L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1966 Vol. 7 1980 Edition   Satprem
French
 PDF    EPUB   

ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. The 'mind of the cells' will find the key at the level of cellular consciousness: the old matter and 'laws' change to reveal 'true matter' and a new species.

L’Agenda de Mère 1966

The Mother symbol
The Mother

Humanity is not the last rung of terrestrial creation. Evolution continues and man will be surpassed. It's up to each one to know whether he wants to participate in the adventure of the new species." This was 1966, the year of the Cultural Revolution in China. A far more profound revolution was taking place in a body which, on behalf of all the little bodies of the earth was seeking the one solution that would change everything: "We are seeking the process that will give the power to undo death.... The mind of the cell is what will find the key." It is the perilous transformation from a human body moves by the laws of the mind to the next body moved by a still nameless law buried in the heart of the cell: "A coagulated vibration, denser than air, extremely homogeneous, of golden luminosity, with a fantastic power of propulsion.... Everything is becoming strange, everything.... The body is no longer dependent on physical laws…" Isn't this the sensation the first vertebrate must have had when it emerged from the watery milieu into another nameless one in which we breathe today? "Each part of the body, at its moment of change, feels the end has come.... All the supports have been taken away.... I have no path to follow!" For what is the path to the next species? "A few have got to open it up." At times, though, the other "milieu" suddenly appears: "An instant marvel.... A state in which time no longer has the same reality, it's very peculiar.... an innumerable present. Another way of living." 80 years earlier, a little girl had undergone her first revolution of matter: "When I was told that everything was made up of "atoms", it caused a sort of revolution in my head: Why. nothing is real, then!" A second revolution takes place at the level of the cellular consciousness: the old matter and its apparent laws change into a new world and a new way of being in the body.

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1966 Editor:   Satprem Vol. 7 1980 Edition
French
 PDF    EPUB   

Mother's Agenda 1966 Conversations with Satprem

  French|  47 tracks
0:00
0:00
Advertising will end in 
skip_previous
play_arrow
pause
skip_next
volume_up
volume_down
volume_off
share
ondemand_video
description
view_headline
NOTHING FOUND!
close
close
close
close
24:41
|
4:53
|
7:18
|
19:03
|
52:59
|
32:23
|
46:04
|
6:35
|
2:48
|
14:15
|
11:35
|
33:51
|
22:48
|
11:00
|
16:19
|
17:21
|
13:26
|
17:38
|
5:59
|
4:52
|
21:43
|
28:51
|
5:33
|
39:48
|
7:04
|
35:20
|
4:27
|
5:29
|
27:24
|
21:09
|
38:34
|
36:39
|
27:46
|
19:52
|
10:58
|
21:35
|
32:15
|
21:29
19:40
|
18:04
|
12:58
|
6:25
|
27:43
|
38:19
|
15:04
|
5:13
|
6:51
|

janvier




8 janvier 1966

(Mère lit une lettre de Sri Aurobindo qu'elle a l’intention de publier dans le «Bulletin» du mois de février:) (traduction)

«La seule création qui ait une place ici est la création supramentale, la descente de la Vérité divine sur la terre, non seulement dans le mental et dans le vital mais dans le corps et dans la Matière. Notre but n'est pas de supprimer toutes les «limites» à l’expansion de l’ego ni de donner libre cours à l’accomplissement des idées du mental humain et de laisser un champ illimité aux désirs de la force vitale égocentrique. Aucun de nous n'est ici pour faire «à sa guise» ou pour créer un monde où nous pourrons enfin faire selon notre bon plaisir; nous sommes ici pour faire ce que veut le Divin et pour créer un monde où la Volonté divine pourra enfin manifester sa vérité sans que celle-ci soit déformée par l’ignorance humaine ou pervertie et dénaturée par le désir vital. Le travail que le sâdhak du yoga supramental doit accomplir n'est pas un travail personnel auquel il puisse fixer ses propres conditions, mais l’œuvre divine qu'il doit accomplir suivant les conditions fixées par le Divin. Ce n'est pas pour nous que nous faisons le yoga, mais pour le Divin. Ce n'est pas notre manifestation personnelle que nous devons rechercher, la manifestation d'un ego individuel libéré de toute limite et de tout lien, mais la manifestation du Divin. De cette manifestation, notre propre libération, notre propre perfection et notre plénitude spirituelles seront un résultat et feront partie, mais non dans un sens égoïste ni dans un but égocentrique et de gain personnel. De plus, cette libération, cette perfection, cette plénitude ne devront pas être poursuivies pour nous-mêmes, mais pour l’amour du Divin.»

Sri Aurobindo

Je trouve cela admirable! Et il faudrait le répéter et répéter et répéter – à soi-même et aux autres, à toutes les minutes.

C'est l’exacte réponse à la condition actuelle.

C'est cela, n'est-ce pas: ça touche le centre même de la difficulté (Mère pince quelque chose de minuscule et de très dur entre ses doigts). Malgré tout, on a beau tout donner, faire un abandon complet, il y a quelque chose (même geste), il y a toujours ça qui est là, derrière.

J'étais tout à fait heureuse de lire cela hier soir. J'ai dit: «Voilà! voilà ce qu'il faut.»

Il faut le publier et le répéter à tout le monde.


(Peu après, le disciple regarde l’amoncellement sur la table de Mère et propose de garder certains papiers avec lui pour diminuer l’entassement.)

Non, ma difficulté n'est pas là, ma difficulté est qu'il y a trop de gens qui touchent à mes papiers. C'est même curieux, c'est presque matériel: je range quelque chose, et si personne n'y touche, je le retrouve; je n'ai pas besoin de chercher: je retrouve la chose imédiatement. Mais même si quelqu'un le prend sans le déranger, l’atmosphère est partie et je ne sais plus comment j'ai arrangé. Et alors, ici, il y a quatre, cinq, six personnes qui touchent à mes papiers – sept. Alors (Mère montre les empilements dans tous les coins): un chaos.

14 janvier 1966

(À la suite d'un voyage de «tourisme» que le disciple a dû entreprendre dans l’Inde pour certaines raisons.)

Tu n'as senti aucune différence?

Quelle différence?

Entre être ici et être à Bangalore?

Oh! pour moi, tout cela était infernal. Tout cela, c'est de l’enfer.

Ah! cela t'a fait cet effet-là?

Oh! oui!

Alors, ça va bien.

Le tourisme, tout cela, c'est de l’enfer. J'ai fait mon travail – pas très bien, mais je l’ai fait

Alors, ça va bien.

Pour te dire toute la vérité, c'est ce que tu m'as dit,1 mais je voulais savoir si tu l’avais senti extérieurement. Presque tout de suite, je l’ai su. Et puis il y avait entre nous un contact différent de celui que nous avons ici et qui exprimait... comment appellerons-nous cela? (riant) un manque d'adaptation.

C'est une faiblesse?

C'était très marqué, très marqué. Et il y avait en toi une intensité (geste poings fermés), le besoin que les choses changent.

Ah, oui! c'est de l’enfer pur. C'est le Mensonge dans tous les détails.

Oui, c'est cela.

C'est faux.

Faux, faux.

(silence)

Il y a eu cette mort subite de Shastri.2 Pour moi, c'était une évidence. C'est assez curieux, on m'avait dit (il y a longtemps) qu'ils devaient se rencontrer en Russie, et quand on me l’a dit, spontanément j'ai répondu: «S'il va là, il meurt» (je n'ai jamais su pourquoi, mais c'était comme cela). Puis je n'y ai plus pensé et cette fois-ci, on m'avait bien dit que la conférence aurait lieu, mais je n'ai pas entendu ou on ne m'a pas dit (je ne sais lequel des deux) que ce serait en Russie, ce qui fait que... Entre-temps, quelqu'un avait rencontré Shastri à propos de mon message3 et il avait répondu que c'était pour lui l’expression de la vérité, mais... «What can I do for that? I am a small man.» [qu'est-ce que je peux faire? je suis un petit homme. Voilà ce qu'il avait dit. Après cela, je me suis tue et quand on m'a annoncé la conférence, j'ai pensé: «Il faut au moins que ce soit le "mieux" qui sorte de là» – je l’ai «chargé» à fond. Mais «chargé» comme si c'était un homme puissant... C'est dangereux!4

Mais je savais le moment où ils étaient en conférence, et tout d'un coup, au milieu de la nuit, j'ai été réveillée en sursaut par quelqu'un qui appelait au secours – c'était lui.

Le lendemain matin de bonne heure, on m'a annoncé qu'il était mort. Cela ne m'a pas fait l’effet d'une «nouvelle»! J'ai dit: «Mais oui! c'est entendu, c'est comme cela.» Et il paraît (après, j'ai su tous les détails – longtemps après, dans le cours de la journée), il paraît que cela a été très dur et que quand les pourparlers se sont terminés par ce qu'il considérait être un succès (c'était évidemment le «mieux» (!) qui pouvait arriver là-bas), il était exultant et tout à fait heureux,5 puis il est rentré chez lui et quelque minutes après, il a ouvert la porte pour appeler un docteur, et en un rien de temps c'était fini. C'est probablement là qu'il a appelé. Mais c'était décidé il y a très longtemps.

Il n'y avait pas de quoi être «exultant»! Ils ont perdu les quelques avantages qu'ils avaient gagné pendant la bataille.

Oui (Mère hoche la tête). Pour eux, c'était ce qu'ils pouvaient concevoir de mieux, paraît-il.

C'est triste, je trouve.

Non, c'est la suite de la même histoire.6

Oui, la suite de la même histoire... Tu sais l’impression que j'ai eue quand j'ai appris la mort de Shastri?... J'ai eu l’impression que c'était un symbole, que c'était la mort du Gnome.7 La mort des Nains. C'était le fond du trou et la fin du Temps des Gnomes. Et que, maintenant, on allait peut-être remonter.

Espérons-le... Pour le moment, tout est en suspens.

Mais c'était nécessaire (la mort de Shastri). Si l’on voulait que quelque chose change, c'était nécessaire.

Sûrement.

Parce que ce n'était pas un méchant homme, n'est-ce pas.

Mais non!

Il était tout petit.

Mais ils ne sont pas méchants, tous ces gens: ils sont nuls.

Oh! il y en a qui sont pervertis. Mais ils sont tout petits.

Oui, nuls.

Ça n'a rien changé à votre voyage, cette histoire?

Oh! des petits détails, on a fermé toutes les boutiques... Mais tu ne crois pas que c'est vraiment le signe d'un changement de direction?

Comment dire?... On l’espère.8

Oui, on l’espère.

Les forces du Mensonge sont à leur paroxysme de résistance, dans un état de violence aiguë – aiguë.

Oui, c'est criant.

Février et mars sont des mois très critiques. En avril (Mère fait un geste de retournement), ça prendra peut-être la vraie direction.

Voilà. Eh bien, je suis contente que tu aies été conscient de ce que tu m'as dit (!)

Oh! cet enfer, j'en ai été conscient à chaque minute.

C'est bon, c'était très bien. Tu étais beaucoup plus proche que d'habitude. Beaucoup plus proche, comme quelque chose qui est physiquement proche.

La proximité était toujours là-haut (geste au-dessus de la tête), dans les directives générales, mais là, c'était une proximité physique et l’impression... eh bien, qu'un certain genre de résistance allait cesser, allait tomber. Alors je me suis dit: «C'est très bien, c'est très nécessaire.» Si le «tourisme» ne t'a pas trop fatigué, ça va bien; c'était le seul inconvénient... (comment dire?) je ne peux pas dire que je «redoutais» parce que je ne redoute rien, mais qui me semblait possible.

Non-non! Dans un ou deux jours, ça ira bien.

C'est bien cela que je voulais.

19 janvier 1966

(Mère copie dans son gros cahier blanc quelques vers de sa traduction de «Savitri».)

...Près de ma plume, il y a un petit disque de la lumière de Sri Aurobindo, qui scintille-scintille... Je vois ça plus que mon écriture. Ce n'est pas plus grand que ça (5 cm), et ça brille, ça brille – de la lumière bleue, de ce bleu argenté qui était le bleu de Sri Aurobindo. Ça brille, ça brille, et ça suit mes doigts.1

Et quand je parle, que je dis des choses qui «viennent», il y a deux disques (je ne sais pas pourquoi). Il n'y en a pas un, il y en a deux, et ils sont plus gros: comme ça (environ 10 cm), l’un au-dessus de l’autre. Quand je raconte une expérience, par exemple, ou que je réponds à une question, il y en a deux, un peu plus gros.

Et quand je me concentre sur quelqu'un en appelant le Seigneur, alors généralement, à côté de l’épaule (geste entre la tête et l’épaule de la personne), il y a une grande lumière dorée comme cela, qui scintille-scintille, brille-brille, fort, fort, pendant tout le temps. Et quand la lumière s'en va, la concentration s'en va.

Mais juste maintenant, c'était amusant, c'était tout petit comme ça; ça suivait ma plume. Maintenant c'est fini, parti! (Mère rit)

22 janvier 1966

J'ai vu Purani la nuit dernière. C'était la première fois que je le voyais depuis qu'il est sorti de son corps.1 Il y avait d'autres gens aussi. Je l’ai vu dans un monde physique subtil et il était tout bleu clair et rose, et tout était rose autour de lui et lumineux (Mère fait un geste dansant). Il était content, oh! il était content, il disait: «Maintenant, je suis heureux!»

(silence)

Beaucoup de préoccupations?

Non! j'ai vécu ce matin pendant deux heures une sorte d'état béatifique dans lequel, oh! il y avait une conscience si claire que toutes les formes de la vie, dans tous les mondes et à tous les moments, est l’expression d'un choix: on choisit d'être comme cela.

C'est très difficile à mettre en mots... l’espèce d'obligation dans laquelle on croit vivre et à laquelle on se croit soumis avait com-plè-te-ment disparu et c'était une perception tout à fait spontanée et naturelle que la vie sur terre, la vie dans les autres mondes, et tous les genres de vie sur terre, et tous les genres de vie dans les autres mondes, c'est simplement une question de choix: on a choisi d'être comme cela, et on choisit constamment d'être comme ceci ou d'être comme cela, ou qu'il arrive ceci ou qu'il arrive cela; et on choisit aussi de se croire soumis à une Fatalité ou à une Nécessité ou à une Loi qui vous oblige – tout est une question de choix. Et il y avait un sentiment de légèreté, de liberté (même geste dansant), et alors un de ces sourires à toutes choses! Et en même temps, cela donne un pouvoir formidable. Tout sentiment d'obligation, de nécessité (et de fatalité encore plus) avait com-plè-te-ment disparu. Toutes les maladies, tous les événements, tous les drames, tout cela: disparu. Et cette réalité concrète et si brutale de la vie physique: complètement partie.

Et ce qui est intéressant, c'est que cette expérience a pris naissance à l’occasion de ma rencontre avec Purani cette nuit. J'ai rencontré Purani dans un certain monde et il était dans un certain état, comme celui que je viens de dire, et alors la différence entre le Purani tel qu'il était ici et le Purani tel qu'il est maintenant-tout d'un coup, ça a été comme une clef. Je lui ai parlé, il m'a parlé, il m'a dit: «Oh! maintenant je suis si content, si content!» Et c'était cet état que j'ai vécu pendant plus d'une heure et demie ce matin. Après, je suis obligée de revenir... à un état qui me paraît artificiel, mais qui est obligatoire à cause des autres, par le contact des autres et des choses et l’innombrable quantité de choses à faire. Mais tout de même, à l’arrière-plan, l’expérience reste. Et il vous reste une espèce de sourire amusé pour toutes les complications de la vie – l’état où l’on se trouve a été le fait d'un choix, et individuellement la liberté de choix est là, et les gens l’ont oublié. C'est cela qui est si intéressant!

Et j'ai vu, en même temps, tout le tableau des connaissances humaines (parce que quand ces états sont là, toutes les réalisations humaines, toutes les connaissances humaines viennent comme un panorama en face de l’état nouveau et sont remises en place – toujours-toujours quand une expérience vient, elle est comme rétrospective), et je voyais toutes les théories, toutes les croyances, toutes les idées philosophiques, comment elles se rattachaient au nouvel état... oh! c'était amusant.

Et cela ne nécessite pas un repos; ces expériences-là sont tellement concrètes et spontanées et réelles (elles ne sont pas l’effet d'une volonté et encore moins d'un effort) qu'elles ne nécessitent pas un repos: j'étais en train de faire ma toilette. J'ai pris tout mon petit déjeuner dans cet état, c'était charmant; c'est seulement quand ces gens sont venus (et même, j'ai fait la «distribution d'œufs» – je ne sais pas si tu le sais, c'est moi qui mets ton œuf dans ta boîte tous les jours –, j'ai fait ma distribution d'œufs dans cet état-là, j'ai donné les fleurs dans cet état-là), c'est seulement après, quand sont venues les lettres qu'il a fallu écouter et auxquelles il a fallu répondre et toutes sortes de choses (geste comme un tombereau qui se déverse), alors ça s'estompe, ça s'efface. Cela me laisse encore dans un demi-rêve, mais l’expérience est partie: ce n'est plus ça.

Mais ceux qui ont attrapé cette expérience pour une raison quelconque et qui n'avaient pas toute la préparation philosophique et mentale que j'ai eue (les «saints», ou enfin tous les gens qui menaient une vie spirituelle) ont eu alors une impression très aiguë de l’irréalité de la vie et de l’illusion de la vie. Mais c'est seulement une façon étroite de voir. Ce n'est pas ça – ce n'est pas ça, c'est tout qui est un choix! tout-tout. Le choix du Seigneur, mais en nous; pas là (geste là-haut): ici. Et nous ne le savons pas, c'est tout au fond de nous-mêmes. Et quand nous le savons, nous pouvons choisir – nous pouvons choisir notre choix, c'est admirable!

Et justement, quand cet état était là, je disais à mon corps: «Mais tu vois, espèce d'imbécile, pourquoi choisis-tu d'être dramatique? d'avoir mal, d'être ceci, cela?...» Et cette espèce de fatalité et de lien et de dureté de l’existence: tout avait disparu. Tout disparu. C'était bleu clair, rose clair, tout lumineux et clair et... (même geste dansant)... léger.

Je conçois très bien que ce n'est pas une chose absolue; c'était seulement une manière d'être, mais c'est une manière d'être charmante!... D'habitude, ceux qui n'ont pas une préparation intellectuelle suffisante, quand ils ont une expérience comme celle-là, ils croient avoir attrapé «l’unique» vérité. Et alors avec cela, ils dogmatisent. Mais j'ai bien vu que ce n'est pas ça: c'est une manière d'être, mais c'est une manière d'être admirable, n'est-ce pas! infiniment supérieure à celle que nous avons ici. Et nous pouvons l’avoir ici: je l’ai eue. Je l’ai eue d'une façon tout à fait concrète. Et il y a toujours quelque chose qui ne va pas (mal ici ou mal là, ou ça ou ça, et puis des circonstances qui ne vont pas aussi, il y a toujours des difficultés), tout cela... ça change de couleur. Et ça devient léger, n'est-ce pas, léger – léger, souple. Toute la dureté et la rigidité: parties.

Et le sentiment aussi que si vous choisissez d'être comme cela, vous pouvez continuer à être comme cela. Et c'est vrai. Ce sont toutes les mauvaises habitudes – évidemment des habitudes millénaires sur la terre –, toutes les mauvaises habitudes qui vous empêchent; mais il n'y a aucune raison que ça ne puisse pas être un état permanent. Parce que ça change tout! tout change!... N'est-ce pas, je me lavais les dents, je me lavais les yeux, je faisais les choses les plus matérielles: elles changeaient de nature! Et il y avait une vibration, une vibration consciente dans l’œil qui se lavait, dans la brosse à dents, dans... Tout cela, tout cela était différent. Et il est évident que si l’on devient le maître de cet état-là, on peut changer toutes les circonstances autour de soi.

Ces temps derniers (depuis assez longtemps), il y avait cette même difficulté du corps, qui n'est pas limité et enfermé dans une coque comme c'est le cas généralement et qui reçoit librement... pas même avec le sentiment de «recevoir»: qui A les vibrations de tout ce qui l’entoure; et alors, quand tout ce qui l’entoure est, au point de vue mental ou moral, fermé, incompréhensif, c'est un peu difficile, c'est-à-dire que ce sont des éléments qui viennent et qu'il faut transformer. C'est une espèce d'ensemble – d'ensemble très multiple et très instable – qui représente votre champ de conscience et d'action et sur lequel il faut travailler tout le temps pour rétablir une harmonie (un minimum d'harmonie), et quand quelque chose va «mal» selon l’idée ordinaire, autour de vous, ça rend le travail un peu difficile. C'est à la fois ténu et persistant et obstiné. Je me souviens que la nuit dernière quand je me suis étendue sur le lit, il y avait dans le corps une aspiration à l’Harmonie, à la Lumière, à une sorte de paix souriante; le corps aspirait surtout à une harmonie à cause de toutes ces choses qui grincent et grattent. Et probablement l’expérience a été le résultat de cette aspiration: je suis allée là et j'ai rencontré un Purani rose et bleu clair (!) – un bleu! le joli, très joli bleu clair de Sri Aurobindo.

Seulement, j'ai remarqué que dans la vie de ce corps, je n'ai jamais eu deux fois la même expérience – je peux avoir le même genre d'expérience à un degré supérieur ou à un degré beaucoup plus vaste, mais jamais identiquement le même. Et je ne garde pas l’expérience: je suis tout le temps, tout le temps (geste en avant), tout le temps en route; n'est-ce pas, le travail de transformation de la conscience est tellement rapide, doit se faire tellement vite, que l’on n'a pas le temps de jouir ou de s'appesantir sur une expérience ou d'en avoir une satisfaction de longue durée, c'est impossible. Ça vient fort, très fort, ça change tout, et puis il y a quelque chose d'autre qui vient. C'est la même chose pour la transformation des cellules: il y a toutes sortes de petits désordres qui viennent, mais qui sont visiblement, pour la conscience, des désordres de transformation, et alors on se préoccupe de ce point-là, on veut rétablir l’ordre; en même temps, il y a quelque chose qui sait pertinemment que le désordre est venu pour faire le passage du fonctionnement automatique ordinaire au fonctionnement conscient sous la Direction directe et l’Influence directe du Suprême. Et le corps le sait lui-même (tout de même, ce n'est pas amusant d'avoir mal ici ou d'avoir mal là, ou ceci, cela qui se désorganise, mais il SAIT). Et quand ce point-là est arrivé à un certain degré de transformation, on passe à un autre point, puis on passe à un autre, puis à un autre; alors rien n'est fait, aucun travail n'est fait définitivement jusqu'à ce que... tout soit prêt. Alors il faut recommencer le même travail, mais à un échelon supérieur, ou plus vaste, ou avec plus d'intensité ou plus de détail (cela dépend des cas) jusqu'à ce que TOUT soit amené à un point homogène et prêt d'une façon analogue.

Selon ce que je vois, cela va aussi vite que ça peut aller. Mais cela prend beaucoup de temps. Et tout est une question de changer l’habitude. Toute l’habitude automatique des millénaires doit être changée en une action consciente et directement guidée par la Conscience suprême.

On a tendance à dire que c'est beaucoup plus long et beaucoup plus difficile parce que l’on est entouré de gens et que l’on agit dans le monde, mais si l’on n'était pas dans ces conditions-là, beaucoup de choses seraient oubliées, beaucoup. Beaucoup de choses ne seraient pas faites. Il y a toutes sortes de vibrations qui ne sont pas en affinité avec cet agrégat-là (l’agrégat cellulaire de Mère) et qui n'auraient jamais eu l’occasion de toucher la Force transformatrice si je n'étais pas en rapport avec tous les gens.

Il est de toute évidence – il est de toute évidence – que l’on est mis dans les conditions les meilleures et avec le maximum de possibilités pour l’action... quand sincèrement on le veut.


Puis Mère passe à la traduction de Savitri:

Each in its hour eternal claimed went by
Ideals, systems, sciences, poems, crafts
Tireless there perished and again recurred,
Sought restlessly by some creative Power.
But all were dreams crossing an empty vast.2

(X.IV.642)

Tout cela, c'est la même chose!

C'est amusant. Sûrement, il a eu des expériences analogues (à celles de Mère) quand il écrivait ces lignes.

26 janvier 1966

(À propos de la dernière conversation: Purani bleu et rose.)

(Moqueuse) C'est dommage que l’on ne puisse pas faire des images de ces choses, parce que Purani avait des tas d'admirateurs et de disciples, en Amérique beaucoup, et alors si je pouvais leur envoyer l’image de Purani tel que je l’ai vu, bleu et rose (riant), ce serait charmant!

(long silence)

En ce moment, c'est une démolition systématique de toutes les idées préconçues, les préjugés, les habitudes, tous les points de vue – social, moral, hygiénique, santé –, «ça» prend tout, une chose après l’autre, et puis ça démolit avec une ironie!

Cette nuit, c'était à propos des mesures «hygiéniques» concernant la nourriture, et c'était une démonstration si comique de l’ignorance des précautions que l’on prend et de toutes sortes de préjugés que l’on a... avec des scènes et des images qui feraient des pièces comiques de théâtre impayables! oh!...

Il s'agissait de «crevettes» à manger (!) et cela m'a fait souvenir comme on est en Europe; on n'est pas du tout comme ici, talonné par l’idée de l’infection possible de la nourriture que l’on mange: en Europe, on voit un fruit, on le prend, on le mange. Les crevettes, je me souviens d'en avoir acheté à la devanture d'une grande épicerie, mais c'était sur le trottoir, enfin dehors – jamais on n'y pensait. Et il ne vous arrive rien!... C'était de très bonne heure ce matin, et c'était d'un comique! comme les bouffonneries les plus amusantes – qui donc écrivait des bouffonneries comme cela? (Mère cherche le nom en vain) je ne me souviens plus... Tu sais, les noms viennent en tangente, puis tous les sons équivalents viennent de l’autre côté. J'ai cherché le nom, quelque chose est passé en tangente, et de l’autre côté, comme une plaisanterie, est venu «cartilage»! (Mère rit) Comment s'appelle-t-il donc, ce «moderne» qui a écrit des bouffonneries, mais très bien?

Courteline.

(Mère rit) Cartilage!

Il s'agissait de ces grandes crevettes qu'on appelle ici des «chevrettes»: elles sont grosse comme des écrevisses. C'était quelqu'un (un disciple ici) qui est mort depuis assez longtemps et qui était venu m'apporter des chevrettes, c'est-à-dire que je l’avais rencontré dans les chambres du dessous... Il y a des chambres qui sont reproduites quelque part, dans une sorte de subconscient, mais le subconscient justement qui est à transformer, à arranger, etc., et il existe une sorte de reproduction des chambres qui sont en dessous ici (sous la chambre de Mère), mais pas pareilles (pourtant avec la même disposition), et là, il y a une certaine catégorie d'activités qui se passent; c'est là qu'une fois nous étions ensemble, je te l’ai dit: tu voulais clarifier les idées des gens (!). C'est dans le même endroit. Ce n'est pas physique ici, c'est dans le subconscient. Et alors, il y avait ce grand bonhomme qui a gardé le Samâdhi pendant longtemps, Haradhan, qui était là, et quand il m'a vu arriver, il m'a dit: «J'ai apporté quelque chose pour vous.» Et dans une espèce de chiffon bleu foncé, il avait enfermé deux grandes chevrettes, et il m'a donné ça! Elles étaient toutes cuites, prêtes à manger. Le chiffon ne me plaisait pas beaucoup! Alors j'ai pensé: «Comment faire pour rendre ça un peu plus propre avant de le manger?» (Riant) Tu sais, c'est la farce – la farce pour vous faire comprendre... votre stupidité. J'ai commencé par enlever la... (comment appelle-t-on cela?) Ce n'est pas «peau»... Tiens, là aussi le mot n'est pas venu, mais en tangente est venu «cuirasse»! (riant) cuirasse et cartilage!... Enfin... J'ai enlevé ça, et dès que je l’ai eu enlevé, je me suis dit: «Espèce d'idiote! maintenant c'est encore plus exposé qu'avant!» Et je cherchais comment faire, et j'ai couru dans un coin (à la place du laboratoire de Pavitra), j'ai trouvé un robinet et j'ai mis ma chevrette sous un robinet. IMédiatement, quelqu'un m'a dit (pas «quelqu'un»: la voix intérieure m'a dit – riant): «Ton eau est plus sale que le chiffon!» Alors la conscience est venue avec la lumière, et on m'a montré avec une vision si claire la relativité des mesures que l’on prend, qui sont toutes des idées préconçues et ne sont fondées sur aucune connaissance vraie. Et finalement il m'a dit (riant): «Mange donc, c'est ce que tu as de mieux à faire!» Et j'ai mangé ma chevrette, c'était très bon!

Tu sais, on pourrait faire une farce. Et les images! d'une bouffonnerie!...

Il y en a beaucoup comme cela. Et chacune avec une intention... (riant) une intention «éducative», pour montrer l’enfantillage dans lequel on vit.


Puis Mère passe à la traduction de «Savitri»:

Des voix d'ascètes appelaient, des voyants solitaires
Sur le sommet des montagnes ou le bord des fleuves
Sur le sommet des montagnes ou le bord des fleuves
Ou du cœur désolé d'une clairière dans la forêt
Cherchant le repos du ciel ou la paix de l’esprit sans monde
Ou dans un corps immobile comme une statue, figées
Dans une abolition extatique de leur pensée sans sommeil,
Des âmes endormies méditaient – et ceci aussi était un rêve.

(X.IV.642)

(Riant) II est terrible! Il a le talent de tout démolir.

Mais c'est merveilleusement vrai. Cela vous met imédiatement dans l’atmosphère de la relativité de toutes ces conceptions humaines.

Le malheur est que l’être extérieur a de la difficulté à oublier son habitude de considérer les choses matérielles comme vraies, comme réelles, concrètes: «Ça, c'est concret, on touche, on voit, on sent...»

Ça commence à venir.

Je te dis, toutes les nuits, c'est comme cela, quelque chose qui est démoli par le comique, par le ridicule. C'est très intéressant. Oh! il y a eu des choses merveilleuses au point de vue de la moralité, c'était merveilleux! Mais... (Mère pose un doigt sur sa bouche) c'est pour plus tard.

31 janvier 1966

(Nos lettres à Mère ayant disparu, nous ne savons plus de quel «chagrin» il s'agissait ici, probablement de certaines façons d'être de la vie que nous avions du mal à accepter, ou peut-être de notre propre inaptitude à tolérer la vie du monde tel qu'il est et de notre tendance à filer dans les hauteurs, à moins que ce ne soient les abîmes, et nous demandions à Mère si nous ne devrions pas nous mettre à écrire un nouveau livre, «Le Sannyasin», où nous tenterions d'exorciser un certain refus de la vie telle qu'elle est.)

Dis-moi, pourquoi as-tu du chagrin?1

Parce que... si tu t'es aperçu qu'il y avait un progrès à faire, il n'y a plus besoin d'avoir du chagrin. C'est quand on a un progrès à faire et que l’on ne s'en aperçoit pas, qu'il faudrait avoir du chagrin!

J'ai bien regardé, et en effet il est possible qu'en écrivant ce livre, tu te débarrasses de quelque chose qui s'attarde – c'est possible. Mais j'espérais que ça pouvait partir simplement par le mouvement intérieur; mais quand j'ai reçu ton mot hier, j'ai bien regardé et je me suis dit: «Oui, probablement c'est nécessaire.»

Cela a un inconvénient, mais cela aura cet avantage... Je ne parle pas des inconvénients extérieurs, tant pis, il faudra bien que l’on s’arrange.2 Je parle pour toi-même: cela te concentre d'une façon presque hypnotique sur cette partie de ton être qui est... presque emprisonnée dans la forme, dans la forme d'expression, c'est-à-dire «l’auteur», «l’écrivain». Pourtant je sais, c'est très clair, ton être extérieur a été formé en grande partie pour cela, mais d'un point de vue supérieur: plus comme un moyen que comme une fin.

N'est-ce pas, ton livre sur Sri Aurobindo est exceptionnel à tous les points de vue et il a été une espèce de maximum dans l’expression. Il y a eu aussi ce fait que Sri Aurobindo était toujours là quand tu écrivais. Quand c'est venu, j'ai eu l’impression d'un sommet qui ne peut pas être dépassé... C'est pour cela que je ne pensais plus aux autres livres: ma conscience partait de ce livre sur Sri Aurobindo vers quelque chose d'autre, de plus complet. Mais quand j'ai lu ta lettre hier, je me suis dit: «Après tout, il y a peut-être quelque chose, en effet, qui doit être exprimé; peut-être que ce sera le bon moyen de liquider un passé qui s'attarde.»

C'était cela que je voulais te dire.

Si tu dois le faire, il vaut mieux le faire, et le faire avec cette idée-là, avec cette aspiration que tout un état de conscience soit exprimé pour aller dans le passé, pour ne plus rester accroché à ta conscience présente.

Est-ce que cela ne peut pas être un moyen, aussi, de faire descendre une vérité, une force de vérité, d'une autre façon mais comme l’a été le livre sur Sri Aurobindo?

C'est possible. C'est possible, ça... (riant) je te le dirai après!

Il y a seulement deux jours, j'écrivais à quelqu'un (quelqu'un qui est un peu sous l’emprise des idées ascétiques) et j'ai dit à cette personne: «Ces pensées-là – ces pensées et ce genre d'action – appartiennent à la croyance ascétique au point de vue spirituel, mais elle-n'est-plus-vraie.» Et je l’ai dit avec une force terrible: ELLE-N'EST-plus-vraie. Et j'ai vu qu'à un moment donné de l’histoire terrestre, c'était nécessaire pour obtenir un certain résultat, mais maintenant elle N'EST plus vraie. Voilà. Elle a cédé la place à une vérité plus haute et plus totale... À ce point de vue, évidemment, ton livre peut être l’expression de cette nouvelle force.

C'est possible, ce n'est pas du tout impossible.

C'est tout un monde de pensée et d'existence spirituelles auquel je voudrais donner sa plus parfaite expression, en même temps que je voudrais le démolir – pas «démolir» mais montrer que c'est seulement un côté, une partie.

Oui, c'est cela.

(silence)

J'ai senti aussi qu'il y avait autre chose à écrire, c'était de reprendre tout ton Agenda, comme je l’ai fait pour Sri Aurobindo (cela m'est venu plusieurs fois, très clairement), de reprendre tout ton Agenda depuis le début, et puis... Tu sais qu'avant d'écrire ce livre sur Sri Aurobindo, j'ai pris toutes ses œuvres pour les relire et pendant que je lisais, c'était comme s'il m'était dit: «Ce passage... ce passage... ce passage...» Je relevais toutes sortes de passages. Et après, quand j'ai écrit, automatiquement tous ces passages choisis sont venus se mêler à ce qui me venait. Et j'ai eu la même impression pour tous ces Agenda: il faudrait qu'un jour je le relise complètement dans cette même conscience et que je prenne un certain nombre de passages qui, après, se cristalliseraient dans un livre.

Oui, mais pas encore – pas encore.3

Pas encore, oui, je sens bien que ce n'est pas pour maintenant.

Ce n'est pas pour maintenant. Ce n'est pas maintenant, c'est plus tard.

Non, pour moi, si tu écris ce livre, nous verrons, parce que cela dépend si... Si cette Vérité descend, eh bien, elle descendra, et alors automatiquement tu l’exprimeras. Ça, on peut aspirer à ce qu'il en soit ainsi. Mais on ne peut pas dire avant que ce ne soit.

En tout cas, ce qui est tout à fait sûr, c'est que ce livre peut servir pour toi comme d'un échelon pour t'élever au-dessus d'un passé et pour surmonter certaines difficultés dans ta nature. Et alors, à ce point de vue, naturellement j'adhère imédiatement.

Alors il n'y a plus de problème du tout, il n'y a qu'à faire.

On dirait qu'il reste un doute dans ta conscience?

Même avec ce doute, il n'y avait pas d'hésitation; je voulais te dire: «Fais-le.»

C'est plutôt une question d'ordre subtil: savoir si, vraiment, la «chose» est là, dans les mondes intérieurs ou supérieurs, et que je dois la faire, ou bien si c'est une décision de mon «ego d'écrivain» qui veut écrire.

La chose est là... (comment expliquer?)

La chose est là sous son ancienne forme.4 Que tu aies des choses à dire ne fait pas l’ombre d'un doute, et que tu en diras ne fait pas l’ombre d'un doute; mais c'est resté sous cette forme à cause de... justement certaine difficulté dont tu te plaignais dans ta lettre, qui se prolonge. Et alors c'est pour liquider en même temps un certain état de conscience et, oui, une certaine difficulté. Ta conscience vraie, n'est-ce pas, la conscience de ton être véritable est dans une ascension très rapide; il y a quelque chose en toi qui ne s'en aperçoit pas et qui s'attarde, et c'est cela qui te crée un malaise, et il est évident qu'écrire est un bon moyen (probablement le meilleur moyen) de le liquider: on le jette en dehors de soi en l’exprimant, et puis c'est fini, liquidé. C'est la FORME, tu comprends, c'est seulement la forme; c'est toujours la même chose: l’essence et l’esprit, et puis la forme; tu es en train de monter en flèche, et tu ne le sais pas parce qu'il y a quelque chose qui reste comme cela, dur, serré, et c'est seulement une forme. Eh bien, il vaut mieux s'en débarrasser; c'est le moyen le plus naturel pour toi d'extérioriser la forme, l’état de conscience et la difficulté, tout ensemble, en même temps que tu écris le livre.

J'en suis sûre parce que j'ai passé une grande partie de la nuit à regarder.

Oui, c'est bien, fais-le. Ce sera certainement un livre très intéressant, excellent et qui sera utile pour beaucoup de gens, mais enfin ce n'est pas... À notre point de vue, c'est secondaire.

Et maintenant, n'est-ce pas, tu es étiqueté, en tout cas en France, en Allemagne et aux États-Unis et ici comme «l’auteur du livre sur Sri Aurobindo»: ce sera un nouveau livre de «l’auteur du livre sur Sri Aurobindo». Par conséquent tu auras un public. Tout cela, pour moi, ce sont des choses secondaires. Mais elles n'en sont pas moins vraies.

Mais ce qui m'intéresse... La seule chose que j'aie à dire pour défendre le métier d'écrivain, c'est que, pour moi, écrire est comme un mantra: c'est incarner une vibration de vérité.

Oui.

C'est la fonction vraie.

Oui, oui.

S'il n'y a pas «ça», cela ne m'intéresse pas.

C'est certainement ça.

Mais il y a une chose... Même en tant qu'écrivain (toi, dans ta forme actuelle et en tant qu'écrivain), cette chose que tu veux attirer sur la terre et exprimer, tu peux l’exprimer de beaucoup de manières différentes en tant qu’écrivain: sous beaucoup de formes différentes. Nous sommes maintenant occupés par une forme spéciale, que tu avais conçue; eh bien, ce qui fait que cette forme est utile, c'est que, pour moi (c'est peut-être un peu vulgaire ce que je vais dire), cela peut servir comme une pioche, tu comprends, pour extirper les choses que tu veux rejeter de ta conscience: une certaine manière d'être de ta conscience qui s'en va dans le passé. Et alors, après cela, tu t'élèveras à des expressions d'ordre supérieur.

Et note que si l’on regarde le problème du point de vue terrestre, humain, c'est en plein dans les choses qui peuvent être très utiles à l’humanité; si tu étais «humanitaire», je te dirais: ça ne fait pas l’ombre d'un doute, cela peut être très utile.

Alors je te l’ai dit, j'ai vu cela soigneusement la nuit dernière, et je suis arrivée à cette conclusion: il faut le faire. Voilà, c'est tout.

Mais sans chagrin – sans chagrin.5

Découvrir les obstacles, les défaillances, les résistances dans son propre être, dans sa propre conscience, ce n'est pas une défaite, c'est une grande victoire. Et il ne faut pas se lamenter, il faut se réjouir.

C'est plein de défaillances!

Oui! (Mère rit) Oui, je le sais bien, nous sommes tous pleins de défaillances.

Je ne sais même pas vivre!

Ça, c'est vrai! (Mère rit) C'est bien pour cela que tà difficulté persiste, autrement elle devrait être partie depuis longtemps. Cela devrait être parti. Ça partira, mais... ça a un certain droit à s'attarder qui est donné par... oui, une certaine attitude de ta conscience vis-à-vis de la vie. Justement, cela fait partie des choses que j'ai vues.

Ah! que tout un passé soit dissous, rejeté en dehors – exprimé et rejeté: «Fini, maintenant fini, je n'ai plus rien à voir avec vous: je vous ai donné naissance.»

Note que c'est très bon, très utile pour beaucoup de gens qui manquent de cette conscience-là.6 Il n'y a rien qui soit inutile dans le monde, mais il faut que les choses soient à leur place. Quand, soi, on s'attarde à une conscience qui doit être surpassée, cela devient une défaillance – il n'y a qu'à ne pas s'attarder! il n'y a qu'à rejeter ça et puis s'en servir comme d'un tremplin pour sauter plus haut, voilà tout. C'est comme cela que je vois ça. C'est comme cela que je vois toutes les incapacités, toutes les défaillances, toutes les failures [échecs], je les vois comme cela: «Bon, c'est un tremplin, poff! nous allons sauter: maintenant nous dépasserons cela.»

Quand on fait le travail que je fais et que l’on est en rapport avec les petites réactions du corps physique, de la conscience la plus matérielle... ce serait absolument décourageant et écœurant pour n'importe qui ayant un idéal. Mais ça... c'est comme ça, c'est comme ça, il faut que ça change – nous sommes là pour que ça devienne autrement. Et tant que nous n'en sommes pas conscients, cela ne changera jamais. Par conséquent, il faut se réjouir quand on en est conscient, voilà.

Toutes les découvertes sont toujours des grâces – des grâces merveilleuses. Quand on découvre que l’on ne peut rien faire, quand on découvre que l’on est un imbécile, quand on découvre que l’on n'a aucune capacité, quand on découvre que l’on est si petit et mesquin et stupide, eh bien... «Oh! Seigneur, comme je Te remercie, comme Tu es bon de me montrer tout ça!» Et puis, c'est fini. Parce que de la minute où on le découvre, on dit: «Ça, maintenant c'est Ton affaire. Tu vas faire le nécessaire pour que tout ça change.» Et le plus beau de l’affaire, c'est que ça change! Ça change. Quand on fait comme ça (geste d'offrande vers le Haut) sincèrement: «Oh! prends-le, prends-le, prends-le, débarrasse-moi, laisse-moi... n'être plus que Toi.»

C'est merveilleux.

Voilà.

février




11 février 1966

(Mère poursuit sa traduction de «Savitri»: la vision du plan où demeurent toutes les formations du mental humain.) All things the past has made and slain were there...

Tout ce que le passé avait produit et détruit était là...1

Comme les vestiges perdus d'une lumière oubliée,
Devant son mental fuyaient d'une aile traînante
Des révélations pâlies et des paroles de délivrance
Vidées de leur mission et de leur puissance salvatrice,
Messages de dieux évangélistes
Voix de prophètes, Écritures de croyances qui s'éteignent...

C'est très intéressant, je suis toutes ces expériences de Savitri. l’expérience de ces différentes joies, je l’avais avec étonnement ces jours-ci; je me disais: «C'est curieux, pourquoi me fait-on voir la joie dans toutes ces choses: la joie de détruire, la joie de créer, la joie de peiner et de vaincre, et tout cela?» J'étais très étonnée, et puis...

Justement la nuit dernière pendant un certain temps, je devais être en train de me promener dans toutes les constructions humaines, mais de qualité supérieure, pas les constructions ordinaires (ce dont Sri Aurobindo parle là: les constructions philosophiques, religieuses, spirituelles...). Et c'était symbolisé par d'immenses bâtiments – immenses – qui étaient tellement hauts... comme si les hommes étaient hauts comme le bord de ce tabouret, tout petits, par rapport à ces immenses choses: immenses-immenses-immenses. Et je me promenais là-dedans, et chacun arrivait (je voyais arriver tantôt l’un, tantôt l’autre), chacun arrivait en disant: «J'ai le vrai chemin.» Alors j'allais avec lui jusqu'à une porte qui était ouverte et à travers laquelle on voyait un immense paysage, et juste quand on arrivait à la porte, elle se fermait!

C'était vraiment très intéressant. Et avec toutes sortes de détails différents, chacun avec ses habitudes... Maintenant, j'ai oublié les détails, mais quand je suis sortie de là cette nuit, au milieu de la nuit, j'étais vraiment amusée, je me disais: «C'est vraiment amusant!» N'est-ce pas, quand ils parlaient, on voyait à travers une porte des immensités devant soi, la pleine lumière, c'était superbe; et alors j'allais avec cette personne vers la porte et... la porte était fermée. C'était vraiment intéressant.

C'était si grand, si grand, si haut – on était tout petits.

Et il y en avait, il y en avait... Et il y avait des gens, il y avait toujours de nouvelles personnes: tantôt des hommes, tantôt des femmes, tantôt des jeunes, tantôt des vieux, et de tous les pays possibles. Ça a duré très longtemps.

Et je me souviens qu'à l’un d'eux, j'ai dit: «Oui, tout cela est très bien, mais ce n'est pas de la vraie nourriture, ça vous laisse affamé.» Alors il y en avait un qui était... je ne sais de quel pays il était: il avait une robe foncée, il avait des cheveux noirs, une figure un peu ronde (c'était peut-être un Chinois, je ne sais pas, je ne me souviens plus), il m'a dit: «Oh! pas avec moi! goûte-moi ça», et il m'a donné quelque chose à manger – c'était absolument épatant! oh! c'était excellent. Alors je l’ai regardé, puis j'ai dit: «Oh! tu es habile... Montre-moi, montre-moi ton chemin.» Il m'a dit: «Je n'ai pas de chemin.»

Enfin des détails... Si je notais tout cela au milieu de la nuit, ce serait très amusant. Vraiment, c'était amusant. Et cela correspond à ce qu'on vient de lire dans Savitri.

Oui, il était assis confortablement devant un pilier (un pilier dont on ne voyait pas la fin; il montait si haut que l’on ne voyait pas la fin) et il m'a dit: «Oh! moi, je n'ai pas de chemin» (Mère rit). Et ce qu'il donnait à manger était très bon! Je me souviens d'avoir croqué ça, je mordais ça, et ça avait un goût merveilleux.

Qui est-ce que ça peut être?... Je ne sais pas. Ce devaient être tous des gens connus.

Et c'était assez étrange: j'étais toujours un petit peu plus grande qu'eux tous, et quand je bougeais, je me mouvais avec une rapidité beaucoup plus grande que la leur, et j'arrivais aux portes, juste j'allais passer... quand eux arrivent et la porte se ferme!

Très amusant. Je pourrais écrire des volumes avec tout cela!

Mais je ne comprenais pas cette nuit, je me disais: «Pourquoi vais-je me promener dans des endroits comme cela?» Maintenant je comprends!

16 février 1966

À propos de la mère du disciple:

...Ce n'est pas un miracle que tu sois le fils de ta mère: c'est naturel (!) Cela veut dire beaucoup de choses... Cela veut dire un bon atavisme. Cela veut dire que le passage pour venir n'a pas multiplié les difficultés, au contraire.

Moi, j'ai choisi mes parents (riant, ne va pas répéter ce que je dis!), j'ai choisi mes parents pour avoir une base physique solide, parce que je savais que le travail que j'avais à faire était «très-très difficile» et il fallait une base solide. J'ai réussi à ce point de vue. Mais alors il y avait des difficultés... Cela ne fait rien, parce que, au point de vue physique, c'était bien. Mais toi, ce n'est pas seulement cela: c'est psychiquement, tu comprends – psychiquement, elle est ta maman aussi. Alors c'est très bien.

19 février 1966

(À la suite d'un Entretien du 9 avril 1951 où Mère parlait d'abord de la dégénérescence du goût, puis de la guerre et de ce que serait une nouvelle guerre:)

«Maintenant, pour vous dire la vérité, on est en train de remonter la courbe. Vraiment, je crois que l’on est descendu jusqu'au fond de l’incohérence, de l’absurdité, du vilain – du goût du vilain et du laid, du malpropre, de l’outrageant On a été, je crois, jusqu'au fond... Si c'est pris de la bonne manière (et je pense qu'il y a des gens qui l’ont pris de la bonne manière), cela peut vous mener tout droit au Yoga, tout droit C'est-à-dire que l’on sent une sorte de si profond détachement pour toutes les choses de ce monde, un si grand besoin de trouver quelque chose d'autre, un besoin impérieux de trouver quelque chose qui soit vraiment beau, vraiment frais, vraiment bon... alors, tout naturellement, cela vous conduit à une aspiration spirituelle. Et ces horreurs ont comme divisé les gens: il y avait une minorité qui était prête et qui est montée très haut; il y a une majorité qui n'était pas prête et qui est descendue très bas. Ceux-là se vautrent dans la boue actuellement, et c'est pour cela que, pour le moment, on n'en sort pas; et si cela continue, nous irons vers une nouvelle guerre et cette fois ce sera vraiment la fin de cette civilisation – je ne dis pas la fin du monde, parce que rien ne peut être la fin du monde, mais la fin de cette civilisation, c'est-à-dire qu'il faudra en construire une autre. Vous me direz peut-être que ce sera très bien, car cette civilisation est à son déclin, elle est en train de pourrir; mais enfin, il y avait des choses très belles en elle, qui méritaient d'être conservées, et ce serait très dommage si tout cela disparaissait. Mais s'il y a une nouvelle guerre, je peux vous dire que tout cela disparaîtra. Car les hommes sont des créatures très intelligentes et ils ont trouvé le moyen de tout détruire, et ils s'en serviront parce que, à quoi sert de dépenser des milliards pour trouver certaines bombes, si l’on ne doit pas s'en servir? À quoi sert de découvrir que l’on peut détruire une ville en quelques minutes, si ce n'est pour la détruire! – On veut voir les fruits de ses efforts! S'il y a une guerre, c'est ce qui arrivera.»

...C'est bien approprié. Nous le publierons dans le prochain «Bulletin».


(Puis Mère passe à «Savitri», le début du nouveau colloque avec la Mort:)

Encore une fois s'éleva la grande Voix destructrice;
À travers le vain labeur des mondes
Le pouvoir désintégrant de son énorme négation
Talonnait la marche ignorante du Temps douloureux.

(X.IV.643)

La marche ignorante du Temps douloureux... C'est bien cela, nous sommes de pauvres bougres.

C'est exactement l’état d'esprit dans lequel je suis depuis deux jours, mais plus spécialement ce matin... Oh! c'est très intéressant comme expérience.

l’activité spontanée de la Matière est défaitiste («the all-defeating might»). Il faut qu'elle fasse son surrender [sa soumission], qu'elle s'annule pour qu'une puissance créatrice – vraiment créatrice et victorieuse – puisse se manifester. C'est tout à fait intéressant.

Théon disait que cet état défaitiste (dont la mort est le résultat), cette puissance destructrice était née avec l’infusion du Vital dans la Matière. Le roc, les pierres, c'est-à-dire ce qui est le plus exclusivement matériel, n'est pas défaitiste. Le commencement de la destruction est venu avec le commencement de l’entrée de la force vitale: avec l’eau – l’eau, l’air, tout ce qui bouge. Tout ce qui commence à bouger apporte le pouvoir de destruction.

Et dans la matière humaine, ce pouvoir destructeur est associé au mouvement.

(silence)

C'est-à-dire que sur la terre (pour se limiter à la terre), c'est seulement avec la Vie qu'est entrée la Mort.

(silence)

Et certainement, les premières manifestations de la Vie étaient l’eau et l’air, le vent, non?

Le feu... Mais le feu, il n'y a pas de feu sans air – le feu, c'est le symbole de la Puissance suprême.

(long silence Mère griffonne quelques mots)

Tiens, voilà la réponse:

«La Vérité ne dépend
d'aucune forme extérieure
et elle se manifestera en dépit
de toutes les mauvaises volontés et de toutes les oppositions.»

J'ai écrit cela en réponse à ce monsieur (la Mort). C'est venu avec une puissance: «Ah! tu vas voir.»

Mais je voudrais savoir ce que dit Savitri. Que dit Savitri?...

Nous n'avons plus le temps, on verra cela la prochaine fois.

Que lui dit-elle? – Elle lui dit toujours la même chose, je crois: la toute-puissance de l’Amour.

Là, on sent la Force. Autrement ce ne serait pas la peine de vivre – ça ne vaut vraiment pas la peine, ce n'est pas amusant.

23 février 1966

(À propos de l’Entretien du 14 avril 1951 où Mère raconte l’histoire de ces deux jeunes gens accidentés qui s'étaient servis du support vital d'un chat pour avertir Mère de leur mort)

Charles de F! C'est cela, je me souviens, c'était le fils d'un ambassadeur de France (en Autriche, je crois). Il était sous-lieutenant. Il était sorti avec sa compagnie à l’assaut d'une tranchée, et ils sont tous morts. C'était un massacre.

Mais il y a une suite à l’histoire... Il est venu après. Quand il s'est reformé, il est venu; il est resté près de moi et il m'a dit: «Je viens, parce que c'était mon désir et mon intention d'aller en Inde avec vous, et je veux l’accomplir.» Et il est venu avec moi; quand je suis partie pour l’Inde, il est venu avec moi (la seconde fois). Et longtemps après mon retour – longtemps après, quand Pavitra est venu ici –, une nuit, tout d'un coup je vois F et Pavitra qui s'embrassent! Comme cela. Et puis F est entré en lui. Et ce qui est intéressant, c'est que Pavitra n'aimait pas du tout la poésie et s'intéressait très peu à l’art, et après que ce garçon se soit uni à lui, il a commencé à avoir une compréhension toute spéciale de la poésie et il s'intéressait à l’art! Il a senti vraiment un changement en lui (je ne le lui avais pas dit).

J'ai vu plusieurs cas comme cela, mais là si clair! si clair, si précis. Et sans collaboration de la pensée active – je n'y pensais pas du tout: une nuit, je les vois comme cela, Pavitra sorti de son corps et celui-là qui quittait... (il était toujours en repos dans mon aura), il a quitté mon aura, ils se sont embrassés, et puis l’un est entré en l’autre.1

Il était tout jeune, il avait vingt-et-un ans. C'était la première guerre, la guerre des tranchées.

l’autre aussi2 était poète, mais c'était le fils de très braves gens (je crois que c'étaient de tout petits bourgeois ou même des paysans, des gens de la campagne), de très braves gens qui avaient fait un effort considérable pour envoyer leur fils faire des études à Paris. C'était un très bon élève. Un garçon du même âge: à peu près vingt, vingt-et-un ans. Un assez bon poète, intelligent, et il s'intéressait surtout à l’occultisme. Mais lui, n'était pas formé intérieurement; il n'y avait que sa conscience vitale qui s'est emparée du chat.

Mais c'est curieux, les yeux du chat changeaient tout à fait d'apparence.

26 février 1966

Après la traduction de «Savitri» (le dialogue avec la Mort).

Behold the figures of this symbol realm....
Here thou canst trace the outcome Nature gives
To the sin of being and the error in things
And the desire that compels to live
And man's incurable malady of hope.1

(X.IV.643)

Mais elle te répondra!... Je voudrais bien savoir ce qu'elle va lui dire.

(silence)

Si l’on suit jusqu'au bout l’idée avec laquelle Sri Aurobindo a écrit cela, la Mort serait le principe qui a créé le Mensonge dans le monde... Évidemment, c'est ou le Mensonge qui a créé la Mort ou la Mort qui a créé le Mensonge.

C'est plutôt le Mensonge qui a créé la Mort!

Oui, logiquement.

D'après l’histoire (si l’on peut dire que c'est une histoire) que Théon a racontée, c'était le Mensonge qui a créé la Mort. Mais d'après ce que l’on vient de lire, ce serait la Mort qui a créé le Mensonge... Évidemment, ce ne doit être ni l’un ni l’autre! Ce doit être quelque chose d'autre qu'il faudrait trouver.

(silence)

l’idée de Théon (qui correspond aussi à l’enseignement ici dans l’Inde où l’on dit que c'est la séparation qui a créé tout le Désordre – la Mort, le Mensonge et tout le reste), c'était que ces quatre premiers Émanés, c'est-à-dire la Conscience, l’Amour, la Vie et la Vérité (l’Amour est le dernier, je crois, mais je ne me souviens plus de ce qu'il disait), ces quatre êtres Émanés individuels, selon lui, dans la pleine conscience de leur pouvoir et de leur existence, se sont coupés de leur Origine. C'est-à-dire qu'ils ne voulaient dépendre que d'eux-mêmes, ils ne sentaient même pas la nécessité de garder la connexion avec leur Origine (je dis cela d'une façon tout à fait matérielle). Et alors, c'est cette coupure qui a fait que, imédiatement, la Conscience est devenue Inconscience, l’Amour est devenu Douleur (ce n'était pas l’Amour: vraiment, c'est l’Ananda qui est devenu Douleur), la Vie est devenue Mort et la Vérité est devenue Mensonge. Et ils se sont précipités dans la création comme cela. Alors, il y a eu une seconde création, qui était la création des dieux, pour réparer les méfaits de ces quatre-là (l’histoire est racontée d'une façon presque enfantine pour que ce ne soit pas abstrait, pour que cela devienne concret). Les dieux sont la seconde émanation et ils sont venus pour réparer. Dans l’Inde et partout, on leur a donné des noms et des fonctions diverses et ils sont dans cette région du Surmental, c'est-à-dire au-dessus du quaternaire physique, du quaternaire matériel. Et la fonction des dieux est de réparer ce que les autres ont abîmé. Et le domaine où les autres (les premiers Émanés) se sont concentrés, c'est le domaine vital.

Tout cela, on peut le traduire philosophiquement, intellectuellement, etc. C'est raconté comme une histoire pour que la mentalité la plus physique puisse comprendre. Mais dans le principe, c'est la séparation de l’Origine qui a créé tout le Désordre. Et ma foi, dans l’Inde aussi, je crois, les Oupanishads disent la même chose; en tout cas, Sri Aurobindo dit que le Désordre est venu avec le sens de la Séparation. Donc, ce sont des façons différentes de raconter la même chose. Dans un cas, vu d'une certaine façon, c'est une séparation volontaire; dans l’autre cas, c'est une conséquence inévitable – conséquence inévitable de... de quoi? Je ne sais pas.

Parce que, selon les théogonies, les dieux sont restés en rapport avec leur Origine et ils se sentent être la représentation de l’Origine; comme dans la théogonie indienne où ils disent que Shiva est le représentant du Suprême – Brahma, créateur; Vishnou, conservateur; Shiva, transformateur –, et tous les trois sont des représentants conscients du Suprême, mais partiels.

Il est de toute évidence que ce sont seulement des manières de dire. Il y a bien des entités et elles existent, mais... c'est une façon de raconter; d'une façon ou d'une autre, c'est la même chose. La métaphysique est aussi une façon de raconter. Et l’une n'est pas plus vraie que l’autre.

(silence)

Mais pour moi, le problème est de trouver... N'est-ce pas, on cherche le processus afin d'avoir le pouvoir de défaire ce qui a été fait.

Quand on demandait à Théon: «Comment se fait-il que ce soit arrivé comme cela (lui, disait que le premier Émané et les trois suivants se sont séparés), pourquoi se sont-ils séparés?» Il répondait très simplement (riant): «Pourquoi le monde est comme il est, dans cet état de désordre? Pourquoi est-ce comme cela?... Ce n'est pas cela qui est intéressant: ce qui est intéressant, c'est d'en faire ce qu'il doit être.» Mais pour moi, après toutes ces années, il y a quelque chose qui voudrait avoir le pouvoir ou la clef: le procédé. Et est-ce qu'il ne faut pas sentir ou vivre ou voir (mais «voir»: voir activement), comment ça a fait comme cela (Mère tord son poignet dans un sens), afin de pouvoir faire comme cela (torsion dans l’autre sens). Voilà.

(silence)

Ce qui est intéressant, c'est que maintenant que ce mental des cellules s'est organisé, il semble repasser avec une rapidité vertigineuse à travers tout le procédé de développement mental humain pour atteindre... justement la clef. Il y a bien le sentiment que l’état dans lequel on est, est une irréalité mensongère, mais il y a une sorte de besoin ou d'aspiration de trouver, non pas un «pourquoi» mental ou moral, rien de ce genre-là, mais un COMMENT – comment ça a été tordu comme cela (Mère tourne son poignet dans un sens) , afin de le redresser (geste en sens inverse).

La sensation pure a l’expérience des deux vibrations (mensongère et vraie, tordue et directe), mais le passage de l’une à l’autre est encore un mystère. C'est un mystère, parce que cela ne s'explique pas: ni comme ça (torsion du côté mensonger) ni comme ça (torsion du côté vrai).

Alors il y a quelque chose qui dit comme Théon: «Apprends à ÊTRE comme cela (du côté vrai) et reste comme cela.» Mais on a l’impression que le «reste comme cela» doit dépendre de savoir pourquoi l’on est comme cela ou comment l’on est comme cela?

Je ne sais pas si je me fais comprendre ....

mars




2 mars 1966

...C'est de plus en plus serré. Je travaille jusqu'à neuf heures et demie du soir à faire les cartes de birthday [d'anniversaire] du lendemain.

J'ai vu un petit épisode «amusant» cette nuit... Je voulais te voir (ou je cherchais à te voir) et tu étais juste dans une chambre à côté – il y avait un bruit infernal! Un bruit de gens qui parlaient-parlaient. Des gens de l’Ashram. C'est curieux, c'est la première fois, dans un rêve, que le bruit me dérange – ça faisait un vacarme là-dedans! J'avais envie de dire: «Mais taisez-vous!»

C'est cela, c'est exactement cela.

Mais je t'ai vu cette nuit, donc tu es bien venu. C'était comme cela.

(Puis Mère s'arrête brusquement et va s'accouder à la fenêtre)

Attends, je ne vois plus clair... (Mère prend son visage entre ses mains et reste quelques instants immobile)... Tu sais, je suis en train de développer d'une façon tout à fait précise, matérielle et détaillée, le pouvoir de guérir. Je ne le fais pas exprès, mais c'est comme cela. Et alors (riant), on me donne l’occasion de faire des essais: des expériences sur mon propre corps – il arrive tout le temps quelque chose. Tout d'un coup, quelque chose arrive et je mets ma main, ou simplement une concentration, un mouvement ou un autre, et tout disparaît – mais matériellement: le pouvoir de guérir. N'est-ce pas, je mets ma main et puis la Force passe. C'est très intéressant. Seulement (riant), je suis le champ d'expérience! C'est moins drôle.


(Peu après, à propos d'un incident sans importance, mais significatif. Mère montre une enveloppe contenant de l’argent et demande au disciple si Elle ne lui a pas déjà donné une enveloppe.1 Effectivement, Mère avait donné une enveloppe bleue au disciple il y a huit jours.)

Je suis tellement pressée quand je fais les choses... Par exemple, quand j'ai fini mon travail du matin, j'arrange l’argent tous les jours avant le déjeuner – le docteur est arrivé, P est arrivé, l’heure du déjeuner est passée, tout le monde est à attendre, le caissier est là aussi à attendre son argent. Tout le monde, accroché. Et alors, au lieu de pouvoir faire le travail avec ma conscience, la conscience est prise par tous ces gens qui... «Il est l’heure, il est l’heure... il est tard, il est tard...», alors je fais automatiquement les choses, et je ne sais plus ce que je fais – tout ce que je fais automatiquement, je ne m'en souviens jamais. Et pour toi, je ne savais plus si j'avais donné l’enveloppe ou non, parce que je l’ai fait dans cette condition. Mais tout d'un coup, au moment où je préparais cette nouvelle enveloppe (cette fois-ci, je l’ai fait consciemment), j'ai vu mon geste te donnant une petite enveloppe bleue, grande comme cela, et je me suis souvenue du sourire avec lequel tu l’as prise. Ces deux choses étaient très claires dans ma conscience. Alors je me suis dit: «Je dois l’avoir donnée!»

C'est comme cela, je me souviens de ma main avec l’enveloppe et puis de ton sourire.


(Le disciple passe à la lecture d'un ancien Entretien, du 17 avril 1951. Arrivé au passage concernant le perfectionnement de l’instrument physique: «Le perfectionnement physique ne prouve pas du tout, pas le moins du monde, que l’on ait fait un pas de plus vers la spiritualité. Le perfectionnement physique signifie que l’instrument dont se servira la force – une force quelconque – sera un instrument suffisamment perfectionné pour être remarquablement expressif. Mais le point important, le point essentiel, c'est la force qui se servira de l’instrument et c'est là qu'il faudra choisir...» Mère fait la remarque suivante:)

Je me souviens exactement du moment où j'ai dit cela – de la place, de l’heure, du son, de tout – parce que, à ce moment-là, tout d'un coup, j'ai eu l’impression d'une Volonté divine qui se manifestait. Je me souviens d'avoir dit à ce moment-là: «Ah! il faudrait que chaque fois ce soit comme cela.» Et maintenant, c'est revenu. Quelle date était-ce?

17 avril 1951.


À la fin de l’entrevue, Mère reste longtemps en contemplation, puis prend les mains du disciple.

...Tout, de la lumière bleue de Sri Aurobindo.

Il est tout proche, tout proche, tout proche, il te remplit complètement.

Si vaste... si immobile, et en même temps extraordinairement vibrant – une vibration si puissante et une immobilité parfaite.

4 mars 1966

(Mère reprend ses commentaires sur les Aphorismes de Sri Aurobindo.)

115 – Le monde est une fraction périodique qui se répète indéfiniment, avec le Brahman pour nombre entier. La période semble commencer et finir, mais la fraction est éternelle: elle n'aura jamais de fin et n'a jamais eu vraiment de commencement.

116 – Dire que les choses commencent et finissent est une convention de notre expérience; dans leur existence vraie, ces termes n'ont pas de réalité: il n'y a ni fin ni commencement.

La semaine dernière encore, il y a eu tout un développement de cette expérience.

Au fond, c'est la même chose pour les mondes que pour les individus et pour les univers que pour les mondes. C'est seulement la durée qui diffère: un individu, c'est tout petit; un monde, c'est un peu plus grand; et un univers, c'est encore un peu plus grand! Mais ce qui commence finit.1

Pourtant, Sri Aurobindo dit qu'il n'y a «ni commencement ni fin»? que la création et la destruction sont simplement une illusion de la conscience extérieure.

Nous sommes obligés d'employer des mots, mais la chose échappe. Ce qui se traduit pour nous par «le Principe éternel», le «Suprême», «Dieu», n'a ni commencement ni fin (nous sommes obligés de dire «c'est», mais ce n'est pas comme cela, parce que c'est au-delà de la Non-Manifestation et de la Manifestation; c'est quelque chose que, dans la Manifestation, on est incapable de comprendre et de percevoir), et c'est Cela qui n'a ni commencement ni fin. Mais constamment et éternellement, Cela se manifeste en quelque chose qui commence et qui finit. Seulement, il y a deux façons de «finir», l’une qui apparaît comme une destruction, une annihilation, et l’autre qui est une transformation; et il semblerait qu'à mesure que la Manifestation se perfectionne, la nécessité de la destruction diminue, jusqu'au moment où elle disparaîtra et sera remplacée par le processus de transformation progressive.

Mais c'est une façon tout à fait humaine et extérieure de dire.

