L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1962 Vol. 3 558 pages 1979 Edition   Satprem
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Mother, in her body, emerges into a 'third position' - resembling the quantum world - a 'third cellular position' in which you become incapable of dying because death no longer has any reality.

L’Agenda de Mère 1962

The Mother symbol
The Mother

The course of the year 1962.... the year of the Kennedy-Khrushchev confrontation over Cuba and the first Sino-Indian conflict: "Could it be the first sign of something really.... momentous? It seems to have profoundly disrupted something central." The entire earth is disrupted. It is the year when Mother, in her body, emerges into a "third position", neither life nor death as we know them, but another side of the "web" where the laws of our physics no longer hold, and which strangely resembles the quantum world of Black Holes: time changes, space changes, death changes. Could this be the material place, in the body, where the laws of the world - which exist only in our heads - become inverted and where evolution opens out into an unthinkable body freedom, a third position, that of the next species on earth?.... "The body is beginning to obey another law. The sense of time disappears into a moving immobility.... A mass of infinite force, like pure superelectricity..... An undulating movement of corporeal waves, as vast as the earth.... All the organs have changed, they belong to another rhythm. Such a formidable power, so free! It's something else.... something else! I don't know if I am living or dead.... The nature of my nights is changing, the nature of my days is changing.... The physical vibration is becoming porous.... No more axis - it's gone, vanished! It can go forward, backwards, anywhere at all.... Ubiquity, or something of the sort." And then this cry: "Death is an illusion, illness is an illusion! Life and death are one and the same thing. It's merely a shifting of consciousness. Why, it's fantastic!" And then this simple discovery in the flesh: "The closer you draw to the cell, the more the cell says, 'Ah, but I am immortal!' "A third cellular position in which you become incapable of dying because death no longer has any reality." Has Mother, at the age of 84, discovered another material reality? "There, behind, it's like a fairy tale....Something very beautiful is in preparation, ineffably beautiful - a lovely story that Sri Aurobindo was trying to bring onto earth, and it is sure to come!"

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1962 Editor:   Satprem Vol. 3 558 pages 1979 Edition
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Mother's Agenda 1962 Conversations with Satprem

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janvier




9 janvier 1962

*(Depuis quelques jours, Mère ne se porte pas bien. Elle ne reçoit presque plus personne.)

Tu vas mieux?*

Je crois que oui! (Mère rit) Je ne sais pas

C'est une chose curieuse, ce sont des attaques bizarres qui ne me paraissent pas du tout dépendre de la santé.

C'est une sorte de... décentralisation. N'est-ce pas, pour former un corps, toutes les cellules sont concentrées avec une sorte de force centripète qui les rassemble; alors c'est juste le contraire! c'est comme si il y avait une sorte de force centrifuge qui fait qu'elles se répandent. Et quand ça devient un peu trop, je sors de mon corps, et le résultat extérieur, apparent, je m'évanouis – je ne m'évanouis pas parce que je suis pleinement consciente. Alors ça produit, évidemment, une sorte de désorganisation... bizarre.

Et c'est curieux, il y a une chose curieuse, que pour le moment encore je n'ai pas résolue: ça se produit toujours (ça s'est déjà produit trois fois, ce qui est beaucoup pour moi) le jour où X arrive, dans la nuit qui précède son arrivée.

Oui.

Ah! ça ne t'étonne pas non plus?

Non, j'ai remarqué qu'effectivement il y avait quelque chose qui se déclenchait quand il venait.

La dernière fois, il se trouve qu'il y avait quelqu'un là et que je ne suis pas tombée, alors je ne me suis pas fait mal. Mais cette fois-ci, j'étais toute seule dans ma salle de bains et... évidemment je continuais un phénomène de conscience où j'étais en train de me répandre sur le monde – répandre physiquement, c'est ça qui est curieux! c'est la sensation des cellules. J'avais un mouvement de diffusion qui se faisait de plus en plus intense et rapide, et puis tout d'un coup, je me suis trouvée par terre.

N'est-ce pas, dans mon cabinet de toilette là-haut, il y a un siège, il y a deux petites tables à côté, entre le siège et le mur (pas des tables: des petits tabourets sur lesquels il y a des objets), et une de ces barres de porcelaine sur lesquelles on met des serviettes (heureusement, tout cela avait des coins arrondis). Je me suis trouvée coincée entre le siège et les deux petites tables (c'est large comme ça!) Et alors l’impression était: cette Matière (c'est-à-dire la matière de la table, des objets qui étaient sur la table et du siège de porcelaine), comme tout ça n'est pas réceptif! Ça ne bouge pas comme ça devrait bouger pour que les choses soient confortables (mais il n'y avait pas de corps, ce n'était pas mon corps qui n'était pas confortable: c'était le tout). l’ensemble des objets, des choses, était dans une situation bizarre et absurde, que je ne comprenais pas bien, que je ne m'expliquais pas; c'était comme si on se demandait: «Pourquoi est-ce qu'il y a cette grosse masse là qui tient tant de place et qui fait un encombrement avec tout ça?»

Et puis, j'ai là un petit plateau de plastique dans lequel il y a des crayons, des porte-plumes à pointe, des carnets pour écrire, etc., et alors mon coude était allé s'appuyer sur ce plateau, et évidemment le corps essayait de se relever, il s'appuyait là-dessus; alors ça a commencé à faire du bruit parce que tout s'est cassé (sous le poids du coude, le plateau s'est cassé). Et c'était une conscience diffuse mais très claire, je me disais: «Mais pourquoi? Qu'est-ce que c'est que ce bruit ridicule? Et qu'est-ce que c'est que cette chose lourde qui appuie? – Tout ça, c'est du désordre; ça ne devrait pas être comme cela, c'est du désordre.» Et ça continuait: crac-crac-crac. Alors tout d'un coup, la conscience ordinaire est revenue (c'est-à-dire que c'est la relation ordinaire des consciences qui est revenue, pour être exacte) et j'ai dit: «Eh bien! qu'est-ce que c'est que cette situation ridicule! Pourquoi ce coude est-il en train de s'appuyer là-dessus? Il devrait comprendre que ça casse!» Et puis finalement, c'est revenu tout à fait et j'ai dit à mon corps: «Tu n'es pas idiot, là, qu'est-ce que tu fais là, veux-tu te relever! Allez, marche!» IMédiatement, docile comme un petit enfant, il s'est extrait, il s'est tourné, puis il s'est relevé tout droit, bien droit – j'avais écorché mon genoux, écorché mon coude, donné trois coups à ma tête! Heureusement que tout ça n'était pas pointu (c'était suffisamment dur mais ce n'était pas pointu). Enfin je n'ai rien eu, il n'y avait pas de dommages.

Il n'y avait pas de dommages du tout, mais il y avait une sensation bizarre. Alors j'ai essayé de comprendre, je me suis dit: «Pourquoi est-ce que je perds suffisamment le sens de la relation des choses pour que ça arrive?»... Il y avait longtemps que mon corps me disait comme ça: «Il faudrait que je m'étende, il faudrait que je m'étende.» Je lui répondais très brutalement: «Tu n'as pas le temps.» (Riant) Alors c'est arrivé. Évidemment, si je lui avais obéi, si je m'étais étendue, rien ne serait arrivé. Mais j'étais dans mon expérience, je continuais mon expérience, n'est-ce pas; et puis j'étais en train de me préparer pour descendre. Alors je lui ai dit: «C'est bon, c'est bon, tu t'étendras après.» Et puis il a eu une façon à lui de s'étendre! (Riant) Il s'est étendu là où il était. Mais il n'était même pas étendu, n'est-ce pas, il était tout de travers!

Après, j'ai regardé un peu. Je lui ai dit: «Mais enfin, quoi? Tu n'as pas la force de supporter des expériences, qu'est-ce que c'est que ça! Alors tu ne pourras pas faire le travail.» Il m'a répondu très clairement que je le surmenais. Il me l’a dit, et, derrière, il y avait absolument la volonté de Sri Aurobindo, qui a dit; «C'est du surmenage. On ne fait pas ces deux choses-là en même temps: rester des heures à recevoir les gens et à leur parler, et puis faire des expériences de ce genre. Il faut choisir, ou en tout cas doser mieux.» Alors ma foi, je n'allais pas cesser mes expériences, n'est-ce pas; j'ai profité de cette petite histoire pour me reposer – tu penses, ce n'était rien! Les docteurs disaient: «Le cœur ne marche pas, faire attention», et tout ça. Ils voulaient commencer à me droguer! – Je n'ai qu'à rester tranquille, pas besoin de drogues. Alors je me suis reposée – il fallait bien donner une excuse, j'ai dit que je n'étais pas bien, que j'avais besoin de repos.

Mais là-dessus, il y a eu le retour d'une vieille chose que je croyais avoir guérie et qui, avec le surmenage, est revenue. C'était quelque chose qui était venu avec le surmenage quand j'étais là-bas au Terrain de Jeu et que je me reposais deux heures dans les vingt-quatre, ce qui n'était pas suffisant: une sorte d'ulcère qui s'est formé entre mon nez et ma gorge (une vieille chose qui date de mon enfance, des végétations, mais le système qu'on a employé pour les enlever a laissé une sorte de petite cavité, et cette cavité, qui n'est rien du tout, qui me donnait de temps en temps des rhumes mais ce n'était rien, avec le surmenage était revenue et s'était transformée en une sorte d'ulcère: ça me donnait un rhume artificiel; c'était tellement acide et corrosif que ça me donnait une irritation terrible dans la gorge et le nez). Là-bas, une fois (ça a augmenté beaucoup quand je donnais des leçons au Terrain de Jeu), je l’ai montrée au docteur. Il m'a dit: «Mais vous avez un ulcère! Mais...» Une grande histoire. Il a proposé de me traiter. J'ai dit: «Non, merci! Ne vous faites pas de soucis, ça passera.» Et j'ai commencé mon traitement yoguique. En huit jours, c'était fini. Et pendant trois ans, je n'ai entendu parler de rien. J'avais senti dernièrement (depuis deux, trois mois) que ça essayait de revenir, justement pour la même raison de surmenage; et avec cette aventure de l’autre jour, c'est revenu: ça m'a donné un de ces rhumes imbéciles – on éternue, on tousse. Ce n'est pas encore tout à fait fini. Ce n'est rien du tout, ça me donne seulement une excuse (riant) pour dire aux gens que je ne suis pas encore très bien!

Je me repose.

C'est une solution difficile. Parce que je ne veux pas, à aucun prix, arrêter la discipline (la tapasyâ pour dire les choses exactement). Je ne veux pas. Et les deux, évidemment, c'est trop pour un petit corps idiot. Qui est surtout idiot parce qu'il vit dans la tension.

J'ai eu des expériences intéressantes à ce point de vue-là, ces jours-ci. J'avais ce qu'il est convenu d'appeler la fièvre – ce n'était pas de la fièvre, c'était une remontée à la surface (remontée du subconscient) de toutes les luttes, les tensions que ce corps a eues pendant... quatre-vingt-trois ans bientôt... J'ai eu une période dans ma vie, où la tension était formidable parce qu'elle était morale et vitale en même temps que physique; c'était une lutte perpétuelle contre des forces adverses, et mon séjour au Japon particulièrement, oh! c'était terrible. Alors la nuit, c'était comme si toutes les choses qui avaient participé à cette vie japonaise (les gens, les choses, les mouvements, les circonstances), comme si tout ça, traduit en vibrations vitales, était autour de mon corps, et que tout ce qui est maintenant avait complètement disparu et ça, ça avait pris la place. Pendant des heures la nuit, c'était le corps qui revivait toutes les tensions terribles qu'il a eues pendant ces quatre années du Japon. Et je me suis aperçue, alors, à quel point (parce que sur le moment, on ne fait pas attention, on a la conscience occupée à autre chose, n'est-ce pas; on n'est pas concentré là, sur le corps), à quel point le corps résiste et est tendu. Je me suis aperçue de ce que c'était, et justement en m'en apercevant, j'ai eu une communication avec Sri Aurobindo à ce sujet; il m'a dit: «Mais tu continues! ton corps continue à avoir l’habitude de la tension.» (C'est beaucoup moins naturellement, c'est tout à fait différent puisque la conscience intérieure est dans une paix parfaite, mais le corps a l’habitude de la tension.) Par exemple, ce petit moment entre le moment où je me lève et le moment où je descends au balcon, où je me prépare (je suis obligée de préparer ce corps pour descendre), eh bien, le corps est dans une tension pour être prêt à temps. Et c'est pour ça que c'est à ce moment-là que les accidents arrivent. Alors, le lendemain, j'ai dit: «C'est bon, plus de tension», et je me suis exclusivement occupée à garder mon corps dans une tranquillité parfaite – je n'étais pas plus en retard que les autres jours! Naturellement, bien entendu, c'est une mauvaise habitude du corps. Les choses se sont déroulées de la même façon. Mais ça va mieux depuis ce moment-là. C'est une sale habitude qu'il a.

Et alors j'ai regardé. Je me suis dit: «Est-ce que c'est spécial à ce corps?»... Il donne, à tous les gens qui ont vécu avec lui, l’impression de deux choses: d'une volonté très concentrée, très obstinée, et d'une endurance! – Ça, Sri Aurobindo me disait qu'il n'avait jamais rêvé d'un corps avec une endurance pareille. Et c'est probablement à cause de ça... Mais je ne veux en aucune façon lui enlever cette capacité – c'est une volonté cellulaire, n'est-ce pas, c'est tout à fait curieux, et aussi une endurance cellulaire. Ce n'est pas une volonté centrale et une endurance centrale (ça, c'est tout à fait autre chose, tout à fait différent): c'est cellulaire. Et c'était d'ailleurs pour ça que Sri Aurobindo me disait que ce corps avait été particulièrement préparé et choisi pour faire le Travail – à cause de ça, de sa capacité d'obstination dans l’endurance et dans la volonté. Mais ce n'est pas une raison pour qu'il le fasse inutilement! Alors je veille à ce qu'il se détende; je suis tout le temps à lui dire: «Mais non, laisse-toi aller! Joue un peu, laisse-toi aller, qu'est-ce que ça peut faire!» Je suis obligée de lui dire: «Sois bien tranquille, bien tranquille.» Et à ce moment-là, il est très étonné, il dit: «Ah! on peut vivre comme ça? On peut vivre comme ça, on n'est pas obligé de se presser?»

Alors c'est pour ça, je me repose. Est-ce que je suis mieux, est-ce que je ne suis pas mieux? – Les choses sont toujours les mêmes. Si je recommençais à faire ce que je faisais (ce que je savais tout du long être absolument déraisonnable – ce n'était pas que je ne le savais pas: je savais, j'étais mécontente de le faire parce que je savais que je faisais quelque chose que je ne devais pas faire). Je n'ai pas l’intention de recommencer, mais si j'avais dit: «C'est fini pour de bon», c'aurait été... Si tu savais combien de choses se sont relâchées [dans l’Ashram], oh!... Même comme cela, combien de gens j'attrape par le bout de l’oreille: «Eh bien! il y a huit jours, vous n'auriez pas fait ça.» Oh! rien que cela, c'est une expérience! Pour voir de quoi ça dépend, la soi-disant fidélité des gens.

Il faut les tenir à bout de bras, tout le temps, tout le temps, tout le temps.

Voilà.

Mon petit, j'ai reçu quelque chose que je trouve très bien! (Mère rit et donne au disciple une boîte de... nous ne nous souvenons plus de quoi, peut-être du foie gras.)

De mon côté aussi, il y a eu relâchement...

C'est une nécessité de la substance matérielle.

Mais justement, c'était ma complainte (!) ma plainte, j'ai dit: «Si elle n'est pas capable, cette substance, de ne pas se relâcher, si elle n'est pas capable de résister à ça, si elle a absolument besoin de se détendre, si elle ne peut pas garder la conscience (c'est-à-dire le mouvement de la conscience), si, de temps en temps, ah! ça se relâche, alors comment est-ce qu'on peut supramentaliser ça?»... C'est justement ce que tous les gens ont toujours dit: «Elle ne peut pas tenir la charge, elle a besoin de se relâcher. Elle ne peut pas tenir la charge de l’Énergie.» Et surtout cette Énergie-là, n'est-ce pas, qui donne aux gens l’impression de quelque chose de presque anormal – une Énergie qui fait comme ça (geste inflexible) et qui peut tenir le coup indéfiniment.

Ou quand ça ne fait pas «comme ça», ça casse – on se retrouve entre une table et... et puis par terre tout d'un coup!

Ce doit être ça, parce que c'est une chose qui m'est arrivée relativement souvent dans ma vie, de m'évanouir. Même quand j'étais jeune, j'étais consciente, et il y a eu toute une période où je sortais de mon corps: je le voyais imédiatement, ce corps, toujours dans une position ridicule (naturellement là où il ne devrait pas être!) Alors imédiatement, on se reprécipite dedans et on lui dit: «Allons! qu'est-ce qui te prend!» Alors il se secoue, et puis il recommence à marcher, comme un baudet – on lui a donné une bonne tape, et il recommence.

Mais ce genre de détente n'a jamais été moral chez moi. Et j'ai vu que cette espèce de laisser-aller qu'ont les gens a la même origine: ce n'est pas nécessairement une négligence ou une infirmité vitale, ce n'est pas ça. C'est tout simplement parce que le corps s'essouffle: il supporte, n'est-ce pas, cette tension de l’énergie vitale, alors il s'essouffle, il se fatigue, il a besoin de repos.

C'est «normal» au point de vue de l’organisation actuelle du monde – ce ne devrait pas être normal si on devait réaliser le monde supramental. Il doit évidemment y avoir un changement assez considérable dans la substance. Ce sera probablement ça, la différence essentielle entre ces corps qui sont bâtis à la manière de la Nature et ceux qui seront bâtis à la manière de la connaissance supramentale: il y aura un élément qui fera qu'on ne sera plus naturel. Et tant que cet élément naturel est là, eh bien, probablement, il faut un certain degré de patience – le laisser souffler, autrement ça disloque quelque chose.

Évidemment, on diminue beaucoup l’essoufflement quand on a cette égalité intérieure de la Présence divine. Ce qui fatigue beaucoup, c'est la tension supplémentaire qui vient du désir ou de l’effort, de la lutte, de ce combat constant avec tout ce qui s'oppose. Ça, ça peut s'en aller.

On se fatigue tout à fait inutilement.

(silence)

Dans ce retour en arrière, ces jours derniers, j'ai eu tout d'un coup la révision de la vie que j'avais menée avec Sri Aurobindo... Ce qui m'a aidée, c'est que j'ai lu ces passages de son livre sur moi1 – les lettres qu'il avait écrites sur moi (que je n'avais jamais lues d'ailleurs). Et alors, ça m'a fait revenir cette vie de trente années complètes que j'ai eue avec lui...

Il n'y a pas eu une fois, une lutte, une tension, un effort au point de vue psychologique ou moral – c'était vivre dans une sécurité totale et confiante. Il y avait des attaques dans le plan matériel, mais même ça, c'était lui qui les prenait sur lui. Alors j'ai vu ça, ces trente années de vie comme ça: pas une seconde le sens de la responsabilité, avec tout le travail que je faisais, tout ça, cette organisation. Lui, n'est-ce pas, m'avait censément passé la responsabilité et il se tenait derrière, mais c'était lui qui faisait tout! – Moi, je bougeais, aucune responsabilité. Jamais, pas une minute, je n'ai eu le sentiment de la responsabilité – c'était lui qui l’avait. Et alors c'était...

Les sept premières années, c'était lui qui faisait le travail, ce n'était pas moi. C'était lui qui voyait les gens; moi, je m'occupais simplement de ses affaires, de son ménage à lui, de sa nourriture, de ses vêtements, etc. Je m'occupais de ça, tranquillement, comme ça – ça m'occupait. Et puis je ne faisais rien, je ne voyais pas les gens: j'arrangeais sa vie matérielle – un jeu de petit enfant. C'était une paix intégrale – sept ans.

Après, il s'est retiré, et il m'a mise en avant. Alors l’activité était un peu plus, naturellement, et l’apparence de responsabilité aussi, mais c'était seulement une apparence. Une sécurité! Le sentiment d'une sécurité totale-totale-totale – pendant trente ans. Pas une fois... Il y a eu juste une écorchure, si l’on peut dire, quand il a eu cet accident et qu'il s'est cassé la jambe: c'était une formation (une force adverse) et il ne prenait pas assez de précautions, parce que cette force adverse était dirigée contre nous deux, plus spécialement contre moi (elle avait essayé de me casser la tête une fois, deux fois, des choses de ce genre), et alors lui, était tendu pour empêcher que ça puisse toucher mon corps sérieusement. Et c'est comme ça qu'elle a pu arriver à se glisser et à lui casser la jambe. Ça a été un choc. Et puis, presque tout de suite, il a réarrangé ça – ça s'est réarrangé et ça a été jusqu'au bout.

Et même, c'était si fort que même pendant sa maladie (ça a duré pendant des mois, n'est-ce pas), même pendant cela, c'était le sentiment d'une sécurité parfaite au point que l’idée que cette maladie pouvait le moins du monde affecter vraiment sa vie ne pouvait même pas s'approcher! Je ne voulais pas le croire quand le docteur m'a dit: «C'est fini.» Je ne voulais pas le croire. Et tant que j'étais dans la chambre – tant que j'étais dans la chambre, il ne pouvait pas quitter son corps. Alors c'était une tension terrible en lui: la volonté intérieure qu'il s'en aille, et puis cette espèce de chose qui le tenait là, comme ça, dans son corps, que je savais qu'il était vivant et il ne pouvait pas être autrement que vivant. Il a fallu qu'il fasse un signe pour que j'aille dans ma chambre, censément me reposer (ce que je n'ai pas fait), et dès que j'ai quitté la chambre, il est parti.

Alors ils m'ont rappelée imédiatement. Mais c'était ça. Et c'est quand il est venu comme ça – que j'ai vu que c'était vraiment ça –, quand il est sorti de son corps et qu'il est entré dans le mien (la partie la plus matérielle qui avait affaire à toutes les choses extérieures), et qu'avec ça j'ai compris que j'avais toute la responsabilité de tout le travail et de la sâdhanâ... alors il y a eu une partie de moi que j'ai enfermée (une partie du psychique profond qui vivait dans l’extase de la réalisation, en dehors de toute res-ponsablité, comme ça: le Suprême), ça, je l’ai pris, je l’ai enfermé, je l’ai bouclé, et j'ai dit: «Tu ne bougeras plus jusqu'à ce que... tout le reste soit prêt.»

(silence)

Ça même, c'était un miracle: si je n'avais pas fait ça, je le suivais – n'est-ce pas, il n'y avait personne pour faire l’Œuvre. Je le suivais automatiquement, il n'y avait même pas de décision à prendre. Mais quand il est entré, il m'a dit: «C'est toi qui feras; il fallait que l’un des deux parte: moi je pars, mais c'est toi qui feras.»

Et cette porte n'a été rouverte que dix ans après. C'est-à-dire en 1960. Et encore, avec précaution – ça a été l’une des grosses difficultés l’année dernière.

(silence)

Et c'est seulement ces jours derniers qu'il a été permis à tous ces souvenirs de remonter du subconscient où ils étaient gardés, et que ce même état que j'ai eu pendant trente ans est revenu à la surface – avec cette différence formidable.

Et alors tout d'un coup, je me suis dit: «Comment? Pendant ce temps qu'il était ici, pendant ce temps que nous étions ensemble (pas avant que je revienne du Japon: quand nous étions ensemble), la vie, la vie terrestre a vécu une possibilité divine si merveilleuse, si... n'est-ce pas, si unique, qu'elle n'avait jamais vécue à ce point-là et de cette manière-là, pendant trente années, et elle ne s'en est pas aperçue!»

Ça...

C'est l’expérience de ces jours derniers.

Et alors, à un moment (je ne me souviens plus, il y a quelques jours), je me suis dit: «Comment est-ce possible que des gens aient vécu ici, si près (mais ça arrive toujours), et que sur la terre des êtres humains qui ont une aspiration et qui avaient la conscience tournée vers ces choses ont vécu cette possibilité, qu'ils ont eu cette possibilité à leur disposition, et qu'ils n'ont pas su en profiter! Qu'ici il y a eu cette chose si merveilleusement unique et que les gens en avaient une petite image enfantine, extérieure!»

Et alors, vraiment, j'ai pensé: «Est-ce que vraiment le temps est venu, est-ce possible? Ou est-ce que ce sera encore pour plus tard?»

(silence)

J'ai lu hier soir dans le livre2... Sri Aurobindo écrit à quelqu'un qui lui disait: «Ils ont bien de la chance ceux qui vivent près de la Mère.» Il leur a répondu: «Vous ne savez pas ce que vous dites! Vivre dans la présence physique de la Mère est l’une des choses les plus difficiles.» – Tu te souviens de ça? Je ne savais pas qu'il avait écrit cela, je me suis dit: «Tiens!...» Il disait: «C'est dur de pouvoir rester près d'elle, parce que la différence entre votre conscience physique à tous et sa conscience physique est si colossale...» – C'est ça qui me fatigue. C'est ça qui fatigue mon corps, parce qu'il est habitué à être dans un rythme, un certain rythme universel.

(silence)

Personne ne peut imaginer ce que c'était, ces trente ans que j'ai eus... par delà tous les problèmes, toutes les difficultés – nous avons passé par toutes les difficultés possibles: c'était rien, c'était rien. C'était rien, c'était... comme un grand orchestre harmonieux.

(silence)

Mais... il est évident que pour que la Matière soit prête et capable de cette Transformation, elle doit être sérieusement martelée.

(silence)

Et rien-rien d'imaginable dans l’histoire éternelle de l’univers n'est semblable à ce choc-là: avoir vécu comme une chose quotidienne tout à fait naturelle, évidente (ça ne se pose même pas, ce n'est pas une question), une vie divine parfaite, et puis... tout d'un coup, la base enlevée, matériellement. Alors, qu'on puisse rester là! – On s'en va, tout naturellement: avec la base qui s'en va, on s'en va.

(silence)

Je ne peux pas le blâmer, mon corps. Il est peut-être un peu fatigué, mais il a bien tenu le coup.

Ça a été une de ces grâces, un de ces pouvoirs absolument miraculeux qui a fait ce que j'ai dit, qui a enfermé toute la partie de la conscience qui vivait consciemment ce miracle, qui l’a enfermée, comme ça, cadenassée: «Fermé, bouge plus, pas de manifestation: tu sors du temps et de la Manifestation jusqu'à ce que le reste soit prêt à tenir le coup.»

C'est peut-être ça, plus que tout autre chose, qui faisait que j'avais besoin d'un peu de solitude. C'était pour remettre en activité cette partie de l’être psychique qui était l’intermédiaire individuel entre la Conscience vraie et cette conscience corporelle: ce qui avait vécu ça, savait ça, connaissait ça, connaissait ce miracle merveilleux.

(silence)

La chose vraiment presque miraculeuse, c'est que maintenant même je puisse en parler.


Voilà. Maintenant encore, on n'aura rien fait! Tu as des questions? [sur les Aphorismes]

(Le disciple lit:)

67– Il n'y a pas de péché dans l’homme, mais bon nombre de maladies, une grande ignorance et un mauvais usage de ses possibilités.

68 – Le sens du péché était nécessaire pour que l’homme puisse se dégoûter de ses propres imperfections. C'est le correctif que Dieu apportait à l’égoïsme. Mais l’égoïsme de l’homme déjoue les stratagèmes de Dieu, parce que l’homme s'intéresse médiocrement à ses propres péchés, tandis qu'il observe avec zèle les péchés des autres.

69 – Le péché et la vertu sont un jeu de résistance que nous jouons avec Dieu tandis qu'il fait effort pour nous tirer vers la perfection. Le sens de la vertu nous aide à chérir en secret nos péchés.

Et alors?

Si tu as des commentaires à faire?

Non, la chose qui demande une considération spéciale, pour moi, c'est ça: le sens de la vertu...

...nous aide à chérir en secret nos péchés.

Ça, ce n'est pas facilement accessible à la pensée humaine ordinaire.

Nous aide à chérir en secret le sens du péché...

Mais toi, tu as trouvé une question?

Ça n'a pas un rapport imédiat. Si tu as quelque chose à dire...

Cela tourne toujours autour de la même chose, mais ici c'est présenté d'une façon très subtile.
Chérir en secret le sens du péché... Non, ce n'est pas une expérience que j'ai eue, en ce sens que je n'ai pas eu d'une façon très prononcée cet amour de la vertu.

Justement, l’une des choses dont je me suis aperçue, c'est que, toute petite, j'avais déjà cette conscience de ce que Sri Aurobindo appelle «vivre divinement», c'est-à-dire en dehors de ce sens du Bien et du Mal.

C'était compensé par un censeur terrible qui ne m'a jamais quittée.3 C'est seulement Sri Aurobindo qui l’a écarté de mon chemin. Mais je n'avais pas le sens du péché, du Bien et du Mal, du péché et de la vertu – surtout pas ça, surtout pas ça! Plutôt, ma conscience était centrée autour de right action and wrong action, c'est-à-dire «ça n'aurait pas dû être fait, ça aurait dû être fait», sans Bien et Mal, au point de vue travail, action, dans l’action – ma conscience a toujours été centrée sur l’action. C'était la vision de la perfection de la ligne à suivre, ou de toutes les lignes à suivre, pour que l’action s'accomplisse. Et alors, chaque fois qu'il y avait quelque chose qui était une déviation de ce qui me paraissait la ligne lumineuse, la ligne droite (pas droite au sens géométrique: la ligne lumineuse, la ligne qui est l’expression de la Volonté divine), une toute-toute petite déviation de ça, oh! c'était... c'était la seule chose qui me tourmentait.

Et le tourment ne venait pas de moi: le tourment venait de cet individu-là qui était agrippé à ma conscience et qui me fouettait, me talonnait, me maltraitait, tout le temps – ce que les gens appellent généralement «la conscience», mais ça n'a rien à voir avec la conscience! C'est un être adverse, c'est-à-dire qu'il change en mauvais tout ce qu'il peut changer. Tout ce qui est susceptible d'être changé en contraire au Divin, il le change. Et alors tout le temps il répète: «Ça, c'est contraire, ça c'est contraire, ça c'est contraire...»

Mais c'était la seule chose. Jamais-jamais l’idée qu'on est vertueux ou l’idée qu'on est un pécheur – jamais, jamais. Ce n'est pas ça: c'est faire la vraie chose ou ne pas faire la vraie chose. C'est tout. Pas que l’on est vertueux, pécheur – rien-rien de tout ça! Je n'ai jamais eu ce sens-là, jamais.

Alors j'ai de la difficulté à attraper le sentiment que Sri Aurobindo décrit ici [«chérir en secret le péché»], ça ne correspond pas à quelque chose en moi. Je comprends bien, n'est-ce pas! Je comprends très bien ce qu'il veut dire, mais attraper ce sentiment-là...4

Mais dis-moi ce que tu voulais dire?

En somme, dans ces derniers Aphorismes, Sri Aurobindo essaye bien de nous montrer au'il faut aller au-delà du sens du péché et de la vertu, évidemment. Ça m'a rappelé un passage d'une de tes expériences qui m'avait beaucoup frappé à l’époque: cette expérience où tu es allée dans le monde supramental, tu as vu ce «bateau» qui débarquait au rivage du monde supramental, les gens à qui on faisait passer des épreuves – certains qui étaient rejetés et d'autres qui étaient gardés. Tu as raconté cette expérience et il y a un passage qui m'a frappé et qui a un rapport avec ces Aphorismes... Est-ce que je peux te lire ce que tu as dit?5

Oui, je ne me souviens plus.

Après avoir décrit ce bateau et le débarquement, tu dis:

«Le point de vue, le jugement [pour passer les épreuves] était basé exclusivement d'après la substance qui constituait les gens, c'est-à-dire s'ils appartenaient complètement au monde supramental, s'ils étaient faits de cette substance si particulière. Le point de vue adopté n'est ni moral ni psychologique. Il est probable que la substance dont leur corps était fait était le résultat d'une loi intérieure ou d'un mouvement intérieur qui, à ce moment-là, n'était pas en question. Du moins, il est tout à fait clair que les valeurs sont différentes...»

Tu ajoutes encore:

«J'avais alors l’impression (une impression qui est restée pendant assez longtemps) d'une certaine relativité – pas exactement: l’impression que la relation entre ce monde-ci et l’autre changeait complètement le point de vue d'après lequel les choses doivent être évaluées ou appréciées...»

Oui, oui!

«Ce point de vue n'avait rien de mental et il donnait un sentiment intérieur, étrange, que quantité de choses que nous considérons comme bonnes ou mauvaises ne le sont pas réellement. Il était clair que tout dépendait de la CAPACITÉ des choses, de leur APTITUDE à traduire le monde supramental ou à être en relation avec lui. C'était si complètement différent, parfois même si contraire à notre appréciation ordinaire!»

Oui.

Tu continues encore:

«Chez les gens aussi, j'ai vu que ce qui les aide à devenir supramental ou les en empêche est très différent de ce qu'imaginent nos notions morales habituelles.»

Oui-oui. Oui.

Alors j'avais envie de te demander: si ce ne sont pas des notions morales, quelle est la capacité ou la qualité qui nous aide à marcher vers le Supramental? Quel est ce point de vue tout différent?

Ce sont justement toutes les choses que j'ai regardées et étudiées ces jours-ci. Alors je te dirai ça la prochaine fois.

Ça m'a beaucoup frappé à l’époque.

Et ça ne m'a jamais quittée. Depuis, ma vision des choses est restée la même. Seulement il faut que je traduise ça pour le rendre intelligible.

Je te vois le douze.

Alors le 12, je te dirai. Je vais voir comment l’exprimer.

Petit, (riant) tu as du fromage? Tu as tout ce qu'il faut? Il faut bien te porter!

12 janvier 1962

(Note de Mère au disciple à propos de sa question du 9 janvier sur les capacités requises pour accéder au monde supramental:)

Capacité d'élargissement indéfini
de la conscience
sur tous les plans
y compris le matériel.

Plasticité illimitée
pour pouvoir suivre
le mouvement du devenir.

Égalité parfaite
abolissant toute possibilité
de réaction d'ego.

12 janvier 1962

(À propos de la dernière question du disciple sur l’expérience du «bateau supramental»:)

Petit, tu as reçu mon mot?

Il y a un endroit où j'ai parlé un peu de ça: tu te souviens de ce monsieur de Madras qui avait posé une question’?...1 Là, il y avait une indication.

Parce que j'ai suivi le fil, je me suis remise en contact avec l’expérience – l’expérience du bateau supramental – et je me suis aperçue que ça avait eu une action DÉCISIVE dans la position; cette expérience avait établi d'une façon absolument claire, précise, définitive, les conditions requises. À ce point de vue, c'était intéressant.

Une fois pour toutes, ça a balayé toutes les notions non seulement de la moralité ordinaire mais tout ce que l’on considère ici, dans l’Inde, comme nécessaire à la vie spirituelle. À ce point de vue, c'était très instructif. Et d'abord, cette espèce de soi-disant pureté ascétique. La pureté ascétique, c'est tout simplement le rejet de tous les mouvements du vital – au lieu de prendre ces mouvements et de les tourner vers le Divin, c'est-à-dire de voir en eux la Présence suprême (et justement de laisser le Suprême y agir librement), on Lui dit (riant): «Non, ça ne Te regarde pas! Tu n'as pas le droit d'entrer là-dedans.»

Le physique, c'est une vieille affaire, on le sait – depuis toujours les ascètes l’ont rejeté; mais on y ajoutait le vital. Et tous ici sont comme cela, même... (maintenant peut-être que X change un peu, mais au début il était comme cela aussi). Il n'y avait que les choses classiquement reconnues comme sacrées ou admises par la tradition religieuse, comme par exemple la sainteté du mariage et les choses de ce genre, que l’on acceptait, mais la vie libre, holà! c'était incompatible avec toute vie religieuse.

Alors tout ça a été complètement balayé, une fois pour toutes.

Ce n'est pas pour dire que ce qui est demandé est plus facile! C'est probablement beaucoup plus difficile.

D'abord, au point de vue psychologique, il faut la condition dont j'ai parlé dans ma réponse à cet homme [histoire du cerf]: c'est l’égalité parfaite. Ça, c'est une condition AB-SO-LUE. J'ai observé depuis ce moment-là, pendant des années, qu'aucune vibration supramentale ne se transmet, excepté dans cette égalité parfaite. S'il y a la moindre contradiction de cette égalité (en fait, le moindre mouvement d'ego, de la préférence de l’ego), ça ne passe pas, ça ne se transmet pas. Ce qui fait déjà une assez grosse difficulté.

En plus de cela, il y a deux conditions qui, pour que la réalisation puisse être totale, ne sont pas faciles. Parce que ce sont des choses qui ne sont pas très difficiles au point de vue intellectuel (je ne parle pas ici de n'importe qui: je parle de ceux qui ont fait un yoga et qui ont suivi une discipline), c'est relativement facile; au point de vue psychologique aussi, si on y associe cette égalité, ce n'est pas très difficile. Mais dès qu'on arrive au plan matériel, c'est-à-dire physique, puis corporel, ce n'est pas facile. Les deux conditions sont celles-ci: d'abord, un pouvoir d'expansion, d'élargissement pour ainsi dire indéfini, de sorte que l’on puisse s'élargir à la dimension de la conscience supramentale, qui est totale. La conscience supramentale, c'est celle du Suprême dans sa totalité – «sa totalité», je veux dire le Suprême dans son aspect de Manifestation. Naturellement, au point de vue supérieur de l’essence (l’essence de ce qui devient le Supramental dans la Manifestation), il faut une capacité d'identification totale avec le Suprême non seulement sous son aspect de Manifestation mais sous son aspect statique ou nirvanique, en dehors de la Manifestation: le Non-être. Mais en plus de cela, il faut être capable de s'identifier au Suprême dans le Devenir. Et ça, ça implique ces deux choses: un élargissement au moins indéfini, qui doit être en même temps une plasticité totale afin de pouvoir suivre le Suprême dans son Devenir – ce n'est pas «à un moment donné» qu'il faut être aussi vaste que l’univers, c'est indéfiniment dans le Devenir. Ce sont les deux conditions. Il faut qu'elles soient là, potentielles.

Jusqu'au vital, c'est encore dans le domaine des choses plus que faisables – faites. Au point de vue matériel, ça conduit à mes mésaventures de l’autre jour.2

Et même en acceptant a priori toutes ces mésaventures, c'est difficile, parce qu'il y a un double mouvement: une transformation cellulaire, et en même temps une capacité de «quelque chose» qui pourrait remplacer l’accroissement par un déplacement ou une réorganisation intercellulaire constante.3 Naturellement, nos corps tels qu'ils sont, c'est quelque chose de fixe, de lourd – enfin, c'est innommable tel que c'est, autrement on ne vieillirait pas. N'est-ce pas, mon être vital est plus plein d'énergie, et par conséquent de jeunesse, de pouvoir de croissance, que quand j'avais vingt ans. Il n'y a pas de comparaison. Le pouvoir est infiniment supérieur – et le corps s'en va en morceaux, enfin c'est une espèce de chose innommable. Par conséquent, c'est cet ajustement entre l’être vital et l’être matériel qui est à trouver.

Non pas que le problème n'ait pas été partiellement résolu, parce que les hathayogis l’ont résolu, partiellement – à condition de ne s'occuper que de ça (c'est ça, la difficulté). Mais enfin il faudrait avoir le pouvoir, ayant la connaissance, de faire le nécessaire sans que ce soit une occupation exclusive. Mais il est évident que ce n'est pas un domaine tout à fait inconnu parce que quand je me suis retirée,4 pendant les premiers mois où j'avais cessé tout rapport avec l’extérieur, ça marchait très bien – oh! extraordinairement. J'avais des quantités de troubles dans mon corps, qui ont été surmontés, et il y avait beaucoup d'indications assez précises que si je continuais assez longtemps, je rattraperais tout ce qui avait été perdu, avec amélioration d'équilibre. C'est-à-dire que l’équilibre du fonctionnement était très supérieur. Ça ne s'est arrêté et ne s'est détérioré que de la minute où je suis rentrée en contact avec le monde – d'autant plus que c'était aggravé par cette discipline d'élargissement qui fait que constamment, constamment j'absorbe des montagnes de difficultés à résoudre. Et alors...

Au point de vue mental, c'est assez facile – en cinq minutes on peut remettre les choses en ordre, ce n'est pas difficile. Au point de vue vital, c'est déjà un peu plus ennuyeux, ça prend un peu plus de temps. Mais alors, au point de vue matériel, ça... C'est cette contagion du mauvais fonctionnement cellulaire et cette sorte de désorganisation intérieure des choses qui ne restent pas à la place qu'il faut: chaque absorption du dehors crée instantanément un désordre, déplace tout et fait des rapports faux, disloque l’organisation, et il faut quelquefois des heures pour remettre ça en place. Ce qui fait que si je voulais vraiment utiliser la possibilité du corps sans me trouver en face de la nécessité d'en changer parce qu'il ne peut pas suivre, il faudrait vraiment que, matériellement, autant que possible, je cesse d'ingurgiter toutes sortes de choses qui me tirent d'années en arrière.

C'est difficile, difficile.

Tant qu'il n'est pas question de transformation physique, le point de vue psychologique et (en grande partie) subjectif est suffisant. Ça, c'est relativement facile. Mais quand il s'agit d'incorporer dans le travail la Matière telle qu'elle est dans ce monde où le point de départ lui-même est faux (nous partons de l’Inconscience et de l’Ignorance), ça, c'est très difficile. Parce que, justement, cette Matière, afin d'arriver à l’individualisation nécessaire pour retrouver la Conscience perdue, elle a été faite avec une certaine fixité indispensable pour faire durer la forme et pour garder, précisément, cette possibilité d'individualité. Et c'est ça, le principal obstacle à cet élargissement et à cette plasticité, à cette souplesse nécessaire pour être capable de recevoir le Supramental. Je me trouve constamment devant ce problème, qui est un problème tout à fait concret, absolument matériel, quand on a affaire à ces cellules et qu'il faut qu'elles restent des cellules, qu'elles ne se vaporisent pas dans une réalité qui n'est plus physique, et en même temps qu'elles aient cette souplesse, ce manque de fixité qui fait qu'elles peuvent s'élargir indéfiniment.

Il m'est arrivé, quand je faisais le travail dans le mental le plus matériel (le mental qui est incorporé dans la substance) d'avoir l’impression d'un cerveau qui gonfle-gonfle-gonfle, comme ça, et d'une tête qui va éclater tellement elle est grosse! Il m'est arrivé, deux fois, d'être obligée d'arrêter, parce que c'était (est-ce que c'était seulement une impression, ou est-ce que c'était un fait?) mais ça paraissait dangereux, comme si la tête allait éclater, parce que le dedans devenait trop formidable (c'était ce pouvoir dans la Matière, cette lumière bleu foncé tellement puissante, qui a des vibrations tellement puissantes, qui est capable de guérir, par exemple, qui est capable de changer le fonctionnement des organes – c'est vraiment une chose très puissante matériellement). Eh bien, c'était ça qui remplissait ma tête de plus en plus, de plus en plus, et j'avais l’impression que le crâne était – c'était douloureux n'est-ce pas –, que le crâne était soumis à une tension du dedans au dehors qui poussait-poussait tout ça... Je me demandais ce qui allait arriver. Alors, au lieu de suivre le mouvement, de l’aider et de l’accompagner, je devenais immobile, passive, pour voir ce qui arriverait, et dans les deux cas ça s'est arrêté; je n'aidais plus le mouvement, n'est-ce pas, je restais tout simplement passive, et ça s'est arrêté, il y a eu une sorte de stabilisation.

(silence)

Mais Sri Aurobindo a dû avoir l’expérience [de cet élargissement cellulaire], parce qu'il a été tout à fait positif, il a dit que ça pouvait se faire.

Naturellement, il s'agit de la supramentalisation de la matière – la conscience, ce n'est rien. La plupart des gens qui ont eu cette expérience, c'était dans le mental – ça, c'est relativement très facile. Très facile: suppression des limites de l’ego, élargissement indéfini, et le mouvement qui suit le rythme du Devenir. Tout ça, mentalement, c'est très facile. Vitalement... Au bout de quelques mois quand je me suis retirée, j'ai eu l’expérience au point de vue vital – c'était magnifique, merveilleux! Là, naturellement, pour pouvoir avoir l’expérience, il faut que le mental soit changé, il faut être en pleine communion, et tout-tout vital individuel pas préparé par ce qu'on pourrait appeler une base mentale suffisante serait pris de panique – tous ces pauvres gens qui ont peur pour n'importe quelle petite expérience, il ne faut pas qu'ils y touchent, ce serait pour eux quelque chose d'affolant! Mais il se trouve, par la Grâce divine si l’on peut dire, que ce vital actuel, de cette présente incarnation, est né libre et victorieux. Il n'a jamais eu peur de rien dans le monde vital; les expériences les plus fantastiques étaient presque comme des jeux d'enfants. Mais alors là, quand j'ai eu l’expérience, c'était vraiment intéressant, au point que j'ai eu pendant quelques semaines la tentation de rester là, c'était... Je t'avais dit, une fois, un petit bout d'expérience (il y a longtemps, il y a au moins deux ans), je t'ai dit5 que même dans la journée, c'était comme si j'étais assise sur la Terre – c'était cette réalisation dans le monde vital. Mais alors ça me faisait des nuits fantastiques! que je n'ai jamais pu décrire à personne, je n'en ai pas parlé, mais j'attendais la nuit comme on attend une chose merveilleuse.

J'y ai renoncé volontairement, pour aller plus loin. Et c'est même quand j'ai fait ça que j'ai compris ce qu'ils veulent dire ici quand ils disent: he surrendered his experience [il a fait le sacrifice de son expérience]. Je n'avais jamais très bien compris en quoi ça consistait. Quand je l’ai fait, j'ai compris. J'ai dit: «Non, je ne veux pas m'arrêter là; je Te donne tout pour aller jusqu'au bout.» Alors j'ai compris ce que ça voulait dire.

Si j'avais gardé ça, oh!... je serais devenue un de ces phénomènes mondiaux! qui bouleversent l’histoire de la Terre. Un pouvoir formidable! Formidable, insensé. Seulement, c'était s'arrêter là. C'était accepter ça comme point final – j'ai continué.6

Voilà. Alors qu'est-ce que je peux te dire d'intéressant, parce que tout ce que je t'ai dit maintenant, c'est un mélange dont les trois quarts ne peuvent pas servir.

Mais douce Mère...

Ce n'est pas dit avec l’idée d'écrire un article!

Quand tu m'as envoyé ce mot7 et que je l’ai lu, alors imédiatement, en m'accrochant à l’expérience, les choses sont devenues claires. Je te les ai dites comme on peut les dire...

(silence)

Les gens qui étaient dans ce bateau, ce qu'ils avaient, c'étaient ces deux capacités-là: 1) Capacité d'élargissement indéfini de la conscience sur tous les plans, y compris le matériel. 2) Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du Devenir.

La chose se passait dans le physique subtil. Et les gens qui avaient des taches et qu'on était obligé de reprendre étaient toujours ceux qui manquaient de la plasticité nécessaire pour les deux mouvements. Mais il s'agissait surtout du mouvement d'élargissement plus que du mouvement de progression pour suivre le Devenir – ça, ça paraissait être une préoccupation ultérieure, pour ceux qui étaient débarqués, après le débarquement. Mais la préparation sur le bateau, c'était cette capacité d'élargissement.

Il y avait une chose aussi dont je n'ai pas parlé quand je t'ai raconté l’expérience: le bateau n'avait pas de machines. Tout, tout était mis en mouvement par la volonté: les individus et les choses (le costume même des gens était un effet de leur volonté8). Et ça donnait à toutes les choses et aux formes des individus une grande souplesse, parce qu'on était conscient de cette volonté – qui n'est pas une volonté mentale, qui est une volonté du Soi, ou une volonté spirituelle pourrait-on dire, une volonté de l’âme (si on donne au mot âme ce sens-là). C'est une expérience que j'ai faite ici quand on agit avec une spontanéité absolue, c'est-à-dire quand l’action (comme la parole et le mouvement) n'est pas déterminée par le mental, même pas (je ne parle pas de la pensée et de l’intellect) mais même pas par le mental qui nous fait mouvoir généralement. Généralement, nous percevons en nous la volonté de faire une chose au moment où nous la faisons; quand on s'observe, on voit ça: il y a toujours (ce peut être très prompt) la volonté de faire; quand on est conscient et qu'on se regarde faire, on voit qu'on a la volonté de faire – c'est l’intervention du mental, l’intervention habituelle, l’ordre dans lequel les choses se passent. Tandis que l’action supra-mentale est décidée en sautant par-dessus le mental; passer par lui n'est pas nécessaire: c'est direct. Quelque chose entre en contact direct avec les centres vitaux et les fait agir sans passer par la pensée – mais en toute conscience. La conscience ne fonctionne pas dans l’ordre habituel, elle fonctionne directement du centre de volonté spirituelle à la Matière.

Et tant qu'on peut garder cette immobilité absolue du mental, l’inspiration est absolument pure – elle vient pure. Quand on peut attraper ça et le garder en parlant, ce qui vient aussi n'est pas mélangé, ça reste pur.

C'est un fonctionnement extrêmement délicat, probablement parce qu'il n'est pas accoutumé – un tout petit mouvement, une toute petite vibration mentale dérange tout. Mais tant que ça dure, c'est parfaitement pur. Et c'est ça qui doit être l’état constant d'une vie supramentalisée. La volonté mentalisée ne doit plus intervenir – parce qu'on peut très bien avoir une volonté spirituelle, on peut vivre constamment en exprimant la volonté spirituelle (tous ceux qui sentent qu'ils sont dirigés par le Divin en eux, c'est ce qui leur arrive), mais ça passe par une transcription mentale. Eh bien, tant que c'est ça, ce n'est pas la vie supramentale. La vie supramentale ne passe PLUS par le mental. Le mental est une zone immobile de transmission. Un tout petit déclic suffit à déranger.

(silence)

On peut donc dire que l’état constant, nécessaire, pour que le Supramental puisse s'exprimer à travers une conscience terrestre, c'est cette égalité parfaite qui provient de l’identification spirituelle avec le Suprême: tout devient le Suprême dans une égalité parfaite. Et automatique: pas une égalité qu'on obtient par la volonté consciente, par l’effort intellectuel, par une compréhension qui précède l’état – ce n'est pas ça. Il faut que ce soit spontané et automatique, que la façon de répondre à tout ce qui vient du dehors ne soit plus comme si on répondait à quelque chose qui vient du dehors. Il faut que cette espèce de réception et de réponse soient remplacées par un état de perception constant et (je ne peux pas dire identique parce que chaque chose appelle nécessairement sa réponse spéciale), mais on pourrait presque dire libre de tout rebondissement. C'est la différence qu'il y a entre quelque chose qui vient du dehors et qui vous frappe, et à quoi vous répondez, et quelque chose qui circule et qui tout naturellement entraîne les vibrations nécessaires à l’action générale – je ne sais pas si je me fais comprendre... C'est la différence entre un mouvement vibratoire qui circule dans un champ d'action IDENTIQUE, et un mouvement qui vient de quelque chose en dehors et qui touche du dehors, et qui obtient une réponse (ça, c'est l’état habituel de la conscience humaine). Tandis que quand la conscience est identifiée au Suprême, les mouvements sont pour ainsi dire intérieurs, en ce sens qu'il n'y a rien qui vienne du dehors: ce sont seulement des choses qui circulent et qui, naturellement, dans leur circulation, entraînent par similitude et par nécessité, ou changent les vibrations dans le milieu circulatoire.

C'est une chose qui m'est très familière parce que c'est mon état actuel constant – je n'ai jamais l’impression de quelque chose qui vient du dehors et qui me cogne, mais j'ai l’impression de mouvements intérieurs, multiples, quelquefois contradictoires, et d'une circulation constante entraînant les changements intérieurs nécessaires au mouvement.

Ça, c'est la base indispensable.

C'est une expérience qui est là depuis très longtemps et qui est maintenant tout à fait établie. Dans le temps, elle était momentanée, maintenant elle est constante.

C'est la base indispensable.

Et là-dedans, l’élargissement suit presque automatiquement, avec des nécessités d'ajustement dans le corps lui-même, qui sont difficiles à résoudre. C'est un problème dans lequel je suis encore complètement plongée.

Et puis cette espèce de souplesse... C'est une capacité de se décristalliser – toute, toute la période de la vie qui consiste à s'individualiser est une période de cristallisation consciente et volontaire qui, après, doit être défaite. Pour devenir un être conscient et individuel, c'est une cristallisation constante-constante, et volontaire, de toutes choses; et après, il faut faire le mouvement contraire, constamment, et aussi, encore plus, volontairement. Et en même temps, il ne faut pas perdre le bénéfice, dans la conscience, de ce qui a été acquis par l’individualisation.

Il faut dire que c'est difficile.

Au point de vue de la pensée, c'est élémentaire, c'est très facile. Même au point de vue des sentiments, ce n'est pas difficile: que le cœur, c'est-à-dire l’être affectif, s'élargisse à la dimension du Suprême, c'est relativement facile. Mais ce corps! C'est très difficile – très difficile sans qu'il perde son centre (comment dire?) de coagulation, qu'il ne se dissolve pas dans la masse environnante. Et encore, si on était dans un lieu de la Nature avec des montagnes, des forêts, des rivières, et puis beaucoup d'espace et beaucoup de beauté naturelle, ce serait plutôt agréable! Mais on ne peut pas faire un pas matériellement, hors de son corps, sans rencontrer des choses pénibles – il arrive quelquefois qu'on soit en contact avec une substance qui est plaisante, qui est harmonieuse, chaleureuse, qui vibre d'une lumière supérieure. Mais c'est rare. Oui, les fleurs, quelquefois les fleurs – quelquefois, pas toujours. Mais ce monde matériel, oh!... on est cogné par tout – griffé; griffé, écorché, cogné par toutes sortes de choses qui ne s'épanouissent pas, oh! comme c'est difficile! comme la vie humaine n'est pas épanouie! recroquevillée, durcie, sans lumière, sans chaleur, et je ne parle pas de joie.

Tandis que, quelquefois, quand on voit de l’eau qui coule, ou un rayon de soleil dans les arbres, oh! ça chante – des cellules qui chantent, qui sont contentes.

Voilà, mon petit. C'est tout ce que je peux te dire. Si tu peux faire quelque chose de ça... Mais l’expérience est nouvelle. Elle est intéressante, n'est-ce pas? Je suis obligée de le mettre sous forme d'expérience parce que ça n'existe pas autrement – ça n'existe que comme ça.

Tu le feras aussi peu personnel que possible!

Tu as besoin de ce machin? [La note de Mère au disciple]

Alors, voilà ton papier – ce n'est rien, c'est une notation intellectuelle.

(Plus tard, au moment de partir:)

Si nous allons sur ce chemin-là, évidemment on pourra faire des choses qui valent la peine, parce que c'est nouveau. C'est tout à fait nouveau, je n'ai jamais parlé de ça avec Sri Aurobindo, parce que je n'avais pas ces expériences-là à ce moment-là; j'avais toutes les expériences psychologiques à partir du mental, même le plus matériel, du vital ou de la conscience physique: la CONSCIENCE physique, mais pas le corps. Ça, c'est nouveau, c'est depuis trois ou quatre ans.

Tout le reste est facile. Tout le reste jusque là, c'est arrangé – arrangé très bien.

On serait tenté évidemment de penser que si la difficulté de la transformation physique est si grande, est-ce qu'il n'y aurait pas avantage à «matérialiser» quelque chose, à agir occultement? À créer un corps nouveau par des procédés occultes?

C'était ça, l’idée: il faudrait d'abord que des êtres soient arrivés jusqu'à une certaine réalisation ici, dans le monde physique, qui leur donnerait le pouvoir de matérialiser un être supramental.

Je t'ai raconté que j'avais revêtu d'un corps un être du vital9 – mais je n'aurais pu, il aurait été impossible de rendre ce corps matériel: il manque quelque chose. Il manque quelque chose. Même si on le rendait visible, probablement on ne pourrait pas le garder permanent: à la moindre occasion il se dématérialiserait. C'est cette permanence qu'on ne peut pas obtenir.

C'est une chose dont nous avons discuté avec Sri Aurobindo («discuter» est une façon de parler), nous en avons parlé avec Sri Aurobindo, et il voyait la chose comme moi, c'est-à-dire qu'il y a un pouvoir, oui, de FIXER la forme, là, sur la Terre, que l’on n'a pas. Même ceux qui ont des capacités de matérialisation, comme l’avait Mme Théon, par exemple, ça ne reste pas – ça ne peut pas, ça ne peut pas rester, ça n'a pas la vertu des choses physiques.

Et alors on ne pourrait pas assurer la continuité de la création sans quelque chose qui possède ça.

Oui, on pourrait dire cela, parce que c'est intéressant. On pourrait se poser la question.

Tout le processus occulte, je le connaissais en détail, mais je n'aurais jamais pu le rendre plus matériel, même si j'avais essayé – visible, oui, mais impermanent, pas capable de progression.

Et note que (c'est une chose tout à fait personnelle) je ne crois pas avoir perdu du temps, parce que, n'est-ce pas, on pourrait dire que si ce que je sais maintenant était arrivé, par exemple, quarante ans plus tôt – à quarante ans au lieu de quatre-vingt –, alors on a l’impression qu'on a du temps. Mais je n'ai pas perdu de temps. Je n'ai pas perdu de temps, il a fallu tout ce temps pour en arriver où j'en suis.

Je ne crois pas que je sois allée lentement – j'ai eu les conditions les plus merveilleuses, comme je te l’ai dit la dernière fois, ces trente ans avec Sri Aurobindo, les plus merveilleuses conditions qu'on pouvait avoir. Je n'ai pas perdu mon temps, oh! c'était heure par heure.

C'est un long travail.

Lui, disait qu'il fallait au moins trois cents ans, alors il n'y a pas de temps perdu.

Il faut déjà donner au corps quelque chose qui lui permette de durer trois cents ans.

15 janvier 1962

(Desc: Il existe un enregistrement de cette conversation.)

La dernière fois, tu as parlé de cet être du vital que tu avais revêtu d'un corps, est-ce qu'il vit toujours? Qui était-ce?

J'en ai déjà parlé.

J'ai raconté l’histoire de la révolution de Chine, et que cet être m'a quittée en disant... C'était juste cinq ans avant la révolution chinoise. Je l’ai raconté.

Je sais que je l’ai raconté – ça n'a jamais été noté.

Je dictais. Théon m'avait appris à parler en transe (c'est-à-dire qu'il avait appris à mon corps à s'exprimer) et je lui disais tout ce que je faisais à mesure que je le faisais. Et il ne l’a jamais noté – je crois que c'était exprès, il ne voulait pas faire de révélations. Alors c'est complètement perdu. Mais si tout cela avait été noté, heure par heure, minute par minute, on aurait eu un document scientifique au point de vue occulte, extraordinaire! Il n'a jamais noté.

Mais cet être du vital revêtu d'un corps, il a vécu sur la terre pendant un certain temps?

Non, jamais.

Jamais?

Il s'est arrêté au physique subtil – lui-même a refusé d'aller plus loin. C'était Satan, c'est-à-dire l’Asoura de la Lumière qui était tombé dans l’Inconscience et l’Obscurité en se coupant du Suprême (j'ai raconté cette histoire bien des fois). Mais alors, quand j'étais avec Théon, je l’ai évoqué et je lui ai demandé s'il voulait entrer en rapport avec la terre (il faut dire que Théon lui-même était une incarnation du Seigneur de la Mort – j'ai eu une bonne compagnie dans ma vie! – et l’autre [Richard] était une incarnation du Seigneur du Mensonge, mais c'était seulement partiel; Théon aussi, c'était partiel). Tandis que le premier [Satan, l’Asoura de la Lumière], c'était l’être central – naturellement, il avait des millions d'émanations dans le monde, mais c'était l’être central lui-même. Les autres... ce sera pour une autre fois.

Il a accepté d'être revêtu d'un corps. Théon voulait le garder avec lui et il m'a dit: «Vous ne lui permettrez pas de s'en aller.» Je n'ai pas répondu. Cet être m'a dit qu'il ne voulait pas être plus matériel que cela, mais que c'était suffisant – on le sentait passer comme un courant d'air; c'était matériel à ce point-là.

Et il a dit qu'il préparerait la révolution en Chine. Il m'a dit: «Je vais aller organiser une société secrète pour préparer la révolution en Chine. Et notez (il y avait la date, qu'il donnait): exactement dans cinq ans, ça se produira.»

Je l’ai noté. Et exactement cinq ans après, c'est arrivé. Et j'ai vu des gens qui sont venus de Chine après, et qui m'ont dit que tout a été fait par une société secrète, qui avait un certain signe, et on me l’a dit parce que, instinctivement, quand cette personne était là et qu'elle me parlait, j'ai fait le signe, que je ne connaissais pas (Mère met ses deux poings l’un sur l’autre). Alors cette personne m'a dit: «Ah! vous en êtes.» Je n'ai rien répondu. Alors elle m'a tout raconté.

Mais ça, n'est-ce pas, c'est une chose vraiment intéressante parce que la date exacte y était. Il m'a dit: «Exactement dans cinq ans, la révolution se produira» (il savait avant de partir). Et il a dit: «Ce sera ça, le commencement, le premier mouvement terrestre annonçant la transformation de...» (Théon n'employait pas le mot «supramental» mais il disait «le monde nouveau sur la terre»1).

Mais ça, je l’avais noté.

J'ai même oublié tout cela entre-temps, parce que je vis tout le temps dans le Devenir maintenant. Mais je l’ai retrouvé.

Et ça, c'est une preuve que toutes les incrédulités du monde ne peuvent pas contredire.

Ce papier m'a été volé au cours d'un déménagement.

Deux choses m'ont été volées: ce papier-là et le mantra de la vie (je te l’ai raconté). Et je soupçonne que c'était un vol occulte, pas un vol ordinaire, parce que les gens ne savaient même pas la valeur de ces papiers, ça n'avait aucun intérêt pour les trois quarts des gens.2

Voilà, au revoir mon petit!

21 janvier 1962

(Desc: La conversation suivante a eu pour point de départ un aphorisme de Sri Aurobindo:)

70 – Examine-toi sans pitié, alors tu seras plus charitable et plus compatissant pour les autres.

Très bien! (Mère rit) C'est très bien.

C'est très bon pour tout le monde, non?

Surtout pour les gens qui se croient très supérieurs.

Mais vraiment, ça correspond à quelque chose de très profond.

Justement, c'est une expérience que j'ai depuis quelques jours et qui est comme arrivée à son apogée depuis avant-hier, et une vision d'ensemble au point de vue terrestre, ce matin.

C'est presque comme un renversement d'attitude.

Au fond, les hommes se sont toujours pris pour des espèces de victimes harcelées par les forces adverses, et ceux qui sont courageux se battent, les autres se lamentent. Mais de plus en plus, il y a eu une vision très concrète du rôle que jouent les forces adverses dans la création, de leur nécessité pour ainsi dire absolue pour qu'il puisse y avoir le progrès nécessaire afin que la création redevienne son Origine. Et la vision si claire qu'au lieu de demander la conversion ou l’abolition des forces adverses, c'est sa propre transformation qu'il faut accomplir, pour laquelle il faut prier, qu'il faut effectuer.

Ceci, au point de vue terrestre, je ne me place pas au point de vue individuel; le point de vue individuel, on le sait, n'est-ce pas, c'est au point de vue terrestre.

Et c'était la vision, tout d'un coup, de toutes les erreurs, de toutes les incompréhensions, de toutes les ignorances, de toutes les obscurités, et, pire que cela, de toutes les mauvaises volontés de la conscience terrestre, qui se sont senties responsables de la prolongation de ces êtres et de ces forces adverses, et qui les ont offertes dans une grande – plus qu'aspiration, une sorte d'holocauste, pour que les forces adverses puissent disparaître, qu'elles n'aient plus de raison d'être, qu'elles ne soient plus là comme des indicatrices de tout ce qui doit changer.

Elles étaient rendues obligatoires par toutes ces choses qui étaient des négations de la vie divine; et ce mouvement de la conscience terrestre au Suprême, l’offrande de toutes ces choses avec une intensité extraordinaire, était comme un rachat pour que ces forces adverses puissent disparaître.

C'était une expérience très intense. Elle s'est cristallisée autour d'un petit noyau d'expériences trop personnelles pour que ça puisse se raconter (je veux dire que je ne suis pas seule en cause), mais qui se traduisait comme cela: «Prends toutes les fautes que j'ai commises, prends toutes ces fautes, accepte-les, efface-les, pour que ces forces puissent disparaître.»

Cet aphorisme, c'est ça à l’autre bout, c'est ça dans son essence. Tant qu'une conscience humaine aura en elle la possibilité de sentir, d'agir ou de penser ou d'être contrairement au grand Devenir divin, il est impossible d'en blâmer un autre; il est impossible de blâmer les forces adverses, qui sont maintenues dans la création comme le moyen de vous faire voir et sentir tout le chemin qui est à faire.

(silence)

C'était comme un souvenir1 – un souvenir qui est éternellement présent – de cette Conscience d'Amour suprême que le Seigneur a émanée sur la terre, dans la terre – dans la terre – pour la ramener à Lui, et c'était vraiment la descente dans la Négation divine la plus totale de l’essence même de la Nature divine, par conséquent l’abandon de l’état divin pour accepter l’obscurité terrestre, afin de ramener la Terre à l’état divin. Et à moins que ce ne soit Ça, cet Amour suprême, qui devienne tout puissamment conscient ici, sur la Terre, le retour ne pourra jamais être définitif.

C'était après la vision du grand Devenir divin;2 je me disais: «Puisque ce monde est progressif, puisqu'il devient de plus en plus le Divin, est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce sentiment, si profondément douloureux, de la chose qui n'est pas divine, de l’état qui n'est pas divin par rapport à celui qui doit devenir; est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce que l’on appelle des «forces adverses», c'est-à-dire quelque chose qui ne suit pas harmonieusement le mouvement?» Alors la réponse est venue, la vision de Ça est venue: «Non, c'est justement le moment de cette Possibilité-là qui est proche, le moment de la manifestation de cette essence d'Amour parfait qui peut transformer cette inconscience, cette ignorance et cette mauvaise volonté qui en est la conséquence, en une progression lumineuse, joyeuse, toute progressive, toute comprehensive, assoiffée de perfection.»

C'était très concret.

Et ça correspond à un état où l’on s'identifie si parfaitement à tout ce qui est, qu'on devient tout ce qui est anti-divin, d'une façon concrète, et qu'on peut l’offrir – qu'on peut l’offrir, qu'on peut vraiment le transformer par l’offrande.

Au fond, dans les hommes, c'est cette espèce de volonté de pureté, de Bien (qui se traduit dans la mentalité ordinaire par le besoin d'être vertueux) qui est le grand obstacle au vrai don de soi. C'est à l’origine du Mensonge, et surtout c'est la source même de l’hypocrisie: le refus d'accepter de prendre sur soi sa part du fardeau des difficultés. Et c'est cela que Sri Aurobindo a touché dans cet aphorisme, tout droit, d'une façon très simple.

N'essayez pas d'être vertueux. Voyez à quel point vous êtes uni, UN avec tout ce qui est anti-divin, prenez votre part du fardeau, acceptez d'être, vous-même, impur et mensonger, et, comme cela, vous pourrez prendre l’Ombre et la donner. Et dans la mesure où vous êtes capable de la prendre et de la donner, alors les choses changeront.3

N'essayez pas d'être parmi les purs. Acceptez d'être avec ceux qui sont dans l’obscurité, et dans un amour total, donnez tout ça.

(silence)

De la minute où ça a été vu et FAIT, le plein Pouvoir est revenu – le grand Pouvoir créateur.

(silence)

Probablement, l’expérience ne pouvait venir que parce que c'était le moment où le don de tout cela était venu.

Ce n'est pas pour le perpétuer: c'est pour le donner.

C'est parce que le moment est venu de manifester ce Pouvoir, qui est un Pouvoir d'amour – D'AMOUR, pas seulement d'identité –, d'Amour, d'Amour parfait, qui seul peut donner.

C'était ce matin, dans une grande simplicité, mais en même temps quelque chose de si vaste et de si tout-puissant, comme si la Mère universelle se tournait vers le Seigneur et lui disait: «Enfin! nous sommes prêts.»

Voilà mon expérience de ce matin.

Tu veux dire qu'il y a eu un progrès sur la Terre?

Oui, sur la Terre, c'est de l’histoire de la Terre qu'il s'agit.

Maintenant?

Tu sais, les «maintenant» dans ces domaines-là s'étendent sur de nombreuses années, parfois. Je ne veux pas dire que ce sera instantané, ça, je ne sais pas – je ne sais pas, je le saurai probablement dans quelques jours.

Tu sais quand on entrebâille une porte et qu'on voit un tout petit peu comme ça...

Quand j'ai dit à Sri Aurobindo que l’Inde était libre, c'était la même expérience, c'était la Mère universelle (à ce qu'on pourrait appeler son point de départ), c'était là, c'était Elle qui parlait – ça a mis trente-cinq ans à venir sur la Terre.

Quand j'ai eu l’expérience que le moment était venu pour que la Force supramentale descende sur la Terre, j'ai suivi dans ma conscience, j'ai suivi les effets (les conséquences et les effets), mais pour une vision ordinaire c'était quelque chose d'équivalent à ce qui s'est passé pour la libération de l’Inde: n'est-ce pas, c'est possible que ce soit descendu, mais, pour le moment, les effets en sont plus que voilés.

La première manifestation un peu tangible, c'était cette vision du bateau; alors c'est devenu plus concret, ça a changé quelque chose radicalement dans l’attitude.

Maintenant, c'est une autre étape.

(silence)

Tous ces temps derniers étaient très difficiles. Je vois bien que c'était pour préparer – c'était pour préparer ça. C'était pour renverser cette attitude – une attitude de lutte pour surmonter, vaincre, abolir tout ce qui est anti-divin dans la création.

C'était probablement (pas probablement, c'était certainement) nécessaire depuis le commencement jusqu'à maintenant pour préparer les choses. Mais maintenant, c'est une sorte de renversement subit, comme si le moment était venu, justement pour le Principe créateur, la Force, la Force créatrice de l’univers, de dire: «Ça aussi, c'est Moi. Parce qu'il est temps que ça disparaisse. Ça aussi, c'est Moi; Je ne le traite plus comme un ennemi que Je dois rejeter, Je l’accepte comme Moi, pour qu'il devienne vraiment Moi.»

Et c'était précédé par une sorte d'angoisse: «Est-ce que, toujours, il y aura comme ça quelque chose qui, par rapport à ce qui doit devenir, paraîtra toujours anti-divin?» – Non, après une longue préparation, ça devient capable de se sentir divin. Et par conséquent de l’être.

Si on regarde extérieurement, dans le fait matériel maintenant, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que cette manifestation nouvelle devienne une chose accomplie. Mais c'est probablement le germe de la Chose qui est là maintenant, comme l’était le germe de la liberté de l’Inde, qui s'est épanoui plus tard.4


ADDENDUM

(Deux lettres de Sri Aurobindo sur la psychanalyse)

Votre pratique de la psychanalyse était une erreur. Elle a, pour le moment du moins, rendu plus compliqué et non plus facile le travail de purification. La psychanalyse de Freud est la dernière chose que l’on devrait associer au yoga. Elle prend une certaine partie de la nature, la plus obscure, la plus périlleuse, la plus malsaine – la couche sub-consciente du vital inférieur – et elle isole quelques-uns de ses phénomènes les plus morbides en leur attribuant une action hors de toute proportion avec leur rôle véritable dans la nature. La psychologie moderne est une science dans l’enfance, à la fois imprudente, tâtonnante et rudimentaire. Comme il en est de toutes les sciences dans l’enfance, cette habitude universelle du mental humain de prendre une vérité partielle ou locale, de la généraliser abusivement et de vouloir expliquer tout un domaine de la Nature selon ses étroites formules, s'en donne à cœur joie ici. En outre, cette exagération de l’importance des complexes sexuels refoulés est une dangereuse fausseté; elle peut avoir une influence pernicieuse en rendant le mental et le vital non pas moins mais plus fondamentalement impurs qu'auparavant.

Il est vrai que le subliminal dans l’homme constitue la plus large part de sa nature et recèle le secret de dynamismes invisibles qui expliquent ses activités de surface. Mais la couche subconsciente du vital inférieur, qui est tout ce que semble connaître cette psychanalyse de Freud (et encore n'en connaît-elle que quelques recoins mal éclairés), n'est qu'une fraction limitée et très inférieure de la totalité subliminale. Le moi subliminal s'étend derrière et soutient l’ensemble de l’homme de surface; il recèle un mental plus large et plus efficace derrière le mental de surface, un vital plus vaste et plus puissant derrière le vital de surface, une conscience physique plus subtile et plus libre derrière l’existence corporelle de surface. Au-dessus de ces niveaux, il s'ouvre aux étendues supraconscientes, de même qu'en dessous il s'ouvre aux étendues subconscientes inférieures. Si l’on veut purifier et tranformer la nature, c'est au pouvoir de ces étendues supérieures qu'il faut s'ouvrir et s'élever afin, par elles, de changer non seulement l’être subliminal mais l’être de surface. Ceci même doit se faire avec prudence et non d'une façon prématurée et précipitée, en suivant une direction supérieure et en gardant toujours l’attitude vraie, sinon la force que l’on fait descendre risque d'être trop puissante pour la fragile et obscure charpente de la nature. Mais commencer par ouvrir le subconscient inférieur en risquant de soulever tout ce qui s'y trouve d'obscur et de fétide, c'est aller au devant des ennuis. D'abord, il faut fortifier et affermir le mental et le vital supérieurs en les emplissant de la lumière et de la paix d'en haut; après, on peut ouvrir le subconscient ou même y plonger avec plus de sécurité et quelque chance de changement heureux et rapide.

Le système qui consiste à se débarrasser des choses indésirables par anoubhava [assouvissement] peut également être dangereux; sur ce chemin, il est plus facile de s'empêtrer davantage que d'arriver à la liberté. Cette méthode s'appuie sur deux principes psychologiques bien connus. l’un, le principe d'épuisement volontaire, est valable dans certains cas, surtout quand certaines tendances naturelles ont une emprise trop forte ou une poussée trop puissante pour que l’on puisse s'en débarrasser par vichâra, c'est-à-dire par le procédé de rejet et de substitution du mouvement vrai; quand ceci arrive avec excès, le chercheur doit parfois même retourner à l’action ordinaire de la vie ordinaire et en faire l’expérience vraie avec un mental nouveau et une volonté nouvelle derrière, puis revenir à la vie spirituelle une fois que l’obstacle est éliminé ou prêt à être éliminé. Mais cette méthode d'assouvissement volontaire est toujours dangereuse, bien que parfois inévitable. Elle ne réussit que si l’être possède une puissante volonté de réalisation, car l’assouvissement entraîne une forte insatisfaction et une réaction, vaïragya, et dès lors la volonté de perfection peut être poussée jusque dans la partie récalcitrante de la nature.

l’autre principe de l’anoubhava est d'une application plus générale; en effet, pour rejeter quoi que ce soit hors de l’être, il faut d'abord en être conscient, avoir clairement l’expérience intérieure de son action et découvrir sa place effective dans le fonctionnement de la nature. Alors on peut agir dessus pour l’éliminer si c'est un mouvement complètement faux, ou le transformer si c'est seulement une dégradation d'un mouvement supérieur vrai. C'est cela ou quelque chose de ce genre que tente grossièrement et abusivement, avec une connaissance rudimentaire et insuffisante, le système de la psychanalyse. Le procédé qui consiste à soulever les mouvements inférieurs dans la pleine lumière de la conscience afin de les connaître et de les manipuler est inévitable, car il ne peut pas y avoir de changement complet sans cela. Mais on ne peut y réussir vraiment que quand la lumière et la force supérieures sont suffisamment actives pour surmonter plus ou moins vite la force de la tendance que l’on expose à la lumière afin de la changer. Bien des gens, sous prétexte d'anoubhava, non seulement soulèvent le mouvement adverse mais l’entretiennent de leur consentement au lieu de le rejeter, trouvent des justifications pour le prolonger ou le répéter et continuent ainsi de jouer avec lui, de caresser son retour et de l’éterniser, et, plus tard, lorsqu'ils veulent s'en débarrasser, il a une telle emprise qu'ils se trouvent impuissants et dans ses griffes; seule une lutte terrible ou une intervention de la grâce divine peuvent les libérer. Certains font cela par déformation vitale ou par perversité, d'autres par pure ignorance, mais dans le yoga comme dans la vie, l’ignorance n'est pas acceptée par la Nature comme une excuse justifiante. C'est le danger qui guette toute manipulation incorrecte des parties ignorantes de la nature; or, rien n'est plus ignorant, plus périlleux, plus irraisonné et obstiné dans ses récidives que le subconscient vital inférieur et ses mouvements. Le soulever prématurément ou incorrectement sous prétexte d'anoubhava, c'est risquer aussi d'inonder de ce magma obscur et fangeux les parties conscientes et d'empoisonner ainsi toute la nature vitale et même mentale. Donc, toujours, il faudrait commencer par une expérience positive et non par une expérience négative, et faire descendre tant soit peu la nature divine, la lumière, l’équanimité, la pureté, la force et le calme divins dans les parties de l’être conscient qui doivent être changées; c'est seulement quand on a fait cela suffisamment et qu'il existe une solide base positive, qu'il est prudent de soulever les éléments adverses cachés dans le subconscient afin de les détruire ou de les éliminer par la force du calme divin, de la lumière, de l’énergie et de la connaissance divines. Même ainsi, il subsistera toujours assez de ce magma inférieur pour se lever de lui-même et vous donner autant d'anoubhava que vous en aurez besoin pour vous débarrasser de l’obstacle, mais, alors, il pourra être manipulé avec beaucoup moins de danger et sous une direction intérieure supérieure.


Je trouve difficile de prendre vraiment au sérieux ces psychanalystes lorqu'ils tentent de scruter l’expérience spirituelle à la lumière clignotante de leur lampe de poche – encore qu'on le devrait peut-être, car le demi-savoir est une chose puissante et il peut être un grand obstacle à l’émergence de la vraie Vérité. Cette nouvelle psychologie me fait l’effet d'enfants qui apprennent quelque alphabet sommaire et pas très adéquat, exultant d'additionner ensemble leur a-b-c-d du subconscient et le mystérieux super-ego souterrain, et qui s'imaginent que leur premier manuel des obscurs commencements (c-h-a-t = chat, a-r-b-r-e = arbre) est l’essence même de la vraie connaissance. Ils regardent de bas en haut et expliquent les lumières supérieures par les obscurités inférieures, mais le fondement des choses est en haut et non en bas, oupari boudhna esham. C'est le supraconscient et non le subconscient qui est le vrai fondement des choses. La signification du lotus ne se trouve pas en analysant les secrets de la boue dans laquelle il pousse ici-bas; son secret se trouve dans l’archétype céleste du lotus qui fleurit à jamais dans la Lumière d'en haut. En outre, le domaine que ces psychologues se sont choisis est maigre, obscur, limité; il faut d'abord connaître le tout avant de pouvoir connaître la partie et le plus haut avant de comprendre vraiment le plus bas. Telle est la promesse d'une psychologie plus large qui attend son heure et devant laquelle ces pauvres tâtonnements s'évanouiront comme rien.5

24 janvier 1962

(À propos de la dernière conversation sur les forces anti-divines:)

J'avais lu dans «Savitri» un passage qui me semble exactement en rapport avec ce que tu as dit...

Ah! dis-moi ça.

J'aimerais mieux que tu le lises toi-même, parce que mon anglais... C'est un passage qui m'avait beaucoup frappé: ces quatre lignes-là.

(Mère lit)

Not only is there hope for godheads pure;
The violent and darkened deities
Leaped down from the one breast in rage to find
What the white gods had missed: they too are safe;
A Mother’s eyes are on them and her arms
Stretched out in love desire her rebel sons.1

Oui, c'est ça.

«Ce que les dieux blancs avaient manqué...»

Je ne me souvenais pas. Mais c'est exactement ça.

C'est curieux, quand je lis, c'est seulement ce qui est nécessaire à ce moment-là que je vois. Le reste, c'est comme si ça passait inaperçu. Et au moment où c'est nécessaire, ça revient, comme ce que tu viens de me montrer.

Oui, c'est ça, c'est ce qui vient d'arriver.

C'est tout à fait comme si on ouvrait un rideau, comme ça, et puis tout est là, prêt, derrière.

J'ai de la difficulté à parler dans ces expériences parce que le français me vient plus spontanément, mais ça se passe en anglais – c'est tellement avec la puissance de Sri Aurobindo...

Bon, mon petit, je te vois quand?

27 janvier 1962

Il y a une question que j'aurais aimé te poser à propos de ce passage de «Savitri» que je t'ai montré l’autre jour. Je ne sais pas si tu te souviens, c'est ce passage sur «the white gods».

Qu'est-ce que tu voulais demander? Ce que les «dieux blancs ont manqué»? Mais Sri Aurobindo l’a écrit, en plein, ici, dans les aphorismes. Il a dit tout ça, il a pris toutes les choses l’une après l’autre: «Sans cela, il n'y aurait pas ça; sans cela, il n'y aurait pas ça..., etc.’»1

89 – Ce monde fut construit par la Cruauté afin qu'elle puisse aimer. Voudrais-tu abolir la cruauté? Alors l’amour périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la cruauté, mais tu peux la transfigurer en son contraire: un Amour et un Délice impétueux.
90 – Ce monde fut construit par l’Ignorance et par l’Erreur afin qu'elles puissent connaître. Voudrais-tu abolir l’ignorance et l’erreur? Alors la connaissance périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir l’ignorance et l’erreur, mais tu peux les transmuer en ce qui dépasse la raison.
91 – Si la Vie seule existait, sans la mort, il ne pourrait pas y avoir d'immortalité. Si l’amour seul existait, sans la cruauté, la foie ne serait qu'un tiède ravissement éphémère. Si la raison seule existait, sans l’ignorance, notre réalisation la plus haute ne dépasserait pas un rationalisme étroit et une sagesse mondaine.
92 – Tranformée, la Mort devient la Vie qui est Immortalité; transfigurée, la Cruauté devient l’Amour qui est extase intolérable; transmuée, l’Ignorance devient la Lumière qui bondit par-delà la sagesse et la connaissance.

Mais je me souviens aussi, avant d'avoir rencontré Sri Aurobindo, quand j'avais lu «La Tradition» (parce que Théon appelait ça La Tradition, et c'était une histoire romantique, romanesque, enfin tout à fait épisodique, mais ma foi très suggestive, de la création du monde), c'est là que j'avais eu la première indication de ces quatre premières émanations de la Mère universelle, quand le Seigneur a délégué son pouvoir de création à la Mère. Et c'était identiquement la même chose que la tradition indienne ancienne, seulement c'était raconté d'une façon presque enfantine – tout le monde pouvait comprendre, c'était une image. C'était comme une image de cinéma, et c'était très vivant.

Elle fait donc ses quatre premières émanations. La première, c'était la Conscience et la Lumière (ça venait du Satchidânanda). La seconde, c'était justement l’Ananda et l’Amour. La troisième, c'était la Vie; et la quatrième, c'était la Vérité. Alors, selon l’histoire, conscients de leur pouvoir infini, au lieu de rester branchés sur la Mère suprême et, à travers Elle, sur le Suprême, et de recevoir de Lui l’indication de l’action, c'est-à-dire de faire les choses en ordre, ils sont partis chacun indépendant pour faire ce qu'ils voulaient faire – ils étaient conscients de leur pouvoir et ils pouvaient et ils ont fait. Ils ont oublié leur Origine. Et c'est ce premier oubli qui a fait que la Conscience est devenue Inconscience, la Lumière est devenue Obscurité; le second, l’Ananda, est devenu souffrance, l’Amour est devenu haine; le troisième, la Vie, est devenue la Mort; et le quatrième, la Vérité, est devenue le Mensonge. Et ils ont été instantanément précipités dans ce qui est devenu la Matière. Selon Théon, le monde tel que nous le connaissons est dû à cela. Et ça, c'était le Suprême Lui-même dans sa première manifestation.

Mais l’histoire est très compréhensible, on attrape la chose comme cela. Extérieurement, pour les intellectuels, c'est très enfantin, mais quand on a l’expérience, on comprend très bien – j'ai compris imédiatement, senti la chose.

Et une fois que le monde est devenu comme cela, qu'il est devenu le monde vital dans son obscurité et que, de ce monde vital, ils ont créé la Matière, la Mère suprême voit (riant) le résultat de ses quatre premières émanations et Elle se tourne vers le Suprême dans une grande imploration: «Il faut sauver ce monde maintenant qu'il est dans cet état épouvantable! On ne peut pas le laisser, n'est-ce pas, il faut le sauver, il faut lui rendre la conscience divine. Que faire?» Alors le Suprême dit: «Jette-toi dans une nouvelle émanation, mais ESSENTIELLE, de l’Amour, dans la Matière la plus matérielle», c'est-à-dire plonger dans la terre (la terre était devenue un symbole et une représentation de tout ce drame). «Plonge-toi dans la Matière.» Elle a plongé dans la Matière et c'était la première source du Divin à l’intérieur de la substance. Et de là, de l’intérieur (comme c'est si bien décrit dans Savitri), Elle commence à soulever la Matière.

Mais en même temps qu'Elle plongeait dans la terre, il y avait une seconde série d'émanations, les dieux, pour les régions intermédiaires entre Satchidânanda et la terre. Et ces dieux (riant), on a pris bien soin qu'ils soient parfaits pour qu'il n'y ait pas d'ennuis! Mais ils sont un peu... un peu trop parfaits, non? Oui, un peu trop parfaits: justement ils ne font jamais de fautes, ils font toujours exactement ce qu'on leur dit de faire... bref, un petit peu de manque d'initiative. Ils en ont, mais...

En fait, ils n'étaient pas surrendered [ils n'avaient pas fait leur soumission] à la manière dont peut le faire un être psychique, parce qu'ils n'avaient pas de psychique. l’être psychique est le résultat de cette descente. Il n'y a que les hommes qui en ont. Et c'est ce qui fait que l’humanité est TRÈS supérieure aux dieux. Théon, lui, insistait beaucoup là-dessus: dans toute son histoire, les hommes sont très supérieurs aux dieux et ils ne doivent pas leur obéir – ils ne doivent être en rapport qu'avec le Suprême sous son aspect d'Amour parfait.

Je ne sais pas comment dire... Moi, tous ces dieux m'ont toujours paru (pas tels qu'on les décrit ici dans les Pouranas, c'est différent – pas tellement différent!) mais tels que les présente Théon, ils étaient un peu «à la guimauve»! Voilà. Ce n'était pas qu'ils n'avaient pas de pouvoir – ils avaient beaucoup de pouvoir, mais il leur manquait cette flamme de l’être psychique.

Et pour Théon, le Dieu juif et le Dieu chrétien étaient un Asoura. C'était un Asoura qui voulait être unique, et parce qu'il voulait être unique, il était le despote le plus terrible qu'on puisse imaginer. C'est ce que disait Anatole France (maintenant je sais qu'Anatole France n'avait pas lu l’histoire de Théon, mais où a-t-il ramassé ça, je ne sais pas). C'est dans La Révolte des Anges. Il dit que c'est Satan le vrai Dieu, et le «Dieu unique», Jéhovah, c'est celui-là le monstre. Et quand les anges ont voulu que Satan devienne le Dieu unique, il s'est aperçu qu'imédiatement il prenait tous les défauts de Jéhovah! Alors il a refusé. Il a dit: «Non-non, je ne veux pas!» C'est admirable, cette histoire. Mais c'est tout à fait dans le même esprit que ce que disait Théon. Justement, c'est la première chose (je t'ai dit que j'avais rencontré Anatole France une fois – des amis communs m'ont amenée à lui), c'est la première chose que je lui ai demandée: «Avez-vous jamais lu La Tradition?» Il m'a dit non. Je lui ai expliqué pourquoi – ça l’a intéressé. Il disait que pour lui, c'était son imagination. Mais il avait attrapé ça, c'était de l’intuition.

Alors si on dit tout cela aux philosophes et aux métaphysiciens, ils vous regardent d'un air: «Vous êtes un pauvre d'esprit pour croire à toutes ces balivernes!» Mais on ne les prend pas pour des vérités concrètes: on les prend pour des représentations épatantes. J'ai vraiment touché d'une façon très concrète à la vérité de cette cause de la déformation du monde, comme cela, beaucoup mieux qu'avec toutes les histoires hindoues – beaucoup mieux.

Le Bouddhisme et toutes ces lignes de pensée ont été par le chemin le plus court: «C'est le Désir d'exister qui est responsable de toute la faute», si le Seigneur s'était dispensé d'avoir ce Désir, il n'y aurait pas eu de monde! Mais c'est enfantin. C'est enfantin, c'est une vision vraiment trop humaine du problème, n'est-ce pas.

Le point de vue de la joie d'être est très supérieur en qualité, mais alors reste le problème: pourquoi est-ce devenu comme cela? – Parce que toutes les choses étaient possibles, et que c'est UNE des possibilités. Ce n'est pas très satisfaisant, on dit: «Oui-oui, bien sûr, c'est comme ça, c'est un fait.» Les gens demandaient aussi à Théon: «Mais pourquoi est-ce arrivé comme cela? Pourquoi est-ce...?» – «Quand vous serez de l’autre côté, vous le saurez. Attendez d'être de l’autre côté. Et faites ce qu'il faut pour être de l’autre côté, c'est plus urgent.»

Mais il y a une supériorité: sans ces êtres-là, sans cette déformation du monde, il manquerait beaucoup de choses. Ces êtres-là contenaient en puissance des éléments absolument uniques – ça se comprend puisque c'est le premier flot. Et c'était justement pour cela, ils étaient encore tellement le Suprême qu'ils se sentaient le Suprême, et puis voilà. Seulement voilà, ce n'est pas tout à fait suffisant – justement parce que déjà ils étaient divisés en quatre, et qu'une seule division suffit pour que tout aille de travers. On comprend très bien: ce n'est pas essentiellement mauvais, c'est le FONCTIONNEMENT qui est mauvais, ce n'est pas la substance, ce n'est pas l’essence. Ce n'est pas l’essence qui est mauvaise, c'est un défaut de fonctionnement.

Mais si on comprend...

Les mots sont tellement enfantins que si on raconte cela à des gens intelligents, ils vous regardent avec pitié, mais ça vous fait saisir le problème d'une façon si concrète! Ça m'a beaucoup aidée.

C'était écrit en anglais et c'est moi qui ai traduit tout ça en français – un français détestable, tout à fait détestable, parce que j'y mettais tous les mots de l’imagination de Théon (il y avait toutes les facultés latentes dans l’homme, il avait fait une description détaillée de toutes les facultés, c'était magnifique, mais avec des mots tellement barbares! En anglais, on peut mettre des mots nouveaux, c'était tolerable, mais en français, ça devenait tout à fait ridicule – et moi, je le mettais très consciencieusement!) Mais au point de vue expérience, c'était magnifique. C'était d'ailleurs une expérience: c'était Madame Théon pendant ses extériorisations. Elle avait appris ce que Théon m'a appris aussi, à parler pendant qu'on est dans le septième ciel (le corps continue à parler, un petit peu lentement, avec une voix un peu basse, mais ça va bien). Elle parlait et il y avait une amie à elle, qui était leur secrétaire, une Anglaise aussi, qui notait tout au fur et à mesure (je crois qu'elle savait la sténographie), elle écrivait tout. Et après, cela faisait des histoires, on vous racontait des histoires. On a montré tout cela à Sri Aurobindo: ça l’a beaucoup intéressé. Il y a certains mots qu'il a même adoptés dans sa terminologie.

Les divisions et les subdivisions de l’être étaient décrites jusqu'au moindre petit détail, c'était d'une précision parfaite! Parce que j'ai refait l’expérience, je l’ai refaite indépendamment, sans aucune idée préconçue, telle que: sortir d'un corps après l’autre, d'un corps après l’autre, etc., douze fois, et mon expérience, avec des différences tout à fait négligeables qui sont certainement dues à la différence du cerveau récepteur, était exactement la même chose.2

(La pendule sonne)

Il faut que je m'en aille...

Je ne sais pas s'il y a des écrits de ces expériences-là, je n'en ai pas lus, je ne connais rien de la littérature de l’Inde, je ne connais rien du tout. Je ne sais que ce que Sri Aurobindo a dit, et quelques bribes de ceux-ci, ceux-là. Et chaque fois que je me suis trouvée en présence de leur vocabulaire, oh!... c'est très rébarbatif.

Tu parles d'extériorisation, tu ne pourrais pas me donner un moyen simple pour apprendre?

On ne peut pas le faire tout seul, c'est dangereux.

Il y a des gens qui le font spontanément, et alors une fois qu'ils le font, c'est spontané et on ne va pas leur dire: c'est dangereux. Mais c'est dangereux en ce sens que s'ils le font comme cela, sans être gardés, et que quelqu'un – un événement quelconque, une circonstance quelconque – les rappelle brusquement, ils peuvent être coupés (geste montrant la rupture du cordon). Je ne laisserais jamais personne qui ne sait pas. Si c'est spontané, ça vient des existences précédentes, et alors il y a une vieille habitude. C'est tout de même un peu risqué, il faudrait toujours avoir quelqu'un là pour garder votre corps. Mais apprendre à quelqu'un comme cela, non.

J'ai essayé une fois en France... C'était ce Hollenberg, ce peintre qui était venu ici pendant la guerre [la première] et il a été obligé de repartir.3

Il est arrivé en France et il m'a demandé, il voulait absolument – il avait lu toutes les choses de Théon, il était très au courant, et il était très anxieux. Alors je lui ai appris à le faire (et encore, j'étais là, il le faisait en ma présence) et mon petit, il a eu une de ces paniques quand il est sorti de son corps! Ce n'était pas un homme poltron – il était très courageux – mais c'était tellement effroyable pour lui!... Une telle panique, ah! j'ai dit non-non.

Mais la nuit, par exemple, je m'extériorise bien.

Pas de la même manière.

Pas de la même manière?... Et puis je me bats, oh!

Tu vas où?

*Je vais dans toutes sortes d'endroits, j'ai eu des expériences avec P, par exemple...4

...En te couchant, tu n'as qu'à m'appeler.

février




6 février 1962

J'ai lu ces jours-ci Perseus1 – je le connaissais en partie parce que nous l’avons joué ici, mais ça ne m'avait pas beaucoup intéressée. Je l’ai lu et ça m'a beaucoup intéressée. Je l’ai lu d'une autre façon, comme je lis maintenant. Et j'ai trouvé toutes sortes de choses là-dedans, toutes sortes.

Oui, je me suis aperçue qu'en l’espace de (je ne me souviens plus quand nous avons joué cela, tu étais ici déjà), entre ce moment-là et celui-ci, il y a bien, au moins cinquante ans de différence. Cinquante ans de changement de conscience.2

Mais pratiquement, je suis toujours butée devant le même problème.

Si je le prends comme une question d'attitude, ça s'explique très bien. Mais si je veux la vérité – la vérité vraie derrière l’attitude, alors ça devient très difficile.

Justement, j'ai vu cela à la lumière des événements décrits dans Perseus. Et si on ne le prend pas d'une façon générale mais dans l’exactitude du moindre détail... – Et puis, dès qu'on le dit, ça s'évapore. C'est quand on le sent comme cela, concrètement, et qu'on le tient, qu'on tient les deux choses...

(silence)

Grossièrement, le problème c'est: rien n'est, que ce qui est l’effet de la Volonté divine.

Toujours le même problème. Toujours le même problème.

Dans son ensemble, l’anti-divin, on le comprend très bien, mais dans le détail de chaque minute, pour le choix – le choix entre ceci et cela... Quelle est la vérité derrière la chose que l’on veut et celle que l’on ne veut pas? Et je sors tout à fait de toute question de volonté égoïste, individuelle, n'est-ce pas – tout ça, c'est tout à fait hors de question, ce n'est pas cela le problème. Ce n'est pas cela.

Dès qu'on essaye de dire, ça s'évapore.

Et c'est pourtant une chose très-très aiguë.

N'est-ce pas, l’explication, c'est le progrès universel, c'est-à-dire le Devenir: ce qui doit être et ce qui cesse d'être – c'est très bien; dans les grandes lignes c'est très facile, on comprend très bien.

C'est peut-être l’opposition (s'il y a une opposition) entre deux attitudes, deux attitudes qui doivent toutes deux exprimer la relation avec le Suprême. l’une, c'est l’adhésion, non seulement volontaire mais parfaitement satisfaite, à toutes choses, même aux «pires calamités» (ce qu'il est convenu d'appeler «les pires calamités»). Je ne prends pas cette histoire comme exemple parce qu'elle s'explique très bien, mais si Andromède était un yogi (avec un «si» on peut tout bâtir, mais c'est pour essayer d'expliquer ce que je veux dire), elle accepte l’idée de la mort très bien, très facilement. Eh bien, c'est ce conflit, justement, entre ce qui accepte très volontiers (je ne parle pas de ce qui se passe dans l’histoire elle-même, je donne seulement l’exemple d'un cas, pour me faire comprendre), entre ce qui accepte la mort parce que c'est la Volonté divine, pour cette unique raison: c'est la Volonté divine et c'est très bien – puisque c'est comme ça, c'est très bien –, et en même temps, cet amour de la Vie. Cet amour de la Vie.3 Si on prend l’histoire, on dit: c'est parce qu'elle devait vivre, et ça explique tout, mais ce n'est pas cela que je veux dire, je sors le cas de ses circonstances historiques.

Parce qu'il y a des choses comme cela qui arrivent dans la conscience – ça m'ennuie toujours de prendre les grandes choses et les grands mots, mais pour m'expliquer vraiment, je devrais dire: la Mère universelle.

(silence)

Automatiquement, tout ce qui est, est naturellement l’expression de la Joie divine, même les choses qui, pour la conscience humaine, sont les plus abominables – cela se comprend. Mais en même temps, il y a cette espèce d'aspiration si intense que c'en est presque une angoisse, d'une perfection de création qui doit venir. Et il semble que, justement, cette intensité d'aspiration, cette angoisse, dans le monde matériel, soit nécessaire, soit une préparation nécessaire pour que cette perfection puisse venir. Et en même temps, ce qui est, c'est la perfection de l’instant, puisque c'est entièrement le Divin. Il n'y a rien d'autre que le Divin. Alors il y a cette plénitude de joie divine, de chaque seconde, dans ce qui est, et en même temps l’aspiration, l’angoisse – c'est la jonction des deux qui est difficile, voilà.

l’expérience, c'est qu'on passe de l’un à l’autre, ou bien que l’un est en avant et que l’autre est en arrière, que l’un est actif et que l’autre est passif. Quand ce sentiment de joie parfaite est là, il y a une sorte d'état presque statique (il y a bien en même temps la joie du mouvement, mais pas la prévision du but: c'est là, derrière). Tandis que quand l’aspiration du Devenir est là, cette joie de l’instant, de la perfection divine, ça se retire dans un état statique.

Et naturellement, c'est l’alternance même qui pose le problème.

Peut-être que c'est comme cela que ce doit être, mais ce n'est pas satisfaisant – pas satisfaisant.

C'est à mes moments les plus complets et les plus intenses, les moments où vraiment c'est l’univers qui existe (l’univers, c'est-à-dire le Devenir du Suprême) avec le maximum de la perception active du Suprême, et c'est à ces moments-là que, tout d'un coup, je suis prise par ça [ce côté statique, nirvanique]. Ce n'est pas l’idée d'avoir un choix entre les deux, mais au point de vue de l’action, tout en bas, c'est comme une question de priorité. l’instinct – l’instinct de ce corps, de ce point d'appui matériel –, c'est l’aspiration, mais parce que c'est un être qui a été bâti pour l’action; on ne peut pas donner cela comme une règle absolue, c'est presque une préférence casuelle.

On a le sentiment que la vie, c'est ça: cette aspiration, cette angoisse. Que cette béatitude, ça mène tout naturellement au côté nirvanique – je n'en sais rien...

Mais alors, pour aider les autres?... On ne peut pas dire l’un ou l’autre. Si on dit les deux, on est plongé dans le même dilemme.

Et alors, un problème comme cela arrive à une tension sur un point, une tension tellement aiguë qu'on a l’impression qu'on ne sait rien, qu'on ne comprend rien, qu'on ne comprendra jamais rien, c'est inutile. Alors quand j'en suis là, je bascule toujours de la même façon, c'est toujours: «Bon, j'adore le Seigneur, et puis tout le reste, ça m'est égal!» – J'entre dans une adoration... merveilleuse, et puis II fera ce qu'il voudra! Et c'est la fin de tout pour moi.

Mais ce serait bon pour les gens qui ne pensent pas.

C'est un problème d'action matérielle, ici?

Oui, tout se traduit toujours comme cela.

Mais ça fait une différence dans l’action, que tu prennes une attitude ou l’autre?

Je ne sais pas. Je ne sais pas.

Parce que j'ai eu (il y a peut-être un ou deux jours, je ne me souviens plus exactement, c'était assez fugitif mais très intéressant), j'ai eu un moment comme cela pendant que je marchais là-haut: tout d'un coup, cette espèce de certitude absolue que je ne savais rien (ça a duré au balcon aussi) que (il n'y avait pas de «je», pas de je du tout) qu'on ne savait rien – «on», il n'y avait pas de «on», il n'y avait que... Qu'on ne pouvait pas savoir (je suis obligée d'employer des mots), qu'on ne pouvait pas savoir, qu'il n'y avait rien à savoir, que c'était tout à fait inutile, qu'il était tout à fait impossible de rien comprendre, même, même en sortant du mental, qu'aucune formulation n'était possible, qu'il n'y avait aucune possibilité de comprendre. C'était tellement absolu, n'est-ce pas, qu'alors, aider les autres, faire avancer le monde, la vie spirituelle, la recherche du Divin, tout ça, tout ça, c'était du bavardage et des mots! Qu'il n'y avait rien, que ce n'était rien, et qu'il n'y avait rien à comprendre, et que c'était impossible de comprendre – il était impossible d'être. Le sentiment d'une incapacité totale. C'était comme un dissolvant. Tout était comme cela, comme si tout était dissous: le monde, la terre, les gens, la vie, l’intelligence, tout-tout, tout ça était dissous, c'est-à-dire un état absolument négatif. Et ma solution, toujours la même: quand l’expérience a été bien totale, bien complète, que rien n'est resté, alors l’impression: «Tout ça, je m'en fiche (n'est-ce pas, vraiment ça pouvait se dire avec les mots les plus ordinaires): je T'adore.» Et le «je» était quelque chose de tout à fait inconsistant: il n'y avait pas de forme, il n'y avait pas d'être, il n'y avait pas de qualité, il y avait: «Je T'adore» – c'était quelque chose qui était je et je T'adore. Simplement, il y avait assez de je pour pouvoir T'adorer.

Et alors, de cette minute, c'était comme une Douceur inexprimable, et là-dedans une Voix... aussi d'une douceur et d'une harmonie! (il y avait un son, il n'y avait pas de mots, mais ça avait un sens absolument clair pour moi, comme si c'étaient les mots les plus précis): «Tu viens d'avoir ton moment le plus créateur»!!

Ah, bon! ça va bien!!

Après ça (riant), j'ai tiré l’échelle.

Avec un sourire ineffable, comme une espèce de... peut-être l’origine même de l’humour? comme conclusion. Cette espèce d'annihilation, d'annulation de tout, et: «Tu viens d'avoir ton moment le plus créateur.» Alors j'ai ri – c'est tout, je n'avais plus qu'à rire!

(silence)

Ces choses seraient intéressantes à garder.

Mais ce qui est impossible à dire, c'est l’inexistence d'un être – d'un être individuel. Quand je dis «je», on ne sait pas ce que ce «je» veut dire. Ce n'est pas la totalité non plus – ce n'est pas la totalité, ce n'est pas l’univers dans son entier, ce n'est surtout pas la terre (la pauvre petite terre) que je vois toujours comme une petite chose, comme ça, qui se promène dans l’univers. Qu'est-ce que c'est?...

(silence)

Cette expérience, je l’ai à n'importe quelle minute: une seconde de concentration, de retrait de l’action, et puis c'est la Béatitude. Et quand il n'y a pas ce retrait, c'est quelque chose comme une toute-puissance éternelle, tournée vers l’action, et qui est entièrement soutenue et englobée par... Ça. Cette puissance tournée vers l’action est la première manifestation de Ça, c'est-à-dire que quand Ça commence à exister consciemment, c'est la première forme de manifestation. (Mère pose ses deux mains l’une sur l’autre, et sans les séparer, les retourne d'un côté et de l’autre comme pour montrer deux faces d'une même chose.) Alors c'est indissoluble: ce ne sont pas deux choses, ce ne sont même pas deux aspects parce que ce n'est pas un aspect (les mots sont idiots, imbéciles, ils n'ont pas de sens). l’expérience est renouvelable à volonté: une seule chose dans son essence, innombrable dans son expression, et qui semble croître dans sa puissance. Et j'ai eu cette expérience à volonté, dans toutes les circonstances possibles, y compris l’évanouissement du corps (je t'ai dit ça l’autre fois). On appelle ça s'évanouir, mais je n'ai pas perdu conscience une minute! Je n'ai pas perdu conscience PHYSIQUEMENT une minute – et ce qui était là, derrière tout cela, assistant à tout cela, c'était cette expérience.

(Pavitra entre pour poser une question «urgente» à Mère)

Je n'entends pas, je suis ailleurs.

(Pavitra sort)

C'est comme cela: je n'étais pas là et j'ai tout de même vu PHYSIQUEMENT – physiquement, quelque chose qui a passé. Mes yeux étaient fermés, non?

Oui, tu as senti quelque chose.

Oui, j'ai vu.

Ça fait très peu de différence maintenant: la vue physique est devenue assez mauvaise.

(silence)

Tu comprends ce que je dis, ou c'est un bavardage incompréhensible?

Non-non! autant que je peux, je saisis.

C'est difficile.

La fin de ce que tu as dit, me semble plus...

Tiens! c'est pour moi le plus clair.

C'est si clair! Si clair, mais c'est inexprimable.

Ah! il faut que je m'en aille... Alors on n'a rien fait!

Les mots sont là, mais ça n'a pas de sens.

Si. Mais quand tu as essayé d'expliquer ce «je» qui est en arrière avec deux aspects, je n'ai pas très bien saisi.

Ça, c'est difficile.

C'est la même chose... Ce ne sont pas des aspects?

Dit intellectuellement, c'est le Suprême et...

La Shakti.

La Mère universelle.

Mais ce que j'essayais de transmettre, c'était la SENSATION (parce que c'est vraiment une question de sensation – ce n'est pas un sentiment, ce n'est pas une idée, c'est... pour moi, les choses sont concrètes, n'est-ce pas: elles commencent à exister quand elles sont concrètes). Eh bien, l’impression concrète est celle que j'ai essayé de dire, et elle se reproduit automatiquement, imédiatement. La tête, c'est blanc, c'est silencieux, c'est immobile, il n'y a rien – vide-vide-vide, immobile, rien, pas une pensée, pas... rien, rien, simplement une sorte de supersensation. Et avec, à la frontière du sentiment, une sorte de (pas de mélange) de combinaison étroite de toute-puissance et d'intensité de joie. C'est tellement plein, n'est-ce pas.

Toute-puissance et intensité de joie.

Et alors, s'il y a quelque chose comme une vibration de mots, ce serait seulement: Toi-Toi – c'est tout.

Et pourquoi Toi? parce que ce n'est pas différent. Mais c'est juste assez différent pour que ce soit Toi, pour la joie du Toi – c'est ça, la chose. Et pourtant ce n'est pas différent.

Ça me paraît être le Mystère suprême (oh! une autre fois, c'est autre chose qui vous paraît aussi le Mystère suprême), mais ça, c'est...

Et l’expérience est renouvelable, renouvelable, renouvelable – je n'ai qu'à faire un petit mouvement intérieur et c'est là.

Au fond, si on regarde ça comme tous les idiots qui se croient intelligents, on pourrait dire: ce doit être la raison pour laquelle le Seigneur a créé l’univers.

Pour la joie de ce Toi.4

Si tu comprends quelque chose, je te félicite!

Au revoir, mon petit.

9 février 1962

(À propos d'une disciple européenne qui vantait les mérites de certain livre de pseudo-spiritualité que Mère qualifiait de «romantisme spirituel»:)

C'est très européen, ils sont comme cela.

Ils veulent comparer – ils veulent comparer les enseignements, il ne faut pas se fixer à une chose: il faut avoir 1' «esprit large», éclectique. Et alors...

C'est cela qu'ils veulent, beaucoup de vital, beaucoup d'imagination, et une quantité suffisante de mensonge pour être en affinité avec leur tournure d'esprit!

C'est comme Z, elle m'a dit que Maharshi1 a écrit dans son livre que si j'étais Hindoue et que je faisais des asanas tous les jours, l’Inde tout entière serait à mes pieds! Certainement, pour Z, ça a été la grosse difficulté: parce que c'était facile de venir ici, elle pouvait me parler tout à fait librement, je n'ai pas agi d'une façon mystérieuse... Alors c'est trop simple, n'est-ce pas.

Peu après, à propos de la lecture de la pièce de

Sri Aurobindo, «Rodogune»:

J'ai l’impression que cette humanité est si misérable! si misérable – pourquoi ai-je tout le temps cette impression?

Je voudrais bien avoir une vision plus réconfortante.

Oui, c'est misérable. Je dois dire que plus je vais, plus je...

Mais moi, je le savais depuis le commencement! Mon petit, à cinq ans je savais déjà qu'elle était misérable, ça me faisait déjà cet effet-là. Seulement, alors, j'en avais pris mon parti, et ça allait bien tout le temps que j'ai travaillé avec Sri Aurobindo: je n'ai pas pensé une fois que c'était comme cela, je prenais les gens comme ils étaient, pour ce qu'ils étaient, et puis la vie aussi, et c'était très bien, on était très heureux. Mais maintenant... ça me paraît si pauvre, si pauvre.

