sont en vain. » Cela, c’est beaucoup plus dangereux. Je pourrais vous citer des centaines d’exemples comme cela.

Il n’y a qu’une chose qui peut vous sauver vraiment, c’est si vous avez un contact, même un tout petit contact avec votre être psychique; que vous ayez senti la solidité de ce contact-là. Et alors, ce qui vous vient de cette personne ou de cette circonstance, vous le mettez en face de cela et vous voyez si ça va ou si ça ne va pas. Même si vous êtes satisfait — de toute manière —, même si vous vous dites : « Enfin, j’ai trouvé l’ami que je voulais avoir. Je suis dans les meilleures circonstances de ma vie », etc., alors mettez cela en face de ce tout petit contact-là avec votre être psychique, vous verrez si ça garde sa couleur brillante ou si, tout d’un coup, il y a un petit malaise — pas grand, rien qui fasse beaucoup de bruit, seulement un tout petit malaise comme ça. Vous n’êtes plus si sûr que ce soit comme vous pensiez! Alors vous savez : c’est ça, c’est cette petite voix-là qu’il faut écouter toujours. C’est celle-là qui est la vérité, et l’autre ne pourra plus vous troubler.

Si vous venez à la vie spirituelle avec une aspiration sincère, quelquefois il vous arrive une avalanche de choses désagréables : vous vous querellez avec vos meilleurs amis, votre famille vous renvoie de la maison avec des coups de pied, vous perdez de ce que vous aviez cru acquérir... J’ai connu quelqu’un qui était venu dans l’Inde après une grande aspiration et un très long effort vers la connaissance et même vers le yoga. C’était il y a très longtemps de cela. En ce temps-là, on portait des chaînes de montre et des petits objets. Ce monsieur-là avait un petit crayon en or que sa grand-mère lui avait donné et auquel il tenait comme à la chose la plus précieuse du monde. C’était attaché à sa chaîne. Quand il a débarqué dans l’un des ports — à Pondichéry, ou peut-être dans l’Inde ou peut-être à Colombo, je crois que c’était à Colombo —, on débarquait dans des barques, et les barques vous menaient au rivage. Et alors il a fallu qu’il saute de l’escalier du bateau dans la barque. Il a fait un faux pas; il s’est rattrapé tant bien que mal, mais il a fait un mouvement brusque : le petit crayon d’or est tombé dans la mer. Il est entré tout droit au fond. Le monsieur a eu d’abord un gros chagrin, puis il s’est dit : « Tiens, c’est l’effet de l’Inde : on me libère de mes attachements... » C’est pour les gens très sincères que cela prend cette forme. Au fond, les avalanches d’ennuis c’est toujours pour les gens sincères. Les gens qui ne le sont pas reçoivent les choses qui ont les plus jolies petites couleurs brillantes comme ça pour bien tromper, et puis finalement, pour qu’ils puissent trouver qu’ils se trompent! Mais quand on a de gros ennuis, cela prouve que l’on a déjà atteint un certain degré de sincérité.

Ici, tu as dit : « Quand on se tourne vers le Divin, il faut faire table rase de toutes les conceptions mentales; mais en général, au lieu de le faire, on jette toutes ses conceptions sur le Divin et l’on veut que le Divin leur obéisse. »

(Entretien du 19 mai 1929)

Oui, tout le monde — tout le temps, constamment. Si le Divin n’est pas comme vous le comprenez, eh bien, ce n’est pas le Divin. S’il ne fait pas ce que vous voulez, s’il n’agit pas comme vous le concevez, s’il n’a pas le caractère que vous lui prêtez, ce n’est pas le Divin : « Je te reconnais comme le Divin si tu fais exactement ce que je veux que tu fasses! » Naturellement, on n’est pas assez sincère pour se le dire, mais c’est comme cela. Je pourrais vous donner des millions d’exemples — pas des centaines : des millions. Et il n’y en a pas un d’entre vous qui ne le fasse inconsciemment. C’est une règle, n’est-ce pas, on dit : « Oui, je suis tout à fait prêt à me soumettre au Divin et à faire sa volonté, à reconnaître sa présence et son action, à condition que ce soit comme ça et comme ça, qu’il pense comme ça, qu’il sente comme ça, qu’il agisse comme ça », etc. À la première occasion, je vous montrerai un petit exemple suspendu à un fil. Ça ne manquera pas. Ça viendra bientôt, un de ces jours. Voilà.

« ... le pouvoir sur l’argent est maintenant sous l’influence ou entre les mains des forces et des êtres du monde vital. C’est à cause de cette influence que jamais on ne voit l’argent aller en sommes considérables à la cause de la vérité. Toujours il se fourvoie, car il est sous la griffe des forces hostiles et c’est un de leurs principaux moyens de garder leur emprise sur la terre. La mainmise des forces hostiles sur le pouvoir de l’argent est puissamment, complètement et soigneusement organisée, et c’est une tâche des plus difficiles que d’extraire quoi que ce soit de cette compacte organisation. Chaque fois que l’on essaye de retirer un peu d’argent à ses gardiens actuels, on doit livrer une bataille féroce. »

(Entretien du 12 mai 1929)

Quelle est la situation de l’argent maintenant? Est ce que ces êtres ont un grand pouvoir sur l’argent?

Oui, ça continue. Ça continue, ce n’est pas mieux. D’ailleurs, la condition à remplir n’est pas remplie 11. Alors on ne peut pas espérer que ce soit mieux. Pas plus tard que ce matin, je me plaignais (enfin, je me plaignais, c’est une façon de parler, c’est pour me faire comprendre), je me disais : pour faire ce que nous voulons faire, nous avons besoin de beaucoup d’argent — beaucoup, n’est-ce pas, pas seulement un peu d’argent. Et alors je me suis dit : ce n’est pas, pourtant, que l’argent manque, il y a beaucoup d’argent dans le monde. Il y a même des gens qui en ont tellement qu’ils ne savent pas quoi en faire. Mais il ne leur viendrait jamais à l’esprit de le donner pour l’Œuvre divine... Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savent pas, parce qu’il y a toujours moyen de savoir quand on veut savoir. Quand il nous vient l’idée : « Je veux faire de mon argent l’usage le plus utile » (et le plus utile, non pas seulement au point de vue de ce que le monsieur ou la dame conçoivent comme étant utile), eh bien, on peut toujours trouver. Généralement (il y a des exceptions), généralement ces gens qui ont beaucoup d’argent mettent une condition : il faut que ça leur rapporte au moins une satisfaction. Il faut qu’il y ait un mérite — qu’ils donnent, mais qu’ils gagnent quelque chose. Si ce ne sont pas des gens d’affaire et qu’ils ne donnent pas leur argent pour en gagner davantage, si ce sont des philanthropes, par exemple, qui veulent donner de l’argent pour aider l’humanité à faire des progrès, ils veulent toujours, plus ou moins consciemment (mais généralement très consciemment), ils veulent toujours que ça leur rapporte de la gloire, une sorte de satisfaction d’amour-propre. Ils donnent de l’argent pour la fondation d’une école : l’école portera leur nom. Ils bâtissent un monument quelque part : il faudra que l’on dise que Monsieur Untel a donné l’argent, et ainsi de suite... Il y avait un temps où j’étais en train de construire Golconde 12 ; il y a eu des gens qui se sont approchés de moi, ou qui en ont envoyé d’autres vers moi, pour me dire : « Je suis disposé à vous donner tant ou tant, mais il faut que vous mettiez dans une chambre une plaque de marbre sur laquelle il est écrit : « Cette chambre a été construite par le don de Monsieur Untel. » Alors j’ai dit : « Je regrette, je peux vous faire des plaques de marbre, mais avec cela je paverai mon sous-sol ! » C’est comme cela.

Il y a des exceptions, comme il y a des exceptions à toutes les règles; mais enfin je ne peux pas dire que spontanément, librement, sans effort, l’argent aille là où l’on peut en faire le plus de choses utiles, non. Le maximum de bonne volonté, c’est de donner de l’argent à quelque chose que l’on comprend bien (qui est facile à comprendre aussi), pour construire un hôpital, par exemple, ou ouvrir une crèche pour les petits enfants. Ce sont toutes les œuvres de bonne volonté que les humains comprennent. Mais si on leur dit que l’on veut changer la conscience humaine et que l’on veut créer un nouveau monde, oh! la première chose qu’ils disent : « Pardon! ne parlez pas de Divin, parce que si c’est le Divin qui fait l’œuvre, eh bien, c’est le Divin qui vous en donnera les moyens et vous n’avez plus besoin de notre aide. » J’ai entendu des gens me dire : « Si vous représentez le Divin sur la terre, vous pouvez faire ce que vous voulez; nous n’avons pas du tout besoin de vous donner quelque chose. » Et combien d’entre vous sont libres de cette idée-là (d’un arrière-goût de cette idée-là) : le Divin est toutpuissant, par conséquent le Divin peut faire ce qu’il veut?

Ça, c’est le premier argument, c’est la théorie. Le Divin est tout-puissant, il peut faire ce qu’il veut; par conséquent il n’a besoin de l’aide de personne. Et si vous poussez votre idée assez loin, vous verrez que si, vraiment, dans ce monde-ci, le Divin est tout-puissant et qu’il fait toujours ce qu’il veut, eh bien, moi, je dis que c’est le plus grand monstre qu’il y ait dans l’univers! Parce que quelqu’un qui serait tout-puissant et qui ferait le monde tel qu’il est, en regardant avec un sourire les gens souffrir, être misérables, et qui trouverait ça très bien, moi, je l’appelle un monstre. C’était le genre de choses auxquelles je pensais quand j’avais cinq ans. Je me disais : « Ce n’est pas possible, ce qu’on apprend là n’est pas vrai ! » Maintenant, comme vous avez l’esprit un petit peu plus philosophique, je vous apprendrai à sortir de la difficulté. Mais d’abord, il faut que vous compreniez que cette idée-là est une idée enfantine. Je fais simplement appel à votre bon sens : vous faites de votre Divin une personne (parce que comme cela vous le comprenez mieux). Vous faites de lui une personne. Et puis cette personne a organisé quelque chose (la terre, c’est très grand, c’est difficile à comprendre — mettez n’importe quoi : une chose), et alors cette chose, elle l’a organisée avec le plein pouvoir de faire exactement comme elle veut. Et dans cette chose — qu’elle a faite avec le plein pouvoir de faire ce qu’elle veut —, il y a l’ignorance, la stupidité, la mauvaise volonté, la crainte, la jalousie, l’orgueil, la méchanceté, et puis la souffrance, la maladie, le chagrin, toutes les douleurs; et un ensemble de gens qui ne peuvent pas dire qu’ils ont peut-être plus de quelques minutes de bonheur dans une journée et le reste est un état neutre, comme ça, qui passe comme une chose qui est morte — et vous appelez cela une création, vous!... Moi, j’appelle cela quelque chose comme un enfer! Et celui qui ferait ça volontairement, et qui non seulement le ferait, mais le regarderait et dirait : « Ah ! c’est très bien », comme on vous le raconte dans certains livres religieux, qu’après avoir fait le monde tel qu’il est, le septième jour il l’a regardé et il était très content de son travail et il s’est reposé... Eh bien, cela, non ! Je n’appelle pas cela un Dieu. Ou bien alors, faites comme Anatole France et dites que le Dieu est un démiurge et le plus terrible de tous les êtres.

Mais il y a un moyen de sortir de la difficulté. (À l’enfant) Tu le sais, toi, le moyen? Si, si, tu le sais! Vous verrez que toute cette conception et cette idée que vous avez est fondée sur une chose, une entité que vous appelez Dieu, et un monde que vous appelez sa création, et ce sont, croyez-vous, deux choses différentes, l’une ayant fait l’autre, et l’autre étant soumise à la première et étant l’expression de ce que la première a fait. Eh bien, c’est cela, l’erreur initiale. Mais si vous pouviez sentir profondément qu’il n’y a pas de division entre ce quelque chose que vous appelez Dieu et ce quelque chose que vous appelez la création; si vous vous disiez : « C’est exactement la même chose », et si vous arriviez à sentir que ce que vous appelez Dieu (peut-être est-ce simplement un mot), ce que vous appelez Dieu, quand vous souffrez il souffre, quand vous ignorez il ignore, et que c’est à travers toute cette création, petit à petit, pas à pas, qu’il se retrouve lui-même, qu’il s’unit à lui-même, qu’il se réalise lui-même, qu’il s’exprime lui-même, et que ce n’est pas du tout quelque chose qu’il a voulu d’une façon arbitraire et qu’il a fait d’une façon autocratique, mais que c’est l’expression croissante, se développant de plus en plus, d’une conscience qui s’objective à elle-même... Alors il n’y a plus autre chose que le sens d’une avance collective vers une réalisation plus totale, une prise de connaissance-conscience de soi — pas autre chose que cela —, une prise de connaissance-conscience de soi progressive, dans une unité totale qui reproduira intégralement la Conscience première.

Cela change le problème.

Seulement, c’est un peu difficile à comprendre, et puis il faut faire un progrès de plus. Au lieu d’être comme le petit enfant qui se met à genoux, qui joint les mains et qui dit : « Mon Dieu, je T’en prie, fais-moi bien sage pour que je ne fasse jamais de peine à ma maman »... Ça, c’est très facile et, ma foi, je ne peux pas dire que ce soit mauvais. C’est très bon. Seulement il y a des enfants avec qui cela ne marche pas, parce qu’ils disent : « Pourquoi est-ce que je Te demande que je sois sage? Tu devrais me faire sage sans que j’aie besoin de Te le demander. Autrement Tu n’es pas gentil ! »... C’est très bon quand on a le cœur simple et que l’on ne pense pas beaucoup, mais quand on commence à penser, cela devient plus difficile. Mais si vous aviez à côté de vous quelqu’un pour vous dire : au lieu de cela, au lieu d’allumer une bougie et de te mettre à genoux devant avec tes mains comme ça, allume une flamme dans ton cœur, et puis aie une grande aspiration vers « quelque chose de plus beau, de plus vrai, de plus noble, de meilleur que tout ce que je connais; je demande que demain, toutes ces choses, je commence à les connaître, tout ce que je ne peux pas faire, je commence à le faire — et tous les jours un peu plus ». Et alors, si l’on objective un peu, si, pour une raison quelconque, on a été mis en présence de beaucoup de misères dans le monde, si on a des amis qui sont malheureux ou des parents qui souffrent, ou des difficultés, n’importe quoi, alors on demande que toute la conscience puisse s’élever ensemble vers cette perfection qui doit se manifester, et que toute cette ignorance qui a rendu le monde si malheureux puisse se changer en une connaissance éclairée, et que toute cette mauvaise volonté puisse s’illuminer et se transformer en bienveillance. Et alors, dans la mesure de ce que l’on peut, de ce que l’on comprend, on souhaite de tout son cœur; et ma foi, cela peut prendre la forme d’une prière, on peut demander — demander à quoi? — demander à ce qui sait, demander à ce qui peut, demander à tout ce qui est meilleur et plus puissant que soi, d’aider à ce que ce soit comme cela. Et comme ces prières-là seraient jolies!

Mes enfants, dans cinq ans je vous ferai des cours de vie spirituelle. Je vous donne cinq ans pour vous préparer. Ce que je vous dis maintenant, c’est juste un petit peu comme ça, comme on allume une petite bougie pour vous donner une idée de ce que c’est que la lumière. Mais je veux que nous arrivions tous à ne pas répéter et redire indéfiniment toutes les sornettes qui se disent dans le monde chaque fois qu’on se tourne vers quelque chose d’autre que la vie ordinaire. De même que j’ai parlé ici, dans ce livre, de la confusion que l’on fait entre l’ascétisme et la vie spirituelle 13 , eh bien, un jour, je vous parlerai de la confusion que l’on fait entre ce qu’on appelle Dieu et ce que, moi, j’appelle le Divin. Ce sera pour plus tard.

Il est 9h 20. Il est temps de finir.

La prochaine fois, nous parlerons de la santé et de la maladie, et je confondrai tous les gens qui sont attachés par des chaînes de fer à leur maladie et qui ne veulent pas la laisser partir! Je leur donnerai des ciseaux pour couper leurs chaînes.

Le 22 juillet 1953

« Deux facteurs sont à considérer en la matière [pour les causes des maladies]. Il y a ce qui vient de l’extérieur, et aussi ce qui provient de la condition intérieure. L’état interne devient une cause de maladie quand s’y trouve de la résistance ou de la révolte, ou quand quelque par tie de l’être ne répond pas à la protection. Parfois même, il y a quelque chose qui appelle presque volontairement les forces adverses. Il suffit d’un très léger mouvement de ce genre; en un instant les puissances hostiles fondent sur vous et leur attaque se traduit le plus souvent par une maladie. »

(Entretien du 19 mai 1929)

« ... quelque partie de l’être ne répond pas à la pro tection. » Qu’est ce que cela veut dire, Douce Mère?

Je vous ai expliqué cela. Qu’est-ce que tu ne comprends pas?

J’ai compris le sens des mots, mais je ne comprends pas pourquoi c’est comme cela ?

Parce que je dis « quelque partie de l’être »? Tu comprends bien, n’est-ce pas, ce que veut dire « être dans une protection »? Tu comprends aussi « sortir de la protection »? Si tu fais quelque chose qui est contraire; par exemple, si tu es sous la protection du Divin et qu’à un moment donné tu aies une pensée de doute ou de mauvaise volonté ou de révolte, immédiatement tu sors de la protection. Alors la protection agit autour de toi pour empêcher les forces adverses de venir sur toi ou un accident de se produire; c’est-à-dire que si tu perds conscience, cela empêche que ton manque de conscience produise immédiatement un résultat mauvais. Mais si tu sors de la protection et que tu ne sois pas tout le temps vigilant, ou tu seras attaqué par les forces adverses, ou un accident se produira.

Mais ceux qui ne sont pas conscients?

Ceux qui ne sont pas conscients? Mais encore là, j’ai dit que je ne parlais pas des gens ordinaires. Je ne parle pas des gens ordinaires, ils ne sont pas sous une protection spéciale. Les gens ordinaires sont dans des conditions ordinaires. Ils n’ont pas de protection spéciale qui veille sur eux, ce n’est pas pour eux que je dis cela. Eux, suivent toutes les lois ordinaires de la vie, et on ne peut pas leur expliquer les choses de la même manière... Tu pensais à tout le monde? Que c’est pour tout le monde comme cela ? C’est pour les gens qui font le yoga, ce n’est pas pour tout le monde.

Est ce que, par la peur, on peut avoir une maladie?

Oui. J’ai connu quelqu’un qui a eu si peur qu’il a eu le choléra ! Il y avait le choléra dans la maison d’à côté, et cette personne-là a eu une telle peur qu’elle a attrapé le choléra, et sans autre raison, il n’y avait pas d’autre raison qu’elle l’attrape : c’est par la peur uniquement. Et c’est une chose très commune; dans une épidémie, la majorité des cas, c’est cela. C’est par la peur que la porte s’ouvre, et alors on attrape la maladie. Ceux qui n’ont pas peur peuvent aller librement : généralement, ils n’attrapent rien du tout. Mais encore, comme je l’ai dit là 14 , on peut ne pas avoir peur dans la conscience mentale, on peut ne pas avoir peur même dans son vital, mais qui est-ce qui n’a pas peur dans son corps?

Il y a très peu de gens. Il faut une discipline sévère pour guérir le corps de la peur. Les cellules elles-mêmes tremblent. C’est seulement par la discipline, par le yoga, qu’on peut surmonter cette peur. Mais c’est un fait que l’on attrape n’importe quoi par la peur, même un accident. Et, n’est-ce pas, tout est contagieux à un certain point de vue. J’ai connu une personne qui a eu une blessure par l’espèce d’horreur qu’elle a éprouvée en voyant la blessure d’une autre personne. Elle y est arrivée.

Quelle différence y a-t-il entre la peur mentale, vitale et physique?

Si tu es conscient du mouvement de ton mental, du mouvement de ton vital, du mouvement de ton physique, tu le sais.

Mental, c’est très simple : ce sont des pensées. On se met à penser, par exemple, qu’il y a cette maladie, et que cette maladie est très contagieuse, et que peut-être on va l’attraper, et que si on l’attrape, ça va être terrible, et qu’est-ce qu’il faut faire pour ne pas l’attraper?... Et alors le mental se met à trembler : qu’est-ce qui arrivera demain? etc.

Le vital : on sent. On sent dans les sensations. Tout d’un coup, ça vous fait chaud, ça vous fait froid, on transpire, ou il vous arrive toutes sortes de phénomènes désagréables. Et alors on sent son cœur battre comme cela, et tout d’un coup on a la fièvre, et puis tout le sang s’arrête, on devient froid.

Physiquement, ça... Quand on n’a plus les deux autres peurs, on peut s’apercevoir de la peur physique. Généralement, les deux autres sont beaucoup plus conscientes. Elles vous voilent la peur physique. Mais quand vous n’avez plus de peur mentale ni de peur vitale, alors vous vous en apercevez. C’est une curieuse petite vibration qui entre dans les cellules, qui se mettent à trembler comme cela. Mais les cellules, ce n’est pas comme un cœur qui se met à battre très fort. C’est dans les cellules mêmes : ça tremble, un petit tremblement. Et ça, c’est très difficile à contrôler. Mais ça se contrôle.

Je suis sûre que la majorité d’entre vous a senti cela ; quand on fait, par exemple, un exercice que l’on ne fait pas souvent, ou que l’on fait pour la première fois : ce sont comme de toutes petites vibrations qui vous prennent dans toutes les cellules. Et alors, naturellement, on perd la plénitude de son contrôle sur son mouvement. Le corps ne répond plus à la Force. Quand on veut mettre la volonté pour faire une chose, cela produit une sorte de résistance et d’incapacité dans le corps. Seulement, généralement, vous ne vous en apercevez pas, parce que votre attention est plus attirée par l’appréhension mentale ou par cette espèce de recul vital qui est très évident dans la conscience, tandis que l’on n’est pas très conscient de la résistance qui se produit dans le corps. Généralement, dans tous les sports (l’athlétisme et toutes les compétitions), il y a un certain phénomène qui se produit : vous avez dû remarquer avec vos camarades que certains font beaucoup mieux que d’habitude, et il y en a d’autres qui font très bien d’habitude et qui sont presque incapables à ce moment-là. Ils font beaucoup moins bien. Eh bien, cela dépend de cette espèce de petite vibration. Parce que vous perdez le plein contrôle. Votre volonté n’a plus le plein contrôle du corps parce qu’il vibre, il répond à d’autres forces que la vôtre... Je ne parle pas, naturellement, de ceux qui ont une tête qui se met à l’envers ou un vital qui est tout bouleversé. Ceuxlà, il n’y a rien à faire. Il vaut mieux qu’ils n’essayent pas. Mais je veux dire, ceux qui ont un certain contrôle sur euxmêmes, qui ont l’entraînement, n’est-ce pas, mais qui au moment de la compétition ne peuvent pas faire si bien que d’habitude : cela dépend d’un manque de réceptivité du corps qui a ce petit tremblement dans les cellules, dont vous n’êtes pas conscients, mais qui est comme une obstruction. Cela l’empêche de recevoir la Force pleinement.

Est ce que les maladies sont des épreuves dans le yoga ?

Des épreuves? Pas du tout.

Que l’on vous donne une maladie exprès pour que vous fassiez un progrès? Sûrement pas comme cela. C’est-à-dire que l’on peut retourner la chose : il y a des gens qui ont une aspiration si constante et une bonne volonté si totale que tout ce qui leur arrive, ils le prennent comme une épreuve sur le chemin pour faire un progrès. J’ai connu des gens, dès qu’ils étaient malades, ils voyaient là la preuve de la Grâce divine pour les aider à faire un progrès. Ils se disaient : c’est une bonne indication, je vais trouver quelle est la cause de ma maladie et je ferai le progrès nécessaire. J’en ai connu quelques-uns comme cela, et ceux-là marchaient d’une façon magnifique. Il y en a d’autres au contraire qui, loin de s’en servir, se laissent aplatir par terre. C’est tant pis pour eux. Mais la vraie attitude quand on est malade, c’est de se dire : « Il y a quelque chose qui ne va pas. Je vais voir ce que c’est. » Il ne faut jamais penser que le Divin vous a donné une maladie exprès, parce que vraiment ce serait un très vilain Divin!

Quand même, il y a des microbes dans l’eau ?

Ils sont dans une condition physique, mentale, vitale et le reste, suffisante pour attraper la maladie, même sans boire de l’eau, je te l’assure! C’est tout leur être qui est une désharmonie constante, tout leur être physique. Je ne veux pas dire intérieurement, ils sont peut-être très bien — mais ceux qui sont très bien résistent à tout.

J’ai vu juste l’opposé. J’ai vu dans ce pays, ici, des gens d’un village qui n’avaient à boire que de l’eau qui n’était plus de l’eau, qui n’était qu’une boue. Je l’ai vu de mes yeux. C’était une boue jaunâtre dans laquelle les vaches s’étaient lavées et avaient fait le reste et où les gens avaient marché après avoir traîné dans la rue. Ils jetaient leurs ordures et tout était là-dedans. Et alors, j’ai vu ces gens. Ils entraient, c’était de la boue jaune, là, et puis là-bas, au bout, il y avait un petit peu d’eau — ce n’était pas de l’eau, c’était jaunâtre, n’est-ce pas —, ils se penchaient comme cela et puis ils ramassaient cette eau et la prenaient. Et il y en a qui ne laissaient même pas l’eau se déposer. Il y en a qui savaient ce qu’il fallait mettre dedans, les herbes qu’il fallait pour que l’eau se dépose, et elle devient un petit peu plus claire si on la laisse assez longtemps. Mais il y en a qui ne savaient rien du tout, ils prenaient cela. Alors je me suis renseignée, il y avait justement une épidémie de choléra dans tous les environs; j’ai dit : « Il y a encore des gens vivants dans ce village-là avec une eau pareille? » On m’a répondu : « Nous n’avons pas un seul cas de choléra... » Ils étaient immunisés, ils étaient habitués. Mais s’il y en avait eu un seul qui l’avait attrapé par hasard, il est probable que tous seraient morts, parce que, alors, entrait la peur, et par la peur ils n’avaient plus de résistance, parce qu’ils étaient de pauvres misérables. Mais ce sont les conditions morales de ces gens qui sont terribles, beaucoup plus que les conditions physiques, les conditions morales parce que dans ce pays-ci, on devrait savoir ça.

Il y a des sâdhus, n’est-ce pas, qui acceptent des conditions de vie immondes, par sainteté. Ils ne se lavent jamais, ils n’ont rien de ce que l’hygiène exige. Ils vivent dans une condition vraiment immonde — ils sont purs de toute maladie. Probablement parce qu’ils ont la foi et qu’ils le font exprès. Leur moral est magnifique... Je parle des gens sincères, je ne parle pas de ceux qui prétendent. Ils ont la foi. Ils ne pensent pas à leur corps, ils pensent à la vie de leur âme. Ils n’ont pas de maladie. Il y en a qui arrivent à des états où ils ont un bras ou une jambe, ou une partie du corps qui est complètement ankylosée par leur posture ascétique. Ils ne peuvent plus bouger. N’importe qui mourrait dans une condition pareille. Ils continuent à vivre parce qu’ils ont la foi, parce qu’ils le font exprès, parce que c’est une chose qu’ils se sont imposée à eux-mêmes.

Par conséquent, la condition morale est beaucoup plus importante que la condition physique. Si vous êtes dans un milieu où l’on est propre et que vous restiez trois jours sans prendre un bain, vous tomberiez malade. Ce n’est pas pour vous dire de ne pas prendre de bain! Parce que, nous, nous ne voulons pas être des sâdhus : nous voulons être des yogis. Ce n’est pas la même chose. Et nous voulons que notre corps participe au yoga. Par conséquent, il faut faire ce qu’il faut pour qu’il soit en bon état. Mais enfin, c’est pour vous dire que la condition morale est beaucoup plus importante que la condition physique.

D’ailleurs, ces gens qui par ascétisme s’abîment le corps volontairement, qui se torturent, si c’était quelqu’un d’autre qui le faisait, on crierait, on protesterait, on dirait que c’est un monstre. Mais on le fait soi-même. Et on le supporte très bien parce qu’on se l’est imposé à soi-même — et qu’on a en même temps cette espèce de gloriole d’avoir fait quelque chose de très « remarquable » par aspiration à la vie divine!

Pas d’autres questions?

Eh bien, voilà, je vous ai dit l’autre jour que je vous parlerais de la maladie; j’ai pensé à aujourd’hui et j’ai pris des notes... Parce que l’on peut me dire qu’il y a des microbes, et puis qu’il y a des gens qui ne pensent pas et qui attrapent quand même des maladies; mais la pensée n’est pas le seul facteur, il s’en faut de beaucoup. Enfin, je vais essayer de vous expliquer maintenant les notes que j’ai prises.

Je vous ai dit d’abord qu’une maladie, sans exception — sans exception —, est l’expression d’une rupture d’équilibre. Mais il y a beaucoup de genres de rupture d’équilibre... D’abord, je ne parle que du corps, je ne parle pas des maladies nerveuses du vital, ni des maladies mentales. Nous verrons cela plus tard. Nous parlons seulement de ce pauvre petit corps. Et je dis que toutes, toutes ces maladies quelles qu’elles soient (j’ajouterai même les accidents) proviennent de ruptures d’équilibre. C’est-à-dire que si tous vos organes, si tous les membres et les parties de votre corps sont en harmonie les uns avec les autres, vous êtes en parfaite santé. Mais n’importe quel petit déséquilibre se produit n’importe où, et immédiatement vous avez ou une petite maladie, ou une plus grande maladie, ou une très grosse maladie, ou bien il vous arrive un accident. C’est toujours quand il y a un déséquilibre intérieur.

Mais alors, à l’équilibre du corps, il faut ajouter l’équilibre du vital et du mental. Pour que vous puissiez faire avec immunité n’importe quoi sans qu’il vous arrive un accident, il faut que votre équilibre soit triple — mental, vital, physique —, et non seulement dans chacune des parties, mais dans les trois parties l’une par rapport à l’autre... Si vous avez fait un petit peu de mathématiques, on vous aura expliqué combien de combinaisons cela peut faire et quelle difficulté cela représente! C’est là où est la clef du problème. Parce que les combinaisons sont innombrables et, par conséquent, les causes de maladie sont innombrables, les causes d’accident aussi sont innombrables. Enfin, nous allons tâcher de les classer pour nous comprendre.

D’abord, au point de vue du corps — corps tout seul —, il y a deux genres de déséquilibre : un déséquilibre fonctionnel et un déséquilibre organique. Je ne sais pas si vous savez la différence entre les deux ; mais vous avez des organes et puis vous avez toutes les parties de votre corps : les nerfs, les muscles, les os et le reste. Alors si un organe est lui-même en déséquilibre, c’est un déséquilibre organique, et on vous dit : votre organe est malade, ou bien il est mal construit ou bien il est déformé, ou bien il lui est arrivé un accident. Mais c’est l’organe qui est malade. Mais votre organe peut être en très bon état, tous nos organes peuvent être en très bon état, mais il y a une maladie tout de même parce qu’ils ne fonctionnent pas convenablement : il y a un déséquilibre de fonctionnement. Vous pouvez avoir un très bon estomac, et puis, tout d’un coup, il lui arrive quelque chose et il ne fonctionne plus convenablement; ou votre corps peut être excellent, mais il lui arrive quelque chose et il ne fonctionne plus convenablement. Et alors vous avez une maladie par déséquilibre fonctionnel, non par déséquilibre organique.

Généralement, les maladies de déséquilibre fonctionnel se guérissent beaucoup plus vite et beaucoup plus facilement que les autres. Les autres, cela devient un peu plus sérieux — quelquefois, cela devient même très grave. Donc, cela fait déjà deux domaines à voir et à savoir, mais si vous avez un peu de connaissance de votre corps et l’habitude d’observer son fonctionnement, vous pouvez voir de quel genre est votre déséquilibre.

Le plus souvent, quand on est jeune et que l’on a une vie normale, le déséquilibre est purement fonctionnel. Il n’y a que quelques pauvres gens qui, pour une raison ou une autre, ont eu un accident ou un déséquilibre avant leur naissance, ceux-là portent avec eux quelque chose qui est beaucoup plus difficile à guérir (non pas que ce soit inguérissable : en théorie, il n’est rien qui soit inguérissable), mais cela devient plus difficile.

Bon, maintenant quelles sont les causes de ce déséquilibre, quel qu’il soit? Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, les causes sont innombrables parce que, d’abord, il y a toutes les causes intérieures, c’est-à-dire qui vous sont personnelles, et puis toutes les causes extérieures, c’est-à-dire les choses qui viennent vers vous du dehors. Cela fait déjà deux grandes catégories.

Les causes intérieures.

Nous avons dit : vous avez un cerveau, des poumons, un cœur, un estomac, un foie, etc. Si chacun remplit son devoir et marche normalement, et si tous s’accordent pour marcher au moment voulu et de la façon qu’il faut (notez que c’est très compliqué, si vous étiez obligé de penser à tout cela, j’ai bien peur que cela ne marcherait pas très bien tout le temps! heureusement, cela n’a pas besoin de notre pensée consciente), mais admettez qu’ils soient en bonne harmonie les uns avec les autres, bons amis, et qu’ils soient bien d’accord, et tout le monde remplit sa fonction, son mouvement au moment où il faut, en accord avec les autres, ni trop tôt ni trop tard, ni trop fort ni trop lent, enfin tout le monde va bien, vous vous portez merveilleusement bien! Supposez que l’un d’entre eux, pour une raison quelconque, soit de mauvaise humeur : il ne travaille pas avec l’énergie qu’il faut au moment où il faut, il fait un peu la grève. Il ne faut pas croire que ce sera seulement lui qui sera malade : tout le système va aller de travers, et alors vous vous sentirez tout à fait mal à l’aise. Et si, par malheur, il y a un déséquilibre vital, c’est-à-dire une déception ou une émotion trop violente, ou enfin une passion trop grande, ou quelque chose qui dérange votre vital, cela vient s’ajouter. Et si en plus votre pensée vagabonde et que vous commenciez à avoir des idées noires et à formuler des choses terribles et à faire des formations catastrophiques, alors là vous êtes sûr de tomber malade tout à fait... Vous voyez la complication, n’est-ce pas, une toute petite chose peut aller de travers et, comme cela, par contagion intérieure, peut amener une chose très sérieuse. Par conséquent, l’important est de contrôler immédiatement. Il faut être conscient : conscient du fonctionnement de ses organes, se rendre compte de celui qui ne se conduit pas très bien et lui dire immédiatement ce qu’il faut pour le mettre d’aplomb. Ce qu’il faut (je vous l’expliquerai plus tard), c’est leur faire la leçon comme on fait la leçon aux petits enfants. Quand ils se mettent à avoir des fantaisies malsaines (vraiment, c’est l’occasion de le dire), il faut leur dire : non, ce n’est pas comme cela qu’on fonctionne, c’est autrement! Mettez, par exemple, que votre cœur se mette à battre comme un fou; alors on le calme, on lui dit que ce n’est pas la manière d’agir, et en même temps (uniquement pour l’aider) on prend de longues respirations rythmiques très régulières, c’est-à-dire que le poumon devient le mentor du cœur et lui apprend à fonctionner convenablement. Et ainsi de suite. Je pourrais vous donner des exemples innombrables.

Bon. Nous disons donc qu’il y a déséquilibre entre les différentes parties de l’être, désaccord dans leur fonctionnement. C’est ce que je viens de vous dire. Et puis les conflits intérieurs. Cela, ce sont les querelles. Il y a des querelles intérieures entre les différentes parties de vous-même. Admettez qu’il y ait (cela arrive très souvent) un organe qui ait besoin de repos; il y en a un autre qui veut de l’activité; et les deux en même temps. Comment allez-vous vous arranger? Ils se mettent à se quereller. Si vous faites ce que l’un veut, l’autre proteste! Et alors il faut trouver le moyen terme pour les mettre d’accord. Et puis, parfois, si vous ajoutez au physique le vital et le mental (je ne dis pas le mental spéculatif ni le vital indépendant, je dis le mental et le vital du corps, parce qu’il y a un vital physique et un mental physique; il y a un mental physique, et ce mental physique est le pire de tous, c’est celui qui marche tout le temps et on a toutes les peines du monde à l’arrêter : il marche, il marche, il marche), eh bien, si, entre eux, il y a des disputes, entre le mental, le vital et le physique, vous avez un champ de bataille, et ce champ de bataille peut être la cause de toutes les maladies possibles. Ils se battent avec violence. L’un veut, l’autre ne veut pas; ils se querellent et vous êtes dans une espèce de tourbillon intérieur. Cela peut vous donner la fièvre (ça vous la donne généralement), ou bien vous êtes pris par une trépidation intérieure et vous n’avez plus de contrôle. Car la plus grande raison des maladies du corps, c’est qu’il se met à s’agiter; il a un tremblement qui augmente de plus en plus, de plus en plus, et vous sentez que vous n’arrivez plus à rétablir l’équilibre, cela vous échappe. Alors il faut, dans ces cas-là, savoir quelle est la dispute, la raison de la dispute, et trouver comment mettre les gens d’accord au-dedans de vous.

Cela, ce sont tous les dérangements, les déséquilibres fonctionnels.

Il y a d’autres déséquilibres qui font partie un peu de ce que vous disiez tout à l’heure. Vous avez au-dedans de vous une aspiration (je parle maintenant des gens qui font un yoga, ou en tout cas qui savent ce qu’est la vie spirituelle et qui essayent de marcher sur le chemin), vous avez au-dedans de vous une partie de l’être — ou dans le mental ou dans le vital, ou même quelquefois dans le physique — qui a bien compris, qui a beaucoup d’aspiration, qui a des dispositions particulières, qui reçoit bien les forces et qui fait un grand progrès. Et puis, il y en a d’autres qui ne peuvent pas, il y en a qui ne veulent pas (ça, c’est très mauvais), mais il y en a d’autres qui veulent bien mais qui ne peuvent pas, qui n’ont pas la capacité, qui ne sont pas prêtes. Alors il y a quelque chose qui monte et quelque chose qui ne bouge pas. Cela fait un déséquilibre terrible. Et généralement cela se traduit par une maladie ou une autre, parce que vous êtes dans un tel état de tension intérieure entre quelque chose qui ne peut pas, ou qui s’accroche, qui ne veut pas bouger, et quelque chose qui veut : cela produit un malaise épouvantable et il en résulte généralement une maladie.

Maintenant, il y a l’opposé, à peu près l’opposé, c’est-à-dire que tout l’être marche, progresse, avance dans un équilibre croissant et fait des progrès remarquables : vous avez le sentiment d’être dans un état merveilleusement favorable, tout va bien, n’est-ce pas, vous vous voyez déjà avancer glorieusement sur le chemin... Patatras! une maladie. Alors vous dites : « Comment! j’étais en si bonne disposition et voilà que je tombe malade! Ce n’est pas juste. » Mais c’est parce que vous n’êtes pas entièrement conscient. Il y avait une petite partie de l’être qui ne voulait pas bouger. Généralement, c’est quelque chose dans le vital ; quelquefois c’est quelque petite formation mentale qui n’accepte pas de suivre; quelquefois c’est tout simplement quelque chose dans le corps qui est très inerte, ou qui n’a pas du tout l’intention de bouger, qui veut que les choses restent comme elles sont pour toujours. Cela tire en arrière, ça se sépare volontairement et, naturellement, même si c’est tout petit, cela produit un tel déséquilibre dans l’être que vous tombez malade. Et alors vous vous dites : « C’est vraiment dommage, je marchais si bien, ce n’est pas juste! Vraiment le bon Dieu n’est pas gentil ! Quand je faisais tant de progrès, Il aurait dû m’empêcher d’être malade! » C’est comme cela.

Maintenant, il y a encore autre chose. Vous faites le yoga dans la mesure de votre capacité. On vous a dit : « Ouvrezvous, vous recevrez la Force. » On vous a dit : « Soyez dans un état de foi et de bonne volonté, et vous serez protégé. » Et en effet, vous êtes baigné dans la Conscience, baigné dans la Force, baigné dans la protection, et dans la mesure où vous avez la foi et où vous vous ouvrez, vous recevez tout cela, et cela vous aide à vous bien porter et à refuser les petits déséquilibres intérieurs, à rétablir l’ordre quand ils se produisent, à vous protéger des petites attaques ou des petits accidents qui auraient pu arriver. Mais si quelque part dans votre être — ou dans votre corps, ou encore dans votre vital ou dans votre mental, ou dans plusieurs parties, ou même dans une seule —, s’il y a une incapacité de recevoir la Force qui descend, alors cela agit comme un grain de sable dans un rouage. Vous savez, une belle machine qui marche si bien et tout va bien, vous mettez un petit peu de sable (ce n’est rien, un grain de sable), tout d’un coup, tout s’abîme et la machine s’arrête. Eh bien, un petit manque de réceptivité quelque part, quelque chose qui ne peut pas recevoir la Force, qui est complètement fermé comme ça (quand on regarde, cela devient comme un petit point noir quelque part, une petite chose dure comme une pierre : ça ne peut pas être pénétré par la Force, ça refuse de la recevoir — ou ça ne peut pas ou ça ne veut pas) et immédiatement, cela produit un grand déséquilibre; et cette chose qui montait, n’est-ce pas, qui s’épanouissait si merveilleusement, se trouve malade, et quelquefois juste quand vous étiez dans un équilibre normal : vous vous portiez bien, tout allait bien, vous n’aviez pas à vous plaindre. Un jour où vous aviez compris une idée nouvelle, vous aviez reçu une nouvelle impulsion, vous aviez une grande aspiration, et vous recevez une grande force et vous avez une merveilleuse expérience, une belle expérience qui vous ouvre des portes intérieures, qui vous donne une connaissance que vous n’aviez pas auparavant; là, vous êtes sûr que tout va aller bien... Le lendemain, vous êtes malade. Alors vous dites : « Encore ça? C’est impossible! Ça ne doit pas se produire. » Mais c’était tout simplement ce que je viens de dire : un grain de sable. Il y avait quelque chose qui ne pouvait pas recevoir : immédiatement cela produit un déséquilibre. Même tout petit, c’est suffisant, et on est malade.

Vous voyez qu’il y en a des raisons! beaucoup de raisons, d’innombrables raisons. Parce que tout cela se combine dans une complexité extraordinaire, et pour savoir, pour pouvoir guérir une maladie, il faut savoir sa cause, non pas son microbe. Parce qu’il se trouve, excusez-moi (j’espère qu’il n’y a pas de docteurs ici!), il se trouve que quand il y a des microbes, ils découvrent des remèdes magnifiques pour tuer les microbes, mais ces remèdes guérissent les uns et rendent les autres beaucoup plus malades! Personne ne sait pourquoi... Peut-être que je sais pourquoi. Parce que la maladie avait une autre cause que purement physique; il y en avait une autre, celle-là n’était qu’une expression extérieure d’un désordre différent; et à moins que vous ne le touchiez, que vous ne découvriez ce désordre-là, jamais vous ne pourrez empêcher la maladie de se produire; et pour découvrir le désordre, il faut avoir une connaissance occulte approfondie, et puis une grande connaissance de tout le fonctionnement intérieur de chacun.

Enfin, nous avons vu en très court, très rapidement, toutes les causes intérieures. Maintenant il y a des causes extérieures qui viennent compliquer.

Si vous étiez dans un milieu parfaitement harmonieux où tout soit dans une bonne volonté totale et parfaite, alors évidemment vous ne pourriez vous en prendre qu’à vous-même. Mais les difficultés qui sont dedans sont aussi dehors. Vous pouvez, dans une certaine mesure, établir un équilibre intérieur, mais vous vivez dans un entourage qui est plein de déséquilibres. À moins que vous ne vous entouriez d’une tour d’ivoire (ce qui est non seulement difficile, mais pas toujours très recommandable), vous êtes obligé de recevoir ce qui vient du dehors. Vous donnez et vous recevez; vous respirez et vous absorbez. Alors il y a un mélange qui se produit, ce qui fait que l’on peut dire que tout est contagieux, parce que vous vivez dans un état de vibrations constantes. Vous produisez vos vibrations et vous recevez aussi les vibrations des autres, et ces vibrations sont d’un ordre très complexe. Il y a encore (nous dirons pour la simplification du langage) des vibrations mentales, des vibrations vitales, des vibrations physiques, et beaucoup d’autres. Vous donnez, vous recevez; vous donnez, vous recevez. C’est un jeu perpétuel. Même en admettant qu’il n’y ait pas de mauvaise volonté, il y a nécessairement contagion. Et comme je le disais tout à l’heure, tout est contagieux — tout. Vous regardez le résultat d’un accident : vous absorbez une certaine vibration. Et si vous êtes ultra-sensitif, et que, par-dessus le marché, vous ayez peur ou que vous ayez du dégoût (c’est la même chose, le dégoût est l’expression morale d’une peur physique), l’accident peut se traduire physiquement dans votre corps. Naturellement, on vous dira que ce sont les êtres en état de déséquilibre nerveux qui ont ces réactions. Ce n’est pas tout à fait cela. Ce sont des êtres qui sont dans une espèce de supersensitivité vitale, c’est tout. Et ce n’est pas toujours une preuve d’infériorité, au contraire! Parce que, à mesure que l’on progresse spirituellement, il y a une certaine hypersensibilité des nerfs qui se produit, et si votre contrôle n’augmente pas en même temps que votre sensibilité, il peut vous arriver toutes sortes de désagréments.

Mais il n’y a pas que cela.

Il y a malheureusement beaucoup de mauvaise volonté dans le monde; et des mauvaises volontés, il y en a des petites qui proviennent de l’ignorance et de la stupidité, il y en a des grandes qui proviennent de la méchanceté, et il y en a des formidables qui sont le résultat des forces antidivines. Alors, tout cela est dans l’atmosphère (je ne vous dis pas cela pour que vous ayez peur, parce qu’il est entendu qu’on ne doit avoir peur de rien, mais c’est là tout de même) et ce sont des choses qui vous attaquent, quelquefois volontairement, quelquefois involontairement. Involontairement, c’est à travers d’autres gens : les autres sont attaqués, ils ne le savent pas, ils passent cela sans même s’en apercevoir. Ils sont les premières victimes. Les uns passent la maladie aux autres. Mais il y a des attaques volontaires. Nous parlions l’autre jour des formations mentales et des gens qui sont méchants et qui font des formations mentales pour vous faire du mal, qui les font volontairement pour faire du mal. Et alors, il y a ceux qui vont encore un pas plus loin.

Il y a une connaissance occulte dévoyée et pervertie que l’on appelle la magie noire, qui est une chose à laquelle il ne faut jamais toucher. Mais malheureusement il y a des individus qui y touchent par pure méchanceté. Et il ne faut pas croire que ce soit une illusion, une superstition : c’est une chose vraie. Il y a des gens qui savent faire de la magie et qui en font, et avec leur magie ils obtiennent des résultats tout à fait détestables... Il est bien entendu que lorsqu’on n’a pas peur, lorsqu’on reste dans la protection, on est à l’abri. Mais il y a un « lorsque », il y a une condition, et alors, si on ne la remplit pas toujours, il peut vous arriver des choses très désagréables. Tant que vous êtes dans votre état de force, de pureté — c’est-à-dire d’invincibilité —, si quelqu’un a fait quelque chose contre vous, cela lui retombe dessus automatiquement, comme lorsque vous envoyez votre balle de tennis contre le mur : elle vous revient; cela leur revient exactement de la même manière, quelquefois avec une force de plus. Et ils sont punis par là même où ils ont péché. Mais, n’est-ce pas, cela dépend de celui contre qui ils font leur magie et de sa force et de sa pureté intérieures... Ce sont des choses que j’ai rencontrées, beaucoup de cas comme cela. Et là, pour résister, il faut être comme je l’ai dit, des guerriers du vital, c’est-à-dire des guerriers spirituels dans le vital. Tous ceux qui font un yoga sincèrement doivent le devenir, et quand ils le deviennent, alors ils sont tout à fait à l’abri. Mais l’une des conditions pour le devenir, c’est de ne jamais avoir une mauvaise volonté ni une mauvaise pensée pour les autres. Parce que si vous avez un mauvais sentiment ou une mauvaise volonté ou une mauvaise pensée, vous vous mettez à leur niveau, et quand vous vous mettez à leur niveau, eh bien, vous pouvez recevoir leurs coups.

Maintenant, sans aller jusqu’à cet extrême, il y a dans l’atmosphère physique, l’atmosphère terrestre, des quantités de petites entités que vous ne voyez pas, parce que votre vision est trop limitée, mais qui bougent dans votre atmosphère. Il y en a qui sont très gentilles, il y en a qui sont très méchantes. Généralement, ces petites entités sont le produit de la désintégration des êtres vitaux — ça pullule — et celles-là font un tas de choses assez désagréables. Il y en a qui font des choses très gentilles : je crois que je vous ai raconté l’histoire des petits qui m’ont tirée par mon sari pour me dire que mon lait était en train de bouillir et qu’il fallait que j’aille voir pour qu’il ne déborde pas. Mais ils ne sont pas tous si gentils. Il y en a qui aiment faire de vilaines petites farces, de méchantes petites farces. Et alors, la plupart du temps, ils sont derrière un accident. Ils aiment les petits accidents, ils aiment tout le tourbillon de forces qui arrive quand il y a un accident : un tas de monde, n’est-ce pas, c’est très amusant! Et puis, ça leur donne de la nourriture parce que, au fond, ils se nourrissent de la vitalité humaine projetée hors du corps par les émotions, les excitations. Alors ils disent : un tout petit accident, là, bien gentil, beaucoup d’accidents!...

Et puis, s’il y a un groupe de ces mêmes petites entités, elles peuvent se cogner, parce que, entre elles, elles n’ont pas une vie très pacifique : se cogner, lutter, se détruire, se démolir, etc. Et c’est l’origine des microbes. Ce sont des forces de désintégration. Mais elles restent vivantes dans leurs formes divisées, et c’est l’origine des germes et des microbes. Par conséquent, la plupart des microbes ont derrière eux une mauvaise volonté, et c’est cela qui les rend si dangereux. Et à moins que l’on ne connaisse la qualité et le genre de cette mauvaise volonté et que l’on ne puisse agir sur elle, il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent que l’on ne puisse pas trouver le vrai et total remède. Le microbe est une expression très matérielle de quelque chose qui est vivant dans un monde physique subtil, et c’est pour cela que ces mêmes microbes (comme je l’ai dit là 15 ) qui sont toujours autour de vous, au-dedans de vous, pendant des années ne vous rendent pas malade, et puis, tout d’un coup, ils vous rendent malade.

Il y a une autre raison. C’est qu’il y a un désaccord, une réceptivité de l’être à l’égard de la force adverse qui est l’origine et le soutien des microbes... Je vais vous raconter une histoire. Je ne sais pas si je vous l’ai déjà racontée, mais je vais vous la dire maintenant, parce que cela vous donnera une illustration.

J’étais au Japon. C’était au commencement de janvier 1919, enfin c’était le moment où il y avait une grippe formidable làbas, dans tout le Japon, qui a tué des centaines de milliers de gens. C’était une de ces épidémies comme on en voit rarement. À Tokyo, tous les jours il y avait des centaines et des centaines de nouveaux cas. La maladie se présentait comme cela : elle durait trois jours, et le troisième jour on mourait. Et les gens mouraient tellement que l’on n’arrivait même pas à les brûler, n’est-ce pas, c’était impossible, il y en avait trop. Ou bien, si l’on ne mourait pas le troisième jour, au bout de sept jours on était tout à fait guéri ; un peu fatigué, mais enfin tout à fait guéri. Il y avait une panique dans la ville parce que, au Japon, il y a très rarement des épidémies; ce sont des gens très propres, très soigneux et qui ont un très bon moral. Il y a très rarement des maladies. Mais alors, c’est venu comme cela, comme une catastrophe. Il y avait une peur terrible; par exemple, on voyait les gens se promener dans la rue avec un masque sur le nez, un masque de purification pour que l’air qu’ils respiraient ne soit pas plein des microbes de la maladie. C’était une peur générale... Or, je vivais avec quelqu’un qui ne cessait de m’embêter : « Mais qu’est-ce que c’est, cette maladie? Qu’est-ce qu’il y a derrière cette maladie? » Moi, n’est-ce pas, ce que je faisais, c’était de m’envelopper simplement de ma force, ma protection, pour ne pas l’attraper, et je n’y pensais plus et je continuais à faire mon travail. Il n’y avait rien et je n’y pensais pas. Mais constamment : « Qu’est-ce que c’est? Oh ! je voudrais bien savoir ce qui est derrière cette maladie. Mais enfin, si vous me disiez ce que c’est que cette maladie, pourquoi il y a cette maladie? », etc. Un jour, j’ai été appelée à l’autre bout de la ville par une jeune femme que je connaissais et qui voulait me présenter à des amis, ou me montrer quelque chose (je ne me souviens plus très bien de quoi il s’agissait, mais enfin il fallait que je traverse toute la ville en tramway). Et j’étais dans le tramway et je voyais ces gens avec des masques sur le nez, et puis il y avait dans l’atmosphère cette peur constante, et alors il y avait cette suggestion — j’ai commencé à me demander : « Vraiment, qu’est-ce que cette maladie? Qu’est-ce qu’il y a derrière cette maladie? Quelles sont les forces qui sont dans cette maladie?... » Je suis arrivée dans cette maison, j’y ai passé une heure et j’en suis repartie. Et je suis rentrée à la maison avec une fièvre formidable. Je l’avais attrapée. Cela vous venait comme cela, sans préparation, instantanément. Les maladies, généralement les maladies de germes et de microbes, prennent quelques jours dans le système : elles arrivent, il y a une petite bataille intérieure; vous la gagnez ou vous la perdez; si vous la perdez, vous attrapez la maladie, ce n’est pas compliqué. Mais là, vous recevez une lettre, vous ouvrez l’enveloppe, hop ! poff! la minute d’après, vous avez la fièvre. Bon. Le soir j’avais une fièvre terrible. On appelle le docteur (ce n’est pas moi qui l’ai appelé), on appelle le docteur, qui me dit : « Il faut absolument que je vous donne tel remède. » C’était l’un des meilleurs remèdes contre la fièvre, il en avait un peu (toutes leurs provisions étaient épuisées, tout le monde le prenait). Il a dit : « J’en ai encore quelques paquets, je vous en donnerai. » — « Je vous en prie, ne me le donnez pas, je ne le prendrai pas. Gardez-le pour quelqu’un qui y croit et qui le prendra. » Il était tout à fait dégoûté : « Ce n’est pas la peine que je vienne ici. » Alors j’ai dit : « Peut-être que ce n’est pas la peine! » Et je suis restée dans mon lit, avec ma fièvre, violente fièvre. Tout le temps, je me demandais : « Qu’est-ce que c’est que cette maladie? Pourquoi est-ce qu’il y a cette maladie? Qu’est-ce qu’il y a derrière cette maladie?... » Vers la fin du deuxième jour j’étais couchée toute seule, quand j’ai vu clairement un être, avec une partie de la tête décapitée, avec un costume militaire (ou le restant d’un costume militaire), qui s’est approché de moi et qui s’est précipité sur ma poitrine, comme cela, avec cette demi-tête, pour absorber ma force. J’ai bien regardé, puis je me suis aperçue que j’étais en train de mourir. Il me tirait toute ma vie (parce qu’il faut vous dire que les gens mouraient de pneumonie en trois jours). J’étais absolument clouée sur mon lit, immobile, dans une transe profonde. Je ne pouvais plus bouger, et il tirait. Je pensais : maintenant, c’est fini. Alors j’ai fait appel à mon pouvoir occulte, j’ai livré une grande bataille, et je suis arrivée à le retourner pour qu’il ne puisse plus rester là. Et je me suis réveillée.

Mais j’avais vu. Et j’avais appris, j’avais compris que la maladie provenait d’êtres qui avaient été projetés hors de leur corps.

J’avais vu cela pendant la première guerre, à la fin de la première guerre, quand les gens vivaient dans les tranchées et qu’ils étaient tués par bombardement. Ils étaient tout à fait en bonne santé, tout à fait bien, et en une seconde, ils étaient projetés hors de leur corps, inconscients qu’ils étaient morts. Ils ne savaient pas qu’ils n’avaient plus de corps et ils essayaient de trouver chez d’autres la vie qu’ils ne pouvaient plus trouver en eux-mêmes. C’est-à-dire qu’ils étaient transformés en une quantité innombrable de vampires. Et ils vampirisaient les gens. Et puis, avec cela, il se produisait une décomposition des forces vitales de ceux qui tombaient malades et qui mouraient. On vivait dans une espèce de nuage gluant et opaque constitué de tout cela. Et alors, ceux qui absorbaient ce nuage, ils tombaient malades et ils guérissaient généralement, mais ceux qui étaient attaqués par un être comme cela, immanquablement ils mouraient, ils ne pouvaient pas résister. Je sais ce qu’il m’a fallu de connaissance et de puissance pour résister. C’était irrésistible. C’est-à-dire que s’ils étaient attaqués par un être qui était un centre de ce tourbillon de forces mauvaises, ils mouraient. Et il devait y en avoir beaucoup, un grand nombre. J’ai vu tout cela, j’ai compris.

Quand on est venu me trouver, j’ai demandé qu’on me laisse seule, je suis restée tranquillement dans mon lit et j’ai passé deux, trois jours absolument tranquille, en concentration, avec ma conscience. Après cela, il y a notre ami (un Japonais très bon ami) qui est venu et qui m’a parlé : « Ah! vous avez été malade? Alors, ce que je pensais était vrai... Figurez-vous que depuis deux ou trois jours, il n’y a plus un nouveau cas de maladie dans la ville, et la plupart des gens qui étaient malades sont guéris, et le nombre des morts est devenu presque négligeable, et maintenant c’est tout à fait fini. On a maîtrisé toute la maladie. » Alors j’ai raconté ce qui m’était arrivé, et il est allé le raconter à tout le monde. On a même publié des articles dans les journaux.

Eh bien, la conscience, n’est-ce pas, c’est plus efficace que les cachets des médecins!... L’état était critique. Figurez-vous qu’il y avait des villages entiers où tous les gens sont morts. Il y avait un village au Japon, pas très grand, mais enfin plus d’une centaine de gens, et il se trouvait par un hasard extraordinaire que l’un des habitants du village devait recevoir une lettre — le facteur n’y allait que quand il y avait des lettres (naturellement c’était un village loin dans la campagne). Alors il est allé dans la campagne; il y avait de la neige, tout le village était sous la neige... et il n’y avait plus un être vivant! C’était cela. C’était un genre d’épidémie comme cela. Et Tokyo était comme cela ; mais Tokyo était une grande ville, alors les choses ne se passaient pas de la même manière. Et c’est comme cela que l’épidémie s’est terminée. Voilà mon histoire.

Maintenant, ceci nous amène tout naturellement au remède. Tout cela est très bien, nous avons maintenant la connaissance; alors comment empêcher les maladies de se produire, d’abord, et quand la maladie se produit, comment la guérir?

On peut essayer les moyens ordinaires, et parfois cela réussit. C’est généralement quand le corps est convaincu qu’on lui a donné les conditions dans lesquelles il doit bien se porter : il a pris la résolution de bien se porter et il guérit. Mais si votre corps n’a pas la volonté, la résolution de guérir, vous pouvez essayer tout ce que vous voulez, il ne guérira pas. Cela aussi, je le sais par expérience. Parce que j’ai connu des gens que l’on guérissait en cinq minutes, même d’une chose considérée comme très sérieuse, et j’ai connu des gens qui n’avaient pas de maladie mortelle, mais qui la gardaient avec tant de persistance qu’elle devenait mortelle. Il était impossible de convaincre leur corps de laisser partir la maladie.

Et c’est là où il faut être très soigneux et se regarder avec beaucoup de discernement pour découvrir en soi la petite partie qui... comment dire... prend plaisir à être malade. Oh ! il y a beaucoup de raisons. Il y a des gens qui sont malades par dépit, il y a des gens qui sont malades par rancune, il y a des gens qui sont malades par désespoir, il y a des gens... Et ce ne sont pas des mouvements formidables : un tout petit mouvement dans l’être; on est vexé, on dit : « On verra bien ce qui va arriver, on verra la conséquence de ce qu’il m’a fait! Qu’elle arrive! Je vais être malade. » On ne se le dit pas ouvertement parce que l’on se gronderait, mais il y a quelque chose, quelque part, qui pense comme cela.

Alors il y a deux choses à faire quand vous avez découvert le désordre, petit ou grand, la désharmonie. D’abord, nous avons dit que cette désharmonie crée une sorte de trépidation et un manque de paix dans l’être physique, dans le corps. C’est une sorte de fièvre. Même si la fièvre n’est pas générale, il y a des petites fièvres locales, il y a des gens qui ont de l’agitation. Donc, la première chose à faire est de se pacifier, d’apporter la paix, la tranquillité, la détente, dans une confiance totale, dans ce petit coin (pas nécessairement dans tout le corps). Après cela, vous voyez quelle est la cause du désordre. Vous voyez. Il y en a beaucoup, mais enfin, vous tâchez de trouver approximativement la cause de ce désordre et, par une pression de lumière, de connaissance, de force spirituelle, vous rétablissez cette harmonie, ce bon fonctionnement. Et si la partie malade est réceptive, si elle n’offre pas une résistance obstinée, vous pouvez guérir en quelques secondes.

Ce n’est pas toujours le cas. Il y a quelquefois, comme je l’ai dit, une mauvaise volonté : on est plus ou moins en grève, enfin on veut que la maladie ait des conséquences. Alors, cela prend un peu plus longtemps. Mais enfin, si l’on n’est pas d’une mauvaise volonté notoire, au bout d’un certain temps la Force agit : quelques minutes, ou quelques heures ou au plus quelques jours, et puis on guérit.

Maintenant, dans le cas spécial des attaques de forces adverses, la chose se complique, parce que vous n’avez pas affaire seulement à la volonté corporelle (notez que je n’accepte pas l’argument de ceux qui me disent : « Mais moi, je ne veux pas être malade! » parce que votre conscience dit toujours qu’elle ne veut pas être malade, il faut être à demi fou pour dire « je veux être malade », mais ce n’est pas votre conscience qui veut être malade, c’est quelque partie de votre corps, ou tout au plus un fragment du vital qui s’est mis de travers et qui veut être malade, et à moins que vous n’observiez avec beaucoup d’attention, vous ne vous en apercevez pas). Mais je dis que la situation se complique si, derrière, il y a une attaque et une pression des forces adverses qui vous veulent vraiment du mal. Vous pouvez avoir ouvert la porte par une erreur spirituelle : par un mouvement de vanité, un mouvement de colère, un mouvement de rancune, un mouvement de violence; même si ce n’est qu’un mouvement qui va et qui vient, cela peut ouvrir la porte. Il y a toujours des germes qui guettent là et qui n’attendent qu’une occasion ; c’est pour cela qu’il faut être très soigneux. Mais enfin, pour une raison quelconque, l’influence a pénétré la carapace de protection et elle agit là pour encourager la maladie à devenir aussi mauvaise qu’elle peut être. Alors le premier moyen n’est pas tout à fait suffisant. Dans ce cas-là, il faut y ajouter une chose : il faut y ajouter la Force de purification spirituelle, qui est une force tellement, absolument, parfaitement constructive que tout ce qui est destructif le moins du monde ne peut pas y subsister. Si vous avez cette Force à votre disposition, ou si vous pouvez la demander et l’obtenir, vous la mettez sur l’endroit, et la force adverse généralement s’enfuit immédiatement, parce que si elle se trouve dans cette Force, elle se dissout, elle disparaît; parce que toute force de désintégration ne peut pas subsister dans cette Force; par conséquent, la désintégration disparaissant, elle disparaît. Elle peut être changée en une force constructive, c’est possible, ou elle peut être simplement dissoute et réduite à néant. Et avec cela, non seulement la maladie est guérie, mais la possibilité du retour de la maladie est éliminée. Vous êtes guéri de la maladie une fois pour toutes, elle ne revient plus. Voilà.