Je suis absolument consciente de l’insuffisance des mots, mais à travers les mots, il faut saisir la Chose... La difficulté pour la pensée humaine, et pour l’expression encore plus, c'est que les mots ont toujours un sens de commencement.

(silence)

J'ai eu la perception de cette manifestation – une manifestation «pulsatile» pourrait-on dire – qui s'épanouit, qui se recroqueville, qui s'épanouit, qui se recroqueville... et il y a un moment où l’épanouissement est tel, la fluidité, la plasticité, la capacité de changement est telle qu'il n'est plus besoin de résorber pour reformer, et ce sera une transformation progressive.2 Théon disait (je crois que je t'en ai déjà parlé) que c'est la septième création universelle: qu'il y a eu six pralaya3 avant et que c'est la septième création, mais que celle-ci pourra se transformer sans se résorber – ce qui n'a évidemment aucune espèce d'importance parce que, dès que l’on a la conscience éternelle, ça peut être comme ceci, ça peut être comme cela, cela n'a aucune importance. C'est pour la conscience humaine limitée qu'il y a cette espèce d'ambition ou de besoin de quelque chose qui ne finisse pas, parce qu'il y a, au-dedans, ce que l’on pourrait appeler «le souvenir de l’éternité» et que ce souvenir de l’éternité aspire à ce que la manifestation participe à cette éternité. Mais si ce sens de l’éternité est actif et présent, on ne se lamente pas – on ne se lamente pas parce que l’on rejette un habit abîmé, n'est-ce pas (on peut être attaché, mais enfin on ne se lamente pas). C'est la même chose: si un univers disparaît, cela veut dire qu'il a rempli sa fonction pleinement, qu'il est arrivé au bout de ses possibilités et qu'un autre doit le remplacer.

J'ai suivi la courbe. Quand on est tout petit dans la conscience et dans le développement, on sent un grand besoin que la terre ne disparaisse pas, qu'elle se perpétue (en se transformant tant que l’on veut, mais que ce soit toujours la terre qui se perpétue). Un peu plus tard, quand on est un peu plus... mûr, on y attache beaucoup moins d'importance. Et quand on est en constante communion avec le sens de l’éternité, cela ne devient plus qu'une question de choix; ce n'est plus un besoin, parce que c'est quelque chose qui n'affecte pas la conscience active. Il y a quelques jours (je ne sais plus quand, mais tout dernièrement), pendant toute une matinée, j'ai vécu cette Conscience et j'ai vu, dans la courbe du développement de l’être, que cette espèce de besoin, qui paraît un besoin intime, de la prolongation de la vie de la terre – la prolongation indéfinie de la vie de la terre –, ce besoin s'objective pour ainsi dire, il n'est plus si intime; c'est comme lorsqu'on regarde un spectacle et que l’on juge s'il doit être comme ceci ou s'il doit être comme cela. C'était intéressant comme changement de point de vue.

C'est comme un artiste, mais un artiste qui se façonnerait lui-même, et qui ferait un essai, deux essais, trois essais, autant d'essais qu'il faut, puis qui arriverait à quelque chose d'assez complet en soi et d'assez réceptif pour pouvoir s'adapter à de nouvelles manifestations, aux besoins des nouvelles manifestations, de telle sorte qu'il ne serait pas nécessaire de tout rentrer pour tout remélanger et tout ressortir. Mais ce n'est plus que cela et, comme je dis, une question de choix. N'est-ce pas, la manifestation est faite pour la joie de l’objectivation (la joie ou l’intérêt, ou... enfin), et quand ce qui a été façonné est assez plastique, assez réceptif, assez souple et assez vaste pour pouvoir constamment être moulé par les nouvelles forces qui se manifestent, il n'est plus besoin de tout défaire pour tout refaire.

La courbe se présentait aussi avec un adage: «Ce qui commence doit finir»... Cela paraît être l’une de ces constructions mentales humaines qui ne sont pas nécessairement vraies.

Mais subjectivement, ce qui est intéressant, c'est que le problème perd de son acuité à mesure qu'on le regarde de plus haut (ou d'un point plus central, pour dire la vérité).

Il semble que ce soit le même – pas «principe» parce que ce n'est pas un principe –, la même loi pour l’individu, pour les mondes et pour les univers.

(long silence)

Dès que l’on essaye d'exprimer (Mère fait un geste de renversement), tout se fausse... Je regardais cette expérience de la relation avec la Conscience et le Tout: cette relation de l’être humain avec le Tout; de la terre (la conscience de la terre) avec le Tout; de la conscience de l’univers manifesté avec le Tout; et de la conscience qui préside à l’univers – à tous les univers – avec le Tout; et ce phénomène inexprimable que chaque point de conscience (un point qui n'occupe pas d'espace), chaque point de conscience est capable de TOUTES les expériences... C'est très difficile à dire.

On pourrait dire que ce sont seulement les limites qui font les différences: les différences de temps, les différences d'espace, les différences de grandeur, les différences de puissance. Ce sont seulement les limites. Et du moment où la conscience sort des limites, sur n'importe quel point de la manifestation et quelle que soit la dimension de cette manifestation (oui, la dimension de cette manifestation est absolument sans importance), sur n'importe quel point de la manifestation, si l’on sort des limites, c'est LA Conscience.

Vu sous cet angle, on pourrait dire que c'est l’acceptation des limites qui a permis la manifestation. La possibilité de la manifestation est venue avec l’acceptation du sens de la limite... C'est impossible à dire. Toujours, dès que l’on se met à parler, on a l’impression de quelque chose qui fait comme cela (même geste de renversement), une sorte de bascule, et puis c'est fini, l’essentiel s'en va. Alors le sens métaphysique vient et dit: «On pourrait dire comme cela, on pourrait dire comme ceci»... Pour faire des phrases: tout point contient la Conscience de l’Infini et de l’Éternité (ce sont des mots, rien que des mots). Mais la possibilité de l’expérience est là. C'est une sorte de recul en dehors de l’espace... On pourrait s'amuser à dire que même la pierre, même... – oh! l’eau certainement, le feu certainement – a le pouvoir de la Conscience: la Conscience (tous les mots qui viennent sont idiots!) originelle, essentielle, primordiale (tout cela ne veut rien dire), éternelle, infinie... Cela ne veut rien dire, cela me fait l’effet de poussières que l’on jette sur un verre pour l’empêcher d'être transparent!... Enfin, conclusion, après avoir vécu cette expérience-là (je l’ai eue ces jours-ci d'une façon répétée, elle restait là souverainement en dépit de tout – travail, activités –, elle présidait à tout): tout attachement à n'importe quelle formule, même celles qui ont remué les peuples pour des âges, me paraît un enfantillage. Et alors ce n'est plus qu'un choix: on choisit que ce soit comme cela ou comme cela ou comme cela; on dit ça ou ça ou ça – amusez-vous, mes enfants... si cela vous amuse.

Mais il est certain (c'est une constatation à l’usage courant), il est certain que le mental humain, pour avoir l’impulsion à agir, a besoin de se construire une demeure – plus ou moins grande, plus ou moins complète, plus ou moins souple, mais il a besoin d'une demeure. Seulement (riant), ce n'est pas cela! ça fausse tout!

Et ce qui est étrange – ce qui est étrange –, c'est qu'extérieurement, on continue à vivre automatiquement selon certains modes de vie (qui n'ont même plus la vertu de vous paraître nécessaires, qui n'ont même plus la force d'être des habitudes) et qui sont acceptés et vécus presque automatiquement avec le sens (une espèce de sentiment, de sensation, mais ce n'est ni sentiment ni sensation, c'est une sorte de perception très subtile) que Quelque chose, de tellement immense que c'est indéfinissable, le veut. Je dis le «veut» ou je dis le «choisit», mais c'est «le veut»; c'est une Volonté qui ne fonctionne pas comme la volonté humaine, mais qui le veut – qui le veut ou qui le voit ou qui le décide. Et dans chaque chose, il y a cette Vibration lumineuse, dorée, imperative... qui est nécessairement toute-puissante. Et cela donne un arrière-fond de bien-être parfait de la Certitude, qui se traduit, un petit peu plus bas dans la conscience, par un sourire bienveillant et amusé.

J'aurais envie de te poser une question. Un peu plus loin, Sri Aurobindo parle des mondes qui n'ont ni commencement ni fin et il dit que leur création et leur destruction sont un «jeu de cache-cache avec notre conscience extérieure»...4

C'est certainement une façon très élégante de dire la même chose que ce que je viens de dire!

Ce que je voulais demander, c'est si, de l’autre côté, le monde matériel continue à être perçu d'une façon claire, ou bien si tout cela s'évapore... autant que de ce côté-ci, l’autre monde semble s'évaporer?

(silence)

Le jeu est intéressant si l’on est conscient des deux côtés.

C'est encore une expérience de ces jours derniers. Il m'est venu d'une façon certaine et absolue (quoique très difficile à exprimer) que cette prétendue «erreur» du monde matériel tel qu'il est, était indispensable pour ce que tu viens de dire; c'est-à-dire que le mode matériel ou la manière matérielle de percevoir, de devenir conscient des choses, ce mode a été gagné par «l’erreur» de cette création et n'aurait pas existé sans elle, et que ce n'est pas quelque chose qui s'évanouira dans la non-existence quand on aura la vraie conscience – c'est quelque chose qui s'ajoute d'une façon spéciale (qui a été perçu, qui a été vécu à ce moment-là dans la Conscience essentielle).

C'était comme une justification de la création qui a rendu possible un certain mode de perception (que l’on pourrait décrire par les mots «précision», «exactitude» dans l’objectivation), qui n'aurait pas pu exister sans cela. Parce que, au moment où cette Conscience – la Conscience parfaite, la Conscience vraie, la Conscience – était là, présente et vécue à l’exclusion de toute autre, il y avait un «quelque chose», comme un mode vibratoire, peut-on dire, un mode vibratoire de précision et d'exactitude objectives, qui n'aurait pas pu exister sans cette forme matérielle de création... N'est-ce pas, il y avait toujours ce grand «Pourquoi» – le grand «Pourquoi comme cela?» «Pourquoi tout cela?» qui a eu pour résultat ce qui se traduit dans la conscience humaine par la souffrance et la misère et l’impuissance, et tout-toutes les horreurs de la conscience ordinaire – pourquoi? pourquoi cela? Et alors, la réponse était ainsi: dans la Conscience vraie, il y a un mode vibratoire de précision, d'exactitude, de netteté dans l’objectivation, qui n'aurait pas pu exister sans cela, qui n'aurait pas eu l’occasion de se manifester. C'est sûr. C'est la réponse – la réponse toute-puissante au «pourquoi».

Il est évident – évident – que ce qui se traduit pour nous par le progrès, par une manifestation progressive, n'est pas seulement une loi de la manifestation matérielle telle que nous la connaissons, mais que c'est le principe même de la Manifestation éternelle. Si l’on veut redescendre au niveau de la pensée terrestre, on peut dire qu'il n'y a pas de manifestation sans progrès. Mais ce que NOUS appelons progrès, ce qui pour notre conscience est «progrès», là-haut, c'est... ce peut être n'importe quoi: une nécessité, tout ce que l’on veut. Il y a une sorte d'absolu que nous ne comprenons pas, un absolu d'être: c'est comme cela parce que c'est comme cela, voilà. Mais pour notre conscience, c'est de plus en plus, de mieux en mieux (et ces mots sont idiots), c'est de plus en plus parfait, de mieux en mieux perçu. C'est le principe même de la manifestation.

Et il y a une expérience, qui est venue d'une façon très fugitive mais suffisamment précise pour permettre de dire (très maladroitement) que – j'allais dire la «saveur» du Non-manifesté –, que le Non-manifesté a une saveur spéciale à cause du manifesté.

Tout cela, ce sont des mots, mais c'est tout ce que nous possédons. Peut-être, un jour, aurons-nous des mots et une langue qui pourront dire ces choses convenablement, c'est possible, mais ce sera toujours une traduction.

Il y a là, un niveau (geste à hauteur de poitrine) où quelque chose joue avec les mots, les images, les phrases, comme cela (geste chatoyant, onduleux): ça fait de jolies images; et cela a un pouvoir de vous mettre en rapport avec «la chose», peut-être plus grand (au moins aussi grand, mais peut-être plus grand) qu'ici (geste au sommet du front), l’expression métaphysique («métaphysique» est une façon de parler). Les images. C'est-à-dire la poésie. Il y a là un accès presque plus direct à cette Vibration inexprimable. Je vois l’expression de Sri Aurobindo dans sa forme poétique, elle a un charme et une simplicité – une simplicité et une douceur et un charme pénétrant – qui vous met en rapport direct beaucoup plus intimement que toutes ces choses de la tête.

Voilà. Alors au fond on n'a rien fait (riant), on a perdu son temps!

(silence)

C'est vraiment intéressant comme toutes ces expériences se produisent. Je me disais ces jours-ci: «Pourquoi cela vient-il comme cela? Quelle est la loi qui préside à l’ordre de ces expériences?» (qui viennent tout d'un coup – je vois, ça vient du dehors: ça ne vient pas du dedans, ça vient comme une vague). Et il y a toujours cette Force dorée, souriante, derrière tout. Même quand cela se traduit physiquement par quelque chose qui n'est pas très agréable, ça sourit toujours, et ça dit: «Allons! ne fais pas de manières.» Mais c'est contagieux, on sourit... N'est-ce pas, pour le corps, dès qu'il y a quelque chose, une vibration à laquelle il n'est pas habitué, le premier contact est un malaise! et il faut qu'on lui dise: «Tiens-toi tranquille, n'aie pas peur, tout ira bien...» C'est drôle, nous sommes de toutes petites choses – toutes pauvres petites choses. Mais il faut rire.

Voilà, mon petit. Et tu es très étroitement associé à ces expériences, même dans ton corps physique, et plusieurs fois ces jours-ci, j'ai eu l’occasion de te dire: «Tu vois, ne t'inquiète pas.»5 Ces choses-là sont vraiment des apparences, que la pensée humaine cristallise et durcit, mais si on les voit avec la fluidité de la vraie conscience, ça vient, ça va, ça passe – et ça peut ne pas laisser de trace, si nous sommes assez souples pour pouvoir nous adapter. C'est comme cela. Être souple et plastique pour pouvoir s'adapter à toutes ces vibrations qui entrent et dérangent le fonctionnement soi-disant «naturel». C'est la stupidité de cette pensée (une pensée subconsciente habituelle)6 quand quelque chose change; c'est cela qui gâte tout.7

9 mars 1966

J'aurais une question à te poser. En fait, c'est la question que je voulais te poser la dernière fois... Quand on est dans cette Conscience éternelle, être avec un corps ou être sans corps ne fait pas beaucoup de différence, mais quand on est soi-disant «mort», je voudrais savoir si la perception du monde matériel reste claire et précise, ou si elle devient aussi vague et imprécise que peut l’être la conscience des autres mondes quand on est de ce côté-ci, dans ce monde-ci? Sri Aurobindo parle d'un jeu de cache-cache, mais le jeu de cache-cache est intéressant si un état d'être ne prive pas de la conscience des autres états?

Hier ou avant-hier, pendant toute la journée, depuis le matin jusqu'au soir, quelque chose disait: «Je suis... je suis ou j'ai la conscience du mort sur la terre.» Je traduis par des mots, mais c'était comme s'il était dit: «C'est comme cela qu'est la conscience d'un mort vis-à-vis de la terre et des choses physiques... Je suis un mort qui vit sur la terre.» Suivant la position de la conscience (parce que la conscience change de position tout le temps), suivant la position de la conscience, c'était: «C'est comme cela que sont les morts vis-à-vis de la terre», puis: «Je suis absolument comme un mort vis-à-vis de la terre», puis: «Je vis comme un mort vit sans la conscience de la terre», puis: «Je suis tout à fait comme un mort qui vit sur la terre...», et ainsi de suite. Et je continuais à parler, à agir, à faire comme d'habitude.

Mais il y a longtemps que c'est comme cela.

Pendant très longtemps, plus de deux ans, je voyais le monde comme cela (mouvement ascendant, d'un degré à un autre surplombant), et maintenant je le vois comme cela (mouvement descendant). Je ne sais pas comment expliquer cela parce que cela n'a rien de mentalisé, et les sensations non mentalisées ont un certain flou qui est difficile à définir. Mais les mots et la pensée étaient à une certaine distance (geste autour de la tête), comme quelque chose qui regarde et qui apprécie, c'est-à-dire qui dit ce que cela voit – quelque chose qui est autour. Et aujourd'hui, deux ou trois fois, c'était extrêmement fort (je veux dire que l’état dominait toute la conscience), une espèce d'impression (ou de sensation ou de perception, mais ce n'est rien de tout cela): je suis un mort qui vit sur la terre.

Comment expliquer cela?

Et alors, par exemple, pour la vision, la précision objective manque (Mère fait le geste de ne pas voir par les yeux) . Je vois à travers et par la conscience. Pour l’audition, j'entends d'une tout autre manière; il y a une sorte de «discrimination» (ce n'est pas «discernement»), quelque chose qui choisit dans la perception, quelque chose qui décide (décide, mais pas arbitrairement: automatiquement) de ce qui est entendu et de ce qui n'est pas entendu, de ce qui est perçu et de ce qui n'est pas perçu. C'est déjà là dans la vision, mais c'est encore plus fort pour l’ouïe: pour certaines choses, on n'entend qu'un ronflement continu; d'autres choses, on les entend très claires, comme du cristal; d'autres sont floues, on entend à moitié. La vue, c'est la même chose: tout est comme derrière un brouillard lumineux (très lumineux, mais un brouillard, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de précision), et puis tout d'un coup, il y a une chose qui est absolument précise et claire, une vision de détail la plus précise. Généralement, la vision est l’expression de la conscience des choses. C'est-à-dire que tout semble de plus en plus subjectif, de moins en moins objectif... Et ce ne sont pas des visions qui s'imposent à la vue ou des bruits qui s'imposent à l’audition: c'est une espèce de mouvement de conscience qui rend certaines choses perceptibles et certaines comme un arrière-plan très imprécis.

La conscience choisit ce qu'elle veut voir.

Il n'y a rien de personnel – rien de personnel. Il y a évidemment l’impression d'un choix et d'une décision, mais il n'y a aucune impression de choix et de décision personnels – d'ailleurs, le «personnel» se réduit à la nécessité de faire intervenir ça (Mère pince la peau de ses mains). Comme pour manger, c'est très bizarre – c'est très bizarre... C'est comme quelqu'un qui assiste à un corps, qui n'est même pas une chose très précise et très définie mais une sorte de conglomérat qui se tient ensemble; et qui assiste à... quelque chose qui se passe! Non, c'est vraiment un état bizarre. Aujourd'hui, depuis le moment où je me suis levée jusqu'à présent, c'était très fort, cela dominait toute la conscience. Et même, il y a des moments où on a l’impression qu'un rien vous ferait perdre le contact (geste de décrochage, comme si le lien avec le corps était rompu), et que c'est seulement si l’on reste bien immobile et bien indifférent – indifférent – que ça peut continuer.

Dans la conscience des gens autour de moi toute la matinée, cela s'est traduit par (tout cela est perçu très clairement), par la pensée: «Oh! Mère est TRÈS fatiguée.» Mais il y a cette espèce d'état d'indifférence non réceptive des vibrations autour qui permet de continuer, autrement on sent que... (même geste de décrochage) quelque chose se dérangerait sérieusement. Une ou deux fois, j'ai dû rentrer au-dedans et m'immobiliser. Et alors ça continue. Et justement, au moment où c'était comme cela, est venu quelque chose qui me disait (mais tout cela sans mots): «Quand Satprem sera là, tu comprendras.» Et alors il y a eu une tranquillité, parce que le moment était... (comment dire?) il était très incertain. Et il y a eu comme une détente: «Tu comprendras quand il sera là, tu auras l’explication.»

Ces expériences sont toujours précédées par une sorte de rapprochement très intime et très intérieur de la Présence Suprême, avec une sorte de suggestion: «Es-tu prête à n'importe quoi?» (c'était avant-hier dans la nuit). Naturellement, j'ai dit: «N'importe quoi.» Et la Présence devient d'une intensité si merveilleuse qu'il y a une sorte de soif de tout l’être que ce soit constamment comme cela. Il n'y a plus que Ça qui existe, il n'y a plus que Ça qui ait une raison d'être. Et là-dedans, vient cette suggestion: «Es-tu prête à n'importe quoi?»

Je parle du corps. Il ne s'agit pas des êtres intérieurs, il s'agit du corps.

Et le corps dit toujours oui, il fait comme cela (geste d'abandon). Pas de choix, pas de préférence, même pas d'aspiration: un abandon total, total. Et alors, il me vient des choses comme celle-là; hier toute la journée, c'était: «Un mort qui vit sur terre.» Avec la perception, pas encore très prononcée mais suffisamment claire, d'une très grande différence dans la manière de vivre avec celle des autres, tous les autres, les gens qui me parlent, les gens avec lesquels je vis. Ce n'est pas encore tranché ni net ni très précis, mais c'est très clair – c'est très clair, c'est très perceptible. C'est une autre manière de vivre.

On aurait tendance à dire que ce n'est pas un gain du point de vue de la conscience, puisque les choses s'estompent Je ne sais pas, est-ce un gain, cette façon d'être?

Ce ne peut être qu'une transition. C'est un mode transitoire.

Au point de vue conscience, c'est un gain formidable! Parce que tous les esclavages, toutes les attaches avec les choses extérieures, tout cela est fini, tout à fait tombé – tout à fait tombé, une liberté absolue. C'est-à-dire qu'il n'y a plus que Ça, le Maître Suprême qui est maître. À ce point de vue, cela ne peut être qu'un gain. C'est une réalisation tellement radicale... Cela paraît être un absolu de liberté, quelque chose que l’on considère comme impossible à réaliser en vivant la vie ordinaire sur la terre.

Cela correspond à l’expérience de liberté absolue que l’on a dans les parties supérieures de l’être quand on ne dépend plus du tout du corps. Mais ce qui est remarquable (j'insiste beaucoup là-dessus), c'est la conscience DU CORPS qui a ces expériences... et c'est un corps qui est encore visiblement ici (!)

Évidemment, il n'y a plus rien de ce qui donne aux êtres humains la «confiance de la vie». Il paraît n'y avoir plus aucun support du monde extérieur; il n'y a plus que... la Volonté suprême. Pour traduire avec les mots ordinaires, eh bien, le corps a l’impression de vivre uniquement parce que le Seigneur suprême veut qu'il vive, autrement il ne pourrait pas vivre.

Oui, mais il me semble qu'un état de perfection devrait tout embrasser, c'est-à-dire que l’on peut être dans l’état suprême sans que cela abolisse l’état matériel.

Mais ça ne l’abolit pas.

Oui, mais tu dis quand même que c'est «loin», que c'est «derrière un voile», que cela n'a plus son exactitude et sa précision.

Ça, c'est une perception purement humaine et superficielle. Je n'ai pas du tout l’impression d'avoir rien perdu, au contraire! J'ai l’impression d'un état très supérieur à celui que j'avais.

Même du point de vue matériel?

Ce que le Seigneur veut est fait – c'est tout; ça commence là et ça finit là.

S'il me disait... Quoi qu'il veuille que le corps fasse, il peut le faire; il ne dépend plus des lois physiques.

Ce qu'il veut voir, il le voit; ce qu'il veut entendre, il l’entend.

Incontestablement.

Et quand Il veut voir ou Il veut entendre matériellement, il voit parfaitement et il entend parfaitement.

Oh! parfaitement. Il y a des moments où la vision est plus précise qu'elle n'a jamais été. Mais c'est fugitif: ça vient et ça passe; parce que, probablement, c'est seulement comme une assurance de ce qui sera. Mais par exemple, la perception de la réalité intérieure des gens (pas de ce qu'ils croient être, ni de ce qu'ils prétendent être, ni de ce qu'ils paraissent être – tout cela disparaît), mais la perception de leur réalité intérieure est infiniment plus précise qu'avant. Je vois une photographie, par exemple, il n'est plus question de voir «à travers» quelque chose: je vois presque uniquement ce qu'EST cette personne. Le «à travers» diminue au point que parfois cela n'existe pas du tout.

Naturellement, si une volonté humaine voulait s'exercer sur ce corps, si une volonté humaine disait: «Il faut que Mère fasse ceci ou il faut que Mère fasse cela, ou il faut qu'elle puisse faire ceci, il faut qu'elle puisse faire...», elle serait complètement déçue, elle dirait: «Elle n'est plus bonne à rien», parce que ça ne lui obéirait plus. Et constamment les êtres humains exercent leur volonté les uns sur les autres, ou l’être humain lui-même reçoit les suggestions et les manifeste comme sa propre volonté, sans s'apercevoir que tout cela, c'est le Mensonge extérieur.

(silence)

Il y a une sorte de certitude dans le corps que si, même pendant l’espace de quelques secondes, je perdais le contact («je» veut dire le corps) perdait le contact avec le Suprême, instantanément il mourrait. Ce n'est plus que le Suprême qui le tient en vie. C'est comme cela. Alors, naturellement, pour la conscience ignorante et stupide des êtres humains, c'est une condition lamentable – pour moi, c'est la condition vraie! Parce que, pour eux, instinctivement, spontanément, d'une façon pour ainsi dire absolue, le signe de la perfection, c'est la puissance de la vie, la vie ordinaire... Eh bien, elle n'existe plus du tout – c'est complètement parti.

Oui, bien des fois, plusieurs fois, le corps a posé la question: «Pourquoi est-ce que je ne sens pas Ta Puissance et Ta Force en moi?» Et la réponse était toujours une réponse souriante (on traduit avec des mots, mais ce n'est pas avec des mots), la réponse est toujours: «Patience-patience, il faut être PRÊT pour que ce soit.»

19 mars 1966

Nous avons passé une partie de la nuit ensemble.

J'avais pensé à te dire quelque chose hier, et maintenant je ne me souviens plus... En fait, je crois que nous l’avons fait cette nuit!

Que s'est-il passé cette nuit?

Oh! il se passe toujours toutes sortes de choses.

C'est toujours sur un plan d'organisation intellectuelle... «Intellectuel», c'est-à-dire que cela ne descend pas plus bas que l’intellectuel: c'est quelque chose qui vient d'en haut et que l’on répand et organise dans l’esprit de la terre, le mental de la terre – c'est là que nous nous rencontrons toujours. «Rencontrons», ce n'est pas exactement cela: c'est une habitude de travail. Je dois y aller très régulièrement, mais quand il y a une nuit avec beaucoup-beaucoup de choses, je ne me souviens pas toujours. Mais cette nuit, il se trouve que je suis devenue consciente à ce moment-là; ça a l’air d'une activité très habituelle.

C'est un endroit (je t'en ai déjà parlé1), un endroit qui est très-très-très vaste et très ouvert et très lumineux, et très tranquille. Et c'est très agréable, c'est un endroit où l’on travaille très bien. Et il n'y a rien, pas de limites – ce n'est pas un ciel, ce n'est pas du tout une terre; je ne peux pas dire qu'il y ait des bâtiments, il n'y a pas de bâtiments, et pourtant on a l’impression que l’on est protégé; et pourtant il n'y a pas de murs. De temps en temps, on voit comme une toute petite barre d'acier brillant (Mère dessine une sorte de cadre qui délimiterait l’endroit) comme de l’argent, de temps en temps; et de temps en temps, on a l’impression qu'il y a des sortes d'armoires que l’on ouvre, des rayons, mais c'est transparent, tout cela est transparent. Il y a des tables, mais c'est transparent; c'est solide puisque l’on peut écrire dessus, mais c'est transparent. On n'est gêné par aucun objet. Mais tout est organisé pour le travail. Et alors tu es là, tu écris souvent; souvent tu rentres et puis nous parlons, nous organisons. Il y a aussi des gens, on leur dit de faire ceci, cela.

Mais je te rencontre là très régulièrement. Seulement, je dois dire qu'avant de me coucher, j'ai pensé que je te verrai aujourd'hui et je me suis demandé si j'aurais quelque chose à te dire, une expérience ou autre chose, et alors, au milieu de la nuit (entre minuit et demie et une heure), je me suis réveillée si l’on peut dire, éveillée là, matériellement, et je me suis souvenue de tout. Je me suis dit: «Tiens-tiens!»

Ce que l’on dit, de quoi l’on parle avec des mots, je ne sais pas. Je n'ai pas l’impression de prononcer des mots, mais on communique très bien: on sait ce que l’on pense; on parle, on se répond; et puis on organise. Et il y avait des gens de différents pays – on arrangeait les choses. Ça a l’air d'être le lieu des directives intellectuelles pour le travail dans les différents pays.

Probablement, il doit te manquer ce que Théon appelait la «substance» de certains plans dans la conscience de ton être, alors en te réveillant tu ne te souviens pas, ça ne passe pas. Mais peut-être te reste-t-il une impression, non?

Oui... C'est très insubstantiel.

Mais ce n'est pas «substantiel». C'est très conscient, mais ce n'est pas substantiel. C'est très conscient, beaucoup plus conscient que la conscience d'ici. C'est une conscience (geste souverain) claire, précise, puissante, avec le sentiment d'une grande maîtrise des choses. Mais ce n'est pas substantiel. C'est probablement ma traduction – traduction dans la conscience physique – qui donne cette impression de... de quoi?... Ce sont comme d'immenses-immenses «salles», c'est tellement haut!... il n'y a pas de plafond, on ne voit pas de plafond; on ne voit pas de parterre, pourtant on marche – on marche, mais on n'a pas l’impression de marcher: on se déplace. Et puis, si l’on veut quelque chose quelque part, c'est comme si l’on ouvrait un tiroir ou une armoire et on trouve, mais il n'y a pas de clefs, il n'y a pas de boutons, on ne voit même pas d'objets.

C'est très conscient, mais pas matériel du tout.

Mais c'est un état d'être dans lequel, en pensée, tu es très souvent. C'est cette intelligence qui domine les circonstances, les événements et qui... on n'a même pas, là, le sentiment de la nécessité de «prévoir» – il n'y a rien à chercher, n'est-ce pas! La connaissance est là, c'est un lieu de connaissance. On a la connaissance des choses comme elles sont et une volonté claire de ce qu'elles doivent être. Mais absolument aucun sentiment de lutte ou d'effort, rien de tout cela.

Ce n'est pas du tout un endroit «émotif». C'est clair, précis, lumineux, très vaste, sans lutte – une infaillibilité remarquable.

Mais il est certain qu'il y a quelque chose de moi qui est là tout le temps: je n'ai pas l’impression de me déplacer pour aller là, c'est... (comment dire?) comme si mon centre d'observation se déplaçait: j'observe mon activité ici ou là, ou là, ou là. Ce n'est pas «moi», il n'y a pas un «centre-moi» qui se déplace, pas du tout. Je dois être là en permanence, travailler là en permanence.

Et il y a comme des estafettes que l’on envoie dans l’atmosphère de la terre porter des ordres ou des inspirations ou des connaissances.

Depuis quelque temps, quand je pense aux circonstances terrestres ou indiennes, j'ai une espèce d'impression répétée d'un calme plat avant une tempête.

(Silence) Mais cet endroit est au-dessus de la tempête – la tempête est tout à fait en bas.

J'ai l’impression que quelque chose est en train de se préparer.

Ça ne va pas trop bien partout dans le monde.

Ce n'est pas le monde qui me soucie, c'est l’Inde.

Oui, je voulais dire que c'est dans l’Inde que cela ne va pas fort.

C'est là, le point névralgique. C'est très triste, ce n'est pas beau.

Ça ne va pas fort.

Et cette pauvre femme [Indira Gandhi], vraiment elle fait ce qu'elle peut avec bonne volonté, une bonne volonté qui tâche de comprendre tous les côtés à la fois.2 Vraiment elle fait ce qu'elle peut. Je la soutiens autant que je peux intérieurement, parce que...3

Les astrologues ont prédit que ces mois-ci, mars et avril, et peut-être mai, vont être des mois horribles de confusion, bataille, révolte, et alors dans le mental (une espèce de mental subconscient), les gens sentent la nécessité d'être en accord avec les astrologues! C'est comme cela, c'est aussi bête que cela. Un esprit d'imitation: «Oh! les astrologues l’ont dit, par conséquent il faut que ce soit.» Voilà.

Et c'est vilain partout.

Il est vrai que le gouvernement, jusqu'à présent, a multiplié les stupidités – d'une stupidité!... Il semble qu'un enfant ayant du bon sens n'aurait pas fait pareilles stupidités. Et naturellement cela crée, même chez ceux qui n'ont pas de mauvaise volonté ni de sentiments de représailles, une tension désagréable: on ne peut plus rien faire, on est lié de tous les côtés! Quoi que l’on fasse, il y a des oppositions partout et des défenses partout. Alors on ne sait plus que faire, personne ne peut plus rien faire.

Ils ont ruiné le pays, ils l’ont affamé.

Mais alors, même cela (je ne sais qui est responsable de cela), ils ont fait une propagande à l’étranger, une propagande du «pauvre bougre qui meurt de faim et qui crie famine», d'une façon tellement, oh! tellement mesquine!... Nous recevons des lettres de partout, de tous les pays (beaucoup de lettres de France), et surtout des écoles, des centres d'éducation, de gens qui disent: «Il paraît que vous mourez de faim, nous sommes tellement épouvantés, que pouvons-nous faire pour vous aider?» On est obligé de leur répondre: «Non, nous ne mourons pas de faim du tout!»

C'est lamentable.

(silence)

Mais vraiment là-haut, on n'est pas pour la casse.

On n'est pas pour la casse?

(Mère fait un geste de dénégation énergique.) C'est une perte de temps.

D'autant plus que les hommes ont préparé de tels moyens de destruction que cela pourrait être des siècles de retard, pas seulement quelques années. Des civilisations entières à reconstruire.

Non, «on» n'est pas pour ça.

C'est le bouillonnement de quelque chose de très obscur, très obscur.

Cela me rappelle la parole du «Seigneur des Nations», le grand Asoura, il m'a dit: «Je sais que mon pouvoir tire à sa fin, mais tu peux être sûre que je détruirai tout ce que je peux avant de disparaître.»

C'est cela, tout à fait cela.

Et malheureusement, on lui en donne l’occasion: c'est une stupidité, c'est une ignorance, c'est une sorte d'aveuglement.

Ce qui est lamentable, c'est surtout la confusion que les hommes font entre le pouvoir et la violence. Cette espèce de sentiment ignorant qui imagine que le pouvoir doit se manifester par la violence.4 La violence, c'est la déformation asourique. Le vrai pouvoir agit dans la paix – une paix comme ça (geste de descente massive) que rien ne peut troubler.

26 mars 1966

(Mère commence par lire un message pour l’ouverture de la saison des sports à l’Ashram:)

«Peut-être serait-il bon de vous rappeler que nous sommes ici pour une œuvre spéciale, un travail qui ne se fait pas ailleurs: nous voulons entrer en contact avec la conscience suprême, la conscience universelle, nous voulons la recevoir et la manifester. Pour cela, il faut avoir une base très solide, et notre base, c'est notre être physique, notre corps. Il faut donc que nous nous préparions un corps solide, bien portant, endurant, habile, agile et fort afin qu'il soit prêt à toute éventualité. Et il n'y a pas de meilleur moyen de préparer le corps que de faire des exercices physiques: les sports, l’athlétisme, la gymnastique et tous les autres jeux sont les meilleurs moyens de développer et de fortifier le corps.

Je vous invite donc à mettre tout votre cœur, toute votre énergie et toute votre volonté dans les épreuves qui commencent aujourd'hui.»


Il y a des choses drôles qui se passent... Par exemple, je prends un papier comme celui que je viens de lire (le message), je vois très bien; alors vient la vieille habitude (ou l’idée ou le souvenir) qu'il faut que je prenne une loupe pour voir – je ne vois plus! Puis j'oublie qu'il s'agit de voir ou de ne pas voir, alors je peux faire mon travail très bien, je ne m'aperçois pas que je vois ni que je ne vois pas! Et pour tout, c'est comme cela.

Pour tout-tout. Pendant quelquefois une heure, je suis ce qui se passe: il y a un petit travail d'observation ténue de ce qui se passe ici (en Mère) et de ce qui se passe dans la pensée d'une ou deux autres personnes ou dans leur conscience, avec toute une observation de détail montrant la différence entre le fait tel qu'il devrait être normalement (qui est simplement quelque chose de direct, un mouvement qui se produit), et puis la complication apportée par la pensée – pas la haute pensée: la pensée physique, c'est-à-dire l’observation et toutes sortes de déductions qui s'accompagnent de souvenirs d'événements semblables et de choses que l’on a entendues ou vues et toutes sortes d'exemples d'événements similaires, d'aléas qui peuvent arriver – un galimatias, mon petit! quelque chose d'effrayant... qui gâte tout et qui complique tout: la moindre chose est compliquée.

J'ai eu, ces jours-ci, des exemples de toutes les complications possibles du monde physique, y compris les hypnotismes, les soi-disant magies noires et tous les phénomènes qui se passent dans le domaine invisible mais juste touchant le physique – comme certaines matérialisations, certaines disparitions (des incidents que j'ai vus, que j'ai été obligée de constater; j'ai été obligée de voir que ce n'était pas de l’imagination mais quelque chose qui s'était réellement passé), mais alors, le secret donné: comment cela peut se passer. C'est très-très intéressant. Comment cela peut se passer, comment le contact de certaines vibrations déformantes rend certaines choses possibles.

Hier soir, après avoir écrit ce message (je l’ai écrit le soir, pas confortablement mais c'était le seul moment où j'avais le temps et la lumière n'était pas très bonne, mais enfin je l’ai fait), après avoir écrit, j'ai senti une forte douleur ici, aux tempes. «Ah! j'ai dit: maintenant, je sais!...» De temps en temps, après avoir entendu beaucoup de gens et écrit surtout beaucoup de cartes de birthday [anniversaire], de réponses à des lettres, il y a une sorte de pesanteur aux tempes, bizarre (et je n'ai jamais eu mal à la tête de ma vie, ce n'est pas mon genre!), je me suis dis: «Qu'est-ce que cette nouvelle décrépitude?!» Et puis je me suis aperçue que ce n'était pas cela: ce sont les yeux. C'est parce que mes yeux, je n'ai pas encore trouvé le secret de m'en servir. Comme je le disais tout à l’heure, il y a des moments où je vois avec une précision extraordinaire: c'est comme si les choses venaient vers moi pour se montrer; c'est tellement clair que le moindre petit détail est perçu. C'est un extrême. l’autre extrême, c'est ce que j'ai dit déjà plusieurs fois: une espèce de voile. Je sais les choses, elles sont dans ma conscience, mais je vois juste assez pour ne pas les cogner ou les renverser; tout-tout est comme derrière un voile; seulement je sais, alors je trouve les choses, ou je ne les cogne pas ou je ne les casse pas, mais ce n'est pas parce que je vois – je vois comme une image derrière un voile. C'est l’autre extrême. Entre les deux, il y a toutes sortes de gradations. Et je suis convaincue que c'est pour me montrer que les yeux sont encore capables de voir exactement – l’instrument est encore très bon –, mais je ne sais pas m'en servir. Je ne sais pas m'en servir parce que, avant, je m'en servais comme tout le monde se sert de ses yeux, de ses mains, de ses pieds, par une sorte d'habitude et d'une façon plus ou moins consciente – j'étais très fière de ma conscience! (riant, on est toujours très fier!) Très fière d'avoir des mains si conscientes; dans le temps, par exemple, il m'arrivait de dire: «Je veux douze paquets de papier», puis je ne m'en occupais plus – ma main va, prend, et il y en a douze. Il y a très-très longtemps que cela m'arrivait, mais cela arrivait PARFOIS: quand j'étais dans l’état voulu, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas cette intrusion d'une volonté arbitraire. Donc, tout cela est un champ d'expérience et d'étude dans de tout petits détails, qui en eux-mêmes sont absolument insignifiants mais qui sont très instructifs. Et c'est tout le temps comme cela, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la nuit, le jour (la nuit, c'est sur d'autres plans), mais tout cela se passe dans le physique, dans un physique plus ou moins subtil.

Ce matin, il s'est passé une histoire très amusante. J'étais en train de me laver les yeux et la bouche; je le fais avant que le jour ne soit levé, par conséquent j'ai de l’électricité. Et dans mon cabinet de toilette, il y a une lampe de secours. C'est l’une des dernières inventions: c'est branché sur le courant et tant que le courant fonctionne, la lampe reste éteinte et il y a une batterie dedans qui se charge; dès que le courant est en panne, la lampe s'allume et la batterie se décharge pour allumer la lampe. C'est très bien fait, on a inventé cela pour les hôpitaux et les endroits où il faut éviter toute panne: instantanément, dès que le courant s'arrête, ça s'allume, et quand le courant revient, ça s'éteint et cela se recharge pour la prochaine fois. On m'a installé cela dans le cabinet de toilette. Et ce matin, pendant que j'étais en train de me laver les dents, poff! ça s'éteint. J'ai continué naturellement, parce que j'avais cette lampe de secours. Mais alors, j'ai étudié. La lumière chez C (et partout) était allumée, il n'y avait qu'ici, ce groupe de chambres. C'était déjà un phénomène bizarre. Alors j'ai «regardé», et pendant que je regardais, je me suis aperçue de quelque chose que je n'avais pas noté tous ces jours-ci: d'une volonté de désorganiser toute ma vie personnelle. Et l’extinction de l’électricité est l’un des moyens occultes connus (je ne sais pas d'ailleurs comment on fait; mais cet homme qui a écrit des livres et qui est venu ici il y a fort longtemps, Brunton, disait que c'était l’un des trucs connus de ceux qui font de l’occultisme: une soudaine extinction de lumière). Il y a beaucoup d'autres trucs comme cela qui sont faits pour désorganiser la vie des gens avec l’idée de leur faire peur ou de leur annoncer des catastrophes (cela m'a toujours paru très enfantin). Mais alors, j'ai vu qu'il y avait (je crois savoir d'où cela vient, ici), une volonté de désorganisation, et j'ai vu le trajet (geste sinueux comme si Mère remontait à la source). Cela avait commencé la nuit dernière au milieu de la nuit: quand je me suis levée vers minuit, j'ai vu une volonté qui voulait me préoccuper d'idées d'argent! et qui insistait: l’idée que tout allait mal, etc. Au milieu de la nuit, j'ai vu cela (je m'occupais d'autres choses, mais j'ai vu cette volonté: des formations), naturellement je leur ai fait le sort qu'elles méritaient. Mais j'ai vu que cela continuait, que cela essayait de déranger les gens, de les rendre incompréhensifs, et puis d'éteindre l’électricité, toutes sortes de stupidités. Ce n'est pas la première fois que cela arrive – ce ne sont pas toujours les mêmes gens parce que, généralement, quand ils ont essayé et qu'ils ont reçu la tape en retour, ils n'essayent pas une deuxième fois, cela leur suffit! Mais il y en a d'autres qui se croient très calés et qui veulent me prouver... (riant) qu'ils ont raison et que j'ai tort – parce que, au fond, c'est toujours cela! Et alors, j'ai passé une demi-heure ce matin, avant que l’on ne me rende l’électricité et que je reprenne mes activités coutumières, une demi-heure à m'amuser énormément, justement à suivre le fil (même geste sinueux remontant à la source), partout où cela faisait du mischief [des méfaits], et puis très gentiment, j'ai «répondu».

Au fond, les gens qui vivent dans la conscience ordinaire savent très-très peu de ce qui se passe physiquement – très peu. Ils croient savoir, mais ils ne savent qu'une toute petite apparence, juste comme... comme une feuille qui enveloppe un paquet; il y a tout le paquet qui est en dessous avec tout ce qu'il contient, mais ce qu'ils voient, c'est seulement une apparence (geste mince comme une feuille de papier à cigarette). Et ils sont tellement habitués qu'ils donnent toujours une explication. J'ai demandé: «Comment se fait-il que ce soit juste cette prise de courant, ici, qui ait lâché?» (Tout était allumé, il y avait seulement celle-là, qui commande ma chambre, qui était arrêtée.) J'ai demandé «pour voir». On m'a dit: «Oh! on ne sait pas, peut-être que le fil était vieux et qu'il a cassé»! (Mère rit) J'ai dit bien.

C'est comme cela. Et c'est très amusant. Pourquoi, tout d'un coup et en même temps, les gens qui ont l’habitude d'être relativement exacts, quelque chose d'inattendu arrive et ils sont terriblement en retard? Et il y a tout le temps des choses qui viennent empêcher que tout aille d'une façon tranquille, harmonieuse, facile. Puis on regarde au-dedans de soi le genre de vibration qu'il y a dans tout cela, et on s'aperçoit qu'il y a ce petit «frétillement»... parce que c'est un frétillement (Mère fait un geste de minuscule trépidation) qui répond à la vibration ordinaire de la conscience ordinaire. La conscience ordinaire vit dans un frétillement continu, c'est effroyable quand on s'en aperçoit! Tant que l’on ne s'en aperçoit pas, c'est tout à fait naturel, mais quand on s'en aperçoit, on se demande comment les gens ne deviennent pas fous, c'est une grâce. C'est une espèce de petite trépidation (même geste minuscule et très rapide), oh! quelle horreur.

Alors si, pour une raison quelconque, il y a une désorganisation (mais la raison, je crois que c'est une raison d'enseignement), il faut la capacité de faire comme cela (Mère abat ses deux mains dans un geste qui immobilise tout) et imédiatement d'arrêter tout cela. Mais il y a longtemps que la capacité était là, il y a longtemps (elle n'était pas toujours utilisée, mais elle était là): le Pouvoir. Et c'est la même chose pour TOUT: les événements mondiaux ou les bouleversements de la Nature ou l’homme, les tremblements de terre et les raz de marée, les éruptions de volcan, les inondations, ou bien les guerres, les révolutions, les gens qui se tuent sans même savoir pourquoi (comme ils le font en ce moment), partout ils sont poussés par quelque chose. Derrière ce «frétillement», il y a la volonté-de-désordre qui veut empêcher que l’Harmonie s'établisse. C'est dans l’individu, c'est dans la collectivité et c'est dans la Nature. Et alors, c'est un enseignement si minutieux, si régulier, qui n'oublie rien et qui répète chaque fois que ce n'est pas totalement compris, qui répète avec un accroissement de détail pour que l’on comprenne mieux... le fonctionnement: le fonctionnement dans les mains, dans l’activité, dans la Force qui passe comme cela (à travers Mère), dans l’usage des vibrations – et qui apprend la Grande Leçon: savoir manifester la Force divine.

C'est absolument merveilleux.

Et si l’on regarde du mauvais côté, c’est1 une tension, c'est comme quelque chose qui ne vous laisse pas une seconde de répit. Et c'est vrai, cela ne vous laisse pas une minute pour vous endormir; parce que dans la conscience ordinaire, dans la vie générale ordinaire, le repos, c'est le tamas. Le repos, c'est retomber dans l’Inertie. Et alors, au lieu d'avoir un repos qui vous profite, c'est un repos qui vous abrutit et vous avez encore un effort à faire pour retrouver la conscience que vous avez perdue. l’immense majorité des gens dorment comme cela. Mais maintenant, c'est une autre leçon: quand je suis étendue pour reposer mon corps et travailler sans bouger (travailler d'une activité qui n'oblige pas le corps à se mouvoir), dès qu'il y a la moindre... pas exactement «chute», mais descente vers l’Inconscient, imédiatement il y a quelque chose qui a un sursaut dans le corps, instantanément. Il y a longtemps, depuis deux ans c'est comme cela, mais maintenant c'est instantané, et cela se produit très rarement – c'est le vrai repos, qui est un élargissement et une immensité de l’être en pleine Lumière. C'est magnifique.

Mais dans la journée, ce sont des leçons perpétuelles, tout le temps, tout le temps, pour toutes choses, tout le temps. Là où la leçon est le moins marqué, c'est quand je dois écrire quelque chose ou que je vois les gens; mais là aussi, la qualité exacte de la vibration des gens (pas la vibration permanente, mais la vibration de la minute dans les gens), la qualité de leur conscience m'est imédiatement donnée par certaines réactions dans mon corps (geste à divers niveaux du corps). Les nerfs ont commencé depuis quelques mois seulement leur travail de «transfert de pouvoir» (ce que j'appelle le transfert de pouvoir, c'est-à-dire qu'au lieu d'être mûs et d'obéir aux forces complexes et organisées de la Nature, du caractère, de la conscience matérielle dans le corps, c'est branché et cela obéit directement à la Volonté divine). C'est le transfert de l’un à l’autre qui est difficile: il y a toute la vieille habitude, et puis la nouvelle habitude à prendre. C'était un moment assez difficile. Mais maintenant, il reste assez de vieilles vibrations pour pouvoir jauger exactement (et cela n'a rien de pensé, cela ne se traduit ni par des mots, ni par des pensées, ni rien de tout cela: juste des vibrations), savoir exactement l’état dans lequel se trouvent les gens qui sont avec vous. À ce point de vue, la leçon continue, c'est très intéressant. Et ce qui est admirable, c'est que le plus souvent, la vibration la plus réceptive, la plus conforme à ce qu'elle doit être, c'est dans les enfants, mais tout petits, les tout petits enfants... Je vois beaucoup de gens, mais je comprends maintenant pourquoi j'en vois beaucoup: j'apprends énormément comme cela, par ce contact (des gens que je ne connais pas, que je vois quelquefois pour la première fois ou que je n'ai pas vus depuis des années). C'est très intéressant.

Mais quand il n'y a personne ou que je suis seule, ou que je ne parle pas, que je ne m'occupe pas des autres, c'est la leçon intérieure: tout le changement de vibration et comment s'organise le monde. Et ce matin vraiment, c'était extraordinairement amusant de voir quelle masse de choses il y a derrière cette apparence, qui semble déjà assez compliquée mais qui n'est rien! qui est mince, ténue, sans complexité, en comparaison de la MASSE de choses qui sont derrière et qui... (geste taraudant) qui broient leur chemin pour arriver à la surface. C'est amusant. Mais certainement, sur cent personnes, quatre-vingt-dix-neuf seraient prises de panique si elles savaient, si elles voyaient. Toujours, cela m'avait été dit (je l’avais lu, et Sri Aurobindo me l’a dit souvent, Théon me l’avait beaucoup dit aussi, Mme Théon aussi): c'est la Grâce qui fait que les gens ne savent pas. Parce que s'ils savaient, ils seraient épouvantés! Tout-tout ce qui est là tout le temps à se mouvoir derrière – derrière les apparences –, toutes les complexités qui sont la cause véritable ou les instruments de tous ces petits événements, qui n'ont pas d'importance du tout pour nous, mais qui font qu'un jour on sent que tout est harmonieux, un autre jour on sent que, pour faire quoi que ce soit, il faut un labeur. Et c'est comme cela. Et alors naturellement, quand on sait, on a la clef. Mais si l’on sait avant d'avoir la clef, c'est... un peu affolant. Je crois que les gens qui perdent la raison, c'est parce qu'ils sont mis en rapport avec les vibrations avant d'avoir la connaissance, la connaissance suffisante, l’état de conscience suffisant.

Voilà, on a perdu tout son temps!

Mais comment se fait le passage? le passage pour se matérialiser? Quel est le secret du passage de ce physique très subtil au physique physique? Comment cela passe d'un côté à l’autre?

Mon petit, je ne sais pas quelle comparaison donner, mais je suis sûre qu'il y a des choses qui, comme ça (Mère tourne son poignet dans un sens) sont invisibles, et qui comme ça (geste dans l’autre sens) sont visibles. J'ai l’impression que ce qui nous paraît une différence considérable entre le tangible, le matériel, et l’invisible ou le fluide, c'est seulement un changement de position. Peut-être un changement de position interne parce que ce n'est pas un changement de position physique, matérielle, mais c'est un changement de position. Parce qu'il m'est arrivé je ne sais combien de fois, des centaines de fois: comme ça (geste dans un sens), tout est ce que l’on appelle «naturel», comme on a l’habitude de le voir, et puis tout d'un coup, comme ça (geste dans l’autre sens), ça change de nature. Et il ne s'est rien produit, excepté quelque chose dedans, quelque chose dans la conscience: un changement de position. Tu te souviens de cet Aphorisme où Sri Aurobindo dit que tout dépend d'un changement de relation dans la conscience du soleil et de la terre?2 Quand je l’avais lu la première fois, je n'avais pas compris, je pensais que c'était quelque chose dans les domaines très subtils, et puis, tout dernièrement, dans l’une de ces expériences, j'ai compris tout d'un coup, j'ai dit: «Non, c'est ça!» Ce n'est pas un déplacement puisque rien ne bouge, pourtant c'est un déplacement, c'est un changement de relation. Un changement de position. Ce n'est pas plus tangible que ça, c'est cela qui est si merveilleux! Tiens, l’autre jour, j'ai encore trouvé une phrase de Sri Aurobindo: «Maintenant tout est différent, et pourtant tout est resté le même» (c'était dans l’une de mes cartes d'anniversaire), j'ai lu cela, je me suis dit: «Tiens, c'est cela que ça veut dire!» C'est vrai, et maintenant tout est différent, et pourtant tout est resté le même. On comprend psychologiquement, mais ce n'est pas psychologique: c'est ICI (Mère touche la matière). Mais tant que l’on n'a pas une base solide... Au point de vue des choses concrètes, physiques, matérielles, je ne pense pas qu'il y ait de gens plus matérialistes que je ne l’étais, avec tout le bon sens pratique et le positivisme; et je comprends maintenant pourquoi c'était comme cela: cela a donné une base d'équilibre à mon corps, merveilleuse. Cela m'a justement empêchée d'avoir ce genre de folie dont nous parlions au début.[^]3 Les explications que je demandais étaient toujours matérielles, je cherchais toujours l’explication matérielle, et cela me paraissait évident, il n'est pas besoin de mystères, rien de tout cela: vous expliquez matériellement. Par conséquent, je suis sûre que ce n'est pas une tendance au rêve mystique en moi, pas du tout, du tout, du tout, ce corps n'avait rien de mystique! rien... Dieu merci!

J'ai vu cela (pas dans ma tête, parce qu'il n'y a pas de limites comme cela pour moi), dans cette espèce de conglomérat, là: l’explication la plus approximative, c'est un «déplacement» – un déplacement, l’angle de perception qui est différent. Et ce n'est pas cela vraiment, les mots sont inexacts, parce que c'est beaucoup plus subtil et en même temps beaucoup plus complet que cela. Il m'est arrivé d'assister plusieurs fois au changement; eh bien, ce changement vous donne, pour la conscience extérieure, l’impression d'un déplacement. Et d'un déplacement sans mouvement, c'est-à-dire que l’on ne change pas de place. Et ce n'est pas ce que l’on serait tenté de penser: une intériorisation et une extériorisation, ce n'est pas du tout cela, pas du tout – c'est un angle de perception qui change. On est dans un certain angle, puis on est dans un autre... J'ai vu des petits objets comme cela pour amuser les enfants: quand ces objets sont dans une certaine position, ils ont l’air compacts et durs et noirs, et puis on les tourne dans un autre sens et ils sont clairs, lumineux, transparents. C'est quelque chose comme cela, mais ce n'est pas cela, c'est une approximation.

Mais si l’on connaît la façon dont le changement s'opère, on peut...

Ah!

... On peut empêcher le passage des mauvaises vibrations?

Moi, je n'ai qu'un moyen (mais je conçois que c'est simplement parce que ma nature est comme cela), je n'ai qu'un moyen, c'est l’abolition de soi, l’idée que seul (pas une «idée»), seul le Suprême existe.

C'est aussi un point intéressant, parce que j'étais athée à tous crins: rien que l’idée de Dieu me rendait furieuse, jusqu'à l’âge de vingt ans. Par conséquent, j'avais la base la plus solide – pas d'imaginations, pas d'atavisme mystique; ma mère était très-très incroyante et mon père aussi; donc au point de vue atavisme, c'était très bien: positivisme, matérialisme. Seulement cela: une volonté de perfection dans n'importe quel domaine, depuis toute petite; une volonté de perfection et le sens d'une conscience sans limites – pas de limites dans ses progrès ni dans son pouvoir ni dans son étendue. Cela, depuis toute petite. Mais mentalement, un refus absolu de croire à un «Dieu»: je ne croyais que ce que je pouvais toucher et voir. Et déjà toute la faculté d'avoir les expériences était là (qui ne se manifestaient pas parce que ce n'était pas le moment). Seulement, le sentiment d'une Lumière ici (geste au-dessus de la tête), ça, tout petit, à cinq ans cela a commencé, et une volonté de perfection. Volonté de perfection: tout ce que je faisais, il fallait que ce soit, oh! toujours aussi bien que je pouvais le faire. Et puis une conscience sans limites. Ces deux choses. Et mon retour au Divin s'est fait par l’enseignement de Théon quand il m'a été dit pour la première fois: «Le Divin est dedans, là» (Mère frappe sa poitrine). Alors tout d'un coup, j'ai senti: «Oui, c'est ça.» Puis j'ai fait tout le travail que l’on enseigne pour Le retrouver; et par là (centre du cœur), je suis allée là (geste de jonction en haut avec le Suprême). Mais extérieurement, mentalement, pas de religion – une horreur des religions.

Et maintenant, je vois que c'était la base la plus solide que l’on pouvait avoir pour cette expérience: il n'y a pas de danger d'imaginations.

J'ai essayé beaucoup de choses, beaucoup, j'ai regardé beaucoup, je n'en vois qu'une qui soit absolue – une seule qui est absolue et qui peut apporter le résultat absolu, c'est cela (geste tourné vers le Haut): l’annulation de tout ça, complète, laisser tout: «À Toi Seigneur – Toi, Toi, à Toi.» Et ce n'est pas un être en forme, ce n'est pas cela; et ce n'est pas une force sans forme, c'est... Ça n'a rien à voir avec la pensée, seulement cela: le contact. Et le contact, un contact qui ne trompe pas, rien ne peut l’imiter, rien-rien n'a le pouvoir de l’imiter. Et pour chaque difficulté, chaque fois, quoi que ce soit, simplement ça: «Tout à Toi Seigneur. Tout pour Toi, à Toi. C'est Toi seul qui peux faire, Toi, Toi seul, Toi seul. Toi seul, Tu es la Vérité; Toi seul, Tu es le Pouvoir.» Et ces mots, ce n'est rien, c'est seulement l’expression très maladroite de quelque chose... une Puissance formidable.

C'est seulement ce que nous y mélangeons d'incapacité, de maladresse, de manque de foi, qui Lui enlève son pouvoir. De la minute où nous sommes vraiment purs, c'est-à-dire seulement sous Son influence, il n'y a pas de limites, pas de limites – rien-rien, il n'y a rien, aucune loi de la Nature qui puisse résister, rien, rien.

Seulement voilà, il faut que le moment soit venu, et qu'il n'y ait plus que Ça – tout le reste abîme, quoi que ce soit, même les choses les plus hautes, les plus belles, les plus pures, les plus nobles, les plus merveilleuses, tout cela, tout abîme. Seulement Ça.4

(Mère ouvre «Savitri»:)

Voilà! Tu ne crois pas que c'est merveilleux!

Mais quand l’heure du Divin approchera5

Mais quand l’heure du Divin approchera...

30 mars 1966

(La conversation suivante est venue en écoutant la traduction anglaise de la Conversation du 4 mars où Mère disait notamment: «Ce n'est plus qu'un choix: on choisit que ce soit comme cela ou comme cela...»)

I had the same experience in the cell-consciousness. It lasted for one hour and there it was truly almost miraculous.

The same Consciousness as this consciousness I had in what you can call the «material mental» (that is, the collective consciousness of the cells), but this morning it was in the cells themselves, this Consciousness (cette Conscience éternelle dont Mère parlait le 4 mars), the same Consciousness. And it was truly miraculous. With the impression that THAT there [in the cells] there is nothing impossible.

It comes, it stays inspite of everything, whatever I do, even if I speak, and it goes. And when it has gone it is gone, I can make an effort, it does not come back. But so long as it is there, it is all-powerful, it dominates everything and... yes, the whole world seems to change. And yet everything is the same. You remember this sentence of Sri Aurobindo: «All was changed and yet everything was the same»? That is exactly that.

Et alors, ce n'est plus qu'un choix: on choisit que ce soit comme cela ou comme cela...

Oui, this same thing, this same experience in the cell-consciousness. What the human being calls «life» and «death», the continuation of this present organization or its cessation, it was absolutely a question of choice (something like a choice – there are some who say «the Divine's Will» or «the Supreme's Will»; it is a way of saying, but it is... it is something which chooses). And there was at the same time the exact... it was more than a feeling, it was a lived knowledge of what is the individual and in what way the Supreme becomes the individual and how it can continue to be the individual or stop to be the individual... Now that the experience is gone, naturally what I say has no meaning, but at that time it was the exact perception: the individual is that (geste) that position taken by the Supreme, and if its choice is to continue it continues.

It becomes quite material, you see, no more mental at all (it is very difficult to express because of that). It becomes a living experience of just what makes the individual and how this individual can remain individual although it is united perfectly, united in perfect consciousness with the Supreme.

It lasted about 15 to 20 minutes in complete stability and I continued doing my normal activities (it was during the time of my toilet – I wash my mouth and gargle) purposely it comes at that time to show that it is absolutely independent from the activity. And it comes more often at that time than when I sit in meditation. When I sit in meditation generally begins a kind of all-around-the-earth activity or even universal activity, it becomes conscious of that, but this body's experiences are not there – to have the body experience you must live in your body! It is why the ancient sages or saints did not know what to do with the body, because they went out of it and sat, and then the body is no more concerned. But when you remain active, then it is the body that has the experience.

That is the secret.

(traduction)

J'ai eu la même expérience dans la conscience des cellules. Cela a duré pendant une heure et là, vraiment, c'était presque miraculeux.

Cette même Conscience (éternelle, dont Mère parlait le 4 mars) que j'ai eue dans ce que l’on peut appeler le «mental matériel», c'est-à-dire dans la conscience collective des cellules, ce matin je l’ai eue dans les cellules mêmes, la même Conscience. Et c'était vraiment miraculeux. Avec l’impression que «Ça», là (dans les cellules), rien n'est impossible.

Ça vient, ça reste en dépit de tout, quoi que je fasse, même si je parle, et puis ça s'en va. Et quand c'est parti, c'est parti: je peux faire tous les efforts, ça ne revient pas. Mais tant que c'est là, c'est tout-puissant, ça domine tout et... oui, le monde entier semble changer. Et pourtant, tout est pareil. Tu te souviens de cette phrase de Sri Aurobindo: «Tout était changé et pourtant tout était pareil»? C'est exactement cela.

Et alors, ce n'est plus qu'un choix: on choisit que ce soit comme cela ou comme cela...

Oui, c'est la même chose, c'est cette même expérience dans la conscience des cellules. Ce que les êtres humains appellent la «vie» ou la «mort» – la continuation de cette organisation présente ou sa cessation –, c'était absolument une question de choix (quelque chose comme un choix; certains disent la «Volonté divine» ou la «Volonté suprême», c'est une façon de dire, mais c'est... c'est quelque chose qui choisit). Et en même temps, il y avait le sentiment exact... (plus qu'un sentiment: c'était une connaissance vécue) de ce qu'est l’individu et de quelle façon le Suprême devient l’individu, et comment Il peut continuer à être l’individu ou cesser d'être l’individu... Maintenant l’expérience est partie naturellement, et ce que je dis ne signifie rien, mais à ce moment-là, c'était la perception exacte: l’individu est cette position prise par le Suprême, et si son choix est de continuer, il continue.

N'est-ce pas, cela devient tout à fait matériel, ce n'est plus du tout mental (c'est très difficile à exprimer à cause de cela). Cela devient l’expérience vivante de ce qui, exactement, fait l’individu et comment cet individu peut rester individuel tout en étant parfaitement uni – uni en parfaite conscience – avec le Suprême.

Cela a duré de quinze à vingt minutes dans une complète stabilité, et je continuais mes activités normales (c'était au moment de ma toilette: je me lave la bouche, je me gargarise); exprès, cela vient à ce moment-là pour montrer que c'est absolument indépendant de l’activité. Et ça vient plus souvent à ce moment-là que quand je m'assois en méditation. Quand je m'assois en méditation, généralement commence une sorte d'activité tout autour de la terre, ou même d'activité universelle; le corps devient conscient de cela, mais ces expériences du corps ne viennent pas – pour avoir l’expérience du corps, il faut vivre dans le corps! C'est pour cela que les anciens sages ou les saints ne savaient pas quoi faire de leur corps, parce qu'ils en sortaient et ils méditaient, et alors le corps n'y est plus pour rien. Mais quand on reste actif, alors c'est le corps qui a l’expérience.

Ça, c'est le secret.

avril




6 avril 1966

Après avoir écouté les lettres et rapports des «secrétaires»:

Si l’on restait un peu tranquille... (en méditation), ça me fera du bien.

Ces gens, on ne peut pas dire exactement qu'ils me fatiguent, mais les cellules sentent une sorte de pression de confusion qui leur fait mal. C'est comme si l’on était pris dans un étau de confusion et ça fait mal. Et c'est tous les jours la même chose. Je leur dis – ils ne le croient pas. Ils croient que c'est du chantage! Et alors... j'ai un petit moment très difficile, très difficile. Après, cela recommence.

(méditation)


(Plus tard, Mère recopie quelques vers de «Savitri» qu'elle vient de traduire et sa main fait une rature.)

Il se passe tout le temps, tout le temps des petites choses tout à fait amusantes. C'est une petite main – une toute petite main – pour s'amuser, qui a pris ma main et qui a écrit. Pour s'amuser! Alors il faut que je sois tout le temps sur mes gardes!... C'était quelqu'un qui riait-riait-riait! C'est si vivant – si vivant, si grouillant de choses – et nous ne voyons rien. Mais je vois. Je ne voyais pas avant, maintenant je vois tout cela (Mère rit). Oh! il y en aurait des choses à dire si l’on avait le temps, des choses très amusantes.

9 avril 1966

(À propos du livre que le disciple est en train d'écrire: «Le Sannyasin».)

Je vois toujours cette vision que j'ai eue.1 C'est curieux, cela a été l’une des visions les plus inattendues dans le sens que je n'avais aucune préparation mentale: j'ai vu tout d'un coup ce Sannyasin, acculé à un mur, avec une sorte d'ouragan qui venait contre lui. C'était un ouragan de bruits, de clameurs... On ne voyait rien; on ne voyait rien que la force des vibrations qui montaient comme un orage, et il était acculé et c'était comme un vent de tempête, et puis il y avait un gouffre en face.

Et ça a tellement frappé quelque chose, ma vision, que chaque fois qu'on dit «Sannyasin», je vois ça. C'est curieux... Adossé contre un mur: là, il y a le ciel; là, il y a un précipice; et là, il y a les clameurs et le vent et l’orage – comme des tourbillons ramassés sur la terre par l’orage. Avec ça et le vent qui souffle la robe et... il se jette dans le vide.

Le dos contre le mur, sur le haut d'une colline. Pas haute montagne: une colline. Sur le haut d'une colline: on voit la pente de la terre qui fait comme cela, le mur du monastère.

Cette vision est encore vivante et claire-claire... Je pourrais presque faire une illustration pour la couverture de ton livre!