J'aimerais bien partir.

J'aimerais bien revenir à une autre étape.

Je ne peux pas, j'ai du travail.

13 février 1962

(Après avoir écouté la lecture de plusieurs anciens Entretiens pour publication dans le Bulletin de l’Ashram:)

[From 1951 to 1958, Mother gave regular talks at the Ashram Playground. These talks were later published under the title Questions and Answers.]

C'est de la littérature facile, ça ne leur cassera pas la tête!

C'est quand même bon à dire.

Non, j'ai remarqué une chose, c'est que, maintenant, si je dis quelque chose comme je le vois, spontanément, sans essayer de m'adapter aux gens, on ne comprend pas – c'est difficile à comprendre. Et je ne parle pas de gens qui ne savent rien: je parle de gens qui ont vécu avec moi et qui ont pensé avec moi.

C'est la vision des choses – des MÊMES choses – qui est devenue très-très-très différente. Très différente. C'est tout à fait comme si j'écoutais quelque chose dit par quelqu'un d'autre, ça me transporte dans la conscience d'une autre personne. Mais je comprends bien que c'est accessible, tandis que...

À ce moment-là,1 j'avais conscience d'une «façon supérieure» de vivre; je faisais une différence entre les modes de vie et il y avait une façon supérieure de vivre. Maintenant, cette soi-disant façon supérieure de vivre me paraît si misérable – si petite, si mesquine, si étroite. Et alors je me trouve très souvent dans la position de ceux qui disent: «Mais qu'est-ce qu'il y a là-dedans?» Et je comprends (quoiqu'il y ait en moi la volonté contraire et la vision contraire, de quelque chose qui doit venir, qui n'est pas encore là), je comprends le sentiment de tous ceux qui ont été en contact avec la vie spirituelle et qui ont dit: «À quoi ça sert – à quoi ça sert? Qu'est-ce qu'il y a là-dedans qui vaut d'être vécu?» On est NÉCESSAIREMENT dans une étroitesse – vivre dans une étroitesse, une mesquinerie, simplement pour vivre, n'est-ce pas, pour que ce corps continue tous les besoins qu'il a.

Et alors l’effort qu'il faut pour essayer d'amener là-dedans, dans cette pauvreté, une Lumière, une Force, une Réalité, une Puissance, quelque chose enfin, quelque chose de VRAI! Et avec des efforts constants, une volonté constante, une tension constante, il m'ar-rive, tout d'un coup, ah! deux, trois secondes... et puis de nouveau ça retombe.

Et quand on était dans l’illusion antérieure, il y avait les actions nobles, les actions généreuses, les actions grandes, héroïques, tout ça qui, enfin, colorait la vie et pouvait vous faire vivre des heures intéressantes. Maintenant, ça aussi, ça n'existe plus: on regarde ça comme un enfantillage.

Je comprends très bien que cet état-là est nécessaire pour pouvoir en sortir, parce que tant que c'est quelque chose de normal, de naturel, d'acceptable, on n'en sort pas. On a une vie à côté et puis on a «ça» [la vie dans le corps]; c'est ce que tous les gens qui ont vécu la vie spirituelle ont eu: ils ont eu leur vie spirituelle et puis «ça» qu'on continue automatiquement, sans y attacher d'importance – c'est très facile.

Mais vivre à chaque minute la Vérité, quel soulagement!...

Pas encore trouvé le moyen.

Ça viendra.

Voilà, petit.

Mais cette période entre un monde et l’autre, le vieux monde et puis l’autre, est-ce que ça va durer longtemps? Il n'y a rien entre les deux...

Pour le moment.

C'est comme un «no man's land», il n'y a rien. On n'est plus de ce côté-ci et...

...et on n'est pas encore de l’autre côté. Oui, c'est cela.

Alors, n'est-ce pas, on a toujours tendance à se reculer et à entrer au-dedans. Mais ce n'est pas ça! C'est le mouvement naturel, n'est-ce pas, et je vois très clairement que c'est faux.

Ce matin, il y avait les deux.

Évidemment, il faut avoir beaucoup-beaucoup d'équilibre et de calme intérieur... Il y avait un sentiment aigu de l’absolue mesquinerie, stupidité et manque d'intérêt de toutes les circonstances extérieures, de toute la vie de ce corps dans sa forme extérieure, et en même temps, une grande symphonie de la joie divine. Et les deux étaient comme ça, comme des pulsations.

Mais ça fait tourner la tête. Il faut faire très attention, ça vous... it makes you giddy! [ça vous donne le vertige.]

On ne peut pas exprimer – de la minute où on exprime, la plus grande partie s'évapore. Mais même si on disait le petit peu qu'on peut exprimer, il est évident que sur dix personnes, neuf et demie diraient: «Elle est timbrée!» Si je parlais comme cela aux gens, probablement ils diraient: «Elle est ramollie!»

Et c'est curieux. C'était curieux ce matin parce que c'était à la fois le sentiment d'une faiblesse physique – presque d'une décomposition physique – et en même temps, simultanément (même pas l’un derrière l’autre, les deux ensemble): une gloire de splendeur divine.

Les deux ensemble.

Les deux ensemble.

Et c'est toujours à ce moment-là que j'ai les expériences les plus aiguës: quand je fais ma toilette pour descendre au balcon (c'est-à-dire la partie la plus prosaïque de la vie). C'est à ce moment-là que ça vient. Quand je suis en méditation ou que je marche, ou même que je vois quelqu'un, ce n'est pas comme cela: les choses physiques disparaissent, elles n'ont pas d'importance; mais là, c'est quand je suis en plein dans le physique.

Ce matin, c'était curieux, parce que d'un côté, j'avais l’impression («un côté», ce n'est même pas un côté, je ne sais pas comment dire? c'est les deux ensemble), le corps n'était pas bien, pas harmonieux du tout (une conscience ordinaire aurait pu dire qu'il était malade, ou en tout cas très faible, très... pas en bon état du tout), et en même temps, la même sensation physique: une gloire! Une gloire merveilleuse de félicité, de joie, de splendeur!... Et comment c'était ensemble?

Vraiment, n'est-ce pas, il faut rester bien-bien tranquille dedans (on agit extérieurement, on se lave les dents, etc.), mais dedans, il faut rester bien tranquille pour ne pas basculer.2

Mais qu'est-ce qui empêche la jonction des deux?

Ce n'est pas une jonction – ce n'est pas une jonction: c'est l’un qui doit remplacer l’autre.

Et alors l’autre...

N'est-ce pas, c'est comme si on voulait changer le fonctionnement des organes. Quel est le processus? Et ça commence déjà à être les deux en même temps... Qu'est-ce qu'il faut pour que l’un disparaisse et que l’autre reste seul, changé? – Changé, parce que tel que c'est maintenant, ce ne serait pas suffisant à faire marcher le corps; il y a toutes les choses que le corps est obligé de faire et qu'il ne ferait pas: il resterait dans un état béatifique, il jouirait de sa condition – mais il ne pourrait pas jouir longtemps, il y a encore tous ses besoins qui sont là! C'est ça, la difficulté. Ceux qui viendront après, dans cent ans, dans deux cents ans, ce sera très facile, ils n'auront qu'à choisir: ne plus appartenir au vieux système ou appartenir au nouveau.3 Mais maintenant!... Un estomac, n'est-ce pas, il faut qu'il digère! Eh bien, il y aura une nouvelle façon de s'adapter aux forces de la Nature, un nouveau fonctionnement.

Mais pour ça, il faut qu'il y ait des êtres qui aient préparé ce nouveau fonctionnement.

Quelquefois, je me demande si ce n'est pas de la folie de vouloir essayer ça?... Est-ce qu'il ne faut pas, simplement, laisser ce corps se dissoudre et puis que d'autres soient préparés, qui soient plus adaptés à ça – je n'en sais rien.

Je ne sais pas, n'est-ce pas. Personne ne l’a fait avant, alors il n'y a personne pour me dire.

Alors ma solution est toujours la même: je suis comme ça (geste d'abandon), le corps dit: «Moi, je veux bien essayer, j'essaye de mon mieux.»

Est-ce que c'est une folie? Ou est-ce que c'est une chose possible?... Je ne sais pas.

Mais il y avait une connaissance comme cela, autrefois: toutes les vieilles Écritures en parlent.

Je crois que oui. Je crois que oui.

J'ai très fort l’impression d'avoir besoin de quelqu'un qui sait.

Oui, j'ai très souvent aussi pensé que quelqu'un devrait venir ici, qui...

...qui doit savoir.

Qui doit savoir quelque chose.4

C'était cela que j'attendais de Sri Aurobindo.

Mais lui-même cherchait. Il aurait peut-être trouvé s'il avait continué... mais ça ne se pouvait pas évidemment.5

Parce qu'il n'a jamais dit qu'il ne savait pas.

Il n'a jamais dit qu'il ne savait pas.6

Et il me disait toujours: «Chaque chose en son temps.»

Mais s'il savait, il pourra me le dire. Et alors ça veut dire que ce n'est pas encore le moment. Parce que toutes les nuits, mon petit, pendant des heures (au moins deux heures de ma nuit), je suis avec lui consciemment – pas jointe à lui mais comme quelqu'un avec qui je parle, que je vois et qui me dit.

Encore cette nuit...

Et c'est volontairement qu'il ne veut pas que je note ce qu'il dit. Parce que de bonne heure le matin, si j'avais le temps, je me souviens très-très clairement, d'une façon très précise. Après, ça s'estompe, ça s'efface, il ne reste plus que l’impression, l’influence – elle reste très forte toute la journée, jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par une autre: ça fait comme une atmosphère dans laquelle je vis. Une atmosphère de connaissance.

Mais il ne veut pas que je note. Ce n'est pas seulement que je n'ai pas le temps, c'est qu'il ne veut pas. Quand je me réveille (pas «réveille» mais quand je sors de cet état-là), il n'y a pas de trous dans ma conscience; c'est une chose que j'ai acquise par une discipline de toute ma vie, je n'ai pas de trous; ce n'est pas que, tout d'un coup, ploc! ça s'en va – c'est là, très clair: je passe d'un état à l’autre sans l’impression d'une fissure. Mais je vois son action: il remplace le souvenir précis de ce qui a été dit et fait par une sorte d'atmosphère, de sentiment, que je garde toute la journée.

Quelquefois une image reste, une image qui est comme la clef de l’atmosphère.

La nuit dernière, c'était si joli! Nous avions pénétré dans un endroit qui était tout couvert de neige, c'était tout blanc, avec tous les animaux des régions septentrionales. Lui-même avait une robe blanche. Et moi, je marchais à côté de lui, et il a commencé à répéter mon mantra en me disant: «Voilà comment c'est.» – C'était une gloire!

Et alors les animaux... les animaux qui recevaient, toutes les choses qui recevaient l’Influence [du mantra] et qui changeaient.7

C'est ça qui reste, c'est l’impression, ce n'est pas la connaissance précise.

(silence)

Ça viendra peut-être... si on m'en donne le temps.

Ça, c'est la pensée des gens qui est embêtante, oh!... Tout le monde, tout le monde qui pense tout le temps à: vieil âge et mort, et mort et vieil âge et maladie, oh! qu'ils sont embêtants! Parce que, moi-même, je n'y pense jamais. Ce n'est pas là, la question. La difficulté, c'est la difficulté du travail; mais ça ne dépend pas d'un nombre d'années, qui est d'ailleurs tout à fait... ce n'est rien, n'est-ce pas, c'est une seconde de l’éternité, ce n'est rien!

Mais vraiment, si on (un «On», je ne sais pas qui est cet «on» et ce que c'est que cet «on»), si on me donne le temps, je saurai – ça, j'en suis convaincue. Convaincue parce que, malgré toutes les difficultés, qui sont croissantes, la connaissance est croissante aussi, le progrès est incessant. Alors, à ce point de vue-là, je ne peux PAS me tromper, c'est impossible. C'est cette Présence qui devient tellement concrète et tellement (comment dire?) utile, concrète dans son aide.

Mais évidemment, ça prend longtemps.

17 février 1962

Tu es plus conscient maintenant, ou pas, dans tes rêves?

Quelquefois... Oui, hier, il y a eu quelque chose comme ça mais je n'en ai pas gardé un souvenir très clair.

Je te rencontre de temps en temps... dans des endroits très différents. C'est pour cela que je te demande.

Qu'est-ce que je fais?

Toutes sortes de choses. Mais très souvent, justement, nous sommes à la recherche de... quelque chose qui exprime: c'est tantôt des images, tantôt des phrases, tantôt... Je t'ai dit que souvent je te rencontrais: c'est comme des bibliothèques sans livres (!) Mais c'est très intéressant. C'est ouvert en haut, c'est ouvert en bas, ça n'a pas de murs, et c'est très grand, très grand, presque aussi grand que la terre sûrement. Et alors il y a des casiers là-dedans qui sont comme suspendus et où il y a toutes sortes de choses rangées, et très souvent nous sommes en train de sortir des casiers un tas de choses pour trouver là-dedans des textes – des idées, n'est-ce pas. Des idées, des explications, quelquefois des souvenirs, toutes sortes de choses. C'est un monde du mental, mais très lumineux, très clair – très clair – et tout à fait en ordre, sans confusion. C'est très ouvert. Très ouvert.

Et ça, souvent. C'est souvent là que je te retrouve.

Il n'y a pas beaucoup de monde. C'est un endroit qui n'est pas crowded [encombré]: il y a quelque gens d'ici, de là, c'est comme un endroit d'étude.

Mais probablement il n'y a pas de jonction dans ta conscience, ça doit passer par des trous. Alors le souvenir s'en va. Tu ne le reçois que par inspiration, pas avec la conscience continue.

Ça viendra. Ça viendra parce que toujours je... à force de faire comme ça [passer et repasser], on se crée un chemin.

La pensée me revient très fréquemment qu'il faudra que j'écrive un nouveau livre sur Sri Aurobindo...1


Bon.

Des jours un peu durs...

Tout le temps, comme hantée ou assaillie par cette phrase de Savitri quand le Seigneur lui propose de venir vivre une vie de béatitude là-haut, et qu'elle répond: «Non, il y a encore trop de batailles à livrer sur la terre.»2

Savitri XI.I (Cent. Ed. XXIX. 686)

Ça, c'est entré en moi, et chaque fois qu'il y a des difficultés, ça vient comme pour dire: «Ne te plains pas.»

Et il y en a!...

24 février 1962

Quelque chose semble avoir changé.

C'était tout le temps au bord, et dangereusement au bord, pendant longtemps, pendant plusieurs mois: on avait l’impression que Ça pouvait aller d'un côté ou que ça pouvait aller de l’autre. Et puis, tout d'un coup, le jour de ma fête,1 quelque chose a basculé. Comme si d'un seul coup toute une formation était enlevée – une formation qui était placée dessus et qui pesait terriblement sur... je ne dis pas quoi parce que ça avait l’air d'être tout –, et puis, tout d'un coup, enlevée, comme si une main avait pris la chose et l’avait dissoute, comme quand Sri Aurobindo enlevait les maladies, exactement le même mouvement.2

Pour le corps ici, ça a été un changement formidable, comme si j'étais tout d'un coup sortie d'une très mauvaise passe.

Et j'ai eu l’après-midi au Terrain de Jeu,3 une expérience amusante: au moment où je suis descendue de la voiture pour entrer dans le Terrain de Jeu, j'ai eu l’impression que... Depuis certainement près d'un an, j'avais été dotée (c'est-à-dire que ça avait été imposé sur moi) d'une paire de jambes useless, qui ne valaient rien, qui étaient faibles, maladroites, vieilles, abîmées – qui ne valaient rien. Il fallait tout le temps que je me serve de ma volonté pour pouvoir les faire marcher, et encore d'une façon plus que maladroite. Tout ça, enlevé, comme ça, de la même façon (Mère passe sa main). Littéralement j'ai presque dansé! Une paire de jambes enlevée comme ça. Et instantanément, mes jambes ont senti ce qu'elles étaient avant (j'ai toujours eu des jambes fortes): cette force alerte, solide, habile, et... j'ai dû me retenir pour ne pas commencer à faire des galipettes! Mes jambes avaient l’impression: «Ah! voilà! maintenant on peut marcher!» Je leur ai dit: «Tenez-vous tranquilles», autrement elles se seraient mises à sauter et à gambader!

Et c'est resté, ce n'est pas revenu. J'attendais pour savoir si ça durerait – ce n'est pas revenu. C'est comme quelque chose qui est fini maintenant.

Mais qu'est-ce que c'était que cette formation?

Je ne sais pas.

Parce qu'il y a toujours – j'ai remarqué qu'il y a toujours plusieurs manières d'expliquer les choses... Mais une manière très populaire d'expliquer serait certainement qu'il s'agissait d'une espèce d'envoûtement! Pour la santé aussi.

Mais la dernière fois que X est venu, j'avais été très malade le jour de son arrivée, et on l’avait appelé en haut, dans ma chambre – mais au fond, c'est arrivé parce que je voulais qu'il vienne en haut! pour plusieurs raisons, pour qu'il voie certaines choses... Mais il n'a rien vu, ou s'il a vu, il n'a rien voulu dire. Il a dit: «Oh! c'est une maladie physique.» Ce n'était pas vrai, je n'avais pas de maladie physique (il est possible qu'il n'ait pas voulu dire). «C'est une maladie physique, il y a peut-être quelque chose du dehors mais ce n'est pas grand-chose.» Mais pour moi, il me semble que c'est une formation qui avait été faite depuis longtemps – l’impression d'être attaquée, ça, je l’avais tout le temps. Mais c'était quelque chose qui devait être fait très bien!4

C'était cela, ou bien une nécessité pour le travail, comme je le pensais souvent: une nécessité de préparation pour le travail – quelque chose qui devait être fait.

Ça a touché successivement toutes les parties de mon corps et toutes les activités des organes, très méthodiquement – très méthodiquement.

Mais est-ce que c'est nécessaire? Est-ce que toute cette désorganisation est nécessaire? – Peut-être que j'appelle ça désorganisation et que ce n'en est pas une?... Tu sais, dans ce domaine-là, on ne sait rien. Nous avons nos manières de voir qui sont les vieilles manières humaines, mais au point de vue physique, du fonctionnement du corps, on ne sait rien, ce qui est bien et ce qui n'est pas bien. C'est comme ce qui fait mal et ce qui ne fait pas mal: le premier mouvement du corps est de trouver que ça fait mal, mais si on réfléchit et qu'on regarde attentivement, c'est tout simplement une intensité de sensation dont on n'a pas l’habitude. Peut-être que ce devait être ça. Et si on avait l’habitude (et surtout si on n'y associait pas l’idée que c'est quelque chose de fâcheux), on sentirait tout différemment. Ce n'est en tout cas pas insupportable – on peut supporter beaucoup plus de choses, beaucoup plus qu'on ne croit.

Je ne suis pas sûre, n'est-ce pas. Nous marchons avec de vieilles notions, avec des vieilles routines et des vieilles habitudes, qu'est-ce qu'on peut savoir!?

En tout cas, c'était quelque chose qui devait suivre son cours et aboutir quelque part.

Il faut dire que quelques jours avant, trois ou quatre jours avant ma fête, il s'était passé quelque chose qui, apparemment, était très fâcheux,5 ou aurait pu être très fâcheux, et il y avait un point d'interrogation: «Est-ce que je serai capable de faire ce qu'il faut faire le 21?» Et ça ne m'a pas plu. J'ai dit: «Non, je ne peux pas planter ces gens juste quand ils attendent tant de ce jour-là. Ça ne va pas.» Alors toute la veille [la journée du 20], je suis restée concentrée exclusivement dans une sorte d'invocation, mais très-très profonde, très intérieure, pas du tout superficielle, loin de toute émotion et de tout sentiment – quelque chose enfin qui était au sommet de l’être. Et le contact avec Ça pour que tout soit vraiment au mieux et débarrassé de tous les faux mouvements, quels qu'ils soient, dans la Matière. Et la nuit du 20 au 21, j'ai été évidemment guérie, c'est-à-dire que j'ai suivi l’action et que j'ai vu que j'étais véritablement guérie. Le matin, quand je me suis levée, je me suis levée guérie: toutes les choses que je devais faire tout le temps, toutes les tapasya que je devais faire pour me garder «en route» – to keep going – n'étaient plus nécessaires: quelqu'un s'était chargé de tout ça, c'était tout fini. Et alors le matin, avec cette foule de deux mille et quelques centaines de gens, ça s'est passé tout à fait facilement, sans la moindre difficulté. Et l’après-midi, j'ai eu cette expérience pour mes jambes, très spéciale.

Évidemment, le 21 au matin, j'ai pu dire tout à fait spontanément et sans hésitation: «Aujourd'hui, le Seigneur m'a fait cadeau de ma guérison.» (Je parlais de tout ce que les gens m'avaient donné – c'était en anglais – et j'ai dit: «... et le Seigneur m'a fait cadeau de ma guérison.»)

Ça, c'est une explication qui se comprend bien, c'était le résultat de la tapasya. Cela se suffit. Parce que même, il y avait quelque chose qui disait à mon corps, à la substance du corps: «Ô substance incrédule, maintenant tu ne pourras pas dire qu'il n'y a pas de miracles», et ça, pendant tout le travail qui se faisait la veille, le 20. Il y avait quelque chose qui disait (je ne sais pas qui c'était – je ne sais plus parce que ça ne vient plus comme une chose étrangère, n'est-ce pas; c'est une Sagesse; ça a l’air d'être une Sagesse, quelque chose qui sait: ce n'est pas celui-ci ou celui-là, c'est «ce-qui-sait», quelle que soit la forme), quelque chose qui sait et qui disait au corps avec insistance, en montrant des choses, des vibrations, des mouvements, tout ça: «Ô, maintenant, substance incrédule, tu ne pourras plus dire qu'il n'y a pas de miracles.» Parce que c'est la substance, n'est-ce pas, qui est habituée à ce que chaque chose ait son effet, que les maladies suivent un certain cours et que même pour guérir, certaines choses doivent arriver (c'est très subtil, ça ne vient pas de l’intelligence, qui peut comprendre tout autre chose: c'est une sorte de conscience qui appartient à la substance physique), et c'est à ça qu'il était dit, montré des mouvements qui se passaient, des vibrations, des choses: «Tu vois, maintenant tu ne pourras plus dire qu'il n'y a pas de miracles.» C'est-à-dire une intervention directe du Seigneur, qui ne suit pas le chemin convenu, qui fait les choses... à Sa manière.

Il y avait eu cette attaque (c'était une attaque plutôt sérieuse qui a plongé le docteur dans une inquiétude intense) et cette attaque a eu lieu avant la distribution de saris,6 juste la veille, je crois. Et le matin de la distribution, pendant tout le temps de la distribution, c'était comme si quelqu'un d'autre s'était emparé de mon corps et lui faisait faire ce qu'il fallait et se chargeait de toutes les difficultés – moi, je n'avais pas de soucis, j'étais tranquille, comme un spectateur. Simplement l’impression d'être le spectateur confortable: je n'avais à me soucier de rien, c'était quelqu'un qui («quelqu'un» quoi? Quelqu'un, quelque chose, je ne sais pas, il n'y a plus de différence, ce n'est plus découpé comme ça, mais enfin c'était un être, une force, une conscience – c'était peut-être quelque chose de moi-même, je ne sais pas; tout ça, ce n'est pas tranché, coupé comme ça; c'est très précis mais sans division, très smooth – Mère fait un geste arrondi – sans coupures), et alors il y avait quelque chose, une volonté ou une force ou une conscience – une puissance, ça évidemment – qui avait pris possession du corps et qui lui faisait faire tout le travail, qui se chargeait de tout. Moi, j'assistais avec un sourire. Mais c'est parti. C'est venu juste pour faire ce travail (j'étais mal en point), et puis quand le travail a été fini, ça s'est dissous – ce n'est pas parti brusquement mais ce n'était plus actif. Après cela, j'avais une sorte de confiance, je me suis dit: «Eh bien, quelque chose comme cela peut arriver le 21 en tout cas, puisque ça vient d'arriver.»

Le 19 s'est passé couci-couça, et le 20 (toute la journée du 20) j'étais concentrée: plus de rapports avec personne, rien d'extérieur, seulement une intensité d'invocation comme... aussi intense et aussi concentrée que quand on veut se fondre dans le Seigneur en mourant. C'était comme cela. C'était le même mouvement d'identification mais alors avec, au centre, une volonté pour que tout aille bien ici [sur le plan matériel] – «aille bien», c'est-à-dire que j'ai dit au Seigneur: «Ton Bien À Toi, le vrai Bien, pas... Le vrai Bien, un Bien victorieux qui soit un progrès véritable sur les manières de la Vie.» Et toute la journée, je suis restée concentrée, et puis ça n'a pas bronché, tout le temps, tout le temps: même quand je parlais, c'était quelque chose de très extérieur qui parlait. Et alors la nuit, quand je me suis couchée, il y a eu le sentiment que ça avait changé: le corps se sentait dans une condition toute différente. Et quand je me suis levée le matin, toutes les douleurs, tous les désordres, tous les dangers, tout ça: disparu. Alors j'ai dit: «Seigneur, Tu m'as fait cadeau de la santé.»... Voilà.

Et ce changement était accompagné tout le temps par: «Maintenant, tu n'oublieras pas», à la substance du corps, n'est-ce pas, à ce qui compose les cellules. «Maintenant, vous n'oublierez pas, vous saurez qu'il PEUT y avoir vraiment des miracles.» C'est-à-dire que la façon dont les choses se passent dans la substance physique peuvent ne pas être du tout conformes aux lois de la Nature. «Vous n'oublierez pas, n'est-ce pas?» Ça revenait comme un leitmotiv: «Vous n'oublierez pas, n'est-ce pas? c'est comme ça.» Et j'ai vu qu'il était très nécessaire de leur répéter ça: elles oublient tout de suite, elles essaient tout de suite de trouver des explications (oh! ce qu'on peut être bête!) C'est-à-dire que c'est une espèce de sentiment (ce n'est pas une pensée individuelle du tout), c'est une façon de penser de la Matière. Elle est faite comme ça, elle est construite comme ça, ça fait partie de sa fabrication. Nous appelons ça «penser» parce que nous n'avons pas de mots, mais ce n'est pas «penser»: c'est une manière matérielle de comprendre les choses, c'est une capacité de comprendre dans la Matière.

Ah! maintenant, assez bavardé.


Plus tard:

Avant de commencer le travail, vois-tu une objection à ce que je fasse du «pranayama»?

Je crois que ça te ferait du bien, mon petit.

J'ai commencé il y a trois jours, mais tout le temps j'accrochais cette formation qui dit: «Oh! c'est dangereux, c'est dangereux, il faut faire attention.» Il y a une formation traditionnelle autour de cela. Alors ce matin, je me suis dit que j'aimais mieux t'en parler.

Tu le fais sans indication?

Il y a une façon traditionnelle de faire, je sais la recette.

C'est comment?

Le temps varie. On inspire par la narine gauche, pendant mettons 4 secondes, puis on retient sa respiration pendant 16 secondes en remontant le diaphragme et en fermant toutes les ouvertures; on garde ça 16 secondes, puis on expire de l’autre côté, 8 secondes.

Ce sont les chiffres «officiels»?

Oui, c'est-à-dire que la proportion est celle-là: 4 inspirer, 16 retenir, 8 expirer.

Seize?

Ce doit être le double de l’expiration. Si tu fais 8, ça fait 8-16-32.

Moi, je l’ai fait pendant des années, et mon système était le même: inspirer, retenir, renvoyer, et faire le vide. Mais le vide, il paraît que c'est dangereux, alors je ne te le conseille pas. Je l’ai fait pendant des années. Nous avons fait, Sri Aurobindo et moi, sans le savoir, à peu près la même chose, et toutes sortes de choses qui ne doivent pas se faire! Alors c'est pour te dire que le danger, c'est surtout ce qu'on pense. Tous les deux, nous avons, dans certains des mouvements, fait sortir l’air par le sommet de la tête – il paraît que ça, c'est quand on veut mourir! (Mère rit) Ça ne nous a pas tués!

Non, le danger, c'est SURTOUT une formation de pensée.

On arrive à un très excellent contrôle sur le cœur. Mais je ne faisais rien de violent qui demandait un effort. Les 16, garder 16, je crois que c'est trop. Je faisais simplement comme ça: aspirer très lentement en comptant 4 au-dedans, puis garder 4 comme ça (j'ai encore gardé l’habitude!) en remontant le diaphragme et en baissant la tête7 (Mère penche son cou), c'est-à-dire qu'on presse l’air en fermant tout (ça guérit pour ainsi dire instantanément toute attaque de hoquet, c'est pratique!) Et puis, pendant que je gardais l’air, je le faisais circuler avec la force (n'est-ce pas, ça contenait la force) et avec la paix aussi, et n'importe où il y avait un désordre physique, je faisais une concentration (une douleur ou quelque chose qui n'allait pas). C'est très efficace. Je faisais comme ça: inspiration, rétention, expiration et vide – on est tout à fait vide. C'est très utile, par exemple pour ceux qui nagent sous l’eau, c'est très commode!

La difficulté que j'avais, c'était de pouvoir inspirer assez lentement. C'est un peu difficile. J'avais commencé avec 4 et j'étais arrivée jusqu'à 12. Je faisais 12-12-12-12. Ça m'a pris des mois pour en arriver là, ça ne se fait pas vite. C'est difficile de respirer très lentement et de pouvoir contenir tout cet air.

Maintenant que j'ai perdu l’habitude, je ne peux guère faire plus de 6 (Mère fait une démonstration). Je compte comme cela: 1-2-3-4..., pas plus vite que cela.

Et expirer lentement – ça c'est très difficile – en ayant soin de vider tout le sommet des poumons, parce que c'est une partie qui ne se vide pas facilement et il reste de l’air corrompu. Il paraît que c'est l’une des causes les plus fréquentes des rhumes et de la toux: il y a de l’air corrompu. J'ai appris ça quand j'avais de la bronchite, j'ai appris à vider complètement l’air. Et surtout j'ai chanté, alors on a l’habitude du fonctionnement: on garde l’air, puis on le laisse partir lentement-lentement, pour pouvoir chanter sans s'arrêter.

Je te conseille de le faire.

Combien de temps le fais-tu?

Huit ou dix minutes, trois fois par jour avant mon japa.

Oh! c'est très bien.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai accroché cette formation traditionnelle qui dit que c'est dangereux
.
Mais c'est quelqu'un qui l’a mise sur toi, mon petit!

J'étais troublé.

Non, ce n'est pas dangereux du tout. À moins qu'on ne fasse des extravagances. Mais si on le fait simplement... Je crois qu'il y a des gens qui le font avec des idées de «pouvoirs», avoir des pouvoirs. C'est surtout cette idée d'avoir des pouvoirs, ça corrompt tout. Mais si on le fait simplement pour se rendre capable de progresser, il n'y a pas de danger.

En tout cas j'ai fait, et Sri Aurobindo aussi, beaucoup de choses qui sont considérées comme dangereuses, et il ne nous est absolument rien arrivé. Il n'est pas nécessaire de faire des choses dangereuses (!) mais il ne nous est rien arrivé, par conséquent ça dépend de comment on fait.

Je crois que tu peux enlever ça de ton esprit sans danger.

Mais c'est possible qu'au lieu de faire des temps égaux, il vaille mieux faire moins pour inspirer et plus pour garder l’air – oh! garder l’air, c'est très intéressant! Quand tu as ton air dedans, admets, par exemple, que tu aies mal à la tête ou mal à la gorge, ou une douleur au bras, n'importe quoi, alors tu prends ton air... (Mère fait la démonstration) et tu le diriges sur la partie malade – très-très commode, et agréable, et amusant. Amusant: on voit la force qui va, qui s'installe, qui reste, toutes sortes de choses.

Tiens, mais c'est amusant, parce que ce matin... Tu es venu au balcon?

Ces jours-ci, je venais, et ce matin, je ne suis pas venu

J'ai cru justement ne pas te voir (!) Mais quand je suis sortie au balcon, tout d'un coup quelque chose a commencé à me faire faire un pranayama! J'ai commencé à le faire, et c'était amusant, je me suis considérablement amusée! C'était comme le Seigneur qui entrait comme de l’air, et puis quand c'est resté comme cela, dedans (en même temps je faisais la chose physiquement), tout l’air a commencé à se répandre dans tout le monde, à faire dans chacun son travail. Et avec une sensation si confortable! d'une puissance si tranquille et si sûre d'elle-même! si confortable avec une paix!

Les balcons sont intéressants.

Eh bien, fais ça... suivant tes modes intérieurs.

À quelle heure?

Mon japa est le matin, à midi et le soir...


(Puis Mère écoute la lecture d'un ancien Entretien du 28 mars 1956, où un enfant demandait: «Comment augmenter la compréhension?» Mère avait répondu: «En augmentant la conscience, en allant au-delà du mental, en élargissant sa conscience, en approfondissant sa conscience, en touchant des régions qui sont par-delà le mental.»)

J'ajouterais maintenant une chose: c'est par l’expérience. C'est changer la connaissance en expérience. Et l’expérience vous conduit automatiquement à une autre expérience.

Parce que, ce que j'entends par «expérience», c'est tout à fait autre chose que ce que l’on entend d'habitude. C'est quelque chose qui est presque... pas nouveau mais qui prend une réalité nouvelle. Ce n'est pas «faire l’expérience de ce que l’on sait» – ça, c'est entendu et c'est banal –, mais... Il faudrait un autre mot. Au lieu de savoir ou de connaître (même une connaissance très supérieure à la connaissance mentale, même une connaissance très intégrale), c'est... devenir le pouvoir qui fait que ÇA EST.

Au fond, c'est devenir le tapas [énergie] des choses – le tapas de l’univers.

Ils disent toujours que le début de la Manifestation, c'est le Satchidânanda, et on le met dans cet ordre: d'abord Sat, c'est-à-dire l’Existence pure; puis Chit, la prise de conscience de cette Existence; et Ananda, la Joie de l’Existence qui fait que ça continue. Mais entre ce Chit et cet Ananda, il y a Tapas, c'est-à-dire le Chit qui se réalise. Et quand on devient ce tapas-là, le tapas des choses, alors on a la connaissance qui donne le pouvoir de changer.8 Le tapas des choses, c'est ce qui gouverne leur existence dans la Manifestation.

N'est-ce pas, je l’exprime pour la première fois, mais j'ai commencé à le vivre depuis une certain temps. Et quand on est LÀ, on a cette espèce de sentiment (comment dire?) d'une puissance si formidable! – C'est la puissance universelle. Alors là, on a le sentiment de la maîtrise totale de l’univers.

Mais on ne peut pas mettre ça.

Si!

Alors tu pourras le mettre!9

27 février 1962

72 – Le signe du commencement de la Connaissance est de sentir que l’on ne sait encore rien ou peu; et pourtant, si seulement je pouvais connaître ma connaissance, je possède déjà tout.

Alors quelle question tu poserais?

Tu n'as rien de spécial à dire?...

(Mère hoche la tête)

J'avais préparé une question comme cela: il arrive dans le sommeil qu'on ait une connaissance très exacte de ce qui va arriver, avec des détails matériels d'une précision surprenante, comme si tout était déjà là, accompli dans les moindres détails sur un plan occulte. Est-ce exact? Quel est ce plan de connaissance? Y en a-t-il un ou plusieurs? Comment procéder pour y avoir accès consciemment en état de veille? Et comment se fait-il que des gens sérieux qui ont une réalisation divine puissent se tromper parfois grossièrement dans leurs prédictions?

Ooh! mais c'est un monde! (Mère rit) Ce n'est pas une question, c'est vingt questions!

S'il y a quelque chose qui t'intéresse là-dedans...

C'est très intéressant, mais ça veut dire au moins huit pages!

Les rêves prémonitoires...

Il y a différentes sortes de rêves prémonitoires. Il y a des rêves prémonitoires à réalisation imédiate, c'est-à-dire rêver la nuit de ce qui arrivera le lendemain, mais il y a des rêves prémonitoires à réalisation plus ou moins échelonnée dans le temps, et, suivant la place dans le temps, ces rêves ont été vus dans des domaines différents.

Plus on remonte vers une certitude absolue, plus la distance est grande parce que ce sont des visions que l’on a dans un domaine très proche de l’Origine et que le temps entre la révélation de ce qui va être et la réalisation peut être très long. Mais la révélation est très certaine, parce qu'elle est très proche de l’Origine.

Il y a un endroit, quand on est identifié avec le Suprême, où on sait tout d'une façon absolue: dans le passé, dans le présent, dans l’avenir et partout. Mais généralement, les gens qui vont là, quand ils reviennent, ils oublient ce qu'ils ont vu. Il faut une discipline particulièrement sévère pour se souvenir. Ça, c'est le seul endroit où l’on ne se trompe pas.

Mais les mailles, ou les chaînons de communication ne sont pas toujours au complet et il est rare qu'on se souvienne.

Enfin, pour en revenir à ce que je disais, suivant le plan sur lequel on a vu, on peut plus ou moins juger du temps que la vision mettra à se réaliser, et les choses imédiates sont déjà réalisées, existantes dans le physique subtil, et on peut les voir là – simplement, elles sont, elles existent là, et ce sera seulement la réflexion (même pas une transcription), la réflexion ou la projection de l’image dans le monde matériel, qui se produira le lendemain ou quelques heures après. Là, on voit la chose exacte et dans tous les détails parce qu'elle est déjà. Tout dépend de l’exactitude de la vision et du pouvoir de vision: si vous avez un pouvoir de vision objectif et sincère, vous voyez la chose exactement; si vous y ajoutez des sentiments ou des impressions, ça colore. l’exactitude dans le physique subtil dépend exclusivement de l’instrument, c'est-à-dire de celui qui voit.

Mais dès que vous allez dans un domaine plus subtil, comme le domaine vital (et le domaine mental encore bien plus, mais déjà dans le domaine vital), il y a une petite marge de possibilités. Alors, grosso modo, on peut voir ce qui va arriver, mais dans les détails, ce peut être comme ceci ou comme cela: il y a des volontés ou des influences qui ont la possibilité d'intervenir et de créer une différence.

Ceci, parce que la Volonté originelle est reflétée pour ainsi dire, dans des domaines différents, et chaque domaine change l’organisation et la relation des images. Le monde dans lequel nous vivons est un monde d'images – ce n'est pas la chose elle-même dans son essence, c'est la réflexion de cette chose. On pourrait dire que nous sommes, dans notre existence matérielle, seulement une réflexion, une image de ce que nous sommes dans notre réalité essentielle. Et ce sont les modalités de ces réflexions qui introduisent toutes les erreurs et toutes les falsifications (ce que l’on voit dans l’essence est parfaitement vrai et pur, et existe de toute éternité; les images sont essentiellement variables). Et suivant le degré de mensonge introduit dans les vibrations, le degré de déformation et de transformation augmente. On pourrait dire que toute circonstance, tout événement et toute chose a une existence pure, qui est l’existence vraie, et un nombre considérable d'existences impures ou déformées qui sont l’existence de la même chose dans les divers domaines de l’être. Par exemple, dans le domaine intellectuel, il y a tout un commencement de déformation (le domaine mental a une quantité considérable de déformations), et à mesure que tous les domaines émotifs et sensoriels interviennent, les déformations augmentent. Et une fois qu'on arrive au matériel, le plus souvent c'est méconnaissable, unrecognizable. C'est complètement déformé. Au point qu'il est parfois très difficile de savoir que ceci est l’expression matérielle de cela – ça ne se ressemble plus beaucoup!

C'est une façon un peu nouvelle d'aborder le problème et qui peut donner la clef de beaucoup de choses.

Ainsi, quelqu'un que l’on connaît bien et qu'on a l’habitude de voir matériellement, si on le voit dans le physique subtil, il y a déjà des choses qui deviennent plus prononcées, plus visibles, plus importantes, et que l’on n'avait pas vues physiquement, parce que, dans la grisaille matérielle, elles avaient passé sur le même plan que beaucoup d'autres choses. Il y a des caractères, ou des expressions du caractère, qui deviennent suffisamment importantes pour être très visibles, et qui physiquement n'avaient pas paru. Quand vous regardez quelqu'un physiquement, il y a la couleur du teint, la forme des traits, l’expression – à la même minute, si vous voyez cette figure dans le physique subtil, tout d'un coup vous vous apercevez qu'une partie de la figure a une certaine couleur et une autre partie, une autre couleur; que les yeux ont au-dedans d'eux une expression et une sorte de lumière qui n'étaient pas du tout visibles; et que le tout a une apparence, et surtout donne une impression extrêmement différente qui paraîtrait, pour nos yeux physiques, quelque peu extravagante, mais qui est très expressive pour la vision subtile et révélatrice du caractère ou même des influences auxquelles est soumise cette personne (ce que je dis là est la notation d'une expérience que j'ai faite il y a quelques jours).

Donc, suivant le plan dans lequel on est conscient et où on voit, on perçoit des images, on voit des événements plus ou moins proches, et on les voit d'une façon plus ou moins exacte. La seule vision qui soit vraie et sûre, c'est la vision de la Conscience divine. Le problème est donc de devenir conscient de la Conscience divine et de garder cette Conscience dans tous les détails, tout le temps.

En attendant, il y a toutes sortes de manières de recevoir des indications. Cette vision exacte et précise et... (comment dire?) familière, qu'ont certaines personnes, peut avoir plusieurs sources. Ce peut être une vision par identité avec les circonstances et les choses quand on a pris l’habitude d'étendre sa conscience à l’entour. Ce peut être une indication donnée par un bavard du monde invisible qui s'amuse à vous prévenir de ce qui va arriver – ça arrive très souvent. Alors tout dépend de la qualité morale de votre «annonciateur»: s'il s'amuse à vos dépens, il vous raconte des histoires – c'est ce qui arrive la plupart du temps aux gens qui sont renseignés par des entités. Elles peuvent, pour amorcer les gens, leur raconter très souvent les choses telles qu'elles seront (parce qu'elles ont une vision universelle dans un domaine quelconque du vital ou du mental), et puis, quand elles sont bien sûres que vous aurez confiance en elles, elles peuvent commencer à vous raconter des blagues, et comme on dit en anglais, you make a fool of yourself [vous vous ridiculisez]. Ça arrive souvent! Il faudrait être, soi-même, dans une conscience supérieure à celle de ces individus ou de ces entités (ou de ces petites divinités comme certains les appellent) et pouvoir contrôler par en haut la valeur de leurs déclarations.

Si on a la vision mentale universelle, on peut voir toutes les formations mentales. Alors on peut voir (et c'est très intéressant) comment le monde mental s'organise pour se réaliser sur le plan physique. On voit les diverses formations, la façon dont elles s'approchent, se combattent, se combinent, s'organisent, et celles qui prennent le dessus et influencent plus et qui arrivent à une réalisation plus totale. Maintenant, si l’on veut avoir vraiment une vision supérieure, il faut sortir du monde mental et voir les volontés originelles à mesure qu'elles descendent pour s'exprimer. Dans ce cas, on peut ne pas avoir tous les détails, mais le fait central, le fait dans sa vérité centrale, est indiscutable, indéniable, absolument correct.

Il y a aussi les gens qui ont la faculté de prédire des choses qui sont déjà existantes sur terre, mais à distance, une grande distance, très loin des yeux physiques – généralement, ce sont ceux qui ont la capacité d'élargir et d'étendre leur conscience. Ils ont une vision physique, mais un petit peu plus subtile, qui dépend d'un organe plus subtil que l’organe purement matériel (ce qu'on pourrait appeler la vie de cet organe), et alors, en projetant sa conscience avec la volonté de voir, on peut voir très bien – on voit les choses, elles sont déjà, seulement elles ne sont pas dans le champ de notre vision ordinaire. Ceux qui ont cette capacité et qui disent ce qu'ils voient – qui sont des gens sincères, qui ne sont pas des bluffeurs –, voient d'une façon absolument précise et exacte.

Au fond, un grand facteur pour ceux qui prédisent ou qui prévoient, c'est leur absolue sincérité. Et malheureusement, à cause de la curiosité des gens, de leur insistance, de la pression qu'ils font – et à laquelle très peu savent résister –, quand il y a quelque chose que l’on ne voit pas d'une façon exacte ou précise, il y a une faculté d'imagination intérieure, presque involontaire, qui ajoute le petit élément qui manque. C'est cela qui fait les failles dans les prédictions. Il y a très peu de gens qui aient le courage de dire: «Ah! non, ça, je ne sais pas; ça, je ne vois pas; ça, ça m'échappe.» Ils n'ont même pas le courage de se le dire à eux-mêmes! Et alors un tout petit peu d'imagination, qui agit d'une façon presque subconsciente, et on complète la vision ou l’information – n'importe quoi peut arriver. Il y a très peu de gens qui savent résister à ça. J'ai connu beaucoup-beaucoup de voyants, j'ai connu beaucoup d'êtres qui avaient un don merveilleux – il y en avait très peu qui savaient s'arrêter juste là où ils ne savaient plus. Ou bien, pour un détail, on rajoute. C'est ça qui donne toujours à ces facultés une qualité un peu douteuse. Il faut être vraiment un saint – un grand saint, un grand sage – et tout à fait libre, pas du tout sous l’influence des gens (je ne parle pas de ceux qui veulent avoir une renomée, parce que alors là ils tombent dans des pièges grossiers), mais même une bonne volonté – vouloir contenter les gens, leur faire plaisir, les aider –, il suffit de cela pour que ça déforme.

(Souriant) Tu veux autre chose? Je t'ai répondu – à tout?

Je serais tenter de te demander une chose. Quand les événements sont prêts déjà, dans le physique subtil, et qu'on en a la vision, est-ce qu'il n'est pas trop tard pour changer les choses? Est-ce qu'on peut encore agir?

Il y a un exemple que je donne toujours, qui est très intéressant. C'est l’homme qui m'a raconté la chose lui-même. Il y avait un temps où, dans le journal Le Matin (il y a longtemps, tu devais être bien petit), il y avait tous les jours un petit dessin représentant un garçon, comme les garçons de lift (il m'a raconté ça en anglais), qui montrait du doigt quelque chose (une sorte de groom ou de garçon d'hôtel, habillé comme ça), et qui montrait toujours la date ou je ne sais quoi – un petit dessin. Et cet homme m'a dit (il était en voyage et il habitait un grand hôtel, je ne sais plus dans quelle ville, une grande ville) que la nuit, ou de bonne heure le matin, de très bonne heure le matin, il avait eu un rêve: il avait vu ce garçon d'hôtel, ce groom, qui lui montrait un char funèbre (tu sais comment c'est quand on emène les gens au cimetière là-bas, en Europe), qui l’invitait à monter dedans! Il a vu ça, puis le matin, quand il a été prêt, il est sorti de son appartement qui était tout en haut, et là, sur le palier... le même garçon, habillé de la même manière, lui a montré l’ascenseur pour qu'il descende. Ça lui a donné un choc. Il a refusé, il a dit: «Non, merci!» l’ascenseur est tombé. Il s'est écrasé, les gens dedans ont été tués.

Il m'a dit qu'après cela, il croyait aux rêves!

C'était une vision. Il avait vu ce garçon, mais au lieu de l’ascenseur, il lui montrait son corbillard. Alors quand il a vu le même geste, le même garçon (comme le dessin, n'est-ce pas), il a dit: «Non, merci! je descends à pied.» El la machine (c'était un ascenseur hydraulique), la machine s'est cassée. Elle s'est effondrée. C'était tout en haut, ça a été une bouillie.

Mon explication (justement il m'avait demandé): c'était une entité qui l’avait prévenu. l’image du groom laisse penser qu'il y avait l’intermédiaire d'une intelligence, d'une conscience – ça ne semble pas être son propre subconscient.1 Ou bien, c'est son subconscient qui était au courant parce qu'il avait vu dans le physique subtil que ça allait arriver – mais pourquoi son subconscient lui a-t-il fait une image comme cela? Je ne sais pas. Peut-être est-ce quelque chose dans le subconscient qui savait – parce que c'était déjà là, c'était déjà dans le physique subtil, ça existait. l’accident existait déjà avant d'arriver – la loi de l’accident.

Il y a évidemment toujours, pour tout, une différence, quelquefois de quelques heures (mais ça, c'est le maximum), quelquefois de quelques secondes. Et très souvent, les choses vous disent qu'elles sont là – pour qu'elles entrent en contact avec votre conscience, ça prend parfois quelques minutes, parfois quelques secondes. Constamment, constamment je sais ce qui va arriver (des choses absolument sans intérêt; il n'y a aucun intérêt à le savoir d'avance, on n'y change rien), mais ça existe et c'est autour de vous. Si votre conscience est assez large, vous savez tout ça, par exemple que telle personne va m'apporter un paquet (des choses comme cela). Et tous les jours c'est comme cela. Ou que telle personne est en train d'arriver. C'est parce que la conscience est répandue, alors elle contacte des choses.

Mais alors, on ne peut pas dire que c'est prémonitoire parce que ça existe déjà; c'est seulement le contact avec nos sens qui prend quelques secondes à se réaliser, parce qu'il y a une porte ou un mur, ou quelque chose qui empêche de voir.

Mais j'ai eu plusieurs fois des expériences comme cela. Par exemple, un fois, je me promenais dans la montagne; j'étais sur un sentier où il n'y avait de place que pour un: d'un côté, le précipice, et de l’autre, le rocher à pic. J'étais avec trois enfants derrière moi, et une quatrième personne qui fermait la marche. J'étais en tête. Et le sentier suivait le rocher, c'est-à-dire qu'on ne voyait pas où on allait (c'était d'ailleurs très dangereux: si on glissait, on était dans le trou). Je marchais en tête, et tout à coup, j'ai vu, avec d'autres yeux que ceux-ci (pourtant je regardais attentivement mes pas), j'ai vu un serpent, comme ça, sur le rocher, qui attendait de l’autre côté. Alors j'ai fait un pas doucement, et en effet de l’autre côté, il y avait un serpent. Ça m'a évité le choc de la surprise (parce que j'avais vu et que j'avançais avec précaution), et comme il n'y avait pas le choc de la surprise, j'ai pu dire aux enfants, sans leur donner de choc: «Arrêtez, restez tranquilles, bougez pas.» Avec le choc, il aurait pu arriver quelque chose: le serpent avait entendu du bruit, il était déjà lové et sur la défensive devant son trou, avec sa tête qui bougeait – c'était une vipère. C'était en France. Rien n'est arrivé. Tandis que s'il y avait eu de la confusion, un brouhaha, on ne sait pas ce qui aurait pu se produire.

Très-très souvent ce genre de choses m'est arrivé (pour les serpents, ça m'est arrivé quatre fois). Une fois, il faisait tout à fait nuit, c'était ici, près du village de pêcheurs d'Ariancoupom. Il y avait une rivière et c'était juste à l’endroit où elle se jette dans la mer, et il faisait nuit – la nuit était tombée très vite et on marchait sur une route et, au moment précis où j'allais baisser mon pied (j'avais déjà levé mon pied, j'allais le baisser), j'ai entendu distinctement une voix à mon oreille: «Attention!» Personne n'avait parlé pourtant. Alors j'ai regardé et j'ai vu, juste au moment où mon pied allait toucher terre, un énorme cobra noir, sur lequel j'aurais confortablement mis mon pied. Ce sont des gens qui n'aiment pas ça. Il a filé, et puis il a traversé l’eau – mon petit, c'était une beauté! Le capuchon ouvert, la tête droite, il a traversé comme un roi, tout ça dehors. Évidemment, j'aurais été punie de mon impertinence.

Des choses comme cela, j'en ai eues des centaines et des centaines: juste à la seconde (pas une seconde trop tôt) informée. Et dans des circonstances très différentes. Une fois, à Paris, j'étais en train de traverser le Boulevard Saint Michel (c'étaient les dernières semaines: j'avais décidé que dans un certain nombre de mois, j'aurais la jonction avec la Présence psychique, le Divin intérieur, et je ne pensais plus qu'à ça, je n'étais plus occupée que de ça). J'habitais là-bas, près du Luxembourg et j'allais me promener, m'asseoir au Luxembourg le soir – mais toujours intériorisée. Il y a une espèce de carrefour là, ce n'est pas un endroit pour traverser intériorisée, ce n'était pas très raisonnable! Et alors j'étais comme ça, j'avançais, lorsque, tout d'un coup, j'ai reçu un choc – comme si j'avais reçu un coup, comme si quelque chose me donnait un coup – et j'ai sauté en arrière instinctivement. Quand j'ai sauté en arrière, un tramway a passé – c'était le tramway que j'avais senti à une distance, peut-être d'un peu plus d'un bras étendu. Ça avait touché l’aura, l’aura de protection (à ce moment-là, elle était très forte – c'était en plein occultisme et je savais comment la garder), l’aura de protection avait été touchée et ça m'a littéralement jetée en arrière, comme si j'avais reçu le choc physique. Et avec les insultes du conducteur!

J'ai sauté et le tram a passé comme ça, juste à temps.

Je ne me souviens plus, mais enfin c'est à la pelle que je pourrais en raconter.

Les raisons peuvent être différentes. Très souvent, c'est quelqu'un qui m'informait: une petite entité, ou un être quelconque. Quelquefois, c'était l’aura qui protégeait. Pour toutes sortes de choses. C'est-à-dire que la vie était rarement limitée au corps physique. C'est commode, c'est bon. C'est nécessaire, ça augmente vos capacités. C'était ce que Théon m'avait dit tout de suite: «Vous vous privez de sens qui sont tout ce qu'il y a de plus utiles, même pour la vie la plus ordinaire.» Si vous développez vos sens intérieurs (il leur donnait des noms mirobolants), vous pouvez... (et c'est vrai, c'est tout à fait vrai), nous pouvons savoir infiniment plus de choses que nous n'en savons d'ordinaire, simplement en utilisant nos propres sens. Et pas seulement au point de vue mental, mais au point de vue vital et même au point de vue physique.

Mais quelle est la méthode?

Oh! la méthode est très facile. Ce sont des disciplines. Ça dépend de ce que l’on veut faire.

Ça dépend. Pour chaque chose il y a une méthode. Mais la première méthode, c'est d'abord de le vouloir, c'est-à-dire prendre une décision. Et alors on vous donne la description de tous ces sens et comment ils fonctionnent – ça, c'est une longue affaire. Vous prenez un sens (ou plusieurs) ou celui pour lequel vous avez le plus de facilités pour commencer, et vous décidez. Puis vous suivez la discipline. C'est l’équivalent des exercices pour se développer les muscles. On peut même arriver à se créer une volonté.

La méthode, quand c'est pour les choses plus subtiles, c'est de se faire une image exacte de ce que l’on veut, de se mettre en rapport avec la vibration correspondante, et puis de se concentrer et de faire des exercices. Comme s'exercer à voir à travers un objet, ou bien à entendre à travers un son,2 ou bien à voir à distance. Par exemple, j'ai été longtemps (plusieurs mois) immobilisée dans un lit, et je trouvais ça assez ennuyeux – je voulais voir. J'habitais dans une chambre, et au bout de la chambre, il y avait une autre petite chambre, et au bout de la petite chambre, il y avait une sorte de pont, et au milieu du jardin, ce pont se changeait en escalier et descendait dans un très grand et bel atelier construit au milieu du jardin3 – je voulais aller voir ce qui se passait dans l’atelier, parce que je m'ennuyais dans ma chambre! Alors je restais bien tranquille, je fermais mes yeux et j'envoyais ma conscience petit à petit, petit à petit, petit à petit. Et jour après jour: je prenais une heure fixe et je faisais l’exercice, régulièrement. D'abord, on se sert de son imagination, et puis ça devient un fait. Et au bout d'un certain temps, j'avais tout à fait la sensation physique que ma vision se déplaçait: je la suivais, et puis je voyais des choses en bas que je ne savais pas du tout. Je vérifiais après; le soir, je demandais: «Est-ce que ça, c'était comme cela? Et ça, c'était comme cela?»

Mais pour chacune de ces choses, il faut le faire pendant des mois, avec patience, une sorte d'obstination. On prend les sens l’un après l’autre: l’ouïe, la vue, et même on arrive à des choses subtiles du goût, de l’odorat, du toucher.

Au point de vue mental, c'est plus facile parce que là, on est plus habitué à la concentration. Quand on veut réfléchir et trouver une solution, au lieu de suivre des déductions de pensée, on arrête tout et on fait une concentration sur l’idée, sur le problème, et puis on arrive à concentrer-concentrer, intensifier le point du problème. On arrête tout et on attend, jusqu'à ce que, par l’intensité de la concentration, on obtienne une réponse. Ça aussi, ça demande un peu de temps. Mais quand on a été un bon élève, on a un peu l’habitude de faire cela, ce n'est pas très-très difficile.

Il y a une sorte de prolongement des sens physiques. Par exemple, les Indiens Peaux-Rouges ont une ouïe et un odorat beaucoup plus étendus que les nôtres (et les chiens!). Je connaissais un Indien (c'était mon ami quand j'avais huit ou dix ans, il était venu avec Buffalo Bill du temps de l’Hippodrome, il y a longtemps, j'avais huit ans), et il mettait son oreille par terre, et alors il était tellement calé qu'il savait la distance: suivant l’intensité de la vibration, il savait à quelle distance se trouvait le bruit de quelqu'un qui marchait. Après ça, imédiatement les enfants disaient: «Je voudrais bien savoir ça!» Et puis on essaie.

C'est comme ça qu'on se prépare. On croit qu'on s'amuse et puis on se prépare pour plus tard.

Voilà.

mars




3 mars 1962

Il y a un étrange Aphorisme...

Ah! lis-moi ça.

76 – l’Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J'attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.

Ça c'est embarrassant!

C'est terriblement embarrassant.

Nous pouvons le passer sous silence.

Je serais bien curieux de savoir ce que Sri Aurobindo entendait par là.

Je l’ai su, mais je me suis dépêchée de l’oublier.

Je l’ai su du temps où il était dans son corps.

Je m'en suis souvenue une fois, et chaque fois j'ai fait comme quand on met quelque chose dans une armoire (geste), et puis on ferme à clef.

On verra.

Ce n'est pas bon à dire.

J'ai su ce qu'il voulait dire. En ce moment je ne m'en souviens plus.1


Après le travail, à propos d'une note rédigée par le disciple:

Je ne veux pas te fatiguer les yeux, j'ai une écriture abominable!

Je peux lire ton écriture très bien!

Il y a une différence considérable entre les gens qui pensent ce qu'ils écrivent et ceux qui écrivent sans penser. Ceux qui écrivent sans penser, même si leur écriture est très soi-disant claire, ça fait un petit nuage et je ne comprends rien – je vois danser des mots. C'est la même chose pour la parole: les gens qui ne pensent pas en parlant, simplement ça fait un ronflement – les paroles sortent et je ne comprends rien.

6 mars 1962

Alors toi, ça va?

Je ne sais pas où j'en suis, du tout.

Tu es neutre.

Oui, je ne comprends plus rien du tout.

Neutre. Oui, ce qu'on appelle dull en anglais. Et alors (riant) tu as beaucoup de peine à ne pas être irrité.

Pourquoi. Qu'est-ce qui s'est passé?

Oh! rien. (Mère rit) Rien de précis. l’impression que si on te touchait, tu sauterais!

Mais je ne comprends plus rien vraiment. Je ne comprends plus. J'ai la foi absolue dans une Autre Chose – ça, depuis toujours, et ça ne varie pas. Mais... j'ai l’impression qu'il n'y a pas de progrès. Je ne vois rien devant moi, rien derrière moi, il n'y a rien. Je ne sais pas, je suis ici depuis pas mal d'années déjà, je n'ai pas l’impression d'avoir fait un atome de progrès, rien – je ne vois rien. Je ne perds pas la foi parce que c'est ma seule raison d'être; s'il n'y avait pas ça, je me suiciderais, s'il n'y avait pas cette certitude d'Autre Chose. Mais pratiquement...

Il y a des périodes comme cela.

Mais il n'y a rien pour vous faire dire qu'on progresse, pour vous donner confiance: «Ah! oui, on est sur la voie.» Rien.

Ce doit être, en soi-même, quelque chose qui doit être conquis, c'est-à-dire que l’état lui-même représente une chose qui doit être conquise. Parce que... n'est-ce pas, je t'ai dit l’autre jour que j'avais eu cette espèce d'expérience si formidable dans la conscience corporelle1 – cette conscience qui est si neutre et si, oui, si dull, dans le monde matériel; où on a justement l’impression de quelque chose qui ne bouge pas, qui ne change pas, qui est incapable de répondre – qu'on pourrait attendre des millions et des millions d'années, que rien ne bougerait. Et cette expérience-là était venue à la suite d'un assez mauvais passage – il faut des catastrophes pour que ça commence à bouger, c'est tout à fait curieux! Et non seulement cela, mais le petit brin d'imagination que ça a (si l’on peut appeler cela imagination), c'est toujours catastrophique. Si ça prévoit quelque chose, ça prévoit toujours le pire. Et un pire qui est tout petit, tout mesquin, tout vilain – c'est toujours le pire. Et c'est... vraiment, c'est la condition la plus écœurante de la conscience humaine et de la matière. Eh bien, je suis en plein là-dedans, depuis des mois, et ma façon d'être là-dedans, c'est de passer par toutes les maladies possibles et d'avoir tous les embêtements physiques possibles, l’un après l’autre.

Ces temps derniers, je te l’ai dit, les choses étaient devenues vraiment un peu... dégoûtantes, dangereuses, et j'ai fait une sâdhanâ d'une heure, une heure et demie comme ça (Mère tient ses deux poings serrés) en tenant ce corps et cette conscience corporelle. Et pendant tout le temps du travail de cette Force là-dedans (c'est comme quand on pétrit une pâte qui est très résistante), il y avait quelque chose qui me disait: «Tu vois, tu ne peux plus nier qu'il y a des miracles.» Et c'était à cette conscience (ce n'était pas à moi naturellement), c'était à cette conscience corporelle que ça disait cela, comme ça: «Tu vois maintenant, tu ne peux pas nier qu'il y a des miracles.» Et elle était obligée de voir – elle était là, bouche ouverte «Ah!» comme un idiot à qui on montre le ciel! Mais c'est tellement bête que ça n'avait même pas la joie de cette découverte! Mais elle était obligée de voir, c'était sous son nez; il n'y avait pas moyen d'en sortir, elle était obligée de reconnaître. Eh bien, mon petit, dès que j'ai cessé la pression – oublié!

Moi, je me souviens naturellement de toute l’expérience – elle, elle a oublié. Dès qu'il y avait une petite difficulté, même simplement l’ombre, le souvenir de la difficulté: de nouveau «Oh! oh! oh! qu'est-ce qui va arriver?» Les mêmes anxiétés, les mêmes stupidités.

Alors je me rends compte qu'il faut continuer.

Mais ce qui est embêtant, c'est que je passe par d'assez mauvais moments physiques, et qui sont nécessaires pour secouer ça. Alors tu sais, je comprends pour les autres ce que c'est! Parce que je ne perds jamais la conscience ni le contact avec... pas avec la Connaissance, mais avec l’EXPÉRIENCE absolue de l’identification. C'est seulement le travail, là, dans la Matière, qui est comme cela. Et alors je comprends pour ceux qui vivent comme cela, au jour le jour, à la minute la minute, pour qui ce n'est pas un travail constant, permanent, de chaque seconde, et absolument conscient et volontaire... et avec la bonne volonté du corps, n'est-ce pas: cette pauvre chose, je l’ai surprise quelquefois à pleurer comme un enfant! et puis à implorer: «Comment faire pour sortir de là?» C'est ça, c'est ça qui a fait que les gens – tous les gens qui avaient réussi à avoir la réalisation intérieure ont dit: «C'est impossible.» C'est leur impossible! – Je sais que ce n'est pas impossible, je sais que ce sera, mais... Et combien de temps ça prendra? Je ne sais pas.

J'ai l’impression... mon impression, c'est que si on veut se dépêcher, si on veut presser, aller un peu plus vite, ça se bloque, ça devient comme une pierre – ça retourne à l’état de pierre. La pierre, pour devenir un homme, ça a pris longtemps... Alors je ne veux pas de ça. On ne peut pas dépasser une certaine impatience – même pas impatience: une certaine pression. Au-delà d'une certaine pression, ça devient une pierre. Alors je comprends les gens qui ont eu la réalisation, qui sont dans le bonheur de la réalisation – eh! ils donnent un coup de pied à ça, ils disent: «Eh bien, je m'en passerai.»

C'est ce qui est toujours arrivé.

Mais je ne peux pas.

Je fais toujours cela, je dis: «Ah! bien, c'est bon, maintenant je... (je dis au Seigneur avec un sourire), maintenant, si Tu as décidé que je m'en aille, je m'en vais, très volontiers.»

S'il donnait une gifle, Il me la donnerait! – Je le sais, n'est-ce pas, je le sens bien, même en le disant.

C'est simplement pour être sûre que la conscience est dans un état de parfaite égalité; c'est-à-dire que ce soit comme cela ou comme cela ou comme cela, tout ça, ça m'est absolument indifférent: ce que Tu veux – spontanément et entièrement et exclusivement –, Ma Volonté. Je dis «Ma» Volonté exprès, pour dire qu'il y a adhésion totale – ce n'est pas une soumission, ça n'a rien à voir avec une soumission: c'est comme ça (geste d'abandon total). Eh bien, malgré ça, ça ne fait pas beaucoup de progrès.

Oui, tout d'un coup, tout d'un coup – tiens, par exemple (ça n'a l’air de rien du tout mais quand on en est à ce point-là...), le contrôle conscient d'un fonctionnement du corps ou d'un autre qui tout d'un coup commence à poindre, qui vous fait entrevoir le moment où ce sera une volonté consciente qui fera fonctionner tout ça – ça, c'est en route. Mais c'est un tout-tout petit, petit, petit commencement. Et la moindre intervention mentale du vieux mouvement abîme tout. C'est-à-dire la vieille façon de se conduire avec son corps: on veut ceci et on veut ça et on veut ça, et on veut lui faire faire ça et on veut lui faire faire... – de la minute où ça, ça montre son nez, tout s'arrête. Le progrès s'arrête. Il faut être dans un état d'union béatifique, alors... alors on perçoit le nouveau fonctionnement qui commence.

Mais c'est devenu un jeu tellement délicat! Une toute petite chose, toute petite, détraque tout: simplement un mouvement ordinaire, le mouvement du fonctionnement ordinaire; quand, par une sorte d'habitude, on glisse là-dedans (c'est tout petit, ce ne sont pas des choses qui se voient facilement: c'est ténu-ténu-ténu; il faut être très-très-très attentif), si ça arrive, tout s'arrête. Alors il faut attendre. Il faut attendre que ça veuille bien s'arrêter, c'est-à-dire entrer en méditation, contemplation – refaire tout le chemin. Et alors, quand on a rattrapé Ça, quand on peut rester là-dedans quelques secondes, quelquefois quelques minutes (quand c'est quelques minutes, c'est merveilleux)... et puis encore ça s'enraye, encore tout recommencer.

Je ne te dis pas cela pour te décourager, mais pour te dire qu'il faut vraiment, vraiment avoir de la patience. La seule chose possible, c'est de le faire dans une sorte de passivité: ne pas vouloir le résultat – si on veut le résultat, on fait entrer là-dedans un mouvement d'ego, qui abîme tout.

Mais il y a longtemps que je t'ai dit qu'on était très proches – il y a longtemps.

Alors quand les gens me demandent, je dis (pour leur dire quelque chose): «On verra.» Ce n'est pas du tout que je ne sais pas – je sais parfaitement comment ce sera. (Riant) Mais je ne sais pas quand! Ça, je ne sais pas. Encore maintenant, je ne sais pas quand.

Parce que, ce qui veut savoir quand, c'est encore quelque chose qui se dépêche.

Non, il faut être un saint, mon petit! (Mère rit beaucoup)

(Le disciple fait la grimace)

Oui, eh bien, moi non plus!

Moi aussi, je disais ça! Quand Sri Aurobindo était là, je disais à tout le monde: «Oh! je ne suis pas une sainte et je ne veux pas être une sainte!» Et voilà ce qui m'est arrivé!

Il faut être un saint sans sainteté.

Pas de sainteté du tout.

Les moindres règles, tu sais, comme toutes ces règles qu'on vous enjoint: «Surtout ne faites pas ça; surtout faites ceci, n'oubliez pas ça», comme, par exemple, les ablutions, les attitudes, tout ça, les nourritures – et il y en a! (il y en a une pile de «pas ça et pas ça et pas ça, et puis ça, et ça»), tout ça, balayé! Et balayé au point que même, parfois, c'est comme un obstacle. Quelque chose qui est surtout recommandé: «Surtout faites cela, surtout faites ceci» (une attitude ou une chose), c'est comme un obstacle. Je n'ose même pas le dire, mais la régularité dans les heures, par exemple: être toujours à la même heure pour les ablutions, faire son japa toujours de la même manière, tout ça. Et je vois bien, je sais très bien que c'est Sri Aurobindo qui me met toutes sortes d'obstacles idiots – des obstacles dont je pourrais me débarrasser avec une seule seconde de réflexion –, il les met comme ça, il a l’air de jouer! C'est comme cet aphorisme où il disait qu'il s'est querellé avec le Seigneur et que le Seigneur l’a fait tomber dans la boue, tu te souviens?2 Ça me fait tout à fait cet effet-là! Il me met des bâtons dans les roues, et il rit. Alors je dis: «Ça suffit, c'est bon, je m'en fiche! Je fais tout ce que Tu veux, je ne m'en occupe pas: je le fais, je ne le fais pas, je le fais comme ceci, je le fais comme cela...» Tout ça, parti, en fumée.

Mais ce qui est devenu constant (je ne devrais pas le dire parce que ça va encore m'attirer des ennuis!) mais enfin, ce qui essaye d'être constant, c'est le discernement. Toutes les circonstances, les vibrations, les rapports, ce qui vient de l’entourage, ce qui répond – situer toutes les choses. Un discernement de chaque seconde. Je m'aperçois d'où viennent les choses, de pourquoi elles sont là, de l’effet qu'elles ont, vers quoi ça va me mener, tout ça. Ça devient de plus en plus fréquent, constant, automatique – comme un état.

Ça, c'est à peu près la seule chose dont le progrès est très visible. J'espère que le fait d'avoir parlé ne va pas me mettre encore dans quelque difficulté!

Mais toute impatience et toute irritation... Enfin, si ça vous soulage. Il y a des gens qui ont besoin de ça comme d'une soupape de sûreté. Mais ça vous fait perdre beaucoup de temps.

Un jour, j'étais comme ça, tendue, c'était devenu si «intolérable» comme on dit, que quelque chose dans le vital le plus matériel est entré dans un état qui généralement est considéré comme une fureur (c'était tout à fait contrôlé, en ce sens que ça avait fonctionné comme une soupape de sûreté et c'était regardé comme cela, justement dans toutes ses vibrations). J'étais toute seule dans la salle de bains, personne pour me voir: j'ai empoigné je ne sais plus quoi, et vlan! par terre.

Ouf! ça m'a soulagé.

Voilà.

Mais qu'est-ce qu'il faut faire en attendant? Faire quoi?

Je te dis, moi, ce que je fais – je dis au Seigneur: «Bien, si c'est comme cela, eh bien, je ne fais plus rien; je me mets dans Tes bras et j'attends.» Et je le fais réellement (j'allais dire matériellement), concrètement – et je ne bouge plus: «C'est Toi qui feras tout, je ne fais plus rien.» Et vraiment je reste comme cela. Alors naturellement, c'est imédiatement une grande joie, et je ne bouge plus.

N'est-ce pas, je suis absolument débordée de travail matériel, de lettres, de gens, de choses à arranger, à décider, de grandes organisations, tout ça qui tombe sur moi de tous les côtés et qui essaye de me prendre tout mon temps et toute mon énergie. Il y a des moments où ça devient vraiment trop. Alors, quand c'est trop, je dis: «Bon, maintenant Seigneur, je me couche dans Tes bras.» Et je suis là, je ne pense plus à rien, je ne m'occupe plus de rien, et... je rentre dans la Béatitude. Généralement, au bout de dix minutes, tout va bien!

l’ennui, c'est que les mécanismes mentaux ne sont plus là. Avant, avec le mental, on entreprend ceci, on fait cela; mais je ne fais pas fonctionner ça, alors rien ne me fait bouger!

Bien sûr. Mais c'est un grand progrès.

Mais non! Parce qu'il y a peut-être des choses que je devrais faire.

Non.

Non. C'est un grand progrès. C'est un immense progrès.

Eh bien, oui! mais j'ai l’impression de ne rien faire, par exemple...

Oui.

Sauf le strict nécessaire, parce que ça doit se faire, alors je le fais, autrement... Je n'ai pas envie de faire bouger le mental, je veux autre chose.

Eh bien, oui! Dieu merci, je te le dis, c'est un immense progrès. Tu devrais te réjouir.

Oui, mais pratiquement je ne fais rien.

Mais qu'est-ce que ça peut faire!

Tu peux te coucher sur une natte, regarder une fleur, ou regarder un bout de ciel si tu en vois, au besoin (moqueuse) fumer une cigarette pour t'occuper, et puis rester comme ça, relaxed. Et si tu fais ton pranayama, tu t'apercevras avec ça, avec cette «relaxation», que tu vas devenir extrêmement fort – accumuler, accumuler, accumuler des énergies. Et alors l’effort ne sera rien, tu feras ça comme en te jouant.

Mais c'est la vieille habitude. C'est la vieille habitude d'avoir peur d'être paresseux. Il m'a fallu... Mais ça, Sri Aurobindo m'a guérie assez vite. C'était comme cela avant de le rencontrer. Et c'est la première chose qu'il ait faite: la tape sur la tête, toute activité partie, un silence complet, toutes les constructions mentales, toutes les habitudes mentales, tout ça, fini!... en un clin d'œil.

Et alors j'ai fait bien attention que ça ne revienne pas.

Et après ça, alors...

Il dit cela quand il explique l’égalité mentale', il dit qu'on arrive à un état où on est incapable to initiate, c'est-à-dire de mettre en mouvement une activité, et que si on ne reçoit pas comme un choc l’impulsion d'en haut, on ne bouge pas – on ne fait rien, on reste comme ça, absolument immobile dans sa pensée (pas seulement physiquement mais dans sa pensée, surtout dans sa pensée): on ne commence rien.

Avant, n'est-ce pas, tout le temps la pensée crée, émane des actions, des volontés, des mouvements, produit des conséquences; et justement on a très peur quand ça s'arrête: on a l’impression qu'on devient idiot. Mais c'est tout le contraire! Plus une idée, plus une volonté, plus une impulsion, plus rien. Et alors on ne fait que quand il y a quelque chose qui vous fait faire – on ne sait pas pourquoi ni comment.

Naturellement, ce n'est pas d'en bas, il ne faut pas que ça vienne d'en bas. Mais on ne peut avoir ça, vraiment, que quand on en a fini avec tout le travail d'en bas.

Sans date (mars) 1962

(Au début de cette entrevue, Mère fait appeler Pavitra à propos de certaines lettres et démêlés avec un professeur de l’École de l’Ashram:)

Vous savez... quand les enfants se réunissent et qu'ils font un jeu, il font un tribunal ou une école ou une armée – vous savez comme ils sont sérieux?

(Pavitra:) Oui, Mère.

Oh! et puis si on fait une faute, on est puni... Eh bien, vous me faites l’effet d'enfants comme cela! C'est ça qui est ennuyeux. Alors je commence à rire, je ne peux pas vous prendre au sérieux. Vous êtes trop sérieux pour que je vous prenne au sérieux! C'est très ennuyeux.

J'ai pris vos papiers très sérieusement, je voulais finir de tout ça, j'essayais de finir – je regarde ça, et puis dès que j'ai commencé à lire vos lettres, vos compte-rendus... tout de suite j'ai vu une cour, des enfants (Mère prend un ton solennel): «Maintenant, nous allons jouer au tribunal... maintenant, nous allons jouer à l’école...» J'ai vu ça. «C'est comme cela et puis pas comme ça, et puis surtout ne vous trompez pas. Il faut faire attention!»

(Pavitra:) Mais Mère, je n'avais aucune idée de prendre une décision, seulement quand S envoie une lettre, deux lettres, et puis qu'il demande la réponse de Mère, je suis bien obligé finalement de m'adresser à toi.

Mais Mère ne veut pas prendre de décision, parce que... parce que ça ne dépend pas d'une décision de moi. Je peux vous dire ce que c'est (vous ne me le demandez pas, mais ça ne fait rien, je vous le dis tout de même): S a son intérêt ailleurs; ce qui l’intéresse, c'est autre chose – ça, c'est son affaire à lui, je le sais, nous le savons. Il fait sa classe à l’École par une sorte de devoir, pour faire quelque chose «pour l’Ashram» – il le fait avec ce qu'il sait (il sait), avec tout son sérieux, mais rigidement, c'est-à-dire que quand on travaille, on travaille, on ne s'amuse pas. Et puis il n'a aucune sympathie ou intérêt pour les élèves, pour leur compréhension – enfin pour qu'on progresse. Alors c'est comme cela. Sa classe est comme un coup de trique – les élèves, ça les embête.

(Pavitra:) Oui, Mère, c'est vrai.

Ce n'est pas ce qu'il enseigne – ça dépend de comment il enseigne. Et qu'est-ce que vous voulez changer à ça?

(Pavitra:) Je vais laisser les choses comme cela, je vais simplement dire que tu as dit que l’on devait continuer comme avant.

Non, je considère que ce qu'il propose est raisonnable, parce que si on dit: it's optional [c'est facultatif], personne ne vient.

(Mère donne diverses explications)

Si vous lui dites cela, normalement ça doit marcher. Allez-y et gardez votre foi (avec un sourire moqueur): que Dieu vous bénisse!

(Pavitra sort:) Oui, Mère.

(À Satprem:) Je n'arrive pas à les prendre au sérieux, c'est dommage!

Tiens (Mère donne des fleurs): ça, c'est magnifique!... Et tes pigeons vont bien?... [des pigeons blancs] Maintenant je m'intéresse à tes pigeons!

Ils sont gentils.

Alors, mon petit, X ne vient qu'après le 14 avril. Oui, il a changé son programme. Il souffre, et, parait-il, assez sérieusement.

Il y a longtemps, oui.

Et alors naturellement ça s'aggrave – ce sont ses heures de poudjâ. C'est trop. Ça devrait être compensé par au moins une heure de course!

Ah! travaillons...

11 mars 1962

(Le disciple propose à Mère de lui relire certains anciens Agenda: Mère refuse)

Tu sais, j'avais presque envie de te dire: tous ces «machins» de l’Agenda, ce n'est pas pour la circulation. Ce n'est que quand j'aurai fini – et alors ça n'aura plus aucune importance, ce qu'il y a là-dedans. Ou bien je serai partie, et alors je mettrai un petit mot pour dire que je ne veux pas que ce soit publié...

Pourquoi!

... Et que je le donne seulement à... je dirai à quelle personne.

Alors ça ne fait rien. Au fond, tu pourrais le taper comme tu l’as pris. Tu me le dis surtout avec l’idée qu'il y aura (riant) des additions, hein?

peut y avoir des additions, mais aussi il y a des questions.

Quelquefois il faut que j'enlève, non?

Non, pas enlever! Mais des choses que, parfois, je n'ai pas très bien saisies, ou bien interprétées – j'ai interprété parce que tu fais un geste ou...

Parce que c'était incomplet – inexprimé.

Dans chacun de ces textes, il y a toujours un point comme cela. C'est à toi de voir si tu veux que je te lise ce point uniquement ou...

N'est-ce pas, il y aura un moment, je pense – il y aura un moment où ce sera intéressant. Alors, au fond, il ne faut pas gaspiller les tapes [les bandes magnétiques].

Mais non! je ne suis pas de ton avis. Enfin objectivement, c'est extrêmement instructif de voir justement les difficultés à travers lesquelles tu as passé.

Mais ça ne peut pas être instructif pour publication, c'est beaucoup trop personnel.

Oui, pour une publication maintenant, mais pour une publication, disons dans cinquante ans?

Oh! dans cinquante ans, ça n'aura plus d'intérêt.

Pardon!

Tu crois?

Ah! je pense bien. Il y a tout ce chemin...

Eh bien, je te donne rendez-vous dans cinquante ans, nous verrons ça. Nous verrons comment ça nous intéressera.

Mais si, douce Mère!

Tu crois que tu auras des cheveux blancs?... Moi, je n'ai pas de cheveux blancs – je ne les teins pas, tu sais; ce n'est pas de la teinture, c'est naturel!

Non, tu as une couleur de cheveux qui ne devient jamais blanche.

Écoute! mes tempes sont déjà toutes blanches!

Tu auras une barbe dans cinquante ans?

Non, je n'aime pas les barbes.

Ah! bon, tant mieux!

J'aime mieux être tout rasé.

Alors tu deviendras comme un Bhikkou. Bon.

Alors dans cinquante ans nous nous occuperons de l’Agenda.

Mais vraiment, douce Mère, objectivement, il y a énormément de choses intéressantes là-dedans...

Oui, mon petit, mais la prochaine fois, pas aujourd’hui.1


(Mère écoute la lecture d'un ancien Entretien2 concernant le monde vital. Elle refuse de laisser publier cet Entretien dans le Bulletin.)

J'ai dit, pour commencer, que le vital est peuplé de petites entités, de petites formations qui sont les détritus des êtres humains après leur mort. Mais il y a tout un monde vital qui n'a rien à voir avec cela, qui est peuplé par des êtres du vital proprement dit, où il y a des êtres d'une grande puissance, et même d'une grande beauté – et qui trompent la plupart des êtres humains qui s'occupent d'occultisme sans avoir la vie spirituelle suffisante. Ils sont imédiatement leurrés par ces êtres-là, ils les prennent pour... il y en a pour qui c'est le Dieu suprême et qui en font des objets d'adoration – ce sont généralement des créateurs de religion. Ils ont beaucoup de succès. C'est le Dieu suprême de beaucoup de religions; ce sont des êtres du vital, et ils peuvent prendre des apparences d'une beauté foudroyante. Ce sont les grands trompeurs du monde, et dangereux trompeurs parce qu'il faut avoir l’instinct spirituel de la vraie pureté spirituelle pour ne pas être trompé. Il y a des quantités de religions et de sectes qui se forment avec une révélation et des miracles – et tout ça, tout ça, ce sont des êtres du vital.

C'est l’un des grands problèmes de la vie humaine – je ne veux pas dire de la vie spirituelle mais de la vie des gens qui s'occupent de l’au-delà.

Il y a des ciels (pas des cieux: des ciels), dans le monde vital, qui sont de vrais paradis. Il y manque l’élément vraiment divin, n'est-ce pas, mais ce n'est que la pureté spirituelle et le sens spirituel vrai qui vous donnent la différence. Tous les gens qui restent dans le vital-mental sont complètement trompés. Ils voient des choses merveilleuses, ils voient des miracles en grand nombre (c'est là où il y a le plus de miracles!)

Alors si je n'ai pas dit cela [dans cet Entretien], j'ai tu une grande partie du sujet. Généralement je ne parle pas de ces choses, ou je le dis seulement en passant, parce que ça fait une peur terrible aux gens; imédiatement ils commencent à se dire: «Ah! est-ce vraiment un dieu? Est-ce ceci, cela? Est-ce que ce n'est pas un diable déguisé?» N'est-ce pas, ils s'affolent.

Mais c'est absolument vrai que pour faire ces choses-là, il faut, ou être complètement sous la protection d'un gourou qui soit un vrai gourou, un homme qui sait, ou il faut avoir une pureté (pas une sainteté), une pureté vitale et mentale absolue. Il est arrivé très-très souvent que des gens qui sont des bhakta de Sri Aurobindo ou de moi, eh bien, s'ils sont sincères, si ce sont vraiment des êtres sincères, c'est-à-dire d'une grande pureté spirituelle, il y a des tas d'êtres qui leur apparaissent et ils leur disent: «Je suis Sri Aurobindo», tout le temps, avec toutes les apparences (ça, un déguisement, c'est très facile à faire). Il faut avoir cette pureté psychique intérieure, alors on n'est pas trompé; parce qu'il y a toujours quelque chose qu'on SENT et qui fait qu'on ne se trompe pas. Mais autrement, il y en a beaucoup-beaucoup qui sont trompés.

Mais je n'aime pas en parler parce que les gens n'ont pas de discernement; ils n'ont plus, alors, que la crainte, et puis ils ne croient plus à rien; ils sont toujours à me dire: «Oh! est-ce que ce n'est pas une tromperie?» Et alors ça paralyse tout. C'est pour cela que je n'en ai pas parlé dans cet Entretien.

Tu en dis deux mots.

Il faudrait, au moins, dire que dans le monde vital, il y a des êtres qui peuvent se revêtir à volonté d'une apparence tout à fait trompeuse – toutes les lumières les plus éblouissantes sont dans le vital. Mais elles ont une qualité spéciale. Pour ceux qui sont- allés vraiment vers LA Lumière, ils ne sont pas trompés, parce que... c'est indéfinissable, c'est quelque chose que le sens spirituel seul sent. C'est-à-dire la paix, la pureté, le sentiment de la sécurité parfaite, de la paix parfaite, de la pureté parfaite (et encore, j'hésite à employer le mot pureté parce qu'on lui donne un sens tellement imbécile!), c'est-à-dire l’absence de tout mélange.

Pour ceux qui ont le sens spirituel, les lumières vitales les plus éblouissantes ont toujours quelque chose d'artificiel – artificiel, et alors froid, dur, agressif, trompeur. Tout ça, ça se sent. Mais il faut être sorti de tout ça justement; il faut qu'on ne se trompe pas soi-même pour ne pas être trompé!

C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle je ne parle pas d'occultisme. Je n'aime pas parler d'occultisme aux gens, parce que ça les met en rapport avec un monde extrêmement dangereux où on ne peut entrer en sécurité que quand on est (je ne peux même pas dire un saint parce que ce n'est pas vrai, il y a des saints qui entrent dans le monde vital et qui y sont en plein!) que quand on est transformé, qu'on a vraiment la conscience spirituelle. Là, on est en sécurité parfaite. Mais c'est seulement à cette condition-là. Et alors, quels sont les gens qui ont la conscience spirituelle? – Ils sont vraiment très peu nombreux, très peu nombreux. Et surtout, généralement, ceux qui ont cette curiosité occulte ont en eux toutes sortes de choses du vital qui font qu'ils sont en danger quand ils entrent là-dedans. À moins, naturellement, qu'ils y entrent avec le bouclier de la présence du gourou, alors là on peut aller partout; c'est l’équivalent d'y aller avec lui. Si on y va avec lui, alors ça va bien: c'est lui qui a la connaissance, c'est lui qui vous protège. Mais y aller personnellement, indépendamment, c'est... il faut avoir la Protection divine elle-même! Ou celle du gourou qui représente le Divin. Avec la protection du gourou, naturellement, on est en sécurité.

Mais est-ce qu'il n'y a pas une collaboration possible, fructueuse, avec ces êtres? Ils sont à éviter, ou quoi?

Une collaboration? Pas tels qu'ils sont, et pas dans le monde tel qu'il est, non.

Je t'ai raconté plusieurs fois mes rapports avec le Seigneur des Nations – c'est cela. On ne peut pas appeler ça une collaboration!

Ils savent, les grands (je ne parle pas de toute la multitude des petits mais des autres: il y a quelques grands seulement; il y a eux, et puis des millions d'émanations – ils sont par pelletées – mais eux-mêmes ne sont pas nombreux), eh bien, eux, savent suffisamment pour savoir quelle est leur situation dans l’univers et qu'ils auront une fin. Ils savent qu'ils sont coupés du Suprême et qu'il y a quelque chose qui est le Suprême (quoiqu'ils le nient) et que ça aura une fin. Mais ils ont pris la position de nuire au Travail, à l’Œuvre, au Développement, et de détruire autant qu'il est en leur pouvoir de détruire.

Il y a ceux qui se convertissent, mais alors quand ils se convertissent, c'est une grande entité qui vient dans le Travail divin – ce n'est pas fréquent.

Oui, mais les petites divinités? Souvent, tu parles de «petite Kali» ou de «petite Dourga», ce sont des êtres bénéfiques?

Ah! mais ça ne vient pas du tout du vital! Non-non! Ce sont des manifestations des êtres du Surmental, projetées dans le vital pour une action spéciale. Mais ce ne sont pas des êtres du vital: ils ont une Origine, et ils sont encore reliés à un être d'un autre monde. Oh! pas du tout, du tout!

C'est comme toutes ces entités qui sont en rapport avec les tantri-ques: ce sont des êtres de la Nature, ce ne sont pas des êtres d'origine vitale. Ce sont des forces de la Nature qui sont personnifiées et qui obéissent aux lois de la Nature, c'est-à-dire que leur origine est en bas – leur origine n'est pas dans le vital, elle est dans le monde physique. Ce sont des forces du vital dans le physique, mais ce ne sont pas des forces d'origine vitale.

Je t'ai raconté l’autre jour l’histoire de ces entités qui faisaient du travail pour moi?... (Ce n'est pas à toi que j'ai raconté cela? J'avais eu une vision.) Enfin je vois très souvent, quand je sors dans le physique subtil et que je fais du travail là (généralement pour les gens et pour l’Ashram, et pour le monde), j'ai très-très souvent avec moi, ou je rencontre dans mon travail, des entités qui sont comme des esprits de la Nature. Ce sont des forces généralement d'apparence féminine qui font du travail et qui ont beaucoup de pouvoir – ce sont elles qui généralement répondent aux invocations tantri-ques (je ne parle pas de ceux qui s'adressent à Kali ou à Dourga, c'est tout à fait autre chose, ça appartient tout à fait à un autre monde). Ce sont des forces de la Nature, et elles sont généralement très serviables – en tout cas avec moi, elles sont magnifiquement serviables! Seulement, ce sont des êtres limités qui ont leurs idées, leurs lois, leur volonté propre, et qui, si elles sont vexées, peuvent faire des choses désagréables. Mais ce ne sont pas des êtres hostiles. Ce ne sont pas des êtres hostiles et ce ne sont pas des êtres du vital: ce sont des forces personnifiées de la Nature physique, dans le physique subtil.

Il y aurait un monde de choses à dire!

(silence)

Non, je ne sais pas s'il est bon de publier cet Entretien parce que si c'est trop incomplet, ça a l’air d'être un bavardage d'ignorant. Et je sais que j'ai toujours refusé de dire les choses complètes, parce qu'elles sont très troublantes pour les gens, très troublantes.

Mais ce que tu dis là, maintenant, pourrait être ajouté à l’Entretien?

Je te dis le résultat: il y a beaucoup de gens qui cessent d'avoir toute confiance en ce qu'ils voient! Alors on ne peut plus travailler avec eux. Je ne peux même plus leur apprendre à recevoir ce que je leur dis dans le silence parce que, imédiatement, ils commencent: «Ah! est-ce que c'est Mère ou est-ce que c'est un esprit de mensonge?» – Ils n'ont pas le sens du discernement, n'est-ce pas, ils ne savent pas! Alors s'il faut qu'à chaque chose ils viennent dire: «Est-ce que c'était vous ou est-ce que c'était...» Et puis ils écoutent mal quand ils en sont là. Il y a toute une zone de travail que je ne peux plus faire, parce qu'ils n'ont pas le discernement nécessaire. Alors généralement je ne parle pas.

Non, j'aime mieux ne rien dire.

D'ailleurs, au point de vue pratique, c'était pour cela que les gens gardaient ces choses secrètes: parce qu'il faudrait avoir la connaissance seulement quand elle est accompagnée du discernement qui vous fait distinguer l’origine des choses que vous voyez ou que vous recevez. l’un sans l’autre, c'est une arme dangereuse.

Il y a même des gens que ça a rendu fous, par une peur constante – ils se refusaient, par peur, à toute protection! Je te dis, ce sont seulement ceux qui ont une grande dévotion et un grand amour, alors là, ça ne trompe pas – une grande dévotion, ça vous fait sentir imédiatement. Quand votre dévotion fait comme cela (geste de contraction intérieure), vous savez ce que ça veut dire. Mais il faut que votre dévotion soit sincère et très forte. C'est la seule protection.

Alors, comme les choses écrites tombent entre toutes sortes de mains, ça devient des armes très dangereuses.

Non, je préfère ne pas dire ces choses dans le Bulletin – nous ne parlerons pas de choses occultes, je préfère cela. Je comprends de plus en plus, maintenant que je suis aux prises avec des difficultés matérielles qui n'existaient pas (je veux dire dans le monde matériel), qui n'existaient pas pour moi auparavant (ce domaine-là, c'était quelque chose qui se passait tout en bas et je ne m'en occupais pas du tout; même du temps où je faisais de l’occultisme dans le monde le plus matériel, je regardais ça d'en haut; il y avait cette espèce de lumière intérieure, de Présence – je suis née avec, alors naturellement il n'y avait pas de problème pour moi). Mais maintenant que je suis en pleine place de travail, je ne veux pas parler de cela, c'est trop dangereux.

C'est vraiment un enseignement qu'on doit donner secrètement, sous le sceau du secret, et en même temps qu'on donne le pouvoir et le discernement nécessaires pour qu'on puisse sans danger faire les expériences. Et ça demande une attention et un soin personnels, constants, du gourou.

Il y a même des moments du développement où ça demande la présence – la présence physique – du gourou: on ne doit plus entrer en transe sans que le gourou soit là, assis à côté de vous. – Pas question! Tu me vois m'encombrant d'un tas de gens î... Ce n'est pas possible, pas possible. Je ne pourrais même pas remplir mon devoir convenablement. Non, ce n'est pas possible, ce serait simplement risquer de jeter un danger permanent sur des tas de gens – je ne veux pas. Alors nous laisserons de côté cet Entretien.

Mais même sans ce que tu as dit maintenant...

Alors ça devient des niaiseries

parce que c'est trop incomplet. Je préférerais ne pas attirer leur attention trop sur ces sujets-là. Il doit bien y avoir d'autres sujets. Parce qu'on est incomplet, et alors ce sont des niaiseries. On pourrait écrire des volumes si on voulait être vraiment complet (c'est un monde formidable d'expériences!) Alors si on dit juste une chose ou une autre comme ça, on a l’air d'un de ces serins qui ont quelques expériences et qui croient avoir découvert le monde!

13 mars 1962

Tu es de mauvaise humeur, oui, j'ai vu ça de loin.

(Le disciple exprime diverses plaintes, puis ajoute:) Et alors, par-dessus le marché, l’autre fois, tu me dis que cet Agenda n'est pas intéressant non plus, que ce n'est pas à garder non plus, alors qu'est-ce que je fais ici?

Quoi? Qu'est-ce qui n'est pas à garder?

Ton Agenda.

Mon Agenda! Mais je le garde très précieusement!

Oh! tu dis que ça ne t'intéresse pas.

Moi? J'ai dit ça!

Oui, et comment!

Alors j'ai menti.

Non, évidemment. Mais tu dis que ça ne t'intéresse pas, qu'il fallait garder ça dans un coin, ou je ne sais quoi. Alors qu'est-ce que je fais ici?

Tu n'as certainement pas compris ce que je t'ai dit. J'ai dit que c'est impubliable pour le moment, c'est tout à fait différent.

Oui, ça, sûrement, ce n'est pas publiable maintenant.

Et je t'ai donné rendez-vous dans cinquante ans. J'étais très sérieuse: je riais. C'est justement quand je ris que je suis sérieuse.

Non-non, mon petit, c'est tout simplement... tu as avalé un poison.

Non, tu m'as même dit que si par hasard tu partais, tu laisserais une note pour que ce ne soit pas publié.

Publié? Certainement pas dans les journaux. Mais ce sera pour ceux qui s'intéressent au yoga.

Si c'est comme cela, c'est différent.

Je parlais des journaux et des magazines, et du monde extérieur. J'ai dit: «Je ne veux pas que le monde extérieur fasse des gorges chaudes avec quelque chose qui est sacré.» Voilà.

Ça, sûrement.

Et c'est tout. C'est la seule chose que j'ai dite. Je ne l’ai peut-être pas dit tout à fait comme cela, mais j'ai dit que c'était pour ceux qui m'aiment. C'est la seule chose. Ceux qui m'ont aimée, eh bien, c'est très bien, je leur donne ça. Même s'ils m'oublient, ça leur fera souvenir. Mais ceux qui continuent à m'aimer, c'est mon cadeau. Alors je n'ai pas l’intention de leur donner un cadeau sans valeur.

Non-non, j'ai dû vraiment m'expliquer très mal parce que c'était tout le contraire! Je considère cet Agenda comme beaucoup trop intime et beaucoup trop proche de moi pour le donner en pâture à des tas d'imbéciles.

Je suis bien d'accord! Mais tu avais dit (ou j'ai cru comprendre) que d'une façon systématique, tu gardais cet Agenda et que ce ne serait jamais à la disposition, justement, de ceux qui s'intéressent au Travail.

Non, ce n'est pas cela. J'ai dit deux choses: si j'arrive au bout, alors là, peut-être même que je permettrai que ce soit montré au public – parce qu'il y aura la preuve: «Vous n'avez pas besoin de vous moquer: ça mène LÀ où on en est.» Et si le Seigneur décide que ce n'est pas pour cette fois-ci, eh bien, je le donnerai à ceux qui m'ont aimée, ont vécu avec moi, ont fait du travail avec moi, ont essayé avec moi – et qui ont le respect de ce qu'on a essayé de faire. Ce sera le cadeau que je leur ferai en m'en allant – si je m'en vais. Je n'en ai pas l’intention.

Eh bien, oui, j'espère!

Voilà. Alors ça va, tu es content? C'était cela que je voulais dire. Je me suis peut-être mal exprimée.

Non, mais souvent tu dis: «Oh! ça ne m'intéresse pas.»

Non, je ne suis jamais comme cela. C'est justement (je peux avoir l’air de me moquer des choses; ça, c'est différent), mais c'est justement quand... Écoute, je peux te le dire: quand je suis comme cela et que j'ai l’air de me moquer, c'est parce qu'il y a des moments où c'est vraiment dangereux, vraiment dangereux.1

J'ai horreur du drame.

Je ne veux pas être tragique. J'aimerais mieux me moquer de tout que d'être tragique.

Alors au lieu de prendre des grands airs et de dire que c'est difficile, je plaisante. C'est tout à fait autre chose. Je n'aime pas, je n'aime pas le drame – je n'aime pas le drame. Les choses les plus grandes, les plus hautes, les plus nobles, les plus sublimes, on peut les dire avec simplicité. On n'a pas besoin d'être dramatique, on n'a pas besoin de voir la situation tragique. N'est-ce pas, je ne veux être ni une victime ni un héros ni... ni un martyr, ni rien de tout ça!

Oh! je comprends!

Tu sais, je n'aime pas l’histoire du Christ.

Oh! oui, ça...

Voilà.

Le dieu qu'on crucifie, eh bien, non.

S'il y laisse sa peau, il y laisse sa peau – voilà tout, et ça n'a pas d'importance.

Tu comprends?

Oh! oui.

Eh bien, c'est cela.

C'est exactement la chose.

(silence)

Mon petit, va...

Non-non, si j'ai l’air quelquefois je-m'en-fichiste (c'est ça que tu veux dire?) c'est justement pour empêcher d'avoir l’air d'une victime ou d'un martyr. Je ne suis ni une victime ni un martyr, et j'ai horreur de ça.

Je comprends.

Voilà.

Écoute, je te l’ai dit, ce n'étaient pas des phrases, je pensais que tu l’avais compris et que tu t'en souviendrais: tout ce que j'écris est absolument en fonction de ton travail, en ce sens que si tu n'étais pas là, je n'écrirais plus un mot – des lettres avec «je vous envoie mes bénédictions.» Un point c'est tout. Parce que ce n'est pas que je n'aie pas le temps ni que je ne peux pas, mais ça ne me plaît pas. Quand nous faisons quelque chose ensemble et que nous écrivons comme cela, j'ai le sentiment de quelque chose qui est complet et qui a la vertu nécessaire pour être utile. Quand tu n'es pas là pour l’écrire, il me manque quelque chose. Alors si tu penses que de faire cela pour moi est inutile, je le regrette – ça me vexe!

Non, bien sûr!

Tu comprends?

C'est parce que ça vient de très haut. Ce n'est pas d'ici, ce n'est pas du tout d'ici: c'est quelque chose qui a été décidé de très haut et depuis très longtemps – très longtemps. Avant que tu ne sois là, j'avais tout le temps l’impression... D'ailleurs, ça n'a pas été longtemps sans Sri Aurobindo; quand Sri Aurobindo était là, je n'avais rien à dire et si je disais quelque chose, c'était presque par hasard. C'est tout. Parce que c'était lui qui disait. Et quand il est parti et que j'ai commencé à lire ses livres, que je n'avais pas lus avant, je me suis dit: «Mais voilà! Je n'avais absolument besoin de rien dire du tout!» Et de moins en moins, j'avais envie de dire quelque chose. De la minute où je t'ai rencontré, ah! j'ai commencé à être intéressée par cela, je me suis dit: «Tiens, collaboration, on peut faire quelque chose d'intéressant.»

Tout cela, ce n'est pas un hasard. Ce n'est pas que l’on profite des circonstances, ce n'est pas ça: c'était décrété.

J'avais toujours-toujours, toute ma vie, l’impression d'avoir quelque chose qui devait se dire, mais qu'il devait y avoir un autre instrument que moi pour le dire, pour lui donner une sorte de perfection de forme que j'étais incapable de donner moi-même. Parce que ce n'est pas mon métier. Ce n'est pas mon métier.

Ce que je peux apporter dans le monde, ce sont des éclairs – quelque chose qui va par-delà, au-delà et à travers tout ce qui est manifesté actuellement. Mais la forme concrète, fixe, matérielle, je n'en ai pas la patience. Je pourrais être un érudit, je pourrais être un écrivain, comme j'aurais pu être un peintre aussi – et tout ça, je n'en ai jamais eu la patience. C'était toujours «quelque chose» qui s'en allait trop vite, trop haut et trop loin.2

Alors j'apprécie, j'apprécie beaucoup la belle forme, j'aime beaucoup ça. Il y a des périodes de ma vie où j'ai lu tant et tant – je suis une bibliothèque! Mais ce n'est pas mon métier.

Mais oui! Mais ce n'est pas pour ça que tu es venue!

Et j'aime beaucoup la forme de ton expression, beaucoup. Ça a, à la fois, quelque chose de profond, de très souple et de ciselé – comme une jolie statuette bien ciselée. Il y a une inspiration profonde et ça a un rythme, une harmonie – j'aime beaucoup ça. Quand j'ai lu ton premier livre, ça m'a fait vraiment plaisir. Et plaisir comme cela: comme la découverte de jolies formes, d'une façon originale de regarder les choses et de les dire. J'ai beaucoup apprécié. Je t'ai mis tout de suite, spontanément, parmi les vrais écrivains.

Voilà. Tout ça, je ne passais pas mon temps à te le dire parce que je pensais que c'était inutile. Mais c'est vrai.

D'ailleurs, tu as tout à fait tort: ce n'est pas ce que tu es qui te fait rogner, mais c'est parce que tu rognes que tu te vois comme cela! C'est juste à l’envers.

Voilà. Maintenant j'ai assez grondé, travaillons.

J'ai mon amour-propre, je veux que les gens qui travaillent avec moi soient contents, c'est de toutes choses ce qui me fait le plus plaisir. l’idéal, n'est-ce pas... ça, on n'est jamais satisfait, on ne sera jamais satisfait – on ira toujours d'aspiration en aspiration. Mais une base, qu'on sente qu'on a une raison d'être. Ce que tu m'as dit est de toutes choses ce qui me vexe le plus!

(Mère regarde longtemps le disciple)

Petit...

avril




3 avril 1962

(Depuis le 16 mars, Mère traverse une grave épreuve qui menace son existence physique. Elle est encore descendue au balcon le 18 et le 20 mars, ce devaient être les dernières fois. Elle n'a plus quitté sa chambre depuis. Toutes les entrevues avec le disciple auront lieu désormais dans sa chambre d'en haut. Une dernière attaque a eu lieu la nuit précédente, du 2 au 3, et s'est traduite par un arrêt complet du cœur. Malgré son état, Mère a trouvé la force de parler ce matin, en anglais. Ses paroles on été notées de mémoire.)

Entre onze heures et minuit exactement, j'ai eu une expérience qui m'a fait découvrir l’existence d'un groupe de gens (exprès, leur identité ne m'a pas été révélée) qui veulent créer une sorte de religion fondée sur la révélation de Sri Aurobindo. Mais ils n'ont pris que le côté du pouvoir et de la force et un certain genre de connaissance, c'est-à-dire tout ce qui pouvait être utilisé par les forces asouriques. Il y a un grand être asourique qui a réussi à prendre l’apparence de Sri Aurobindo. C'est seulement une apparence. Cette apparence de Sri Aurobindo m'a déclaré que le travail que je fais n'est pas son travail. Elle a déclaré que je l’avais trahi, lui et son œuvre, et a refusé d'avoir aucun rapport avec moi.

Dans ce groupe, il y a un homme que j'ai dû voir une ou deux fois, qui n'est pas avec eux en esprit mais seulement en apparence, mais qui ne comprend pas. Il ne sait pas quel genre d'être est là et il espère toujours le convaincre de m'accepter, croyant que c'est vraiment Sri Aurobindo. Cet être, je l’ai vu la nuit dernière. Je ne dirai pas tous les détails de la vision, ce n'est pas nécessaire. Mais je dois dire que j'étais pleinement consciente, au courant de tout, et que je savais que c'était une Force asourique, mais je ne la rejetais pas, sachant l’immensité de Sri Aurobindo. Je savais que tout fait partie de lui et je ne veux rien rejeter. Trois fois, j'ai rencontré cet être la nuit dernière, j'ai même demandé pardon pour des fautes que je n'avais pas commises, tout cela dans une soumission et un amour complets.

Je me suis réveillée à minuit avec le souvenir de tout.

Entre minuit et quart et deux heures, j'étais avec le vrai Sri Aurobindo, dans la relation la plus douce et la plus pleine – là aussi, avec une conscience parfaite et une perception parfaite, dans le calme et l’égalité. À deux heures, je me suis réveillée et juste avant, j'ai noté que Sri Aurobindo lui-même me montrait qu'il n'était pas encore complètement le maître du royaume physique.

Je me suis réveillée à deux heures et je me suis aperçue que le cœur avait été affecté par l’attaque de ce groupe qui veut m'ôter la vie de ce corps, parce qu'ils savent que tant que je suis dans un corps, sur la terre, leurs desseins ne peuvent pas réussir. Leur première attaque a eu lieu il y a de nombreuses années, en vision et en actes. C'était arrivé dans la nuit et je n'avais rien dit à personne. J'ai noté la date et si je sors de cette crise, je la retrouverai et la donnerai. Voilà des années qu'ils voudraient que je sois morte. Ce sont eux qui sont responsables de ces attaques sur ma vie. J'ai survécu jusqu'à maintenant parce que le Seigneur voulait que je vive, sinon je serais partie il y a longtemps.

Je ne suis plus dans mon corps. J'en ai laissé le soin au Seigneur, s'il doit réaliser le Supramental ou pas. Je sais et j'ai dit aussi que c'est la dernière bataille maintenant. Si le but pour lequel ce corps est en vie doit être accompli, c'est-à-dire le premier pas vers la transformation supramentale, il continuera aujourd'hui. C'est au Seigneur de décider. Je ne demande même pas ce qu'il a décidé. Si le corps est incapable de soutenir la bataille, s'il doit se dissoudre, alors l’humanité traversera une période critique. La Force asouri-que qui a réussi à prendre l’apparence de Sri Aurobindo créera une religion nouvelle ou une pensée nouvelle, probablement cruelle et sans pitié, au nom de la Réalisation supramentale. Mais il faut que tout le monde sache que ce n'est pas vrai, que ce n'est pas l’enseignement de Sri Aurobindo, que ce n'est pas la vérité qu'il a enseignée. La vérité de Sri Aurobindo est une vérité d'amour et de lumière et de miséricorde. Il est bon et grand et compatissant et divin... Et c'est Lui qui aura la victoire finale.

Maintenant, individuellement, si vous voulez aider, vous n'avez qu'à prier. Ce que le Seigneur veut sera fait. Tout ce qu'il voudra de ce pauvre corps, Il le fera.

(Plus tard, cette notation a été lue à Mère et Elle a ajouté:)

C'est dans le corps qu'est la bataille.

Ça ne peut pas continuer, il faut qu'ils soient vaincus ou alors ce corps est vaincu... Tout dépend de ce que le Seigneur décidera.

C'est le champ de bataille. Jusqu'où il pourra résister, je ne sais pas. Après tout, cela dépend de Lui. Il sait si le temps est venu ou non – le temps du commencement de la Victoire –, alors le corps survivra, sinon, dans tous les cas, mon amour et ma conscience seront là.

13 avril 1962

(Après un mois périlleux, Mère a soudain eu l’expérience formidable, décisive, et Elle donne son premier message. Elle était allongée sur son lit, dans la chambre du haut, très amaigrie. Il était environ dix heures du matin. Sa voix a beaucoup changé. On entend des écoliers jouer au loin:)

Nuit du 12 au 13 avril.

Soudain, dans la nuit, je me suis éveillée avec la pleine perception de ce que l’on pourrait appeler le «Yoga du Monde». l’Amour Suprême se manifestait par de grandes pulsations, et chaque pulsation était le déroulement du monde dans sa manifestation. C'était les formidables pulsations de l’Amour éternel, prodigieux, seulement l’Amour: chaque pulsation de l’Amour emportait l’univers dans son déroulement.

Et la certitude que ce qui doit être fait est fait et la Manifestation supramentale est accomplie.

Tout était Personnel, rien n'était individuel.

Et ça continuait, continuait, continuait...

La certitude que ce qui doit être fait est FAIT.