Maintenant, tout cela est vu en gros; les détails, on pourrait écrire des livres. Je vous ai seulement donné les explications générales.

D’après les causes que tu nous as dites, on devrait être toujours malade!

Mais dans la vie ordinaire, la plupart du temps, les gens sont presque toujours malades! excepté quelques-uns qui échappent, pour des raisons d’un ordre différent que nous expliquerons un jour. Il y a peu de gens qui ne soient pas plus ou moins malades tout le temps. Mais même dans la vie ordinaire, si vous avez audedans de vous une confiance, une bonne volonté, une sorte de certitude, cette espèce de confiance qu’il y a dedans, oh! comme chez la majorité des enfants peut-être (je ne sais pas, parce que, après tout, ceux que l’on voit ici sont assez exceptionnels), mais enfin, il y a une confiance dans la vie, ils sont petits et ils ont l’impression qu’ils ont toute la vie en face d’eux ; il y a très peu de choses derrière, tout est en avant. Alors, cela leur donne une sorte de confiance, ça les tire d’affaire.

Autrement, je ne sais pas, dans la vie ordinaire j’ai connu peu de gens qui ne se plaignaient pas d’avoir au moins un petit désagrément physique qu’ils portaient toujours avec eux... Vous connaissez probablement cette pièce de théâtre de Jules Romains, Le Docteur Knock, où il dit qu’un homme bien portant est un malade qui s’ignore. C’est généralement vrai. Quand on est suffisamment occupé pour ne pas s’occuper tout le temps de soi-même, on ne s’en aperçoit pas, mais c’est là.

Le 29 juillet 1953

Douce Mère, tu nous as dit, un jour, que tout ce qui nous arrive était décidé d’avance. Qu’est ce que c’est?

C’est une façon de parler. C’est parce que, pour exprimer quelque chose, je ne peux pas dire tous les mots en même temps, n’est-ce pas, je suis obligée de les dire l’un après l’autre. Autrement, si l’on disait tous les mots en même temps, cela ferait un grand bruit et personne ne comprendrait rien! Eh bien, quand on essaye d’expliquer l’univers, on fait comme on fait quand on parle : on dit une chose après l’autre. Mais pour dire la vérité, il faudrait dire tout d’un seul coup. Alors comment faire?... N’est-ce pas, puisque tu me le répètes, il est probable que j’ai dû dire cela quelque part... j’ai dû dire aussi le contraire! Mais si tu dis comme cela, que tout ce qui arrive était décidé à l’avance, alors toi, dans ta conscience du temps comme tu l’as, c’est comme si tu disais : hier, on a décidé ce qui allait arriver aujourd’hui; cette année-ci on décide ce qui arrivera l’année prochaine. C’est comme cela que cela se traduit dans ta conscience — naturellement, parce que c’est comme cela que nous voyons, que nous pensons, que nous comprenons et surtout que nous parlons, que nous nous exprimons. Mais ce n’est pas comme cela !

Certains ont perçu cette irréalité d’une façon si forte qu’ils ont senti qu’il n’y avait pas de raison qu’ils ne puissent pas aller en arrière au lieu d’aller en avant, parce que l’arrière, l’avant, le présent, tout ce que nous exprimons de cette façon, c’est tout en même temps! C’est dans des plans différents. Si je te dis : « Ce qui t’arrive était décidé d’avance », je pourrais dire aussi : « Ce qui arrive ici était déjà arrivé ailleurs », ce serait aussi vrai, et aussi faux, parce que c’est impossible à exprimer avec des mots.

Je vais vous donner un exemple qui vous fera peut-être comprendre. Je ne sais plus exactement quand c’était; ce devait être quelque part dans l’année 1920 probablement (peut-être avant, peut-être en 1914-15, mais je ne crois pas, c’était quelque part en l’année 1920). Un jour... Tous les jours je méditais avec Sri Aurobindo : il était assis d’un côté d’une table et moi j’étais assise de l’autre côté, dans la véranda — et un jour comme cela, en méditation, je suis entrée... comment dire... je suis allée très haut, entrée très profondément, ou sortie de moi-même (très bien, dis comme tu veux, tout cela ne veut pas dire ce qui est arrivé, mais ce sont des façons de dire), je suis arrivée dans un endroit, ou dans un état de conscience, où j’ai dit à Sri Aurobindo, comme cela, très simplement : « L’Inde est libre. » C’était en 1920. Alors il m’a posé une question : « Comment? » Et je lui ai répondu : « Sans lutte, sans bataille, sans révolution : ce sont les Anglais eux-mêmes qui partiront parce que l’état du monde sera tel qu’ils ne pourront rien faire d’autre que de s’en aller. »

C’était fait. Je lui ai dit au futur quand il m’a posé la question, mais là où j’avais vu, j’ai dit l’Inde est libre, c’était un fait. Or, l’Inde n’était pas libre à ce moment-là : c’était en 1920. Pourtant c’était là, c’était fait. Et c’est arrivé en 1947. C’est-àdire que je l’ai vu du point de vue physique extérieur vingt-sept années en avant. Mais c’était fait.

As-tu pu voir le Pakistan?

Non, parce que la libération aurait pu se faire sans Pakistan. Justement, si l’on avait écouté Sri Aurobindo, il n’y aurait pas eu de Pakistan.

Eh bien, extérieurement cela a l’air de prendre du temps, mais en fait, c’est comme cela.

Douce Mère, si tu vois quelque catastrophe qui arrive, est ce que tu peux la changer par un effort?

Cela dépend de la nature de l’événement. Il y a beaucoup de choses... Cela dépend aussi du plan où l’on voit. Il existe un plan où il y a toutes les possibilités, et dans ce plan-là, comme il y a toutes les possibilités, il y a aussi la possibilité de changer ces possibilités. Et si l’on voit dans ce plan-là une catastrophe, on peut aussi avoir le pouvoir de l’empêcher. Dans d’autres cas on est prévenu, et cependant on n’a aucune action sur l’événement. Et encore là, cela dépend du plan dans lequel on voit.

Il m’a été rapporté l’histoire d’un cas comme cela, où de voir empêche la chose d’arriver. Il y avait un monsieur américain qui était descendu dans l’un des grands hôtels d’Amérique où il y a des lifts, des ascenseurs (on ne descend pas l’escalier, on prend l’ascenseur pour monter ou pour descendre), et alors, il avait eu de bonne heure le matin, avant de se réveiller, un rêve dont il se souvenait bien, et il avait vu un garçon habillé comme le garçon de l’ascenseur, et qui faisait le même geste que le garçon de l’ascenseur pour vous faire signe de monter. Il était là. Et alors, au bout du geste, au lieu d’un ascenseur, il y avait un corbillard! c’est-à-dire cette espèce de voiture... oh! vous avez pu en voir ici de temps en temps, il y en a pour transporter les morts au cimetière : quand on ne les brûle pas, on les transporte avec un catafalque et des étoffes noires, etc. Alors, il y avait comme cela une voiture, un corbillard pour transporter les morts. Et le garçon lui faisait signe de monter dans la voiture. Quand il est sorti de sa chambre, le garçon était là avec l’ascenseur pour le faire descendre : exactement le même garçon, la même figure, le même costume, le même geste. Il s’est souvenu du corbillard — il n’est pas monté dans l’ascenseur. Il a dit : « Non, non! » et il est descendu à pied. Et avant qu’il ne soit arrivé en bas, il a entendu un bruit terrible et l’ascenseur s’était écrasé par terre et tous les gens qui étaient dedans étaient morts. Et c’était à cause de ce rêve qu’il n’était pas monté, parce qu’il avait compris.

Par conséquent, dans ce cas-là, quand on a une vision, on peut empêcher la catastrophe.

Il y a d’autres cas, comme je l’ai dit, où l’on est simplement prévenu. On est prévenu. Au fond, c’est pour que vous vous prépariez intérieurement à ce qui doit arriver, que vous preniez l’attitude intérieure convenable pour faire face à l’événement. C’est comme une leçon pour vous dire : « Ça doit vous apprendre cela. » On ne peut pas changer la chose, mais on change son attitude et sa réaction intérieure : au lieu d’avoir une mauvaise réaction, une mauvaise attitude vis-à-vis de l’expérience qui se produit, on a la bonne, et on tire autant de profit que possible de ce qui est arrivé.

Dans les deux cas, cela dépend absolument du plan dans lequel on voit. Quand on a le contrôle de ses nuits et que l’on est conscient de son sommeil et de ses rêves, ou bien de ses visions, on voit aussi la différence entre les deux cas; on peut déterminer la différence : ce qui vous est donné comme un avis pour que vous interveniez, et ce qui vous est donné comme un avis pour que vous preniez l’attitude convenable vis-à-vis de ce qui va arriver. C’est toujours une leçon, mais ce n’est pas toujours la même leçon. Parfois, on peut agir avec sa volonté; parfois, on doit apprendre la leçon intérieure que cet événement va vous donner, de façon à être prêt pour que l’événement ait sa pleine conséquence favorable. C’est la même chose pour tout ce que l’on voit, il y a des centaines de genres de visions et de rêves différents, et chacun vous apporte la leçon qu’il doit vous apporter.

Par exemple, quand les gens sont malades, ou qu’il leur arrive quelque accident : eh bien, que je le voie moi-même ou que je sois prévenue extérieurement parce qu’on me le dit, pour tous les cas, ce n’est pas la même chose. Il y a des cas où, quand je suis prévenue, je vois que c’est pour intervenir et que j’ai le plein pouvoir de changer le résultat, c’est-à-dire de guérir la personne qui est malade. Il y a d’autres cas où je vois qu’il n’y a pas à intervenir. Par exemple, c’est le moment où cette personne doit quitter son corps : elle quittera son corps. Mais il faut que, sachant cela, je fasse pour cette personne et pour son entourage ce qu’il faut pour que l’événement ait son maximum d’effet bienfaisant ou le minimum d’effet malfaisant — cela dépend des circonstances.

Il y a des événements qui appartiennent à une nécessité universelle et que l’on ne peut pas changer. Il y a des événements qui sont encore dans la balance et qui peuvent être décidés d’un côté ou de l’autre. Le tout est d’avoir la perception, non seulement clairvoyante, mais il faut aussi qu’elle soit tout à fait impartiale et impersonnelle, qu’il n’y ait pas même l’ombre de préférence. Alors, quand vous êtes dans cet état parfait — on ne peut pas dire de neutralité, ce n’est pas de la neutralité : c’est un état de conscience qui est immobile comme un miroir —, alors on voit là-dedans la qualité de ce qui arrive, on peut voir les choses qui sont décidées en sorte qu’elles ne peuvent pas changer, et les choses qui sont encore dans la balance et que l’on peut changer.

À dire vrai, pour chaque événement, la situation est différente. Il y en a qui peuvent changer du tout au tout, se renverser comme cela ; il y en a qui peuvent subir un changement assez considérable; il y en a qui peuvent subir une petite différence — une petite différence qui a une conséquence considérable; il y en a qui sont inéluctables : ils sont comme cela, ils sont comme cela ; si l’on essayait d’aller contre, on se casserait la tête contre un mur; cela ne servirait à rien du tout. Le tout est d’avoir cette perspicacité, de savoir à quel domaine l’événement appartient, de ne pas vouloir autre chose que ce qui doit être.

Je pourrais vous donner des centaines d’exemples de cas différents.

Une chose apparaît comme étant complètement déterminée : ça va être comme cela. Mais on a au-dedans de soi une volonté qui se lève, une flamme qui s’allume, une grande aspiration qui est d’accord avec une Volonté plus haute, et on impose cela à l’événement. Et alors, il y a une sorte de combinaison qui se produit : la chose qui devait être sera, mais avec une autre chose qui vient en même temps et qui change la nature de la première. Pour les événements d’une importance terrestre, cela arrive très souvent. Par exemple, quand tout un ensemble de mouvements, de circonstances, de combinaisons de forces, amène la nécessité absolue d’une guerre, on peut, en faisant appel à une autre force, changer l’étendue, les conséquences, et quelquefois même la nature de la guerre, mais on ne peut pas empêcher la guerre. Je pourrais vous donner des exemples comme cela, d’un ordre très général.

Je vous ai dit l’autre jour, à propos du génie de la mort, ce que l’on pouvait faire pour empêcher la Mort d’aller chez une personne, par une action intérieure. Mais alors elle s’en va chez une autre. Vous ne pouvez pas la priver du mort auquel elle avait droit. Je vous ai expliqué cela. Il y a d’autres cas où l’on pourrait dire d’une façon un peu enfantine : « La Mort n’était pas encore prévenue », et alors on peut lui enlever son butin, sans conséquences. Mais cela n’arrive pas toujours. Il y a des cas où l’on fait comme cela. Mais dit de cette façon-là, ça a l’air d’un enfantillage de conte de fées. Pourtant, cela correspond à quelque chose dans l’ensemble des circonstances, cela dépend de la façon dont les circonstances se meuvent.

Ce que je voudrais vous faire comprendre, c’est que le problème est extrêmement compliqué et subtil, et que, parfois, on peut faire changer un peu la direction du mouvement; d’autres fois, on peut renverser le mouvement; d’autres fois, on ne peut que changer les conséquences et les attitudes intérieures à l’égard de ce mouvement. Et naturellement, les gens voient toutes ces choses d’une façon très simpliste et ils traduisent cela par leur prière à Dieu; ils disent dans un cas : « Dieu m’a donné ce que je lui ai demandé », dans l’autre cas : « Il m’a refusé. » Et puis voilà, un point c’est tout. C’est comme cela qu’ils comprennent, et cela, c’est une ânerie seulement. Pour savoir comment ça se passe, il faut avoir une conscience générale, collective, au moins terrestre. C’est le minimum. Pour comprendre vraiment bien, il faut avoir une conscience universelle. Alors on peut se rendre compte. Parce que... j’ai dit cela quelque part aujourd’hui dans ce que j’ai lu; j’ai dit que toutes les choses étaient interdépendantes et qu’il n’y avait pas un « commencement » ni une « fin ». Où mettez-vous le commencement 16 ?... Pour comprendre cela, il faut dépasser la conscience terrestre, il faut entrer dans une conscience universelle. Alors on peut comprendre.

Mais nous sommes obligés — je répète ce que j’ai dit au commencement —, nous sommes obligés de dire les choses l’une après l’autre. Nous disons : « Quand l’univers a commencé... Quand la création a commencé... Elle commence comme cela... Ceci s’est produit et puis cela s’est produit, et puis ça c’est arrivé et puis ça c’est arrivé... » Nous disons une chose après l’autre, et à dire la vérité ce n’est pas du tout comme cela ! À un certain point de vue, c’est une sottise, mais nous ne pouvons pas faire autrement. Je ne peux pas dire tous les mots en même temps. Alors c’est notre état de conscience, et les moyens dont nous disposons pour nous exprimer, qui nous font dire des choses qui, au point de vue de la connaissance absolue, sont des sottises. Mais c’est une approximation. Notre sottise est une approximation et devient moins sotte quand nous nous rendons compte que c’est seulement parce que nous ne pouvons pas nous exprimer autrement. Nous sommes obligés de dire les choses l’une après l’autre, mais elles sont d’un seul coup.

Et pour la plupart des gens, ce n’est pas seulement une question de dire, mais c’est une question de connaître — ils ne savent qu’une chose après l’autre —, les sentir encore plus et les vivre encore plus. Mais il y a une conscience où l’on sait tout en même temps, où l’on comprend tout en même temps, on peut exprimer tout en même temps, et on peut vivre tout en même temps. Mais comment faire? Ici ce n’est pas comme cela !

Et alors, n’est-ce pas, ce que l’on essaye de faire, c’est de rapprocher les deux consciences autant que l’on peut, de façon que tout en vivant extérieurement de la façon dont nous sommes obligés de vivre (parce que le monde physique est comme cela et que notre conscience physique est comme cela), qu’en même temps nous puissions joindre l’autre Conscience si près que tout en faisant les choses selon la loi matérielle et de la façon matérielle, nous ne perdions pas de vue dans notre conscience que c’est seulement une approximation, une traduction, et que ce n’est pas la Chose elle-même.

Douce Mère, je ne comprends pas la question posée ici [au début de l’Entretien du 26 mai 1929] : « Si notre volonté n’est que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle, quelle place reste-t-il à l’initiative indivi duelle? L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? N’a-t-il aucun pouvoir de création? »

(Entretien du 26 mai 1929)

Ah! moi non plus. Quand on me posait de ces questions-là, j’avais toutes les peines du monde à répondre, parce qu’elles sortaient tout à fait de ma compréhension des choses. Ici, justement, quand j’ai lu la question, j’avais envie de vous dire : « Je regrette beaucoup, mais la personne qui a posé cette question avait une pensée et une conscience terriblement confuses et elle mélangeait tout. » Parce que trois choses sont mélangées ici.

D’abord, je ne sais pas qui lui avait dit que notre volonté n’était que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle... Peut-être avais-je dit quelque part auparavant qu’il n’y avait qu’une Volonté et qu’elle se traduisait, ou plutôt se déformait dans la conscience individuelle, et que l’on prenait cette volonté pour sa volonté propre. J’ai dû dire quelque chose comme cela, que notre volonté devient vraiment une volonté propre par le fait qu’elle se sépare de la Volonté universelle initiale, et qu’elle est tellement déformée qu’elle ne lui ressemble plus du tout. Alors ce doit être cela qui a travaillé dans sa tête et elle a demandé si notre volonté n’était que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle.

Quelle place reste-t-il à l’initiative individuelle?... C’està-dire, qu’est-ce que l’individu peut faire? Peut-il dire : « C’est moi qui ai décidé, moi, j’ai décidé ça »? Puis la seconde question — alors là, je ne comprends pas du tout : « L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? »... Qu’est-ce que cela veut dire? Je ne comprends pas très bien ce qu’elle voulait dire. Un instrument pour enregistrer? Un gramophone, probablement, oui, pour enregistrer les mouvements universels... Il y a très peu d’individus qui soient capables d’enregistrer les mouvements universels, pour commencer. Généralement, ils n’enregistrent que les mouvements de leur petit milieu, d’eux-mêmes et ce qui les entoure. Et alors, une troisième idée qui vient s’ajouter : « N’a-t-il aucun pouvoir de création? » C’est encore quelque chose d’autre. Mais j’ai répondu (peut-être à ce moment-là comprenais-je mieux que maintenant ce qu’elle voulait dire!), j’ai répondu, parce que je parle des trois choses dans la suite du texte. J’ai dit que c’est seulement si l’individu remonte dans sa conscience jusqu’à la plus grande Conscience qui est l’origine de toute chose, où est l’origine de toute chose, qu’il peut devenir un créateur. C’est-à-dire que s’il s’identifie à la Conscience créatrice, il est naturellement, il devient la Conscience créatrice. S’il s’identifie, il s’identifie 17 .

Alors, qu’est-ce qui te tracassait dans la question? Qu’est-ce que tu ne comprenais pas?

Toute la question.

Toute la question? Et voilà, maintenant tu comprends?... Pas bien? Je t’ai dit que tu ne comprenais pas parce que c’était mélangé; en une question, trois idées différentes sont mises. Alors naturellement cela fait une confusion. Mais prises séparément, elles sont ce que je viens d’expliquer, très probablement; c’est-à-dire que l’on a cette conscience tout à fait ignorante et oblitérée et que l’on est convaincu qu’on est la cause et l’effet, l’origine et le résultat de soi-même, et séparé de tous les autres, séparé avec un pouvoir limité d’agir sur les autres et une capacité un peu plus grande d’être mis en mouvement par les autres ou de réagir à l’influence des autres. C’est comme cela que l’on pense d’habitude — quelque chose comme cela, non? Comment est-ce que tu sens, toi? Quel effet te fais-tu à toi-même? Et toi? Toi?...

Vous n’avez jamais réfléchi à cela ? Vous ne vous êtes jamais regardés pour voir quel effet vous vous faites à vous-mêmes? Pas réfléchi? Non? Comment tu te sens?... Personne ne me le dira ? Toi, dis-moi cela. Jamais essayé de comprendre comment vous vous sentez? Si? Non? Comme c’est drôle! Jamais tâché de comprendre comment se produisent, par exemple, les décisions en vous, d’où cela vient? Qu’est-ce qui vous fait décider une chose plutôt qu’une autre? Et quel est le rapport entre vos décisions et vos actions? Et dans quelle mesure vous avez une liberté de choix entre une chose et une autre? Et dans quelle mesure vous sentez que vous pouvez, que vous avez le choix de faire ceci ou cela, ou cela, ou rien du tout?... Tu avais réfléchi à cela ? Oui? Quelqu’un y a-t-il réfléchi parmi les élèves? Non? Personne ne s’est posé cette question? Toi? Toi?...

Même si l’on pense, peut-être que l’on ne pourra pas répondre!

On ne peut pas expliquer?

Non.

C’est difficile d’expliquer? Simplement cette petite chose-là, de voir à quel endroit dans la conscience les volontés qui viennent du dehors se rencontrent avec votre volonté (que vous appelez vôtre, qui vient du dedans), à quel endroit les deux se joignent et dans quelle mesure celle du dehors réagit sur celle du dedans et celle du dedans réagit sur celle du dehors? Vous n’avez jamais essayé de trouver cela ? Cela ne vous a jamais paru insupportable qu’il y ait des volontés du dehors qui puissent avoir une action sur la vôtre? Non?

Je ne sais pas.

Oh! je pose des problèmes très difficiles! Mais mes enfants, cela me préoccupait quand j’avais cinq ans!... Alors je pensais que cela vous avait préoccupés depuis longtemps.

En soi-même, on a des volontés contradictoires.

Oui, beaucoup. Ça, c’est l’une des premières découvertes. Il y a une partie qui veut comme cela ; et puis à un autre moment, on veut comme cela ; et puis à un troisième moment, on veut encore autre chose! Et puis, il y a même cela : une chose qui veut et l’autre qui dit non. Hein? Mais c’est cela qu’il faut trouver si l’on veut le moins du monde s’organiser soi-même! Pourquoi ne pas se mettre sur un écran, comme le cinéma, et puis se regarder bouger? Comme c’est intéressant!

C’est le premier pas.

On se projette sur un écran, et puis on observe et on voit tout ce qui bouge comme cela, et comment ça bouge et qu’est-ce qui arrive. On fait un petit schéma, alors cela devient très intéressant. Et puis, au bout d’un certain temps, quand on est bien habitué à voir, on peut faire un pas de plus et prendre une décision. Ou alors, un pas encore plus grand : on fait une organisation — arranger, prendre tout cela, mettre chaque chose à sa place, organiser de telle façon que l’on commence à avoir un mouvement rectiligne qui ait un sens intérieur. Et alors, on devient conscient de son orientation et on peut dire : « Très bien, ce sera comme cela. Ma vie se développera comme cela, parce que c’est la logique de mon être. Maintenant, j’ai arrangé tout cela au-dedans de moi, chaque chose a été mise à sa place, et alors, tout naturellement, il y a une orientation centrale qui se forme. Je suis cette orientation. Et un pas de plus et je sais ce qui m’arrivera, parce que c’est moi-même qui le décide... » Je ne sais pas, je vous dis cela, moi, cela m’a paru formidablement intéressant, la chose du monde la plus intéressante. Il n’y avait rien, il n’y avait pas de chose qui m’intéressait plus que cela.

Il m’est arrivé... J’avais cinq ans ou six ans, sept ans (à sept ans, c’était devenu très sérieux), et j’avais un père qui aimait le cirque et qui venait me dire : « Viens avec moi, je vais au cirque dimanche. » Je disais : « Non, je fais quelque chose de beaucoup plus intéressant que d’aller au cirque. » Ou alors, des petits amis m’invitaient à aller à une réunion où l’on devait jouer ensemble, s’amuser ensemble : « Non, je m’amuse beaucoup plus... » Et c’était tout à fait sincère. Ce n’était pas une pose : pour moi, c’était comme cela, c’était vrai. Il n’y avait rien au monde de plus amusant que cela.

Et je suis si convaincue que n’importe qui le ferait de cette façon, avec cette sorte de fraîcheur, de sincérité, il arriverait à des résultats passionnants... Mettre tout cela sur un écran en face de soi et regarder ce qui se passe. Et le premier pas, c’est de savoir tout ce qui se passe, et puis il ne faut pas essayer de fermer les yeux quand quelque chose ne vous paraît pas joli! Il faut les ouvrir tout grands et mettre chaque chose comme cela, devant l’écran. Alors c’est une découverte tout à fait intéressante. Et puis le pas suivant, c’est de commencer à dire : « Puisque tout cela se passe au-dedans de moi, pourquoi ne mettrais-je pas cela comme ça, et puis cela comme ça, et puis cela comme ça, et ne ferais-je pas une chose logique, qui ait un sens? Pourquoi ne déplacerais-je pas cela qui vient obstruer le chemin, ces volontés opposées? Pourquoi? Et qu’est-ce que cela représente dans l’être? Pourquoi est-ce que c’est là ? Si c’était mis là, est-ce que cela n’aiderait pas au lieu de nuire? » Et ainsi de suite.

Et petit à petit, petit à petit, on voit clair, et puis on voit pourquoi on est construit comme cela, quelle est la chose que l’on a à faire — celle pour laquelle on est né. Et alors, tout naturellement, puisque tout s’organise pour que cette chose arrive, le chemin devient tout droit, et on peut d’avance dire : c’est comme cela que ce sera. Et quand les choses viennent du dehors pour essayer de déranger tout cela, on devient capable de dire : « Non, cela j’accepte, parce que ça aide; cela je refuse, parce que ça nuit. » Et puis au bout de quelques années, on se tient comme on tient un cheval en bride : on fait ce que l’on veut, comme l’on veut et on va où l’on veut.

Il me semble que cela vaut la peine. Je crois que c’est la chose la plus intéressante.

Douce Mère, quel est ce petit écran?

Cet écran? C’est la conscience psychique.

Et ce jeu 18 ?

Jeu? C’est le jeu de la conscience centrale. C’est justement la conscience qui est à l’origine de l’être psychique. Et alors là, il n’y a qu’un tout petit pas à faire pour se rendre compte comment cette conscience psychique doit refléter et traduire la Conscience unique suprême. Et c’est fini. Ce dernier pas-là devient très facile.

Mais c’est le secret qu’on découvre à la fin. Et quand on le découvre, il n’y a plus de bataille, parce qu’on a déjà fait la bataille avant, on a tout arrangé; alors c’est d’un seul mouvement et d’une façon aussi simple, aussi naturelle, aussi droite que possible que l’événement se produit, sans réaction.

Je pense que c’est cela que les sages du passé voulaient dire quand ils disaient : « Connais-toi toi-même. » Ce n’est pas autre chose. Mais alors, au lieu d’aller là-dedans comme avec un bandeau sur les yeux et de se cogner le nez, ou le front, sur quelque chose de dur pour savoir que c’est dur, ou que c’est un mur, ou que c’est une porte fermée, ou que c’est une obstruction, ou que c’est une mauvaise volonté, au lieu de cela, on n’a pas besoin d’années d’expériences et de toutes sortes d’infortunes et de circonstances plus ou moins désagréables pour apprendre à se connaître soi-même : on fait le travail tranquillement, comme cela.

Quand j’ai fait cela, il n’y avait pas de cinéma, alors je ne pouvais pas comparer ce que je faisais à un cinéma — il n’y en avait pas encore —, mais c’est exactement projeter sur l’écran ce qui est au-dedans, l’objectiver. Et un écran qui est bien blanc, bien droit, qui ne déforme pas. Si l’écran n’était pas très droit et pas très blanc, votre image serait toute brouillée, vous ne pourriez plus rien voir. Eh bien, c’est la même chose. Il faut que l’écran soit bien blanc, bien droit, bien net, bien pur. Alors on voit les choses comme elles sont.

Il faut beaucoup de sincérité, un peu de courage, de la persévérance, et puis une sorte de curiosité d’esprit, n’est-ce pas, curieux, qui cherche à savoir, qui est intéressé, qui aime à apprendre. Aimer à apprendre. Cela, il faut l’avoir dans sa nature. Ne pas pouvoir tolérer d’être en face de quelque chose qui est gris, tout brouillé et dans lequel on ne voit pas clair et qui vous donne une impression tout à fait désagréable parce que vous ne savez pas où vous commencez ni où vous finissez, ce qui est vôtre, ce qui n’est pas vôtre, et ce qui se décide, ce qui ne se décide pas — quelle est cette espèce de bouillie que vous appelez vous-même où les choses s’enchevêtrent et agissent les unes sur les autres sans même vous en rendre compte? On se demande : « Tiens, pourquoi ai-je fait cela ? » Vous n’en savez rien. « Et pourquoi ai-je senti cela ? » Vous n’en savez rien non plus. Et alors, vous êtes projeté dans un monde dehors qui est une fumée, et vous êtes projeté dans un monde dedans qui est aussi pour vous un autre genre de fumée, encore plus impénétrable, où vous vivez, comme cela, comme un bouchon qui est rejeté sur l’eau, et les vagues l’emportent et le jettent en l’air et il retombe et il roule. C’est une condition assez désagréable. Je ne sais pas, cela me paraît désagréable.

Voir clair, voir son chemin, où l’on va, pourquoi on va là, comment on va y aller, et qu’est-ce qu’on va faire et quel est le genre de relation avec les autres. Mais c’est un problème si merveilleusement intéressant — il est intéressant — et on peut toujours découvrir des choses à chaque minute! On n’a jamais fini son travail.

Il y a un moment, il y a une certaine condition de conscience où on a l’impression qu’on est comme cela, avec tout le poids du monde qui pèse sur soi, et puis vous avez des œillères et vous ne savez pas où vous allez mais il y a quelque chose qui vous pousse. Et cela, c’est vraiment une condition très désagréable. Il y a un autre moment où on s’est redressé et puis on est arrivé à voir ce qui est là-haut, et on le devient, et puis on regarde le monde comme du haut d’une très, très haute montagne, et on voit tout ce qui se passe en bas, et alors on peut décider le chemin et le suivre. C’est une condition plus agréable. Et cela, c’est vraiment la vérité, on est sur la terre pour ça, n’est-ce pas. Tous les êtres individuels et toutes les petites concentrations de conscience ont été créés pour faire ce travail. C’est la raison même de la vie : arriver à prendre pleinement conscience d’une certaine somme de vibrations qui représente un être individuel, et mettre de l’ordre là-dedans et trouver son chemin et suivre le chemin.

Et alors, comme les gens ne le savent pas et ne le font pas, la vie vient qui leur donne un coup ici : « Ah! ça fait mal », puis un coup là : « Ah! ça me fait mal. » Et ça va comme ça, et c’est tout le temps comme ça. Et tout le temps ils ont mal ici ou là. Ils souffrent, ils crient, ils gémissent. Mais c’est tout simplement pour cette raison, il n’y en a pas d’autres : c’est qu’ils n’ont pas fait ce petit travail-là. Si, quand ils étaient tout petits, quelqu’un leur avait appris à faire le travail et qu’ils l’aient fait sans perdre de temps, ils pourraient aller à travers la vie glorieusement et, au lieu de souffrir, ils seraient les maîtres tout-puissants de leur destinée.

Ce n’est pas pour dire que, nécessairement, toutes les choses deviendraient agréables. Ce n’est pas du tout comme cela. Mais la réaction que l’on a vis-à-vis des choses devient la réaction vraie et, au lieu de souffrir, on apprend; au lieu d’être malheureux, on fait un progrès.

Après tout, je crois que c’est pour cela que vous êtes ici; c’est pour qu’il y ait quelqu’un qui puisse vous dire : « Voilà, eh bien, essayez cela. Ça vaut la peine d’essayer. » Au fond, on devrait le dire quand les enfants sont tout petits. Mais à moins que ce ne soit éveillé dans leur conscience, ils ne comprennent pas. Pourtant, cela peut se faire même avec un tout petit cerveau ; parce que, à cinq ans, on n’a pas un très grand cerveau : on a surtout l’impression qu’il y a des trous, qu’il y a beaucoup de choses que l’on devrait savoir, mais on ne les sait pas. C’est le cerveau qui n’est pas formé. Il y a la conscience, là, pleinement consciente, lumineuse, clairvoyante, tout est là ; mais il y a des trous, et alors on essaye de tirer, mais ça ne se traduit pas. C’est ce qui arrive quand on est tout petit. Mais si l’on continue, petit à petit, petit à petit, les idées s’organisent à mesure qu’elles viennent, et au lieu d’être un chaos qu’il faut mettre en ordre après, ça s’organise au fur et à mesure que ça se forme. C’est un grand avantage.

Enfin, vous êtes encore tous très jeunes. Vous pouvez essayer. Essayez pendant cinq minutes tous les jours — pas plus — de vous regarder, de voir ce qui se passe là-dedans. C’est si intéressant!

août




Le 5 août 1953

Est ce que l’être psychique progresse toujours?

Il y a, dans le psychique, deux genres de progrès très différents. L’un qui consiste en sa formation, construction et organisation. Parce que le psychique commence par être seulement une sorte de petite étincelle divine à l’intérieur de l’être, et de cette étincelle sortira progressivement un être conscient, indépendant, qui aura son action et sa volonté propres. L’être psychique, à l’origine, est seulement comme une étincelle de la Conscience divine, et c’est par les vies successives qu’il se constitue une individualité consciente. C’est un progrès équivalent à celui de l’enfant quand il croît. C’est une chose qui est en formation; pendant très longtemps, dans la plupart des êtres humains, l’être psychique est un être en formation. Ce n’est pas un être pleinement individualisé et pleinement conscient et maître de lui, et il a besoin de toutes les réincarnations, l’une après l’autre, pour se constituer et devenir tout à fait conscient.

Mais ce genre de progrès a une fin. Il y a un moment où l’être est pleinement constitué, pleinement individualisé et pleinement maître de lui-même et de sa destinée. Quand cet être, ou un de ces êtres psychiques à cet état-là, s’incarne dans un être humain, cela fait une très grande différence : l’être humain, pour ainsi dire, naît libre. Il n’est pas lié aux circonstances, à l’entourage, à son origine et à son atavisme comme les êtres ordinaires. Il vient dans le monde pour accomplir quelque chose volontairement, avec une œuvre à remplir, une mission à remplir. Et de ce point de vue, son progrès de croissance est terminé, c’est-à-dire qu’il ne lui est plus indispensable de renaître dans un corps. Jusque-là, la réincarnation est obligatoire, parce que c’est avec la réincarnation qu’il se développe; c’est dans la vie physique et dans un corps physique qu’il se développe petit à petit et qu’il devient un être complètement conscient. Mais une fois qu’il est entièrement formé, il est libre, en ce sens qu’il peut s’incarner ou ne pas s’incarner, à volonté. Alors là, un certain genre de progrès s’arrête.

Mais si cet être pleinement formé veut devenir un instrument de travail du Divin, si au lieu d’aller se reposer dans une béatitude psychique, dans son monde propre, il choisit d’être un travailleur sur la terre pour aider à l’accomplissement de l’Œuvre divine, alors il a un nouveau progrès à faire, un progrès de capacité de travail et d’organisation de son travail et d’expression de la Volonté divine. Il y a donc un moment où cela change. Tant qu’il restera dans le monde, tant qu’il choisira de travailler pour le Divin, il progressera. C’est seulement s’il se retire dans le monde psychique et qu’il renonce ou qu’il refuse de continuer à travailler à l’Œuvre divine, que là, il peut rester dans un état statique hors de tout progrès, parce que, comme je vous l’ai dit, le progrès existe sur la terre, dans le monde physique; il n’existe pas partout. Dans le monde psychique, il y a une sorte de repos béatifique : on reste ce que l’on est sans bouger.

Mais pour les gens qui ne sont pas conscients de leur psychique?

Ils sont obligés de progresser, qu’ils le veuillent ou non.

L’être psychique lui-même progresse en eux, et ils ne sont pas conscients de lui. Mais eux-mêmes sont obligés de progresser. C’est-à-dire qu’ils suivent une courbe. Ils suivent une ascension dans la vie. C’est la même progression que l’enfant qui croît : il arrive un moment où il est au sommet de sa croissance et alors, à moins qu’il ne change de plan de progression, à moins que la progression purement physique ne devienne une progression mentale, une progression psychique, une progression spirituelle, il va redescendre la courbe, et puis il y aura une décomposition — il n’existera plus.

C’est justement parce que dans le monde physique la progression n’est pas perpétuelle et constante qu’il y a une croissance, un apogée, une descente et une décomposition. Parce que tout ce qui n’avance pas recule; tout ce qui ne progresse pas régresse.

Alors, physiquement, c’est justement ce qui se produit. Le monde physique n’a pas appris à progresser d’une façon indéfinie : il arrive jusqu’à un certain point, puis il se fatigue de progresser, ou il n’est pas capable de progresser dans cette constitution, mais enfin il cesse de progresser, et au bout d’un temps, il se décompose. Ceux qui ont une existence purement physique arrivent jusqu’à un certain sommet, puis ils redescendent très vite. Mais maintenant, avec la progression humaine générale, collective, derrière le progrès physique, il y a un progrès vital, il y a un progrès mental, de sorte que le progrès mental peut continuer très longtemps après que le progrès physique est fini et, par ce progrès mental, on se maintient dans un certain état d’ascension longtemps après que le physique ne progresse plus.

Et puis, il y a ceux qui font le yoga et qui deviennent conscients de leur être psychique et qui s’identifient à lui, qui participent à son existence; et pour ceux-là, n’est-ce pas, jusqu’au dernier souffle de leur vie, ils progressent. Et ils ne s’arrêteront pas après la mort quand ils auront quitté leur corps sous prétexte que le corps ne pourra plus durer : ils continueront à progresser.

C’est l’incapacité du corps à se transformer, à continuer à progresser qui fait qu’il régresse et que, finalement, il devient de plus en plus sensible aux déséquilibres intérieurs, jusqu’au jour où il y en a un assez fort pour le déséquilibrer tout à fait et qu’il ne puisse plus reprendre son équilibre et sa santé. Nous verrons cela la semaine prochaine. Ce n’est que dans la vie spirituelle pure — celle qui est en dehors de toute existence physique et terrestre, y compris le mental —, dans la vie purement spirituelle qu’il n’y a pas de progrès. On arrive à un état statique et on est hors des mouvements de progrès. Mais en même temps, on est hors de la manifestation aussi. Quand on arrive à cet état-là, on n’appartient plus à la manifestation, on sort du monde manifesté. Il faut sortir du monde manifesté pour sortir du progrès, parce que les deux sont identiques : manifestation veut dire progrès, et progrès veut dire manifestation.

Beaucoup de gens pensent et écrivent par inspiration. D’où est ce que cela vient?

Beaucoup de gens? Ça, c’est une chose merveilleuse! Je ne croyais pas qu’il y en avait tant... Alors?

Les poètes, quand ils écrivent des poèmes...

Ah! il y a des inspirations qui viennent de beaucoup d’endroits différents. Il y a des inspirations qui peuvent être très matérielles, il y a des inspirations qui peuvent être vitales, il y a des inspirations qui viennent de toutes sortes de plans du mental, et il y a, très, très rarement, des inspirations qui viennent du mental supérieur ou d’une région plus haute. Toutes les inspirations ne viennent pas du même endroit. Alors, être inspiré ne veut pas dire nécessairement que l’on soit un être supérieur... On peut être inspiré aussi à faire et à dire beaucoup de bêtises!

« Inspiré » veut dire quoi?

Cela veut dire recevoir quelque chose qui est au-delà de vous, qui n’était pas au-dedans de vous; s’ouvrir à une influence qui est en dehors de votre être conscient individuel.

Au fond, on peut aussi avoir l’inspiration de faire un meurtre! Dans les pays où l’on décapite les assassins, où on leur coupe la tête, cela fait une mort très brutale qui précipite l’être vital, qui ne lui donne pas le temps de se décomposer pour sortir du corps — l’être vital est précipité violemment hors du corps, avec toutes ses impulsions — et généralement, il va se loger dans l’un de ceux qui sont là, à moitié horrifiés, à moitié avec une sorte de curiosité malsaine. Ça les ouvre et il entre dedans. Les statistiques ont prouvé que la plupart des jeunes assassins disent que l’impulsion leur est venue quand ils ont assisté à la mort d’un autre assassin. C’était une « inspiration », mais d’un ordre détestable!

Au fond, c’est un moment d’ouverture à quelque chose qui n’était pas au-dedans de votre conscience personnelle, qui vient du dehors, qui se précipite en vous et vous fait faire quelque chose. C’est la formule la plus vaste que l’on puisse donner.

Maintenant, généralement, quand les gens disent : « Oh ! c’est un poète inspiré », cela veut dire qu’il a reçu quelque chose de très haut et qu’il l’exprime d’une façon très remarquable. Mais il faudrait dire qu’il a une inspiration d’une qualité supérieure.

Cela ne vient pas, Mère, quand on veut?

Quand on veut? Généralement pas, parce que l’on ne connaît pas le mécanisme de son être et que l’on ne peut pas ouvrir les portes à volonté.

C’est une chose que l’on peut faire; c’est l’une des choses que l’on vous apprend le plus vite à faire dans le yoga : à ouvrir la porte quand on veut. C’est le résultat de la méditation, ou de la concentration ou de l’aspiration — tous ces procédés-là sont faits pour ouvrir une porte quelque part.

Et généralement on essaye de l’ouvrir, justement, vers la chose la plus haute, pas vers n’importe quoi. Parce que l’autre réceptivité, malheureusement on l’a toujours... Il est impossible d’être tout à fait enfermé dans une tour d’ivoire — et d’ailleurs, je crois que ce ne serait pas très favorable, il serait impossible de progresser si l’on était complètement enfermé en soi-même. On ne pourrait que réarranger ce qui est au-dedans de soi. Imagine que l’on soit comme un globe fermé, tout à fait fermé, qu’il n’y ait aucune communication avec le dehors — on ne projette rien, on ne reçoit rien, on est enfermé —, on a un certain nombre d’éléments de conscience, de mouvements, de vibrations (appelle-les comme tu veux), tout cela est contenu comme dans une boule, et ta conscience aussi. Tu n’as aucun rapport avec l’extérieur, tu es consciente seulement de toimême. Qu’est-ce que tu peux faire?... Changer l’organisation au-dedans; cela, on peut, on peut faire beaucoup de choses en changeant cette organisation. Mais c’est limité à cela. C’est une sorte de progrès interne, mais il n’y a aucun progrès véritable en rapport avec les forces qui sont en dehors de soi. On serait extrêmement limité au bout d’un certain temps, on serait très fatigué de soi-même : tourner et retourner, tourner et retourner les éléments qui sont dedans — pas très amusant.

Mais tout le temps on s’extériorise, et tout le temps on rapporte quelque chose de son extériorisation; c’est comme une chose poreuse : la force sort et puis une force rentre. Il y a des pulsations comme cela. Et c’est pour cela qu’il est très important de choisir l’entourage dans lequel on vit, parce qu’il y a une sorte d’échange constant entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit. Les gens qui se projettent beaucoup dans l’activité reçoivent davantage. Mais ils reçoivent sur le même plan, sur le plan de leur activité. Les enfants, par exemple, qui sont plus jeunes, qui sont toujours à bouger, toujours à crier, toujours à courir, sauter (c’est très rare qu’ils se tiennent tranquilles, excepté quand ils dorment, et encore), eh bien, eux, ils dépensent beaucoup, ils reçoivent beaucoup, et généralement c’est une dépense d’énergie physique et vitale, et une réception des énergies physiques et vitales. Ils récupèrent en grande partie ce qu’ils dépensent. Alors là, il est très important qu’ils soient dans un milieu où ils puissent, après avoir dépensé, ou pendant qu’ils dépensent, récupérer quelque chose qui soit au moins d’une qualité égale à la leur, qui ne soit pas d’une qualité inférieure.

Quand on n’a plus cette espèce de générosité de mouvement, on reçoit beaucoup moins; et c’est l’une des raisons — une des raisons principales — de l’arrêt dans le progrès physique. C’est parce que l’on devient économe, on essaye de ne pas gaspiller; le mental intervient : « Il faut faire attention : pas se fatiguer, pas en faire trop, etc. » Le mental intervient et la réceptivité physique diminue beaucoup. Finalement, on ne grandit plus — à force de devenir raisonnable on ne grandit plus!

Mais la réceptivité s’ouvre sur d’autres plans. Les gens qui vivent dans un monde de désirs et de passions, leur réceptivité vitale quelquefois croît beaucoup et prend des proportions très désagréables pour eux-mêmes et pour leur entourage. Et puis, il y a ceux qui vivent dans une conscience mentale; leur réceptivité mentale croît beaucoup. Tous ceux qui produisent mentalement, qui étudient, qui vivent dans une activité mentale, si leur activité mentale est constante, ils peuvent faire des progrès indéfinis. Le mental dans l’être humain ne s’arrête pas de fonctionner, même quand l’instrument physique est détérioré. Il peut ne plus manifester son intelligence matériellement s’il y a une lésion au cerveau, par exemple, mais le mental luimême, indépendamment de l’instrument, rien ne l’empêche de progresser, de continuer à se développer. C’est un être d’une durée infiniment supérieure à la durée physique. Il est encore en jeunesse quand déjà, physiquement, on est vieux. C’est seulement si l’on ne fait pas attention de garder son cerveau en bon état, s’il lui arrive des accidents et s’il y a des lésions, que l’on ne peut plus s’exprimer. Mais le mental lui-même continue à se développer. Et ceux qui sont dans un équilibre physique suffisant... par exemple, ceux qui n’ont pas fait d’excès d’aucun genre, qui n’ont jamais abusé de leur corps, qui ne se sont pas empoisonnés comme la plupart des gens — ceux qui n’ont pas fumé, pas bu de l’alcool et le reste —, gardent leur cerveau relativement en bon état, et ils peuvent progresser, même dans l’expression, jusqu’à la fin de leur vie. Ce n’est que si, arrivés aux dernières années de leur existence, ils ont une sorte de retrait au-dedans d’eux-mêmes, alors ils perdent le pouvoir de s’exprimer. Mais le mental continue à progresser.

Le vital, lui, par nature, est immortel. Mais il n’est pas organisé, et dans son état normal, il est dans un état de surexcitation, de passions, d’impulsions contradictoires. Alors, avec tout cela, il se détruit lui-même. Mais autrement les éléments continuent à exister. Un désir, une passion, est une chose très vivante et qui continue à vivre pendant très longtemps, même indépendamment de l’être qui les a... je peux dire « subis » plus que formés, parce que ce sont des choses que l’on subit, qui se précipitent sur vous du dehors comme un orage qui s’empare de votre être et vous emporte, à moins que l’on ne se tienne très tranquille, comme cela, très immobile, très tranquille, comme si l’on s’accrochait à quelque chose de solide et d’immobile dans son être, et on laisse passer l’orage quand ça souffle — ça souffle, il ne faut pas bouger, il ne faut pas se laisser trembler ou secouer ou ébranler; il faut rester très immobile, et puis savoir que ce sont des orages qui passent. Et quand l’orage est passé, il est passé, il s’en va ; alors on peut respirer profondément et reprendre son équilibre normal; et il y a eu le minimum de dégâts. Dans ce cas-là, généralement, les choses finissent bien.

Mais ceux qui sont comme un bouchon sur l’eau et qui sont précipités dans toutes les directions et qui n’arrivent pas à se ressaisir et à se garder, n’importe quoi peut arriver. Ils peuvent être pris dans un tourbillon, comme cela, et puis hop ! engloutis. Alors il ne reste rien.

C’est tout?

Il y a des gens qui font des bêtises...

Oui.

Et ils savent qu’ils les font, mais le mental ne les justifie pas, il ne donne aucun support ni excuse, ni de raison nements ni d’explications. Quel est cet état 19 ?

Quel est cet état? Les gens qui savent qu’ils font des bêtises, qui sont conscients, mais qui ne peuvent pas s’en empêcher parce que leur mental n’a pas la force suffisante de les empêcher?...

Mais le mental n’a jamais une force suffisante pour les empêcher! Parce que le mental est un instrument qui est fait pour voir toutes les choses de tous les côtés. Alors comment veux-tu avoir une volonté assez forte pour résister à une impulsion quand le mental regarde de ce côté-ci et puis regarde de ce côté-là ? Et puis il dit : « Après tout, c’est comme cela, et puis pourquoi ne serait-ce pas comme cela ? » Et alors, où est ta volonté?...

Comme je le disais là 20 , il trouve toujours un moyen de tout expliquer, tout légitimer, et de donner des raisons admirables à toutes choses.

Ce n’est que l’être psychique qui a la force d’intervenir. Si ton mental est en rapport avec l’être psychique, s’il reçoit l’influence de l’être psychique, alors il est assez fort pour organiser la résistance. Il sait quelle est la chose vraie, quelle est la chose fausse; et sachant quelle est la chose vraie, s’il a de la bonne volonté, il organisera la résistance, il livrera la bataille et remportera la victoire. Mais c’est la seule condition : il faut qu’il soit en rapport avec l’être psychique.

Parce que même les plus belles théories, même si l’on sait mentalement beaucoup de choses et que l’on ait d’admirables principes, ce n’est pas suffisamment fort pour créer une volonté qui puisse résister à une impulsion. Il y a un moment où l’on est tout à fait déterminé, on a décidé que ce serait comme cela : par exemple, que l’on ne ferait pas telle chose — c’est décidé, on ne le fera pas —, mais comment se fait-il que tout d’un coup (on ne sait comment ni pourquoi, ni ce qui s’est passé) on n’a plus décidé du tout! Et alors on trouve en soi immédiatement une excellente excuse pour le faire... Parmi d’autres, il y a un certain genre d’excuse que l’on se donne toujours : « Eh bien, si je le fais cette fois-ci, au moins je serai convaincu que c’est très mauvais et je ne le ferai plus, et ce sera la dernière fois. » C’est la plus jolie excuse que l’on se donne toujours : « C’est la dernière fois que je le fais. Cette fois-ci, je le fais pour bien comprendre que c’est mauvais et qu’il ne faut pas le faire, et je ne le ferai plus. C’est la dernière fois. » Chaque fois, c’est la dernière fois! et on recommence.

Il y a naturellement ceux qui ont des idées moins claires et qui se disent : « Après tout, pourquoi ne voulais-je pas le faire? Ce sont des théories, ce sont des principes qui peuvent ne pas être vrais. Si j’ai cette impulsion, qu’est-ce qui me dit que cette impulsion n’est pas meilleure qu’une théorie?... » Ce n’est pas pour eux, la dernière fois. C’est quelque chose qu’ils acceptent comme tout à fait naturel.

Entre ces deux extrêmes, il y a toutes les possibilités. Mais le plus dangereux de tout, c’est de dire : « Eh bien, je le fais encore cette fois, parce que cela va me purger de cette choselà. Après, je ne le ferai plus. » Maintenant la purge n’est jamais suffisante!

C’est seulement si l’on a décidé : « Eh bien, cette fois-ci, je vais essayer de ne pas le faire, et je ne le ferai pas et je m’y appliquerai de toute ma force et je ne le ferai pas. » Même si l’on a un tout petit succès, c’est beaucoup. Pas un grand succès, même un tout petit succès, un succès très partiel : vous n’exécutez pas ce que vous avez envie de faire; mais l’envie, le désir, la passion est encore là, et qui fait des remous dedans, mais vous résistez extérieurement : « Je ne le ferai pas, je ne bougerai pas; même s’il faut que je me lie les pieds et les mains, je ne le ferai pas. » C’est un succès partiel — mais c’est une grande victoire parce que, à cause de lui, la prochaine fois vous pourrez faire un petit peu plus. C’est-à-dire qu’au lieu de garder toutes les passions violentes en vous, vous pouvez commencer à les calmer un peu; et vous les calmerez d’abord lentement, avec difficulté. Elle restera longtemps, elle reviendra, elle vous troublera, elle vous ennuiera, elle vous donnera un grand dégoût, tout cela, mais si vous résistez bien et que vous disiez : « Non, je n’exécuterai rien; quoi qu’il me coûte, je n’exécuterai rien; je reste comme une pierre », alors, petit à petit, petit à petit, ça s’atténue, ça s’atténue, et on peut commencer à apprendre la seconde attitude : « Maintenant je veux que ma conscience soit au-dessus de ces choses-là. Il y aura encore de nombreuses batailles, mais si ma conscience est au-dessus de ça, petit à petit il y aura un moment où ça ne viendra plus. » Et puis il y a un moment où l’on sent qu’on est tout à fait libre : on ne s’en aperçoit même pas, et puis c’est tout. Ça peut prendre longtemps, ça peut venir vite : cela dépend de la force de caractère, de la sincérité de l’aspiration. Mais même pour les gens qui ont une petite sincérité, s’ils s’astreignent à ce procédé, ils réussissent. Cela prend du temps. Ils réussissent la première chose : ne pas manifester. Toutes les forces dans le monde terrestre tendent à la manifestation. Ce sont des forces qui viennent dans le but de se manifester, et si vous mettez une barrière et que vous refusiez la manifestation, elles peuvent essayer de se battre contre la barrière pendant un temps, mais à la longue elles se fatigueront, et n’étant pas manifestées, elles se retireront, elles vous laisseront tranquille.

Alors, il ne faut jamais se dire : « Je vais d’abord purifier ma pensée, purifier mon corps, purifier mon être vital, et puis je purifierai mon action après. » C’est l’ordre normal, mais cela ne réussit jamais. L’ordre efficace, c’est de commencer par le dehors : « D’abord, je ne le fais pas, et après, je ne désire plus, et après, je ferme ma porte complètement à toutes les impulsions : elles n’existent plus pour moi, je suis maintenant en dehors de ça. » C’est l’ordre réel, l’ordre efficace. D’abord, ne faites pas. Et puis vous ne désirerez plus, et puis ça sortira de votre conscience complètement.

Quand l’être psychique va entrer dans le monde, est ce qu’il choisit d’avance la forme qu’il va prendre?

C’est une question intéressante. Cela dépend.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a des êtres psychiques qui sont en voie de formation et de progression; ceux-là généralement, tout au début, ils ne peuvent pas beaucoup choisir, mais quand ils sont arrivés à un certain degré de développement et de conscience (généralement quand ils sont encore dans un corps physique et qu’ils ont eu une certaine somme d’expériences), ils décident à ce moment-là quel sera le champ de leur expérience suivante.

Je peux vous donner des exemples un peu extérieurs. Par exemple, un être psychique avait besoin de faire l’expérience de l’autorité, du pouvoir, pour savoir quelles sont les réactions et comment on peut tourner tous ces mouvements vers le Divin : apprendre ce que peut vous enseigner une vie de pouvoir. Ils se sont incarnés dans un roi ou une reine. Ils ont joui d’un certain pouvoir, et alors, pendant ce temps-là, ils ont fait leur expérience, ils sont arrivés au bout du champ d’expérience. Maintenant, ils savent ce qu’ils voulaient savoir, ils vont s’en aller, ils vont quitter leur corps devenu inutilisable, et ils vont se préparer à l’expérience suivante. Eh bien, à ce moment-là, quand il est encore dans ce corps et qu’il a vu ce qu’il a appris, le psychique décide pour la fois suivante. Et quelquefois ce sont des mouvements d’action et de réaction : parce qu’il a étudié tout un champ, il a besoin d’étudier le champ contraire. Et très souvent, il choisit une vie très opposée à celle qu’il avait. Ainsi, avant de s’en aller, il dit : « La prochaine fois, c’est dans ce domaine-là que je m’incarnerai. » Admets, par exemple, que le psychique soit arrivé à un état de développement tel qu’il voudrait avoir la chance de travailler sur le corps physique pour le rendre capable d’entrer consciemment en rapport avec le Divin et de le transformer. Alors, il va quitter ce corps où il a eu le pouvoir, l’autorité, l’action, ce corps qu’il a utilisé pour son développement. Il se dit : « La prochaine fois, mon incarnation se fera dans un milieu neutre, ni en bas, ni en haut, là où il ne sera pas nécessaire... comment dire... d’avoir une vie très extérieure, où l’on n’aura ni un grand pouvoir ni une grande misère » — tu sais, tout à fait neutre, comme cela, une vie de milieu. Il choisit cela. Il s’en retourne dans son monde psychique pour le repos nécessaire, l’assimilation de l’expérience faite, la préparation de l’expérience future. Il se souvient naturellement de son choix, et, avant de redescendre, quand il a fini son assimilation, quand c’est le temps de revenir, de descendre sur la terre, de ce domaine, il ne peut pas voir les choses matérielles comme nous les voyons, n’est-ce pas : elles lui apparaissent sous une autre forme. Mais tout de même, ces différences-là sont prévisibles — les différences du milieu, les différences d’activité de milieu sont très visibles, très perceptibles. Il peut avoir la vision totale ou globale. Il peut choisir. Parfois, il choisit le pays : quand il veut un certain genre d’éducation, de civilisation, d’influence, il peut choisir son pays d’avance. Quelquefois pas, quelquefois il choisit seulement son milieu et le genre de vie qu’il mènera. Et alors, de là-haut, avant qu’il ne descende, il voit les genres de vibrations qu’il veut; il les voit très clairement. Et c’est comme s’il visait l’endroit où il va tomber. Mais il y a une approximation Entretiens 1953 236 qui vient du fait qu’une autre condition est nécessaire : pas seulement son choix, mais une réceptivité d’en bas et une aspiration. Il faut qu’il y ait quelqu’un dans le milieu qu’il a choisi, généralement la mère (quelquefois les deux parents, mais le plus indispensable c’est la mère), qu’elle ait une aspiration ou une réceptivité, quelque chose qui soit suffisamment passif et ouvert, ou bien une aspiration consciente vers quelque chose de supérieur. Et cela, pour l’être psychique, ça allume une petite lumière. Dans cette masse que représente pour lui le milieu dans lequel il veut naître, si, à l’influence de la projection de sa volonté, il y a une petite lumière qui s’allume, alors il sait que c’est là qu’il doit aller.

C’est nécessaire, c’est ce qui fait les différences de mois ou de jours peut-être, pas tant que d’années; mais enfin, cela crée un flottement, cela fait qu’il ne peut pas dire d’avance exactement : « À cette date-là, ce jour-là, ce moment-là, je naîtrai. » Il est dans la nécessité de trouver une réceptivité. Quand il voit cela, alors il se précipite. Mais ce qui arrive, c’est un peu comme une image : ce n’est pas exactement la chose, mais c’est très analogue. Il se précipite dans une inconscience, parce que le monde physique, même la conscience humaine quelle qu’elle soit, est très inconsciente par rapport à la conscience psychique. Et il se précipite dans une inconscience. C’est comme s’il tombait sur la tête. Ça l’abrutit. Et alors, généralement, à part quelques très, très rares exceptions, pendant longtemps il ne sait pas. Il ne sait plus où il est, ni ce qu’il fait, ni pourquoi il est là, ni rien. Et il a une grande difficulté pour s’exprimer, surtout dans un petit bébé qui n’a pas de cerveau, n’est-ce pas; c’est un embryon de cerveau qui est à peine formé et il n’a pas d’éléments pour se manifester. Alors il est très rare que tout de suite l’enfant manifeste qu’il contient un être exceptionnel... Cela arrive. Ce sont des choses que nous avons entendu raconter. Cela arrive, mais généralement il faut un certain temps. C’est seulement lentement qu’il se réveille de son abrutissement et qu’il se rend compte qu’il est là pour une raison et par un choix. Et généralement, cela coïncide avec l’éducation mentale intensive qui vous ferme complètement à la conscience psychique. Alors il faut un tas de circonstances, d’événements de tous genres, d’émotions, toutes sortes de choses pour ouvrir les portes intérieures et pour que l’on recommence à se souvenir qu’après tout, on est venu d’un autre monde et qu’on est venu avec une raison précise.

Autrement, si tout se passait normalement, très vite il pourrait y avoir une connexion, très vite. S’il avait la chance d’avoir quelqu’un qui ait un petit peu de connaissance, et qu’au lieu de tomber dans un monde d’ignorance, il tombe sur un petit peu de connaissance, ce serait fait très vite.

Mais la volonté psychique et le développement psychique échappent complètement à toutes les notions communes de justice et de récompense et de punition telles que les hommes les comprennent. Il y a des religions, il y a des philosophies qui vous racontent toutes sortes d’histoires, qui sont tout simplement l’application au monde invisible des notions de justice humaine, et alors cela, ce sont des âneries. Parce que ce n’est pas du tout comme cela ; la notion de récompense et de punition telle que l’homme la comprend est une absurdité. Cela ne s’applique pas du tout, du tout à toutes les réalités intérieures. Et alors, une fois que l’on entre dans le monde spirituel véritable, cela devient véritablement des âneries. Parce que ce n’est pas comme cela.

Il y a des quantités de gens qui viennent me trouver :

« Qu’est-ce que j’ai donc fait dans une vie antérieure pour que maintenant je sois dans des conditions si difficiles, qu’il m’arrive tant de malheurs? » Et la plupart du temps, je suis obligée de leur dire : « Mais vous ne voyez donc pas que c’est une bénédiction qui est sur vous, une grâce! et que peut-être, dans une vie antérieure, vous avez demandé que ce soit comme cela, pour que vous puissiez faire un plus grand progrès... » Ce sont des idées tout à fait courantes : « Oh! je suis malade. Oh! mon 38 corps est en mauvais état, qu’est-ce que j’ai fait? Quel crime ai-je commis dans une autre vie pour que dans celle-ci... » Ce sont des enfantillages.

Voilà, au revoir, mes enfants.

Le 12 août 1953

Comment sais-tu le caractère d’une personne en regar dant ses yeux ?

Pas seulement en regardant les yeux : je sais le caractère d’une personne par identification. Et alors, extérieurement, si tu veux, les yeux sont comme des portes, ou comme des fenêtres : il y en a qui sont ouvertes, alors on entre dedans, on entre très profondément et on peut voir tout ce qui se passe. Il y en a d’autres qui sont un peu ouvertes, un peu fermées; il y en a d’autres qui sont avec un voile, comme un rideau; et puis il y en a d’autres qui sont cadenassées, fermées avec des serrures — des portes qui ferment si bien que l’on ne peut pas les ouvrir. Enfin, c’est déjà une indication, cela donne une indication du degré de vie intérieure, de sincérité, de transparence de l’être. Et puis, par ces portes qui sont ouvertes, j’entre et je m’identifie à la personne dedans. Alors je vois ce qu’elle voit, je comprends ce qu’elle comprend, je pense ce qu’elle pense, et je pourrais faire ce qu’elle fait (mais généralement je m’en abstiens!), et comme cela je sais comment sont les gens. Et il n’y a pas besoin de longtemps : c’est très rapide. Cela peut même se faire à travers une photographie, mais moins bien. Une photographie n’est qu’un instant, une minute de quelqu’un; si l’on avait beaucoup de photographies... Mais enfin, même avec une photographie, en prolongeant un peu on peut avoir une idée assez précise. Mais toutes les connaissances sont des connaissances par identification. C’est-à-dire qu’il faut devenir ce que l’on veut connaître. On peut deviner, on peut imaginer, on peut déduire, on peut raisonner, mais on ne connaît pas.

Alors, c’est une chose difficile pour les êtres humains?

Non, pourquoi?