C'est très symbolique, d'ailleurs: l’orage de la révolte, n'est-ce pas, la révolte de LA TERRE contre le principe du Sannyasin. C'est très symbolique. Et c'est une image magnifique dans le sens qu'il y a une grande majesté dans l’apparence.

13 avril 1966

(Il est de nouveau question du livre du disciple: «Le Sannyasin».)

Encore ce matin, je me suis levée plus d'une demi-heure en retard à cause de toi!

Pourquoi est-ce difficile comme cela?

(Riant) C'est ce que je ne comprends pas! Cela ne devrait pas. Est-ce que tu n'as pas «l’idée» que ça va être difficile? Cela n'a pas commencé par l’idée que cela allait être difficile.

Si.

Alors, voilà.

Et puis j'ai beaucoup de mal à me débarrasser de la vieille forme.

Oui, oui.

Ça me gêne beaucoup.

Oui, toutes les vieilles habitudes.

J'ai constamment à faire, puis à défaire, parce que je me rends compte que c'est la vieille forme du livre, ce que j'avais vu autrefois.1

Et aussi la vieille manière de travailler, c'est cela.

Je m'en rends compte tout de suite parce que, aussitôt, je sens que c'est «de la littérature».

Oui, c'est cela.

Mais nous nous rencontrons pour ce livre dans un endroit tout à fait nouveau, mon petit, tout à fait nouveau, et puis c'est tellement admirable! C'est un endroit admirable et qui n'a rien des nécessités et des obligations de cette terre ici. C'est si lumineux, si nouveau, et en même temps si précis, si exact. Cette nuit, c'était dans des nuances qui passent d'un certain bleu argenté au gris perle, et ça avait des formes si précises, et en même temps rien de la dureté ni de la trivialité des choses terrestres. Et on travaillait si simplement, sans effort... Je me lève tous les jours à la même heure, à quatre heures et demie; eh bien, c'est la seconde fois (je te l’ai dit l’autre jour), au lieu de quatre heures et demie, il était cinq heures moins dix. Et je venais exactement du même endroit. Et comme c'est l’heure où tu dors, j'ai l’impression que forcément cela doit entrer, non? Quand on est éveillé, ça peut ne pas toucher, mais là... Et puis il y a une partie de toi tout à fait consciente qui est là. Alors, ce qui doit t'empêcher d'être influencé par ça, c'est toute une couche de vieilleries.

Oui, toute la vieille forme du livre est là.

C'est cela.

Ça entrera – «entrer», c'est obligé d'entrer puisque tu es là, dans ce monde-là, et quand tu te réveilles, cette partie-là entre en toi, seulement l’activité ordinaire empêche son influence de se faire sentir. Mais ça se fait doucement; la différence, c'est qu'au lieu d'avoir une révélation, ça se fait doucement comme une influence progressive.

Ça agira.

Il y a une chose aussi, c'est que dans le passage entre les deux consciences, il y a un moment où on a l’impression que l’on est tout à fait idiot – qu'on ne peut plus penser, qu'on ne peut plus rien faire, que l’on n'est plus bon à rien, que l’on n'a pas de contact avec les choses. Là, il y a toujours un passage difficile. Même maintenant, pour le corps, chaque partie, au moment où elle change (ce que j'appelais le «changement de maître»), il y a un passage où ça devient absolument bon à rien, on a l’impression que c'est fini. Les premières fois, on est inquiet; après, on est habitué, on reste tranquille; puis tout d'un coup, la lumière brille.


(Sujata remet à Mère une fleur récemment baptisée: «Pouvoir de guérison matériel».2)

Ça, je voudrais que cela s'installe définitivement. Quand quelqu'un me dit: «J'ai mal ici», je passe ma main comme cela, et c'est parti.

Les mains sentent, elles sentent que c'est possible. Elles sont si conscientes de la Vibration – elles sentent que tout est possible. l’autre jour, E était tombée je ne sais comment, elle s'était abîmée le genou, elle était pleine de bleus et d'écorchures. Et elle avait une robe qui s'arrêtait là (!) alors j'ai vu. J'ai dit: «Qu'est-ce que c'est?» Elle m'a dit: «Je suis tombée.» Et alors cette main (la droite), tout à fait spontanément est allée et a passé sur le genou, comme cela, et je sentais toutes les vibrations au bout de mes doigts: c'est comme des aiguilles – des aiguilles de lumière – et ça vibre-vibre-vibre. Alors j'ai mis la main comme cela, et puis tout d'un coup, elle m'a dit: «Oh!...» Elle était ahurie: toute la douleur était partie.

Mais il y avait des marques, des bleus – ça devrait partir, mais cela prend du temps. Sur moi, ça a un effet presque imédiat, spécialement la main droite.

Mais je voudrais que ce soit une espèce d'absolu. Parce que la décision d'intervenir n'est pas du tout mentale: simplement, tout d'un coup, la main est contrainte de faire, alors elle fait. Eh bien, dans ce cas-là, ce devrait être absolu... Il y a encore l’influence de la pensée des autres et tout cela, quel fatras inutile!


(Peu après, Mère classe une réponse qu'elle vient d'adresser à une disciple.)

C'est une fille qui m'a écrit plusieurs fois (il y en a plusieurs comme cela), qui a un corps bien bâti, qui devrait être tout à fait solide et bien portante, mais elle a un vital émotif et sentimental, et... (avec un peu d'ironie) elles ne sont pas «aimées» comme elles voudraient être aimées. Résultat: l’une a mal à l’estomac, l’autre a mal ailleurs. Finalement, elles m'écrivent pour me dire: «Qu'est-ce qui se passe?» Et l’autre jour, je me suis dit: «Pourquoi est-ce que je ne leur dis pas?» Alors j'ai écrit:

«You feel lonely because you want to be loved. Learn the joy of loving without demand, just for the JOY OF LOVING – the most wonderful joy in the world – and you will never more feel lonely.»3

Ça, mon petit, pour moi, c'est la clef. C'est la clef qui résout tous les problèmes – pour moi. Je ne dis pas que ce sera éternellement comme cela; ce n'est pas la suprême vérité, mais pour mon expérience actuelle, de l’heure actuelle, c'est la clef.4

16 avril 1966

(Mère donne à lire au disciple une note qu'elle a intitulée «Les échelons de l’Amour».)

Ça, le dernier «échelon», c'est la Chose absolument pure. Et la puissance... la puissance créatrice et transformatrice de cette Vibration est inimaginable! Au moment où on la vit, rien n'est impossible. C'est inimaginable.1

«D'abord, on aime seulement quand on est aimé...

C'est l’état habituel des humains. Il faut que la vibration d'amour de quelqu'un vienne éveiller l’amour, autrement on est inerte.

«Ensuite on aime spontanément...

C'est déjà une humanité un peu plus développée. On sent l’amour tout d'un coup; on rencontre quelqu'un ou quelque chose – ah! – et ça vient. Seulement...

«Mais on veut être aimé en échange...

On tient beaucoup à être aimé en échange!

«Puis on aime, même si l’on n'est pas aimé...

Ce sont généralement les gens qui sont arrivés à un état yogui-que assez avancé.

«Mais on tient encore à ce que son amour soit accepté...

Oui, c'est une expérience que j'ai eue personnellement. Il y a un moment où l’on est tout à fait capable d'aimer sans réponse, on est au-dessus de la nécessité d'être aimé, mais on a encore... pas positivement un besoin mais, au moins, que ce soit senti et efficace.

Après, ça fait sourire.

«Finalement, on aime purement et simplement sans autre besoin ni autre joie que ceux d'aimer.»

Ça, vraiment pour moi, selon mon expérience personnelle, c'est la toute-puissance.

C'est une puissance qui peut réaliser n'importe quoi – n'importe quoi. Il n'est rien qui lui soit impossible.

Seulement, j'ai bien observé aussi que si «ça» se manifestait sans discernement, pourrait-on dire, si c'était quelque chose qui venait s'imposer dans l’atmosphère de la terre sans contrôle et sans discernement, ce serait... Tout ce qui nie ce Pouvoir (nie volontairement ou involontairement) serait comme annulé. Alors les conséquences extérieures, apparentes, seraient... trop formidables. C'est ce que Sri Aurobindo avait écrit; il avait dit qu'il fallait que la Connaissance vienne d'abord. Il faut que la Vérité règne d'abord avant que l’Amour puisse se manifester massivement: a wholesale manifestation [une manifestation en grand].

Maintenant, c'est comme filtré. C'est encore filtré.

Mais la qualité vibratoire de «ça» est quelque chose vraiment qui dépasse toute imagination. Les maladies, les difficultés, les... ça n'a pas de réalité.

Constamment, le corps demandait (ce n'est ni un signe, ni une assurance, ni une preuve: c'est tout cela à la fois), il demandait une espèce de sensation (sensation, si l’on peut appeler cela «sentir») que ce soit «le Seigneur qui gouverne» (je le dis en mots enfantins parce que ce sont les plus vrais), que ce soit le Seigneur qui gouverne. Il demandait «ça» tout le temps, comme un enfant peut demander: «ça» dans tous les innombrables riens que l’on fait tout le temps, qui sont l’étoffe même de l’existence du corps. Cela devenait si intense... Tout ce qui est perçu comme séparé de «ça» devient inerte: de la cendre – inerte sans même la puissance de l’inertie: l’inertie de la poussière. Je veux dire que le roc a une puissance dans son existence, une puissance de cohésion, de durée – même pas cela: de la poussière. Et alors, il y avait constamment-constamment cette prière dans le corps. Et c'est cela qui m'a amenée à l’expérience.

Quand «ça», c'est là, c'est comme si tout se gonflait d'une Puissance dorée, lumineuse, rayonnante: ça a un volume d'intensité!... Si ce n'est pas là, tout est poussière.

Alors, naturellement, il y a constamment dans toutes les cellules, l’aspiration, la volonté intense qu'il n'y ait plus que Ça.

Et tout ce qui dément Cela ou le contrecarre, l’affaiblit, l’atténue, devient douloureux. Oui, douloureux – pas douloureux d'une souffrance morale ou psychologique ou matérielle... c'est une chose curieuse, ce n'est pas une douleur physique: c'est une douleur plus matérielle que physique, c'est... une sorte de suffocation.

Le corps a maintenant, vraiment, l’impression (c'est une impression, ce n'est pas une connaissance – ce n'est pas une pensée, ce n'est pas une connaissance: c'est une impression, mais une forte impression) que c'est cela qui tue, cela qui fait mourir, cette espèce de refus de la Vibration – même pas toujours un refus volontaire parce que cela n'a même pas la conscience de la volonté (ça arrive, mais alors c'est la bataille), mais c'est dans la Matière. On se demande s'il n'y a pas un résidu – un résidu de poussière – qui est inapte à toute réceptivité? Je ne sais pas.

Je ne sais pas.

Mais en tout cas, il y a un certain état, qui me paraît être l’état ordinaire dans lequel les êtres humains vivent, c'est suffocant.2

(silence)

Alors j'ai écrit cette note simplement comme cela, sans aucune intention. Puis, dès que cela a été écrit, l’Ordre est venu qu'il fallait la faire paraître. Je me disais: «Bien, ce sera pour le mois d'août.» – «Non, MAINTENANT.» Alors j'ai fait ajouter une feuille au prochain Bulletin.

Pourquoi? Je ne sais pas. Peut-être pour préparer l’atmosphère.


(Mère traduit un vers de «Savitri» sans hésitation, puis commente:)

On lit ici (dans le livre matériel), puis on reste immobile, on ouvre une porte, et puis ça vient.

C'est amusant, je viens de faire cela comme si j'avais été amenée à le faire. D'habitude ici (geste au front), c'est toujours blanc et immobile et c'est là-dessus que cela s'inscrit; mais tout à l’heure, ce n'était pas cela: j'ai lu, c'est venu ici, puis j'ai fait un mouvement en arrière et une porte s'est ouverte, et puis c'était écrit clairement!

20 avril 1966

Ce matin de bonne heure, c'est-à-dire vers quatre heures, on m'avait fait venir «quelque part», et il y avait très longtemps que l’on essayait d'établir des communications très importantes pour relier certaines choses, et on n'y réussissait jamais, c'était toujours une confusion. Alors, cette nuit, on m'a appelée. Je suis arrivée là et il y avait des routes – c'était si gentil! –, des routes (Mère dessine des rubans miniatures) avec des petites bordures d'herbe et des plantes tout du long, et c'était joli! net, il n'y avait rien, pas un désordre nulle part. Trois routes qui convergeaient et qui allaient plus loin. Ah! j'ai dit: «Voilà du travail bien fait.» Et on m'a répondu: «Oui, mais c'était plus facile parce qu'il y avait le consentement du gouvernement.»

J'ai trouvé la réflexion charmante.

Tout cela est symbolique naturellement. Et je me suis réveillée avec l’impression: enfin! quelque chose va marcher un peu droit.

C'était impeccable: du travail fait d'une façon impeccable et avec intelligence et compréhension. Il y a très-très longtemps que je n'ai pas vu chose pareille!

«Oh! c'était plus facile parce qu'il y avait le consentement du gouvernement»! (Mère rit)

C'est une vraie nouveauté!

N'est-ce pas. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse du gouvernement de l’Inde, je ne crois pas. Je crois que c'était symbolique.

Il s'agit du gouvernement du monde?

Je l’ai pris comme cela.


(À cet instant, la conversation est interrompue par un disciple qui entre en annonçant la mort d'Anousuya, son amie.)

À quelle heure?

À l’instant, on vient de recevoir un coup de téléphone de l’hôpital.

Je demande cela parce que V m'a dit qu'elle allait y aller, elle m'avait dit qu'Anousuya ne se sentait pas bien. Alors j'ai regardé et... (V voulait que j'envoie un mot à Anousuya), j'ai pris un papier et j'ai écrit... Je ne me souviens plus exactement des mots, mais c'était: «La foi inébranlable que seule la Volonté de Dieu se réalise.» Je ne me souviens plus exactement, j'ai pris ce qui a été dicté. Et au moment d'écrire, j'ai su que c'était fini.

Je n'ai rien dit, mais j'ai su.

Parce que... C'était très simple, j'avais mis toute ma conscience en elle et je savais que si elle devait guérir, elle le saurait: elle aurait tout d'un coup la certitude qu'elle allait guérir. Et quand V m'a rapporté ce qu'elle avait dit: «On croit que je vais mieux, mais je ne me sens pas bien», j'ai regardé et j'ai vu qu'elle ne pouvait pas se tromper. Parce que j'avais mis ma conscience en elle, elle ne pouvait pas se tromper. Elle, disant: «Ça ne va pas», cela voulait dire que c'était la fin.

Mais il faut être sûr d'une chose (parce que, inutile de dire que je l’aimais beaucoup, que j'étais très heureuse de l’avoir avec moi, qu'elle était très utile et que je considère que c'est une grosse perte qu'elle parte, au point de vue matériel), mais imédiatement, quand j'ai su que c'était sérieux, j'ai (comme toujours, à chaque moment de ma vie), j'ai voulu que ce soit la meilleure chose possible au point de vue divin qui se réalise. Et le point de vue divin, c'est toujours aussi le point de vue personnel: le point de vue divin, c'est ce qui peut être de mieux pour la personne en question. J'ai vu d'une façon absolue que c'était le mieux pour elle.

Nous pouvons chercher humainement les raisons pour ceci, cela, mais ce n'est pas cela, c'est – pour son âme, pour son être véritable – ce qu'il y avait de mieux possible pour elle.

Prenez-la en vous.

Oh! vous pouvez être tranquille.

Les derniers mots qu'elle m'ait dits hier soir, c'était: «Demandez à Mère de me faire dormir.»

Elle voulait le repos.

N'est-ce pas, je voudrais que tous ceux qui sont avec moi sentent, comme moi je le sais, que c'est un renversement d'apparences – elle est vivante, elle est consciente, elle a toutes ses facultés, toutes ses possibilités, tout est là. Elle n'a rien perdu! C'est seulement l’ignorance humaine qui croit que l’on perd. Elle n'a rien perdu.

Il y a des gens qui s'en vont dans une gloire – il n'y en a pas beaucoup, mais il y en a. Et ceux qui s'en vont comme cela, ils n'ont même pas un passage difficile. J'étais en train d'écrire ce mot pour elle, j'ai senti (c'était il y a une demi-heure, trois quarts d'heure) une libération.

Non, je sens le chagrin, je comprends sa mère, cela va être affreux – ce n'est pas que je ne comprenne pas, ce n'est pas que je ne sente pas, mais je voudrais tellement que ceux qui ont confiance sachent comme cela peut être une gloire.

(silence)

Si vous pouvez être bien tranquille, dans une foi très paisible, elle sera avec vous aussi, elle ne vous quittera pas.

Elle est là.

Il faut qu'avec vous, elle trouve la paix et la conscience clairvoyante: elle aura quelques difficultés avec le chagrin des siens, ils vont être très-très troublés, et il faut au moins qu'elle puisse se réfugier dans une atmosphère de paix et de confiance totales.

Et c'est elle qui vous le dit.

Les vagues du dehors sont difficiles: elles viennent très agitées, très troublées. Il faut se souvenir. Il faut que ce soit comme un bain de repos à côté de vous.

23 avril 1966

Mère passe au disciple une brochure sur Auroville.

Les photos sont très jolies. Il y en a une qui est tout à fait comme une nébuleuse.

Pratiquement, est-ce que ça bouge?

Ça a l’air de marcher très bien. Une réponse collective très large, et des deux côtés opposés: tout le côté communiste bouge, et tout le côté financier, américain, bouge. Il y a une effervescence.

C'est sûr de marcher, je SAIS que ça existe – la ville est déjà là (depuis bien-bien des années). Ce qui est intéressant, c'est que j'avais fait la création avec Sri Aurobindo au centre, puis quand Sri Aurobindo est parti, j'ai tout laissé tranquille, je n'ai plus bougé. Et tout d'un coup, cela a commencé à revenir, comme si l’on disait: «C'est le moment, il faut le faire.» Bien. Les musulmans diraient: «C'est écrit.» C'est écrit, elle est sûre d'exister. Le temps que cela prendra, je ne sais pas, mais ça a l’air d'aller vite.

La ville existe déjà.

Et ce qui est remarquable, c'est que j'avais simplement dit les grandes lignes à R (l’architecte) en lui demandant si cela l’intéressait. Puis il est rentré en France et il a reçu ma formation (ma vieille formation que, moi, j'avais laissée endormie); là-bas, il l’a reçue. Cela m'a beaucoup intéressée. Il l’a reçue, il m'a dit: «C'est venu tout d'un coup, j'ai comme été possédé par quelque chose, et en une nuit tout a été fait.» Et ce qui est intéressant, c'est qu'il avait un camarade architecte qui était venu travailler avec lui et qui a participé à la création, et qui est maintenant tout à fait enthousiaste, et c'est un homme qui a des relations très étendues avec toute l’Europe communiste, y compris la Russie. Et il est emballé à fond. Donc, de ce côté-là, ça marche. En Amérique aussi, ça a l’air de marcher.

Et c'est justement ce que je veux, que ces deux pays qui se heurtent viennent ici, puis qu'ils aient tous les deux un pavillon de leur culture et de leur idéal, et qu'ils soient là, l’un en face de l’autre, qu'ils se serrent la main.

24 avril 1966

(Le message de la Mère pour le 24 avril)

"I have already spoken about the bad conditions of the world; the usual idea of the occultists about it is that the worse they are the more is probable the coming of an intervention or a new revelation from above. The ordinary mind cannot know – it has either to believe or disbelieve or wait and see.

"As to whether the Divine seriously means something to happen, I believe it is intended. I know with absolute certitude that the Supramental is a truth and its advent is in the very nature of things inevitable. The question is as to the when and the how. That also is decided and predestined from somewhere above; but it is here being fought out amid a rather grim clash of conflicting forces. For in the terrestrial world the predetermined result is hidden and what we see is a whirl of possibilities and forces attempting to achieve some thing with the destiny of it all concealed from human eyes. This is, however, certain that a number of souls have been sent to see that it shall be now. That is the situation. My faith and will are for the now. I am speaking of course on the level of the human intelligence – mystically-rationally, as one might put it. To say more would be going beyond that line. You don't want me to start prophesying, I suppose? As a rationalist, you can't."

Sri Aurobindo
December 28, 1934

27 avril 1966

(À propos du «Sannyasin»)

Nous avons le temps de faire Savitri... à moins que tu n'aies quelque chose à demander, non?

Je me demande pourquoi je ne vois pas plus clair dans ce que je fais?

Parce qu'il y a deux idées en conflit. C'est cela. Alors, il y a une hésitation entre les deux points de vue.

Deux points de vue: la nécessité du renoncement et la futilité de la fuite. Ce sont ces deux idées-là qui font qu'il y a hésitation. Mais dans l’ordre chronologique des choses, ce devrait être d'abord la nécessité du renoncement, et puis la découverte de la futilité de la fuite, et alors au lieu d'une fuite, ce doit être un retour libre, sans attachements. Retour à la vie sans attachements.

Autrement je comprends: pour écrire un livre, généralement on ne peut pas faire plus qu'une période, parce qu'il y a un début, un développement et un point culminant, une réalisation. Puis un autre livre qui part de cette réalisation et qui a toute l’expérience de sa futilité. Et puis alors, le couronnement: le retour, libre, à la vie.

On peut mettre les trois ensemble, mais cela fait un livre très compact.

Non, il faut que tout soit rassemblé. Mais je ne sais pas par quel bout le prendre. J'ai commencé d'une façon et je m'aperçois que ce n'est pas «ça».

Comment as-tu commencé?

Il y a un poème, très court – pas un poème: une sorte de voix. Puis, dans le premier chapitre, mon bonhomme doit prendre un bateau et partir (comme d'habitude). Et il rencontre un Sannyasin. Il va prendre son bateau, mais il y a une jeune femme ou une jeune fille qui est là avec lui, qu'il quitte.

Le bateau va où?

Un peu plus loin, comme toujours. Il doit partir.

Et où rencontre-t-il ce Sannyasin? avant de partir ou après?

Il le rencontre une première fois, puis une deuxième au moment où il va partir, alors il change tout et il part avec le Sannyasin... Mais c'est ce qui précède ce départ, il y a quelque chose qui est flou, je ne sais pas ce que je dois faire. J'avais d'abord pensé à faire de cette jeune femme le symbole de la beauté, de la richesse, de l’amour, enfin tout ce qui est vraiment beau et tout ce que la vie peut apporter de meilleur – qu'il rejette, et il s'en va pour aller n'importe où, et il rencontre ce Sannyasin. Et puis j'étais dans la description de cet endroit, de ce garçon avec cette fille, de cet endroit très beau, et puis cela me semblait tellement futile d'écrire tout cela, que je n'ai pas pu continuer.

(Mère rit)

C'était tellement futile, toute cette beauté, tout cela, ça me paraissait rien du tout.

Cela t'a tiré en arrière.

Mais j'ai connu un moment de ma vie comme cela: j'étais en Amérique du Sud, j'étais dans une île merveilleuse, très belle, avec une femme qui était belle aussi, la richesse m'était donnée, j'avais la possibilité d'avoir beaucoup d'argent; enfin c'était vraiment ce qu'il y avait de mieux comme beauté naturelle et beauté féminine et tout – et puis j'ai fichu le camp. J'ai tout laissé, je suis parti.

Alors, c'est cela que tu racontes?

C'est cela que je m'étais mis à raconter.

Mais ce n'est pas mal!

Mais cela me semble tellement futile de reparler de toute cette soi-disant beauté, que je n'y arrive pas! J'ai l’impression que tout cela est creux, mes mots sont faux.

Mais si tu te mets dans cette attitude, tu ne peux pas écrire de livre!

Encore une fois, juste ces jours derniers, j'ai eu le souvenir de choses que j'avais écrites – que j'avais imaginées à un moment donné et que j'avais écrites... au commencement du siècle, avant ta naissance! à Paris. Et je me suis dit: «Tiens, pourquoi pensè-je à cela?» Et il y avait, dans cette chose que j'avais écrite, ceci: «l’amour de la beauté l’avait sauvée.» C'était l’histoire d'une femme qui avait eu une très grande douleur de prétendu amour comme le conçoivent les humains, mais qui avait senti un besoin de manifester l’amour, un amour d'une beauté merveilleuse; et alors, avec cette force-là et cet idéal-là, elle avait surmonté sa douleur personnelle. J'avais écrit un petit livre comme cela – je ne sais pas où c'est d'ailleurs, mais cela n'a aucune importance. Mais tout d'un coup, je me suis souvenue de cela, je me suis dit: «Tiens! pourquoi est-ce que je me souviens de cela?...» Et alors je me suis souvenue de la courbe de la conscience. À ce moment-là, je concevais bien que les choses personnelles devaient être surmontées par la volonté de réaliser une chose plus essentielle et plus universelle. Et j'ai suivi la courbe de ma propre conscience, comment ça a commencé comme cela, et puis de là, j'ai passé à... d'autres choses. J'avais dix-huit ans. C'était mon premier essai pour sortir du point de vue exclusivement personnel et passer à un point de vue plus large, et pour montrer que le point de vue plus large, plus universel, vous fait surmonter la chose personnelle. Mais je me disais: «Pourquoi est-ce que je me souviens de tout cela?» Maintenant je comprends! C'est dans ce que tu as écrit, c'est la même chose. Eh bien, évidemment, maintenant je ne pourrais plus écrire ce que j'avais écrit, cela me ferait rire!

Je peux écrire, je peux toujours...

Eh bien, écris-le.

Mais cela me paraît tellement...

Oui, c'est creux.

... sans puissance. C'est comme si vraiment ma plume mentait.

(Mère rit)

Alors je me demande si ce n'est pas parce que je devrais laisser tomber tout cela et puis carrément entrer dans un autre monde, qui est complètement différent

Commencer où tu es maintenant?

C'est cela.

Peut-être, au fond, gagnerais-tu du temps.

Tu peux faire une expérience, c'est de noter ce que tu écrirais maintenant, et puis tu verras.

Mais alors où le situer? Je ne sais pas... Il y a deux choses...

Ça va peut-être venir maintenant!

Au point de vue personnel, tu gagnerais beaucoup de temps si tu commençais là où tu es maintenant.

Tu verras...

Tu pourrais commencer ton livre par la fin, et alors tu verras s'il a besoin d'un commencement (!) ou si, au lieu d'un commencement, il y aura une continuation. Ça, ce serait intéressant!

Commencer en coup de poing: brrm! ce que tu sens et tu vois maintenant. Tu le situes suivant ta grande ligne, tu commences par cela. Et puis quand cela est écrit, tu vois si ça a besoin du soutien de ce qui précède ou si l’on peut aller vers ce qui suit.

C'est une expérience intéressante.


(Puis Mère lit deux vers de «Savitri» dans le colloque avec la Mort.)

Ah! c'est toujours le Monsieur...

J'ai eu toute cette expérience-là, ces jours-ci. C'était si amusant!

«En vain le cœur [de l’homme] élève sa prière angoissée,
Peuplant de dieux brillants le Vide sans forme...»1

(X.IV.644)

Pourquoi? tu étais dans le Vide sans forme?

Je voyais ça, c'était si amusant! Je voyais tout ça. Oh! c'était une expérience extraordinaire. Tout d'un coup, j'étais en dehors et on ne peut pas dire «au-dessus» (mais c'était au-dessus), mais en dehors de toute la création humaine, de tout-tout ce que l’homme a créé dans tous les mondes, même dans les mondes les plus éthé-rés. Et vu de là, c'était... J'ai vu ce jeu de toutes les conceptions possibles que les hommes ont eues de Dieu et de la façon de s'approcher de Dieu (de ce qu'ils appellent «Dieu»), et puis des mondes invisibles et des dieux, tout cela, une chose après l’autre venait, une chose après l’autre, ça passait (comme c'est écrit dans «Savitri»), ça passait (geste comme sur un écran), une chose après l’autre, une chose après l’autre... avec son artificialité, son incompétence à exprimer la Vérité. Et c'était d'une précision! une précision qui en était angoissante d'exactitude, parce que l’on avait comme cela l’impression d'être rien que dans un monde d'imagination, de création imaginative, mais rien qui soit réel, on n'avait pas le sentiment de... de toucher la Chose. Et c'était au point de devenir... oui, une angoisse terrible: «Mais alors quoi? Quoi, quoi? Qu'est-ce qui est vraiment VRAI en dehors de tout ce que nous pouvons concevoir?»

Et c'est venu. C'était comme cela: (geste d'abandon) l’annulation totale, complète, de soi, de ce qui peut savoir, de ce qui essaye de savoir – même surrender n'est pas un mot suffisant: une sorte d'annulation. Et tout d'un coup, ça s'est terminé par un petit mouvement comme pourrait en avoir un enfant qui ne sait rien, qui ne cherche rien, qui ne comprend rien, qui n'essaye pas de comprendre – mais qui s'abandonne. Un petit mouvement d'une simplicité! d'une candeur, d'une douceur extraordinaire (les mots ne peuvent pas dire): rien, comme ça (geste d'abandon), et instantanément LA Certitude (inexprimée: vécue), la Certitude vécue.

Ça, je n'ai pas pu le garder très longtemps. Mais «ça», c'est merveilleux.

Mais l’angoisse était arrivée au maximum, le sentiment de la futilité des efforts humains pour comprendre – embrasser et comprendre – ce qui n'est pas humain, ce qui est par-delà. Et je parle de l’humanité dans ses réalisations suprêmes, n'est-ce pas, quand l’homme se sent dieu... C'était encore en dessous.

l’expérience a duré, oh! je ne sais pas, peut-être quelques minutes, mais c'était... quelque chose.

Seulement, avec une certitude que dès que l’on revient, même dès que l’on essaye de dire un mot (ou même sans dire), dès que l’on essaye de formuler d'une façon quelconque: fini.

Et pourtant, il reste d'une façon obstinée une certitude que la création n'est pas un moyen transitoire pour retrouver la Conscience véritable: c'est quelque chose qui a sa réalité propre et qui aura son existence propre dans la Vérité.

Ça, c'est le pas suivant.

C'est pour cela que cette réalisation-là (le Vide), ce n'est pas le but, voilà. Une conviction que ce n'est pas le but. C'est une nécessité absolue, mais ce n'est pas le but. Le but, c'est quelque chose... la capacité de garder Ça ici.

Quand cela viendra, je ne sais pas.

Mais alors là, tout sera changé.

Jusque là, on se prépare.

Il y a seulement une chose que j'ai notée (que je suis obligée de noter): c'est un pouvoir d'action sur les autres, qui dépasse infiniment ce que c'était auparavant, oh! cela fait des remous partout-partout, partout, même chez les gens qui étaient les plus assis dans leur vie et au fond relativement satisfaits autant qu'on peut l’être – même ceux-là sont touchés.

On verra, on verra.

Enfin, ça marche.2

(Revenant au «Sannyasin»:) Essaye mon moyen, je pense que ça réussira!

30 avril 1966

(À propos de disciples très généreuses qui envoient des paquets de potage à Mère, puis Mère les donne au disciple.)

Ce sont deux vieilles dames, allemandes d'origine, mais Israélites. En Allemagne, ils ne sont encore pas gentils; l’influence d'Hitler a été désastreuse, les Israélites sont encore traités avec mépris – c'est dégoûtant, tout à fait dégoûtant. Alors elles sont parties en Israël. Très généreuses. Mais il y a encore des gens qui ont des préjugés, tu sais!

En France, avec Pétain, il y avait cette histoire grotesque de l’«étoile jaune»; cela aussi a laissé, je crois, une très mauvaise impression.

Il y a des gens à qui je ne donnerais pas ces paquets, parce que imédiatement ils diraient que c'est très mauvais!

Non!

Les hommes sont encore pires que des enfants – pires. Si petits, si mesquins, avec des parti pris idiots.

Rien que cette simple chose, d'être impartial, neutre et tout à fait sincère, sans parti pris devant les expériences, devant la vie, devant les choses – même cela, ils ne peuvent pas l’avoir! Il y a toujours une espèce de petit parti pris, de préférence là-derrière.

Et tout cela, accumulé dans le subconscient, et ça revient sous forme de «rêves». Et naturellement (c'est une expérience tout à fait courante et que tous ceux qui connaissent un tout petit peu le jeu des forces occultes savent), quand quelqu'un, dans votre rêve, vient pour vous donner des coups et vous attaque, c'est absolument sûr que vous avez eu de mauvaises pensées contre lui – des mauvaises pensées, des mauvais sentiments. C'est cela qui vous revient sous cette forme. Mais eux, au contraire, disent: «Voyez, j'avais raison d'avoir de mauvaises pensées contre lui: il vient m'attaquer»!

Comme des enfants, tout à fait ignorants.

Enfin...


Mère passe à «Savitri»

Alors, déçu, il se tourne vers le Vide
Et dans cette heureuse nullité demande la délivrance

(X.IV.644)

Ce sont les nihilistes: Shankaracharya, etc., les adorateurs du Néant.

Les adorateurs du Néant... Je ne sais pas, plus je progresse, plus j'ai l’impression d'un Néant... très-très doux, très plein, mais un Néant C'est tout à fait vide et c'est plein, et c'est très doux, mais il n'y a rien.

Tu joues sur les mots.

Non-non!

Au fond, c'est le moyen le plus harmonieux de mettre fin à l’ego, ce goût du Néant. C'est l’ego qui prend fin. C'est le moyen, oui, le plus harmonieux, le moyen supérieur de mettre fin à l’ego. C'est l’ego qui prend fin.

Il en a assez d'être. Au lieu de se sentir tué et écrasé (Mère fait un geste d'abandon), ouf!.., un ouf de soulagement: «Assez, assez de cette bataille pour être.» On pourrait dire: le Mensonge fatigué d'être abdique.

Au lieu d'une disparition par écrasement, piétinement (même geste d'abandon): ne plus être.

C'est le moyen divin d'annuler l’ego.

l’ego n'est plus nécessaire, il a fini son travail, la conscience est prête; et alors... (même geste) ouf! «Je suis fatigué d'être, je ne veux plus être.»

mai




7 mai 1966

(À propos d'une fleur que Mère a appelée «Pouvoir de guérison matériel»:)

Oh! comme je voudrais que ce soit vrai, que je mette mes mains là, comme ça (Mère pose ses mains sur les épaules du disciple) et puis ça guérit!

Parce que je sens une telle force dans ces mains! une telle force consciente – tu comprends, consciente: c'est vibrant de conscience, de lumière et de force. Ça devrait guérir.

Moi, ça me guérit. Si j'ai une douleur ou quelque chose qui ne va pas, je pose ma main là ou là, et ça s'en va en l’espace d'une minute, deux minutes. Alors pourquoi cela ne guérirait-il pas les autres?

Peut-être parce qu'il n'y aurait plus de malades! (Mère rit)

C'est cela, au fond. On parle du monde supramental, mais c'est simplement un monde où la vérité serait vraie. C'est tout, c'est simple.

C'est cela.


(Peu après, le disciple classe d'anciennes conversations:)

Ce sont des vieux?

1964.

Il y a des siècles de cela.

Mais c'est très plein et vivant.

Ah?

Oui, le jour où l’on pourra relier tout cela, ça fait vraiment tout le chemin du yoga supramental; c'est très clair quand on regarde cela avec le recul Et on comprend. Il y a beaucoup de choses que je comprends mieux maintenant... Mon idée, un jour, c'est de reprendre tout cela et de le condenser ou d'en extraire l’essentiel pour tracer ton chemin.

Il vaut mieux attendre que l’on soit au bout, non?

Ce n'est pas maintenant que je ferai cela, mais il faudra le faire... Non-non! c'est plein de sens, ce n'est pas «vieux»!

Il y a des choses qui deviennent de plus en plus claires, alors quand ce sera clair, on pourra...

Oui, mais beaucoup de choses que tu as dites, qui étaient comme ébauchées ou balbutiantes, tout d'un coup ces choses qui étaient comme informes, maintenant que je les vois avec le recul et avec ce que tu as dit après, elles prennent un sens, elles ont beaucoup de sens.

Ça, je sais.

C'est pourquoi, même quand c'est à l’état «inachevé», c'est bon.

Par exemple, il y a des passages que j'ai écrits dans ces Prières et Méditations et dont quelques-uns ont paru, que j'ai écrits au Japon, et quand je les ai écrits, je ne savais pas du tout ce que cela voulait dire. Pendant très longtemps, je n'ai pas su. Et tout dernièrement, l’une de ces choses qui était toujours restée mystérieuse s'est éclairée, j'ai dit: «Voilà! c'est clair comme tout, c'est cela que ça veut dire.»

C'est-à-dire un petit esprit prophétique sans le savoir!

Oh! il vaut mieux ne pas avoir de prétentions, tu sais. Il n'y a rien de plus bête que... Je vois les gens qui pontifient et qui prophétisent, oh! non-non-non. Il vaut mieux ÊTRE la chose sans le savoir que de prétendre l’être.

C'est pour cela que j'ai une sainte horreur de la publicité.

Voyons «Savitri» (Mère prend son cahier).

«Savitri» est plein de merveilles, oh! comme c'est vrai.

De quoi s'agit-il?

C'est toujours la Mort qui parle.

Ah! il continue – «il» continue: je ne veux pas que ce soit une «elle» (Mère rit) En français, c'est une erreur (riant): c'est un «il».

14 mai 1966

J'ai de drôles d'yeux... Ils sont devenus bizarres.

Cet œil-là (le gauche) voit extrêmement clair – extrêmement clair –, presque plus clair qu'avant, mais dans tout le coin, ici, tout à fait le coin, il y a comme un petit brouillard, tout petit-petit comme une pointe d'aiguille – non, une tête d'épingle. Et alors, je ne peux pas lire avec. Celui-là (le droit), je peux lire avec, il n'y a rien, mais c'est atténué: il n'a pas la moitié de la clarté de l’autre. Mais le gauche, c'est fantastique de clarté! Bon. Alors j'ai l’habitude de lire avec une loupe (par l’œil droit) et c'est devenu comme cela; mais quand je regarde une photographie avec la loupe, la photo commence à avoir les trois dimensions (geste comme si la photo se gonflait), c'est-à-dire que je vois la personne non en couleur mais vivante, l’image est vivante. Ça a les trois dimensions et elle bouge. Alors je vois la photo avec ma loupe: je vois la personne qui bouge!

Avec l’œil gauche, oh! il a une précision extraordinaire, mais je ne peux pas lire parce que... (et je pourrais lire tout de même, c'est une idée, c'est simplement une impression), il y a comme un tout petit-petit nuage dans le coin, ici. Il n'y a rien (riant), je n'ai pas de cataracte! Il y avait un temps où c'était assez étendu dans ce coin, je l’ai montré (il y a longtemps, il y a deux ans), je l’ai montré au docteur, qui m'a dit que c'était à l’intérieur: ce n'est pas sur le dessus de l’œil, c'est à l’intérieur. Il m'a dit: «Ça ne partira pas.» Je lui ai dit: «Ah! ça ne partira pas!» – En six mois, c'était parti, complètement parti. C'était revenu un tout petit peu – c'était revenu, mais ça partira!

Mais ce sont de drôles de choses, c'est comme si quelqu'un s'amusait à faire des expériences avec mes yeux.

Je vois d'une façon étrange – étrange.

Et la loupe commence à ne plus servir à rien.

(silence)

Mais tout-tout devient étrange. Comme s'il y avait deux, trois, quatre réalités (geste superposé) ou apparences, je ne sais pas (mais ce sont plutôt des réalités), l’une derrière l’autre ou l’une dans l’autre, comme cela, et en l’espace de quelques minutes ça change (geste comme si une réalité se gonflait pour dépasser et prendre la place de l’autre), comme si un monde était juste là, là-dedans, et qu'il sortait tout d'un coup. Quand je suis tranquille, il y a un petit... pas un mouvement, je ne sais pas ce que c'est: ça ressemblerait plutôt à des pulsations, et, suivant les cas, il y a des expériences différentes. Par exemple, les choses coutumières prennent un temps habituel quand il ne se passe rien d'anormal, et on a le sens exact du temps qu'elles prennent; alors «on» me donne l’expérience suivante, de la même chose, faite de la même manière, qui s'accomplit une fois dans son temps normal, et une autre fois, je suis dans un autre état, c'est-à-dire que la conscience semble être placée à un autre endroit, et la chose se passe comme en une seconde! – la même chose exactement: des gestes habituels, des choses que l’on fait tous les jours, tous les jours, des choses tout à fait ordinaires. Et puis, une autre fois (et ce n'est pas que je cherche, je ne cherche pas du tout: je suis mise dans cet état), une autre fois, je suis mise dans un autre état (ça ne fait pas beaucoup de différence pour moi, ce sont comme de toutes petites différences de concentration), où la même chose, oh! ça prend longtemps-longtemps, ça n'en finit plus d'être fait! Même de plier une serviette, par exemple (ce n'est pas moi qui le fais), quelqu'un qui plie une serviette ou quelqu'un qui range une bouteille, des choses tout à fait matérielles et absolument simples et sans aucune valeur psychologique; on plie une serviette qui est par terre (je donne cet exemple), il y a un temps normal dont j'ai la perception interne, après étude; c'est le temps normal quand tout est normal, c'est-à-dire habituel; et puis, je suis dans une certaine concentration et... on n'a même pas le temps de s'en apercevoir, c'est fait! Je suis dans un autre état de concentration, avec des différences absolument minimes pour la concentration, et ça n'en finit plus! On a l’impression que cela prend une demi-heure pour finir.

Si cela vous arrivait une fois, je dirais bon, mais ça arrive avec une persistance, une régularité, comme quand on veut vous apprendre quelque chose. Une sorte d'insistance et de répétition régulière comme si l’on voulait m'apprendre quelque chose.

Aussi, je passe une partie de ma nuit dans un certain état de conscience (généralement, le plus souvent, presque tous les jours avec Sri Aurobindo). Mais ce n'est pas simplement «comme ça», ce n'est pas par hasard ou comme une habitude, ce n'est pas ça: c'est un enseignement, et les choses sont présentées d'une façon ou d'une autre comme pour me faire comprendre quelque chose. Mais (riant) je suis extrêmement stupide! parce que le mental ne marche pas, je ne comprends rien – je constate. Je constate, je constate, je constate, mais je ne tire pas de conclusions, alors on me remontre la chose. Et ça suit, oui, ça suit une sorte de courbe d'expérience. Tiens, je pourrais dire que c'est une démonstration répétée que l’on fait, à quelqu'un de stupide comme moi, pour me montrer quelle est la différence de la conscience entre être dans ce corps et ne pas avoir de corps.

Il me semble que c'est cela.

Mais alors, dans les moindres petits détails et avec une persistance: tu sais, comme on est obligé d'apprendre une chose à un animal ou à un tout petit enfant (!), c'est comme cela, en répétant.

l’autre jour, par exemple, avant-hier (pas la nuit d'hier à aujourd'hui, mais la nuit d'avant-hier à hier), j'étais avec Sri Aurobindo, et Sri Aurobindo avait pris l’apparence de sa photographie quand il est jeune, avec ses cheveux longs: cette photographie où il a le teint clair, les cheveux très noirs et où il est de face. Il était comme cela – il était comme cela, ce n'était pas une image: il était comme cela. Et nous étions en train de voir certaines choses, de parler de certaines choses (on ne parle pas beaucoup, mais enfin), de voir des choses, puis, tout d'un coup, je vois sa figure toute tourmentée comme cela (geste comme si le visage s'était rapetissé). Il a d'habitude une figure toujours très calme et très souriante, très tranquille; mais tout d'un coup, tout à fait tourmentée, puis il s'est rejeté en arrière sur cette espèce de siège où il était. Alors je l’ai regardé et il m'a dit: «Oh how they are distorting things. Look at this fellow, how they are distorting things» [Oh! comme ils déforment les choses. Regarde cet individu, comme ils déforment les choses]. Après, presque tout de suite, c'était l’heure et je me suis réveillée, je me suis levée. Et je me suis dit (riant): «Je croyais que dans cet état-là, on n'était pas tourmenté!» Puis aujourd'hui, j'ai appris que A, qui était ici et qui est parti faire de la politique là-bas (au Bengale), parle au nom de Sri Aurobindo, mon petit! et il déclare sa politique. Et c'était cela que j'avais vu. Ce n'était pas que Sri Aurobindo était ennuyé: l’image de sa figure était l’image de ce que les autres faisaient!1 (Mère rit)... Comment expliquer cela? C'est très étrange, n'est-ce pas. C'était l’image de ce que ces gens-là faisaient de son enseignement, ce n'était pas l’expression de son sentiment à lui. N'est-ce pas, ce qui arrive ici, ce que nous décrivons, c'est si brutal, sans finesse, grossier, comme une statue mal taillée: c'est rude, c'est grossier, c'est exagéré; et c'est déformé par ce sens de la séparation de l’ego. Mais là, je ne sais pas comment expliquer cela, là, tout est un, c'est une seule chose qui prend toutes sortes de formes comme cela (Mère enveloppe ses deux mains l’une dans l’autre en les faisant tourner ensemble, l’une à l’intérieur de l’autre) pour exprimer quelque chose, mais pas avec un centre qui sent et un autre centre qui voit et un autre centre qui comprend; ce n'est pas cela, c'est... (même geste) c'est tout une substance d'une souplesse inexprimable et qui s'adapte à tous les mouvements de tout ce qui se passe, qui est expressive de tout ce qui se passe, sans séparation. Et alors, cela vous laisse dans un état qui dure pendant des heures la matinée, et où je suis dans ce monde [ici] et pourtant je n'y suis pas. Parce que... je ne sens pas comme le monde sent. C'est une très étrange chose.

Hier, je suis restée toute la matinée comme cela, dans un très étrange état, et c'était comme si l’état voulait que je me souvienne, que j'aie le souvenir, et cela ne m'a quittée que quand j'ai dit (j'ai «dit», je ne sais pas, à personne, mais enfin j'ai dit) que je t'en parlerai aujourd'hui. Alors on m'a laissé reprendre contact avec la vie de tous les jours.

Et il y a comme l’influence d'un mentor, quelqu'un qui sait, ou une conscience qui sait et qui me donne des leçons; et je ne vois personne, je ne sens personne, mais c'est comme cela. C'est très-très étrange.

Ah! passons à «Savitri».

Tu veux me dire quelque chose? (Riant) J'ai l’air de t'avoir tout à fait abruti!

Non, toi, tu dis que tu ne tires pas les conséquences; moi, j'essaye de tirer les conséquences!

Oh! les conséquences, je ne sais pas.

En somme, c'est la conscience de l’Éternité qui apprend à entrer dans le Temps? dans la Matière.

Oui, c'est une idée, c'est peut-être ça!

On verra sûrement un jour, on comprendra.


(Mère lit une dizaine de vers où la Mort tourne en dérision toutes les croyances humaines, les conceptions, les philosophies, les inventions humaines...)

And sciences omnipotent in vain
By which men learn of what the suns are made,
Transform all forms to serve their outward needs,
Ride through the sky and sail beneath the sea,
But learn not what they are or why they came....2

(X.IV.644)

C'est vraiment charmant!

J'aime ça:

Ride through the sky and sail beneath the sea,
But learn not what they are or why they came

C'est le monument du pessimisme.

Mais c'est vrai, le malheur est que c'est vrai! Seulement, il manque quelque chose: c'est ce qu'elle va dire. Ou elle ne dit rien?

Sûrement, elle va répondre.

Mais elle ne lui clôt pas le bec... C'est difficile.

Mais parce que c'est «Lui»!3

J'ai eu l’autre jour une expérience extraordinaire, où tous les arguments pessimistes, toutes les négations, les démentis venaient de tous les côtés, représentés par tous les gens. Et alors, ceux qui croyaient en la présence d'un Dieu ou de quelque chose – quelque chose qui était plus puissant qu'eux et qui régissait le monde – étaient dans une fureur, une révolte épouvantable: «Mais je n'en veux pas! Mais il abîme toute notre vie, mais...» C'était une révolte effroyable, de tous les côtés, un tombereau d'insultes au Divin avec une telle force de réaction asourique de tous les côtés. Et alors j'étais là (comme si Mère était assise au milieu de la mêlée), j'ai regardé: «Quoi faire?...» N'est-ce pas, il était impossible de répondre, c'était impossible, il n'y avait pas un argument, pas une idée, pas une théorie, pas une croyance, rien-rien-rien qui pouvait lui répondre. Pendant l’espace d'une seconde, l’impression était: il n'y a rien à faire. Et puis, tout d'un coup... tout d'un coup... C'est indescriptible (geste d'abandon absolu). Il y avait cette violence de révolte contre les choses telles qu'elles sont, et, mélangé à cela, il y avait: «Que ce monde disparaisse, qu'il n'y ait plus rien, que ça n'existe pas!» Tout cela, au fond, qui est une révolte; toute cette révolte nihiliste: qu'il n'y ait plus rien, que tout n'existe plus. Et cela arrivait à un maximum de tension, et puis juste au maximum de tension, quand on avait l’impression qu'il n'y avait pas de solution, tout d'un coup... surrender [abandon]. Mais quelque chose de plus fort que surrender – ce n'était pas une abdication, ce n'était pas un don de soi, ce n'était pas une acceptation, c'était... c'était quelque chose de beaucoup plus radical, et en même temps de beaucoup plus doux. Je ne peux pas dire ce que c'était. Ça avait la joie et la saveur du don, mais avec un tel sentiment de plénitude!... Comme un éblouissement, n'est-ce pas, tout d'un coup comme ça: l’essence même du surrender, la Vraie Chose.

C'était... c'était si puissant et si merveilleux, une joie si sublime que le corps s'est mis à trembler pendant une seconde. Et après c'était parti.

Et après cela, après cette expérience-là, tout cela, toute la révolte, toute la négation, tout ça, c'était comme balayé.

Si l’on pouvait garder ça, cette expérience-là, la garder constamment – elle est là, elle est là toujours; elle est là, n'est-ce pas, mais il faut que je m'arrête pour le sentir. Il faut que je m'arrête – que je ne parle pas, que je ne bouge pas, que je n'agisse pas – pour le sentir dans sa plénitude. Mais si c'était là actif... ce serait la Toute-puissance. C'est instantanément devenir «Ça».

Ces journées-ci, il y a eu deux jours (depuis la dernière fois que je t'ai vu), deux journées... surtout jeudi, le jour où il y avait le paon...4 Le paon a chanté la victoire toute la journée (je l’ai vu le soir, il est venu me voir sur la terrasse, il était si gentil!)... Deux journées très-très difficiles. Après cela, une espèce de sentiment très établi qu'il n'y a rien d'impossible – il n'y a rien d'impossible (Mère désigne la Matière). Ce que la pensée sait depuis longtemps, le cœur sait depuis longtemps, tout l’être intérieur sait depuis longtemps, maintenant le corps sait: rien-rien n'est impossible, tout est possible. Là-dedans, là-dedans, dans ça (Mère frappe son corps), tout est possible.

Tous les impossibles créés par la vie matérielle ont disparu.

Il faut avoir la force – la force de le porter en soi toujours.

18 mai 1966

(Après la lecture de quelques premiers fragments du «Sannyasin».)

J'aime ta manière d'écrire.

Cela repose.

Mais quand on fait un roman, il faut le bâtir, c'est-à-dire qu'il y a toutes ces choses inutiles qu'il faut mettre pour arriver à certains points, c'est cela qui est pénible! toutes ces choses futiles qu'il faut présenter, simplement pour les démolir.

Cela me repose beaucoup d'entrer dans la région de la jolie forme, de la forme harmonieuse, cela me repose beaucoup.

Ce mental matériel – qui est en train de s'organiser, qui a appris à se taire, qui a appris à prier – a une espèce de besoin spontané, ou de soif spontanée de beauté, d'une belle forme. Je vois cela la nuit, parce que son besoin s'exprime dans un cadre et avec des événements – des rencontres et des événements – et le cadre est toujours extrêmement vaste et très beau, très harmonieux. Et les gens qui bougent, bougent aussi d'une façon harmonieuse. Et le matin quand je sors de là, je vois le progrès, le sens du développement; eh bien, il a une espèce de besoin spontané d'une belle forme.

Juste maintenant en t'écoutant, tout d'un coup il s'est détendu, reposé dans une satisfaction: «Ah! enfin...» Et ce n'est pas mental du tout: c'est... (comment dire?) l’harmonie de la forme.

La musique lui fait un bien énorme – mais pas la musique classique, pas une musique qui a des règles mentales. Quelque chose qui exprime un rythme intérieur, l’harmonie d'un rythme intérieur... Il n'y a pas beaucoup de musiques comme cela.

Et les mots, c'est la même chose. Tout de suite, le son des mots repose.

Tu me relis ça? Relis-le.1

(le disciple secoue la tête, il a honte)


Peu après

Tu as entendu parler des drogues?2... Tu as vu des images?... Moi, j'ai vu des images... Les gens sont précipités tout à fait sans défense dans le vital le plus bas et, suivant leur nature, c'est, ou épouvantable, ou cela leur paraît merveilleux. Par exemple, l’étoffe sur un coussin ou sur un siège, tout d'un coup se remplit d'une beauté merveilleuse. Puis ça leur dure deux heures, trois heures comme cela. Naturellement, ils sont tout à fait fous pendant ce temps. Et le malheur, c'est que les gens disent: «Des expériences spirituelles», et il n'y a personne pour leur dire que cela n'a rien à voir avec les expériences spirituelles.

Il y a ici un Italien, que j'ai vu l’autre jour avec sa femme (la femme est gentille; lui, a de longs cheveux et un air mystique... «mystique», c'est une façon de parler: mystique de scène de théâtre). Je ne les ai pas trouvés très intéressants, mais ils ont l’intention de rester ici trois ou quatre mois. Et aujourd'hui, il m'a écrit une lettre en français. Et dans cette lettre, il y a beaucoup de choses; d'abord, il dit qu'il a eu une expérience ici – et ces gens sont terribles, mon petit, dès qu'ils ont la moindre petite expérience, ils ont peur! alors naturellement tout s'arrête. Mais c'est une question secondaire. Mais à ce propos-là, il dit qu'il a pris de cette drogue et il décrit l’effet (Mère montre un passage de la lettre au disciple):

«La seconde fois, avec une dose normale de LSD (acide lysergique), comme je montais dans cette situation lumineuse, j'ai eu des visions terribles, les murs de ma chambre s'étaient animés de milliers de visages méchants et désespérés qui m'ont persécuté jusqu'à la nuit...»

Voilà.

Et ça continue. Et puis il dit qu'il a eu une expérience ici, et il a peur.

Mais enfin, cela m'a donné encore une preuve de plus... J'ai vu des images dans Life (il y avait des photos): on a l’air d'être entré dans une maison d'aliénés. Mais lui, il a eu l’expérience, cela prouve que son vital... N'est-ce pas, ce sont les images enregistrées dans le subconscient (les images des pensées, les images des sensations, les images des sentiments, enregistrées dans le subconscient), qui deviennent objectives; qui remontent à la surface et deviennent objectives. Alors cela donne le tableau exact de ce qui est dedans!

Par exemple, si l’on a la sensation ou la pensée que quelqu'un est méchant ou ridicule, ou ne vous aime pas, enfin des opinions de ce genre, généralement cela remonte en rêve; mais là, on n'est pas endormi et on a le rêve! Ils viennent jouer le jeu que vous avez pensé d'eux: ce que vous avez pensé d'eux vient sur vous avec leur forme. Alors c'est une indication: ceux qui voient des images souriantes, aimables, belles, cela veut dire que dedans, ça se comporte assez bien (vitalement), mais ceux qui voient des choses terrifiantes ou méchantes, ou comme celles-là, cela veut dire que le vital n'est pas joli.

Oui, mais est-ce qu'il n'y a pas un vital objectif où ces visions n'ont rien à voir avec votre propre subconscient?

Oui, il y a cela, mais ça n'a pas le même caractère.

Pas le même caractère?

On ne peut le connaître que si l’on va dans le vital PLEINEMENT CONSCIENT: conscient de son propre vital et conscient dans le monde vital comme l’on est conscient dans le monde physique. On y va consciemment. Alors ce n'est pas un rêve, cela n'a pas le caractère d'un rêve: ça a le caractère d'une activité, d'une expérience, et c'est très différent.

Parce qu'il y a aussi de ces mondes du vital où l’on persécute... des mondes terribles, des mondes de torture et de persécution, non?

90% subjectif.

90% subjectif. Pendant plus d'un an régulièrement, toutes les nuits à la même heure et de la même façon, je suis entrée dans le vital pour y faire un travail spécial. Ce n'était pas le résultat de ma propre volonté: j'étais destinée à le faire. C'était quelque chose que j'avais à faire. Alors, par exemple, on décrit souvent cette entrée dans le vital: il y a un passage où des êtres sont postés pour vous empêcher d'entrer (on parle beaucoup de ces choses dans tous les livres occultes), eh bien, je sais par une expérience (pas en passant) répétée et apprise, que cette opposition ou cette malveillance est pour 90% psychologique, dans le sens que si vous ne vous y attendez pas ou vous ne la craignez pas, ou qu'il n'y a pas en vous quelque chose qui a peur de l’inconnu ni tous ces mouvements d'appréhension et autres, c'est comme une ombre sur un tableau ou la projection d'une image: cela n'a pas de réalité concrète.

J'ai eu une ou deux batailles vitales vraies, ça oui, en allant res-caper quelqu'un qui s'était fourvoyé. Et deux fois, j'ai reçu des coups, et le matin quand je me suis réveillée, il y avait la marque (Mère montre son œil droit). Eh bien, dans les deux cas, je sais que c'était en moi, non pas une peur (je n'ai jamais eu peur là), mais parce que je m'y attendais. l’idée que «ça peut bien arriver» et que je m'y attendais a fait que le coup est venu. Je l’ai su d'une façon certaine. Et si j'avais été dans ce que l’on peut appeler mon «état normal», de certitude intérieure, cela n'aurait pas pu me toucher, ça n'aurait pas pu. Et j'avais eu cette appréhension parce que Mme Théon avait perdu un œil dans une bataille vitale et qu'elle me l’avait dit, et alors (riant) cela m'a donné l’idée que c'était possible puisque ça lui était arrivé!... Mais quand je suis dans mon état (je ne peux même pas dire cela, ce n'est pas «personnel»: c'est une manière d'être), quand on a la vraie manière d'être, quand on est un être conscient et que l’on a la vraie manière d'être, ça ne PEUT PAS vous toucher.

C'est comme l’expérience de rencontrer un ennemi et de vouloir le frapper et puis les coups ne portent pas et tout ce que vous faites n'a pas d'effet – c'est toujours subjectif. J'ai eu toutes les preuves, toutes les preuves.

Mais alors, qu'est-ce qui est objectif?

Il y a des mondes, il y a des êtres, il y a des pouvoirs, ils ont leur existence propre, mais ce que je veux dire, c'est que les relations avec la conscience humaine dépendent de cette conscience humaine pour la forme qu'elles prennent.

C'est comme avec les dieux, mon petit, c'est la même chose! Tous ces êtres du Surmental, tous ces dieux, la relation avec eux, la forme de ces relations, dépend de la conscience humaine. Vous pouvez être... On a écrit: «l’homme est un bétail pour les dieux» – mais si l’homme accepte d'être un bétail. Il y a dans l’essence de la nature humaine une souveraineté sur toutes ces choses, qui est spontanée et naturelle, quand elle n'est pas faussée par un certain nombre d'idées et de soi-disant connaissances.

On pourrait dire que l’homme est le maître tout-puissant de tous les états d'être de sa nature, mais qu'il a oublié de l’être.

Son état naturel, c'est d'être tout-puissant – il a oublié de l’être.

Dans cet état d'oubli, toutes les choses deviennent «concrètes», oui, dans le sens que l’on peut avoir une marque sur l’œil (ça peut se traduire comme cela), mais c'est parce que... parce que l’on a permis que ce soit.

C'est la même chose pour les dieux: ils peuvent régir votre vie et vous tourmenter beaucoup (ils peuvent vous aider beaucoup aussi), mais leur puissance par rapport à vous, à l’être humain, c'est la puissance que vous leur donnez.

C'est une chose que j'ai apprise petit à petit depuis plusieurs années. Mais maintenant, j'en suis sûre.

Naturellement, dans la courbe de l’évolution, il était nécessaire que l’homme oublie sa toute-puissance, parce qu'elle l’avait tout simplement gonflé d'orgueil et de vanité et qu'alors c'était complètement déformé, et il fallait lui donner le sens de beaucoup de choses qui étaient plus fortes et plus puissantes que lui. Mais essentiellement, ce n'est pas vrai. C'est une nécessité de la courbe du progrès, c'est tout.

l’homme est un dieu en puissance. Il a cru qu'il était un dieu réalisé. Il avait besoin d'apprendre qu'il n'était rien du tout qu'un pauvre petit ver qui grouillait sur la terre, et alors la vie l’a raboté-raboté-raboté de toutes les façons, jusqu'à ce qu'il ait... pas compris, mais enfin un peu senti. Mais dès qu'il prend la position véritable, il sait qu'il est un dieu en puissance. Seulement, il faut le devenir, c'est-à-dire surmonter tout ce qui ne l’est pas.

Cette relation avec les dieux est extrêmement intéressante. Tant que l’homme est ébloui, en admiration devant la puissance, la beauté, les réalisations de ces êtres divins, il est leur esclave. Mais quand, pour lui, ce sont des manières d'être du Suprême et rien de plus, et que lui-même est une autre manière d'être du Suprême, qu'il doit devenir, alors la relation est différente et il n'est plus leur esclave – il n'est PAS leur esclave.

Au fond, la seule objectivité, c'est le Suprême.

Voilà, tu l’as dit, mon petit. C'est cela. C'est exactement cela.

Si l’on prend le mot objectivité au sens d'«existence indépendante réelle» – l’existence en soi indépendante réelle –, il n'y a que le Suprême.3


Au moment de partir:

Alors il faut que j'attende que le livre soit fini pour l’entendre?...

(le disciple fait la grimace)

Tiens, en t'écoutant, c'était comme si j'étais couchée, allongée sur quelque chose qui avance d'une façon très douce et très régulière, et que je voyais une atmosphère tout à fait lumineuse et harmonieuse.

C'est l’effet que cela me fait tout de suite.

l’éducation du nouveau mental. Qu'il devienne un instrument de beauté, ce serait bien!

Oui, mais l’inspiration, c'est difficile à tirer!

(Mère rit)

22 mai 1966

(Le disciple tombe par hasard sur des notes de Mère dans une pile de dossiers.)

(Riant) Il y en a partout! il y en a ici, il y en a là, il y en a là... Sri Aurobindo une fois (c'était en 1920, je crois), m'a dit un jour: «Oh! ils ont mis de l’ordre dans ma chambre, je ne trouve plus rien!» Et eux, disaient qu'il avait ses papiers partout: sur son lit, sur les chaises, sur la table, dans les tiroirs, sur les étagères; il y avait partout des papiers, des notes comme cela. Mais il savait exactement où chaque chose était. Alors eux, ils ont «mis de l’ordre», ils ont rangé – il n'a plus rien trouvé! C'était très amusant. Je lui ai dit: «Voulez-vous que je fasse votre chambre, que je la nettoie? je ne toucherai à rien.» Alors j'ai laissé les papiers sur le lit, sur la chaise, sur la table, sur les étagères! J'ai nettoyé une étagère, et puis dans un livre, j'ai trouvé de l’argent. Je lui ai dit (je pensais que c'était oublié), je lui ai dit: «J'ai trouvé... cent, deux cents roupies (je ne sais plus) qui étaient dans un livre.» (Il y avait un billet à un endroit, un billet à un autre.) Il m'a répondu: «Oui, je suis obligé de les cacher, autrement ils me le prennent!» (Mère rit)

Mais moi, je ne vaux rien pour les cacher!

N'est-ce pas, instinctivement, je vais, je prends le livre, je l’ouvre, et puis je trouve l’argent. Alors je lui ai demandé: «Voulez-vous me confier votre argent, je vous le garderai?» Il m'a dit: «Ça simplifierait les choses.» Mais au bout d'un an, j'avais trois mille roupies à lui, qui venaient de livres, d'ici et là! Je lui ai dit (riant): «Voilà, ça a fructifié!»1


(Peu après, le disciple lit un texte assez long à Mère, et se retrouve complètement épuisé.)

Tu es fatigué?

C'est comme si toute la force vitale s'en allait.

(longue concentration rafraîchissante)

Il faut aller te reposer.

Ça va bien maintenant! Mais je ne sais pas pourquoi, très vite la force part

Mais la nuit, tu te reposes?

Oui-oui, je vais très bien! Seulement c'est drôle, dès que je fais un effort quelconque, c'est comme si...

Tu ne peux pas.

Oui, mais pourquoi?

Parce que l’on est dans une période de transformation très aiguë, mon petit, très aiguë. Alors, quand on a un pied par terre et l’autre pied en l’air, ce n'est pas le moment de...

Ce sont des périodes comme cela. Ça ne dure pas très-très longtemps, mais ça peut durer un ou deux mois, trois mois. Et après, c'est fini. Après, il y a une autre période comme cela. Il faut, dans ce cas-là, rester bien tranquille.

Mais j'ai remarqué que quand je fais des choses matérielles – des petites choses –, c'est comme s'il y avait une formidable force vitale qui passait dans le travail, et je me trouve épuisé après, pour n'avoir rien fait! Comment se fait-il, toute cette force vitale qui s'en va?

C'est parce que toute la force vitale est utilisée pour garder le corps en équilibre dans la période de transformation. C'est ce que j'avais appelé le «changement de gouvernement», c'est la période de transformation. Et durant ce changement, eh bien, toute la force vitale est là juste pour vous garder en équilibre afin que l’on ne bascule pas. Parce que c'est difficile.

Il faut rester bien tranquille, juste faire ce qui est indispensable.

Dans la vie ordinaire, quand on ne sait pas, les gens qui ne savent pas, il y a un gaspillage formidable de forces vitales, pour rien. Eh bien, on n'a plus le droit de le faire parce que toute cette force vitale est là, comme je dis, concentrée pour garder l’équilibre du corps.

C'est un état très-très général pour tous ceux qui... non pas font le yoga, mais pour qui le yoga est fait. Et il est fait... (comment dire?) presque à leur insu – tout ce qui les met en état de le faire, c'est, d'abord l’aspiration, et puis la confiance. Ce sont les deux choses: la foi, la confiance que la Conscience divine est à l’œuvre, et puis l’aspiration à la transformation. C'est tout ce qui est nécessaire. Et le travail est fait. Mais ce travail implique, justement, non pas un déséquilibre mais un changement d'équilibre. Un changement d'équilibre. Et pour passer d'un équilibre à l’autre, eh bien, il faut se tenir bien tranquille.

Mais cette difficulté dont tu parles, c'est quelque chose que j'ai à chaque minute.

Les gens qui ne savent pas (il y en a beaucoup, presque tous ne savent pas) ont l’impression qu'ils sont malades. Mais ce n'est pas une maladie: c'est un changement d'équilibre, qui prend toutes sortes de formes suivant le caractère, la nature de chacun. Alors, quand on ne fait pas attention et qu'un déséquilibre se produit, il y a quelque chose qui se traduit par ce que les docteurs appellent les «maladies», mais si j'avais le temps de m'amuser et de leur poser des questions, ils seraient obligés de me dire que chaque cas est différent – chaque cas: il n'y a pas deux cas pareils. Ils disent: «Oui, ça ressemble à ceci, ou ça ressemble à cela, ou ça ressemble à cela.» Et ce n'est pas autre chose que le passage du vieil équilibre millénaire à un équilibre nouveau qui n'est pas encore établi, et dans le passage entre les deux, eh bien... il faut faire attention, voilà tout. S'accrocher très fort, très fort à l’Harmonie supérieure.2

25 mai 1966

(À propos de la conversation du 18 mai où Mère disait que 90% des visions et rêves du vital, ou même des autres plans plus hauts, sont subjectifs.)