Toutes les conséquences du Mensonge avaient disparu: la Mort était une illusion, la Maladie était une illusion, l’Ignorance était une illusion – quelque chose qui n'avait pas de réalité, pas d'existence... Seulement l’Amour et l’Amour et l’Amour et l’Amour – immense, formidable, prodigieux, emportant tout.

Et comment, comment exprimer au monde? C'était comme une impossibilité à cause de la contradiction. Mais alors est venu: «Tu as accepté que ce monde connaisse la Vérité supramentale... et elle sera exprimée totalement, intégralement.» Oui, oui...

Et la chose est faite.

(long silence)

La conscience individuelle est revenue: juste le sens d'une limite – limitation de la douleur. Sans cela, pas d’individu.1

Et nous repartons sur la route, sûrs de la Victoire.

Les cieux sont pleins de chants de Victoire!

Seule la Vérité existe, elle seule sera manifestée. En avant!... en avant.

Gloire à Toi, Seigneur, Triomphateur suprême!

(silence)

Maintenant au travail.

Patience, endurance, égalité parfaite, et une foi absolue.

(silence)

Ce que je dis n'est rien, rien, rien, rien que des mots, si je compare à l’expérience.

Et notre conscience est la même, absolument la même que celle du Seigneur. Il n'y avait aucune différence, aucune différence...

Nous sommes Cela, nous sommes Cela, nous sommes Cela.

(silence)

Plus tard, j'expliquerai mieux. l’outil n'est pas encore prêt.

C'est seulement le début.


Plus tard, Mère a ajouté:

l’expérience a duré au moins quatre heures.

Il y a beaucoup de choses que je dirai plus tard.

20 avril 1962

(Lettre de Satprem à Mère)

20 avril 1962

Douce Mère,

1) J'ai reçu une lettre de l’Éditeur, qui réitère ses demandes de modification. Je lui réponds aujourd'hui même que j'écrirai un autre livre. Je ne sais pas du tout comment j'écrirai ce livre!

2) Le travail que tu m'avais donné est terminé. Je te l’apporterai quand tu voudras, mais ce n'est pas pressé du tout – repose-toi.

Ton enfant,

Signé: Satprem

28 avril 1962

(Lettre de Mère au disciple)

28.4.62

Satprem, mon cher petit.

Pour le livre, c'est bon qu'on se réveille.

Ces jours derniers, je commençais à penser au Bulletin pour le 140
mois d'août. Dans quelques jours, je pourrai sans doute commencer à travailler. C'est-à-dire que je pourrai t'appeler le matin et tu pourrais me lire ce que tu as préparé.

Nous ferons les aphorismes le mois de juin; ce sera sans doute alors plus facile. Dis-moi si tu as des plans de travail (ton travail); nous arrangerons en conséquence.

Le premier jour que tu viendras, tu m'apporteras le travail que tu as fini.

Avec toi toujours.

Signé: Mère

Plus tard, il y aura beaucoup de choses à dire pour l’agenda.

mai




8 mai 1962

(Note du disciple à Mère)

X écrit notamment:

1) Qu'il fera ici un poudjâ spécial de quatre jours pour aider.

2) Qu'il a «compris», c'est-à-dire qu'il est venu à sa connaissance que «le temps actuel est terrible.»

Que dois-je lui dire ou lui laisser entendre quand je le rencontrerai à la gare?


(Réponse de Mère au verso)

Sans doute devra-t-il être mis au courant du message qui a été enregistré, s'il ne le connaît pas encore.

Tu pourras lui dire que le corps va beaucoup mieux, mais que je suis encore obligée de prendre toutes sortes de précautions et de soins. Je ne descends pas de ma chambre qui est transformée en chambre de malade et il me sera impossible de le voir.

Quand tu l’auras vu, fais-moi savoir ce qui s'est passé. Si c'est possible je t'appellerai à l0 h pour que tu me donnes les détails.

Signé: Mère

13 mai 1962

(C'est la première conversation avec Mère depuis deux mois. Elle est encore allongée dans sa chaise longue. Elle a l’air si pâle et si frêle, comme translucide. Elle développe l’expérience qu'Elle a eue un mois plus tôt, le 13 avril 62. Le texte qu'on va lire n'a pas été enregistré mais noté de mémoire, puis lu à Mère.)

J'étais à l’Origine – J'étais l’Origine. Pendant plus de deux heures, consciemment, sur ce lit, là, j'étais l’Origine. Et c'était comme des bouffées – de grandes bouffées qui finissaient par un éclatement. Et chacune de ces bouffées était une période de l’univers.

C'était l’Amour dans son essence suprême, mais ça n'a rien à voir avec ce qu'on entend par ce mot.

Et chaque bouffée de cette essence d'Amour se répandait en se séparant, en se divisant, mais ce n'étaient pas des forces, c'était très au-dessus des forces et de tout cela: l’univers tel que nous le connaissons n'existait plus, c'était une sorte d'illusion bizarre, sans relation avec Ça. Il y avait seulement la vérité de l’univers, avec ces grandes bouffées de couleur – elles étaient colorées, de grandes bouffées colorées avec quelque chose qui est l’essence de la couleur.

C'était formidable. J'ai vécu plus de deux heures comme cela, consciemment.

Et alors il y avait une Voix qui m'expliquait tout (pas exactement une Voix mais quelque chose qui était l’origine de Sri Aurobindo, comme la dernière bouffée de l’Origine). Au fur et à mesure, elle m'expliquait chaque bouffée, chaque période de l’univers, et puis comment c'est devenu comme ça (Mère fait un geste de renversement): la déformation de l’univers. Alors je me demandais comment il était possible, avec cette Conscience-là, cette Conscience suprême, d'avoir la relation avec l’univers actuel, déformé? Comment faire la jonction sans perdre cette Conscience-là? – C'est la relation entre les deux qui semblait impossible. Et c'est là que cette sorte de Voix m'a rappelé ma promesse: que j'avais promis de faire le Travail sur la terre et que ça se ferait. «J'ai promis de faire le Travail et ça se fera.»

Alors a commencé le processus de la descente,1 et la Voix m'expliquait – j'ai vécu tout cela en détail, ce n'était pas plaisant. Ça a duré une heure et demie pour changer de cette Conscience vraie à la conscience individuelle. Parce que, pendant tout le temps de l’expérience, cette individualité-là n'existait plus, ce corps-là n'existait plus, il n'y avait plus de limites, je n'étais plus là – c'était la Personne qui était là. Il a fallu une heure et demie pour passer à la conscience corporelle (pas à la conscience physique mais à la conscience corporelle), la conscience corporelle, individuelle.

Le premier signe du retour de l’individualité, ça a été une douleur, un point (Mère tient entre ses doigts un point minuscule dans l’espace de son être). Oui, parce que j'ai une blessure – une blessure mal placée – et ça fait mal2 (Mère rit). Alors j'ai senti la douleur: c'était le signe de l’individualité qui revenait. Autrement il n'y avait plus rien, plus de corps, plus d'individu, plus de limites. Mais c'est curieux, j'ai fait une découverte curieuse:3 je pensais que c'était l’individu (Mère touche son corps) qui sentait la douleur, les infirmités, toutes les infortunes de la vie humaine; eh bien, je me suis aperçue que ce n'est pas l’individu, pas mon corps qui sent les infortunes, mais que chaque infortune, chaque douleur, chaque infirmité a une individualité en quelque sorte, et que chacune représente une bataille

Et mon corps est un monde de batailles.

C'est le lieu de la bataille.


(Lorsque ce texte a été lu à Mère, Elle a apporté la modification suivante:)

J'aimerais mieux un autre mot que «descente», parce qu'il n'y avait aucune-aucune sensation de descente ou notion de descente... On pourrait mettre le processus de «matérialisation» ou d'«individualisation» – «transformation de conscience» serait plus exact. C'est le processus du changement de la Conscience vraie à la conscience déformée – c'est exactement la chose.

Tu le dis: la transition de la vraie Conscience à la conscience ordinaire.

C'est cela, la chose exacte. «Descente» ne correspond pas du tout à la sensation. Il n'y avait aucune sensation de descente. Aucune. Ni montée ni descente. Aucune. Ces bouffées créatrices n'avaient aucune POSITION par rapport à la création, c'était... il n'y avait que ça, il n'existait que ça, pas autre chose.

Et tout se passait là-dedans.

Vraiment c'était... il n'y avait plus ni haut ni bas ni dedans ni dehors – rien de tout ça, ça n'existait plus. Il n'y avait plus que ça.

C'était... «quelque chose» qui s'exprimait – qui se manifestait par ces bouffées. Et qui était TOUT. Il n'y avait pas autre chose, n'est-ce pas, il n'y avait rien que ÇA. Alors dire: «Haut, bas, descente», ça ne va pas du tout.

Si tu veux, on peut mettre: «Le processus de retour»?

De retour à la conscience corporelle.

Ou de matérialisation.


(Peu après, à propos d'un ancien Entretien du 22 août 1956 que l’on va publier dans le prochain Bulletin, où Mère dit: «Vous recevez du Divin, quand vous êtes en état de le recevoir, la TOTALITÉ de la relation qu'il vous est POSSIBLE d'avoir, et ce n'est ni un partage ni une partie ni une répétition, mais c'est exclusivement et uniquement la relation que chacun peut avoir avec le Divin. Donc, au point de vue psychologique, on est TOUT SEUL à avoir cette relation directe avec le Divin.» Puis Mère ajoute, comme si sa voix venait de très loin, très loin:)

On est tout seul avec le Suprême.

15 mai 1962

(La nuit du 3 avril dernier, Mère avait rencontré un être asourique qui avait réussi à prendre l’apparence de Sri Aurobindo, ainsi qu'un groupe de gens qui voulaient fonder une religion de type nietzschéen. C'est à la suite de cette rencontre que l’existence de Mère avait été gravement menacée par une attaque cardiaque. Mais ce n'était pas la première rencontre.)

J'avais dit [le 3 avril] que je retrouverais la date de ma première rencontre avec ce faux Sri Aurobindo. J'ai retrouvé la date d'une expérience qui n'est pas celle-là, mais qui a suivi de peut-être trois ou quatre semaines, par conséquent ça situe (Mère tend un feuillet d'une ancienne éphéméride où Elle a inscrit:)

«Nuit du 24 au 25 juillet 59, première pénétration de la force supramentale dans le corps. Sri Aurobindo vivant dans un corps physique subtil, concret et permanent.»

Je t'ai raconté cette expérience, quand j'ai rencontré Sri Aurobindo (le vrai) dans le physique subtil – c'est la date exacte; le matin de bonne heure j'ai marqué sur ce papier. Et ça me donne à peu près la date de l’autre vision, c'est-à-dire que ce devait être fin juin ou commencement de juillet 1959 que j'ai eu la première expérience avec ces gens.

Est-ce que je t'ai dit cela?... C'était une sorte de vision, que j'ai prise pour un commencement de travail sur le Subconscient. J'étais arrivée dans un endroit où habitait Sri Aurobindo. Et Sri Aurobindo était enfermé dans sa chambre. C'était comme un grand hall, immense hall, avec des chambres qui donnaient dessus, et son appartement était d'un côté, comme cela (geste). Et j'ai demandé à le voir. On m'a répondu que ce n'était pas possible, qu'il fallait attendre. J'étais étonnée. Puis il s'est passé certaines choses dans le hall, concernant A et concernant M (des choses assez intéressantes mais enfin qui leur étaient personnelles). Et comme cela, j'attendais. Et puis, quand tout a été fini, de nouveau j'ai demandé à entrer. Alors on m'a répondu, ou plutôt j'ai vu à travers l’entrée: j'ai vu un Sri Aurobindo qui était grand – beaucoup plus grand qu'il n'était –, fort, un peu maigre (maigre en ce sens... pas comme il était: c'était quelque chose de sec, mais très dur et très froid), un peu plus sombre qu'il n'était d'habitude. Je l’ai vu là qui marchait de long en large; et quand on lui a dit que je demandais à le voir, je l’ai vu de loin qui disait: «Non, je ne veux pas la voir. Je ne la reconnais pas, je n'en veux pas, elle m'a trahi.» Quelque chose comme cela (je n'entendais pas les paroles, mais enfin les gestes étaient clairs). C'était la première fois, n'est-ce pas; jamais rien de ce genre n'était arrivé avant.

Et alors, j'ai eu tout de suite l’impression que c'était l’expression de la pensée de certaines personnes. Il y avait toute une clique, que je connais (je sais leurs noms et tous les détails), qui a dit au moment de la guerre, que c'était moi qui avais influencé Sri Aurobindo, qui l’avais fait dévier de son chemin nationaliste et l’avais tourné vers les Alliés; et on considérait que j'avais abîmé sa vie, sa conscience, son travail et tout – tu comprends.1

Et ce que je voyais là, c'était bien l’IMAGE de ça. Et il y a quelqu'un que je ne nommerai pas (mais je lui ai parlé après, quelqu'un qui est encore ici), qui est sorti de là pour me dire tout cela. Je lui ai dit deux choses dans ma vision (maintenant c'est très loin – c'était en 59 – et je ne me souviens plus si je les ai dites l’une après l’autre ou ensemble). D'abord, je protestais contre tout ce que ce prétendu Sri Aurobindo disait de moi, et, en même temps, j'allais vers celui qui venait (qui habite ici, n'est-ce pas, qui est tout à fait intime, qui a été intime avec Sri Aurobindo, et qui était là comme s'il était un peu sous l’influence de ces pensées de doute, de certains doutes), alors je l’ai appelé par son nom et je lui ai dit en anglais: «Mais pourtant, nous avons eu un rapport spirituel véritable et une union véritable!...» Lui, imédiatement a fondu et il a dit oui, et il s'est précipité pour que je le prenne dans mes bras. C'est-à-dire que ça a été sa conversion (c'est pour cela que je lui en ai parlé après – je ne lui ai pas raconté l’expérience mais je lui ai dit qu'il y avait un doute en lui), et vraiment c'était le point de départ d'une conversion d'une partie de son être, c'est pourquoi je ne le nomme pas. Et en même temps, pour répondre à ce que l’autre, le prétendu Sri Aurobindo disait, j'ai dit, en anglais aussi, avec force: «Alors, c'est la négation de toute expérience spirituelle!» Et imédiatement, toute l’image, toute la construction, tout, pfft! disparue – dissoute. La Force a tout nettoyé.

Après, quand j'ai eu cette deuxième vision du 3 avril 62, j'ai vu que c'était le même être qui était dans ce soi-disant Sri Aurobindo (et il y avait tout un groupe organisé autour de lui, des gens, des cérémonies, etc.). Par conséquent j'en ai conclu que ça se développait. Mais quand j'ai eu le premier contact avec ces gens-là [en 1959], à ce moment-là, c'était seulement une chose du Subconscient, et l’effet avait été uniquement psychologique (il a suffi d'une ou deux heures pour mettre les choses en place, les classer et les mettre en place). Mais ça n'a eu aucun effet sur ma santé. Tandis que cette fois-ci...

C'était donc en 59 la première fois que je les ai vus. Et ce devait être fin juin ou commencement de juillet. C'est ce papier-là [le feuillet d'êphéméride] qui m'a donné l’indication, parce que je sais que cette expérience [de Sri Aurobindo dans le physique subtil], c'était quelques semaines après.

Tu dis qu'il y avait tout un groupe organisé autour de cet être asourique, des gens, des cérémonies...

Des cérémonies?

Tu peux enlever ça parce que ce n'est pas ça: c'était toute une organisation.

Mais je voudrais te demander: est-ce que ces gens existent dans le physique subtil ou dans notre monde physique?

Non-non, mes visions sont dans le physique subtil, mais ces gens-là existent sur la terre. Je ne les connais pas, n'est-ce pas. Il n'y en a qu'un, comme je l’ai dit, que je connaissais. Mais c'est sûr, il y a une organisation physique qui correspond à ces visions. Les détails, je ne les connais pas – justement, on ne me les a pas donnés. Mais ça correspond à un groupe de gens physiques.

Puissants?

Je ne sais pas. Je ne les connais pas.

Ils ont parmi eux, sûrement, au moins un tantrique – mais un tantrique calé, quelqu'un qui sait son métier: ça, oui, il y a tous les signes!

Mais extérieurement, quelle est leur capacité?... Les gens qui étaient autour de celui-là [le faux Sri Aurobindo], ceux qui m'ont fait tous ces reproches, ils étaient dans l’Ashram – ils sont partis. Ça, ce sont des gens tout à fait concrets. Mais ceux du dernier groupe [de la dernière vision], je ne sais pas, je ne les connais pas physiquement, alors je ne peux pas dire.

Peut-être que je saurai, un jour.


(Puis le disciple lit à Mère ce qu'il a noté de la dernière conversation du 13 mai et il demande de nouveaux détails sur l’expérience du 13 avril:)

Mais la promesse que tu as reçue...

Ce n'est pas une promesse que j'ai reçue, c'est cette Voix qui m'a fait souvenir de ma promesse. Quand je me disais: «Comment passer de cette Conscience vraie à celle-là, c'est impossible!» à ce moment-là, c'était comme si, pas exactement Sri Aurobindo parce que imédiatement on pense à un corps, mais enfin cette sorte de Voix que j'entendais m'a dit: «Ta promesse. Tu as dit que tu ferais le Travail», et alors c'est à ce moment-là que j'ai dit: «Oui, je ferai le Travail.» Et à partir de ce moment-là, a commencé le processus de matérialisation, toute la transition de la vraie Conscience à la conscience ordinaire.

Je n'ai pas «reçu» une promesse: c'est le rappel de la promesse que j'avais faite.

Et c'est ça qui t'a permis de dire: «The thing is done» [la chose est faite]?

Non. C'est l’expérience.

C'est l’expérience, c'est quand... ça, je ne te l’ai pas dit.

(long silence)

C'est quand j'étais ces bouffées – ces bouffées d'Amour. C'est au moment où j'étais consciente de la dernière, de celle qui a été (comment dire?) organisée extérieurement par Sri Aurobindo – ce qui s'est traduit par l’avatar de Sri Aurobindo –, c'est à ce moment-là qu'il y a eu l’absolue certitude que la chose était faite, qu'elle était décrétée.

Et alors, au moment où c'est venu que c'était décrété, moi, j'ai pensé: «Mais comment traduire ça en ça, joindre les deux?» Et c'est à ce moment-là qu'est venu: «Tu as promis de le faire, par conséquent tu le feras», et a commencé lentement la transition, comme si j'étais renvoyée de nouveau pour le faire. Oui, comme si: «Tu as promis de le faire, tu le feras», alors comme cela c'était une promesse. Et je revenais vers ce corps pour le faire.

J'avais dit le 3 avril que le corps était le champ de bataille, que la bataille se livrait dans ce corps. Et là, dans cette expérience-là du 13 avril, j'étais renvoyée au corps, parce que la chose, cette dernière bouffée créatrice, devait se réaliser à travers ce corps.

(silence)

Les expériences continuent...

Par exemple, je marche un peu pour réhabituer le corps (je marche accompagnée par quelqu'un) et je me suis aperçue, quand j'ai commencé à marcher, d'une condition assez particulière... quelque chose que je pourrais décrire comme: ce qui me donne l’illusion du corps (Mère rit)... Je le confie à la personne avec laquelle je marche (c'est-à-dire que ce n'est pas ma responsabilité: c'est cette personne qui s'occupe que ça ne tombe pas, que ça ne se cogne pas – tu comprends!) et la conscience est une sorte de conscience qui n'a pas de limites, qui est comme un équivalent matériel ou une traduction de ces bouffées, comme des vagues, mais des vagues qui n'ont pas... ce ne sont pas des vagues individuelles: c'est un mouvement de vagues; un mouvement de vagues matérielles, corporelles, pourrait-on dire, vastes comme la terre, mais pas – pas rond ni plat ni... quelque chose qui est très infini de sensation, mais qui est en mouvement ondulatoire. Et ce mouvement ondulatoire est le mouvement de vie. Et alors la conscience (du corps, je suppose), il y a une conscience là, qui flotte là-dedans, dans une sorte de paix éternelle... mais ce n'est pas une étendue, le mot est faux: c'est un mouvement qui n'a pas de limites et qui a un rythme très harmonieux et très tranquille, très vaste, et très calme. Et c'est ce mouvement qui est la vie.

Je marche autour de la chambre, et c'est ça qui marche.

Et c'est très silencieux – il n'y a pas de pensée, il y a à peine, à peine une capacité d'observation, et toutes sortes, une infinitude de mouvements, de vibrations de quelque chose qui serait l’essence des pensées, qui se meut là, dans un mouvement rythmique, comme un mouvement de vagues qui n'a ni commencement ni fin, qui a une condensation comme ça (geste de haut en bas) et une condensation comme ça (geste latéral), et puis un mouvement d'expansion (geste exprimant comme la pulsation d'un océan). C'est-à-dire une sorte de rassemblement, de concentration, puis d'expansion, de diffusion.2

Hier, j'en ai fait l’expérience complète – je me suis laissée aller absolument. Ça a duré à peu près quarante minutes pendant que je marchais autour de la chambre.

Et ça, à dire vrai, excepté l’unique fait de la souffrance (n'est-ce pas: mal ici, mal là, une douleur ici, une douleur là, qui donne la perception de l’individualité du corps), à part cela, c'est la conscience normale: ce grand mouvement ondulatoire de vie, c'est ma conscience normale. C'est-à-dire que moi (enfin ce que j'appelle Moi: geste tout en haut), ma conscience, est tout à fait hors du corps. C'est ça qui est la conscience du corps (ce que je viens de décrire), avec le rappel de ce qu'est un corps d'habitude simplement par le point de douleur: mal ici, mal là, mal là... C'est comme ça. Et cette douleur a une petite vie extrêmement limitée: ce n'est pas général, ce n'est pas un corps qui souffre: c'est la souffrance qui souffre, c'est le point – le point qui a mal: une égratignure ici, une blessure là, des choses comme cela. C'est cela qui est individuel et qui souffre; ce n'est pas le corps qui a une blessure, tu comprends?

Mais c'est difficile à exprimer.

Ça, c'est mon expérience. Je l’ai étudiée spécialement hier avec l’idée de pouvoir te la dire.

Mais tu fais une distinction entre la conscience corporelle et la conscience physique?...

Oui. Oh! la conscience physique est une chose très complexe! elle contient tout le monde physique, conscient.

La conscience physique est universalisée, depuis très longtemps, et elle contient tous les mouvements terrestres.3 Tandis que le corps, c'est seulement limité à ça (Mère touche son corps), ce petit rassemblement de substance – c'est ça que j'appelle la conscience du corps.

Et quand j'ai dit: «Je suis sortie du corps»,4 ça ne veut pas dire du tout que je suis sortie de la conscience physique – mon rapport avec le monde terrestre général est resté le même. Il s'agit seulement de la chose purement corporelle, cette espèce de concrétisation ou de rassemblement de substance spécial qui nous donne à chacun un corps différent – une apparence différente.

C'est d'ailleurs assez illusoire, cette apparence. Dès qu'on s'élève à une certaine hauteur (je l’ai bien vu dans cette reconcrétisation progressive5), c'est très vite que ça n'a plus de réalité. Notre apparence est très-très illusoire. Notre forme spéciale, c'est-à-dire la forme de celui-ci, la forme de celui-là, ce que l’on voit avec les yeux physiques, ça ne va pas très loin. Dès le monde vital, c'est tout à fait différent.

Voilà, c'est tout ce que je crois pouvoir dire pour aujourd’hui.6


(Un peu plus tard, Mère donne au disciple son ancienne éphémé-ride avec la note de l’expérience du 24-25 juillet 1959 – la première rencontre de Sri Aurobindo dans le physique subtil –, puis un autre feuillet où Elle a écrit: «I am only realizing what He has conceived. I am only the protagonist and the continua-tor of His work.»7 Mère explique:)

On voulait me faire avoir le prix Nobel de la Paix et on m'a demandé des papiers – j'ai écrit ça. C'est-à-dire que ce n'était pas cette personne-ci qui a fait les choses, c'était tout Sri Aurobindo.

Ils avaient voulu donner le prix Nobel à Sri Aurobindo, et il est parti l’année juste avant la décision. Et comme on ne donne pas le prix aux gens qui sont «morts», on ne le lui a pas donné. Alors on a voulu transférer cela à moi, et j'ai écrit cette note, parce que je ne voulais pas du tout de gloriole. Alors c'est tout – ils n'ont pas donné de prix cette année-là pour la Paix.

Je pense que l’affaire est enterrée.


(Puis Mère se met à la préparation du prochain Bulletin. Elle demande au disciple de parler lentement et distinctement:)

Il y a une espèce de nuage universel entre moi et les gens – je vois comme derrière un voile et j'entends comme derrière une sorte de nuage, alors c'est pour ça, je demande qu'on soit très clair.

NOTE

(À propos du mouvement ondulatoire vécu par Mère dans son corps)

Une fois de plus, avec Mère, nous sommes en plein cours de physique de la Matière! Toutes les théories physiques qui tentent de décrire la structure de notre univers et la composition de la matière, qu'elles émanent des laboratoires de la science «officielle» ou des travaux de chercheurs isolés, s'accordent sur un point: le mouvement ondulatoire est le constituant et le fondement dynamique de la réalité physique. En effet, qu'il s'agisse des champs électromagnétique ou gravitationnel ou même «matériel» comme l’avancent certains savants, au cœur de l’atome comme aux confins de l’univers, tout se meut ou se propage selon un mouvement ondulatoire: «Le mouvement ondulatoire est le mouvement de vie», dit Mère d'une façon saisissante.

«...Un mouvement de vagues qui n'a ni commencement ni fin, qui a une condensation comme ça (geste de haut en bas) et une condensation comme ça (geste latéral)...» Comment ne pas se rappeler du champ électromagnétique et de ses deux composantes perpendiculaires: le champ électrique et le champ magnétique qui se propagent selon une onde sinusoïdale infinie?! Et puis encore: «...Une sorte de rassemblement, de concentration, puis d'expansion, de diffusion.» Mais c'est la propagation dans l’espace d'un train d'ondes sinusoïdales!

Aussi saisissant ce parallèle soit-il, il existe pourtant une différence fondamentale entre ces concepts mathématiques et l’expérience de Mère. C'est que, dans un cas, il s'agit d'instruments conceptuels utilisés par le mental humain pour mieux expliquer et maîtriser le monde: personne n'a vu d'ondes électromagnétiques – à plus forte raison d'ondes gravitationnelles! Ce sont là des images, des «modèles» commodes, invisibles et inexistants à l’état pur. Ils n'existent que par leurs effets: la lumière du soleil qui est onde électromagnétique vient frapper notre rétine et nous permet de distinguer cette fleur; la pomme de Newton tombe de l’arbre sous l’impulsion d'ondes gravitationnelles – mais nul n'a vécu la réalité de ces ondes. Pour Mère, au contraire, toute appréhension de la réalité est d'abord une expérience vécue. Elle est ce mouvement ondulatoire, elle est cette onde: «Je marche autour de la chambre et c'est ça qui marche.» Nous touchons là un prodigieux mystère et une formidable question: comment peut-on être corporellement, matériellement, cette onde qui compose et emène les mondes dans son mouvement infini et gouverne l’existence des atomes et des galaxies? Comment peut-on être une onde électromagnétique infinie et ubiquitaire tout en restant dans les limites étroites d'un corps humain?!

On pourrait dire aussi qu'en étant ça, Mère résout du même coup la fameuse question de la «théorie unitaire» qui voudrait rassembler en une seule équation mathématique le mouvement des planètes et le mouvement des atomes, et à laquelle Einstein consacra en vain les dernières années de sa vie. La conscience corporelle de Mère est une avec le mouvement de l’univers, Mère vit la «théorie unitaire» dans son corps. Et Elle nous ouvre ainsi non pas une théorie conceptuelle de plus, mais le chemin même d'une autre espèce sur la terre, qui vivra physiquement, matériellement, à la dimension de l’univers. La prochaine espèce après l’homme n'est probablement pas celle qui aura quelques organes de plus ou de moins: c'est celle qui sera capable d'être en tous les points de l’univers. Une sorte d'ubiquité matérielle. Ce n'est peut-être pas tant une espèce «nouvelle» qu'une espèce globale qui embrasse tout, depuis le brin d'herbe sous nos pieds jusqu'aux galaxies «lointaines». Une innombrable existence ondulatoire. Réellement, un résumé ou un épitomé de l’évolution, qui, en fin de parcours, redevient chaque point et chaque espèce et chaque mouvement de sa propre évolution.

18 mai 1962

l’autre jour, tu as dit: «Ce que j'appelle Moi tout là-haut, ma conscience, est tout à fait hors du corps.» Et puis, le 3 avril, tu as dit aussi une chose qui m'a fait comme un choc; tu as dit: «I am no more in this body» [Je ne suis plus dans ce corps]. Pourquoi?... Enfin tu as quitté ce corps?

(très long silence)

Comment expliquer cela?...

(long silence)

Je ne sais pas comment expliquer ça...

Je pourrais presque le dire comme une plaisanterie: depuis des années et des années, je sentais que ma conscience était hors de mon corps – je disais toujours qu'elle était là (geste au-dessus de la tête). Je sentais que ma conscience n'était pas dans mon corps. Et à partir du moment de la première expérience [le 3 avril] quand, physiquement, le Docteur a dit que le cœur était affecté et qu'il fallait faire attention autrement il ne marcherait plus, à partir de ce moment-là j'ai senti... j'ai senti que mon corps était hors de moi! Ça a l’air d'une plaisanterie mais c'est comme cela.

Alors, pour me faire comprendre, j'ai dit: «Je ne suis plus dans mon corps.» Mais ce n'est pas ça. Il y avait longtemps que je n'étais plus dans mon corps, que ma conscience était en dehors de mon corps, mais il y avait une sorte de rapport qui faisait que c'était «mon corps», n'est-ce pas (je pourrais dire maintenant, si je parlais sans faire attention: «Ce qui était mon corps», mais je sais très bien qu'il est vivant!). Eh bien, à partir du 3 avril, quand tout le monde a déclaré que j'étais si malade et qu'on m'a défendu de me tenir debout, j'avais l’impression que ce qu'on appelait «mon corps» était en dehors de moi.

J'avais une relation, j'avais gardé très bien une relation, mais ça a pris quelques jours (je ne sais plus combien de jours parce que pendant longtemps je ne pouvais plus rien calculer), mais au bout de quelques jours (mettons dix jours, vingt jours, je ne sais pas), la volonté agissait, le corps était encore sous le contrôle de la volonté; mais pas tout de suite: pendant quelques jours, la volonté concernant le corps était annulée (j'étais tout à fait vivante et consciente, mais pas dans mon corps); tout ce corps était une espèce de chose que ceux qui s'occupaient de moi faisaient bouger. Ce n'était pas séparé, mais je ne pouvais même pas dire: «C'est un corps» – ce n'était plus rien! quelque chose... (je n'ai même pas eu l’impression que c'était une expérience étrange à cause de toutes mes préparations d'universalisation de la conscience corporelle et tout ça – c'est certainement le résultat de ça), mais c'était «quelque chose» comme un ensemble de substance qui était dirigé par la volonté des trois personnes qui s'occupaient matériellement de lui. Ce n'était pas que j'en étais inconsciente mais... (je ne m'en occupais pas beaucoup, d'ailleurs), mais enfin, dans la mesure où je m'en occupais, c'est-à-dire dans la mesure où l’attention était tournée là, c'était un ensemble corporel qui était mû par des volontés. La Volonté suprême était pleinement d'accord; ça avait été comme confié (je ne sais pas comment dire?...) oui, c'était comme confié, quelque chose qui était confié, et moi je regardais ça – je regardais ça pendant je ne sais plus combien de jours, avec un intérêt tout à fait médiocre.

La seule connexion très concrète était: douleur. C'est comme cela que ça gardait le contact.

Non, j'avais cru, quand tu as dit: «I am no more in this body», que pour les nécessités du Travail, quelque chose de toi s'était retiré.

Non-non! rien ne s'était retiré, parce que c'était déjà retiré depuis très longtemps. La conscience n'était plus du tout centrée dans le corps. Par exemple, quand je disais «je», jamais il ne me venait à l’idée que c'était ça (Mère désigne son corps). Je, le je qui parlait, était toujours une volonté tout à fait indépendante du corps, tout à fait indépendante.

Mais là [depuis le 3 avril], c'était un phénomène curieux... N'est-ce pas, avant, je disais: «Je suis en dehors de mon corps.» C'était toujours: «Je suis en dehors de mon corps.» Tandis que là, c'était comme si le corps avait été délégué ou confié – c'est plutôt confié.

C'est revenu petit à petit, en ce sens qu'activement... Non, je ne peux même pas dire cela, ce n'est pas vrai – ce qui est revenu, c'est le souvenir de plus en plus précis de comment j'avais organisé la vie de ce corps: toute la formation d'organisation que j'avais faite, même dans les petits détails, pour les choses que j'utilisais, comment je les utilisais, comment j'avais organisé tous les objets autour du corps, tout cela. Ça, c'est le souvenir (est-ce «souvenir»?) la conscience de cela est revenue, c'est-à-dire comme si je remettais les deux en contact. Et alors, au lieu de laisser une délégation totale à ceux qui m'entourent, c'est la formation que j'avais faite avant qui revient, avec des changements, des améliorations, des simplifications (note qu'il n'y avait pas l’intention d'un changement ni une volonté de changement: ce sont les choses qui reviennent dans la conscience, et qui reviennent comme cela, avec des changements). Bref, c'est une sorte de formation consciente qui se recristallise autour de ce corps.

Et j'ai la perception (vraiment, c'est une sensation), sensation de quelque chose, qui n'est pas du tout moi, mais qui m'est confié. Maintenant, c'est de plus en plus l’impression de quelque chose qui m'est confié; qui m'est confié dans l’organisation universelle pour un but précis. Ça, c'est vraiment la sensation que j'ai maintenant (la pensée est très tranquille, c'est pour cela que c'est difficile à exprimer: je ne «pense» pas toutes ces choses, mais ce sont des espèces de perceptions), et pas sensation comme la sensation qu'on a d'ordinaire: la seule (ça, j'insiste), la seule sensation qui reste dans le vieux style, c'est la douleur physique. Et ça me fait l’impression... vraiment j'ai l’impression que ce sont les points symboliques de ce qui reste de l’ancienne conscience: c'est la douleur.

C'est seulement la douleur que je sens comme je sentais avant. Par exemple, la nourriture, le goût, l’odeur, la vision, l’ouïe – tout ça, complètement changé. Ça appartient à un autre rythme. Et c'est venu progressivement comme une cristallisation de quelque chose qui est derrière, qui n'est pas d'ici: goût, odorat, vision et ouïe, toucher... Seulement ce point-là (le toucher maintenant, c'est différent aussi), mais la douleur.

La douleur, c'est le vieux monde.

C'est tout à fait curieux, n'est-ce pas; la douleur, c'est comme le signe symbolique et un peu trop concret (!) de la vie dans l’Ignorance.

Et même là, j'ai eu plusieurs fois (mais ça, comme dans un éclair, comme dans l’éclair d'une nouvelle expérience), le moment où la douleur disparaît en quelque chose d'autre (c'est arrivé trois, quatre fois). Cette douleur, tout d'un coup, c'est devenu... quelque chose qui n'a aucun rapport (pas une sensation agréable, non, du tout): un autre état de conscience.

Si ça restait, alors je serais vraiment libre du monde tel qu'il est. Pourtant on m'entend, n'est-ce pas. Je vois, mais d'une façon curieuse – je vois d'une façon très curieuse. Il y a des moments où je vois avec une précision plus grande que je n'ai jamais eue (d'une façon générale, je te l’ai dit l’autre jour, c'est comme si c'était derrière un voile; ça, c'est constant). J'entends aussi comme cela. Il y a des sons... il m'est arrivé de remarquer un son, paraît-il presque imperceptible, qui se passait à une centaine de mètres de distance, et j'avais l’impression que c'était ici. Tout ça, c'est changé. C'est-à-dire tout le fonctionnement des organes – est-ce les organes qui sont changés?? ou est-ce que c'est le fonctionnement? je ne sais pas. Mais ça obéit à une autre loi. Tout à fait.

Et j'ai tout à fait l’impression que cette soi-disant maladie était la forme extérieure illusoire du processus indispensable de transformation. Que sans cette soi-disant maladie, il ne pouvait pas y avoir de transformation, que c'est – ce n'est pas une maladie. Je sais, quand les gens disent «maladie», il y a quelque chose qui rit! Quelque chose qui a dit: «Quelles oies!»

Ce n'est pas une maladie.

Un décrochage?

Peut-être.

Peut-être.

C'était un peu violent! (Mère rit)... Et encore, pas tellement violent, parce qu'il y a quelque chose que je n'ai jamais dit à personne, mais quand on a appelé le Docteur (je m'évanouissais, tu comprends, tout le temps: je faisais un pas, plouff!) alors on a appelé le Docteur, on me surveillait (tout allait mal soi-disant, tous les organes, tout ça se détraquait), et quand le Docteur a déclaré que j'étais malade et qu'il fallait que je reste couchée, que je ne bouge pas (il y a un temps où je ne devais même pas parler!) eh bien, il y a quelque chose (pas positivement ce qu'on pourrait appeler ma conscience: c'était beaucoup-beaucoup plus éternel que ma conscience – ma conscience, c'est la conscience d'une des formes de la Manifestation –, eh bien, c'était beaucoup plus, c'était par-delà) a dit oui. Et si «Ça» n'avait pas accepté, j'aurais pu continuer à vivre presque comme d'habitude. «Ça» a décrété, «Ça» a décidé – je n'ai jamais rien dit.

Autrement, je n'aurais pas consenti. N'est-ce pas, si «Ça» n'avait pas accepté, j'aurais dit à mon corps: «Va, continue, marche», et il aurait continué. Il a arrêté parce que «Ça» a dit oui. «Ça» a dit: «Oui, c'est ça.» Alors j'ai compris que toute cette prétendue maladie était une nécessité pour le Travail. Et je me suis laissée aller. Et puis il est arrivé ce que je t'ai dit: ce corps a été délégué à trois personnes, qui s'en sont occupées d'ailleurs merveilleusement avec une... (ça, vraiment, j'étais en admiration constante), une abnégation, un soin, oh! admirable. Et tout le temps, je disais au Seigneur: «Seigneur vraiment, Tu as arrangé toutes les conditions d'une façon absolument merveilleuse, impensable, toutes les conditions matérielles pour que toutes les choses nécessaires soient réunies, et mis autour de moi des gens au-dessus de toute louange.» Ils ont eu un très mauvais temps pendant au moins une quinzaine de jours, très mauvais. C'était une espèce de loque, n'est-ce pas! (Mère rit) Il fallait qu'ils pensent à tout, qu'ils décident tout, qu'ils aient soin de tout. Et ils ont gardé ça très-très bien, vraiment très bien.

Ça, c'est une histoire merveilleuse (vue comme, moi, je la vois). Et j'ai observé avec beaucoup de soin: ce n'est pas une histoire ordinaire vue avec une connaissance exceptionnelle; c'est une Connaissance et une Conscience vraies qui assistent à une histoire exceptionnelle. Et eux, ne savent peut-être pas qu'elle est tout à fait exceptionnelle, mais simplement parce que leur conscience n'est pas suffisamment éveillée. Mais eux aussi, ils ont été, et ils sont et ils continuent à être exceptionnels.

Toute l’histoire est un conte de fées.

Et la seule chose qui reste matériellement concrète dans ce monde– ce monde d'illusion –, c'est la douleur. Ça me paraît être l’essence même du Mensonge.

Seulement, ce qui le sent, le sent très concrètement (!)... Mais moi, je vois bien que c'est faux, mais ça ne l’empêche pas de sentir – il y a une raison. Il y a une raison: c'est le champ de bataille.

Même, il m'est interdit d'employer ma connaissance, mon pouvoir et ma force pour annuler de cette façon-là la douleur, comme je le faisais avant (je le faisais avant très bien). Non, ça m'a été totalement interdit. Mais j'ai vu que c'est quelque chose d'autre qui est en vue. Quelque chose d'autre que l’on est en train de faire... Ça, c'est encore – on ne peut pas dire le miracle parce que ce n'est pas un miracle, mais c'est l’émerveillement, l’inconnu... Quand ça viendra? Comment ça viendra? Je ne sais pas.

Mais c'est intéressant.

(silence)

Mais vraiment, il y a quelque chose de radical qui s'est produit, en ce sens que... j'ai essayé une fois, pour me rendre compte si je pouvais (il m'a été dit de ne pas essayer, ce qui était sage, et je n'ai pas réussi): je ne peux pas revenir à la vieille relation, c'est impossible.

Ce qui revient, c'est toute la formation d'organisation de ce qu'on appelle les objets, de l’ensemble de substance matérielle qui faisait l’entourage de ce corps – ça, ça revient, avec des petits changements (tout cela, sans passer par la tête; la tête n'y est pour rien du tout). C'est une sorte de formation qui se reconcrétise pour l’organisation extérieure de la vie.

La vieille relation n'existe plus – du tout.

(silence)

Pendant un temps, on peut dire vraiment que le corps était sorti de ma conscience – tout à fait. Ce n'était pas moi qui était sortie de mon corps, c'était le corps qui était sorti de la conscience.

Voilà.

J'espère que tu pourras t'en tirer parce que c'est la première fois que j'explique cette chose. En fait, c'est la première fois que je la regarde. Et c'est intéressant. C'est un phénomène intéressant.

22 mai 1962

(Au début de cette conversation, que nous n'avons malheureusement pas gardée, il était question de certaines laideurs humaines. En fait, il était question de notre rupture avec X, qui fut notre gourou pendant ces dernières années. Peut-être dirons-nous un jour les raisons de cette rupture, mais soulignons tout de suite que la faute n'en est pas vraiment à X, que nous respectons, mais au groupe d'intrigants qui s'était collé à lui à l’Ashram, dans l’espoir de je ne sais quels «pouvoirs». Les «laideurs» humaines dont il est question ici ont peut-être bien fait de disparaître de nos annales, encore qu'elles soient ressorties aussitôt après le départ de Mère, mais elles ne concernaient que les disciples. Toutes les réflexions de Mère sont donc perdues et les détails, sauf ce dernier fragment:)

Quel monde!

Oh! tu ne peux pas t'imaginer les découvertes que j'ai faites depuis que je suis retirée et que, censément, je n'existe plus extérieurement...

J'avais déjà plus de 80 ans, j'avais déjà vu tous les pays du monde, ou presque, et tous les gens possibles – eh bien, j'ai encore fait des découvertes! et j'en fais toujours.

Oh! il y a une phrase si admirable dans La Synthèse des Yoga (le «Yoga de la Perfection de Soi») où il dit quatre choses – tu te souviens de cela –, les quatre choses dont le disciple a besoin (je viens de le traduire). Naturellement je le savais, mais c'est tombé à pic ces jours-ci, surtout après cette dernière expérience qui est une secousse pour un être physique. Et la quatrième est admirable. Les trois premières, nous les savons: l’égalité, la paix et (une qui est difficile), c'est a spiritual ease in all circumstances [une aise spirituelle en toutes circonstances]. En français, il n'y a que le mot «confort» pour ease, et il avait ajouté «spirituel» pour qu'on ne pense pas à un confort physique – un confort de sentiments, de sensations, de tout. Mais évidemment (riant), quand on a très-très mal, c'est très difficile! Quand on ne peut pas dormir parce qu'on a mal physiquement, qu'on ne peut pas manger parce qu'on a mal physiquement, qu'on est harassé par une douleur physique constante – «une»! une quantité de douleurs physiques –, là, «ease» (ease du corps), c'est difficile. C'est la seule chose qui m'ait parue difficile; mais enfin c'est à l’étude – j'ai pensé que c'était envoyé pour être étudié.

Mais il y en a une, la dernière, qui est une merveille, où il dit The joy and laughter of the soul [la joie et le rire de l’âme], et ça, c'est si vrai! si vrai! Toujours, tout le temps, en toutes circonstances, quoi qu'il arrive, même quand ce corps a affreusement mal, il y a l’âme qui rit joyeusement au-dedans. Ça, toujours-toujours.

Et tout d'un coup, quand je me laisse aller (parce qu'on m'a recommandé – «on», c'est le Seigneur – m'a recommandé de relax-relax-relax: Il ne veut pas que ce soit la tension d'une volonté individuelle qui agit; alors relax – bon, relax), mais quand on «relax» et que tout d'un coup il vous vient une douleur horrible, on fait «ha!», et en même temps je ris! – Les gens qui m'entourent doivent penser... Je crie et je ris! (Mère rit)

Voilà'.

Sans date (fin mai) 1962

(Lettre de Mère au disciple À propos de ses difficultés avec X.)

Mercredi

Satprem, mon cher petit,


Monte là-haut, dans la Lumière d'où l’on peut regarder toute chose avec le sourire d'un calme éternel – tu y seras dans ma constante et tendre compagnie.

Signé: Mère

24 mai 1962

73 – Quand vient la Sagesse, sa première leçon est de dire: «La connaissance n'existe pas; il y a seulement des aperçus de la Divinité infime.»

C'est très bien.

Il n'est pas besoin de questions.

74 – La connaissance pratique est chose différente, c'est-à-dire qu'elle est réelle et commode, mais jamais complète. Par conséquent, la systématiser et la codifier est nécessaire, mais fatal.

Elle est réelle dans son domaine – dans son domaine seulement.

J'ai regardé cela très-très souvent. Il y avait même un temps où je pensais que si l’on pouvait avoir une connaissance totale, complète et parfaite, de tout le fonctionnement de la Nature physique telle que nous le percevons dans le monde de l’Ignorance, ce serait peut-être le moyen de retrouver, ou d'atteindre de nouveau la Vérité des choses. Avec ma dernière expérience,1 je ne peux plus penser comme cela.

Je ne sais pas si je me fais comprendre... Il y avait un temps – pendant très longtemps – où je pensais que la Science, si elle allait jusqu'au bout de sa possibilité, mais d'une façon absolue (si c'est possible), elle rejoindrait la Connaissance vraie. Comme, par exemple, dans son étude de la composition de la Matière: à force de pousser-pousser-pousser l’investigation, il y aurait un moment où les deux se rejoindraient. Eh bien, au moment où j'ai eu cette expérience du passage de la Conscience de Vérité éternelle à la conscience du monde individualisé,2 il m'a paru que c'était impossible. Et si tu me demandes maintenant, je crois que l’une et l’autre, cette possibilité de jonction en poussant la Science à fond, et puis cette impossibilité d'aucune connexion consciente vraie avec le monde matériel, sont toutes les deux inexactes. Il y a quelque chose d'autre.

Et ces jours-ci, de plus en plus, je me trouve en présence du problème total, comme si je ne l’avais jamais vu.

Peut-être est-ce deux chemins qui mènent vers un troisième point, et que c'est, en ce moment, ce troisième point que je suis en train de... pas positivement d'étudier, mais je suis à sa recherche – où les deux se joindraient en un troisième qui serait la Vraie Chose.

Mais certainement, la connaissance objective, scientifique, poussée à son extrême, s'il lui est possible d'être absolument totale (là il y a un «si»), en tout cas elle amène au seuil. C'est ce que dit Sri Aurobindo. Seulement il dit que c'est fatal, parce que tous ceux qui se sont adonnés à cette connaissance-là y ont cru comme à une vérité absolue, et ça a fermé pour eux la porte de l’autre approche. C'est en cela que c'est fatal.

Mais d'après mon expérience personnelle, je pourrais dire que pour tous ceux qui croient à l’approche spirituelle EXCLUSIVE, l’approche par l’expérience intérieure, en tout cas si c'est exclusif, c'est aussi fatal. Parce qu'elle leur révèle UN aspect, UNE vérité du Tout, mais pas le Tout. l’autre côté m'apparaît aussi indispensable, en ce sens que quand j'étais si totalement dans cette Réalisation suprême, il était absolument incontestable que l’autre réalisation, extérieure, mensongère, était seulement une déformation (probablement accidentelle) de quelque chose qui était AUSSI VRAI que l’autre.

Et c'est ce «quelque chose» à la recherche de quoi nous sommes. Et peut-être pas seulement la recherche, peut-être la FABRICATION de ça.

Nous sommes utilisés pour participer à la manifestation de ça.

De «ça» qui est encore inconcevable pour tout le monde parce que ce n'est pas encore. C'est une expression à venir.

Voilà tout ce que je peux dire.

(silence)

C'est vraiment l’état de conscience dans lequel je vis en ce moment. C'est comme si j'étais en présence de cet éternel problème, mais... d’une autre position.

Ces positions, la position spirituelle et la position «matérialiste» si l’on peut dire, qui se croient exclusives (exclusives et uniques, ce qui leur fait nier la valeur de l’autre au point de vue de la Vérité), sont insuffisantes, pas seulement parce qu'elles n'admettent pas l’autre mais parce que admettre les deux et unir les deux ne suffit pas à résoudre le problème. C'est quelque chose d'autre – une troisième chose qui n'est pas la conséquence de ces deux, mais qui est quelque chose à découvrir – qui probablement ouvrira la porte de la Connaissance totale.

Voilà où j'en suis.

Plus, je ne peux pas dire, parce que j'en suis là.

On peut se demander, pratiquement, comment participer à cette...

Cette découverte?

Ça... au fond, c'est toujours la même chose. C'est toujours la même chose: réaliser son propre être, entrer en rapport conscient avec la Vérité suprême de son propre être, sous n’importe quelle forme, par n’importe quel chemin – ça n'a aucune importance –, mais c'est le seul moyen. Nous portons, chaque individu porte en lui une vérité, et c'est à cette vérité qu'il doit s'unir, c'est cette vérité qu'il doit vivre; et comme cela, le chemin qu'il aura à suivre pour joindre et réaliser cette vérité est le chemin qui le mènera le plus près possible de la Connaissance. C'est-à-dire que les deux sont absolument unis: cette réalisation personnelle, et la Connaissance.

Qui sait, peut-être même que c'est cette multiplicité d'approches qui donnera le Secret – le Secret qui ouvrira la porte.

Je ne pense pas qu'un seul individu (sur la terre telle qu'elle est maintenant), un seul individu, si grand soit-il, si éternelles que soient sa conscience et son origine, puisse, à lui seul, changer et réaliser: changer le monde, changer la création telle qu'elle est, et réaliser cette Vérité supérieure qui sera un nouveau monde – un monde plus vrai, sinon absolument vrai. Il semblerait qu'un certain ensemble d'individus (jusqu'à présent, ça paraît être plutôt dans le temps comme une succession; mais c'est peut-être aussi dans l’espace: une collectivité) est indispensable pour que cette Vérité puisse se concrétiser et se réaliser.

Pratiquement, j'en suis sûre.

C'est-à-dire que si grand soit-il, si conscient soit-il, si puissant soit-il, UN Avatar ne peut pas, tout seul, réaliser la vie supramentale sur la terre. C'est, ou un ensemble dans le temps s'échelonnant sur un temps, ou bien un groupe se répandant sur un espace – peut-être les deux –, qui sont indispensables à cette Réalisation. J'en suis convaincue.

l’individu peut donner l’impulsion, indiquer le chemin, MARCHER lui-même sur le chemin, c'est-à-dire montrer le chemin en le réalisant lui-même – mais pas accomplir. l’accomplissement obéit à des lois d'ensemble qui sont l’expression d'un certain aspect de l’Éternité et de l’Infini – naturellement! c'est tout le même Être; ce n'est pas des individus différents ni des personnalités différentes, c'est tout le même Être. Mais c'est tout le même Être qui s'exprime d'une certaine façon qui, pour nous, se traduit par un ensemble, un groupe, une collectivité.

Voilà. Tu as une autre question sur le même sujet?

J'aurais envie de te demander: sur quel point ta vision est-elle devenue différente depuis cette expérience (du 13 avril)? Quel est le point de différence.

Je répète.

Pendant très longtemps, il m'a semblé que si l’on faisait une union parfaite entre l’approche scientifique poussée à son extrême, et l’approche spirituelle poussée à son extrême – son extrême réalisation –, si on joignait les deux, on trouverait, on obtiendrait naturellement la Vérité que l’on cherche, la Vérité totale. Mais avec les deux expériences que j'ai eues, l’expérience de la vie extérieure (avec l’universalisation, l’impersonnalisation, enfin toutes les expériences yoguiques que l’on peut avoir dans un corps matériel) et puis l’expérience de l’union totale et parfaite avec l’Origine; maintenant que j'ai eu ces deux expériences et qu'il est arrivé quelque chose – que je ne peux pas décrire encore –, je sais que la connaissance des deux et l’union des deux n'est pas suffisante, qu'il y a une troisième chose à laquelle elles aboutissent, et que c'est cette troisième chose qui est... in the making, qui est en train de s'élaborer. C'est cette troisième chose qui peut mener à la Réalisation, la Vérité que nous cherchons.

Cette fois, c'est clair?

C'était autre chose que j'avais en vue...

Ah! qu'est-ce que c'est?

Comment ta vision du monde physique, ou en quoi ta vision du monde physique a-t-elle changé, depuis ça (cette expérience du 13 avril)?

On peut donner seulement une approximation de la conscience de ça.

(silence)

J'étais arrivée, par le yoga, à une sorte de relation avec le monde matériel, basée sur la notion de la quatrième dimension (dimensions intérieures, qui deviennent innombrables dans le yoga) et l’utilisation de cette attitude et de cet état de conscience. J'étudiais la relation entre le monde matériel et le monde spirituel avec le sens des dimensions intérieures et par un perfectionnement de la conscience des dimensions intérieures – ça, c'était mon expérience avant la dernière.

Naturellement, depuis très longtemps, il n'était plus question des trois dimensions: ça, ça appartient absolument au monde de l’illusion et du mensonge. Mais maintenant, c'est toute l’utilisation du sens de la quatrième dimension avec tout ce que cela comporte, qui m'est apparue comme superficielle! Et c'est si fort que je ne le retrouve plus. l’autre, le monde à trois dimensions, est absolument irréel; et celui-là me paraît (comment dire?) conventionnel. Comme si c'était une traduction conventionnelle pour vous permettre un certain genre d'approche.

Et quant à dire ce que c'est, l’autre, la position vraie?... C'est tellement en dehors de tout état intellectuel que je n'arrive pas à le formuler.

Mais la formule viendra, je sais. Mais elle viendra dans une série d'expériences vécues, que je n'ai pas encore eues.

(silence)

Ce moyen qui m'était très utile, très commode, et à l’aide duquel je faisais mon yoga, qui me donnait une prise sur la Matière, m'est apparu comme une méthode, un moyen, un procédé – mais c'est pas ça.]

Voilà.

Voilà l’état dans lequel je suis. Plus, je ne peux pas dire.

J'aimerais mieux faire quelques progrès avant de dire autre chose.3


Peu après

Ça suffit, non?

C'est difficile à digérer.

C'est important.

J'aimerais mieux faire quelque progrès... à moins que le sujet suivant soit totalement différent.

Ah! oui, le sujet est totalement différent! Mais tu es fatiguée...

Lis-moi.

76 – l’Europe s'enorgueillit de son organisation pratique et scientifique et de son efficacité. J'attends qu'elle se sente parfaite; alors un enfant la détruira.

Ça, mon petit, je ne dis rien.

On l’oubliera.

Comment peut-on dire quelque chose!

J'avais pensé d'ailleurs que nous serons obligés de négliger, d'omettre, d'oublier un certain nombre d’Aphorismes,4 notamment tous ceux qui concernent les docteurs et la médecine (ce n'est pas que je nie leur vérité, du tout! mais je nie l’opportunité d'en parler). Ça aussi, ce n'est pas la peine de le dire.

Je ne pense pas que tous ces Aphorismes étaient écrits pour être publiés – je crois qu'il ne pensait pas à les publier. Il a dit des choses qui étaient tout à fait privées.

Celui-là, nous le mettrons avec les choses privées (!)

Et le suivant?

77 – Le génie découvre un système; le talent moyen le stéréotype, jusqu'à ce qu'il soit mis en pièces par un nouveau génie. Il est dangereux pour une armée d'être conduite par des vétérans, car de l’autre côté, Dieu peut mettre Napoléon.

Je ne crois pas qu'on puisse parler de celui-là non plus. Je ne crois pas.

Au fond, il faudra que nous fassions une sélection et que nous parlions de certains Aphorismes seulement, qui peuvent être l’occasion d'expliquer les choses. Mais ceux-là... les gens ne sont pas prêts pour comprendre. Et puis ce n'est pas le genre de ce Bulletin. Il faudrait une revue, un magazine de combat, qui parte en combat contre toutes les idées ordinaires, et alors tous ces aphorismes seraient comme... oui, comme les chefs d'armée du combat (comme ceux sur les docteurs, par exemple). Une revue qui aurait pour but: «Démolissons les vieilles idoles.» Quelque chose comme cela. On pourrait faire une revue comme cela, ce serait très intéressant – une revue de combat.

Mais ce ne peut pas être l’organe d'un Ashram, n'est-ce pas. Il faudrait qu'en apparence ce soit une revue littéraire (ça ne peut pas être une revue politique parce qu'on se ferait mettre en prison le jour suivant!). Il faudrait justement que ce soit présenté comme des spéculations littéraires, philosophiques, enfin que ça ne se passe pas sur un plan pratique; ça n'aurait aucune importance, sauf que ça lui donnerait une sécurité, parce que ce serait une revue de combat.

C'est une chose qu'on pourrait très bien prévoir et préparer pour 65 ou 67. En 67 probablement, on pourrait faire cela. Et alors, à chaque numéro (je ne sais pas combien de numéros il y aurait par an), on prendrait un des Aphorismes, comme celui sur l’Europe, par exemple, et on irait à fond.

Ce serait très intéressant. C'est à voir.

Le Bulletin est quelque chose qui doit être calme et paisible, pas violent – nous ne voulons démolir personne. C'est simplement comme si on était en train de rouler la route pour qu'elle soit plus facile à parcourir, pas autre chose. Pas jeter des avalanches sur la tête des gens!

27 mai 1962

(À propos du «mouvement ondulatoire» de l’expérience du 13 avril:)

...C'est tout à fait vrai ce que je dis là. Quand je ne regarde pas, que je ne formule pas, que je n'explique pas, c'est un état absolument tranquille, paisible, satisfait, qui se suffit à soi-même. Et je vois bien que c'est de ça que doit sortir quelque chose.

Mais dès que j'essaye de le faire sortir, tout s'efface. C'est-à-dire que ce n'est pas encore mûr.

C'est une espèce d'état, très impersonnel, où toute cette habitude de réaction aux choses extérieures, environnantes, a complètement disparu. Mais ce n'est remplacé par rien. C'est... une ondulation.

C'est tout.

Alors quand est-ce que ça se changera en autre chose? Je ne sais pas.

On ne peut pas, on ne peut pas essayer! On ne peut pas faire un effort, on ne peut pas chercher, parce que imédiatement intervient cette activité intellectuelle qui n'a rien à voir avec ça.

Et c'est pour cela que j'en conclus que c'est quelque chose qu'il faut devenir, être, vivre – mais comment? et de quelle façon? Je n'en sais rien.

Voilà.1

Alors, ton livre?

(Ici, il est question d'une lettre, maintenant disparue, dans laquelle le disciple exprimait le désir d'aller écrire son nouveau livre2 dans l’Himalaya, loin des circonstances présentes. Ces circonstances présentes incluaient un état de santé défectueux mais derrière lequel se cachait principalement la violente blessure intérieure et presque physique de notre rupture avec X. l’idée était d'aller «changer d'air».)

(Avec un sourire moqueur) Sur le chemin des méandres du monde, ce voyage n'est pas mal vu! en ce sens que pour toi, personnellement, c'est une expérience qui te... oui, qui te ferait sentir concrètement la vanité d'un certain nombre de choses encore... N'est-ce pas, à travers toutes les vies et toutes les circonstances de la vie, c'est une chose et puis l’autre, et puis une chose et puis l’autre, et puis une chose et puis d'autres... (geste en zigzag) qui vous enlèvent les écailles des yeux.

(silence)

Le cas de Sujata n'est pas tout à fait si simple. Au point de vue tout à fait extérieur, je ne doute pas que ce soit à la fois agréable et instructif. Mais Sujata est dans une relation assez spéciale [avec moi], et au fond, elle fait le yoga sans le faire, c'est-à-dire qu'elle bénéficie automatiquement du yoga que nous faisons, Sri Aurobindo et moi. Ça, ça risquerait d'être abîmé.

Je ne dis pas cela sûrement, je n'en sais rien – mais ça risquerait. Mais enfin... comme je l’ai dit, au point de vue extérieur, il y aurait certainement un enrichissement de l’être.

Mais au point de vue collectif, naturellement il y aurait un gros inconvénient pour le travail, c'est-à-dire qu'à la rigueur, même si on peut s'arranger pour finir le Bulletin du mois d'août, le Bulletin de novembre serait en grand péril.

Quant à l’Agenda, ça, il serait arrêté, voilà tout, pendant tout ce temps-là. Peut-être n'aurais-je rien à dire aussi, je ne peux pas dire – il se peut que je n'aie rien à dire pendant deux ou trois mois, peut-être davantage. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui va m'arri-ver; enfin arriver à tout ça (Mère désigne son corps), tout cet ensemble qui est l’ensemble de l’expérience, des recherches du corps. Rien ne m'est dit – je ne cherche pas à savoir et je ne le sais pas. Par conséquent, probablement, je n'aurai rien à dire. Voilà comment la chose m'apparaît dans son ensemble.

Il n'y a pas de réponse catégorique dans la conscience.

Ces jours-ci – très particulièrement ces derniers jours à cause de cette histoire avec X –, j'ai vu les deux personnes en toi, dont l’une est beaucoup plus réelle pour toi parce qu'elle est plus exprimée, plus réalisée, plus consciente d'elle-même, et que c'est quelque chose que tu connais bien. l’autre être n'a pas encore le pouvoir de diriger... (comment dire?) ouvertement, consciemment, ta destinée. Ce qui fait que les labyrinthes sont encore possibles.

Pour le moment, je suis dans cet état, qui a l’apparence d'un état neutre et qui me fait dire: «On verra.» Il n'y a pas de «non» catégorique. Il n'y a pas eu de «oui» catégorique, il n'y a pas eu d'approbation catégorique; mais il n'y a pas eu ce non qui dit: «C'est impossible.» Par conséquent, c'est toujours ce qui semble être l’éternel «on verra». Mais on verra dans combien de temps? – Je ne sais pas, dans peut-être quelques heures, dans quelques jours, dans quelques minutes, je n'en sais rien.

Ce projet n'est pas une ouverture sur le haut. Ce n'est pas une envolée vers une réalisation supérieure – non, ça, catégoriquement non.

Mais ce n'est pas cela que je cherchais!

C'est le chemin du labyrinthe dans les circonstances de la vie physique.

Ça, c'est aussi clair que possible.

Mais ce qui a motivé cela, c'est un état physique. Je n'ai pas pensé à Sujata d'abord, j'ai simplement vu... Je ne sais pas, je suis dans un état de fatigue, oui. Il n'y a pas de réserves. Dès qu'il y a quelque chose de plus, je suis «exhausted» [épuisé]. *Il y a cet état physique, et là-dessus se branche un état psychologique qui est décourageant parce que... Notamment mes nuits sont totalement inconscientes, je ne dors pas parce que le mental tourne. Mes méditations, c'est toujours la même chose... Tu comprends, j'ai l’impression qu'il n'y a rien-rien-rien. Alors il me semble que la cause tient à une certaine vie physique que je mène.3

Une vitalité qui manque.

Une vitalité qui manque, trop de tension, je ne sais pas, ou le climat qui me fatigue. Un certain nombre de choses physiques qui font que... C'est cela qui a motivé le projet.

Sujata, c'est carrément un sacrifice que tu lui demandes. Je ne dis pas extérieurement, mais pour elle-même ce serait un sacrifice. Elle te sacrifierait quelque chose. Et quelque chose de très précieux: il faudrait qu'elle sacrifie sa réalisation propre pour t'aider. Eh bien, ça, ça a sa place dans l’échelle des réalisations.

Je comprends bien.

Elle serait forcément en rapport avec d'autres gens.

Si je vais quelque part, je tiens absolument à n'avoir aucun contact avec qui que ce soit. Je ne veux pas avoir une attitude sociale.

(Mère reste silencieuse)

Je ne peux pas dire.

Mais à quoi tient la totale inconscience de mes nuits? À quoi tient la totale absence de quoi que ce soit dans mes méditations?4

(Après un silence) C'est quelque chose qu'il faudrait que tu sentes toi-même, non?

Je le sais, mais...

Mais, n'est-ce pas, à moins que l’on en ait soi-même l’expérience, ça vous fait l’effet d'une espèce de... conte de fées (mais pas un conte de fées très agréable!)

Là, si tu me donnais une indication...

(Après un silence) Ceux qui ont dépassé le stade des réincarnations successives pour le développement de l’être psychique, ceux qui ont une âme consciente, c'est-à-dire pleinement développée, parmi ceux-là, il y en a... (comment dire?) qui sont choisis ou destinés pour participer à une certaine action terrestre. Et tu sais, dans le processus de réincarnation, il y a toujours... enfin il y a plus ou moins de désordres et de confusions. Si tu veux, je peux te dire mon cas; eh bien, malgré toutes les précautions prises, il y a eu la nécessité de certaines confusions qui... naturellement ont compliqué le travail. Dans le cas de Sri Aurobindo aussi. Eh bien, ces confusions quelquefois dérangent beaucoup le travail.

Mais il y a un certain nombre d'êtres – pas beaucoup –, un certain nombre d'êtres qui ne sont revenus sur la terre QUE pour participer à un certain travail, d'une certaine manière. Et les choses extérieures, personnelles ou individuelles, sont presque sacrifiées à ça. Par exemple, certaines facultés qui proviennent de l’entité supérieure et qui, dans une vie ordinaire, donneraient un certain résultat de puissance ou de succès, ou de pouvoir, ou enfin de réalisation, sont mises dans des conditions où leur effet extérieur est soumis aux nécessités d'un travail.

Si tu veux que je te parle plus clairement: par exemple, il aurait fallu que ton corps physique soit ou plus fort ou plus souple ou avec certaines compensations vitales très fortes pour que tu ne souffres pas des conditions du travail que tu fais... N'est-ce pas, celui qui suit une ascension yoguique, dont l’âme est en voie de formation, normalement les conditions de sa vie physique sont les meilleures pour son développement intérieur, quel qu'il soit, même si, extérieurement, ces conditions ne sont pas bonnes. Et par conséquent, il n'y a qu'à lui conseiller: «Eh bien, oui, renoncez à la vie spirituelle, ou bien endurez.» Mais dans ce cas-ci, ce n'est pas ça! C'est la Mission, un travail, et une espèce de décalage entre une certaine formation physique et cette Mission. Ce qui fait que si tu me demandes clairement ce que je vois, je peux te le dire clairement au lieu de dire comme je dirais à certains sadhaks ou à ceux qui ont sincèrement le désir du yoga: «C'est à prendre ou à laisser; il faut apprendre à vous transformer intérieurement suffisamment pour dominer le corps et son besoin.» – Je ne peux pas te dire ça. Parce que ce n'est pas comme cela.

Je veux dire qu'il se peut – il se peut – que même une transformation intérieure (par exemple, une complète conversion de l’être vital) n'amène pas nécessairement une amélioration de la santé. C'est là où... Ce n'est pas une chose qui s'impose à ma vision. Et de retourner à la vie ordinaire serait la fin de tout – et de ta vie physique et de ta vie intérieure.

Je n'en ai aucune envie!

Ça, tu en as eu l’expérience, c'est de toute évidence.

Mais prendre des précautions et certaines aides extérieures peut ne pas être négligeable. Et c'est pour cela que je ne peux pas dire: «Ne fais pas attention à ton corps, marche, et puis tout ira bien – non. Il se peut, par exemple, que d'aller passer deux ou trois mois dans la montagne t'aide. Ça se peut (note que je ne vois rien, je ne sais pas).

Et le bloquage dans les méditations, ça vient aussi de ce «travail» particulier?... J'ai comme une impression que ce sont des réalisations que j'ai déjà eues...

Mais oui!

... tu comprends, et que tout ça m'est fermé. J'ai l’impression qu'il y a une connaissance que j'ai déjà eue, une vision que j'ai déjà eue...

Certainement.

Et que tout ça... Eh bien, je suis comme quelqu'un qui est exilé, tu comprends?

C'est un JOINT qui manque.

Alors tous les matins quand je me réveille avec un trou noir devant ma nuit, je me réveille dans un état de découragement, je me dis: Alors quoi!?

Oui.

C'est là où le côté physique...

C'est dans le vital, mon petit. Il s'est passé quelque chose à ta formation – ton vital n'est pas assez fort.

Tu comprends, je suis absolument convaincue que quand j'aurai trouvé ça, ce que je cherche [la troisième position], tout changera pour toi instantanément, comme ça (geste de retournement) ploff! sans que tu fasses le moindre effort – ce sera comme ça, un éclair. Mais en attendant... en attendant je veux que tu te portes bien. Et alors, si d'aller quelques mois à la montagne te fait beaucoup de bien... Remarque que je mets «si» – je n'en suis pas sûre.

Je suis sûre que la seule chose qui te ferait vraiment du bien, ce serait justement ce que tu appelles le «débloquage» – ce serait fini.

Ah! oui, mais j'en suis convaincu.

Tu serais tout à fait heureux, et ton physique irait bien aussi.5

Mais c'est parce qu'il y a ce bloquage que le corps se dit: Eh bien, quoi!?

Peut-être pas. Peut-être est-ce quelque chose dans le corps? C'est ce «peut-être» qui me fait hésiter.

Mais ce livre, par exemple, je ne sais pas si c'est du «tamas», mais j'aurais envie tout le temps d'être assis et de ne rien faire! Ou de faire un minimum de travail qui me relie – du travail pour toi, comme ça, un petit peu, et puis le reste du temps...

Oui, ce ne serait pas si mal! Mais je comprends cela tout à fait bien!

Ce livre que je dois écrire, extérieurement je dirais: «Je n'en ai pas envie!»... J'en suis quand même au point où je ne fais plus attention à mes «envies» ou «pas envie», mais enfin je ne peux pas dire que ça m'enthousiasme.

Oui, ce n'est pas une activité qui t'intéresse. Et ça, je comprends!

Malgré tout – malgré tout, il y a une sorte de communication [entre toi et moi] constamment établie, qui fait que sans même le savoir, tu es en relation avec les expériences. Eh bien, il est évident que mon expérience ne pousse pas à l’activité – pour le moment.

Non, ce n'est pas ça. Non, la seule chose que je n'aime pas, c'est cette espèce d'épuisement physique.

Je suis vite fatigué, il n'y a pas de réserves, et quand il y a une petite chose, tout de suite je suis... Et alors, les autres, le contact des autres m'épuise. Aller chez X était pour moi un supplice.

Bien.

Je vais «regarder», si tu veux.

Je t'ai dit ce que j'avais tout de suite vu.

Je vais regarder, et pendant ce temps-là, il faut finir autant que possible ce Bulletin d'août.

Au fond, ce que je voulais mettre devant toi, c'est cette espèce de manque d'envie d'écrire ce livre.

Ça ne fait rien, mon petit!

Moi, la seule chose que je ne veux pas...

En tout cas, laisse-moi quelques jours pour voir et puis on verra si j'ai une indication.

Je te prends beaucoup de temps...

Non, je ne suis liée par rien, je n'ai plus d'obligations!

Mais c'est vrai ce que tu as dit, je sens cela très bien: si c'était débloqué, il n'y aurait plus de problème.

Oui-oui!

Alors j'ai une espèce d'impatience de sentir vraiment quelque chose que je sais, mais il n'y a pas de contact. Alors je tourne en rond. C'est toujours la même chose.

Il y a un joint qui manque. Là on sait (geste au-dessus), ici on ne sait pas (geste dans la Matière), et on a toujours l’impression que de changer de place ou de changer les conditions physiques va établir le contact... Ça arrive – c'est vrai, ça arrive: tout d'un coup, un éclair, plan! Mais ça arrive dans N'IMPORTE quelles circonstances. Ça ne dépend pas d'un changement extérieur. Je sais bien qu'ici-même, il n'y a rien, ni dans le climat ni dans les conditions, qui soit absolument intolérable – c'est seulement l’idée qu'on s'en fait, la réaction mentale (mentale et vitale). Mais si on avait cette joie justement, de l’ouverture totale, tout le reste passerait.

Mais il se peut aussi que là-haut, sur les montagnes, tout seul en face de la montagne, tout d'un coup ça vienne – c'est possible, tout est possible. Il n'y a rien qui ne contienne une possibilité de vérité.

Enfin, laisse-moi voir au moins jusqu'à mardi, je te dirai ce que j'aurai vu.

Au revoir, mon petit.

29 mai 1962

... Mais ce livre, ce deuxième livre sur Sri Aurobindo, est-ce que ce n'est pas une chose imposée par les circonstances? Est-ce vraiment une chose qui doit être faite, qui existe déjà, décrétée?

Moi, j'en vois un. Je vois un Sri Aurobindo...

(silence)

Presque pas philosophique et intellectuel. Presque une histoire. Et la présentation de son œuvre d'une façon tout à fait pratique et extérieure, comme, moi, je l’ai donnée aux enfants ici. Quand j'ai dit aux enfants: «Vous savez, voilà pourquoi vous êtes ici», je l’ai dit d'une façon qu'ils puissent comprendre, n'est-ce pas? Eh bien, un livre comme cela. Si, moi, j'écrivais (je n'écrirai jamais un livre sur Sri Aurobindo! jamais-jamais-jamais – je le sais), mais si jamais j'écrivais un livre sur Sri Aurobindo, c'est ce livre-là que j'écrirais, comme une espèce de conte de fées... «Figurez-vous que c'est comme cela... Vous voyez la vie, vous voyez comment c'est, vous avez l’habitude d'une existence comme cela, et c'est morne et c'est triste (il y a des gens qui s'amusent, mais c'est parce qu'ils s'amusent avec peu de chose!) eh bien, il y a là, derrière, un conte de fées. Quelque chose qui se prépare et qui sera beau-beau-beau, au-delà de toute expression. Et à quoi nous participerons... Vous ne savez pas, vous croyez que quand vous allez mourir, vous allez tout oublier et tout quitter, mais ce n'est pas vrai! Et tous ceux qui s'intéressent à une vie belle, lumineuse, joyeuse, progressive, eh bien, tous ceux-là y participeront, d'une façon ou d'une autre. Maintenant, vous ne savez pas; dans quelque temps, vous saurez... Voilà.»

Alors un conte de fées.

Mais est-ce que tu te sens disposé à raconter un conte de fées??... Ça n'a pas besoin d'être très long.

Et des images, mon petit! Toutes les images extérieures, toutes les images de cinéma: les images de cette activité et de celle-là et de celle-là – un joli magazine. Ça me paraît être la seule chose qu'on puisse dire vraiment, parce que c'est la seule chose qu'on voit. Alors on voit, on dit: «Oui, mais il y a quelqu'un qui, avec tout ça, essaye de faire quelque chose. Voyez, voyez une jolie image derrière, une jolie histoire... et il essayait de tirer cette histoire sur la terre, et elle est sûre de venir.»

«Et si vous voulez, vous aussi, vous pourrez tirer pour que ça vienne sur la terre.»

Mon petit, ce livre pourrait être délicieux s'il était fait comme cela!...

Ton premier livre est un livre prophétique qui est très beau, mais je dois dire qu'il n'est pas fait pour beaucoup de gens – ce serait vraiment un livre pour nous, pour mettre en rapport avec tous les gens qui s'intéressent au yoga, qui s'intéressent à la vie spirituelle: une élite. C'est un livre pour une élite, ce n'est pas un livre pour le public.

Moi, ce que je vois, c'est un livre presque pour les enfants. Pour toute une génération de dix à dix-huit ans... des milliers d'enfants – avec de jolies images.

(silence)

Non, la seule chose qui m'ennuie, la seule (il n'y en a pas deux), c'est la santé physique... Mais pour dire la vérité (la vraie vérité de ce que je SAIS), je ne crois pas qu'il soit impossible à un corps de s'adapter à n'importe quel climat.

Mais non, mais je ne crois pas non plus!

Les êtres humains ne sont tout de même pas si limités! C'est plutôt... oui, une question d'atavisme, d'éducation, toutes sortes de choses; et je crois que la raison principale, c'est surtout que tu n'as pas envie – ce n'est pas amusant pour toi!

(Le disciple rit, tout à fait d'accord)

Moi, n'est-ce pas, j'ai été élevée par une mère ascétique, stoïque, qui était comme une barre de fer, et quand nous étions tout petits, elle a passé son temps à répéter, à mon frère et à moi, qu'on n'était pas sur la terre pour s'amuser, que c'est un enfer constant, mais qu'il faut en prendre son parti et que la seule satisfaction qu'on puisse avoir, c'est de faire son devoir!

Mon petit, c'est une éducation épatante!

Épatante. Je lui en sais un gré infini. Mon corps n'a jamais demandé à s'amuser ni à être bien portant ni rien – il a dit: «La vie est comme ça, eh bien, il faut la prendre comme ça, voilà.» Et c'est pour cela que la première personne que j'ai rencontrée (j'avais déjà plus de vingt ans) qui m'a dit que cela pouvait être autrement: «Oh! j'ai dit, vraiment? vous croyez!» (Mère rit) Et alors, quand il m'a raconté tout l’enseignement de Théon et de La Vie Cosmique et du Dieu intérieur et d'un monde nouveau, qui serait un monde de beauté et, au moins, de paix, de lumière... alors je me suis précipitée là-dedans tête baissée.

Mais même à ce moment-là, on m'a dit: «Ça ne dépend que de vous, ça ne dépend pas des circonstances – surtout n'accusez pas les circonstances; c'est en vous que vous devez trouver ça et c'est en vous qu'est l’élément transformateur. Et n'importe où vous êtes, même si vous étiez dans une cellule au fond d'un trou, vous pourriez le faire.» C'était trouver un terrain tout prêt, n'est-ce pas, puisque le corps ne demandait rien.

Eh bien, je crois que c'est la meilleure éducation. Nous donnons tout le contraire aux enfants ici! Mais c'est comme ça, c'est un principe – ce n'est pas pratique.

Pas pratique, comment?

(Mère rit) Je ne crois pas que c'est du tout pratique de leur enseigner que la vie c'est pour se développer, se manifester, être heureux – ils sont insupportables! (Mère rit)

Il y a des petits, ici, qui deviennent de véritables démons! Intéressants, ça oui; oh! le vital n'est pas supprimé! Mais alors...

Il y a un petit Américain ici (sa mère est... je ne sais pas si elle est faible comme tout ou si elle est en adoration devant lui, mais enfin elle le laisse faire tout ce qu'il veut: elle le défend toujours, elle ne permet à personne ni de le punir ni de le gronder), et ce petit ne peut aller dans aucune classe (il n'accepte aucun professeur), mais il court dans l’école et il passe d'une classe à l’autre – il fait du bruit, il tape les gens, il injurie le professeur – en tourbillon, et puis il sort et il s'en va! Et un jour, il est entré au Terrain de Jeu (on ne lui avait pas permis d'y aller parce que c'est un fou), il entre au Terrain de Jeu sans qu'on le voie, et il y avait là des jeunes filles, des femmes, qui faisaient des exercices par terre – il s'est mis à courir sur leur ventre! Ça a été un scandale.

Oh! c'est une comédie! Mais l’atmosphère est comme cela.

Enfin ça, c'est une diversion.

Je sais que ce qui serait la solution pour toi, c'est que tu aies des expériences...1

J'ai l’impression qu'il y a un changement depuis que Xest parti.

Ah!

Je ne sais pas, je ne peux pas très bien le définir... J'ai l’impression qu'au lieu de chercher à pousser des murs, peut-être je reste davantage passif. C'est plutôt, maintenant, un mouvement comme cela, d'abandon, qu'un mouvement de concentration.

Oui-oui! C'est ce que je reproche au système tantrique: ils ne croient pas du tout à la possibilité de quelque chose qui aide d'en haut. Ils croient à la corde raide. Ce n'est pas bon.

Oui, j'ai senti... C'est très subtil mais j'ai senti une différence bénéfique.

Si tu me demandais mon goût (est-ce que j'ai encore un goût? – je n'ai certainement pas de préférences mais il y a des choses qui sont plus spontanées), mon mouvement spontané serait ça, tu comprends (geste ouvert à tous les horizons, qui embrasse tout), et puis justement, débrider.

Si je pouvais te plonger dans certaines vibrations, la montagne ne serait pas nécessaire.

La montagne, je sais comment c'est: le corps se sent bien pendant un temps, mais... Tu sais que Z avait la même impression (elle vient des montagnes), elle avait l’impression que sans l’air des montagnes, elle serait toujours malade – moi, je savais que ce n'était pas cela: c'étaient des difficultés intérieures. Mais je l’ai laissée aller dans la montagne – le corps était exubérant! Mais elle est revenue plus malade qu'elle n'est partie! Mais son corps était exubérant – c'est très superficiel.

Non, je ne sens pas que la montagne me soit nécessaire du tout. l’idée m'était venue à cause de ce livre.

Mon petit, ça, carrément, je n'y crois pas. Parce que ce livre, je le vois. Je le sens. Et puisque je le sens d'une façon si vivante, tu ne crois pas que ce serait plus commode de l’écrire ici que là-haut?...

Ce n'est pas cela, c'est seulement la santé. Si je pouvais... Tiens, moi aussi,2 j'avais envie d'aller dans l’Himalaya, beaucoup-beaucoup envie quand j'étais en France. Alors quand je suis arrivée ici la première fois, c'était très bien, j'étais très contente, tout était très beau, tout était magnifique, mais... oh! un peu aller dans l’Himalaya (j'ai toujours aimé beaucoup les montagnes, beaucoup). Et j'étais dans une maison, la maison Dupleix, là. Je méditais en me promenant de long en large: il y avait une petite cour, un mur mitoyen, et sur le mur mitoyen, des bouts de verre pour empêcher les voleurs de passer. Et je méditais – je méditais sur la vie spirituelle –, lorsque tout d'un coup, quelque chose a tiré mon œil: il y avait un rayon de soleil sur un morceau de verre bleu, pointu, sur lé mur mitoyen. Et absolument, d'une façon spontanée, pas réfléchie, pas pensée, rien... j'ai vu le sommet de l’Himalaya. J'étais sur le sommet de l’Himalaya.

C'est resté pendant plus d'une demi-heure. C'était une vue de montagne merveilleuse, l’air de la montagne, la légèreté de la montagne – tout était là. La splendeur du soleil sur les cimes de l’Himalaya.

Après cette demi-heure, je n'avais plus la moindre envie d'y aller!

Et j'avais eu la PLEINE expérience que l’on peut avoir spirituellement de l’Himalaya.

C'est une grâce qui m'a été faite. On m'a fait ce cadeau.

Si je pouvais te passer un cadeau comme ça... C'est ce que j'essaye. Je ne sais pas pourquoi, je ne peux pas encore. J'ai fait beaucoup de choses pour beaucoup de gens, tu le sais bien. Mais pourquoi? – Pas encore trouvé le moyen.

Mais quand on a l’expérience, tu sais, c'est complet! C'est complet, c'est total, c'est physique, c'est matériel.

(silence)

Une expérience analogue m'a été donnée avec la mer... Dans cette maison où je distribue «prospérité», il y a une véranda avec un petit recoin comme ça, et dans ce bout, une fenêtre (ce n'est pas une fenêtre, c'est une ouverture): on voit un bout de mer qui est large comme ça (geste). Et alors le corps aussi se sentait enfermé, un peu fatigué, comprimé. Et je donnais des méditations à une vingtaine de gens dans cette véranda (je faisais mes réflexions comme toujours à Sri Aurobindo, je lui disais ce qui se passait). Et un jour comme ça, je passe sur cette véranda pour donner la méditation, je tourne mon œil et... je vois la mer. Tout d'un coup, c'était toutes les immensités océaniques avec une navigation libre, allant d'un endroit à un autre, la brise de la mer, le goût de la mer, et puis cette sensation d'immensité, d'ouverture, de liberté... quelque chose qui n'a pas de limites. Ça a duré un quart d'heure, vingt minutes. Mon corps est sorti de là frais comme si j'avais fait une longue navigation.

C'est l’effet PHYSIQUE sur lequel j'insiste: l’expérience est concrète, elle a un effet physique. C'est ça que je voulais te donner.

La bonne volonté est là...

*Non, on peut classer cette affaire. Quand le livre commencera à me venir, eh bien, je m'y mettrai, et puis c'est tout.

Mais ce n'est pas pressé.

Ce n'est pas pressé, je voudrais que ça te vienne comme ça, presque comme un amusement. Que tu t'imagines que tu es en train de parler à des enfants et que tu vas leur raconter la plus belle histoire du monde.

Et c'est vrai! c'est le plus beau conte de fées du monde. Il n'y en a pas de plus beau que celui-là.

Je vais vous raconter la plus belle histoire du monde...

Je tâcherai. Je vais essayer.


(Puis Mère pose diverses questions au disciple sur son japa et après un très long silence où Elle semble partie, ou «regarder» au loin, Elle reprend:)

C'est très intéressant, mon petit... quand tu m'as dit cela, automatiquement je suis entrée dans l’état, et il y avait cette espèce... (comment dire... je ne sais pas comment appeler ça), c'est un mouvement comme une volonté mais qui n'est pas de la pensée, qui est un sentiment: je voulais te prendre dans l’expérience. Et alors il m'a été montré – littéralement montré – que toute ta relation avec les mondes intérieurs et extérieurs se situait ici (geste au-dessus de la tête), et que c'est pour cela que ça se traduit tout à fait bien dès qu'il y a une traduction dans l’activité intellectuelle. Mais ici (geste au plexus solaire), c'est très peu. Et je le voyais, n'est-ce pas, je le touchais. Ça vient seulement comme une conséquence indirecte. Et puis alors, là (geste plus bas): RIEN. Ça reste comme c'est, tel que ça a été fabriqué quand tu es venu sur la terre!

Et alors on m'a montré:3 ici (région ombilicale), avoir comme un élargissement de l’être et des vibrations – une paix, une tranquillité dans l’immensité. Et c'est LÀ, c'est-à-dire le prana, c'est là qu'il faut s'élargir dans la paix, la paix, la paix, la tranquillité. Mais dans l’immensité.

Et c'est ça qui te débridera.

Ici (geste à la tête et au-dessus), le travail est fait, il n'y a pas de danger, il ne peut pas se défaire – la jonction est tout à fait bien établie: tu n'as qu'à faire ça (geste de reprendre sa respiration) et ça y est.

Ici (geste au cœur), le moyen est un peu trop... c'est un peu trop classique, en ce sens qu'on retombe nécessairement dans toutes les connaissances, les méthodes et les moyens classiques – ça se fera de soi-même, tout naturellement.

Ici (région ombilicale): quelque chose comme a quiet ease (il n'y a pas d'équivalent en français), a quiet ease [une aise tranquille]. Ça a été crispé, et il faut que ça s'élargisse. C'est la vie intérieure du prana qu'il faut élargir (le vital intérieur, le vital vrai, celui qui a les expériences dont je t'ai parlé, du morceau de verre et du bout de mer), c'est ça qu'il faut élargir. Et vaste, vaste... C'est crispé et ça souffre. Il faut le détendre intérieurement, c'est-à-dire amener la Force: la Force de cette expérience nouvelle [du 13 avril], la mettre là. Et toi, simplement te laisser aller comme ça – si tu pouvais attraper le mouvement ondulatoire, ce serait parfait.

Comme ça: détendre-détendre-détendre, on flotte – flotter-flotter-flotter sur un mouvement ondulatoire infini. Tu veux qu'on essaye?

Mais surtout, ne te mets pas en position de méditation! Et ne te crispe pas, laisse-toi aller comme si, tout simplement, tu voulais te reposer – mais te reposer non pas dans un trou vide: te reposer dans une masse de force infinie... qui est une solidité souple.

(méditation)

Une très lumineuse atmosphère...

31 mai 1962

Alors, la nuit, pareil?

Pas brillant.

Pareil.

J'ai fait un rêve symbolique (bien symbolique!) c'est la dernière chose dont je me souvienne ce matin... J'étais dans une sorte de vêtement qui m'encombrait beaucoup, et qui était plein de grandes épines...

Oh! quelle horreur!

Alors je ne pouvais me mettre dans aucune position – dans toutes les positions c'était désagréable!

Tu t'es réveillé comme cela...

Mais c'est tout à fait curieux. Il y a quelque chose qui m'arrive tout le temps, au moins une cinquantaine de fois dans la journée (et surtout la nuit, c'est très-très clair), c'est comme si (sous la forme la plus extérieure), comme si on changeait d'une chambre à une autre, ou d'une maison à une autre, et on traverse la porte ou on traverse le mur presque sans s'en apercevoir, automatiquement; et alors, dans une chambre, ça se traduit extérieurement par un état tout à fait confortable où il n'y a pas de douleur du tout, nulle part, et une grande paix – une paix joyeuse, d'un calme parfait... enfin un état idéal qui dure quelquefois très-très longtemps. En fait, c'est surtout la nuit (dans la journée je suis dérangée par les gens, ils viennent pour toutes sortes de choses), mais la nuit il y a un certain nombre d'heures: l’état est presque constant. Et puis, tout d'un coup, sans aucune raison perceptible, apparente (je n'ai pas pu encore trouver pourquoi ni comment), on... comme TOMBE dans l’autre chambre, ou dans l’autre maison, comme si on faisait un faux pas, et puis alors on a mal ici, mal là, on n'est pas confortable.

C'est évidemment la continuation de la même expérience que je t'ai dite,1 mais c'est devenu comme cela. C'est-à-dire que les deux états maintenant sont distincts – perceptiblement distincts; mais je n'ai pas encore trouvé le pourquoi ni le comment: si c'est quelque chose du dehors ou si c'est tout simplement un vieux pli – oui, ça me fait l’effet d'un vieux pli dans une étoffe: tu sais, on a beau repasser, le pli revient. Ça me fait plus cet effet-là – pas une habitude consciente, du tout: un vieux pli. Mais c'est peut-être aussi provoqué par quelque chose qui vient du dehors??...

Et alors, quand je suis dans l’état du vieux pli, j'ai des rêves!... Oh! il y en a toute une série (il y a des genres spéciaux et des catégories): on arrive pour descendre un escalier – il n'y a plus d'escalier; on veut passer par une route – la route se ferme; on veut attraper quelqu'un – on ne peut pas. Toutes sortes de choses. Et ces rêves-là (j'en ai tout un échantillonnage, à vrai dire) se reproduisent avec des petites différences d'apparence dans la forme extérieure, mais c'est le même genre; c'est un genre bien connu, et qui maintenant, pour moi, est catalogué dans les self-imposed troubles [les ennuis délibérés]. Quand je sors de là, je regarde et je vois très clairement que c'est tout simplement une sale habitude qu'on a de s'embêter à propos de rien! (Mère rit) Oh! tout-tout ce que l’on veut faire, imédiatement une complication, une difficulté!...

Oui, ce sont des rêves qui viennent du subconscient. Ce sont surtout des habitudes subconscientes... Mais les douleurs, les épines dans le vêtement, c'est tellement clair! (Mère rit) et pas moyen de se tourner dans aucun sens!

Avant, quand j'avais un rêve comme cela, ça m'embêtait pendant des heures; j'étais ennuyée, je me disais (il y a très-très longtemps: des âges), je me demandais quelles calamités allaient m'arriver. Mais j'ai compris que c'était tout à fait idiot, que ce n'était pas ça. Après, j'ai compris que c'était dans le subconscient, une forme imagée de... eh bien, des mauvaises habitudes psychologiques que l’on a, voilà tout. Et je me tourmentais, je me disais: «Comment (on est plein d'un tas d'infirmités comme cela, qui sont et qui ont été construites avec le corps), comment se débarrasser de ça?» Et puis j'ai compris par expérience, et j'ai vu que c'étaient seulement des mauvais plis.

La seule chose à faire, c'est de ne pas s'en tourmenter et de dire au Seigneur, en toute sincérité naturellement: «C'est Ton affaire. Débarrasse-moi de ça.» Et c'est très efficace. C'est très efficace. Il m'est arrivé d'avoir ainsi des vieilles choses – en un éclair, c'était dissipé; des espèces de petites habitudes invétérées, tellement stu-pides, mais tellement habituelles, et on n'arrive pas à s'en débarrasser, et puis au moment du japa ou en marchant, ou dans une méditation, n'importe, tout d'un coup la flamme jaillit et... (vraiment on en a assez de cette affaire-là, c'est dégoûtant, on veut que ça change; vraiment on veut que ça change), et alors on dit au Seigneur: «Moi, je ne peux pas (très sincèrement, on sait qu'on ne peut pas; on a essayé-essayé-essayé, on n'est arrivé à rien du tout – on ne peut pas), eh bien, je Te le donne, fais-le.» Comme ça. Et tout d'un coup, on voit la chose qui s'efface. Ça, c'est merveilleux. Tu sais, comme Sri Aurobindo enlevait une douleur à quelqu'un? – La même chose. Des habitudes qui sont liées à la formation du corps.

Un jour, certainement, j'emploierai la même méthode pour ces «changements de chambre», mais il faut pour ça que la chose soit devenue très distincte et très claire, qu'elle soit bien clairement définie dans la conscience. Parce que ce changement de chambre (intellectuellement, on dit un «changement de conscience» – ça ne veut rien dire du tout: il s'agit d'une chose très-très matérielle, n'est-ce pas), il m'est arrivé d'avoir le changement de chambre SANS AVOIR LE CHANGEMENT D'EFFET. C'est-à-dire, probablement, que j'étais centrée dans une conscience plus haute, pas dans la conscience matérielle (la conscience logée elsewhere [ailleurs] et regardant: une conscience de témoin) et que je me trouve dans une position où tout ça coule... comme une rivière de paix tranquille – c'est vraiment merveilleux: toute la création, toute la vie, tous les mouvements, toutes les choses, et tout ça comme une seule masse, et ce corps au milieu de tout cela fait une partie très homogène, et ça coule comme une rivière de paix, paisible, souriante, à l’infini. Et puis, tout d'un coup, clac! on trébuche (geste de renversement2), alors on est de nouveau SITUÉ; on est quelque part, c'est un moment quelconque; et alors, une douleur ici, une douleur là, une douleur... Il m'est arrivé de voir, c'est-à-dire d'être le témoin du changement de l’un à l’autre, SANS sentir les douleurs ou sans en avoir l’expérience concrète; c'est-à-dire que je n'étais pas dans le corps du tout, pas LIÉE au corps: je voyais, je voyais seulement, j'étais tout à fait comme un témoin. Et ça vient toujours avec quelque chose comme la remarque d'un ami bienveillant, mais pas aveugle, qui vous dit: «Mais enfin, pourquoi encore!» Ça vient comme ça: «Mais enfin, pourquoi encore ça? À quoi ça sert?» Et je ne peux pas arriver à attraper ce qui le fait faire...

Ça viendra.

C'est très intéressant parce que c'est très nouveau.

Qu'est-ce qui arrive?... Qu'est-ce qui arrive, qu'est-ce qui se passe??...

(silence)

J'ai plusieurs fois noté (parce que je ne suis pour ainsi dire jamais seule dans la chambre – mais probablement il y a beaucoup de raisons), j'ai plusieurs fois noté un tout petit changement, un petit mouvement dans la conscience de la ou les personnes qui sont la chambre. Mais j'hésite toujours à rejeter la responsabilité sur quelque chose en dehors parce que ça vous enlève les trois quarts de la possibilité de contrôle.

Si on pouvait trouver le mécanisme!...

C'est évidemment quelque chose qui est accroché [aux autres] et qui répond. Mais l’accrochage, je ne peux pas le défaire, parce que c'est le produit d'un travail d'années d'universalisation – je ne vais pas m'amuser à défaire ça! Je ne veux pas – je ne veux pas trouver ça pour moi toute seule, ça m'est absolument indifférent. Ce n'est pas pour ça que je suis restée. Il faut que je trouve le mécanisme. D'ailleurs, je fais plutôt le contraire: chaque fois que je suis dans l’état, je le répands et le passe. Mais c'est peut-être cela qui fait que ces vieilles habitudes viennent?...


(Puis il est à nouveau question de ce livre sur Sri Aurobindo comme un «conte de fées»:)

Il n'y a pas eu d'effet de notre méditation?

Tu n'as rien senti?

(geste négatif)

Rien.

Bon.

Nous essaierons.

Oh! après t'avoir quitté l’autre jour, pendant longtemps, pendant plus d'une heure, je continuais à raconter l’histoire! Et je me voyais comme ça, debout, avec toute une foule d'enfants. C'était quelque chose qui descendait sur moi (ce n'est pas que je tirais ou que j'y pensais: je n'y pensais pas du tout), mais j'étais debout et je racontais et je racontais et je racontais, et ça venait, c'était amusant comme tout!

Je te l’ai passé, mais (riant) je ne sais pas si tu l’as reçu.

Quelque chose qui est fait très légèrement, sans y attacher d'importance, mais qui provient justement d'un nouveau monde – oh! maintenant, je fais une distinction constante entre... (comment dire?) la vie en lignes droites et en angles droits, et la vie ondulatoire. Je pourrais dire: il y a une vie qui est comme ça (Mère fait des gestes hachés, avec des lignes qui s'entrecoupent) où tout est coupant, dur, angulaire, et puis on se cogne partout; et il y a une vie ondulatoire, très douce, très charmante – très charmante – mais pas... pas trop solide. C'est curieux, c'est tout à fait un autre genre de vie. Eh bien, mon histoire appartenait à ce monde-là: il n'y avait rien là (Mère touche son front) et même rien là *(au-dessus de la tête), c'était quelque chose comme... comme des vagues. Et c'était très joyeux, très joyeux, et sans souci.

(silence)

Tu veux qu'on reste tranquille un petit peu? (si tu sens comme cela). Si tu veux me dire quelque chose, dis-le moi.

Non.

Si tu veux poser une question, pose. Si tu veux te taire, on peut se taire, tout ce que tu veux – je suis à ta disposition jusqu'à onze heures!

Rien? Tu ne veux rien me dire? Il n'y a rien que tu aimerais dire?

Oh! bien, tout est un peu confus... J'ai l’impression qu'on est en train de couper-couper autour de moi; l’impression qu'on est en train de me pousser sur une voie où je déboucherais sur l’illusionnisme du monde.

Ça, c'est encore le vêtement aux épines!

Eh bien, moi, ce que je voyais ou ce que j'ai vu depuis avant-hier, pour toi, c'est tout le contraire. C'est quelque chose, au contraire, qui se débride. Seulement je vois bien, je vois bien... il y a une route qui ne vaut rien et qu'il ne faut pas suivre – et elles sont très près l’une de l’autre. Pourquoi si près?? C'est comme ces deux chambres, pourquoi elles sont si près?... S'il y avait une distance! mais non, tout est emboîté.

Et c'est la même chose, ce qu'il faut, c'est cette voie d'ampleur, d'élargissement, de relaxation, de détente, d'ÉPANOUISSEMENT, dans le vital – un vital pas très sensoriel, plutôt... plutôt une douceur. Le vital qui s'épanouit dans la beauté: une douceur et une beauté. Je ne veux pas parler de «sentiments» parce que, oh! on entre tout de suite dans un bourbier; non, mais... une douceur, un charme, une beauté – mais pas là (dans la tête): ici. Et puis un repos, mais pas un repos dur et arrêté et stagnant: un repos dans l’ondulation... On se laisse flotter.3

(silence)

l’art de se laisser porter par le Suprême, dans l’Infini.

(silence)

Mais c'est dans l’Infini du Devenir. Mais sans aucune des duretés et aucun des chocs de la vie telle qu'on la sent d'ordinaire.

l’art de se laisser porter par le Suprême (Mère joint les mains) dans le Devenir Infini.

(long silence)

Tout ce qui vient de là (Mère touche son front, son visage), à partir de là, c'est dur, c'est sec, c'est froissé – c'est violent, c'est agressif. Même les bonnes volontés sont agressives, même les affections, les tendresses, les attachements – tout ça, c'est agressif comme tout. C'est comme des coups de bâton.

Au fond, toute la vie mentale est dure.

(silence)

C'est ça, c'est ça qu'il faut arriver à attraper: une sorte de cadence, un mouvement ondulatoire, qui est d'une ampleur, d'une puissance! – C'est formidable, n'est-ce pas. Et ça ne dérange rien. Ça ne déplace rien, ça ne heurte rien.4 Et ça emporte l’univers dans son mouvement ondulatoire – si souple!

(silence)

Je ne sais pas si c'est la même chose pour les autres (probablement pas), mais pour moi, il est incontestable que c'est la seule chose vraiment efficace. Cette impression qu'on n'existe pas et que la seule chose qui existe, c'est-à-dire qu'on a l’habitude d'appeler «soi-même», c'est quelque chose qui grince et qui résiste.

Mais ça, on peut facilement l’éliminer de sa conscience avec un mouvement très simple, qui peut se formuler d'une façon presque enfantine: «Seigneur, Toi seul, Tu peux faire... Toi seul, Tu peux faire.» Et alors, cette détente (vraiment c'est relaxation): on se laisse fondre – on se laisse fondre. Ça [la tête] ça se tient tranquille, ça ne bouge plus; on est tout dans la sensation: on se laisse fondre. Et... avec un sens d'illimité.

Et plus de distinctions.

Plus de distinctions. Et aussi, même physiquement, quelque chose qui n'a pas commencé: il n'y a pas le sentiment «à partir de ce moment-là, à partir de ça» – ça n'existe plus. C'est comme ça: comme une détente dans un passé indéfini.

Je suis en train de parler d'une sensation CORPORELLE.

C'est en tout cas comme cela que ce qui parle ici arrive à se trouver dans... dans la vraie chambre.

Tel que je le dis maintenant, ça a l’air de prendre du temps, mais en fait, une minute, deux minutes de silence et ça y est.

(silence)

Le corps a été bercé par trois Mots...

Qui se répètent automatiquement, sans effort de volonté (mais il est lui-même conscient, très conscient que ça se trouve être ces trois Mots-là mais que ç'aurait pu être autre chose; que ça a été originellement le choix d'une Intelligence supérieure). Mais c'est devenu un accompagnement automatique. Ce ne sont pas les mots en eux-mêmes mais c'est tout ce qu'ils vont représenter et apporter dans leur vibration... C'est-à-dire qu'il serait tout à fait inexact de dire: «Ce sont ces Mots-là qui aident», ce n'est pas ça. Mais ils font un accompagnement – un accompagnement de vibrations (vibrations subtiles physiques) – qui a bâti une sorte d'association, d'état, ou d'expérience, entre leur présence et ce mouvement de Vie éternelle, de vibration ondulatoire.

Il est évident qu'un autre centre de conscience, qu'une autre (comment dire?) une autre concrétisation, un autre amalgame, pourrait avoir une autre vibration – aurait naturellement une autre vibration.

Pour parler le langage ordinaire, c'est la vibration du mantra qui aide le corps à entrer dans un certain état – mais ce n'est pas CE mantra en soi: c'est la relation établie entre un mantra (il faut qu'il soit vrai, c'est-à-dire doué de pouvoir), entre un mantra et le corps. Ça jaillit spontanément: le corps se met à marcher et il marche au rythme de ces Mots. Et le rythme des Mots amène tout normalement une certaine vibration qui, elle, amène l’état.

Mais il ne faudrait pas dire: ce sont ces Mots-là, exclusivement. Ce serait une ânerie. C'est la sincérité de l’aspiration, l’exactitude de l’expression et le pouvoir; c'est-à-dire le pouvoir qui vient de l’acceptation du mantra – ça, c'est très intéressant: le mantra a été ACCEPTÉ par le Pouvoir suprême comme un moyen efficace, et alors il contient immédiatement une certaine force, un certain pouvoir.5 Mais c'est un phénomène purement personnel (l’expression est la même, mais les vibrations sont personnelles). Un mantra qui, pour quelqu'un, le mènerait tout droit à la réalisation divine, pour un autre le laisserait froid et terne.

Quelle est ton expérience quand tu dis ton mantra?... Tu m'avais dit une fois que tu te sentais bien quand tu le disais.

Généralement, ça me repose.

Oui, c'est ça, c'est très bien.

Mais ce qu'il représente, je ne sais pas.

Il représente ce que tu mets dedans – ton aspiration, mon petit. Non, pour moi, ça ne peut représenter qu'une chose: je l’appelle «le Suprême» parce qu'il faut bien appeler quelque chose, mais c'est ce Quelque chose qui est l’extrême limite de notre aspiration dans tous les sens, toutes les directions, toutes les occasions; qui est le point suprême de notre aspiration, quelle qu’elle soit, en quelque direction que ce soit et dans quelque domaine que ce soit – par-delà, n'est-ce pas, ce qui dépasse toutes les activités.

Moi, mon approche la plus concrète, c'est l’approche dans la vibration de l’Amour en soi – non pas l’amour pour un objet que l’on reçoit et que l’on donne, mais l’Amour en soi, l’Amour. C'est quelque chose qui existe en soi. Et c'est évidemment, pour moi, l’approche la plus concrète. (Mais ce n'est pas exclusif: ça contient tout le reste en soi, ce n'est pas exclusif de toutes les autres approches et de tous les autres contacts.)

N'est-ce pas, toute mon enfance et toute ma jeunesse, tout le commencement de mon yoga, j'avais une sorte de refus de mon être à employer le mot «Dieu», à cause de tout le mensonge qui était derrière (Sri Aurobindo m'a enlevé ça, comme il a enlevé toutes les limitations – il m'a enlevé celle-là aussi). Mais ce mot-là ne vient pas spontanément.

Mais ça, l’Amour... Au moment du contact, quand ça fait comme ça (geste), à ce moment-là quelque chose jaillit...

Mais les mots n'ont pas d'importance – pas d'importance.

Pourtant, j'ai remarqué qu'au point de vue du corps, ça l’aide; qu'associer un certain état et une certaine aspiration à un certain son, ça l’aide. Personne ne m'a dit le mantra, j'avais commencé le japa avant que nous rencontrions X (cela m'était venu quand j'essayais de trouver le moyen de faire participer le corps à l’expérience – le corps lui-même, n'est-ce pas, ÇA), et certainement c'était une aide qui m'était donnée, parce que la méthode s'est imposée à moi d'une façon très-très impérieuse, et quand j'ai entendu certains Mots, ça a fait comme un choc électrique. Et alors, en dépit de toute règle sanscrite, je me suis fabriqué une phrase, qui n'est pas une phrase sanscrite, qui n'est une phrase de rien, faite de trois Mots; et ces trois Mots ont un sens complet pour moi (je me garderais bien d'en parler à un sanscritiste!). Ils ont un sens complet, vivant. Eh bien, ils ont été répétés des millions et des millions de fois littéralement, ce n'est pas une exagération – ça jaillit spontanément du corps.

C'est le premier son que le corps a donné quand j'ai eu cette dernière expérience [du 13 avril]. Avec la première douleur, c'est le premier son qui est venu – c'est donc qu'il est très bien dedans.6 Et ça amène justement cette vibration de Vie éternelle: la première chose que j'ai sentie, c'est tout d'un coup, une espèce de calme fort, confiant et souriant.

Oh! je suis sûre que c'est très bon, très utile.

Voilà, mon petit. Alors maintenant je n'ai rien à dire –je bavarde tout à fait inutilement. Mais... j'aime à te voir. Et je crois que c'est utile.

Bon.

Je recommande qu'on te donne des choses agréables à manger! Mais je ne sais pas si on le fait... Il faut que tu manges avec plaisir. Si personne ne le fait, je vais recommencer...7

juin




2 juin 1962

(Mère fait allusion à la conversation précédente où Elle cherchait les raisons du passage d'une chambre à l’autre, de la chambre douloureuse à la vraie chambre: «Je ne peux pas arriver à attraper ce qui le fait faire. Qu'est-ce qui arrive? qu'est-ce qui se passe??»)

J'ai eu une expérience, hier après-midi, qui pourrait peut-être mettre sur le chemin.

C'était une expérience très intéressante, certainement intéressante pour certaines personnes parce que je me suis aperçue de certaines réincarnations. J'étais dans un état qu'on pourrait appeler un «état de connaissance», où je savais les choses d'une façon certaine, sans aucun doute.

Mais ce qui me frappe avec ce que je te disais l’autre jour, c'est que j'allais voir des gens qui étaient de l’autre côté d'une rivière. l’eau de cette rivière, d'ordinaire, n'était pas propre et il fallait un bateau ou quelque chose pour traverser, mais hier, j'étais dans un état particulier où je me suis assise sur l’eau et j'ai dit: «Je vais là», et alors, tout naturellement, un courant d'eau pure, cristalline, claire, m'a tout simplement conduite là où je voulais aller. Et c'était une sensation très agréable: j'étais assise sur l’eau, toute souriante et... prrt! j'étais conduite de l’autre côté. Je me suis dit: «Ah! ça, c'est bien! Est-ce que ça continue?» Et alors, de nouveau, j'ai dit: «Je vais là», c'est-à-dire revenir, et... prrt! je suis revenue.

Puis quelqu'un est arrivé... Il y a, dans ces «rêves», des gens symboliques; ils semblent être construits avec la partie de l’être de ceux qui m'entourent et qui sont liés à une certaine relation avec moi et à une certaine aide apportée dans le Travail. Ce sont des personnages symboliques et qui sont toujours les mêmes: il y en a un grand maigre, il y en a des petits, il y a des jeunes, des vieux... Je ne peux pas dire «c'est celui-ci» ou «c'est celui-là», mais DANS celui-ci ou DANS celui-là, il y a quelque chose qui est représenté là. Et il y a quelqu'un qui est comme un «grand-frère», qui aide dans les circonstances; par exemple, s'il y avait un bateau, c'est le grand-frère qui conduirait le bateau. Alors il est arrivé et il m'a dit: «Oui, je connais le moyen», et il a commencé à essayer; j'ai dit: «Non! malheureux! tu vas tout abîmer; il faut que je dise: JE VEUX ALLER LÀ, pour que ça marche.» Quand il se mettait à vouloir me faire passer sur l’eau par ses moyens, l’eau redevenait trouble, et je commençais à m'enfoncer dedans! Alors je protestais, je lui ai dit: «Non-non-non, pas ça, ce n'est pas ça du tout! il faut que ça (c'est-à-dire le sens d'une certaine Volonté supérieure – mais je ne m'expliquais pas), il faut que ça dise: je veux aller là, et alors ça marche.»

