CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954

The Mother symbol
The Mother

Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Collection des œuvres de La Mère Entretiens - 1954 Vol. 6 533 pages 2009 Edition
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Note de l'Éditeur

La genèse de ces Entretiens mérite d'être notée. Ils ne sont pas nés d'une décision arbitraire, mais d'une nécessité matérielle, comme la plupart des activités de l'Ashram où le spirituel se greffe toujours sur le matériel. En 1943 avait été fondée l'"École" de l'Ashram ; les enfants avaient grandi, appris le français, puis d'autres étaient venus et il n'y avait pas assez de professeurs. La Mère a donc décidé de prendre elle-même trois fois par semaine des "classes de français" pour les élèves les plus avancés. Elle lisait un texte français de ses propres écrits ou des traductions de Sri Aurobindo ; les enfants et leurs professeurs posaient des questions. Ainsi sont nés ces Entretiens, que l'on appelait plus familièrement les "classes de Mère". Les questions posées sont donc de tous ordres et de tous les niveaux.

Au début, ces Entretiens furent simplement sténographiés. Certains manquent ou sont incomplets. Ce n'est qu'à partir de 1953 que nous avons des enregistrements sur bande magnétique. Les Entretiens 1954 ont initialement paru dans le Bulletin du Centre International d'Éducation Sri Aurobindo (jusqu'au mois de septembre 1954), et ont été publiés pour la première fois dans le texte intégral, sous forme de livre, en 1980.







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La Mère en 1954







janvier




Le 27 janvier 1954

Douce Mère, la formation du corps d’une personne exprime-t-elle son caractère?

Non. Seulement c’est le caractère lui-même qui n’est pas simple, c’est-à-dire que le caractère d’une personne n’est pas l’expression de son être véritable, mais le résultat de bien des choses. Par exemple, l’atavisme peut s’exprimer, c’est-à-dire ce qui vient du père, de la mère, de la combinaison des deux qui peut avoir un résultat différent; de ce qui les a précédés — les antécédents, grands-pères, arrière-grands-pères, etc.; puis du milieu dans lequel les gens ont vécu quand ils étaient tout petits et qu’ils n’avaient pas d’indépendance du tout. Cela influe considérablement sur le caractère. Et ce caractère influe sur la formation physique. Alors, on ne peut pas dire, en voyant quelqu’un, quelle est exactement sa vraie nature. On peut dire sa tendance, on peut dire ses difficultés, on peut dire ses possibilités, mais c’est seulement à mesure que la croissance de la conscience se fait et que le développement devient volontaire et organisé, que le corps peut commencer à exprimer le vrai caractère de la personne.

Et quand le corps est déformé par des maladies?

Ce peut être un accident, n’est-ce pas. Les accidents sont le résultat de bien des choses; en fait, c’est le résultat du conflit des forces dans la nature, un conflit entre les forces de croissance et de progrès, et les forces de destruction. Quand il y a un accident — un accident qui produit des conséquences durables —, c’est toujours le résultat d’une victoire plus ou moins partielle des forces adverses, c’est-à-dire des forces de désintégration, de désorganisation. Cela dépend.

Il y a des enseignements, comme ceux de la théosophie, par exemple, qui ont pris le karma dans un sens tout à fait superficiel et humain et qui vous disent : « Oh! vous avez subi cet accident parce que, dans une vie antérieure, vous avez fait une mauvaise action quelconque, alors cela retombe sur vous sous forme d’accident. » Ce n’est pas exact, ce n’est pas du tout exact. Ça, c’est une justice humaine; ce n’est ni le genre de justice de la Nature, ni le genre de justice du Divin.

Naturellement, la formation du corps est très importante en ce sens que si, par exemple, on est constamment sous l’influence d’une dépression, d’un pessimisme, d’un découragement, d’un manque de foi et de confiance dans la vie, tout cela entre, pour ainsi dire, dans la Matière, et alors certaines gens, quand il y a une possibilité d’accident, ne la manquent jamais. Chaque fois qu’il peut leur arriver quelque chose, ils l’attrapent, soit une maladie, soit un accident. Vous avez tout un champ d’observation ici — c’est toujours aux mêmes qu’il arrive des accidents. Il y en a d’autres qui font la même chose, ils ont autant de chances d’avoir un accident, mais ils ne sont pas touchés. Si vous observez leur caractère, vous verrez que les uns ont une tendance au pessimisme et qu’ils s’attendent plus ou moins à ce que quelque chose de désagréable leur arrive — ça leur arrive. Ou alors ils ont peur. Nous savons que la peur amène toujours ce que l’on craint. Si vous avez peur d’un accident, c’est comme un aimant qui attire l’accident à vous. De cette façon, on peut dire que c’est le résultat du caractère. Et c’est la même chose pour les maladies. Il y a des gens qui peuvent se promener parmi les malades et dans les endroits où il y a des épidémies, ils n’attrapent jamais de maladies. Il y en a d’autres, il suffit qu’ils passent une heure avec quelqu’un de malade, ils attrapent la maladie. Ça aussi, ça dépend de ce qu’ils sont au-dedans d’eux-mêmes.

Et les enfants aussi, est-ce la même chose?

On ne peut pas dire. C’est une question morale. Il ne faudrait pas juger le problème d’un point de vue moral, dire que ce sont « les bons enfants » qui sont toujours en bonne santé et à qui il n’arrive rien, et que ce sont « les méchants » à qui il arrive les accidents et qui attrapent les catastrophes. Ce n’est pas exact. Parce que, comme je le disais, la logique de la Nature n’est pas une logique humaine et son sens de la justice (si elle en a) n’est pas un sens humain. Pour elle, il y a très peu de ce que nous appelons bon et mauvais. On pourrait dire plutôt qu’il y a ce qui est constructif et ce qui est destructif, ce qui est progressif et ce qui est rétrograde. Ça, c’est très important. Et alors, il y a ce qui est lumineux, solaire, heureux, souriant, et ce qui est morne, terne, misanthrope, mécontent — ce qui vit dans une grisaille. Ce sont ceux-là qui attrapent toutes les choses désagréables. Ceux qui rayonnent (ils peuvent rayonner sans que ce soit un rayonnement spirituel, ce peut être seulement un rayonnement de bon sens, d’équilibre, de confiance intérieure, de joie de vivre), ceux qui portent en eux la joie de vivre, ceux-là sont en harmonie avec la Nature et, étant en harmonie avec la Nature, généralement ils évitent les accidents, ils sont immunisés contre les maladies, et leur vie se développe agréablement, autant qu’il est possible dans le monde tel qu’il est. Alors?

« Couramment, on rencontre la croyance que les brillants esprits sont dans des corps chétifs. »

(La Mère, Éducation, « L’Éducation physique »)

Je n’ai pas compris!

Ça, c’étaient les vieilles idées du siècle dernier. Ce n’est plus maintenant à la mode, mais à la fin du siècle dernier, on croyait toujours que plus les gens étaient chétifs et malingres, plus leur esprit était brillant, plus ils étaient intelligents! Certains même expliquaient que le développement de leur intelligence venait du fait qu’ils n’étaient pas capables de jouir de leur corps — parce qu’ils étaient tout à fait incapables de vivre pleinement, alors toute leur attention s’était tournée vers leur esprit et c’est comme ça que leur intelligence s’était développée. Il y avait même un temps où il était à la mode d’avoir l’air un peu maladif. Les poètes, par exemple, prenaient des airs... Un artiste, il fallait qu’il soit un peu chétif pour donner l’impression qu’il brûlait de l’esprit! Mais c’est passé. Ça a passé même avant que vous ne soyez nés, je crois. C’était l’époque romantique, la fin du siècle dernier. Des hommes comme Musset, par exemple — je ne sais pas si vous avez jamais vu le portrait de Musset, mais enfin il avait un air sentimental et maladif, et il accentuait cela par son costume autant qu’il pouvait... On pensait que cela donnait l’air artistique et poétique. Mais maintenant c’est tout à fait passé de mode. On est pour le bon équilibre physique, la bonne santé, le corps solide et tout ce que donne la culture physique des petits.

J’ai lu une histoire par un romancier français très connu (c’était un roman), qui se passait aux temps préhistoriques, à l’âge de pierre, où l’homme vivait dans les cavernes, se vêtait de peaux de bêtes et chassait pour manger et se défendre. Alors, il se trouvait que, par un accident quelconque, un enfant était né boiteux, ou enfin déformé, ou bossu, ou quelque chose comme ça. Et généralement, dans ce temps-là (on le raconte, je ne sais pas), on détruisait les enfants mal formés parce que c’était un encombrement. Mais, pour une raison quelconque, sa mère l’avait caché et il avait vécu. Et alors, ce garçon qui n’avait aucun moyen de chasser, par exemple, ni de faire tous les travaux que ses compagnons faisaient, avait commencé à développer son intelligence et il était devenu le premier poète, parce qu’il exprimait par sa parole ce que les autres faisaient avec leurs gestes. Eh bien, ce sont justement des idées comme cela qui sont à l’origine de ce sentiment que, pour avoir un esprit, il ne faut pas avoir de corps, et que, plus on est malade, plus on est intelligent. C’est assez fâcheux !

Il est vrai qu’il y a une certaine indépendance. Je crois vous avoir raconté la dernière fois qu’il y avait un poète français appelé Sully Prudhomme qui se mourait d’une très grave maladie — une maladie très douloureuse et très grave —, et c’est à ce moment-là qu’il écrivait ses plus beaux poèmes et qu’il disait à ses amis les plus belles choses. Son esprit était très indépendant de son corps. Mais enfin, ce n’est pas une règle absolue.

Chez les enfants, le psychique est toujours « devant eux », non?

Pas toujours. Le psychique est plus « en avant » que plus tard quand ils grandissent et que le mental se développe, mais on ne peut pas dire que dans tous les enfants on sente le psychique. Et on ne peut pas juger d’après ce qu’il y a ici, parce que la condition d’admission, pour moi, quand on m’amène des enfants, est celle-ci : si je vois le psychique à la surface, je les prends, mais s’ils sont déjà voilés par toutes sortes d’activités déformées, je ne les prends pas. Alors ceux que vous avez ici sont une exception. C’est une crème. C’est un choix.

Mais pourquoi y a-t-il des enfants gourmands?

Oh! mon Dieu! gourmand, ce n’est pas un péché! Il y a des enfants gourmands. Peut-être ont-ils une mauvaise digestion et ils ont toujours envie de manger. Ils ne profitent pas de ce qu’ils mangent. Tout l’être extérieur est plein de difficultés de tous genres, chez tout le monde — chez les enfants aussi. Tu pourrais me dire avec beaucoup plus de raison : « Pourquoi y a-t-il des enfants si cruels? » Ça, c’est l’une des choses les plus effarantes... Mais c’est de l’inconscience. C’est parce qu’ils ne se rendent même pas compte qu’ils font souffrir. Et généralement, si l’on prend soin de leur faire comprendre — par exemple, par l’expérience —, alors ils comprennent. Les enfants qui maltraitent les animaux (il y en a beaucoup), mais c’est parce qu’ils ne savent même pas que les animaux sentent comme eux. Quand on leur fait comprendre que quand ils pincent, qu’ils tirent les poils des bêtes et leur donnent des coups, ça leur fait mal, et au besoin qu’on leur montre sur eux-mêmes comment ça fait mal, alors ils ne le font plus!

Il y en a qui sont particulièrement méchants. Ceux-là sont sous une influence perfide. Et quelquefois, cela se montre dès l’enfance, et ils le sont toute leur vie, à moins qu’ils ne se convertissent, ce qui n’est pas facile.

Il y a une sorte d’association entre le physique et le psychique, et entre le mental et le vital. Un être mental est très souvent un être très vital. Un être psychique est très souvent un être physique. Les enfants — justement parce qu’ils ont cette conscience psychique en avant, comme cela — vivent aussi tout à fait dans leur corps. Tandis que, dès que l’on commence à développer le mental, le goût de l’association se développe aussi, avec tout ce que cela comporte de déformations. Les gens qui font des distinctions très sévères entre les hommes et les femmes (je ne sais pas pourquoi, parce qu’ils se valent), disent que l’homme est mental et vital, et que la femme est physique et psychique. Il y a quelque chose de vrai. Mais naturellement, cela comporte toutes les exceptions et toutes les complications possibles. Ce sont des simplifications arbitraires. En fait, le physique a une simplicité, et même une bonne volonté (qui n’est pas toujours très éclairée, il s’en faut), mais enfin une simplicité et une bonne volonté qui le mettent plus en rapport avec le psychique que les passions du vital ou les prétentions du mental. Et c’est probablement pour cela aussi que, chez les enfants, le psychique peut être là plus à son aise, moins heurté constamment par des contradictions mentales ou vitales.

Comment peut-on savoir que l’être psychique est en avant ou non?

Qui? Soi-même?... Ça ne se sent pas, non? Tu ne le sens pas? Je ne dis pas un petit enfant, parce qu’il n’a aucun moyen de contrôle et d’observation, il manque de la capacité d’observation. Mais enfin, quand on n’est plus bébé, on ne sent pas? Ça ne fait pas une différence?... (L’enfant approuve de la tête) Ah!... Il n’y en a pas un qui osera me dire que cela ne fait pas une différence quand le psychique est là, quand on se sent meilleur en soi-même, quand on est plein de lumière, d’espoir, de bonne volonté, de générosité, de compassion pour le monde et que l’on voit la vie comme un champ d’action, de progrès, de réalisation — cela ne fait pas une différence avec les jours où on est ennuyé, ronchonnant, où tout paraît laid, désagréable, méchant, où l’on n’aime personne, où l’on a envie de tout casser, où l’on se met en colère, où l’on se sent mal à l’aise, sans force, sans énergie, sans joie? Cela fait une différence, non?

Cela peut faire une différence, mais on ne comprend pas que le psychique est quelque chose d’autre.

Naturellement, si personne ne vous a jamais enseigné ce qu’est le psychique, ce qu’est le vital, vous ne pouvez pas mettre de notion sur la chose. Vous pouvez dire : « Aujourd’hui, je suis dans un bon état; hier, je ne l’étais pas. » J’ai vécu jusqu’à vingt-quatre ans sans savoir rien de toutes ces choses, et pourtant je distinguais bien ces mouvements. Je ne mettais pas ces mots parce que personne ne me les avait enseignés et je n’avais jamais rien lu, mais je sentais très bien la différence d’après les moments, et dans quel état de conscience je me trouvais.

Mais vous, ici, après tout ce que vous avez entendu et tout ce que vous avez lu, et tout ce que je vous ai enseigné, vous devriez être au courant de tous les mouvements au-dedans de vous et pouvoir mettre une petite étiquette : c’est celui-ci, c’est celui-là.

Savez-vous les jours où vous êtes en bonne santé et les jours où vous êtes malade? Physiquement. Est-ce que vous le savez?

Physiquement, oui.

Physiquement, tout à fait sûr? Quand vous vous réveillez le matin, pouvez-vous savoir si, aujourd’hui, l’équilibre est bon ou s’il n’est pas bon?

Ça change avec le jour.

C’est vrai, ça change tout le temps. Même dans la journée. Mais quand vous venez de vous réveiller, quand vous êtes juste réveillé, quand vous commencez votre journée, est-ce que vous commencez votre journée tous les jours de la même manière?

Non.

Ah! Il y a des jours où il vous semble que tout est harmonieux, et il y a des jours où vous êtes comme avec des rouages qui grincent. Ça grince au-dedans de vous, ça ne tourne pas rond. Eh bien, c’est quelque chose comme cela. Si vous observez cela physiquement, pour votre corps, après vous pouvez l’observer pour vos sensations, vos sentiments (l’espèce d’impression intérieure), et puis observer votre cerveau, si le cerveau est clair ou s’il est fumeux. Hein?

Oui.

Alors c’est la même chose.

Dans quelle partie de l’être se développe le pouvoir d’observation?

Je pense que le pouvoir d’observation se développe dans toutes les parties de l’être. Vous pouvez avoir un pouvoir d’observation mental, un pouvoir d’observation vital, un pouvoir d’observation physique. Quand vous observez les idées, par exemple, le cours des idées, la logique des idées, ce n’est pas tout à fait le même pouvoir d’observation que lorsque vous regardez un camarade faire de l’athlétisme et que vous voyez s’il fait ses mouvements correctement. C’est-à-dire que la capacité d’attention est là dans les deux cas, mais elle s’exerce dans un domaine différent. On ne peut pas dire que ce soit une partie de l’être qui observe les autres; c’est dans chaque partie de l’être la faculté d’observation qui se développe, c’est-à-dire la faculté de concentration et d’attention. Parce qu’il ne faut pas confondre la capacité d’observation avec la capacité de discernement. Le discernement est une capacité intellectuelle. Il y entre déjà quelque chose comme un jugement, ce que l’on appelle en anglais « discrimination » : vous pouvez faire la différence entre l’origine d’une chose et l’origine d’une autre, et les valeurs réciproques des choses. Mais cela, ce doit être basé sur une observation correcte. Le pouvoir d’observation vient d’abord, le discernement suit.

Y a-t-il un pouvoir d’observation dans le psychique?

Plus que ça ! Il y a la capacité de vision directe des choses. C’est comme un miroir dans lequel se reflètent toutes choses, quelles qu’elles soient. Mais justement les enfants, en général, quand ils ne sont pas déformés, ils ont cela très bien, une grande sensibilité, par exemple, à l’atmosphère des personnes qui les approchent. Il y a des enfants, sans raison apparente, qui se précipitent sur quelqu’un, une personne, et qui s’éloignent avec horreur d’une autre. Pour vous, les deux personnes sont également gentilles ou pas gentilles, vous ne faites aucune différence. Mais dans un cas, l’enfant immédiatement est attiré par une personne, et dans l’autre, vous avez beau essayer, il pleurera, il criera, ou il s’enfuira, mais il ne veut rien avoir à faire avec elle, et cela, c’est la traduction, dans une conscience d’ignorance, d’un phénomène psychique de vision de la qualité psychique de la personne qui est là.

Certaines personnes peuvent se concentrer très vite, tandis que d’autres ne le peuvent pas.

Peut-être sont-ils nés comme ça, pour une raison quelconque, ou peut-être ont-ils pratiqué, même sans savoir qu’ils pratiquaient. Oui, il y a des enfants qui, très jeunes, sont très attentifs, et d’autres qui sont toujours dispersés. Mais cela fait partie de la composition des êtres. Il n’y en a pas deux qui soient pareils. Certains sont nés avec un grand pouvoir d’attention, et d’autres ne l’ont pas.

On peut l’augmenter?

On peut le développer, on peut, et il n’y a pas de limites au développement. Et il est même tout à fait indispensable de le développer.

février




Le 3 février 1954

« Certaines initiations antiques affirmaient que le nombre des sens que l’homme peut développer est non de cinq mais de sept, et dans certains cas spéciaux, même de douze. À certaines époques, certaines races humaines ont, par nécessité, développé plus ou moins parfaitement l’un ou l’autre de ces sens supplémentaires. Par une discipline appropriée et tenace, ils sont à la portée de tous ceux qui sont sincèrement intéressés par ce développement et ses conséquences. Parmi les facultés dont il est souvent parlé, il y a celle, par exemple, d’élargir sa conscience physique, de la projeter hors de soi pour la concentrer sur un point défini, et obtenir ainsi la vision, l’audition, l’odorat, le goût et même le contact à distance. »

(Éducation, « L’Éducation vitale »)

Quels sont les noms de ces douze sens?

Les noms? Dans la tradition chaldéenne, ils étaient en chaldéen. En d’autres traditions, c’était dans un autre langage; en Égypte, cela s’écrivait avec des hiéroglyphes. Chaque système a donné ses noms. J’avais une liste des noms — pas seulement des noms, mais aussi de ce qu’ils représentaient, quel genre de sens cela représentait —, mais il y a fort longtemps, je ne me souviens plus. Comme je l’ai dit là, c’est dans le domaine des choses qui se voient, qui se sentent, qui se font à distance par une projection concentrée de la conscience. Par exemple, on se trouve dans une chambre et, par suite d’une maladie ou d’un accident, on ne peut pas bouger. Après cette chambre, il y a une autre chambre; après cette autre chambre, il y a une espèce de pont; après ce pont, il y a un escalier qui descend ; et cet escalier descend dans un grand atelier qui est au milieu d’un jardin. Alors, la personne qui est couchée dans la chambre a envie de savoir ce qui se passe dans l’atelier. On concentre sa conscience et puis on la prolonge, pour ainsi dire (vraiment c’est comme si on la prolongeait, presque matériellement, comme ça), et on fait tout le chemin, et puis on arrive dans l’atelier. Si on le fait convenablement, on voit ce qu’il y a dans l’atelier, on peut entendre ce qui s’y passe, quoique soi-même on ne soit pas dans l’atelier : le corps est couché dans un lit, dans une chambre, mais c’est la conscience qui est projetée. C’est une conscience physique. Ce n’est pas un état intérieur, parce qu’on voit physiquement, on entend physiquement — s’il y a des gens dans la chambre, on les voit, et s’ils parlent on les entend parler. Naturellement, ce n’est pas dès le premier jour que l’on réussit; cela demande une discipline très rigoureuse. Cela correspond un peu (un peu) à cette capacité qui s’est développée chez les Indiens peaux-rouges du fait de leur vie. Je ne sais pas maintenant, mais alors ils appliquaient l’oreille par terre, et ils avaient l’oreille tellement fine qu’ils pouvaient entendre des pas à plus d’un mille de distance. Ils entendaient les pas de ceux qui marchaient à plus de deux ou trois kilomètres de distance, simplement en mettant l’oreille par terre. Ou bien le chien qui, si on lui donne à sentir quelque chose, retrouvera la piste de cette odeur, pourra la suivre avec son nez. Eh bien, c’est une espèce de supersens, c’est-à-dire un sens arrivé à un degré d’intensité et de raffinement tel qu’il peut justement sentir ce que le sens ordinaire ne sent pas, voir à distance, réellement voir, voir physiquement à distance, à travers les murs. On dit que les aveugles développent un sens qui leur fait sentir à distance un contact. Ils ne voient pas, ils marchent dans l’obscurité comme dans la nuit noire; mais ils ont une espèce de sens du contact à distance, du contact matériel qui fait que, longtemps avant de toucher un objet, ils savent — par exemple, s’il y a un meuble sur leur chemin, longtemps avant de se cogner contre le meuble, ils ont le toucher à distance de ce meuble-là.

Chez les enfants, le mental n’est pas développé quand ils sont petits. Est-ce la même chose pour le vital?

Non, le vital est beaucoup plus développé que le mental. Tu sais, j’ai dit là que les choses se cristallisaient 1 , c’est-à-dire que cela prend une forme, et une forme de plus en plus précise et de plus en plus fixe (plus la forme est précise, plus elle est fixe). Chez les enfants, c’est beaucoup plus comme de l’eau; ce n’est pas encore dans une forme très concrète et très précise. C’est pour cela, d’ailleurs, que l’on peut avoir une grande action sur eux, parce que c’est encore souple, ce n’est pas cristallisé : on peut le remarquer, ça a quelque chose de malléable, comme si l’on moulait du beurre; tandis que, dès qu’ils arrivent à l’âge de vingt à vingt-cinq ans, la disposition spéciale, la tournure du caractère est fixée et, à ce moment-là, au lieu d’empêcher que les défauts se produisent, il faut commencer à les réparer. C’est une autre chose. Si l’on veut donner une éducation qui empêche que les mauvaises habitudes soient prises ou que des mauvais plis soient poursuivis, une éducation qui constamment amène l’enfant dans le droit chemin (celui que l’on veut qu’il suive), eh bien, quand ils sont petits, c’est possible, quand ils deviennent plus grands, ça devient dur. On ne peut pas changer l’empreinte facilement. Quelquefois même, il faut casser pour pouvoir changer : ceux qui ne sont pas progressifs, qui sont fixés, et qui restent fixés, qui tiennent de toutes leurs forces à leurs petites habitudes. Tandis que les petits sont souples, on peut changer leur opinion, on peut les faire progresser, leur donner le sens que, le lendemain, on doit faire mieux que la veille.

Les mauvaises habitudes, par exemple de ne pas garder les choses en ordre, est-ce dû au vital?

Cela dépend. Par exemple, les enfants qui n’ont pas d’ordre, qui ne peuvent pas garder leurs affaires soigneusement, qui les perdent ou les abîment, cela a trois raisons. Le plus souvent, c’est un enfant qui manque de vitalité. Quand il est comme ça, quand il ne peut pas garder ses affaires soigneusement et quand tout est en désordre autour de lui, c’est toujours le signe d’un manque de vitalité; il n’a pas une vitalité suffisante pour prendre de l’intérêt à ces choses extérieures. La seconde raison, c’est qu’il manque d’intérêt dans la vie matérielle, la vie des choses, et qu’il n’a pas de discipline, qu’il ne se discipline pas lui-même. Par exemple, les enfants, quand ils se déshabillent, jettent tous leurs vêtements à droite et à gauche; ou bien, quand ils ont joué, ils laissent leurs jouets traîner; quand ils ont écrit et fait leurs devoirs, tout est là en pagaille : le porte-plume d’un côté, le cahier de l’autre, le livre d’un troisième, et puis tout cela se perd. Malheureusement, c’est le cas de l’immense majorité des enfants ici, à l’école; ils perdent tout; j’ai retrouvé des livres qui étaient en bouillie parce qu’ils avaient passé toute la nuit sur un pot de fleur et qu’il avait plu le matin! Quand on l’a pris, c’était comme de la soupe. Mais c’est rare. Les crayons aussi, j’ai une collection de porte-plume et de crayons qui ont été ramassés, qui étaient perdus. Ça, ce sont les natures absolument indisciplinées, les gens qui n’ont pas de méthode — et intérieurement ils n’ont aucune méthode. Et par-dessus le marché, ils méprisent les choses — et, comme le dit Sri Aurobindo, ils ne sont pas dignes d’en avoir. Les gens qui ne savent pas s’occuper avec soin des affaires, ne méritent pas d’en avoir. Sri Aurobindo a écrit plusieurs fois à ce sujet dans ses lettres. Il a dit : si vous ne savez pas prendre soin des choses matérielles, vous n’avez pas le droit d’en avoir. Cela prouve une espèce d’égoïsme et de confusion dans l’être humain, et ce n’est pas bon signe. Et puis, alors, plus tard, quand ils deviennent grands, il y a ceux qui ne peuvent pas garder une armoire en ordre, un tiroir en ordre. Extérieurement, ils peuvent être dans une chambre qui a l’air très propre et très en ordre, et puis, vous ouvrez un tiroir, ou vous ouvrez une armoire, c’est un champ de bataille! Tout est mélangé. Vous trouvez toutes les choses ensemble; rien n’est classé. Ça, ce sont les gens qui ont une pauvre petite tête où les idées sont dans le même état que leurs objets matériels. Ils n’ont pas organisé leurs idées. Ils n’ont pas mis d’ordre. Ils vivent dans une confusion cérébrale. Et c’est un signe certain, je n’ai jamais rencontré d’exception à cette règle : les gens qui ne savent pas garder leurs affaires en ordre, leurs idées sont en désordre dans leur tête, toujours. Elles cohabitent, les idées les plus opposées sont mises ensemble — et non par une synthèse supérieure, n’en croyez rien : simplement par un désordre et une incapacité d’organiser leurs idées. Vous n’avez pas besoin de parler même dix minutes avec quelqu’un si vous pouvez entrer dans sa chambre et ouvrir les tiroirs de ses meubles et voir son armoire — vous savez dans quel état ils sont, n’est-ce pas!

Par contre, il y avait quelqu’un (je vous dirai qui après) qui avait dans sa chambre des centaines de livres, d’innombrables feuilles de papier, des cahiers et toutes sortes de choses, et alors, vous entriez dans la chambre et vous voyiez partout des livres, des papiers — un amoncellement, c’est tout plein. Mais si vous aviez le malheur de changer un seul petit bout de papier de place, il le savait immédiatement et vous disait : « Qui est-ce qui a touché à mes affaires? » Vous, quand vous arrivez, vous voyez tant de choses que vous ne vous y reconnaissez pas. Et chaque chose avait sa place. Et c’était si conscient que, je vous dis, si l’on déplaçait un papier — par exemple, un papier où il y avait des notes, ou une lettre ou quelque chose que l’on enlevait de là pour le mettre là avec l’idée que l’on mettait de l’ordre —, il vous disait : « Vous avez touché à mes affaires; vous avez déplacé et mis du désordre dans mes affaires. » Ça, c’était Sri Aurobindo! C’est-à-dire qu’il ne faut pas confondre l’ordre avec la pauvreté. Naturellement, si vous avez une douzaine de livres et un nombre très restreint de choses, il est plus facile de les garder en ordre, mais ce qu’il faut réussir, c’est à mettre de l’ordre — et un ordre logique, un ordre conscient, intelligent — dans une quantité innombrable de choses. Cela demande une capacité d’organisation.

Évidemment, si quelqu’un est très malade, ne dispose d’aucune force, c’est différent. Et encore même là, il y a des limites; j’ai connu des malades qui pouvaient vous dire : « Ouvrez-moi ce tiroir et dans le coin de gauche au fond, vous trouverez telle chose sous telle autre chose »; il ne pouvait pas bouger et la prendre lui-même, mais il savait très bien où c’était. Mais à part cela, l’idéal est d’avoir de l’organisation, comme celle que l’on fait, par exemple, dans les bibliothèques où l’on arrive à avoir des centaines de milliers de livres et où tout est classé — naturellement ce n’est pas fait par une seule personne —, mais c’est un travail où chaque chose est tellement bien classée que, malgré tout, si vous apportez une fiche et que vous disiez : « Je veux ce livre », un quart d’heure après vous l’avez, ou cinq minutes après. Voilà l’organisation. Et pourtant, il y en a des couloirs pleins. Mais ça, c’est le résultat d’un travail accompli par un grand nombre de gens et d’une organisation professionnelle. Eh bien, pour soi-même, il faut que ses propres affaires — et en même temps ses propres idées — soient organisées de la même manière et que vous sachiez exactement où sont les choses et que vous puissiez aller tout droit les trouver, parce que votre organisation est logique. C’est votre propre logique — ça peut ne pas être la logique du voisin, pas nécessairement, c’est votre propre logique —, mais votre organisation étant logique, vous savez exactement où est une chose et, comme je vous l’ai dit, si cette chose est déplacée, vous le savez immédiatement. Et ceux qui peuvent faire cela, généralement ce sont des gens qui peuvent mettre de l’ordre dans leurs idées, et qui peuvent mettre aussi de l’organisation dans leur caractère, et qui finalement peuvent gouverner leurs mouvements. Et puis, si l’on fait un progrès, on arrive à gouverner sa vie physique : on commence à avoir un contrôle sur ses mouvements physiques. Si l’on prend ce bout-là de la vie, vraiment elle devient intéressante. Si l’on vit dans une confusion, un désordre, un chaos intérieur, extérieur, où tout se mélange et où l’on n’est conscient de rien, et on est maître encore moins des choses, ce n’est pas une vie. Ce n’est pas vivre, c’est être dans une mer d’inconscience, être ballotté par les vagues, pris par des courants, jeté contre des roches, repris par une autre vague qui vous jette contre un autre rocher; et puis on continue, comme ça, avec des bleus et des coups et des bosses. Et alors, quoi que l’on vous demande (Pourquoi est-ce comme ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi as-tu fait ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi penses-tu comme ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi as-tu fait ce mouvement-là ? — Je ne sais pas.), toutes les réponses, c’est : « Je ne sais pas. »

Au fond, il n’y a qu’une seule vraie raison de vivre : c’est de se connaître. Nous sommes ici pour apprendre — pour apprendre ce que nous sommes, pourquoi nous sommes ici, et ce que nous avons à y faire. Et si nous ne savons pas ça, notre vie est tout à fait vide — pour nous et pour les autres.

Et alors, généralement, il vaut mieux commencer de bonne heure, parce qu’il y a beaucoup à apprendre. Si l’on veut apprendre la vie telle qu’elle est, le monde tel qu’il est, et puis vraiment savoir le pourquoi et le comment de la vie, on peut commencer tout petit, dès qu’on est petit, petit, petit — avant cinq ans. Et puis, quand on aura cent ans, on pourra encore apprendre. Alors c’est intéressant. Et on peut avoir tout le temps des surprises, apprendre toujours quelque chose que l’on ne connaissait pas, se trouver en présence d’une expérience que l’on n’avait pas eue, rencontrer un phénomène que l’on ignorait. C’est sûrement très intéressant. Et plus on sait, plus on s’aperçoit qu’on a tout à apprendre. Vraiment, je peux dire qu’il n’y a que les sots qui croient savoir. Ça, c’est un signe certain, quelqu’un qui vient vous dire : « Oh! je connais tout ça; oh! je sais tout ça », il est classé!

Tu as dit : « Chacun [...] dans son caractère, possède les deux tendances opposées qui sont comme la lumière et l’ombre d’une même chose 2 . » Pourquoi est-ce organisé ainsi? Ne peut-on pas posséder seulement la lumière?

Oui, si on élimine l’ombre. Mais il faut l’éliminer. Cela ne se fait pas tout seul. Le monde tel qu’il est, est un monde mélangé. Tu ne peux pas avoir un objet qui reçoive la lumière d’un côté sans que, de l’autre, il fasse de l’ombre. C’est comme ça, et au fond ce sont les ombres qui vous font voir les lumières. Le monde est comme ça, et pour n’avoir que la lumière, il faut justement faire toute la discipline nécessaire pour éliminer l’ombre. C’est ce que j’ai expliqué d’ailleurs plus loin; j’ai dit que cette ombre était comme un signe de ce que vous aviez à vaincre dans votre nature pour pouvoir arriver à réaliser ce que vous êtes venu faire. Si vous avez un rôle à remplir, une mission à remplir, vous aurez toujours en vous la difficulté principale qui vous empêchera de la réaliser, afin que vous ayez à portée de la main la victoire que vous devez remporter. Si vous aviez à lutter contre une difficulté qui est sur toute la terre, ce serait très difficile (il faut avoir une conscience très vaste et un très grand pouvoir), tandis que si vous portez dans votre propre nature, justement, l’ombre ou le défaut que vous devez vaincre, eh bien, c’est là, à portée de la main : vous voyez tous les jours les effets de cette chose et vous pouvez lutter contre elle directement, immédiatement. C’est une organisation très pratique.

Vous n’avez pas vu dans le Bulletin cette lettre de Sri Aurobindo, « The Evil Persona »? C’est dans le Bulletin. C’est très bien expliqué là 3 .

Le 10 février 1954

Quelle est la méthode pour augmenter les « capacités d’expansion et d’élargissement » ?

(Éducation, « L’Éducation mentale »)

Je dis là qu’il faut prendre des sujets d’étude très variés. Je crois que c’est cela. Par exemple, si vous êtes à l’école, étudier tous les sujets possibles. Si vous lisez chez vous, ne pas lire seulement un genre de choses, lire toutes sortes de choses différentes.

Mais, Douce Mère, à l’école, il n’est pas possible d’étudier beaucoup de sujets. On doit se spécialiser.

Oui, oui! j’ai entendu dire cela, spécialement par vos professeurs. Je ne suis pas d’accord. Et je sais bien, on me rabâche cela tout le temps : si l’on veut faire une chose convenablement, il faut se spécialiser. C’est la même chose aussi pour les sports. C’est la même chose pour tout dans la vie. On le dit et on le répète, et il y a des gens pour le prouver : pour faire quelque chose bien, il faut se spécialiser. Il faut faire cela et se concentrer. Si l’on veut être un bon philosophe, il faut faire seulement de la philosophie, si l’on veut être un bon chimiste, il faut faire seulement de la chimie. Et si l’on veut être un bon joueur de tennis, il faut jouer seulement au tennis. Ce n’est pas mon avis, c’est tout ce que je puis dire. Mon expérience n’est pas comme ça. Je crois qu’il y a des facultés générales, et qu’il est beaucoup plus important de les acquérir que de se spécialiser. À moins, naturellement, que ce ne soit comme M. et Mme Curie qui voulaient développer une science, trouver une chose nouvelle, alors, naturellement, ils étaient obligés de se concentrer sur leur science. Mais encore était-ce seulement jusqu’à ce qu’ils aient trouvé; une fois qu’ils avaient trouvé, rien ne les empêchait d’élargir leur cerveau.

C’est une chose que j’ai entendue depuis ma plus petite enfance, et je crois que les arrière-grands-parents ont entendu la même chose, et que de tout temps il a été prêché que si vous voulez réussir quelque chose, il ne faut faire que cela. Et moi, on me grondait tout le temps parce que je faisais beaucoup de choses différentes! Et on me disait toujours que je ne serais jamais bonne à rien. Je faisais des études, je faisais de la peinture, je faisais de la musique, et puis je m’occupais encore d’autres questions. Et on m’a dit que ma musique ne vaudrait rien, ma peinture ne vaudrait rien, et que mes études seraient tout à fait incomplètes. C’est probablement tout à fait vrai, mais enfin j’ai trouvé que cela avait des avantages — justement les avantages dont je parle, d’élargir, d’assouplir son cerveau et la compréhension. Il est vrai que si j’avais voulu être un exécutant de premier ordre et jouer dans les concerts, il aurait fallu que je fasse comme ils disent. Et pour la peinture, si j’avais voulu être parmi les grands peintres de l’époque, il aurait fallu que je ne fasse que cela. C’est bien entendu. Mais enfin, c’est un point de vue. Je ne vois aucune nécessité d’être le plus grand peintre, le plus grand musicien. Ça m’a toujours paru être une vanité. Et d’ailleurs, c’est une question de jugement...

Il n’y a qu’un cas, c’est celui où l’on veut faire une découverte. Alors, naturellement, il faut consacrer tout son effort là-dessus. Mais ce n’est pas nécessairement l’effort de toute une vie. À moins que l’on ne choisisse un sujet très difficile comme l’ont fait les Curie. Il y a eu un moment où ils avaient fait leur découverte — ils pouvaient aller au-delà.

Mais spontanément, les gens qui veulent garder leur équilibre se reposent d’une activité en en prenant une autre. On cite toujours l’exemple des grands exécutants ou des grands peintres, ou des grands savants, qui ont une sorte de manie, un délassement. Vous avez peut-être entendu parler du violon d’Ingres.

Ingres était un peintre; il ne manquait pas de talent, et quand il avait du temps libre, il se mettait à jouer du violon, et son violon l’intéressait beaucoup plus que sa peinture. Il paraît qu’il ne jouait pas très bien du violon, mais ça l’intéressait beaucoup. Et sa peinture, il la faisait assez bien, et ça l’intéressait moins. Mais je crois que c’est tout simplement parce qu’il avait besoin d’un équilibre. La concentration sur une chose unique pour arriver à son résultat est très nécessaire pour l’esprit humain dans son fonctionnement normal, mais on peut parvenir à un fonctionnement différent, plus complet, plus subtil. Naturellement, physiquement, on est obligé de se limiter parce que, dans le physique, on dépend beaucoup du temps et de l’espace, et puis il est difficile de réaliser de grandes choses sans avoir une concentration spéciale. Mais si l’on veut mener une vie plus haute et plus profonde, je crois que l’on peut atteindre à des capacités peut-être beaucoup plus grandes par d’autres moyens que des moyens de restriction et de limitation. Il y a un avantage considérable à se débarrasser de ses limites, sinon du point de vue de la réalisation active, du moins de la réalisation spirituelle.

Pourquoi oublie-t-on les choses?

Ah! je suppose qu’il y a plusieurs raisons. D’abord, parce que l’on se sert de sa mémoire pour se souvenir. La mémoire est un instrument mental et dépend de la formation du cerveau. Votre cerveau est en constante croissance — à moins qu’il ne commence à dégénérer, mais enfin sa croissance peut durer très, très longtemps, beaucoup plus longtemps que celle du corps. Et dans cette croissance, il y a nécessairement des éléments qui prennent la place des autres. Et à mesure que l’instrument mental se développe, les éléments qui ont servi d’étape, ou de moment transitoire dans le développement, peuvent s’effacer pour laisser place au résultat. Alors le résultat de tout ce que l’on savait est là, vivant, en soi, mais le chemin parcouru pour y arriver peut être tout à fait estompé. C’est-à-dire qu’un bon fonctionnement de la mémoire est de ne se souvenir que des résultats afin de pouvoir avoir les éléments d’une marche en avant et d’une construction nouvelle. C’est plus important que de juste retenir d’une façon mentalement rigide.

Maintenant, il y a un autre aspect. En dehors de la mémoire mentale, qui est une chose défectueuse, il y a les états de conscience. Chaque état de conscience où l’on se trouve enregistre les phénomènes de ce moment-là, quels qu’ils soient. Si votre conscience reste limpide, large et forte, vous pouvez, à n’importe quel moment, par une concentration, appeler dans la conscience active ce que vous aviez fait, pensé auparavant, vu, observé; tout cela, vous pouvez vous en souvenir en faisant surgir en vous le même état de conscience. Et cela ne s’oublie jamais. Vous pourriez vivre mille ans que vous vous souviendriez. Par conséquent, si vous voulez ne pas oublier, il faut que ce soit votre conscience qui se souvienne et non votre mémoire mentale. Votre mémoire mentale, forcément, s’effacera, s’estompera, et des éléments nouveaux prendront la place des vieux. Mais les choses dont vous êtes conscient, vous ne les oubliez pas. Vous n’avez qu’à faire resurgir le même état de conscience. Et ainsi, on peut se souvenir de circonstances qu’on a vécues des milliers d’années auparavant si l’on sait faire resurgir le même état de conscience. C’est comme ça que l’on peut se souvenir de ses vies antérieures. Cela ne s’efface jamais. Tandis que la mémoire de ce que vous avez fait physiquement quand vous étiez tout petit, vous ne l’avez même plus. On vous raconterait beaucoup d’incidents que vous ne savez plus. Ça s’efface tout de suite. Parce que le cerveau est en constante transformation et que certaines cellules plus faibles sont remplacées par d’autres beaucoup plus fortes, et par d’autres combinaisons, d’autres organisations cérébrales. Et alors, ce qui était avant est effacé ou déformé.

On peut se souvenir de choses qui se sont passées des milliers d’années avant!

Oui, si vous allez à un certain endroit, si vous arrivez à entrer en contact avec l’endroit qui a vécu des milliers d’années avant. Et en plus (je crois que je l’ai écrit quelque part), il y a l’enregistrement de la conscience de la terre, et si vous savez aller à cet endroit-là, vous pouvez non seulement vous souvenir de votre propre vie, mais de tout ce qui s’est passé sur la terre. C’est enregistré là, et c’est un phénomène de conscience.

Mais comment se souvient-on, Douce Mère, parce que, quand on change de corps, de mental...

Je viens de le dire, mon enfant, tu n’as pas écouté ce que je t’ai dit. J’ai dit que si c’est un souvenir mental, cela s’effacera ; même dans votre vie présente, vous ne pouvez pas vous rappeler d’incidents qui se sont passés vingt ans ou trente ans ou quarante ans avant. Mais un état de conscience n’est pas un état mental. Cela n’a rien à voir avec le mental. En effet, la plupart des mentalités se dissolvent avec le corps, sauf si l’on a une formation spéciale très bien faite et très « cohésive », très bien organisée, qui peut se perpétuer. Mais c’est suffisamment rare, ce sont seulement des cas exceptionnels. Mais la conscience est une chose tout à fait différente. La conscience est un état éternel. L’état de conscience est un état éternel. La création est née par la conscience et si la conscience se retirait, il n’y aurait plus de création. Et si vous entrez en rapport avec la conscience, vous pouvez retrouver toute l’histoire de la création, parce que la création vient de la conscience. La conscience est éternelle.

Mère, parfois certaines pensées désagréables viennent nous troubler. Quel est le moyen de s’en débarrasser?

Il y a plusieurs moyens. Généralement... cela dépend des gens, mais généralement le moyen le plus facile est de penser à autre chose. C’est-à-dire de concentrer son attention sur quelque chose qui n’a rien à voir avec cette pensée-là, qui n’a aucun rapport avec cette pensée-là, comme la lecture ou un travail — généralement quelque chose à créer, une création. Par exemple, ceux qui écrivent, pendant tout le temps qu’ils écrivent... prenons simplement un romancier, toutes les autres pensées sont parties, parce qu’il est concentré sur ce qu’il fait. Quand il aura fini d’écrire, s’il n’a pas le contrôle, les autres pensées reviendront. Mais justement, quand on est attaqué par une pensée, on peut essayer de faire un travail créateur. Par exemple, le savant peut faire un travail de découverte, une étude spéciale pour découvrir quelque chose — quelque chose qui absorbe beaucoup, n’est-ce pas, c’est le moyen le plus facile. Naturellement, ceux qui ont un commencement de contrôle sur leur pensée peuvent faire un mouvement de rejet : repousser la pensée comme on repousserait une chose physique. Mais c’est plus difficile et cela demande beaucoup plus de maîtrise. Si l’on y réussit, c’est plus actif, en ce sens que si vous rejetez cette activité-là, cette pensée, si vous la chassez d’une façon efficace et constamment, ou d’une façon tout à fait répétée, à la fin elle ne vient plus. Tandis que dans l’autre cas, elle peut toujours revenir. Cela fait deux moyens.

Le troisième moyen, c’est d’être capable d’amener d’en haut une lumière assez grande qui soit la « contradiction » dans le sens profond; c’est-à-dire que si cette pensée qui vient est une chose obscure (et surtout si elle vient du subconscient ou de l’inconscient et qu’elle est soutenue par l’instinct), si l’on peut amener d’en haut la lumière d’une connaissance vraie, un pouvoir supérieur, et que l’on mette la lumière sur cette pensée-là, on arrive à la dissoudre ou à l’éclairer ou à la transformer — c’est le moyen suprême. C’est encore un peu plus difficile. Mais cela peut se faire, et si on le fait, alors on guérit — non seulement la pensée ne vient plus, mais la cause est guérie.

Le premier pas, c’est de penser à autre chose (mais ça, n’est-ce pas, indéfiniment ça se répétera); le second, c’est de se battre; et le troisième, c’est de transformer. Quand on est arrivé au troisième pas, alors non seulement on est guéri mais on a fait un progrès définitif.

Le 17 février 1954

Suite de la lecture d’Éducation, « L’éducation psychique et l’éducation spirituelle ».


Une fois que l’être entre en contact avec le psychique, pourquoi le psychique se cache-t-il encore?

Ce n’est pas le psychique qui se cache, c’est l’être qui retourne dans sa conscience ordinaire!... C’est difficile de se maintenir au plus haut de soi-même. On glisse, on retombe. Seulement, la seconde fois, la découverte est plus facile. Et chaque fois le chemin est plus facile, jusqu’à ce que l’on ne retombe plus.

Douce Mère, ici je ne comprends pas : « D’une façon assez générale, on associe cette découverte [du principe éternel] à un sentiment mystique et à une vie religieuse, parce que ce sont surtout les religions qui se sont occupées de cet aspect de la vie. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi; et si l’on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique de Vérité, la découverte restera essentiellement la même, mais la route pour y arriver pourra être parcourue par le positiviste le plus intransigeant. »

Qu’est-ce que tu ne comprends pas? Je veux dire que ce que l’on pense n’a pas une très grande importance, parce que la pensée est formée par le milieu dans lequel on est né et l’éducation que l’on a reçue — mais ce n’est qu’une façon de dire les choses. Et on peut les dire de toutes sortes de manières : elles restent ce qu’elles sont. Qu’est-ce que tu ne comprends pas?

« ... si l’on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique... »

Tout dépend de ce que tu mets dans le mot « Dieu ». C’est un mot (je vous l’ai dit déjà au moins quatre ou cinq fois) pour exprimer « quelque chose » que vous ne connaissez pas et que vous essayez d’atteindre. Eh bien, si l’on a reçu une éducation religieuse, on est habitué à appeler cela « Dieu ». Si l’on a reçu une éducation plus positiviste et plus philosophique aussi, on est habitué à appeler cela par toutes sortes de noms, et on peut en même temps avoir la conception que c’est la suprême Vérité. Si l’on veut parler de Dieu et Le décrire, on est obligé de faire appel aux choses les plus inaccessibles pour notre conscience et d’appeler Dieu ce qui est au-delà de ce que nous connaissons et de ce que nous pouvons saisir et de ce que nous pouvons être — tout ce qui est trop loin pour que nous puissions le comprendre, nous l’appelons Dieu. Il n’y a que certaines religions (il y en a) qui donnent une forme précise à la Divinité; et quelquefois elles donnent plusieurs formes et elles ont plusieurs dieux ; quelquefois elles donnent une forme et n’ont qu’un Dieu ; mais c’est tout de la fabrication humaine. Il y a « quelque chose », il y a une réalité qui est par-delà toutes nos expressions, et que l’on peut, par une discipline suivie, arriver à contacter. On peut s’identifier. Une fois que l’on est identifié, on sait ce que c’est, mais on ne peut pas l’exprimer parce que les mots ne peuvent pas le dire. Alors, si l’on emploie un certain genre de vocabulaire, si l’on est dans une certaine conviction mentale, on emploiera le vocabulaire qui est en conformité avec cette conviction. Si vous appartenez à un autre groupe qui ait une autre façon de parler, vous l’appellerez, ou même vous le penserez, de cette manière-là. Je vous dis cela pour vous donner l’impression vraie, c’est-à-dire qu’il y a là quelque chose qui est insaisissable — insaisissable par la pensée —, mais qui existe. Mais peu importe le nom que vous lui donnez, cela n’a aucune importance, ça existe. Et alors la seule chose à faire, c’est d’entrer en contact avec ça — ce n’est pas de lui donner un nom ni de le décrire. En fait, cela sert à très peu de chose de lui donner un nom et de le décrire. Il faut tâcher d’entrer en contact, de se concentrer là, de vivre ça, cette Réalité-là, et quel que soit le nom que vous lui donniez, cela n’a aucune importance une fois que vous avez l’expérience. C’est l’expérience seule qui compte. Et quand les gens associent l’expérience à une certaine expression (et d’une façon tellement étroite et tellement enfermée en elle-même que, en dehors de cette formule, on ne peut rien trouver), c’est une infériorité. Il faut être capable de vivre cette Réalité à travers tous les chemins possibles, toutes les occasions, toutes les formations; il faut vivre ça, parce que ça, c’est vrai, parce que ça, c’est suprêmement bon, parce que ça, c’est tout-puissant, parce que ça, ça connaît tout, parce que ça, n’est-ce pas... Ça, on peut le vivre, mais on ne peut pas en parler. Et si l’on en parle, tout ce que l’on en dit n’a pas beaucoup d’importance. C’est seulement une façon de dire, c’est tout. Il y a toute une série de philosophes et de gens qui ont remplacé la notion de Dieu par une notion d’Absolu impersonnel, ou par une notion de Vérité, ou par une notion de Justice, ou même par une notion de Progrès — de quelque chose qui est éternellement progressif —, mais pour celui qui a, au-dedans de lui, la capacité de s’identifier à Cela, ce que l’on en dit n’a pas beaucoup d’importance. Quelquefois on peut lire tout un livre de philosophie et ne pas faire un pas de progrès. Quelquefois on peut être tout à fait un fervent d’une religion et ne pas faire de progrès. Il y a des gens qui ont passé des existences entières assis en contemplation et qui ne sont arrivés à rien. Il y a des gens (on a eu des exemples fameux) qui faisaient un travail manuel des plus modestes, comme un savetier qui raccommodait de vieilles chaussures, et qui ont eu une expérience. C’est tout à fait en dehors de ce que l’on en pense et de ce que l’on en dit. C’est quelque don qui est, c’est tout. Et tout ce qu’il faut, c’est l’être; c’est arriver à s’identifier et à le vivre. Quelquefois vous lisez une phrase dans un livre et cela vous conduit là-bas. Quelquefois vous lisez des livres entiers de philosophie ou de religion, cela ne vous mène nulle part. Il y a des gens aussi, quand ils lisent des livres de philosophie, cela les aide à marcher. Mais tout ça, ce sont des choses secondaires. Il n’y a qu’une chose importante : c’est une volonté sincère et persistante, parce que cela ne se fait pas du jour au lendemain. Alors il faut persévérer. Quand on sent que l’on n’avance pas, il ne faut pas se décourager; il faut chercher à savoir ce qu’il y a dans la nature qui s’oppose, et alors faire le progrès nécessaire. Et tout d’un coup on avance. Et quand vous arrivez au bout, vous avez une expérience. Et ce qui est remarquable, c’est que des individus qui ont suivi des chemins tout à fait différents, avec des constructions mentales tout à fait différentes, depuis le plus croyant jusqu’au plus incroyant, même des matérialistes, quand ils sont arrivés à cette expérience-là, elle est pour tous la même. Parce qu’elle est vraie — parce que c’est réel, parce que c’est l’unique Réalité. Et c’est tout simplement ça. Je ne dis pas autre chose. Cela n’a aucune importance, la façon dont on en parle; ce qui est important c’est de suivre le chemin, votre chemin, n’importe quel chemin — oui, d’aller là.

Je n’ai pas compris l’explication que tu as donnée du psychique : « On pourrait dire, par exemple, que la création d’un être individuel provient de la projection, dans l’espace et le temps, d’un des innombrables possibles latents dans l’origine suprême de toute manifestation qui, par l’intermédiaire de la conscience unique et universelle, se concrétise en la loi ou la vérité d’un individu et devient ainsi, par un développement progressif, son âme ou être psychique. »

C’est un peu philosophique... Tu sais la différence entre ce qui est subjectif et ce qui est objectif? Tu sais! Eh bien, imagine justement cette Réalité dont nous parlions, qui est à l’origine de toutes choses, qui passe de l’état subjectif à l’état objectif. C’est-à-dire que ce qui était en dedans devient comme projeté en dehors. C’est la même chose : c’est l’état qui change. Et alors, en dedans, il y a toutes les possibilités d’existence objective; du dedans, elles sont inexprimées, non manifestées; au-dehors, elles sont projetées comme l’image est projetée sur l’écran du cinéma : on le voit devant soi. Et chaque élément qui était audedans une possibilité, une loi, devient la loi d’une réalisation. Et chacune de ces possibilités devient la réalité d’un être (d’une individualité, si tu veux), de quelque chose qui existe d’une façon objective. Et c’est cette loi qui est l’origine du centre de l’être psychique : c’est la vérité de l’être ou la loi de l’être. Le Bouddha l’appelait la « loi », il disait le dharma. C’est la vérité de l’être. C’est ce qui le relie d’une façon indestructible à son origine. Et c’est ça qui est le point de départ de l’être psychique. Et alors, à mesure que cela se développe, comme l’image sur l’écran, cela prend une forme de plus en plus complexe et précise dans la manifestation. Mais la réalité de cette forme est unique, elle est reliée à l’Unique. Et toutes les unités sont reliées ensemble et reproduisent l’Unique.

Ce n’est pas plus facile?... (Regardant l’enfant) C’est encore plus difficile!... Mais enfin c’est ce que j’ai dit ici.

Douce Mère, tu as dit : « Renonce à toute recherche personnelle de confort, de satisfaction, de jouissance ou de bonheur; sois seulement un feu brûlant pour le progrès et prends tout ce qui vient à toi comme une aide pour progresser et accomplis immédiatement le progrès requis. »

Oui, ça, c’est simple! C’est très clair!

Oui, mais si je veux progresser dans les sports, par exemple, alors ça devient un progrès personnel, n’est-ce pas?

Hein! Quoi? Dans les sports? Non, la valeur de la volonté dépend de ton but. Si c’est pour avoir du succès et te faire une réputation et être supérieur aux autres — toutes sortes d’idées comme ça —, cela devient une chose très égoïste, très personnelle et tu ne pourras pas faire de progrès — oui, tu pourras faire un progrès, mais enfin il ne te mènera nulle part. Mais si tu le fais dans l’idée d’être ouvert, même physiquement, à l’Influence divine pour être un bon instrument et Le manifester, alors c’est très bien. Pas compris?

Oui.

Les choses physiques ne sont pas nécessairement plus égoïstes que les choses mentales ou sentimentales. Il s’en faut de beaucoup. Elles le sont quelquefois beaucoup moins. L’égoïsme n’est pas cela, l’égoïsme est dans l’attitude intérieure. Cela ne dépend pas du domaine dans lequel on se concentre, cela dépend de l’attitude que l’on a. Cela ne dépend pas de ce que l’on fait, cela dépend de la manière dont on le fait.

Douce Mère : « Ne prends jamais les événements physiques pour ce qu’ils semblent être. Ils sont toujours des essais maladroits pour exprimer quelque chose d’autre qui est la vraie chose et échappe à notre compréhension superficielle. »

Alors, Douce Mère, on dit qu’il ne faut pas être pessimiste, et ici tu as dit que ce sont toujours des « essais maladroits ».

C’est que le monde matériel, tel qu’il est, est très maladroit à exprimer la vérité qui est derrière. C’est évident. Je crois que nous n’avons pas besoin de beaucoup réfléchir pour nous en apercevoir, à moins qu’il y ait des gens... Oui, dans Les Quatre Austérités 4 , je parle de ceux qui sont parfaitement adaptés à la vie et qui trouvent que tout est admirable, mais je n’en ai pas encore rencontré beaucoup qui puissent le croire pendant toute leur existence. Je parle des optimistes — on est optimiste tant que l’on se porte bien et qu’on est très jeune, et puis dès que l’on commence à être moins fort et moins bien portant, l’optimisme s’évanouit. Mais enfin, si l’on a un petit peu de bon sens et de sensibilité, il est facile de s’apercevoir que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, parce que si, vous, vous êtes confortable et que vous avez tout ce qu’il vous faut, que vous vous portez bien et que vous n’avez pas de soucis, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des millions d’êtres qui soient dans des situations tout à fait pénibles et douloureuses. Alors il peut être très facile de ne penser qu’à soi. Mais ce n’est pas une chose très recommandable. J’ai connu des personnes qui étaient très riches et qui n’avaient jamais eu l’occasion d’entrer en rapport avec ceux qui n’avaient rien ou qui n’avaient pas assez, et pour eux c’était une chose impensable. J’ai connu une dame (j’en ai connu beaucoup) qui était là et qui vivait dans un très bel appartement avec beaucoup de domestiques et tout le confort possible — elle avait toujours vécu comme ça et n’avait jamais connu que des circonstances faciles. Et un jour, je lui ai parlé de quelqu’un, qui était une personne de valeur et de mérite, mais qui n’avait rien — n’avait pas de quoi manger — et je lui ai demandé d’aider cette personne, non pas avec de l’argent parce qu’elle n’en aurait pas pris, mais avec du travail ou en l’invitant à passer quelque temps avec elle (parce que c’était un esprit philosophique et quelqu’un qui était capable d’aider intellectuellement). Alors je lui ai dit : « Vous savez, elle ne mange pas tous les jours à sa faim. » J’ai vu qu’elle ne comprenait pas. J’ai dit : « Eh bien, oui, elle n’a pas toujours assez d’argent pour acheter de la nourriture : acheter le pain et ce qu’il faut pour manger. » — « Il y a toujours du pain et de la nourriture à la cuisine, voyons! » (rires) Elle a dit cela si spontanément!

Le 24 février 1954

Douce Mère, ici, tu as dit : « De par-delà les frontières de la forme, une force nouvelle peut être évoquée, une puissance de conscience qui ne s’est pas encore exprimée et qui, par son apparition, pourra changer le cours des choses et faire naître un monde nouveau. »

(Éducation, « L’Éducation psychique et l’Éducation spirituelle »)

La force dont il s’agit, est-ce le Divin?

Qu’est-ce que tu appelles le Divin? Donne-moi ta définition du Divin. Nous avons traité de cela déjà une fois ici.

Tout ce qui est sur la terre est l’expression du Divin?

Non, je te demande ce que tu appelles le Divin. Tu as une conception du Divin, n’est-ce pas? Tu dis « le Divin », qu’est-ce que tu veux dire?

Le Créateur.

C’est un mot. Le Créateur! ! !

Où ai-je dit qu’il fallait s’identifier au Divin en nous? Dans le Bulletin, je crois. Tu ne te rappelles pas?

En tout cas, je vous ai dit bien des fois déjà que la manifestation était progressive et qu’elle sera toujours progressive, et ce qui se manifeste à une époque n’est que le début de quelque chose qui se manifestera à l’époque suivante. Par conséquent, si l’on arrive au sommet de la création, on doit rencontrer quelque chose qui n’est pas encore manifesté et qui se manifestera, puisque toujours il y a des éléments nouveaux qui se manifestent. Je n’ai rien dit d’autre. J’ai dit que si l’on arrivait au sommet de la conscience et que l’on passait par-delà les formes qui sont actuellement manifestées, on entrait en rapport avec une force, une réalité qui n’est pas encore manifestée et qui se manifestera. Et ce sommet de la conscience n’est jamais final, parce que ce que l’on a atteint un jour, qui semblait être la conscience finale, ne sera qu’un pas pour que le jour suivant, l’âge suivant, l’époque suivante, se manifeste quelque chose qui était par-delà et qui n’était pas prêt à se manifester, qui n’était pas sur le point de se manifester.

Comment peut-on maîtriser les dépressions?

Oh! le moyen est très simple. La dépression se produit généralement dans le vital, et l’on est dominé par la dépression seulement lorsqu’on laisse la conscience dans le vital, quand on reste là. Il n’y a qu’à sortir du vital et entrer dans une conscience plus profonde. Même le mental supérieur — le mental lumineux, supérieur —, les pensées les plus hautes ont le pouvoir de chasser la dépression. Même quand on arrive seulement dans les régions de pensée les plus hautes, la dépression s’en va généralement. Mais en tout cas, si l’on prend refuge dans le psychique, il n’y a plus aucune place pour la dépression.

La dépression peut venir de deux causes : ou d’un manque de satisfaction vitale, ou d’une fatigue nerveuse considérable du physique. La dépression qui vient de la fatigue physique est assez facile à réparer : il n’y a qu’à se reposer. On se met au lit et on dort jusqu’à ce que l’on soit bien, ou bien on se repose, on rêve, on reste étendu. Le manque de satisfaction vitale se produit assez facilement, et il faut y faire face avec sa raison, généralement : on va dénicher la cause de la dépression, ce qui a donné le manque de satisfaction au vital, et puis on le regarde bien en face et on se demande si, cela, ça a quelque chose à voir avec son aspiration intérieure, ou si c’est simplement un mouvement tout à fait ordinaire. Généralement, on découvre que ça n’a rien à voir avec l’aspiration intérieure et on peut assez facilement le surmonter et se remettre dans son mouvement normal. Si cela ne suffit pas, alors il faut aller profondément jusqu’à ce que l’on ait rencontré la réalité psychique. Puis il n’y a qu’à mettre cette réalité psychique en contact avec le mouvement de dépression, et il s’évaporera instantanément.

Quant à se battre dans le domaine vital lui-même... évidemment il y a des gens qui sont très guerriers et qui aiment à lutter avec leur vital, mais pour dire la vérité, c’est beaucoup plus difficile.

Une fois que le psychique vient en avant, est-ce qu’il peut se retirer?

Oui. Généralement on a une série d’expériences d’identification, d’abord très intenses, puis qui s’atténuent petit à petit, et puis un jour on s’aperçoit que cela a disparu. Alors il ne faut pas s’affecter, parce que c’est un phénomène assez courant. Mais la fois suivante — la seconde fois —, le contact est beaucoup plus facile à obtenir. Et alors il y a un moment, qui n’est pas très lointain, dès que l’on se concentre et que l’on aspire, on obtient un contact. On peut ne pas avoir le pouvoir de le garder toujours, mais on l’obtient à volonté. Alors, à ce moment-là, les choses deviennent très faciles. Quand on sent une difficulté, ou qu’il y a un problème à résoudre, que l’on veut faire un progrès, ou qu’il y a justement une dépression à vaincre ou un obstacle à surmonter, ou bien simplement la joie de l’identification (parce que c’est une expérience qui donne une joie très concrète; au moment de l’identification on sent vraiment une joie très, très grande), alors, à n’importe quel moment, on peut s’arrêter, un moment se concentrer et aspirer, et tout naturellement le contact s’établit et tous les problèmes à résoudre sont résolus. Simplement se concentrer — s’asseoir et se concentrer —,aspirer comme ça, et le contact s’établit, pour ainsi dire instantané.

Il y a un moment, comme je l’ai dit, où cela ne vous quitte pas, c’est-à-dire que c’est au fond de la conscience et que ça soutient tout ce que l’on fait, et on ne perd jamais le contact. Alors, beaucoup de choses disparaissent — par exemple, la dépression est l’une de ces choses, le mécontentement, la révolte, la fatigue, la dépression, toutes ces difficultés-là. Et si l’on prend l’habitude de faire, pour ainsi dire, un pas en arrière dans sa conscience et de voir sur l’écran de sa conscience psychique — voir toutes les circonstances, tous les événements, toutes les idées, toutes les connaissances, tout —, à ce moment-là on voit ça et on a un guide tout à fait certain pour tout ce que l’on peut faire. Mais cela, c’est forcément très long à venir.

Pour échapper à la vie et s’identifier au Non-Manifesté, il faut être non seulement libre de tout égoïsme, mais n’avoir plus d’ego, n’est-ce pas?

Naturellement.

Mais cette attitude même de s’identifier avec le NonManifesté et de laisser le monde souffrir, c’est de l’égoïsme?

Oui. Alors ce qui arrive, c’est très remarquable, le résultat est toujours le même : ceux qui l’ont fait, à la dernière seconde, ont reçu comme une intimation qu’ils avaient à retourner au monde et à faire leur travail. C’est comme s’ils arrivaient à la porte : « Ah! non, non, pas encore — allez travailler! Quand le monde sera prêt, alors ce sera bien. »

Justement cette attitude de fuite devant la difficulté est un égoïsme suprême. On vient vous dire : « Faites-le, et puis quand tous les autres l’auront fait, ce sera bien pour tout le monde », mais c’est seulement une toute petite élite d’êtres qui sont prêts à pouvoir le faire. Et ce sont justement les êtres qui peuvent être les plus utiles sur la terre, parce qu’ils en savent plus que les autres, ils ont maîtrisé beaucoup de difficultés et ils peuvent aider les autres là où d’autres ne peuvent pas. Mais toute la masse humaine, l’immense masse humaine... Parce que, quand quelques-uns ont réussi — même quelques centaines — n’est-ce pas, on considère que c’est « l’humanité »; mais à vrai dire, c’est seulement une sorte d’élite de l’humanité, c’est une sélection. L’immense masse, tous les gens qui vivent partout sur la terre, rien que dans l’Inde, l’immense population, formidable, qui vit dans les villages, dans les campagnes, il n’est pas question pour eux de faire un effort de libération et de sortir du monde pour vivre la vie spirituelle. Ils n’ont même pas le temps de prendre conscience d’eux-mêmes! Ils sont juste là, attachés à leur besogne comme un cheval à la charrue. Ils vont dans une ornière, dont ils ne peuvent généralement pas sortir. Alors on ne peut pas leur dire : « Faites comme moi et tout sera bien. » Parce que « faites comme moi », cela ne veut rien dire du tout. Il y en a peut-être quelques centaines qui peuvent faire la même chose, et c’est tout!

Pourquoi le corps se fatigue-t-il? Nous avons une activité plus ou moins réglée, mais un jour on est plein d’énergie, le jour d’après on est tout à fait fatigué.

Généralement, cela vient d’une espèce de déséquilibre intérieur. Il peut y avoir beaucoup de raisons, mais ça se résume à ceci : une sorte de déséquilibre entre les différentes parties de l’être. Maintenant, il se peut aussi que le jour où l’on avait de l’énergie, on en ait trop dépensé — quoique ce ne soit pas le cas avec les enfants : les enfants dépensent jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus. On voit l’enfant actif, jusqu’au moment où il tombe profondément endormi d’un seul coup. Il était là, à bouger, à courir; et puis, tout d’un coup, plouf! fini, il dort. Et c’est comme ça qu’il grandit, qu’il devient de plus en plus fort. Par conséquent, ce n’est pas la dépense qui fait du mal. La dépense se répare avec le repos nécessaire — ça se répare très bien. Non, c’est un déséquilibre : l’harmonie entre les différentes parties de l’être n’est plus suffisante.

Les gens croient qu’ils n’ont qu’à continuer tous les jours ce qu’ils faisaient, ou en tout cas avec l’état de conscience qu’ils avaient : jour après jour faire leur petit travail, et que tout va bien. Mais ce n’est pas comme ça. Tout d’un coup, pour une raison quelconque, une partie de l’être — ou vos sentiments, ou votre pensée, ou votre vital — fait un progrès, a découvert quelque chose, a reçu une lumière, a progressé. Il jaillit dans un progrès. Tout le reste est resté en arrière — cela fait un déséquilibre. Cela suffit pour vous rendre très fatigué. Et en fait, ce n’est pas une fatigue : c’est quelque chose qui fait que l’on a envie de se tenir tranquille, de se concentrer, de rester au-dedans de soi, comme ça, et de bâtir lentement la nouvelle harmonie entre les différentes parties de l’être. Et il est très nécessaire qu’il y ait, à un moment donné, une sorte de repos, d’assimilation de ce que l’on a appris et d’harmonisation des différentes parties de l’être.

Maintenant, n’est-ce pas, au point de vue physique, les êtres humains vivent dans une ignorance effroyable. Ils ne peuvent même pas dire exactement... Par exemple, saurais-tu dire exactement, à chaque repas, la quantité de nourriture et le genre de nourriture dont ton corps a besoin? Simplement cela, pas plus que cela : combien il faut prendre et quand il faut le prendre?... Tu n’en sais rien, une vague idée comme ça, une sorte d’imagination ou de devinette, ou de déduction ou de... toutes sortes de choses qui n’ont rien à voir avec la connaissance. Mais cette connaissance exacte : « C’est ça qu’il faut que je prenne, il faut que j’en prenne tant », et puis c’est fini. « C’est ça dont mon corps a besoin. » Eh bien, cela peut se faire. Il y a un moment où on le sait très bien. Mais ça demande des années de travail, et surtout des années de travail presque sans contrôle du mental, en ayant une conscience assez subtile pour entrer en rapport avec les éléments de transformation et de progrès. Et savoir aussi doser pour son corps, exactement, la somme d’efforts physiques, d’activité matérielle, la somme de dépense de l’énergie, la somme de récupération d’énergie, la proportion entre ce qui est reçu et ce qui est donné, l’utilisation des énergies pour rétablir un état d’équilibre qui a été rompu, pour faire faire un progrès à des cellules qui sont en retard, pour bâtir les conditions d’une possibilité de progrès plus haut, etc. C’est un travail formidable. Et pourtant, c’est cela qu’il faut faire si l’on espère transformer son corps. Il faut d’abord le rendre tout à fait en harmonie avec la conscience intérieure. Et pour cela, c’est un travail dans chaque cellule, pour ainsi dire, dans chaque petite activité, dans chaque mouvement des organes. Rien que par cela on pourrait être occupé jour et nuit sans avoir à faire autre chose... On ne soutient pas l’effort et surtout pas la concentration, et pas la vision intérieure.

Je vous ai posé là une question tout à fait superficielle : cela vous paraît étonnant que l’on puisse savoir la quantité exacte de ce que l’on doit manger, et ce que l’on doit manger à un moment donné, et à quel moment il faut prendre votre repas, et quand vous êtes prêt pour un autre repas! Mais c’est une partie tout à fait superficielle du problème, et si vous entrez dans la combinaison des cellules et l’organisation intérieure afin que tout cela soit prêt à répondre à la Force qui descend... D’abord, êtes-vous conscient de vos cellules physiques et de leurs attributions diverses, de leur activité, de leur degré de réceptivité, de ce qui est en bon état et de ce qui ne l’est pas? Est-ce que vous pouvez dire, avec certitude, quand vous êtes fatigué, pourquoi vous êtes fatigué? Est-ce que, quand vous avez mal ici ou là, vous pouvez dire : « C’est pour cela que j’ai mal »?... Pourquoi les gens se précipitent-ils chez le docteur? Parce qu’ils sont dans l’illusion que le docteur saura mieux qu’eux voir audedans de leur corps ce qui s’y passe — ce qui n’est pas très raisonnable, mais enfin c’est une habitude! Mais soi-même... qui peut regarder au-dedans de soi d’une façon assez positive et précise pour savoir exactement ce qui s’est dérangé, pourquoi ça s’est dérangé, comment ça s’est dérangé? Et tout ça, c’est simplement un travail de constatation; après, il faut savoir faire ce qu’il faut pour que ce soit de nouveau en ordre — ça, c’est encore plus difficile.

Eh bien, c’est l’A.B.C. de la transformation du corps.

Voilà.

mars




Le 3 mars 1954

Douce Mère, je n’ai pas compris la fin, le dernier paragraphe : « Il y a bien un autre moyen de vaincre la peur de la mort, mais il est à la portée d’un si petit nombre qu’il n’est mentionné ici qu’à titre de renseignement. C’est d’entrer dans le domaine de la mort volontairement et consciemment, tandis qu’on est en vie; puis de retourner de cette région vers le corps physique pour rentrer en lui et reprendre le cours de l’existence matérielle, en toute connaissance de cause. Mais pour cela il faut être un initié. »

(La Mère, La Peur de la Mort et les Quatre Méthodes pour la Conquérir)

Qu’est-ce que tu veux dire? Tu n’as pas compris ce que je voulais dire?... Cela ne m’étonne pas! Quelqu’un a compris?...

C’est un domaine dont, jusqu’à présent, je me suis abstenue de vous parler parce qu’il faut déjà être très conscient de soi, très maître de ses réflexes et au-dessus, justement, de toute peur — de toute possibilité de peur — pour pouvoir l’aborder. C’est une connaissance qui, dans le monde moderne, est à peine reconnue comme scientifique, mais qui est scientifique dans le sens qu’elle a des procédés précis et que, si l’on reproduit exactement les circonstances, on obtient les mêmes effets. C’est une science progressive et on peut s’y consacrer, on peut faire des progrès tout à fait réguliers et aussi logiques que dans toutes les sciences telles qu’on les admet à l’époque moderne. Mais cela concerne une ou des réalités qui ne sont pas du domaine le plus matériel. Il faut des capacités et un développement spécial pour être conscient dans ce domaine-là, parce qu’il échappe à nos sens ordinaires.

Nous avons des sens subtils; de même que nous avons un corps physique, nous avons d’autres corps plus subtils qui ont aussi des sens, et des sens beaucoup plus raffinés, beaucoup plus précis et beaucoup plus puissants que nos sens physiques. Mais naturellement, comme il n’est pas dans l’habitude de l’éducation moderne de travailler dans ces domaines-là, ce sont des choses qui échappent généralement à la connaissance ordinaire. Pourtant les enfants, spontanément, vivent beaucoup dans ce domaine-là. Ils voient des choses qui sont pour eux aussi réelles que les choses physiques, ils en parlent — et généralement on leur dit qu’ils sont stupides parce qu’ils parlent de choses que les autres ne voient pas, mais qui pour eux sont aussi vraies, aussi tangibles, aussi réelles que ce que tout le monde peut voir. Leurs rêves ont des intensités et une importance capitale dans leur vie, et c’est seulement avec le développement mental intensif que ces capacités-là s’atténuent. Maintenant, il y a des gens qui ont la bonne fortune d’être nés avec un développement spontané des sens intérieurs, et rien ne peut empêcher qu’ils restent éveillés. Si ces gens-là rencontrent à temps quelqu’un qui peut les aider dans un développement méthodique, alors ils deviendront des instruments très intéressants pour les études et la découverte de ce monde occulte. De tout temps, il y a eu des écoles initiatiques qui prenaient ces éléments particulièrement doués et qui les développaient dans ce genre de science. Ces écoles étaient toujours plus ou moins secrètes ou cachées, parce que les hommes ordinaires sont très intolérants pour ces capacités qui les dépassent — et qui les dérangent —, mais il y avait de belles époques de l’histoire humaine où c’étaient des écoles reconnues et très appréciées et respectées, comme dans l’ancienne Égypte, l’ancienne Chaldée, l’ancienne Inde, et même partiellement en Grèce et à Rome. Il y a toujours eu des collèges initiatiques, même en Europe au Moyen Âge, mais là ils devaient se cacher très soigneusement parce qu’ils étaient poursuivis et persécutés par la religion chrétienne officielle, et si, par hasard, on découvrait que celui-ci ou celle-là pratiquait ces sciences occultes, on les mettait sur un bûcher et on les brûlait vivants comme des sorciers!... De nos jours, cette connaissance est presque perdue; il n’y a que très peu de gens qui l’ont; mais avec le développement mental, l’intolérance aussi est partie. Les gens n’aiment pas beaucoup ces choses — ça les dérange, ça les ennuie —, mais enfin ils sont obligés d’admettre que ce ne sont pas des crimes (!) et on ne met plus ni sur le bûcher, ni en prison les gens qui pratiquent l’occultisme. Seulement, il y a beaucoup de personnes qui prétendent savoir, mais il y en a très peu qui savent. Et en tout cas, avant d’aborder cette étude, il faut, comme je vous le disais au début, avoir une très grande maîtrise de soi, avoir atteint à une sorte d’abnégation, d’oubli de soi, de non-égoïsme, de désintéressement et de sens du sacrifice qui fait que vous pouvez pratiquer sans danger. Parce que, si vous gardez tous les mouvements égoïstes ou passionnels, ou pleins de désir, vous êtes sûr, si vous pratiquez cette science, de rencontrer des accidents qui peuvent avoir des conséquences fatales. Comme je le disais au commencement, la condition tout à fait indispensable est d’être d’une intrépidité qui ne permet à aucune peur d’entrer en vous. Parce que... cela a été dit très souvent, mais il est tout à fait vrai que, lorsque vous entrez dans le domaine invisible, les premières choses que vous rencontrez sont littéralement terrifiantes. Si vous n’avez pas peur, il n’y a pas de danger, mais la moindre peur vous met en danger. Par conséquent, avant de permettre à qui que ce soit de pratiquer cette science, pendant fort longtemps, quelquefois des années, on soumettait l’adepte à une discipline qui l’assurait qu’il pouvait la pratiquer sans éprouver la moindre peur et sans danger. C’est pour cela, mes enfants, que je ne vous en ai jamais parlé. Cet article n’était pas spécialement pour vous — le Bulletin va dans le monde entier et il peut rencontrer de-ci de-là des gens qui sont préparés. Mais enfin, puisque c’est écrit, je vous le dis ce soir, et je vous dis que si l’un d’entre vous se sent des dispositions spéciales, possède des facultés spéciales et est prêt à surmonter toute faiblesse, tout égoïsme et toute peur, je suis prête à l’aider sur le chemin et à lui révéler ces secrets. Voilà !

Maintenant, il faudra que vous soyez un petit peu plus mûrs pour que je me charge de cette tâche.

Quand serons-nous prêts, Douce Mère?

Cela dépend de vous, mes enfants! J’ai fait de l’occultisme à l’âge de douze ans. Mais je dois dire que je n’avais pas peur — je n’avais peur de rien. On sort de son corps, on est relié par quelque chose qui ressemble à un fil presque imperceptible (si le fil est coupé, c’est fini, la vie est finie aussi), on sort, et alors on peut commencer à voir le monde dans lequel on sort. Et généralement, les premières choses que l’on voit, comme je l’ai dit, sont terrifiantes. Parce que, pour vous, l’air est vide, il n’y a rien là-dedans — vous voyez du bleu, du blanc, il y a des nuages, des rayons de soleil, et tout cela est fort joli —, mais quand vous avez l’autre vision, vous voyez que c’est rempli d’une multitude de petites formations qui sont toutes les résidus des désirs ou des déformations mentales et qui grouillent là-dedans, vous savez, en masse, et ce n’est pas toujours très joli. C’est quelquefois extrêmement laid. Ça vous assaille — ça vient, ça vous presse, ça vous attaque —, et si vous avez peur, alors ça prend des formes absolument terrifiantes. Naturellement, si vous ne bronchez pas, si vous pouvez regarder ça avec une saine curiosité, vous vous apercevez que ce n’est pas du tout si terrifiant. Ça peut ne pas être joli, mais ce n’est pas terrifiant.

Je peux vous raconter une petite histoire.

Je connaissais un peintre danois, qui était peintre de talent et qui était candidat à l’occultisme (il était d’ailleurs venu ici; il avait rencontré Sri Aurobindo ; il avait même fait son portrait, c’était pendant la guerre), et quand il est rentré en France, il a voulu que je lui enseigne un peu de cette science occulte. Je lui ai appris comment sortir de son corps, etc., et les contrôles, tout cela. Et je lui ai dit surtout que la première chose était de ne pas avoir peur. Alors, un jour, il est venu me raconter que, dans la nuit, il avait eu un rêve. Mais ce n’était pas un rêve, parce que, comme je vous l’ai dit, il savait un petit peu sortir de son corps, et il était sorti consciemment. Et une fois qu’il était sorti, il était en train de regarder ce qu’il y avait à voir lorsque, tout d’un coup, il a vu arriver un formidable tigre qui s’avançait vers lui avec les intentions les plus terribles... Il s’est souvenu de ce que je lui avais dit, qu’il ne fallait pas avoir peur. Alors il a commencé à se dire : « Il n’y a pas de danger, je suis protégé, rien ne peut m’arriver, je suis enveloppé de la puissance de protection », et il a commencé à regarder le tigre, comme ça, sans peur. Et à mesure qu’il regardait le tigre, voilà que ce tigre commençait à diminuer, diminuer, diminuer —, et il est devenu un tout petit chat! (rires)

Que représente le tigre?

C’était probablement... Dans la journée, il s’était mis en colère contre quelqu’un, il s’était fâché et il avait eu des pensées mauvaises : il avait espéré qu’il arriverait quelque chose de très désagréable à cette personne. Or, en occultisme, il y a le « mouvement en retour ». Vous envoyez une mauvaise pensée, elle revient contre vous, comme une attaque. C’est justement l’une des raisons pour lesquelles il faut avoir le contrôle complet de ses sentiments, de ses sensations, de ses pensées, parce que, si vous vous mettez en colère contre quelqu’un ou si vous pensez du mal de lui, ou si, encore plus, vous lui voulez du mal, eh bien, dans votre rêve même, vous voyez arriver cette personne avec une extrême violence, qui vient pour vous attaquer. Alors, si vous êtes ignorant, vous dites : « Eh bien, j’avais raison d’avoir de mauvaises pensées contre lui! » Mais en fait, ce n’est pas du tout cela. C’est votre propre pensée qui vous revient. Et la personne peut être absolument ignorante de tout ce qui s’est passé; parce que (et c’est l’une des lois les plus communes en occultisme), si vous faites une formation, par exemple une formation mentale qu’il doit arriver un accident ou quelque chose de désagréable à une personne et que vous envoyez cette formation, s’il se trouve que cette personne est elle-même dans un état de conscience très supérieur, qu’elle ne veut pas de mal du tout, qu’elle est tout à fait indifférente et désintéressée dans l’affaire, la formation viendra contre son atmosphère, et au lieu d’entrer, elle rebondira sur celui qui l’a faite. Il est arrivé comme cela des accidents graves. Il y avait certaines gens qui faisaient de cette déformation vulgaire de l’occultisme qu’on appelle la magie et qui avaient fait des formations de magie contre quelqu’un. Mais il se trouvait que cette personne était très au-dessus et ne pouvait pas être touchée par ces formations-là. Alors elles reviennent sur eux, mortelles. S’ils avaient formé la mort, c’est eux qui meurent.

Je ne sais pas si vous vous rappelez l’histoire des pierres qui sont tombées dans la maison de Sri Aurobindo ? Tout le monde la connaît, alors je ne la raconte pas.

Qu’arrive-t-il à cette formation une fois qu’elle a fait du mal? Elle continue?

Non. Quand une formation comme cela agit, elle va dans un but défini, elle a été faite dans un but défini. Elle agit. Une fois que son action est faite, elle disparaît, elle n’a plus de raison d’être. C’était une formation pour une action définie. Quand l’action est accomplie, la formation se dissout. Il y a beaucoup d’autres genres de formations qui ont des vies plus ou moins durables. Je vous dis, c’est une science — vous ne pouvez pas apprendre la chimie en une heure! Mais enfin, dans un cas comme celui-là, quand la formation revient et frappe celui qui l’a faite, c’est fini. Son action est accomplie, et c’est fini.

Tout le monde ne connaît pas l’histoire des pierres... Tu l’as racontée seulement pour les petits, Douce Mère.

Je l’ai racontée pour les petits?...

Oui, mais les grands n’étaient pas là ! (rires)

Il est neuf heures. Vous n’avez plus de questions? Si je vous raconte l’histoire...

Douce Mère, ce matin, tu nous avais dit que tu nous raconterais...

Voyez, j’en avais une autre. Combien d’histoires à raconter!

Eh bien, l’autre est très courte. Elle est intéressante aussi. C’est pour la guérison de la peur... Peut-être Pavitra connaît-il le nom!... Il y avait un savant français qui avait écrit un livre où il racontait une expérience qui lui était arrivée au Jardin des Plantes. Il voulait savoir dans quelle mesure la raison a un effet sur les réflexes. Je ne me souviens plus... Pendant des années j’ai su son nom; je l’ai oublié, mais enfin l’histoire reste. C’était un savant très connu, et il a écrit son expérience dans un livre; on la mentionne très souvent comme exemple. Il était très intéressé de savoir dans quelle mesure la raison, l’intelligence avec la connaissance claire, pouvait avoir de l’effet sur les réflexes, c’est-à-dire sur les mouvements qui sortent du subconscient spontanément, les mouvements spontanés, et il a fait cette expérience : il est allé au Jardin des Plantes à Paris où l’on garde non seulement des plantes mais aussi des animaux. Et parmi les animaux, il y a de grands serpents. Il y avait un serpent, là (je l’ai connu, ce serpent), qui avait la réputation d’avoir un très mauvais caractère. C’est-à-dire que l’on pouvait très facilement le mettre en colère. C’était un très grand serpent, il était très beau — il était noir. Et ce savant avait été informé par le gardien que ce serpent était agressif. Ces serpents sont enfermés dans d’immenses boîtes de verre, un verre suffisamment épais pour qu’il n’arrive aucun accident, comme vous pouvez le penser. Donc, il est allé devant la cage de ce serpent au moment où il avait faim (il n’avait pas mangé; quand ils ont mangé, ils dorment; il n’avait pas mangé, alors il était actif). Et il s’est placé devant la cage, tout près du verre et il a commencé à exciter le serpent (je ne sais plus ce qu’il faisait), jusqu’à ce que le serpent se mette en colère. Alors le serpent s’est lové, puis il a jailli comme un ressort contre le verre, contre la face du monsieur qui était de l’autre côté, et le monsieur — qui savait très bien qu’il y avait un verre et qu’il ne pouvait rien lui arriver — a sauté en arrière! Et il a répété l’expérience plusieurs fois, et jamais il n’a pu maîtriser son mouvement de recul. Il a reculé — chaque fois que le serpent sautait, il reculait! (rires)

Alors il a parlé de son expérience. Mais il lui manquait un élément de connaissance, parce qu’il ne savait pas que le mouvement physique était accompagné d’une projection vitale considérable de force nerveuse du serpent, et que c’était cela qui l’affectait. C’est pour ça. Il avait beau se raidir, se dire : « Mais enfin il n’y a pas de danger, il ne peut rien m’arriver. Il y a du verre, pourquoi reculé-je! » (rires) C’était cela qui venait lui donner un choc et il sautait en arrière.

Voilà, maintenant au revoir, mes enfants. L’histoire des pierres, pour un autre jour. Il est trop tard.

Le 10 mars 1954

Pourquoi est-ce maintenant que tu as écrit « La Peur de la Mort » ?

Parce que c’était nécessaire à dire.

Jusqu’à présent tu ne l’avais pas dit, Mère, pourquoi cette fois le dis-tu ?

Ah! il y a beaucoup de choses que je n’ai pas dites! Il faut bien commencer un jour. Je ne pense pas, je n’ai pas l’impression d’en avoir eu l’occasion. Peut-être est-ce le résultat d’une expérience... Mais oui, j’ai pensé, après, que les gens y verraient une signification spéciale, mais il n’y en a pas! (rires) Peut-être au-dedans de vous y en a-t-il.

Il y a une chose que j’ai remarquée, c’est que chaque fois que quelqu’un meurt dans l’Ashram, beaucoup de gens sont pris de panique. Alors je ne peux pas dire que j’apprécie cela beaucoup! Peut-être est-ce à cause de ça que j’ai écrit cet article. Parce que, vraiment, il est temps que nous soyons libres de ces choses — une sorte de tremblement. Je me souviens la première fois que quelqu’un est mort dans l’Ashram, c’était une véritable panique. Je connais nombre de gens comme ça, que je ne nommerai pas; ils sont venus ici (ils étaient déjà suffisamment vieux) avec l’idée que parce qu’ils vivaient ici ils ne mourraient pas! C’était une vieille idée, il y a fort longtemps. Et la première fois que quelqu’un est mort, cela a fait littéralement une panique. On a reçu des tas de lettres disant : « Comment est-ce possible? Mais alors, nous ne sommes pas en sécurité! » J’étais obligée de leur dire que la vie immortelle est une chose qui s’acquiert avec beaucoup d’efforts, et non seulement beaucoup d’efforts, mais le renoncement à tant de choses qu’il n’y en a pas un, sur tous ceux qui réclamaient, qui abandonnerait ses attachements pour la vie immortelle. C’est-à-dire qu’ils aimeraient mieux mourir et garder leurs habitudes que de vivre d’une façon immortelle et les perdre! Il y a beaucoup de choses qu’il faut perdre... J’ai simplement mentionné cela en passant dans cet article, mais il y en a encore bien davantage. Toutes les petites satisfactions personnelles généralement doivent disparaître, de tout ordre. Je me souviens d’avoir parlé à quelqu’un, il y a extrêmement longtemps, de la possibilité de la transformation physique, et je lui ai dit que l’un des résultats serait la disparition du besoin de manger, que l’on récupérerait les forces directement des forces universelles, ou bien du Divin. Alors, j’ai vu cette personne absolument consternée me dire : « Et toutes les bonnes choses que l’on mange! » (rires) C’est comme ça.

Si nous devenons immortels, alors il faut cesser la création?

Quelle création?

La naissance des hommes.

Oh! naturellement. Cela, même longtemps avant de devenir immortel. Si l’on veut le moins du monde se transformer, c’est la première chose qu’il faut cesser. Je l’ai dit ailleurs, mais...

La peur est-elle la seule cause de la mort?

Oh! non, pas du tout. Ce n’est pas cela que j’ai dit, d’ailleurs. J’ai dit que si l’on voulait vaincre la mort, il fallait commencer par ne pas en avoir peur, ce qui est tout à fait autre chose. Mais je n’ai pas dit que c’était la peur qui causait la mort.

Tu as dit : « On ne peut ni hâter ni reculer son moment. » Mais la mort vient de ce que l’on cesse de progresser. Alors, si l’on progresse, on peut reculer le moment. Ou est-ce à dire que, dès sa naissance, le jour et le moment où l’on va mourir sont prédestinés?

Non. Ça, c’est tout autre chose et sur un autre plan. J’ai écrit ailleurs que l’on ne mourait que quand on acceptait de mourir. Ce qui a l’air d’une contradiction avec ce que j’ai écrit ici. Mais c’est la vérité. Je vous l’ai dit déjà une fois, je crois; en tout cas, je l’ai écrit quelque part. Il y a deux points de vue. Ici, je me suis placée à un point de vue tout à fait matériel, ordinaire, de la conscience physique. Mais j’ai expliqué quelque part qu’il y avait comme des « couches de déterminisme » différentes dans une existence. L’existence physique a un déterminisme; l’existence vitale a un déterminisme; l’existence mentale a un déterminisme; l’existence du mental supérieur, l’existence psychique ont un déterminisme. Et puis les existences supérieures ont des déterminismes — l’existence supramentale a un déterminisme. Et le déterminisme de chacune provient de la combinaison de tous ces déterminismes (je suis sûre d’avoir écrit cela quelque part). Si, par exemple, à un moment donné, quand tout le déterminisme physique amène nécessairement la mort, vous entrez subitement en rapport avec un déterminisme extrêmement élevé, comme le déterminisme supramental, par exemple, et que vous arriviez à joindre les deux, vous changez complètement votre déterminisme physique à ce moment-là : la mort qui était déterminée par le déterminisme physique est abolie, et les conditions changent et reculent.

Je ne parle pas de cela dans cet article. Je me suis placée au point de vue purement matériel. J’ai donné l’exemple de gens, et de gens qui vivaient presque exclusivement dans leur conscience matérielle, leur conscience physique, n’est-ce pas, mentale, vitale et matérielle, et qui désiraient ardemment la mort dès l’âge de cinquante ans — ils ont vécu jusqu’à quatre vingt-sept ans! J’en ai eu un exemple. J’ai eu l’exemple tout à fait opposé de quelqu’un qui vraiment désirait vivement vivre très longtemps, qui avait l’impression qu’il avait beaucoup de choses très importantes à faire et qu’il ne fallait pas qu’il meure, et qui prenait toutes sortes de précautions pour cela — et qui est mort. Il peut y avoir des cas qui paraissent contradictoires mais ce n’est qu’une apparence. Il y a des explications pour toutes ces choses, elles obéissent à des lois différentes. Ici, je me suis placée au point de vue purement matériel.

Si vous ne faites pas intervenir un déterminisme supérieur, vraiment vous ne pouvez rien changer. C’est le seul moyen de changer votre déterminisme physique. Si vous restez dans votre conscience physique et que vous vouliez changer votre déterminisme, vous ne pouvez pas... Pendant la Première Guerre, j’ai connu un garçon à qui l’on avait dit qu’il mourrait d’un coup de feu (n’est-ce pas, à la guerre on meurt facilement), et on lui avait même fixé une date approximative. Et c’était pour lui une telle angoisse qu’il avait réussi à se faire mettre en congé. Il est arrivé en permission à Paris. C’était un officier et il avait son pistolet dans sa poche. Il a sauté d’un tramway : il est tombé, cela a fait partir le pistolet et il a été tué net. Il n’a pas pu échapper.

Des exemples comme celui-là, je pourrais vous en raconter des quantités. Mais cela appartient à un seul plan, le plan matériel — le plan physique, mental et vital purement matériel. Ce n’est qu’une connaissance supérieure et un rapport avec les plans supérieurs et la descente de ces plans supérieurs dans le plan physique, qui peuvent changer les circonstances. De même, si l’on arrivait à faire descendre le plan supramental d’une façon permanente dans la vie physique, la vie physique serait transformée, c’est-à-dire qu’elle changerait totalement. Mais c’est à cette condition. Je ne parle pas de cela dans cet article, c’est un autre sujet.

Autre chose?

Pourquoi a-t-on peur?

Il m’a été dit — et c’était l’un des enseignements d’une très vieille tradition — que c’était l’influence des forces adverses sur la terre qui avait créé la peur, parce que c’était leur moyen d’action sur les êtres humains. Mais les animaux aussi ont peur. Alors ça enlève un peu de la solidité à l’argument, parce que je ne crois pas que les êtres adverses aient un intérêt spécial à créer la peur chez les animaux.

La peur est un phénomène d’inconscience. C’est une sorte d’angoisse qui provient de l’ignorance. On ignore la nature d’une chose, on ignore son effet, on ignore ce qui arrivera, on ignore les conséquences de ses actes, on ignore toutes sortes de choses; et cette ignorance donne la peur. On craint ce que l’on ne connaît pas. Prenez un enfant, si on l’amène devant quelqu’un qu’il ne connaît pas (je ne parle pas d’un enfant avec une conscience intérieure éveillée, je parle d’un enfant ordinaire), vous l’amenez devant quelqu’un qu’il ne connaît pas, son premier mouvement sera toujours un mouvement de peur. Il n’y a que de très rares enfants — et qui ont une autre conscience — qui sont très hardis. Ce peut être aussi un mélange d’appréhension, une sorte d’instinct. Quand on a l’instinct que quelque chose est dangereux et que l’on n’a pas le moyen d’y porter remède, que l’on ignore ce qu’il faut faire pour s’en protéger, on a peur. Il y a, je crois, d’innombrables raisons à la peur. Mais c’est un mouvement d’inconscience, dans tous les cas.

Ce qui sait n’a pas peur. Ce qui est parfaitement éveillé, ce qui est tout à fait conscient, et ce qui sait, n’a pas peur. C’est toujours quelque chose d’obscur qui a peur.

L’un des grands remèdes pour vaincre la peur est de faire face à ce que l’on craint. On vous met en face du péril que vous craignez, et vous ne le craignez plus. La peur s’en va. Au point de vue yoguique, au point de vue discipline, c’est le remède préconisé. Dans les anciennes initiations, spécialement en Égypte, pour pouvoir faire de l’occultisme, comme je vous le disais la semaine dernière, il fallait abolir complètement la peur de la mort. Eh bien, l’une des pratiques de ce temps-là était de coucher le néophyte dans un sarcophage et de le laisser là-dedans pendant quelques jours, comme s’il était mort. Naturellement, on ne le laissait pas mourir, ni de faim ni d’étouffement, mais enfin il restait couché là comme s’il était mort. Il paraît que cela vous guérissait de la peur.

Si l’on arrive, au moment où elle vient, à mettre sur elle la conscience, la connaissance, la force, la lumière, alors on peut la guérir tout à fait. Il y a bien la religion chrétienne qui dit que la peur vient d’avoir mangé la pomme dans les jardins d’Éden — qu’avec la connaissance est venue la peur; et sur terre, c’est toujours cette peur-là qui gouverne toute la vie, pour tous les êtres humains. Seulement, là encore, je répète mon argument que les animaux ont peur — les animaux n’ont pas péché, n’ont pas mangé la pomme, alors ils ne devraient pas avoir peur! C’est une demi-conscience mélangée à une sorte d’instinct ignorant qui pressent un danger et en même temps n’en connaît pas le remède. Mais certainement, le fait est que les êtres adverses, les êtres du monde vital qui luttent contre l’Œuvre divine, font un usage très étendu de la peur. C’est avec cela qu’ils tiennent le plus les êtres humains. D’ailleurs il n’y a pas qu’eux : il y a aussi tous les moyens politiques et tous les moyens religieux qui sont de cet ordre-là. Il y a des religions qui fondent leur pouvoir sur les croyants simplement par la peur de la mort et de ce qui arrivera après la mort, et de toutes les catastrophes qui vous attendent après la mort si vous n’obéissez pas aveuglément aux lois qu’elles vous ordonnent.

Cela peut venir aussi d’une antipathie, c’est-à-dire d’un manque d’affinité avec quelque chose. Certaines personnes ont spécialement peur du feu, d’autres ont spécialement peur de l’eau, d’autres ont spécialement peur d’un animal ou d’un autre. Cela provient d’un désaccord entre les vibrations vitales. Et alors, cela se traduit, dans cette inconscience corporelle, par la peur. Le corps est une chose terriblement inconsciente. Comme il faut travailler pour lui donner un tout petit peu de conscience! Ça vit automatiquement, par habitude. C’est terriblement inconscient.

Alors, la suite?

« L’heure de la mort semble donc fixée inéluctablement, excepté pour un tout petit nombre d’êtres qui possèdent des pouvoirs dont la race humaine ne dispose pas généralement. »

C’est justement ce que je viens d’expliquer. C’est le petit nombre d’êtres qui sont capables de faire descendre un autre déterminisme dans le déterminisme physique. Ceux-là peuvent changer l’heure de la mort. C’est justement ce que je viens d’expliquer tout au long. Le pouvoir, c’est de faire descendre une conscience supérieure dans la conscience matérielle, et avec la conscience supérieure, de faire descendre un déterminisme supérieur qui change le déterminisme matériel. Et il n’y en a pas beaucoup qui aient ce pouvoir-là. J’ai dit un petit nombre. En fait c’est un très petit nombre.

Le dernier moyen, as-tu dit, est d’entrer dans le domaine de la mort volontairement et consciemment tandis que l’on est en vie...

Oui.

Quelle différence y a-t-il entre entrer consciemment dans la mort et sortir consciemment de son corps? Il y a beaucoup de gens qui peuvent sortir de leur corps, n’est-ce pas?

Oui, mais ils ne vont pas tous dans le domaine de la mort.

C’est le même moyen que pour sortir de son corps?

Oui, mais ceci n’est que le commencement. On commence par savoir sortir de son corps. Beaucoup de gens, quand ils dorment, sortent de leur corps. Ils le font plus au moins consciemment — la plupart inconsciemment, mais enfin il y en a un certain nombre qui le font consciemment. Ils sortent de leur corps, mais ils restent dans le domaine physique. Tout au plus vontils dans quelque région mentale, mais ils ne vont pas dans le domaine de la mort.

Il y en a qui y vont, mais alors pour que le procédé soit complet... Il faut vous dire que quand on sort de son corps, on reste relié au corps par un certain nombre de liens... comment les appeler... cela peut être des liens vitaux, des liens du mental, des liens psychiques. Quand on sort, il y a toutes sortes de choses qui peuvent sortir du corps. Généralement ce qui sort, c’est quelque chose d’assez subtil, comme le mental ou comme le vital supérieur, et beaucoup reste dans le corps, suffisamment pour que le corps n’entre pas en transe. Parmi les gens qui dorment, il y en a même qui bougent souvent dans leur sommeil : il y a une partie d’eux-mêmes qui est extériorisée, mais la partie la plus matérielle de leur être vital est dans le corps. Et tant que ça c’est là, c’est tout à fait dans le domaine de la vie. D’abord, ce n’est pas facile de faire sortir du corps justement ce qui en sort au moment de la mort. Cela demande une discipline très sévère et pendant très longtemps. Il y a un procédé d’extériorisation à suivre pour arriver à faire sortir tout ce qui sort quand on meurt; et dans ce cas, le corps entre en état cataleptique. Il entre dans l’état où il est quand on meurt. Il devient même très vite d’une rigidité complète. Eh bien, c’est une chose qu’il faut apprendre à faire et ce n’est pas très facile; et si l’on veut le faire d’une façon tout à fait complète, il faut toujours qu’il y ait quelqu’un là pour garder le corps afin qu’il n’arrive rien. On ne peut jamais le faire tout seul. Il faut quelqu’un pour garder le corps.

Mais même si l’on fait tout cela, ce n’est pas complètement l’expérience dont je parle. L’expérience dont je parle est encore beaucoup plus difficile. Une fois que l’on est sorti comme ça et que l’on a laissé son corps en état cataleptique, on coupe les liens. Alors, vous êtes vraiment mort; c’est-à-dire que le cœur ne bat plus. Mais comme il y a encore la « vie de la forme » et que ce n’est pas par un accident que vous êtes sorti, que c’est un acte volontaire, avec la connaissance et le pouvoir, on peut rentrer de force : rétablir le lien et rentrer de force dans son corps. Ce n’est pas une affaire commode — toute l’affaire est difficile. Comme ça, sur le papier, ça n’a l’air de rien. Ce n’est pas facile.

Tu as dit ici : « C’est à la portée d’un très petit nombre. » Donc cela implique qu’il y a des gens qui l’ont fait. Donc ils ont atteint à l’immortalité, mais jusqu’à présent...

Immortalité! Non, je n’ai pas dit que c’était l’immortalité. J’ai dit qu’ils abolissaient toute peur de la mort. C’est une chose tout à fait différente.

Mais ils entrent dans le domaine de la mort?

Oui, mais à ce moment-là le corps est en bon état. Le corps est en bon état et on peut le retrouver — il ne s’agit pas de rester longtemps dehors comme ça !

Mais ils ont eu l’expérience, alors quand ils meurent vraiment, ils peuvent encore une fois essayer la même chose?

Si leur corps est en bon état. Mais généralement, quand on meurt, il est arrivé quelque chose au corps, n’est-ce pas. Il y a quelque chose de sérieusement dérangé dans le corps. Mais enfin, encore n’est-ce pas sûr que l’on ne garde pas la capacité, une fois sorti de son corps, de remettre en ordre ce qui est défait, à moins que ce ne soit une chose grave comme, par exemple, un coup de couteau dans le cœur ou la tête enlevée! C’est assez sérieux, mais enfin si le corps reste intact, que ce soit seulement un déséquilibre, on peut le rétablir.

Mère, qu’arrive-t-il si les liens sont coupés?

Si les liens sont coupés? On meurt! Mais la partie qui est sortie du corps? Elle, si elle est consciente, elle reste absolument consciente. Elle a sa vie indépendante, elle reste absolument consciente. Coupés ou pas coupés, cela ne change rien à sa vie. Cela ne lui donne pas plus de conscience, cela ne lui en enlève pas — la conscience qu’elle a, la connaissance qu’elle a, le pouvoir qu’elle a, elle les garde. Quelqu’un qui est capable de faire ça ne dépend pas de son corps. C’est-à-dire que, pour être conscient, on ne dépend plus du tout — du tout — du corps. Ils ont une conscience tout à fait indépendante.

« Domaine de la mort » veut dire quoi?

Chaque religion en a parlé d’une façon différente. Les Grecs avaient leur « Élysée », on traversait dans un « bateau ». Il y a tous les paradis, tous les enfers.

Non, pas les religions.

Généralement, on appelle « domaine de la mort » une certaine région du vital le plus matériel dans lequel on est projeté au moment où l’on sort de son corps. La partie... comment dire... généralement la plus consciente de sa vie, est projetée là au moment de la mort. Eh bien, cette région-là, ce monde vital matériel est très obscur, il est rempli de formations adverses qui ont à leur centre des désirs, ou même des volontés adverses, et ce sont des entités très, très primaires qui ont une vie très partielle et qui sont comme des vampires, en ce sens qu’ils se nourrissent de tout ce qui est projeté hors des êtres humains. Et alors, à ce moment-là, au choc de la mort (parce qu’il y a très peu de gens qui meurent sans choc, qui sortent consciemment, en toute connaissance de cause, il n’y en a pas beaucoup; généralement c’est un accident : un dernier accident), à ce choc de la mort, ils se précipitent sur ça, sur cette vitalité qui sort, et ils s’en nourrissent. Tant que l’on est vivant, ils ne peuvent pas vous toucher. Parce que vous avez tous eu cette expérience du cauchemar où, quand la situation devient vraiment très dangereuse, tout d’un coup vous vous réveillez — vous rentrez dans votre corps, parce que le corps est votre protection. Dans le physique, ils ne peuvent rien vous faire; mais quand vous êtes hors du physique tout à fait (et même ce lien dont je parlais sert de protection quand vous sortez, dans une certaine mesure), mais si les liens sont coupés et que vous soyez tout à fait sans corps, eh bien, à moins que vous ne profitiez de circonstances spéciales comme, par exemple, quand la personne qui meurt est très aimée par d’autres qui sont encore vivantes, si ceux qui aiment concentrent à ce moment-là leur pensée et leur amour sur la personne qui est partie, elle trouve refuge là-dedans, et cela la protège complètement contre ces entités; mais quelqu’un qui partirait sans que personne ait un attachement spécial pour lui, ou bien qui est entouré de gens à qui il a fait du mal et qui ne l’aiment pas, ou bien qui se trouve dans un état d’inconscience terrible, il est comme une proie livrée à ces forces. Et ça, c’est une expérience difficile à supporter. Ils ne peuvent pas toucher à autre chose que ce qui appartient à leur propre domaine, c’est-à-dire le vital le plus matériel — le vital supérieur leur échappe tout à fait, ils ne peuvent rien y faire. Et alors ce vital matériel part, mais l’autre reste; et ce vital supérieur est attaqué par d’autres dangers, tout simplement. Et si, lui, disparaît, le mental reste. Mais derrière tout cela, il y a un psychique que rien ne peut toucher, qui est au-dessus de toute attaque possible, et lui, il est libre d’aller où il veut. Généralement (à moins qu’il n’ait une occasion spéciale et qu’il soit arrivé à un état de développement complet), il va se reposer dans les domaines psychiques. Là, il entre dans une sorte de contemplation béatifique où il reste, et c’est une assimilation de toutes ses expériences, et quand il a fini d’assimiler et de se reposer, eh bien, il se prépare à redescendre pour une nouvelle vie. Cela, rien ne peut y toucher. Mais il y a si peu de gens qui sont conscients de leur psychique que l’on peut à peine dire que c’est « telle personne » que l’on a connue. Parce que les gens tels qu’on les connaît sont faits de quoi? De toutes leurs expériences physiques, de toutes leurs réactions vitales, de toutes leurs formations mentales; c’est-à-dire le corps, le caractère, et la pensée — et avec cela, vous avez un être humain. Eh bien, tout cela ne peut persister après la mort que si c’est organisé et centralisé autour de l’être psychique et dans la mesure où c’est parfaitement unifié avec l’être psychique. Autrement, tout cet amalgame se dissout et l’être psychique seul demeure, quelquefois simplement comme une flamme, quelquefois comme un être tout à fait conscient.

Cela, c’est la loi générale. Maintenant, il y a des ponts, pour ainsi dire, des « passages protégés » qui ont été construits dans le monde vital pour passer à travers tous ces dangers. Il y a des atmosphères qui reçoivent les gens qui quittent leur corps, qui leur donnent abri, leur donnent protection. Il y a toutes sortes d’autres conditions; ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est l’état normal des êtres morts, de l’humanité ordinaire, mais dès que l’on s’approche d’une humanité un peu supérieure, toutes ces conditions changent. La loi générale reste, à moins qu’il n’y ait au-dedans de l’être un degré de développement spécial. Il y a des gens dont l’être a une cohésion si totale qu’ils ne dépendent plus du tout de leur corps, plus du tout, qu’il soit là, qu’il ne soit pas là.

Mais tout ce développement ne se fait pas comme ça, simplement en y pensant de temps en temps, en le désirant encore moins souvent et en l’oubliant la plupart du temps — non, ce n’est pas comme cela que ça se fait. Ce sont des disciplines qui sont, je puis le dire, au moins aussi sévères que les disciplines spirituelles les plus sévères... Au fond, c’est pour cela que l’on est sur la terre. À vrai dire, les êtres humains ont été construits à cet effet, pour faire ce travail-là, et c’est peut-être parce qu’ils s’y refusent qu’il y a tant de désordre dans le monde. S’ils le faisaient vraiment, les choses iraient beaucoup mieux.