Cela a quand même quelque chose d'inquiétant, cette subjectivité presque totale.

Ah! pourquoi?

On se demande ce qui est vrai, qu'est-ce que l’on rencontre vraiment? Est-ce que tout n'est pas un tissu d'imagination?... C'est un peu inquiétant.

Mais quand on a l’expérience positive de l’unique et exclusive existence du Suprême et que tout n'est que le jeu du Suprême à Lui-même, au lieu d'être une chose inquiétante ou déplaisante ou gênante, c'est au contraire une sorte de sécurité totale.

l’unique réalité, c'est le Suprême. Et tout cela, c'est un jeu qu'il se joue à Lui-même. Je trouve cela beaucoup plus consolant que le contraire.

Et d'abord, c'est la seule certitude que cela peut devenir quelque chose de merveilleux, autrement...

Ça aussi, cela dépend absolument de la position que l’on prend. Une identification complète avec le jeu en tant que jeu, comme une chose existante en soi et indépendante, est probablement nécessaire, d'abord pour jouer le jeu comme il convient. Mais il y a un moment où l’on arriverait, justement, à ce détachement, ce dégoût si total de toute la fausseté de l’existence, qu'elle n'est plus tolerable que quand on la voit comme le jeu intérieur du Seigneur en Lui-même, pour Lui-même.

Et alors, on a le sentiment de cette liberté absolue et parfaite qui fait que les possibilités les plus merveilleuses deviennent réalisables, que tout ce que l’on peut imaginer de plus sublime est réalisable.1

(Mère entre en contemplation, puis ouvre «Savitri»:)

Et la Terre, sans s'y attendre, deviendra divine

(I.IV.55)

C'est une consolation...

(silence)

Tu verras, il y a un moment où l’on ne peut se tolérer soi-même et la vie que si l’on prend cette attitude où c'est le Seigneur qui est tout. Tu vois, ce Seigneur, combien de choses Il possède: Il joue avec tout ça – Il joue, Il joue à... changer les positions. Et alors, quand on voit ça, ce tout, on a le sentiment de la merveille illimitée, et que tout ce qui est l’objet de l’aspiration la plus merveilleuse, tout cela, c'est tout à fait possible, et ce sera même dépassé. Alors on est consolé. Autrement l’existence... c'est inconsolable. Mais comme cela, ça devient charmant. Je te dirai cela un jour.

Quand on a l’impression de l’irréalité de la vie – l’irréalité de la vie – par rapport à une réalité qui est certainement par-delà, au-delà, mais en même temps À l’intérieur de la vie, alors à ce moment-là... ah! oui, enfin ça, c'est vrai – enfin ça, c'est vrai et mérite d'être vrai. Ça, c'est la réalisation de toutes les splendeurs possibles, de toutes les merveilles possibles, de toutes les, oui, les félicités possibles, de toutes les beautés possibles, ça oui, autrement...

Tu comprends?

J'en suis là.

Et alors, j'ai l’impression d'avoir encore un pied ici, un pied là, ce qui n'est pas une situation très agréable parce que... parce que l’on voudrait qu'il n'y ait plus que Ça.

La manière d'être actuelle, c'est un passé qui vraiment ne devrait plus exister. Tandis que l’autre, ah! enfin! enfin!... c'est pour ça qu'il y a un monde.

Et tout reste tout aussi concret et tout aussi réel – ça ne devient pas fumeux. C'est tout aussi concret, tout aussi réel, mais... mais ça devient divin, parce que... parce que c'est le Divin. C'est le Divin qui joue.

Voilà, mon petit.

28 mai 1966

(Mère prend son visage entre ses mains et semble épuisée.)

Ça va?

C'est toi qui es fatiguée?

Non, c'est pire que fatiguée, c'est pire...

Il y a tout un travail d'ajustement qui se fait, qui est devenu très-très difficile, très difficile (Mère fait un geste triturant).

Pratiquement, je ne peux plus manger, je me force, autrement je ne ferais que boire. Et ça ne vient pas de l’estomac, ce n'est pas cela, c'est... (même geste de trituration).

Je ne me sens pas fatiguée, mais j'ai depuis longtemps et de plus en plus (ces jours-ci, c'est devenu très aigu) l’impression de marcher, d'avancer (geste en équilibre instable) et que le moindre faux-pas vous fait tomber dans le précipice. On est comme sur une crête entre deux précipices.

Et c'est quelque chose qui se passe dans les cellules du corps. Cela n'a rien de moral, ce n'est même pas de la sensation.

On est dans la nécessité d'une vigilance constante. Le moindre relâchement, n'est-ce pas, est... catastrophique.

(longue contemplation)

Alors, je te vois jeudi? Eh bien, j'espère que ce sera fini, que j'en serai sortie!

La consolation, c'est que l’action du Suprême devient de plus en plus claire et évidente. N'est-ce pas, je suis comme un petit bout de... (Mère fait un geste au creux d'une Main) comment dire?... de la poussière, mais c'est une poussière qui souffre, c'est embêtant. Très sensible. Mais le jeu des forces devient de plus en plus clair et de plus en plus puissant, et sur un champ de plus en plus étendu. Et directement là [dans la matière], avec une précision et une force extraordinaires. C'est une consolation.

Il n'y a qu'à ne pas s'en occuper.

juin




2 juin 1966

C'est passé, la difficulté de l’autre jour?

Oh! j'ai eu une expérience, une nouvelle expérience. C'est-à-dire que ce sont les cellules du corps qui ont eu une nouvelle expérience.

Quand je me mets sur le lit, la nuit, c'est l’offrande de toutes les cellules, qui font un surrender [abandon] aussi complet qu'elles peuvent, régulièrement, avec une aspiration non seulement à l’union mais à la fusion: qu'il n'existe plus que le Divin. C'est régulier, c'est tous les jours, tous les jours. Et depuis quelque temps, c'était comme si ces cellules, ou cette conscience corporelle (mais qui n'est pas organisée comme une conscience: c'est comme une conscience collective des cellules) se plaignait un peu, disait: «Mais nous ne sentons pas grand-chose. Nous sentons (elles ne peuvent pas dire qu'elles ne sentent pas: elles se sentent protégées, supportées), mais enfin...» Elles sont comme des enfants, elles se plaignaient que ce n'était pas spectaculaire: «Ça DOIT être merveilleux» (Mère rit). Ah! bien. Alors la nuit d'avant-hier, elles étaient dans cet état-là en se couchant. Je n'ai pas bougé du lit jusqu'à près de deux heures du matin, et à deux heures du matin je me suis levée, et je me suis tout d'un coup aperçue que toutes les cellules, tout le corps (mais c'est vraiment une conscience cellulaire, ce n'est pas une conscience corporelle; ce n'est pas la conscience de telle ou telle personne: il n'y a pas de personne, c'est la conscience d'un agglomérat cellulaire), cette conscience-là se sentait baignée et en même temps traversée par un pouvoir MATÉRIEL d'une vélocité fan-tas-ti-que, qui n'a aucun rapport avec la vélocité de la lumière, aucun: la vélocité de la lumière est quelque chose de lent et de tranquille à côté. Fantastique! fantastique! Quelque chose qui doit ressembler au mouvement de là-bas, des centres... (Mère fait un geste lointain dans l’espace galactique). C'était tellement formidable! Je suis restée bien tranquille, immobile, assise, bien tranquille; et tout de même, aussi tranquille que je pouvais l’être, c'était tellement formidable, comme quand on est emporté par un mouvement et que l’on va si vite que l’on ne peut pas respirer. Une espèce de malaise; non pas que je ne pouvais pas respirer, il ne s'agit pas de cela, mais les cellules avaient l’impression d'être suffoquées tellement c'était... c'était formidable. Et avec une sensation de pouvoir en même temps, d'un pouvoir auquel rien-rien-rien ne peut résister, d'aucune façon. Alors, j'avais été tirée de mon lit (je m'en suis aperçue) pour que la conscience CORPORELLE (note la différence, ce n'est pas la conscience des cellules: c'est la conscience corporelle) enseigne aux cellules comment faire le surrender et leur dire: «Il n'y a qu'une façon: un surrender total, et alors vous n'aurez plus cette sensation de suffocation.» Et il y a eu une petite concentration, comme une petite leçon. C'était très intéressant, une petite leçon: comment il faut faire, ce qu'il faut faire, comment s'abandonner totalement. Et quand j'ai vu que c'était compris, j'ai été me recoucher. Et alors, j'ai été dans ce Mouvement depuis ce moment-là (il était deux heures, deux heures vingt), jusqu'à cinq heures moins le quart, sans un arrêt! Et ce qui a été particulier, c'est que quand je me suis levée, il y avait dans cette conscience, à la fois cellulaire et un peu corporelle, le sens de l’Ananda [la joie divine] de tout ce qu'il faisait: se lever, marcher, se laver les yeux, se brosser les dents... Pour la première fois de ma vie, j'ai senti l’Ananda (un Ananda tout à fait impersonnel), un Ananda de ces mouvements. Et alors avec le sentiment: ah! c'est comme cela que le Seigneur s'amuse.

Ce n'est plus au premier plan (c'était au premier plan pendant une heure ou deux pour me faire comprendre), maintenant c'est un peu à l’arrière-plan. Mais tu comprends, avant, le corps sentait que toute son existence était basée sur la Volonté, la soumission à la Volonté suprême, et l’endurance. Si on lui demandait: «Ça te fait plaisir, de vivre?», il n'osait pas dire non, parce que... mais cela ne lui faisait pas plaisir. Ce n'était pas pour son plaisir et il ne comprenait pas que cela puisse faire plaisir. C'était une concentration de volonté dans une soumission qui s'efforçait d'être aussi parfaite – minutieusement parfaite – que possible, et un sentiment d'endurance: tenir bon, tenir bon, tenir bon. C'était la base de son existence. Alors, quand il y avait des périodes de transition... qui sont toujours pénibles, comme, par exemple, pour passer d'une habitude à une autre, non pas au sens de changer d'habitude mais de passer d'un support à un autre, d'un mobile à un autre – ce que j'appelle le «transfert de pouvoir» –, c'est toujours pénible, cela arrive périodiquement (non pas d'une façon régulière mais périodiquement) et toujours au moment où le corps a rassemblé assez d'énergie pour que son endurance soit plus complète; alors la nouvelle transition vient, et c'est pénible. Il y avait cela, cette volonté et cette endurance, et puis: «Que Ta Volonté soit faite», et «Fais que je Te serve comme Tu veux, comme il faut que je serve, que je t'appartienne comme Tu veux», et puis «Qu'il n'y ait plus que Toi, que le sens de la personne disparaisse» (et vraiment, cela avait diminué considérablement). Et ça, c'était une soudaine révélation: au lieu de cette base d'endurance – tenir à tout prix –, au lieu de cela, une espèce de joie, de joie très tranquille mais très souriante, très souriante, très douce, très souriante, très charmante – charmante! si innocente, quelque chose de si pur et de si joli: la joie qui est dans toutes les choses, dans tout ce que l’on fait, tout-tout. À ce moment-là, on m'a montré: tout-tout-tout, il n'y a pas une vibration qui ne soit une vibration de joie.

C'est la première fois.

Et alors, le résultat est... (riant) que le corps se porte un peu mieux! Il sent moins cette tension. Mais on lui a recommandé d'être bien tranquille, bien tranquille, pas d'excitation surtout, pas de «joie» comme l’on a d'habitude (la joie vitale qui se sent et qui s'exprime), pas de cela, rien de tout cela: très tranquille, très tranquille. C'est quelque chose qui est si pur, oh!... si translucide, transparent, léger...

C'est la première fois que je sens cela physiquement. C'est-à-dire que c'est la première fois que ces cellules ont cette expérience.

N'est-ce pas, avant, elles sentaient toujours, dans le pouvoir et dans la force, elles sentaient le support du Seigneur, elles sentaient que c'était à cause de Lui qu'elles existent,1 que c'est par Lui qu'elles existent, c'est en Lui qu'elles existent; tout cela, elles le sentaient; mais pour être en état de sentir, il fallait être d'une endurance – une endurance absolue, tout endurer. Maintenant, ce n'est pas cela; ce n'est pas cela, il y a quelque chose qui rit, mais qui rit d'une façon si douce, si douce, qui est, oh! extraordinaire-ment amusé, qui est là-derrière, et c'est léger-léger-léger – tout le poids de cette tension a disparu.

Et c'est le résultat de ce «passage» formidable: un passage qui emportait les cellules; ce n'était pas que les cellules étaient immobiles et que ça passait au travers: elles étaient DANS le Mouvement, elles allaient avec cette même vélocité – fantastique vélocité – d'une luminosité éblouissante et d'une rapidité inimaginable, sentie comme cela, matériellement. Cela dépassait toute la possibilité de sensation ordinaire. Ça a duré des heures.2


Peu après

Tu as entendu parler des discours des dauphins?... Tu n'as pas vu ces articles?... On a découvert que les dauphins parlent un langage articulé, mais avec un champ beaucoup plus étendu que le nôtre: ça monte beaucoup plus haut et ça descend beaucoup plus bas. Et c'est beaucoup plus varié. Et ils parlent régulièrement (il paraît que cela s'enregistre), ils parlent et on ne comprend pas ce qu'ils disent. Et alors, on leur a fait écouter notre parole – ils l’imitent et ils s'en moquent! Ils rient! (Mère a l’air très amusée)]

J'ai vu des photos, ils ont l’air gentil, mais les photos ne sont pas suffisantes. Ils ont, comme les marsouins, des rangées de petites dents (ils ne sont pas méchants du tout, paraît-il, ils n'ont jamais un mouvement de fureur). Ils parlent, ils parlent! Et ils savent écouter. Et alors, ils imitent et ils rient, comme si (riant) nous leur paraissions extrêmement ridicules.

C'est amusant.

Il paraît que l’on a fait des espèces de grandes piscines quelque part en Amérique du Nord, où on les garde, et il paraît qu'ils ont l’air très contents. Alors on fait des études; c'est un savant américain qui s'occupe de cela, et quelqu'un lui a dit (j'ai lu cela hier): «Mais vous dites qu'ils sont peut-être aussi intelligents que nous, mais s'ils étaient aussi intelligents que nous, ils auraient essayé de se faire comprendre et de nous comprendre.» l’autre a répondu (Mère rit) que peut-être c'était de la sagesse parce qu'ils auraient découvert que nous sommes très bêtes!

C'est amusant.

Il paraît aussi que d'autres savants ont découvert la «transmission imédiate», qui ne suit plus la courbe lente des transmissions d'ondes ni même des transmissions plus éthérées, par ce qu'ils appellent une espèce de «balancier» (je crois) ou de contrepoids, de telle sorte que ce que l’on fait ici, automatiquement se reproduit là-bas; si ça descend ici, ça monte là, et si ça descend là, ça monte ici, automatiquement. C'est une imitation (parce qu'ils ne peuvent pas comprendre ce que c'est), mais c'est la communication intuitive, n'est-ce pas. Il paraît qu'ils ont un instrument qui la mesure! C'est fantastique!

Finalement, ils auront tout, sauf la clef.

Oui, c'est cela! Oui, mais c'est bien d'avoir tout, parce que dès qu'on aura la clef, ça y sera.

C'est peut-être la préparation nécessaire pour la nouvelle création. Alors il ne manquera plus, justement, que la clef. Et puis la clef vient: maintenant, pfft! ça y est.

Mais en tout cas, il paraît (on me l’avait dit déjà), il paraît que cela a un peu diminué leur arrogance mentale... (riant) ils ne se croient plus les êtres supérieurs de la création!

Ah! faisons un peu de «Savitri»... (Mère lit le premier vers):

A few shall see what none yet understands3

(I.IV.55)

Voilà! Tu vois.


(Un peu plus tard, Mère regarde son carnet de rendez-vous encombré de listes interminables.)

...Mais enfin, il y a tout lieu de penser que le Seigneur s'amuse. Il doit s'amuser beaucoup, autrement Il ne me ferait pas voir tout ce monde. Ça doit l’amuser beaucoup – mais tout l’amuse, je crois, même ce qui ne nous amuse pas parce que nous sommes trop petits.

La fatigue est un grand signe de faiblesse; quand quelque chose vous fatigue ou vous ennuie, c'est vraiment un signe de faiblesse. Cela ne m'arrive plus beaucoup; je ne crois même pas que cela m'arrive: c'est seulement quelque part dans la conscience mentale (et cela ne vient pas de moi, cela vient plutôt des autres) une suggestion que «vraiment c'est un peu trop». Autrement...

Et ton livre? Ça va?

Encore cette nuit (très souvent, presque toutes les nuits), il y a un moment de la nuit que je passe dans l’état de conscience de ton livre: la façon de voir, de sentir et de dire (Mère dessine une bande représentant la «région» du livre), comme cela. Et alors, de temps en temps, je fais une suggestion, mais pas avec des mots: c'est comme si j'introduisais une autre manière de voir et de sentir, dedans: «Pourquoi pas comme cela?» Plusieurs fois, c'est arrivé. Mais je ne me souviens pas des détails quand je me lève parce qu'il y a trop de choses. Mais c'est un endroit où s'élabore le livre, alors j'entre dans cet endroit et c'est comme si j'y apportais des courants d'air! (Mère rit) Je fais des propositions. Cela arrive très souvent. Je pense que cela arrive régulièrement toutes les nuits mais que je me souviens seulement quand je pense que c'est nécessaire.

4 juin 1966

Ça va? – Ça devrait aller mieux.

Pourquoi?

Parce que je crois (je «crois», c'est une façon de dire)... Je t'ai parlé l’autre fois de cette force formidable; eh bien, je crois que tout de même ça a fait de l’effet.

Cela a changé quelque chose à l’atmosphère, ce n'est pas aussi accablant, n'est-ce pas? Je t'ai dit la différence de position; eh bien, vraiment, c'est comme si l’on avait renversé quelque chose. Alors cela devrait avoir de l’effet sur tout le monde (?)

Et je continue à écrire d'interminables pages! oui, de ton livre. C'est tout nouveau. (Je ne m'en occupe plus du tout d'ailleurs quand je suis réveillée.) Je passe un moment de ma nuit comme cela, non pas à écrire de ma main, mais à dicter. Sur le moment, ça m'amuse, mais pas assez pour me souvenir de ce que j'ai dit. Des histoires!... On dirait que j'ai beaucoup d'imagination. Mais quand je le lis, cela me paraît être quelque chose que j'ai vu ou que j'ai vécu.

8 juin 1966

(À la suite d'un ancien Entretien, du 19 avril 1951, où Mère disait: «On fait comme une chasse intérieure, on va à la chasse des petits coins noirs... On offre la difficulté, en soi-même ou dans les autres, quel que soit le siège de sa manifestation, à la Conscience divine en lui demandant de la transformer.»)

Justement, c'est ce que j'ai fait depuis deux jours! Depuis deux jours, j'ai passé tout mon temps à voir toute ce... oh! une accumulation de tas de petites choses sordides, et que l’on vit constamment, des toutes petites choses sordides. Et alors, il n'y a qu'un moyen – il n'y a qu'un moyen, toujours le même: offrir.

C'est presque comme si cette Suprême Conscience vous mettait en contact avec des choses tout à fait oubliées qui appartiennent au passé – qui sont même, ou qui étaient, qui semblaient complètement effacées, avec lesquelles on n'avait plus de contact –, toutes sortes de petites circonstances, mais alors vues dans la nouvelle conscience, à leur vraie place, et qui font un ensemble si pauvre, si misérable, si mesquin, si sordide, de toute la vie, la vie humaine générale. Et alors, c'est une joie lumineuse de l’offrande de tout cela pour la transformation, pour la transfiguration.

Maintenant, c'est devenu le mouvement même de la conscience cellulaire. Toutes les faiblesses, toutes les réponses aux suggestions adverses (je veux dire: les toutes petites choses de chaque minute, dans les cellules), ça vient quelquefois en vagues, au point que le corps a l’impression qu'il va défaillir devant cet assaut, et puis... c'est une lumière si chaude, si profonde, si douce, si puissante, qui remet tout en ordre, en place, qui ouvre le chemin vers la transformation.

Ces périodes-là sont des périodes très difficiles de la vie corporelle; on a l’impression qu'il n'y a plus qu'une chose qui décide: c'est la suprême Volonté. Il n'y a plus aucun support – aucun support, depuis le support de l’habitude jusqu'au support de la connaissance et au support de la volonté, tous les supports ont disparu: il n'y a que le Suprême.

(silence)

l’aspiration dans la conscience cellulaire à la sincérité parfaite de la consécration.

Et l’expérience vécue – vécue intensément – que c'est seulement cette sincérité absolue de la consécration qui permet l’existence.

La moindre prétention est une alliance avec les forces de dissolution et de mort.

Alors, c'est comme un chant des cellules – mais qui ne doivent même pas avoir l’insincérité de se regarder faire –, le chant des cellules: «Ta Volonté, Seigneur, Ta Volonté...»

Et l’immense habitude de dépendre de la volonté des autres, de la conscience des autres, des réactions des autres (des autres et de toutes les choses), cette espèce de comédie universelle que tous jouent à tous et que tout joue à tout, doit être remplacée par une sincérité spontanée, absolue, de la consécration.

Il est évident que cette perfection de la sincérité n'est possible que dans la partie la plus matérielle de la conscience.

C'est là que l’on peut arriver à être, à exister, à faire, sans se regarder être, sans se regarder exister, sans se regarder faire, avec une sincérité absolue.1


Peu après

Cet Entretien du 19 avril 1951 m'intéresse infiniment. C'est juste le lieu de l’effort actuel.

C'est très intéressant, cette corrélation constante entre le travail intérieur et le travail extérieur, comme par exemple la préparation de ce Bulletin.2 Je vois bien que la cause initiale vient toujours du dehors («du dehors» par rapport à ce corps), en ce sens que le lieu de l’effort dépend de l’état de santé des gens qui m'entourent, d'un certain ensemble de circonstances, et puis d'un travail intellectuel (comme ce Bulletin); ce sont les causes; parce que là (geste au front), c'est vraiment l’immobilité tranquille et silencieuse. Donc c'est seulement ce qui vient du dehors.

Et le corps est de plus en plus conscient: il a une perception très aiguë des vibrations qui viennent des vieilles habitudes, des vieilles manières d'être et de l’opposition, et de la présence de la Vraie Vibration. Alors c'est une question de dosage et de proportion, et quand la quantité, la somme des vieilles vibrations, des vieilles habitudes, des vieilles réponses, est trop grande, cela produit un désordre qui demande l’immobilité et la concentration pour être surmonté, et qui donne une perception si claire, si intense, de la fragilité de l’équilibre et de l’existence. Et alors, derrière: une Gloire. La Gloire de la Lumière divine, de la Volonté divine, de la Conscience divine, du Mobile éternel.

11 juin 1966

(Il est tout d'abord question du livre que le disciple est en train d'écrire et que Mère «dicte» la nuit, mais que le disciple reçoit mal)

Mon petit, je continue à écrire! c'est incroyable! Cela ne m'est jamais arrivé.

Des choses fantastiques...

Mais ça avance?

Pas beaucoup, pas vite du tout.

Tu écris à la suite ou tu as commencé par la fin?

Non-non, j'écris toujours à la suite... Ça ne vient pas bien, ça ne vient pas facilement du tout. Je me demande où cela se bouche.

C'est parce que, quand on se met à écrire, ça rentre dans l’atmosphère mentale, l’atmosphère mentale humaine. Et le passage est presque imperceptible, on a une telle habitude de penser, de s'exprimer, de sentir dans une atmosphère mentale humaine... qui pourtant, en comparaison de l’individu humain, est quelque chose de très vaste, de très complexe, de très souple (et ceux qui se meuvent là-dedans ont déjà l’impression d'une intelligence supérieure et d'une compréhension exceptionnelle, etc.), mais au point de vue de la Vérité, c'est tellement artificiel et conventionnel! C'est une convention très durable, qui subit des petits changements, des altérations suivant le temps, les époques, mais qui a une sorte de permanence. Ça me fait l’effet... (Mère fait un geste circulaire autour de sa tête) d'un globe dans lequel on se trouve, qui est lumineux, mais si artificiel!

Ce matin, j'avais justement toute une série d'expériences à propos de la notion d'égoïsme. Je me souviens que la première fois que quelqu'un devant moi parlait à Sri Aurobindo (il y a beaucoup d'années), en disant d'un autre: «Oh! c'est un égoïste», Sri Aurobindo a souri et il a répondu: «Égoïste? (je traduis, naturellement) mais le plus grand égoïste est le Divin puisque tout est à Lui et Il rapporte tout à Lui-même!»... Cela m'a paru d'une hardiesse! Et ce matin (c'est curieux, pas plus tard que ce matin; ce n'est pas la première fois d'ailleurs), tout d'un coup, j'ai senti à quel point cette notion d'égoïsme et cette espèce de réprobation de l’égoïste, avec, en même temps, toutes les nuances d'indulgence, de compréhension, tout cela, tout ce monde-là, à quel point c'est faux, c'est fixe et c'est en dehors de la Vérité. Et en dehors de la Vérité, non pas que son opposé serait vrai, non, ce n'est pas cela! C'est cette espèce de notion «moralo-mentale» qui est une affaire si entendue que personne ne la conteste, à quel point c'est loin-loin de la Vérité.

Mais l’expérience de ce matin était lumineuse parce que je vivais dans la Vérité. Et j'ai eu l’expérience des deux, de l’atmosphère vraie et de l’atmosphère conventionnelle. Mais une convention qui n'est pas locale ni d'un temps, d'un moment ou d'un lieu, ce n'est pas cela: ce sont des sortes de conventions nées de la conscience humaine, qui se nuancent – très souples –, qui se nuancent et se transforment suivant le besoin, mais c'est une convention vraiment. Cela me faisait l’effet d'un ballon de baudruche – immense, grand comme la terre, beaucoup plus grand que la terre.

Et j'ai eu l’expérience aussi, en même temps (c'est une expérience que j'ai eue souvent-souvent), que quand on vit dans la Lumière, il y a une compréhension parfaite, et ce n'est pas quelque chose qui se reflète ou qui se voit, ce n'est pas cela, c'est... c'est quelque chose qui est, qui existe: une Lumière vivante. Et dès que l’on veut exprimer, ça rentre dans le ballon de baudruche, et alors ça devient conventionnel (même sans dire des mots: simplement de se le dire à soi-même). Quand on est comme ça (geste immobile tourné vers le Haut), alors c'est La Chose. Et dès que l’on veut se la formuler, et encore plus l’écrire, c'est comme si ça rentrait dans le ballon de baudruche et ça devient conventionnel. Au point que, ces jours-ci, il m'est très difficile, quand je suis active, d'écrire quelque chose, tellement cela me paraît mince et sec et déformé.

Mais la nuit... (riant) comme par réaction, je dicte toutes sortes de choses! Mais je ne me souviens pas de ce que je dicte, c'est tout à fait ailleurs.

Mais c'est constamment que je sens cette artificialité.

Oui.

Constamment Mais je ne sais pas, j'attends, j'espère quelque chose qui sera pur ou vrai. Mais je sens constamment cette artificialité.

C'est cela.

Probablement on est à la veille de la solution. C'est toujours comme cela. On verra.

(silence)

Ce qui est merveilleux, c'est que dès que l’on en sort, c'est... ouf! c'est comme si l’on jaillissait dans une immensité sans limites, de lumière, et d'une lumière si vivante! Si vivante, si puissante, si active! C'est merveilleux. Et puis, tout le reste devient si pauvret, pouah!

Oui!

Alors... (riant) on est peut-être en train de chercher la solution.


(Peu après, il est question de publier le texte de la dernière conversation – du 8 juin 1966 – en appendice à l’Entretien du 19 avril 1951... quinze ans plus tôt. Le disciple émet quelques doutes en soulignant toute la différence qui sépare ces deux textes.)

...Il faut mettre cela (la conversation du 8 juin), c'est très important. C'est très utile. Il faut qu'on le sache.

J'avais senti qu'il y avait un tel monde entre les deux...

Cela ne fait rien.

Justement, ça donne un petit peu le sens du yoga – du yoga matériel –, ce que ça veut dire.

N'est-ce pas, l’aboutissement est une chose si merveilleuse que tout ce que les gens ont connu, même ceux qui ont eu les expériences les plus uniques, les plus exceptionnelles; les plus merveilleuses, tout cela, c'est fade en comparaison! C'est cela.

Et justement, le corps commence à s'en apercevoir, et parce qu'il commence à s'en apercevoir, il commence à sentir aussi que, quelle que soit l’épreuve (ce qu'on appelle ordeal en anglais), ce n'est pas payer trop cher pour avoir ça.

Il est prêt, il est prêt à supporter n'importe quoi pour avoir cette Chose... qui dépasse toute compréhension. Il y a une plénitude d'expérience qui ne peut être connue nulle part, que là (dans le corps). C'est quelque chose qui vient (geste massif qui saisit tout l’être). Comme j'ai dit, un absolu de sincérité – simplement, on EST, voilà.

Naturellement, il y a beaucoup de chemin à faire, et le chemin1... Je ne sais pas, il y a peut-être des gens qui peuvent se couvrir de fleurs en route, mais... en tout cas, cela ne me paraît pas être le chemin le plus direct!

15 juin 1966

...Il est très mollusque mentalement.

Mais moi aussi, j'ai l’impression d'être à l’état mollusque men-talement! J'ai l’impression d'un engourdissement complet

C'est parfait alors.

Mais oui, mais alors je ne peux pas écrire!

Écoute, Sri Aurobindo a écrit tout l’Arya pendant je ne sais combien de temps, cinq ans je crois, sans une pensée dans la tête.

Je ne pense pas, mais j'ai les pensées du monde physique, matériel, le mental matériel, ça oui.

Ah! il marche?

Oui, ça marche. Mais tout le reste ne marche plus. C'est une espèce d'engourdissement Je ne me plaindrais pas si je n'avais pas à écrire!

Moi, c'est le contraire; c'est ici [matériellement] que c'est devenu tellement engourdi – pas engourdi, pas du tout l’impression de dormir ni... c'est être dans ce que les hommes appellent un rêve, mais ce n'est pas un rêve. C'est une perception intérieure, quelque chose, mais sans pensée, comme ça, dans le domaine de... quoi?... Oui, de la perception, de la conscience, mais une conscience qui n'est pas formulée intellectuellement. Et c'est une espèce de rythme comme cela (Mère fait un geste de balancier très souple, très harmonieux), matériellement. Ce qui était tout le temps à marcher, rabâcher les choses (insupportable), c'est, oh! c'est très-très agréable, très agréable. Mais là-bas (geste au-dessus de la tête), «Ça», c'est là; ça devient formidable, figure-toi, au point de vue de l’action, au point de vue de la perception.

Ce n'est pas exactement un engourdissement, c'est..

Tu as dû te tromper de porte.

Me tromper de porte?

Oui (riant), tu as ouvert la mauvaise porte.

C'est peut-être très humain, ce que tu veux écrire? Je veux dire très dans la conscience humaine: les réactions humaines, les perceptions humaines; parce que, alors, là... Cela me paraît tellement inutile, futile, sans intérêt, absurde, et quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent mensonger, faux. Alors là, je suis peut-être responsable! Cela me paraît écœurant, tu sais, maintenant qu'il y a cette espèce de douceur... de douceur... Ce n'est pas somnolent, cela n'a rien à voir avec l’inertie; c'est une espèce de... (même geste de balancier), c'est comme se laisser aller sur un courant, mais un courant lumineux. Alors, depuis qu'il y a ça, toutes les histoires humaines, toutes leurs histoires, dans tous les domaines, depuis la politique jusqu'à la création artistique et tout cela, oh! cela me paraît d'une futilité terrible – et si ridiculement agité.

Mon idée (si j'ai une idée) et ce qui fait que je persiste à écrire, c'est que tout ce que j'ai dit d'une façon intellectuelle, qui s'adresse à la conscience intellectuelle des gens, je voudrais le dire d'une façon plus profonde, qui est un rythme (on dit que c'est de la poésie, mais moi, je ne comprends rien à la «poésie»). Ce que je voudrais, c'est exprimer un rythme intérieur, toucher une autre couche de l’être plus profonde que ces choses de l’intellect «l’Aventure de la Conscience», cela s'adresse à là conscience intellectuelle des gens, c'est pour qu'ils comprennent. Mais ce que je voudrais, c'est toucher autre chose. Dire la même chose avec un rythme intérieur... des images.

C'est peut-être cela, je suis peut-être responsable aussi?

C'est cela: je n'y suis pas, je ne suis pas là.

Tu n'es pas là, oui, mais c'est parce que tu es avec moi! (Mère rit)

18 juin 1966

Pourquoi les hommes ont-ils fait des choses aussi fixes que les langages?... C'est si volontairement étroit, limité. Et je crois que c'est cela qui a aboli dans l’homme la possibilité de l’intuition, parce que...

Il est obligé de devenir si étroit pour se faire comprendre. On a l’impression que l’on pourrait être en face d'un génie et n'avoir aucun moyen de communiquer, sauf comme cela (geste au-dessus de la tête, de communication par le haut).

Ils sont en train de se demander comment communiquer avec d'autres systèmes solaires... Mais même notre façon de penser provient de notre forme, c'est parce que nous comptons un-deux-trois-quatre-cinq avec nos doigts, alors nous disons: un, deux, trois, quatre, cinq. D'autres disent d'autres mots, mais on met cinq objets et ils comprennent. Mais, par exemple, est-ce que les dauphins peuvent compter? Ils n'ont pas de mains, ils n'ont pas de pieds – (riant) ils n'ont que un-deux-trois-quatre-cinq dauphins!

Ce serait intéressant de savoir.

Et là-bas, rien ne nous permet de postuler que dans ces autres systèmes, qui sont à des milliards d'années lumière de nous, ils aient la même forme que nous ou une forme analogue. Ce peut être des boules, ce peut être toutes sortes de choses!

Il n'y a qu'une chose, UNE vibration qui semble être vraiment universelle: c'est la Vibration de l’Amour. Je ne dis pas sa manifestation, non, rien de cela! mais le quelque chose qui est l’Amour pur. Ça, ça me paraît être universel.

Mais dès qu'on veut le dire, c'est fini.

Les vibrations des êtres là-bas doivent être assez identiques aux nôtres?

Je ne sais pas... Je ne sais pas.

Pourquoi le Seigneur se répéterait-il?

Les formes diffèrent, bien sûr, mais les vibrations?

Mais je te dis, il n'y a que cette Vibration-là qui paraisse assez essentielle et primordiale pour être vraiment universelle.

Cette Vibration qui est à la fois le besoin et la joie de s'unir.

Et au fond, au-dedans de ça, il y a l’identité de vibration – la RECONNAISSANCE de l’identité de vibration.

25 juin 1966

Ce matin vers cinq heures, tu es venu me dire des tas de choses.

Ah! oui!

Tu dormais?

Oui, sûrement.

Moi, j'étais éveillée, je faisais ma marche – ma marche-japa. Tu es venu me parler, tu es venu même me demander (riant): «Est-ce que tu as vu Sri Aurobindo cette nuit?» Alors je t'ai dit toutes sortes de choses, mais je t'ai dit aussi: «Non, je n'aurai rien à te raconter ce matin!» Et puis voilà, je te raconte tout. Pas de choses sensationnelles la nuit. C'était une nuit de grand repos. Alors, voilà ce que j'ai à te raconter, c'est tout. Mais c'était amusant, et j'ai dit: «Ah! tu es conscient comme ça, tu viens me parler.» Et puis tu n'étais pas conscient! C'est-à-dire que ça (l’être extérieur du disciple) n'est pas conscient, l’autre était conscient: tu es venu me parler.

Je ne suis pas conscient du tout.

C'est curieux.

Quelquefois, suivant les activités que l’on a eues, le genre de vie que l’on a mené, il y a des parties intermédiaires (Mère dessine une petite bande) qui sont restées non développées, alors elles font comme un matelas: la conscience ne passe pas. Moi, j'en avais un comme cela; seulement dès que j'ai rencontré Théon, il me l’a dit. Il m'a dit: «Votre... (Mère cherche) sous-degré nerveux (je crois), entre le vital et le physique, n'est pas développé.» Il y a un matelas, la conscience ne passe pas. Alors, pendant six mois ou dix mois, j'ai bien travaillé pour le développer – aucun résultat. Puis je suis partie (je te l’ai peut-être déjà raconté), je suis partie à la campagne et un jour, je me suis couchée sur l’herbe, et puis tout d'un coup, prrt! de partout c'est venu, la conscience est arrivée. Et en effet, ça bouchait: il y avait des tas de choses que je ne recevais jamais à cause de cela. Mais c'est un long travail.

Qu'est-ce que je pourrais faire pour cela?

Dans ce temps-là, j'aurais pu te répondre en détail; maintenant je ne sais plus très bien. Mais la meilleure chose, c'est, en se couchant, une petite concentration avec la volonté de rester conscient. Simplement ça. Une espèce d'aspiration à rester conscient.

Pourtant, je ne m'endors jamais n'importe comment, je m'endors toujours après une méditation.

Oui, c'est pour cela que tu viens me trouver et que je te vois et tout cela. Mais alors, il manque ça: un petit joint.

Dans ce temps-là, quand j'étais en plein occultisme, j'aurais pu te dire en détail, maintenant je ne me souviens plus. Mais je sais (c'est une chose que je continue à savoir): une aspiration. Une aspiration vers la chose... Tu sais, quand on veut se réveiller à une heure précise et que l’on se dit: «Je veux me réveiller à telle heure», et puis ça réussit très bien; eh bien, c'est le même principe. Au lieu de demander une heure précise, on demande de se souvenir, de rester conscient – se souvenir de ce qui s'est passé. Cela peut agir. Et puis, comme je l’ai toujours dit, ne pas se réveiller brusquement, c'est-à-dire ne pas sauter de son lit, rester bien tranquille pendant un moment. Encore maintenant, cela m'arrive: si je me réveille, si je me lève brusquement, c'est après un moment, quand je rentre dans ma concentration, que le souvenir revient.

Ces deux choses-là suffisent, ça doit suffire.1


(Peu après, à propos d'une disciple européenne qui demande à aider le «service artisanal» de l’Ashram. Nous avons gardé ce fragment de conversation, bien que très prosaïque, car il illustre bien des choses.)

Ce «cottage industry» [service artisanal] fait des choses qui ne sont pas très jolies... Alors elle voudrait avoir ta sanction si tu veux qu'elle aille travailler là-bas ou si tu veux qu'elle fasse quelque chose toute seule. J'ai l’impression qu'elle a une capacité artisanale qui pourrait être utilisée.

Pavitra m'a lu sa lettre. J'ai répondu à Pavitra spontanément: «Oh! cette femme est trop parfaite pour moi.» N'est-ce pas: «Je sais faire ceci, je sais faire cela, je fais cela si bien, je fais cela si parfaitement...» Il y en avait des pages, mon petit! Alors, à la fin, j'ai dit: «Elle est trop parfaite pour moi.»

Elle est probablement habile.

Oui, et ce «cottage industry» a beaucoup de moyens qui ne sont pas utilisés pleinement...

Je ne m'en suis jamais mêlée – il y a longtemps que cela fonctionne et il y a longtemps qu'ils font leurs horreurs...

Oui.

Et je n'ai jamais rien dit parce que... nous ne parlons pas le même langage. Mais peut-être que G [le chef du service artisanal] serait content de l’avoir?

Seulement, il faut que cela ait ta sanction. Comment aller voir G? Il faut un mot de toi ou...

Oh! non! je ne peux rien dire. Il faut que ce soit G qui demande. Il faut qu'elle exprime à G sa bonne volonté d'aider, et que lui, spontanément, accepte; autrement ça ne marchera pas, mon petit! On me répondra une lettre polie.

C'est curieux!

Non-non, c'est comme cela, l’humanité est comme cela.

Si elle va là, si elle montre de l’intérêt et une grande bonne volonté, alors cela pourra marcher. Naturellement, si G demande si je suis d'accord, je lui dirai certainement – mais il faut que ce soit lui! (Mère rit)

Elle pourrait mettre un peu d'air frais là-bas...

Il y avait des réparations à faire dans leur maison – elle a montré aux ouvriers comment il fallait faire! – Les ouvriers ont préféré aller travailler ailleurs.

Tous ils ont cela, tous: cette arrogance de l’Européen, oh!... Parce que, justement, l’Européen a l’habitude d'avoir affaire à la Matière, et il a une certaine autorité sur la Matière. C'est vrai. Par exemple, ils sont beaucoup plus ordonnés (je parle d'une façon générale, il y a des exceptions partout), ils ont une certaine maîtrise de la Matière qui n'existe pas ici, et avec cela, ils se croient si supérieurs que c'en est dégoûtant.

Je rencontre cela chez tous ceux qui viennent et j'avoue que ça me... Je les laisse barboter pendant des années, jusqu'à ce que tout d'un coup ils s'aperçoivent qu'avec toute leur supériorité, ils sont inférieurs. Alors – alors on peut commencer à s'entendre!

Tu comprends?

C'est vrai.


Puis Mère passe à la traduction de «Savitri»

C'est toujours le son qui me guide...

Sais-tu que Sunil a fait la musique de «Savitri», et au commencement de juillet, il va me la jouer. Je ne pense pas qu'il veuille d'un auditoire, c'est tout à fait privé, parce que cela ne doit être joué qu'en 1968 – en février 68 –, et il me présente juste un petit morceau pour voir si ça va. Mais j'ai pensé que cela t'intéresserait. Je laisserai mes fenêtres toutes ouvertes.

J'aime beaucoup ce qu'il fait.

Oh! pas une fois, très souvent en entendant sa musique, imédiatement la porte s'ouvre sur la région de l’harmonie universelle, là où l’on entend l’origine des sons, et avec une émotion et une intensité extraordinaires, quelque chose qui vous sort de vous-même (Mère fait un geste d'arrachement subit). C'est la première fois qu'en entendant de la musique, j'ai cela – je l’ai, moi, quand je suis toute seule. Mais en entendant de la musique, je n'ai jamais eu cela, ce sont toujours des choses beaucoup plus proches de la terre. Là, c'est une chose très haute, mais très universelle, et d'un pouvoir formidable: un pouvoir créateur. Eh bien, sa musique ouvre la porte.

Maintenant, il y a des gens qui ont entendu de sa musique, et, à la fois en Russie, en France et aux États-Unis, on a demandé la permission de la réenregistrer et de la répandre. Et c'est curieux, ils ne se connaissent pas, et tous ont eu la même impression: la musique de demain. Alors j'ai répondu à ceux qui ont demandé: «Un peu de patience, dans deux ans, on vous donnera un monument musical.» Il vaut beaucoup mieux commencer par une œuvre-maîtresse parce que cela donne la position imédiatement, autrement, on pourrait penser que ce sont des petites inspirations – pas cela: quelque chose qui vous flanque un coup et qui vous fasse vous incliner.

Je récite les vers (en anglais naturellement), et avec cela, il fait la musique. Et probablement les mots sont mélangés à la musique, comme il fait toujours. Et alors, ma récitation est simplement la prononciation la plus claire possible, avec la pleine compréhension de ce qui est dit, et SANS UNE INTONATION. Je pense avoir réussi parce que, à une semaine de distance (je ne lis pas tous les jours), le timbre de la voix est toujours le même.

Mais toutes les musiques que j'adorais me semblent pâles.

N'est-ce pas! ça paraît terne.

Oui, ça semble mince.

Superficiel, mince-mince. Toutes ces choses que je trouvais admirables dans le temps, c'est fini.

29 juin 1966

J'ai reçu ce matin une lettre d'une petite fille qui me demande: «Qu'est-ce que c'est, la conscience? J'ai demandé à mes professeurs; ils m'ont répondu que c'était très difficile à expliquer»! (Mère rit) Alors elle me le demande à moi. Et depuis qu'elle me l’a demandé, je regarde. Comment peut-on dire cela?

Tu sais comment on peut expliquer cela, toi? Parce que l’on emploie des mots qui ne veulent rien dire.

Spontanément, je dirais: c'est le feu ou le souffle qui porte tout le monde. C'est le feu qui fait vivre tout: qui fait marcher la poitrine, qui fait gonfler la mer...

Ce n'est pas mal!

Qu'est-ce que tu dirais, toi?

Moi, j'avais trouvé: c'est la cause de l’existence – la cause et l’effet en même temps. Mais ce n'est pas ça.

Ton explication est plus poétique, elle est plus littéraire, mais je ne suis pas sûre que ce soit ça tout de même.

C'est la substance du monde, ce qui constitue le monde.

Oui. Si l’on dit: «Sans conscience, pas de monde», c'est beaucoup plus vrai, mais ça n'explique pas. C'était ma première réponse: sans conscience, pas de monde, pas d'existence.

C'est le souffle ou la force ou le feu qui porte le monde – qui le fait être.

Ce n'est pas mal, on va noter ça!

Mais non! C'est toi qui dois trouver.

Il faut que je réponde à cet enfant.

Parce que, autrement, on est dans les abstractions.

Oui, et avec les abstractions, tu emploies des mots qui veulent dire autre chose, c'est tout.

Mais toi, comment sens-tu la conscience?

Sans conscience, on ne peut pas sentir. La conscience est en effet à la base de toutes choses.

(Mère regarde la lettre de l’enfant et la tend au disciple)

«Douce Mère,

Je voudrais bien savoir: «Qu'est-ce que c'est, la conscience»? J'avais demandé à un professeur, mais ils m'ont dit: c'est très difficile d'expliquer.

Je veux ta bénédiction pour que je fasse bien mes examens.

Tu prends mes Pranams.1

Ta petite fille.»

Sans conscience, pas d'existence, c'est parfaitement vrai, mais cela n'explique pas ce qu'est la conscience. Mais ton explication est assez poétique, en tout cas!

Dans la philosophie de l’Inde, ils mettent l’Existence avant la Conscience. Ils disent: Sat-Chit-Ananda.2 Alors, si nous disons: Chit-Sat-Ananda!... Et ce n'est pas vrai.

Ce n'est pas vrai, les rishis disaient toujours le Feu, «Agni», qui est la substance fondamentale.

Mais le «feu», est-ce la conscience?

Oui, ça devient la conscience – c'est la conscience. C'est la conscience-force. Les rishis disaient: «Même dans la pierre il est là, même dans les eaux il est là.»

Mais quand j'ai eu cette expérience des pulsations d'Amour qui créaient le monde, la pulsation était d'abord, et la conscience – la conscience de la pulsation – après.

C'est-à-dire que l’on pourrait définir ainsi: quand le... le... (je ne sais jamais quel mot employer!) a pris conscience de Lui-même, ça a créé le monde.

Dans les Oupanishads, ils disent que c'est «tapas»3 qui a créé le monde.

Oui, tapas, c'est le Pouvoir.

C'est le feu aussi.

Non, tapas, c'est le Pouvoir.

Chit-Tapas, c'est la chaleur.

Ils disent: Sat, Chit-Tapas, Ananda. Ils mettent ensemble Chit-Tapas. Et c'est Chit d'abord, Tapas après. C'est le pouvoir créateur de la conscience.

Mais Sri Aurobindo dit toujours: «Conscience-Force», indissolublement. On ne peut pas séparer l’un de l’autre. Il n'y a pas de conscience sans force et il n'y a pas de force sans conscience – c'est la Conscience-Force. C'est cela, le monde!

En tout cas, c'est une façon très peu philosophique et très enfantine de dire, mais c'est beaucoup plus vrai que les phrases métaphysiques: quand le Seigneur a pris conscience de Lui-même, ça a créé le monde.

Alors, notons ta définition pour la petite.

Non, d'abord ta définition, c'est le premier stade! et puis le deuxième stade: humain.

(Mère rit et écrit:)

«Quand le Seigneur a pris conscience de Lui-même, ça a créé le monde.»

Maintenant, au second, à toi, dis!

C'est à toi de dire.

Non-non! dis-moi ça un peu.

Je ne sais pas... La conscience, c'est le souffle ou le feu qui porte tout.

Mais si je dis le «feu», imédiatement ils vont dire: «Ah! la conscience, c'est du feu»!

Le souffle qui porte tout, qui fait respirer tout?

(Mère écrit:)

«La conscience est le souffle qui est la vie de tout.»

Non...

«qui fait vivre tout.»

Tu comprends, ça va aller de classe en classe, dans toute l’école! (Riant) Je sais ce qui va arriver!

«La conscience est le souffle qui fait vivre tout.»

Voilà.

Elle a de la chance, cette petite.

Les enfants sont amusants!


(Peu après, Mère regarde un paquet de textes anglais à traduire en français.)

Ce serait beaucoup plus facile si ces choses étaient écrites en gros caractères... C'est dommage, mes yeux. Je perds beaucoup-beaucoup de temps. Je suis obligée de demander, ou bien de prendre une loupe. Ce que je faisais en trois minutes, me prend une demi-heure. C'est comme cela. Mais pour retrouver ma vue (ce serait possible, il n'y a rien de détérioré: c'est seulement usé), il faudrait que je passe beaucoup de temps; cela me prendrait beaucoup de temps: exercices, concentrations... Je n'ai pas le temps.

Mais la promptitude de la conscience quand je voyais!... Je ne trouve pas cela avec d'autres yeux. C'était si commode.

Enfin...

Il faut avoir de la patience. Cela ne sert à rien de gémir, il faut faire quelque chose, ou ne pas s'en occuper! Et je n'ai pas le temps de faire quelque chose – j'attends que ma vision me soit rendue.

juillet




6 juillet 1966

(Aphorismes)

118 – l’amour de la solitude est le signe d'une dis-position à la connaissance; mais on ne parvient à la connaissance que quand on perçoit la solitude, invariablement et partout, dans la foule et dans la bataille et sur la place du marché.

119 – Si tu peux percevoir que TU ne fais rien, alors même que tu accomplis de grandes actions et que tu mets en mouvement des résultats formidables, sache que Dieu a retiré son sceau de tes paupières.

120 – Si tu peux percevoir que tu conduis des révolutions, alors même que tu es assis tout seul, immobile et sans paroles au sommet de la montagne, tu as la vision divine et tu es libre des apparences.

121 – l’amour de l’inaction est sottise, et sottise le mépris de l’inaction: il n'y a pas d'inaction. La pierre inerte sur le sable, que tu envoies promener d'un coup de pied distrait, a produit son effet sur les hémisphères.

C'est intéressant! C'est juste l’expérience que j'ai eue ces jours-ci, hier et avant-hier. Le sentiment d'une Puissance irrésistible qui gouverne tout: le monde, les choses, les gens, tout-tout... sans que l’on ait besoin de bouger matériellement, et que cette suractivité matérielle est seulement comme l’écume qui se forme quand l’eau court très vite – l’écume de la surface –, mais que la Force court dessous comme un flot tout-puissant.

Il n'y a rien d'autre à dire.

On en revient toujours à cela: savoir, ça va bien; dire, c'est bon; faire, c'est bien; mais être, c'est la seule chose qui ait du pouvoir.

(silence)

C'était à propos d'Auroville que cette expérience est venue. N'est-ce pas, les gens sont à s'agiter parce que ça ne «va pas vite»; alors j'avais cette vision de la formation, de la création divine qui se fait en dessous, toute-puissante, irrésistible, et en dépit de tout-tout ce brouhaha extérieur.

9 juillet 1966

V m'a posé une question à propos des Américains et du Vietnam, alors je lui ai répondu (Mère a l’air très amusée et tend au disciple le texte de sa réponse):

Question

La présence et l’intervention des Américains au Vietnam sont-elles justifiables?

Réponse de Mère

«À quel point de vue poses-tu cette question?

Si c'est au point de vue politique – la politique est en plein mensonge et je ne m'en occupe pas.

Si c'est au point de vue moral – la morale est le bouclier que les hommes ordinaires brandissent pour se protéger de la Vérité.

Si c'est au point de vue spirituel – seule la Volonté Divine est justifiable et c'est Elle que les hommes travestissent et déforment dans toutes leurs actions.»


Peu après

J'aurais une question à te poser au sujet du dernier «Aphorisme»... Tu avais commencé à dire qu'en dépit de toute cette suractivité inutile des hommes, il y avait ce grand courant de Pouvoir irrésistible qui était dessous et qui FAISAIT malgré tout, malgré les hommes...

Alors, ta question?

Mais ce grand courant de Puissance, pour s'exprimer, il a besoin d'instruments?

Un cerveau.

Mais justement, pas seulement d'un cerveau. Cette Puissance peut s'exprimer, comme dans le passé, d'une façon mentale ou surmentale; elle peut s'exprimer vitalement par la force; elle peut s'exprimer par des muscles; mais comment peut-elle s'exprimer (parce que tu parles souvent du «pouvoir matériel»), s'exprimer physiquement, purement, directement? Quelle différence y a-t-il entre l’Action là-haut et l’Action vraie ici?

Chaque fois que j'ai été consciente du Pouvoir, l’expérience a été similaire. La Volonté d'en haut se traduit par une vibration, qui certainement se revêt de puissance vitale mais agit dans un physique subtil. On a la perception d'une certaine qualité de vibration, qu'il est difficile de décrire mais qui donne l’impression d'une chose coagulée (pas morcelée), quelque chose qui semble plus dense que l’air, qui est extrêmement homogène, d'une luminosité dorée, avec une puissance de propulsion FORMIDABLE, et qui exprime une certaine volonté (qui n'a pas la nature de la volonté humaine, qui a plutôt la nature de la vision que celle de la pensée: c'est comme une vision qui s'impose pour être réalisée), dans un domaine très proche de la Matière matérielle, mais invisible excepté pour la vision intérieure; et Ça, cette Vibration-là, exerce une pression sur les gens, les choses, les circonstances, pour les mouler selon sa vision. Et c'est irrésistible. Même les gens qui pensent le contraire, qui veulent le contraire, font ce qui est voulu sans le vouloir; même les choses qui s'opposent par leur nature même sont retournées.

Pour les événements nationaux, les rapports entre les nations, les circonstances terrestres, ça agit comme cela, constamment-constamment, comme une Puissance FORMIDABLE. Et alors, si l’on est soi-même en état d'union avec la Volonté divine, sans intervention de la pensée et de toutes les conceptions, toutes les idées, on suit, on voit et on sait.

Les résistances de l’inertie dans les consciences et dans la Matière font que cette Action, au lieu d'être directe et parfaitement harmonieuse, devient confuse, pleine de contradictions, de chocs et de conflits; au lieu que tout s'arrange, on pourrait dire «normalement», sans heurts (comme cela devrait être), toute cette inertie qui résiste, qui s'oppose, fait que cela commence à avoir un mouvement entremêlé où les choses s'entrechoquent et où il y a des désordres et des destructions, qui ne sont rendus nécessaires que par la résistance, mais qui n'étaient pas indispensables, qui auraient pu ne pas être – qui n'auraient pas dû être, pour dire la vérité. Parce que cette Volonté, ce Pouvoir, est un Pouvoir de parfaite harmonie où chaque chose est à sa place, et il organise merveilleusement: Ça vient comme une organisation absolument lumineuse et parfaite, que l’on peut voir quand on a la vision; mais quand Ça descend et que Ça presse sur la Matière, tout commence à bouillonner et à résister. Par conséquent, vouloir imputer à l’Action divine, au Pouvoir divin, les désordres et les confusions et les destructions, c'est encore une sornette humaine. C'est l’inertie (sans parler de la mauvaise volonté), l’inertie qui produit la catastrophe. Ce n'est pas que la catastrophe soit voulue, ce n'est même pas qu'elle soit prévue: elle est produite par la résistance.

Et alors, s'ajoute à cela la vision de l’action de la Grâce qui vient atténuer les résultats partout où c'est possible, c'est-à-dire partout où elle est acceptée. Et c'est cela qui explique que l’aspiration, la foi, la confiance totale de l’élément terrestre, humain, ont un pouvoir d'harmonisation, parce qu'elles permettent à la Grâce de venir réparer les conséquences de la résistance aveugle.

C'est une vision claire-claire, même claire dans les détails.

On pourrait, si l’on voulait, prophétiser en disant ce qui est vu. Mais il y a une sorte de super-compassion qui empêche cette prophétie, parce que la Parole de Vérité a un pouvoir de manifestation et que d'exprimer le résultat de la résistance, concrétiserait cet état et diminuerait l’action de la Grâce. Et c'est pourquoi, même quand on voit, on ne peut pas dire, on ne doit pas dire.

Mais certainement, Sri Aurobindo voulait dire que c'est ce Pouvoir ou cette Force qui fait tout – qui fait tout. Quand on la voit ou que l’on est un avec Elle, en même temps on sait, et on sait que Ça, c'est vraiment la seule chose qui agit et qui crée; le reste, c'est le résultat du domaine ou du monde ou de la matière ou de la substance dans laquelle Ça agit – c'est le résultat de la résistance, mais ce n'est pas l’Action. Et s'unir avec Ça, veut dire que l’on s'unit avec l’Action; s'unir avec ce qui est en bas, veut dire que l’on s'unit avec la résistance.

Et alors (!) parce que ça frétille, ça bouge, ça s'agite, ça veut, ça pense, ça fait des plans... ça s'imagine que ça fait quelque chose – ça résiste.

Plus tard (un peu plus tard), je pourrai donner des exemples pour de toutes petites choses, montrant comment la Force agit, et ce qui intervient et qui se mélange, ou qui est mû par cette Force et qui déforme son mouvement, et le résultat, c'est-à-dire l’apparence physique telle que nous la voyons. Même un exemple pour une toute petite chose absolument sans importance mondiale donne une claire notion de la façon dont tout se produit et se déforme ici.

Et c'est pour tout, pour tout, tout le temps, tout le temps, c'est comme cela. Et alors, quand on fait le yoga des cellules, on s'aperçoit que c'est la même chose: il y a la Force qui agit, et puis... (Mère rit) ce que le corps fait de cette Action!

(silence)

Tout de suite vient le pourquoi et le comment. Mais c'est du domaine des curiosités mentales parce que le fait important, c'est de faire cesser la résistance. Ça, c'est la chose importante, c'est de faire cesser la résistance afin que l’univers devienne ce qu'il doit être: l’expression d'une puissance harmonieuse, lumineuse, merveilleuse, d'une beauté sans pareil. Après, quand la résistance aura cessé, si par curiosité on veut savoir pourquoi elle s'est produite... cela n'aura plus d'importance. Mais maintenant, ce n'est pas en cherchant le pourquoi que l’on peut amener le remède: c'est en prenant la position véritable. C'est la seule chose qui importe.

Faire cesser la résistance par l’abandon total, le don de soi total, dans toutes les cellules si on peut le faire.

Elles commencent à avoir cette joie intense de ne plus être que par le Seigneur, pour le Seigneur, dans le Seigneur...

Quand ce sera établi partout, ce sera bien.

23 juillet 1966

...On continue à recevoir une quantité de lettres de gens à cause de l’article de «Planète», ou qui ont lu ton livre. Et puis il y en a des quantités qui veulent venir! Ça, c'est plus grave!... Mais enfin, on leur envoie de la littérature. À la plupart, on dit qu'il faut se préparer. Puis il y en a un grand nombre que je tourne vers Auro-ville; ça, c'est peut-être la raison d'être essentielle d'Auroville...

27 juillet 1966

C'est la fête de Jyotin, le jardinier. Il m'a apporté ça, regarde!... (Mère donne un lotus rose, double.) C'est beau.

Le jour où l’homme sera comme cela...

Voilà! exactement. Exactement ce que je pensais. Quand on voit ça, on sent son infirmité. (Mère regarde encore la fleur) C'est merveilleux, n'est-ce pas.

Vraiment l’homme n'est pas un improvement! [une amélioration]... plein de misères, de faiblesses, tandis que ça, c'est si simple, si spontané.

Oui, ces jours-ci, la conscience était assaillie. Tout ce qui est mesquin, sordide, laid, oh!... pauvre, impuissant, tout cela, c'était une telle avalanche!... Ce pauvre corps, il pleurait de son incapacité à exprimer quoi que ce soit de supérieur. Et alors, la réponse était très simple – c'était très clair, très fort –, et puis est venue l’expérience: la seule solution – the only way out – de la difficulté, c'est de devenir l’Amour divin. Et en même temps, il y a eu l’expérience pendant quelques moments (ça a duré assez longtemps, peut-être plus d'une demi-heure). Alors on comprend que tout ce par quoi l’on doit passer, toutes ces épreuves, toutes ces souffrances, toutes ces misères, ce n'est rien en comparaison de l’expérience de ce qui sera (et ce qui est). Mais nous sommes encore incapables, c'est-à-dire que les cellules n'ont pas encore la force. Elles commencent à avoir la capacité d'être, mais pas la force de garder Ça – «Ça» ne peut pas rester encore.

Et Ça a une puissance de transformer ce qui est, tellement extraordinaire! Toutes nos notions (et c'était devenu visible), nos notions de miracle, de changement merveilleux, tous les miracles que l’on a racontés, tout cela devient du bavardage d'enfant – ce n'est rien! Ce n'est rien. Tout ce que l’on essaye d'avoir, tout ce que l’on aspire à avoir, tout cela... des enfantillages.

Seulement c'était clair: ce n'est pas encore prêt.

Et c'était tellement extraordinaire que les cellules ont eu l’impression qu'elles ne pourraient pas continuer à vivre sans... sans Ça. C'était l’impression: c'est Ça, ou alors la dissolution. Et quand Ça a été parti... Ce n'est pas parti par accident mais volontairement, et avec la notion claire: «Pas de fantaisie maintenant, il faut se préparer pour que Ça reste.» Et c'était tellement catégorique (geste, comme un Ordre d'en haut) qu'il n'y avait pas à discuter. Quand Ça a été parti, il y a eu comme une suffocation. Et puis l’Ordre est venu, avec la rigidité d'un mur: «Pas de fantaisie, il faut se préparer.»

Alors on redevient raisonnable, et alors cela paraît si... oh!

La certitude est là – la certitude par expérience – que quand Ça sera ici, ce sera... Ou plutôt quand c'est ici (puisque Ça a été pendant un temps), toutes les splendeurs dont on a l’expérience en s'élevant, en sortant, en quittant, ce n'est rien. Ce n'est rien, cela n'a pas cette réalité concrète. Quand on a les expériences là-haut, on vit là-dedans et tout semble terne et inutile à côté, mais même cela, ça paraît vague en comparaison de ICI. C'est vraiment pour cela que le monde a été créé, c'est pour ajouter à cette Conscience essentielle quelque chose de si concret et de si solide, si réel, et avec une puissance si formidable!

Seulement, pour la conscience corporelle, ça paraît long. Là-haut évidemment, c'est avec un sourire, mais pour le corps... Et c'est assez curieux, il n'y a pas, dans le corps, cette joie du souvenir de l’expérience. On a la joie du souvenir des expériences qui se passent là-haut, mais ici, ce n'est pas ça! Ce n'est pas ça. Le corps pourrait dire: «Cela ne me sert à rien de me souvenir: je veux l’avoir.» Parce que partout où le mental intervient, le souvenir est charmant, mais là, ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça: au contraire, cela intensifie le besoin d'être, l’aspiration, le besoin. Et la vie paraît quelque chose de si stupide, oh! artificiel, sans sens, sans... «Qu'est-ce que c'est que toutes ces inepties que nous vivons tout le temps!» Et pourtant, quand c'était là, rien n'était détruit – tout restait, mais c'était tout autre chose.

Plus tard... (Mère semble sur le point de dire quelque chose, puis s'arrête)... plus tard.

Non, cela m'a fait comprendre quelque chose, mais c'est une chose très (comment dire?) très intime... Quand Sri Aurobindo est parti, j'ai su qu'il fallait que je coupe la connexion avec l’être psychique, autrement je serais partie avec lui; et comme je lui avais promis de rester et de faire le travail, j'ai dû faire cela: j'ai littéralement fermé la porte sur le psychique et j'ai dit: «Ça n'existe plus pour le moment.» Cela a été pendant dix ans comme cela. Après dix ans, lentement-lentement, ça a recommencé à s'ouvrir – c'était effrayant. Mais j'étais prête; ça a recommencé à s'ouvrir; et alors, cette expérience-là m'a étonnée quand je l’ai eue; je me suis demandé pourquoi cela avait été comme cela, pourquoi j'avais reçu cet ordre et j'avais dû le faire. Et quand, dans le corps, il y a eu l’expérience de l’identification avec l’Amour divin (ces jours derniers), quand c'est parti, il y a eu un phénomène analogue (à celui qui s'est produit au départ de Sri Aurobindo) qui a été ordonné aux cellules; et j'ai compris pourquoi tout le monde matériel était fermé: c'était pour qu'il puisse être SANS l’expérience (de l’Amour divin). Naturellement, j'avais compris que l’on me faisait fermer mon psychique, parce que... parce que vraiment c'était impossible, je ne pouvais pas continuer à exister extérieurement sans la présence de Sri Aurobindo. Et alors, les cellules ont compris qu'elles devaient continuer à exister, à mener leur vie sans la présence de l’Amour divin. Et c'est comme cela que ça s'est passé dans le monde: c'était un phénomène nécessaire à la formation et au développement du monde matériel.

Mais peut-être que l’on approche... On approche du moment où ça pourra s'ouvrir de nouveau.

(silence)

Tu te souviens, je ne sais pas si c'était une lettre ou un article de Sri Aurobindo où il parlait de la manifestation de l’Amour divin; il disait: «Il faudra d'abord que la Vérité soit établie, autrement il y aura des catastrophes...» Cela, je comprends très bien.

Mais c'est long! (Mère rit)

Là-haut, rien n'est long. Mais enfin, c'est ici que l’on nous donne l’ordre d'exister et de faire.

Et c'est aussi à cette occasion que j'ai eu une réponse à propos de la mort. «On» m'a dit: «Mais ils veulent tous mourir! parce qu'ils n'ont pas le courage d'être avant que Ça soit manifesté.» Et j'ai vu – j'ai vu clairement que c'était cela.

La puissance de la Mort, c'est qu'ils veulent tous mourir! Pas comme cela, dans leur pensée active, mais dans le sentiment profond du corps, parce qu'il n'a pas le courage d'être sans Ça – il faut un grand courage.

Alors, cela a commencé par une ignorance totale et une stupidité générale, avec la participation à tout ce que cette vie est extérieurement (comme si c'était quelque chose de merveilleux!). Mais dès qu'ils commencent à être un peu plus sages, ça cesse d'être merveilleux. C'est ce que je disais pour cette fleur (le lotus): quand on sait voir une fleur, l’expression si spontanée de cet Amour merveilleux, oh! sans complications, alors on comprend à quel point il y a du chemin à faire – tous ces attachements, toute cette importance que l’on donne à des choses inutiles alors que ce devrait être une beauté spontanée et naturelle.

Si le monde comprenait trop tôt, au fond personne ne voudrait plus rester! C'est cela.

Oui, c'est cela! C'est cela.