Après cela, l’expérience a changé, il y a eu d'autres choses. Mais certainement, ce que je viens de raconter fait partie de l’expérience de l’autre jour [les deux chambres l’une dans l’autre], parce que les deux étaient ensemble.1

Et l’eau était si réelle! l’expérience était si réelle que je sentais la fraîcheur de l’eau. Et la sensation agréable d'être assise sur quelque chose de très doux, très rapide et très frais, qui m'emportait.

Ça doit faire partie des mêmes expériences.

Et j'étais dans un état de connaissance, parce que, par exemple, des gens que je connais depuis longtemps-longtemps-longtemps, j'ai su tout d'un coup de qui ils étaient la réincarnation (je ne m'en étais jamais occupée et c'est venu); je les ai pour ainsi dire appelés par leur autre nom... Dans un état spécial, oui un état de connaissance, mais pas la connaissance spirituelle: une connaissance par rapport au monde matériel. l’eau, dans ces visions-là, représente toujours le vital. Quand tout est harmonieux avec l’eau, c'est que le vital est harmonieux.

Et c'était très amusant (ça se passait à une heure et demie de l’après-midi environ): comme assise sur une chaise, assise sur l’eau! Et l’eau était claire-claire, transparente, avec des toutes petites ondulations, et elle avait des profondeurs bleu sombre; mais le dessus était tout à fait clair et transparent, comme incolore. Et alors, quand le «grand-frère» est venu, qui se vantait de savoir aussi passer et qu'il me ferait passer, ça commençait à devenir trouble, comme l’est toujours l’eau des rivières, pas propre, jaunâtre ou grisâtre.

Ce doit être la continuation de l’expérience de l’autre jour. Je commençais à trouver la clef.

Mais qu'est-ce que représente ce «grand-frère»?

Je crois que c'est la connaissance matérielle, c'est-à-dire l’usage supérieur du mental physique, qui empêche d'entrer dans la vraie chambre.2 Parce que moi, je disais simplement: «Il faut que je dise: je veux aller là (c'est-à-dire que c'était une volonté cristalline, claire, imperative, et qui venait de tout là-haut), il faut que je dise: je veux aller – pas ça, pas tes moyens!» (Mère rit)


(Peu après, à propos de l’exclamation de Mère: «Si on pouvait trouver le mécanisme!»)

Ce n'est ni «truc» ni twist, c'est entre les deux.

Il y a des boîtes qui s'ouvrent d'une certaine façon, et si on ne sait pas la façon... Des portes d'armoire aussi. Ce n'est pas apparent. C'est vraiment un truc, mais c'est plus qu'un truc, c'est une espèce de petit mécanisme très subtil. Comme quand on arrive près de quelque chose: «Ah!» tout d'un coup ça va y être.


(Puis Mère se réfère à un passage de la précédente conversation où Elle disait: «Je ne veux pas trouver pour moi seule... chaque fois que je suis dans l’état, je le répands.»)

Quand je suis là, tout de suite – tout de suite –, il y a cette volonté que ça se répande autant que possible, que tous ceux qui sont proches de moi d'une façon quelconque, depuis le matériel jusqu'au spirituel, bénéficient de cet état. Et c'est comme cela, le premier mouvement est comme cela. Et probablement, c'est comme cela aussi que j'attrape la contagion de la mauvaise chambre!

Très probable. Mais enfin c'est nécessaire.

Mais est-ce qu'on est un peu réceptif à ton travail?

J'ai eu l’exemple de gens qui avaient des expériences tout à fait inattendues, disproportionnées avec leur état de conscience habituel, et très évidemment leurs expériences sont le résultat de ça. Des gens que je ne nommerai pas parce que ce ne serait pas gracieux (vraiment, on ne s'attendrait pas à ce qu'ils aient ces expériences!). C'est certainement cela.

Oui, ça a un effet – très loin, proche. Les plus-proches... les plus proches ne semblent pas être les plus réceptifs; mais là, c'est une action beaucoup plus complexe et SOLIDE, c'est-à-dire qu'au lieu d'une expérience subite qui est presque disproportionnée comme je le disais à leur condition, on BàTIT quelque chose de plus en plus... Tout le temps, tout le temps, je suis dans des constructions, d'immenses constructions qui se font. Cette nuit, c'était comme ça; j'étais obligée de barboter dans le ciment – dans la pâte si l’on peut dire. Et alors je rencontre toutes sortes de gens qui sont plus ou moins symboliques aussi, mais ils ont de temps en temps les traits de quelqu'un. Et c'est un MONDE de circonstances, les moindres détails symboliques – je me souviens de tout, mais enfin ce serait un monde à raconter, et apparemment pas intéressant (c'est-à-dire extérieurement pas intéressant), mais qui me donne la clef de la situation telle qu'elle est, à tous les points de vue, du monde qui s'élabore.

Cette nuit, j'ai passé presque tout mon temps dans un bâtiment comme cela. Et il y a le symbole de tous les gens qui aident; mais c'est toujours matériellement: les gens qui aident matériellement, soit par un travail, soit par de l’argent, soit... Je me souviens, j'ai été frappée cette nuit par un personnage (il y avait beaucoup, beaucoup d'embêtements encore), mais quand j'arrivais, il y avait quelque chose ou quelqu'un et ça s'arrangeait – c'était tout le contraire des rêves dont je parlais l’autre jour: à chaque difficulté, quand j'arrivais, ça s'arrangeait. Et alors je suis arrivée à un endroit qui était assez difficile à traverser (on barbotait dans des échafaudages glissants) et il s'est trouvé tout à coup, en face de moi, un homme (ce n'était pas un homme, n'est-ce pas, c'était un symbole probablement, mais ce pourrait être quelqu'un) qui était chef-maçon (j'ai pensé ce matin en me réveillant à la franc-maçonnerie et à leur symbole; je me suis dit que, peut-être, il faut le regarder avec ce symbole-là?) et c'était l’un des ouvriers. Il y avait aussi, à côté de moi, des gens qui venaient pour surveiller, observer, diriger, qui se croyaient très supérieurs... mais ce n'étaient jamais eux qui aidaient à sortir de la difficulté! – Ils en créaient plutôt qu'ils n'aidaient! Mais ce chef-maçon avait l’apparence d'un homme de cinquante ans à peu près – une belle figure; la figure d'un travailleur, mais belle figure, concentrée. Et il a vraiment arrangé une situation (c'était un endroit à traverser), vraiment bien, avec beaucoup de soin et d'une façon très efficace. Puis, quand ça a été fini et que je pouvais continuer mon chemin, il y a eu comme un grand élan d'amour, sans geste ni mot, qui allait vers lui, et qu'il a reçu – il l’a senti, il l’a reçu. Sa figure s'est illuminée et il m'a dit (je ne sais pas dans quel langage parce que ce ne sont pas des mots que j'ai reçus), mais il m'a dit avec une humilité merveilleuse, il m'a suppliée: «Faites que je n'oublie jamais cette minute qui est pour moi la plus belle de ma vie» (je traduis en français, c'était ce qu'il disait, mais en quelle langue? je n'en sais rien). Et c'était une expérience si intense! Son humilité, sa réceptivité, sa réponse étaient si belles, si pures, que ça m'a laissé une impression absolument charmante à mon réveil, enfin quand je suis sortie de l’expérience.

Il se peut qu'il y ait quelqu'un ici qui manifeste une partie de cela – une belle figure... Un homme d'une cinquantaine d'années peut-être. C'est peut-être symbolique... quelquefois, ces personnages sont faits avec les traits de plusieurs autres mis ensemble, pour bien indiquer qu'il s'agit d'un état de conscience et pas d'une individualité. C'est rarement une individualité: c'est un état de conscience.

Mais cette expérience m'a laissée vraiment une satisfaction, un sentiment de plénitude – son travail avait été parfait et sa réponse à la Force divine qui venait vers lui, à la Grâce qui venait vers lui, était magnifique... C'est peut-être tout un ensemble,3 c'est peut-être quelqu'un – je ne sais pas. Cette nuit même.

C'était très intéressant parce que je t'avais raconté, n'est-ce pas, toutes les difficultés dans les autres visions de la nuit – c'était tout le contraire: j'étais dans un endroit qui était très compliqué et plein d'obstacles et de difficultés, mais chaque fois que j'arrivais, il y avait quelqu'un ou quelque chose, tout s'arrangeait, et alors je continuais à passer. Ça s'arrangeait automatiquement. l’impression d'une puissance qui met tout en ordre. Et je me souviens, quand je me suis trouvée devant cette assez grosse difficulté et que ce maçon est arrivé, il y avait quelqu'un à ma droite (qui avait d'ailleurs un manteau foncé et qui était très «officiel») qui a pensé (c'était plutôt des rapports par pensée que des mots), il a pensé: «Oh! elle prend toujours l’aide des ouvriers au lieu de...» Et j'ai répondu: «Les ouvriers sont plus efficaces et leur bonne volonté... (tu sais, ces histoires de «caste» ou de «société», de «position sociale»), j'ai dit: Les ouvriers ont un coeur simple et ils sont efficaces dans leur travail et ils ont plus de bonne volonté que les gens qui croient savoir»! C'était amusant. Ce qui fait qu'hier, j'ai eu à la suite deux expériences amusantes.

l’expérience de l’après-midi était très amusante, parce que j'étais en train de m'occuper du travail (j'avais tout organisé pour l’un des départements, je ne me souviens plus lequel), et alors j'ai dit à la personne à qui je parlais: «Ah! maintenant, je vais chez mes cousins.»... Quand j'étais toute jeune, il y avait un frère de mon père qui avait une grande famille, comme il est rare en France, un grand nombre d'enfants, et j'avais un grand cousin qui était l’aîné. Il était ingénieur, je ne sais plus de quoi, peut-être des Ponts-et-Chaussées, ou ingénieur mécanicien (c'était un chimiste remarquable). Et ce garçon était très attiré par moi. Il était parti pour la guerre comme officier et il y a contracté une maladie, je ne sais plus laquelle, et il est mort vers 1915 à peu près, quand je suis rentrée en France. Eh bien, dans mon expérience d'hier après-midi, ma sensation à l’égard d'une famille ici était exactement, absolument celle que j'avais quand j'étais jeune à l’égard de ces gens. Et surtout pour le cousin (les autres, c'était plus vague, comme un background, comme le fond de tableau de cette expérience). J'ai dit: «Je vais dans leur propriété» – ils ont une belle propriété ici, comme dans le temps ils avaient une belle propriété là-bas (ils avaient le château de Madame de Sévigné, à Sucy, près de Paris, c'était un bel endroit). Mais c'était si concret! (ça ne passe pas par la tête, il n'y avait pas une pensée: c'était une sensation). J'ai dit: «Maintenant, il faut que j'aille le voir.» Et sur le moment, pendant que j'avais ma vision, je me disais: «Mais enfin, je déménage! est-ce que vraiment ils sont ici, à Pondichéry?» cet oncle avec qui je n'avais que des relations assez éloignées et ce cousin que je n'ai pas vu beaucoup, mais que je savais très fidèle et très gentil. Je me disais: «Mais enfin, ils sont ici??»... C'était une sensation très curieuse (la tête ne marchait pas du tout: c'était la sensation). Je suis donc allée voir ce «cousin», et c'est en allant le voir que je devais traverser l’eau et que cette expérience m'est arrivée. Et c'est en revenant de là, après avoir eu cette discussion avec le «frère spirituel», que j'ai rembarré (je lui ai dit: «Va-t-en! je n'ai pas besoin de toi»), c'est après cela, quand je me suis retrouvée sur la côte, que j'ai commencé à rassembler ma conscience et à me dire: «Voyons-voyons! il faut voir clair.» Et alors j'ai vu que c'était ce cousin qui s'était réincarné dans quelqu'un ici. Ah! j'ai dit tiens! c'est curieux... Ce cousin qui était mort prématurément pendant la guerre. Ça coïncidait.

Mais cet état-là est un état particulier: il n'y a aucune intervention mentale, on vit les choses d'une façon positive, comme on les vit physiquement, comme ceci est une table au point de vue physique (Mère frappe la table à côté d'elle), c'est ce genre de perception, c'est positif. Positivement, j'ai dit: «Je vais chez mes cousins», et la vibration de la relation était absolument positive – ce n'était pas pensé, du tout; ce n'était pas «se souvenir» non plus: on ne se «souvient» de rien et c'est vivant, là. C'est un curieux état. J'ai eu plusieurs fois cet état-là, et quand je l’ai, je sais que ce doit être l’état où se trouvent les gens quand ils savent ce qui se passe et qu'ils font des prédictions – mais là, il n'y a pas de possibilité de doute. Aucune intervention de la pensée, aucune-aucune-aucune. Absolument rien d'intellectuel: des vibrations vitalo-physiques, simplement, et puis on sait. Et puis on ne se demande même pas comment on sait, ce n'est pas ça: c'est une chose évidente. Et c'est dans cet état-là que j'ai vu la réincarnation de ce cousin, je suis donc tout à fait sûre. Et Dieu sait! (Mère rit) quand je suis sortie de là et que j'ai commencé à tout regarder avec la conscience habituelle, je me suis dit: «Eh bien, par exemple! si jamais j'avais pensé ça!!» C'était à des millions de lieues de ma pensée. Je ne pensais jamais, d'ailleurs, à ce cousin; c'était un très brave garçon mais je ne m'occupais pas de lui, il n'occupait aucune place dans ma conscience active.

C'est amusant.

Voilà, mon petit. Si tu pouvais avoir des nuits comme cela, c'est si amusant!

Il doit y avoir un trou.

Il y en a, je sais. C'est tout simplement un vide entre deux parties de ta conscience, alors quand ta conscience passe là, elle perd tout ce qui était de l’autre côté... C'est comme si on tombait dans un trou, et puis, ah!

Pour bâtir, ça prend très longtemps. Mais il doit y avoir un moyen d'établir un chemin – c'est ce que je suis en train de chercher.

Mais il n'y a pas de méthode pratique?

Méthode pratique, oui.

C'est d'abord, au point de vue le plus matériel, de ne JAMAIS BOUGER en se réveillant. Il faut apprendre à son corps... Tu sais, même pas faire ça avec sa tête (Mère tourne la tête). Être tout à fait immobile. Et rester comme ça, suspendu, entre le sommeil et l’éveil, et avec une très TRANQUILLE volonté de se souvenir.

Ça peut réussir imédiatement. Mais ça peut prendre du temps.

Mais au point de vue purement matériel, c'est élémentaire: si tu bouges seulement ta tête en te réveillant, tout s'en va. Il faut rester comme ça, pas bouger. Et puis une sorte de concentration paisible. Et puis attendre.

Quelquefois même, quand on se souvient d'un mot ou d'un geste, ou d'une couleur, d'une image, s'accrocher à ça et ne pas bouger.

Il y a des gens qui réussissent tout de suite; pour d'autres, ça prend plus longtemps. Mais ça finit par réussir. Il faut construire un pont. Voilà'.

Et puis, ne pas être pressé, surtout ne pas se dire: «Oh! je vais être en retard...» Être comme si on avait l’éternité devant soi.

6 juin 1962

Rien vu cette nuit? Rien senti?

??

Cette nuit, j'ai essayé, c'est pour cela que je te demandais. C'était vers quatre heures du matin et je me suis concentrée pour essayer justement d'établir le lien [entre ta conscience de veille et l’autre conscience]. Tu n'as rien senti?

C'est très vague.

C'est une autre manière de se souvenir, c'est pour cela.

Pour quelqu'un qui n'est pas habitué, ça doit produire un effet cotonneux... N'est-ce pas, quand on veut retirer sa conscience à l’intérieur, ce qu'on appelle «se concentrer» (par exemple, pour méditer ou pour faire le japa), ce mouvement d'intériorisation, pour la conscience extérieure si aiguë, c'est comme si on entrait dans quelque chose de... pas exactement «fumeux» parce que ce n'est pas sombre, mais cotonneux: l’impression de quelque chose qui n'a pas d'angles, qui n'a pas de délimitations très précises. Quand tu te concentres, ça ne te donne pas cette impression?

*Quand je me concentre, je ne vois rien.

Pas voir: sentir.*

Tout est dans un autre sens. Pas le sens physique, mais de la sensation. C'est tout sensation.

Juste maintenant, par exemple, je m'étais assise et je t'attendais. Je ne peux pas rester une seconde à ne rien faire sans que, imédiatement, je me tourne à l’intérieur – au lieu de la conscience tournée vers le dehors, la conscience est tournée vers le dedans –, eh bien, j'ai observé que le corps, qui était assis, qui attendait, a eu l’impression de passer dans quelque chose de mou, cotonneux, arrondi, soft [doux]. Et dans les deux cas, je ne bougeais pas. J'étais assise comme ça et j'attendais. C'est comme si on passait de quelque chose de sec, clair, précis (ni pensée, ni vision, élimine ces deux: c'est pure sensation), de quelque chose de sec, précis, défini, à quelque chose de doux, onctueux... une fumée qui serait blanche et claire – mais pas même blanc-blanc: doux, clair, clair, et alors une paix... oh!... comme si rien au monde ne pouvait résister à cette paix.

Ça a pris une fraction de seconde pour se produire: j'étais assise, je t'attendais, je pensais que tu allais venir, mais la porte ne s'ouvrait pas, alors automatiquement le corps a fait comme ça (geste de retour à l’intérieur), et comme c'est arrivé très subitement, je me suis rendue compte de la différence d'impression du corps... Dans son impression ordinaire, c'est une formidable volonté – très tranquille, très paisible, aucune agitation, pas de tension, mais une volonté qui est presque dure à force d'être directe et claire, concentrée; pas concentrée: coagulée. Et le corps est conduit par ça, il obéit à ça. Et puis quand ce n'est pas ça, c'est l’autre état: doux, onctueux, soft, cotonneux, et alors une paix!... Il semble que rien au monde ne peut déranger.

Ça a pris peut-être une seconde, peut-être une fraction de seconde, c'est pour cela que j'ai pu observer les deux.

Et autant que je me souvienne (parce que je ne me souviens jamais très bien), c'était cette espèce d'état flou, pourrait-on dire, dans lequel j'étais perpétuellement au commencement de cette prétendue maladie – tout était comme cela: les gens, les choses, la vie, l’univers. C'était comme cela. Il n'y avait que cette Vibration-là, si douce, si enveloppante. Et c'est resté, c'est là.

Je n'ai pas besoin de temps, le facteur temps ne joue pas – c'est une sorte de résolution intérieure: comme ça ou comme ça (Mère tourne la paume de ses mains au-dehors et au-dedans). Les gens disent: «Oh! vous avez attendu» – non, je n'attends jamais; c'est ou ça, l’action, ou une sorte de béatitude dans la paix (même geste au-dehors ou au-dedans). Et je parle du corps, je ne parle pas de l’esprit – l’esprit est ailleurs. Ailleurs. Le CORPS est comme ça.

Et alors, j'ai des nuits!... J'ai des nuits comme celle de l’autre jour, je te l’ai raconté, avec des visions, des actions; et puis j'ai des nuits... Cette nuit-ci, la nuit a passé, je n'ai pas perdu conscience, je n'ai pas l’impression d'avoir dormi une minuté, et c'était comme cela, dans une sorte d'Infinité du temps (les deux mains ouvertes au-dessus de la tête). Et puis de temps en temps, je regarde la pendule (tout d'un coup, quelque chose me tire et je regarde la pendule), alors deux heures ont passé, deux heures et demie ont passé – comme une seconde. Et si on me demandait: «Vous avez dormi?» c'est-à-dire si la conscience s'est endormie – pas une seconde. Mais le sens du temps disparaît complètement, dans une... c'est une immobilité intérieure. Mais une immobilité mouvante!

Si ça continue, on va me mettre dans un cabanon!

C'est curieux.

J'avais décidé de ne rien te dire parce que je n'ai rien à dire, n'est-ce pas – c'est quelque chose qui va prendre du temps avant de devenir clair –, mais juste ça s'est produit pendant que je t'attendais, alors j'ai regardé, quelque chose là-haut a regardé ce qui se passait dans le corps, comme s'il demandait au corps: «Voyons, comment est-ce que tu sens?» Et il sent comme je t'ai dit.

(silence)

Et je suis en train de traduire The Yoga of Self-Perfection: ce que le corps doit être et ce qu'il doit devenir pour être un instrument. C'est touchant!...

Mais une chose est arrivée, et elle est arrivée tout à fait sans que je m'en aperçoive, pour ainsi dire. Autrefois, avant cette expérience [du 13 avril], le corps sentait la lutte contre les forces d'usure (les différents organes qui s'usent et qui perdent, par exemple, leur capacité de résistance et leur force de réponse; comme faire certains mouvements devient plus difficile), il sentait cela, quoique la conscience corporelle n'ait pas du tout le sens de la vieillesse, du tout – ça n'existait pas –, mais dans le fait tout à fait matériel, il y avait une difficulté... et maintenant, pour la vision ordinaire, extérieurement, superficiellement, on pourrait dire qu'il y a eu une grande détérioration; eh bien, le corps ne sent pas cela du tout! Ce qu'il sent, c'est que tel mouvement, ou tel effort, tel geste, telle action, appartient au monde – à ce monde de l’Ignorance – et que ce n'est pas fait de la vraie manière: ce n'est pas le vrai mouvement, ce n'est pas fait de la vraie manière, ce n'est pas comme cela. Et il a la sensation, ou la perception, que cet état dont je parlais, soft, sans angles, doit se développer d'une certaine manière et produire des effets corporels qui permettront l’action véritable, l’expression de la volonté vraie. Peut-être la même chose extérieurement (ça, je ne sais pas encore), mais faite d'une autre façon. Et je parle des gestes de chaque jour, n'est-ce pas, de chaque minute – se lever, marcher, faire sa toilette –, je ne parle pas de grandes choses. Il n'y a plus du tout un sentiment d'incapacité, mais un sentiment... (comment dire cela?) an unwillingness [une répugnance] – an unwillingness du corps – à faire les choses de la vieille manière.

Il y a une manière à trouver.

Et ce n'est pas «trouver» comme ça, avec la tête – une manière qui est en train de se FABRIQUER quelque part.

Je parle de toutes petites choses, se brosser les dents, par exemple; la façon de me brosser les dents maintenant et celle d'avant, il y a une différence. (Apparemment, ce doit être la même chose, je suppose.)

Et j'ai de la difficulté, peut-être aussi presque une répugnance, à regarder les choses comme les autres les voient. J'ai de la difficulté, ce n'est pas spontané; il faudrait que je fasse un effort et je ne veux pas.

Quant à la tête, elle a appris à rester tranquille... Je marche le matin et je marche l’après-midi en répétant le mantra, comme je marchais avant; mais avant, il fallait que je chasse les pensées et que je me concentre et que je fasse un effort. Maintenant, il y a ce même état qui vient, qui prend tout – la tête, le corps, tout –, et alors je marche dans ce rêve cotonneux (cotonneux n'est pas le bon mot, mais c'est tout ce que je trouve!). C'est doux, mou, sans angles... et c'est souple! pas de résistances, pas de résistances... Oh! cette paix...

Voilà, petit.

(Mère regarde le disciple) Est-ce que je ne peux pas «contagion-ner» un peu, non?!

J'ai essayé cette nuit. J'essaierai encore.

À quatre heures du matin, qu'est-ce que tu faisais? Tu dormais?

Oui.

À quelle heure te réveilles-tu?

Six heures à peu près.

On va voir...

Mais quand je m'intériorise, je n'ai pas du tout cette impression (floue, cotonneuse).

Tu n'as pas de sensations?

Pas du tout. J'ai au contraire la sensation... une sensation de cristal. C'est tout. Une fois, tu m'avais dit que j'étais enfermé dans une statue de verre, tu te souviens? Eh bien, c'est tout à fait cela mon impression. C'est clair, très clair, mais il n'y a rien.

C'est une intériorisation mentale.

Oui, oh! c'est très clair, très clair, très lumineux – un peu dur. Mais tout me paraît dur maintenant! si tu savais... C'est au point que quand je change d'état, tout d'un coup j'ai l’impression que mon corps se trouve entouré de râpes, de morceaux de bois!... et il est très confortablement installé sur des coussins de plumes!

(silence)

Je ne sais pas, mais j'avais l’impression que ce devrait être un POUVOIR plutôt qu'un état de conscience – un pouvoir qui peut CHANGER les choses... Plutôt que de changer le geste, c'est un pouvoir qui devrait changer la Matière, la rendre plus...1

Tout est un pouvoir, mon petit! La vie est un pouvoir – sans pouvoir pas de vie.

Oui, mais je veux dire qu'au lieu d'une subjectivité, quelque chose que tu «éprouves», ce devrait être un pouvoir qui change cette dureté matérielle en quelque chose de doux, par exemple.

Je n'ai pas changé.

Je n'ai pas changé – c'est ça. Je n'ai pas changé. Parce que si c'était changé, ça ne reviendrait pas – ça coexiste. Ça coexiste.2

Si c'était changeable, il y a longtemps que ça [la matière] aurait changé.

(silence)

Je me souviens d'avoir lu, je ne sais plus où, dans Sri Aurobindo je crois, un passage où il parle des théories philosophiques ou spirituelles suivant lesquelles il n'y a qu'une àme, ou qu'un Pourousha (je ne sais plus comment il l’appelait), et que c'était Elle qui avait eu toute l’expérience de la déformation, et que c'est Elle qui faisait l’expérience du Retour. Et alors, avec une logique indiscutable, il était dit que s'il y avait une àme, de la minute où l’on maîtrise – que ce soit un individu ou un monde, un dieu ou une fourmi, peu importe –, de la minute où le pouvoir existe de changer la déformation en la Vérité, c'est fini, c'est fait! ça doit s'appliquer automatiquement.

Et puis on a pensé que des gens ont fait ce Retour, puisqu'ils l’ont vécu et décrit, et que pourtant le reste existe tout de même, coexiste. Par conséquent c'est...

Autre chose.

(long silence)

Y aura-t-il toujours un monde tel qu'il est?

(silence)

Parce que tout change, mais rien ne disparaît. N'est-ce pas, pour nous, quand nous pensons de la façon courante, nous avons l’impression que l’état dans lequel le monde est maintenant changera, sera remplacé par un autre... Et d'autre part, nous savons, par expérience, que tout ce qui est, est éternellement... Alors??

(long silence)

On peut très bien concevoir un monde où l’on vive dans cet état dont je parlais, qui se développerait selon ses lois normales. Mais est-ce que l’existence de ce monde annulerait l’autre??

Là, tu vois, on est devant un problème pas encore résolu.

Oui, mais ce monde que tu conçois différent, est-ce que ce serait un monde subjectivement différent, ou est-ce que les qualités matérielles seraient différentes?... Est-ce que ce serait un autre monde par notre subjectivité seulement, par ce que nous en pensons, ou...

Le pouvoir... logiquement on a un pouvoir sur les choses.

Je suis (comment dire?) en train, en tangente. Mais il faudrait avoir des preuves, hein? des preuves. Pour vous-même, il est incontestable que les choses changent – j'ai eu deux ou trois ou quatre éclairs d'un changement objectif: pas par rapport à ma conscience; c'est-à-dire un changement qui pourrait être perceptible par d'autres consciences. Mais c'est comme un éclair. Alors je dis «Ah!» Et le temps de dire «Ah!» c'est parti! Ce qui fait qu'on ne peut pas en parler.

Les événements, on peut les changer. Partout où entre l’état de conscience, on peut changer – ça, j'ai eu des centaines et des centaines et des centaines d'exemples, comme j'ai eu l’expérience de changer l’état de conscience des gens3 et de changer les circonstances qui sont le résultat de cet état de conscience. Mais tout cela, ça appartient au domaine de la vie psychologique; moi, je parle de ça (Mère frappe énergiquement la table).

Il y a bien l’exemple des sandales de Madame Théon, qui venaient se mettre sur ses pieds au lieu de ses pieds qui allaient se mettre dans les sandales – mais ça, ça appartient à un autre domaine. Ce n'était pas ce qu'on pourrait appeler un phénomène «naturel»: elle y mettait sa volonté et son action, et la substance des sandales devenait réceptive. Mais est-ce que ça prouve que le monde sera comme cela??... Je ne sais pas.

J'ai vu deux ou trois fois, comme en éclair, quelque chose qui s'est – qui s'est manifesté, qui a changé de place. Mais le temps de le dire et puis c'était fini. C'est-à-dire que je ne sais pas si ce n'est pas purement subjectif. Il faut contrôler avec quelqu'un pour être sûr, n'est-ce pas?

On verra. Patience.

Voilà.

Alors mon petit, qu'est-ce que tu fais? Tu n'as pas de travail aujourd'hui, c'est tout du bavardage.

Mais si, c'est intéressant!

Tu as commencé ton livre?

Non. Il faut y penser, se concentrer. Pour cela, il faut du temps.


(Un peu plus tard, à la fin de cette entrevue:)

Petit, avant de t'endormir, quand tu te mets dans ton lit, tout simplement tu penses un peu à moi, et puis tu as la volonté de recevoir ce que je t'envoie – simplement l’espace de quelques secondes avant de t'endormir. C'est tout. Pas te concentrer et t'empêcher de dormir – juste comme cela, formulé, et puis tu dors. Parce que vraiment j'essaye!

Mais oui, je sais que tu essayes!... Je n'accuse personne, c'est plutôt moi qui suis bouché.

Mais il n'y a ni toi ni moi ni Pierre ni Paul ni le Seigneur – c'est comme ça. Ça a une raison, que nous sommes trop obtus pour connaître.

Oui, mais la raison commence à être longue. J'ai l’impression qu'un jour ça va casser.

Oui!

Oui, mais ça va casser, peut-être pas dans le bon sens... Un jour, j'enverrai tout promener.

Non, c'est ça qui empêche. C'est un durcissement.

Oh! mon petit, si tu savais comme il y a des choses qui deviennent dures dans l’être! oh!... combien j'ai dû lutter et lutter et lutter... C'est cette expérience [du 13 avril] qui a fait le travail, autrement c'était une lutte de chaque minute. La vie vous rend comme du fer (Mère ferme son poing).

Et c'est ça qui s'est produit. C'est ça qui s'est produit. Enfin on va essayer, quoi! (Mère rit)

Au revoir, mon petit.

9 juin 1962

(Rappelons qu'au cours de la précédente conversation, le disciple avait pensé qu'au lieu d'un changement subjectif, un changement d'attitude vis-à-vis des choses, ce devrait être un changement objectif, un pouvoir qui change la matière même des choses, leur dureté par exemple. Mère élucide ici sa précédente réponse, à savoir que «si la Matière était changeable, il y a longtemps qu'elle aurait changé» – réponse qui, à première vue, semblait anéantir tout espoir de transformation)

Il n'y a rien à changer! – ce sont les relations qui changent.

Tiens, par analogie, prenons ce que la Science a trouvé pour la soi-disant composition de la Matière quand ils en viennent à la composition de l’atome – il n'y a rien à changer. Il n'y a rien à changer! l’élément constitutif ne change pas» c'est la relation qui change.

N'est-ce pas, il n'y a qu'un seul et même élément constitutif pour tout; et tout est dans les relations.1 Eh bien, pour la transformation. c'est exactement la même chose.Et alors tu parles de «pouvoir», mais justement...

Alors les physiciens appellent de tous leurs vœux une nouvelle idée, simplificatrice et unitaire qui expliquerait la Matière sans le recours aux «inobservables».

Et peut-être cette «idée» se trouve-t-elle en germe dans cette petite phrase énigmatique de Mère: «Il n'y a qu'un seul et même élément constitutif pour tout; et tout est dans les relations.»?

(long silence)

Cette notion de «subjectif» et d'«objectif» appartient ENCORE au vieux monde et aux trois dimensions, tout au plus aux quatre dimensions... C'est un seul et même Pouvoir qui change les relations d'un seul et même élément – pour dire les choses très simplement, c'est le même Pouvoir qui donne l’expérience subjective ET la réalisation objective; c'est seulement une question de plus ou moins grande totalité de l’expérience, pourrait-on dire. Et si l’expérience était totale, ce serait l’expérience du Suprême, et elle serait universelle.

Ça a un sens ce que je dis?!

Tout se ramène presque à une capacité de répandre l’expérience, ou d'INCLURE au-dedans de l’expérience (c'est la même chose). Il faut oublier, n'est-ce pas, qu'il y a une personne, une autre personne, une chose, une autre chose – imagine, si tu ne peux pas le réaliser concrètement, imagine qu'il n'y a qu'UNE Chose, excessivement complexe, et une expérience qui se produit sur un point, ou qui fait tache d'huile, ou qui se répand, ou qui englobe le tout, suivant le cas. C'est très approximatif, mais c'est seulement comme cela qu'on comprend. Et c'est la seule explication de la «contagion»: c'est l’Unité.

Et alors, le facteur de différence, c'est le pouvoir. Plus le pouvoir est grand, si l’on peut dire (tout cela, ce sont des mots très maladroits), plus l’expérience est étendue. La grandeur du pouvoir dépend de son point de départ. Si le point de départ est l’Origine, le pouvoir est, mettons universel (nous ne nous occupons que d'un univers pour le moment), il est universel. Ce Pouvoir se manifeste d'échelon en échelon, et il se concrétise et se limite; à chaque échelon, le rayonnement d'action se limite. Si votre pouvoir est vital (ou «pranique» comme on dit ici), le champ d'action est terrestre, et quelquefois il est limité à quelques individus, quelquefois c'est seulement un pouvoir qui peut agir sur un petit être. Mais c'est le même pouvoir originairement, agissant sur la Même substance – je ne peux pas dire, les mots sont impossibles, mais je sens très bien ce que je veux dire.

Je peux affirmer que cette notion de «subjectif» et d'«objectif» appartient encore au monde de l’illusion. C'est le CONTENU de l’expérience qui peut être microscopique ou universel, suivant la qualité propre du pouvoir qui s'exprime, ou le champ de rayonnement du pouvoir. Parce que ce peut être une limitation voulue et décidée, qui n'est pas imposée; ce peut être une limitation voulue. C'est-à-dire que la Volonté-Pouvoir peut venir de l’Origine, mais se limiter volontairement, limiter volontairement son champ d'action. Mais c'est le même pouvoir et la même substance.

Au fond, il n'y a qu'un pouvoir et qu'une substance. Il y a des modalités – d'innombrables modalités – du pouvoir et de la substance, mais il n'y a qu'UN pouvoir et qu'UNE substance, comme il n'y a qu'UNE conscience et qu'UNE vérité.

Oui, mais quand tu dis que c'est seulement «la relation qui change», il s'agit quand même d'une subjectivité (j'emploie ce mot parce qu'il n'y en a pas d'autres). Mais quand on en vient au fait de la Transformation, par exemple l’immortalité physique du corps, c'est autre chose qu'un simple changement intérieur de relations? C'est quand même LA MATIÈRE qui doit être transformée? Donc un pouvoir sur la Matière. Ce n'est pas seulement la relation qui doit changer, non?

Non, tu ne peux comprendre le mot «relation» que si tu le prends dans son sens scientifique, c'est-à-dire que ton corps, comme mon corps, comme cette table, comme ce tapis, sont construits d'atomes, tous; et ces atomes sont constitués de quelque chose qui est UNIQUE; et c'est seulement ou le mouvement ou la relation de ce «quelque chose», qui fait la différence apparente, différents corps, différentes formes...

Oui, alors c'est cette relation qu'il faut changer.

Mais ça, il faut le comprendre d'une façon tout à fait concrète. Eh bien, je dis que le pouvoir doit changer ce mouvement intra-atomique; alors ta substance au lieu de se désintégrer, obéira au mouvement de Transformation, tu comprends? Mais c'est la MÊME chose, c'est tout la même chose! mais c'est la relation dans les choses qu'il faut changer.

Et alors, c'est ÉVIDENT qu'on peut obtenir l’immortalité! c'est seulement la fixité des choses qui fait que ça se détruit – et c'est une destruction purement apparente, n'est-ce pas; l’élément essentiel reste le même, partout, en toute chose, dans la pourriture comme dans la vie.

C'est si intéressant!

Au fond, c'est seulement la Volonté constructrice. Si cela dépend de la Volonté constructrice, cette Volonté constructrice est éternelle, immortelle, infinie – c'est évident –, par conséquent il n'y a pas de raison que ce qu'Elle a construit n'appartienne pas à cette immortalité et à cette infinité – il n'est pas essentiel que les choses aient l’apparence de se désagréger pour changer de forme, ce n'est pas indispensable. C'est arrivé comme cela, pour une raison quelconque (qui ne nous regarde pas probablement), mais ce n'est pas indispensable, ce pourrait être autrement.

(silence)

La difficulté, c'est de sortir de ça: on touche, on voit et on est l’esclave. Mais si on regarde LÀ (geste au-dessus de la tête), ça paraît tout à fait simple!

Et je dis bien: en regardant LÀ, je suis sûre qu'il n'y a pas de différence entre ces «subjectif» et «objectif»; sauf quand vous faites une réalité indépendante de votre individu et de votre conscience individuelle – c'est-à-dire quand, par l’imagination, vous coupez tout en petits morceaux, alors là...

12 juin 1962

(Cette conversation, inopinément, a débouché sur notre rupture avec X qui fut notre gourou ces dernières années. Aussi bien nous ferions mieux de dire comment les choses se sont passées, en bref. Lorsque nous avons amené X à l’Ashram, aussitôt une nuée de disciples s'est jetée sur lui, particulièrement des hommes d'argent – les mêmes qui, onze ans plus tard, après le départ de Mère, devaient révéler leurs ambitions à Auroville comme à Pondichéry. Notre façon d'être, un peu directe, a vite gêné leurs plans. Nous avions une affection profonde pour X et lorsque nous avons vu d'une façon répétée que ces gens – nous devrions dire ces gredins spirituels – rapportaient faussement à Mère de prétendus propos tenus par X dans l’espoir de jeter quelque confusion – c'est dans la confusion qu'ils prospèrent le mieux –, nous avons voulu innocemment mettre X en garde contre ces propos qui lui faisaient du tort et contre ces gens malhonnêtes. Au lieu de nous écouter et de comprendre que c'était notre cœur qui nous faisait parler, X est entré dans une violente colère contre nous – avec tout le pouvoir tantrique derrière –, comme si nous portions atteinte à son prestige. Nous avons rompu avec lui, non sans chagrin. Nous lui gardons toute notre estime.)

Rien de neuf?

Hem!...

Moi non plus, rien.

Rien du tout.

Mais tu as une lettre là (Mère regarde une enveloppe par terre, près du disciple).

Je ne sais pas ce que c'est, je n'ai pas ouvert, c'est arrivé ce matin.

Ce n'est pas ton éditeur, non?

Eh bien, les éditeurs disent: quand vous aurez un livre prêt, envoyez-le.

Oh! ils ont dit cela?

Oui.

Bien. Alors on cesse tout travail.

Il faudrait qu'il me vienne, ce livre!

Oh! il vient – il vient. Ça, je n'ai pas de doutes. Il n'y a qu'à simplement se tourner comme ça (geste vers le dessus de la tête).

Il y a des gens qui sont satisfaits de ce qu'ils écrivent, je dois dire que je n'ai pas ce sentiment.

Ce sont généralement des sots.

Mais tu sais, si tu crois que c'est seulement si tu changes de place que ça viendra... c'est toujours possible.

Non, ce n'était pas pour l’inspiration que je cherchais à partir dans l’Himalaya – je sais bien que l’inspiration vient partout! Non, ce n'était pas pour cela, c'était pour...

La santé?

Oui, tout. J'ai été blessé par cette affaire. Tu n'as pas su tous les détails mais ça a été laid.

Mais mon petit... je ne t'ai pas raconté tout ce qui s'est passé! Maintenant il dit à tout le monde qu'il a été obligé de couper avec l’Ashram parce qu'il a été maltraité.

Ah! c'est cela qu'il dit...

Il dit qu'il n'a jamais prononcé les paroles qu'on lui prête, et alors moi, j'ai fait presque prêter serment à N1 qu'il disait la vérité... X dit qu'il n'a jamais dit que je n'en avais plus que pour deux mois (ça, certainement, il ne l’a jamais dit de cette façon-là).

Oui, sûrement!

Ça ne fait pas l’ombre d'un doute. Et qu'on lui a fait injustice (il ne prononce pas ton nom, il ne dit pas de nom, du moins on ne me le répète pas), mais qu'il a été insulté, injurié, et qu'il est obligé de couper avec l’Ashram.

Tu sais, quand je lui ai parlé, quand je suis allé le voir, c'était après mon japa. J'étais dans un état de calme intérieur absolu – absolu, il n'y avait pas de... simplement j'avais le sentiment qu'il fallait l’aider parce qu'il disait des choses qui lui faisaient du tort. Alors j'avais ce sentiment, très fort, c'est-à-dire un sentiment d'affection – d'affection, mais qui dit les choses clairement et sans émotion. J'étais très calme quand j'ai dit tout cela. J'ai été ému après, mais j'ai été ému surtout parce que, imédiatement, il a eu une réaction extraordinaire! Alors là j'ai perdu tous mes moyens. Mais je lui ai dit les choses... vraiment, enfin s'il a la moindre... mais même un homme qui n'a jamais fait de yoga aurait senti que j'ai parlé avec mon cœur, simplement, comme ça. Même un homme sans culture spirituelle aurait senti cela. Alors comment a-t-il pu sentir cela de cette façon!

Je ne suis pas sûre qu'il l’ait senti.

Oh! écoute, c'était tellement...

Non, je ne crois pas qu'il a pensé que tu l’insultais ou quoi – je crois que c'est de la politique, mon petit!

N'est-ce pas, quand Z lui a parlé la première fois, il ne lui a pas dit: «Je ne l’ai pas dit», il a simplement dit: «Oh! ne nous occupons pas de ces choses mondaines», et il lui a parlé de son bras qu'il voulait guérir. La deuxième fois, il a nié une partie, il a nié qu'il ait parlé de ma santé, alors que... La troisième fois... Tu comprends, à mesure qu'il était nécessaire de reprendre une position, il a nié, il a simplement dit: «Non, je n'ai pas dit.»

Alors il a coupé ses relations avec l’Ashram?

Il le dit – il ne l’a pas fait.

Il dit naturellement qu'il a gardé pour moi tout ce qu'il sentait et voyait. Il avait dit qu'il voulait enlever son yantram2 de l’Ashram, mais après tout il l’a laissé. Il écrit à Z pour lui dire qu'il s'occupe de son bras. Il a eu la visite de A et de ce M – ça, c'est comique! M naturellement était venu à l’Ashram pour y rester, mais enfin... il est à la recherche d'un pouvoir, je le sens bien. Ce M avait fréquenté un individu qui avait du pouvoir mais qui ne s'en servait pas trop bien, et M a senti quelque chose comme cela chez X, et instinctivement il est à la recherche d'un pouvoir. Et peut-être que quand il est allé chez X, il a senti un pouvoir qui lui venait. Alors il s'en va!... Je ne crois pas du tout qu'il soit attaché ni à l’Inde ni à l’Ashram: il est à la recherche d'un pouvoir.

Enfin voilà.

Tout ça... tu sais, pour moi, c'est simplement la comédie du dehors, ça ne correspond à rien du tout – tout-toute l’affaire. La seule chose que, moi, j'ai vue clairement, c'est quelque chose d'équivalent à ce que tu as senti: c'est-à-dire que si X doit rester en relation intime avec nous, c'est mieux qu'il apprenne à ne pas raconter... ou plutôt, mettons cela de la façon la plus favorable: à ne pas laisser parler une partie inconsciente de son être.

Mais oui! Mais tu comprends, je déteste les ragots, alors je n'en raconte jamais, mais il a dit des choses invraisemblables à certaines gens. Je ne te «rapporte» pas parce que je trouve que c'est une espèce de... quelque chose que je n'aime pas. Alors c'est pour cela que je lui ai parlé – dans ce cas-là, je me réfère toujours à la chose intérieure, à l’affection profonde que j'avais pour lui, c'est-à-dire que j'essaye de l’aider. Je n'ai pas une réaction autrement. Je le vois dans une mauvaise passe et j'essaye de l’aider. Alors j'ai essayé.

Oui, mais tu comprends, avec ces gens qui étaient autour de lui...

Oh!

C'était inacceptable, il fallait qu'il garde sa position.

Ah! ces gens, ah! tu sais, alors là j'ai fait des découvertes...

C'est parce qu'il fallait qu'il garde sa position.

(silence)

...Le malheur, tu vois, c'est un homme qui, d'après ses principes et son éducation, ne croit pas au progrès et à la transformation. Il croit que si on remplit les conditions, on obtient la siddhi3 – et c'est fini. On obtient la siddhi et le but est accompli. Il avait déjà accompli son but avant de nous rencontrer, et puis il se met intimement (il aurait pu rester à distance), il s'est mis intimement en relation avec quelque chose qui a toutes sortes de difficultés (mais ce sont des difficultés qui ne sont ni ignorées ni même pas voulues), mais qui est essentiellement un Pouvoir de progrès – il y a une puissance de progrès formidable! Alors j'ai vu cela et je me suis dit: «Comment peut-il tenir le coup?» Je croyais qu'il allait se tenir à distance et ne pas entrer dans l’atmosphère – il a essayé d'entrer dans l’atmosphère, il s'est lié à certaines gens, et surtout quand il s'est mis à méditer avec moi (c'est lui qui l’a demandé, ce n'est pas moi), tout d'un coup quelque chose a répondu... Alors ça a provoqué un conflit. Une partie de son être est partie dans le Mouvement, et l’autre reste en plan, bouge pas. Ça a fait un décalage.

N'est-ce pas, il faut être dans une conscience terriblement superficielle pour réagir comme il l’a fait. Il avait un rapport assez profond avec toi, il y a eu des moments où il a très bien compris ce que tu étais parce qu'il me l’a dit, il sait. Par conséquent, s'il était vraiment dans un état yoguique, même si, toi, tu avais fait quelque chose d'incorrect ou de maladroit, il aurait souri! Il aurait dit: «C'est son impétuosité, il ne faut pas faire attention.»

Mais non! Mais Mère, dieu sait que je suis critique, je me suis interrogé – je n'ai pas fait UNE maladresse, j'ai parlé très tranquillement. Très tranquillement. Et pas avec l’idée de l’accuser, au contraire! en essayant de lui dire: «Voyons, regardez...» Vraiment je n'ai pas fait de faute, pour te dire la vérité.

Non, tu as fait une faute.

Eh bien, oui, tu m'avais dit de ne rien dire!

Oui. Parce que moi, j'avais vu – tu ne pouvais pas voir mais moi j'avais vu que si tu parlais, ça ferait une catastrophe! (Mère rit) Et dès que je l’ai vu, je t'ai dit: «Ne parle pas.»

Mais ça, je l’ai fait SCIEMMENT, parce que je me suis dit: il faut l’aider.

Un homme dans cette position-là, avec ce degré rudimentaire de culture, ne PEUT PAS être aidé. D'autant plus que tout son savoir est basé sur une connaissance qui nie le progrès. Alors comment peut-il être aidé à progresser?

Enfin il arrivera ce qui arrivera, et ce sera certainement pour le mieux, pour tout le monde, y compris lui-même!4

Mais depuis ce moment-là, ça m'a mise en contact avec un certain domaine de déformation mentale qui est un peu... bewildering [troublant]. Je me suis aperçue que je dis une chose, qui pour moi est claire comme de l’eau de roche, et puis...

(silence)

Non, il a été l’objet d'une attention spéciale de la Grâce, qui l’a projeté dans un monde qui, extérieurement, n'était pas le sien. C'est-à-dire qu'en quelques années, il a fait le trajet de quelques vies, alors ça a été un petit peu difficile. Vraiment, en quelques années, il a parcouru intérieurement le chemin de beaucoup de vies. Et puis il a été mis en présence de la nécessité d'un très grand progrès, d'autant plus difficile qu'il n'était pas accepté ni prévu mentalement. Alors il ne comprend plus, le pauvre homme! N'est-ce pas, si je pouvais le prendre dans mes bras comme un bébé, et lui dire: «Mon pauvre petit, mon petit enfant...» et qu'il se sente bien, alors ce serait très bien. Mais ce n'est pas possible – il y a toute une construction spirituelle. Alors je le fais de loin, sans paroles, en silence, comme ça – mais qu'est-ce qui traverse toute cette croûte?? Ça, je ne sais pas!... La seule chose que je dise et que je répète: «l’Amour divin ignore tous les malentendus et toutes les confusions humaines.» Voilà. Alors nous verrons. «Là où il y a l’Amour divin, les confusions et les malentendus humains ne peuvent pas exister, ils n'entrent pas.»

C'est la seule solution.

Mais il ne faut pas y ajouter un ATOME de mental – la moindre activité intellectuelle gâte tout.

Et puis tout regarder avec un sourire de cristal.

(silence)

Il a été mis en rapport avec une Grâce dangereuse – il y a des grâces qui sont dangereuses... Je le savais dès le commencement. On verra... Ça peut dépendre d'un seul, un seul... une minute d'éclair: s'il y a quelque chose qui fait comme ça, qui traverse la croûte, alors ce sera bien. Il deviendra quelqu'un de tout à fait bien.

C'est ce que le Seigneur décidera.5

(silence)

Il y a une façon – une façon trop humaine de regarder les choses – qui a fait dire que je suis une personne TRÈS dangereuse, très dangereuse. Que de fois cela a été dit... Il y avait une Anglaise qui était venue parce qu'elle avait eu une déception d'amour; elle était venue dans l’Inde pour trouver une «consolation», puis elle est tombée à Pondichéry. C'était tout au commencement (c'est à elle que j'ai dit ce qui a formé ces Conversations en anglais, parce que c'était en anglais, puis ça a été traduit – c'est moi qui l’ai traduit, ou plutôt redit en français6). Et au bout d'un an de séjour ici, cette femme m'a dit – avec un désespoir! – elle m'a dit: «Mais quand je suis venue, j'étais encore capable d'aimer les gens et d'avoir de la bonne volonté pour les hommes! et maintenant que je suis devenue consciente, je suis pleine de mépris et de haine.» Alors je lui ai répondu: «Allez un peu plus loin.» Elle m'a dit: «Ah! non, j'en ai assez comme ça!» Puis elle a ajouté: «Vous êtes une personne très dangereuse.» – Parce que je rendais les gens conscients! (Mère rit) Mais c'est vrai! quand on a commencé, il faut aller jusqu'au bout; il ne faut pas s'arrêter en route – en route, ça devient pénible.

Je ne le fais pas exprès.

Au fond, je ne fais rien exprès. C'est comme ça (geste, mains ouvertes): Seigneur, c'est Toi qui as voulu...

Je n'y peux rien.

Voilà.


Un peu plus tard

Ce que je dis devient de plus en plus difficile...

Peut-être que dans cinquante ans les gens comprendront!

(silence)

Et moi, je me fais un peu l’effet d'un œuf couvé... c'est-à-dire qu'il faut une certaine période d'incubation, non?

Je m'aperçois de plus en plus que, cette fois-ci, les gens ont été pris de panique et qu'ils se sont imaginés que j'allais mourir – j'aurais pu mourir si le Seigneur l’avait voulu. Mais... ça a été une sorte de mort, ça c'est sûr – sûr-sûr-sûr –, mais je ne le dis pas parce que... enfin, il faut tout de même respecter le bon sens des gens!

N'est-ce pas, une ligne de plus et je dirais que je suis morte et que... j'ai ressuscité. Mais je ne le dis pas.

Il y a des tas de gens qui ont fait des prières, qui ont fait des vœux aussi, que si je ne mourais pas, ils iraient faire un pèlerinage ici ou là – c'est très touchant.

Et alors, ça m'objective beaucoup ma situation. Je n'ai rien à voir avec une maladie dont on guérit! je ne peux pas guérir! – c'est un travail de transformation. À n'importe quel moment, si le Seigneur décide que c'est hopeless [sans espoir], ce sera hopeless, ce sera fini; et n'importe ce qui arrivera, si le Seigneur a décidé qu'on irait jusqu'au bout de l’expérience, on ira jusqu'au bout de l’expérience.

Toute cette façon de voir, de sentir, de réagir, vraiment ça appartient à un autre monde – vraiment à un autre monde... C'est au point que si je ne respectais pas la tranquillité mentale des gens, je dirais: «Je ne sais pas si je vis ou si je suis morte.» Parce qu'il y a une vie, il y a un genre de vibration de vie, qui est tout à fait indépendant de... – non, je vais le dire autrement: la façon dont les gens sentent la vie d'ordinaire, qu'ils sont vivants, est intimement liée à une certaine sensation d'eux-mêmes qu'ils ont, sensation de leur corps et d'eux-mêmes; tu supprimes complètement cette sensation, ce genre de sensation, ce genre de relation que les gens appellent «je vis», tu supprimes, et alors comment est-ce que tu peux dire: «Je vis» ou «je ne vis pas»? – Ça N'EXISTE PLUS. Eh bien ça, c'est absolument supprimé. Cette nuit-là,7 ça a été nettoyé, définitivement. Ce n'est jamais revenu. Ça paraît une chose impossible... Alors ce qu'ils appellent «je vis»... je ne peux pas dire comme eux: «Je vis» – c'est tout autre chose.

Il vaut mieux ne pas garder ça, parce que finalement ils se demanderaient s'il ne vaut pas mieux me soigner mentalement! (Mère rit)

Mais ça aussi, ça n'a pas d'importance!

(silence)

On a un tel sentiment d'une puissance SI formidable, si LIBRE, si indépendante de toutes les circonstances, de toutes les réactions, de tous les événements – et ça ne dépend pas de ce que ce corps soit comme ça ou autrement. Autre chose... Autre chose.

Il n'y a qu'une chose qui dépende du corps, c'est de parler, c'est d'exprimer – qui sait?... (Mère regarde longuement le disciple comme si Elle considérait une possibilité inconnue).

Ah! ça suffit pour aujourd'hui.

On reste tranquille cinq minutes? [pour méditer]

Dis-moi très-très franchement si ça t'aide ou pas [de méditer]? Tu peux me dire n'importe quoi, tu peux me dire aussi que ça ne t'aide pas, tu peux me dire que ça te fait du mal, tu peux me dire n'importe quoi! Ça n'a aucune importance, je n'ai pas de sensibilité.

Douce Mère, non...

Tu ne sens rien? – rien.

C'est toujours la même chose. C'est très... C'est calme, c'est clair, mais il ne se passe rien.

Tu crois qu'il faut qu'il se passe quelque chose? (Mère rit) J'ai travaillé pendant tant d'années pour qu'il ne se passe rien!

C'est si difficile qu'il ne se passe rien.

Mais oui, mais justement j'ai travaillé (si je puis dire), j'ai passé toutes ces années à ça. J'avais lu dans Sri Aurobindo: le silence mental, la tranquillité, la paix. Alors j'ai travaillé à ça. C'est-à-dire que j'y suis arrivé, je crois – quand je médite, c'est tranquille.

Oui, oh! oui.

Ça ne bouge pas – mais il n'y a rien!!

Mais pourquoi y aurait-il quelque chose?

Mais alors quoi!?

S'il y a quelque chose, ce n'est plus tranquille!

Il devrait y avoir autre chose! Je pensais que...

Oooh!... autre chose?

Pour moi, c'est simplement le point de départ, cette tranquillité. Là-dedans, quelque chose se manifeste, non?

Moi, je me plains toujours que quelque chose se manifeste et que ça arrête la tranquillité.

Si, par exemple, dans cette immobilité, j'avais une vision de la Mère – une vision de la Mère –, qu'Elle était là comme... bien oui, qu'Elle me connaît, qu'Elle est proche, qu'Elle sait que j'existe! – une relation, quelque chose. Eh bien, ça changerait tout! Si je me disais: tu fermes les yeux, tu la vois – comme Ramakrishna par exemple, il avait cette relation. Alors je ne sais pas, toute ma vie serait changée, j'aurais un lien avec QUELQUE CHOSE. Ce ne serait pas le silence, le silence, le silence...

Mais c'est d'un degré inférieur, ça.

Ce qu'il faudrait c'est...

Un degré inférieur?

Avoir un rapport imagé, concret, sensible, c'est dans une conscience... («inférieure», je ne dis pas ça d'une façon péjorative), je veux dire une conscience plus matérielle. C'est dans le vital. C'est dans le vital. Les expériences de Ramakrishna étaient dans le vital.

Mais je ne sais pas, ça donne un sens à la vie; alors la vie devient pleine!

Oui-oui... Mais dans le vital... Ton vital a besoin d'un tas de préparations pour cela – ça arrivera mais... je ne crois pas que tu auras la satisfaction que tu espères. Moi, ce que je voudrais, c'est que tu débouches subitement dans la lumière supramentale, avec ce SENS de la plénitude éternelle; alors là, oui! ça, on sent quelque chose... Mais pas nécessairement une forme. Il y a des gens qui voient des formes – pas nécessairement une forme.

(silence)

C'est peut-être un malentendu! (Mère rit) Je pensais que tu voulais...

(silence)

Alors mon petit, si c'est ça que tu veux, il faut que tu travailles beaucoup pour apporter dans ton vital et ton être émotif un grand calme, une grande paix – il ne faut pas que des événements comme ceux-là (X) puissent te déranger, te rendre malade et tout cela. C'est seulement à cette condition-là que tu pourras avoir ça.

Un éclair, oui (tu l’as eu une fois à Brindaban,8 tu as eu une expérience), ça c'est possible. Mais ce que tu veux, c'est une permanence.

Bon.

(silence)

Moi, n'est-ce pas, je voulais toujours ça: quand tout d'un coup on émerge dans la Lumière suprême, l’Éternité, l’Infinité, et puis cet éblouissement. Et qu'au lieu d'être un éblouissement, ça devient l’état normal.

Ça, c'est quelque chose. C'était ça que je voulais te donner.

Bon.

Je ne sais pas...

Imagine une chose: c'est plus facile pour moi que l’autre!

Bien, on va essayer. On va essayer.

(silence)

Oh! tu veux qu'Elle te dise qu'Elle te connaît! – Mais Elle te le dit! Elle te l’a dit bien des fois!

Tu veux qu'Elle te dise: «Tu es à moi, tu es mien?»

Tu veux LA VOIR?

Oui.9

(méditation)

16 juin 1962

Ça va prendre longtemps, cette affaire.1

Quand je regarde en avant, je ne vois aucun changement radical (c'est-à-dire changement d'organisation, de vie et tout cela) avant TRÈS longtemps, très longtemps. Il faut beaucoup de patience.

Non, ce n'est pas une question de patience, c'est comme cela: (Mère tient ses deux mains ouvertes au-dessus de sa tête, vers l’Éternel).

(silence)

Ça me fait l’effet d'une sonnette qu'on ne sonne pas! C'est sur la table, c'est là (tu sais, ces sonnettes)... – on ne la sonne pas.

Voilà.

20 juin 1962

Pavitra me disait l’autre jour que, d'après les dernières découvertes scientifiques, la Matière telle qu'elle est maintenant peut être immortelle. Il n'y a pas de raison que le changement (parce que ça change tout le temps) ne se fasse d'une manière suffisante pour éviter la décrépitude. Il n'y a rien dans la composition de la Matière qui s'oppose à son immortalité – immortalité de la forme, naturellement. Sans faire intervenir quoi que ce soit d'un autre domaine, si la Science suit sa courbe (à moins qu'elle ne se trouve tout d'un coup en face de quelque chose qu'elle ne comprend pas), pour ceux qui n'ont pas l’esprit mystique ou occulte, il n'y a pas de raison qu'on ne trouve pas le moyen d'utiliser cette substance dans des formes qui ne périssent pas.

C'est un grand appui pour les esprits pratiques.

Au point de vue de la connaissance spirituelle, la décrépitude et la dissolution, la désintégration, sont très évidemment, incontestablement, le résultat d'une mauvaise attitude.

Une mauvaise attitude?

Oui, une mauvaise attitude.

l’expérience que j'ai continue par de tout petits détails, qui sont imperceptibles en eux-mêmes mais qui donnent l’orientation; et de plus en plus, c'est cela: on se met dans une mauvaise attitude, et tous les désordres se déclenchent imédiatement. Ce serait presque comme si on déplaçait un engrenage – ce n'est pas cela parce que l’engrenage est une chose trop rigide –, mais disons que tout l’univers roule et qu'il roule sans heurts, et c'est seulement si on fait comme cela ou comme cela ou comme cela (Mère montre des changements de position dans une sorte d'engrenage) que les désordres apparaissent. Il y a beaucoup de manières d'avoir une mauvaise attitude. C'est comme si on déplaçait un petit peu un engrenage: ça marche encore (en admettant que ce soit un engrenage d'une souplesse particulière), mais ça grince – ça grince et alors ça s'use et ça se détériore et ça se casse. Mais si c'était dans la vraie position, il n'y a pas de frottement.

C'est l’impression de frottement qui n'existe pas – ça n'existe pas, il n'y a pas de frottement. Le frottement ne provient que du mauvais angle, de quelque chose, d'un déplacement.

Naturellement, on peut exprimer ça beaucoup plus facilement d'une façon psychologique – psychologiquement c'est très simple, comme de l’eau de roche –, mais même matériellement c'est comme cela.


Plus tard

J'avais cru que je pourrais voir X pour sa fête au mois de décembre. Je ne sais pas si j'aurais repris ma vie – ça m'étonnerait beaucoup. Parce que, à vrai dire, si les choses sont comme je les ai vues (comme je les ai vues et comme je les ai senties), ce serait au moins un très sérieux commencement de transformation qui devrait se produire – eh bien, ça, n'est-ce pas... des années, c'est rien! C'est rien, des années. Tout le monde est pressé, on veut absolument que je reprenne ma vie; je n'en vois pas la possibilité, pour le moment.

Mais je ne sais rien.

Je ne tâche pas de savoir, je ne regarde pas, je ne sais pas. C'est seulement une sensation que ça va très lentement, très lentement, et que si on avait l’imprudence de vouloir aller vite, on aurait probablement ou des catastrophes ou des reculs tout à fait sérieux.

À ce point de vue – au point de vue de ce corps, de son activité –, je suis maintenue dans un état d'indifférence maximum. Toutes les volontés des gens, les programmes, les projets, tout ça, c'est très loin, très loin (geste, comme sur un rivage au loin), tout à fait estompé. Je ne regarde même pas. Ça me vient simplement quand quelqu'un me dit quelque chose (Mère montre une pensée qui flotte un moment là-bas), et puis ça passe.

Le corps lui-même a la sensation qu'il faut qu'il apprenne à vivre dans l’éternité.

Ça paraît assez indispensable.

Et pour cela, certainement, la première chose qui doit disparaître, c'est la hâte, l’impatience – c'est évident.

Voilà, mon petit, écris ton livre.

23 juin 1962

Il y a un ou deux jours, je ne sais plus, enfin après t'avoir vu la dernière fois, tout d'un coup, sans y penser, sans le vouloir ni rien (je marchais ou je faisais je ne sais quoi), tout d'un coup j'étais devenue, ou je voyais, un grand être tout blanc, avec une sorte de hallebarde dans la main et l’expression d'une volonté (geste, comme du fer), et c'était comme s'il était dit au monde: «C'est assez de tergiverser, c'est assez de louvoyer, maintenant il est temps, il faut que ça se fasse.»

Et tout ce que le corps faisait n'avait aucune importance: quoi que je fasse, c'était toujours ça, je voyais ça (je voyais ça d'en haut), ce grand être – c'était comme une grande puissance transformatrice, dans le vital. Et c'était un très grand être, très calme, très puissant, mais sans violence naturellement, mais tout à fait irréductible, et...: «C'est assez d'attendre, c'est assez de tergiverser, c'est assez d'hésiter, IL EST TEMPS.»

Ça a duré plus d'une heure – oh! plus d'une heure, au moins deux heures. Ce corps était comme cela, et moi je continuais comme toujours ce que j'avais à faire, et c'était là. Je te raconte ça parce que, au milieu, tout d'un coup, je me suis souvenue de toi: «Tiens! mais il veut voir!» Alors j'ai dit à cet être: «Montre-toi à Satprem, montre-lui que tu es là»!

Je me suis demandé si tu avais vu quelque chose...

?

Ça a duré longtemps, mais je ne me souviens plus à quel moment c'était. Une partie était pendant que je marchais (je marche à 5 h du matin et à 5 h du soir). C'était là quand j'ai commencé à marcher et ça a duré longtemps après – je ne me souviens plus si c'était le matin ou le soir.

Le matin – tous les matins quand je marche –, je fais une concentration avec l’espoir que tu te souviendras de tes nuits et que tu auras une expérience.

Et ça ne bougeait pas, en ce sens que toutes sortes de choses pouvaient se passer, c'était là, comme à la frontière du monde terrestre, et comme une déclaration du Suprême – très grand être.

Tout blanc, lumineux-lumineux, scintillant! Et avec cette sorte de hallebarde, comme cela, un air, oh! très déterminé: «Assez de tergiverser, on n'hésite plus, il est temps.»

Alors je lui ai dit: «Va donc trouver Satprem, montre-toi à lui.»

Tu n'as rien vu?

Non.1

Il se passe toutes sortes de choses...

Bien.

Sujata a fait un rêve cette nuit...

Ah!

Si tu veux, je vais te lire ce qu'elle a noté: «J'étais dans le bureau de Pavitra, debout sur le tapis, du côté de la table de Pavitra. Je lève les yeux et regarde le couloir. C'est vide. Quand, soudain, j'aperçois Mère apparaître là, tout au fond, près de sa salle de bains. Elle est toute petite, ma petite Mère! Elle vient vers le bureau où je me trouve. Elle laisse à sa droite le boudoir, avance. La grande fenêtre avec les oiseaux et les vases roses à sa gauche sont dépassés. Et Elle grandit. Chaque pas la rend plus grande. Tour à tour, Elle passe devant sa chaise, la porte de l’escalier, mon labo, et Mère continue à grandir. Ensuite, la porte de la chambre de Pavitra, la porte de la terrasse, et Mère arrive au bureau. Elle franchit le seuil: sa tête touche presque le haut de la porte. Mère est entrée. Elle a une taille! Sa tête touche maintenant le plafond.2 Moi, debout, j'arrive à peine à ses genoux! Quelque chose en moi est ébranlé devant cette grandeur sublime. Je me suis prosternée.»

(Après un silence) Je la vois la nuit assez souvent...

(silence)

Il y a tout un ensemble de choses du subconscient (subconscient vital et subconscient physique), très nouvelles, que je n'avais pas avant. Ce n'est pas mon subconscient, c'est beaucoup plus général, et avec presque des révélations, c'est-à-dire que, tout d'un coup, je vois des choses concernant des gens (des gens que je connais très-très bien, dont je connais l’être intérieur très bien), avec des surprises: «Tiens! ça, c'était là!»

Des gens, des gens... beaucoup-beaucoup.

Je ne peux pas dire que ça m'intéresse énormément (!) mais évidemment on veut que je le sache. Ce n'est pas parce que je cherche à voir ou à savoir (la concentration est plutôt pour préparer ça [le corps] et le rendre réceptif: activement, c'est ce que je fais), mais alors, dans ma contemplation, tout d'un coup je m'extériorise probablement, ou je ne sais pas, et puis je vois toutes sortes de choses. Je ne dors pas, n'est-ce pas (je ne sais pas comment dire)... je passe d'un état de concentration consciente à un état plus passif où, alors, on me fait participer à toutes sortes de scènes, de visions, avec beaucoup de gens et beaucoup de choses, comme pour me compléter ma connaissance – il y en a qui sont amusantes, intéressantes, nouvelles et, je ne sais pas, je soupçonne que Sri Aurobindo y est pour quelque chose, parce qu'il y a un humour! (Mère rit) des choses qui me font rire, un peu comiques. Surtout à cause du sérieux formidable des gens pour des choses qui n'ont aucune importance – c'est ça, c'est la disproportion de l’importance donnée par les hommes à des événements qui sont tout à fait sans importance!

(silence)

Cette nuit, c'était comme une grande fête qui s'était préparée, je ne sais pas où (peut-être à l’Ashram parce qu'il y avait beaucoup de gens de l’Ashram), mais ce n'était pas cela, c'était une fête de la terre, et alors tout le monde s'était habillé en dentelles blanches! Naturellement c'était profondément ridicule! Mais très sérieusement, et c'était très important!

Qu'est-ce que cette dentelle blanche représentait?... C'était très important! Oh! il y avait des détails!... tout à fait amusants.

(silence)

Mais j'ai remarqué que cette nuit aussi, j'étais très grande – je suis très grande généralement. Grande et forte.

Voilà.

27 juin 1962

...Et moi, je n'ai rien à dire.

C'est une période d'observation et d'étude. Il n'y a absolument rien à dire. C'est un monde de petites observations qui, je l’espère, me mèneront vers quelque chose de plus... positif. C'est plutôt une démonstration de l’inaptitude des méthodes habituelles pour agir selon la Vérité – la nuit et le jour.

Il y a deux nuits, j'ai eu une expérience que je n'avais pas eue peut-être depuis plus d'un an. C'était une sorte de concentration et d'accumulation dans les cellules du corps, de l’Énergie divine... Pendant une période (je ne me souviens plus quand), j'avais toutes les nuits comme une recharge de batterie, par le contact avec les forces universelles – je l’ai eue spontanément il y a deux nuits. Et alors, la nuit dernière, j'ai voulu regarder, étudier, voir comment ça se passait – j'ai eu une copieuse démonstration de l’inadéquation (est-ce qu'on dit ça en français?) enfin que tous les procédés de la conscience agissant dans le mental sont tout à fait inutiles. Inutiles, et que, simplement, ça gâte l’expérience.

Avant, quand j'avais une expérience, j'avais un très grand souci de tenir tout tranquille et immobile afin que ce ne soit pas interrompu, mais après, c'était toujours l’utilisation mentale ordinaire (pas ordinaire, mais enfin ordinaire au mental), et ça paraissait inévitable. Mais maintenant, ça ne fonctionne plus de la même façon: c'est réduit aux interventions inévitables, c'est-à-dire que les gens me parlent et que je leur parle (je reste aussi silencieuse que je peux, mais malgré tout ils parlent, ils me racontent toutes sortes de choses et je suis obligée de répondre), c'est réduit à ça. Mais ça déjà, tel que c'est, dès que je suis un peu concentrée, ça paraît si... ce n'est pas mauvais, déformé, ce n'est pas cela: c'est INADÉQUAT. C'est-à-dire que ça ne traduit rien du tout, voilà.

La Vraie Chose échappe complètement.

Alors je suis dans une position de transition – c'est très bien de voir ce qui ne va pas, mais il faudrait au moins avoir quelque chose qui va!

J'ai eu des promesses – de grandes promesses. Pas «promesses», mais ça venait: «Ce sera comme ça.» Mais de grandes choses: des manifestations concrètes de la Puissance divine, de la Conscience divine, de l’Action divine. Et spontanées, naturelles, inévitables...

Il est évident qu'on essaye de préparer ça (Mère touche son corps) pour que ça ne mette pas l’obstacle habituel à l’expression.

Mais j'aimerais mieux que ce SOIT plutôt que d'en parler. Ce serait plus intéressant. Alors, pour le moment, j'aime mieux ne rien dire.

(silence)

Il y a beaucoup de choses qui pourraient se passer... Mais combien de temps ça prendra, je ne sais pas?

(silence)

La nuit dernière, je me suis dit: «Eh bien, ce n'est pas brillant! si on en est encore là...» Il y avait, n'est-ce pas, une expérience (qui n'était plus une expérience parce que c'était un état assez normal qui se continue, et autant que je pouvais voir, presque continu) de recharge de batterie; et puis un appareil récepteur d'observation, détestable! que je croyais, excellent avant! Avant ce mois d'avril, les autres années, tout ça était très calme, la pensée toujours tournée comme cela (geste vers le haut), le mental silencieux, et il y avait une sorte de fonctionnement – je croyais que ce fonctionnement était très bien! Eh bien, je me suis aperçue qu'il ne vaut rien. Enfin, je souhaite à tout le monde d'avoir ce que j'avais avant (!) c'était très-très commode, très au-dessus des moyens utilisés ordinairement – mais enfin ce n'est pas vrai. C'est encore un... un truc. Ce n'est pas la Vraie Chose. Ça fait encore partie des choses qui empêchent la vie d'être divine, alors ça ne vaut rien!

Mais qu'est-ce qu'il y a dans notre existence telle qu'elle est qui n'empêche pas la vie d'être divine! Ça, je n'en sais rien! (Mère rit)... Heureusement que sur ce point [l’humour], nous nous sommes rencontrés Sri Aurobindo et moi. Sans avoir d'effort à faire, il y a toujours quelque chose en moi qui rit, depuis toute petite. Qui voit toutes les catastrophes, qui voit toutes les souffrances – qui voit et qui ne peut pas s'empêcher de rire comme on rit à quelque chose qui prétend être et qui n'est pas.

Au fond, c'est comme ça qu'on tient le coup. C'est une grande chose.

(Plus tard, Mère reparle de l’apparition de ce grand être blanc, armé d'une sorte de hallebarde:)

C'était un état d'être de moi qui se tenait là comme ça, qui s'est manifesté là. C'est une partie de mon être vital, ou plutôt l’un de mes innombrables êtres vitaux – parce qu'il y en a une quantité! Et c'est celui-là qui s'intéresse particulièrement aux choses de cette terre.

Une projection de toi? une émanation de toi?

Mon petit, tu sais, j'ai dit un jour que dans l’Histoire de la terre, partout où la Conscience pouvait se manifester, j'étais là1 – c'est un fait. C'est comme dans l’histoire de Savitri: toujours là, toujours là, toujours là, dans celui-ci, dans celle-là – certaines fois, il y avait quatre émanations en même temps! au temps de la Renaissance italienne et française. À un autre moment aussi, au temps du Christ, à ce moment-là... Oh! tu sais, je me suis souvenue de tant de choses, tant-tant-tant de choses! Ce serait des livres à raconter. Et alors, plus que souvent (pas toujours, mais plus que souvent), c'était une formation yoguique de l’être vital qui participait à telle vie, telle vie, telle vie... – immortelle.2 Et cette fois-ci, quand je suis venue, dès que j'ai commencé à pratiquer le yoga, c'est revenu de partout! – Ils attendaient. Les uns attendaient, les autres travaillaient (ils avaient leur vie indépendante), et ils se sont tous rassemblés. C'est comme cela que j'ai eu le souvenir. Ils sont venus l’un après l’autre, c'était une pluie! Comme ça, juste le temps d'assimiler, de voir, de situer, d'organiser, et puis un autre venait. Naturellement, ils sont très indépendants, ils font leur travail, mais très centralisés tout de même. Alors il y a de tout – il y a de tout! tout ce que l’on peut imaginer. Il y a même des choses qui ont été dans des hommes: ce n'est pas exclusivement féminin.

Au début, je pensais que c'étaient des histoires.

Avant de rencontrer Sri Aurobindo, ça me venait et ça me venait et ça me venait, nuit après nuit, quelquefois le jour, une accumulation de choses! Puis j'ai raconté à Sri Aurobindo, qui m'a expliqué que c'était tout à fait naturel – au fond, c'est tout à fait naturel: avec cette incarnation de la Mahashakti qui est descendue (comme il l’avait dit dans Savitri), naturellement tout ce qui est plus ou moins lié à Elle, voulait participer, c'est tout à fait naturel. Et c'est surtout une spécialité dans le vital: il y a toujours eu une préoccupation d'organiser, centraliser et développer, unifier les forces vitales et les faire obéir. Alors il y a une quantité considérable d'êtres vitaux, qui ont joué leur rôle dans l’histoire, et qui reviennent chacun avec sa capacité.

Mais ça [ce grand être blanc de l’autre jour], ce n'est pas un être d'origine humaine, il n'a pas été formé dans une vie humaine: c'est un Être qui s'est incarné (il s'est incarné déjà), et il a été l’un de ceux qui ont présidé à la formation présente de l’être actuel.3 Mais je l’ai déjà dit, je le voyais: c'est insexué, c'est-à-dire que ce n'est ni féminin ni masculin; et c'est tout ce qu'il y a d'intrépide dans le vital, d'un pouvoir calme mais absolu – tiens! j'ai trouvé dans une des pièces de Sri Aurobindo une très bonne description quand il parle de la déesse Athéna (dans Perseus, je crois, je ne me souviens plus), mais elle a cette espèce de... c'est un calme qui est tout-puissant, avec une autorité! Oui, c'est dans Perseus, quand elle apparaît au dieu de la Mer et qu'elle l’oblige à rentrer dans son domaine. Il y a là une description qui s'applique très bien à cet être-là.4

(Perseus the Deliverer, Cent. Ed. VI. 6)

Une blancheur et une force envahissent le ciel...
Vierge formidable
De beauté, perturbatrice de l’ancien monde!...
Comme tu es blanche et belle et calme
Et pourtant vêtue de tumulte! Les cieux au-dessus de toi tremblent
Blessés d'éclairs, ô déesse, et la mer
Fuit devant tes redoutables pas tranquilles.

D'ailleurs, tous les dieux grecs sont des aspects d'une même chose: on voit comme ça, comme ça, comme ça, comme ça (Mère tourne sa main comme pour montrer les facettes d'un même prisme), c'est tout simplement la même chose.5

Mais la description que Sri Aurobindo fait est exactement celle de cet Être-là. Et c'est ce même Être qui est venu il y a quelques jours, sans que je l’appelle, sans que j'y pense, sans que je le veuille. Mais il avait l’air de dire qu'il était temps qu'il intervienne.

Alors je l’ai laissé faire!

Pendant tout le temps où Sri Aurobindo était là, ces quatre entités dont il parle, les quatre Aspects de La Mère,6 étaient toujours là. Et j'étais tout le temps obligée de dire à celle-ci, celle-là: «Tiens-toi tranquille, tiens-toi tranquille...» – Elles étaient tout le temps à vouloir intervenir!

Mais t'ai-je dit cela? La dernière fois que je suis descendue pour les poudjâs (je ne sais plus si c'était l’année dernière ou l’année d'avant – je ne me souviens de rien, tu sais: tout ça, brrt! balayé), c'était l’année d'avant. Toujours, avant le Dourga poudjâ, Dourga venait; elle venait toujours, deux ou trois jours avant (ce n'était pas en 1961, c'était en 60, après cet anniversaire7). Je marchais comme d'habitude et elle était venue; et alors elle a fait sa soumission au Suprême!... Ces divinités n'ont pas ce sens-là. Ces divinités comme Dourga, comme ceux de la Grèce (maintenant ils sont un peu périmés! mais ceux de l’Inde sont encore très vivants), ce sont des revêtements de quelque chose d'éternel (on pourrait presque dire des localisations), mais ils n'ont pas le sens de la soumission au Suprême. Eh bien, Dourga était là pendant que je marchais – vraiment, c'était beau! Cette puissance formidable de Dourga qui était toujours à mater les forces adverses, elle s'est soumise au Suprême, au point de ne plus reconnaître les forces adverses: TOUT est le Suprême.

C'était comme un élargissement de sa conscience. Dans ce monde-là, il y a eu des choses très intéressantes [depuis la descente supramentale]... Comment expliquer?... Cette indépendance, cette liberté absolue du mouvement de tous ces êtres (et en même temps ce sont tous un même Être), mais le vrai sens de l’Unité parfaite, c'était seulement avec la Conscience suprême. Et avec cette intervention ici [de Mère], après l’incarnation de cette fois-ci et cette Conscience qui est établie ici, comme cela (Mère ferme son poing dans un geste d'une solidité immuable) , d'une façon absolue (c'est-à-dire qu'il n'y a pas de fluctuations), ICI, sur la terre, dans l’atmosphère terrestre, cette incarnation a une action rayonnante sur tous ces mondes, tous ces univers, toutes ces Entités. Et ça se traduit par des petits incidents8 – de tout petits incidents à la dimension de la terre. Mais c'est intéressant comme cela.

(long silence)

C'était pour ainsi dire une disparition de tout ce qui s'était passé avant cette expérience du 13 avril, et une annulation complète du fonctionnement habituel de la conscience; et petit à petit, ça essaye de se reconstruire – ce n'est pas que ça essaye: ça travaille à se reconstruire sur une base plus vraie. Sur une base, ou des relations ou des vibrations, ou des fonctionnements (je ne sais pas comment l’appeler: toutes ces choses-là à la fois) plus vrais. Cette présence l’autre jour [le grand être blanc], ce n'était rien d'essentiellement nouveau, en ce sens que cet être était intervenu bien des fois, et pourtant c'était nouveau parce que tout le fonctionnement était nouveau. C'est comme mon expérience d'il y a deux nuits [la recharge de batterie], je l’avais eue pendant des mois; eh bien, c'était nouveau parce que c'était sur une base de fonctionnement nouveau. Et chaque fois (est-ce par habitude? ou est-ce pour me faire comprendre, pour me faire voir?) chaque fois qu'il y a un commencement d'intervention du vieux fonctionnement, j'ai tout à fait l’impression que, d'abord, je perds le vrai contact, que la Vraie Chose échappe, et puis je me demande comment on peut fonctionner comme ça sans devenir fou?! C'est cela maintenant qui m'étonne, c'est que j'ai l’impression qu'on devient fou! C'est-à-dire que ça grince, ça frotte, ça n'a pas de sens – it misses the point, c'est toujours à côté. Ce n'est pas la Vraie Chose, c'est à côté. Ça essaye d'imiter quelque chose qui est inimitable. Et alors je me dis: «Quoi? est-ce que je déménage?... Est-ce que je suis en train de perdre mes facultés?» Et puis je m'aperçois que pas du tout! que là-haut, c'est une concentration immuable et inébranlable, constante, toute-puissante. Et qu'une goutte de Ça, une étincelle de Ça: tous les problèmes sont résolus. Et alors je vois clairement que c'était seulement une démonstration pour me faire voir l’inadéquation (it’s the word inadequacy) du vieux fonctionnement habituel – c'est inadéquat –, pour que je sois bien convaincue. C'est assez pénible, d'ailleurs. J'ai eu ça la nuit dernière, je l’ai vu encore ces jours-ci: ça dure quelques secondes – assez pour que la leçon soit suffisante! C'est peut-être aussi pour me faire comprendre, mais je me demande après: «Si tout le monde est dans cet état-là... il n'en sait rien mais c'est terrible!» Et je m'aperçois bien que la moindre chose, la moindre circonstance est complètement déformée, instantanément déformée, par la façon dont les hommes... work it out [la traduisent], la façon dont ils font se développer les événements.

Ça, c'est une expérience de chaque minute.

Mais c'est encore une période de préparation; il vaudrait mieux regarder-regarder-regarder, étudier-étudier-étudier, avoir des expériences, beaucoup d'expériences, parce que tout ça, ce n'est rien – il faut attraper la chose. Il faut attraper la .queue du vrai fonctionnement, de façon à pouvoir le substituer volontairement à l’autre. Voilà exactement.

Et pour ça, c'est une étude de chaque minute.

Par exemple, on me lit une lettre et il faut que je réponde; et alors il y a, superposés, les deux fonctionnements: la réaction ordinaire qui venait d'en haut (il n'y a rien d'ici: ça venait d'en haut mais c'était la réaction ordinaire), et alors si je commence à écrire de cette manière, au bout d'un moment il y a cette espèce de sensation de quelque chose qui est inadéquat; et puis d'un autre fonctionnement qui n'est pas encore (comment dire? je devrais parler en anglais!) handy, c'est-à-dire à ma disposition. Il faut que je me tienne tranquille, alors ça agit [le nouveau fonctionnement]. Mais s'il y a une activité, les deux sont superposés, et il faut que je tranquillise l’un pour que l’autre puisse venir. Et l’autre, ah! il a des façons inattendues... Par exemple, je réponds à une lettre, ou je veux dire quelque chose à quelqu'un, ma vieille manière c'est la manière qui vient d'en haut et qui s'exprime (c'est suffisamment lumineux, mais c'est adapté), et puis alors cette espèce de sensation que c'est inadéquat – ça ne va pas. Bon. Je me recule et quelque chose d'autre vient; et ce qui vient, j'avoue que... il y a de quoi rendre les gens un peu fous! C’est tellement autre chose!

Hier, j'ai écrit une lettre comme cela; il y avait un papier sur lequel j'avais écrit avec la première manière habituelle, d'avant. Pendant que j'écrivais, il y avait cette espèce de sentiment que ce n'est pas ça; puis j'avais mis un commentaire, de la même façon, avec la vision d'en haut (un commentaire sur une lettre écrite par cette personne). Quand ça a été fini, il y avait toujours ce sentiment, alors j'ai pris un autre papier – c'était bleu –, j'ai écrit quelque chose, et puis ce n'était pas encore ça. Alors j'ai fini par prendre un autre papier, j'ai écrit encore quelque chose... et puis j'ai tout mis ensemble dans une enveloppe! – J'espère que la personne a la tête solide!... Mais il y avait en même temps quelque chose qui me disait: «Ça lui fera du bien», alors j'ai laissé aller.

Ça s'est passé hier, je ne sais pas quel a été le résultat!

Et c'est comme cela – ça peut t'arriver un jour à toi aussi! Alors là (riant), il faut que tu sois sur tes gardes!

Évidemment, c'est un très bon test pour la confiance des gens, autrement ils doivent... Pour quelqu'un qui n'a pas l’expérience que j'ai, ça a l’air d'une de ces incohérences numéro un!... Oh! on peut expliquer (on peut tout expliquer! ce n'est pas au-dessus de toute explication), mais à première vue, c'est un peu déconcertant.

Enfin...

Voilà.

Mais ne perds pas ton temps à noter ça.

Mais si! ça vaut la peine, ce sont les étapes.

Alors je te vois samedi? Ou c'est trop tôt?

C'est comme tu veux.

Écoute, après tout ce que je viens de te dire, où est le «je veux» là-dedans! (Mère rit)

Non, mais enfin c'est plutôt à toi de voir et de décider.

Je voudrais que tu fasses ton livre.

Il avance – pas vite.

N'est-ce pas, toutes ces choses, si je ne te les disais pas, ça disparaîtrait. Parce que je n'ai pas l’occasion de les dire à personne – comme bien tu le penses! Et demain, il y aura autre chose, après-demain encore autre chose, et tout ça recule dans un passé qui perd pour moi de l’intérêt de l’actualité.

Oui, qui perd POUR TOI, pas pour tout le monde!

Alors, pour que ça reste, il faut que je te voie.

Eh bien, oui!

Si je ne te vois pas, ça ne reste pas. Les résultats sont là, mais la chose elle-même disparaît.

Ce serait dommage. Mais je peux très bien venir plus souvent, si ça ne te...

(Mère prend les mains du disciple)


Au moment de partir

Je voudrais te dire une chose curieuse... Sujata m'a dit que depuis que tu es remontée au mois de mars, chaque fois qu'elle te voit la nuit, elle te voit PLUS GRANDE que tu n'étais avant!?

Mais tout le monde – tout le monde!

Et moi-même, quand je me vois, je suis très grande – qu'est-ce qui est arrivé?... C'est le nouvel être. Depuis le 12,9 je te dis, il y a... Quand est-ce que ça va se traduire physiquement? – Je ne sais pas.

C'est un être du physique subtil. Ce n'est pas un être vital, c'est un être du physique subtil, et je suis grande et forte.

Tu lui diras: ce n'est pas seulement elle, c'est général. Moi-même, n'est-ce pas, quand je me vois la nuit, je me vois comme cela. Peut-être... justement, il faudrait que ça (Mère touche son corps), ça cède. Mais je ne sais pas quand.

Pas d'âge – quelque chose qui n'est ni jeune ni vieux ni... c'est tout à fait différent. Et grande, forte.

Je me vois comme cela.

Et c'est physique-subtil. Tu peux lui dire.

Elle me dit: c'est drôle, depuis le mois de mars, je la vois plus grande.

Oui, quelque chose est venu qui veut se manifester ici, et alors on est en train, je vois bien qu'on est en train... Comment adapter ça, voilà?

Ils sont en train de faire des expériences! On va voir ce qui va arriver. C'est un travail assez nouveau! (Mère rit)

Alors, samedi.

(silence)

C'est justement dans l’ordre des choses qui me sont dites («dites», c'est une façon de parler, mais c'est une connaissance; c'est indiscutable, beaucoup plus indiscutable que des mots et tout ce qui passerait comme cela): un jour, ce sera concrètement visible, on le verra. J'attends! J'attends ça.

Mais si je dois attendre ça pour me montrer, alors ça prendra pas mal de temps.

Évidemment, logiquement, je devrais être invisible jusqu'au jour où j'apparaîtrai sous ma nouvelle forme. Mais ça n'a pas l’air d'aller vite! Pour le moment, ça ne change pas, excepté une sorte de sensation de force qui vient dans le corps – une sensation de force comme si ça POUSSAIT.10 Quelque chose de très concret.

On va voir! Il faut être patient.

Au revoir, petit.

Besoin de rien?11

30 juin 1962

(Mère donne au disciple une ancienne note à garder – nous ne nous souvenons malheureusement plus laquelle –, un de ces petits bouts de papier éparpillés un peu partout sur lequel Elle jetait la notation d'une expérience, ou plutôt concrétisait en verbe matériel la Force qui se manifestait alors. Puis Elle ajoute en manière de commentaire à cette note:)

C'est une expérience que j'ai eue des centaines et des centaines de fois: on a une expérience, profonde, vraie, mais imédiatement le mental, même le mental supérieur (généralement le mental supérieur), très actif, s'empare de ça et en fait SA chose, et alors il amène sa déformation.

Mais c'est seulement ajouté, ce n'est pas total: il y a quelque chose de tout à fait vrai derrière.

Ce sont toutes les barrières que le mental met à la Vérité...

J'avais écrit ça, pas pour te le donner. J'écris quelquefois et je garde des années et des années pour que... c'est un centre de concrétisation pour l’action. Si je ne l’avais pas écrit, je n'aurais pas pu si bien travailler – ce sont des documents occultes.1


(À propos de la dernière conversation et des «innombrables êtres vitaux» de Mère qui se sont réincarnés cette fois-ci «comme une pluie»:)

J'ai eu, quand j'étais petite, entre dix et douze ans je crois, des expériences plutôt intéressantes que je ne comprenais pas du tout. J'avais des livres d'Histoire – les livres d'Histoire qu'on vous donne pour apprendre l’Histoire – et je lisais ça, et puis tout d'un coup, c'était comme si le livre devenait transparent, ou les mots écrits devenaient transparents, et j'en voyais d'autres, ou je voyais des images. Je ne savais pas du tout ce qui m'arrivait! Et ça me paraissait tellement naturel que je pensais que tout le monde était comme cela. Mais j'étais très amie avec mon frère (il n'avait qu'un an et demie de plus que moi) et alors je lui disais: «Tu vois, dans l’Histoire on raconte des bêtises – c'est comme ça; ce n'est pas comme cela: c'est comme ça!» Et plusieurs fois, j'ai eu des corrections tout à fait exactes, de détails, à propos de telle personne ou de telle autre. Et c'étaient (je le vois maintenant, j'ai compris après), c'étaient certainement des souvenirs. Mais je disais même, à propos de certaines phrases qu'on écrivait: «Mais c'est idiot! ça n'a jamais été comme cela; ça a été dit comme ça. Ça n'est jamais arrivé comme cela; c'est arrivé comme ça.» Et c'était le livre – le livre était ouvert; simplement j'étais en train de travailler comme n'importe quel enfant et... il se passait quelque chose tout d'un coup. Naturellement c'était en moi, mais je croyais que c'était dans le livre!

J'ai eu beaucoup-beaucoup de renseignements sur Jeanne d'Arc, beaucoup. Et alors d'une précision foudroyante, qui étaient tout à fait, tout à fait intéressants – je ne répète pas parce que je ne me souviens pas exactement, et si ce n'est pas exact, ça n'a pas de valeur. Et puis, pour la Renaissance italienne: Léonard de Vinci, Monna Lisa; et pour la Renaissance française: François 1er, Marguerite de Valois,2 etc.

Deux fois, j'ai su que c'était quelque chose qui m'arrivait à moi, que ce n'étaient pas des images, mais alors ça a pris une autre forme. Une fois (j'étais plus âgée, j'avais une vingtaine d'années), c'était à Versailles. J'avais été invitée à dîner par un cousin qui avait donné du champagne pendant le dîner, sans me prévenir que c'était du champagne sec (moi qui ne prenais jamais de vin ni d'alcool!) alors je l’ai pris sans me méfier!... Quand il a fallu se lever et traverser la salle pleine de gens, oh! comme c'était difficile, très difficile! Puis nous sommes arrivés au-dessus du parc, à l’endroit près du château où on a toute la vue. Et alors je regardais ce parc, et j'ai vu là – j'ai vu le parc qui se remplissait de lumières (c'est-à-dire que les lumières électriques avaient disparu), de lumières de toutes sortes, des torches, des falots... et puis des tas de gens qui se promenaient... en costume Louis XIV! J'avais les yeux ouverts et je regardais ça, et je me tenais à la balustrade pour être sûre de ne pas tomber! parce que je n'étais pas très sûre de moi. Je voyais ça, puis je me vois là: toute une conversation avec des gens (maintenant je ne me souviens plus, mais là aussi, il y a eu des «rectifications»), c'est-à-dire que j'étais quelqu'un (je ne me souviens plus qui) et il y avait ces deux frères sculpteurs... (Mère cherche en vain à se rappeler du nom3), enfin toutes sortes de gens étaient là et je me suis vue, là, parlant, disant des choses. Et j'avais assez de contrôle parce que j'ai raconté tout ce que j'avais vu, et il paraît qu'il y avait des précisions et des rectifications tout à fait intéressantes. Ça, c'était une fois.

Une autre fois, c'était à Blois. À Blois, ils font du vin d'Anjou – c'est la même chose, je ne buvais jamais que de l’eau ou des tisanes, et il y avait un déjeuner; on nous a servi du vin d'Anjou mousseux qui avait l’air si léger!... Après (j'étais avec un ami artiste, nous étions tous entre artistes), on est allé voir le musée, et il paraît que j'étais pleine d'esprit! Et je me suis arrêtée tout d'un coup en face du tableau de... voyons, qui était-ce? Coué... Non, Clouet! Clouet, la princesse... une des princesses.4 Et j'ai commencé à faire des réflexions à haute voix (je me suis aperçue au bout d'un moment qu'il y avait des gens qui écoutaient), je disais: «Mais voyez, voyez! voyez cet individu, voyez ce qu'il a fait de moi! comment il m'a arrangée! – ce n'était pas du tout comme ça.» (C'était pourtant un beau tableau, mais je n'étais pas du tout contente.) Je disais: «Voyez comment il m'a arrangée! Voyez, il a fait ça, mais ce n'est pas comme cela, c'était comme ça!», des détails. Et puis je me suis aperçue (je n'étais pas très consciente physiquement), je me suis aperçue qu'il y avait des gens autour qui écoutaient, alors je me suis ressaisie – je n'ai rien dit, je suis partie. Mais je leur ai dit: «Écoutez, absolument c'était moi! c'était mon portrait, c'était moi!»

Presque tous mes souvenirs de vies antérieures ont été comme cela; c'est-à-dire que l’être qui s'est réincarné vient à la surface et il commence à agir comme s'il était seul là!... J'avais eu ça à quinze ans en Italie, mais alors d'une façon extraordinaire! Mais là, j'avais fait des recherches et retrouvé (j'étais à Venise avec ma mère et j'avais fait des recherches dans les musées, les archives; j'avais retrouvé mon nom, le nom des autres gens). J'avais revécu une scène au Palais Ducal, mais revécu d'une façon tellement... tellement absolument intense (riant, une scène où on m'étranglait et on me jetait dans le canal!) que ma mère a été obligée de m'emmener dehors en toute hâte... Mais ça, je l’ai écrit, alors le souvenir est resté correct; les autres expériences, je ne les ai pas écrites et les détails ont échappé tandis que là, c'est noté, mais je n'ai pas mis les noms. Le lendemain, j'ai cherché, j'ai retrouvé toute l’histoire. J'ai raconté tout ça à Théon et à Mme Théon, et lui, se souvenait d'une de ses vies, là, à ce moment-là. Et en effet, j'avais vu un portrait là-bas qui était absolument Théon! Le portrait d'un des doges. C'était absolument (c'était un portrait du Titien), absolument Théon! Son portrait, n'est-ce pas, comme si on l’avait fait maintenant.5

Toutes ces choses-là, c'est comme cela que je les ai eues, sans les chercher, sans les vouloir, sans les comprendre, sans faire de discipline, rien – tout à fait spontané. Et il y en a et il y en a et il y en a...

À partir du moment où j'ai rencontré Théon, tout ça s'est expliqué: j'ai vu clair, j'ai compris, j'ai organisé. Mais il y avait toute une partie qui était avant – tout ce que je t'ai raconté maintenant, c'était avant de rencontrer Théon.

Tu dis: «Ils sont venus l’un après l’autre, il y a même des choses qui ont été dans des hommes...»?

Une qui était dans Murât, le jour de sa grande victoire.6 C'était une force vitale qui s'était emparée de lui exprès pour cette victoire, et ça, c'est resté, et c'est venu en moi, et j'ai vu tout-tout! J'ai vu l’entrée dans le corps de Murât et toute la scène de la bataille, j'ai vécu tout ça. Et puis ça l’a quitté après, quand c'était fini. C'était très intéressant.

Je voudrais te demander... Je ne sais pas si c'étaient des incarnations de toi, Monna Lisa et Marguerite de Valois, mais tout de même elles sont contemporaines?!

Oui, mais je te l’ai dit, quatre à la fois!7

Quatre à la fois. Et généralement, c'étaient les différents états d'être de la Mère – les aspects, les quatre aspects. C'était généralement un des aspects dans chaque incarnation (quand il y en avait quatre). Ou bien l’une où il y avait moins de présence et l’autre où il y avait la présence de tel ou tel aspect. Quelquefois il y avait une présence un peu centrale et des émanations moins centrales, moins importantes.

Mais c'est arrivé plusieurs fois – plusieurs fois. Deux fois, c'était très clair. Mais souvent j'ai eu la sensation comme ça, que ce n'était pas seulement une incarnation: que le fait de l’Histoire s'est cristallisé autour de telle ou telle personne, mais qu'il y en avait d'autres, des incarnations moins... (comment dire?) moins voyantes, ailleurs.

Ce sont différents aspects de la Mère.


(Un peu plus tard, Mère reprend un passage de la précédente conversation où Elle disait que son incarnation présente sur la terre avait eu un effet non seulement terrestre, mais dans tous, les autres mondes et notamment parmi les dieux)

Tous ces êtres des panthéons divers, ces dieux, ces divinités, n'ont pas le même rapport avec le Suprême que l’homme qui a un être psychique, c'est-à-dire la présence du Suprême au-dedans de lui. Ces dieux sont des émanations – des émanations indépendantes – qui ont été faites dans un but spécial, pour une action spéciale, qu'ils remplissent SPONTANÉMENT: pas avec le sentiment d'une soumission constante au Divin mais parce que c'est ce qu'ils SONT, c'est pour cela qu'ils sont, et ils ne connaissent pas autre chose que ce qu'ils sont. Ils n'ont pas ce lien conscient avec le Suprême, que l’homme a – l’homme, qui porte en lui le Suprême.

Ça fait une différence considérable.

Mais avec cette présente incarnation de la Mahashakti – qui est la première manifestation du Suprême, le premier pas de la création –, depuis qu'Elle s'est incarnée dans le monde matériel (Elle est la Formatrice originelle de tous ces êtres) et par la position qu'Elle a prise dans le monde matériel vis-à-vis du Suprême du fait qu'elle s'est incarnée dans un corps humain, tous les autres ont été influencés, et d'une façon extrêmement intéressante.8 J'ai eu des rapports avec tous ces dieux, tous ces grands êtres, et pour la plupart leur attitude a changé. Et même ceux qui n'ont pas voulu changer, ça a tout de même influencé leur manière d'être.

Au fond, l’expérience humaine, avec cette incarnation directe du Suprême,9 est une expérience UNIQUE et qui a donné une orientation nouvelle à l’Histoire universelle... Sri Aurobindo parle de cela, il dit la différence entre l’époque védique, les relations védiques avec le Suprême, et l’apparition du Védanta (je crois que c'est le Védanta?): la dévotion, l’adoration, la bhakti, le Dieu intérieur.10 Eh bien, ce côté-là de la relation avec le Suprême ne pouvait exister qu'avec l’homme, parce que l’homme est un être spécial dans l’Histoire universelle – il y a la Présence divine. Et certains de ces grands dieux ont pris un corps humain pour avoir ça.11 Mais ils ne sont pas nombreux, parce qu'ils avaient tout à fait le sens de leur parfaite indépendance et de leur toute-puissance; il n'y avait pas de besoin (ce n'était pas comme l’homme, n'est-ce pas, qui se débattait dans son esclavage): ils étaient tout à fait libres.

Drôle?... Non, n'est-ce pas, ils débordent leur corps suffisamment pour que ça ne les étouffe pas.

Et c'est pour cela que... Combien de fois Dourga est venue! Toujours elle venait, et je l’avais à l’œil, comme ça (!) parce que je sentais bien que dans sa présence, il n'y avait pas cette relation avec le Suprême (elle n'en avait pas besoin, il n'y avait pas de besoin). Et ce n'est pas quelque chose qui a agi sur elle consciemment, volontairement, pour obtenir ce résultat: ça a été une contagion. Je me souviens qu'elle venait, et mon aspiration était si intense, mon attitude intérieure était si concentrée... un jour, il y avait un tel sentiment de puissance, d'immensité, n'est-ce pas, d'une béatitude inexprimable dans la relation avec le Suprême (un des jours où Dourga était là), et elle était comme prise, comme absorbée. Et c'est par cette béatitude qu'elle a fait sa soumission.

Très intéressant.

Pas du tout l’effet d'une volonté ou de quelque chose: elle a été submergée.

Ça, ce sont les mouvements de conscience, l’état de conscience où je suis à mon aise! (Mère respire) Mais j'ai fait beaucoup-beaucoup de discipline pour me concentrer ici [dans le corps]: il y avait quelque chose, depuis tout petit, quelque chose qui se sentait à l’étroit, écrasé, n'est-ce pas, comme ça, oh! et qui sentait une telle puissance que si ça s'exprimait (geste de debridement), tout allait être brisé.

Maintenant, c'est maté.

Voilà, tu as fini?

Non-non!

(Mère rit)

juillet




7 juillet 1962

(Le disciple lit à Mère quelques passages de son nouveau livre sur Sri Aurobindo. Le premier livre – Sri Aurobindo et la Transformation du Monde – avait été jugé «abstrait et fumeux» par l’Éditeur de Paris. Mère commente:)

Probablement, ils ne comprendront rien.

Pour moi, l’autre [livre] était plus évident.

Oui, pour moi aussi. Quand je l’écrivais, c'était plus intense. Là, je n'ai pas du tout le sentiment d'une inspiration quand j'écris ça.

Mon idée, c'était d'être tout à fait matériel, de raconter des histoires: de la vie de Sri Aurobindo, de l’Ashram, des choses comme cela.

Ça, c'est encore... (geste au-dessus de la tête). C'est pour des gens intelligents qui s'intéressent aux choses de l’esprit.

Je ne sais pas comment on peut ne pas dire ces choses...

Enfin ça va bien – c'est bien, ce n'est pas pour critiquer, je trouve ça très bien... Je trouve ça un peu trop là-haut encore.

Oh! écoute!

Bien, ça va bien (Mère rit). Un peu trop en haut pour eux.

Mais ce chapitre va être fini maintenant?

C'est simplement pour situer. Quand même, je ne peux pas m'empêcher de dire ce qu'apporte de nouveau Sri Aurobindo, parce que justement ce n'est pas toute cette Inde «spirituelle», on est bien forcé de leur dire cela d'une façon ou d'une autre, non?

Oui, tu le leur dis d'une façon très intelligente.

C'est dit simplement.

Ou-ui... Oh! ça pourrait être dit encore beaucoup plus simplement. Mais ça ne fait rien. Ce n'est pas pour te dire que ce n'est pas bien – c'est très bien.

Oh! tu sais, je n'ai aucune estime pour le genre d'inspiration qui me vient... Je veux dire que je sais que ça pourrait aussi bien être autre chose – ce n'est pas la chose «inévitable».

Non, l’inspiration, ça ne les touche pas, alors il n'en est pas question. Mais ce que tu écris là, c'est pour des gens intelligents et à l’esprit curieux et qui s'intéressent aux idées – est-ce qu'ils sont comme cela?

Mais j'ai l’intention, après ce prologue, de prendre le problème pratiquement: le moment où les gens arrivent au bout du mental, ils tournent en rond et ils ne trouvent rien – alors je leur parlerai des zones au-delà du mental et de ce qu'on peut découvrir quand on rentre en soi: le silence mental Je leur parlerai d'une discipline pratique. C'était cela, mon idée. Mon idée, c'est de prendre le yoga à un point de vue pratique, pas expliqué abstraitement: eh bien, voilà, on essaie de faire ça, et puis telle chose peut se produire – la transformation mentale, le changement dans le vital, les rêves, etc. Toutes les choses pratiques. C'est le point de vue psychologique que je voudrais envisager.

C'est bien. Au point de vue de l’Œuvre, de ce que tu produis, naturellement c'est très bien – c'est très intéressant, ça a besoin d'être dit, ça DOIT être dit. Est-ce que ce Monsieur qui a écrit cette lettre est capable d'y comprendre quelque chose? Ça, je mets un point d'interrogation.

Nous verrons.

S'il ne comprend pas, c'est qu'il ne comprendra pas de toutes façons.

Et si tu leur racontais qu'on fait de la gymnastique, qu'on a un swimming-pool!... [piscine].

Ça, je le dirai.

Ça, ils comprendraient. C'est-à-dire cet aspect-là; que ce n'est pas du tout des espèces de moines défroqués qui sont assis en rond pour des méditations, mais que toutes les activités de la vie sont admises et que chacun s'occupe: l’écrivain écrit, le peintre peint, et les enfants font de la gymnastique. Ça, ils comprendraient.

Je le dirai, mais plus tard, vers la fin. Après avoir envisagé ces changements de conscience, qui sont tout de même la base du travail, je montrerai comment pratiquement ça se traduit. Mais si je commence tout de suite par ça sans dire pourquoi c'est comme cela...

Oh! ça ne les gêne pas.

Moi, c'était cette partie-là que je voyais; je disais: «Il n'y a qu'à leur jeter ça à la tête», et voilà tout.

Mais il faut tout de même essayer de leur faire comprendre pourquoi c'est comme cela!

Non, ça, il faut que tu abdiques. «Essayer de leur faire comprendre», il faut enlever ça du tableau. Pour ta satisfaction personnelle, parce que ça rend la chose plus vraie, plus vivante, je suis d'accord, mais il faut enlever ces mots-là – «essayer de leur faire comprendre», c'est impossible. Je te dis, quand tu sors du fait matériel, comme ça (Mère se colle la main sur le nez), ils sont perdus. Si tu leur dis qu'on descend du train et qu'on voit, on vous dit: «Toutes ces maisons-là, c'est l’Ashram; ça, c'est la bibliothèque; ça, c'est le tennis-ground; ça, c'est le sports-ground; ça c'est...» Ah! ça, ils comprennent!

Ça va bien. Ce sera un très bon livre. Mais probablement il y aura seulement un petit morceau pour lequel ils diront: «Ah! enfin! voilà quelque chose de pratique.»

Que l’Ashram a commencé avec tant de gens – deux maisons et tant de gens –, c'est tout cela qu'on m'a demandé en Amérique. Quand j'ai demandé de l’argent en Amérique, c'est ça qu'ils m'ont demandé, c'est ça que j'ai dû leur envoyer: qu'à telle date on avait commencé avec deux maisons et puis que, petit à petit, comme ça, comme ça, comme ça, c'est devenu ce que c'est; que maintenant on a tant de maisons (Mère rit) et il y a tant de gens et on a tant de visiteurs par an, et que le Samâdhi est devenu un lieu de pèlerinage, que... enfin toutes les histoires qui vont dans les journaux – c'est ça, c'est ça que j'ai écrit en Amérique! J'ai rassemblé des papiers, des documents, des statistiques – ils étaient très contents. Si je leur avais dit seulement le quart de ce que tu dis, ils auraient dit: «Oh! pour l’amour du ciel, soyez pratique!»

«Pratique», ça veut dire ne rien comprendre de plus qu'eux.

C'est ça, la chose. Être pratique, c'est ne rien comprendre de plus que ce qu'ils comprennent!
Enfin, ça ne fait rien.

???

Ce que tu as écrit, c'est pour un public éclairé qui aime les idées – ça, c'est très bien. Mais ce n'est pas le livre qu'on achète pour quelques francs et qu'on lit dans le train entre deux stations. Ce n'est pas ça: il faut penser à ce qu'on lit, être tranquille. Être assis et penser – il n'y en a pas un sur des millions qui est comme ça! Ils ont ça dans leur poche, n'est-ce pas, quand ils sont dans le métro (pas le métro, peut-être, il n'y a pas le temps!) mais dans le train, ils tirent ça de leur poche et...

(le disciple a un geste découragé)

Non-non, n'arrête pas, continue, finis-le. Mais peut-être qu'ils te demanderont de couper (Mère rit) – il y aura des «longueurs»! Pourquoi vous étendez-vous tant sur les idées? C'est secondaire!

Je comprends. Mais je ne me vois pas capable de...

Non, fais ton livre tel que tu le vois.

Je voyais un livre psychologique. C'est-à-dire quelqu'un qui fait des recherches, qui cherche à comprendre. Pas philosophique mais psychologique, comme quelqu'un qui fait des expériences sur lui-même.

Hein?!

Un sur un million! Tu n'auras pas de lecteurs!