Mes enfants, il est neuf heures vingt, s’il y a quelque question très intéressante à poser, posez-la !

Tu avais dit que tu raconterais l’histoire des pierres?

Ça, c’est un autre domaine. Ce n’est plus le domaine de la mort : c’est un domaine du vital matériel, le plus matériel, celui qui commande le physique, juste derrière le physique — le vital matériel.

Il fut un temps où l’on habitait le « Guest House 5 ». Sri Aurobindo habitait au premier étage, la chambre tout au bout qui est maintenant la salle de méditation du Dortoir. Je crois bien qu’il y a deux chambres côte à côte, l’une qui était une salle de bains et qui maintenant est devenue une chambre, et une chambre à côté qui était ma chambre. La salle de bains et une chambre. Sri Aurobindo était à côté.

Combien étions-nous dans cette maison?... Amrita était là. (Se tournant vers le disciple) N’est-ce pas, Amrita, vous vous souvenez de ce jour? (rires) On avait un cuisinier qui s’appelait Vatel. Ce cuisinier avait assez mauvais caractère et n’aimait pas beaucoup qu’on lui fasse des reproches sur son travail. De plus, il était en relation avec certains musulmans qui, paraît-il, avaient des facultés magiques — ils avaient un livre de magie et la capacité de faire de la magie. Un jour, il avait fait quelque chose de très mal et on l’avait grondé (je ne sais pas si quelqu’un d’entre vous connaissait Datta, mais c’était Datta qui l’avait grondé), et il était furieux. Il avait proféré des menaces en disant : « Vous verrez, vous serez obligés de quitter cette maison. » Nous n’en avions tenu aucun compte.

Deux ou trois jours après, je crois, on est venu me dire qu’il était tombé des pierres dans la cour — quelques pierres, trois ou quatre : des morceaux de brique. On s’est demandé qui jetait des pierres de la maison voisine. Nous avons fait justement ce que l’on défend aux enfants : nous avons circulé sur les murs et les toits pour voir si l’on trouvait des gens ou des pierres, ou quelque chose — mais nous n’avons rien trouvé.

Ceci se passait, je crois, entre quatre et cinq heures de l’aprèsmidi. À mesure que le jour descendait, les pierres augmentaient. Le second jour, il y en a eu davantage. Elles commençaient à frapper particulièrement la porte de la cuisine et il y en a une qui est venue frapper le bras de Datta qui passait dans la cour. Le nombre augmentait beaucoup. L’intérêt allait croissant. Et, à mesure que l’intérêt croissait, cela produisait comme un effet de multiplication! Et les pierres ont commencé à tomber dans plusieurs directions en même temps, à des endroits où il n’y avait pas de fenêtres ni de portes — il y a un escalier, mais cet escalier n’avait pas d’ouverture à ce moment-là : il y avait seulement un petit hublot. Et les pierres tombaient comme ça dans l’escalier (geste vertical); si elles avaient passé par le hublot, elles auraient fait comme ça (geste en biais), mais elles tombaient tout droit. Alors, je crois qu’ils ont tous commencé à être vraiment intéressés. Il faut vous dire que ce Vatel avait prévenu qu’il était malade et, depuis deux jours (depuis que les pierres avaient commencé à tomber), il ne venait plus. Mais il avait laissé son aide-cuisinier qui était un jeune garçon entre treize et quatorze ans, assez gras, quelque chose d’un peu mou et d’un peu paisible, peut-être un peu stupide. Et nous avons remarqué que quand ce garçon se déplaçait et là où il allait, les pierres augmentaient. Les jeunes gens qui étaient là (dont Amrita) ont enfermé le garçon dans une chambre, avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées; ils ont commencé à faire les expériences que font les spirites : (riant) « Fermez toutes les portes, fermez toutes les fenêtres. » Et voilà que le garçon était assis làdedans et que les pierres ont commencé à tomber, avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées! Et elles sont tombées de plus en plus, et finalement le garçon a eu la jambe blessée. Alors ils ont commencé à trouver que ça allait un peu fort.

J’étais avec Sri Aurobindo. Tranquillement nous étions à travailler, à méditer ensemble. Les garçons ont jeté un coup d’œil furtif pour voir ce qui se passait et ils ont commencé à nous prévenir, car il était peut-être temps de nous dire que cela prenait des proportions assez sérieuses. J’ai compris tout de suite de quoi il s’agissait.

Je dois vous dire que nous avions fait une tentative auparavant pour épuiser toutes les possibilités d’explication physique ordinaire. Nous avons fait venir la police, nous les avons prévenus qu’il y avait des gens qui nous jetaient des pierres et qu’ils veuillent bien venir voir comment ça se passait. Alors un policier — qui était un bon garçon, bien brave — nous a dit tout de suite : « Oh! vous avez Vatel comme cuisinier! Oui, oui, nous savons ce que c’est! » Il avait un pistolet chargé et il est resté debout dans la cour — plus une pierre. Moi, je me trouvais sur la terrasse avec Sri Aurobindo, j’ai dit à Sri Aurobindo : « C’est un peu fort, nous appelons la police et voilà que les pierres cessent de tomber! Mais c’est très ennuyeux, il va croire que nous n’avons pas dit la vérité, qu’il n’y a pas de pierres qui tombent. » Instantanément les pierres ont recommencé à tomber. (rires)

Remarquez que les pierres tombaient à une très grande distance de la terrasse et qu’il n’y en avait pas une seule qui s’approchait de nous.

Alors le policier a dit : « Ce n’est pas la peine que je reste ici, je sais ce que c’est, c’est Vatel qui vous fait ça, je m’en vais. »

C’est après cela que nous avons fait l’expérience d’enfermer le garçon et que les pierres ont commencé à tomber dans la chambre fermée, et que l’on est venu me prévenir que le garçon était blessé. Alors j’ai dit : « Bon, renvoyez ce garçon de la maison immédiatement. Envoyez-le dans une autre maison, n’importe où, qu’on le soigne, mais ne le gardez pas ici. Et puis c’est tout. Tenez-vous tranquilles et n’ayez pas peur. » J’étais dans la chambre avec Sri Aurobindo et j’ai pensé : « On va voir ce que c’est. » Je me suis mise en méditation et j’ai fait un petit appel. J’ai dit : « Voyons, qui est-ce qui nous jette des pierres maintenant? Il faut venir nous dire qui nous jette des pierres. » J’ai vu trois petites entités du vital, de ces petites entités qui n’ont aucune force et qui ont juste une conscience limitée à une action — ce n’est rien —, mais ces entités sont au service de gens qui font de la magie. Quand les gens font de la magie, ils leur ordonnent de venir et elles sont obligées d’obéir. Il y a des signes, il y a des mots. Alors elles sont arrivées, elles avaient peur — elles avaient une peur terrible! J’ai dit : « Mais pourquoi envoyez-vous des pierres comme ça ? Qu’est-ce que ça veut dire, cette mauvaise plaisanterie? » Elles ont répondu : « Nous sommes obligées, nous sommes obligées... (rires) Ce n’est pas de notre faute; on nous a ordonné de le faire, ce n’est pas de notre faute. »

Moi, j’avais tellement envie de rire, mais enfin j’ai gardé mon sérieux et je leur ai dit : « Eh bien, il faut cesser ça, n’est-ce pas! » Alors elles m’ont dit : « Vous ne voulez pas nous garder? Nous ferons tout ce que vous voulez. » « Ah! ai-je pensé, tiens, ça va peut-être être intéressant. » Je leur ai dit : « Mais qu’est-ce que vous savez faire? » — « Nous savons jeter des pierres. » (rires) — « Cela ne m’intéresse pas du tout, je n’ai envie de jeter de pierres à personne... Mais est-ce que, par hasard, vous pourriez m’apporter des fleurs? Est-ce que vous pouvez m’apporter des roses? » Alors elles se sont regardées très consternées et elles ont répondu : « Non, nous ne sommes pas bâties comme ça, nous ne savons pas faire ça. » J’ai dit : « Je n’ai pas besoin de vous, allez-vous-en, et surtout prenez garde de ne jamais revenir parce que, autrement, il vous arriverait malheur! » Elles se sont sauvées et elles ne sont plus jamais revenues.

Il y a un point que j’avais noté : c’était seulement à hauteur du toit que l’on voyait les pierres — à partir du toit, en bas, on voyait les pierres; jusqu’au toit, au-dessus, il n’y avait pas de pierres. C’est-à-dire que c’était comme une formation spontanée. En l’air, on ne voyait rien : elles se matérialisaient dans l’atmosphère de la maison et elles tombaient.

Et pour compléter l’action, le lendemain matin (ceci se passait le soir), le lendemain matin, je suis descendue faire une visite dans la cuisine et j’ai trouvé (il y avait des piliers dans la cuisine), sur un pilier, j’ai trouvé quelques signes avec des chiffres, très grossiers, comme s’ils étaient faits avec un morceau de charbon (je ne me souviens plus des signes), et puis des mots en tamoul. Alors j’ai soigneusement tout effacé et j’ai fait une invocation; et puis c’était fini, la comédie terminée.

Pourtant, pas tout à fait. La fille de Vatel était ayah à la maison, elle était servante. Elle est arrivée de bonne heure l’après-midi dans un état de frayeur intense et elle a dit : « Mon père est à l’hôpital, il est mourant; ce matin, il lui est arrivé quelque chose; tout d’un coup il s’est senti tout à fait mal et il est mourant, on l’a transporté à l’hôpital, j’ai atrocement peur. » Je savais ce que c’était. Je suis allée trouver Sri Aurobindo et je lui ai dit : « Vous savez, Vatel est à l’hôpital, il est mourant. » Alors Sri Aurobindo m’a regardée, il a souri : « Oh! pour quelques pierres! » (rires)

Le soir même il était guéri. Mais il n’a jamais plus recommencé.

Comment se fait-il que l’on voyait des pierres?

C’est cela qui est remarquable. Il y a des êtres qui ont la capacité de dématérialiser et de rematérialiser les objets. C’étaient des morceaux de brique tout à fait ordinaires, mais ces morceaux de brique ne se matérialisaient que dans le champ où s’exerçait la magie. La magie était faite pour cette maison, spécialement pour cette cour, et l’action des forces vitales s’exerçait seulement là. C’est pour cela que, lorsque j’ai fait sortir le garçon et qu’il est parti dans une autre maison, il n’a jamais plus reçu une pierre. La formation magique était faite pour la maison spécialement, et les pierres se matérialisaient dans la cour. Et comme c’était quelque chose de spécial contre Datta, c’est pour cela qu’elle a reçu des pierres sur le bras.

Il y avait encore autre chose... Ah! oui. Nous avons su, après, le nom du magicien chez qui Vatel était allé. Il était allé chez un magicien qui, paraît-il, est très connu ici et il lui avait dit qu’il voulait absolument nous faire sortir de cette maison — je ne sais pour quelle raison. Il était furieux. Et alors il a demandé au magicien de faire tomber des pierres. Le magicien lui a dit : « Mais c’est la maison où habite Sri Aurobindo ! » Vatel a dit : « Oui. » — « Ah! non, je ne me mêle pas de cette affaire; arrangez-vous, moi je ne m’en mêle pas! » Alors Vatel a beaucoup insisté; il lui a même promis des récompenses plus grandes, un peu plus d’argent. Le magicien lui a dit : « Eh bien, voilà, nous allons faire une règle (je crois qu’il avait dit vingt mètres ou vingt-cinq mètres) : à vingt-cinq mètres de circonférence autour de Sri Aurobindo, les pierres ne tomberont pas. Il faudra qu’il y ait toujours vingt-cinq mètres entre les pierres et Sri Aurobindo. » Et il avait arrangé son ordre magique de la sorte. Et c’est pour cela que, jamais, aucune pierre n’est venue à une petite distance de nous, jamais. Elles tombaient à l’autre bout de la cour.

Ils savent faire tout cela, c’est écrit dans leurs livres. Ce sont des mots et des cérémonies qui ont une certaine puissance. Naturellement, il faut que ceux qui le font aient un pouvoir vital. Il faut un pouvoir vital — un peu de pouvoir mental aussi, pas beaucoup, très peu même, mais un assez fort pouvoir vital pour maîtriser ces petites entités, les dominer. Et ils les dominent justement par la peur, parce qu’ils ont le pouvoir de dissoudre, alors ces entités ont très peur. Mais sur toutes ces formations, sur toutes ces entités, il suffit de mettre simplement une goutte de la vraie, pure lumière, la pure lumière blanche — vraie, pure lumière — qui est la lumière de construction suprême; vous mettez une goutte dessus : ça se dissout comme s’il n’y avait plus rien du tout. Et ce n’est pourtant pas une force de destruction : c’est une force de construction, mais c’est tellement contraire à leur nature qu’elles disparaissent. C’est de cela qu’elles avaient peur; parce que je les avais appelées en leur montrant la lumière blanche, je leur avais dit : « Voyez, il y a cela ! Venez. » Mais leur offre était touchante : « Oh! nous ferons tout ce que vous voulez. » J’ai dit : « Bon, qu’est-ce que vous savez faire? » — « Jeter des pierres! » (rires)

Le 17 mars 1954

Ici, tu as dit : « La raison avouée de semblables pratiques [ascétiques] est d’abolir toute sensation, afin que le corps ne fasse plus obstacle à l’élan vers l’esprit. »

(La Mère, Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)

Dans les spiritualités anciennes, on considérait toujours que le corps était intransformable et que c’était seulement quelque chose d’inerte et d’inutile qui obstruait le chemin — il faut faire sortir l’esprit de son corps pour que, libre, il puisse avoir toutes les expériences possibles. Et alors ils maltraitaient le corps autant qu’ils le pouvaient pour lui enlever sa vitalité, sa force, et qu’il se tienne très tranquille comme quelque chose de tout à fait inutile.

La conscience physique, pour eux, c’est quelque chose à abolir.

C’est cela. Je parle comme ils parleraient eux-mêmes. Je me mets à leur place.

La dernière fois, dans le texte, il était dit : « Ils [ceux qui ont foi en un Dieu, leur Dieu] lui appartiennent intégralement; tous les événements de leur vie sont l’expression de la volonté divine et ils les acceptent non seulement avec une paisible soumission, mais avec reconnaissance, car ils sont convaincus que tout ce qui leur arrive est toujours pour leur bien. »

(La Peur de la Mort et les Quatre Méthodes pour la Conquérir)

Quelle est la différence entre une soumission paisible et une soumission reconnaissante?

Une soumission paisible et reconnaissante?... Quand vous recevez un ordre, vous pouvez l’exécuter avec résignation, parce que vous avez décidé que vous vous soumettrez; alors vous exécutez cet ordre, sans joie, sans plaisir, juste tout à fait d’une façon sèche et extérieure, et vous vous dites : « On m’a dit de faire ça et je le fais. » C’est-à-dire que l’on n’essaye pas de comprendre et on ne fait aucun mouvement pour adhérer volontairement à ce qui est demandé. Ça, c’est la soumission résignée. On accepte son sort, et si l’on ne se plaint pas, c’est parce que l’on a décidé qu’on ne se plaindrait pas, c’est par une décision, autrement on se plaindrait.

L’autre cas est de comprendre pourquoi un ordre a été donné, d’en saisir la valeur intérieure et de vouloir de toutes ses forces exprimer ce qui a été demandé, avec la connaissance et la joie que c’est quelque chose qui forcément rapprochera du Divin et vous donnera pleine satisfaction. Alors vous êtes heureux, vous êtes content et vous collaborez. Cela fait une différence assez considérable.

Dans une soumission paisible, n’est-on pas heureux ?

On est très fier de soi généralement! On devient très vaniteux. On se dit que l’on fait quelque chose de très remarquable. On ne questionne pas, on ne tâche pas de comprendre : on obéit et puis on est résigné. On ne se demande même pas si c’est bien ou si ce n’est pas bien : on est trop supérieur. On se gonfle d’orgueil. Il y a beaucoup de gens comme ça ici.

Alors ce n’est pas une soumission vraie?

Je crois que l’autre est meilleure. Au moins l’autre a la satisfaction de comprendre pourquoi elle fait les choses; on les fait avec joie et on se sent fortifié par le fait de les faire, tandis que dans le premier cas, on courbe la tête de plus en plus et on se sent comme une pauvre victime de l’autorité despotique qui vous écrase de sa toute-puissance.

Dans les temples, les gens offrent des animaux au Divin. Dans ce cas, est-ce de la cruauté?

Cela ressemble beaucoup plus à de l’ignorance et à de l’inconscience qu’à de la cruauté. Ils ne le font pas parce qu’ils sont cruels — il y a des exceptions, mais enfin, d’une façon générale, ce n’est pas qu’ils éprouvent un plaisir spécial à tuer, mais ils ont peur d’une certaine divinité et ils pensent qu’ils auront ses bonnes grâces en tuant.

Il y a près d’ici, au bord de la mer, un temple de pêcheurs — Virampatnam, je crois; quand on va jusqu’à Ariancouppam et que, de là, on tourne sur la gauche et que l’on se dirige vers la mer, au bout de la route il y a un temple. C’est le temple d’une drôle de divinité... C’est une Kâlî. Eh bien, on raconte des histoires extraordinaires de cette Kâlî, mais enfin l’habitude est de tuer tous les ans une quantité considérable de poulets en son honneur. Je suis arrivée là-bas — je crois le lendemain du jour où la fête avait eu lieu : on voyait encore toutes les plumes éparpillées sur le sable — et il y avait surtout là une atmosphère de crainte très basse et d’ignorance totale, et puis aussi (je ne sais pas la pratique, qui mange le poulet, si c’est celui qui l’a tué ou si ce sont les prêtres — mais là, il y en a vraiment trop! Si les prêtres mangeaient tout cela, ils seraient tout à fait malades! Alors ce doit être aussi probablement les gens qui ont tué le poulet), il y avait cette atmosphère de gourmandise — même pas gourmandise : de goinfrerie, de gens qui pensent à manger. Et il y avait cette Kâlî qui était particulièrement satisfaite de toutes les forces vitales de tous ces pauvres petits poulets : ils étaient exécutés par centaines et centaines; chacun, quand il est égorgé, a un peu de vitalité qui s’échappe, et alors cette Kâlî-là se nourrissait de tout cela, elle était très contente. Et il y avait évidemment, je ne sais pas si l’on peut appeler cela de la cruauté, mais c’était de la gourmandise, gourmandise de force vitale — de force vitale très inconsciente parce que ces pauvres poulets n’ont pas quelque chose de très conscient. Mais le tout faisait une atmosphère très basse, très lourde, très inconsciente et pénible, mais pas d’intensité de cruauté. Alors on ne peut pas dire que cette pratique soit le résultat d’une cruauté, je ne le pense pas. Peut-être même certains de ces gens, quand ils avaient à sacrifier une petite chèvre, un petit mouton qu’ils aimaient bien peut-être, trouvaient cela un peu triste. C’est plutôt une grande inconscience et une grande peur. Oh! la peur! Dans les religions, il y a tant de peur! La peur : « Si je ne fais pas ceci ou cela, si je n’égorge pas une douzaine de poulets, il va m’arriver des choses désastreuses toute ma vie, ou en tout cas dans toute mon année. Mes enfants seront malades; je perdrai ma place; je ne pourrai plus gagner ma vie; il m’arrivera des choses tout à fait désagréables... » Et alors, sacrifions les douze poulets. Mais ce n’est pas par désir de tuer. On ne peut pas dire que ce soit par cruauté : c’est par inconscience.

Qu’est-ce que cette Kâlî a fait quand tu es allée la voir?

Tu connais l’histoire? Non?... Je ne connaissais pas l’endroit, mais il y a un bout de route entre Ariancouppam et ce temple. Et alors, à moitié chemin, j’étais assise tranquillement dans ma voiture et je ne savais rien — je ne savais rien, ni de l’histoire de la Kâlî, ni des poulets, ni rien —, j’étais assise dans ma voiture lorsque, tout d’un coup, je vois arriver un être noir, très échevelé, qui me demande de faire un pacte. Et elle prenait des tons très suppliants, elle me disait : « Ah! si tu veux, si tu veux m’adopter et venir m’aider, combien de gens viendront, comme cela deviendra un endroit glorieux ! » C’était une drôle de petite créature... Elle était noire, elle était échevelée, elle était assez maigre, elle n’avait pas l’air très florissante! On m’a raconté après (je ne sais plus l’histoire au juste, je ne peux pas dire), mais il lui était arrivé malheur : on lui avait coupé la tête. Quelque chose comme ça. (Se tournant vers un disciple) Amrita ! vous connaissez l’histoire de la Kâlî de Virampatnam?... Non, vous ne la connaissez pas? Quelqu’un me l’avait racontée, enfin ce n’était pas très, très intéressant, c’était une Kâlî infortunée. Je lui ai dit qu’elle se tienne tranquille, que je ne comprenais pas ce qu’elle voulait de moi, que je venais... que si elle avait une aspiration sincère, eh bien, il y aurait une réponse à son aspiration. Au bout d’un moment, nous sommes arrivés devant le temple; alors j’ai commencé à comprendre que c’était la personne pour qui le temple avait été construit. Puis nous sommes allés nous promener au bord de la mer sous les filaos, et nous avons vu toutes ces plumes et ces gouttes de sang et ce restant de feu (parce qu’il y avait le feu des gens qui avaient évidemment cuit leurs poulets). Et on a demandé l’histoire. Et j’ai su, après, l’histoire de cette Kâlî, et qu’à cette fête on égorge des poulets en grande quantité.

Alors voilà. Je ne crois pas que cette créature éprouvait une satisfaction très considérable à voir tuer des poulets — je n’en sais rien. Comme je l’ai dit, tout le profit qu’elle pouvait en tirer était l’absorption des quelques forces vitales qui sortaient du poulet. Mais il était évident qu’elle éprouvait une satisfaction énorme à voir une grande foule — plus il y avait de gens qui venaient et de poulets tués, plus c’était un signe de succès. Cela prouvait qu’elle était devenue une personne considérable! Et alors, dans sa candeur, elle était venue me demander mon aide, en me disant que si je voulais l’aider et donner quelque chose de ma force vitale et de ma présence vitale, il y aurait encore beaucoup plus de gens et beaucoup plus de poulets! Alors cela ferait un très grand succès. Je lui ai répondu que cela suffisait comme ça, qu’elle se tienne tranquille.

À quel plan appartenait-elle, Douce Mère?

Vital le plus matériel.

Pourquoi l’appelle-t-on Kâlî?

Je ne sais pas. C’est une Kâlî — j’ai vaguement l’impression qu’elle a eu la tête coupée ou qu’elle était enterrée jusqu’au cou, ou je ne sais quoi. Quelque chose comme ça. Il y a l’histoire d’une tête qui sort du sable, enterrée jusqu’au cou. Mais ça, n’importe qui du pays vous racontera l’histoire, je ne m’en souviens plus. C’est une forme de Kâlî — il y a des quantités innombrables de formes de Kâlî. Chaque fidèle a son image, a sa relation spéciale avec une certaine Kâlî. C’est quelquefois leur propre Kâlî : il y a des Kâlî de famille — des quantités de Kâlî de famille. J’ai connu des histoires innombrables sur les Kâlî de famille. J’ai connu des familles qui avaient des Kâlî très dangereuses; si l’on ne faisait pas ce qu’elle voulait, il arrivait toujours malheur aux membres de la famille. Il y avait une très forte formation (je suppose que c’étaient les membres de la famille qui étaient encore plus responsables que la Kâlî). Et j’ai connu des gens qui, lorsqu’il arrivait un malheur, un vrai malheur dans la famille (quelqu’un qui était mort), ils prenaient l’image de Kâlî et ils allaient la jeter dans le Gange.

Cette Kâlî n’a aucun rapport avec Mahâkâlî?

Non. Elle a un rapport très étroit avec la mentalité humaine. Je crois que ce sont presque exclusivement des constructions de la mentalité humaine... Mais je me suis aperçue qu’il y avait vraiment un Ganapati (chose que je ne croyais pas, je croyais que c’était une formation purement humaine, cette histoire de tête d’éléphant, mais il y a un être qui est comme cela ; je l’ai vu, il est tout à fait vivant, et ce n’est pas une formation). De même, il y a une Kâlî noire avec sa guirlande de têtes de mort, sa grande langue qui pend... Je l’ai vue. Je l’ai vue les yeux grands ouverts entrer dans ma chambre. Alors je suis sûre qu’elle existe. Et ce n’était pas une formation humaine, c’était un être — un être véritable. Maintenant, il se peut que certains détails soient ajoutés par la pensée humaine. Mais enfin l’être était un être véritable, ce n’était pas une pure formation.

Que fait cette Kâlî noire?

Mais je crois qu’elle fait des choses assez mauvaises! Il est évident qu’elle prend une grande satisfaction à la destruction.

Celle-là, c’était au moment de la Première Guerre, dans les premiers jours de la Première Guerre. J’étais ici. J’étais dans la maison rue Dupleix : « Dupleix House ». De la terrasse de cette maison, on voyait la chambre de Sri Aurobindo, celle du « Guest House ». Sri Aurobindo habitait là. Il avait deux chambres et puis la petite terrasse. Et de la terrasse de la maison Dupleix, on voyait la terrasse du « Guest House » (je ne sais pas si on la voit encore; cela dépend des maisons entre les deux, mais on voyait). Et je m’asseyais sur la terrasse pour méditer tous les matins, en face de la chambre de Sri Aurobindo. Ce jour-là, j’étais dans ma chambre, mais faisant face à la chambre de Sri Aurobindo, devant une petite fenêtre. J’étais en méditation, j’avais les yeux ouverts. J’ai vu cette Kâlî qui entrait par ma porte, je lui ai dit : « Qu’est-ce que tu veux ? » Et elle dansait, une danse vraiment sauvage. Elle m’a dit : « Paris est pris! Paris sera détruit. » Nous n’avions aucune nouvelle, c’était juste au commencement de la guerre. Moi, j’étais en méditation; je me suis tournée vers elle et je lui ai dit : « Non, Paris ne sera pas pris et Paris sera sauvé », tranquillement, comme ça, mais avec une certaine force. Elle a fait une grimace et elle est partie. Et le lendemain, nous avons eu la dépêche (à ce moment-là il n’y avait pas encore de radio, nous avions des « dépêches » qui étaient annoncées, affichées à la porte du gouvernement), on a eu la dépêche que les Allemands marchaient sur Paris, que Paris n’était pas défendu : la route était tout à fait ouverte, ils n’avaient qu’à avancer quelques kilomètres de plus et ils entraient dans la ville. Et quand ils ont vu que le chemin était libre, qu’il n’y avait personne pour s’opposer à eux, ils ont été persuadés que c’était un traquenard, qu’on leur avait tendu un piège! Alors ils ont tourné le dos, ils sont partis. (rires) Et quand les armées françaises ont vu cela, naturellement elles leur ont couru après et les ont rattrapés, et il y a eu une bataille — c’était la bataille décisive. On les a arrêtés. Eh bien, c’était évidemment cela. Ça s’est traduit de cette façon : lorsque j’ai dit à Kâlî « non! », ils ont été pris de panique. Ils ont tourné. Autrement, s’ils avaient continué à avancer, c’était fini.

Comment est Mahâkâlî?

Ça, mes enfants, quand vous la verrez, vous me le direz! Elle n’est pas comme ça. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’elle n’est pas noire, elle ne tire pas une grande langue, et elle n’a pas un collier de têtes humaines!

>Ici, tu as dit : « L’emploi de la planche à clous du sâdhu ou des verges et du cilice de l’anachorète chrétien est l’effet d’un sadisme plus ou moins voilé, inavouable et inavoué. C’est la recherche maladive ou le besoin subconscient de sensations violentes. »

(Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)

Ah! vous savez qu’il y a des ascètes qui se couchent sur des clous. Vous ne les avez jamais vus? Moi, j’ai vu certaines photographies. C’est une chose qui se fait : ils se couchent sur une planche avec des clous. Tout dernièrement encore j’ai vu une photographie comme ça. Eh bien, ils font cela pour... Je ne sais si c’est pour prouver leur sainteté. N’est-ce pas, quand ils le font en public, on a toujours le soupçon que c’est un peu de cabotinage. Mais enfin il y en a qui peuvent le faire sincèrement, en ce sens qu’ils ne le font pas pour se donner en spectacle. Et alors, ceux-là, si on leur demande pourquoi ils le font, ils disent que c’est pour se prouver à eux-mêmes qu’ils sont détachés de leur corps. Et il y en a d’autres qui vont encore plus loin : ils disent qu’il faut faire souffrir le corps pour libérer l’esprit. Eh bien, moi, je dis que derrière cela il y a un goût vital de la souffrance, et qui impose la souffrance au corps parce que le vital a un goût très pervers de la souffrance. J’ai connu des enfants qui avaient mal ici ou là et qui pressaient tant qu’ils pouvaient pour que ça fasse encore plus mal! Et ils y prenaient plaisir! J’ai connu des grandes personnes aussi... Moralement, c’est un fait tout à fait connu — je passe mon temps à dire aux gens : « Si vous êtes malheureux, c’est parce que vous le voulez. Si vous souffrez, c’est parce que vous aimez la souffrance, autrement vous ne souffririez pas. » C’est ce que j’appelle une chose malsaine, parce que c’est contraire à l’harmonie et à la beauté, c’est une espèce de besoin maladif de sensations fortes.

Je ne sais pas si vous savez que la Chine est le pays où l’on a inventé les tortures les plus épouvantables, des choses impensables. Quand j’étais au Japon, j’ai demandé à un Japonais qui aimait beaucoup les Chinois (ce qui est assez rare) et qui parlait toujours de la Chine avec beaucoup d’éloges : pourquoi est-ce ainsi? Il m’a dit : c’est parce que tous les peuples d’ExtrêmeOrient, y compris les Japonais eux-mêmes, ont une sensibilité très émoussée. Ils sentent très peu; à moins que la souffrance ne soit extrêmement forte, ils ne sentent rien. Et alors, cela les a obligés à employer leur intelligence pour inventer des souffrances extrêmement fortes. Eh bien, tous ces gens qui sont inconscients, plus ils sont inconscients, plus ils sont tâmasiques; plus leur sensibilité est émoussée, plus ils ont besoin de sensations fortes pour éprouver quelque chose. Et c’est généralement ce qui rend les gens cruels, parce que la cruauté donne des sensations très fortes. Cette espèce de tension des nerfs procurée par la souffrance qu’on impose à quelqu’un, cela vous donne une sensation; et ils ont besoin de ça pour sentir, autrement ils ne sentent rien. Et c’est pour cela que des races entières sont particulièrement cruelles. Ils sont très inconscients — inconscients vitalement. Ils peuvent ne pas être inconscients mentalement ou autrement, mais ils sont inconscients vitalement et physiquement — physiquement surtout.

Ceux qui ont un sens de la beauté, peuvent-ils devenir cruels aussi?

C’est un problème psychologique. Cela dépend où se trouve leur sens de la beauté. On peut avoir un sens physique de la beauté, un sens vital de la beauté, un sens mental de la beauté. Si l’on a un sens moral de la beauté — un sens de la beauté et de la noblesse morales —, on ne sera jamais cruel. On sera toujours généreux et on aura le beau geste dans tous les cas. Mais comme les hommes sont faits de beaucoup de morceaux différents... Par exemple, je réfléchissais à tous les artistes que j’ai connus — j’ai connu tous les plus grands artistes du siècle dernier ou du commencement de ce siècle-ci, et ils avaient vraiment le sens de la beauté, mais moralement, il y en avait qui étaient très cruels. Quand on voyait l’artiste à son travail, il vivait dans une beauté magnifique, mais quand on voyait le monsieur chez lui, il n’avait qu’un contact très limité avec l’artiste qu’il était, et il devenait généralement un homme très vulgaire, très ordinaire (beaucoup, j’en suis sûre). Mais ceux qui étaient unifiés, en ce sens que vraiment ils vivaient leur art, ceux-là non : ils étaient généreux et bons.

J’ai le souvenir d’une histoire très amusante que Rodin m’a racontée. Vous connaissez Rodin — pas lui, mais ce qu’il a fait? Rodin m’a posé une question un jour, il m’a demandé : « Comment peut-on empêcher deux femmes d’être jalouses l’une de l’autre? » (rires) Je lui ai dit : « Voilà un problème! Mais voulez-vous me dire pourquoi? » Alors il m’a dit : « Voilà, la plupart de mes travaux, je les fais en terre glaise — en tout cas beaucoup — avant de les tailler dans la pierre ou de les faire en bronze. Et alors il m’arrive ce qui suit. Quelquefois, je m’en vais en voyage pendant un jour, deux jours, trois jours. Je laisse mes terres glaises couvertes de chiffons mouillés parce que si ça sèche, ça craque, et alors tout le travail est perdu, il faut en faire une autre. » Tous les sculpteurs savent cela. Et voilà ce qui arrivait à ce pauvre homme : il avait une femme, et il avait son modèle préféré qui était tout à fait... très intime dans la maison, elle entrait comme elle voulait — c’était le modèle dont il se servait pour faire ses sculptures. Alors la femme voulait être la femme. Et quand Rodin était parti, elle entrait tous les matins de bonne heure dans l’atelier et elle aspergeait tous les chiffons, toutes les têtes ou les corps, tout; c’était recouvert, enveloppé d’un chiffon mouillé (on vaporise de l’eau là-dessus comme on vaporise sur des plantes), alors elle arrivait et elle vaporisait. Et puis, quelque temps après, deux heures ou trois heures après, arrivait le modèle qui avait la clef de l’atelier. Elle ouvrait l’atelier et elle vaporisait. Elle voyait très bien que c’était mouillé, mais elle avait le privilège d’entretenir la sculpture de son sculpteur — et elle vaporisait. « Et alors, me disait Rodin, le résultat, c’est que, lorsque je reviens de voyage, toute ma sculpture coule et il ne reste plus rien de ce que j’avais fait! »

C’était un vieil homme (à ce moment-là il était déjà vieux), il était magnifique. Il avait une tête de faune, comme un faune grec. Il était petit, très trapu, solide, il avait des yeux malins. Il était remarquablement ironique, et un peu... Il s’en amusait, mais enfin il aurait mieux aimé retrouver sa sculpture intacte!

Et quelle a été ta réponse? (rires)

Entretiens 1954 80 Je ne me souviens plus... Peut-être ai-je répondu par une plaisanterie. Non, je me souviens d’une chose, je lui ai demandé : « Mais pourquoi ne dites-vous pas : c’est celle-là qui arrosera ? » Il s’est alors arraché le peu de cheveux qu’il avait sur la tête et il m’a dit : « Mais ce seraient des batailles à coups de couteau. » (rires)

Voilà, bonne nuit.

Le 24 mars 1954

Si l’on prend un repas copieux, comment se fait-il que le sommeil soit troublé par des cauchemars?

Parce qu’il y a une connexion très étroite entre le rêve et l’état de l’estomac. On a fait des observations et on a remarqué que suivant ce que l’on mange, les rêves sont d’une nature ou d’une autre, et que si la digestion est difficile, cela tourne toujours en cauchemar, de ces cauchemars qui n’ont pas de réalité mais enfin qui sont tout de même des cauchemars et qui sont désagréables : le genre tigre, chat, etc. Ou alors il vous arrive des choses comme... par exemple, on court un très grand danger et il faut se dépêcher, s’habiller vite et sortir, et puis on ne peut plus s’habiller, on n’arrive plus à mettre ses affaires, on ne trouve plus rien, et si l’on veut mettre des souliers, jamais ils n’entrent dans les pieds, et si l’on veut aller très vite quelque part, les jambes ne marchent plus, elles sont paralysées et on est là à faire des efforts formidables pour avancer, et on ne peut pas bouger. C’est ce genre de cauchemars, cela vient de l’estomac qui ne marche pas.

Pourquoi le tabac et l’alcool abolissent-ils la mémoire et la volonté?

Pourquoi? Parce qu’ils le font! Il n’y a pas de raison morale. C’est un fait. Il y a un poison dans l’alcool, il y a un poison dans le tabac ; et ce poison entre dans les cellules et détériore les cellules. L’alcool ne s’élimine pour ainsi dire jamais, il s’accumule dans une certaine partie du cerveau, et alors après l’accumulation, ces cellules ne fonctionnent plus du tout — il y a des gens, d’ailleurs, qui en deviennent fous, c’est ce que l’on appelle le delirium tremens, qui est le résultat d’avoir avalé trop d’alcool que l’on n’absorbe pas, qui reste comme ça, concentré dans le cerveau. Et même, c’est si radical qu’il y a des pays — en France, par exemple — qui produisent du vin... Le vin a un pourcentage d’alcool très petit : je crois que c’est de quatre ou cinq pour cent, un très petit pourcentage. Et ces gens-là, parce qu’ils le produisent, boivent du vin comme on boit de l’eau. Ils boivent leur vin pur, et au bout d’un certain temps ils sont malades. Ils ont des dérangements du cerveau. J’en ai connu comme ça, le cerveau était dérangé, ne fonctionnait plus. Et le tabac, la nicotine est un poison très sérieux. C’est un poison destructeur des cellules. J’ai dit que c’était un poison lent parce qu’on ne le sent pas immédiatement sauf quand on fume pour la première fois et que ça vous rend très malade — et ça devrait vous faire comprendre que ce n’est pas à faire. Seulement, les gens sont tellement bêtes qu’ils croient que c’est une faiblesse et ils continuent, jusqu’à ce qu’ils s’habituent au poison; et le corps n’a plus de réaction, il se laisse détruire sans réagir : vous abolissez la réaction.

C’est la même chose physiquement que moralement. Quand vous faites quelque chose que vous ne devez pas faire et que votre psychique vous dit de sa petite voix très tranquille de ne pas le faire, et puis que vous le faites tout de même, au bout d’un certain temps il ne vous dit plus rien, et vous n’avez plus du tout de réactions intérieures à vos mauvaises actions, parce que vous avez refusé d’écouter la voix quand elle vous parlait. Et alors, naturellement, vous allez de mal en pis et vous dégringolez dans le trou. Eh bien, pour le tabac, c’est la même chose; les premières fois, le corps réagit violemment, il vomit, il vous dit : « Je n’en veux pas! à aucun prix ! » Vous l’obligez avec votre stupidité mentale et vitale, vous le contraignez à le faire, il ne réagit plus, et alors il se laisse empoisonner petit à petit, jusqu’à ce qu’il se décompose — le fonctionnement se détériore, ce sont des nerfs qui sont affectés, ils ne transmettent plus la volonté parce qu’ils sont affectés, ils sont empoisonnés. Ils n’ont plus la force de transmettre la volonté. Et à la fin, les gens se mettent à trembler, ils ont des mouvements nerveux. Il y en a — il n’y a pas besoin d’aller très loin pour en trouver. Et ils sont comme ça exclusivement parce qu’ils ont fait des excès : ils ont bu et ils ont fumé. Et quand ils prennent un objet, ils tremblent (geste). Voilà ce que l’on gagne à faire ça.

Certaines personnes ont un corps bien développé, mais malgré ça ils sont très nerveux. Alors...?

C’est généralement... Peut-être ont-ils une structure vitale très faible : ils peuvent être nerveusement faibles, avoir un système nerveux faible; peut-être est-ce cela, c’est peut-être un accident de naissance; mais c’est peut-être aussi une faiblesse mentale, parce qu’il est vrai que le corps sain vous donne des nerfs solides, mais il est encore beaucoup plus important d’avoir la pensée saine pour avoir les nerfs solides — si votre pensée n’est pas saine, si vos sentiments et vos pensées sont de mauvaise qualité si l’on peut dire, vos nerfs deviennent très mauvais, encore pires. Par exemple, ceux qui ont toutes sortes d’imaginations malsaines, ceux qui aiment les lectures malsaines, qui aiment les conversations malsaines (il y en a beaucoup, il y en a énormément), eh bien, ils peuvent perdre tout contrôle de leurs nerfs, ils peuvent devenir extrêmement nerveux, et avoir pourtant un corps qui est en très bon état et très sain. Les conversations malsaines et les lectures malsaines, je pourrais vous dire que c’est ce qu’il y a de pire, et quand vous faites vraiment la sâdhanâ, que vous essayez vraiment de faire des progrès, vous vous apercevez que, lorsque vous prononcez des mots inutiles, ne serait-ce que très peu, immédiatement il y a un énorme malaise qui vous prend comme ça, on se sent comme si tous les nerfs de la tête étaient tirés, et puis il y a quelque chose qui tourne ici, qui vous fait mal, et on sent un grand vide là-dedans et on a mal au cœur, comme si l’on avait mangé quelque chose de très mauvais — seulement pour quelques mots prononcés inutilement. C’est d’ailleurs l’indication sûre, dès que le malaise commence, on sait qu’il faut arrêter : « Maintenant, c’est fini. » Seulement, la plupart des gens sont tellement inconscients qu’ils ne s’en aperçoivent même pas, et avec leur volonté dévoyée, ils obligent leur système à faire ce qu’il ne doit pas faire. Alors le système est plus ou moins docile, obéit et continue à se détériorer lentement, comme ça, sans même donner de réactions visibles.

Je n’ai pas compris ce passage du texte : « Pour tous ceux qui aspirent au progrès, la continence est donc de règle. Mais spécialement pour ceux qui veulent se préparer à la manifestation supramentale, cette continence doit être remplacée par une abstinence totale, obtenue non par coercition et suppression, mais par une sorte d’alchimie intérieure, grâce à laquelle les énergies généralement utilisées dans l’acte procréateur sont transmuées en énergies de progrès et de transformation intégrale. »

(Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)

C’est une chose assez connue des disciplines yoguiques en Inde quand on commence à être conscient de ses énergies et à en avoir le contrôle. N’est-ce pas, vous connaissez la théorie des différents « centres » où se concentrent les énergies? Généralement on dit qu’il y en a cinq. Mais le vrai nombre est de sept et même de douze. Mais enfin, ces centres-là sont des centres d’accumulation d’énergie, des énergies qui commandent certaines activités. Ainsi, il y a une accumulation d’énergie au centre sexuel — une grande accumulation d’énergie — et ceux qui ont le contrôle de ces énergies arrivent à les maîtriser et à les soulever, et ils les mettent ici. (Mère désigne le centre de la poitrine), et ici, c’est le centre des énergies de progrès. C’est ce qu’on appelle le siège d’Agni, mais ce sont les énergies de progrès, la volonté de progrès qui sont là. Alors les énergies qui se concentrent dans le centre sexuel, on les tire en haut et on les met là, et elles augmentent considérablement, au point que le centre sexuel devient absolument tranquille, paisible, immobile.

La pratique ordinaire pour maîtriser ces énergies est d’arriver à « dérouler » la kundalinî qui est lovée en bas de l’épine dorsale et à faire remonter les énergies par l’épine dorsale jusqu’aux différents centres, et de réveiller les centres, les ouvrir, les éveiller et les mettre en mouvement l’un après l’autre jusqu’au sommet de la tête, et alors, partir au-dessus. Et quand on arrive à cela (c’est la première pratique), quand on a déroulé la kundalinî, la maîtriser, la conduire et la développer — la conduire dans tous les centres, éveiller tous ces centres. Une fois que l’on a fait cela, on est maître du fonctionnement. Une fois que l’on est maître du fonctionnement, au lieu de laisser les énergies aux endroits où on ne les désire pas, on les tire et on les met aux endroits où elles sont utiles, et on les utilise comme ça, pour le progrès, pour la transformation.

Tout cela est le résultat de pratiques éclairées, assidues, très patientes; on ne fait pas « comme ça », en pensant à autre chose ou en s’amusant. Ce sont des disciplines. Naturellement, une fois que l’on est maître du fonctionnement, ça devient très intéressant. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain sans que l’on fasse ce qu’il faut.

Une fois, tu avais dit que l’amour humain était tordu et enlaidi par les hommes. Qu’était l’amour dans son origine?

Quoi?

L’amour humain.

Humain? Tiens, je ne l’ai pas dit? C’est l’Amour. Quand il devient un amour humain, il est comme je l’ai dit. L’Amour, dans son origine, est l’Amour divin. L’Amour dans l’homme, c’est-à-dire l’amour devenu humain, est tordu, déformé. Ce n’est que l’Amour divin qui est pur.

Quel est l’usage des sens pour se cultiver?

La culture par les sensations? C’est très à la mode.

C’est très à la mode. Maintenant, dans les écoles, on invente des disciplines pour développer le pouvoir d’observation des enfants, la rapidité de décision, de choix, la capacité de mesurer avec les yeux, l’appréciation, tout cela. On fait toutes sortes de jeux pour les enfants maintenant, pour leur apprendre tout cela. On peut aussi développer le sens de l’ouïe, le sens de l’odorat, le sens de la vue — tout cela peut se développer méthodiquement. Si, au lieu de juste vivre dans sa sensation — c’est « agréable ou désagréable », c’est « plaisant ou déplaisant » et toutes sortes de choses qui sont parfaitement inutiles —, si l’on arrive à calculer, à mesurer, à comparer, à noter, à étudier en détail toutes les vibrations... N’est-ce pas, les êtres humains vivent comme des aveugles, constamment, absolument inconscients, et ils se précipitent dans les sensations et dans les réactions, toutes les impulsions, et alors c’est « agréable », c’est « désagréable », c’est « plaisant », c’est « déplaisant », tout cela. Qu’est-ce que c’est, tout cela ? Quel sens est-ce que ça a ? Rien. On doit arriver à apprécier, à calculer, à juger, à comparer, à noter, à savoir exactement et scientifiquement toute la valeur des vibrations, les relations des choses entre elles, à étudier, tout, tout — par exemple, étudier toutes les sensations par rapport aux réactions qu’elles produisent, à suivre le mouvement de la sensation vers le cerveau, puis suivre le mouvement de réponse du cerveau vers les sensations. Et alors on arrive à contrôler complètement sa volonté, sa sensation, au point que s’il y a quelque chose que l’on ne veut pas sentir, il suffit, avec sa volonté, de faire une coupure : on ne sent plus. Il y a beaucoup de disciplines comme ça. Il y en a pour des années d’existence, et si on le fait bien, on ne perd pas une minute et on est tout à fait intéressé. On n’a plus le temps d’avoir des impulsions, ça vous enlève les impulsions. Quand on devient scientifique dans ces études, on n’est plus comme un bouchon : une vague qui vous envoie ici, une vague qui vous envoie là. Il y a un mouvement de la Nature qui passe... la Nature, oh! ce qu’elle s’amuse avec les hommes! mon Dieu, quand on voit ça, oh! vraiment il y a de quoi se révolter. Je ne comprends pas comment ils ne se révoltent pas... elle fait passer une vague de désir, et ils sont tous comme des moutons à courir vers leurs désirs; elle fait passer une vague de violence, ils sont encore comme d’autres moutons à vivre dans la violence, et ainsi de suite, de tout. La colère, elle fait comme ça, « plof », et tout le monde se met en colère. Elle n’a qu’à faire un geste — un geste de son caprice — et les foules humaines suivent. Ou alors ça passe de l’un à l’autre, comme ça, ils ne savent pas pourquoi. On leur demande : « Pourquoi? » — « Non, tout d’un coup je me suis senti en colère. Tout d’un coup, j’ai été pris d’un désir. »

Oh! c’est honteux !

Bonne nuit.

Le 31 mars 1954

Douce Mère, ici je n’ai pas compris. Tu as dit : « ... une grande aspiration de progrès, lui vient d’en haut par l’infusion et l’absorption des forces et de l’inspiration spirituelles. »

(Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)

Qu’est-ce que tu n’as pas compris?

Le sens, Douce Mère.

Tu coupes mal ta phrase 6 . (Mère regarde le texte)

Il y a trois sources, n’est-ce pas. La troisième source est généralement fermée aux gens; elle ne leur vient qu’au moment des grandes aspirations. Quand ils ont une très grande aspiration, et qu’ils s’élèvent vers les forces supérieures, à ce moment-là, le vital peut recevoir ces forces supérieures en lui; et alors, c’est pour lui une source d’énergie considérable. Mais dans sa vie ordinaire, habituelle, il n’est pas en rapport avec ces forces-là — excepté, naturellement, s’il est transformé; mais je parle du vital ordinaire, dans la vie ordinaire. Il n’est pas ouvert à cette source de forces supérieures, et c’est pour lui, même, tout à fait inexistant. Dans l’immense majorité des gens, toute leur force vitale leur vient d’en bas, de la terre, de la nourriture, de toutes les sensations. De la nourriture... Ils tirent l’énergie vitale hors de la nourriture, et ils... C’est en voyant, en entendant, en touchant, en sentant qu’ils ont un contact avec les énergies qui sont contenues dans la Matière. Ils les tirent comme ça. Ça, c’est leur nourriture habituelle.

Maintenant, il y a des gens qui ont un vital très développé — et qui l’ont soumis à une discipline, et qui ont le sens de l’immensité —, qui sont en rapport avec le monde et les mouvements des forces du monde. Et alors, ils peuvent recevoir si dans un mouvement d’appel... ils peuvent recevoir les forces vitales universelles qui entrent en eux et qui leur redonnent la dose d’énergie dont ils ont besoin.

Il y en a d’autres, qui sont très rares — ou bien dans des moments très rares de la vie individuelle —, qui ont une aspiration vers la conscience supérieure, vers la force supérieure, la connaissance supérieure, et qui, dans cet appel, tirent vers eux des forces des domaines supérieurs. Et alors ça, ça leur redonne aussi des énergies tout à fait spéciales, d’une valeur spéciale.

Mais à moins que l’on ne fasse un yoga, une discipline régulière, généralement, cette source-là, on n’est pas souvent en contact avec elle; on attrape ça du même niveau, ou d’en bas.

Tu as dit : « La sensation est un excellent moyen de connaissance et d’éducation. » Comment?

Comment? Mais c’est par la sensation que vous apprenez : en voyant, en observant, en entendant. Les classes servent vos sensations, les études servent vos sensations, le mental reçoit les choses à travers les sensations. Par l’éducation des sensations, on favorise son éducation générale; si l’on apprend à bien voir d’une façon exacte, précise, si l’on apprend à bien entendre, si l’on apprend avec le contact à connaître la nature des choses, si l’on apprend avec l’odorat à distinguer entre les différentes odeurs, c’est un puissant moyen d’éducation. En fait, on devrait les utiliser pour cela, comme des moyens d’observation, de contrôle et de connaissance. Si on est suffisamment développé, on peut, par la vue, connaître la nature des choses; par l’odorat, connaître aussi la valeur, la nature différente des choses; au toucher, on peut reconnaître les choses. C’est une question d’éducation; c’est-à-dire qu’il faut travailler pour cela.

Par exemple, il y a une différence considérable entre la vision des gens ordinaires et la vision des artistes. Leur façon de voir les choses est beaucoup plus complète et consciente que la façon des gens ordinaires. Quand on n’a pas éduqué sa vision, on voit d’une façon vague, imprécise, et on a plutôt des impressions qu’une vision exacte. Un artiste, quand il voit quelque chose et qu’il a appris à se servir de ses yeux, il voit — par exemple, quand il voit une figure, au lieu de voir simplement une forme, comme ça, n’est-ce pas, une forme, l’ensemble d’une forme, et que, vaguement, il peut dire que cette personne ressemble ou ne ressemble pas tellement à la chose qu’il voit —, il voit l’exacte construction de la figure, la proportion des différentes parties, comment la figure est harmonieuse ou ne l’est pas, et pour quelle raison; et puis, de quel genre de type, de forme c’est; toutes sortes de choses, d’un seul coup, n’est-ce pas, avec une seule vision, comme on voit les relations entre les différentes formes.

Quand on a éduqué ses yeux à voir les choses exactement, on peut, c’est un exercice que l’on peut faire assez facilement. Par exemple, vous avez à mettre quelque chose, un objet, ou un nombre de choses, dans une boîte : la personne ordinaire aura besoin de prendre une mesure, et de mesurer la boîte et de trouver exactement ce qu’il faut. Celui qui a éduqué ses yeux, il verra les choses qui sont à mettre, et d’un seul coup il verra que c’est cette boîte-là qu’il faut; ou bien, si vous avez un liquide à verser, il saura exactement la dimension de la bouteille, parce que son œil a l’habitude de mesurer et il peut, en voyant la chose, savoir exactement quelle est sa dimension. Par exemple, n’est-ce pas, un autre exemple : vous avez à mettre une bague à un doigt de quelqu’un. Les gens ordinaires sont obligés de prendre les bagues et de les essayer l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’ils trouvent celle qui est à la vraie mesure. Celui qui aura éduqué ses yeux, il regarde le doigt et il regarde les bagues; il ne se trompera pas et prendra tout de suite la bague qui va exactement, sans faire de faute. Eh bien, ça, cette sorte d’éducation pour les yeux, on peut la faire pour l’ouïe, pour distinguer les sons et toutes les qualités de son. On peut la faire avec l’odorat, distinguer les odeurs et les différentes qualités des odeurs; le goût, la même chose.

Et si l’on aborde les choses avec cette idée-là — d’étudier, d’arriver à développer l’exactitude de la perception et la relation des choses entre elles —, alors, au lieu de vivre dans la sensation pour la sensation (c’est-à-dire : oh! c’est agréable ou c’est désagréable, j’aime ça ou je ne l’aime pas, et tout ce genre de sottises), on connaît la qualité des choses, leur emploi et leurs relations entre elles par cette étude des sens. Cela vous met en rapport avec le monde d’une façon tout à fait consciente. Pour tout, le moindre détail...

Par exemple, vous êtes obligé de faire la cuisine et vous voulez faire un plat qui soit bon. Eh bien, si vous n’avez pas éduqué vos sens, il faudra que vous essayiez un petit peu de ceci, ou un petit peu de cela, et puis que vous goûtiez, et puis que vous corrigiez, vous arrangiez. Si vous avez votre éducation du goût, vous savez très bien — le goût et l’odorat en même temps, ce sont deux choses qui sont très proches et qui doivent se compléter l’une l’autre —, vous savez quel genre de nourriture vous êtes en train de cuire, vous avez l’odeur de la chose que vous êtes en train de cuire, et alors, à cause de cette odeur et de la nature de la chose, vous saurez exactement quelle autre chose vous pouvez mettre avec pour compléter le goût, ce qu’il faut ajouter de ceci, ajouter de cela, toutes sortes d’ingrédients, n’est-ce pas, combiner les choses; combiner, par exemple, les différents légumes ou les différents goûts des choses, de façon à ce que cela fasse un tout homogène. Et alors, vous aurez un plat sans avoir besoin toutes les trois minutes de goûter pour savoir si vous avez mis assez de sel ou assez de poivre, assez de beurre, ou... vous saurez exactement ce qu’il faut faire et vous le ferez sans une erreur.

C’est la même chose pour l’odorat. Si vous avez cultivé votre odorat, par exemple, vous pouvez mélanger des choses avec une proportion exacte, savoir la nature... la nature d’un parfum par exemple, savoir avec quel autre parfum... Mettez des fleurs, on sent : eh bien, il y a des odeurs qui sont en désharmonie. Si vous les mettez ensemble, cela fait quelque chose qui grince, qui n’a pas de... d’harmonie, d’unité. Mais si vous avez cultivé votre odorat, quand vous aurez cette odeur, vous saurez exactement quels sont les genres d’odeurs qui peuvent harmonieusement aller avec celle-là. Et vous pourrez rapprocher les choses qui sont faites pour aller ensemble.

Les couleurs, c’est la même chose. L’éducation des couleurs, c’est formidable dans le détail et la complexité. Si vous apprenez à distinguer toutes les couleurs, à savoir à quelle famille de couleurs cela appartient, quel genre d’harmonie cela peut faire : vous savez, c’est la même chose. Vous pouvez avoir la mémoire de la couleur comme vous avez la mémoire de la forme. Vous voulez assortir toutes les choses... Par exemple, vous voulez assortir deux choses : vous voulez assortir un manteau avec une jupe, ou une... n’est-ce pas, n’importe quoi... ou bien un genre d’étoffe avec un autre. Généralement, vous êtes obligé d’en prendre un, et puis d’aller, et puis de comparer avec les autres; et finalement, après beaucoup d’efforts, si vous n’êtes pas trop maladroit, vous finissez par trouver. Mais si vous avez l’éducation de la couleur, vous regardez la couleur une fois, et vous allez tout droit à ce qui va avec, sans hésitation, parce que vous vous souvenez exactement quelle est la nature de cette couleur, et vous allez à une nature de couleur qui peut s’accorder avec cela.

Mais, n’est-ce pas, pour s’éduquer, on peut faire des tas, des tas de... presque des jeux, n’est-ce pas. Vous avez toute une série de choses, prenez n’importe quoi : des bouts d’étoffe, de n’importe quoi, des bouts de ruban, des bouts de papier, beaucoup de couleurs différentes. Et puis alors, vous les arrangez pour avoir une « gamme », et vous voyez dans quel ordre il faut les mettre : à côté de ça, qu’est-ce qui doit aller? À côté de ça, qu’est-ce qui doit aller? Et ainsi de suite. Et vous faites une gamme ininterrompue, de façon que rien ne crie et que vous puissiez aller d’un extrême des couleurs à l’autre.

Il y a des occasions innombrables de faire des choses comme ça. On ne les utilise pas. Mais si l’on regarde le problème du point de vue de l’éducation, vous avez constamment l’occasion d’éduquer, constamment. Il paraît que les gens font des fautes de goût terribles; si vous saviez, au point de vue harmonie artistique, on vit dans un chaos, simplement! Prenez seulement les relations des couleurs entre elles — il y a bien d’autres choses, il y a la relation des formes qui est encore bien plus compliquée, mais la relation des couleurs : on prend une couleur, puis on la met avec une autre; et puis il se trouve que ce sont des familles de couleurs qui ne vont pas ensemble. Alors, quand on n’a pas d’éducation, quelquefois on ne s’en aperçoit même pas. Quelquefois, on se dit : « Tiens, ce n’est pas très joli... » Mais on ne sait pas pourquoi, on ne se rend pas compte du tout du pourquoi. Mais quand on est éduqué, quand on a éduqué son œil, d’abord on ne fait jamais une faute comme ça, on ne met jamais ensemble deux choses qui ne vont jamais ensemble; mais si, par hasard, sur quelqu’un d’autre on voit des choses qui ne sont pas du tout faites pour aller ensemble, on n’a pas cette espèce d’impression vague de dire : « Oh! ce n’est pas joli, oh! ce n’est pas bien », une sorte de chose vague... On ne sait pas pourquoi ce n’est pas joli, ce n’est pas agréable. Et c’est exactement parce que cette couleur-là est de cette famille de couleurs, et cette couleur-là est de cette famille de couleurs, et que, si vous mettez ces deux familles différentes ensemble, sans avoir des choses intermédiaires pour les harmoniser, ça hurle. Vous pouvez porter remède immédiatement, parce que vous savez où est la faute.

Eh bien, au point de vue des formes, c’est la même chose, n’est-ce pas. Vous arrangez une chambre. Vous mettez n’importe quoi, à n’importe quel endroit, et alors, quand vous entrez... quelqu’un qui a un sens d’harmonie éprouve un malaise. On a l’impression qu’on entre dans un chaos. Mais si vous avez le sens des formes et des couleurs... il faut ajouter à cela le sens de l’ordre et de l’organisation... mais enfin, même sans avoir ce sens utilitaire de l’ordre et de l’organisation, si vous avez un vrai sens de la forme — des formes qui doivent se compléter et s’harmoniser, et des couleurs qui doivent se compléter et s’harmoniser —, quand vous avez une chambre à arranger, même si vous avez trois meubles, vous les mettez à la bonne place. Mais la plupart des gens ne savent pas, cela ne fait pour eux aucune différence. Ils ne pensent qu’à une chose : « Oh, ce sera plus commode d’avoir ça ici, et plus commode d’avoir ça là »; et puis quelquefois, ils ne pensent même pas à ça, ils mettent les choses n’importe où.

Mais alors, quand ils entrent dans leur chambre, là où ils doivent vivre pendant plusieurs heures de leur vie, ils entrent dans une confusion et un désordre; et s’ils ne sont pas sensitifs, ils ne s’en aperçoivent pas, ils n’ont pas de malaise. Mais cela ne contribue pas à les harmoniser intérieurement. Tandis que si l’on a... Vous avez une chambre qui est comme ça ; dans cette chambre qui a cette proportion-là, il faut que vous mettiez un certain nombre donné de meubles, pas plus, pas moins; et il faut qu’ils soient arrangés dans cet ordre-là. Par exemple, il y a une harmonie des lignes, n’est-ce pas; et si vous mettez les choses sans considérer cette harmonie des lignes, alors immédiatement vous avez l’impression de quelque chose qui crie. Tandis que si vous savez là où il faut une courbe, là où il faut un angle, là où il faut quelque chose de petit, là où il faut quelque chose de grand, et que vous le mettiez dans un ordre... Même, mettez, quatre meubles : vous pouvez les mettre à la bonne place ou à la mauvaise place; et il se trouve que si vous avez vraiment du goût et que vous êtes bien éduqué, votre organisation harmonieuse sera aussi la plus pratique. Il y a des gens, n’est-ce pas, qui entassent dans une petite place un nombre considérable de choses, et les mettent d’une façon si maladroite qu’ils ne peuvent même pas bouger sans se cogner quelque part.

J’en connais, des gens comme ça. Ils entrent dans leur chambre, et ils passent leur temps à se cogner ici, à se cogner là ; et alors, il faut qu’ils fassent des détours et toutes sortes de gestes extraordinaires pour pouvoir se servir des choses dont ils ont besoin. Et ils n’y pensent pas, ils n’y pensent pas, c’est arrivé comme ça... La plupart des gens sont tellement inconscients que, quand on leur demande : « Pourquoi c’est comme ça ? » — « C’est arrivé comme ça, ça se trouve comme ça... » Ça s’est trouvé comme ça, voilà, par hasard! Et ils vivent toute leur vie « par hasard », des choses arrivent comme ça... Eh bien ça, c’est un manque d’éducation des sens. Si vous les éduquez vraiment dans le sens véritable, d’abord vous échappez immédiatement à cette chose insupportable, n’est-ce pas : « C’est agréable, c’est désagréable, ça fait plaisir, c’est un déplaisir... Oh! quelle sensation désagréable! » On ne sait pas pourquoi, d’ailleurs, c’est seulement ça. Et puis, tout d’un coup : « Ah! comme c’est agréable! »

Et puis alors, on mange de quelque chose... beaucoup trop, parce qu’on l’a trouvé bon, et puis on se rend malade. Ou bien, on ne peut pas prendre un remède parce qu’il n’est pas agréable et alors... on n’a pas même un remède — je dis quelque chose qui fait du bien! Il m’arrive bien des fois de dire aux gens : « Mais pourquoi est-ce que vous ne prenez pas cela ? » — « Oh, c’est si mauvais! » Mais si cela fait du bien, cela ne doit pas vous paraître mauvais. Si vous êtes conscient vous devez sentir le bien que ça fait, et ça empêche de sentir le mauvais.

C’est l’ignorance des sens qui vous livre à cette impression. N’est-ce pas, on peut commencer tout petit, tout petit, l’éducation, et on peut faire cela jusqu’à plus de cent ans. Et alors, vraiment, au-dedans de soi, d’abord, on ne devient jamais vieux, parce que c’est toujours intéressant et toujours l’on fait un progrès; et finalement, au bout d’un certain temps, pas très longtemps, quelque chose comme une vingtaine d’années — ce n’est pas beaucoup —, vous arrivez à vous servir de vos sens d’une façon logique, rationnelle, utile, et cela vous aide à entrer en rapport avec le monde d’une façon consciente. Autrement, vous allez comme des demi-aveugles, à tâtons dans l’obscurité, là, comme ça... (geste) à tâcher de trouver votre chemin, et à chaque pas on se cogne quelque part. Ou bien alors, on se trompe de route, et alors il faut recommencer! On fait une faute, il faut la reprendre. Et je vous dis, c’est comme un petit exercice que vous pouvez faire, que l’on peut faire pendant n’importe quel... « Pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi avezvous fait ça ? » — « Je ne sais pas! » — « Pourquoi avez-vous arrangé cela comme ça ? » — « Je ne sais pas! » Si vous êtes honnête vis-à-vis de vous-même, vous serez obligez de vous dire cent fois par jour : « Je ne sais pas! »

Je ne crois pas qu’il y en ait un sur cent qui fasse les choses consciemment et volontairement, et qui soit en accord avec un principe intérieur du goût ou un sens d’harmonie. Il y en a, mais ils ne sont pas nombreux. Et même ceux-là, qui ont un goût inné (il y a des gens qui ont un goût inné, qui ont des sens raffinés à leur naissance — ils doivent faire une petite action de grâce à leurs parents tous les jours, parce que c’est une chose très rare, et qu’ils doivent être nés sous une bonne étoile), et même ceux-là, ils peuvent arriver alors, par l’éducation, à une perfection extraordinaire. Pour développer le sens de l’observation, on fait maintenant — c’est à la mode —, on fait des exercices pour cela. Je crois que... je ne sais pas, peut-être qu’on vous le fait faire à vous aussi : toutes sortes d’exercices de tous genres, comme par exemple, de mettre sur une table un certain nombre d’objets, comme ça. Et puis alors, on fait entrer les élèves dans la classe — certains objets mis à certains endroits : on les fait entrer, on les garde quelques secondes, et on les fait ressortir. Et puis alors, on demande ce qu’il y avait sur la table. Alors c’est intéressant de voir qui a vu. Ils savent naturellement qu’ils ont à voir quelque chose; on les prévient, on ne les prend même pas par surprise. On les prévient, on leur dit : « Vous regardez. »

Et alors, ceux qui peuvent dire exactement combien il y avait d’objets, et à quelles places ils étaient, ceux-là ce sont des éléments de première classe. Mais vous pouvez le faire pour vous-même comme exercice, c’est très intéressant. Vous entrez quelque part... Vous entrez chez un ami, et puis vous sortez au bout d’un petit moment et vous vous dites : « À quel endroit étaient les meubles? Comment étaient-ils arrangés? Quels objets y avait-il sur la table? » Vous verrez si vous vous souvenez et si vous avez observé exactement. De quelle couleur étaient les rideaux ? De quelle couleur étaient les coussins? Toutes sortes de choses; c’est un domaine interminable.

Quand l’un des organes fait défaut?

Eh bien! il faut l’éduquer.

Je veux dire quand il n’est pas très bon.

Eh bien! on le développe, on peut le développer. On peut développer tout, méthodiquement. Ça, c’est encore une autre chose, cette espèce de soumission à une fatalité. « Oh! j’ai de mauvais yeux ! Oh! j’ai un nez qui ne marche pas! Oh! j’ai des oreilles qui ne valent rien! » Et puis alors, on passe son temps à se répéter : « J’ai de mauvais yeux... » Alors, cela devient de pire en pire, à moins qu’il n’y ait, n’est-ce pas — oui, évidemment, il peut y avoir à la naissance des gens qui n’ont pas d’yeux du tout. Mais alors ça, c’est sans espoir, on ne peut pas les réparer. Mais ceux qui ont simplement... La plupart des gens ont un organe qui est mauvais parce qu’ils n’ont pas su s’en servir; parce que, depuis tout petits, ils ne s’en sont pas bien servis; et en tout cas on peut améliorer au point que — par l’éducation —, au point qu’ils deviennent tout à fait suffisants.

Naturellement, vous me direz : il y a des gens qui n’ont pas de jambes, et puis il y a des gens qui n’ont pas de doigts, ou qui... Cela peut arriver; alors à ceux-là, je ne leur dirai pas : « Servez-vous de vos jambes ou de vos doigts! » On est raisonnable. Mais je crois que, si on prend les enfants tout petits, il y en a très peu qu’on ne puisse pas rectifier au point qu’ils deviennent normaux, sinon exceptionnels, au moins normaux. Naturellement, il peut y avoir des accidents, ça, c’est autre chose. Mais même l’accident, on peut diminuer son importance et ses conséquences avec une éducation appropriée au moment voulu. N’est-ce pas, c’est tout à fait la même chose que la brousse ou la forêt vierge, et le jardin cultivé. Évidemment, la brousse et la forêt vierge peuvent avoir leur beauté, mais en tout cas c’est un chaos : c’est la beauté du chaos. Tandis que, vous avez un jardin cultivé : vous pouvez, en un espace donné, avoir toutes les espèces de fleurs, par exemple, et faire produire un maximum de choses. Eh bien, un corps humain, c’est comme ça. Si ça pousse comme ça, comme ça veut, c’est une brousse ou une forêt vierge, une jungle. Mais si vous le prenez tout petit, et que vous en prenez grand soin, eh bien, cela pourra devenir un très beau jardin; et les éléments sont les mêmes. On ne vous dit pas de changer la nature du sol, on vous dit de cultiver, au lieu de laisser aller à sa propre manière, en désordre.

Naturellement, il y a des gens qui vous disent : « Oh! la brousse, c’est beau, c’est plus beau que le jardin! » Cela dépend du point de vue; mais alors, nous ne parlerons plus d’éducation, ce n’est pas la peine. On ne parlera plus de contrôle de soi, ce n’est pas la peine. On ne parlera plus de discipline, on ne parlera plus de yoga, on laissera la nature aller à sa propre manière, comme elle veut. Ça l’amuse, mais il y a des gens que ça n’amuse pas. Alors ceux-là, ils aiment mieux faire autrement. Ceux que ça amuse peuvent continuer si ça leur plaît, mais ceux que ça n’amuse pas, il faut qu’ils aient le pouvoir de faire autrement. Il y en a qui trouvent que tout est très bien. Ils le trouvent jusqu’à ce qu’il leur arrive quelque chose de suffisamment désagréable; alors, à ce moment-là, le petit ego dit : « Oh, oui! ce n’est plus si bien que je croyais! » Mais enfin, pendant une certaine période, il y a des gens qui disent : « Comment! Mais je n’ai rien à reprocher au monde. C’est tout à fait charmant. » Laissez-les jouir de leur monde. Mais autrement, si nous voulons en faire quelque chose, eh bien, il faut cultiver le jardin. Voilà !

Douce Mère, il y a beaucoup de gens qui nous disent de poser des questions pour la classe. Douce Mère, si ce n’est pas nos questions, qu’est-ce qu’il faut faire?

Eh bien! tu peux m’en donner une... Si je la trouve intéressante, je répondrai, si je ne la trouve pas intéressante, on la laissera... Quelle... Donne-moi un exemple.

Pas aujourd’hui, Douce Mère.

(Un autre enfant) Ça arrive très souvent.

(Un autre enfant) Au nord de l’Inde, un enfant a été élevé par un loup.

Quoi, quoi?

Élevé par un loup.

Ah, oui. J’ai vu les photographies, oui!

Comment c’est arrivé?

Comment c’est arrivé? Ah! mais je n’en sais rien. Je ne suis pas au courant de cette aventure. J’ai vu une photographie, c’est tout; et j’ai trouvé que ce n’était pas intéressant du tout, et qu’on faisait beaucoup de bruit autour de quelque chose qui n’avait aucun intérêt. Cet enfant est une chose hideuse. Une petite monstruosité. C’est tout.

L’être psychique qui était incarné en lui avant de naître voulait avoir une sorte d’expérience, n’est-ce pas? Mais cet accident qui arrive dès la naissance... qu’est-ce qui arrivera ?

Peut-être qu’il voulait l’accident, qu’est-ce que tu sais, toi? Il pouvait avoir justement le désir d’avoir une expérience de ce genre. Je ne sais pas. J’ai vu la photographie... il n’y avait pas l’air d’y avoir beaucoup d’être psychique là-dedans! (rires) C’était plutôt un rudiment de quelque chose, une possibilité qui se réalisera dans des siècles et des siècles. Mais enfin, même si c’était un être psychique conscient qui voulait une expérience, peut-être qu’il voulait celle-là, peut-être qu’il s’était dit : « Quelles sortes de sensations peut-on avoir si on est nourri par une louve au lieu d’être nourri par une femme? » Ça ne doit pas être très palpitant, mais enfin, peut-être que c’était quelqu’un qui avait été frappé par l’histoire des débuts de Rome et qui voulait voir comment c’était, si c’était vrai; mais en tout cas ce n’était pas réussi. L’histoire de Kipling est plus jolie que cette histoire réelle. Le petit, là, il avait été nourri par une louve... il s’appelait... Mowgli, n’est-ce pas? Mais au moins il était bien, il était joli; tandis que cet enfant, c’est une horreur! C’est quelque chose de... ce n’est pas intéressant. C’est ce genre de questionslà qu’on vous donne?

Pas toujours.

Quelque chose de mieux que ça ?

Oui.

Et alors, vous n’en avez pas comme ça pour aujourd’hui? Non? Alors on va terminer. Au revoir.

avril




Le 7 avril 1954

Suite de la lecture de Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations.

« Quand la pensée est exprimée par la parole, la vibration du son a un pouvoir considérable pour mettre la substance la plus matérielle en contact avec cette pensée et pour lui donner ainsi une réalité concrète et effective. C’est pourquoi il ne faut jamais médire des gens et des choses, ni exprimer par la parole prononcée à haute voix les choses qui dans le monde contredisent le progrès de la réalisation divine. C’est une règle générale absolue. Pourtant elle comporte une exception. Aucune critique ne doit être faite à moins qu’on n’ait en même temps le pouvoir conscient et la volonté active de dissoudre les mouvements ou les choses critiqués ou de les transformer. Ce pouvoir conscient et cette volonté agissante ont en effet la capacité d’infuser dans la matière la possibilité de réagir et de refuser la vibration mauvaise et finalement de la corriger au point qu’il lui devienne impossible de continuer à s’exprimer sur le plan matériel.

« Seul peut le faire sans risque et sans danger, celui qui se meut dans les régions gnostiques et qui possède, dans ses facultés mentales, la lumière de l’esprit et la puissance de la vérité. »

Qu’est-ce que la « région gnostique » ?

C’est une autre façon de parler du Supramental. Gnostique, cela veut dire la Connaissance, mais la Connaissance vraie. C’est le côté Connaissance des régions supramentales.

« ... prenez l’habitude de ne pas vous extérioriser constamment en paroles prononcées à haute voix, et vous vous apercevrez que peu à peu une compréhension intérieure s’établit entre vous et les autres; vous pourrez alors communiquer entre vous en réduisant les mots au minimum, ou même sans mots du tout. »

Est-ce qu’une compréhension intérieure peut s’établir dans tous les cas entre deux personnes, même dans les cas matériels?

Hem! Et alors? Qu’est-ce que tu veux savoir?

Si cette compréhension intérieure peut s’établir.

Oui, les mots servent simplement de moyen de communication d’un mental à l’autre. C’est leur seule raison d’être. Mais si le mental est suffisamment clair et puissant pour communiquer sans l’usage des mots, il communique beaucoup mieux, d’une façon beaucoup plus claire et beaucoup plus précise, et beaucoup plus exacte. Et alors on n’a pas besoin de mots.

Même dans les cas tout à fait matériels?

Oui, on peut en faire l’expérience. Par exemple, quand deux personnes ont accordé leur mental, si l’un pense : « Tiens, cet objet-là devrait être ici au lieu d’être là », l’autre tout naturellement va chercher l’objet et le met à la place. Il a parfaitement bien compris, on n’a pas besoin de le lui dire. Ou bien « c’est l’heure de sortir », ou bien « j’ai besoin de telle chose », l’autre comprendra parfaitement bien et n’a pas besoin qu’on le lui dise. Avant d’en arriver là, il y a quelque chose de très fréquent — je parle de gens qui ont un contrôle sur eux-mêmes et qui sont conscients, des gens qui vivent ensemble, et l’un répond à une question que l’autre n’a pas prononcée. Il l’avait dans sa tête, et l’autre répond : « Mais oui, c’est comme ça ; non, cela n’a pas été fait. » L’autre n’a rien demandé mais lui, il a entendu, il a compris, il a reçu le message. C’est fréquent, n’est-ce pas. Et puis, même pour les choses où il est nécessaire de prononcer des mots, eh bien, au lieu d’en prononcer dix, on en dit un, et puis ça suffit, le reste est entendu, compris. Mais cette communication directe, c’est une expérience que l’on peut avoir très facilement. Si vous parlez à une nouvelle personne et que vous n’ayez pas un contact mental suffisant, elle emploiera des mots que vous êtes habitué à employer dans un certain sens et vous ne comprendrez pas du tout : c’est comme si vous ne parliez pas la même langue. Au bout d’un certain temps, si vous vous voyez plusieurs fois et que vous vous accordiez mentalement, vous commencerez à vous comprendre l’un l’autre.

Vraiment, les mots servent seulement de véhicules à quelque chose qui est au-delà des mots, et qui peut s’exprimer sans mots pour les gens qui ont un instrument suffisamment développé et exact. Quand on est vraiment dans le domaine de la pensée, les mots diminuent le sens. Ils le diminuent, ils le rendent étroit, limité, ils lui enlèvent son pouvoir. La pensée qui est projetée directement est beaucoup plus puissante que celle qui s’exprime par des mots. Les mots réduisent, limitent, durcissent, enlèvent la plasticité et la vraie puissance — la vie. C’est simplement parce que les gens ont l’appareil mal ajusté que l’on ne peut pas avoir de télégraphie sans mots. Si les instruments sont très bien accordés, on peut ne pas avoir à dire dix mots dans toute une journée, et on se comprend tout le temps.

Je ne comprends pas, tu as dit : « ... même ici, dans ce séjour des idées et de la connaissance, l’homme a introduit la violence de ses convictions, l’intolérance de son sectarisme, la passion de ses préférences. »

Oui, qu’est-ce qu’il y a là qui puisse ne pas être compris? C’est un fait perpétuel !

Pas d’autres questions? Tu n’as pas de courage?

Si, j’ai du courage, mais je n’ai pas de questions!

(Un autre enfant) Douce Mère, se peut-il qu’une personne n’avance pas beaucoup mais ne recule pas non plus 7 ?

J’ai dit simplement que l’on ne pouvait pas rester immobile. Tu dis « n’avance pas beaucoup » — on peut avancer un tout petit peu! Alors cela suffit pour ne pas reculer. D’ailleurs, si l’on ne fait pas bien attention tout le temps, comme on est fait d’un tas de morceaux, si l’on n’a pas l’habitude de traîner derrière soi les morceaux qui restent en arrière, on peut avancer d’un côté et puis reculer d’un autre. Cela arrive. Et alors, le total n’est pas très, très satisfaisant.

Dans la vie ordinaire, chez les gens ordinaires, cela leur arrive tout le temps. Par exemple, prenez quelqu’un qui étudie, qui travaille — un savant qui fait des découvertes —, il progresse dans ses études, il sait de plus en plus. Mais comme il ne prend aucun soin de sa vie intérieure, ou de sa vie intime, ou de sa vie extérieure, il peut devenir de plus en plus retardataire, ou inconscient, ou même plein de vilains défauts; même s’il progresse au point de vue scientifique, au point de vue homme il peut devenir un être absolument « regrettable ». C’est une chose très fréquente. Et en soi-même, si l’on ne fait pas bien attention, on peut avoir une partie qui progresse et l’autre qui va à l’envers. Si l’on ne surveille pas, si l’on ne contrôle pas ses mouvements extérieurs, si l’on ne prend pas un soin particulier de ne pas laisser le vital aller selon sa propre fantaisie, eh bien, on s’apercevra tout d’un coup que l’on a pris de très mauvaises habitudes et qu’on suit un très vilain chemin, alors que la partie mentale de l’être était pleine d’aspiration et progressait dans la connaissance ou même dans la vie spirituelle. Si l’on ne fait pas attention, ça glisse très facilement dans un trou : on fait un faux pas, puis on fait une glissade, et puis on va cogner tout d’un coup dans le fond du trou et on se dit : « Mais comment ça se fait? Qu’est-ce qui est arrivé? » Simplement un faux pas : on n’a pas fait attention, on a laissé cette partie de l’être vous tirer dans son propre champ — parce que vous ne l’avez pas tirée de son chemin, vous ne l’avez pas obligée à vous suivre, alors c’est elle qui vous tire en arrière.

Si l’on veut mener la vie spirituelle, il ne faut pas être aux trois quarts endormi. Il est nécessaire d’être très éveillé et très attentif, autrement on est comme un petit bateau sur un fleuve, ou sur une grande mer, avec des courants terribles, et si vous n’êtes pas en éveil, si vous ne faites pas très attention à ces courants, si vous vous relâchez, relâchez votre vigilance, tout d’un coup vous vous apercevez que vous êtes à l’autre bout de l’endroit où vous vouliez aller! Cela vous a emporté « comme ça », tout naturellement — « Eh oui! je voulais aller là et je me trouve ici. »

C’est comme cela.

Dans la vie ordinaire, cela arrive tout le temps. Seulement, n’est-ce pas, dans la vie ordinaire on dit : « Ce sont les circonstances, c’est la fatalité, c’est ma mauvaise chance, c’est la faute des autres », ou bien : « Je n’ai pas de chance. » C’est très, très, très commode. On voile tout et on s’attend... Oui, on a de bons moments et puis on en a de mauvais, et puis finalement — eh bien, finalement on fait la culbute, parce que tout le monde fait la culbute, et on s’attend à faire la culbute un peu plus tôt, un peu plus tard. Voilà, on ne se fait pas de soucis, ou on s’en fait tout le temps, ce qui est la même chose. C’est-à-dire que l’on est inconscient, on vit inconscient et on met toutes les causes de ce qui arrive sur les autres et sur les circonstances, mais jamais on ne se dit : « Tiens! c’est ma propre faute... » Cela exige une assez grande conscience pour commencer. Même parmi les gens qui font profession d’être conscients, il n’y en a pas beaucoup qui voient assez clair pour se rendre compte que tout ce qui leur arrive provient de ce qu’ils sont, pas d’autre chose. Ils disent toujours : « Celui-là a tort, ces circonstances sont défavorables, oh! pourquoi a-t-on fait ceci? » — Si tu n’étais pas comme tu es, ce ne serait pas arrivé comme ça. Ce serait arrivé autrement.

Souvent, on exprime en mots nos vraies sensations, nos sentiments, nos émotions et notre bonne volonté. Mais vraiment, est-il nécessaire de s’exprimer en mots quand on ne le demande pas?

Non, ce n’est pas du tout nécessaire, pas du tout. C’est justement parmi les mauvaises habitudes. Tiens, le 1er janvier de cette année j’ai écrit quelque chose comme ça : « Ne te vante pas, ne te vante de rien. Laisse tes actes parler pour eux-mêmes 8 . » C’est exactement cela, ce n’est pas la peine de dire : « Oh! j’ai une si grande bonne volonté pour vous et je veux si bien faire et je... » Faites-le. C’est tout.

Mère, quand nous pensons, ou suivons une idée, nous parlons en nous-mêmes (pas à haute voix), mais est-ce à dire que le fait de penser rend nécessaire la parole intérieure? La pensée existe sans mots?

C’est que l’on n’a pas encore attrapé la vraie région de l’idée. Dans la région de l’idée il n’y a pas de mots : il y a des états de conscience.

Que veut dire le Verbe?

C’est autre chose. Le Verbe, ce ne sont pas des paroles prononcées. Il y a de vieilles traditions qui disent : « Que la lumière soit et la lumière fut. » Le Verbe, c’est le Mantra. Mais c’est une chose tout à fait exceptionnelle, c’est quand la volonté qui est formulée dans l’Esprit veut descendre dans la Matière et agir directement sur la Matière, alors elle se sert du son — pas seulement du mot mais du son, de la vibration du son — pour agir directement sur la Matière elle-même, dans la Matière. C’est le mouvement opposé. Toi, tu es dans la région de la pensée formulée en mots, puis, de là, tu peux monter au-dessus et avoir une expression de l’idée silencieuse; puis, de là, tu peux remonter encore plus haut et avoir la Force : la Force, c’est la Conscience qui est l’origine même de cette pensée. Et alors, cela devient une conscience totale au lieu de quelque chose qui est formulé — exprimé et formulé. C’est-à-dire que tu vas et tu remontes jusqu’à l’Origine. De là, une fois que tu possèdes cette lumière en soi, cette connaissance en soi et que tu veux agir sur la Matière pour produire un effet, cette volonté descendra de région en région, et à mesure qu’elle deviendra plus matérielle, elle se précisera en des mots, ou même dans un seul mot, et quand elle touchera la Matière, au lieu que ce soit un mot silencieux, cela deviendra un mot prononcé avec des sons : une vibration qui agira directement sur la Matière. Mais il faut d’abord être monté jusqu’en haut pour pouvoir redescendre. Il faut avoir atteint à la Conscience silencieuse pour pouvoir redescendre et faire cela. Il faut que cela vienne, que l’origine de ce mot soit là-haut, dans aucune région intermédiaire. Ça, c’est le Verbe. Et il faut faire ce que j’ai dit — ce n’est pas chose facile.

Ce que j’ai dit là (Mère désigne Les Quatre Austérités), c’est qu’il faut garder l’attitude vraie et être silencieux mentalement. Une attitude qui ne s’exprime pas par des mots ni par des pensées formulées mais par un état de conscience vécu. Une attitude d’aspiration, n’est-ce pas. Je suis obligée de mettre des mots puisque cela doit être imprimé sur du papier; c’est justement pour ça que ça perd les trois quarts de sa force, mais enfin, autrement, ce ne serait pas du tout acceptable; si je vous donnais une feuille blanche, vous ne sauriez pas ce que j’ai mis exactement! Je suis obligée de le mettre dans des mots.

Une aspiration vers tout ce qui est essentiellement vrai, réel, parfait. Et c’est une aspiration qui doit être libre de tout mot, simplement une attitude silencieuse, mais d’une intensité extrême, et qui ne vacille pas. Il ne faut laisser à aucun mot le droit d’entrer là et de déranger ça. Il faut que ce soit comme une colonne de vibrations d’aspiration que rien ne peut toucher — et dans un silence total — et là-dedans, si quelque chose descend, ce qui descendra (et se revêtira de mots dans votre mental et de sons dans votre bouche), ce sera le Verbe. Mais pas à moins que cela.

Voilà, au revoir mes enfants, bonne nuit.

Le 14 avril 1954

Suite de la lecture de Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations.

Douce Mère, je n’ai pas compris ici : « Au début de cette manifestation, dans la pureté de son origine, l’amour est constitué de deux mouvements, les deux pôles complémentaires de l’élan vers la fusion complète. C’est, d’une part, le pouvoir d’attraction suprême et de l’autre, le besoin irrésistible de don absolu de soi. »

Il n’y a rien à comprendre, c’est un fait. Tu ne sais pas ce que ça veut dire, « le pouvoir d’attraction »? Tu ne sais pas ce que ça veut dire, « le besoin de don de soi »?... Eh bien, tu les mets l’un en face de l’autre et quand ils se joignent, cela donne l’amour. C’est aussi simple que ça. Si tu veux, c’est comme l’endroit et l’envers d’une même médaille; mais ce n’est pas endroit et envers. Ce sont deux choses qui sont appelées à se joindre par leur nature même et c’est par cette jonction qu’est produit l’amour dans sa manifestation extérieure.

Après cela, tu as dit : « Aucun mouvement ne pouvait mieux et plus que celui-là jeter un pont sur l’abîme qui se creusa quand, dans l’être individuel, la conscience se sépara de son origine et devint inconscience. »

Oui, parce que de la minute où la conscience individuelle s’est séparée de la Conscience divine, de son Origine divine, cela a créé le sens de la séparation. De la minute où la conscience individuelle n’a pas suivi, n’est pas restée identifiée au mouvement de la Conscience divine, cela a fait une séparation. La Conscience divine suit son mouvement propre, et si la conscience individuelle ne reste pas unie et ne suit pas ou change de route, ou ralentit sa route, cela crée une séparation. Et c’est cette séparation-là qui est la cause de toutes les misères. Toutes les misères dans l’univers sont le résultat de cette séparation de la conscience individuelle qui, pour une raison quelconque, n’est pas restée identifiée avec la Conscience d’origine, son Origine, et s’est séparée. Séparée... elle ne s’est pas séparée volontairement, mais elle n’est pas restée identifiée. Alors ne restant pas identifiée, la Conscience divine a suivi un certain mouvement et elle en a suivi un autre, et naturellement cela a fait qu’elles se sont écartées de plus en plus. Prenons une image : l’une avance avec un certain mouvement, une certaine rapidité, et l’autre, n’étant pas restée unie, n’a pas pu suivre et, par conséquent, petit à petit, est de plus en plus en arrière, loin, loin, loin — l’autre part en avant et elle reste. Elle marche clopin-clopant quand l’autre vole; elle fait un pas quand l’autre bondit. Alors cela fait une séparation de plus en plus grande. Et c’est cette séparation qui a produit toutes les séparations, et c’est toutes les séparations qui ont produit la misère universelle — ou en tout cas la misère terrestre, celle que nous connaissons. Cela a commencé par une séparation de conscience et cela a fini par une séparation de mondes et des éléments de la Matière. Cela a commencé par une division de conscience et cela a fini par une division telle que nous la voyons. (Mère désigne du doigt les individus autour d’elle) Il y a des milliards de choses qui sont toutes séparées les unes des autres, et c’est à cause de cela qu’il y a toutes les misères. Si elles étaient restées unies en conscience, il n’y aurait pas de misères. Mais comme la conscience s’est séparée, cette séparation de conscience a produit la séparation des formes, et la séparation des formes a produit toutes les misères.

Si l’on rétablissait le sens de l’unité, les misères disparaîtraient.

Avant que la nature soit transformée, est-ce qu’un être peut en aimer un autre vraiment?

Aimer un autre? J’ai dit là que c’était impossible. J’ai dit que si l’on veut savoir ce qu’est l’amour, il faut aimer le Divin. Alors il y a une chance de savoir ce qu’est l’amour. J’ai dit que l’on ressemble à ce que l’on aime. Alors si l’on aime le Divin, petit à petit, par cet effort d’amour, on ressemble de plus en plus au Divin, et alors on peut s’identifier à l’amour divin et savoir ce que c’est, autrement on ne peut pas.

Nécessairement un amour entre deux êtres humains, quel qu’il soit, est toujours fait d’ignorance, d’incompréhension, d’impuissance et de ce terrible sens de la séparation. C’est comme si l’on voulait entrer dans la présence d’une Splendeur unique et que, la première chose que l’on fasse, c’est de mettre un rideau, deux rideaux, trois rideaux, entre soi et cette Splendeur, et on est très étonné de n’avoir qu’une vague impression et pas du tout la chose elle-même. La première chose à faire, c’est de supprimer le rideau, de les enlever tous, de passer au travers, et de se trouver en présence de la Splendeur. Et alors vous saurez ce que c’est que la Splendeur. Mais si vous accumulez les voiles entre vous et elle, vous ne la verrez jamais. On pourra avoir une sorte de petite, de vague impression comme ça : « Oh! il y a quelque chose », mais c’est tout.

Naturellement il y a tous ceux qui ne se soucient pas de la Splendeur, qui lui tournent le dos et qui vivent dans leur instinct, qui sont des animaux un petit peu perfectionnés. Ceux-là, n’en parlons pas. Il n’y a qu’à les laisser faire ce qu’ils veulent, cela n’a aucune espèce d’importance. Ils ne nous concernent pas. Ce n’est pas pour eux que j’ai écrit ces choses.

Pour savoir aimer vraiment, faut-il que la nature soit transformée?

La qualité de l’amour est en proportion de la transformation de ta conscience.

Je ne comprends pas.

C’est d’une simplicité enfantine. Si tu as la conscience d’un animal, tu aimeras comme un animal. Si tu as la conscience d’un homme ordinaire, tu aimeras comme un homme ordinaire. Si tu as la conscience d’un être d’élite, tu aimeras comme un être d’élite, et si tu as la conscience de la divinité, tu aimeras comme la divinité. C’est simple! C’est ce que j’ai dit. Et alors, si par un effort de progrès et de transformation intérieurs, par aspiration et par développement, on passe d’une conscience à l’autre et que sa conscience devienne de plus en plus vaste, eh bien, l’amour qu’on éprouvera sera de plus en plus vaste. Ça, c’est clair!

Tu prends l’eau la plus pure, une eau de roche cristalline, tu la reçois dans un vase plus ou moins grand, et alors, il y a, dans ce vase, un peu (ou beaucoup, ou énormément) de boue, et tu ne pourras pas dire : c’est la même eau que celle qui est descendue. Pourtant c’est la même, mais tu l’auras mélangée avec tant de choses dans ton vase qu’elle ne lui ressemblera plus du tout! Eh bien, l’amour dans son essence est une chose absolument pure, cristalline, parfaite. Dans la conscience humaine, elle se mélange à une quantité plus ou moins considérable de boue. Alors cela devient de plus en plus boueux, à mesure qu’il y a plus de boue.

On a dit que le besoin de dévorer du tigre est l’une des premières expressions de l’amour dans le monde. Je pense que même longtemps avant le tigre, il devait y avoir des êtres primitifs dans le fond de la mer qui n’avaient que cette fonction-là : un estomac. Ils n’existaient qu’en tant qu’estomacs. Et alors ils avalaient : c’était leur seule occupation. Évidemment, c’était l’un des premiers résultats de la Puissance d’Amour s’infiltrant dans la Matière, parce que, avant, il n’y avait rien : c’était l’inconscience parfaite, l’immobilité complète et rien ne bougeait. Avec l’Amour a commencé le mouvement : l’éveil de la conscience et le mouvement de transformation. Eh bien, les premières formes, on peut dire que c’est la première expression de l’Amour dans la Matière. Alors nous pouvons aller depuis le besoin d’avaler, qui est l’exclusive conscience — un besoin d’avaler, de s’unir — jusqu’à... Pardon ! nous disons que l’Amour est la puissance du monde — c’est une façon primitive de s’unir aux choses, mais c’est une façon très directe : on avale et on absorbe la chose; eh bien, le tigre, lui, y met une grande joie. Alors il a déjà une joie, c’est déjà une forme très supérieure de l’amour. Vous pouvez aller plus haut et finir par l’une des expressions les plus hautes de l’amour dans les êtres humains : le don total de soi à ce que l’on aime, c’est-à-dire se faire tuer pour sa patrie, ou donner sa vie pour défendre une personne, des choses comme ça. Ça, c’est déjà... c’est assez supérieur. C’est encore mélangé à de la boue. Ce n’est pas la forme la plus haute, mais c’est déjà quelque chose. Et vous voyez tous les échelons, n’est-ce pas. Eh bien, de là, il y a encore beaucoup à remonter pour arriver à la véritable expression, à ce que j’ai dit, qui est au sommet de l’ascension — je ne voudrais pas travestir mes mots. (Mère prend Les Quatre Austérités et lit) « L’amour, dans son essence, est la joie de l’identité; il trouve son ultime expression dans la félicité de l’union. »

Il y a d’abord (avant l’émanation de l’amour) quelque chose que nous pouvons exprimer très maladroitement par « la joie de l’identité ». Ça, c’est très difficile à concevoir parce que la pensée humaine ne peut concevoir les choses que par opposition, tandis que la phase ultime, c’est quand l’amour a fait tout le cercle dans l’univers pour remonter à son origine; alors il a le résultat de toute cette expérience qu’il a eue et il retourne au point de départ. Il retourne au point de départ avec quelque chose de plus, qu’il n’avait pas avant de partir : c’est l’expérience universelle. Et au fond, c’est cela la raison d’être de la création. C’est parce que la conscience ne serait pas ce qu’elle est si elle ne s’était pas exprimée dans une création. Eh bien, le retour de la création — qui, notez-le, n’est pas quelque chose qui se passe dans le temps — c’est très, très difficile à concevoir, parce que nous concevons le temps et l’espace et que, pour nous, les choses sont successives, l’une après l’autre, mais si l’on pouvait concevoir un mouvement d’ensemble qui engloberait tout et qui serait à la fois le commencement et la fin, et qui contiendrait tout, eh bien, ce retour, qui ne serait pas un retour dans le temps, qui serait un retour dans la conscience... comment vous expliquer cela... Le retour de l’amour à son origine, au lieu d’être simplement la joie de l’identité, devient l’extase de l’union — et évidemment si l’on se place au point de vue psychologique pur, il y a un enrichissement de la conscience qui provient de l’expérience faite dans l’univers; c’est-à-dire qu’il y a une richesse de contenu et une plénitude de conscience qui n’existeraient pas s’il n’y avait pas eu d’univers manifesté. Et c’est évidemment l’explication la plus logique, la raison la plus logique de la création.

Que veut dire cette phrase, Douce Mère : « Chaque fois qu’un être rompt les limites étroites dans lesquelles son ego l’emprisonne, pour jaillir à l’air libre dans le don de soi-même, que ce soit à un autre être humain, ou à sa famille, à sa patrie ou à sa foi, il trouve dans cet oubli de soi un avant-goût des joies merveilleuses de l’amour, et cela lui donne l’impression qu’il entre en contact avec le Divin; mais le plus souvent ce n’est qu’un contact fugitif, parce que dans l’être humain l’amour est tout de suite mélangé à des mouvements égoïstes inférieurs, qui l’avilissent et lui enlèvent la puissance de sa pureté. Mais même s’il restait pur, ce contact avec une existence divine ne pourrait pas toujours durer : parce que l’amour n’est qu’un aspect du Divin et un aspect qui, ici-bas, a subi les mêmes déformations que les autres. »

Quoi? Qu’est-ce que tu n’as pas compris? Que l’univers et le monde tel qu’il est, sont une déformation du Divin? Le monde tel qu’il est, dans l’état de conscience où il est, est une déformation du Divin, et l’amour aussi est une déformation du Divin. Par conséquent, même si votre amour restait aussi pur qu’il peut l’être dans le monde manifesté, il ne pourrait pas vous garder en contact constant avec le Divin, à moins que tout le reste ne soit transformé. Parce qu’il est déformé au même titre que le reste. Parce qu’il faut dire, n’est-ce pas, que la pureté telle qu’on la conçoit terrestrement n’a rien à faire avec la pureté divine. C’est une approximation, au mieux.

Pas compris?

Ça viendra un jour.

Douce Mère, les parents, quelle sorte d’amour ont-ils pour les enfants?

Quelle sorte? Un amour humain, non ! Comme tous les amours humains : ef-froy-a-ble-ment mélangé, de toutes sortes de choses. Le besoin de possession, un égoïsme formidable. D’abord, je dois vous dire qu’on a fait un tableau merveilleux... On a écrit beaucoup de livres, on a dit des choses merveilleuses sur l’amour d’une mère pour ses enfants. Je garantis qu’à part la capacité de faire des phrases sur la chose, l’amour des animaux supérieurs comme les... enfin les mammifères pour leurs enfants, est exactement de la même qualité : même dévouement, même oubli de soi, même abnégation, même souci d’éducation, même patience, même... J’ai vu des choses absolument merveilleuses, et si l’on avait écrit cela en le mettant dans le caractère d’une femme au lieu de le mettre dans une chatte, on aurait fait des romans superbes, les gens auraient dit : « Quel être! comme ces femmes sont merveilleusement dévouées dans leur amour maternel. » Absolument la même chose. Seulement, les chats ne pouvaient pas faire des phrases. C’est tout. Ils ne pouvaient pas écrire des livres et faire des discours, c’est la seule différence. Mais j’ai vu des choses absolument étonnantes. Et cette espèce de don de soi et d’oubli de soi, dès qu’il y a le commencement de l’amour, ça vient. Mais les hommes... Je crois sincèrement, d’après tout ce que j’ai étudié, qu’il y a peut-être une pureté plus grande chez les animaux, parce qu’ils ne réfléchissent pas et que chez les êtres humains, avec leur pouvoir mental, leur capacité de réfléchir, de raisonner, d’analyser, d’étudier, tout ça, oh ! ils abîment le plus joli mouvement. Ils commencent à calculer, à raisonner, à douter, à organiser.

Prenez, par exemple, le fait des parents. Au risque d’effacer beaucoup d’illusions dans votre conscience, je dois vous dire un peu l’origine de l’amour de la mère pour l’enfant. C’est que cet enfant est fait de sa propre substance à elle, et, pendant assez longtemps, relativement longtemps, le lien matériel, substantiel, entre l’enfant et la mère est ex-trê-me-ment proche — c’est comme si l’on avait pris un bout de sa chair et qu’on l’avait mis à une distance — et ce n’est que longtemps après que le lien entre les deux est complètement coupé. Il y a une sorte de lien, de sensation subtile telle que la mère sent exactement ce que sent l’enfant, comme elle le sentirait en elle-même. Ça, c’est la base matérielle de l’attachement de la mère pour l’enfant. C’est une base d’identité matérielle, pas autre chose que cela. Le sentiment vient longtemps après (il peut venir avant, cela dépend des gens), mais je parle de la majorité humaine : le sentiment ne vient que longtemps après, et il est conditionné. Il y a toutes sortes de choses... Je pourrais vous parler pendant des heures sur le sujet. Mais enfin, il ne faut pas mélanger cela avec l’amour. C’est une identité matérielle qui fait qu’on sent intimement, on sent d’une façon tout à fait concrète et matérielle ce qu’éprouve l’enfant : si l’enfant reçoit un choc, eh bien, on le sent. Cela dure au moins pendant deux mois.

C’est la base. Le reste provient de la nature des gens, de leur état de développement, de leur conscience, de leur éducation et de leur capacité de sentiment. Cela s’ajoute là-dessus, et puis, alors, toutes les suggestions collectives qui construisent des romans — parce que les hommes sont merveilleux pour construire des romans. Ils construisent des romans sur tout. Ils ont employé leur mentalité à bâtir des imaginations qui circulent dans l’air et qu’on attrape, comme ça. Alors les uns en attrapent d’un certain genre, les autres en attrapent d’un autre genre, et puis, comme l’imagination est une force de propulsion, avec cela on commence à agir, et puis finalement on vit un roman dans la vie, pour peu que l’on ait de l’imagination... Cela n’a absolument rien à voir avec la conscience véritable, avec l’être psychique, rien du tout, mais ils viennent vous faire des phrases et vous raconter des histoires — tout ça, c’est dans les imaginations qui flottent. Si l’on pouvait voir, c’est-à-dire si vous pouviez voir cette atmosphère mentale, du mental physique, qui circule partout, qui vous fait mouvoir, qui vous fait sentir, qui vous fait penser, qui vous fait agir, oh! mon Dieu! vous perdriez beaucoup de vos illusions sur votre personnalité. Mais enfin c’est comme ça. Qu’on le sache ou non, c’est comme ça.

Il y a beaucoup d’âmes sur la terre, d’êtres humains... Évidemment ceux qui ont une certaine culture, un certain développement, une certaine individualisation, se rassemblent généralement : instinctivement, ils se mettent ensemble, ils forment des groupes. Et alors on peut trouver dans l’espace et dans le temps un nombre — pas considérable mais enfin assez grand — d’êtres cultivés qui sont réunis, mais il ne faut pas croire que cela donne la proportion exacte de la culture et du développement des êtres humains. C’est seulement comme une sorte d’écume qu’on a soulevée et qui est sur le dessus. Mais même parmi ceux-là, même parmi ces êtres qui sont déjà une sélection, il n’y en a peut-être pas un sur un millier qui soit un être vraiment individuel, conscient de lui-même, uni à son être psychique, gouverné par sa loi intérieure et, par suite, à peu près (sinon totalement) libre des influences extérieures parce que, étant un être conscient, quand ces influences viennent, il les voit : celles qui lui paraissent en accord avec son développement intérieur et sa croissance normale, il les accepte; celles qui sont en contradiction, il les refuse. Et alors, au lieu d’être un chaos — ou en tout cas un affreux mélange — ce sont des êtres organisés, individuels, conscients d’eux-mêmes, marchant dans la vie en sachant où ils veulent aller et comment ils veulent marcher.

Ça, si vous voulez, nous pouvons dire que ce sont des hommes. C’est-à-dire que c’est ce que la Nature peut produire de mieux en fait d’homme. Ce sont encore des hommes, mais c’est le sommet des hommes. Ils sont prêts à devenir quelque chose d’autre. Mais à moins qu’on ne soit ça, on est en grande partie encore un animal et un tout petit commencement d’homme. C’est seulement ça qu’on peut appeler un homme. Alors voilà, vous n’avez qu’à regarder en vous-mêmes et savoir... si vous êtes des hommes ou pas.

Au revoir.

Je le dis dans l’espoir que vous le deviendrez.

Le 21 avril 1954

Mère commence la lecture de Les Éléments du Yoga de Sri Aurobindo, chapitres I et II, « L’Appel et l’Aptitude », et « La Base ».

Vous avez posé des questions. Maintenant vous allez poser des questions sur vos questions! Alors?

Douce Mère, ici il est écrit : « Dans notre yoga, le but est de s’unir au Divin dans la conscience physique également, autant que sur le plan supramental. » Alors quand la conscience physique est unie au Divin, est-ce que la transformation suit?

Oui, « suit », pas instantanément. Cela prend du temps. C’est justement si le Divin descend dans la conscience physique — ou plutôt, pour dire plus exactement, si la conscience physique est totalement réceptive au Divin —, il s’ensuit naturellement la transformation. Mais la transformation ne se fait pas par un coup de baguette magique. Cela prend du temps et cela se fait progressivement.

Mais c’est sûr d’arriver une fois que la conscience physique est unie, n’est-ce pas?

Je vous dirai cela dans quelque temps!

Parce que, alors, ce n’est pas le but final 9 , si la transformation ne suit pas!

Non. Ce n’est pas ce que nous appelons le but final. Mais la transformation doit suivre, elle doit suivre automatiquement. Mais ce que je veux dire, c’est le degré de totalité, pour ainsi dire, d’intégralité, qui n’est pas assuré, dans le sens qu’il y a probablement beaucoup d’étapes dans cette transformation. Nous disons comme ça, vaguement, « transformation »; cela nous donne l’impression de quelque chose qui va se passer et qui fera que tout sera bien — je pense que ça se réduit à peu près à cela. Si nous avons des difficultés, les difficultés disparaîtront; ceux qui ont des maladies, leur maladie disparaîtra ; et puis s’il y a des incapacités dans le corps, les incapacités disparaîtront, et ainsi de suite. Mais c’est très vague, c’est une impression.

Il y a une chose assez remarquable, c’est que la conscience physique, la conscience corporelle, ne peut savoir une chose avec précision, dans tous les détails, que quand elle est sur le point de se réaliser. Et ce sera une indication sûre, quand, par exemple, on pourra comprendre le processus : par quelle suite de mouvements et de transformations la transformation totale aura-t-elle lieu? dans quel ordre, par quel chemin, pour ainsi dire? quelles seront les choses qui arriveront d’abord? celles qui arriveront après? — tout cela, dans tous les détails. Chaque fois que vous percevez avec exactitude un détail, cela veut dire que c’est sur le point de se réaliser.

On peut avoir la vision d’ensemble. Il est, par exemple, tout à fait certain que la transformation de la conscience corporelle aura lieu d’abord, qu’un progrès dans la maîtrise et le contrôle de tous les mouvements du corps viendra ensuite, que cette maîtrise se changera petit à petit (là, ça devient plus vague), petit à petit en une espèce de transformation du mouvement lui-même : altération et transformation — tout ça, c’est certain. Mais ce qui doit arriver à la fin, ce dont Sri Aurobindo a parlé dans l’un de ses derniers articles 10 où il a dit que même les organes seront transformés, dans le sens qu’ils seront remplacés par des centres de concentration de forces (de concentration et d’action de forces) de qualité et de nature différentes, qui remplaceront tous les organes du corps, cela, mes enfants, c’est beaucoup plus loin, c’est-à-dire que c’est quelque chose qui... on n’arrive pas encore à attraper par quel moyen. Prenez, par exemple, le cœur. Par quel moyen ce fonctionnement du cœur qui fait courir le sang dans tout le corps va-t-il être remplacé par une concentration de forces? par quel moyen le sang sera-til remplacé par un certain genre de forces, et tout ça ? Par quel moyen les poumons seront-ils remplacés par une autre concentration de forces et quelles forces? et dans quelles vibrations? et de quelle manière?... Tout cela, c’est pour beaucoup plus tard. On ne peut pas le réaliser encore. On peut le pressentir, le prévoir, mais...

Savoir, pour le corps, c’est pouvoir faire. Je vous donne un exemple tout à fait immédiat. Vous ne savez un mouvement de gymnastique que quand vous le faites. N’est-ce pas, quand vous l’avez fait bien, alors vous le savez, vous le connaissez, mais pas avant. La connaissance physique, c’est le pouvoir de faire. Eh bien, cela s’applique pour tout, y compris la transformation.

Nous avons un certain nombre d’années devant nous avant de pouvoir parler avec connaissance de comment cela va se faire, mais tout ce que je peux vous dire, c’est que cela a commencé. Si vous lisez attentivement le prochain numéro du Bulletin que vous aurez le 24 avril, vous verrez que cela a commencé. Mais en fait, nous verrons plus tard si je peux vous expliquer ce que cela veut dire. Voilà !

Une autre question?

Douce Mère, plus tard veut dire quand ? Tu expliqueras quand ?

Expliquer quand? Je ne sais pas, mes enfants!

Je n’ai pas bien compris « le sens vrai de l’activité et de la passivité dans la sâdhanâ ».

Tu ne sais pas ce qu’est l’activité et la passivité? Sais-tu ce que veulent dire les deux mots?

Oui.

Oui! Alors, qu’est-ce que c’est quand tu es active?

Quand je travaille.

Travaille? Bon! Et quand tu es passive, c’est quand tu dors? (rires)

Quand je suis paresseuse je ne peux pas faire...

Non, mon petit, pas nécessairement. La passivité n’est pas une paresse. Active, c’est un mouvement où tu jettes ta force en dehors, c’est-à-dire que quelque chose émane de toi — dans un mouvement, dans une pensée, dans un sentiment —, quelque chose qui s’en va de toi vers les autres ou vers le monde. Passive, c’est quand tu restes toi-même comme cela, ouverte, et que tu reçois ce qui vient du dehors. Ce n’est pas du tout quand on bouge ou quand on reste tranquille. Ce n’est pas du tout ça. Actif, c’est projeter la conscience ou la force ou le mouvement du dedans au dehors. Passif, c’est rester immobile et recevoir ce qui vient du dehors. Alors il est dit là... je ne sais pas ce qui est écrit. (Mère feuillette le livre) C’est très clair! « ... l’activité dans l’aspiration »... n’est-ce pas, ton aspiration sort de toi et monte vers le Divin (dans la tapasyâ, dans la discipline que tu t’imposes), et quand il y a des forces qui sont opposées à ta sâdhanâ, tu les rejettes. C’est un mouvement d’activité.