On peut apprendre à s’identifier. Il faut apprendre. C’est indispensable si l’on veut sortir de son ego. Parce que tant que l’on est enfermé dans son ego, on ne peut pas faire de progrès.

Comment fait-on?

Il y a beaucoup de procédés. Je vais vous en raconter un.

Quand j’étais à Paris, j’allais dans beaucoup d’endroits où il y avait des réunions de tous genres et des gens qui faisaient toutes sortes de recherches spirituelles (soi-disant spirituelles), occultes, etc. Et une fois, on m’avait invitée à rencontrer une jeune dame (je crois qu’elle était suédoise) qui avait trouvé un procédé de connaissance, justement un procédé pour apprendre. Et alors elle nous a expliqué cela. Nous étions trois ou quatre (ce n’était pas du très bon français, mais enfin elle était très convaincue!); elle a dit : « Voilà, vous prenez un objet, ou vous mettez un signe sur un tableau noir, ou vous prenez un dessin — cela n’a pas d’importance, prenez ce qui vous est le plus commode. Supposez, par exemple, que je vous fasse... (elle avait un tableau noir)... je vous fais un dessin. » Elle a fait une espèce de dessin semi-géométrique. « Alors, vous vous asseyez en face du dessin et vous concentrez toute votre attention sur le dessin, sur ce dessin qui est là. Vous vous concentrez, concentrez, sans permettre à rien d’autre d’entrer dans votre conscience, que cela. Vos yeux sont fixés sur le dessin et ils ne s’en vont plus. Vous êtes pour ainsi dire hypnotisé par le dessin. Vous regardez (et alors elle était comme cela, à regarder), vous regardez, vous regardez, regardez... Je ne sais pas, cela prend plus ou moins longtemps, mais enfin pour quelqu’un qui a l’habitude, cela va assez vite. Vous regardez, regardez, regardez, vous devenez ce dessin que vous regardez. Il n’y a plus rien au monde qui existe, excepté le dessin, et puis, tout d’un coup, vous passez de l’autre côté; et quand vous passez de l’autre côté, vous entrez dans une nouvelle conscience, et vous savez. »

Nous avons beaucoup ri, parce que c’était amusant. Mais c’est très vrai, c’est une excellente façon de pratiquer. Naturellement, au lieu de prendre un dessin ou un objet, vous pouvez prendre, par exemple, une idée, quelques mots. Vous avez un problème qui vous préoccupe, vous ne savez pas la solution du problème; eh bien, vous objectivez votre problème dans votre mental, vous le mettez dans les mots les plus précis, les plus exacts, les plus succincts que vous puissiez, et puis vous vous concentrez, vous vous efforcez; vous vous concentrez seulement sur ces mots et, si possible, sur l’idée qu’ils représentent, c’est-à-dire sur le problème — vous vous concentrez, concentrez, concentrez jusqu’à ce que plus rien n’existe, que cela. Et il est vrai que, tout d’un coup, on a l’impression de quelque chose qui s’ouvre — et on est de l’autre côté. L’autre côté de quoi?... C’est-à-dire que vous avez ouvert une porte de votre conscience, et vous avez instantanément la solution de votre problème. C’est une excellente méthode pour apprendre à s’identifier.

Par exemple, vous êtes avec quelqu’un. Cette personne vous dit une chose, vous lui dites le contraire (comme cela arrive d’habitude, simplement par esprit de contradiction) et vous commencez à discuter. Naturellement vous n’arriverez jamais à rien, qu’à une dispute si vous avez mauvais caractère. Mais si, au lieu de faire cela, au lieu de continuer à être dans votre tête ou dans vos mots, vous vous dites : « Tiens, je vais essayer de voir pourquoi elle m’a dit cela ? Hein, pourquoi m’a-t-elle dit cela ? » Et vous vous concentrez : « Pourquoi, pourquoi, pourquoi? » Vous êtes là, comme cela, à essayer. La personne continue de parler, n’est-ce pas, et très contente parce que vous ne la contredisez plus! Elle parle avec abondance et sûre qu’elle vous a convaincu. Alors vous vous concentrez de plus en plus sur ce qu’elle dit, et avec l’impression que, petit à petit, à travers ses mots, vous entrez dans sa tête. Quand vous entrez dans sa tête, tout d’un coup vous entrez dans sa manière de penser, et puis figurez-vous que vous comprenez pourquoi elle vous parle comme cela ! Et alors, si vous avez l’intelligence un peu prompte et que vous mettiez en présence de ce que vous venez de comprendre ce que vous compreniez avant, vous avez les deux manières ensemble, et puis vous pouvez trouver la vérité qui concilie les deux. Et là, vous avez fait vraiment un progrès. Et c’est la meilleure façon d’élargir sa pensée.

Si vous commencez une discussion, taisez-vous tout de suite, instantanément. Il faut se taire, ne plus rien dire, et puis essayer de voir la chose comme l’autre personne la voit — cela ne vous fera pas oublier votre manière de voir, à vous! mais vous pouvez les mettre toutes les deux ensemble. Et vous aurez fait vraiment un progrès, un vrai progrès.

C’est la même chose pour tout. Tout ce que vous faites avec d’autres personnes, si vous n’êtes pas d’accord, prenez-le comme une grâce divine, une occasion merveilleuse qui vous est donnée d’arriver à faire un progrès. Et c’est simple : au lieu d’être ici, vous êtes là ; au lieu de vous regarder vous-même, vous entrez dans l’autre et vous regardez. Il faut avoir un tout petit peu d’imagination, un peu plus de contrôle sur sa pensée, sur ses mouvements. Mais ce n’est pas très difficile. Quand on a essayé un petit peu, au bout d’un certain temps on s’aperçoit que c’est très facile.

Il ne faut pas regarder, puis faire un effort mental en se disant : « Pourquoi est-ce comme cela et comme cela ? Pourquoi fait-elle cela, ou pourquoi dit-elle cela ? » Vous n’arriverez jamais à rien. Vous ne comprendrez pas, vous imaginerez toutes sortes d’explications qui ne vaudront rien et qui ne vous apprendront rien du tout, sinon à vous dire : « Cette personne-là est stupide, ou bien elle est méchante », des choses qui ne mènent à rien. Tandis que si vous faites seulement ce petit mouvement-là et qu’au lieu de regarder ça comme un objet étranger à vous, vous tâchiez d’entrer là-dedans, vous entrez là-dedans, dans cette petite têtelà qui est en face, et puis tout d’un coup vous vous trouvez de l’autre côté, vous vous regardez vous-même et vous comprenez très bien ce qu’elle dit — tout est clair, le pourquoi, le comment, la raison, le sentiment qui est derrière le tout... C’est une expérience que vous avez cent fois par jour l’occasion de faire.

D’abord, vous ne réussirez pas très bien, mais si vous persistez, vous finirez par réussir admirablement. Ça ajoute beaucoup d’intérêt à la vie. Et puis c’est un travail qui vous fait faire vraiment des progrès parce qu’il vous fait sortir de votre petite cuirasse-là, comme cela, où vous êtes bien enfermé, où vous vous cognez contre tout. Vous savez, les papillons qui se cognent contre la lumière?... La conscience de chacun est comme cela, elle va cogner ici, cogner là, parce que ce sont des choses qui lui sont étrangères. Mais si, au lieu de cogner, on entre dedans, alors ça commence à faire partie de vousmême. On s’élargit, on a de l’air à respirer, on a de la place pour bouger, on ne se cogne pas, on entre, on pénètre, on comprend. Et on vit dans beaucoup d’endroits en même temps. C’est très intéressant, on le fait automatiquement.

Par exemple, quand vous lisez un livre qui vous intéresse beaucoup, un merveilleux roman plein d’aventures excitantes, quand vous êtes tout entier dans l’histoire, vous en oubliez quelquefois l’heure de la classe, ou même l’heure du dîner, ou l’heure de vous coucher. On est tout entier dans ce qu’on lit. Eh bien, c’est un phénomène d’identification. Et si vous le faites avec une certaine perfection, vous arrivez à comprendre d’avance ce qui va arriver. Il y a un moment où, quand vous êtes tout entier dans l’histoire, vous arrivez à savoir (sans essayer de chercher) vers quel but l’auteur vous conduit, comment il va dérouler son histoire et arriver à sa conclusion. Parce que vous vous êtes identifié à la pensée créatrice de l’auteur. Vous le faites plus ou moins bien, sans savoir que vous le faites, mais ce sont des phénomènes d’identification.

Il y a, à Paris, des théâtres de troisième ou quatrième plan où l’on joue des drames sensationnels. Ce sont des théâtres de faubourg. Ce n’est pas pour les intellectuels, c’est pour la masse de la population; et tous les éléments sont toujours extrêmement dramatiques, émouvants. Eh bien, les gens qui sont là sont des gens très simples la plupart du temps, et ils oublient complètement qu’ils sont au théâtre. Ils s’identifient à la pièce. Et il arrive des choses comme cela : sur la scène, il y a le traître qui est caché derrière la porte, et le héros arrive, qui naturellement ne sait pas que le traître est caché et qu’il va se faire tuer. Alors il y a des gens tout en haut (on appelle cela le poulailler), le haut du théâtre, qui crient : « Fais attention, il est là ! » (rires) Ce n’est pas arrivé une fois, c’est arrivé des centaines de fois spontanément. J’ai vu une pièce comme cela, qui s’appelait Le Bossu, je crois; enfin c’était un drame tout à fait sensationnel et ça se jouait au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Et il y avait dans cette pièce, une chambre. On voyait sur la scène une grande chambre et, à côté, un petit cabinet et... je ne me souviens plus de l’histoire, mais dans le petit cabinet, il y avait un bouton que l’on pressait, et en pressant le bouton, le plafond de la grande chambre descendait sur les gens qui étaient là et inéluctablement les écrasait!... Et on avait été prévenu, il y avait déjà des gens qui avaient parlé, qui avaient passé le mot. Et alors, il y avait un traître qui s’était caché dans la petite chambre et qui connaissait le truc du bouton, et puis il y avait le héros qui arrivait avec d’autres gens, et puis ils commençaient à discuter, et puis on savait que le plafond allait descendre... Je n’ai rien dit, je me suis souvenue que j’étais au théâtre, j’attendais de voir comment l’auteur se tirerait d’affaire pour sauver son héros, parce qu’il était évident qu’il ne pouvait pas le faire tuer comme cela devant tout le monde! Mais les autres n’étaient pas du tout dans cet état-là. Eh bien, il y a des spectateurs qui ont crié, qui ont véritablement crié : « Attention au plafond! » Et c’était comme cela.

Ce sont des phénomènes d’identification. Seulement ils sont involontaires. Et c’est même l’un des procédés que l’on emploie maintenant pour guérir les maladies nerveuses. Quand quelqu’un ne peut pas dormir, ne peut pas se reposer parce qu’il est trop excité nerveusement et que ses nerfs sont malades et affaiblis par excès d’agitation, on lui dit de s’asseoir en face d’un aquarium, par exemple — un aquarium, c’est très joli, n’est-ce pas —, devant un aquarium avec des jolis petits poissons dedans, des poissons dorés, et puis de s’asseoir, de s’installer sur une chaise longue, et d’essayer de ne penser à rien (surtout pas à ses soucis) et de regarder les poissons. Alors on regarde les poissons bouger, aller, venir, nager, glisser, tourner, se rencontrer, se dépasser, se poursuivre indéfiniment, et puis l’eau qui bouge lentement et les poissons qui vont. Au bout d’un moment, on a la vie des poissons : on va, on vient, on nage, on glisse, on joue. Et puis au bout d’une heure, on a les nerfs en parfait état et on est tout à fait reposé!

Mais la condition, c’est de ne pas penser à ses soucis : il faut seulement regarder les poissons.

Peut-on atteindre le Divin de cette façon?

Vous savez, la seule façon de connaître le Divin, c’est de s’identifier à Lui. Il n’y en a pas d’autre, il n’y en a qu’une, une seule manière. Par conséquent, une fois que vous êtes maître de ce procédé d’identification, vous pouvez vous identifier. Alors vous choisissez votre objet d’identification, vous vous identifiez au Divin. Mais tant que vous ne savez pas vous identifier, il y aura toujours cent et une choses qui viendront en travers vous tirer par ici, vous tirer par là, vous éparpiller, et vous ne vous identifierez pas à Lui. Mais si vous avez appris à vous identifier, alors vous n’avez qu’à orienter l’identification, la placer à l’endroit où vous voulez, et puis vous en tenir là jusqu’à ce que vous ayez un résultat. Il viendra très vite si vous êtes maître de votre pouvoir d’identification. Ça viendra très vite. Râmakrishna disait que cela pouvait varier entre trois jours, trois heures ou trois minutes. Trois jours pour les gens qui étaient très lents, trois heures pour ceux qui étaient un peu plus prompts, trois minutes pour ceux qui avaient l’habitude.

Trois jours pour les gens très lents?

Pour les gens très lents, oui. On lui demandait : « Combien de temps faut-il pour s’identifier au Divin ? » Il a répondu cela.

Et cela fait trois jours sans rien faire!

Non, pas sans rien faire! Il n’est pas nécessaire de ne rien faire pour s’identifier seulement au Divin. Évidemment vous ne pouvez pas rester trois jours assis immobile sans rien faire — vous seriez déjà arrivé à un degré de perfection extraordinaire si vous pouviez faire cela, oublier tous vos besoins et rester immobile pendant trois jours. Non, ce n’est pas cela qu’il veut dire : la pensée uniquement concentrée sur le Divin. Et lui, le faisait en trois minutes. Et il l’a fait devant la personne, pour lui montrer, lui prouver que ce qu’il disait était vrai. Cela ne lui prenait pas plus de trois minutes.

Mais justement, ce qui empêche l’expérience, c’est l’absence de pratique de concentration, et puis l’absence (en anglais on dit one-pointedness) d’unicité dans la volonté. On « veut » pendant une minute, deux minutes, dix minutes, un quart d’heure, une heure, et après, on veut beaucoup d’autres choses... On « pense » pendant quelques secondes, et après on pense à des milliers d’autres choses. Alors naturellement cela peut vous prendre une éternité. Parce que même, on ne peut pas faire une addition : si cela pouvait s’accumuler comme des grains de sable, qu’à chaque pensée que vous donnez au Divin vous déposiez un petit grain de sable quelque part, au bout d’un certain temps cela ferait une montagne. Mais ce n’est pas comme cela, ça ne reste pas. Il n’y a pas d’effet. Ça ne s’accumule pas, vous ne pouvez pas faire des additions, progresser dans la quantité — vous pouvez progresser dans l’intensité, progresser dans la qualité. Vous pouvez, oui, apprendre au-dedans à le faire; mais ce que vous avez fait ne compte que de cette manière-là. Ça ne s’accumule pas comme des grains de sable sur la dune. Autrement, il suffirait d’être très habile et de se dire : « Eh bien, je donnerai au moins une dizaine de pensées au Divin tous les jours. » Et puis, par petits points comme cela, au bout d’un certain temps on a une colline...

Voilà, mes enfants. Il est bientôt dix heures. Mais si quelqu’un a une question très intéressante?... Toi? Dis.

J’ai une question.

Très intéressante?

C’est intéressant pour moi. On dit qu’il y a des gens très intelligents, et puis des gens qui sont fous. Comment?

Pourquoi? Mais mon petit, il y a toutes sortes de choses dans la Nature! Il n’y a pas deux choses identiques. Toutes les possibilités existent dans la Nature : tout ce que tu peux imaginer et cent millions de fois plus. Alors, tu remarques qu’il y a des gens qui sont intelligents, tu remarques qu’il y en a qui ne le sont pas. Et puis il y en a qui sont déséquilibrés. Et puis, tes remarques s’étendent sur un champ très étroit. Mais tu peux te dire que tout cela existe, et des centaines de milliers de millions d’autres choses existent aussi, et qu’il n’y a pas deux choses pareilles dans le monde. Et je ne crois pas qu’il y ait rien que l’on puisse imaginer qui n’existe pas quelque part. C’est justement ce qui amuse le plus la Nature — elle essaye tout, elle fait tout, elle fabrique tout, elle défait tout, et elle rend toutes les combinaisons possibles, et elle continue à les changer, à les remanier, à les refaire, et c’est un mouvement perpétuel de toutes les possibilités qui se succèdent, s’entrechoquent, s’entremêlent, se combinent, et se défont. Il n’y a pas deux minutes de la vie terrestre qui soient pareilles. Et depuis combien de temps la terre existe?... Les gens très calés te le diront peut-être approximativement. Et pour combien de temps encore vivra-t-elle?... Ils te le diront peut-être aussi : des chiffres avec beaucoup de zéros, tant de zéros que tu ne pourras pas les lire. Mais ce ne sera jamais deux fois la même chose, ni deux moments qui seront semblables. Si tu trouves des choses qui se ressemblent, c’est seulement une apparence. Il n’y a pas deux choses semblables, et il n’y a pas deux minutes identiques. Et cela remonte si loin en arrière que tu ne peux pas compter. Et cela va si loin en avant que tu ne peux pas compter. Et ce ne sera jamais deux fois la même chose. Alors, tu ne peux pas me demander pourquoi ceci existe et pourquoi cela existe!... Tu voudrais me demander pourquoi? Elle a beaucoup plus d’imagination que toi, la Nature, tu sais! Elle imagine tout le temps des choses nouvelles. Il faut bien puisque c’est tout le temps changé et que toutes les combinaisons sont tout le temps nouvelles; il n’y a pas deux secondes de l’univers qui soient identiques. Elle a beaucoup d’imagination. Tu n’as jamais réfléchi à cela ?... Est-ce que tu as deux minutes semblables vraiment? Non. Tu sais bien que tu n’es pas aujourd’hui comme tu étais hier et que tu ne seras pas demain comme tu es aujourd’hui. Et que si tu remontes seulement... mettons dix ans en arrière, tu ne te reconnais plus du tout. Tu ne sais même plus ce que tu pensais, en admettant que tu pensais quelque chose!

Alors, il n’y a pas de problème. Tout ce que tu peux faire, c’est de tâcher de faire une investigation sur le champ d’expérience qui t’est donné, qui est extrêmement limité, pour voir toutes les possibilités. Et tu pourrais commencer à les noter; tu verrais que cela te ferait un immense volume immédiatement, seulement dans ce tout petit champ d’expérience qui est le tien!

Et qu’est-ce que tu es?... Une seconde dans l’éternité!

Voilà.

Le 19 août 1953

« Le mouvement de l’amour n’est pas limité aux êtres humains, et peut-être est-il moins déformé en d’autres mondes que dans le leur. Regardez les fleurs, regardez les arbres. Au soleil couchant, quand tout devient silen cieux, asseyez-vous un moment sous les arbres et entrez en communion avec la Nature; vous sentirez s’élever de la terre, des racines les plus profondes des arbres, pour monter à travers les fibres jusqu’aux branches qui s’étendent le plus haut, l’aspiration d’un amour et d’un besoin intenses — le besoin de quelque chose qui apporte la lumière et donne le bonheur, de la clarté qui est partie et dont le retour est imploré. Cela monte comme une action de grâces où la gratitude la plus vibrante s’unit à la plus fervente prière. Cet élan est si pur et si spontané que si vous pouvez vous mettre en rapport avec ce mou vement dans les arbres, votre propre être aussi s’élèvera dans une ardente invocation à la paix, la lumière et l’amour qui ne sont pas encore manifestés ici. »

(Entretien du 2 juin 1929)

Les arbres aspirent à la lumière. Quelle est cette lumière?

Le soleil, mon enfant. Tu n’as jamais vu les feuilles qui se ferment quand la nuit vient, dès que le soleil rentre sous l’horizon?

Les arbres peuvent-ils avoir une aspiration à autre chose?

Autre chose veut dire quoi? Quelles sont les ouvertures possibles pour un arbre?

À être un homme?

Un homme? Mais ils ne connaissent rien de l’homme! Comme l’homme aspire à être dieu?... J’ai connu des animaux qui aspiraient à devenir des êtres humains, mais ils vivaient avec les êtres humains. Des chats et des chiens, par exemple, qui vivaient dans une grande intimité avec les êtres humains, alors ils avaient vraiment une aspiration. J’ai eu un chat qui était très, très malheureux d’être chat, il voulait être un homme. Il a eu une mort prématurée. Il méditait, il faisait certainement une sâdhanâ à sa manière, et quand il est parti, même une partie de son vital s’est réincarnée dans un être humain. L’élément, le petit élément psychique qui était au centre de l’être, est allé tout de suite chez l’homme, mais même ce qu’il y avait de conscient dans le vital du chat est allé dans un être humain. Mais ce sont des cas plutôt exceptionnels.

Tu dis que peut-être les pierres aussi ont de l’amour 21 ?

C’est possible.

Est ce qu’on peut le comprendre?

On peut le sentir. Il y a un certain état de conscience où l’on perçoit cet Amour divin partout où il se trouve, et l’on ne sent pas une si grande différence entre les créatures qu’il n’apparaît physiquement. Il y a beaucoup plus d’aspiration qu’on ne le pense dans les choses que nous appelons inanimées. Beaucoup plus. Il y a aussi, dans les pierres, une sorte de sens spontané de ce qui est plus haut, plus noble, plus pur et, bien qu’elles ne puissent l’exprimer d’aucune façon, elles le sentent, et cela les affecte de façon différente.

Même dans les choses, même dans les objets, même dans les pierres, il y a une réceptivité étrange qui vient de cette Présence. Il y a des pierres, si vous savez faire, qui peuvent accumuler des forces. Elles peuvent accumuler des forces, les garder et les passer. On peut prendre des pierres (ce que l’on appelle des pierres précieuses) et puis concentrer des forces en elles et elles les gardent. Et ces forces irradient très lentement, très progressivement. Mais si l’on sait le faire, on peut accumuler une quantité telle que cela dure pour ainsi dire indéfiniment.

Ces forces servent-elles à quelque chose quand elles sortent des pierres?

Mais oui, bien sûr! La pierre peut conserver la force presque indéfiniment. Il y a de ces pierres qui peuvent servir de trait d’union, il y a des pierres qui peuvent servir d’accumulateurs d’énergie. Il y a des pierres qui peuvent contenir une force de protection. Ça, c’est remarquable, mon petit. On peut accumuler dans une pierre (surtout dans les améthystes), accumuler une force de protection, et la protection véritablement protège celui qui porte la pierre. C’est très intéressant, j’en ai eu l’expérience. J’ai connu quelqu’un qui avait eu une pierre comme cela, qui était pleine d’une puissance de protection, et c’était merveilleux quand il la portait... Il y a des pierres qui peuvent servir à annoncer les circonstances. Certaines personnes savent lire dans les pierres les événements qui vont arriver. Les pierres peuvent porter des messages. Naturellement, cela exige une capacité des deux côtés : d’un côté, un pouvoir de concentration assez grand; de l’autre côté, un pouvoir de percevoir et de lire directement, sans l’usage de mots très précis non plus. Par conséquent, puisqu’elles peuvent servir d’accumulateurs, cela veut dire qu’elles portent en elles l’Origine de la force elle-même, autrement elles ne seraient pas réceptives. C’est une force de ce genre qui est à l’origine des cristallisations — comme dans les cristaux de roche, par exemple, qui forment des dessins si magnifiques, avec une harmonie si totale, et cela provient d’une seule chose, cette Présence au centre. Alors on ne voit pas parce que l’on n’a pas de sensibilité intérieure, mais une fois qu’on a la perception directe des forces d’amour derrière les choses, on voit que c’est partout les mêmes. Même dans les objets fabriqués : on peut arriver à comprendre ce qu’ils disent.

Quoi d’autre?

Douce Mère, quand on t’apporte des fleurs, comment fais-tu pour leur donner une signification?

Aux fleurs? Mais c’est de la même façon, c’est en entrant en contact avec la nature de la fleur, sa vérité intérieure. Alors on sait ce qu’elle représente.

Douce Mère, un jour tu nous as dit que tu nous dirais la différence entre ce que tu appelles le « Divin » et ce que nous appelons Dieu.

Oh! mais je vous ai dit que ce serait pour plus tard, dans plusieurs années. J’ai dit qu’il fallait que vous ayez un certain âge. J’ai même dit l’âge. Je ne me souviens plus lequel mais il faut que le cerveau soit un peu plus préparé pour pouvoir suivre.

« Toutes les altérations de cette grande puissance divine viennent de l’obscurité, l’ignorance et l’égoïsme de ses instruments limités. L’amour, force éternelle, n’a pas de convoitise, de désir, de soif de possession, d’attachement personnel ; dans son mouvement pur, c’est la recherche de l’union du moi avec le Divin, une recherche absolue, ne tenant nul compte d’aucune autre chose. L’amour divin se donne et ne demande rien. Ce que les êtres humains en ont fait, il vaut mieux ne pas en parler; ils l’ont travesti en quelque chose de laid et de répugnant! Et cependant, même chez les êtres humains, le premier contact de l’amour apporte avec lui un reflet de sa plus pure substance; pour un moment, ils sont capables de s’oublier eux-mêmes; pour un moment, le toucher di vin de l’amour éveille et magnifie tout ce qui est noble et beau. Mais bien vite la nature humaine reprend le dessus, pleine de demandes impures, exigeant quelque chose en échange de ce qui est donné, trafiquant de ce qui devrait être un don désintéressé, réclamant à grands cris la satisfaction de désirs inférieurs, dénaturant et sa lissant ce qui fut divin. »

(Entretien du 2 juin 1929)

Les êtres humains, quand ils donnent quelque chose, pourquoi toujours veulent-ils recevoir quelque chose en échange?

Parce qu’ils sont enfermés en eux-mêmes.

Ils ont le sens de leur limitation et ils ont l’impression que pour grandir, pour augmenter, et même pour subsister, ils ont besoin de prendre du dehors, parce qu’ils vivent dans la conscience de leur limitation personnelle. Alors, pour eux, ce qu’ils donnent fait un trou, et il faut boucher ce trou en recevant quelque chose!... Naturellement, c’est une erreur. Et le vrai... si, au lieu d’être enfermés dans les étroites limites de leur petite personne ils pouvaient élargir leur conscience au point de non seulement pouvoir s’identifier aux autres dans leurs étroites limites, mais de sortir de ces limites, de passer au-delà, de se répandre partout, de s’unir à la Conscience unique et de devenir toute chose, alors, à ce moment-là, les limites étroites s’évanouiraient, mais pas avant. Et tant que l’on a le sens des limites étroites on veut prendre, parce qu’on a peur de perdre. On dépense, on veut récupérer. C’est à cause de cela, mon petit. Parce que si l’on était répandu en toute chose, si toutes les vibrations qui viennent ou qui s’en vont exprimaient le besoin de se fondre en tout, de s’élargir, de croître, non pas en restant dans ses limites mais en sortant des limites, et finalement de s’identifier au Tout, on n’aurait plus rien à perdre, parce qu’on aurait tout. Seulement on ne sait pas. Et alors, comme on ne sait pas, on ne peut pas. On essaye de prendre, d’accumuler, accumuler, accumuler, mais c’est impossible, on ne peut pas accumuler. Il faut s’identifier. Et alors, le petit peu qu’on a, on veut le récupérer : on donne une bonne pensée, on s’attend à une reconnaissance; on donne un petit peu de son affection, on s’attend à ce qu’on vous en donne... Parce qu’on n’a pas la capacité d’être la bonne pensée en tout, on n’a pas la capacité d’être l’affection, la tendresse en tout. On a le sens d’être comme cela, tout coupé et limité, et on a peur de perdre tout, on a peur de perdre ce que l’on a parce qu’on serait amoindri. Tandis que si l’on est capable de s’identifier, on n’a plus besoin de tirer. Plus on se répand, plus on a. Plus on s’identifie, plus on devient. Et alors au lieu de prendre, on donne. Et plus on donne, plus on grandit.

Mais pour cela, il faut être capable de sortir des limites de son petit ego. Il faut s’identifier à la Force, s’identifier à la Vibration au lieu de s’identifier à son ego.

C’est très difficile, mais on y arrive.

Pourquoi dit-on qu’il est plus facile de faire des mau vaises choses que des bonnes?

On le dit, mais ce n’est pas toujours vrai, et cela dépend des gens. J’ai connu des gens (pas beaucoup, mais...) pour qui il était impossible de faire une mauvaise chose. Tout dans leur nature se révoltait à l’idée de faire du mal; la spontanéité était complètement opposée à cela. Mais c’est rare. Mais enfin, cela existe.

C’est parce que le monde, dans l’état où il est actuellement, est encore en grande partie sous l’influence des forces adverses, surtout la force vitale qui est dynamique et qui généralement vous fait agir. Celle-là est en grande partie sous l’influence du vital adverse, c’est-à-dire des forces qui aiment à faire le mal, à détruire, à abîmer. Cette espèce de volonté d’abîmer les choses : quand on voit quelque chose de beau, au lieu d’admirer, d’aimer, d’être heureux, de vouloir que cela augmente et que cela progresse (ce qui est le vrai mouvement divin), on a une sorte de rage, de fureur, on veut détruire, on veut abîmer. C’est le mouvement des forces adverses. Malheureusement, c’est très spontané chez beaucoup de gens, et même chez des enfants... L’instinct de détruire et d’abîmer. Eh bien, c’est la présence des forces adverses. Et ce sont des forces qui viennent directement du monde vital et qui s’incarnent sur la terre dans les consciences humaines, et même parfois aussi dans des consciences animales. C’est la haine de ce qui est beau, de ce qui est pur, de ce qui est bon, de ce qui est vrai. C’est la haine de la Présence divine. Et naturellement, avec cette haine, la volonté de détruire ou d’abîmer, de gâter, de détériorer, de déformer, d’enlaidir. Un pas de plus et c’est la volonté de faire souffrir. Et tout cela, c’est l’influence des forces adverses, qui agit très spontanément dans l’inconscient, dans le subconscient, dans la semi-conscience. C’est seulement la conscience lumineuse et pure qui peut s’opposer à cela et l’empêcher d’agir. Mais l’état du monde est tel que c’est une bataille constante. Il y a très peu de gens qui peuvent échapper à cette emprise. Chacun a généralement un tout petit coin de soi — quelquefois tout petit, quelquefois plus grand, quelquefois tout à fait inconscient, quelquefois un peu conscient, quelquefois superbement, tout à fait conscient — qui aime détruire, qui aime abîmer. Et l’état du monde est tel que quand on se laisse aller à cela, on est aidé par une ruée de forces qui attendent l’occasion, qui attendent la minute de pouvoir se manifester, qui ont besoin de la collaboration humaine pour pouvoir se manifester, qui la cherchent. Dès que l’occasion se présente, elles se précipitent, projettent une quantité formidable d’énergie. Et alors on se sent plus fort dès que l’on commence à faire le mal. C’est pour cela que c’est plus facile. Tandis que si l’on veut réagir, si l’on refuse d’être l’instrument de ces choses, il faut beaucoup lutter, être très fort, très droit, très pur, très sincère, et surtout pas égoïste. Il ne faut pas avoir de retour sur soi, et il ne faut jamais avoir peur. Et ce n’est pas facile. C’est-à-dire que le monde est dans un tel état que pour ne jamais être mû par les forces adverses — les forces d’obscurité, de destruction, de méchanceté et de haine — il faut être un héros, un vrai héros, qui n’a pas peur des coups et qui ne craint rien, qui ne fait jamais de retour sur soi, et qui n’a pas cette espèce de pitié pour soi qui est une chose si avilissante. C’est pour cela. Pour ne pas faire le mal, pour ne pas penser le mal, pour ne pas vouloir le mal, jamais, dans aucune circonstance, il faut être un héros... Ce n’est pas toujours facile d’être un héros. Les jours où l’on est fatigué, les jours où l’on a envie de se reposer, de ne plus faire d’effort, on glisse, tout glisse. C’est terriblement glissant. C’est plus glissant que le toboggan des enfants. On descend, on descend comme cela, on descend dans un tourbillon. Et c’est seulement quand on est tout en bas que l’on s’aperçoit qu’on est descendu. Alors il faut regrimper. Ce n’est pas toujours commode.

Mais pour celui qui a la foi en la Grâce divine, le retour à la Lumière devient facile 22 .

Le 26 août 1953

« L’amour est une force suprême que la Conscience Éter nelle a émanée et envoyée dans un monde inerte et obscur afin de ramener vers le Divin ce monde et ses êtres. Dans son obscurité et son ignorance, le monde matériel avait oublié le Divin. L’amour descendit dans les ténèbres; il éveilla tous ceux qui étaient endormis; il murmura, ouvrant ainsi les oreilles scellées : “Il existe quelque chose qui vaut que l’on s’éveille et que l’on vive : l’amour!” Et avec l’éveil à l’amour, entra dans le monde la possibilité du retour au Divin. À travers l’amour, la création s’élève vers le Divin, et en réponse, l’amour divin et sa Grâce se penchent à la rencontre de la création. »

(Entretien du 2 juin 1929)

D’où vient l’amour?

D’où vient l’amour? De l’Origine de l’univers.

D’ailleurs, je le dis là. C’est ce que je dis. Je dis que l’amour est une force suprême que la Conscience éternelle a émanée afin de l’envoyer dans le monde. L’amour vient de là. (Mère prend le dernier « Bulletin 23 » d’août 1953 et lit un passage de « Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations ») Ceci répond à la question :

« L’amour, dans son essence, est la joie de l’identité; il trouve son ultime expression dans la félicité de l’union. Entre les deux se trouvent toutes les phases de sa mani festation universelle. »

D’abord, c’est la joie de l’identité. Il faut déjà quelque chose qui puisse devenir conscient de l’identité, et c’est justement l’amour. Puis vient la manifestation de l’amour. Et dans sa forme suprême, c’est-à-dire quand il revient à son Origine à travers toutes les histoires de sa manifestation, il devient la félicité de l’union. Parce que le sentiment d’union vient comme une conséquence du sentiment de séparation. Le passage à travers tout l’univers manifesté donne le sentiment de la séparation de l’Origine; et le retour à l’Origine, c’est la félicité de l’union, c’est-à-dire que les deux choses qui ont été séparées se réunissent de nouveau. Et c’est encore l’amour; c’est l’amour après le grand circuit de la manifestation. Quand il revient à son Origine, il devient la félicité de l’union.

(Mère poursuit sa lecture de « Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations ») « Au début de cette ma nifestation, dans la pureté de son origine, l’amour est constitué de deux mouvements, les deux pôles complé mentaires de l’élan vers la fusion complète. C’est, d’une part, le pouvoir d’attraction suprême, et de l’autre, le besoin irrésistible du don absolu de soi. Aucun mou vement ne pouvait mieux et plus que celui-là jeter un pont sur l’abîme qui se creusa quand, dans l’être indi viduel, la conscience se sépara de son origine et devint inconscience.

« Il fallait ramener à soi ce qui avait été projeté dans l’espace, sans pour cela annuler l’univers ainsi créé. C’est pourquoi l’amour jaillit, puissance d’union irrésistible.

« Il a plané au-dessus de l’ombre et de l’inconscience, il s’est dispersé, pulvérisé au sein de l’insondable unité; et c’est à partir de ce moment-là que commença l’éveil et l’ascension, la lente formation de la matière et sa pro gression sans fin. »

C’est la réponse à ta question. C’est-à-dire que aussi haut que tu remontes, à l’Origine tu trouveras l’amour. Mais pas ce que les hommes appellent amour.

Douce Mère, « si tu m’aimes, je t’aimerai », quelle sorte d’amour est ce là ?

Si tu m’aimes, je t’aimerai? C’est la façon dont les humains parlent, justement. « Si tu m’aimes, je t’aime, si tu ne m’aimes pas, je ne t’aime pas. » C’est justement l’expression tout à fait humaine de l’amour. Et cela va encore plus loin, ils appliquent cela aussi à leur relation avec le Divin; ils disent au Divin : « Si tu fais ce que je veux, je dirai que tu m’aimes, et je t’aimerai. Mais si tu ne fais pas ce que je veux, alors je ne penserai pas du tout que tu m’aimes, et je ne t’aimerai certainement pas. »

C’est comme cela. C’est-à-dire que cela devient commercial.

Mais « si tu ne m’aimes pas, je t’aimerai » ?

Ça commencerait à être mieux !

Et ce qui est encore mieux, c’est de ne pas se demander si l’on est aimé ou si on ne l’est pas, que cela vous soit absolument indifférent. Et cela commence à être le vrai amour : on aime parce qu’on aime; mais pas du tout parce que l’on reçoit une réponse à son amour ou parce que l’autre vous aime. Toutes ces conditions-là, ce n’est pas de l’amour. On aime parce que l’on ne peut pas faire autrement que d’aimer. On aime parce qu’on aime. On ne se soucie pas du tout de ce qui arrive; on est parfaitement satisfait du sentiment de son amour. On aime parce qu’on aime.

Tout le reste, c’est du marchandage, ce n’est pas de l’amour. Et d’ailleurs, il y a une chose certaine : de la seconde où l’on entre dans l’amour véritable, on ne se pose même plus de question. Cela vous paraît tout à fait enfantin et ridicule et insignifiant de se poser la question. On a la complète plénitude de la joie et de la réalisation de la minute où l’on entre dans l’amour véritable, et on n’a pas du tout besoin d’aucune espèce de réponse. On est l’amour, c’est tout. Et on a la plénitude de la satisfaction de l’amour. Il n’est pas du tout besoin de réciprocité.

Je vous le dis, tant qu’il y a ce calcul dans l’esprit ou dans les sentiments ou dans les sensations, tant qu’il y a un calcul plus ou moins avoué, c’est du marchandage, ce n’est pas de l’amour.

Tu ne peux pas arriver à comprendre?... J’espère que cela viendra un jour!

Tout le reste, c’est justement ce que les hommes ont fait de l’amour. Et puis ce n’est pas très joli, et cela mène à toutes sortes de choses qui sont encore moins jolies, comme, par exemple, la jalousie, l’envie, et chez les natures violentes cela va jusqu’à la haine. Le petit commencement, c’est cela : le besoin, si l’on aime, que ce que l’on aime ou celui que l’on aime sache qu’il est aimé. Même dans la relation avec le Divin : on aime le Divin, mais on tient à ce que le Divin sache qu’on l’aime! C’est le commencement de la dégringolade. La vraie chose, on n’y pense même pas. Ça n’effleure pas l’esprit.

On ne pense pas — on aime, c’est tout. On aime et on est dans la plénitude de l’amour et dans la joie intense de l’amour, et puis c’est tout.

Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de chemin à faire entre ce que les hommes appellent « amour » et l’amour véritable — beaucoup de chemin.

Je ne parle même pas ici de toutes les formes repoussantes que cela prend dans la conscience humaine ordinaire : je vous parle des conditions les meilleures, de l’amour sous sa forme la meilleure, même la plus désintéressée. Je ne sais pas, si vous questionnez les êtres humains, je voudrais bien savoir le pourcentage de ceux qui ne se soucient même pas de la réciprocité? Simplement cela. Pas de ceux qui disent : « Si tu m’aimes, je t’aime », cela, c’est tout en bas de l’échelle, tout en bas, presque dans le trou... Il y a encore un échelon plus bas : « Aime-moi et puis je verrai si je t’aime. » Là, on a affaire à des gens tout à fait dégoûtants. Je parle seulement du besoin de la réciprocité : c’est le premier pas sur l’échelon qui descend.

Enfin, vous comprendrez cela un jour. Vous êtes encore très jeunes.

Quel est cet amour que les animaux ont pour les hommes?

C’est à peu près le même que les hommes peu intellectuels ont pour le Divin. C’est fait d’admiration, de confiance et du sens de la sécurité. D’admiration : cela vous paraît vraiment quelque chose de très beau. Et pas raisonné : une admiration du cœur, pour ainsi dire, spontanée. Par exemple, les chiens ont cela à un très haut degré. Et puis la confiance — naturellement là, c’est quelquefois mélangé à d’autres choses : au sentiment de besoin et de dépendance, parce que c’est cette personne-là qui me donnera à manger quand j’ai faim, qui me mettra à l’abri quand il fait mauvais, qui s’occupera de moi. Ce n’est pas la plus jolie partie. Et puis cela se mélange malheureusement (et je crois... je considère que c’est entièrement de la faute des hommes) d’une sorte de crainte; d’un sentiment de dépendance et d’une sorte de crainte de quelque chose qui est beaucoup plus fort, beaucoup plus conscient, beaucoup plus... qui peut vous faire mal, et vous êtes sans force pour vous défendre. C’est dommage, mais je crois que c’est surtout la faute des hommes.

Mais si les hommes méritaient vraiment l’amour des bêtes, il est fait d’un sentiment d’émerveillement, et du sens de la sécurité. C’est une chose très jolie, le sens de la sécurité : quelque chose qui est capable de vous protéger, de vous donner tout ce dont vous avez besoin et auprès de qui vous pouvez toujours trouver abri.

Ils ont, les animaux, une mentalité tout à fait rudimentaire. Ils ne sont pas tourmentés par des pensées constantes comme les êtres humains. Par exemple, ils ont une gratitude spontanée pour un acte de bonté à leur égard, tandis que les hommes, quatre-vingt-dix-huit fois sur cent, commencent à raisonner et à se demander quel intérêt on a à être bon. C’est l’une des grandes misères de l’activité mentale. Les animaux sont libres de cela, et quand on leur fait du bien, ils vous sont reconnaissants, spontanément. Et ils ont confiance. Alors leur amour est fait de cela, et il se change en un très fort attachement, un besoin irrésistible d’être près de vous.

Il y a autre chose. Si vraiment le maître est un bon maître et que l’animal soit fidèle, il y a un échange de forces psychiques et vitales, et un échange qui pour les animaux devient une chose merveilleuse, qui leur donne une joie intense. Quand ils aiment à être tout près de vous comme cela, lorsqu’on les tient, c’est qu’ils vibrent intérieurement. La force qu’on leur donne — la force d’affection, de tendresse, de protection, tout cela — ils la sentent, et cela crée en eux un grand attachement. Même facilement chez certains animaux d’élite comme les chiens, les éléphants, et même les chevaux, cela crée en eux un besoin de dévouement tout à fait remarquable (qui justement n’est pas contrecarré par tous les raisonnements et les arguments du mental), spontané et très pur dans son essence, quelque chose qui est très beau.

Le fonctionnement mental chez l’homme, dans sa forme rudimentaire, sa première manifestation, a gâté bien des choses qui étaient beaucoup plus jolies avant.

Naturellement, si l’homme monte à un degré supérieur et s’il fait bon usage de son intelligence, alors les choses peuvent prendre une beaucoup plus grande valeur. Mais entre les deux il y a un passage où l’homme fait de son intelligence l’usage le plus vulgaire et le plus bas; il en fait un instrument de calcul, de domination, de tromperie, et là, c’est très laid. J’ai rencontré dans ma vie des animaux que j’ai considérés comme très supérieurs à un grand nombre d’hommes, parce que justement ce calcul sordide, ce besoin de tromper et de profiter, n’est pas chez eux. Il y en a d’autres qui l’attrapent — au contact de l’homme, ils l’attrapent —, mais il y en a qui ne l’ont pas.

Le mouvement désintéressé, sans calcul, est l’une des plus jolies formes de la conscience psychique dans le monde. Mais plus on monte l’échelle de l’activité mentale, plus cela devient rare. Parce que, avec l’intelligence, viennent toute l’adresse et l’habileté, et la corruption, le calcul. Par exemple, quand une rose s’épanouit, elle le fait spontanément, pour la joie d’être belle, de sentir bon, d’exprimer toute sa joie de vivre, et elle ne calcule pas, elle n’a aucun profit à en tirer : elle le fait spontanément dans la joie d’être et de vivre. Vous prenez un être humain, eh bien, à très peu d’exceptions près, du moment où son mental est actif, il essaye de tirer profit de sa beauté et de son habileté; il veut que ça lui rapporte quelque chose, ou l’admiration des gens, ou même des calculs beaucoup plus sordides encore. Par conséquent, au point de vue psychique, la rose est supérieure aux êtres humains.

Seulement, si vous montez un échelon de plus et que vous fassiez consciemment ce que la rose fait inconsciemment, alors c’est beaucoup plus beau. Mais il faut que ce soit la même chose : un épanouissement spontané de beauté, sans calcul, pour la joie d’être. Les petits enfants ont cela quelquefois (quelquefois, pas toujours). Malheureusement, sous l’influence de leurs parents et du milieu, ils apprennent à calculer très jeunes.

Mais cette espèce de besoin de tirer profit de ce que l’on a ou de ce que l’on fait est vraiment l’une des choses les plus laides qui soient au monde. Et c’est l’une des plus répandues, et qui est devenue tellement répandue qu’elle est presque spontanée chez l’être humain. Il n’y a rien qui tourne plus totalement le dos à l’Amour divin que cela, ce besoin de calculer et de profiter.

Est ce que les fleurs ont un amour?

C’est leur forme d’amour, cet épanouissement. Certainement, quand on voit la rose s’épanouir au soleil, c’est comme un besoin de donner sa beauté. Seulement, pour nous, c’est presque inintelligible, parce qu’elles ne pensent pas ce qu’elles font. Un être humain associe toujours, à tout ce qu’il fait, cette capacité de se regarder faire, c’est-à-dire de se penser, de se penser faire. On pense que l’on fait une chose. Les animaux ne pensent pas. Ce n’est pas du tout la même forme d’amour. Et les fleurs ne sont pour ainsi dire pas conscientes : c’est un mouvement spontané, pas une conscience qui est consciente de soi, du tout. Mais c’est une grande Force qui agit à travers tout cela, la grande Conscience universelle et la grande Force d’amour universel qui font que toutes les choses s’épanouissent dans la beauté.

C’est ce que j’ai écrit là aussi.

(Mère reprend sa lecture de « Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations ») « N’est ce point l’amour, sous une forme dévoyée et obscurcie, qui est associé à toutes les impulsions de la nature physique et vitale, comme l’élan de tout mouvement et de tout groupement, deve nant tout à fait perceptible dans le règne végétal... »

N’est-ce pas, les cristaux qui s’assemblent dans la matière obéissent déjà à un mouvement d’amour; mais cela devient tout à fait perceptible dans le règne végétal, chez l’arbre et la plante. C’est le besoin de croître pour obtenir plus de lumière. Tous ces arbres qui montent toujours (ils montent toujours, les petits tâchent d’attraper les grands, les grands tâchent de monter encore; vous mettez deux plantes ensemble, elles essayent toutes de trouver une orientation qui leur donne le plus de lumière qu’elles peuvent), c’est le besoin de croître pour obtenir plus d’air, plus de lumière, plus d’espace.

(Mère poursuit sa lecture) « ... chez les fleurs, c’est le don de leur beauté et de leur senteur dans un épa nouissement amoureux ; et ensuite, chez les animaux, [l’amour] n’est-il pas derrière la faim, la soif, le be soin d’appropriation, d’expansion, de procréation, en résumé, derrière tout désir, conscient ou non, et chez les espèces supérieures, dans le dévouement plein d’abnéga tion de la femelle pour ses petits. »

... qui chez l’homme devient l’amour maternel. La seule différence, c’est qu’il est conscient de soi. Et chez les animaux, il est quelquefois même plus pur que chez les êtres humains. Il y a des exemples de dévouement, de soin, d’oubli de soi des animaux pour les petits, qui sont absolument merveilleux. Seulement c’est spontané, ce n’est pas réfléchi, ce n’est pas pensé; l’animal ne se pense pas en train de faire. L’être humain se pense. Quelquefois cela abîme le mouvement (quelquefois, le plus souvent), quelquefois cela peut le rendre d’une qualité supérieure, mais c’est rare. Il y a moins de spontanéité dans le mouvement humain que dans le mouvement animal.

J’avais une chatte, la première fois qu’elle a eu ses petits, elle ne voulait pas bouger. Elle ne mangeait pas, elle ne satisfaisait à aucun des besoins de la nature. Elle restait là, accrochée à ses petits, les couvant et les nourrissant : elle avait beaucoup trop peur qu’il leur arrive quelque chose. Et c’était tout à fait irréfléchi et spontané. Elle refusait de bouger, tellement elle avait peur qu’il puisse leur arriver quelque chose de mauvais, par instinct. Et alors, quand ils ont été plus grands, la peine qu’elle se donnait pour les éduquer! c’était merveilleux. Et une patience! Et comment elle leur apprenait à sauter d’un mur à l’autre, à attraper la nourriture; comment, avec quel soin, elle répétait une fois, dix fois, cent fois, s’il le fallait. Elle ne se fatiguait jamais, jusqu’à ce que l’enfant ait fait ce qu’elle voulait qu’il fasse. Une éducation extraordinaire. Elle leur apprenait comment côtoyer les maisons en suivant le bord des murs, comment il fallait marcher pour ne pas tomber. Quand il y avait un espace d’un mur à l’autre, ce qu’il fallait faire pour passer de là à là : les petits avaient très peur parce qu’ils voyaient le trou, et ils refusaient de sauter parce qu’ils avaient peur (ce n’était pas trop loin pour eux, mais il y avait le trou, ils n’osaient pas) et alors, la mère sautait, elle allait de l’autre côté, elle les appelait : viens, viens. Ils ne bougeaient pas, ils tremblaient. Elle sautait encore, et puis elle leur faisait un discours, elle leur donnait des petits coups de patte et les léchait, et eux ne bougeaient pas. Elle sautait. Je l’ai vue faire cela pendant plus d’une demi-heure. Mais au bout d’une demi-heure, elle a trouvé qu’ils avaient assez appris, alors elle s’est mise derrière celui qu’évidemment elle considérait comme le plus avancé, le plus capable, et elle lui a donné une bourrade avec sa tête. Alors le petit, poussé, d’instinct a sauté. Une fois qu’il avait sauté, il sautait, sautait, sautait...

Il y a peu de mères qui aient cette patience.

Voilà, mes enfants. C’est tout? Plus rien?... Bonne nuit.

septembre




Le 2 septembre 1953

« Chacune des religions peut raconter la même histoire. L’occasion de sa naissance est la venue d’un grand instructeur dans le monde; il est l’incarnation d’une divine vérité et s’efforce de la révéler; mais les hommes s’en saisissent, en font commerce et en tirent une organisation pour ainsi dire politique. La religion est munie par eux d’un gouvernement, d’une administration et de lois, avec ses articles de foi et ses dogmes, ses règles et ses règlements, ses rites et ses cérémonies, tous imposés aux adhérents comme des choses absolues et inviolables. De même que les États, la religion ainsi construite distribue des récompenses au loyal et inflige des punitions à celui qui se révolte ou s’égare, à l’hérétique, au renégat.

« Le premier et principal article de foi de ces religions établies et formelles, est toujours : “Ma religion possède la vérité suprême, la seule; toutes les autres sont dans le mensonge ou, en tout cas, sont inférieures.” [...]

« Cette attitude est naturelle à la mentalité reli gieuse; mais c’est précisément ce qui rend la religion si contraire à la vie spirituelle. Les articles et dogmes d’une religion sont des productions du mental, et si vous vous attachez à eux et que vous vous enfermiez dans un code de vie tout fait, vous ne connaissez pas et ne pouvez pas connaître la vérité de l’esprit qui se tient libre et vaste au-delà de tous les codes et de tous les dogmes. Quand vous vous arrêtez à une croyance religieuse, vous liant à elle et la prenant pour la seule vérité dans le monde, vous arrêtez du même coup la marche en avant et l’épa nouissement de votre être intérieur. »

(Entretien du 9 juin 1929)

Si l’on suit une religion et que l’on ait une bonne capacité, est ce que l’on peut aller plus loin et arriver à l’identification avec le Divin?

C’est impossible.

La religion est toujours une limite de l’esprit.

Si un homme a une vie spirituelle indépendante de ses formations mentales et des cadres dans lesquels il vit, alors cette vie spirituelle lui fait traverser, pour ainsi dire, les principes de la religion pour entrer dans quelque chose de supérieur. Mais il faut que cette consécration vienne du dedans et non de la forme. Si elle vient de la forme exclusivement, alors la limitation est si grande qu’il ne peut pas passer plus loin.

Il y a des êtres qui doivent nécessairement sortir de la religion s’ils ne veulent pas être arrêtés dans leur progrès. Mais ceux qui ont une activité mentale pratiquement nulle, qui ne se posent pas de questions, qui ont simplement une intense dévotion dans leur cœur et un besoin de se donner à quelque chose qui leur est infiniment supérieur, ceux-là, qu’ils aient une religion ou qu’ils n’en aient pas, cela revient au même point. On ne peut jamais aller plus loin.

Il est difficile d’aller aussi loin à moins que le mental ne soit libre et ne vive dans une lumière. C’est l’une des conditions assez indispensables (pas absolument indispensables). Mais enfin, il y a des êtres qui n’ont aucun pouvoir mental et qui acceptent n’importe quel dogme sans discuter; ils sentent que rien ne peut les empêcher d’avoir cet élan intérieur qui les mettra en rapport avec le Divin. Mais généralement ils n’ont pas de vie mentale. Elle est tout à fait réduite. Voilà.

Est ce que les castes ont une importance dans la vie spirituelle?

Les castes? Qu’est-ce que cela a à voir avec la vie spirituelle! Absolument rien. C’est simplement une organisation sociale, c’est tout.

On dit que les brâhmanes sont plus avancés pour servir le Divin?

On dit beaucoup de choses.

La vie spirituelle ne dépend pas de ces considérations, du tout. Certaines vertus sociales en dépendent, et uniquement parce que, dans certains milieux, il existe certaines traditions d’éducation, et qu’il y a des éducations qui sont meilleures que d’autres. Mais c’est tout.

Quant à la question de ne pas mélanger les sangs, c’est sujet à discussion. Parce que, par exemple, si l’on prend les diverses espèces de chiens (excusez-moi, je ne veux pas faire une comparaison malhonnête), enfin, le chien qui est de sa sorte, de son espèce, quand on a très grand soin de garder le type pur, de ne permettre aucun mélange, il devient de plus en plus bête, tandis que le chien de la rue, celui qui provient d’une mésalliance et qui est quelquefois une horreur au point de vue physique — il est hideux, il est fait d’une espèce et d’une autre mélangées —, ce chien-là est en général très supérieur au point de vue de l’intelligence. Alors, même comme cela on ne peut pas dire. Les mariages dans les petites communautés, qui se font dans la caste, où l’on ne permet aucun mélange, aboutissent généralement à un amoindrissement progressif, graduel, de l’intelligence de l’espèce. Ce n’est pas une sélection, c’est le contraire. Il faut toujours des mélanges neufs pour produire des espèces neuves capables d’exprimer un progrès... Au point de vue social, c’est tout à fait défendable, et c’est très commode et simple, cela donne des cadres qui permettent justement une organisation plus facile, mais c’est toute la valeur que cela a.

Mais je crois que c’est la même chose pour les castes que pour les pays. Chaque caste est convaincue que c’est elle qui détient le maximum de progrès possible! Et si l’on entend les gens parler, même ceux qui sont tout à fait hors-caste sont pleins de mépris pour les autres et ils se croient supérieurs.

« Celui qui s’en tient à une foi particulière, ou qui a découvert quelque vérité, est toujours enclin à penser que lui seul a trouvé la vérité pleine et entière. Telle est la nature humaine! Un mélange de mensonge semble nécessaire aux êtres humains pour qu’ils se tiennent de bout et avancent sur leur chemin. Si la vision de la vérité leur était donnée soudain, ils seraient écrasés sous son poids. »

(Entretien du 9 juin 1929)

Les hommes avancent-ils de plus en plus vers le Divin?

C’est difficile à dire. Logiquement, toute la création doit avancer de plus en plus vers le Divin, puisque c’est son but ultime. Mais en fait, c’est une drôle de marche parce que l’on fait trois pas en avant et deux pas en arrière; on fait deux pas en avant et un de côté! Alors, avant d’arriver au bout, cela prendra très longtemps. Ça a l’air comme cela.

Il y a une grande différence entre le principe général, la théorie vue d’ensemble au-dessus des millénaires sans tenir aucun compte du nombre des années (pas des années, je dis des millénaires et des milliers de siècles), une grande différence entre cela et les faits pratiques. On peut dire que toute la création avance vers l’union avec le Créateur, mais il y a le fait, d’abord, que tout le mouvement évolutif est un mouvement en spirale. Alors, dans cette spirale, il y a d’innombrables points et à chaque point on réalise un progrès vertical. Mais il faut faire tout le tour pour revenir encore à ce même point, mais un petit peu plus haut... Et alors, tout le temps que l’on passe à faire autre chose, à réaliser d’autres points, celui-là est comme oublié. Et cela se traduit ainsi dans l’histoire humaine :

Il y a une civilisation merveilleuse avec toutes sortes de productions extraordinaires au point de vue scientifique, au point de vue artistique, même au point de vue politique, au point de vue de l’organisation, au point de vue social. On a de belles civilisations comme celles qui ont laissé une sorte de souvenir occulte d’un continent qui aurait relié l’Inde à l’Afrique, par exemple, et dont il ne reste aucune trace (à moins que certaines races humaines ne soient le résidu de cette civilisation-là). On a des civilisations comme cela qui disparaissent tout d’un coup, puis toute une histoire qui est pleine... d’ombre, d’inconscience, d’ignorance, de races tout à fait primitives qui semblent tellement proches des animaux que l’on se demande s’il y a vraiment une différence. Et alors, il y a un grand trou dans l’obscurité, à travers toutes sortes de désordres de tous genres. Et puis, tout d’un coup, ça émerge en haut, encore à une hauteur plus grande, avec des vertus plus grandes, une réalisation plus grande... comme si toutes ces heures de nuit et de travail dans la nuit avaient préparé la matière pour qu’elle puisse exprimer quelque chose de supérieur. Puis encore une autre obscurité, un oubli : la terre redevient barbare, obscure, ignorante, douloureuse. Tout d’un coup, quelques milliers d’années après, une nouvelle civilisation arrive...

Alors, si vous regardez cela par en bas, vous vous demandez : « Où est le progrès? » parce que toujours cela disparaît, ça s’écroule; ou ça pourrit, ça s’abîme complètement. C’est oublié. Et l’humanité redevient quelque chose de très ordinaire, de très amorphe, de grouillant dans une semi-obscurité. Et puis encore une fois, tout d’un coup, une illumination. Alors, quand on est dans l’illumination, on se dit : « Maintenant je tiens bon, c’est la bonne chose, maintenant il ne faut plus tomber... »

Jusqu’à présent on est toujours retombé.

Il faudra voir.

On retombera encore une fois?

Ça, mon petit, je ne l’ai pas dit. Je n’ai rien dit, j’ai dit : « On verra. »

Au fond, je crois que cela dépend un peu de chacun de nous et de notre aspiration. Si chacun fait tout ce qu’il peut et le maximum de ce qu’il peut, il y a des chances que l’on arrive à un état de stabilisation où l’ascension se fera sans que rien ne soit détruit pour recommencer.

Ce n’est pas indispensable, mais cela a toujours été ainsi jusqu’à présent, et, au fond, je ne sais pas si la Nature n’y prend pas un très grand plaisir...

Il se trouve que nous sommes obligés de nous appuyer sur ce que la Nature a fait, puisque c’est elle qui a travaillé jusqu’ici. Mais en même temps, nous n’approuvons pas ses façons de faire. Alors cela produit un petit conflit interne (familial si je puis dire!) mais qui rend les choses un peu difficiles, parce qu’elle n’aime pas que l’on dérange sa manière d’être. Et pourtant, si l’on fait comme elle veut, ce sera toujours la même histoire, il faudra toujours que ça disparaisse et que ça recommence, puisque c’est son amusement. Donc, il faut pouvoir l’empêcher de nuire. Mais si par hasard on trouvait un bon moyen de l’intéresser et de faire qu’elle collabore, alors, avec sa collaboration, il serait possible que l’on réussisse.

Au fond, tout ce qu’il faut, c’est qu’elle comprenne que l’on peut faire d’une autre manière que la sienne.

Et puis comme elle a (vous pouvez le voir) une ingéniosité merveilleuse et vraiment une imagination fantastique... Vous n’avez qu’à regarder ou photographier les animaux ; si vous regardez cela et que vous compariez la petite souris à la girafe, l’éléphant et le chat, tous ces animaux qui étaient d’avant et tous ces animaux qui sont encore avec des formes bizarres, extraordinaires — quelle imagination, quelle formidable imagination! Si vous aviez été obligés de créer tous les animaux qui sont sur la terre, vous auriez trouvé cela très difficile! Maintenant que vous les voyez, cela vous paraît tout naturel... J’ai vu l’autre jour une image qui représentait simplement une girafe qui cueillait des fruits tout en haut d’un arbre. J’ai dit : « Faut-il avoir une imagination pour trouver cela, un animal qui a le cou assez long pour aller jusqu’au bout de l’arbre pour manger les fruits! » C’est merveilleux. Et tout est comme cela. Cela nous paraît tout à fait naturel parce que nous avons toujours vécu avec cela, mais il faut avoir vraiment du génie.

Alors, cette personne qui a du génie, et qui a en même temps la force de réaliser tout ce qu’elle imagine, elle n’aime pas beaucoup qu’on se mêle de ses affaires! Elle dit : « Êtes-vous capables de faire ce que je fais? »

Il faut la convaincre que l’on ne veut rien déranger de ce qu’elle fait, mais que l’on veut simplement apporter quelque chose de plus. Pour la convaincre, il n’y a qu’une façon : c’est de le faire. Tant que c’est une aspiration, elle sourit, elle regarde, elle dit : « Voyons, voyons, qu’est-ce que vous allez faire? »

Mais quand on l’aura fait, je crois qu’elle dira : « C’est bien. »

Alors il n’y a qu’une façon, c’est de le faire.

Le 9 septembre 1953

« Chaque fois que quelque parcelle de la vérité et de la force divines descend pour se manifester sur la terre, un changement est effectué dans l’atmosphère terrestre. Tous ceux qui sont réceptifs, au contact de cette descente, s’éveillent à une inspiration, à un commencement de vision. S’ils étaient capables de contenir et d’exprimer correctement ce qu’ils ont reçu, ils diraient : “Une grande force est descendue; je suis en contact avec elle, et ce que j’en comprends, je vais vous le dire.” Mais la plupart d’entre eux ne peuvent pas s’en tenir à cela, parce que leur mental est petit. Ils deviennent illuminés, possédés pour ainsi dire, et ils s’écrient : “J’ai la divine vérité; je l’ai reçue pleine et entière!” » [...]

« La conscience divine unique travaille ici dans tous ces êtres, préparant son chemin à travers toutes ces ma nifestations. En ce jour, elle est à l’œuvre sur terre plus puissamment qu’elle ne l’a jamais été. Quelques-uns sont touchés par elle, d’une certaine façon et à un cer tain degré; mais ce qu’ils reçoivent, ils le déforment, ils en font quelque chose à eux. D’autres sentent le contact, mais ne peuvent supporter la force et perdent l’esprit sous la poussée. Un petit nombre seulement ont la ca pacité de recevoir et la force de supporter, et ce sont eux qui deviennent les réceptacles de la pleine connaissance, ses instruments, ses agents choisis. »

(Entretien du 9 juin 1929)

Comment la Force divine choisit-elle l’instrument dans lequel elle veut se manifester?

Par affinité. Parce que la qualité, la nature de la conscience est visible dans le domaine divin. Ça a une vibration spéciale, une lumière spéciale, et cela peut être perçu. Et alors, quand il y a une affinité (quelquefois seulement une affinité, quelquefois une identité, cela dépend du degré de perfection des êtres), la Force va là. Ceux qui sont encore en cours de formation mais dont le psychique est suffisamment développé, on les voit, on voit leur vibration, on voit l’être qui est là, et d’après cela, on décide quel est le degré de manifestation, la ligne exacte de la manifestation, et quelle est son importance, et dans quelles conditions. Tout cela appartient à la vision intérieure.