Non-non, les gens veulent «passer le temps», quelque chose qui les amuse et qui leur fait oublier pendant une demi-heure leurs embêtements, leurs soucis de ménage et d'affaires.

Ce n'est pas une critique que je te fais. C'est simplement de la prévision!

Non, continue. Ils te diront simplement: «Votre livre est très bien... mais il y a des longueurs. Si vous permettez nous les couperons.» (Mère rit) Voilà. Et alors, tout ce qui sera vraiment psychologique, ils prendront un grand ciseau et puis... (Mère rit)

Mais ça peut paraître séparément.

Continue. Il y a des choses là-dedans qui feront des articles séparés dans les revues pour gens sérieux, c'est-à-dire les gens qui aiment à penser – il n'y en a pas beaucoup.

Tu leur enverras, tu verras. S'ils disent de couper, on coupera et on enverra à un magazine. Et puis ils auront le livre avec des petites histoires, voilà.1


(Peu après, il est question des bandes magnétiques de plus en plus rares sur lesquelles le disciple enregistre ces conversations. Notons que Mère n'a jamais voulu utiliser les bandes qui existaient à l’Ashram.)

...Et puis, après tout, si ça s'en va, ça s'en va! Ce sera le Seigneur qui l’aura décidé, alors ça ne fait rien.

Il faut l’aider un peu, le Seigneur!

Il ne connaît pas le métier!! (Mère rit)

On a toujours cette impression-là: après tout, les choses de ce monde, est-ce qu'il les sait aussi bien que nous! (Mère rit beaucoup) C'est très amusant.


(Au moment de partir, Mère fait la remarque suivante à propos des résistances de l’Éditeur de Paris:)

Je suis en train de faire comme ça (Mère fait une pression du pouce). On ne sait pas, tout peut arriver! Et il se passe des choses assez intéressantes dans le monde, qui me font voir qu'il y a tout de même une réponse, ça répond un peu – je fais ça (même geste du pouce) et ce n'est pas tout à fait perdu. Ce qui s'est passé en Algérie,2 certaines choses qui se passent en Amérique aussi... il y a une réponse. Puis, tout d'un coup des gens (je crois que je te l’ai dit), qui ont des expériences tout à fait disproportionnées à leur état – des expériences comme s'ils avaient été projetés dans une courbe qui absorbe plusieurs vies. Ça, c'est ce qui arrive individuellement, il me semble. Les gens qui ont un minimum de confiance, eh bien, ils sont en train de gagner plusieurs vies... peut-être beaucoup de vies – mais le monde aussi.

C'est-à-dire qu'on met les bouchées doubles – beaucoup plus que doubles.

Mais c'est bien, ton livre.

Je dis toujours: «Soyez au moins en avant de deux générations.» Ça aussi, c'est en avance d'une génération sur eux.

11 juillet 1962

(Il est à nouveau question de la conversation du 4 juillet: «Il faut mourir à la mort pour naître à l’Immortalité.»)

Tu ne peux pas t'imaginer, quand j'ai dit ça, je venais de voir ça quelque part – quelque part dans une lumière éblouissante –, ça avait un sens merveilleux. Et naturellement, quand je l’ai prononcé, je me suis demandé pourquoi c'était... Ce n'était plus ça. C'était absolument merveilleux, ça expliquait... Ce n'est pas que ça expliquait tout mais c'était une révélation. Il a dû y avoir un défaut de transcription. Après, quand tu es parti, c'est revenu. J'ai regardé et je me suis dit: «Pourquoi ai-je dit que c'était si merveilleux!» Et j'ai compris, c'était quand je l’ai vu: c'était vu. J'ai vu ces mots, c'était plus éblouissant que les plus éblouissants diamants, et c'était plein d'un pouvoir de connaissance merveilleux, comme si ça contenait la clef des choses – quand je l’ai dit, c'est devenu presque plat. En tout cas, en comparaison, c'est tout à fait plat.

Ça t'a fait quelque chose quand j'ai dit cela?

J'ai senti qu'il y avait quelque chose là...

C'était une merveille! C'était un éblouissement! Et quand je n'ai plus eu que le souvenir de l’éblouissement (je l’ai encore), que je n'ai plus eu cette révélation, je me suis dit: «Qu'est-ce qu'il y avait dans ces mots? Qu'est-ce qu'il y avait donc dans ces mots: mourir à la mort?»... Ce mourir à la mort, c'était admirable, mon petit! Mais ce que j'ai dit n'est rien.

Quand tu l’as dit, j'ai eu l’impression qu'il y avait un secret là-dedans.

Oui-oui! C'était le POUVOIR de la chose.

Et c'étaient les mots – exacts mots –, mais ces mots... il y avait autre chose là-dedans. C'est peut-être la transcription?... Mais c'étaient ces mots-là pourtant.

C'est très intéressant.

Et maintenant, quand on essaye de comprendre, on trouve bien quelque chose, mais ce n'est rien.

Dès qu'on traduit, dès qu'on dit les choses avec le mental, c'est drôle, ça s'aplatit. On a l’impression que tout s'aplatit.

Oui, c'est fini, aplati-aplati – vidé.

Oui, il y a quelque chose qui est perdu, qui n'est absolument plus là... Il faudrait avoir un autre moyen d'expression.

Le silence, peut-être.

Mais non... je ne sais pas, j'imagine des ondes colorées?

Peut-être. Ah! ça, ce jour-là [13 avril], toute la création était des ondes colorées, mais pas des couleurs comme nous en avons ici, c'était... Ah! ce jour-là...

Pendant certainement plus de deux heures, c'était absolument... le monde, toute la création me donnait la même impression qu'un enfant qui joue, la relation était comme cela. Et alors quel jeu!

Mais c'était ça: c'était souriant, c'était facile. Mais c'était très joli. C'était très facile.

Ça ne s'est jamais effacé, c'est resté toujours là (geste derrière la tête). À n'importe quel moment, je peux de nouveau être plongée là-dedans. Mais ça alors, oui, c'est une différence au moins aussi grande que le «mourir à la mort»; c'est le même genre de différence qu'entre reprendre conscience de ce qui parle, et puis ça. Et c'est la même chose, ce «mourir à la mort» contenait tout le pouvoir de ça.1 Et c'était clair et c'était – c'était foudroyant de puissance. Et aussi cette impression: facile-facile. Il n'est pas question de difficile ni de facile: c'est spontané, c'est naturel, et c'est si souriant! Et ce «mourir à la mort» était si plein d'une joie! d'une joie!... N'est-ce pas, j'aurais dit: «Mais c'est évident! mais vous ne voyez donc pas que c'est évident! que c'est ça: il n'y a qu'à mourir à la mort et puis ça y est!»

(silence)

En ce moment, la nuit, tout d'un coup je suis mise (pendant une courte partie de la nuit) comme à un travail qui est à faire avec les constructions mentales de l’un, de l’autre. Et alors j'ai l’impression d'être en présence d'un Mensonge formidable! destructeur – et d'une contradiction totale avec, justement, cette Vibration créatrice qui se déroule indéfiniment.

Il y a des gens qui sont ici, des gens qui sont ailleurs (ça vient avec le nom), c'est-à-dire que c'est l’état mental (même le mental supérieur, pas quelque chose de très terre-à-terre), l’état mental de celui-ci ou de celle-là ou de... Ça vient individuellement. Et il y a une sorte de malaise qui prend mon corps, comme si j'étais en présence de... je ne sais pas, dans la vie ordinaire je dirais: «Va-t-en!» (Mère chasse vivement quelque chose). Mais là, ça m'est présenté pour que je fasse un certain travail (je connais la personne: il y en a qui sont ici, il y en a qui sont ailleurs – ce sont des gens avec qui je suis en rapport au point de vue du yoga). Alors je suis mise en présence de ces formations mentales et c'est tenu comme ça (Mère empoigne la chose à deux mains) pour que je ne m'en débarrasse pas. Puis, lentement (c'est certainement une très bonne occasion de devenir tout à fait fou!), j'amène la Vibration divine et je la tiens comme ça, sans bouger (Mère tient cette vibration à la poigne et l’enfonce comme une êpée de lumière), sans bouger... jusqu'à ce que tout s'évanouisse dans le silence.

Je n'ai pas eu l’occasion (riant) de leur demander ce qui leur était arrivé!

Peut-être qu'ils n'ont pas été conscients imédiatement, mais très certainement, ça aura un effet.

Ça ne se passait jamais avant, c'est tout à fait nouveau. Avant, il y avait cette Puissance qui se traduisait à travers le mental supérieur, là-haut (ce que Sri Aurobindo appelle le Surmental); c'était là-haut, comme cela, et alors ça dissolvait, ça dispersait, ça changeait, ça faisait tout un travail, et sans difficultés, sans effort (geste au-dessus de la tête comme pour montrer un flot qui coule tranquillement et irrésistiblement), ce n'était rien. Ça, c'était mon action de chaque seconde, constante, partout, tout le temps, avec toutes les choses qui viennent. Tandis que ça, c'est tout à fait nouveau – c'est tout à fait nouveau. C'est une sorte d'«imposition», presque comme une imposition sur le cerveau physique (je crois que ça doit servir à changer les cellules cérébrales), et alors il ne m'est permis qu'une seule chose: ça (Mère empoigne la construction mentale qui s'est présentée à elle), c'est comme cela en face de moi et ça ne me quitte pas, ça colle comme une sangsue, bouge pas. Et alors il faut amener la Vibration divine, suprême, cette Vibration que j'ai connue l’autre jour [13 avril], et puis tenir ça, comme cela, sans bouger (quelquefois ça prend longtemps)... jusqu'à ce que tout soit mis dans un silence divin.

(silence)

En ce moment, la nuit, tout d'un coup je suis mise (pendant une courte partie de la nuit) comme à un travail qui est à faire avec les constructions mentales de l’un, de l’autre. Et alors j'ai l’impression d'être en présence d'un Mensonge formidable! destructeur – et d'une contradiction totale avec, justement, cette Vibration créatrice qui se déroule indéfiniment.

Il y a des gens qui sont ici, des gens qui sont ailleurs (ça vient avec le nom), c'est-à-dire que c'est l’état mental (même le mental supérieur, pas quelque chose de très terre-à-terre), l’état mental de celui-ci ou de celle-là ou de... Ça vient individuellement. Et il y a une sorte de malaise qui prend mon corps, comme si j'étais en présence de... je ne sais pas, dans la vie ordinaire je dirais: «Va-t-en!» (Mère chasse vivement quelque chose). Mais là, ça m'est présenté pour que je fasse un certain travail (je connais la personne: il y en a qui sont ici, il y en a qui sont ailleurs – ce sont des gens avec qui je suis en rapport au point de vue du yoga). Alors je suis mise en présence de ces formations mentales et c'est tenu comme ça (Mère empoigne la chose à deux mains) pour que je ne m'en débarrasse pas. Puis, lentement (c'est certainement une très bonne occasion de devenir tout à fait fou!), j'amène la Vibration divine et je la tiens comme ça, sans bouger (Mère tient cette vibration à la poigne et l’enfonce comme une êpée de lumière), sans bouger... jusqu'à ce que tout s'évanouisse dans le silence.

Je n'ai pas eu l’occasion (riant) de leur demander ce qui leur était arrivé!

Peut-être qu'ils n'ont pas été conscients imédiatement, mais très certainement, ça aura un effet.

Pendant certainement plus de deux heures, c'était absolument... le monde, toute la création me donnait la même impression qu'un enfant qui joue, la relation était comme cela. Et alors quel jeu!

Mais c'était ça: c'était souriant, c'était facile. Mais c'était très joli. C'était très facile.

Ça ne s'est jamais effacé, c'est resté toujours là (geste derrière la tête). À n'importe quel moment, je peux de nouveau être plongée là-dedans. Mais ça alors, oui, c'est une différence au moins aussi grande que le «mourir à la mort»; c'est le même genre de différence qu'entre reprendre conscience de ce qui parle, et puis ça. Et c'est la même chose, ce «mourir à la mort» contenait tout le pouvoir de ça.2 Et c'était clair et c'était – c'était foudroyant de puissance. Et aussi cette impression: facile-facile. Il n'est pas question de difficile ni de facile: c'est spontané, c'est naturel, et c'est si souriant! Et ce «mourir à la mort» était si plein d'une joie! d'une joie!... N'est-ce pas, j'aurais dit: «Mais c'est évident! mais vous ne voyez donc pas que c'est évident! que c'est ça: il n'y a qu'à mourir à la mort et puis ça y est!»

(silence)

En ce moment, la nuit, tout d'un coup je suis mise (pendant une courte partie de la nuit) comme à un travail qui est à faire avec les constructions mentales de l’un, de l’autre. Et alors j'ai l’impression d'être en présence d'un Mensonge formidable! destructeur – et d'une contradiction totale avec, justement, cette Vibration créatrice qui se déroule indéfiniment.

Il y a des gens qui sont ici, des gens qui sont ailleurs (ça vient avec le nom), c'est-à-dire que c'est l’état mental (même le mental supérieur, pas quelque chose de très terre-à-terre), l’état mental de celui-ci ou de celle-là ou de... Ça vient individuellement. Et il y a une sorte de malaise qui prend mon corps, comme si j'étais en présence de... je ne sais pas, dans la vie ordinaire je dirais: «Va-t-en!» (Mère chasse vivement quelque chose). Mais là, ça m'est présenté pour que je fasse un certain travail (je connais la personne: il y en a qui sont ici, il y en a qui sont ailleurs – ce sont des gens avec qui je suis en rapport au point de vue du yoga). Alors je suis mise en présence de ces formations mentales et c'est tenu comme ça (Mère empoigne la chose à deux mains) pour que je ne m'en débarrasse pas. Puis, lentement (c'est certainement une très bonne occasion de devenir tout à fait fou!), j'amène la Vibration divine et je la tiens comme ça, sans bouger (Mère tient cette vibration à la poigne et l’enfonce comme une êpée de lumière), sans bouger... jusqu'à ce que tout s'évanouisse dans le silence.

Je n'ai pas eu l’occasion (riant) de leur demander ce qui leur était arrivé!

Peut-être qu'ils n'ont pas été conscients imédiatement, mais très certainement, ça aura un effet.

Ça ne se passait jamais avant, c'est tout à fait nouveau. Avant, il y avait cette Puissance qui se traduisait à travers le mental supérieur, là-haut (ce que Sri Aurobindo appelle le Surmental); c'était là-haut, comme cela, et alors ça dissolvait, ça dispersait, ça changeait, ça faisait tout un travail, et sans difficultés, sans effort (geste au-dessus de la tête comme pour montrer un flot qui coule tranquillement et irrésistiblement), ce n'était rien. Ça, c'était mon action de chaque seconde, constante, partout, tout le temps, avec toutes les choses qui viennent. Tandis que ça, c'est tout à fait nouveau – c'est tout à fait nouveau. C'est une sorte d'«imposition», presque comme une imposition sur le cerveau physique (je crois que ça doit servir à changer les cellules cérébrales), et alors il ne m'est permis qu'une seule chose: ça (Mère empoigne la construction mentale qui s'est présentée à elle), c'est comme cela en face de moi et ça ne me quitte pas, ça colle comme une sangsue, bouge pas. Et alors il faut amener la Vibration divine, suprême, cette Vibration que j'ai connue l’autre jour [13 avril], et puis tenir ça, comme cela, sans bouger (quelquefois ça prend longtemps)... jusqu'à ce que tout soit mis dans un silence divin.

(silence)

Je ne sais pas si c'est ce matin ou hier matin, quand je me suis levée le matin vers 4 h et demie, 5 h moins le quart... Tout de suite (comment dire?) volontairement et comme une habitude, je pense à toi. Et alors j'ai demandé: «Est-ce qu'il faut faire ça avec Satprem aussi?» [cette opération avec l’épée de lumière]. Je n'ai pas eu de réponse. Pour le moment, rien n'est venu encore.

Quand je pense à toi, ça va toujours dans une région très cristalline et très lumineuse – très cristalline, quelquefois avec des... un état où je peux communiquer sans heurts.

J'ai pourtant l’impression que c'est fermé.

Ce n'est pas fermé.

J'ai l’impression que je ne suis pas répandu comme cela (geste horizontal dans l’immensité).

Non, ce n'est pas comme cela (horizontal): c'est comme cela (vertical). Non, ce n'est pas universel. Et plus ça descend, plus... Mais moi, je suis toujours en contact avec toi au-dessus de ta tête.

Ce n'est pas avec des cloisons – non, il n'y a pas de murs, ce n'est pas comme cela. C'est plutôt une concentration avec (comment dire?) des irrégularités, en ce sens qu'il y a tout d'un coup une lumière très intense, des éclairs, et puis... ça s'atténue. Il y a des endroits qui sont très brillants et très réceptifs – qui reçoivent-reçoivent-recoivent; il y a d'autres choses qui sont... pas endormies mais plus passives. Et ce n'est pas comme cela (horizontal): c'est comme cela (vertical). Et puis toute l’activité est au-dessus de la tête – c'est très actif, très actif. Mais ce n'est pas enfermé dans des murs – très actif. De temps en temps, il y a un petit éclatement de lumière.

Je te vois toujours comme cela. Tu vis là, (geste au-dessus de la tête).

Tu as peu de contacts avec les réalités extérieures. Ta vraie vie est là. Ça descend un peu ici (Mère montre le haut du front) et c'est comme cela (geste au-dessus et autour de la tête). C'est plus grand que ton corps. Et ça, c'est très actif et très constant. Et puis de temps en temps, il y a comme une cascade – une cascade qui tombe (geste en perles), c'est brillant, c'est joli! C'est comme des fontaines lumineuses. C'est TRÈS joli! Ça tombe en pluie. Et puis alors, ici (haut du front), ça commence à bouger.

Ah! c'est bien, c'est intéressant.

*Je n'ai pourtant pas l’impression que c'est la vraie vie.

Ah! non.*

La vraie vie... ça viendra.

La vraie vie, c'est autre chose qui doit venir. C'est autre chose.

La vraie vie, c'est Sat-prem. Ce sera pour plus tard. Il faut que ça, ça sorte, alors tu auras l’impression de la vraie vie.

Ça viendra.

Et il ne faut pas être impatient, parce que quand on est impatient, on imite les choses. On imite les choses en soi, dans son expérience; on imite la réalisation (on n'en sait rien, on le fait très sincèrement) mais c'est l’impatience qui fait cela.

Ça ne peut venir dans sa pureté simple que quand... c'est le Seigneur qui fait tout, décide tout, agit, réalise, vit, a l’expérience. Quand c'est tout Son affaire, qu'on n'a absolument rien à faire et qu'on ne sait même pas Où ON est – alors... alors ça vient dans sa pureté, mais pas avant.

Ça, c'est la différence, la différence radicale depuis la dernière expérience [du 13 avril]: il n'y a plus rien que le Seigneur; le reste... qu'est-ce que c'est? C'est seulement une habitude de parler (même pas une habitude de penser, c'est tout parti), une habitude de parler; alors moins on parle, plus on est content. Autrement... plus rien. Et qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre?? – C'est Lui qui voit, c'est Lui qui veut, c'est Lui qui fait.

Alors tout vient, spontanément, simplement, avec une si grande simplicité.

Ça viendra, mon petit, pas d'impatience.

Pour le moment, c'est en bonne voie. C'est très bien.

Au fond, c'est toujours une espèce de désir plus ou moins déguisé d'avoir la satisfaction de sa réalisation (Mère fait le geste de s'asseoir). Je le sais, n'est-ce pas: on veut se voir être, se voir progresser, se voir agir, se voir... (Mère rit)

Voilà, mon petit.

14 juillet 1962

Mon petit, pour la première fois la nuit dernière, je t'ai vu, comme tu es, venir à moi, et je t'ai dit: «Oh! comme c'est bien!» Tu es venu comme cela (Mère fait un geste tout près de son visage) et tu me regardais. Je me suis dit: «Il est conscient!»

Tu n'étais pas conscient?

?...

Il était à peu près trois heures du matin.

Mais des visions, des visions symboliques dans le domaine mental, je t'ai vu très souvent, mais là, ce n'était pas ça: c'était le physique subtil, comme cela (même geste), et puis tu es venu comme une action délibérée, tu m'as regardée. Je t'ai dit: «Oh! comme c'est bien!»

J'ai eu un rêve de toi, mais j'ai l’impression que c'était quelque chose de fabriqué par le subconscient.

Non, alors c'est une transcription.

Un rêve bizarre, très bizarre. Il y avait une foule de gens qui t'attendaient, et puis tu devais apparaître – tu es apparue, tu es venue – et puis tu t'es évanouie tout d'un coup. Tu t'es évanouie parce que, je ne sais pas, tu étais malade physiquement ou quelque chose. Alors on t'a emportée. Il y avait une foule de gens qui attendaient pour te voir et qui me repoussaient en arrière (je me suis aperçu que j'étais vêtu en Sannyasin, entre parenthèses). Finalement, tout d'un coup, je suis allé près de toi (j'ai quitté toute cette foule), je suis allé tout près de toi et puis... tu m'as dit certaines choses. Lesquelles, je ne sais pas. Tu avais l’air toute petite – toute blanche mais toute petite et fatiguée, comme si justement tu venais de t'évanouir. Enfin tu vois, des choses comme cela...1

Non, je ne dormais pas, j'étais en concentration, et c'est dans la concentration, pendant que j'étais tout enveloppée des forces, c'est A TRAVERS ÇA que tu es venu, c'était très bien!

Bon. Ça va venir, c'est bon signe. J'étais très contente, j'avais l’impression: «Ah! quelque chose est en train d'arriver.»

Ça va venir.


(Le disciple lit à Mère un passage de la dernière conversation, où Elle disait: «C'est la différence radicale depuis l’expérience du 13 avril: il n'y a plus rien que le Seigneur, le reste... qu'est-ce que c'est? C'est seulement une habitude de parler (même pas une habitude de penser, c'est tout parti). Autrement... plus rien. Et qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre?? – C'est Lui qui voit, c'est Lui qui veut, c'est Lui qui fait.»)

Il y a là-dedans, tu vois, la même vibration que dans le «mourir à la mort». C'est quelque chose... oui, je crois, on pourrait dire: c'est Sa Présence... c'est Son Pouvoir créateur, c'est... C'est une vibration spéciale; tu ne sens pas, toi, comme quelque chose... quelque chose qui serait une super-électricité pure?

Quand on touche Ça, on voit que c'est partout, mais on ne s'en aperçoit pas.

Mais quand tu as lu ces mots, tout d'un coup c'est venu... Ce doit être le Pouvoir du Seigneur dans les vibrations matérielles.

C'est intéressant, c'est à étudier.


(Puis, à propos de la dernière conversation, lorsque Mère disait que pour avoir l’expérience dans sa pureté simple, il ne faut «même plus savoir où on est.» Tandis que «on veut se voir être, se voir progresser, se voir agir, se voir...»)

C'est vraiment ça [ce sens d'une position individuelle où on est un être particulier, planté dans un espace particulier, qui se regarde être ou se sent être], qui est parti avec la dernière expérience [13 avril]. Ça me gênait beaucoup avant. Je me disais toujours: «Comment est-ce qu'on peut se débarrasser de ça?»

Au fond, c'est aussi relié à ce «mourir à la mort», parce que, figure-toi, cette expérience du 12 au 13, pourquoi est-ce que je la vois toujours à ma gauche (Mère fait un geste à sa gauche) et assez loin, comme si j'avais fait de là à ici un trajet en plan, comme cela (geste horizontal), pour reprendre mon corps. Et que là (à gauche), je ne l’avais plus! Là, je ne l’avais plus: j'existais en pleine conscience, mais je n'avais plus mon corps – c'est cela qui me fait dire que mon corps était mort. Je ne l’avais plus... C'est loin, c'est loin d'ici, loin (pas dans le jardin!)... quelque part. Quelque part dans la conscience physique, à gauche, très loin. Et je suis venue en plan de là jusqu'ici pour m'apercevoir qu'il y avait encore un corps.2

Mais ce corps n'est plus mon corps: c'est un corps.

Seulement, petit à petit, la conscience reprend le contrôle, mais pas de la même façon. Et quand j'ai voulu comprendre, essayer de comprendre ce «mort à la mort», je me suis retrouvée là-bas (geste à gauche) et c'était comme si on me disait: «C'était ça, ton expérience.»

J'avais l’impression, là-bas, d'être beaucoup-beaucoup plus vivante qu'ici! Beaucoup plus. Et encore maintenant, quand je veux avoir cette impression de puissance et d'intensité de vie, c'est toujours par là-bas, c'est-à-dire que quand je veux retrouver mon expérience [du 13 avril], je m'en vais toujours là-bas, à gauche.

Pourquoi à gauche?...

(silence)

Oui, je me souviens cette nuit, j'ai dit: «Ah enfin! ça, c'est bien. Enfin! nous y sommes.»

Ça va.se traduire [matériellement].

Et je te voyais comme cela, comme je te vois maintenant, exactement pareil, seulement avec une intensité de vibration de plus, quelque chose de plus vibrant – n'est-ce pas, le monde physique pour moi est tout le temps voilé, c'est comme si on avait mis un étei-gnoir dessus –, eh bien, l’éteignoir n'était pas là; c'était exactement toi, les mêmes traits, la même expression, mais... intense. Intense, et tu me regardais (Mère fait un geste comme si le disciple la regardait sous le nez), comme si tu disais: «Ah! tu es comme cela?!» (Rires)

Alors j'étais très contente. Très contente: «Ah enfin! nous y sommes», c'était ça, l’impression. Enfin nous y sommes.

Dans quelques jours, ça va se traduire – quelques jours, je ne sais pas; là aussi, par là (geste à gauche), les jours, les mois ont un autre sens. Écoute, il y a des minutes (n'est-ce pas, je fais le tour de la chambre physiquement en répétant les Mots), il y a des tours – dix tours en une seconde! pourtant, c'est toujours la même marche; je crois que quelqu'un, physiquement, ne verrait aucune différence; eh bien, il y a de ces tours qui sont... dix, vingt, trente, une seconde! Il y en a, après, un seul tour, oh! c'est long, c'est long, ça n'en finit plus!

Et ça s'accompagne d'une perception automatique du temps – du temps des pendules –, assez curieuse (parce que tout est organisé à cause des allées et venues des gens qui m'entourent: à telle heure, telle chose; telle heure, telle chose), je n'ai pas besoin d'entendre la pendule: juste avant que la pendule sonne, je suis prévenue. Et il y a une partie [du japa] que je répète d'une certaine façon, étendue, parce que le Pouvoir est plus grand (ce ne sont pas des méditations: ce sont des actions), une autre partie en marchant. Alors je reste étendue un certain temps, je marche un certain temps, et à heure fixe celui-ci s'en va, tel autre arrive, etc.; mais tout ça, ce ne sont pas des gens (je ne le leur dis pas), ce ne sont pas des gens: ce sont des mouvements du Seigneur. Et ça, c'est tout à fait intéressant, parce que ce mouvement du Seigneur a tel genre de caractère, cet autre mouvement du Seigneur a tel autre genre de vibration, et tout ça s'accorde très bien pour faire un certain ensemble. Mais quand c'est l’heure, ça vient juste avant, exact: 6 heures, 6hl/2, 7h, 7hl/2, comme cela. Pas six, sept, avec des paroles, mais: c'est l’heure, l’heure, l’heure... Et en même temps que cela – qui est d'une exactitude pendulesque (!) une exactitude de pendule –, en même temps, j'ai cette autre notion du temps, qui n'est plus le même temps, qui est... Notre temps est une convention très rigide, mais c'est une formation vivante, qui a son pouvoir vivant dans le monde de l’exécution, ici. l’autre est... c'est le rythme de la conscience. Alors, suivant l’intensité de la Présence (c'est-à-dire qu'il y a une concentration et une expansion), suivant cette pulsation-là, qui n'est pas régulière et mécanique, qui est variable, les tours ne prennent pas de temps du tout, ou ils prennent énormément de temps. Mais ça ne gêne pas l’autre, il n'y a pas de contradiction; l’autre est sur un autre plan, c'est quelque chose de beaucoup plus extérieur; mais il a son utilité et sa loi propre, et l’un ne gêne pas l’autre.3

Et petit à petit il devient prévisible...4

(silence)

De temps en temps, on touche à la Vibration de l’Amour du Suprême, l’Amour créateur, l’Amour qui crée, soutient, maintient, fait progresser, et qui est la raison d'être de la Manifestation (c'était la traduction de Ça, ces grandes pulsations), et Ça, c'est quelque chose de si formidable et de si merveilleux pour la formulation matérielle, corporelle, que c'est comme si on le dosait. De temps en temps, on vous en donne un petit peu pour que vous sachiez que Ça, c'est le bout (enfin, le bout du commencement!)

Mais il ne faut pas se précipiter, surtout pas de désir. Être bien tranquille. Plus on est tranquille, plus ça dure longtemps. Si on est trop pressé, ça s'en va.

Je vois qu'il faut, il faut quelque chose, une sorte de capacité et de solidité extraordinaires pour pouvoir supporter Ça sans éclater. Et c'est ça qu'on prépare, lentement.

Il ne faut pas être pressé.

(silence)

Hier, pendant un certain temps, «on» m'a mis en rapport avec la façon de penser des gens, comment les gens pensent... Et alors j'ai vu qu'il faut faire bien attention – il vaut mieux se taire! parce que très facilement ils penseraient que c'est le grand déménagement! N'est-ce pas: «On est vieux, il y a l’artério-sclérose du cerveau, on devient un petit peu idiot, on retombe en enfance» – j'ai vu ça, c'était très amusant. J'ai vu, on m'a montré toute une façon de penser – ah! et ils se croyaient intelligents, ils croyaient qu'ils savaient beaucoup!

Enfin...

(silence)

Même dans l’Inde.

Et je commence à croire...

C'est ce que je constate quand on me met en rapport avec le monde extérieur, l’Europe.

...Mais enfin, le vieux monde est un vieux monde, dans le vrai sens du mot vieux. l’Inde est bien plus vieille mais elle est plus vivante. Mais maintenant, ça me fait l’effet d'une pourriture! Ils ont été pourris: tu sais, comme les fruits, comme quand on met un fruit pourri à côté d'un bon – l’Angleterre est venue, elle est restée trop longtemps. Ça a pourri beaucoup. Pourri beaucoup-beaucoup; c'est difficile de guérir de ça. Autrement, ce qui n'est pas pourri est très bien.

Mais là où il y a un petit quelque chose, comme il y a dans les petits enfants et dans les animaux, un petit quelque chose qui fait comme ça (Mère imite un oisillon qui passe le bec hors du nid et regarde autour de lui), qui fait presque cui-cui-cui, oh! éveillé, veut savoir: en Amérique. Ils ont une croûte qui est dure comme une carapace d'automobile – il faut casser ça à coups de marteau –, mais dessous, il y a quelque chose qui veut savoir. Qui ne sait rien! rien, tout à fait ignorant, mais oh! qui veut savoir – et c'est ça qu'on peut toucher. Ils seront peut-être les premiers réveillés.

Quelques-uns dans l’Inde, mais un mouvement plus général là-bas [en Amérique].

Tiens! eux, ils sont par là (Mère fait un geste à droite). Mais pourquoi sont-ils à droite?... Ah! sur la carte c'est comme cela! c'est de l’autre côté de cette mer? oui? (Mère regarde du côté de la plage de Pondichéry) Ah! c'est cela... Non, mais ça a affaire avec la droite – l’action. La droite, c'est l’action.

Ils sont bêtes! Ils sont bêtes! ils ne comprennent rien à rien, et pourtant... une flamme d'aspiration, tout d'un coup ça s'éveille. Et puis ils veulent savoir, ils veulent chercher, ils veulent trouver, ils veulent connaître, ils veulent... Ça fait comme ça (Mère clignote des yeux comme l’oisillon qui s'éveille), ça vibre et ça cherche.

Ils ont su rester très enfants.

Très enfants. Mais c'est charmant. C'est charmant.

(silence)

Tout ça, c'est pour la prochaine centaine d'années. Il va y avoir des changements.

(silence)

1900?... Eh bien, oui, c'est en 2000 que ça prendra une orientation claire. Tu seras encore là.

Je n'en sais rien!

Non, je ne parle pas de ce que l’on est quand on est «mort à la mort», je ne parle pas de ça. Je parle normalement, physiquement – combien de temps faut-il pour deux mille?

Euh...

Pas beaucoup, quarante ans.

Trente-sept ans.

Oui, c'est rien! C'est rien, c'est une minute – tu seras là de toutes façons, même sans mourir à la mort. Tu verras ça.

Oui, oui, c'est bientôt.

Toi aussi, tu seras là.

Ça, j'ai toujours été et je serai toujours, ça ne fait pas de différence.

(très long silence)

Il y a un moment où on se dira: «Tu te souviens, en telle année, on croyait qu'on faisait quelque chose!» (Mère rit)

Je me suis trouvée tout d'un coup, comme ça, projetée en avant: «Tu te souviens, là-bas (et c'est toujours à gauche – tiens, pourquoi?...) tu te souviens, là-bas, oh! on croyait qu'on faisait quelque chose, on croyait qu'on savait quelque chose!!»

C'est amusant.

(très long silence)

Oui, dans la conscience ordinaire, c'est comme un axe, et tout tourne autour de l’axe. Un axe qui est fixé quelque part, et tout tourne autour de l’axe – ça, c'est la conscience individuelle ordinaire. Et si ça bouge, on se sent perdu. C'est comme un grand axe (il est plus ou moins grand, il peut être tout petit), c'est planté tout droit dans le temps, et tout tourne autour. Ça s'étend plus ou moins loin, c'est plus ou moins haut, c'est plus ou moins fort, mais ça tourne autour d'un axe. Et maintenant, pour moi, il n'y a plus d'axe.

J'étais en train de regarder – il n'y en a plus, parti, envolé!

Ça peut aller là, ça peut aller là, ça peut aller là (geste aux différents points cardinaux), ça peut aller en arrière, ça peut aller en avant, ça peut aller n'importe où – il n'y a plus d'axe, ça ne tourne plus autour de l’axe. C'est intéressant.

Je pense que tu n'y comprends rien! (Mère rit)

C'est une intéressante expérience. Plus d'axe.

18 juillet 1962

(À propos de la vibration de l’Amour suprême dont Mère a eu l’expérience le [13 avril]:(/agenda/03/april-13-1962))

Il faut toute une préparation de la matière pour qu'elle soit assez forte pour contenir ces vibrations-là, et... c'est comme si l’on en donnait un peu, pour voir jusqu'où on peut le supporter; mais il y a imédiatement, dans toutes les cellules, et puis dans le cœur et dans les organes, une telle intensité de joie que c'est comme si tout allait éclater.

C'est-à-dire que c'est juste pour vous dire: «Tu vois, c'est ça.»

Je peux le faire venir à volonté, en ce sens qu'il suffit de se mettre dans un certain état pour que ça vienne. Mais alors je m'aperçois qu'il y a quelqu'un («quelqu'un», enfin c'est une façon de parler) qui dose, qui laisse le contact pendant un certain temps ou une certaine quantité, une certaine somme, et que c'est un Ordre de tout en haut, et par conséquent il n'y a rien à faire. Si l’on mettait la moindre impatience, ça gâterait tout – on perdrait probablement le pouvoir d'établir le contact. Je ne l’ai jamais fait et ne pense jamais le faire.

(silence)

C'est comme une image... Tu vois, le corps, il est là, étendu sur la chaise longue, c'est comme, tu sais, quand on fait des expériences sur les animaux? C'est un peu comme cela – c'est là, c'est «le sujet» sur lequel on fait l’expérience. Et puis ma conscience, la partie de la conscience qui est spécialisée dans l’expérience terrestre et la transformation actuelle (quand je dis «je», c'est cela). Et puis le Seigneur... Je dis «le Seigneur», j'ai adopté ça parce que c'est la meilleure façon de parler, c'est ce qui m'est le plus commode; mais JAMAIS, jamais je ne pense à un être. Pour moi, c'est un contact avec, à la fois, l’Éternité, l’Infinité, l’Immensité, la Totalité de tout – la totalité de tout, c'est-à-dire de tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera, et tout; et c'est comme cela, et ce sont des mots qui abîment. Mais c'est automatique, c'est ça. C'est ça, avec la conscience, la douceur et... la SOLLICITUDE. Avec toutes les qualités que peut donner une parfaite Personnalité (je ne sais pas si tu me comprends, mais c'est comme cela). Et «Ça» (je prends tous ces mots, n'est-ce pas, pour dire, et encore j'en laisse les trois quarts), c'est une expérience spontanée, constante, imédiate. Alors, ce «je» dont j'ai parlé, il demande pour le corps l’expérience, ou un petit commencement d'expérience, ou une ombre d'expérience, de cet Amour. Et chaque fois que c'est demandé, INSTANTANÉMENT ça vient. Mais alors, je vois les trois ensemble1 – les trois sont ensemble dans la conscience et la perception –, et je vois que c'est dosé et maintenu dans l’exacte proportion de ce que le corps peut supporter.

Le corps le sait: ça le rend un tout petit peu triste. Mais imédiatement, il y a quelque chose qui apaise, qui calme et qui rend immense. Le corps a imédiatement la sensation d'une immensité, et il retrouve son calme.

Je décris cette expérience, mais c'est exactement ce qui est arrivé hier (ça arrive tous les jours, mais hier c'était très clair). Et c'est encore là (n'est-ce pas, je le vois comme je le voyais, c'est encore là). Et au fond, c'est toujours là – c'est toujours là –, seulement ça fait plus «tableau» quand le corps est couché, immobile, dans le Yoga. Quand il marche, c'est un peu différent parce qu'il y a l’action. Quand il marche, il agit pour tout ce qui est en relation avec lui, alors ça fait quelque chose de plus vaste et de plus puissant. Mais quand il est couché comme cela et qu'il demande au Seigneur de prendre possession de lui, c'est avec toute son aspiration: il demande. Alors il y a ça, avec juste la possibilité d'une petite vibration d'émotion, par l’intensité de l’aspiration. Mais c'est imédiatement noyé dans une... immensité immobile de la matière, qui sent la Descente divine comme le ferment qui fait lever la pâte – c'est tout à fait ça, l’immensité terrestre de la matière et cette Descente divine qui fait lever la pâte... Ce sont des Vibrations d'une intensité qui dépasse tout ce que l’on est habitué à sentir – le vital paraît terne et plat à côté. Mais cette Sagesse! qui sait se servir du temps – c'est-à-dire qui se change en temps –, afin de... diminuer les possibilités de dégâts.

On voit bien que si cette flamme d'aspiration, cette flamme d'Agni, était laissée à elle-même dans son plein pouvoir, justement de transformation et de progrès, il y aurait très peu de considération pour le résultat du processus – le résultat du processus, c'est que le feu brûle. Et qu'il peut y avoir des accidents dans le fonctionnement des organes. Ils doivent tous subir une transformation, mais si la transformation était trop rapide et trop subite, eh bien, tout se détraquerait. Ça ferait éclater la machine, c'est tout ce qu'on arriverait à faire. Et cette Sagesse n'est pas une sagesse de la conscience universelle (je crois qu'elle n'est pas très sage!), c'est quelque chose d'infiniment plus haut qu'elle: c'est la Sagesse suprême. Ça, c'est tellement merveilleux! des choses que les forces universelles négligeraient à cause de leur jeu universel, Lui, Il les prévoit – c'est une merveille.

(silence)

Il ne faut pas être pressé.

On a du mal à imaginer comment un corps physique peut, par exemple, grandir ou s'élargir? Ça paraît inimaginable, tout cela.

C'est inimaginable parce qu'il est encore incapable de le faire.

Non, et puis tu ne vois pas. Si mon corps avait l’apparence de sa conscience (n'est-ce pas, il est conscient), s'il avait une apparence, si ce que l’on voit avec les yeux correspondait à ce qu'il sent, je crois que ce serait monstrueux! Ce serait hideux. Ou ce serait effrayant.

Ce que l’on voit avec les yeux est si mensonger, si mensonger!

Mais il se sent comme cela: DANS quelque chose, ou DANS quelqu'un, ou DANS une action – lui-même, lui-même n'est-ce pas. Il n'y a plus de limites, il n'y a plus de ça (Mère touche la peau de ses mains, comme si la séparation avait disparu). Tiens, par exemple, on me cogne par accident (ça arrive), on me cogne avec un objet ou avec un membre, eh bien, ce n'est jamais quelque chose qui arrive au-dehors: ça arrive dedans – la conscience du corps est beaucoup plus grande que mon corps. Hier, le pied de la table m'a cognée le pied; alors il y a eu la réaction extérieure ordinaire (parce que ça fonctionne automatiquement d'une curieuse façon, c'est-à-dire que le corps a eu un sursaut), et alors la conscience du corps – je parle maintenant de la conscience du corps –, la conscience du corps a vu, au-dedans de soi, qu'il y avait eu une rencontre inattendue, pas volontaire, de deux choses, au-dedans; et la conscience du corps a vu aussi que s'il faisait un certain mouvement de concentration dans cet endroit-là, au-dedans de lui-même, il y aurait une douleur ou un dégât, mais que s'il faisait cet autre mouvement de... (comment dire?) d'union, ou qui supprime les séparations (il peut le faire, il peut très bien faire cela), eh bien, le résultat de cet événement serait annulé – c'est arrivé. Je l’ai fait, n'est-ce pas; j'étais comme cela, assise, et j'ai laissé mon corps se débrouiller (moi, je regardais ça avec beaucoup d'intérêt), et j'ai remarqué que, justement, il sentait que le coup était dedans, n'était pas dehors – ce n'était pas quelque chose du dehors qui était venu cogner, c'était au-dedans de lui-même que deux choses s'étaient rencontrées d'une façon inattendue, ou plutôt pas prévue, pas voulue. Et j'ai suivi très bien que le corps a fait un mouvement d'identification plus complète (c'était parce que la table était mue par quelqu'un qui avait le sens de la séparation, et qu'avec le coup est venu ce sens, tu comprends, et alors naturellement le regret,2 etc., etc.), eh bien, le corps, simplement, est entré dans son état ordinaire où il n'y avait pas de sens de séparation, et l’effet a disparu ins-tan-ta-né-ment. C'est-à-dire que si on m'avait demandé: «Où vous êtes-vous cognée, à quel endroit?» j'aurais été incapable de le dire, je ne sais pas. Tout ce que je sais, à cause des mots prononcés, c'est que le pied de la table avait cogné mon pied à moi. Mais où? je ne saurais plus le dire, et je ne savais plus le dire cinq minutes après l’incident: c'était complètement disparu. Et c'est disparu par un mouvement volontaire.

Cette conscience du corps a une volonté; constamment-constamment elle fait appel à la volonté du Seigneur: «Seigneur, prends possession de ceci, prends possession de cela, prends...» (il n'est pas question de prendre possession de la volonté parce que c'est fait depuis très longtemps), mais: «Prends possession de ces cellules-ci, ces cellules-là, de ceci, de cela...» C'est l’aspiration DU CORPS. Et alors le coup n'était pas venu de ça, ce n'était pas cette volonté qui agit dans le corps qui avait produit ça: cela venait de quelque chose qui n'était pas «ça» directement, quelque chose qui avait passé par une inconscience, et alors il a tout simplement effacé, comme absorbé, digéré cet élément d'inconscience – et ça a complètement disparu!

Et tu sais comment il est? IMédiatement il s'est demandé (j'étais là à regarder d'en haut, je restais bien tranquille), il s'est demandé: «Mais si c'avait été (le «si» est toujours imbécile, mais c'est une vieille habitude corporelle), si c'avait été un instrument contondant, est-ce que ça aurait pu s'effacer aussi facilement?» (Mère rit) Alors j'ai entendu très clairement la réponse de quelqu'un qui lui a dit (je traduis): «Espèce d'imbécile! ce ne serait pas arrivé!» C'est-à-dire qu'il y aurait eu la protection nécessaire. La protection n'intervient que quand c'est nécessaire, pas seulement pour le plaisir de montrer qu'elle est là. Et c'était comme cela (je traduis librement): «Idiot! comme tu es bête! ce ne serait pas arrivé.»

Mais c'est un monde! un monde d'expériences. Avec une conscience qui est quelque part, là, très haut, mais qui voit très bien, qui regarde intéressée.

On ne peut pas, on ne peut pas s'imaginer – on ne PEUT PAS... Quand je (ça devient de plus en plus difficile, mais enfin), quand j'essaye de voir la vie, la façon dont les gens la voient, dont les hommes la voient d'ordinaire, ça devient une bouillie! je ne comprends plus rien, ça n'a plus de sens – plus rien n'a un sens. Mais simplement je suis prévenue, pour la nécessité de l’action, que personne ne peut comprendre – PERSONNE ne peut comprendre à quel point le Seigneur est mélangé, présent et agissant en toutes choses.

En toutes choses.

(silence)

Par exemple, quand Il me «dit» (et ce n'est pas comme cela, ce n'est pas extérieur; c'est quelque chose qui est d'un automatisme extrêmement délicat, et il n'y a pas de temps entre l’ordre et l’exécution, c'est-à-dire que ce ne sont pas deux mouvements: c'est une seule chose), quand Il dit: «Parle» ou qu'il dit: «Tais-toi», comme tu me l’as fait remarquer l’autre jour quand je me suis arrêtée au milieu d'une phrase, c'est que tout d'un coup... (Mère fait un geste comme si Elle était incapable de parler, ou comme si le silence s'était installé subitement en elle). Et à d'autres moments, ça sort comme maintenant. Et je n'«entends» pas un ordre, je ne «sens» pas un ordre: je VIS l’Ordre. Et que ce soit le Seigneur, c'est tellement évident que cela me paraît idiot de le dire.

Oh! il y a des choses si amusantes... l’autre jour, j'ai reçu T. Sa vieille mère est à Moscou, et sa vieille mère est vieille, c'est-à-dire qu'elle est sur le point de mourir et elle lui a demandé de venir la voir. Elle va y aller. Ce n'est pas une aventure sans danger. Et alors elle m'a écrit pour me demander si elle pouvait me voir avant de partir (je ne vois personne et je n'avais pas l’intention de la recevoir, mais ça a été décidé comme cela, je l’ai fait venir). On lui avait dit de ne pas parler, mais c'est impossible, c'est un moulin à paroles! Alors elle a commencé avec des lamentations (elle croyait probablement que c'était de bon ton) sur la «si grave maladie» que j'ai eue, et je ne sais quoi – je n'ai pas écouté. Je lui ai dit simplement: «Non, ce n'est pas ça, c'est le yoga.» Alors avec une effervescence de petit enfant qui ne sait rien: «Yoga! mais il ne faut pas que vous fassiez le yoga! mais il ne faut pas que...» À ce moment-là, il y avait la figure du Seigneur (la figure du Seigneur prend très souvent l’apparence de Sri Aurobindo – un Sri Aurobindo idéalisé, pas tout à fait ce qu'il était physiquement), et puis c'est venu là (contre le visage de Mère) et c'était bleu. Et puis Ça a dit à cette petite, Ça a fait toucher de mon doigt sa joue, comme cela (Mère tapote la joue de T): «Les petits enfants parlent de ce qu'ils ne savent pas.» Et c'était tellement Lui! C'est Lui qui parlait et je ne voyais plus que Lui, son apparence: «Les petits enfants parlent de ce qu'ils ne savent pas.»

Je ne sais pas quel air j'avais (je m'amusais beaucoup), mais elle a dû sentir quelque chose (elle n'a rien dit), elle a dû sentir quelque chose d'au moins étrange, parce qu'il y a eu un frémissement dans son être. Et quand elle est partie, elle a dit: «Je reviendrai peut-être avant mon départ, mais je ne demanderai pas à voir Mère»! (Mère rit)

Mais Ça, cette chose-là, c'était tout bleu – bleu. Et c'était Ça qui disait: «Les petits enfants parlent de ce qu'ils ne savent pas.» Voilà, je crois qu'il est l’heure.

21 juillet 1962

l’autre jour, tu parlais de l’Europe, tu disais que le «vieux monde est vraiment vieux...»

Ah! tiens, justement, on m'a lu hier une lettre que Sri Aurobindo avait écrite à Barin en 1920, au mois d'avril, quelques jours avant mon retour du Japon... C'était écrit en bengali – formidablement intéressant! Il parle de l’état du monde, l’état de l’Inde spécialement, et aussi comment il concevait une partie de son action après avoir fini son yoga. C'est tout à fait intéressant. Et il y a là des choses très élogieuses sur l’Europe. Sri Aurobindo disait à peu près ceci: «Vous croyez tous que l’Europe est finie, mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas encore fini», c'est-à-dire que son pouvoir existe encore.

C'était en 1920.

Mais c'était avant la guerre...

C'est très intéressant.

Pourtant, on a l’impression que si les Occidentaux comprenaient, avec cette espèce de sincérité qu'ils ont, ils iraient très vite.

C'est justement quelque chose comme cela que Sri Aurobindo a dit.

Parce qu'ils sont sincères.

Oui, ils ont une sincérité, sur un plan, qui n'est pas le même que la sincérité spirituelle. Mais ils ont une sincérité matérielle, une HONNÊTETÉ matérielle, et avec ça, s'ils comprenaient, ils iraient très vite.

Mais je crois que ce sera surtout une question d'individus: pas général.

Tu liras ça. Ça donne quelque chose d'un petit peu nouveau dans la pensée de Sri Aurobindo. C'est-à-dire que quand il parlait aux Indiens, il leur parlait plus sévèrement et il disait plus complètement quelle était son expérience de l’Occident.


ADDENDUM

Une lettre de Sri Aurobindo à son jeune frère Barin

Le 7 avril 1920

Mon cher Barin,

J'ai reçu ta lettre, mais je n'ai pas réussi à y répondre jusqu'à aujourd'hui. C'est même un miracle qu'en ce moment je sois assis pour t'écrire – écrire une lettre est pour moi un événement qui se produit tous les trente-six du mois; surtout en bengali, cela ne m'est pas arrivé depuis cinq ou six ans. Si j'arrive à terminer cette lettre et à la mettre à la poste, le miracle sera complet!

Parlons d'abord de ton yoga. Tu voudrais m'en remettre le soin. Je ne demande pas mieux, mais cela veut dire le remettre à Celui qui nous meut tous les deux, toi et moi, ouvertement ou secrètement, par sa divine Shakti [Énergie]. Et tu dois savoir que l’inévitable conséquence est qu'il te faudra marcher sur la voie particulière qu'il m'a ordonné de suivre et que j'appelle la voie du «Yoga Intégral». Ce avec quoi j'ai commencé – ce que Lélé1 m'a donné – n'était qu'une recherche du Chemin, un tour d'horizon – un premier contact, une mise en route, une manipulation ou un examen rigoureux de tel ou tel point des anciens yogas partiels, une expérience complète (si l’on peut dire) de l’un d'eux, puis la poursuite d'un autre.

Plus tard, après mon arrivée à Pondichéry, cet état d'instabilité a pris fin. Le Gourou du monde, qui est en nous, me donna alors toutes les instructions nécessaires à mon chemin: sa théorie complète, les dix membres du corps de ce yoga. Ces dix dernières années, Il m'a fait défricher le chemin par l’expérience, et ce n'est pas encore terminé. Cela peut prendre encore deux ans et tant que ce n'est pas fini, je doute que je puisse retourner au Bengale. Pondichéry est le lieu qui m'a été désigné pour la siddhi [réalisation] de mon yoga, sauf en fait pour une partie, qui est l’action. Le centre de mon travail est le Bengale mais, je l’espère, sa circonférence s'étendra à toute l’Inde et à la terre entière.

Je t'écrirai plus tard ce qu'est cette voie de yoga. Ou, si tu viens ici, je te l’expliquerai de vive voix. Dans ce domaine, parler vaut mieux qu'écrire. Pour le moment, je ne puis dire qu'une chose: son principe fondamental est d'harmoniser et d'unifier la connaissance complète, les œuvres complètes et la bhakti [amour] complète, en les haussant au-dessus du mental et en leur donnant une perfection complète sur le plan supramental ou Vijnâna. Le défaut des anciens yogas était que, ayant la connaissance du mental et la connaissance de l’Esprit, ils se satisfaisaient de l’expérience de l’Esprit dans le mental. Mais le mental ne peut saisir que ce qui est divisé et partiel; il ne peut pas capter absolument l’infini, l’indivisible. Les moyens dont il dispose pour atteindre l’infini sont le Sannyâsa [renoncement], le Moksha [libération] et le Nirvana, et rien d'autre. En fait, n'importe qui peut parvenir au Moksha sans forme, mais quel est l’avantage? Le Brahman, le Moi, Dieu, sont toujours là. Ce que Dieu veut dans l’homme, c'est s'incarner ici-bas dans l’individu et dans la collectivité, réaliser Dieu dans la vie.

Les anciennes voies de yoga n'ont pas réussi à harmoniser ni a unifier l’Esprit et la vie: au contraire, elles ont renié le monde, le considérant comme Mâyâ [illusion] ou comme un Jeu transitoire. Le résultat a été la perte de la puissance de vie et la dégénérescence de l’Inde. Selon la parole de la Guîtâ, «Ces peuples périront si je ne fais pas les œuvres.» Les peuples de l’Inde sont réellement tombés en ruine. Quelques sannyâsins et bairâguis [renonçants] devenus des saints parfaits et libérés, quelques bhaktas [amants de Dieu] qui dansent dans la folle extase de l’amour et dans l’émotion douce de l’Ananda [félicité], et puis une race tout entière devenue amorphe, vide d'intelligence, enfoncée dans un profond tamas [inertie] – est-ce là l’effet d'une spiritualité véritable? Non. Certes, nous devons d'abord obtenir toutes les expériences partielles possibles sur le plan mental, et inonder, illuminer le mental par la lumière spirituelle; mais ensuite, il faut passer au-dessus. Si nous ne passons pas au-dessus, c'est-à-dire sur le plan supramental, nous ne pouvons pas connaître l’ultime secret du monde – le problème qu'il pose n'est pas résolu. Dans le Supramental, l’ignorance qui crée la dualité de l’Esprit et de la Matière, la contradiction de la vérité de l’Esprit et de la vérité de la vie, disparaît. Là, il n'est plus nécessaire de dire que le monde est Maya [une illusion]. Le monde est le Jeu éternel de Dieu, la manifestation éternelle du Moi. Alors il devient possible de connaître Dieu entièrement et de Le posséder entièrement – de faire comme dit la Guîtâ: «Me connaître intégralement.» Le corps physique, la vie, le mental et l’entendement, le Supramental, l’Ananda, tels sont les cinq plans de l’Esprit. Plus l’homme s'élève sur cette voie ascendante, plus il s'approche de l’état de perfection suprême qui s'offre à son évolution spirituelle.

Le Supramental trouvé, il devient facile de s'élever jusqu'à l’Ananda. Alors on acquiert la base solide, l’état de l’Ananda indivisible et infini non seulement dans le Parabrahman [Absolu] hors du temps, mais dans le corps même, dans la vie, dans le monde. l’être intégral, la conscience intégrale, la Joie intégrale s'épanouissent et prennent forme dans la vie. Telle est la clef centrale de mon yoga, son principe fondamental.

Ce changement n'est pas facile à effectuer. Au bout de quinze ans, je n'en suis encore qu'au plus bas des trois échelons du Supramental et j'essaye d'y hisser toutes les activités inférieures. Mais lorsque cette siddhi [réalisation] sera complète, je suis absolument certain que Dieu, à travers moi, donnera aux autres, avec moins d'efforts, la siddhi du Supramental. À ce moment-là, mon vrai travail commencera. Je ne suis pas impatient du succès dans mon travail. Ce qui doit arriver arrivera au moment voulu par Dieu. Je ne suis pas porté à me hâter d'une façon désordonnée ni à me ruer dans le champ de l’action par la force du petit ego. Même si je n'avais aucun succès dans mon travail, je n'en serais pas troublé. Ce travail n'est pas le mien, c'est celui de Dieu. Je n'écouterai aucun autre appel. Quand Dieu me fait bouger, je bouge.

Je sais très bien que le Bengale n'est pas réellement prêt. Le flot spirituel qui est venu est en grande partie une forme nouvelle du vieux courant. Ce n'est pas la vraie transformation. Cependant, cela aussi était nécessaire. Le Bengale a retrouvé les anciens yogas et épuisé leurs sanskâras [vieilles tendances], extrayant leur essence et fertilisant ainsi le terrain. Ce fut d'abord le tour du Védanta: l’Advaïta, le Sannyâsa, la Mâyâ de Shankara, etc. Actuellement, c'est le tour du dharma vichnouite: la Lîlâ, l’amour, l’ivresse de l’expérience émotive. Tout cela est très vieux, inadapté à l’âge nouveau et ne durera pas – une excitation de ce genre est incapable de durer. Mais le mérite du bhâva [élan] vichnouite est qu'il garde un certain lien entre Dieu et le monde et qu'il donne un sens à la vie; cependant, comme c'est un bhâva partiel, il y manque le lien complet, le sens complet. La tendance à créer des sectes, comme tu l’as remarqué, était inévitable. Il est de la nature du mental de se saisir d'une partie et de l’appeler le tout, puis d'exclure tout le reste. Le Siddha [illuminé] qui apporte l’élan (bhâva), bien que s'appuyant sur un aspect partiel, garde tout de même une certaine connaissance de l’intégral, encore qu'il soit incapable de lui donner une forme. Mais ses disciples sont incapables d'avoir cette connaissance intégrale, justement parce qu'elle est sans forme – ils sont en train de lier leurs petites gerbes, laissons-les. Les gerbes se déferont d'elles-mêmes quand Dieu se manifestera Lui-même pleinement. Toutes ces choses sont le signe d'un manque d'intégralité et de maturité. Cela ne me trouble pas. Laissons la force spirituelle jouer librement dans le pays, sous n'importe quelle forme et en autant de sectes qu'on veut. Plus tard, nous verrons. C'est l’état infantile et embryonnaire de l’âge nouveau. Ce n'est qu'un premier aperçu, pas même un commencement.

La particularité de ce yoga est ainsi: tant que l’on n'a pas obtenu la siddhi [réalisation] au-dessus, la fondation ne peut pas être parfaite. Ceux qui m'ont suivi ont gardé beaucoup de vieilles empreintes (sanskâras); quelques-unes ont disparu mais certaines s'accrochent encore. Il y avait le sanskâra du Sannyâsa, et même le désir de créer un Aravinda Math [monastère de Sri Aurobindo]. Maintenant l’intellect a reconnu que le Sannyâsa [renoncement] n'est pas ce qu'il faut, mais l’empreinte de l’ancienne idée n'a pas encore été effacée du prâna [souffle]. Puis on parlait de rester au milieu du monde comme des hommes d'action mondaine, tout en pratiquant le renoncement. La nécessité de renoncer au désir a été comprise, mais le mental n'a pas réussi à harmoniser correctement la renonciation au désir et la joie de l’Ananda. On a accepté mon yoga parce qu'il s'accordait tout naturellement au tempérament bengali, mais moins sous l’angle de la connaissance que sous l’angle du karma [des œuvres] et de la bhakti [amour]. Un peu de connaissance est entrée, mais la plus grande partie a échappé; les brumes de la sentimentalité ne se sont pas dissipées; la routine du bhâva sattvique [esprit religieux] n'a pas été brisée. l’ego est encore là – en un mot, la connaissance n'a pas fleuri. Je ne suis pas pressé; je laisse chacun se développer selon sa nature. Je ne veux pas façonner tout le monde dans un moule unique. Ce qui est fondamental sera identique en tous, certes, mais s'exprimera en de multiples formes. Tout être se développe et se forme de l’intérieur. Je ne veux pas bâtir de l’extérieur. La base est là, le reste viendra.

Le but que je poursuis n'est pas une société enracinée dans la division, comme l’est la nôtre. Ce que j'ai en vue, c'est un Sangha [communauté] ayant sa base dans l’esprit et à l’image de son unité. C'est avec cette idée que le nom de Déva Sangha m'est venu, c'est-à-dire la communauté de ceux qui veulent la vie divine. Un Sangha de ce genre doit commencer par s'établir en un point, puis se répandre dans tout le pays. Mais si la moindre ombre d'égoïsme vient à s'abattre sur l’entreprise, le Sangha se changera en une secte. l’idée peut se glisser tout naturellement que telle ou telle organisation est le seul vrai Sangha et l’unique centre futur, que tout le reste doit être sa circonférence, et que tous ceux qui demeurent à l’extérieur de ses limites sont hors du bercail, ou même s'ils sont dedans, qu'ils se sont écartés du droit chemin parce qu'ils pensent différemment.

Tu peux dire: «Quel besoin avons-nous d'un Sangha? l’important est que je sois libre et que je vive dans toutes les formes; devenons tous l’Un sans forme, et arrive ce qui peut au sein de cette immensité sans forme!» Il y a là une vérité, mais ce n'est qu'un aspect de la vérité. Nous n'avons pas seulement affaire à l’Esprit sans forme; nous devons aussi gouverner le mouvement de la vie. Et il ne peut y avoir aucun mouvement effectif de vie sans une forme. C'est le Sans-Forme qui a pris forme, et s'il s'est revêtu du nom et de la forme, ce n'est pas par un caprice de Mâyâ [l’Illusion]. La forme est là parce qu'elle est indispensable. Nous ne voulons exclure de notre domaine aucune des activités du monde. Politique, industrie, société, poésie, littérature, art – tout restera –, mais à chacune nous devons donner une âme nouvelle et une forme nouvelle.

Pourquoi ai-je abandonné la politique? Parce que notre politique n'est pas quelque chose qui appartienne authentiquement à l’Inde; c'est une importation et une imitation européennes. Elle a été nécessaire à un certain moment. Nous aussi, nous avons fait une politique de type européen. Si nous ne l’avions pas faite, le pays ne se serait pas relevé et nous n'aurions pas acquis l’expérience qu'il faut pour nous développer complètement. Cette politique est encore nécessaire dans une certaine mesure, pas tellement au Bengale mais dans les autres États de l’Inde. Cependant, il est temps d'empêcher l’ombre de grandir et de s'emparer de la réalité. Nous devons trouver l’âme véritable de l’Inde et façonner toutes les œuvres à son image.

Les gens parlent maintenant de «spiritualiser la politique», mais en admettant que l’on arrive à quelque résultat durable, il en sortira une sorte de bolchevisme indianisé. Je n'ai aucune objection même à ce genre de travail – que chacun agisse selon son inspiration. Mais ce n'est pas la vraie chose. Si l’on verse la force spirituelle dans tous ces récipients impurs – les eaux de l’Océan originel dans des vases d'argile brute –, ou bien les vases seront brisés et l’eau gaspillée, ou bien le pouvoir spirituel s'évaporera et seule la forme impure restera. Il en est ainsi dans tous les domaines. Je puis donner le pouvoir spirituel, mais ce pouvoir sera utilisé à sculpter une statue de singe et à l’asseoir sur le trône dans le temple de Shiva. Si le singe est doué de vie et de puissance, il pourra jouer le rôle du fervent Hanoumân et accomplir de grandes œuvres pour Râma,2 aussi longtemps que la vie et le pouvoir demeureront en lui. Mais ce que nous voulons dans le temple de l’Inde, ce n'est pas un singe, Hanoumân, c'est le dieu, l’avatar, Râma lui-même.

Nous pouvons nous mêler aux autres, mais pour les attirer tous dans le vrai chemin et en gardant intacts l’esprit et la forme de notre idéal, sinon nous perdrons notre direction et le vrai travail ne sera pas fait. Si partout nous restons comme des individus séparés, quelque chose peut être accompli, c'est vrai; mais si partout nous restons comme les membres d'un même Sangha, nous pouvons accomplir cent fois plus. Cependant, le temps n'est pas encore venu pour cela. Si nous essayons trop tôt de donner une forme à notre communauté, cela risque de ne pas être la chose exacte que nous voulons. Au début, le Sangha n'aura pas une forme concentrée: ceux qui ont accepté l’idéal seront unis mais ils travailleront en différents endroits. Plus tard, ils pourront former une sorte de communauté spirituelle et constituer un Sangha compact. Ils donneront alors à toutes leurs œuvres une forme répondant à l’exigence de l’Esprit et au besoin de l’époque; non pas une forme ligotée et rigide, un achalâyatana [une prison],3 mais une forme libre qui se répandra comme la mer, se modelant en vagues innombrables, ici englobant une chose, là inondant une autre, et finalement embrassant tout. Si nous procédons ainsi, une communauté spirituelle s'établira progressivement. Telle est mon idée actuelle. Jusqu'à présent, elle ne s'est pas complètement développée. Tout est entre les mains de Dieu; quoi qu'il nous fasse faire, c'est cela que nous ferons.

Relevons maintenant quelques points particuliers de ta lettre. Je ne veux pas m'étendre ici sur ce que tu as dit de ton yoga. Nous aurons une meilleure occasion de le faire quand nous nous rencontrerons. Considérer le corps comme une carcasse est la marque du Sannyâsa, de la voie du Nirvana. On ne peut pas vivre la vie du monde avec cette idée. On doit avoir la félicité en toutes choses – aussi bien dans le corps que dans l’Esprit. Le corps possède une conscience, il est la forme de Dieu. Lorsqu'on voit Dieu dans tout ce qui est au monde, lorsqu'on a cette vision: «Tout ceci est Brahman, sarvam idam brahma; Vâsoudeva est tout ceci, vâsoudeva sarva-miti», alors on a la félicité universelle. Le flot de cette félicité se précipite et se répand même à travers le corps. Lorsqu'on est dans cet état et rempli de la conscience spirituelle, on peut mener la vie conjugale et vivre dans le monde. Dans toutes les œuvres, on trouve l’expression de la félicité de Dieu. Jusqu'à présent, j'ai travaillé à transformer tous les objets et toutes les perceptions du mental et des sens en félicité sur le plan mental. Maintenant, ils prennent la forme de la félicité supramentale. Dans cet état, se trouvent la vision et la perception parfaites de Satchidânanda.

À propos du Déva Sangha, tu dis: «Je ne suis pas un dieu, je ne suis qu'un morceau de fer bien martelé et passé à la trempe.» Personne n'est un Dieu, mais en tout homme un Dieu réside, et Le manifester est le but de la vie divine. Cela, nous pouvons tous le faire. Je reconnais qu'il y a de grands et de petits âdhârs [récipients]. Je ne crois pas vraie cependant la description que tu fais de toi. Quelle que soit la nature du récipient, dès que le toucher de Dieu est là, dès que l’esprit est éveillé, grand ou petit, cela ne fait pas beaucoup de différence. Il peut y avoir davantage de difficultés, il peut falloir plus de temps, ou il peut y avoir une différence dans la manifestation – mais ce n'est même pas sûr. Le Dieu intérieur ne tient aucun compte de ces obstacles et de ces insuffisances. Il se fraye un passage malgré tout. N'avais-je moi-même que peu d'imperfections? Dans mon mental, mon cœur, ma vie et mon corps, y avait-il moins d'obstacles? Cela n'a-t-il pas pris du temps? Dieu m'a-t-il moins martelé? Jour après jour, minute après minute, j'ai été façonné en je ne sais quoi, dieu ou autre chose. Mais je suis devenu ou suis en train de devenir quelque chose. C'est suffisant, puisque c'est cela que Dieu a voulu bâtir. C'est la même chose pour tout le monde. Ce n'est pas notre force mais la Shakti [l’Énergie] de Dieu qui est le sâdhaka [l’ouvrier] de ce yoga.

Je vais te dire rapidement une ou deux choses que j'ai vues depuis longtemps. À mon avis, la principale cause de la faiblesse de l’Inde n'est pas la sujétion ni la pauvreté ni le manque de spiritualité ou de dharma [morale], mais le déclin de la puissance de pensée, la croissance de l’ignorance dans la patrie de la Connaissance. Partout, je vois l’incapacité ou la paresse de penser – l’impuissance de la pensée ou la phobie de la pensée. Quels que soient les mérites du Moyen âge, cet état de choses est à présent le signe d'une terrible dégénérescence. Le Moyen âge était la nuit, l’époque de la victoire de l’ignorance. Le monde moderne est l’époque de la victoire de la connaissance. Celui qui pense le plus, qui cherche le plus, qui travaille le plus, celui-là peut sonder et apprendre la vérité du monde et acquérir d'autant plus de Shakti [force]. Si tu regardes l’Europe, tu verras deux choses: un vaste océan de pensée et le jeu d'une force énorme, rapide, et pourtant disciplinée. Toute la Shakti de l’Europe tient à cela. Et par la force de cette Shakti, elle a dévoré le monde, comme nos tapaswins [ascètes] de jadis dont le pouvoir terrifiait même les dieux et les tenait dans l’inquiétude et la soumission. On dit que l’Europe court à sa perte. Je ne le pense pas. Toutes ces révolutions et ces bouleversements sont les conditions préliminaires d'une création nouvelle.

Maintenant, regarde l’Inde. À part quelques géants solitaires, on trouve partout notre «homme simple», c'est-à-dire l’homme moyen qui ne veut pas et ne peut pas penser, qui n'a pas la moindre Shakti sauf une excitation temporaire. Dans l’Inde, on veut la pensée simple, le mot facile. En Europe, on veut la pensée profonde, le mot profond. Là-bas, même l’ouvrier ordinaire ou l’artisan pense, veut savoir, ne se satisfait pas de choses superficielles, il veut aller derrière les choses. Pourtant, il y a une différence: la force et la pensée de l’Europe recèlent une limitation fatale. Quand elle pénètre dans le domaine spirituel, son pouvoir de pensée ne peut plus se mouvoir. Là, l’Europe ne voit que des énigmes, des métaphysiques nébuleuses, des hallucinations yoguiques. Ils se frottent les yeux comme dans un nuage de fumée et n'arrivent pas à voir clair. Cependant, en Europe, on commence à faire quelque effort pour surmonter même cette limitation. Nous, nous avons déjà le sens spirituel – nous le devons à nos ancêtres – et quiconque possède ce sens tient à sa disposition une telle Connaissance et une telle Shakti que d'un souffle il pourrait balayer toute cette force prodigieuse de l’Europe comme un fétu de paille. Mais pour obtenir cette Shakti, il faut être un adorateur de la Shakti. Nous ne sommes pas des adorateurs de la Shakti: nous sommes des adorateurs de la voie facile. Mais la Shakti ne peut s'obtenir par la voie facile. Nos ancêtres ont plongé dans un océan de vastes pensées, ils ont acquis une immense Connaissance et édifié une puissante civilisation. Chemin faisant, la fatigue et la lassitude se sont abattues sur eux. La force de pensée a diminué; avec elle, le puissant courant de la Shakti. Notre civilisation est devenue un achalâyatan [une prison], notre religion une bigoterie de pratiques extérieures, notre spiritualité une lueur confuse ou une vague passagère d'ivresse religieuse. Tant que cela dure, toute résurrection permanente de l’Inde est improbable.

Au Bengale, cette faiblesse atteint son paroxysme. Le Bengali a une intelligence vive, de la sensibilité et de l’intuition. Ces qualités se sont davantage développées chez lui que dans le reste de l’Inde. Toutes sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes. Si, à cela, on ajoutait la profondeur de pensée, la force tranquille, le courage héroïque, la capacité et la joie d'un travail régulier, le Bengali pourrait être un chef, non seulement de l’Inde mais de l’humanité. Mais il ne le désire pas, il veut tout obtenir facilement: la connaissance sans l’effort de penser, les fruits sans le labeur, la siddhi [réalisation] après une sâdhanâ [pratique] facile. Sa ressource, c'est l’excitation du mental émotif. Mais l’excès d'émotion sans la connaissance est le symptôme même de la maladie. Cela aboutit finalement à la fatigue et à l’inertie. Le pays a constamment et progressivement décliné. Le pouvoir de vie a décru. À quoi le Bengali est-il arrivé dans son propre pays? Il ne gagne pas assez pour se nourrir et s'habiller, ce ne sont que lamentations de tous côtés; sa richesse, ses affaires, son commerce, ses terres, son agriculture même passent aux mains des autres. Nous avons abandonné la sâdhanâ de la Shakti, et la Shakti nous a abandonnés. Nous faisons la sâdhanâ de l’Amour, mais quand il n'y a ni Connaissance ni Shakti, l’amour ne peut pas demeurer, l’étroitesse et la mesquinerie prennent la place, et dans un mental étroit et mesquin il n'y a pas de place pour l’amour. Où est l’amour au Bengale? Il y a plus de querelles, de jalousies, d'antipathies mutuelles, d'incompréhensions et de factions que partout ailleurs, même en cette Inde si affligée par la division.

À l’époque héroïque et noble du peuple aryen,4 il n'y avait pas tant de bruit, de cris et de gesticulations, mais leurs entreprises restaient inébranlables pendant des siècles. Les entreprises des Bengalis ne durent qu'un jour ou deux.

Tu dis qu'il faut un fol enthousiasme et remplir le pays d'excitation émotive. Au temps du Swadeshi [lutte pour l’indépendance, boycott des produits anglais], nous avons eu tout cela dans le domaine politique, mais ce que nous avons fait est maintenant tombé en poussière. Y aura-t-il un meilleur résultat dans le domaine spirituel? Je ne dis pas qu'il n'y ait pas eu de résultat. Il y en a eu. Tout mouvement produit un résultat, mais c'est surtout de l’ordre d'un accroissement des potentialités. Mais ce n'est pas la bonne méthode pour réaliser la chose stablement. Par conséquent je ne veux plus prendre pour base l’excitation émotive ni quelque ivresse du mental. Je veux fonder le yoga sur une vaste et puissante équanimité. Sur cette égalité, je veux que s'établisse une Shakti complète, ferme, inébranlable, dans l’organisme et dans tous ses mouvements. Je veux une large manifestation de la lumière de la Connaissance au sein d'un océan de Shakti. Et je veux, dans cette lumineuse immensité, la tranquille extase de l’amour, de la félicité et de l’unité infinis. Je ne veux pas avoir des centaines de milliers de disciples. Si je puis trouver une centaine d'hommes complets, purifiés du petit égoïsme, et qui seront les instruments de Dieu, ce sera suffisant. Je n'ai aucune foi en le vieux métier de gourou. Je ne veux pas être un gourou. Si quelqu'un éveille et manifeste de l’intérieur sa divinité endormie et s'il arrive à la vie divine, que ce soit par mon contact ou celui de quiconque, c'est tout ce que je veux. Ce sont ces hommes-là qui relèveront le pays.

Ne t'imagine pas, d'après ce discours, que je désespère de l’avenir du Bengale. Moi aussi, comme ils le disent, j'ai l’espoir qu'une grande lumière se manifestera cette fois au Bengale. Mais j'ai essayé de montrer le revers de la médaille, où est la faille, l’erreur, la déficience. Si cela persiste, la lumière ne sera pas une grande lumière et elle ne sera pas permanente.

La raison de cette lettre extraordinairement longue est que, moi aussi, je boucle mon sac. Mais je crois que ce sac-là sera comme le filet de Saint-Pierre, plein à craquer des seules captures de l’Infini. Je ne vais pas ouvrir mon sac maintenant. Si je le faisais avant le temps, tout s'échapperait. Je n'ai pas non plus l’intention d'aller au Bengale pour le moment, non pas parce que le Bengale n'est pas prêt mais parce que moi, je ne suis pas prêt. Un homme insuffisamment mûr parmi des hommes insuffisamment mûrs, quel travail peut-il faire?5

Ton Sejdâ6

Sri Aurobindo

25 juillet 1962

(Le disciple lit à Mère un passage de son manuscrit sur Sri Aurobindo, concernant le silence mental.)

C'est très bien.

C'est gris.

C'est la fin du chapitre?

Et le prochain?

Je ne sais pas justement.

Tu ne sais pas encore?

Je voulais d'abord parler de la conscience (dire ce que c'est que la conscience), puis je m'aperçois qu'il vaut mieux d'abord parler du vital, parce que le vital... avant d'arriver à quoi que ce soit, il faut le tranquilliser.

Pas forcément.

Moi, je crois que je commencerais par la conscience et je ferais le vital après.

Mais si je parle de la conscience, je suis amené à parler de l’ascension de la conscience et donc du supraconscient. Alors est-ce que je peux parler de tout cela avant de parler du vital?

Oui.

(silence)

En fait, si je vois quel a été l’ordre de mon yoga... Quand j'avais cinq ans (je devais avoir commencé avant mais le souvenir est un peu vague, il n'y a rien de précis), mais à partir de cinq ans, j'ai dans la conscience (pas le souvenir mental mais dans la conscience... comment dire? c'est noté, la notation), eh bien, j'ai commencé par la conscience. Sans savoir du tout ce que c'était, bien entendu. Et la première expérience que j'ai eue, c'était celle de la conscience ici (geste au-dessus de la tête), que je sentais comme une Lumière et une Force, et que je sentais là (même geste) à cinq ans.

C'était une sensation très agréable: je m'asseyais dans un petit fauteuil qui avait été fait exprès pour moi et j'étais toute seule dans la chambre et je... (je ne savais pas ce que c'était, rien du tout, n'est-ce pas, rien-rien, mentalement zéro), et une sorte de sensation très agréable de quelque chose qui était très fort et très lumineux, et qui était là (au-dessus de la tête): la Conscience. Et l’impression était: c'est ça que je dois vivre, que je dois être – naturellement pas tous ces mots, mais... (Mère fait un geste d'aspiration vers le Haut), et puis je tirais ça en bas, parce que c'était ça qui était... vraiment la raison d'être de moi.

C'est le premier souvenir que j'ai: cinq ans. Et ça a agi plutôt dans un sens éthique que dans un sens intellectuel. Et pourtant sous une forme intellectuelle aussi puisque, par exemple... N'est-ce pas, j'étais un enfant comme tous les autres apparemment, excepté que, paraît-il, j'étais difficile – difficile, c'est-à-dire pas intéressée par la nourriture, pas intéressée par les jeux ordinaires, n'aimant pas aller chez les camarades pour goûter parce que ce n'était pas du tout intéressant de manger des gâteaux! Et impossible de me punir parce que je m'en fichais tout à fait: si on me privait de dessert, c'était plutôt un soulagement! Mais refusant absolument de lire, d'apprendre à lire, refusant d'apprendre; et même très difficile au point de vue de la toilette parce que, étant entre les mains d'une Anglaise, on voulait me donner des bains froids, que mon frère acceptait très bien, mais moi je hurlais! Plus tard, il a été prouvé – parce que le docteur l’a dit – que ce n'était pas bon pour moi, mais c'était beaucoup plus tard. Bon, voilà le tableau.

Mais quand, avec les relations, les camarades, les amis, il y avait des difficultés et que je sentais toute la méchanceté ou la mauvaise volonté – toutes sortes de choses qui n'étaient pas jolies, qui venaient –, j'étais assez sensible, surtout parce que je portais instinctivement un idéal de beauté, d'harmonie, que toutes les choses de la vie choquaient; alors quand j'avais du chagrin, je me gardais bien d'aller dire quoi que ce soit à ma mère ou à mon père, parce que mon père s'en fichait complètement et ma mère me grondait – toujours, c'était la première chose qu'elle faisait. J'allais donc dans ma chambre et je m'asseyais sur mon petit fauteuil, et là je me concentrais et je tâchais de comprendre – à ma manière. Je me souviens qu'avec pas mal d'essais, probablement infructueux, le résultat était comme cela (je me parlais toujours à moi-même; je ne sais pas pourquoi ni comment mais toujours je me parlais à moi-même comme je parlais aux autres), et je me disais: «Voilà, tu as du chagrin parce que un tel t'a dit cette chose qui était vraiment dégoûtante, pourquoi ça te fait pleurer? pourquoi tu as du chagrin? c'est lui qui a fait quelque chose de pas bien, c'est lui qui doit pleurer. Toi, tu ne lui as rien fait de mal... Est-ce que tu lui as dit des choses vilaines? Est-ce que tu t'es battue avec elle? ou avec lui? – Non, tu n'as rien fait, n'est-ce pas; eh bien, comme tu n'as rien fait, tu n'as pas à avoir de chagrin. C'est seulement si tu avais fait quelque chose de mauvais qu'il faudrait avoir du chagrin, mais...» Donc, cela s'est établi très bien: je ne pleurais jamais. Avec un tout petit mouvement au-dedans, ou avec ce quelque chose qui disait: «T'as rien fait de mal», pas de chagrin.

La contre-partie était là: il y avait, s'accroissant de plus en plus, ce même «quelqu'un» qui observait et qui me disait, dès que j'avais dit un mot de trop, fait un geste de trop, eu une petite mauvaise pensée ou taquiné mon frère, ou n'importe quoi, la plus petite chose: «Tu vois, fais attention» (Mère prend un ton sévère). Alors là, d'abord je me lamentais, puis ça m'a appris: «Faut pas se lamenter: faut arranger, faut réparer.» Quand c'était réparable, je le faisais, et presque toujours c'était réparable – tout ça, à la dimension de l’intelligence d'un enfant entre cinq et sept ans.

Par conséquent, c'était la conscience.

Après, il y a eu tout le stade où l’on apprend et on se développe, mais tout cela sur le plan du mental ordinaire, c'est-à-dire les études.1 J'ai voulu apprendre à lire par curiosité. C'est arrivé comme cela, je te l’ai déjà raconté peut-être?... Mon frère revenait de l’école (c'était vers sept ans, un peu avant sept ans; mon frère avait dix-huit mois de plus que moi), il revenait avec de ces grandes images qu'on fait encore (tu sais, ces dessins pour les enfants, avec une petite chose écrite en dessous), il est revenu et il m'en a donné une. Je lui ai dit: «Qu'est-ce qui est écrit là?» Il m'a dit: «Lis!» Je lui ai répondu: «Sais pas.» – «Apprends!» Alors je lui ai dit: «Bon, donne-moi les lettres.» Il m'a apporté un livre où il y avait les lettres pour apprendre l’alphabet. En deux jours, je le savais, et le troisième jour je commençais à lire. C'est comme cela que j'ai appris. «Oh! ils me disaient, cet enfant est en retard! Sept ans, elle ne sait pas encore lire, c'est dégoûtant.» N'est-ce pas, toute la famille se lamentait. Mais il se trouve qu'en une huitaine de jours, j'ai su tout ce que j'aurais mis des années à apprendre – ça leur a donné à réfléchir!

Après, les études. J'étais toujours très brillante élève; toujours pour les mêmes raisons: je voulais comprendre. Là où les autres apprenaient par cœur, ça ne m'intéressait pas – je voulais comprendre. Et j'avais une mémoire! une mémoire de sons et d'images, fantastique! Il me suffisait de lire un poème à haute voix le soir; le matin, je le savais. Et quand j'avais étudié ou lu un livre et qu'on m'en parlait, je disais: «Ah oui! c'est à telle page» – je retrouvais la page. Ça n'avait pas été fatigué, c'était en bon état. Mais enfin ça, c'est la période ordinaire.

Puis j'ai commencé très jeune (vers huit, dix ans), j'ai commencé à faire de la peinture – continuer mes études et faire de la peinture. À douze ans, je faisais déjà des tableaux: des portraits. Et toute une curiosité, un intérêt pour toutes les choses d'art, de beauté: musique, peinture. Et c'est une période de ma vie où il y a eu un très intense développement du vital, mais un développement dans le même sens que quand j'étais toute petite, avec une sorte de Guide intérieur, et c'était tout des études: étude des sensations, étude des observations, étude des exécutions, comparer, etc., et même: étude du goût, étude de l’odorat, étude de l’ouïe, avec toute une échelle d'observations. C'est-à-dire une sorte de classification des expériences. Et ça a continué avec tous les événements de la vie, toutes les expériences que la vie peut donner, tout-tout, toutes les expériences, n'est-ce pas, les misères, les joies, les difficultés, les souffrances, tout-tout – oh! un champ! Mais toujours avec «ça» dedans qui jugeait, décidait, classait, organisait et faisait une sorte de système.

Et puis, tout d'un coup, intrusion du yoga conscient avec la rencontre de Théon, à peu près à vingt-et-un ans, je crois. Changement d'orientation de la vie, tout un ensemble d'expériences, avec le résultat occulte du développement vital qui était intéressant.

Puis, période intensive de développement mental. Le développement mental dans tout ce qu'il a de plus complet: étude de toutes les philosophies, toutes les jongleries d'idées, et dans les moindres détails – entrer dans les systèmes, les comprendre. Il y a eu comme cela dix ans d'études mentales intensives, qui m'ont menée à... Sri Aurobindo.

Donc, j'avais toute cette préparation. Et je te raconte tous ces détails pour te dire que ça a commencé par la conscience – je savais très bien ce qu'était la conscience, même quand je n'avais aucun mot ou aucune idée pour l’expliquer –, la conscience et sa puissance: sa puissance d'action, sa puissance d'effet. Après, développement du vital dans tout ce qu'il a de plus complet, avec une étude très détaillée. Puis, développement du mental jusqu'à son extrême limite là-haut, où on jongle avec toutes les idées, c'est-à-dire un développement mental où on a déjà compris que toutes les idées sont vraies et qu'il y a une synthèse à faire, et qu'il y a quelque chose qui est lumineux et vrai par-delà la synthèse. Derrière tout cela, il y avait la conscience qui continuait. Et je suis arrivée dans cet état, avec un monde d'expériences, et déjà l’union consciente avec le Divin là-haut et au-dedans – tout ça réalisé consciemment, noté et tout –, quand je suis arrivée à Sri Aurobindo.

Au point de vue shakti, c'est le cours normal: conscience, vital, mental, spirituel.

Maintenant, pour l’homme, c'est peut-être différent? Je ne sais pas. Parce que Sri Aurobindo a été un cas très particulier, et à part lui, je ne vois personne qui puisse donner un exemple probant... Mais généralement, c'est la conscience physique qui est le plus développé, avec la conscience mentale; le vital: très impulsif et très peu gouverné. Ça, c'est mon expérience de toutes les centaines et les centaines de gens que j'ai rencontrés. Quand ils sont normaux: une puissance physique développée avec les jeux, les exercices, et, en même temps, un développement plus ou moins élevé, mais mental, très mental. Vital: très impulsif et très peu organisé, sauf chez les artistes, et encore... J'ai vécu dix ans avec les artistes et je me suis aperçue que c'était beaucoup un terrain en friche. J'étais avec tous les grands artistes de l’époque et j'étais la benjamine (c'était la fin du siècle dernier, le commencement de ce siècle, avec l’exposition universelle de 1900 et ceux qui, à ce moment-là, étaient des autorités au point de vue artistique), j'étais donc la benjamine de beaucoup, j'étais beaucoup plus petite qu'eux, ils avaient atteint les trente, trente-cinq ans, quarante ans, et moi, j'avais dix-neuf et vingt ans. Eh bien, j'étais beaucoup plus avancée qu'eux dans leur propre domaine – pas par ce que je faisais (j'étais un artiste tout à fait ordinaire), mais au point de vue conscience: observations, expériences, études.

Je ne sais pas, mais il me semble que le problème de la conscience doit venir d'abord.

J'avais commencé comme cela.

Eh bien, je crois. Ce qui m'est arrivé dans la vie est très-très logique (ce n'était pas moi, je ne décidais rien: à cinq ans on ne décide pas), c'était très-très logique. Chaque chose était préparée par ce qui précédait.

Mais qu'est-ce que c'est que cette conscience que l’on sent en soi comme une force? Par exemple, en méditation, quelquefois ça monte, ça descend, ce n'est pas posé. Qu'est-ce que c'est que cette conscience-là?

C'est la Shakti!

Il y en a qui la reçoivent comme cela, d'en haut; pour d'autres, ça monte d'en bas (geste à la hase de la colonne vertébrale). C'est ce que je t'avais dit une fois, que tout le vieux système procède toujours de bas en haut, tandis que Sri Aurobindo tirait de haut en bas. Et c'est très clair dans les méditations (enfin le yoga, les expériences): pour eux, c'est toujours la base de la koundalinîet ça monte de centre en centre, de centre en centre, avec «éclosion» ici (geste au sommet de la tête et un peu d'ironie pour «l’éclosion»). Avec Sri Aurobindo, ça vient comme cela (geste de Puissance descendante) et puis ça s'établit là (au-dessus de la tête), ça entre, et de là ça descend, ça descend, ça descend, partout, jusqu'en bas, jusque sous les pieds: le subconscient, et encore plus bas: l’inconscient.

C'est la Shakti. N'est-ce pas, lui, ce qu'il disait (je suis encore en train de le traduire), c'est que quand on prend la shakti en bas, comme justement on la prend individuellement, c'est une shakti qui est déjà voilée si l’on peut dire (elle a son pouvoir mais elle est voilée), tandis que si on prend la Shakti là-haut, c'est la Shakti PURE, et si on peut la faire descendre avec assez de précautions et assez lentement pour qu'elle ne soit pas (comment dire?) polluée, ou en tout cas obscurcie en entrant dans la matière, alors tout de suite le résultat est bien meilleur. Tandis que si on commence par ce sentiment de grand pouvoir en soi (parce que n'importe où elle s'éveille, c'est toujours un grand pouvoir), il y a toujours le danger du mélange avec l’ego, comme il l’a expliqué. Tandis que si elle vient pure et qu'on ait bien soin de la garder pure, c'est-à-dire de ne pas précipiter le mouvement afin qu'elle purifie à mesure qu'elle descend, la moitié du travail est fait.

C'est un problème. Quand on prend contact avec le Supracons-cient et que ça sort d'ici, au sommet du crâne, c'est quelque chose qui monte d'en bas pourtant. Alors c'est un autre mouvement, un mouvement ascendant...?

C'est la conscience du jiva [âme]. C'est la conscience personnelle, individuelle.

C'est quelque chose qui grandit...

C'est la conscience individuelle. Généralement, dans l’aspiration, c'est toujours une expression de l’être psychique, c'est-à-dire de ce qui s'est organisé autour du centre divin, de la petite flamme divine qui est à l’intérieur de l’être humain – dans chaque être humain, il y a cette flamme divine, n'est-ce pas, et petit à petit, à travers toutes les incarnations et tout le karma, et tout ça, il y a un être qui s'organise et que Théon appelait l’«être psychique»; et quand l’être psychique est arrivé à sa pleine formation, il est pour ainsi dire le revêtement, une espèce de revêtement corporel, ou en tout cas individuel, de l’âme. De l’âme qui est une portion du Suprême – le jiva est la forme individuelle du Suprême. Et comme il n'y a qu'un Suprême, il n'y a qu'un jiva, mais des millions de formes individuelles. Et autour de ce jiva, qui commence par être une étincelle divine, qui est immuable, éternel, infini aussi (infini dans ses possibilités plutôt qu'infini dans sa dimension), à travers toutes les incarnations, petit à petit, se cristallise autour de lui tout ce qui a reçu l’Influence divine et répond à l’Influence divine, et il devient, à la fois, de plus en plus conscient et de plus en plus organisé. Ça finit par devenir un être individuel tout à fait conscient, maître de lui-même et absolument mû par la Volonté divine. C'est-à-dire une expression individuelle du Suprême. Ça, c'est ce que nous appelons «être psychique».

Et généralement, ceux qui font un yoga ont, ou bien un être psychique complètement développé, indépendant, et qui est revenu dans la vie afin de faire le travail du Divin, ou bien un être psychique qui est dans sa dernière incarnation et qui veut achever sa formation, se réaliser lui-même.

C'est ça qui aspire, c'est ça qui a le contact.

Et alors, quand on dit: «Prenez conscience de votre être psychique», c'est pour que l’être formé par la Nature extérieure entre en contact avec la Présence divine à travers l’être psychique. Et l’être psychique prend le gouvernement de l’être, et c'est, au fond, l’Instructeur intérieur... N'est-ce pas, quand j'étais toute petite, cette «personne» (ce n'était pas une personne: c'était une conscience et une volonté qui s'exprimaient), c'était vraiment la présence psychique – il y avait autre chose derrière, mais ça, c'est un cas plus spécial. Mais ce qui m'est arrivé est arrivé à tous ceux qui ont un être psychique qui s'est incarné volontairement. Et l’être psychique prend la direction de la vie, et si vous le laissez faire, il organise TOUTES les circonstances – ça c'est merveilleux!... Je l’ai vu (pas seulement pour moi mais pour tant de gens qui aussi avaient des êtres psychiques conscients): tout est organisé en vue de – pas du tout de votre satisfaction égoïste personnelle –, mais de votre progrès final, votre réalisation finale. Et toutes les circonstances de la vie sont comme cela, même ce que vous appelez des circonstances «catastrophiques», pour vous mener aussi vite que possible là où vous devez aller.

Toi, c'est plus qu'un être psychique: l’être psychique est accompagné de quelque chose, comme je te l’ai dit, qui est venu dans un but spécial, et qui est venu des régions que Sri Aurobindo appelle l’Overmind [Surmental], des régions supérieures au mental, avec une puissance intellectuelle particulière – une puissance lumineuse, consciente, particulière –, pour une oeuvre spéciale. Ça, c'est là (geste enveloppant la poitrine et la tête), et avec le psychique, ça essaye d'organiser tout. Ce que tu sens, c'est ça dans ton psychique. Ça doit avoir une grande puissance, tu dois sentir une sorte de force lumineuse?

Oh! je sens, oui.

Oui, c'est ça.

C'est pour cela que je n'arrive pas à distinguer la Force qui vient d'en haut et celle qui vient de l’intérieur.

Il y a un moment où on ne fait plus la distinction.2

C'est pour cela que j'ai de la difficulté à en parler, parce que je ne sais pas ce qui est d'en haut ou d'en bas.

Parler...

Tout ce que je viens de te dire, tu sais, c'est... On a toujours l’impression d'être «sur le point de», ou «à peu près», ou «presque»; il y a quelque chose qui est en bordure et qui est toujours en tangente de la Vérité – c'est jamais le point, c'est toujours à côté. Dès qu'on parle, c'est un à peu près.

Il faudrait tout dire en même temps.

Oui, c'est ça. Mais c'est pour cela! il faut tout dire en même temps, comment on peut?? Voilà, c'est exactement ça.

Je vois bien pour écrire... il faudrait une expression globale.

Mais Sri Aurobindo le dit tout le temps! Dès qu'on se met à décrire, ça fait comme ça (geste, un pas après l’autre), et de la minute ou ça fait comme ça, c'est plus ça!

Il faut en prendre son parti.

Non, écrire, ce n'est pas satisfaisant, tu sais, ce n'est pas un moyen d'expression... La musique?

Pas beaucoup mieux.

La peinture, c'est pire.

Non...

(silence)

Je me suis demandé: peut-être un être humain qui aurait développé un organe vocal exceptionnellement puissant et qui pourrait consciemment brancher ce qu'il veut dire ou ce qui doit s'exprimer, simplement avec l’organe, la voix, et puis la laisser sortir sous cette Influence, ce serait peut-être la seule chose qui s'approcherait du vrai.

J'ai eu des petits moments d'expérience comme cela; mais même là, ça m'a paru un peu pauvre – un peu pauvre, il y a tout un domaine qui échappe... Je me souviens du temps où le 31 décembre à minuit, je me mettais à l’orgue, sans savoir le moins du monde ce que j'allais jouer ni ce que j'allais chanter, et je laissais la Force venir – ça jouait, et puis le son, la voix venaient, et puis dans la voix, des mots. Je n'écrivais pas d'avance. Et c'est parce que les gens se sont mis à noter ce que je disais (naturellement ils notaient de travers) que j'ai pris l’habitude, après, d'écrire. Mais c'est seulement très longtemps après que j'ai commencé à écrire d'avance, quand j'ai cessé de venir à minuit. Mais les premières fois (Sri Aurobindo était là, il y a très longtemps), c'était comme cela: je ne savais ni ce que j'allais jouer ni ce que j'allais dire. Et c'était d'abord le son, puis la voix, et puis, dans la voix, des mots. C'est-à-dire que c'était comme quelque chose qui se rassemblait, qui se concrétisait.

C'était assez puissant, mais incomplet. Incomplet.

(silence)

Au fond, il faudrait pouvoir ajouter à ça des jeux de lumière. Mais pas des jeux artificiels.

(long silence)

Le maniement conscient et volontaire de certaines vibrations lumineuses, ajouté au son.

Mais là-dedans, la pensée (la pensée telle que nous la concevons maintenant) est une chose beaucoup plus matérielle. La pensée, la formule en mots, c'est beaucoup plus bas dans l’échelle.

Il y a des pensées... Est-ce que ce sont des pensées?... C'est plus haut que l’idée, beaucoup plus haut que la pensée, beaucoup plus haut que l’idée... C'est la VISION DE LA CONNAISSANCE, dans un domaine extrêmement lumineux où les vibrations sont très précises et très fortes, et c'est ça évidemment qui, dans la descente, se traduit par des sons et des mots (mais ça, c'est très en bas). Si on le donnait dans la forme la plus proche de l’Origine, ce sont des vibrations lumineuses.

Mais l’esprit humain s'empare de tout et puis il en fait une copie!

Il fait une copie: tous ces jeux de lumière, tout ce qu'on fait maintenant... C'est comme ce goût du théâtre, ce goût du cinéma. Et pourtant ça a son effet, n'est-ce pas? Mais c'est une copie.

Nous sommes des singes.

(long silence)

Mon petit, je crois ne pas me tromper: commence par la conscience.

Et ne t'amuse pas à noter tout ça, ce n'est pas la peine.

Mais si, c'est intéressant! Je le fais l’après-midi, et le matin je travaille.

Pour que ce soit intéressant, il faudrait que ce soit systématique, avec des exemples. Mais ce serait une interminable histoire...

Mais les périodes de la vie ont été aussi claires que possible, nettement délimitées, préparant tout pour mon arrivée ici.

Il y a beaucoup-beaucoup de choses de ma vie qui ont complètement disparu – je ne les sais plus, c'est parti de la conscience; et c'est tout ce qui était inutile. Mais la vision est très claire de tout ce qui préparait justement le jiva pour son action ici. Avant même de venir, de partir pour rencontrer Sri Aurobindo, j'avais réalisé tout ce qu'il fallait réaliser pour pouvoir commencer son Yoga. C'était tout prêt et classé, organisé – magnifique! Avec une superbe construction mentale! qu'en cinq minutes il a jeté par terre.

Oh! comme j'étais heureuse! ouf!... Ça, ça a été vraiment la récompense ce tous mes efforts.

Rien! je ne savais plus rien, je ne comprenais plus rien à rien, il n'y avait plus une idée dans ma tête! Tout ce que j'avais élaboré avec toutes mes expériences et tant d'années (j'avais plus de 35 ans je crois) de yoga conscient, de yoga pas conscient, de vie, d'expériences vécues, classées, organisées (oh! c'était un monument!) ploff! tout par terre. Ça, c'était magnifique. Je ne le lui ai même pas demandé.

J'avais essayé d'avoir le silence mental total: n'est-ce pas, cette espèce de repos mental dont il parle (lorsqu'on l’a, tout peut passer à travers votre tête, ça ne bouge rien – ce que tu viens de décrire3), ça, je n'avais pas réussi. J'avais essayé mais je n'avais pas pu. Quand je voulais être silencieuse, je pouvais; dès que je recommençais à ne pas penser seulement à ça, à ne pas vouloir seulement ça, c'était l’invasion; et alors il fallait recommencer tout le travail.

Je lui ai seulement dit ça (pas en grands détails, quelques mots). Puis je me suis assise près de lui et il a commencé à parler avec Richard: du monde, du yoga, de l’avenir, de toutes sortes de choses, de tout ce qui allait se passer (il savait que la guerre allait éclater; c'était en 1914, la guerre a éclaté au mois d'août et il le savait à ce moment-là, c'est-à-dire fin mars, commencement avril). Bon. Et ils parlaient, ils parlaient, ils parlaient; ils parlaient tous les deux – de grandes spéculations. Moi, ça ne m'intéressait pas du tout, je n'écoutais pas. C'étaient toutes des choses qui appartenaient au passé, j'avais vu tout ça (moi aussi, j'avais eu mes visions et mes connaissances). Je me suis assise à côté de lui, simplement, comme cela, par terre (il était assis sur un chaise, avec une table devant lui, et de l’autre côté de la table, il y avait Richard, et puis ils parlaient), moi, je n'écoutais pas, j'étais assise. Je ne sais pas combien de temps ils sont restés, mais tout d'un coup, j'ai senti en moi comme une grande Force – une paix! un silence! massif. C'est venu, fait comme cela (Mère balaye son front), descendu comme ça, et ça s'est arrêté là (geste à la poitrine).4 Alors quand ils ont eu fini de parler, je me suis levée, et puis je suis partie. Et puis je me suis aperçue que je n'avais plus une pensée – que je ne savais plus rien, que je ne comprenais plus rien, que j'étais absolument dans un BLANC complet. Alors j'ai rendu grâce au Seigneur et j'ai remercié Sri Aurobindo dans mon cœur.

Et j'ai pris grand soin de ne rien déranger; je l’ai gardé comme ça (je ne me souviens plus mais c'était quelque chose comme huit ou dix jours). Rien, n'est-ce pas, pas une idée, pas une pensée, plus rien – un BLANC complet. C'est-à-dire, au point de vue extérieur, l’idiotie totale.

Moi, j'étais dans ma joie intérieure – bougeais pas, bougeais rien. Je parlais aussi peu que possible et c'était comme une mécanique, ce n'était pas moi. Et puis lentement-lentement, comme si ça tombait goutte à goutte comme cela, de nouveau quelque chose s'est construit. Mais ça n'avait pas de limites, ça n'avait pas... c'était grand comme l’univers et c'était merveilleusement tranquille et lumineux. Ici (la tête), rien, mais LÀ (geste au-dessus de la tête), et puis de là ça a commencé à voir tout.

Et ça ne m'a jamais quittée – ça, tu sais, au point de vue de la preuve du pouvoir de Sri Aurobindo, c'est incomparable! Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu d'exemple (comment dire?) d'une réussite si totale – un miracle. Ça ne m'a JAMAIS quittée; j'ai été au Japon, j'ai fait un tas de choses, j'ai eu toutes les aventures possibles, même les plus désagréables, ça ne m'a jamais quittée – tranquille-tranquille-tranquille...

Et c'est lui qui l’a fait, entièrement. Je ne le lui ai même pas demandé, il n'y avait pas d'aspiration, rien (il y avait des efforts précédents; je savais qu'il fallait que ça vienne, c'est tout), mais ce jour-là, je ne lui en avais pas parlé, je n'y pensais pas, je ne faisais rien, j'étais seulement assise. Et lui, extérieurement, il avait l’air d'être tout occupé de sa conversation, de ceci, de cela, de ce qui allait se passer dans le monde, etc.

C'est comme cela que je comprends les choses.

Mais je n'ai jamais pu le faire pour quelqu'un comme cela. De cette façon-là, avec cette plénitude-là, jamais-jamais... C'est fantastique! c'était formidable!... Vraiment, on peut dire que c'est seulement le Seigneur qui peut faire cela, il n'y a que Lui. Sans le moindre effort, sans même l’air d'avoir... il n'avait même pas l’air de s'être concentré, rien, n'est-ce pas, simplement comme ça. Tu ne l’as jamais rencontré?

Si, j'ai eu un «darshan».

Ah! tu l’as vu.

Et puis j'ai eu une expérience, la première année de mon séjour (je ne savais pas que c'était une expérience d'ailleurs...)

Ah!

La première année de mon séjour, une nuit, il est venu, et puis il a posé sa main sur mon cœur, et j'ai pleuré-pleuré-pleuré dans mon rêve... Et après je me suis dit: «Quelle drôle d'imagination j'ai eu là.» Je pensais que c'était de l’imagination!

Oh! mon petit, mais c'est admirable!

Il a posé la main sur mon cœur et je pleurais, je pleurais tant que je pouvais dans mon rêve.

C'est psychique. C'est le contact psychique.

Oh! alors... ça ne va pas être si difficile.

Bon – bon.

Ceux qui l’ont vu, ça fait tout de même une différence.

Je l’ai vu une fois, j'ai eu un darshan en 1948.

C'était quand Baron5 était là, oh!

Tiens, c'est intéressant. En 48... ah! il était bien portant encore. Il avait eu sa jambe cassée.

Tu es resté ici jusqu'à quand, la première fois?

Jusqu'en 1949, je crois.

Oh! alors lui aussi savait que tu étais prédestiné. S'il t'a vu, il l’a su.

C'est bien.

C'est bien, petit, c'est bien, ne te tourmente pas! (Mère rit)

Il est tard.

Tu veux du fromage?

Non, tu m'en as donné, j'en ai plein!

Je te dis ça parce que c'est la seule chose que j'aie! (Mère rit)

Alors samedi, avec la «conscience».

Eh bien oui, peut-être.

28 juillet 1962

(Mère revient aux différentes périodes de son développement, dont Elle a parlé dans la dernière conversation:)

J'ai vu que les différentes étapes de développement se sont produites par périodes de douze ans. Je ne sais plus les dates exactes, mais c'étaient des périodes de douze ans. La première, de 5 à 18 ans à peu près (je commence à cinq, je ne peux pas commencer avant!) c'était la période de la conscience. Puis tout le développement artistique et vital qui a eu comme aboutissement le développement occulte avec Théon (c'est vers 1905 ou six, je ne me souviens plus, que j'ai rencontré Théon1). Puis développement mental intensif, qui était à peu près de ce temps-là, de 1908 jusqu'à 1920 à peu près, un peu moins, mais surtout avant de venir ici en 1914.

Et à partir de 1920, clairement, c'était le plein développement (pas développement spirituel parce qu'il avait commencé depuis le commencement), mais l’ACTION, l’action avec Sri Aurobindo. Ça, c'est clairement à partir de 1920 (j'avais rencontré Sri Aurobindo avant, mais ça n'a commencé clairement qu'en 19202).

Et la réalisation du dieu intérieur?

Les dates... Là, je ne suis pas bonne pour les dates! Et je n'ai plus de papiers qui puissent me donner des précisions. Mais la réalisation du dieu intérieur, ce devait être en 1911 parce que c'est là que j'ai commencé à écrire mes Méditations.3 Mais ça, n'est-ce pas, c'est une chose constante, depuis toute petite, mais avec une insistance d'abord sur la conscience, puis sur le vital et l’esthétique, puis sur le mental; et puis l’aboutissement ici, pour l’action, en 1920.

De 1911-1912 jusqu'à 1914, c'était toute la préparation, les expériences intérieures, les expériences psychiques, qui me préparaient à rencontrer Sri Aurobindo (c'était donc parallèle au développement mental).

Pratiquement, ces périodes se chevauchent, mais à peu près tous les douze ans, il y a eu une sorte de prédominance d'un développement spécial. Et dans cet ordre: d'abord la conscience, puis le vital (surtout au point de vue esthétique, mais en même temps une étude des sensations), puis le mental, puis la réalisation spirituelle. Et entre le vital et le mental, il y a eu cette petite période d'occultisme qui a servi de transition, et en même temps de base au développement spirituel.

31 juillet 1962

(Au début de la conversation, le disciple lit à Mère une lettre désagréable qu'il vient de recevoir de P.A.L, son éditeur à Paris:)

Voilà ce qu'il dit: «J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l’Introduction de votre nouveau livre sur Shri Aurobindo. J'avoue que si je ne vous ai pas répondu aussitôt, c'est que je reste très incertain. Ce texte est agréable, mais il ne permet pas de savoir dans quelle mesure le livre qui suivra correspondra aux normes de la collection «Maîtres Spirituels». Je crains tellement que nous n'aboutissions à une nouvelle déception mutuelle. Je sens bien que vous avez envie d'écrire un livre très personnel, et cette collection doit être faite de livres qui sont essentiellement des exposés, des initiations, des outils d'information...», etc.

(Après un silence) J'ai une sorte d'indication: quand je tourne le phare de ce côté-là, je sens tout d'un coup que la résistance cède – il doit bien y avoir un moyen de la faire céder...

Ne réponds pas, reste tranquille, écris ton livre et on verra.

J'ai l’impression que, consciemment ou inconsciemment (je ne sais pas), ce monsieur est devenu un outil de la résistance catholique. Dans le vieux monde, elle est très forte, et même en Amérique aussi, bien que ce soit chrétien et non catholique. Mais en France, c'est terriblement fort: partout où il y a une ouverture, ça essaye d'entrer et ça veut empêcher ce qui pourrait divertir.

Ça cédera.

Mais, n'est-ce pas, ce que je vois, ce ne sont pas du tout des choses personnelles, comme cette lettre, ou sur des petits points: ce sont des actions d'ordre général. C'est comme quelque chose qui est buté, comme ça (geste), et puis tout d'un coup ça tombe, alors ça passe.

Je ne peux pas dire que ce monsieur le sache (il n'en sait rien probablement, ce qui se passe dans le cerveau humain est très incohérent), mais en tout cas, il y a quelque chose en lui qui se méfie: «Qu'est-ce qui me dit que ce livre ne va pas me mener là où je ne veux pas aller?»...

Leur gros reproche était: «Vous êtes abstrait.» Alors si on veut être «concret», il faut parler d'expériences.

Non, ce qu'ils appellent «concret», c'est de raconter ce que Sri Aurobindo a fait physiquement. C'est cela qu'ils appellent concret. Psychologie, c'est abstrait pour eux.

Oh! je ne sais pas quoi faire.

Tiens, je vais te donner un exemple: A m'a écrit pour me dire: «Si vous savez comment entrer en relation avec Agni1,1 faites-le moi savoir, parce que j'ai besoin de lui» (!) Moi, je lui réponds la chose naturelle en lui disant qu'il faut avoir de l’aspiration au progrès, la volonté de perfection, et qu'on allume le feu en brûlant ses désirs. Je lui ai dit cela d'une façon que, moi, j'appelle très concrète. Alors il m'a répondu (riant): «Oooh! vous vivez dans les abstractions, ce n'est pas ça que je veux, je veux un dieu vivant» – un personnage, n'est-ce pas!

Ils sont comme cela.

La psychologie, c'est de l’abstraction. Ce qu'ils veulent, c'est: à telle date, il est allé à tel endroit, il a vu tels gens, il a fait telle chose – enfin tout ce qu'il y a de plus extérieur et de plus banal. Et alors, même le yoga devient comme cela: il s'est assis, il est resté tant d'heures, il a eu cette vision, il a essayé cette méthode, il a fait des asanas et des exercices respiratoires... Ça, pour eux, c'est concret. Et c'est seulement ça qui est concret. La psychologie, c'est tout à fait abstrait, tout à fait, ça n'a pas de réalité pour eux.