Maintenant, si tu veux avoir l’inspiration vraie, la direction intérieure, le guide, et si tu veux avoir la force, si tu veux recevoir la force qui te guidera et qui te fera agir comme il faut, alors tu ne bouges plus, c’est-à-dire que plus rien de toi, je ne veux pas dire ne bouge pas physiquement, mais rien de toi ne se projette et, au contraire, tu fais comme si tu étais tout à fait immobile, mais ouverte, et tu attends que la Force entre, et alors tu t’ouvres autant que tu peux, n’est-ce pas, pour absorber tout ce qui va venir en toi. Et c’est ce mouvement : au lieu de vibrations qui sortent, c’est une sorte de calme tranquillité; mais complètement ouvert, comme si tu ouvrais toutes tes portes, comme ça, à la force qui doit descendre en toi et transformer ton action et ta conscience.

La réceptivité est le résultat d’une bonne passivité.

Mais Mère, pour pouvoir être passif, il faut faire un effort, n’est-ce pas?

Pas nécessairement, cela dépend des gens. Un effort? Il faut, oui, il faut le vouloir. Mais est-ce que la volonté est un effort?... Naturellement il faut y penser, il faut le vouloir. Mais les deux choses peuvent être ensemble, n’est-ce pas; il y a un moment où les deux — aspiration et passivité — peuvent être non seulement alternées mais simultanées. Vous pouvez en même temps être dans cet état d’aspiration, de volonté qui appelle quelque chose — justement cette volonté de s’ouvrir et de recevoir, et cette aspiration qui appelle la force que vous voulez recevoir — et en même temps avoir cet état de complète immobilité intérieure qui se laisse pénétrer complètement, parce que c’est dans cette immobilité qu’on peut être pénétré, que l’on devient perméable à la Force. Eh bien, les deux peuvent être simultanés sans que l’un dérange l’autre, ou d’une alternance si proche que l’on peut à peine les distinguer. Mais on peut être comme cela, comme une grande flamme qui monte dans l’aspiration, et en même temps comme si cette flamme formait un vase, un grand vase qui s’ouvre et qui reçoit tout ce qui descend.

Et les deux peuvent être ensemble. Et quand on est arrivé à avoir les deux ensemble, on peut les avoir constamment, quoi que ce soit que l’on fasse. Seulement il peut y avoir un tout, tout petit déplacement de la conscience, presque minuscule, qui s’aperçoit de la flamme et puis du vase de la réceptivité — de la chose qui cherche à être remplie et de la flamme qui monte pour appeler ce qui doit remplir le vase —, un tout petit mouvement de pendule et si proche qu’on a l’impression qu’on a les deux en même temps.

(silence)

C’est l’une des choses que l’on découvre à mesure que le corps est prêt pour la transformation. C’est un instrument assez remarquable dans le sens qu’il peut éprouver les contraires en même temps. Il y a un certain état de la conscience corporelle qui totalise les choses, qui dans les autres consciences alternent, ou même dans certaines se contredisent. Mais si on est arrivé là-haut, dans le vital ou dans le mental, à un développement suffisant pour arriver à harmoniser les contraires (ça, c’est tout à fait indispensable), quand on est arrivé à cela, il y a des moments où cela alterne, n’est-ce pas, une chose vient après l’autre, tandis que ce qui est remarquable dans la conscience du corps, c’est qu’il arrive à sentir (à « sentir », est-ce qu’on peut dire sentir... à éprouver, c’est le mot aware en anglais qui exprime le mieux) toutes les choses simultanément, comme si vous aviez chaud et froid en même temps, comme si vous étiez actif et passif en même temps, et tout devient comme cela. Alors vous commencez à saisir la totalité des mouvements dans les cellules. C’est une chose qui est beaucoup plus concrète (naturellement), mais beaucoup plus parfaite dans le corps que dans aucune autre partie de l’être. C’est-à-dire que si les choses continuent comme ça, il sera démontré que l’instrument physique, matériel, est de tous le plus parfait. C’est peut-être pour ça qu’il est le plus difficile à transformer, à perfectionner. Mais c’est de tous celui qui est le plus capable de perfection.

Ça suffit pour aujourd’hui, non!

Alors mes enfants, si nous allons de ce pas, nous allons en trois ou quatre leçons avoir fini le livre et il faut que nous pensions dès maintenant à ce que nous prendrons après...

La Mère, Douce Mère.

Ah! vous voulez qu’on prenne La Mère? Bien, on prendra La Mère. C’est entendu.

Bonne nuit!

Le 28 avril 1954

Douce Mère, qu’est-ce qu’une « résistance aiguë » ?

Aiguë? On emploie « aigu » dans un sens figuré. Aigu, c’est une chose pointue, n’est-ce pas, et peut-être cela veut-il dire une résistance agressive, pointue, qui s’enfonce comme une griffe.

Je n’ai pas bien compris la réponse à cette question-ci : « Est-ce que le pouvoir de l’aspiration varie suivant les sâdhaks et selon leur nature? »

Ah! oui.

N’est-ce pas, je crois que la question était mal posée. Je crois que celui qui posait la question voulait dire « l’effet de l’aspiration », et il a mis « le pouvoir ». C’est-à-dire que l’aspiration dans n’importe qui a le même pouvoir. Mais l’effet de cette aspiration diffère. Parce que l’aspiration c’est l’aspiration : si vous avez de l’aspiration, en elle-même elle a un pouvoir. Seulement cette aspiration appelle une réponse, et cette réponse, l’effet, qui est l’effet de l’aspiration, dépend de chacun, parce que cela dépend de sa réceptivité. On peut avoir une très intense aspiration et une très faible réceptivité. Je connais beaucoup de gens comme ça. Ils disent : « Oh! mais j’aspire tout le temps et puis je ne reçois rien. » C’est impossible qu’ils ne reçoivent rien, en ce sens que la réponse est sûre de venir. Mais ce sont eux qui ne reçoivent pas. La réponse vient, mais ils ne sont pas réceptifs, alors ils ne reçoivent rien.

Il y a des gens, n’est-ce pas, qui ont beaucoup d’aspiration. Ils appellent la Force. La Force vient sur eux, même les pénètre, et ils sont tellement inconscients qu’ils ne le savent pas! Ça, c’est une chose très fréquente. C’est leur état d’inconscience qui fait qu’ils ne sentent même pas la Force qui entre en eux. Elle entre en eux, et elle fait du travail. J’ai connu des personnes qui étaient petit à petit transformées et qui étaient si inconscientes qu’elles ne s’en apercevaient même pas. La conscience vient après — très longtemps après. Tandis qu’il y a des gens qui sont plus passifs, pour ainsi dire, plus ouverts, plus attentifs, et même si un tout petit peu de Force vient, ils s’en aperçoivent immédiatement et l’utilisent pleinement.

Quand vous avez une aspiration, une aspiration très active, votre aspiration va faire son travail. Elle va appeler la réponse à ce à quoi vous aspirez. Mais si, après, vous commencez à penser à autre chose, ou si vous n’êtes pas attentif ou si vous n’êtes pas réceptif, vous ne vous apercevez même pas que votre aspiration a reçu une réponse. C’est très fréquent. Alors les gens vous disent : « J’aspire et puis je ne reçois rien, je n’ai pas de réponse! » Si, vous avez une réponse, mais vous ne vous en apercevez pas, parce que vous continuez à être actif, comme ça, comme un moulin qui tourne tout le temps.

Douce Mère, est-ce que le Purusha ne commet pas des erreurs comme la Prakriti?

Cela dépend du point de vue... Je ne sais pas!

Mère, s’il y a une partie dans la nature qui ne s’ouvre pas, quel est le moyen d’aspirer pour que cette partie s’ouvre?

Vous pouvez aspirer pour que cette partie s’ouvre — que la partie qui est ouverte aspire à ce que l’autre partie s’ouvre. Cela s’ouvrira au bout d’un certain temps; il faut continuer, persister; il n’y a que cela à faire. Il y a quelque chose qui ne veut pas, une résistance aiguë, comme ça, qui ne veut pas. C’est comme un enfant têtu : « Je n’en veux pas, je resterai ce que je suis, je ne bougerai pas »... Il ne dit pas « je suis satisfait de moi », parce qu’il n’ose pas. Mais la vérité est qu’il est très satisfait de soi, il ne bouge pas.

Mais quand on veut aspirer, il faut savoir quelle est cette partie, n’est-ce pas?

Ah! oui, mais si on est sincère, on le saura. Si on se regarde sincèrement, on est sûr de savoir. C’est seulement quand on fait l’autruche qu’on ne sait pas : on ferme les yeux, on met la tête de l’autre côté, on ne regarde pas et on dit : « Ça n’existe pas. » Mais si on se regarde bien en face, on sait très bien où c’est — caché quelque part dans un coin, bien comme ça, tourné sur soi-même, concentré, serré. Mais alors, quand vous allez, et puis que vous mettez la lumière comme ça, droit sur ça, oh! ça fait mal tout d’un coup, hein!

Mère, la réceptivité dépend de quoi?

Cela dépend d’abord de la sincérité : que vraiment on veuille recevoir, et puis... oui, je crois que les facteurs principaux, c’est sincérité et humilité. Il n’y a rien qui vous ferme plus que la vanité. Quand on est satisfait de soi, on a cette espèce de vanité de ne pas vouloir admettre qu’il vous manque quelque chose, que vous faites des fautes, que vous êtes incomplet, que vous êtes imparfait, que vous êtes... Il y a quelque chose dans la nature, hein, qui se raidit comme ça, qui ne veut pas admettre — c’est cela qui vous empêche de recevoir. Il n’y a qu’à faire l’expérience, d’ailleurs. Si, par un effort de volonté, on arrive à faire admettre, même à une toute petite partie de l’être, que « eh bien, oui, je me trompe, je ne devrais pas être comme ça, et je ne devrais pas faire ça, et je ne devrais pas sentir comme ça, oui, c’est une faute », si vous arrivez à lui faire admettre cela, d’abord, comme je l’ai dit tout à l’heure, ça commence par faire très mal, mais quand on tient ferme comme ça, jusqu’à ce que ça ait admis, immédiatement c’est ouvert — et c’est ouvert, c’est étrange, il y a un flot de lumière qui entre, et alors on se sent si content après, si heureux, qu’on se demande : « Pourquoi, pour quelle stupide raison ai-je résisté si longtemps? »

Mais quand on est tellement satisfait de soi, est-ce que l’on peut aspirer tout de même?

On n’est pas d’un seul morceau, n’est-ce pas! Il y a quelque chose dans l’être qui peut aspirer. Mais il y a toujours dans l’être quelque chose qui est conscient, justement de ce qui ne va pas — quelquefois vaguement, d’une façon imprécise — mais enfin suffisamment conscient aussi, qu’après tout, on n’est pas parfait, n’est-ce pas, ça pourrait être mieux que ce n’est — ça suffit, cette partie-là peut aspirer.

Quel est le travail du Purusha et de la Prakriti?

Ah! je vais être encore obligée de faire dire que je ne sais pas. (Mère se tourne vers Nolini) Nolini, expliquez ça ! (rires) Moi, je n’y comprends rien du tout, cela ne correspond pas à une expérience intérieure pour moi, je n’ai jamais eu cette expérience-là ; par conséquent, je ne peux pas en parler.

(Nolini) Si Mère dit que Mère ne sait pas, alors je dois dire que je suis ignorant! (rires)

La conception indienne, je la sais théoriquement, et il suffit de lire des livres pour la savoir — ce n’est pas cela que j’appelle « savoir ». Je ne peux vous parler que des choses dont j’ai eu l’expérience. Eh bien, cela ne correspond pas à quelque chose en moi. Je n’ai pas eu cette expérience-là. J’ai eu très bien l’expérience d’un témoin qui regarde les choses, tout à fait détaché de tout, et qui sait tout et qui ne bouge pas, qui laisse tout faire et qui... j’ai eu aussi l’expérience d’une volonté qui décide. Naturellement, tout le monde a l’expérience d’une force qui bouge — la force dans la Nature, dans son obscurité, et tout cela — tout le monde a cette expérience-là. Mais quant à faire une coupure comme ça, et appeler l’un Purusha, masculin, et l’autre Prakriti, féminin, non, je m’y refuse; je m’y suis toujours refusée et je m’y refuserai toujours. Et c’est pour cela que j’aime mieux ne pas en parler.

Cela me paraît une transcription asiatique, ou peut-être plus spécialement indienne, je ne sais pas, de la conception chaldéenne d’un Dieu masculin, solitaire : n’est-ce pas, le Dieu chrétien. C’est pour moi quelque chose qui provient (excusez-moi) d’une mentalité masculine un peu dévoyée. Voilà ma façon de sentir sur le sujet. Maintenant, si vous ne me l’aviez pas demandé, je ne vous en aurais jamais parlé!

Mère, tu as dit justement que tu avais l’expérience de ce témoin qui ne bouge pas, alors ça, c’est Purusha !

Ah! je ne sais pas. (rires) Purusha, si vous voulez. Mais je ne l’ai pas trouvé particulièrement masculin! N’est-ce pas, ce qui... ce à quoi j’objecte, c’est l’élément mâle et l’élément femelle. Eh bien, je trouve que ce n’est pas vrai, et je dirai toujours : CE N’EST PAS VRAI. Il y a un élément qui est comme cela, et il y a un élément qui est comme ceci. (Mère tourne sa main d’un côté et de l’autre) Il y a une activité qui est comme cela, et il y a une activité qui est comme ceci. Mais pourquoi diable voulez-vous que l’un soit masculin et l’autre féminin? Ce n’est pas comme ça ! Ça, ce masculin... féminin... c’est un truc de la Nature, elle a arrangé ça ici, comme ça. Alors, n’est-ce pas... je vais vous dire : quand on descend de haut en bas, eh bien, tout là-haut on n’a aucune notion de « masculin et féminin » et toute cette histoire; à mesure que vous descendez et que vous arrivez ici, ça commence à devenir quelque chose de réel. Alors vous vous dites : « Tiens, tiens! c’est comme ça que la Nature a arrangé les choses. » Bon! Mais ce que je dis, c’est que ces conceptions-là (ces conceptions justement qui font de l’un un élément masculin, de l’autre un élément féminin), c’est une conception qui est venue d’en bas, c’est-à-dire qui est sortie du cerveau de l’homme qui, pour lui, ne peut pas penser autrement que « homme » et « femme » — parce qu’il est encore un animal. Voilà ! Et c’est comme cela que je sens — je l’ai toujours senti, je l’ai dit depuis le commencement et je le répéterai jusqu’au bout, et si vous ne voulez pas me l’entendre dire, ne m’en parlez pas! (rires) Voilà.

Bonne nuit.

mai




Le 5 mai 1954

Cet Entretien est basé sur Les Éléments du Yoga, chapitres IV et V, « La Sincérité » et « La Foi ».

« Q : Quelle est la bonne attitude pour adhérer à ce sentier tant que la Vérité supramentale n’est pas réalisée? R : Il y a l’état psychique, la sincérité et la dévotion à la Mère. »

Qu’est-ce que « l’état psychique » ?

L’état psychique? Cela veut dire être en relation avec son psychique, je suppose, être gouverné par son être psychique.

Douce Mère, je ne comprends pas très bien la différence entre la foi, la croyance et la confiance.

Mais Sri Aurobindo a donné toute l’explication là. Si tu ne comprends pas, alors...

Il a écrit : « La foi est un sentiment dans l’être tout entier. »

Entier, oui. La foi, c’est l’être tout entier à la fois. Il dit que la croyance, c’est quelque chose qui se passe dans la tête, qui est purement mental ; et la confiance, c’est autre chose. La confiance, on peut avoir confiance dans la vie, confiance en le Divin, confiance dans les autres, confiance en son destin, c’està-dire qu’on a l’impression que tout va contribuer à nous aider, à faire ce que l’on veut faire.

La foi, n’est-ce pas, la foi c’est une certitude sans preuve.

Mère, de quoi dépend la foi?

Probablement de la Grâce divine. Il y a des gens qui l’ont spontanément. Il y a des gens qui doivent faire de grands efforts pour l’avoir.

Comment peut-on augmenter la foi?

Aspiration, je suppose. Certains ont cela spontanément... N’est-ce pas, c’est difficile de prier si l’on n’a pas la foi, mais si l’on peut se servir de la prière pour augmenter sa foi, ou aspirer, avoir une aspiration, avoir une aspiration pour avoir la foi... la plupart de ces qualités demandent un effort. Si l’on n’a pas quelque chose et si on veut l’avoir, eh bien, il faut de grands, grands, grands efforts soutenus, une aspiration constante, une volonté qui ne fléchit pas, une sincérité de chaque minute; alors on est sûr, ça viendra un jour — ça peut venir en une seconde. Il y a des gens qui l’ont, et puis ils ont des mouvements contraires qui viennent et qui attaquent. Ceux-là, si leur volonté est sincère, ils peuvent mettre leur foi à l’abri, repousser les attaques. Il y en a d’autres qui cultivent le doute, parce que c’est une espèce de dilettantisme; ça, il n’y a rien de plus dangereux. C’est comme si l’on admettait le ver dans le fruit; il finit par le manger tout entier. C’est-à-dire que quand un mouvement comme cela vient (il vient généralement d’abord dans le mental), la première chose à faire, c’est d’être très énergique et de le refuser. Il ne faut certes pas s’amuser à regarder pour voir ce qui va se passer; ça, cette curiosité-là est terriblement dangereuse.

Il est peut-être plus difficile pour les gens intellectuels d’avoir la foi que pour les gens qui ont un cœur simple, sincère et droit et pas de complications intellectuelles. Mais je crois que si un être intellectuel a la foi, alors cela devient très puissant, une chose très puissante qui peut vraiment produire des miracles.

Douce Mère, d’où vient la détermination?

Ce sont généralement ceux qui ont une volonté et qui appliquent leur volonté à leurs actions.

Si on a la foi en le Divin et si on a la confiance aussi, quelle est la différence entre la foi et la confiance?

La foi est une chose beaucoup plus intégrale (c’est ce que Sri Aurobindo a écrit), beaucoup plus intégrale que la confiance. N’est-ce pas, vous avez confiance en le Divin, dans le sens que vous êtes convaincu que tout ce qui viendra de Lui sera toujours le meilleur pour vous : quelle que soit sa décision et quelle que soit l’expérience qu’Il vous envoie ou les circonstances dans lesquelles Il vous met, ce sera toujours ce qu’il y a de meilleur pour vous. Ça, c’est la confiance. Mais la foi — cette espèce de certitude inébranlable en l’existence même de Dieu —, la foi est une chose qui prend l’être tout entier. Ce n’est pas seulement mental, psychique ou vital : c’est tout l’être, tout entier, qui a la foi. La foi mène à l’expérience tout droit.

La confiance ne peut-elle pas être tout entière?

Pas nécessairement. Mais il y a une nuance — enfin, je ne sais pas, ce n’est pas la même chose.

On s’est donné totalement à l’Œuvre divine, on a la foi en elle, non seulement dans sa possibilité, mais on a la foi que c’est la chose qui est vraie et qui doit être, et on se donne tout entier à ça, sans se demander ce qui arrivera. Et alors, là-dedans, ou là-dessus, peut se greffer une certitude, une confiance qu’on est capable d’accomplir, c’est-à-dire d’y participer et d’accomplir puisqu’on s’est donné à elle. Une confiance que ce qu’on va faire, ce que l’on veut faire, on pourra le faire; que cette réalisation que l’on veut atteindre, on l’atteindra. Le premier ne pose pas de questions, il ne songe pas aux résultats : il se donne tout entier — il se donne et puis c’est fini. C’est une chose qui vous absorbe tout entier. L’autre peut se greffer dessus. La confiance dit : « Oui, je participerai, je réaliserai ce que je veux réaliser, je ferai partie effectivement de cette Œuvre. » Pour l’autre, on a foi en le Divin, que c’est le Divin qui est tout, et peut tout, et fait tout... et qui est la seule existence réelle — et on se donne entièrement à cette foi, au Divin, c’est tout. On a la foi en l’existence du Divin, et on se donne; et il peut aussi se greffer là-dessus une confiance que cette relation qu’on a avec le Divin, que cette foi qu’on a en le Divin, fera que tout ce qui vous arrive, quoi que ce soit, tout ce qui vous arrive sera non seulement l’expression de la Volonté divine (ça, c’est entendu), mais aussi le meilleur qui pourrait vous arriver, que rien de meilleur ne pourrait vous arriver puisque c’est le Divin qui le fait pour vous. Cette attitude-là ne fait pas partie nécessairement de la foi, parce que la foi ne se demande rien, elle ne demande pas quelle sera la conséquence de son don de soi — elle se donne, et puis c’est tout. Tandis que la confiance peut venir vous dire : voilà quel sera le résultat. Et c’est un fait absolu, c’est-à-dire que de la minute où l’on se donne entièrement au Divin, sans calcul, dans une foi totale, sans aucun marchandage d’aucun genre — on se donne, et puis arrivera ce qui arrivera : « ça ne me concerne pas, je me donne » — automatiquement ce sera pour vous, toujours, en toutes circonstances, à chaque minute, le meilleur qui arrivera... pas tel que vous le concevez (naturellement la pensée ne sait rien), mais en fait. Eh bien, il y a une partie de l’être qui peut se rendre compte de cela et avoir cette confiance. C’est quelque chose qui s’ajoute et qui donne une force de plus à la foi, une force... comment dire... d’acceptation totale et d’utilisation la meilleure de ce qui peut arriver.

Il y a un état où l’on s’aperçoit que l’effet des choses, des circonstances, de tous les mouvements et de toutes les actions de la vie sur la conscience dépend presque exclusivement de votre attitude vis-à-vis de ces choses. Il y a un moment où l’on devient assez conscient pour s’apercevoir que les choses en elles-mêmes ne sont vraiment ni bonnes ni mauvaises : elles ne le sont que vis-à-vis de nous; leur effet sur nous dépend absolument de l’attitude que nous avons à leur égard. La même chose, identiquement, si nous la prenons comme un don de Dieu, comme une grâce divine, comme l’effet de l’Harmonie totale, nous aide à devenir plus conscients, plus forts, plus vrais, tandis que si nous la prenons (exactement la même circonstance) comme un coup donné par le sort, comme une force mauvaise qui veut nous affecter, cela nous diminue, cela nous alourdit, et cela nous enlève et la conscience et la force et l’harmonie. Et la circonstance en elle-même est identiquement la même — cela, je voudrais que vous ayez tous cette expérience-là, parce que quand vous l’avez, vous devenez maître de vous-même. Non seulement maître de vous-même mais, en ce qui vous concerne, maître des circonstances de votre vie. Et cela dépend exclusivement de l’attitude que vous prenez, et ce n’est pas une expérience qui se passe dans la tête — ça commence là, mais c’est une expérience qui peut se passer dans le corps lui-même. Au point que... cela, c’est une réalisation qui naturellement demande beaucoup de travail, de concentration, de maîtrise de soi, de conscience poussée dans la matière, mais l’aboutissement peut être que, suivant la manière dont le corps reçoit les chocs du dehors, l’effet peut être différent. Et si vous arrivez à une perfection dans ce domaine-là, alors vous devenez le maître des accidents. J’espère que cela va arriver. C’est possible. C’est non seulement possible, c’est certain. Seulement c’est un pas en avant. C’est-à-dire que ce pouvoir que vous avez — qui est déjà pleinement, formidablement réalisé dans le mental — d’agir sur les circonstances au point qu’elles changent totalement dans leur action sur vous, ce pouvoir-là peut descendre dans la Matière, dans la substance elle-même, dans les cellules du corps, et donner ce même pouvoir au corps vis-à-vis des choses qui sont autour de lui.

Ça, ce n’est pas une foi, c’est une certitude provenant d’une expérience.

L’expérience n’est pas totale, mais elle est là.

Ça vous ouvre des horizons, c’est le chemin, c’est un pas sur le chemin qui mène à la transformation.

Et la conclusion logique, c’est qu’il n’y a rien d’impossible. C’est nous qui mettons des limitations. Tout le temps nous disons : « Ça, c’est possible; ça, c’est impossible; ça, ça peut se faire; ça, ça ne peut pas se faire; oh, oui! ça, c’est vrai, c’est faisable, c’est même fait, mais ça, c’est impossible. » C’est nous qui nous mettons comme des esclaves, tout le temps, dans la prison de nos limites, d’un bon sens stupide, borné, ignorant, qui ne sait rien des lois de la vie. Les lois de la vie ne sont pas du tout ce que vous pensez, ni ce que les gens les plus intelligents pensent. C’est tout autre chose. Mettre le pas, surtout le premier pas, sur le chemin, alors on commence à s’apercevoir.

Douce Mère, ici il est écrit :

« Q : Est-ce un signe de sincérité que d’avouer ses faiblesses et ses défauts au Divin et aux autres?

R : Pourquoi aux autres? On doit les avouer au Divin.

Q : Mais si l’on fait du mal à quelqu’un, n’est-il pas nécessaire de le lui avouer? Suffit-il de l’avouer au Divin?

R : Si cela concerne les autres personnes on peut le faire. »

C’est inoffensif. Vous pouvez aller le faire si cela vous fait plaisir... au fond, si cela vous donne du repos et si cela vous permet de faire un progrès, si vous sentez que vous avez besoin de faire cela pour faire un progrès, c’est très bien.

Douce Mère, est-ce qu’il peut arriver qu’une personne soit très insincère mais qu’elle soit inconsciente de son insincérité?

Je crois que dans un cas comme cela, elle n’est plus insincère : elle est mauvaise; parce que si l’on sait qu’on est insincère et qu’on persiste en son insincérité, c’est de la méchanceté, n’est-ce pas. C’est que l’on a des intentions mauvaises, autrement pourquoi persisterait-on dans son insincérité?

J’ai dit « si on est inconscient » ?

Alors comment peut-on être conscient et inconscient en même temps? C’est justement cela qui est impossible. Si l’on est conscient de son insincérité, on ne peut pas être inconscient de son insincérité. C’est impossible. Les deux ne peuvent pas exister en même temps!

Mais si l’on est insincère et que l’on ne sait pas où réside cette insincérité?

Oh! on ne sait pas?... C’est parce qu’on n’est pas suffisamment sincère et qu’on ne se regarde pas. Parce que ça, je vous garantis que si vous êtes conscient que vous êtes insincère, vous savez où c’est. Autrement, vous ne pourriez pas être conscient de votre insincérité. Par exemple, dans une circonstance, on sait; on sait qu’on devrait faire ceci : « je devrais faire ça », et en même temps on n’a pas envie de le faire, hein! et alors, au-dedans de soi, on trouve un moyen, une espèce de moyen de se tromper soi-même et de ne pas le faire, parce qu’on n’a pas envie de le faire — hein, ça arrive, très souvent! (rires) Et alors si, à ce moment-là, au moment où vous êtes en train de faire ce petit travail intérieur pour trouver une excuse pour ne pas faire ce que vous ne voulez pas faire, si à ce moment-là vous vous rendez compte que vous êtes insincère et que vous continuez à le faire, cela veut dire que vous êtes perverti. Moi, c’est ce que j’appelle être méchant, mauvais. Mais si vous vous rendez compte que vous êtes insincère, cela veut dire que vous êtes conscient que vous êtes insincère, et comment pouvez-vous dire « je ne suis pas conscient de mon insincérité »?... Quatre-vingt-dix fois sur cent, on le fait sans le savoir. C’est cela, la misère. C’est qu’on se trompe soi-même avec tant de facilité que l’on trouve de bons trucs pour ne pas faire ce que l’on ne veut pas faire, ou l’opposé : pour faire ce que l’on a envie de faire quand on sait très bien qu’on ne devrait pas le faire — c’est la même chose. Alors on se donne de bonnes raisons, et, malheureusement, comme je l’ai dit, la majorité des gens sont tellement inconscients qu’ils le font sans même s’en apercevoir. Ils croient qu’ils sont très sincères : « Non, sincèrement, je croyais que je devais le faire », comme ça, innocemment. Mais ça, ce n’est pas qu’ils ne sont pas sincères, du tout, c’est qu’ils sont tout à fait inconscients. Mais si l’on est un tout petit peu conscient de ce qui se passe au-dedans de soi, on s’aperçoit très bien du petit truc que l’on a fait et comment on a trouvé, on a été dénicher quelque part, d’une si jolie manière, une excellente excuse pour faire ce que l’on voulait faire. Alors qu’on sait très bien qu’on ne doit pas le faire. Ce sont les deux, n’est-ce pas : un jeu entre l’inconscience et l’insincérité, l’insincérité et l’inconscience, comme ça. Mais si vous me dites : « Je suis conscient de mon insincérité », alors naturellement, à ce moment-là, il y a le fait — est-ce que vous avez décidé que vous resterez dans l’obscurité, ou est-ce que vous voulez progresser? Là, le problème se pose. Si vous êtes conscient de votre insincérité, vous n’avez qu’une chose à faire, c’est de mettre le fer rouge et de vous rendre sincère. Ça fait cet effet-là. Il faut prendre un fer rouge : ça brûle bien, et puis... ouille!... comme ça.

Sur le moment, ça fait un petit peu mal, après on est très tranquille.

Douce Mère, tu as écrit : « La sincérité est la clef de la porte divine. »

Que veut dire cela ?

C’est une image littéraire, mon enfant, c’est une façon imagée, figurée, littéraire, d’exprimer le fait que, avec la sincérité, on peut arriver partout, même jusqu’au Divin. Si on veut ouvrir une porte, il faut une clef, n’est-ce pas? Eh bien, pour la porte qui vous sépare du Divin, la sincérité fait l’effet de clef, et ouvre la porte et vous fait entrer, c’est tout.

Bonne nuit.

Le 12 mai 1954

Suite de la lecture de Les Éléments du Yoga, chapitre VI, « La Soumission ».

« Q : Si le Purusha ne consent pas à l’action de la Grâce de la Mère, empêche-t-il les autres êtres — mental, vital, physique et psychique — de recevoir ou de sentir la Grâce de la Mère qui agit pour la transformation? R : Non, le Purusha se tient souvent en arrière et permet aux autres êtres de consentir ou de sentir à sa place. »

(Mère s’adresse à Nolini) Qu’est-ce qu’il entend exactement par Purusha ?... L’ego ?

(Nolini) Non, c’est l’être conscient. Il y a l’être et le devenir. L’être conscient, c’est le Purusha ; le devenir, c’est la Prakriti.

Mais alors chaque être intérieur a son purusha ? Ou y a-t-il un purusha pour tous les êtres?

(Nolini) Dans chaque partie de l’être : c’est-à-dire qu’il y a un purusha vital, il y a un purusha mental, il y a un purusha physique...

C’est ce que nous appelons la conscience?

Oui, l’être conscient.

L’être conscient dans sa continuité.

Oui.

Mais comment peut-on faire la sâdhanâ si l’être conscient dans l’être n’est pas d’accord? Parce qu’il me semble que c’est lui qui doit prendre la résolution pour commencer!

Oui.

(Aux enfants) C’est moi qui pose des questions!

(Un enfant) Douce Mère, ici la question suivante était posée : « Quel est le signe qui indique que la détermination du sâdhak de se soumettre au Divin a des résultats pratiques dans sa vie? » Et Sri Aurobindo avait répondu : « Le signe en est qu’il est plein d’une obéissance qui ne questionne pas, une obéissance sans révolte ni demande ni condition, et qu’il répond à toutes les influences divines tout en rejetant celles qui ne viennent pas du Divin. » Est-ce que ce n’est pas une soumission résignée?

Résignée? Qu’est-ce que cela veut dire, résignée?

Passive!

Je ne sais pas ce que tu veux dire. Il demande le signe qui montre que sa soumission est parfaite. Il n’est pas question de soumission active ou passive, là. Il dit que la détermination d’être soumis amène certains résultats. Le premier résultat, c’est justement d’être obéissant sans questionner, et le second, c’est d’avoir le pouvoir de rejeter toutes les influences, excepté celle du Divin. Ce sont de grands résultats. Quand on est arrivé à cela, on est déjà très avancé.

Est-ce que tu sais distinguer entre une influence qui vient du Divin et une influence qui vient d’ailleurs?... Quand tu sens une impulsion en toi, est-ce que tu peux dire si elle vient du Divin ou si elle vient d’ailleurs?

Un peu.

Un peu! Ah! c’est bien, et dis-nous pourquoi, et comment?... Ça, c’est intéressant!

Quelquefois, quand je me réveille le matin ou l’aprèsmidi, je sens quelqu’un qui dit : le temps passe, il faut faire vite...

Et alors?... Quelqu’un?... C’est-à-dire que tu as l’impression qu’il y a une personne qui te dit : « Lève-toi et va vite faire ton travail »?

Pas une personne.

Une influence?

Oui.

Mais tu sais d’où elle vient?... Est-ce que tu sais d’où elle vient?

Ce n’est pas mauvais. Je pense que ce n’est pas mauvais, alors cela doit venir du Divin.

Ah! ça, c’est une appréciation! Si, par exemple, dans ton mental, il y a une formation, une idée, que tu ne dois pas être paresseuse et que tu dois travailler — que tu dois être à l’heure, qu’il ne faut pas que tu perdes ton temps à dormir —, cela suffit pour que cette idée ou cette formation se manifeste au moment de te réveiller comme une influence (parce que c’est une partie de ton mental qui est restée éveillée), comme une influence pour te dire : « Dépêche-toi, alors va travailler, ne sois pas paresseuse! » Mais c’est peut-être simplement une partie de toi qui essaye d’agir sur une autre. Ou bien, si tu dois aller en classe ou que tu aies à faire un travail avec quelqu’un, ce peut être la pensée active de cette personne qui se dit : « Est-ce que par hasard elle ne va pas encore dormir et être en retard ? » — cela suffit. Alors c’est peut-être quelque chose qui a son bon côté, qui peut être utile pour toi comme un contrôle sur ton activité, mais ce n’est pas du tout nécessairement du Divin. Juger qu’une chose vient du Divin parce que tu la trouves bonne, cela peut te mener à des erreurs terribles.

Ce n’est pas comme cela qu’on peut sentir. Ce n’est pas par une perception de ce genre de conscience, ce n’est pas comme cela. C’est quand on a une sensibilité assez délicate et raffinée pour percevoir exactement la valeur d’une vibration; toutes les vibrations qui viennent des activités extérieures, qu’elles soient mentales, vitales ou physiques, ou même psychiques, sont des vibrations d’une certaine qualité, mais ce qui provient de l’influence divine est d’une nature et d’une qualité absolument différentes. Pour pouvoir distinguer, il faut d’abord avoir senti les deux ; et même quand on a senti les deux, il faut être très calme, très attentif, justement très immobile intérieurement, pour pouvoir distinguer l’une de l’autre et ne pas se méprendre. Si votre pensée active vient en travers, c’est fini, vous ne pouvez plus distinguer; vous commencez à questionner. Et alors vous vous servez de vos notions de bien et de mal pour juger si cela vient du Divin ou si cela ne vient pas du Divin. C’est absurde. C’est impossible!

Même quand on a eu cette double expérience et que l’on peut faire la distinction, il y a encore des précautions à prendre et un contrôle à faire pour être sûr de ne pas se tromper. C’est seulement quand on a ouvert tout grand la porte du psychique, qu’on est entré consciemment, qu’on a eu le contact absolu, total, complet, avec le Divin, quand on a l’impression d’être né à une vie nouvelle, qu’on est un autre être, qu’on ne voit plus rien de la même manière, on ne sent plus rien de la même manière — alors on connaît intimement, profondément, complètement ce qu’est la vie divine. Et même après, si la porte se referme comme ça, on peut garder le souvenir exact. Et c’est comme cela que ça se manifeste. Il est impossible de se tromper. C’est tout autre chose, il n’y a aucune comparaison, rien ; on ne peut rien comparer à ça, c’est unique et c’est absolu. C’est pour cela que je vous ai demandé : « Pouvez-vous distinguer? » Parce que certainement si l’un d’entre vous a eu cette expérience, il sait de cette manière-là ce qui vient du Divin ; et nécessairement, s’il sait d’une façon absolue ce qui vient du Divin, il sait forcément tout ce qui n’en vient pas. Alors là, je t’ai posé la question. Parce que j’aurais été très heureuse que l’un d’entre vous puisse me dire avec sincérité : « J’ai eu l’expérience et je sais. » Mais c’est seulement après cette expérience-là qu’on sait, pas avant. C’est pour cela que si l’on veut sincèrement progresser, il faut à chaque pas demander, être sûr d’où vient cette influence : « Qui m’a donné cette suggestion ? est-ce que c’est une partie de moi? est-ce que c’est quelque chose d’extérieur? est-ce que cela vient du Divin ? »

Mais avant d’avoir eu cette expérience-là, on n’est pas capable de juger par soi-même. Naturellement, si l’on a une soumission vraiment sincère et que dans l’être il y ait cette attitude constante, cet abandon au Divin, et « que Ta volonté soit faite », comme ça, on peut, sans savoir, sans comprendre, instinctivement, on peut choisir la chose qu’il faut faire et rejeter celle qu’on ne doit pas faire, mais cela devient un instinct, une sorte de chose automatique — si votre soumission est parfaite. Et c’est justement l’avantage de la soumission, parce que vous pouvez faire la vraie chose de la vraie manière automatiquement, avant d’avoir la connaissance.

Mais il faut que ce soit comme Sri Aurobindo le dit là, n’est-ce pas, que l’on soit dans cet état d’obéissance parfaite qui ne questionne pas, qui ne discute pas et qui spontanément obéit, agit dans le sens où on est dirigé. Il faut que rien dans la pensée ou dans le vital ne se révolte ou contredise ou questionne ou essaye d’avoir raison, de se prouver à soi-même (et quelquefois au Divin même) qu’on a raison, que ce que l’on a fait est la vraie chose. Il faut que tout cela soit fini.

Au fond, quel que soit le chemin qu’on suive — que ce soit le chemin de la soumission, de la consécration, de la connaissance —, si l’on veut qu’il soit parfait, c’est toujours aussi difficile; et il n’y a qu’un moyen, un seul, je n’en connais qu’un seul : c’est une sincérité parfaite, mais sincérité par-faite!

Savez-vous ce que c’est que la sincérité parfaite?...

Ne jamais essayer de se tromper soi-même, que jamais aucune partie de l’être n’essaye de trouver un moyen de convaincre les autres, ne jamais expliquer d’une façon favorable ce que l’on fait pour avoir une excuse à ce qu’on veut faire, ne jamais fermer les yeux quand quelque chose est désagréable, ne jamais laisser rien passer en se disant : ça n’a pas d’importance, la prochaine fois ce sera mieux.

Oh! c’est très difficile. Essayez seulement pendant une heure et vous verrez comme c’est difficile! Seulement une heure à être to-ta-le-ment, ab-so-lu-ment sincère. Ne rien laisser passer. C’est-à-dire que tout ce que l’on fait, tout ce que l’on sent, tout ce que l’on pense, tout ce que l’on veut, soit ex-clu-si-ve-ment le Divin!

« Je ne veux rien que le Divin, je ne pense à rien qu’au Divin, je ne fais rien que ce qui me mènera vers le Divin, je n’aime rien que le Divin. »

Essayez — essayez pour voir, essayez pendant une demiheure, vous verrez comme c’est difficile! Et pendant ce temps-là, faites bien attention qu’il n’y ait pas une partie du vital ou une partie du mental ou une partie du physique qui soit bien cachée là, derrière, pour que vous ne la voyiez pas (Mère cache ses mains derrière son dos) et que vous ne vous aperceviez pas qu’elle ne collabore pas — qui se tient tranquille pour qu’on ne la déniche pas. Elle ne dit rien, mais elle ne change pas, elle se cache. Combien de parties! combien de parties se cachent! On les met dans sa poche, parce qu’on ne veut pas les voir, ou bien elles se mettent dans votre dos, bien cachées, là-dedans, au milieu du dos, pour qu’on ne les voie pas. Quand vous êtes là avec votre torche — torche de sincérité, là — pour dénicher tous les petits coins partout, les petits coins qui ne consentent pas, les choses qui disent non, ou celles qui ne bougent pas : « Je ne bougerai pas! Je suis collée à ma place, là, et rien ne me fera bouger!... » Vous avez une torche, là, et vous la passez làdessus, sur tout. Vous verrez qu’il y en a qui sont là, derrière le dos, et qui sont collées.

Essayez, seulement pendant une heure, essayez!

Plus de questions?...

Personne n’a rien à dire?

Alors, au revoir, mes enfants!

Le 19 mai 1954

Suite de la lecture de Les Éléments du Yoga, chapitre VII, « L’Amour ».

Il y a une affection pure pour le Divin et un amour pour le Divin. Quelle est la différence?

Cela dépend du sens que tu mets dans tes mots. Cela dépend de ce que tu appelles affection. Je ne sais pas, généralement affection veut dire quelque chose de personnel et d’extérieur et un peu superficiel ; cela dépend tout à fait du sens que tu donnes à tes mots. Généralement, quand on dit : « Oh! j’ai beaucoup d’affection pour lui », cela veut dire que l’on a un bon sentiment, une sorte d’amitié, mais ce n’est pas une chose très profonde; mais on peut aussi employer le mot dans un sens plus profond. Il est très difficile de faire des distinctions entre les mots, à moins que l’on n’ait déjà défini tout son vocabulaire d’une façon tout à fait précise. C’est au moment où l’on parle, quand on veut dire quelque chose, si l’on met une sorte d’intensité de pensée, de perception, de connaissance dans le mot qu’on emploie, alors il peut porter cet état — cet état d’âme — avec les mots. Mais si l’on se sert des mots d’une façon tout à fait intellectuelle et pour ainsi dire arbitraire, il faut, avant de s’en servir, dire : « Quand je dis cela... » et une longue explication, une définition.

Que veut dire « la vision psychique » ?

Vision? Tu sais ce que c’est, la vision physique, n’est-ce pas — physique, tu sais? Eh bien, c’est la même chose dans le psychique. C’est-à-dire qu’au lieu de voir avec des organes physiques, tu vois avec des organes psychiques. Tu as des yeux, n’est-ce pas, ici, eh bien, il y a des yeux dans le psychique qui voient psychiquement. Cela ne dépend pas de la qualité de la vision, cela dépend de l’état d’être qui voit, des organes qui voient. Une vision psychique voit ce qui se passe dans le psychique, ou dans l’état psychique ou dans les domaines psychiques ou dans l’être psychique. Une vision mentale voit ce qui se passe dans le mental : il voit. C’est une vision, comme une vision physique, vraiment physique.

Avec tes yeux physiques, tu ne peux pas avoir une vision psychique; c’est seulement ton être psychique qui peut avoir une vision psychique. Tu peux avoir une relation avec ton être psychique assez étroite pour te souvenir de ce qu’il a vu, pour être conscient de ce qu’il a vu, mais ce n’est pas ton être physique qui voit, c’est ton être psychique. Ce n’est pas ton être physique qui voit d’une différente manière, c’est ton être psychique qui voit.

Douce Mère, ici il est écrit : « L’intensité de l’Amour divin ne crée jamais de perturbation nulle part dans l’être. »

Oui.

Mais si une personne a un corps faible, l’intensité de l’Amour divin ne crée-t-il pas une perturbation?

Le corps? Pourquoi l’Amour divin créerait-il une perturbation dans le corps?

Mais s’il ne peut pas supporter l’intensité?

Ce n’est peut-être pas de l’Amour divin alors, je ne comprends pas. Automatiquement on ne reçoit que ce que l’on peut supporter, quand il s’agit d’Amour divin.

L’Amour divin est là avec toute son intensité, une puissance formidable. Mais la plupart des gens — quatre-vingt-dixneuf sur cent — ne sentent rien du tout! Ce qu’ils en sentent est exclusivement proportionné à ce qu’ils sont, à leur capacité de réception. Imagine, n’est-ce pas, que tu baignes dans une atmosphère entièrement vibrante d’Amour divin — tu ne t’en aperçois pas du tout. Quelquefois, ra-re-ment, pendant quelques secondes, il y a tout d’un coup l’impression de « quelque chose ». Alors tu dis : « Oh ! l’Amour divin est venu vers moi ! » C’est une plaisanterie. C’est tout simplement que tu as été, pour une raison quelconque, un tout petit peu ouverte, alors tu as perçu. Mais il est là, toujours. Comme la Conscience divine. C’est la même chose, elle est là, tout le temps, en pleine intensité; mais on ne s’en aperçoit même pas; ou bien comme ça, spasmodiquement — tout d’un coup on est dans un bon état, alors on sent quelque chose et on dit : « Oh ! la Conscience divine, l’Amour divin se sont tournés vers moi, se sont dirigés vers moi ! » Ce n’est pas du tout ça. On a une toute petite ouverture, toute petite, quelquefois comme une tête d’épingle, naturellement ça se précipite dedans. Parce que c’est comme une atmosphère active; dès qu’il y a une possibilité d’être reçu, il est reçu. Mais c’est la même chose pour toutes les choses divines. Elles sont là, seulement on ne les reçoit pas, parce qu’on est fermé, on est bloqué, on est occupé d’autres choses la plupart du temps. La plupart du temps on est plein de soi-même. Alors comme on est plein de soi-même, il n’y a pas de place pour autre chose. On est très activement (riant) occupé d’autres choses. On est rempli de choses, il n’y a pas de place pour le Divin.

Mais il est là. C’est comme toutes les merveilles qui sont là autour de vous, vous ne les voyez pas. Vous les voyez?... Non. Quelquefois, à un moment où vous êtes un tout petit peu plus réceptif, ou bien quand, dans le sommeil, vous êtes moins exclusivement occupé de vos petites affaires, alors vous avez une lueur de quelque chose et vous voyez, vous sentez quelque chose. Mais généralement, dès que vous êtes réveillé, tout cela est oblitéré — d’abord, n’est-ce pas, par l’ego formidable qui est tout plein de lui-même, et tout l’univers est en fonction de cet ego : vous êtes au centre, et l’univers tourne autour de vous. Si vous vous regardez attentivement, vous vous apercevrez que c’est comme ça. Votre vision de l’univers, c’est vous au centre, et l’univers tout autour. Alors il n’y a pas de place pour autre chose. Ce n’est pas l’univers que vous voyez : c’est vous que vous voyez dans l’univers.

Alors, d’abord, pour commencer, il faut être capable de sortir de cet ego. Après, il faut qu’il soit, n’est-ce pas, dans un certain état d’inexistence. Alors vous commencez à percevoir les choses comme elles sont, d’un peu plus haut. Mais si vous voulez savoir les choses telles qu’elles sont vraiment, il faut être ab-so-lu-ment comme un miroir : silencieux, paisible, immobile, impartial, sans préférences et dans un état de totale réceptivité. Et si vous êtes comme ça, alors vous commencerez à voir qu’il y a beaucoup de choses dont vous ne vous apercevez pas, mais qui sont là, et qui commenceront à être actives en vous.

Alors vous pourrez être dans ces choses au lieu d’être exclusivement enfermé dans un petit point que vous êtes dans l’univers.

Il y a toutes sortes de façons de sortir de soi. Mais c’est indispensable si vous voulez commencer à connaître les choses telles qu’elles sont et non en fonction de vous-même.

Quelle attitude doit-on prendre pour sortir de l’ego ?

L’attitude? C’est plutôt une volonté, n’est-ce pas! Il faut le vouloir... Ce qu’il faut faire, tu demandes?

Le plus sûr moyen, c’est de se donner au Divin; et non pas d’essayer d’attirer le Divin vers soi, mais essayer de se donner dans le Divin. Alors tu es obligé, au moins, de sortir un peu de toi-même pour commencer. Généralement, n’est-ce pas, quand les gens pensent au Divin, la première chose qu’ils font, c’est de « tirer » autant qu’ils peuvent au-dedans de soi. Et alors généralement ils ne reçoivent rien du tout. Ils vous disent : « Ah! j’ai appelé, j’ai prié et je n’ai pas eu de réponse. Je n’ai pas eu de réponse, rien n’est venu. » Mais alors si vous demandez : « Est-ce que vous vous êtes offert? » — « Non, j’ai tiré. » — « Ah! oui, c’est pour ça que ce n’est pas venu! » Ce n’est pas que ce ne soit pas venu, c’est que, quand vous tirez, vous restez tellement enfermé dans votre ego (comme je vous le disais tout à l’heure) que cela fait une muraille entre ce qui est à recevoir et vous-même. Vous vous mettez en prison, et alors vous êtes étonné que dans votre prison vous ne sentiez rien.

Prison, et encore sans fenêtres sur la rue!

Jetez-vous au-dehors (Mère ouvre les mains), donnez-vous sans rien retenir, simplement pour la joie de se donner. Alors là, il y a une chance que vous ressentiez quelque chose.

Mais si on essaye de sentir...

Si on essaye de sentir? Est-ce que ce n’est pas encore un égoïsme, ça, essayer de sentir?... Si on veut sortir de l’ego en restant égoïste, c’est très difficile, n’est-ce pas! Les deux sont assez contradictoires.

« Essayer de sentir », pourquoi, pour ta propre satisfaction?

Si l’on essaye de sentir que l’on n’existe pas, que c’est le Divin qui existe, est-ce que c’est un moyen de sortir de l’ego ?

On n’existe pas? Ça, je ne sais pas si on réussit à quelque chose en essayant mentalement, parce que ça, c’est une espèce d’effort mental. Alors on fait des constructions mentales et on n’arrive pas à grand-chose. Non, il faut quelque chose qui soit spontané, intense, une flamme qui brûle dans l’être, une flamme d’aspiration, quelque chose... je ne sais pas comment dire ça.

Si ça se passe dans la tête, rien, rien n’arrive.

L’effort qu’on peut faire ne peut être que mental. Comment peut-on faire pour que ce soit spontané?

Hein?

L’effort qu’on...

Oui, j’ai bien entendu. Mais pourquoi affirmes-tu que tout l’effort qu’on fait ne peut être que mental?

Mais comment peut-on faire pour que ce soit spontané?

Je crois qu’il y a une très grande différence entre un effort de transformation qui vient justement du centre psychique de l’être, et une sorte de construction mentale pour obtenir quelque chose.

Je ne sais pas, c’est très difficile de se faire comprendre, mais tant que ça marche dans la tête comme ça (Mère tourne un doigt près de son front), ça n’a pas de puissance. Ça a une très petite puissance, extrêmement limitée. Et tout le temps ça reçoit des démentis. On a l’impression qu’avec une grande difficulté on assemble une volonté, assez artificielle d’ailleurs, et on essaye d’attraper quelque chose, et la minute d’après c’est tout évanoui. Et on ne se rend même pas compte, on se dit : « Comment se fait-il que c’était comme ça ? »

Je ne sais pas, moi, cela me paraît très difficile de faire le yoga avec sa tête — à moins qu’on ne soit saisi.

La volonté n’est pas dans la tête.

La volonté (ce que moi, j’appelle la volonté), c’est quelque chose qui est là (Mère désigne le centre de la poitrine), qui a une puissance d’action, une puissance de réalisation.

Ce que l’on fait dans la tête exclusivement, est sujet à d’innombrables fluctuations; il n’est pas possible de construire une théorie, par exemple, sans qu’immédiatement viennent en travers des choses qui donnent tous les arguments contraires. Et alors, c’est le grand art du mental, n’est-ce pas : il peut prouver n’importe quoi, discuter n’importe quoi. Alors on n’avance pas d’un pas. Même si, à un moment donné, on attrape une idée qui a une certaine force, à moins qu’on ne soit dans cet état d’intensité, dès qu’il y a un relâchement, toutes les choses contraires arrivent, et toutes avec, n’est-ce pas, comme ça, le charme de leur expression. Alors c’est une bataille qui n’arrête pas.

C’est sans solution.

Tu demandes comment ça peut être spontané? Même simplement dans le corps, quand il y a quelque chose, comme une attaque, un accident, une maladie qui essaye de venir — quelque chose, une attaque sur le corps. Un corps qui est laissé à sa spontanéité naturelle, il a un élan, une aspiration, une volonté spontanée pour appeler à l’aide. Mais dès que ça vient dans la tête, ça prend la forme des choses auxquelles on est habitué : tout est gâté. Mais si on voit le corps en lui-même, tel qu’il est, il y a quelque chose qui, tout d’un coup, s’éveille et qui appelle à l’aide, mais avec une telle foi, une telle intensité, comme le tout petit bébé, n’est-ce pas, appelle sa maman (ou n’importe quoi, il ne dit rien s’il ne peut pas parler). Mais le corps livré à lui-même sans cette espèce d’action constante du mental sur lui, il a cela : dès qu’il y a quelque chose qui se dérange, immédiatement il a une aspiration, un appel, un effort pour avoir l’aide, et c’est très puissant. Si rien n’intervient, c’est très puissant. C’est comme si les cellules elles-mêmes jaillissaient dans une aspiration, dans un appel.

Il y a, dans le corps, des trésors inestimables et inconnus. Dans toutes ces cellules, il y a une intensité de vie, d’aspiration, de volonté de progrès, dont on ne se rend même pas compte habituellement. Il faut que la conscience corporelle soit complètement dévoyée par l’action vitale et mentale pour qu’il n’y ait pas une volonté immédiate de rétablir l’équilibre. Quand cette volonté n’est pas là, cela veut dire que toute la conscience corporelle a été abîmée par l’intervention mentale et vitale. Les gens qui, d’une façon plus ou moins subconsciente, chérissent leur maladie avec une espèce de morbidité sous prétexte que ça les rend « intéressants », ce n’est pas du tout leur corps — pauvre corps! — c’est quelque chose qu’ils ont imposé avec une perversion mentale et vitale. Le corps, lui, s’il est laissé à lui-même, il est remarquable, parce que non seulement il aspire à l’équilibre et au bien-être, mais il est capable de rétablir l’équilibre. Si on laisse son corps sans intervenir avec tout ça — toutes les pensées, toutes les réactions vitales, toutes les dépressions, et puis toutes les soi-disant connaissances et puis toutes les constructions mentales et toutes les peurs — si on laisse le corps à lui-même, spontanément il fera ce qu’il faut pour se remettre d’aplomb.

Le corps, dans son état naturel, aime l’équilibre, aime l’harmonie; ce sont les autres parties de l’être qui abîment tout.

Mère, comment empêcher le mental d’intervenir?

Ah! d’abord il faut le vouloir, et puis il faut, comme quand les gens font beaucoup de bruit et qu’on leur dit : « Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous! », il faut faire comme ça quand le mental vient avec toutes ses suggestions et tous ses mouvements. Il faut le tranquilliser, l’apaiser, le faire taire.

La première chose, c’est de ne pas l’écouter. La plupart du temps, dès que ça vient, toutes ces pensées-là, on regarde, on cherche à comprendre, on écoute, alors naturellement cet imbécile croit que vous êtes très intéressé : il augmente son activité. Il ne faut pas écouter, il ne faut pas faire attention. S’il fait trop de bruit, il faut lui dire : « Tiens-toi tranquille! allez, silence, tais-toi! » sans faire trop de bruit soi-même, n’est-ce pas! Il ne faut pas faire comme les gens qui se mettent à hurler : « Taisez-vous », et qui font tellement de bruit eux-mêmes qu’ils en font encore plus que les autres!

(Le magnétophone s’arrête; la bande est terminée)

(Au disciple) N’en mettez pas une autre, c’est fini.

La destinée!

Voilà, au revoir, bonne nuit!

Le 26 mai 1954

Suite de la lecture de Les Éléments du Yoga, chapitre VII, « L’Ouverture psychique ».

Douce Mère, quand on te voit dans les rêves, est-ce que c’est toujours un rêve symbolique?

Non, pas nécessairement. Ce peut être un fait. Cela veut dire qu’au lieu de voir physiquement, on voit ou dans le physique subtil ou dans le vital ou dans le mental. Mais on voit quelque chose de moi : par exemple, si j’envoie une force ou une pensée ou un mouvement, une action à quelqu’un, dans son atmosphère cela prend ma forme, dans sa conscience mentale cela prend ma forme. Alors il voit ça. C’est un fait. J’ai envoyé quelque chose et il le voit. Ce n’est pas moi tout entière (là, l’interprétation est fausse la plupart du temps), mais c’est quelque chose de moi.

Mais cela a toujours quelque signification, non, Mère?

Certainement cela a une signification. Cela a même, la plupart du temps, un but très précis : ou c’est que je veux faire quelque chose, ou c’est que je veux dire quelque chose à quelqu’un, ou c’est que je veux changer quelque chose dans cette personne, ou que je veux lui donner une connaissance nécessaire, ou bien que je veux mettre quelqu’un en garde contre quelque chose — le mettre en garde, lui dire de faire attention — ou bien je viens pour répondre à une question quelquefois.

Rêves symboliques... Les rêves symboliques sont généralement très cohérents, on se souvient de tout, du moindre détail ; c’est plus vivant, plus réel, plus intense que la vie matérielle, et c’est assez rare. Quand on revient d’un rêve symbolique, on se souvient de tout, de tous les détails, et on a l’impression qu’on a vécu pendant ce temps-là d’une vie beaucoup plus intense et beaucoup plus vraie que la vie physique. Et cela vous laisse une impression très profonde. Ça, ça n’arrive pas très souvent. Généralement cela arrive quand c’est très nécessaire.

Quelqu’un a-t-il des rêves à raconter?

Ce serait intéressant. Je pourrais vous donner un exemple. Si vous avez un rêve à raconter, je pourrais vous l’expliquer.

Douce Mère, moi, j’ai un rêve.

Ah! toi. Voyons ton rêve!

Un jour, quand tu donnais une bénédiction, j’allais à toi, tu m’embrassais et me tenais dans tes bras pendant très longtemps.

Et puis? C’est tout?

Tu me disais quelque chose, mais...

Ça, tu ne t’en es pas souvenu!

Non.

(Un autre enfant) Mère, parfois on te voit pleurer dans les rêves.

Hein? Je pleure?

Toi, pleurer!

Moi, je pleure? (rires)

Oui.

Tiens, tiens!... C’est au moment où on est très triste soi-même, non?

Peut-être!

Ça, c’est très symbolique. Ça veut dire exactement... non, je te le dirai à toi. Mais d’une façon générale, ça veut dire ceci, c’est que chaque fois que l’on est malheureux, eh bien, c’est une souffrance ajoutée à la souffrance collective du Divin.

C’est par un état de compassion profonde que le Divin agit dans la Matière, et cette compassion profonde se traduit dans la Matière par, justement, cette douleur psychique dont on a parlé ici. On a lu cela ce soir. Ça, c’est comme quand on renverse quelque chose, c’est la même chose, mais on le renverse comme ça (Mère joint les mains, puis les ouvre en offrande).

Eh bien, l’état de compassion du Divin se traduit dans la conscience psychique par une douleur qui n’est pas égoïste, une douleur qui est l’expression de l’identification par sympathie avec la douleur universelle. Dans les Prières et Méditations, j’ai dit cela (l’une des dernières), j’ai longuement décrit une expérience où je dis : ... des larmes les plus douces qui ont coulé de ma vie, parce que ce n’était pas sur moi que je pleurais 11 , n’est-ce pas. Eh bien, c’est cela. N’est-ce pas, les êtres humains souffrent toujours pour des raisons égoïstes, humainement. Même, par exemple (je l’ai expliqué plusieurs fois), quand ils perdent quelqu’un qu’ils aiment et qu’ils souffrent, et qu’ils pleurent, ce n’est pas sur l’état de la personne qu’ils pleurent, parce que la plupart du temps, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent et davantage, ils ne savent pas quel est l’état de la personne, ils ne peuvent même pas savoir si cette personne est heureuse ou malheureuse, si elle. souffre ou si elle est en paix, mais c’est sur le sentiment de séparation qu’ils éprouvent eux-mêmes, parce qu’ils aimaient avoir cette personne près d’eux et qu’elle est partie. Par conséquent, toujours à la racine d’une douleur humaine, il y a un retour sur soi, plus ou moins conscient, plus ou moins... comment dire... avoué, mais c’est toujours ça. Même quand on pleure sur la misère d’une autre personne, il y a toujours un mélange. Il y a un mélange, mais dès que le psychique est mêlé à la douleur, il y a un élément de « compassion renversée » (c’est ce que j’ai essayé d’expliquer tout à l’heure) qui se produit dans l’être, et si on peut démêler les deux, se concentrer là-dessus, sortir de son ego et s’unir à cette compassion renversée, par là on peut arriver au contact avec la grande Compassion universelle qui est une chose immense, vaste, calme, puissante, profonde, d’une paix parfaite et d’une douceur infinie. Et c’est cela que j’entends quand je dis que si on sait juste aller approfondir sa douleur, aller tout au fond, dépasser la partie qui est égoïste et personnelle, et aller plus profondément, on peut ouvrir la porte d’une grande révélation. Ce n’est pas qu’il faut chercher la douleur pour la douleur, mais quand elle est là, quand elle vient sur vous, toujours, si on arrive à dépasser l’égoïsme de sa douleur — apercevoir d’abord quelle est la partie égoïste, qu’est-ce qui vous fait souffrir, quelle est la raison égoïste de votre souffrance, et puis dépasser ça et aller au-delà, vers quelque chose d’universel, vers un principe profond —, alors on entre dans cette Compassion infinie, et là, vraiment, c’est une porte psychique qui s’ouvre. Alors, si l’on me voit verser des larmes, si, à ce moment-là, on essaye de s’unir complètement, n’est-ce pas, d’entrer dans ces larmes — qu’on se fond là-dedans —, ça peut ouvrir la porte. On peut ouvrir la porte et avoir toute l’expérience, qui est une expérience très unique, et qui vous laisse une marque très profonde dans la conscience. Généralement ça ne s’efface jamais. Même si la porte se referme, si on redevient ce que l’on est dans ses mouvements ordinaires, ça, ça reste derrière et on peut s’y rapporter dans des moments de concentration intense; on peut s’y rapporter et on sent encore cette immensité d’une douceur infinie, d’une grande paix et qui comprend tout, mais pas intellectuellement, qui compatit à tout, qui peut tout embrasser, et alors tout guérir.

Naturellement la chose est toujours la même, il faut... il faut sincèrement vouloir être guéri, parce que, autrement, ça ne marche pas. Si on veut avoir l’expérience seulement pour avoir l’expérience et puis que la minute d’après on revienne à ce que l’on était avant, ça ne marche pas. Mais si sincèrement on veut guérir, si on a une vraie aspiration pour surmonter l’obstacle, pour monter — monter au-dessus de soi-même, pour laisser tomber tout ce qui vous tire en arrière, pour rompre les limites, pour se clarifier, se purifier de tout ce qui est sur le chemin, si, vraiment, on a la volonté intense de ne plus retomber dans les erreurs passées, de surgir de l’obscurité et de l’ignorance, de monter dans la lumière, dépouillé de tout ce qui est trop humain, trop petit, trop ignorant — alors ça agit. Ça agit, ça agit fortement. Ça agit parfois d’une façon définitive et totale. Mais il ne faut pas qu’il y ait quelque chose qui s’accroche aux mouvements, qui ne dise rien à ce moment-là, qui se cache, et puis qui après montre son nez et dit : « Oui, oui! c’est très bien, ton expérience, à mon tour maintenant! » Alors là, je ne réponds de rien, parce que quelquefois, comme une réaction, ça devient pire. C’est pour cela que je reviens toujours à la même chose, que je dis toujours la même chose :

Il faut être vraiment sincère, vraiment.

Il faut être prêt, s’il y a quelque chose qui est accroché, profondément accroché, à l’arracher complètement, sans que ça laisse de traces. C’est pour cela que quelquefois on fait la même faute et on la répète, jusqu’à ce que la souffrance soit assez grande pour imposer une sincérité totale. Il ne faut pas essayer ce moyen-là, il est mauvais. Il est mauvais parce qu’il détruit beaucoup de choses, il gaspille beaucoup d’énergies, il répand des vibrations mauvaises. Mais si on ne peut pas faire autrement, eh bien, c’est dans l’intensité de la souffrance qu’on peut trouver la volonté de la sincérité parfaite.

Et il y a un moment — dans la vie de chacun il y a un moment où cette nécessité de sincérité parfaite vient comme un choix définitif. Il y a un moment dans la vie individuelle, il y a aussi un moment dans la vie collective quand on fait partie d’un groupe, un moment où le choix doit se faire, où la purification doit s’accomplir. Quelquefois ça devient très sérieux, c’est presque une question de vie et de mort pour le groupe : il faut qu’il fasse un progrès décisif... s’il veut survivre.

(silence)

Pas d’autres rêves?

(La première enfant) Douce Mère, tu n’as pas donné l’explication de mon rêve!

Il n’y a pas d’explication, mon enfant. Tu as vu quelque chose dont tu n’es pas consciente dans ton être matériel, c’est tout. Les Forces sont là, toujours, pleines de tendresse, d’amour, d’aide, de... mais on ne s’en aperçoit pas parce qu’on est dans une conscience trop étroite, trop petite. Il n’y a pas besoin d’explication, ça ne s’explique pas. C’est un fait. Si tu veux, il y a une expérience, il y a un fait, il y a quelque chose qui se passe — il y a aussi la traduction dans ton cerveau. Quand tu te réveilles, c’est une sorte d’interprétation de ton rêve dont tu te souviens. C’est très rare qu’on soit conscient au moment où l’expérience se produit et qu’on soit conscient de l’expérience telle qu’elle est. Pour cela, il faut être très éveillé durant la nuit, très éveillé dans son sommeil. Généralement ce n’est pas le cas. Il y a une partie de l’être qui a une expérience; quand cette partie de l’être qui était sortie du corps rentre dans le corps, ramène l’expérience, le cerveau reçoit un contact de cette expérience, le traduit par des images, des mots, des idées, des impressions, des sentiments, et quand on se réveille, on attrape quelque chose de ça, et avec ça on fait un « rêve ». Mais ce n’est qu’une transcription de quelque chose qui s’est passé — qui a une analogie, une similarité, mais qui n’était pas exactement ce que l’on reçoit comme rêve.

Dans ton expérience de la nuit, qui a produit le rêve, tu es entrée en contact avec ces Forces qui sont toujours à envelopper, à aider, à soutenir, à... n’est-ce pas, qui sont pleines d’amour et de tendresse, et qui aident et qui accueillent tous ceux qui viennent — qui en fait est là partout à travailler tout le temps. Alors tu as pris conscience de ça. Dans ton réveil, ça s’est traduit par les images que tu connais, c’est-à-dire qu’on vient me trouver, que l’on reçoit une bénédiction, et alors comme il y avait une impression nouvelle — celle du contact avec cette Force qui enveloppe, et qui aide —, ça t’a donné l’impression que je t’enveloppais avec mes bras et que je t’embrassais. Ça s’est traduit comme ça. Le fait est là ; la traduction est celle de ton cerveau.

Il y a des gens qui me font faire des choses très drôles la nuit! J’ai entendu toutes sortes d’histoires extraordinaires. Mais c’est toujours la même chose : il y a un fait derrière, ils sont entrés en contact ou avec une émanation ou avec une force ou avec une action, comme je le disais tout à l’heure, mais alors, dans leur cerveau, ça s’est traduit par des images qui sont quelquefois très surprenantes! Mais ça, c’est leur traduction. Pour moi, quand ils me racontent cela, ça me donne le tableau exact de l’état de leur conscience mentale, vitale et physique. Rien que la déformation de la traduction suffit pour que je sache quel est l’état de leur mental. Et je ne peux pas leur dire : « Ce n’est pas moi », parce que c’était moi! Seulement ils ont changé ça à leur manière, qui est quelquefois étonnante! Enfin, dans le cas présent, l’image est très bonne.

Voilà, mes enfants, quelque chose d’autre?

Douce Mère, la semaine dernière j’ai eu un rêve.

Eh bien, dis-le!

C’était un après-midi après l’orage et je me trouvais au bord de la mer. La mer s’était retirée très loin et il y avait un village où j’ai vu des chevaux en pierre. C’étaient quatre chevaux, peut-être, en pierre noire, et au-dessus d’eux il y avait un cheval blanc, en marbre peut-être, et cela brillait avec beaucoup de couleurs.

C’était quand la mer s’est retirée?

Oui.

C’était local ou général? Je veux dire : c’était une mer quelconque ou c’était la mer ici? Tu étais sur la plage ici?

C’était au Terrain de Tennis.

Oh! tu voyais du Terrain de Tennis?

Oui. Je pouvais voir le phare aussi.

Le phare.

Quatre chevaux noirs et un cheval blanc.

Le nombre n’est pas sûr.

Ah!

Le cheval blanc, c’était un seulement.

Nécessairement.

Peut-être que cela concerne l’avenir de Pondichéry. C’est dommage que tu ne te souviennes pas du nombre. Ça aurait pu donner une indication. Il y avait eu une sorte de tempête?

Oui, l’orage.

Et la mer s’est retirée après?

Oui.

Ah! c’est symbolique.

Le ciel était très clair alors.

Oui, oui. Après l’orage le ciel s’éclaircit.

Je ne peux pas dire d’une façon définitive parce qu’il manque des renseignements. Mais enfin, cela concerne peut-être l’avenir de Pondichéry. On verra ça.

Mais tu peux dire l’avenir de Pondichéry sans le rêve!

Sans le rêve? (rires) Ah!

Eh bien, pour le moment nous sommes dans l’orage! On verra quand la mer se sera retirée. (rires)

(Un autre enfant) J’avais un rêve où je suis allé pour la bénédiction et vous m’avez donné trois fleurs : « Honnêteté mentale », l’autre, « Soumission », et la dernière, je crois, « Mental tranquille ».

C’est très bien. C’est très nécessaire! (rires)

C’est un fait. Il n’y a qu’à le prendre comme ça et faire un effort pour avoir un mental tranquille, que ce mental tranquille se soumette et qu’il devienne parfaitement honnête. C’est très bien, c’est un programme, et après se concentrer là-dessus.

Voilà, mes enfants, c’est tout?

Je crois que nous allons finir.

juin




Le 2 juin 1954

Pas de questions?... J’allais vous offrir une méditation.

Pour quelle raison est-on incapable de méditer?

Parce qu’on n’a pas appris à le faire.

N’est-ce pas, tout d’un coup il vous prend une fantaisie : aujourd’hui je vais méditer. On ne l’a jamais fait avant. On s’assoit et on s’imagine qu’on va se mettre à méditer. Mais c’est une chose à apprendre comme on apprend les mathématiques ou le piano ! On n’apprend pas ça comme ça ! Il ne suffit pas de s’asseoir avec les bras croisés ou les jambes croisées pour méditer. Il faut apprendre à méditer. Partout on a donné toutes sortes de règles sur ce qu’il fallait faire pour pouvoir méditer.

Si, quand on était tout petit et que... l’on vous apprend, par exemple, à vous asseoir accroupi; si l’on vous apprenait en même temps à ne pas penser, ou à rester bien tranquille, ou à vous concentrer, ou à rassembler vos pensées ou... toutes sortes de choses qu’il faut apprendre à faire, comme méditer; si, tout petit et en même temps que l’on vous apprend à vous tenir debout, par exemple, et à marcher ou à vous asseoir, ou même à manger (on vous apprend beaucoup de choses, mais vous ne vous en apercevez pas, parce qu’on vous les apprend quand vous êtes tout petit), si on vous apprenait à méditer aussi, alors spontanément, plus tard, vous pourriez, le jour où vous le décidez, vous asseoir et méditer. Mais on ne vous l’apprend pas. On ne vous apprend absolument rien de ce genre. D’ailleurs, généralement, on vous apprend très peu de choses — on ne vous apprend même pas à dormir. On s’imagine qu’il n’y a qu’à rester couché dans son lit et qu’ensuite on dort. Mais ce n’est pas vrai! Il faut apprendre à dormir comme il faut apprendre à manger, comme il faut apprendre à faire n’importe quoi. Et si on n’apprend pas, eh bien, on le fait mal ! Ou on prend des années et des années à apprendre à le faire, et pendant toutes ces années où on le fait mal, il vous arrive toutes sortes de choses désagréables. Et c’est seulement après avoir souffert beaucoup, vous être trompé beaucoup, avoir fait beaucoup de bêtises, que, petit à petit, quand vous êtes vieux et que vous avez des cheveux blancs, vous commencez à savoir faire quelque chose. Mais si, quand on était tout petit, les parents ou les gens qui s’occupent de vous prenaient la peine de vous apprendre à faire ce que vous faites, à le faire convenablement, comme il faut, d’une bonne manière, alors cela vous éviterait toutes... toutes ces fautes que vous faites pendant des années. Et non seulement vous faites des fautes, mais personne ne vous dit que ce sont des fautes! et alors vous vous étonnez quand vous tombez malade, quand vous êtes fatigué, quand vous ne savez pas faire ce que vous voulez faire et qu’on ne vous a jamais appris. Il y a des enfants à qui l’on n’apprend rien, et alors il leur faut des années, des années, des années pour apprendre la plus simple chose, même les choses les plus élémentaires : à être propres.

Il est vrai que, la plupart du temps, les parents ne l’enseignent pas, parce qu’ils ne le savent pas eux-mêmes! parce qu’ils n’ont pas eu, eux aussi, quelqu’un pour leur apprendre. Alors ils ne savent pas... ils ont tâtonné toute leur vie pour apprendre à vivre. Et alors naturellement ils ne sont pas en état de vous apprendre à vivre, parce qu’ils ne le savent pas eux-mêmes! Si on vous laisse, n’est-ce pas, à vous-même, il faut des années, des années d’expériences pour apprendre la chose la plus simple, et encore il faut que vous y songiez. Si vous n’y songez pas, vous n’apprendrez jamais.

Vivre de la bonne manière est un art très difficile, et à moins qu’on ne commence à l’étudier et à faire des efforts tout petit, on ne sait jamais très bien. Simplement l’art de garder son corps en bonne santé, son esprit tranquille et une bonne volonté dans son cœur — qui sont des choses indispensables pour vivre décemment (je ne dis pas bien, je ne dis pas remarquablement, je dis seulement décemment), eh bien, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gens qui prennent le souci d’apprendre cela à leurs enfants!

C’est tout? Douce Mère, est-ce que nous devons faire quelque autre travail en dehors des études?

Quelque autre travail? Cela dépend de vous. Ça dépend de chacun et ça dépend de ce que l’on veut. Si vous voulez faire la sâdhanâ, il est évident qu’il faut avoir, au moins partiellement, une occupation qui ne soit pas égoïste, c’est-à-dire qui ne soit pas faite pour soi-même seul. L’étude, c’est très bien — c’est très nécessaire, c’est tout à fait indispensable même, justement cela fait partie des choses dont je parlais tout à l’heure, qu’il faut apprendre quand on est petit, parce que quand on est grand, cela devient beaucoup plus difficile; mais il y a un âge où on peut avoir la base d’étude indispensable et où, si l’on veut commencer à faire la sâdhanâ, il faut faire quelque chose qui n’ait pas un mobile exclusivement personnel. Il faut faire quelque chose qui soit un peu désintéressé, parce que si vous êtes exclusivement occupé de vous-même, alors vous êtes enfermé dans une sorte de carapace et vous n’êtes pas ouvert aux forces universelles. Un petit mouvement, une petite action désintéressée qui ne soit pas faite dans un but égoïste, ouvre une porte sur quelque chose d’autre que sa petite personne, toute petite.

On est généralement enfermé dans une coquille et on ne s’aperçoit des autres coquilles que quand il y a un choc ou une friction. Mais la conscience de la Force qui circule, de l’interdépendance des êtres, cela, c’est une chose très rare. C’est l’une des étapes indispensables de la sâdhanâ.

Mère, est-ce qu’on ne peut pas étudier pour le Divin?

Ça veut dire?

On peut étudier pour le Divin et pas pour soi-même, se préparer pour l’Œuvre divine?

Oui, si vous faites l’étude avec le sentiment de vous développer pour devenir des instruments. Mais vraiment, c’est fait dans un esprit très différent, n’est-ce pas, très différent. Pour commencer, il n’y a plus de sujets qui vous plaisent ou de sujets qui ne vous plaisent pas, il n’y a plus de choses qui vous ennuient et de classes qui ne vous ennuient pas, il n’y a plus de choses difficiles et de choses qui ne soient pas difficiles, il n’y a plus de professeurs qui soient agréables et plus de professeurs qui ne le soient pas — tout cela, ça disparaît immédiatement. On se met dans un état où, quoi que ce soit qui arrive, on le prend comme une occasion d’apprendre pour se préparer à l’Œuvre divine, et tout devient intéressant. Naturellement, si on fait cela, c’est tout à fait très bien.

Ce que vous avez dit dans le Bulletin, « éduquer le mental », cela veut dire qu’on s’éduque pour cela, on vit et on étudie pour le Divin. Alors est-ce que ce n’est pas un travail pour le Divin?

Oui, oui, oui. C’est très bien si c’est dans ce but-là. Mais il faut que ce soit dans ce but-là ! Par exemple, quand on veut comprendre les lois profondes de la vie, quand on veut être prêt à recevoir n’importe quel message que le Divin vous envoie, si l’on veut pouvoir pénétrer les secrets de la Manifestation, tout cela demande une mentalité développée, alors on étudie avec cette volonté-là. Mais on n’a plus besoin de faire un choix pour étudier, parce que tout et n’importe quoi, la moindre petite circonstance dans l’existence est le professeur qui peut vous apprendre quelque chose, qui peut vous apprendre à penser et à agir. Même (je l’ai dit, je crois, justement), même la réflexion d’un enfant ignorant peut vous aider à comprendre quelque chose que vous ne comprenez pas. Votre attitude est tellement différente! C’est toujours une attitude qui est dans l’attente d’une découverte, d’une occasion de progrès, d’une rectification d’un faux mouvement, d’un pas en avant, et alors c’est comme un aimant qui attire de partout l’occasion de faire ce progrès. Les moindres choses peuvent vous enseigner un progrès. Comme vous avez la conscience et la volonté de progrès, tout devient une occasion, et vous projetez cette conscience et cette volonté de progrès sur toutes choses.

Et non seulement c’est utile pour vous, mais c’est utile pour tous ceux qui vous entourent, avec qui vous avez un contact.

Prenons simplement une question de classe, n’est-ce pas, la classe à l’école. De même qu’un enfant indiscipliné, désobéissant et de mauvaise volonté peut désorganiser la classe (et c’est pour cela que, quelquefois, on est obligé de le mettre dehors, parce que simplement par sa présence il peut désorganiser complètement la classe), de même, s’il y a un élève qui a l’attitude absolument propre, la volonté d’apprendre en tout, qui fait que pas un mot n’est prononcé, pas un geste n’est fait qui ne soit pour lui l’occasion d’apprendre quelque chose, sa présence peut avoir l’effet opposé et aider la classe à s’élever dans l’éducation. Si, consciemment, il est dans cet état d’intensité d’aspiration pour apprendre et pour se corriger, il communique cela aux autres... Il est vrai que, dans l’état actuel des choses, le mauvais exemple est beaucoup plus contagieux que le bon! il est beaucoup plus facile de suivre le mauvais exemple que le bon, mais le bon aussi est utile, et une classe avec un vrai élève qui n’est là que parce qu’il veut apprendre et qu’il veut s’appliquer, qui est profondément intéressé par toute occasion d’apprendre, cela crée une atmosphère solide.

Vous pouvez aider!

Mère, pourquoi ici, dans le travail, certaines personnes se permettent-elles de satisfaire leurs fantaisies et ainsi beaucoup d’argent est gaspillé?

Il n’y a pas que l’argent qui soit gaspillé!

L’Énergie, la Conscience est infiniment, mille fois plus gaspillée que l’argent. S’il ne devait pas y avoir de gaspillage, ma foi, je crois qu’il ne pourrait pas y avoir l’Ashram. Il n’y a pas de seconde où il n’y ait un gaspillage — il y a quelquefois pire que ça. Il y a cette habitude (qui est très peu consciente, je l’espère) d’absorber autant d’Énergie et autant de Conscience que l’on peut, et de s’en servir pour ses satisfactions personnelles. Ça, c’est une chose qui se passe à chaque minute. Si toute l’Énergie, toute la Conscience qui est constamment répandue sur vous tous était utilisée pour les fins véritables, c’est-àdire pour l’Œuvre divine et pour la préparation à l’Œuvre divine, nous serions déjà très loin sur le chemin, beaucoup plus loin que nous le sommes. Mais chacun, plus ou moins consciemment, et en tout cas instinctivement, absorbe autant de Conscience et autant d’Énergie qu’il le peut, et dès qu’il sent cette Énergie en lui, il s’en sert pour des fins personnelles, sa satisfaction.

Qui pense que toute cette Force qui est là, qui est infiniment plus grande, infiniment plus précieuse que toutes les forces de l’argent, cette Force qui est là et qui est donnée consciemment, constamment, avec une persévérance et une patience sans fin, seulement dans un seul but, celui de réaliser l’Œuvre divine — qui est-ce qui pense à ne pas la gaspiller? Qui est-ce qui se rend compte que c’est un devoir sacré de faire des progrès, de se préparer à mieux comprendre et à mieux vivre? Parce qu’on vit par l’Énergie divine, on vit par la Conscience divine et qu’on s’en sert pour des fins personnelles, égoïstes.

On est choqué quand il y a quelques milliers de roupies qui sont gaspillées, mais on n’est pas choqué quand il y a des... des flots de Conscience et d’Énergie qui sont détournés de leurs fins véritables!

Si on veut faire une Œuvre divine sur la terre, il faut venir avec des tonnes de patience et d’endurance. Il faut savoir vivre dans l’éternité et attendre que la conscience s’éveille en chacun — la conscience de ce que c’est que la vraie honnêteté.

Le 9 juin 1954

En raison de la pluie, la classe a lieu dans la salle de gymnastique. Mère lit Les Éléments du Yoga, chapitre XI, « La Transformation », qui se termine ainsi :

« Q : Quand un sâdhak a des rêves qui signifient quelque vérité spirituelle, est-ce un signe que sa nature se transforme?

R : Pas nécessairement. C’est un signe qu’il est plus conscient que les gens ordinaires, mais les rêves ne transforment pas la nature. »

Si vous lisez un livre, ça vous aidera à vous transformer. Mais ce n’est pas le livre qui vous transformera.

Le rêve est une indication, il vous donne l’exacte image de ce qui se passe en vous, de l’état dans lequel vous êtes, de l’état de votre entourage, et avec cette indication vous pouvez faire le travail nécessaire pour vous transformer. Mais ce n’est pas le rêve qui vous transformera.

Maintenant... on dit toujours la même chose... Il y a une différence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Je pourrais vous lire cent fois cette phrase; il y a des phrases là, n’est-ce pas, je vous ai dit ça si souvent, si souvent... et Sri Aurobindo le dit si clairement, n’est-ce pas... Quelles sont ces choses? (Mère feuillette le livre) Je vais vous les redire, je vous les redirai cent fois, mais à moins que vous ne décidiez que vous avez... (À cet instant se produit un bruit, un claquement dans le magnétophone, et Mère dit en riant) C’est nous qui faisons des éclairs maintenant! (rires) Ah! Où est-ce? (À un enfant) Tu sais? (Mère continue à tourner les pages) Voilà : « ... le mental qui s’accroche à ses propres idées »! Hein! Combien de fois vous ai-je dit ça ? « ... le vital qui préfère ses propres désirs »! Et puis le mental qui devient le complice du vital, et qui donne des explications admirables pour conserver les désirs en donnant des raisons, des explications et des légitimations aussi; et tout cela, ce sont des choses très utiles. J’ai entendu des gens qui disaient que la meilleure façon de se guérir des désirs, c’est de les satisfaire. Ils en font une théorie. Vous continuez à satisfaire vos désirs et puis, naturellement, vous en avez d’autres, parce que les désirs, l’un remplace l’autre très facilement, et vous continuez à satisfaire les nouveaux désirs avec l’idée que vous allez vous guérir. Ça vous prendra au moins une centaine d’existences!

Et puis finalement, les habitudes!... Il y a une phrase charmante — je l’ai appréciée pleinement —, où on lui demande : que veut dire « l’être physique qui adhère à ses propres habitudes »? Quelles sont les habitudes du physique dont il faut se défaire? C’est cette ter-rible, ef-froy-able préférence pour la nourriture à laquelle vous étiez habitué quand vous étiez tout petit, celle que l’on a mangée dans le pays où l’on est né, et cette nourriture, quand on ne l’a plus, on a l’impression qu’on n’a plus rien à manger, qu’on est misérable!

Je ne sais pas, je crois qu’il n’y aurait pas une douzaine de personnes ici, qui sont arrivées à l’Ashram et qui ont mangé la nourriture de l’Ashram sans dire : « Oh! je ne suis pas habitué à cette nourriture. C’est très difficile. » Et combien, combien de centaines de gens qui préparent leur propre nourriture, parce qu’ils ne peuvent pas manger la nourriture de l’Ashram! (Mère pose le livre avec force) Et puis, ils légitiment cela. Voilà, c’est là que les idées viennent, et qu’ils disent : « Ma santé! Je ne peux pas digérer! » Tout cela, c’est dans leur tête! Il n’y a pas un mot de vrai! Pas un mot de vrai! C’est un mensonge perpétuel dans lequel tout le monde vit, et pour cela je peux vous dire mon avis : vous n’avez pas fait un progrès sur la masse de l’humanité!

Je fais une exception pour les très, très, très rares qui ne sont pas comme ça ; on pourrait les compter sur les doigts. Et tous, ils légitiment ça, tous, tous : « Oh, mes pauvres enfants! Ils n’étaient pas habitués à manger cette nourriture. Comment pourrons-nous faire? » Ils vont mourir parce qu’ils ont changé de nourriture! Eh bien, moi, je donne un remède pour ça. Vous prenez un bateau, vous prenez un train et vous faites le tour du monde plusieurs fois, vous vous obligez à manger dans chaque pays la nourriture du pays. Et quand vous aurez fait cela plusieurs fois, vous comprendrez votre stupidité!... C’est une stupidité. Un tamas effroyable! On est lié là, comme ça (geste), à ses habitudes stomacales!

Maintenant j’ai dit ce que j’avais sur le cœur! Vous pouvez poser des questions!

(silence)

Pas de questions?

Mère, tu as dit dans Prières et Méditations : ce qui doit arriver arrivera ; alors pourquoi faire des efforts personnels?

« Ce qui doit arriver arrivera »? Tu sais ce que je voulais dire? Qu’il y a eu des prophéties depuis le commencement du monde, qu’il y aurait une nouvelle terre et une nouvelle race humaine, et que le Divin serait manifesté sur la terre. Et alors, moi, je vous dis : ce qui doit arriver arrivera ; ce qui a été prédit se réalisera. Voilà, c’est cela, ce n’est pas cette petite explication tout à fait terre à terre, surtout pas!

(Après un silence) Personne n’a de questions? J’ai écrasé vos questions d’un seul coup! (rires)

Douce Mère, ceux qui avaient fait cette prophétie, est-ce qu’ils, est-ce qu’ils...

Ce sont les mêmes qui la réaliseront, mon enfant! Ce sont ceux qui l’ont faite qui la réaliseront et qui y travaillent depuis des siècles! Et puis?

Mais je voulais dire, est-ce qu’ils avaient la même vision que Sri Aurobindo ? Le Supramental?

Si tu avais compris les mots que je t’ai dits, tu n’aurais pas posé la question!

C’est tout? Nous sommes à l’abri, il ne pleut pas... tout à fait confortables! Cela n’éveille pas votre désir de savoir quelque chose? Ou vous avez peur d’une autre rebuffade? (rires)

Quel est le travail de l’être psychique?

Quel est le travail de l’être psychique? Tu veux qu’il ait un travail? Qu’est-ce que tu veux dire exactement? Quelle est sa fonction? Ah! Eh bien, on pourrait dire comme cela : c’est comme le fil électrique qui relie le générateur à la lampe. Maintenant si quelqu’un a compris, qu’il m’explique ce que je dis!

Quel est le générateur et quelle est la lampe? (rires)

Ah, voilà ! Alors, quel est le générateur et quelle est la lampe? C’est justement ça ! quel est le générateur, quelle est la lampe? Ou plutôt : qui est le générateur, qui est la lampe?

Le générateur c’est le Divin, et la lampe c’est le corps.

C’est le corps, c’est l’être visible.

Alors ça, c’est sa fonction! C’est-à-dire que s’il n’y avait pas de psychique dans la Matière, il ne pourrait pas y avoir de contact direct avec le Divin. Et c’est grâce à cette présence psychique dans la Matière que le contact peut être direct entre la Matière et le Divin, et qu’on peut dire à tous les êtres humains : vous portez le Divin au-dedans de vous, et vous n’avez qu’à rentrer au-dedans de vous et vous le trouverez. C’est une chose très spéciale à l’être humain, ou plutôt, aux habitants de la terre. Dans l’être humain, le psychique devient plus conscient, plus formé. Plus conscient, et plus indépendant aussi. Il est individualisé dans les êtres humains. Mais c’est une spécialité de la terre. C’est une infusion directe, spéciale et rédemptrice, dans la Matière la plus inconsciente et la plus obscure, pour qu’elle puisse s’éveiller de nouveau, par étapes, à la Conscience divine, à la Présence divine et finalement au Divin lui-même. C’est la présence du psychique qui fait de l’Homme un être exceptionnel — je n’aime pas beaucoup le lui dire, parce qu’il se croit déjà beaucoup trop! Il a une si haute opinion de lui-même qu’il n’est pas nécessaire de l’encourager! Mais enfin, c’est un fait — au point qu’il y a des êtres des autres domaines de l’univers, ce que certains appellent des demi-dieux et même des dieux, des êtres, par exemple, de ce que Sri Aurobindo appelle I’Overmind, qui sont très anxieux de prendre un corps physique sur la terre pour avoir l’expérience du psychique, parce qu’ils n’en ont pas. Ces êtres-là ont certainement beaucoup de qualités que les hommes n’ont pas, mais il leur manque cette Présence divine, qui est tout à fait exceptionnelle et qui est un fait de la terre et de nulle part ailleurs. Tous ces habitants des mondes supérieurs, du mental supérieur, de I’Overmind et des autres régions, n’ont pas d’être psychique. Bien entendu, les êtres du vital n’en ont pas non plus. Mais eux, ils ne le regrettent pas, ils n’en veulent pas. Il n’y a que ceux, très rares, tout à fait exceptionnels, qui veulent se convertir, et pour cela, ils font une chose immédiate, c’est de prendre un corps physique; autrement, les autres n’en veulent pas. C’est quelque chose qui les lie et les astreint à une règle dont ils ne veulent pas.

Mais c’est un fait. Par conséquent, je suis obligée de constater que c’est comme ça, que c’est une vertu exceptionnelle de l’être humain de porter en lui le psychique. Et pour dire la vérité, il n’en tire pas grand profit. Il n’a pas l’air de considérer sa vertu comme une chose très, très désirable, à la façon dont il traite cette présence — exactement cela ! Il lui préfère ses idées du mental, il lui préfère ses désirs du vital et il lui préfère ses habitudes du physique.

Je ne sais pas combien d’entre vous ont lu la Bible; ce n’est pas très amusant à lire, et puis c’est très long ; mais enfin, dans la Bible il y a une histoire qui m’a toujours beaucoup plu. Il y avait deux frères, si je ne me trompe, Ésaü et Jacob. Eh bien, Ésaü avait très faim, c’est ça l’histoire, n’est-ce pas, je crois que c’était un chasseur, ou quelqu’un... enfin l’histoire est comme ça. Il est rentré chez lui très affamé. Alors il a dit à Jacob qu’il avait très faim, et il avait tellement faim qu’il lui a dit : « Écoute, si tu me donnes ton plat de lentilles (Jacob avait préparé des lentilles), si tu me donnes ton plat de lentilles, je te donne mon droit d’aînesse. » N’est-ce pas, on peut comprendre l’histoire d’une façon tout à fait superficielle, mais cela a un sens très profond : le droit d’aînesse, c’est le droit d’être le fils de Dieu. Et alors, il était tout à fait prêt à abandonner son droit divin pour manger, parce qu’il avait faim, pour la chose concrète, matérielle! C’est une très vieille histoire, mais elle est éternellement vraie.

Demande autre chose!

Mère, l’Ashram existe depuis longtemps; et tu dis qu’on peut compter sur les doigts les gens qui ont fait quelque chose...

Non, non, je n’ai pas dit ça... (rires) Je parlais seulement de nourriture. J’ai dit, des gens qui sont arrivés ici et qui n’ont pas commencé, n’est-ce pas, ils n’ont pas... L’histoire est très amusante. Il y a des gens qui arrivent, pleins de bonne volonté — d’ailleurs je crois que je l’ai écrit dans le Bulletin quelque part —, leur bonne volonté est si débordante que quand ils arrivent, tout est parfait, y compris la nourriture. Ils la trouvent très bonne tant qu’ils sont dans leur conscience psychique. Quand ça, ça commence à descendre, alors les vieilles habitudes commencent à monter. N’est-ce pas, quand la conscience psychique descend, les vieilles habitudes remontent à la place. Et alors, ils commencent à dire : « C’est drôle! J’aimais ça, mais je ne l’aime plus. Elle est devenue mauvaise, cette nourriture! » Ça, c’est une période intermédiaire. Et puis, au bout de quelque temps, plus ou moins timidement, suivant leur caractère, ils disent : (Mère se met à parler à voix très basse) « Est-ce que je ne pourrais pas avoir ma nourriture personnelle? Parce que... je ne sais pas... mon estomac ne digère pas! » (rires) Eh bien, je dis que parmi les gens qui habitent l’Ashram, je ne sais pas... mais il y en a très, très, très peu qui n’ont pas fait cela. Et ceux qui se sont dit : « Oh, moi, ça m’est égal, la nourriture. Je mange ce que l’on me donne et je ne m’en occupe pas », ceux-là, vraiment, on peut les compter sur les doigts.

Il faut regarder la chose d’une façon très catégorique, n’est-ce pas, parce qu’il y en a qui n’ont pas osé dire, il y en a beaucoup qui n’ont rien osé dire, excepté s’ils ont un petit malaise, ou s’ils ont vraiment mal à l’estomac, ou qu’ils croient qu’ils ont mal à l’estomac, et qui vont chez le docteur. Le docteur leur dit : « Oh, essayez donc ceci, ou essayez donc cela », les choses qu’ils avaient l’habitude de manger. Le docteur commence par leur dire : « Qu’est-ce que vous mangiez avant? (rires) Est-ce que vous n’aviez pas l’habitude de prendre ça ? » (rires) Comme cela. Alors naturellement, tout de suite ils disent : « Oui, oui, oui, je crois que ça me ferait du bien! » (rires)

Alors, maintenant! (Mère regarde l’enfant qui avait posé la question)

Je voulais dire, est-ce que tous ces efforts sont vains?

Mon petit, j’espère que non! La question de nourriture est une question, je ne peux pas dire secondaire, parce qu’elle est très symptomatique, elle est tout à fait... elle se rapporte à la conscience la plus physique, et à ce point de vue-là, elle exprime très bien la condition physique. Mais enfin, ce pauvre corps... il faut être un peu patient avec lui. Ce n’est pas lui qui me décourage — si je pouvais être découragée —, c’est le vital ! Oh, oui! avec son complice le mental, ces deux fripons ensemble, qui se supportent l’un l’autre, qui s’excusent et qui vous font un tableau tellement merveilleux de vos propres difficultés pour les légitimer — ça, c’est terrible! À ce point de vue-là, Sri Aurobindo avait écrit une petite règle que pendant un certain temps nous avions mise partout. Mais je crois que ça a dû disparaître; ou bien on s’y est tellement habitué qu’on ne le regarde même plus. Il était dit : « Ne fais jamais rien que tu ne puisses faire devant la Mère; ne dis jamais rien que tu ne puisses dire devant la Mère. » Et alors, Sri Aurobindo avait ajouté : « Parce qu’en fait, elle est toujours là. » Mais les yeux physiques : « Non, non, non, elle n’est pas là... » Alors, le premier instinct, c’est de cacher. Non seulement on fait toutes les choses qu’on ne ferait pas devant moi, mais comme on ne croit pas du tout à la fin de la phrase de Sri Aurobindo — que même si je ne suis pas là physiquement, peut-être qu’après tout je sais comment sont les choses —, alors le premier instinct est de cacher; et de la minute où l’on entre sur ce chemin-là, c’est comme si l’on entrait dans les sables mouvants. On descend, on descend, on descend, ça vous prend, ça vous happe, ça vous tire en bas de telle manière que c’est très difficile de s’en sortir. De toutes les choses, c’est la pire : « Ah, pourvu que Mère ne sache pas! » Et puis alors, ça commence comme ça, et c’est fini. Eh bien, j’espère qu’il n’y en a pas beaucoup d’entre vous qui mentent, mais enfin, généralement, la fin de la courbe, c’est ça ! Et alors ça, n’est-ce pas, c’est une de ces stupidités qui n’a pas d’égale; parce que... je vais vous raconter quelque chose, parce que je peux vous le raconter impunément; même si vous ne voulez pas que ça se passe, ça se passera tout de même!

Les gens viennent pour la bénédiction, le matin... ou bien, la nuit, je fais des inspections; partout, je me promène, chez tout le monde, comme ça. Dans les deux cas, même le matin quand ils viennent recevoir une fleur, je n’ai qu’à les regarder. Il y a autour de leur tête quelque chose, et quelquefois c’est aussi clair que cela, ils disent : « Ça, c’est une chose que je ne dirai jamais. » Ils me le disent, à moi : « Jamais je ne te dirai ça et ça et ça »; n’est-ce pas, ils me le disent en me disant qu’ils ne me le diront pas! En me disant : « Je ne te le dirai pas », ils le disent.

Mère, quand on a fait quelque chose et qu’on veut te le cacher, et que l’on vient vers toi, tu as l’air de ne rien savoir. Pourquoi? (rires)

(Riant) Et j’ai l’air! J’écoute, hein? J’écoute comme si je ne savais rien, n’est-ce pas? C’est bien ça, et quelquefois je fais des « Ah! » et des « Oh! » comme si je ne savais pas, n’est-ce pas? Eh bien, mon enfant, ça, ça a une autre raison. J’ai expliqué cela déjà plusieurs fois.

Quand je vois des gens et quand je m’occupe d’eux, j’ai la volonté — je ne dis pas que c’est toujours possible, mais enfin —, j’ai la volonté de voir en eux leur être psychique, leur idéal, ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils veulent être, pour le garder, le tirer à la surface. Tout mon travail consiste à cela : ce que je vois, je le tire toujours. Et alors, quand je fais cela, à part les cas où je me rends compte que les gens sont un petit peu conscients d’eux-mêmes, je ne suis pas toujours sûre de leur degré de conscience extérieure; et quand je pose des questions, c’est pour savoir la différence entre ce dont ils sont conscients et ce que je vois; et cela, je le fais tout le temps. C’est comme si je ne savais pas, n’est-ce pas, je pose une question pour savoir : « Qu’est-ce que tu sens? qu’est-ce que tu penses? qu’est-ce que tu as éprouvé? qu’est-ce que...? » C’est pour avoir un clair tableau du degré de votre conscience.

Il y a une différence formidable entre ce que vous savez de vous et ce que je sais de vous. Ce que je sais de vous, c’est évidemment ce que vous devez être. Alors extérieurement, on voit bien comment sont les gens, mais ça, c’est un phénomène assez extérieur. Entre les deux, il y a ce domaine vital, mental, qui au point de vue humain est le plus important, et c’est là que doit se refléter en chacun la conscience de ce qu’il doit être, afin qu’il puisse le réaliser. Mais l’écart est très grand entre ce que chacun connaît de lui-même, ce qui est activement conscient en lui, et ce qu’il est dans la vérité de son être.

C’est plus difficile pour moi; ce domaine intermédiaire est un domaine très nuageux, qui pour moi est un domaine de mensonge, ce que moi j’appelle le mensonge. Il y a en anglais deux mots, «   falsehood ». Ce n’est pas mensonge dans le sens qu’on dit un mensonge, mais c’est un domaine de mensonge qui n’est pas vrai, qui n’est pas l’expression de la vérité d’un être du tout; et pourtant c’est de ça qu’il est conscient presque exclusivement. Il n’y en a que très peu qui ont la perception intérieure de ce qu’ils veulent être, de ce qu’ils veulent faire, de ce qui est la vérité de leur être. Il n’y en a pas beaucoup. Ou bien, cela vient, et puis cela se voile. Tout d’un coup on a un éclair, et puis ça s’obscurcit. Et alors, les questions que je pose, c’est toujours pour savoir quel est l’état de cette conscience superficielle, qui pour moi est quelque chose de tout à fait irréel, et qui n’est pas vrai.

Il y a une telle contradiction entre le fait brutal de l’action quotidienne, avec ce tableau que je me fais à moi-même de ce que chacun de vous doit être, et que je garde là par toute la puissance de ma conscience pour que vous puissiez le réaliser — et c’est vous-même, c’est ça, vous-même! Ce n’est pas cet être ignorant, stupide et insincère — quelquefois malhonnête — qui est le... ce que vous appelez vous-même.

Écoutez, je ne suis pas toute jeune selon la conception humaine ordinaire. J’ai un certain nombre d’années. Depuis Le ma toute petite enfance, je n’ai pas cessé d’observer. Quand j’étais toute petite, on me reprochait de ne jamais parler. C’était parce que je passais mon temps à observer. J’ai passé mon temps à observer, j’ai enregistré tout, j’ai appris tout ce que je pouvais apprendre, je n’ai pas cessé d’apprendre. Eh bien, j’ai encore des surprises. Tout d’un coup, je me trouve devant des mouvements tellement tortillés, insincères et obscurs que je me dis : « Ce n’est pas possible, ça existe, ça ? » Enfin, des choses qui m’arrivent encore, hier et avant-hier : « Ce n’est pas possible! Dans le monde ça se passe comme ça ? » Et pourtant, j’ai vu une quantité considérable de gens, j’ai commencé à m’occuper des gens toute petite, j’ai vu beaucoup de pays, j’ai fait ce que je recommande aux autres : dans chaque pays j’ai vécu la vie du pays pour bien la comprendre, et il n’y a rien qui m’ait intéressé autant dans mon être extérieur que d’apprendre.

Eh bien, encore maintenant, j’ai l’impression que je ne sais rien. Il peut se passer dans ce monde et dans la conscience humaine des choses qui me dépassent; je ne comprends pas comment c’est possible! Pour moi, ça me fait l’impression, quand on est bien tordu comme ça, de façon que ce soit méconnaissable — et c’est ça l’impression que j’ai toujours —, que cette Conscience de Vérité qui essaye de se manifester, elle est prise et elle est complètement déformée. Et comment on réussit cela, ça, je n’ai pas encore compris; comment peut-on arriver à ce point-là !

Voilà, ce n’est pas pour vous décourager, c’est pour vous dire que c’est pour cela que quelquefois je pose des questions. Même à un petit bébé je peux poser des questions. J’ai toujours l’impression qu’on peut apprendre quelque chose, toujours. Il y a encore autre chose. Il y a toutes les choses que je vois, et je vous ai dit, n’est-ce pas, je fais des inspections la nuit pendant que les autres dorment. C’est très commode pour moi, parce que, comme ça, on est bien ce que l’on est. Eh bien, je me promène, je fais des inspections et je vois toutes sortes de choses. Vous pouvez vous l’imaginer! Mais chaque fois que cela m’est possible, je pose des questions, beaucoup de questions, pour contrôler ce que j’ai vu. J’ai des années, des années, des années, des années de ce travail, j’ai commencé à travailler la nuit, comme ça, consciemment, c’était à peu près en 1904, c’est-à-dire il y a cinquante ans de cela, et je n’ai pas arrêté. Eh bien, encore maintenant, pour être sûre de ce que je vois, je pose toujours des questions matérielles, pour contrôler, et jamais je ne sais (le magnétophone se met à faire un grand bruit, ce qui attire l’attention de Mère, et elle demande : « Fini? Il n’en veut plus? », puis elle continue), jamais je n’ai cette espèce d’assurance que les gens ont généralement de croire qu’ils savent, qu’ils ne peuvent pas se tromper, et que c’est une affaire entendue.

Le monde est une chose en perpétuelle transformation. Même si je vivais mille ans et davantage sur la terre, je continuerais à apprendre sans m’arrêter, et je suis sûre que j’apprendrais toujours quelque chose de nouveau, parce que ce qui était vrai hier ne l’est plus tant aujourd’hui, et que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain, parce que le monde est en perpétuel changement. Par conséquent, on a perpétuellement à apprendre. Et après tout, je ne sais pas si ce n’est pas cela la raison du monde, une objectivation de soi afin de se connaître dans tous ses détails; il y a beaucoup de détails, ça peut durer très longtemps, et ils sont inattendus!

Voilà, c’est fini, le rouleau? Parce qu’on peut finir aussi, maintenant. Il est tard.

Bonne nuit!

Le 16 juin 1954

Mère lit Les Éléments du Yoga, chapitre XII, « Les Difficultés et le Progrès ».

« Q : Est-ce que nos pensées (bonnes ou mauvaises) concernant les autres les affectent d’une manière quelconque?

R : Oui, il y a une influence.

Q : Est-il possible que les désirs, les doutes, etc., d’une personne puissent passer à une autre?

R : Tout peut passer de l’une à l’autre. Cela arrive tout le temps à travers le monde entier. »

Qui a des questions?

Douce Mère, pourquoi ne reçoit-on pas le Divin comme on reçoit les autres choses?

Qu’est-ce que tu entends par « autres choses »?

La question n’est pas très bien posée. Est-ce que tu veux dire... On parle ici des influences qui passent de l’un à l’autre — c’est ça que tu veux dire? Pourquoi l’on ne reçoit pas le Divin, par exemple, aussi facilement que l’on reçoit la mauvaise volonté de son voisin? C’est ça ?

Parce que ce n’est pas sur le même plan. La mauvaise volonté du voisin ou la bonne volonté du voisin sont sur le même plan, tandis que le Divin appartient à un autre monde. C’est pour cela. Si vous voulez une image : tout ce qui est sur un plan horizontal par rapport à vous, c’est très facile à recevoir; mais tout ce qui vient d’un point vertical, c’est beaucoup plus difficile. Il faut d’abord regarder en haut, au-dedans de soi, et puis s’ouvrir de façon que cela descende; tandis que comme ça... on bouge comme ça, tout le temps... Comprends pas?

Et malheureusement, il est beaucoup plus facile de glisser, de tomber, que de grimper. Il est beaucoup plus facile de répondre à une influence qui vous tire en bas que de répondre à une force qui vous tire en haut. Ce n’est pas plus facile de descendre que de grimper? Si tu es comme ça, et que tu as à grimper un rocher, c’est beaucoup plus difficile que si tu te laisses glisser pour descendre. Non?

Douce Mère, quand on réalise le Divin, alors, on n’a plus d’ennemis?

Ah, par exemple! Pourquoi? Je crois que c’est plutôt le contraire.

C’est parce qu’il y a des forces adverses?

Mais oui. La terre est remplie de forces adverses, et d’hommes qui répondent à ces forces adverses; généralement, plus on réalise le Divin, plus on a d’ennemis autour de soi.

Est-ce qu’ils agissent contre le Divin?

Oh, oui! Ils essayent en tout cas. Je ne sais pas s’ils réussissent, mais ils essayent. Ils essayent, ils ont toujours essayé.

Pourquoi? Le Divin n’a fait de mal à personne!

(Riant) Tu crois qu’on agit contre des gens seulement quand ils ont fait du mal? C’est généralement le contraire. Veux-tu me dire pourquoi les gens forts usent de leur force contre les gens faibles? Ce n’est pas que les gens faibles leur ont fait du mal, mais simplement parce qu’ils ont de la force, et qu’alors ils veulent s’en servir pour leurs propres fins et qu’ils veulent contraindre les gens faibles d’obéir à leur force; alors ils les battent; quand ils ont l’occasion, ils les maltraitent. Ce n’est pas parce que les gens faibles ont fait des erreurs, c’est parce qu’ils veulent utiliser leur force pour leurs propres fins, pour la satisfaction de leurs désirs.

Admets, par exemple, qu’il y a dans l’univers des forces qui ont l’habitude de gouverner, comme il y a certaines forces âsouriques qui gouvernent la terre. Ils ne veulent pas perdre leur autorité. Alors tous ceux qui manifestent une force qui pourrait les contraindre à se retirer, ils se jettent dessus avec autant de puissance qu’ils en ont. Ça, c’est pour garder leur pouvoir... Mais ce n’est pas parce que ces gens... au fond, n’est-ce pas, ce n’est pas parce qu’ils sont méchants, ou qu’ils sont mauvais, c’est parce que la lumière et la puissance qu’ils représentent sont en contradiction avec la force que représentent ces autres forces.

Mère, on dit qu’il y a du Divin même dans les asuras.

Naturellement!

Alors, quand le Divin se bat contre l’asura, que fait le Divin qui est dans l’asura ?

Il rentre dans le Divin. On vous a raconté. Il est réabsorbé par le Divin, comme dans le Râmâyana 12 ; cette histoire est tout à fait vraie, dans ce sens-là.

Si le Divin se retirait de l’asura, l’asura se dissoudrait, non? le Divin qui est dans l’asura ?

Je connais des gens qui ont rejeté leur être psychique, et qui continuent à exister; et pourtant, il semblerait, logiquement, qu’un être humain sans être psychique doit mourir, et pourtant ils continuent à vivre. Et, n’est-ce pas, il faudrait peut-être, pour arriver à dissoudre ces forces âsouriques dans le monde, il faudrait peut-être que le Divin ramène toute sa création à Lui, parce qu’elles sont à l’origine de la création.

Alors, la transformation ne peut avoir lieu que si le Divin se ramène au Divin?