Mais il se peut que l’instrument ne comprenne pas, parce que l’homme en qui la Force se manifeste, quel quefois perd la tête et ne peut pas contenir la Force?

Cela peut arriver, tout est possible. Mais généralement... Je vous ai dit cela l’autre jour quand je vous ai parlé de la réincarnation des êtres psychiques, je vous ai dit que, de leur domaine, ils voient une certaine vibration, une certaine lumière, et ils savent que c’est là qu’ils doivent aller. Mais quand ils tombent, la plupart du temps ils tombent dans une inconscience et ils perdent leurs facultés, au moins pour un moment. Ils finiront par se retrouver. Cela prend du temps pour se retrouver, cela vient à mesure que l’on progresse, par illuminations consécutives.

Entre le vital et le mental, lequel fait le progrès le plus rapide, en général?

Cela dépend des gens. Ceux qui ont un vital plus fort, c’est le vital, et ceux qui ont un mental plus fort, c’est le mental. Tu veux dire dans le même être? Cela dépend absolument de ce qui est le plus actif ou le plus fort. De quelle façon? Dans chaque être la combinaison est différente, alors on ne peut pas faire une règle générale et dire comment ce doit être. On peut dire que dans certains genres de cas, c’est comme cela, et dans d’autres genres de cas, c’est comme cela.

Mais à vrai dire, je ne crois pas que l’on puisse faire de très grands progrès si les deux ne sont pas d’accord, si l’un tire d’un côté et l’autre tire de l’autre. Ce sera toujours difficile. Et généralement il vaut mieux que ce soit le mental qui se convertisse en premier, parce que c’est lui qui doit avoir le pouvoir d’organisation sur les autres parties de l’être.

(Mère s’arrête et regarde brusquement parmi les disciples) Il y a quelqu’un qui a envoyé ici, tout de suite, une formation mentale qui... si vous voulez, a pris la forme d’un papier bleu sur lequel il y avait écrit quelque chose. C’est tombé en tournoyant, et c’est tombé sur l’un d’entre vous. Alors je voudrais bien savoir s’il y a quelqu’un qui a reçu tout d’un coup une réponse sensationnelle?... Personne?... Je ne saisis pas qui c’était d’entre vous, parce que ça a tournoyé... (silence) Tant pis. Mais c’est tombé sur l’un d’entre vous. C’était comme un papier bleu, ça avait pris la forme d’un papier bleu, et il y avait une réponse très intéressante là-dessus. Personne n’a rien reçu? Il n’y a pas une idée qui soit venue tout d’un coup dans votre tête? Non? (Personne ne répond)

Si le vital ne se convertit pas, et si le mental est convaincu ?

Eh bien, vous passez la vie à vous disputer avec vous-même! L’un tire d’un côté, et l’autre essaye d’être un beau mentor, mais on ne l’écoute pas. Et alors on se sent comme cela, tiraillé. On sait ce que l’on devrait faire et on ne le fait pas. On sait ce qu’il ne faut pas faire et on le fait. Et puisque l’on fait des bêtises, on les regrette. Alors il y a deux choses, on est malheureux pour deux raisons : d’abord pour les bêtises que l’on a faites, et puis pour les regrets qu’on en a. C’est une situation un peu pénible...

Est ce que l’on ne peut pas convertir le vital?

Convertir le vital? Sûrement on peut. C’est une besogne difficile, mais on peut. Si l’on ne pouvait pas, alors il n’y aurait pas d’espoir. Mais généralement le mental ne suffit pas. Parce que j’ai connu une quantité considérable de gens qui voyaient très clair, qui comprenaient très bien, qui étaient tout à fait convaincus mentalement, qui pouvaient même vous décrire et vous dire des choses remarquables, qui pourraient très bien donner d’excellentes leçons aux autres, mais dont le vital faisait les quatre cents coups et n’écoutait pas du tout tout cela. Il disait : « Ça m’est bien égal ce que tu peux raconter, moi, je vais mon propre chemin! »

Il n’y a que si le contact avec le psychique est établi, alors ça, ça peut convertir — n’importe quoi, le pire des criminels — et en un moment. Ce sont de ces illuminations qui vous saisissent et qui vous retournent complètement. Après cela, ça va bien. On peut avoir des petites difficultés d’ajustement, mais enfin ça va bien.

Tandis que le mental est très prédicateur, c’est sa nature : il vous fait des discours, des sermons, comme on en fait dans les églises. Alors le vital généralement s’impatiente et lui répond très poliment : « Tu m’embêtes! C’est très bien pour toi ce que tu dis, mais pour moi, ça ne va pas. » Ou bien, au mieux, quand le mental est doué de capacités spécialement remarquables et que le vital est d’une qualité un peu supérieure, il peut dire : « Oh! comme c’est beau ce que tu me dis (cela arrive quelquefois), mais vois-tu, moi, je ne peux pas le faire; c’est très beau, mais c’est en dehors de ma capacité. »

Mais ce vital est un être curieux. C’est un être de passion, d’enthousiasme, naturellement de désir; mais, par exemple, il est très capable d’être enthousiasmé par quelque chose de beau, d’admirer, de sentir ce qui est plus grand et plus noble que lui. Et si vraiment quelque chose de tout à fait beau se passe dans l’être, s’il y a un mouvement qui ait une valeur exceptionnelle, eh bien, il peut être enthousiasmé et il est capable de se donner avec un dévouement total — avec une générosité que l’on ne trouve pas, par exemple, dans le domaine mental ni dans le domaine physique. Il a cette plénitude dans l’action, qui vient justement de sa capacité de s’enthousiasmer et d’être tout entier sans réserve dans ce qu’il fait. Les héros sont toujours des gens qui ont un vital puissant, et quand le vital s’enthousiasme pour quelque chose, ce n’est pas un être raisonnable mais c’est un guerrier; il est tout entier dans son action, et il peut faire des choses exceptionnelles parce qu’il ne calcule pas, il ne raisonne pas, il ne se dit pas : il faut prendre des précautions, il ne faut pas faire ceci, il ne faut pas faire cela. Il n’est pas prudent, il s’emballe comme on dit, il se donne tout entier. Alors il peut faire des choses magnifiques s’il est dirigé de la bonne manière.

Un vital converti est un instrument tout-puissant. Et il est converti quelquefois par quelque chose d’exceptionnellement beau, moralement ou matériellement. Quand il assiste, par exemple, à une scène d’abnégation totale, de don de soi sans calcul — une de ces choses qui sont excessivement rares mais qui sont splendidement belles —, il peut s’emballer pour cela, il peut être pris de l’ambition de faire la même chose. Ça commence par une ambition, ça finit par une consécration.

Il n’y a qu’une chose dont le vital ait horreur, c’est de la vie terne, monotone, grise, sans goût et sans valeur. En face de cela, il s’endort, il entre dans l’inertie. Il aime les choses extrêmement violentes, c’est vrai; il peut être extrêmement méchant, extrêmement cruel, extrêmement généreux, extrêmement bon, et extrêmement héroïque. Il sera toujours extrême, et ce peut être d’un côté ou de l’autre suivant, mon dieu, le courant qui passe.

Et ce vital, si vous le mettez dans un mauvais entourage, il imitera le mauvais entourage et il fera les choses mauvaises avec violence et extrémité. Si vous le mettez en présence de quelque chose de merveilleusement beau, généreux, grand, noble, divin, il pourra s’emballer là aussi, oublier tout le reste et se donner tout entier. Il se donnera plus totalement que n’importe quelle autre partie de l’être, parce qu’il ne calcule pas. Il va selon ses passions et son enthousiasme. Quand il a des désirs, ses désirs sont violents, arbitraires, et il ne calcule pas du tout le bien ou le mauvais des autres, ça lui est tout à fait égal. Mais quand il se donne à quelque chose de beau, il ne calcule pas non plus, il se donnera tout entier sans savoir si ça lui fera du bien ou si ça lui fera du mal. C’est un instrument très précieux.

Mais c’est comme un cheval pur-sang : s’il se laisse guider, alors il gagnera toutes les courses, il arrivera premier partout; s’il est indompté, il piétinera les gens et il fera des dégâts, et il se cassera lui-même les pattes ou les reins! C’est comme cela. Le tout est de savoir de quel côté il tournera. Il aime les choses exceptionnelles — exceptionnellement mauvaises ou exceptionnellement bonnes, mais il aime l’exceptionnel. Il n’aime pas la vie ordinaire : il devient terne, il devient à moitié inerte. Et si on l’enferme dans un coin et qu’on lui dise : « Tiens-toi tranquille », alors il restera là et il deviendra de plus en plus comme quelque chose qui s’effrite et qui finit par devenir comme une momie : il n’y a plus de vie dedans, c’est desséché. Et on n’aura plus la force de faire ce que l’on veut faire. On aura de belles idées, on aura d’excellentes intentions, mais on n’aura pas d’énergie pour exécuter.

Alors, ne vous lamentez pas si vous avez un vital puissant, mais il faut avoir des rênes solides et puis le tenir assez fort. Alors ça va.

La dépression vient du vital?

Oh! oui. Tout, tous vos embêtements, dépressions, découragements, dégoûts, fureurs, tout, tout cela vient du vital. C’est lui qui change l’amour en haine, c’est lui qui crée l’esprit de vengeance, la rancune, la mauvaise volonté, le besoin de détruire et de nuire. C’est lui qui vous décourage quand les choses sont difficiles ou quand elles ne sont pas suivant son goût. Et il a une capacité extraordinaire de faire grève! Quand il n’est pas content, il se fourre dans un coin et il ne bouge plus. Et alors vous n’avez plus d’énergie, vous n’avez plus de force, vous n’avez plus de courage, votre volonté est comme... comme une plante qui se fane. Tous les dépits, tous les dégoûts, toutes les fureurs, tous les désespoirs, tous les chagrins, toutes les colères, tout cela vient de ce monsieur-là. Parce que c’est l’énergie en action. Alors, cela dépend de quel côté elle se tourne.

Et je vous dis, il a une très grande habitude de faire grève. Ça, c’est son arme puissante : « Ah! vous ne faites pas ce que je veux, eh bien, je ne bouge plus, je ferai le mort. » Et il le fait pour la moindre chose. Il a très mauvais caractère, il est très susceptible et il est très rancunier — il a très mauvais caractère. Parce que je crois qu’il est très conscient de son pouvoir, et il sent très bien que s’il se donne tout entier, il n’y a rien qui résistera au mouvement de sa force. Et comme tous les gens qui ont un poids dans la balance, eh bien, il fait du marchandage : « Je vous donnerai mon énergie, mais il faudra que vous fassiez ce que je veux. Si vous ne me donnez pas ce que je demande, eh bien, je retire mon énergie. » Et vous serez plat comme une galette. Et c’est vrai, ça arrive comme cela.

C’est difficile à régler. Mais naturellement, quand on arrive à dompter ça, on a quelque chose de puissant entre les mains pour réaliser. C’est lui qui peut enlever d’assaut les plus grands obstacles. C’est lui qui est capable de rendre intelligent un idiot — c’est le seul, parce que si l’on se passionne pour faire un progrès, si le vital se met dans la tête que l’on progressera, même le plus idiot peut devenir intelligent! Je l’ai vu, je n’en parle pas par ouï-dire : j’ai vu cela, j’ai vu des gens qui étaient ternes, stupides, incapables de comprendre, qui ne comprenaient rien — on pouvait leur expliquer pendant des mois quelque chose, ça n’entrait pas, comme si l’on parlait à un morceau de bois — et puis, tout d’un coup, leur vital a été pris d’une passion; ils ont voulu simplement plaire à quelqu’un ou réaliser quelque chose, et pour cela il fallait comprendre, il fallait savoir, c’était nécessaire; eh bien, ils ont mis tout en mouvement, ils ont bousculé ce mental endormi, ils ont mis des énergies dans tous les coins où il n’y en avait pas, et ils ont compris, ils sont devenus intelligents. J’ai connu quelqu’un qui pratiquement ne savait rien, ne comprenait rien, et qui, lorsque le mental s’est mis en mouvement et que cette passion de progrès l’a pris, s’est mis à écrire des choses merveilleuses. Je les ai entre les mains. Et quand le mouvement s’est retiré, quand le vital faisait grève (parce que quelquefois il faisait grève, il se retirait), la personne redevenait absolument stupide.

N’est-ce pas, il est très difficile d’établir un contact constant entre la conscience physique la plus extérieure et la conscience psychique, et ouf! la conscience physique est de très bonne volonté, elle est très régulière, elle essaye beaucoup, mais elle est lente et lourde, et c’est long, c’est difficile. Elle ne se fatigue pas, mais elle ne fait pas d’effort; elle continue son chemin, tranquillement. Ça peut prendre des siècles pour mettre en contact la conscience extérieure avec le psychique. Mais pour une raison quelconque, voilà que le vital s’en mêle. Il lui prend une passion. Il veut ce contact (pour une raison quelconque, qui n’est pas toujours une raison spirituelle), mais il veut ce contact. Il le veut avec toute son énergie, toute sa force, toute sa passion, tout son enthousiasme : en trois mois l’affaire est faite.

Alors voilà. Prenez bien soin de lui, traitez-le avec grande considération, mais ne lui obéissez jamais. Parce qu’il vous mènera à toutes sortes d’expériences fâcheuses. Et si vous arrivez d’une façon quelconque à le convaincre, alors vous ferez des pas de géant sur le chemin.

Le 16 septembre 1953

« La force qui descend en celui qui fait un yoga et l’aide dans sa transformation, agit de bien des façons, et les résultats diffèrent suivant la nature qui la reçoit et le travail qui est à faire. Tout d’abord, elle hâte dans l’être la transformation de tout ce qui est prêt à changer. Si c’est dans son mental qu’il est ouvert et réceptif, le men tal, touché par la puissance du yoga, se met à progresser rapidement. La même promptitude de changement peut se produire dans la conscience vitale si elle est prête, ou même dans le corps. Mais dans le corps, le pouvoir trans formateur du yoga agit seulement jusqu’à un certain point, car la réceptivité du corps est limitée. La condition de la région la plus matérielle de l’univers est encore telle que la réceptivité y est largement mélangée de résistance. Un rapide progrès d’une partie de l’être, qui n’est pas suivi d’un progrès équivalent des autres parties, produit un désaccord dans la nature, une dislocation quelque part; et partout où cette dislocation se produit, elle peut se traduire par une maladie. La nature de la maladie dépend de la nature de la dislocation. »

(Entretien du 16 juin 1929)

Pourquoi la réceptivité du corps est-elle limitée?

Parce que, dans le monde physique, pour que les choses ne se mélangent pas, il a fallu qu’il soit un peu fixe. Si, par exemple, votre corps était si subtil et plastique que tout d’un coup il se mette à fondre comme cela, devant quelqu’un d’autre, ce serait ennuyeux ! Ou quand vous vous approchez, si cela se mélangeait, ce serait assez désagréable! Alors, à cause de cela, il y a eu une concentration plus grande, une sorte de fixité dans la force 24 pour séparer (vraiment c’est pour séparer) une individualité d’une autre individualité. Et cette fixité, c’est justement ce qui empêche le corps de progresser aussi rapidement qu’il pourrait et devrait le faire. Et à mesure que l’on devient plus grand, que l’on a atteint sa taille normale et sa constitution normale, on devient encore plus rigide. Parce que les enfants ont cette plasticité de croissance, ils sont tout le temps, tout le temps à changer, ils sont visiblement à changer. Alors, tant qu’ils sont jeunes et qu’ils sont en croissance et en développement, ils ont une certaine plasticité en eux ; mais quand on a dépassé quarante ans — et comme généralement dans la vie on s’assoit et on pense qu’on est arrivé et qu’on va récolter le fruit de ses efforts —, alors on devient aussi sec et dur que du bois, d’abord, et finalement que de la pierre. Et comme le corps ne peut plus du tout s’adapter au mouvement de transformation intérieure, il traîne, il vieillit et il ne peut plus suivre. Alors ça se dessèche.

Après la mort, l’être intérieur progresse-t-il encore?

Cela dépend tout à fait des cas. Pour chacun, c’est différent. Il y a des gens — par exemple des écrivains, des musiciens, des artistes —, des gens qui ont vécu sur des hauteurs intellectuelles, qui ont le sentiment d’avoir encore quelque chose à faire, qu’ils n’ont pas terminé ce qu’ils avaient entrepris, qu’ils ne sont pas arrivés au but qu’ils s’étaient fixé, ceux-là sont prêts à rester dans l’atmosphère terrestre autant qu’ils le peuvent, avec une cohésion aussi grande que possible, et ils cherchent à se manifester et à progresser en d’autres formes humaines. J’ai vu beaucoup de cas comme cela, j’ai vu le cas très intéressant d’un musicien qui était pianiste (pianiste de très grande valeur), qui avait des mains qui étaient une merveille d’habileté, d’exactitude, de précision, de force, de rapidité de mouvement, enfin c’était tout à fait remarquable. Cet homme est mort relativement jeune avec le sentiment que, s’il avait continué à vivre, il aurait continué à progresser dans son expression musicale. Et l’intensité de l’aspiration était telle que des mains subtiles sont restées formées sans se dissoudre et chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un d’un peu passif, un peu réceptif et bon musicien, ses mains entraient dans les mains de ceux qui jouaient — la personne qui jouait à ce moment-là pouvait jouer bien mais d’une façon ordinaire, et elle devenait à ce moment-là, non seulement une virtuose mais une artiste merveilleuse pendant le temps qu’elle jouait. C’étaient les mains de l’autre qui se servaient d’elle. C’est un phénomène que je connais. J’ai vu la même chose pour un peintre : c’étaient aussi des mains. La même chose pour certains écrivains, et là, c’était le cerveau qui se gardait dans une forme assez précise et pénétrait le cerveau de celui qui était suffisamment réceptif, et lui faisait tout d’un coup écrire des choses extraordinaires, infiniment plus belles que tout ce qu’il écrivait avant. J’ai vu cela prendre quelqu’un. J’ai vu cela pour un compositeur de musique — pas ceux qui exécutent : ceux qui composent, comme Beethoven, comme Bach, comme César Franck (mais César Franck exécutait aussi). C’est une activité très cérébrale, la composition de la musique; eh bien, là aussi, le cerveau d’un grand musicien entrait en contact avec celui qui était en train d’écrire un opéra et lui faisait composer des choses merveilleuses et organisait sur le papier toutes les parties. Il était en train d’écrire un opéra — et c’est extrêmement complexe pour les exécutants qui doivent évoquer dans la musique la pensée de celui qui a composé —, et cet homme (je le connaissais), quand il recevait cette formation, il avait un papier blanc devant lui et puis il se mettait à écrire; je l’ai vu écrire comme cela des lignes, puis quelques chiffres, une grande, grande page, et quand il était arrivé en bas, l’orchestration de l’ouverture (par exemple d’un certain acte) était terminée (orchestration veut dire attribution de certaines lignes de musique à chacun des instruments). Et il faisait cela simplement sur un papier, simplement par ce pouvoir mental merveilleux. Et ce n’était pas seulement le sien : ça lui venait d’un esprit musical qui s’incarnait en lui... Pendant le temps où j’étais là, je l’ai vu écrire une page comme cela, devant moi, il lui a fallu environ une demiheure, trois quarts d’heure. Et il avait une telle réputation que même de grands musiciens très connus lui apportaient leurs œuvres pour qu’il les orchestre. Il le faisait mieux que n’importe qui, et comme cela, sur son papier — il n’avait pas besoin d’entendre ni de rien. Après, on essayait : c’était toujours très bien. Il y avait tant de violons, tant de violoncelles, tant d’altos, tous les instruments... les uns jouaient cela, les autres jouaient ça, d’autres jouaient autre chose, ou quelquefois c’était ensemble, quelquefois c’était l’un après l’autre (c’est très compliqué, ce n’est pas une chose simple), eh bien, là-dedans, en jouant, en entendant, ou même en lisant, quelquefois il prenait la partition et il lisait, il savait quelles étaient les notes qui devaient être attribuées à tel instrument, quelles étaient les notes qui devaient être jouées par un autre, et ainsi de suite. Et il avait très clairement le sentiment de quelque chose qui entrait en lui et qui l’aidait.

Ces êtres qui veulent se manifester, quand ils naissent encore une fois, est ce qu’ils gardent le même désir?

Non, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas l’être tout entier, c’est la faculté spéciale qui reste dans l’atmosphère terrestre, qui ne s’en va pas, qui ne la quitte pas, qui reste dans l’atmosphère terrestre pour continuer à se manifester. Mais l’être psychique peut très bien retourner dans le monde psychique, et c’est l’être psychique qui se réincarne. Je vous ai expliqué l’autre jour qu’avant de quitter un corps physique, l’être psychique décidait le plus souvent quelle serait sa prochaine réincarnation, le milieu dans lequel il naîtrait et quelle serait son occupation, parce qu’il a besoin d’un certain champ d’expérience. Alors, il peut arriver que les plus grands écrivains ou les plus grands musiciens s’incarnent une autre fois, par exemple, dans un imbécile quelconque. Alors on dit : « Comment! ce n’est pas possible! » Naturellement ce n’est pas toujours comme cela, mais ce peut être comme cela. Il y avait un cas où c’était le contraire : c’était un exécutant de violon, le plus merveilleux du siècle... (Mère cherche à se souvenir) Tiens, je savais son nom, et puis c’est parti — c’est revenu, c’est reparti. Comment s’appelaitil?... Ysaye! C’était un Belge et un violoniste, vraiment le plus merveilleux de l’époque. Eh bien, cet homme-là avait en lui très certainement une réincarnation de Beethoven. Peut-être pas une réincarnation de son être psychique tout entier, mais en tout cas de sa capacité musicale. Il avait l’apparence, il avait la tête de Beethoven. Et je l’ai vu, je l’ai entendu (je ne le connaissais pas, je ne savais rien, j’étais à un concert à Paris, et on donnait le concerto en ré majeur), je l’ai vu arriver sur la scène pour jouer et j’ai dit : « Tiens, c’est étrange comme cet homme ressemble à Beethoven, c’est vraiment le portrait de Beethoven! » Puis ça a juste commencé par un coup d’archet, trois notes, quatre notes... Tout était changé, l’atmosphère était changée. Tout était devenu absolument merveilleux. Trois notes, c’est parti avec une puissance, une grandeur, c’était tellement merveilleux, plus rien ne bougeait, on attendait. Et il a joué cela d’un bout à l’autre d’une façon absolument unique, avec une compréhension que je n’ai rencontrée chez aucun autre exécutant. Et alors, j’ai vu que le génie musical de Beethoven était en lui... Mais peut-être l’être psychique de Beethoven s’estil incarné dans un cordonnier, ou n’importe, on ne sait pas! Il voulait avoir un autre genre d’expérience.

Parce que, ce que j’ai vu dans cet homme-là, c’était une formation qui appartenait au monde terrestre et qui était mentale-vitale; et comme Beethoven avait discipliné tout son être mental et vital et physique autour de sa capacité musicale, c’était resté en forme, c’était vivant, et cela s’était réincarné tel quel dans cet homme-là — mais pas nécessairement l’être psychique de Beethoven. Dans sa première vie, c’était l’être psychique de Beethoven qui avait formé ces êtres-là, l’être psychique qui les avait disciplinés autour de la création musicale; mais quand il est mort, il n’est pas du tout dit que l’être psychique soit resté là. Suivant les règles habituelles, l’être psychique a dû retourner au psychique. Mais ça, c’était formé, ça avait sa vie propre, indépendante, existant en soi. Et c’était formé pour une certaine manifestation, et ça restait pour se manifester. Et dès que cela trouvait un instrument approprié, ça entrait là pour se manifester.

Un être psychique peut-il se réincarner en deux corps?

Ce n’est pas tout à fait si simple que cela... L’être psychique est le résultat de l’évolution, c’est-à-dire de la Conscience divine qui s’est répandue dans la matière et qui, peu à peu, a soulevé la matière et l’a fait croître pour retourner vers le Divin. L’être psychique a été formé par ce centre divin, progressivement, à travers toutes les incarnations. Arrive un moment où il a atteint une sorte de perfection, la perfection de sa croissance et de sa formation. Et alors, le plus souvent, comme il a une aspiration à la réalisation, à une perfection plus grande pour manifester mieux le Divin, généralement il attire à lui un être de l’involution, c’està-dire l’une des entités qui appartiennent à ce que Sri Aurobindo appelait l’Overmind, le Surmental, et qui vient s’incarner dans cet être psychique. Ce peut être une de ces entités que les hommes généralement appellent des dieux, des divinités quelconques. Et quand cette fusion se produit, l’être psychique naturellement est magnifié et il participe à la nature de cet être qui s’est incarné en lui. Et alors, il a le pouvoir de faire des émanations.

Ces êtres ont le pouvoir de faire des émanations, c’est-à-dire qu’ils projettent hors d’eux-mêmes une partie d’eux-mêmes, qui devient indépendante et qui va s’incarner en d’autres êtres. Alors, non seulement deux, mais trois, mais quatre, mais cinq émanations peuvent se produire. Cela dépend des cas, ça peut arriver comme cela. C’est-à-dire que l’on peut avoir la même origine, psycho-divine pourrions-nous dire. Et généralement, quand il y a de nombreuses émanations, les différentes personnes se sentent être cela avec juste raison, parce qu’elles portent en elles-mêmes quelque chose de cette divinité — c’est comme une partie d’elle-même qui s’est projetée hors d’ellemême et qui est devenue indépendante dans un autre être. Ce n’est pas un dédoublement, c’est une sorte de projection hors de soi. (S’adressant à l’enfant qui a posé la question) Dédoublement donne l’idée que ce qui s’est dédoublé a perdu une partie de sa faculté : si tu coupes ton corps en deux, il ne t’en restera que la moitié; mais si tu as le pouvoir d’émaner quelque chose de toi, tu restes tout entière, telle que tu es, et en même temps il y a une autre Tara qui est là-bas dans une autre personne... Tu comprends? C’est comme cela.

Quand les mains du pianiste sont entrées dans les mains d’un autre, celui qui avait envoyé les mains pouvait-il jouer?

Je ne comprends pas! Les « mains », c’était ce qui restait dans l’atmosphère terrestre du pianiste qui était mort! Alors ces mains, qui avaient été absolument formées, qui étaient devenues comme des entités conscientes et vivantes, indépendantes, entraient dans des mains matérielles parce qu’elles voulaient pouvoir jouer véritablement sur un piano. Mais quand elles jouaient, elles jouaient dans les mains de l’autre, qui pouvait être un bon pianiste mais qui devenait un génie pendant le temps que ces mains étaient là.

Je pensais que l’autre était vivant!

L’autre était vivant? Quel autre? Le premier?... Ah! non! (rires)

Vous avez dit : « Le monde entier est en voie de trans formation progressive 25 . » Alors pourquoi les hommes se battent-ils entre eux ?

C’est peut-être leur manière de progresser! (rires) On ne progresse pas toujours d’une façon apparemment harmonieuse. Tous ceux qui font un yoga savent que c’est quelque chose qui ne se passe pas toujours dans la paix et l’harmonie, que quelquefois il y a des batailles intérieures, que vous devez livrer des batailles contre des ennemis au-dedans de vous qui veulent vous empêcher de progresser. Cela fait une guerre. Eh bien, quand c’est toute la terre qui progresse, quand il y a des choses qui résistent et qui ne veulent pas bouger, quelquefois on livre une bataille et ça fait une guerre. Il ne faut pas croire que le progrès consiste à être assis en méditation !... Il y a des difficultés à vaincre. Vaincre, qu’est-ce que cela veut dire? Se battre contre quelque chose. Quand on se bat, ça fait une guerre. Il y a des petites guerres, il y a des grandes guerres. Mais qu’est-ce que c’est qu’une guerre d’hommes sur la terre si c’est vu, par exemple, par des Titans pour qui les hommes sont grands comme des fourmis?... Quand on regarde une guerre de fourmis, on trouve cela assez naturel ! On peut même regarder ça avec intérêt et sourire, et dire : « Tiens, les fourmis sont en train de se battre. » Eh bien, pour les forces titaniques de l’univers, les hommes qui se battent sur la terre, c’est comme une guerre de fourmis, ce n’est rien du tout. Il ne faut pas juger les choses à la dimension de la conscience humaine... La Nature, pour les hommes, est une chose monstrueuse. C’est tellement formidable, toutes les forces dont elle dispose, tous les mouvements qu’elle crée. Et ce que nous connaissons, c’est seulement ce qui se passe sur la terre! Directement et indirectement, par une connaissance un peu spéculative, on sait ce qui se passe dans le reste de l’univers; mais ce sont des conflits de forces et des jeux de forces formidables en proportion de la conscience humaine. Ce sont des choses qui, par rapport à la durée humaine, durent presque éternellement. Alors, dans le temps c’est une immensité, dans l’espace c’est une immensité, et pour la conscience humaine c’est presque incompréhensible. Mais pour ces forces-là, les dimensions humaines et les mouvements humains ont vraiment à peu près la même proportion que pour nous (peut-être même moins) la conscience d’un monde de fourmis qui grouillent là : la même chose. Il y a des histoires nordiques — suédoises, norvégiennes — de ces immenses Titans universels, qui sont comme cela. Et alors, naturellement, on raconte les choses pour que les enfants puissent comprendre. Ils disent qu’il y avait deux Titans qui étaient assis sur quelque sommet universel, non terrestre; et alors, il y a un Titan qui a poussé un soupir. Puis mille ans se passent, et l’autre répond : « Pourquoi soupires-tu ? » Et encore mille ans se passent et le premier dit : « Je m’ennuie! » Et encore mille ans se passent... Ils essayent de donner une idée. Probablement, les Titans prenaient quelques centaines d’années pour dire : « Je m’ennuie. » C’est une question de proportions!

Ne peut-on pas empêcher, par la force yoguique, le corps d’être rigide?

On peut. Quand vous faites de la gymnastique, est-ce que ce n’est pas pour rendre votre corps moins rigide? Et vous progressez : ce que vous ne pouvez pas faire la première année, au bout de quelques années vous pouvez le faire. Il y a des gens qui arrivent à une souplesse presque totale, comme, par exemple, ceux qui font des âsanas. On peut arriver à une souplesse presque complète. Tandis qu’un homme ordinaire, s’il essayait de faire ces exercices, se casserait quelque chose. Eh bien, c’est comme cela. Mentalement c’est la même chose. C’est par la gymnastique que l’on s’assouplit. C’est une question de discipline, de développement.

Supposons qu’un homme, en cette vie, essaye de devenir très intelligent, mais si dans la prochaine vie il naît imbécile, à quoi servent tous ces efforts-ci?

Non. J’ai parlé un peu brièvement, mais ce n’est pas cela. Son être psychique n’est pas un imbécile! Admets, par exemple, que l’être psychique ait eu l’expérience d’un homme qui était un écrivain et qui pouvait traduire son expérience par des livres ou des discours, alors il a couvert un certain champ d’expérience provenant des associations et des circonstances dans lesquelles vivait cet être. Mais il y a un champ d’expérience qui lui manque. Par exemple, il dit : « J’ai vécu avec mon cerveau et avec les réactions d’un intellectuel devant la vie, et maintenant je veux vivre avec mon sentiment. » Parce que cette superactivité intellectuelle, généralement, dans la vie ordinaire, amoindrit beaucoup les capacités sentimentales. Alors, pour avoir un autre champ d’expérience, de développement, il renonce à sa hauteur intellectuelle : il n’est plus un génie, un écrivain de génie, il devient un homme ordinaire, mais avec un cœur remarquable, très bon, très généreux. J’ai dit « idiot », c’est une question de comparaison. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un être psychique qui est arrivé au maximum Le 16 septembre 1953 293 de son développement, après avoir eu les expériences d’une autorité gouvernante (de tout ce que peut apporter une vie d’empereur ou de roi) veuille pouvoir travailler dans la vie obscurément, sans être entravé tout le temps par les pompes du gouvernement, et qu’il choisisse très bien de naître dans un milieu tout à fait ordinaire, de la bourgeoisie ordinaire et dans des conditions absolument médiocres, de façon à avoir cette sorte d’incognito qui lui permettra de travailler sans être entravé par toutes les nécessités de représentation et de gouvernement qui viennent de ce que l’on est à la tête d’un pays. Alors, si l’on regarde cela à un certain point de vue, on dit : « Comment! Qu’est-ce que cette dégringolade? »

Ce n’est pas une dégringolade. C’est rencontrer le problème sous un autre angle et à un autre point de vue. Pour la conscience (je veux dire la vraie conscience, la Conscience divine), le succès ou l’insuccès c’est la même chose, la gloire ou la médiocrité c’est la même chose. Ce qui est important, c’est le développement de la conscience. Et certaines conditions, qui paraissent très favorables aux êtres humains, peuvent être très défavorables pour la croissance de la conscience... Vous pouvez vous regarder. Naturellement, si vous prenez soin d’être sur la hauteur de vous-même, vous ne tombez pas dans cette erreur. Mais avec la pensée ordinaire, avec la réaction ordinaire, vous jugez tout d’après le succès et l’insuccès, mais c’est la dernière façon de juger, parce que c’est la plus artificielle, la plus extérieure, celle qui est absolument le contraire de la vérité. Dans la vie humaine telle qu’elle est organisée, pas une fois sur un million ce n’est la vraie valeur qui se trouve en avant, reconnue. Généralement, il faut toujours un petit peu de cabotinage. Quand un homme a du succès, beaucoup de succès, quel qu’il soit, dans quelque domaine que ce soit, vous pouvez toujours penser qu’il y a quelque part un peu de cabotinage.

Cabotinage veut dire?

On dit cela des acteurs qui jouent la comédie, mais on emploie le mot pour parler de quelqu’un qui se fait valoir au-delà de sa valeur, qui montre plus qu’il n’a, qui fait montre de plus qu’il n’a, et qui songe surtout à se faire apprécier — c’est pour lui la chose la plus importante, être apprécié.

Comment peut-on augmenter la mémoire?

Augmente ta conscience et ta mémoire augmentera.

La conscience est une mémoire très supérieure à la mémoire mécanique du cerveau. Je vous ai expliqué cela un jour, il n’y a pas si longtemps; je vous ai dit que la mémoire mécanique du cerveau peut oublier — et peut confondre et peut déformer —, tandis que si vous êtes capables de rétablir en vous l’état de conscience dans lequel vous étiez à un moment donné, vous avez exactement la même expérience. Et c’est la seule vraie mémoire. Et cela dépend entièrement du développement de votre conscience.

Tu as dit que « dans les régions matérielles, la récepti vité était mélangée à des résistances 26 ». Quelle est cette résistance?

Tu n’as pas de résistances dans ton corps, non? Quand tu veux faire un exercice, tu fais avec ton corps tout ce que tu veux ? Et quand tu essayes de bien te porter, ton corps obéit toujours? Et quand tu veux apprendre ta leçon, ton cerveau suit sans difficulté?... C’est cela, la résistance, c’est tout ce qui refuse de faire un progrès. Et je crois, malheureusement, que la quantité de résistance est plus grande que la quantité de réceptivité. Il faut beaucoup travailler pour devenir réceptif.

On ne sait pas — c’est une chose que peut-être vous saurez un jour, peut-être vous le dira-t-on un jour, peut-être pourrat-on vous le faire comprendre —, vous ne pouvez pas vous imaginer l’immensité des flots de force qui sont à votre portée! Et généralement vous ne les sentez même pas. Quand vous les sentez, il y a quelque chose en vous qui se recroqueville parce que c’est trop et que cela vous fait une espèce de peur instinctive dans les cellules; et si vous les recevez, plus des trois quarts vous les rejetez comme un vase trop plein! Ça jaillit, ça sort, parce que vous ne pouvez pas le garder. Et j’ai rencontré une quantité considérable de gens qui se plaignaient de ne rien recevoir, c’est-à-dire qu’ils disaient ne pas avoir les forces dont ils avaient besoin. C’était parce qu’ils étaient absolument incapables de les recevoir, et qu’il y avait quelque chose comme cent mille fois plus de force que ce qu’ils pouvaient recevoir! Et c’est comme cela. Vous vous trouvez tous dans une mer de vibrations formidables, et vous ne vous en apercevez même pas, parce que vous n’êtes pas réceptifs. Et il y a en vous une telle résistance que si quelque chose arrive à pénétrer, les trois quarts de ce qui entre sont rejetés violemment au-dehors, parce qu’on ne peut pas le contenir... Ça, généralement je ne le dis pas, mais puisque nous parlons de ce sujet, je vous le dis. Et peut-être un jour vous donnerai-je des exemples. C’est une chose fantastique. Par exemple, simplement, prenez la Conscience (pour des forces comme la force d’amour ou la force de compréhension ou la force de création pour tout, c’est la même chose : la force de protection, la force de croissance, tout cela, et la puissance du progrès, pour tout) —, prenez la Conscience, simplement cette Conscience qui couvre tout, qui pénètre tout, qui est partout, qui est un tout... eh bien, c’est presque senti comme une violence qui veut s’imposer à l’être, qui ne peut pas. Et je parle des meilleurs; mais dans tous il y a une partie plus ou moins grande, plus ou moins importante, qui n’est pas encore de bonne volonté, qui est juste à la limite de la mauvaise volonté, et qui ne veut pas, à aucun prix, et qui rejette ce qui est là. Alors que si l’on était ouvert et que simplement on respirait — c’est tout, on ne fait que cela —, on respirerait la Conscience, la Lumière, la Compréhension, la Force, l’Amour, et tout le reste. Et tout cela est gaspillé sur la Terre, parce que la Terre n’est pas prête à le prendre. Voilà.

Le 23 septembre 1953

« Chaque point du corps est symbolique d’un mouve ment intérieur; il y a là un monde de correspondances subtiles. Mais c’est un sujet long et complexe et nous ne pouvons pas entrer dans les détails pour le moment. La partie particulière du corps qui est atteinte de maladie est l’indice de la nature du désordre intérieur qui a pris place; elle nous indique l’origine de la maladie, elle est un signe de sa cause. Elle révèle aussi la nature de la ré sistance qui empêche l’être d’avancer dans son ensemble avec la même rapidité. Et ceci nous apprend quels sont le traitement et la guérison. Si l’on pouvait comprendre parfaitement où gît l’erreur, trouver ce qui a manqué de réceptivité, ouvrir cette partie à la force et à la lumière, il serait possible de rétablir en un moment l’harmonie qui a été dérangée, et la maladie disparaîtrait immé diatement. »

(Entretien du 16 juin 1929)

Comment se fait-il que « chaque point du corps soit symbolique d’un mouvement intérieur » ?

Parce que le monde physique tout entier est le symbole des mouvements universels. Alors notre corps est le symbole de nos mouvements intérieurs. Le monde tout entier, le monde physique tout entier, est comme une cristallisation — c’est une matérialisation, une cristallisation — des mouvements des autres plans de l’univers. C’est comme un aboutissement, c’est comme une projection sur quelque chose qui retient l’image, qui fixe l’image. Alors, en chaque point, c’est la même chose que dans l’univers matériel tout entier.

Matériel, c’est un plan, n’est ce pas?

Oui, c’est un aboutissement. Il y a une matérialité croissante, et puis décroissante, et le plan physique est central, c’est comme un écran sur lequel toutes les vibrations qui interviennent sont projetées et sont arrêtées, comme sur un écran — c’est une image, une image de tout ce qui se passe. Nous l’apercevons parce que c’est fini, c’est quelque chose de concret. C’est comme si vous preniez l’univers tout entier comme un mouvement de force, et ce mouvement de force est projeté jusqu’à ce qu’il rencontre un écran, et sur l’écran il fait une image, et cette image sur l’écran, c’est le monde physique. Et ce n’est qu’une image. Le monde physique, que tout le monde prend pour la seule réalité, est seulement une image. C’est l’image de tout ce qui se passe dans ce que nous appelons l’invisible. Cela devient visible pour nous parce qu’il y a un écran qui arrive et qui arrête les vibrations, alors cela produit une image. S’il n’y avait pas d’écran, les vibrations continueraient et on ne verrait rien. Et pourtant, tous les mouvements existeraient. Mais, pour nous, ils seraient invisibles s’il n’y avait pas d’écran pour arrêter les vibrations.

Pour la conscience ordinaire, c’est seulement l’image qui est vraie, et ce qui se passe derrière est plus ou moins problématique, mais, dans la conscience vraie, c’est tout ce qui se passe avant ou derrière qui est la vraie chose, et ce que l’on voit extérieurement, c’est seulement une image, c’est-à-dire une projection, sur un écran, de quelque chose qui existe tout à fait indépendamment. Alors, notre corps représente un petit fragment dans cet ensemble d’images qui est projeté, et c’est un fragment qui exprime justement toutes les vibrations de l’état intérieur correspondant à ce petit point qu’est le corps.

Quelle est la cause des maladies chez les animaux ?

Je pense qu’il y a, comme pour les hommes, autant de causes que de maladies. Ce sont peut-être des mouvements psychologiques, parce que les animaux ont des mouvements psychologiques. Ce sont peut-être des accidents, parce qu’il y a tout le domaine des accidents. En fait, les savants disent que toutes les maladies, et même la mort, sont toujours accidentelles. Ce n’est pas un état normal. Alors, pour les animaux, c’est peut-être cela, et c’est peutêtre aussi une condition psychologique.

Pour les animaux qui vivent près de l’homme, c’est un fait certain. Ce qu’ils y ont gagné, les pauvres, c’est de devenir aussi sensibles et aussi déséquilibrés que les hommes, sans avoir leur intelligence! Par exemple, les animaux ont un instinct très sûr; vous mettez une vache dans un pré où il y a toutes les herbes possibles — il y en a de bonnes et il y en a de mauvaises, il y en a qui sont même empoisonnées —, jamais une vache ne touchera à une herbe mauvaise et empoisonnée. Jamais. Avec le bout de sa langue, elle choisit tout à fait bien ce qui est bon et elle laisse le reste. Mais si vous coupez cette herbe et qu’elle soit mélangée d’herbes mauvaises ou bonnes et que vous mettiez cela sur le râtelier devant la vache, elle mangera tout et elle s’empoisonnera, parce qu’elle a une espèce de confiance — de confiance obscure — que ce qu’on lui met là, c’est pour qu’elle le mange, et alors elle perd son instinct. Les animaux, dans leur état normal, ne mangent jamais trop, ils mangent à leur faim, et quand il reste de la nourriture et qu’ils ne veulent pas qu’un autre la mange, ils la cachent, ils l’enterrent ; ils la cachent très bien pour la retrouver quand ils auront faim. Mais un animal qui vit avec l’homme perd cet instinct, et il mangera non seulement tout ce qu’on lui donne, mais tout ce qui est laissé à sa portée. J’ai habité pendant un certain temps dans une petite ville du sud de la France; il y avait là un épicier qui gardait des chèvres, et il avait une chèvre qui était devenue très gourmande. Il venait de recevoir un tonneau de mélasse — vous savez ce que c’est que la mélasse?... Comment appelle-t-on cela ici? C’est le sucre brut : jaggery. Il avait reçu un tonneau de jaggery, et alors il l’avait ouvert — il avait ouvert le couvercle et il avait oublié de le recouvrir. Et c’était là, la chèvre se promenait. La chèvre a pensé que ce devait être très bon puisque c’était laissé à sa portée! Elle a commencé à manger et elle a trouvé ça vraiment excellent. Et elle a continué, ayant perdu tout son instinct, jusqu’à ce que littéralement elle tombe morte d’avoir trop mangé. Eh bien, cela, un animal sauvage ne le fera jamais. Ce sont les bienfaits de la fréquentation de l’homme!

Pas de questions?

Alors nous allons laisser ce sujet. Il semble que cette dame 27 était très préoccupée de maladies!

Tu as dit que ce monde physique était la projection des mondes invisibles. Alors pourquoi les Émanations di vines doivent-elles venir dans le monde physique pour le transformer? Elles n’ont qu’à faire l’œuvre dans les plans invisibles, alors la projection sera bonne.

Ça, c’est une question sérieuse!... Tu connais l’image que l’on donne de l’univers : un serpent qui se mord la queue? Et on prend cela comme le symbole de l’infini, de l’univers. Eh bien, c’est un fait. Dans la création il y a une matérialisation progressive et de plus en plus grande... Mais nous pourrions prendre une autre image — je prends une image approximative : l’univers est un cercle, ou plutôt une sphère (mais pour la facilité de l’explication, mettons un cercle), et il y a une descente progressive du plus subtil jusqu’au plus matériel. Mais le plus matériel se trouve toucher au point d’origine du plus subtil. Alors, si tu comprends l’image, au lieu de faire tout le tour pour changer la matière, il est beaucoup plus facile de le faire directement, puisque les deux extrémités se touchent — l’extrême subtilité et l’extrême matérialité se touchent, parce que c’est une sphère. Donc, au lieu de faire tout ça (Mère dessine un cercle), il vaut beaucoup mieux faire ça (Mère touche un point à l’extrémité matérielle du cercle). En fait, psychologiquement, c’est cela. Le reste s’ensuivra tout naturellement. Si ça, c’est fait (Mère touche cette même extrémité matérielle), tout le reste s’arrangera de soi. Et ce n’est même pas comme cela ! C’est justement pour la facilité du travail que tout a été concentré ou concrétisé en un point, de sorte qu’au lieu d’avoir à se répandre dans l’infini pour changer les choses, on puisse travailler juste sur un point qui serve de symbole à tout l’univers. Et au point de vue occulte, la Terre, qui au point de vue astronomique n’est rien du tout... dans l’immensité des cieux astronomiques, la Terre n’est qu’une chose absolument sans intérêt et sans importance, mais au point de vue occulte et spirituel, la Terre est le symbole concentré de l’univers. Parce qu’il est beaucoup plus facile de travailler sur un point que de travailler dans une immensité diluée. Ça, tous les gens qui travaillent le savent. Eh bien, pour la facilité et la nécessité du travail, tout l’univers a été concentré et condensé symboliquement dans un grain de sable, qui s’est appelé la Terre. Et là-dessus, il y a le symbole de tout; tout ce qui est à changer, tout ce qui est à transformer, tout ce qui est à convertir, est . Ce qui fait que si l’on se concentre sur ce travail et qu’on le fasse , tout le reste s’ensuivra automatiquement, autrement il n’y aurait pas de fin — et pas d’espoir.

Mais c’est pour cela aussi que ce point-là apparaît particulièrement mauvais! Parce que tout est concentré. Et cela peut être particulièrement bon aussi. Parce que toujours, il y a les deux, les deux opposés sont ensemble. Et c’est toujours le meilleur qui voisine avec le pire, ou le pire qui voisine avec le meilleur (cela dépend de quel côté on regarde). Mais c’est à cause du pire que l’on peut trouver le meilleur, et c’est à cause du meilleur que l’on peut transformer le pire — les deux agissent et réagissent l’un sur l’autre... Nous avons publié cela dans le Bulletin : Le « Double Mauvais 28 ». On dit toujours qu’il y a un double sombre de toutes les étoiles, et un double lumineux de toutes les planètes. Occultement, on dit qu’il y a une Terre lumineuse. Tout cela, c’est l’expérience de la Terre lumineuse, Sri Aurobindo a décrit l’expérience.

Quelle expérience?

C’est une expérience que j’ai eue et que j’ai écrite à Sri Aurobindo, et il m’a répondu que c’était une expérience des temps védiques, une expérience qui s’était passée dans le double lumineux de la Terre... Ça paraîtra quelque part un jour 29 .

Le 30 septembre 1953

« ... il y a un plan du mental où le souvenir de toutes les choses est préservé et existe toujours. Tous les mouvements du mental appartenant à la vie terrestre sont enregistrés et conservés dans ce domaine. Ceux qui sont capables d’aller à cet endroit, peuvent, s’ils en prennent la peine, y lire et y apprendre tout ce qu’ils veulent. Mais cette région ne doit, en aucune façon, être prise pour l’un des plans du supramental. Et cependant, pour atteindre seulement là, il faut faire taire les bruits du mental physique ou matériel, mettre de côté toutes les sensations et arrêter les mouvements ordinaires de la pensée, quels qu’ils soient; il faut sortir du vital et se libérer de l’esclavage du corps. C’est alors seulement que l’on peut entrer dans cette région et y voir. Toutefois, si vous êtes suffisamment intéressé pour faire l’effort nécessaire, vous pouvez aller à cet endroit et y lire ce qui est écrit dans la mémoire de la terre. »

(Entretien du 23 juin 1929)

Tu as dit que pour aller à l’endroit où tous les mou vements du mental appartenant à la vie terrestre étaient enregistrés et conservés, il fallait « faire taire les bruits du mental, physique ou matériel... et arrêter les mou vements ordinaires de la pensée ». Toute la journée nous avons quelque chose à faire.

Non, juste à ce moment-là. Pas d’une façon permanente.

Mère, mais si l’on oublie? Il y a du travail à faire : à deux heures il faut faire ceci, et à dix heures et demie il faut faire ça, si on oublie...

Non, tu ne comprends pas. Pour aller dans cet endroit-là, au moment d’y aller, il faut pouvoir faire le silence complet dans le mental (et toutes les autres choses que j’ai dites), mais juste pour y aller. Par exemple, tu décides : « Maintenant, je vais aller lire tel chapitre de l’histoire terrestre », alors tu te mets confortablement dans une chaise longue, tu demandes aux gens de ne pas te déranger, tu t’intériorises, tu arrêtes complètement ta pensée, et tu envoies ton messager mental dans cet endroit-là... Il est préférable de connaître quelqu’un qui puisse t’y conduire, parce que, autrement, tu pourrais te tromper de chemin et aller ailleurs! Et alors, tu vas. C’est comme une très vaste bibliothèque avec un tas de petits compartiments. Alors tu trouves le compartiment qui correspond à la connaissance que tu veux avoir. Tu presses un bouton et ça s’ouvre. Et làdedans, tu trouves comme un rouleau, une formation mentale qui se déroule devant toi comme un parchemin, et tu lis. Alors tu notes ce que tu as lu, et puis tu reviens tranquillement avec ta nouvelle connaissance dans ton corps, et tu traduis physiquement, si tu peux, ce que tu as trouvé, et puis tu te lèves et tu recommences ta vie comme avant... Ça peut te prendre dix minutes, ça peut te prendre une heure, ça peut te prendre une demi-heure, cela dépend de tes capacités, mais il est important de savoir le chemin, comme je dis, pour ne pas se tromper.

Alors pourquoi ne fait-on pas cela au lieu de lire des livres!

Parce que très peu de gens pourraient le faire, tandis que beaucoup peuvent lire des livres — il n’y en a pas beaucoup qui les comprennent, mais il y en a beaucoup qui peuvent les lire! Et ça, c’est encore plus difficile que de comprendre un livre.

Si l’on enseignait cela aux enfants quand ils sont petits?

Il est possible que cela remplacerait avantageusement la lecture des livres!

C’est exactement tout ce qui s’est passé sur la terre — depuis le commencement de la terre jusqu’à maintenant, tous les mouvements du mental sont inscrits, tous. Alors, quand tu as besoin d’un renseignement précis sur quelque chose, tu n’as qu’à aller là, tu trouves ton chemin. C’est un endroit très curieux ; c’est fait comme des petites cellules, ce sont comme des petits casiers; et comme cela, en suivant des rayons et des sortes de... comment dire? Il y a des bibliothèques qui sont comme cela. Tiens, j’ai vu une image que l’on nous a montrée au cinéma, c’était l’image d’une bibliothèque à New York. Eh bien, c’est arrangé un peu comme cela. C’est un arrangement similaire. Cela m’avait intéressée à cause de cela. Mais au lieu d’être des livres, ce sont comme des petits carrés. C’est tout fermé, et alors on met son doigt, on presse sur un bouton et ça s’ouvre. Et puis il y a comme un rouleau qui sort, et on ouvre ça et on peut lire — tout, tout ce qui est écrit dessus concernant un sujet. Il y en a des millions et des millions et des millions. Et alors, heureusement, dans le mental, on peut aller en bas, on peut aller en haut, on peut aller tout en haut. On n’a pas besoin d’échelle!

Comment lit-on? Comme on lit dans les livres?

Oui. C’est une sorte de perception mentale. Cela correspond à cela. On voit très, très bien toute la description, ou le renseignement — cela dépend de ce que c’est. Quelquefois ce sont des images : c’est comme une image qui est gardée. Quelquefois c’est un récit. Quelquefois c’est simplement une réponse à une question. Toutes les choses possibles et imaginables qui ont été enregistrées mentalement sont là. On peut trouver beaucoup de rectifications (justement des faits qui ont été mis dans les livres et qui ne sont pas corrects). Et on n’a pas besoin de marcher ni de monter : on envoie tout simplement quelque chose qui est une conscience mentale concentrée et qui se promène. Alors elle touche ça. Seulement, si en le faisant on n’est pas complètement détaché du fonctionnement de son propre cerveau, je soupçonne que l’on doit voir ce que l’on a dans sa propre tête! Au lieu de voir la chose telle qu’elle est, peut-être fait-on une promenade dans son cerveau et y voit-on ce qui s’y trouve — c’est un danger. Il faut pouvoir faire taire absolument sa tête et être complètement détaché, ne pas avoir (par exemple, tu cherches la solution d’un problème), ne pas avoir déjà dans ta tête la solution qui te paraît vraie, ou meilleure, ou profitable. Ça, il ne faut pas que cela existe. Il faut être absolument comme une feuille blanche, sans rien. Et on va, comme ça, avec une très sincère aspiration de savoir ce qui est vrai, mais sans postuler à l’avance que ce sera comme ceci ou comme cela, parce que, autrement, on ne verra que sa propre formation. La première condition, c’est que la tête se taise complètement pendant le temps où l’on voit.

Et pour être plus sûr (mais là, il faut être tout à fait dressé, il faut avoir une éducation très bien faite), pour être tout à fait sûr de rapporter clairement la connaissance reçue sans rien déformer, il vaut mieux dire ce que l’on voit et ce qu’on lit (nous disons lire, mais enfin ce que l’on perçoit), le dire au fur et à mesure qu’on le perçoit, et que ce soit quelqu’un d’autre qui l’écrive... Je répète : tu es tranquillement étendue sur ta chaise longue, immobile et tout à fait tranquille, et tu envoies un messager de ta tête. Alors, quelqu’un est assis à côté de toi, et quand tu arrives à l’endroit et que tu as ouvert la porte et que tu tires le manuscrit (ou appelle-le comme tu veux), tu commences, au lieu de lire seulement avec tes yeux qui sont partis, à exprimer ce que tu vois. Tu prends l’habitude de parler, et à mesure que tu perçois là-bas, tu parles ici. Tu te racontes justement ton voyage au milieu de ces salles immenses, et que tu es arrivée à cet endroit, et que cet endroit avait la petite marque qui était le signe de ce que tu voulais voir. Alors tu ouvres ce petit endroit, et puis tu sors ce rouleau et tu commences à lire. Et tu le lis à haute voix. Et la personne qui est là, assise à côté de toi, note au fur et à mesure ce que tu lis. Comme cela, il n’y a pas de danger que ce soit changé quand tu reviens; parce que, pour la partie de ton être qui est là, au moment de l’expérience c’est très clair et très précis, mais quand on revient dans le monde matériel tel qu’il est, il y a quelque chose qui échappe presque toujours, et qui n’échappe pas quand on parle directement au moment où l’on travaille... Alors, tout cela, ce sont beaucoup de conditions à remplir, ce n’est pas si facile que de prendre un livre à la bibliothèque et de le lire! Ça, c’est à la portée de tout le monde. L’autre est un petit peu plus difficile à réaliser.

Qu’est ce que la théorie de la relativité 30 ?

(Mère se tourne vers un disciple mathématicien) Pavitra ! Voulezvous expliquer ça à ces enfants?

(Pavitra) : C’est-à-dire que la description de l’univers varie avec chaque observateur — pour dire les choses en une phrase.

C’est tout! Pourquoi fait-on tant d’embarras pour cette découverte?

(Pavitra) : C’est une révolution, Mère!

C’est une révolution? Que ce que l’on voit dépend de qui voit? Ah! bien...

(Pavitra) : Ce que l’on mesure dépend de l’univers phy sique, au point de vue des sciences physiques.

Sciences physiques, oui. Pour mesurer l’univers, chacun le mesure à sa manière.

(Pavitra) : Mais alors, comme complément, on a trouvé qu’il y a, derrière, quelque chose qui est indépendant de l’observateur.

Ah! on a « découvert » ça ! (rires) Une révolution encore plus grande!... (rire général) Bon.

Mère, tu as dit 31 qu’il y avait beaucoup de plans intermédiaires entre le mental et le supramental, et que si l’homme ordinaire entrait en contact avec l’un des plans intermédiaires, il serait ébloui. Pourquoi, alors, puisque les hommes sont dans cet état si peu développé, parle-t-on de la descente du plan supramental, au lieu d’une descente des plans intermédiaires?

Pour une raison très simple, parce que, jusqu’à présent, tout le monde matériel, physique, toute la terre (prenons la terre) a été gouvernée par des forces et des consciences venant de ce que Sri Aurobindo appelle l’Overmind, le Surmental. Même ce que les hommes ont appelé Dieu est une force, une puissance qui vient du Surmental, et tout l’univers était sous la domination du Surmental. Pour arriver là, il y a beaucoup de plans intermédiaires, et il y a très peu de gens qui peuvent y atteindre sans être éblouis. Mais ce que Sri Aurobindo a dit, c’est que, maintenant, le temps du rule (c’est décidément difficile de parler en français!), du gouvernement du Surmental arrive à sa fin et va être remplacé par le gouvernement du Supramental. Le Surmental, tous ceux qui ont fait des expériences spirituelles et qui ont découvert le Divin et qui se sont unis à Lui, tous ceuxlà savent ce que c’est. Mais ce que Sri Aurobindo dit, c’est que, au-delà du Surmental, il y a quelque chose, et que c’est le tour de ce quelque chose de venir gouverner la terre — de se manifester sur la terre et de gouverner la terre. Et, par conséquent, il n’est pas besoin de parler de Surmental, parce qu’il y a beaucoup de gens qui en ont parlé avant et qui en ont fait l’expérience; tandis que cela, c’est une chose nouvelle, qui va se manifester d’une façon nouvelle et dont personne n’avait pris conscience auparavant. C’est pour cela. Les vieilles histoires, il ne manque pas de gens qui en ont fait l’expérience ou qui les ont décrites, ou de livres qui ont été écrits à ce sujet. Il n’est pas besoin de répéter encore une fois ce que les autres ont dit. Sri Aurobindo est venu dire quelque chose de nouveau. Et c’est justement parce que les gens n’arrivent pas à sortir des expériences qu’ils ont connues et dont on leur a parlé, qu’ils essayent d’identifier cette Force, que Sri Aurobindo appelle supramentale, avec leur expérience des mondes intermédiaires, y compris le Surmental. Parce qu’ils ne conçoivent pas qu’il y ait quelque chose d’autre... Sri Aurobindo a toujours dit que son yoga commence là où les yogas précédents finissent; que pour pouvoir réaliser son yoga, il fallait d’abord avoir réalisé l’extrême limite de ce que les yogas précédents avaient réalisé, c’est-à-dire la perception du Divin, l’union, l’identification avec le Divin. Mais ce Divinlà, Sri Aurobindo disait que c’était le Divin du Surmental, qui est déjà, par rapport à la conscience humaine, quelque chose de tout à fait impensable, parce que, même pour y aller, on devait traverser plusieurs plans, et que dans ces plans on avait l’impression d’un éblouissement.

Il y a des êtres du vital qui, s’ils apparaissaient aux hommes (ou pour dire les choses plus exactement, chaque fois qu’ils sont apparus aux hommes), les hommes les ont pris pour le Dieu suprême — des entités du vital! Si vous voulez, nous appellerons cela un déguisement, mais c’est un déguisement très réussi parce que ceux qui le voyaient étaient tout à fait convaincus qu’ils avaient vu la Divinité suprême. Et pourtant, c’étaient des êtres du vital. Et ces entités du Surmental, ces dieux du Surmental, ce sont des entités formidables par rapport à notre humanité. Quand les êtres humains ont une relation avec eux, ils sont vraiment... bewildered (c’est curieux, je pense en anglais)... ahuris.

Mais il y a une sorte de grâce qui fait que l’expérience des autres peut profiter. C’est l’équivalent du système de l’enseignement scientifique. Si chaque savant avait besoin de refaire toutes les expériences passées pour arriver à une découverte nouvelle, repasser tout ce que les autres avaient trouvé, il y passerait toute sa vie, alors il ne resterait plus de temps pour faire la découverte nouvelle! Maintenant, on n’a pas besoin de tout cela : on ouvre un livre et on voit les résultats, et à partir de là on peut aller plus loin. Eh bien, Sri Aurobindo a voulu faire la même chose. Il vous dit où vous pouvez trouver les résultats de ce que les autres ont trouvé avant lui — les expériences qu’ils ont faites et les résultats — et où on en est : historiquement où on en est dans l’histoire spirituelle du monde. Et alors, il vous prend à partir de là, après vous avoir établi la base, et puis il vous fait gravir la montagne plus haute.

Alors, dans cet Ashram, on ne devrait avoir que des gens déjà arrivés au niveau surmental? Au lieu de cela...

Je ne veux pas parler de ceux qui étaient là au début, de ce qu’ils savaient, ou ne savaient pas, et de leur expérience. Mais vous tous, mes enfants, à quel âge êtes-vous venus ici? Ce n’était pas un âge à avoir réalisé le Surmental !

Si tu avais autour de toi des gens comme Vivékânanda, par exemple, ton travail serait plus facile, non? Au lieu d’avoir de la matière brute comme nous? (rires)

Peut-être auraient-ils été plus récalcitrants!... Parce que, ce qu’il y a de plus difficile, c’est de convaincre quelqu’un qui a déjà une réalisation. Il se croit très supérieur à tout progrès.

Pas nécessairement. Ce n’est pas nécessairement celui qui a fait l’expérience qui est le plus avancé. Il lui manque un élément de simplicité, de modestie, et la plasticité qui vient du fait que l’on ne s’est pas encore développé totalement. À mesure que l’on se développe, il y a quelque chose qui se cristallise dans le cerveau; ça devient de plus en plus fixe; et à moins que l’on ne fasse de gros efforts, on finit par être fossilisé. C’est généralement ce qui arrive aux gens, surtout ceux qui ont fait un effort de réalisation et qui sont arrivés, ou qui ont cru qu’ils arrivaient au but. En tout cas, c’était leur but personnel. Ils l’ont atteint, ils sont arrivés. C’est fini, ils restent là. Ils se fixent, ils se disent : « Ça y est. » Et ils ne bougent plus. Alors, ils peuvent vivre après cela dix ans, vingt ans, trente ans, ils ne bougeront pas. Ils sont là, ils resteront là. Ceux-là manquent de toute la souplesse d’étoffe nécessaire pour pouvoir aller plus loin et progresser. Ils sont fixés. Ce sont de très bons objets pour mettre dans un musée, mais pas pour faire du travail. C’est comme des échantillons pour montrer ce qui peut se faire, mais pas des éléments pour faire davantage. Moi, j’avoue que j’aime mieux, pour mon travail, quelqu’un qui sait très peu, qui n’a pas fait trop d’efforts, mais qui a une grande aspiration, une grande bonne volonté, et qui sent en lui cette flamme, ce besoin de progresser. Il peut savoir très peu, et avoir réalisé encore moins, mais s’il a ça audedans de lui, c’est une bonne étoffe avec laquelle on peut aller très loin, beaucoup plus loin. Parce qu’il faut savoir le chemin (c’est encore la même chose que pour ta bibliothèque), il faut savoir le chemin pour aller. Eh bien, généralement, dans la vie, pour gravir une montagne ou pour aller dans un pays inconnu, on cherche quelqu’un qui y est allé, qui est un guide, et on lui demande de vous conduire. C’est la même chose. Si on se laisse guider, alors on peut arriver beaucoup plus vite que quelqu’un qui a fait de grands efforts, qui a trouvé son propre chemin, qui généralement est assez fier de lui-même et, en tout cas, qui a ce sentiment d’être arrivé, d’avoir atteint le but qu’il s’était proposé, d’être arrivé — et il s’arrête, il se fixe. Et il ne bouge plus.