Mais j'ai essayé d'être aussi concret que possible! comme quand on met un rat sur une table d'expérience et qu'on le dépèce pour voir ce qu'il y a dedans.

Il faut déjà être bien avancé.

Écoute, il ne faut pas y penser, pas s'en occuper, il faut finir le livre.

Je ne suis pas bien satisfait.

Ce n'est pas nécessaire.

Il est nécessaire d'être satisfait? (Mère rit)

Moi, j'ai remarqué que quand on a l’impression d'avoir fait quelque chose de très mauvais, c'est généralement ce qui est le plus utile. Pour moi, ça a toujours été comme cela. Je me souviens d'avoir fait beaucoup de choses, un peu de peinture, un peu de musique, un peu d'écriture (très peu), et que c'était quand je pensais: «Oh là! là! quelle faillite!», c'était cette fois-là que les gens étaient le plus touchés et le plus contents.

Il ne faut pas s'occuper de ça, ça n'a aucune importance.

Je crois qu'il est très dangereux d'être satisfait, parce qu'il y a quelque chose qui s'endort, et c'est le meilleur de l’être.

Ça n'a aucune importance, d'être ou non satisfait.

Et puis, ce monsieur, peut-être justement qu'il y aura «quelqu'un», un jour, qui pressera du pouce, et il dira: «Aah! bon... eh bien, essayons.» Voilà.

Continue.

août




4 août 1962

Veux-tu que je te montre un passage de ce que tu as dit la dernière fois?

Mais tu n'as rien de moi, qu'est-ce que tu me racontes! Je me suis dit: «Enfin, pour une fois, je n'ai pas parlé!»

Depuis quelque temps, tu ne dis pas grand-chose...

(Avec un sourire moqueur) C'est l’effet d'une volonté consciente! Ça marche, mais ça ne devient intéressant que quand toute une courbe est achevée. En cours de route, ce n'est pas bon de parler. Alors lis-moi.


(Le disciple lit à Mère un passage de son manuscrit concernant le vital et le mécanisme d'entrée des vibrations.)

Ce que tu dis là, de toutes ces choses qui entrent par les centres, c'est tout à fait ça.

J'ai fait justement, ces derniers jours, une sorte d'étude détaillée des différentes vibrations, comment elles s'approchent, comment elles viennent dans les différents centres... Je ne sais pas comment expliquer, il y a des différences de vibration qui ressemblent à des différences de goût. Il y a toute une gamme, n'est-ce pas, et ce sont des vibrations, ce n'est pas autre chose que des vibrations, mais il y a entre elles comme des différences de goût, ou des différences de couleur, ou des différences d'intensité, peut-être aussi des différences de force – naturellement, essentiellement, des différences de qualité.

Tout ça, observé dans un domaine nervo-physique, c'est-à-dire physique subtil – mais c'est encore physique – et dans un silence mental complet où toutes les appréciations (justement les «appréciations») ont disparu, et un certain genre d'observation aussi. C'est pour cela que je ne peux pas dire.

Ce sont des vibrations qui ont des qualités diverses; si elles se traduisaient par une observation mentale, ce serait par toutes ces choses: goût, couleur, etc, tout ce que je viens de dire1 – mais elles ne se traduisent pas comme cela. C'est presque seulement comme des sensations, mais des sensations... les unes, certaines vibrations, ont des angles arrondis. Il y en a qui viennent horizontalement (c'est plutôt l’étude de tout ce qui vient horizontalement), il y en a qui sont le résultat de l’état de conscience (geste vertical de haut en bas). Et alors, en même temps, il y en a qui sont... Tiens, c'est comme si c'était vu avec un microscope très grossissant: certaines sont arrondies, comme cela; d'autres sont pointues; il y en a qui sont plus foncées, il y en a qui sont plus claires. Il y en a qui dérangent le corps beaucoup; il y en a même qui sont senties comme dangereuses. Il y en a, au contraire, qui mettent le corps dans un état réceptif à la Vibration que nous appellerons «Vibration du Seigneur», c'est-à-dire la Vibration suprême. N'est-ce pas, tout ça, c'est le résultat d'une discipline, ou tapasya, pour que le corps soit prêt à recevoir (recevoir d'abord, capable de recevoir; après, il faut garder, après il faut manifester) les Vibrations du Seigneur. Celles-là, unmistakable [inimitables], tout à fait autre chose. Mais il y a celles qui aident, celles qui favorisent, celles qui dérangent, celles qui contredisent.

Et elles commencent chacune à avoir leur nature propre. Il y a celles qui viennent de la pensée des gens (pas dans le mental, mais dans mon corps: la conséquence matérielle de leur état psychologique, et même de leur état de santé). Il y a des choses qui sont générales, un peu plus durables; des choses qui sont momentanées, pour quelques instants. Et ça commence d'abord par l’étude des différentes qualités – on pourrait presque faire des schémas: si on imaginait une machine assez subtile pour pouvoir noter tout ça, ça fait des griffonnages de tous genres.2 Certaines, imédiatement, cessent, ou se changent, ou sont dissoutes, ou sont renvoyées. Certaines sont adoptées, pour ainsi dire, et transformées. Le plus grand nombre est simplement écarté et il y a une action à distance – assez grande distance (!) je les tiens un peu loin (Mère rit). Il y en a très peu qui sont admises. Mais il y en a, pour l’expérience, qui sont admises et on voit qu'elles dérangent beaucoup le corps. Il y a les aura permanentes des gens: ça aussi, ça a une action; ce qui fait que, par l’effet sur le corps, je sais que quelqu'un arrive, parce que (riant) telle vibration produit tel effet sur le corps – des choses tout à fait prosaïques si l’on veut, mais à l’étude, on voit que tout ça a sa loi propre.

C'est formidable, l’inter-échange de vibrations entre les gens, dans lequel on vit constamment-constamment-constamment! même quand on est seul. Parce que ces choses-là circulent: il suffit, par exemple, que la pensée de quelqu'un vienne et frappe la vôtre, et que vous pensiez à lui (ce qui est une réponse), imédiatement le résultat corporel de sa vibration se fait sentir. Par conséquent l’idée d'une solitude pour faciliter son yoga est un en-fan-ti-llage.

La seule chose possible, c'est une telle perfection dans l’union avec la Vibration suprême qu'automatiquement tout soit mis sous Son influence; et dans ce cas-là, il est plus facile de se sentir plus grand, plus haut, plus vaste que le monde (pour prendre la terre simplement: le monde terrestre) qu'un individu.3 Parce qu'il est plus aisé de faire comme cela (geste qui embrasse), de prendre tout, de l’envelopper et de le changer en restant dehors qu'en restant dedans. En ce moment, les deux choses sont simultanées, et le «rester dedans» était4 le résultat de toute l’expérience de ces années pour amener la Présence suprême dans le monde matériel le plus matériel – pour ça, il faut accepter (comment dire?...) l’identité corporelle.

Avant, le procédé était différent (quand je dis avant, c'est avant le 13 avril dernier), le procédé était différent; maintenant c'est tout changé. Ce corps n'est plus qu'un champ d'expérience, ce n'est plus une individualité – plus du tout, du tout, du tout. Mais c'est un champ d'expérience de très bonne volonté (le vrai mot serait willing). Et ça se passe dans un certain domaine le jour, dans un autre domaine la nuit – ça commence à clarifier tout le subconscient. À ce point de vue, ça va très vite.

Mais c'est seulement d'innombrables expériences qui s'ajoutent l’une à l’autre, s'ajoutent l’une à l’autre, comme cela; il n'y a pas une coordination et un «ensemble» – je ne sais pas même si c'est possible?5 Mais ce serait beaucoup plus tard. Voilà.

Voilà.

Ce sont des millions de notations imperceptibles qui s'ajoutent l’une à l’autre.

(silence)

Et je vois la Direction très claire, très précise, très absolue, justement venant du Suprême, à travers certaines choses. Et II organise toutes ces choses exactement comme il faut – les formes, différentes formes de mentalité; parce que là (geste au sommet du crâne), même là comme ça (geste plus bas), jusque là (front), c'est immobile... Toutes ces vibrations, ça vient, ça passe, ça tourne, ça vient de partout, mais il n'y a rien là (tête), il n'y a pas de réponse. Mais j'ai vu que pour que l’action du yoga ait une orientation précise, il y a, au point de vue intellectuel, plusieurs... ce que Sri Aurobindo appelle frame (ce n'est pas le mot «cadre» français), plusieurs sortes d’organisations.6 l’une – la plus forte –, c'est cette Synthèse des Yoga, ma traduction. Je fais une page à peu près tous les jours et dans cette page, il y a toujours, ou une idée, ou une phrase, qui est EXACTEMENT l’expression du champ d'expérience que j'ai eu dans la nuit qui a précédé et le jour. Il y a des détails!... Et ce qui est intéressant, c'est que tu m'as lu aujourd'hui ces pages, et il y avait des points qui étaient EXACTEMENT le cadre d'un certain ensemble d'expériences que j'ai – presque avec les mots, les mêmes mots.7 Des choses comme cela. Tout ça, c'est comme le rassemblement de formes intellectuelles pour préciser le champ des expériences parce que là (geste au front) rien, blanc! alors il faut bien qu'une forme vienne; eh bien, la dominante, ce sont les formes que Sri Aurobindo a données, mais ce que tu écris a sa place et une place très précise, très intéressante – le mode de penser. Et alors je vois qu'avec des intensités plus ou moins grandes, ou des précisions plus ou moins grandes, c'est tout un immense champ de pensée intellectuelle, de formulation intellectuelle, qui sert de TAMIS pour laisser passer cette Volonté du Suprême. Et c'est le tamis – cette espèce d'immense universel tamis – qui donne des précisions.8 C'est très intéressant. Comme cela, le mental est tout à fait tranquille – il n'a rien à faire, c'est tout fait pour lui! Il n'y a plus qu'un miroir – un miroir vivant où tout s'inscrit et qui peut redonner son image sans entrer en activité.

Les nuits changent de caractère, les jours changent de caractère.

Et puis, il y a un tout petit commencement, tout petit, indiquant comment fonctionnera le Pouvoir. Mais ça... (Mère fait un geste lointain), c'est simplement une petite coloration.

Seulement, quand ça fonctionnera, alors ça commencera à marcher.

Voilà. J'ai encore bavardé. Je t'ai encore donné du travail!

Non! ça, ce n'est pas du travail.

Alors, à mercredi. Au revoir, mon petit.9

8 août 1962

(Le disciple lit à Mère un passage de son manuscrit:)

C'est très bien.

C'est tout à fait très bien.

Oh! c'est terne, c'est mou...

Qu'est-ce qui te donne cette impression? Tu n'as pas un de ces criticizer en toi? Sri Aurobindo dit qu'on promène toujours avec soi quelqu'un qui critique tout ce que l’on fait. Il classe ce monsieur justement parmi les forces adverses, avec une forme individuelle. Oui, tu dis toujours que ça ne va pas, que c'est mauvais...

Parce que, pour moi, les choses devraient être dites avec une autre force. Ça m'a l’air de phrases qu'on pourrait mettre d'une façon ou d'une autre, tu comprends, ce n'est pas inévitable du tout... Je pourrais dire cela, mais je pourrais aussi le dire autrement.

Mon petit, je te l’ai dit vingt fois, je te le répète, si c'était «inévitable», personne ne pourrait comprendre!

Je ne sais pas; pour moi ce n'est pas du tout une façon de s'exprimer.

Oui-oui, je sais très bien, il y a la Révélation, mais le monde n'est pas prêt pour la Révélation – ça viendra plus tard, dans dix ans.

Dix ans?

Oui, dix ans.

(long silence)

Je fais des découvertes intéressantes. Ce ne sont pas des découvertes mais maintenant toutes ces choses ne sont pas théoriques, ne sont pas du tout mentales (le mental, il est confortablement tranquille): elles sont essentiellement pratiques. Et ça prend des formes curieuses... l’autre jour, comme je me promenais, tout d'un coup est venue une vieille formation, quelque chose qui avait déjà essayé de se matérialiser (c'était du temps de Sri Aurobindo, et Sri Aurobindo l’avait empêchée de se matérialiser), c'était l’une des innombrables possibilités qui essayait de se manifester dans l’existence de ce corps – je ne dirai pas ce que c'est.

C'était l’une des choses les plus tristes au point de vue manifestation physique, associée à une vie spirituelle.

C'était venu et ça essayait de descendre. Je n'en avais rien dit, absolument rien, mais Sri Aurobindo l’a su (quoiqu'il ne m'en ait jamais rien dit, mais il l’avait vu), et il a simplement... (Mère balaye d'un geste) fait ce qu'il fallait, brushed aside, mis de côté. Je n'y avais plus pensé depuis plus de dix ans, n'est-ce pas: avec son geste, ça avait disparu.

C'est revenu.

Je me suis demandé: «Tiens, pourquoi est-ce que ça revient?» Et alors j'ai vu que ce corps, instinctivement, de la façon dont il a été bâti, construit, ATTIRE les épreuves, ordeals, les expériences douloureuses. Et toujours, en présence de ces formations, il est comme ça, passif, consentant, acceptant, avec une confiance si totale en ce qui est au bout, une si grande certitude que même au moment de la plus grande difficulté il sera aidé et sauvé, et que, derrière tout ça, il y a cette volonté d'aller vite, de gagner du temps, d'épuiser toutes les possibilités, je ne peux pas dire mauvaises mais qui empêchent – qui embarrassent, qui arrêtent, qui semblent nier le but –, afin que ce soient encore des choses poussées dans le passé et qui n'empêchent pas l’avance.

J'ai vu ça, alors c'est parti. C'était venu seulement pour me montrer ça. Et le corps, de nouveau, a dit son éternel assentiment – n'est-ce pas, quoi qu'on lui mette sur le dos, il sera toujours prêt à le recevoir et à le supporter.

Je ne pensais pas du tout que ça aurait des conséquences, mais il y a eu une conséquence!1 – il y avait quelque chose qui, probablement, avait besoin d'être épuisé. Alors hier a été au point de vue physique une assez mauvaise journée – oh! tout à fait extérieurement, mais enfin très clairement consciente, profondément heureuse, joyeuse (le corps, n'est-ce pas), au point que toute souffrance devient négligeable – ça n'occupe pas – et que ça a été l’occasion vraiment d'un progrès pour l’entourage. Ça aide.

Vu à un point de vue superficiel, on pourrait appeler ça [cette particularité du corps, qui attire les épreuves] une sorte de karma, mais ce n'est pas ça. C'est vraiment comme un des pivots – pas un pivot central, mais un des pivots de l’action invisible du corps, de sa conscience. Et ça se traduit par un appel aux circonstances. Et alors tout-tout un ensemble de choses, du corps physique, est devenu très clair, très précis – c'est pour ça qu'il a été bâti: afin de brûler les étapes.

Je ne crois pas du tout, au point de vue intellectuel, à l’idée de prendre sur soi les malheurs des autres – tout ça, c'est des enfantillages. Mais il y a certaines vibrations dans le monde, qui doivent être acceptées, épuisées, transformées. Au point de vue intérieur, c'est un travail qui a été fait toute la vie, d'une façon consciente, glorieuse; mais maintenant, c'est au point de vue purement physique, indépendamment de toutes les réalités des autres mondes – corporel, n'est-ce pas. Et ça a donné une clef, une des clefs nécessaires au Travail.

Peut-être, une autre fois, il y aura autre chose.

Comme une porte qui s'est ouverte, ça a été très révélateur.

Et toujours la même chose: cette Sollicitude qui dose – toujours ça, c'est toujours là.

Et j'ai remarqué maintenant (n'est-ce pas, il y avait un temps où le corps était comme un petit enfant: il se plaint quand les choses ne vont pas comme il faut – il ne se révolte pas mais il gémit), et cette fois-ci, toute sa réaction était: «Pourquoi je ne suis pas transformé? Pourquoi je ne suis pas transformé? Je veux être transformé, je veux être transformé, je veux...» Pas avec des mots parce qu'il n'y avait rien de mental dans l’affaire, mais seulement comme ça, une sorte de tension – la tension qu'on a quand la porte de l’être psychique est fermée et qu'on pousse-pousse-pousse pour passer de l’autre côté. La même chose, la même tension: pousser-pousser-pousser... vers quoi? Sais pas. On l’appelle «la transformation» parce qu'on ne sait pas ce que c'est – si on savait ce que c'était, ce serait qu'on a déjà commencé à réaliser... Il y a une vague impression de ce qui pourrait être un état (mais c'est très-très, très vague). Et il y a cette impression de tension, de poussée – implorer et demander. Cette fois-ci, c'était la seule réaction; il n'y avait pas autre chose, il n'y avait plus du tout cette espèce de chagrin (dans le temps – il y a quelque chose comme cinquante ans –, c'était: «Mais enfin pourquoi est-ce que je le mérite?» et toutes ces imbécillités-là; ça, il y a plus de cinquante ans que c'est parti), mais longtemps après, il y avait un chagrin (quelque chose qui est en désordre, qui n'est pas harmonieux, qui est vilain), ça aussi, c'est parti. Mais c'est récent, c'est depuis la dernière expérience du 13 avril – ce n'est plus là. Maintenant: transformation-transformation-transformation; il n'y a plus que cette idée-là, plus que cette volonté-là.

(silence)

Tous ces jours-ci, avant cet incident, quelque chose d'autre était venu, une sorte de vision imaginatrice et créatrice des possibilités physiques les plus matérielles, futures.

C'est un grand pouvoir de formation que j'avais toujours eu depuis ma petite enfance, mais que j'avais canalisé et arrêté parce que je considérais que c'était inutile. Mais c'est revenu ces temps derniers, alors avec la marque sûre d'où ça venait – de tout en haut: «C'est comme ça, ce sera comme ça.» Mais c'est encore pour plus tard. Pour la raison extérieure, ce sont des choses qui paraissent tout à fait irréalisables, mais qui seront réalisables... peut-être dans quelques centaines d'années, je ne sais pas – ça prépare l’avenir. Avec une formidable puissance, justement de création, de réalisation. Et toujours dans le physique (tout le reste est très tranquille), toujours dans le physique. Mais ça a créé une sorte de mouvement de la conscience physique très rapide (pour la partie la plus matérielle, la substance la plus matérielle) et ça a fait une dislocation; et alors2 avant-hier, il y a eu cette ancienne formation, qui est tout d'un coup revenue et qui m'a fait comprendre une partie de la nature, une partie de la CONSTRUCTION du corps physique, et l’utilité de cette construction. Alors maintenant, ça va; c'est encore quelque chose qui s'ajoute.

*Mais quand tu reçois ces vibrations mauvaises qui dérangent ton corps,3 est-ce qu'elles sont épuisées du fait que tu les acceptes?

Ce n'est pas que je «reçois» des vibrations mauvaises, c'est la substance physique tout entière qui n'est pas... (comment dire?) dans le mouvement, ou dans le rythme où elle doit être. Par exemple, entre la vision de cette vieille formation dont je t'ai parlé, et puis ce... (je ne peux pas appeler ça un mal de dents, mais enfin quelque chose est allé de travers), il n'y a pour ainsi dire pas de connexion visible; ce n'est pas une certaine vibration qui a produit ça, c'est plutôt... comme si une chose ou une autre était l’occasion d'absorber une certaine quantité, ou un certain genre (c'est plus une quantité qu'un genre – c'est probablement les deux), un MODE vibratoire, pour le mettre en rapport avec LE mode vibratoire, divin.

Mais je comprends ta question. Tu veux dire si ça agit sur tous les modes vibratoires identiques dans le monde?... En principe, oui. Mais on ne peut pas dire que les effets seraient imédiatement visibles; d'abord on n'a pas de champ d'observation – n'est-ce pas, matériellement, qu'est-ce que nous savons? seulement ce qui nous entoure imédiatement: ce n'est rien. Mais par exemple, j'ai eu, en 1920 je crois (oui, c'était en 1920), une expérience comme cela, qui s'est traduite par une action symbolique mais terrestre. C'était une vision (je ne me souviens plus des détails d'une façon assez précise pour que ce soit intéressant) où toutes les nations étaient représentées par une entité symbolique, et il y avait un certain genre d'horreur – d'épouvante plutôt. Dans cette assemblée de toutes les nations, il y avait une volonté d'épouvante qui voulait se manifester. Et j'assistais à ça. Je me souviens que c'était une chose très consciente, suffisamment longue et détaillée, avec une réalité plus intense que les choses physiques (c'était dans le physique subtil). Et après, quand ça a été fini, que j'ai eu fait ce qu'il fallait (je ne le raconte pas parce que je ne me souviens plus de tous les détails, et sans exactitude ça perd sa valeur), mais quand je suis sortie de là, j'ai pu dire avec une conviction totale: «l’épouvante a été surmontée dans le monde» – ce n'est pas exact, n'est-ce pas, il y a encore des tas de gens qui ont de l’épouvante, mais un certain genre d'épouvante était comme sapé à sa base. Ce qui était déjà manifesté continuait et s'épuise petit à petit, mais cette épouvante, qui voulait être croissante et dominer la vie des nations, a été arrêtée net.

J'ai eu d'autres expériences analogues, par exemple quand Sri Aurobindo était là, le jour de Dourga (tu sais que c'est le jour où elle maîtrise un asoura: elle ne le tue pas, elle le maîtrise), eh bien, chaque fois, chaque année, il y avait un genre de choses qui était sapé (et mes expériences n'ont jamais été mentales: c'était une expérience qui me venait tout d'un coup, et après je m'apercevais que c'était justement le jour de Dourga), et chaque fois je disais à Sri Aurobindo: «Tiens, aujourd'hui, ça (ou ça), c'est coupé à sa racine.» Pour les forces adverses, c'est comme cela – oui, c'est comme quelque chose qui est déraciné du monde. Ce qui s'est déjà répandu continue et suit son karma, mais la source productrice est tarie. C'est ce qui s'est passé aussi (c'était en 1904 je crois), quand cet Asoura de la Conscience et de l’Obscurité a fait sa soumission – il s'est converti, il m'a dit: «Il y a des milliards d'êtres qui sont mes émanations et qui continueront leur vie, mais la racine, la source est tarie.»4 Combien de temps ça prend pour épuiser tout? – On ne peut pas dire, mais la source est tarie; et ça, c'est une chose extrêmement importante. Cette épouvante de 1920, c'était quelque chose qui essayait de se répandre sur le monde et de devenir vraiment catastrophique, et je me suis aperçue alors, dans la vision intérieure, qu'il y a tout un mouvement qui est tari à sa source. C'est-à-dire que le karma s'épuise petit à petit, petit à petit, petit à petit...

Pour ces petits mouvements physiques, c'est la même chose. C'est comme s'il n'y avait plus d'«initiation» des choses, c'est-à-dire qu'elles ne s'engendrent plus; mais tout ce qui est déjà là, dans le monde, doit s'épuiser.

Je vois des moyens plus rapides, mais ils appartiennent essentiellement au monde supramental.

Pour changer les karma, pour arrêter les karma, pour retirer de la circulation, si l’on peut dire, un certain nombre de vibrations, c'est encore un autre mouvement, c'est un autre mouvement – le Pouvoir n'est pas encore là. C'est ça qui donnera des résultats visibles, tangibles. l’autre a des résultats très tangibles, très concrets, mais pas visibles (pas pour l’observation humaine qui est beaucoup trop limitée, beaucoup trop superficielle). Mais ça a des résultats, c'est tout à fait évident. Cette vision d'épouvante a changé très clairement la courbe dans laquelle les nations étaient poussées. Mais c'est visible seulement pour celui qui a une vision intérieure.

(silence)

Il est onze heures?

Bon, alors continue ton livre. C'est bien, c'est beaucoup mieux que tu ne crois! (geste de dénégation du disciple) Oui-oui, les choses définitives, c'est comme mes transformations définitives! Il faut savoir attendre. Ça viendra, plus tard.

Il faudrait quelque chose comme un mantra.

Je comprends! Mais je comprends très bien. Mais il faut savoir attendre. Si tu écrivais maintenant de cette façon-là, ce serait tout à fait inutile au point de vue du public, il ne comprendrait rien.

Ça, c'est très bien – très bien, très utile. Au revoir, mon petit.

11 août 1962

(Le disciple demande une explication sur cette phrase du 4 août: «Il est plus facile de se sentir plus grand, plus haut, plus vaste que le monde, qu’un individu. Parce qu'il est plus aisé de prendre tout, de l’envelopper et de le changer en restant dehors qu'en restant dedans.»)

Oui, il est plus facile de se sentir (c'est un Être, ou une Force, ou une Conscience) plus grand que la terre, qu'un individu.1

Qu'un individu?

(Mère rit) Pour moi, c'est très clair!...

C'est une sorte de réponse à quelque chose que je suis en train de traduire dans La Synthèse. N'est-ce pas, il y a ces trois Aspects qu'il faut toujours garder unis dans sa conscience: le jiva (l’individu), la Shakti et l’Ishwara (le Suprême). Il décrit merveilleusement comment on a les trois ensemble, comme dans une sorte de hiérarchie intérieure. Et alors, moi (quand je traduis, j'ai toutes les expériences: elles viennent comme ça), alors pendant que je voyais ça, je me disais toujours: «Non, ce jiva, il me gêne; ce jiva me rapetisse! ce n'est pas naturel pour moi.» – Pour moi, le naturel, c'est... probablement c'est la Mahashakti. Il y a toujours cette sensation de la Puissance créatrice et puis du Seigneur. Et cette joie, n'est-ce pas, infinie, merveilleuse, innombrable, du Seigneur, et puis ça se mélange tellement – on sent bien, on sent bien qu'il y a le Seigneur, mais on ne peut pas les distinguer ni les différencier. Mais ça fait un jeu délectable. Alors introduire l’individu, le jiva là-dedans, ça gâte tout, ça fait tout petit!

C'est tout cela que je voulais dire avec ma phrase.

Et je l’ai dit parce que, tout naturellement, ceux qui lisent avec leur propre expérience, ils ont l’impression d'un être individuel qui est uni à Ça – ça ne marche pas avec moi, je ne peux pas! Je ne peux pas. Le reste, c'est naturel, c'est spontané, c'est admirable – c'est la joie d'être et la joie de vivre. Dès que ça [le jiva], ça vient, oh! on se sent tout petit.2


(Puis Mère commente un passage de cette même conversation du 4 août où Elle parlait de «cette espèce d'immense universel tamis, qui donne des précisions.»)

C'est très intéressant! C'est comme si ça filtrait à travers l’étoffe du tamis, et c'est ça qui donne la précision.

Et la Lumière qui descend... (n'est-ce pas, je VOIS ça comme – comme de dehors, de dedans, de dessus, de dessous, de partout à la fois: cette Vibration, éternelle, universelle, immense, merveilleuse), et puis alors à un endroit, c'est fin, c'est léger! c'est d'un gris argenté (c'est une chose qui est répandue autour du monde, de la création), et à travers ça, l’a Vibration passe et... ça devient les idées. Pas les idées: plus haut que les idées – l’origine des idées. Ça prend une forme. Et le tamis, fin-fin-fin, si fin, si ténu, mais partout comme ça (geste qui enveloppe la terre).

Et tout le temps! Je le voyais l’autre jour, je le vois maintenant – c'est une chose qui paraît être permanente. Et c'est l’origine de toutes les formulations intellectuelles (les plus proches de la Vérité, n'est-ce pas, pas de déformation). Très intéressant.


(Mère avait parlé de l’inter-êchange constant des vibrations, si bien que l’idée de solitude pour faciliter le Yoga est «un enfantillage», et Elle avait ajouté: «La seule chose possible, c'est une telle perfection dans l’union avec la Vibration suprême, qu'automatiquement tout est mis sous Son influence.»)

J'ai eu cette expérience ce matin pendant plusieurs heures. Ça a commencé au milieu de la nuit, et ça a duré pendant des heures ce matin, jusqu'au moment où... j'ai été envahie par les gens. Et quand ça a commencé la nuit, c'était d'une façon assez colossale, pourrait-on dire, dans le corps (tout ça, c'est dans le corps), avec un sentiment de puissance formidable (même, pendant que j'avais l’expérience, tout d'un coup je me suis dit: «Tiens, il faut que je dise ça demain à Satprem – en pleine expérience!). Et alors cette impression que LA Vibration était si complètement présente («présente», j'ai l’impression qu'elle est toujours là, mais perçue; perçue, ce qui lui donne un genre d'efficacité – un genre qui nous est accessible). Toute la matinée jusqu'à huit heures, huit heures et demie, c'était comme cela; après huit heures, l’expérience s'est lentement estompée. Ça a commencé vers onze heures de la nuit et ça a duré jusque là. Et alors... Oui, c'est exactement ce que je dis là: automatiquement ça met chaque chose à sa place.

(Un peu plus tard, à propos de la conversation du 8 août où Mère disait qu'avec cette joie intérieure de la Présence, «toute souffrance devient négligeable»:)

Oh! ce matin, pendant ces heures de la Présence, c'était devenu si évident ce que je dis là, si évident! Tu sais, c'est absolument comme le (il n'y a plus que le Seigneur, n'est-ce pas), comme le Seigneur qui voit toutes choses – ça [le corps], ça fait partie de toutes les choses qu'il voit! – qui voit toutes choses et qui rit! Qui rit comme cela – toujours ce rire de toute cette tragédie... cette tragédie de l’existence. Mais c'était là, je Le voyais, n'est-ce pas il n'y avait plus que Lui – immense, merveilleux, et en même temps à la dimension de la terre; presque, on pourrait dire, à la dimension de cette chambre! Et II était là – tout-tout, dans tout le passé, tout l’avenir, toutes les places, tout; c'était tout comme ça. Et II souriait, Il souriait, avec la conscience de cette joie – ce n'est pas joie (joie c'est pauvre). Mais il n'y a pas d'excitation, il n'y a pas tout ce que la conscience humaine met dans ces choses, mais... cette certitude éternelle, cette vision si claire du MOINDRE détail. Et tout ça en même temps, comme ça, avec un sourire. Et... je ne peux plus dire ce qui est Lui, ce qui est moi, et pourtant j'ai cette joie de Le percevoir – ça, ce n'est pas aboli – et je ne suis nulle part! Mais j'ai la joie, je sens la joie de Le percevoir.

C'est difficile à décrire. Ça a duré depuis minuit jusqu'à huit heures.

Et tout ce qui se passait, ça se passait naturellement, comme ça; on ne pouvait même pas dire que c'était «quelque part»: ça se passait. C'est un autre... c'est une autre manière d'être.

Sans doute, un jour, ce sera comme ça: rien n'aura le pouvoir de faire retomber l’être dans le vieux mouvement.

Parce que je me suis levée, j'ai marché, j'ai fait ma toilette – rien ne bougeait Ça; tout se passait très bien, ça3 n'occupait pas de place, (riant) c'était quelque part et ça ne dérangeait rien!

Et je ne vois que Ça – cette Conscience. C'est une Conscience, une Présence. Et tout-tout est là, n'est-ce pas, tout est là, le Pouvoir, la Présence, la Conscience, cette joie, un Amour... Et tout ça donne l’impression de... presque d'une Forme, cette Vibration de lumière dorée – doré-carminé, qui est la lumière la plus matérielle du Supra-mental –, une Forme. Une Forme et pas de forme – mais c'est une Forme!

(silence)

Bien, mon petit.

Il y a des choses intéressantes là-dedans.

Tout ensemble, ça va être quelque chose d'intéressant [cet Agenda].

Je pense bien! C'est une mine, c'est un monde!

Bon.

C'est bien, mon petit. Et de plus en plus, je sais que je t'ai donné ton vrai nom (ça a l’air de venir comme des cheveux sur la soupe, mais...) De plus en plus, à mesure que j'entre en contact conscient avec l’avenir – qui est LÀ, n'est-ce pas, qui simplement, comme nous poussons pour aller, ça pousse pour descendre –, eh bien... c'est bien. C'est bien.

Ne te fais pas de soucis – ne te fais pas de soucis, laisse-toi être tout simplement ce que tu es vraiment.4

14 août 1962

(Nous ne nous souvenons plus exactement des circonstances qui ont amené la conversation suivante, nous n'avons pas gardé note de nos questions à Mère ni des détails extérieurs, mais il semble que nous voulions écrire une lettre à X, notre ancien gourou tantrique, ou que nous voulions le rencontrer pour tenter d'expliquer ce qui s'était passé, et surtout, au fond, pour lui dire que nous lui gardions notre affection profonde en dépit des circonstances extérieures et de notre rupture extérieure.)

...Il ne faut jamais reculer, il faut toujours avancer.

Les courbes font comme ça, comme ça, comme ça (geste sinueux), c'est seulement quand on fait la flèche supramentale qu'on peut aller au-dessus. Alors ce qui s'est passé [avec X] était nécessaire. Mais il y a un degré supérieur à en vouloir à quelqu'un parce qu'on s'est trompé sur lui! Ça, c'est une chose humaine si ordinaire – c'est ridicule. Mais c'est comme cela. Il est, a été ce qu'il est tout du long, il n'a jamais prétendu autre chose que ce qu'il est, seulement (avec un sourire moqueur pour le disciple) l’imagination a mis beaucoup de dorures là où il n'y en avait pas, et puis les circonstances (les circonstances, c'est toujours l’influence de la conscience) ont fait que les dorures ont disparu! Mais ce que tu sentais sincèrement pour lui, qui n'était pas le produit d'une imagination bouillonnante, ce qui était un sentiment sincère, ça, ça doit rester.1

Mais ça reste!

Eh bien, il n'y a qu'à dire cela: «Mon sentiment reste le même.» Tu n'as pas besoin de te remettre sous son influence, parce que c'était l’influence de ton imagination (!)

Je ne sais pas très bien comment lui dire...

Pourquoi veux-tu construire d'avance les mots que tu lui diras? Tu gardes dans ta conscience non pas une convention extérieure, non pas une illusion dans laquelle tu vivais, mais la réalité.

Ne décide rien mentalement.

Il faut savoir être immobile, silencieux, et laisser le Seigneur parler à travers soi; c'est beaucoup mieux que de décider d'avance, beaucoup mieux... Moi, Il ne m'a jamais failli, le Seigneur. Je me suis trouvée des centaines de fois dans des circonstances très difficiles; je ne faisais rien, je disais: «Oh! on verra bien ce qui va arriver», et c'était toujours, naturellement, la meilleure chose qui arrivait. Et moi, je n'y étais pour rien – ce n'était pas moi, c'était le Seigneur.

Le moins on explique et le moins on fait de plans, le mieux c'est – toujours, toujours.2


Plus tard

Juste après t'avoir parlé l’autre jour, j'ai regardé pour être tout à fait sûre, et j'ai vu que même le corps – même le corps –, il lui fallait un petit effort – un petit effort – pour avoir la sensation d'être quelque chose de séparé, d'être une individualité. Ça lui paraissait gênant, comme si on le mettait dans une boîte!

l’impression, c'est plutôt des vibrations qui sont rassemblées et coagulées quelque part – et encore! avec un jeu intérieur très souple parce que ça s'en va comme ça (Mère fait un geste de diffusion ou d'expansion autour d'Elle) par une sorte de (comment?...) de subtilisation ou d'éthérisation. Mais ça n'a pas de limites – comment est-ce que ça aurait des limites! Ça va comme ça (même geste rayonnant), ce sont ces mêmes vibrations qui sont partout, dans tous les corps et toutes les choses. Et c'est seulement une volonté de concentration dans une organisation spéciale qui fait ce qu'on appelle ce corps – il se sent spontanément tout le temps comme ça (il n'est pas là à s'observer, mais si quelque chose l’oblige à l’observation, c'est ça qu'il sent spontanément). Et cette délimitation qui est dans tous les êtres, et qui ÉTAIT en lui (était-ce lui?... est-ce que les cellules n'ont pas changé? je ne sais pas), mais qui était dans ce que les gens appellent «lui», a complètement disparu. Avant (il y a de cela quelque trente ans), il sentait quelque chose de séparé qui bougeait au milieu d'autres choses séparées – c'est parti.

Plusieurs fois j'ai essayé, je me dis: «Ah! voyons, il n'y a rien, nulle part, qui sent comme cela?3 (D'en haut comme ça je le regarde.) Il n'y a rien, vrai? Tu es tout à fait sincère, spontané?4 Il n'y a rien?» – Impossible de trouver. Impossible de trouver.

Dans tous les états d'être, même dans le physique subtil, le mental, le vital, tout ça, il y a longtemps que ce n'est plus comme cela. Mais c'est le corps. N'est-ce pas, je dis «je» – ce qui dit «je», c'est... c'est quelque chose qui est grand comme l’univers. Et ça ne peut pas être autrement. Ce n'est pas parce que je le veux, ce n'est pas parce que j'insiste, ce n'est pas parce que c'est l’effet d'une tapasya ou de... pas du tout: ça ne peut pas être autrement, c'est comme ça. C'est la spontanéité de l’être. l’expérience est devenue tout à fait (comment dire?) extériorisée.

Et c'est ça qui fait la différence essentielle pour ce corps. C'est ça qui fait qu'il ne se sent pas comme les autres corps. C'est... (Mère hoche la tête) non, ce n'est pas la même chose, il sent bien que ce n'est pas la même chose – parce que sa réaction est différente!

Peut-être qu'il y avait un jiva, avant? Je ne sais pas, je ne me souviens plus; parce que maintenant je me souviens seulement... au fond, un univers en marche et une concentration spéciale sur les affaires de la Terre parce que le Seigneur a décidé que c'était le moment de... changer quelque chose. C'est tout. Changer quelque chose.

(silence)

Il y a un bonhomme – qui ne doit être ni vieux ni jeune –, qui depuis vingt-cinq ans vit d'une façon continue à l’une des sources du Gange, dans une sorte de petite caverne creusée dans la montagne, toute petite – toute nue, terre battue, une peau de tigre. Il est assis sur la peau de tigre, tout nu, sans rien, absolument nu comme l’enfant qui vient de naître, en plein hiver comme en été – tout est plein de neige dehors. Il mange... quelquefois des gens qui passent apportent des fruits; il les fait sécher au soleil, puis met ça dans l’eau et boit. C'est tout. Depuis vingt-cinq ans il est là, sans sortir de cet endroit.

Un de nos enfants (V) est allé là-bas tout seul – un garçon courageux. Et alors, en hiver, c'est absolument isolé de tout, il n'y a rien (c'était au mois de mai et il y avait encore de la neige dehors, et un froid! il paraît effroyable), et il était assis là, tout nu, ça lui paraissait tout à fait naturel! Il a même demandé à ce garçon: «Si vous voulez passer la nuit ici?...» Ça lui a suffi!

Il est allé là-bas, il s'est assis près de lui, puis au bout d'un moment, l’homme est entré dans une sorte de transe et a commencé à lui raconter sa vie (la vie de ce garçon, pas la sienne!). Alors V a été intéressé et il a voulu savoir; il a demandé: «D'où est-ce que je viens?» l’homme a répondu: «Oh! d'un Ashram près de la mer – il y a la mer là-bas.» Puis il a commencé à parler (il faut dire que physiquement il ne savait absolument rien de Sri Aurobindo ni de moi ni de l’Ashram – rien du tout, du tout), et il lui a dit qu'il y avait là-bas un «grand sage» et puis «la Mère», et qu'ils voulaient faire quelque chose sur la terre qui n'avait jamais été fait avant – c'était très difficile. Puis, je ne sais pas s'il a dit que j'étais seule maintenant (ça, je n'en sais rien), mais il a dit: «Oh! mais elle a été obligée de se retirer5 parce que les gens qui l’entourent ne comprennent pas et... la vie est devenue très difficile là-bas. Elle sera très difficile encore jusqu'en 1964.»

Peut-être qu'il lisait dans la tête du garçon (je ne sais pas) mais pas dans sa tête consciente. Mais il a dit plusieurs fois: «Ils veulent faire quelque chose qui n'a jamais été fait avant, c'est très difficile – c'est très difficile – et c'est pour cela qu'ils sont venus, c'est pour faire ça.»

J'ai appris cela il y a deux jours. Ça m'a intéressée: «Quelque chose qui n'a jamais été fait auparavant, quelque chose de tout à fait nouveau.»6

Il y avait beaucoup d'autres choses. Mais il paraît qu'il parle un hindi particulier qui est très difficile à comprendre. Mais ça, il l’a répété plusieurs fois et c'était tout à fait clair.

Ça m'a intéressée.

Et c'est vraiment ça, c'est pour ça que Sri Aurobindo était venu, et c'est pour ça que je suis venue. Et c'était ça qui était sur ma tête quand j'étais toute petite: quelque chose de nouveau et de très difficile (Mère sourit). Très difficile.

Il a dit, paraît-il, que si on arrivait jusqu'en 1964, après, les difficultés s'en iraient (mais ça, c'est une très forte formation – qu'est-ce qu'il a reçu? est-ce la formation de Sri Aurobindo? est-ce la pensée de ce garçon? ou quoi?...) Mais c'est un liseur de pensée merveilleux, il doit voir dans le monde mental merveilleusement.

Ça m'a bien amusée. Si on demandait... si on demandait aux gens ici, il n'y en a pas beaucoup qui ont une idée si claire: «Ils sont venus pour faire quelque chose de tout à fait nouveau, et de très difficile.»

C'est joli.

Voilà, petit.

18 août 1962

(Desc: Il existe un enregistrement de cette conversation, sauf les dernières paroles plus personnelles que nous jugions de trop.)

(À propos du nouveau livre sur Sri Aurobindo, Mère prévoit qu'il faudra faire encore beaucoup de coupures et que, au fond, le but, c'est surtout d'empêcher que l’éditeur ne confie ce livre à n'importe quel ignorant. Et Elle ajoute:)

...Mais tu comprends bien qu'ils ne peuvent pas saisir ça, ces gens-là, c'est un mur fermé! Ce n'est même pas des portes de bronze: c'est fait avec des briques et du ciment – on ne passe pas au travers.

Pauvre Sri Aurobindo!

Mais ce qui est arrivé ici, à Pondichéry, il n'y a pas besoin d'en mettre très long. Parce que, à partir du moment où il s'est retiré (à vrai dire, c'est à peu près au moment où on a changé de maison, de là-bas ici1), sa vie n'appartient plus au public. Et ce qui s'est passé... eh bien, ce sera intéressant dans une centaine d'années. Pas maintenant.2


(Puis Mère parle de la méditation collective du 15 août à l’occasion du quatre-vingt-dizième anniversaire de Sri Aurobindo:)

Le 15, mon petit, nous avons eu une méditation ici à dix heures.3 À partir de dix heures moins le quart, j'étais assise à la table ici, dans un silence complet. Et alors... je ne peux pas dire que Sri Aurobindo est venu parce qu'il est toujours là, mais il s'est manifesté d'une façon spéciale... Il est devenu, concrètement, dans le physique subtil, si grand qu'il était assis comme on s'assoit ici [les jambes croisées] et qu'il était assis sur tout le compound! [l’enclos]. Ça débordait un petit peu, mais il était littéralement assis sur le compound; ce qui fait que tous les gens qui étaient en méditation, dans la mesure où ils n'étaient pas fermés, étaient au-dedans de lui. Il était assis (pas sur leur tête!) comme ça, et moi j'ai senti (j'étais là, n'est-ce pas), j'ai senti la friction de sa présence dans le physique subtil – absolument une friction physique! Et je le voyais (parce que, tu sais bien, je ne suis pas là-dedans: [dans le corps]), je le voyais très grand, de parfaites proportions, assis, et puis il est descendu tout doucement, tout doucement, tout doucement, et c'est cette descente qui a produit cette friction – n'est-ce pas tout doucement, afin de ne pas donner un choc aux gens –, tout doucement, tout doucement comme cela. Puis il s'est installé et il est resté là plus de la demi-heure, un petit peu plus, quelques minutes de plus, comme ça, absolument immobile, mais tout concentré sur tous les gens qui étaient là – ils étaient au-dedans de lui.

Moi, j'étais là assise, souriante, presque... presque riante, n'est-ce pas: on le sentait partout comme ça, partout (Mère touche tout son corps). Mais alors dans une paix – une paix! une force! une puissance! et puis une sensation d'éternité, d'immensité, d'absolu. Une sensation d'absolu comme si tout était accompli, n'est-ce pas, qu'on vivait dans l’Éternité.

C'était compelling [irrésistible]. Il fallait être tout à fait bouché pour ne pas sentir.

Je ne dis pas qu'il n'y avait pas beaucoup de gens bouchés! Ça, je n'en sais rien (riant), je ne leur ai pas demandé leur avis!

Et alors, après, ce n'est pas qu'il est parti tout d'un coup: c'est lentement-lentement-lentement, comme cela, comme quelque chose qui s'évapore; et puis les choses sont redevenues ce qu'elles sont, avec des concentrations ici et là, et là et là, et des activités.

Il y a des gens, je crois, qui ont dû sentir (peut-être pas comprendre dans cette mesure, parce qu'ils n'avaient pas la vision totale), mais ils ont peut-être senti comme s'il descendait en eux. Parce que l’après-midi, quand tout est rentré dans l’ordre (il est toujours là naturellement, mais pas de cette façon-là! il est toujours là), tout est rentré dans son ordre habituel et il y a eu comme une espèce de vague de regret, comme quand on dit: «Oh! cette belle chose est finie.» Ça a passé dans l’atmosphère: «Oh! maintenant, c'est fini le 15 août, cette belle chose est finie.» Mais c'était ça, c'était cette chose si... plus que concrète, je ne sais pas comment dire, c'était... c'était avec un absolu.

Je l’ai vu comme ça dans sa lumière supramentale, très souvent; très souvent il est venu (quand j'allais au balcon, il venait; quelquefois il était au-dessus du Samâdhi, très souvent il est venu), mais ça... d'abord la proportion était formidable puisque je te dis que la base assise débordait le compound, et puis il s'était matérialisé de façon à être senti physiquement. Et il y avait une telle assurance, une telle joie, une telle certitude, une telle confiance; tout était si sûr, si absolument certain, comme si tout était fait. Il n'y avait plus, n'est-ce pas, cette espèce d'angoisse, de tension pour que les choses se fassent.

Ça a duré à peu près trois quarts d'heure; après, les choses sont rentrées dans l’ordre habituel.

(silence)

C'était le plus joli 15 août que nous ayons jamais eu.

Ça a duré trois quarts d'heure.

(silence)

La seule chose (il ne m'avait pas annoncé qu'il le ferait), mais quand on m'a dit qu'on se réunirait pour une demi-heure de méditation, tout d'un coup quelque chose en moi l’a pris très sérieusement: «Ah! bien.» Alors j'ai tout arrangé pour la méditation. Et je me suis assise (il était à peu près dix heures moins le quart), comme cela, assise à la table – et puis ça a commencé. Ça a pris à peu près cinq minutes pour se former. Ah! alors j'ai compris.

C'est un beau cadeau qu'il a fait.

N'est-ce pas, toute sa douceur et toute sa magnificence et tout son pouvoir et tout son calme, tout était là; et alors beaucoup plus fort, beaucoup plus clair que lorsqu'il était dans son corps!

J'avais toujours cette impression-là – dans sa chambre, c'était toujours comme cela; et j'avais toujours cette impression dès que je le rencontrais. Et même pendant tout le temps que je travaillais, j'avais l’impression qu'il était là derrière moi et qu'il faisait toutes les choses. Mais ça, c'était beaucoup plus fort. Beaucoup plus fort. C'était... on était pris et puis il n'y avait pas moyen de s'en sortir. C'était comme cela. C'était UN ABSOLU.

Je n'ai rien demandé à personne, je n'ai rien dit à personne, je n'en ai pas parlé, je n'ai pas dit un mot, tu es le premier. J'ai demandé seulement à Pavitra hier, quand il est venu, je lui ai demandé avec un sourire s'il avait eu une bonne méditation. Il m'a dit oui. Alors je lui ai dit: «Eh bien, voilà, Sri Aurobindo s'est assis sur vous!» (Mère rit) Il m'a répondu: «J'étais assis ici, en dessous, dans la chambre de Sri Aurobindo.» Alors j'ai dit: «Il était là aussi!» (Mère rit)

Moi, j'ai été immobilisé. J'ai eu l’expérience d'être complètement immobilisé.

Ah!

Vraiment la demi-heure a passé, je n'ai pas bougé, rien n'a bougé.

C'est ça.

Rien, c'était absolument... suspendu!

Ça, c'est bien, tu en as pleinement profité.

Je n'avais jamais eu cette sensation. Quelquefois j'ai été tranquille, mais là c'était immobilisé.

Oui, immobilisé, c'est ça, c'est tout à fait bien. C'est comme cela.

Voilà, mon petit.

Alors tu comprends, tu n'as qu'une chose à faire: finir ton livre.

Oui, oh! je voudrais faire un si beau Sri Aurobindo, et puis...

Ça se débride beaucoup.

Il y a encore un peu trop du vieil angle qui reste en toi, et alors c'est tout le temps à te tourmenter. Quelque chose qui est tout le temps à te tourmenter, qui est parfaitement inutile – on perd son temps à se tourmenter.

25 août 1962

(Le disciple se plaint d'avoir beaucoup de difficultés à écrire son livre. Mère entre en concentration pendant une quinzaine de minutes, puis Elle dit:)

Bien.

Il est venu mettre toutes sortes de choses autour de toi, pour que tu écrives. Toutes sortes de choses dorées.

Alors il faut les écrire. Tu me diras ça mardi. Et encore il a répété: «No worry, no worry... Take it easy, take it easy» [ne t'inquiète pas, laisse-toi aller], et c'était comme s'il voulait t'asseoir à côté d'une rivière qui coule, comme si on voyait l’eau couler-couler-couler-couler, si naturellement comme ça. Comme si tu étais assis sur une prairie avec de jolies petites fleurs, et puis l’eau qui coule! Et il disait: «Don't worry, take it easy, take it easy.»

Il mettait toutes sortes de choses autour de toi. Voilà.

Et je suis un peu fatigué.

Ah! fatigué?

*Avant, je dormais toujours entre une heure et deux. Depuis avril dernier, cinq mois à peu près, c'est fini, parti.1

Pourquoi? Tu ne peux pas ou tu n'as pas le temps?

Non-non, j'ai le temps, mais je n'arrive pas. C'est dommage parce que c'était une heure consciente. J'allais me promener souvent au bord de la mer.

Tu dormais au bord de la mer?

Non! dans mon sommeil, j'allais au bord de la mer! C'était une heure de détente. Et puis c'est parti.

Tiens!

Je ne suis pas responsable.

Non, je sais bien!

Je croyais au contraire que tu te reposais.

Non, tu vois, c'est parti.

Parce que, moi, je me repose, je suis en transe très... (comment dire?) coagulée (Mère ferme son poing), pas diluée, très puissante, depuis midi et demie, une heure moins le quart, jusqu'à deux heures moins le quart: une bonne heure. Alors c'est un bon moment.

Eh bien oui!

Eh bien, branche-toi!

Étends-toi, et puis simplement tu m'appelles. Et puis tu te laisses aller. Essaye. Essaye aujourd'hui.

Tu t'étends tranquillement sans penser à rien, et puis tu m'appelles, et puis c'est tout.

Tu te laisses aller comme ça, comme un chiffon,

Bon.

Essaye!2

28 août 1962

(Nous regrettons infiniment de n'avoir pas gardé le début de cette conversation dans nos notes, car son contexte éclaire singulièrement ce qui suit. Autant que nous nous souvenions, il s'agissait du sommeil du disciple et Mère semblait dire que nos «promenades au bord de la mer» se faisaient, pour nous, dans le sommeil et par un passage à un autre état, alors que pour Elle – et c'est ici que nos notes commencent –, il n'y avait plus de «sommeil» et plus de «passage» à un autre état, du physique ordinaire au physique subtil, comme si tout était devenu ou devenait une même Matière, continue. Sans doute la vraie Matière.)

C'est l’une des choses qui est en train de se produire. C'est comme si la fusion des deux [du physique ordinaire et du physique subtil] se faisait de plus en plus.

Je t'ai expliqué ça déjà plusieurs fois: au lieu de passer de l’un à l’autre, c'est comme si l’un était «perméé» par l’autre, comme ça (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche) et on peut presque sentir les deux à la fois. C'est un des résultats de ce qui se produit en ce moment. Il suffit, par exemple, d'une toute petite concentration pour sentir les deux à la fois, ce qui mène à une presque conviction que c'est une espèce de pénétration qui amène le vrai changement dans le physique. Le physique le plus matériel n'a plus cette sorte de densité qui ne reçoit rien, une densité qui s'oppose à la pénétration: ça devient poreux, et devenant poreux, ça peut être pénétré – en fait, plusieurs fois, j'ai eu l’expérience d'une vibration qui tout naturellement changeait la qualité de l’autre; de la vibration du physique subtil qui amenait une sorte de... presque de transformation; en tout cas de changement notable dans la vibration purement physique.

Ça paraît être le procédé, ou en tout cas l’un des procédés les plus importants.

Et ça croît de plus en plus. Presque toutes les nuits sont passées dans ce domaine-là. Mais même dans la journée, dès que je ne bouge pas, dès que le corps est immobilisé, il y a cette perception des deux vibrations, et la vibration physique qui devient comme poreuse.

Ça paraît être le procédé, ou certainement un procédé important pour la transformation du corps physique.

(silence)

Parce que ce physique subtil semble DOSER son pouvoir et sa lumière et sa capacité de conscience, à la possibilité de la réceptivité purement physique, de la vibration purement physique. C'est ce qui fait que les effets s'étendent sur un très long temps. Ça se fait très-très progressivement. Mais c'est un travail presque continu; ce n'est que quand il y a une activité du corps et que la conscience est forcément tournée vers le dehors (pas de la même manière qu'avant, c'est impossible! mais encore sous une forme qui est comme la suite de l’ancienne conscience), alors à ce moment-là, si le travail continue, c'est d'une façon invisible, et peut-être qu'il ne continue pas? Je ne sais pas. Mais dès qu'il n'y a pas activité, dès qu'il y a concentration ou immobilité – peut-être même simplement passivité –, cette pénétration est sensible: elle est visible – visible. Et ce n'est pas comme quelque chose de plus subtil qui pénètre dans quelque chose de moins subtil et sans l’altérer: c'est une pénétration qui change la composition, ce qui est très important. Ce n'est pas seulement un degré de subtilité: c'est un changement dans la composition intérieure. C'est probablement une action qui doit se traduire atomiquement, à son extrême. Et alors comme cela, on s'explique (comment dire?) la possibilité pratique de la transformation.

C'est une expérience que j'ai tout le temps.

Parfois, c'est quelque chose d'un peu nouveau, ou d'un peu extrême, et il faut être bien sur ses gardes pour qu'il n'y ait pas un affolement dans le corps. Et alors on voit que tout ça est dosé, maintenu, de façon à... (Mère rit) à ce que rien ne se disloque!

C'est un travail très humble en apparence, qui ne fait pas de bruit. Ce ne sont pas des illuminations qui vous emplissent de joie et de... Tout ça, c'est bon pour les gens qui cherchent les joies spirituelles – ça appartient au passé.

C'est un travail très modeste, très modeste. Et même modeste au point de vue purement intellectuel, n'est-ce pas; cette sensation de savoir, de connaître les choses parce qu'on EST les choses alors on les connaît, c'est un autre genre: ça vous donne de la joie, le sentiment du progrès – ce n'est même pas comme cela! C'est TRÈS humble. C'est un travail très humble, sans éclat. Mais qui se continue d'une façon très régulière, très régulière, très OBSTINÉE.

Ça s'étendra certainement sur très longtemps.

Et à chaque pas, c'est comme s'il fallait faire très attention pour que rien ne bascule. Surtout les associations nouvelles de vibration, ça, c'est très difficile pour le corps: il faut qu'il soit bien-bien tranquille et bien maintenu, bien paisible, pour qu'il ne s'affole pas. Parce qu'il est habitué à ce que les conséquences des vibrations suivent une courbe régulière, et puis si ça change, il a une sorte de surprise apeurée. Alors il faut éviter ça, il faut le tenir comme ça, tout doucement.

Et ce que le mental pense, ce que le mental s'attend à voir, ça paraît comme un enfantillage en comparaison, parce que c'est... oui, tiens, ça paraît comme une représentation de théâtre. C'est la différence entre une pièce à grand spectacle et puis la très modeste vie de chaque minute. C'est comme cela.

Tous les pouvoirs, toutes les siddhis, toutes les réalisations, toutes ces choses-là, c'est... c'est le grand spectacle – le grand spectacle spirituel. C'est pas comme cela! Très modeste, très modeste, très effacé, très humble, qui ne montre rien. Pour que ça fasse quelque chose de visible, qu'il y ait un résultat tangible, c'est du travail qui s'étend sur des années et des années et des années, silencieusement, tranquillement, avec grandes précautions, avant que rien ne puisse se percevoir même pour la conscience individuelle [de Mère].

Et ceux qui veulent aller vite, s'ils essayent d'aller vite dans ce domaine, ils basculeront.

On ne peut pas aller vite.

Une fois comme cela, quand j'ai vu ça, je me suis un peu plainte au Seigneur, je lui ai dit: «Seigneur, pourquoi tu as fabriqué ce corps comme ça pour faire ce travail-là? Regarde comment c'est!» Il m'a répondu (riant): «C'est le meilleur qu'on pouvait faire.» Alors j'ai dit «Merci!» et je me suis tenue tranquille.

Et c'est probablement vrai! Il a de ces qualités – ce qu'on appelle en anglais stubborn [entêté, obstiné], tu sais (Mère plante ses deux poings et reste sans bouger). Et stubborn, c'est une qualité essentiellement britannique, alors il n'y a pas d'autre mot pour ça. C'est stubborn. C'est ça qu'il faut.

Bien.

31 août 1962

Et ton sommeil, c'est mieux?

Je sens plutôt une espèce d'engourdissement sans vrai repos et sans vrai sommeil.

Pas un repos? Pas de détente totale?

Essaye, mon petit, essaye encore. Essaye d'une façon répétée, ça viendra.

Ce n'est pas le «sommeil», c'est une sorte de paix qui descend. Qui peut commencer par un engourdissement, mais ça se change en une sorte d'immobilité intérieure – l’immobilité de l’Esprit. Ça aussi [le corps], devient tranquille-tranquille-tranquille, très tranquille, et si rien ne vient déranger, on passe de ça dans le sens de l’éternité. C'est une expérience magnifique. Le vrai sens de l’Éternité: tout s'arrête, et puis RIEN. Et si tu as des capacités de vision (ce n'est pas nécessaire), mais si tu les as, ça devient tout blanc – tout blanc et lumineux, tout blanc. Mais ça peut très bien ne pas venir ([la vision] parce que c'est une... on est né comme ça.

Toutes les cellules s'ouvrent et deviennent conscientes de leur éternité.

Il se peut (trois, quatre, cinq fois) qu'il n'y ait rien, et puis la sixième fois, ça arrive. Il faut être très obstiné pour ces choses.

Essaye.

De toute façon, même si tu ne dors pas, ça te repose – de rester étendu comme cela, de faire le chiffon sur le lit, ou sur la natte, ça repose toujours; ça repose l’être vital très bien, alors ça ne peut pas te faire de mal.1


(Un peu plus tard, à propos de la dernière conversation: «Un travail très humble en apparence, qui ne fait pas de bruit. Ce ne sont pas des illuminations qui vous emplissent de joie: tout ça c'est bon pour les gens qui cherchent les joies spirituelles – ça appartient au passé.»)

J'ai dit hier à Pavitra que toutes ces réalisations, tous ces – oui, ces pouvoirs, ces capacités, ces constructions, ces manifestations, tout ça maintenant, ça me faisait l’effet d'une vie de saltimbanque.

Il était choqué.

Je lui ai dit: «Oui, pour moi, j'ai l’impression... une vie de saltimbanque – saltimbanque, on va de foire en foire, montrer ses tours d'adresse!» (Rires)

Mais c'est vrai!

(silence)

Comme cela devient sérieux! Tranquille, paisible, sans fla-fla, tu sais, sans poudre aux yeux, rien de tout ça.

Et pas avec l’idée: «Oui, si je continue comme ça pendant un certain temps, eh bien, au bout, il y aura quelque chose de brillant» – pas du tout.

Parce que le bout, c'est la nouvelle création, et on conçoit bien que... Combien d'étapes, de choses incomplètes, imparfaites, d'à peu près, de tentatives – des TOUTES PETITES choses réalisées –, qui vous font dire: «Ah oui! nous sommes sur le chemin.» Pendant combien, oh! on pourrait presque dire de siècles, ce sera comme cela, avant qu'apparaisse le corps glorieux d'un être supramental?... Hier soir, il y avait quelque chose qui était venu et c'était (pour moi, ça me faisait l’effet d'être excité), c'était un pouvoir d'imagination créatrice qui essayait de visualiser les formes supra-mentales, les êtres qui habitent dans d'autres mondes, toutes sortes de choses comme cela. Et j'ai vu beaucoup de choses. Mais alors, ça me paraissait tellement... comme quand on fait mousser du champagne! J'ai dit: «Ça, c'est très gentil, c'est pour élargir mon pouvoir d'imagination afin que je présente des formes au Seigneur.» J'ai dit: «Ce n'est pas nécessaire!» (Mère rit) rajustement, ça m'a paru... ça aussi, que dans le temps je considérais comme un grand pouvoir créateur (et en effet, il y a beaucoup de choses qui se sont réalisées sur la terre des années après que je les ai vues ainsi dans un de ces moments de super-création, super-imagination), et cette fois-ci c'est venu (je ne sais pas si c'était pour me donner un petit amusement, un petit spectacle en route), c'est venu comme cela, et je regardais ça; je voyais bien tout son pouvoir, je voyais bien que c'était quelque chose qui essayait de se matérialiser dans l’avenir, et je disais: «Quel cabotinage! Pourquoi jouer la comédie?» – saltimbanques.

Et c'était de la lumière supramentale, c'était dérivé de la lumière supramentale. Des êtres des autres mondes, comment ils entreraient en rapport avec les êtres futurs, toutes sortes de choses de ce genre – des histoires pour amuser les enfants.

Mais la vibration était là, n'est-ce pas, là-haut, autour de la terre, très forte (c'était autour de la terre), c'était très fort, c'était comme si ça venait des autres parties de l’univers, que ça essayait d'entrer dans l’atmosphère terrestre pour l’aider à entrer dans ces nouvelles combinaisons. Et tout ça me paraissait des enfantillages. Tout l’univers me paraissait vivre dans un enfantillage. Il y avait Quelque chose qui était SI tranquille – si tranquille, si calme, pas pressé, n'essayant de rien montrer, mais qui pouvait vivre dans une éternité d'effort et de progrès tranquilles; et Ça, c'était là immobile, et Ça regardait toutes ces choses-là. Et finalement (le spectacle a duré toute la soirée comme cela), quand je me suis mise sur mon lit pour la nuit, j'ai dit au Seigneur: «Je n'ai pas besoin de me distraire, je n'ai pas besoin de voir des choses qui m'encouragent – je veux seulement travailler tranquillement, tranquillement, EN TOI. Toi, Tu travailles; Toi, Tu es là; Toi, Tu es seulement; Toi, Tu réalises.» Et alors, tout-tout est devenu silencieux, tranquille, immobile – et puis l’excitation est tombée.

Dans l’univers aussi il y a de l’excitation (!) si on ne fait pas attention. Simplement, mon impression, c'est que ça complique les choses – ça brouille les cartes, tu sais, ça complique les choses. Il faut attendre que la mousse se soit apaisée pour qu'on puisse reprendre son chemin vers le but, tranquille.

Voilà, petit.

On ne peut pas espérer... Tu sais, dans l’évolution, il y a quelquefois des mutations brusques?

Ça peut, c'est possible. C'est possible, je ne dis pas que ce n'est pas possible, c'est possible, ça peut venir, mais... de plus en plus, la vie qui est réservée à ce corps, c'est de faire les choses sans le savoir, de changer le monde sans le voir, et de... pas s'occuper de ça, absolument pas du tout s'occuper du résultat. Et j'ai l’impression (pour être tout à fait explicite) que la notion de «résultat» doit disparaître totalement pour avoir le Pouvoir le plus haut et le plus pur – que le Pouvoir suprême est un Pouvoir qui n'a pas DU TOUT le sens du résultat, que ce sens de résultat est encore une dislocation entre le Pouvoir essentiel, suprême, et la conscience; c'est-à-dire que la conscience commence à se séparer un peu2 pour avoir le sens du résultat, autrement il n'y a pas ça.

C'est comme si on voulait que tout... que ce soit l’Action, l’Action éternelle de chaque seconde dans la Manifestation, qui est la chose. À chaque pulsation, qui correspond au temps dans la Manifestation, c'est ça qui est la chose. Et cette idée de quelque chose qui aura un résultat est déjà une déformation.

Ininterrompu, avec un lien – le lien de l’Éternité suprême. Mais ce sens de conséquence est faux; c'est déjà une descente de la conscience. Et alors, ça se traduit – même physiquement, dans tout cet amalgame de confusion et d'ignorance et de stupidité –, ça se traduit par: «Je fais les choses, et ce qui en résulte ne me concerne pas, ça ne me regarde pas.» C'est comme cela que ça se traduit ici [dans le corps].

Une espèce de libération (je ne parle pas de souci ni de préoccupation, il ne s'agit pas de ça), mais même de l’IDÉE que ça a une conséquence: c'est comme ça parce que c'est comme ça; ce doit être comme ça et c'est comme ça, voilà. Et à chaque seconde, c'est comme ça parce que ça doit être comme ça, et c'est comme ça. Et Ça, Ça se répète éternellement, et c'est cette Pulsation éternelle qui se traduit dans le temps par ces bouffées – je sens ça très fort, très fort. C'est une expérience très constante et très spontanée, très naturelle. Cette idée de ce qui est derrière, en avant, tout ça, c'est... une Vérité qui se change d'Éternité immuable en Éternité de manifestation. Et ça se change comme ça, par (Mère fait un geste de pulsation), exactement comme des bouffées – peuff! peuff! peuff...

On pourrait dire des bouffées aussi irresponsables que les bulles de savon d'un enfant. Pas – aucun sens des conséquences, aucun-aucun-aucun – peuff! peuff! peuff! comme ça.

C'est une expérience qui ne me quitte pas.

Alors quand les gens viennent me raconter leurs histoires, j'ai l’impression qu'on me fourre la tête dans une bouillie noire et je ne comprends plus rien. Ils me demandent conseil sur ce qu'ils doivent faire! (Mère rit) Alors maintenant je leur réponds presque invariablement: «Faites n'importe quoi, ça n'a pas d'importance!» (Mère rit)

Voilà.

septembre




5 septembre 1962

(Avant de lire à Mère son manuscrit sur Sri Aurobindo, le disciple lui demande de rectifier les erreurs possibles car il parle de choses dont il n'a pas l’expérience directe:)

Il y a des choses dont je n'ai pas l’expérience.

Moi non plus, je n'ai pas toutes les expériences.

Eh bien, écoute alors!...

(Riant) J'en ai un certain nombre, mais...

Au fond, après quelques milliers de naissances, on doit avoir toutes les expériences, si on se donne la peine de se souvenir. Ce serait l’avantage de la réincarnation; on ne peut pas tout faire en une vie, mais avec plusieurs milliers de vies, on peut passer par tous les états.

Il faudrait se souvenir.

Naturellement, au début, on se souvient très peu, très peu. À mesure qu'on avance, on se souvient davantage (je parle de l’expérience de l’être psychique).

De l’expérience de l’être psychique – je ne parle pas naturellement de ce que peut savoir la Mère universelle parce que ça, c'est une autre catégorie! Je parle d'expérience purement terrestre. Eh bien, il y a peu de choses qui me paraissent... Au fond, il n'y en a pas qui me paraissent étrangères, inconnues. l’état d'esprit, ça oui! Depuis toute petite, j'étais ahurie par la façon dont les gens pensent et sentent – ça me paraissait monstrueux. Mais les circonstances de la vie, les événements de la vie, tout ça, c'est plus ou moins du rabâchage.

Les choses qui m'ont laissé des impressions aiguës, tu sais, comme ça (Mère fait un geste poignant), qui vous font dire: «Ah! non, ça suffit comme ça, pas encore, il y en a assez!», ce sont celles des vies de souveraine – oh! impératrice, reine et ces choses-là. Ce sont des impressions douloureuses. De toutes les impressions, ce sont les plus douloureuses. Et je me souviens d'une façon aiguë d'une résolution prise dans ma dernière vie d'impératrice, j'ai dit: «Ça, jamais plus! J'en ai assez, je n'en veux plus! J'aimerais mieux être (même pas «j'aimerais mieux»: c'était un choix positif), je VEUX être un être obscur, dans une famille obscure, enfin libre de faire ce que je veux!» Et c'est la première chose dont je me sois souvenue cette fois-ci: «Oui, c'est une famille obscure, un être obscur, dans un milieu obscur, pour faire ce que je veux, libre de faire ce que je veux – pas une troupe de gens qui sont là à me regarder et à guetter tout ce que je fais et à me faire des règles pour ce que je dois faire.»

Ça n'a pas duré longtemps! (Mère rit)

Ce qui veut dire qu'on n'échappe pas à sa destinée I Seulement, ici, ce n'est pas officiel, il y a tout de même une grande marge de liberté.

C'est la première chose que j'ai dite à Sri Aurobindo, je lui ai dit: «C'était la résolution de mon être psychique (mon être psychique a été dans telle personne – je sais qui c'est) et quand je suis partie, il a dit d'une façon absolue: je-n'en-veux-plus.»

Le reste, ça m'est égal, ça n'a pas laissé une impression si... aiguë.

Enfin maintenant, lis-moi ton texte. Peut-être que je pourrais savoir si c'est vrai ou pas vrai!

Mais au fond, tout est vrai. À condition d'admettre tout le reste en même temps.1


(Le disciple lit un passage de son manuscrit relatif aux maladies et il parle notamment des «maladies yoguiques» qui peuvent provenir d'un décalage intérieur, quand les diverses parties de la conscience ne sont pas également développées.)

Ce ne sont pas des maladies de la même nature que les autres, en ce sens que GÉNÉRALEMENT (je ne dis rien d'une façon absolue), généralement on ne leur trouve pas de virus ou de bactéries pour origine, mais une sorte de désordre – comment appellent-ils donc cela? Ils ont un mot magnifique maintenant... Tu sais, une incapacité de supporter quelque chose, un manque d'harmonie...

Allergie?

C'est ça. Et puis des maladies de désordre colloïdal (le sang, par exemple, est un liquide colloïdal): quand les relations entre les éléments cessent d'être ce qu'elles sont normalement, naturellement. Ce sont deux causes de maladie nouvellement admises. Et ça, c'est généralement (je ne dis pas d'une façon absolue) mais généralement le résultat de ce que tu appelles un «décalage intérieur», c'est-à-dire quand les différentes parties de l’être ne sont pas au même niveau de développement – ça produit des choses de ce genre.

À très peu d'exceptions près, on ne trouve pas de germes, de microbes, de bactéries, à l’origine de ces maladies-là. Très souvent, elles sont classées avec les «maladies mentales», les «maladies nerveuses», etc., et elles proviennent de ce décalage intérieur.


Puis le disciple lit un passage relatif au «physique subtil» et à l’extériorisation; il cite notamment l’expérience de D qui, s'étant extériorisé pour la première fois, n'arrivait plus à rentrer dans son corps parce qu'il essayait de rentrer par les jambes! Voici l’histoire:

«J'étais allongé sur ma chaise longue, en concentration, quand tout d'un coup je me suis retrouvé chez mon ami Z qui était en train de faire de la musique avec plusieurs autres. Je voyais tout très clairement, plus clairement même que dans le physique, et je me déplaçais très vite, sans obstacle. Je suis resté là un bon moment à regarder; j'ai même essayé d'attirer leur attention, mais ils n'étaient pas conscients. Puis, soudain, il y a quelque chose qui m'a tiré, comme un instinct: «Il faut que je rentre.» J'avais une sensation de mal à la gorge. Je me souviens que pour sortir de leur chambre, qui était fermée, à part une petite ouverture en haut, ma forme s'est comme vaporisée (parce que j'avais encore une forme, mais ce n'était pas comme de la matière, c'était plus lumineux, moins opaque) et je suis sorti comme une fumée par une fenêtre ouverte. Puis je me suis retrouvé dans ma chambre, près de mon corps, et j'ai vu que j'avais la tête de travers, rigide, contre le coussin, et que je respirais avec difficulté; j'ai voulu rentrer dans mon corps – impossible. Alors j'ai pris peur. J'entrais par les jambes et puis, arrivé à hauteur des genoux, c'est comme si je glissais dehors; deux, trois fois comme cela; la conscience montait, puis elle glissait dehors, comme un ressort. Je me disais: «Si seulement je pouvais renverser ce tabouret (il y avait un petit tabouret sous mes pieds), ça ferait du bruit et je me réveillerais!» Rien à faire. Et je respirais de plus en plus mal. J'avais une peur terrible. Soudain, je me suis souvenu de Mère et j'ai appelé: «Mère! Mère!» et je me suis retrouvé dans mon corps, réveillé, avec un torticolis.»

(Mère rit beaucoup)

C'est D qui m'a raconté cette histoire.

D, oh! quel âne! il ne sait pas par où on rentre! Mais il ne m'a jamais raconté ça! je le lui aurais dit.

Il faut sortir par là [le cœur] – on peut sortir par le sommet du crâne mais c'est plus difficile. Il faut sortir par là [le cœur] et il faut rentrer par là [le cœur]. C'est tout naturel, c'est la première chose qu'on vous apprend quand vous voulez vous extérioriser. Il faut concentrer toute la conscience là [cœur], et puis sortir par là. Et il faut rentrer là et garder le lien.

Mais c'est intéressant, c'est très intéressant.

Non, il ne m'a jamais raconté ça! Essayer de rentrer par les pieds!!

Il y a des gens qui essayent par la tête: c'est un petit peu difficile. C'est un petit peu difficile et il faut savoir. Mais le cœur, c'est tout à fait naturel.

Tiens-tiens!... Elle est intéressante, son histoire.

Oui, et elle fera comprendre aux gens ce que c'est.

Oui, c'est très amusant.

Je n'ai jamais réussi à sortir de mon corps consciemment.

C'est un don.

Quelquefois, par là [le crâne], j'ai comme des vibrations qui sortent.

Ça, c'est autre chose.

Qu'est-ce que c'est? Parfois j'ai l’impression d'un arrachement: quelque chose qui vibre intensément et qui m'arrache, comme si j'étais arraché par là [le sommet du crâne].

C'est l’ouverture sur le mental supérieur.

Ça fait partie plutôt de la méthode koundalinî. Ce n'est pas l’expérience de l’extériorisation: c'est l’ouverture mentale sur les domaines supérieurs.

Mais ça arrive quelquefois juste au moment où je m'endors.

C'est comme cela que tu entres en contact. Ça, c'est indispensable.

Mais ça, ça vient du yoga. Ça peut être préparé à travers des existences, ou ça peut se faire en une existence si on est prêt. À vrai dire, c'est la partie importante: n'est-ce pas, dépasser la calotte ici, tu sais, qui vous ferme (c'est une espèce de fermeture là, [sommet du crâné]), il faut annuler ça. La capacité de faire ça est une preuve que l’on est arrivé au moment où on est prêt pour le yoga – le «yoga», enfin le yoga de Sri Aurobindo.

Les autres choses, extériorisation, etc., c'est inné, comme il y a des gens qui sont nés artiste, des gens qui sont nés peintre, des gens qui sont nés aviateur. C'est une combinaison de la Nature. J'ai connu des filles qui étaient de la dernière stupidité, mais qui s'extériorisaient d'une façon admirable et qui avaient toute la conscience de leurs expériences dans le physique subtil ou bien dans le mental, dans le vital matériel (c'est plus souvent dans le vital matériel que dans le physique subtil quand on n'est pas développé). Et elles vous racontaient tout ce qu'elles voyaient. Mais incapables de yoga.

Je te dis, ce sont des fantaisies de la Nature.

C'est bien dommage qu'elle n'ait pas de fantaisie pour moi!

Mais ce n'est pas indispensable pour le yoga.

Évidemment, mais enfin quand même...

Seulement, pour les gens matérialistes, ça a beaucoup de poids parce que ça les met en présence de quelque chose qui leur paraît «surnaturel» (!)

Oui, c'est intéressant surtout pour cela: ça leur montre que la conscience peut exister en dehors de ce corps.

C'est ça. Mais pour soi-même, ce n'est pas du tout indispensable.

Non. Mais j'aimerais bien quand même...

Ça t'amuserait!

Eh bien, oui! Non seulement ça m'amuserait, mais j'aurais l’impression que la conscience se développe.

Pas toujours.

Si on n'a pas ça là-haut [l’ouverture au-dessus de la tête], on ne profite pas. Ces petites dont je te parle (j'en ai connu trois qui étaient comme cela; pas une seule: trois), eh bien, elles ne progressaient pas. Elles ne progressaient pas. Elles voyaient peut-être de mieux en mieux, mais elles ne faisaient pas de progrès intérieurs, du tout.

Mais enfin, personnellement, à quoi tient le fait, par exemple, que je n'ai jamais d'expériences?

Mais non! ce n'est pas vrai que tu n'as pas d'expériences. Ce n'est pas vrai. Je sais que ce n'est pas vrai, tu en as – je les vois, tes expériences.

Mais moi, je ne les vois pas, alors!

C'est que tu ne te souviens pas.

La raison (il y a beaucoup de raisons), c'est ce que je t'ai déjà dit: il suffit d'un tout petit degré de l’être qui n'est pas développé. Ça dépend de l’atavisme évidemment, de la façon dont le corps a été bâti, du milieu dans lequel on est né, de l’éducation que l’on a reçue, de la vie que l’on a menée. Mais surtout de l’intérêt que l’on a eu dans sa vie au point de vue supérieur; et il est évident que tes énergies ont été concentrées justement pour supprimer ce couvercle-là [sommet du crâne] et pour entrer en rapport avec la Source de la Vérité, beaucoup plus que pour avoir des expériences d'ordre mediumnique, beaucoup plus. Et pour ce que tu es venu faire, c'était INFINIMENT plus important. Les petites expériences comme ça, s'extérioriser, etc., c'est des petits amusements sur le chemin. J'ai toujours pris ça comme cela.

Oui, douce Mère, c'est très bien. Mais on n'est pas encouragé extérieurement. J'ai l’impression que rien ne se passe – tous les matins je me réveille, il n'y a rien. Dans mes méditations, il n'y a rien – il n'y a jamais rien! Il y a seulement la certitude que c'est la seule chose à faire.

Tu ne vois pas, il y a la Lumière qui ne bouge pas là-haut, mon petit! (Mère regarde au-dessus de la tête du disciple) Il y en a des milliers qui donneraient tout le reste pour ça!

La vérité, c'est qu'on n'est jamais content de ce que l’on a...

Mais il ne se passe rien!

... et qu'on veut toujours ce qu'on n'a pas. Parce que nous commes construits pour une perfection intégrale et qu'à moins qu'elle ne soit intégrale, nous ne sommes pas satisfaits.

Ce qui peut te consoler, c'est que ça te viendra, en temps voulu.

Ça viendra, oui??

Oh! oui. Oh! oui! ça peut te venir tout d'un coup, un jour.

J'ai l’impression qu'il ne se passe rien, c'est cela qui est décourageant.

Mais oui! mais moi aussi, pendant très longtemps je croyais qu'il ne se passait rien!

Je n'ai pas eu de ces joies des expériences – jamais. Elles ne sont jamais venues que quand c'était nécessaire. Il ne m'est jamais rien arrivé que ce qui était absolument indispensable pour mon travail. Et tu comprends, il faut savoir exactement son travail, être conscient de la Volonté divine pour savoir ce que je viens de te dire, et alors il se passe de nombreuses années avant que ça ne vous arrive.

Je me souviens, après avoir eu beaucoup-beaucoup d'expériences et beaucoup-beaucoup de réalisations, quand je suis arrivée ici, l’une des premières choses que j'ai demandée à Sri Aurobindo, c'est: «Pourquoi suis-je si médiocre?... Tout ce que je fais est médiocre, toutes mes réalisations sont médiocres, ce n'est jamais quelque chose de remarquable, d'exceptionnel: c'est comme ça, moyen. Ce n'est pas en bas, mais ce n'est pas là-haut – tout est comme ça, moyen.» Et c'était mon impression. Je faisais de la peinture: ce n'était pas de la mauvaise peinture, mais enfin c'était comme beaucoup d'autres peuvent en faire; j'ai fait de la musique, ce n'était pas de la mauvaise musique, mais on ne pouvait pas dire: «Oh! quel génie musical!» J'écrivais: c'était tout à fait ordinaire; j'avais des pensées qui étaient un peu supérieures à celles de mes camarades, mais enfin qui n'avaient rien d'exceptionnel; je n'avais pas de qualités philosophiques, etc. Tout ce que je faisais était comme ça: mon corps était habile, mais il n'était pas merveilleux; je n'étais pas laide, je n'étais pas belle – n'est-ce pas, tout comme ça, c'était médiocre-médiocre-médiocre-médiocre. Alors il m'a dit: «C'était indispensable.»

Bon, alors je me suis tue, tenue tranquille – très vite, en quelques semaines j'ai compris.

Mais j'avais eu cette sensation toute mon enfance! toute mon enfance. J'étais une bonne élève, mais enfin je n'étais pas un génie! etc.

Depuis très jeune, il y a une chose qui m'a toujours frappé: j'ai toujours voulu être conscient. Alors ce qui me fait enrager, c'est que je ne suis pas conscient – ça m'enrage.

Mais c'était aussi, pendant très-très longtemps, l’unique chose qui me paraissait valoir la peine d'être vécue – la Conscience. Quand j'ai rencontré Théon et que j'ai compris le mécanisme, j'ai compris aussi pourquoi, là, je n'étais pas consciente. Je crois que je te l’ai dit, j'ai passé dix mois d'une année à travailler entre deux couches – deux couches de conscience – parce que le contact n'était pas établi. Il y avait tout un ensemble de choses que je n'avais pas spontanément parce que le contact n'était pas établi, et Mme Théon m'avait dit: «C'est parce que, entre telle chose et telle chose, il y a une couche qui n'est pas développée.» J'étais très consciente de toutes les gradations (Théon avait expliqué ça d'une façon très simpliste, ce qui fait qu'il n'y avait pas besoin, justement, d'être un génie pour comprendre; il avait fait une quadruple division et chacune de ces divisions était divisée en quatre, et chacune en quatre, ce qui faisait d'innombrables divisions de l’être; mais avec ça, qui est une simplification mentale, on pouvait faire des études psychologiques approfondies de son être), et alors, par étude et élimination, j'étais arrivée à découvrir qu'entre ça et ça (deux niveaux de la conscience de Mère), il y avait une couche qui n'était pas suffisamment développée, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas de conscience. Alors pendant dix mois, je n'ai travaillé que là-dessus – absolument sans résultat. Ça m'était égal, je continuais. Et puis (je me disais: «Eh bien, peut-être qu'il me faudra une cinquantaine d'années pour arriver à quelque chose, je ne sais pas»), puis je suis partie (j'étais à Paris), je suis partie à la campagne. Je me suis couchée sur l’herbe, et tout d'un coup, avec le contact de la terre et de l’herbe, pfft! ça a été comme un éclatement au-dedans, le lien s'est établi, et la pleine conscience, et toutes les expériences qui s'ensuivaient. Alors je me suis dit: «C'est bon, ça sert à quelque chose!»

Et je suis sûre que c'est comme cela, que le travail se fait lentement, d'une façon imperceptible, comme le poussin se forme dans l’œuf: vous voyez la coquille – vous ne voyez que la coquille –, vous ne savez pas ce qui est dedans, et vous ne savez pas si c'est un œuf ou un poussin (naturellement, si vous avez des instruments pour voir au travers, vous pouvez savoir, mais je parle d'une façon ordinaire), et puis tout d'un coup, le bec fait pic! et puis tchm! et le poussin est dehors – c'est comme ça. Pour le contact avec l’être psychique, c'est exactement la même chose. Vous pouvez pendant des mois et des mois, quelquefois des années, être assis devant une porte close, pousser-pousser-pousser; sentir, sentir la pression de la poussée (ça fait mal!) et on n'a rien, on n'a aucun résultat; et puis tout d'un coup, on ne sait pas comment ni quoi, on s'assoit, et puis ploff! tout s'ouvre, tout éclate, tout est prêt, tout est fait – c'est fini, on émerge dans une pleine conscience psychique, on devient intime avec son être psychique. Et puis tout change – tout change –, toute la vie change, complètement, n'est-ce pas, c'est un renversement total de toute l’existence.

Au fond, si on peut ne pas se faire de soucis, ou s'énerver, ou se déprimer (se déprimer, c'est pire que tout) mais pas s'énerver, pas s'impatienter, pas se dégoûter – être tranquille, et puis dire: «Quand ça viendra, ça viendra», mais avec une obstination qui ne bouge pas. Faire ce que l’on a senti qu'il fallait faire, et continuer, continuer même si c'est absolument inutile.

Mais si j'avais une méthode seulement!

Il y a des méthodes. Les livres sont pleins de méthodes – je ne recommande pas parce que c'est la méthode de celui qui a écrit le livre, ou qui l’a entendue. Il faut se trouver sa méthode.

On peut avoir des indications, on peut trouver sa méthode.

Mais il faut... Tiens, c'est la même chose que pour le japa. Le japa est donné, n'est-ce pas, on le reçoit (à moins qu'on ne le trouve soi-même, mais ça, c'est plus difficile et ça demande déjà un autre genre de réalisation), mais on reçoit son japa, on le reçoit avec le pouvoir de le faire – mais il faut apprendre à le faire, non? Pendant très longtemps, on ne réussit pas complètement, ou il vous arrive toutes sortes de choses (au beau milieu, on ne se souvient plus, ou on s'endort, ou bien on est fatigué, ou on a mal à la tête – toutes sortes de choses –, ou bien même les circonstances extérieures ne vous aident pas), eh bien, c'est la même chose, on s'est dit: «Je ferai ça», et on fera ça, même si... Il faut être absolument comme une mule, aller comme ça – tout est contre mais on continue. On a dit qu'on fera ça, on le fera. Il n'y a pas de résultats: ça m'est égal. Tout est un obstacle: ça m'est égal. J'ai dit que je le ferai, je le ferai... J'ai dit que je le ferai, je le ferai. Et aller comme ça.

C'est la même chose dans ton cas. Ça dépend de ce que l’on veut faire. Rien que ce que je t'ai dit, par exemple pour le sommeil ou pour le repos, ce doit être suffisant. Là-dessus tu établis ta propre discipline – ou des mots dits, ou des gestes faits, ou des idées reçues. On se fait sa propre discipline. Et une fois qu'on a choisi sa propre discipline, on continue.

Moi, c'est ça, mon expérience.

Obstinément. Il faut être obstiné – obstiné-obstiné-obstiné. Il y a la résistance de l’inconscience et de l’ignorance, avec tout le pouvoir, justement, de l’inconscience et de l’ignorance – c'est obstiné, immuable –, mais c'est la même chose que les rochers et la goutte d'eau. C'est une question de temps. La goutte d'eau passera à travers le rocher. Ça prend longtemps mais elle réussira, parce qu'elle tombe comme ça, une à une; d'abord elle glisse (au début elle glisse), finalement elle fait un trou, et on a une rivière en bas, immense, qui coule. C'est un exemple merveilleux que la Nature nous donne, merveilleux. C'est ça, c'est la goutte d'eau sur le rocher que l’on doit faire.

l’eau, c'est l’énergie vitale. Le rocher, c'est l’inconscience.

Voilà, mon petit.2


(Au moment de partir, Mère fait une remarque à propos de quelqu'un, et comme le disciple a l’air de ne pas bien croire ce qui lui est dit – nous ne voulions pas croire à ces laideurs, nous ne les notions même pas –, Mère ajoute:)

...Parce que tu n'es pas encore dans ce domaine où je vais!

C'est ailleurs.

Pas plus haut, pas plus dedans: ailleurs. Une autre façon de voir.3

8 septembre 1962

(Mère n'a pas l’air en bonne santé. Il semblerait qu'Elle ait eu des évanouissements. Nous n'en savons rien au juste.)

Tu es fatiguée?

Un petit peu, oui.

Depuis trois jours, une bataille, une bataille, une bataille.1

(long silence)

On ne peut pas savoir si c'est une coïncidence... Je ne crois pas aux coïncidences.

Je pensais justement: est-ce qu'il n'y a pas une coïncidence avec l’arrivée de X?

Il est venu hier. La méditation était bonne, en ce sens que c'était très concentré, très silencieux, et lui, a eu une ascension comme cela (geste en triangle, pointe en l’air) avec un point qui était suprême (pour lui) et une descente de lumière. Très calme, très silencieux.

Le docteur dit qu'il a l’influenza – peut-être m'a-t-il passé l’influenza? Je ne sais pas.

(silence)

N'est-ce pas, ce n'est plus du tout le sentiment de «maladie» ou de choses comme cela. Avant-hier, c'était très clairement le sentiment d'une attaque, d'une très violente attaque – il a fallu se battre pendant plus d'une demi-heure.

C'est toujours comme quelque chose qui veut jeter la vie hors du corps physique. Ça prend cette forme.

(silence)

Il est évident que nous ne sommes pas sur le même plan, X et moi, c'est tout à fait évident. Son pouvoir et son action sont sur un plan (geste en bas) mental-physique, et il se peut que ça m'apporte des complications, parce que ça me fait faire un travail dont je ne m'occupe pas généralement.

Plusieurs fois, tu m'avais dit que chaque fois qu'il venait, cela soulevait des choses basses.

Oui.

Ça ne me touche pas parce que c'est tout un domaine qui est complètement réglé, mais ça touche l’atmosphère et ça me met en contact avec des choses dont je ne m'occupe pas généralement. Et alors, comme, pour le moment, c'est difficile pour le corps... Je t'ai dit justement, dans ces dernières conversations, qu'il y avait une pénétration du physique subtil dans le physique.

Évidemment, le corps n'a pas besoin qu'on lui augmente ses difficultés.

(long silence)

C'est une curieuse sensation, une perception bizarre des deux fonctionnements – qui ne sont même pas... on ne peut même pas dire superposés –, du fonctionnement véritable et du fonctionnement déformé par le sens individuel du corps individuel. C'est presque simultané, c'est ça qui fait que c'est très difficile à expliquer... Il y a une quantité de mauvais fonctionnements du corps (je ne sais pas si on peut appeler ça des maladies – peut-être que les docteurs appellent ça des maladies, je ne sais pas – mais en tout cas c'est un mauvais fonctionnement), mauvais fonctionnement des organes du corps: le cœur, l’estomac, les intestins, etc., les poumons; et en même temps (on ne peut plus appeler ça un «fonctionnement»), mais l’état véritable. Ce qui fait qu'il y a certains désordres qui n'apparaissent que quand la conscience... c'est comme si la conscience était tirée ou poussée, ou placée dans une certaine position, et là, ces mauvais fonctionnements apparaissent instantanément – pas comme une conséquence: c'est-à-dire que la conscience s'aperçoit de leur existence. Mais alors, si la conscience reste assez longtemps dans cette position, ça a ce qu'il est convenu d'appeler des conséquences: le mauvais fonctionnement a des conséquences (ce sont de toutes petites choses, des malaises physiques si tu veux). Et si par (est-ce la discipline yoguique, est-ce l’intervention du Seigneur? On peut appeler ça comme on veut), la conscience reprend sa véritable position, ça cesse instantanément. Mais alors, quelquefois, c'est comme cela (Mère fait un geste de chevauchement ou d'interpénétration en plaçant les doigts de sa main droite ouverte, entre les doigts de sa main gauche), c'est-à-dire que c'est ça et puis c'est ça, c'est ça et puis c'est ça (Mère passe et repasse les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche, pour montrer une sorte de va-et-vient de la conscience entre deux états), c'est cette position-là et puis cette position-là, cette position-là et puis cette position-là. En l’espace de quelques secondes, ça fait ce mouvement-là, alors on a presque la perception simultanée des deux fonctionnements. C'est ça qui m'a donné la connaissance de la chose, autrement je ne comprendrais pas; je croirais seulement que c'est un état, puis que je tombe dans un autre état – ce n'est pas ça, c'est simplement... Tout, toute la substance, les vibrations doivent suivre leur cours normal, n'est-ce pas, mais c'est seulement la perception de la conscience qui change.

Ce qui fait que si on pousse cette connaissance-là à l’extrême, c'est-à-dire si on la généralise, la vie (ce que nous appelons «la vie» généralement, la vie physique, la vie du corps) et la mort, C'EST LA MÊME CHOSE, c'est simultanément... seulement la conscience qui fait comme ça et fait comme ça, qui se déplace comme ça et comme ça (même geste de va-et-vient entre les doigts). Je ne sais pas si je peux me faire comprendre. Mais c'est fantastique.

Et c'est une expérience que j'ai avec des exemples aussi concrets et d'une banalité aussi complète que possible. Ce n'est rien qui puisse donner lieu à l’imagination ou à l’enthousiasme, ce n'est pas ça, c'est absolument le détail le plus banal. Par exemple (c'est seulement UN exemple), tout d'un coup, cette espèce de déplacement de conscience (qui est imperceptible, qu'on ne perçoit pas, parce que je suppose que si on avait le temps de le percevoir, il ne se produirait pas; ce n'est pas objectivé), et... l’impression qu'on va s'évanouir, c'est-à-dire tout le sang qui s'en va de la tête vers les pieds, et puis hop! Alors, si la conscience est rattrapée À TEMPS, ça ne se produit pas; si elle n'est pas rattrapée à temps, ça se produit.

Ce qui fait que, il semblerait (je ne sais pas si on peut généraliser pour tous les cas ou si c'est un cas spécial qui est en train de s'élaborer – je ne peux pas dire), mais une impression très claire que ce qui, pour la conscience ordinaire des gens, les apparences et tout, se traduirait par une mort, serait seulement que la conscience n'est pas rattrapée dans sa vraie position suffisamment vite.

Je comprends très bien que ça a l’air de ne rien vouloir dire. Je sens très bien que les mots manquent ou que l’expression manque tout à fait pour expliquer l’expérience. N'est-ce pas, quand on veut faire de la littérature, on dit: «C'est un renversement de conscience» – ce n'est pas ça! c'est de la littérature.

Mais c'est peut-être un acheminement vers la connaissance de la chose – la connaissance, ça veut dire le pouvoir de changer, n'est-ce pas? Le pouvoir sur la chose, c'est la connaître; ce qu'on peut appeler connaître, c'est pouvoir créer la chose, ou la changer, la faire durer ou l’arrêter – c'est le Pouvoir. Ça, c'est connaître. Tout le reste, ce sont des explications que le mental se donne à lui-même. Et je sens bien que quelque chose («quelque chose»! tiens, ce que Sri Aurobindo appelle «le Seigneur du Yoga», c'est-à-dire la partie du Suprême qui s'occupe de l’évolution terrestre) me mène vers la découverte de ce Pouvoir – de cette Connaissance –, naturellement par le seul moyen possible: l’expérience. Et avec beaucoup de précautions, parce que je sens bien que...

Ça va aussi vite que ça peut.

Extérieurement, ces troubles (ces troubles apparents) naturellement inquiètent les gens, spécialement le docteur! Je lui ai dit, je lui ai expliqué que c'était tout yoga et transformation, qu'il ne se tourmente pas, mais évidemment... c'est inquiétant pour des yeux ordinaires. Il y a un fait surtout tout à fait ahurissant pour la vision ordinaire: je suis en train de diminuer de poids très-très-très régulièrement; je suis arrivée déjà à un chiffre ridicule, je ne pèse plus que trente-neuf kilogrammes! Mon poids normal, c'est soixante pour ma taille, ma dimension; c'est-à-dire qu'à vingt-cinq ans, je pesais 60, 62 kg. Alors je n'en pèse plus que 39, et ça diminue tout à fait régulièrement. Je comprends que ce soit inquiétant pour des gens qui voient les choses au point de vue ordinaire!... Je ne mange pas beaucoup (pas peu, pas beaucoup, d'une façon tout à fait moyenne), je ne parais pas profiter de ce que je mange – tout ça, c'est pour la vision extérieure. Et puis j'ai ces phénomènes bizarres; la plupart du temps je n'en parle pas (c'est à toi seulement que j'ai donné l’explication, je ne la donne à personne), je n'en parle pas, mais de temps en temps j'ai l’air – je dois avoir l’air de m'évanouir. Et puis pas de la façon ordinaire, n'est-ce pas, c'est ça! il n'y a rien qui se passe d'une façon ordinaire, alors c'est très inquiétant! (Mère rit) N'est-ce pas, l’Énergie est for-mi-dable! plus formidable qu'elle n'a jamais été – et la force physique est à peu près inexistante. Je peux, mais je peux à condition de mettre l’Énergie. C'est-à-dire que le moindre acte physique exige de l’Énergie. Je crois que le corps est tout à fait... falot, il a l’air... quelquefois je touche pour voir si c'est encore – si c'est dur ou si c'est mou!

(silence)

Il y a eu une attaque très-très violente (c'était hier, je crois; non, avant-hier) et à ce moment-là, m'est venue une puissance de bataille, formidable (l’attaque consistait en ceci: tout ce qui est de mauvaise volonté est rejeté sur l’Origine, s'il y en a une; tout ce qui est un processus qui paraît dangereux doit être favorisé et aidé), et alors cette conscience (c'était presque comme une entité de pouvoir batailleur) est venue et elle est restée là jusqu'à ce que le corps retrouve sa paix – sa paix normale.

J'ai remarqué, il y avait presque comme des éclairs de bataille; c'était un spectacle intéressant (!) Et le corps, très conscient de l’Aide reçue – ça lui a donné beaucoup de confiance, c'est-à-dire qu'il est sorti de là avec une sorte de certitude accrue qu'il était mené comme il fallait pour faire «la chose», qui est une chose que personne ne sait extérieurement – personne! il n'y a personne qui puisse savoir, ni le processus, ni... rien. Tout à fait nouveau.

Naturellement, la Conscience suprême sait ce qu'Elle fait et ce qui va arriver, en ce sens qu'Elle sait ce qu'Elle veut, mais ça ne va pas de cause à effets et d'événements ou de circonstances à conséquences, comme dans la conscience ordinaire; ce n'est pas du tout comme cela, et c'est pour cela que nous sommes incapables de le traduire extérieurement – pour le moment. Plus tard, peut-être que l’on pourra élaborer quelque chose, mais qui ne sera jamais... (comment dire?) qu'une histoire racontée, hein? pas LA chose elle-même.

Enfin, tout ce que je te dis là peut servir!

Oui!

Comme une indication. Mais c'est très inadéquat, c'est un à peu près.

Voilà, mon petit.


(Vers la fin de l’entrevue, Mère reparle de la visite de X:)

Ce qui devait arriver est arrivé petit à petit, c'est d'avoir une relation avec un X qui n'est pas X, qui est le X de TA formation – ça, je te l’ai dit –, un X idéal que tu as dressé au-dedans de toi. Eh bien, il vaut mieux ne plus associer ton idéal et X parce que... ça ne colle pas!

Mais dans mes gestes extérieurs, qu'est-ce que je dois faire?

Rien. Ou tu lui fais un pranâm,2 c'est tout, ça ne fait rien. Moi, je pourrais faire un pranam à un petit chien, mon petit, en toute sincérité – en voyant le Seigneur. Tu n'as qu'à penser au Seigneur. Non?

C'est ce que je fais toujours d'ailleurs.

Penser au Seigneur, c'est tout.3

Et puis poli.

Ne te laisse pas déranger par cette visite. Au fond, ça m'a paru clairement comme quelque chose qui est en marge et qui fait partie de tout un immense ensemble. Ça représente UN aspect de la recherche du Divin sur la terre,4 et ça fait partie de tout un ensemble, comme tous les sannyasins, tous les sadhous, etc. Il se trouve que X est plus proche parce qu'il a beaucoup adoré la déesse de l’Amour, l’aspect d'Amour de la Shakti, et que naturellement ça l’a amené ici, proche, mais... Je vois ça, n'est-ce pas, ça fait partie de tout un monde – il y a beaucoup d'autres choses. Tu sais qu'il y a cette fête qui a lieu tous les dix ans, je crois, avec tous les sadhous qui vont se baigner dans le Gange;5 j'ai vu toutes les photos – c'est douloureux. C'est... c'est douloureux. Ce n'est pas plus beau, ce n'est pas plus harmonieux qu'une foule de gens qui vont se ruer pour une révolution. C'est... il n'y a pas une grâce spéciale.

Et alors, tu te souviens de l’histoire que je t'ai racontée, de cet homme qui vit depuis vingt-cinq ans aux sources du Gange – le voilà (Mère montre la photo). Il était dans sa caverne et V lui a dit: «Je voudrais prendre une photo de vous.» Alors il a dit: «Bien», il est sorti, il est allé s'asseoir dans la neige – tout nu.

(Mère regarde la photo) Il y a quelque chose de très analogue dans le front et les yeux et le nez (je ne sais pas pourquoi le nez?), quelque chose de très analogue chez tous ceux qui ont eu cette expérience du contact intérieur.

C'est plutôt un exemple de ce que l’homme peut faire: c'est comme un avant-coureur. C'est plus ça qu'un travailleur. Ce n'est pas une force créatrice sur la terre: c'est un exemple.

Oui, ce sont des «siddhis» plutôt que des développements évolutifs. Ce sont des choses qui sont imposées à la nature.

Ce sont plutôt des capacités qui doivent se développer plus tard dans la race nouvelle, qui sont en germe, et on a fait pousser le germe, éclore le germe, comme un exemple avant que la chose générale ne se produise – ce sont des exemples.

Il y en a un autre, ses disciples disent qu'il a vécu 154 ans – je vais te montrer son portrait (Mère va chercher la photo). D va le voir deux fois par mois, et hier ou avant hier, je ne sais pas, il paraît qu'il lui a dit: «Ah! vous savez, le plus grand miracle que je connaisse, c'est d'avoir pu rassembler plus de mille personnes en un groupe pour une entreprise spirituelle!» (Mère rit beaucoup) C'est amusant!... Mille deux cents personnes, c'est le chiffre officiel de l’Ashram – «Avoir pu rassembler en un groupe plus de mille deux cents personnes pour une entreprise spirituelle!»

Il a dit qu'il viendrait ici quand je l’appellerai – je lui ai fait dire que je ne l’appellerai pas, parce que je ne peux pas déranger un si vieil homme! sans pouvoir le voir.

(Mère regarde la photo) Il a l’air d'un brave homme.

Mais il y en a beaucoup comme cela.

X m'a fait des reproches parce que je ne me mettais plus de «koumkoum» sur le front.6 Je n'ai rien répondu, rien dit.

Il a peur que quand les gens ne font plus les gestes, ils oublient le chemin!

Oui, il a l’impression que je laisse tout tomber.

C'est ça, il a l’impression que si on ne fait pas les choses qu'il a dites, comme il les a dites, on est tombé du chemin. Il ne peut pas comprendre. Il ne faut pas discuter.

Il n'est pas content de moi!

Il a cru que tu avais kicked your sâdhanâ [envoyé promener la discipline].

C'est ridicule!

Mais non! Je te dis, il ne peut pas comprendre. Pour lui, sâdhanâ... Moi, je lui ai fait dire que j'étais en pleine sâdhanâ, et alors j'ai vu tout de suite dans sa pensée l’image que j'étais assise, en train de faire un poudjâ perpétuel! Tu comprends. Pour lui, n'est-ce pas, sâdhanâ veut dire certaines règles fixes, et si on laisse les règles, on laisse la sâdhanâ. Mais ça ne fait rien, ne te tourmente pas.

La «maladie», c'est qu'il y a quelque chose qui essaye de lui faire gagner plusieurs vies en une vie; si ça réussit, eh bien, à la fin, il comprendra; si ça ne réussit pas, on aura fait ce qu'on a pu, il aura fait ce qu'il a pu, et tout sera pour le mieux. Voilà.

Je suis arrivée à cet état où je peux voir l’effort vers le Divin même dans un tout petit être très inconscient: des petits chiens, des petits chats, des petits enfants, un arbre – c'est visible. Et ça, c'est cette immense sâdhanâ de la terre... qui se prépare à recevoir le Divin.

C'est tout ce qu'il faut.

Les formes, ça nous est égal, tout à fait. Voilà.

15 septembre 1962

(Le disciple lit un passage de son manuscrit où il est question de la différence de luminosité entre les différents plans de conscience. Mère l’interrompt pour ajouter ceci:)

Quelque part dans le surmental (au-dessus du mental supérieur et à partir du surmental), les choses sont lumineuses EN ELLES-MÊMES. Ce n'est plus une lumière qui frappe: les choses sont elles-mêmes lumineuses. Et ça fait une différence très considérable dans la vision. Ce ne sont plus des choses qui sont éclairées du dehors: ce sont les choses qui sont en elles-mêmes lumineuses. C'est ça la plus grande différence de qualité pour la lumière.

C'est même au point que, maintenant, les choses éclairées me semblent artificielles. Elles n'ont plus leur lumière.

Ce peut-être une lumière très atténuée, très subdued [tamisée], c'est-à-dire pas éclatante, mais c'est lumineux en soi. Et alors, à mesure qu'on monte, c'est une lumière de plus en plus brillante, égale.


Un peu plus tard

Les gens commencent à s'agiter, ils veulent faire une édition complète de mes Entretiens, en anglais. Je leur ai dit: «Taisez-vous.» J'ai dit: «Je n'en veux pas, on préparera une édition en français, plus tard, quand ce sera prêt.»

Je ne veux pas de l’anglais. Je ne veux pas de l’anglais! Et de plus en plus je ne veux pas de l’anglais. Par exemple, la traduction des Prières et Méditations est épuisée, on voulait la réimprimer, j'ai dit non: «Vous pouvez, si vous voulez, réimprimer tout ce que Sri Aurobindo lui-même a traduit (il n'y en a pas beaucoup, un petit volume comme cela). Ça, oui, parce que c'est Sri Aurobindo qui l’a traduit.» Mais même comme cela, ce n'est pas la même chose que mon texte – c'est du Sri Aurobindo, ce n'est pas de moi.

N'est-ce pas, Prières et Méditations, ça venait: chaque fois c'était dicté. À la fin de ma concentration j'écrivais, et ça ne passait pas par la pensée: ça venait. Et c'était quelqu'un évidemment qui était intéressé par la jolie forme. Je l’enfermais à clef pour que personne ne le voie. C'est seulement ici que Sri Aurobindo m'a demandé: je lui ai montré quelques feuilles et il a voulu voir le reste. Autrement, je l’aurais toujours gardé fermé. J'ai détruit ce qui restait. J'avais cinq gros volumes comme cela, écrits tous les jours, tous les jours (il y avait des répétitions naturellement): c'était le résultat de la concentration. Et alors le choix a été fait de ce qui serait publié (Sri Aurobindo a aidé), j'ai fait le choix de ce que je voulais, j'ai tout copié, et puis j'ai coupé les feuilles, et tout le reste j'ai fait brûler.

C'est dommage!

Il reste quelques fragments de papier de ce qui a été publié. J'ai presque tout distribué – l’encre s'en va, c'est presque blanc. J'ai tout brûlé.

C'est bien dommage.

Ce n'était écrit pour personne. Ça ne devait pas être lu. Je l’ai montré à Sri Aurobindo parce qu'il parlait de certaines choses et je lui ai dit: «Ah! oui, ça, c'était l’expérience que j'ai eue en...», alors je lui ai montré mon cahier sur lequel il y avait la date écrite (tous les jours c'était écrit).

Cinq gros cahiers, pendant des années. Même ici, pendant un temps, j'ai continué à écrire.

Au Japon, j'ai beaucoup écrit.

Mais enfin, tout ce qui était d'un intérêt général a été gardé. Et c'est pour cela qu'il y a des trous dans les dates, autrement ça devrait se suivre – c'était formidable, n'est-ce pas!

Ce n'est qu'ici qu'on a commencé à vouloir garder-garder-garder. (Mère fait le geste de tout jeter par-dessus son épaule) Le monde va vite, le monde va vite, le monde va vite, pourquoi garder?

(silence)

Donc j'ai dit que si les gens voulaient lire ce que j'ai écrit (naturellement j'ai écrit certaines choses en anglais; ce qui est écrit en anglais est écrit en anglais, comme ces Conversations with the Mother que j'ai réécrites en français après – pas tout à fait pareil mais presque –, alors c'est très bien, c'est écrit en anglais), mais ceux qui veulent lire mes choses, eh bien, ils apprendront le français, ça ne leur fera pas de mal!

Ça donne une précision à la pensée, qu'une autre langue ne donne pas.

C'est en français qu'il faut le lire, évidemment.

C'est autre chose, n'est-ce pas. C'est intraduisible, ce n'est pas la même mentalité! C'est comme l’humour français et l’humour anglais, ils sont très loin l’un de l’autre. Si loin que généralement ils ne se comprennent pas!!

18 septembre 1962

Je n'en ai plus pour très longtemps à finir La Synthèse (ça va très vite) et j'ai trouvé ce que je vais faire... Ce sera quelque chose comme, justement ces cahiers [Prières et Méditations]. Je vais prendre toute la partie de Savitri (pour commencer, je verrai après) à partir du colloque avec la Mort jusqu'au moment où le Seigneur suprême lui dit la prophétie pour l’avenir de la terre – il y en a long, plusieurs pages. C'est pour ma propre satisfaction.

Je vais le traduire vers par vers, avec des blancs entre chaque vers (pas mot à mot, mais vers par vers). Et après, quand j'aurai fini, je vais essayer de le ramener en français (Mère fait le geste de tirer de haut en bas).