Ça, c’est le pralaya ! Ce n’est pas la transformation, c’est la dissolution de la Terre. On dit qu’il y a eu six créations, c’est-àdire, six extériorisations de l’univers, et que six fois cet univers est rentré — on en parle, n’est-ce pas, dans les Écritures —, est rentré dans le Divin. Mais on dit que c’est la fin. C’est évidemment une fin, mais ce n’est pas un accomplissement. C’est parce qu’il manquait quelque chose à la création et qu’il fallait la retirer, et la refaire. Et on dit que notre création présente est la septième, et qu’étant la septième, elle est la bonne, c’est-à-dire qu’elle est finale, et qu’elle ne sera plus retirée, qu’elle ira se transformant, et se perfectionnant de plus en plus, de façon à ne pas avoir besoin de se retirer.

Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’on dit?

Nous verrons ça !

Mais les six dernières fois, est-ce que c’est arrivé?

Les six « premières », oui, c’est vrai. On donne même l’ordre dans lequel... Parce que chaque création est faite sur attributs, et on donne l’ordre de ces attributs. Je les connais, j’ai écrit cela quelque part. Mais je ne l’ai pas devant moi. Alors je ne peux pas vous le donner, je me tromperais. Mais un jour je pourrai vous apporter le papier sur lequel c’est écrit. Tout ce que je sais, c’est que cette fois-ci c’est la création basée sur l’équilibre. Mais un équilibre particulier, parce que c’est un équilibre progressif. Ce n’est pas un équilibre statique. L’attribut de cette présente création, c’est l’équilibre. C’est pour cela qu’on dit que, dans cette création, si chaque chose se trouve exactement à sa place, dans un équilibre parfait, eh bien, il n’y a plus de mal. Qu’est-ce que le mal? Ce sont les choses qui ne sont pas en équilibre. Il n’y a rien qui soit mal en soi, c’est seulement la position qui est mauvaise, qui n’est pas dans une vraie position.

Alors quelle est la position des asuras?

D’être retournés dans le Divin. Il y avait quatre grands asuras. Sur les quatre, deux sont convertis. Ils sont en train de prendre part à l’Œuvre divine. Les deux autres tiennent bon. Combien de temps ils tiendront? On verra. Alors ils ont le choix entre se convertir, c’est-à-dire prendre leur place, équilibrés, dans l’ensemble, ou bien être dissous, c’est-à-dire, être réabsorbés par leur Origine.

Il y en a un qui a presque fait une tentative de conversion, et il n’a pas réussi. Quand il a fallu le faire, ça lui a paru tout à fait désagréable. Alors il a remis ça à une autre fois.

Quant à l’autre, il refuse d’essayer. Il a pris une position très, très importante dans le monde, parce que les gens qui ne savent pas l’appellent le « Seigneur des Nations ». (Justement, je parlais tout à l’heure des forces qui gouvernent le monde et qui ne veulent pas du tout abandonner leur gouvernement. Elles sont parfaitement satisfaites comme ça.) Ce n’est pas qu’il ne sait pas que sa fin viendra un jour, mais enfin, il repousse toujours autant qu’il peut.

Mais comme ils ne sont pas à la dimension humaine, ça peut être assez long, n’est-ce pas. Tant qu’ils trouveront quelque part sur la terre une conscience humaine prête à répondre à leur influence, ils resteront. Alors vous voyez d’ici le problème! Maintenant ce n’est pas par l’individu, c’est par les nations qu’ils mènent leur influence.

Quelles sont ces deux forces qui sont déjà converties?

Vous connaissez les quatre asuras?

Non, je ne les connais pas.

Vous savez quelle est l’origine de ces quatre asuras? (À un autre enfant) Qui est-ce qui sait cela ?

Tu avais dit ça une fois en classe.

Mais oui, c’est justement pour cela que je vous le demande, pour savoir si vous vous rappelez les choses que je vous dis.

Tu as dit qu’il y avait quatre forces divines : l’Amour, la Lumière, la Vérité et l’opposé de la Mort.

Et quoi?

(Un autre enfant, en riant) La Vie!

Ah!

... Puis ces quatre forces se sont séparées du Divin et se sont changées en Mensonge...

Oui, c’est quelque chose comme ça, c’est quelque chose comme ça...

La Lumière ou Conscience, l’Ânanda ou Amour, la Vie, et la Vérité.

Alors, la Lumière ou Conscience est devenue l’Obscurité et l’Inconscience. L’Amour et l’Ânanda sont devenus la Haine et la Souffrance, et la Vérité est devenue le Mensonge, et la Vie est devenue la Mort. Eh bien, ce sont les deux premiers — mais pas exactement dans les mêmes conditions. Le premier est converti et travaille, mais il a refusé de prendre un corps humain, il dit que c’est une limitation dans son travail; peut-être qu’un jour il en prendra un, mais pour le moment il a refusé. Le second s’est converti et s’est dissous, volontairement. Il s’est dissous dans son Origine. Et les deux derniers tiennent bon.

Celui de la Mort a essayé une incarnation. Mais il n’a pas pu se convertir. Il a essayé une incarnation, ce qui est une chose très rare. Mais c’était une incarnation partielle, pas totale. C’est difficile, pour eux, une incarnation totale. Les corps humains sont tout petits, les consciences humaines sont trop petites.

Quant à l’autre, il a des émanations qui sont très actives dans certains corps humains, et qui ont joué de grands rôles dans l’histoire moderne de la Terre!

Les asuras ne se querellent pas entre eux ?

Oh oui, oh oui! de même que les hommes qui sont sous les influences âsouriques. Ce sont les pires ennemis entre eux. Il faut dire que c’est une bénédiction, parce que s’ils s’entendaient, les choses seraient beaucoup plus difficiles. C’est peutêtre justement parce que c’est une loi d’équilibre qui gouverne le monde. C’est pour diminuer la puissance de leur influence. Mais enfin...

Ce Seigneur du Mensonge, il a vraiment beaucoup d’influence. C’est cela qui s’attrape avec une contagion aussi grande que les maladies contagieuses. Plus grande encore!

Douce Mère, le Mensonge n’a pas essayé de s’incarner?

Il a envoyé des émanations sur la terre, mais je ne crois pas que c’était dans un but de conversion. En tout cas, il n’y a pas réussi.

Mais pourquoi l’homme est-il un centre d’attraction pour les forces adverses? Il est si limité!

Oui! Aussi ils ne s’adressent pas à un homme généralement. Mais ils essayent de prendre possession de l’atmosphère terrestre, n’est-ce pas, et sans prendre possession des hommes, l’on ne peut pas prendre possession de l’atmosphère terrestre, parce que c’est dans l’homme que se manifeste la plus haute force terrestre. Quant à prendre un corps d’homme pour les conversions, ça, c’est tout à fait... la réponse est tout à fait simple. C’est parce que dans l’homme il y a un être psychique, et qu’il n’y a pas d’asura qui puisse résister éternellement à l’influence de l’être psychique, même s’il résiste autant qu’il peut à se soumettre, à se lier étroitement. Justement, c’est ce qui est la contradiction de leur existence.

Douce Mère, Sri Aurobindo a dit qu’on peut passer de l’amour humain à l’Amour divin...

Il parlait de l’amour humain se manifestant comme bhakti, comme force de dévotion pour le Divin, et il dit au début : votre amour pour le Divin est un amour très humain, avec toutes les caractéristiques de l’amour humain. Il décrit cela très bien, d’ailleurs; mais il n’est pas impossible, si vous persistez et que vous faites les efforts nécessaires, que cet amour humain se transforme en Amour divin par identification avec ce que vous aimez. Il n’a pas dit que l’amour entre deux personnes peut se changer en Amour divin. Ce n’est pas du tout ça ! Il a toujours dit le contraire. Il a parlé de quelqu’un qui l’interrogeait, n’est-ce pas, au sujet de la dévotion, de l’amour du sâdhak pour le Divin. « Au début votre amour est tout à fait humain », et il en a parlé même comme d’un marchandage commercial. « Si vous faites des progrès, votre amour se changera en Amour divin, en dévotion véritable. »

Pourquoi a-t-on quelquefois une préférence particulière pour un chapitre quelconque, par exemple sur la sincérité ou l’aspiration?

Tu veux dire un désir de lire? Parce qu’on a besoin probablement de ce qui est dedans! Si on a une attraction vis-à-vis de quelque chose, c’est généralement qu’on a besoin de le lire, et c’est juste la chose qu’on a besoin d’entendre qui vient à soi. On peut même utiliser ça avec un moyen tout à fait matériel, que je vous ai donné plusieurs fois. N’est-ce pas, vous vous concentrez — si vous avez une difficulté ou si vous voulez être aidé —, vous vous concentrez et puis vous mettez une marque dans un livre, et vous tombez sur la chose qui est la réponse à votre demande. Ça, c’est le moyen le plus matériel; mais si le mental est dans de bonnes dispositions, eh bien, tout naturellement, quand il lira les titres, il dira : « Oh, c’est ça que je veux lire », sans même savoir ce qu’il y a dedans, parce qu’il sentira que c’est ça qu’il faut lire pour répondre à sa question ou à son besoin.

Il y a des gens qui ont ce pouvoir-là même sans essayer de faire des progrès, et il viendra toujours quelqu’un pour leur dire, sans même savoir pourquoi, en leur donnant un livre : « Lisez donc ce livre, ça vous intéressera »; ou bien ils entreront dans une maison et ils verront sur la table un livre — c’est justement celui-là qu’ils voudront lire. Ça dépend beaucoup de l’intensité de l’aspiration intérieure. Si on est dans un état d’aspiration consciente et tout à fait sincère, eh bien, tout s’arrangera autour de vous pour vous aider dans votre aspiration, soit directement, soit indirectement, c’est-à-dire, soit pour vous faire faire un progrès, vous mettre en rapport avec quelque chose de nouveau, soit pour éliminer de votre nature quelque chose qui doit disparaître. C’est une chose tout à fait remarquable. Si on est vraiment dans un état d’intensité d’aspiration, il n’y a pas de circonstance qui ne vienne vous aider à réaliser cette aspiration. Tout vient, tout; comme si c’était une conscience parfaite et absolue qui organisait autour de vous toutes choses, et vousmême, dans votre ignorance extérieure, vous pouvez ne pas le reconnaître, et protester d’abord contre les circonstances telles qu’elles se présentent, vous plaindre, essayer de les changer; mais après quelque temps, quand vous serez devenu plus sage, et qu’il y aura un recul entre vous et l’événement, eh bien, vous vous rendrez compte que c’était justement ce qu’il vous fallait faire pour que vous fassiez le progrès nécessaire. Et n’est-ce pas, c’est une volonté, une bonne volonté suprême qui arrange autour de vous toutes choses, et même quand vous vous plaignez et que, au contraire, vous protestez, c’est justement à ces moments-là qu’elle agit de la façon la plus active.

J’ai écrit une petite phrase qui paraîtra dans le Bulletin, dans le prochain Bulletin. Elle est à peu près comme ceci... je ne me souviens plus exactement des mots... Si tu dis au Divin avec conviction : « Je ne veux que Toi », le Divin arrangera toutes les circonstances de manière à t’obliger à être sincère. Quelque chose dans l’être : « Je ne veux que Toi »... l’aspiration... et puis, on veut une centaine de choses différentes tout le temps, n’est-ce pas. Quelquefois une chose vient, justement — généralement pour tout troubler —, qui se tient sur le chemin et vous empêche de réaliser votre aspiration. Eh bien, le Divin viendra sans se montrer, sans que vous le voyiez, sans que vous vous en doutiez, et il arrangera toutes les circonstances de telle façon que toutes les choses qui vous empêchent d’être uniquement au Divin seront enlevées de votre route, inévitablement.

Alors, quand elles sont enlevées, vous commencez à hurler et à vous plaindre; puis après, si vous êtes sincère et que vous vous regardez bien droit dans les yeux... Vous avez dit au Seigneur, vous avez dit : « Je ne veux que Toi. » Il restera auprès de toi; tout le reste s’en ira. Ça, c’est une grâce supérieure. Seulement il faut le dire avec conviction. Je ne veux pas même dire qu’il faut le dire intégralement, parce que si on le dit intégralement, le travail est fait. Il faut qu’une partie de l’être, n’est-ce pas, vraiment la volonté centrale, le dise avec conviction : « Je ne veux que Toi. » Même une fois, cela suffit; tout ça, ça prend plus ou moins de temps, quelquefois cela s’étend sur des années, mais on arrive au but.

Mais on a toutes sortes d’imperfections!

Hein? Plus on a d’imperfections, plus cela prend de temps; plus on a d’attachements, plus cela prend de temps.

Mais le but est sûr.

Le 23 juin 1954

Mère lit Les Éléments du Yoga, Chapitre XIII, « La Sexualité, la Nourriture, le Sommeil ».

« Q : Est-ce que l’on contrôle mieux les sens en mangeant très peu ?

R : Non, cela les exaspère simplement — il vaut mieux prendre une quantité modérée de nourriture. Les gens qui jeûnent s’exaltent facilement et peuvent perdre leur équilibre.

Q : Si l’on prend seulement la nourriture végétarienne, est-ce une aide au contrôle des sens?

R : Cela évite quelques-unes des difficultés que rencontrent ceux qui mangent de la viande, mais cela ne suffit pas. »

Des questions?

Qu’est-ce qui arrive si on mange de la viande?

Voulez-vous que je vous raconte une histoire? Je connaissais une dame, une jeune femme suédoise, qui faisait la sâdhanâ ; et elle était habituellement végétarienne, par goût et par habitude. Un jour, elle a été invitée par des amis qui lui ont donné du poulet à manger. Elle ne voulait pas faire une histoire, elle a mangé son poulet. Mais après, dans la nuit, voilà que tout d’un coup elle se trouve dans un panier avec la tête entre deux morceaux d’osier, secouée, secouée, secouée, et se sentant malheureuse, misérable; et puis après, elle se sent la tête en bas, les pieds en l’air, et secouée, secouée, secouée... (rires) Elle se sent tout à fait misérable; et puis tout d’un coup, voilà qu’on commence à arracher des choses de son corps, et ça lui fait terriblement mal, et puis quelqu’un arrive avec un couteau et lui coupe le cou; et alors elle se réveille. Elle m’a raconté ça ; elle m’a dit que jamais elle n’avait eu un cauchemar aussi affreux, qu’elle n’avait pensé à rien avant de s’endormir, que c’était simplement la conscience de cette pauvre poule qui était entrée en elle, et qu’elle avait eu en rêve toutes les angoisses que cette pauvre poule avait eues quand elle avait été portée au marché, vendue, les plumes arrachées et le cou coupé! (rires)

Voilà ce qui arrive! C’est-à-dire que dans une proportion plus ou moins grande, vous avalez en même temps que la viande un peu de la conscience de l’animal que vous avez mangé. Ce n’est pas très grave, mais ce n’est pas toujours très agréable. Et, évidemment, ça ne vous aide pas à être plutôt du côté de l’homme que du côté de la bête! Il est évident que les hommes primitifs, ceux qui étaient encore beaucoup plus près de la bête que de l’esprit, il paraît qu’ils mangeaient de la viande crue; et ça donne beaucoup plus de force que la viande cuite. Ils tuaient la bête, ils la dépeçaient et puis ils mordaient dedans, et ils étaient très forts. Et c’est pour cela, d’ailleurs, que dans leurs intestins il y avait ce petit morceau d’appendice, qui à ce moment-là était beaucoup plus grand, et qui servait à digérer cette viande crue. Et alors, l’homme a commencé à faire de la cuisine. Il a trouvé que ça avait meilleur goût, et il a mangé la viande cuite, et, petit à petit, l’appendice est devenu plus petit, et puis il ne servait plus à rien. Alors maintenant, c’est un encombrement qui, quelquefois, est cause d’une maladie.

C’est pour vous dire que peut-être, maintenant, il est temps de changer sa nourriture et de passer à quelque chose d’un peu moins bestial ! Cela dépend absolument de l’état de conscience de chacun. Pour un homme ordinaire, vivant la vie ordinaire, ayant les activités ordinaires, ne pensant pas du tout à autre chose qu’à gagner sa vie, à se bien porter et peut-être à prendre soin de sa famille, il est bon qu’il mange de la viande, il est bon qu’il mange n’importe quoi, ce qui lui réussit, ce qui lui fait du bien.

Mais si on veut passer de cette vie ordinaire à une vie supérieure, le problème commence à avoir de l’intérêt; et si, après avoir passé à une vie supérieure on essaye de se préparer à la transformation, alors cela devient très important. Parce qu’il y a certainement des nourritures qui aident le corps à se subtiliser, et d’autres qui le maintiennent dans un état de bestialité. Mais c’est seulement à ce moment-là que c’est très important, pas avant; et avant d’être arrivé à ce moment-là, il y a beaucoup d’autres choses à faire. Il vaut certainement mieux purifier son mental, et purifier son vital, avant de songer à purifier son corps. Parce que, même si vous prenez toutes les précautions possibles et que vous vivez physiquement en ayant soin de n’absorber que ce qui aidera à subtiliser votre corps, si votre mental et votre vital restent dans des états de désir, d’inconscience, d’obscurité, de passion et de tout le reste, cela ne servira à rien du tout. Simplement votre corps deviendra faible, disloqué d’avec la vie intérieure et il tombera malade un beau matin.

Il faut commencer par le dedans, je vous ai dit ça déjà une fois. Il faut commencer par en haut, il faut d’abord purifier le haut et puis purifier le bas. Je ne dis pas qu’il faut se livrer à toutes sortes de choses dégradantes dans le corps. Ce n’est pas ça que je vous dis. Ne le prenez pas pour un conseil de manque de contrôle sur vos désirs! Ce n’est pas du tout ça. Mais je veux dire : n’essayez pas d’être un ange dans le corps si vous n’avez pas déjà été un petit peu un ange dans votre mental et votre vital; parce que ça vous disloquerait d’une façon opposée à la façon ordinaire, mais qui n’est pas meilleure. Nous avons dit l’autre jour que ce qui est tout à fait important, c’est de garder l’équilibre. Eh bien, pour garder l’équilibre, il faut que tout progresse en même temps. Il ne faut pas que vous laissiez une partie de votre être dans l’obscurité, et que vous essayiez d’amener l’autre à la lumière. Il faut prendre grand soin de ne laisser aucun coin obscur. Voilà.

Pourquoi avant était-il défendu de manger des œufs à l’Ashram? Maintenant, tu donnes des œufs!

C’était défendu de manger des œufs?

Je ne sais pas. C’est ce qu’on nous disait.

Ah, on dit beaucoup de choses, mais je ne suis pas responsable de toutes les choses qu’on dit! (rires) Je ne me souviens pas d’avoir jamais refusé un œuf à quelqu’un qui en avait besoin au point de vue de la santé. Mais si les gens viennent demander quelque chose simplement par gourmandise, pour leur plaisir, je leur refuse toujours, aussi bien maintenant qu’avant. C’est seulement, n’est-ce pas, au point de vue de la santé, de l’équilibre physique, que certaines choses sont admises. Tout est admis. Je n’ai pas refusé de viande à quelqu’un qui en avait besoin. Il y a eu des gens qui en ont mangé, parce qu’ils en avaient besoin. Mais si on vient me demander n’importe quoi, simplement pour satisfaire un désir, je dis non, quoi que ce soit, même des ice-creams! (rires)

Quand on mange l’œuf, on ne mange pas la poule dedans?

Pas encore formée, la conscience de la poule! Surtout qu’il faut prendre soin de manger l’œuf frais, avant que le poulet ne commence à être formé.

Douce Mère, si l’agonie d’une poule peut nous attaquer, de même celle d’une betterave ou d’une carotte peut aussi nous attaquer?

Je crois tout de même que la poule est plus consciente que la betterave. (rires) Mais je dois vous dire ma propre expérience. Seulement je croyais que ça, ce n’était pas courant.

À Tokyo j’avais un jardin, et dans ce jardin je cultivais des légumes moi-même. J’avais un assez grand jardin et j’avais beaucoup de légumes. Et alors, tous les matins, j’allais me promener après leur avoir donné de l’eau et tout ça ; je me promenais pour choisir quels étaient les légumes que j’allais prendre pour manger. Eh bien, figurez-vous qu’il y en avait qui me disaient : « Non, non, non, non, non... » et puis, il y en avait d’autres qui appelaient, et je les voyais de loin, et qui me disaient : « Prendsmoi, prends-moi, prends-moi! » Alors c’était très simple, j’allais chercher celles qui voulaient être prises et jamais je ne touchais à celles qui ne voulaient pas. Je pensais que c’était quelque chose d’exceptionnel. J’aimais beaucoup mes plantes, je m’en occupais, j’avais mis beaucoup de conscience dedans en les arrosant, en les nettoyant, alors je supposais qu’elles avaient peut-être une capacité spéciale.

Mais en France, c’était la même chose. J’avais aussi un jardin dans le midi de la France où je cultivais des petits pois, des radis, des carottes. Eh bien, il y en avait qui étaient contents, qui demandaient à ce qu’on les prenne et qu’on les mange, et il y en avait qui disaient : « Non, non, non, ne touchez pas, ne touchez pas! » (rires)

Pourquoi, Douce Mère, disaient-ils ça ?

Eh bien, j’ai fait l’expérience, pour savoir justement; et le résultat n’était pas toujours le même. Certaines fois, c’était vraiment que la plante n’était pas mangeable; elle n’était pas bonne, c’était dur ou c’était amer, elle n’était pas bonne à manger. D’autres fois, c’était qu’elle n’était pas prête, que c’était trop tôt; elle n’était pas mûre. En attendant un ou deux jours, un ou deux jours après, elle me disait : « Prends, prends, prends! » (rires)

Autrefois, les sages faisaient souffrir leur corps pour réaliser le Divin! Eh bien, ils n’étaient pas sages! (rires) Ça ne mène à rien du tout, qu’à un orgueil, un orgueil spirituel, c’est tout. Mais sûrement pas à la réalisation du Divin.

Mais on dit qu’ils ont fait la sâdhanâ la plus haute, et qu’ils ont réalisé ce qu’ils voulaient!

On dit... on dit beaucoup de choses.

Est-ce que les chiens ne sont pas plus fidèles que les hommes?

Certainement! Parce que c’est leur nature d’être fidèles, et qu’ils n’ont pas de complications mentales. Ce qui empêche les hommes d’être fidèles, c’est leurs complications mentales. La plupart de gens ne sont pas fidèles parce qu’ils ont peur d’être dupes. Tu ne sais pas ce que c’est d’être dupe? Ils ont peur d’être trompés, d’être exploités. Ils ont peur de... Il y a derrière leur fidélité, il y a encore un très gros égoïsme qui est plus ou moins caché, et il y a toujours ce marchandage plus ou moins conscient, du donnant-donnant : on se donne à quelqu’un, mais qu’on se le dise ou non, on attend quelque chose en échange. Vous êtes fidèle, mais vous voulez aussi qu’on vous soit fidèle, c’est-à-dire qu’on prenne soin de vous, qu’on soit bien gentil avec vous, et surtout qu’on n’essaye pas de profiter de votre fidélité. Ça, ces complications-là, ne sont pas dans le chien, parce que son mental est très rudimentaire. Il n’y a pas cette merveilleuse capacité de raisonnement qu’ont les hommes et qui leur a fait faire tant de bêtises!

Seulement, on ne peut pas retourner en arrière. On ne peut pas redevenir un chien. Alors il faut devenir un homme supérieur, et avoir la qualité du chien sur un plan supérieur. C’est-à-dire, au lieu d’être une fidélité semi-consciente, et en tout cas très instinctive, une sorte de besoin qui le lie, il faut que ce soit une fidélité voulue, consciente, et surtout au-dessus de tout égoïsme. Il y a un point où toutes les vertus se joignent : c’est un point qui dépasse l’ego.

Si nous prenons cette fidélité, si nous prenons le dévouement, si nous prenons l’amour, si nous prenons le sens du service, toutes ces choses, quand elles sont au-dessus du niveau égoïste, elles se ressemblent, en ce sens qu’elles se donnent et n’attendent rien en échange. Et si vous montez d’un degré de plus, au lieu que cela se fasse avec un sens de devoir et d’abnégation, cela se fait dans une joie intense qui porte en elle-même sa propre récompense, qui n’a besoin de rien en échange, parce qu’elle porte en elle-même sa joie. Mais alors ça, il faut être monté assez haut et ne plus avoir de ces retours sur soi qui sont de toutes les choses celles qui vous tirent le plus en bas. Cette espèce de... cette sympathie pleine de pitié pour soi-même, où l’on se cajole, on se caresse, on dit : « Pauvre moi! », ça, c’est une chose terrible, et on fait cela d’une façon si constante, sans s’en apercevoir. Le retour sur soi, une espèce de compassion pour soi-même dégradante, où on se dit d’une façon si pleine de pitié : « Personne ne me comprend! Personne ne m’aime! Personne ne s’occupe de moi comme il faudrait! » etc., et on continue... Et alors ça, c’est terrible, cela vous tire comme dans un trou immédiatement.

Il faut avoir dépassé cela de beaucoup, l’avoir laissé loin derrière soi, pour avoir vraiment la joie de la fidélité, la joie du don de soi, qui ne s’occupe pas du tout, mais pas du tout, d’aucune façon, de savoir si c’est proprement reçu et si l’on a une réponse appropriée. N’attendre rien en échange de ce que l’on fait, n’attendre rien, non pas par ascétisme ou par sens du sacrifice, mais parce qu’on a la joie de la conscience dans laquelle on se trouve et que ça, c’est suffisant, c’est beaucoup mieux que tout ce que l’on peut recevoir, de n’importe qui; mais ça, c’est une autre chose. Il y a pas mal d’échelons entre les deux.

Mère, tu avais dit que le sommeil avant minuit est le sommeil qui nous donne le plus de repos...

Physiquement, oui.

Pourquoi?

Ah! ça, je l’ai dit par expérience personnelle et alors ça... il n’y a pas de pourquoi, n’est-ce pas. Chacun doit trouver cela pour luimême, ou ne pas le trouver. Mais j’ai entendu dire par des gens qui s’occupent de la chimie terrestre, qu’il y a certains rayons — (se tournant vers Pavitra) non? dites-nous ça, vous savez ça ? —, des rayons du soleil qui sont encore actifs dans l’atmosphère jusqu’à minuit, et d’autres rayons qui deviennent actifs après, et que les uns vous donnent de la force et que les autres vous la retirent. Mais il y a beaucoup de choses qui sont comme ça ; du moins ça, vous savez, c’est quelque chose qu’on entend dire ou qu’on lit dans les livres. Je vous le donne pour ce que ça vaut, je n’en sais rien. Quelqu’un qui est très calé dans la matière pourrait vous donner une explication plus complète. (Riant) Mais il y a des choses qui sont vraies, pratiquement. Je ne veux pas dire pourquoi; peut-être que ce sont seulement des choses personnelles. Mais enfin, j’ai entendu dire aussi par d’autres une expérience analogue. Par exemple, vous allez dans la mer, vous y restez quelques minutes, vous en sortez plein de force. Vous allez dans la mer, vous y restez une heure, vous sortez éreinté! Même pour un bain chaud, c’est la même chose. Vous avez un bain chaud; vous êtes bien fatigué; vous vous trempez dedans, vous restez tout au plus une minute, vous sortez, vous êtes tout rafraîchi. Vous y restez un quart d’heure, vous sortez, vous n’avez plus de force, plus d’énergie, plus rien, vous êtes vidé.

Je vous dis, je ne peux pas vous parler d’une façon compétente de la raison, mais le fait est là. C’est comme ça. Pour moimême j’ai une explication, mais elle ne vaut que pour moi, elle ne vaut pas pour les autres. Alors elle ne sert à rien.

De ces étapes de sommeil dont il est question maintenant, si l’on est conscient de ses nuits, on peut faire cela en quelques minutes. On n’a pas besoin d’attendre des heures de sommeil pour faire cela, n’est-ce pas; si l’on est conscient, on peut en quelques minutes passer par tout ça. D’abord, la première chose, quand on est conscient de ses nuits, c’est, avant de s’endormir profondément, juste dans l’état où on commence à se détendre, où on détend tous ses nerfs — je vous ai expliqué cela déjà, on détend tous ses nerfs, et on se laisse aller... comme ça... n’est-ce pas —, eh bien, à ce moment-là, il faut détendre avec grand soin toute l’activité mentale, et laisser ça tranquille, aussi tranquille que possible, et ne vous endormir que quand votre mental est bien tranquille. Alors il y a toute une période d’excitation inutile à laquelle vous échappez, et qui est extrêmement fatigante. Si vous pouvez faire que le mental se détende et entre dans une paix complète avant de dormir, votre sommeil sera tout de suite très paisible et très rafraîchissant; bien entendu, il ne faut pas que votre vital soit en ébullition, parce qu’alors là, il vous amènera dans toutes sortes de domaines et vous fera faire toutes sortes de bêtises, et le résultat sera que vous vous réveillerez encore plus fatigué que vous vous êtes endormi.

Mais si vous êtes conscient, après avoir calmé votre vital, quand vous commencez à sortir de votre conscience physique et à entrer dans une conscience plus subtile, vous endormez votre vital, vous lui dites : « Repose-toi, tiens-toi bien tranquille », et puis vous entrez dans votre activité mentale, et vous dites au mental : « Repose-toi, reste bien tranquille », et vous l’endormez aussi; et puis vous sortez du mental dans une région supérieure, et alors là, si ça commence à vous intéresser... par exemple, si ce sont les premières fois que vous y allez, vous pouvez regarder ce qui se passe, avoir votre expérience, apprendre des choses, (quelquefois on apprend des choses très intéressantes); et puis, quelquefois aussi, on peut devenir conscient d’un certain état général, avoir des notions sur les autres gens, et sur les autres choses; c’est intéressant! Et après, si vous en avez assez vous dites : « Tiens-toi tranquille, dors, ne bouge pas », et vous endormez cela, et vous vous élevez dans une conscience encore plus haute, et ainsi de suite, jusqu’à ce que vous arriviez dans un état où vous êtes en bordure de la forme (je ne parle pas de la forme physique), en bordure de toute forme, beaucoup plus haut que la forme de pensée, naturellement; en bordure de toute forme et de toute vibration, dans le silence parfait, ce qu’ici on appelle le Satchidânanda. Et quand vous êtes là, alors tout s’arrête, toutes les vibrations se calment, et si vous restez là seulement trois minutes, vous revenez à votre corps ensuite ab-so-lu-ment reposé, rafraîchi, fortifié, comme si vous aviez dormi pendant des heures! Ça, c’est une chose qu’on peut apprendre à faire — je ne dis pas du jour au lendemain, il faut un petit peu de travail et puis d’obstination aussi, mais enfin... ça, il faut apprendre à le faire; et quand vous êtes bien tourmenté, bien fatigué, bien... par exemple, quand vous venez de subir des attaques violentes de forces adverses sous une forme ou sous une autre, et que vous êtes bien fatigué, si vous suivez ce processus consciemment, eh bien, tout cela, en quelques minutes, disparaît complètement. C’est une chose qui vaut la peine d’être apprise. Seulement il faut être très, très, très persévérant, parce que... Tenez, je vais encore là vous raconter quelque chose.

Quand j’ai commencé à travailler l’occultisme, je me suis aperçue que... quand j’ai commencé justement à m’occuper de mes nuits pour les rendre conscientes, je me suis aperçue qu’il y avait, entre le physique subtil et le vital le plus matériel, une petite région, très petite, qui n’était pas suffisamment développée pour servir de lien conscient entre les deux activités. Alors ce qui se passait dans la conscience du vital le plus matériel ne se traduisait pas exactement dans la conscience du physique le plus subtil. Il y en avait qui se perdait en route, parce que c’était comme un — pas positivement un vide, mais quelque chose qui était seulement à demi conscient, pas suffisamment développé. Je savais qu’il n’y a qu’un moyen, c’est de travailler pour le développer. J’ai commencé à travailler. Ceci se passait à peu près au mois de février, je crois. Un mois, deux mois, trois mois, quatre mois, pas de résultat. Nous continuons. Cinq mois, six mois... c’était à la fin de juillet ou au commencement d’août. Je suis partie de Paris, de la maison où j’habitais, et je suis arrivée à la campagne, un tout petit endroit, au bord de la mer, chez des amis qui avaient un jardin. Alors dans ce jardin il y avait une pelouse — vous savez ce que c’est une pelouse, n’est-ce pas? de l’herbe —, où il y avait des fleurs, et puis des arbres autour. C’était un joli endroit très tranquille, très silencieux. Je me suis couchée sur l’herbe, comme ça, à plat ventre, avec les coudes dans l’herbe, et puis tout d’un coup, toute la vie de cette nature, toute la vie de cette région entre le physique subtil et le vital le plus matériel, qui est très vivante dans les plantes et dans la nature, toute cette région est devenue subitement, soudainement, sans transition, absolument vivante, intense, consciente, merveilleuse. Et c’était le résultat, n’est-ce pas, des six mois de travail qui n’avaient rien donné. Je ne m’étais aperçue de rien; mais juste une petite condition comme ça, et le résultat est là. C’est comme le poussin dans l’œuf, hein! Il est là pendant très longtemps et on ne voit rien du tout. Et on se demande s’il y a même un poussin dans l’œuf; et puis tout d’un coup, tic ! il y a un petit trou, hein, et puis tout éclate et le poussin sort. Il est tout prêt, mais il a pris tout ce temps pour se former; c’est comme ça. Quand vous voulez préparer quelque chose audedans de vous, c’est comme ça, c’est comme le poussin dans l’œuf. Il faut très longtemps, et sans avoir le moindre résultat, ne jamais se décourager, et continuer son effort, absolument régulièrement, comme si l’on avait l’éternité devant soi, et que l’on était d’ailleurs tout à fait désintéressé du résultat. On fait le travail, parce qu’on le fait. Et puis, tout d’un coup, un jour, ça éclate et on a tout l’effet de son travail qui vous apparaît.

Mais vous comprenez, n’est-ce pas, on parle comme ça, très facilement, de devenir conscient de ses nuits, d’avoir le contrôle sur ses activités de sommeil et sur toutes sortes de choses de ce genre, mais il faut beaucoup de petits travaux comme ça, comme je viens de vous en décrire un. Il en faut beaucoup pour arriver à ce résultat. Quand l’un est fait, on s’aperçoit qu’il y en a un autre qui manque, et quand l’autre est fait, on s’aperçoit qu’il y en a encore un autre, et ainsi de suite; jusqu’à ce qu’un beau jour, on puisse faire ce que je vous ai dit, et qu’on s’en aille d’un plan à l’autre, comme ça, mettant tout en repos, jusqu’à ce que l’on sorte de toute activité et que l’on entre dans le repos suprême, consciemment. Ça vaut la peine.

Voilà !

Autre question? Non!

Fini.

Le 30 juin 1954

En raison de la pluie, la classe a lieu dans la salle de gymnastique. Mère lit Les Éléments du Yoga, le dernier chapitre, « Quelques explications ».

« Q : Quelle est la place du pouvoir occulte dans le yoga ?

R : Connaître et utiliser les forces subtiles des plans supraphysiques est une partie du yoga.

Q : Que veut dire “effort occulte” et “pouvoir occulte”?

R : Cela dépend du contexte. Généralement, cela voudrait dire le pouvoir d’utiliser les forces secrètes de la Nature et un effort fait au moyen de ces forces. Mais “occulte” peut avoir un autre sens dans un contexte différent.

Q : Est-ce que tout yogi doit passer par l’effort occulte?

R : Non, tout le monde n’en a pas la capacité. Ceux qui ne l’ont pas doivent attendre jusqu’à ce qu’elle leur soit donnée. »

Le livre est fini!

Douce Mère, Sri Aurobindo parle ici d’effort occulte et il dit que ceux qui n’ont pas ce pouvoir doivent attendre jusqu’à ce que ça leur soit donné. Est-ce qu’ils ne peuvent pas l’avoir par la pratique?

Non. C’est-à-dire que si on l’a d’une façon latente, on peut le développer par la pratique. Mais si on n’a pas de pouvoir occulte, on peut essayer pendant cinquante ans, on n’arrivera à rien du tout. Tout le monde ne peut pas avoir le pouvoir occulte. C’est comme si tu me demandais si tout le monde peut être musicien, si tout le monde peut être peintre, si tout le monde... Il y a des gens qui peuvent, et des gens qui ne peuvent pas. C’est une question de tempérament.

Quelle est la différence entre occultisme et mysticisme?

Ce n’est pas du tout la même chose.

Mysticisme, c’est une relation plus ou moins émotive avec ce que l’on sent être une Puissance divine; cette espèce de relation très émotive, très affective, très intense avec quelque chose d’invisible qui est, ou que l’on prend pour le Divin. Cela, c’est le mysticisme.

L’occultisme, c’est exactement ce qu’il a décrit : c’est la connaissance des forces invisibles et le pouvoir de les manier. C’est une science. C’est tout à fait une science. Je compare toujours l’occultisme à une chimie; parce que c’est la même connaissance que la connaissance chimique pour les choses matérielles. C’est une connaissance des forces invisibles, de leurs différentes vibrations, de leur relation entre elles, des combinaisons que l’on peut faire en les associant, et de l’action que l’on peut avoir sur elles. C’est tout à fait scientifique; et cela doit s’apprendre comme une science, c’est-à-dire que ce n’est ni dans une émotion, ni dans une chose vague et imprécise que l’on peut faire de l’occultisme. Il faut le travailler comme on travaille la chimie, et apprendre toutes les règles, ou les trouver si on n’a personne pour vous les enseigner. Mais on peut les trouver avec quelque danger. Il y a des associations qui sont aussi explosives que certaines associations chimiques.

Est-ce que dans cette vie l’occultisme est nécessaire?

Dans cette vie? Cela dépend de ce que l’on veut faire. Tu veux dire dans la vie du yoga ? Pas nécessaire. Et par-dessus le marché, comme il dit, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas doués, qui n’ont pas la faculté. Il y a des quantités de gens qui, dès qu’ils ont la moindre expérience, la moindre expérience, par exemple, ceux qui commencent à sortir un peu de leur corps, ils sont pris d’une panique, et ça, c’est très difficile à guérir. Cela peut se guérir si on a beaucoup de volonté et qu’on est très maître de soi. Mais il y a des gens qui ne peuvent pas dissocier leurs états d’être. S’ils les dissocient, il y a quelque chose qui va mal, leur corps en souffre. Tandis qu’il y en a d’autres qui sortent, qui se promènent, qui reviennent. C’est pour eux tout à fait naturel. Généralement, ceux que cela intéresse — à moins que ce ne soit simplement une sorte de curiosité mentale —, mais ceux que cela intéresse, généralement ils sont doués. Ils peuvent ne pas le savoir, mais alors on peut le leur apprendre. Mais ce sont des choses qui doivent être faites avec précaution. Par exemple... je vais te donner un exemple : dès que l’on sort de son corps, si peu que ce soit, et même purement mentalement, eh bien, il y a la partie du mental qui a le contrôle sur le fonctionnement qui s’en va ; et la partie du mental automatique qui fait, qui produit certains mouvements, ou certaines sécrétions glandulaires, n’est-ce pas, toute cette partie automatique reste sans la protection et sans le contrôle de la partie consciente, pensante. Eh bien, il y a toujours dans l’atmosphère des quantités de petites entités, toutes petites, qui proviennent généralement des désintégrations humaines et qui sont comme des microbes physiques, qui sont une sorte de microbe du vital. Ils sont plus visibles et ils ont une volonté propre. On ne peut pas dire qu’ils soient méchants, ils sont pleins de malice. Ils aiment s’amuser, et ils s’amusent aux dépens des gens. Alors, dès qu’ils voient ça, si l’on n’est pas suffisamment protégé, ils s’emparent de cette mentalité automatique, et ils vous font arriver toutes sortes de choses tout à fait désagréables — comme, par exemple, certaines personnes qui avalent leur langue quand ils sont en transe; ça les étouffe, s’ils ne font pas attention. D’autres, se mordent la langue; quelquefois ça fait très mal. Toutes sortes de choses comme ça, qui peuvent vous arriver. Ce qui fait que, normalement, on ne devrait jamais entrer en transe sans avoir quelqu’un là pour veiller sur vous, et non pas veiller purement physiquement, mais veiller avec le pouvoir conscient d’empêcher ces petites entités de s’emparer de vos centres nerveux qui ne sont pas protégés par la Présence consciente.

Ça, c’est une règle, généralement. Il y a des dangers plus grands que cela. Quand on sort de son corps d’une façon très matérielle et qu’il ne reste plus que le contact d’un lien — n’est-ce pas, c’est une sorte de lien comme un fil de lumière, qui joint l’être qui est parti à l’être qui reste —, ce joint, s’il est protégé, il n’arrive rien. Mais s’il n’est pas protégé, il peut alors y avoir des forces adverses plus pleines pas seulement de malice mais aussi de mauvaise volonté, qui peuvent venir le couper. Et alors, une fois que c’est coupé, on essaye tout ce que l’on peut, mais on ne peut plus rentrer dans son corps.

On est mort?

Oui, après quelque temps. Ce qui fait que tout cela, n’est-ce pas, ce ne sont pas du tout des plaisanteries, ni des amusements, ni des choses que l’on puisse faire simplement pour se distraire. Il faut les faire comme il faut, et dans les conditions voulues, et avec grand soin. Et alors, une chose est ab-so-lument essentielle, absolument : il ne faut pas toucher à cette science occulte si l’on a la moindre frayeur en soi. Par exemple, si dans vos rêves vous rencontrez des choses terribles et que cela vous effraye, il ne faut pas que vous fassiez de l’occultisme. Si, au contraire, vous pouvez avoir les rêves les plus effroyables et que ça vous laisse absolument tranquille, et même quelquefois amusé et très intéressé, si vous pouvez manier tout cela et si vous savez vous tirer d’affaire en toute circonstance, alors cela veut dire que vous avez des capacités, et vous pouvez le faire. Il y a des gens qui sont de très vaillants guerriers dans leurs rêves. Quand ils rencontrent des ennemis, ils savent se battre; ils savent non seulement se défendre, mais vaincre; ils sont pleins d’ardeur, d’énergie, de courage; ceux-là, ce sont de vrais candidats pour l’occultisme. Mais ceux qui rentrent dans leur corps aussi vite qu’un rat entre dans son trou, ceux-là, il ne faut pas qu’ils y touchent.

Et puis, il faut aussi avoir une patience infinie; parce que de même qu’il faut des années pour savoir manier les différents corps chimiques, de même que, si vous voulez découvrir la moindre chose nouvelle, il faut travailler sans avoir de résultats visibles pendant très longtemps, de même, en occultisme, vous pouvez essayer pendant des années et ne pas avoir la moindre expérience. Et cela devient très monotone et très peu amusant; et l’on a toujours cette espèce de mental physique, pratique et positif, qui passe son temps à vous dire : « Pourquoi essayes-tu? Tu vois bien, il n’y a rien du tout, c’est tout des histoires qu’on t’a racontées; pourquoi travailles-tu pour rien? Tu perds ton temps. Il n’y a rien du tout, ce sont des imaginations. » Il est très difficile de garder la conviction et la foi quand il n’y a rien sur quoi les baser.

Douce Mère, est-ce que les exercices religieux sont très importants pour la conscience ordinaire?

Des exercices religieux ? Je ne sais pas! Qu’est-ce que tu entends par des exercices religieux ?

Le japa 13, etc.

Oh, ces choses-là ! Si cela vous aide, c’est bien. Si cela ne vous aide pas, c’est simplement... C’est une de ces choses tout à fait relatives. C’est une chose tout à fait relative. Cela ne vaut que par l’effet que cela a pour vous, et la mesure dans laquelle vous y croyez. Si cela vous aide à vous concentrer, c’est bien. La conscience ordinaire le fait toujours simplement par superstition, avec l’idée que « si je fais ça, si je vais au temple, ou à l’église une fois par semaine, si je fais des prières, il m’arrivera quelque chose de très bien ». Cela, c’est la superstition, répandue partout dans le monde, mais cela n’a aucune valeur au point de vue spirituel.

Mère, par exemple, certains jours de l’année on fait la Lakshmî-pûjâ, la Mahâkâlî-pûjâ, et tout cela...

C’est parce que ça vous amuse, mes enfants!

Mais ces jours-là tu nous donnes aussi la bénédiction!

Oui, parce que ça vous amuse! (rires) Hein?

Tu nous donnes la bénédiction seulement pour nous amuser?

Ça vous fait plaisir, allez! J’ai dit « amuser », c’est... j’ai manqué de respect; mais c’est parce que ça vous fait plaisir.

Le jour de Mahâkâlî, par exemple...

Oui, oui, quelquefois Kâlî vient trois jours avant, quatre jours après, ou à un autre moment de l’année. Elle n’est pas forcément là ce jour-là ; quelquefois, pour vous faire bien plaisir, je l’appelle un peu... (rires) En tout cas, ce n’est pas moi qui crois à ces choses-là !

Dans tous les monuments religieux, dans les monuments les plus... enfin, considérés comme de la plus haute religion, que ce soit en France, que ce soit dans d’autres pays, que ce soit au Japon — ce n’étaient jamais les mêmes temples, ni les mêmes églises, ni les mêmes dieux, et mon expérience a été partout à peu près la même, avec de très petites différences —, j’ai vu que ce qu’il y avait de force concentrée dans l’église dépendait exclusivement des fidèles, de la foi des fidèles. Et il y avait encore une différence entre la force telle qu’elle était réellement et la force telle qu’ils la sentaient. Par exemple, j’ai vu dans une des plus belles cathédrales de France, qui est vraiment au point de vue artistique un des monuments les plus magnifiques que l’on puisse imaginer, dans l’endroit le plus sacré, j’ai vu une énorme araignée noire vitale, qui avait fait sa toile et l’avait répandue sur tout l’endroit, et qui attrapait là-dedans et puis absorbait toutes les forces qui avaient émané avec la dévotion des gens, et leurs prières, et tout cela. C’était un spectacle qui n’était pas très réjouissant; et les gens qui étaient là et qui priaient, ils sentaient un contact divin, ils recevaient toutes sortes de bienfaits de leurs prières, et pourtant c’était cela qui était là, la chose qui était là. Mais ils avaient leur foi, qui pouvait changer cette chose mauvaise en quelque chose de bon en eux, parce qu’ils avaient la foi. Alors vraiment, si moi j’étais venue et que je leur avais dit : « Vous croyez que c’est Dieu que vous priez? C’est une énorme araignée vitale qui se nourrit de toutes vos forces! », cela n’aurait vraiment pas été très charitable. Et c’est comme ça la plupart du temps, presque partout; c’est une force vitale qui est là, parce que ces entités vitales se nourrissent de la vibration des émotions humaines, et qu’il y a très peu de gens, très peu, une quantité infime de gens, qui vont dans les églises ou dans les temples avec un vrai sentiment religieux, c’est-àdire, non pas pour prier, mendier quelque chose de Dieu, mais pour s’offrir, pour rendre grâce, pour aspirer, pour se donner. Il n’y en a pas un sur un million. Alors ils n’ont pas le pouvoir de changer cette atmosphère. Peut-être qu’au moment où ils sont là, ils arrivent à traverser, à percer, à aller quelque part, et à toucher quelque chose de divin. Mais l’énorme masse des gens qui ne vont que par superstition, par égoïsme et par intérêt, ils vous font une atmosphère comme ça, et c’est cela que vous respirez quand vous allez dans une église ou dans un temple. Seulement, comme vous y allez avec un très bon sentiment, vous vous dites : « Oh! quel endroit recueilli... »

Je regrette, mais c’est comme ça. Je vous dis, j’ai volontairement fait cette expérience un peu partout. Peut-être ai-je trouvé de tout petits coins, comme une toute petite église de village, quelquefois, où il y avait un petit coin très recueilli, très tranquille, très silencieux, où il y avait une aspiration, mais c’est tellement rare! J’ai vu les belles églises de l’Italie, des endroits magnifiques; c’est plein de ces êtres du vital, et plein de terreur. Je me souviens d’avoir fait une peinture dans une basilique de Venise, et pendant que je travaillais, il y avait dans le confessionnal un prêtre qui recevait la confession d’une pauvre femme. Mais c’était vraiment un spectacle effrayant! Je ne sais pas comment était ce prêtre, quel était son caractère, on ne le voyait pas (n’est-ce pas, on ne les voit pas, ils sont enfermés dans une boîte et, à travers un grillage, ils reçoivent la confession). Il y avait sur lui une telle puissance obscure et absorbante, et cette pauvre femme était dans un tel état de terreur effroyable, que c’était vraiment pénible à voir. Et tous ces gens croient que ce sont des choses saintes! Mais c’est une trame de forces adverses vitales, qui se servent de tout cela pour se nourrir. D’ailleurs, dans le monde invisible, il n’y a guère que les êtres du vital qui aiment à être adorés. Eux, comme je l’ai dit, ça leur plaît. Et puis alors, ça leur donne de l’importance. Ils se gonflent d’orgueil et ils sont très heureux ; et quand ils peuvent avoir une troupe de gens qui les adorent, ils sont tout à fait contents. Mais si vous prenez un vrai être divin, ce n’est pas du tout une chose qu’il apprécie. Ils n’aiment pas être adorés. Non, cela ne leur fait pas du tout un plaisir spécial. Il ne faut pas croire qu’ils soient contents; parce qu’ils n’ont pas d’orgueil. C’est l’orgueil qui fait que l’on aime à être adoré; si l’on n’a pas d’orgueil, on n’aime pas être adoré; et s’ils voient, par exemple, une bonne intention ou un bon sentiment, ou un mouvement de désintéressement, ou un enthousiasme, une joie, une joie spirituelle, pour eux, cela a une valeur infiniment plus grande que des prières et des actes d’adoration et des pûjâs...

Je vous assure, c’est très sérieux ce que je vous dis : si vous mettez un vrai dieu sur une chaise, et que vous l’obligiez à rester là pendant tout le temps que vous faites une pûjâ, il peut peut-être s’amuser à vous regarder faire, mais cela ne lui donne certainement aucune satisfaction. Aucune. Il ne se sent ni flatté ni content ni glorifié par votre pûjâ. Il faut s’enlever cela de la tête. Il y a tout un domaine entre le monde spirituel et le monde matériel qui appartient aux êtres du vital, et c’est ce domainelà qui est plein de toutes ces choses, parce que ces êtres-là, ils en vivent, ils en sont heureux et cela leur donne tout de suite de l’importance; et c’est celui qui a le plus de croyants, le plus de dévots et le plus d’adorateurs qui est le plus content et qui se gonfle le plus. Mais comment est-ce que l’on peut imaginer que les dieux peuvent apprécier... Les dieux — je parle des vrais dieux, même de ceux de l’Overmind, quoiqu’ils soient encore un peu... comme ci comme ça... ils semblent avoir pris beaucoup des défauts humains, mais enfin, malgré cela, ils ont vraiment une conscience supérieure —, cela ne leur fait pas du tout plaisir. Un acte de vraie bonté, d’intelligence, de désintéressement, ou une compréhension subtile, ou une aspiration tout à fait sincère, pour eux ce sont des choses infiniment supérieures à une petite cérémonie religieuse. Infiniment. Il n’y a aucune comparaison. Cérémonies religieuses!

Par exemple, il y a tant de ces entités que l’on appelle Kâlî — et à qui l’on donne d’ailleurs des apparences plus ou moins terribles —, il y en a tant qui sont même installées dans des maisons, qui sont la déesse de la famille : c’est plein d’une force vitale terrible! J’ai connu des gens qui avaient tellement peur de la Kâlî qui était chez eux qu’ils tremblaient vraiment de faire la moindre faute, parce qu’il leur arrivait des catastrophes, et ils s’imaginaient que c’était Kâlî ! C’est une chose effrayante, la pensée. Je les connais, ces entités-là. Je les connais bien, mais ce sont des êtres du vital, des formes vitales qui sont pour ainsi dire mises en forme par la pensée humaine, et quelles formes! Et penser que les hommes adorent des choses si terribles et si monstrueuses; et puis encore, que ces pauvres dieux, ils leur donnent, ils leur font le compliment de croire que c’est...

À ce point de vue-là, c’est très bon que, pour un certain temps, l’humanité sorte de cette atmosphère religieuse pleine de frayeur, et de cette espèce de soumission superstitieuse aveugle dont les forces adverses ont profité d’une façon monstrueuse. La période de négation, de positivisme, est à ce point de vue-là tout à fait indispensable pour libérer les hommes de la superstition. C’est seulement si l’on sort de cela et de cette abjecte soumission à des forces monstrueuses du vital, que l’on peut s’élever à des hauteurs vraiment spirituelles, et là, devenir des collaborateurs et des vrais instruments pour les forces de Vérité, la Conscience réelle, les Puissances vraies.

Il faut laisser très loin tout cela avant de pouvoir monter plus haut.

Mère, l’autre jour tu as dit que pendant la nuit tu te promènes partout, n’est-ce pas. Alors tu sais tout ce qui se passe à l’Ashram...

Je fais le gendarme!

Et alors, Mère, quelle est la différence entre ce que tu sais ainsi et ce que tu sais physiquement? C’est-à-dire, pourquoi est-il nécessaire que tous les...

Tu crois que je peux me promener partout et voir tout? Je n’ai malheureusement qu’une tête, deux bras et deux jambes, et ça prendrait beaucoup de temps; je passerais mon temps à courir partout.

Non! C’est-à-dire, puisque tu sais déjà ce qui se passe à l’Ashram, pourquoi est-il nécessaire que les chefs de départements viennent te donner des renseignements?

Non, non, ils ne viennent pas me donner des renseignements : ils viennent me demander des ordres. Ce n’est pas la même chose. Et si je leur donnais mes ordres dans la nuit, ils ne m’entendraient pas; ou si par hasard ils entendaient quelque chose, ce serait probablement le contraire. Ils feraient n’importe quoi, selon leur imagination propre. Non, non! Renseignements! C’est parce que ça leur fait plaisir de dire ce qu’ils ont à dire. Si je leur disais tout de suite : « C’est bon, je sais, je sais! »... Quelquefois je le fais, quand je suis très pressée; mais ils sont très choqués, et ils pensent : « Comment est-ce qu’elle peut savoir? Elle ne m’a pas demandé! » Il n’y a qu’eux qui peuvent me donner le renseignement exact, selon eux. S’ils ne m’expliquent pas les choses, je ne les sais pas. C’est cela qu’ils pensent, alors il faut les laisser expliquer. Quelquefois, si ça prend trop longtemps, que je n’ai pas beaucoup de temps, je leur dis : « C’est bon, c’est bon, je le sais; allez, venez au vif, qu’est-ce que vous voulez savoir? » Eh bien, cela les trouble beaucoup.

Par exemple, Mère, si on a fait quelque chose...

De mal.

Oui.

Quelquefois de bien, hein!

Non, surtout de mal ; alors on se dit : Mère le sait. Au lieu de cela, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux que l’on vienne et qu’on te le dise?

Si ! Parce qu’ici il y a... Remarque que si on a fait quelque chose de mal, si on a fait quelque chose qu’on sait très bien que l’on ne devait pas faire, par exemple, si on se dit : « Mère le sait, ce n’est pas la peine que je le lui dise », alors on met cela dedans. On ferme soigneusement une porte dessus, et puis on le conserve dans son cœur, ou ailleurs. Tandis que si on ne pense pas à tout cela... on se sent mal à l’aise, il y a quelque chose qui tourne là, ce n’est pas agréable... eh bien, je vais aller le dire à Mère. Au moment de partir, il faut faire un grand effort, hein ! La gorge se serre, la langue est sèche et puis c’est si difficile de trouver ses mots — vraiment on ne sait pas comment faire — hein ! Mais alors on a résolu, on fait un gros effort : on tire les mots l’un après l’autre, comme ça, avec beaucoup d’effort et finalement on dit, et on essaye de dire aussi exactement que l’on peut. Mon petit, cela ouvre une porte grande comme ça, et je peux entrer tout droit dans l’être psychique, rien que par cet effort de sincérité que l’on a fait. Et alors, quand j’entre, je verse dedans toute la lumière, toute la force, toute la volonté, toute la conscience, toute la résolution pour qu’on ne puisse pas refaire ce que l’on a fait; beaucoup — comme quand on verse trop dans une coupe, ça déborde —, il y a beaucoup qui déborde, mais il y a tout de même un peu qui reste, et ce petit peu travaille. Et si l’on répète cet effort une autre fois, jusqu’à ce qu’on sente, eh bien, qu’on n’a plus rien à dire, parce qu’il n’y a plus rien à cacher, alors ça va très bien, on a fait un grand progrès.

Douce Mère, en classe, quand nous te posons des questions, quelquefois cela vient très facilement, automatiquement, et quelquefois nous avons une hésitation...

Vous savez, la plupart des questions sont mal posées, parce que vous ne savez pas vraiment ce que vous voulez savoir. Je veux dire, vous ne vous rendez pas compte exactement de la chose que vous voulez savoir. C’est une association de mots dans votre tête, ce n’est pas la conscience d’une idée qui essaye de se clarifier; ce sont seulement des mots qui se sont choqués dans votre cerveau et que vous n’arrivez pas à adapter de façon à pouvoir comprendre ce que cela veut dire. Alors vous ne pouvez énoncer facilement, parce que vous ne pensez pas. Cela ne provient pas de la pensée. C’est une espèce de chose automatique qui vient du cerveau; si vous avez une conscience claire d’une expérience que vous voulez préciser ou d’une connaissance que vous voulez classer dans votre tête, alors vous pouvez l’énoncer très clairement et en même temps votre cerveau est prêt à recevoir la réponse. Mais si, simplement, avec le choc des mots — les mots viennent comme ça, n’est-ce pas, vous associez trois ou quatre mots et puis vous lancez une idée... Je réponds, parce que je pense qu’il y aura toujours des gens... que cela pourra tomber dans un cerveau, quelque part; mais autrement, la plupart du temps, la tête n’est pas prête pour comprendre même ce que je dis. Il faut bien réfléchir et bien se concentrer et voir très clairement ce que l’on veut demander avant de demander. Autrement, ce n’est pas la partie du mental qui peut comprendre qui demande. C’est juste une surface qui est dans un mouvement perpétuel de mots qui s’associent plus ou moins bien, qui vont, qui viennent, qui passent, et c’est ça qui parle, c’est ça qui demande; et ça, ça ne peut pas comprendre.

Combien de fois je vous ai dit des choses, la même chose, et si je vous la demande quelquefois même seulement une semaine après, vous ne vous en souvenez pas! Combien de fois vous me posez la même question! parce que vous avez posé la question, mais vous n’étiez pas du tout en état de comprendre la réponse. Rien ne reste dedans, ce sont seulement des mots qui passent, comme ça. C’est comme quand vous apprenez une leçon par cœur : ce sont seulement des mots qui passent, comme ça. Il n’y a rien, il n’y a rien qui entre dedans, qui s’établisse quelque part dans la pensée vraie, et alors cela ne fait pas d’effet et cela ne vous fait rien comprendre du tout. La preuve, que de fois je vous ai demandé, je vous ai dit : « Mais enfin, je vous ai dit ça ! » — vous ne vous en souvenez même pas!

Il m’est arrivé, n’est-ce pas (mais cela, avec des tout petits enfants et même, mon Dieu, parmi vous, c’est arrivé aussi), une personne m’a posé une question, j’ai répondu. Une autre personne me pose la même question avec d’autres mots. Si vous aviez écouté ce que je viens de vous dire, j’ai déjà répondu à ce que vous me demandez! Tout cela, ça se passe comme ça, vous savez, tout à fait comme ça, tout à fait dans une pensée superficielle, rien qui entre dedans et qui s’établisse dans une compréhension intérieure. C’est pour cela qu’on ne peut pas poser de questions : c’est parce qu’on ne pense pas... Seulement des mots qui jouent.

Mère, une dernière question : demain c’est le sport. Alors...

Maintenant, si nous faisions une petite prière bien superstitieuse pour demander qu’il ne pleuve pas! (rires) Mais vous savez, dans les nuages, dans le vent, il y a des petites entités. Ces entités sont du domaine vital ; elles ne sont pas toutes méchantes, elles sont souvent très malicieuses. La plupart du temps, elles obéissent à des lois de la Nature d’un ordre beaucoup plus vaste et plus général, mais il y a de ces entités qui ont une semi-indépendance et qui produisent des pluies locales, etc. Peut-être (nous avons dit qu’elles aiment les prières, ces petites entités-là), peut-être que si on leur dit : « Je vous en prie, soyez bien gentilles, demain nous avons notre ouverture, ne faites pas de méchancetés, attendez jusqu’au soir pour pleuvoir si vous avez envie de pleuvoir, ne venez pas troubler notre petite séance », cela aura peut-être de l’effet!

Vous vous rappelez quand il ne pleuvait pas, et que des gens nous ont dit que si nous priions, on ferait venir la pluie? Et que nous nous sommes bien amusés un jour à ça — à appeler la pluie — et qu’il a plu? Il a vraiment plu après. Eh bien, c’est comme ça. Ce domaine-là, c’est le domaine vital.

Maintenant, dis ce que tu voulais dire!

Mère, surtout le jour où nous avons une épreuve, on t’appelle beaucoup. Mère, alors, n’est-ce pas...

Oui, oui, mes enfants.

Mère, alors, ce n’est pas mauvais de t’appeler pour satisfaire ses propres fins?

Propres fins? Vous êtes là pour faire ça. Si vous appelez pour faire aussi bien que vous pouvez, il n’y a pas de mal. Mais c’est vrai, vous savez, que quand je m’en vais de là, à la fin de la séance, eh bien, je suis vidée. Il faut que je me repose... Ça tire, ça tire quelquefois terriblement... Les séances que nous avons ici le 1er décembre 14 et le 2 décembre, ou des choses comme cela, ça tire, ça tire, ça tire... Après, en quelques minutes, ça se répare. Ce n’est pas grave, mais c’est vrai que ça tire.

Mais je n’ai aucune objection; au contraire, c’est moi qui vous dirai : « Mes enfants, si vous faites quelque chose de difficile, appelez-moi, appelez-moi. » Non pas pour être le premier ou pour avoir une victoire, mais pour qu’il ne vous arrive rien de désagréable. Appelez-moi pour que ce soit aussi bien que cela peut être, non pas pour la gloriole, mais pour le plaisir de bien faire. Et puis, vous pouvez appeler aussi pour faire la chose comme une offrande, et alors cela devient très bien.

Douce Mère, est-ce qu’il n’y a pas une autre façon d’appeler, plutôt que de tirer?

Oui, mon petit, mais c’est beaucoup plus difficile. Oui, il y a une autre façon. Il y a une vraie manière... C’est plus difficile.

Mais celle-là, ça va, je n’ai rien à dire contre, ça va. J’aime mieux cela que d’avoir l’expérience, quand je regarde les gens, de voir un petit nuage noir qui tourne autour de leur tête, de sentir qu’il va y avoir un accident, quelque chose qui va se passer, et d’essayer de percer cela pour donner une protection, et de me trouver en face de quelqu’un qui est absolument fermé, inconscient et persuadé qu’il est seul capable de pouvoir se protéger lui-même et... de ne pas pouvoir éviter l’accident. C’est arrivé! Ça, c’est beaucoup plus désagréable pour moi.

J’aime mieux qu’on m’appelle...

Alors pas de pluie demain, n’est-ce pas!

Au revoir!

juillet




Le 7 juillet 1954

En raison de la pluie qui menace, la classe a lieu dans la salle de gymnastique. Avant de commencer, Mère annonce qu’avec le nouveau livre que l’on va étudier, La Mère, de Sri Aurobindo, elle va procéder autrement. C’est elle-même qui va lire, et non plus les enfants, comme cela se faisait jusqu’à présent. Mais auparavant, ils auront lu un chapitre et préparé chacun une question qu’ils poseront en classe. L’Entretien suivant est basé sur le chapitre I de La Mère.

Douce Mère, ici il est écrit : « Une soumission [...] du guerrier intérieur qui combat contre l’obscurité et le mensonge... » Qui est ce « guerrier intérieur » ?

C’est le vital quand il est converti. Le vital converti au Divin est comme un guerrier. Il a même l’apparence du guerrier. Le vital est le lieu du pouvoir et c’est le pouvoir qui le pousse à se battre, qui peut battre et vaincre, et c’est de toutes les choses la plus difficile, parce que ce sont justement ces capacités de combat qui créent dans le vital le sens de la révolte, de l’indépendance, la volonté de faire sa propre volonté. Mais si le vital comprend et se convertit, s’il est vraiment soumis à la Volonté divine, alors ces capacités de combat se tournent vers les forces antidivines et toute l’obscurité qui empêche leur transformation. Et elles sont toutes-puissantes pour vaincre les adversaires. Les forces antidivines sont dans le monde vital ; de là, naturellement, elles se sont répandues dans le physique, mais leur siège propre est dans le monde vital, et c’est la force vitale convertie qui a le vrai pouvoir pour les vaincre. Mais de toutes choses c’est la conversion la plus difficile.

Que veut dire « les subterfuges » ?

Subterfuges? Ce sont des trucs. Tu sais ce que c’est qu’un truc ? Oui? Eh bien, les subterfuges, ce sont des moyens pour tromper, des moyens dont on se sert pour tromper. On cache ce que l’on veut faire sous d’autres apparences, afin de tromper; c’est cela les subterfuges.

« Transformation irrévocable » ?

Irrévocable, cela veut dire une transformation sur laquelle on ne revient plus, qui est faite une fois pour toutes.

Douce Mère, ici il est écrit : « Ce n’est pas suffisant que le psychique réponde, que le mental supérieur accepte, ou même que le vital inférieur se soumette et que la conscience physique intérieure sente l’influence... » Cela veut dire qu’il y a aussi le vital supérieur?

Oui, le vital supérieur est généralement beaucoup moins difficile à soumettre, parce qu’il est sous l’influence du mental et parfois même du psychique; alors il comprend plus facilement. Il est beaucoup plus facile à convertir que le vital inférieur, qui est essentiellement le vital des désirs et des impulsions. Alors, n’est-ce pas, ce qu’il veut dire, c’est que le vital inférieur peut se soumettre, il accepte d’obéir, de faire ce qu’on lui dit de faire, mais il n’est pas content du tout. Il n’est pas heureux ; quelquefois même il souffre, il pousse sa révolte au-dedans de lui par obéissance, mais il ne collabore pas. Et à moins que le vital ne collabore dans la joie et l’amour vrai, il n’y a rien à faire; la transformation ne peut pas venir.

Douce Mère, ici il est écrit...

Attends, attends, ton tour va venir!

Il y a une faute! Ici, en français, c’est écrit « vital inférieur », mais en anglais c’est « inner vital »!

Intérieur? Le vital intérieur? Oui. Mais ici on a reproduit soigneusement la faute! Celui-ci c’est le nôtre. (Mère montre le livre imprimé à l’Ashram) Justement, oui, c’est « intérieur »! C’est le vital intérieur. Oui, c’est « intérieur » qu’il faut prendre ici, le vital intérieur. (Pavitra demande si l’erreur est reproduite dans toutes les éditions) Dans toutes les éditions il semble y avoir inférieur au lieu d’intérieur. Mais ça, c’est notre édition à nous, et nous aurions dû corriger. Ça, c’est la première édition qui a été faite en France; celle-là, non; celle-ci, la petite là, c’est celle qui a été faite en France. D’ailleurs, les lettres se ressemblent beaucoup, n’est-ce pas, ce t et ce f se ressemblent beaucoup.

(À l’enfant qui vient de parler) Alors, tu crois que tu vas échapper à ta question? (rires)

(À une autre enfant)Tu n’en as pas? Non, mais ce sera pour la semaine prochaine. Aujourd’hui je ne dis rien, parce que vous n’étiez pas prévenus. Pas assez longtemps d’avance.

(À une autre) Et toi? Tu n’en as pas!

(À une autre) Et toi?

Ici, je ne comprends pas : « Car si elle devait se soumettre aux exigences du mensonge, ce serait la ruine de ses propres desseins... » Qu’est-ce que la ruine de ses propres desseins?

Oui. Cela veut dire qu’elle irait contre son travail, son propre travail. La Grâce est venue, eh bien, elle travaille pour la réalisation de la vérité. Si elle accepte les conditions que lui impose le Mensonge, elle ne peut plus rien faire. Cela, n’est-ce pas, je pourrais vous donner une quantité innombrables d’exemples de gens qui ont une insistance pour que les choses soient d’une certaine manière vis-à-vis d’eux. Ils implorent, quelquefois même ils exigent que ce soit comme cela ; et ce qu’ils demandent est absolument contraire à la Vérité; et si la Grâce obéissait à leurs demandes, elle irait contre son propre dessein et elle ruinerait son propre dessein, c’est-à-dire qu’elle irait contre son propre travail et son propre but. Elle vient ici pour réaliser la vérité; si elle obéit au mensonge, elle tourne le dos à la vérité. Et les gens, n’est-ce pas — c’est le plus souvent —, mettent la charrette avant les bœufs, le plus souvent par ignorance et par stupidité; mais c’est quelquefois aussi par mauvaise volonté qu’ils insistent pour que leurs conditions soient remplies, qu’ils font, n’est-ce pas, une espèce de marchandage pour leur soumission, et ils le font... Oui, il y en a beaucoup qui le font inconsciemment — j’ai dit par ignorance et par stupidité. Il y en a qui le font consciemment; et alors, ils veulent que ce soit ces conditions qui soient remplies. Ils disent : « Si c’est comme ça et comme ça... » Et enfin, ils vont jusqu’à dire au Divin : « Si Tu es comme ça et comme ça, si Tu remplis les conditions que je T’impose, je T’obéirai! » Ils ne le mettent pas de cette façon-là, parce que ce serait trop ridicule, mais ils le font presque constamment. N’est-ce pas, ils disent : « Oh, le Divin est comme ça. Le Divin fait ça. Le Divin doit répondre comme ça. » Et ils continuent comme cela, et ils ne se rendent pas compte qu’ils sont tout simplement en train d’imposer leurs conceptions, et leurs désirs aussi, sur ce que le Divin doit être, et doit faire. Et alors, quand le Divin ne fait pas ce qu’ils veulent, ou ne remplit pas les conditions qu’ils posent, ils disent : « Vous n’êtes pas le Divin! » (rires) C’est très simple. « Vous ne remplissez pas les conditions que je pose, par conséquent vous n’êtes pas le Divin! » Mais ils font cela, n’est-ce pas, constamment! Alors naturellement, si la Grâce divine, pour faire plaisir à ces gens, se soumettait à leurs exigences, elle irait entièrement contre son propre dessein et elle détruirait sa propre Œuvre!

(À un autre enfant) Alors, tu as une question, toi!

Ce n’est pas mon tour! (rires)

Oh, comme c’est commode! (riant) Alors maintenant, à qui est-ce le tour? Toi? Ta question?

Ici, il est écrit : « ... c’est seulement la plus haute force supramentale descendant d’en haut et s’ouvrant le passage d’en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique et annihiler ses difficultés. » Je ne comprends pas la dernière partie.

Quels sont exactement les mots que tu ne comprends pas?

« ... et ouvrant le passage d’en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique... »

Manier victorieusement? Tu ne sais pas ce que ça veut dire? (La phrase ayant été incorrectement prononcée, Pavitra la relit) S’ouvrant! Pas « ouvrant »; s’ouvrant le passage d’en bas, c’està-dire, quelque chose qui vient d’en haut et qui se force d’en bas, qui force son chemin, qui fait comme une route, comme un chemin à travers la résistance en bas, en s’ouvrant un chemin, comme, quand on entre dans la forêt vierge et qu’on coupe les arbres, on s’ouvre un chemin. Eh bien, c’est comme ça, n’est-ce pas, il y a une résistance dans la matière inférieure, et par la pression d’en haut elle ouvre le chemin et se fait un passage à travers la résistance. Et alors, la suite, tu comprends?

Non. « ... qui pourra manier victorieusement... »

Manier, ça veut dire... en anglais c’est « deal with »; c’est-à-dire, qui pourra avoir affaire avec toutes les résistances du monde physique. Ce n’est que la Force la plus haute qui peut avoir raison des difficultés de la Matière. C’est cela que ça veut dire. Toutes les résistances et toutes les difficultés du monde physique ne peuvent être surmontées que par la Force la plus haute — la Force supramentale la plus haute. Maintenant compris?

Oui.

(À une autre enfant) Rien?

(À une autre) Toi!

Mère, il est dit : « Rejetez cette notion fausse que le Pouvoir divin fera, et est obligé de faire tout pour vous sur votre demande et quand bien même vous ne satisfaites pas aux conditions posées par le Suprême. » Alors...

Mais, n’est-ce pas, il y a des gens, on leur dit : « Il faut vous soumettre. » Alors ils vous répondent avec un sourire : « Eh bien, faites que je me soumette! » N’est-ce pas, c’est très simple!

Quand on veut faire des progrès...

Oui.

On essaye, mais on voit que quelque chose ne veut pas avancer, ne veut pas progresser!

Oui, progresser.

Alors, si on demande au Divin de...

D’aider?

Oui.

Cela, c’est autre chose. Aider, bien entendu, Il est là pour aider. Mais ce qui est dit là, cela veut dire rester assis à ne rien faire, sans faire l’ombre d’un effort, ni même aspirer, ni vouloir, ni rien, et puis dire : « Eh bien, Dieu fera ça pour moi; le Divin fera tout pour moi. La Grâce divine fera que j’aurai de l’aspiration. Si j’ai besoin d’aspiration, Elle m’en donnera. Si j’ai besoin de soumission, Elle m’en donnera », et ainsi de suite. « Moi, je n’ai rien à faire qu’à rester assis passivement, sans bouger et sans rien vouloir. » Mais il y a des gens comme ça, beaucoup! On leur dit : « Aspirez. » — « Donnez-moi l’aspiration! » (rires) On leur dit : « Soyez généreux. » — « Oh, rendez-moi généreux, et je donnerai tout! » (rires)

Et puis? (À une autre enfant) Alors, toi!

Je répète une question. Douce Mère, ici, en français, c’est écrit « s’ouvrant le passage d’en bas », mais en anglais le mot « passage » n’est pas là.

Oui? Qui a l’anglais?

Moi.

Lis-le, lis ton anglais!

“... and it is only the very highest supramental Force descending from above and opening from below that can victoriously handle the physical nature and annihilate its difficulties....”

Opening from below?

(long silence)

Cela peut vouloir dire : permettant à la Force qui est cachée au centre de la Matière de se manifester. Cela donne l’idée de la Présence supramentale qui est au centre de toutes choses, mais qui est cachée et incapable de se manifester, pour ainsi dire, et qui serait alors comme réveillée par la Force venant d’en haut et qui se manifesterait.

Cela peut vouloir dire ça, c’est-à-dire cela peut vouloir exprimer que les deux extrémités se touchent, comme dans un cercle, n’est-ce pas, le commencement et la fin se touchent. Cela peut vouloir dire ça.

(Pavitra) Mère, c’est cela que le français veut dire — la traduction française.

Évidemment! Seulement ce n’est pas dit avec les mots. Cela veut dire, en fait... que ce soit dit d’une façon ou de l’autre, cela veut dire que les deux extrêmes se joignent, n’est-ce pas, s’unissent, que le Suprême qui est dans la Matière et le Suprême qui est hors de la Matière, s’unissent et se joignent. C’est cela que ça veut dire. Mais dans les deux cas, cela veut dire la même chose.

Douce Mère, que veut dire « inerte passivité » ?

Inerte passivité? Cela veut dire... Passivité, nous avons dit l’autre jour, n’est-ce pas, que c’est ce qui ne bouge pas, n’agit pas, ne vibre pas, ne répond pas. Eh bien, une inerte passivité, c’est cela, ce qui est absolument inconscient, inactif, et qui ne répond pas. Tandis que l’autre jour, nous avons décrit une passivité qui répond, qui s’ouvre et qui est réceptive, mais qui ne bouge pas, qui n’agit pas, qui est le contraire de... Prenons passivité comme le contraire d’activité, quelque chose qui n’agit pas, mais qui est réceptif et qui reçoit.

Mais une passivité inerte, c’est une passivité qui ne reçoit rien, qui est comme une pierre, par exemple; n’est-ce pas, on dit que la pierre a une passivité inerte... comme la terre, le sable. Ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il n’y a rien qui ne soit pas un peu réceptif aux forces. Mais enfin, plus on va vers quelque chose que nous appelons inconscient, plus c’est inerte, et passif en même temps. C’est cela.

Alors une inerte passivité dans quelqu’un, c’est une espèce d’incapacité de vibrer, de recevoir, de s’ouvrir, de répondre, quelque chose qui est tout à fait inconscient, et qui ne bouge pas — d’aucune manière.

Douce Mère, comment rendre la soumission heureuse?

Il faut qu’elle soit sincère. Si elle est vraiment sincère, elle devient heureuse. Tant qu’elle n’est pas — vous pouvez retourner la chose —, tant qu’elle n’est pas heureuse, vous pouvez savoir qu’elle n’est pas parfaitement sincère; parce que si elle est parfaitement sincère, elle est toujours heureuse. Si elle n’est pas heureuse, cela veut dire qu’il y a quelque chose qui se réserve, quelque chose qui voudrait que ce soit autrement, quelque chose qui a une volonté propre, un désir propre, un but propre et qui n’est pas satisfait; par conséquent, qui n’est pas complètement soumis, qui n’est pas sincère dans la soumission. Mais si on est sincère dans la soumission, on est parfaitement heureux, automatiquement. Au contraire, on jouit automatiquement d’un bonheur inexprimable. Par conséquent, tant que ce bonheur inexprimable n’est pas là, c’est une indication sûre que vous n’êtes pas sincère, qu’il y a quelque chose, quelque partie plus ou moins grande de l’être qui n’est pas sincère.

Douce Mère, comment découvrir cette partie?

Aspirer, insister, mettre dessus la lumière, prier au besoin. Il y a beaucoup de moyens. Quelquefois il faut des opérations chirurgicales, mettre le fer rouge dans la plaie, comme quand il y a un vilain abcès quelque part qui ne veut pas crever.

(À une autre enfant) Tu as dit quelque chose?

Non, ce n’est pas mon tour!

(Riant) Oh, ce n’est pas ton tour! (rires) Alors...

Ici, il est dit : « Le Suprême demande votre soumission, mais ne l’impose pas; jusqu’à ce que vienne la transformation irrévocable, vous êtes libre à tout moment de nier et de rejeter le Divin ou de revenir sur le don de vous-même... »

Oui, cela, c’est une chose qui se fait toutes les minutes.

(L’enfant reprend la phrase) « ... à tout moment de nier et de rejeter le Divin... » Nier, c’est-à-dire?

Nier? C’est ce que je disais tout à l’heure. Les gens qui trouvent que le Divin ne veut pas tout ce qu’ils veulent, ou qu’Il n’est pas conforme à leur propre volonté, ils Le nient. Ils disent : « Ce n’est pas le Divin. » Ou alors, il y en a qui vont encore plus loin. Ils disent : « Il n’y a pas de Divin. » Cela n’existe pas, le Divin, parce que ce n’est pas conforme à... C’est très gênant qu’il y ait un Divin : on dit qu’il n’y en a pas!

Douce Mère, que veut dire « automate inerte » ?

Automate, c’est un petit peu plus que passivité inerte. Automate, c’est un mouvement mécanique; et inerte, cela veut dire inconscient. Alors c’est un mouvement mécanique inconscient, quelque chose qui n’a pas d’âme, n’a pas d’esprit, n’a pas de volonté, n’a pas d’élan, quelque chose qui est seulement comme une machine, qui n’a pas de conscience; et inerte, qui est absolument dépourvu de toute conscience et de toute réceptivité aussi. C’est encore — je ne crois pas qu’on puisse même appeler, par exemple une montre, un automate inerte. Une montre a quelque chose comme une âme; une machine, quand la machine est très bien faite, elle a quelque chose comme une âme, elle répond, elle a une certaine réceptivité. Mais ça, c’est quelque chose qui n’a aucune réceptivité, aucune conscience, et qui est seulement comme une machine que l’on remonte et qui fait comme ça (Mère fait des gestes d’automate), n’est-ce pas, sans savoir ni pourquoi, ni comment!

Mère, que veut dire « soumission utile » ? (L’enfant prononce mal, Mère comprend « futile »)

Soumission... futile? (rires) Ça ne peut pas être cela. C’est soumission utile. Soumission utile, nous savons tous ce que c’est, n’est-ce pas? Une soumission utile.

Où est le texte? On ne peut pas mettre une soumission futile. (rires)

(Mère cherche le texte) « Utile », ce n’est pas « futile »! (rires)

Une soumission heureuse, comme ce que je disais tout à l’heure. Forte, n’est-ce pas, qui n’est pas quelque chose de faible et sans énergie; forte, puissante; et utile, c’est-à-dire qui agit, qui est agissante, qui produit des résultats, une soumission qui se rend utile, une soumission qui veut, par exemple, collaborer au travail, collaborer au progrès. C’est le contraire de l’automate inerte; c’est juste l’opposé.

Douce Mère, que veut dire « une ouverture de soi tournée exclusivement vers le pouvoir divin » ?

Au lieu d’ouverture de soi, on peut mettre une réceptivité, quelque chose qui s’ouvre pour recevoir. Alors, au lieu de s’ouvrir et de recevoir de tous les côtés et de tout le monde, comme cela se fait généralement, on s’ouvre seulement vis-à-vis du Divin pour ne recevoir que la Force divine. C’est juste le contraire de ce que les gens font d’habitude. Ils sont toujours ouverts en surface, ils reçoivent toutes les influences de tous les côtés. Et alors, cela fait au-dedans d’eux ce que nous pourrions appeler un pot-pourri (Mère rit) de toutes sortes de mouvements contradictoires qui, naturellement, créent des difficultés sans nombre. Alors ici, il est recommandé de s’ouvrir seulement vers le Divin et de ne recevoir que la Force divine, à l’exclusion de toute autre chose. Cela diminue presque totalement toutes les difficultés. Il n’y a qu’une chose qui reste difficile, c’est... On peut faire cela et, à moins qu’on ne soit dans un état d’alchimie totale, eh bien, il est difficile d’être en rapport avec des gens, de leur parler, par exemple, d’avoir n’importe quel genre d’échange avec eux sans en absorber quelque chose. C’est difficile. Si on est dans une sorte de... si on est dans une atmosphère qui est comme un filtre, alors tout ce qui vient du dehors est filtré avant que cela ne vous touche. Mais c’est très difficile; cela demande une très grande expérience. C’est pour cela, d’ailleurs, que les gens qui voulaient le chemin le plus facile s’en allaient dans la solitude s’asseoir sous un arbre, ne parlaient plus et ne voyaient plus personne; parce que cela diminue les échanges indésirables. Seulement, on a remarqué une chose, c’est que ces gens-là commencent à s’intéresser énormément à la vie des petits animaux, à la vie des plantes, parce qu’il est difficile de ne pas avoir d’échanges avec quelque chose. Alors il vaut mieux faire face au problème carrément et s’entourer d’une atmosphère si totalement concentrée sur le Divin que ce qui traverse cette atmosphère est filtré sur le passage.

Et puis alors, même quand ça c’est fait, il reste la nourriture; tant que notre corps sera obligé d’absorber des matières étrangères pour subsister, il absorbera en même temps une quantité considérable de forces inertes et inconscientes ou d’une conscience peu désirable, et ça, cette alchimie-là, il faut la faire au-dedans de son corps. Nous parlions des consciences que l’on absorbe avec de la nourriture, mais il y a aussi de l’inconscience qu’on absorbe avec de la nourriture, beaucoup. Et c’est pour cela que, dans beaucoup de yogas, on conseillait de faire une offrande au Divin de ce qu’on allait manger avant de le manger. (Mère fait un geste d’offrande, les deux mains rapprochées et ouvertes vers le haut) Cela consiste à appeler le Divin dans la nourriture avant de l’absorber. On Lui offre — c’est-à-dire qu’on la met en contact avec le Divin, afin qu’elle soit sous l’influence divine quand on l’absorbe. C’est très utile, c’est très bon. Si on sait le faire, c’est très utile, cela diminue de beaucoup le travail de transformation intérieure que l’on doit faire. Mais, n’est-ce pas, dans le monde tel qu’il est, nous sommes tous solidaires. Vous ne pouvez pas absorber l’air sans absorber les vibrations, les vibrations innombrables venant de toutes sortes de mouvements et de toutes sortes de gens, et il faut — si on veut se garder intact —, il faut être constamment dans cet état de filtre dont je parlais. C’est-à-dire qu’il faut que tout ce qui est indésirable ne soit pas autorisé à entrer, comme, quand on va dans les endroits infectés, on met des masques sur sa figure pour que l’air soit purifié avant qu’on ne le respire. Eh bien, il faut faire quelque chose d’analogue. Il faut avoir autour de soi une atmosphère tellement condensée dans une soumission totale au Divin, tellement condensée autour de soi, que tout ce qui passe est automatiquement filtré. C’est très utile dans la vie de toute façon, parce qu’il y a — nous avons parlé aussi de cela — des mauvaises pensées, des mauvaises volontés, des gens qui vous veulent du mal, qui font des formations. Il y a toutes sortes de choses tout à fait indésirables dans l’atmosphère. Et alors, s’il fallait être tout le temps à surveiller, à regarder de tous les côtés, on ne penserait qu’à une chose, c’est-à-dire à se protéger. D’abord c’est ennuyeux, et puis, n’est-ce pas, cela vous fait perdre beaucoup de temps. Si l’on est bien enveloppé comme ça, de cette lumière, lumière d’une soumission parfaitement heureuse, totalement sincère, quand on est enveloppé de ça, cela vous sert de filtre merveilleux. Toutes les choses qui sont tout à fait indésirables, toutes les choses de mauvaise volonté, ne peuvent pas passer. Alors, automatiquement, elles retournent d’où elles sont venues. S’il y a une volonté consciente mauvaise contre vous, elle arrive là, ne peut pas passer; la porte est fermée, parce qu’elle n’est ouverte qu’aux choses divines, elle n’est pas ouverte à autre chose. Alors cela retourne tout tranquillement à la source d’où c’est venu.

Mais tout cela, ce sont des choses... On peut apprendre à les faire, par une sorte d’étude et de science. Mais on peut les faire sans étude et sans science, à condition que l’aspiration et la soumission soient absolues et totales. Si l’aspiration et la soumission sont totales, alors cela se fait automatiquement. Mais il faut que vous veilliez à ce qu’elles soient totales; et d’ailleurs, comme je disais tout à l’heure, on s’en aperçoit très bien, parce que de la minute où elles ne sont plus totales, vous n’êtes plus heureux. Vous vous sentez comme ça, très misérable, déjeté, un peu mécontent : « Les choses ne sont pas agréables aujourd’hui. » Ce sont les mêmes qu’hier; hier elles étaient merveilleuses, aujourd’hui elles ne sont pas agréables. Pourquoi? Parce qu’hier vous étiez dans un état de soumission parfaite, ou plus ou moins parfaite, et qu’aujourd’hui vous n’y êtes plus. Alors ce qui était si beau hier, ne l’est plus aujourd’hui. Cette joie que vous aviez au-dedans de vous, cette confiance, cette assurance que tout ira bien, et que la grande Œuvre s’accomplira, cette certitude, tout cela, voilà, ça c’est voilé, c’est remplacé par une sorte de doute et, oui, un mécontentement : « Les choses ne sont pas belles, le monde est vilain, les gens ne sont pas agréables. » Cela va quelquefois jusqu’à : « La nourriture n’est pas bonne, hier elle était excellente. » C’est la même. Aujourd’hui, elle n’est pas bonne! Ça, c’est un baromètre! Vous pouvez vous dire immédiatement qu’il y a une insincérité qui a filtré quelque part. C’est très facile à savoir, il n’y a pas besoin d’être très savant, parce que, comme Sri Aurobindo le disait dans Les Éléments du Yoga : on sait bien si on est heureux ou si on est malheureux, on sait si on est content ou si on est mécontent; on n’a pas besoin de se demander, de poser des questions compliquées pour cela, on le sait! Eh bien, c’est très simple.

En même temps que vous vous sentez malheureux, vous pouvez mettre en dessous : « Je ne suis pas sincère! » Ces deux phrases vont ensemble

: « Je me sens malheureux. »

« Je ne suis pas sincère. »

Maintenant, qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas? Alors on commence à regarder, on a vite fait de découvrir...

Voilà, mes enfants, c’est tout?

Nous sommes au bout des questions ou non?

(À un enfant) Toi, tu n’as pas posé ta question?

Mère, dans les Lettres 15 , Sri Aurobindo dit quelque part que la Grâce ne choisit pas le juste et ne rejette pas le pécheur. Elle a son discernement propre, qui est différent de celui du mental. C’est ainsi, par exemple, que la Grâce vient aider saint Augustin. Alors pourquoi, ici, dit-il : « Mais la Grâce suprême n’agira que dans les conditions de la Lumière et de la Vérité... » ?

(Avant qu’il termine la phrase) Oui, j’ai remarqué cela. Justement quand j’ai lu, j’y ai pensé.

J’y ai pensé; je pense qu’il a écrit cette phrase de cette façonlà pour qu’elle soit plus facilement compréhensible. Mais au fond, ce qu’il voulait dire, il l’a dit avant : Vous rejetez vousmême la Grâce, n’est-ce pas. Il a mis... où est-ce? quelle page? page 4 ? Oui, « la Grâce divine loin de vous. » Oui, « vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Non, ce n’est pas cela ; ça, c’est... (L’enfant commence à lire : « ... la Grâce... ») Non, après, mon petit... « Elle n’agira pas... » (À une autre enfant) Ça, c’est ce que nous avons expliqué. C’est autre chose. N’est-ce pas, c’est ce que j’ai expliqué : vous demandez à la Grâce de faire une chose pour vous, mais cette chose est un mensonge. Elle ne le fera pas, parce qu’elle n’agira jamais que dans la Vérité.

Mais alors, comment est-ce qu’elle vient pour aider le pécheur?

Elle n’aide pas le pécheur à être un pécheur! Elle aide le pécheur à quitter son péché; c’est-à-dire qu’elle ne repousse pas le pécheur en lui disant : « Je ne ferai rien pour toi. » Elle est là, toujours, même quand il pèche, pour l’aider à sortir de son péché, mais pas pour continuer son péché.

Il y a une grande différence avec cette idée que vous êtes mauvais et par conséquent « je ne m’occuperai pas de vous, je vous lance loin de moi, et il vous arrivera ce qui vous arrivera, je ne m’en occupe pas ». Cela, c’est l’idée générale. On dit : « Dieu m’a rejeté », n’est-ce pas. Ce n’est pas cela. Vous pouvez ne pas sentir la Grâce, mais elle sera toujours là, même avec le pire des pécheurs, même avec le pire des criminels, pour l’aider à se transformer, à se guérir de son crime et de son péché, s’il le veut. Elle ne le rejettera pas, mais elle ne va pas l’aider à faire son mal. Ce ne serait plus la Grâce. Tu comprends la différence?

Mais il a mis une phrase ici qui est... là, c’est tout à fait exact : « Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Et puis il y a un... (On allume la lampe, et cela fait du bruit dans le micro. Mère a un geste de surprise, puis continue à feuilleter le livre) Je croyais que c’était ici... (Mère retrouve la phrase) « ... alors... » Voilà ! « ... vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce se retirera de vous. » N’est-ce pas, ça... (silence) Ce n’est pas la Grâce qui se retire de vous, c’est vous qui vous retirez de la Grâce. C’est une impression, et l’expression du fait. Parce que dans la phrase — une phrase précédente — c’est : « Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Cela, c’est la chose exacte. Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. Mais après l’avoir repoussée, vous avez l’impression qu’elle s’est retirée de vous; et c’est plutôt cela : « ... alors vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce se retirera de vous. » Ce n’est pas le fait qu’elle se retirera de vous —, vous avez l’impression qu’elle se retire de vous.

C’est en le lisant que j’ai remarqué cela. Je ne sais pas comment c’est en anglais. C’est à la page 7. Je ne sais pas, c’est à peu près à la même place, je suppose : « If you call for the Truth... », quelque chose comme ça.

(On retrouve dans le livre anglais la phrase voulue, et quelqu’un lit : « the Grace will recede from you. ») the Grace will recede from you. »)

Ah, oui, « recede from you », « then always you will be open to attack and the Grace will recede from you. »

C’est l’expression de l’impression que l’on a. Mais ce n’est pas que la Grâce se retirera. Parce que c’est écrit là, n’est-ce pas, juste avant, où il dit : la Grâce n’est pas à blâmer, vous n’avez pas à blâmer la Grâce, c’est vous qui la rejetez loin de vous.

Dans un cas, il se met dans l’attitude de la Grâce et dans l’autre cas, il s’est mis dans l’attitude de l’autre qui dit : « La Grâce se retire loin de moi. » Mais ce n’est pas la Grâce qui s’est retirée, c’est lui qui l’a repoussée, c’est-à-dire qu’il a mis une distance entre lui et la Grâce. En fait, même « repousser » n’est pas une image correcte; n’est-ce pas, ce n’est pas écrit, cela n’a pas été écrit à un philosophe, et ce n’est pas dans des termes philosophiques. Dans un cas, n’est-ce pas, il a pris l’attitude comme ceci, dans l’autre cas il a pris l’attitude comme cela, mais le phénomène est le même; c’est-à-dire qu’il y a une sorte de distance psychologique qui est créée entre la Grâce et l’individu. Et cette distance psychologique fait que l’individu ne peut plus recevoir la Grâce, et a l’impression qu’elle n’est pas là. Mais elle est là, en fait; seulement, comme il a établi cette distance entre les deux, il ne la sent plus. Cela, c’est le phénomène vrai. Ce n’est pas que la Grâce s’en va, ce n’est même pas qu’il a le pouvoir de la repousser, parce que si elle ne veut pas s’en aller, il aura beau la repousser, elle ne s’en ira pas. Mais il se met, lui, dans une incapacité de la sentir et de recevoir ses effets. Il crée une barrière psychologique entre lui-même et la Grâce.

Voilà, mes enfants, je crois que ça suffit pour ce soir.

Bonne nuit.

Le 14 juillet 1954

Le feu d’artifice du 14 juillet a rendu très difficile l’enregistrement, puis la notation de cet Entretien basé sur le chapitre II de La Mère.

Douce Mère, est-ce que Sri Aurobindo fait une différence entre le Divin et la Shakti? Ici, il a dit : « Le don de soi, de tout ce que l’on est, de tout ce que l’on possède, de chaque plan de la conscience et de chaque mouvement, au Divin et à la Shakti. »

Il a dit que le Divin est le Suprême. C’est l’Origine.

Il a dit, n’est-ce pas, tout au commencement de ce chapitre lui-même, je crois, il a dit : « Le Divin... »

(L’enfant lit le texte) « ... à travers sa Shakti, le Divin est derrière toute action... »

Il prend la Shakti comme le pouvoir exécutif, la conscience créatrice.

Que veut dire « le don de soi... de chaque plan de la conscience » ?

Cela veut dire le don du physique, le don du vital, le don du mental et le don du psychique. Et si tu es conscient d’autres parties de ton être... Il faut d’abord commencer par distinguer entre les différentes parties de son être, et puis, quand on les distingue bien, on les donne l’une après l’autre.

Que veut dire « la Yoga-Mâyâ » ?

Yoya-Mâyâ ? Mâyâ, je ne sais pas dans quel sens il le prend, si c’est la manifestation la plus extérieure... Il dit Yoga-Mâyâ ?

(Un enfant lit la dernière partie du texte) « ... il est voilé par sa Yoga-Mâyâ... »

Oui, voilé par sa manifestation extérieure. Vraiment, c’est cela que ça veut dire, la forme extérieure du monde; et aussi l’égoïsme du Jîva, c’est-à-dire l’être individuel.

« Il travaille à travers l’ego du Jîva... »

Oui, c’est la même chose. Oui, à travers, c’est-à-dire que l’ego est là.

Douce Mère, ici il est écrit : « Mais tant que la nature inférieure est active, l’effort personnel du sâdhak reste nécessaire. »

Je n’ai pas compris ici, « tant que la nature inférieure est active ». Comment ça ?

La nature inférieure est généralement toujours active. C’est seulement quand on a fait une soumission totale que cela cesse d’être actif. Quand on n’est plus dans sa conscience inférieure, et qu’on a fait un don de soi total, alors la nature inférieure n’est plus active. Mais tant qu’elle est active, il faut faire un effort personnel.

Au fond, tant qu’on est conscient de soi comme d’une personne séparée, il faut faire un effort personnel. Ce n’est que quand on a perdu le sens de la séparation, quand on est tout à fait, non seulement soumis, mais fondu dans le Divin, alors il n’y a plus besoin d’effort personnel. Mais tant que l’on se sent comme un être séparé, il faut faire un effort personnel. C’est cela qu’il appelle activité de la conscience inférieure.

(silence)

Pourquoi est-ce qu’on a tant peur de dire la vérité?

Oui, pourquoi? Moi aussi je demande : pourquoi? Je voudrais bien savoir! Mais c’est comme ça. Les choses sont comme ça. Je pense que la raison principale, c’est que la nature, en sa forme extérieure et personnelle, ne désire pas changer. Elle ne veut pas changer; alors on a de l’hostilité contre la force qui voudrait vous faire changer, contre la Vérité.

(Soudain éclate le bruit du feu d’artifice, qui couvre les voix)

Ah, ça c’est bien! Maintenant tous nos discours vont être ponctués de ce bruit! (Se tournant vers le disciple qui s’occupe du magnétophone) You can stop it, we do not want to record the fireworks ! (rires)

« ... une soumission tâmasique refusant de se soumettre... »

Si elle refuse de se soumettre, alors ce n’est plus une soumission?

Justement! Mais il y a beaucoup de gens qui s’imaginent qu’ils se sont soumis, et qui vous disent : « Je ne fais plus rien moimême, je me suis donné au Divin, le Divin doit faire tout pour moi. » Ils appellent cela une soumission! C’est-à-dire que c’est un mouvement de paresse et de tamas qui ne veut pas faire d’efforts et qui voudrait bien que le Divin fasse tout pour vous, parce que c’est beaucoup plus confortable!

Qu’est-ce que c’est, « la recherche du cœur » ?

La recherche du cœur, c’est l’être émotif qui essaye...

(La classe est à nouveau interrompue par les exclamations des enfants du Dortoir, qui, de là où ils se trouvent, voient le feu d’artifice)

On ne voit rien... C’est de ce côté-là, hein? On n’entend que le bruit!

Recherche veut dire le centre affectif qui essaye de trouver un contact émotif avec le Divin. C’est vraiment ça. (Le bruit continue, et Mère dit au disciple) I think you had better stop!

(Un enfant) Non, Mère! Non, Mère!

Moi, je ne peux même pas parler! (À un autre enfant) Et alors?

Pourquoi on se donne toujours à des paroles inutiles? Pourquoi parle-t-on inutilement?

Pourquoi on parle inutilement? Oui, ça, c’est probablement parce que l’homme est instinctivement très fier de disposer de la parole! C’est le premier être sur terre qui peut parler, qui émet des sons articulés. Alors c’est une espèce... c’est comme un enfant qui a un nouveau jouet, qui aime beaucoup jouer avec. L’homme est le seul animal sur la terre qui ait à sa disposition les sons articulés, alors il joue avec cela, n’est-ce pas... Je crois que c’est ça...

Et alors il y a toute la stupidité... N’est-ce pas, j’ai dit aussi qu’il y avait des gens qui ne pouvaient commencer à penser que quand ils parlaient... Quand ils ne parlent pas, ils ne pensent même pas. Ils n’ont pas la capacité de penser dans le silence, alors ils prennent l’habitude de parler. Mais plus on est d’un développement avancé, plus on est intelligent, et moins on a besoin de s’exprimer. C’est toujours au stade inférieur que l’on a besoin de parler. Et vraiment, un être qui est très conscient, et très développé mentalement, intellectuellement, il ne parle que quand c’est nécessaire. Il ne prononce pas de paroles inutiles. Dans l’échelle sociale, c’est comme ça. Vous prenez les êtres tout en bas de l’échelle : ce sont les plus bavards, ils passent leur temps à parler, ils ne peuvent pas s’arrêter. Quoi qu’il leur arrive, ils l’expriment en mots immédiatement. Et à mesure que l’on se développe, que l’on est à un degré d’évolution supérieur, on sent moins le besoin de parler.

Cela vient de ces deux raisons : l’une, c’est parce que c’est une faculté nouvelle qui, naturellement, a instinctivement l’attrait des facultés nouvelles; l’autre, c’est parce que cela vous aide à prendre conscience de votre propre pensée. Autrement, on ne pense pas, on n’arrive pas à formuler sa pensée si on ne l’exprime pas avec des mots, à haute voix... Excepté les gens qui, par fonction, sont des bavards — c’est-à-dire ceux qui ont l’habitude de faire des conférences, ou des discours politiques, ou de donner des classes et des leçons —, excepté ces gens-là, qui évidemment peuvent être intellectuels et bavards en même temps, d’une façon générale, plus les gens sont bavards, moins ils sont développés intellectuellement.

Que faut-il faire pour s’empêcher de parler?

Penser! On n’a qu’à réfléchir un peu plus! Si l’on prend seulement l’habitude de réfléchir avant de parler, cela vous évite au moins la moitié de ce que vous dites. Réfléchir avant de parler, et ne dire que ce qui vous paraît tout à fait indispensable; alors on s’aperçoit très vite qu’il y a très peu de choses qui soient indispensables — excepté au point de vue matériel, dans le travail, quand on travaille avec quelqu’un et qu’on est obligé de se dire des mots : « Fais ceci... », « Donne-moi ça... », ou « Comme ça... », ou « Comme ça... » Et encore, cela peut être réduit au minimum. Autrement, n’est-ce pas... (À nouveau un grand bruit de feu d’artifice) Ce sont des soucoupes volantes! Ça va loin! Ça dure longtemps, cette affaire-là ?

Une demi-heure.

(Une autre enfant) Ça continue jusqu’à dix heures.

Jusqu’à dix heures?... Alors, je continue!

Qui a une question à poser? À qui est-ce le tour?

Douce Mère, quelquefois, on sait que c’est la vérité, mais on doute tout de même de cette vérité. Pourquoi doute-t-on? (Grand bruit)

Qu’est-ce que tu dis? Parle très clairement, ce sera un bon exercice. (rires)

On sait que quelque chose est vrai, mais on doute tout de même. Pourquoi doute-t-on de la vérité?

La réponse normale, c’est parce qu’on est stupide! (rires)

Mais la vérité, c’est que l’être mental physique est vraiment tout à fait stupide! On peut très facilement en faire la preuve. Il est probablement construit comme une espèce de contrôle, et pour être sûr que les choses sont faites comme elles doivent être faites. J’imagine que c’est cela, son emploi naturel... Mais il a pris l’habitude de douter de tout.

Je crois que je vous ai déjà raconté cette petite expérience que j’avais faite un jour. J’avais enlevé mon contrôle et laissé le contrôle au mental physique — c’est le mental physique qui doute. Alors j’ai fait cette expérience : je suis allée dans une chambre, puis je suis sortie de la chambre et j’ai fermé la porte. J’avais décidé de fermer la porte; et quand je suis arrivée dans une autre chambre, ce mental, mental matériel, mental physique, n’est-ce pas, a dit : « Tu es sûre d’avoir fermé ta porte? » Alors je n’ai pas contrôlé, n’est-ce pas, j’ai dit : « Bon, je lui obéis. » Je suis retournée voir. J’ai constaté que la porte était fermée. Je suis revenue. Dès que je n’ai plus vu la porte, il m’a dit : « Est-ce que tu as bien vérifié? » Alors, je suis retournée... Et cela a continué jusqu’à ce que j’aie pris la décision : « Allons, maintenant ça suffit, n’est-ce pas! fermée ou pas fermée, je ne vais plus voir! » Cela aurait pu continuer toute la journée... Il est bâti comme ça. Il cesse d’être comme ça seulement quand un mental supérieur, un mental raisonnable lui dit : « Tienstoi tranquille! » Autrement, il continue indéfiniment... Alors, si par malheur vous êtes centré là, dans ce mental-là, même les choses que vous savez, plus haut, comme étant tout à fait vraies, même les choses dont vous avez une preuve matérielle — comme celle de la porte qui était fermée —, il doute, il doutera, parce qu’il est bâti avec le doute. Il dira toujours : « Est-ce que tu es bien sûr que c’est vrai?... Est-ce que ce n’est pas une idée que tu as?... Tu n’imagines pas que c’est comme ça...? » Et il continuera, jusqu’à ce qu’on lui apprenne à se taire et à se tenir tranquille.

« Remarquez qu’une soumission tâmasique refusant de se soumettre aux conditions et demandant au Divin de tout faire... »

Oui, mais cela, nous venons d’en parler! J’ai répondu déjà à cette question. Quelqu’un me l’a posée, j’ai déjà répondu...

Comment est-ce que le Divin est la sâdhanâ 16 ?

Parce que c’est le Divin qui fait la sâdhanâ dans l’être. Sans Divin il n’y aurait pas de sâdhanâ. Seulement vous n’en savez rien... vous croyez — vous êtes dans cette illusion — que c’est vous. Et justement, tant que vous êtes dans cette illusion, il faut que vous fassiez des efforts; mais la vérité est que c’est le Divin qui fait la sâdhanâ en vous, et que sans le Divin, il n’y aurait pas de sâdhanâ.

Ici, il est écrit : « ... le Divin est le sâdhak et la sâdhanâ. »

Oui, il est tout, n’est-ce pas?

Oui.

(Un autre enfant) Alors, Mère, pourquoi l’effort personnel? Si c’est le Divin qui fait la sâdhanâ, laissons faire le Divin; et où est l’effort personnel?

Oui, c’est justement ça que les gens disent dans leur paresse! Mais si vous n’étiez pas paresseux, vous ne diriez pas ça ! (rires)

L’effort personnel veut dire quoi?

L’effort qui pense être personnel. Tu as le sens de ta personne séparée. Est-ce que tu as le sens que tu es le Divin, et seulement le Divin? Non! (rires) Eh bien, le Divin, c’est ça... Justement, tant que tu as le sens que tu es Manoj, eh bien, Manoj doit faire des efforts. Si tu abolis complètement la notion de Manoj, il n’y a plus que le Divin, et c’est le Divin qui fera des efforts, naturellement!... Mais tant qu’il y a un Manoj, c’est Manoj qui doit faire l’effort.

Mais quand Manoj fait l’effort, c’est le Divin en Manoj qui fait l’effort!

Peut-être, mais Manoj n’en sait rien! (rires) Je dis exactement que s’il n’y avait pas le Divin, Manoj ne pourrait pas faire l’effort. Mais Manoj n’est pas encore en état de savoir ça, alors il sait qu’il fait des efforts.

Mais maintenant, tu l’as dit! Aujourd’hui je sais, alors...

Ah! ho, ho, ho, ho !... (rires) La connaissance mentale ne suffit pas, il faut l’expérience pratique! Autrement, mes enfants, nous serions tous transformés depuis très longtemps, parce que nous avons depuis très longtemps la connaissance que la transformation doit prendre place. (rires)

C’est tout? Continuez!

Douce Mère, quelle est la différence entre le don, la consécration et la soumission?

Le don, la consécration et la soumission? Je crois que nous avons lu cela quelque part, non? Il y a déjà eu une explication comme ça, n’est-ce pas? On a déjà dit cela. C’était même dans Les Éléments du Yoga. Quelqu’un avait posé la question et la réponse était dans le livre lui-même. Sri Aurobindo a donné la réponse... Alors mes enfants, si vous...

C’était à propos de croyance.

Hein! Dans Les Éléments du Yoga, n’est-ce pas?

Dans Les Éléments du Yoga. C’était la différence entre confiance, foi, et croyance.

Oh, c’est entre ces trois choses... Ce n’est pas entre soumission, don et consécration? Mais j’ai lu cela quelque part...

Mère, Parul dit qu’elle avait posé cette question.

(Un autre enfant) C’était dans Prières et Méditations.

Oh, c’était dans Prières et Méditations?

Oui, Douce Mère. Et alors, qu’est-ce que je vous ai dit? Ah, ça va être intéressant! (rires) Qu’est-ce que je vous ai dit?

(long silence)

(Pavitra) On peut y ajouter « offrande » encore.

Je crois qu’ils sont très synonymes, que ce sont plutôt des nuances que des différences. Parce que l’on peut très bien, dans une phrase, remplacer l’un par l’autre. Cela dépend du son de la phrase et du mot qui fait le mieux là-dedans. C’est une question littéraire. Mais si l’on veut, on peut trouver une différence; mais tout cela dépend entièrement de ce que l’on veut mettre dans les mots.

J’avais dit, n’est-ce pas, que soumission n’est pas un bon mot. On se sert en français de soumission pour traduire « surrender », parce qu’il n’y a pas de mot qui traduise « surrender ». Soumission donne toujours l’impression de quelque chose qui accepte presque à contrecœur, qui n’adhère pas complètement, qui ne collabore pas entièrement. Et alors, c’est cela qui fait la différence avec le mot « surrender » où il y a le sens d’une adhésion parfaite. Ce qui fait qu’on emploie ce mot de soumission, mais il n’est pas bon.

(silence)

On peut — si on veut couper les cheveux en quatre, comme on dit —, on peut faire une distinction entre le don de soi, la consécration et l’offrande. Ce sont trois... ils peuvent être trois phases différentes. Mais cela, c’est si vraiment on veut faire des complications; parce qu’en écrivant, comme j’ai dit, on peut très bien employer un mot à la place de l’autre, suivant le rythme de la phrase, et cela garde le sens intact. Parce que si vous voulez faire une distinction, vous êtes immédiatement obligé de mettre des adjectifs, n’est-ce pas... Prendre le mot en lui-même, « don, offrande, consécration »... Alors si vous voulez faire une distinction, vous dites « une consécration totale », « un don partiel »... n’est-ce pas, vous êtes obligé de mettre des adjectifs; ce sont des synonymes.

Qui est-ce qui a posé la question? C’est toi? Maintenant, cela dépend de la phrase que tu écriras — tu mettras l’un ou l’autre. Mais il faut savoir : le mot « soumission » n’a pas exactement le sens qu’il faut. Soumission, par rapport à « surrender », cela fait la même différence qu’il y a — peut-être en moins fort — mais une différence analogue à celle qu’il y a entre obéissance et collaboration. Dans un cas il y a adhésion parfaite, et dans l’autre cas il y a une acceptation qui peut-être se réserve; qui accepte parce qu’elle se rend compte qu’elle ne peut pas faire autrement, mais qui ne collabore pas entièrement. On n’adhère pas totalement.