Naturellement, au commencement il n’y avait pas d’enfants ici, et on n’acceptait pas les enfants, on refusait tous les enfants. C’est seulement après la guerre que l’on a pris des enfants. Mais je ne regrette pas qu’on les ait pris. Parce que je crois qu’il y a beaucoup plus d’étoffe pour l’avenir parmi les enfants qui ne savent rien que parmi les grandes personnes qui croient tout savoir... Je ne sais pas si vous connaissez grand-chose à la sculpture? Mais pour faire de la sculpture, on prend de l’argile, on l’imbibe d’eau; il faut que ce soit de l’argile comme une poudre très fine, et on l’imbibe d’eau, on en fait une pâte. On la garde toujours mouillée et on fait sa statue, ou quoi que ce soit. Quand c’est fini, on la cuit pour que ça ne bouge plus. Et à ce momentlà — en effet à ce moment-là — ça ne peut plus bouger. Si vous voulez changer quelque chose, il faut que vous la détruisiez et que vous en fassiez une autre. Parce que, autrement, telle qu’elle est, elle ne bouge plus. C’est solide et immobile comme de la pierre... C’est quelque chose comme cela dans la vie. Il ne faut pas être arrivé à quelque chose et puis rester cristallisé, fossilisé, immobilisé. Parce que, autrement, il faut briser, casser en petits morceaux, sinon on ne peut plus rien faire.

Tant que l’on reste de l’argile, comme cela, bien doux, bien malléable, qui n’est pas encore formé et qui n’a pas conscience d’être formé, alors on peut faire quelque chose. Et tant que l’on est un enfant... c’est un état béni. Je le disais hier, les enfants n’ont qu’une idée, c’est de devenir grands, et ils ne savent pas que, quand ils seront grands, ils auront perdu les trois quarts de leur valeur, qui consiste à être quelque chose qui peut être encore développé, formé, quelque chose de malléable, quelque chose de progressif, qui n’a pas besoin d’être cassé en petits morceaux pour faire des progrès. Il y a des gens qui sont obligés de faire tout le tour comme cela, de la montagne, depuis le bas jusqu’en haut, et qui prennent toute une vie pour arriver en haut. Il y a d’autres gens qui savent quel est le chemin, le raccourci que l’on peut prendre et par lequel on peut arriver tout droit en haut. Et alors, une fois qu’ils sont là-haut, ils sont encore pleins de jeunesse, d’énergie, et ils peuvent voir l’horizon et quelle est la prochaine montagne. Tandis que les autres, ils ont conscience d’avoir fait une œuvre considérable en tournant autour, tournant autour, et en passant toute leur vie pour arriver jusqu’en haut. Mais vous, mes enfants, on essaye de vous prendre tout en bas, de vous faire monter par le funiculaire jusqu’en haut, le chemin le plus court. Et quand vous serez en haut, alors vous aurez la vision des espaces en face de vous-mêmes et vous pourrez choisir la montagne que vous voulez gravir.

Et surtout, ne vous hâtez pas de ne plus être un enfant! Il faut être un enfant toute sa vie, tant que l’on peut, aussi longtemps que l’on peut. Soyez heureux, joyeux, contents d’être un enfant, et restez un enfant, de la matière plastique à former. Voilà.

Est ce que vous ne pouvez pas changer quelqu’un qui a déjà fait des progrès? On peut changer les hommes qui vieillissent?

On peut, on peut. On le fait. On peut, mais c’est beaucoup plus difficile, et plus ils sont convaincus qu’ils sont arrivés à quelque chose, plus c’est difficile.

Ça peut se faire, ça a été fait, mais c’est beaucoup plus difficile. Et quelquefois cela prend plus de temps.

Pourquoi, avant la guerre, n’acceptait-on pas les enfants?

Ah! mes enfants, c’est très simple. C’est parce que là où il y a des enfants, on ne s’occupe plus guère que d’eux ! Les enfants sont des créatures très absorbantes. Il faut que tout soit organisé pour eux, il faut que tout soit arrangé en vue de leur bien-être, et tout l’aspect de la vie change. Les enfants sont les personnages les plus importants. Quand ils sont là, tout tourne autour d’eux. Et toute l’organisation de l’Ashram a complètement changé. Avant, c’était tout à fait différent. D’abord, il y avait une austérité que l’on ne peut pas imposer aux enfants. Il y a des simplicités et des austérités de vie que l’on peut imposer à des grandes personnes parce qu’on leur dit : « C’est à prendre ou à laisser. Si vous ne pouvez pas le supporter ou si ça ne vous plaît pas, eh bien, allez-vous-en. Voilà comment il faut que ce soit; si vous n’en voulez pas, vous pouvez partir, la porte est toujours ouverte. » Mais un enfant... De quel droit exiger d’un enfant des choses qui ne sont pas en rapport normal avec sa croissance? Les enfants, il faut qu’ils soient arrivés à une certaine maturité pour pouvoir faire un choix. Vous ne pouvez pas les obliger à faire une chose avant qu’ils aient la capacité de choisir. Vous devez leur donner tout normalement tout ce dont ils ont besoin. Et ça change totalement l’existence. Et je le savais très bien. J’avais déjà l’expérience de ce qu’est une vie de solitaires, d’un ensemble de solitaires, ou d’une vie dans laquelle les enfants sont admis. C’est absolument, c’est totalement différent. On n’a pas le droit d’exiger d’un être quelque chose quand il n’a pas le libre choix ; et tant que l’on n’est pas formé, que l’on n’est pas arrivé à une certaine maturité, on ne fait pas choisir. Quand on arrive à cette maturité, alors on choisit. Et les enfants, ici, ne sont pas venus d’eux-mêmes. La plupart d’entre vous étiez hauts comme une botte — quand vous êtes arrivés, quel âge aviez-vous?... On ne peut pas leur dire : « Tu as choisi, par conséquent c’est à prendre ou à laisser : ou tu fais comme cela ou tu t’en vas. » On l’a amené, par conséquent on a le devoir de lui donner ce dont il a besoin; et les besoins de l’enfant ne sont pas du tout les mêmes que les besoins des grandes personnes. C’est beaucoup plus compliqué.

Maintenant, les choses sont différentes, parce que maintenant, on ne dit plus aux gens : « Vous allez venir pour faire un yoga »; on leur dit : « Vous allez venir pour tâcher d’apprendre les conditions dans lesquelles la vie terrestre peut être améliorée. » Alors on vient, on étudie. Quand on pense savoir ce que l’on veut apprendre, on s’en va. Ce n’est pas la même chose. Et ce n’est pas la même condition que de venir avec un but précis et unique comme de réaliser le Divin dans sa vie physique, et que rien d’autre au monde ne compte, sauf cela. Pour choisir, il faut au moins savoir un petit peu les éléments du choix. Et pour cela, il faut avoir une certaine formation intérieure, une certaine culture. Et on ne l’a certainement pas quand on a cinq ans — excepté quelques-uns; quelques-uns d’entre vous (plus même qu’on ne pourrait le croire) savaient très bien pourquoi ils étaient venus, bien qu’ils ne puissent pas le formuler avec des mots. Ils le sentaient très intensément. Et quand les parents essayaient de les retirer, ils refusaient obstinément, disant : « Non, non, je veux rester ici! » Même à cinq ans, quoique dans la tête vous ne pouviez pas savoir pourquoi, parce que le cerveau n’était pas formé. Mais la conscience psychique était là, et ils sentaient. Eh bien, ces enfants-là sont d’une étoffe infiniment supérieure à celle des gens qui ont déjà eu la tête aux trois quarts abrutie par l’enseignement qu’on leur donne dans les écoles ordinaires, et qui vous arrivent tout à fait convaincus qu’ils savent beaucoup de choses, qu’ils sont au courant de la vie. Ils ont le caractère formé, ils ont pris beaucoup de mauvaises habitudes. Voilà.

Est ce que le souvenir est synonyme de mémoire?

Pas nécessairement. La mémoire est un phénomène mental, purement mental. Le souvenir peut être un phénomène de conscience. On peut se souvenir dans tous les domaines de son être : on peut se souvenir vitalement, on peut se souvenir physiquement, on peut se souvenir psychiquement, on peut se souvenir mentalement aussi. Tandis que la mémoire est un phénomène purement mental. La mémoire peut d’abord se déformer, et elle peut aussi s’oblitérer, on peut oublier. Le phénomène de conscience est très précis : si vous pouvez ramener la conscience à l’état dans lequel elle était, les choses reviennent exactement comme elles étaient. C’est comme si vous reviviez le même moment. Vous pouvez le revivre une fois, deux fois, dix fois, cent fois, mais vous revivez le phénomène de conscience. C’est très différent de la mémoire d’un fait que vous inscrivez quelque part dans votre cerveau. Et si les associations cérébrales se dérangent le moins du monde (parce qu’il y a beaucoup de choses dans votre cerveau et c’est un instrument très délicat), s’il y a le moindre petit dérangement, votre mémoire se fausse. Et alors il y a des trous qui se forment et vous oubliez. Tandis que si vous savez ramener un certain état de conscience en vous, il revient identiquement à ce qu’il était. Maintenant, il se peut aussi qu’un souvenir soit purement mental et que ce soient des activités cérébrales qui continuent, mais ça, c’est un souvenir mental. Et on a des souvenirs dans le sentiment, des souvenirs dans la sensation.

L’autre jour, tu as dit : « Pour augmenter ta mémoire, il faut augmenter la conscience. » C’est la même chose pour le souvenir?

Je voulais dire qu’il fallait remplacer le phénomène de mémoire pure par un phénomène de conscience. Je ne sais pas dans quel sens on employait le mot mémoire l’autre jour. Ce ne peut être que dans ce sens-là.

Mémoire dans l’étude.

Eh bien, oui, c’est cela. C’est ce que je voulais dire : remplacer la mémoire purement mentale par des états de conscience. C’est exactement ce que je voulais dire. Parce que, si vous essayez d’apprendre une chose par cœur, au bout d’un certain temps vous êtes sûrs de l’oublier. Ou bien il y a des trous : vous vous souvenez d’une chose, vous ne vous souvenez pas d’une autre. Mais si vous avez un phénomène de conscience associé à une certaine connaissance, vous pouvez toujours le ramener, et la connaissance reviendra telle quelle.

Voilà, au revoir mes enfants.

octobre




Le 7 octobre 1953

« La méthode par laquelle vous aurez le plus de succès, [pour obtenir une guérison] dépend de la conscience que vous avez développée en vous et du caractère des forces que vous êtes capable de faire entrer en jeu.

« Vous pouvez vivre dans la conscience de la guérison radicale et, par la force de votre formation intérieure, amener lentement le changement extérieur. Ou bien, si vous connaissez et voyez la force qui est capable d’effectuer les choses requises et que vous sachiez la manier, vous pouvez l’appeler et la concentrer aux endroits où son action est nécessaire, et elle-même amènera le changement. Ou encore, vous pouvez présenter votre difficulté au Divin et lui demander de vous guérir, en plaçant toute votre confiance dans le pouvoir divin. »

(Entretien du 23 juin 1929)

Quelle est cette « conscience de la guérison radicale » ?

Cela ne veut pas dire qu’il existe une conscience spécifique de la guérison radicale. Cela veut dire : « Vivre dans un état de conscience qui est conforme à la guérison radicale. » Comment expliquer?... Vous avez en vous un tableau, ou une image ou une formation qui réalise en elle-même tous les rapports et tous les éléments nécessaires pour que la guérison puisse exister et qu’elle soit totale. Cela s’appelle « avoir la conscience de la guérison radicale ». Cela ne veut pas dire qu’il y ait un état de conscience qui soit en lui-même une guérison radicale, et que si vous obtenez cette conscience, eh bien, vous obtenez la guérison. Ce n’est pas comme cela. Tu as compris la différence?

« En certains, l’aspiration se meut dans le plan mental ou dans le plan vital; d’autres ont une aspiration spiri tuelle. De la qualité de l’aspiration dépend la force qui répond et le travail qu’elle vient faire. Faire le vide en soi dans la méditation, crée un silence intérieur; cela ne veut pas dire que l’on ne soit plus rien ou que l’on soit devenu une masse inerte et morte. À faire le vide, on invite ce qui va le remplir. C’est-à-dire que l’on per met une détente dans l’insistance de la conscience sur la réalisation. Cependant, la nature de la conscience et le degré habituel de l’insistance déterminent non seule ment les forces que l’on met en jeu, mais également la manière dont elles agiront : si elles aideront et accompli ront, ou bien échoueront, ou même si elles entraveront et seront nuisibles. »

(Entretien du 23 juin 1929)

Quelle est la différence entre l’aspiration dans le men tal, l’aspiration dans le vital et l’aspiration spirituelle?

De quelle manière aspirez-vous dans le mental, aspirez-vous dans le vital, ou aspirez-vous spirituellement?

Une aspiration mentale, c’est le pouvoir de penser qui aspire à avoir la connaissance, par exemple, ou bien à avoir le pouvoir de s’exprimer bien, ou bien à avoir les idées claires, un raisonnement logique. On peut aspirer à beaucoup de choses : que toutes les facultés, toutes les capacités mentales soient augmentées et mises au service du Divin. C’est une aspiration mentale.

Ou bien tu peux avoir une aspiration dans le vital ; si tu as des désirs ou des tourments, des orages, des difficultés intérieures, tu peux aspirer à avoir la paix, à être tout à fait impartial, sans désir et sans préférence, à être un bon instrument docile qui n’ait pas de caprices personnels, qui soit toujours à la disposition du Divin. Ça, c’est une aspiration vitale.

Tu peux avoir une aspiration physique aussi, que le corps sente qu’il faut qu’il obtienne une sorte d’équilibre où toutes les parties de l’être seront bien balancées, et que l’on ait le pouvoir de tenir la maladie à distance ou de la vaincre rapidement si elle entre par malice, et que le corps fonctionne toujours normalement, harmonieusement, dans une parfaite santé. Ça, c’est une aspiration physique.

Une aspiration spirituelle, c’est d’avoir un intense besoin de s’unir au Divin, de se donner totalement au Divin, de ne pas exister en dehors de la Conscience divine, que ce soit le Divin qui soit tout pour vous dans votre être intégral, et que vous ayez le besoin d’une communion constante avec Lui, du sens de sa présence, de sa direction dans tout ce que vous faites, et de son harmonisation de tous les mouvements de l’être. Ça, c’est une aspiration spirituelle.

Mère, l’aspiration vient-elle du psychique?

Pas nécessairement. Chaque partie de l’être peut avoir son aspiration propre.

Comment le physique peut-il parvenir à l’aspiration, puisque c’est le mental qui pense?

Tant que c’est le mental qui pense, ton physique est quelque chose aux trois quarts inerte et qui n’a pas de conscience propre. Il y a une conscience physique propre, une conscience du corps; le corps est conscient de lui-même, et il a sa propre aspiration. Tant que l’on pense à son corps, on n’est pas dans sa conscience physique. Le corps a une conscience qui lui est tout à fait personnelle et très indépendante du mental. Le corps a complètement conscience de son fonctionnement propre, ou de son équilibre propre, ou déséquilibre, et il devient absolument conscient d’une façon tout à fait précise s’il y a un désordre à un endroit ou à un autre, et... comment dirai-je... il est en relation avec cela et il le sent très exactement, même s’il n’y a pas de manifestations extérieures. Le corps a conscience si tout le fonctionnement est harmonieux, bien balancé, bien régulier, se produisant comme il faut; il a cette espèce de plénitude, de sens de plénitude, de joie et de force — quelque chose comme une joie de vivre, d’agir, de se mouvoir dans un équilibre plein de vie et d’énergie. Ou alors, le corps peut être conscient qu’il est maltraité par le vital et par le mental et que cela nuit à son équilibre propre, et il en souffre. Cela peut produire un complet déséquilibre en lui. Et ainsi de suite.

On peut développer sa conscience physique au point que, même si l’on est totalement extériorisé, si le vital sort complètement du corps, le corps a une conscience personnelle, indépendante, qui fait qu’il peut se mouvoir, il peut faire toutes sortes de choses très simples sans que le vital soit là, tout à fait indépendamment. Le corps peut apprendre à parler : le mental et le vital peuvent être en dehors de lui, très loin, occupés ailleurs, mais par le lien qui les réunit à la matière, ils peuvent encore s’exprimer par un corps où il n’y a plus ni mental ni vital, et qui cependant peut apprendre à parler et à répéter ce que les autres disent. Le corps peut bouger — je ne veux pas dire qu’il puisse faire des efforts considérables, mais il peut se mouvoir. Il peut faire des petites choses très simples. Il peut, par exemple, écrire, apprendre à écrire, comme il peut apprendre à parler. Il parle. C’est une façon un peu... comment dire... lente, un peu difficile, mais enfin il peut parler clairement (suffisamment clairement) pour que l’on puisse comprendre. Et pourtant, le mental et le vital peuvent être tout à fait sortis, complètement à l’extérieur. Il y a une conscience du corps.

Et alors, quand on a développé cette conscience du corps, on peut avoir la perception très claire de la contradiction entre les différentes consciences. Quand le corps a besoin d’une chose et qu’il est conscient que c’est cela qu’il lui faut, et que le vital en veut une autre, et que le mental en veut une autre, eh bien, il peut y avoir très bien une discussion entre eux, des contradictions et des conflits. Et on peut très bien discerner quel est l’équilibre du corps, le besoin du corps tout seul, et de quelle manière le vital intervient, et détruit cet équilibre le plus souvent et nuit beaucoup au développement, parce qu’il est ignorant. Et quand le mental arrive, il fait encore un autre désordre qui vient s’ajouter à celui entre le vital et le physique, introduisant ses idées, ses normes, ses principes, ses règles, ses lois et le reste, et comme il ne se rend pas compte exactement des besoins de l’autre (du corps), il veut faire ce que tout le monde fait. Les êtres humains sont d’une santé beaucoup plus fragile et incertaine que les animaux, parce que leur mental intervient et dérange l’équilibre. Le corps, livré à lui-même, a un instinct très sûr. Par exemple, jamais le corps livré à lui-même ne mangera quand il n’a pas besoin de manger, ou ne prendra quelque chose qui lui fera du mal. Ou bien, il dormira quand il a besoin de dormir, il agira quand il a besoin d’agir. L’instinct du corps est un instinct très sûr. C’est le vital et le mental qui le dérangent : l’un par ses désirs, ses volontés capricieuses; l’autre par ses principes, ses dogmes, ses idées, ses lois. Et malheureusement, dans la civilisation telle qu’elle est comprise, avec l’éducation qui est donnée aux enfants, cet instinct si sûr du corps est complètement annulé : c’est le reste qui domine. Et il arrive ce qui arrive : on mange des choses qui font du mal, on ne se repose pas quand on en a besoin, ou l’on se repose trop quand on n’en a pas besoin, ou l’on fait des choses que l’on ne doit pas faire, et on abîme sa santé complètement.

Quelquefois, Douce Mère, quand les enfants sont intéressés par quelque chose, ils ne veulent pas aller dormir, alors qu’est ce que l’on doit faire? Juste quelques minutes avant ils disaient avoir sommeil, et puis, quand ils commencent à jouer, ils disent qu’ils ne veulent pas aller dormir.

Il ne faudrait pas les laisser jouer au moment où ils ont sommeil. Justement, c’est l’intrusion des mouvements du vital. Un enfant qui ne vit pas trop avec les grandes personnes (il est mauvais pour les enfants de vivre beaucoup avec les grandes personnes), un enfant qui est laissé à lui-même, spontanément il dormira, quoi que ce soit qu’il fasse, au moment où il est nécessaire qu’il dorme. Seulement, quand les enfants sont habitués à vivre avec les grandes personnes, eh bien, ils prennent toutes les habitudes des grandes personnes. Surtout quand on leur dit : « Oh ! tu ne peux pas faire ceci parce que tu es petit! Quand tu seras grand, tu le feras. Tu ne peux pas manger ça parce que tu es petit, quand tu seras grand tu pourras le manger. À cette heure-ci il faut que tu ailles dormir parce que tu es petit... » Alors, naturellement, il y a en eux cette conscience qu’il faut devenir grand à tout prix, ou avoir l’air d’être grand !

« L’intensité même de votre foi peut vouloir dire que le Divin a déjà décidé que la chose en question sera faite. Une foi inébranlable est le signe de la présence de la volonté divine, une preuve de ce qui sera. »

(Entretien du 23 juin 1929)

Une foi dynamique et une grande confiance ne sontelles pas la même chose?

Pas nécessairement. Il faudrait savoir quelle est l’étoffe de la foi et l’étoffe de la confiance. Parce que, par exemple, si vous vivez normalement, dans des conditions tout à fait normales — pas avec des idées extravagantes et une éducation déprimante —, eh bien, pendant toute la jeunesse et généralement jusqu’à une trentaine d’années, on a une confiance absolue dans sa vie. Si, par exemple, vous n’êtes pas entourés de gens qui, dès que vous avez un rhume de cerveau, se mettent à l’envers et se précipitent chez le docteur et vous donnent des médicaments, si vous êtes dans un milieu normal et si vous attrapez quelque chose — un accident ou une petite maladie —, il y a dans le corps cette certitude, cette confiance absolue que ça ira bien : « Ce n’est rien, ça va passer. C’est sûr de passer. Je serai tout à fait bien demain, ou dans quelques jours. C’est sûr de guérir », quoi que ce soit que l’on attrape. Ça, c’est la condition normale du corps. Une confiance absolue qu’il a toute la vie devant lui et que tout ira bien. Et cela aide énormément. On guérit neuf fois sur dix, on guérit extrêmement rapidement avec cette confiance : « Ce n’est rien, qu’est-ce que c’est que ça ? C’est un accident, ça va passer, ce n’est rien. » Et il y a des gens qui gardent cela pendant très longtemps, très longtemps, une sorte de confiance — rien ne peut leur arriver. Leur vie est là, devant eux, totale, et rien ne peut leur arriver. Et ce qui leur arrivera n’a aucune espèce d’importance : tout ira bien forcément, ils ont toute la vie devant eux. Naturellement, si vous vivez dans un milieu où il y a des idées morbides et que l’on passe son temps à vous raconter des choses désastreuses et catastrophiques, alors vous pouvez penser mal. Et si vous pensez mal, cela réagit sur votre corps. Autrement, le corps tel qu’il est peut garder cela jusqu’à quarante ans, cinquante ans (cela dépend des gens : ceux qui savent vivre d’une vie équilibrée et normale). Mais le corps est tout à fait confiant dans sa vie. C’est seulement si la pensée vient et qu’elle arrive avec toutes sortes d’imaginations, comme j’ai dit, morbides et malsaines, alors cela change tout. J’ai vu des cas comme cela, d’enfants qui avaient de ces petits accidents que l’on a quand on court, quand on s’amuse : ils n’y pensaient même pas, ça s’en allait tout de suite. J’en ai vu d’autres auxquels la famille avait seriné, dès qu’ils pouvaient comprendre, que tout est dangereux, qu’il y a des microbes partout, qu’il faut faire très attention, que la moindre blessure peut devenir désastreuse, qu’il faut absolument veiller soigneusement à ce que rien de grave ne se produise... Alors il faut qu’on les panse, il faut qu’on les lave avec du désinfectant, et ils sont là à se demander : « Qu’est-ce qui va m’arriver? Oh! je vais peut-être avoir le tétanos, une fièvre septique... » Naturellement dans des cas comme ceux-là, on perd confiance en la vie et le corps s’en ressent, beaucoup. Les trois quarts de sa résistance s’en vont. Mais normalement, naturellement, c’est le corps qui sait qu’il doit être en bonne santé, et il sait qu’il a le pouvoir de réagir. Et si quelque chose arrive, il dit à ce quelque chose : « Ce n’est rien, ça va s’en aller, ne t’en occupe pas, c’est fini. » Et ça s’en va.

Ça, c’est la confiance absolue.

Maintenant, tu dis une « foi dynamique ». Une foi dynamique, c’est autre chose. Si l’on a au-dedans de soi la foi en la Grâce divine, que la Grâce divine veille sur vous et que, quoi que ce soit qui arrive, la Grâce divine est là, veillant sur vous, ça, on peut le garder toute sa vie et toujours; et avec ça, on peut traverser tous les dangers, faire face à toutes les difficultés, et rien ne bouge, parce que vous avez la foi et la Grâce divine qui est avec vous. C’est une force infiniment plus forte, plus consciente, plus durable, qui ne dépend pas des conditions de votre construction physique, qui ne dépend de rien que de la Grâce divine elle-même, par conséquent qui s’appuie sur la Vérité et que rien ne peut ébranler. C’est très, très différent.

Quelquefois, les enfants demandent pourquoi nous sommes ici? Qu’est ce qu’on doit leur répondre?

Cela dépend de leur âge, mon enfant, et cela dépend de ce qu’ils sont. Ça dépend de leur sincérité. Tu ne peux pas donner la même réponse à tous.

Mais est-ce que les tout petits demandent quelquefois?... Les tout petits demandent pourquoi on est ici?

Pas les tout petits : Pournima, Taroulata.

À cet âge-là, c’est déjà l’âge où l’on questionne et où l’on doute.

Les tout petits, s’ils demandent cela, c’est admirable. Il n’y a qu’à leur répondre une chose très simple : « Mes enfants, c’est parce que c’est la Volonté divine. C’est la Grâce divine qui fait que vous êtes ici. Soyez heureux, soyez tranquilles, soyez paisibles, ne questionnez pas, tout ira bien. » Et quand ils sont plus grands, ils commencent déjà à raisonner, alors ce n’est plus si bien, ce n’est plus si facile. Mais cela dépend, comme j’ai dit, cela dépend du degré de leur intelligence, du degré de leur ouverture. Il y a ceux qui sont prédestinés, qui sont ici parce qu’ils doivent y être. Ceux-là, c’est facile. Il n’y a qu’à leur dire : « Mes enfants, c’est parce que vous appartenez à un avenir qui est en train de se construire, et c’est ici qu’il se construit. » C’est très simple pour eux, c’est vrai. Il y en a qui sont ici parce que leurs parents y sont, pour aucune autre raison. Alors il est difficile de leur dire cela ; à moins de leur dire tout simplement : « Parce que ton papa et ta maman sont ici. »

Mais comment comprendre?

Ah! ça, cela dépend de toi.

La première chose, c’est d’apprendre à connaître par identité. Ça, c’est indispensable quand on a la responsabilité d’autrui. Pour apprendre à conduire d’autres gens, le premier pas indispensable est de savoir entrer en eux de façon à les connaître — pas projeter sa pensée, s’imaginer ce qu’ils sont : sortir de soi et entrer en eux, savoir ce qui s’y passe. Alors, comme cela, on les connaît parce qu’on est eux. Quand on ne connaît que soi dans les autres, cela veut dire que l’on ne sait rien. On peut se tromper du tout au tout. On s’imagine que c’est ceci ou cela — on juge sur des apparences; ou bien sur des préférences mentales, sur des idées préconçues, c’est-à-dire que l’on ne sait rien. Mais il y a une condition dans laquelle on n’a même pas besoin de savoir, de chercher à savoir comment est quelqu’un : on ne peut pas faire autrement que de sentir comment il est, parce que c’est une projection de soi. Et à moins que l’on ne sache faire cela, on ne peut jamais faire ce qu’il faut pour les gens — à moins qu’on ne sente comme ils sentent, qu’on ne pense comme ils pensent, qu’on ne soit capable d’entrer en eux comme si l’on était eux-mêmes. C’est la seule manière. Si vous essayez de savoir avec une petite tête qui marche, vous ne saurez jamais rien. Ou bien en regardant les gens et en vous disant : « Tiens, il fait ça comme cela et comme cela, par conséquent il doit être de telle manière. » C’est impossible.

Par conséquent, le premier devoir de ceux qui ont une responsabilité — par exemple, ceux qui ont la charge d’éduquer d’autres enfants, de s’occuper d’autres êtres, depuis les gouvernants jusqu’aux professeurs et aux moniteurs —, leur premier devoir est d’apprendre à s’identifier, à sentir comme les autres. Alors on sait ce que l’on doit faire. On garde sa lumière intérieure, on garde sa conscience à la place où elle doit être — très au-dessus, dans la lumière — et en même temps on s’identifie, et alors on sent comment ils sont, quelles sont leurs réactions, quelles sont leurs pensées, et on garde cela devant la lumière que l’on a : on arrive à penser parfaitement bien ce qu’il faut faire pour eux. On dira à chacun ce qu’il a besoin d’entendre, on agira avec chacun comme il est nécessaire pour lui faire comprendre. Et c’est pour cela que c’est une grâce merveilleuse d’avoir la responsabilité d’un certain nombre de personnes, parce que cela vous met dans l’obligation de faire le progrès le plus essentiel. Et je me hâte de vous dire que, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, les gens ne le font pas. Mais c’est justement pour cela que les choses vont si mal. Surtout ceux qui ont la responsabilité de gouverner un pays, c’est la dernière chose à laquelle ils pensent! Ils sont très anxieux, au contraire, de garder leur manière de voir et leur manière de sentir, et ils s’abstiennent férocement de se rendre compte des besoins de ceux qu’ils gouvernent. Mais enfin, on peut voir que le résultat n’est pas fameux ; jusqu’à présent il est évident que l’on ne peut pas dire que les gouvernements aient été des institutions remarquables. C’est la même chose à tous les niveaux : il y a des petits gouvernements, il y a des grands gouvernements. Mais les lois sont les mêmes, pour tous. Et à moins que, quand vous donnez une leçon, vous ne soyez capable, là, comme ça, de prendre l’atmosphère générale, de ramasser les vibrations qui sont autour des gens, de rassembler ça, de le garder devant vous, et de vous rendre compte de ce que vous pouvez faire de cette matière (des vibrations que vous pouvez répandre, des forces que vous pouvez donner, celles qui seront reçues, celles qui seront assimilées), à moins que vous ne fassiez cela, la plupart du temps vous perdez votre temps, vous aussi. Pour pouvoir faire le moindre travail, il faut faire beaucoup de progrès.

« Le supramental ne s’intéresse pas aux choses mentales de la même manière que le fait l’esprit humain. Il a sa propre manière de s’intéresser à tous les mouvements de l’univers, mais c’est d’un autre point de vue et avec une autre vision. Le monde revêt pour lui une apparence très différente de son apparence ordinaire. Il y a un ren versement dans le point de vue. Tout ce qui est perçu de là, apparaît différent de ce que cela apparaît au mental, et même souvent opposé. Les choses ont un autre sens; leur aspect, leur mouvement, leur procédé, tout ce qui les concerne, est observé avec d’autres yeux. Tout ce qui se passe ici est suivi par le supramental ; les mouvements du mental, et aussi ceux du vital et du matériel, tout le jeu de l’univers, sont pour lui du plus grand intérêt, mais d’une autre manière. »

(Entretien du 23 juin 1929)

À quoi le supramental s’intéresse-t-il?

Il s’intéresse à la transformation du monde — à la descente des forces dans le monde matériel et à sa transformation, à sa préparation pour qu’il puisse recevoir les forces supramentales. Et il est conscient de la différence entre le monde tel qu’il existe et le monde tel qu’il doit être. À chaque minute, il voit l’écart entre ce qui est et ce qui devrait être, entre la Vérité et le mensonge qui s’exprime. Et constamment, il garde cette vision de la Vérité qui plane au-dessus du monde, de façon que, dès qu’il y a une petite ouverture, ça descende et ça se manifeste. Et ce qui paraît, aux consciences ordinaires, tout à fait naturel, est généralement pour lui un jeu de forces obscures, ignorantes, tout à fait inconscientes, et il ne trouve pas cela naturel du tout. Il trouve cela un accident détestable, et de toute sa force il essaye d’y porter remède. Il cherche, il voit, et s’il y a une réceptivité quelque part, il intensifie son action. Les gens, il ne les voit pas avec une apparence extérieure, mais comme des vibrations plus ou moins réceptives et plus ou moins obscures ou lumineuses, et partout où il voit une lumière, il projette sa force pour que cela ait son plein effet. Et au lieu que chacun soit comme un pion sur un échiquier, une petite personne bien définie, il voit comment les forces entrent, sortent, bougent, se meuvent et font mouvoir tous les êtres, comment les vibrations agissent. Et il voit celles qui sont des vibrations ascendantes, qui mènent vers le progrès, et il voit celles qui sont des vibrations qui vous projettent dans l’obscurité de plus en plus, qui vous font descendre. Et quelquefois, quelqu’un vient vous trouver avec des mots tout faits, qu’il a appris dans les livres généralement, mais enfin des mots d’aspiration et de bonne volonté, et on lui répond par une bonne rebuffade en lui disant qu’il faut qu’il essaye d’être sincère — il ne comprend pas. C’est parce que la Force voit que ce n’est pas sincère — la Force ne voit pas les mots, n’entend pas les mots, ne voit même pas les idées dans la tête, mais voit l’état de conscience, si l’état de conscience est sincère ou non. Il y a d’autres cas où les gens ont l’air tout à fait frivoles et stupides et s’occupent de choses sans intérêt, et, tout d’un coup, on les aide, on les encourage, on les traite comme des camarades ou comme des amis, parce qu’on voit briller au fond de tout cela une sincérité, une aspiration, qui peut avoir une forme enfantine extérieurement mais qui est là, très pure parfois. Et alors, on fait beaucoup de choses que les gens ne comprennent pas, parce qu’ils ne peuvent pas voir la réalité derrière l’apparence. C’est pour cela que je dis que c’est d’une tout autre manière que le Supramental s’intéresse, d’une tout autre manière qu’il voit, d’une tout autre manière qu’il sait.

Est ce qu’il n’est pas important de se connaître soi-même au lieu d’essayer de connaître les autres?

Très important, d’une importance capitale! D’ailleurs, c’est le champ de travail qui est donné à chacun. C’est cela qu’il faut comprendre, que chacun — cet ensemble de substance qui constitue votre corps extérieur et intérieur, l’ensemble de la substance avec laquelle est bâti votre être depuis le dehors jusqu’au dedans — est un champ de travail ; c’est comme si l’on avait soigneusement rassemblé, accumulé un certain nombre de vibrations et qu’on les avait mises à votre disposition pour que vous puissiez travailler totalement là-dessus. C’est comme un champ d’action qui est à votre disposition constamment : nuit et jour, au réveil, dans le sommeil, tout le temps — personne ne peut vous en priver, c’est merveilleux ! Vous pouvez refuser de vous en servir (comme la majorité des gens), mais c’est une masse à transformer qui est là entre vos mains, à votre pleine disposition, et qui vous a été donnée pour que vous appreniez à faire le travail là-dessus. Par conséquent, la chose la plus importante est de commencer par faire cela. Vous ne pouvez rien faire sur les autres à moins que vous ne soyez capable de le faire sur vous-même. Vous ne pouvez jamais donner un bon conseil à quelqu’un à moins que vous ne soyez capable de vous donner le bon conseil à vous-même, d’abord, et de le suivre. Et si vous voyez une difficulté quelque part, la meilleure façon de changer cette difficulté est de la changer en vous-même, d’abord. Si vous voyez un défaut en quelqu’un, vous pouvez être sûr qu’il est en vous, et vous commencez à le changer en vous. Et quand vous l’aurez changé en vous, vous serez très fort pour le changer dans les autres. Et c’est une chose admirable, les gens ne se rendent pas compte que c’est une grâce infinie, que cet univers est arrangé de telle façon qu’il y a une collection de substance, depuis la substance la plus matérielle jusqu’à la spiritualité la plus haute, tout cela rassemblé dans ce qu’on appelle une petite individualité, mais à la disposition d’une Volonté centrale. Ça, c’est à vous, votre champ de travail, personne ne peut vous l’enlever, c’est votre bien propre. Et dans la mesure où vous pourrez travailler làdessus, vous pourrez avoir une action dans le monde. Mais seulement dans cette mesure-là. Il faut faire plus pour soimême, d’ailleurs, que l’on ne fait pour les autres.

Est-il possible de connaître les autres avant de se con naître soi-même?

Rien n’est impossible. On ne peut pas dire que ce ne soit pas possible. Mais si l’on est inconscient des mouvements en soi, c’est certainement une anomalie d’être conscient d’abord chez les autres. C’est une anomalie. Cela peut exister. Il peut y avoir des gens tellement décentralisés qu’ils sont plus sensibles dans les autres qu’en eux-mêmes. Mais enfin, généralement, ils passent pour des êtres un peu maladifs. Cela ne leur donne pas un très grand équilibre intérieur, ils n’ont pas de boussole. Il y a des gens qui n’ont pas de boussole, ils sont comme un bouchon sur les vagues : ça va ici, ça va là, ça saute là. Ils n’ont pas de ligne de conscience... Ce n’est pas un état enviable. Je ne crois pas, vraiment, sincèrement, je ne crois pas qu’il soit possible d’aider quelqu’un à moins que l’on ne se soit déjà aidé soimême, d’abord. Si vous êtes inconscient, comment voulez-vous amener la conscience chez les autres! Cela me paraît un problème assez insoluble. C’est ce que les gens font généralement, mais ce n’est pas une raison pour l’approuver. C’est justement pour cela, je crois, que les choses vont si mal. C’est comme ceux qui en voient d’autres se quereller et qui se précipitent — et ils se mettent à crier encore plus fort qu’eux pour leur dire : « Taisez-vous! »

Tu as dit qu’à chaque individu, il était donné un pro blème à résoudre. Alors, chaque homme sur la terre doit vivre individuellement, parce que, en vivant collective ment, on a la difficulté de la collectivité aussi : ce n’est pas seulement sa difficulté propre.

Oui. Mais il se trouve que l’homme est un animal sociable, et qu’alors, instinctivement, il se met en groupe. Mais c’est pour cela aussi que ceux qui voulaient aller vite et qui ne se sentaient pas suffisamment forts, se sont retirés dans la solitude. C’est cela, la raison, la légitimation de l’ascète qui s’en va dans la solitude, parce qu’il essaye de se couper du monde. Seulement... il y a un « seulement ». Physiquement on peut faire cela, dans une certaine mesure, jusqu’à un certain point, se couper de la nature physique — pas totalement. On a remarqué, par exemple, que les ascètes qui s’en allaient s’asseoir sous un arbre dans la forêt, au bout de très peu de temps étaient extraordinairement intéressés par tous les animaux qui vivent dans la forêt : c’est le besoin de relations physiques avec d’autres êtres vivants. Il se peut que certains n’aient pas ce besoin, mais c’est une règle assez générale.

Mais la solidarité ne s’arrête pas là. Il y a une solidarité vitale et il y a une solidarité mentale que vous ne pouvez pas empêcher. Il y a, malgré tout (quoique les hommes soient beaucoup plus individualisés que les animaux), il y a un esprit de l’espèce. Il y a des suggestions collectives qui n’ont pas besoin de s’exprimer par des mots. Il y a des atmosphères auxquelles on ne peut pas échapper. Il est certain (parce que cela, je le sais par expérience), il est certain qu’il y a un degré de perfection et de transformation individuelles qui ne peut pas se réaliser sans que l’ensemble de l’humanité ait fait un certain progrès. Et cela va par degrés successifs. Il y a des choses qui ne peuvent pas être transformées dans la matière à moins que l’ensemble de la matière n’ait subi un certain degré de transformation. On ne peut pas se désolidariser complètement. Ce n’est pas possible. On peut faire le travail, on peut choisir : il y a des gens qui ont choisi de s’en aller dans la solitude et d’essayer de réaliser en eux-mêmes l’idéal qu’ils voyaient — généralement ils sont arrivés jusqu’à un certain point, puis ils ont été arrêtés là, ils n’ont pas pu aller plus loin. Historiquement c’est comme cela. Je disais l’autre jour : « Il y a peut-être des êtres sur la terre que je ne connais pas, qui ont réalisé des choses extraordinaires », mais justement, comme ils se sont isolés de la terre, la terre ne les connaît pas. C’est simplement pour ne pas dire qu’il y a des choses impossibles. Cela paraît douteux, c’est tout ce que je puis dire. Mais il est impossible, même si l’on se désolidarise physiquement, de le faire vitalement et mentalement. Il y a la grande atmosphère terrestre dans laquelle on naît, et il y a comme l’esprit, le génie de l’espèce humaine; eh bien, il faut que ce génie soit arrivé à un certain degré de perfection pour que l’on puisse aller plus loin. Ce n’est pas que l’on doive attendre que le tout le fasse, non; mais c’est comme s’il fallait que le tout atteigne un certain niveau pour que l’on puisse prendre son élan et s’en aller plus loin... Certainement, l’individu sera toujours en avance sur la masse, cela ne fait pas de doute, mais il y aura toujours une proportion et une relation.

Sur quel plan les hommes sont-ils le plus unis?

Tu veux dire « le plus interdépendants »?

Non, je veux dire une volonté générale.

Une volonté générale? Il ne faut pas confondre les choses. Si tu me parles de la bonne volonté entre les êtres humains, c’est dans le psychique, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais il y a une sorte d’interdépendance vitale qui est assez considérable, plus que physique, je crois. Par exemple, la première grande guerre mondiale a été le résultat d’une descente formidable des forces du monde vital (des forces hostiles du monde vital) dans le monde matériel. Même ceux qui ont été conscients de cette descente et qui étaient armés, par conséquent, pour se défendre contre elle, en ont subi les conséquences. Le monde, la terre entière en a subi les conséquences. Il y a eu une détérioration générale au point de vue vital, je dis, qui a été inévitable même pour ceux qui étaient conscients d’où venait la force, d’où venait la détérioration, et qui, par conséquent, pouvaient lutter consciemment contre elle — ils n’ont pas pu empêcher certains effets de se produire dans l’atmosphère terrestre. Naturellement, les hommes ne savent pas ce qui leur est arrivé; tout ce qu’ils ont dit, c’est que tout était devenu bien pire depuis cette guerre. C’est tout ce qu’ils ont pu constater. Par exemple, l’état moral est beaucoup descendu. C’est simplement le résultat d’une descente formidable des forces du monde vital : forces de désordre, forces de corruption, forces de détérioration, forces de destruction, forces de violence, forces de cruauté.

Pourquoi cette descente?

Peut-être était-ce une réaction, parce qu’il y avait une autre Force qui descendait et qui voulait faire son œuvre, et que ces forces-là ne le désiraient pas — ça dérangeait leurs habitudes. C’est comme un gouvernement qui craint qu’on le jette par terre, et alors il intervient avec violence pour garder son pouvoir.

Le 14 octobre 1953

(Question) « Si le Divin, qui est tout amour, est à la source de la création, d’où proviennent tous les maux qui abondent sur terre? »

(La Mère) « Tout vient du Divin ; mais le Suprême n’a pas fait sortir le monde directement hors de lui-même; un pouvoir conscient est sorti de lui et s’est répandu à travers beaucoup de gradations descendantes, en passant par beaucoup d’agents. Beaucoup de créateurs, ou plutôt de formateurs, de faiseurs de formes, ont participé à la création du monde. Ce sont des agents intermédiaires, et je préfère les appeler formateurs plutôt que créateurs, car ils n’ont fait que donner à la matière sa forme, son caractère, sa nature. Ils ont été nombreux ; certains ont formé des choses harmonieuses et bienfaisantes, d’autres en ont produit de mauvaises et de malfaisantes. Certains aussi ont été des déformateurs plutôt que des construc teurs, car ils sont intervenus et ont gâté ce qui avait été bien commencé par d’autres. »

(Entretien du 30 juin 1929)

Tu dis : « Beaucoup de créateurs, ou plutôt de forma teurs, de faiseurs de formes, ont participé à la création du monde. » Qui sont ces formateurs?

Cela dépend. On leur a donné beaucoup de noms. Tout s’est fait par échelons et à travers des individualités de tous genres : chaque état d’être est habité par des entités, des individualités et des personnalités, et chacun a créé un monde autour de lui ou bien a participé à la formation de certains êtres sur la terre. Les derniers créateurs sont les créateurs du monde vital, mais il y a des êtres du Surmental, ce que Sri Aurobindo appelle Overmind, qui ont créé, qui ont donné des formes, qui ont eu des émanations, et ces émanations ont eu des émanations, et ainsi de suite. Ce que je voulais dire, c’est que ce n’est pas la Volonté divine qui a agi directement sur la matière pour donner au monde la forme qu’il faut, c’est à travers des couches, pour ainsi dire, des plans du monde, comme, par exemple, le plan mental — il y a tant d’êtres du mental qui sont des formateurs, qui ont participé à la formation de certains êtres, lesquels se sont incarnés sur la terre. Dans le vital, c’est la même chose.

Par exemple, une tradition dit que tout le monde des insectes est le résultat des formateurs du monde vital, et que c’est pour cela que quand on les agrandit au microscope, ils prennent des apparences absolument diaboliques. Vous avez vu l’autre jour, quand on vous a montré les microbes dans l’eau? Naturellement les images étaient faites pour amuser, pour frapper l’imagination, mais elles sont basées sur une réalité des formes tellement agrandie que cela devient des monstres. Presque tout le monde des insectes est un monde de monstres microscopiques qui, s’ils étaient de grandes dimensions, seraient tout à fait terrifiants. Alors on dit que ce sont des entités du monde vital, des êtres du vital qui se sont amusés à créer cela, amusés à faire toutes ces bêtes impossibles qui rendent l’existence humaine tout à fait désagréable.

Est ce que ces intermédiaires aussi sont sortis du Pou voir divin?

Par intermédiaire, oui, pas directement. Ce ne sont pas des êtres en rapport direct avec le Divin (il y a des exceptions, je dis en règle générale), ce sont des êtres qui sont en rapport avec d’autres êtres, qui sont en rapport avec d’autres êtres, qui sont en rapport avec d’autres êtres, et ainsi de suite, hiérarchiquement, jusqu’au Suprême.

S’ils sont sortis du Divin, pourquoi sont-ils mauvais?

Mauvais? Ça, je crois que je vous l’ai expliqué une fois : il suffit de ne pas rester sous l’influence directe du Divin et de ne pas suivre le mouvement de création ou d’expansion tel que le veut le Divin; il suffit de cette rupture de contact pour que se produise le plus grand des désordres, celui de la division. Eh bien, même les êtres les plus lumineux, les plus puissants, peuvent décider de suivre leur mouvement propre au lieu d’obéir au mouvement divin. Et quoiqu’ils soient eux-mêmes très merveilleux et que si les êtres humains les voyaient, ils les prendraient pour la Divinité même, ils peuvent, parce qu’ils suivent leur volonté propre au lieu de travailler en harmonie avec l’univers, être la source de très grands maux, de très grands désordres, très grandes obstructions de la masse. N’est-ce pas, la question est mal posée, j’ai ri tout à l’heure quand j’ai lu la question 32 . C’est une façon enfantine de dire. Cette personne dit : « Si Dieu est tout dans le monde, pourquoi y a-t-il des choses mauvaises dans le monde? » Maintenant, si elle m’avait dit cela, je lui aurais répondu tout simplement : il n’y a rien qui ne soit Dieu, seulement c’est en désordre. Il faut tâcher d’y remédier. Dieu n’est pas seulement amour, il est toutes choses, et si cela nous paraît, à nous, tout à fait mauvais, c’est parce que ce n’est pas arrangé convenablement. Il y a eu justement des mouvements comme ceux dont je vous ai parlé.

On peut demander pourquoi c’est arrivé. Ça, n’est-ce pas, ce n’est certainement pas le mental qui peut dire pourquoi c’est arrivé. C’est arrivé, c’est tout. Au fond, la seule chose qui nous concerne, c’est que ce soit arrivé. C’est peut-être un accident du commencement... Si l’on regarde le fait du point de vue philosophique, il est évident que l’univers dans lequel nous vivons est un mouvement parmi beaucoup d’autres, et que ce mouvement suit une loi qui lui est propre (et qui n’est peutêtre pas la même dans les autres), et si la Volonté était que le monde soit construit sur le principe du choix, de la liberté de choix, alors on ne peut pas empêcher les mouvements désordonnés de se produire, jusqu’à ce que la connaissance vienne et que le choix soit éclairé. Si l’on est libre de choisir, on peut aussi faire le choix de choses mauvaises, pas nécessairement des bonnes, parce que si c’était décidé d’avance, ce ne serait plus un libre choix. N’est-ce pas, quand on pose ces questions-là, c’est seulement le mental qui répond et il diminue le problème, il le réduit à une formule mentale plus ou moins élémentaire, mais cela ne correspond que très vaguement et très superficiellement, et incomplètement, à la réalité des choses.

Pour pouvoir comprendre, il faut devenir. Si vous voulez comprendre le pourquoi et le comment de l’univers, il faut vous identifier à l’univers. Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas une chose très facile, surtout pour les enfants.

Cette question était l’une des plus enfantines qu’elle ait posées — tout à fait enfantine : « S’Il est juste, pourquoi y a-t-il de l’injustice? s’Il est bon, pourquoi y a-t-il de la méchanceté? s’Il est amour, pourquoi y a-t-il de la haine? » Mais Il est tout! Alors Il n’est pas seulement ça ou seulement ça, ou seulement, exclusivement ça — Il est tout. C’est-à-dire que, pour être plus juste, il faudrait dire que tout est Lui. Il y a des notions de la création très universellement répandues sur la terre et qui ont été plus ou moins adoptées pendant très longtemps par la pensée humaine, qui sont d’un simplisme! Il y a « quelque chose » (à dire vrai, on ne sait pas quoi), et puis il y a un Dieu qui met ce quelque chose en forme et en crée le monde. Alors, si vous avez des notions comme cela, vous êtes en légitime droit de dire à ce Dieu : « Eh bien, tu en as créé un monde! Il est joli ton monde! » Quoique, selon l’histoire, après sept jours de travail, Il a déclaré que c’était très bien — mais c’est bon pour Lui. Peut-être que ça l’a bien amusé, mais nous qui sommes dans le monde, nous ne trouvons pas que ce soit très bien du tout! Au fond, c’est parce que la conception et la façon de dire sont tout à fait enfantines. C’est tout à fait comme l’histoire du potier qui met en forme son pot — ce Dieu est un être humain, formidable en proportion et en puissance, mais qui ressemble étrangement à un homme. C’est l’homme qui fait Dieu à son image, pas Dieu qui fait l’homme à son image! Par conséquent, chaque fois que l’on pose une question d’une façon incomplète ou enfantine, il est impossible d’y répondre vraiment, parce que c’est la question qui est mal posée. Vous dites, vous affirmez une chose. Mais de quel droit affirmez-vous cela ? Parce que vous affirmez cela, vous concluez : « Puisque ça, c’est, comment se fait-il que ça, ce soit? » Mais « ça, c’est », c’est vous qui le dites. Cela ne veut pas dire que ce soit comme cela !

Mais il y a une seule, unique solution au problème, c’est de ne pas faire de distinction d’origine entre Dieu et l’univers. L’univers est le Divin projeté dans l’espace, et Dieu est l’univers dans son origine. C’est la même chose, sous un aspect ou sous un autre. Et vous ne pouvez pas les diviser. C’est la conception opposée à celle du « créateur » et de son « œuvre ». Seulement, parler du créateur et de l’œuvre, c’est très commode, ça rend les explications très faciles et l’enseignement très élémentaire. Mais ce n’est pas vrai. Et alors, vous dites : « Comment se fait-il que Dieu, qui est tout-puissant, ait permis que le monde soit comme cela ? » Mais c’est votre propre conception! C’est parce qu’il se trouve que, vous, vous êtes dans un certain ensemble de circonstances qui vous paraît désagréable, alors vous projetez cela sur le Divin et vous Lui dites : « Pourquoi as-Tu fait un monde comme ça ? » — « Je ne l’ai pas fait. C’est toi-même. Et si vous redevenez Moi-même, vous ne sentirez plus comme vous sentez. Ce qui vous fait sentir comme vous sentez, c’est que vous n’êtes plus Moi-même. » C’est cela qu’Il pourrait vous répondre. Et le fait est que, quand on arrive à unir sa conscience à la Conscience divine, il n’y a plus de problème. Tout paraît tout à fait naturel et simple, et très bien, et exactement ce que cela devait être. Mais quand vous vous coupez de l’Origine et que vous vous mettez en face de Lui, alors, à vrai dire, tout va mal, rien ne peut aller bien!

Mais si vous voulez une logique qui pousse les choses jusqu’au bout, comment se fait-il que le Divin ait toléré que des parties de Lui-même se soient séparées de Lui et que tout ce désordre ait été créé? Vous pouvez dire cela. Et alors, moi, je vous répondrai : « Si vous voulez savoir, il vaut mieux vous unifier au Divin, parce que c’est la seule façon de savoir pourquoi Il a fait les choses — ce n’est pas en Le questionnant mentalement, parce que votre mental ne peut pas comprendre. » Et je vous le répète, quand on arrive à cette identification, tous les problèmes sont résolus. Et cette sensation que les choses ne sont pas bien et qu’elles devraient être autrement, c’est justement parce qu’il y a cette Volonté divine d’un déroulement constant dans un progrès perpétuel, et que les choses qui étaient doivent laisser la place aux choses qui seront, et qui seront mieux que les autres n’étaient. Et le monde, qui était bien la veille, n’est plus bien le lendemain. Le monde tout entier, qui pouvait paraître absolument harmonieux et parfait en un certain temps, eh bien, maintenant, il est discordant, il n’est plus harmonieux, parce que nous concevons et nous voyons la possibilité d’un monde meilleur. Si nous le trouvions très bien, nous ne ferions pas ce que nous devons faire, c’est-à-dire l’effort pour qu’il devienne meilleur.

Il y a un moment où toutes ces conceptions paraissent tellement enfantines! Et cela vient uniquement de ce que l’on reste au-dedans de soi. Avec cette conscience qui vous est propre, qui est comme un grain de sable dans l’immensité, vous voulez connaître et juger de l’immensité? C’est impossible. Il faut d’abord sortir de soi, et, après, s’unir à l’immensité, et après on peut commencer à comprendre ce que c’est, mais pas avant. Vous projetez votre conscience — ce que vous êtes, les pensées que vous avez, la capacité de comprendre que vous avez —, vous la projetez sur le Divin, et puis vous dites : « Ça ne va pas. » Je comprends! Mais il n’y a aucune possibilité de savoir, à moins de s’identifier. Je ne vois pas le moyen, par exemple, qu’une goutte d’eau vous dise comment est l’océan. C’est comme cela.

« Quand on revêt le corps humain, on accepte en même temps une quantité de suggestions, d’idées raciales, de sentiments, d’associations, d’attractions, de répulsions, de peurs appartenant au genre humain. »

(Entretien du 30 juin 1929)

Quand on accepte un corps humain, est-il nécessaire d’accepter les suggestions de la peur?

Cela paraît plus inévitable que nécessaire!... On ne s’aperçoit même pas qu’on les accepte. Nous avons dit l’autre jour que quand un être psychique entre dans le corps, c’est comme s’il tombait sur la tête — il est un peu abruti pendant un certain temps. Alors, pendant ce temps, il est soumis à ces suggestions sans même le savoir. Mais de la minute où il s’éveille, il peut se retirer de là, il n’est pas du tout nécessaire de les accepter. Seulement, il faut savoir que ce sont des suggestions. Il faut être capable de se séparer de la conscience purement humaine, de la conscience corporelle. Et une fois que vous pouvez la regarder d’en haut, vous pouvez vous libérer de ses suggestions, très bien. On peut se libérer de toutes les suggestions, mais pour cela il faut être au-dessus d’elles. Si ce n’était pas possible, il serait impossible de faire un yoga.

Mais vous ne vous en rendez pas compte, c’est une chose constante. Par exemple, il y a cette suggestion collective formidable de la mort. Mais comment se libérer de cette idée-là à moins d’être capable de créer en soi une conscience immortelle? Une fois que l’on crée en soi la conscience immortelle, alors on peut être libre de la suggestion. Mais autrement ce n’est pas possible. Et vous ne vous en rendez pas compte parce que vous vivez là-dedans d’une façon tout à fait normale — vous êtes rempli de mouvements et d’idées qui appartiennent à la race humaine, qui ne vous sont pas du tout personnels. Vous ne vous en rendez pas compte parce que c’est très intimement lié à votre conscience. Mais du moment où vous pouvez vous libérer de cette conscience humaine, où vous entrez dans un domaine où, par exemple, la vie dans le corps devient presque un accident — ça peut être ici, ça peut être là, ça peut être là —, vous n’êtes plus lié à ça. Vous regardez ça, vous dites : c’est presque comme un accident (ou c’est peut-être un choix, mais enfin la plupart du temps c’est un accident). Alors, à partir de ce moment-là, vous n’êtes plus lié, parce que vous êtes conscient dans un être qui n’est plus purement, exclusivement humain. Mais jusqu’à ce moment-là, vous ne vous rendez même pas compte. Vous n’avez pas le moyen de vous rendre compte. Et si vous en venez au domaine purement mental, il y a des idées qui sont tellement fortes; par exemple, que l’infini ne peut pas être dans le fini, que ce qui commence aura sûrement une fin — des idées comme cela, qui paraissent merveilleusement lumineuses, et qui sont des sottises. Mais cela appartient à la mentalité humaine collective, et il n’y a rien de plus difficile que de sortir ça de la tête des gens qui se croient très forts... Vous ne vous êtes peut-être pas encore posé ces problèmes-là parce qu’on ne vous a pas encore fait étudier la philosophie, mais quand vous en serez là, vous verrez. Et on vous dira cela comme des vérités immortelles auxquelles on ne peut pas toucher! Et ce sont des âneries. Un jour, je voudrais... (se tournant vers Nolini) Vous n’avez pas l’Advent ici? C’est dans l’Advent, ce texte de Sri Aurobindo. Un jour, nous traduirons cela ensemble de l’anglais en français. Il a fait une réflexion merveilleuse sur la logique et la raison 33 ... Et tout cela ne vous a même pas traversé l’esprit — que ce sont des suggestions collectives, et qu’il faut en sortir; non seulement cela ne vous apparaît pas comme un esclavage, mais cela vous apparaît comme une illumination. Eh bien, pas du tout!

Douce Mère, quelquefois nous avons très peur. Que faut-il faire dans ces cas-là ?

Ah! cela dépend de la nature de la peur. Est-ce une peur sans cause, est-ce une peur fondée sur une cause? Parce que le remède diffère.

C’est fondé sur une cause.

Ah!... Par exemple, quand quelqu’un est malade, on a peur d’attraper la maladie...

Non, quelqu’un est mort.

Et on a peur de mourir.

Il y a deux remèdes. Il y en a beaucoup, mais enfin il y en a deux. En tout cas, c’est l’usage d’une conscience plus profonde qui s’impose. Dans un cas, le remède consiste à dire que c’est une chose qui arrivera à tout le monde (prenons-le sur ce planlà), c’est une chose qui arrive à tout le monde et, par conséquent, tôt ou tard, ça arrivera et il n’y a pas de raison d’avoir peur, c’est une chose tout à fait normale. Vous pouvez ajouter à cela une idée de plus, à savoir que, d’après l’expérience (pas la vôtre, mais justement l’expérience humaine collective), les circonstances étant les mêmes, absolument identiques, dans un cas les gens meurent, et dans l’autre ils ne meurent pas — pourquoi? Et si vous poussez la chose encore un peu plus loin, vous vous dites que, après tout, cela doit dépendre de quelque chose qui est tout à fait en dehors de votre conscience — et finalement, on meurt quand on doit mourir. C’est tout. Quand on doit mourir on meurt, et quand on ne doit pas mourir on ne meurt pas. Même si vous êtes dans un danger mortel, si ce n’est pas votre moment de mourir, vous ne mourrez pas, et même si vous êtes hors de tout danger, il suffira de vous piquer le pied pour mourir, parce qu’il y a des gens qui sont morts d’une piqûre d’épingle au pied — parce que leur moment était venu. Par conséquent, la peur n’a pas de sens. Ce que vous pouvez faire, c’est d’arriver à un état de conscience où vous direz : « C’est comme cela, nous acceptons le fait parce qu’il semble reconnu que ce soit un fait inévitable. Mais je n’ai pas besoin de me tourmenter, parce que ça ne m’arrivera que quand ça doit m’arriver. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’avoir peur : quand ça ne doit pas m’arriver, ça ne m’arrivera pas; quand ça doit m’arriver, ça m’arrivera. Et comme cela m’arrivera inévitablement, il vaut mieux que je n’aie pas peur de la chose; au contraire, il faut accepter ce qui est tout à fait naturel. » Ça, c’est un remède qui est très répandu, c’est-à-dire très en usage.

Il y en a un autre, un petit peu plus difficile, mais que je crois meilleur. C’est de se dire : « Ce corps, ce n’est pas moi », et de chercher en soi la partie qui est vraiment soi-même — jusqu’à ce que l’on ait trouvé son être psychique. Et quand on a trouvé son être psychique — instantanément, vous entendez —, on a le sens de l’immortalité. Et on sait que ça, ce qui s’en va ou ce qui vient, c’est seulement une commodité : « Je ne vais pas pleurer après une paire de chaussures que je laisse quand elle est toute trouée! Quand ma paire de chaussures est usée, je la laisse, et je ne pleure pas. » Eh bien, l’être psychique a pris ce corps parce qu’il avait besoin de s’en servir pour faire son travail, mais quand le moment de quitter le corps est venu, c’est-à-dire quand on doit le laisser parce qu’il n’est plus bon à rien pour une raison ou une autre, on le laisse, on n’a pas peur. C’est un geste tout à fait naturel — et que l’on accomplit même sans regret, c’est tout.

Et de la minute où vous êtes dans l’être psychique, vous êtes dans ce sentiment-là, spontanément et sans effort. Vous planez au-dessus de la vie physique et vous avez le sens de l’immortalité. Pour moi, je considère que c’est le meilleur remède. L’autre est un remède intellectuel, de bon sens et de raisonnement. Celui-là est une expérience profonde que l’on peut toujours retrouver de la minute où l’on retrouve le contact avec son être psychique. C’est un phénomène vraiment intéressant parce que c’est automatique : de la minute où vous êtes en rapport avec votre être psychique, vous avez le sens de l’immortalité, d’avoir toujours été et d’être toujours, éternellement. Et alors, ce qui vient et s’en va, ce sont des accidents de la vie, cela n’a pas d’importance. Ça, c’est le meilleur remède. L’autre, c’est le prisonnier qui trouve de bonnes raisons pour accepter sa prison. Ça, c’est celui pour qui il n’existe plus de prison.