Le but, ce n'est pas du tout pour le montrer à personne ni le faire lire à personne: c'est pour rester dans l’atmosphère, parce que j'aime beaucoup l’atmosphère de Savitri. Et ça me fera une heure de concentration comme cela, puis je verrai si, par hasard – je n'ai pas de capacités poétiques, mais justement je verrai si ça vient! (Ce ne sera sûrement pas une mentalité organisée dans cette présente existence – pas de capacités!) Alors c'est intéressant, je verrai si ça vient. Je vais faire cet essai.

Je connais cette lumière. Chaque fois que je lis Savitri, je suis imédiatement dans cette lumière. C'est une lumière très-très jolie.

Et alors je vais voir.

Je fixerai d'abord, c'est-à-dire comment Sri Aurobindo l’a dit en anglais, avec des mots français. Puis je verrai si, SANS CHANGER, ça vient, c'est-à-dire si c'est sa même inspiration qui vient en français. Ce sera une occupation intéressante. Si je fais une, deux lignes, trois lignes par jour, c'est tout ce qu'il me faut; je passerai une heure tous les jours comme cela. Voilà.

Je n'ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que j'ai une grande joie à être dans cette lumière là-haut. C'est une lumière supramentale. Une lumière supramentale de beauté, n'est-ce pas, esthétique. Et très-très harmonieuse.

Alors, maintenant, ça m'est égal de finir La Synthèse. J'étais ennuyée parce que je n'ai pas d'autres livres de Sri Aurobindo qui puisse m'aider dans ma sâdhanâ: c'était seulement La Synthèse; comme je le disais, ça venait toujours à point, au moment où il fallait pour faire l’expérience.

Quand ce sera fini, je sais (je sais, je connais Savitri), je sais, quand ce sera fini... alors ou bien j'en serai là ou bien ça prendra très longtemps.1

Tous les autres livres de lui qui pourraient m'aider sont traduits. Mais Savitri, ce n'est pas pour faire une traduction, c'est pour VOIR. Faire un essai. Pour me faire avoir tous les jours l’expérience du contact avec ça.

J'ai eu des expériences magnifiques quand je l’ai lu pour la première fois, il y a deux ans, je crois. C'étaient des expériences admirables! admirables. Et depuis, chaque fois que je lis ces mêmes lignes, j'ai la même – pas la même expérience mais j'entre en rapport avec le même domaine.

Ce sera une occupation intéressante.

C'est plus intéressant que d'entendre les histoires des gens! oh!... (Mère se cogne la tête) Voilà.


ADDENDUM

(Voici, huit ans plus tard, les dernières lignes de Savitri traduites par Mère, datées du 1er juillet 1910, telles que nous les avons retrouvées dans son cahier:) 1.7.1970

Mais comment puis-je chercher le repos dans une paix sans fin
Moi qui abrite la force violente de la formidable Mère,
Sa vision attentive à lire le monde énigmatique,
Sa volonté trempée par le brasier du soleil de la Sagesse
Et le silence flamboyant de son cœur d'amour?
Le monde est un paradoxe spirituel
Inventé par un besoin dans l’Invisible,
Une pauvre traduction pour les sens des créatures
De Cela qui à jamais dépasse l’idée et la parole,
Un symbole de ce qui ne peut jamais être symbolisé,
Un langage mal prononcé, mal épelé, pourtant vrai.2

(X.IV.647)(/sabcl/29/the-dream-twilight-of-the-earthly-real#p54-p55))

(Texte original)

But how shall I seek rest in endless peace
Who house the mighty Mother’s violent force,
Her vision turned to read the enigmaed world,
Her will tempered in the blaze of Wisdom's sun
And the flaming silence of her heart of love?
The world is a spiritual paradox
Invented by a need in the Unseen,
A poor translation to the creature's sense
Of That which for ever exceeds idea and speech,
A symbol of what can never be symbolised,
A language mispronounced, misspelt, yet true.

(X.IV.647)

22 septembre 1962

(Mère fait une brève remarque à propos d'une personne qui suit le yoga traditionnel et qui est constamment malade:)

...C'est cela, le défaut essentiel de cet ancien système de yoga, c'est que, dans l’endroit où ils ont fait le yoga, ça va très bien, mais dès qu'ils descendent, ils sont pires que les autres!


(Après avoir écouté un passage du manuscrit relatif à la non-violence et à Gandhi, Mère fait une autre brève remarque:)

Ils sont là à se pourlécher les babines avec leur ahimsa1 – c'est dégoûtant!


ADDENDUM

(Bref extrait du passage de «l’Aventure de la Conscience» que nous venons de lire à Mère:)

... Au beau milieu de la guerre de 14, Sri Aurobindo notait avec une force prophétique: La défaite de l’Allemagne... ne suffit pas à extirper l’esprit qui s'incarne en Allemagne; elle aboutira probablement à quelque nouvelle incarnation du même esprit, ailleurs, dans une autre race ou un autre empire, et il faudra alors livrer encore une fois toute la bataille. Tant que les vieux dieux sont vivants, il ne sert pas à grand-chose de briser ou d'abattre le corps qu'ils animent, car ils savent fort bien transmigrer. l’Allemagne a abattu l’esprit napoléonien en 1813 et brisé les restes de l’hégémonie française en Europe en 1870; cette même Allemagne est devenue l’incarnation de ce qu'elle avait abattu. Le phénomène peut aisément se renouveler à une échelle plus formidable.2 Nous savons, aujourd'hui, que les vieux dieux savent transmigrer. Gandhi lui-même, voyant toutes ces années de non-violence aboutir aux terribles violences qui marquèrent la partition de l’Inde en 1947, observait avec tristesse peu de temps avant sa mort: «Le sentiment de violence que nous avons secrètement nourri revient sur nous, et nous nous sautons à la gorge quand il s'agit de partager le pouvoir... Maintenant que le joug de la servitude est secoué, toutes les forces du mal sont remontées à la surface.» Parce que ni la non-violence ni la violence ne touchent à la source du Mal...

26 septembre 1962

(Après avoir écouté un passage du manuscrit:)

C'est très bien!

Je voudrais voir leur tête... ce serait amusant.

Après, je passerai à Alipore: le Supraconscient.

Ça va être passionnant.

C'est difficile.

Non, c'est très bien.

Ce sera un beau livre, unusual. C'est une présentation qui n'est pas commune. C'est intéressant, mon petit.

Il faudra que je te pose des questions un jour où tu auras le temps. Parce que, pour le Supraconscient, il y a des choses qui ne sont pas bien claires dans mon esprit.

Tu peux me poser des questions, mais je pense que tu trouveras les réponses dans ce qu'il a écrit, non?

Oui et non.

Qu'est-ce que tu veux savoir?

Surtout, je voudrais comprendre la différence entre le surmental et le Supramental? C'est surtout cette question que je voudrais comprendre d'une façon non pas abstraite mais concrète.

Le surmental n'est pas intellectuel. C'est le domaine des dieux.

C'est le domaine des dieux et c'est le domaine qui a gouverné la terre. Tous les dieux que les hommes ont connus et adorés et avec lesquels ils ont été en rapport, c'est là.

Oui, un domaine de dieux, avec des vies de dieux, des manières de dieux – ce n'est pas le Supramental.

Oui, justement, qu'est-ce qui fait la différence vraiment?

Mais je ne crois pas que les dieux ont le Supramental.

Oui, les dieux s'arrêtent au surmental.

Je ne connais pas les traditions hindoues purement hindoues, mais les dieux, ce sont les êtres avec lesquels les Védas et les gens de l’époque védique étaient en rapport, du moins je le pense. Ce que je connais des dieux, je l’ai connu avant, par l’autre tradition, chal-déenne. Mais Théon disait que la tradition védique (qu'il connaissait d'ailleurs) et cette tradition-là étaient sorties d'une tradition antérieure commune. D'après lui, il y a cette histoire des premiers Émanés qui, dans leur parfaite indépendance, se sont séparés du Suprême dans leur action et ont créé tout le désordre – c'est ça, la cause du Désordre de la création. Après, il y a eu l’émanation des dieux: les dieux ont été émanés pour réparer le mal qui était fait et organiser le monde selon la Volonté suprême. Naturellement, c'est une façon enfantine de dire les choses, mais c'est compréhensible. Et alors tous ces dieux travaillent dans l’harmonie, dans l’ordre. C'est ce que dit cette ancienne tradition.

La tradition indienne, autant que je l’aie comprise, a inclu tout ce qui provient des premiers Émanés dans son panthéon, puisque tous les dieux de destruction, les dieux d'inconscience, les dieux de souffrance, tout cela est compris parmi ses dieux.

Au fond, c'est à chacun, je crois, d'appeler du nom qu'il veut ce qu'il veut. C'est toujours comme cela que je l’ai senti. Même dans la tradition hindoue, il est écrit: «l’homme est un bétail pour les dieux, méfiez-vous des dieux.»

Pour moi, tout ça, ce sont des langages – des mots pour chacun suivant ce qui est le plus conforme à sa nature.

J'ai eu des rapports conscients avec tous les êtres de la tradition telle que je l’avais connue par Théon, et des rapports avec tous les êtres tels qu'ils sont expliqués dans la tradition indienne, et au fond, autant que je sache, j'ai eu des rapports avec toutes les divinités de toutes les religions. Ça s'échelonne (geste en gradin). Il y a des êtres depuis... même dans le vital, il y en a; dans le mental, les hommes ont déifié beaucoup de choses: tous les êtres qui pour eux n'étaient pas exactement comme eux, facilement ils en faisaient des dieux. Si on est éclectique, on peut avoir des rapports avec tous. Et tous ont leur réalité, leur existence.

C'est une région qui juste domine la terre et le Mental (même le mental le plus haut). Mais l’évolution – l’évolution terrestre, n'est-ce pas, qui a son rythme propre, plus condensé, concentré, et on pourrait dire plus aigu que l’évolution universelle dans son ensemble –, cette évolution terrestre a, à travers l’espèce humaine, créé une sorte d'intellectualité supérieure qui est capable de traverser la région surmentale ou la région des dieux et d'aller directement à un Principe plus élevé.

Mais cette région surmentale, cette région des dieux qui ont le pouvoir de gouverner l’univers et partiellement la terre, elle a sa réalité propre; on peut entrer en rapport avec elle et on peut s'en servir – les «ancêtres» des Védas s'en servaient, les occultistes s'en servent, même les tantriques s'en servent. Mais il y a une autre voie, qui justement se méfie des dieux et qui passe au travers par une sorte de... on pourrait dire d'ascétisme intellectuel qui se méfie des formes, des images, des expressions variées, et qui s'en va comme une flèche toute droite, très fière et très pure, vers la Lumière supramentale. Ça, c'est une expérience vivante.

Sri Aurobindo a prêché le yoga intégral où tout était compris, et par conséquent on peut avoir toutes les expériences. En fait, l’univers a été créé pour être un champ d'expériences, n'est-ce pas. Il y a des gens qui aiment mieux les chemins courts, directs et étroits – c'est leur affaire. Mais il y en a d'autres qui aiment perdre leur temps en route aussi – c'est leur affaire! Et il y en a qui sont portés à avoir toutes les expériences, et par conséquent qui se promènent très souvent et longtemps dans ce monde surmental. Il y en a naturellement (la grande majorité), la grande majorité de ceux qui ont des aspirations religieuses, ça les met en rapport avec des divinités, et ils s'en tiennent là, c'est pour eux suffisant.

Mais tout ce que je viens de dire, c'est seulement un très petit peu de tout ce qu'il y a.1

Au fond, ce domaine des dieux, c'est du même côté que le nôtre, seulement c'est à la dimension des dieux: le pouvoir des dieux, les possibilités des dieux, la conscience des dieux, la liberté des dieux, et puis ils sont immortels. C'est une vie de dieux! C'est... je crois que la majorité des êtres humains serait plus que satisfaite avec ça!

Ils viennent aussi s'amuser sur la terre, toutes les histoires nous le racontent (je sais qu'il y en a qui viennent sur la terre prendre un corps humain pour avoir un être psychique – mais ce n'est pas tous). La plupart, ça les amuse d'être en rapport avec les êtres humains. En tout cas, dans leur domaine propre, ils ont un corps – on n'a pas du tout l’impression de n'avoir pas de corps. Ils ont un corps. Ils ont un corps immortel.

Oui, mais dans le Supramental aussi?

Mais les dieux ne vont pas dans le Supramental!

Non, ce que je voulais surtout savoir, c'est la différence quand on passe de l’autre côté, dans le Supramental. La différence de vision entre le Supramental et le surmental?

Je ne sais pas ce que Sri Aurobindo te dirait...

J'étais justement en train de regarder ça, ces jours-ci. Pour moi, la conscience surmentale est une conscience magnifiée, beaucoup plus belle, beaucoup plus haute, beaucoup plus puissante, beaucoup plus heureuse, beaucoup plus... avec beaucoup de beaucoup plus. Mais... Par exemple, je peux te dire une chose: les dieux n'ont pas le sens de l’Unité. Ils se disputent entre eux, à leur manière, mais enfin c'est pour dire qu'ils n'ont pas le sens de l’unité, ils n'ont pas le sens d'être tous un et d'être des expressions du Divin – du Divin unique. Par conséquent, ils sont encore de ce côté-ci. Ils sont encore de ce côté-ci dans une forme magnifiée, c'est-à-dire avec des pouvoirs que nous ne comprenons pas, une puissance, par exemple, de changer leur forme comme ils veulent, d'être à tous les endroits en même temps comme ils veulent – toutes sortes de choses que les pauvres êtres humains rêvent d'avoir mais n'ont pas. Ils ont tout ça. Ils vivent une vie – une vie divine! Mais ce n'est pas le Supramen-tal.

Le Supramental, c'est la Connaissance. C'est la Connaissance pure. Oui, c'est savoir – savoir ce qui est à savoir.

Ce n'est plus un jeu entre des gens et des choses, c'est... Vraiment, le signe du Supramental, c'est l’Unité. l’Unité qui n'est plus une addition d'un tas de choses différentes mais au contraire une Unité qui... qui joue avec Elle-même. Il n'y a plus cette relation des dieux entre eux, des dieux avec le monde – ils appartiennent encore à la diversité, mais sans l’ignorance. Il n'ont pas l’Ignorance, ils n'ont pas ce que nous avons ici, ce qu'a l’être humain. Ils n'ont pas l’Ignorance, ils n'ont pas l’Inconscience, mais ils ont le sens de la diversité et de la séparation.

Et cette expérience de Sri Aurobindo à Alipore? Tu sais, la célèbre expérience quand il voit Nârâyana dans les prisonniers, Nârâyana dans les gardiens, Nârâyana partout?

Ça, c'est le Suprême. l’Unité.

C'est une expérience supramentale ou une expérience...

C'est supramental.

Supramental?

Oui, c'est l’expérience – il l’appelait Nârâyana parce qu'il était Indien.

C'est Supramental, ce n'est pas surmental?

Non, non.

C'est comme dans la Guîtâ telle que Sri Aurobindo l’a expliquée: ce n'est pas le surmental, c'est le Supramental. C'est l’Unité, c'est l’expérience de l’Unité.

Pour moi, l’expérience des dieux, ça n'a jamais été qu'une distraction – un amusement, une chose plaisante, une distraction. Tout ça ne me paraît ni essentiel ni indispensable. On peut se payer le luxe d'avoir toutes ces expériences, et ça augmente votre connaissance, votre pouvoir, votre ceci, votre cela, mais ça n'a pas autrement d'importance. N'est-ce pas, LA chose, c'est tout à fait différent.

On peut s'en passer. On peut avoir le contact avec le Supramental sans aucune de ces expériences, ce n'est pas indispensable. Mais si on veut connaître l’univers et vivre l’univers, si on veut être identifié au Suprême dans Son expression, alors tout ça fait partie de Son expression à des degrés différents, avec des pouvoirs différents. Tout ça fait partie de Son expérience. Et alors pourquoi pas? On peut se payer le luxe d'avoir tout ça. C'est très intéressant – c'est très intéressant: ce n'est pas indispensable.

Je pense que tout naturellement, une fois qu'on est identifié au Suprême, que le Suprême vous a choisi pour faire une œuvre sur la terre, eh bien, il vous gratifie naturellement de toutes ces choses parce que – parce que ça augmente votre pouvoir d'action, c'est tout. C'est tout.

Pour moi, il n'y a plus de problèmes, il n'y a plus de problèmes!

Cette classification [des plans de conscience], c'est très commode, c'est très nécessaire à un moment donné, surtout au moment de l’ascension, de la prise de conscience, mais après...

(silence)

Sri Aurobindo n'a pas beaucoup insisté sur le Surmental. Le seul point intéressant, c'est que ce Surmental a gouverné le monde à travers toutes les religions. Et que c'est le lieu de toutes les divinités, de tous les êtres dont les hommes ont fait des dieux dans leurs religions. Ce sont des êtres qui existent dans leur monde, et il y a des hommes qui ont été en rapport avec eux, qui ont été comme submergés par leurs pouvoirs et leur supériorité, et qui en ont fait des religions – des religions et des dieux.

Mais il ne faudrait pas insister là-dessus.2 Comme je l’ai dit, on peut passer sans passer au travers, ou même on peut passer au travers sans s'en apercevoir. Dans les Védas, ce qui m'a intéressée, c'est qu'ils disent que si on ne fait pas l’ascension comme il faut et si on essaye de passer au travers sans passer par eux, il vous arrive des choses désagréables, on est arrêté sur le chemin – tu te souviens?3 Ça te donne une idée de ce que c'est. C'est comme une zone intermédiaire. Très supérieure à la terre, mais c'est une zone intermédiaire. Alors il y a ceux qui ont essayé de passer au travers sans s'arrêter; et là, ils disent qu'on a des ennuis. Moi, je n'en sais rien, je ne peux pas parler d'autre chose que de mon expérience, parce que c'était toujours une sorte de fraternité, n'est-ce pas (!) je les connaissais, je les fréquentais, alors il n'était pas question de passer au travers ou de ne pas passer au travers!

Mais l’impression que j'ai, très forte, c'est que c'est un monde semblable encore au nôtre, mais magnifié, et pas du tout cette Création Supramentale qui doit amener ici le sens du Suprême et de l’Unique – ça appartient au vieux chemin.

Au fond, ça appartient au vieux chemin, c'est la conséquence de ce qui est arrivé et la conséquence de toute la formation [universelle] telle que nous la connaissons. Les gens qui croient au Mal essentiel diraient: «C'est la conséquence de cet accident de la création.» – Est-ce un accident? J'ai mes doutes. Ça reste à être révélé. Mais on ne le saura que quand... quand ce sera fini.

Je parle par énigmes, mais enfin!

Je veux dire que le pourquoi et le comment de comment c'est, on ne le saura que quand – quand la courbe sera finie.

Mais ils appartiennent à cette courbe. Le surmental appartient à cette courbe.

Tous ces dieux, ils sont très gentils! Quelquefois pour certaines personnes, ils sont insupportables (Mère rit), mais ils sont très gentils! Ils ont leurs défauts, ils ont leurs qualités, ils sont très gentils. Ils ont toujours été très gentils avec moi!

Fini.4 (Mère fait une croix sur sa bouche)


(Plus tard, Mère cherche à se rappeler un mot qui l’avait frappée quand Elle écoutait la lecture du manuscrit sur Sri Aurobindo:)

...C'est curieux, je m'aperçois que c'est avec une tout autre conscience que j'écoute. Il n'y a rien qui reste là (geste au front), c'est seulement le son qui vient ici, mais j'écoute ailleurs.

Je ne me souviens pas physiquement du tout. Je ne me souviens pas du tout. J'ai seulement eu l’impression... J'ai vu un mot qui est devenu d'une lumière bleutée, vivante, comme ça, alors je me suis dit «Tiens l un bon mot pour ma traduction!» (Mère cherche encore à se souvenir, puis y renonce)

Enfin l’important, c'est ce que tu m'as dit: l’expérience d'Ali-pore, c'est Supramental.

Oh! oui. Il a employé le mot Nârâyana parce qu'il n'avait pas encore élaboré sa propre terminologie, mais il ne se réfère pas aux dieux: c'est l’expérience supramentale.


(Quelques jours plus tard, Mère ajoute ceci à propos de ses «oublis» et de sa manière d'entendre «ailleurs»:)

Quelquefois aussi, j'entends un mot et ce n'est pas du tout ce qui a été dit!

Parce que, quand je cherche à me rappeler, je vois une lumière, tu comprends – c'est venu avec une lumière. C'était une lumière blanche frangée de bleu. Alors tu as peut-être dit un mot quelconque et j'ai entendu «ailleurs».

Je vois encore la même chose: c'était blanc et c'était frangé de bleu – j'ai dit bleuté comme ça, mais la chose exacte c'est blanc et frangé de bleu.

Mais ça m'arrive quelquefois, parce que quand je lis l’anglais pour ma traduction, tout d'un coup viennent des choses [d'ailleurs] et alors je cherche et je trouve une traduction, et puis quand je veux me référer au texte anglais, je ne trouve plus du tout ce mot que j'avais vu – je ne le trouve plus!

Alors ne fais pas attention! (Riant) Pour les docteurs, je suis en train de déménager!

29 septembre 1962

(À propos d'un ancien Entretien, du 3 octobre 1956, qui va être publié dans le prochain Bulletin:)

Tu dis ceci:

«Il est évident que la perception scientifique moderne est beaucoup plus proche de quelque chose qui corresponde à la réalité universelle que les perceptions de l’âge de pierre, par exemple; ça ne fait pas l’ombre d'un doute. Mais cela même va se trouver tout d'un coup complètement dépassé et probablement bouleversé par l’intrusion de quelque chose qui n’était pas dans l’univers que l’on a étudié...»

l’ennui, c'est que Sri Aurobindo a dit que c'était dedans déjà, involué. Il dit toujours que c'est «involué» et que ça se développe.

Oui, mais involué, ça veut dire que ce n'est pas manifesté. l’élément nouveau, l’intrusion de l’élément nouveau, supramental, c'est l’intrusion de l’élément involué, non manifesté.

Si ce n'était pas déjà là, involué, ça ne pourrait jamais venir! C'est évident.

Puis tu dis:

«Ce changement, cette transformation brusque de l’élément universel, va amener très certainement une sorte de chaos dans les perceptions, d'où surgira une connaissance nouvelle. Ça, de la façon la plus générale, c'est le résultat de la Manifestation nouvelle.»

Il n'est pas question de «choses nouvelles» en ce sens qu'elles n'existaient pas, mais elles n'étaient pas manifestées dans l’univers. Rien ne peut exister qui n'existe déjà de toute éternité dans le Suprême! Mais dans la Manifestation, c'est nouveau. l’élément n'est pas nouveau, mais il est nouvellement manifesté, il est nouvellement sorti du Non-manifesté. Nouveau, ça veut dire quoi? Ça n'a pas de sens, une chose «nouvelle»! C'est nouveau pour nous, dans la Manifestation, c'est tout.

On dit toujours des bêtises quand on parle. Mais enfin (riant) il y a des bêtises qui sont plus ou moins proches de la vérité! Ça, c'est une bêtise qui est plus proche de la vérité.

octobre




3 octobre 1962

Rien à dire.

C'est un travail microscopique.

6 octobre 1962

78 – Quand la connaissance est fraîche en nous, elle est invincible; vieille, elle perd sa vertu. Parce que Dieu va toujours de l’avant.

Alors, ta question?

Ici, la connaissance dont il s'agit, c'est une connaissance intellectuelle ou spirituelle, mais quand il s'agit de la connaissance pour le yoga supramental, c'est une connaissance... quel genre de connaissance? Est-ce une connaissance dans le corps, une connaissance physique?

Sri Aurobindo parle ici d'une connaissance par inspiration ou révélation. C'est quand quelque chose descend subitement et illumine la compréhension: tout d'un coup, on a l’impression de savoir une certaine chose pour la première fois, parce que ça vient directement du domaine de la Lumière, de la Connaissance vraie, et ça arrive avec toute sa puissance innée de vérité – ça vous illumine. Et quand on vient de la recevoir, en effet, il semble que rien ne puisse résister à cette Lumière-là. Et si on prend soin de la laisser agir en soi, elle fait autant de transformation qu'elle est capable d'en faire dans son propre domaine.

C'est une expérience que l’on a souvent. Quand ça arrive et pour un certain temps (pas très longtemps), tout semble s'arranger tout naturellement autour de cette Lumière. Et puis, petit à petit, ça se mélange avec le reste: la connaissance intellectuelle demeure (elle s'est formulée d'une façon ou d'une autre), ça, ça reste – mais c'est comme si c'était vide. Ça n'a plus cette puissance de propulsion qui transforme tous les mouvements de l’être à cette image. Et c'est cela que Sri Aurobindo veut dire: le monde va vite, le Seigneur avance toujours, et tout ça, c'est une queue qu'il laisse derrière Lui, mais qui n'a plus la même puissance imédiate et toute-puissante du MOMENT où Il l’a projetée dans le monde.

On a l’impression que c'est comme une pluie de vérité qui tombe; tous ceux qui sont capables d'en attraper, ne serait-ce qu'une goutte, reçoivent une révélation, mais à moins qu'eux-mêmes n'avancent avec une rapidité fantastique, le Seigneur avec Sa pluie de vérité commence à être très loin, et il faut courir beaucoup pour la rattraper!

C'est une image que j'ai toujours vue.

C'est cela qu'il veut dire.

Oui, mais pour que cette connaissance ait vraiment un pouvoir de transformation...?

Oui, c'est la Connaissance supérieure, la Vérité qui s'exprime, ce qu'il appelle «la Connaissance vraie», et c'est cette Connaissance qui transforme toute la création. Mais c'est comme s'il laissait tomber ça tout le temps, n'est-ce pas, et il faut (riant) se dépêcher beaucoup pour ne pas être en retard!

Mais tu n'as jamais eu cette sensation d'un éblouissement dans la tête? Et puis ça se traduit par: «Ah! mais oui!» Quelque chose que l’on savait intellectuellement quelquefois, mais c'était terne, c'était sans vie, et tout d'un coup, ça vient comme une puissance formidable qui arrange tout au-dedans de la conscience autour de cette Lumière-là – ça ne dure pas très longtemps. Quelquefois, ça ne dure que quelques heures, quelquefois ça dure quelques jours, mais jamais plus longtemps que cela, à moins qu'on ne soit très lent dans son mouvement. Et pendant ce temps-là, n'est-ce pas (riant), la Source de la Vérité va-va-va...

Mais tout cela, ce sont des transformations psychologiques. Mais quelle connaissance faut-il pour transformer la Matière, le corps?

Ça, mon petit, je ne peux rien dire pour le moment parce que je ne le sais pas.

C'est un autre genre de connaissance?

Non, je ne pense pas.

(silence)

C'est peut-être un autre genre d'action, mais ce n'est pas un autre genre de connaissance.

(silence)

Au fond, on ne pourra parler de ce qui transforme la Matière que quand la Matière sera... au moins un peu transformée, qu'il y aura un commencement de transformation. Alors on pourra parler du processus. Mais pour le moment...

(silence)

Mais n'importe quelle transformation dans l’être, sur n'importe quel plan, a toujours une répercussion sur les plans inférieurs. Il y a toujours une action; même pour ces choses qui semblent être purement intellectuelles, elles ont une répercussion sur la construction du cerveau, sûrement.

Et ces sortes de révélations ne se produisent que dans un mental silencieux – en tout cas, au repos. Un mental tout à fait tranquille et immobile, autrement ça ne vient pas. Ou si ça vient, on ne s'en aperçoit même pas avec tout le bruit qu'on fait! Et naturellement, ça aide à établir de mieux en mieux cette tranquillité, ce silence, cette réceptivité... Cette impression de quelque chose de si immobile, mais pas fermé – immobile mais ouvert, immobile mais réceptif –, c'est une chose qui s'établit justement par le nombre de ces expériences. Il y a une grande différence entre un silence mort, terne, irresponsif, et le silence réceptif d'un mental apaisé. Cela fait une grande différence. Mais ça, c'est le résultat de ces expériences-là. Tous les progrès que nous faisons sont toujours, tout naturellement, le résultat de vérités qui viennent d'en haut.

Ça a un effet: toutes ces choses ont un effet sur le fonctionnement du corps – fonctionnement des organes, fonctionnement cérébral, fonctionnement des nerfs, etc. Et cela, sûrement, ça se produira avant – longtemps avant – qu'il y ait un effet sur la forme extérieure.

Et au fond, quand les gens parlent de transformation, ils pensent surtout à une transformation imagée, hein? une belle apparence! lumineuse, souple, plastique, changeant à volonté. Mais cette chose très... très peu esthétique de la transformation des organes, on n'y pense pas beaucoup! Et pourtant, c'est certainement ce qui se produira en premier, longtemps avant la transformation de l’apparence.

*Sri Aurobindo avait parlé du remplacement des organes par le fonctionnement des «chakras.»1

Oui-oui. Il a dit trois cents ans! (Mère rit)

(silence)

Parce que, il suffit de réfléchir, on comprend facilement: s'il s'agissait d'arrêter quelque chose et de commencer quelque chose D'AUTRE, ça peut se faire assez rapidement. Mais tenir un corps vivant (n'est-ce pas, qu'il continue à fonctionner) et puis qu 'EN MÊME TEMPS, il y ait un fonctionnement nouveau suffisant pour qu'il puisse rester vivant, et une transformation – ça fait une sorte de combinaison très difficile à réaliser. Je me rends compte de cela très bien, très bien... du temps immense qu'il faut pour que ça puisse se faire sans une catastrophe.

Surtout, n'est-ce pas, si nous en venons au cœur. Le cœur remplacé par le centre de la Puissance, une puissance dynamique formidable! (Mère rit)

À quel MOMENT on va supprimer la circulation et jeter la Force??

C'est... c'est difficile.

(silence)

Non, je n'ai pas grand-chose à dire. Tout ce que je viens de te dire, ça ne peut pas être publié; ça peut aller à l’Agenda mais ça ne peut pas être publié.

Ce n'est pas mauvais que les gens se rendent compte du travail.

Non... Enfin tu peux l’écrire, je verrai. Mais je n'ai pas grand-chose à dire.

(silence)

Dans la vie ordinaire, on pense les choses, puis on les fait – c'est juste l’opposé! Dans cette vie, il faut d'abord le faire, et puis après on comprend – mais longtemps après. Il faut d'abord faire, sans penser. Si on pense, on ne fait rien de bon. C'est-à-dire qu'on retourne à la vieille manière.


*Peu après, le disciple revient à la conversation précédente sur les dieux:2

Mais ces dieux sont indépendants de la conscience humaine? Ce ne sont pas des créations humaines.

Non, pas du tout!

Il y a une chose qui m'a frappé: tu dis que la Guîtâ telle que Sri Aurobindo l’a expliquée, ce n'est pas surmental, c'est Supramental...

Sri Aurobindo a dit que dans la Guîtâ, il y avait déjà là l’indication de ce qu'il venait apporter.

Justement, tu ne m'as pas bien dit la différence qu'il y avait entre «la chose» et puis le surmental?

C'est l’expérience de l’Unité.

Non, mais la différence de vision – je parle de vision. Tu m'as dit, par exemple, que dans le surmental les objets étaient lumineux en soi.

Oui, à partir du surmental.

*Tu as voulu dire que les objets terrestres que l’on voit deviennent lumineux?3

Non-non! Je parle de toutes les choses, toutes les formes dans le surmental (les costumes des dieux, par exemple, les bijoux des dieux, les couronnes des dieux – il y a toutes sortes de choses dans le surmental), dans tous ces mondes il y a toutes sortes de formes, que nous traduisons par des images analogues à celles de la vie terrestre, mais c'est seulement une traduction.

Prends, par exemple, les costumes des dieux. Ces costumes qu'ils prennent, qu'ils changent comme leur forme, à volonté, c'est une substance surmentale, ce n'est pas une substance physique, et c'est une substance qui porte sa lumière en soi. En toutes choses, c'est comme cela, tout est... Il n'y a pas un soleil qui éclaire et qui vous fait des ombres: c'est une substance qui est lumineuse en elle-même.

Et alors, au-dessus, dans le Supramental?

Supramental...

(très long silence)

Difficile à expliquer.

(silence)

Quand je dis «le monde de l’unité», je ne veux pas dire seulement qu'on a le «sens» que tout est un et que c'est quelque chose qui se passe au-dedans de cet Un. Mais c'est l’Unité en ce sens qu'on ne peut pas distinguer la conception, de la volonté et de l’action et du résultat. C'est... Tout est un, simultané.

Mais comment?! On ne peut pas expliquer ça! On ne peut pas! On peut avoir un aperçu de l’expérience, mais... au fond, c'est intraduisible, nous n'avons pas de moyens pour le traduire.

Si nous disons «tout est simultané», c'est une platitude.

Toujours, notre expression est de bas en haut. J'ai dit ça souvent: il faudrait d'autres mots et une autre façon de formuler.

Tu dis que je n'avais pas compris ta question, j'avais parfaitement compris ta question, je savais parfaitement ce que tu voulais, mais qu'est-ce qu'on peut dire de Ça!? On ne peut pas en parler. La preuve, c'est que si l’on pouvait en parler, ce serait ici. Et encore, probablement on n'en parlerait pas.

On ne peut pas en parler, on ne peut rien en dire, tout ce que l’on en dit sont des âneries! – Naturellement, ça ne peut pas être autre chose que des âneries.

(silence)

Les conceptions humaines, à leur degré maximum et au sommet de leurs possibilités, peuvent TOUT AU PLUS exprimer tant bien que mal ce surmental. Pour moi, c'est très vivant parce que j'y ai beaucoup vécu, ça m'est très familier; mais je considère que les mots sont maladroits pour en parler. Mais enfin, avec des analogies «poétiques», on peut à la rigueur donner une impression. Mais pour parler de l’Autre Chose, je suis tout à fait consciente... N'est-ce pas, même au moment où l’Expérience est là, on n'a plus envie que d'une chose – rien dire. On ne peut pas parler. Dès qu'on prononce un mot, ploc! tout s'obscurcit. C'est inutile.

Mais physiquement, par exemple, tu vois cet objet [le disciple attrape un presse-papier]. Moi, je le vois d'une certaine façon, mais toi qui as une conscience supramentale?

Mais je vois au travers, c'est tout.

Mais ce n'est rien, ça!

Tu vois au travers comment?

Oui, c'est-à-dire qu'il y a derrière ça une vibration lumineuse que je peux voir. Mais je me rends très bien compte que l’un n'empêche pas l’autre.

C'est comme quand je regarde les gens, je ne les vois pas comme ils se voient, je les vois avec la vibration de toutes les forces qui sont en eux et qui passent à travers eux, et très souvent avec la Vibration suprême de la Présence. Et c'est cela qui fait que ma vue physique est en train, pas de disparaître mais de changer de caractère, parce que les précisions physiques de la vue physique normale sont... sont mensongères pour moi. Instinctivement (pas parce que je les pense comme cela), elles SONT comme ça. Alors je n'ai plus cette précision d'un regard qui est fait pour voir juste la croûte superficielle des choses.

Mais ça ne m'empêche pas de voir physiquement – si: ça me conduit parfois à ne pas être sûre: qui est-ce? (parce que je vois une vibration qui est quelquefois très similaire, presque identique, dans trois ou quatre personnes – qui ne sont pas nécessairement toutes là, mais enfin)... Alors il y a une petite différence extérieure – il y a une très grande différence extérieure pour la vision de la forme, n'est-ce pas, et il y a seulement une petite différence extérieure pour la combinaison des vibrations. Et alors quelquefois, c'est incertain, je ne sais pas si c'est celui-ci ou celui-là; c'est pour cela que souvent je demande: «Qui est là?» – Ce n'est pas que je ne voie rien, mais je ne vois pas de la même manière.

Je crois que je vois mieux d'une certaine façon. Mais c'est d'une certaine façon. Si je suis obligée, par exemple, d'enfiler une aiguille, eh bien (j'ai essayé des choses comme cela), si j'essaye d'enfiler une aiguille en regardant, c'est littéralement impossible, mais si, quelquefois (quand je suis dans une certaine disposition), s'il est nécessaire que j'enfile une aiguille, elle s'enfile d'elle-même, je n'y suis pour rien – je tiens l’aiguille, je tiens le fil, c'est tout.

Je pense (c'est tout simplement une question d'expérience, n'est-ce pas), je pense que si cet état se perfectionne, on doit pouvoir tout faire par l’AUTRE moyen, le moyen qui ne dépend pas des sens extérieurs; et alors là, évidemment, ce sera le commencement d'une expression supramentale. Parce que c'est une sorte de Connaissance innée qui FAIT les choses. Quand Ça, ça vient, on sait, on peut.

Mais il ne faut pas penser – de la minute où on pense, où on veut se servir de ses organes, ça s'en va tout à fait.

Et dans ce domaine de l’expression, la première chose qui vient sur vous, c'est... ce n'est pas une impossibilité: on ne VEUT PAS dire.

Il faudrait autre chose, tout autre chose.

Il faut attendre. Attends que ça vienne.

(silence)

Mais ce que tu dis là [le disciple montre le presse-papier], ce n'est pas une vision de «voyante» comme on dit?

Non-non!

C'est une vision supramentale?

Oui.

Une voyante ne verrait pas comme cela.

Non. C'est l’infiltration de la conscience supramentale.

Qui fait qu'à travers les objets ou à travers les êtres, tu vois autre chose.

Non-non ce n'est pas toutes les visions que j'ai eues.

Mais cette Vision-là, je la connais, ce n'est pas une «vision» – ce n'est pas une vision! Je ne peux pas dire que c'est une image: c'est une Connaissance. Je ne peux même pas dire que c'est une Connaissance, c'est... c'est quelque chose qui est TOUT à la fois, qui contient sa vérité.

Laisse-le s'installer! Quand ce sera installé, nous en reparlerons! (Mère rit)

Je te pose des questions parce que, moi, j'écris un livre!

Oh! mais n'en parle pas dans ton livre! On dirait que tu es tout à fait toqué (Mère rit).

12 octobre 1962

Qu'est-ce que nous faisons? Tu as un autre Aphorisme?

79 – Dieu est Possibilité infinie. C'est pourquoi la Vérité n'est jamais en repos; c'est pourquoi aussi l’Erreur est justifiée de ses enfants.

80 – À en croire certaines personnes dévotes, on pourrait imaginer que Dieu ne rit jamais; Heine était plus près de la vérité quand il découvrit en Lui le divin Aristophane.

Oui, ce qu'il veut dire, c'est que ce qui est vrai à un moment ne l’est plus à un autre. Et c'est cela qui justifie les enfants de l’Erreur.

Il veut peut-être dire qu'il n'y a pas d'erreur!

Oui, c'est la même chose, une autre façon de dire la même chose. C'est-à-dire que ce que nous appelons erreur a été vérité à un moment donné.

l’erreur est une notion dans le temps.

Il y a des choses qui peuvent apparaître véritablement comme des erreurs.

Momentanément.

C'est justement cela, l’impression: tous nos jugements sont momentanés. Ils sont: à ce moment-ci, c'est comme ça; le moment suivant, ce n'est plus comme ça. Et pour nous, ce sont des erreurs parce que nous voyons les choses l’une après l’autre; mais pour le Divin, ça ne peut pas lui apparaître ainsi puisque tout est en Lui.

Au fond (riant), essaye de t'imaginer que tu es le Divin pendant un moment! Tout est en toi; simplement tu t'amuses à le faire sortir dans un certain ordre; mais pour toi, dans ta conscience, tout est là en même temps: il n'y a ni temps, ni passé ni futur ni présent – tout est ensemble. Et toutes les combinaisons possibles. Il s'amuse à sortir une chose et puis l’autre, là, comme ça; alors les pauvres bougres qui sont en bas et qui ne voient qu'un petit morceau (ils en voient grand comme ça), ils disent: «Oh! ça, c'est une erreur.» Comment est-ce une erreur? Simplement parce qu'ils ne voient qu'un petit morceau.

C'est clair, n'est-ce pas, c'est facile à comprendre. Cette notion d'erreur est une notion qui appartient au temps et à l’espace.

C'est comme l’impression qu'une chose ne peut pas être et ne pas être en même temps. Et pourtant c'est vrai, elle est et elle n'est pas. C'est la notion de temps qui amène la notion d'erreur – de temps et d'espace.

Qu'est-ce que tu veux dire? Qu'une chose est et qu'elle n'est pas en même temps, comment?

Elle est, et en même temps il y a son contraire. Alors pour nous, ça ne peut pas être à la fois oui et non. Pour le Seigneur, c'est tout le temps oui et non en même temps!

C'est comme notre notion d'espace; nous disons: «Je suis là, par conséquent tu n'es pas là.» Et moi, je suis là et tu es là et tout est là! (Mère rit) Seulement, il faut être capable de sortir de la notion d'espace et de temps pour comprendre.

C'est une chose que l’on peut sentir très concrètement, mais pas avec notre façon de voir.

Certainement, beaucoup de ces aphorismes sont écrits à un moment où le mental supérieur, tout d'un coup, débouche dans le Supramental. Il n'a pas encore oublié comment c'est pour lui de la façon ordinaire, mais il voit comment c'est pour la façon supramentale; et alors ça donne ce genre de choses, c'est cela qui donne cette forme paradoxale. Parce que l’un n'est pas oublié et l’autre est déjà perçu.

(long silence)

Au fond, si on regarde attentivement, on est obligé de penser que le Seigneur se joue une formidable comédie à Lui-même! que la Manifestation, c'est une comédie qu'il se joue à Lui-même avec Lui-même.

Il a pris la position du spectateur et puis Il se regarde. Et alors, pour se regarder, il faut qu'il accepte la notion de temps et d'espace, autrement Il ne peut pas se regarder! Et imédiatement toute la comédie commence. Mais c'est une comédie, ce n'est rien de plus!

Nous, nous prenons ça sérieusement, parce que nous sommes les marionnettes, hein?! Mais dès que nous cessons d'être des marionnettes, nous voyons bien que c'est une comédie.

C'est aussi une tragédie réelle, pour certains.

Oui, c'est nous qui la rendons tragique. Ça, C'EST NOUS qui la rendons tragique.

Dernièrement j'ai regardé avec attention. J'ai regardé la différence entre des événements similaires arrivant aux hommes et arrivant aux animaux, et en s'identifiant aux animaux, on voit bien qu'ils ne prennent pas ça tragiquement du tout – excepté ceux qui sont entrés en rapport avec l’homme (mais là, ce n'est pas leur état naturel, c'est un état de transition: ils deviennent des êtres de transition entre l’animal et l’homme). Et la première chose qu'ils prennent naturellement de l’homme, ce sont ses défauts, c'est toujours ce qu'il y a de plus facile à prendre! Et alors ils se rendent malheureux – pour rien.

Tant de choses... Tant de choses... l’homme a fait de la mort une tragédie épouvantable. Et je voyais, à cause de toutes les dernières expériences, je voyais combien et combien de pauvres êtres humains ont été détruits par les gens qu'ils aimaient le plus! sous prétexte qu'ils étaient morts.

On leur a donné un très mauvais temps.

Ont été détruits?

Oui, on les a brûlés. Ou bien on les a enfermés dans une boîte, sans air, sans lumière – TOUT À FAIT CONSCIENTS. Et parce qu'ils ne pouvaient plus s'exprimer, on dit: «Ils sont morts.» – On a vite fait de dire «ils sont morts»! Mais ils sont conscients. Ils sont conscients. Imagine quelqu'un qui ne peut plus ni parler ni bouger – il est «mort» selon les lois humaines. Il est mort mais il est conscient. Il est conscient, alors il voit les gens: il y en a qui pleurent, il y en a... s'il est un peu voyant, il voit aussi ceux qui se réjouissent; mais il se voit aussi mis dans une boîte et puis cloué, là, comme ça, et enfermé: «Ah! maintenant, c'est fini, on va mettre de la terre dessus.» Ou alors amené là-bas [au terrain de crémation] et puis le feu dans la bouche – TOUT À FAIT conscient.

J'ai vécu ça, ces jours derniers. J'ai vu. Parce que la nuit dernière ou la nuit d'avant, j'ai passé au moins deux heures dans un monde qui est le physique subtil où les vivants et les morts se côtoient sans sentir la différence – ça ne fait aucune différence. Là, il n'y a aucune différence. Tiens, quand Mridou1 était dans son corps, je la voyais peut-être une fois par an la nuit (peut-être, et ce n'est même pas sûr). Pendant des années, elle était tout à fait inexistante dans ma conscience – depuis qu'elle est partie, je la vois presque toutes les nuits! Et elle est là, comme elle était, n'est-ce pas (geste rebondi), mais pas tourmentée, c'est tout. Pas tourmentée. Et il y avait des vivants, il y avait des – ce que nous appelons «vivants» et ce que nous appelons «morts» –, ils étaient là ensemble, et ils mangeaient ensemble, ils bougeaient ensemble, ils s'amusaient ensemble; et tout ça, c'était une jolie lumière, tranquille, enfin très agréable, c'était très agréable. Je me suis dit: «Voilà! les hommes ont fait une coupure comme ça, et puis ils ont dit: «Maintenant, mort.» Et mort! le beau de l’affaire c'est qu'on agit avec le corps comme si l’on agissait avec une chose inconsciente, et ce corps est encore conscient.

On agit comme avec quelque chose: «Ah! maintenant, nous allons nous débarrasser de ça aussi vite que nous pouvons: c'est encombrant, c'est ennuyeux.» Et même ceux qui ont le plus de chagrin, n'est-ce pas, ils ne veulent pas le voir, parce que c'est pénible.

(silence)

Où, où est l’Erreur? Où est l’Erreur?

C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'erreur. Il y a seulement l’apparence de choses qui sont impossibles, parce que nous ne savons pas que le Seigneur est toute possibilité et qu'il peut faire tout ce qu'il veut, comme Il veut. Ça, ça ne peut pas entrer dans notre tête, nous disons toujours: «Oui, ceci se peut et puis cela ne se peut pas.» Mais ce n'est pas vrai! C'est pour notre imbécillité que «ça ne se peut pas», mais tout est possible.

Difficile de dire quelque chose de raisonnable pour le Bulletin.

(silence)

Tiens, tu vois, il n'y a que celui qui regarde la pièce qui ne se tourmente pas, parce qu'il sait tout ce qui va arriver et qu'il a la connaissance absolue de tout – de tout ce qui arrive et de tout ce qui est arrivé et de tout ce qui va arriver –, et c'est tout là, une présence pour lui. Et alors ce sont les acteurs, les pauvres acteurs qui ne savent même pas, ils ne savent même pas bien leur rôle! Et ils se tourmentent beaucoup parce qu'on leur fait jouer quelque chose et ils ne savent pas ce que c'est. C'est une impression que je viens d'avoir, très forte; nous sommes tous à jouer la comédie, mais nous ne savons pas ce qu'est la comédie, ni où elle va ni d'où elle vient ni son ensemble; nous savons juste à peine (et mal) ce qu'il faut que nous fassions sur le moment. Et nous le savons mal. Et alors on se tourmente! Mais quand on sait tout, on ne peut plus se tourmenter, on sourit – Il doit s'amuser beaucoup, mais nous... Seulement, il nous est donné le plein pouvoir de nous amuser comme Lui.

C'est simplement parce que nous n'en prenons pas la peine.

Ce n'est pas facile!

Oh! si c'était facile... Si c'était facile, on s'en fatiguerait.

On se demande parfois aussi pourquoi, pourquoi c'est si tragique cette vie? Mais si c'était comme un enchantement perpétuel, d'abord on n'apprécierait même pas parce que ce serait tout à fait naturel – c'est surtout cela, on n'apprécierait pas parce que ce serait tout à fait naturel –, et puis rien ne dit qu'on n'aimerait pas un petit peu de tohu-bohu pour changer! Ce n'est pas sûr.

C'est peut-être ça, l’histoire du paradis terrestre... Dans le paradis, ils avaient la connaissance spontanée, c'est-à-dire qu'ils vivaient, ils avaient la même conscience que celle des animaux, juste assez pour pouvoir jouir de la vie un peu comme ça, avoir la joie de la vie, mais ils ont voulu commencer à savoir pourquoi, comment, où on va, qu'est-ce qu'il faut faire, etc., et alors tout le tourment a commencé – ils se sont fatigués d'être tranquillement heureux.

(silence)

Je pense que Sri Aurobindo a voulu dire que l’erreur est une illusion, comme le reste. Qu'il n'y a pas d'erreur, qu'il y a toutes les possibilités, qui sont souvent – qui sont nécessairement contradictoires si elles sont toutes là. Contradictoires dans leur apparence. Mais il suffit de se regarder soi-même pour se dire: «Qu'est-ce que, moi, j'appelle erreur?» Et si on prend la chose en face et qu'on dise: «Qu'est-ce que j'appelle erreur?», on voit imédiatement que c'est une ânerie – il n'y a pas d'erreur, ça vous échappe des doigts.

Je ne peux pas dire tout ça aux gens dans le Bulletin, mon petit, ils deviendront fous! Il ne faut pas leur donner une nourriture trop forte qu'ils ne peuvent pas digérer.

Il y a quelqu'un que je ne nommerai pas, qui a lu les livres de Sri Aurobindo et qui a cru les comprendre, qui a fait une discipline yoguique (enfin, il a «pensé» qu'il faisait un yoga), et puis il a tiré la Force. La Force a répondu... (Mère rit) Il s'est flanqué mal à la tête! Il a eu peur. Alors il m'écrit exactement ceci: «Cette Force, c'est la Force du Seigneur (ce qui est vrai, c'est tout à fait vrai), et c'est cette Force qui s'est changée en lui en peur. (Mère rit) Alors la peur est la perversion principale du Seigneur.» Voilà. Parce qu'il a lu dans les livres que le Seigneur est derrière toutes choses, qu'il n'y a rien qui ne soit Lui; alors c'est le Seigneur qui, dans Sa manifestation, est devenu une perversion, n'est-ce pas. Voilà. «C'est la Force du Seigneur qui venait l’aider et qui s'est changée en peur. La principale perversion du Seigneur, c'est la peur.»!!

Toi, tu lis ça, tu dis qu'il déménage.

Oui, on peut dire n'importe quoi comme cela.

Mais oui! Mais justement, c'est comme cela quand on donne une nourriture trop forte aux gens, qu'ils ne comprennent pas, qu'ils n'assimilent pas: ça fait des incohérences dans le cerveau.

Ce qui fait que tout cela ne peut pas se publier, c'est bon pour l’Agenda. Comment dire tout ça aux gens?

(silence)

J'ai l’impression que Sri Aurobindo était dans son ascension, le mental intuitif était en train de percer un trou et d'entrer en contact avec le Supramental, alors ça venait comme ça, ploff! comme un éclatement dans la pensée, et il écrivait ces choses-là. Mais si on suit le mouvement, on voit l’Origine.

C'est évidemment cela qu'il voulait dire: l’Erreur est une des innombrables, des infinies possibilités («infinies» veut dire qu'absolument rien n'est en dehors de la possibilité d'être). Alors où mettre l’erreur là-dedans!? l’erreur, c'est NOUS qui appelons ça erreur, c'est tout à fait arbitraire. Nous disons: «Ça, c'est une erreur» – par rapport à quoi? À notre jugement que «ça, c'est vrai», mais certainement pas par rapport au jugement du Seigneur puisque c'est une partie de Lui-même!

C'est cet élargissement de la compréhension, il n'y a pas beaucoup de gens qui peuvent supporter ça.

N'est-ce pas, quand je commence à regarder (Mère ferme les yeux), il y a en même temps deux choses: justement ce sourire, cette joie, ce rire, et puis... et puis une paix! N'est-ce pas, une paix! une paix si pleine, si lumineuse, mais si totale, où plus rien ne se bat, il n'y a plus de contradictions. Rien ne se bat plus. C'est une seule lumineuse harmonie – et pourtant, tout ce que nous appelons erreur, souffrance, misère, tout est là. Ça ne supprime rien. C'est une autre façon de voir.

(long silence)

Il n'y a pas à dire, si sincèrement on veut en sortir, au fond ce n'est pas si difficile: on n'a rien à faire, on n'a qu'à laisser le Seigneur faire tout. Et II fait tout. Il fait tout, Il est... c'est si merveilleux! c'est si merveilleux!

Il prend n'importe quoi, même ce que nous appelons une intelligence tout à fait ordinaire, et puis simplement II vous apprend à mettre cette intelligence de côté, en repos: «Là, tiens-toi tranquille, ne bouge plus, ne m'embête pas, je n'ai pas besoin de toi.» Alors une porte s'ouvre – on n'a même pas l’impression d'avoir à l’ouvrir: elle est toute ouverte, on vous fait passer de l’autre côté. Tout ça, c'est Quelqu'un d'autre qui le fait, c'est pas vous. Et puis... l’autre façon devient impossible.

Tout ce, oh! ce labeur effroyable du mental qui s'efforce de comprendre, ouf! qui peine, qui se donne mal à la tête... absolument inutile, absolument inutile, ça ne sert à rien du tout, qu'à brouiller les cartes.

Vous êtes en face d'un soi-disant problème: «Qu'est-ce qu'il faut dire, ou qu'est-ce qu'il faut faire, ou comment agir, ou...?» Il n'y a rien à faire, rien! il n'y a qu'à dire au Seigneur: «Voilà, Tu vois, c'est comme ça.» Et puis c'est tout. Et puis on reste bien tranquille. Et puis tout spontanément, sans y penser, sans réfléchir, sans calculer, rien-rien, pas le moindre travail... on fait ce qu'il faut faire. C'est-à-dire que le Seigneur le fait, ce n'est plus vous. Il le fait, Il arrange les circonstances, Il arrange les gens, Il met les mots dans votre bouche ou sur votre plume – Il fait tout-tout-tout-tout, on n'a plus rien à faire, qu'à se laisser vivre béatifiquement.

J'en viens à être convaincue que les gens ne veulent vraiment pas.

Mais c'est déblayer qui est dur, difficile, c'est le travail de déblayage avant.

Mais on n'a même pas besoin de le faire! Il le fait pour vous.

Mais ça envahit constamment: la vieille conscience, les vieilles pensées...

Oui, ça essaye de recommencer par habitude. Mais il n'y a qu'à dire: «Seigneur, Tu vois – Tu vois, Tu vois, c'est comme ça.» C'est tout. «Seigneur Tu vois, Tu vois ça, Tu vois ça, Tu vois ça, Tu vois cet imbécile-là» – c'est fini. Ça, imédiatement... Mais ça change automatiquement, mon petit! pas le moindre effort. Simplement-simplement être sincère, c'est-à-dire VRAIMENT vouloir que ce soit bien. On est parfaitement conscient qu'on n'y peut rien, qu'on n'a aucune capacité: moi, de plus en plus j'ai l’impression que cet amalgame de matière comme ça, de cellules, tout ça, c'est pitoyable! C'est pitoyable. Je ne sais pas s'il y a des conditions où les gens se sentent puissants, merveilleux, lumineux, capables... mais pour moi, c'est parce qu'ils ne savent pas vraiment comment ils sont! Quand on voit vraiment comme on est fait – vraiment, c'est rien, c'est rien. Mais capable de tout, pourvu... pourvu qu'on laisse faire le Seigneur. Mais il y a toujours quelque chose qui a envie de faire soi-même, c'est ça l’ennui. Autrement...

Les gens viennent, on reçoit des lettres, ou des circonstances se présentent, des problèmes, eh bien... (maintenant c'est fini, mais dans le temps, il y a un an – il y a un an encore –, quand ça arrivait, c'était quelquefois un problème), mais alors tout de suite, comme ça (Mère place ses mains ouvertes devant son front, paumes vers le haut, comme pour présenter le problème au Seigneur): «Tiens, Tu vois, Seigneur, voilà.» Moi, je suis juste bonne à faire ça (même geste): «Je Te présente.» Et puis tranquille. Je me tiens tranquille: «Je bougerai seulement si Tu me fais bouger, je parlerai seulement si Tu me fais parler, autrement...» Et puis on n'y pense plus, n'est-ce pas. On y pense juste une seconde pour faire ça (même geste). Ça vient comme cela, et puis ça fait comme cela (Mère montre le problème qui arrive à Elle latéralement, et qu'Elle pousse vers le haut). Et puis, après, alors sans même s'en apercevoir, tout d'un coup on parle, ou on agit, on prend une décision, on écrit une lettre, etc. – c'est Lui qui a tout fait.

Non, on peut être plein d'une excellente bonne volonté, et puis ON VEUT le faire. C'est ça qui complique tout. Ou alors on n'a pas la foi, on croit que le Seigneur ne pourra pas faire et qu'il faut faire soi-même parce que Lui ne sait pas! (Mère rit) Ça, n'est-ce pas, ce genre de sottise est très répandu: «Comment est-ce qu'il peut voir les choses? Nous vivons dans un monde de Mensonge, comment est-ce qu'il peut voir le Mensonge et voir...» – Il voit la chose comme elle est, justement!

Et je ne parle pas de gens sans intelligence: je parle de gens qui sont intelligents et qui essayent – il y a une sorte de conviction, comme ça, quelque part, même chez ceux qui savent que nous vivons dans un monde d'Ignorance et de Mensonge et qu'il y a un Seigneur qui est toute-vérité, eh bien, ils disent: «Mais justement parce qu'il est toute-vérité, Il ne comprend pas (Mère rit). Il ne comprend pas notre mensonge, il faut que je m'en occupe.» Ça, c'est très fort, très répandu.

Quelquefois même on se donne beaucoup de mal pour Lui expliquer: «Tu vois, c'est comme ça et comme ça», et quand on a fini, on s'aperçoit que... Oh! je me souviens d'une expérience que j'ai eue il y a deux ans, la nuit. C'était la première fois que le Supramental était entré dans les cellules de mon corps et c'était monté au cerveau. Alors le cerveau s'est trouvé en présence de quelque chose qui était (riant) considérablement plus puissant que ce qu'il recevait d'habitude! et comme un imbécile qu'il est, il s'est inquiété. Alors moi (geste plus haut ou ailleurs), moi j'ai vu ça et j'ai vu qu'il s'inquiétait, j'ai essayé de lui dire qu'il était un serin et qu'il se tienne tranquille. Il s'est tenu tranquille, mais c'était comme... n'est-ce pas, ça bouillonnait là-dedans et c'était comme si ça allait éclater. Alors j'ai dit: «Bien, maintenant on va aller trouver Sri Aurobindo pour lui demander ce qu'il faut faire», et immédiatement tout est devenu tout à fait calme... et puis je me suis éveillée dans la maison de Sri Aurobindo, dans le physique subtil – très matériel, et toutes les choses très concrètes. Alors je suis arrivée, c'est-à-dire pas moi mais la conscience du corps est arrivée là2 et a commencé à expliquer à Sri Aurobindo ce qui s'était passé – il était très excité et il racontait, il racontait. Alors un sourire indéfinissable, comme ça, et puis... rien. Il regardait: un sourire indéfinissable – pas un mot. l’excitation est tombée. Une figure d'éternité, n'est-ce pas. l’excitation est tombée. Puis Sri Aurobindo a dû prendre son déjeuner, c'était l’heure de son déjeuner (parce qu'on mange aussi là-bas – d'une autre façon). Pour ne pas le déranger, je suis passée dans la chambre à côté. Quelque temps après, il est arrivé, puis il s'est tenu debout devant moi (j'avais eu le temps de me calmer: c'était mon être physique, n'est-ce pas, ma conscience physique), alors je me suis agenouillée et j'ai pris sa main (mon petit! c'était une sensation BEAU-COUP plus claire que la sensation physique!), j'ai baisé sa main. Il a simplement dit: Oh! this is better [Oh! ça, c'est mieux] Mère rit.

Je passe tous les détails (c'était long, ça a duré une heure), mais tout d'un coup, il a quitté la chambre, il m'a laissée toute seule (après m'avoir exprimé ce qu'il voulait me dire par un geste, que j'ai compris), et j'ai eu simplement l’impression que je faisais un pas comme ça (Mère fait le geste de franchir un seuil), et puis je me suis retrouvée sur mon lit, étendue. Et à ce moment-là, je me suis dit: «Mais enfin! on fait toutes sortes de complications, c'est très simple: il n'y a qu'à faire comme ça, on est là (geste de franchir un seuil); on fait comme ça, on est ici.» (même geste dans l’autre sens)

(silence)

Maintenant, tout ça, c'est de l’histoire ancienne, TRÈS ancienne.

Ce n'est plus du tout comme cela. Ah! nous compliquons pour rien.

Tu ne pourras rien faire de tout cela, c'est seulement pour l’Agenda.

C'est une chose que je me suis souvent demandé: quand on fait une prière au Seigneur, qu'on veut Lui faire comprendre que quelque chose ne marche pas, j'ai toujours l’impression qu'il faut se concentrer très fort et que c'est quand même quelque chose de Loin qu'il faut appeler. Mais est-ce que c'est exact? Ou est-ce que vraiment...

Ça dépend de nous!

Moi, n'est-ce pas, j'en suis à Le sentir partout, tout le temps, tout le temps, et jusqu'à un contact physique (c'est physique subtil mais physique), dans les choses, dans l’air, dans les gens, dans... comme ça (Mère presse ses mains contre son visage). Et alors, ce n'est pas loin à aller! Je n'ai qu'à faire ça (Mère retourne ses mains légèrement vers le dedans), une seconde de concentration – Il est là!! N'est-ce pas, Il est là, Il est partout.

Il est loin seulement si nous Le pensons loin.

Naturellement, quand nous commençons à penser à toutes les zones, tous les plans de conscience universels, et que c'est tout au bout, tout au bout, tout au bout, là; alors ça devient très loin, très loin, très loin! (Mère rit) Mais quand nous pensons qu'il est en toutes choses, qu'il est partout, que c'est Lui qui est tout, et que c'est seulement notre perception qui nous empêche de Le voir et de Le sentir, mais que nous n'avons qu'à faire comme ça (Mère retourne ses mains vers le dedans) – c'est un mouvement comme ça, comme ça (Mère retourne alternativement ses mains vers le dedans et vers le dehors), ça arrive à être très concret: on fait comme ça (geste vers le dehors), tout devient artificiel, dur, sec, faux, mensonger, artificiel; on fait comme ça (vers le dedans), tout devient vaste, tranquille, lumineux, paisible, immense, joyeux. Et c'est seulement ça, ça (Mère retourne alternativement ses mains au-dedans et au-dehors). Comment? Où? Ça ne peut pas se décrire, mais c'est seulement – seulement – un mouvement de conscience, pas autre chose. Un mouvement de conscience. Et la différence entre la conscience vraie et la conscience fausse devient de plus en plus... précise et en même temps MINCE: il n'y a pas de «grandes» choses à faire pour en sortir de ça. Avant, on a l’impression qu'on vit dans quelque chose et qu'il faut une grande intériorisation, concentration, absorption, pour sortir de ça; mais maintenant l’impression, c'est quelque chose qu'on accepte (Mère place sa main en écran devant son visage), qui est comme une petite pelure mince, très dure – très dure mais malléable, mais très-très sèche, très mince, très mince, quelque chose comme si on se mettait un masque –, et puis on fait comme ça (geste), ça disparaît.

On prévoit le moment où il ne sera pas nécessaire de prendre conscience du masque, que ce sera tellement mince qu'on peut voir, sentir, agir au travers, sans avoir besoin de remettre le masque.

Ça, c'est ce qui commence à se faire.

Mais cette Présence en toutes choses... C'est une Vibration – c'est une Vibration mais qui contient tout. Une Vibration qui contient une sorte de puissance infinie, de joie infinie et de paix infinie, et d'immensité, D'IMMENSITÉ, D'IMMENSITÉ, il n'y a pas de limites... Mais c'est seulement une Vibration, ça ne... Oh! Seigneur! ça ne se pense pas, alors ça ne peut pas se dire. Si on pense, dès qu'on pense, toute la bouillie recommence. C'est pour ça qu'on ne peut pas parler.

Non, Il est très loin parce que tu Le penses très loin. Même, tu sais, si tu Le pensais là, comme ça (geste contre le visage), te touchant... si tu sentais. Ce n'est pas comme le contact d'une personne, ce n'est pas comme cela. C'est quelque chose qui n'est pas étranger, qui n'est pas extérieur, qui ne va pas du dehors au dedans – c'est pas ça! C'est... partout.

Et il y a eu une période où c'était comme si je me roulais en boule Dedans, comme ça. Dès qu'il y avait une difficulté, c'était tout à fait comme si je devenais une circonférence! et puis je me roulais en boule Dedans.

Et alors, on sent partout-partout-partout-partout – dedans, dehors, partout, partout. Lui, rien que Lui – Lui, Sa Vibration.

Non, il faut arrêter ça (la tête), tant qu'on n'arrête pas ça, on ne peut pas voir la Chose Vraie – on cherche des comparaisons, on dit: «C'est comme ci, c'est comme ça...», oh!

(silence)

Et que de fois, que de fois l’impression... Il n'y a pas de forme – il y a une forme et il n'y en a pas, et ça ne peut pas se dire. Et l’impression d'un regard, et il n'y a pas d'yeux – il n'y a pas de regard mais il y a un regard; d'un regard et d'un sourire, et... il n'y a pas de bouche, il n'y a pas de figure! et pourtant il y a un sourire et il y a un regard et... (Mère rit) on ne peut pas s'empêcher de dire: «Oui, Seigneur, je suis stupide!» Mais Lui rit – on rit, on est content.

On ne peut pas! Ça ne peut pas s'expliquer. Ça ne peut pas se dire. On ne peut rien dire. Tout ce qu'on dit, c'est rien, rien.

Voilà.

Enfin, si tu peux tirer une demi-page qui soit présentable pour le Bulletin...

Non, je ne suis pas capable de parler, je ne peux rien dire qui puisse se publier, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. Ça me paraît si artificiel, si artificiel. Et puis ça fait mal à la tête.

Alors c'est toi qui dois faire le travail. Tu peux ramasser un peu: une phrase ici, une phrase là.
..

Voilà, petit.

Je ne vaux plus rien!

Le 16, tu m'apporteras ton livre.

C'est ça qui est difficile, écrire.

Mais non, mon petit! Justement on appelle le Seigneur, et puis on dit: «Là, maintenant, voilà le programme.» Bien, et puis ça suffit – ça vient.

Ça vient.

S'il s'agissait d'écrire des contes, de la poésie, ça irait. Mais écrire des choses qui doivent se tenir...

Ça ne fait rien! Ça se tiendra par un fil invisible, qui sera beaucoup plus intéressant.

16 octobre 1962

La dernière fois, tu disais: «On les a brûlés, ou bien on les a enfermés dans une boîte, sans air, sans lumière – tout à fait conscients...»

Et c'est effroyablement vrai.

Mais qu'est-ce qu'il faudrait faire? Il faudrait attendre, ou quoi faire?

J'ai beaucoup regardé mais... au point de vue social c'est impossible, on ne peut pas faire autrement. N'est-ce pas, les vivants se placent au point de vue des vivants. Alors la seule chose que j'ai vue, c'est qu'il doit y avoir une grâce d'état, comme toujours, et que probablement ils ne voient QUE ce qu'ils peuvent voir sans être troublés.

Je sais cela parce que quand le corps était devenu comme ça – il était plus qu'aux trois quarts mort1 –, et que les gens me soignaient (ils me soignaient, ils faisaient tout pour moi), j'étais tout à fait consciente, TOUT À FAIT CONSCIENTE, mais je ne pouvais pas... J'étais comme une morte. Et ce n'est pas que je ne pouvais pas bouger, mais je ne pouvais pas manifester – je ne voulais pas! J'étais dans un état tout à fait béatifique et je me moquais absolument de ce qui pouvait arriver. Eh bien, c'est ça. Je pense que c'est ça qui doit arriver pour ceux qui sont... ceux qui sont morts en état de grâce – c'est vrai, cette chose, qu'il y a des gens qui meurent bien et d'autres qui ne meurent pas bien. Et que tout dépend de l’état de conscience dans lequel on est.

Si on meurt en s'abstrayant de la vie physique, de la conscience physique ordinaire et en s'unissant ou bien à la grande Force universelle ou à la Présence divine, alors toutes ces petites choses... Ce n'est pas que l’on n'est pas conscient – on est très conscient –, on est très conscient de ce que les autres font, très conscient de tout, mais... ça n'a pas d'importance.

Seulement ceux qui meurent en étant attachés aux gens et attachés aux choses, ce doit être un tourment infernal.

Infernal.

Mais est-ce qu'il vaut mieux se faire enterrer ou se faire brûler dans ce cas-là?

Tu m'aurais posé cette question il y a une semaine, je t'aurais dit sans hésitation: «Il faut se faire enterrer», en recommandant aux gens de ne pas le faire trop vite! d'attendre le signe extérieur de la décomposition.

Maintenant, à cause de ça, je ne peux plus dire. Je ne peux plus dire.

Il me semble que je suis en train d'apprendre beaucoup de choses, justement sur cette transition qu'on appelle la mort. Ça commence à devenir de plus en plus mince et de plus en plus irréel. C'est très intéressant.

(silence)

On peut être dans l’état de conscience où le corps n'est plus qu'un fardeau, parce qu'il n'est pas responsif, ou qu'il est trop détérioré, qu'il n'y a plus rien à en faire, ou que l’on n'a pas été créé pour essayer de le rendre immortel (ça, c'est une chose très exceptionnelle). Dans la grande masse humaine, beaucoup de corps ne sont plus bons à rien, et dans ce cas-là, ce peut très bien être un soulagement qu'on vous sépare de lui brusquement au lieu d'avoir à attendre une lente décomposition. Alors... je me suis dit encore une fois: «Un jugement hâtif et téméraire – le jugement de l’Ignorance.»

Je ne peux pas dire. Il faut que chacun le SENTE et le dise lui-même s'il est suffisamment conscient.

Mais chaque fois que je demande à mon corps ce que lui voudrait, toutes les cellules disent: «Non-non! nous sommes immortelles, nous voulons être immortelles. Nous ne sommes pas fatiguées, nous sommes prêtes à lutter pendant des siècles s'il le faut; nous avons été créées pour l’immortalité et nous voulons l’immortalité.»

C'est très intéressant.

C'est très intéressant. Et justement, Pavitra m'a dit ces jours-ci qu'on est en train d'étudier très sérieusement et d'une façon très approfondie les causes du vieillissement et de la déchéance, et qu'on est en train d'arriver à des découvertes tout à fait intéressantes: c'est que la cellule est immortelle. Et que c'est seulement un concours de circonstances qui fait qu'il y a ce vieillissement; les recherches tendent à cette conclusion que c'est seulement une mauvaise habitude – ce qui paraît être vrai. C'est-à-dire que si on vit dans la Conscience-de-Vérité, cette Matière n'est pas contraire à cette Conscience.

Et justement, je m'aperçois de cela (je ne crois pas que ce soit une chose unique, exceptionnelle), que plus on va vers la cellule même, plus la cellule dit: «Mais moi, je suis immortelle!» Mais il faut qu'elle soit consciente. Ça se fait presque automatiquement: les cellules du cerveau sont très conscientes; les cellules des mains, des bras du musicien sont très conscientes; les cellules de l’athlète ou du gymnaste dans le corps tout entier sont merveilleusement conscientes. Alors ces cellules, étant conscientes, deviennent conscientes de leur principe d'immortalité et disent: «Mais pourquoi! Non, mais je ne veux pas vieillir!» Elles ne veulent pas vieillir. C'est très intéressant.

Alors toutes ces idées que j'avais sur la mort, toutes les choses que j'ai dites de la mort, presque toutes les choses que j'ai faites consciemment2 – oh! je me suis aperçue: «Ça encore, ça appartient au passé, et au passé d'Ignorance.» Là aussi, j'aurai probablement d'autres choses à dire plus tard.

Si jamais je dis.

Dès qu'on parle, la grande majorité de la connaissance échappe. Ça devient ce que Sri Aurobindo appelle une «représentation», une image – ce n'est pas la chose.3

20 octobre 1962

Je voudrais bien savoir... À propos de ces gens qu'on brûle ou enterre, tu disais: «Il y a une semaine, je t'aurais dit sans hésitation: il faut se faire enterrer... Maintenant, à cause de «ça», je ne peux plus dire.» À quelle expérience fais-tu allusion?

À cause de ce que je commence à savoir.

Ce que tu es en train d'apprendre te ferait dire que ce n'est pas nécessairement d'être enterré qui est le mieux?

Oui. Ça dépend des cas, ça dépend des pays, ça dépend de toutes sortes de choses. En Europe, il y a des gens qui demandent à se faire brûler parce qu'ils ont peur d'être enterrés vivants. Ici, ceux dont on est convaincu qu'ils sont conscients, on les enterre au lieu de les brûler.

Au fond, c'est tout à fait un cas individuel.

Mais c'est seulement un petit commencement de connaissance. Ça viendra plus tard.

(Mère entre dans une longue méditation, puis en sort soudain:)

Ça va.

Sri Aurobindo a apporté... (comment dire?) c'est quelque chose comme ça [le petit meuble près de Mère, avec des rayons sur lesquels Elle empile les lettres et papiers], mais avec toutes sortes de petites... comme des petites étagères, et sur chacune il y avait un certain nombre de papiers avec des notes, comme si c'étaient tout des renseignements. C'était haut comme cela. Et puis il l’a mis à côté de toi. Juste maintenant, il l’a mis. à côté de toi en disant que c'était pour toi.

Toutes sortes de choses... Il y avait sur chacune comme un certain nombre de notes sur un sujet. Il y en avait trois rangées à chaque hauteur: une comme ça, une comme ça, une comme ça (je n'ai pas vu le bas parce que c'était derrière toi, mais le haut). Et les feuilles se soulevaient pour me montrer qu'il y en avait plusieurs.

Ça entrera dans la tête! (Mère rit)

Et j'ai vu sa main, son bras, j'ai bien reconnu – puis il l’a mis là, comme ça: c'est pour toi. Alors ça va s'en aller avec toi! (Mère rit beaucoup)

Bien.

24 octobre 1962

(Après la lecture du manuscrit, Mère entre dans une longue méditation)

Il vient toujours là quand tu lis. Et quand il est là, ça fait une paix, une paix, quelque chose de si solide! Tu ne sens pas?

Si, je sens la paix.

(Très long silence Mère écoute cette paix. La pendule sonne)

Quand il est comme cela, quand il se manifeste de cette façon-là, on a l’impression que ça tient à l’écart toutes les vibrations désordonnées de la vie – ça devient Si paisible et... inconditionné: ça ne dépend de rien, absolument rien, c'est une paix qui vient solide, concrète, et qui pourrait être n'importe où – même sur la frontière chinoise maintenant.1

Tu crois qu'il va y avoir la guerre?

Ils se battent déjà.

(silence)

J'ai eu cette vision d'incendie que j'ai toujours pour annoncer la guerre: je l’ai eue trois ou quatre jours avant qu'ils ne commencent à se battre. Mais c'était de très courte durée, ça finissait très vite.

Nous allons voir.

Très violent et très rapide.2

27 octobre 1962

(Une malencontreuse série de pannes de courant nous a empêché d'enregistrer la totalité de cette conversation, sauf quelques passages. Nous avons noté de mémoire les passages manquants, puis Mère a complété nos notes par un certain nombre de commentaires et d'additions.)

On va faire construire une petite pièce sur la terrasse pour mettre l’harmonium. J'ai envie de faire des expériences...

Il y avait une mauvaise attitude du corps qui me gênait tout le temps quand je jouais, et maintenant que c'est parti, je voudrais voir ce que ça donne. C'était quelque chose dans le subconscient qui se mettait en travers: tout ce qu'on vous apprend quand on étudie la musique, qu'avec telle note on ne peut pas jouer telle note, et ceci et cela; alors je me branchais là-haut et j'entendais, mais il y avait toujours ces vieilles habitudes subconscientes qui intervenaient. Maintenant, tout cela est changé et je voudrais voir ce que ça donne – ça donnera peut-être des cacophonies!

Mais ce n'est pas de la musique que je joue, je n'essaye pas de jouer de la musique: c'est seulement une sorte de méditation avec des sons.

J'entends constamment comme de grandes ondes musicales. Il suffit que je me retire un peu et c'est là, j'entends. C'est toujours là. Ce ne sont pas des sons et c'est de la musique! De grandes ondes musicales. Et chaque fois que j'entends ces ondes, il y a mes mains qui ont envie de jouer. Alors je vais faire des expériences, rester complètement passive, les mains inertes, et essayer de transcrire ça.

Ils ont dit qu'ils allaient installer des fils électriques à travers le plafond pour enregistrer automatiquement chaque fois que je jouerai. Je leur ai dit: «C'est votre affaire, mais ne vous attendez pas à avoir de la musique!»

Une fois, je suis allé dans le monde de là musique, et ce que j'ai entendu était si merveilleux, si incroyablement beau que j'en suis resté sous le choc pendant des heures après le réveil. C'était incroyable. Où est-ce situé ce monde-là?

Je connais très bien, j'y allais très souvent. C'est tout à fait en haut de la conscience humaine, à la limite de ce que Sri Aurobindo

appelle l’hémisphère inférieur et l’hémisphère supérieur. C'est très haut, très haut. J'ai beaucoup étudié ce domaine.

C'est un monde de création avec plusieurs stades ou plusieurs degrés.

Justement, j'aimerais comprendre le fonctionnement. Il faut que j'en parle dans le livre.

La première zone qu'on rencontre, c'est la peinture, sculpture, architecture: tout ce qui a une forme matérielle. C'est la zone des formes – des formes colorées qui se traduisent par des peintures, des sculptures ou de l’architecture. Mais ce ne sont pas des formes comme nous les connaissons: ce sont plutôt des types; par exemple on voit des jardins-types qui sont merveilleusement beaux et colorés, ou des constructions-types.

Puis il y a la zone musicale et là, on trouve l’origine des sons qui ont été les inspirations des différents compositeurs. Ce sont de grandes ondes musicales sans qu'il y ait de sons! Ça paraît un peu drôle, mais c'est comme cela.

Mais quand tu joues, tu entends quelque chose ou quoi?

Quand je joue, généralement j'entends ce que je joue. C'est difficile à dire... Ce n'est pas juste un son comme cela: c'est un ensemble de sons, et ce n'est pas le son... non, ce n'est pas le même son, c'est vrai, c'est quelque chose qui est comme l’essence de ce son. Mais par exemple, j'ai une sorte de sentiment que ce que j'entends devrait se traduire par un grand orchestre... Je VOIS, n'est-ce pas, je vois comme de grands orchestres devant moi, à droite, à gauche... et alors il faut que je traduise ça sur un harmonium, tu comprends! C'est comme un orchestre composé de groupes de musiciens dont chacun traduirait une partie de cet ensemble, qui est un son beaucoup plus complet que ne peut l’entendre l’oreille. C'est ça. Ce n'est pas juste une chose qu'on peut traduire en chantonnant un air comme ça: c'est un ensemble de vibrations musicales. Et alors je vois en même temps comment ça devrait se traduire. Je vois de grands orchestres autour de moi. Mais aussi, c'est un autre genre de vision: ce n'est pas une vision comme on a avec l’œil, avec cette précision; ce n'est pas ça, c'est une vision très... c'est la vision de la conscience. Comment décrire! Tout ce qu'on peut dire, c'est que ce n'est pas notre genre ordinaire de vision et d'ouïe non plus.

C'est une sorte de connaissance assez complète qui est une vision, une connaissance de l’ensemble de sons et de comment ils devraient se traduire.

Au-delà de la zone musicale, il y a la pensée: des pensées, des organisations de pensée pour pièces, pour livres, des abstractions pour des philosophies. Mais ce qui m'intéressait particulièrement, c'étaient les combinaisons qui peuvent donner lieu à des romans ou des pièces de théâtre.

Ça, c'est la troisième zone.

On entend des sons dans la zone intellectuelle?

Non, dans l’endroit intellectuel, ce sont des formations de pensée, et la formation de pensée se traduit dans le cerveau de chacun en sa propre langue. C'est là qu'on trouve des combinaisons pour les romans, les drames, etc., et même les systèmes philosophiques. Ce sont des combinaisons de pensée, qui est une pensée pure, qui n'est pas une pensée formulée dans une langue. Et cette pensée se traduit dans le cerveau de chacun dans sa propre langue, automatiquement. C'est le domaine de la pensée pure. C'est là qu'on travaille quand on veut travailler pour toute la terre; on n'envoie pas des pensées formulées dans des mots, on envoie la pensée pure, qui se formule dans n'importe quelle langue, dans le cerveau de n'importe qui: tous ceux qui sont réceptifs. Et ces formations sont disponibles, c'est-à-dire que personne ne dit: «C'est MON idée, c'est MON livre.» Celui qui a la capacité de s'élever là peut attraper les formations et les transcrire matériellement. J'ai fait une expérience comme cela: un jour, j'ai voulu voir et j'ai fait, moi aussi, une formation que j'ai laissée se promener. Et dans la même année, deux personnes tout à fait différentes, qui ne se connaissaient même pas, l’une en Angleterre et l’autre en Amérique, ont attrapé ma formation et l’un, en Angleterre, a écrit un livre, tandis que celui d'Amérique faisait une pièce de théâtre. Et les circonstances se sont arrangées pour que le livre et la pièce viennent tous les deux à moi.

Au-dessus, il y a une quatrième zone: une zone de lumières colorées, de jeux de lumières colorées. C'est dans cet ordre là: d'abord la forme, puis le son, puis les idées, puis les lumières colorées. Mais c'est déjà plus loin de l’humanité. C'est une zone de forces et c'est une zone qui a l’aspect de lumières colorées. Pas de formes: des lumières colorées qui représentent des forces. Et on peut combiner ces forces, qui alors agissent sur l’atmosphère terrestre pour amener certains événements. C'est une zone d'action qui est indépen-
dante de la forme, du son et de la pensée: c'est au-dessus. C'est une zone de pouvoir et de puissance active qu'on peut utiliser à une fin spéciale – si on a le pouvoir de s'en servir.

Ça, c'est la plus haute des zones.

Nous avons donc: forme, qui se traduit par la peinture, la sculpture ou l’architecture; son, qui se traduit par des thèmes de musique; et pensée, qui se traduit par des sujets de livres, de pièces ou de roman, ou même des théories intellectuelles, philosophiques ou autres (c'est là qu'on peut envoyer des idées de façon qu'elles agissent dans le monde, sur toute la terre, parce qu'elles influencent les cerveaux réceptifs dans n'importe quel pays, et ça se traduit en eux par des pensées correspondantes dans leur propre langue). Et au-dessus de cette zone, libre de formes, libre de sons, libre de pensées, c'est le jeu des forces, qui se traduisent par des lumières colorées. Et quand on entre là et qu'on a le pouvoir, on peut combiner ces forces, qui se traduisent plus tard (ça prend quelque temps, c'est rarement imédiat) par des créations sur la terre.

Mais ces grandes ondes musicales que tu entends, tu avais dit que c'était au-delà des sons. Est-ce que c'est dans ce domaine de vibrations lumineuses?

Oui... Mais c'est la partie supérieure de la zone musicale. Chacune de ces zones a des degrés intérieurs, et au sommet de la zone musicale, ça commence déjà à être des ondes, des ondes de vibration. Mais c'est directement en rapport avec la musique, tandis que ces forces colorées dont je parle sont en rapport avec les transformations terrestres, les actions – les grandes actions. Ce sont des pouvoirs d'action. Cette zone dont on n'entend pas le son se traduit ensuite par des sons, par de la musique. C'est le sommet. Dans chacune de ces zones, il y a des degrés.

En somme, quand on est là-haut, à cette Origine, c'est une même vibration qui peut se traduire en musique ou en pensée ou en formes architecturales ou picturales, non?

Oui, mais elle subit des transformations spéciales en route. Elle passe par une zone ou par l’autre, et là, elle subit des transformations pour s'adapter au mode spécial d'expression. Les ondes musicales sont un mode spécial de traduction de ces ondes colorées – on devrait dire «lumineuses» parce que c'est lumineux en soi. Des ondes de lumière colorée. Des grandes ondes de lumière colorée.

(silence)

Toutes ces zones de création artistique, c'est très en haut de la conscience humaine; c'est pour cela que l’Art peut être un merveilleux instrument de progrès spirituel. Parce que ce monde de création, c'est aussi le monde des dieux – mais les dieux n'ont pas du tout le goût de la création artistique, je regrette de le dire;1 ils n'éprouvent pas du tout le besoin de la permanence des formes, ça leur est bien égal! Quand ils veulent quelque chose, il suffit qu'ils le veuillent et c'est là; quand ils ont envie d'un entourage, d'un cadre particulier, ils souhaitent et ça se forme tout seul – tout vient comme ils le veulent, alors ils ne sentent pas le besoin de fixer des formes. Tandis que l’homme, qui n'a pas ce qu'il veut comme il veut, doit faire un effort pour donner une forme, et c'est pour ça qu'il progresse – l’art est un grand moyen de progrès spirituel.

Mais ces grandes ondes musicales qui m'intéressent, j'avais l’impression qu'elles devaient se situer bien au-dessus du monde de la pensée...

Tu sais, ce n'est pas tout à fait comme une géographie!

Mais c'est tout à fait en bordure de l’hémisphère supérieur... C'est la première traduction de la Conscience sous forme de joie. Je me souviens, j'ai retrouvé cette même vibration de joie dans Beethoven et dans Bach (aussi chez Mozart, mais moins fort). La première fois que j'ai entendu le concerto en ré de Beethoven – en ré majeur, violon et orchestre –, tout d'un coup, le violon commence (pas tout au début, il y a d'abord un mouvement d'orchestre puis le violon reprend) et alors, dès les premières notes du violon – c'était Ysaye qui jouait, un musicien!2 – dès les premières notes, c'est comme si ma tête s'ouvrait tout d'un coup, et j'ai été projetée dans une magnificence, oh!... C'était absolument merveilleux. Pendant plus d'une heure j'étais dans un état béatifique. Ysaye était un musicien!

Et je ne connaissais rien de ces mondes-là, note, je n'avais pas la moindre connaissance; mais toutes mes expériences sont venues comme cela, sans que je m'y attende, sans que je le cherche. Je regardais un tableau, et tout d'un coup même chose: ça s'ouvrait dans ma tête et je voyais l’origine du tableau – des couleurs!... On peut arriver à ce monde-là sans passer par toutes les gradations mentales, directement à partir du vital.


Peu après

...Et encore maintenant, après toutes ces années et cette multitude d'expériences, c'est comme si c'était toujours nouveau, comme si le monde était toujours nouveau et que je ne connaissais rien. Je passe des nuits en ce moment, et quand je me réveille, je me dis: «Eh bien! voilà encore quelque chose que je ne connaissais pas!» On pourrait croire qu'après tant d'années, la vie doit être un peu rabâchée, mais non!

C'est peut-être que j'avance aussi vite que le Seigneur!3

30 octobre 1962

Je vais bientôt avoir fini ma traduction [de La Synthèse], je le regrette.

Mais tu vas commencer Savitri?

J'ai trouvé tout d'un coup que c'était terriblement ambitieux... (Riant) Le magasin de mots n'est pas bien approvisionné!

(silence)

H.S m'a écrit une lettre1 et dans cette lettre, il y avait une phrase qui m'a fait regarder un problème. Il disait: «J'ai fait tant d'heures de traduction, c'est un travail mécanique.» Je me suis demandé ce qu'il veut dire par «travail mécanique», parce que, pour moi, on ne peut pas traduire si on n'a pas l’expérience – si on se met à traduire un mot par un autre mot, ça ne veut plus rien dire du tout. Si on n'a pas l’expérience de ce qu'on traduit, on ne peut pas le traduire. Et tout d'un coup, j'ai pensé: «Mais les Chinois ne peuvent pas traduire comme nous!» Ce doit être un tout autre travail, parce que, pour eux, il faut que la base soit l’idée puisque ce sont des signes d'idées, chaque signe est une idée – ce sont des bases d'idées, ce ne sont pas des bases de mots avec leur sens. Alors j'ai commencé à m'identifier pour voir H.S traduisant La Synthèse des Yoga de Sri Aurobindo en caractères chinois... Mais il a dû trouver de nouveaux caractères! C'était très intéressant. Il a dû inventer des caractères. Les caractères sont faits avec des signes-racines [root-signs] et suivant la position, le sens change; alors chaque signe-racine peut être simplifié dans les combinaisons suivant qu'il est placé en haut, d'un côté, de l’autre ou en bas. Et alors, oh! ce doit être tout à fait intéressant comme travail pour trouver la combinaison (je ne sais pas combien on peut en mettre ensemble, mais il y a des caractères qui sont très gros et qui doivent contenir beaucoup de signes-racines; justement on m'a montré des caractères pour exprimer les nouvelles découvertes scientifiques, ils étaient très grands). Mais les nouvelles idées, comme ce doit être intéressant! Et il appelle ça un «travail mécanique».

C'est un génie, ce H.S!

Et puis il a des expériences. Nous n'avons pour ainsi dire jamais parlé ensemble, mais j'ai vu des lettres qu'il a écrites à des gens; il a dit à quelqu'un: «Si vous voulez l’expérience taoïque, vous n'avez qu'à venir vivre à l’Ashram, vous aurez la RÉALISATION de la philosophie de Lao-Tsé.»

C'est un sage!


Peu après

...J'ai compris que ces Chinois sont des lunaires – leur origine est lunaire. Quand la lune s'est refroidie, et que probablement ce genre d'êtres ne pouvait plus exister là parce qu'il n'y avait plus les conditions nécessaires, ils sont venus sur la terre. C'est une chose que j'ai vue au commencement du siècle et, quand je suis allée en Chine,2 mon impression s'est intensifiée. Ils sont lunaires. Et j'avais l’impression de gens à qui il manque un être psychique: ils sont froids, glacés. Mais merveilleusement intellectuels!

J'ai rencontré un autre Chinois il y a quelques années, un homme qui a une vie spirituelle; il est venu me trouver et, pendant une heure, il m'a parlé de la Chine. Et j'ai compris la Chine extérieurement comme si j'y étais née et j'y avais vécu toute ma vie. Et j'ai vu que ce sont des gens au sommet de l’intellectualité, avec un pouvoir créateur – ce sont des inventeurs. Et il m'a dit: «Il n'y a pas un pays au monde qui puisse comprendre intellectuellement Sri Aurobindo aussi bien que les Chinois.» Et c'était lumineusement vrai. Une compréhension intellectuelle tout en haut, tout en haut là-haut.

Quant à faire un yoga, c'est une autre affaire... Ce doit être une question purement individuelle. Il n'y a pas la même intensité spirituelle qu'au fond de la nature de l’Inde – ce n'est pas du tout la même chose. Ici, la vie spirituelle est une chose réelle, concrète, tangible, tout à fait réelle. Pour les Chinois, ça se passe comme ça, au sommet de la tête.

Ils ne vont pas venir ici, non?

J'espère que non!

Ce sont des gens qui n'ont pas de sensibilité. Je ne sais pas si depuis qu'ils sont sur la terre ils ont attrapé un être psychique (oh! il y a des mélanges, n'est-ce pas, les races ne sont plus pures du tout), mais ils sont encore glacés. Difficile.

Mais il se peut qu'ils entrent en relation avec la pensée de Sri Aurobindo. Mais pas leurs troupes!! Je ne sais pas si les nouveaux Chinois sont très intéressés par la philosophie... Ce serait mieux qu'ils ne viennent pas!3


(Peu après, le disciple reprend la précédente conversation où il était question de la musique:)

Mais ces zones de la musique, de la peinture, etc., font partie du surmental ou pas?

Hem! oui... Je ne sais pas. Moi, les classifications, quelles qu'elles soient, me paraissent toujours trop rigides. Ça manque d'une souplesse qui existe dans l’univers. Nous avons toujours besoin de mettre une boîte dans l’autre, une boîte dans l’autre! (Mère rit) ce n'est pas comme ça! Ce serait plutôt une correspondance qu'une partie. Ça fait partie, oui, mais lequel fait partie de l’autre?! Ça fait partie de quelque chose qui n'est ni ceci ni cela ni autre chose!

Il y a des lignes d'approche différentes. Ça dépend, au fond, de l’aspiration ou de la préoccupation dominante, ou du besoin que l’on a pour le travail que l’on fait. Et c'est comme si on allait directement à l’endroit où l’on veut aller, en ignorant tout le reste, sans s'en apercevoir – en passant au travers si c'est nécessaire mais sans s'en occuper. Et ce besoin de classifier, tu sais... ça vient après, si on a envie de décrire, mais ce n'est pas nécessaire.

C'est comme ce fameux Nirvana, on peut le trouver derrière tout. Il y a un nirvana psychique, il y a un nirvana mental, il y a même un nirvana vital. Je crois que je te l’ai déjà dit, j'ai eu une expérience comme cela avec Tagore, au Japon. Tagore disait toujours que dès qu'il se mettait en méditation, il entrait dans le nirvana, et il m'a demandé de méditer avec lui. Nous nous sommes assis ensemble en méditation. Je m'attendais à faire une ascension très directe, mais il est entré dans son mental, et là... (n'est-ce pas, ce que je fais, c'est de me brancher sur la personne avec qui je médite: je m'identifie à elle, comme ça je sais ce qui se passe), alors il se mettait en méditation et très rapidement tout était arrêté, ça devenait absolument immobile (il le faisait très bien), et puis de là, il faisait un mouvement de chute, comme en arrière, et puis c'était le Néant. Et il pouvait rester là-dedans indéfiniment! En fait, nous sommes restés suffisamment longtemps; je ne me souviens plus du temps, si c'était trois quarts d'heure ou une heure, mais enfin c'était suffisamment long. Et moi, j'étais toujours en éveil pour voir si, par hasard, de là, il passait ailleurs, mais il restait là – il est resté là bien tranquille, sans bouger. Puis il est revenu, son mental a recommencé à marcher et puis c'était fini.

Je ne lui ai rien dit.

Mais c'était vraiment un Nirvana: le Néant. Pas une sensation, pas un mouvement, pas une pensée naturellement, rien, pas une vibration, rien – comme ça, Nirvana. Alors ma conclusion toute naturelle était qu'il y a un nirvana derrière le mental puisqu'il est passé directement. Et j'ai fait mon expérience à moi, dans les différentes zones de l’être, et je me suis aperçue que, en effet, il y a un nirvana derrière tout ça (il doit y avoir un nirvana derrière la cellule physique – c'est peut-être ça qui se traduit par la mort! on ne sait pas, c'est possible). Un néant, rien ne bouge plus. Et il n'y a plus rien – il n'y a plus rien, il n'y a plus rien à bouger (Mère rit). C'est le Rien.

Mais à quoi ça sert?

Sais pas! Ça doit servir à quelque chose.

C'est-à-dire, est-ce que les choses doivent nécessairement servir?

Mais enfin, est-ce que ça sert à faire un progrès?

Ce sont des expériences.

Oui, mais est-ce que ça sert à progresser?

Ça doit servir à stabiliser, en tout cas.

(silence)

Je ne sais pas si on peut regarder les choses de ce point de vue, parce que c'est seulement un point de vue. Certainement, le Seigneur, si on Lui demandait «À quoi ça sert?», ou Il dirait: «Ça m'est égal», ou Il dirait: «Ça ne vous regarde pas», ou Il dirait: «Moi, ça m'amuse» – ce doit être suffisant pour Lui!

Non...

(silence)

N'est-ce pas, le Bouddha avait été profondément choqué par l’impermanence des choses – l’impermanence de toute la création, qu'il n'y avait rien qui soit permanent. C'était l’origine de sa recherche, quand il a vu qu'il n'y avait rien qui était permanent – constant, permanent – et qu'il n'y avait rien, par conséquent, dont on puisse dire «à jamais». C'était ça qui l’avait choqué, et il lui paraissait qu'il fallait trouver ce qui est permanent, et c'est dans sa recherche du Permanent qu'il est arrivé au Néant. Et sa conclusion était comme ceci: «Il n'y a qu'une chose qui soit permanente, c'est le Néant. Dès qu'il y a création, c'est impermanent.»

Pourquoi avait-il une objection à l’impermanence? Ça, je ne sais pas – c'était son tempérament probablement. Mais pour lui, c'est à cela que ça sert: c'est permanent.

C'est permanent, c'est la seule chose permanente.

Enfin, moi ça me semble...

Sri Aurobindo, lui, dit: «Oui, c'est vrai, c'est la chose permanente. C'est un certain Non-être qui est permanent, Il est derrière tout. Mais alors pourquoi ne s'amuserait-Il pas tantôt – pas «tantôt» mais EN MÊME TEMPS, au même moment – à être permanent et impermanent? Il n'y a aucune objection.» En tout cas, Lui n'en a aucune!

Ça ne plaît peut-être pas à notre mental, mais Lui...

Mais je ne trouve pas cela très malin, ce Nirvana. Je ne sais pas si je vais dans le Nirvana, mais quand je m'assois en méditation et que je suis bien tranquille, eh bien, quoi? il n'y a plus rien! Si c'est ça qu'on appelle Nirvana, je ne trouve pas ça très malin.

Tu es conscient de toi-même?

Ah! oui, je ne perds pas conscience. Mais il n'y a rien. C'est clair, c'est lumineux, et puis il n'y a rien du tout.

C'est l’état de tranquillité mentale.

Il n'existe plus rien pour toi?

J'entends les bruits.

Ah!

Je peux physiquement entendre ce qui se passe autour de moi.

Alors tu n'es pas dans le Nirvana.

Mais c'est une sorte d'anéantissement?

Non, c'est une tranquillisation totale. Mais ce n'est pas un anéantissement.

(long silence Mère se branche sur le disciple)

C'est probablement l’état d'Existence pure dans lequel tu entres. D'abord le silence mental, puis l’Existence pure, c'est-à-dire l’Existence en dehors de la Manifestation: l’état de Sat. Le Sat.

C'est l’Existence pure en dehors de la Manifestation.

Quand nous avons médité ensemble, j'ai toujours eu l’impression que tu entrais dans une sorte de silence un peu béatifique, comme ça – oui, c'est une permanence, mais ce n'est pas un anéantissement. C'est le Sat – le Sat avant le Chit-Tapas.4 C'est-à-dire que ça peut durer une éternité sans avoir le sens du temps, et ça peut être un infini sans le sens de l’espace.

Mais ça, si tu veux savoir, ça a même une EXTRAORDINAIRE utilité: ça renouvelle automatiquement toutes les énergies. Au fond, c'est ça, la raison véritable du sommeil: on devrait entrer dans cet état-là. Et c'est pour cela que ceux qui peuvent y entrer consciemment dans la méditation, ont beaucoup moins besoin de dormir. Beaucoup moins. C'est ce qui permet au corps de durer. C'est le Sat. C'est ce que j'ai toujours éprouvé chaque fois que j'ai médité avec toi, qu'on entrait dans cet état.

Existence pure en dehors de la Manifestation. C'est merveilleusement lumineux, immobile, tranquille, et... une sorte de béatitude mais sans vibration, en dehors de la vibration.

C'est très utile.

Au fond, il faudrait avoir toujours ça à l’arrière-plan de la conscience et se référer à Ça automatiquement pour corriger ou éviter ou annuler tout trouble – all disturbances.

C'est la même chose dont je me sers, par exemple, si le corps a une douleur (pour les choses les plus ordinaires et les plus secondaires: tousser parce qu'on a avalé de travers, le hoquet pour une raison quelconque, etc.), tous ces petits troubles qu'il y a dans le corps, on peut les arrêter pour ainsi dire instantanément en entrant dans cet état. Ça prend quelques secondes. Il faut que ce soit là, à l’arrière-plan, tout le temps, tout le temps, tout le temps, comme derrière, comme supportant tout. C'est naturellement absolument silencieux, immobile, lumineux... Oui, ça donne le sens de l’Éternité et de l’Infini. C'est éternel, c'est infini, c'est hors du temps, c'est hors de l’espace, c'est... c'est le Sat.

Si on peut garder ça constamment à l’arrière-plan de sa conscience, il n'y a plus besoin de s'en aller nulle part (geste éthéré vers le haut): il n'y a qu'à faire comme ça (geste en arrière) et c'est là.

Et c'est la guérison radicale du désordre. C'est l’anti-désordre.

C'est avec ça qu'on peut guérir quelqu'un (s'il est capable de le recevoir). C'est l’antidote du désordre – antidote parfait du désordre.

Oui, quand on sort de là, on est rafraîchi. On est reposé.

Oui, c'est ça.

(silence)

Voilà, mon petit, alors je te souhaite une bonne année, très progressive, avec des expériences.5 Je commence à comprendre ce que tu veux comme expérience, mais celles que tu as, il y a des tas de gens qui, oh! seraient émerveillés de les avoir.

(le disciple a l’air surpris)

Tu n'appelles pas ça «des expériences» – on appelle toujours «expérience» ce que l’on n'a pas.

Moi aussi, pendant des années, je disais: «Mais je n'ai pas d'expériences, je n'ai pas d'expériences...»

La seule expérience de ma vie, c'était ce monde de la musique – ça m'a bouleversé. C'était si... C'était le Divin, quoi!

Mais oui, c'est comme cela.

Ça, c'est une expérience.

Oui, je comprends.

Ça s'est produit comment?

Simplement une nuit, en dormant. À Ceylan.

À quelle heure?

Je pense, vers la fin de la nuit. Parce que je me suis réveillé et fêtais... je ne sais pas, pendant au moins deux heures de temps j'étais comme quelqu'un qui a reçu un choc. Je me disais: «Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas possible I» Vraiment je n'en revenais pas.

Oui, c'est ça, une expérience! (Mère rit)

Mais alors, tu comprends, quand on entre en contact avec le Dieu intérieur – ça, c'est une expérience. Tu comprends, cette intensité, cette réalité de ton expérience, eh bien, ça a la même réalité, la même intensité, AVEC le sens du Divin éternel. Et c'est seulement le Divin intérieur: on n'a pas besoin de s'en aller à des hauteurs comme ça, c'est seulement là (Mère touche son cœur).

C'est l’expérience que j'ai eue en 1912. Le premier contact quand on entre dedans comme ça, et puis C'EST ÇA... cette réalité concrète et cette intensité qui dépasse toutes les intensités physiques possibles. Et alors le sentiment de: c'est ÇA – le Divin. C'est le Divin. Voilà la réalité du Divin; c'est ça, le Divin. On EST le Divin.

Ça, c'est l’expérience. Parce que c'est une base, c'est l’expérience de base. Quand on a ça, alors on va plus ou moins vite, mais vraiment quand on se donne, on va très vite. Tu es extérieurement dans la position où, ayant cette expérience, tu pourrais en quelques années faire tout le chemin, commencer tout de suite le travail de transformation (Mère touche son corps).

Je l’ai eue (je te donne ça comme une indication) après un an de concentration exclusive sur: trouver ça au-dedans de soi; n'est-ce pas, entrer en contact avec le Dieu immanent. Je ne m'occupais que de ça, je ne pensais qu'à ça, je ne voulais que ça. Et c'était même amusant, j'ai résolu de le faire (parce que je travaillais déjà depuis très longtemps; Madame Théon me l’avait dit et je savais ce qu'était ma mission sur la terre et tout ça, c'est te dire – c'est l’être psychique qui appartient à cette création-ci, n'est-ce pas, cette formation – Mère touche son corps), eh bien, c'était un 31 décembre et j'ai décidé: «Dans l’année.» Et puis, j'avais un grand atelier qui était un peu plus grand que cette chambre, presque carré, et il y avait une porte qui donnait sur une cour-jardin. J'ai ouvert la petite porte et j'ai regardé le ciel, et juste au moment où je regarde le ciel: une étoile filante. Tu sais la tradition: si on formule une aspiration pendant le temps qu'on voit l’étoile, avant que l’étoile disparaisse, on a la réalisation dans l’année. Et alors juste, j'ouvre, et une étoile filante – j'étais toute dans mon aspiration: «l’union avec le Divin intérieur.» Et avant que le mois de décembre de l’année soit passé, j'ai eu l’expérience.

Seulement j'étais toute concentrée sur ça. J'étais à Paris, je ne m'occupais de rien; quand je marchais dans la rue, je ne pensais qu'à ça. Et un jour, comme je traversais le Boulevard Saint-Michel, j'ai failli me faire écraser (je t'ai raconté cela), c'était à cause de ça, parce que je ne pensais qu'à ça: cette concentration-concentration, comme si on était assis devant une porte fermée, et ça faisait mal! (Mère fait un geste poignant à la poitrine) mal physiquement, de la pression. Et puis tout d'un coup, sans raison apparente – je n'étais ni plus concentrée ni plus ceci ni moins cela – pouff! ça s'ouvre. Et alors on... Ce n'était pas pendant des heures, c'était pendant des mois, mon petit! ça ne me quittait pas, cette lumière, cet éblouisse-ment, cette lumière et cette immensité. Et le sens que c'est ça qui veut, ça qui sait, ça qui dirige toute la vie, ça qui guide tout – ça ne m'a jamais quittée. Pas une minute depuis ce moment-là. Et toujours, quand j'avais une décision à prendre, je m'arrêtais une seconde et c'était de là que je recevais.

Mais il y a longtemps! J'ai fait beaucoup de choses entre-temps. Il y a longtemps, c'était en 1912. Et maintenant, oh! vieille carcasse...

Elle fait de son mieux.

La plus complète expression, je crois, c'est: «Ce que Tu veux Seigneur, ce que Tu veux Seigneur, ce que Tu veux Seigneur, avec joie, quoi que ce soit» – chaque cellule.

Ça devrait aller relativement vite, mais... je ne sais pas. Combien de temps ça prendra?... C'est nouveau. C'est nouveau, c'est-à-dire que, tu comprends, on ne sait pas comment c'est quand on progresse! On ne sait pas où l’on va ni d'aucune façon quel chemin on suit. Alors on ne sait pas! Il y a toutes sortes de choses qui se passent, mais est-ce que c'est dans le chemin ou est-ce que ce n'est pas le chemin? Je n'en sais rien. C'est seulement au bout qu'on saura.

Bien.

Alors, au revoir, mon petit, une bonne année. J'espère que tu auras une expérience décisive dans l’année, avant les quarante.

Voilà.

novembre




3 novembre 1962

(Mère demande des nouvelles du disciple. Nous n'avons pas gardé notre réponse.)

...Mais ça va, mon petit, ça va bien.

Physiquement, ça va?

Pas trop.

Tu manges assez?

Oui-oui-oui!

Tu es sûr?

C'est plutôt une fatigue. Je passe des nuits terribles dans le subconscient. Depuis six mois, il y a eu vraiment un changement brusque dans mes rêves; avant, de temps en temps, je me souvenais de quelque chose; maintenant je ne me souviens plus de rien, sauf du subconscient, et quel subconscient! Quand ce n'est pas infernal, j'ai de la chance.

Mon petit, moi, j'ai des nuits abominables à ce point de vue – ça ne peut pas être abominable parce que je vis dans une béatitude, mais ce que je vois, ce que je suis amenée à voir toutes les nuits est horrible. C'est horrible. C'est comme si on voulait absolument me dégoûter de mon travail. Ce subconscient est vraiment une masse d'horreurs. Et il y a bien six mois que c'est comme cela.

Quand on se réveille avec ça, on se dit zut!

Ah! c'est toujours au moment du réveil. C'est toujours la dernière chose qui vient – et quelle chose! oh! si je t'en racontais quelques-unes, tu verrais. Naturellement, je les classe. Je fais ce qu'il faut et puis je balaye.

Il y a des moments où c'est infernal; il y a des êtres, des situations...

Des situations et des manières d'être effroyables, inimaginables.

(silence)

Mais c'est volontairement que j'entre en rapport avec ces choses. Quand je fais le japa, le matin, que je me «promène», tout ça est mis systématiquement sous l’Influence suprême, et puis ça s'éclaircit, se classe. Il y a du bon travail qui se fait.

Il ne faut pas considérer cela comme des choses inéluctables; il faut au contraire les prendre comme des signes de ce qui est en train d'être changé.

Seulement, on a l’impression que c'est sans fin.

Oui! (Mère rit) Oui, ça paraît tout à fait sans limites.

Ça pourrait continuer pendant des siècles comme cela!

C'est cela l’impression, que c'est sans fond et sans limites, et qu'il y aura toujours des combinaisons nouvelles, toujours aussi horribles. Mais ce n'est pas vrai. Ça change. Ça change.

Des inventions! des inventions d'horreur... Mais écoute, les gens qui sont en rapport avec ce monde-là et qui expriment ce monde-là sur la terre, vraiment on est épouvanté de ce qu'ils peuvent inventer. N'est-ce pas, les tortures que les hommes ont inventées, les choses qu'ils ont faites – on ne peut pas croire que c'est vrai. Et ça vient de là, tout vient de là, de ce monde subconscient. Ce qui fait qu'il est indispensable de le nettoyer.

Mais c'est... oh! quel dur travail. Et ingrat. Ingrat à cause de ça, parce qu'on croit qu'on est au bout de quelque chose (on ne le croit pas, on sait ce que c'est! mais enfin on espère!) et puis ça revient sous une autre forme, qui paraît encore pire que la précédente.

Il faut avoir de l’endurance, mon petit.

Et quelquefois ça devient terriblement personnel, comme des attaques sur vous – j'ai un «thème» de choses comme cela, qu'on ne peut même pas dire parce que c'est trop personnel –, personnel, c'est-à-dire que ça a les apparences de quelque chose qui concerne le corps. La nuit dernière (tiens! j'ai remarqué la nuit dernière, j'étais tout à fait jeune physiquement – c'était le physique-subtil naturellement, mais tout à fait jeune), mais alors! cette vie que j'ai menée! avec un tas de... oh! il y avait des révolutions, il y avait des batailles – je m'occupais de tout, il y avait une très-très grande activité par là. Mais alors, personnellement, j'étais harassée par quatre ou cinq vieux saligauds, qui avaient en eux tout ce qu'il y a de plus vil, de plus dégoûtant, et il fallait faire face à tout ça et puis que je les tienne en place et que je les tienne en ordre et que je les fasse obéir... Ouf! je me suis réveillée, j'étais contente de me réveiller (c'était l’heure de me lever; ça s'arrête automatiquement parce que je veux me sortir de là à quatre heures et demie). Mais avec cela, les images, les sensations, les... Oh! comment est-ce possible! Et tout à fait consciente que c'était un travail utile. Je les tenais à l’ordre, n'est-ce pas.1 Mais ce que ça représente de choses... brouh! parce que, pour moi, tout est connaissance par identité – même dans le subconscient c'est une connaissance par identité –, alors tu comprends ce que ça veut dire!