Il y a d’autres questions?

Douce Mère, la dernière fois, tu avais dit que les pierres ont une sorte de réceptivité!

Oui.

Quelle sorte de réceptivité?

Elles ont peut-être même quelque chose qui ressemble à une sensibilité. Mais, par exemple, si vous avez une pierre précieuse — les pierres précieuses sont évidemment d’une construction beaucoup plus parfaite que les pierres ordinaires, et avec la perfection la conscience augmente —, mais si vous prenez une pierre précieuse, vous pouvez la charger avec de la conscience et de la force; vous pouvez mettre dedans, accumuler dedans de la force. Par conséquent, elle est réceptive, autrement elle ne la recevrait pas, elle ne pourrait pas la garder. Vous pouvez la charger. Comme on charge une batterie d’électricité, vous pouvez charger une pierre de force, mettre de la force consciente dans une pierre, elle la garde et peut la transmettre à quelqu’un. Par conséquent cette pierre a une réceptivité. Autrement elle ne pourrait pas faire cela.

Les fleurs sont extrêmement réceptives. Toutes ces fleurs auxquelles j’ai donné une signification, elles reçoivent exactement la force que j’y mets, et elles la transmettent. Les gens ne la reçoivent pas toujours, parce que la plupart du temps ils sont moins réceptifs que la fleur, et ils gaspillent la force qui est mise dedans par leur inconscience et leur manque de réceptivité. Mais la force est là, et la fleur la reçoit merveilleusement.

J’ai su cela, il y a fort longtemps... il y a cinquante ans. Il y avait cet occultiste qui, après, m’a donné des leçons d’occultisme pendant deux années. Sa femme était une voyante merveilleuse et elle avait une capacité, justement, de transmettre les forces tout à fait remarquable. Ils habitaient à Tlemcen. Moi, j’étais à Paris. J’étais en correspondance. Je ne les avais jamais vus encore. Et alors, un jour, elle m’a envoyé dans une lettre des pétales de grenades, des fleurs de grenades, « Amour Divin ». À ce moment-là, je n’avais pas donné le sens à la fleur. Elle m’a envoyé des pétales de fleurs de grenadier en me disant que ces pétales apportaient sa protection et sa force.

Alors moi, à ce moment, je portais une chaîne avec ma montre. (On n’avait pas de montre-bracelet à ce momentlà, ou on en avait très peu.) Et il y avait une petite loupe du dix-huitième siècle... C’était tout petit, c’était grand comme ça (geste). Et alors, il y avait deux verres, n’est-ce pas, comme dans toutes les loupes; il y avait deux verres montés sur une petite monture d’or et c’était pendu à ma chaîne. Alors, entre les deux verres, j’ai mis ces pétales et je portais cela toujours sur moi, parce que je voulais le garder avec moi ; n’est-ce pas, j’avais confiance en cette femme et je savais qu’elle avait des forces. Je voulais garder cela avec moi, et je sentais toujours une sorte d’énergie, de chaleur, de confiance, de force qui venait de cette chose-là... Je n’y pensais pas, n’est-ce pas, mais je le sentais comme ça.

Et puis un jour, tout d’un coup, je me suis sentie très vidée, comme s’il y avait un soutien qui était parti. Quelque chose de tout à fait désagréable. J’ai dit : « C’est curieux, qu’est-ce qui est arrivé? Il ne m’est arrivé aucune chose vraiment désagréable. Pourquoi je me sens comme ça, si vidée, vidée d’énergie? » Et le soir, quand j’ai enlevé ma montre et la chaîne, je me suis aperçue qu’un des petits verres était tombé et tous les pétales étaient partis. Il n’y avait plus de pétales. Alors j’ai su vraiment qu’ils portaient une charge considérable de force, parce que j’avais senti la différence sans même savoir la raison. Je ne savais pas la raison et cela avait fait une différence considérable. Alors c’est après cela que j’ai vu comment on pouvait se servir des fleurs pour les charger avec des forces. Elles sont extrêmement réceptives. (Le bruit continue)

Je crois que ça suffit, non? Assez de bruit!

Une autre question? (Un grand bruit) Boum!

Est-ce que les fleurs gardent toujours la force, même quand elles pourrissent?

Pourrissent? Non, mon enfant; quand elles sèchent, oui. Les fleurs qui pourrissent, ce n’est rien. Il y a une décomposition qui se produit, alors ça disparaît. Peut-être que cela apporte de l’énergie à la terre, c’est bien possible; mais enfin, quand ça pourrit, c’est bon tout simplement à faire de l’engrais pour faire pousser d’autres fleurs. Mais si ça sèche, ça se conserve, ça peut rester assez longtemps.

Ces petits paquets que je donne à la Kâlî Pûjâ, ils sont faits pour être conservés un an. Pendant un an ils gardent leur force intacte et je les renouvelle tous les ans pour être sûre que... Je sais qu’il n’y en a pas un sur dix d’entre vous qui en fait l’usage qu’il faut, mais enfin, je le donne à tout hasard pour ceux qui savent s’en servir. C’est fait pour garder la force pendant un an. Et quand j’ai donné le nouveau, on peut disposer de l’autre. Généralement, c’est tombé en poussière. Pas toujours... Mais ces petits paquets, cela garde sa charge de force pendant un an exactement.

Douce Mère, qu’est-ce qu’on doit faire avec les fleurs que tu donnes tous les jours?

Les fleurs? On doit les garder tant qu’elles sont fraîches, et quand elles ne le sont plus, il faut les rassembler et les donner au jardinier pour qu’il les mette (n’importe quel jardinier que vous connaissez), pour qu’il les mette dans la terre pour produire d’autres fleurs. Ça ! il faut rendre à la terre ce qu’elle nous a donné, parce qu’autrement elle deviendra pauvre.

Mère, à certaines saisons certaines fleurs viennent; alors, est-ce que cela veut dire que pendant cette saison particulière une force plus grande agit?

Ça, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Mais j’ai fait comme cela une expérience assez intéressante.

Je ne sais pas si vous vous rappelez — si vous étiez là —, si vous vous rappelez le temps où l’on comptait les fleurs; n’est-ce pas, c’était une sorte de convention qu’il y avait entre moi et la Nature. Chacune de ces fleurs, je lui avais donné une valeur spéciale, non seulement sa signification mais sa valeur. Par exemple : c’était entendu, j’avais fait une convention avec la Nature... mettez par exemple les fleurs de « Transformation »; notez que si on fait bien attention, au cours des saisons, une fleur est remplacée par une autre fleur avec une signification analogue ou approchante, et l’on peut faire tout le tour de l’année comme cela — si on sait se servir des choses. Il y a aussi des choses qui sont permanentes, qui sont toujours là... Mais les fleurs, comme par exemple les fleurs de « Transformation », ont une saison, assez étendue, mais une saison. La fleur de « Réalisation » a une saison assez étendue, mais elle ne vient pas au même moment que la fleur de « Transformation ». Ça se... comment... « overlap » : l’une qui commence avant que l’autre ne soit finie. Mais la saison où cela vient en abondance n’est pas la même, et toutes les fleurs sont comme ça. Ça, c’est arrangé. Cela répond à ta question, n’est-ce pas? Ce sont des nuances dans le sens, et il est possible qu’il y ait des saisons qui soient plus favorables; il y a un mouvement sur lequel on peut insister davantage que sur un autre.

Mais chacune de ces fleurs avait une valeur numérique, et j’inscrivais; je les faisais compter, parce que j’inscrivais la valeur numérique. Je me suis arrêtée quand mes pages... J’avais des pages qui étaient longues comme ça, n’est-ce pas (Mère étend les deux bras), parce que je totalisais les valeurs numériques. J’avais ma raison, ce n’était pas simplement comme ça... J’ai fait un grand travail avec ça. J’ai dû m’arrêter parce que cela me prenait trop longtemps. N’est-ce pas, quand il fallait écrire des chiffres sur une feuille qui s’étendait sur une longueur au moins comme ça, et puis qu’après, tout d’un coup, il fallait que ce soit encore plus grand, c’était impossible! (Mère étend à nouveau les deux bras) Alors j’ai été obligée de m’arrêter. J’ai arrêté à cause de cela. Mais non seulement j’avais une valeur numérique et je faisais un travail là-dessus, mais il y avait le sens de la fleur.

Eh bien, c’était une convention comme ceci : la valeur numérique correspondait à quelque chose qu’il était entendu que la Nature me donnerait pour mon travail ; mais la signification de la fleur aussi, c’était quelque chose qui était entendu entre moi et la Nature. Par exemple, prenez la « Transformation ». Quand il y avait les calculs — c’était par milliers quelquefois, au moment de la saison, n’est-ce pas —, eh bien, cela représentait (c’était entendu avec la Nature) que ce nombre de gens seraient transformés... Et alors, c’était beaucoup mieux que ça. C’était que quand je donnais à quelqu’un une, deux, trois, quatre, cinq fleurs, je lui donnais en même temps le pouvoir de transformer autant d’éléments au-dedans de lui. Mais naturellement, pour que cela marche, en toute sincérité, il ne fallait pas que cela passe par le cerveau ; parce que les gens, lorsque leur tête marche (pas toujours de la vraie manière), ils abîment tout. C’est pour cela que je n’en disais jamais rien.

C’était la même chose pour toutes les fleurs, pour l’« Aspiration » par exemple : ces fleurs d’« Aspiration » qui venaient dans ces grands paniers pleins, n’est-ce pas, il y en avait des milliers et des milliers qui étaient comptées... Eh bien, chacune représentait une aspiration; et maintenant encore, quelquefois, quand j’ai des fleurs comme les « Prières »... Il m’est arrivé de vous dire, quand je vous distribue les « Prières » : « C’est une prière. Prenez garde, cette prière, elle est accordée. » Je l’ai fait, vous devez vous souvenir, n’est-ce pas? Et je vous ai dit : « Faites attention à votre prière, ne priez que pour ce que vous voulez qui soit! Faites bien attention! Parce que cette prière est accordée. Je donne la fleur, mais en même temps la possibilité de [...17 ] la prière que vous ferez. Eh bien, elle sera accordée! » C’était très intéressant, dans ce sens que je disais toujours à la Nature : « Tu sais, si tu ne veux pas que j’aie ces choses, il ne faut pas me les donner. » Il y avait des fluctuations, certaines fois cela venait en grande quantité, quand je mettais l’insistance; certaines fois cela s’arrêtait brusquement, on ne savait pourquoi, on ne comprenait pas... Elle n’était pas d’accord pour nous donner... Pour d’autres choses, au contraire, elle donnait avec une abondance formidable.

Mais tout cela, c’est ce qui se passe derrière la scène, derrière le décor...

Quand on a une bague ou quelque ornement avec ton image, est-ce que ça nous donne la protection?

Mon enfant, je n’entends que le feu d’artifice!

Quand on a une bague ou quelque ornement avec ton image, est-ce que ça nous donne de la protection?

Cela dépend surtout de ce que vous en pensez. Ce que je vous donne de la main à la main, j’y mets quelque chose; mais si c’est de votre propre choix que vous avez choisi une bague ou un portrait, une chose, et puis que vous la portez... si vous avez confiance, si vous avez la foi que cela vous protège, cela vous protège. Quand moi je le donne, je le donne avec tout à fait autre chose que la chose elle-même. Elle peut contenir cette chose si je la mets, mais si je ne la mets pas elle ne la contient pas.

Sri Aurobindo disait, n’est-ce pas, que de porter une bague avec son portrait en pensant que cela vous protège, c’est une superstition! Il vous dirait : c’est une superstition. C’est-à-dire que cela dépend de ce que vous en pensez... Cela dépend exclusivement de ce que vous en pensez. Si lui vous avait donné une bague en vous disant : « Porte ça, ma force sera avec toi », alors c’est tout à fait différent, il y a un monde de différence.

Je vous raconterai une autre petite histoire. Il y avait des gens qui croyaient qu’une pièce percée... C’était le temps où on ne perçait pas les pièces... Maintenant il y a des pièces qui sont percées, n’est-ce pas, il y a des pays qui ont des pièces percées; mais dans le temps on ne les perçait pas, et alors il y avait quelquefois des trous dans une pièce. Et il y avait justement une superstition comme cela que, quand on trouve une pièce percée, cela porte bonheur. Cela vous porte bonheur et cela fait réussir ce que vous voulez faire.

Il y avait un employé comme ça, dans un bureau, qui avait une vie assez « maigre » et qui ne réussissait pas trop bien, qui un jour a trouvé une pièce percée. Il l’a mise dans sa poche et il s’est dit : « Maintenant je vais réussir! » Et il était plein d’espoir, de courage, d’énergie, parce qu’il savait : « Maintenant que j’ai la pièce, je suis sûr de réussir! » Et en effet, il continuait à réussir, à réussir, de plus en plus. Il gagnait de plus en plus d’argent, il avait une position de plus en plus grande et on disait : « Quel homme merveilleux ! Comme il travaille bien! Comme il trouve toutes les solutions à tous les problèmes! » Enfin, c’était devenu un homme remarquable et tous les matins quand il mettait sa veste, il touchait — comme ça — pour être sûr que sa pièce était dans sa poche... Il touchait, il sentait que la pièce était là, et il avait confiance. Et puis, un jour, il a eu une sorte de curiosité, et il a dit : « Je vais voir ma pièce » — des années après —, il était en train de déjeuner avec sa femme et il a dit : « Je vais voir ma pièce! » Alors sa femme lui a dit : « Pourquoi veux-tu voir ta pièce? Ce n’est pas nécessaire. » — « Si, si, laisse-moi voir ma pièce. » Il sort le petit sac dans lequel était la pièce, et il trouve dedans une pièce qui n’était pas trouée!

« Ah! dit-il, ce n’est pas ma pièce! Qu’est-ce que c’est que ça ? Qui a changé ma pièce? » Alors sa femme lui dit : « Figure-toi qu’un jour, il y avait de la poussière sur ta veste... Je l’ai secouée par la fenêtre, la pièce est tombée. J’avais oublié qu’il y avait la pièce dedans. J’ai couru la chercher, mais je ne l’ai pas trouvée. Quelqu’un l’avait ramassée. Alors j’ai pensé que tu serais très malheureux et j’ai mis une autre pièce. » (rires) Seulement lui, n’est-ce pas, il avait confiance que sa pièce était là, cela suffisait.

C’est la foi, c’est la confiance qui fait, n’est-ce pas... La pièce trouée ne vous donne rien du tout. Vous pouvez toujours essayer. Si vous avez confiance, cela vous donne... Quand on a confiance...

Voilà !... et maintenant ça suffit.

Le 21 juillet 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre III de La Mère.

Quels sont ceux qui n’ont pas posé de questions la dernière fois? Premier!

Quelle est la différence entre « la vérité divine, spirituelle et supramentale? »

Si j’entendais seulement ce que tu dis, ce serait plus commode!

Quelle est la différence entre « la vérité divine, spirituelle et supramentale? »

La vérité divine...?

« ... spirituelle et supramentale... »

Je ne pense pas qu’il y a beaucoup de différence!

Douce Mère, que veut dire « une foi candide » ?

Candide? C’est simple, sincère et qui ne doute point. On parle surtout de la candeur d’un enfant, qui a une foi simple et sans doute.

Douce Mère, est-ce qu’on repousse la Grâce divine chaque fois qu’on fait une faute?

Hein? On repousse chaque fois que l’on fait une faute?

Eh bien, il y a deux genres différents de fautes. Il y a la faute que l’on fait par ignorance. Cela demeure une faute, et cela met un voile entre la Grâce et vous, mais c’est la faute que l’on fait sans savoir que l’on fait une faute. Mais dès que l’on sait que c’est une faute, alors il faut s’abstenir absolument de le faire, parce que chaque fois qu’on le fait, c’est vrai que l’on construit un mur entre soi et la Grâce divine.

Il y a une très grosse différence entre la faute que l’on fait par ignorance, et que l’on ne fera plus dès que l’on sait que c’est une faute, et la faute que l’on fait sachant que c’est une faute. Et ça, ça s’appelle obstination! Et ça, c’est plus sérieux, c’est même très sérieux. Cela voile la conscience beaucoup, cela voile la conscience tellement, qu’au bout d’un certain temps on ne sait plus du tout que l’on fait des fautes. On les fait en croyant qu’on ne les fait pas. On donne tant d’excuses et de légitimations à tout ce que l’on fait, que l’on finit par croire qu’on ne fait plus de fautes du tout. Alors là, cela devient très grave, parce qu’on est incorrigible!

Quelle est la différence entre la réceptivité et l’ouverture?

Nous avons déjà dit cela une fois. J’ai déjà répondu. Ça ! je vous ait dit que je ne répéterai pas deux fois la même chose, parce que je veux vous habituer à vous rappeler ce que j’ai dit.

Mère, que veut dire « une foi égoïste... colorée par l’ambition » ?

Oui. Par exemple, si l’on veut devenir quelqu’un de très important, avoir une situation considérable, ou attirer l’admiration des gens qui vous entourent, devenir un grand sâdhak, un grand sannyâsî, un grand yogi, etc., quelqu’un de tout à fait important, ça, ça s’appelle avoir une foi pleine d’ambition. Vous avez la foi que cela peut arriver, vous avez la foi dans le Divin, mais c’est pour votre petite gloriole personnelle; et ça, ce n’est plus quelque chose de pur, de sincère et de droit. C’est une chose qui est entièrement pour le profit personnel. Naturellement, il n’est pas question là-dedans d’aucun don de soi; c’est un accaparement de forces autant qu’il vous est possible de les accaparer, c’est-à-dire le mouvement opposé au mouvement véritable. Cela arrive beaucoup plus souvent qu’on ne croit. Ce mouvement d’ambition est souvent caché tout au fond de l’être et il vous pousse, comme ça, par derrière... Il vous donne des coups de fouet pour que vous avanciez. C’est une espèce d’orgueil voilé.

Mère, pourquoi est-ce que les gens reçoivent de la force, puisque le Divin sait qu’ils ne sont pas sincères?

Écoute, mon petit, jamais le Divin n’a des notions humaines dans ses façons d’agir. Il faut bien te mettre cela dans la tête une fois pour toutes. Il fait probablement les choses sans ce que nous appelons des raisons. Mais en tout cas, s’Il en a, ce ne sont pas les mêmes que les raisons humaines, et Il n’a surtout pas le sens de la justice tel que l’entendent les hommes.

Par exemple, vous concevez très bien qu’un homme qui est assoiffé de biens, et qui essaye de tromper les gens pour avoir de l’argent... dans votre idée de justice, cet homme devrait être privé de tous biens et réduit à la pauvreté. Il se trouve que, généralement, c’est le contraire qui se passe. Mais ça, ce sont seulement les apparences. Derrière les apparences, il y a autre chose... Il échange cela pour d’autres possibilités. Il peut avoir de l’argent, mais il n’a plus de conscience. Et au fond, ce qui arrive presque toujours, c’est que lorsqu’il a l’argent qu’il a désiré, il n’est pas heureux... Et plus il en a, généralement, moins il est heureux. Il est, n’est-ce pas, tourmenté par le bien qu’il a gagné.

Il ne faut pas juger les choses d’après un succès extérieur, ou un semblant de défaite. On peut — et en général c’est toujours ce qui se passe —, on pourrait dire que le Divin donne ce que l’on désire, et que de toutes les leçons, c’est la meilleure. Parce que si votre désir est inconscient, obscur, égoïste, vous augmentez en vous l’inconscience, l’obscurité et l’égoïsme, c’est-à-dire que cela vous éloigne de plus en plus de la vérité, de la conscience et du bonheur. Cela vous éloigne du Divin. Et pour le Divin, naturellement, il n’y a qu’une chose qui soit vraie, c’est la Conscience divine, l’Union divine. Et chaque fois que vous mettez en avant les choses matérielles, vous devenez de plus en plus matériel et vous vous éloignez de plus en plus du plein succès.

Mais ce succès, pour la Vérité, est une terrible défaite... Vous avez échangé la Vérité pour le Mensonge.

Juger selon les apparences et le succès apparent, c’est justement un acte de complète ignorance. Même chez celui qui est le plus endurci, même celui pour qui tout a apparemment réussi, il y a toujours une contrepartie. Et cette espèce de durcissement de l’être qui se produit, ce voile qui se construit, de plus en plus épais, entre la conscience extérieure et la vérité intérieure, devient, un jour ou l’autre, tout à fait intolérable. Cela se paye très cher, généralement, le succès extérieur.

Il faut être très grand, très pur, avoir une conscience spirituelle très haute et très désintéressée pour pouvoir réussir sans en être affecté. Rien n’est plus difficile que d’avoir du succès. Ça, c’est la vraie épreuve de la vie!

Quand vous ne réussissez pas, tout naturellement, vous vous retournez sur vous-même et au-dedans de vous, et vous cherchez au-dedans de vous la consolation de votre échec extérieur. Et ceux qui ont une flamme au-dedans d’eux, si le Divin veut vraiment les aider, s’ils sont mûrs pour être aidés, s’ils sont prêts pour suivre le chemin, les coups viendront l’un après l’autre, parce que cela aide. C’est l’aide la plus puissante, la plus directe, la plus efficace. Si vous réussissez, méfiez-vous, dites-vous : « À quel prix, de quel prix ai-je payé le succès? J’espère que ce n’est pas un pas vers... »

Il y a ceux qui ont dépassé cela, ceux qui sont conscients de leur âme, ceux qui se sont donnés entièrement, ceux qui, comme je l’ai dit, sont absolument purs, désintéressés, et qui peuvent réussir sans que ça les atteigne et sans que ça les touche, alors, là, c’est différent. Mais il faut être très haut pour pouvoir supporter le succès. Et après tout, c’est peut-être la dernière épreuve que le Divin donne à quelqu’un : « Maintenant tu es noble, tu es désintéressé, tu n’as plus d’égoïsme, tu n’appartiens plus qu’à moi, je vais te faire triompher. Nous allons voir si tu tiendras le coup. »

De quelle manière est-ce que la Shakti divine agit contre les asuras?

Je n’entends rien!... Agit contre les asuras? Pourquoi veux-tu savoir ça ?

C’est intéressant! (rires)

Peut-être qu’à eux aussi Elle donne ce qu’ils veulent avoir. (silence) Et généralement, cela hâte leur fin. Il y a asura et asura... c’est-à-dire que... non, les asuras sont des asuras, mais il y a tous ceux qui sont sortis d’eux, et qui sont des êtres de qualité inférieure.

Un asura est généralement un être conscient et il sait qu’il a une fin. Il sait que l’attitude qu’il a prise dans l’univers le détruira nécessairement après un certain temps. Naturellement, le temps d’un asura est extrêmement long si on le compare au temps d’un homme. Mais enfin, il sait qu’il y a une fin, parce qu’il s’est coupé lui-même de l’Éternité. Et alors, il essaye de réaliser son plan aussi totalement qu’il le peut, jusqu’au jour de sa défaite totale. Et il se peut que si on le laisse faire, la défaite arrive plus tôt. C’est peut-être pour cela qu’au moment où les grandes choses vont s’accomplir, c’est à ce moment-là que les forces adverses sont les plus actives, les plus violemment actives, et en apparence les plus pleines de succès. Elles semblent avoir le champ libre : c’est peut-être pour que ce soit plus vite fini.

(long silence)

C’est tout?

Douce Mère, que veut dire « arrogance mentale » ?

Mes enfants, par-lez dis-tinc-te-ment! Il n’y a pas besoin de crier fort... Il faut articuler clairement!

Douce Mère, que veut dire « arrogance mentale » ?

L’arrogance mentale? Cela veut dire... ce que vous avez tous! (rires)

Je ne connais pas d’être humain qui n’ait pas d’arrogance mentale. Il y en a qui en ont un peu, il y en a qui en ont beaucoup, il y en a qui sont entièrement faits de cela... Le mental est, par sa nature même, quelque chose d’essentiellement arrogant. Il s’imagine qu’il peut savoir, il s’imagine qu’il peut juger, et il passe son temps à juger de tout — au-dedans de vous, sur vous-même, sur les autres, sur toutes choses!

Dernièrement, il est arrivé une histoire très amusante. Quelqu’un a écrit, et s’est mis à exprimer un doute sur quelque chose que Sri Aurobindo avait dit. Mais alors, après, il a dit : « Mais il ne faut pas que nous oubliions que celui qui a écrit cela est au moins aussi intelligent que nous! » (Mère rit) Quand on passe son temps à juger les choses, si on se dit : « Mais peut-être que l’autre est au moins aussi intelligent que moi! », on serait moins...

Mais vous n’avez qu’à vous observer... vous pouvez vous toucher, vous attraper au moins cent fois par jour, avec un mental qui décide de tout, qui sait tout, qui juge de tout, qui sait très bien ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui est vrai, ce qui est faux, ce qui est juste... Et puis, comment l’on doit agir, ce qu’il faudrait que celui-là ait fait, comment résoudre ce problème... Tous les gens savent, n’est-ce pas... S’ils étaient, par exemple, à la tête des gouvernements, ils sauraient très bien comment tout arranger! Mais on ne les écoute pas... Voilà tout!

Vous n’avez qu’à vous regarder, vous verrez, vous vous attraperez tout le temps... Sans parler de ceux qui ont déjà décidé depuis longtemps de toutes les erreurs que Dieu a commises et comment le monde serait si c’était eux qui avaient été chargés de le faire! Voilà.

Comment, avec le contact de la Grâce divine, les difficultés deviennent-elles des occasions de progrès?

Des occasions de progrès? Oui. Eh bien, ça, c’est une chose tout à fait évidente. Vous avez fait une grosse faute, vous vous trouvez dans une grande difficulté : alors, si vous avez la foi, si vous avez confiance dans la Grâce divine, si vous vous en remettez à Elle vraiment, vous vous apercevrez tout d’un coup que c’est une leçon, que votre difficulté ou votre faute n’est rien autre qu’une leçon et que c’est pour vous apprendre à trouver en vous ce qui doit être changé; et avec cette aide de la Grâce divine, vous découvrirez en vous ce qui doit être changé. Et vous le changerez. Et alors, d’une difficulté, vous aurez fait un grand progrès, un saut en avant considérable. Ça, ça se passe tout le temps. Seulement, il faut être vraiment sincère, c’està-dire, s’en remettre à la Grâce et la laisser travailler en vous — pas comme cela : une partie de vous demande que vous soyez aidé, et l’autre résiste autant qu’elle peut, parce qu’elle ne veut pas changer... Cela, c’est la difficulté.

Tout ce qu’il dit, tout le temps, c’est : complètement, totalement, sincèrement, sans restriction. Parce qu’il y a une partie de l’être qui a une aspiration, il y a une partie de l’être qui se donne, et il y en a d’autres... quelquefois une petite partie, quelquefois une grosse partie, qui se cache bien, tout au fond, et se tient tout à fait tranquille pour qu’on ne la découvre pas, mais qui résiste avec toute sa force, de façon à ne pas changer. Et alors on s’étonne que... avec : « Oh, j’avais une si belle aspiration, j’avais tant de bonne volonté, j’avais un si grand désir de changer, et puis, voilà que je ne peux pas! Pourquoi? » Alors, naturellement, votre arrogance mentale vient et dit : « Je n’ai pas reçu la réponse que je méritais, la Grâce divine ne m’aide pas, et on me laisse me débrouiller tout seul », etc., etc.

Ce n’est pas ça. C’est qu’il y a, cachée quelque part, une petite chose qui est bien lovée, là, repliée, tournée sur elle-même, et bien cachée, bien au fond, comme dans le fond d’une boîte, et qui refuse de bouger. (Mère parle tout bas) Alors quand l’effort, l’aspiration s’atténue, se calme, ça jaillit comme cela, doucement, et puis ça veut imposer sa volonté et ça vous fait faire exactement ce que vous ne vouliez pas faire, ce que vous aviez décidé que vous ne feriez pas, et que vous faites, sans savoir ni comment ni pourquoi. Parce que c’était là, et cela a eu son tour — pour des petites choses, pour des grandes choses, pour des détails, même pour la direction de la vie.

Il y a des gens qui voient clair, qui savent si bien ce qu’ils devraient faire, et qui sentent qu’ils ne peuvent pas... Ils ne savent pas pourquoi. Ce n’est pas autre chose que cela. Il y a un petit coin qui ne veut pas et ce petit coin attend son heure. Et le jour où on lui permettra, par relâchement, par fatigue, par somnolence, par un peu d’inertie, on lui permettra de se montrer, lui, il se montrera avec toute une énergie concentrée, accumulée, et il vous fera faire, il vous fera dire, il vous fera sentir, il vous fera agir exactement à l’opposé de ce que vous aviez décidé de faire! Et vous serez là : « Ah! que c’est décourageant! » Alors il y a des gens qui disent : « Fatalité! » Ils pensent que c’est une fatalité. Ce n’est pas une fatalité, c’est eux-mêmes!... C’est qu’ils n’ont pas, ils ne se sont pas servis de la lumière du phare. Ils n’ont pas tourné la lumière du phare dans les petits coins cachés de leur être, ils n’ont pas découvert ce qui était bien caché. Ils l’ont laissé là, et puis ils ont fait comme ça (Mère détourne la tête) pour ne pas le voir. Que de fois on sent tout d’un coup qu’on est sur le point d’attraper quelque chose, heup! Ça fait un peu mal... C’est gênant... Alors on pense à autre chose, et c’est tout. L’occasion est passée. Il faudra attendre une autre fois, faire encore un certain nombre de bêtises, avant de pouvoir avoir l’occasion d’attraper la chose par la queue, comme ça, ou par l’oreille, ou par le nez, et puis de la tenir et de lui dire : « Non! tu ne te cacheras plus maintenant, je te vois telle que tu es, et tu dois ou t’en aller ou changer! »

Il faut avoir une poigne solide, et une résolution inébranlable. Comme notre histoire japonaise de l’autre jour, ce soldat qui avait un couteau dans son genou pour être sûr de ne pas dormir... Et quand il sentait qu’il avait bien sommeil, il tournait le couteau de façon à ce que cela fasse encore plus mal. Il faut avoir quelque chose comme ça. Ça, ça c’est de la détermination : savoir ce que l’on veut et le faire. Voilà.

Mère, est-ce que je peux demander quelque chose?

Demande!

Mère, la dernière fois je n’ai pas compris une chose... ce que tu as dit... Quand tu comptais les fleurs de « Transformation », le chiffre montrait le nombre des gens qui seraient transformés?

(Après un silence) Ça, ça dépendait de l’arrangement préalable que j’avais fait, n’est-ce pas... Un jour, cela pouvait être une chose; un jour, cela pouvait être une autre. Quelquefois, c’étaient seulement des mouvements, des éléments, des cellules... Quelquefois, c’étaient des gens. Cela dépendait de ce que je voyais comme étant possible, et de l’arrangement que j’avais fait avant de compter.

C’était comme quand je donnais aux gens un certain nombre de fleurs. Quelquefois, cela voulait dire : « Autant de mouvements en vous, autant d’éléments de votre être pourront être changés. » D’autres fois, je leur donnais un certain nombre de fleurs, eh bien : « Vous aurez le pouvoir de changer, d’apporter la transformation à autant de gens qu’il y a de fleurs » — et toutes sortes de choses comme cela. Ce n’était pas toujours la même chose. Mais c’était toujours un pouvoir de transformation de quelque chose... Cela peut être la transformation de la volonté, cela peut être la transformation de l’action, cela peut être la transformation matérielle de cellules, cela peut être une transformation de vous... la transformation d’étoiles dans l’univers... de beaucoup de choses... Cela dépendait des gens.

Quand c’était pour les gens, est-ce que c’était une transformation totale, Douce Mère?

Quelquefois. Généralement, aussi, il y avait des associations avec d’autres fleurs... Il y avait des moments où l’on pouvait organiser une chose plus qu’une autre... Il y avait des fois... il y a des fois où j’ai arrangé des fleurs comme cela... Pour certaines gens, c’était une transformation totale. Mais quand...

Le temps nous échappe quelquefois, c’est difficile... Dans ces organisations-là, la chose la plus difficile à maîtriser, c’est le temps. On ne sait pas si ce sera dans une année ou dans cent ans... C’est difficile à maîtriser. Je n’ai jamais eu l’occasion de donner le sens du temps à des fleurs, et probablement ce n’est pas possible. Peut-être cela viendra, mais pour le moment c’est un élément qui est difficile à mesurer.

Douce Mère, « transformation d’étoiles » veut dire?

Cela veut dire quoi? Quelle est ta question? J’ai parlé de transformation d’étoiles... Si tout l’univers doit se transformer, les étoiles se transformeront aussi! Pourquoi veux-tu que ce soit seulement sur la terre?

Il y avait des gens ici qui avaient une très grande aspiration, mais qui pour une raison quelconque se sont révoltés et sont partis. Et ceux-là sont spécialement contre l’Ashram. Mais alors, est-ce qu’on peut dire qu’un jour ils reviendront?

Reviendront? Ça, c’est... Je te dirai ça personnellement.

Cela dépend de quelque chose... On peut mettre cela comme ça : d’abord — il y a la question même dans la Gîtâ —, il y a deux genres d’êtres âsouriques. Il y a ceux qui pourront se convertir et qui se convertiront — après tout, peut-être qu’il suffit qu’à un moment donné, ne serait-ce que pour un éclair, ces êtres aient conçu la possibilité de la conversion pour que cela se passe un jour. Et il y a ceux qui, d’une façon tout à fait consciente et volontaire, ont décidé qu’ils aimaient mieux être dissous et disparaître. Alors ceux qui veulent être dissous seront dissous et ceux qui veulent être convertis seront convertis. C’est comme ça dans la vie!

Il y a ceux qui meurent, il y a ceux qui reviennent. C’est généralement une chose connue, presque une chose décidée. On peut dire avec certitude : ceux-là, ils mourront. Ils mourront — ils mourront, c’est-à-dire qu’ils se coupent complètement de leur âme. D’ailleurs ils peuvent avoir, comme je le disais tout à l’heure, une vie tout à fait... qui semble avoir tout à fait réussi. Ils ne sont pas nécessairement malheureux physiquement, il s’en faut de beaucoup ; quelquefois, au contraire, tout leur réussit. Et puis il y a ceux, au contraire, qui sont peut-être sous une grâce spéciale, qui, dans leur aventure, rencontrent les pires déboires; et au bout d’un certain temps, ils se rendent compte qu’ils ont été fous, idiots, stupides. Et alors... ils reviennent. Cela dépend des gens. Au fond, quand ils réussissent, cela veut dire qu’ils sont condamnés; quand ils ne réussissent pas, c’est que, ma foi, c’est la Grâce qui est restée avec eux.

Mais ce sera surtout après leur mort qu’il y aura une différence, parce que les êtres humains qui ont permis à des forces adverses de s’emparer d’eux et de gouverner leur vie, dès qu’ils quittent leur corps, ils sont simplement avalés, c’est tout! Ils ont déjà coupé la connexion avec leur être psychique, alors leur être psychique s’est souvent déjà éloigné dans d’autres mondes... Et alors, leur être vital, qui est le réceptacle de ces forces, dès qu’il quittera le corps, il sera tout simplement avalé, et c’est tout. Et alors, ils mourront pour de bon. Cela ne fera pas beaucoup de différence dans le monde. Cela ne changera pas grand-chose.

Douce Mère, par quoi est-ce qu’ils seront avalés?

Par un être vital encore plus grand! (rires) N’est-ce pas, ils ont en eux une émanation de forces adverses vitales, et l’être, ou la puissance qui a émané cette force, elle l’avait émanée pour se servir du corps, pour lui faire faire justement, dans la vie matérielle, les choses qu’elle voulait faire. Mais alors, quand il n’y a plus de corps, ce n’est plus intéressant... N’est-ce pas, c’était ce corps qui était destiné à faire un certain nombre de choses pour agir contre l’action divine. Une fois que le corps a disparu, on retire alors l’émanation et toute la force qui était avec, et on la réavale pour une autre occasion.

Ils passent leur temps à faire cela. Ils émanent, et puis ils réabsorbent, quand ça leur plaît, quelquefois avant la mort... c’est-à-dire que cela hâte un peu la mort. Ça laisse l’être comme une sorte de chique sans force, sans vie, sans rien... Cela arrive, cela les rend tout à fait fous. Ou alors, quand on meurt dans une catastrophe quelconque, comme c’est arrivé durant la guerre, tout de suite... heup! Cela fait comme une ventouse, cela absorbe tout, cela réavale pour une autre occasion. Ça cherche cela, ce qui est prêt pour recevoir cela, et ça le rend... Il y a toujours quelqu’un qui est ouvert pour le recevoir, et qui, immédiatement, se croit un être très supérieur; parce que ça donne cela, ça donne aux gens le sens qu’ils sont vraiment, exceptionnellement remarquables... Ils sont capables de voir les défauts des choses que les autres ne voient pas; leur jugement est plus sain que le jugement de centaines d’autres individus. Ils ont d’ailleurs décidé, ils sont de ceux qui ont décidé comment doit être la création, et qui essayent de le faire, de mettre les choses à leur place, comme elles doivent être.

J’ai eu cela : des gens qui, à un moment de lucidité ou de sincérité, une seconde de sincérité, avaient demandé à être libérés de l’émanation hostile qui les faisait agir. Et alors, dans ce moment de sincérité, cette émanation sortait d’eux, et sans faire de mal au corps, on pouvait l’attraper et la détruire. Ça, ça m’est arrivé plusieurs fois.

Alors pendant quelques jours, l’être est si heureux... et il se sent libre, il se sent bon, il se sent lumineux... Et puis tout d’un coup, il se dit : « Mais je n’ai plus de pouvoir! Je ne sais plus, je ne peux plus, je suis un être tout à fait ordinaire! » Et alors : « Mais ce n’est pas bien du tout, c’était beaucoup mieux avant! » Et alors, comme ces forces adverses sont innombrables — ces entités sont par milliers et milliers, n’est-ce pas, qui sont là, à grouiller autour des gens, attendant seulement l’occasion de pouvoir se précipiter dans quelqu’un —, immédiatement on réabsorbe sa dose, et on redevient ce qu’on était avant, quelquefois pire. Et alors, la comédie recommence.

Mais moi, je ne marche plus, une fois suffit! Vous y tenez trop, gardez votre petit être hostile avec vous! C’est inutile, dans ce cas-là. Mais c’est cela, c’est le sentiment, tout d’un coup, d’avoir perdu son pouvoir. Cela arrive d’ailleurs aux gens ambitieux, surtout aux gens ambitieux qui veulent avoir le pouvoir, qui veulent dominer les autres, qui veulent être de grands maîtres, de grands instructeurs, qui veulent faire des miracles, avoir des pouvoirs extraordinaires... c’est à ceux-là que ça arrive le plus souvent. Ceux qui ont une espèce d’ambition, là, qui tourne dans leur esprit. Ça, c’est dangereux.

Il est si bon d’être simple, simplement de bonne volonté, de faire ce que l’on peut faire de mieux, et de la meilleure manière possible; de ne rien bâtir de considérable, mais seulement d’aspirer au progrès, à la lumière, à une paix pleine de bonne volonté, et laisser Ce qui sait dans le monde décider pour vous de ce que vous deviendrez, et de ce que vous aurez à faire. On n’a plus de soucis, et on est parfaitement heureux !

Voilà.

Le 28 juillet 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre IV de La Mère.

Comment est-ce que l’argent se manifeste dans d’autres plans?

Quels autres plans? Il a dit vital et physique, n’est-ce pas, que c’est une force qui se manifeste dans le plan vital et dans le plan physique. Les forces vitales ont une très grande influence sur l’argent.

(Après un silence) N’est-ce pas, quand on pense à de l’argent on pense à des billets de banque, ou à des pièces de monnaie, ou à des richesses quelconques, des choses précieuses. Mais cela, c’est seulement l’expression physique d’une force que l’on peut manier vitalement et qui, quand on la possède et qu’on la contrôle, amène presque automatiquement ces expressions plus matérielles de l’argent. Et cette chose-là est une sorte de puissance. (silence) C’est une puissance d’attraction pour certaines vibrations très matérielles, et qui a une capacité d’utilisation qui augmente sa puissance — qui fait comme un exercice physique, n’est-ce pas —, cela augmente cette puissance par l’utilisation.

Par exemple, si vous avez le contrôle de cette force, c’est une force qui, dans le monde vital, a une couleur qui varie entre le rouge, un rouge sombre extrêmement puissant de couleur, et un or foncé qui n’est pas brillant ni très clair. Eh bien, cette force-là, quand on la fait mouvoir, circuler, sa puissance augmente. Ce n’est pas une chose que l’on peut accumuler et garder sans agir. C’est une force qui doit toujours circuler. Les gens, par exemple, qui sont des avares et qui accumulent tout l’argent et tous les biens qu’ils peuvent attirer vers eux, ils laissent cette force sans utiliser son pouvoir de mouvement; et ou bien elle s’échappe, ou alors elle s’engourdit et elle perd de sa puissance.

La vraie manière d’être dans le courant de cette force de l’argent, c’est justement ce qui est écrit là : un sens d’absolue impersonnalité, le sens que ce n’est pas une chose que vous possédez, qui est à vous, mais que c’est une force que vous pouvez manier pour la diriger là où elle doit aller afin de faire son œuvre la plus utile. Et c’est par ces mouvements, par cette action constante que le pouvoir augmente — le pouvoir d’attraction, un certain pouvoir d’organisation aussi. C’est-àdire que même quelqu’un qui n’aurait aucun moyen physique, qui ne serait pas dans des conditions matérielles où il pourrait manier matériellement l’argent, s’il est en possession de cette force, il peut la faire agir, la faire circuler, et si jamais il le juge nécessaire, recevoir d’elle autant de pouvoir qu’il en a besoin, sans que, extérieurement, il n’y ait ni aucun signe, ni aucune raison pour que l’argent s’approche de cette personne. Elle peut se trouver dans des conditions tout à fait contraires aux richesses habituelles, et pourtant manier cette force et avoir toujours à sa disposition tous les biens nécessaires pour continuer à faire son action.

Par conséquent, c’était comme cela, n’est-ce pas : cette lettrelà était écrite à quelqu’un qui voulait aller dans le monde pour rassembler de l’argent pour l’œuvre de Sri Aurobindo, et cette personne elle-même n’avait pas de moyens du tout. Et alors elle avait commencé par dire à Sri Aurobindo : « Mais comme moi je n’ai pas de moyens, les gens n’auront pas confiance en moi, et je ne pourrai rien avoir. » Et Sri Aurobindo lui avait répondu à peu près ceci, que ce n’est pas la force extérieure dans sa forme la plus matérielle qui est nécessaire, c’est le maniement de cette force intérieure qui fait que l’on obtient le contrôle sur l’argent partout où il est : qu’il soit dans des établissements publics, ou qu’il soit chez les individus, on obtient le contrôle sur lui et l’on peut, par un certain mouvement, lorsqu’il est nécessaire, attirer ce qu’il faut.

Douce Mère, de quelle manière est-ce que les forces de l’argent ont quitté le Divin?

Hein?

De quelle manière est-ce que les forces de l’argent ont quitté le Divin?

C’est justement le mot de ta question que je ne comprends pas. De quelle façon, de quelle manière les forces de l’argent...?

... ont quitté le Divin?

Quitté? La force de l’argent appartient à un monde qui a été créé déformé. C’est une chose qui appartient au monde vital ; et il le dit, n’est-ce pas, il dit qu’il appartient aux mondes vital et matériel. Et alors de tout temps, de tout temps, cela a été sous le contrôle des forces âsouriques; et ce qu’il faut faire, c’est justement le reconquérir aux forces âsouriques.

C’est pour cela que dans le temps, tous les gens qui voulaient faire un yoga, ou suivre une discipline, disaient qu’il ne fallait pas toucher à l’argent, parce que c’était une chose — disaient-ils — diabolique, ou âsourique, ou enfin tout à fait contraire à la vie divine. Mais l’univers tout entier, dans toute sa manifestation, est le Divin même et, par conséquent, Lui appartient entièrement; et c’est sur ce terrain-là qu’il dit que les forces de l’argent appartiennent au Divin. Il faut les reconquérir pour les Lui donner. Elles ont été sous l’influence des forces âsouriques : il faut les reconquérir afin de les mettre à la disposition du Divin pour qu’Il puisse s’en servir pour Son œuvre de transformation.

(long silence)

Douce Mère, ce sont les hommes qui ont fait l’argent. Alors comment est-ce une puissance divine?

Hum! (riant) C’est comme si tu me disais : c’est un homme et une femme qui font un autre homme, alors comment est-ce qu’il peut être d’essence divine? C’est exactement la même chose! Toute la création est faite extérieurement par des choses extérieures, mais derrière cela, il y a les forces divines. Ce que les hommes ont inventé — des papiers ou des pièces de monnaie ou des objets —, tout cela, ce sont simplement des moyens d’expression, ce n’est pas autre chose que cela. Je viens de le dire tout de suite, ce n’est pas la force elle-même, c’est son expression matérielle, telle que les hommes l’ont créée. Mais c’est une pure convention. Par exemple, il y a des pays où l’on échange des petits coquillages à la place de l’argent. Il y a même des pays où... quelqu’un a écrit l’histoire comme ceci : dans le Nord, la richesse, c’est d’avoir des hameçons pour pêcher; et l’homme riche, c’est celui qui a la plus grande quantité d’hameçons. Vous savez ce que c’est que des hameçons? Les petits crochets de fer avec lesquels on attrape les poissons, et qu’on met au bout d’un fil. Alors celui qui est multimillionnaire, c’est celui qui a des quantités considérables d’hameçons!

C’est une pure convention. Ce qui est derrière, c’est cette force dont je parle, n’est-ce pas, et alors elle se manifeste de toutes les manières. Par exemple, même l’or, n’est-ce pas... Les hommes ont donné une certaine valeur à l’or, parce que de tous les métaux c’est celui qui se détériore le moins. Il se conserve presque indéfiniment. Et c’est pour cela, il n’y a pas d’autre raison que cela. Mais c’est une pure convention. La preuve, c’est que chaque fois que l’on a découvert une nouvelle mine d’or, et qu’on l’a exploitée, la valeur de l’or est descendue. Ça, ce sont simplement des conventions entre êtres humains. Mais ce qui fait la force de l’argent, ce n’est pas cela, c’est la force qui est derrière. Comme je le disais tout à l’heure, c’est une force qui est capable d’attirer et d’employer n’importe quoi, toutes les choses matérielles et... Alors cela s’emploie suivant une convention. Maintenant, il est entendu que les richesses sont représentées par des bouts de papier qui deviennent très sales, et sur lesquels on a imprimé quelque chose. C’est tout à fait dégoûtant, c’est juste bon pour allumer du feu, le plus souvent. Mais c’est considéré comme une grande fortune. Pourquoi? Parce que c’est une convention. Mais celui qui est capable, justement, d’attirer cela et de l’utiliser pour le bien, pour augmenter le bien de ce monde, le bien et le bien-être dans le monde, celui-là manie la force de l’argent, c’est-à-dire, la force qui est derrière l’argent.

En français, on appelle cela « argent ». « Argent », c’est aussi le nom d’un métal blanc qui est un petit peu plus, un peu plus joli et un peu plus durable que d’autres métaux, qui s’oxyde moins et qui s’abîme moins. Alors on appelle cela de l’argent. Et puis, par amplification, tout ce qui est biens, on l’appelle aussi de l’argent. C’est du papier, c’est de l’or, ce sont quelquefois simplement des choses écrites... Parce qu’il y a des fortunes considérables qui sont seulement des chiffres écrits sur du papier, même pas ces papiers qui circulent, simplement des livres! Il y a des fortunes qui sont des fortunes immenses, qui gouvernent le monde, et qui sont simplement écrites sur des papiers, comme ça, avec quelques écritures et quelques conventions entre hommes. La fortune peut augmenter, tripler, quadrupler et décupler, ou alors elle peut être réduite à rien. On vend de tout, on vend du coton, on vend du sucre, on vend du blé, on vend du café, on vend n’importe quoi, mais il n’y a rien! Il n’y a ni coton, ni sucre, ni blé, ni rien. C’est tout sur du papier! Et alors vous achetez pour des millions de coton : vous n’avez pas un bout de coton comme ça ! Mais c’est écrit sur le papier. Et alors, quelquefois, après, vous revendez. Si le prix du coton a augmenté, vous gagnez une fortune; s’il a diminué, vous perdez une fortune. Et vous n’avez avec vous ni argent, ni coton, ni rien, rien que du papier! (rires) C’est entièrement une convention.

Comment se fondre dans la Conscience divine l’ego séparatif de soi?

Comment se fondre dans la Conscience divine?

Comment faut-il se fondre l’ego séparatif de soi dans la Conscience divine?

Hein? « se fondre »?

... l’ego séparatif de soi...

Je ne comprends pas ce que tu veux dire. « Fondre? »

... dans la Conscience divine...

Oui, c’est bien ce que je veux dire... Comment se dissoudre, tu veux dire se dissoudre dans le Divin, et perdre son ego ?

D’abord il faut le vouloir. Et puis il faut aspirer d’une façon très persévérante, et il faut, chaque fois que l’ego se manifeste, il faut lui donner une tape sur le nez (Mère se tape sur le nez), jusqu’à ce qu’il ait reçu tant de tapes qu’il est fatigué d’en recevoir et il abandonne la partie.

Mais généralement, au lieu de lui donner une tape sur le nez, on légitime sa présence. D’une façon presque constante, quand il se manifeste, on se dit : « Après tout, il a raison. » Et dans la plupart des cas, on ne sait même pas que c’est l’ego, on croit que c’est soi-même. Mais la première condition, c’est de trouver essentiel de ne plus avoir d’ego. Il faut vraiment comprendre que l’on n’en veut pas. Ce n’est pas si facile. Ce n’est pas si facile... Parce qu’on peut bien, dans la tête, remuer des mots, dire : « Je ne veux plus d’ego, je ne veux plus être séparé du Divin. » Tout cela, ça se passe là-dedans, comme ça. Mais ça reste là, ça n’a pas beaucoup d’effet sur la vie. La minute suivante, on fait un acte purement égoïste, n’est-ce pas, et on le trouve tout à fait naturel. Cela ne vous choque même pas.

Il faut d’abord commencer à comprendre vraiment ce que cela veut dire. La première façon... N’est-ce pas, il y a beaucoup d’étapes. D’abord, il faut essayer de ne pas être égoïste. Ce qui est tout à fait autre chose, n’est-ce pas... Si vous prenez les mots anglais, vous comprenez la différence. En anglais, n’est-ce pas, il y a le mot « selfish », et puis il y a aussi le mot « egoism ». L’ego — « ego » — cela existe en anglais, et « selfish ». Et cela fait deux choses différentes; et en français, ils ne font pas cette différence. Ils disent : « Je ne veux pas être égoïste », n’est-ce pas. Mais ça, c’est une toute petite chose, toute petite! Les gens, quand ils cessent d’être égoïstes, ils croient qu’ils ont fait des progrès formidables! Mais c’est une toute petite chose. C’est simplement, oh, c’est simplement avoir le sens du ridicule. Vous n’imaginez pas comme c’est ridicule, les gens égoïstes!

Quand on les voit pensant tout le temps à eux, ramenant tout à eux, gouvernés simplement par leur petite personne, se mettre au centre de l’univers et tâcher d’organiser tout l’univers, y compris Dieu, autour d’eux-mêmes, comme si c’était la chose la plus importante dans l’univers! Ça, si l’on pouvait simplement s’objectiver, n’est-ce pas, comme on se regarde dans un miroir, se voir être, c’est si grotesque! (riant) Cela suffit pour vous... On sent tout d’un coup qu’on devient, oh! si absolument ridicule!

Je me souviens, j’ai lu en français — c’était une traduction — une phrase de Tagore qui m’a beaucoup amusée. Il parlait d’un petit chien. Il disait... il a comparé cela à quelque chose... Je ne me souviens plus des détails, mais ce qui m’a frappée c’est ceci : le petit chien qui est assis sur les genoux de sa maîtresse et qui s’imagine qu’il est le centre de l’univers! Cela m’a beaucoup frappée. C’est vrai! Je connaissais un petit chien comme ça. Mais il y en a beaucoup comme ça, presque tous sont comme ça. N’est-ce pas, ils veulent que tout le monde s’occupe d’eux, et en fait, ils réussissent très bien. Parce que quand il y a un petit chien, comme quand il y a un petit enfant — c’est la même chose à peu près —, tout le monde s’occupe d’eux.

Vous n’avez pas remarqué que quand il arrive un enfant qui est haut comme ça, tout le reste s’arrête? Les gens, auparavant, pouvaient parler, dire des choses intéressantes, s’occuper de choses un peu élevées; mais dès qu’il y a un petit enfant, tout le monde commence à faire des sourires, à faire le bébé, à essayer de le faire parler, à s’occuper de lui. On ne peut pas amener un enfant sans que tout le monde essaye de le tripoter, de le prendre, de le faire parler. Alors, naturellement, l’enfant se sent comme le centre de l’univers! C’est tout à fait naturel.

Pour un petit chien, c’est la même chose; pour un petit chat, c’est la même chose. C’est une sorte de... c’est une déformation très inférieure d’une sorte de besoin de protéger quelque chose qui est plus petit que soi. Et ça, c’est une des formes, c’est une des premières formes de manifestation non égoïste de l’ego. Il se sent si confortable quand il peut protéger quelque chose, s’occuper de quelque chose qui est beaucoup plus petit, beaucoup plus faible que soi, qui est presque à votre merci, presque — même tout à fait — à votre merci, qui n’a aucun pouvoir de résister. Et alors, vous vous sentez bon et généreux, parce que vous ne l’écrasez pas.

Ça, c’est la première manifestation de générosité dans le monde. Mais tout cela, quand on peut voir derrière, et un peu au-dessus, cela vous guérit d’être égoïste, parce que vraiment c’est ridicule. C’est vraiment ridicule!

Alors il y a un long, long, long chemin à faire, avant de fondre son ego dans le Divin.

Fondre son ego dans le Divin ! Mais d’abord on ne peut pas fondre son ego dans le Divin avant d’être complètement individualisé. Savez-vous ce que cela veut dire d’être complètement individualisé? Capable de résister à toutes les influences extérieures?

Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre de quelqu’un qui m’a dit qu’il hésitait beaucoup à lire des livres, de la littérature ordinaire, par exemple des romans ou des pièces de théâtre, parce que sa nature avait une tendance presque insurmontable à recevoir les empreintes des personnages de ces livres, et à recommencer à vivre dans le sentiment, dans la pensée de ces personnages-là, les caractères de ces personnages. Il y a beaucoup plus de personnes que l’on ne croit qui sont comme cela. Ils lisent un livre, et pendant le temps qu’ils le lisent, ils sentent en eux toutes sortes d’émotions, de pensées, de désirs, d’intentions, de plans, même d’idéals. Ils sont tout simplement absorbés par la lecture du livre. Ils ne s’en sont pas même aperçus, parce que, sur un individu, au moins quatre-vingtdix-neuf parties de son caractère sont faites de beurre tendre, immangeable naturellement, mais sur lequel, si on presse le pouce, cela fait une empreinte.

Alors tout est un « pouce » : une pensée exprimée, une phrase lue, un objet regardé, une observation de ce qu’un autre fait, et puis la volonté du voisin... Et toutes ces volontés, n’est-ce pas, quand on les voit, elles sont toutes là, comme ça, entremêlées (Mère fait des mouvements de doigts qui s’entrecroisent), chacune essayant d’avoir le dessus et faisant une espèce de conflit perpétuel dedans, dehors... Cela entre et cela sort des gens comme ça, n’est-ce pas, comme des courants électriques. On ne s’en aperçoit pas du tout, et c’est un conflit perpétuel de toutes les volontés qui essayent de s’exprimer; et c’est la plus forte qui réussira. Mais comme il y en a beaucoup, et que l’on est seul à lutter contre un grand nombre, ce n’est pas facile.

Et alors, on est ballotté comme un bouchon sur les vagues de la mer... Un jour on veut ceci, le lendemain on veut cela ; à un moment on est poussé de ce côté-ci, à un autre moment on est poussé par là ; tantôt on lève le nez au ciel, tantôt on est enfoncé dans le trou... Et puis voilà l’existence que l’on a !

D’abord il faut devenir un être conscient, cohésif, individualisé, qui existe en lui-même, par lui-même, indépendamment de tout son entourage, qui peut entendre n’importe quoi, lire n’importe quoi, voir n’importe quoi, que cela ne change pas. Il ne reçoit du dehors que ce qu’il veut recevoir; il refuse automatiquement tout ce qui n’est pas conforme à son plan, et rien ne peut laisser une empreinte sur lui à moins qu’il n’accepte de recevoir l’empreinte. Alors on commence à être une individualité. Quand on est une individualité, on peut en faire don.

Parce que, à moins qu’on ne possède quelque chose, on ne peut pas le donner. D’abord il faut être, et puis après, on peut se donner.

Tant que l’on n’est pas, on ne peut rien donner. Et pour que l’ego séparatiste, comme tu dis, disparaisse, il faut pouvoir se donner entièrement, totalement, sans restriction. Et pour pouvoir se donner, il faut d’abord exister. Et pour exister, il faut être individualisé.

Si votre corps n’était fait rigide comme il est — parce que c’est d’une rigidité terrible, n’est-ce pas —, eh bien, si tout cela n’était pas si fixe, si vous n’aviez pas une peau, là, comme ça, solide, si vous étiez extérieurement l’expression de ce que vous êtes vitalement et mentalement, ce serait pire que des méduses gélatineuses! Cela se fondrait l’un dans l’autre, comme ça... Oh! quel gâchis ça ferait! C’est pour cela qu’on a été obligé d’abord de donner une forme qui est très rigide. Après, on s’en plaint. On dit : « Le physique est fixe, il est ennuyeux ; il manque de plasticité, il manque de souplesse, il manque de cette fluidité qui fait que l’on peut se fondre, justement, dans le Divin. » Mais c’était tout à fait nécessaire, parce que sans cela, si simplement vous sortiez de votre corps (la plupart d’entre vous ne peuvent pas le faire parce que l’être vital est à peine plus individualisé que le physique), si vous sortiez de votre corps, et que vous alliez dans le monde vital, vous verriez là toutes les choses qui s’entremêlent, qui se mélangent, qui se divisent, toutes sortes de vibrations, de courants de forces qui vont, viennent, luttent, essayent de se détruire, s’accaparent, s’absorbent, se rejettent, et tout ça... Mais c’est très difficile de trouver une personnalité là-dedans. Ce sont des forces, ce sont des mouvements, ce sont des désirs, ce sont des vibrations.

Il y a des individualités, il y a des personnalités. Mais ce sont des puissances. Les gens qui sont individualisés, dans ce monde-là, ce sont ou des héros ou des diables.

Et alors, mentalement... (silence) Si seulement vous devenez conscient de votre mental physique en lui-même... Il y a des gens qui ont appelé cela une place publique, parce que tout y entre, traverse, passe, vient... Toutes les idées vont, elles entrent par ici, elles sortent par là, il y en a ici, il y en a là, et c’est une place publique, pas très bien organisée, parce que généralement des idées se rencontrent, se choquent, il y a des accidents de toutes sortes. Mais là, on se rend compte : « Qu’est-ce que je peux appeler mon mental? » ou : « Qu’est-ce qui est mon mental? »

Il faut des années de travail, d’organisation, de sélection, de construction, très attentives, très soignées, très raisonnables, très cohésives, pour arriver à se former simplement, oh! simplement cette petite chose : sa propre manière de penser.

On croit qu’on a sa propre manière de penser. La preuve, cela dépend totalement des gens avec qui l’on parle, ou des livres que l’on a lus, ou de l’humeur dans laquelle on se trouve. Cela dépend aussi de si vous avez une bonne ou mauvaise digestion, cela dépend de si vous êtes enfermé dans une chambre où il n’y a pas suffisamment de ventilation, ou si vous êtes en plein air, cela dépend de si vous avez devant vous un beau paysage, cela dépend de s’il y a du soleil ou s’il pleut! Vous ne vous rendez pas compte, mais vous pensez toutes sortes de choses tout à fait différentes suivant des tas de choses qui n’ont rien à faire avec vous-même!

Et pour que cela devienne une pensée coordonnée, cohésive, logique, il faut un long, minutieux travail. Et puis, le plus beau de l’affaire, c’est que quand vous êtes arrivé à une belle construction mentale, bien faite, bien forte, bien puissante, la première chose que l’on vous dira, c’est : « Il faut briser cela pour que vous puissiez vous unir au Divin! » Mais tant que vous ne l’avez pas fait, vous ne pouvez pas vous unir au Divin, parce que vous n’avez rien à donner au Divin qu’une masse de choses qui ne sont pas vous-même. Il faut d’abord exister pour pouvoir se donner. Je redis ce que j’ai dit tout à l’heure.

Vraiment, dans l’état actuel du monde, la seule chose que l’on puisse donner au Divin, c’est son corps. Mais c’est ce qu’on ne Lui donne pas. Oui, on peut essayer de consacrer son travail. Mais encore, là, il y a tant d’éléments qui ne sont pas vrais!

Vous voulez fondre votre corps dans le Divin, hein? Essayez donc ! Comment est-ce que vous ferez cela ? Vous pouvez fondre votre mental, vous pouvez fondre votre vital, vous pouvez fondre toutes vos émotions, vous pouvez fondre toutes vos aspirations, vous pouvez fondre tout cela ; mais votre corps, comment est-ce que vous allez faire? Vous n’allez pas le faire fondre dans une marmite! (rires) Mais pourtant, c’est la seule chose dont vous puissiez avec certitude dire : « c’est », mettre un nom dessus, et encore, votre nom est une convention, mais enfin, vous êtes habitué à vous appeler par un certain nom... mettez : « Ça, c’est moi. » Vous vous regardez dans une glace, et quoique ce que vous étiez il y a vingt ans et ce que vous êtes maintenant, c’est très différent, c’est méconnaissable, mais enfin, il y a tout de même quelque chose qui fait que : « Oui, ça, c’est moi. » Hein? « Je suis Untel, Pierre, Louis, Jacques, André, n’importe quoi... »

(Après un silence) Et même cela, si on se regardait tous les sept ans, toutes les cellules sont changées, et c’est seulement par une espèce d’habitude que cela reste le même. Cela reste le même? Vous avez des photographies de quand vous étiez tout petits? Et les photographies que l’on a dix ans, vingt ans, trente ans après, c’est parce qu’on le veut bien qu’on se reconnaît; autrement, vraiment, on n’est pas la même chose... Quand on est grand comme ça, et que maintenant on est grand comme ça, cela fait une différence considérable! Alors, voilà...

Tout cela... ce n’est pas pour vous noyer que je vous dis tout cela. C’est seulement pour vous dire qu’avant de parler de fondre son ego dans le Divin, il faut d’abord savoir un peu ce que l’on est soi-même. L’ego est là. Sa nécessité, c’est que vous deveniez des êtres conscients, indépendants, individualisés — je veux dire, dans le sens indépendant; que vous ne soyez pas, n’est-ce pas, la place publique où tout s’entrecroise, que vous puissiez exister en vous-même. C’est pour cela qu’il y a un ego. C’est comme cela, pour cela aussi qu’il y a une peau, comme ça... quoique vraiment, même les forces physiques passent à travers la peau. Il y a une vibration qui va à une certaine distance. Mais enfin, c’est cela qui fait que l’on ne se fond pas l’un dans l’autre. Mais il faut que le reste soit comme cela aussi.

(Après un silence) Et puis après, alors, on offre tout cela au Divin. Il faut des années de travail. Il faut non seulement (silence) devenir conscient de soi-même, conscient dans tous les détails, mais il faut organiser ce que vous appelez « vous-même » autour du centre psychique, du centre divin de votre être, pour que cela fasse un être unique, cohésif, pleinement conscient. Et comme ce centre divin est lui-même déjà (Mère fait un geste d’offrande) entièrement consacré au Divin, si tout est organisé harmonieusement autour, tout est consacré au Divin. Et alors, quand le Divin le juge bon, quand le temps est venu, quand le travail d’individualisation est complet, alors le Divin donne la permission que vous laissiez votre ego se fondre en Lui, que vous n’existiez plus que pour le Divin.

Mais c’est le Divin qui prend cette décision. Il faut d’abord que vous ayez fait tout ce travail : devenir un être conscient, uniquement et exclusivement centré autour du Divin et gouverné par Lui. Et après tout cela, il y a encore un ego; parce que c’est l’ego qui sert à ce que vous soyez une individualité. Mais une fois que ce travail-là est parfait, qu’il est pleinement achevé, alors, à ce moment-là, vous pouvez dire au Divin : « Voilà, je suis prêt. Veux-Tu de moi? » Et le Divin, généralement, dit : « Oui. » Tout est fini, tout est accompli. Et vous devenez un véritable instrument pour l’Œuvre du Divin. Mais il faut d’abord que l’instrument soit bâti.

Vous croyez que l’on vous envoie à l’école, vous croyez que l’on vous fait faire de l’exercice, tout cela pour le plaisir de vous embêter? Oh, non! C’est parce qu’il est indispensable que vous ayez un cadre dans lequel vous puissiez apprendre à vous former vous-même. Si vous faisiez votre travail d’individualisation, de formation totale, par vous-même, tout seul dans un coin, on ne vous demanderait rien du tout. Mais vous ne le faites pas, vous ne le feriez pas, il n’y a pas un enfant qui le ferait, il ne saurait même pas comment faire, par où commencer. Si on n’apprenait pas à un enfant à vivre, il ne pourrait pas vivre, il ne saurait rien faire, rien. Je ne veux pas parler de détails dégoûtants, mais les choses les plus élémentaires, il ne les ferait pas convenablement si on ne lui apprenait pas à les faire. Par conséquent, il faut, pas à pas... C’est-à-dire que si chacun devait refaire toute l’expérience nécessaire pour la formation d’une individualité, il serait mort longtemps avant d’avoir commencé à exister. C’est cela le bénéfice, accumulé depuis des siècles, de ceux qui ont fait des expériences et qui vous disent : « Eh bien, si vous voulez aller vite, savoir en quelques années ce que l’on a mis des siècles à apprendre, faites ceci. Lisez, apprenez, étudiez, et puis, dans le domaine matériel, on vous apprendra à faire ceci comme ça, cela comme ça, cela comme ça (gestes). Une fois que vous saurez un peu, vous pourrez trouver votre propre méthode, si vous avez du génie. » Mais il faut d’abord se tenir sur ses jambes et savoir marcher. C’est très difficile à apprendre tout seul. C’est pour tout comme cela. Il faut se former. Par conséquent, on a besoin d’éducation. Voilà !

(À une enfant) Tu as quelque chose à demander, toi? Non? Il y a quelqu’un qui a quelque chose à demander?

Mère, la dernière fois tu avais dit qu’il y a souvent en nous un élément noir qui fait... qui nous suggère... qui nous fait faire des bêtises. Alors, tu as dit que quand on est conscient de cet élément, il faut l’arracher. Mais est-ce que l’arracher veut dire... Par exemple, quand on est conscient que cet élément vient nous faire faire une bêtise, alors, si par un effort de volonté on s’abstient de la faire, est-ce qu’on peut dire qu’on l’a arraché?

Qu’on ne fait pas les bêtises...?

... par effort de volonté. Par exemple, on ne fait pas cette action qu’on ne devrait pas faire.

Oui, oui.

Alors, est-ce qu’on peut dire qu’on a arraché l’élément qui était la cause?

On s’est assis dessus.

Alors comment l’arracher?

Pour cela, il faut d’abord devenir conscient de lui, n’est-ce pas, le mettre en face de soi, et couper les liens qui le rattachent à votre conscience. C’est un travail de psychologie interne, n’est-ce pas.

On peut voir, quand on s’étudie très attentivement... Par exemple, si l’on s’observe, on voit qu’un jour on est très généreux. Mettons cela, c’est facile à comprendre. Très généreux : généreux dans ses sentiments, généreux dans ses sensations, généreux dans ses pensées et même généreux matériellement; c’est-à-dire que l’on comprend les fautes des autres, les intentions, les faiblesses, même les mouvements qui sont vilains — on voit tout cela, et on se sent plein de bons sentiments, de générosité. On se dit : « Bien... chacun fait aussi bien qu’il peut! » — comme ça. Un autre jour — ou peut-être même le moment suivant —, on apercevra en soi une sorte d’aridité, de fixité, quelque chose qui est âpre, qui juge sévèrement, qui va jusqu’à en vouloir, qui a de la rancune, qui voudrait que celui qui a mal fait soit puni, qui a presque des sentiments de vengeance : juste l’opposé de cela. Un jour on vous fait du mal, vous dites : « Bon, il ne savait pas... » ou : « Il ne pouvait pas faire autrement... » ou : « C’était sa nature... » ou : « Il ne pouvait pas comprendre! » Le lendemain — ou peut-être une heure après —, vous dites : « Il faut qu’il soit puni! Il faut que ça retombe sur lui! Il faut qu’il sente qu’il a mal fait! » avec une sorte de rage; et on veut prendre les choses, on veut les garder pour soi, on a tous ces sentiments de jalousie, d’envie, d’étroitesse, n’est-ce pas, juste l’opposé de l’autre sentiment. Cela, c’est le côté d’ombre. Et alors, au moment où on le voit, n’est-ce pas, si on le regarde, si on ne dit pas : « C’est moi », si on dit : « Non, c’est l’ombre de moi-même, c’est cet être qu’il faut rejeter en dehors de moi », on met la lumière de l’autre partie, on tâche de les confronter; et avec cette connaissance et cette lumière de l’autre, on n’essaye pas beaucoup de convaincre, parce que c’est très difficile, mais on l’oblige à se tenir tranquille — d’abord à s’éloigner, ensuite on le rejette bien loin pour qu’il ne puisse plus revenir —, avec une grande lumière sur lui. Il y a des cas où c’est possible de changer, mais c’est très rare. Il y a des cas où l’on peut mettre sur cet être, ou sur cette ombre, mettre dessus une lumière tellement intense que cela le transforme, et qu’il se change en ce qui est la vérité de votre être.

Mais ça, c’est une chose rare. Cela peut se faire, mais c’est une chose rare. Mais d’habitude, la meilleure chose, c’est de dire : « Non, ça, ce n’est pas moi. Je n’en veux pas! Je n’ai rien à faire avec ce mouvement-là, ça n’existe pas pour moi, c’est quelque chose qui est contraire à ma nature. » Et alors, à force d’insister et de le repousser, finalement on se sépare de lui.

Mais il faut d’abord être suffisamment lucide et sincère pour voir l’opposition au-dedans de soi. Généralement, l’on ne fait pas attention à ces choses-là. On passe d’un extrême à l’autre. N’est-ce pas, on peut dire, prendre des mots très simples : un jour on est bon, le lendemain on est méchant. Et cela paraît tout à fait naturel. Ou même, quelquefois, une heure on est bon et l’heure suivante on est méchant; ou bien, quelquefois, toute la journée on est bon, et tout d’un coup on devient méchant, une minute très méchant, d’autant plus méchant qu’on a été bon! Seulement on ne l’observe pas, on a des pensées qui vous traversent l’esprit, des choses violentes, mauvaises, haineuses, comme ça... On n’y fait pas attention généralement. Mais c’est cela qu’il faut attraper! Dès que cela se manifeste, il faut l’attraper comme ça (geste), avec une poigne très solide, et puis le tenir, le tenir en face de la lumière et dire : « Non! Toi, je-ne-teveux-pas! Je-ne-te-veux-pas! Je n’ai rien à faire avec ça ! Tu vas t’en aller d’ici, et tu ne reviendras pas! »

(Après un silence) Et c’est une chose, une expérience qu’on peut avoir quotidiennement, presque... Quand on a de ces mouvements de grand enthousiasme, de grande aspiration, que l’on devient tout d’un coup conscient du but divin, de l’élan vers le Divin, de ce désir de participer à l’Œuvre divine, que l’on sort de soi-même dans une grande joie et une grande force, et puis, quelques heures après, on est misérable pour une toute petite chose; on a un retour sur soi, si mesquin, si étroit, si vulgaire, on a un désir si plat... Et tout ça, ça s’est évaporé, comme si ça n’existait pas. On est très habitué aux contradictions; on n’y fait pas attention, et c’est pour cela que tout ça, ça voisine confortablement. Il faut d’abord les découvrir, et justement empêcher que cela se mélange dans la conscience : les départager, séparer l’ombre de la lumière. Après, on peut se débarrasser de l’ombre.

Voilà, maintenant il est temps. Rien d’urgent à demander? Non?

Douce Mère...

Ah!

... entre la préférence mentale et les insistances vitales, lesquelles sont les plus dangereuses pour le yoga ?

Celles que l’on a ! (rires)

août




Le 4 août 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre V de La Mère.

Douce Mère, quelle est la différence entre un serviteur et un travailleur?

Je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup; c’est à peu près la même chose. Peut-être l’attitude n’est pas tout à fait la même, mais il n’y a pas beaucoup de différence. Dans le serviteur, il semble y avoir quelque chose de plus : c’est la joie de servir. Le travailleur, il a seulement la joie du travail. Mais le travail que l’on fait comme un service, apporte encore une joie de plus. Que veut dire « amour-propre » ? Je crois qu’amour-propre est un terme aimable pour vanité. Amour-propre, cela veut dire que l’on s’aime soi-même plus que toute autre chose; et dans ce qu’il veut dire, n’est-ce pas, ce sont justement ces réactions de la vanité qui est vexée quand on n’est pas apprécié à sa juste valeur, quand on ne reçoit pas les éloges que l’on pense mériter, ou les récompenses que l’on croit que l’on a gagnées, et quand on ne vous fait pas des compliments pour tout ce que vous faites. Enfin, tous ces mouvements sont de mécontentement, parce qu’on ne reçoit pas ce que l’on espérait recevoir, ce que l’on pense mériter recevoir.

Douce Mère, qu’est-ce qu’une « identification dynamique » ?

C’est le contraire d’une identification passive et inerte. C’est une identification pleine d’énergie, de volonté, d’action, d’enthousiasme; tandis que l’on peut s’identifier dans une sorte de torpeur.

Vous avez écrit, dans Paroles d’Autrefois, que nous légitimons toutes nos faiblesses quand nous manquons de confiance en nous. Quelle en est la raison?

Hum! Alors? Nous légitimons toutes nos faiblesses? Ce n’est pas positivement manquer de confiance en soi, c’est manquer de confiance en ce que la Grâce divine peut faire de vous. Légitimer ses faiblesses, c’est une espèce de paresse et d’inertie.

Eh bien, quand on ne veut pas faire un effort pour se corriger, on dit : « Oh, c’est impossible, je ne peux pas le faire, je n’ai pas la force, je n’ai pas l’étoffe, je n’ai pas les qualités requises, je ne pourrai jamais faire cela. » C’est tout simplement une paresse, c’est pour ne pas faire l’effort nécessaire. Quand on vous demande de faire un progrès : « Oh, c’est au-delà de mes moyens, je suis un pauvre être, je ne peux rien faire! » C’est tout. C’est presque de la mauvaise volonté. C’est une paresse extrême, un refus de faire un effort. On accepte tous ses défauts et toutes ses incapacités pour ne pas avoir à faire l’effort nécessaire pour les surmonter. On dit : « Je suis comme ça, je ne peux pas être autrement! » C’est un refus de laisser la Grâce divine travailler en vous. C’est une légitimation de votre mauvaise volonté.

Quelqu’un là a une question? Ou il n’y en a pas?

Douce Mère, ici Sri Aurobindo a écrit : « Vous saurez, verrez et sentirez que vous êtes une puissance formée par elle, d’elle-même, extériorisée pour le jeu... » Quel jeu ?

On appelle l’univers le jeu du Divin.

Pourquoi?

Pourquoi? C’est une façon de parler! Tu trouves que ce n’est pas un jeu amusant? Il y a beaucoup de gens comme ça (rires), qui trouvent que le jeu n’est pas amusant. Mais enfin, c’est une façon de parler. On dit d’une façon — sans penser que c’est joyeux —, on dit « jeu des forces »; c’est le mouvement, l’interaction. Les activités sont des jeux de forces. Alors on peut le prendre dans ce sens-là. Mais, n’est-ce pas, cela veut dire que la Force divine, la Conscience divine s’est extériorisée pour créer l’univers, et tout le jeu des forces dans l’univers. C’est cela que ça veut dire, ce n’est pas autre chose. Je ne veux pas dire forcément jouer au Playground ! Cela peut vouloir dire beaucoup d’autres choses.

(Se tournant vers les autres enfants) Rien? Toi non plus?

Que veut dire « vous préserver de toutes souillures provenant de la perversion de l’ego » ?

Perversion de l’ego ?

(Après un silence) Une perversion, c’est tout ce qui sort de la Vérité et de la Pureté divines. De la minute où vous vivez dans l’ignorance et le mensonge, vous vivez dans la perversion; et le monde tout entier est bâti avec l’ignorance et le mensonge à l’heure qu’il est. Alors cela veut dire que si vous restez dans la conscience ordinaire, vous êtes nécessairement dans la perversion de l’ego.

Mère, ici il est dit : « Même si l’idée du travailleur distinct est forte en vous, et que vous sentiez que c’est vous qui agissez, cependant il faut le faire pour elle. » Par exemple, l’étude des sports que nous faisons, il faut penser que c’est pour le Divin?

Mais oui...

Comment?

Ce n’est même pas très difficile. Vous pouvez le faire d’abord comme une préparation pour vous rendre capable de recevoir les forces divines, et ensuite, comme un service, pour que vous aidiez à construire toute l’organisation de l’Ashram. Vous pouvez le faire non pas en vue d’un gain personnel, mais en vue de vous rendre prêt à accomplir l’Œuvre divine. Cela me paraît même assez indispensable si vous voulez profiter pleinement de la circonstance. Si vous gardez le point de vue ordinaire, eh bien, vous vous trouverez toujours dans des conditions qui ne sont pas tout à fait satisfaisantes, et incapable de recevoir toutes les forces que vous pouvez recevoir.

Mère, si par exemple, dans le saut en longueur, on fait l’effort de sauter à une distance de plus en plus grande, comment est-ce qu’on fait l’Œuvre divine?

Hein? Pardon, ce n’est pas pour le plaisir de faire un saut en longueur, c’est pour rendre votre corps plus parfait dans son fonctionnement, et par conséquent un instrument plus apte à recevoir les forces divines et à les manifester.

Mais tout, tout ce que l’on fait dans cet endroit-ci doit être fait dans cet esprit-ci, autrement vous ne profitez même pas de l’occasion qui vous est donnée, des circonstances qui vous sont données. Je vous ai expliqué l’autre jour, n’est-ce pas, que la Conscience est là, pénétrant toutes choses et essayant de se manifester dans tous les mouvements. Mais si vous, de votre côté, vous vous dites que l’effort que vous faites, le progrès que vous faites, vous le faites afin de vous rendre plus capable de recevoir cette Conscience et de la manifester, le travail, naturellement, se fera beaucoup mieux et beaucoup plus vite. Et cela me paraît même tout à fait élémentaire, pour dire la vérité; je suis étonnée que cela puisse être autrement! Parce que votre présence dans un Ashram, organisé comme il est organisé, n’aurait pas de sens si ce n’était pas pour cela. À quoi cela servirait-il? Il y a des quantités d’universités, d’écoles dans le monde qui sont très bien organisées.

Mais si vous êtes ici, c’est pour une raison spéciale. C’est parce que, ici, il y a une possibilité d’absorption de conscience et de progrès qu’il n’y a pas ailleurs. Et si vous ne vous mettez pas en état de recevoir cela, eh bien, vous perdez la chance qui vous est donnée.

Tiens, c’est une chose que je n’avais jamais dite, parce qu’elle me paraissait si évidente qu’il n’était pas du tout nécessaire de la dire.

Comme ça, Mère, on sait qu’on doit faire tout cela. Mais quand on le fait, alors l’intention est différente!

Non, mais... (silence) Qu’est-ce que vous croyez, d’une façon générale? C’est par une espèce de chance, ou de hasard — ou simplement parce que les parents sont ici —, que par hasard vous vous y trouvez, ou quoi? Je ne sais pas! (riant) Que vous pourriez aussi bien être ici qu’ailleurs, ou bien?

Vous êtes tous assez grands pour avoir pensé un peu, et réfléchi. Vous ne vous êtes jamais demandé : « Pourquoi suis-je ici? » Est-ce que vous vous êtes demandé cela ? Ou est-ce que c’est une chose qui... Moi, je croyais que vous deviez le prendre comme une chose toute... que c’était entendu, tout naturel ! Alors, je ne vous l’ai jamais dit. Tiens, cela m’intéresserait de savoir. (À une enfant) Tu as pensé à ça, toi?

Je t’ai dit, Douce Mère, l’autre jour!

Justement, mais tu peux le répéter. (À une autre) Et toi? Est-ce que tu y as pensé? Ou est-ce que tu le prends comme ça. « Parce que papa et maman sont là, alors je suis là ! » (rires) (À une autre) Et toi?

Quand tu nous as donné Aux Enfants de l’Ashram, après ça, j’ai compris.

Ah, tu as compris! Pas avant ça ?

Je n’ai pas pensé avant.

Mais quel âge avez-vous, en moyenne, là ? Quinze ans? seize ans? dix-sept ans? vingt ans? Non? Ce n’est pas comme ça ? Le groupe rouge, cela va de quinze à vingt ans, non? Il y en a de plus jeunes?

Non.

Mais on commence à penser à treize ans! On commence à penser, à se poser des questions, on se demande même : « Qu’est-ce que c’est que la vie? et pourquoi vit-on? » Et encore plus quand on se trouve dans un endroit comme celui-ci, qui n’est pas un endroit tout à fait ordinaire : « Pourquoi y est-on, et à quoi cela sert-il d’y être, et pour quelles raisons y est-on? » Hein? Vous ne pensez pas? Vous ne pensez pas? J’en connais deux ou trois, je sais qu’ils y pensent, parce qu’ils me l’ont dit. Mais (riant) les autres? Vous ne vous êtes jamais posé de questions, non?... Personne ne dit mot! (rires)

(À un enfant) Alors, toi, tu n’as jamais pensé? Tu y as pensé! (Personne ne répond) Ah! ils ne veulent rien dire! Bon, n’en parlons plus alors! (rires)

C’est tout? Ça suffit?

Mère, ce qui est intéressant, c’est ceci : qu’est-ce qu’il y a en nous qui fait que nous sommes ici?

Ah! ça, c’est intéressant! Qu’est-ce qui fait que vous êtes ici? Eh bien, c’est à chacun de le trouver. Tu as trouvé, toi? Non, pas encore? Tiens, ça c’est une autre question très intéressante.

Si vous... (silence) Si vous vous êtes demandé cela, vous avez bien dû aller chercher la réponse quelque part, au-dedans; parce qu’elle est au-dedans de vous, la réponse. « Qu’est-ce qu’il y a en nous qui fait que nous sommes ici? » La réponse est au-dedans. Il n’y a rien au-dehors. Et si vous allez assez profond, vous trouverez une réponse très claire... et une réponse intéressante. Si vous allez assez profond, dans un silence assez complet de toutes les choses extérieures, vous trouverez au-dedans de vous cette flamme, dont je parle souvent, et dans cette flamme vous verrez votre destin. Vous verrez l’aspiration de siècles qui s’est concentrée petit à petit, pour vous mener à travers des naissances innombrables vers le grand jour de la réalisation. Cette préparation qui s’est faite pendant des millénaires, et qui va arriver à son aboutissement.

Et comme vous serez allé très profondément pour trouver cela, toutes vos incapacités, toutes vos faiblesses, tout ce qui nie en vous, et qui ne comprend pas, tout cela, vous sentirez que ce n’est pas vous-même, c’est simplement comme un vêtement qui va plus ou moins bien, et que vous avez mis pour l’occasion. Mais vous comprendrez que, pour que vous soyez vraiment capable de profiter pleinement de l’occasion, pour faire ce que vous vouliez faire, ce que vous aspiriez à faire depuis si longtemps, il faut que petit à petit vous ameniez la lumière, la conscience, la vérité dans tous ces éléments obscurs du vêtement extérieur, afin que vous puissiez comprendre intégralement pourquoi vous êtes ici. Et non seulement que vous le compreniez, mais que vous soyez capable de le faire. Il y a des siècles que cela se prépare en vous, pas dans ça... (Mère se pince la peau de l’avant-bras) ça, c’est tout à fait récent, n’est-ce pas... mais dans votre vrai vous-même. Et il y a des siècles que cela attend cette occasion.

Et alors, vous entrez immédiatement dans le merveilleux. Vous voyez à quel point c’est extraordinaire que des choses que l’on a espérées depuis si longtemps, des choses pour lesquelles on a tant prié, on a tant fait d’efforts, que tout à coup, il arrive un moment où elles se réalisent!

C’est le moment où les grandes choses se font. Il ne faut pas manquer l’occasion.

(long silence)

Le 15 août je vous donnerai quelque chose que Sri Aurobindo a écrit, qui est justement sur ce sujet-là et qui s’appelle L’Heure de Dieu.

Alors vous lirez cela avec soin, et vous comprendrez.

Voilà.

Le 11 août 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre VI de La Mère.

Juste au commencement, il est écrit : « Les quatre pouvoirs de la Mère ». Quels sont ces quatre pouvoirs, Douce Mère?

Ceux-là !

Les aspects, non, Mère?

(long silence)

Oui.

Que veut dire : « ... il se manifeste à travers elle dans les mondes comme la conscience unique et duelle de l’Îshwara-Shakti et le principe duel de PurushaPrakriti... » ?

Qu’est-ce que cela veut dire? Cela veut dire ce que cela dit. (rires) Cela veut dire que dans le monde, la force unique de l’énergie créatrice se divise dans toutes les manifestations, même les manifestations les plus opposées, n’est-ce pas. C’est cette force unique qui, dans la création, se divise en Purusha et Prakriti, et, n’est-ce pas, l’énergie et la résistance. C’est cela que ça veut dire; à l’origine la force est unique et c’est dans la manifestation qu’elle se divise, et qu’elle se divise dans tous les opposés, qui sont en même temps des complémentaires. Parce que, pour la création, cette division était nécessaire, autrement il n’y aurait jamais eu qu’une chose unique tout le temps.

Que veut dire « Vibhûti » ?

Cela veut dire l’incarnation d’une émanation. Une émanation de la Mère s’incarne dans un être et cet être devient une Vibhûti.

Douce Mère, ici je n’ai pas compris : « Mais quelque chose de ses voies peut être vu et senti à travers ses personnifications, d’autant plus perceptible que sont plus définis et limités le tempérament et l’action des formes de déesses dans lesquelles elle consent à se manifester à ses créatures. »

Cela veut dire que, n’est-ce pas, justement, il y a des qualités différentes, des manières d’être différentes qui se manifestent sous des formes différentes, et que chacune de ces formes est une des divinités que les hommes ont adorées et qu’ils comprennent, parce que c’est limité. Quand une chose est limitée, elle est plus compréhensible pour l’homme que quand elle est illimitée, parce que l’homme a une nature limitée et qu’il comprend naturellement ce qui est limité. Et alors, pour être compréhensibles, il faut que les choses se divisent et se limitent. Autrement, le Pouvoir dans son essence, qui est indivisible et illimité, est absolument au-dessus de la compréhension humaine — tel que l’homme est maintenant, dans l’état où il est actuellement.

Qu’est-ce que c’est que « le triple monde de l’ignorance » ?

Le triple monde...?

« ... de l’ignorance ».

L’ignorance?

Matière, vie et l’esprit; c’est-à-dire, le physique, le vital et le mental, le triple monde de l’ignorance.

Quelle est l’apparence de Mahâsaraswatî et de Mahâlakshmî?

Quoi?

Quelle est l’apparence...

Mon petit, il faut les voir. Quand tu les verras, tu sauras 18 ...

l’aspect est différent suivant les cas, suivant les gens à qui elle se montre, selon le travail qu’elle fait...

... pas celui qu’on voit dans ce corps.

Est-ce que les images qu’on voit de Mahâsaraswatî sont vraies?

Oh, seigneur! (rires) Quand un tout petit enfant essaye de faire le portrait de quelque chose, est-ce que ça lui ressemble? C’est à peu près comme ça, quelquefois pire! Parce que l’enfant est candide et sincère, tandis que celui qui fait les images des dieux est plein de préjugés et d’idées préconçues ou bien de tout ce que les autres en ont dit et de ce qui est écrit dans les Écritures et de ce qui a été vu par les gens. Et alors il est lié par tout cela. Il y a quelquefois, de temps en temps, des artistes qui ont une vision intérieure, une grande aspiration, une grande pureté d’âme et de vision, qui ont fait des choses qui sont acceptables. Mais c’est extrêmement rare. Et d’une façon générale, je crois que c’est à peu près le contraire.

J’ai vu de ces formes dans le monde vital et dans le monde mental qui étaient vraiment des créations humaines. Il y a une force de l’au-delà qui se manifeste. Mais dans ce triple monde du Mensonge, l’homme a vraiment créé Dieu à son image — plus ou moins —, et il y a de ces êtres qui se manifestent sous des formes qui sont le résultat de la pensée humaine formatrice. Et alors, là, n’est-ce pas, c’est vraiment effrayant! J’ai vu de ces formations! (silence) et c’est tellement obscur, incompréhensible, inexpressif...

Il y a certains dieux qui sont plus maltraités que les autres. Par exemple, cette pauvre Mahâkâlî, n’est-ce pas, on en fait des choses!... C’est tellement effroyable, c’est inimaginable! Mais ça, ça ne vit que dans un monde très bas... oui, dans le vital le plus inférieur; et ce que cela possède de l’être originel, c’est quelque chose... une réflexion si éloignée de l’origine que c’est méconnaissable. Pourtant, généralement, c’est cela qui est attiré par la conscience humaine. Et quand on construit une idole, n’est-ce pas, et que le prêtre fait descendre... quand la cérémonie se fait d’une façon régulière, il se met dans un état d’invocation intérieure et il tâche de faire descendre une forme ou une émanation de la divinité dans l’idole, pour lui donner un pouvoir; si le prêtre est un homme qui a vraiment un pouvoir d’invocation, il peut réussir. Mais généralement — il y a des exceptions à tout —, mais généralement, ce sont des êtres qui ont été éduqués dans les idées communes, selon la tradition. Et alors, quand ils pensent à la divinité qu’ils invoquent, ils y pensent avec tous les attributs et les apparences qu’on leur a donnés, et cela s’adresse généralement à des entités du monde vital, ou au mieux du monde mental, mais pas à l’Être lui-même. Et ça, ce sont ces petites entités-là qui se manifestent dans une idole ou dans une autre. Toutes ces idoles dans les petits temples, ou même dans les familles — les gens qui ont leurs petits « shrines 19 », n’est-ce pas, chez eux, et qui gardent une image de la divinité qu’ils adorent —, cela se manifeste là-dedans; quelquefois, cela a des résultats assez fâcheux, parce que ce sont justement des formes qui sont tellement loin de la divinité originelle que... Elles sont des formations malencontreuses. Il y a de ces Kâlî qu’on adore dans certaines familles qui sont des véritables monstres!

Je peux dire sur ma conscience — si on peut dire — avoir conseillé à certaines gens de prendre la statue et de la jeter dans le Gange, afin de se débarrasser d’une influence tout à fait désastreuse. D’ailleurs cela a très bien réussi. Il y en a qui sont des... qui sont des présences fâcheuses. Mais ça, c’est la faute de l’homme. Ce n’est pas la faute des divinités. On aurait tort de mettre le blâme sur les divinités. C’est la faute de l’homme. Il veut construire les dieux à son image. Les uns, quand ils sont méchants, ils les ont rendus encore plus autocratiques; et quand ils sont jolis, ils les ont rendus encore plus jolis : c’est-àdire qu’ils ont un peu plus magnifié les défauts.

Comment est-ce que la pensée humaine peut créer des formes?

Dans le monde mental, la pensée humaine crée tout le temps des formes. La pensée humaine est tout à fait créatrice dans le monde mental. Constamment, quand vous pensez, vous créez des formes et vous les envoyez se promener dans l’air et elles vont faire leur travail. Constamment, vous êtes entouré d’un tas de petites formations.

Naturellement, il y a des gens qui ne peuvent même pas penser clairement. Alors ceux-là ne forment rien du tout que des remous. Mais les gens qui ont une pensée claire, et forte, les gens qui pensent clairement, ils sont entourés d’un tas de petites formes qui, quelquefois, s’en vont se promener, pour faire un travail chez d’autres gens; et quand on y repense, elles reviennent.

Et il y a des exemples de gens qui sont harassés par leurs propres formations, qui reviennent constamment comme pour les posséder, et dont ils ne peuvent pas se débarrasser, parce qu’ils ne savent pas comment défaire les formations qu’ils ont faites. Il y en a plus que l’on ne croit. Quand ils ont fait une formation particulièrement forte — pour eux-mêmes, n’est-ce pas, d’une façon relative —, cette formation est toujours reliée au formateur et revient frapper le cerveau pour avoir des forces, et finit par véritablement agir comme une nécessité. C’est tout un monde à apprendre; on vit vraiment dans l’ignorance, on a des pouvoirs que l’on ne connaît pas, alors, naturellement, on s’en sert très mal. On s’en sert d’une façon inconsciente, et très mal.

Je ne sais pas si vous avez jamais entendu parler de Madame David-Néel, qui est allée au Tibet, et qui a écrit des livres sur le Tibet, et qui était une bouddhiste, et comme tous les bouddhistes... Les bouddhistes de la tradition la plus sévère, ils ne croient pas au Divin, et ils ne croient pas à Son Éternité, et ils ne croient pas à des divinités qui soient vraiment divines. Mais ils savent admirablement se servir du domaine mental ; et la discipline bouddhiste vous rend très maître de l’instrument mental et du domaine mental.

Nous discutions de beaucoup de choses, et alors elle m’a dit : « Écoutez, moi, j’ai fait une expérience. » (Elle avait étudié un peu la théosophie aussi.) Elle a dit : « J’ai formé un mahâtmâ ; avec ma pensée, j’ai formé un mahâtmâ. » Et elle savait (ça a été prouvé) qu’à un moment donné, les formations mentales ont une vie personnelle, indépendante du formateur — quoi qu’elles soient reliées au formateur —, mais indépendantes dans ce sens qu’elles peuvent avoir une volonté propre. Et alors, elle m’a raconté : « Figurez-vous que j’avais si bien fait mon mahâtmâ, qu’il est devenu une personnalité indépendante de moi, et qu’il venait m’ennuyer tout le temps! Il venait, il me grondait pour ceci, il me donnait des conseils pour cela, et il voulait conduire ma vie; et je n’arrivais pas à m’en débarrasser. C’était tout à fait difficile, et je ne savais pas comment faire! »

Alors je lui ai demandé comment elle avait essayé. Elle me l’a dit. Elle m’a dit : « Ça m’ennuie beaucoup, mon mahâtmâ est très ennuyeux. Il ne me laisse pas de repos. Il me dérange dans mes méditations, il m’empêche de travailler; et pourtant je sais très bien que c’est moi qui l’ai créé, et je ne peux pas m’en débarrasser! » Alors j’ai dit : « C’est parce que vous n’avez pas le “truc”... » (Mère rit) Et je lui ai expliqué ce qu’il fallait qu’elle fasse. Et le lendemain — je la voyais presque tous les jours à ce moment-là, n’est-ce pas —, le lendemain elle est arrivée et elle m’a dit : « Ah, je suis libérée de mon mahâtmâ ! » (rires) Elle n’avait pas coupé la connexion, parce que cela ne sert à rien. Il faut savoir réabsorber sa création, c’est le seul moyen. Réavaler ses formations.

Mais voilà, dans une mesure moindre, et avec une moindre perfection, on fait tout le temps des formations. Mais quand, par exemple, on pense avec force à quelqu’un, il y a une petite émanation de substance mentale qui, instantanément, se trouve auprès de cette personne, n’est-ce pas, une vibration de votre pensée qui va toucher la sienne; et si elle est réceptive, elle vous voit. Elle vous voit et alors elle vous dit : « Vous êtes venu me trouver cette nuit. » C’est parce que vous avez fait une petite formation et que la formation est allée faire son travail, qui consistait à mettre une relation entre vous et la personne, ou bien à lui porter un message si vous aviez quelque chose de spécial à lui dire; et cela a été fait. Cela arrive constamment, mais comme c’est un phénomène tout à fait constant et spontané et fait dans l’ignorance, on ne se rend même pas compte qu’on le fait, on le fait automatiquement.

Les gens qui ont des désirs, ils ajoutent à la formation mentale une espèce de petite enveloppe, une coque vitale qui lui donne encore une réalité plus grande. Ces gens-là sont généralement entourés d’une quantité de petites entités qui sont leurs propres formations — et leurs propres formations mentales revêtues de force vitale — qui viennent tout le temps les frapper pour essayer de vous faire réaliser matériellement la formation que vous avez faite vous-même.

Vous avez lu peut-être des livres de Maurice Magre; il y en a à la Bibliothèque. Il décrit cela. Il est venu ici, Maurice Magre, et nous avons parlé, et il m’a dit qu’il avait toujours remarqué (il était très sensitif), il avait toujours remarqué que les gens qui ont des désirs sexuels sont entourés d’une espèce de petite nuée d’entités qui sont plus ou moins visqueuses et pas jolies, et qui les harassent constamment, qui réveillent en eux le désir. Il disait qu’il avait vu cela autour de certaines gens. C’était comme quand on est entouré d’une nuée de moustiques, hein! Mais c’est plus gros, et c’est beaucoup plus laid encore, et c’est visqueux, et c’est affreux, et ça tournoie autour de vous et ça ne vous laisse jamais de repos, et ça réveille en vous le désir qui les a formés et ils s’en repaissent. C’est leur nourriture. C’est absolument vrai. Sa réflexion était tout à fait juste. Sa vision était très vraie. C’est comme cela.

Mais chacun porte autour de lui l’entourage de ses propres désirs. Alors vous n’avez pas besoin du tout que les gens vous disent quoi que ce soit; vous n’avez qu’à regarder et vous voyez autour d’eux exactement l’état dans lequel ils se trouvent. Ils peuvent vouloir avoir des airs d’anges ou de saints, mais ils ne peuvent pas vous tromper, parce que ça, c’est là, qui tournoie autour de vous. Alors imaginez, hein! (geste de Mère montrant tous ceux qui sont assis devant elle) Vous voyez comment vous êtes, combien vous êtes, là, tous, ici, et chacun a son petit monde comme ça, des formations mentales dont certaines sont revêtues de substance vitale, et tout cela grouille ensemble, se mélange, s’entrechoque. C’est à celui qui sera le plus fort, qui essayera de se réaliser, et cela vous fait une atmosphère!...

Quand nous venons devant toi, qu’est-ce qu’ils font?

Quand vous venez devant moi, c’est cela que je vois! C’est justement cela que je vois, et c’est à cela que ça sert que vous veniez. Parce que vous donner une fleur, c’est bien gentil, n’est-ce pas, mais cela, ce n’est pas grand-chose... Il y a des choses qui sont plus importantes que ça. Mais chaque fois que je vous vois, chacun qui vient, en l’espace d’une seconde — il suffit d’un éclair, d’une seconde —, il apparaît avec toute sa formation et puis je fais juste... je fais juste comme cela... (geste) La fleur est une excuse, à travers la fleur je donne quelque chose.

Et puis, quand quelquefois, n’est-ce pas, j’ai l’air de rentrer au-dedans, mes yeux se ferment, et puis, très lentement, ou je donne quelque chose ou je ne bouge pas pendant un moment — c’est quand il y a imminence de travail à faire. Il y a quelquefois une nécessité d’intervenir pour une raison ou pour une autre, pour aider ou pour démolir quelque chose, ou pour pousser vers un progrès qui commence, ou des choses comme cela... Alors juste j’attrape la main, quelquefois, n’est-ce pas : « Ne bouge plus. » Alors la personne se dit : « Mère est entrée en transe. » Moi, je m’amuse beaucoup... (rires) Je suis en train de travailler, de mettre les choses en ordre; quelquefois je suis obligée de faire quelque opération chirurgicale, j’enlève certaines choses qui sont là, et qui ne devraient pas y être. Il suffit d’une seconde, n’est-ce pas, je n’ai pas besoin de temps pour cela ; quelquefois le travail prend un petit peu plus de temps, quelques secondes, une minute... Autrement, généralement — d’une façon générale —, quand les choses sont, on pourrait les appeler « normales », il suffit juste, n’est-ce pas, de voir, et... la réponse! Je donne la fleur... même sans fleur, comme ça... juste, on met juste le petit éclair, ou le petit fer rouge quelquefois, ou une lumière, n’importe quoi, et juste au moment et à l’endroit qu’il faut... Au revoir!

Mère, ces entités n’ont pas peur de toi?

Ah, mon petit, une peur terrible! (rires)Toutes celles qui sont de mauvaise volonté, elles essayent de se cacher, et généralement tu sais ce qu’elles font? Elles se rassemblent derrière la tête de celui qui vient (rires), pour ne pas qu’on les voie! Mais cela ne sert à rien, parce que, figure-toi que j’ai la capacité de voir au travers! (rires) Autrement, elles le font toujours, instinctivement. Quand elles arrivent à rentrer... Alors elles essayent de rentrer, mais là, j’interviens avec plus de force, parce que c’est vilain. Ce sont des gens qui ont l’instinct de cacher, n’est-ce pas. Alors, là, je poursuis à l’intérieur. Les autres, il faut très peu, très peu; mais il y a des gens — il y en a, n’est-ce pas, ils me l’ont dit euxmêmes —, quand ils sont pour venir, c’est comme s’il y avait quelque chose qui les tirait en arrière, qui leur dit : « Non, non, non, ce n’est pas la peine, pourquoi y aller? Il y a tant de gens pour Mère, pourquoi ajouter une personne? » Et cela les tire en arrière, comme ça, pour qu’ils ne viennent pas. Alors je leur dis toujours ce que c’est : « Vous feriez mieux de ne pas écouter ça, parce que ce n’est pas quelque chose qui a une très bonne conscience. » Il y a des gens qui ne peuvent pas le supporter. Il y a eu des exemples, comme ça, de gens qui ont été obligés de s’enfuir, parce que, eux-mêmes, ils étaient trop attachés à leurs propres formations, et ils ne voulaient pas s’en débarrasser. Naturellement il n’y a qu’une façon, c’est de s’enfuir!

Voilà.

Nous fermons la séance aujourd’hui.

Le 18 août 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre VI de La Mère. Avant de commencer à lire, Mère demande aux enfants quel livre ils voudraient étudier après celui-ci. Plusieurs titres sont suggérés, et la décision est remise à la semaine suivante. Puis, Mère commence sa lecture.

Si on arrêtait là ? La prochaine fois, nous allons le finir.

Douce Mère, je n’ai pas compris ici : « Tel est le Pouvoir de Mahâlakshmî et aucun aspect de la divine Shakti n’est plus attrayant pour le cœur des êtres incarnés. »

Cela veut dire, des hommes. C’est une autre façon de dire les êtres humains, sur la terre, des êtres sur la terre. Il y a aussi... cela veut dire aussi les animaux. Elle est très, très amicale avec les animaux, et les animaux l’aiment beaucoup; même les plus féroces deviennent très doux avec elle, et c’est pour cela qu’au lieu de mettre ce mot « êtres humains », Sri Aurobindo a mis « les êtres incarnés », qui ont un corps sur terre.

(silence)

Questions?

Douce Mère, je n’ai pas compris : « Elle jette le sortilège de la douceur enivrante du Divin... »

Pas compris? Parce que tu n’as pas l’esprit poétique, alors... C’est une forme poétique de dire... Il ne faut pas comprendre ces choses avec un esprit positiviste; il faut avoir un peu le sens de l’harmonie des mots et des phrases.

« Maheshwarî trace les grandes lignes des forces mondiales... » Qu’est-ce que cela veut dire, « les grandes lignes des forces mondiales » ?

Cela veut dire qu’elle fait le plan de ce que le monde doit être. Alors on trace les grandes lignes du plan, de ce que le monde doit être, de l’univers. Elle a une vision d’ensemble, une création d’ensemble; au lieu de voir les détails, elle voit l’ensemble des choses, elle trace les grandes lignes du plan, et comment la création doit être, vers quoi elle doit s’avancer, et puis quels seront les résultats. Elle a une vision universelle, elle s’attache moins aux détails qu’à l’ensemble.

« Tout le travail des autres pouvoirs dépend d’elle pour sa perfection... »

Mahâsaraswatî. Oui. Parce qu’elle est (silence) justement la déesse de la perfection. Pour elle, tout doit être fait dans les moindres détails, et fait d’une façon absolument parfaite. Et elle veut, elle insiste que ce soit fait physiquement, totalement, matériellement; non pas que cela reste dans l’air, n’est-ce pas, comme une action mentale ou vitale, mais que cela soit une réalisation physique dans tous les détails, et que tous les détails soient parfaits, que rien ne soit négligé. Alors tout ce que les autres entreprennent dans les autres domaines, c’est elle qui le concrétise, et qui l’amène à sa perfection matérielle.

J’ai une question de la dernière leçon. Ici, Sri Aurobindo a écrit : « Toutes les scènes du jeu terrestre ont été, comme dans un drame, organisées, conçues et jouées par elle avec les dieux cosmiques comme auxiliaires et elle-même comme un acteur voilé. » Cela veut dire que tout ce qui se passe ici a déjà été joué dans un plan supérieur. Alors tout est prédestiné, Mère? Alors il n’y a pas de « choix libre » ?

Ce n’est pas comme cela. C’est dit comme cela et c’est une certaine façon de voir les choses. Mais en fait, c’est... (Après un silence) On peut dire, avec autant d’exactitude, qu’à chaque minute l’univers tout entier est recréé, et les deux sont également vrais.

(long silence)

Si nous prenons le monde tel qu’il est, comme une composition chimique, d’une nature quelconque, avec toutes les conséquences inévitables provenant de la composition de ce corps, et que nous concevions que dans cette composition il peut, à n’importe quel moment, entrer un élément nouveau, il changera forcément la composition du tout, n’est-ce pas? Eh bien, c’est quelque chose comme cela, en plus grand et plus compliqué; mais c’est quelque chose comme cela.

L’univers est une masse d’éléments qui forment une certaine composition, et d’après cette composition, toutes les choses sont organisées, comme une organisation interne, n’est-ce pas (Mère fait le geste de tenir un globe entre ses mains), d’une façon tout à fait rigoureuse. Mais ce n’est pas un aboutissement; c’est quelque chose qui est en voie de construction. Et à n’importe quel moment, par moments, par une action d’un certain genre, un ou plusieurs éléments nouveaux peuvent être introduits dans l’ensemble, et immédiatement, forcément, toutes les combinaisons intérieures changent. Eh bien, l’univers est une chose comme cela.

Je parle de l’univers matériel. L’univers matériel est une concrétisation d’un certain aspect, d’une certaine émanation du Suprême. Mais cette concrétisation est progressive — et d’une façon pas nécessairement constante, pas nécessairement régulière, mais répondant à une loi de liberté beaucoup plus subtile.

Dans cette composition, des éléments nouveaux pénètrent et changent toute l’organisation. Alors cette organisation qui était parfaite en soi, et qui se déroulait selon sa loi propre, est presque soudainement changée et toutes les relations internes deviennent différentes. Alors cela donne l’impression de, ou l’incohérent, ou l’imprévu, ou le miracle, suivant la manière dont on regarde le problème. Et cela fait les deux choses concomitantes : un déterminisme qui serait absolu en soi, s’il n’y avait pas cette liberté, absolue aussi, d’imprévu et d’addition dans l’univers. Je ne sais pas si tu as suivi, mais enfin j’ai tâché d’exprimer cela.

Mais cette addition se fait comment?

Hein, cette addition...?

Cette addition d’un nouvel élément...

Oui. Par l’aspiration de la Conscience suprême.

L’aspiration de la Conscience suprême?

Oui. Elle est à l’œuvre dans ce monde, et, travaillant dans ce monde, pour la nécessité du travail, elle travaille dans un certain but, n’est-ce pas, pour ramener la conscience obscurcie à son état normal de Conscience divine. Et chaque fois que dans son travail elle rencontre un obstacle nouveau, une nouvelle chose à vaincre ou à transformer, elle fait appel à une Force nouvelle. (Mère ouvre une main) Et cette Force nouvelle est comme une création nouvelle. Et alors, comme toute chose a sa correspondance, on peut dire de la même façon que, pour chaque être, il a dans ses différents domaines (un être humain), il a dans ses différents domaines un destin qui est, pour ainsi dire, absolu. Mais il a toujours la capacité, par l’aspiration, d’entrer en rapport avec un domaine supérieur et d’introduire l’action de ce domaine supérieur dans ces déterminismes plus matériels. Et c’est encore là la même chose; ces deux choses combinées : un déterminisme que nous pourrions appeler « horizontal » (pour se faire comprendre) dans chaque domaine, qui est absolu, et l’intervention d’autres domaines, ou d’un domaine tout à fait supérieur, dans ce déterminisme-là, ce qui le change complètement. Alors chacun est à la fois un ensemble de déterminismes qui paraît tout à fait absolu, et a une liberté totale de faire intervenir des états d’être, ou des états de conscience, ou des forces d’un domaine supérieur; et en faisant appel à ces forces, et en les amenant dans les déterminismes extérieurs, cela l’altère complètement. Et ce n’est que comme cela que les choses peuvent donner l’impression de l’imprévu, de l’inconnu et de la liberté.

Mère, est-ce que c’est cela que nous appelons « la Grâce » ?

(Après un silence) À un certain point de vue, oui. C’est-à-dire que, sans la Grâce, cela ne pourrait pas être. (silence) Mais ce n’est pas... À moins qu’on ne ramène tout à la Grâce; il y a certainement un état de conscience et une vision des choses qui font que l’on ramène tout à la Grâce et que l’on finit par découvrir qu’Elle seule existe, et que c’est Elle qui fait tout. Mais à moins que l’on n’aille à cet extrême, avant cela, on peut très bien concevoir qu’il y a un élément d’aspiration personnelle dans l’être, et que la Grâce répond. C’est une façon de dire. L’autre aussi est une façon de dire. La chose est plus subtile que cela, plus insaisissable. C’est très difficile d’exprimer ces choses dans des mots, parce que, nécessairement, cela prend une rigidité mentale, et il y a toute une partie de la réalité qui disparaît. Mais si on a l’expérience, alors on comprend très bien. Conclusion : il faut avoir l’expérience.