Maintenant, il faut aussi savoir une troisième chose, mais pour cela, alors, il faut être un yogi formidable. C’est de savoir que la mort n’est pas une chose inévitable, que c’est un accident qui s’est toujours produit jusqu’à présent (qui en tout cas a l’air de s’être toujours produit jusqu’à présent), et que nous avons mis dans notre tête et dans notre volonté de vaincre cet accident et de le surmonter. Mais ça, c’est une bataille si terrible, si formidable, contre toutes les lois de la Nature, toutes les suggestions collectives, toutes les habitudes terrestres, que, à moins, comme je l’ai dit, d’être un guerrier de première classe et que rien n’effraye, il vaut mieux ne pas commencer la bataille. Il faut être un héros absolument intrépide parce que, à chaque pas et à chaque seconde, on a à livrer une bataille contre tout ce qui est établi. Alors ce n’est pas très commode. Et même individuellement c’est une bataille contre soi-même, parce que (je crois vous l’avoir déjà dit une fois), si vous voulez que votre conscience physique soit dans un état qui permette l’immortalité physique, il faut tellement que vous soyez libre de tout ce que représente maintenant la conscience physique, que c’est une bataille de chaque seconde. Tous les sentiments, toutes les sensations, toutes les pensées, tous les réflexes, toutes les attractions, toutes les répulsions, tout ce qui existe, tout ce qui est le tissu de notre vie physique doit être surmonté, transformé et libéré de toutes ses habitudes. Ça, c’est une bataille de chaque seconde contre des milliers et des millions d’adversaires. À moins que l’on ne se sente un héros, il vaut mieux ne pas essayer. Parce que cette solution-là, eh bien... Je ne sais pas, je crois que l’on m’a posé cette question déjà une fois : « Est-ce que quelqu’un a déjà réussi? » À dire vrai, je n’en sais rien parce que je n’ai pas rencontré cette personne... Je n’ai pas le sentiment que l’on ait réussi encore jusqu’à présent. Mais c’est possible. Seulement, celui ou celle qui l’a fait ne l’a pas déclaré, en tout cas jusqu’à présent.

Les deux autres solutions sont sûres, et à votre portée. Maintenant, il y a un petit remède qui est très, très facile. Parce qu’il est basé simplement sur une petite question de bon sens personnel... Il faut se faire une petite observation, se dire que quand on a peur, c’est comme si la peur attirait la chose dont on a peur. Si vous avez peur de la maladie, c’est comme si vous attiriez la maladie. Si vous avez peur d’un accident, c’est comme si vous attiriez l’accident. Ça, si vous observez un petit peu en vousmême ou autour de vous, vous vous en apercevrez, c’est un fait constant. Alors si vous avez un tout petit peu de bon sens, vous dites : « C’est une maladresse d’avoir peur de quelque chose, parce que justement c’est comme si je faisais un petit signe à cette chose pour qu’elle vienne à moi. » Si j’avais un ennemi qui voulait me tuer, je n’irais pas lui dire : « Tu sais, c’est moi que tu veux tuer! » C’est quelque chose comme cela. Alors, puisque la peur est mauvaise, nous ne l’aurons pas. Et si vous dites que vous ne pouvez pas l’empêcher avec votre raison, eh bien, cela prouve que vous n’avez aucun contrôle sur vous-même et qu’il faut travailler un petit peu à vous contrôler. C’est tout.

Oh! il y a beaucoup de moyens de se guérir de la peur. Mais au fond, chacun trouve son moyen à lui, qui lui est bon. Il y a des personnes à qui il suffirait de dire : « Votre peur est une faiblesse », et immédiatement elles trouveraient le moyen de mépriser la peur parce qu’elles ont horreur de la faiblesse. Il y en a d’autres, on leur dit : « La peur est une suggestion des forces hostiles, il faut la repousser comme vous repoussez les forces hostiles », cela réussit très bien. Pour chacun, c’est autre chose. Mais il faut d’abord savoir que la peur est très mauvaise. C’est une chose très mauvaise, c’est un dissolvant. C’est comme un acide. Si vous en mettez une goutte sur quelque chose, ça ronge la substance. Le premier pas, c’est de ne pas admettre que l’on puisse avoir peur. Ça, c’est le premier pas. J’ai connu des gens qui se vantaient de la peur qu’ils avaient. Ceux-là sont inguérissables. C’est-à-dire qu’ils disaient tout à fait naturellement : « Ah! imaginez-vous, j’avais si peur! » Et puis après! il n’y a pas de quoi se vanter. Avec ceux-là, il n’y a rien à faire.

Mais enfin, quand on reconnaît que la peur n’est pas une chose bonne, ni favorable, ni noble, ni digne d’une conscience un peu éclairée, on commence à lutter. Et je dis : le moyen qui est bon pour l’un n’est pas bon pour l’autre, il faut trouver son propre moyen. Cela dépend de chacun. La peur aussi est une chose terriblement collective et contagieuse — contagieuse, ça s’attrape encore plus que les plus contagieuses de toutes les maladies. Vous respirez une atmosphère de peur, et instantanément vous avez peur, sans même savoir ni pourquoi ni comment ni rien, simplement parce qu’il y avait une atmosphère de peur. Les paniques dans les accidents, ce n’est pas autre chose qu’une atmosphère de peur qui se répand sur tout le monde. Et c’est très guérissable. Il y a eu de nombreux cas où des personnes ont arrêté net une panique simplement parce qu’elles avaient refusé la suggestion et qu’elles avaient pu la contrecarrer par une suggestion opposée. Pour les mystiques, la meilleure guérison, dès que l’on commence à sentir qu’on a peur de quelque chose : on pense au Divin, et puis on se blottit dans Ses bras, ou à Ses pieds, et on Le laisse entièrement responsable de tout ce qui vous arrive, dedans, dehors, partout — et immédiatement la peur cesse. C’est le remède du mystique. C’est le plus facile de tous. Mais tout le monde n’a pas la grâce d’être mystique.

Quelquefois, il y a des forces cachées en nous, que nous ne connaissons pas. Pour faire un travail, comment comprendre si l’on est capable de le faire?

Comment savoir si l’on est capable de le faire! ESSAYER. C’est la meilleure chose. Et si vous ne réussissez pas tout de suite, persévérez. Et il faut savoir que si une inclination, une très forte inclination à faire quelque chose vient en vous, cela veut dire que ce travail a quelque chose à faire avec vous, et que vous êtes capable de le faire. Mais on peut avoir des pouvoirs qui sont si bien cachés qu’il faut creuser longtemps avant de les trouver. Alors il ne faut pas se décourager à la première défaite, il faut continuer.

Le 21 octobre 1953

Quand un vrai artiste se concentre et voit le Divin en lui-même, est ce qu’il peut se servir de l’art pour expri mer le Divin?

Et pourquoi pas? Qu’est-ce que vous appelez un artiste, d’abord? Un peintre, un sculpteur? C’est tout? Quoi d’autre? Quel sens donnez-vous au mot « artiste »? À qui penses-tu quand tu dis un artiste? À un peintre, ou à un sculpteur?

Quelqu’un qui peut dessiner.

Oui, peintre, dessinateur, c’est la même chose. À un peintre, un sculpteur, c’est tout? Peintre et sculpteur? Pas à un musicien, ou à un écrivain ou... Je te demande, parce que la réponse est différente suivant les cas...

J’avais pensé à un dessinateur.

Par exemple, il y avait au Moyen Âge... il existe encore maintenant, mais déjà au Moyen Âge il y avait des gens qui faisaient des « vitraux », des dessins avec des morceaux de verre de couleurs et de formes différentes. Dans les églises, dans les cathédrales, il y avait toujours des vitraux. Au lieu de fenêtres, c’étaient des carreaux de couleur qui faisaient des dessins. C’est un matériau merveilleux, parce qu’il y a le soleil derrière (en tout cas, la pleine lumière), et ces verres étaient transparents; alors ils produisaient une couleur qui était comme lumineuse par elle-même, et ils faisaient des dessins, ils faisaient des tableaux avec ces verres de couleur taillés, n’est-ce pas, d’une forme spéciale, et peints de couleurs différentes. Et ça, c’était de l’art. Dans toutes les cathédrales, les grandes églises, il y avait des vitraux ; quelques-uns étaient tout à fait merveilleux. Et ils exprimaient, par exemple, la vie d’un saint, ou des scènes de la vie du Christ, ou... toutes sortes de choses comme cela.

Alors, quelle est ta question? Précise-la.

Si l’on peut exprimer le Divin Lui-même?

Si l’on peut exprimer le Divin Lui-même, dans l’art? Mais dans quoi l’exprime-t-on ? Je veux dire, qu’est-ce que tu appelles exactement « exprimer le Divin »? Dans des paroles? Dans des enseignements? Dans des livres enfin ? Ou bien, comment? qui a exprimé le Divin complètement, dans le monde matériel?... C’est seulement quand le monde matériel sera transformé que le Divin pourra être exprimé dans sa pureté. Et je ne vois pas quelle différence il peut y avoir entre l’art et une autre activité? C’est quelque chose qui a la capacité de se fondre, mais pas entièrement, et qui reste... comment dire... comme un instrument pour donner une forme. Et je ne vois pas quelle différence cela fait, quelle que soit la forme. Si l’on peut exprimer le Divin avec des mots, on peut L’exprimer avec des couleurs, on peut L’exprimer avec des sons, on peut L’exprimer avec des formes. Mais dans tous les cas l’expression n’est pas parfaite, parce que l’union n’est pas parfaite. Mais quand le monde sera transformé et que le Divin pourra se manifester sans être déformé, l’expression sera parfaite. Mais pour le moment, toutes les expressions sont sur le même plan. Il n’y en a pas qui soient meilleures que les autres. Un mode d’expression (je veux dire, en luimême) n’est pas meilleur que l’autre. Il y a toujours quelque chose de la personnalité humaine, de l’être en forme, qui est là pour donner une limitation ou une déformation à ce qui doit être exprimé.

L’art est exactement une activité comme toutes les autres. À dire vrai, j’étais trop polie pour le dire à cette femme 34 , mais je pensais : « Pourquoi faites-vous des distinctions comme cela ? Tout cela est la même chose. » Tu saisis ce que je veux dire?

Quand on s’identifie au Divin, Le voit-on dans la forme que l’on pense qu’Il a ?

Généralement. Il est très rare — à moins que l’on ne soit capable d’abolir absolument la formation mentale en soi —, il est très rare de Le voir d’une façon tout à fait objective. D’ailleurs, Sri Aurobindo disait toujours que la relation avec le Divin dépendait de ce que l’on voulait qu’elle soit. Chacun aspire à une certaine forme de relation, et, pour lui, la relation prend cette forme.

Alors, qu’est ce que c’est vraiment?

Probablement quelque chose qui échappe totalement à la forme. Ou qui peut prendre toutes les formes. Il n’y a pas de limitation à l’expression du Divin. Il peut s’exprimer sans forme et il peut s’exprimer dans toutes les formes. Et il s’exprime en chacun selon le besoin de chacun. Parce que, même si quelqu’un arrive à un état d’impersonnalisation suffisant pour s’identifier complètement au Divin, à ce moment-là il ne pourra pas exprimer. Et dès qu’il sera en état d’exprimer, il y aura quelque chose de la personnalité limitée qui interviendra et à travers quoi l’expérience doit passer. Le moment de l’expérience est une chose, et l’expression de cette expérience en est une autre. Ce peut être simultané : il y a des gens qui, au moment où ils ont l’expérience, expriment sous une forme quelconque ce qu’ils ont éprouvé. Alors c’est simultané. Mais cela n’empêche pas que la chose qui a l’expérience dans sa pureté, et la chose qui l’exprime, sont deux modes d’être un peu différents. Et cette différence suffit pour que l’on puisse dire, en vérité, qu’il est impossible de connaître le Divin à moins qu’on ne Le devienne.

Quant à L’exprimer, il y a toujours un décalage; ça fait toujours comme cela (geste de rabaissement), quel que soit le mode d’expression.

Il ne reste qu’un champ où l’expérience n’a pas encore été faite d’une façon totale, c’est le champ purement matériel. Et là, on se demande si, lorsque la Conscience divine descendra dans le corps, vraiment les transformations ne seront pas suffisantes pour qu’il y ait une possibilité d’expression intégrale... Mais cela, c’est encore à venir; ça n’a pas encore été fait. Et tant que ce n’est pas fait, on ne peut pas savoir. Parce que, même dans l’expression mentale la plus haute, il y a quelque chose qui intervient du fait du corps physique. Pour que l’inspiration vienne jusque sur le papier, par exemple, eh bien, malgré tout, elle doit passer à travers des vibrations très matérielles, qui peuvent la changer. Mais si ces vibrations sont elles-mêmes transformées, alors là, il se peut que l’expression du dehors soit absolument identique à l’expression du dedans; c’est-à-dire que la manifestation corporelle devienne vraiment une manifestation de l’essence divine.

C’est tout?

Les événements du Mahâbhârata et du Râmâyana ne sont-ils pas vrais?

Vrai, dans quel sens? Si c’est vraiment arrivé sur la terre comme cela ? Hanumân et les singes et les...? (rires) Je ne peux pas te dire! J’ai l’impression que c’est symbolique; que, par exemple, quand on dit Hanumân, cela représente l’homme évolutif, et que Râma, c’est l’être involutif, celui qui vient d’en haut. Mais...

Qu’est ce que tu appelles être involutif et évolutif?

L’être évolutif, c’est celui qui est la continuation des animaux, et l’autre, c’est un être qui existait dans les mondes supérieurs, et qui, lorsque la terre s’est formée, s’est matérialisé sur la terre — ça ne vient pas d’en bas, c’est venu d’en haut. Mais dans l’être évolutif, il y a cette lumière centrale qui est l’origine de l’être psychique, qui se développera en être psychique, et quand l’être psychique est pleinement formé, il y a un moment où il peut s’unir à un être d’en haut qui peut s’incarner en lui. Alors cet être d’en haut qui descend dans un être psychique est un être involutif — des êtres qui habitaient dans le Surmental, ou ailleurs.

C’est tout?

Est ce que le jongleur d’Anatole France était un artiste?

Je ne sais pas. Cela dépend (c’était justement ce que je demandais à Paroul), cela dépend de la définition que vous donnez au mot artiste.

Moi, je crois que tous ceux qui produisent quelque chose d’artistique sont des artistes! Un mot, cela dépend de l’usage qu’on lui donne, de ce que l’on met dedans. On peut mettre dedans tout ce que l’on veut. Par exemple, il y a au Japon des jardiniers qui passent leur temps à rectifier la forme des arbres pour que, dans le paysage, ils fassent un beau tableau. Par toutes sortes de coupures, de supports, etc., ils rectifient la forme des arbres. Ils leur donnent des formes spéciales pour que cette forme soit exactement ce qu’il faut dans le paysage. On met un arbre dans un jardin, à l’endroit qu’il faut et, par-dessus le marché, on lui donne la forme que l’on veut pour que cela fasse bien avec l’ensemble. Et ils réussissent à faire des choses merveilleuses. Il n’y a qu’à prendre une photographie du jardin : c’est un tableau, tellement c’est bien. Eh bien, moi, j’appelle cela un artiste. On peut appeler cela un jardinier, mais c’est un artiste... Tous ceux qui ont un sens développé et assuré de l’harmonie sous toutes ses formes, et de l’harmonie de toutes les formes entre elles, sont nécessairement des artistes, quel que soit le genre de leur production.

Tu n’as pas fini de nous raconter Râma et Hanumân? (rires)

Je n’ai pas fini? Mais si, j’ai dit... Oh! parce qu’il a demandé quelle différence il y avait entre un être involutif et un être évolutif? Mais ça suffit comme cela. Une fois que vous savez cela, vous avez la clef de toute l’histoire. D’ailleurs, je ne sais pas s’il y a un texte authentique unique, ou beaucoup de textes du Râmâyana ? Parce que j’ai entendu des versions différentes. Il y a des versions différentes, n’est-ce pas? Surtout pour deux faits très importants (Mère se tourne vers Nolini) concernant la fin : la défaite et la mort de Râvana, et puis la mort de Sîtâ. Je l’ai entendu raconter de façons très différentes, avec des significations différentes, par des pandits différents. Suivant leur tournure d’esprit, si je puis dire, les uns, qui étaient très, très, très orthodoxes, m’ont dit certaines choses, et d’autres qui n’étaient pas orthodoxes m’ont dit une chose très différente. Alors je ne sais pas s’il y a plusieurs textes ou si c’était leur propre interprétation.

(Nolini) Il y a plusieurs textes. Il y a un texte du Nord, puis un texte du Sud.

Ah! comme pour le bouddhisme. Les gens du Sud et les gens du Nord ont des imaginations très différentes. Les gens du Sud sont généralement plus rigides, n’est-ce pas... Je ne sais pas... Pour le bouddhisme, le bouddhisme du Sud est tout à fait rigide et il n’admet aucune souplesse dans la compréhension du texte. Et c’est un bouddhisme d’une sévérité terrible où toute notion de divinité sous quelque forme que ce soit est complètement abolie. Tandis que le bouddhisme du Nord, c’est une orgie de dieux ! Il est vrai que ce sont d’anciens Bouddhas, mais enfin ils sont tournés en divinités. Et c’est celui-là qui s’est répandu en Chine, et de Chine est allé au Japon. Alors, on entre dans un temple bouddhique au Japon et on voit... Il y a un temple où il y avait plus de mille Bouddhas, tous sculptés — mille figures qui étaient assises autour du Bouddha central ; il y en avait tout autour, tout le fond du temple était couvert d’images : des petits, des grands, des gros, des maigres, des femmes, des hommes — il y avait de tout, tout un panthéon, là, formidable, et c’étaient comme des dieux. Et puis, alors, il y avait des petits êtres en bas, qui avaient toutes sortes de formes, y compris des formes d’animaux, et qui étaient les dévots. C’était... c’était une orgie d’images. Tandis que le bouddhisme du Sud a l’austérité du protestantisme : il ne faut pas qu’il y ait d’images. Et il n’y a pas de Conscience divine, d’ailleurs. On entre dans le monde par désir, dans un monde de désir, et en abandonnant le désir on sort du monde et de la création et on retourne au Nirvâna — même le néant est quelque chose de trop concret. Il n’y a pas de Créateur dans le bouddhisme. Alors je ne sais pas; le bouddhisme du Sud est écrit en pâlî et le bouddhisme du Nord en sanskrit. Et naturellement, il y a un bouddhisme tibétain qui est écrit en tibétain; et puis un bouddhisme chinois qui est écrit en chinois, et un bouddhisme japonais en japonais. Et chacun, je crois, est très, très différent de l’autre. Bien... Probablement, il doit y avoir plusieurs versions du Râmâyana. Et encore plus de versions du Mahâbhârata — ça, c’est formidable!

(Nolini) Du Râmâyana aussi.

Puis on a ajouté des textes après.

Ça a existé, Douce Mère, le Mahâbhârata ?

Je suppose que quelque chose a existé. Dans tout cela, il y a quelque chose qui est, et puis ce que l’on en fait. Ce sont deux choses très différentes. Mais dans toutes les religions, partout c’est la même chose : il y a quelque chose qui est; il existe quelque chose, et puis on en fait une chose tout à fait différente. C’est la différence entre l’Histoire et la légende — mais l’histoire ellemême est une légende.

La même histoire, même prise d’une façon tout à fait objective, si elle est répétée plusieurs fois, change; et alors, au bout de milliers d’années, c’est tout à fait déformé. Quels sont les textes originaux — je veux dire les premiers textes reconnus comme originaux — du Mahâbhârata ? Ça a été rapporté par la parole pendant très longtemps, n’est-ce pas, alors vous imaginez comment cela peut avoir changé. C’étaient des traditions orales pendant très longtemps. Mais qui a écrit le premier?

(Nolini) Vyâsa.

Ah!

(Nolini) D’abord, c’était trente-six mille vers. Mainte nant, c’est plus d’un lâkh ou de deux lâkhs 35.

Oh! oh! ça a grossi : de trente-six mille, ça s’est beaucoup gonflé! Mais la Gîtâ, il y a plusieurs versions?

(Nolini) Non.

Mais la Gîtâ fait partie du Mahâbhârata.

(Nolini) Oui.

Le Râmâyana est plus moderne?

(Nolini) Non.

C’est de la même époque 36 ? Et là, on connaît l’auteur?

(Nolini) Vâlmîki.

Oui, et cela n’a pas été tellement changé.

(Nolini) Pas tant que cela. Pas tant que le Mahâ bhârata.

Mais il y a des différences. Il y a une tradition qui dit que Râvana (on dit en français Râvan) est mort volontairement; que c’est volontairement qu’il a choisi le rôle d’asura et qu’il est mort volontairement pour raccourcir son « séjour » en dehors du Divin. Il s’est fondu dans Râma quand il est mort, disant que, ainsi, il était arrivé plus tôt à s’unir à Lui définitivement. Qu’est-ce que cette version-là ? Elle est orthodoxe ou non?

(Nolini) Tout est orthodoxe!

C’est orthodoxe. L’idée (c’est une idée, n’est-ce pas), c’est que les asuras ont choisi d’être asuras parce qu’ils seront dissous par le Divin, et qu’ainsi ils retourneront plus rapidement, ils s’uniront plus rapidement à l’Essence divine que les dieux et les sages qui font un grand cercle de travaux avant de pouvoir retourner au Divin. Tandis que les asuras, ayant choisi d’être très mauvais, seront détruits beaucoup plus vite, ils retourneront beaucoup plus vite. C’est une conception! (rires)

De même, j’ai entendu deux versions (mais comme je dis, l’une était d’un esprit large et l’autre était d’un esprit extrêmement orthodoxe) pour la fin de Sîtâ ; l’un disait que Sîtâ a choisi d’être engouffrée dans la terre pour prouver son innocence; tandis que le très orthodoxe disait que c’était justement parce qu’elle n’était pas innocente qu’elle a été engloutie! (rires)

Les fleurs sont tombées du ciel, n’est ce pas 37 ?

Ah! ça, c’est encore une autre histoire... J’ai entendu le Râmâyana d’un homme qui s’appelait Pandit, et c’était un fils de pandit, qui était venu à Paris pour faire ses études de droit. Mais il était resté orthodoxe, aussi orthodoxe qu’on pouvait l’être, c’était formidable! Et il avait un Râmâyana traduit en anglais, avec des images, et il me montrait cela. Et il m’a raconté l’histoire. Et puis, quand il est arrivé à la fin, il m’a dit cela. Alors j’ai dit : « Qu’est-ce que vous voulez dire? » Il m’a dit : « Vous comprenez, pour un Indien, si une femme a vécu, ne serait-ce que quelques heures dans la maison d’un autre homme, elle est impure... » Oh! c’est terrible... Alors c’était parce qu’elle était impure qu’elle a été engloutie... Je me souviens, il était petit de taille. C’était le fils d’une famille de Bombay — pas de Bombay mais enfin de ce côté-là. C’était un Gujérati. Je crois qu’il parlait gujérati.

Et puis l’autre version, je l’ai entendue de... il s’appelait Shâstrî, celui-là. C’était un autre pandit. Il était au Japon. Voilà. C’est tout, pas de question?... Toi?... Dis vite, il est tard.

Dans une de tes pièces, tu as dit que la beauté était universelle et qu’il fallait être universel pour la voir et la reconnaître.

Oui. Je veux dire qu’il faut avoir une conscience universelle pour la voir et la reconnaître. Si vous êtes dans une conscience locale, c’est-à-dire une conscience nationale (la conscience d’un pays), ce qui est beau dans un pays n’est pas beau dans un autre pays. Le sens de la beauté est différent. Par exemple (je peux vous faire rire avec une histoire), je connaissais à Paris le fils du roi du Dahomey (c’était un nègre — le roi du Dahomey était nègre), et ce fils était venu à Paris pour faire ses études de droit. Il parlait le français comme un Français. Mais il était resté nègre, n’est-ce pas. Et on lui a demandé (il racontait toutes sortes d’histoires sur sa vie d’étudiant), quelqu’un lui a demandé devant moi : « Eh bien, quand vous vous marierez, avec qui vous marierez-vous? » — « Ah! avec une fille de mon pays naturellement, celles-là seulement sont belles... » (rires) Alors, pour les gens qui ne sont pas nègres, la beauté nègre est difficile à voir! Et pourtant, c’était tout à fait spontané. Il était pleinement convaincu qu’il était impossible que quiconque puisse ne pas penser comme lui... « Il n’y a que les femmes de mon pays qui sont belles! »

C’est partout la même chose. Il n’y a que ceux qui ont justement développé un peu le goût artistique et qui ont beaucoup voyagé et qui ont vu beaucoup de choses, ceux-là ont élargi leur conscience et ils ne sont plus si sectaires. Mais il est très difficile de sortir un être des goûts spécialisés de sa race — je ne parle même pas du pays maintenant, je parle de la race. C’est très difficile. C’est là, n’est-ce pas, caché tout au fond dans le subconscient, et puis ça vous revient sans même que vous vous en aperceviez, tout à fait spontanément, tout naturellement. Même sur ce point précis : la femme de votre race est toujours beaucoup plus belle que la femme des autres races — spontanément, le goût spontané. C’est cela que je veux dire. Alors, il faut vous élever au-dessus de cela. Je ne parle même pas des gens qui, en dehors de leur famille ou de leur caste, trouvent que tout le reste est très laid et très mauvais. Je ne parle même pas de ceux-là. Je ne parle même pas de ceux pour qui un pays est beaucoup plus beau qu’un autre. Et pourtant, ce sont des gens qui se sont déjà élevés au-dessus de la notion tout à fait ordinaire. Je ne parle même pas d’une question de race... C’est très difficile, il faut aller tout au fond, tout au fond de soi dans le subconscient — et même plus loin — pour découvrir la racine de ces choses-là. Par conséquent, si vous voulez avoir le sens de la beauté en elle-même — qui est tout à fait indépendante de ces goûts-là, du goût de l’espèce —, il faut que vous ayez une conscience universelle. Autrement comment pouvez-vous faire? Vous aurez toujours des préférences. Même si ce ne sont pas des préférences actives et conscientes, ce sont des préférences subconscientes, des instincts. Alors, pour connaître la vraie beauté indépendante de toute forme, il faut s’élever au-dessus de toute forme. Et une fois que vous l’avez connue au-delà de toute forme, vous pouvez la reconnaître dans n’importe quelle forme, indifféremment. Et cela devient très intéressant.

Voilà, au revoir, mes enfants.

Le 28 octobre 1953

« L’art véritable est un tout et un ensemble; il est un et d’une seule tenue avec la vie. Vous pouvez consta ter quelque chose de ce tout intime et harmonieux dans l’ancienne Grèce et l’ancienne Égypte; car là, tableaux, statues, objets d’art, avaient leur place et leur raison d’être dans le plan architectural d’un monu ment; chaque détail n’était qu’une portion du tout et concourait à l’harmonie de l’ensemble. Il en est de même au Japon ; tout au moins en était-il ainsi hier encore, avant l’invasion d’un modernisme utilitaire et pratique. Une maison purement japonaise est un tout merveilleusement artistique; chaque chose y est exac tement à sa place; il n’y a rien de trop, mais rien ne manque non plus. On a l’impression, tant le tout se tient, que chaque chose est juste ce qu’elle devait être; et la maison elle-même est admirablement adaptée à la nature environnante. De même dans l’Inde, la peinture, la sculpture et l’architecture s’unissaient dans une beauté intégrale, dans un mouvement coordonné d’adoration pour le Divin. »

(Entretien du 28 juillet 1929)

Douce Mère, je n’ai pas compris ce que tu as dit : « L’art véritable est un tout et un ensemble; il est un et d’une seule tenue avec la vie. »

Ce que j’ai dit? Pas autre chose que l’art véritable est l’expression de la beauté dans le monde matériel ; et dans un monde entièrement converti, c’est-à-dire exprimant totalement la Réalité divine, l’art doit servir de révélateur et d’instructeur de cette beauté divine dans la vie; c’est-à-dire qu’un artiste devrait être capable d’entrer en communion avec le Divin et de recevoir l’inspiration de ce que doit être la forme, ou les formes, pour exprimer matériellement la beauté divine. Et alors, étant cela, l’art peut être un instrument de réalisation de beauté, et en même temps un instructeur de ce que doit être la beauté, c’est-à-dire que l’art devrait être un élément d’éducation du goût des gens, petits et grands, et c’est l’instruction de la beauté véritable, c’est-à-dire la beauté essentielle qui exprime la Vérité divine. Telle est la raison d’être de l’art. Maintenant, entre cela et ce qui se fait, il y a une grande différence, mais c’est la vraie raison d’être de l’art.

Compris? Un peu!

Pourquoi les peintres d’aujourd’hui ne sont-ils pas aussi bons que du temps de Léonard de Vinci?

Parce que l’évolution humaine se fait en spirale. J’ai expliqué cela 38 . J’ai dit que l’art était devenu une chose tout à fait mercantile, obscure et ignorante depuis le commencement du siècle dernier jusqu’au milieu. C’était devenu une chose très commerciale et tout à fait éloignée du sens véritable de l’art. Et alors, naturellement, l’esprit artistique ne vient pas! Il suivait de mauvaises formes et il essayait de se manifester pour contrecarrer l’avilissement du goût qui se produisait. Mais naturellement, comme tout mouvement de la Nature dans l’homme, les uns étant allés à un extrême, l’art est allé à l’autre extrême; et comme les uns faisaient une espèce de copie servile de la vie (même pas : dans le temps on appelait cela une « vue photographique » des choses, mais maintenant on ne peut plus dire cela parce que la photographie a tant progressé que ce serait lui faire injustice que de le dire, n’est-ce pas, la photographie est devenue une chose artistique; alors on ne peut pas critiquer une peinture en disant qu’elle est photographique; on ne peut pas non plus l’appeler « réaliste » parce qu’il y a une peinture réaliste qui n’est pas du tout comme cela — mais c’était conventionnel, artificiel et sans vie véritable), alors la réaction a été juste à l’opposé, et bien entendu dans un autre absurde : l’« art » ne devait plus exprimer la vie physique mais la vie mentale ou la vie vitale. Et alors sont venues toutes les écoles, comme les cubistes et d’autres, qui faisaient des créations avec leur tête. Mais en art, ce n’est pas la tête qui commande, c’est le sentiment de beauté. Et ils ont fait des choses absurdes et ridicules et affreuses. Maintenant ils sont allés encore plus loin; mais ça, c’est à cause des guerres — avec chaque guerre, il y a un monde en décomposition qui descend sur la terre et qui produit une sorte de chaos. Et certains, naturellement, trouvent cela très beau et l’admirent beaucoup.

Je comprends ce qu’ils veulent faire, je le comprends très bien, mais je ne peux pas dire que je trouve qu’ils le font bien. Tout ce que je peux dire, c’est qu’ils essayent.

Mais c’est peut-être (dans toute son horreur, à un certain point de vue), c’est peut-être mieux que ce que l’on faisait à cette époque de bourgeoisie intense et pratique : l’âge de Victoria, ou le Second Empire en France. Alors on part d’un point où il y avait une harmonie, et on décrit une courbe, et avec cette courbe, on sort totalement de cette harmonie et on peut entrer dans une obscurité totale; puis on monte, et quand on se trouve en ligne avec l’ancienne réalisation d’art, on s’aperçoit de la vérité qu’il y avait dans cette réalisation, mais avec la nécessité d’exprimer quelque chose de plus complet et de plus conscient. Mais en faisant le cercle, on oublie que l’art est l’expression des formes et on essaye d’exprimer des idées ou des sentiments avec un minimum de formes. Cela donne ce que nous avons, ce que vous pouvez voir (je crois que nous avons des reproductions de peintres tout à fait modernes à la Le bibliothèque de l’Université 39 ). Mais si l’on va encore un peu plus loin, cette idée et ces sentiments qu’ils veulent exprimer, et qu’ils expriment d’une façon très maladroite, si l’on retourne au même point de la spirale (seulement un peu plus haut), on découvrira que c’est l’embryon d’un art nouveau, qui sera un art de beauté et qui n’exprimera pas seulement la vie matérielle mais essayera aussi d’exprimer son âme.

Enfin, nous n’en sommes pas encore là, mais il faut espérer qu’on y arrivera bientôt. Voilà.

Pourquoi l’évolution se fait-elle en spirale au lieu d’être un progrès constant?

C’est un progrès constant. Mais si tu le faisais en ligne droite, tu ne couvrirais qu’une seule partie — le monde est un globe, ce n’est pas une ligne.

Si c’était un cylindre!

Même pour un cylindre, si tu ne faisais qu’une ligne, il y a une partie du cylindre qui t’échapperait tout à fait. Ce mouvement en spirale est justement pour essayer que tout entre dans le phénomène d’évolution — qu’il n’y ait pas seulement une chose qui avance tandis que les autres restent en arrière. Et alors, suivant le centre où est concentré le progrès, on semble s’éloigner d’une chose et on va dans une autre. Mais en fin de compte, quand on évoluera consciemment, on n’oubliera pas une chose pour en faire une autre. Ce qui est mauvais maintenant, c’est l’oubli; c’est que quand on est dans une activité pour une réalisation, on oublie toutes les autres, ou elles entrent dans un arrière-plan, elles n’ont plus d’intensité. Mais c’est un défaut humain qui peut être corrigé — il doit être corrigé.

Est ce que tous les progrès vont en spirale ensemble ou séparément?

Je crains que ce ne soit pas très harmonieux, parce que le monde me paraît plutôt chaotique! Si vraiment la marche était totalement organisée, ce serait un développement harmonieux, et si l’on pouvait voir vers quoi l’on va — en ayant la ligne de ce qui a été fait, on peut prolonger ces lignes et voir ce qui viendra... Mais pour le moment c’est seulement ouvert à une élite. Et la masse suit le mouvement, et tous les mouvements ne sont pas homogènes et simultanés — certaines choses sont plus lentes à mettre en ligne et à mettre en mouvement que d’autres. Alors il suffit même d’une petite différence comme cela pour que cela crée une immense différence dans le mouvement.

Il y a même un nombre considérable de spirales qui s’entrecroisent et qui donnent l’impression de contradiction. Si l’on pouvait suivre dans l’ensemble le mouvement du progrès universel, on verrait qu’il y a une si grande quantité de spirales qui s’entrecroisent, que, finalement, on ne sait pas du tout si l’on avance ou si l’on recule. Parce que, au même moment, il y a des choses qui sont en ascension et d’autres qui retombent dans l’obscurité, et tout cela n’est pas absolument indépendant l’un de l’autre. Il y a une sorte de coordination, si bien qu’au lieu de concevoir une spirale comme cela, il faudrait concevoir des spirales en globe. Si l’on pouvait décrire cela, l’ensemble de toutes ces spirales ferait un globe immense. Et c’est à l’entrecroisement de ces spirales qu’il y a des minutes de progrès. Mais avant que le progrès ne soit cohérent, total, il faut qu’il y ait une organisation intérieure de la vie qui soit différente de celle de la Nature, arrangée selon un plan. Pour la Nature, son plan est seulement fait d’une aspiration, d’une décision et d’un but. Et le chemin paraît tout à fait fantastique suivant les impulsions de chaque minute — des essais, des reculs, des contradictions, des progrès et des démolitions de ce qui a été déjà fait; et c’est un tel chaos que l’on n’y comprend plus rien. Elle a l’air de quelqu’un qui fait les choses par impulsion; qui répand certaines impulsions, puis les détruit, qui en recommence d’autres, et ainsi de suite comme cela. Elle fait, elle défait, elle refait, elle redéfait, elle mélange, elle détruit, elle construit — et tout cela en même temps. C’est incompréhensible. Et pourtant, elle a évidemment un plan, et elle-même va vers un certain but, qui est très clair pour elle mais qui est très voilé pour la conscience humaine... C’est très intéressant. Si l’on pouvait construire quelque chose comme cela, cela donnerait une idée : un globe fait de spirales s’entrecroisant et ayant des couleurs différentes, et chacune représentant un aspect de la création de la Nature. Et ces aspects sont faits pour se compléter — mais jusqu’à présent, ils sont plutôt en compétition qu’en collaboration, et il semble toujours qu’elle soit obligée de détruire quelque chose pour en faire une autre, ce qui fait un gaspillage terrible, et un désordre encore plus grand. Mais si tout cela était vu dans son ensemble, ce serait extrêmement intéressant. Parce que c’est l’entrecroisement extrêmement complexe, et dans tous les sens possibles, d’une ascension en spirale.

Maintenant, pour ta question, on pourrait répondre une autre chose. (Ce que j’ai dit là, c’est exactement la même chose pour l’art : il suit lui-même une évolution, et à un certain moment il semble s’éloigner de son but, et à d’autres moments il se rapproche à une hauteur plus grande.) Mais il y a autre chose, c’est un point de vue social : il y a une époque, comme par exemple l’époque de Louis XIV où ce qui dominait tout était le sens de la création artistique, et ce sens semble avoir donné une sorte de perception de beauté à ce moment-là ; mais après, l’évolution sociale a fait naître d’autres besoins et d’autres idées, et actuellement, depuis plus d’un siècle, c’est le commercialisme qui triomphe dans le monde, et il n’y a rien qui soit plus opposé à l’art que le commerce. Parce que c’est justement la vulgarisation de quelque chose qui devrait être exceptionnel. C’est mettre à la portée de tous une chose qui ne devrait être comprise que d’une élite. Et comme nous sommes à une époque de mécanisation et de commercialisme, c’est une époque très contraire à un épanouissement de l’art. Et c’est probablement pourquoi l’art, qui n’a pas les conditions nécessaires à son plein épanouissement, essaye de trouver un autre débouché et entre dans le domaine mental et vital pour s’exprimer. C’est la raison. Quand le temps sera venu de secouer, pour ainsi dire, de rejeter ce mercantilisme et de s’éveiller à une réalité plus belle, alors l’art aussi renaîtra dans une conscience d’harmonie plus grande.

La satisfaction de soi-même est-elle un obstacle à l’art?

Oui, c’est même un obstacle à l’intelligence. La fatuité est l’une des plus grosses sottises humaines. Il y a une très grande différence entre avoir la foi en ce qui peut être fait, la volonté de la réaliser, la certitude des possibilités ouvertes dans la création (et la certitude aussi que ces possibilités seront réalisées), et puis la satisfaction de soi-même; ce sont deux choses qui se tournent tout à fait le dos. Être convaincu que rien n’est impossible à faire si l’on y met le temps, l’énergie, la volonté, la confiance, la sincérité et le reste, est très nécessaire, mais être content de soi d’une façon quelconque, c’est toujours une sottise, sans exception. Et c’est l’une des choses qui vous éloigne le plus de la réalisation divine, parce que cela vous rend ridicule. Et c’est en même temps l’une des choses qui est le plus contraire à la bonne volonté de la Nature, parce que la Nature se moque de vous immédiatement. Vous devenez un objet de ridicule, tout de suite. Parce que, au fond, il n’y a pas un être humain qui soit quelque chose par lui-même. Il n’est qu’une possibilité créée par le Divin, et qui ne peut être développée que par le Divin, et qui n’existe que par le Divin, et qui ne devrait vivre que pour le Divin. Et alors, dans cela, je ne vois pas de place pour la satisfaction de soi; parce que, comme on n’est rien en soi-même que ce que le Divin fait de nous, et comme on ne peut rien par soi-même que ce que le Divin veut faire de nous, je ne vois pas quelle satisfaction on peut avoir là-dedans. On ne peut avoir que le sentiment de sa parfaite impuissance. Seulement, ce qui est très mauvais, c’est d’avoir l’envers de cet endroit-là — parce qu’il y a toujours l’envers et l’endroit de tout état de conscience — et, au fond, c’est la même vanité qui vous fait dire : « Je ne peux rien, je ne suis bon à rien, je suis incapable de quoi que ce soit. » Ça, c’est l’envers de : « Je peux, je suis grand, j’ai toutes sortes de pouvoirs en moi. » C’est la même chose. L’un est l’ombre et l’autre est la lumière, mais c’est pareil exactement — l’un ne vaut pas mieux que l’autre. Et si l’on avait vraiment conscience de n’être rien du tout, on ne se tourmenterait pas de savoir comment on est. Ce serait déjà quelque chose. Mais vraiment, sincèrement, je vous le dis, et j’ai une assez longue expérience de la vie, je ne connais rien d’aussi grotesque que les gens qui sont satisfaits d’eux-mêmes. C’est vraiment ridicule. Ils se rendent absolument ridicules. Il y a des gens comme cela qui sont venus trouver Sri Aurobindo en disant tout ce dont ils étaient capables, tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils pouvaient faire, tout ce qu’ils avaient réalisé, et alors, Sri Aurobindo les regardait très sérieusement et leur répondait : « Oh! vous êtes trop parfaits pour être ici. Il vaut mieux que vous vous en alliez. »

« De même, la musique est essentiellement un art spiri tuel et elle a toujours été associée au sentiment religieux et à la vie intérieure. Mais elle aussi a été détournée de son sens véritable; elle est devenue indépendante, se suffisant à elle-même, un champignon d’art, comme la musique d’opéra, par exemple. La majeure partie des productions musicales sont de ce genre et intéressantes tout au plus du point de vue de la technique.

« Je ne veux pas dire que même la musique d’opéra ne puisse servir de médium à l’expression d’un art supé rieur; car quelle que soit la forme, elle peut être utilisée dans un but profond. Tout dépend de la chose ellemême, de ce qui est derrière elle et de l’usage qu’on en fait; il n’est rien qui ne puisse être mis au service des fins divines. De même que n’importe quoi peut prétendre venir du Divin et n’appartenir cependant qu’à l’espèce champignon. »

(Entretien du 28 juillet 1929)

Qu’entends-tu par « espèce champignon » ?

Vous ne savez pas ce qu’est un champignon? Comment les champignons poussent? Les champignons poussent n’importe où et semblent ne pas faire partie d’une culture. L’idée, c’est une espèce de croissance spontanée qui n’a pas ses racines dans l’ensemble de la création. Ce sont des choses qui ne font pas partie du tout, qui sont comme surajoutées. Au lieu de champignons, j’aurais pu dire des parasites sur les arbres. Vous savez qu’il y a des parasites sur les arbres, comme le gui sur les chênes; ici aussi j’en ai vu sur certains arbres; j’ai vu des plantes qui poussaient, qui étaient accrochées dans l’arbre, qui vivaient de la vie de l’arbre, qui n’avaient pas leur vie propre, leurs racines propres, qui ne prenaient pas leur nourriture directement de la terre — elles s’accrochaient à une autre plante, comme si elles se servaient du travail des autres. Les autres travaillent pour obtenir de la nourriture, et elles s’accrochent là-dessus et en vivent. Ma foi, comme les parasites vivent sur les animaux.

Je ne sais pas, je croyais être entrée dans plus de détails. Mais j’en ai dit assez pour ceux qui savent... Dans le temps, je veux dire aux belles époques comme en Grèce par exemple, ou même pendant la Renaissance italienne (mais beaucoup plus en Grèce et en Égypte), on bâtissait des monuments qui avaient une utilité publique. La plupart du temps aussi, en Grèce et en Égypte, ils construisaient comme un sanctuaire pour y loger leurs dieux. Eh bien, ce qu’ils essayaient de faire, c’était une chose totale, belle en soi, complète. Et là-dedans, ils utilisaient l’architecture, c’est-à-dire le sens de l’harmonie des lignes, et la sculpture pour ajouter à l’architecture le détail d’une expression, et la peinture pour compléter cette expression ; mais tout cela se tenait dans une unité coordonnée qui était le monument que l’on créait. La sculpture faisait partie du monument et la peinture faisait partie du monument. Ce n’était pas des choses à part et qui étaient mises là, on ne sait pas pourquoi — cela faisait partie du plan général. Et alors, quand ils produisaient un temple, par exemple, c’était un tout où l’on trouvait presque toutes les manifestations de l’art, qui étaient unies dans une seule volonté d’exprimer la beauté qu’ils voulaient exprimer, c’est-à-dire un vêtement pour le dieu qu’ils voulaient adorer. Toutes les belles époques d’art ont été comme cela. Mais justement, dans les temps pas tout à fait modernes (la fin du dernier siècle), c’était devenu une chose commerciale, mercantile, et on faisait des tableaux pour les vendre — on faisait des tableaux sur une toile, on mettait un cadre, et puis, sans avoir de raison précise, on mettait ce tableau ici, ou un autre tableau là, ou alors on faisait une sculpture qui représentait une chose ou une autre, et on la mettait n’importe où. Cela n’avait rien à voir avec la maison dans laquelle on était. Ça ne se tenait pas. Les choses pouvaient être belles en soi, mais elles n’avaient pas de sens. Ce n’était pas un tout qui avait une cohésion, qui tendait à l’expression de quelque chose : c’était une exhibition de talent, d’habileté, de capacité de faire de la peinture ou de faire de la sculpture. De même l’architecture n’avait pas un sens précis. On ne faisait pas de l’architecture avec l’idée d’exprimer la force que l’on voulait incarner dans ce bâtiment; ce n’était pas l’expression d’une aspiration, ou de quelque chose qui vous élève l’esprit, ou l’expression de la magnificence de la divinité que l’on voulait loger. C’était tout simplement des champignons. On mettait une maison ici, une maison là, on faisait ceci, on faisait cela, des tableaux, des sculptures, des objets de toutes sortes. Alors on entrait dans une maison, on voyait, comme je vous dis, un bout de sculpture ici, un bout de peinture là, des vitrines avec des tas d’objets bizarres qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Tout cela pourquoi? Pour faire une sorte d’exposition, d’exhibition d’objets d’art qui n’avaient rien à voir avec l’art et la beauté! Mais cela, il faut comprendre le sens profond de l’art pour sentir à quel point c’est choquant. Autrement, quand on est habitué, quand on a vécu à cette époque-là et dans ce milieu-là, cela paraît tout naturel — mais ce n’est pas naturel. C’est une déformation commerciale.

Il n’y a qu’une légitimation, c’est d’en faire un moyen d’éducation. Alors c’est un musée. Si vous faites un musée, c’est un échantillonnage historique de tout ce que l’on a fait. C’est pour vous donner une connaissance historique des choses. Mais un musée n’est pas une chose belle en soi, il s’en faut de beaucoup! Pour un artiste, c’est une chose très choquante. Au point de vue de l’éducation, c’est très bon parce qu’on a rassemblé dans un seul endroit des échantillons de toutes sortes de choses; et vous pouvez comme cela apprendre, faire de l’érudition. Mais au point de vue de la beauté, c’est affreux.

Et alors, il y a eu une tentative, après, pour revenir (par exemple, au commencement de ce siècle — je parle des premières années de ce siècle), une tentative pour faire ce qu’on appelait de l’art décoratif, c’est-à-dire essayer de revenir à une vision d’ensemble et de créer, quand on arrangeait une maison, un tout coordonné où les choses étaient à une place donnée parce qu’elles devaient être là, et où chaque objet avait non seulement sa raison d’être mais sa place précise et ne devait pas être déplacé. On faisait un ensemble, un tout. Alors c’était déjà un peu mieux. On essayait.

Ici (en Inde), c’est tout à fait différent, parce qu’il y a une tradition d’art qui est restée, tout le pays est plein de créations qui ont été faites au beau moment de l’histoire artistique du pays. On vit là-dedans. On a très peu subi le contrecoup de ce qui s’est passé dans le reste du monde, surtout en Europe. Il n’y a que les parties de l’Inde un peu trop anglicisées qui ont perdu le sens de la beauté — il y a certaines écoles de Bombay, des écoles d’artistes qui sont effroyables. Et puis, il y a eu cette tentative de l’École de Calcutta pour ressusciter l’art indien, mais c’est seulement à une toute petite échelle. Au point de vue de l’art, ce que vous avez le plus à votre portée, ce sont les vieilles créations, les vieux temples, les vieilles peintures. Tout cela était très bien. Et cela avait été fait pour exprimer une foi. Et c’était fait justement avec le sens de l’ensemble, pas du désordre.

Vous avez très peu suivi ce mouvement d’art dont je vous parle, qui est né avec la civilisation européenne, il n’a pas beaucoup touché ici — un petit peu mais pas profondément. Ici, la plupart des créations (c’est un très bon exemple), la plupart des œuvres, je crois même presque toutes les belles œuvres, ne sont pas signées. Toutes ces peintures dans les grottes, ces sculptures dans les temples, ce n’est pas signé. On ne sait pas du tout qui a fait cela. Et on ne le faisait pas avec l’idée de se faire un nom comme maintenant. On était un grand sculpteur, un grand peintre, un grand architecte, et puis c’est tout; il n’était pas question de mettre son nom sur tout et d’annoncer cela à grand fracas dans les journaux pour que personne ne l’oublie! Dans ce temps-là, l’artiste faisait ce qu’il devait faire sans se soucier si son nom resterait à la postérité ou non. C’était fait dans un mouvement d’aspiration pour exprimer une beauté supérieure, et surtout avec l’idée de donner un logement approprié à la divinité que l’on évoquait. Dans les cathédrales au Moyen Âge, c’était la même chose, et je ne crois pas que, là non plus, les noms soient restés des artistes qui avaient fait ces beautés. S’il y en a, c’est tout à fait exceptionnel et c’est par hasard que le nom a été conservé. Tandis que maintenant, il n’y a pas un bout de toile peinte ou barbouillée sur lequel il n’y ait une signature pour vous dire : c’est Monsieur Untel qui a fait cela !

On dit que l’on pourrait faire une synthèse de l’art occi dental et oriental?

Oui. On peut faire une synthèse de tout si l’on monte assez haut.

Qu’est ce qui en sortira ?

Si c’est nécessaire, ce sera fait. Mais au fond, ce sont des choses qui sont en train de se faire. Parce que l’avantage des temps modernes, et justement de ce commercialisme hideux, c’est que tout est mélangé maintenant : les choses d’Orient vont en Occident, les choses d’Occident vont en Orient, et les unes sont influencées par les autres. Pour le moment, cela fait une confusion, une espèce de pot-pourri. Mais il sortira de là une expression nouvelle — ce n’est pas si loin de se réaliser. On ne peut pas se mélanger comme les peuples se mélangent maintenant, sans que cela produise un effet réciproque. Par exemple, avec leur manie de conquête, les peuples d’Occident qui ont conquis toutes sortes de pays dans le monde, ont subi très fortement l’influence des pays qu’ils ont conquis. Dans les temps anciens, quand Rome a conquis la Grèce, elle a subi l’influence de la Grèce beaucoup plus que si elle ne l’avait pas conquise. Et les Américains, tout ce qu’ils font maintenant est plein de choses japonaises, et peut-être ne s’en rendent-ils même pas compte. Mais depuis qu’ils ont occupé le Japon, je vois les magazines que l’on reçoit d’Amérique, c’est plein de choses japonaises; et même dans certains détails d’objets que l’on reçoit d’Amérique, on sent l’influence du Japon maintenant. Cela se fait automatiquement. C’est assez curieux, il y a toujours une sorte d’équilibre qui se produit, et celui qui fait la conquête matérielle est conquis par l’esprit de celui qu’il a vaincu. C’est réciproque. Il a fait une conquête matérielle, il possède matériellement, mais c’est l’esprit de celui qui est conquis qui possède le conquérant.

Alors, à force de mélange... Les voies de la Nature sont lentes, obscures et compliquées. Elle met très longtemps pour faire une chose qui pourrait probablement, par les moyens de l’esprit, se faire beaucoup plus rapidement, plus facilement et sans déchet. Maintenant, il y a dans le monde un déchet terrible. Mais cela se fait. Elle a sa manière de mélanger les gens.

C’est exprès?

Pas de la façon dont les hommes comprennent « exprès ». Mais c’est certainement l’expression d’une intention et d’un but vers lequel on tend. Seulement, tout dépend de la proportion de la conscience. Pour un homme, cela paraît une confusion parce qu’il ne peut voir que des détails, et cela paraît une perte de temps terrible, parce que, pour lui, la notion de temps est limitée à la durée de sa personnalité. Mais la Nature a l’éternité devant elle. Et cela lui est bien égal de gaspiller, parce que, pour elle, c’est comme quelqu’un qui aurait une marmite formidable : elle jette des choses dedans et elle en fait un mélange, et si cela ne réussit pas, elle rejette tout cela parce qu’elle sait qu’en reprenant les mêmes choses, elle fera un autre mélange. Et c’est comme cela. On ne perd pas, parce que cela ressert tout le temps. On brise les formes et on reprend la substance, et c’est constamment comme cela. C’est fait, c’est défait, c’est retourné — qu’est-ce que cela peut lui faire d’essayer cent mille fois si cela lui plaît! Parce qu’il n’y a rien qui soit gaspillé, excepté son travail. Mais son travail, c’est son plaisir. Sans travail elle n’existerait pas.

C’est un plaisir pour elle, pas pour les hommes!

Non, certainement, je suis pleinement d’accord. Je trouve que c’est un amusement un peu trop cruel. Voilà.

novembre




Le 4 novembre 1953

Avant le commencement de la classe, Mère parle pendant quelques minutes en regardant « la sphère avec des spirales » que les enfants ont construite pour donner une idée de ce qu’elle avait expliqué la semaine précédente :

... La sphère n’est touchée que par une partie de la courbe, le reste se développe à l’intérieur. On ne peut pas le faire. C’est opaque. Mais c’était... il y avait au centre de cette sphère un entrecroisement de toutes les spirales.

Ce que vous avez fait là le rend plat, la façon dont c’est fait. C’est plat. Tel que je l’ai vu, le bord était touché par une section de la courbe. Chaque courbe a une partie du bord comme section 40 . Et on voyait distinctement les couleurs, et on voyait au travers... Je crois que vous pourriez faire cela géométriquement. Toute la surface est occupée par une section de la courbe de la spirale.

(Pavitra) Ces spirales sont sur la surface de la sphère ou à l’intérieur?

Non, les spirales sont à l’intérieur.

Donc, vers le centre.

Elles s’entrecroisent. Leur direction est telle que toute la sphère est formée par des sections de chaque spirale.

Tout l’intérieur de la sphère est-il occupé par des spirales?

Tout l’intérieur était naturellement plein de spirales. Mais comme il n’y avait pas de substance (il n’y avait que des spirales), on voyait au travers. Elles n’étaient pas jointes au point de faire une masse opaque. Et on pouvait suivre : c’étaient des couleurs brillantes, c’étaient des couleurs lumineuses. On pouvait suivre la ligne à l’intérieur. Et alors il faudrait conclure que c’était innombrable.

Est ce qu’elles se rapprochent de l’intérieur en formant des courbes de plus en plus petites?

Pas régulièrement au point que tous les débuts soient au centre. Ce n’était pas une série de spirales commençant par le début et se développant pour aller au centre.

Et recommençant du centre vers l’extérieur.

Non, pas du tout. Le point d’arrivée n’était pas le même que le point de départ. Enfin, comme cela, vu de loin, ça donnait un peu cette impression. C’était beaucoup plus complexe que cela. Et puis il n’y avait pas de ces choses ternes.

Douce Mère, que représentent les couleurs?

Vous avez là trois verts et seulement un bleu. Ça, c’est bleu, mais bleu-vert. Alors, il y a deux bruns, un noir et un gris, deux rouges... Ces couleurs-là, ce sont des couleurs mortes, n’est-ce pas... On ne peut leur donner une attribution spéciale.

Il n’y avait pas de noir.

Après la lecture de l’Entretien du 4 août 1929 sur le « sacrifice » et le don de soi.

Pourquoi, autrefois, les gens faisaient-ils des sacrifices humains dans les temples?

Je ne comprends pas bien la question. Pourquoi ne le feraientils pas! Il n’y a pas beaucoup de différence entre tuer une chèvre et tuer un homme. Je ne sais pas. En tout cas, ce qui est venu à la postérité et ce qui se passait réellement peut avoir été très différent. Quand on parlait de sacrifier, c’était peut-être seulement symbolique. Certaines religions, dit-on, ont massacré les gens par milliers. C’est possible, c’est le même instinct qui fait détruire. Et c’étaient certainement des religions qui tendaient à la destruction. Maintenant il y a beaucoup de cas, et si l’on demande pourquoi les gens faisaient des sacrifices matériels, il faudrait en être sûr. Pour moi, je n’en suis pas sûre. C’est possible. Cela dépend de la façon dont on regarde la vie. Et en tout cas, si l’on s’arroge le droit de se servir de l’existence d’un autre pour faire un sacrifice au Divin, et si on le regarde d’une certaine façon, c’est une assez vilaine attitude. Je le disais au début, je ne vois pas pourquoi on ferait une différence entre quelque animal ou un animal humain. C’est une chose assez curieuse.

Dans la plupart des religions, je crois que c’était comme c’est encore ici à l’endroit où il y a un temple de Kâlî sans tête 41 — c’est une chose extrêmement obscure et ignorante. Cela vient d’une sorte de crainte malsaine d’une divinité monstrueuse qui a besoin, soit de sang, soit de force, soit de n’importe quoi pour être satisfaite et ne pas faire de mal. Et tout vient d’une frayeur et d’une conception du Divin qui est une monstruosité. Mais même si on l’admettait, il n’y aurait qu’un sacrifice tolérable, c’est le sacrifice de soi. Si l’on veut sacrifier quelque chose au Divin, je ne vois pas de quel droit on va chercher la vie d’un autre, que ce soit un être humain ou un animal, pour l’offrir à sa place. Si l’on veut sacrifier, c’est soi que l’on doit sacrifier, non les autres. Et comme le mouvement lui-même est suffisamment laid et obscur et inconscient, je ne vois pas pourquoi il y aurait tant de différence entre sacrifier une chèvre et sacrifier un être humain. Au point de vue chèvre, c’est une idée intolérable — si l’on demandait à une chèvre pourquoi...

Les hommes ont des idées bizarres sur leur importance dans le monde et sur les valeurs respectives de leur personne. Cela ne fait pas beaucoup de différence. Si l’on dit : « Vous n’avez pas le droit de prendre la vie d’un autre », c’est défendable; mais alors ne faites pas de sacrifice; ou si vous voulez sacrifier, sacrifiezvous vous-même; si vous croyez qu’il y a un Dieu terrible qui a besoin qu’on lui donne du sang, ou je ne sais quoi, des forces vitales pour le satisfaire, faites-le. Mais de quel droit allez-vous prendre la vie des autres pour la donner? C’est une tyrannie intolérable. Même ne serait-ce que tous ces poulets que l’on tue. Seulement là, je crois qu’il y a une autre raison — c’est que les gens font bombance! C’est simplement une occasion d’avaler une quantité considérable de nourriture.

Je ne sais pas, pour moi cela ne fait pas beaucoup de différence.

Est-il possible de sentir la Présence divine même quand on a autour de soi une mauvaise atmosphère, une confu sion mentale et vitale?

À condition que l’atmosphère ne soit pas au-dedans de soi! Parce que là, c’est difficile. Et encore! On a eu des exemples fréquents de gens qui menaient une vie plus que douteuse et qui ont eu des révélations. On donne l’exemple d’un ivrogne qui, dans son ivrognerie, a tout d’un coup eu un contact avec le Divin — qui a transformé d’ailleurs son existence et qui, je dois le dire, l’a empêché de boire à l’avenir. Mais enfin, au moment où il a eu la révélation de la Présence divine, il était en état d’ivrognerie. Je ne crois pas — encore là nous retombons dans les mêmes choses —, je ne crois pas que le Divin soit un moraliste. C’est l’homme qui est moraliste, ce n’est pas le Divin. S’il se trouve que, justement, à ce moment-là, il y ait un concours de circonstances et qu’il y ait dans l’être une ouverture, le Divin, qui est toujours présent, se manifeste. Tandis que le sage ou le saint qui est tout à fait infatué de son importance et de sa valeur, et qui est plein d’orgueil et de vanité, il n’y a pas beaucoup de chances que le Divin se manifeste en lui, parce qu’il n’y a pas de place pour l’expression du Divin! Il n’y a de place que pour l’importante personnalité du sage et sa valeur morale.

Naturellement, il y a un état où l’on peut être parfaitement pur, parfaitement sage et être en rapport avec le Divin! Mais alors, cela veut dire que l’on a atteint un certain degré de perfection et que l’on a perdu le sens de son importance personnelle et de sa valeur personnelle. Je crois que c’est le plus important. Le plus grand obstacle au contact avec le Divin, c’est l’orgueil, et le sens de sa valeur personnelle, de ses capacités personnelles, de sa puissance personnelle — la personne devient très grosse, tellement grosse qu’il n’y a pas de place pour le Divin.

Non, la seule chose vraiment importante, c’est l’intensité de l’aspiration. Et cette intensité d’aspiration vient dans toutes sortes de circonstances.

Il y a deux choses qu’il ne faut pas confondre : certaines nécessités (qui sont purement des nécessités si l’on veut arriver à contrôler complètement la matière physique), et puis les notions morales. Ce sont deux choses tout à fait différentes. On peut, par exemple, s’abstenir d’empoisonner son corps, ou d’abrutir son cerveau, ou d’annuler sa volonté, parce que l’on veut devenir le maître de sa conscience physique et pouvoir transformer son corps. Mais si l’on fait ces choses uniquement parce que l’on considère qu’on gagnera un mérite moral en le faisant, cela ne vous mène nulle part, à rien du tout. Parce que ce n’est pas pour cela. On le fait pour des raisons purement pratiques : pour la même raison, par exemple, que l’on n’a pas l’habitude de prendre du poison, parce qu’on sait que cela vous empoisonne. Et alors, il y a des poisons assez lents que prennent les gens (impunément, croient-ils, parce que l’effet est si lent qu’ils ne peuvent pas le discerner facilement), mais si l’on veut arriver à devenir entièrement maître de ses activités physiques et pouvoir mettre la lumière dans les réflexes de son corps, alors il faut s’abstenir de ces choses — mais non pour des raisons morales : pour des raisons tout à fait pratiques, au point de vue de la réalisation du yoga. Il ne faut pas faire cela avec l’idée que l’on va gagner du mérite; et parce qu’on gagnera du mérite, Dieu sera bien content et viendra se manifester au-dedans de vous! Ce n’est pas du tout cela, pas du tout! Peut-être même se sent-Il plus proche de celui qui a fait des fautes, qui est conscient de ses fautes et qui a le sens de son infirmité, et qui aspire sincèrement à en sortir — Il se sent peut-être plus proche de lui que de celui qui n’a jamais fait de fautes et qui est content de sa supériorité extérieure sur les autres êtres humains. En tout cas, cela ne fait pas beaucoup de différence. Ce qui fait beaucoup de différence, c’est la sincérité, la spontanéité, l’intensité de l’aspiration — le besoin, ce besoin qui vous prend et qui est tellement puissant que rien d’autre au monde ne compte.

Comme je l’ai dit quelque part ailleurs à propos de la soumission et du sacrifice, si l’on regrette quelque chose, cela veut dire que l’on n’est pas dans un état de conscience spirituel. Si l’on regrette de ne plus pouvoir satisfaire ses désirs, cela veut dire que les désirs sont au moins aussi importants, sinon plus, que la chose à laquelle vous aspirez. Vous pouvez dire : « Les désirs sont une chose dont je suis tout à fait conscient, tandis que si j’abandonne mes désirs avec l’idée d’acquérir le Divin, je ne suis pas sûr que je l’aurai; par conséquent j’appelle cela un sacrifice. » Mais moi, j’appelle cela du commerce! C’est du commerce avec le Divin. On lui dit : « Donnant-donnant; moi, je Te donne la joie que j’ai à satisfaire mes désirs, il faut que Tu me donnes en échange la joie de Te sentir au-dedans de moi, sinon ce n’est pas juste. » Ce n’est pas un don de soi, c’est du marchandage.

C’est une chose que j’ai entendue si souvent, si souvent : « J’ai tant sacrifié de choses, j’ai fait tant d’efforts, je me suis donné tant de mal, et puis voilà, je n’ai rien en échange. » Tout ce que je peux répondre, c’est : « Ça ne m’étonne pas! »

Une personne très orgueilleuse peut-elle avoir une grande aspiration?

Pourquoi pas? La personne très orgueilleuse peut recevoir des coups, et être sensible; puis, quand elle reçoit un coup, ça peut l’éveiller un peu! Alors elle a une aspiration. Et si c’est une personne qui a de l’intensité dans son caractère et qui a de la puissance, eh bien, son aspiration est puissante.