Oui, oh! il y a des êtres horribles.

Horribles (Mère rit).

Bon.

Tu ne sais pas ou tu ne veux pas m'appeler?

Mais je ne me souviens pas!

C'est dommage. Si tu pouvais te souvenir et m'appeler...

Je suis plutôt un témoin, je vois ce qui m'arrive. Quand c'est trop puissant, je me réveille, mais autrement je vois, je vois, je suis là, un témoin.

Tu n'as jamais essayé avant de t'endormir...

Mais si! Avant de m'endormir je demande toujours à être conscient et je demande toujours à recevoir ce que tu peux m'envoyer.

Non, il faut demander de te rappeler de m'appeler quand la situation est désagréable (Mère rit), parce qu'il y a tant-tant-tant de fois que ça a fait sortir les gens, en pleine activité de la nuit – pas au moment où ils se sont réveillés, non: dans la conscience de la nuit, ils ont vu le résultat en eux et autour d'eux. Tiens, comme cette histoire de D qui n'arrivait pas à rentrer dans son corps et qui m'a appelée; ça a vraiment un effet, surtout sur ces êtres-là. Dieu merci! (riant) ils ont peur de moi, ça leur fait de l’effet.

Ah! c'est intéressant. Il faut durer.

Il faut durer. Du courage.

Au revoir, petit.

7 novembre 1962

(Mère reparle de l’expérience du SAT ou Existence pure à l’arrière-plan de la conscience, et décrit le mouvement de conscience qu'il faut faire pour entrer dans cet état:)

...C'est quelque chose qui correspond au mouvement de recueillement dans la pensée. Ça tient de la concentration, de l’intériorisation, c'est tout cela ensemble; comme un repliement mais sans mouvement.

On finit par le faire presque automatiquement – je le fais des centaines de fois par jour. C'est difficile à décrire parce que ce que l’on décrit est trop concret. Mais c'est un repliement, un recueillement, un rassemblement, une intériorisation – self-gathering. Mais tout ça paraît épais, lourd; trop matériel, trop lourd. Et pourtant, c'est une sensation très concrète, très concrète. Et imédiatement ça amène une stabilisation – tout s'arrête. Tout s'arrête au point que s'il y a une vibration douloureuse, c'est fini, elle n'existe plus. Et si on sort de ça, elle est là. Ça ne guérit que si on insiste pendant un certain temps; autrement ça peut rester simultané.

La façon la plus superficielle d'exprimer, c'est: «Faire un pas en arrière», mais naturellement ce n'est pas ça.

Mais ce n'est pas le même «aller au-dedans» que lorsqu'on veut trouver son être psychique, par exemple. Ce n'est pas le même mouvement. Aller au-dedans pour trouver son être psychique, on a l’impression d'un déplacement; tandis que là, il n'y a pas de déplacement: c'est sur place.

On sort du temps, on sort de l’espace.

Je ne sais pas, c'est tellement familier pour moi que j'ai l’impression que tout le monde peut le faire, mais il se peut très bien que ce soit difficile à faire, je ne sais pas.

C'est vraiment ça: sortir de cet état, entrer dans une stabilisation de tout. Mais si on dit «immobilité», c'est le contraire du mouvement – ce n'est pas le contraire du mouvement! C'est... quelque chose d'autre. C'est tout de suite le sentiment de l’Éternité; pas de quelque chose qui se développe sans arrêt, ce n'est pas ça: tout est arrêté. Mais «tout est arrêté» implique le sentiment qu'il y a quelque chose qui va, tandis qu'on n'a plus ce sentiment.1 Et pourtant c'est l’Existence, c'est Être: l’Être, l’Existence pure; c'est la pleine conscience sans objet – sans objet de conscience. l’Existence pure sans développement.

Et c'est une chose qui est toujours là, qui ne vous quitte pas, qui est toujours là; il n'y a pas besoin d'aller la chercher nulle part – c'est toujours là. C'est-à-dire (si on se met à penser) qu'il ne peut pas y avoir de monde si ça, ce n'est pas là, qu'il ne peut pas y avoir de temps ni d'espace ni de mouvement ni de conscience ni de rien, si ça, ce n'est pas là. Par conséquent c'est partout.

Et c'est une chose qui est toujours là, qui ne vous quitte pas, qui est toujours là; il n'y a pas besoin d'aller la chercher nulle part – c'est toujours là. C'est-à-dire (si on se met à penser) qu'il ne peut pas y avoir de monde si ça, ce n'est pas là, qu'il ne peut pas y avoir de temps ni d'espace ni de mouvement ni de conscience ni de rien, si ça, ce n'est pas là. Par conséquent c'est partout.

Ça n'a pas besoin de la Manifestation pour être – pas du tout. Mais la Manifestation ne pourrait pas être sans ça.

Et en effet, le but de la méditation, c'est d'attraper ça. Et n'importe quel chemin est bon, parce qu'on est sûr de l’attraper, parce que c'est LÀ: ce n'est pas quelque chose qu'on doit aller chercher très loin – c'est là.

C'est devenu comme une sorte d'habitude: je suis en train de prendre un repas, par exemple, j'avale de travers, ou une chose quelconque (même pas une chose violente, simplement une petite sensation du gosier que quelque chose ne va pas tout à fait bien), on fait ça (geste en arrière), une seconde, et c'est fini. Je parle à quelqu'un et le mot qui exprime ne vient pas automatiquement; il suffit de faire ça (même geste), ça vient. N'est-ce pas, c'est utile à tout. Ça remet les choses en ordre.

Et c'est ça que tu as dans tes méditations. Seulement (riant) tu ne serais content que si tu en sortais! s'il venait quelque chose pour faire une histoire!! (Mère rit beaucoup) C'est pour cela que tu te plains! Il y a des gens qui travaillent pendant des années, des années, des années, pour l’avoir une fois.

Voilà, mon petit.

10 novembre 1962

(Le disciple lit à Mère un chapitre de son manuscrit intitulé «Sous le signe des dieux», où il dit l’insuffisance du surmental à la plénitude de l’évolution. Après la lecture, Mère raconte ce qu'Elle a vu pendant que le disciple lisait:)

Il y a une sorte de cadence...

(Mère reste longtemps à «écouter»)

Il y a des gens qui ont été intéressés, mon petit! D'abord Sri Aurobindo était là – c'était comme une grande chambre: la salle était très grande et il y avait à peine de murs, juste un petit peu pour donner l’impression que ce n'était pas ouvert à tout. Et puis il y avait une sorte d'instrument de musique qui ressemblait à un piano à queue, mais beaucoup plus grand et beaucoup plus haut, qui faisait sa propre musique: personne ne jouait dessus. Et cette «propre musique», c'était la musique de ce que tu avais écrit. Et ça se traduisait par des... il y avait comme des feuilles lumineuses, colorées, légèrement dorées, légèrement roses, et elles s'éparpillaient comme ça, et puis elles tombaient, très lentement, sur un sol qui était à peine un sol, presque avec un mouvement d'oiseau. Ça tombait. C'étaient des feuilles à peu près carrées et qui tombaient comme ça, qui tombaient l’une sur l’autre, avec un mouvement de plume d'oiseau – pas des mouvements de chose lourde. Et alors un être qui était comme un dieu, du surmental, mais qui tenait à la fois du dieu hindou avec la tiare et d'une sorte d'ange avec une longue robe (c'était un mélange des deux) est entré de ce côté-ci [à gauche], dans la chambre, avec un mouvement si léger – il ne touchait pas par terre, il était comme ça, léger –, et d'un mouvement si joli, un mouvement si harmonieux (tout était si harmonieux!) il ramassait toutes les feuilles: il les prenait dans ses bras, et elles tenaient – elles n'avaient pas de poids, n'est-ce pas. Et il ramassait tout ça en souriant, avec un visage très jeune, mais très-très lumineux, très heureux, quelque chose de très joli. Il ramassait les feuilles, puis il s'est tourné vers moi (moi, j'étais ici; toi, tu étais là; la musique était là; Sri Aurobindo était là), il ramassait tout ça et quand il a eu tout pris, il est parti en me disant: «Ah! je leur emporte tout ça pour leur donner», comme s'il allait retourner au monde surmental et que ça les intéressait! (Mère rit)

Mais si-si joli! tout était si joli! C'était un rythme; ça s'en allait par rythmes, un rythme des feuilles; et un rythme qui avançait très lentement, pas direct, avec des ondulations.

C'était très joli. Une atmosphère très plaisante.

C'est très bien.

C'était ça que je commençais à regarder à la fin. Ça s'est formé peu à peu, peu à peu, comme ça, et tout était là quand tu as fini ta lecture; parce que au début mon attention était moitié pour ce que tu lisais, moitié pour ce qui se passait; et après» alors, toute l’attention sur ce qui se passait: tes feuilles qui tombaient comme des oiseaux se posent, sans poids, et elles se répandaient sur un sol qui n'était pas solide (un sol juste pour donner l’impression qu'on était dans une chambre, mais on pouvait voir au travers). Et comme tu lisais, il ramassait tout. Et avec une longue robe qui traînait derrière. C'était un être qui était presque de la même substance que les feuilles qui sortaient du piano – c'était une sorte de piano, c'était de la musique, mais c'était le principe de ce que tu avais écrit. Et alors il ramassait tout ça, et quand il a eu un gros paquet comme ça, il a dit: «Je m'en vais leur porter, je vais leur montrer.»

C'était très joli.

Ça ne leur fera peut-être pas plaisir aux dieux, parce que, tout de même, je disais que le surmental n'est pas suffisant!

Si-si!

Oh! ils ne sont pas bêtes! (Mère rit)

Ils aiment certainement mieux ça que cette adoration aveugle et stupéfiée que la plupart des hommes leur offrent.

Alors c'est tout.

La prochaine fois, c'est le 14. Mercredi. C'est bien. C'est curieux cette impression: ça a créé une atmosphère tout à fait plaisante, tout à fait agréable...

14 novembre 1962

(Lecture d'un passage du manuscrit où le disciple explique les rapports du subconscient et du supraconscient; il dit notamment: «On ne peut guérir que si l’on va tout au fond, et on ne peut aller tout au fond que si l’on va tout en haut.»)

Ça devient intéressant... C'est la formulation (pas la théorie, pas l’explication, c'est plus qu'intellectuel, mais l’expression en formes littéraires) de mes expériences de toutes les nuits maintenant. Non seulement la nuit, mais aussi le jour.

C'est comme si je touchais le bas-fond des choses.

Et pas plus tard qu'hier (hier nuit), cette impression: «Mon Dieu! il y a toujours plus bas à descendre! Toujours-toujours, c'est toujours plus bas.» Et en même temps, mon identité avec le Suprême va croissant, et simultanément il me semble descendre dans des bas-fonds d'obscurité et... oui, de boue, incroyables! dans les possibilités de la vie. Tiens, tu parles de l’expérience de Sri Aurobindo; je ne savais pas, figure-toi, qu'il avait eu cette vision de toutes les tortures;1 mais moi, je viens de l’avoir, en détail, par morceaux – des choses! des choses incroyables, incroyables! Et je me disais: «Pourquoi tout ça? Pourquoi je vois tout ça? Est-ce que je suis en train de perdre mon contact?» Au contraire, c'était de plus en plus proche, de plus en plus fort, de plus en plus conscient, de plus en plus lumineux, et en même temps... ça (geste tout en bas).

Et tu l’as formulé très-très bien. Est-ce toi qui sens mon expérience et le fais sans le savoir, est-ce moi qui... Je ne sais pas – tout ça se tient. Mais c'est très intéressant.

Parce que mon impression était cela: plus je monte haut, plus je m'aperçois de choses en bas. (Mais je n'en faisais pas une doctrine ou une théorie, n'est-ce pas, parce que j'ai aboli cette habitude depuis très longtemps.) Mais je suis comme ça à regarder, et je constatais le fait. Je constatais le fait sans me dire: «C'est parce que ceci ou cela» (ce que tu expliques là dans ton livre). Je constatais et je pouvais dire: plus je sens cette Présence constante, lumineuse, plus je vois ces choses. Et alors, pour moi, ça devient tellement clair qu'il est impossible de manifester Ça intégralement, sans que tout ça [en bas] ce soit offert à la Lumière.

Au fond, mon moyen est très simple: chaque chose qui vient, je dis: «Tiens, Seigneur, voilà, c'est pour Toi; change-le, transforme-le», et c'est ce travail d'offrande, de dedication (geste de présentation à la Lumière). Et alors, ce matin, c'était comme une réponse à, pas positivement une question mais comme si je me demandais: «Comment est-ce que je fais? (n'est-ce pas, le Seigneur me dit que je suis ici pour Son travail) comment est-ce que je fais Son travail? La nouvelle manière de faire le Travail? (Toutes les vieilles manières, on les connaît.) Mais la nouvelle manière de faire le Travail?» Et alors la réponse était si concrète, sans mots: «Mettre les deux bouts ensemble – tout ce que tu vois, tout ce qui se présente à toi ou tout ce que tu découvres, c'est quelque chose qui, automatiquement, est mis en présence du Plus-Haut, du Suprême. Et tu joins les deux bouts. Et tout ton travail est de joindre.»2

Et alors maintenant tu me lis tout ça! C'est comme si tu l’expliquais, c'est intéressant, tu ne trouves pas! (Mère rit) Moi, je trouve ça très intéressant.

Et encore plus: ce matin Sri Aurobindo m'a dit, lui: «Aujourd'hui, il te dira quelque chose qui t'expliquera tes expériences.» Alors c'est ça. Ce n'est pas une explication mentale, tu comprends, mais ce sont des choses qui sont VUES comme ça.

Justement maintenant, il était encore là et il m'a dit... (comment dire?) quelque chose que je pourrais formuler comme ça: he receives well [il reçoit bien], comme s'il te dictait beaucoup de choses.

C'est très bien, je suis très contente! (Mère rit)


Peu après

J'en aurais et j'en aurais des centaines de volumes si je pouvais raconter le matin, quand je me souviens, tout ce que j'ai vu! Et au fond, ce serait une indication.

Je n'ai jamais cessé de voir. Maintenant, je vois le jour et la nuit, ça ne fait pas de différence; mais je ne vois pas les mêmes choses, je ne fais pas le même travail [le jour ou la nuit]. Mais toujours, tout le travail se transcrit par des visions (j'ai bien l’audience, je me souviens de mots, mais c'est secondaire): les idées, ce sont des images; et les volontés, ce sont des actions. Et alors, tout ça, c'est comme de la vie – une vie dans d'autres mondes, différents mondes.

17 novembre 1962

(À propos du conflit sino-indien sur les frontières de l’Himalaya:)

X a écrit à N pour lui annoncer – annoncer en termes précis et presque violents – que c'était le début d'un bouleversement général, une guerre mondiale et catastrophique.

Je sais que c'est la volonté de cet Asoura dont je t'ai parlé plusieurs fois, le Seigneur du Mensonge qui fut né Seigneur de la Vérité, et qui sait que son heure est proche («proche», relativement, dans ce monde-là) et qui a annoncé qu'il ferait autant de catastrophes qu'il pourrait avant de disparaître. Et alors, tout dernièrement, juste avant que ce conflit n'éclate, je suis allée dans un domaine du monde vital qui est juste au-dessus de la terre, comme une plate-forme (pas le sommet d'une montagne mais l’endroit d'où l’on voit; où le capitaine, par exemple, se met pour voir tout son bateau; c'était un endroit comme cela dans le monde vital, qui dominait toute la vie terrestre). Je suis allée là – c'était suffisamment sombre, même très sombre – et il y avait ce grand être (il est très grand, plus haut que cette chambre... Mère regarde le plafond: il aime avoir l’air grand!). Il est très grand, tout noir (c'est son état assez naturel – quand il apparaît aux humains, il est flamboyant de lumière, mais pour quelqu'un qui a la vision intérieure, ça ne trompe pas: c'est une lumière glacée; mais il y a des gens que ça trompe, qui le prennent pour le Dieu suprême. Enfin, ceci est un aparté). Il était là et je suis allée le trouver – pas pour le trouver: je suis allée dans l’endroit et puis je l’ai trouvé là. Et alors il était jubilant, il m'a dit de regarder.

De là, on voyait tout comme ça, en cercle. Et quand je suis arrivée, tout d'un coup a commencé un orage – un orage terrible –, et je continuais à regarder; et alors j'ai vu, c'était dans cette direction (je ne sais pas si c'était Nord, Sud, Ouest, mais enfin c'était dans cette direction: Mère désigne le Nord), j'ai vu deux éclairs, pas tout à fait simultanés. Le premier qui venait... (je regardais le Nord, je savais très bien que je regardais le Nord), le premier est venu de l’Est, un éclair foudroyant qui est tombé, et un autre est venu un petit peu après, très peu après, de l’Ouest. Et les deux ne se sont pas joints mais sont tombés au même endroit; sans se rencontrer mais au même endroit. Et la lumière des éclairs (il faisait nuit, tout était sombre, aussi la terre était sombre, on ne voyait pas), l’endroit où ils se sont rencontrés s'est tout d'un coup éclairé par la lumière de l’éclair, ça a fait un vacarme épouvantable et... (c'était circonscrit, n'est-ce pas, comme un champ de vision; tout le reste était dans l’obscurité), ça s'est mis à flamber! Tout a flambé. On voyait des sommets de monuments, de maisons, toutes sortes de choses dans la lumière des éclairs, et puis tout s'est mis à flamber: un incendie effroyable.

J'ai même remarqué (c'était assez curieux, le sentiment que j'ai eu): «Tiens! c'est intéressant de voir ça de si près, de tout près.» C'est-à-dire que j'avais le sentiment que ma «station» comme dit Sri Aurobindo, ma station pour voir le monde est très haute: j'étais descendue pour aller là. Et alors j'ai dit: «Tiens! c'est intéressant de voir les choses de si près» (ça, je ne le lui ai pas dit, mais je l’ai pensé). Et l’autre jubilait, là, à côté de moi, à une certaine distance, à ma droite (il se tenait debout, je voyais sa tête en regardant en haut – Mère regarde le plafond). Il jubilait, il disait: «Tu vois, tu vois, tu vois!» Tout à fait heureux. Alors moi, je suis restée absolument immobile; tout était immobile, tranquille, pas un mouvement (cette pensée-là, c'était comme quelque chose qui passait à travers moi: «C'est intéressant de voir ça de si près»), et puis j'ai tout arrêté, comme ça (Mère reste immobile comme une statue, les deux poings fermés). Et très vite après (je ne peux pas dire parce que le temps n'est pas le même qu'ici), mais enfin très vite après, tout s'est arrêté.1 l’orage était seulement pour amener ces deux éclairs; quand les éclairs sont tombés sur la Terre, ça a été fini, c'était la fin. Et puis les flammes – ça a flambé tout l’endroit (c'était comme une immense ville, mais ce n'était pas une ville: c'était symbolique d'un pays, très certainement), brouff! ça a flambé. Il y avait des flammes qui montaient très haut, très haut; mais j'ai simplement fait comme ça, tout arrêté (Mère reste immobile, les yeux clos, poings fermés), et puis j'ai regardé de nouveau – tout était rentré dans l’ordre. Alors j'ai dit (je ne sais pas pourquoi je lui parlais en anglais – oui, parce qu'il parlait en anglais, il disait: You see, you see!) j'ai dit: «Ah! ça n'a pas duré longtemps; ils l’ont vite maîtrisé.» Alors il a tourné le dos, il est parti d'un côté et moi je suis partie de l’autre. Et j'ai repris ma conscience extérieure, ce qui fait que je me suis souvenue exactement de tout.

Je crois que c'est deux ou trois jours après qu'ils ont commencé à se battre là-haut.

Quel est ce côté de l’Ouest?...

Je ne sais pas. Je pensais que ce serait la Russie, mais la Russie a l’air de se tenir à quatre et de ne pas vouloir intervenir. Je ne sais pas.

C'est l’Inde qui était frappée?

Mais oui, évidemment c'était l’Inde.

Le sentiment aussi quand j'ai dit: «C'est intéressant de voir ça de si près», c'était que, physiquement, j'étais près, qu'il y avait une partie qui, physiquement, était très près. Mais ça, j'ai été très près de toutes les guerres (les deux précédentes; celle-ci est la troisième). J'étais tout près: les obus tombaient sur Paris quand j'étais là – c'était la première.

Voilà tout ce qui m'a été montré en images.

À part ça, quand les nouvelles sont venues extérieurement qu'ils étaient en train de s'entretuer gentiment pour rien, dès que je l’ai su, j'ai mis dessus, sur toute la frontière, la même chose que cette nuit-là: La Paix et l’Immobilité. Deux jours après, j'ai demandé les nouvelles; on m'a dit: «Oh! ils ont l’air d'être fatigués! ils ne font plus rien.»

On ne bouge guère plus.

Et puis il y a eu des difficultés politiques2 – tout ça a fait du travail, qui a assez bien marché. Mais toujours mitigé, jamais la chose complète; toujours il y a un résultat, mais pas LE résultat... Je crois que dans les conditions actuelles de la terre «le» résultat est impossible: ce serait un miracle qui bouleverserait trop de choses. Les conséquences seraient pires que....

Alors voilà.

Je sais que lui, ce monsieur-là, que je tiens à l’œil depuis la deuxième guerre (avant la deuxième guerre), il veut ça, il m'a annoncé toutes sortes de choses les plus catastrophiques. Alors je suppose que c'est ça aussi que X voit, sans savoir d'où ça vient –je n'en sais rien. Je m'étonne. Mais enfin, il a écrit cela d'une façon tellement catégorique qu'on aurait presque pu penser qu'il le désirait! – Je ne peux pas croire qu'il le désire. J'ai simplement dit: «Eh bien, oui, c'est UNE des possibilités.» Laquelle des deux aura le dessus? Ça, je ne sais pas. C'est un secret que le Seigneur ne révèle pas... parce qu'il pense (c'est tout à fait certain) que ce serait mauvais si on savait ce qui va arriver: on ne ferait pas ce qu'il faut. C'est toujours comme cela: on ne sait pas ce qui va arriver parce qu'on ne ferait pas ce qu'il faut.

Je fais ce qu'il me dit de faire, mais II ne me dit pas ce que sera la conséquence. Et je ne Lui demande pas: je sais que ça ne me regarde pas.

Parce que si je le savais, même si je ne le disais pas, ça se répandrait (Mère montre comme des ondes qui se répandent par sa tête). Et ce n'est pas bon que les gens sachent.

Mais j'ai eu des quantités, des quantités de visions de toutes natures, depuis les plus effroyables jusqu'aux plus merveilleuses – tout ça, très apocalyptique, dans le domaine de l’incroyable. Beaucoup, beaucoup de choses. Des détails et des tout. Ça pourrait remplir un volume!

Je ne sais pas, j'ai le sentiment que l’humanité n'est pas prête pour la paix, qu'elle a besoin d'être secouée.

Oui, malheureusement elle n'est pas prête.

Ils s'abêtissent.

Ils s'abêtissent. Ils se bercent dans leur non-violence, dans leur petite morale... Elle n'est pas prête.

C'est dommage.

Parce que ça peut remettre à des milliers d'années... N'est-ce pas, il y a des moments où les choses convergent, et alors c'est rare d'avoir un moment dans cette Histoire: ça s'étend sur de longues-longues périodes, sur un temps presque indéfini. Mais obtenir un moment qui devienne quelque chose d'actuel dans la vie terrestre (Mère plante son poing dans la Terre), c'est très difficile. Et si ce moment-là est passé, raté...

Mais je me demande toujours... parce que Sri Aurobindo est parti sans révéler son secret. Il m'a dit qu'il partait exprès – ça, il me l’a dit. Il m'a dit ce qu'il était nécessaire que je sache. Mais il n'a jamais dit si le moment n'était pas venu (n'est-ce pas, il pensait... il était venu en disant que le moment était venu), il n'a jamais dit s'il avait vu que rien n'était suffisamment prêt. Il m'a dit: «Le monde n'est pas prêt», ça, il me l’a dit. Il m'a dit qu'il s'en allait volontairement parce que c'était «nécessaire», et il m'a dit qu'il fallait que je reste et que je continue, et que c'était moi qui continuerai. Ces trois points-là, il les a dits. Mais il ne m'a jamais dit si je réussirai ou pas! Il n'a jamais dit si je pouvais ramener le moment ou pas.

Et je dois dire que j'ai dépassé le temps où c'est intéressant de savoir ces choses parce que... je vis un petit peu trop dans l’éternité du temps pour que ce soit très important.

Seulement, extérieurement, ce que je vois, tout ce que j'ai constaté (c'est-à-dire plus je suis dans la chose): le monde n'est pas prêt. Les gens... ils n'ont même pas la compréhension de ce que c'est! Comment est-ce qu'ils pourraient... Quand on leur dit quelque chose de là (geste en haut), ou qu'on leur montre quelque chose de là, ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas. Ils le déforment, le défigurent imédiatement pour pouvoir le comprendre. Alors... Je ne sais pas si...

(long silence)

Mais ce qui est curieux, c'est que depuis que ces gens se battent là-haut,3 la terre est plus réceptive.

Pourtant on se battait avant – on s'est battu partout, n'est-ce pas; on n'a jamais cessé de se battre depuis la dernière guerre, à un endroit ou à un autre: en Afrique, en Asie, enfin partout. On se battait toujours. Il y avait tout le temps, tout le temps quelque chose. Toute cette histoire d'Algérie, il y a eu des choses effroyables là-bas; toutes ces histoires du Congo et tout ça – on se battait partout. Mais... je ne sais pas pourquoi (ce n'est pas que je ne m'occupais pas de ces affaires: elles étaient dans ma conscience), mais cette fois-ci, deux choses se sont produites: un Pouvoir plus grand qui est descendu (très concrètement, comme ça, à le toucher), un grand Pouvoir qui est descendu, qui a été envoyé exprès, et puis une certaine réceptivité – partout, même chez les Chinois (je ne veux pas dire que ce soit local: dans toutes les parties du monde). Est-ce, matériellement, l’inquiétude à l’idée que...? Il est évident que si une nouvelle guerre mondiale commence, ça va être une chose innommable, effroyable, effroyable – il y aura des civilisations entières englouties. Ça va arrêter la vie de la terre d'une façon terrible. Est-ce ça qui fait que les gens...? Qui a éveillé une aspiration? – C'est possible. Mais il est évident qu'il y a une réceptivité plus grande. Je vois ça au fait que quand la Volonté se répand (Mère fait un geste d'émanation), eh bien, elle a un effet plus concret, et plus imédiat.

Les autres conflits étaient vraiment très superficiels, c'étaient comme des maladies – comme des maladies de peau! des choses superficielles. Il y avait des horreurs épouvantables, et il y avait des choses tout à fait répugnantes aussi, partout, mais... (je me souviens de ce qui s'est passé en Algérie, on m'a donné aussi des nouvelles, j'ai su ce qui se passait: il y a eu des choses horribles), et pourtant ça semblait... oui, ça donnait l’impression d'une maladie de peau de la terre! C'était très superficiel. Et puis tout d'un coup, là [au Nefa et au Ladakh], oh! c'est devenu différent.

C'était ça, l’impression: une maladie très localisée (tout le monde peut l’attraper, mais très localisée tout de même). Et ici [conflit sino-indien], il semble que ça ait, au fond, dérangé quelque chose – profondément. Est-ce parce que les gens pensent que ça peut avoir une conséquence mondiale?... Je ne sais pas. Ou est-ce que, vraiment, c'est le premier signe de quelque chose de très... très considérable?

(silence)

Un jour (tout ça, pour moi maintenant, c'est tout dans un jeu des forces extrêmement précis), et un jour, c'était comme une sensation d'un de ces remous profonds... quelque chose de très vaste et contenant une grande douleur. Et alors spontanément, quelque chose en moi, spontanément, est venu de l’âme individuelle, de l’être psychique profond, et a dit: «Oh! Seigneur! Tu veux que nous ayons encore cette expérience?» Alors tout s'est stabilisé, s'est arrêté, et ça a été une splendeur de Lumière. Mais je n'ai pas reçu de réponse. Excepté cette splendeur de Lumière, n'est-ce pas, triomphante. Mais ça peut vouloir dire aussi: quoi qu'il arrive, ce sera toujours comme ça – c'est évident.

(silence)

Sais pas.

Il y a dans un coin, qui n'est pas ici quelque part [physiquement], dans un coin (Mère fait un geste à distance, en arrière de son être), quelque chose qui se tient très tranquille quelque part, très tranquille et en dehors de tout le mouvement des forces; quelque chose qui est comme assis, établi quelque part, très tranquille et en dehors de l’observation publique («publique», je ne veux pas dire forcément «terrestre»: du monde entier), quelque chose qui est comme cela (geste en arrière, les yeux clos, immobile comme une statue), et qui ne veut pas.

Je perçois ça très bien.

C'est-à-dire une partie de l’être – de la Force Créatrice – qui est là, qui ne veut pas.

Comme si, vraiment, il y avait la décision que, cette fois, l’expérience irait jusqu'au bout, jusqu'à son but, sans être interrompue. Et quelque chose qui ne... [veut pas]. Le Quelque Chose qui a décidé ça et qui persiste.

(silence)

C'était au point que quand on m'a annoncé ce que X avait écrit, il y a eu (c'est quelque part là, quelque part à ma droite, je ne sais pas)... Ça à tout de suite répondu (n'est-ce pas, on met des mots – les mots, ça ne va pas, mais enfin je n'ai pas autre chose à ma disposition), Ça a dit: «Ah! il tient à rester de l’autre côté.»

Je me suis retenue pour ne rien dire.

Et avec la conscience ici, j'ai regardé (naturellement on me demandait comment il se faisait qu'il écrivait et qu'il pensait des choses pareilles) et j'ai dit que chaque domaine a son déterminisme propre, et que si on ne voit que ce déterminisme, les choses semblent décrétées d'une façon absolue; et que cette vision-là [de X] appartient au déterminisme vitalo-physique de la terre (la Vie et la Matière), et dans ce domaine-là, la catastrophe paraît absolue; mais qu'il y a les domaines supérieurs et que leur intervention peut tout changer.

Mais pour ça, il faut voir et vivre dans ces régions supérieures.4

Dans le cas de X, le contact personnel monte tout en haut, mais c'est purement personnel. Et la vision générale (je ne dis pas universelle), générale, s'arrête au plan vitalo-physique. Un peu de mental comme ça et puis C'EST TOUT. Il y a une contradiction entre la possibilité personnelle qui touche très haut (mais dans une pointe très ténue) et la vision générale. Quand l’attention se tourne vers le dehors, c'est très limité; ça peut être terrestre, mais c'est... c'est sous une croûte pour ainsi dire.

Alors voilà l’explication que j'ai donnée. Mais la vérité...

C'est tout.

Tu as lu ces dernières lettres de Sri Aurobindo à propos de la Chine?5

Oh! oui, il me l’a lue lui-même! (Mère rit)

Mais tout ce que Sri Aurobindo a dit est toujours arrivé. Tu sais, il avait dit aussi (mais c'était une boutade, il ne l’avait pas écrit), il m'avait dit pour la réunion avec le Pakistan; «Dix ans.» Il a dit: «Ça prendra dix ans.» Les dix ans sont passés et rien n'est arrivé – OFFICIELLEMENT rien n'est arrivé. Mais la vérité est (je l’ai su par les gens du gouvernement), la vérité est que le Pakistan a fait des démarches pour une réunion, a demandé qu'on refasse une union (ils auraient gardé une sorte d'autonomie mais ç'aurait été UNI, ç'aurait été une UNION), et c'est Nehru qui a refusé.

Quel âne!

Alors Sri Aurobindo avait vu.

Il avait vu que c'était comme cela. Au bout de dix ans, quand cet homme qui était à la tête du Pakistan est mort,6 ils se sont trouvés en grande difficulté et ils n'arrivaient pas à s'organiser; alors ils ont envoyé quelqu'un (naturellement pas officiellement mais officieusement) et ils ont demandé à l’Inde de refaire une union, sur certaines bases – et ils ont refusé, les Indiens ont refusé. Ça a été une répétition de la même imbécillité que quand Cripps est venu faire ses propositions et que Sri Aurobindo avait envoyé un message pour leur dire: «Acceptez, quelles que soient les conditions, autrement ce sera pire après.» C'est ce que Sri Aurobindo leur avait dit. Gandhi était là et il a répondu: «De quoi se mêle-t-il, cet homme! Il n'a qu'à s'occuper seulement de la vie spirituelle.»7

Ils ont ruiné le pays, consciencieusement.

Oui.

Oui, autant qu'ils ont pu.8

Alors c'est ça que X a vu: qu'ils ont été la cause de la ruine du pays. Et alors il a dit: «Ces gens-là ont ruiné le pays et ils seront détruits.» C'est ça qui est dans sa tête et c'est pour ça qu'il ouvre la porte à ce drame – qui serait une destruction effroyable.

C'est vrai qu'ils le méritent! Ils ont agi d'une façon absolument imbécile, tout du long. Par stupidité surtout, par ambition, par vanité, par toutes sortes de choses, mais surtout par incompréhension totale – une vision aveugle, juste du bout de son nez.

Ne garde pas ça. Je ne veux pas garder de souvenirs politiques. Je n'ai rien dit depuis très longtemps de la situation du monde parce-que je ne veux pas qu'on sache (ce n'est pas que je ne sais pas mais je ne veux pas). Si jamais je m'occupe de politique, c'est-à-dire si les choses tournent du côté favorable, c'est en 67 que je commencerai à dire ce que je sais. Mais pas avant.

Avant, c'est tout silencieux. Je ne dis rien et je tâche de faire, c'est tout.9


ADDENDUM

Extrait du Message de Sri Aurobindo à l’occasion de l’indépendance de l’Inde

Le 15 août 1947

Le 15 août 1947, anniversaire de la naissance de l’Inde libre. C'est pour elle la fin d'une vieille ère, le commencement d'un nouvel âge. Mais nous pouvons aussi en faire, par notre vie et nos actes de nation libre, une date importante pour l’ouverture d'un âge nouveau dans le monde entier et pour l’avenir politique, social, culturel et spirituel de l’humanité.

Le 15 août est mon propre anniversaire et, naturellement, je me réjouis que cette date ait pris ce vaste sens. Cette coïncidence n'est pas pour moi un accident fortuit; je la prends comme le sceau et la sanction de la Force Divine qui guide mes pas dans le travail avec lequel j'ai commencé cette vie, et comme le commencement de sa complète fructification. En effet, en ce jour, je peux voir presque tous les mouvements mondiaux que j'espérais se voir réaliser dans ma vie arriver à leur fructification ou en voie d'accomplissement, bien qu'à l’époque ils semblaient un rêve irréalisable. Dans tous ces mouvements, l’Inde libre peut jouer un rôle important et prendre une position de premier plan.

Le premier de ces rêves était un mouvement révolutionnaire qui créerait une Inde libre et unie. l’Inde est libre aujourd'hui, mais elle n'est pas parvenue à l’unité... La vieille division religieuse entre Hindous et Musulmans semble s'être durcie maintenant en une division politique permanente du pays. Il faut espérer que ce fait établi ne sera pas accepté comme établi pour toujours ou comme autre chose qu'un expédient temporaire. Car, s'il dure, l’Inde risque d'être sérieusement affaiblie, mutilée même: les troubles civils resteront toujours possibles, possible même une nouvelle invasion et une conquête étrangère. Le développement interne de l’Inde et sa prospérité risquent d'être entravés, sa position parmi les nations affaiblie, sa destinée compromise ou même frustrée. Ceci ne doit pas être – la partition doit disparaître...10

Sri Aurobindo


Extrait d'une lettre de Sri Aurobindo à propos de l’invasion de la Corée du Sud, le 15 juin 1950

Le 28 juin 1950

Je ne sais pas pourquoi vous voulez que j'éclaire votre lanterne sur cette affaire de Corée. Il n'y a pas à hésiter. l’affaire est claire comme deux et deux font quatre.C'est le premier pas du plan de campagne communiste pour dominer et s'emparer, d'abord des parties septentrionales de l’Asie, puis de l’Asie du Sud-est, prélude à leur manoeuvre sur tout le reste du continent – le Tibet au passage, comme une porte d'entrée sur l’Inde.11 S'ils réussissent, il n'y a pas de raison que la domination du monde ne suive pas à pas jusqu'à ce qu'ils soient prêts à affronter l’Amérique. C'est-à-dire, en admettant que la guerre puisse être écartée avec l’Amérique, jusqu'à ce que Staline choisisse son heure. Truman semble avoir compris la situation, si l’on en juge par ses décisions en Corée; reste à savoir s'il sera assez ferme pour aller jusqu'au bout. Les mesures qu'il a prises risquent d'être incomplètes et vaines puisqu'elles n'envisagent pas d'intervention militaire effective, sinon par mer et par air. Telle semble être la situation, voyons comment les choses vont évoluer. Une chose est certaine, c'est que s'il y a trop de tergiversations et si l’Amérique abandonne maintenant sa défense de la Corée, elle risque d'être obligée d'abandonner position après position, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. À un moment ou à un autre, elle devra faire face à la nécessité d'une action radicale, même si cela doit conduire à la guerre. Staline aussi ne semble pas prêt à affronter tout de suite le risque d'une guerre mondiale; si c'est vrai, Truman peut retourner la situation contre lui en le mettant constamment dans l’obligation de prendre ce risque ou de céder position après position à l’Amérique. Je crois que c'est tout ce que je peux voir pour le moment – la situation présente est aussi grave que possible.

Sri Aurobindo

20 novembre 1962

Mère a l’air fatiguée

Ça va mal, très mal.

Ils sont sur le point de prendre l’Assam, ça va très mal.

Mais quelle peut être leur raison? Pourquoi font-ils ça?

Il paraît qu'ils ont des cartes qui circulent en Chine, sur lesquelles le Népal, Bhoutan, et Assam et tout ça, font partie de la Chine.

Alors c'est ça leur intention: s'installer.

On ne comprend pas bien pourquoi.

Ambition nationale. Pour faire une pression constante sur l’Inde afin de l’obliger à être communiste.

Dicter des lois, n'est-ce pas – ils sont à la porte, ils peuvent entrer quand ils veulent.

Pourquoi ont-ils pris le Tibet?

Et puis ils ont déclaré que le Gaurisankar est chinois – le sommet de la terre, c'est la Chine, ce n'est pas du tout l’Inde... Ambition.

(silence)

Et tout ce côté du Bengale et de l’Assam est plein de Chinois qui sont installés là depuis des années et des années; il y en a des milliers et des milliers qui font du commerce. Et tous les communistes sont avec eux, et il paraît que les communistes tiennent une liste très exacte et très soignée de ceux qui sont pour le communisme et ceux qui sont contre. (Sur quoi jugent-ils? je n'en sais rien – sur ce que les gens disent ou font.) Et il y a l’idée que ça va être pris comme cela (geste qui encercle l’Inde).

Enfin c'est vilain.

Ça a l’air de tourner du vilain côté.

Mais ce que je trouve plus fantastique, peut-être, que l’incompétence des leaders, Nehru, Menon, etc., c'est que depuis vingt ans il n'y ait pas eu un seul Indien pour voir clair et pour dire les choses – il n'y a eu personne dans l’Inde, personne! Il y a eu pendant vingt ans ces deux idoles, Nehru et Gandhi, et puis ces 400 millions d'hommes abrutis, sans personne pour voir clair. Comment ça se fait? qu'il n'y ait eu personne?

Mais Nehru avait très bonne presse dans les pays étrangers! En Europe, en Amérique, on le traitait presque comme un dieu. Et Gandhi! ils étaient, oh!... C'est le monde tout entier qui est comme cela, mon petit! ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas. On ne comprend pas.

(silence)

On verra.

Je crois qu'on verra! Ça va être maintenant: on va voir.

Peut-être qu'on verra d'un autre monde! (Riant) c'est possible.

Ils ont des bombes en Amérique et en Russie (les Chinois ne se sont vantés de rien mais ils en ont peut-être), il surfit d'une bombe pour détruire une ville – c'est tout à fait suffisant, il n'y en a pas besoin de deux, il suffit d'une seule. Surtout les Russes: une seule bombe et toute une ville, même une ville comme Londres, brouff! reste rien. (C'est la théorie, mais enfin il y a toujours quelque chose de vrai.) N'est-ce pas, nous avons vu ce qui est arrivé à Hiroshima, c'était assez vilain; eh bien, c'était dix à mille; ça, c'était dix, et ce qu'ils ont maintenant est mille; c'est cette proportion-là.

C'est-à-dire qu'ils ont poussé toute leur intelligence vers la destruction.

Et il y en a qui se disent: «Ça va les empêcher de se battre.» Mais c'est enfantin!

(long silence)

La Chine a déjà retiré son ambassade de Delhi. Les Indiens n'ont pas encore retiré leur ambassade de Pékin; ils vont être obligés de le faire. Ce n'est pas une affaire qui peut être unilatérale, que l’un retire son ambassade et que l’autre la laisse, n'est-ce pas – et de la minute où ils retirent l’ambassade, le bombardement commence.

Et maintenant, il n'y a pas beaucoup d'avions avec un pilote – c'est vieux jeu. Ce sont des avions qui font leur business tout seul. Ce n'est plus qu'une mécanique. Alors vraiment il faut avoir une Puissance qui ait de l’action sur la Matière la plus mécanique. Je parle, par exemple, de protection: ce ne sont plus des volontés humaines, ce ne sont plus même des êtres de l’atmosphère terrestre; ce ne peut être que le Suprême qui décide – comme Il décide que ça, c'est fait, Il décide aussi [que ce ne sera pas fait]. C'est tout. Il n'y a plus que Lui.

Il n'y a plus d'espoir qu'un être humain avec sa puissance puisse protéger – ce n'est plus ça. Si le Seigneur vous protège, c'est bien, il ne vous arrivera rien. Mais savoir ce qu'il décidera?... Parce que s'Il décide une destruction comme cela, c'est que vraiment la terre en a besoin, autrement Il ne le déciderait pas.

Enfin, le mieux est de ne pas y penser, on verra bien. On verra de ce monde-ci ou on verra d'un monde plus subtil! c'est tout.

Je sais que ça a été une très mauvaise nuit et que je me suis réveillée vidée de forces ce matin, et avec beaucoup de difficultés – et ce n'est pas encore passé.1


Plus tard

Si ça tourne mal, bientôt personne ne pourra plus bouger; on sera de nouveau (geste) enfermé dans un œuf.

Quand Sri Aurobindo était là, on allait s'asseoir dans la chambre où il était, alors on avait le sentiment qu'on était tout à fait à l’abri de tout – c'était vrai.

Le seul danger à ce moment-là, c'était le Japon, et le Japon avait officiellement déclaré qu'il ne bombarderait pas Pondichéry, à cause de Sri Aurobindo. Mais enfin, c'étaient encore des hommes dans les avions, ils pouvaient ne pas bombarder. Mais on ne dit pas à un jet-plane: «Tu ne tomberas pas là»! – Il tombe où il peut.

Oui, mais enfin on ne voit pas pourquoi ils viendraient ici.

S'ils veulent bombarder Madras, c'est trop près. Entre les puits de pétrole (c'est ça qu'ils veulent) qui sont en Assam (très commode à avoir, n'est-ce pas) et les Chinois, il y a la même distance qu'entre Pondichéry et Madras, tu comprends... Ils ont certainement une armée motorisée, alors ce n'est rien du tout.

Enfin...

Et toute la nuit (ou en tout cas une bonne partie de la nuit), il y a la pensée d'Indira Gandhi qui était accrochée à moi (Indira Gandhi est la fille de Nehru) et c'est à elle que les bijoux ont été remis2 – on les avait remis à Nehru, qui les a passés à Indira.3 Enfin elle m'a écrit une lettre hier – une lettre très... (Mère cherche un mot) très aimable. Lettre de quelqu'un qui a compris que c'était un élément important – pas au point de vue mondial (!) mais parce qu'il fallait qu'on sache que j'ai fait un geste de collaboration, que c'était important. Mais alors, cela ne s'est pas borné là: la lettre est arrivée hier; généralement quand c'est la lettre que je vois, je la vois AVANT naturellement; mais c'est ELLE, elle-même qui pensait [à Mère], pensait-pensait, et repensait et repensait (Nehru, c'est toujours très flou: il n'a pas le pouvoir mental suffisant pour sa position, il n'a pas la puissance mentale voulue; alors c'est toujours fumeux; quand on se branche sur lui, c'est une impression qu'on a – geste flou –, ce n'est pas solide), mais elle, ça revenait et puis ça revenait et puis ça revenait. Ils doivent sentir que... commencer à sentir qu'il faut quelque chose d'autre que ce qu'ils ont.

Nous verrons.

Je n'oublie pas que Sri Aurobindo a dit – a déclaré (c'est écrit) – que le Pouvoir supramental sera derrière tous les gouvernements de la terre en 1967. Que ce soient ceux-ci ou d'autres gens, ou n'importe quels gens, mais ils seront directement (peut-être pas consciemment) mais directement sous l’influence des forces supra-mentales, qui leur feront faire ce qu'il faut. Et alors naturellement, le premier résultat sera une sorte de collaboration générale – ça, il me l’a dit tout à fait clairement, et il l’a écrit. C'était cela qu'il avait vu. Mais il ne disait pas qu'on arriverait là sans... sans catastrophe. Ça, il ne l’a jamais dit.

Enfin voilà, mon petit.

Alors la prochaine fois, tu auras ton livre.

J'espère, oui.

Non, il faut!

J'ai pataugé... Mais tu sais, depuis des années, j'ai l’intuition, la prémonition que l’année 63 sera une terrible année – d'une façon personnelle.

Soixante-trois.

À un point de vue personnel, parce que, pour moi, tous les dix ans (43, 53)... Il m'est arrivé des catastrophes tous les dix ans.

Le qualificatif4 que nous mettons dépend de la vision individuelle limitée, mais la chose en elle-même est probablement tout à fait correcte: il y aura un sérieux bouleversement. Mais ça ne veut pas dire que ce soit catastrophique; tu comprends, c'est peut-être justement l’ouverture vers quelque chose de supérieur et une nouvelle naissance à la Vérité. Moi, je suis certaine d'une marche très rapide, parce que je la vois. Mais je ne vois pas de catastrophes personnelles. Je n'ai pas vu du tout.

À moins que... N'est-ce pas, une fois (c'était du temps où Sri Aurobindo était ici encore), j'avais vu (mais c'était simplement une vision, et il y a beaucoup de visions qui viennent – surtout à ce moment-là –, des visions qui viennent comme des possibilités qui sont formées dans un certain monde et qui descendent vers la manifestation terrestre, et elles viennent à moi pour que je donne l’appui de mon consentement, si ça m'intéresse; alors il y a de tout! et le tri se fait beaucoup à ce moment-là), mais il y a eu une vision où Pondichéry était complètement englouti par l’effet d'une bombe (à ce moment-là, il n'était pas question de bombes qui puissent faire ça; c'était donc partiellement prémonitoire), alors si ça arrive!... (Mère rit) Et le résultat, c'était que j'étais engloutie dans un endroit qui était radio-actif (c'était sous-terre, mais pas aplati: comme une caverne qui se formait), et que je restais là deux mille ans.

Je me réveillais après deux mille ans avec un corps rajeuni. C'était une très amusante petite histoire!... Et, n'est-ce pas, je dis «vision», mais ce ne sont pas des choses qu'on voit comme au cinéma: ce sont des choses qu'on vit. Et j'étais sortie de cette sorte de grotte, toute fermée, par un moyen plus ou moins compliqué, et à la place de Pondichéry (c'était tout nettoyé), il y avait des gens qui travaillaient – ils étaient très différents. Ils étaient très bizarres. Moi, je devais avoir l’air drôle parce que j'étais dans cette espèce de costume qui n'avait rien à voir avec leur époque (ça aussi, le costume était resté; ça ne s'était pas détruit – du roman-feuilleton, tu comprends!) Alors naturellement, j'ai attiré quelque curiosité et ils essayaient de me faire comprendre; il y en a un qui a dit: «Ah! oui, je sais...» (je comprenais parce que je comprenais la pensée – ces 2000 ans m'avaient permis d'entrer en contact avec la pensée des gens), et ils m'ont menée à un vieux, très vieux sage, un vieux bonhomme à qui j'ai parlé et qui s'est mis à feuilleter toutes sortes de livres (il avait beaucoup de livres, beaucoup de livres), et tout d'un coup, il s'écrie: «Ah! français!» – Une vieille langue, n'est-ce pas. (Mère rit)

C'était très amusant. Je l’ai raconté à Sri Aurobindo qui a bien ri.

23 novembre 1962

(Le disciple lit un passage de son manuscrit où il dit notamment: «On ne peut pas faire un pas en haut sans faire un pas en bas.»)

C'est l’expérience que j'ai dans mon corps maintenant – exactement ce que tu dis: chaque pas en avant vous oblige à faire, non un pas en arrière mais un pas dans l’Ombre, et au point de vue physique c'est terrible.

(silence)

Mais il ne faut pas que ton livre donne l’impression que c'est toujours comme cela, c'est-à-dire que la Lumière ne peut s'installer sur la terre que quand toute cette Ombre sera transformée. En fait, c'est ça l’oeuvre de transformation, c'est de changer toute cette ombre en son côté de lumière.1

Pas la rejeter: la transformer.

(silence)

C'est très-très vrai, très vrai [un pas en haut, un pas en bas], parce que c'est vrai même de la conscience corporelle la plus matérielle. Et tu comprends ce que ça représente? de difficultés... Dès que le corps devient plus conscient de la Présence et de la Lumière divines, c'est tout de suite comme si on touchait un bas-fond d'inconscience et de... oui, d'inconscience, de matérialité inerte. Et ça rend le travail très difficile, très difficile.

Juste encore, la dernière fois je t'ai dit que je n'étais pas très bien, c'était dans la nuit que c'était arrivé, et c'était l’équivalent de ce que tu écris là, mais tout à fait matériel, dans le corps. Là, dans ton livre, tu le décris d'un point de vue un peu moral, enfin comme un phénomène de conscience, mais ça, c'est un phénomène de cellules!... Alors dépêche-toi d'apporter le triomphe! (Mère rit) Ce matin, je disais justement que c'était exténuant cette bataille, cette bataille perpétuelle – une bataille!

Alors quand tu écriras la victoire, peut-être que moi aussi je danserai un pas de victoire!2


(Un peu plus tard, le disciple dit à Mère que Sujata souffre beaucoup de ne plus la voir.)

Je sais, certains même sont tombés malades. Mais je suis à la merci de choses comme cela,3 tu comprends, c'est exactement ce qui se passe. Il y a des minutes où on a l’impression qu'on est tombé dans un trou épouvantable, au point de vue de la santé, alors...

Le corps commençait à manifester la Force et, ma foi, je voyais la possibilité de reprendre plus d'activités, mais cette dernière chose est venue comme un coup de poing pour me dire que ce n'était pas possible, qu'il faut que je fasse attention. Voilà.

30 novembre 1962

Un autre prophète! (Mère tend au disciple une feuille dactylographiée). l’Inde est pleine de prophètes. Mais ça, c'est plutôt intéressant parce que c'est le premier qui semble avoir vu cette guerre [sino-indienne] du point de vue de l’action intérieure.

Ça a l’air d'un homme bien. Il habite à Madras.

(le disciple lit)

«A a un voisin qui est membre de l’enseignement (en retraite). Il fait un sérieux poudjâ tous les jours et il a certains pouvoirs de prédiction, lecture de pensée, etc. Son Gourou lui a donné instruction de ne jamais renvoyer les gens sans répondre à leurs questions, quelles qu'elles soient; de ne jamais se mettre en colère en aucune circonstance; de ne jamais accepter d'argent; et de ne jamais parler de son propre gré. Il est très demandé parmi les ministres et les fonctionnaires du gouvernement de Madras – Nehru aussi a eu une intéressante expérience avec cet homme.

Ce monsieur a dit à A, le 20 octobre dernier, que les hostilités avec la Chine cesseraient fin novembre. Effectivement, le cessez-le-feu a été proclamé le 20 novembre. Voici quelques autres réponses à A:

  1. l’élément humain coopérera de plus en plus et le peuple deviendra plus fort à tous les points de vue.

  2. La lutte continuera pendant un an et demi. Ce sera la victoire de l’Inde.

  3. La lutte se déroule plus sur le plan spirituel (subtil) que sur le plan physique. Cette lutte n'a pas besoin de devenir une guerre armée.

  4. Les États de l’Himalaya accéderont à l’indépendance.

  5. Des personnes d'importance (de l’Inde et de l’Étranger) viendront de plus en plus nombreuses à Pondichéry.

  6. Toutes les nations apporteront abondamment leur aide à l’Inde et le coût de la lutte n'affectera pas l’économie de l’Inde.

  7. À la question: «Comment les Chinois seront-ils vaincus sans guerre armée?», il a répondu: «Ils peuvent tout simplement s'en retourner.» Il n'a pas pu dire si les hostilités recommenceraient. Il a dit: «Ce n'est pas nécessaire.»

Évidemment, il sait qu'il y a du travail qui se fait ici. N'est-ce pas, ce cease-fire1 [cessez-le-feu] est de toute évidence le résultat de ce que j'ai fait – tous les pays sont ahuris que ce soit arrivé. Et mon impression était celle-ci: une action invisible qui agit sur les gens sans qu’ils s’en aperçoivent – pas à travers le mental.

La raison extérieure, c'est que Kennedy leur a dit de cesser le feu, sinon il envoie des troupes.

On a plutôt l’impression que ce cease-fire est un truc des Chinois et qu'ils se préparent par derrière.

C'est très possible.

C'est peut-être comme cela dans leur conscience extérieure.

(silence)

Si on m'avait posé la question que l’on a posée à cet homme de Madras, j'aurais répondu un peu comme ça: «Je ne sais pas si l’on se battra ou si l’on ne se battra pas, mais ça peut se passer sans se battre.»

Ça m'a intéressée parce que c'est vu de l’autre côté.

Ce que tu as lu là a passé par deux mentalités: celle de A d'abord, puis celle de M après, qui a écrit ce que A lui a dit – alors il a dû déjà y avoir deux déformations... Mais il semble évident qu'il a senti une Force qui agissait derrière les apparences.

Et la Force est comme cela: depuis le commencement je mettais la Paix éternelle [sur le front]... pour voir comment c'était! C'était presque une curiosité pour voir ce qui allait arriver.2


Peu après

1963 sera une année difficile, ici.

Mais je compte que ça va se lever en février 64 – commencer à se lever, cette espèce de pression, ou plutôt de dépression générale (!)


Plus tard

l’autre jour, tu parlais du départ de Sri Aurobindo et tu disais: «Alors tout d'un coup, quand il est parti – tombée dans un trou. Et c'est ça qui m'a projetée tout entière...» Tu as voulu dire que ça t'a projetée dans l’évolution?

Je n'en étais jamais sortie. Mais...

Tu as fait un geste en avant.

Vers l’avenir alors.

Pourtant j'y étais aussi, ce n'est pas ça. C'est...

(silence)

La vraie vérité c'est que ça m'a projetée DIRECTEMENT vers le Suprême, sans intermédiaire.

J'avais eu le contact avec le Divin intérieur, la réalisation de l’Éternité, toutes ces réalisations avaient été là, mais... tant que je vivais avec Sri Aurobindo, mon sentiment d'absolu était en lui et... (comment dire?...) Au fond, tous ces «besoins» impératifs, j'ai dit qu'ils étaient les graines de l’évolution, mais c'est le levier ou le tremplin pour que l’homme réalise que l’UNIQUE – l’unique – absolu, c'est le Suprême; l’unique permanence, c'est le Suprême; l’unique sécurité, c'est le Suprême; l’unique immortalité, c'est le Suprême. Que toute manifestation ne sert qu'à vous mener LÀ.

Au fond, c'est ça: j'ai été projetée de mon expérience du Suprême à travers la manifestation de Sri Aurobindo, à une expérience directe, sans intermédiaire.

C'est mal dit, ce n'est pas ça, mais... (Mère ferme les yeux).

J'ai senti très fortement, d'une façon inexprimable tant c'était intense, qu'il n'y avait qu ’une chose sur laquelle on puisse s'appuyer, qu'il n'y avait qu ’une chose qui soit sûre et qui ne pouvait pas faillir: c'est le Suprême – tout le reste, ça va, ça vient, ça dure, ça disparaît.

(silence)

Évidemment, pour le Travail, c'était ça qu'il fallait comprendre.

(silence)

C'est cela, c'est difficile à dire, mais c'était comme... N'est-ce pas, dans l’éternité du Jeu, tout est instable et tout vous fait défaut. C'était comme cela: «Tout te faillira, excepté le Suprême.»

Et alors, ça devient une expérience tellement absorbante et tellement absolue... (Mère est comme enveloppée de lumière blanche) l’incertitude, l’instabilité, le caractère fugitif, inconstant, impermanent, de toutes choses – on ne peut s'appuyer sur rien, tout s'écroule, que sur Le Suprême, parce qu'il est tout.

Il n'y a que le Tout, d'une façon absolue, qui ne faillit pas.

(silence)

Les mots sont imbéciles, mais c'est une expérience.

Une fois qu'on a cette expérience-là, c'est fini; tout le reste, c'est seulement ce qui en découle, ce sont des détails.

Et ça, je l’ai eu à ce moment-là [5 décembre 1950].

décembre




4 décembre 1962

(Mère reparle de l’expérience directe du Suprême, qu'Elle a eue au moment où Sri Aurobindo a quitté son corps:)

Je ne comprends pas très bien. On pourrait penser que l’expérience du Suprême, tu l’avais eue avant le départ de Sri Aurobindo?

Spirituellement, c'est une expérience que l’on a dès qu'on entre en contact avec le Divin intérieur; mentalement, c'est une expérience que l’on a dès que le mental est purifié; vitalement, c'est une expérience que l’on a dès qu'on est sorti de l’ego. Et c'est la conscience du corps – la conscience des cellules – qui l’a eue à ce moment-là. Tout le reste l’avait eue depuis très longtemps et le savait d'une façon constante, mais le corps... on le lui avait dit, il le croyait, mais il n'avait pas cette expérience si concrète, si totale, si absolue qu'on ne peut pas l’oublier une seule seconde.

C'est à ce moment-là que l’être physique et le corps individuel, personnel, a eu cette expérience, et d'une façon définitive.

Lui [le corps], se laissait toujours porter. Il s'était unifié, dans la conscience, avec la présence de Sri Aurobindo et il s'appuyait dessus sans l’ombre d'une inquiétude – il sentait que sa vie en dépendait, que son progrès en dépendait, que sa conscience en dépendait, que son action en dépendait, que son pouvoir en dépendait. Et pas de question: questionnait pas. Et alors, c'était pour lui absolument impossible que ça puisse être autrement; l’idée même que Sri Aurobindo pouvait quitter son corps, que cette façon d'être à l’égard du corps ne pourrait plus exister, était absolument impensable. Il a fallu qu'on le mettre dans la boîte et qu'on mette la boîte dans le Samâdhi pour qu'il soit convaincu que c'était comme cela.

Alors c'est là qu'il a eu cette expérience.

Ce corps est très conscient, il est NÉ conscient, et sa conscience est allée croissant, se perfectionnant, se multipliant pour ainsi dire, avec toutes ces années; c'était son souci, sa joie. Et là, c'était une telle certitude paisible qu'il n'y avait plus de problèmes, il n'y avait plus de difficultés: il y avait l’avenir qui s'ouvrait lumineux et paisible et assuré – rien-rien, il n'y a pas de mots qui puissent décrire l’écroulement que ça a été pour lui.

C'est seulement parce que la volonté consciente de Sri Aurobindo est entrée en lui – sorti d'un corps et entré dans l’autre... N'est-ce pas, j'étais debout devant ce corps et je sentais la friction matériellement, c'était sa volonté qui entrait (sa connaissance et sa volonté): «C'est toi qui feras mon Œuvre.» Il disait à ce corps: «C'est toi qui feras mon Œuvre.» C'est seulement ça qui m'a gardée vivante.

À part ça... je ne crois pas qu'il puisse y avoir aucune-aucune destruction physique semblable à cet écroulement.

Il m'a fallu douze jours pour en sortir – douze jours pendant lesquels je n'ai pas dit un mot.

Alors cette expérience dont j'ai parlé, c'est l’expérience PHYSIQUE.

(silence)

Maintenant, ce qu'il [Sri Aurobindo] s'efforce de donner à ce corps, c'est la conscience de la Permanence, l’Immortalité, la Certitude de la sécurité absolue, dans la Matière, dans la Vie, dans l’action de chaque minute. Et ça devient de plus en plus proche, constant. Et petit à petit, le mélange des anciennes impressions disparaît – ça, c'est le FOND et la base de la transformation.

Dans le vrai mouvement, c'est physiquement qu'on sent l’Absolu et l’Éternité. – Comment? c'est impossible à décrire, mais c'est comme ça. Et quand on sort – quand on retombe ou sort si peu que ce soit de Ça et qu'on retombe dans le mouvement ordinaire, le vieux mouvement, alors c'est le sentiment d'une incertitude ABSOLUE! d'une incertitude de chaque seconde. Il serait impossible pour un être humain ordinaire de vivre avec cette conscience-là, avec ce sentiment-là: le sentiment d'une totale absolue incertitude, d'une impermanence totale absolue – ce n'est plus une destruction,1 mais ce n'est pas encore une transformation ascendante. Une instabilité absolue. Rien ne dure plus qu'une fraction de seconde – juste le temps de prendre conscience de soi-même et c'est tout.

S'il n'y avait pas l’autre mouvement qui s'installe de plus en plus, ce serait insupportable, au sens du mot anglais unbearable.

La qualité de ces deux vibrations (qui se superposent encore de façon à ce qu'on puisse être conscient des deux), c'est indescriptible, mais l’une qui est un morcellement – un morcellement infini – et une instabilité absolue: c'est comme un poudroiement atomique d'un mouvement incessant; et l’autre, c'est une immobilité éternelle, comme je l’avais décrit l’autre jour, une Immensité infinie de Lumière absolue.

Encore la conscience passe de l’un à l’autre.

(silence)

Tout le reste... Comment dire? On pourrait presque dire que c'est un divertissement. Toutes les autres expériences qui ne sont ni ça ni ça, c'est pour passer le temps, quelque chose pour remplir, que ce ne soit pas vide.

Un cinéma perpétuel.

(silence)

Et c'est avec cette nouvelle perception que je sens d'une façon inexprimable une concentration de... la vérité de ce que nous appelons Sri Aurobindo se rassembler près de, sur ce corps, dedans (il n'y a pas de «dedans», de «dehors»). Et le corps, lui (qui a rouvert les portes de ce qu'il avait fermé2 pour pouvoir continuer), il sent une identité de plus en plus totale, sans mélange, au point que si je laisse aller ma main sans contrôle, mon écriture devient semblable à celle de Sri Aurobindo – tout petite comme ça.

Et ce n'est pas comme on se l’imagine, ce n'est pas une forme qui entre dans une autre – ça ne l’empêche pas [Sri Aurobindo] d'être partout où il veut être et de faire tout ce qu'il veut faire, et d'apparaître comme il veut apparaître et de s'occuper de tout ce qui se passe sur la terre: ça ne change rien à cela. Et ce n'est pas une partie de lui!...3 Et alors c'est comme cela que je comprends qu'il manifestait, il était une manifestation de l’Absolu. Naturellement, il s'était montré après comme ce que j'avais appelé «le Maître du Yoga», c'était pour ça qu'il était venu sur la terre (ce qu'on appelle ici un Avatar). Mais ça, c'est encore une manière SÉPARÉE de voir les choses: ce n'est pas la chose – LA chose.
On va voir demain... [5 décembre]

Voilà, mon petit.

(silence)

Au fond, ce qu'on appelle ici «mourir»...

On ne peut conquérir la mort que quand elle n'a plus de sens. Et je vois très bien une courbe, une courbe d'expérience qui mène vers ça – où ça ne veut plus rien dire. C'est là qu'on pourra dire: «Eh bien, maintenant ça ne veut plus rien dire.»

C'est seulement là qu'on est sûr.

C'est pour ça qu'on ne m'a jamais donné d'assurance, parce que c'est seulement quand on entre dans cette conscience-là que ça ne veut plus rien dire.

Il y a encore du chemin à faire.

8 décembre 1962

Tu as dit une phrase mystérieuse, l’autre jour (4 décembre), à propos du départ de Sri Aurobindo. Tu parlais de ce sentiment d'impermanence, de totale incertitude que tu as eue. Tu disais: «Ce n'est plus une destruction, mais ce n'est pas encore une transformation ascendante»?

Ça a été une destruction physique – alors je dis: ce n'est plus ça, mais ce n'est pas encore la réalisation.

(silence)

(Mère rit) Je ne t'ai pas dit l’autre côté.

Qu'est-ce que c'est, l’autre côté?

Ce sera pour plus tard.

l’autre côté, qu'est-ce que tu veux dire?

Non, ce qu'il semble me donner ces jours-ci, depuis le 5 décembre, c'est une vision et une expérience très claires de pourquoi il a dû s'en aller. Mais ça... ce n'est pas le moment de le dire.

Ce n'était pas pour des raisons personnelles, c'était pour des raisons de travail. Je veux dire qu'il considérait (ça, je le savais depuis le commencement parce qu'il me l’avait dit), il considérait que de quitter son corps était mieux – était la meilleure façon de faire le travail maintenant. C'était nécessaire.

Mais tout ça et toutes les raisons, ce n'est pas le moment, et probablement ce ne sera pas le moment d'ici assez longtemps de le dire.

Maintenant, ces jours-ci, il semble vouloir me faire voir et avoir l’expérience de toutes les conditions terrestres qui lui ont fait prendre cette décision (c'est la meilleure façon de le dire).

Alors ça ne peut pas se dire.

(silence)

J'avais dit quand il est parti: «Le monde n'est pas prêt» (c'est une façon générale de dire la chose), et il me montre tous les points, tous les points, tous les points.

J'espère (il y a encore demain),1 j'espère qu'il me montrera si quelque chose a été fait sur le chemin. Ça, je ne sais pas.

(silence)

Il ne me parle pas, il ne me dit rien, il ne m'explique rien: simplement il me fait avoir une série d’expériences.2 Voilà.

12 décembre 1962

(Le disciple essaye d'interroger Mère sur les raisons du départ de Sri Aurobindo.)

Oh! non-non, je ne veux pas en parler.

J'aimerais mieux ne pas l’entendre et que ce ne soit pas gardé.1

Ça, j'ai vécu des jours, là, qui étaient terribles.

(silence)

Je commence seulement à en sortir.

En tout cas, pas aujourd'hui.

Je ne sais pas si ça correspond à un fait général, mais le 9 décembre, j'ai reçu une avalanche de choses très désagréables.

Quoi?

Je ne sais pas. Tout d'un coup une atmosphère (je suis encore dedans d'ailleurs), une sale atmosphère.

Oh! mon petit! ça a été effroyable, effroyable. Une chose après l’autre. Une véritable avalanche, comme si tout se décomposait.

Dans tous les Services, partout, c'était une ruée de mensonge, de fausseté, d'imbécillité, de confusion... Ça a été ef-fro-yable. On n'en est pas encore sorti, il y a les conséquences qui traînent. Alors...

Et le corps avait beaucoup de difficultés à supporter tout ça, beaucoup.

Toi, ça a pris une forme psychologique ou physique?

Psychologique. C'est tombé sur moi tout d'un coup comme si plus rien n'avait de sens; un dégoût, une décomposition comme tu dis.

Oui, décomposition, désintégration.

Et en même temps, toute une vieille formation que je n'avais pas vue depuis longtemps, qui me retombe dessus: dégoût d'écrire, envie de partir, des choses comme cela.

Oui, il y a eu une ruée hostile.

D'ailleurs, ça avait commencé par la suggestion habituelle: «Sri Aurobindo est parti, par conséquent tu n'as plus rien à faire ici, tu n'as qu'à t'en aller le plus vite possible.» Voilà. C'est-à-dire que tout s'en va en morceaux.

Alors ma réponse habituelle, parce que c'est la seule réponse valable avec ces êtres-là: «C'est pas mon affaire. C'est l’affaire du Seigneur, adressez-vous à Lui.» Alors ils se tiennent tranquilles. Une autre fois, quand ils croient qu'ils réussiront, ils reviennent, et la réponse est toujours la même – cales décourage un peu. Au bout d'un certain temps, c'est fini. Mais... n'est-ce pas, tout ce qu'on peut imaginer; justement, des gens qui progressaient normalement: un écroulement dans toutes les vieilles erreurs, les vieilles stupidités. Et puis une sorte de haine qui sort de toute chose et de tout le monde, qui se précipite sur moi, avec cette conclusion inévitable: «Qu'est-ce que tu fais ici! Va-t-en d'ici, on ne te veut pas. Tu vois bien que personne ne veut de toi.» – «Ce n'est pas mon affaire, ça ne me regarde pas. On me veut ou on ne me veut pas, tant que le Seigneur me garde ici, je suis ici; quand! Il ne me gardera plus, Il me fera partir, voilà tout, ce n'est pas mon affaire.» Alors ça les calme, c'est la seule chose qui les calme. Mais ça ne les décourage pas!

Maintenant, je suis à attendre que l’ouragan soit passé.

Il faut dire que depuis 1950, c'est TOUS les ans, à ce moment-ci, la même chose. Et avec la même suggestion (qu'ils ne font pas à moi seulement mais à tout le monde, tous ceux qui écoutent): «Sri Aurobindo est parti, qu'est-ce qu'elle fait ici? Elle n'a qu'à s'en aller!» Alors il y en a qui sont mordus, ils disent: «Elle VEUT s'en aller.» Pas «il faut qu'elle s'en aille»: «Elle VA s'en aller; vous pouvez être tranquilles, elle va s'en aller, c'est le moment, elle va s'en aller. Et puis tout ça, vous voyez bien, ça ne tient pas debout, ça n'a pas de sens. Sri Aurobindo est parti parce qu'il était dégoûté. Il est parti, par conséquent elle doit partir.» Voilà.

Activement, la seule chose à faire: «Ce n'est pas mon affaire. C'est le Seigneur qui décide, c'est le Seigneur qui fait, c'est le Seigneur qui arrange – et par-dessus le marché c'est même le Seigneur qui vous envoie!» Ça, ça les vexe plus que tout! (Mère rit)

15 décembre 1962

(Mère montre au disciple des feuillets imprimés du temps de Théon: «Axiomes de base de la philosophie cosmique», que l’on vient de retrouver parmi d'anciens papiers:)

Ça, c'est amusant! (Mère lit:)

«Dans l’état physique, l’homme est le suprême évoluteur.

«Il n'y a qu'une loi, la loi de la Charité, une avec la Justice.

«Il n'y a qu'un déséquilibre: la violation de cette loi.

«La cause du déséquilibre est l’excès.

«La perpétuelle évolution vers le perfectionnement...

«La mortalité est l’effet...

Ça n'existe pas en français, «mortalité»!

La mortalité infantile!

«La mortalité est l’effet dont le déséquilibre est la cause. Elle est accidentelle et temporaire...»

N'est-ce pas, selon Théon, le monde a été créé et détruit – création et pralaya – six fois. Et chaque fois, un. attribut s'est manifesté, mais cet attribut n'est pas arrivé à s'accomplir et le monde a été «ravalé». Et puis nous sommes la septième fois, et c'est l’attribut de l’Équilibre. Et quand l’Équilibre sera établi, ce sera un progrès ininterrompu et sans déséquilibre naturellement, c'est-à-dire sans mort, sans désintégration.

(le disciple continue la lecture:)

«Il n'y a qu'une royauté, qu'une aristocratie: celle de l’intelligence.

«Il y a quatre classifications de formations terrestres: la minérale, la végétale, l’animale, et la psycho-intellectuelle ou divine humaine. Parmi ces quatre, en ordre, il n'y a point de divisions.

«l’unité divine, revêtue et manifestée par l’humanité collective...»

C'était bilingue. Il appelait cela: «Axiomes de la base de la philosophie cosmique.» C'était un certain métaphysicien français, connu au commencement du siècle – son nom commençait par un B. Il avait rencontré Théon en Égypte quand Théon était avec Bla-vatski (ils avaient fondé une revue avec un nom de l’ancienne Égypte, je ne sais quoi, je ne me souviens plus), et alors ce B avait dit à Théon (Théon devait savoir le français déjà) de fonder une Revue Cosmique et de publier les «Livres Cosmiques», et c'est lui qui avait donné les formules et écrit ce charabiah!

Il y avait le nom de l’imprimeur et la date, l’année, mais ce n'est plus là...

Si: «Imprimerie du Petit Tlemcénien».

Ça vient de Tlemcen?

Oui.

Ce B avait, paraît-il, l’idée que l’homme parfait, l’homme immortel, serait sphérique! Et alors Théon me disait toujours (c'est lui qui m'a raconté tout ça): «Et moi, je lui disais que ce n'est pas possible parce que ce ne serait pas commode, on ne pourrait pas s'embrasser»! Des plaisanteries de ce genre. Théon me disait aussi que quand ce B est venu à Tlemcen, il avait vu la maison que Théon était en train de construire (parce qu'ils s'étaient rencontrés en Égypte, puis ils s'étaient retrouvés à Tlemcen), et il lui avait demandé: «Pourquoi votre maison est-elle rouge? Est-ce que ça a un sens mystique?» Et Théon lui a répondu: «Non, c'est parce que le rouge, ça fait bien avec le vert!» Voilà. Mais je ne me souviens plus de son nom, il était très connu de son temps, c'était un contemporain de celui qui a écrit Les Grands Initiés.

Schuré?

Oui, Édouard Schuré. Il était contemporain, un petit peu plus âgé qu'Édouard Schuré (que j'ai rencontré d'ailleurs – il était assez creux). Ça commençait par un B et c'est lui qui avait formulé ces «Axiomes».

Tu m'avais parlé, une fois, d'un nomé Barley?

Ah! c'est Barley. Oui, ce doit être Barley.

La femme, Madame Théon, était anglaise, et c'est elle qui écrivait, mais elle écrivait des histoires, tandis que ça, ça me paraît être de ce Barley parce que j'ai lu une chose à la fin, à la dernière page, qui est assez... c'est pauvret, tout ça, c'est très pauvret.

(Mère feuillette et lit en riant:)

«Le seul culte légitime, c'est le culte de l’homme...»

Le surhomme, oui, qu'il appelle «psycho-intellectuel». Ça c'est le surhomme – c'est le seul culte légitime...

Ça a l’air un peu sommaire, tout ça.

Très sommaire. Je ne crois pas que ce soit la peine que tu perdes ton temps là-dessus. Seulement, ça m'a amusée de retrouver ce premier paquet parce que... regarde le symbole. (Mère montre la première page)

Oui, j'ai vu!

Le symbole est intéressant.

Ça ressemble à celui de Sri Aurobindo.

C'est moi qui ai dessiné celui de Sri Aurobindo d'après ça.

Tu vois, ils ont fait le carré au centre très allongé. Celui qu'on a fait ici est plus correct: Pavitra l’a fait égal. Mais celui de la Revue Cosmique était allongé, avec le lotus au centre.

C'est le même [que celui de Sri Aurobindo], seulement il est allongé pour que le carré vienne à la jonction du triangle.

Je garde ça pour le montrer à Pavitra parce que c'est ça que j'avais essayé de faire d'abord. Mais évidemment celui de maintenant est correct.

C'est Théon qui m'avait dit que c'était le sceau de Salomon.

Voilà, maintenant tu as apporté ton livre?1

(Sans enthousiasme:) Ou-ui...

(Mère se remet à feuilleter les pages)

Ils font là toutes sortes de recommandations: par exemple, qu'il faudrait, pour faire les expériences d'extériorisation, mettre une robe lâche que l’on ne met que pour ça.

Pourquoi donc? Quelle est l’idée?

Question d'aura. l’idée, c'est que les forces s'accumulent. Et même, cette robe, elle disait qu'il valait mieux ne pas la laver!

Ce sont des «idées».

Il y a quelque chose de vrai derrière.

Elle disait aussi que pour rester dans son corps, il fallait mettre sur ses pieds (n'est-ce pas, quand on dort, on a les pieds nus), mettre sur les pieds une étoffe bleue, et que ça vous garde dans votre corps.

???

C'est le résultat des expériences occultes de Mme Théon, dont ils faisaient une règle générale.

Mais une robe lâche, c'est tout à fait évident: il ne faut pas avoir froid pour ces expériences, c'est important, et il faut que rien ne vous gêne nulle part. Et puis il est très important que rien ne dérange la circulation parce qu'elle diminue beaucoup, alors il faut la protéger.

Ce sont des choses pratiques, mais...

C'est une pauvreté.2

Toutes ces choses mises en paragraphes ont toujours un petit air sommaire et dogmatique.

Oui, stupide: ce sont des affirmations de contradiction, c'est-à-dire une affirmation pour contredire certaines choses. Ce n'est pas du tout pour affirmer quelque chose qui a été VU – vu et transmis –, c'est pour contredire les histoires de péché originel avec toutes les religions, qui, selon Théon, s'adressent toujours à des êtres plus ou moins hostiles.

Théon disait aussi que l’homme était né parfait et qu'il a dégringolé.

C'est l’histoire du paradis terrestre?

Pardon, Théon disait toujours que le «Serpent», ce n'était pas du tout Satan: c'était le symbole de l’évolution (lui, il était tout à fait pour l’évolution), l’évolution qui va en spirale, et que, au contraire, le paradis terrestre était sous la domination de Jéhovah, le grand Asoura qui prétendait être unique – qui voulait être un Dieu unique. Pour Théon, il n'y a pas de Dieu unique: il y a l’Impensable. Ce n'est pas un «Dieu».

Mais ça me paraît être le résultat de son origine juive. Parce que Théon était juif, bien qu'il ne l’ait jamais dit (ce sont les autorités de Tlemcen qui l’ont dit: quand il est arrivé, il a bien fallu qu'il dise qui il était). Il n'en parlait jamais, il avait changé de nom. Ils ont dit qu'il était d'origine juive, mais ils n'ont jamais pu dire s'il était Polonais ou Russe. Ou bien la personne qui me l’a dit ne l’a jamais su. Mais pour les Juifs, c'est «l’Impensable» dont on ne doit pas prononcer le nom (on ne le prononce qu'une fois par an, le jour du «grand Repentir»; je crois que c'est ainsi qu'on l’appelle). C'est la lettre Yaveh qu'on ne doit pas prononcer. Mais les prières parlent des «Elohims», et les Elohims c'est un pluriel (le mot hébreu «Elo-him» est un pluriel), et ça veut dire les «seigneurs invisibles». Alors pour Théon, il n'y avait pas de Dieu unique: il y avait le Sans-Forme impensable; et tous les êtres invisibles qui ont prétendu être des dieux uniques étaient des Asouras.

Il appelait le Christ: «Ce jeune homme»!! (rires) C'était très amusant!

Enfin, voilà. J'ai retrouvé ça, ça m'a amusée.

Je vais le lire.

Mais c'est pauvre.

C'est succinct.

C'est très mince.

C'était évidemment un instrument pour démolir de vieilles choses. C'est cette idée que l’homme est divin et qu'il peut le redevenir par l’évolution: originairement il était immortel et il doit être immortel.

On se demande comment, en Europe, on pourra passera travers cette carapace chrétienne qui a l’air d'être excessivement solide. Elle est terrible, cette carapace!

Oui, oh!...

Et même en Amérique, mon petit, ça les tient. Ils retombent toujours dans leur christianisme.

Ça va être très dur.

Je ne sais pas pourquoi, chaque fois que j'entre en contact avec une pensée chrétienne, ça m'emplit de colère.

Oui! mais je comprends! Mais c'est vrai, tu sais, qu'il y a derrière, là, un Asoura – pas le Christ! Le Christ, Sri Aurobindo le considérait comme un Avatar (une forme mineure d'Avatar). Il l’a toujours dit: c'était une des émanations du côté d'Amour du Divin. Mais alors ce que l’on en a fait!... D'ailleurs, la religion a été fondée deux cents ans après sa mort. Et c'est tout à fait une construction politique de domination, faite avec, par derrière, le Seigneur du Mensonge, qui a pris quelque chose [de vrai] et qui l’a tordu, comme il a l’habitude de le faire.

Il y a à boire et à manger dans cette religion – le nombre de sectes! Il n'y a qu'une chose en commun, c'est la divinité du Christ, et alors c'est devenu asourique en ce sens qu'il s'est fait unique: il n'y a eu qu'UNE incarnation, c'est le Christ. Et c'est là où tout est allé de travers.

On verra.

Ça résiste – ça résiste partout. C'est encore plus résistant que le matérialisme.

Mais oui! il n'y a rien de plus terrible que les idéalistes, ils sont pires. Ils sont pires que les gens mauvais.

Oh! mais si tu parles des puritains, des protestants... ceux-là sont effroyables, ceux-là sont les pires. Encore, le catholicisme garde un peu le sens occulte, et puis ils ont après tout une certaine adoration de la Vierge, qui les laisse en contact avec quelque chose qui n'est pas asourique.

Ce pape qui est mort, le précédent [Pie XII], avait élargi son esprit beaucoup, élargi la doctrine beaucoup aussi: c'était un fidèle de la Vierge.

Mais les protestants sont retournés au Père, et alors c'est devenu exactement l’adoration du Dieu personnel unique, asourique. Et ils ont tout inventé et tout déformé: comme l’ascétisme, par exemple, comme toutes ces choses – partout ils ont pris les choses, ils les ont tordues, et tout est abîmé.

Ah! lis-moi ton livre.

19 décembre 1962

(Quelques jours plus tôt, Mère a inauguré la nouvelle salle de musique près de sa chambre. Sans l’en avertir, les disciples avaient aussi construit un balcon, avec l’espoir que Mère recommencerait ses «darshan» du matin comme autrefois.)

Comment ça va? Mieux ou pas mieux?

Intérieurement, si, ça va.

Parce que la série continue, c'est-à-dire que c'est comme si tout voulait se désagréger dans tout – tout dans tout. Mais le Pouvoir commence à agir (ce n'est pas exactement ça, c'est mal dit...) C'est comme si toutes les occasions de faire agir le Pouvoir se présentaient, pas l’une après l’autre: toutes en même temps, et presque comme une leçon, c'est-à-dire vraiment pour apprendre à faire ce qu'il faut faire.

Je dois dire que ça finit toujours bien, en ce sens que c'est toujours le Pouvoir qui a le dessus, mais c'est tellement... (comment dire?) répété, multiple et coexistant, que c'est un peu, tu sais, comme si on galopait pendant des heures sans arrêt.

Mais l’autre jour, j'ai eu une intéressante expérience quand on a inauguré la chambre, là. Ces bougres, ils ont arrangé un balcon! Il y avait une foule! Une foule dans toutes les rues, sur les toits – je ne pouvais pas faire autrement que d'aller au balcon! Et alors je me suis aperçue qu'il y a eu une coupure complète de continuité entre avant et maintenant (situant au milieu cette fameuse expérience):1 je fais le même mouvement que pour rappeler le souvenir d'une vie antérieure! C'était ahurissant parce que c'était d'une façon si concrète! Le même mouvement de conscience que pour rappeler une vie antérieure. C'était comme s'il fallait se souvenir de comment je faisais au balcon dans mon autre vie! J'enseignais au corps comme s'il ne savait pas. Je rappelais des profondeurs d'un souvenir subconscient comment il fallait faire. Mais ce n'était pas la même chose puisque les portes n'étaient pas les mêmes, l’arrangement était différent, alors c'était un petit peu compliqué. Mais quand je me suis trouvée au bord du balcon, tout d'un coup j'ai tiré quelque chose et alors est venu: «Voilà comment c'était, voilà comment je faisais», et la Présence était là de nouveau. Et pendant tout le temps que je me tenais au balcon, c'était... c'était mieux que ce n'était avant, beaucoup plus clair – beaucoup plus clair –, beaucoup plus simple et beaucoup plus absolu, les expériences (quand je sais, je sais mieux que je ne savais avant).

Mais tu comprends, autrefois, je montais et je descendais l’escalier quatre ou cinq fois par jour; je sortais, je descendais les autres escaliers, ça faisait de l’exercice; maintenant je n'en fais plus, excepté la demi-heure de marche (deux fois une demi-heure), mais ça ne remplace pas: les jambes sont un peu raides de ne pas fonctionner. Alors je ne veux pas marcher comme un pantin devant les gens qui attendent au balcon, qui sont là à se demander... N'est-ce pas, plus des trois quarts pensent que j'ai été très malade! (Mère rit) presque mourante (c'est comme cela que ça se traduit dans leur conscience). Je ne pouvais pas leur montrer quelqu'un qui avait l’air de «sortir d'une grave maladie»! Alors j'ai bien vu qu'il fallait que je dise à mon corps: «Ah! maintenant tu ne marches pas comme ça, tu dois marcher comme ça – c'était comme ça que tu marchais»! Et le corps écoutait comme un petit enfant, il fallait que je lui dise: «Tu vas marcher, c'est comme ça que tu vas marcher», et il s'est mis à marcher! C'était amusant.

(Mère tend une boîte au disciple:) F est venue avec R et elle m'a apporté quelques marrons glacés de Paris...

Ça, c'est délicieux... Tu as trouvé une différence dans l’atmosphère des gens?

Simplement, ils savaient un petit peu plus ce que ça valait. Mais ça, ils l’ont appris quand je suis partie – c'est toujours nécessaire pour faire comprendre aux gens.

Tu recommenceras?

Plus tard.

C'était... difficile.

C'était difficile et ça attire beaucoup de... On dirait que c'est un autre genre d'exercice; que l’on est en train d'apprendre à mon corps d'autres choses que cela; tu comprends, à être autrement – à être autrement – et il est en train de chercher à trouver une harmonie, l’équilibre d'une harmonie constante. Et c'est très-très-très difficile. Ce n'est pas du tout l’habitude: les cellules ont l’habitude, dans la vie ordinaire, d'avoir une vie très agitée et très imprévue, avec des hauts, des bas, des flèches de sensations intenses, tantôt de chagrin, tantôt de plaisir, tantôt de douleur aiguë, ou quelque chose qui est très agréable – tout ça mélangé et dans une espèce de chaos. Et je me suis aperçue que dans les gens, même dans ceux qui sont tout autour de moi, c'est même pire que ça! C'est pour moi, maintenant, quelque chose d'assez incompréhensible. Tandis que le corps, tout naturellement, il fait une sorte de mouvement légèrement ondulatoire, très harmonieux, très paisible, très tranquille, et quand il n'est pas obligé d'agir extérieurement, c'est un sens si merveilleux de la Présence divine partout-partout, en lui, autour de lui, sur lui, dans les choses, tout-tout, mais d'une façon si concrète! (Mère touche ses mains, ses bras, son visage, comme si le Seigneur la baignait.) N'est-ce pas, c'est inexprimable. Eh bien, c'est ÇA qu'il veut avoir toujours, en toutes circonstances, même quand il est obligé d'avoir des contacts avec le dehors. Alors je ne peux pas aller vite; des choses comme le balcon, ça presse un peu trop et le corps commence à n'être plus très sûr de lui.

Hier, par exemple, il fallait bien que je voie F et R qui venaient d'arriver la veille: j'ai passé trois quarts d'heure avec eux; eh bien, littéralement, ils avaient vidé l’atmosphère du sens spirituel – c'était devenu vide et creux. Il m'a fallu deux, trois minutes de concentration pour que tout revienne (pas beaucoup) mais pour que tout revienne dans son état.

Cette chambre,2 je ne l’ai pas beaucoup vue, je n'y suis pas beaucoup allée; la première fois, je suis allée voir comment c'était, le soir avant l’inauguration, et j'ai eu l’impression de quelque chose de tout à fait vide, n'est-ce pas, creux et sec. Et c'était tellement fort que mon corps était comme ça (geste flottant, comme si Mère perdait pied). Je parle d'impression du corps, je ne parle pas de la conscience, mais de la conscience corporelle – vide, creux! Si fort que c'était comme s'il était épuisé, comme si toute sa force et sa conscience étaient obligées de se répandre partout pour remplir.

Le lendemain, ce n'était plus ça; le travail avait été fait la veille en une minute (ça se fait très vite mais d'une façon très intense, très violente). Le lendemain, c'était mieux parce que j'y étais allée la veille au soir, exprès, et que c'était déjà des choses mises en place. Puis je me suis mise à l’orgue... c'était beaucoup mieux que je ne pensais. C'était comme une formation qui attendait, et dès que je me suis assise, c'est descendu: oh! c'était une joie musicale merveilleuse! Il ne fallait pas que je regarde – si je ne regardais pas, je voyais du dedans toutes les notes, tout, les mains et tout, les yeux fermés. Et alors c'est descendu... J'étais très contente. J'ai bien joué à peu près vingt minutes.

Au bout de vingt minutes, il y a quelque chose qui a dit: «Ça suffit.» Et j'ai vu que c'était suffisant pour le corps, qu'il ne fallait pas qu'il s'exerce davantage – ça s'est retiré. Je n'aurais plus pu jouer une note!... C'était très intéressant. Alors je me suis aperçue qu'à dire vrai, la volonté qui fait agir mon corps n'est pas du tout la même que celle d'avant. Avant, c'était la volonté de l’être qui avait été mis et formé dans ce corps (pas personnelle mais très individuelle); mais ce n'était pas ça: c'est une Volonté quelque part (mais quelque part qui est partout et en tout), quelque part qui décide, et quand elle dit: «Fais», ça fait; quand elle dit: «Non», rien au monde ne pourrait le faire marcher. Alors il faut que ce quelque chose qui est conscient quelque part, qui est comme un intermédiaire entre le corps et la vie extérieure, et puis la Volonté là-haut, lui dise: «Ça, c'est nécessaire» (jamais il ne proteste: la chose qui parle sait très bien). Elle dit: «Ça, c'est nécessaire», bon, alors c'est fait. Mais si on dit: «Maintenant c'est assez», il s'arrête. Parce que (comment dire?...) le Tout en Haut sait mieux que l’intermédiaire, pour le corps. Pour les circonstances, c'est tout un; pour la vision du travail à faire, c'est tout un; mais pour les soins à prendre pour le corps, pour la façon de l’éduquer, Ça (là-haut), ça sait beaucoup mieux: l’intermédiaire s'en fiche un peu (!) mais Ça, ça dit: «Fais», c'est fait; «Fini», c'est fini. C'est très intéressant.

Naturellement, toute la foule et les gens qui étaient là étaient à demander: «Quand est-ce qu'il y aura le balcon encore, maintenant qu'il est arrangé?» (Parce que, en rentrant, je leur ai dit: «Ah! vous avez fait un balcon, hein!») «Quand est-ce que nous l’aurons encore?» Alors l’intermédiaire a dit: «Je ne sais pas, ce n'est pas mon affaire.» – Consternation! Puis je suis restée bien tranquille un petit peu, à écouter tout là-haut; et de tout là-haut, très lentement, c'est venu (ça vient comme goutte à goutte, parce que tout ça doit se faire très tranquillement – ça vient comme goutte à goutte), et alors Ça m'a dit ce qu'il fallait que je dise: «Pas de décision», parce qu'On m'a dit: «Ça dépend.» Tout dépend – tout dépend, je vois bien, de ce travail spécial qui se fait sur mon corps et du résultat. Et ce n'est pas formulé, «On» ne me dit pas; On ne me dit pas ce qui arrivera, On dit toujours: «Ça pourra être comme ça.» (Mère rit) Bon. J'ai dit: «Bien».

Mais c'était amusant, c'était une expérience, parce que si tu m'avais demandé avant l’impression que j'avais («je», c'est-à-dire ce qui parle toujours), l’impression que j'avais était qu'il suffisait de prendre la décision de descendre au balcon et que ce serait fait (je voyais seulement une impossibilité de trouver l’heure). Mais ce n'est pas ça du tout – ce n'est pas ça DU TOUT! C'est quelque chose d'autre, qui est tout à fait nouveau, que je ne connais pas, je ne peux me référer à rien, et... c'est de tout en haut que les décisions sont prises – seulement en ce qui concerne le corps. C'est-à-dire que pour le travail général, la vision terrestre, tout ça, il n'y a pas de différence: c'est vu, c'est su. Mais pour cette chose spéciale dans le corps, je ne suis pas consultée.

Ça m'a vraiment amusée.

Voilà, maintenant tu as apporté ton livre?

Lis.


Après la lecture du manuscrit

C'est très bien, très bien, excellent.

C'est justement l’impression que j'ai maintenant: que ce qui se passe est quelque chose qui ne s'est jamais passé, et par conséquent que PERSONNE ne peut comprendre.

N'est-ce pas, ceux qui le voient au jour le jour disent (par exemple, le docteur): «Comprends pas. Ah! c'est comme ça? Comprends pas. Oui, ce sont des raisons...». S'il y a un phénomène quelconque, je lui dis: «Comment expliquez-vous ça?» – «Sais pas.» Mais si je lui dis: «Moi, je crois que je sais, ça dépend de...», alors il me regarde avec l’air des gens qui disent: «Ça commence à déménager.» Alors je ne parle pas. J'ai essayé deux, trois fois, simplement pour voir – ça ne répond pas, personne ne comprend, personne!

Même si je parle à quelqu'un de plus intelligent ou de plus informé (une ou deux fois j'ai dit une phrase à Pavitra pour voir), il dogmatise imédiatement, il en fait un principe mental (en accord avec l’enseignement de Sri Aurobindo, bien entendu!) Alors tout devient rigide comme une boîte. Et il essaye! Il essaye, il SAIT qu'il ne faut pas faire comme ça, mais... C'est-à-dire qu'on ne peut comprendre que si on a l’expérience – tu dois avoir l’expérience de tout ça quelque part, autrement tu ne pourrais pas l’écrire, mon petit!

Mais c'est Sri Aurobindo!

Et alors, ce qui est assez intéressant, c'est que comme je te l’ai dit la dernière fois, ça suit d'assez près et assez régulièrement l’expérience de mon corps. N'est-ce pas, il y a tant de faces au problème, tant de façons différentes d'aborder le problème et d'essayer la transformation, et ça [le livre] paraît suivre très-très bien!... C'est intéressant. Ton livre, et puis alors ma traduction – et pourtant, c'est tellement différent! Mais naturellement l’expérience elle-même est très-très diverse, très multiple, avec toutes sortes de bas-côtés ou d'embranchements, comme des petites choses qui sont indiquées sur le chemin, simplement comme une indication – c'est un monde!

Et je vois bien, si on essayait de formuler, ça gâterait tout. On ne peut formuler une courbe vraiment que quand on est au bout de la courbe. Autrement, on abîme le trajet.

Mais c'est très intéressant.

Voilà.

Au revoir, mon petit, ça va – ça va bien. Sri Aurobindo m'a dit ça, il y a quelques jours (j'avais passé deux heures de la nuit avec lui, il y avait toutes sortes de choses très intéressantes), ce jour-là il m'a dit (il m'a dit ça comme quand il plaisante), il m'a dit: «Hein? je lui ai fait faire le livre qui lui permet de progresser.» Alors j'ai dit: «Bon». Parce que tu es parti dans ce livre et il a été là tout le temps, et il semble te guider comme ça, avec un plan qu'il a développé. Il m'a dit ça. Je l’avais vu avec toi très souvent (je te l’ai dit), mais l’autre jour il me l’a dit positivement.

C'est bien. C'est très bien cette fois.

22 décembre 1962

C'est le jour de l’an et c'est Noël. Avant, il y avait dix lettres par jour, maintenant il y en a vingt-cinq. Nolini vient et il ne s'en va plus... Je suis encore en retard.1

Tu as apporté ton livre?

Ce n'est pas bien brillant.

Ça ne fait rien!

C'est la fin du chapitre?

Oh! non. Un morceau encore.

C'est sur quoi? La transformation? et c'est la fin de la «transformation» – la transformation n'est pas finie!

(Le disciple lit un passage de son manuscrit où il est question de la «période brillante» de l’Ashram, en 1926, lorsque Mère avait fait une création surmentale et que les dieux commençaient à se manifester.)

À la fin, Sri Aurobindo m'a dit: «Mais c'est une réalisation surmentale, ce n'est pas la Vérité.» Il m'a textuellement dit: «Oui, c'est une création surmentale, mais ce n'est pas la vérité que nous voulons; ce n'est pas la vérité, the highest truth; a-t-il dit, ce n'est pas la suprême Vérité.»

Moi, je n'ai rien dit, pas un mot: en une demi-heure j'avais tout défait – j'ai tout défait, réellement tout défait, coupé la connexion entre les dieux et les gens, et tout-tout démoli. Parce que je savais que tant que c'était là, c'était si attractif, n'est-ce pas (on voyait des choses étonnantes tout le temps) qu'on aurait été tenté de continuer en disant: nous l’améliorerons – ce qui était impossible. Alors je suis restée une demi-heure tranquille, assise, et j'ai tout défait.

Il a fallu recommencer autre chose.

Mais je ne l’ai pas dit, je ne l’ai dit à personne, excepté à lui. Personne ne l’a su à ce moment-là, parce qu'ils auraient été complètement découragés.


Peu après

J'ai du travail pour dix personnes...

Ou faire comme Sri Aurobindo faisait: passer toute la nuit à écrire – si je passais toute la nuit à écrire, je pourrais être à jour. Mais je n'ai pas l’intention de le faire parce que mes nuits sont très intéressantes!

J'ai eu... il y a des choses assez curieuses. Je ne sais pas si tu connais la différence entre le souvenir d'une expérience intérieure (du physique subtil ou du subconscient, de toutes les régions intérieures) et le souvenir d'un fait physique? – Il y a une très grande différence de qualité. C'est la même différence qu'entre la vision intérieure et la vision matérielle. La vision matérielle est précise, délimitée, et en même temps plate – je ne sais pas comment expliquer ça: très plate, tout à fait superficielle, mais très exacte; cette espèce d'exactitude d'une précision qui définit des choses qui ne sont pas du tout définies. Eh bien, la différence entre les deux souvenirs est de la même qualité que la différence entre les deux visions. Et je me suis aperçue, ces jours derniers, que je me souvenais d'être descendue, d'avoir vu des gens et des choses, d'avoir parlé, d'avoir organisé certaines choses – plusieurs scènes différentes... du souvenir PHYSIQUE. Pas du tout des choses que j'ai vues en extériorisation avec la vision intérieure: le souvenir MATÉRIEL d'avoir fait certaines choses.

Et alors j'ai dû regarder ça, après: c'était un souvenir; ça m'a arrêtée tout d'un coup et je me suis demandé: «Mais enfin, est-ce que je suis descendue matériellement?»... Tout le monde est là pour me prouver que je ne suis pas descendue, que je n'ai pas bougé d'ici. Pourtant j'ai le souvenir matériel de l’avoir fait, et d'avoir fait certaines autres choses aussi, même d'être sortie.

Eh bien, je suis en face d'un problème. Non seulement ce souvenir est tout à fait matériel, mais les effets de ce que j'ai dit et fait EXISTENT.

Ils existent?

Ils existent. Ce sont de toutes petites choses, des arrangements dans une chambre, des petits changements pour la nourriture, de toutes petites choses qui en elles-mêmes n'ont aucune espèce d'importance – les petites choses que l’on fait tout le temps, dont la vie est pleine tout le temps, pas des grands événements (je sais bien qu'il y a une action sur les événements terrestres et tout ça, je le sais, mais c'est l’autre genre de souvenir).

Mais tu as pu vérifier qu'il y a eu des changements?

Mais c'est arrivé! ce n'est pas une question de vérification.

Ah! c'est arrivé!

J'avais dit: «Ça doit être comme cela», et c'est devenu comme cela. Par exemple, si j'ai dit à quelqu'un: «Mettez ça là», cette personne l’a mis là. Elle ne sait pas que c'est moi qui le lui ai dit, mais elle l’a fait. Elle ne le sait pas parce qu'elle n'a pas la même conscience que moi.

Mais le fait que cela a eu un effet imédiat s'est produit avant même que j'en aie le souvenir, parce que ça s'est déroulé à l’envers: quand telle chose a été faite, je me suis dit: «Diable! comment? cette personne est merveilleuse», et puis tout d'un coup, j'ai bien vu: «Mais non! je le lui ai dit.» Je le lui ai dit. Et puis il y a l’image – «l’image», pas la façon de souvenir qu'on a d'une vision, mais le souvenir que l’on a de quelque chose qu'on a fait. Cette espèce d'image, ce n'est pas «regarder»: ça entre comme cela, tout naturellement. Ça a une qualité particulière. C'est comme cela que je me suis aperçue. C'est moi qui me suis aperçue de la chose.

C'est-à-dire que c'est une évidence. On ne peut pas raisonner dessus: c'est une évidence; et pourtant, matériellement, c'est-à-dire suivant les apparences physiques, je n'ai pas bougé d'ici.

Mais qui est-ce, qui est-ce qui a fait cela? Je ne sais pas.

Ce n'est pas une extériorisation dans le physique subtil?

Non-non! Non, parce que pour le physique subtil, le souvenir de l’extériorisation est très différent. J'ai une grosse expérience de ça, n'est-ce pas! Depuis quelque chose comme soixante ans, je connais ce phénomène – tout à fait différent. Exclusivement, si tu veux, le genre d'expérience qu'on a dans le Mensonge physique, dans la conscience physique ordinaire.

Je n'ai rien dit parce que les gens ont tendance à croire que je suis en train de déménager, alors je ne veux pas accentuer leur... impression (!) Mais moi-même, ça m'a laissée... il m'a fallu un petit moment (ce n'est pas arrivé une fois: c'est arrivé deux, trois fois, pour des choses différentes), je suis restée un petit moment très tranquille à regarder et à essayer d'analyser.

Mais je n'ai pas encore trouvé la clef.

Un dédoublement matériel?

C'est possible. C'est peut-être ça.

C'est peut-être ça.

l’ubiquité, quelque chose comme cela.

Les autres gens, quand il leur arrive des expériences (ils n'ont aucune connaissance – l’ignorance est la chose la plus répandue), ils prennent tout pour des rêves. Alors ce n'est même pas la peine d'essayer de leur expliquer – comprennent pas. Tout est classé rêves-rêves-rêves.

Ça se serait passé l’après-midi, c'est-à-dire entre midi et demie et une heure et demie, quand je suis ici – enfin, apparemment, mon corps est là, couché.

(silence)

Ce serait, oui, d'après ce que nous avons appris, un phénomène d'ubiquité.

Mais si, par exemple, ça s'était passé avec des gens qui ne savent rien de ma vie, ils auraient dit: «Mais Mère est sortie, je l’ai vue.» J'ai eu des expériences semblables (pas pour moi mais pour quelqu'un d'autre) à Paris: quelqu'un qui jurait qu'une autre personne (qui était avec moi d'ailleurs à ce moment-là), qu'une autre personne était venue, qu'elle lui avait parlé, qu'elle lui avait même frappé l’épaule – tous les phénomènes complets de l’ubiquité, qui s'expliquait par une concentration mentale. Mais cette personne ne savait pas, n'est-ce pas, que selon la logique matérielle, il était impossible que l’autre soit venu; alors elle disait tout simplement, tout naturellement: «Mais enfin, voyons! je l’ai vu, je lui ai parlé, je lui ai tapé sur l’épaule!»

Alors on ne dit rien parce que... N'est-ce pas, quand on est dans l’Ignorance, la première explication c'est toujours cela:

«Il a perdu la tête.»

Alors je n'ai rien dit et j'attends. Je vais voir.

Il serait intéressant que d'autres personnes soient conscientes et donnent une confirmation.

Oui, mais je te dis, j'ai vu des choses, j'ai demandé, on m'a répondu: «Un rêve, oui, j'ai eu un rêve»! (Mère rit) Alors je n'ai rien dit. Nous allons voir. Alors, à Noël.2

25 décembre 1962

Qu'est-ce que tu apportes? Ton livre, tu as ton livre?

Un bout, oui.

Eh bien, commence par ça.

Ça commence à tirer, tu sais...

Ah!

Il y a beaucoup de choses qui pressent... Je pense au «Bulletin», je pense à tout ce qui reste à faire.

Non.

Mais si, il faut!

Ça vient comme ça, tout naturellement.

Pas penser d'avance. Tu te mets devant le papier et puis ça vient. Autrement on se fait mal à la tête.

Bon, j'écoute, lis ce que tu as apporté.

Ce n'est pas au point

Ça ne fait rien.

Rien que de l’entendre, je le mets au point.

!?

Tu n'y crois pas, toi, mais moi j'en suis sûre!

Au fond, les mots, ça sert seulement à mettre les gens en contact avec quelque chose d'autre, une connaissance ou une lumière ou une force ou... n'importe, une action. Alors, pourvu qu'on fasse entrer l’un dans l’autre,1 c'est tout ce qu'il faut.

Si tu savais... tu ne peux pas t'imaginer à quel point les gens sont bêtes! Et ils mettent dans ce qu'ils lisent, ou dans ce qu'ils entendent, exactement ce qu'ils veulent, ce qu'ils ont dans la tête – excepté quand on a le pouvoir de casser ça, alors quelque chose vient: ça prend n'importe quel mot, ça ne fait rien.

C'est ça que j'essaye de mettre en entendant ton livre.

Alors va, maintenant, j'écoute.


Après la lecture

Il n'y a qu'une chose... je ne sais pas... c'est quand tu dis que Sri Aurobindo a «succombé» le 5 décembre 1950. Il n'a pas «succombé». Ce n'est pas qu'il ne pouvait pas faire autrement. Ce n'est pas la difficulté du travail qui l’a fait partir, c'est quelque chose d'autre. Naturellement, dans ton livre, on ne peut pas parler, il est impossible de le dire, pour le moment, mais je voudrais que tu emploies un autre mot. Veux-tu reprendre ta phrase?

J'ai dit: «Sri Aurobindo a succombé à ce travail le 5 décembre 1950.»

Il n'a pas succombé.

Il faut employer un autre mot que «succomber». Vraiment c'était son choix que ce soit fait autrement, parce qu'il considérait que le résultat serait beaucoup plus rapide. Mais c'est toute une explication qui ne regarde personne, pour le moment. Mais on ne peut pas dire qu'il a succombé. Succombé donne l’idée qu'il ne voulait pas, que c'est arrivé comme cela, que c'est un accident – ça ne peut pas être «succombé».

Oui, je comprends.

Tu pourrais simplement dire qu'il a fait le travail jusqu'à ce moment-là... simplement, sans donner aucune raison.

On pourrait dire simplement: «Sri Aurobindo a laissé sa vie le 5 décembre 1950.»

Relis le commencement de ta phrase.

«Le chercheur de transformation doit donc faire face à toutes les difficultés, même à la mort, non pour les vaincre mais pour les changer – on ne peut rien changer sans prendre sur soi. «Tu porteras toutes choses, dit Savitri, pour que toutes choses puissent changer.» Sri Aurobindo a succombé à ce travail...»

Tu ne peux pas mettre «c'est pourquoi», sans donner aucune explication?... C'est pourquoi Sri Aurobindo a quitté son corps. Ça, c'est beaucoup plus puissant. Tu as dit «même la mort», alors dis: «C'est pour cela que Sri Aurobindo a quitté son corps.»

28 décembre 1962

(Le disciple lit à Mère un dernier passage de son manuscrit:)

«l’évolution ne va pas de plus en plus haut, dans plus en plus de ciel, mais de plus en plus profond, et chaque cycle ou chaque cercle évolutif se referme un peu plus bas, un peu plus près du Centre où se rejoindront finalement le Haut et le Bas suprêmes, le ciel et la terre. Le pionnier doit donc nettoyer le terrain intermédiaire, mental, vital et matériel, afin que les deux pôles se rencontrent effectivement. Quand la jonction sera faite, pas seulement mentalement et vitalement, mais matériellement, l’Esprit émergera dans la Matière, dans un être supramental complet et dans un corps supramental.

Et la terre deviendra la demeure manifeste de l’Esprit.1

«Ce nettoyage du terrain intermédiaire est toute l’histoire de Sri Aurobindo et de la Mère.... J'ai drainé, drainé, drainé la boue subconsciente... la lumière supramentale commençait à descendre avant novembre,2 puis la boue s'est levée et tout est arrêté.3 Une fois de plus, Sri Aurobindo vérifiait, non plus individuellement cette fois, mais collectivement, que si l’on tire une lumière un peu forte, toute l’obscurité d'en dessous gémit, violée. Il est curieux de noter que chaque fois que Sri Aurobindo et la Mère ont eu quelque expérience nouvelle marquant un progrès dans la transformation, ce progrès s'est automatiquement traduit dans la conscience des disciples, sans même qu'ils en sachent rien, par une période de difficultés a ccrues, parfois même des révoltes ou des maladies, comme si tout se mettait à grincer. Alors on commence à comprendre le mécanisme. Si l’on soumettait brusquement un pygmée à la simple lumière mentale d'un homme cultivé, nous assisterions probablement à des révolutions souterraines qui traumatiseraient le pauvre bougre et le rendraient fou. Il y a encore trop de forêt vierge en dessous. Le monde est encore plein de forêt vierge, voilà toute l’affaire en deux mots; notre colonisation mentale est une croûte minuscule sur un quaternaire à peine sec.... Et la bataille semble interminable; on «creuse et creuse», disaient les rishis, et plus on creuse, plus le fond semble reculer: «J'ai creusé, creusé... Bien des automnes j'ai peiné nuit et jour, les aurores me vieillissent, l’âge diminue la gloire de nos corps», ainsi se plaignait Lopamoudra, il y a des millénaires, l’épouse du rishi Agastya qui cherchait aussi la transformation... Mais Agastya ne se laisse pas décourager et sa réponse est si magnifiquement caractéristique de ces conquérants qu'étaient les rishis: «Point n'est vain le labeur que les dieux protègent. Allons, goûtons toutes les forces contestantes, conquérons ici-même; en vérité, livrons cette course et cette bataille aux cent têtes.» (Rig-Véda I. 179)

(Mère reste longtemps songeuse)

Alors, nous en avons encore pour une année à «creuser».

Bonne année.









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