Si trop tôt, on savait, si on pouvait voir l’opposition entre ce qui est et ce qui doit être, on n'aurait pas le courage. Il faut... il faut vraiment être héroïque – héroïque. Je t'assure, je vois, ces cellules sont héroïques – héroïques. Et pour elles, elles ne «savent» pas comme cela mentalement: c'est seulement leur adoration qui les sauve. N'est-ce pas: «Ce que Tu veux, Seigneur, ce que Tu veux, ce que Tu veux...», avec la simplicité du cœur candide d'un enfant: «Ce que Tu veux, ce que Tu veux, ce que Tu veux... rien que ce que Tu veux et rien n'existe que ce que Tu veux.» Alors ça va. Mais sans ça, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible de savoir ce qu'elles savent et de continuer à être s'il n'y a pas Ça. N'est-ce pas, le sentiment: «À Ton service, ce que Tu veux, ce que Tu veux... tout ce que Tu veux...», sans discussion, sans rien, sans même sensation, rien: «Ce que Tu veux, ce que Tu veux...»

C'est la seule force, il n'y en a pas d'autre.

Et il faut bien qu'il y en ait qui le fassent, n'est-ce pas! autrement ce ne serait jamais fait.

Et même, il y avait dans la conscience à ce moment-là1 (qui a été un moment un peu difficile), il y avait... c'était comme une épée de lumière blanche que rien ne peut ébranler, et qui donnait aux cellules la sensation: «Comment! mais vous devriez être dans une extase de joie maintenant, de savoir ce qui va être» – ce qu'il y a, en principe.2

Mais ça a produit une sorte de détachement vis-à-vis des gestes, du dehors, comme si la vie n'était pas très réelle – et réelle en même temps, mais la Réalité n'est pas là...3 Il y a le sens de la Présence; ça, c'est constant. Et c'est déjà bien, ça contrebalance fortement le sentiment et la perception de toute la Déformation. Il y a même une insistance de cette Présence pour que ce soit seulement Ça qui existe et pour diminuer de plus en plus la réalité de la perception de ce qui ne doit pas être. Il y aura une grande force dans l’être quand la perception de ce qui ne doit pas être sera estompée, effacée comme quelque chose de lointain, d'inexistant.

C'est ce qui est en train de se préparer.

Ce qui complique un petit peu le travail, c'est que ce n'est pas limité à ça (le corps de Mère), c'est tout-tout ce qui est autour... à une distance assez considérable. Parce que le contact en pensée est établi d'une façon presque parfaite: il est impossible à quelqu'un de penser (à Mère) sans qu'il y ait une réponse dans la conscience – une réponse, une perception. Alors, imagine ce que c'est... C'est assez vaste et assez compliqué.

Et il y a comme des échelons ou des stades – des stades de réponse dans la conscience; des échelons, des stades suivant le degré de développement et de conscience. Cela fait, oh! pas une immensité, mais enfin un monde assez considérable. Dans cette perception-là, la terre n'est pas très grande.

Et il y a une précision de détail pour des choses minuscules, comme ce qui se passe dans la conscience d'un individu, par exemple, ou les réponses à certains événements. C'est très-très précis. Mais toujours, il y a une interdiction de dire les choses pour ne pas leur donner une puissance de concrétisation.

Mais le travail se fait comme cela, sur tous les plans; sur tous les plans (il y a même des plans au-dessous des pieds), constamment, constamment, sans arrêt, nuit et jour.4


Un peu plus tard

Nous continuons à recevoir des tas de lettres. Il y a des quantités de gens qui veulent venir et qui posent des questions. Il va y avoir une ruée de gens – il y en a qui organisent des avions! Alors j'ai dit hier: «On va avoir un service par an, direct: Paris-Auroville!» Et ils vont préparer un aérodrome. On est déjà en négociation avec le gouvernement pour le terrain: c'est immense, on pourrait faire quatre ou cinq aérodromes! Il y aura un terrain d'atterrissage à Auroville: Paris-Auroville! (Mère semble très amusée.)

Il paraît qu'en 1972, il y aura un nouvel avion qui viendra de Paris dans l’Inde (Paris-Auroville!) en quatre heures. C'est-à-dire que si l’on part le soir de Paris, on arrivera au lever du jour ici (tu sais que l’on perd du temps en venant). Et si l’on part d'ici à midi, on arrivera à Paris à dix heures du matin – deux heures avant d'être parti.

On finira par aller si vite qu'on arrivera la veille du départ!

Quatre heures, c'est vite.

La belle avance!... Je suis rétrograde, tu sais. À quoi ça sert, d'aller si vite!

C'est intéressant.

Tu crois que ça sert à quelque chose, vraiment?

(Mère rit... silence) Il se passe déjà des choses assez bizarres. Mais j'en parlerai quand j'aurai fini mes observations.

Encore un ou deux ans, et il y aura quelque chose à dire.

30 juillet 1966

Je crois que l’on est en train de vouloir m'apprendre (c'est-à-dire m'enseigner) pourquoi on meurt.

Il y a beaucoup de manières de mourir qui dépendent des différents plans de conscience, et il y a beaucoup de causes (geste échelonné), mais dans chaque domaine, il y a comme une cause essentielle qui rend la mort à la fois nécessaire, indispensable et inévitable. Et alors, physiquement, c'est-à-dire matériellement dans les cellules du corps, c'est comme si c'était... (Mère fait un geste en tangente), on est juste comme ça, tout près de trouver le secret de pourquoi il y a cessation, pourquoi il y a nécessité de dissolution par incapacité de suivre le mouvement de transformation.

C'est venu à la suite d'une sorte d'attaque ou de crise purement physique, extrêmement douloureuse, pendant laquelle j'ai eu comme la révélation de pourquoi les cellules cessent de rester organisées. C'est assez récent puisque c'est d'hier, et cela a besoin de se tasser pour pouvoir s'exprimer. Mais moi, j'ai fortement eu l’impression que je touchais à un secret suprême de la dissolution physique.

Quand ce sera (je ne sais pas combien il faudra d'expériences pour que ce soit tout à fait clair), mais quand ce sera tout à fait clair, alors là...

Je crois qu'on est en train de m'enseigner ça.

C'est un jeu dangereux!

Oui... Il ne peut arriver que ce qui doit arriver, n'est-ce pas. C'est à moi de tenir le coup, quoi!

Et si je ne tiens pas le coup, cela veut dire que je ne suis pas capable de faire le travail; si je ne suis pas capable de le faire, ça met un point final à l’affaire.

Ça, il n'arrive que ce qui doit arriver.

Non-non, la conviction devient absolue que l’on ne peut mourir que si l’on doit mourir. On ne meurt pas par accident.

Jamais?

Jamais (Mère prend un ton catégorique), JA-MAIS.

Il n'y a jamais d'accident.

Ce que l’homme appelle «accident», jamais. Cela peut avoir l’apparence d'un accident, mais c'est seulement une apparence.

août




6 août 1966

V s'en va à Calcutta pour «apprendre la mécanique».1

Tu es d'accord?

Ma première réaction était de trouver cela imbécile. Mais il m'a récrit pour me dire que les gens de l’atelier étaient enthousiastes et qu'on l’avait beaucoup poussé à le faire et qu'il était tout à fait content et que cela allait être pour lui l’occasion d'apprendre tout ce qu'il ne savait pas, etc. Il y en avait des pages. Alors je lui ai écrit: «Tu iras à Calcutta.»

N'est-ce pas, ils ont tous besoin d'une leçon pour apprendre; ils ne peuvent pas apprendre sans leçon de la vie. Moi, j'essaye; j'essaye de leur éviter la leçon – s'il y avait une ouverture intérieure, ils comprendraient. Mais c'est inutile. Ils ont besoin de la leçon, qu'ils l’aient! Ça ne fait rien.

Il apprendra sa leçon, il verra.

Ils sont ici depuis qu'ils sont tout petits et on les a aidés autant que possible. La semaine d'avant, il m'avait écrit pour me dire: «Comment se fait-il que nous ne sachions pas profiter de l’occasion unique qui nous est donnée?» Et puis... (Mère rit) trois ou quatre jours après, il m'envoie ça! C'est hopeless [sans espoir]. Ils sont tout à fait engloutis dans la Matière.

Les gens qui savent ce qu'est la vie, quand ils viennent ici, tout d'un coup ils s'aperçoivent de la différence. Mais pour ceux qui sont ici depuis tout petits, c'est tout à fait naturel, l’état est tout à fait naturel, ils n'en voient que les inconvénients. Et ils ne savent pas ce qu'est la vie, alors ça leur paraît une chose merveilleuse – qu'ils aillent voir ce que c'est!

C'est trop facile, alors ils s'endorment.

Oui, c'est cela, c'est trop facile.

Mais j'ai vu plusieurs de ces jeunes garçons qui m'ont dit: «Ah! mais on voit: les gens deviennent mécaniques, ils font les choses mécaniquement, ils perdent leur aspiration.»

C'est-à-dire qu'ils sont encore trop tâmasiques pour ne pas avoir besoin de la pression de la vie et des difficultés de la vie. On veut leur donner une possibilité – je sais, c'était l’idée que j'avais: donner à ceux qui ont une aspiration la possibilité de ne s'occuper que de «ça» –, ils s'endorment.

Mais tu faisais cette constatation pour le corps aussi! Tu disais que s'il n'y avait pas les maladies, les difficultés...

(Mère rit) Oui, probablement c'est la même chose!

(Mère entre en contemplation et oublie l’heure)

10 août 1966

Ils m'ont demandé un «message aux étoiles». Puis, «As-tu un message pour le numéro de Noël sur l’homme nouveau?»1

Ils m'ont dit: «Quel message peut-on envoyer? Il mettra deux cents ans à atteindre le but», le message que l’on envoie d'ici arrivera à l’étoile deux cents ans après. Mais naturellement, il n'est pas dit qu'à l’étoile, ils comprennent le français ou l’anglais! Il est même dit qu'ils ne le comprennent pas... Ils veulent envoyer des signaux du genre =1, et ils disent qu'ils comprendront – ils comprendront que nous sommes des êtres intelligents! (Mère rit, moqueuse)

Je ne me souviens plus du message que je leur ai donné.

Mais un message pour l’homme nouveau... Qu'est-ce que je vais leur dire?... Qu'est-ce que c'est ça, l’homme nouveau? Tu sais ce que c'est, toi, l’homme nouveau?... l’homme est toujours nouveau!

Ce ne sera pas un homme intelligent.

Eh bien, tant mieux!

Tant mieux.

On pourrait dire: le retour à l’instinct et à l’impulsion, mais ce seront des impulsions divines.

Et puis un autre progrès (qui serait vraiment un progrès), ce serait la communication silencieuse des consciences, sans paroles. Ce serait joli: un peu de silence.

(silence)

Je me suis aperçue la dernière fois2 qu'il y a peut-être des mois que je n'avais pas eu comme cela une contemplation silencieuse tellement on m'accable de travail – du travail qui consiste à faire des cartes de birthday [d'anniversaire], signer, voir des gens... Lundi dans l’après-midi, j'ai vu treize «birthdays»; hier, il y en avait douze; demain, il y en aura encore douze... Tu comprends, le nombre des gens augmente, et ils viennent de partout; il y en a même qui viennent d'Afrique pour leur anniversaire, il y en a qui viennent d'Amérique... Cela fait à peu près deux mille par an, c'est-à-dire combien par jour?

Il y a un polytechnicien qui est arrivé avec R (l’architecte du futur Auroville). Ils sont arrivés à neuf avec R; parmi eux, il y a un polytechnicien qui m'a envoyé un mot: «Êtes-vous Dieu?

J'avais vu l’homme deux jours avant: il est très bien. Si je ne l’avais pas vu, je ne lui aurais pas répondu, mais comme je l’ai vu et qu'il se trouve qu'il est bien, j'ai soupçonné que c'était un monsieur-né-dans-une-famille-catholique pour poser la question de cette façon. Alors je lui ai répondu: «Cette question peut être posée à TOUS les êtres humains, et la réponse est: oui, en puissance.» Et j'ai ajouté, par considération pour sa bonne volonté (je ne sais plus les mots exacts): «C'est cette tâche que chacun doit accomplir.»

Depuis, il est tout à fait silencieux.

Il y en a un autre qui est communiste. C'est un Russe qui habite Paris. Il m'a demandé s'il n'était pas nécessaire que tous les travailleurs d'Auroville se rencontrent et «discutent» (Mère rit) sur la nécessité d'une «conduite morale»! (Il paraît qu'il les garde tous à discuter jusqu'à trois heures du matin.) Alors je lui ai répondu (riant) que la moralité n'avait qu'une valeur très relative au point de vue de la Vérité: qu'elle changeait avec les pays, les climats et les âges! Je lui ai dit aussi que les discussions étaient généralement stériles et non productives. Mais pour ne pas être seulement critique, je lui ai répondu qu'il suffisait que chacun fasse un effort pour être parfaitement sincère, droit et de bonne volonté, et que cela constituerait une base tout à fait suffisante pour travailler... Pauvre!...

Et toi, comment ça va?... Qu'est-ce que l’on fait?... Comme la dernière fois (méditation)? Mais c'est dangereux! Je ne savais plus du tout l’heure ni rien.

Qu'est-ce que tu as senti, la dernière fois?

Je sens toujours la grande immensité tranquille – c'est le pays d'origine.

Oui, c'était... Plus rien n'existait, excepté une immensité lumineuse sans limites; mais ce qui était particulier, c'est que c'était scintillant: il y avait un poudroiement diamante, comme des millions de petits diamants brillants-brillants! oh! étincelants. Et c'était dans une immensité d'une lumière éblouissante, et malgré cela ils étaient étincelants. Et alors, une paix, un repos... une sorte de béatitude tranquille, et l’impression que, comme ça, on peut vivre.

Pas de temps: la notion de temps disparaît.

Il y avait longtemps que je n'avais pas eu ça.

(Mère entre en méditation)

C'est très amusant: tu as là (à hauteur de la poitrine), comme ça, un grand bouton de lotus qui est penché (la tête tournée vers le bas), et qui est tout entouré d'un scintillement de lumière dorée, puis encore une autre rangée de lumière; il y a trois, quatre, cinq rangées de lumières de différentes couleurs. Il est là (même geste) comme ça, penché.

(Mère reprend sa contemplation)

Il y a des tas de gens (je crois bien que ce sont ceux que l’on a l’habitude d'appeler intellectuels) qui ne peuvent pas distinguer la pensée de la conscience: s'ils ne pensent pas, ils sont inconscients! (C'est la suite de ce que je te disais tout à l’heure pour l’homme nouveau.) Pour eux, la conscience, c'est toujours des mots. C'est drôle...

Il y a encore beaucoup-beaucoup de chemin à faire pour arriver à l’homme nouveau.3

13 août 1966

Tu sais qu'il y a un tas de gens qui sont venus pour Auroville... Au lieu de travailler, ils passent leur temps à discuter et à bavarder! et ils m'envoient des lettres. Tout leur ego mental à tous est en pleine effervescence. Tu les as vus?

Non. Je crains que l’on ne me «convoque»!

Ils commencent déjà à discuter sur ce que sera la situation politique de la ville – avant que la première pierre soit posée! Et il y en a un, celui qui est communiste de foi (c'est celui qui a le plus d'énergie et de puissance de réalisation), il est scandalisé: il m'a écrit hier en me disant qu'il ne pouvait pas participer à cette chose qui n'était pas «purement démocratique»!... Alors je lui ai répondu ceci (Mère tend sa note au disciple):

«Auroville doit être au service de la Vérité, par-delà toutes les convictions sociales, politiques et religieuses.»

Je lui ai dit beaucoup plus de choses (Mère fait un geste de corn-munication mentale), mais surtout, j'ai beaucoup insisté sur le fait qu'il valait mieux que la ville soit construite d'abord! et puis on verrait après. Parce qu'il m'a dit qu'il tenait à ce que l’on reste dans le système démocratique «jusqu'à ce que l’on trouve quelque chose de meilleur.» J'avais envie de lui répondre: «Qui vous dit que l’on n'a pas trouvé quelque chose de mieux?» Mais je n'ai rien dit.

Puis j'ai écrit aussi pour J. Il m'avait demandé un «message» pour son école (Mère tend une autre note):

«Celui qui vit pour servir la Vérité n'est affecté par aucune circonstance extérieure.»

(Mère a l’air lasse...)

15 août 1966

(Message for Sri Aurobindo's birthday:)

"Not the blind round of the material existence alone and not a retreat from the difficulty of life in the world into the silence of the Ineffable, but the bringing down of the peace and light and power of a greater divine Truth and consciousness to transform Life is the endeavour today of the greatest spiritual seekers in India. Here in the heart of such an endeavour pursued through many years with a single-hearted purpose, living constantly in that all-founding peace and feeling the near and greatening descent of that light and power, the way becomes increasingly clear. One sees the soul of India ready to enter into the fullness of her heritage and the hour of an unparalleled greatness approaching when from her soil shall go forth the call and the leading to the highest destinies of the race."

Sri Aurobindo

17 août 1966

...Moi, je ne vois plus.

C'est une chose très intéressante, ma manière de voir – je ne peux pas dire que je ne vois plus. C'est très intéressant. Tout d'un coup, quelque chose vient (une chose ou une figure ou une lettre ou...) clair, précis, presque lumineux. La minute d'après, tout se brouille. Et c'est comme si l’on me disait: «Ça, ça vaut la peine d'être vu.» Alors je regarde. «Et ça (riant), ne t'en occupe pas»!

Le 15, ce garçon architecte communiste qui était ici est parti, parce qu'il trouvait que l’on ne «respectait pas assez les lois morales»!... Textuel. Il est parti. Mais alors sa pensée vient tout le temps – pas «pensée»: quelque chose d'ici (cœur), ça vient, ça vient. Il doit être très malheureux d'être parti! Et alors il me demandait... C'était le 15 après-midi, ça venait et c'était tourmenté et ça me demandait: «Comment savoir la Vérité? Qu'est-ce que la Vérité? Comment savoir?...» Et Sri Aurobindo était là, et il m'a dit EN FRANÇAIS (!):

«La Vérité ne peut se formuler en mots, mais elle peut être vécue, si l’on est assez pur et plastique.»

C'est bien, non! Et il y avait tellement la perception: se laisser guider par elle tout le temps, comme ça.

«Pur», cela veut dire pur de l’ego, pur de tout désir, toute préférence, toute idée: tout cela doit être parti – on doit être souple, comme ça, et se laisser conduire.

Et il me donnait l’expérience en même temps.

J'ai traduit en anglais – alors Sri Aurobindo me parle en français et je traduis en anglais! C'est amusant.


Après une méditation

Ça va, le livre?1

Moi, je continue à dicter ou à entendre! C'est très intéressant. Seulement, il n'y a pas de continuité: une phrase, une scène, deux ou trois mots... C'est curieux. C'est comme sur un écran. Et quand tu as lu la dernière fois, j'ai reconnu (comment dire?) des impressions – des impressions d'images et de mots – dans ce que tu as lu. Mais ça n'a pas de suite pour moi; c'est quelque chose qui passe et qui est comme derrière un écran, et puis à un moment donné, il y a... toc! un contact: j'entends des mots ou je dis des mots, je vois une image. Et je vois bien que ça continue derrière l’écran; et puis encore un autre mot, une autre image traverse l’écran. Et c'est toujours dans cette espèce d'endroit immense-immense, sans fin, qui est très tranquille, très lumineux. C'est une atmosphère très pure, très tranquille, très tranquille. Et c'est comme si quelque chose tombait par gouttes, de là.

C'est très intéressant.

C'est dans la nuit surtout. Quelquefois dans la journée, mais pas pour longtemps. Mais la nuit, assez longtemps.

Encore maintenant, tout de suite, pendant que nous méditions, il y a eu ce même phénomène. Quand c'est venu, j'ai cessé la méditation. J'étais dans une contemplation tout à fait silencieuse et puis tout d'un coup, ça a commencé (Mère rit), alors j'ai arrêté.

19 août 1966

(Mère reprend sa traduction du dialogue avec la Mort)

Think not to plant on earth the living Truth

[Ne pense pas à planter sur la terre la Vérité vivante]

C'est justement ce que je fais, Monsieur.

(s'adressant au disciple en souriant)

Tu crois qu'il m'entend?

Think not to plant on earth the living Truth
Or make of Matter’s world the home of God;
Truth comes not there but only the thought of Truth,
God is not there but only the name of God.

(X.IV.646)

[Ne pense pas à planter sur la terre la Vérité vivante
Ni à faire du monde de la Matière la demeure de Dieu
La Vérité ne va pas là, mais seulement la pensée de la Vérité
Dieu n'est pas là, mais seulement le nom de Dieu.]

(Mère reste songeuse)

Au fond, d'après Sri Aurobindo, la pensée matérialiste, c'est l’évangile de la mort. Non?

C'est très intéressant.

(silence)

Au fond, c'est cela. On dit que Savitri est une «épopée»; alors Savitri, c'est l’épopée de la victoire sur la mort.

(silence)

C'est très intéressant. Parce que une fois de plus, tous ces jours-ci, presque minute par minute, j'ai vécu toutes ces choses [que nous venons de lire] mais à une grande échelle: pas à une échelle personnelle mais à une échelle terrestre.

Ce dernier vers, cet argument, c'était tellement concret: «Non, ce n'est pas Dieu, c'est seulement son nom», c'était hier ou avant-hier, pas plus tard. Et alors... (Mère se rappelle son expérience)... Tiens, les victoires sur ces arguments ont le même caractère d'éclatement que ces éclatements d'Amour que j'ai vécus là-haut – le même caractère –, et ils brisent la résistance. Et le quelque chose qui éclate, c'est l’Amour: le vrai.

C'est très intéressant.

Et de partout-partout-partout se lèvent l’opposition, la résistance; et plus ça se lève, plus Ça, c'est impératif.

Mais on sent à ces moments-là la fragilité de l’équilibre de la vie matérielle... Oh! c'est très-très intéressant; quand je pourrai dire tout cela, ça vaudra la peine.

24 août 1966

(Notons que le disciple rencontre Mère à 10 heures normalement, mais peu à peu cette heure a été repoussée à 10 heures 30, et ce matin les secrétaires sont sortis à 10 heures 45. Depuis un an, les «conversations» de Mère se sont clairsemées de plus en plus, comme en témoigne cet Agenda, tout le temps étant pris par des communications «très urgentes» ou «très importantes». Cette situation empirera jusqu'à la fin quand Mère ne pourra plus nous voir que quelques moments, accablée, après midi. Puis la porte se fermera.)

C'est complètement absurde! si je n'avais pas crié, ils me gardaient une demi-heure de plus... C'est une vie idiote. Je commence à faire quelque chose à l’heure où je devrais la finir. l’après-midi, c'est la même chose... J'ai des journées de 45 personnes, 50 personnes. l’autre jour, j'ai vu en un jour 75 personnes, sans compter ceux que je vois tous les jours, en plus. Alors, pour me consoler, je me suis souvenue du temps où j'en voyais deux mille au terrain de jeu... mais cela ne prenait qu'une heure.

Dès qu'un enfant est malade, on me l’amène. Il est sourd-muet, on me l’amène; il est un peu idiot, on me l’amène; il a des crises épileptiques, on me l’amène, et puis il me les jette comme ça (riant) littéralement sur moi, avec l’idée que je vais le guérir!

Une compensation... (Mère montre en riant un coin de la chambre où il y a un paquet de parapluies neufs): j'ai reçu des parapluies – tu veux un parapluie?

Pour protéger des avalanches! Non, j'en ai déjà un.

(Mère rit beaucoup, puis enchaîne) Pendant que je mange, on m'apporte des cartes de «birthday» à signer, avec la nourriture. Au petit déjeuner, je mange un peu, puis je fais des cartes, et puis je mange encore un peu, puis on me demande des rendez-vous... C'est comme cela.

Tu devrais avoir quelqu'un pour faire la police.

Je crois qu'on le flanquerait dehors!

C'est une très claire indication qu'ils sont plus sous l’influence des gens que sous l’influence du Divin. Parce que, malgré tout, cela rend le travail un peu difficile; j'ai tout le temps l’impression qu'au lieu de la Volonté d'en haut qui s'exprime, je suis obligée de céder aux volontés du dehors qui s'imposent, et il n'y a pas une chose au monde qui me rende plus fatiguée que cela. Je peux travailler sans arrêt si cela vient d'en haut; mais ces choses qui viennent contredire le Rythme, c'est très fatigant, très fatigant. J'ai des fatigues nerveuses – pas «nerveuses» au sens où on l’entend, parce que ça, c'est tout à fait sous contrôle –, mais ce sont les nerfs eux-mêmes qui sont fatigués; si j'ai une, deux minutes de vrai repos, ça se met en ordre, mais avec toute cette avalanche de volontés inférieures qui s'imposent, ils commencent à vibrer et à faire mal. Ils sont tout à fait stupides!


(Le début et la fin de la conversation qui suit n'ont pu être enregistrés par suite d'un incident mécanique, sauf le milieu, que nous reproduisons. Il s'agissait d'une expérience de Mère; Elle décrivait le lieu où le disciple «se repose» d'habitude la nuit et d'où il tire l’atmosphère de son livre actuel: un lieu très harmonieux de couleur et de substance. Là-dessus, Sujata intervient pour raconter à Mère un rêve qu'elle a eu ces jours-ci.)

Quand tu es allée dans ce lieu d'harmonie, as-tu joué de la musique? Parce que je t'ai vu jouer de la musique pour lui.

Ça, c'est autre chose. C'est possible, je ne sais pas... Mais la nuit dernière ou la nuit d'avant, tout d'un coup j'ai eu l’impression que quelqu'un me disait: «Le meilleur moyen de t'aider n'est pas une méditation, mais de la musique.» Alors c'est comme si je créais des harmonies et que je te les envoyais pour ton livre.

(S'adressant à Sujata:) Quand était ton rêve?

Avant-hier.

C'était il y a deux jours à peu près, deux ou trois jours. N'est-ce pas, je pensais à l’incertitude et à l’insuffisance de nos rencontres (l’avalanche des secrétaires) et je me demandais: «Comment faire?» Parce que nous avons du travail à faire et il faut le faire, mais à part cela, on n'a le temps de rien; alors «on» m'a dit que la musique pouvait t'aider. Mais j'ai perdu toute pratique musicale, et alors comme je ne peux plus jouer matériellement, j'ai pensé: «Je peux le mettre en rapport avec des ondes musicales.» Parce que ça, il y en a tout le temps, tout le temps – des merveilles. Et alors, c'est peut-être cela qui m'a fait aller dans cet endroit (où le disciple se repose), et c'est ça (s adressant à Sujata) qui t'a donné ton rêve. Et c'est certainement cela qui m'a fait avoir cette expérience-là... Je n'ai pas remarqué spécialement de la musique, mais c'était un endroit extrêmement harmonieux: l’atmosphère était harmonieuse, les couleurs étaient harmonieuses, les sons étaient harmonieux; par conséquent, il doit y avoir de la musique là-dedans.

Mais je me souviens qu'en me réveillant, je me suis rappelée que c'était le jour de ta fête que j'avais joué la dernière fois.

Sunil m'a demandé de jouer pour lui; je lui ai dit que je ne jouais plus: «Je ne peux plus jouer, mes mains ont perdu l’habitude.» Il n'y a plus le pouvoir de transcrire ce qui vient (la musique, je l’entends, mais je ne peux plus la transcrire). C'est comme quelque chose qui a été oublié. Alors il m'a dit que cela ne faisait rien, même si je jouais quelques notes – trois, quatre notes –, cela suffirait. Mais j'ai remarqué que quand je n'ai pas joué depuis longtemps, la première fois que je joue, je joue beaucoup mieux qu'après. N'est-ce pas, j'essaye toujours que ce ne soit pas moi qui joue, parce que je ne sais plus (il y a combien? au moins soixante ans que vraiment je ne joue plus, sauf d'une façon occasionnelle, alors toute la connaissance des mains est partie: elles sont maladroites, elles ne peuvent plus). La seule chose que j'essaye, c'est que quelqu'un se serve de ces mains – ou un esprit musical ou une entité musicale –, que quelque chose vienne et se serve de ces mains; et généralement la première fois, cela réussit assez bien, puis les mains recommencent à vouloir «essayer de savoir», alors c'est fini. Il faut que ce soit absolument plastique, sans volonté personnelle.

Je n'ai jamais très bien su me servir de cet orgue électrique; je me servais beaucoup mieux de mon grand orgue, celui que j'avais avant; c'était beaucoup plus facile pour moi. Ça, c'est très compliqué, très mécanique – très mécanique. C'est un peu trop mécaniquement moderne et ça ne répond pas à l’influence vitale aussi bien que mon vieil orgue. l’orgue, mes pieds le faisaient marcher, et ils mettaient tant de force là-dedans! Il y avait une force de vibration dans la façon de faire marcher les soufflets... Celui-ci, il aurait fallu que je m'habitue, que j'imprègne l’instrument; mais cela me fait l’effet d'une écorce et qu'il n'y a pas d'âme derrière: c'est une écorce. N'est-ce pas, la table d'harmonie, cela répond beaucoup; dans un piano, la table d'harmonie, les clefs, les cordes, tout cela répond; ça répond à la force; on peut même faire vibrer sans toucher. Tandis que cet appareil électrique, c'est une écorce...1

27 août 1966

(Mère montre le texte d'une note qu'elle a rédigée à l’intention des disciples:)

«Chaque fois que vous agissez sous l’impulsion du Mensonge, cela agit sur mon corps comme un coup.»


Tu n'as rien à dire?

Non, c'est toi qui dois dire.

Non. Je prends toujours la résolution de ne pas parler.

Pourquoi?

Parce que ça dilue l’expérience.

Ça aussi, ce sont des mots (Mère montre le paquet d'«Entretiens» pour le prochain Bulletin).

Oui, mais...

On vit dans les mots.

Eh bien, oui, c'est forcé!

C'est malheureux.

Tant que le monde ne sera pas fait autrement..

Non, on ne peut pas penser sans mots, mais on peut savoir sans mots. Les phénomènes de conscience qui ne s'expriment pas en mots sont TOUJOURS d'une qualité très supérieure, très supérieure.

Oui, mais pour faire passer aux autres, il faut se servir de mots.

Oui, voilà le malheur! Si je pouvais seulement leur faire avoir ma réponse sans écrire des mots, ce serait bien précieux, cela gagnerait beaucoup de temps. Mais il n'y en a pas un sur mille comme cela qui reçoive. Il y en a qui reçoivent, mais pas beaucoup.


(Mère attrape une lettre sur sa table)

Qu'est-ce qu'il dit?

(Le disciple lit une lettre interminable.) Il demande: «Dois-je vendre ma voiture à moins de 35.000 roupies? Puis-je consulter I Ching et en approfondir l’étude?...»

Consulter quoi?

I Ching. Je ne sais pas. C'est un nom chinois.

Oh! oui, ils sont tous entichés de cela. C'est un bouquin où l’on trouve une réponse à toutes les questions. Mais naturellement, dans la pensée, on tourne tous les mots qu'on lit.

Mais tu vois ça! J'ai une pile de lettres comme cela, il n'y en a pas une ou deux qui demande vraiment quelque chose à quoi je sois seule à pouvoir répondre. Au fond, c'est cela, on ne devrait me demander que les choses auxquelles je suis seule à pouvoir répondre. Autrement quoi?... Et ce qu'ils veulent, c'est cela: se cacher derrière ma réponse et pouvoir dire: «Ah! vous m'avez dit que...» «Dois-je aller consulter le docteur? Dois-je me faire opérer? Dois-je accepter cette place que l’on m'offre? Dois-je ouvrir un nouveau business? Dois-je épouser telle personne?...» Et puis là, derrière, si quelque chose va mal: «Mais vous m'avez dit que...»

Il peut consulter le Chinois – mais le Chinois ne lui dira rien d'autre que ce qu'il a dans la tête! Ils arrangeront les phrases pour lire ce qu'ils ont dans la tête!

Écoute, mon petit, il faudrait peut-être s'arranger... Qu'est-ce que nous pouvons faire? J'ai du travail que nous pouvons faire ensemble: beaucoup. J'y ai pensé ces jours-ci, il y a beaucoup de choses à faire. Mais nous n'avons pas le temps – comme cela, ce n'est pas la peine, on a juste le temps de bavarder un petit peu, c'est tout, rien de plus.

Enfin...

31 août 1966

Je t'ai fait un très long discours ce matin de très bonne heure: tu dormais. Tu n'as pas entendu?

Qu'est-ce que tu me disais!

Oh! c'était très long...

Ce n'était pas personnel. Je te disais comment le vrai mouvement se déforme, et je donnais des exemples. Des exemples très intéressants parce que cela n'a l’air de rien, mais c'est une chose capitale, en ce sens que c'est comme cela que la Vérité se change en mensonge, et c'est tellement subtil qu'à moins d'avoir l’expérience, on ne peut pas comprendre mentalement. C'était l’expérience que je t'expliquais et il y avait deux exemples, que je t'ai dits d'une façon très précise... maintenant je ne me souviens plus des mots.

Tu ne te souviens plus?

C'étaient de ces mots qui viennent tout prêts, comme ça; alors maintenant, si je cherche, ce n'est plus ça. Quand ça viendra, je te le dirai.

J'ai eu souvent l’expérience (sur un autre plan, je pense) que, inexplicablement, c'était comme si le courant se renversait: les choses cessaient d'être harmonieuses, et on ne sait pas pourquoi.

Le pourquoi est très simple: c'est toujours la séparation – l’individu qui se sépare –, toujours. Alors, suivant la nature de chacun, il y avait plus ou moins d'égoïsme, mais c'est la séparation. Maintenant je vois le faux mouvement: c'est quand la conscience retombe dans une vieille habitude. Et comme c'est une vieille habitude – très vieille habitude –, on n'a pas l’impression d'une chute: c'est un tout petit mouvement comme ça (Mère fait le geste de tordre quelque chose entre le pouce et l’index).

Je sais: ce matin, c'était très clair.

N'est-ce pas, tout est l’action du Suprême pour hâter le retour de la conscience individuelle à la Conscience – à la Conscience suprême; et alors, à travers l’individu (je ne sais pas si tu pourras suivre), la pression de la Force pour se faire accepter est transformée en volonté d'être comprise. C'est cela, la déformation. Et tu vois, c'est extrêmement subtil. Mais «volonté», je veux dire volonté à la manière humaine, n'est-ce pas. La pression de la Force (Mère pose sa main droite à plat sur sa main gauche) pour se faire comprendre par la conscience (la main gauche, en dessous), la pression de la Force sur la conscience pour la transformer se change dans l’individu intermédiaire en volonté d'être comprise.

Autre chose. Il y a instinctivement, c'est-à-dire presque subcons-ciemment, presque involontairement, non pas une volonté ni un souci, ni même une curiosité, mais une sorte d'habitude d'observation: l’habitude d'observer l’effet produit sur les autres (et ce n'est pas brutalement ce qu'ils pensent, ce qu'ils sentent, leur opinion; ce n'est pas si brutal que cela parce que dès que cela prend cette proportion, cela fait sourire), c'est une sorte d'habitude, d'habitude de regarder chaque circonstance non seulement comme on la voit, mais en même temps comme les autres la voient, disons. Ce n'est pas un «souci», mais on en tient compte; on en tient compte non pas pour le résultat, mais on en tient compte automatiquement dans la réaction de la conscience: ce que les autres sentent, pensent, leurs réactions; pas exactement leur opinion, mais le sentiment de leur réaction. C'est une sorte d'habitude. Et cela, c'est la déformation mensongère du sentiment de l’Unité. N'est-ce pas, on est UN, et dans la conscience déformée, cela se traduit par une notation, une observation (je ne parle pas des gens qui ont le souci d'eux-mêmes et pour qui cela a de l’importance, ce n'est pas cela: c'est dans le fonctionnement de la conscience), et ce mouvement d'observation a une place, et sous cette forme, c'est une place mensongère. Et alors c'est tellement subtil... Le sens de l’Unité, que tout mouvement de la conscience se répercute partout, dans toutes les consciences parce qu'il n'y a qu'une conscience, et les déformations sont différentes; ce sont les déformations qui font la variété.

(silence)

Encore autre chose. Il y a une aspiration intense et constante à l’Union. Ça commence toujours par le don – le don spontané – au Suprême. Mais alors il s'y mélange... (comment exprimer cela?) l’attente (est-ce une attente? ce n'est presque qu'une notation)... ce n'est pas un souci, c'est plutôt une attente, oui (expectation serait le vrai mot) du résultat. C'est-à-dire que dans cette grande volonté et aspiration à la manifestation de l’Harmonie, de l’Amour dans la Vérité, dans cette soif de tout-tout l’être pour Cela qui est la source de cette Harmonie, au mouvement d'aspiration se mélange la perception (c'est plus que la perception: c'est l’attente), l’attente du résultat, et là, ça se fausse (même geste de torsion).

Et ce que je dis là, ce n'est pas du tout quelque chose que je vois, c'est quelque chose que j'ai vécu pendant la marche du matin à quatre heures et demie. Il y a eu successivement différentes expériences (que Mère vient de décrire), et là, une perception très claire, très aiguë, du moment où la vraie expérience (même geste de torsion) se falsifie. Et ce n'est pas une chose violente, ça n'a rien de dramatique, rien du tout, mais... c'est clairement la différence entre l’Infini et Éternel, Tout-Puissant [qui se change] en l’individualité – la limitation individuelle. Et pour la conscience ordinaire, la conscience habituelle – c'est-à-dire la conscience limitée, individuelle –, cette expérience elle-même est merveilleuse, mais on est le «récipient», on est «celui qui a l’expérience». C'est cela, c'est la différence entre l’expérience (pure), et tout d'un coup «celui qui a l’expérience». Et alors, ce «celui qui a l’expérience», c'est fini, ça déforme tout. Ça déforme tout, mais pas dramatiquement, tu comprends, pas comme cela, non. C'est la différence entre la Vérité et le mensonge. C'est un mensonge (comment dire?)... C'est la différence entre la vie et la mort; c'est la différence entre la Réalité et l’illusion. Et l’un est, et l’autre... se souvient d'avoir été, ou assiste.

C'est très subtil, très subtil. Mais c'est immense – c'est immense, c'est total.

La Vérité, ce corps l’a vécue ce matin à plusieurs reprises pendant quelques secondes (qui pouvaient être des éternités). Mais il est évident que si tout était prêt de façon que «ça» puisse s'établir, c'est la toute-puissance.

Et il y avait une explication tellement claire – évidente, tangible –, montrant comment cela se passe tout le temps – tout le temps, tout le temps, partout. Et à moins que l’on n'ait l’expérience, on ne peut même pas comprendre, d'aucune façon, la différence; tous les mots sont des à peu près. Mais au moment où c'est vrai... (Mère sourit béatifiquement)... Et là, on ne sait pas si ça a duré ou si ça ne dure pas: c'est fini, tout cela. Et ça n'abolit rien, c'est cela qui est le plus merveilleux! Tout est là, ça n'abolit rien. C'est seulement un phénomène de conscience. Parce que, à ce moment-là, tout ce qui est devient vrai, alors... Je veux dire que ça n'abolit rien de la Manifestation; on n'a même pas le sentiment que le Mensonge est aboli: il n'existe pas, il n'y a pas. Tout peut rester exactement comme c'est; ce n'est plus qu'une question de choix. Tout devient une question de choix: on choisit comme ceci, on choisit comme cela... Et dans une splendeur de joie, de beauté, d'harmonie, une plénitude de conscience lumineuse où il n'y a plus d'obscurité: cela n'existe plus. Et c'est vraiment, pour ainsi dire, le choix entre la vie et la mort, la conscience et l’inconscience («l’inconscience», ce n'est pas ce que nous appelons l’inconscience, l’inconscience de la pierre, ce n'est pas cela). On ne sait pas ce que c'est que la conscience tant que l’on n'a pas eu «ça».

Si l’on pouvait traduire ça en mots, ce serait si joli (je comprends les poètes à ce moment-là!). C'est comme si cette Présence ineffable disait: «Tu vois que J'étais toujours là, et tu ne le savais pas.» Et c'est vécu au cœur même des cellules: «Tu vois, tu sais que J'étais toujours là, mais tu ne le savais pas.» Et alors... (Mère reste à sourire en contemplation)... C'est un tout petit rien – qui change tout.

C'est comme cela qu'un mort peut revivre. C'est comme cela, par ce changement-là.

Le mental dramatise, et c'est pour cela qu'il ne comprend pas. Évidemment, il a été utile pour raffiner la Matière, pour l’assouplir, pour préparer ça – assouplir la Vie, raffiner la Matière. Mais il a le goût du drame, et c'est pour cela qu'il ne comprend pas. Les émotions violentes, les complications, c'est son jeu, c'est son amusement. Probablement parce que c'était sa nécessité. Mais il faut vraiment laisser cela de côté au moment voulu, quand on est prêt pour l’expérience.

(silence)

Et imédiatement après cela, cette certitude – si paisible – que tout était nécessaire – tout-tout-tout: depuis ce qui, pour la conscience humaine, est le plus merveilleux, jusqu'à ce qui est le plus horrible, le plus repoussant – tout était nécessaire. Mais d'une étrange façon, ce sont toutes ces choses, ce sont toutes ces expériences, c'est toute cette vie qui devient irréelle – irréelle, pire qu'une comédie qui se joue à soi-même î irréelle. Et c'est dans son irréalité que c'était nécessaire pour la conscience. Toutes les appréciations sont purement humaines – purement humaines parce qu'elles changent la mesure, la proportion. Même la souffrance physique, la souffrance matérielle, qui est l’une des choses les plus difficiles à sentir comme illusoire: une lamentable comédie que l’on se joue à soi-même, les cellules. Et je parle d'expérience avec des exemples probants. C'est très intéressant.

septembre




3 septembre 1966

Sujata aurait besoin d'être protégée un peu. Depuis six mois, elle n'arrête pas de recevoir des coups.

(S'adressant à Sujata:) Qui te donne des coups?

Elle en a reçu au moins quatre sur ses mains et elle ne peut plus «taper».

Des coups, par qui?

Elle se cogne, ou bien au basket-ball.

Tu te cognes ou on te cogne?

Les deux.

On va protéger ça... (Mère fait trois fois un cercle autour des mains de Sujata), comme ça.

Ça aussi, c'est une habitude. Ce ne sont rien que des habitudes: des forces qui jouent dans la Nature. Alors il faut faire un mouvement intérieur (Mère fait un tout petit geste de décrochage) pour rompre l’habitude.

On a l’impression, parfois, d'une petite force qui vous suit.

Oui, c'est cela.


(Peu après, à propos d'un ancien «Entretien» du 28 avril 1951 où Mère parle d'éveiller le corps non par une coercition du vital, mais par une collaboration du corps lui-même, et de la nécessité d'une plasticité physique afin de pouvoir se soumettre à tous les changements.)

J'ai eu plusieurs heures de cette expérience, juste cela: comment le corps est attaché automatiquement à sa manière précise de faire les choses, et comme il faut qu'il reçoive la Lumière pour être prêt à tout. Il faut qu'il puisse dire spontanément et sincèrement: «Ta Volonté, Seigneur, rien que Ta Volonté...» Mais il n'accepte cela d'aucun autre ni d'ailleurs que du Seigneur. Autrement, rien à faire.

C'est très intéressant pour moi. Une fois de plus, je remarque que j'ai toujours l’expérience de ce que je vais entendre ou de ce que l’on va me lire.

C'est curieux. C'est comme une préparation intérieure.1


Un peu plus tard

Il y avait une longue démonstration hier après-midi et ce matin, montrant comment le Mental a amené, a permis un certain changement dans l’évolution de la Matière pour le jeu du Divin, et comment le rejet du Mental est utile seulement comme un moyen de progrès et d'évolution, et comment il sera pleinement utilisé quand l’être nouveau – l’être complet, divin – se manifestera. C'était très intéressant. Une démonstration.

C'est la suite de cette démonstration (conversation du 31 août) qui montrait que tout ce qui a eu lieu était nécessaire.

Mais on ne peut le comprendre vraiment que quand on s'est débarrassé du Mental. Tant que l’on y est attaché, on ne comprend rien.

Ça va petit à petit...

Ce qui prend du temps, c'est de préparer la Matière, cette matière cellulaire telle qu'elle est organisée maintenant (depuis l’éveil du mental des cellules chez Mère), de la rendre assez souple et assez forte pour pouvoir supporter et manifester la Force divine. Ça prend beaucoup de temps... Ça explique tout-tout – tout se trouve expliqué. Le jour où l’on pourra décrire ça en détail, ce sera vraiment intéressant.

Et il y a un petit commencement de: comment sera cet être que Sri Aurobindo appelle «supramental» – la prochaine création. Un petit commencement. Et comme Sri Aurobindo l’a dit: une explication qui vient du dedans au dehors – le dehors, la surface, n'a qu'une importance très secondaire et cela viendra tout à fait à la fin, au moment où ce sera prêt. Mais c'est du dedans au dehors que ça commence, et ça commence d'une façon assez précise et intéressante.

Beaucoup de temps...2

7 septembre 1966

J'ai perdu tout espoir d'être à l’heure... C'est inutile, tous les jours la même chose.

Et ils me font travailler (les secrétaires) comme un forçat; ce n'est pas que je suis tranquille comme cela à écouter...

Et ce n'est pas de la mauvaise volonté – oh! s'ils étaient de mauvaise volonté, ce serait très facile, je les flanquerais dehors!

J'ai songé à leur envoyer une lettre, je leur ai même écrit une lettre, que je n'ai pas envoyée.1 Je le regrette, cela aurait eu un effet.

Je ne crois pas! Je ne crois pas, parce que je leur ai dit, moi, tout ce que je pouvais leur dire; je leur ai même dit que cela me rendait malade... Ils n'ont pas la force de résister: c'est le courant du monde extérieur et ils n'ont pas la force de résister.

Et je fais aussi vite que je peux, ce n'est pas que je m'endorme!... Avec la transformation, est-ce que l’on aurait le pouvoir de faire tout ce travail en moins de temps?

On aurait peut-être le pouvoir de faire comprendre aux gens qu'il ne faut pas te faire perdre ton temps!

C'est la notion d'utilité qui n'est pas la même (chez Mère et chez les secrétaires).


(Aussitôt après, Mère range des fleurs et en met une de côté pour le caissier de l’Ashram.)

Je n'ai pas d'argent non plus. Je lui dois 15.000 roupies et le pauvre homme doit payer tous les loyers... J'ai des dettes partout! (Mère rit)

C'est comme cela, ça ne fait rien!

Dans le temps, quand il y avait des difficultés d'argent, j'avais toujours de l’argent d'ici ou de là, c'était facile: je le prenais, et dès que l’argent venait, je le remettais. Mais maintenant, ça ne marche plus! À Amrita, je dois 20.000 roupies; à H, je dois 13.000 roupies; au caissier, je dois 15.000 roupies. C'est comme cela. Ça ne fait rien, je n'y attache pas d'importance.

Nous avons un budget formidable; nous avons un budget de petit village – non, de petite ville. C'est un budget de 26 lakhs de roupies2 par an, tu comprends. Et alors, tous les gens qui me donnaient de l’argent (des gens qui avaient des affaires, etc.), ils sont tous ruinés par les actions admirables du gouvernement. Alors ils ne peuvent plus me donner. Ils donnent ce qu'ils peuvent, ils sont très gentils, ils font de gros efforts, mais...

Il n'y aurait plus que les chenapans qui pourraient me donner de l’argent! (Mère rit) Ceux-là, ils ont beaucoup d'argent, qu'ils ont volé partout, mais ils ne veulent pas le donner!

Ça ne fait rien, c'est un temps comme cela.

Il y a une espèce de vent, comme un grand souffle de confusion; d'une confusion très obscure qui manque totalement d'intelligence. Il semble que partout, le discernement, la clairvoyance, même un bon sens éclairé, aient disparu. C'est une période à passer.

La richesse ne dépend pas de la quantité d'argent que l’on a: elle dépend de la proportion entre cet argent et les dépenses que l’on a à faire. Pour de pauvres bougres qui n'ont pas de responsabilités, excepté eux et leur famille, je serais extrêmement riche. Facilement, je reçois mille roupies par jour – il m'en faut sept mille! J'en dépense sept mille et j'en reçois mille, c'est la proportion.

Il faut agir sur les chenapans!

(Mère rit) Tu sais, ils sont nombreux ceux qui mettent de l’argent dans leurs murs (ils le cachent avec des rideaux ou des papiers). Il y a une fortune, il y a plusieurs crores de roupies: des millions qui sont cachés dans les murs! Et alors, ils se tracassent, ils se font un mauvais sang terrible, ils ont tout le temps peur d'une descente de police; tandis que s'ils le donnaient, ils deviendraient des gens très respectables! ils n'auraient plus peur, ils auraient une vie paisible... J'ai la possibilité de dire que ce sont des dons anonymes, comme dans les temples; alors c'est une façon de se faire une honnêteté, ce serait très avantageux pour eux, mais ils tiennent à leur argent plus qu'à leur vie! J'ai dit plusieurs fois (je connais des gens qui ont de l’argent caché dans leurs murs), j'ai dit, par des intermédiaires, qu'ils n'avaient qu'à mettre ça dans une valise et venir le déposer devant ma porte. Et je dirai que c'est un don anonyme, c'est tout. Et ils seront libres – non seulement libres, mais (souriant) avec une bénédiction, parce que c'est pour le travail divin... Non, ce sont des prisonniers, ils sont prisonniers de leur argent.

Et ce qui est assez intéressant, c'est que tous ceux (jusqu'à présent sans exception) qui ont eu l’occasion de me donner de l’argent et qui n'ont pas voulu – qui n'ont pas voulu par attachement pour leur argent –, l’ont perdu. Ça a été pris, ou par le gouvernement ou par une catastrophe financière ou par une catastrophe industrielle, ou simplement par un vol – perdu.

Il y a très longtemps de cela (Sri Aurobindo était encore ici), un vieux financier tamoul était venu avec sa femme ici. Il a vécu très longtemps; la femme est morte et lui, est resté. Et il donnait de l’argent: il payait ses dépenses, il faisait des petits cadeaux comme ça, mais il était très riche. Et quand sa femme est morte, il s'est dit: «Ah! si je donnais tout ce que j'ai.» Puis il a eu des pensées plus raisonnables: «On ne sait pas: l’Ashram peut cesser...» Et il a laissé son argent avec des parents à lui qui étaient banquiers ou je ne sais quoi, et... pfft! tout parti. Alors lui-même a dit: «Voilà ma folie! je ne l’ai pas, de toutes façons je n'ai pas cet argent; si je l’avais donné, j'aurais eu le mérite de le donner; maintenant je n'ai ni l’argent ni le mérite!» (Mère rit)

Ah! qu'est-ce que tu apportes? Des «Entretiens» pour le Bulletin? de quoi s'agit-il?

Un Entretien sur l’argent!

Ah! tu vois!

(le disciple lit cet Entretien, puis Mère commente)

C'est pour cela que je t'avais parlé d'argent, tu vois comment c’est.3

Oui, c'est curieux!

C'est amusant.

Je dis «c'est amusant», mais je le sais, c'est tout le temps comme cela – tout le temps, tout le temps, pour tout. Je suis dans un état de... (comment dire?) d'immobilité contemplative, avec cette espèce d'aspiration constante vers... vers la Perfection qu'on veut avoir: c'est Ça qu'on veut faire descendre dans ce monde. Et c'est tout. Et alors, de tous les côtés, de partout-partout, il vient toutes sortes de choses (geste de communication): tout d'un coup, je pense à ça, ou tout d'un coup, j'ai une réponse à ça, tout d'un coup... Et imédiatement, quand le travail est fini, je vois: c'est resté (geste au front) tranquille, immobile, même pas intéressé. C'est comme un transmetteur – récepteur-transmetteur – dans un poste de téléphone. Et simplement, je transmets. Mais je n'ai même pas la curiosité de savoir pourquoi ceci ou cela est venu. C'est comme cela: ça va, ça vient; la réponse va, la transmission, puis la réponse; et puis tout reste tranquille (geste au front). Alors je sais comment les choses se passent, mais comme je ne me dis pas: «Tiens, c'est à cause de ça ou ça ou ça», quand la preuve extérieure vient, c'est amusant! (comme cet Entretien sur l’argent)

C'est une chose curieuse... l’état de conscience des cellules du corps est comme une sorte de soif aiguë, constante, pour... ce qui doit être: la vibration d'Harmonie, de Conscience, de Lumière, de Beauté, de Pureté. Ça ne se traduit même pas par des mots, mais c'est... une aspiration, et rien que ça. Rien que ça, pas autre chose. Et alors (dans cette aspiration silencieuse), ça vient comme ça, de tous les côtés. Et ce qui est assez curieux, c'est qu'il y a aussi des douleurs, des malaises, des apparences de maladie – et tout vient du dehors. Et avec la même réponse toujours (geste de Descente): mettre la Conscience divine – mettre la Conscience divine – sur tout; la Conscience qui contient la Paix, la Lumière, la Force...

14 septembre 1966

122 – Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d'abord en quoi ta pensée est vraie, puis étudie en quoi son contraire est vrai; enfin découvre la cause de ces différences et la clef de l’harmonie de Dieu.

123– Une opinion n'est ni vraie ni fausse, elle est seulement utile dans la vie ou inutile...

(Mère rit beaucoup)

... car c'est une création du Temps, et avec le temps elle perd son efficacité et sa valeur. Élève-toi au-dessus des opinions et cherche la sagesse impérissable.

124 – Sers-toi des opinions dans la vie, mais ne les laisse pas enchaîner ton âme dans leurs fers.

125 – Toute loi, si comprehensive ou tyrannique soit-elle, se heurte quelque part à une loi contraire qui fait échec à son action, la modifie, l’annule ou la déjoue.

(après un silence)

J'étais en train d'essayer de trouver en quoi les opinions sont utiles... Sri Aurobindo dit qu'elles sont «utiles ou inutiles» – en quoi une opinion peut-elle être utile?

Elles aident momentanément dans l’action.

Non, c'est justement cela que je déplore; les gens agissent d'après leur opinion, et ça n'a aucune valeur.

C'est peut-être tout ce qu'ils ont à leur disposition!

(Riant) Alors on peut dire que c'est un pis-aller.

Tout le temps, je reçois des lettres de gens qui veulent ou ne veulent pas faire quelque chose et qui me disent: «C'est mon opinion: ceci est vrai, cela ne l’est pas...» Et toujours, plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c'est faux, c'est une sottise.

On a l’impression très claire – enfin, c'est visible – que l’opinion opposée a autant de valeur, que c'est simplement une question d'attitude, c'est tout. Et naturellement, il s'y mêle toujours les préférences de l’ego: on aime mieux que ce soit comme cela, alors on a l’opinion que c'est comme cela.

Mais tant que l’on n'a pas la lumière supérieure pour agir, on a besoin de se servir des opinions.

Il vaudrait mieux avoir une sagesse qu'une opinion; c'est-à-dire, justement, considérer toutes les possibilités, tous les aspects de la question, et alors essayer d'être aussi peu égoïste que possible et voir, par exemple, pour une action, celle qui peut être utile au plus grand nombre de gens ou qui démolit le moins de choses, qui est la plus constructrice. Enfin, même en se plaçant à un point de vue qui n'est pas spirituel, qui est seulement utilitaire et non-égoïste, il vaut mieux agir selon la sagesse que selon son opinion.

Oui, mais quelle serait la bonne façon de procéder quand on n'a pas la lumière, sans y mêler son opinion ou son ego?

Je crois que c'est de considérer tous les aspects du problème, de les mettre d'une façon aussi désintéressée que possible devant sa conscience et de voir ce qui est le meilleur (si c'est possible) ou ce qui est le moins mauvais si cela a des conséquences fâcheuses.

Je voulais dire: quelle est la meilleure attitude? Est-ce une attitude d'intervention ou une attitude de laisser-faire? Quel est le meilleur?... On se demande.

Ah! justement, pour intervenir il faut être sûr que l’on a raison; il faut être sûr que votre vision des choses est supérieure, préférable ou plus vraie que celle des autres ou de l’autre. Ça, il est toujours plus sage de ne pas intervenir – les gens interviennent sans rime ni raison, simplement parce qu'ils ont l’habitude de donner leur opinion aux autres.

Même lorsqu'on a la vision de la vraie chose, il est rarement sage d'intervenir. Cela ne devient indispensable que si quelqu'un veut faire quelque chose qui, nécessairement, se terminera par une catastrophe. Et même là (souriant), l’intervention n'est pas toujours très efficace.

Au fond, il n'est légitime d'intervenir que lorsqu'on est absolument sûr d'avoir la vision de vérité. Non seulement cela, mais aussi la vision claire des conséquences. Pour intervenir dans les actions d'un autre, il faut être un prophète – un prophète. Et un prophète avec une bienveillance et une compassion totales. Il faut même avoir la vision de la conséquence qu'aura l’intervention dans la destinée de l’autre. Les gens sont tout le temps à se donner des conseils: «Fais ceci, ne fais pas cela»; je vois, ils n'imaginent pas à quel point ils créent une confusion, ils augmentent la confusion, le désordre. Et quelquefois ils nuisent au développement normal de l’individu.

Je considère que les opinions sont des choses toujours dangereuses, et la plupart du temps absolument sans valeur.

On ne devrait se mêler des affaires d'autrui que, d'abord, si l’on est infiniment plus sage que l’autre (naturellement, on se croit toujours plus sage!), mais je veux dire d'une façon objective et non selon sa propre opinion: si l’on voit plus, mieux, et si l’on est soi-même en dehors des passions, des désirs, des réactions aveugles. Il faut être soi-même au-dessus de toutes ces choses pour avoir le droit d'intervenir dans la vie d'un autre – même quand ils vous le demandent. Et quand ils ne vous le demandent pas, c'est simplement se mêler de ce qui ne vous regarde pas.

(Mère entre dans une longue contemplation, puis ouvre les yeux soudain)

Je viens de voir dans ton atmosphère – quelque chose là-haut – une drôle d'image! C'était comme le versant d'une montagne, très abrupte, et quelqu'un, comme le symbole de l’homme, qui grimpait. Un être... C'est curieux, j'ai vu cela plusieurs fois: des êtres qui sont sans vêtements et qui ne sont pas nus! Et je ne peux pas comprendre pourquoi – qu'est-ce qui se passe? Ils sont sans vêtements et ils ne sont pas nus... Il y a une forme, on voit une forme, qui est une forme d'homme; on la voit et elle n'est pas nue. C'est déjà la troisième fois que cela m'arrive. Mais cela m'est arrivé pour des gens qui étaient sortis de leur corps; par exemple, Purani je l’ai vu comme cela: il n'était pas nu et il n'avait pas de vêtements; et on voyait une forme de corps, et c'était bleu et rose (je te l’ai dit, je crois). Eh bien, juste maintenant, j'ai vu un homme, la forme d'un homme (d'ailleurs, qui te ressemblait) et qui grimpait une colline, et il n'était pas nu, et il n'avait pas de vêtements... C'est-à-dire qu'ils ont une espèce de vêtement de lumière. Mais cela ne donne pas l’impression d'une lumière qui irradie ni rien de ce genre. C'est comme une atmosphère. Ce serait plutôt l’aura: l’aura devenue visible; alors cette transparence ne cache pas la forme, et en même temps la forme n'est pas nue. Ce doit être cela, ce doit être l’aura: l’aura devenue visible.

C'était comme cela. Et alors, du ciel – il y avait un grand ciel qui allait d'en bas jusqu'en haut (c'était comme un tableau), un ciel très clair, très lumineux, très pur –, il y avait d'innombrables... des centaines de choses comme des oiseaux qui volaient vers lui et il les attirait d'un geste. Et c'était généralement bleu pâle, blanc; de temps en temps, il y avait comme un bout d'aile ou comme un haut de crête un petit peu sombre, mais c'était accidentel. Et ça venait et ça venait... par centaines, et il les rassemblait d'un geste, puis il les envoyait sur la terre (il était debout sur une pente abrupte), il les envoyait en bas dans la vallée. Et alors là, ça devenait... (Mère rit) c'étaient des opinions! Ça devenait des opinions! Il y en avait des foncées, des claires, des brunes, des bleues...

C'étaient comme des espèces d'oiseaux qui s'en allaient vers la terre, comme ça. Mais c'était une image – ce n'était pas une image: ça bougeait. C'était très amusant!

Ça venait d'en haut, lumineux, par centaines. Et alors il a dit: «Voilà comment se forment les opinions.»

Il te ressemblait. Ce n'était pas «toi», mais il te ressemblait.

Ça venait du ciel, un ciel immense-immense et lumineux, clair, qui n'était ni bleu, ni blanc, ni rose, ni... c'était lumineux, c'était simplement lumineux; et de ce ciel, c'était par... je dis centaines: c'étaient par milliers qu'ils arrivaient, et lui, il était là et il recevait ça, puis il faisait un mouvement des mains et il les envoyait sur la terre, et... ça devenait des opinions! Je crois que j'ai commencé à rire, ça m'a amusée.

C'est curieux.

Et il y avait tout ça qui descendait, qui descendait – le bas, on ne le voyait pas –, ça descendait.

Bon. Alors il se peut que les opinions viennent d'un ciel de lumière! (Mère rit)

Au fond, c'est beaucoup plus expressif par des images que par des mots!

Tu sais, ce dessin que j'ai fait de l’«Ascension vers la Vérité»? C'était comme cela, c'était ce rocher à pic, et il grimpait (sans difficulté, d'ailleurs), il montait comme cela, et alors, pas tout en haut mais assez loin de la terre (la terre, on ne la voyait plus), il recevait tout ça et il le renvoyait en bas. Je vois encore le tableau, c'était joli.

Et ce détail particulier, que je comprends maintenant, ce sont les auras qui deviennent visibles et qui servent de vêtement; n'est-ce pas, les auras sont le vêtement.

Ce doit être dans un physique subtil, peut-être un physique vrai. Sri Aurobindo a dit que le physique subtil était un physique beaucoup plus vrai que le nôtre. Les choses y sont comme cela, d'un symbole très clair.

Et ces oiseaux (c'étaient des oiseaux qui n'étaient pas des oiseaux, mais cela ressemblait à des oiseaux), ils venaient tout lumineux-lumineux, avec quelquefois des toutes petites traces plus foncées ici ou là, mais généralement tout lumineux; leur forme était très fluide. Et ce ne sont pas des couleurs comme nous les connaissons: ce n'était pas du blanc, ce n'était pas du bleu clair, mais c'était comme l’essence du blanc et du bleu, l’essence des couleurs. Je ne sais pas comment expliquer. Et ils arrivaient comme cela, puis il les envoyait, et alors quand ça passait par ses mains et que ça descendait sur la terre (riant)... ça devenait brun, bleu, gris... toutes les couleurs possibles! Mais ça, c'étaient les opinions. C'est amusant.1

17 septembre 1966

Ton livre? Ça marche?

Tu trouves que cela va trop lentement? Tu voudrais que ça aille plus vite?

Non, je te demande parce que j'étais encore occupée avec lui hier soir dans la nuit. C'est pour cela que je te demande. Dans la nuit, je vois, et puis j'entends des phrases, je vois des scènes, et puis... Alors je me dis que ça doit marcher!1

(silence)

Il y a une nouvelle activité... Je suis en train (je m'attrape en train de faire quelque chose, pour être exacte), je suis en train de parler à des gens que la plupart du temps je ne connais pas, puis de décrire une scène: ils peuvent faire faire telle et telle chose, et on peut leur suggérer telle ou telle chose, et ça finira par telle et telle chose. Ce sont comme des scènes de livre ou des scènes de cinéma. Puis, tout d'un coup, dans la journée ou le lendemain, quelqu'un me dit: j'ai reçu un message de vous et vous m'avez dit qu'il fallait écrire à telle personne et lui dire telle chose!... Et je ne le fais pas mentalement, ce n'est pas que je pense: «Il faut écrire à telle personne et faire telle chose», pas du tout: je vis – je vis une scène ou je raconte une scène, et c'est reçu par quelqu'un d'autre (et je ne pense pas du tout à cette autre personne), c'est reçu par «quelqu'un», celui-ci ou celui-là ou celui-là, comme une communication où je lui dis de faire telle ou telle chose. Et ça se passe ici, en France, en Amérique, partout. Cela devient amusant!

Quelqu'un m'écrit: «Vous m'avez dit ça», et c'est l’une de mes «scènes»! Une des scènes que j'ai vécue – pas vécue: à la fois vécue et fabriquée! Je ne sais pas comment expliquer cela. C'est comme un travail de... (Mère semble palper une invisible substance entre ses doigts, comme si Elle la modelait).

Et ce n'est pas moi, n'est-ce pas! Ça (Mère touche son front), Dieu merci, Seigneur, j'espère que ça continuera toujours: tranquille, calme, si calme, si tranquille, si paisible. Mais ça vient de tous les côtés! (geste de communications innombrables qui se déversent dans ce silence).

Et il y a des histoires de pays, il y a des histoires de gouvernements; et là, je ne sais pas le résultat – peut-être que dans quelque temps on verra.

Et dans ce genre d'activité, j'ai toutes sortes de connaissances que je n'ai pas! même quelquefois des connaissances médicales ou des connaissances techniques que je n'ai pas du tout – et que j'ai, n'est-ce pas, puisque je dis: «C'est comme ça, c'est comme ça...» C'est assez amusant.

Et ce n'est pas moi! Moi, où est-il, le moi?... Ce n'est pas ça, en tout cas (Mère pince la peau de ses mains entre ses doigts), pauvre ça – pauvre ça! il continue son aspiration et il a le sens, à la fois, de son incapacité, de sa misère, de son impuissance à exprimer ce qu'il devrait exprimer et de son indignité d'être un instrument du Divin. Et en même temps, d'abord il a une sorte de certitude qui va croissant, de... (comment dire?) la magnaminité de la Présence divine, qui est si merveilleuse dans ses effets malgré l’imbécillité presque totale de tout ça (Mère désigne son propre corps) qui est pétri vraiment, extérieurement pétri, de stupidité, mais avec l’ardeur d'une aspiration si intense, si constante, et avec quelque chose de touchant dans son humilité et sa confiance, et qui a le sens de son impuissance, et en même temps de cette Puissance merveilleuse qui est là et qui ne demande qu'à agir – si on la laisse faire. Ça se traduit par une sorte de révision cinématographique de toutes ses difficultés, toutes ses impuissances, toutes ses incapacités, toutes ses obscurités, tout ça qui vient comme sur un écran, pour être dissous. Et alors on assiste à la dissolution à la Lumière. C'est fantastique.

Et l’impression d'être suspendue par un fil si ténu, le fil... pas de la foi, ce n'est pas une foi: c'est une certitude, mais qui est en même temps une aspiration, et alors qui sent – qui sent – que c'est quelque chose de si nouveau, si jeune, dans une atmosphère absolument pourrie, d'incrédulité, de futilité, de mauvaise volonté. Et alors c'est cela, c'est un fil ténu et c'est un miracle que...

(silence)

Même ceux qui croient avoir la foi veulent que tout soit fait pour eux; ils veulent que la Puissance suprême, le Suprême fasse tout pour eux en dépit de leur incrédulité, de leur stupidité, de leur incapacité; et c'est cela qu'ils appellent toute-puissance. Et ils ne comprennent même pas que cette Vibration de la Vérité, si elle s'imposait, ce serait la destruction de tout ça, c'est-à-dire d'eux-mêmes! de ce qu'ils croient être eux-mêmes.