Douce Mère, qu’est-ce que c’est qu’un « dégoût divin » ?

Ah, mon enfant! (silence) C’est un dégoût qui est plein d’une compassion totale.

C’est quelque chose qui prend sur soi la vibration mauvaise afin d’en guérir les autres. Les conséquences (silence) d’un mouvement mauvais, et bas, au lieu de le rejeter avec une froide justice sur celui qui a commis la faute, Il absorbe cela, pour le transformer en soi-même, et diminue autant que possible les conséquences matérielles de la faute commise. Je crois que cette vieille histoire de Shiva, qui avait une tache noire au cou parce qu’il avait avalé tout ce qu’il y avait de mauvais dans le monde, c’est une façon imagée d’exprimer ce dégoût divin. Cela lui a fait une tache noire au cou.

Mère, quand le Divin prend le malheur humain sur Lui-même...

Oui...

... est-ce que ces malheurs ont le même effet sur Lui que sur nous? C’est-à-dire, sent-Il les douleurs comme nous les sentons?

Non! Je peux dire non! Parce qu’il y a évidemment une différence essentielle entre un état d’ignorance et un état de connaissance. Il vous arrive une chose pénible, n’est-ce pas; mais dans l’ignorance, cette chose pénible prend un certain caractère. Mais cette chose pénible, si vous la recevez dans un état de connaissance, elle n’a pas les mêmes effets. Prenons même une chose matérielle, n’est-ce pas, un coup très matériel, un bon coup comme ça (geste). Eh bien, quand on est dans l’état humain ordinaire d’ignorance, le coup a sa pleine conséquence. Cela dépend exclusivement de sa violence, de ce qui a donné le coup et de ce qui l’a reçu, n’est-ce pas. Mais ce même coup, donné de la même manière et par la même chose sur un être qui a la connaissance au lieu d’avoir l’ignorance, instantanément la réaction du corps sera celle qui rend les conséquences, qui réduit les conséquences au minimum. Et cela, c’est un fait concret! Cela peut être au point de même annuler les conséquences tout à fait, quelquefois. Cela peut aller jusque-là ; c’est-à-dire, cela peut abolir les conséquences, parce que la réaction est une réaction de connaissance, au lieu d’être une réaction d’ignorance. Alors on ne peut pas dire que c’est la même chose.

Dans les choses morales, c’est tout à fait évident, n’est-ce pas, parce qu’au lieu de recevoir le choc émotif, par exemple, avec tout l’aveuglement égoïste de l’émotion ordinaire, on objective, on voit ce que c’est, on voit la combinaison de la vibration; et instantanément, on met dessus de la Lumière, de la Connaissance et de la Vérité, et toutes les choses se remettent en place. Ça, ça se fait instantanément. Mais moi, j’insiste que même sur le corps le plus matériel, et de la façon la plus matérielle, l’effet n’est pas le même. D’ailleurs, c’est assez simple à comprendre, parce que si l’effet était le même, cela n’aurait aucune espèce de conséquence heureuse que le Divin prenne sur Lui les choses mauvaises! Parce qu’elles resteraient telles qu’elles sont, et l’univers continuerait à être ce qu’il est. C’est parce qu’Il a le pouvoir de transformer ces vibrations obscures en vibrations de Lumière qu’Il peut prendre tout sur Lui. Autrement, non seulement cela serait inutile, mais ce serait impossible, ce serait une absurdité.

C’est le coup matériel qu’on reçoit...

Hein?

La « connaissance » veut dire quoi, ici?

« Connaissance » veut dire quoi? Si tu as la connaissance — la connaissance interne des cellules, de leur existence, de leur composition, et des résultats du coup, c’est-à-dire de l’effet du coup sur les cellules —, et qu’en même temps on a la connaissance de ce que ces cellules doivent être, et de comment elles doivent réagir au coup qu’elles ont reçu, au lieu d’un procédé comme celui de la nature physique, qui prend des heures, ou des jours, ou des mois pour réparer quelque chose qui est endommagé, on peut le faire immédiatement. Et en fait, c’est cela qui se produit.

(Après un silence) C’est toute une... c’est la description d’une toute petite partie de l’action! Parce que quand l’action est intégrale et parfaite, à cette connaissance purement matérielle s’ajoute une connaissance interne, et un pouvoir de faire jouer des forces, comme les forces supramentales, qui peuvent faire instantanément ce qui dans le monde matériel prend, n’est-ce pas, une durée plus ou moins longue. Là aussi, quand on arrive à faire intervenir, non seulement la connaissance matérielle qui vous permet de remettre les choses en place aussi vite que possible, mais aussi un Pouvoir et une Connaissance supramentaux, qui font que l’on projette sur l’endroit la Force de Vérité — de façon que tout soit mis sous l’influence de cette Force, et que les choses, les éléments, les cellules et tout, tout ce qui les compose devienne réceptif à cette Puissance supramentale et que l’organisation se fasse selon une loi de Vérité —, alors cela peut être même l’occasion non seulement de guérir le coup, de réparer l’accident, mais de faire un grand progrès dans la conscience générale, et sur le point précis aussi, un grand progrès de réceptivité des forces, d’adaptation à ces forces, de réponse à leur influence.

C’est comme cela que l’on peut tourner quelque chose de mauvais en quelque chose de très bon, quand on a le pouvoir. C’est un pouvoir sans limite, celui-là, dans ce sens que, si l’on a commis une faute et que l’on a fait une chose grave, si on a le pouvoir d’amener cette Conscience de Vérité, cette Puissance supramentale, et de la laisser agir, c’est l’occasion d’un progrès formidable. (silence) Ce qui fait que l’on ne doit jamais être découragé; ou même si on s’est trompé bien des fois, il faut garder la volonté de ne plus se tromper, et être sûr qu’un jour ou l’autre on triomphera de la difficulté, si l’on persiste dans sa volonté.

Voilà !

Douce Mère, pourquoi Mahâsaraswatî est-elle la plus jeune des quatre?

Parce que son travail est venu le dernier; alors elle est venue la dernière. (silence) C’est dans cet ordre-là qu’elles se sont manifestées, dans l’ordre qui est donné là-dedans. Ce sont des aspects qui sont comme des attributs de la Mère, qui se sont manifestés successivement suivant les nécessités du travail; et cette nécessité de perfection a été la dernière, alors elle est la plus jeune.

Mais ces quatre sont indépendantes les unes des autres?

Dans une certaine mesure, mais pas totalement. C’est toujours la même chose. Il y a une indépendance, qui paraît quelquefois être totale, et en même temps un lien tout à fait étroit et même qui est pour ainsi dire absolu. La Conscience centrale, c’est-àdire ici, dans le monde matériel, c’est la Mahâshakti, n’est-ce pas. Eh bien, elle a toujours le pouvoir de contrôler l’action de ses différents aspects — quoiqu’ils soient tout à fait indépendants, et qu’ils agissent selon leurs aspirations propres. Et pourtant, elle peut les contrôler, dans ce sens que si...

Prends, par exemple, le cas de Kâlî. Si Kâlî décide qu’elle va intervenir et que la Mahâshakti — qui a une vision beaucoup plus totale et générale des choses, naturellement — voit que le moment d’intervenir n’est pas opportun ou que c’est trop tôt, eh bien, elle peut très bien mettre une pression sur Mahâkâlî et lui dire : « Tiens-toi tranquille. » Et l’autre est obligée de se tenir tranquille; et pourtant, elle agit d’une façon tout à fait indépendante.

Mais pourquoi ne laisse-t-elle pas agir Mahâkâlî? Parce qu’ici, il dit que si Mahâkâlî intervient, ce qui prend place aujourd’hui aurait demandé des siècles.

Je dis, c’est pour cela que Mahâkâlî est là et qu’elle fait son travail. Mais Mahâkâlî est une façon spéciale de voir le travail ; et quand on a la vision totale, on peut voir que cela, n’est-ce pas... Elle ne voit que son côté du travail, et quand on voit le tout, on peut dire : « Ah, non! ce n’est pas tout à fait le moment! » (silence)

Ah, je crois que c’est temps de finir.

La dernière fois, vous avez dit que Madame DavidNéel ne savait pas réavaler sa création et que vous lui aviez appris le « truc ».

(Pavitra répète à haute voix) Madame David-Néel ne savait pas réavaler sa création...

Ah oui, et alors?... Tu veux que je te donne le truc ? (rires) Attendez d’abord de savoir faire des créations, et je vous donnerai le « truc » après! (rires)

Le 25 août 1954

Mère distribue d’abord aux enfants Les Bases du Yoga de Sri Aurobindo, puis commence à lire les dernières pages de La Mère.

« Il y a d’autres grandes Personnalités de la Mère divine, mais elles étaient plus difficiles à faire descendre et elles ne se sont pas mises en avant d’une manière aussi prononcée dans l’évolution de l’esprit terrestre. Parmi elles sont des présences indispensables à la réalisation supramentale; la plus indispensable de toutes est la Personnalité de cette extase, cette béatitude mystérieuse et puissante qui s’écoule du suprême Amour divin, la Personnalité de l’Ânanda qui seul peut remédier au gouffre entre les hauteurs les plus sublimes de l’Esprit supramental et les abîmes les plus profonds de la matière, de l’Ânanda qui tient la clef de la vie merveilleuse la plus divine et qui, même maintenant, soutient depuis ses demeures cachées l’œuvre de tous les autres Pouvoirs de l’Univers. »

Douce Mère, quelle est cette personnalité et quand est-ce qu’elle se manifestera ?

J’ai préparé ma réponse. Je savais qu’on allait me demander cela, parce que de toutes les choses, c’est la plus intéressante dans ce passage, et j’ai préparé ma réponse. J’ai préparé ma réponse à cela, et ma réponse à une autre question aussi. Mais je vais d’abord lire celle-là.

Tu as demandé quelle est cette personnalité, et quand elle viendra ? (silence)

Et moi, je réponds ceci :

« Elle est venue, apportant avec elle une splendeur de puissance et d’amour, une intensité de joie divine inconnues à la terre jusqu’alors.

« L’atmosphère physique en était toute changée, imprégnée de possibilités nouvelles et merveilleuses.

« Mais pour qu’elle puisse se fixer et agir ici-bas, il fallait qu’elle rencontre un minimum de réceptivité, qu’elle trouve au moins un être humain ayant les qualités requises dans le vital et le physique, une sorte de super-Parsifal doué d’une pureté spontanée et intégrale, mais en même temps possédant un corps assez solide et équilibré pour pouvoir supporter sans fléchir l’intensité de l’Ânanda qu’elle apportait.

« Jusqu’à présent, elle n’a pas obtenu ce qui était nécessaire. Les hommes restent obstinément des hommes et ne veulent pas, ou ne peuvent pas devenir des surhommes. Ils ne peuvent recevoir et exprimer qu’un amour qui soit à leur taille — un amour humain! Et la joie merveilleuse de l’Ânanda divin échappe à leur perception.

« Alors, parfois, elle songe à se retirer, trouvant que le monde n’est pas prêt pour la recevoir. Et ce serait une perte cruelle. Il est vrai que pour le moment sa présence est plus nominale qu’active, puisqu’elle n’a pas l’occasion de se manifester. Mais même ainsi, elle est une aide puissante pour l’Œuvre. Car de tous les aspects de la Mère, c’est celui-là qui a le plus de pouvoir pour la transformation corporelle. En effet, les cellules qui peuvent vibrer au contact de la joie divine, la recevoir et la conserver, sont des cellules régénérées en voie de devenir immortelles. Mais les vibrations de la joie divine et celles du plaisir ne peuvent cohabiter dans le même système vital et physique. Il faut donc avoir totalement renoncé à éprouver tout plaisir pour être en état de recevoir l’Ânanda. Mais bien peu nombreux sont ceux qui peuvent renoncer au plaisir sans, par cela même, renoncer à toute participation à la vie active et sans se plonger dans un ascétisme rigoureux. Et parmi ceux qui savent que c’est dans la vie active que doit avoir lieu la transformation, certains essayent de prendre le plaisir pour une forme, plus ou moins dévoyée, de l’Ânanda, et légitiment ainsi en eux la recherche de la satisfaction personnelle, créant en eux-mêmes un obstacle presque infranchissable à leur propre transformation. »

Si on arrêtait là ? On finira la prochaine fois. Ça me donnera le temps de trouver.

Voilà, maintenant, si vous voulez demander quelque chose... (long silence) Dites!

La parole est à n’importe qui veut dire quelque chose... n’importe qui veut dire quelque chose peut le dire, pas seulement les élèves.

Si on n’a pas réussi, Mère, on peut essayer?

Quoi?

Si on n’a pas réussi avant, on peut essayer?

Oh, on peut toujours essayer... Le monde se recrée à chaque minute. Vous pouvez recréer un monde nouveau à cette minute même si vous savez le créer, c’est-à-dire si vous êtes capable de changer votre nature.

Je n’ai pas dit qu’elle était partie. J’ai dit qu’elle pense à partir, quelquefois, de temps en temps.

Mais, Mère, elle est descendue parce qu’elle a dû voir quelque possibilité?

Hein?...

Elle est descendue parce qu’il y avait une possibilité; parce que les choses étaient arrivées à un certain degré, et que le moment était venu où elle pouvait descendre.

En fait, elle était descendue parce que je pensais qu’il était possible que... qu’elle puisse réussir. (silence) Il y a toujours des possibilités. Seulement... il faut qu’elles se matérialisent.

N’est-ce pas, une preuve de ce que je vous ai dit, c’est que c’est arrivé à un moment donné, et pendant... entre deux et trois semaines, l’atmosphère, non seulement de l’Ashram mais de la terre, était surchargée d’une telle puissance, justement, de joie divine si intense, qui crée un pouvoir si merveilleux, que les choses qui auparavant étaient difficiles à faire pouvaient se faire presque instantanément! Il y a eu des répercussions dans le monde entier. Je ne crois pas qu’il y ait eu un seul d’entre vous qui s’en soit aperçu. Vous ne pourriez même pas me dire quand c’est arrivé, n’est-ce pas?

Quand c’est arrivé? (rires)

Je ne sais pas les dates. Je ne sais pas. Je ne me souviens pas des dates. Je vous dirais à peu près, comme ça. (silence) Peut-être, si je consultais des papiers, je retrouverais les dates. Mais je ne sais pas les dates. Ce sont pour moi des choses qui... Tout ce que je sais, c’est que c’est arrivé avant que Sri Aurobindo n’ait quitté son corps, qu’il a été prévenu et qu’il a reconnu le fait.

(silence)

Il y a eu un formidable conflit avec l’inconscient; parce que, comme j’ai vu que la réceptivité n’était pas ce qu’elle devait être, j’en ai rendu l’inconscient responsable et c’est là que j’ai essayé de livrer la bataille. Je ne dis pas que cela n’a pas eu de résultat, mais entre le résultat obtenu et le résultat espéré, il y a eu beaucoup de différence.

Mais je vous dis cela, n’est-ce pas... vous êtes tous si proches, vous baignez dans l’atmosphère, mais... qui est-ce qui s’est aperçu de quelque chose? Vous avez continué votre petite vie comme à l’ordinaire, n’est-ce pas?

(silence)

Je crois que c’était en 1946, Mère, parce que vous nous aviez dit tant de choses à cette époque.

Correct!

(long silence)

Douce Mère, maintenant qu’elle est venue, que devonsnous faire?

Hein?

Que devons-nous faire?

Vous ne savez pas?

Vous... (silence) Tâchez de changer votre conscience.

(long silence)

Voilà. Maintenant posez-moi les questions que vous vouliez me poser... (Se tournant vers un enfant) Rien à dire?

Mère, il n’y a même pas un seul homme?

Hein?

Il n’y a même pas un seul homme?

Je ne sais pas.

Alors, tu perds ton temps avec tous ces gens de l’Ashram, maintenant?

Oh!... Mais vois-tu, au point de vue occulte, c’est une sélection. Au point de vue extérieur, vous pouvez me dire que dans le monde il y a des gens qui vous sont très supérieurs, je ne vous contredirai pas. Mais au point de vue occulte, c’est une sélection. Il y a là... on peut dire sans se tromper que la majorité parmi les jeunes qui sont ici sont venus parce qu’on leur avait promis qu’ils seraient là au moment de la Réalisation. Ils ne s’en souviennent pas. (Mère rit) J’ai dit déjà plusieurs fois que quand on descend sur la terre on tombe sur sa tête, et que ça vous abrutit. (rires) C’est dommage. Mais enfin, on peut sortir de cet abrutissement-là, n’est-ce pas. Ce qu’il faut, c’est entrer au-dedans de soi, trouver la conscience immortelle en soi, et alors on s’aperçoit très bien, on peut se souvenir très clairement des circonstances dans lesquelles on a... on a aspiré à être ici quand l’Œuvre s’accomplirait.

Mais au fond, pour dire la vérité, je crois que vous avez une vie si facile que vous ne vous donnez pas beaucoup de mal ! Est-ce qu’il y en a beaucoup entre vous qui ont vraiment un intense besoin de trouver leur être psychique? De savoir ce qu’ils sont vraiment? Ce qu’ils ont à faire? Pourquoi ils sont ici? On se laisse vivre, ou même on se plaint quand les choses ne sont pas trop faciles! Et puis, on prend comme ça les choses comme elles viennent, et quelquefois, si une aspiration se lève et qu’on rencontre une difficulté en soi, on se dit : « Oh, la Mère est là, elle arrangera ça pour moi », et puis on pense à autre chose...

Mais Mère, avant on était très strict dans l’Ashram; maintenant on ne l’est plus. Pourquoi?

Oui. J’ai toujours dit cela : c’est depuis qu’on a été obligé d’admettre les tout petits. Tu ne vois pas une vie ascétique avec des petits enfants grands comme ça ! Ce n’est pas possible. Ça, c’est le cadeau de la guerre. Quand il a été découvert que Pondichéry était l’endroit le plus sûr sur la terre, naturellement quand les gens arrivaient avec une troupe de bébés, là, et demandaient si on pouvait les mettre à l’abri, comme on ne pouvait pas les renvoyer, hein?... C’est comme ça que c’est arrivé, pas autrement.

Au début, d’abord, la première condition, c’était que l’on n’avait plus rien à faire avec sa famille. Si un homme était marié, il devait, de ce moment-là, ignorer totalement qu’il avait une femme et des enfants, couper toute relation; il n’avait rien à faire avec eux. Et si jamais une femme demandait à venir parce que son mari était là, on lui répondait : « Vous n’avez rien à faire ici. »

Au début, on était très, très, très strict. Pendant longtemps, la première condition était : « Vous n’avez plus rien à faire avec votre famille. » Eh bien, nous sommes loin de là, n’est-ce pas! Et je dis : ce n’est que comme cela que c’est arrivé. Ce n’est pas que l’on ne voyait pas que c’était nécessaire; c’est une condition très nécessaire. Tant que l’on conserve tous les liens qui vous lient à la vie, n’est-ce pas, qui vous rendent l’esclave de la vie ordinaire, comment pouvez-vous n’appartenir qu’au Divin? C’est un enfantillage, ce n’est pas possible. Mais si vous prenez la peine de lire les premières règles de l’Ashram, même les amitiés entre personnes étaient considérées comme dangereuses et peu désirables. On avait essayé de créer une atmosphère où il n’y avait qu’une chose qui comptait, c’était la vie divine.

Mais comme j’ai dit, n’est-ce pas, petit à petit... ça a changé. Cela a un avantage : on était trop en dehors de la vie. Il y avait beaucoup de problèmes qui ne se posaient pas, et qui, lorsqu’on aurait voulu se manifester pleinement, se seraient soudain posés. On a pris les problèmes un peu trop tôt. Mais il a fallu les résoudre. Il y a beaucoup de choses que l’on apprend comme cela, beaucoup de difficultés que l’on surmonte. Mais cela devient plus compliqué. Et peut-être que, dans les conditions actuelles, avec un si grand nombre d’éléments qui n’ont pas la moindre idée de la raison pour laquelle ils sont ici... cela demande beaucoup plus d’efforts des disciples qu’auparavant.

Auparavant, n’est-ce pas, on a commencé par trente-cinq, trente-six ; mais même jusqu’à cent cinquante, même jusqu’à cent cinquante c’était tellement comme... ils étaient comme contenus dans un œuf dans ma conscience, si proches, n’est-ce pas, que je pouvais diriger tous leurs mouvements intérieurs et extérieurs tout le temps; tout était sous un complet contrôle, à chaque moment, nuit et jour. Et naturellement, je crois qu’à ce moment-là ils faisaient des progrès. C’était tout à fait un fait que je faisais la sâdhanâ pour eux, tout le temps. Mais alors, n’est-ce pas, avec cette invasion!... On ne peut pas faire la sâdhanâ pour des bouts de trois ans, quatre ans, cinq ans, n’est-ce pas, c’est hors de question. Tout ce que je peux faire, c’est de mettre la conscience sur eux, et d’essayer qu’ils croissent dans les meilleures conditions possibles.

Alors, cela a un avantage. C’est que, au lieu d’être si totalement et si passivement dépendant, il faut que chacun fasse son petit effort, et à vrai dire, c’est excellent.

Je ne sais plus à qui je disais aujourd’hui, je crois que c’était un « Birthday »... Non, je ne sais pas. C’est quelqu’un qui m’a dit qu’il avait dix-huit ans.

C’est Jaya.

Oui, je sais que c’était sa fête aujourd’hui. Mais je ne sais pas si c’est à elle que je l’ai dit. Je l’ai dit à quelqu’un ce matin.

J’ai dit que, entre dix-huit et vingt ans, j’avais obtenu l’union consciente et constante avec la Présence divine, et que je l’avais fait toute seule, sans avoir absolument personne pour m’aider, même pas des livres, n’est-ce pas. Quand j’ai trouvé... j’ai eu entre les mains, un petit peu plus tard, le Râja Yoga de Vivékânanda, cela m’a paru être une chose tellement merveilleuse, n’est-ce pas, que quelqu’un pouvait m’expliquer quelque chose! Cela m’a fait gagner en quelques mois ce que j’aurais peut-être mis des années à faire.

J’ai rencontré un homme (j’avais peut-être vingt et un ans, je crois — vingt ans ou vingt et un ans), j’ai rencontré un homme qui était un Indien, qui venait d’ici et qui m’a parlé de la Gîtâ. Il y avait une traduction, qui était d’ailleurs assez mauvaise, et il m’a conseillé de la lire, et il m’a donné la clef — sa clef, c’était sa clef. Il m’a dit : « Lisez la Gîtâ, cette traduction de la Gîtâ, qui ne vaut pas grand-chose, mais enfin c’est la seule en français. » (En ce temps-là, je n’aurais rien pu comprendre en d’autres langues. D’ailleurs les traductions anglaises sont aussi mauvaises, et je n’avais pas... Sri Aurobindo n’avait pas encore écrit la sienne.) Il a dit : « Lisez la Gîtâ, et prenez Krishna pour le symbole du Dieu immanent, du Dieu intérieur. » C’était tout ce qu’il m’a dit. Il m’a dit : « Lisez-la avec cela, cette connaissance-là, que Krishna représente dans la Gîtâ le Dieu immanent, le Dieu qui est au-dedans de vous. » Mais en un mois tout le travail était fait!

Alors vous, n’est-ce pas, vous êtes ici, depuis tout petits quelquefois, on vous a tout expliqué, on vous a mâché toute la besogne, on vous a — non seulement avec des mots mais avec des aides psychiques, avec toutes sortes de... de toutes les façons possibles —, on vous a mis sur le chemin de cette découverte intérieure, et puis vous vous laissez vivre, comme ça : « Ça viendra quand ça viendra... » Si même vous y pensez!

Voilà.

Mais ça, ça ne me décourage pas du tout. Ça, je trouve ça... tout à fait amusant. Seulement, il y a d’autres choses que je trouve beaucoup plus sérieuses. C’est quand vous essayez de vous tromper vous-même. Ça, ce n’est pas joli. Il ne faut pas prendre une chose pour une autre. Comme on dit : il faut appeler un chat un chat, et un chien un chien, et l’instinct humain l’instinct humain, et ne pas me parler de choses divines quand elles sont purement humaines. Voilà. Il ne faut pas prétendre avoir des expériences supramentales quand on vit dans une conscience tout à fait ordinaire.

Voilà. Si vous vous voyez face à face et que vous savez comment vous êtes, et si par hasard vous prenez une résolution... Cela m’étonne même que vous n’en sentiez pas un besoin intense : « Comment est-ce qu’on peut savoir? » Parce que vous savez — on vous l’a dit, vous l’a répété, on vous l’a seriné —, vous savez que vous avez une conscience divine au-dedans de vous, et vous pouvez dormir nuit après nuit, et jouer jour après jour, et apprendre jour après jour, et ne pas être dans un état d’enthousiasme et de volonté aiguë d’entrer en contact avec vous, oui, avec vous-même, là-dedans! (Mère montre le centre de sa poitrine) Ça, ça, ça me dépasse!

La première fois que j’ai su — et personne ne me l’a dit, je l’ai su par une expérience —, la première fois que j’ai su qu’il y avait une découverte à faire au-dedans de moi, eh bien, c’était la chose qui était la plus importante. Il fallait que ça, ça passe avant tout. Et quand il s’est trouvé, comme j’ai dit, un livre, un homme, pour juste me donner une petite indication, me dire : « Voilà. Si vous faites comme ça, le chemin s’ouvrira devant vous », mais je me suis précipitée comme un... comme un cyclone, et rien n’aurait pu m’arrêter.

Et depuis combien d’années vous êtes ici, à moitié somnolents! Vous y pensez bien de temps en temps, surtout quand je vous en parle; quelquefois quand vous lisez. Mais ça, cette ardeur, cette volonté qui vainc tous les obstacles, cette concentration qui a raison de tout!

Qui est-ce qui m’a demandé maintenant ce qu’il faut faire?

Moi.

Eh bien, voilà ce qu’il faut faire, mon enfant. Je viens de te le dire.

Douce Mère, comment pouvons-nous être plastiques à ton toucher?

Je n’entends pas...

Comment pouvons-nous être plastiques à ton toucher?

Oh, plastiques? Quand vous êtes de très bonne volonté, que vous savez que vous ne savez rien, que vous avez tout à apprendre, que vous ne pouvez rien, que là aussi vous avez tout à apprendre, alors vous commencez à devenir un peu plastiques — quand il y a une force qui met une pression, alors vous répondez.

Mais, n’est-ce pas, sa description, là... Vous n’avez qu’à prendre le livre et puis relire la dernière description, c’est tout. C’est un tableau très exact de la condition dans laquelle sont les gens. Cela, c’est dans la dernière page : description du physique, description du mental, description du vital, tout cela, c’est ici; d’ailleurs il l’a fait très souvent, n’est-ce pas. (Mère prend le livre et cherche le paragraphe) C’est là, dans ce paragraphe-là : « Mais tenez-vous sur vos gardes et n’essayez pas de comprendre et de juger la Mère Divine avec votre petit mental terrestre qui aime à soumettre même les choses qui le dépassent à ses normes et à ses mesures, à ses raisonnements étroits et à ses impressions sujettes à erreur, à son ignorance agressive et creuse et à sa connaissance pleine de mesquinerie et de suffisance. » Cela, vous pouvez le relire de temps en temps, cela vous ramènera au bon sens.

Voilà. C’est tout? Plus rien à demander? Personne n’a rien à demander? Je donne la parole à n’importe qui veut la prendre ce soir. (À un enfant) Toi, tu n’as rien à dire? Toi non plus? Personne? Personne ne dit mot!

Est-ce que la discipline ascétique ne nous aide pas à surmonter l’attachement?

Non, elle gonfle et fortifie votre orgueil.

Mais vous avez dit : « Renoncez au plaisir. » Alors...

Renoncer au plaisir... mais ce n’est pas par une discipline ascétique qu’on renonce au plaisir! C’est par une illumination intérieure et par une sorte de sublimation de l’être qui vous fait sentir tout ce que le plaisir a de grossier et d’obscur et de peu agréable.

Si nous vivons dans les plaisirs grossiers, comment les surmonter?

Mais vous ne vivez pas exclusivement dans le plaisir grossier, autrement je suppose que vous ne seriez pas ici.

Mais tout est plaisir, n’est-ce pas? Plaisir, cela veut dire plaisir... Nous vivons confortablement, nous mangeons, etc. Tout cela, ce n’est pas plaisir?

(Étonnée) Vous faites tout ça pour le plaisir? (rires) C’est peutêtre votre conception. Moi, je n’ai rien à vous dire. Si vous ne pouvez pas sentir la différence qu’il y a entre quelque chose qui aspire à une vie supérieure et quelque chose qui se trouve tout à fait confortable dans la vie ordinaire, moi, je ne peux pas vous aider. Il faut que vous ayez trouvé cela d’abord en vous-même.

Mais une discipline extérieure n’aide pas?

Si vous vous donnez une discipline à vous-même et qu’elle ne soit pas trop stupide, elle peut vous aider. Une discipline, je vous dis, les disciplines, les tapasyâs, et toutes les disciplines ascétiques, elles sont, comme on les pratique ordinairement — c’est le meilleur moyen de vous faire un orgueil, de vous construire un orgueil si formidable que jamais, jamais vous ne pourrez être converti. Il faudrait vous casser ça à coups de marteau.

La première condition, c’est une saine humilité qui vous fait voir que, à moins que vous ne soyez soutenu, nourri, aidé, éclairé, guidé par le Divin, vous n’êtes rien du tout! Voilà. Quand vous aurez senti cela, pas seulement compris avec la tête, mais senti jusque dans votre corps, alors vous commencerez à être sage, mais pas avant.

Quelle est cette autre chose, Mère, que tu as écrite?

Je pensais que quelqu’un allait me dire : « Pourquoi ne restet-elle pas à cause de toi? Puisqu’elle est venue à ton appel, pourquoi ne reste-t-elle pas à cause de toi? » Mais on ne me l’a pas demandé.

Dis-le, Mère.

Pour elle, ce corps n’est qu’un instrument parmi tant d’autres dans l’éternité des temps à venir, n’ayant, pour elle, d’importance que celle que la terre et les hommes lui donnent et la mesure dans laquelle il peut servir d’intermédiaire pour aider à sa manifestation et à sa diffusion. Si je suis entourée de gens qui ne peuvent pas la recevoir, je ne sers à rien — pour elle. C’est très clair.

Alors ce n’est pas cela qui la ferait rester; et ce n’est certainement pas pour une raison égoïste que je peux lui demander de rester. Et puis, tous ces aspects, toutes ces personnalités, elles se manifestent constamment, elles ne se manifestent jamais pour des raisons personnelles. Il n’y en a pas une qui ait jamais pensé à aider mon corps, et je ne leur demande pas, parce qu’elles ne viennent pas pour cela. Mais il est de toute évidence que si j’avais autour de moi des réceptivités, et qu’elles puissent constamment se manifester parce qu’il y a des gens qui sont capables de recevoir, cela aiderait mon corps énormément, parce que toutes les vibrations traverseraient mon corps et cela l’aiderait. Mais elle n’a aucune occasion de se manifester, elle n’a aucune occasion. Elle ne rencontre que des gens qui ne sentent même pas quand elle est là ! Ils ne s’en aperçoivent même pas, cela ne fait pour eux aucune différence. Alors, comment se manifesterait-elle? Et je ne vais pas lui demander : « S’il te plaît, viens changer mon corps », nous ne sommes pas dans ce genre de relation...

Et le corps lui-même ne voudrait pas. Il n’a jamais pensé à lui-même, il ne s’est jamais occupé de lui-même. Et ce n’est que par le travail qu’il peut se transformer. Oui, certainement, quand elle est venue, s’il y avait eu une réceptivité et si elle avait pu se manifester avec la puissance avec laquelle elle est arrivée... Même avant son arrivée... je peux vous dire une chose, c’est que quand j’ai commencé avec Sri Aurobindo à descendre pour le yoga, à descendre du mental dans le vital, quand nous avons descendu notre yoga du mental dans le vital, en l’espace d’un mois — j’avais à ce moment-là quarante ans, je n’avais pas l’air vieille, j’avais l’air d’avoir moins de quarante ans, mais enfin j’avais quarante ans, et au bout d’un mois de yoga j’avais exactement une apparence de dix-huit ans! Et quelqu’un qui m’avait vue, qui avait vécu avec moi au Japon et qui est arrivé là, il avait de la difficulté à me reconnaître. Il m’a demandé : « Mais enfin, c’est bien vous? » J’ai dit : « Évidemment! »

Seulement, quand on est descendu du vital dans le physique, alors ça, c’est parti, parce que dans le physique le travail est beaucoup plus dur. C’est qu’il y avait beaucoup plus de choses à changer. Mais si une force comme ça pouvait être manifestée et reçue, cela aurait une action formidable! Mais enfin, n’est-ce pas, ça c’est... j’en parle parce que j’ai pensé que vous poseriez la question, autrement ce n’est pas... je ne suis pas dans ce genre de relation. N’est-ce pas, je veux dire, vous prenez mon corps, ce pauvre corps; il est très innocent, il n’essaye pas du tout d’attirer ni l’attention, ni les forces, ni même de faire autre chose que son travail aussi bien qu’il peut. Et c’est comme ça, n’est-ce pas : son importance, pour le travail, est en proportion de son utilité et de l’importance que lui donne le monde, puisque l’action est pour ce monde. En lui-même il est un corps parmi d’innombrables autres.

Si vous aviez pu prendre une petite décision de sentir votre psychique, je n’aurais pas perdu mon temps.

C’est tout. Voilà. Maintenant c’est fini.

septembre




Le 8 septembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Alors?...

Douce Mère, quels sont les pouvoirs adverses du physique subtil?

Quelles sont les forces adverses? Il y en a autant qu’il y a d’éléments dans le monde. Seulement, à moins qu’elles ne s’expriment physiquement, nous ne les voyons pas. Alors nous ne nous en rendons pas compte. Mais je vous ai dit l’autre jour que l’atmosphère est pleine d’innombrables formations, qui sont généralement faites de pensées, de désirs, d’impulsions, de volontés, et qui sont aussi mélangées que sont mélangées les pensées des hommes. Il y en a de bonnes, il y en a de mauvaises; et derrière cela, il y a toutes les formations du monde vital, qui est un monde essentiellement adverse au Divin. C’est seulement le vital dans l’homme, soumis à l’influence psychique, qui peut changer et devenir un collaborateur de l’Œuvre divine. Autrement, le monde vital est essentiellement formé d’êtres qui sont hostiles à l’Œuvre divine, et ceux qui s’ouvrent à ces forces sans contrôle sont naturellement sous l’influence des forces adverses. Alors, on ne peut pas dire quelles sont ces forces adverses. Ce serait beaucoup plus facile de dire quelles ne sont pas les forces adverses.

(S’adressant aux enfants du premier rang) Tu as une question?

Tu as une question? Toi? Toi?

C’est hors du texte.

Hein? C’est hors du texte? C’était plus loin? Ce sera pour la prochaine fois. (Mère continue à interroger) Et toi? Non plus? Alors toi! Toi aussi non plus?

Plus loin!

Alors j’ai lu très peu?

(Pavitra) Non, Mère!

J’ai reçu des reproches, parce que j’avais lu La Mère trop vite. On m’a demandé de lire plus lentement; alors j’ai lu plus lentement.

Douce Mère, qu’est-ce que c’est que « la substance de l’être mental » ?

Mon petit, la substance, ça veut dire... comment dire... ça veut dire l’étoffe dont est fait l’être mental. On pourrait dire, par exemple, que les cellules sont la substance de ton corps. Ce n’est pas exactement la matière; le mental n’est pas tout à fait matériel, mais c’est la chose elle-même dont le mental est fait. S’il n’y avait pas de substance mentale, il n’y aurait pas d’être mental. Ce serait seulement une vibration ; et encore une vibration a besoin d’un milieu pour se manifester.

Mais si ton corps n’était pas fait de substance matérielle, tu n’aurais pas de corps. C’est cela qu’on appelle la substance. C’est la chose dont quelque chose est fait. Et justement, ce qui est important, c’est que, généralement, les gens pensent que le mental est seulement un mode d’activité; tandis qu’il y a une substance mentale, comme il y a une substance vitale, comme il y a une substance physique. Et comme il y a une substance, il y a un monde correspondant qui a une vie autonome, c’està-dire qu’il peut y avoir un mental sans physique. Ce physique peut disparaître et le mental peut continuer à exister. C’est en cela qu’il est important de comprendre qu’il y a une substance mentale qui est évidemment beaucoup plus... comment dire... immatérielle que la matière physique.

Il y a des gens qui emploient un mot barbare, c’est « raréfié », mais je ne crois pas que cela a exactement ce sens-là. Mais, n’est-ce pas, on dit que la substance a des densités différentes; et plus elle devient matérielle, plus elle est dense; plus elle s’éloigne de la matière, moins elle est dense. Mais c’est tout de même une substance. Il y a même une substance éthérique. Je ne dis pas que c’est conforme aux théories scientifiques; je ne vous garantis pas que je ne suis pas en train de dire des hérésies scientifiques. Mais c’est un fait cosmique. (Mère rit)

C’est justement — je crois que je l’ai dit quand j’ai parlé de l’occultisme —, j’ai dit que la première chose à savoir avant de pouvoir faire de l’occultisme, c’est que les différents états d’être ont une densité différente, et ont une existence individuelle, propre et indépendante; que ce sont des réalités existantes, que ce sont vraiment des substances réelles, que ce n’est pas simplement une manière d’être. Il peut y avoir un être mental et une activité mentale, et, par exemple, une pensée tout à fait indépendante du cerveau. Tandis que les théories matérialistes disent que c’est le cerveau qui fait l’activité mentale. Mais c’est inexact. Le cerveau est la transcription matérielle de l’activité mentale; et l’activité mentale a son domaine propre; le domaine mental a sa réalité, sa substance propre. On peut penser en dehors de son cerveau, penser, agir, former en dehors de son cerveau. On peut même vivre, se mouvoir, se déplacer, avoir une connaissance directe des choses mentales dans le monde mental tout à fait indépendante, en un mot, d’un corps qui peut être, lui, en état de complète inertie, non seulement en sommeil, mais aussi en état cataleptique. Et d’ailleurs, c’est tout à fait certain que tant que l’on n’a pas compris qu’on est fait d’états d’être différents qui ont leur vie indépendante, on ne peut pas avoir un contrôle complet sur son être. Il y aura toujours quelque chose qui vous échappera.

(À un enfant) Tu as quelque chose à demander?

C’est en dehors du livre.

Hein? En dehors du livre? Si c’est intéressant, ça ne fait rien.

Mère, quelle est la signification de ce changement brusque dans le programme 20 ?

Oh!... Mais ça, c’est une chose tout à fait personnelle!

Eh bien, je peux vous dire : elle est différente pour chacun, et c’est à vous de la trouver en vous-même. Et si vous la trouvez, vous aurez fait un progrès...

(silence)

(À un enfant) Quelque chose à dire?

Non.

(À un autre) Toi, tu as quelque chose à demander? Non? Non! Tu rêves! (rires) Personne n’a de question à poser? (À une autre) Toi!

Quand on veut se concentrer, pourquoi toutes sortes de pensées qui ne venaient jamais, viennent?

Quoi donc ?

Quand on veut se concentrer, pourquoi toutes sortes de pensées qui ne venaient jamais, viennent?

Peut-être qu’elles venaient et que tu ne le savais pas. Que c’est parce que tu veux te concentrer que tu t’aperçois qu’elles sont là. Cela peut arriver aussi qu’il y ait dans la conscience un élément de contradiction, et que lorsque tu demandes à être silencieuse, il y a quelque chose qui dit : « Non, je ne le serai pas! »

Je crois que beaucoup d’entre vous ont, comme ça, une contradiction intérieure. Quand ils ont résolu d’être bons, il y a quelque chose qui voudrait les pousser à être méchants, et quand ils veulent être tranquilles, il y a quelque chose qui les pousse à être agités, et quand ils veulent être silencieux, immédiatement les pensées se mettent à vagabonder. C’est la contradiction inhérente à la nature. Cela peut être ça, cela peut être ce que j’ai dit : c’est que toutes ces pensées sont là, mais comme tu ne t’en occupais pas, tu ne t’en apercevais pas.

Il est tout à fait certain que quand on veut faire le silence absolu, c’est de toutes choses la plus difficile; parce qu’il y avait beaucoup de choses dont on ne s’apercevait pas, qui deviennent énormes! Il y avait toutes sortes de suggestions, de mouvements, de pensées, de formations qui se passaient comme automatiquement dans la conscience extérieure, presque en dehors de la conscience, à la frontière de la conscience; et dès que l’on veut être tout à fait silencieux, alors on s’aperçoit de tout ça qui bouge, bouge, bouge, bouge, bouge, et fait un tas de bruits et qui vous empêche d’être silencieux. C’est pour cela qu’il est préférable de rester très tranquille, très calme, et en même temps très attentif à quelque chose qui est au-dessus de vous, et vers quoi vous aspirez. Mais s’il y a du bruit comme ça, qui passe comme ça autour, ne pas faire attention, pas regarder, pas s’occuper de ça. S’il y a des pensées qui passent comme ça, comme ça, comme ça, comme ça, comme ça, qui vont, qui viennent, pas regarder, pas faire attention, se concentrer vers le haut, dans une grande aspiration que l’on peut même formuler — parce que cela aide quelquefois la concentration —, vers la lumière, vers la paix, vers la tranquillité, vers une sorte d’impassibilité intérieure; que la concentration soit suffisante pour ne pas s’occuper de tout ce qui continue à s’agiter tout autour. Mais si, tout d’un coup, tu dis : « Ah! voilà du bruit! Oh! voilà une pensée, là ! », alors c’est fini. On n’arrivera jamais à être tranquille. Vous n’avez jamais vu des gens qui essayent d’arrêter une querelle en criant encore plus fort que ceux qui se querellent? Eh bien, c’est quelque chose comme ça ! (Mère rit)

Douce Mère, est-ce que je peux te poser une question hors du sujet?

Quelle question?

Dans « The Brain of India », Sri Aurobindo a écrit que e Brain of India », Sri Aurobindo a écrit que les Bengalis peuvent penser avec leur cœur...

Qui est-ce qui peut penser avec son cœur? Je n’entends pas! Les Bengalis peuvent penser avec leur cœur? C’est une forme poétique de dire! (rires) Où est-ce qu’il a écrit ça ? Ça, c’est une description très poétique. C’est pour dire que ce sont des êtres essentiellement émotifs, et que leur cœur est conscient même dans leur pensée, que leur pensée n’est pas purement intellectuelle et sèche, et que leur cœur est conscient de leur pensée. C’est cela qu’il voulait dire.

Mais je peux vous dire aussi que lorsque j’étais au Japon, j’ai rencontré un homme qui avait fondé un groupe, pour... on ne peut pas dire que c’était une sâdhanâ, mais une sorte de discipline. Il avait une théorie, et c’était sur cette théorie qu’il avait fondé son groupe : que l’on peut penser en n’importe quelle partie de son être, si l’on se concentre. C’est-à-dire qu’au lieu de penser dans la tête, vous pouvez penser dans votre poitrine. lui disait qu’on pouvait penser ici (geste), dans le ventre. Il prenait le ventre pour la place du prâna, n’est-ce pas, c’est-à-dire la force vitale. Il se servait de certains mots sanskrits, n’est-ce pas, à moitié digérés, et tout ça... Mais enfin, ça ne fait rien, il était plein de bonne volonté, et il disait que la majorité des misères humaines proviennent du fait qu’ils pensent dans leur tête, que cela donne mal à la tête, que cela vous fatigue, et que cela vous enlève la clarté d’esprit. Tandis que si vous apprenez à penser ici (geste indiquant le ventre), cela vous donne du pouvoir, de la force et du calme. Et le plus remarquable, c’est qu’il était arrivé à une sorte de capacité d’amener la puissance mentale, la force mentale, exactement ici (geste); l’activité mentale se produisait là, et plus dans la tête. Et il avait guéri un nombre considérable, considérable... des centaines de gens qui souffraient d’un mal de tête épouvantable, il les avait guéris comme ça.

J’ai essayé, c’est tout à fait facile, justement parce que (ce que je vous disais tout à l’heure), parce que la force mentale, l’activité mentale, est indépendante du cerveau. Nous avons l’habitude de nous servir du cerveau, mais nous pouvons nous servir d’autre chose, ou plutôt, concentrer la force mentale ailleurs, et avoir l’impression que notre activité mentale part de là. On peut concentrer sa force mentale dans son plexus solaire, là (geste), et avoir l’activité mentale sortant de là.

Lui, il disait : « Vous n’avez pas remarqué que tous les gens qui ont un grand pouvoir sont des gens qui ont un gros estomac ? (rires) Parce qu’ils concentrent leurs forces là, alors ça leur donne un gros estomac ! » Il donnait toujours l’exemple de Napoléon; et il disait : « Ce sont des gens qui se tiennent tout droits, toujours droits, avec la tête toute droite. Jamais comme ça (Mère penche la tête en avant), jamais comme ça (Mère penche la tête à droite), jamais comme ça (Mère penche la tête à gauche); toujours tout droits, mais avec toute leur force ici (dans le ventre), et alors ça, ça vous rend très puissant. » Et il parlait toujours de Napoléon. Il disait : « Napoléon, vous voyez... » (geste de Mère indiquant que Napoléon avait un gros ventre) Et il avait eu la visite de Tagore quand Tagore était venu au Japon, et il m’a dit : « Vous avez remarqué comme Tagore se tient tout droit, comme ça, avec la tête toute droite? » Alors je lui ai dit : « Mais il n’a pas un gros ventre! » Il m’a dit : « Ça viendra. » (rires)

Il y avait des centaines de gens à ses séances. Ils étaient tous assis sur leurs genoux, comme on s’assoit au Japon. Il donnait un coup de bâton sur une table, et tout le monde amenait sa force mentale à l’estomac ; et puis ils restaient comme ça pendant... oh! c’était bien une demi-heure. Et après une demiheure, il donnait un second coup, et alors on libérait sa force mentale et on se mettait à bavarder... pas beaucoup bavarder, parce que les Japonais ne bavardent pas beaucoup, mais néanmoins ils parlent.

Voilà ! Mais notez qu’il y avait quelque chose de tout à fait vrai, dans le sens que si vous avez jamais mal à la tête, je vous conseille de faire ça, de prendre la force de pensée, la force mentale — et même aussi si vous pouvez attirer un peu de votre force vitale —, et vous la faites descendre, comme ça... (Mère fait glisser très lentement les deux mains du haut de la tête vers le bas) Eh bien, si vous avez mal à la tête, ou que vous avez une congestion, que vous avez attrapé du soleil, par exemple, enfin qu’il vous est arrivé quelque chose, eh bien, si vous savez faire cela et que vous l’amenez là, comme ça, ici (indiquant le centre de la poitrine), ou même plus bas (indiquant le ventre), eh bien, ça s’en ira. Ça s’en ira ! Vous pourrez faire cela en cinq minutes. Vous pouvez essayer, la prochaine fois que vous aurez mal à la tête... j’espère que vous n’aurez pas mal à la tête, mais la prochaine fois que vous aurez mal à la tête, essayez ça. Vous vous asseyez bien droit, comme ça (mouvement indiquant une posture d’âsana). Les Japonais disent qu’il faut s’asseoir sur ses talons — mais ça, ça peut vous distraire de votre méditation, de vous asseoir comme ça —, ils appellent cela s’asseoir à l’aise. façon indienne, comme ça (jambes croisées), autrement il faut s’asseoir comme ça (sur les talons); ça, c’est plus dur, quand on n’est pas habitué.

Alors mettez-vous bien à l’aise, et puis toute votre force comme si vous preniez, n’est-ce pas... toute l’énergie qui est dans votre tête, vous la prenez, et puis vous la faites descendre, descendre, descendre, comme ça, lentement, très soigneusement, jusque-là, jusqu’au nombril. Et vous verrez que votre mal de tête s’en ira. J’en ai fait l’expérience beaucoup de fois... C’est un très bon remède, très facile; il n’y a pas besoin de prendre des pilules ou des « injections »; ça guérit comme ça. Voilà !

Quelque autre question?

Oui! Comment établir une paix et un silence stables dans le mental?

D’abord il faut le vouloir.

Et puis, il faut essayer, et il faut persévérer, continuer à essayer. Mais ce que je viens de dire est un très bon moyen. Mais il y en a d’autres. Tu t’assois tranquille, d’abord; et puis, au lieu de penser à cinquante choses, tu commences à te dire : « Paix, paix, paix, paix, paix, calme, paix... » Tu imagines la paix et le calme. Tu aspires, tu demandes à ce qu’elle vienne : paix, paix, calme. Et alors, quand quelque chose vient te toucher et agir, tu dis tranquillement, comme ça : « Paix, paix, paix. » Tu ne regardes pas les pensées, tu n’écoutes pas les pensées, n’est-ce pas. Tout ce qui vient, il ne faut pas faire attention. Tu sais, quand quelqu’un vous ennuie beaucoup et qu’on veut se débarrasser de lui, on ne l’écoute pas, hein? Bon! On tourne la tête, et on pense à autre chose. Eh bien, il faut faire comme ça : quand les pensées viennent, faut pas les regarder, faut pas écouter, faut pas faire attention du tout, faire comme si elles n’existaient pas, n’est-ce pas. Et puis, tout le temps répéter comme une sorte de... comment dire... comme quand on est idiot et qu’on répète toujours la même chose. Eh bien, il faut faire la même chose; il faut répéter : « Paix, paix, paix. » Alors tu essayes pendant quelques minutes, et puis tu fais ce que tu as à faire; et puis, à un autre moment, tu recommences; tu t’assois encore, et puis tu essayes. Tu fais cela le matin en te levant, tu fais cela le soir en te couchant. Tu peux faire cela... tiens, si tu veux bien digérer ta nourriture, tu peux faire cela quelques minutes avant de manger. Tu ne t’imagines pas comme cela aidera ta digestion! Avant de commencer à manger, tu restes assis, tranquille, et tu dis : « Paix, paix, paix... » et puis tout deviendra calme. C’est comme si les bruits s’en allaient loin, loin, loin... (Mère étend les bras des deux côtés) Et puis il faut continuer; et il y a un moment où on n’a plus besoin de s’asseoir; et n’importe ce que l’on fait, n’importe ce que l’on dit, c’est toujours « paix, paix, paix... » Tout reste là, comme ça, cela n’entre pas (geste sur le devant du front), cela reste comme ça. Et là, on est toujours dans une paix parfaite... après quelques années.

Mais au commencement, un tout petit commencement, deux ou trois minutes, c’est très simple. Pour une chose compliquée, il faut faire des efforts, et quand on fait des efforts, alors on n’est pas tranquille. C’est difficile de faire des efforts en étant tranquille. Très simple, très simple, il faut être très simple dans ces choses. C’est comme si tu apprenais à appeler un ami : à force de l’appeler, il vient. Eh bien, de la paix et du calme tu fais ton ami, et tu l’appelles! « Viens, paix, paix, paix, paix, viens... »

C’est tout, mes enfants?

Mère, est-ce que le siège de la compréhension est dans la tête?

La faculté de compréhension? C’est cela que tu me demandes, si elle est dans la tête? Je viens de dire le contraire! Il y a quelques minutes que j’ai dit que toutes les facultés mentales sont dans le mental, et c’est par habitude que c’est dans la tête. On peut comprendre n’importe où. On peut comprendre là où est le siège de la conscience.

Tu dis « par habitude ». On ne peut pas changer ça, on est né comme ça !

Tu pensais, toi, quand tu es né?

C’est une chose naturelle de penser avec la tête. Comment peut-on faire de cela une habitude?

C’est une habitude depuis très longtemps. Les parents des parents des parents, etc., mais pas pour tout le monde! C’est comme on a l’habitude de regarder avec les yeux, mais il a été prouvé qu’on pouvait créer des centres de vision ailleurs que dans les yeux, avec un peu de concentration. Je ne dis pas que le cerveau n’est pas fait pour penser, je ne vous ai jamais dit cela, mais j’ai dit que la pensée ne dépend pas du cerveau, ce qui est une chose tout à fait différente. Si on a le maniement des forces mentales, on voit bien que le cerveau, c’est très commode pour s’exprimer — évidemment ça a été fait pour cela, pour recevoir les pensées et les mettre en action, en expressions, en mots —, mais ça n’a pas besoin d’être exclusif.

(Après un silence) Je veux dire que c’est l’exclusivité qui est une habitude. Enfin, quand on a fait un petit peu de yoga sérieusement, on sait très bien que l’on peut penser ici (Mère indique le centre du front entre les sourcils), on peut penser là (partie droite du front), on peut penser là (partie gauche du front), on peut penser devant, et, comme je disais tout à l’heure, on peut penser beaucoup plus haut — mais actuellement, on pense que tous les phénomènes de la pensée, la concentration, sont produits par le cerveau —, et quand on pense là-haut (Mère indique l’espace au-dessus de la tête), on pense beaucoup mieux que quand on pense là. C’est seulement parce que l’on n’a jamais essayé de faire autrement. Pas « jamais essayé » : il y a des tas de gens qui ont essayé et qui ont réussi.

Voilà, mes enfants, je crois que c’est tout. Ça suffit pour ce soir.

Le 15 septembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Quand on se détache du mental des pensées, est-ce que le mental pense encore?

Généralement, il continue à penser, mais cela ne vous affecte plus. Ce n’est pas exactement « penser », c’est comme une place publique, n’est-ce pas. Ça vient, ça circule, ça tourne, ça sort, ça revient, ça se croise, quelquefois ça s’entrechoque. C’est tout à fait comme une place publique. Ce sont des choses qui marchent comme ça (gestes).

La fabrique de pensées, c’est... ça ne se produit pas très souvent. Il y a quelques personnes qui ont une occupation spéciale, qui consiste à donner une forme spéciale à la force de pensée qui vient de dehors. Ce sont généralement les gens qui écrivent, les gens qui parlent, les gens qui professent, et les autres... C’est assez rare. Généralement, ça vient, ça va, ça revient, ça retourne, et si on se détache, on peut même regarder ça du dessus, comme si on regardait une place publique du sommet d’une tour. Alors cela devient très amusant. On peut même voir d’où vient la pensée, où elle va, ce qu’elle fait bouger, quelles sont les conséquences.

Mère, que veut dire « vital du mental » ?

Eh bien, n’est-ce pas, naturellement ce sont des mots de classification pour se faire comprendre; mais vraiment, chaque partie de l’être est elle-même divisée en quatre. Il y a un mental physique, un vital physique et un physique physique, et il y a même un psychique physique qui est par derrière. Eh bien, il y a un mental vital, un vital vital, un physique vital et aussi un psychique vital qui est là, derrière, caché. Et il y a un mental mental, un vital mental et un physique mental et un psychique mental qui est caché derrière. Et chacun correspond à un certain genre d’activité, et aussi à une certaine région, zone de la conscience et de l’être. Et ces zones, ou ces dimensions intérieures, correspondent à des zones et à des dimensions extérieures universelles, ou terrestres si vous voulez, pour simplifier le problème. Il y a un mental mental au-dedans de vous, il y a un mental mental dans l’atmosphère terrestre; et... comment dire... la densité de ces régions internes et externes est identique, le mode vibratoire est identique.

Si vous entrez consciemment dans votre mental mental, vous pouvez entrer consciemment dans le mental mental de la terre. Nous avons expliqué cela une fois, hein? On avait fait des sortes de dessins, non? Non, je ne parle pas du globe, je parle de... où on faisait les régions, n’est-ce pas.

Douce Mère, comment est-ce qu’on peut acquérir par une lutte une maîtrise mentale de ses impulsions?

Tous les gens qui sont éduqués le font. Il n’y a que le barbare qui ne le fait pas. C’est l’étoffe même de l’éducation, n’est-ce pas, parce qu’il est entendu que si l’on vit en société — en fait, même si l’on vit tout seul, mais encore beaucoup plus si l’on vit en société —, on ne peut pas faire tout ce que vos impulsions vous poussent à faire. C’est tout à fait impossible, n’est-ce pas. Depuis le moment où l’on est tout petit, l’occupation des éducateurs est de vous apprendre à maîtriser vos impulsions et à n’obéir qu’à celles qui sont conformes aux lois sous lesquelles vous vivez, ou à l’idéal auquel vous voulez vous conformer, ou aux usages du milieu dans lequel vous existez. La valeur de cette construction mentale qui gouvernera vos impulsions dépend beaucoup du milieu dans lequel on vit, et de la nature des parents, ou des gens qui vous éduquent. Mais que ce soit bon ou mauvais, médiocre ou excellent, c’est toujours le résultat d’un contrôle mental sur les impulsions. Quand les parents vous disent : « Tu ne dois pas faire cela », ou quand ils vous disent : « Tu vas faire ceci », c’est cela qui est un commencement d’éducation pour le contrôle du mental sur les impulsions.

Alors, l’homme de valeur ou l’homme qui est plus civilisé, il a toute une construction mentale à laquelle il faut qu’il se conforme pour être en accord avec l’idéal du milieu dans lequel il vit. Mais quelqu’un qui ne se conformerait pas au moins à un minimum de cette construction, serait considéré comme un sauvage et serait rejeté de la société immédiatement. En fait, les gens qui sont des criminels ou des demi-fous, ce sont des gens qui obéissent à leurs impulsions sans contrôle mental. Il n’y en a pas un seul d’entre vous qui fasse sans contrôle toutes les impulsions qui s’emparent de lui. Vous n’avez qu’à vous regarder vivre, vous passez votre temps à dire : « Non, ça, je ne peux pas le faire », ou : « Ça, je peux le faire », ou à refréner un mouvement ou à encourager un autre. Ça, c’est le contrôle mental.

Je pense que c’est seulement l’homme des bois qui n’en a pas, celui qui vivrait dans la jungle, n’est-ce pas, qui ne serait en contact avec aucun homme. Et encore, il faudrait qu’il se contrôle lui-même, parce qu’il pourrait lui arriver malheur s’il ne se contrôlait pas. Il faut tout de même que son mental agisse pour l’empêcher de faire des choses qui lui causeraient des désagréments sérieux. C’est cela, le propre de l’être humain. C’est d’avoir une sorte d’activité mentale en lui qui gouverne le reste de son être, plus ou moins. Et son degré de civilisation dépend justement du point auquel est arrivé ce contrôle, et naturellement, comme j’ai dit, de la valeur de la construction mentale qui contrôle.

Douce Mère, le mental physique et le mental mécanique sont-ils les mêmes?

Presque. N’est-ce pas, il y a une toute petite différence, mais pas beaucoup. Le mental mécanique est encore plus stupide que le mental physique. Le mental physique est celui dont nous avons parlé un jour, qui n’est jamais convaincu de rien.

Je vous ai raconté l’histoire de la porte fermée, n’est-ce pas. Eh bien, ça, c’est le propre du mental physique. Le mental mécanique est encore d’un degré inférieur, parce qu’il n’écoute même pas la possibilité d’une raison convaincante, et cela arrive à tout le monde. Mais généralement on ne le laisse pas fonctionner. Mais il vient répétant les mêmes choses, absolument d’une façon mécanique, sans rime ni raison, comme ça quand il lui prend une manie quelconque, il va... Par exemple, n’est-ce pas, s’il s’amuse à compter : « Un, deux, trois, quatre », alors il continuera : « un, deux, trois, quatre, un, deux, trois, quatre... » Et vous pensez à toutes sortes de choses, ça continue : « un, deux, trois, quatre », comme ça... (Mère rit) Ou ça attrape trois mots, quatre mots, et ça les répète, et ça continue à les répéter; et à moins qu’on ne se tourne avec une certaine violence, et qu’on ne lui assène un bon coup de poing, en lui disant : « Taistoi! », il continuera comme ça, indéfiniment.

Mère, les pensées et les idées appartiennent-elles exclusivement au monde mental?

Il y a des idées et des pensées qui viennent d’au-delà, et d’audessus, et alors celles-là, le mental leur donne seulement une forme. En fait, c’était ce que j’allais dire tout à l’heure. Le vrai écrivain, le vrai penseur, le vrai orateur, il ne construit pas des pensées dans sa tête, il reçoit une inspiration d’au-dessus, et en entrant dans le mental, cela se formule dans des mots. Mais l’origine de la pensée est très supérieure.

Mais toi, tu voulais dire : « Est-ce qu’il y a des pensées qui viennent d’en bas? » Ce ne sont pas des pensées. Ce sont justement des impulsions qui se traduisent dans la conscience par des mots, qui se formulent dans des mots, mais ce ne sont pas des pensées. Cela a un autre caractère.

Que veut dire exactement subconscient?

Subconscient? C’est ce qui est à moitié conscient, n’est-ce pas. Et on dit « sub », parce que cela veut dire « en dessous » de la conscience. C’est quelque chose qui est plus obscur que la conscience, mais qui, en même temps, est comme un substratum inférieur qui supporte la conscience. C’est comme des magasins généraux dans lesquels on puiserait quelque chose qui est assez informe, une substance informe que l’on pourrait traduire en des formes, ou traduire en des actions, ou traduire en des impulsions, ou traduire même en des sentiments. Mais c’est comme des magasins qui contiendraient une quantité considérable de choses suffisamment mélangées, pas très distinctes, mais qui seraient très riches en possibilités, seulement qu’il faudrait tirer à la lumière et organiser, classer, mettre en forme pour qu’elles aient une valeur. Tant qu’elles sont là, c’est une masse, un mélange — certainement subconscient, c’est-à-dire semi-conscient, à demi conscient — où tout est embrouillé. Cela manque d’organisation et de classification. C’est le propre de la conscience, d’organiser et de classer. Classification, mettre en ordre, arranger d’une façon logique... il y a toutes sortes de logiques, mais enfin une logique, un commencement de logique. Il y a des logiques de plus en plus hautes, de plus en plus supérieures. Mais même la logique préliminaire, c’est le premier travail de la conscience.

Mais la conscience est plongée — comme plongée par des racines — dans ce domaine, et pompe comme elle pomperait une sève; elle pompe constamment ce subconscient qu’elle doit transformer en quelque chose d’organisé. C’est pour cela que l’on passe son temps à refaire le même travail. Si l’on avait une petite quantité limitée de conscience qui vous soit propre (comme il y a des gens qui se l’imaginent), comme un petit sac plein de conscience, n’est-ce pas, qui est votre conscience à vous, eh bien, quand vous l’aurez bien mise en ordre, et bien organisée, votre travail sera fini, et vous pourrez être tranquille. Mais ce n’est pas du tout comme ça, ce n’est pas du tout comme ça.

Aussi bien qu’il y a des éléments de conscience qui s’échappent et qui s’évaporent, qui se répandent, il y a cette montée constante, comme d’un sol profond, de quelque chose qui demande à être rendu conscient. Et votre travail est perpétuellement à refaire. Mais on peut — si on est soigneux et attentif —, au lieu de refaire exactement la même chose chaque fois, on peut la refaire avec un petit progrès. Alors, le mouvement n’est pas un mouvement rectiligne, mais c’est un mouvement qui fait comme... n’est-ce pas... (mouvement en spirale) On a l’air quelquefois de retourner en arrière, mais c’est pour s’en aller de plus en plus en avant.

Peut-on avoir le silence sans avoir la paix ?

Peut-être, oui; c’est-à-dire que l’on peut avoir le silence dans le mental, et ne pas avoir la paix dans le cœur. Cela peut très bien arriver que le mental soit tout à fait silencieux et immobile, mais que tout de même, là, dans le cœur, cela vibre et cela batte. Cela prouve généralement que l’on est assez divisé. Mais il y a beaucoup de gens qui sont divisés. On peut même avoir le silence mental et ne pas avoir la paix dans le cœur. Cela peut très bien arriver que le mental soit tout à fait silencieux et immobile, mais que, tout de même, il reste des trépidations dans les nerfs qui peuvent être là à vibrer, à sauter, et que tout de même le mental soit tout à fait silencieux. Mais si l’on garde le silence assez longtemps, le reste nécessairement doit suivre.

La quiétude et le calme, c’est la même chose?

Quiétude et calme? Oui, à peu près.

Il y a évidemment des genres très différents de calme et des genres très différents de paix, et à chacun l’on pourrait donner un autre mot, un autre nom, si on voulait être tout à fait précis et exact. Mais alors, c’est un travail qui consiste à se construire un vocabulaire et, évidemment, quand on a à parler toujours aux mêmes personnes, et que le nombre est limité, on peut se construire un vocabulaire suffisamment précis pour qu’on n’ait plus besoin d’expliquer les mots dont on se sert.

Mais si vous communiquez avec le dehors, ou avec de nouvelles gens, il faudrait que vous recommenciez tout votre travail, parce que c’est une chose, en somme, assez... non seulement relative, mais assez arbitraire. Mes mots, on leur donne un certain sens, chacun leur donne un certain sens, et on ne se comprend bien que quand on a l’habitude de se parler, et qu’on s’est mis d’accord, au moins tacitement, sur le sens des mots que l’on emploie. Vous parlez à une nouvelle personne qui vient d’un milieu tout à fait différent — mettez, quelqu’un qui vient d’un autre pays que le vôtre —, et qui a, par exemple, un courant de pensées très, très différent. Eh bien, vous lui dites des choses, il ne comprend pas ce que vous lui dites. Il comprend quelque chose d’autre qu’il a dans sa tête, parce qu’il ne donne pas le même sens que vous aux mots que vous employez. C’est quand on a l’habitude de se parler, qu’on a pris le soin de préciser son vocabulaire, alors on peut se parler avec un minimum d’incompréhension, ou, si vous voulez, un maximum de compréhension.

Comment accepter la Grâce avec gratitude?

Ah! D’abord, il faut en sentir le besoin.

Cela, c’est le point le plus important. C’est d’avoir une certaine humilité intérieure qui vous rend conscient de votre infirmité sans la Grâce... que vraiment, sans elle, eh bien, vous n’êtes pas complet et vous êtes impuissant. D’abord, c’est la première chose.

C’est une expérience que l’on peut très bien avoir. Quand, n’est-ce pas, même des gens qui ne savent rien se trouvent dans des circonstances tout à fait difficiles, ou devant un problème à résoudre, ou justement une impulsion à surmonter, ou quelque chose qui les a dérangés... et puis, ils s’aperçoivent qu’ils sont perdus, ils ne savent pas quoi faire — ni avec leur tête, ni avec leur volonté, ni avec leurs sensations —, ils ne savent pas quoi faire, alors ça, il y a au-dedans quelque chose comme une sorte d’appel qui se produit, un appel à quelque chose qui peut ce que l’on ne peut pas. On aspire à quelque chose qui est capable de faire ce que l’on ne peut pas faire.

Cela, c’est la première condition. Et alors, si l’on se rend compte que c’est seulement la Grâce qui peut faire cela, que cette situation dans laquelle vous vous trouvez, seule la Grâce peut vous tirer de là, vous donner la solution et la force d’en sortir, alors, tout naturellement s’éveille en vous une aspiration intense, une conscience qui se traduit par une ouverture. Si vous appelez, si vous aspirez, et que vous espérez avoir une réponse, vous vous ouvrirez tout naturellement à la Grâce.

Et après, il faut faire bien attention à ceci : la Grâce vous répondra, la Grâce vous tirera d’embarras, la Grâce vous donnera la solution de votre problème ou vous sortira de votre difficulté, mais une fois que vous êtes tiré d’embarras et que vous êtes sorti de votre difficulté, n’oubliez pas que c’est la Grâce qui vous a tiré de là, et ne croyez pas que c’est vousmême. Parce que ça, c’est le point important. La majorité des gens, dès que la difficulté est passée, ils disent : « Après tout, je me suis bien tiré d’embarras. »

Voilà. Et alors, vous fermez la porte — cadenassée, n’est-ce pas —, et vous ne pouvez plus rien recevoir. Il vous faut encore une angoisse aiguë, une difficulté terrible pour que cette espèce de stupidité intérieure fléchisse, et que vous vous rendiez compte une fois de plus que vous ne pouvez rien. Parce que c’est seulement quand vous vous rendez compte que vous êtes impuissant que vous commencez à être un petit peu ouvert et plastique. Mais tant que vous croyez que ce que vous faites, cela dépend de votre propre habileté et de votre propre capacité, vraiment, non seulement vous fermez une porte, mais, n’est-ce pas, vous fermez un tas de portes l’une sur l’autre, et cadenassées. Vous vous enfermez dans une forteresse, et rien ne peut entrer là. Ça, c’est le grand inconvénient. On oublie très vite. Tout naturellement, on se satisfait de sa propre capacité.

Mais Mère, même quand on essaye de croire qu’on est impuissant, il y a quelque chose qui croit qu’on est puissant. Alors?

Ah oui, ah oui! Ah, c’est très difficile d’être sincère... C’est pour cela que les coups se multiplient et que quelquefois ils deviennent terribles, parce que c’est la seule chose qui brise votre stupidité. C’est cela, la légitimation des malheurs. Ce n’est que quand vous vous trouvez dans une situation aiguë et devant, vraiment, une chose qui vous affecte profondément, alors, cela fait fondre un peu de la stupidité. Mais comme tu dis, même quand il y a quelque chose qui fond, il y a encore un petit quelque chose qui reste là-dedans. Et c’est pour cela que ça dure si longtemps...

Combien il faut de coups dans la vie pour savoir, jusqu’au fond, qu’on n’est rien, qu’on ne peut rien, qu’on n’existe pas, qu’on n’est rien, qu’il n’y a pas d’entité sans la Conscience divine et la Grâce. Du moment où on le sait, c’est fini, toutes les difficultés sont parties — mais quand on le sait intégralement, et qu’il n’y a rien qui résiste. Mais jusqu’à ce moment-là... Et cela prend très longtemps.

Pourquoi est-ce que le coup ne vient pas d’un seul coup ?

Parce qu’il vous tuerait. Pour que le coup soit assez fort pour vous guérir, simplement, il vous écraserait, il vous mettrait en bouillie. C’est seulement en procédant petit à petit, petit à petit, très progressivement, que vous pouvez continuer à exister. Naturellement, cela dépend de la force intérieure, de la sincérité intérieure, et de cette capacité de progrès, de profiter de l’expérience, et comme je disais tout à l’heure, de ne pas oublier. Si on a le bonheur de ne pas oublier, alors on va beaucoup plus vite. On peut aller très vite. Et si l’on a en même temps cette force morale intérieure, qui fait que quand le fer rouge est là, au lieu d’essayer de jeter de l’eau dessus pour l’éteindre, on va jusqu’au fond de l’abcès, alors là, cela va très vite aussi. Mais il n’y a pas beaucoup de gens qui soient assez forts pour cela. Au contraire, ils font bien vite comme ça, comme ça, comme ça (gestes), pour cacher, pour se cacher à eux-mêmes. Combien de jolies petites explications l’on se donne, combien d’excuses l’on accumule pour toute les sottises que l’on a faites!

Le nombre des coups, Douce Mère, est-ce que cela dépend des gens?

Oui, cela dépend des gens; cela dépend, comme j’ai dit, de leur capacité de progrès, et de leur puissance, et de leur résistance. Mais je connais bien peu de gens qui n’aient pas du tout besoin de coups.

Mère, le coup qui vient, c’est le coup de Mahâkâlî?

Le coup? Pas nécessairement.

Si tu avales un poison et que tu sois empoisonné, ce ne sera pas la faute de Mahâkâlî. C’est toi qui auras avalé le poison. Si l’on se met dans une condition absolument ridicule, on est dans un état qui doit nécessairement vous faire casser la tête, le bras ou le dos, parce que vous êtes dans un état d’équilibre qui n’en est pas; vous ne pouvez pas accuser les forces divines. C’est la conséquence mécanique normale de la stupidité qui est faite, de l’état intérieur.

Quel est le caractère du coup de Mahâkâlî?

Cela vous rend très heureux. Cela vous fait chaud au cœur, comme ça, bien. On est tout content.

Pour l’avoir, il faut aspirer, ou ça vient naturellement?

Oui, il faut avoir une sincérité dans l’aspiration, vouloir vraiment le progrès. Il faut vraiment dire : « Oui, je veux progresser », avec une sincérité... « Quoi que ce soit qui arrive, je veux progresser. » Alors, cela vient.

Mais comme je dis, cela vient avec une puissance de plénitude qui contient une joie intense. Quand on a pris une décision, que l’on a décidé de boucler quelque chose en soi, justement de ne pas refaire une bêtise que l’on a faite, ou de faire quelque chose que l’on trouve impossible et difficile à faire, et que l’on sait qu’elle doit être faite, et quand on a pris la décision et qu’alors on a mis la pleine sincérité de sa volonté, eh bien, quand un coup formidable vient pour vous obliger à faire ce que vous avez décidé de faire, c’est un coup, mais on se sent glorifié, on est tout content; c’est magnifique, n’est-ce pas, on sent quelque chose de magnifique, là (Mère désigne le cœur).

Il y a une si grande différence entre les malheurs qui vous viennent, justement, parce que vous êtes dans une conscience purement extérieure, mécanique, physique, et que vous êtes dans un état d’ignorance qui vous fait faire toutes les sottises possibles — qui naturellement portent leurs conséquences, fatalement —, il y a une si grande différence entre cela et l’état tout à fait supérieur auquel on s’élève quand on a décidé que l’on se surmonterait soi-même, que l’on ne vivrait que dans la conscience de la vérité, que coûte que coûte, quoi que ce soit que cela coûte de progresser, on progressera... Et les choses qui vous arrivent à ce moment-là sont si pleines de sens, on voit si bien en elles cette vérité qui brille, cette lumière qui vous éclaire sur le chemin comme si l’on avait un phare, là, pour vous guider... On voit si clair! Ce n’est plus comme quelque chose qui vous écrase, comme un bloc de pierre qui vous tombe sur le dos. C’est un éblouissement.

C’est pour cela que l’on dit toujours : il n’y a que le premier pas qui coûte. Le premier pas, cela veut dire : sortez de ce niveau-là, et montez à celui-ci. Après cela, tout, tout change.

Mais il faut absolument sortir de ce niveau-là, il ne faut pas y rester, il ne faut pas essayer d’avoir un pied ici et un pied là, parce que cela ne marche pas.

Voilà, mes enfants.

Le 22 septembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Douce Mère, qu’est-ce que c’est que Sat-Purusha ?

Le Purusha, ce que c’est dans l’être? La connaissance. L’être conscient.

Quelle est cette vraie création supramentale?

Vraie création, cela veut dire la nouvelle création supramentale, celle que l’on veut faire ici. Quand on parle d’un nouveau monde transformé, c’est la création supramentale.

Que veut dire « véhémence râjasique » ?

Véhémence? C’est ça, véhémence, c’est violence. C’est une excessive ardeur; et râjasique, c’est l’élément superactif et violent, c’est l’élément turbulent dans l’être. Rajasique, c’est le caractère de tous les emportements et tous les enthousiasmes, et toutes les violences et toutes les passions, et suractivités aussi, par opposition au tamas qui est inerte, et au sattva qui est équilibré. Cela, c’est l’élément superactif et violent.

Mère, maintenir sa conscience haute, est-ce que ça veut dire essayer d’avoir des pensées plus hautes?

Ça, c’est plutôt une conséquence qu’un fait. Quand on maintient sa conscience à un degré supérieur, naturellement elle sert de filtre pour les pensées et n’amène que les pensées d’ordre supérieur. Mais c’est plutôt une conséquence qu’un fait. Maintenir sa conscience dans un état supérieur, c’est l’élever au-dessus des niveaux inférieurs dans l’être, c’est la maintenir dans la lumière, dans la paix, dans la connaissance et dans l’harmonie supérieures; c’est-à-dire, placer sa conscience aussi haut que l’on peut dans son être, là où on est libéré de tous les mouvements inférieurs. Alors, naturellement, si la conscience est là, les pensées qu’elle reçoit sont des pensées d’un ordre supérieur. Et la pensée n’est qu’une forme d’activité de la conscience, ce n’est pas l’étoffe de la conscience. Il y a une conscience sans pensée, il y a un état de conscience très supérieur où il n’y a pas de pensées. C’est une conscience qui peut avoir une connaissance très parfaite des choses, sans que ce soit exprimé en pensées et en mots. La pensée est seulement une forme d’activité.

« Le silence est plus facilement établi par un influx d’en haut. » « D’en haut » veut dire, Douce Mère?

Des régions supérieures de la conscience. N’est-ce pas, si vous vous ouvrez aux régions supérieures de la conscience, et que la force descende du haut, tout naturellement elle établit un silence dans les régions inférieures, parce qu’elles sont dominées par cette puissance supérieure qui descend. Cela vient des régions supérieures du mental ou d’au-delà, même du Supramental. Alors, quand cette force et cette conscience descendent et entrent dans les consciences d’un plan inférieur, ces consciences deviennent naturellement tranquilles, parce qu’elles sont comme envahies, comme inondées par cette lumière supérieure qui les transforme.

En fait, c’est même la seule façon d’établir un silence constant dans son mental. C’est de s’ouvrir à des régions supérieures et de laisser cette conscience supérieure, cette force, cette lumière, descendre constamment dans le mental plus inférieur et prendre possession de lui. Et là, quand c’est comme cela, ce mental inférieur peut rester constamment tranquille et silencieux, parce que c’est cela qui agit, et qui remplit tout l’être. On peut agir, écrire et parler sans que le mental soit actif, avec cette force venant d’en haut, pénétrant dans le mental et se servant de lui, et le mental lui-même devient simplement un instrument pacifique. Et en fait, c’est la seule façon d’établir le silence; parce qu’une fois que ça, c’est établi, le silence est établi, le mental ne bouge plus, il agit seulement sous l’impulsion de cette force quand elle se manifeste en lui. C’est comme un champ très tranquille, très silencieux, et quand la force vient, elle met en mouvement et se sert des éléments, et elle s’exprime à travers le mental sans que le mental s’agite. Il reste très tranquille.

Douce Mère, comment vider la conscience de son contenu mélangé?

Par l’aspiration, le rejet des mouvements inférieurs, l’appel d’une force supérieure. Si l’on n’accepte pas certains mouvements, naturellement, quand ils sentent qu’ils ne peuvent pas se manifester, petit à petit ils diminuent en force et ils arrêtent de se produire. Si l’on se refuse à exprimer tout ce qui est d’une nature inférieure, petit à petit, la chose elle-même disparaît, et la conscience se vide des choses inférieures. C’est par le refus de la manifestation — je veux dire, non pas seulement dans l’action, mais aussi dans la pensée, dans le sentiment. Quand les impulsions, les pensées, les émotions viennent, si on se refuse à les manifester, si on les écarte et que l’on reste dans un état d’aspiration intérieure et de calme, alors, petit à petit, elles perdent leur force et elles cessent de venir. Alors la conscience se vide de ses mouvements inférieurs.

Mais, par exemple, quand il vient des pensées qui ne sont pas désirables, si vous les regardez, si vous les observez, si vous vous plaisez à les suivre dans leurs mouvements, jamais elles ne cesseront. La même chose quand vous avez ou des sentiments ou des sensations qui ne sont pas désirables : si vous vous occupez d’eux, si vous vous concentrez sur eux, ou si même vous les regardez avec une certaine indulgence, ils ne cesseront jamais. Mais si vous vous refusez absolument à les recevoir et à les manifester, au bout d’un certain temps, cela cesse. Il faut être patient, et très obstiné.

Dans une grande aspiration, si vous pouvez vous mettre en contact avec quelque chose de supérieur, quelque influence de votre être psychique ou quelque lumière d’en haut, et que vous arriviez à la mettre en contact avec ces mouvements inférieurs, naturellement ils s’arrêtent plus vite. Mais avant même de pouvoir, par l’aspiration, attirer ces choses-là, vous pouvez déjà, par un refus très obstiné et très patient, vous pouvez empêcher ces choses de se manifester en vous. Quand il vient des pensées que vous n’aimez pas, si simplement vous les écartez et vous ne vous occupez pas d’elles du tout, au bout d’un certain temps elles ne viendront plus. Mais il faut le faire d’une façon très obstinée et très régulière.

Tu avais dit qu’il faut savoir qu’on n’est rien, etc., sans la Grâce divine. Alors pourquoi faire tant d’efforts pour savoir qu’on n’est rien?

Pourquoi faire tant d’efforts? Dans quel sens? Vous voulez faire les efforts pour une raison personnelle? C’est pour votre satisfaction personnelle que vous voulez faire les efforts? C’est comme les gens qui disent : « Mais si ce n’est pas moi qui travaille et si ce n’est pas mon travail, comment est-ce que je peux travailler? » C’est la même chose, et pourtant c’est comme ça. Si vous sentez comme ça, cela veut dire que vous avez encore besoin, un grand besoin, de votre ego, et que si votre ego vous était retiré tout d’un coup, vous ne pourriez plus rien faire. Si vous avez besoin d’un mobile personnel pour faire quelque chose, cela veut dire que, n’est-ce pas, vous êtes encore entièrement dans votre ego. Tant que c’est nécessaire, on y reste. Seulement, alors, il ne faut pas s’imaginer qu’on peut aller vite. Cela prend très longtemps, quelquefois plusieurs existences, quelquefois un grand nombre d’existences. Si vous avez besoin de raisons personnelles pour faire les choses, il n’y a qu’à attendre que ça vous passe, et que vous compreniez que ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut faire les choses.

Par exemple, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir la perfection, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir l’union avec le Divin, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir la transformation supramentale. Si c’est pour votre bien propre et pour une raison personnelle, eh bien, suivez votre chemin; je vous dis, cela vous mènera là-bas, après un certain nombre de vies. N’est-ce pas, il y a un état où on ne peut même pas comprendre que l’on puisse exister sans une raison personnelle. Tant que c’est comme ça... Si moi, n’est-ce pas, je vous enlevais tout d’un coup votre conscience personnelle et votre raison personnelle, vous n’existeriez plus. Alors, il faut attendre tranquillement que vous puissiez réaliser en vous-même que ce n’est pas la vraie cause des choses.

Il n’y a rien à faire qu’à attendre?

Hein? Rien à faire qu’à attendre? Pour moi!... C’est moi qui passe mon temps à attendre que vous soyez prêts! (Mère rit)

C’est un problème très délicat, parce que, pendant très longtemps, si l’on ne sent pas, si l’on n’a pas cette aspiration personnelle de se perfectionner, cette aspiration personnelle d’entrer en relation avec le Divin, cette aspiration personnelle de réaliser la conscience supramentale, eh bien, on dit comme vous venez de faire : « Alors à quoi ça sert de faire quoi que ce soit? Il n’y a qu’à rester tranquille. » Eh bien, tant que c’est comme ça, et tant que vous n’avez pas développé en vous une conscience suffisante pour que ça puisse être autrement, il n’y a rien à dire, et rien à faire; je n’ai qu’à attendre.

Attendre veut dire des existences?

Oui.

Pour quelques-uns, cela peut aller plus vite; si tout d’un coup quelque chose se retourne au-dedans d’eux, et s’ils ont une expérience — ne serait-ce que l’expérience d’une identification avec le psychique —, alors, tout d’un coup ils comprennent. L’identification avec le psychique, cela veut dire une identification avec la Conscience divine. Alors, immédiatement ils comprennent; ils comprennent et ça fait même rire. On a l’impression d’avoir été si ridicule. (Mère rit)

Ce sens de sa personne, cela devient comme une cage, comme une prison qui vous enferme, qui vous empêche d’être vrai, de savoir vraiment, de pouvoir vraiment, de comprendre vraiment. C’est quelque chose comme si on vous mettait dans une coquille bien dure, là, et que vous soyez obligé de rester là-dedans.

Ça, c’est la première sensation que l’on a. Après, on commence à taper contre la coquille pour casser ça. Quelquefois ça résiste très longtemps. Mais enfin, quand on commence à sentir ça, que ce que l’on croyait être soi-même, la personne qui fait les choses, et pour laquelle on les fait, la personne qui existe et qui fait que vous êtes vous-même, n’est-ce pas, quand vous passez de ça à la conscience que ça, c’est une prison qui vous empêche d’être vraiment vous-même, alors vous avez fait un grand progrès, et il y a un espoir. On se sent étouffé, écrasé, tout à fait enfermé dans une prison sans air, sans lumière et sans ouverture, et alors, on commence à pousser du dedans, pousser, pousser, pousser, pour que ça se casse.

Et le jour où ça se casse, le jour où ça s’ouvre, tout d’un coup, on entre dans la conscience psychique. Et alors, on comprend. Et alors, vraiment, si on a le sens de l’humour, on rit; on se rend compte de sa stupidité.

Mère, tu avais dit un jour qu’avant de pouvoir s’identifier avec le Divin, il faut d’abord devenir un individu.

Oui, eh bien, c’est exactement cela. Vous êtes dans la période où on devient un individu. Et tant qu’on est dans la période dans laquelle on devient un individu, eh bien, il faut attendre que cette période soit passée, c’est-à-dire, que vous soyez devenu un individu conscient. Parfaitement. C’est cela.

Mère, tu avais dit : « Il y en a très peu, un sur un million peut-être, qui soient conscients réellement. »

Oh, si tu prends l’humanité la plus large, certainement; et la plus grande masse de l’humanité ne deviendra jamais un individu, ce sera toujours une masse amorphe qui est toute mélangée de l’un et de l’autre, là, comme ça... Devenir un individu, c’est ce que Sri Aurobindo appelle devenir vraiment un homme mental. Eh bien, si vous avez lu Le Cycle Humain, vous verrez que ce n’est déjà pas si facile de devenir un homme vraiment mental, qui pense par lui-même, qui est libre de toutes les influences extérieures, qui est une individualité, qui existe, qui a sa réalité; ce n’est déjà pas si facile.

Mais, par une sorte de Grâce, il se peut qu’avant d’être devenu un individu, si on a au-dedans de soi une aspiration, si on sent le besoin de s’éveiller à quelque chose qui voudrait plus, qui voudrait mieux, qui sent que c’est tout petit d’être un individu, quelque chose qui vraiment cherche au-delà des limites ordinaires, eh bien, même avant de devenir un individu, on peut tout d’un coup avoir l’expérience d’un contact avec son psychique qui vous ouvre toutes les portes. Elles se referment après, mais une fois qu’elles se sont ouvertes, on ne l’oublie jamais. Le souvenir vous reste très vivant; et cela aide. Cela devrait vous arriver ici.

Douce Mère, l’identification avec le psychique, et le psychique qui vient en avant, c’est la même chose?

C’est-à-dire que le premier pas c’est l’identification, et puis, une fois que l’on peut garder cette identification, alors le psychique gouverne le reste de la nature et de la vie. Il devient comme le maître de l’existence. Alors, c’est cela que l’on appelle un psychique qui vient en avant. C’est lui qui gouverne, qui dirige, qui organise même la vie, organise la conscience, organise les différentes parties de l’être. Quand c’est comme ça, le travail va très vite. Très vite, enfin... relativement très vite.

Dans la conscience humaine, toutes les choses sont très lentes. Quand on mesure le temps qu’il faut pour réaliser quelque chose au temps moyen d’une existence humaine, c’est interminable. Mais heureusement qu’il y a un moment où l’on échappe à cette notion-là, où l’on commence à ne plus sentir selon la proportion humaine. Dès que l’on est vraiment en rapport avec le psychique, on perd cette espèce d’étroitesse et d’angoisse aussi, et qui est tellement mauvaise, cette angoisse : « Il faut faire vite, il faut faire vite, on n’a pas beaucoup de temps, il faut se dépêcher, on n’a pas beaucoup de temps. » On fait les choses très mal, ou on ne les fait plus du tout. Mais dès que l’on a un contact avec le psychique, ça, ça s’en va ; on commence à être un peu vaste, et calme, et paisible, à vivre dans une éternité.

Douce Mère, pourquoi sommes-nous tellement attachés à notre ego ?

Comme j’ai dit tout à l’heure, probablement parce que vous en avez encore beaucoup besoin, non? Pour devenir un être individualisé, conscient, on a besoin de son ego, c’est pour cela qu’il est là. Il n’y a que quand on a suffisamment réalisé son individualité propre, qu’on est devenu un être indépendant, conscient, qui a sa réalité propre, alors on n’a plus besoin de l’ego, à ce moment-là. Et à ce moment-là, on peut faire des efforts pour se débarrasser de lui. Malheureusement, la plupart des gens, dès qu’ils sont devenus une individualité propre, ils ont tellement le sens de leur importance et de leur capacité, qu’ils ne pensent même plus du tout à se débarrasser de leur ego. Mais ça, c’est une autre chose.

Ici, je ne vous laisse pas vous endormir. Je vous fais souvenir de temps en temps de la vraie chose. Mais vous êtes tous très jeunes, n’est-ce pas, et il faut un certain nombre d’années, de formation intensive intérieure, pour devenir un être pensant par lui-même, conscient de sa volonté propre, et conscient de son caractère propre, de sa raison d’être dans la vie, indépendant de la masse humaine. Il faut un certain temps. Il y a des enfants qui commencent très petits. Si l’on commence très petit, quand on a vingt ans, on peut être tout à fait formé. Mais il faut commencer très petit, et consciemment, très consciemment, il faut commencer avec un sens d’observation de tous les mouvements en soi, de leur relation avec les autres, de — justement —, de son degré d’indépendance, d’individualité propre, de savoir d’où viennent les impulsions, d’où viennent les mouvements : si c’est une contagion du dehors, si c’est quelque chose qui surgit du dedans de vous-même. Il faut une étude très approfondie de tous les mouvements en soi pour arriver à simplement cristalliser un être un peu conscient, un peu conscient. Mais quand on vit d’une façon fluide, n’est-ce pas, qu’on ne sait même pas ce qui se passe au-dedans de soi, qu’on a des sortes d’impressions vagues, et que, n’est-ce pas, si on s’interroge, au moins quatrevingt-dix-neuf fois sur cent, si on se demande : « Pourquoi j’ai pensé comme ça ? Pourquoi j’ai senti comme ça ? », même : « Pourquoi ai-je fait comme ça ? », alors la réponse est presque toujours la même : « Je ne sais pas. C’est venu comme ça, c’est tout. » C’est-à-dire qu’on n’est pas conscient du tout.

Est-ce que vous êtes capable de savoir, quand vous êtes avec les autres, ce qui vient de vous et ce qui vient des autres? Dans quelle mesure leur façon d’être, leurs vibrations propres, agissent sur vous? Vous ne vous en apercevez pas du tout. Vous vivez dans une sorte de conscience approximative, à moitié éveillée, à moitié endormie, en quelque chose de très vague, où vous arrivez à tâtonner, comme ça, pour attraper les choses. Mais une notion précise, claire, exacte de ce qui se passe en vous, pourquoi cela se passe en vous? Et alors, ça : les vibrations qui vous viennent de dehors et celles qui viennent du dedans de vous? Et alors, n’est-ce pas, ce qui peut venir des autres, changeant tout ça, donnant une orientation autre? Vous vivez dans une sorte de fluidité floue. Il y a certaines petites choses, tout d’un coup, qui se cristallisent dans votre conscience, vous les avez juste attrapées pour une minute; et c’est juste clair, comme ça, comme s’il y avait un projecteur, juste quelque chose qui passe sur l’écran, qui devient clair pendant une seconde : la minute d’après, tout est devenu comme ça, vague, imprécis, mais vous ne vous en apercevez pas, parce que vous ne vous êtes même pas posé la question, parce que vous vivez ainsi. Ça s’arrête là ; ça commence là, et ça finit là. Voilà tout. Vous faites de jour en jour, de minute en minute les choses que vous faites, comme ça... Ça se trouve être comme ça.

Ça viendra. Ça viendra. Sûrement ça viendra. Je ne vais pas vous laisser comme ça. Vous secouer un petit peu... je vais vous secouer un petit peu. Je ferai ce qu’il faut pour cela.

Voilà.

Douce Mère, quel est l’effet d’une aspiration qui vient de la véhémence râjasique?

L’effet d’une aspiration...? Eh bien, elle vous enlève la tranquillité, c’est le premier effet. Cela vous rend agité, nerveux, impatient, et mécontent quand vous n’obtenez pas immédiatement ce que vous avez demandé; et généralement, aussi véhément dans le désespoir et le mécontentement que dans l’aspiration, avec un sens véhément de votre impuissance.

Alors c’est le désir?

Ce n’est pas tout à fait la même chose. Il n’est pas question de désir, il est question d’aspiration. Mais les aspirations peuvent être comme cela. Le désir c’est tout à fait autre chose. Le désir, c’est quelque chose qui agit d’une façon tout à fait horizontale.

Dans votre conscience ordinaire, vous voulez quelque chose; vous n’avez pas du tout l’idée que vous aspirez à une chose qui est ou un progrès, ou une connaissance supérieure, ou une plus grande réalisation. Vous voyez dans un magasin un objet, et puis vous le voulez. Voilà. Ou il vous passe par la tête qu’il serait bon de manger une certaine chose, et puis vous la voulez. C’est ça, les désirs. C’est tout ce qui concerne les choses qui sont sur le même plan que vous. D’ailleurs, pour les désirs aussi, il y a des gens qui ont des désirs obstinés, véhéments, et puis il y a des gens qui ont des désirs fugitifs et sans force. Il y en a comme ça.

Mais la chose dont Sri Aurobindo parle là, c’est vraiment une aspiration, c’est quelqu’un qui aspire à la vie spirituelle, mais qui aspire avec une passion véhémente; et naturellement, cela dérange tout. Et d’ailleurs, le résultat qu’il obtient — même s’il obtient un résultat —, est très mélangé; et il est bourbeux, comme il dit, tout à fait impur, ordinaire. Il ne faut pas confondre ce qu’il appelle véhémence râjasique avec une intensité, parce qu’une intensité est une chose qui peut être très vaste, très calme, et très pure, et donner une puissance considérable à l’aspiration. Mais cela n’a rien à faire ni avec un mouvement râjasique, ni avec le désir.

Et par exemple, vous pouvez comprendre la chose comme cela : si vous avez une aspiration, tout d’un coup vous concevez la possibilité du progrès, n’est-ce pas, et vous avez une aspiration pour progresser; mais si un désir est mélangé à votre aspiration, vous aurez le désir de progresser pour les pouvoirs que cela vous donnera, ou l’importance que cela vous donnera, ou l’amélioration dans vos conditions de vie. Vous allez mélanger immédiatement toutes sortes de petites raisons très personnelles à votre aspiration. Et pour dire la vérité, il y a très peu de gens qui ont une aspiration très pure. Une aspiration, une volonté de progrès, et puis c’est tout; ça s’arrête là. Parce qu’on aspire au progrès et puis, voilà, n’allons pas plus loin. Nous voulons le progrès. Mais généralement, il se mélange à cela toutes sortes de désirs des conséquences du progrès. Et alors le désir vient, n’est-ce pas; cela rend... justement ce qu’il dit... une conscience qui est impure et bourbeuse, et là-dedans rien de supérieur ne peut venir. Il faut que cela soit complètement éliminé d’abord. Si l’on se regarde d’une façon très sincère, très droite et très sévère, on s’aperçoit bien vite qu’il y a très peu de choses, très peu de mouvements de la conscience qui ne soient pas mélangés à des désirs. Même ce que vous prenez pour un mouvement supérieur, il y a toujours — non, heureusement ce n’est pas toujours, mais le plus souvent —, il y a un désir qui est mélangé. Le désir du sens de son importance, ne serait-ce que cela, cette espèce de satisfaction de soi, d’être quelqu’un de supérieur.

C’est déjà quelque chose de beaucoup mieux que ceux qui veulent devenir des yogis pour épater le voisin et pour avoir de l’autorité sur les autres, et pour que les autres soient pleins d’admiration pour eux, et de respect. Combien de choses sont vraiment pures? Aspiration pure? Il faut être déjà arrivé à un niveau très supérieur, ce niveau dont j’ai parlé, où l’on peut se regarder avec un sourire, un sourire un peu ironique, et on a l’impression qu’on était si petit, si petit, si petit, si mesquin, si insignifiant, et si sot. Après cela, ça va mieux. Mais pendant combien de temps tous les mouvements sont toujours à retourner sur eux-mêmes! Vous partez dans une courbe, comme si vous vous élanciez vers elle, devant cet univers, et vous retournez sur vous-même, espérant une petite conséquence, une petite satisfaction, une toute petite satisfaction, ne serait-ce que votre propre estime : « Oh, comme j’ai eu une belle aspiration. »

Voilà.

Le 29 septembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Douce Mère, comment est-ce que le physique peut rejeter la pression des mouvements qui se produisent dans l’atmosphère?

Il faut d’abord être conscient, et se rendre compte qu’ils viennent, que ces mouvements... qu’il y a une pression; et puis, il faut avoir une volonté, la volonté de ne pas les accepter; et puis alors on apprend, c’est... comment dire... c’est un petit truc à apprendre, un mouvement de la conscience, de la volonté, et en même temps comme si on se servait d’une force qui émane du corps; et puis faire comme ça (geste de repousser), repousser le mouvement, et ne pas l’avoir.

Mais il faut d’abord être conscient. Si l’on n’est pas conscient, on ne peut rien faire. Il faut d’abord voir venir la pression, l’influence, la suggestion, peu importe ce que c’est, la chose du dehors; la sentir venir, la voir, l’observer; et puis se décider, refuser, ne pas en vouloir. Il y a trois choses consécutives.

Qu’est-ce que « l’esprit qui convient » ?

Cela dépend des cas, mon enfant. L’esprit qui convient, c’est la volonté de se perfectionner, ou la volonté d’être calme, ou... cela dépend, n’est-ce pas, cela dépend des circonstances. C’est pour ça qu’il n’a pas mis d’une façon précise, dans ceci ou cela ; cela veut dire que, dans chaque circonstance, il y a un esprit qui est l’esprit convenable, qui est celui que l’on doit avoir, l’attitude que l’on doit prendre intérieurement. Cela dépend des cas.

Par exemple, n’est-ce pas, dès que l’on sent une vague de déséquilibre physique, de mauvaise santé qui vient, eh bien, se concentrer dans l’esprit qui convient, c’est se concentrer dans un calme intérieur, une confiance en la Grâce divine, et une volonté de rester en équilibre physique et en bonne santé. Ça, c’est l’esprit qui convient. Dans un autre cas, on sent comme une vague de colère et d’emportement qui arrive du dehors; alors on doit se retirer dans un calme intérieur, dans un détachement des choses superficielles, dans une volonté de n’exprimer que ce qui vient d’en haut et d’être toujours docile à la Volonté divine. Ça, c’est l’esprit qui convient. Et dans chaque cas, c’est quelque chose comme ça. Naturellement, cela revient toujours au même sens : qu’il faut se souvenir du Divin, et se mettre à Sa disposition et vouloir ce qu’Il veut.

Mais dans un cas on peut vouloir le calme, dans l’autre cas on peut vouloir la force, dans un autre cas on peut vouloir la santé, dans un autre, n’est-ce pas, quelque chose qui résiste à la pression du dehors.

Quand on est embarrassé, que l’on a un choix à faire, que l’on ne sait pas quelle est la vraie chose à faire — n’est-ce pas, on a à choisir entre deux ou trois ou quatre décisions possibles, et on ne sait pas quelle est la bonne décision —, alors il faut, autant que possible, se mettre en contact avec son être psychique et la Présence divine en soi, présenter le problème à cette conscience psychique et demander la vraie lumière, la vraie décision, celle qui est la plus conforme à la Volonté divine, et essayer d’écouter, de recevoir l’inspiration.

Dans chaque cas, n’est-ce pas, c’est l’attitude qui convient.

« Le Divin doit toujours passer d’abord. » Je ne comprends pas ce que c’est, « passer d’abord » ?

C’est parce que tu ne comprends pas l’expression française, « passer ». Mais enfin, en anglais, c’est la même chose; je ne sais pas quel est le texte en anglais, mais « comes first », tu comprends ce que ça veut dire, « comes first   » ? Cela veut dire qu’avant toute autre considération, c’est le Divin qui est la considération première. Que toutes les autres considérations qui ne sont pas le Divin sont des considérations secondaires, sans importance. C’est-à-dire, comme nous venons de l’expliquer, par exemple : quand on a un choix à faire, il faut choisir selon l’inspiration divine, ou ce qui vous rapprochera du Divin, ou ce qui vous mettra dans la meilleure position pour atteindre le Divin, parce que c’est le Divin qui passe d’abord, tout intérêt personnel ou toute satisfaction personnelle doit passer après : d’abord le Divin. Et la consécration au Divin doit passer d’abord, tout le reste passe après. Si ça vient, ça vient; si ça ne vient pas, ça ne fait rien. Ce qui importe, cette poursuite du Divin, c’est la première chose, c’est la chose qui passe avant tout, c’est la chose la plus importante. C’est cela que ça veut dire.

« Il y a quelque chose de plus vrai en vous. » C’est le psychique, n’est-ce pas?

Quelque chose de...? Ah, ça doit être... N’est-ce pas, ces choseslà sont des réponses à des lettres. Alors les gens écrivaient quelque chose, et Sri Aurobindo copiait ce qu’ils avaient dit, n’est-ce pas; et probablement cette personne dit qu’elle sent au-dedans d’elle quelque chose de plus vrai. Et alors, il dit : ce quelque chose de plus vrai en vous, c’est certainement le psychique.

Douce Mère, comment trouver le Divin qui s’est caché en nous?

Ça, on l’a expliqué beaucoup, beaucoup de fois; mais la première chose, c’est de le vouloir et, justement, que cela passe en premier, avant toute autre chose, que ce soit la chose importante. Ça, c’est la première condition : que tout le reste passe après, c’est la condition essentielle. Si, n’est-ce pas, une fois de temps en temps, quand on n’a rien à faire, et que tout va bien, et qu’on est inoccupé, tout d’un coup on se dit : « Tiens, je voudrais bien trouver le Divin », ça, on peut mettre cent mille ans pour ça, comme ça.

Mais si c’est la chose importante, la seule chose qui importe, et que tout le reste passe après, et qu’on ne veuille que ça, alors ça, c’est la première condition. Il faut d’abord établir ça, après on parle de ce qui suit. D’abord ça, que tout le reste ne compte pas, que seulement ça, ça compte, qu’on est prêt à renoncer à tout pour avoir ça, que c’est la seule chose qui soit importante dans la vie. Alors on se met dans la condition de pouvoir faire un pas en avant.

Douce Mère, un jour tu avais dit : si on fait des fautes en sachant qu’on fait des fautes, on repousse la Grâce divine, et on construit un mur, un véritable mur entre le Divin et soi-même.

Je ne me souviens pas exactement de ce que j’ai dit, mais il y a une chose : si vous faites une faute, sachant que c’est une faute, et la faisant tout de même, alors vous faites cela.

Si vous, par ignorance, vous faites une faute parce que vous ne savez pas que c’est une faute, vous pouvez avoir des conséquences très désagréables, mais vous ne repoussez pas le Divin, parce que vous l’avez fait par ignorance. Ce n’est pas pour dire que la faute n’est pas une faute! C’est une faute tout de même; mais justement, vous n’êtes pas dans cet état où vous repoussez la Grâce divine. Mais si vous savez que c’est une faute, et que vous le faites tout de même, chaque fois que vous le faites, vous repoussez la Grâce divine, et vous la repoussez un peu plus loin.

Mère, il y a des fautes... on sait que ce sont des fautes, mais tout de même c’est comme si on était poussé à les faire. Alors?

Poussé par quoi? Ah, c’est justement cela qui arrive! C’est que c’est la nature inférieure, les instincts du subconscient qui vous dominent, et qui vous font faire des choses que vous ne devez pas faire. Et alors, c’est un choix entre votre volonté et accepter d’être soumis. Il y a toujours un moment où l’on peut décider. Cela va jusqu’au point où j’ai dit que, même, il y a un moment où l’on peut décider d’être malade ou de ne pas être malade. Cela va même jusqu’au point où il y a un moment où l’on peut décider de mourir ou de ne pas mourir. Mais pour cela, il faut avoir une conscience extrêmement éveillée, parce que ce point est infinitésimal dans le temps, que c’est comme une centième partie d’une seconde et que, avant, on ne peut rien et, après, on ne peut rien. Mais à ce moment-là, on peut. Et si on est absolument éveillé, on peut, à ce moment-là, prendre la décision.

Mais pour des choses ordinaires comme, par exemple, de se soumettre à une impulsion, ou de la refuser, ce n’est pas un espace, ce n’est même pas l’espace d’une seconde; on a beaucoup de temps devant soi, on a certainement plusieurs minutes. Et c’est un choix entre la soumission faible et la volonté qui s’impose. Et si la volonté est claire, si elle est basée sur la vérité, si vraiment elle obéit à la vérité et qu’elle est claire, elle a toujours le pouvoir de refuser le mauvais mouvement. C’est une excuse qu’on se donne, de dire : « Je n’ai pas pu. » Ce n’est pas vrai. C’est vraiment qu’on n’a pas voulu de la vraie manière. Parce qu’il y a toujours le choix de dire oui, ou de dire non. Mais on choisit d’être faible, et après on se donne cette excuse, en se disant : « Ce n’est pas ma faute, ça a été plus fort que moi. » C’est votre faute, si ça a été plus fort que vous. Parce que vous n’êtes pas ces impulsions. Parce que vous êtes une âme consciente, et une volonté intelligente, et que votre devoir, c’est que ce soit ça qui vous gouverne et pas les impulsions d’en bas.

Douce Mère, la vérité dans la pensée, est-elle la même que la pureté dans la pensée?

Ça, ce sont des définitions. Cela dépend des phrases, du contexte, de la façon dont les mots sont employés, etc.

Alors, que veut dire la vérité de la pensée?

Cela veut dire la pensée qui exprime la vérité, tout simplement.

Alors, que veut dire la pureté de la pensée?

Et, nécessairement, une pensée qui exprime la vérité est une pensée qui est pure; parce qu’autrement elle ne pourrait pas exprimer la vérité.

Douce Mère, comment rendre la conscience vaste?

Vaste? Ah, il y a beaucoup de moyens pour cela.

Le moyen le plus facile, c’est de s’identifier avec quelque chose de vaste. Par exemple, quand vous sentez que vous êtes enfermé dans une pensée, une volonté, une conscience tout à fait étroites, limitées, que vous vous sentez comme dans une coquille, alors, si vous vous mettez à penser à quelque chose de très vaste, comme, par exemple, à l’immensité de l’eau d’un océan, et que vraiment vous pensez à cet océan, et comment il s’étend loin, loin, loin, loin, dans tous les sens, comme ça (Mère étend les bras), par rapport à vous, que c’est si loin, si loin que vous ne pouvez pas voir les bords, vous ne pouvez pas arriver aux extrémités, n’est-ce pas, ni en arrière, ni en avant, ni à gauche, ni à droite... c’est grand, grand, grand, grand... Vous pensez à cela, et puis alors, vous avez l’impression que vous flottez sur cette mer, comme ça, et qu’il n’y a pas de limites... Ça, c’est très commode. Alors, vous élargissez un peu votre conscience.

Il y a d’autres gens qui, par exemple, commencent à regarder le ciel; et alors, ils s’imaginent, n’est-ce pas, tous ces espaces entre toutes ces étoiles, et tout... cette sorte d’infinité d’espaces, où la terre est un petit point, et vous, vous êtes un tout petit point, plus petit qu’une fourmi, sur la terre. Et alors, vous regardez ce ciel, et puis vous avez l’impression que vous flottez dans ces espaces infinis, entre les planètes, et vous êtes de plus en plus large pour aller de plus en plus loin. Il y a d’autres gens qui réussissent avec cela.

Il y a un moyen qui consiste à essayer de s’identifier avec toutes les choses de la terre. Par exemple, quand on a une petite vision étroite de quelque chose, et qu’on est gêné par la vision des autres et le point de vue des autres, il faut commencer par déplacer sa conscience, essayer de la mettre dans les autres, et essayer petit à petit de s’identifier avec toutes les façons de penser de tous les autres. Ça, c’est un petit peu plus... comment dire... dangereux. Parce que s’identifier avec la pensée et la volonté des autres, c’est s’identifier avec un tas de stupidités (Mère rit) et de mauvaises volontés, et que cela peut amener des résultats qui ne sont pas très bons. Mais enfin, il y a des gens qui font cela plus facilement. Par exemple, quand ils sont en désaccord avec quelqu’un, pour arriver à élargir leur conscience, ils essayent de se mettre à la place des autres, et de voir la chose non pas par leur propre point de vue, mais par les points de vue des autres. Cela élargit la conscience, mais pas autant que par les premières choses que j’ai dites, qui sont, celles-là, très innocentes. Elles ne vous font aucun mal, elles vous font beaucoup de bien. Elles vous rendent très paisible.

Il y a des tas de moyens intellectuels d’élargir sa conscience. Cela, j’ai tout expliqué dans mon livre. Mais en tout cas, quand on est ennuyé par quelque chose, qu’il y a une chose qui vous est pénible, ou très désagréable, si l’on se met à penser à l’éternité du temps et à l’immensité de l’espace, si l’on pense à tout ce qui s’est passé avant, et tout ce qui se passera après, et que cette seconde de l’éternité n’est vraiment que, n’est-ce pas, un souffle qui passe, et que l’on se sent si profondément ridicule d’être bouleversé par quelque chose qui dans l’éternité du temps est... on n’a même pas le temps de s’en apercevoir, cela n’a aucune place, aucune importance, parce que, qu’est-ce que c’est qu’une seconde dans l’éternité?... si l’on arrive à se rendre compte de cela, à... comment dire... visualiser, se faire un tableau de la petite personne que l’on est, dans la petite terre où l’on est, et la petite seconde de la conscience qui en ce moment vous fait mal, ou vous est désagréable — qui est elle-même seulement une seconde dans votre existence —, que vous avez été vous-même beaucoup de choses avant, que vous serez encore beaucoup de choses après, que ce qui vous affecte maintenant, dans dix ans vous l’aurez probablement complètement oublié, ou si vous vous en souvenez, vous vous direz : « Comment se fait-il que j’aie attaché de l’importance à cela ? », si vous pouvez d’abord réaliser cela, et puis réaliser votre petite personne qui est une seconde dans l’éternité, même pas une seconde, n’est-ce pas, imperceptible, un fragment de seconde dans l’éternité, que tout le monde s’est déroulé auparavant et qu’il se déroulera encore, indéfiniment — en avant, en arrière —, et que... alors on a tout d’un coup le sens du ridicule profond de l’importance que l’on attache à ce qui vous est arrivé. Vraiment on a le sens... à quel point c’est grotesque d’attacher de l’importance à sa vie, à soi-même, et à ce qui vous arrive. Et en l’espace de trois minutes, si on fait la chose proprement, on est balayé de tous les désagréments. On peut même être balayé d’une douleur très profonde. Simplement une concentration comme ça, et se situer dans l’infini et dans l’éternité. Tout s’en va. On sort de là nettoyé. On peut se débarrasser de tous les attachements, et même, je dis, des douleurs les plus profondes — de tout — comme ça, si on sait le faire convenablement. Cela vous sort immédiatement de votre petit ego. Voilà.