Et sans recevoir de coups?

Cela peut arriver. Seulement dans ce cas-là, ce sera très mélangé. Dans tous les cas ce sera très mélangé — mais toujours tout est mélangé. Il faut longtemps pour que les choses se clarifient. On peut commencer n’importe où, à n’importe quel état et dans n’importe quelle condition. On peut toujours commencer. Seulement, dans certains cas cela prend très longtemps. Parce que le mélange est tel que, à chaque pas en avant, on fait un demi-pas en arrière. Mais il n’y a pas de raison. Au fond, comme c’est la raison d’être véritable de la vie et de l’existence individuelle, de prendre conscience du Divin, cela peut surgir n’importe où, à n’importe quel moment. S’il y a la moindre possibilité, ça jaillit. Naturellement, si l’on est parfaitement satisfait, alors c’est un obstacle parce que l’on s’endort dans la satisfaction. Mais cela ne peut pas durer. Dans la vie, dans le monde tel qu’il est maintenant, une satisfaction égoïste, une satisfaction personnelle ne peut pas durer, et tant qu’elle dure, oui, on peut s’endurcir, ne plus aspirer du tout. Mais ça ne dure pas.

Autre chose?...

Personne n’a rien à dire?...

Alors, au revoir mes enfants, bonne nuit!

Le 11 novembre 1953

Mère s’apprête à lire les premières pages de Quelques Paroles.

Les premiers textes ont été écrits en 1912. Beaucoup d’entre vous n’étaient pas nés.

C’était un petit groupe de personnes — à peu près douze — qui se réunissaient une fois par semaine. On donnait un sujet; il fallait préparer la réponse pour la semaine suivante. Chacun apportait son petit travail. Généralement je préparais aussi un petit papier et, à la fin, je le lisais. C’est ce qui est écrit là — pas tous, seulement ces deux-là. Ces deux premiers. Après, c’était autre chose. Les autres ont paru dans Paroles d’Autrefois.

Il y a quatre séances. La première réunion avait pour sujet : quel est le but à atteindre, quelle est l’œuvre à réaliser, le moyen de l’atteindre? Et voici ma réponse :

(Mère lit le texte du 7 mai 1912) « Le but général à atteindre est l’avènement de l’harmonie universelle progressive. »

C’est le Supramental.

Je ne connaissais pas Sri Aurobindo à ce moment-là et il n’avait encore rien écrit.

« ... devenir de parfaits représentants terrestres de la première manifestation de l’Impensable dans ses trois modes, ses sept attributs et ses douze qualités. »

Qu’est ce que tu appelles les « trois modes », les « sept attributs » et les « douze qualités » ?

Je ne me souviens plus. Les trois modes formés — Amour, Lumière et Vie — qui correspondent à Satchidânanda. Les sept attributs... J’ai une liste quelque part. Il y a une vieille tradition qui dit que le monde a été créé sept fois, c’est-à-dire que les six premières fois il est rentré dans le Créateur. C’est l’idée du pralaya 42 . On dit qu’il s’est produit six fois, et que nous sommes maintenant la septième création, et que c’est la dernière. C’est celle qui persistera, et c’est la « création de l’Équilibre ». Toutes ces créations, je les ai notées aussi quelque part, c’est écrit. Je ne sais plus leur ordre. Il y a six créations l’une après l’autre, créées selon ce mode spécial trouvé imparfait et ramenées à l’Origine, recréées et ramenées à l’Origine — comme cela six fois. Et c’est un ordre progressif. Quand on connaît cet ordre-là, on comprend le principe de chaque création. Eh bien, cette tradition disait que le principe de notre dernière création, maintenant, est le principe d’Équilibre, et que c’est le dernier. C’est-à-dire que le monde ne retournera plus au pralaya et ce sera un progrès perpétuel. Et c’est la création de l’Équilibre.

Par conséquent, maintenant, il n’y a plus du tout de bien et de mal : il y a ce qui est en équilibre et ce qui n’est pas en équilibre. Il y a déséquilibre et équilibre. Voilà. Et ce que j’ai dit là était basé là-dessus.

Les douze qualités, c’est encore autre chose. Ça aussi, c’est noté quelque part. Pour que le monde puisse persister, il faut qu’il réalise un équilibre parfait de tous ses éléments à l’aide de ces douze qualités, toutes présentes là. Et alors, ce sera un monde qui, tout en progressant indéfiniment, sera constamment en harmonie, et par conséquent ne sera pas ouvert à la destruction.

« Redire au monde, sous une forme nouvelle adaptée à l’état actuel de sa mentalité, la parole éternelle.

« Ce sera la synthèse de toutes les connaissances humaines. »

Tu dis ici « la parole éternelle » ?

J’emploie le mot parole au sens de vérité. Il y a une Vérité éternelle qui est éternellement vraie, mais qui s’exprime en des formes précises, et ces formes précises sont changeantes, fluctuantes, elles peuvent se déformer; et pour avoir la Vérité, il faut toujours remonter à l’Origine, qui est... on peut l’appeler la Parole éternelle, c’est-à-dire le Verbe créateur. C’est une Vérité qui est éternelle, qui se manifeste à travers tous les mots possibles et les idées possibles. J’emploie le mot Parole sous une forme littéraire — c’est ce qu’ailleurs on appelle le Verbe créateur. C’est l’origine de toute parole et de toute pensée.

Je n’ai pas compris « le but à atteindre ».

Le but à atteindre? Qu’est-ce que j’ai dit? C’est l’harmonisation de la terre, je crois, non?

« En ce qui concerne la terre, le moyen d’atteindre ce but est dans la réalisation de l’unité humaine par l’éveil en tous et la manifestation par tous de la Divinité inté rieure qui est une.

« En d’autres mots : créer l’unité en établissant le royaume de Dieu qui est en tous.

« Par suite, l’œuvre la plus utile à faire est :

« 1) Pour chacun individuellement la prise de cons cience en soi de la divine Présence et son identification avec elle. »

Oui, tu ne comprends pas? Je l’ai dit cinquante mille fois déjà, non!... Ah! tu as compris maintenant? (rires)

« 2) L’individualisation d’états d’être qui ne furent encore jamais conscients dans l’homme et, par suite, la mise en rapport de la terre avec une ou plusieurs sources de force universelle qui sont encore scellées pour elle. »

« L’individualisation d’états d’être qui ne furent encore jamais conscients dans l’homme », c’est-à-dire qu’il y a des états de conscience superposés, et il y a des régions nouvelles qui n’ont encore jamais été manifestées sur la terre, et que Sri Aurobindo a appelées supramentales. C’est cela, c’était la même idée. C’està-dire qu’il faut aller dans les profondeurs ou les hauteurs de la création qui n’ont jamais été manifestées sur la terre, et devenir conscient de cela, et le manifester sur la terre. Sri Aurobindo l’a appelé le Supramental. Moi, je dis simplement que ce sont des états d’être qui ne furent jamais encore conscients dans l’homme (c’est-à-dire que l’homme n’en a encore jamais été conscient). Il faut s’identifier à eux, puis les ramener dans la conscience extérieure, et les manifester dans l’action. Et alors, j’ajoute (justement ce que je prévoyais — je ne savais pas que Sri Aurobindo le ferait, mais enfin je prévoyais que cela devait être fait) :

« 3) Redire au monde, sous une forme nouvelle adaptée à l’état actuel de sa mentalité, la parole éternelle. »

C’est-à-dire la Vérité suprême, l’Harmonie. C’était tout le programme de ce que Sri Aurobindo a fait et la façon de faire le travail sur la terre, et j’avais prévu cela en 1912. J’ai rencontré Sri Aurobindo pour la première fois en 1914, c’est-à-dire deux ans après, et j’avais déjà fait tout le programme.

« 4) Collectivement, fonder la société idéale dans le lieu propice à l’éclosion de la nouvelle race, celle des “Fils de Dieu”. »

Où avais-tu décidé de fonder l’Ashram?

Où j’avais décidé de le faire?... Je n’avais rien décidé du tout! J’avais simplement dit qu’il fallait que ce soit fait. Je n’avais pas la moindre idée, excepté que j’avais un grand désir de venir en Inde. Mais enfin, je ne savais même pas si cela correspondait à quelque chose. Je n’avais rien décidé du tout. Simplement, j’avais vu cet état, ce qui devait être fait.

Puis les enfants reviennent aux dernières pages de l’Entretien du 4 août 1929 :

« Les notions morales ordinaires distinguent l’homme généreux de l’avare. Et dans une certaine société, l’avare est blâmé et méprisé, tandis que l’homme géné reux est estimé pour son absence d’égoïsme et son utilité sociale, et il est loué pour sa vertu. Mais du point de vue spirituel, tous deux se trouvent au même niveau ; la générosité de l’un et l’avarice de l’autre sont des défor mations d’une vérité plus haute, d’un plus grand pou voir divin. Il y a un pouvoir qui, dans son mouvement divin, répand, diffuse, projette librement les forces, les choses et tout ce qu’il possède sur tous les plans, depuis le plus matériel jusqu’au plus spirituel. Derrière l’homme généreux et sa générosité, se trouve une âme type qui exprime ce mouvement; elle est un pouvoir de diffusion, de large distribution. Il y a un autre pouvoir qui, dans son mouvement divin, collectionne, amasse, rassemble et accumule les forces, les choses et tout ce qui peut être possédé, depuis le plan le plus matériel jusqu’au plus haut. L’homme qui est accusé d’avarice avait été créé pour être un instrument de ce dernier mouvement. Les deux types sont importants; les deux sont nécessaires dans la réalisation d’ensemble; le mouvement qui attire et concentre n’est pas moins utile que celui qui répand et disperse. »

Qu’entends-tu par « âme type » ?

Quelle est la phrase?... (Mère regarde le texte) Ah! c’est l’esprit de l’espèce; de même que nous avons dit que derrière chaque espèce animale, il y avait l’esprit de l’espèce, derrière chaque espèce d’homme, il y a un esprit de l’espèce. C’est ce que j’appelle âme type. C’est un type d’âme qui peut être progressif, mais qui est indestructible.

L’âme type correspond, individuellement ou en groupe, au dharma des choses. Quelquefois on l’appelle aussi la vérité des choses, de chaque chose.

La générosité, est ce une déformation de la vérité?

Oui, toutes les qualités humaines sont des déformations d’une vérité qui est derrière. Tout ce que vous appelez qualités, ou défauts, sont toujours une déformation de quelque chose qui est derrière, et qui n’est ni ceci ni cela mais quelque chose d’autre. Mais je dis, d’ailleurs, ce qu’est la vérité qui se trouve derrière la générosité : c’est le mouvement des forces qui se répandent. Mais pour que les forces puissent se répandre, il faut qu’elles se concentrent. Alors il y a comme un mouvement de pulsation : les forces se concentrent, puis elles se répandent, et puis elles se concentrent, et puis elles se répandent... Mais si vous voulez répandre toujours sans jamais faire de concentration, au bout d’un certain moment vous n’avez rien à répandre. Pour les forces — toutes les forces — c’est la même chose. J’ai d’ailleurs écrit (ou plutôt j’écrirai dans quelque temps) que l’argent est une force, ce n’est rien d’autre que cela. Et c’est pourquoi personne n’a le droit de le posséder personnellement, parce que c’est seulement une force, au même degré que toutes les autres forces de la Nature et de l’univers. Si vous prenez la lumière comme une force, il ne viendra jamais à l’idée de personne de dire : « Je possède la lumière », et de vouloir l’enfermer dans sa chambre et ne pas la donner aux autres! Eh bien, avec l’argent on est tellement abruti que l’on s’imagine que c’est quelque chose que l’on peut posséder, et que l’on peut retenir comme si c’était à vous, et en faire quelque chose de personnel. C’est exactement la même chose. Je ne parle pas de l’argent en tant que papier, naturellement, parce que cela, c’est comme la lumière que vous avez mise dans une lampe, vous pouvez posséder la lampe, et alors vous dites : « C’est ma lumière. » L’argent, vos billets, vos pièces de monnaie, c’est votre argent. Mais cela, ce n’est pas l’argent. C’est la force qui est derrière cela, la puissance d’échange qu’est l’argent. Cela n’appartient à personne. Ça appartient à tout le monde. C’est une chose qui n’est vivante que si elle circule. Si vous voulez en faire un tas, ça pourrit. C’est comme si vous vouliez enfermer de l’eau dans un vase et la garder toujours : au bout d’un certain temps votre eau serait absolument pourrie. L’argent, c’est la même chose. Et les gens n’ont pas encore compris cela. Plus tard, je l’écrirai.

Ça ne tiendra pas toujours.

Quand on a de l’avarice pour les choses matérielles...

L’avarice pour toutes les choses — il y a une avarice pour les choses spirituelles aussi. Il y a des avares qui veulent garder toutes les forces pour eux et ne jamais les donner. Mais j’ai dit tout à l’heure la chose vraie : il faut avoir le pouvoir d’accumuler pour avoir le pouvoir de répandre. Si vous avez seulement l’un des deux, cela fait un déséquilibre. Et alors c’est là que cela devient de l’avarice et du gaspillage. Il faut avoir les deux dans un mouvement rythmique balancé — l’équilibre dont nous parlions tout à l’heure. Parce qu’il serait assez facile de prouver que, en effet, à l’heure actuelle, c’est l’équilibre qui est la vraie chose : ce que le Bouddha appelait le « chemin du milieu ». Le chemin du milieu, c’est le chemin de l’équilibre. Et alors, il faut savoir faire comme quand on marche sur la corde raide avec un bâton pour tenir en équilibre.

Mais le plus généreux du monde ne pourrait rien donner s’il n’avait pas eu d’abord. Par conséquent, si ce n’est pas lui qui a accumulé, c’est quelqu’un d’autre qui a accumulé pour lui. Mais s’il n’a rien dans sa poche, il ne peut pas distribuer quelque chose! C’est évident. Et le pouvoir d’accumulation est aussi important que le pouvoir de distribution. C’est seulement quand ces deux choses-là deviennent égoïstes qu’elles sont déformées, tout à fait déformées, et elles perdent toute leur valeur.

Voilà, mes enfants.

Le 18 novembre 1953

« Dans les réincarnations, ce n’est pas l’être extérieur, celui qui est formé par les parents, le milieu et les cir constances — le mental, le vital et le physique — qui se réincarne, c’est seulement l’être psychique qui passe de corps en corps. Donc, logiquement, ni l’être men tal ni l’être vital ne peuvent se rappeler les vies passées ou se reconnaître dans le caractère ou la manière de vivre de telle ou telle personne. Seul l’être psychique peut se souvenir et c’est quand on devient conscient de son être psychique que l’on peut en même temps avoir des impressions exactes au sujet de ses vies passées.

« D’ailleurs, il est beaucoup plus important pour nous de fixer notre attention sur ce que nous voulons devenir que sur ce que nous avons été. »

(Quelques Paroles, le 2 avril 1935)

Si ce n’est pas le mental, le vital et le physique qui se réincarnent, mais seulement l’être psychique, alors le progrès vital ou mental que l’on avait fait avant ne vaut rien dans une autre vie?

Ce n’est que dans la mesure où ces progrès ont rapproché ces parties du psychique, c’est-à-dire dans la mesure où le progrès consiste à mettre successivement toutes les parties de l’être sous l’influence psychique. Parce que tout ce qui est sous l’influence psychique et identifié au psychique persiste, et c’est seulement cela qui persiste. Mais si l’on fait du psychique le centre de sa vie et de sa conscience, et si l’on organise tout l’être autour, tout l’être passe sous l’influence du psychique, devient uni à lui, et peut persister — s’il est nécessaire que cela persiste. En fait, si l’on pouvait donner au corps physique le même mouvement — les mêmes mouvements de progrès et la même capacité d’ascension que dans l’être psychique —, le corps n’aurait pas besoin de se décomposer. Mais c’est cela, la difficulté.

Et c’est seulement ce qui est en contact avec le psychique qui dure, et c’est seulement ce qui peut durer qui peut se souvenir, parce que le reste disparaît, est remis en petits morceaux et utilisé ailleurs — comme le corps est remis en poussière et utilisé ailleurs. Cela refait de la terre, les plantes se servent de la terre, les hommes mangent les plantes. C’est comme cela que ça marche. Et puis, ça retourne à la terre, et ça recommence. C’est la manière dont la Nature progresse. Pour progresser, elle fait des tas de formes, puis, quand cela ne lui paraît plus important ni nécessaire, elle les démolit, elle reprend tous les éléments, chimiques ou autres, et elle reconstitue quelque chose d’autre, et puis ça change tout le temps, ça vient, ça va. Et elle trouve cela très bien parce qu’elle voit très loin, son travail s’étend sur des siècles, et une petite vie humaine, ce n’est rien, juste un souffle dans l’éternité. Alors elle prend, elle modèle; elle prend un certain temps, ça l’amuse, elle trouve cela très bien; et puis quand ce n’est plus si bien, elle démolit — elle prend, elle mélange tout, elle recommence une autre forme, elle fait une autre chose. Et alors, peut-être qu’avec ce procédé, qui est évidemment très long, finalement toute la matière progresse — c’est possible — toujours comme cela, se mélangeant, se démolissant, se remélangeant, se redémolissant. Au fond, c’est comme si l’on faisait un tas de petits objets et puis on les détruisait; que l’on refasse de la poudre, que l’on refasse d’autres jouets, et puis on les défait, on en refait d’autres. Chaque fois, on ajoute quelque chose pour que cela se mélange bien. Et puis, un jour, peut-être que cela produira quelque chose. En tout cas, elle n’est pas pressée. Et quand on est pressé, elle dit : « Pourquoi vous dépêcher? C’est sûr d’arriver un jour. Vous n’avez pas besoin de vous tourmenter, ça arrivera sûrement. Attendez tranquillement. » Alors on lui dit : « Mais ce n’est pas moi qui attends! » — « Ah! c’est parce que vous appelez “moi” cette chose qui vient et qui s’en va. Si vous appeliez la conscience — la conscience une et éternelle et divine —, si vous appeliez ça “moi”, alors vous verriez tout, vous assisteriez à tout. Personne ne vous empêche de le faire! C’est seulement parce que vous vous identifiez à ça (désignant le corps). Vous n’avez qu’à cesser de vous identifier à ça. »

« La justice est le déterminisme rigoureusement logique des mouvements de la nature universelle. Les mala dies sont ce déterminisme appliqué au corps matériel. L’esprit médical, se basant sur cette justice inéluctable, s’efforce de produire les conditions qui doivent amener logiquement la bonne santé.

« La morale agit de même dans le corps social, et la tapasyâ dans le domaine spirituel.

>« La Grâce divine seule a le pouvoir d’intervenir et de changer le cours de la justice universelle.

>« La grande œuvre de l’Avatâr est de venir manifester la Grâce divine sur la terre. Être le disciple de l’Avatâr, c’est devenir un instrument de la Grâce divine. La Mère est la grande dispensatrice — par identité — de la Grâce divine dans une parfaite connaissance — par identité — du mécanisme absolu de la justice universelle.

>« Et par son intermédiaire, chaque mouvement de sincère et confiante aspiration vers le Divin appelle en réponse l’intervention de la Grâce.

>« Qui peut se tenir devant toi, Seigneur, et dire en toute sincérité : “Je ne me suis jamais trompé”? Com bien de fois dans une journée nous faisons des fautes contre ton œuvre et toujours ta Grâce vient les effacer!

>« Sans l’intervention de ta Grâce, qui ne serait passé maintes fois sous le couperet inéluctable de la loi de jus tice universelle?

« Chacun représente ici une impossibilité à résoudre, mais comme pour ta divine Grâce tout est possible, ton œuvre ne sera-t-elle point, dans le détail comme dans l’ensemble, l’accomplissement de toutes les impossibilités transformées en divines réalisations... »

(Quelques Paroles, le 15 janvier 1933)

Que veut dire : « La justice est le déterminisme rigoureusement logique des mouvements de la Nature universelle... » ?

Tu connais la loi du déterminisme, non? Vous n’avez pas du tout fait de philosophie? (Se tournant vers un professeur) Pavitra, expliquez-leur ce qu’est le déterminisme. Tâchez d’être bref et clair.

(Pavitra) Je crois que le déterminisme est ceci : quand une chose se produit, elle a toujours le même effet.

Si c’est la même chose. À condition que ce soit identiquement la même chose. Est-ce qu’il y a deux choses identiques dans l’univers? Non.

(Nolini) La même cause produit le même effet.

Oui. La même cause produit le même effet. C’est le principe sur lequel se base la science. Mais moi, j’ai employé le mot ici d’une façon un peu plus générale et précise à la fois. Je veux dire que chaque chose (même, ou pas même) produit toujours un effet, et que cet effet produit un autre effet, et que cet autre effet produit encore un autre effet, et ainsi de suite — toujours, une cause produit un effet et chaque effet devient la cause d’un autre effet, et ainsi de suite indéfiniment. Et alors, la justice c’est que chaque chose, comme l’a dit Nolini... une même cause produit toujours un même effet, automatiquement. Et alors, on ne peut pas dire un mot, faire un mouvement, sans que ce soit la cause de quelque chose d’autre. Et ce quelque chose d’autre est la cause encore d’une autre chose. Et tout cela se suit d’une façon automatique et rigoureuse, et c’est la justice universelle.

Un acte que l’on fait a toujours une conséquence, et cette conséquence amène une autre conséquence, et ainsi de suite. Et c’est absolument inéluctable. C’est cela, la justice universelle. Vous avez une mauvaise pensée, elle a un résultat. Et ce résultat a encore un autre résultat. Et vous ne pouvez pas y échapper, excepté par l’intervention de la Grâce. La Grâce, c’est justement quelque chose qui a le pouvoir de changer tout cela. Mais ce n’est que la Grâce qui peut le changer. C’est une loi tellement rigoureuse et tellement terrible qu’une fois que l’on est entré là-dedans, on ne peut pas en sortir. Et de la minute où l’on est sur la terre, on entre là-dedans. Toute l’existence terrestre est comme cela, construite comme cela. Et chaque chose que l’on fait, chaque chose que l’on dit, chaque chose que l’on pense, chaque chose que l’on sent, a une conséquence. Et cette conséquence amène une autre conséquence, et ainsi de suite. Alors, si l’on veut se placer à un point de vue plus pratique, on peut prendre des exemples et dire : « Si vous faites ceci, ça produira automatiquement cela. » Par exemple, dans les sociétés organisées par l’homme, si vous commettez un crime, vous serez puni pour votre crime. Dans votre conscience à vous, si vous faites une faute, vous souffrez pour la faute que vous avez faite. Et dans la loi telle que l’homme l’a faite, il est toujours dit que d’ignorer la loi n’est pas une excuse. Si vous ignorez la loi, vous êtes puni. Si vous faites une faute sans savoir que c’est une faute, cela ne vous protège pas, vous êtes puni. Eh bien, dans la Nature c’est la même chose. Si vous prenez un poison sans savoir que c’est un poison, cela vous empoisonnera tout de même. Vous comprenez?... Excepté si la Grâce intervient. Et comme la Grâce est toute-puissante, elle peut tout changer. C’est ce que j’ai expliqué. Mais sans la Grâce, il n’y a pas d’espoir. Parce que justement l’ignorance est le fait constant de l’humanité.

J’étais en train de penser aujourd’hui combien il a dû y avoir d’expériences lamentables, épouvantables, avant que l’homme sache se servir des choses de la Nature. Il se peut qu’il y ait eu, justement, une Grâce qui lui ait fait trouver les choses instinctivement; mais s’il devait apprendre sa leçon... J’ai pensé à cela parce qu’il y a un certain nombre de fruits sur les arbres : il y a des fruits qui sont bons, et puis il y en a qui sont empoisonnés — ce n’est pas écrit sur l’arbre! Maintenant, il y a toujours quelqu’un pour vous dire : « Non, ne mangez pas ça, cela vous empoisonnera. » Mais s’il n’y avait personne pour vous le dire, comment le sauriez-vous? En le mangeant, et en vous empoisonnant. Et alors ce serait un autre qui aurait le bienfait de votre expérience.

Je pensais à cela parce que certains fruits, quand ils sont mûrs, sont excellents; ils ont un pouvoir très nourrissant, ils sont extrêmement utiles. Mais s’ils ne sont pas mûrs, ils vous empoisonnent. Et c’est le même fruit. Prenez, par exemple, l’avocat (butterfruit, je crois), prenez le butterfruit, si vous mangez un butterfruit pas mûr (vous ne le mangerez pas parce que c’est très mauvais), mais si vous mangez un butterfruit pas mûr, cela vous empoisonne radicalement. Tandis que dès qu’il est mûr, il est excellent. Et alors, dans certains pays comme le sud de l’Amérique et certaines parties de l’Afrique, ce sont des arbres qui poussent aussi haut que les plus grands manguiers. Et tous les fruits pendent comme cela. Quelqu’un qui vient sans connaître l’arbre, qui ne sait rien, qui n’a personne pour le mettre en garde, le prend, le coupe, le mange, et il meurt. Puis un autre arrive un mois après, tous les fruits sont mûrs; il en prend, il en mange, il se trouve tout à fait nourri — c’est excellent, c’est admirable. Alors on lui dit : « Ah! mais comment, vous avez mangé de ce fruit-là, et l’autre est mort... » Alors combien d’expériences faut-il pour apprendre que c’est parce que l’un ne l’a pas mangé mûr, et que l’autre l’a mangé mûr. Et quand ce n’est pas mûr, c’est mauvais, et quand c’est mûr, c’est bon.

Et nous bénéficions de toutes les expériences de ceux qui étaient sur la terre avant nous. Mais s’il nous fallait arriver dans un pays dont nous ne sachions rien, et qu’il nous faille apprendre tout cela par nous-mêmes, nous aurions de très déplaisantes expériences. Il y a d’autres fruits comme cela, ce n’est pas le seul, il y en a beaucoup. Par exemple, la figue — la figue qui n’est pas mûre, si vous touchez à ce jus blanc qui sort de la figue, mais c’est effroyable, vous avez des boutons plein la bouche et vous êtes tout à fait malade, et vous avez des boutons aussi dans l’estomac. Mais quand la figue est mûre et que l’on fait attention de ne pas toucher à ce jus blanc, c’est une nourriture parfaite. Je pourrais vous citer un grand nombre de choses comme cela. Mais maintenant nous le savons, parce qu’on nous l’a dit. Ceux qui nous l’ont dit l’ont appris des autres. Mais le premier de tous qui a fait l’expérience, qui a appris tout cela, toutes les choses de la Nature?... Il y en a beaucoup, il y a des choses innombrables dans la Nature. Tenez, prenez la Nature végétale, nous ne savons pas encore tout maintenant. Par exemple, certains vous disent : « Il y a toujours le remède à côté du mal dans la Nature; la Nature a fait comme cela. » Je ne sais pas si c’est rigoureux, mais en tout cas, d’une façon, cela joue, c’est vrai. On dit, par exemple, que si un serpent a un nid quelque part, vous pouvez être sûr de trouver à côté une plante qui vous guérira s’il vous mord. Mais quelle plante? Il y en a beaucoup, et qui vous apprendra ? Il y a des gens qui vont sur les montagnes au clair de lune, et ils vous ramassent des herbes qui guérissent des maladies considérées comme inguérissables. Comment ont-ils appris cela ? Qui a fait l’expérience?

Et les champignons...

Ah! oui, c’est la même chose. Vous avez à côté, tout à côté, un champignon qui est une excellente nourriture et un champignon qui vous enverra dans l’autre monde immédiatement. On bénéficie d’une connaissance accumulée. Et je dois dire que beaucoup de cette connaissance doit être perdue, parce que beaucoup de gens ont découvert des choses comme cela et ne l’ont jamais noté; et encore nous-mêmes, nous pouvons faire des découvertes, nous ne prenons pas toujours le soin de les noter et de les rendre accessibles à d’autres. Et la Nature est un champ d’étude et de découverte presque infini.

(Pavitra) Ceux qui ont découvert les explosifs, combien se sont tués et combien ont eu des accidents...

Ça, c’est l’homme, c’est sa propre faute. S’il n’avait pas touché à cela, ce ne lui serait pas arrivé.

Souvent, il a pu y toucher par accident, sans le savoir, sans le faire exprès.

Mais c’est toujours un explosif. C’est toujours la faute d’un autre homme, non?

Ceux qui ont étudié la chimie et qui sont tombés sur des explosifs.

S’ils ne savaient pas ce que c’était, oui. Par exemple, vous prenez du chlorate de potasse innocent, blanc, joli, cristallisé, charmant. Mais alors vous prenez un marteau et vous commencez à taper dessus à tour de bras, et tout à coup cela fait explosion. Oui, c’est comme cela.

Mais le nombre de plantes, personne n’a jamais su et ne saura probablement jamais le nombre de plantes différentes qu’il y a sur la terre. Mais quand on fait un relevé du nombre de plantes que les hommes connaissent et utilisent, c’est ridiculement peu. Je crois, quand j’étais au Japon, les Japonais me disaient que les Européens ne mangent que trois cent cinquante espèces de plantes différentes, tandis qu’eux en utilisent plus de six cents. Cela fait une différence considérable. Ils disaient : « Oh! ce que vous gaspillez votre nourriture! La Nature produit infiniment plus de choses que vous ne savez; vous gaspillez tout cela. » Avez-vous jamais mangé (pas ici, mais en Europe) des bourgeons de bambou?... Vous avez mangé des bourgeons de bambou? Vous avez mangé des bourgeons de palmier? De cocotier? Ça, sûrement, on fait une salade merveilleuse avec les bourgeons de cocotier. Seulement, cela tue l’arbre. Pour une salade, on tue un arbre. Mais quand il y a, par exemple, un cyclone qui vous jette par terre des centaines de cocotier, la seule façon d’utiliser la catastrophe, c’est de manger tous les bourgeons, et de vous faire un plat magnifique. Vous n’avez jamais mangé de bourgeons de cocotier? Moi, cela ne m’a pas étonnée parce que j’avais mangé des bourgeons de bambou avant qu’ils sortent de la terre (quelque chose comme les asperges, c’est un plat tout à fait classique au Japon). Et leurs bambous sont beaucoup plus tendres que les bambous d’ici. Leurs bambous sont très tendres et leurs bourgeons sont merveilleux.

Enfin, c’est comme cela. Il paraît qu’en Europe on ne sait utiliser que trois cent cinquante espèces différentes de végétaux, du règne végétal, tandis qu’au Japon ils en utilisent six cents, et plus. Mais peut-être que si les gens savaient, ils pourraient ne pas mourir de faim, en tout cas pas ceux qui vivent à la campagne. Voilà.

En tout cas, c’est comme cela. Nous ne savons pas comment ce serait si c’était seulement la justice qui régnait sur le monde. Mais je crois que ce ne serait pas gai! Parce que, comme je l’ai dit, il n’y en a pas un seul qui puisse se tenir devant le Seigneur et lui dire : « Je ne me suis jamais trompé. » Et quand je dis trompé, l’ignorance n’est pas une excuse; parce que, que vous touchiez le feu par ignorance ou que vous le touchiez en le sachant, la différence est plutôt en faveur de la bêtise de toucher le feu quand on le sait, parce qu’on peut prendre des précautions. Tandis que quand on touche le feu par ignorance, sans savoir, on se brûle à fond. Et alors, on ne peut pas dire à la Nature : « Oh! je ne dois pas être brûlé, puisque je ne savais pas que ça brûlait. » Ça brûle, personne ne vous écoutera !

Est ce que l’intervention de la Grâce se fait par un appel?...

Quand on appelle? Je pense que oui. En tout cas, pas exclusivement ni uniquement. Mais certainement, oui, si l’on a la foi en la Grâce et qu’on ait une aspiration et que l’on fasse comme un petit enfant qui court vers sa mère et qui dit : « Maman, donne-moi ça », qu’on appelle avec cette simplicité-là, qu’on se tourne vers la Grâce et que l’on dise : « Donne-moi ça », je crois qu’elle écoute. Excepté si on lui demande une chose qui n’est pas bonne pour nous, alors elle n’écoute pas. Si on lui demande une chose qui fait du mal ou qui n’est pas favorable, elle n’écoute pas.

Quelle est la cause de cet effet? de l’appel?

Peut-être était-on destiné à appeler. C’est-à-dire : est-ce la poule qui a pondu l’œuf ou l’œuf qui a pondu la poule!? Je ne sais pas si c’est la Grâce qui vous fait appeler la Grâce, ou si c’est parce que la Grâce est appelée que la Grâce vient. C’est difficile à dire.

Au fond, il est bien possible que ce qui manque le plus, ce soit la foi. Il y a toujours un petit coin de pensée qui doute et qui discute. Alors ça gâte tout. Ce n’est justement que quand on est dans une situation absolument critique, quand la pensée s’est rendu compte qu’elle ne peut rien, absolument rien, qu’elle est là, absolument stupide et incapable, alors, à ce momentlà, si l’on aspire à une aide supérieure, l’aspiration a justement cette espèce d’intensité qui vient du désespoir, et ça a de l’effet. Mais si votre pensée continue à discuter, si elle dit : « Oui, oui, j’ai aspiré, j’ai prié, mais Dieu sait si c’est le moment, et si ça va arriver, et si c’est possible », eh bien, c’est fini, ça ne marche pas. C’est l’une des choses les plus courantes. On dit aux gens : « Si vous voulez avancer dans le yoga, il ne faut pas avoir de désirs. » On va même un peu plus loin, on dit : « Il ne faut pas avoir de besoins. » On va encore un peu plus loin, on dit : « Ne demandez jamais rien au Divin. » Eh bien, je ne sais pas, plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, la réaction des gens est : « Ah! et si je ne demande pas, alors je n’aurai pas ce dont j’ai besoin. » Ils ne voient pas qu’ils coupent à la racine même tout le mouvement! Ils n’ont pas la foi. « J’ai besoin de ça... »

Je ne discute même pas la notion de besoin parce qu’elle est tout à fait arbitraire. Je connaissais un peintre hollandais — qui était venu ici d’ailleurs et qui a fait le portrait de Sri Aurobindo (il paraît que ce portrait existe encore). Ce peintre hollandais faisait un yoga. Et alors, un jour, il m’a dit comme cela : « Oh! moi, je crois que je peux me passer de tout. Vraiment je crois qu’on peut réduire les besoins à un minimum. Mais tout de même, il me faut une brosse à dents. » Je n’avais pas encore vécu en Inde à ce moment-là, autrement je lui aurais dit : « Il y a des millions de gens qui n’ont jamais eu une brosse à dents et qui ont leurs dents tout à fait propres. Ce n’est pas le seul moyen de garder ses dents propres. » Mais à ce momentlà, il était convaincu que l’on pouvait se passer de tout, sauf de garder une bouche propre. Et pour lui, garder une bouche propre, ça consistait à avoir une brosse à dents. Cela donne une image très exacte de ce qui se passe chez les gens. Ils s’accrochent à quelque chose et ils pensent que c’est un besoin. Et c’est sûrement une ignorance totale, parce qu’il existe peut-être une nécessité comme d’avoir la bouche propre (cela paraît en tout cas une chose assez nécessaire), mais cette association de la brosse à dents et de la nécessité d’avoir la bouche propre est tout à fait arbitraire. Parce qu’il n’y a pas si longtemps que l’on a découvert les brosses à dents.

Il y avait aussi une autre personne qui me disait : « Oh! je peux absolument me passer de tout » — on parlait de faire un voyage à pied sur les routes avec un minimum de bagages sur le dos (quand vous êtes forcé de porter cela pendant des kilomètres, quarante ou cinquante kilomètres par jour, vous tâchez de réduire le poids de votre sac autant que vous pouvez), alors on discutait de ce qu’il fallait mettre d’indispensable dans le sac. Lui, a dit sa brosse à dents. Un autre m’a dit que c’était un morceau de savon (généralement cela tourne autour de petites choses très simples comme cela). Mais ici, combien y a-t-il de gens qui ne se sont jamais servis de savon, et ça ne les empêche pas d’être propres! Il y a d’autres manières d’être propre. C’est comme cela, on est fixé dans de toutes petites idées, et on croit que ce sont des besoins indispensables. Et puis, si l’on voyage un peu autour du monde, on s’aperçoit que ce qui, pour vous, est un besoin, pour les autres est quelque chose qu’ils ne connaissent même pas, qu’ils n’ont jamais vu de leur vie, qui n’existe pas et qui n’a aucune espèce d’importance. Par conséquent, ce n’est pas indispensable. C’est seulement le résultat d’une éducation et d’une vie dans un milieu. Et ces choses-là sont tout à fait relatives, et non seulement relatives mais fugitives.

Voilà.

Le 25 novembre 1953

Tu as dit : « La Grâce divine ne peut agir pour nous et nous aider qu’en proportion de notre confiance en elle. »

(Quelques Paroles)

Si quelqu’un n’a pas confiance en le Divin, mais appelle très sincèrement quand il est en difficulté, en danger, qu’est ce qui lui arrive?

Comment peut-il appeler? Les deux choses sont contradictoires. S’il n’a pas confiance, il ne pensera même pas au Divin! Il ne pensera pas à appeler. C’est contradictoire. Il ne pense à appeler justement qu’en proportion de sa confiance... Alors?

Tu as dit ici : « Sourire à un ennemi, c’est le désarmer. » Sourire veut dire quoi? On ne doit pas sourire à un ennemi!

On ne doit pas!... Ce que j’ai dit ici, c’est une expérience. C’est la notation d’une expérience que j’ai exprimée d’une façon générale. Mais si, à un moment donné, quelqu’un arrive avec les plus noires intentions, si on lui sourit, il est complètement désarmé, il ne peut plus rien faire. Mais il faut sourire sincèrement. Il ne faut pas faire une grimace et croire que... (rires) Je prends « sourire » dans un sens un peu complet. C’est-à-dire que si l’on peut être assez maître de soi et au-dessus des choses, dans une conscience qui est très supérieure et qui peut regarder d’en haut, même ce qui paraît le plus terrible et le plus dramatique à la conscience humaine vous fait sourire comme un enfantillage. Et alors, si l’on est dans cette conscience où l’on peut sourire de tout (parce qu’on comprend les causes de tout, et on voit aussi les forces travailler en toutes choses), si l’on peut avoir cette conscience et puis sourire à ce qui se passe, immédiatement les choses changent de nature. Seulement ce n’est pas un petit sourire extérieur et mondain : il faut que l’être psychique sourie.

Est ce que le Divin n’aide pas si on ne L’appelle pas?

Ce n’est pas tout à fait comme cela... La Conscience divine travaille toujours, partout, et de la même manière. La Grâce divine est active partout, et en toutes circonstances de la même manière. Et ainsi de suite. Mais, selon votre attitude personnelle, vous produisez au-dedans de vous les conditions pour recevoir ce qui se fait, ou pour ne pas le recevoir. Et la confiance — justement la confiance en la Vérité, la confiance en la Grâce, la confiance en la Connaissance divine —, cela vous met dans un état de réceptivité tel que vous pouvez recevoir ces choses. Tandis que si vous n’avez pas confiance... Vous pouvez tout de même essayer de recevoir quelque chose — il y a des gens, par exemple, qui font une sorte de défi, ils lancent un défi au Divin, ils lui disent : « Voilà la situation telle qu’elle est, je suis dans ces conditions qui me paraissent, à moi, inextricables, il est impossible de s’en sortir. Mais si le Divin me tire d’embarras, j’aurai confiance en Lui. » Il y a beaucoup de gens (ils ne le formulent pas comme cela), mais beaucoup le sentent et le pensent comme cela. Eh bien, c’est la pire des conditions possibles. Généralement cela vous met dans un trou complet. Et c’est justement le phénomène le plus opposé à la confiance. Et par-dessus le marché c’est un marchandage tout à fait vulgaire : « Si tu fais ça pour moi, j’aurai confiance que tu existes. Je vais essayer pour voir si vraiment tu existes et si tu es ce que l’on dit. Fais ça, et puis nous allons bien voir si tu réussis. Alors j’aurai confiance en toi. » Et beaucoup de gens font cela, même sans s’en apercevoir. Quantité de gens disent : « Comment puis-je avoir confiance en le Divin? J’ai une vie si lamentable et malheureuse! » C’est-à-dire qu’ils limitent la Conscience divine à leurs petits besoins personnels.

Si on a confiance, l’aide vient automatiquement?

Il suffit même d’un atome de sincérité, et ça vient. Et si, vraiment, si l’on appelle très sincèrement (pas appeler et en même temps dire : « On va bien voir si ça va réussir » — ça naturellement, ce n’est pas une très bonne condition), mais si l’on appelle très sincèrement et que sincèrement on ait besoin de la réponse, on attend et ça vient toujours. Et si l’on peut faire taire son mental et être un peu calme, alors on perçoit même l’arrivée de l’aide et quelle forme elle prend.

D’où viennent les dieux ?

Ce qui veut dire? « D’où vient » veut dire quoi? Quelle est leur origine? Qui les a formés?... Mais tout, tout vient de l’Origine unique, du Suprême : les dieux aussi.

Il y a une très vieille tradition qui raconte cela. Je vais vous la dire comme on la raconte aux enfants, comme cela vous comprendrez :

Un jour, « Dieu » décida de s’extérioriser, de s’objectiver, pour avoir la joie de se connaître en détail. Alors il émana d’abord sa Conscience (c’est-à-dire qu’il manifesta sa Conscience) en donnant l’ordre à cette Conscience de réaliser un univers. Cette Conscience a commencé par émaner quatre êtres, quatre individualités qui étaient des êtres vraiment tout à fait supérieurs, de la plus haute Réalité. C’étaient l’être de la Conscience, l’être de l’Amour (de l’Ânanda plutôt), l’être de la Vie, et l’être de la Lumière et de la Connaissance — mais la Conscience et la Lumière, c’est la même chose. Voilà : la Conscience, l’Amour et l’Ânanda, la Vie, et la Vérité — la Vérité, voilà le terme exact. Et naturellement, c’étaient des êtres suprêmement puissants, vous pensez. C’étaient ce que l’on appelle dans cette tradition les premiers émanés, c’est-à-dire les premières formations. Et chacun est devenu très conscient de sa qualité, de son pouvoir, de sa capacité, de sa possibilité, et, tout d’un coup, a oublié à sa manière qu’il n’était qu’une émanation et une incarnation du Suprême. Et alors il s’est produit ceci : quand la Lumière ou Conscience s’est séparée de la Conscience divine, c’est-àdire qu’elle a commencé à penser qu’elle était la Conscience divine et qu’il n’y avait rien d’autre qu’elle-même, elle est tout d’un coup devenue obscurité et inconscience. Et quand la Vie a pensé que toute la vie était en elle-même et qu’il n’y avait rien d’autre que sa vie et qu’elle ne dépendait pas du tout du Suprême, alors sa vie est devenue la mort. Et quand la Vérité a pensé qu’elle contenait toute la vérité, et qu’il n’y avait pas d’autre vérité qu’elle-même, cette Vérité est devenue le mensonge. Et quand l’Amour ou l’Ânanda a été convaincu qu’il était l’Ânanda suprême et qu’il n’y avait rien d’autre que lui et sa félicité, il est devenu la souffrance. Et voilà comment le monde, qui devait être si beau, est devenu si laid. Alors cette Conscience (si vous voulez l’appeler la Mère divine, la suprême Conscience), quand elle a vu cela, elle était très ennuyée, n’est-ce pas, elle s’est dit : « Ce n’est vraiment pas réussi! » Alors elle s’est retournée vers le Divin, vers Dieu, le Suprême, et elle Lui a demandé de venir à son secours. Elle Lui a dit : « Voilà ce qui est arrivé. Maintenant qu’est-ce qu’il faut faire? » Il a dit : « Recommence, mais arrange-toi pour que ce ne soient pas des êtres si indépendants! Il faut qu’ils restent en contact avec toi et, à travers toi, avec moi. » Et ainsi elle a créé les dieux, qui étaient bien dociles, qui n’étaient pas si orgueilleux, et qui ont commencé à faire la création du monde. Mais comme les autres étaient venus avant, à chaque pas les dieux rencontraient les autres. Et c’est ainsi que le monde s’est changé en un lieu de bataille, de guerre, de lutte, de souffrance, d’obscurité et de tout le reste, et que pour faire chaque nouvelle création, il fallait que les dieux se battent avec les autres, qui étaient partis en avant : ils les avaient devancés, ils s’étaient précipités dans la matière; et ils ont fait tout ce désordre, et il fallait que les dieux réparent tout le désordre. Voilà d’où viennent les dieux. Ce sont les seconds émanés.

Mère, les quatre premiers qui ont changé, était-ce par hasard ou par une volonté?

Non. Qu’est-ce que le hasard?

On raconte aussi — c’est la suite de l’histoire, ou plutôt le commencement — que le Divin voulait que sa création soit une création libre. Il voulait que tout ce qui sort de Lui soit absolument indépendant et libre pour pouvoir se joindre à Lui dans la liberté, pas dans la contrainte. Il ne voulait pas qu’ils soient obligés d’être fidèles, obligés d’être conscients, obligés d’être obéissants. Il fallait qu’ils le fassent spontanément, par la connaissance et la conviction que c’était beaucoup mieux. Alors ce monde a été créé comme un monde de liberté totale, de liberté de choix. Et c’est comme cela qu’à chaque minute, chacun a la liberté de choix — mais avec toutes les conséquences. Si l’on choisit bien, c’est bon, mais si l’on choisit mal, eh bien, il arrive ce qui arrive — c’est ce qui est arrivé!

On peut comprendre l’histoire d’une façon beaucoup plus occulte et spirituelle. Mais c’est comme toutes les histoires de l’univers, si on veut les raconter pour que les gens les comprennent, cela devient des histoires pour les enfants. Mais si l’on sait voir la vérité derrière les symboles, on comprend tout. Même avec ce que je vous ai dit, qui a l’air d’une petite histoire pour les enfants, même comme cela, si vous comprenez ce que je vous ai dit et le sens de ce que je vous ai dit, vous pouvez avoir le secret des choses.

Il y a des traditions qui disent que c’est un « accident », dans le sens que ça aurait pu être autrement. Mais c’est arrivé comme cela. C’est vrai, c’est arrivé comme cela. Seulement, il était très compréhensible que chacun de ces éléments ayant son origine dans le Suprême, étant tout proche de l’émanation à ce momentlà, tout proche de l’Origine, portait en lui-même la conscience de sa divinité et de sa supériorité, forcément, puisque ce n’est pas une création faite avec quelque chose d’étranger au Divin : c’est simplement le Divin qui s’est émané Lui-même, comme s’Il se regardait — Il s’objective pour prendre conscience de tout ce qu’Il est —, au lieu d’être dans un état statique intérieur de concentration où tout est non manifesté, Il projette cela en dehors de Lui « pour voir », comme s’Il voulait voir tout ce qui est au-dedans de Lui, c’est-à-dire l’infini des possibilités. Alors tout était possible. C’est arrivé comme cela — ça aurait pu arriver autrement. D’ailleurs, rien ne vous dit qu’à côté de notre univers tel qu’il est, il n’en existe pas d’autres qui sont tellement différents qu’il ne peut y avoir aucune relation d’un univers à l’autre. Il se peut très bien que notre univers ne soit pas l’unique extériorisation du Divin. Le nôtre est tel que nous le connaissons; il peut y en avoir d’autres qui soient dans un état beaucoup moins lamentable que celui-ci! D’ailleurs, il n’est lamentable que par son apparence. Si l’on va derrière l’apparence, on s’aperçoit qu’il n’est pas lamentable du tout. C’est seulement une façon de voir.

« Chaque fois que nous faisons un pas décisif dans le pro grès spirituel, les ennemis invisibles du Divin essayent toujours d’avoir leur revanche, et quand ils ne peuvent pas faire du mal à l’âme, ils frappent le corps. Mais tous leurs efforts sont en vain et seront finalement vaincus, car la Grâce divine est avec nous. »

Quels sont ces « ennemis invisibles du Divin » ?

Ce sont justement ces quatre personnages, qui naturellement ont fait d’innombrables émanations, lesquelles ont fait d’autres émanations, qui ont fait des formations. Et alors ils sont des millions, des millions, des millions, et ce sont ceux-là entre eux qui ont pris certaine habitude et qui ont la logique de la conserver et ils continuent à ne pas vouloir que ce soit une autre règle que la leur qui gouverne. C’est ce qu’on appelle en Inde les asuras, les êtres d’obscurité. C’est par logique qu’ils sont comme cela. Ils ont commencé à aller de travers, ils continuent. Maintenant, je dois dire qu’il y en a qui changent d’avis. Mais on parle de cela dans la Gîtâ aussi; je crois que l’on parle de ceux qui se convertiront et puis de ceux qui refusent absolument la conversion, qui préfèrent disparaître, être détruits que de se convertir. Et c’est comme cela. Les uns sont d’une façon, les autres de l’autre.

Quels sont « les autres » qui se sont convertis?

Tiens! tu sais cela ? Tu as bonne mémoire. Il y en a un qui s’est converti, et qui même collabore, c’est celui de la Conscience et de la Lumière.

S’il est converti, la difficulté doit partir d’elle-même.

Naturellement, et sa puissance reste. Cela devient un être formidable.

Tu as dit que la Conscience s’était changée en incons cience. Mais quand la conscience se convertit, l’incons cience doit partir?

Il redevient la Conscience et la Lumière — il redevient ce qu’il était.

Il ne l’est pas redevenu ?

Mais je viens de dire à la minute que quand il est devenu l’inconscience ou l’obscurité, il a fait d’innombrables formations — des émanations, des formations, des créations. Et sa conversion n’implique pas que tout le reste suive. Ils obéissent à cette même loi de liberté, liberté de choix. Ils peuvent se convertir ou non. Il y en a qui se convertissent, il y en a qui refusent. Et je crois que, en effet, il y en a beaucoup plus qui refusent.

Mais celui qui fait le plus de dommage, c’est le « Seigneur du Mensonge ». Ça, c’est vraiment celui qui est l’obstacle le plus grand dans l’univers : cette constante négation de la Vérité. Et il a une très forte prise sur le monde terrestre, sur le monde matériel. D’ailleurs ici (sur la terre), ceux qui le voient, le voient comme un être absolument merveilleux, splendide. Il s’intitule le « Seigneur des Nations », et il apparaît formidable, lumineux, puissant, très impressionnant... Historiquement, il a été l’inspirateur de certains chefs d’État, et il se déclare le Seigneur des Nations parce que c’est lui qui gouverne les peuples. Il est évidemment, à l’origine, l’organisateur suprême de ces deux dernières guerres. C’est à cette occasion qu’il s’est manifesté comme Seigneur des Nations. Et il a déclaré, d’ailleurs, qu’il ne se convertirait jamais. Et il sait qu’il aura une fin — naturellement il essayera que ce soit le plus tard possible. Et il a déclaré qu’il détruirait tout ce qu’il pouvait avant d’être détruit... On peut s’attendre à toutes les catastrophes.

En février, tu as donné un message disant qu’une nou velle lumière poindra sur la terre 43 , et juste après cela (le 5 mars 1953), Staline est mort. Est ce que cela indique quelque chose?

Ce serait vraiment un petit résultat! La mort de Staline (malheureusement pas plus que la mort de Hitler) n’a pas changé l’état actuel du monde. Il faudrait quelque chose de plus que cela. Parce que cela, c’est comme l’assassin que l’on guillotine : au moment où on lui coupe la tête, son esprit demeure et est projeté hors de lui. C’est une formation vitale et elle va se réfugier dans l’un des spectateurs bénévoles, qui tout d’un coup se sent un instinct de criminel. Il y a beaucoup de gens comme cela, surtout de très jeunes criminels que l’on a questionnés et qui l’ont dit. La réponse fréquente est : « Ça m’a saisi quand j’ai vu guillotiner telle personne. »

Alors, cela ne sert à rien, la mort de l’un ou de l’autre. Cela ne sert pas à grand-chose — ça s’en va ailleurs. Ce n’est qu’une forme. C’est comme si tu faisais quelque chose de très mal avec une certaine chemise et que tu jettes ta chemise et que tu dises : « Maintenant, je ne ferai plus de mal. » Tu continues avec une autre chemise!

Si la Vie s’est convertie en mort, pourquoi ne meurt-elle pas elle-même?

Parce qu’il se garde bien! C’est très juste ce que tu dis, mais il se garde bien de s’incarner sur la terre. Et dans le monde vital il n’y a pas de mort, cela n’existe pas. C’est dans le monde matériel que cela existe, et il prend très grand soin de ne pas s’incarner.

Est ce que Staline était prédestiné à être ce qu’il était?

Staline? Je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit un être humain... en ce sens que je ne pense pas qu’il avait d’être psychique. Ou il en avait peut-être un (dans toute matière, dans tout atome il y a un centre divin), mais je veux dire un être psychique conscient, formé, individualisé. Je ne le pense pas. Je crois que c’était une incarnation directe d’un être du monde vital. Et c’était cela, la grande différence entre lui et Hitler. Hitler était un homme simplement, et en tant qu’homme, c’était une tête très faible, très sentimentale — il avait une conscience comme celle d’un petit artisan (certains ont dit : un petit cordonnier), enfin un petit artisan, ou un petit maître d’école, quelque chose comme cela, une toute petite conscience, et extrêmement sentimental, ce qu’on appelle en français « fleur bleue », très faible.

Mais c’était un possédé. Il avait le caractère plutôt médiocre — il était très médiocre. C’était un médium, il était très bon médium — ça l’a pris d’ailleurs au cours de séances de spiritisme : c’est à ce moment-là qu’il a été pris de ces crises qu’on appelait épileptiques. Ce n’était pas épileptique : c’était des crises de possession. C’est comme cela qu’il avait cette espèce de pouvoir, qui d’ailleurs n’était pas très grand. Mais quand il voulait savoir quelque chose de cette puissance, il s’en allait dans son château, là, en « méditation », et là vraiment il faisait un appel très intense à ce qu’il appelait son « dieu », son dieu suprême, qui était le Seigneur des Nations. Et tout lui apparaissait magnifique. C’était un être... il était petit — il lui apparaissait tout cuirassé d’argent, avec un casque d’argent et une aigrette d’or! Il était « magnifique »! Et une lumière tellement éblouissante qu’à peine les yeux pouvaient le regarder et supporter l’éclat. Naturellement il n’apparaissait pas physiquement — Hitler était un médium, il voyait. Il avait une certaine clairvoyance. Et c’était dans ces cas-là qu’il avait ses crises : il se roulait par terre, il bavait, mordait les tapis, c’était effroyable, l’état dans lequel il était. Les gens qui l’entouraient le connaissaient. Eh bien, celui-là est le « Seigneur des Nations ». Et ce n’est même pas le Seigneur des Nations dans son origine, c’est une émanation du Seigneur des Nations, et une émanation très puissante.

S’il choisit de disparaître, ce serait une perte de force pour le Divin?

Quoi? Qu’est-ce que tu racontes! Disparaître où? Qu’est-ce que tu appelles disparaître? Disparaître où? Tu connais l’histoire du Râmâyana. Qu’est-ce que Râvana a choisi? Tu connais cela ? Eh bien, c’est ce qui s’appelle choisir de disparaître : c’està-dire qu’il n’a plus d’individualité.

On ne dit pas ce qui est arrivé à Râvana après sa mort.

On ne dit pas cela ? À moi, on me l’a dit. On dit que Râvana a choisi de disparaître dans le Suprême, et qu’il s’est complètement dissous en lui, c’est-à-dire qu’il a perdu son individualité, qu’il n’était plus un être séparé, qu’il est retourné à l’Origine — il s’est dissous dans le Suprême. Et que même avant de le faire, il avait choisi ce rôle-là, son rôle d’hostile, parce que le chemin est beaucoup plus court que pour ceux qui sont des dévots et qui obéissent. On va beaucoup plus vite, parce que, un jour, le Divin décide que ça suffit, et justement Il les détruit. Il ne peut pas sortir du Divin puisque tout est divin! Il peut perdre son individualité, c’est-à-dire se fondre, se dissoudre dans le Suprême.

D’ailleurs rien ne disparaît, c’est la forme qui disparaît, mais les éléments constitutifs continuent. Tout est éternel puisque tout est le Divin, et rien ne peut sortir du Divin puisque tout est divin. Mais les formes disparaissent. Et c’est par cette identification avec la forme que l’on a l’impression de la mort; mais les éléments constitutifs sont éternels parce que tout est éternel. C’est la forme qui disparaît.

Alors, certains de ces êtres-là préfèrent justement être complètement dissous et disparaître totalement comme cela, dans l’infini, l’unité (c’est-à-dire qu’ils perdent leur conscience personnelle, ils n’ont plus de conscience personnelle, ils n’existent plus en tant que consciences personnelles), ils préfèrent cela plutôt que d’avoir une conscience personnelle qui se donne au Divin, et qui devienne de ce fait consciemment et personnellement immortelle. Ils aiment mieux la dissolution et la disparition personnelle que la conversion, c’est-à-dire le don de soi.

Pourquoi?

Par orgueil, je suppose. C’est toujours l’orgueil. Au fond, dès le début c’est l’orgueil — mais presque toutes les religions l’ont dit. C’est l’orgueil, c’est-à-dire une sorte de conscience de son pouvoir et de son importance.

Vous avez dit que ces quatre émanations étaient des por tions du Suprême. Alors comment peuvent-elles avoir une autre conscience que Lui?

Autre conscience? Mais il n’y a pas d’autre conscience! Le principe même de l’émanation, c’est une objectivation d’une partie de soi qui garde en potentialité les qualités de l’émanateur. Mais si cette émanation est faite (comme elles ont été faites) avec une volonté de liberté de choix, comme je l’ai dit, ces émanations peuvent ou bien suivre cette liberté et cette indépendance, ou bien continuer à garder la connexion avec l’émanateur, puisque c’est une liberté de choix. Cette puissance et cette force qu’ils contiennent en eux-mêmes est tout à fait suffisante pour leur donner l’impression de leur importance et de leur puissance. S’ils choisissent de ne pas rester en rapport volontaire, en rapport de soumission au Suprême, s’ils choisissent de se servir de la quantité de puissance et de conscience et de force qu’ils contiennent en eux-mêmes pour faire ce qu’ils ont à faire d’une façon indépendante, de ce fait même ils se coupent de leur Origine — mais cela n’empêche que les éléments constituants de leur être sont des éléments qui appartenaient à l’Origine. c’est pour cela que, même si volontairement ils se coupent, il y a tout au fond de la conscience un lien qui est indestructible. C’est le lien de l’identité. Mais dans la manifestation extérieure, comme ils ont été émanés avec cette qualité essentielle de liberté de choix, eh bien, ils sont libres de choisir de faire ceci ou de faire cela. C’est pour cela que, même dans le pire criminel, il y a au fond de lui, quelque part, la Lumière divine. Je pense que vous avez lu ce passage de Vivékânanda où il dit qu’il faut dire au criminel : « Éveille-toi (je ne sais pas les mots exacts), éveilletoi, être de lumière, et resplendis! »

Tout à l’heure, quand je vous ai dit que je vous raconterai l’histoire comme on la raconte à des enfants, c’est justement parce que je l’ai racontée comme si c’était une histoire matérielle. Et alors, racontée comme cela, cela devient une histoire d’enfant. Mais il faut voir ces choses-là dans leur domaine, qui est un domaine spirituel et non un domaine matériel. Ce n’est pas comme ce qui se passerait ici.

Mais d’ailleurs, si! Ce qui se passe ici est symboliquement la même chose, en ce sens que l’enfant qui naît n’est pas autre chose qu’un morceau de sa mère, même matériellement, tout à fait matériellement, puisque pendant à peu près... d’une façon totale pendant quelques heures, deux jours environ, et d’une façon diminuée mais encore très sensible, pendant au moins deux mois, ce lien de substance est tellement grand que cela se sent comme vraiment une prolongation physique matérielle de soi, mais en dehors de soi. Ça, c’est l’élément de l’émanation. Eh bien, ceci n’empêche que les enfants, quand ils grandissent, deviennent tout à fait indépendants de leurs parents et quelquefois extrêmement différents, mais à l’origine, au départ, c’est la même chose. C’est simplement la même matière, absolument la même, simplement extériorisée, c’est tout.

Et pour les émanations, c’est le même phénomène, mais au lieu d’être sur un plan matériel, c’est sur le plan spirituel le plus élevé. Et ce qui se passe ici est un symbole de ce qui se passe là-haut.

Eh bien, il ne vous vient jamais à l’esprit de dire : « Comment se fait-il que cet enfant, qui a une mère ou un père qui sont si bons, si justes, si généreux, si véridiques, comment se fait-il qu’il soit un tel brigand? » On peut s’étonner, mais cela ne paraît pas une chose impossible. Eh bien, c’est la même chose. Au fond, tout dépend de la constitution interne de l’être. Il n’y a pas deux êtres qui soient semblables; il n’y a pas deux constitutions qui soient semblables. Et tout dépend de l’organisation interne, de l’organisation intégrale de l’être, de l’ordre dans lequel les éléments sont organisés et quelle est leur relation intérieure — de même que la forme extérieure diffère parce que les cellules ne sont pas organisées de la même façon. Mais comme c’est un phénomène que vous voyez constamment, au milieu duquel vous êtes nés, que vous voyez tous les jours, cela vous paraît tout naturel. Mais c’est la même chose. Il vous paraît tout à fait naturel qu’un enfant soit différent de sa mère, de son père, pourtant c’est la même chose. Et dans une émanation du Suprême, d’abord une partie est nécessairement différente du tout, bien qu’elle puisse contenir potentiellement le tout, mais le tout n’est pas exprimé. Et comme le tout n’est pas exprimé, c’est forcément différent du tout, parce que l’organisation interne est différente. Voilà, je crois que cela suffit.

Nous avons presque abordé la philosophie.

Au revoir, mes enfants.

décembre




Le 9 décembre 1953

« Nous sommes toujours entourés par les choses aux quelles nous pensons. »

(Quelques Paroles)

C’est très important.

Si vous pensez à de vilaines choses, vous serez entourés de vilaines choses.

« Il n’est pas facile de se débarrasser de son ego. Même après l’avoir surmonté dans la conscience matérielle, nous le rencontrons encore, agrandi, dans la conscience spirituelle. »

(Quelques Paroles)

Comment un être peut-il rencontrer son ego dans la conscience spirituelle?

Il y a un ego spirituel comme il y a un ego physique, vital et mental. Il y a un ego spirituel. Il y a des gens qui ont fait beaucoup d’efforts pour surmonter tout leur égoïsme et toutes leurs limitations, et qui sont arrivés à une conscience spirituelle; et là, ils ont toute la vanité et le sens de leur importance et le dédain de ceux qui ne sont pas dans la même condition qu’eux. Enfin, tout ce qu’il y a de ridicule et de mauvais dans l’ego, ils le retrouvent là. Il y en a beaucoup, beaucoup comme cela. Ils ont surmonté ce qui se trouvait dans la conscience physique ou vitale, mais justement les efforts qu’ils ont faits pour se surmonter et cette victoire qu’ils ont remportée leur donnent le sens de leur extrême importance. Alors ils se gonflent et ils s’affirment.

C’est si fréquent qu’on ne le remarque même pas.