La merveille – la merveille –, c'est cette Compassion infinie qui fait que ça ne détruit rien: ça attend. C'est là, c'est là avec son plein pouvoir, sa pleine force, et... simplement ça affirme sa présence sans l’imposer, afin de réduire au minimum... les dégâts.

C'est une Compassion merveilleuse, merveilleuse!

Et tous ces idiots, ils appellent cela de l’impuissance!


(Un peu plus tard, le disciple propose de publier dans le Bulletin de l’Ashram le dernier commentaire de Mère sur les Aphorismes, y compris la vision des oiseaux qui deviennent les «opinions» humaines, en faisant seulement quelques coupures personnelles.)

Les gens vont dire que je retombe en enfance.

Mais pas du tout!... C'est très expressif.

(Riant) l’image était jolie (je viens de la revoir), l’image était très jolie.

Bien.

Ça ne se répète pas trop? Il y a quatre-cinq fois la même chose.

Non-non. Chaque fois tu rajoutes un élément. Ça coule. Ça coule.

Alors tu n'as rien qui puisse servir de «Notes sur le chemin»?

Peut-être. Il faudra que je regarde encore. Mais en principe, non.

N'est-ce pas, ça a l’air de bavardages d'enfant parce que2... l’expression de ces expériences de maintenant n'est pas du tout une expression intellectuelle, et pour ceux qui ne comprennent pas que c'est l’expérience faite par la substance physique, les cellules, la forme la plus matérielle, ça a tout simplement l’air d'un bavardage d'enfant. C'est l’expérience comme peut en avoir un enfant, sans les complications et les explications que donne le développement intellectuel.

Et c'est cette simplicité-là, ce manque de complication et d'élaboration, qui donne la grande valeur à ces choses, en ce sens que c'est d'une sincérité et d'une simplicité parfaites. Dans tout ce qui s'exprime mentalement, vitalement, intellectuellement, il y a toujours PLUS dans la forme, dans le mot, dans l’expression; il y a PLUS que dans l’expérience – ça se complète et ça s'arrondit (!) Ce qui est dit est plus que ce qui veut se dire. Tandis que là, c'est l’expérience tout à fait pure et qui sent les mots comme une sorte d'amoindrissement, de diminution, en même temps que cela donne une complication qui n'existe pas dans l’expérience – l’expérience est très simple, très simple: elle est vraiment pure. Et tout ce qu'on dit, c'est comme si l’on y ajoutait quelque chose qui diminue sa pureté et sa simplicité.

Alors dire ces choses, c'est bon pour soi-même, c'est bon pour quelqu'un qui est dans le même «état d'âme», mais pour le public... (Mère hoche la tête) C'est voué à l’incompréhension.

Voilà.

21 septembre 1966

(Cette conversation est venue à la suite d'une question personnelle du disciple, qui demandait à Mère s'il ne devait pas refuser une certaine somme d'argent que lui offrait le Gouvernement français: une pension de guerre. Le disciple avait l’intention de refuser cette pension parce qu'il ne voulait se sentir lié à aucun gouvernement et à aucun pays pour n'importe quelle somme d'argent. Mère lui a conseillé d'accepter cet argent pour l’Œuvre divine.)

J'ai eu une révélation, dans le sens que c'était plutôt de l’ordre de la vision.

Pour des raisons extérieures, j'étais en train de voir l’état lamentable dans lequel se trouvent tous les pays, les conditions de la terre qui sont vraiment pénibles et dangereuses, et il y avait une sorte de vision d'ensemble montrant comment les nations (les hommes en tant que nations) ont agit et agissent de plus en plus dans un Mensonge croissant, et comment ils ont utilisé tout leur pouvoir de création à créer des moyens de destruction tellement formidables, avec l’arrière-pensée, vraiment enfantine, que ce serait si terrible que l’on ne voudrait pas s'en servir. Mais ils ne savent pas (ils devraient savoir, mais ils ne savent pas) que les choses ont une conscience et une force de manifestation, et que tous ces moyens de destruction poussent à l’utilisation, et que même ne voulant pas s'en servir, il y aurait une force plus forte qu'eux qui les pousserait à s'en servir.

Alors, voyant tout cela, l’imminence de la catastrophe, il y a eu une sorte d'appel ou d'aspiration pour faire venir quelque chose qui puisse neutraliser au moins cette erreur. Et c'est venu, une réponse... Je ne peux pas dire que je l’aie entendue avec mes oreilles, mais c'était tellement clair, fort et précis que c'était indiscutable. Je suis obligée de traduire par des mots; si je traduis en mots, je peux dire à peu près ceci: «C'est pour cela que tu as créé Auroville.»

Et alors, la vision claire qu'Auroville était un centre de force et de création, avec... (comment dire?) une graine de vérité, et que si elle pouvait éclore et se développer, le mouvement même de sa croissance serait une réaction contre les conséquences catastrophiques de cette erreur de l’armement.

Cela m'a intéressée beaucoup parce que aucune pensée ne précédait cette naissance d'Auroville; c'était simplement, comme toujours, une Force qui agit, comme une espèce d'absolu qui se manifeste, et c'était tellement fort (lorsque l’idée d'Auroville s'est présentée à Mère) que je pouvais dire aux gens: «Même si vous n'y croyez pas, même si toutes les circonstances ont l’air tout à fait défavorables, JE SAIS QU'AUROVILLE SERA. Ce peut être dans cent ans, ce peut être dans mille ans, je n'en sais rien, mais Auroville sera, parce que c'est décrété.» Et cela avait été décrété – tout simplement fait comme cela en obéissance à un Ordre, sans pensée. Et quand «on» m'a dit cela (je dis «on», mais tu comprends ce que je veux dire), quand on m'a dit cela, c'était pour me dire: «Voilà pourquoi tu as fait Auroville; tu n'en sais rien, mais c'est pour cela...» Parce que c'était le DERNIER ESPOIR de réagir contre la catastrophe imminente. Si un intérêt s'éveille dans tous les pays pour cette création, cela aura petit à petit le pouvoir de réagir contre l’erreur qu'ils ont commise.

Cela m'a intéressée beaucoup, parce que je n'y avais jamais pensé.

Et naturellement, quand on m'a montré cela, j'ai compris; j'ai senti comment, quelle action dans l’invisible, a la création d'Auroville. Ce n'est pas une action matérielle, extérieure: c'est une action dans l’invisible. Et alors, depuis ce moment-là, j'essaye de le faire comprendre aux pays, non pas extérieurement naturellement parce que tous se croient beaucoup trop malins pour que l’on puisse leur apprendre quoi que ce soit, mais intérieurement, dans l’invisible.

C'est assez récent, cela date d'il y a deux ou trois jours. Cela ne m'avait jamais été dit. Cela a été dit très clairement. Et «dit»: vu, n'est-ce pas. montré comme cela (comme un tableau de vision). Alors mon intérêt pour Auroville a considérablement grandi depuis ce moment-là. Parce que j'ai compris que ce n'était pas seulement une création de l’idéalisme, mais que c'était un phénomène tout à fait pratique dans l’espoir... dans la volonté, plutôt, de contrecarrer et de contrebalancer les effets – les effets effroyables – de cette erreur psychologique de croire que la peur peut vous sauver d'un danger! La peur attire le danger beaucoup plus qu'elle ne vous en sauve. Et tous ces pays, tous ces gouvernements font bêtises sur bêtises à cause de cette peur de la catastrophe.

Tout cela, c'est simplement pour te dire que si les nations, même dans une toute petite mesure (comme cette offre d'argent du Gouvernement français) collaborent à l’œuvre d'Auroville, ça leur fera du bien – ça peut leur faire beaucoup de bien, un bien qui peut être disproportionné à l’apparence des actions.

Mais tu parles de l’imminence d'une catastrophe, tout de même Auroville va prendre du temps à se réaliser?

Non! je parle de la collaboration des pays pour CRÉER quelque chose. Ce n'est pas quand Auroville sera fini: c'est la collaboration des nations pour créer quelque chose – mais pour créer quelque chose qui est fondé sur la Vérité au lieu d'une émulation dans la création du Mensonge. Ce n'est pas quand Auroville sera prêt – quand Auroville sera prêt, ce sera une ville au milieu de toutes les villes et ce n'est que sa capacité propre de vérité qui aura du pouvoir, mais ça... c'est à voir.

Non, il s'agit d'un intérêt combiné pour construire quelque chose qui se fonde sur la Vérité. Ils ont eu un intérêt combiné (et combiné sans sympathie, n'est-ce pas) pour créer sur le Mensonge un pouvoir de destruction; et Auroville, c'est dériver un peu de cette force (la quantité est minime, mais la qualité est supérieure). C'est vraiment un espoir – c'est fondé sur un espoir – de faire quelque chose qui soit le commencement d'une harmonie.

Non, c'est TOUT DE SUITE, c'est tout de suite. La force de propagation est beaucoup plus grande, elle est disproportionnée au centre émetteur (Mère) qui, au point de vue mondial, est pour ainsi dire inconnu et presque inexistant; mais le centre, le pouvoir de radiation et de propagation est disproportionné, il est assez remarquable: il y a une réponse partout-partout (pour Auroville); une réponse de la nouvelle Afrique, une réponse en France, une réponse en Russie, une réponse en Amérique, une réponse au

Canada et une réponse dans quantités de pays, en Italie... partout-partout. Et pas seulement des individus: des groupes, des tendances, des mouvements, même dans les gouvernements. Ce qui se montre le plus récalcitrant (et ça, c'est admirable d'ironie), ce sont... les Nations Unies! Ils sont vieux-jeu, ces gens, oh!... Ils en sont encore au mouvement «matérialiste anti-religieux», et ils ont fait une remarque péjorative sur la brochure d'Auroville en disant que c'était «mystique», à tendance «religieuse». l’ironie est jolie!

D'ailleurs, même d'une façon tout à fait extérieure, cette lutte entre l’Inde et le Pakistan1 était clairement... (comment dire?... ce sont les mots anglais qui me viennent) initiated and driven, c'est-à-dire mise en mouvement et avec l’impulsion des forces de Vérité qui voulaient créer une grande «Fédération asiatique» qui ait la puissance de contrebalancer la Chine rouge et son mouvement. C'était une Fédération qui avait justement besoin du retour du Pakistan et de toutes ces régions, et qui comprend le Népal, le Tibet, puis la Birmanie, et en bas, Ceylan. Une grande Fédération où chacun aurait son développement autonome, tout à fait libre, mais qui serait unie dans une aspiration générale unique de paix et de lutte contre l’invasion des forces dissolvantes. C'était très clair, c'était très voulu – et c'est l’intervention de ces Nations Unies qui a tout arrêté.2

Officiellement, je ne dis rien; parce que j'ai dit et je répète toujours que la politique est en plein Mensonge, fondée sur le Mensonge, et je ne m'en occupe pas, c'est-à-dire que je ne fais pas de politique, je ne veux pas – mais je peux voir clair!... On est venu me demander (de tous les côtés, d'ailleurs) opinion, avis ou conseil; j'ai dit: «Non, je ne m'occupe pas de politique.» N'est-ce pas, toute la diplomatie est fondée absolument sur un Mensonge VOULU; tant que ce sera comme cela, il n'y a pas d'espoir: les inspirations viendront toujours du mauvais côté; les inspirations, les impulsions, les idées, tout viendra toujours du mauvais côté; c'est-à-dire que c'est la gaffe inévitable, pour tout le monde. Quelques rares individus le sentent et le savent, et ils sont à moitié désespérés parce que personne ne les écoute.

Malheureusement, selon les tendances actuelles, on veut avoir le support de l’Unesco pour Auroville (!) Moi, je savais d'avance que ces gens ne peuvent pas comprendre, mais... on essaye. Parce qu'il y a des gens partout (c'est une espèce de superstition), des gens partout qui disent: «Non, je n'ouvre les cordons de ma bourse qu'avec l’approbation et l’encouragement de l’Unesco» (je parle de ceux dont l’appoint compte), beaucoup de gens, alors....

Seulement, pour moi, tout cela, c'est la croûte, l’expérience tout à fait superficielle – la croûte; et il faut que les choses se fassent en dessous, sous cette croûte. C'est juste une apparence.

Je l’ai dit à ceux qui s'occupent d'Auroville, je leur ai dit: «Ces gens-là (l’Unesco) sont en retard de deux cents ans sur la marche de la terre, par conséquent il n'y a pas beaucoup d'espoir qu'ils comprennent.» Mais enfin je ne leur ai pas dit de ne pas s'en occuper – je ne donne pas de conseils.

Mais de tout petits détails comme celui dont nous avons parlé tout à l’heure (l’offre de pension du Gouvernement français) sont une indication: ce sont les pays qui collaborent à la Vérité sans le savoir. Et c'est très bien, c'est tant mieux pour eux. C'est bon pour eux. Cela ne fait rien s'ils ne savent pas (souriant): ils n'ont pas le plaisir de l’avoir fait! c'est tout.

(silence)

Mais j'étais la première à être très intéressée parce que c'est venu comme cela (geste de descente irrésistible), avec une autorité toute-puissante: «C'est pour cela qu'Auroville a été fait.»

(Mère entre en contemplation, puis reprend)

Il y a toutes sortes de choses très amusantes que l’on voit passer; une réflexion, juste à l’instant: «Ah! c'est une Tour de Babel à rebours.» (Mère rit) C'est intéressant! Ils se sont unis et ils se sont divisés dans la construction; alors maintenant, ils se sont rassemblés pour s'unir dans la construction. Voilà: une Tour de Babel... à rebours!

(Mère s'arrête un instant comme si Elle voyait quelque chose)

Tout d'un coup, on voit... C'est un certain domaine, là, un domaine de l’atmosphère terrestre qui est vaste et impérissable, où les choses prennent une autre importance, qui quelquefois dément les apparences, et on voit comme un grand, immense courant qui entraîne les circonstances et les événements vers un but... toujours le même et par des chemins très inattendus. Ça devient très vaste et, malgré l’horreur des détails, dans l’ensemble ça prend un Rythme qui est très souriant...

Je sais maintenant, je me souviens, toute cette expérience est venue après avoir vu un livre qui a été publié dans l’Inde tout récemment, en anglais, et qu'ils ont appelé The Roll of Honour, où il y a la photo et une petite biographie de tous ceux qui sont morts dans la lutte contre les Anglais, pour la liberté de l’Inde. Il y avait des photos partout, beaucoup de photographies (certaines étaient seulement la photographie que la police avait prise quand ils venaient d'être tués et qu'ils étaient allongés par terre), et tout cela a apporté une certaine atmosphère: l’atmosphère de ces bonnes volontés désintéressées qui rencontrent un destin tragique. Cela m'a fait un effet analogue à l’effet produit par les photographies sur les horreurs des Allemands pendant la guerre là-bas. Il est évident que ces choses sont directement sous l’influence de certaines forces adverses, mais nous savons que les forces adverses sont pour ainsi dire autorisées à travailler – justement par le sentiment de l’horreur –, pour hâter l’éveil de la conscience. Et alors, cette expérience-là, qui a été très forte, qui ressemblait beaucoup à celle que j'ai eue quand j'ai vu les photographies des atrocités allemandes en France, m'a mise en rapport avec la vision de l’erreur humaine, terrestre, moderne (c'est moderne: ça a commencé depuis ces derniers mille ans et ça devient de plus en plus aigu dans la dernière centaine d'années), avec l’aspiration pour contrebalancer cela: comment faire?... quoi faire?... Et la réponse: «C'est pour cela que tu as créé Auroville.»

C'est une perception des forces – des forces qui agissent directement dans les événements, les événements matériels, qui sont... illusoires et mensongers; par exemple, l’homme qui a lutté pour la liberté de son pays, qui vient d'être assassiné là parce que c'est un révolté, et qui a l’air d'un vaincu, couché sur le parapet de la route: c'est lui, le victorieux. C'est cela, ça montre bien le genre de relation entre la vérité et l’expression. Alors, si l’on entre dans cette conscience où l’on perçoit le jeu des forces et que l’on voie le monde comme cela, c'est très intéressant; et c'est comme cela, quand j'étais dans cet état-là, qu'il m'a été dit, montré clairement (c'est inexprimable parce que ce n'est pas avec des mots, mais ce sont des faits): «C'est pour cela que tu as créé Auroville...» C'est la même chose que pour cette photo.3

Voilà, tu gardes ça.


Une note de Mère sur Auroville:

«l’humanité n'est pas le dernier échelon de la création terrestre. l’évolution continue et l’homme sera dépassé. À chacun de savoir s'il veut participer à l’avènement de l’espèce nouvelle. Pour ceux qui sont satisfaits du monde tel qu'il est, Auroville n'a évidemment pas de raison d'être.»

24 septembre 1966

Est-ce que la terre répond? Est-ce qu'il y a une réponse vraiment, ou est-ce que tu sens que tu travailles toute seule?

Tu ne veux pas dire les gens? tu veux dire la terre, le monde minéral, végétal, animal?

Non, je parlais des hommes, la terre entière.

Oh! des hommes, ça oui – ça oui, sans aucun doute, une réponse très marquée, étrangement marquée, de partout-partout. Un besoin de quelque chose, une insatisfaction de ce qui est, et le besoin de quelque chose de supérieur. C'est très-très marqué, partout. Je ne veux pas dire que ce soit en grand nombre, je ne crois pas, mais c'est partout.

Donc, cela progresse?

Oh! beaucoup, beaucoup. Il y a des signes, il y a même des signes étranges de temps en temps, de quelque chose qui s'éveille.

J'ai l’impression que même parmi les animaux, il y a un éveil.

Et où est l’obstacle? Il y a un obstacle?

Il est partout. C'est comme une coalition du Mensonge pour essayer de résister.

28 septembre 1966

(Les secrétaires ont quitté Mère avec une heure de retard, si bien que l’entrevue commence à l’heure où elle aurait dû finir.)

C'est un record! Et j'ai commencé de bonne heure, et le travail n'est pas fait.

C'est insoluble. Parce que j'essaye tout ce qui est en mon pouvoir: je commence de meilleure heure, je me presse le matin, je fais le travail avec autant d'ordre que possible – rien à faire. Et je préviens un quart d'heure d'avance: «Maintenant c'est fini.» – Rien à faire.

*Mais petit à petit, tout est mangé, il ne reste plus rien!

Non, il ne reste plus rien.*

Mais la nuit, maintenant, je travaille quelquefois jusqu'à 10h30, et il était entendu que je devais me retirer avant neuf heures... Il ne reste plus rien. Et pour moi, ce n'est pas dormir: c'est mon vrai travail que je fais la nuit – je ne peux pas. l’après-midi aussi, je n'ai plus le temps; je dois manger à 11h30: je mange à midi et demie, alors je n'ai plus le temps parce qu'il faut que je fasse ma toilette et que je recommence à trois heures. Et je n'ai jamais fini à cinq heures. J'avais gardé de 5h30 à 6h30 pour être tranquille – ce n'est pas possible. Ça mange toutes mes heures de tranquillité. Et le travail n'est pas fait! S'il était fini, je ne dirais rien, mais ce n'est pas fait, il y en a pour au moins deux fois autant – tout le monde proteste, tout le monde réclame.

Ça ne sert à rien de grogner!

Non, mais enfin ça disparaît.

Et puis, ajouté à tout cela, je n'ai plus le sou! Cette après-midi, Amrita vient: je ne peux pas lui donner son argent, je ne l’ai pas. Tous les jours, j'ai un certain paiement à faire; eh bien, il se trouve que je n'ai plus le sou. Cette après-midi, comme tous les mercredis, je devais donner cinq mille roupies à ce pauvre Amrita qui est endetté: je n'ai rien. C'est comme cela, ça rend les choses encore pires. Si, au moins, largement, je pouvais faire face aux nécessités, ce serait bien, mais ce n'est pas ça: la complication vient de partout, partout! Au caissier, je dois des sommes folles, et je ne peux pas payer... Partout, je suis pleine de dettes – je porte ça légèrement, ça ne m'empêche pas de dormir! Mais le fait est là.

(Mère tend une rose au disciple) Ça, c'est la paix, mon enfant. C'est la paix. (Riant) Ça, si tu savais comme il y a la paix là! (geste au front et au-dessus). Je dis les choses, mais au fond... C'est comme le veut le Seigneur. Peut-être que ça l’amuse de voir la tête des gens!

(silence)

J'ai reçu une lettre d'une correspondante qui pose une question sur la souffrance.

Alors, voyons.

Elle écrit ceci: «... Il faut cesser d'encourager les bourreaux, qu'ils s'attaquent aux hommes ou aux bêtes. Je viens vous prier de m'enseigner comment obtenir les pouvoirs et diminuer, par concentration de fluide, les souffrances chez autrui, et comment agir en rendant, du dedans, coup pour coup aux agresseurs, sans haine mais implacablement... Je vous en prie, aidez-moi. Quel don intérieur, quelle renonciation est nécessaire? Qui m'enseignera la force et la justice afin que j'agisse et ne laisse pas toujours le mal triompher. La souffrance des autres est trop facile à oublier, à nier, à minimiser. Je n'en veux plus, je ne veux plus fermer les yeux et me rassurer jusqu'à la prochaine fois... Que dois-je entreprendre?»

Quand as-tu reçu cette lettre?

Il y a deux ou trois jours.

Mais hier, tu as décidé de me la lire? Parce que toute la journée, j'étais dans cet état d'esprit (pas avec ces mots-là, mais dans cet état d'esprit).

Pendant longtemps, ces derniers temps, c'est-à-dire pendant des jours les uns après les autres, il y a eu la perception très aiguë, très intense, très claire, que l’action de la Force se traduit extérieurement par ce que nous appelons la «souffrance», parce que c'est le seul genre de vibration qui puisse sortir la Matière de l’inertie.

La Paix, le Calme suprêmes se sont déformés et défigurés en inertie et en tamas, et comme c'était justement la déformation de la Paix et du Calme véritables, il n'y avait pas de raison que ça change! Une certaine vibration d'éveil – de réveil – était nécessaire pour sortir de ce «tamas», qui ne pouvait pas passer directement du «tamas» à la Paix; il fallait quelque chose pour secouer le «tamas», et cela s'est traduit, extérieurement, par la souffrance.

Je parle ici de la souffrance physique, parce que toutes les autres souffrances – les souffrances vitales, mentales et émotives – sont dues à un faux fonctionnement du mental, et celles-là... on peut simplement les classer dans le Mensonge, c'est tout. Mais la souffrance physique me fait l’effet d'un enfant qui est battu, parce que, ici, dans la Matière, le Mensonge est devenu ignorance, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de mauvaise volonté – il n'y a pas de mauvaise volonté dans la Matière, tout est inertie et ignorance: ignorance totale de la Vérité, ignorance de l’Origine, ignorance de la Possibilité, et ignorance même de ce qu'il faut faire pour ne pas souffrir matériellement. Cette ignorance est partout dans les cellules et c'est seulement l’expérience – et l’expérience de ce qui se traduit dans cette conscience rudimentaire par la souffrance – qui peut éveiller, faire naître le besoin de savoir et de guérir, et l’aspiration à se transformer.

C'est devenu une certitude parce que, toutes ces cellules, en elles est née l’aspiration, qui devient de plus en plus intense et qui s'étonne de la résistance, mais elles ont observé que quand quelque chose est dérangé dans le fonctionnement (c'est-à-dire qu'au lieu d'être souple, spontané, naturel, le fonctionnement devient un effort pénible, une lutte avec quelque chose qui prend l’apparence d'une mauvaise volonté mais qui est seulement une réticence qui ne comprend pas), à ce moment-là, l’intensité de l’aspiration, de l’appel, est décuplée: elle devient constante. La difficulté est de rester à cet état d'intensité; généralement tout retombe, je ne peux pas dire dans une somnolence mais c'est une sorte de relâchement: on prend les choses facilement; et c'est seulement quand le désordre intérieur devient pénible que l’intensité croît et reste permanente. Pendant des heures – des heures – sans fléchissement, l’appel, l’aspiration, la volonté de s'unir au Divin, de devenir le Divin, est maintenu à son maximum – pourquoi? parce qu'il y avait ce que, extérieurement, on appelle un désordre physique, une souffrance. Autrement, quand il n'y a pas de souffrance, il y a de temps en temps une envolée, puis ça retombe dans un fléchissement; puis à une autre occasion, il y a une autre envolée...Ça n'en finit plus! Ça dure pendant des éternités. Si nous voulons que les choses aillent vite (relativement vite, suivant le rythme de nos existences), c'est ce coup de fouet qui était nécessaire. J'en suis convaincue parce que dès que l’on est dans son être intérieur, on traite ça avec mépris (pour soi-même).

Mais alors, tout d'un coup, quand vient cette vraie Compassion de l’Amour divin et que l’on voit toutes ces choses qui paraissent si horribles, si anormales, si absurdes, cette grande douleur qui est sur tous les êtres et même sur les choses... Alors est née dans cet être physique, l’aspiration à soulager, à guérir, à faire disparaître ça. Il y a dans l’Amour à son Origine quelque chose qui se traduit constamment par l’intervention de la Grâce; une force, une douceur, quelque chose qui est comme une vibration de réconfort, qui est répandue partout, mais qu'une conscience éclairée peut diriger, concentrer sur certains points; et c'est là, c'est même là que j'ai vu quel vrai usage on pouvait faire de la pensée: la pensée sert comme d'un canal pour porter cette vibration de place en place, partout où c'est nécessaire. Cette force, cette vibration de douceur est là d'une façon statique sur le monde, pressant pour être reçue, mais c'est une action impersonnelle, et la pensée – la pensée éclairée, la pensée soumise, la pensée qui n'est plus qu'un instrument, qui n'essaye plus de mettre en mouvement les choses, qui se satisfait d'être mue par la Conscience supérieure –, la pensée sert d'intermédiaire pour établir un contact, établir un rapport et faire que cette Force impersonnelle puisse agir partout où c'est nécessaire, sur des points précis.

(silence)

On peut dire d'une façon absolue que le remède accompagne toujours le mal. On pourrait dire que la guérison de chaque souffrance coexiste avec la souffrance. Alors, au lieu de voir un mal «inutile» et «stupide» comme l’on pense généralement, on voit que le progrès, l’évolution qui a nécessité la souffrance – qui est la cause et le but de la souffrance –, arrive au résultat voulu, et en même temps la souffrance est guérie, pour ceux qui peuvent s'ouvrir et recevoir. Les trois choses: la souffrance comme moyen de progrès, le progrès, et la guérison de la souffrance, sont coexistants, simultanés, c'est-à-dire qu'ils ne se suivent pas, ils sont en même temps.

Si au moment où l’action transformatrice crée une souffrance, il y a dans ce qui souffre l’aspiration, l’ouverture nécessaires, le remède est absorbé en même temps, et l’effet est total, complet: transformation, avec l’action nécessaire pour l’obtenir, et en même temps guérison de la fausse sensation produite par la résistance, et la souffrance est remplacée par... quelque chose qui n'est pas connu sur cette terre, mais qui tient de la joie, du bien-être, de la confiance et de la sécurité. C'est une super-sensation, dans une paix parfaite, et qui est visiblement la seule chose qui puisse être éternelle.

Cette analyse exprime très imparfaitement ce que l’on pourrait appeler le «contenu» de l’Ananda.

Je crois que c'est quelque chose qui a été senti, éprouvé (partiellement et très fugitivement) à travers tous les âges, mais qui commence à se concentrer et presque à se concrétiser sur la terre. Mais la Matière physique sous sa forme cellulaire a, on ne peut pas dire une crainte ni une anxiété mais une espèce d'appréhension des vibrations nouvelles, et cette appréhension naturellement enlève aux cellules leur réceptivité et prend l’apparence d'un malaise (ce n'est pas une souffrance mais un malaise), mais quand cette appréhension est contrebalancée et guérie par l’aspiration et la volonté de soumission totale et par l’acte de soumission totale, alors cette sorte d'appréhension ayant disparu, cela devient un bien-être suprême.

Tout cela, ce sont comme des études microscopiques des phénomènes de la conscience indépendants de l’intervention mentale. La nécessité d'employer des mots pour s'exprimer amène cette intervention mentale, mais dans l’expérience, elle n'existe pas. Et c'est très intéressant, parce que l’expérience pure a un contenu de vérité, de réalité, qui disparaît dès que le mental intervient. Il y a une saveur de réalité vraie qui échappe tout à fait à l’expression, à cause de cela. C'est la même différence qu'entre un individu et son portrait, un fait et l’histoire racontée. C'est comme cela. Mais c'est beaucoup plus subtil.

Et alors, pour en revenir à cette lettre, quand on est conscient de cette Force – cette Force, cette Compassion dans sa réalité essentielle – et que l’on voit comment elle peut s'exercer à travers l’individu conscient, on a la clef du problème.

J'ai eu des expériences1...


(Quelques jours plus tard, en présence de Nolini, Mère a repris la même conversation en ajoutant:)

Il faut donner aussi le moyen d'ouvrir.

(Nolini:) This lady who was suffering from that cancer (the whole lungs were almost gone) but she began to miraculously recover. Really it is almost a miracle. Her husband who is here says: «I am a surgeon and I have dealt with so many cases of this kind, I know what it is, gradually it has almost disappeared. Miraculous it is.» Now she is walking about.2

Ah! si l’on attrapait «ça», tout pourrait guérir.

She is overwhelmed, she says: «I don't understand» and the doctor knows what it is, he has tried operations on this so many times.3

Il y a plusieurs cas comme cela.

Bon.

30 septembre 1966

Après la lecture d'une lettre inédite de Sri Aurobindo:

«... Bien que Saint Paul ait eu de remarquables expériences mystiques et certainement une très profonde connaissance spirituelle (profonde plutôt que large, je crois), je ne jurerais pas qu'il se réfère ici1 à un corps supramentalisé (un corps PHYSIQUE supramentalisé). Peut-être se réfère-t-il au corps supramen-tal ou à quelque autre corps lumineux, dans leur propre sphère et dans leur propre substance originales, qu'il sentait parfois l’envelopper et abolir ce corps de mort qu'était pour lui l’enveloppe matérielle. Ce verset, comme beaucoup d'autres, est susceptible de plusieurs interprétations et pourrait se référer à une expérience purement supraphysique. l’idée d'une transformation du corps se retrouve en diverses traditions, mais je n'ai jamais été tout à fait sûr qu'il s'agissait d'un changement dans cette matière même. Il y avait un yogi dans notre région, il y a quelque temps, qui l’enseignait, mais il espérait disparaître dans la lumière quand le changement serait complet. Les Vichnouites aussi parlent d'un corps divin qui remplacera celui-ci une fois que la «siddhi» (réalisation) sera complète. Mais encore une fois, s'agit-il d'un corps divin physique ou supraphysique? Quoi qu'il en soit, rien n'empêche de supposer que toutes ces idées, ces intuitions, ces expériences, annoncent la transformation physique, même si elles ne la dénotent pas exactement.»

Sri Aurobindo
24 décembre 1930

C'est curieux, c'était encore le sujet de mes méditations (pas voulues: qui s'imposent d'en haut), ces jours-ci. Parce que, dans tout ce passage de la plante à l’animal et de l’animal à l’homme (surtout de l’animal à l’homme), au fond les différences de forme sont minimes: la vraie transformation, c'est l’intervention d'un autre agent de conscience. Toutes les différences entre la vie de l’animal et la vie de l’homme viennent de l’intervention du Mental; mais la substance est essentiellement la même et elle obéit aux mêmes lois de formation, de construction. Par exemple, entre un veau qui se forme dans le ventre de la vache et l’enfant qui se forme dans le ventre de la mère, il n'y a pas beaucoup de différence. Il y a une différence: celle de l’intervention du Mental. Mais si nous envisageons un être PHYSIQUE, c'est-à-dire visible comme le physique est visible maintenant et de la même densité; par exemple, un corps qui n'aurait pas besoin de circulation ni d'os (surtout ces deux choses: le squelette et la circulation du sang), c'est très difficile à concevoir. Et tant que c'est comme cela, avec cette circulation du sang, ce fonctionnement du cœur, on pourrait imaginer – on peut imaginer – par un pouvoir de l’Esprit, le renouvellement de la force, de l’énergie, par d'autres moyens que la nourriture, c'est concevable; mais la rigidité, la solidité du corps, comment est-ce possible sans squelette?... Alors ce serait une transformation infiniment plus grande que celle de l’animal à l’homme; ce serait un passage de l’homme à un être qui ne serait plus construit de la même manière, qui ne fonctionnerait plus de la même manière, qui serait comme une densification ou une concrétisation de... «quelque chose». Jusqu'à présent, cela ne correspond à rien de ce que nous avons vu physiquement, à moins que les savants n'aient trouvé quelque chose que je ne connais pas.

On peut concevoir qu'une lumière ou une force nouvelle donne aux cellules une espèce de vie spontanée, une force spontanée.

Oui, c'est ce que je dis: la nourriture peut disparaître; ça, on le conçoit.

Mais tout le corps pourrait être animé par cette force. Le corps pourrait rester souple, par exemple. Tout en ayant son ossature, il pourrait rester souple, avoir la souplesse d'un enfant.

Mais l’enfant ne peut pas se tenir debout à cause de cela! Il ne peut pas faire d'efforts. Qu'est-ce qui remplacerait l’ossature, par exemple?

Ce pourrait être les mêmes éléments, mais qui auraient une souplesse. Des éléments dont la fermeté ne vient pas de la dureté, mais vient de la force de lumière, non?

Oui, c'est possible... Seulement, ce que je veux dire, c'est que peut-être, cela se fera encore par une grande quantité de nouvelles créations. Par exemple, le passage de l’homme à cet être, peut-être se fera-t-il par toutes sortes d'autres intermédiaires? C'est le saut, tu comprends, qui me paraît formidable.

Je conçois très bien un être qui pourrait, par la puissance spirituelle, la puissance de son être intérieur, absorber les forces nécessaires, se renouveler et rester toujours jeune; on conçoit cela très bien; même de donner une certaine souplesse de façon à pouvoir changer la forme, au besoin; mais pas la disparition totale de ce système de construction imédiatement – imédiatement de l’un à l’autre, ça paraît être... Ça paraît nécessiter des échelons.

Il est évident qu'à moins qu'il ne se produise quelque chose (que nous sommes obligés d'appeler un «miracle» parce que l’on ne peut pas comprendre comment), un corps comme le nôtre, comment peut-il devenir un corps entièrement construit et mû par une force supérieure, et sans support matériel?... Ça (Mère saisit la peau de ses mains entre ses doigts), comment est-ce que ça peut changer en cette autre chose?... Cela paraît impossible.

Ça paraît miraculeux, mais...

Oui, dans toutes mes expériences, je comprends très bien la possibilité de ne plus avoir besoin de manger, que tout ce processus disparaisse (par exemple, changer la méthode d'absorption, c'est possible), mais comment changer la structure?

Moi, ça ne me semble pas impossible.

Ça ne te paraît pas impossible?

Non, c'est peut-être de l’imagination, mais j'imagine très bien une puissance spirituelle qui entre là-dedans et qui produise une espèce de gonflement lumineux, et tout cela s'épanouit tout d'un coup comme une fleur. Ce corps, qui est recroquevillé sur lui-même, il s'épanouit, il devient radieux, il devient souple, lumineux.

Souple, plastique, ça aussi on conçoit que cela puisse être plastique, c'est-à-dire que la forme ne soit pas fixe comme maintenant. Tout cela, on le conçoit, mais...

Mais je vois très bien cela comme une espèce d'épanouissement lumineux: la Lumière doit avoir cette force. Et ça ne détruit rien de la structure actuelle.

Mais visible? que l’on pourrait toucher?

Oui. Simplement, c'est comme un épanouissement. Ce qui est refermé s'épanouit comme une fleur, c'est tout; mais c'est toujours la structure de la fleur, seulement elle est toute épanouie et elle est rayonnante, non?

Oui, mais... (Mère hoche la tête et reste un moment silencieuse) Je manque d'expérience, je ne sais pas.

Je suis absolument convaincue (parce que j'ai eu des expériences qui me l’ont prouvé) que la vie de ce corps – la vie, ce qui le fait mouvoir, changer –, peut être remplacée par une force; c'est-à-dire que l’on peut créer une sorte d'immortalité, et l’usure aussi peut disparaître. Ce sont les deux choses possibles: la puissance de vie peut venir et l’usure peut disparaître. Et cela peut venir psychologiquement, par une obéissance totale à l’Impulsion divine, ce qui fait qu'à chaque moment, on a la force qu'il faut, on fait la chose qu'il faut – tout cela, tout cela, ce sont des certitudes. Des certitudes. Ce n'est pas un espoir, ce n'est pas une imagination: ce sont des certitudes. N'est-ce pas, il faut éduquer et lentement transformer, changer les habitudes. C'est possible, tout cela est possible. Mais seulement, combien de temps faudrait-il pour supprimer la nécessité (prenons seulement ce problème-là) du squelette? Ça, il me semble que c'est très loin en avant encore. C'est-à-dire qu'il faudra beaucoup de stades intermédiaires. Sri Aurobindo avait dit que l’on peut prolonger la vie indéfiniment. Ça, oui. Mais nous ne sommes pas construits encore avec quelque chose qui échappe complètement à la dissolution, à la nécessité de la dissolution. Les os sont très durables, ils peuvent même durer mille ans si l’on est dans des conditions favorables, c'est entendu, mais cela ne veut pas dire immortalité EN PRINCIPE. Tu comprends ce que je veux dire?

Non. Tu crois qu'il faudrait que ce soit une substance non-physique?

Je ne sais pas si c'est non-physique, mais c'est un physique que je ne connais pas! Et ce n'est pas la substance telle que nous la connaissons maintenant, surtout pas la construction que nous connaissons maintenant.

Je ne sais pas, mais si ce doit être un corps PHYSIQUE (comme Sri Aurobindo l’a dit), il m'avait semblé (mais c'est peut-être une rêverie) que cela pourrait être comme un bouton de lotus, par exemple: notre corps actuel est comme un bouton de lotus qui est petit, fermé, dur, et... ça s'épanouit, ça devient une fleur.

Oui, mais ça, mon petit, c'est...

Qu'est-ce que cette Lumière ne peut pas faire des éléments qu'elle a?? Ce sont les mêmes choses, les mêmes éléments, mais transfigurés.

Mais les choses végétales ne sont pas immortelles.

Non, c'est une comparaison seulement.

Eh bien, oui!

C'est seulement cette question. Un perpétuel changement, je le conçois; je pourrais même concevoir une fleur qui ne se fane pas; mais c'est ce principe d'immortalité... C'est-à-dire, au fond, une vie qui échappe à la nécessité du renouvellement: que ce soit la Force éternelle qui se manifeste directement et éternellement, et que ce soit tout de même ça, un corps physique (Mère touche la peau de ses mains).

Je comprends très bien un changement progressif et que l’on arrive à faire de cette substance quelque chose qui pourrait se renouveler du dedans au dehors et éternellement, et ça, ce serait l’immortalité; mais seulement, il me paraît qu'entre ce qui est maintenant, tels que nous sommes, et cet autre mode de vie, il faudrait beaucoup d'échelons. N'est-ce pas, ces cellules, avec toute la conscience et l’expérience qu'elles ont maintenant, si tu leur demandes, par exemple: «Est-ce qu'il y a quelque chose que vous ne pouvez pas faire?» Dans leur sincérité, elles répondront: «Non, ce que le Seigneur veut, je peux le faire.» C'est leur état de conscience. Mais dans l’apparence, c'est autrement. l’expérience personnelle est ainsi: tout ce que je fais avec la Présence du Seigneur, je le fais sans effort, sans difficulté, sans fatigue, sans usure, comme cela (Mère étend les bras dans un grand Rythme harmonieux), seulement c'est encore ouvert à toute l’influence du dehors et le corps est obligé de faire des choses qui ne sont pas directement l’expression de l’Impulsion suprême, d'où la fatigue, le frottement... Alors, un corps supramental suspendu dans un monde qui n'est pas la terre, ce n'est pas ça!

Non.

Il faut quelque chose qui ait le pouvoir de résister à la contagion. l’homme ne peut pas résister à la contagion de l’animal, il ne peut pas, il a des relations constantes. Eh bien, cet être, comment fera-t-il?... Il semblerait que pendant longtemps – pendant longtemps –, ce sera encore soumis à des lois de contagion.

Je ne sais pas, mais cela ne me semble pas impossible.

Non?

J'ai l’impression que cette Puissance de Lumière étant là, qu'est-ce qui peut la toucher?

Mais tout le monde disparaîtrait! C'est cela, n'est-ce pas.

Quand Ça vient, quand le Seigneur est là, il n'y en a pas un sur mille pour qui ce ne soit pas terrifiant. Et pas dans le raisonnement, pas dans la pensée: comme ça, dans la chair. Alors, admets – admets que ce soit comme cela: qu'un être soit la condensation et l’expression, une formule de la Puissance suprême, de la Lumière suprême – qu'est-ce qui se passerait!

Eh bien, c'est tout le problème.

Oui.

Parce que je ne vois pas la difficulté de la transformation en soi. Ça me semble plutôt la difficulté du monde.

Si tout pouvait se transformer en même temps, ça irait, mais ce n'est visiblement pas comme cela. Si un être se transformait tout seul...

Oui, ce serait insupportable, peut-être.

Oui!

C'est peut-être tout le problème.

Multiplie mille fois l’impression des tout petits enfants (je parle de ceux qui sont des êtres uniquement physiques, humains, pas de ceux qui sont des réincarnations), quand ce sont des êtres purement physiques, ils ne peuvent pas m'approcher, mon petit! ils se mettent à pleurer, ils tremblent! Et pourtant, je les aime et je les accueille avec toute ma tendresse et aussi calme que possible – ils se mettent à trembler et puis ils ont peur, c'est trop fort. Ceux qui portent autre chose en eux, les réincarnations, c'est différent: ils s'épanouissent, ils sont contents; mais quand il n'y a que ça, c'est-à-dire la substance extérieure... J'ai vu des grandes personnes arriver (j'ai fait l’expérience: je charge l’atmosphère, le Seigneur est présent), eh bien, j'ai vu des hommes de quarante ans entrer là-dedans et... brrt! s'enfuir littéralement, en dépit de toutes les lois sociales de politesse, et après avoir DEMANDÉ à venir, n'est-ce pas!
Enfin tout était là pour qu'ils se conduisent décemment – impossible, ils ne pouvaient pas.

Mais moi qui ai l’expérience de toi, que je connais bien, il y a certaines fois où c'est redoutable.

Ah! tu vois.

Pas peur, mais... vraiment c'est... redoutable.

Je ne te l’ai pas fait dire.

On sait bien – intérieurement, on sait: il n'y a rien à redouter, mais...

Oui.

C'est quand même très fort.

Non, c'est la substance qui redoute.

Voilà.

Alors, prends la conscience d'un tout petit enfant, quand toi, toi...

Dans tes yeux, quelquefois il y a... il y a quelque chose...

(Mère rit)

octobre




5 octobre 1966

À propos de la situation financière, j'ai une petite histoire qui est arrivée dimanche ou lundi. Je t'ai dit que la situation était tout à fait... Pour des consciences ordinaires, elle est critique. Et il y avait un paiement à faire; je ne me souviens plus des détails matériels mais il y avait quelque chose de très urgent à payer (je pense que c'était pour les ouvriers, parce qu'ils avaient faim, ils n'avaient pas reçu leur argent), et j'avais besoin d'une certaine somme – que je n'avais pas: je n'avais rien. Alors une sorte de compassion est venue en moi pour ces gens qui n'avaient pas d'argent et je voyais que ce n'était pas bien, et je ne pouvais rien parce qu'il n'y avait rien. Alors, le soir quand je marchais (j'ai une heure de méditation et de tranquillité, de concentration), j'ai présenté tout comme cela (geste vers le Haut), et avec une attitude presque enfantine, j'ai dit au Seigneur (Il était là, n'est-ce pas, j'étais avec Lui) quelque chose qui pouvait se traduire (je ne sais pas, je ne parle pas, mais ça pouvait se traduire en mots) à peu près comme cela: «Je sais que Tu es avec moi et que Tu es derrière tout ce que je fais et partout, mais je voudrais savoir si ce que je fais, le travail que je fais, t'intéresse ou pas! (Mère rit) Et si ça t'intéresse, eh bien, il faut que j'aie cet argent.»

C'est venu comme cela, sous une forme tout à fait enfantine, mais très-très pure. Et deux jours après, quand il était nécessaire que vienne l’argent, que j'aie de l’argent, alors que tout semblait tout à fait impossible, tout d'un coup Amrita arrive en me disant: «Voilà, telle personne a envoyé un chèque de tant.» – C'était juste la somme qu'il fallait. Et cette personne, je crois que c'est la première fois qu'elle envoyait de l’argent. C'était tout à fait inattendu, absolument un miracle – un miracle pour les enfants. Juste au moment voulu, la somme voulue, et absolument inattendue. Alors vraiment j'ai ri. À ce moment-là, je me suis dit: faut-il que nous soyons bêtes! nous ne savons pas que tout arrive exactement comme ça doit arriver.

Je ne peux pas dire que je me fasse du souci (je ne m'en fais jamais), mais je me demandais... quelquefois je me demande: «Est-ce que ça va continuer ou...» Je ne suis pas très sûre de ce qui va arriver parce que... Jamais je n'essaye de savoir et je ne désire pas le savoir, mais je n'ai pas l’impression qu'«on» me le dise (je crois que c'est encore une bêtise mentale et que, quand rien n'est formulé, cela veut dire que ça va, que c'est comme cela que ça doit aller). Mais, n'est-ce pas, il y a un enfantillage qui voudrait que l’«On» dise: «Fais ça comme ça, fais ça comme ça, fais ça...» Et ça ne marche pas! Ce n'est pas comme cela!

Je ne reçois pas d'ordre: quand j'ai quelque chose à dire, je reçois absolument, exactement le mot, la phrase; mais pour agir, je ne reçois pas d'ordre, parce que... Je crois que je n'ai pas d'hésitation, je ne me demande jamais: «Est-ce qu'il faut faire ceci ou est-ce qu'il faut faire cela?» Jamais. Tout mon effort tend à vivre à la minute la minute. C'est-à-dire, à chaque minute, faire exactement ce qu'il faut faire, sans faire de plans, sans penser, sans... parce que tout cela devient mental; dès que l’on se met à penser quelque chose, ça ne va plus. Mais tout instinctivement, spontanément, je fais ce qu'il faut: ça, ça, ça... Quand il y a à répondre à quelque chose, ça vient. Et pour l’argent, c'est pareil; la seule chose que je sois amenée à faire, c'est de dire: «Telle personne a demandé tant, tel Service a besoin de tant», comme ça (pas longtemps d'avance, mais au moment où cela devient impératif). Et c'est tout. Et puis voilà. Alors je ne sais pas ce qui arrivera demain; je ne suis pas à chercher ce qui va se passer, du tout. Mais ce jour-là, c'était comme si je demandais: «Eh bien, donne-moi une preuve que ça T'intéresse.» – Poff! c'est tombé juste au moment. Alors j'ai ri, je me suis dit: «Faut-il que je sois encore un bébé!»

Et pendant deux jours, exactement au moment où j'avais quelque chose à donner, l’argent est venu. Alors j'ai dit: «Bon, ça va bien.» Mais ce n'est plus si amusant maintenant! C'était vraiment amusant.

Il y a maintenant une sorte de confiance là, derrière: eh bien, quand ce sera nécessaire, ça viendra, voilà.

l’esprit d'organisation, d'un point de vue pas tout à fait ordinaire mais humain (peut-être pas seulement humain, mais enfin), l’esprit d'organisation aime avoir toutes les choses devant lui comme un tableau et puis faire des plans, organiser, voir: ça, ça vient ici; ça, ça vient là... Tout cela est inutile. Il faut apprendre à vivre à la minute la minute, comme cela. C'est beaucoup plus confortable. Et ce qui empêche (je crois) que ce soit ainsi, c'est que c'est tout à fait contraire à l’esprit raisonnable humain et que tous les gens autour de moi s'attendent à ce que je fasse des plans et que je prenne des décisions et... Alors il y a une pression; je crois que c'est cela. Autrement, naturellement, spontanément, ce serait comme cela: le miracle à chaque minute. J'ai toujours tendance à dire: «Oh! ne vous faites pas de soucis; plus vous vous faites de soucis, plus vous rendez les choses difficiles – laissez-faire, laissez-faire.» Mais ils me regardent avec une sorte d'horreur (Mère rit): je suis «imprévoyante», voilà.

C'est ça, ma petite «histoire» – mon petit miracle. C'était comme pour me dire: «Ah! tu as envie de voir un miracle? – Tiens, le voilà, tout fait!» (Mère rit) C'est une bonne leçon.

8 octobre 1966

(Il s'agit ici du prochain anniversaire du disciple. Malgré son caractère personnel, nous publions le texte de cette conversation, car le sens «rythmique» des anniversaires intéresse tout le monde et il y a toujours, comme dit Mère, une courbe du passé qui a du mal à s'accrocher à la courbe de l’avenir.)

C'est bientôt ta fête...

Je vois que ce que nous appelons la «fête», c'est-à-dire l’anniversaire, est une occasion de faire le point. C'est pour cela que l’on consulte les astrologues à certaines dates.

l’individu a une certaine relation ou ensemble de relations avec l’Universel, et il doit y avoir une cadence, et les choses se reproduisent automatiquement à un même moment; alors chaque année, on doit pouvoir faire le point par rapport à ce qui est en dessous et ce qui est au-dessus, ou ce qui est en arrière et ce qui est en avant.

Ce doit être comme cela parce que, ce mois-ci, depuis le commencement du mois, a commencé à se faire le point pour toi. Et alors, cela se traduit par ces «cartes» d'anniversaire et ce que je te dirai le jour de ta fête (tout cela n'est pas pensé: ça vient comme cela, c'est très amusant, j'assiste à un spectacle continuel). Et j'ai vu quelque chose de très intéressant, et c'est peut-être cela que je voulais te dire pour ton livre.1

C'est comme la rencontre de deux courbes: une courbe qui vient du passé et une courbe qui va vers l’avenir, et ce jour-là est le point de rencontre de ces deux courbes. Et alors, j'ai vu ton livre comme une espèce d'aboutissement de la courbe qui venait du passé... Et là, il y a un point qui n'est pas encore clair dans ta pensée ou dans ta conception là (geste au-dessus de la tête): c'est quelque chose qui appartient à la courbe ascendante de l’avenir. Et c'est ce point-là qui est la difficulté: le mouvement qui appartient à la courbe du passé a de la difficulté à s'accrocher au mouvement du futur. Je vois ça comme un schéma. Ce n'est pas une pensée: c'est un schéma. Il y a un point où ce n'est pas accroché.

J'ai choisi deux «cartes». Elles sont là. Je ne te les montre pas: tu les auras le 29. Je ne sais pas encore ce que je t'écrirai ou si j'écrirai quelque chose.

Mais cela me paraît être une année très décisive pour ta vie individuelle – ta VIE, n'est-ce pas (comment dire?) la vie éternelle en toi. La vie éternelle dans ton individualité. Ça paraît être la difficulté d'accrocher les deux mouvements... Ce n'est pas encore accroché. C'est très intéressant; je les ai vues, les courbes, elles sont très jolies.

Tout ça se passe là-haut; et alors, ce qui est très amusant, c'est que quand je vois, je ne vois pas comme ça (geste de bas en haut), je vois comme ça (geste de haut en bas), et je vois là-haut. C'est un peu plus haut que ça (geste au-dessus de la tête) et je vois du dessus.

Mais ça, j'avais vu, j'avais commencé à voir ces deux courbes. Je les connais, je les ai vues depuis le commencement du mois et elles se précisent. Et elles sont très jolies – très jolies, très élégantes. Et celle-là [la nouvelle], c'est comme un magnifique jet d'eau – beaucoup plus joli que ça! Et ça continue à monter, ça ne redescend pas, mais ça jette une pluie dorée sur la terre.

C'est bien.

Si quelqu'un me faisait une image comme cela, je te la donnerais!


(Peu après, il est question d'un jeune disciple qui a posé la question suivante à Mère à propos de la description de la vie de Sri Aurobindo dans «l’Aventure de la Conscience», quand Sri Aurobindo était agnostique et qu'il a commencé le yoga «pour la libération de son pays».)

C'est un chapitre qui s'intitulait «La fin de l’intellect», où je disais que Sri Aurobindo avait été agnostique au début et qu'il avait surtout cultivé l’intellect. Alors, V fait un résumé de ce chapitre, et à la fin il demande: comment peut-on pratiquer les disciplines yoguiques sans croire en Dieu ou au Divin?

Pourquoi? – C'est très facile. Parce que ce sont seulement des mots. Quand on pratique sans croire en Dieu ou au Divin, on pratique pour atteindre à une perfection, pour faire des progrès, pour toutes sortes de raisons.

Est-ce qu'il y a beaucoup de gens... (je ne parle pas de ceux qui ont une religion: ceux-là apprennent un catéchisme quand ils sont tout petits, alors cela ne signifie pas grand-chose), mais des gens pris comme ils se trouvent, est-ce qu'il y en a beaucoup qui croient au Divin?... Pas en Europe, en tout cas. Mais même ici, il y en a pas mal, par tradition, qui ont une «divinité de la famille», mais enfin cela ne les gêne pas, quand ils sont mécontents, de prendre la divinité et d'aller la jeter dans le Gange! Ça leur arrive, j'en connais qui l’ont fait; ils avaient une Kâli de famille dans leur maison, ils l’ont bien prise et jetée dans le Gange parce qu'ils étaient mécontents d'elle – si l’on croit au Divin, on ne peut pas faire des choses comme cela, non?

Je ne sais pas... Croire au Divin?... On a une soif d'une certaine perfection, peut-être même de se surmonter soi-même, d'arriver à quelque chose de supérieur à ce qui est; on a, quand on est philanthrope, une aspiration à ce que l’humanité soit meilleure et qu'elle soit moins malheureuse et moins misérable, toutes sortes de choses comme cela – on peut pratiquer un yoga pour cela, mais ce n'est pas croire. Croire, c'est avoir la foi qu'il ne peut pas y avoir de monde sans le Divin, c'est cela; que l’existence même du monde prouve le Divin. Et pas une «croyance» justement, pas quelque chose à quoi l’on a pensé ou qui vous a été appris, rien de tout cela: la foi. La foi qui est une connaissance vécue (pas une connaissance apprise) que l’existence du monde suffit à prouver le Divin – sans Divin, pas de monde. Et c'est tellement évident, n'est-ce pas, qu'on a l’impression que pour penser autrement, il faut être un peu stupide! Et le «Divin», pas dans le sens de «raison d'être», de «but», d'«aboutissement», pas tout cela: le monde tel qu'il est prouve le Divin. Parce que C'EST le Divin sous un certain aspect (suffisamment déformé, mais enfin).

Pour moi, c'est encore plus fort que cela: je regarde une rose comme celle que je t'ai donnée, cette chose qui tient une telle concentration de beauté spontanée (pas fabriquée: spontanée, un épanouissement), il n'y a qu'à voir ça, on est sûr qu'il y a le Divin, c'est une certitude. On ne peut pas, c'est impossible de ne pas croire. C'est comme ces gens – c'est fantastique! –, ces gens qui ont étudié la Nature, étudié vraiment d'une façon approfondie comment tout fonctionne et se produit et existe; comment peut-on étudier sincèrement, avec attention et soin, sans être absolument convaincu que le Divin est là? Nous l’appelons «Divin» – le Divin, c'est tout petit! (Mère rit.) l’existence, pour moi, est une preuve incontestable qu'il y a... qu'il n'y a que ÇA – quelque chose que nous ne pouvons pas nommer, que nous ne pouvons pas définir, que nous ne pouvons pas décrire, mais que nous pouvons sentir et devenir de plus en plus. Un «quelque chose» qui est plus parfait que toutes les perfections, plus beau que toutes les beautés, plus merveilleux que toutes les merveilles, que même une totalité de tout ce qui est n'arrive pas à exprimer – et il n'y a que ÇA. Et ce n'est pas un «quelque chose» qui flotte dans rien: il n'y a que ça.

12 octobre 1966

(Après un méditation avec Mère)

Encore maintenant, dès que je reste tranquille avec toi, quand tu es là, c'est toujours une sorte d'immensité sans limites, d'une lumière si pure, si tranquille... Et c'est blanc, mais d'un blanc qui aurait du bleu dedans, mais tellement pâle que c'est blanc. Théon avait donné un nom à cette région-là (il avait des noms spéciaux pour toutes ces régions), je ne me souviens plus, mais il y avait au-dessus de ça, seulement les régions qu'il appelait «le pathétisme» (c'était un nom très barbare) et qui étaient des régions appartenant à l’Amour divin non-manifesté. Et j'ai fait moi-même l’expérience du passage dans toutes ces régions, et celle-ci (la région de lumière blanche où s'est déroulé la méditation), c'était juste la dernière qui appartenait à la lumière... je ne sais plus, il mettait toutes les régions de lumière, et puis, après, les régions... au fond, c'étaient des régions d'Amour divin, mais non-manifesté, c'est-à-dire pas tel qu'il est manifesté sur la terre. C'étaient les dernières régions avant d'atteindre le Suprême. Et celle-là (dans la méditation), c'était la dernière qui appartenait à l’essence de la lumière, c'est-à-dire la Connaissance. Et ça, c'est... Oh! c'est d'une paix, d'une tranquillité et d'une limpidité – surtout cela: l’impression de limpidité et de transparence. Une tranquillité qui est plus que la paix, mais ce n'est pas une immobilité inerte, je ne sais pas comment dire... Ça donne absolument l’impression d'une vibration d'une extrême intensité, mais ab-so-lu-ment tranquille, tranquille, lumineuse, sans... presque l’impression que c'est sans mouvement. Et si limpide, si transparent!

Et toujours, quand je reste comme cela hors de l’action et quand tu es là, c'est toujours ça qui vient, toujours. La dernière fois aussi, j'avais vu ces deux courbes de ton être – la courbe du passé et la courbe de l’avenir qui se rencontraient le jour de ta fête –, eh bien, c'était encore dans cette lumière.

Mais aujourd'hui... Et sans limites, n'est-ce pas, hors du temps, hors de l’espace – magnifique! Le grand-grand repos. Et quand tu es là, c'est toujours comme ça. Ce doit être ça, c'est de là que tu tires ton inspiration. Ce doit être cela. C'est bien! (Mère rit) Et c'est très agréable, je ne sais pas comment expliquer. C'est très agréable. Et c'est absolument silencieux, mais conscient, très conscient, et dans une tranquillité parfaite – lumière-lumière-lumière, rien que ça: l’essence de la lumière.

Et la courbe ascendante passait au-delà de ça, dans ces régions que Théon avait appelé de ce nom barbare: «pathétisme». Et quand on entrait dans ces régions-là, que l’on passait au-delà, alors c'était... c'était le Suprême hors de la création, au-delà de la création. C'était là que j'avais vu la forme représentative de la nouvelle création (et c'était avant d'avoir jamais rien entendu de Sri Aurobindo et du Supramental), c'était là que j'avais vu la forme qui doit succéder à la forme humaine, comme la représentation symbolique de la nouvelle création. C'était deux ou trois ans avant d'avoir entendu parler de Sri Aurobindo et de l’avoir rencontré. Alors quand il m'a parlé de la création supramentale, je lui ai dit (riant): «Mais oui, je sais, je l’ai vue là-haut!»

Personne ne m'avait rien dit. C'est seulement quand je suis allée à Tlemcen que Madame Théon m'a dit ce que c'était. Elle savait passer par tous les états d'être de l’un à l’autre, de l’un à l’autre... laissant le corps correspondant à chaque état d'être dans la région et passant au-delà. Et alors, tout spontanément, naturellement, j'avais appris à le faire. Et je l’ai fait là-bas, c'est comme cela que j'ai vu ce prototype, tout en haut, tout en haut.

l’enseignement de Théon n'était pas du tout métaphysique et intellectuel: tout s'exprimait dans une sorte d'objectivation imagée; et comme je l’ai dit pour cette vision [des «oiseaux»] l’autre jour, c'est une expression plus riche, moins limitée que l’expression purement intellectuelle et métaphysique. C'est plus vivant.

Et ça, c'est agréable – j'aime méditer avec toi. Ce n'est pas «méditer», c'est une contemplation-concentration silencieuse très-très agréable. C'est pour cela (riant) que je reste à ne rien dire quand tu es là!

Mais on perd le sens du temps tout à fait.

15 octobre 1966

l’entrevue commence avec une heure et demie de retard.

Bon. Il est onze heures trente. Je ne commence rien – ni à parler ni à me taire (parce que ça dure longtemps!).

J'essaierai de faire de la musique le 30 octobre, si je peux. Je ne sais pas ce qui viendra... Un jour, comme j'étais tranquille, je me suis demandé si ça allait venir, et puis tout d'un coup, je suis devenue très grande, très grande, avec de grandes mains, et j'étais assise en face d'un instrument qui n'était pas celui-là: c'était un instrument beaucoup plus grand, et j'ai commencé à jouer une de ces fugues! C'était formidable. Je regardais et je me voyais avec de grandes mains, de grands bras et un grand instrument... Et c'était très bien (riant), la MUSIQUE était très bien!

C'est la première fois que je me vois comme cela.

Mais il ne reste rien de tout ça, rien-rien dans la mémoire, pas une note.


(Puis Mère regarde son cahier de rendez-vous avec un paquet de lettres demandant des entrevues.)

Tout cela (désignant le paquet), c'est pour les rendez-vous! Et c'est quelque chose de très simple, ce n'est pas fatigant – rien n'est fatigant si l’on n'est pas pressé. Mais si tout le temps, on est à penser à la prochaine chose que l’on fait, c'est horrible. Si l’on fait la chose au fur et à mesure qu'elle vient, sans penser à autre chose, c'est très bien... Cette sale habitude de penser, tout le temps penser – très mauvais. Mais ça, je commence... (avec un sourire de malice) tu crois que les poissons pensent?! Parce que j'avais envie de dire: «Je commence à vivre comme un poisson dans l’eau!» (Riant) Les poissons ne doivent pas penser. Mais les dauphins pensent, non? Ils parlent, ils doivent penser... ils ont un cerveau plus lourd que l’homme.

Ah! pas de bavardage.

19 octobre 1966

Je suis encore plus en retard que d'habitude: ce sont les jours de Poudja.1 Beaucoup de gens viennent faire le poudja ici.

Je t'ai raconté l’histoire de Dourga?

Récemment?

Ce n'est pas arrivé récemment; je n'arrive plus à me souvenir si c'était l’année dernière ou l’année d'avant, au moment du poudja.

Tu m'avais dit, une fois, que Dourga avait «fait sa soumission».

C'est cela.

Elle a surrendered. C'est-à-dire qu'elle était tout à fait indépendante dans ses mouvements et elle ne sentait pas la nécessité de dépendre de qui que ce soit, et cette fois-là... Je ne me souviens plus si c'était l’année dernière ou l’année d'avant (elle venait tous les ans quand je descendais pour le darshan des poudja: j'allais et elle venait, et elle restait là pendant tous les poudja). Depuis que je suis en haut, on ne s'occupe plus de cela, mais une fois, elle était venue et je t'ai raconté la suite.

Mais ça a fait une énorme différence. Les gens naturellement ne se sont aperçus de rien, personne, mais dans l’atmosphère, cela fait une ÉNORME différence.

Je sentais cela encore très fortement ces jours derniers.

Une différence, dans quel sens?

Tous ceux qui font le poudja sincèrement (sincèrement naturellement, pas comme une machine, mais avec de la dévotion), attirent toujours une émanation ou une représentation, une forme représentative, qui assiste au poudja, qui répond, qui répond au poudja. Chaque famille qui adore Kâli, par exemple, a sa Kâli. Et c'est vrai, ce sont des petites entités pas tout à fait indépendantes, mais qui ont leur vie propre. Et pour Dourga, c'était très clair. Et alors, quand je dis que cela fait une grande différence, c'est que, d'une façon générale, toutes ces représentations de Dourga sont aussi elles-mêmes, maintenant, dans un mouvement de collaboration.

Naturellement, toutes ces entités faisaient plus ou moins spontanément le travail du Suprême, mais... (comment dire?) sans que ce soit une volonté consciente: elles le faisaient simplement et spontanément, parce que c'étaient des êtres d'harmonie qui travaillaient harmonieusement. Mais maintenant pour Dourga, c'est très clair – c'est très clair: elle est comme cela (geste tourné vers le haut, attendant l’Ordre du Suprême). Dans sa relation avec les êtres hostiles, dans sa bataille légendaire (qui naturellement est symbolique) de chaque année, elle est comme cela (même geste) à vouloir savoir l’orientation, l’indication, le geste à faire.

Quand Sri Aurobindo était là, chaque année à la bataille de Dourga, je recevais de lui l’indication très claire de l’aspect des forces adverses qu'il fallait vaincre et soumettre (c'était très intéressant, et je le notais généralement, mais je ne sais pas où tout cela est parti). Cela a été comme cela pendant trente ans. Et après son départ... ce n'était plus que le Suprême.

Elle venait, elle était tout à fait présente pendant les six jours de pranam en bas. Mais maintenant, depuis... je ne sais pas (je ne me souviens plus parce que le temps n'est plus très clair pour moi, il n'a plus la même valeur), mais je me souviens que c'était quand je marchais pour mon japa, et je lui disais qu'il y avait quelque chose de plus important que ce souvenir semi-religieux des gens: ce qui était plus important, c'était la nature profonde du Travail et le choix de l’aspect adverse (représenté par une difficulté universelle, ou, en tout cas, si nous prenons seulement la terre, une difficulté humaine), quel était l’aspect qu'il fallait vaincre, dominer pour l’amener à la transformation. Et c'est à ce sujet que je lui ai dit que de recevoir l’indication du Suprême était la chose vraie; que Lui, voyait mieux que nous ce qu'il fallait faire et l’ordre dans lequel il fallait le faire. Et j'ai senti... (elle était très concrète: Mère fait un geste comme si Dourga était en elle), j'ai senti que cela l’intéressait infiniment. Alors je lui ai dit: «Eh bien, tu vois, est-ce que ce n'est pas le moment (je traduis en mots, mais ce n'étaient pas des mots), est-ce que ce n'est pas le moment de recevoir de Lui l’impulsion directe pour ton action?» Et c'est avec joie, spontanément, qu'elle a répondu.

Et la différence est que, maintenant, je sens que partout où elle se manifeste, il y a vraiment cet appel à la Vérité suprême pour la manifester.

Quel est l’aspect de la difficulté cette année?

Je ne sais pas. Je ne m'en suis pas occupée ces jours-ci, c'est à partir de demain que cela commence.

Je ne sais pas, je ne m'en occupe pas activement, je verrai...

Oh! je le sais très bien, mais... (Mère croise ses doigts sur sa bouche)

(méditation)

22 octobre 1966

(Sujata:) P. est malade.

Elle est encore malade! Mais qu'est-ce qui lui arrive, à cette

Qu'est-ce qu'elle devrait faire intérieurement?

Pas avoir peur d'être malade! C'est cela.