Douce Mère, comment rendre une résolution très ferme?

Vouloir qu’elle soit très ferme! (rires)

Non, mais ça a l’air d’une plaisanterie... c’est tout à fait vrai! On ne veut pas vraiment. C’est un manque de sincérité. Si on regarde sincèrement, on verra que l’on a décidé que ce serait comme ça, et puis, en dessous il y a quelque chose qui n’a pas décidé du tout, et qui attend la seconde d’hésitation pour se précipiter. Si on est sincère, si on est sincère et qu’on attrape par l’oreille la partie qui juste se cache, attend, ne se montre pas, et sait qu’il y aura une seconde d’indécision dans laquelle cela se précipite, et cela vous fait faire la chose que vous avez décidé de ne pas faire...

Mais si vous voulez vraiment, rien au monde ne peut vous empêcher de faire ce que vous voulez. C’est parce qu’on ne sait pas vouloir. C’est parce qu’on est divisé dans sa volonté. Si l’on n’est pas divisé dans sa volonté, je dis : rien, personne au monde ne peut vous faire changer de volonté.

Mais on ne sait pas vouloir. En fait, on ne veut même pas. Ce sont des velléités : « Tiens, c’est comme ça... On aimerait bien que ce soit comme ça... Oui, ce serait mieux que ce soit comme ça... Oui, ce serait préférable que ce soit comme ça. » Mais ça, ce n’est pas vouloir. Et toujours, là, derrière, caché quelque part dans un coin du cerveau, il y a quelque chose qui regarde et qui dit : « Oh, pourquoi vouloir ça ? Après tout on peut aussi bien vouloir le contraire. » Et essayer, n’est-ce pas. Pas comme ça, qui attend... Mais on peut toujours trouver mille excuses pour faire le contraire. Et il suffit, juste, hein, un tout petit fléchissement... pftt... ça se précipite, et ça y est. Mais si on veut, si on sait vraiment que c’est ça, et si on veut vraiment que ce soit ça, si on est soi-même entièrement concentré dans la volonté, je dis : il n’y a rien au monde qui puisse vous empêcher de le faire. De le faire... ou que vous soyez obligé de le faire, cela dépend de ce que c’est.

On veut. Oui, on veut, comme ça (gestes), on veut : « Oui, oui, ce serait mieux que ce soit comme ça. Oui, ce serait plus joli aussi, plus élégant... » Mais, après tout, on est un être faible, n’est-ce pas? Et puis on peut toujours mettre la faute sur autre chose : « C’est l’influence qui vient du dehors, c’est toutes sortes de circonstances. »

Le souffle a passé, n’est-ce pas, on ne sait pas... quelque chose... un moment d’inconscience... « Oh, j’étais inconscient. » On est inconscient parce qu’on n’accepte pas... Et tout ça, c’est parce qu’on ne sait pas vouloir.

Apprendre à vouloir est une chose très importante. Et pour vouloir vraiment, il faut unifier son être. Au fond, pour être un être, il faut d’abord s’unifier. Si l’on est tiré par des tendances absolument contraires, si l’on passe les trois quarts de sa vie à être inconscient de soi-même, et des raisons pour lesquelles on fait les choses, est-ce qu’on est un être? On n’existe pas. On est une masse d’influences, de mouvements, de forces, d’actions, de réactions. Mais on n’est pas un être. On commence à être un être quand on commence à avoir une volonté. Et l’on ne peut avoir une volonté que si l’on est unifié.

Et quand vous aurez une volonté, alors vous pourrez dire, vous pourrez dire au Divin : « Je veux ce que Tu veux », mais pas avant. Parce que pour vouloir ce que le Divin veut, il faut avoir une volonté, autrement, on ne veut rien du tout. On voudrait. On voudrait bien. On voudrait bien vouloir ce que le Divin veut faire. On n’a pas de volonté à Lui donner à Son service. Quelque chose comme ça, gélatineux, comme des méduses... là... une masse de bonnes volontés — et je mets les choses au mieux, j’oublie les mauvaises volontés —, une masse de bonnes volontés semi-conscientes, et fluctuantes...

Ah, c’est tout, mes enfants. Cela suffit pour aujourd’hui. Voilà.

Mettez seulement cela en pratique; un petit peu de ce que j’ai dit, pas tout, hein, un tout petit peu. Voilà.

octobre




Le 6 octobre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

« Une foi absolue, la foi que c’est le meilleur qui arrivera, mais aussi que, si vous réussissez à devenir un vrai instrument, le fruit sera celui que votre volonté, guidée par la lumière divine, voit comme la chose qui doit être faite, kartavyam karma. »

La foi que c’est toujours le meilleur qui arrive.

Nous pouvons ne pas, sur le moment, le considérer comme le meilleur, parce que nous sommes ignorants, et aussi aveugles, que nous ne voyons pas les conséquences des choses et ce qui arrivera après. Mais il faut garder la foi que si c’est comme cela, si l’on s’en remet au Divin, si on Lui donne la pleine charge de soi, si on Le laisse décider tout pour vous, eh bien, il faut savoir que c’est toujours ce qu’il y a de mieux pour vous qui arrive. C’est un fait absolu. Dans la mesure où vous vous soumettez, c’est le mieux qui vous arrive. Cela pourrait ne pas être en conformité avec ce que vous aimeriez, votre préférence, ou votre désir, parce que ces choses-là sont aveugles : le mieux au point de vue spirituel, le mieux pour votre progrès, votre développement, votre croissance spirituelle, pour votre vie vraie. C’est toujours cela.

Et il faut garder la foi; parce que la foi, c’est l’expression de la confiance dans le Divin et de l’abandon que l’on fait au Divin de soi-même. Et quand on le fait, c’est une chose absolument merveilleuse. C’est un fait, ce ne sont pas des mots, n’est-ce pas, c’est un fait. Quand on regarde en arrière, toutes sortes de choses que l’on n’avait pas comprises quand elles vous sont arrivées, on s’aperçoit que c’était juste la chose qu’il fallait pour vous faire faire les progrès nécessaires. Toujours, sans exception. C’est notre aveuglement qui nous empêche de le voir.

Est-ce que se blâmer soi-même est une bonne manière de progresser?

De se blâmer? Non, pas nécessairement. Cela peut être utile, c’est même utile de temps en temps pour se tirer de l’illusion de sa perfection propre. Mais on perd beaucoup d’énergie à se critiquer. Il vaut beaucoup mieux user cette même énergie à faire des progrès, à faire un progrès concret, quelque chose de plus utile. Par exemple, si vous avez des pensées que vous n’approuvez pas, qui sont laides, vulgaires et qui vous dérangent, si vous dites : « Ah, ah, que je suis insupportable, j’ai encore ces pensées-là, comme c’est ennuyeux ! », il vaudrait beaucoup mieux se servir de cette même énergie pour simplement faire comme ça (geste), et chasser les pensées.

Et ça, c’est un premier pas. Le second pas, c’est de tâcher d’en avoir d’autres, s’intéresser à quelque chose d’autre : ou lire, ou réfléchir, mais tâcher de se remplir la tête de quelque chose de plus intéressant, d’utiliser son énergie à construire plutôt qu’à détruire.

Il est nécessaire, naturellement, de temps en temps, de reconnaître ses fautes; c’est tout à fait indispensable. Mais s’appesantir là-dessus n’est pas nécessaire. Ce qui est nécessaire, c’est d’utiliser toute son énergie pour construire les qualités que l’on veut avoir, et pour faire la chose que l’on veut faire. C’est beaucoup plus important.

« Pour le moment vos expériences sont sur le plan mental. »

Ça, c’est la réponse à quelqu’un, je ne sais pas. C’est quelqu’un qui a écrit une lettre, et Sri Aurobindo lui a répondu : « Pour le moment vos expériences sont sur le plan mental. » Je ne sais pas quelle était cette lettre, ni cette personne.

Mais qu’est-ce que « seulement sur le plan mental » veut dire?

Qu’est-ce que cela veut dire? Eh bien, ce sont des expériences qui concernent la pensée, l’activité mentale, la compréhension des choses, l’observation des choses, la pensée, la déduction, le raisonnement, le contact avec l’enseignement, la connaissance, le résultat que cette connaissance a sur votre compréhension : toutes ces choses-là qui sont purement mentales. Et en fait, on doit toujours commencer par cela.

Si l’on a des expériences vitales — par exemple des visions —, certaines expériences vitales sans avoir une préparation mentale suffisante, cela peut avoir pour résultat de détruire votre équilibre et, en tout cas, vous ne comprenez rien à ce qui vous arrive, et c’est pratiquement inutile, si ce n’est pas nuisible. Tandis que si, d’abord, l’on a développé sa compréhension, si l’on a étudié, si l’on a compris et que l’on sache les raisons des choses et le but, par exemple, du yoga, et que l’on ait étudié les moyens d’arriver — enfin toute l’approche mentale de la chose —, alors, quand il vous arrive une expérience, on a une chance de pouvoir comprendre ce que c’est; autrement on ne comprend rien. Il faut une préparation mentale suffisante — sinon complète, au moins suffisante —, pour pouvoir comprendre un peu les expériences qui se produisent.

L’expérience dépend de quoi, Mère?

Ah, cela dépend de beaucoup de choses... Il y a des gens qui ont des expériences tout à fait spontanément, et il est entendu que cela dépend de leurs vies antérieures, ou de la façon dont ils ont été formés, des forces qui ont présidé à la construction de l’être physique actuel, et de l’influence sous laquelle ils ont été mis, même avant la naissance. Ceux-là ont les expériences d’une façon spontanée. Ils ne sont pas nombreux, mais il y en a. Il y en a d’autres pour qui c’est le résultat d’un effort très soutenu. Ils aspirent à avoir des expériences, et ils se donnent une discipline ou ils adoptent une discipline de façon à pouvoir les avoir. Quelquefois cela prend très longtemps pour obtenir quelque chose. Cela dépend absolument de la façon dont on est bâti. J’ai connu des gens qui étaient ignorants, n’est-ce pas, et qui avaient des expériences de voyance, de perception intérieure tout à fait remarquables. Ils ne comprenaient rien ni à ce qui leur arrivait ni à ce qu’ils voyaient. Mais ils avaient le don.

Mais ça n’a aucun effet sur leur vie extérieure?

Non.

Alors à quoi bon avoir des expériences?

Ce n’est pas une question d’« à quoi bon ». Tout n’est pas utilitaire dans le monde. C’est comme ça, c’est comme ça. Si, tu peux dire « à quoi bon » à quelqu’un qui se préoccupe exclusivement d’avoir des expériences, qui n’a aucune préparation intellectuelle et spirituelle intérieure, et qui, par une fantaisie quelconque, voudrait avoir des expériences, tu peux lui dire, oui : « À quoi bon? Ce n’est pas cela qui vous mènera vers la vie spirituelle. Cela peut vous aider si vous avez pris le chemin. Et si vous avez pris le chemin en toute sincérité, eh bien, elles viendront dans la mesure où elles seront utiles. Mais rechercher l’expérience pour l’expérience, c’est tout à fait inutile. » Et on peut dire aux gens : « À quoi bon? C’est une fantaisie, c’est une fantaisie sur un autre plan, c’est un autre genre de désir, mais c’est un désir. »

Mais dans la voie normale, à mesure que l’on progresse intérieurement, à chaque pas que l’on fait vers la conscience vraie, ce pas est accompagné d’un certain nombre d’expériences qui y correspondent, et qui vous permettent de reconnaître la situation dans laquelle vous vous trouvez : ça, c’est normal. C’est comme ça que ça doit être.

Mais alors, ce ne sont pas généralement des expériences tellement sensationnelles que les gens en fassent grand cas. Ils ont souvent, tout d’un coup, une illumination de conscience, une indication intérieure, une perception qui n’est pas habituelle. Mais quand ils ne sont pas exclusivement tournés vers le désir d’avoir des expériences, ils n’y attachent pas beaucoup d’importance. Quelquefois ils n’y attachent même pas assez d’importance. L’indication est venue, leur a montré quelque chose, mais ils n’en ont pas même tenu compte. Mais ce ne sont pas de ces choses qui vous donnent l’impression que vous vivez dans un monde merveilleux. Ce sont des choses assez normales. Tout d’un coup, une ouverture dans le cerveau, une lumière qui se fait, quelque chose que l’on comprend, que l’on n’avait pas compris avant. On prend cela pour un phénomène très naturel. Mais c’est une expérience spirituelle — ou la claire vision d’une situation, la compréhension de ce qui se passe en soi, de l’état dans lequel on se trouve, l’indication du progrès exact que l’on doit faire, de la chose qui est à corriger. Ça aussi, c’est une expérience, et c’est une expérience qui vient du dedans, c’est une indication que le psychique vous donne. On le prend aussi pour un fait tout à fait naturel. On n’y attache pas d’importance.

On appelle « expérience », généralement, ou les phénomènes tout à fait extravagants (comme la lévitation, des choses comme ça), ou bien des visions sensationnelles : les gens qui peuvent voir l’avenir, ou ceux qui voient à distance, ou alors, n’est-ce pas, les choses ordinaires : pouvoir dire où se trouve un objet perdu, ou toutes sortes de petits trucs comme ça. Ça, les gens appellent ça les « expériences ».

Eh bien, généralement, les gens qui ont ces choses-là sont des gens qui ne sont pas cultivés, mais qui, pour une raison quelconque, sont nés avec un don, comme il y en a qui sont nés musiciens, d’autres peintres, et d’autres savants. Eux, ils sont nés voyants, et alors, n’est-ce pas, s’ils sont dans le besoin, ils se servent de cela pour gagner leur vie, et ils l’abîment complètement. S’il se trouve qu’ils sont dans une situation aisée et qu’ils n’ont pas besoin de gagner leur vie, alors ils se font une renommée parmi leurs amis. En tout cas, c’est toujours une occasion d’un certain genre de commercialisme. Il y a très peu de gens qui peuvent avoir ces dons-là sans s’en servir pour se faire ou une réputation ou gagner de l’argent. Mais ce ne sont pas des dons d’un degré très avancé. On peut avoir cela sans avoir une vie très spirituelle. Cela ne dépend pas du tout d’une hauteur spirituelle intérieure. Il ne faut pas méprendre cela pour un signe de progrès.

D’ailleurs, il y a une chose certaine : ceux qui n’ont pas ces choses-là, et qui veulent les acquérir, par exemple la capacité de prévoir, prévoir ce qui va arriver, enfin le correspondant de la prophétie, la capacité de savoir les événements avant qu’ils se produisent (comme je dis, il y a des gens qui ont cela spontanément, à cause d’un phénomène de naissance quelconque), et si on veut l’obtenir soi-même, c’est-à-dire, entrer en contact avec les régions où l’on peut voir ces choses — alors non pas par hasard ou accidentellement, ou, n’est-ce pas, sans que l’on ait aucun contrôle là-dessus, mais au contraire, les voir à volonté —, ça, ça représente un travail formidable.

Et c’est pour cela qu’il y a des gens qui attachent une très grande valeur à ces choses-là. Mais elles n’ont de la valeur que si elles sont sous votre contrôle, et à volonté, et le résultat d’une discipline intérieure. Dans ce cas-là, oui, parce que cela prouve que vous êtes entré en rapport avec une certaine région où il est difficile d’entrer consciemment, volontairement, et d’une façon permanente. C’est très difficile, cela demande beaucoup de développement. Et alors, pour que vous soyez sûr de ce que vous avez vu... Parce que, je ne vous ai pas dit que ces gens qui font métier de leur clairvoyance, cela devient... j’ai dit « commercialisme »; c’est pire que cela, n’est-ce pas, c’est une tromperie! Quand ils ne voient rien, ils inventent. Quand ils en font métier, et qu’il y a des gens qui viennent leur demander quelque chose sur l’avenir, et qu’ils ne voient rien du tout, ils sont obligés d’inventer quelque chose, autrement ils perdraient leur réputation et leur clientèle. Alors cela devient, n’est-ce pas, « deception 21 », mensonge, tromperie, ou falsification.

Mais quand on veut avoir un renseignement pur, exact, être en rapport avec la vérité des choses, et voir d’avance non pas selon votre petite construction mentale, mais comme les choses sont décrétées, à l’endroit où elles sont décrétées, et au moment où elles sont décrétées, alors cela demande une très grande pureté mentale, un très grand équilibre vital, une absence de désir, de préférence. Il ne faut jamais vouloir qu’une chose soit d’une manière et non d’une autre, autrement cela falsifie immédiatement votre vision.

Tous les gens qui ont des visions, généralement ils les déforment, tous, presque sans exception. Je ne crois pas qu’il y en ait un sur un million qui ne déforme pas sa vision, parce que de la minute où elle touche le cerveau, elle touche le domaine des préférences, des désirs, des attachements, et ça, ça suffit pour donner une coloration, une apparence spéciale à ce que vous avez vu. Même si vous avez vu correctement, vous traduisez dans votre conscience faussement. Ça, ça demande une grande perfection.

Mais vous pouvez avoir la perfection sans le don de vision. Et la perfection peut être aussi grande sans le don qu’avec le don. Si cela vous intéresse particulièrement, vous pouvez faire un effort pour l’obtenir. Mais c’est si cela vous intéresse particulièrement. Si vous tenez beaucoup à savoir certaines choses, on peut faire une discipline; on peut faire une discipline aussi pour changer le fonctionnement de ses sens. Je crois que je vous ai déjà expliqué comment l’on peut entendre à distance, voir à distance, même physiquement; mais cela représente une quantité considérable d’efforts, qui ne sont peut-être pas toujours en proportion du résultat, parce que ce sont des à-côtés, ce n’est pas la chose centrale, la plus importante. Ce sont des à-cotés qui peuvent être intéressants, mais en soi, ce n’est pas la vie spirituelle; on peut avoir la vie spirituelle sans avoir cela.

Maintenant, les deux ensemble vous donnent peut-être une capacité plus grande. Mais pour cela aussi, il faut bien se dire : « Si je dois l’avoir — si je prends l’attitude vraie de soumission vis-à-vis du Divin et de complète consécration —, si je dois avoir cela, je l’aurai. » Comme : « Si je dois avoir le don de la parole, je l’aurai. » Et au fond, si l’on est vraiment soumis, de la vraie manière et totalement, à chaque minute on est ce que l’on doit être et on fait ce que l’on doit faire, et on sait ce que l’on doit savoir. Ça... mais pour ça, naturellement, il faut avoir surmonté les petites limitations de l’ego, et cela ne se fait pas du jour au lendemain. Mais cela peut se faire.

Autre question?

Douce Mère, qu’est-ce que c’est, « l’âme vitale de désir » ?

Mon petit, l’âme vitale, c’est-à-dire la chose qui anime le corps, la vie qui anime le corps. N’est-ce pas, dans le langage ordinaire, on dit : « Vous mourez quand votre âme quitte votre corps », ou : « Votre âme quitte votre corps quand vous mourez », d’une façon ou de l’autre; mais ce n’est pas l’âme, ce n’est pas que cette âme — ce que nous appelons l’âme, c’est-à-dire l’être psychique... c’est l’être vital. Quand l’être vital abandonne le corps, pour une raison quelconque, le corps meurt, ou la mort produit la coupure entre l’être vital et le corps; alors dans le sens d’animer, c’est-à-dire donner la vie.

C’est l’âme vitale de désir, Douce Mère?

Oui, l’âme vitale est pleine de désirs. L’être vital est plein de désirs. Il est bâti avec des désirs.

Douce Mère, ici il est écrit : « Une atmosphère spirituelle est plus importante que les conditions extérieures; si on peut l’obtenir et aussi créer son propre air spirituel pour y respirer et y vivre, cela est la vraie condition du progrès. » Comment peut-on l’obtenir et aussi créer sa vraie atmosphère spirituelle?

Obtenir quoi? Ça, c’est par — justement —, par la discipline intérieure; vous pouvez créer votre atmosphère en contrôlant vos pensées, en les tournant exclusivement vers la sâdhanâ, en contrôlant vos actions, en les tournant exclusivement vers la sâdhanâ, en abolissant tout désir et toute activité futile, extérieure, ordinaire, en vivant d’une vie intérieure plus intense, et en vous séparant des choses ordinaires, des pensées ordinaires, des réactions ordinaires, des actions ordinaires; alors, vous créez une sorte d’atmosphère autour de vous.

Par exemple, si au lieu de lire n’importe quoi, et de bavarder, et de faire n’importe quoi, si vous lisez seulement ce qui vous aide à suivre le chemin, si vous n’agissez que conformément à ce qui peut vous mener vers la réalisation divine, si vous abolissez en vous tous les désirs et toutes les impulsions tournés vers les choses extérieures, si vous calmez votre être mental, si vous apaisez votre être vital, si vous vous fermez aux suggestions du dehors, et que vous deveniez insensible à l’action des gens qui vous entourent, vous créez une atmosphère spirituelle telle que rien ne peut y toucher, et que cela ne dépend plus du tout des circonstances, ni avec qui vous vivez, ni dans quelles conditions vous vivez, parce que vous êtes enfermé dans votre propre atmosphère spirituelle.

Et c’est comme ça qu’on l’obtient : c’est en s’occupant seulement de la vie spirituelle, en ne lisant que ce qui peut vous aider dans la vie spirituelle, en ne faisant que ce qui vous conduit vers la vie spirituelle, et ainsi de suite. Alors vous créez votre atmosphère. Mais naturellement, si vous ouvrez toutes les portes, que vous écoutez ce que les gens vous disent, que vous suivez les avis de celui-là et les inspirations de celui-ci, et que vous êtes plein de désirs pour les choses du dehors, vous ne pouvez pas vous créer une atmosphère spirituelle. Vous aurez une atmosphère ordinaire comme tout le monde.

Douce Mère, ici il est écrit : « Ne vous laissez pas déranger par votre entourage et son opposition. Ces conditions sont souvent imposées au début comme une sorte d’épreuve. » Imposées par le Divin?

Sri Aurobindo n’a pas dit comme ça, n’est-ce pas. Il faut le prendre de la manière qui vous aide le plus. Ça, c’est une question très difficile.

Oh, je vous ai déjà très souvent expliqué que, quand vous vivez dans une conscience ordinaire, et dans la mesure où vous restez sur un certain plan, qui est une combinaison d’un mental-vital-physique le plus matériel, c’est-à-dire le plan ordinaire de la vie, vous êtes soumis au déterminisme de ce plan et c’est cette soumission au déterminisme de ce plan qui vous met justement dans ces conditions-là, parce que vous avez au fond de vous quelque chose qui aspire à une autre vie, mais qui ne sait pas encore vivre cette autre vie, et qui pousse du dedans pour obtenir les conditions nécessaires pour cette autre vie; ce sont des conditions intérieures, ce ne sont pas des conditions extérieures. Mais ça, ça prend son point d’appui sur les obstacles du dehors pour se fortifier dans sa volonté de progresser; et alors, si vous le prenez du dedans au dehors, vous pouvez même dire que c’est vous-même qui créez les difficultés pour vous aider à avancer.

Maintenant, si vous entrez sur un autre plan et que vous vous dites (mais ça, c’est une chose soumise à beaucoup d’explications et de discussions), si vous dites qu’il n’y a rien dans l’univers qui ne soit l’œuvre du Divin, ce qui est essentiellement vrai — mais qui n’est pas vrai ici —, alors vous dites : « Bien. C’est le Divin qui organise tout, par conséquent c’est Lui qui a organisé aussi les difficultés. » Mais ça, c’est une façon très enfantine de dire les choses — simpliste. Seulement, comme j’ai dit en commençant : « Si ça vous aide de penser comme ça, pensez comme ça. » N’est-ce pas, la pensée est une chose si approximative, c’est si loin de la vérité... C’est seulement une espèce de réflexion vague, incomplète, confuse, et pleine de mensonge, même quand c’est au mieux. Alors, au fond, c’est le moment d’être pratique et de se dire : « Eh bien, j’adopterai cette pensée si elle m’aide à progresser. » Mais si vous croyez que c’est la vérité absolue, alors vous êtes sûr de vous tromper, parce qu’il n’y a pas de pensée qui soit la vérité absolue.

Tiens, on va vous mettre, dans les livres qu’on vous prêtera à la bibliothèque de l’Université 22 , on va mettre une petite réflexion de Sri Aurobindo qui est merveilleuse (je l’ai fait imprimer aujourd’hui), où l’on dit que quel que soit l’enseignement, même le plus haut, le plus pur, le plus noble, le plus vrai, ce n’est jamais qu’un aspect de la Vérité, et ce n’est pas la Vérité (je commente, le texte n’est pas comme ça), ce n’est pas la Vérité tout entière. Eh bien, c’est ça. Quelle que soit votre pensée, même si elle est très haute, très pure, très noble, très vraie, ce n’est qu’un tout petit, microscopique aspect de la Vérité, et par conséquent elle n’est pas entièrement vraie. Alors, dans ce domaine-là, il faut être pratique, comme je dis, adopter la pensée pour le moment, celle qui vous aide à faire un progrès au moment où vous l’avez. Quelquefois, cela vient comme une illumination, et cela vous aide à faire un progrès. Tant qu’elle vous aide à faire un progrès, gardez-la ; quand elle commence à s’effriter, à ne plus avoir d’action, eh bien, laissez-la tomber, et tâchez d’en avoir une autre qui vous mènera un peu plus loin.

Il y aurait beaucoup de misères et de malheurs dans le monde qui disparaîtraient si les gens savaient la relativité de la connaissance, la relativité de la foi, la relativité des enseignements, et la relativité des circonstances aussi... à quel point une chose a une importance si relative! Pour le moment elle peut être capitale, elle peut vous conduire vers la vie ou vers la mort — je ne parle pas de la vie et de la mort physiques, je parle de la vie et de la mort de l’esprit —, mais c’est pour le moment. Et quand vous aurez fait un certain progrès, que vous serez de quelques années en avance au point de vue spirituel, et que vous regarderez en arrière cette chose, cette circonstance, ou cette idée, qui a décidé peut-être de votre existence, elle vous paraîtra si relative, si insignifiante... Et il vous faut quelque chose de très supérieur pour faire un nouveau progrès.

Si l’on pouvait toujours se rappeler cela, eh bien, on éviterait beaucoup de sectarisme, beaucoup d’intolérance, et on annulerait toutes les querelles, immédiatement, parce qu’une querelle, c’est tout simplement que l’un pense d’une manière et que l’autre pense d’une autre, que l’un a pris une attitude et que l’autre en a pris une autre, et qu’au lieu de tâcher de les mettre ensemble, et de trouver comment elles peuvent s’accorder, on se les oppose comme on se donne des coups de poing. Ce n’est pas autre chose que cela.

Mais si vous vous rendez compte de la complète relativité de votre point de vue, de votre pensée, de votre conviction, de ce qui est le bien, à quel point c’est relatif dans la marche de l’univers, alors vous serez moins violent dans vos réactions, plus tolérant. Voilà.

Le 13 octobre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Douce Mère, qu’est-ce que c’est, « la réduction de l’être mental à la position de témoin » ?

Vous n’avez jamais senti cela ? Comme si vous étiez un peu en arrière, ou au-dessus des choses, et puis que vous les regardez se passer mais que vous ne faites rien vous-même?

Témoin, cela veut dire un observateur, quelqu’un qui regarde et qui n’agit pas lui-même... Alors, quand le mental est très tranquille, on peut, comme ça, se reculer un peu des circonstances et regarder les choses comme si l’on était un témoin, un spectateur, et que l’on ne participait pas soi-même à l’action. Cela vous donne un grand détachement, une grande tranquillité, et puis un sens très exact de la valeur des choses, parce que ça coupe l’attachement avec l’action. Quand on sait faire cela vis-à-vis de soi-même, quand on peut se reculer et se regarder faire, on apprend beaucoup de choses sur soi. Quand on est tout mélangé et qu’on participe à l’action, on ne se voit pas faire, on ne sait pas comment l’on est. Mais quand on se recule et que l’on se regarde, alors on peut s’apercevoir de beaucoup d’imperfections que l’on n’aurait pas vues autrement.

(À une enfant) Toi, tu as une question à poser?

Ici, il est écrit : « L’expérience de la sensation d’un “bloc solide” indique la descente d’une force et d’une paix substantielles... »

C’est toujours la même chose. Ce sont des gens qui écrivent dans des lettres, n’est-ce pas... ils décrivent leurs expériences. Alors Sri Aurobindo se sert des mots dont ils se servent, pour répondre. « Avoir la sensation d’un bloc solide au-dedans de soi », il explique ce que cela veut dire. Il dit qu’il y a une force qui est descendue.

Douce Mère, qu’est-ce que c’est, une « paix substantielle » ?

N’est-ce pas, il y a une paix négative, c’est-à-dire une absence de trouble; mais paix substantielle, c’est une paix positive. On peut sentir une paix qui est une chose absolument positive, qui n’est pas la négation de l’absence de paix, une paix qui est une chose solide, concrète, très... presque active, n’est-ce pas, c’està-dire qui a un pouvoir de contagion, qui peut se répandre dans tout l’être et amener la paix, même aux endroits où il n’y en avait pas. Cela devient une chose très positive et très concrète... comme si l’on touchait une chose solide. Cela, c’est la vraie paix. L’autre, c’est simplement le pas qui précède celui-là — la négation du trouble, c’est-à-dire que l’on n’est pas troublé, on n’a aucune vibration quand on est dérangé.

(À une enfant) Et puis? Ta question aujourd’hui?

Mère, ce n’est pas une question de ce livre.

Hein! ce n’est pas de ce livre? Oh! Mais nous n’avons pas toute une bibliothèque ici! (rires)

(À une autre) Alors, tu as une question?

Que veut dire « l’expérience du Soi silencieux » ?

Chacun a en soi-même un être qu’il appelle le « Soi », et qui est tout à fait silencieux et immobile. Alors, si l’on prend conscience de cet être en soi, on a l’expérience du Soi silencieux. C’est un être immobile et silencieux qui est au-dedans, qui est comme un aspect de l’être véritable et un aspect aussi du témoin dont on parlait tout à l’heure. C’est cet être silencieux, lorsqu’il se tourne vers les choses et qu’il les regarde, qui devient témoin. Mais il peut se tourner vers l’intérieur, ne pas regarder, être dans sa contemplation silencieuse. Cela dépend de quel côté l’on se tourne. C’est un point solide de l’être, dans lequel brille la Lumière de la Vérité.

Si on sent qu’il y a un calme dans l’atmosphère et partout, est-ce que cela veut dire qu’on a le calme audedans de soi?

Oui. La première chose qui arrive c’est que, par exemple, si on a une certaine expérience d’un genre spécial — comme on peut avoir une expérience de paix, une expérience de calme, on peut avoir aussi une expérience de bienveillance parfaite, une expérience de compréhension, ou une expérience de compassion —, la chose, l’expérience est comme si la conscience était possédée par un de ces mouvements; et alors, il se produit cette chose qui paraît étrange après — mais sur le moment qui est tout à fait naturelle —, on sent partout, dans tout le monde, dans toute l’atmosphère, tout autour de soi, et si la conscience est assez vaste dans la terre tout entière, exactement la même paix, ou la même compassion, ou la même bienveillance. Et alors, on peut dire tout à fait sincèrement, avec une expérience tout à fait vivante : « L’univers est une bienveillance parfaite! »

Si vous sortez de là, naturellement, cela ne s’applique plus. Mais quand vous êtes dans l’expérience, c’est tout à fait vrai — à ce moment-là. Et alors, si on pousse cela, ces expériences-là, plus loin (et c’est justement ce qui arrive aux gens qui essayent de s’identifier consciemment avec le Divin), quand vous arrivez à cette identification, et que vous avez la conscience du Divin en vous, instantanément vous sentez que le Divin est tout, et partout, en tout, qu’il n’y a que le Divin. Et les gens qui ont eu cette expérience, ils ont dit cela, ils ont dit : « Mais il n’y a que le Divin, tout est divin, seul le Divin existe. » Mais alors, quand on sort de l’expérience, si on continue à le dire, on dit presque un mensonge, dans ce sens que cela ne correspond plus du tout à l’état de conscience où l’on se trouve.

Quand on est dans une conscience extérieure ordinaire, tout n’est pas du tout divin, il s’en faut de beaucoup. Alors les gens qui viennent vous dire que dans cette conscience extérieure tout est divin, ce sont des blagueurs! Mais quand ils sont dans l’expérience, et quand ils vivent le Divin, quand ils sont devenus le Divin, alors pour eux tout est divin. Ils ne perçoivent plus que le Divin, et ils peuvent dire : « Tout est divin », parce qu’ils ne perçoivent plus que le Divin. Mais dès qu’ils sortent de cette expérience, ils ne peuvent plus le dire.

Mais on peut dire tout. On peut dire : « Tout est paix, tout est équanimité, tout est compassion, tout est compréhension, tout est lumière. »

Chaque fois qu’on a l’expérience sincèrement, et qu’on est entièrement absorbé dans l’expérience, tout ce que l’on voit devient identique en vous, parce qu’en fait, c’est partout, et que quand vous prenez conscience de ça en vous, vous prenez conscience de ça en tout. C’est vrai. Mais ce n’est pas uniquement vrai, tout le reste est là aussi. Et le contraire est vrai aussi : quand vous entrez dans un état de haine, et que vous avez l’expérience de la haine, le monde entier pour vous est plein de haine; à ce moment-là, il n’existe presque plus que la haine.

Plus votre expérience vous absorbe, plus le reste devient identique.

Alors, Mère, il n’y a pas de vraie réalité, tout dépend de soi?

Non, c’est le contraire!

On ne prend conscience de la Réalité que quand on en prend conscience en soi-même. Tout cela est vrai. Mais c’est vrai : vous ne pouvez dire que cela est que quand vous l’éprouvez vous-même. Au moment où vous ne l’éprouvez pas, si vous dites : « C’est comme ça », eh bien... Vous pouvez dire : « Il y a eu un moment pour moi où ça a été comme ça »; alors là, c’est correct. Mais si vous dites : « C’est comme ça » au moment où vous ne l’éprouvez pas, c’est tout simplement une affirmation mentale.

Mais tout est là ! Tout est là... toutes les choses dont vous pouvez avoir l’expérience et infiniment d’autres dont vous ne pouvez pas avoir l’expérience, parce que chaque être n’est pas absolument total en lui-même. S’il était total en lui-même, il pourrait avoir l’expérience du tout, sans exception. Et en fait, potentiellement, c’est comme ça. Seulement on se développe selon une ligne propre. Cela revient à dire ceci, que l’on n’est conscient de l’univers que dans la mesure où l’univers est dans votre conscience. Pour toi, l’univers s’arrête à ta conscience, quoi que ce soit que d’autres puissent dire. Tout ce que tu lis, par exemple, toutes les descriptions que l’on te donne, toutes les phrases que l’on te dit, tu ne les comprends que dans la mesure où cela correspond à quelque chose dans ta conscience; et si ce n’est pas dans ta conscience, tu ne les comprends pas, et par conséquent cela n’existe pas pour toi. Mais ça ne veut pas dire que cela n’existe pas en dehors de toi!

Tu disais qu’il y a cette expérience quand on voit le Divin partout.

Oui.

« On voit le Divin partout » veut dire quoi? Est-ce que...?

Parce qu’on est devenu le Divin en soi-même; alors, dans ce cas-là, le Divin est partout.

Non... Quand tu dis : « On voit le Divin partout... »

Oui.

Cela veut dire quoi? Qu’est-ce qu’on voit exactement? Est-ce qu’on voit une...

Qu’est-ce qu’on voit? (rires) On perçoit, si tu veux ; on peut voir, mais pas voir avec une image physique. Il n’y a pas que la vision physique, ce n’est pas voir avec... Et au fond, on peut voir avec ses yeux, si les yeux sont suffisamment plastiques pour laisser passer à travers eux la Conscience supérieure, la Conscience divine. On peut voir aussi — on peut voir aussi —, mais on ne voit plus les choses comme elles sont physiquement, naturellement.

Si l’on garde un petit peu de sa conscience extérieure, si l’on n’est pas entièrement absorbé dans l’expérience, on peut voir les deux superposés. Mais alors la perception n’est pas aussi claire et aussi totale. Mais il peut arriver que, par exemple, il y ait quelque chose en toi qui garde la conscience extérieure physique et, en même temps, il y a quelque chose qui est suffisamment absorbé dans l’expérience du Divin pour que ce soit le Divin seul qui compte pour toi, et que le reste soit comme si tu voyais une chose à travers un fin voile, une étoffe très mince, ou un papier transparent. Alors le papier ou l’étoffe, cela existe, mais cela n’empêche pas de voir les choses de l’autre façon.

Alors on peut, on peut avoir la perception du Divin dans le monde, dans les autres et, en même temps, voir comme une vague apparence de ces choses, et cela vous donne cette expérience — qui alors peut rester très vivante dans la conscience — de l’irréalité des formes extérieures, à quel point c’est seulement... oui, c’est comme une feuille de papier mince : ça n’a pas de consistance, ça n’a pas de corps, c’est quelque chose de tout à fait superficiel et irréel ; et la Présence divine, la Splendeur divine derrière, est la seule chose qui existe, qui soit vraie, solide, durable. Ça, on peut l’avoir.

Mère, l’être psychique en nous est toujours en contact avec le Divin; alors on doit avoir cette expérience tout le temps, parce que...

Si l’on était en contact avec son être psychique tout le temps, oui. Mais c’est un fait : de la minute où l’on est en contact avec son être psychique tout le temps, on est en contact avec la Présence divine tout le temps. Et tu peux retourner la phrase et te dire : « Je saurai que je suis en contact avec mon être psychique tout le temps, quand je serai en contact avec la Présence divine tout le temps, en toutes choses. Ce sera pour moi une preuve que je suis en contact avec mon être psychique. »

Cela change totalement l’état de la conscience, totalement, on ne peut pas se...

N’est-ce pas, il y a des gens qui viennent vous demander : « Est-ce que je suis conscient de mon être psychique? » On peut leur dire : « Ça, c’est la preuve que vous ne l’êtes pas. » Parce que si vous l’êtes, vous ne pouvez plus le demander. Cela change absolument votre état de conscience. C’est tout? Alors... (Se tournant vers l’enfant qui voulait poser une question en dehors du livre) Si on n’a pas besoin d’un texte, alors tu peux dire ta question!

Mère, il y a des gens, par exemple, qui souffrent de maladies particulières, d’année en année, n’est-ce pas? Alors, si on observe cette maladie, on voit que ça arrive à un moment particulier de l’année, et ça continue l’année suivante aussi, et c’est comme ça. Mais le moment est fixe. Alors quelle est la raison, et comment est-ce qu’on peut se débarrasser de ça ?

Quelle est...?

La raison...

Il peut y avoir beaucoup de raisons. Cela dépendra à qui tu le demandes. Si tu demandes à un astrologue, il te dira : « Ce sont les astres; quand les astres prennent une position identique, alors les mêmes conditions se reproduisent. » Mais ce n’est pas tellement faux. Cela peut être comme ça. Cela peut être aussi la réaction individuelle à certaines formes de climat, n’est-ce pas, ou à une position du soleil; ou cela peut être tout simplement une mauvaise habitude. C’est tout. (rires)

Et si on se forme... Si cela vous est arrivé par hasard deux fois de suite, alors on forme... on a une bonne formation, n’est-ce pas, et qui reste comme ça, dans le subconscient, sans se montrer — si on ne la regarde pas! Et puis alors, au moment où le temps va approcher, tout doucement, ça pousse de dedans pour vous dire : « Attention, le moment vient, le moment vient, le moment vient! » Alors naturellement, ça arrive aussi. Ce sont généralement des choses comme ça.

Mais presque tout ce qui arrive physiquement est comme ça. La première fois, cela peut être tout simplement un concours de circonstances; alors, le mental intervient et fait une construction. Alors si l’on accepte la construction, on est sûr que cela fonctionne avec une précision automatique de pendule. Mais même si l’on dit : « Oh, bah! c’est seulement une idée! », alors on fait comme ça (geste), et puis, l’idée, au lieu de s’en aller, elle entre dedans, dans le subconscient — le subconscient du mental simplement —, et puis elle reste tranquille. Et puis, quand c’est le moment de se manifester, de dedans, comme ça, cela fait comme un... comme si ça chatouillait un petit peu le souvenir, pas plus que ça, simplement comme ça. Si ça gratte un petit peu le souvenir, comme ça, alors tout d’un coup, un jour vous vous rappelez : « Tiens, l’année dernière, à cette époqueci, j’ai été malade... » Patatras! Ça y est, c’est entré! C’est entré dans la zone de la conscience active, et quelques jours après, ça arrive.

Mais quand on a eu ou une expérience, ou, comme ça, un phénomène quelconque, ou une maladie (et surtout dans les cas de la maladie, ou même un accident), le corps se souvient pendant très longtemps. Si vous voulez tout à fait guérir, il faut guérir ce souvenir dans le corps, c’est absolument indispensable. Et en le sachant ou en ne le sachant pas, vous travaillez pour guérir le souvenir dans le corps. Quand le souvenir est effacé, le corps est vraiment guéri.

Mais malheureusement, au lieu de détruire le souvenir, on le repousse. La plupart du temps, on le repousse dans le subconscient, et quelquefois dans l’inconscient, plus profondément encore. Mais alors, s’il est repoussé, s’il n’est pas complètement effacé, comme ça, tout doucement, tout doucement, sans avoir l’air de rien, cela revient à la surface; et une chose pour laquelle on a pu être guéri pendant des années, si par hasard elle passe par votre cerveau, simplement comme ça, comme une petite flèche, pas plus longtemps que ça, comme une flèche qui passe : « Tiens, à cette époque-là j’ai eu ça... », vous pouvez être sûr que plus ou moins longtemps après — quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, quelques jours —, cela reviendra. Vous pouvez... Cela peut revenir sous une forme très atténuée, cela peut venir sous une forme identique, cela peut venir même plus fort. Ça, ça dépend de vos dispositions intérieures. Si vous êtes dans des dispositions pessimistes, cela reviendra plus fort. Si vous êtes dans des dispositions optimistes, cela sera beaucoup plus faible. Mais cela reviendra, et il faudra que vous recommenciez toute la bataille contre le souvenir de votre corps afin — si cette fois vous êtes plus attentif — de le détruire. Si vous pouvez le détruire, alors vous êtes guéri. Mais si vous ne le détruisez pas, cela reviendra. Cela prendra plus ou moins longtemps, ce sera plus ou moins total, mais cela reviendra. Cela peut revenir l’espace d’un éclair. Si vous êtes très éveillé, et, quand cela revient, que vous ayez assez de connaissance et assez, justement, de perspicacité pour vous dire : « Tiens! Voilà ce maudit souvenir qui vient encore faire ses blagues... », alors on peut lui donner, lui asséner un coup violent et, n’est-ce pas, détruire sa réalité. Si vous savez faire cela, alors c’est une occasion de vous débarrasser de la chose tout à fait. Mais ce n’est pas très facile à faire.

(Pavitra) Comment faire?

Comment faire? (Mère rit) Comment faire? C’est la même chose que... le même système que de savoir détruire une formation, n’est-ce pas.

C’est une certaine puissance dissolvante qui peut défaire les formations. Cela dépend de la nature de la formation. Si c’est comme ça, une formation de nature adverse, alors, c’est la force d’une lumière constructrice parfaitement pure. Si vous avez cela à votre disposition, alors il n’y a qu’à bombarder la chose avec ça, et vous pouvez la dissoudre. Mais c’est une opération qui doit se faire avec des forces intérieures; cela ne peut pas se faire physiquement.

C’est pour cela que tous les remèdes physiques, ce sont simplement des palliatifs; ce ne sont pas des guérisons, parce que cela ne suffit pas pour toucher le centre vivant de la chose.

(silence)

C’est le même phénomène avec les difficultés morales. Si l’on pouvait arriver à détruire leur souvenir, à détruire en soi le souvenir de l’état dans lequel on se trouve quand on est dans la difficulté, si l’on est sincère, ce serait la fin des difficultés pour toujours.

(long silence)

Mère, par exemple, quand on prend la résolution de faire quelque chose, on voit que parfois l’on vient en conflit avec les sentiments d’autrui. Alors, qu’est-ce qu’il faut faire dans ce cas?

Quand...?

Quand, par exemple, on a décidé de faire quelque chose...

Oui.

... alors on voit que parfois on vient en conflit avec les sentiments d’autrui.

En conflit?

C’est-à-dire...

Oui, oui, je comprends bien.

Alors qu’est-ce qu’il faut faire?

Cela dépend absolument des cas. C’est difficile à dire... D’abord... (silence) Si c’est simplement une décision extérieure et superficielle basée sur la petite connaissance que l’on a, et les petites qualités, les petits défauts que l’on a, alors, naturellement, si l’on vient en conflit avec d’autres volontés, qui sont d’une qualité identique, n’est-ce pas — les volontés peuvent différer, mais les qualités sont identiques —, alors on doit décider suivant les circonstances, et suivant le résultat intérieur que l’on veut obtenir. C’est très difficile à dire, dans chaque cas la décision doit être différente.

Mais si l’on est de ceux qui n’agissent que quand ils sentent en eux que c’est un ordre de la Conscience de Vérité supérieure, que : « Ça, j’ai décidé de le faire, parce que ça doit être fait, quelles que soient les conséquences », alors, si l’on entre en conflit avec les préférences, les volontés, les oppositions d’autres personnes, on doit tout simplement faire comme ça (mouvement de Mère comme pour tourner le dos), et continuer son chemin. Mais c’est simplement dans ce cas-là qu’on a le droit de le faire.

Quand c’est simplement un mouvement qui est un mouvement personnel, mû par ses préférences personnelles, ses désirs personnels, ou même ses conceptions personnelles, eh bien, dès que l’on rencontre des oppositions, il faut alors peser le problème, voir les choses, et agir selon (silence) la meilleure bonne volonté que l’on a, la meilleure perception que l’on a. Et cela dépend absolument de ce que l’on voulait faire, et des oppositions que l’on rencontre. Alors, il est impossible de faire un jugement d’ordre général.

Il n’y a qu’une chose qui vous donne le droit de marcher droit sur votre chemin sans se soucier de rien, c’est si vous avez été mis en mouvement, mis en mouvement par la Vérité supérieure. Mais il faut en être sûr. Il ne faut pas prendre votre désir pour la Vérité supérieure, n’est-ce pas, parce que l’on se trompe très facilement. Il faut le savoir avec des preuves solides à l’appui, et que c’est une chose, généralement, qui ne vous touche pas personnellement. Si vous y êtes le moins du monde intéressé, d’une façon ou de l’autre, méfiez-vous et réfléchissez deux fois avant d’être convaincu que c’est la Volonté supérieure et que c’est l’expression d’une vérité.

Mais enfin, il y a des cas où c’est comme ça. « C’est ça qui doit être fait; ça, c’est la vérité. » Et alors, quelle que soit l’opposition, on marche droit sur son chemin, sans se soucier des circonstances, ni des conséquences. Mais c’est seulement dans ce cas-là qu’on a le droit de le faire; c’est-à-dire, au moment où le Divin agit en vous, vous ne devez plus vous soucier de rien que de la Volonté divine. Mais si ce n’est pas la Volonté divine, chaque problème doit se résoudre suivant les cas, les circonstances et...

Par exemple, on a décidé de ne pas bavarder, alors...

On rencontre quelqu’un qui bavarde?

Non...

On lui tourne le dos et on s’en va ! (rires) Très simple!

Alors l’autre sera très fâché.

Hein?

L’autre sera très fâché.

Tant pis pour lui! (rires) Tant pis pour lui. Ça, c’est justement le cas, c’est un des cas dont je parle : ne pas se soucier. On peut — si on aime beaucoup la personne, et qu’on ne veut pas trop lui déplaire —, on peut lui dire gentiment : « Non, je t’en prie, ne bavardons pas, c’est mauvais pour tout le monde. » C’est tout. Si c’est quelqu’un dont on ne se soucie pas, ou qui n’a pas d’importance, il n’y a qu’à lui tourner le dos et s’en aller, spécialement si c’est un camarade, si c’est quelqu’un qui doit savoir comme soi-même que l’on ne devrait pas le faire.

Dans ce cas-là il faut être catégorique. Si c’est quelqu’un qui, par un ensemble de circonstances, doit savoir comme vous-même que c’est une chose qui ne doit pas être faite, et qu’il commence à le faire en dépit de ça, c’est un malhonnête homme. Parce que, quand on fait quelque chose qu’on ne doit pas faire, on devient malhonnête à cette minute-là ; et vous n’avez aucune considération à avoir pour cette personne. Il n’y a qu’à lui tourner le dos et s’en aller; et s’il est fâché, c’est tant pis pour lui. Il n’aura qu’à... Le résultat, c’est qu’il devra surmonter sa fâcherie. C’est tout. Ça lui fera peut-être du bien.

Il y a une grande faiblesse dans les relations sociales, très grande faiblesse; et c’est pour cela, d’ailleurs, qu’on se fâche soi-même et qu’on s’emporte, et qu’on dit des choses que l’on ne devrait pas dire. Si l’on n’était pas faible on ne serait jamais violent. La faiblesse et la violence sont deux choses qui vont ensemble. Celui qui est vraiment fort n’est jamais violent. Ça, c’est une chose dont on devrait toujours se souvenir. La violence est toujours un signe de faiblesse quelque part. Naturellement, on voit l’homme qui a beaucoup de muscles, qui est très fort, taper à bras raccourcis sur un autre et on se dit : « Il est fort! » Ce n’est pas vrai. Il a des muscles, mais moralement, il est très faible. Alors, il peut être fort ici et faible là. C’est généralement ce qui se produit.

Mais je dis, même les gens qui ont observé, par exemple, les animaux, les animaux qui sont très forts : comme ils sont tranquilles! Naturellement, quand ils courent après leur proie, ils mettent toute leur énergie; mais ce n’est pas de la violence, c’est de l’énergie; mais si vous avez jamais vu un lion : quand il n’a rien à faire, il ne s’agite pas. S’il est malade, il s’agite; mais s’il est bien portant, dans sa bonne santé, s’il n’a rien à faire, il ne s’agitera pas, il sera tout à fait comme ça. Il aura l’air d’un sage! (rires)

L’agitation, la violence, l’emportement, toutes ces choses sont toujours, sans exception, le signe de la faiblesse. Et surtout quand on s’emporte dans son langage, et que l’on dit des choses qu’on ne devrait pas dire, ça, c’est le signe d’une faiblesse mentale effroyable — mentale et vitale —, effroyable. Autrement, on peut entendre toutes les injures du monde, les gens peuvent vous dire toutes les sottises possibles, si vous n’êtes pas faible, vous pouvez peut-être ne pas sourire extérieurement, parce qu’il n’est pas toujours de bon ton de sourire, mais au fond de vous, vous êtes souriant, vous laissez passer, ça ne vous touche pas... Simplement, si votre mental a pris l’habitude d’être tranquille comme c’est recommandé ici, et si vous avez la perception de la vérité en vous, vous pouvez entendre n’importe quoi. Cela ne produit même pas une apparence de vibration — tout reste absolument immobile et tranquille. Et alors, si le témoin dont on parlait tout à l’heure est là, à regarder la comédie, lui, il sourit.

Mais si vous sentez que les vibrations qui viennent de l’autre, n’est-ce pas, qui jette sur vous toute sa violence et tout son emportement, si vous sentez que ça... d’abord ça fait comme... et puis, tout d’un coup, il y a une réponse; et puis que vousmême, vous commencez à vous mettre en colère, alors vous pouvez être sûr que vous êtes aussi faible que l’autre!

Voilà, mes enfants.

Je crois que ça suffit aujourd’hui!

Le 20 octobre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ». En raison de la pluie, la classe a lieu dans la salle de gymnastique.

Alors, des questions mouillées!

Douce Mère, qu’est-ce que c’est que « la liberté du Soi » ?

Cela veut dire que dans l’être véritable intérieur, on se sent parfaitement libre, et on est libre de tout. On a le sens d’une liberté complète, libre de toutes les influences extérieures, libre de toutes les impulsions inférieures, de tous les esclavages de pensées, d’habitudes... Voilà.

(À une enfant) Toi, tu as une question?

Ici, je n’ai pas compris : « ... sous aucun prétexte il ne faut se soustraire à sa sollicitude ».

Quoi? Sous aucun prétexte il ne faut se soustraire à sa sollicitude? Tu ne comprends pas ça ? Tiens! Pourquoi tu ne comprends pas? Tu ne sais pas ce que ça veut dire, ou quoi?

« Soustraire », tu ne sais pas ce que c’est?

Non.

Ah! bon! Eh bien, soustraire, ça veut dire se retirer, s’éloigner, échapper, refuser, rejeter — tout cela.

Sollicitude, tu sais ce que ça veut dire?

Pas bien.

Pas bien? C’est le... bon, c’est care en anglais; c’est-à-dire le soin, l’attention, l’aide, le souci, justement le souci d’aider, et de faire du bien; c’est ça, la sollicitude. Quand on a de la sollicitude pour quelqu’un, on fait... on observe ses besoins, et on tâche de les satisfaire; on a de bonnes pensées, de bons sentiments, on veut aider, soutenir, rendre heureux. C’est ça, la sollicitude. Alors, se soustraire à la sollicitude, c’est refuser ces choses quand elles viennent, ou, n’est-ce pas, les méconnaître, ou les refuser.

D’ailleurs on le fait très souvent sans le savoir. Par exemple, tout sentiment d’indépendance, de besoin de se conduire soimême, de ne pas vouloir se soumettre — à aucune discipline, aucune règle —, de se tenir sur ses propres pieds, de ne vouloir aucun soutien que celui de soi-même, et d’être libre, indépendant dans ses mouvements, ça, c’est se soustraire à la sollicitude divine. Vouloir faire ce que l’on veut, sa propre volonté, d’une façon bien libre, bien indépendante — « ne faire que ce que je veux » —, ça, c’est se soustraire à la sollicitude divine.

On le fait assez souvent!

(À un enfant) Toi?

Quelquefois, quand on vous pose une question, vous ne la comprenez pas. Est-ce que c’est à cause d’un défaut dans notre langage ou la conscience?

Généralement la conscience.

Il y a une expérience comme ça : il y a des gens qui peuvent me parler pendant une demi-heure, je ne comprends pas la dixième partie de ce qu’ils me disent; et il y en a d’autres qui parlent très bas, très lentement, très doucement, je ne manque pas un mot. Dans un cas, c’est... Cela ne dépend pas de l’élocution, et cela ne dépend pas de l’expression, parce que je suis habituée à comprendre les gens même quand ils s’expriment mal. J’ai des années d’habitude de cela. Mais ce n’est pas ça. C’est qu’ils ne pensent pas clairement, c’est-à-dire plutôt d’une façon positive : ceux qui pensent tout à fait clairement, n’importe ce qu’ils disent, n’importe comment ils le disent, je le comprends; tandis que ceux qui ne pensent pas clairement, cela devient plus difficile. Et puis ceux qui ont l’habitude de déguiser leur pensée, qui ne sont pas francs, qui ne disent pas exactement ce qu’ils pensent ou ce qu’ils sentent, qui tâchent de présenter les choses d’une certaine façon, ça, ils peuvent me faire des discours, je ne comprends rien; et je sais ce qu’ils pensent, mais je ne sais pas ce qu’ils disent. Cela m’arrive très fréquemment : il y a des gens qui me parlent — je n’entends rien. Ça passe comme ça, je n’entends pas... Quoi? Quoi? Quoi? Et alors, quand ça se reproduit deux ou trois fois, je suis sûre que c’est ça, n’est-ce pas; ils ne disent pas ce qu’ils pensent, ils disent quelque chose avec l’intention de faire une impression quelconque, n’est-ce pas. Ils disent ça pour que, moi, je pense ça. Alors là, c’est inutile, je ne les entends pas. Il y a des degrés.

C’est tout? (À une enfant) Et toi? Rien! Personne n’a de questions? Il ne pleut pas ici, vous savez! (rires)

(À voix basse) Douce Mère, la passion est-elle une faiblesse...

(L’interrompant) Ah, écoute! Je suis en train de ne pas entendre!

La passion est-elle une faiblesse du cœur?

Je n’ai pas encore compris. « La pensée », c’est tout ce que j’ai entendu. (L’enfant hésite) Hein? Dis, dis, dis, mais pense à ce que tu dis!

(D’une voix forte) La passion... (L’enfant rit)

Ah!

(Une enfant) La passion!

(Pavitra) La passion!

La passion! Et moi, j’ai entendu « la pensée »! Bon! Alors, qu’est-ce qu’il y a dans la passion?

Est-ce une faiblesse du cœur?

Faiblesse? Non, c’est un dérèglement du vital ! (silence) Le sentiment vient du cœur, et alors le vital s’empare du sentiment et en fait une passion. (silence) Et un pas de plus, cela devient une folie! (silence) Alors?

Douce Mère, comment peut-on appeler le calme quand on est trop agité?

(Après un silence) Répète-moi ça. Comment...?

Comment peut-on appeler le calme?

Oh, « appeler »? Hum, hum! Faire venir le calme, tu veux dire? Comment? Simplement, comme quand tu veux appeler quelqu’un, tu l’appelles, non? (rires) C’est la même chose. Tu restes aussi calme que tu peux et tu désires le calme, tu aspires au calme, tu appelles le calme, comme ça, en restant aussi calme que tu peux à ce moment-ci. Demander à être encore plus calme. Vouloir le calme. Mais tout cela avec calme; parce que si tu le veux avec agitation, le calme ne viendra pas.

Parfois, quand on veut se concentrer, il y a généralement des pensées qui troublent, mais souvent des sortes d’images passent devant...

Tu vois des images quand tu médites?

Parfois.

Quand tu as les yeux ouverts ou fermés?

Fermés.

Fermés. Et quelles images? Des couleurs ou des images?

Parfois des couleurs, parfois des images.

Hum! Toujours, ou seulement quelquefois?

Pas toujours.

Et alors, tu demandes ce que c’est? Cela peut être beaucoup, beaucoup de choses.

Cela peut être simplement que, ayant les yeux physiques fermés, tes yeux intérieurs s’ouvrent et commencent à voir dans leur domaine, ou le physique subtil, ou le vital le plus matériel, comme ça.

Cela peut être une projection de tes propres pensées, c’est-àdire que, quand tu te mets à réfléchir à quelque chose, il y a certaines images qui passent comme ça, devant toi; elles passent plus devant ton esprit que devant tes yeux, et c’est comme une objectivation imagée de ta pensée, de ton état de pensée ou de ton état de conscience. Mais alors, cela devient assez clair, cohérent, et c’est intéressant. Cela peut servir d’indication.

Cela peut être aussi autre chose. Si tu es vraiment tranquille et que ta tête est tranquille, cela peut être... comment dire... des espèces de messages qui te viennent d’autres personnes, ou d’autres mondes, ou d’autres forces, qui viennent te dire quelque chose, te montrer; généralement, si tu vois des couleurs qui font comme ça, comme des pulsations, et puis tout d’un coup, c’est comme si tu les absorbais : ça, généralement, ce sont des forces qui sont envoyées par quelqu’un ou par quelque chose, qui viennent d’une force quelconque. Ce sont des sortes de messages. Alors, si tu es très tranquille dans ton mental, quelquefois ça vient avec une indication de ce que cela veut dire.

Il y a beaucoup de choses possibles, et il faut observer très attentivement, mais très tranquillement, sans activité mentale, sans chercher à comprendre à ce moment-là ; parce que dès que ton mental devient actif et essaye de comprendre, ça brouillera tout, et probablement tu ne verras plus rien.

Mais si tu restes bien tranquille, que tu observes seulement — comme si tu regardais silencieusement quelque chose, n’est-ce pas —, alors tu commenceras à voir d’une façon plus précise, et petit à petit à distinguer entre les différentes catégories de choses. Tu pourras savoir quelle chose est ceci, quelle chose est cela, etc., si ça vient de toi, si ça vient du dehors, si c’est sur un plan matériel, ou sur un autre plan. Tout ça, ça s’apprend par une très tranquille observation, mais très aiguë, n’est-ce pas; parce qu’il y a de toutes petites nuances, très petites, entre les différentes choses; et quand on s’habitue à distinguer ces nuances, alors on peut discerner exactement ce que c’est.

C’est toujours la même chose. Il faut être très tranquille, très attentif, autant que possible calmer la tête; parce que dès qu’elle commence à bouger, le phénomène se déforme.

En tout cas, d’une façon très générale, cela prouve que la vision intérieure commence à se développer, ou est développée.

(silence)

Plus rien? Tu as une autre question?

À propos du film qu’on nous a montré, quelle est la place de la souffrance dans la création de l’art?

Du film?

On a vu que par la douleur...

Ho, ho, ho, ho... le film de Berlioz?

Sa musique était mûrie par la douleur...

Oui, oui, alors quelle place? D’où cela vient?

La souffrance, quelle aide ça peut donner dans la création en art?

Quelle aide cela peut donner? Cela dépend des gens. Il y a des gens que cela aide très puissamment. Moi, je considère que cet homme-là est une des plus pures expressions de la musique. Que c’est presque... je pourrais dire que c’est une incarnation de la musique, de l’esprit musical. Malheureusement, son corps était un peu frêle; c’est-à-dire qu’il n’avait pas cette assise que donne le yoga, par exemple. Alors ça le secouait trop, et ça le rendait trop émotif, nerveux, agité, émotif. N’est-ce pas, ça, c’était une grosse faiblesse. Mais au point de vue création, j’ai toujours eu l’impression — et l’autre jour c’était très fort —, que vraiment il était en rapport avec l’esprit de la musique, n’est-ce pas, le sens musical lui-même, et que cela entrait en lui avec une telle force que cela le bouleversait; mais vraiment, vraiment, c’était comme une incarnation de la musique.

L’opinion que c’était la douleur qui l’avait rendu créateur, c’est une opinion purement humaine; ce n’est pas vrai. Ce qui est au contraire très remarquable, c’est — en retournant la chose —, c’est qu’il n’y avait pas de douleur physique qui ne se traduisait instantanément en musique en lui; c’est-à-dire que l’esprit musical était beaucoup plus fort que la douleur humaine, et chaque coup qu’il recevait de la vie — et comme il était justement trop sensible pour avoir la force de résister, il était secoué —, tout de même, instantanément cela se traduisait en musique. C’est une chose très rare.

Les gens — tous les créateurs —, généralement il leur faut un peu de... comment dire... de temps et de tranquillité pour pouvoir recommencer à créer. Tandis que lui, c’était spontané. Le coup de la douleur amenait l’expression musicale instantanément. Vraiment, n’est-ce pas, pour lui, toute la vie commençait avec la musique, finissait avec la musique. C’était la musique, et c’était une... il avait une telle sincérité et une telle intensité exclusive dans son attachement pour la musique, que j’ai l’impression que l’esprit musical se traduisait à travers lui.

Ce n’est peut-être pas la plus belle musique qui ait été écrite, à cause de cette espèce de faiblesse de ce que l’on appelle ici l’âdhâra 23 . Il était... sa formule physique était un peu trop faible. Mais au point de vue musical, c’est très beau, c’est très beau. (silence) Et malgré sa puissance, il avait une très grande simplicité. C’est une sorte de limpidité de lignes, ce qu’il a écrit, avec naturellement une connaissance technique très grande. Son pouvoir d’orchestration était très, très remarquable. Quand on peut orchestrer quelque chose pour six cents exécutants, c’est une science aussi compliquée que les mathématiques les plus compliquées; et en fait, c’est très proche.

J’ai connu un musicien qui n’était pas du tout son égal, mais qui était un très bon musicien, et il composait. Il a composé des opéras, des opéras-comiques, et de la musique de... pas de la musique de concert... Devant une feuille de papier, n’est-ce. pas, il avait une grande feuille de papier, et puis alors il mettait les noms des différents instruments; et en face de chacun, simplement, il écrivait, comme ça, ce qu’il devait jouer. C’était un ami, n’est-ce pas, je le voyais travailler. C’était comme s’il écrivait des équations, comme ça. Quand c’était fini, il n’y avait qu’à donner cela à un orchestre; cela faisait une chose magnifique. Quelquefois même... L’autre, vous avez remarqué, il jouait sur le piano, n’est-ce pas, son thème; il jouait quelques notes, ce n’était rien, cela avait l’air de deux ou trois notes, comme ça : c’était son thème. Et sur ce thème, alors, tout de suite il se mettait à écrire. Mais lui, quelquefois il ne jouait même pas le thème au piano, il écrivait directement. C’est une structure cérébrale spéciale. Il y a d’autres gens qui composaient exclusivement sur le piano et il fallait que quelqu’un d’autre écrive pour eux. Il fallait qu’un autre fasse ce travail de donner les différentes notes et comment organiser les notes pour reproduire l’harmonie qui était faite. Mais cet homme dont je parle, il y avait les grands musiciens, comme Saint-Saëns, par exemple, des musiciens de son époque, qui lui donnaient leurs compositions pour qu’il les orchestre. Ils écrivaient cela, n’est-ce pas, comme on écrit pour le piano, pour deux mains; et il changeait cela en musique d’orchestre. Il orchestrait, simplement comme j’ai dit, comme ça, séparant les différents groupes d’instruments et mettant en face de chacun quelle était la partie qu’il devait jouer.

(silence)

Mère, quand on entend de la musique, comment faut-il vraiment entendre?

Ça, si on peut être tout à fait silencieux, n’est-ce pas, silencieux et attentif, simplement comme si l’on était un instrument qui doit enregistrer — on ne bouge pas, et on n’est rien que quelque chose qui écoute —, si l’on peut être tout à fait silencieux, tout à fait immobile et comme cela, alors ça, ça entre. Et c’est seulement après, quelque temps après, que l’on peut s’apercevoir de l’effet, ou de ce que cela voulait dire, ou de l’impression que cela vous a créé.

Mais la meilleure façon d’écouter, c’est cela, c’est d’être comme un miroir immobile et très concentré, très silencieux. D’ailleurs on voit, n’est-ce pas, les gens qui aiment vraiment la musique — j’ai vu des musiciens écouter de la musique, des musiciens, des compositeurs ou des exécutants qui aimaient vraiment la musique, je les ai vus écouter la musique —, ils s’immobilisent complètement, ils sont comme ça, ils ne bougent plus. Tout, tout est comme ça. Et si l’on peut ne pas penser, alors c’est très bien, alors on a le plein profit... C’est un des moyens d’ouverture intérieure qui est le plus puissant.

(long silence)

C’est tout?

Mère, quand on reçoit un choc, une douleur quelconque, est-ce qu’il faut essayer de l’exprimer soit par la musique soit par la poésie, quand ce n’est pas spontané?

L’exprimer? Si on a le don; autrement, ce n’est pas la peine. Mais si on a le don, c’est bien.

Il y a différentes profondeurs dans ces chocs. Ils ne sont pas tous sur le même plan. Généralement, les gens reçoivent les chocs émotifs ou sentimentaux tout à fait sur la surface, et c’est pour cela qu’ils pleurent, qu’ils crient, quelquefois ils gesticulent... Enfin, ça, ce sont les chocs qui sont dans la croûte extérieure. Mais il y a une profondeur plus grande que l’on reçoit généralement silencieusement, mais qui éveille en vous une vibration créatrice et un besoin de formuler. Alors si l’on est poète, on écrit de la poésie, si l’on est musicien, on fait de la musique, si l’on est littérateur, on écrit une histoire, et si l’on est philosophe, on exprime son état, on décrit son état.

Maintenant, il y a une profondeur plus grande de douleur qui vous laisse dans un silence absolu, et qui ouvre les portes intérieures à des profondeurs plus grandes qui peuvent vous mettre en contact immédiat avec le Divin. Mais ça, ça ne s’exprime pas en mots. Cela vous change votre conscience; mais généralement, il se passe du temps avant que l’on puisse rien en dire.

Berlioz, lui, il était dans la seconde catégorie.

(long silence)

Voilà, c’est tout?

Mère, chaque dimanche vous jouez de l’orgue, n’est-ce pas, et vous jouez toujours bien. Mais quelquefois on sent que vous jouez mieux !

Hein?

Chaque fois vous jouez bien, il n’y a pas de doute, mais quelquefois on sent que vous jouez mieux !

Quelquefois on sent, quelquefois on ne sent pas, quelquefois on aime, quelquefois on n’aime pas, quelquefois on comprend, quelquefois on ne comprend pas, et quelquefois je joue bien, et quelquefois je joue mal ! (rires)

Cela dépend de beaucoup de choses, surtout de l’état dans lequel on se trouve soi-même. Cela peut dépendre beaucoup de la région qui veut s’exprimer dans la musique. Il y en a qui sont accessibles, il y en a qui sont plus difficiles à comprendre ou à recevoir; mais généralement, cela dépend presque exclusivement de la condition dans laquelle on est soi-même. Le jour où on est bien disposé, on aime ça ; le jour où on est mal disposé, on ne comprend pas. Il y a des jours où ça vous endort, il y a des jours où ça vous fait plaisir, il y a des jours où on a l’impression que ça vous ouvre un horizon, il y a des jours où on dit : « sais pas », « comprends pas ». Voilà. Cela dépend tout à fait de comment l’on est soi-même.

Mère, quand tu joues, est-ce que tu décides d’avance de quelle région la musique doit venir?

Hein?

Le dimanche, quand tu joues, est-ce que tu décides d’avance de quelle région la musique doit venir?

Moi?

D’où est-ce que ça vient?

Avant de m’asseoir, je ne sais même pas quelles notes je vais jouer. Région? C’est toujours la même région. C’est pour cela que je peux parler avec quelque expérience de l’origine de la musique de Berlioz, parce que c’est une région qui m’est très connue, que je fréquente assidûment. Mais je ne sais pas du tout ce qui viendra. Rien du tout, rien... Je ne décide même pas quel est le sentiment, ou l’idée, ou l’état de conscience qui va s’exprimer, rien. Je suis comme une feuille blanche. Je viens m’asseoir, je me concentre une minute, et je laisse venir. Après, quelquefois, je sais. Pas toujours. Mais quand je l’entends pour la seconde fois ici, l’après-midi, le soir, alors ça, je sais : parce que ce n’est plus de moi, c’est quelque chose qui vient du dehors. Alors je sais bien comment c’est!

Mais un jour, Douce Mère, tu avais dit à tout le monde ce que tu allais jouer.

Oui, ce jour-là je savais ce que j’allais jouer. Cela peut arriver.

Il y a des fois où je sais, des fois où je ne sais pas. Seulement, il y a des fois où, si je disposais d’un orchestre de deux cents exécutants, ce serait très intéressant! Les moyens sont pauvres; c’est-à-dire que la musique que je perçois, qui vient à moi, s’exprimerait très bien comme... par ce que l’on nous a montré l’autre soir au cinéma. Cela aurait besoin de, n’est-ce pas, d’une expression de ce genre pour s’exprimer totalement. Alors il faut rassembler cela comme dans un compte-gouttes, et puis le donner goutte à goutte, comme ça. Alors, naturellement, c’est très réduit. Cela ne fait pas grand-chose. Il y en a la plus grande partie qui échappe.

Voilà, maintenant je crois que c’est fini. Plus rien d’important, d’intéressant, d’urgent? (Regardant une enfant qui cherche dans son texte) Aïe! elle a encore son nez dans son livre!

Ici, je n’ai pas compris...

Pas compris! Il y a beaucoup de choses que tu n’as pas comprises! (rires)

« Ce qui vous arrive est un essai de la conscience de se fixer dans cette libération. »

Alors, qu’est-ce que tu n’as pas compris?

« Ce qui vous arrive est un essai de la conscience... »

Sri Aurobindo répond, c’est toujours la même chose, il répond à quelque chose que la personne qui a écrit la lettre... une expérience qu’elle a eue, ou quelque chose qu’elle a décrit. Il répond à cela, et il dit : « Ça, c’est... », l’explication de ce qui s’est passé. Alors, cela ne veut pas dire autre chose que ce que ça dit. C’est une explication. Quelle était l’expérience? Il ne dit le pas. Comprends pas, hein?

Mère, il y a dans notre être beaucoup d’éléments, n’est-ce pas, dont nous ne sommes pas conscients.

Oui, beaucoup!

Est-ce qu’il peut y avoir des parties qui servent le Divin sans que nous en soyons conscients?

Oui! oui! En fait, il y en a qui sont toujours, non seulement à la recherche, mais dans une intense aspiration, et on n’en est pas conscient. L’être psychique est comme ça, et il est là, toujours. Mais on ne s’en aperçoit que très rarement. C’est tellement voilé, n’est-ce pas. J’appelais cela tout à l’heure une croûte extérieure. C’est vraiment comme une croûte. C’est quelque chose de dur, compact, et qui n’a pas de transparence, qui ne laisse pas passer les vibrations, et l’on vit tellement constamment làdedans que l’on ne s’aperçoit même pas qu’il y a autre chose. Mais il y a, il y a même tout au fond de l’être — surtout pour ceux qui sont prédestinés, bien entendu, mais enfin —, un être qui non seulement veille au destin, non seulement aspire à l’identification avec le Divin, mais a le pouvoir de gouverner les circonstances de la vie, et, en fait, les organise en dépit de la volonté extérieure qui très souvent se révolte et ne veut pas des circonstances telles que cette conscience intérieure — qui est toute clairvoyante —, telle qu’elle les a organisées elle-même. Et c’est seulement longtemps après, quand on prend conscience d’elle et qu’on regarde en arrière sa vie, que l’on s’aperçoit que tout cela était merveilleusement organisé par une clairvoyance totale de ce qu’il fallait, pour vous mener là, juste là où vous deviez aller!

Le plus souvent les choses que l’on prenait pour des accidents, ou pour des infortunes, ou même pour des malheurs, ou même pour des chocs du destin, pour des attaques de forces adverses, tout cela, presque tout sans exception, c’était un plan merveilleusement perspicace et admirablement exécuté pour vous mener juste là où vous deviez aller, par le plus court chemin.

Naturellement, ce n’est pas toujours absolu. Parce que cela dépend de l’importance de l’individu par rapport à l’importance des circonstances environnantes. C’est pour cela que j’ai dit au commencement : tout être prédestiné. Ce que je veux dire par « prédestiné », c’est un être qui est venu sur terre pour accomplir une mission précise, et qui, naturellement, sera aidé dans l’accomplissement de cette mission. Cela peut être une mission très modeste, mais c’est une mission précise qu’il devait accomplir sur la terre. Eh bien, tous ces êtres-là, leur vie est organisée comme ça ; mais quatre-vingt-dix-neuf fois et demie sur cent, ils ne s’en aperçoivent pas, et ils se révoltent, ou ils se lamentent, ou... Et puis, surtout, ils ont très grande pitié d’euxmêmes et de leurs propres difficultés, de leurs propres misères, de leurs propres souffrances, et ils se caressent gentiment : « Oh, mon pauvre petit, comme tu es malheureux ! » Mais c’est leur être intérieur qui a tout fait.

Voilà.

Au revoir, mes enfants.

novembre




Le 3 novembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».

« L’ouverture, sous une forme ou une autre, ne manquera pas de se produire. » Est-ce qu’il y a beaucoup de sortes d’ouvertures?

Oh, oui! D’abord, il y a beaucoup de parties différentes de l’être, et chacune peut s’ouvrir à sa manière, n’est-ce pas; l’ouverture mentale et l’ouverture vitale sont d’une nature très différente, et l’ouverture physique est encore très différente.

Qu’est-ce que l’ouverture physique?

C’est quand le corps physique s’ouvre à l’influence divine et reçoit les forces divines.

Par exemple, n’est-ce pas, il y a un moment où les forces divines viennent et pénètrent toutes les cellules. D’abord, c’est la conscience physique, la conscience corporelle, qui s’ouvre la première à l’influence du Divin, et qui comprend, et qui ne veut plus que ça, la présence divine, l’influence divine. Il y a aussi les émotions du corps, et jusqu’aux cellules du corps qui peuvent s’ouvrir pour recevoir la Force. Par exemple, quand à un certain moment on sent comme une vibration très intense qui se répand dans tout le corps, et à ce moment-là on se sent plein d’une puissance, d’une force inaccoutumée, d’une conscience, aussi, toutes les choses deviennent claires et perceptibles — alors, c’est une ouverture du corps; c’est quand le corps sait, n’est-ce pas, a réussi à s’ouvrir à l’influence.

Mère, pourquoi est-il préférable de se concentrer dans le cœur?

Il dit là que c’est plus facile. Il y a des gens pour qui c’est plus difficile, cela dépend de la nature. Mais c’est préférable, parce que si on se concentre là, suffisamment profondément, c’est là que l’on entre la première fois en contact avec le psychique. Tandis que si on se concentre dans la tête, il faut, après, passer de la tête dans le cœur pour pouvoir s’identifier avec l’être psychique. Et si l’on se concentre en rassemblant des énergies, il vaut mieux rassembler les énergies ici, parce que c’est dans ce centre-là, dans cette région de l’être qu’il y a la volonté de progrès, la force de purification, et l’aspiration la plus intense, la plus efficace. L’aspiration qui vient du cœur est beaucoup plus efficace que celle qui vient de la tête.

« La volonté et l’aspiration sont nécessaires pour faire descendre l’aide de la force divine et pour que l’être se range de son côté pendant qu’elle agit sur les pouvoirs inférieurs. » Que veut dire « l’être se range de son côté » ?

Se ranger, c’est par exemple... N’est-ce pas, il y a d’un côté... comment dire... mettons l’armée, l’armée des forces divines; de l’autre côté, l’armée des forces de la nature ordinaire; alors, se ranger du côté de cette armée ou du côté de celle-là, c’est ça que cela veut dire.

Tu ne comprends pas? C’est-à-dire aller de ce côté-ci, se joindre à ceci, ou se joindre à cela. Si je me range du côté des forces divines, je me joins à ceux qui luttent pour les forces divines comme une armée. Si je me range du côté des forces vitales ordinaires de la vie, je vais de ce côté-là et j’abandonne les autres, je vais de ce côté-là.

Douce Mère, que veut dire « nœud de l’ego » ?

Nœud? Ho ! c’est une image, n’est-ce pas. Mais c’est une chose qui vous accroche, et qui vous tient aussi fortement qu’un nœud de corde bien fait. Et alors, on dit toujours que, pour pouvoir vraiment progresser, la première chose à faire est de couper le nœud de l’ego. C’est très expressif, et cela fait bien image, n’est-ce pas, qu’on est lié, qu’on est enfermé en soi-même, lié comme dans une prison par des nœuds qui attachent toutes les parties de l’être ensemble; c’est cela qui fait qu’il y a une cohésion. Mais en même temps c’est une limite, une limitation. On ne peut pas recevoir toutes les forces que l’on voudrait recevoir, parce qu’on est enfermé dans cette carapace faite d’un tas de nœuds dans la corde qui vous lie.

Douce Mère, comment couper le nœud de l’ego ?

Comment couper? Prendre une épée et taper dessus! (rires) Il faut, quand on devient conscient de lui... parce que, généralement, on n’est pas conscient, on croit que c’est tout à fait naturel, ce qui vous arrive (c’est en effet très naturel), mais que c’est tout à fait bien aussi et alors, il faut déjà une grande clairvoyance pour s’apercevoir que l’on est enfermé dans tous ces nœuds qui vous tiennent en esclavage. Et alors, quand on s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui est tout à fait serré, là — tellement serré qu’on a beau essayer, ça ne bouge pas —, alors on imagine, n’est-ce pas, sa volonté comme si c’était une lame de sabre très aiguë, et avec toute sa force, on assène un coup sur ce nœud (naturellement en imagination, on ne prend pas une épée pour de bon), et cela produit un effet.

Naturellement, on peut faire ce travail-là au point de vue psychologique, découvrir tous les éléments qui constituent ce nœud, l’ensemble des résistances, des habitudes, des préférences, de tout ce qui vous tient étroitement serré. Alors, quand on s’aperçoit de cela, on peut se concentrer et appeler la Force divine et la Grâce, et asséner un bon coup sur cette formation, cette espèce de chose si étroitement tenue, comme ça, que rien ne peut les séparer. Alors il faut, à ce moment-là, prendre la résolution que l’on n’écoutera plus ces choses, que l’on écoutera seulement la Conscience divine et que l’on ne fera aucune autre œuvre que l’œuvre divine, sans se soucier des résultats personnels, libre de tout attachement, libre de toute préférence, libre de tout espoir de succès, de pouvoir, de satisfaction, de vanité, tout ça... Il faut que tout cela disparaisse et que l’on ne voie que la Volonté divine incarnée dans votre volonté et vous faisant agir. Alors, comme ça, on est guéri.

Mère, comment peut-on fortifier sa volonté?

Oh, comme on fortifie ses muscles, par un exercice méthodique. Tu prends un détail, quelque chose que tu veux faire, ou quelque chose que tu ne veux pas faire. Commence par une petite chose, pas une chose très centrale de l’être, un petit détail. Et alors là, si c’est une chose, par exemple, que tu as l’habitude de faire, alors tu insistes avec la même régularité là-dessus, n’est-ce pas, pour ne pas faire — ou pour faire une chose —, tu insistes dessus, et tu t’obliges à le faire comme tu t’obliges à soulever un poids — la même chose. Tu fais le même genre d’effort, mais c’est un effort plus interne. Et c’est après avoir pris, comme ça, des petites choses — les choses qui sont relativement faciles, n’est-ce pas —, avoir pris ça et avoir réussi à le faire, qu’alors on peut s’unir à une force plus grande et essayer une expérience plus compliquée. Et petit à petit, si on fait cela régulièrement, on finit par acquérir une volonté indépendante et tout à fait forte.

Douce Mère, est-ce qu’il y a des aspirations différentes, comme l’aspiration mentale, vitale...?

Oui. Chaque partie de l’être a son aspiration propre, qui a le caractère de la partie qui aspire. Il y a même une aspiration physique; le corps peut, les cellules du corps comprennent ce que sera la transformation et, de toute leur force, de toute la conscience qu’elles contiennent, elles aspirent à cette transformation. Les cellules mêmes du corps — pas la volonté centrale, la pensée ou l’émotion —, les cellules du corps s’ouvrent comme cela pour recevoir la Force.

Est-ce que l’être psychique se trouve dans le cœur?

Pas dans le cœur physique, pas dans le viscère. C’est dans une quatrième dimension, une dimension interne. Mais c’est dans cette région-là, la région à peu près derrière le plexus solaire, c’est là qu’on le trouve le plus facilement. L’être psychique est en quatrième dimension avec notre être physique.

Que veut dire « nirvâna négatif » ?

Nirvâna négatif? Ce n’est pas la leçon d’aujourd’hui.

Nirvâna négatif, cela veut dire un nirvâna qui ne contient rien de positif, tout simplement. Cela veut dire un néant qui ne contient rien de positif, un néant absolu.

Voilà, mes enfants, c’est tout.

(Mère se tourne vers le disciple qui s’occupe du magnétophone) You have a question? (rires) You want to put a question ? Put, put, put, put your question! (rires) What is it ? Non?

C’est tout.

Le 10 novembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».

Qu’est-ce que ça veut dire exactement : « ... dans le yoga, c’est de la victoire intérieure que sort la conquête extérieure » ?

Oui. D’abord, il faut obtenir la conscience vraie, être en rapport avec le Divin et Le laisser gouverner votre action; et alors, vous pouvez agir sur les circonstances extérieures, sur les actions, même, et surmonter les difficultés extérieures. Il faut d’abord avoir l’expérience intérieure avant d’espérer pouvoir [...24 ] quelque chose d’extérieur. Au fond, tout est basé sur une prise de conscience de la Conscience divine; et à moins que ça ne soit fait, tout le reste est incertain. Rien ne peut être établi d’une façon permanente. C’est seulement quand on a pris conscience; alors on peut suivre son chemin d’une façon rapide, sans crainte. Autrement il y a toujours... on risque toujours de se tromper, d’aller sur un faux chemin.

Douce Mère, que veut dire « l’équilibre psychique » ?

L’équilibre psychique, cela veut dire l’équilibre de l’être, qui provient du fait que le psychique, qui gouverne les mouvements de l’être, est le maître de tous les mouvements de la conscience. Le psychique est toujours en équilibre. Alors, quand il est actif et qu’il gouverne l’être, il amène forcément l’équilibre.

Mère, la dernière fois, il y avait écrit : « Peu importe quels défauts vous pouvez avoir dans votre nature; la seule chose qui importe est que vous vous gardiez ouvert à la Force. » Mère, si on a des défauts, comment est-ce qu’on peut s’ouvrir à la Force?

Je crois que tout le monde a des défauts. Alors s’il ne fallait pas avoir de défauts pour s’ouvrir, personne ne pourrait s’ouvrir. On a toujours des défauts en commençant. On n’est pas fait d’un seul morceau. C’est surtout ça. Il y a dans l’être beaucoup de parties différentes, qui sont quelquefois tout à fait indépendantes les unes des autres, et qui prennent possession de la conscience presque à tour de rôle, et quelquefois même dans un ordre tout à fait régulier. Alors, quand il y a dans l’être une partie qui est de bonne volonté, et qui a déjà une sorte de perception de ce que c’est que la Force divine, alors, n’est-ce pas, cela ouvre l’être et le met en rapport avec cette Force. Mais ce n’est pas toujours là. Il y a d’autres parties qui viennent en avant, qui ont des défauts, de mauvaises habitudes, et qui peuvent tout à fait voiler la conscience. Mais si l’on garde le souvenir de la partie qui était ouverte, on peut garder l’ouverture tout de même, bien qu’extérieurement la partie qui est là, active, ne soit pas particulièrement intéressée et qu’elle ne soit pas même capable de comprendre. Mais l’autre partie peut continuer à être ouverte et à recevoir la Force.

Peut-on avoir la foi par l’aspiration?

Quoi? La foi par aspiration? Je pense que oui, parce que c’est [rare] de l’avoir d’une façon innée et spontanée. Il y a très peu de gens qui ont ce bonheur, d’avoir une foi spontanée. Mais si l’on est très sincère dans son aspiration, on l’obtient. L’aspiration peut obtenir tout, pourvu qu’elle soit sincère et constante. On a toujours en soi un petit élément de foi, ne serait-ce que la foi en ce que vos parents ont dit, ou dans les livres que vous avez étudiés. Après tout, toute votre éducation est basée sur une foi de ce genre. Les personnes qui vous ont éduqué vous ont dit certaines choses. Vous n’aviez aucun moyen de contrôle, parce que vous étiez trop petit et vous n’aviez pas d’expérience. Mais vous avez la foi en ce qu’ils vous ont dit, et vous avancez sur cette foi. Alors tout le monde a un petit peu de foi, et c’est pour l’augmenter qu’on peut se servir de son aspiration.

Mère, dans ton symbole, les douze pétales signifient les douze plans intérieurs, n’est-ce pas?

Cela signifie tout ce que l’on veut, n’est-ce pas. Douze, c’est le chiffre d’Aditi, de Mahâshakti. Alors, cela s’applique à tout; toute son action a douze aspects. Il y a aussi ses douze vertus, ses douze pouvoirs, ses douze aspects, et puis ses douze plans de manifestation et bien d’autres choses qui sont douze; et le symbole, le chiffre douze, est en lui-même un symbole. C’est le symbole de la manifestation, perfection duelle, dans l’essence et dans la manifestation, dans la création.

Quels sont les douze aspects, Douce Mère?

Ah, mon enfant, j’ai décrit cela quelque part, mais je ne me souviens pas maintenant. Parce que c’est toujours un choix, n’est-ce pas; suivant ce que l’on veut dire, on peut choisir douze aspects ou douze autres; ou leur donner différents noms. Le même aspect peut s’appeler de différentes façons. Cela n’a pas la fixité d’une théorie mentale.

(silence)

Suivant l’angle sous lequel on regarde la création, un jour je peux vous dire douze aspects; et puis un autre jour, parce que j’ai déplacé mon centre d’observation, alors je peux dire douze autres, et ils seront également vrais.

(Au disciple qui s’occupe du magnétophone) C’est le vent qui produit cet orage? C’est très bien pour une mise en scène de soir dramatique... Le traître approche dans la nuit... hein? On s’attend à une action terrible...

Douce Mère, quand est-ce que l’être psychique perd son équilibre?

Quoi?... Jamais.

Alors pourquoi est-ce écrit : « L’équilibre psychique est nécessaire » ?

Oui. C’est-à-dire l’aide de l’équilibre psychique est nécessaire. Ce n’est pas que l’être psychique doit devenir équilibré, c’est que l’on doit être sous l’influence de l’équilibre psychique. Le psychique est toujours en équilibre. Mais l’être n’est pas toujours sous l’influence du psychique qui amène l’équilibre. L’influence du psychique donne l’équilibre.

(silence)

Comment peut-on comprendre que l’être psychique est au premier plan?

Mon enfant, quand il le devient, on le comprend. C’est justement tant qu’on ne comprend pas... cela veut dire qu’il n’est pas venu. C’est comme les gens qui vous demandent : « Comment puis-je savoir si je suis en relation avec le Divin? » Ça, ça suffit pour prouver qu’ils ne le sont pas. Parce que s’ils le sont, ils ne posent plus la question. C’est une affaire entendue. Pour le psychique, c’est la même chose. Quand le psychique est en avant on le sait, et il n’y a aucune possibilité de doute. Par conséquent, on ne pose plus la question.

Comment rendre le mental et le vital un « champ clair » ?

Rendre quoi?... Oui, c’est difficile. (rires) C’est un grand travail. Eh bien, c’est toujours la même chose : il faut d’abord comprendre ce que c’est, être clair. Et puis il faut aspirer, et avec persistance; et chaque fois que quelque chose vient vous obscurcir, l’écarter, le repousser, ne pas l’accepter.

Le mental et le vital ont une très mauvaise habitude : quand on est arrivé par une aspiration à avoir une expérience, être en rapport avec la Force divine, immédiatement ils se précipitent pour en faire leur propriété, n’est-ce pas, comme ça (geste), comme un chat se jette sur une souris. Et puis ils l’attrapent, ils disent : « C’est pour moi. » Et alors, le mental le change en toutes sortes de spéculations, et d’affirmations, et de constructions, et il s’en fait une grande gloire; et le vital se sert du pouvoir pour réaliser ses désirs.

Alors, c’est pour éviter cela que l’on dit qu’il faut qu’ils soient clairs, tranquilles, paisibles, et qu’ils ne se précipitent pas sur la Force qui essaye de se manifester pour en faire un outil pour leur usage personnel. Pour que le mental soit clair, il faut qu’il soit silencieux — au moins dans une certaine mesure —, et pour que le vital soit clair, il faut qu’il abandonne ses désirs, qu’il n’ait pas de désirs et d’impulsions, et de passions.

Ça, c’est la condition essentielle. Après, si on entre dans les détails, il faut que ni l’un ni l’autre n’ait une préférence, un attachement, une certaine manière d’être, ou un certain ensemble d’idées.

Douce Mère, que veut dire exactement « sincérité » ?

Il y a plusieurs degrés de sincérité.

Le degré le plus élémentaire, c’est de ne pas dire une chose et en penser une autre, prétendre une chose et en vouloir une autre. Par exemple, ce qui arrive assez souvent, dire : « Je veux faire des progrès, et je veux être débarrassé de mes défauts », et, en même temps, chérir dans sa conscience ses défauts et prendre très grand soin de les cacher afin que personne n’intervienne pour les faire partir. Ça, c’est un phénomène tout à fait courant. C’est déjà un second degré. Le premier degré, c’est quelqu’un qui prétend, par exemple, avoir une très grande aspiration et vouloir la vie spirituelle, et en même temps qui fait tout à fait... comment dire... sans vergogne, les choses qui sont les plus opposées à la vie spirituelle. Ça, c’est le degré de sincérité, d’insincérité plutôt, le plus évident.

Mais il y a un second degré que je viens de vous décrire, qui est comme ça : il y a une partie de l’être qui a une aspiration et puis qui dit, même pense, même sent, qu’elle voudrait bien être débarrassée des défauts, des imperfections; et puis, en même temps, d’autres parties qui cachent très soigneusement ces défauts et ces imperfections, afin de ne pas être obligées de les mettre au jour et de les guérir. Ça, c’est très courant.

Et finalement, si l’on va assez loin, si l’on pousse la description assez loin, tant qu’il y a une partie de l’être qui contredit l’aspiration centrale vers le Divin, on n’est pas parfaitement sincère. C’est-à-dire qu’une parfaite sincérité est une chose extrêmement rare. Et d’une façon tout à fait courante, très, très fréquente, quand il y a des choses que l’on n’aime pas dans sa nature, on a le plus grand soin de les cacher à soi-même, on trouve des explications avantageuses, ou on fait simplement un petit mouvement, comme ça. Vous avez remarqué que, quand les choses bougent, comme ça, on ne peut pas les voir Le 10 novembre 1954 439 clairement? Eh bien, à l’endroit où il y a un défaut, il y a une sorte de vibration qui fait comme ça, et alors votre vision n’est pas claire, vous ne voyez plus vos défauts. Et ça, c’est automatique. Eh bien tout ça, ce sont des insincérités.

Et la sincérité parfaite, c’est quand il y a au centre de l’être la conscience de la Présence divine, la conscience de la Volonté divine, et que tout l’être, comme une masse lumineuse, claire, transparente, exprime cela dans tous ses détails. Ça, c’est la vraie sincérité.

Quand à n’importe quel moment, quoi que ce soit qui arrive, quand l’être s’est donné au Divin et ne veut que la Volonté divine, que n’importe ce qui se passe dans l’être, à n’importe quel moment, toujours, tout l’être, avec une unanimité parfaite, peut dire au Divin, et sent pour le Divin : « Que Ta Volonté soit faite », quand c’est spontané, total, intégral, là vous êtes sincère. Mais jusqu’à ce que cela soit établi, c’est une sincérité mitigée, plus ou moins mitigée, jusqu’au moment où l’on n’est pas sincère du tout.

Douce Mère, ici il est écrit : « L’effort personnel doit être progressivement transformé en un mouvement de la Force divine. Si vous êtes conscient de la Force divine, appelez-la de plus en plus pour qu’elle gouverne votre effort, qu’elle l’adopte et qu’elle le transforme en quelque chose qui n’est plus à vous mais à la Mère. » Mais si on n’est pas conscient de la Force divine?

Il faut le devenir. Aspirez, demandez, aspirez sincèrement.

N’est-ce pas, généralement, vous êtes ici, nous avons une classe, nous venons de lire quelque chose, vous avez des questions à poser; pendant le temps que vous êtes ici, vous posez des questions et vous pensez à ce sujet. Mais dès que vous êtes sortis ou que vous rentrez chez vous, vous pensez à mille autres choses, n’est-ce pas? Alors, comment voulez-vous devenir conscients de la Force divine? Nous n’avons qu’à peine une demi-heure ici, ce n’est pas beaucoup de temps pour devenir conscient de la Force.

Mais si c’est votre unique préoccupation, si vraiment, de tout votre être, vous voulez devenir conscients de la Force divine, vous le deviendrez. C’est simplement parce qu’on y pense de temps en temps; quand il est question de ça, on se dit : « Tiens, c’est vrai, comment est-ce qu’on peut faire? » Et puis la minute d’après on n’y pense plus. Alors comment voulez-vous que cela arrive?

Il faut être très attentif, il faut être très silencieux, il faut s’observer très clairement. Et il faut être très humble; c’est-àdire accepter de ne pas jouer un grand rôle dans toute cette histoire. Le malheur est que généralement, l’être — que ce soit l’être vital, l’être mental, même l’être physique —, il est très anxieux de jouer un rôle, très anxieux. Alors ça gonfle, ça tient beaucoup de place, ça couvre le reste; et ça couvre si bien qu’on ne peut pas même s’apercevoir de la présence de cette Force divine. Parce que le mouvement personnel du physique, du corps, du vital, du mental, couvre tout de son importance

Écoute : si tous les soirs avant de t’endormir tu prenais seulement une petite minute, comme ça, et que dans cette petite minute, avec toute la concentration dont tu es capable, tu demandes à devenir conscient de la Force divine, simplement comme ça, rien de plus; le matin en te réveillant, avant de commencer ta journée, si tu fais la même chose, tu prends une petite minute, tu te concentres autant que tu peux et tu demandes à devenir conscient de la Force divine, tu verras, au bout d’un certain temps, ça arrivera. Rien qu’avec ces petites choses, qui ne sont rien du tout, et qui ne prennent pas de temps.

Un jour, ça arrivera. Seulement, il faut le faire avec concentration, intensité et sincérité; c’est-à-dire qu’il ne faut pas que, pendant que tu le demandes, l’autre partie de ton être se dise : « Après tout, ça n’a aucune importance. » Ou bien tu penses à autre chose, au costume que tu mettras, ou à la personne que tu rencontreras, n’importe quoi, mille désirs. Il faut être là, tout entier, une minute. Naturellement, si on multiplie la minute, ça va d’autant plus vite. Mais, comme je dis, si on peut ne pas contredire la minute d’après cette aspiration qu’on avait la minute d’avant, c’est plus facile; sinon, cela rejette la sincérité.

Le 17 novembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».

Douce Mère, ici il est écrit : « Pour vous la vérité est de sentir le Divin en vous-même, de travailler pour Lui et de vous ouvrir à la Mère jusqu’à ce que vous la perceviez dans toutes vos activités. » Pourquoi dit-il une fois le Divin, et une autre fois la Mère?

Probablement il considère que ce sont deux aspects du problème. La vérité est qu’il y a des gens qui peuvent se mettre plus facilement en relation avec un Divin impersonnel qu’avec un Divin personnel. Pour eux, pour certains esprits, pour certaines intelligences, c’est plus facile; ils comprennent mieux, ou ils croient comprendre mieux.

N’est-ce pas, il y a certains... ce que nous pourrions appeler certains attributs du Divin, qui leur paraissent impossibles à donner à un Être personnel, et alors ils aiment mieux avoir rapport avec une conception impersonnelle du Divin. Alors, pour eux, il dit comme ça.

Il y en a qui sont capables d’avoir les deux en même temps, se complétant l’un l’autre; mais il y en a pour qui c’est une antinomie, c’est une opposition. Alors, ils aiment mieux choisir l’un ou l’autre. Je pense que c’est pour cela qu’il a mis ça, pour que chacun puisse choisir l’approche qui lui est la plus facile, la plus expressive aussi. Essentiellement, c’est la même chose; dans l’esprit humain, cela devient différent. Et alors, l’esprit humain façonne la conscience humaine; et pour la conscience humaine, eh bien, cela dépend de son attitude intérieure et de ses goûts. Le mental a toujours besoin de faire des divisions, autrement il croit qu’il ne comprend pas. Probablement c’est pour l’aider dans son travail, pour qu’il n’y ait pas des gens qui disent : « Ah, non! Mais je n’en veux pas, d’un Dieu personnel! » Alors il dit : « C’est bon, tournez-vous vers un Dieu impersonnel. »

Mère, lorsqu’on fait un effort, il y a quelque chose en nous qui devient très satisfait et se glorifie, se contente de cet effort, et ça gâte tout. Alors comment est-ce qu’on peut se débarrasser de cela ?

Ah, c’est ce qui se regarde faire!

Il y a toujours quelqu’un qui observe, quand on fait quelque chose. Alors, quelquefois, il s’enorgueillit. Évidemment, cela enlève beaucoup de puissance à l’effort. Je crois que c’est ça : c’est l’habitude de se regarder faire, de se regarder vivre. Il est nécessaire de s’observer; mais je pense qu’il est encore plus nécessaire d’essayer d’être tout à fait sincère et spontané, très spontané dans ce que l’on fait : de ne pas être toujours à s’observer, à se regarder faire, à se juger — quelquefois sévèrement. Au fond, c’est presque aussi mauvais que de se caresser avec satisfaction; les deux sont également mauvais. Il faudrait être si sincère dans son aspiration, qu’on ne sache même pas qu’on est en train d’aspirer, qu’on devienne l’aspiration elle-même. Quand ça, ça peut être réalisé, alors vraiment on atteint à une puissance extraordinaire.

Une minute, une minute de ça, et vous pouvez préparer des années de réalisation. Quand on n’est plus un être, un ego qui se regarde faire, quand on est l’action elle-même, surtout dans l’aspiration, ça, c’est bien. Quand il n’y a plus de personne qui aspire, quand c’est une aspiration qui s’élance avec une impulsion toute concentrée, alors vraiment, ça va très loin. Autrement, il se mélange toujours un peu de vanité, un peu de suffisance, un peu aussi de pitié de soi, toutes sortes de petites choses qui viennent tout gâter. Mais c’est difficile.

Douce Mère, ici il est écrit : « Le principe même de notre yoga est de s’ouvrir à l’influence du Divin. » Que veut dire exactement « s’ouvrir à l’influence du Divin » ?

Combien de fois je vous ai expliqué ça ! Au moins une trentaine de fois. À quoi sert d’expliquer? Il faut essayer, il faut faire un effort soi-même. Expliquer, c’est simplement essayer de donner une formule dans l’esprit qui permette que la chose se fasse sans effort. On a une bonne explication dans sa tête, et on croit que c’est suffisant pour que la chose soit réalisée. Mais si on le fait un tout petit peu — même très maladroitement —, petit à petit on progresse, on le fait de mieux en mieux. Quand on le fait vraiment bien, alors on comprend ce qu’on fait, et on sait aussi comment on a appris, comment le faire, en le faisant pas à pas, en essayant.

Quelles sont les conditions dans lesquelles il y a une descente de la foi?

La condition la plus importante est une confiance presque enfantine, la confiance candide d’un enfant, qui est sûr que cela viendra, qui ne se le demande même pas; quand il a besoin de quelque chose, il est sûr que cela va venir. Eh bien ça, cette espèce de confiance-là, ça, c’est la condition la plus importante.

Aspirer, c’est indispensable. Mais il y a des gens qui aspirent avec un tel conflit au-dedans d’eux entre la foi et l’absence de foi, la confiance et la méfiance, et puis l’optimisme qui est sûr de la victoire et un pessimisme qui se demande quand viendra la catastrophe, comme ça... Alors si ça, c’est dans l’être, vous pouvez aspirer, mais vous n’obtenez rien. Et vous dites : « J’ai aspiré, mais je n’ai rien eu. » C’est parce que vous démolissez votre aspiration tout le temps par votre manque de confiance. Mais si vous avez vraiment confiance... Les enfants, quand ils sont laissés à eux-mêmes, et qu’ils ne sont pas déformés par les grandes personnes, ils ont une si grande confiance que tout ira bien! Par exemple, quand il leur arrive un petit accident, jamais ils ne pensent que ça va être quelque chose de grave : ils sont spontanément convaincus que ça va être bientôt fini, et ça aide si puissamment pour que ce soit fini!

Eh bien, quand on aspire à la Force, quand on demande l’aide au Divin, si on le demande avec la certitude inébranlable que cela viendra, qu’il est impossible que cela ne vienne pas, alors, c’est sûr de venir. C’est cette espèce... oui, ça, c’est vraiment une ouverture intérieure, cette confiance. Et il y a des gens qui sont dans cet état-là d’une façon constante. Quand il y a quelque chose à recevoir, ils sont toujours là pour le recevoir. Il y a d’autres gens, quand il y a quelque chose à avoir, une force qui descend, ils sont toujours absents, ils sont toujours fermés à ce moment. Tandis que ceux qui ont cette confiance enfantine, ils se trouvent toujours là au bon moment.

Et c’est curieux, n’est-ce pas, extérieurement il n’y a pas de différence. Ils peuvent avoir exactement la même bonne volonté, la même aspiration, le même désir de bien faire; mais ceux qui ont cette confiance souriante au-dedans d’eux, qui ne questionnent pas, qui ne se demandent pas s’ils l’auront ou s’ils ne l’auront pas, si le Divin répondra ou non : la question ne se pose pas, c’est une affaire entendue. « La chose dont j’ai besoin, on me la donnera ; si je fais une prière, sûrement on me répondra ; si je suis dans une difficulté et que je demande qu’on m’aide, l’aide viendra — et non seulement viendra, mais elle arrangera tout. » Si la confiance est là, spontanée, candide, sans discussion, cela travaille mieux que n’importe quoi, et les résultats sont merveilleux. C’est avec les contradictions et les doutes du mental qu’on abîme tout, avec cette espèce de notion qui vient quand on a des difficultés : « Oh, c’est impossible! Je n’en viendrai jamais à bout! Et si ça va s’aggraver? Si cette condition dans laquelle je me trouve, dont je ne veux pas, va être encore pire? Si je continue à dégringoler? Si, si, si, si... », comme ça, et on bâtit un mur entre soi et la Force qu’on veut recevoir. L’être psychique a cette confiance, il l’a d’une façon merveilleuse, sans une ombre, sans une discussion, sans une contradiction. Et quand c’est comme ça, il n’y a pas de prière à laquelle il ne soit répondu, pas d’aspiration qui n’aboutisse pas.

Comment se débarrasser de l’abhimâna 25 ?

Oh, mon Dieu! D’abord, voir à quel point c’est néfaste : c’est tout petit, c’est destructif; et puis faire un pas de plus, et puis se tourner soi-même en ridicule, voir à quel point on est grotesque. Alors, comme ça, on s’en débarrasse. Mais tant qu’on prend cela au sérieux, tant qu’on légitime le mouvement, tant qu’il y a quelque part dans la pensée l’idée : « Après tout, c’est tout à fait naturel, j’ai été maltraité et je souffre d’avoir été maltraité », alors, c’est fini, ça ne s’en ira jamais. Mais si on commence à comprendre que c’est le signe d’une faiblesse, d’une infériorité — naturellement d’un égoïsme très considérable, d’une étroitesse d’esprit, et surtout d’une petitesse du sentiment, d’une étroitesse du cœur —, si on comprend cela, alors on peut lutter. Mais il faut que la pensée soit d’accord. S’il y a cette attitude : « On m’a fait mal, je souffre, je ferai voir que je souffre », c’est comme ça. Je ne vais pas jusqu’aux gens qui ont un esprit de vengeance plus ou moins caché, et qui disent : « On m’a fait souffrir, je ferai souffrir. » Ça, ça devient assez vilain pour que les gens s’aperçoivent que cela ne doit pas être — quoiqu’il ne soit pas toujours facile d’y résister. C’est l’indication de quelque chose de tout petit dans la nature. Cela peut être très sensible, cela peut être très émotif, cela peut avoir une certaine intensité, mais c’est tout petit, c’est très replié sur soi, et c’est tout petit.

Naturellement, on peut se servir de la raison, si on en a une qui fonctionne. On peut se servir de la raison, et on peut se dire une chose qui est tout à fait vraie : c’est que dans l’être, ce n’est jamais que l’égoïsme qui souffre, et que s’il n’y avait pas d’égoïsme, il n’y aurait pas de souffrance, et que si l’on veut la vie spirituelle, il faut surmonter son égoïsme. Alors, la première chose à faire, c’est de regarder en face cette souffrance, de percevoir à quel point elle est l’expression d’un égoïsme très petit, et puis balayer la place, faire place nette et dire : « Je ne veux pas de cette poussière-là, je vais nettoyer ma chambre intérieure. »

Même les souffrances physiques sont dues à l’ego ?

Souffrances physiques? Non, elle [l’enfant qui a posé la question] ne parle pas de souffrances physiques. Souffrances physiques? Il y a une chose certaine, n’est-ce pas, je pense que ça a été dans le système, dans la nature, que ça a été inventé comme un indicateur; parce que, par exemple, si le corps se désorganisait d’une façon quelconque, et que cela ne causait aucune souffrance, on ne chercherait jamais à arrêter la désorganisation. On ne pense à guérir une maladie que parce qu’on souffre. Si cela ne vous causait aucun désagrément, on ne chercherait jamais à s’en guérir. Alors, dans l’économie de la nature, je pense que le premier but de la souffrance physique, c’était de vous mettre en garde.

Malheureusement, il y a le vital qui s’immisce dans l’affaire, qui prend un plaisir très pervers à augmenter, tourner, aiguiser la souffrance. Alors ça, ça déforme tout le système, parce qu’au lieu d’être un indicateur, quelquefois cela devient une occasion de jouir de sa maladie, de se rendre intéressant, et puis d’avoir l’occasion de se prendre en pitié, toutes sortes de choses qui proviennent toutes du vital et qui sont toutes plus détestables les unes que les autres. Mais originellement, je pense que c’était ça : « Attention! » N’est-ce pas, c’est comme un signal de danger : « Attention, il y a quelque chose qui ne va plus bien. »

Seulement, quand on n’est pas très douillet, qu’on a un petit peu d’endurance, et qu’on décide au-dedans de soi de ne pas faire trop attention, il est assez remarquable que la douleur diminue. Et il y a un nombre de maladies ou de déséquilibres physiques qui peuvent se rétablir simplement en supprimant l’effet, c’est-à-dire en arrêtant la souffrance. Généralement, elle revient parce que la cause est encore là. Si on trouve la cause de la maladie, et que, là, on agisse directement sur ses causes, alors on peut guérir radicalement. Mais si on n’est pas capable de faire ça, on peut se servir de cette influence, de ce contrôle sur la douleur pour — en supprimant ou éliminant la douleur, ou en la maîtrisant en soi — avoir un effet sur la maladie. Alors c’est un effet, pour ainsi dire, du dehors au dedans; tandis que l’autre, c’est un effet du dedans au dehors, qui est beaucoup plus durable et beaucoup plus complet. Mais l’autre aussi a de l’effet.