Je n’ai pas compris cela : « Les soi-disant forces de la Nature ne sont rien d’autre que les activités extérieures d’êtres hors de proportion avec l’homme par leurs dimensions et les pouvoirs dont ils disposent. »

Pas compris?... Par exemple, tu prends le vent qui souffle, alors les savants te diront : « Ce sont des manifestations des forces de la Nature, et c’est produit par tel ou tel phénomène », ils te parleront de chaud, de froid, de haut, de bas, etc., et ils te diront : « Voilà la cause du vent qui souffle, ce sont des courants d’air qui se produisent dans l’atmosphère. » Mais ce n’est pas cela. Il y a des entités derrière, seulement ce sont des entités si grandes que leur forme nous échappe. C’est comme si tu demandais à une fourmi de décrire la forme d’un homme — elle ne pourrait pas, n’est-ce pas. Elle voit tout au plus le petit bout du petit doigt et elle se promène sur le pied — c’est un grand voyage, et elle ne saurait pas dire comment est la forme d’un homme. Eh bien, c’est à peu près la même chose. Ces forces qui produisent le vent, la pluie, les tremblements de terre, etc., sont des manifestations de gestes, si vous voulez, de mouvements de certains êtres qui sont si formidablement grands que nous voyons à peine le bout de leur pied et que nous ne nous rendons pas compte de leur dimension.

Cependant, l’ego spirituel est mieux que l’ego ordinaire, non?

Il est encore plus dangereux que l’ordinaire! Parce qu’on ne se rend pas compte que c’est l’ego. Extérieurement, quand on est égoïste, non seulement on le sait mais les autres vous le font encore plus savoir et les circonstances vous le prouvent à chaque minute. Mais là, comme malheureusement vous rencontrez des gens qui vous respectent beaucoup, vous ne vous apercevez même pas que vous êtes formidablement égoïste.

Très dangereux. La vanité spirituelle est une vanité beaucoup plus grave que la vanité physique.

Alors, Douce Mère, avec l’ego on peut réaliser le Divin?

Pas à la minute où l’on s’unit à Lui. Il est évident que, à ce moment-là, l’ego disparaît. Mais cet état-là ne persiste pas. Ou en tout cas nous pouvons le dire d’une autre manière : ceux qui ont amené leur ego avec eux ne peuvent pas garder la conscience longtemps. Ils reprennent conscience d’eux-mêmes en ayant l’expérience. C’est cela, la plus terrible chose. Ils se regardent avoir l’expérience et ils s’admirent. Et ils ont le sentiment qu’ils sont des êtres exceptionnels et très supérieurs aux autres, et alors cela devient lamentable.

Ici, tu as dit : « Que Tu décides de ma vie ou de ma mort, de mon bonheur ou de ma peine, de mon plaisir ou de ma souffrance, tout ce qui viendra de Toi sera le bienvenu. »

(Quelques Paroles)

Est ce que le Divin donne de la souffrance ou de la peine?

Bien, mon petit, ce texte-là, tu sais ce que c’est : c’est la prière de Râdhâ à Krishna. Et alors, c’est une telle personnification des forces divines que l’on est obligé de mettre sur le Divin des sentiments humains pour pouvoir s’exprimer. Pour le comprendre dans sa forme vraie, il faudrait toute une explication, et alors ce n’est plus artistique — ça devient dogmatique, ou en tout cas pédagogique. C’est pour donner l’idée que tout est dans le Divin et que tout est divin. Et nécessairement, si l’on change d’état de conscience et que l’on s’identifie au Divin, cela change la nature même des choses. Par exemple, ce qui paraît une douleur ou une peine ou une misère, on s’aperçoit tout au contraire que c’est l’occasion pour le Divin de devenir plus proche de vous, et que l’on peut extraire de cet événement une joie peut-être encore plus grande que la joie que l’on éprouve à quelque chose de satisfaisant. Seulement, il faut le comprendre comme cela, dans cet esprit-là et avec cette conscience-là, parce que, autrement, si on le comprend d’une façon ordinaire, c’est la contradiction même du principe que tout est divin.

La même chose, exactement la même vibration, suivant la façon dont elle est reçue et dont on répond, amène une joie intense ou un désespoir considérable, exactement la même, suivant l’état de conscience dans lequel on se trouve. Alors il n’est rien dont on puisse dire : c’est un malheur. Il n’est rien que l’on puisse appeler une souffrance. Tout ce qu’il faut, c’est changer son état de conscience. C’est tout. Seulement (j’ai écrit cela quelque part, je ne sais plus où), si vous réussissez, vous, à changer votre état de conscience et que vous entriez dans cette condition de béatitude, vous pouvez voir les autres qui sont en train de se quereller, de se disputer, d’être malheureux, de souffrir et d’être misérables, et on sent soi-même que tout est si harmonieux, si merveilleux, si doux, si agréable, et vous dites : « Eh bien, pourquoi ne font-ils pas comme moi? » Mais le malheur est que tout le monde n’est pas prêt à faire comme cela ! Et pour ceux qui restent dans la conscience ordinaire, pour eux la souffrance est une chose très réelle.

Alors, il y a des gens qui ne se soucient pas d’être heureux tout seuls et qui acceptent de renoncer à cette béatitude parfaite afin d’aider les autres à marcher un peu plus sur le chemin.

Les attitudes dans le monde, les attitudes de la vertu, sont des choses très subjectives. Et ce qui peut réussir à l’un peut ne pas réussir à l’autre. Et il faut que chacun suive son propre chemin. C’est pour cela qu’il est toujours difficile de dire aux gens : « Faites comme moi. » C’est ce que généralement tous les gurus disent : « Faites comme moi et vous arriverez au but. » Tout ce que l’on peut dire, c’est : « Faites comme moi et vous me ressemblerez. »

(silence)

Ah! je voulais vous poser une question. Nous avons dit au commencement : on est entouré de ce à quoi l’on pense. Vous comprenez bien ce que cela veut dire? (Se tournant vers un enfant) Chaque fois que tu penses à quelque chose, c’est comme si tu avais un aimant dans la main, et que tu attires cette chose vers toi — tu comprends? Alors, il y a des gens qui ont la très, très mauvaise habitude de toujours penser aux catastrophes possibles, et qui ont une sorte d’appréhension constante du malheur qui va arriver tout à l’heure. J’en connais comme cela, il y en a ici. Et alors, ces gens-là, c’est comme s’ils avaient un aimant dans la main pour attirer les malheurs, non seulement sur eux mais sur les autres. Cela leur fait une grosse responsabilité. Et si l’on ne peut pas s’empêcher tout le temps de penser à quelque chose (certains ont une tête qui marche et ils n’ont pas trouvé le moyen de l’empêcher de marcher), eh bien, pourquoi ne la ferait-on pas marcher du bon côté au lieu de la faire marcher de l’autre! Une fois que votre tête se met à marcher, laissez-là marcher sur toutes les bonnes choses qui peuvent arriver. Si c’est obligé de tourner et tourner, eh bien, tournez donc du bon côté! C’est-à-dire que si quelqu’un est malade, au lieu de dire : « Qu’est-ce qui va arriver, peut-être que cela va être très grave, et si c’est telle maladie, et un malheur est si vite arrivé », au lieu de cela, si l’on pense : « Oh! ce n’est rien, les maladies sont des illusions extérieures traduisant quelques vibrations plus profondes que l’on ne voit pas, c’est pour cela qu’on n’en parle pas, mais c’est là. Et ces vibrations profondes peuvent venir et remettre en ordre ce qui a été mis en désordre. Et ce déséquilibre, cette maladie ou cette chose mauvaise qui est arrivée, eh bien, elle sera absorbée par la Grâce et ça disparaîtra, il n’en restera aucune trace, que celle de choses agréables et plaisantes. » On peut continuer à penser comme cela sans interruption... Les gens ont toujours besoin que ça marche, marche, marche, mais faites-là donc marcher du bon côté, vous verrez que cela aura un effet. Par exemple, marcher comme cela : qu’on apprendra de mieux en mieux, qu’on saura de mieux en mieux, qu’on se portera de mieux en mieux et que toutes les difficultés s’en iront, et que les gens qui sont méchants seront gentils, et que les gens qui sont malades seront guéris, et que les maisons qui doivent être bâties seront bâties, et que les choses qui doivent disparaître disparaîtront, mais pour laisser place à des choses meilleures, et que le monde va aller en progression constante, et qu’au bout de cette progression il y aura une harmonie totale, et ainsi de suite, et continuez... Vous pouvez aller sans fin. Mais alors, vous aurez autour de vous, et autour de votre tête, toutes sortes de jolies choses. Ceux qui perçoivent l’atmosphère voient des espèces de taches d’encre, comme des pieuvres qui sont là, comme cela, comme avec leurs tentacules, pour essayer de déranger votre mental — au lieu de cela, on verra des formations heureuses, ou de lumière, ou bien des rayons de soleil, ou bien de belles images, tout cela. On verra de belles choses — il y a des peintres qui font comme cela et ils attrapent toujours les pensées.

Douce Mère, tu as dit : « Chaque méditation devrait être une nouvelle révélation, car dans chaque médita tion quelque chose de nouveau se produit. » Après la méditation, est-on conscient de ce qui s’est produit?

Mais c’est justement, je dis : faites attention et devenez conscient. Si l’on est très attentif, on devient conscient. Il faut être très concentré et très attentif, alors on devient conscient.

Mère, la souffrance vient de l’ignorance et de la douleur, mais quelle est la nature de la souffrance et de la dou leur que la Mère Divine sent pour ses enfants? La Mère Divine dans Savitri 44 .

C’est parce qu’elle participe à leur nature. Elle est descendue sur la terre pour participer à leur nature. Parce que si elle ne participait pas à leur nature, elle ne pourrait pas les mener plus loin. Si elle restait dans sa conscience suprême où il n’y a pas de souffrance, dans sa connaissance et sa conscience suprêmes, elle ne pourrait pas avoir de contact avec les êtres humains. Et c’est pour cela qu’elle est obligée d’adopter la forme et la conscience humaines, c’est pour pouvoir entrer en contact avec eux. Seulement, elle n’oublie pas : elle a adopté leur conscience, mais elle reste en rapport avec sa conscience propre, suprême. Et alors, en joignant les deux, elle peut faire faire un progrès à ceux qui sont dans cette conscience-là. Mais si elle n’adoptait pas leur conscience, si elle ne souffrait pas de leur peine, elle ne pourrait pas les aider. Ce n’est pas une souffrance d’ignorance : c’est une souffrance d’identité. C’est parce qu’elle a accepté d’avoir les mêmes vibrations qu’eux afin de pouvoir entrer en contact avec eux et les tirer de l’état où ils sont. Si elle n’entrait pas en contact avec eux, elle ne serait pas perçue du tout, ou personne ne pourrait supporter son rayonnement!... On a dit cela sous toutes sortes de formes, dans toutes sortes de religions, et on a parlé très souvent du Sacrifice divin, mais, d’un certain point de vue, c’est vrai. C’est un sacrifice volontaire, mais c’est vrai. Renoncer à un état de connaissance parfaite, de félicité parfaite, de pouvoir parfait, pour accepter l’état d’ignorance du monde extérieur afin de pouvoir le tirer de cette ignorance. Si l’on n’acceptait pas cet état, on n’aurait aucun contact avec lui. Il n’y aurait aucun rapport possible. Et c’est cela, la raison des incarnations. Autrement, il n’y aurait aucune nécessité. Si la Conscience divine et la Force divine pouvaient s’exercer directement du lieu ou de l’état de leur perfection, si elles pouvaient s’exercer directement sur la matière et la transformer, il n’y aurait aucune nécessité de prendre un corps comme celui des hommes. Il n’y aurait qu’à agir du monde de Vérité avec la parfaite conscience et sur la conscience. En fait, cela agit peut-être, mais d’une façon tellement lente que quand il y a cet effort pour faire faire un progrès au monde, pour le faire avancer d’un pas plus rapide, eh bien, il faut adopter la nature humaine. En adoptant le corps humain, on est obligé d’adopter la nature humaine, partiellement. Seulement, au lieu de perdre sa Conscience et de perdre le contact avec la Vérité, on garde cette Conscience et on garde cette Vérité, et c’est en joignant les deux que l’on peut justement produire cette espèce d’alchimie de transformation. Mais si l’on ne touchait pas la matière, on ne pourrait rien faire pour elle.

Est ce que Savitri prévoyait ce qu’elle allait faire?

Elle l’a dit. Tu ne l’as pas lu? On lui avait même annoncé qu’elle serait seule. Et elle a dit : « Je suis prête à être seule. » Tu ne l’as pas lu? C’est dans ce qu’ils ont récité l’année dernière 45 .

Est ce qu’elle savait qu’elle allait rencontrer la Mère des Douleurs (Mother of Sorrows), la Mère du Pouvoir (Mother of Power) ?

C’est justement. Il est dit tout du long qu’elle savait tout ce qui allait se passer. C’est écrit clairement. Justement, à chacun elle dit clairement : je vous apporterai ce qui vous manque. Par conséquent, elle le sait. Autrement elle ne le dirait pas. Si elle ne le savait pas, comment pourrait-elle le dire?

Dans « Savitri », la Mère des Douleurs dit :

“Perhaps when the world sinks into a last sleep,
I too may sleep in dumb eternal peace 46 .”

Ah! cela, c’est la conscience humaine. C’est la conscience humaine. C’est l’idée de la conscience humaine que quand toutes les souffrances seront finies, eh bien, « je me reposerai ». C’est bien cela dont Sri Aurobindo parle. Quand il y a cette aspiration à une paix souveraine, on a l’impression que s’il y avait un pralaya et que le monde disparaisse, eh bien, au moins il y aurait la paix. Mais rien que la phrase elle-même est une contradiction, parce que s’il y avait un pralaya, il n’y aurait plus de paix à sentir — il n’y aurait plus rien du tout!

Mais c’est cela, c’est l’une des contradictions de la conscience humaine : « Tant que le monde sera là et qu’il y aura une souffrance, je souffrirai avec le monde. Mais si jamais le monde entre dans la paix, disparaît dans la paix de l’Inexistant, alors moi aussi je me reposerai. » C’est une façon poétique de dire que tant que le malheur sera sur le monde, je souffrirai avec le monde. C’est seulement quand ça cessera que ça cessera pour moi aussi.

Alors, que fera la Mère des Douleurs? Quelle autre chose peut-elle faire?

Elle sera la Mère de Félicité, the Mother of Delight

Savitri représente la conscience de la Mère, n’est ce pas?

Oui.

Que représente Satyavan?

C’est l’Avatâr, n’est-ce pas. C’est l’incarnation du Suprême.

Le 16 décembre 1953

>Douce Mère, tu as dit : « ... beaucoup de méthodes ont été préconisées pour obtenir cette perception [de l’être psychique en nous] et finalement pour accomplir cette identification [avec l’être psychique]. Certaines méthodes sont psychologiques, certaines religieuses, cer taines même, mécaniques. »

(La Mère, Éducation, « La Science de Vivre »)

>Peux-tu donner quelques exemples de cela ?

Mécaniques, ce sont les âsanas, le Hatha-yoga. C’est fait avec cette intention. Religieuses, c’est pour ceux qui croient à une religion spéciale et qui font des prières et qui essayent des cérémonies religieuses. Quand on croit à une religion — n’importe laquelle —, on se soumet à la discipline de la religion et on prie et on demande : on fait la discipline d’après ce qui est enseigné et en gardant la croyance de la religion. La méthode psychologique, c’est le yoga. Chercher au-dedans de soi par introspection ce qui est permanent, ce qui est constant. Voilà.

« Que votre but soit élevé et vaste, généreux et désintéressé. »

(La Mère, Éducation, « La Science de Vivre »)

Qu’est ce que cela veut dire?

Tu demandes ce que cela veut dire! Élevé?... Par exemple, il y a ceux qui ont pour but de faire fortune, et il y a ceux qui ont pour but de trouver un moyen de guérir une maladie. Celui de faire fortune est évidemment plus intéressé et plus bas que celui de trouver un remède à une maladie. Il y a ceux qui ont pour but, dans la vie, de se faire une existence confortable et tranquille, d’avoir une famille et des enfants, et que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est un but assez bas, en tout cas tout à fait ordinaire. Il y a ceux qui recherchent l’amélioration de l’ensemble de la société, ou bien qui font des études pour faire des découvertes nouvelles, comme M. et Mme Curie, par exemple, qui ont découvert le radium. C’est un but plus élevé. « Désintéressé », cela veut dire qui n’est pas pour son petit profit personnel, pour son agrément personnel, mais uniquement pour aider les autres. Naturellement, le but le plus élevé est de s’unir au Divin et d’accomplir Son Œuvre, mais cela, c’est tout en haut de l’échelle. Dans ce premier chapitre, j’ai bien soin de ne rien dire de ce genre, parce que je l’ai écrit pour qu’il puisse s’adresser à tout le monde, à des gens qui n’ont même pas la conception mystique. Mais enfin, il va de soi que la découverte du Divin en soi et de s’unir à Lui et d’accomplir Son Œuvre est le but le plus élevé et le plus désintéressé, et le moins égoïste.

Quelles sont les épithètes que j’ai employées?

Élevé et vaste, généreux et désintéressé.

Oui. Vaste, c’est quelque chose qui n’est pas limité à une petite conscience purement personnelle et à ses petits avantages purement égoïstes, quelque chose qui embrasse un ensemble — ce peut être un groupe, ce peut être une nation, ce peut être un continent, ce peut être la terre tout entière. Pour l’homme, une action qui agit sur la terre entière est évidemment une action vaste.

Après cela, tu as dit : « ... ainsi, votre vie deviendra pré cieuse pour vous-même et pour les autres. »

Oui. Si vous êtes inutile, elle n’est pas précieuse, si vous êtes utile, elle devient précieuse! Il n’y a rien de plus écœurant que de s’occuper de tous les petits détails d’une existence étroitement personnelle. On se sent vide, on se sent creux, on se sent inutile. On n’a aucun intérêt dans l’existence. Il y a des gens qui sont enfermés dans leur petite famille, et si le bébé tousse, on passe des heures à se tourmenter, si le dîner n’est pas cuit, on se querelle, ou si le Monsieur a perdu sa place et est en train d’en chercher une autre, il se lamente : « Comment vais-je nourrir ma famille? » C’est une existence comme un ver de terre dans un trou.

Chez tout le monde, le psychique est-il déjà pur ou fautil le rendre pur?

Il est toujours pur. Mais il est plus ou moins individualisé ou indépendant dans son action. Ce qui est psychique, dans l’être, est toujours pur, par définition, puisque c’est la partie de l’être qui est en rapport avec le Divin et qui exprime la vérité de l’être. Mais ce peut être comme une étincelle dans l’obscurité de l’être, ou ce peut être un être de lumière, conscient, entièrement formé et indépendant. Il y a toutes les gradations entre les deux.

Généralement il est voilé?

C’est la conscience extérieure qui n’est pas en contact avec lui, parce qu’elle est tournée vers le dehors au lieu d’être tournée vers le dedans — parce qu’elle vit dans tous les bruits et les mouvements extérieurs, dans ce qu’elle voit, dans ce qu’elle fait, dans ce qu’elle dit, au lieu de regarder dans le dedans, dans la profondeur de l’être et d’écouter les inspirations intérieures.

Est ce que le psychique a un pouvoir?

Un pouvoir? C’est généralement le psychique qui dirige l’être. On n’en sait rien parce que l’on n’est pas conscient de lui, mais c’est généralement lui qui dirige l’être. Si l’on est très attentif, on s’en aperçoit. Mais la plupart des gens ne s’en doutent pas. Par exemple, quand ils ont décidé, dans leur ignorance extérieure, de faire une chose, et qu’au lieu de pouvoir la faire, toutes les circonstances s’organisent pour qu’ils fassent autre chose, ils commencent à crier, à tempêter, à se mettre en colère contre le destin, à dire (cela dépend de ce qu’ils croient, de leurs croyances) que la Nature est mauvaise ou que leur destin est funeste ou que Dieu est injuste, ou... n’importe quoi (cela dépend de ce qu’ils croient). Tandis que la plupart du temps, c’est juste la circonstance qui était la plus favorable pour leur développement intérieur. Et naturellement, si vous demandez au psychique de vous aider à vous faire une vie agréable, à gagner de l’argent, à avoir des enfants qui seront l’honneur de la famille, etc., eh bien, le psychique ne vous y aidera pas! Mais il vous produira toutes les circonstances nécessaires pour que quelque chose s’éveille en vous et que le besoin d’union avec le Divin naisse dans votre conscience. Quelquefois, vous avez fait de beaux projets et si cela avait réussi, vous seriez de plus en plus encroûté dans votre ignorance extérieure, dans votre petite ambition imbécile et votre activité sans but. Tandis que si vous recevez un bon choc et que le poste que vous convoitiez vous soit refusé, que le projet que vous aviez fait soit brisé, et que vous vous trouviez tout à fait contrarié, alors, quelquefois, cette contrariété vous ouvre une porte sur quelque chose de plus vrai et de plus profond. Et quand vous êtes un peu éveillé et que vous regardez en arrière, si vous êtes le moins du monde sincère, vous dites : « Ah! ce n’était pas moi qui avais raison — c’était la Nature, ou la Grâce divine, ou mon être psychique qui l’ont fait. » C’est l’être psychique qui a organisé cela.

Est ce la volonté psychique qui veut que l’être soit iden tifié avec le Divin?

Oui, sûrement. C’est la volonté du psychique. C’est sa raison d’être aussi. C’est pour cela qu’il est là. Par exemple, dans le mental, certaines activités (et même quelquefois dans le physique et dans le vital), certaines activités s’éveillent à l’influence du psychique, sans même le savoir. C’est pour cela que ces parties-là adhèrent, et elles commencent aussi à aspirer à la connaissance divine, à l’union divine, à la relation avec le Divin.

Comment le psychique met-il en mouvement la vérité?

J’ai dit qu’il mettait la vérité en mouvement?

« Nous donnons le nom de psychique au centre psycho logique de notre être, le siège en nous de la plus haute vérité de notre existence, ce qui a le pouvoir de con naître et de mettre en mouvement cette vérité. »

(Éducation, « La Science de Vivre »)

Oh! la vérité de l’être — pas la Vérité tout court. La vérité de l’être, c’est-à-dire la raison d’être centrale d’une existence. C’est lui qui, justement, organise les circonstances pour que la vérité de l’être puisse s’exprimer, ou que l’être extérieur superficiel soit amené à se tourner au-dedans — ne trouve aucun support dehors, par exemple, et se tourne au-dedans pour avoir un support : il trouve le support psychique.

« Le corps a une remarquable capacité d’adaptation et d’endurance. Il est apte à faire tellement plus de choses qu’on ne le pense d’ordinaire. Si, au lieu des maîtres igno rants et despotiques qui le gouvernent, il est régi par la vérité centrale de l’être, on sera émerveillé de ce dont il est capable. Calme et tranquille, fort et équilibré, il pourra à chaque minute fournir l’effort qui lui sera demandé, car il aura appris à trouver le repos dans l’action, et à récupérer, par le contact avec les forces universelles, les énergies utilement et consciemment dépensées. »

(Éducation, « La Science de Vivre »)

Comment peut-on avoir le « repos dans l’action » ?

Cela vient d’une sorte de certitude du choix intérieur. On aspire à quelque chose, mais si en même temps on sait que l’aspiration sera entendue et qu’il y sera répondu de la meilleure manière possible, cela établit une tranquillité dans l’être, une tranquillité dans ses vibrations. Tandis que s’il a un doute, une incertitude, qu’il ne sait pas ce qui peut l’amener au but, si jamais il y arrivera, s’il y a un moyen de le faire, et ainsi de suite, alors il s’agite et cela crée généralement une sorte de petit tourbillon autour de l’être, qui l’empêche de recevoir la vraie chose. Tandis que si l’on a une foi tranquille, que l’on aspire et qu’on sache qu’il n’y a pas d’aspiration (sincère naturellement) qui reste sans réponse, alors on est tranquille. On aspire avec autant de ferveur que l’on peut, mais on n’est pas là à trépider pour se demander pourquoi l’on n’obtient pas immédiatement ce qu’on a demandé. On sait attendre. J’ai dit quelque part : « Savoir attendre, c’est gagner du temps. » C’est tout à fait vrai. Parce que si l’on s’agite, on perd tout son temps : on perd son temps, on perd son énergie, on perd ses mouvements. Être bien tranquille, calme, paisible, avec une foi que ce qui est vrai se produira, et que si on le laisse se produire, il se produira d’autant plus vite. Alors, dans cette paix-là, les choses vont beaucoup mieux.

Le 23 décembre 1953

S’il est « impossible pour le mental de trouver la connaissance », quelle est la partie de l’être qui trouve la connaissance?

Il faut entrer dans la connaissance qui appartient au domaine supramental.

Mais pour la faire descendre?

Chaque fois qu’il y a quelque chose qui attire cette connaissance (et qui est évidemment prêt à la recevoir), elle vient.

Ça ne descend pas dans le mental, Douce Mère?

Oui, ça descend dans le mental. Dans une partie supérieure du mental ou bien dans le psychique. On peut avoir la connaissance du psychique — quoiqu’elle soit d’une autre nature et ne se formule pas comme dans le mental. C’est une sorte de certitude intérieure qui vous fait faire la vraie chose au vrai moment et de la vraie manière, sans nécessairement passer par le raisonnement ni la formation mentale.

Par exemple, on peut agir avec une connaissance parfaite de ce qui doit être fait et sans intervention — sans la moindre intervention — du raisonnement mental. Le mental est silencieux : simplement il regarde et il écoute pour enregistrer les choses, et n’agit pas.

>Ici, tu as dit : « La connaissance appartient à un domaine beaucoup plus élevé que celui de la mentalité humaine, bien au-dessus de la région des idées pures. »

(Éducation, « La Science de Vivre »)

Douce Mère, qu’est ce que tu entends par « idées pures » ?

Nous avons déjà dit cela une fois et il n’y a pas très longtemps. Les idées pures, c’est ce qui se traduit par des pensées multiples. Une idée peut donner naissance à beaucoup de pensées, et elle peut s’exprimer de beaucoup de manières différentes; et pourtant elle reste ce qu’elle est.

Quelquefois, nous regardons fixement un point; on oublie tout à ce moment-là et s’il y a un bruit, on est dérangé. Quel est cet état?

La concentration! C’est justement le principe même de la concentration. Est-ce que tu peux le faire spontanément?

Oui, beaucoup de fois.

Tiens, c’est très bien!

Oui, Douce Mère, mais ce que j’avais pensé à ce moment-là, je ne peux pas l’attraper.

Ah!... Si on te tire de là brusquement, la pensée s’évanouit?

Oui.

C’est parce que tu entres dans un état de conscience qui est différent de ton état de conscience ordinaire, et probablement le lien entre les deux n’est pas très bien établi. Cela prend du temps. C’est comme si l’on devait construire un pont. Autrement, on fait un saut brusque d’un côté ou de l’autre, et alors, en sautant, on oublie ce qui était là, on laisse derrière l’expérience que l’on a eue. Mais si l’on fait la chose méthodiquement, c’est-à-dire si tous les jours on prend un certain temps pour cela et que l’on fasse une méditation de dix minutes ou de quinze minutes pour établir le contact entre ça et la vie extérieure, eh bien, au bout d’un certain temps on réussit, et alors on se souvient, et cela devient très utile. C’est très utile. Et si ton pouvoir de concentration est complet, alors il n’est pas de problème que tu ne puisses résoudre — je ne veux pas dire des problèmes d’arithmétique (rires), je veux dire des problèmes de conduite de vie, de décisions à prendre, des problèmes psychologiques à résoudre. Il n’en est pas qui résistent à ce pouvoir de concentration.

Et en effet, c’est très commode de prendre un point : on fixe le point, et on le fixe tellement qu’à un moment donné on devient le point. On n’est plus quelque chose qui regarde dans le point : on est le point. Et alors, si l’on continue avec assez de force et de tranquillité sans que rien vous dérange, on peut tout d’un coup se trouver en face d’une porte qui s’ouvre et on passe de l’autre côté. Et alors on a la révélation.

Depuis quand fais-tu cela ? Ça t’est toujours arrivé? Ou est-ce récent?

Tu ne sais pas? Peut-être le faisais-tu et tu ne t’en apercevais pas!

Je ne savais pas.

Mais tu ne le fais pas à volonté? Ça te prend comme cela, ça te saisit?

Oui.

Ah! c’est peut-être aussi l’une des raisons pour lesquelles tu ne te souviens pas.

(Un autre enfant) Douce Mère, quand on passe dans la région de la connaissance, est ce qu’il faut passer par des régions intermédiaires?

Intermédiaires? Mais tu vois, si on le fait par une discipline méthodique, généralement on est obligé de passer d’un plan à l’autre : on s’éveille dans un certain plan, et puis, là, on entre dans le repos et on s’éveille dans un autre plan, et ainsi de suite. Et si on le fait comme cela, alors on se souvient, parce qu’on le fait avec sa volonté consciente et on assiste à l’opération — ces mouvements pour tranquilliser l’être afin de pouvoir justement entrer quelque part et voir ce qui s’y passe, et le mouvement de prendre des notes de ce qui s’y passe et de se préparer à une autre ouverture plus haute, tout cela établit le contact conscient entre les différentes parties de l’être, et alors on peut avoir des expériences sans rien oublier, et par-dessus le marché à volonté.

Mais il y a des personnes peu éduquées, par exemple, qui ont tout d’un coup une faculté et qui ont une expérience directe quelque part dans le mental supérieur, ou dans l’être psychique, ou dans une autre partie de l’être. Il y a beaucoup de raisons à cela : ce peut être le résultat de vies antérieures, ce peut être un phénomène de conscience actuel, ce peut être beaucoup de choses. En tout cas, pour que ce soit pleinement utile, il faut que ce soit fait avec la volonté de l’utiliser pour son progrès et de devenir conscient des différentes parties de l’être afin de pouvoir faire ce que l’on doit faire au mieux de ses capacités. Par exemple, j’ai connu des gens qui étaient absolument ignorants et inéduqués, mais qui avaient un don de vision, et un don remarquable : on les mettait en transe et ils voyaient merveilleusement et ils décrivaient (ils savaient voir et décrire tout ce qu’ils voyaient pendant qu’ils le voyaient). Et quand ils étaient sortis de cette condition-là, c’étaient des êtres absolument ordinaires et sans aucune éducation et sans intelligence. Mais c’était un don merveilleux. C’est-à-dire qu’il y a des êtres qui peuvent faire les plus grands progrès au point de vue spirituel, et même intellectuel, et qui en apparence et dans leur vie extérieure sont tout à fait ordinaires. Il y en a d’autres — j’en ai connu qui avaient une réalisation spirituelle absolument merveilleuse, qui vivaient constamment dans la Présence divine, et qui n’avaient jamais eu une vision de leur vie! Et ils s’en plaignaient... C’est une question de tempérament, de destinée, et probablement de travail que l’on doit faire, parce qu’il est évident que l’on ne peut pas tout faire — physiquement c’est impossible. Par conséquent il faut choisir.

Quand le corps tombe malade, est ce que le mental et le vital tombent malades aussi?

Pas nécessairement. Les maladies (je vous l’ai expliqué) viennent généralement d’une dislocation entre les différentes parties de l’être, d’une sorte de désharmonie. Eh bien, il se peut très bien que le corps n’ait pas suivi certain mouvement de progrès, par exemple, qu’il soit resté en arrière, et que, au contraire, les autres parties de l’être aient progressé, et alors ce déséquilibre-là, cette rupture d’harmonie, crée la maladie, et le mental peut être en très bon état et le vital aussi. Il y a des gens qui ont été malades pendant des années — des maladies terribles et incurables — et qui ont gardé leur capacité mentale merveilleusement claire, et qui progressaient mentalement. Il y a un poète français (un très bon poète) qui s’appelait Sully Prudhomme, il était mortellement malade; et c’est à ce moment-là qu’il a produit ses plus beaux poèmes. Il restait d’une humeur charmante, aimable, souriante — aimable avec tout le monde —, et pourtant son corps s’en allait en morceaux. Cela dépend des gens. Il y en a d’autres, au contraire, dès qu’ils ont le moindre mal, tout est déséquilibré du haut en bas, ils ne valent plus rien. Pour chacun, la combinaison est différente.

On dit qu’il y a une relation entre le physique et le men tal. Si le mental ne va pas bien, alors?

Mais certainement il y a une relation entre le physique et le mental ! Il y a même plus qu’une relation : c’est un lien très étroit puisque, la plupart du temps, c’est le mental qui rend le physique malade. En tout cas, il est le principal facteur.

Et si le corps ne va pas bien?

Cela dépend des gens, je te dis. Il y a des gens, dès qu’ils ont la moindre chose à leur corps, leur mental est complètement déséquilibré. Il y en a d’autres qui peuvent être très malades et qui gardent leur mental clair. Il est plus rare et plus difficile de voir un mental qui est déséquilibré et un corps qui reste sain — ce n’est pas impossible, mais c’est beaucoup plus rare, parce que le corps dépend beaucoup de l’état du mental. Le mental (je l’ai écrit là) est le maître du physique. Et j’ai dit que le corps était un serviteur très docile et très obéissant. Seulement on ne sait pas se servir de son mental, au contraire. Non seulement on ne sait pas s’en servir, mais on s’en sert aussi mal que possible. Le mental a un pouvoir de formation considérable et une action directe sur le corps, et généralement on se sert de ce pouvoir pour se rendre malade. Parce que dès que la moindre chose ne va pas, le mental commence à former et à construire toutes les catastrophes possibles, à se demander si ce sera ceci, si ce sera cela, est-ce que ça va être comme ça, et comment ça se terminera. Eh bien, si, au lieu de laisser ce mental faire une œuvre tout à fait néfaste, on se servait de la même capacité pour faire des formations favorables — simplement, par exemple, pour donner confiance au corps, pour lui dire que c’est seulement un déséquilibre passager et que ce n’est rien, et que s’il entre dans un véritable état de réceptivité, le mal peut passer aussi facilement qu’il est venu, et que l’on peut se guérir en quelques secondes —, si l’on sait faire cela, on obtient des résultats merveilleux.

Il y a une minute de choix, même dans un accident. Par exemple, on glisse et on tombe. Juste entre le moment où l’on a glissé et le moment où l’on tombe, il y a une fraction de seconde. À ce moment-là, on a le choix : ça peut n’être rien, ça peut être grave. Seulement, naturellement, il faut avoir la conscience tout à fait éveillée et être en rapport avec son être psychique constamment : on n’a pas le temps de se mettre en rapport, il faut être en rapport. Entre le moment où l’on glisse et le moment où l’on est par terre, si la formation mentale et psychique est suffisante, ce n’est rien, il n’arrivera rien — il n’arrive rien. Tandis que si, à ce moment-là, le mental est selon son habitude un pessimiste et qu’il se dise : « Aïe! j’ai glissé! »... Ça dure une fraction de seconde (ce n’est pas une chose qui prend une minute : c’est une fraction de seconde), pendant une fraction de seconde on a le choix. Mais il faut être tellement éveillé, à chaque minute de sa vie! Pendant une fraction de seconde on a le choix, il y a une fraction de seconde où l’on peut empêcher l’accident d’être grave, où l’on peut empêcher la maladie d’entrer en soi. On a toujours le choix. Mais c’est une fraction de seconde et il ne faut pas la manquer. Si on la manque, c’est fini.

On peut le faire après? (rires)

Non. Après, il y a encore un autre moment... On est tombé, on s’est déjà fait mal; mais il y a encore un moment où l’on peut faire que cela tourne du bon côté ou du mauvais côté, que ce soit quelque chose de très fugitif dont les mauvais effets disparaîtront vite, ou quelque chose qui deviendra aussi sérieux, aussi grave que ça peut être. Je ne sais pas si vous avez remarqué qu’il y a des personnes qui jamais ne manquent l’occasion d’un accident. Chaque fois qu’il y a la possibilité d’un accident, elles l’ont. Et jamais leur accident n’est ordinaire. Chaque fois que l’accident peut être sérieux, il est sérieux. Eh bien, d’habitude, dans la vie, on dit : « Oh! c’est un guignard, c’est un malchanceux, vraiment il n’est pas veinard! » Mais tout cela est de l’ignorance. Cela dépend absolument de son fonctionnement de conscience. Je pourrais vous donner des exemples (seulement il faudrait vous parler de personnes et je ne veux pas). Mais je pourrais vous donner des exemples frappants! Et ça, ce sont des choses que l’on voit tout le temps, tout le temps ici! Il y a des personnes qui auraient pu se tuer et qui en sortent indemnes; il y en a d’autres pour qui ce n’était pas sérieux et cela devient sérieux.

Mais cela ne dépend pas de la pensée, du fonctionnement de la pensée ordinaire. Ils peuvent être apparemment avec des pensées aussi bonnes que les autres — ce n’est pas cela. C’est la seconde du choix. Des gens qui savent réagir juste de la bonne façon, à la bonne minute. Je pourrais vous donner des centaines d’exemples. C’est tout à fait intéressant.

Cela dépend absolument des caractères. Certains ont une conscience tellement éveillée, alerte, qu’ils ne sont pas endormis, ils sont éveillés au-dedans d’eux-mêmes : juste à la seconde où il faut, ils appellent l’aide. Ou ils invoquent la Force divine. Mais juste à la seconde où il faut. Alors le danger est écarté, il ne se passe rien. Ils auraient pu se tuer : ils sortent de là absolument indemnes. D’autres, au contraire, dès qu’il leur arrive la moindre petite égratignure, il y a quelque chose qui se disloque dans leur être : une sorte de frayeur, ou de pessimisme, ou de défaitisme dans leur conscience, qui se produit automatiquement — ce n’était rien, ils se sont tordu le pied et la minute d’après, ils se le cassent. Il n’y a aucune raison. Ils auraient très bien pu ne pas se casser le pied.

Il y en a d’autres qui grimpent à un premier étage sur une échelle qui croule sous eux. Ils auraient pu s’aplatir par terre — ils sortent de là sans avoir le moindre mal. Comment ont-ils fait? Apparemment, cela paraît admirable, et pourtant ça leur arrive comme cela. Ils se retrouvent par terre tout à fait en bon état, il ne leur est rien arrivé. Je pourrais vous donner des noms, je vous raconte des faits exacts.

Alors, de quoi cela dépend? Cela dépend si l’on est suffisamment éveillé pour que, à la seconde du choix... Et note que ce n’est pas du tout mental, ce n’est pas cela : c’est une attitude de l’être, c’est la conscience qui réagit de la bonne manière. Ça va très loin, très loin, c’est formidable le pouvoir de cette attitude. Mais comme c’est une fraction de seconde, cela implique une conscience tout à fait éveillée, qui ne s’endort jamais, qui n’entre jamais dans l’inconscient. Parce que l’on ne sait pas quand ça va arriver, n’est-ce pas, par conséquent on n’a pas le temps de se réveiller. Il faut être éveillé.

J’ai connu quelqu’un qui, justement, aurait dû mourir, et qui n’est pas mort à cause de cela — parce que sa conscience a réagi très vite. Il s’était empoisonné par erreur : au lieu de prendre une dose de médecine, il en avait pris douze, et c’était un poison; il aurait dû mourir, le cœur devait s’arrêter (il y a des années de cela) et il est encore tout à fait vivant. Il a réagi convenablement.

Si l’on racontait ces choses, on dirait que ce sont des miracles. Ce ne sont pas des miracles : c’est une conscience éveillée.

Comment a-t-on été sauvé l’autre jour, quand on tra vaillait là-bas avec la grue 47 ?

Je suppose que vous devez le savoir!

On le sait partiellement.

Très partiellement, vaguement, une sorte d’impression « comme ça » — une impression, presque une attitude, mais pas une connaissance. Comment cela fonctionne, on ne saurait pas le dire!

C’était par la Grâce.

Mais si tu veux m’expliquer comment ça fonctionne, ce serait intéressant pour tout le monde. Ce serait très intéressant de savoir qui, justement, avait la conscience éveillée, avait la foi, et une sorte de... quelque chose qui a répondu automatiquement, et peut-être pas consciemment.

Il y a des degrés, il y a beaucoup de degrés. L’intelligence humaine est telle qu’à moins qu’il n’y ait un contraste, elle ne comprend pas. N’est-ce pas, j’ai reçu des centaines de lettres de gens qui me remerciaient parce qu’ils avaient été sauvés; mais c’est très, très rare que quelqu’un m’écrive pour me remercier parce qu’il n’est rien arrivé, vous comprenez! Prenons un accident, c’est déjà un commencement de déséquilibre. Naturellement, quand c’est un accident public ou collectif, l’atmosphère de chacun a sa part dans la chose, et cela dépend de la proportion des défaitistes et de ceux qui, au contraire, sont du bon côté. Je ne sais pas si je l’ai écrit — c’est écrit quelque part —, mais c’est une chose très intéressante. Je vais vous la raconter... Les gens ne s’aperçoivent du fonctionnement de la Grâce que quand il y a eu un danger, c’est-à-dire quand il y a eu un commencement d’accident, ou quand l’accident s’est produit et qu’ils y ont échappé. Alors ils se rendent compte. Mais jamais ils ne se rendent compte que si, par exemple, un voyage, ou n’importe, se passe sans accident, c’est une grâce infiniment supérieure. C’est-à-dire que l’harmonie est établie de telle façon que rien ne peut arriver. Mais ça leur paraît tout naturel. Quand les gens sont malades et qu’ils guérissent vite, ils sont pleins de reconnaissance; mais jamais ils ne pensent à être reconnaissants quand ils se portent bien; et pourtant c’est un miracle beaucoup plus grand! Dans les accidents collectifs, ce qui est intéressant, c’est justement la proportion, la sorte d’équilibre ou de déséquilibre, la combinaison produite par les différentes atmosphères des gens.

Il y avait un aviateur qui était un des grands « as », comme on dit, de la Première Guerre, et qui était un aviateur merveilleux. Il avait remporté d’innombrables victoires, il ne lui était jamais rien arrivé. Mais quelque chose s’est produit dans sa vie, et tout d’un coup il a eu le sentiment qu’il allait lui arriver quelque chose, un accident, que c’était fini. Ce qu’ils appellent leur « bonne chance » était passée... Cet homme est sorti du militaire pour entrer dans le civil, et il pilotait sur l’une des lignes d’avion — non, pas dans le civil : il est sorti de la guerre, mais il est resté avec les avions militaires. Et alors, il voulait faire une randonnée jusqu’au sud de l’Afrique : depuis la France jusqu’au sud de l’Afrique. Évidemment, quelque chose a dû se disloquer dans sa conscience (je ne le connaissais pas personnellement, alors je ne sais pas ce qui est arrivé). Il est parti d’une certaine ville de France pour aller, je crois, à Madagascar (je n’en suis pas sûre, je crois que c’était Madagascar) et de là, il voulait remonter en France. Mon frère était à ce moment-là gouverneur du Congo, et il avait envie de rejoindre son poste vite. Il a demandé à être admis sur l’avion comme passager (c’était un avion pour faire de ces randonnées professionnelles et montrer ce que les avions peuvent faire); beaucoup de gens voulaient dissuader mon frère de monter, en lui disant : « Non, ces randonnées-là sont toujours dangereuses, il ne faut pas y aller. » Mais enfin, il y est allé tout de même. Ils ont eu une panne et ils se sont arrêtés au milieu du Sahara, ce qui n’est pas une situation très agréable. Mais enfin, tout s’est arrangé comme par miracle, l’avion est reparti et a déposé mon frère au Congo, là où il devait aller, puis il est descendu plus bas. Et après, à moitié chemin, l’avion s’est écrasé — et l’autre s’est tué... Il était évident que cela devait arriver. Mais mon frère avait une foi absolue en sa destinée, une certitude qu’il n’arriverait rien. Et cela s’est traduit comme cela : le mélange des deux atmosphères a fait qu’il n’a pas pu éviter qu’il y ait eu une dislocation, puisqu’il y a eu une panne au Sahara et que l’avion a été obligé d’atterrir, mais finalement tout s’est arrangé et il n’y a pas eu d’accident vraiment. Mais une fois que lui n’était plus là, l’autre avait toute la force de sa « mauvaise chance » (si vous voulez), et l’accident était complet et il s’est tué.

Il est arrivé une chose analogue avec un bateau. Il y avait deux personnes (c’étaient des gens connus, mais je ne me souviens plus de leurs noms), qui étaient allées en Indochine par avion. Il y a eu un accident, ils ont été les seuls sauvés — tous les passagers ont été tués, enfin c’était une affaire assez dramatique. Mais c’étaient des gens (mari et femme) qui devaient être ce qu’on appelle des porte-malheur — c’est une sorte d’atmosphère comme cela. Eh bien, ces gens-là ont voulu retourner en France (parce que, en fait, l’accident est arrivé quand ils voulaient rentrer en France), ils ont voulu retourner en France, ils ont pris un bateau. Et d’une façon tout à fait inattendue, inhabituelle, en pleine Mer Rouge, le bateau a été cogner contre un récif (une chose qui n’arrive pas une fois sur un million de voyages) et le bateau s’est engouffré; et les autres ont été noyés, et eux ont été sauvés. Et je ne pouvais rien faire, n’est-ce pas, j’avais envie de dire : « Attention, ne voyagez jamais avec eux !... » Il y a des individus comme cela : partout où ils sont, ils se sortent de là très bien, mais les catastrophes sont pour les autres.

Si l’on voit les choses d’une façon ordinaire, on ne remarque pas. Mais les associations d’atmosphère, il faut y faire attention. C’est pour cela que quand on voyage d’une façon collective, il faudrait savoir avec qui l’on voyage. Il faudrait avoir une connaissance intérieure, il faut avoir une vision. Et puis, si l’on voit quelqu’un qui a, comme cela, une espèce de petit tourbillon noir autour de lui, il faut faire attention de ne pas voyager avec lui, parce que, sûrement, il arrivera un accident — peut-être pas à lui-même. Par conséquent, il est assez utile de connaître les choses d’une façon un peu plus profonde que le tout à fait superficiel.

(Regardant l’enfant) Il a l’air de trouver que la vie devient très difficile comme cela !

Le 30 décembre 1953

Qu’est ce que tu appelles « l’esprit de destruction dans les enfants » ?

Il n’est pas dans tous les enfants. J’en ai connu beaucoup qui, au contraire, étaient très soigneux.

Les enfants ne sont pas aussi « concrétisés », matérialisés dans la conscience physique que les gens plus âgés — à mesure que l’on grandit, c’est comme si l’on se coagulait, et on devient de plus en plus matériel dans sa conscience, à moins que, par une action voulue, on ne se développe autrement. Par exemple, la plupart des enfants ont beaucoup de difficultés à discerner leur imagination, leurs rêves, ce qu’ils voient au-dedans d’eux, des choses extérieures. Le monde n’est pas aussi limité que lorsqu’on est plus grand et plus précis. Et ils sont excessivement sensitifs au-dedans; ils sont beaucoup plus proches de leur être psychique que quand ils grandissent, et ils sont beaucoup plus sensitifs aux forces qui, plus tard, pour eux, deviendront invisibles — mais à ce moment-là, elles ne le sont pas. Il n’est pas rare que les enfants aient des sortes de crises, ou de peurs, ou même de joies dans leur sommeil, avec des rêves. Les enfants ont peur de toutes sortes de choses qui, pour les gens plus âgés, n’existent plus. Leur vision n’est pas uniquement matérielle. Ils ont une sorte de perception plus ou moins exacte et précise du jeu des forces derrière. Alors, étant dans cet état-là, ils sont influencés par des forces qui autrement n’ont pas de prise sur les gens qui sont plus enfermés en eux-mêmes et plus matériels. Et ces forces — les forces de destruction, par exemple, ou des forces de cruauté, des forces de méchanceté, des forces de malveillance —, toutes, toutes ces choses sont dans l’air. Quand on est plus conscient et plus construit intérieurement, on peut les voir comme extérieures à soi-même et se refuser à leur donner une expression. Mais quand on est tout petit et qu’on est dans un demi-rêve, ces choses peuvent prendre beaucoup d’influence et faire faire aux enfants des choses que, dans leur état normal, ils ne feraient pas. Je crois que c’est surtout dû à cela.

Il y a aussi un phénomène d’inconscience. Très souvent un enfant fait du mal sans même se rendre compte que cela fait mal; ils sont inconscients, ils sont enfermés dans leur mouvement et ils ne se rendent pas compte de l’effet de ce qu’ils font. Cela arrive très souvent.

C’est-à-dire que si l’on éduque un enfant correctement et que l’on fasse appel à son sentiment le meilleur, et qu’on lui explique que de faire les choses de telle et telle manière est nuisible aux autres (et on peut le leur rendre très tangible avec une petite démonstration), ils cessent de faire du mal, très souvent.

C’est surtout une question d’éducation. Ces mouvements de cruauté semi-consciente, il est très rare que les parents n’en aient pas; eh bien, cela suffit à impressionner la conscience d’un enfant. Il y en a — mais c’est un très petit nombre — qui ont au-dedans d’eux une formation adverse. Ça, ce sont les enfants irrémédiablement méchants. Et ils sont très rares. Il n’y en a pas ici heureusement.

« ... il est certain que la nature de l’enfant qui va naître dépend considérablement de la mère qui le forme, de son aspiration et de sa volonté, ainsi que de l’entourage matériel dans lequel elle vit. Veiller à ce que les pensées soient toujours belles et pures, les sentiments nobles et beaux, et l’entourage matériel aussi harmonieux que possible, dans une grande simplicité, est la part de l’éducation qui doit s’appliquer à la mère elle-même, et si elle ajoute à cela une volonté consciente et précise de former l’enfant suivant le plus haut idéal qu’elle peut concevoir, alors seront réalisées les conditions les meilleures pour que l’enfant fasse son apparition dans le monde avec son maximum de possibilité. »

(Éducation, « Éducation »)

Quand de grandes âmes veulent naître sur la terre, est ce qu’elles choisissent leurs parents?

Ah! cela dépend de leur état de conscience, cela dépend de l’état de leur formation psychique. Si l’être psychique est tout à fait formé, s’il est arrivé à la perfection de son être et qu’il est libre de s’incarner ou de ne pas s’incarner, il a aussi la capacité de choisir. Mais je crois que je vous ai expliqué cela déjà. Ils n’ont pas une vision physique comme la nôtre tant qu’ils ne sont pas dans un corps. Alors ils cherchent évidemment un corps qui soit adapté et propre à les exprimer, mais il faut qu’ils fassent la part de l’inconscience matérielle, si l’on peut dire, et de la nécessité de s’adapter aux lois les plus matérielles du corps. Alors, du point de vue psychique, le choix de l’endroit où l’on naît est important, c’est plus qu’un détail insignifiant. Mais il y a tant de choses que l’on ne peut pas prévoir. Par exemple, on choisit un milieu, on choisit un pays, on choisit un genre de famille, on essaye de voir quelle est la nature des parents possibles, on leur demande certaines qualités déjà bien développées et une maîtrise de soi suffisante. Mais tout cela ne suffit pas si l’on ne peut pas porter en soi-même le dynamisme suffisant pour dissoudre les obstacles. Alors, tout compte fait, cela n’a pas énormément d’importance. De toute façon, même au mieux, même si les parents ont consciemment collaboré, il y a une masse énorme de subconscient — et d’inconscient encore plus bas — qui de temps en temps remonte à la surface, s’agite, abîme le travail, et rend la tranquillité et le silence indispensables. Il faut toujours, toujours une préparation, même si l’on a choisi — beaucoup de préparation. Sans parler du phénomène de semi-abrutissement qui se produit au moment de la naissance, de la descente dans le corps, et qui quelquefois prend très longtemps avant que l’on puisse y échapper tout à fait.

Certains enfants sont méchants. Est ce parce que leurs parents n’ont pas aspiré pour eux ?

C’est peut-être une méchanceté subconsciente dans les parents. On dit que les gens rejettent d’eux leur méchanceté en la faisant naître dans leurs enfants. On a toujours une ombre en soi. Il y a des gens qui projettent cela hors d’eux — ça ne les libère pas toujours, mais enfin ça les soulage peut-être! Mais c’est l’enfant qui en « profite », n’est-ce pas. Il est tout à fait évident que l’état de conscience dans lequel les parents se trouvent à ce moment-là est d’une importance capitale. Si l’on a des idées très basses et très vulgaires, les enfants le refléteront d’une façon tout à fait certaine. Et tous ces enfants qui sont mal formés, mal nés, incomplets (surtout au point de vue de l’intelligence : des trous, des manques), des enfants qui sont seulement semi-conscients et semi-formés, c’est toujours de la faute de l’état de conscience dans lequel se trouvaient les parents quand ils ont conçu l’enfant. De même que l’état de conscience des dernières minutes de la vie est d’une importance capitale pour l’avenir de celui qui est parti, de même l’état de conscience dans lequel se trouvent les parents au moment de la conception donne une sorte d’estampille à l’enfant, qu’il reflétera pendant toute son existence. Alors ce sont en apparence de si petites choses — l’humeur d’un moment, l’aspiration d’une minute, ou la dégradation, ou n’importe, tout ce qui peut se produire à un moment donné —, cela paraît si peu de chose, et cela a une conséquence si grande : ça fait venir au monde un enfant qui est incomplet ou qui est méchant, ou enfin un raté. Et les gens ne se rendent pas compte de cela.

Après, quand l’enfant fait des méchancetés, ils le grondent. Mais ils devraient commencer par se gronder eux-mêmes en se disant : « Dans quel horrible état de conscience je devais être quand j’ai fait venir au monde cet enfant-là ! » Parce que c’est cela.

Il arrive quelquefois que la mère éduque bien son en fant, mais les gens qui entourent l’enfant le gâtent. Alors que peut faire la mère?

Oui, parfaitement. La pire de toutes les choses (que les gens font généralement), c’est de laisser leurs enfants avec des domestiques. C’est un crime. Parce que ces gens-là ont une conscience tout à fait vulgaire, tout à fait basse, tout à fait obscure; et tout spontanément, sans le vouloir, ils font entrer cela dans les enfants. Il y a naturellement aussi l’âge où les enfants sont mis à l’école et où ils commencent à être en rapport avec un tas d’enfants qui ne sont pas toujours très recommandables. Il est très difficile d’échapper à ces relations. Mais tout de même, si l’on a commencé sa vie avec un peu de conscience et une grande bonne volonté, quand on rencontre des gens qui ne sont pas désirables comme compagnie, on le sent. Et si l’on est de bonne volonté, immédiatement on essaye de ne pas les voir, ou de ne pas les avoir avec soi.

Mais si le pouvoir de la mauvaise volonté est plus grand que la bonne volonté de l’autre?

Oui, c’est vrai, cela peut arriver. Au fond, c’est pour cela que l’on en revient toujours à la même chose : il faut faire tout ce que l’on peut, aussi bien qu’on le peut, et le faire comme une offrande au Divin, et puis, une fois que tout cela se sera classé et organisé, eh bien, s’il y a vraiment une aspiration dans l’être et un être qui soit un être de lumière, il peut contrecarrer toutes les mauvaises influences. Mais une fois que l’on met son pied dans ce monde-ci, on ne peut pas beaucoup espérer être tout à fait pur des mauvaises influences. Chaque fois que l’on mange, on en absorbe; chaque fois que l’on respire, on en absorbe. Alors, au fond, ce qu’il faut, c’est faire le travail de nettoyage au fur et à mesure, autant qu’on le peut.

Pourquoi y a-t-il des enfants qui s’intéressent aux choses seulement quand il y a de l’excitation?

Ils sont tâmasiques. C’est la proportion de tâmas dans la nature. Plus on est tâmasique, plus on a besoin d’événements violents, de circonstances excitantes. Quand le physique est tâmasique, à moins que l’on ne mange des épices et des aliments avec un goût très fort, on ne se sent pas nourri. Et pourtant ce sont des poisons. Cela agit exactement comme des poisons sur les nerfs. Ça ne nourrit pas. Mais c’est parce qu’ils sont tâmasiques, parce qu’ils n’ont pas suffisamment de conscience dans leur corps. Eh bien, mentalement c’est la même chose, vitalement c’est la même chose. S’ils sont tâmasiques, ils ont toujours besoin de nouvelles excitantes, de drames, d’assassinats, de suicides, etc., pour avoir l’impression de quelque chose, autrement... Et il n’y a rien, rien qui rende plus méchant et plus cruel que le tâmas. Parce que c’est ce besoin d’une excitation qui vous secoue un peu, qui vous sorte de vous même. Et il faut apprendre aussi, là, à discerner entre ceux qui sont exclusivement tâmasiques et ceux qui sont mélangés, et ceux qui sont en lutte au-dedans d’eux-mêmes entre différentes parties. On peut, on doit savoir dans quelle proportion la nature est construite de façon à pouvoir insister, au besoin, sur une chose ou sur une autre. Certains ont besoin constamment des coups de fouet de la vie pour bouger, autrement ils passeraient leur temps à dormir. D’autres, au contraire, ont besoin de choses calmantes, de silence, de retraite dans la campagne — toutes choses qui font beaucoup de bien, mais qui doivent disparaître dès le moment où l’on a besoin de faire un effort pour progresser, ou de réaliser quelque chose, ou de lutter contre un défaut, de vaincre un obstacle... C’est compliqué, n’est-ce pas.

La proportion est très importante, cette proportion des trois gunas (vous connaissez les trois gunas 48 ), la proportion des trois gunas dans la nature. Et de savoir justement cette proportion en soi, et comment se servir de l’un pour lutter contre l’autre, et ainsi de suite. Mais il y a un moment où l’on doit atteindre un certain équilibre, et alors être capable de l’établir en soi d’une façon un peu stable et de faire face à la vie sans avoir à descendre dans des trous ou à lutter contre des choses terribles. À ce moment-là, alors, tout va bien.

Il avait été proposé que l’éducation dans notre école et notre centre universitaire se fasse suivant l’idéal de Sri Aurobindo. Mais jusqu’à présent, on donne l’édu cation comme on la donne au-dehors : on suit le même programme.

Oui, mon enfant. Et il y a des années que je me bats pour que ce soit autrement. Quand vous — vous, les enfants ici —, vous serez assez grands et prêts à devenir des professeurs, alors c’est vous qui serez chargés d’enseigner aux nouveaux venus la vraie chose, de la vraie manière. Au fond, pour le moment, nous sommes beaucoup plus une école de professeurs qu’une école d’élèves! Ce qu’il faut, c’est que vous vous prépariez en apprenant ce que tout le monde sait — parce qu’il y a une base indispensable : ce n’est pas grand-chose, ce n’est pas une base très détaillée ni très profondément établie, mais enfin il y a une base de connaissances générales humaines nécessaires —, mais une fois que vous aurez cette base-là et qu’en même temps vous aurez bénéficié de l’influence qui est ici, et que vous aurez suffisamment lu et compris pour pouvoir voir sous cet angle-là — l’angle de la vie vraie —, eh bien, quand vous saurez tout cela, c’est vous qui enseignerez aux enfants du dehors ce que vous aurez appris. Cela fait partie du travail.

Il est vrai que, à part quelques rares exceptions, l’enseignement est donné suivant le principe le plus ordinaire. Je le reconnais. Mais par exemple, pour qu’il en soit autrement, il faudrait que les livres dont on se sert soient des livres préparés ici, avec le choix des citations fait ici, même avec la méthode d’enseignement élaborée ici. J’ai demandé à plusieurs personnes de le faire. Mais ce sont de ces travaux interminables qui font que l’on remet toujours à l’année suivante la possibilité de faire un cours qui ne suive pas l’ornière du passé. Cette préparation matérielle, par exemple, pour la vraie compréhension des choses, cela prend du temps. On a à faire face à des problèmes très concrets; il est difficile d’instruire les enfants sans qu’il aient des livres pour pouvoir étudier. Mais ces livres, au fond, sont forcément commandés dans le stock existant. On n’a pas beaucoup de choix. On cherche à trouver ce qu’il y a de mieux, mais ce qu’il y a de mieux n’est pas encore très bien. Cela aussi, j’ai besoin de gens pour les faire, ces livres. Mais je crois que, justement, quelqu’un qui a été enfant ici et qui a senti les choses d’une façon très subconsciente quand il était tout petit, et qui a malgré tout... cela laisse une trace, ça ne peut pas être sans effet; et quand on voit les enfants qui ont été élevés ici à côté de ceux qui viennent du dehors, il y a vraiment une grande différence (peut-être pas extérieurement dans la partie mécanique de l’instruction, mais dans la compréhension, dans l’intelligence, dans l’éveil intérieur), il y a une différence considérable, et il faut un temps aux nouveaux pour pouvoir se mettre au même niveau. C’est quelque chose qui est par-delà les livres, n’est-ce pas. C’est comme la différence entre vivre dans une atmosphère qui est pure, se remplir les poumons d’air pur chaque fois que l’on respire, ou bien vivre dans une atmosphère infestée et s’empoisonner chaque fois que l’on respire. Au point de vue de la conscience, c’est le même phénomène, et au fond c’est la chose la plus importante. Et c’est celle-là qui échappe tout à fait à la conscience superficielle. On est plongé dans un bain de conscience plein de lumière, d’aspiration, de compréhension vraie, de pureté essentielle, et, qu’on le veuille ou non, ça entre. Même pour ceux qui se ferment dans leur conscience extérieure, eh bien, ils ne peuvent pas dormir en vain. Il y a une action ici, dans le sommeil, qui est considérable, considérable. Alors cela fait un effet, c’est visible. J’ai vu des gens qui étaient venus tout à fait du dehors, qui ne savaient rien (seulement ils avaient passé leur vie à s’intéresser aux enfants), eh bien, l’impression de ces gens — des visiteurs, des gens qui passent comme cela —, ils sont tous ahuris : « Mais vous avez ici des enfants comme je n’en ai jamais vu ailleurs! » Pour nous, nous y sommes habitués, n’est-ce pas. Ils sont spontanément comme cela, tout à fait naturellement. Mais il y a un éveil dans la conscience, il y a une sorte de réponse intérieure et un sentiment d’épanouissement, de liberté intérieure qu’on ne trouve pas ailleurs. Il vous arrive des enfants qui sont terriblement bien élevés — tellement polis, tellement bien élevés, qui vous répondent d’une façon... et on a l’impression de petits pantins à moitié vivants qui ont été bien polis, bien brossés, bien astiqués au-dehors, mais au-dedans il n’y a pas de réponse. Ici, je ne peux pas dire que nous donnions l’exemple d’une politesse inhabituelle (!), on est plutôt un peu... un peu ce que les gens appellent « malélevés ». Mais on l’est d’une façon vivante! On sent une conscience qui vibre ici. Et ça, c’est la partie la plus importante. Et c’est ce dont on ne parle pas parce que ce ne sont des choses que l’on fait et qu’on ne dit pas — il faut une occasion comme aujourd’hui pour que je vous en parle. Enfin, il y a des années que vous êtes ici et c’est la première fois que cela m’arrive. Voilà.

Vous avez épuisé toutes vos questions?

C’est hors du sujet : Mère, chaque année tu donnes une prière le 1er janvier, qu’est ce que cela indique exacte ment?

Oui, chaque année... Pendant la guerre c’était merveilleux, c’était comme une prophétie de ce qui allait arriver. Maintenant il n’y a plus de guerre et il n’y a plus besoin de prophéties! Mais c’est toujours l’indication du progrès qui doit être fait. Vous la recevrez demain matin, la prière 49 . Mais je vous conseille d’y réfléchir beaucoup. Parce que, vraiment, c’était dit et considéré comme d’une importance capitale. Maintenant nous devenons presque d’intérêt public, en ce sens qu’il y a des tas de visiteurs qui viennent, et il y a des tas de gens qui s’occupent de ce que l’on fait ici, et puis on les promène et on leur montre ce que, censément, nous avons fait et ce que nous ferons et tout cela. Et il y avait vraiment un grand besoin de dire : « Je vous en prie, ne parlez pas tant de ce que nous faisons : faites-le. » Voilà !

Il vaut toujours mieux faire que dire, et dans les moindres détails aussi.

Il y a un autre sens, plus profond. Mais cela, je vous en parlerai une autre fois.

Voilà, au revoir mes enfants.









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