N'est-ce pas, ils disent: «Mais je SUIS malade.» Ils disent le contraire: qu'ils sont malades, alors ils ont peur. Ce n'est pas vrai! Ils ont peur d'abord et ils sont malades après. Tout le temps, ils ont une sorte d'appréhension: «Oh! qu'est-ce qui va arriver?» Alors il arrive quelque chose! (Mère rit) Ce pauvre corps, il a l’impression que l’on attend cela de lui et il obéit!

Oui, sur cent personnes, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui sont comme cela. Et c'est plus ou moins subconscient, c'est-à-dire que ce n'est pas une pensée qu'ils ont très clairement, alors ils vous disent: «Non-non!» – Ils n'en savent rien, ils ne savent pas ce qui se passe au-dedans d'eux.

(Puis Mère donne des fleurs au disciple. Elle a l’air lasse.)

Nous avons une demi-heure tranquille, à moins que tu n'aies quelque chose à dire?

C'est peut-être toi qui as quelque chose à dire?

Moi, je n'ai rien à dire, rien, absolument abrutie, je suis abrutie.

(Soudain, Mère suggère au disciple d'entrer directement dans sa chambre à 10h15 les jours d'entrevue, même si les secrétaires sont encore là.)

(Le disciple incrédule:) J'arrive vers dix heures quinze?

Tu pourrais monter tout droit, nous verrons ce qui arrive!

Mais je ne veux pas te mettre non plus dans une situation difficile...

Oh! si tu savais à quel point... Il n'y a pas de réaction, tu comprends. Je regarde ça avec une vision très claire, avec une connaissance très claire des conséquences, mais il n'y a pas de réaction: simplement je deviens une espèce de machine qui signe, fait ceci, cela... Et alors, quand j'ai besoin d'écrire quelque chose, je fais l’automate: je reste absolument blank [neutre], silencieuse, comme ça (geste immobile tourné vers le haut), et puis je laisse (cela dépend des cas) ou Sri Aurobindo ou bien tout en haut quelque chose qui vient et qui dicte. Moi, je suis comme ça (même geste) et de plus en plus – de plus en plus, je suis comme ça: inexistante, une machine.

Je leur ai dit plusieurs fois que l’on pourrait bien remplacer ça par un robot très bien fait parce que ce n'est pas la peine (riant) que ce soit là! Un robot très bien, avec un mécanisme perfectionné: on pousse un bouton pour une chose, un autre bouton pour une autre et ça marche!

N'est-ce pas, tu sais la situation: sur les vingt-quatre heures de la journée, il n'y a pas une minute où je suis seule.1 Et en plus de la foule extérieure, il y a la foule intérieure: c'est de partout, tout le temps, ça vient-vient-vient – oh! tout le temps et de plus en plus, de plus en plus. Alors je suis comme ça (geste indiquant une conscience répandue), une espèce de conscience qui répond, voilà, sans aucune participation. Une conscience qui répond comme une machine.

Autrement, je crois que ce serait impossible.

Oui, humainement, ta vie est infernale.

Si je ne savais pas faire ça, ou bien on deviendrait fou, ou on deviendrait malade: ce n'est pas possible. Heureusement, c'est dans les possibilités! C'est-à-dire que le travail se fait automatiquement, je n'ai pas besoin de faire un effort.

Et le nombre de choses augmente (Mère regarde autour d'Elle). Quand je suis entrée dans cette chambre, elle était vide; quand on a fait la chambre de musique, elle était vide. Maintenant (Mère fait un geste amusé vers les amoncellements sur les fenêtres, les meubles, partout), il n'y a plus de place pour mettre rien! C'est bourré, ça déborde. Alors j'admire les gens: il y a des gens qui se sentent démunis et il y a des gens qui s'ennuient; ces deux genres de catégorie, pour moi, c'est quelque chose d'impensable! Comment peut-on avoir le temps de s'ennuyer et comment peut-on manquer de quelque chose!?

Le travail (pour tout le monde) augmente de plus en plus; le courrier, c'est quelque chose de fantastique! Ça pleut de partout. J'ai reçu... (Mère rit) une lettre américaine, de quelqu'un que je ne connais pas du tout et qui a entendu des disques de gramophone, de ma voix et, je ne sais pas, ce sont des gens qui semblent avoir des «expériences occultes» ou qui font peut-être du «spiritisme»; il m'écrit pour me dire qu'il entend ma voix et que je lui fais des «révélations» sur lui-même. Et alors... (riant) des révélations fantastiques! Il dit que comme c'est ma voix, il ne doute pas (même les choses qui paraissent les plus extravagantes, il les accepte), mais enfin par mesure de sûreté, il voudrait me demander (!) si c'est bien moi qui lui ai dit ces choses, et parmi les choses que je lui aurais dites, je lui aurais annoncé qu'il était une réincarnation combinée du Bouddha, du Christ, de l’archange Gabriel, de Napoléon et de Charlemagne!... Je vais lui faire répondre que ces cinq personnages appartiennent à des «lignes de manifestation» différentes et qu'il est peu probable qu'elles soient combinées en un seul être (en un seul être humain)!

Évidemment, ce sont des petites entités vitales qui s'amusent. Elles s'amusent, et plus c'est extravagant, plus ça les amuse, bien entendu!

Mais d'après les lettres – tout le courrier –, il y a une espèce d'activité occulte qui se répand sur la terre d'une façon très curieuse... En Corée, il y a un être qui se dit le «Nouvel Avatar»... Il y en a beaucoup-beaucoup, partout. Ce qui fait que, matériellement, les gens semblent avoir un peu perdu leur équilibre. On a l’impression que toute la terre est devenue à moitié folle. Et avec leurs nouvelles inventions, ça peut se traduire par des phénomènes bizarres.

Mais ce siècle-ci, depuis le commencement du siècle jusqu'à maintenant, le changement qui s'est produit sur la terre – dans la pensée, dans les activités, dans les productions, dans les inventions –, c'est fantastique! C'est fantastique au point que les choses du commencement du siècle semblent vieillottes comme si elles étaient au moins de deux cents ans passées. C'est curieux.

Évidemment, les choses vont vite.

On a l’air de se précipiter vers... C'est comme si l’on se précipitait sans savoir pourquoi, et puis il y a un beau trou à la fin!... Je ne sais pas ce qui va arriver.

(silence)

Si ça ne te fait rien... (avec un sourire de malice) c'est-à-dire que si tu n'as pas de nerfs sensibles, la prochaine fois tu arrives à 10h15 et tu t'installes tranquillement! Au moins ce sera une leçon. On verra ce qui va se passer.

À quelle heure?

Dix heures et quart. Tu ouvres la porte tranquillement et puis tu entres. Moi, ça m'amusera beaucoup!

Parce que, personnellement, j'ai essayé tout, sans aucun résultat. Quand je leur dis: «Il est temps», avec toute l’autorité que je possède, ils me disent: «Oui.» C'est tout l’effet que cela leur produit!

Ah! mon petit (se tournant vers Sujata), demain j'en ai quarante-deux à voir avant toi – quarante-deux personnes!2

26 octobre 1966

Tu sais que j'ai joué hier? J'ai essayé l’orgue. C'était très amusant: dès que je me suis assise, quelque chose est entré dans mes mains, mais quelque chose qui aimait la musique, et puis d'une façon si facile, si douce, si intense, et tout d'un coup mes mains ont retrouvé leur habileté d'avant – toute la moitié de mon bras était prise par un petit être. C'était vraiment joli, ça avait l’air très enfantin et c'était très charmant, très charmant.

C'est la première fois que c'était si complet: ce n'était plus du tout mes mains, plus du tout. C'est la première fois. Je ne sais pas si ce sera comme cela le 30 (pour l’anniversaire du disciple).


Peu après

J'ai quelque chose à te montrer. Tu sais que je suis allée au balcon l’autre jour,1 en plein soleil, et ça a complètement changé mon apparence (Mère cherche un paquet de photos). Il faut dire que je me sentais très différente de ce que je suis quand je vais là-bas. J'étais très-très différente. Je ne dis rien, tu vas voir...

(Mère tend les photos au disciple)

J'ai l’air de quelqu'un d'autre.

Oh! oui, c'est drôle, ça ne te ressemble pas du tout.

Il paraît que ça me ressemble.

Mais j'ai l’air d'un homme, non?

Oui, il y a quelque chose de masculin, surtout dans celle-ci.

Oui, j'ai l’air d'un homme.

C'est quelqu'un d'autre qui était là – mais il y a toujours d'autres personnes, c'est cela que l’on ne sait pas! Il y a tout le temps, tout le temps, tout le temps, d'autres personnes qui viennent (Mère dessine une ronde au-dessus de sa tête): des anciens, des nouveaux, des futurs, il y a tout le temps des choses. C'est très curieux. Et alors, la photographie attrape ça.

Oui, sur celle-ci, c'est très frappant; sur les autres, c'est moins marqué.

Et quelqu'un que je connais, mais je ne peux pas mettre un nom dessus. Je me fais l’effet d'un vieux savant là, non? C'est curieux (Mère regarde encore la photo). Il y a quelque chose de curieux: une espèce de connaissance très aiguë qui vient de l’observation (dans le personnage de la photo), mais je ne peux pas savoir de quel pays et de quelle époque.

Ce sont certains états de conscience qui se sont précisés et particulièrement bien exprimés dans certains individus à certains moments – ce n'est pas tout un individu et toute sa vie, ce n'est pas cela: ce sont certains états de conscience qui sont arrivés à leur maximum de formation et d'intensité à certains moments. Et alors tout cela revient comme un grand carousel (Mère dessine une ronde au-dessus de sa tête et autour d'elle) tout le temps, et à travers tous les temps et tous les pays. Et la photo attrape ça, et quand elle arrive à moi, quand je la vois, j'ai l’impression de voir non pas du tout cette personne-ci (Mère), mais quelqu'un que j'ai beaucoup connu, que j'ai très bien connu: «Mais enfin, mais oui, c'est toi!» Mais je ne peux pas mettre de nom.

Oui, c'est comme un carousel de tous les moments où la Conscience s'est manifestée en des gens. C'est très intéressant. Le corps devient très impersonnel maintenant.

Mais avec toi, j'ai eu une expérience curieuse... Je n'ai jamais eu de visions les yeux ouverts, mais une fois (cela m'a frappé), il y a beaucoup d'années, en bas, tu me racontais une histoire de chats et tu me parlais du «roi des chats» que tu avais rencontré, le génie de l’espèce – ton visage (c'était extraordinaire), c'était un chat! mais un super-chat qui était là devant moi! Et pourtant, je n'ai pas de visions, absolument pas, mais vraiment c'était évident Cela m'avait beaucoup frappé. C'était très extraordinaire.

Le corps avait changé d'apparence.

Oui, tout ton visage avait changé d'apparence. Et je suis sûr qu'une photographie l’aurait montré, parce que ce n'était pas une vision.

Oui, ce sont des choses que les photographies attrapent. C'est très sensitif.

C'est curieux.

Une fois au balcon, j'étais absolument le Bouddha! Ça a duré une ou deux minutes. Et beaucoup de gens m'ont dit: «Oh! vous étiez le Bouddha.» Si l’on avait pris une photo, cela aurait été lui.

Mais ça vient comme ça, tout le temps, comme une espèce de carousel de gens qui viennent (même geste de ronde): hop! qui se manifestent, qui passent, hop! qui se manifestent, qui passent... Et dans ces photos, plusieurs fois j'ai reconnu quelqu'un, mais je ne peux pas mettre de nom.

Mais ça (Mère regarde encore la photo), c'est un homme, je suis sûre que c'est un homme, et j'ai l’impression que si ce n'était pas un savant «officiel», c'était un homme qui avait une science, une observation très intime et très aiguë des choses. Et c'est un moment où cette conscience d'observation était à son maximum. Et ils ont attrapé cela avec la photo; la minute d'après, ce n'aurait plus été là. Il est presque en train de dire quelque chose, d'exprimer quelque chose (Mère montre la photo au disciple): tu vois, la bouche. C'est très curieux.

C'est amusant.

Mais à ce point de vue, le corps devient très impersonnel; c'est comme pour mes mains, hier, ça n'a jamais été aussi spontané et aussi complet – je ne peux pas dire que je n'avais plus de mains parce qu'il n'y avait plus de «je». C'est comme cela, c'est quelque chose (quelque chose d'une personne: une idée, une force, un mouvement, une expression) qui vient, poff! qui devient ça (le corps de Mère, ou les mains de Mère en l’occurence). Et c'était très joyeux et très gentil: il y avait une espèce de charme joyeux, très jeune. Je ne savais pas une demi-heure avant que j'allais jouer: c'est venu comme ça. Et ce n'était pas pour «jouer», il n'y avait rien de sérieux, d'important, tout cela n'existait pas: c'était seulement quelque chose de très jeune, très dansant.

C'est un phénomène qui se concrétise. Ce sont toutes sortes de... ce ne sont pas des gens: ce sont des états de conscience qui se sont exprimés ou peut-être même formés d'une façon précise en des vies de toutes sortes de gens – il y en a qui me sont très connus; il y en a que j'ai vus souvent, qui sont revenus souvent et qui sont très connus: je peux mettre des noms; mais ça n'a pas été exclusivement dans telle personne ou telle personne: ça a été dans beaucoup de gens et à beaucoup d'époques.

Et de plus en plus, c'est comme cela. Je crois que c'est pour assouplir, donner une souplesse à l’agrégat [cellulaire].

(silence)

Sri Aurobindo a écrit quelque part, je ne sais plus à quel propos, qu'on avait le pouvoir, dans un certain état de conscience, de CHANGER LE PASSÉ. Cela m'a beaucoup frappée.

Parce que c'est une expérience que j'ai eue plusieurs fois; et maintenant avec tout ce travail, je comprends mieux. N'est-ce pas, ce qui semble se perpétuer ou se conserver, ce ne sont pas des individus: ce sont des états de conscience – des états de conscience –, et alors ces états de conscience se manifestent à travers beaucoup d'individus et de vies différentes, et c'est cela, ces états de conscience, qui vont progressant vers une perfection de plus en plus lumineuse. Actuellement, maintenant, il y a toutes sortes de «catégories» d'états de conscience qui viennent les uns après les autres de façon à être mis en contact avec la Vérité, la Lumière, la Conscience parfaite, et en même temps qui ont gardé une sorte d'empreinte (qui est comme un souvenir) des moments où ils se sont manifestés.

Il y a un gros travail de transformation des états de conscience matériels: les états de conscience les plus proches de l’Inconscient, les états de conscience les plus matériels. Ils viennent comme cela (se présenter à Mère), avec un ou deux exemples de leur manifestation précédente (peut-être même la première sortie de l’Inconscient), et alors je vois le passage (avec ce qui les a transformés, changés ou même seulement altérés en des manifestations successives) pour arriver maintenant à la présentation devant la Conscience suprême et à la transformation finale. Ça, c'est un travail pour ainsi dire perpétuel, parce que, ce qui est intéressant, c'est un travail que je peux continuer à faire pendant que je vois des gens. Mon travail était interrompu généralement quand je voyais des gens, parce que je m'occupais d'eux et ça diminuait, ça limitait le travail: ils représentaient un petit agglomérat de difficultés qui rétrécissait énormément l’Action (de Mère). Mais maintenant, ce n'est plus comme cela. Et ce qui est intéressant, c'est que ça situe les gens dans telle ou telle «courbe de transformation» de la conscience. Depuis quelque temps, je vois une quantité considérable de visiteurs que je n'ai jamais vus avant (avec tous ceux qui sont anciens et familiers, il n'y a aucune difficulté, mais avec les nouveaux, généralement, cela produisait un rétrécissement du travail), mais maintenant avec cette «étude» des états de conscience, les gens se situent: ici, là, là (Mère dessine différents niveaux dans l’espace), et alors, s'ils sont réceptifs, ils doivent partir (après l’entrevue de Mère) avec une nouvelle impulsion pour se transformer. Ceux qui ne sont pas réceptifs, ça passe à côté; mais ça ne dérange plus: ils entrent, ils sortent. Et d'après cela, je connais à quel état ils sont – je peux le faire même avec des photos, mais quand je vois les gens, c'est beaucoup plus complet; les photos, ce n'est jamais qu'un moment de leur être, tandis que là, même ce qui n'est pas en train de se manifester est là, caché derrière et peut être vu, alors je le vois plus complet. C'est très intéressant. Ça transforme tout ce fardeau de visiteurs en quelque chose d'intéressant.

29 octobre 1966

Alors qu'est-ce que tu as à me dire pour ta fête?

Je voudrais bien faire davantage pour toi, mieux.

Mieux, c'est difficile. Davantage, il faudrait que nous ayons plus de temps! Nous pourrions faire beaucoup; ça je sais, mais il faudrait du temps.

Mais te servir davantage.

Il y a beaucoup de choses, beaucoup de choses... La nuit dernière encore, nous avons été ensemble pendant longtemps. Mais nous sommes ensemble pour travailler ensemble; tu comprends, ce n'est pas comme si tu t'occupais de moi, et moi, je m'occupe de toi, ce n'est pas cela: nous nous rencontrons parce que nous travaillons ensemble. Et ce sont des grands mouvements de conscience.

Au fond, je n'aime pas l’activité mentale – je ne l’ai jamais aimée. Pendant un temps, j'ai travaillé beaucoup dans le mental: c'était une période, la période de développement mental quand je faisais de la philosophie – toutes les philosophies, les philosophies comparées –, pour assouplir l’intellect. Mais au fond, ça ne m'intéresse pas. Mais les états de conscience – les mouvements de conscience, les états de conscience –, ça, c'est formidablement intéressant! Et en ce moment, c'est une étude très serrée, c'est-à-dire très minutieuse, du rapport entre les états de conscience et le phénomène de la mort.

Au fond, toutes les croyances des gens sur ce qui se passe après la mort... Les hommes ont beaucoup cherché, n'est-ce pas, il y a des religions qui se sont imaginées avoir expliqué... J'ai eu des expériences personnelles. Et maintenant le problème se pose d'une nouvelle façon, comme si (je dis «comme si» parce que je ne suis pas arrivée au bout et je n'en sais rien), comme si ce n'étaient pas des personnalités qui se perpétuaient de vie en vie, mais des états de conscience, qui sont à la fois immortels et en constante transformation, et c'est l’état de conscience qui se transforme à travers les vies... Il y a des gens qui ont un seul état de conscience, il y a des gens qui en ont beaucoup (il y a même des gens qui ont deux états de conscience à peu près opposés, ce qui fait cette «double personnalité» et ces contradictions dans la vie). Il y a des gens qui sont très simples, qui n'en ont qu'un, mais cela fait des individus presque primaires, mais qui ont quelquefois, dans leur état de conscience, un développement merveilleux... Ça explique beaucoup de contradictions. Et en ce moment, c'est cela qui m'est montré clairement: des états de conscience qui passent à travers des agrégats multiples. Et alors, là aussi, il y a un secret à trouver pour la prolongation d'un agrégat, c'est-à-dire ce qui donne non pas le caractère d'immortalité (qui est quelque chose de très différent), mais de durée indéfinie de la vie – de la FORME plutôt (la vie ne s'arrête jamais), mais de la forme. Et alors, une fois que cette étude sera approfondie, il y aura encore un secret de trouvé.

C'est très intéressant.

(silence)

Pas la nuit dernière, mais la nuit d'avant, j'ai passé longtemps, presque deux heures de notre temps d'ici, avec Sri Aurobindo. Je t'ai dit qu'il a quelque chose qui se traduit par une «demeure» (c'est magnifique, magnifique!) dans le physique subtil. C'est toujours immense, si clair, bien défini, et pourtant tout ouvert. Et j'ai l’impression de... (Mère respire) ouf! ouvert, lumineux: toujours, dans tous les cas. Lui est là... peut-être plus tout à fait semblable à ce qu'il était ici (mais pour moi, cela ne fait pas de différence parce que le changement a été très progressif: j'ai suivi Sri Aurobindo presque jour par jour, pas à pas), et peut-être est-il un peu plus grand, peut-être est-il d'une forme qui a une plus grande perfection, je ne sais pas, mais pour moi, son expression... (Mère sourit les yeux fermés)... son expression est inexprimable. Et j'ai passé très longtemps, très longtemps avec lui et il dirigeait, dans ces immenses pièces (qui n'ont pas de limites, n'est-ce pas, on a l’impression que l’on peut passer indéfiniment d'une pièce à l’autre, d'un endroit à l’autre)... c'était dans une partie là, avec un certain nombre de pièces (quatre ou cinq ou six, je ne sais pas), de grandes pièces où il dirigeait une «fabrique de poterie», figure-toi! Mais ce n'était pas comme ici. C'étaient des objets qui étaient faits en argile. Il n'y avait pas de processus de cuisson, de peinture ni de tout cela (ce n'était pas comme ici), mais c'étaient des formes et ça avait l’apparence de formes de poterie, et ça avait un pouvoir (Mère fait un geste vers le bas) de se manifester. Et alors, il y avait de tout: des animaux, des plantes, des gens, des choses, de tout, de toutes les couleurs possibles; et j'allais de l’un à l’autre, je voyais, j'expliquais. J'avais passé longtemps avec lui et je savais parfaitement pourquoi et comment c'était fait; et après, j'ai été étudier le travail et voir, puis on arrangeait les chambres, on mettait les choses en place: c'était comme pour montrer le résultat. Et des choses... des choses charmantes de simplicité, et qui pourtant contenaient un pouvoir de manifestation extraordinaire! mais qui avaient un sens profond. J'avais pris un objet qui était d'une terre rouge-brunâtre très foncée, et qui était «mal fichu», c'est-à-dire que la forme n'était pas bien et je la montrais au «chef de poterie» (dans chaque pièce, il y avait un chef de poterie là, qui s'occupait de cela). Je lui montrais ça, je lui disais (c'était un objet assez gros en bas, qui avait un petit bout en haut – Mère dessine une sorte de vase avec un col – enfin, ce n'était pas bien), je lui expliquais, je lui ai dit: «Vous comprenez que ça n'a pas d'équilibre», et je le tenais entre mes doigts: ça s'est cassé. Alors il m'a dit: «Oh! mais je vais le raccommoder.» J'ai répondu: «Si vous voulez, mais ce n'est pas comme ce devrait être...» N'est-ce pas, on raconte cela avec nos mots, mais là, ça avait un SENS très précis. Et puis, il y avait des espèces de grandes ouvertures entre une chambre et l’autre (ce n'étaient pas des «chambres», c'étaient d'immenses salles), et on passait dans l’endroit où l’on fabriquait les «poissons»! Mais les poissons n'étaient pas des poissons (!) ça voulait dire autre chose. Et il y avait de grands poissons comme ça, en poterie, qui étaient en couleur et luisants, magnifiques: il y avait un poisson bleu-vert et un poisson blanc-jaunâtre, mais beaux-beaux! Et on les posait comme si le parterre était de l’eau: on plaçait les poissons par terre, au milieu du chemin. Alors j'ai pensé: ce n'est pas commode pour passer! (Mère rit) Et tout cela, dit comme cela, a l’air d'être des enfantillages, mais là, ça avait un sens très profond, très profond.

C'était très intéressant.

J'ai passé au moins deux heures comme cela. Ce devait être entre une heure et trois heures de la nuit. Et l’impression de quelque chose de si-si paisible, si confortable et si plein de lumière, de conscience – surtout de conscience – oh! c'était merveilleux. La conscience ici paraît très-très diminuée. Très diminuée. Et puis elle est alourdie du fait qu'elle s'exprime par la pensée: ça l’alourdit, ça la diminue... ça la fossilise. Tandis que là, c'est la conscience qui se meut librement en pleine lumière, oh! une atmosphère si claire, si claire, si limpide... pas d'ombre... et pourtant tout a une forme. Il y a même des rues (il y a d'autres endroits), mais tout est comme cela, en pleine lumière.

Cette impression est restée pendant des heures après.

Et ça a l’air de se développer, de se compléter avec une rapidité fantastique: d'une visite à l’autre (c'est quelquefois à, peut-être, huit jours de distance), il y a un changement extraordinaire, formidable. Sri Aurobindo lui-même change. Je le trouve... Avant (il y a deux ans, par exemple), je le trouvais très semblable à ce qu'il était physiquement (n'est-ce pas, je l’ai vu dans sa réalité supramen-tale presque tout de suite au début; mais ça, c'est très différent), je parle du Sri Aurobindo qui est en contact avec nous tout le temps, tout le temps – c'est comme une émanation de l’autre (le Sri Aurobindo supramental) et qui est comme la continuation du Sri Aurobindo qui a vécu avec nous; c'est comme cela. Eh bien, pendant une certaine période, il se ressemblait à lui-même beaucoup plus que maintenant; maintenant, c'est comme s'il ressemblait plus à l’autre. Mais tout de même resté très proche de nous, très proche.

Et le travail va vite, vite.

(silence)

Il y a des gens là qui ont été sur terre, mais pas beaucoup. C'est là que j'ai rencontré plusieurs fois (pendant la première année après sa mort, très souvent) celle qui faisait la cuisine pour Sri Aurobindo. Comment s'appelait-elle?

Mridou.

Mridou! Et elle a beaucoup changé aussi, beaucoup changé, mais... (Mère sourit, amusée) d'une certaine façon toujours la même!

Mais j'avais l’impression (c'était hier, je crois) que les choses sont beaucoup plus simples – beaucoup plus simples – et beaucoup moins dramatiques que la pensée humaine ne l’imagine. C'est très curieux, j'ai de plus en plus l’impression de quelque chose qui... qui n'a pas de mystère, et que c'est notre façon de penser et de sentir qui met tout le mystère et tout le dramatique – et puis, il n'y en a pas.

Oh! comme les hommes dramatisent tout.

C'est comme leur rapport avec le Divin... Hier, on m'a fait entendre ici pendant que je travaillais le matin (pendant que je distribuais les œufs!), on m'a fait entendre de la musique de Sahana,1 un hymne de leur groupe et qui est dans la ligne de la «musique religieuse». Il y a des sons, certains sons que l’on peut appeler des «sons religieux»; ce sont certaines «associations de sons» qui sont universels, c'est-à-dire qu'ils n'appartiennent pas à une époque ni à un pays. Et à toutes les époques et dans tous les pays, ceux qui ont cette émotion religieuse, spontanément donnent ce son. Pendant que l’on jouait, tout d'un coup cette perception m'est venue très claire (c'est une association de deux ou trois sons), c'est venu avec, justement, l’état de conscience qui produit ces sons, et qui est le même: c'est un état de conscience qui se reproduit. Tout l’accompagnement [instrumental] est différent, et naturellement, partout-partout il abîme. Mais ça, ces deux – deux ou trois sons, c'est admirable comme expression précise, exacte, du sentiment religieux, du Contact (geste vers le Haut), de l’adoration: le contact de l’adoration.

C'était très intéressant.

Et dans son morceau, deux ou trois fois on retrouve ce son. Tout le reste est du remplissage. Mais ça... Et j'ai entendu ça dans les églises, j'ai entendu ça dans les temples, j'ai entendu ça dans les réunions mystiques, j'ai entendu ça... Toujours mélangé à toutes sortes d'autres choses, mais ça... Et ce sont des sons absolument évocateurs de l’effet (en fait, c'est le contraire: c'est l’état de conscience qui produit ces sons, mais quand on entend les sons, ça vous met en contact avec l’état de conscience). Et alors, j'ai compris pourquoi les gens aiment écouter cette musique: parce que tout d'un coup, ça leur donne... ah! ils sentent quelque chose qu'ils ne connaissaient pas.

Comme c'était intéressant!

Comme tout devient différent! Vivre dans l’état de conscience, et alors tout devient différent. On voit les choses... oui, c'est ce que Sri Aurobindo appelle, je crois, voir les choses du dedans au dehors. C'est la cause de ça.

C'est très intéressant.

Dans la musique de Sunil, il y a deux ou trois de ces associations de sons qui sont des associations évocatrices, et chez lui c'est la splendeur de la création future, oh! ça vient comme un soleil éblouissant.

Mais même dans de très vieilles musiques, ou des musiques qui sont radoteuses, de temps en temps il y a cette association: deux sons, une relation entre deux sons (deux, quelquefois trois). Et je ne crois pas que les gens sachent pourquoi, mais c'est ça qui les met en contact avec l’état de conscience.

Au fond, c'est une façon d'observer le problème, mais ça simplifie d'une façon vraiment très intéressante... c'est-à-dire que de grandes transformations sont seulement le résultat d'un changement d'état de conscience.

(silence)

Alors, je te souhaite une bonne année.

Oui, douce Mère.

Ça va être une bonne année. Une année très claire – très claire, très vaste – vaste et claire... Ce qui va se passer ici, je n'en sais rien. Les circonstances paraissent de plus en plus difficiles, mais je dois dire que ça me laisse très calme. Elles sont difficiles. Dans le pays, dans le monde, c'est difficile, ça grince. Mais cela paraît n'être qu'une apparence seulement; c'est la grande pression de la Lumière – une lumière chaude, dorée, puissante, supramentale – et de plus en plus, de plus en plus, de plus en plus...

Et alors, depuis le jour où j'ai vu ces deux courbes pour toi, cela s'est affirmé, installé, et l’envol vers l’avenir est magnifique – très fort, très puissant, en même temps qu'il est très lumineux («lumineux», il l’a toujours été; lumineux, même cristallin au point de vue intellectuel), mais là, il y a une grande force. Une grande force.

J'avais envie de dessiner la courbe, mais il faut qu'elle soit jolie, bien faite, je n'ai pas le temps – mais elles sont là (comment dire?...) dans l’invisible. Celle qui monte, monte magnifiquement, comme un jet de lumière.

Voilà.

(Mère attrape un petit objet près d'Elle:)

Tu veux un petit baudet pour t'aider!

novembre




3 novembre 1966

Est-ce que tu as env ie de gagner 200.000 dollars?

Qu'est-ce qu'il faut faire pour cela?

Il faut prouver l’existence de l’âme après la mort.

Ah! oui-oui je sais, cet article...

«A $200000 reward has been offered to anyone on this earth who can give some scientific proof of a soul of a human body which leaves at death. This was found in the will of James Kidd, an Arizona miner who died in 1951. Lawyers executing the will claim that if no real scientific proof is submitted the money will go to any research institute aimed at proving the existence of the human soul.»

[«Une récompense de 200.000 dollars a été offerte à quiconque sur la terre est capable de prouver scientifiquement que l’âme quitte le corps humain à la mort. Tel est le testament de James Kidd, un mineur d'Arizona, mort en 1951. Les exécuteurs testamentaires ont déclaré que si aucune preuve scientifique n'était fournie, le legs sera remis à n'importe quel institut de recherche ayant pour but de prouver l’existence de l’âme humaine.»]

Hindu, 26.10.1966

Il y a des gens qui ont déjà leur argument, paraît-il.

Une preuve... ce qu'ils veulent, c'est une preuve démontrée scientifiquement. Mais d'abord, est-ce qu'il s'agit de l’âme? N'est-ce pas, ils sont tous dans une confusion terrible: l’âme, pour eux, c'est n'importe quoi. Et est-ce l’âme qu'ils veulent prouver, qui est éternelle, immortelle, ou est-ce qu'ils veulent prouver qu'il y a une survie? C'est une chose différente. La survie a été prouvée scientifiquement par des cas: il y a eu pas mal de cas de, gens qui continuaient leur vie antérieure dans la vie présente. Il y a eu l’histoire de ce père de famille qui est mort et de l’enfant d'une famille voisine qui donnait des précisions extraordinaires, de choses que seul celui qui était mort savait. Lui seul le savait. Et l’enfant, dès qu'il a été capable de mouvements indépendants, c'est-à-dire à cinq ou six ans, a recommencé à vouloir mener son ancienne vie; il disait: «Mes enfants m'attendent dans cette maison, il faut que j'aille m'occuper d'eux»! C'était un enfant, et il disait: «Mes enfants m'attendent là.» Et cette maison, c'était là où il était mort. Et il y avait des détails tout à fait précis que seul le mort savait; il disait: «Mais j'avais mis ça là, pourquoi est-ce parti?» Toutes sortes de choses comme cela. C'est un cas assez récent. Mais il y a eu au moins quatre ou cinq cas qui ont été enregistrés, par conséquent il y a une survie. Mais qu'est-ce qui survit? Ça, dans le cas de cet enfant, ce n'est pas l’âme, il ne s'agit pas de l’âme: ce sont des êtres du Vital (vital mentalisé) qui sont restés intacts et qui, par une circonstance particulière, se sont réincarnés tout de suite. Et alors ils étaient encore «tout frais» de la dernière vie. Le cas de cet enfant me paraît scientifiquement indiscutable parce qu'ils ne peuvent pas dire: «Il est fou» ou «C'est une hallucination» – c'est un enfant, et il parle de «ses enfants». Il y a d'autres cas qui étaient aussi probants que celui-là (je ne m'en souviens plus). Mais est-ce cela qu'ils veulent savoir? Ou est-ce qu'ils veulent savoir s'il y a une âme et si l’âme est immortelle et... Au fond, ils ne savent rien. C'est une question d'ignorant. Il faudrait commencer par leur dire: «Pardon! avant de poser des questions, il faudrait que vous étudiez le problème.»

Il y avait Ford qui nous avait fait dire, à Sri Aurobindo et à moi, qu'il venait ici pour nous poser la question qui le tourmentait: «Qu'est-ce qui arrive après la mort?» et qu'il était prêt à donner sa fortune à celui qui pourrait lui répondre. Et quelqu'un lui avait dit: «Oui, il y a Sri Aurobindo qui peut vous répondre.» Et Ford avait envoyé dire qu'il s'en allait pour venir nous poser sa question. Et puis il est mort!

Non, ce sont des questions posées par des ignorants. Ils devraient d'abord apprendre le sujet, savoir de quoi ils parlent.

Il y a l’âme. Il y a l’âme qui est tout simplement une émanation de... on peut l’appeler la Conscience suprême, Réalité suprême, Vérité suprême, n'importe, tout ce qu'ils veulent, ça m'est égal – tous les mots possibles. Mais enfin, l’âme est une émanation de Ça, directe. Dans le corps, Ça se revêt de l’être psychique. l’être psychique est un être qui se forme progressivement à travers toutes les existences. Alors, est-ce que vous parlez de l’âme, est-ce que vous parlez de l’être psychique (qui est d'abord un embryon et qui finit par devenir un être conscient tout à fait indépendant), ou est-ce que vous parlez simplement de la survie d'une conscience individuelle après la mort? Parce que ça, c'est encore autre chose. Il y a des preuves de cela; seulement là, c'est une conscience tout à fait vitale de l’ordre inférieur, et il peut se trouver que ça rentre imédiatement dans un autre corps par quelque concours de circonstances (c'était dans la même famille que le père était rentré), et qu'il revienne avec le souvenir. Autrement, d'après les expériences de ceux qui ont étudié la question, ce n'est que l’être psychique en formation qui garde le souvenir de ses existences antérieures. Mais de l’existence matérielle, purement physique, il ne garde que le souvenir des moments où il y a participé. Alors, au lieu de vous raconter toutes ces histoires (qui sont une invention), ce ne sont que des souvenirs comme cela (Mère trace du bout des doigts une série de «points» dans l’espace), qui peuvent être plus ou moins détaillés, plus ou moins complets, mais qui ne sont que des souvenirs fragmentaires du moment où le psychique s'est manifesté physiquement. Ça, beaucoup de gens ont ce genre de souvenir, mais ils ne savent pas ce que c'est. Ils le prennent la plupart du temps pour des «rêves» ou des «imaginations». Ceux qui savent (c'est-à-dire qui sont conscients de ce qui se passe dans leur conscience physique), ceux-là peuvent voir que ce sont des souvenirs.

La quantité de souvenirs de ce genre que j'ai eus est presque incalculable. Mais cela n'a pas le même caractère que les souvenirs des consciences supérieures (ce n'est pas un «souvenir» alors: c'est une espèce de vision que les êtres supérieurs1 ont de la vie; mais c'est autre chose). Les souvenirs dont je parle sont les souvenirs de l’être psychique, ils ont un autre caractère: ils ont un caractère assez personnel, c'est-à-dire que l’on a l’impression d'une personne qui a un souvenir. Tandis que cela, ces visions d'en haut, sont des visions d'une «conscience qui agit». Mais les souvenirs de l’être psychique ne sont pas mentalisés, c'est-à-dire, par exemple, que si au moment du souvenir, on ne s'occupait pas de la façon dont on était vêtu ou de l’entourage, on ne s'en souvient pas. On se souvient seulement de ce qui s'est passé, et surtout de ce qui s'est passé au point de vue de la conscience et des sentiments et des mouvements intérieurs.

Généralement, ce sont des fragments – des fragments de vie – qui ont été individualisés, et lorsque dans la vie présente on se développe normalement avec le groupement autour de la conscience centrale, tous ces éléments reviennent se grouper. Ils reviennent chacun avec ses souvenirs. Par exemple, j'ai eu un souvenir comme cela (je te dis, j'en ai eu des centaines), très jeune (je devais avoir peut-être vingt ans), et ce n'était pas la nuit, mais je me reposais étendue: tout d'un coup, je me suis sentie à cheval, avec une puissance guerrière formidable et le sentiment... une volonté de victoire et le pouvoir de la victoire. Et j'avais l’impression d'être à cheval: je voyais un cheval blanc et je voyais mes jambes, des culottes, n'est-ce pas, et un costume de velours rouge. Et j'étais là au galop. Je ne savais pas comment était la tête ni rien, naturellement! Et alors: la foule, les armées et le soleil qui se lève. Et c'était tellement fort, le sentiment que... c'était ce sentiment de la volonté de victoire et du pouvoir de la victoire. C'est venu comme cela. Puis, quelque temps après, j'ai lu quelque part l’histoire de Murât (je ne sais plus... c'était Magenta,2 sa victoire, je crois... je ne me souviens plus de tout cela), et j'ai compris tout de suite que c'était au moment de livrer la bataille: il a eu un appel intérieur à un Pouvoir, et alors il y a eu une identification (avec le Pouvoir de Mère), et c'était de cela que je me souvenais et qui est venu. Si je disais (comme les théosophes vous le disent): «J'ai été Murât», ce serait une imbécillité. Mais c'était une conscience qui revenait. C'était tellement fort! l’impression a duré assez longtemps avec le sentiment de la bataille mais surtout le sentiment de ce pouvoir qui vous rend invincible. C'était intéressant parce que, à ce moment-là, c'était tout au début (je commençais à m'occuper de ces choses et je venais de rencontrer l’enseignement «cosmique») et j'étais convaincue que l’être psychique d'une femme se réincarnait toujours dans une femme et que l’être psychique d'un homme se réincarnait toujours dans un homme (dans beaucoup d'écoles on enseigne cela; Théon le croyait aussi, il insistait là-dessus), par conséquent c'était venu comme un étonnement, parce que ce n'était pas conforme à ce que je pensais (!) Je me suis aperçue après (longtemps après) que naturellement tous ces dogmes sont des sottises, mais...

C'est en conformité avec ce que je te disais la dernière fois: ce sont des états de conscience qui se réincarnent, en évoluant, se développant, se perfectionnant. C'est plutôt cela, c'était comme cela que ce souvenir est venu. Pour beaucoup de souvenirs, c'est comme cela. Et je sais que de dire que ce sont des «états de conscience qui se réincarnent», si l’on adaptait cela comme la «seule» explication; ce serait faux – c'est tout à fait faux –, mais c'est une manière de voir la chose, qui est par-delà le sens de la petite personnalité; ça élargit la conscience: on a en soi des choses qui sont beaucoup plus universelles et beaucoup moins limitées que des expériences personnelles. Comme dans la vie, il y a des gens qui ont une vie exceptionnelle; eh bien, ils ont aussi des moments exceptionnels dans leur vie, où ils ne sont plus une seule petite personne: ils sont une force en action. C'est comme cela.

Au fond, cette question (j'ai lu la question, elle a été publiée quelque part, on me l’a lue), c'est une question d'ignorant. Ils vous demandent quelque chose, mais ce sont des ignorants; il faudrait d'abord qu'ils commencent par étudier le sujet, qu'ils sachent, et alors ils peuvent comprendre les preuves qu'on peut leur donner. Autrement, ils ne les comprendront pas.

On m'avait demandé (c'est quelqu'un qui m'a envoyé l’article avec l’espoir que j'allais répondre), j'ai dit: «Non! ils ne sont pas prêts pour la réponse; d'abord qu'ils travaillent, et après on répondra.»

Ce sont des ignorants qui veulent qu'on leur apprenne les choses – le dîner tout cuit! (Riant) Ça ne va pas.3

9 novembre 1966

(Le disciple lit à Mère quelques passages du «Sannyasin», notamment la scène où le Sannyasin est acculé à la porte du temple, ayant perdu à la fois son «ciel spirituel» et la terre en la personne de celle qu'il aimait.)

Cette image [du Sannyasin acculé devant la porte de bronze] était tellement forte, tu sais!... Chaque fois que tu en parles, je vois encore ma vision.1 C'était tellement fort! C'était le temple – on voyait seulement la porte et le mur –, et puis le haut d'une montagne et la pente abrupte qui descendait, et alors un étroit chemin entre le temple et le précipice, et une foule qui gravissait, qui montait la route en hurlant, et puis...

Et toujours-toujours, je vois la même chose.

Ça a dû exister, parce que cela a l’intensité de quelque chose qui a été physique.2

En fait, dans ma première idée du livre, c'était cette enfant qui devait mourir, et c'est justement cela qui provoque cette émeute parmi les gens, qui poursuivent ce Sannyasin. Et puis j'ai essayé de présenter cela sans qu'elle meure.

Oui, c'est mieux. C'est mieux sans la poursuite de la foule, autrement on pourrait penser qu'il est acculé par la peur physique, alors cela n'a plus la même force.

La vision était un souvenir, c'est-à-dire quelque chose qui existe dans le «souvenir de la terre». Mais ce n'est pas une raison pour en faire une histoire. Il vaut mieux que ton livre ait une base plus profonde.

Alors, c'est là que lui vient cette réaction contre l’ascétisme?

Parce qu'il l’a perdue. Pas physiquement, mais il la perd puisqu'elle refuse. Elle dit: «Mais tu es un Sannyasin maintenant, c'est fini.» Lui, il est tombé de son ciel pour aller à l’autre extrême et vouloir mener avec elle une vie ordinaire. Et elle dit non. Elle dit: «Ce n'est pas ça, une autre vie.»

Mais est-ce que cela n'aura pas l’air d'être le regret d'une jouissance sexuelle, non? Parce que cela ferait tout descendre très bas. Les gens malintentionnés diraient: «Ah! oui, le désir sexuel est plus fort que la vie spirituelle.»

Cela dépend comment c'est dit. Cette femme... ce n'est pas une femme, c'est une enfant presque. Il n'y a jamais eu de relation amoureuse; c'était une enfant de douze ou treize ans et une relation ancienne avec elle. Même le mot d'«amour» n'a jamais été prononcé entre eux. Mais seulement un besoin d'être ensemble, d'union. Elle sent que ce Sannyasin et elle, c'est une unité, c'est quelque chose qui est ensemble, et elle sent que d'être ensemble, cela ne veut pas dire «se marier». Mais elle sent l’union, l’unité avec lui.3

Ah! ce serait une si bonne chose au point de vue général de pouvoir faire comprendre aux gens que l’amour véritable n'a rien à voir avec la relation sexuelle, l’attraction vitale, même avec les rapports sentimentaux, que tout cela n'a rien à voir avec l’amour véritable.4 Mais les gens ne comprennent pas. Même quand ils emploient le mot «amour», imédiatement ils pensent à l’union sexuelle, et c'est désastreux, ça fausse complètement l’idée.

Je ne sais pas, je n'ai pas lu le livre de Pavitra «Sur l’Amour», tu l’as lu? Est-ce clair dans son livre?

(le disciple fait la grimace)

Ce n'est pas clair?

Je trouve qu'il y a quelque chose de faux dans son livre – quelque chose qui est faux ou faussement exprimé.

Faux?

Selon lui, il y a deux chemins: il y a le «chemin d'aller» et le «chemin de retour». Le chemin d'aller, ce sont les gens qui s'éloignent du Seigneur, qui sont dans la vie du monde et qui sont mari, femme, etc. Et puis le chemin du retour, qui est le «vrai chemin», le chemin du retour au Seigneur, où toutes ces choses sont un encombrement... Alors, pour moi, c'est une fausseté.

Naturellement!

Parce que, qu'est-ce que c'est, cet «aller» qui s'en va loin du Seigneur, et ce «retour» où les relations humaines sont simplement un encombrement?... Le retour, c'est au contraire quand on est allé tout en haut...

Oui, et qu'on fait redescendre le Divin.

C'est cela.

Oui, ça, c'est le retour.

Mais pour lui, le retour: on remonte au Seigneur – et alors?...

Alors c'est la fin de la vie!

J'ai été très choqué quand je l’ai lu. J'avais envie de le lui dire, puis je me suis tu... [Mère approuve]. Pour moi, j'avais toujours vu le retour comme le chemin qui descend.

C'est le Seigneur qui descend.

C'est la Vérité qui descend. Le retour, ce n'est pas de monter, ce n'est pas cela; ça, c'est l’aller au contraire.

Mais oui, c'est l’aller.

Cela a commencé avec la pierre – la pierre – et on voit très bien la différence entre la pierre et les végétaux, les végétaux et les animaux, les animaux et l’homme; on voit, n'est-ce pas, toute la Matière qui tend-tend-tend vers le Seigneur – ça, c'est l’aller. Depuis le commencement, c'est comme cela. Ça monte avec toutes ses erreurs, toutes ses confusions, tous ses mensonges, toutes ses déformations – mais c'est TOUT qui monte. Et le retour, c'est ce qui est dit dans le «message» que je vais donner le 4.5.67: «La prison qui est changée en demeure divine.»5

Dans le livre que j'écris, justement, je montre que quand on a touché cette Lumière, c'est le point pour redescendre; que la vérité, ce n'est pas la fin là-haut – c'est la moitié, là-haut.

Oui! (riant) C'est le début de la fin!

Tout mon livre est basé là-dessus.

C'est très important. N'est-ce pas, tous les gens qui commencent à être dégoûtés de la vie, le premier mouvement: s'en aller – tous. Je reçois des tombereaux de lettres; dès qu'ils sont dégoûtés de la vie, dès que ce n'est plus une chose merveilleuse: «Oh! assez! je veux m'en aller, je veux m'en aller.» Oui, c'est le premier mouvement: vous montez là-haut, mais ce sera pour redescendre et changer ça ICI – ce n'est pas l’abolir: c'est le changer.

Le Bouddha représentait le maximum de l’abolition. Il a conduit à l’abolition et c'est le maximum de l’abolition. Bien-bien-bien... C'est à ce moment-là qu'a été le sommet, la vision du sommet. Mais il faut redescendre.

Ils ne comprennent pas, ils en sont encore, tous, là-haut.

Oui, c'est ce que je dis. Tout son livre est comme cela: le chemin d'aller s'éloigne du Seigneur, et le chemin du retour, on remonte au Seigneur. [S'adressant à Sujata:] N'est-ce pas, c'est comme cela dans son livre?

*(Sujata:) Ce livre... je ne sais pas, ça m'a paru un peu bizarre.

Retourner au Divin, oui, c'est le Nirvana.*

Seulement, dès qu'on est là et que l’on est en contact avec le Divin, il vous dit: «Va en bas! Ne reste pas ici, ce n'est pas ta place!»

Mais ça, je suis en train de lutter désespérément contre tous les gens qui conçoivent la vie spirituelle comme... brrt! on s'en va. Ça, c'est seulement le commencement. Mais moi, je réponds toujours par l’histoire du Bouddha: quand il allait entrer dans le Nirvana, tout d'un coup il s'est aperçu que la terre devait être changée... et il est resté.

Je me souviens, une fois, c'était avec Madame David-Neel. C'est très intéressant. Elle était venue faire une conférence (je ne la connaissais pas, c'est là que je l’ai connue), je crois à la Société Théo-sophique (je ne me souviens plus), et j'ai assisté à la conférence, et pendant qu'elle parlait, j'ai vu le Bouddha – je l’ai vu clairement: pas au-dessus de sa tête, un petit peu à côté. Il était présent. Alors, après la conférence, on m'a présentée (je ne savais pas quel genre de femme c'était!) et je lui ai dit: «Oh! Madame, pendant que vous parliez, j'ai vu le Bouddha là.» Elle m'a répondu (ton furieux): «C'est impossible! le Bouddha est au Nirvana»! (Mère rit) Oh! alors...

Mais il était vraiment là, malgré tout ce qu'elle pensait!

C'est bien cela: s'en aller.

Je n'ai pas compris pourquoi Pavitra, qui est d'ici, avait écrit comme cela.

Non, je comprends très bien sa pensée: il voit les choses de trop près, mon petit! Il voit que tout l’effort de la terre doit être vers le Divin, vers l’union avec le Divin; il voit... (comment dire?) ce qui précède, et de trop près, pas d'assez loin. Et alors, pour lui, le retour, c'est le retour vers le Divin.

Mais si on lui disait: «l’abolition, le Nirvana», il dirait: «Non-non! pas du tout.» Seulement, il ne le voit pas.

Au fond, c'est un mouvement triple: la création, qui a été la «fuite hors du Divin» (selon la conception ordinaire, n'est-ce pas, qui dit que la création est «tombée», elle s'est «éloignée» du Divin et les hommes se sont «éloignés» du Divin); c'était le premier mouvement. Mais c'est parce qu'il voit de trop près; il ne voit pas que le Divin est allé tout au fond de l’Inconscient (et c'est cela: pourquoi est-Il allé tout au fond de l’Inconscient?... Ça, c'est «à considérer» – Mère rit – on ne sait pas encore comment le dire: chacun le dit différemment). Il est allé tout au fond (moi, je crois que je le sais, mais ce sera pour plus tard). Il est allé tout au fond de l’Inconscient: au-dessous de la pierre (Mère fait un geste immuable, tout au fond), au-dessous du minéral; le minéral est déjà un commencement d'éveil de la conscience... Seulement, il faut le voir dans son ensemble pour comprendre que c'est une ascension; si on voit la vie humaine telle qu'elle est, on a l’impression que les hommes se perdent dans la «chute», mais c'est le résultat du Mental; le Mental avait besoin de faire toute l’expérience, d'aller tout au fond pour comprendre tout et ramener tout vers l’ascension. Pour les plantes, c'est vraiment une ascension. Alors, d'après cette vision, il y a trois mouvements. Mais si l’on voit le tout ensemble, il n'y a que deux mouvements: le premier mouvement, c'est la descente du Seigneur dans l’Inconscient (ça, pour le moment, on ne peut rien en dire; quand on en sera sorti, on pourra dire); le second (le premier que nous puissions concevoir), très lentement-lentement, à travers toutes les expériences possibles, même les négations mentales les plus complètes du Divin, c'est l’ascension vers le Divin. Et puis, quand on est monté... (Mère fait un geste de descente) «Viens-viens ici: change cette prison en demeure du Divin.»

Ce sera très bien, un très bon «message» pour le 4.5.67.6

Quatre, c'est la manifestation. Cinq, c'est le pouvoir. Six, c'est la création, et sept, c'est la réalisation. Quatre chiffres qui se succèdent merveilleusement. Voilà la réalisation (vous voulez la réalisation?), voilà la réalisation: la prison changée en demeure du Divin. Les gens disent: «Il n'y a rien à faire avec la terre, elle est fichue...» Voilà! ce sera bien.


Si l’homme n'avait pas pensé que c'était une «chute», il n'aurait jamais eu la volonté de remonter. Il avait besoin de penser que c'était une chute – mais ce n'est pas une chute, c'est... autre chose, que je suis en train de découvrir maintenant.7


(Peu après, au cours de la traduction française du «message» pour le 4.5.67, Mère s'arrête à un mot dont la traduction ne lui vient pas.)

...Je ne pense à rien – oh! tu sais, c'est une bénédiction, mon petit! je ne pense jamais à rien pour rien! Je suis comme ça (geste de contemplation immobile, tournée vers le haut). La seule chose qui se formule en mots, c'est: «Seigneur, Toi... ce que Tu veux, ce que Tu sais, ce que Tu fais, il n'y a que Toi. Toi.» Comme ça (même geste immobile). Et puis tout d'un coup, sans y penser, sans chercher, ploff! une goutte de lumière – ah!

C'est commode.8

15 novembre 1966

...Je suis inexistante.

Fatiguée?

Non, absolument partie (geste au-dessus). Je me rends compte qu'il est tout à fait inutile de rien vouloir, de rien fixer: tu vois l’heure, il est 10h45. J'ai abdiqué. Je suis juste un robot bon à signer des papiers, c'est tout. Que je veuille ou ne veuille pas... Ça, il y a longtemps que «je» ne veux plus, mais enfin que j'exprime une nécessité physique... inutile.

Je suis vraiment partie.

Ne t'en va pas!

Oh! ça ne fait rien. Ça (Mère désigne son corps), c'est toujours là!

Non, une chose après l’autre, une chose après l’autre, dans tous les domaines: je vois ce qui doit être et ce qui est vrai, et tout-tout concourt pour que ce soit autrement, alors... (même geste de retrait vers le haut) Je ne vais pas me faire du mauvais sang! – je me retire. Je redeviens le Témoin.

On ne comprend pas vraiment la Grâce.

Je crois que personne ne peut la comprendre!

Écoute, encore ce matin, j'ai reçu un mot pour me dire: «Pourquoi la Vérité n'agit-elle pas?» Ma réponse, je vais te la dire... c'est toujours la même (c'est à la suite de tout un échange de lettres):

«... Il est évident que la solution reste dans la Vérité.»

Alors pourquoi le délai?

«Parce que la Vérité est suprêmement destructrice du Mensonge et de la mauvaise volonté; si Elle agissait imédiatement sur le monde tel qu'il est, il n'en resterait pas grand-chose... Elle prépare patiemment son avènement.»

C'est vrai, je sens cela: la résistance est si TOTALE que si «Ça» faisait comme ça (geste de descente sur la terre), il ne resterait plus rien!

Mais pour ceux qui sont du bon côté, naturellement c'est avec eux activement.

(Mère donne des fleurs au disciple)

Tu ne comprends pas la Grâce... Tu verras, un jour tu la comprendras.

Ce n'est pas que je la comprenne, mais je dis que «on» ne la comprend pas.

«On»!... (Mère rit) Mon petit, je vais être très grossière: «on» s'en fiche!

Je veux dire la grâce de ta présence ici.

Oh-oh! (Mère rit) Ça alors, «on» s'en contrefiche!

(silence)

Il y a très fort – très fort – la sensation d'une Puissance... que cette Puissance qui descend est tellement formidable par rapport à... Oh! comme tout paraît petit, mince, sans force, sans générosité, sans ampleur en comparaison. N'est-ce pas, je vois une quantité considérable de gens, et de temps en temps, il y a quelque chose comme un tout petit rayon ou une goutte de Ça qui tombe, et alors la personne qui est là se met à trembler! Elle ne sait pas pourquoi, elle se met à trembler. Alors?...

Et ça arrive tout le temps.

Il n'y a que les enfants. Eux, sont tellement innocents! Il y a cette petite Astha qui vient tous les matins (c'est elle qui a décidé, je n'avais pas à dire non! elle a dit: «Je viens»), elle vient tous les matins. Au commencement, elle faisait un «pranam», mais un «pranam» sérieux: elle restait là à rouler sa tête sur mes pieds! Mais maintenant, elle a trouvé autre chose: elle arrive, elle ne dit rien à personne, elle regarde les gens qui sont là, et puis, quand elle voit qu'ils sont bien occupés, elle rentre sous la table (de Mère) et alors elle m'attrape la main et puis elle commence à jouer avec: elle l’embrasse, elle la tourne, elle la tire. Et quand elle a fini de ce côté-ci, elle vient de ce côté-là!... Et avec une joie et une confiance si jolie, si jolie, si confiante: «Oh! comme c'est a-mu-sant»!

Ça, c'est gentil.

Les enfants sont comme cela.

D'autres, quand ils entrent, ils se mettent à hurler imédiatement. Ils entrent, ils ne peuvent pas: ils ne peuvent pas, ils ne veulent pas, c'est une sorte de rage qui entre en eux (ils sont très peu nombreux).

Mais ils sont très spontanés, et ceux qui sont ici, ils viennent, ils se collent contre mes genoux, ils se tournent, ils se roulent, ils ne veulent plus s'en aller!

Je me suis souvenue de certaines expériences d'autrefois (tout au commencement, au moins deux ans avant de venir ici pour la première fois). Je ne connaissais pas Sri Aurobindo, mais je connaissais le «Cosmique» et j'étudiais, je travaillais l’occultisme, bien, sérieusement (je ne connaissais pas encore Théon non plus), et j'étais en plein dans mes propres expériences. C'était à Paris. Je me promenais en autobus ou en métro et il y avait des gens (pas seulement une fois: bien des fois), une femme, par exemple, avec son enfant: l’enfant quittait la mère brusquement (des enfants de trois-quatre ans, très jeunes, qui commencent à courir) et il venait (c'est arrivé plusieurs fois); moi, j'étais simplement dans ma méditation, je ne faisais attention à rien ni à personne; tout d'un coup, un enfant se détachait de la mère, venait, poff! et se collait contre moi comme ça, agrippé à mes genoux. Alors la mère demandait pardon, elle croyait (riant) que c'était très impoli! Mais je disais: «Non! c'est très bien!»

Je me souviens, c'est arrivé plusieurs fois. Et j'avais l’impression que quand j'étais tranquille, c'était quelque chose (qui n'était pas du tout humain), qui était là et qui agissait tranquillement à travers moi (je ne m'en occupais même pas) et qui faisait ça. J'avais cette impression très claire. J'avais même fait des expériences à ce moment; par exemple, une fois dans un autobus, il y avait un homme qui était crispé et qui pleurait; on voyait qu'il était extrêmement malheureux. Alors je ne bougeais pas, je n'avais l’air de rien, mais je voyais cette «Force» qui allait vers l’homme, et puis petit à petit, la figure se détendait, tout se calmait, et il devenait tranquille. C'est arrivé plusieurs fois aussi. Et c'est comme cela que j'ai su... Parce que à ce moment-là, je n'étais pas encore très renseignée; je sentais toujours le Pouvoir là-haut, mais je ne savais pas ce que c'était – il y avait une «Force» qui venait comme cela, qui agissait, tranquillement. Et maintenant, c'est la même chose, seulement pleinement consciente; c'est la même chose: c'est quelque chose qui s'empare du corps. Le corps participe (c'est-à-dire qu'il ne sent pas du tout qu'il «fait», il ne se sent presque pas), il a seulement conscience d'une... oh! d'une vibration si chaude, si douce, et en même temps si ter-ri-ble-ment puissante! qui vient comme cela, et lui, il n'a pas besoin de vouloir ni d'essayer ni rien: il ne pense pas, ne cherche pas, bouge pas (Mère fait le geste de baigner tout entière dans le Seigneur): c'est spontané et naturel.

Et quelquefois, il est fatigué ou il y a quelque chose qui ne va pas très bien, ou... (ça provient toujours d'un contact du dehors; je vois après, je sais après quelle a été la cause; sur le moment, il y a simplement un malaise ou une désorganisation), alors à ce moment-là, oh! c'est tout à fait l’abandon confiant d'un enfant dans... quelque chose... qui est partout, autour de lui, au-dedans de lui, là, comme ça (geste d'enveloppement). Et l’aspiration du corps, c'est seulement: «Que Ça seul existe.» Tout le reste... ouf! c'est rien du tout, c'est encombrant. «Que Ça seul existe... Si Ça seul existait, quel monde merveilleux ce serait!»

C'est comme cela qu'il sent. Tout le reste est, ou pénible ou profondément ridicule. Oh! souvent, c'est si ridicule! Et en tout cas, si mince, si sec, comme une mauvaise représentation. Et alors, ce qui devient tout à fait comique, vraiment amusant, comique, c'est... (Mère gonfle ses joues) quand l’ego se gonfle! Oh! là-là... les ego qui s'affirment, qui viennent dire: «Je veux, je ne veux pas, j'ai décidé...» Oh! ça, mon petit, c'est le big fun [la grande comédie] Et qui ne voient pas du tout qu'ils sont des pantins.1


Pas la nuit dernière, mais la nuit d'avant, j'ai encore passé toute la nuit avec Sri Aurobindo, au moins quatre heures dans ce monde physique subtil. Il a une bien belle demeure là-bas! C'est magnifique! Magnifique. Et ce n'est pas fluide: c'est très concret, et en même temps ce n'est pas fixe! Ça a une souplesse qui s'adapte à toutes les nécessités. C'est vraiment intéressant.

Mais c'est encore une période de préparation et d'adaptation: ce n'est pas final. Ce n'est pas final: il y a des expériences, des essais. C'est extrêmement souple, c'est en période de formation, comme si ça se préparait à une manifestation, ou plutôt comme si ça «apprenait» à être ce que ça doit être. C'est très intéressant.

19 novembre 1966

(Mère tend une petite rose rose au disciple:)

Tu sais ce que c'est?

Non, Mère.

Je m'en doutais!

Qu'est-ce que c'est?

C'est la vraie tendresse: celle du Divin. On ne sait pas, on pense toujours à quelque chose de très humain. Mais ce n'est pas humain... (Mère ferme les yeux et reste debout en concentration)... C'est extrêmement lumineux, rose, un peu doré... toujours souriant... C'est une sensation tout à fait particulière. (Après un long silence) Tout est comme une belle rose rose – une belle rose. C'est mieux que cela, beaucoup mieux que cela... (Comment dire?) Il n'existe pas de difficultés possibles – ça n'existe pas (quand on est dans cette Tendresse). C'est le côté de la vie («de la vie», je veux dire de la Manifestation) qui est tout: beauté, sourire, paix et lumière – spontanément, sans effort, avec l’impossibilité qu'il y ait autre chose. C'est très particulier. Et c'est très haut, très haut... Et pourtant, de temps en temps, je vois une goutte de ça ici. La première fois que j'ai vu ça... (Mère oscille sur ses jambes). Il faut que je m'assoie parce que je suis en train de m'en aller!

(Mère s'assoit et reprend) Ça ne peut se réaliser que dans un monde sans égoïsme. C'est-à-dire que quand toute l’action de l’individualisation sera terminée et qu'il n'y aura plus besoin de cet élément d'égoïsme, «ça» pourra être manifesté pleinement.

On pourrait appeler cela la «douceur de l’Amour», mais «doux» en français est un peu mièvre. C'est beaucoup mieux que doux. C'est une chose sans difficultés: il n'arrive pas de difficultés, elle ne connaît pas les difficultés, elle les ignore tout à fait – il n'y en a pas, ça n'existe pas. Alors, au moment où ça se manifeste, il n'y en a pas. Et puis naturellement, ça ne peut pas rester ici parce que... parce qu'il y en a encore!

Enfin...1


Peu après

Est-ce que c'est arrivé jusqu'à vous, l’un des nouveaux racontars de l’Ashram?... J'aurais dit que Maheshwari2 s'est manifestée dans une lumière dorée, que Sri Aurobindo est arrivé (arrivé d'où, je ne sais pas!) et qu'il aurait dit que le monde n'était pas prêt et que c'était pour cela qu'il y avait des catastrophes et des cyclones – vous n'avez pas entendu l’histoire? Enfin, j'ai démenti. D'abord, j'ai dit: «D'où est-ce que viendrait Sri Aurobindo? Il est toujours là, alors il n'a pas besoin de venir!»

l’histoire n'a pas d'importance, sauf que des gens ont été bouleversés: ils s'attendaient à la fin du monde! Sri Aurobindo disant: «Le monde n'est pas prêt», cela veut dire que ça va finir!

Enfin, hier (je pense que c'était en réponse à cette histoire de Maheshwari et de Sri Aurobindo disant que le monde n'était pas prêt), j'ai écrit quelque chose en français, mais c'était la conscience de Sri Aurobindo qui faisait une pression. Il a dit (Mère prend une note et lit):

«Selon la loi des hommes, le coupable doit être puni. Mais il y a une loi plus imperative que la loi humaine: c'est la loi du Divin, la loi de la compassion et de la miséricorde. C'est grâce à cette loi que le monde peut durer et progresser...

C'était si clair, la vision. C'était une vision si claire... Si l’on suit cette loi du coupable qui doit être puni, alors, petit à petit, avec le développement des choses, tout devrait être puni! (Mère rit) Il ne resterait plus rien! Alors Sri Aurobindo a dit:

«C'est grâce à cette loi que le monde peut durer et progresser vers la Vérité et l’Amour.»

Le coupable qui est puni!... C'est toujours cette idée; les hommes ont toujours cette idée-là: le coupable doit être puni – où est-ce que ça mène??

(silence)

J'ai écrit aussi autre chose. Je t'ai dit que le jour du «Kâli poudja», elle était venue et qu'elle n'était pas contente. Alors j'ai écrit (Mère prend une autre note et lit):

«Ils savent ce qu'il ne faut pas faire
Ils savent ce qu'il faut faire
Ils savent comment le faire
Ils savent tout!...
Et pourtant, l’arrogance mentale est, de tous les facteurs, le plus défavorable à l’action de la Grâce divine.»

Ça, cette notation-là, c'était une question purement et simplement de vibration; c'était la vibration de l’arrogance mentale (qui est perceptible, claire-claire tout à fait) qui venait et elle prenait toute la place... (Mère fait le geste de se gonfler), elle prenait beaucoup de place!... Elle prenait toute la place, et puis cette Action si tranquille, si calme et si... elle ne fait ni bruit, ni fracas, ni prétention, ni rien; elle est comme ça (geste de descente imperturbable), avec une simplicité parfaite – absolument obstruée, ça ne pouvait pas passer! Alors j'ai écrit cette note.

«Ils savent ce qu'il ne faut pas faire
Ils savent ce qu'il faut faire
Ils savent tout!...»

C'était le résultat de Kâli. Et c'était une très forte expérience (matérielle, ici; pas loin: ici), et depuis que cela a été dit, quelque chose s'est éclairci. C'était comme un besoin absolu de dire cela. Et quelque chose s'est éclairci.3

Il faut dire aussi que depuis que les affaires financières ne sont pas brillantes, j'en «entends» de toutes sortes... Il y a de grosses difficultés. Je suis obligée de dire aux gens que je ne peux pas payer et de ne pas dépenser inutilement, et de l’autre côté, je suis à regarder quel est l’obstacle... Parce que le pouvoir d'amener l’argent reste ce qu'il a toujours été (et c'est considérable); par conséquent, il ne devrait pas y avoir de difficultés. Alors j'ai écrit cette note parce que je vois clairement dans la pensée des gens, ils sont tous à dire: «Oh! il faudrait faire ceci, oh! il ne faudrait pas faire cela, oh! si Mère faisait cela, oh! si elle ne faisait pas ça...» Certains osent le dire, d'autres n'osent pas le dire, mais le pensent – il y en a très peu qui ne le pensent pas. Et il y en a encore moins qui se disent: «Il vaut mieux que je ne m'en occupe pas parce que je n'y entends rien.» Alors j'ai été comme contrainte de prendre le crayon et d'écrire ça: «Ils savent ce qu'il faut faire, ils savent...» (Mère fait le geste de marteler les têtes). Et ça a fait beaucoup de bien.