Par exemple, n’est-ce pas, il y a des gens qui souffrent de façon intolérable de maux de dents. Ça, ça dépend surtout... Il y a des gens qui sont plus ou moins ce que j’appelle « douillets », c’està-dire, incapables de résister à une douleur, de la supporter, qui immédiatement disent : « Je ne peux pas! C’est insupportable! Je ne peux pas supporter davantage! » Ah, ça, ça ne change rien à la situation; ça ne fait pas cesser leur souffrance, parce que ce n’est pas de lui dire qu’on n’en veut pas qui fait qu’elle s’en va ! Mais si on peut, n’est-ce pas, faire deux choses... ou amener en soi — pour toute souffrance nerveuse, par exemple —, amener en soi une sorte d’immobilité aussi totale que possible à l’endroit qui souffre; ça, ça fait l’effet d’un anesthésiant. Si on arrive à apporter une immobilité intérieure, immobilité de la vibration intérieure, à l’endroit où l’on souffre, cela fait exactement le même effet que l’anesthésiant. Cela coupe le contact entre l’endroit qui souffre et le cerveau, et une fois que vous avez coupé le contact, si vous pouvez garder ça suffisamment longtemps, la douleur disparaîtra. Il faut avoir l’habitude de cela.

Mais on a l’occasion, on a tout le temps l’occasion de ça : on se coupe, on se cogne, n’est-ce pas, on se fait toujours des petits bobos quelque part — surtout quand on fait de l’athlétisme, de la gymnastique ou tout ça —, eh bien ça, ce sont des occasions qui nous sont données. Au lieu d’être là, à observer la douleur, à tâcher de l’analyser, à se concentrer dessus — ce qui fait que ça augmente de plus en plus —, il y a des gens qui pensent à autre chose. Mais ce n’est pas durable; ils pensent à autre chose, et puis, tout d’un coup, ils sont tirés de nouveau vers l’endroit qui leur fait mal. Et si on peut faire ça... N’est-ce pas, puisque la douleur est là, cela prouve que vous êtes en contact avec le nerf qui transmet la douleur, autrement vous ne la sentiriez pas. Eh bien, une fois que vous savez que vous êtes en contact, vous accumulez là autant d’immobilité que vous pouvez en accumuler, pour arrêter la vibration de la douleur; vous vous apercevrez, n’est-ce pas, que ça fait l’effet d’un membre qui s’endort quand vous êtes dans une mauvaise position et que, tout d’un coup... vous savez cela, n’est-ce pas? Et puis, quand ça cesse, ça recommence à vibrer d’une façon terrible. Eh bien, vous faites volontairement cette espèce de concentration d’immobilité dans le nerf qui souffre; au point qui souffre vous amenez une immobilité aussi totale que vous pouvez. Eh bien, vous vous apercevrez que cela agit, je vous ai dit, comme un anesthésiant : cela endort. Et alors, si vous pouvez ajouter à cela une sorte de paix intérieure, et une confiance que la douleur va s’en aller, eh bien, je vous réponds qu’elle s’en ira.

De toutes les choses, celle qui est considérée comme la plus difficile au point de vue yoguique, c’est le mal de dents, parce que c’est très près du cerveau. Eh bien, je sais que cela peut être fait au point, vraiment, de ne pas sentir la douleur du tout; cela ne guérit pas la dent malade, mais il y a des cas où on peut arriver à tuer le nerf qui souffre. Généralement, dans une dent, c’est le nerf qui a été atteint par la carie, par la maladie, et qui commence à protester avec toute sa capacité de protester. Alors, Entretiens 1954 450 si vous arrivez à établir cette immobilité-là, vous l’empêchez de vibrer, vous l’empêchez de protester. Et ce qui est remarquable, c’est que si vous le faites d’une façon assez constante, avec assez de persévérance, le nerf malade mourra, et vous ne souffrirez plus du tout. Parce que c’est lui qui souffrait, et quand il est mort, il ne souffre plus. Essayez. J’espère que vous n’avez pas mal aux dents! (rires)

Le 24 novembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».

« ...garder le psychique éveillé et au premier plan. » Quel est ce premier plan, Douce Mère?

C’est-à-dire sur le devant de la conscience, au lieu d’être poussé en arrière, dans un fond que l’on ne perçoit que très rarement; le garder sur le devant de la conscience, dans la conscience active. En tout cas, il faut le vouloir et essayer de le faire.

« Le désir conduit à tirer sur la force. » Qu’est-ce que ça veut dire?

N’est-ce pas, on a une aspiration vers la lumière, vers la connaissance, vers toutes sortes de choses. Alors, si à votre aspiration se mélange un désir, au lieu simplement d’aspirer et d’attendre la réponse, on commence à tirer, comme on tire les choses quand on les désire; on les tire vers soi. Alors, au lieu d’attendre que la Force et la Lumière et la Conscience et la Vérité répondent à votre aspiration, vous tirez dessus comme ça, vers vous, avec un mouvement très égoïste, comme si vous tiriez sur une corde ou sur quelque chose, et alors il peut venir n’importe quoi en réponse. Au lieu que ce soit, par exemple, une vraie lumière, cela peut être une lumière fausse qui prend des apparences brillantes pour vous tromper; au lieu que ce soit une vraie force, cela peut être une force adverse du vital qui veut s’emparer de vous. C’est pour dire que, quand on a une aspiration, il est préférable qu’il ne s’y mélange pas de désirs, parce que les désirs gâtent toujours tout.

Que veut dire exactement « tapasyâ intérieure » ?

Tapasyâ intérieure? Cela veut dire la tapasyâ pour le caractère, et pour changer les mouvements psychologiques de l’être, justement pour conquérir les désirs, pour conquérir les passions, pour surmonter l’égoïsme, pour se débarrasser des peurs. C’est ça, la tapasyâ intérieure.

Tapasyâ extérieure, c’est toutes les méthodes ascétiques ou de hathayoga ; se servir de moyens physiques pour son yoga, c’est une tapasyâ extérieure. Mais la tapasyâ intérieure consiste à s’occuper de son caractère et à essayer de le changer.

Douce Mère, quelle est la différence entre vouloir et désirer?

Ce n’est pas du tout la même chose.

Quand tu vois qu’une chose, par exemple, doit être faite, qu’elle est bonne à faire — prends ta raison, que ta raison décide que ça, ça doit être fait —, alors, ta volonté se met à l’œuvre et te fait faire les choses nécessaires pour que cette chose-là soit faite. Ta volonté est un pouvoir d’exécution, qui doit être à la disposition, au service de ce qui a été décidé par la raison ou par une force supérieure. C’est une chose coordonnée, organisée, et qui agit selon un plan, d’une façon, justement, pleine de contrôle.

Le désir est une impulsion. Cela vous prend... cela ne vous prend pas nécessairement avec aucune pensée consciente. C’est une impulsion qui vous pousse vers la possession de quelque chose. Vous pouvez mettre votre volonté au service de votre désir, mais le désir n’est pas une volonté. Le désir est une impulsion. Il y a des gens qui sont pleins de désirs, et qui n’ont aucune volonté. Alors, simplement, ils se « rongent les sangs », comme on dit, avec leurs désirs; mais cela ne mène à rien, parce qu’ils n’ont même pas la volonté de les réaliser. La plupart des gens, le petit peu de volonté qui est à leur disposition, ils le mettent toujours au service de leurs désirs. Mais la volonté est une force qui a un pouvoir d’organisation, et qui peut être mise au service de n’importe quel but. C’est quelque chose que, quand on a de la volonté, on a [...26 ] soutenu vers un but défini. C’est ça, la volonté.

Il ne faut pas confondre la volonté avec le désir. Le désir est une impulsion : ça vous saisit, n’est-ce pas, ça vous accroche, ça vous prend. Et alors, si on laisse faire le désir, eh bien, il vous fait faire n’importe quoi, et il se sert de votre volonté. Mais généralement, un désir est une chose violente, passionnée et passagère. Il est rare que ce soit une chose très continue; ça n’a pas l’étoffe, ça n’a pas l’organisation d’un effort continu. Quand un désir vous saisit, il peut vous faire faire n’importe quoi — mais dans une impulsion, pas d’une façon méthodique.

Douce Mère, pourquoi certains enfants ont l’habitude de demander toujours des choses?

Quelles choses?

Des choses matérielles, comme des bonbons, tout ce qu’ils voient...

Oh, parce qu’ils sont pleins de désirs. Ils ont été probablement formés avec des vibrations de désirs, et comme ils n’ont pas de contrôle sur eux-mêmes, cela s’exprime librement. Les grandes personnes aussi sont pleines de désirs, mais généralement elles ont une espèce de... comment appeler ça... elles sont un peu timides pour montrer leurs désirs, ou elles ont un peu honte, ou bien elles ont peur qu’on se moque d’elles; alors elles ne les montrent pas. Alors, eux aussi sont pleins de désirs. Seulement, les enfants sont plus simples. Quand ils veulent quelque chose, ils le disent. Ils ne se disent pas qu’il serait peut-être plus sage de ne pas le montrer, parce qu’ils n’ont pas encore ce genre de raisonnement.

Mais je crois, d’une façon générale, à très peu d’exceptions près, que les gens vivent dans des désirs perpétuels. Seulement, ils ne les expriment pas, et quelquefois ils ont honte, aussi, de se le dire à eux-mêmes. Mais c’est là, ce besoin d’avoir quelque chose... N’est-ce pas, on voit quelque chose de joli, cela se traduit immédiatement par un désir de possession; et ça, c’est une des choses... c’est tout à fait enfantin. C’est enfantin, et au fond c’est ridicule, parce qu’au moins quatre-vingt-dix fois sur cent, quand la personne qui avait un désir pour une chose la possède, elle ne la regarde même plus. C’est très rare que cette chose continue à les intéresser une fois qu’ils l’ont, quelle que soit la nature de la chose.

Douce Mère, comment est-ce qu’on peut aider un enfant à sortir de cette habitude de demander toujours?

Il y a bien des moyens. Mais il faudrait d’abord savoir si, simplement, on ne l’arrêtera pas d’exprimer librement ce qu’il pense et ce qu’il sent. Parce que c’est ça que les gens font d’habitude. Ils grondent, même quelquefois ils punissent; et alors, l’enfant prend l’habitude de cacher ses désirs. Mais il ne les guérit pas. Et si, n’est-ce pas, on lui dit toujours : « Non, tu n’auras pas ça », alors, simplement, en lui, il y a cet état d’esprit qui s’installe : « Ah, quand on est petit on ne vous donne rien... Il faut attendre qu’on soit grand. Quand je serai grand, j’aurai tout ce que je veux ! » C’est comme ça. Mais ça ne les guérit pas. C’est très difficile d’élever un enfant. Il y a un moyen, qui consiste à lui donner ce qu’il veut; et naturellement, la minute d’après il voudra autre chose, parce que c’est la loi, la loi du désir, de n’être jamais satisfait. Et alors, on peut, s’il est intelligent, on peut lui dire : « Mais tu vois, tu insistais tellement pour avoir ça et maintenant tu n’y tiens plus. Tu veux autre chose. » Mais s’il était très malin, il répondrait ceci : « Eh bien, la meilleure façon de me guérir, c’est de me donner ce que je demande. »

Il y a des gens qui gardent cette idée-là pendant toute leur vie. Quand on leur dit qu’il faut surmonter ses désirs, ils disent : « La plus facile manière, c’est de les satisfaire. » C’est d’une logique qui paraît impeccable. Mais le fait est que ce n’est pas l’objet du désir qu’on doit changer, c’est l’impulsion du désir, le mouvement du désir. Et pour cela, il faut beaucoup de connaissance, ce qui est difficile pour un très jeune enfant.

C’est difficile. Justement, ils n’ont pas de capacité raisonnante, on ne peut pas leur expliquer les choses, parce qu’ils ne comprennent pas les raisons. Alors, n’est-ce pas, l’habitude des parents, quand c’est comme ça, ils lui disent : « Tais-toi, tu nous embêtes. » C’est avec ça qu’ils se tirent d’affaire. Mais ça, ce n’est pas une solution. C’est très difficile. Cela demande des efforts très continus, et une patience inébranlable. Il y a des gens qui sont comme ça toute leur vie; ils sont comme un bébé pendant toute leur existence, et il est impossible de leur faire entendre raison. Dès qu’on leur dit qu’ils ne sont pas raisonnables et qu’on ne peut pas être tout le temps à leur donner des choses pour satisfaire leurs désirs, ils pensent simplement : « Ces gens sont désagréables. Cette personne n’est pas aimable. » C’est tout.

Au fond, il faudrait peut-être commencer par déplacer le mouvement vers des choses qui sont meilleures à avoir au point de vue véritable, et qui sont plus difficiles à obtenir. Si l’on pouvait changer cette espèce d’impulsion du désir vers un... Par exemple, si l’on pouvait, quand un enfant est plein de désirs, lui donner un désir d’une qualité supérieure — au lieu que ce soit pour des objets purement matériels, n’est-ce pas, une satisfaction tout à fait transitoire —, si l’on pouvait éveiller en lui le désir de savoir, le désir d’apprendre, le désir de devenir un être remarquable... comme ça, en commençant par cela. Comme ce sont des choses difficiles à faire, alors, petit à petit, il développera sa volonté vers ces choses-là. Ou même, au point de vue matériel, le désir de faire une chose difficile, comme, par exemple, de fabriquer un jouet qui est difficile à faire, ou de lui donner un jeu, comme le jeu de patience, qui demande une grande somme de persévérance pour le faire.

Si on peut les orienter — cela demande beaucoup de clarté, beaucoup de patience, mais cela peut se faire —, si on peut les orienter vers quelque chose comme cela, à réussir aux jeux très difficiles, ou à exécuter une chose qui demande beaucoup de soin et d’attention, et les pousser dans une ligne comme celle-là, pour que cela exerce en eux une volonté persévérante, alors, cela peut avoir des résultats : détourner leur attention de certaines choses et la tourner vers d’autres. Cela demande un soin constant, et cela paraît être le moyen le plus... je ne peux pas dire le plus facile, parce que ce n’est certainement pas facile, mais le moyen le plus efficace. Dire non ne guérit pas, et dire oui ne guérit pas non plus; et quelquefois, aussi, cela devient extrêmement difficile, naturellement.

J’ai connu des gens, par exemple, qui avaient des enfants qui, tout ce qu’ils voyaient, ils voulaient le manger. Ils les laissaient faire. Alors ils tombaient très malades. Après ça, ils se dégoûtaient. Mais c’est un peu risqué, n’est-ce pas. Il y avait des enfants qui touchaient à tout. Alors un jour, n’est-ce pas, cet enfant-là, il s’est emparé d’une boîte d’allumettes. Alors, au lieu de lui dire : « N’y touche pas », on l’a laissé faire : il s’est brûlé. Il n’y a plus touché.

Mais c’est un peu dangereux, parce qu’il y a des enfants qui sont tout à fait inconscients et très hardis dans leurs désirs : par exemple, ceux qui aiment à se promener sur les bords des murs, ou sur la crête des toits, ou qui ont un désir de se jeter dans l’eau quand ils la voient, ou de s’enfoncer dans une rivière...

N’est-ce pas, cela devient quelquefois très difficile... Ou ceux qui ont la manie de traverser la rue : chaque fois qu’ils voient une automobile, ils essayent de traverser. Alors si on les laisse faire, l’expérience peut être une fois fatale.

Mais j’ai connu des gens qui faisaient comme ça. Je ne sais pas si ça leur a bien réussi. Comme j’ai dit, l’enfant s’est brûlé; mais c’était ennuyeux, parce que ça a laissé des marques. Et puis aussi, celui qui a joué d’une façon tout à fait irréfléchie sur le rebord d’un escalier, qui est tombé, et qui s’est à moitié cassé la tête... N’est-ce pas, ça a des conséquences. Mais leur dire non, aussi, ça ne les guérit pas, au contraire. Et leur dire : « Surtout ne prends pas ça, ça te fera du mal », ils ne le croient pas; ils croient que c’est juste pour se débarrasser de leur désir.

C’est un problème très difficile. Il y a quelqu’un qui avait des idées comme cela, sur la liberté dans l’éducation, et qui a fait des théories pour me dire que la liberté individuelle devait être respectée au point de ne jamais se servir de l’expérience passée pour les êtres nouveaux, et qu’il fallait les laisser faire toutes leurs expériences eux-mêmes. Cela mène très loin, et ils m’ont beaucoup critiquée parce que j’essayais d’empêcher les accidents. Alors ils me disaient : « Vous avez tout à fait tort d’empêcher. » Alors j’ai dit : « Mais s’il y en a qui meurent? » — « Eh bien, c’est qu’ils devaient mourir. Vous n’avez aucun droit d’intervenir dans leur destin et dans la liberté de leur développement. Ils veulent faire des bêtises, laissez-les faire des bêtises. Quand ils s’apercevront que ce sont des bêtises, ils ne les feront pas. » Et il y a des cas où on est sûr de ne plus en faire, parce qu’on a dépassé la limite.

C’est un problème très difficile, si on veut en faire une théorie. Mais chaque cas est absolument différent, et demande un procédé différent. Et au fond, si on voulait vraiment faire l’éducation la meilleure pour un enfant, eh bien, on y passerait tout son temps. On ne pourrait rien faire d’autre, parce que même quand on considère qu’on ne doit pas le surveiller d’une façon visible, pour pouvoir faire la vraie chose au vrai moment, il faudrait toujours l’observer, même sans qu’il le sache. On ne ferait pas autre chose.

Alors, probablement, il faut trouver un moyen terme entre les deux, entre les deux extrêmes : celui de le surveiller tout le temps, et celui de le laisser absolument libre de faire tout ce qu’il veut, sans même le mettre en garde contre les accidents qui peuvent se produire. Un ajustement à faire à chaque minute. Difficile.

Ici il est écrit : « Il est très peu sage pour quiconque de prétendre prématurément posséder le Supramental ou même en avoir un avant-goût. » Qu’est-ce qu’un avantgoût du Supramental?

C’est encore moins sage de s’imaginer qu’on l’a. C’est ça. Oui, parce qu’il y a des gens, dès qu’ils trouvent une phrase dans un livre, dans un enseignement, tout de suite ils s’imaginent qu’ils ont réalisé cela. Alors, quand Sri Aurobindo a commencé à parler du Supramental — dans ce qu’il écrivait —, tout le monde lui écrivait : « J’ai vu la Lumière supramentale, j’ai eu une expérience supramentale! » Alors, il vaut mieux garder le mot Supramental pour plus tard. Pour le moment, n’en parlons pas.

Il a écrit quelque part une description très détaillée de toutes les fonctions mentales qui sont accessibles à l’homme. Eh bien, quand on lit cela, on se dit que rien que pour traverser le mental jusqu’à sa limite supérieure, il y a tant d’étapes que l’on n’a pas parcourues que, vraiment, il n’est pas besoin de parler du Supramental pour le moment.

Quand il parle des régions supérieures du mental, on s’aperçoit que ce sont des endroits où l’on vit très rarement. Il est très rare que l’on soit dans cet état de conscience. C’est au contraire ce qu’il appelle le mental tout à fait ordinaire, le mental de l’homme ordinaire, c’est là-dedans que nous vivons. Et déjà, la raison est d’une région très élevée pour la conscience ordinaire; et la raison, pour lui, est une des facultés moyennes du mental humain. Il y a des régions mentales très supérieures à cela, qu’il a décrites en détail. Et il est tout à fait certain que ces correspondants, s’ils avaient... tout de suite ils ont dit qu’ils avaient des expériences supramentales merveilleuses... parce qu’on est rarement dans ces régions qui dépassent la raison, qui sont des régions de perception directe, d’intuition et d’autres facultés de l’intuition — mais de la même nature —, qui dépassent de beaucoup la raison; et ça, ce sont encore des régions mentales, ça n’a rien de supramental.

Mère, tu as dit qu’entre le Supramental et le mental il y a beaucoup d’étapes, n’est-ce pas? Et on a écrit que l’étape prochaine logique dans l’évolution de la nature est le surhomme. Pourquoi pas une race qui est...

Intermédiaire? Nous verrons cela plus tard.

Est-ce que cela veut dire que du mental on peut aller au Supramental, sans passer par des étapes intermédiaires?

Je ne disais pas que c’était entre le mental et le Supramental. J’ai dit : c’est dans le mental lui-même, sans sortir du mental, qu’il y a toutes ces régions qui sont presque inaccessibles pour la majorité des êtres humains. Je n’ai pas dit entre le mental et le Supramental. Tu veux dire ce soir, ou tu veux dire une autre fois? De quoi parles-tu, de quelque chose que j’ai dit ce soir ou de quelque chose que j’ai dit un autre jour?

Ce soir même, tu disais...

Non, tu n’as pas bien entendu; j’ai dit dans le mental luimême. Avant d’arriver à l’extrême limite du mental, il y a tant de régions et d’activités mentales qui ne sont pas du tout accessibles pour la majorité des êtres humains. Et même pour ceux qui peuvent y atteindre, ce ne sont pas des régions où ils vivent d’une façon constante. Ils doivent faire un effort de concentration pour y arriver, et ils n’y arrivent pas toujours. Il y a des régions que Sri Aurobindo a décrites; il n’y a que des individus très rares qui puissent arriver là-bas, et pourtant il en parle encore comme des régions mentales. Il ne prononce pas à leur sujet le mot de Supramental.

Il se peut très bien — d’ailleurs, quand il a parlé du Supramental, il a dit qu’il y a beaucoup de régions du Supramental lui-même, et que ce serait naturellement les premières, les régions les plus inférieures, qui se manifesteraient d’abord —, il se peut très bien qu’il y ait encore un nombre d’états d’être intermédiaires, c’est possible, d’étapes intermédiaires.

Certainement, la race parfaite ne viendra pas spontanément. Très probablement. Mais déjà, même les premières tentatives, en comparaison avec l’être humain actuel, cela fera une assez grande différence — suffisamment grande pour qu’on ait l’impression que cette chose est miraculeuse.

Il se peut très bien que les premières manifestations supramentales soient des manifestations tout à fait incomplètes. Mais même pour celles-là, ce que l’homme est à présent paraîtra quelque chose de tout à fait grossier. Il n’y a pas d’arrêt dans le développement universel, et même la chose qui paraîtrait à une époque absolument parfaite et définitive, ne sera encore qu’une étape pour des manifestations futures. Mais les hommes aiment beaucoup s’asseoir et dire : « Maintenant, j’ai fait ce que j’avais à faire. »

Mais l’univers n’est pas comme ça ; il ne s’assoit pas, il ne se repose pas, il continue toujours. On ne peut jamais dire : « Maintenant c’est fini, je ferme la porte, et c’est tout. » On peut fermer la porte, mais alors on se coupe du mouvement universel. Les expressions sont toujours des expressions relatives, et le premier être qui ne sera plus un animal humain, mais qui commencera à être un humain divin, un homme divin, paraîtra quelque chose d’absolument merveilleux, même s’il est encore très incomplet pour les types parfaits de cette nouvelle race. Il faut s’habituer à vivre dans un mouvement perpétuel. Il y a quelque chose qui aime bien — peut-être que c’est nécessaire pour faciliter l’action — fixer un but et dire : « Ça, ça c’est la fin », mais pas du tout! « Ça, c’est la perfection », il n’y a pas de perfection absolue! Toutes les choses sont toujours relatives et constamment elles se transforment.

Voilà, je crois que ça suffit. Il n’y a pas de questions importantes? C’est bon.

décembre




Le 8 décembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».

Douce Mère, qu’est-ce que cela veut dire, « la soumission psychique dans le physique » ?

Mais nous avons dit cela la dernière fois, non? Je crois que oui. C’est la soumission psychique s’exprimant dans la conscience physique, c’est-à-dire que la conscience physique prend une attitude de soumission psychique. La conscience physique reçoit l’influence du psychique et prend cette attitude que donne la soumission psychique. Nous avons dit cela ; je suis sûre que j’ai dit quelque chose de tout à fait analogue.

(À une enfant) Et toi, tu as dit que tu avais quelque chose?

Ici, on dit : « Développez la conscience cosmique. » Comment faut-il faire?

Cosmique? Tiens! On m’a demandé cela, déjà. Quelqu’un m’a demandé : « Comment apprendre aux enfants à développer la conscience cosmique? » Et alors j’ai répondu : « Développez-la en vous-même d’abord. »

Comment le faire? Tu sais ce que c’est, la conscience cosmique? Il faut d’abord commencer par savoir cela. La conscience cosmique, c’est : au lieu de sentir, se sentir comme un être tout à fait séparé, isolé, différent de tout le reste, on se sent seulement comme une partie d’un immense ensemble, et qui est en relation avec tout l’ensemble, qui reçoit les mouvements et les vibrations de tous les autres, et qui transmet à tous les autres ses vibrations; que les mouvements de conscience, toutes les vibrations psychologiques ne s’arrêtent pas dans un petit individu enfermé en lui-même et qui est comme dans une carapace, sans contact avec le reste; les forces passent à travers, allant de l’un à l’autre, touchant l’un, touchant l’autre, et ces forces sont tellement complexes et multiples que l’on ne sait plus où cela commence et où cela finit. On a tout à fait l’impression d’un immense ensemble qui se meut au-dedans de lui-même. C’est quelque chose comme cela, la conscience cosmique.

Alors, d’abord, il faut penser cela ; il faut d’abord se rendre compte qu’on est un point dans l’immensité universelle, et pas isolé, tout joint. Et puis alors, il faut s’étudier, s’observer. On a tout de suite l’occasion de voir les vibrations qui viennent du dehors, qui passent à travers vous, qui ne sont pas « générées » en vous-même, que vous recevez, que vous exprimez. Alors, petit à petit, en étudiant, en regardant, en observant, on s’aperçoit de ce qui n’est pas purement limité. C’est comme cela qu’on arrive à acquérir la conscience universelle ou cosmique. Cosmique et universelle, c’est la même chose.

Ici il est écrit : « ... il ne faut ni arracher, ni agripper la réalisation. » Qu’est-ce que c’est, arracher et agripper la réalisation, Douce Mère?

Ni arracher ni...?

« ... agripper »

Tu sais ce que c’est qu’agripper? (geste de l’enfant, Mère rit) Eh bien, cela veut dire... Il dit qu’il ne faut pas ou qu’on ne peut pas?

« Il ne faut pas », Douce Mère.

C’est-à-dire, il ne faut pas essayer de le faire, parce que cela n’obéit pas à ce genre de mouvement. Ce sont les gens qui essayent de progresser par la violence. Ils n’ont pas de patience, ils n’ont pas de continuité; et quand un désir se lève en eux, il faut qu’il soit réalisé immédiatement. Alors, ils veulent obtenir quelque chose — mettons un changement dans leur caractère, ou un changement dans les circonstances, ou, n’est-ce pas, un ensemble de choses —, et alors, ils le veulent tout de suite; et comme cela ne se fait pas généralement tout de suite, ils tirent dessus. Ça, c’est ce que Sri Aurobindo appelle agripper. Ils se saisissent de cela, ils le tirent sur eux-mêmes. Mais alors, on n’a ni la vraie chose ni le vrai mouvement ; on mélange une violence à son aspiration et cela produit toujours une confusion quelque part, et par-dessus le marché, on ne peut pas avoir la vraie chose, on ne peut avoir qu’une imitation de la vraie chose; parce que ce n’est pas comme ça qu’elle vient, ce n’est pas en la tirant comme si on la tirait par la queue; elle ne viendrait pas. Agripper! On agrippe la corde quand on veut monter à la corde. C’est comme ça quand on tire! C’est justement le mouvement que l’on ne doit pas avoir une fois qu’on tient la corde.

C’est tout. Mère, de quoi dépend la volonté centrale de l’être?

Hein? De quoi elle dépend? Cela veut dire? Qu’est-ce que tu veux dire exactement? De quoi dépend sa manifestation, ou bien de quoi dépend-elle elle-même pour son existence?

Elle-même.

La volonté centrale? Elle dépend de la Volonté divine. C’est l’expression individualisée de la Volonté divine; et la Volonté divine est l’expression de la Conscience divine cherchant à se manifester, à se réaliser.

Comment se rendre compte de sa volonté centrale?

Ah, ça, c’est un autre côté du problème. Il faut d’abord se rendre compte de ce qu’il y a de plus élevé, de plus vrai, justement de plus universel et de plus éternel dans sa conscience.

Cela s’apprend petit à petit. On apprend à discerner entre ses mouvements ordinaires, extérieurs, et les différentes gradations de ses mouvements de conscience intérieurs. Et si on continue avec une certaine obstination, on s’aperçoit de ce qui met en mouvement cette partie la plus haute de son être, qui représente l’idéal de l’être. Il n’y a pas d’autre moyen. Quelquefois, cela s’éveille par une lecture, quelquefois par une conversation, quelquefois par un événement plus ou moins dramatique, c’està-dire inattendu, et qui vous donne un choc, qui vous secoue, qui vous sort de votre petite ornière habituelle. Quelquefois, quand on est dans un très grand danger, tout à coup, on se sent comme au-dessus de soi-même, et au-delà de sa petite infirmité habituelle, contenant quelque chose de supérieur qui peut tenir tête aux circonstances.

Ce sont des occasions qui vous font d’abord entrer en contact avec cela. Après, par une discipline méthodique, on peut rendre le contact continu; mais cela prend du temps généralement. Mais d’abord, on l’a comme ça, tout d’un coup, pour une raison ou une autre.

(long silence)

Cela peut venir avec une très forte émotion, avec un très grand chagrin, avec un très grand enthousiasme. Quand on est appelé à faire une action un peu exceptionnelle, dans des circonstances un peu exceptionnelles, tout d’un coup, on sent quelque chose comme se briser ou s’ouvrir au-dedans de soi, et on sent comme si l’on se dominait soi-même, comme si l’on était monté sur un échelon supérieur et que, de là, on se regardait être avec le sens habituel. Une fois qu’on a eu cela, on n’oublie pas; même si on l’a eu une fois seulement, on ne l’oublie pas. Et on peut, par une concentration, reproduire l’état à volonté, plus tard. Ça, c’est le premier pas pour le cultiver.

Après, on peut très bien appeler cet état-là chaque fois que l’on a une décision à prendre, et alors, on la prend en toute connaissance de cause et en prévoyant tout ce qui va se passer. Je ne crois pas qu’il y ait un individu au monde qui n’ait pas eu — en tout cas d’individu cultivé —, qui n’ait pas eu, au moins une fois dans sa vie, quelque chose qui se brise et qui s’ouvre... et on comprend. Ça a l’air de vous étonner beaucoup!... (À un enfant) Tu n’as jamais senti ça, toi? Si?

Je ne sais pas.

Tu n’es pas sûr!

(Après un long silence) Quand on l’a eu, on a l’impression qu’on a commencé à vivre, qu’avant on ne savait pas ce que c’était que la vie. Tout d’un coup, on est entré de plain-pied dans la vie. Cela ne s’oublie pas. (À une enfant) Alors?

Douce Mère, à quel plan appartient l’intuition?

C’est un de ces plans, une de ces régions dont nous parlions la dernière fois, qui est intermédiaire entre le mental supérieur et l’Overmind, le Surmental.

Comment est-ce que cela se manifeste, Douce Mère, l’intuition?

Hum! Comment cela se manifeste? C’est quelque chose qui se produit sans raisonnement, sans analyse, sans déduction. Tout d’un coup, on sait une chose, sans avoir raisonné, sans avoir analysé, sans avoir déduit, sans avoir réfléchi, sans s’être servi de son cerveau, sans avoir rassemblé les éléments du problème et tâché de les résoudre — ce n’est pas comme cela. Tout d’un coup, c’est comme une lumière dans sa conscience; cela peut être dans la tête, cela peut être en dessous, ailleurs; c’est une lumière dans la conscience qui apporte une connaissance précise sur un point précis, et qui n’est pas du tout un résultat, justement, d’analyses et de déductions. Au fond, c’est la première manifestation de la connaissance par identité. La connaissance par identité, tu comprends bien ce que cela veut dire?

Si l’on arrive à s’identifier avec une chose, eh bien, on devient cette chose pour un temps, et devenant cette chose, on sait tout ce qui est en elle, sans avoir besoin ni de deviner ni de construire.

(long silence)

C’est tout.

Naturellement, il y a aussi une forme de la prévision et cela n’a pas tout à fait le même caractère. La prévision, généralement, cela provient de la faculté de connaître par identité. Si on peut projeter sa conscience dans quelque chose — dans une circonstance, ou dans un événement, ou dans une personne —, si on peut projeter sa conscience, eh bien, on reçoit, après, l’indication précise de la chose avec laquelle la conscience a été mélangée. Et ça, ça mène petit à petit à une connaissance totale et absolue. En fait, c’est la seule manière de savoir, et si on pousse cela assez loin et qu’on arrive à s’identifier avec le Divin, on a la connaissance divine, et ce n’est pas impossible. C’est quelque chose de possible, parce que l’univers est construit comme ça, pour ça. C’est seulement qu’il est sorti du bon chemin; pour quelles raisons, on ne sait pas. Ah! on voit de ces curiosités!... Être sûr qu’on sait, et puis, et en même temps, se demander comment cela se fait.

Vous n’avez jamais essayé d’entrer dans la conscience d’un autre, pour savoir exactement ce qui s’y passe? Pas de projeter votre conscience dans un autre, parce qu’alors vous vous retrouvez au-dedans de lui, ce n’est pas intéressant, mais d’entrer en relation avec la conscience qui est dans l’autre, par exemple quand, pour une raison quelconque, vous ne voyez pas les choses de la même manière; l’un les voit d’une façon, l’autre les voit de l’autre. S’ils sont raisonnables, ils ne se querellent pas. Mais s’ils ne sont pas raisonnables, ils commencent à se quereller. Alors, au lieu de se quereller, la meilleure chose à faire c’est d’entrer dans la conscience de l’autre, et se demander pourquoi il dit les choses comme ça, qu’est-ce qui le pousse à faire ça, ou à dire ça. Quelle est la raison intérieure, quelle est sa vision des choses qui fait qu’il a pris cette attitude? C’est extrêmement intéressant. Si on fait cela, immédiatement on cesse d’être fâché. Première chose : on ne peut plus être fâché. Alors ça, c’est déjà un grand gain. Même si l’autre continue à être fâché, ça n’a pas d’effet sur vous.

Et puis après, alors, on peut essayer de s’identifier plus parfaitement et d’empêcher les mouvements de division et de déformation, et cesser les querelles. Très utile.

(À un enfant qui est assis devant Mère) Je t’ai déjà recommandé ce procédé plusieurs fois, je crois. Je me souviens. Tu as essayé? Toi, qui es là, c’est à toi que je parle! Tu as essayé? Non? Ah! Tu es obstiné! Non? (L’enfant ne dit rien) Ça ne sortira pas... Bon, n’en parlons plus!

Alors, c’est tout, mes enfants? Quelque chose d’autre? Plus de questions? Rien par là, non?

Mère, est-ce que l’être central, c’est l’être psychique?

Pour l’immense majorité des gens, l’être psychique c’est l’être central. Mais l’être central peut être identifié à une autre conscience, et à un autre état qui est plus central, et qui n’est plus purement humain. Et ça, c’est... je ne peux pas dire que c’est extrêmement rare, mais enfin, ce n’est pas fréquent.

C’est tout?

Il est neuf heures. C’est tout?

Bon, fini!

Le 15 décembre 1954

Cet Entretien est basé sur le Chapitre III de Les Bases du Yoga, « En difficulté ».

Qu’est-ce que c’est, le témoin mental?

Le témoin, c’est ce dont nous avons parlé déjà plusieurs fois, seulement il est dans le mental.

Il y a des témoins partout. C’est une capacité de l’être de se détacher, de se tenir en arrière et de regarder ce qui se passe, comme quand on regarde ce qui se passe dans la rue, ou qu’on regarde les autres jouer, et qu’on ne joue pas soi-même; on reste assis, on regarde les autres bouger, on ne bouge pas. C’est comme ça.

Dans toutes les parties de l’être, il y a une partie qui peut faire ça : se mettre en arrière, rester tranquille et regarder, sans participer. C’est cela qu’on appelle le témoin. On a beaucoup de témoins en soi, et souvent on est témoin sans même s’en apercevoir. Et si on cultive ça, cela vous donne toujours la possibilité d’être tranquille et de ne pas être affecté par les choses. On s’en détache, on les regarde comme on regarde une scène de théâtre, sans y participer. Ça ne guérit pas beaucoup.

Douce Mère, ici nous avons l’avantage d’apprendre beaucoup de choses; pourtant on n’utilise pas cet avantage.

Non, parce que cela vous est venu trop facilement, tout ça. On apprécie les choses pour lesquelles on a fait un grand effort. Mais enfin, ça vous est venu comme ça, parce qu’il se trouve que vos parents sont venus ici; ce n’est pas vous qui avez choisi de venir. Vous avez été amenés, et vous avez été mis dans cette atmosphère depuis... quelques-uns depuis tout petits, et, n’est-ce pas, vous êtes habitués à ça, ça vous paraît relativement naturel, parce que vous y avez toujours été, et que vous ne vous rendez même pas compte de la différence entre la situation où l’on est ici et celle où l’on est ailleurs, dehors. Peut-être que si la plupart d’entre vous étaient transplantés subitement dans le monde extérieur, ils seraient complètement perdus. Toutes les habitudes sont absolument différentes. Alors, ici, vous êtes tellement habitués que cela vous paraît tout naturel, et certainement vous ne tirez pas autant de profit que possible des avantages que vous avez. Parce que pour tirer profit des choses, il faut les apprécier, n’est-ce pas. Mais cela vous paraît trop naturel pour les apprécier. C’est comme ça. Et comme la nature humaine n’est jamais constamment satisfaite, vous pouvez même trouver beaucoup d’occasions de ne pas être contents, sans même vous apercevoir que si vous étiez dans d’autres circonstances, ce seraient des occasions beaucoup plus sérieuses et beaucoup plus [... 27 ]. Vous n’avez pas de points de comparaison, la plupart d’entre vous. Ce n’est pas que je souhaite que vous en ayez. À personne je ne souhaite une chose pareille. Mais enfin, c’est la raison. Tu me demandes pourquoi? C’est comme ça, c’est la raison. C’est parce que cela vous est venu trop naturellement, sans y penser.

Je ne comprends pas ici : « L’inconvénient est que l’extase devient indispensable et que le problème de la conscience de veille n’est pas résolu, car celle-ci demeure imparfaite. »

« ... conscience de veille n’est pas résolu... » ?

Et naturellement! Parce que si, pour avoir une méditation ou un rapport avec le monde intérieur, vous êtes obligé d’entrer en samâdhi, votre conscience de veille reste toujours ce qu’elle est, sans jamais changer. C’est ce que j’ai dit, en d’autres mots, quand j’ai dit que les gens ont une conscience supérieure seulement dans une méditation très profonde. Quand ils sortent de leur méditation, ils ne valent pas mieux qu’ils n’étaient auparavant. Tous leurs défauts sont là, qu’ils retrouvent dès qu’ils retrouvent leur conscience de veille; et ils ne font jamais un progrès, parce qu’ils n’établissent pas une relation entre leur conscience profonde, la vérité de leur être, et leur être extérieur. N’est-ce pas, ils enlèvent leur être extérieur comme s’ils enlevaient un manteau, et ils le mettent dans un coin : « Allez, maintenant ne me gêne pas, reste tranquille. Tu m’ennuies. » Et puis alors, ils entrent dans une contemplation, leur méditation, dans leur expérience profonde; et puis alors, ils reviennent, ils remettent le manteau qui, lui, n’a pas changé — qui est peutêtre encore plus sale qu’auparavant —, et ils restent exactement ce qu’ils étaient sans méditation.

Si vous voulez que l’être extérieur change, c’est en étant conscient de lui qu’il faut avoir les autres expériences; et il ne faut pas perdre le contact avec sa conscience extérieure ordinaire si on veut qu’elle profite de l’expérience. Il y a beaucoup de gens... J’ai connu des gens comme ça, qui méditaient pendant des heures, presque tout le temps... Ils passaient leur temps à méditer, et puis quand par hasard... si quelqu’un les dérangeait de leur méditation, qu’ils avaient quelque chose à faire, ils entraient dans des rages, des fureurs, ils injuriaient tout le monde, ils se rendaient plus insupportables que s’ils n’avaient jamais médité, qu’un être ordinaire. Ça, c’était parce qu’ils négligeaient de faire participer leur être extérieur à leur vie profonde. Ils se coupent en deux, alors il y a un morceau au-dedans qui progresse, et un morceau au-dehors qui devient de pire en pire, parce qu’il est tout à fait négligé.

Mère, pour la maîtrise de soi, est-ce que les moyens ascétiques ne sont pas utiles quelquefois?

Non! Vous ne guérissez rien. Vous vous donnez seulement l’illusion que vous avez progressé, mais vous ne guérissez rien... La preuve, c’est que si vous arrêtez vos moyens ascétiques, c’est encore plus fort qu’avant, ça revient « avec une vengeance ».

Cela dépend de ce que tu appelles moyens ascétiques. Si c’est de ne pas te complaire à satisfaire tous tes désirs, ça, ce n’est pas de l’ascétisme, c’est du bon sens. C’est autre chose. Les moyens ascétiques, ce sont les jeûnes répétés, de s’obliger à supporter le froid... au fond, à martyriser un peu son corps. Ça, ça vous donne seulement un orgueil spirituel, rien de plus. Cela ne maîtrise rien du tout. C’est infiniment plus facile. Les gens le font parce que c’est très facile, c’est simple. Justement parce que l’orgueil est tout à fait satisfait, que la vanité peut se gonfler, alors cela devient très facile. On fait une grande démonstration de ses vertus ascétiques, et alors on se considère comme un personnage extrêmement important, et cela vous permet de supporter beaucoup de choses.

C’est beaucoup plus difficile de tranquillement, posément, maîtriser ses impulsions, et les empêcher de se manifester — beaucoup — sans prendre des mesures ascétiques. Il est beaucoup plus difficile de ne pas être attaché aux choses que l’on possède que de ne rien posséder. Ça, c’est une chose qui est reconnue depuis des siècles. Cela demande une vertu beaucoup plus grande de ne pas être attaché aux choses que l’on possède que d’être sans possessions, ou de réduire ses possessions au strict minimum. C’est beaucoup plus difficile. C’est un degré de valeur morale très supérieur. Simplement l’attitude : quand une chose vous vient, la prendre, s’en servir; quand, pour une raison quelconque elle s’en va, la laisser aller, et ne pas la regretter. Ne pas la refuser quand elle vient, savoir s’adapter, et ne pas la regretter quand elle s’en va.

Même si les défauts viennent?

Il ne s’agit pas de défauts, je parle des choses matérielles. Les défauts, ce ne sont pas des choses qui viennent, ce sont des choses que l’on porte en soi. Je parle des choses matérielles. Je parle d’ascétisme, n’est-ce pas.

L’ascétisme, c’est une discipline tout à fait matérielle. Les défauts, ne crois pas qu’ils viennent du dehors, on en a suffisamment au-dedans de soi sans avoir besoin de les emprunter ailleurs. Et au fond, si on ne les portait pas en soi, on ne pourrait pas s’en apercevoir chez les autres. C’est parce qu’il y a le germe de tout cela en soi-même que l’on est en contact avec. Et quand nous disons que les grandes vagues de passion passent à travers les gens, et que ce n’est pas « généré » en eux, mais que cela passe à travers eux, c’est parfaitement vrai. Mais s’il y avait quelqu’un qui était tout à fait pur de toutes possibilités de passion, cela pourrait passer pendant des siècles, il ne les sentirait même pas. Il pourrait les voir, les voir passer, comme on voit un orage passer dans le ciel, mais il ne sentirait rien du tout. Quand les vibrations au-dedans de soi répondent aux vibrations du dehors, c’est qu’elles sont là ; autrement il n’y a aucune vibration qui puisse entrer.

Il y a d’ailleurs des exemples comme cela. Par exemple, une foule qui est prise de panique; eh bien, il se peut toujours qu’il y ait une personne ou deux personnes qui résistent à la panique, qui ne sont pas touchées, qui sont au-dehors : elles peuvent sauver la situation. C’est arrivé bien des fois. Ce qui fait qu’un mouvement, une vibration, un mouvement de force est contagieux, c’est parce que le terrain de la contagion est là.

Tu as dit que parce que nous sommes ici, que nous avons tout, ça nous paraît très naturel. Pourquoi est-ce que l’effort aussi ne vient pas naturellement?

C’est parce que la nature physique chez les hommes ordinaires est, comme Sri Aurobindo l’écrit, plutôt tâmasique. Naturellement elle ne fait pas d’efforts. Mais le vital fait des efforts. Seulement il fait des efforts généralement pour sa propre satisfaction. Mais il est tout à fait capable de faire des efforts, parce que c’est dans sa nature. Au fond, je ne peux pas dire que vous ne faites pas des efforts, vous faites des efforts pour beaucoup de choses, quand cela vous plaît, ou quand vous avez compris que c’est nécessaire pour une raison ou une autre. Ce que tu veux dire, c’est de faire un effort de yoga continu. Il y a même des gens qui sont venus ici pour le yoga, ou du moins pensant qu’ils venaient pour le yoga, et qui ne font pas beaucoup d’efforts, qui prennent les choses facilement, comme elles viennent. Je ne crois pas que la nature physique laissée à elle-même soit spontanément poussée vers l’effort. Elle a besoin d’une certaine activité, mais c’est très mitigé.

N’est-ce pas, la grande chose, ici, c’est que le principe d’éducation est un principe de liberté, et en somme, toute la vie est organisée sur le maximum de liberté possible dans le mouvement; c’est-à-dire que les règles, les règlements, les restrictions sont réduits absolument au minimum. Si l’on compare cela avec la façon dont les parents usuellement éduquent leurs enfants, avec constamment des : « Ne fais pas ça », « Il est défendu de faire ça », « Fais ceci », « Va faire ça », et, n’est-ce pas, des ordres et des défenses, il y a une différence considérable.

Dans les écoles et les collèges, partout, il y a des règles infiniment plus strictes que nous n’en avons ici. Alors, comme on ne met pas sur vous de condition absolue de faire des progrès, vous en faites quand ça vous plaît, vous n’en faites pas quand ça ne vous plaît pas, et puis vous prenez les choses aussi facilement que vous pouvez. Il y en a — je ne dis pas ça d’une façon absolue —, il y en a qui essayent, mais ils essayent spontanément. Naturellement, au point de vue spirituel, cela a infiniment plus de valeur. Le progrès que vous ferez parce que vous sentez en vous-même le besoin de le faire, parce que c’est une impulsion qui vous pousse en avant spontanément, et non pas parce que c’est une chose que l’on met sur vous comme une règle, ce progrès-là, au point de vue spirituel, est infiniment supérieur. Tout ce qui en vous essaye de bien faire, essaye de le faire spontanément et sincèrement; c’est quelque chose qui vient du dedans de vous-même, et non pas parce qu’on vous a promis des récompenses si vous faites bien, et des punitions si vous faites mal. Notre système n’est pas basé là-dessus.

Il se peut qu’à un moment donné quelque chose vienne à vous pour vous donner l’impression que l’on a apprécié votre effort, mais l’effort n’a pas été fait en vue de cela ; c’est-à-dire que ce ne sont pas des promesses qui sont faites d’avance et qui sont compensées, d’ailleurs, par des punitions équivalentes. Ce n’est pas l’habitude ici. Généralement, les choses sont telles, arrangées de telle façon, que la satisfaction d’avoir bien fait paraît être la meilleure des récompenses et que l’on se punit soi-même quand on fait mal, dans le sens qu’on se sent misérable et malheureux et mal à l’aise, et que ça, c’est la punition la plus concrète que l’on ait. Et alors, tous ces mouvements-là, du point de vue de la croissance intérieure spirituelle, ont une valeur infiniment plus grande que quand ils sont le produit d’un règlement extérieur.

Tu parles de l’expérience spirituelle. Qu’est-ce que c’est qu’une expérience et comment peut-on l’avoir?

C’est quelque chose qui vous met en contact avec une conscience supérieure à celle que vous avez d’ordinaire. Tu te sens d’une façon quelconque, tu ne t’en aperçois même pas, c’est pour toi ta condition ordinaire, n’est-ce pas. Eh bien, si tout d’un coup tu deviens consciente en toi de quelque chose qui est très différent et très supérieur, alors, quoi que cela soit, ce sera une expérience spirituelle. Tu peux le formuler avec une idée mentale, tu peux ne pas le formuler, tu peux te l’expliquer, tu peux ne pas te l’expliquer, cela peut durer, cela peut ne pas durer, être instantané. Mais quand il y a cette différence essentielle dans la conscience et quand, naturellement, la qualité qui vient est très... beaucoup plus haute, plus claire, plus pure que celle que l’on a d’habitude, alors on peut appeler cela une expérience spirituelle; ce qui fait qu’il y a des milliers de choses différentes qui peuvent être appelées des expériences spirituelles.

Faut-il aspirer pour avoir une expérience spirituelle?

Je crois qu’il est plus sage d’aspirer à faire un progrès, ou à être plus conscient, ou à être meilleur, ou à mieux faire, que d’aspirer à une expérience spirituelle; parce que cela peut ouvrir la porte à des expériences plus ou moins imaginaires ou falsifiées, à des mouvements du vital qui prennent l’apparence des choses plus hautes. On peut se tromper soi-même, en ayant l’aspiration pour des expériences. Au fond, il faut que l’expérience vienne spontanément, comme le résultat d’un progrès intérieur, mais pas pour elle-même et en elle-même.

Il y avait certaines personnes dans l’histoire qui n’étaient pas des êtres évolutifs...

Qui n’étaient pas...?

... des êtres évolutifs... qui sont venus...

Tu les as connus, toi?

Non, il y avait quelqu’un...

Qui? Qui t’a dit ça ?

Notre professeur d’anglais dit ça.

Je ne peux rien dire. Je ne dis plus rien. Si c’est un professeur, je ne dis plus rien. (rires)

Il a dit de Sri Aurobindo... à propos de Sri Aurobindo...

Ne me parle jamais de ce que vous disent vos professeurs, parce que je ne les contredirai pas, et je me refuse de faire des commentaires sur ce qu’ils disent. Les professeurs, ce sont des gens qu’il faut respecter. Et d’ailleurs, pour ta gouverne, je peux dire que tu as mal posé ta question.

Si tu avais voulu me faire parler, tu aurais pu poser la question d’une façon absolument différente. Maintenant je ne répondrai pas. (rires) Mais si tu avais dit : « Est-ce qu’il y a des êtres qui... », je t’aurais tout naturellement répondu. Peut-être pas ce que tu voulais entendre, mais je t’aurais répondu quelque chose. Mais tu as mal posé ta question. Tu as dit une affirmation pour commencer, alors...

Bien. Alors, c’est tout?

Le 22 décembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre III de Les Bases du Yoga, « En difficulté ».

Quand un être est possédé par la force hostile, que devient son psychique?

Cela dépend du degré de la possession. Généralement, c’est une chose progressive. Il y a d’abord une influence que l’on subit, et que l’on subit de façon fragmentaire, même pas totalement dans son être, dans certains morceaux, et pour un temps. Ça, c’est le premier stade. Le second, l’influence devient permanente et il y a une partie de l’être qui est détériorée, qui subit constamment cette influence et l’exprime. Après, l’être qui a mis cette influence essaye d’entrer dans cette partie. Alors, généralement, cela produit un conflit, une sorte de bataille intérieure. Les gens ont des crises, quelquefois même des crises nerveuses, maladives. Pour essayer de résister, les deux parties de l’être sont constamment en conflit, et cela produit de grands déséquilibres, même des déséquilibres physiques. Mais si on ne sait pas résister, et si on n’arrive pas à secouer cette emprise, alors, petit à petit, l’être qui s’est saisi d’une partie de vous-même agit comme une pieuvre, et répand ses tentacules, comme ça, lentement et partout; et à la fin, c’est une possession totale. Au moment de la possession totale, ou l’être qui est possédé devient tout à fait déséquilibré, ou bien il devient une espèce de monstre et son être psychique le quitte.

Ce sont des cas extrêmement rares, heureusement. Généralement, dans l’être humain, le psychique est assez fort pour pouvoir résister, et le cas le plus fréquent est un cas de constant conflit entre les deux parties, jusqu’à ce que — si l’être psychique est assez fort et s’il sait s’appuyer sur une force plus grande que la sienne — il soit capable de rejeter cette influence et de se libérer. Ce n’est que dans le cas extrême d’une possession totale que l’être psychique s’en va. Mais ça, ce sont des cas extrêmement rares, extrêmement rares.

Il arrive quelquefois qu’un enfant est mort-né, c’est-à-dire que, juste au moment de la naissance, il meurt, ou quelques minutes après, ou une ou deux heures après, n’est-ce pas, juste à ce moment-là. Ça, dans ces cas-là, il est arrivé que ce soit l’être psychique qui a décidé de ne pas se servir de ce corps. Mais si, par exemple, le docteur qui soigne est un homme habile, ou l’infirmière qui est là est une personne habile, et qu’ils peuvent ramener la vie dans le corps par des respirations artificielles ou n’importe quoi, le plus souvent, c’est un être hostile qui s’empare de ce corps-là. Il y a eu des cas comme ça, d’enfants qui paraissaient être morts, c’est-à-dire que l’être psychique avait quitté le corps, et avant qu’ils ne meurent tout à fait, un être vital était entré, et avait pris la place. Il y a eu des cas comme ça. Et ce sont des êtres qui sont des démons. Dans la vie, ils deviennent de véritables démons. Il n’y en a pas beaucoup.

Il y a des êtres du vital, mais alors d’un degré supérieur, des émanations d’asura par exemple, qui ont décidé, pour une raison ou une autre, qu’ils allaient essayer de se convertir, de ne plus être antidivins, et d’arriver à rentrer en relation avec le Divin. Ils savent que la meilleure façon est de s’identifier à un corps humain pour être sous le contrôle d’un être psychique. Et ils s’incarnent dans des corps humains, mais non pas avec l’intention de chasser l’être psychique, au contraire : pour essayer de se mettre sous l’influence de l’être psychique et d’être convertis par lui. Ce sont des cas qui ne sont pas fréquents non plus, mais enfin qui se sont vus; et dans ces cas-là, ces êtres humains sont doués de capacités très exceptionnelles; mais ils ont aussi généralement des difficultés très exceptionnelles, parce que la puissance qui est incarnée en eux est une puissance qui au moins a été, si elle n’est pas encore, une puissance hostile, et que tous ces mouvements de révolte, n’est-ce pas, c’est difficile de les guérir immédiatement et cela prend quelquefois toute une vie pour arriver à le faire.

Il y a de ces êtres âsouriques qui ont essayé de se convertir, et qui n’ont pas réussi. Ils ont dû quitter le corps qu’ils avaient choisi, parce qu’ils n’avaient pas pu se convertir. C’était une tâche trop difficile pour eux, qui demandait des efforts trop grands.

Mais tous ces cas-là, dont je viens de vous parler, sont des cas très rares, n’est-ce pas. Il ne faut pas dire que ce soit des choses qui se passent et que l’on rencontre à tout bout de champ : un monsieur qui est une incarnation d’une force adverse, ou un autre qui est possédé. Ce sont des cas très rares, très rares.

Tandis que le cas d’influence — d’être sous une influence, et d’exprimer cette influence —, ça, c’est malheureusement très fréquent. Surtout chez les gens qui entreprennent le yoga sans être suffisamment purifiés auparavant, ou, alors, avec des intentions égoïstes; les gens qui commencent à faire le yoga avec des raisons d’ambition ou de vanité, ça, ça leur arrive très souvent qu’ils se mettent sous l’influence de certaines forces adverses.

Et il y a beaucoup de gens aussi qui sont sous certaines influences d’une façon... comment dire... on ne peut appeler cela accidentel, mais... Par exemple, il y a des êtres psychiques qui choisissent un certain milieu pour s’incarner, parce qu’ils pensent qu’ils auront là les expériences qu’ils veulent avoir et que, par suite des circonstances dans ce milieu-là, il y a une influence hostile qui s’exerce; alors, le corps dont ils se revêtent est dans une certaine mesure sous cette influence hostile et ils ont à lutter contre cela d’une façon terrible pendant toute leur vie. Ils peuvent à un moment donné, comme j’ai dit — s’ils savent s’appuyer sur des forces plus grandes que les leurs —, ils peuvent vaincre et remporter une grande victoire. C’est une grande victoire de se débarrasser de l’influence d’une force adverse. C’est vraiment une victoire qui dépasse la personnalité de l’individu, qui a une répercussion sur l’état terrestre tout entier. Chaque victoire remportée comme cela par un individu sur une force hostile qui l’influence, est un grand pas de fait vers le moment où la terre sera débarrassée complètement de cette présence des forces hostiles. Cela représente un grand progrès terrestre.

Douce Mère, comment les forces hostiles peuvent-elles se convertir?

Mais si elles le veulent, pourquoi ne pourraient-elles pas? Il n’y a rien dans l’univers qui n’ait une origine unique, c’est-à-dire une origine suprême, les forces hostiles comme le reste; et si elles renoncent à leur révolte et à leur séparation, et qu’elles aspirent vers le retour à leur origine, elles peuvent se convertir très bien. Cela peut leur demander plus d’efforts qu’il n’est nécessaire à un être humain pour changer ses défauts, ça, c’est évident. C’est un effort beaucoup plus considérable et surtout beaucoup plus profond, parce que l’origine de leur révolte est très profonde, elle n’est pas superficielle. Mais enfin, ils peuvent y arriver. Ils ont le pouvoir aussi; ce sont des êtres très puissants qui... s’ils prennent la résolution de se convertir, ils peuvent le faire; et alors ils deviennent parmi les plus merveilleux instruments de l’Œuvre divine. Ceux-là mêmes qui étaient parmi les plus grands adversaires.

Je suis en train de chercher quelqu’un qui m’a dit qu’il me poserait une question. C’est Sujata. Où est-ce qu’elle perche? Au bout du monde! Je n’entendrai jamais. Qu’est-ce que tu voulais demander?

Est-ce qu’il y a une autre question que je peux vous poser? Est-ce que le déséquilibre mental est dû à la même cause, Douce Mère?

(Pavitra répète) Est-ce que le déséquilibre mental est dû à la même cause?

Très souvent, mais pas toujours. Le déséquilibre mental peut être dû à beaucoup de causes différentes. Il y en a une qui peut être simplement une fabrication physique qui est défectueuse, une insuffisance cérébrale. Maintenant, on peut dire que cette insuffisance cérébrale est probablement l’expression d’un déséquilibre vital intérieur. Mais dans le cas d’insuffisance cérébrale, c’est généralement une chose héréditaire ou organique, enfin... c’est-à-dire qui a été produite à la conception. Alors on ne peut pas dire que c’est dû à une influence qui s’ajoute : c’était une influence qui agissait avant la naissance, et celui qui souffre de ce déséquilibre mental n’est pas forcément sous une influence adverse directe. Cela peut être une conséquence de malformation.

Maintenant, quand il y a des gens qui sont divisés dans leur mental et qui, dans une partie de leur mental aspirent à la vérité et à la transformation, et dans une autre n’en veulent pas, et non seulement résistent mais se révoltent — ce qui arrive souvent —, ça, ça crée une terrible lutte cérébrale intérieure, mentale d’abord et cérébrale après, et cela peut produire un déséquilibre mental sérieux.

Maintenant, il y a des cas où c’est justement l’ouverture à une suggestion, à une influence adverse, une ouverture qui est le résultat d’un mouvement faux — un mouvement de révolte, ou un mouvement de haine, ou un mouvement de désir violent. On peut, dans un mauvais mouvement, s’ouvrir — dans une fureur par exemple —, on peut s’ouvrir à une force adverse et commencer une influence qui pourra se terminer par une possession. Au début, ces choses-là sont relativement faciles à guérir, s’il y a une partie consciente de l’être et une très forte volonté de se débarrasser de ce mauvais mouvement et de cette influence. On y réussit relativement assez facilement si l’aspiration est sincère; mais si on regarde cela avec complaisance, et puis qu’on se dise : « Ah, c’est comme ça, ça ne peut pas être autrement », alors, cela devient dangereux. Il ne faut pas tolérer l’ennemi dans la place. Dès que l’on s’aperçoit de sa présence, il faut le rejeter bien loin, aussi loin que l’on peut, sans pitié.

Douce Mère, « être pur » veut dire?

Être pur, qu’est-ce que ça veut dire? On n’est vraiment parfaitement pur que lorsque tout l’être, dans tous ses éléments et tous les mouvements, adhère pleinement, exclusivement, à la Volonté divine. Ça, c’est la pureté totale. Cela ne dépend d’aucune loi morale ou sociale, d’aucune convention mentale d’aucun genre. Cela dépend exclusivement de ça : quand tous les éléments et tous les mouvements de l’être adhèrent exclusivement et totalement à la Volonté divine.

Alors, il y a des étapes, il y a des degrés. Par exemple, l’insincérité, qui est une des plus grandes impuretés, provient toujours de ce qu’un mouvement ou un ensemble de mouvements, un élément de l’être ou un ensemble d’éléments de l’être, veulent suivre leur volonté propre et ne pas être l’expression de la Volonté divine. Alors, cela produit dans l’être ou une révolte ou un mensonge. Je ne veux pas dire que l’on dit des mensonges, mais je veux dire que l’on est dans un état de mensonge, d’insincérité. Et alors, les conséquences sont plus ou moins graves et plus ou moins étendues suivant la gravité du mouvement en lui-même, et de son importance. Mais ce sont, si l’on se place au point de vue de la pureté, ce sont ces choses-là qui sont des impuretés.

Par exemple, si vous vous placez à un point de vue moral, qui est lui-même tout à fait faux au point de vue spirituel, il y a des gens qui se conduisent moralement d’une façon tout à fait parfaite en apparence, qui se conforment à toutes les lois sociales, à tous les usages, à toutes les conventions morales, et qui sont des masses d’impureté; au point de vue spirituel, ce sont des êtres qui sont profondément impurs. Tandis qu’il y a de pauvres gens qui font des choses... qui sont nés, par exemple, avec un sens de liberté, et qui font des choses qui ne sont pas considérées comme très respectables au point de vue social ou moral, et qui peuvent être dans un état d’aspiration intérieure et de sincérité intérieure qui les rend infiniment plus purs que les autres. Ça, c’est une des grosses difficultés. Dès que l’on parle de ces choses-là, c’est la déformation produite dans la conscience par toutes les conventions sociales et morales. Dès que vous parlez de pureté, il y a un monument moral qui se présente devant vous et qui fausse complètement votre notion. Et notez qu’il est infiniment plus facile d’être moral au point de vue social que d’être moral au point de vue spirituel. Moral au point de vue social, il n’y a qu’à faire bien attention de ne faire rien de ce qui n’est pas approuvé par les autres; cela peut être plus ou moins difficile, mais enfin, cela n’est pas impossible; et on peut être, comme je dis, un monument d’insincérité et d’impureté en faisant cela. Tandis que d’être pur au point de vue spirituel, cela veut dire une vigilance, une conscience, une sincérité à toute épreuve.

Maintenant, je peux vous mettre en garde contre quelque chose — je crois que, justement, c’est dans ce livre-là que Sri Aurobindo en a parlé —, ce sont les gens qui vivent dans leur conscience vitale et qui disent : « Moi, je suis au-dessus des lois morales, je suis une loi supérieure, je suis libre de toute loi morale. » Et ça, c’est parce qu’ils veulent se livrer à tous les dérèglements. Ceux-là, alors, ils ont la double impureté : ils ont l’impureté spirituelle, et en plus ils ont l’impureté sociale. Et ceux-là, généralement, ils ont une très bonne opinion d’eux-mêmes, et ils affirment leur volonté de vivre leur vie avec une impudence sans égale. Mais ceux-là, nous n’en voulons pas.

Mais généralement, les gens avec qui j’ai rencontré le plus de difficultés pour qu’ils se convertissent, ce sont les gens très Entretiens 1954 486 respectables. Je regrette, mais j’ai eu beaucoup plus de difficultés avec les gens respectables qu’avec les gens qui ne l’étaient pas, parce qu’ils avaient tellement bonne opinion d’eux-mêmes qu’il était impossible de les ouvrir. Mais la vraie chose, elle est difficile. C’est-à-dire qu’il faut être très vigilant et très maître de soi, très patient, et avec une bonne volonté à toute épreuve. Il ne faut pas négliger d’avoir une petite dose d’humilité, suffisante, et il ne faut jamais être satisfait de la sincérité que l’on a. Il faut toujours en vouloir davantage.

(À un enfant) Qu’est-ce que tu as à dire, toi? Rien? Personne n’a rien à dire? Où est-ce qu’il est, l’autre? Il n’est pas à sa place... il n’est pas à sa place, il n’est pas là. Il a eu peur que je lui pose des questions! Alors, plus rien? Personne n’a rien à dire?

« La constante observation de nos fautes et de nos mauvais mouvements amène la dépression et décourage la foi. » Comment cela décourage-t-il la foi?

La foi dont il est question, c’est la foi dans la Grâce divine et le succès final de l’entreprise. Vous avez commencé le yoga et vous avez foi que vous irez jusqu’au bout de votre yoga. Mais si vous passez votre temps à regarder tout ce qui vous empêche d’avancer, alors, finalement, vous dites : « Ah, je n’arriverai jamais. Ce n’est pas possible. Si ça continue comme ça, je n’arriverai jamais. » Alors ça, c’est perdre sa foi. Il faut garder toujours la foi que l’on est sûr d’arriver.

Il y a beaucoup de gens qui commencent, et puis, au bout d’un certain temps, qui viennent vous dire : « Oh, jamais je ne pourrai aller jusqu’au bout. J’ai trop de difficultés. » Alors ça, ça veut dire ne pas avoir de foi. Si on a commencé, on commence avec la foi que l’on arrivera au bout. Eh bien, cette foi-là, il faut la garder jusqu’au bout. En gardant sa foi, on arrive au bout. Mais si, au milieu du chemin, vous tournez le dos en disant : « Non, je ne peux pas », alors, évidemment, vous n’arriverez pas au bout. Il y a des gens qui se mettent sur la route et puis, au bout d’un certain temps, ils trouvent que c’est lourd, que c’est fatigant, que c’est difficile, et puis qu’eux-mêmes, leurs jambes, ne marchent pas bien, leurs pieds leur font mal, etc. N’est-ce pas, ils disent : « Oh, c’est très dur d’avancer. » Alors au lieu de dire : « Je suis parti, j’irai jusqu’au bout », ce qui est la seule chose à faire, ils se mettent là, ils s’arrêtent, ils se lamentent, et disent : « Oh, jamais je ne pourrai arriver », et puis ils quittent le chemin. Alors évidemment, s’ils quittent le chemin, ils n’arriveront jamais. Ça, c’est perdre sa foi.

Garder sa foi, c’est dire : « Bon, j’ai des difficultés, mais je continue. » Le désespoir, c’est ça qui vous coupe les jambes, vous arrête, vous laisse comme ça : « C’est fini, je ne peux plus avancer. » C’est en effet fini, et c’est une chose qu’il ne faut pas permettre.

Quand vous êtes parti, il faut aller jusqu’au bout. Quelquefois, n’est-ce pas, les gens qui viennent à moi dans un enthousiasme, je leur dis : « Réfléchissez, ce n’est pas un chemin facile, il faudra du temps, il faudra de la patience, il faudra beaucoup d’endurance, beaucoup de persévérance et du courage, et une inlassable bonne volonté. Regardez si vous êtes capable d’avoir ça, et alors partez. Mais une fois que vous êtes parti, c’est fini, on ne recule plus; il faut aller jusqu’au bout. »

Quelquefois je leur dis, je leur dis... je leur donne quelques jours, ou quelques mois. Il y en a, à qui j’ai donné quelques années de réflexion. Je leur ai dit : « Regardez bien, soyez bien sûr. » Mais une fois qu’ils viennent et disent : « Maintenant j’ai décidé, je veux partir », c’est bon. Maintenant, il faut aller jusqu’au bout, coûte que coûte; même si c’est très difficile, il faut aller jusqu’au bout.

Quand on recule du chemin, on recule pour la vie présente ou...

C’est-à-dire que, n’est-ce pas, il y a beaucoup de cas différents, et cela dépend de la nature du recul. Si vous avez un petit recul, ou un petit arrêt, vous pouvez repartir. Mais c’est dix fois plus difficile qu’avant.

Pourquoi?

Pourquoi? Parce que c’est comme ça. Parce que vous avez accumulé en vous les obstacles par votre lâcheté et votre faiblesse. Toutes ces difficultés qu’il faut vaincre, ce sont comme des examens spirituels que vous devez passer. Et si vous manquez votre examen, eh bien, le suivant sera beaucoup plus difficile. Ça, c’est une loi occulte générale. On ne peut pas y échapper. Si vous êtes en présence d’un effort à faire et d’un progrès à faire, si vous manquez... Et notez que dans les conditions actuelles vous n’êtes pas prévenu, ce qui fait que l’examen est beaucoup plus difficile à passer. Dans le temps, dans l’ancien temps, les candidats, on leur disait : « Maintenant, préparez-vous. On va vous faire passer par des épreuves terribles : on vous enfermera dans un cercueil, on vous mettra en présence de dangers terribles. Mais ce sont des épreuves, pour voir si vous avez les qualités requises. » Un homme prévenu, n’est-ce pas, en vaut dix, comme on dit. Une fois que l’on était prévenu que c’était une épreuve, on ne prenait pas cela sérieusement et c’était beaucoup plus facile.

Mais ce n’est plus la méthode. On ne fait plus comme ça. C’est la vie elle-même, les circonstances de chaque jour qui sont les épreuves par lesquelles il faut que vous passiez. Il y a des gens qui sentent instinctivement qu’ils sont en présence d’une décision à prendre, d’un effort spécial à faire, et qui font cet effort au-dedans d’eux-mêmes et franchissent ce pas. Ceuxlà, ils ont une force beaucoup plus grande pour franchir le pas suivant. Quand on a remporté une petite victoire sur son être inférieur, la fois suivante on a une force beaucoup plus grande pour faire le pas suivant. Au contraire, si on est aveugle, ignorant ou stupide, ou de mauvaise volonté, et qu’au lieu de dire oui à l’épreuve qui se présente, on se révolte ou on la refuse, alors, n’est-ce pas, cela se traduit par « on n’a pas passé son examen, on a échoué à son examen ». Mais la fois suivante on est obligé, non pas seulement de faire un effort pour remporter cela, mais de faire encore un bien plus grand effort pour réparer le mal que l’on s’est fait à soi-même. Alors c’est beaucoup plus difficile.

Mais ça, ce sont des choses qui se passent pour tout le monde sur le chemin, tout le temps, peut-être même quotidiennement. Il y a des petites choses, il y a des choses un peu plus grosses. Les petites, on peut, n’est-ce pas, par chance tourner du bon côté. Les grosses, il faut d’abord avoir une sorte d’instinct. Il faut faire attention, et puis faire la vraie chose de la vraie manière. Mais il y a encore d’autres choses. Quand on est à un moment critique de son développement, et qu’alors il faut absolument franchir le pas pour pouvoir avancer, à ce momentlà, il y a toujours deux possibilités : celle de franchir le pas, et alors, immédiatement, on fait un progrès formidable; ou bien de se laisser aller, et alors ça, c’est plus qu’un arrêt, c’est même plus qu’un recul, cela peut être une chute très grave dans un précipice. Il y a des précipices dont on ne se relève pas; et alors, dans ce cas, c’est une vie perdue.

Mais si on a en soi, en plus de la partie qui a fléchi et qui est tombée, si on a quelque part une flamme très ardente, qu’on est prêt à tout, toutes les souffrances possibles, tous les efforts possibles, tous les sacrifices possibles pour réparer ce que l’on a fait, pour regrimper du fond du précipice, pour retrouver la route, on peut le faire. Cette flamme-là, elle a la capacité d’appeler la Grâce. Et avec la Grâce, il n’y a rien d’impossible. Mais il faut que ce soit vraiment une flamme, quelque chose de formidable, parce que quand on est au fond du trou, ce n’est pas facile d’en sortir. Entre le premier qui, simplement, est un petit arrêt sur la route et qui fait que ça sera un petit peu plus difficile la fois suivante, et le dernier dont je parle, il y a beaucoup d’échelons; et alors on ne peut pas dire que « si on quitte la route, c’est pour la vie ». Ça, c’est l’extrême.

Mais si on quitte la route, c’est même très difficile de la retrouver. Ce qui est étrange, c’est qu’en la quittant on la perd. Il y a des légendes, comme ça, dans tous les pays, de gens qui ont quitté la route, et puis après, qui ont été à sa recherche, et qui ne l’ont jamais retrouvée. C’était comme si elle s’était évanouie. Ils l’ont perdue, et ça, c’est vraiment une triste chose.

Mais quand on est sur la route, je l’ai dit — je viens de le dire —, quand on est sur la route, ne la quittez jamais. Hésitez, vous pouvez hésiter tant que vous voulez avant de la prendre; mais de la minute où vous avez mis le pas dessus, c’est fini, ne la quittez pas. Parce que cela a des conséquences qui peuvent même s’étendre sur plusieurs vies. C’est d’une grande gravité. C’est pour cela, d’ailleurs, que je ne pousse jamais personne à prendre le chemin. Vous êtes ici une quantité considérable d’enfants : je ne leur ai jamais demandé. Il n’y a que ceux qui sont venus à moi, et qui m’ont dit : « Je veux. » Et ceux-là, à moins que je ne sois absolument sûre d’eux parce qu’il est écrit dans leur destin qu’ils sont venus pour ça, je leur dis toujours : « Réfléchissez, réfléchissez, soyez bien sûr que c’est ça que vous voulez et pas autre chose. » Et quand ils ont réfléchi et qu’ils se sont décidés, c’est fini. On ne doit plus bouger, on doit aller jusqu’au bout. Je veux dire qu’on ne doit plus quitter le chemin. Il faut avancer coûte que coûte et essayer de ne pas s’arrêter trop souvent en route; parce que c’est plus facile de continuer même si c’est dur, que de recommencer quand on s’est arrêté. Il faut un effort beaucoup plus grand pour se relever que pour continuer le chemin. Et, n’est-ce pas, logiquement je ne devrais pas le dire, mais j’ai déjà prévenu tous les gens qui sont ici, je leur ai dit : « Ne prenez jamais à la légère toutes les circonstances de chaque jour, toutes les toutes petites choses de la vie, tous les petits événements, n’est-ce pas; ne prenez jamais ça légèrement. » Ne réagissez jamais avec votre être inférieur. Chaque fois qu’il vous est dit de faire quelque chose ou de ne pas faire quelque chose — on ne vous le dit pas très souvent, mais chaque fois qu’on vous le dit —, avant de réagir, réfléchissez, tâchez de trouver en vous-même quelle est la partie qui réagit. Ne réagissez pas comme cela avec ce qu’il y a de plus ordinaire en vous. Rentrez en vous-même, tâchez de trouver le meilleur de vous-même, et c’est avec cela qu’il faut réagir. C’est très important. C’est très important.

Il y a des gens qui piétinent pendant des années parce qu’ils n’ont pas fait ça. Il y en a d’autres, il semble qu’ils volent, tellement ils vont vite, parce qu’ils font attention à cela. Et ceux qui ne le font pas, ils jettent toujours le blâme sur le Divin. Ils accusent la Grâce. Ils lui disent : « C’est Toi qui m’as trompé, c’est Toi qui m’as mis en difficulté, c’est Toi qui m’as fait broncher, c’est Toi qui es un monstre. » Pas avec ces mots-là, mais leur pensée est comme ça. Et alors, naturellement, ils aggravent leur cas, parce qu’ils repoussent même l’aide qu’ils auraient pu avoir dans leur difficulté. Voilà.

Je pourrais vous dire beaucoup d’autres choses, mais cela viendra petit à petit. En tout cas, si vous pouvez garder en vous, justement, une confiance, une confiance candide qui ne discute pas, et le sens de... oui, c’est vraiment une sorte de confiance que ce qui est fait pour vous, malgré toutes les apparences, c’est toujours la meilleure chose pour vous conduire le plus vite possible hors de toutes vos difficultés et vers le but... si vous pouvez garder ça solide en vous, eh bien, vous faciliterez votre chemin d’une façon formidable.

Vous me direz que c’est très difficile à garder, mais les enfants le gardent bien. Il faut vraiment qu’ils soient tombés sur des parents particulièrement détestables pour le perdre; mais si leurs parents sont simplement convenables vis-à-vis d’eux, ils gardent cela très bien. Eh bien, c’est cette attitude-là ; si vous pouvez vous dire : « Bien, peut-être que la Grâce divine mérite qu’on lui fasse confiance », simplement ça, pas autre chose, vous vous éviterez beaucoup de difficultés, beaucoup. En fait, cela évite beaucoup de difficultés même dans la vie ordinaire, et beaucoup d’ennuis. Et particulièrement ici, si l’on peut faire cela, eh bien, vous verrez des choses qui paraissaient formidablement difficiles et qui se dissolvent tout d’un coup comme des nuages.

Voilà, c’est tout.

Au revoir, mes enfants.

Le 29 décembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre III de Les Bases du Yoga, « En difficulté ».

Alors? (À une enfant) Pas de questions? (À une autre) Tu as une question?

Douce Mère, pourquoi dit-on que ceux qui ont les plus grandes capacités pour le yoga, le plus souvent ont aussi les plus grandes difficultés?

Pourquoi c’est comme ça ? (silence) Parce qu’il faut avoir une nature très forte, très riche, avec une grande puissance intérieure pour avoir une grande capacité de yoga ; et les natures très fortes ont aussi des difficultés très fortes.

Les gens neutres, ternes, sans importance, généralement ils vont leur petit chemin sans être très dérangés. Mais ils ne peuvent pas faire grand-chose, leur chemin est très petit et très court; ils arrivent au bout très vite. Ils ne peuvent pas grandchose. Mais les gens qui ont une forte nature, ils ont aussi de fortes difficultés. Parce qu’il est absolument impossible, dans ce monde, d’être sans difficultés. Tant que le monde est ce qu’il est, et que l’on participe à ce monde, on participe nécessairement à ses difficultés.

Ce n’est que par un effort très continu que l’on peut arriver à surmonter ses difficultés; et encore, il semble impossible de se couper complètement de la solidarité avec le reste du monde. Par conséquent, une parfaite pureté, une parfaite perfection semblent impossibles tant que le monde n’est pas arrivé au moins à un certain degré de perfection. Même l’ascète, le solitaire qui va s’asseoir dans une cave, ou sous un arbre, dans la jungle, il ne peut pas complètement se libérer de cette solidarité avec le reste du monde. L’air qu’il respire est plein de toutes les vibrations du monde, la nourriture qu’il mange, quelle qu’elle soit, même si elle est réduite au minimum, contient les vibrations du monde et, par conséquent, il suffit qu’il existe pour qu’il ait une solidarité avec les difficultés du monde.

C’est d’ailleurs pour cela que le chemin est si long. Même sans avoir aucune autre considération que celle de ce que l’on absorbe constamment au-dedans de soi en respirant et en se nourrissant, toutes ces choses, il faut constamment les transformer à mesure qu’on les absorbe. C’est une alchimie continue, où l’on absorbe un certain genre de vibrations contenant tous les désordres possibles, et il faut transmuer cela en quelque chose qui est prêt à recevoir la lumière d’en haut. Et ce travail est perpétuel, et perpétuellement renouvelé. Alors il est impossible d’exister dans ce monde, dans le monde tel qu’il est, et de devenir parfait sans que le monde lui-même ne fasse un grand progrès.

(long silence)

Alors? Il n’y a pas de questions aujourd’hui?

Mère, est-ce que la vie de l’individu dépend de l’expérience que veut avoir son être psychique?

Beaucoup!

Justement je parlais de ça aujourd’hui avec quelqu’un, et je disais ceci, que, si l’on peut devenir pleinement conscient de son être psychique, en même temps on apprend, forcément, la raison de son existence actuelle et l’expérience que cet être psychique veut faire; et au lieu de la faire à moitié consciemment et plus qu’à moitié inconsciemment, on peut raccourcir cette expérience, et ainsi on peut aider son être psychique à faire en un nombre restreint d’années des expériences qui lui prendraient peut-être plusieurs existences à faire. C’est-à-dire que l’aide est réciproque. Le psychique, quand il a une influence sur la vie extérieure, y amène la lumière, l’ordre, et la tranquillité, et la joie du contact divin. Mais aussi l’être physique, la conscience du corps, si elle s’identifie à la conscience psychique et, par là, apprend quel est le genre de l’expérience que l’être psychique veut faire, peut lui faire faire ces expériences en un nombre très restreint d’années, et non seulement gagner du temps mais gagner des vies pour l’être psychique. C’est une aide réciproque.

C’est cela, en somme, en quoi consiste le yoga. Le yoga vous aide à devenir tout à fait conscient de votre destin, c’est-à-dire de votre mission dans l’univers, et non seulement au moment présent, mais ce que cela était dans le passé, et ce que cela sera dans l’avenir. Et à cause de cette connaissance, vous pouvez rassembler par une concentration de la conscience toutes ces expériences en un temps très limité et gagner des vies, faire en quelques années ce qui pourrait prendre un nombre assez considérable de vies à faire. L’être psychique va progressivement à travers toutes ces expériences vers sa pleine maturité et sa complète indépendance — libération — dans le sens qu’il n’a plus besoin de la vie. S’il veut revenir dans le monde physique, il y revient parce qu’il a quelque chose à y faire et qu’il choisit librement d’y revenir. Mais jusque-là, jusqu’à cette libération, il est obligé de revenir pour avoir toutes les expériences dont il a besoin. Eh bien, s’il se trouve qu’une fois l’être physique est suffisamment développé et conscient et a une suffisante bonne volonté pour pouvoir prendre pleinement conscience de l’être psychique, il peut au même moment créer toutes les circonstances, les expériences extérieures nécessaires pour que l’être psychique atteigne à sa maturité dans cette vie-là.

(long silence)

Les gens qui se promènent pendant la nuit dans le domaine inférieur du vital, est-ce qu’ils souffrent beaucoup après la mort?

Pas nécessairement plus que ceux qui ne se promènent pas. Parce que par le fait qu’ils se promènent, ils sont un petit peu plus armés, ils ont un petit peu l’habitude de ce monde-là, ce n’est pas pour eux un domaine tout à fait inconnu; ils y sont allés déjà et, par exemple, ils ont pu avoir assez d’expériences désagréables et apprendre comment on se défend. Il est vrai que, généralement, la seule défense que l’on ait dans ces cas-là, c’est de se reprécipiter dans son corps, et que c’est justement la chose que l’on ne peut plus faire. Mais ils ont tout de même un petit peu d’expérience. Tandis que ceux qui y vont sans le savoir, et qui n’ont jamais eu cette conscience-là, quand ils sont précipités dans ce monde-là, c’est être précipité dans un inconnu tout à fait désagréable, avec une inconscience totale des moyens de se défendre. Je crois que ceux qui ont des rêves, ce qu’ils appellent des rêves, et qui en sont conscients, sont dans une situation beaucoup plus favorable; même si les rêves ne sont pas d’une très belle qualité, ils sont dans une condition beaucoup plus favorable que ceux qui sont tout à fait inconscients. Parce qu’une fois qu’on a quitté son corps, que l’on soit conscient ou que l’on soit inconscient, que l’on soit développé ou que l’on ne soit pas développé, on sort toujours dans le même domaine, pour commencer; à moins que l’on ne soit un yogi qui peut faire de soi-même ce qu’il veut, mais ça, n’est-ce pas, c’est un cas tellement rare qu’on ne peut pas en tenir compte. Tous les gens, quand ils sortent de leur corps, ils sont précipités dans un domaine du vital inférieur qui n’a rien de particulièrement agréable.

Et encore, tiens, c’est curieux, encore quelque chose dont je parlais aujourd’hui : la chose la plus importante, dans ce caslà, c’est le dernier état de conscience que l’on a eu quand tous les deux étaient joints — quand l’être vital et le corps étaient encore réunis. Alors, le dernier état de conscience, on peut dire le dernier désir, ou le dernier espoir, ou la dernière aspiration, ont une importance colossale pour le premier choc que l’on a avec le monde invisible. Et là, la responsabilité des gens qui entourent le mourant est beaucoup plus grande qu’ils ne le croient. S’ils peuvent l’aider à entrer dans sa conscience la plus haute, alors ils lui rendront le plus grand service qu’ils peuvent lui rendre. Mais généralement, ce qu’ils font, c’est de s’agripper à lui tant qu’ils peuvent, et de le tirer vers eux avec un égoïsme farouche; ce qui fait que, n’est-ce pas, au lieu de pouvoir s’en aller dans une conscience un peu haute qui le protégera dans sa sortie, il est agrippé par les choses matérielles, et c’est une bataille intérieure terrible pour se libérer à la fois de son corps et de ses attachements.

Au fond, n’est-ce pas (je dis à très peu d’exceptions près, si peu qu’on ne peut guère en parler), l’humanité tout entière vit dans une ignorance totale — ignorance totale de la manière de vivre —, non pas des choses de l’univers, mais simplement de la connaissance la plus élémentaire pour vivre. On ne sait pas vivre. On fait tout le temps des choses que l’on ne devrait pas faire, et je ne parle pas de satisfaire des désirs et tout ça, je dis simplement la vie de chaque minute, le mouvement de chaque instant. Parce qu’on est dans un état d’ignorance totale, on fait justement le contraire de ce qu’on devrait faire pour obtenir le résultat que l’on veut obtenir. On tâche de se diriger vers un but quel qu’il soit — cela peut être un but égoïste, cela peut être un but désintéressé, cela peut être un but matériel, cela peut être un but spirituel, mais on veut se diriger quelque part —, et on fait juste le contraire de ce qu’il faut pour y aller, tout le temps. Et si vous êtes seulement un tout petit peu attentif et que vous êtes capable de vous regarder, à n’importe quelle minute, quelle que soit la chose que vous avez à faire, arrêtez-vous le quart d’une seconde, et regardez-vous et dites-vous : « Est-ce que je sais ce que j’ai à faire? » Si vous êtes sincère, vous verrez que vous ne le savez pas du tout. Vous le faites automatiquement, instinctivement, par habitude, ou bien, n’est-ce pas, avec une impulsion quelconque; mais savoir : « Est-ce que c’est ça qu’il faut faire? Est-ce que c’est comme ça que ça doit être fait? », je ne crois pas qu’une fois sur mille vous pouvez répondre.

Et alors, quand vient le problème de vouloir aider quelqu’un... Si vous avez de la bonne volonté et que vous voulez aider quelqu’un — vous ne savez pas vous aider vous-même pour commencer, mais enfin, vous n’êtes pas égoïste —, à un moment donné, vous voulez aider quelqu’un, et alors c’est là : « Qu’est-ce qu’il faut que je fasse? » Vous n’en savez rien du tout. « De quoi a-t-il besoin? » Je veux dire, non pas seulement du fait matériel, mais du sentiment qu’il faut avoir, de la pensée qu’il faut que vous ayez, du mot qu’il faut dire. Si vous faites simplement un pas en arrière, vous vous regardez, mais vous n’en savez rien; vous le faites comme ça, au petit bonheur, au hasard, avec l’espoir que cela réussira, mais la connaissance n’est pas là. Sans parler, naturellement... je ne parle pas des gens qui ne savent rien du tout et qui, quand ils se trouvent même avoir un enfant, ne savent même pas ce qu’il faut faire pour le tenir propre et le garder en bonne santé. Je ne parle même pas de ce genre d’ignorance, parce que ça, tout le monde le reconnaît. J’ai connu, n’est-ce pas, une quantité innombrable de mères qui n’avaient pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire pour garder leurs enfants en bonne santé. Je ne parle même pas de ça. Parce que ça, si on lit un livre, si on travaille un petit peu, si on étudie, on peut au moins avoir un minimum de connaissance.

Je parle simplement d’un petit degré de plus : moralement, votre relation morale, psychologique avec les gens. Vous vous trouvez avec quelqu’un qui est en difficulté. Est-ce que vous savez ce qu’il faut lui dire? Est-ce que vous savez même la source, l’origine de sa difficulté? ce qui se passe en lui? Vous pouvez deviner, vous pouvez imaginer, vous pouvez déduire, vous pouvez raisonner, mais vous ne savez pas!

Avoir cette certitude, la connaissance, la connaissance, savoir : « C’est ça » — on ne l’a pas! « Est-ce que c’est ça, est-ce que c’est comme ça ? Et si je fais comme ça, est-ce qu’il va arriver ça ? Et si je fais comme ça, est-ce que c’est ça qui va arriver? » Et vous allez, vous pouvez continuer pendant des heures, à hésiter, à tâtonner, à vous demander... Et c’est justement cela que Sri Aurobindo a écrit dans son dernier article 28 qui a paru dans le Bulletin. Il a dit : Si vous voulez être prêt pour la descente du Supramental, il faut d’abord que votre mental d’ignorance et d’incapacité soit remplacé par un Mental de Lumière, qui voit et qui sait. Et c’est le premier pas. Avant que ce pas-là soit franchi, on ne peut pas avancer. Ce n’est pas pour vous décourager que je vous dis ça, mais c’est pour les gens qui s’imaginent que l’on n’a qu’à dire : « Oh, je veux la Lumière supramentale », et puis que ça vient comme ça, comme quand on dit : « Je veux avaler un verre d’eau », et on l’avale. Pas si facile! Voilà.

Alors quelqu’un a une question? Non?

Alors vendredi, qui est mon jour de lecture, c’est le 31. Le 31, c’est le veille du 1er. Étant la veille du 1er, généralement, il y a fort longtemps — vous étiez tout petits, peut-être que vous n’étiez même pas là —, je lisais la prière à minuit, juste quand on passait d’une année à l’autre. Maintenant c’est trop tard, nous sommes des gens qui nous fatiguons beaucoup dans la journée, et qui avons besoin de dormir tranquilles.

(Les enfants réclament tous à Mère de lire à minuit)

Non, non, je ne le ferai pas. (rires) Seulement, à ce momentci, à cette heure-ci, au lieu de lire n’importe quoi, je vous lirai la « Prière 1955 », et vous écouterez. Et s’il y en a qui veulent poser des questions, je vous répondrai, et nous finirons notre année comme ça... pas jusqu’à minuit! (rires) Nous finirons notre année comme ça. Voilà. Voilà mes enfants. C’est tout?

Au revoir!

Le 31 décembre 1954

Après la concentration, Mère distribue à tous son message de la nouvelle année.

Je vais vous lire en français la prière — c’est un message, ce n’est pas une prière —, en français et en anglais. Et puis, j’ai apporté deux réponses de Sri Aurobindo à des questions, qui sont inédites, c’est-à-dire, cela n’a été publié nulle part, et vous serez les premiers à les entendre. Et puis, deux... pas deux poèmes, quelques lignes; un tout petit poème, et juste une stance d’un poème, qui sont une très magnifique illustration de notre message de l’année prochaine.

Ce message a été écrit parce que l’on prévoit que l’année prochaine sera une année difficile, et qu’il y aura beaucoup de luttes intérieures, et peut-être même extérieures. Alors je vous dis à tous quelle est l’attitude qu’il faut que vous adoptiez dans ces circonstances. Ces difficultés vont peut-être durer, pas seulement douze mois, c’est-à-dire une année entière, mais peut-être quatorze mois; et pendant ces quatorze mois, il faut que vous vous efforciez de ne jamais perdre l’attitude dont je vais vous parler tout de suite.

En fait, j’insiste : plus les choses sont difficiles, plus il faut être tranquille, et plus il faut avoir une foi inébranlable. C’est de toutes les choses la plus importante.

Généralement, les êtres humains, dès que les choses deviennent difficiles, ils s’agitent, ils s’énervent, ils entrent dans une grande excitation et ils rendent les difficultés dix fois plus difficiles. Alors je vous préviens tout de suite que ce n’est pas à faire, qu’il faut faire le contraire; et ce que je vais vous lire, c’est justement ce qu’il faut que vous vous répétiez dès que vous sentez qu’il y a au-dedans de vous une anxiété ou une inquiétude; vous vous souviendrez de ce que je vous dis aujourd’hui et vous en souviendrez toute l’année. Vous pouvez vous le répéter soir et matin avec profit. Voilà.

Maintenant, d’abord en français :

« Aucune volonté humaine ne peut prévaloir contre la Volonté divine. Rangeons-nous délibérément et exclusivement du côté du Divin et la Victoire finale est certaine. »

Maintenant voici l’anglais :

“No human will can finally prevail against the Divine’s Will. Let us put ourselves deliberately and exclusively on the side of the Divine, and the Victory is ultimately certain.”

Maintenant, je vous lirai deux questions qui ont été posées, et les réponses de Sri Aurobindo. Ce n’est pas que ces questions soient l’expression d’un état d’esprit très supérieur, mais je crains qu’il y ait beaucoup de personnes qui se laissent aller à ce genre d’état d’esprit. Et alors, je pense que les réponses seront très utiles pour beaucoup de personnes aussi.

Voici la question :

It seems to me that the number of people in the world It seems to me that the number of people in the world accepting the truth of our Yoga of Transformation would not be as large as those who accepted Buddhism, Vedanta or Christianity 29 ”.

Voici la réponse de Sri Aurobindo. Je vous recommande son humour.

“Nothing depends on the number. The numbers of Buddhism and Christianity were so great because the majority professed it as a creed without its making the least difference to their external life.

If the new consciousness were satisfied with that, it could also and much more easily command homage and acceptance by the whole earth. It is because it is a greater consciousness, the Truth Consciousness, that it will insist on a real change 30 .”

La seconde :

You have said that the aim of our Yoga is to rise beyond the Nirvana, but in the Ashram there are extremely few who have reached or have tried to reach even the Nirvana. To reach even the Nirvana one has to give up ego and desire. Could it be said that even a few sadhaks in the Ashram have succeeded in doing so ? Surely everybody must be making some effort to do this. Why then are they not successful? Is it that after some effort they forget the aim and live here as in ordinary life 31 ?”

La réponse :

“I suppose if the Nirvana aim had been put before them, more would have been fit for it, for the Nirvana aim is easier than the one we have put before us — and they would not have found it so difficult to reach the standard. The sadhaks here are of all kinds and in all stages. But the real difficulty even for those who have progressed is with the external man. Even among those who follow the old ideal, the external man of the sadhak remains almost the same even after they have attained to something. The inner being gets free, the outer follows still its fixed nature. Our Yoga can succeed only if the external man too changes, but that is the most difficult of all things. It is only by a change of the physical nature that it can be done, by a descent of the highest light into this lowest part of Nature. It is here that the struggle is going on. The internal being of most of the sadhaks here, however imperfect still, is still different from that of the ordinary man, but the external still clings to its old ways, manners, habits. Many do not seem even to have awakened to the necessity of a change. It is when this is realised and done, that the Yoga will produce its full results in the Ashram itself, and not before 32 .”

Ça, c’est un programme pour l’année prochaine, mes enfants. J’espère que l’année prochaine, je pourrai dire que beaucoup ont essayé de faire que leur vie extérieure soit l’expression de leur aspiration profonde. Pour le moment, ils ne sont pas nombreux.

Maintenant, comme nous avons parlé de difficultés, je vais vous lire deux choses qui vous donneront simplement un petit aperçu de ce que c’est que la vraie conscience, celle qui est libre de toutes difficultés, celle qui est au-dessus de tous les conflits.

La première est comme ceci — vous l’avez peut-être lue, mais je ne pense pas que vous l’ayez tout à fait comprise. Cela s’appelle :


ONE DAY
The Little More

One day, and all the half-dead is done,
One day, and all the unborn begun;
A little path and the great goal,
A touch that brings the divine whole.

Hill after hill was climbed and now,
Behold, the last tremendous brow
And the great rock that none has trod :
A step, and all is sky and God 33 .

Et puis ceci :

Even in rags I am a god ;
Fallen, I am divine;
High I triumph when down-trod,
Long I live when slain 34 .

Voilà.

Maintenant j’ai dit que si quelqu’un posait des questions « raisonnables », j’y répondrais peut-être.

Quelle est la volonté humaine qui est maintenant particulièrement contre la Volonté divine?

Vous voulez dire à quel point de vue?

Toute volonté humaine qui est contre la Volonté divine est une volonté antidivine. C’est tout. N’importe où elle se manifeste, même en vous!

Il n’y a pas de parti politique dans la vie divine, vous savez. (rires) Il n’y a que des états de conscience.

(À une enfant) Tu as une question à poser, toi?

Non. Mère, tu expliqueras les deux poèmes?

Expliquer? Il n’y a pas d’explication. Ils parlent pour euxmêmes très clairement. Cela ne s’explique pas, la poésie. Il faut la sentir et pas la raisonner. L’inspiration poétique est au-delà de la raison. Il ne faut pas la faire descendre dans le domaine de la raison, parce qu’on l’abîme. Cela se sent beaucoup plus que... Cela se comprend par un contact intérieur beaucoup plus que cela ne se comprend par des mots.

Mère, pourquoi pas douze mois au lieu de quatorze?

Ah! ça, mon petit, tu peux demander... Tiens, il y a les gens qui croient aux astres, ils te diront : « Demande aux astres. » C’est comme ça ! Pourquoi est-ce que tu mets un certain nombre d’années pour devenir grand? Parce que c’est la nature des choses qui est comme ça. Eh bien, la nature de ce conflit, c’est comme ça. C’est-à-dire qu’il faut un certain développement de forces pour que le résultat soit obtenu; et ce développement de forces s’étend sur un nombre donné de mois, à peu près.

Douce Mère, ici il est écrit : « La Victoire finale est certaine. » Si c’est la Volonté divine, pourquoi ce n’est pas chaque victoire qui est certaine?

?...

Si c’est la Volonté divine, pourquoi ce n’est pas chaque victoire, pourquoi seulement la Victoire finale?

Non, ce n’est pas ça que ça veut dire. Cela veut dire que, finalement, la Victoire est certaine. Quel que soit le cours des circonstances, et les hauts et les bas, et les difficultés, et les différentes issues des différents conflits, à la fin de la courbe on est sûr de la victoire, parce que le Divin est sûr d’être victorieux. Cela peut prendre plus ou moins de temps. J’ai dit — en anglais je dis « finalement » — que finalement, aucune volonté humaine ne peut prévaloir contre la Volonté divine. Finalement, cela veut dire malgré toute... ce que nous pourrions appeler la patience divine. Malgré toute la patience divine, il y a un moment donné où la volonté humaine épuise sa force; et la Volonté divine prévaut.

Nous mesurons toujours le temps à la mesure de notre petite durée humaine; mais, naturellement, les forces divines n’ont pas la même mesure que nous, et ce qui peut nous paraître long ou incertain est pour elles le chemin le plus direct, malgré tout, pour arriver à cela. Étant donné l’ensemble des circonstances, c’est le chemin le plus direct pour arriver à ce but : ce but, c’est l’expression de la Volonté divine, quelle qu’elle soit. Alors ce qui nous paraît, par exemple, un chemin long, tortueux, incertain, c’est parce que nous ne voyons pas l’ensemble, parce que nous ne voyons qu’une toute petite portion qui est en proportion de nous-mêmes. Notre vision est très, très courte, très courte en arrière, très courte en avant. Je veux dire : la vision humaine ordinaire. Par exemple, il n’y a pas un homme sur un million qui puisse dire ce qui va lui arriver dans dix ans, quoiqu’il fasse beaucoup de projets, de plans, et tâche d’organiser sa vie; mais il ne peut pas dire avec certitude ce qui arrivera, parce que sa vision est très courte. La vision divine n’est pas comme cela.

Elle [la vision humaine] est très courte, très limitée dans l’espace, très linéaire; cela veut dire que les choses se suivent l’une après l’autre. Tandis que la vision du Divin est une vision globale, qui voit le problème dans tout son ensemble, non seulement en surface mais en profondeur aussi, et qui contient tous les éléments de ce problème, et qui résout le problème en ne négligeant aucun des points. L’homme, qui suit une ligne droite... tout ce qui échappe à sa ligne droite, dont il ne s’occupe pas, ne serait pas fait si c’était lui qui décidait des choses. Tandis que la marche du Divin est une marche globale, qui prend tout l’univers dans son ensemble et avance selon le chemin le plus direct par rapport à cet univers, à cet ensemble de circonstances. Et le chemin le plus direct peut être circulaire, ce n’est pas nécessairement une ligne droite.

Mère, tu as dit que l’année prochaine sera une année difficile, est-ce que cela...

Ah! oui, l’année prochaine! encore dans quelques heures! (rires) Alors?

Est-ce que ce sera une année difficile pour l’Ashram, ou aussi pour l’Inde et la terre entière?

Général. Terre, Inde, Ashram et individus. Chacun selon son mode, naturellement pas pour tous également. Il y a des choses qui paraîtront plus faciles que d’autres. Mais d’une façon générale, c’est — si vous voulez, je peux vous dire —, c’est le dernier espoir des forces adverses de triompher contre la présente Réalisation. Si l’on tient bon pendant ces mois-là, après cela, elles ne pourront plus faire grand-chose, ce sera la résistance qui s’effrite. C’est ça : c’est le conflit essentiel des forces adverses, des forces antidivines, qui essayent de repousser la Réalisation divine autant qu’elles le peuvent... elles espèrent... des milliers d’années, n’est-ce pas. Et c’est ce conflit-là qui est arrivé à son paroxysme. C’est leur dernière chance; et comme ceux qui sont derrière leur action extérieure sont des êtres tout à fait conscients, ils savent très bien que c’est leur dernière chance, et ils mettront tout ce qu’ils peuvent dedans; et ce qu’ils peuvent, c’est beaucoup. Ce ne sont pas des petites consciences humaines ordinaires. Ce ne sont pas des consciences humaines du tout. Ce sont des consciences qui, par rapport aux possibilités humaines, sont des consciences qui paraissent divines, dans leur pouvoir, dans leur puissance, dans leur connaissance même. Par conséquent, c’est un formidable conflit et qui est tout concentré sur la terre, parce qu’ils savent que c’est sur la terre que la première victoire doit être remportée — victoire décisive, une victoire qui déterminera le cours de l’avenir terrestre 35 .

Ceux qui ont le cœur haut placé, comme on dit en français, et qui redressent la tête au moment où les choses deviennent dangereuses, peuvent être contents. C’est l’occasion de se surmonter soi-même. Voilà.

Comment est-ce qu’on peut changer à la Volonté divine?

Comment on peut changer sa volonté à la Volonté divine? Je ne comprends pas ta question.

(Une enfant, répétant) Comment on peut changer à la Volonté divine.

Oui, c’est parce que ce n’est pas exprimé en français que je ne comprends pas. Changer, c’est-à-dire transformer sa volonté en la Volonté divine? C’est ça que tu veux dire?

Oui.

Eh bien, d’abord, il faut le vouloir.

Après, il faut avoir une grande aspiration. Et puis il faut continuer à le vouloir, et continuer à avoir une aspiration, et ne pas fléchir au moment où l’on a des difficultés, et continuer jusqu’à ce que l’on réussisse. C’est tout. Et alors, il y a un certain nombre de choses qui sont nécessaires comme, par exemple, de ne pas être égoïste, de ne pas avoir une petite mentalité étroite, de ne pas vivre dans ses préférences, de ne pas avoir de désirs, de ne pas avoir d’opinions mentales — beaucoup de choses. C’est un assez long procédé, parce qu’il faut changer sa nature ordinaire. C’est la première condition.

Briser toutes les limites de son mental, briser tous les désirs de son vital, briser toutes les préférences de son physique. Après cela, on peut espérer être en contact avec la Volonté divine; et puis après, il faut non seulement être en contact avec elle, mais vivre intégralement cette Volonté, c’est-à-dire être unifié dans tout son être : ne pas avoir un morceau qui va de ce côté-ci, puis un autre morceau qui va de ce côté-là. Il faut qu’on soit tout entier dans une volonté unique.

Douce Mère, quand nous faisons face à une difficulté, est-ce que cela veut dire que le Divin essaye de nous rendre conscients des défauts de notre nature?

Si on fait face, oui. C’est-à-dire que, dès que l’on est en présence d’une difficulté, si au lieu de céder comme un lâche, on se met à essayer de la vaincre, alors vous pouvez être sûr que le Divin est derrière vous. Mais si vous êtes lâche, le Divin ne sera pas là. C’est-à-dire que votre lâcheté vous coupe du Divin. Mais si vous résistez et que vous voulez vaincre, vous pouvez être sûr que le Divin sera là pour vous aider. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

Mais je voulais savoir — si la difficulté arrive —, si le Divin essaye de nous rendre conscients que nous avons des défauts?

S’Il met des difficultés dans votre chemin exprès? Non. Ce n’est pas Sa manière.

Non, je ne veux pas dire ça. Si une difficulté arrive, est-ce que cela veut dire que le Divin essaye de nous rendre conscients des défauts de notre nature, de nous montrer que nous avons des défauts?

Non, mais réfléchis à ce que tu dis. Si par le fait de la difficulté, tu deviens conscient, n’est-ce pas, cela ne veut pas dire que le Divin a créé la difficulté pour te rendre conscient; et ta question semble dire cela.

Oui.

Mais ce n’est pas vrai. On peut, à un point de vue tout à fait impersonnel, dire que les forces adverses — qui sont naturellement responsables pour toutes les difficultés —, que les forces adverses sont tolérées dans le monde tant qu’elles servent à rendre le monde tout à fait conscient. Ça, c’est vrai. Mais cela me paraît être une manière très humaine de dire, parce que l’on pourrait dire que tant que le monde n’est pas parfaitement conscient, cela permet l’existence de ces forces adverses. C’est-àdire, ça les conditionne. L’inconscience du monde conditionne l’existence de ces forces. Alors, on peut aussi bien dire cela que de dire que les forces sont tolérées tant que le monde est inconscient. Je ne sais pas si tu suis. Ce sont deux manières opposées de dire la même chose, et ni l’une ni l’autre n’est parfaitement vraie. Mais toutes les deux contiennent quelque chose qui est exact, mais qui est en somme assez différent. Et au fond, si on veut dire la chose exactement, on ne peut dire que ceci : « Les choses sont comme ça parce qu’elles sont comme ça. »

Ça, c’est la seule manière de ne pas se tromper. Si tu dis : « Le monde est comme ça parce qu’il est comme ça », là, tu es sûr de dire quelque chose d’à peu près exact — à peu près. Mais si tu essayes d’expliquer, tu verras, n’est-ce pas, un atome dans un monde, et tu prendras cet atome pour explication. Il faudrait que tu donnes toutes les explications et encore beaucoup d’autres pour approcher de la réalité.

C’est ce que je viens de dire, n’est-ce pas : que la mentalité humaine est linéaire dans son action. Elle voit les idées l’une après l’autre. Naturellement, quand on parle, c’est encore dix fois plus... On est obligé de dire un mot après l’autre et ça, ça devient épouvantable. Mais la plupart, la presque totalité des êtres humains, ils pensent en ligne. Ils pensent une chose après l’autre. Ils ne peuvent en penser beaucoup à la fois. Il n’y a que très peu d’individus qui soient capables de penser, par exemple, une vingtaine de choses en même temps. Tu peux essayer, tu verras. Tu les penses l’une après l’autre, l’une après l’autre... la succession peut être très rapide, mais c’est une succession. C’est un tout autre genre de vision et c’est un tout autre fonctionnement, pas du mental mais des puissances intellectuelles, qui peuvent voir les choses dans leur ensemble et toutes en même temps. Mais même quand on les voit comme ça, si l’on veut essayer de les décrire, soit par l’écriture, soit par la parole, on ne peut pas tout mettre en même temps, ni tout dire en même temps; on est obligé d’employer un mot après l’autre, et alors, cela devient nécessairement... cela détruit la vérité de la chose, cela devient une ligne. C’est-à-dire que les choses les plus vraies, on ne peut pas les dire. Tout ce que l’on dit, c’est toujours une diminution de la vérité.

Douce Mère, si cette année est difficile pour nous, alors qu’est-ce qu’il faut faire?

Ce qu’il faut faire?

Être bien sage (rires), bien sage, bien tranquille, bien travailler, être bien obéissant, faire ce qu’on te dit, et être régulier à l’école. (rires) Tout ça, c’est très important.

Si on réussit ces quatorze mois, Mère, alors après ça, ce sera facile, ou ce sera comme à présent? Les difficultés, ce sera plus facile à conquérir?

Ça, mon petit, ça dépend de toi. Si pendant ces quatorze mois tu as fait beaucoup de progrès, tu es devenu très sage et très raisonnable, très conscient et très régulier, après ça, ce sera beaucoup plus facile. Mais si tu as passé ton temps à laisser le temps passer, sans faire de progrès, tu te trouveras dans la même situation où tu es maintenant, pas mieux.

C’est justement une chance donnée à chacun pour faire des progrès. S’il ne s’en sert pas, c’est tant pis pour lui, il restera où il est. Et au lieu d’être un élément conscient dans le monde, il sera un bouchon sur l’eau qui sera ballotté par les circonstances. Et n’importe ce qui arrivera, il sera emporté sans avoir le moindre contrôle sur ce qui se passe. Parce que la première chose pour avoir un contrôle sur les événements, c’est d’être absolument conscient et maître de soi; et je pense que vous êtes assez loin de cette réalisation. Ce qui fait qu’il faut faire de grands efforts pendant tout ce temps pour arriver à devenir un petit peu plus conscient et un peu plus maître de vous-même. Il ne faut pas croire que, tout d’un coup, ce sera un paradis béatifique, où tous vos défauts disparaîtront comme par enchantement. Ce n’est pas comme ça.

Vos défauts disparaîtront si vous faites le nécessaire pour qu’ils disparaissent, pas autrement.

Autrement, vous pourrez continuer dans les années plus faciles avec les mêmes défauts, et vous serez le même petit Madhusudan qui n’aura pas changé.

Voilà, mes enfants, je pense que ça suffit.

Personne n’a rien à dire? Adjugé!

Au revoir.









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