Je vous avais dit la dernière fois qu'en Bihar, le soir même, la pluie avait commencé?... J'ai su comment l’histoire s'était passée. C'est P qui passait en avion au-dessus du Bihar et il a vu un désert, une dévastation: sec-sec-sec, rien ne poussait, la terre craquelée; et alors, il s'est souvenu de certaines expériences ici.4 Quand il est arrivé à l’aéroport, on est venu le recevoir officiellement et il a dit: «Je voudrais voir le premier ministre en particulier, sans personne.» Il l’a vu et il lui a raconté une expérience qu'il avait eue et dont il avait été le témoin ici (à Pondichéry), et il a dit: «Pourquoi ne demandez-vous pas à Mère?» l’autre, lui a répondu très spontanément: «Il vaut mieux que vous demandiez pour nous!» Alors il a envoyé son télégramme. Et le soir même, il a commencé à pleuvoir. Il a écrit en disant: «Cette première pluie a été pour moi comme un nectar divin.» Et il m'a dit que les gens là-bas étaient tout à fait confiants et dans les meilleures dispositions possibles. Et lui, a vu un rapport entre ces sécheresses, ces catastrophes naturelles, et les forces qui empêchent l’argent de venir; il a vu qu'elles étaient affectées par cette expérience de la pluie inattendue. Par exemple, en même temps (un ou deux jours après), il a rencontré des gens qui ne sont pas riches (le mari a une bonne position, mais ils ne sont pas riches: il y a une famille, il y a des enfants), et je ne sais pour quelle raison, le monsieur a reçu 10.000 roupies d'indemnité du gouvernement, et alors tout spontanément, naturellement, ils sont venus trouver P et ils lui ont dit: «Il faut que vous donniez cela à Mère.» Il a demandé à la dame: «Mais pourquoi donnez-vous tout cela?» Et elle a répondu spontanément: «Mais qu'est-ce que je ferais de cet argent? Je n'en ai pas besoin.» C'est-à-dire la vraie attitude. Alors tout cela a fait penser à P que quelque chose est en mouvement.

Et cette note d'hier m'a paru être comme l’indication de la clef (je veux dire «intérieurement», dans les attitudes universelles); tout cela était vu clairement: les hommes crpient toujours que le coupable doit être puni, que c'est le moyen de se sortir de la difficulté, mais le vrai moyen, c'est la compassion et la miséricorde. Ce n'est pas que l’on soit dans l’ignorance du vrai mouvement et du mouvement qui est faux, mais c'est la miséricorde spontanée, sans effort – et toujours. Et alors, la vision était très claire que c'est comme cela que le progrès est possible – si la faute était toujours punie, il n'y aurait plus personne pour progresser!

Voilà le bilan.

Tu sais que je vais recevoir de l’argent!

Oh! tu es un homme riche!

Mais comment se fait-il? Tu m'as dit cela déjà... Quand l’as-tu su?

Il y a cinq ou six jours.

Tu me l’as «dit» avant de venir la dernière fois.

Je ne te l’ai pas dit parce que j'attendais que ça arrive.

Non, mais tu n'as pas besoin de me le dire! (Mère rit) C'est comme cela maintenant. C'est très intéressant. Je l’ai vu: tout vient comme cela. Comment expliquer?... Ce ne sont pas des paroles, ce ne sont pas des pensées, et c'est quelque chose de tout à fait concret qui vient comme sur un écran. Et c'est un écran qui est à l’intérieur de ma conscience: ce n'est pas en dehors, c'est à l’intérieur de ma conscience qu'il y a un écran, et les choses viennent comme cela; et ce ne sont pas des mots, ce ne sont pas des pensées, ce ne sont pas des sentiments, c'est... «quelque chose». Mais je sais. Et ça ne vient pas du tout d'une façon objective, c'est-à-dire que ce n'est pas comme quelqu'un qui me dirait: «Satprem va recevoir sa pension», pas du tout: c'est un «mouvement de vie» où se mêlent Satprem, pension, gouvernement, tout cela (Mère tourne ses mains l’une dans l’autre dans une sorte d'enroulement mouvant)) ça vit, ça se forme; et après je me dis: «Tiens!»

Si j'étais dans une conscience superficielle, je me dirais: «Pourquoi est-ce que je pense à cela?» Mais je n'y «pense» pas et ce n'est pas une pensée... (même geste mouvant)... c'est une vie qui s'organise.

C'est très intéressant. Il faut que j'apprenne à recevoir les choses exactement. Je ne les objective pas, n'est-ce pas (c'est-à-dire que je ne les place pas sur un autre écran où cela deviendrait une connaissance objective), je ne le fais pas du tout, alors je ne peux pas faire le prophète; autrement, quel prophète!... Depuis la plus petite chose jusqu'à la plus grande: les cyclones, les tremblements de terre, les révolutions, tout cela, et puis de toutes petites choses, toutes petites, encore beaucoup plus petites qu'une «pension», une toute petite circonstance de la vie, ou quelque chose qui va entrer, comme un cadeau que l’on m'a envoyé ou... de toutes petites choses, toutes petites, apparemment sans aucune importance – tout se présente avec la même valeur! Il n'y a pas de «grand», de «petit», d'«important», de «pas important». Et c'est tout le temps comme cela!

Hier, il y avait des tas de choses qui venaient comme cela quand je marchais l’après-midi. Puis, je reste cinq ou dix minutes tranquille, immobile, après la marche, et il y en avait qui venaient et qui venaient; alors j'ai dit au Seigneur: «Est-ce que je ne peux pas être cinq minutes tranquille avec Toi!» (Mère rit) Si tu savais cette atmosphère, cette lumière de rire, et d'un rire si merveilleux – si merveilleux de... justement de miséricorde et de compréhension et de tendresse, oh!... Et je me suis dit (riant): «Vraiment, je suis une imbécile!»

Ça devient vraiment une vie intéressante.

Et l’habitude de se plaindre tout le temps des difficultés, oh! comme tout cela paraissait futile, inutile – un gaspillage de temps. On perd son temps à protester contre ce qui ne doit pas être – il n'y a qu'à ne pas y penser! Il n'y a qu'à ne pas en être conscient, voilà tout! Il faut que ce soit en dehors de la conscience; quand on pourra avoir la conscience purement lumineuse, cette conscience parfaitement harmonieuse, lumineuse, bienveillante et... au fond libre de tout ce qu'on traîne d'un passé difficile.

C'est cela: le pouvoir de se libérer du passé, de ne pas traîner toujours ça après soi – jaillir dans la lumière... et y rester.


(Peu après, Mère regarde encore ses notes avant de les classer et Elle en lit un passage à voix haute:)

«... le plus défavorable à l’action de la Grâce divine.»5

Il y a des mots qui expriment parfaitement une vibration. Ça, c'est une expérience encore: il y a le mot qui traduit parfaitement la vibration, et les autres, ça fait quelque chose de flou et d'incertain. Il y en a qui s'accordent exactement: «Défavorable à l’action de la Grâce divine...»


(Puis Mère passe à la traduction d'un passage de «Savitri». Il est curieux de noter que le matin même, avant de voir Mère, le disciple avait regardé ce passage et pensé à deux traductions possibles pour un même mot.)

When darkness deepens strangling the earth's breast
And man's corporeal mind is the only lamp,
As a thief's in the night shall be the covert tread
Of one who steps unseen into his house.6

(I.IV.55)

Encore un exemple: «Quelqu'un entrera INAPERÇU dans sa maison.» C'est venu sur l’«écran» ce matin (il y en a tant que c'est impossible de se souvenir, mais c'est tellement intéressant), et quand «inaperçu» est venu, je t'ai dit: «Oui, ça, c'est mieux»

(le disciple avait pensé à «en cachette»).

C'est curieux. C'est presque... (si on avait le temps de se souvenir exactement), c'est presque un souvenir d'avance.

C'est curieux.


Quelques vers plus loin, Mère hésite entre deux traductions:

And earth [shall] grow unexpectedly divine.

C'est encore la qualité de la vibration: «Sans s'y attendre», c'est plus plein – c'est plus plein et plus doré. l’autre: «D'une façon inattendue», est un peu froid et sec.

«Et sans s'y attendre, la Terre deviendra divine...»

23 novembre 1966

Après la lecture d'un passage du dialogue avec la Mort:

Si Dieu existe, il n'a aucun souci du monde,
Il voit toute chose d'un calme regard indifférent.
Il a condamné tous les cœurs au chagrin et au désir,
Il a enchaîné la vie par ses lois implacables,
Il ne répond pas à la voix ignorante de la prière.
Éternel, tandis qu'au-dessous peinent les âges,
Immuable, non touché par rien de ce qu'il fait,
Il voit comme des détails infimes parmi les étoiles
l’agonie de l’animal et le destin de l’homme: Sage immensément, il dépasse ta pensée,
Sa joie solitaire n'a nul besoin de ton amour.

(X.IV.646)

Oui, mais nous avons besoin de sa joie.

On m'a dit tout cela ce matin. Et absolument ça (en d'autres mots, mais absolument la même chose), et pas «dit»: vécu, comme si l’on me présentait la chose pour que je la sente. Et j'ai dit: «Pourquoi, pourquoi ce test? À quoi ça sert?» Et c'est mon corps qui disait: «À quoi ça sert?» Alors ça s'est arrêté.

J'ai dit: «Pourquoi? qu'est-ce que ça signifie, tout ça?» Je n'ai pas contredit, pas discuté, rien que: «À quoi ça sert?» (Mère fait le geste de balayer une poussière).

Tu sais, c'est une sorte de discipline précipitée, au galop – toutes les minutes comptent –, que l’on fait faire à la conscience de ce corps.

Mais il se comporte bien, je ne peux pas dire.2

On va voir comment il tient le coup (c'est tout à fait cela!).

Alors, l’autre Monsieur-là (la Mort), dirait: «Tu vois! Tu vois, voilà: voilà la pitié que l’on a de toi!» Moi, je réponds: «Je n'ai pas besoin de pitié... (Riant) Ce n'est pas ça que je veux: je veux la victoire.»

Mais c'est intéressant.

Oh! si tu savais le monde qu'il y a!... Et à la dernière minute, les gens viennent me dire: «Je suis juste arrivé, je veux vous voir.» Bien, je dis: «Bon.» On mettra une rallonge à la journée! (Mère rit)

Ah! au revoir, mes enfants, soyez bien tranquilles chez vous. Bien tranquilles. Il suffit qu'il y en ait un qui «peine»! Ça, je voudrais que ce soit comme cela, je regrette qu'il soit nécessaire pour certains d'être malades,3 pourquoi?... Oh! je sais pourquoi, mais... Et c'est dommage.

C'est la Grâce qui apprend sa leçon. Elle apprend qu'Elle n'est pas encore ce qu'Elle doit être... Tu comprends, il y a toujours deux façons de voir les choses; on peut dire: «Le monde n'est pas prêt» et regarder cela avec un sourire (c'est une façon très... comment dire?... on pourrait appeler cela égoïste), et puis l’autre manière, c'est de dire: «Je ne suis pas encore capable. Si j'étais vraiment capable, tout cela ne serait pas nécessaire (les maladies, les catastrophes, etc.), tout se ferait par un rythme harmonieux.»

On pourrait très bien dire cela: «Le Divin apprend sa leçon.» (Riant) Il a tout à apprendre! Quand il la saura bien, le monde sera ce qu'il doit être, voilà.

Pourquoi pas? On pourrait aussi bien dire comme cela: l’un est aussi vrai que l’autre.

26 novembre 1966

(Mère a l’air très fatiguée. Elle n'a rien mangé ce matin et elle n'a reçu personne. Quand le disciple arrive, elle lui donne des fleurs et des paquets de potage arrivés d'Israël:)

Mais c'est toi qui ne manges pas!

(Riant) Je n'avais pas envie. Pourtant ces soupes, c'est la seule chose que je prenne vraiment... Seulement, tu comprends, je ne fais pas d'exercice, je ne bouge pas de toute la journée, alors je ne peux vraiment pas me suralimenter!

Mais le corps a besoin aussi de se nourrir, non?

Je ne sais pas... Parce que les attaques se multiplient d'une façon formidable et, par exemple, aujourd'hui, je n'ai eu qu'une solution, c'est de rester étendue: rien prendre, rien dire, rien bouger, pendant que ça se passait. Alors ça va. Dès que je ne bouge plus, que je ne mange plus, que je n'agis plus, ça va.

Il y avait longtemps que ces attaques n'étaient pas venues. Je t'avais dit plusieurs fois que j'avais pu résister à l’attaque, mais cette fois-ci, ce matin, c'était formidable. C'était formidable. C'était comme ce Monsieur-là (la Mort), tout à fait, qui essaye de déraciner tout. Alors j'ai résisté-résisté, et puis tout d'un coup... ça n'a pas pu marcher, il a fallu m'étendre et rester tranquille. Et puis ne pas manger – je n'avais pas envie de manger. Je ne peux manger que quand tout va bien.

Dès que c'est l’immobilité, la contemplation, ça va bien.

(silence)

Non, c'est une insistance (enfin la même insistance que celle de ce Monsieur-là) sur l’impossibilité de la chose, et qui donne des preuves si évidentes... Naturellement, le dedans ne bouge pas et sourit – il ne bouge pas –, mais le corps... ça lui fait une tension terrible. Parce qu'il est très conscient de son infirmité (il ne peut pas se vanter d'être transformé), très conscient qu'il est à des millions de lieues de la transformation. Alors... alors il n'est pas difficile de le convaincre. Ce qui est plus difficile, c'est de lui donner la certitude que ce sera autrement. Il ne comprend même pas bien comment ça peut devenir autrement. Et alors, viennent toutes les autres croyances, toutes les autres soi-disant révélations, les cieux, etc. Tout le christianisme et l’islamisme ont résolu le problème très facilement: «Oh! non, ici, ce ne sera jamais bien, mais là-bas, ça peut être parfait.» Ça, c'est entendu. Et il y a tout le Nirvânisme et le Bouddhisme: «C'est une erreur qui doit disparaître.» Alors tout cela vient par vagues, et le corps se sent très... n'est-ce pas, il voudrait avoir une certitude de sa possibilité. Ça ne lui arrive pas souvent. Mais c'était trop fort; c'était tout, de partout en même temps, tellement fort: «Cette Matière est intransformable.» Alors il a lutté-lutté-lutté, et puis tout d'un coup, obligé de s'étendre. Mais dès qu'il est étendu et qu'il s'abandonne complètement, c'est la Paix, et une Paix si forte – si forte, si puissante. Alors ça va bien.

C'est venu avec des quantités de suggestions (ce ne sont pas des suggestions: ce sont des formations), de formations adverses de désorganisation; par exemple, comme celle qu'a reçue C (l’un des assistants de Mère, qui vient de tomber malade). J'ai été prévenue deux jours d'avance, j'ai essayé de mon mieux: je n'ai pas pu – je n'ai pas pu, il a flanché. Alors maintenant, ça devient interminable (le docteur lui-même dit qu'il n'y a pas de raison que cela dure comme cela), ça devient interminable parce qu'il a flanché. Alors il faut regagner tout cela lentement. Et ça vient pour tout le monde, toutes les circonstances – pas pour moi, jamais moi parce que ça n'a pas d'effet; si la suggestion vient, je dis: «Bon, qu'est-ce que ça peut faire! ça m'est égal.» Alors ça n'essaye pas; ça ne sert à rien. Mais ça vient pour tout le monde, pour désorganiser tout, chacun, l’un après l’autre. Et ce matin, c'était tout à la fois, une complète désorganisation de tout. J'ai résisté, j'ai résisté, j'ai résisté, et puis tout d'un coup, il y a quelque chose qui... (Mère fait un geste). Alors le corps a dit bon.

En restant tranquille, c'est fini. J'ai supprimé un repas. Le docteur est malheureux mais (riant) moi, ça me fait plaisir! Les repas, c'est du travail (c'est beaucoup de travail).

C'est la première fois que cela m'arrive cette année. Avant, cela arrivait assez souvent, mais cette année, c'est la première fois; cela prouve que ça va mieux tout de même... Oh! mais c'était terrible, on n'imagine pas ce que c'est! Ça prend tout le monde, tous les gens, toutes les circonstances, tout, et puis ça forme la désagrégation – tout à fait ce Monsieur-là (je crois que c'est lui!), tout à fait comme lui. Mais ça n'a pas la forme poétique (de Savi-tri), n'est-ce pas, ce n'est pas un poète: ça a toute la mesquinerie de la vie. Et ça insiste beaucoup là-dessus. Ces jours-ci, ça insistait beaucoup là-dessus; je me disais: «Tu vois, tout ce qui est écrit, ce qui est dit, c'est toujours dans un domaine de beauté et d'harmonie et de grandeur, et enfin, on pose le problème avec dignité; mais dès que cela devient tout à fait pratique, matériel, c'est si petit, si mesquin, si étroit, si laid!...» C'est ça, la preuve. Quand vous sortez de là, c'est très bien, vous pouvez faire face à tous les problèmes, mais quand vous descendez là, c'est si laid, si tout petit, si misérable... On est tellement l’esclave des besoins, oh!... Une heure, deux heures, on tient; après... Et c'est vrai, la vie physique est laide – pas partout, mais enfin... Je pense toujours aux plantes et aux fleurs; ça, c'est vraiment joli, ça échappe; mais la vie humaine est si sordide, avec des besoins si grossiers et si impérieux – c'est si sordide... Ce n'est que quand on commence à vivre dans une vision un peu supérieure que l’on échappe à cela; dans tous les Écrits, il y a très peu de gens qui acceptent la sordidité de la vie. Et alors, c'est là-dessus que ce Monsieur-là insiste. J'ai dit bon. La réponse de ce corps est simple: «Certainement, nous ne tenons pas à ce que ça continue comme c'est.» Il ne trouve pas que ce soit bien joli. Mais on conçoit une vie – une vie objective comme notre vie matérielle – qui n'ait pas tous ces besoins sordides, plus harmonieuse et plus spontanée, c'est cela que nous voulons. Alors, lui, dit que c'est impossible. – «On» nous a dit que c'était non seulement possible, mais que c'était certain. Alors voilà la bataille.

Et puis vient le grand argument: «Oui-oui, ce sera un jour, mais quand?... Pour le moment, vous êtes encore en plein dans tout ça et vous voyez bien que ça ne peut pas changer. Ça continuera à être. Oui, dans des millénaires, ce sera.» C'est le dernier argument; il ne conteste plus la possibilité, il dit: «C'est bon, parce que vous avez attrapé quelque chose, vous avez l’espoir de le faire maintenant, mais c'est un enfantillage.»

Alors ce corps lui-même dit: «Mais naturellement, j'accepte très bien, je comprends parfaitement! Ce n'est pas ça que je veux; je ne veux pas une chose ou une autre: je veux simplement ce que le Seigneur veut, pas autre chose – ce qu'il a décidé sera. Quand Il dira que c'est fini, ce sera fini; s'il dit que ça continue, ça continuera.» Mais alors, comme ce Monsieur ne réussit pas de cette façon, ça vient de tous les côtés: celui-là, celle-ci, ça, ça, cette circonstance-là, tout ça, tout ça va se désorganiser. Alors je commence à travailler (pour contrecarrer).

Aujourd'hui, c'était vraiment très habile – très habile. Il est très habile.

C'est un grand farceur.

Voilà.

Alors je n'ai pas fait mon travail, je n'ai rien fait. Seulement j'avais décidé que je te verrais – pas pour travailler, mais pour te voir.

(silence)

Pour protéger les autres, c'est très efficace, parce que je commence à travailler, à lutter. Le seul argument pour ce corps, c'est: «Tu vois bien qu'il continue à se détériorer, alors qu'est-ce que tu espères?... Il se détériorera jusqu'à ce qu'il s'arrête.»

Mais si l’on voit sans parti pris, d'une façon tout à fait objective, ce n'est qu'une apparence de détérioration: ce n'est pas vrai. Au contraire, il y a des points où il est beaucoup plus solide qu'il n'était.

Le point le plus important, c'est ce que l’on pourrait appeler «l’irréalité de la détérioration», c'est-à-dire que tout ce qui n'est pas harmonieux et qui se désorganise, cela donne l’impression d'une illusion de plus en plus – de plus en plus, c'est une illusion –, et qu'il suffirait d'un certain mouvement intérieur, de conscience, pour que ce ne soit pas.

Là, le problème se pose encore. Parce qu'il y a différentes expériences de détail (ce sont des tout petits détails), expériences de détail de différentes attitudes de la conscience, pour savoir quelle est celle qui a de l’effet. C'est tout un champ d'études. C'est microscopique, n'est-ce pas, mais c'est extrêmement intéressant. Et alors, la réponse est toujours la même; elle est si jolie: «Quand tu oublies que tu es, quand il n'y a que le Seigneur, toutes les difficultés disparaissent instantanément.» Instantanément: la seconde d'avant, la difficulté était là; la seconde d'après, partie. Mais ce n'est pas quelque chose que l’on puisse faire d'une façon artificielle; ce n'est pas une volonté mentale ou une volonté personnelle quelconque de prendre cette attitude: il faut que ce soit spontané. Mais quand c'est spontané, alors INSTANTANÉMENT, toutes les difficultés disparaissent.

N'existez plus: seul le Seigneur existe.

Et c'est le seul remède.

Mais comment faire ça?... N'est-ce pas, le surrender [abdication], le don de soi, l’acceptation, tout cela, vraiment se fait de plus en plus et de mieux en mieux, mais ça ne suffit pas – ça ne suffit pas. C'est cela. Même cet essai de la conscience qui se centralise sur l’existence du Seigneur et qui essaie d'oublier, même cela ne suffit pas. Ça a un effet, mais un effet mitigé: ce n'est pas «ça». Mais quand on arrive à... on n'existe plus: seul le Seigneur – et c'est une gloire instantanément, c'est cela qui est merveilleux!

Mais c'est difficile. Il y a une très vieille habitude que ce soit autrement.

Mais c'est le seul remède, il n'y en a pas d'autre. Ce n'est même pas un surrender (le mot «surrender» n'est pas le vrai mot parce qu'il y a encore «quelque chose qui fait» le surrender) ce n'est pas ça), ce n'est même pas une annihilation parce que rien n'est annihilé... Je ne peux pas expliquer: seulement, seul le Seigneur existe. Alors, une merveille! Une merveille instantanée.

Et dans des détails microscopiques, n'est-ce pas; ce n'est pas une question de choses «importantes» ou «intéressantes», rien de tout cela: ça s'applique à une action cellulaire. Et c'est le seul remède.

Quand est-ce que la Matière sera prête pour «ça», voilà?

Intérieurement, c'est facile, mais extérieurement... Tout d'un coup, surtout dans la matière cérébrale, là (geste aux tempes), il y a ce mouvement de descente, de prise de possession par le Seigneur, alors extérieurement on a l’impression de l’évanouissement, et c'est pour cela que l’on ne peut pas se tenir debout, qu'il faut s'étendre; mais quand on est étendu, c'est presque instantané, tout disparaît: le sens du temps, de la difficulté, tout-tout – rien qu'une immensité lumineuse, paisible et si forte!

Voilà la leçon de la journée.

(Mère rit) C'est bien, on a fait un pas encore – un grand pas.

30 novembre 1966

Ça va mieux que la dernière fois?

Oh! ça va.

Ce sont des moments décisifs... il y en a de temps en temps. Au point de vue occulte, c'est un phénomène connu: Théon m'avait parlé de cela, Madame Théon aussi. Mais quand on passe ça, après, cela va tout de suite beaucoup mieux, il y a une amélioration assez considérable.

Mais il y a beaucoup de gens qui font une espèce de magie noire.

Encore?

Oui, beaucoup. Cela m'a été dit plusieurs fois, mais naturellement... Il y a des quantités de ces soi-disant swamis, sadhous, qui sont tout simplement des farceurs, mais qui ont une connaissance occulte primaire, malheureusement dans un domaine où il suffit de savoir très peu pour faire beaucoup de mischief [mal]. Il y en a beaucoup – pas un ou deux: beaucoup. Et je connais des gens qui ont été chez eux, qui les ont priés, qui ont essayé de les faire intervenir (contre Mère). Ils se sont dirigés ou contre des gens qui m'entourent ou contre moi-même. Contre moi-même, il n'y en a pas beaucoup, mais il y en a un ou deux qui se croient les «seigneurs du monde», et par conséquent tout à fait immune [invulnérables], et qui ont essayé, mais... Ça peut donner un peu de tirage, c'est tout, ce n'est rien. Seulement, quand ça s'adresse aux gens qui m'entourent, c'est plus difficile à contrecarrer parce qu'il y a toujours... il y a toujours une petite réponse. Ils ne sont pas assez purs. Alors là, ça me donne beaucoup de mal. La dernière fois, c'était cela, c'était pour tous les gens qui m'entouraient: ça m'a donné beaucoup de travail.

J'avais bien pensé que c'était quelque chose comme cela pour C (l’assistant de Mère, tombé malade), parce que j'avais été prévenue deux jours d'avance d'une formation: une formation qui est arrivée avec une figure grimaçante et qui m'a dit que c'était «Fini, tout le beau travail de C.» N'est-ce pas, ce sont des consciences toutes petites, avec une grosse méchanceté, et puis une rage quelconque – pourquoi? pour quelque chose que l’on ne comprend pas. Et alors, ils se servent d'une connaissance occulte assez primaire. J'ai fait ce qu'il fallait, mais au début je ne pensais pas que ce soit très précisément de la magie: il y avait beaucoup de raisons. Mais lui, C, a eu un rêve hier, où quelqu'un le poursuivait (quelqu'un ou quelque chose, il n'a pas su exactement quoi), et il courait-courait pour échapper. Il a couru jusqu'à ce qu'il se réveille, et il s'est réveillé absolument essoufflé, épuisé comme s'il avait vraiment couru. Alors je me suis dit que, probablement, ce que j'avais pensé était correct.

Cette nuit, j'ai été attaqué: j'ai vu deux énormes bêtes noires, comme des taureaux, ou plutôt des aurochs, énormes, avec un poitrail gigantesque – des «forces» vraiment, toutes noires. Il y en avait un qui ne s'occupait pas de moi, mais un autre est venu qui a foncé sur moi pour m'attaquer, et alors j'ai couru, puis je me suis réveillé.*

Ah! là aussi...

Et c'est curieux, l’autre énorme bête qui ne m'a pas attaqué, je l’ai vue, et il y avait quelqu'un qui s'approchait d'elle, qui mettait sa main sur elle, et elle s'est couchée très gentiment. C'est curieux. Cette espèce d'énorme puissance qui se couchait comme un animal docile. Mais l’autre est venue sur moi pour m'attaquer.

(Mère reste un moment concentrée) Eh bien, c'est cela. C'est ça. Mais il y en a beaucoup, tu sais! Je pourrais dire au moins une centaine, tout le temps, tout le temps.

Les hommes sont vraiment imbéciles: ce qu'ils ne comprennent pas, ils le haïssent.

Au lieu de dire: «Je ne comprends pas, mais je ne m'en occupe pas, voilà tout», non, ils le haïssent! ils veulent le détruire.


Peu après

Il y a un Américain qui a écrit pour dire combien c'était triste de voir tout ce désordre dans l’Inde (une lettre très gentille) et il disait à la fin: «Si toute l’Inde pouvait être un grand Ashram de Sri Aurobindo, alors elle irait de progrès en progrès.» C'était très gentil.

Il y a évidemment un grand mouvement... J'ai encore vu hier un homme qui a été gouverneur de Madras pendant un temps, et il est venu ici (il était de passage mais il voudrait rester ici), et cet homme m'a dit: «Est-ce qu'il y aura une solution?» Et il a ajouté: «Nous prions tous pour que vous nous la donniez.» J'ai répondu... (Mère sourit) que je ne m'occupais pas de politique. Mais il représente tout un ensemble de gens dans l’Inde, qui maintenant pensent en effet qu'il n'y a qu'une solution, c'est justement d'essayer de réaliser une vie supérieure.

Il y a un grand mouvement.

Hier, il y a eu une lettre de S.M.1 disant qu'Indira Gandhi s'appuie vraiment sur lui dans l’espoir de se sortir d'affaire et que cela aille plus convenablement, et il disait qu'il espérait faire triompher le véritable esprit, la connaissance... Seulement, sa santé n'est pas bonne, autrement il aurait là une occasion admirable de faire quelque chose, parce qu'elle l’appelle tous les jours pour lui demander conseil sur ce qu'il faut faire et il assiste à toutes les réunions des ministres. C'est-à-dire, vraiment, que les deux choses vont ensemble: le mouvement nouveau et l’apparent désordre.

Mère passe à la traduction de «Savitri».

C'est toujours ce Monsieur...

La béatitude immortelle ne vit pas dans l’air humain

(Riant) C'est malheureusement une constatation facile à faire! La béatitude immortelle ne vit pas dans l’air humain. Mais elle pourrait lui répondre: «C'est à cause de toi que c'est comme cela, alors tu n'as pas besoin de te vanter!»


(Peu après, à propos des difficultés d'un disciple aveugle. Le fragment suivant a été noté de mémoire, le magnétophone étant tombé en panne.)

...Pour moi, c'est étrange, je vois comme à travers un voile épais, c'est-à-dire que tout est flou, et puis tout d'un coup, sans raison apparente, je vois un objet, une chose ou une autre, claire-claire, précise, avec une exactitude de détail, comme si elle m'était présentée. Ou bien je lis une lettre, par exemple; si je lis sans m'occuper d'autre chose, je vois parfaitement bien, mais si je me mets à penser à une réponse ou si je me concentre, si la conscience travaille, tout disparaît, je ne vois plus rien – la minute d'après, les lignes redeviennent claires. C'est-à-dire que cela ne dépend pas d'un défaut de la vision ni de l’organe matériel: c'est autre chose – autre chose que l’on veut m'apprendre. Parce que ça revient constamment comme pour me montrer quelque chose; mais il y a tant de travail et de gens que je n'ai pas le temps de m'arrêter et de me concentrer chaque fois pour voir ce que c'est; il faudrait saisir le point exact où la vision vient et où elle part, suivre les conditions de la conscience à ce moment-là. Je n'ai pas le temps.

C'est vraiment comme si l’on voulait me démontrer que la vision ne dépend pas de l’œil.

l’organe est en bon état, il n'a pas de lésion. Mais la vision n'est pas la même avec cet œil-là et celui-ci; avec celui-ci (droit), c'est seulement une vision d'ensemble, un peu floue; avec celui-là (gauche), c'est une vision précise, claire, mais il y a un tout petit point dans le coin, comme un point noir, qui fait que tout m'apparaît clair mais avec une tache dans le coin; et puis si je me concentre, je vois cette tache qui devient brillante et lumineuse, comme une étoile bleu foncé, et cette étoile se déplace devant moi (ça ne dépend pas de l’œil), elle se déplace, elle bouge, et si je fixe quelqu'un, par exemple, je vois cette étoile bleu foncé qui va se poser là ou là (geste à différents niveaux de la personne vue), exactement à l’endroit où il y a un travail à faire. C'est donc que cela ne dépend pas de l’œil, c'est indépendant de l’œil. Et puis si je regarde une photo, il y a une certaine position entre l’œil droit et l’œil gauche, où je vois tout d'un coup la photo qui devient vivante, avec les trois dimensions, et la tête de la personne qui sort. C'est comme cela que je peux voir le caractère. C'est vraiment curieux, c'est comme si l’on voulait m'apprendre à voir d'une autre façon.

On apprend sa leçon.

décembre




7 décembre 1966

(Mère tend au disciple une fleur appelée «Grâce», puis une deuxième «Grâce».)

Tu veux une seconde grâce?... Il n'y en a jamais trop!

Oh! l’autre jour, on m'a posé une question à propos du message du 24 novembre1 et Sri Aurobindo a répondu. C'était si intéressant! Tout d'un coup, j'ai vu quelque chose. Au moment où il parlait, c'était absolument merveilleux. Je voyais la Compassion et la Grâce, la «Loi» et la Compassion, et alors comment la Compassion agit pour tous – pour tout et tous, sans distinction et sans condition –, et que la Compassion consistait à les mettre dans l’état où ils pouvaient recevoir la Grâce.

J'ai trouvé cela merveilleux.

C'était l’expérience: je voyais, je sentais cette Compassion qui travaille à travers les mailles du filet, et que la Grâce est toute-puissante, c'est-à-dire que la «Loi» n'est plus un obstacle. Je voyais cette Compassion qui touchait tout le monde et donnait à tous la chance – j'ai compris ce qu'il voulait dire vraiment quand il disait qu'elle «donne à chacun sa chance»: également, absolument sans distinction de valeur ni d'importance, ni de condition, ni rien, ni d'état – à tous, exactement la même. Et alors, le résultat de cette Compassion, c'était de les éveiller à l’existence de la Grâce, de leur faire sentir qu'il y a dans l’univers quelque chose comme la Grâce. Et pour ceux qui aspirent et ont confiance, imédiatement la Grâce agit – elle agit toujours, mais ça devient pleinement efficace pour ceux qui ont confiance.

Tout cela, c'était tellement clair, tellement précis! C'était vraiment comme une nouvelle expérience, une révélation. Et combien Sri Aurobindo était l’expression de cette Compassion... On le voyait dans ses yeux, n'est-ce pas, ses yeux étaient pleins de Compassion. Mais j'ai compris ce qu'était vraiment cette Compassion (c'était dans l’après-midi de dimanche).

Et aussi, il avait écrit quelque part: «Il est bien rare que la Grâce se détourne de quelqu'un, mais il y en a beaucoup qui se détournent de la Grâce» – but men turn away from the Grace. Je ne me souviens plus des mots, mais je crois qu'il employait le mot crooked. Et ça aussi, c'était si vivant: ce n'était pas la Grâce qui retirait son action, pas du tout (la Grâce continue à agir), mais les gens étaient, oui, crooked, tordus...

Faussés?

«Faussés»?... On fausse une fois pour toutes, ce n'est pas cela. C'est que leur force et leur action, au lieu d'aller droit, directement, fait toutes sortes de replis, de circuits, de retours sur soi qui déforment toutes les vibrations, et que c'est leur propre manière d'être qui déforme (il me vient tout le temps le mot distort). C'est tordu au lieu d'être droit. Et alors la Grâce n'a plus d'effet; elle ne peut pas avoir d'effet.

À ce moment-là, c'était une image tout à fait vivante.


Peu après

Tu as fini ton livre?

(Le disciple, d'un ton dégoûté:) Oui.

Oh! Oh! c'est un oui sans force.

C'est samedi que tu me lis?

(le disciple fait la grimace)

Oh! ça aussi.

J'ai l’impression que ce n'est pas fameux.

Ça ne fait rien – tu as toujours l’impression que ce n'est pas fameux! Ça ne fait rien.

Douce Mère...

Tu as quelque chose à me dire?

Oui, c'est un problème qui m'a souvent tourmenté, que je me pose souvent Quand on écrit, est-ce que l’inspiration est simplement une chose globale comme une forme de lumière et on «tire» une certaine vibration générale, ou est-ce que tout existe déjà, et simplement ça vient – tout existe mot pour mot, exactement?

Je ne pense pas.

Je ne pense pas, parce qu'il n'y a pas de langage là-haut. Il n'y a pas de langage.

Oui, mais est-ce qu'il n'y a pas quelque chose qui corresponde exactement aux mots?

«Exactement»... Tu sais comme il y a toujours un flottement. Je dis cela parce que, tous les jours, et très souvent plusieurs fois par jour, je reçois quelque chose en «direct» (geste d'en haut), eh bien, au moment où je le reçois, si je l’écris tout de suite, ça a une certaine forme, et puis si je reste très-très silencieuse, très tranquille, souvent il y a un mot ou une forme qui sont changés; alors cela devient plus précis, plus exact, quelquefois plus harmonieux. Par conséquent, c'est quelque chose qui vient d'en haut et qui prend, dans le domaine mental, un vêtement.

Je n'entends pas de mots. Je reçois quelque chose et c'est direct et impératif toujours (et je sens bien que c'est là – geste en haut – quelque part par-là), mais par exemple, ça peut (presque simultanément, presque en même temps) s'exprimer en anglais et en français; et je suis convaincue que si je savais d'autres langues, si j'étais familière avec d'autres langues, ça pourrait s'exprimer en plusieurs langues. C'est la même chose que ce que l’on appelait dans le temps le «don des langues». Il y avait des prophètes qui parlaient, et chacun entendait dans la langue de son pays – lui, parlait une langue quelconque, mais chacun de ceux qui étaient là entendait dans la langue de son pays. J'ai eu cette expérience il y a très longtemps (je ne l’ai pas fait exprès, je n'en savais rien): dans une réunion «Bahaï», j'ai parlé, et il y avait des gens de différents pays qui sont venus me féliciter parce que je savais leur langue (que je ne savais pas du tout!): ils avaient entendu dans leur langue.

N'est-ce pas, ce qui vient, c'est quelque chose qui suscite – qui suscite des mots ou qui se revêt de mots. Et alors, cela dépend: ça peut susciter différents mots. Et c'est dans un magasin universel, pas nécessairement individuel; ce n'est pas nécessairement individuel puisque ça peut se revêtir de mots. Les langues sont des choses si étroites, et ça, c'est universel... Comment pourrait-on appeler cela?... Ce n'est pas l’«âme», mais c'est l’esprit de la chose (mais c'est plus concret que cela): c'est le POUVOIR de la chose; et à cause de la qualité du pouvoir, c'est la meilleure qualité de mots qui est attirée. C'est l’inspiration qui suscite les mots; ce n'est pas l’inspiré qui les trouve ou qui les adapte, ce n'est pas du tout cela: c'est l’inspiration qui SUSCITE les mots.

Mais je comprends ce que tu veux dire. Tu veux savoir si c'est quelque chose qui est tout fait, tout prêt et que l’on fait descendre tel que c'est... (Mère reste silencieuse). C'est dans un domaine très supérieur aux mots que cela existe. Par exemple, il m'est arrivée souvent de recevoir une chose comme cela (geste d'en haut), directe, puis je la traduis; ce n'est pas moi qui cherche (plus je suis silencieuse, plus ça devient puissant, concret – puissamment concret), mais souvent je vois comme venant de Sri Aurobindo, quelque chose qui met une correction, une précision (rarement une addition, ce n'est pas cela: c'est seulement dans la forme, c'est surtout dans le sens de la précision); la première expression est un peu floue, et alors ça précise. Et je ne cherche pas, je ne fais pas d'efforts, il n'y a aucune activité mentale: c'est toujours comme cela (geste uni, étal, au front), et c'est là-dedans (dans cette immobilité) que ça vient: tout d'un coup, ça vient, ploc! ploc! – Ah! je dis: «Tiens!» Et alors je note.

C'est mon expérience.

Je ne sais pas, il se peut que quelque part dans le domaine mental, il y ait quelque chose de tout préparé, mais alors il me semble que ce serait comme certaines de ces choses que Sri Aurobindo avait écrites («Yogic Sadhana»)2 où cela venait tout prêt, tel quel; il y avait même des choses qui n'étaient pas conformes à sa propre vue: ça venait d'une façon imperative. Mais je n'ai pas du tout cette expérience maintenant. Ou alors, ce serait comme ce qui m'est arrivé pour la musique l’autre jour: pendant deux ou trois minutes, je te l’ai dit, il y avait «quelqu'un» qui jouait. Ce devait être le même phénomène. Mais alors, c'est un sentiment tout à fait différent: on n'existe plus, on est à peine conscient de ce qui se passe. Et ce serait, pourrait-on dire, «incorrigible», c'est-à-dire que ça arriverait tout fait et tu ne pourrais rien y changer, ou alors ce ne serait plus ça, ce serait quelque chose que tu ferais activement. Dès que le mental devient actif, c'est fini. C'est fini. Ça peut venir de ton supraconscient, mais ça devient une chose tout à fait personnelle.

Mais cette inspiration, elle est du domaine tout en haut, celui qui est par-delà les individualisations. C'est justement quelque chose que nous avons de la difficulté à formuler, à expliquer. C'est complet, parfait en soi, mais ça n'a pas le caractère de notre formule mentale, du tout; ça n'a même pas le caractère de l’idée formulée. Et c'est tout à fait, tout à fait impératif. Mais alors, dès que ça touche la zone mentale, c'est comme si ça attirait les mots. Mon impression, c'est que plus je suis silencieuse, plus c'est précis, c'est-à-dire que plus le mental est inactif, plus c'est précis; par conséquent, c'est cela, c'est cette force qui descend, qui attire les mots. Ce ne sont même pas des idées (ça ne passe pas par l’idée): c'est une expérience, c'est quelque chose de vivant qui vient et qui se saisit de mots pour dire. Ce qui est arrivé dimanche, c'était comme cela: on m'a posé cette question sur la Grâce, puis j'ai été prise dans un silence concentré extrêmement fort pendant peut-être une minute (même pas), et c'est venu. Alors j'ai parlé. Et je me suis entendu parler. Mais là, c'était clairement à travers Sri Aurobindo.

Si c'était tout écrit, complètement prêt quelque part, tu ne pourrais rien changer; tu aurais le sentiment, quand c'est là, que c'est parfait en soi et que tu ne peux rien changer.

Ce serait bien!... Mon désespoir constant quand j'écris, c'est de n'être pas conforme à quelque chose qui devrait s'exprimer EN DEHORS DE MOI.

Mais alors, c'est ce que je t'ai dit, c'est cette inspiration directe. Parce que ça, ce qui vient de là-haut, si tu savais à quel point c'est impératif! Toutes les pensées semblent neutres, impuissantes...

Oui.

... partielles, maigres. C'est cela, l’impression que ça donne.

Quand les mots viennent tout à fait spontanément, c'est bien, mais... C'est un phénomène bizarre: quelquefois, il y a seulement l’expérience pure – comment elle est? on ne peut pas la formuler; pour la formuler, on est imédiatement obligé d'utiliser des mots, et les mots diminuent. Mais au moment de l’expérience, je me souviens, je parlais et je n'entendais presque pas ce que je disais, mais j'avais l’expérience (l’expérience était merveilleusement claire, puissante, immense, n'est-ce pas, universelle), puis je me suis écouté parler, et alors j'ai vu déjà ce rétrécissement. Puis j'ai commencé à sentir l’autre esprit qui faisait des efforts formidables pour essayer de comprendre (!), alors, de nouveau, j'ai rétréci un peu: j'ai été obligée de rétrécir pour me faire comprendre. Et j'ai suivi toutes ces périodes de rétrécissements successifs. Mais à ce moment-là, la parole était très puissante: c'était tout à fait le style et la façon de parler de Sri Aurobindo, et c'était très puissant. Maintenant, ce n'est plus qu'une vague impression, comme un souvenir. Mais ça, on a toujours – toujours, dans tous les cas, même dans les meilleures conditions, même dans un cas comme celui-là où la formule est donnée par Sri Aurobindo –, l’impression d'un rétrécissement. Un rétrécissement en ce sens qu'il y a beaucoup qui échappe; c'est un peu durci, amoindri, diminué, mais il y a aussi comme des subtilités qui échappent – qui échappent, qui s'évaporent, qui sont trop subtiles pour être concrétisées dans des mots. Et ça, si on avait la volonté d'une expression parfaite, ce serait très décevant. Ça, je comprends; si tu veux que ton livre soit au maximum de sa perfection, c'est impossible. C'est impossible à réaliser, on sent la différence avec ce qui est là-haut, c'est très décevant.

Je suis constamment déçu.

(Mère rit) Oui, ça ne m'étonne pas!

Je n'ai pas une seconde de satisfaction.

Même quand tu sens «la chose» qui vient?

Oh! là, c'est très bien, je n'ai qu'à rester là-haut, je suis heureux là-haut.

(Mère rit) Ah! bon. Ah! c'est ça!

Là-haut, je resterais toujours.

Mais dans ce que j'ai lu de toi (je mets à part le livre sur Sri Aurobindo parce que c'était un cas très spécial: tous les gens sensibles ont été mis instantanément en relation avec Sri Aurobindo; ça, c'était un cas très spécial), mais datas ton premier livre que j'ai lu («l’Orpailleur»), j'ai senti que ça venait d'en haut; je sens ça; seulement, naturellement, ce serait illisible: c'est concrétisé, matérialisé. Mais si l’on a soi-même la relation avec ce plan d'en haut, on doit le sentir dans ce qui est écrit: il y a beaucoup de gens qui sentent un «quelque chose» qui traverse tout cela. C'est pour cela que je veux que tu me lises ton nouveau livre, pour voir si c'est «ça»... N'est-ce pas, je suis comme ça (geste au front, indiquant l’immobilité étale), c'est devenu un état constant: un écran. Un écran: pour tout-tout. Et vraiment, il n'y a rien qui vienne du dedans: c'est ou comme ça (geste horizontal autour de Mère) ou comme ça (geste d'en haut); horizontalement du dehors, et la réponse là-haut. Ici (geste au niveau du cœur émotif), c'est une chose tellement neutre que c'en est inexistant; et ici (geste au front), c'est étal, uni, immobile. Alors si je m'arrête (geste tourné vers le haut), tout de suite, instantanément, ça vient par vagues: une lumière continue qui vient et qui passe, qui vient et qui passe, qui vient... (geste de circulation à travers Mère comme à travers un poste récepteur-émetteur). Quand on me lit quelque chose, que les gens me posent des questions, que l’on me raconte une affaire quelconque, c'est toujours comme cela (un écran), et alors c'est très intéressant parce que quand ce sont des questions qui ne méritent pas de réponse ou quand ce sont des affaires dans lesquelles je n'ai pas à intervenir, ou enfin tout ce qui peut se traduire par: «Ça ne me regarde pas, ce n'est pas mon affaire», alors c'est absolument le blank: absolument vide, neutre, sans réponse. Je suis obligée de dire qu'il n'y a pas de réponse (si je disais vraiment, je dirais: «Je n'entends rien, je ne comprends pas»). Donc, c'est absolument immobile et neutre, et si ça reste comme cela, c'est qu'il n'y a rien, je n'ai rien à voir là. Autrement, quand il y a une réponse... il n'y a même pas de temps qui s'écoule, il ne se passe presque pas de temps: c'est comme si la réponse venait en même temps que l’on me parle; et imédiatement je prends le papier, la lettre, et je réponds. C'est automatique. Tout le travail se fait comme cela. Il n'y a rien ici (geste au front).

Évidemment, il faut en prendre son parti. Le monde est dans un état d'imperfection considérable, alors tout ce qui se manifeste dans le monde participe de cette imperfection – qu'est-ce que l’on y peut?... La seule chose que l’on puisse faire, c'est d'essayer de transformer lentement – mais ça, c'est lent-lent-lent, continu: transformer ce corps.

Et comme Sri Aurobindo l’a très bien dit (je comprends très bien ce qu'il veut dire), il se passe des miracles, mais ils sont momentanés; c'est-à-dire que pendant l’espace de quelques minutes, parfois de quelques heures (mais c'est rare), les choses sont toutes différentes. Mais elles ne restent pas – ça ne reste pas, ça reprend le vieux mouvement. Parce qu'il faut que TOUT soit arrivé à un certain degré (je suppose), à un certain degré de réceptivité, de préparation à la réceptivité, pour que «ça» puisse s'établir; autrement, le vieux mouvement, la vieille loi continuent.

Je vois cela pour les cellules du corps: il y a des moments, pendant quelques secondes ou quelques minutes (au plus quelques heures, mais pas pour les choses physiques; pour les choses physiques, ce sont toujours des secondes et des minutes), tout d'un coup, une sorte de perfection se manifeste – et puis ça disparaît. Et on voit très bien que ça ne peut pas rester parce qu'il y a une invasion continue de tout ce qui est autour, qui est imparfait. Et alors, c'est englouti. Comme le premier jour quand les forces supramentales sont descendues [en 1956]; je les voyais descendre, n'est-ce pas, et je voyais ces grandes volutes des forces de la terre: brrf! brrf! (geste de soulèvement et d'engloutissement) et puis c'était avalé. Ça descendait en masses formidables, mais ces volutes étaient encore plus formidables, et elles venaient, brrf! et elles avalaient et Ça disparaissait.

C'est resté encore comme cela.

C'est toujours là. C'est là et Ça travaille, mais... les vibrations opposées sont encore trop puissantes et en quantité trop considérable pour que Ça ne disparaisse pas dans la masse. Mais du dedans, Ça travaille, Ça travaille...

Et c'est comme cela pour le corps: pendant quelques secondes, au plus quelques minutes, tout d'un coup le corps se sent dans un état de puissance irrésistible, de joie indicible, de luminosité sans obscurité – c'est une merveille, n'est-ce pas. Ah! on dit: «Ça y est!» Et puis ça disparaît. Juste le temps de s'en apercevoir. C'est-à-dire que ça vient pour vous montrer: c'est comme ça, ce sera comme ça.

Oui, mais quand ce sera comme ça, on s'en apercevra!

Mais cette fixité, comment va-t-elle se changer en une plasticité suffisante pour exprimer ce qui est dedans?... Sri Aurobindo avait dit trois cents ans – ça me paraît très court. Il y a des millénaires d'habitudes! C'est fixe, dur, sec, mince.

Et naturellement, c'est la même chose dans le Mental, mais beaucoup moins. Heureusement là, c'est un peu plus fluide... Mais tu sais, ces choses que je reçois d'en haut et que je note, quand, moi, je les reçois et que je les note, c'est d'une luminosité intense et d'un pouvoir de conviction extraordinaire; je note, puis je passe ça aux gens (et aux gens qui sont censément capables de comprendre), et alors eux, me le redisent (leur réaction intérieure revient à Mère) et mon petit! ça devient... (riant) comme l’écorce d'un vieil arbre à moitié mort!

C'est comme cela.

Alors on a vraiment l’impression: est-ce qu'il est temps de dire les choses? À quoi ça sert?... Ils croient avoir compris – non seulement ils croient avoir compris mais ils sont enthousiastes, ce qui veut dire que ça leur a fait faire un progrès – alors où étaient-ils avant!? Et ce n'est rien; ce qu'ils ont compris n'est rien, c'est devenu la caricature de la chose.

Et je me rends compte que les mots en eux-mêmes ne sont rien; il y avait là une puissance... une puissance que les mots ne sont pas capables de contenir! Par conséquent, à moins que l’on ne reçoive directement, on ne reçoit rien. On reçoit, oui, comme une pelure d'oignon.

(silence)

Au fond, quand on sera au bout (au «bout» qui est un commencement d'autre chose), au bout de ce travail de transformation, quand vraiment ce sera la transformation, que l’on sera établi, peut-être que l’on se souviendra, peut-être aura-t-on un plaisir spécial à se souvenir d'avoir passé à travers ça?... On a toujours dit dans les «sphères supérieures», que ceux qui ont le courage de venir pour la préparation, quand ce sera fait, ils auront un bagage supérieur et d'une qualité plus intime et plus profonde que ceux qui auront tranquillement attendu que les autres fassent le travail pour eux.

C'est possible.

En tout cas, du point de vue extérieur, à cause de l’immensité de travail à faire, ça a l’air d'une tâche très ingrate. Mais c'est seulement une vision purement superficielle. Il y a des vagues comme cela qui viennent à moi, du monde, de toute une classe de la manifestation, qui dit: «Ah! non, je ne veux pas m'occuper de ça, je veux simplement vivre tranquille aussi bien que je peux. On verra quand le monde sera transformé; là, il sera temps de s'en occuper.» Et c'est parmi les classes les plus développées et les plus intellectuelles, ils sont comme cela: «Oh! c'est bien, quand ce sera fait, on verra.» C'est-à-dire qu'ils n'ont pas l’esprit de sacrifice. C'est ce que dit Sri Aurobindo (tout le temps, je tombe sur des citations de Sri Aurobindo), il dit que pour faire l’Œuvre, il faut avoir l’esprit de sacrifice.

Seulement, il est vrai que, par exemple, ces quelques secondes (qui me viennent de temps en temps et d'une façon de plus en plus répétée), ces quelques secondes, si on les regarde calmement, eh bien, ça vaut la peine de beaucoup d'efforts. Ça mérite bien des années de lutte et d'effort pour avoir ça, parce que ça... Ça, c'est au-delà de tout ce qui est perceptible, compréhensible, même possible pour la vie telle qu'elle est maintenant. C'est... c'est inimaginable.

Et il y a là vraiment une grâce: c'est que ça vous maintient dans un certain état qui fait que la vie telle qu'elle est, les choses telles qu'elles sont, ne vous paraissent pas pires après ces quelques secondes. Il n'y a pas, après, cette espèce d'horreur de retomber dans un gouffre: il n'y a pas ça, on n'a pas ce sentiment. Le souvenir est seulement d'une espèce d'éblouissement.

14 décembre 1966

...Le seize, vendredi, je vois quatre-vingt-cinq personnes!... C'est miraculeux de ne pas être complètement abrutie.

Oui, tu as une vie impossible.

Oh! jour et nuit.

Je ne résisterais pas une minute à ta vie.

(Mère rit) Le matin, à partir de huit heures, cet endroit est effroyable. Et ils ne sont pas contents! Il en faudrait davantage.

Même humainement, ce n'est pas possible.

Ah! je garantis qu'humainement, c'est impossible. Je sais ce que c'est, il faut que tout le temps je... disparaisse dans le Suprême. Autrement, ce n'est pas possible. Tout le temps, tout le temps, toute la personnalité physique s'en va comme ça (geste vers le haut) pour que ce soit Lui seul qui soit là. Autrement, je ne tiendrais pas.

Heureusement, ils viennent pour recevoir (ceux que Mère recevra demain), alors ça diminue un peu le... (souriant) le don gracieux de toutes leurs difficultés (mais ils en laissent suffisamment!). Ils viennent avec l’idée de recevoir de la force, alors naturellement je suis en activité (geste de lien entre le haut et le bas), et ça, c'est mieux, beaucoup mieux. Ceux qui viennent vraiment avec l’idée qu'ils vont recevoir, qu'ils vont être fortifiés, ça rend le travail plus facile.

17 décembre 1966

Il y a un enfant de l’École qui m'a demandé: «Comment les mathématiques, l’Histoire ou les sciences peuvent-elles m'aider à te trouver?»

J'ai trouvé cela très amusant!

J'ai répondu:

Elles peuvent aider de plusieurs manières:

(1) Pour être capable de recevoir et de supporter la lumière de la Vérité, le mental doit être fortifié, élargi et assoupli. Ces études sont un très bon moyen d'y parvenir.

(2) Les sciences, si vous les étudiez assez profondément, vous apprendront l’irréalité des apparences et vous conduiront ainsi à la réalité spirituelle.

(3) l’étude de tous les aspects et les mouvements de la Nature physique vous mettra en contact avec la Mère universelle, et ainsi vous serez plus proche de moi.

Je me souviens encore de l’impression que j'ai eue quand j'étais toute petite et que l’on m'a dit que tout était «des atomes» (c'était comme cela que l’on disait à ce moment-là). On m'a dit: «Tu vois cette table? Tu crois que c'est une table, que c'est solide et c'est du bois: ce sont seulement des atomes qui bougent.» Je me souviens que la première fois que l’on m'a dit cela, il y a eu une espèce de révolution dans ma tête, et alors le sentiment de l’irréalité complète de toutes les apparences. Tout d'un coup, j'ai dit: «Mais alors, si c'est comme ça, rien n'est vrai!» Et je ne devais pas avoir plus de quatorze ou quinze ans.

Sa question m'a fait souvenir de cela. Je me suis dit: ça vous ouvre la porte à une autre réalité.


(Peu après, il s'agit d'un garçon de l’école qui s'est noyé au cours d'un pique-nique organisé par le groupe de son âge.)

J'ai reçu le cahier de V.1 Il m'a dit (plutôt brutalement, bluntly comme on dit en anglais): «Quand j'ai appris que B s'était noyé, ça ne m'a ni troublé ni affecté; j'ai simplement pensé que ce n'était pas vrai.» Et pourquoi? «Parce que tu savais (c'est ce qu'il m'écrit, à moi), tu savais que nous étions tous partis en pique-nique, par conséquent il ne pouvait rien arriver.» (Mère rit) J'ai trouvé ça délicieux – délicieux d’impertinence!2

Mais c'est gentil aussi!

Oui, mais l’accident est arrivé.

Alors je lui ai dit... Parce que j'ai regardé; j'ai tout de suite regardé sous CET angle... Moi, je vois les choses très différemment, jamais de cette façon-là. Je suis toujours étonnée de la façon dont les gens voient les choses. Pour moi, c'est tout à fait différent, c'est... c'est la Vibration du Seigneur qui se cristallise. Voilà tout. Et pour tout-tout-tout tout le temps. Par conséquent, il n'y a pas de «pourquoi», «comment» – c'est très simple, c'est d'une simplicité élémentaire. Mais ça, je ne pouvais pas le lui dire, il n'aurait pas compris. Alors j'ai regardé à son point de vue, et tout d'un coup j'ai vu; j'ai dit: «Oui, comment se fait-il que ce soit arrivé?» (Mère rit) Alors je lui ai répondu (je ne me souviens plus de mes mots, mais en substance): la protection agit sur le groupe tout entier quand il fonctionne d'une façon coordonnée et disciplinée, mais s'il y a des individus qui ont une action indépendante du groupe, ils retombent, eux, dans leur propre déterminisme, c'est-à-dire que la protection agit en fonction de leur foi personnelle, pas du tout comme une chose collective: suivant leur état et leur foi personnels, la protection agit plus ou moins.

Et j'ai vu que c'était clairement cela. J'ai vu comment cela s'était passé (parce que sa question m'a fait regarder, alors j'ai vu). Il y a une chose intéressante, c'est que l’initiative mentale de la traversée de cet étang est de P et d'un autre – par conséquent, humainement, ce sont eux les «responsables» (mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas comme cela!), mais enfin ils étaient en dehors du groupe, c'était une action qui n'avait rien à voir avec le groupe, et ils ont fait cela parce que, à une heure précise, ils devaient rejoindre le groupe et ils étaient en retard. Par conséquent, c'était nettement une excroissance individuelle. Mais pour faire le tour de l’étang, il aurait fallu trois heures, et il restait à peine deux heures pour que la nuit tombe, et c'était la jungle, ils n'avaient aucune lumière, rien. C'était une autre impossibilité. Alors, dans sa raison, dans son bon sens humain, il a dit: «Le mieux est de traverser.» Mais il n'avait pas prévu (c'est là où est l’inconscience) que l’eau était glacée.

(Sujata:) Mais P avait déjà traversé l’eau une fois, parce qu'il n'était pas avec le groupe accidenté: on l’a appelé du camp, il est venu et il a traversé cette eau, et c'est au retour que l’accident est arrivé. Les autres étaient de l’autre côté.

Il a traversé deux fois, tu es sûre?

Oui, on l’a appelé; il avait déjà traversé l’eau pour aller à leur rencontre.

C'était la seconde fois... Alors c'était encore plus imprudent que je ne pensais! Il a failli y rester. Parce que, moi, je l’ai vu, je le savais avant d'avoir la nouvelle: tout d'un coup, j'ai senti un grand danger. Seulement, P a eu la foi et lui, il a passé, et l’autre y est resté.

C'était tout à fait imprudent parce que, ici, le corps n'est pas habitué à l’eau froide et quand on est dans de l’eau trop froide, on a des crampes.

Mais P a été suffisamment protégé pour échapper et être sauvé, tandis que l’autre y est resté.

(Sujaia:) I l paraît que les trois garçons t'appelaient (ils étaient quatre, n'est-ce pas), les trois t'appelaient et celui qui s'est noyé appelait seulement P pour qu'il vienne l’aider. Mais les trois autres se souvenaient très fort de toi.

Je le sais bien! Ça, je le sais toujours! On n'a pas besoin de me le dire, je sais. Et je savais que ce garçon-là n'avait pas appelé: il ne sentait pas que ça pouvait l’aider.

Ce n'est même pas une question mentale: il faut SENTIR là (geste au cœur), être convaincu que c'est vraiment actif (la présence de Mère), que c'est une chose réelle, que «ça» protège vraiment. Pas seulement une «pensée comme ça», métaphysique: un sentiment. Cela, il ne l’avait pas.

S'il était resté dans le groupe, il aurait participé à la protection du groupe. Une fois qu'il avait une activité individuelle séparée, tout dépendait de son état intérieur – ça, il faudrait qu'ils le comprennent tous.


(Peu après, à propos des inondations de Florence. Cette conversation a été notée de mémoire.)

J'ai vu des photographies des inondations de Florence... Il paraît que le courant allait à soixante-dix kilomètres à l’heure! Les voitures étaient emportées et précipitées contre les maisons. On dit que c'était un raz de marée... pourtant le courant allait vers la mer (c'était peut-être le reflux?). En tout cas, c'est très mystérieux.

Il y avait de l’eau à hauteur d'homme; tous les palais, les musées ont été inondés, et il paraît que c'était plein de cambouis. Alors les étudiants travaillent maintenant à gratter, nettoyer. On essaie de faire sécher les manuscrits. Mais il y a beaucoup de choses qui sont définitivement perdues.

Ça, c'était l’une des prophéties au début du siècle: que l’Italie et l’Angleterre iraient sous l’eau.

C'est peut-être le commencement.

Une prophétie de qui?

De moi.

Mais ce qui est étrange, c'est que Florence et Naples ont été touchés, et pas Rome qui est entre les deux...

Mais pourquoi l’Italie? Si c'était seulement l’Angleterre, je n'y verrais aucune objection, mais l’Italie?

C'était à cause de Mussolini.

Mais il est mort.

Peut-être la mort de Mussolini aura-t-elle atténué les choses. Mais ce n'est pas par «punition»: il n'y a pas de punition, pas de «faute» – pas l’ombre d'une «faute», jamais, nulle part! C'est seulement une question de vibrations.

Alors, pourquoi pas Rome?

Oh! ils ne perdent rien pour attendre.

Naturellement, ils se gonflent d'orgueil: «Dieu» les a protégés...

20 décembre 1966

(Lettre de Satprem à Mère)

Douce Mère,

Je viens te demander une grâce. Tu sais, tu vois. Je voudrais que tu me dises la vérité au sujet de ce livre: fait-il partie des choses qui doivent être? ou est-ce un effort du petit individu écrivain? J'ai relu ce matin le premier long chapitre et il est illisible – il faudrait le refaire complètement. Je me demande si ce n'est pas la même chose pour les autres chapitres? Si tu voulais, en grâce, me dire exactement ce qui doit être, si je dois poursuivre mon effort pour faire du mieux possible et recommencer ce qui est à recommencer, ou si je dois abandonner tout.

J'ai un peu de peine, naturellement, parce que j'ai essayé d'écrire avec le meilleur de mon âme, mais je ne suis pas attaché et je suis prêt à faire l’offrande de cet échec à tes pieds, avec la certitude que tout est bien fait, même si je ne vois pas encore le dessein du Seigneur. Je voudrais seulement que tu me dises ce qu'il en est de ce livre dans la vérité profonde – s'il doit être, je suis prêt à faire l’effort et patiemment corriger ou refaire ce qui est à refaire. Mais doit-il être? Mère, Ça seul existe. Ça me console de tout.

Avec amour, je suis ton enfant – oui, tu existes, alors tout le reste est accessoire.

Signé: Satprem


(Réponse de Mère)

Je suis sûre que le livre DOIT ÊTRE ÉCRIT.

Mais, pour être tout à fait franche, dès le début et tout le temps, j'ai eu l’impression que de l’écrire, était pour toi une sorte de «sadhana» pour te débarrasser définitivement de toute une manière d'être, de penser et d'écrire qui appartenait au passé et ne cadrait plus avec ton état de conscience présent.

Dans les quelques pages que tu m'as lues (excepté peut-être la description du rêve), je voyais clairement cette lutte entre l’état passé et l’état présent.

De corriger ce livre, sera encore la suite de cette «sadhana», mais vu sous cet angle, le labeur sera moins pénible et beaucoup plus intéressant.

Je pensais te répondre demain matin, mais je t'envoie ceci imédiatement pour que tu puisses regarder le problème et me demander demain d'autres questions si tu en as encore à poser.

Avec amour et bénédictions,

Signé: Mère

21 décembre 1966

(Mère commence pur lire son «message» pour l’année 1967:)

Men, countries, continents!
The choice is imperative:
Truth or the abyss.

[Hommes, nations, continents!
Le choix est impératif:
c'est la Vérité ou l’abîme.]


Tu n'as rien à me dire?

Je me suis demandé comment une expression fausse (parce que c'est faux, je sens que toute cette expression est fausse), comment est-ce que cela peut valoir de sauver cette expression fausse? Est-ce la peine de corriger, faire tout ce travail, puisque je sens que cette expression n'est pas la vraie expression? Ça peut être utile quand même?

Le problème n'est pas comme cela.

Tu as dû certainement observer deux choses: d'abord, des différences de condition pendant que tu écrivais, et aussi une différence de «pression» entre les choses qui voulaient que tu les écrives. Quand tu écrivais, tu as dû noter ces différences?

Oui, sûrement

C'est cela. Et alors, une fois que c'est objectivé sur le papier, tu peux te rendre compte de la relation entre la pression que tu recevais et les choses que tu as écrites, qui ont des qualités différentes. Par exemple, quand tu m'as lu ces quelques pages, pour certaines choses, je voyais la Lumière derrière; pour d'autres, c'était comme une origine ou une volonté horizontale (geste horizontal au niveau du front), et c'était très joli, c'était très bien (n'est-ce pas, je ne me place pas du tout au point de vue littéraire ni même au point de vue de la beauté de la forme, ce n'est pas cela). C'est la qualité de la vibration dans ce qui est écrit. Et quand tu me lisais, je sentais les deux origines, et je sentais une espèce de conflit entre ce qui venait comme ça (geste d'en haut) et ce qui venait comme ça par habitude (geste horizontal, au front): c'était surtout une vieille habitude, quelque chose qui venait du passé et qui était dans un domaine mental, artistique, littéraire (ce qui aime la forme, ce qui aime certaines émotions, certaines expressions, tout cela), et tout cela formait tout un monde horizontal qui faisait une pression pour s'exprimer: beaucoup par habitude, mais aussi avec une sorte de volonté d'être, de volonté de continuer. l’autre, c'était une Lumière qui tombait et qui s'exprimait tout naturellement – spontanément, sans effort, et SANS SOUCI DE LA FORME EXTÉRIEURE. Et c'était beaucoup plus direct dans son expression. Seulement, n'est-ce pas, ce n'est pas nettement tranché et facile à dire: «Oh! ceci vient comme cela (geste à un certain niveau), oh! cela vient comme cela (geste à un autre niveau).» Mais il y a un mouvement qui est en dessus et l’autre qui est en dessous.

Alors je pense que la «sadhana» consisterait à faire le tri, ou plutôt à développer une sensibilité telle que les différences deviendraient claires, tout à fait perceptibles, et alors ce n'est plus le mental qui aurait à choisir, à dire: «Ceci va; cela ne va pas», ce serait spontanément l’adhésion à ce qui revêt cette lumière d'en haut et le rejet de ce qui ne la revêt pas. Et la sadhana consisterait à développer cette sensibilité en se séparant de l’ancien mouvement, en mettant hors de soi le vieux mouvement.

Je comprends très bien, ta lettre a été une grâce pour moi en ce sens que j'ai vu clair. J'ai vraiment vu clair. Seulement, c'est tout le livre qui me semble... inadéquat.

Oui, je crois que c'est tout le livre qui est comme cela. Je ne sais pas, parce que tu ne m'as pas tout lu, mais dans ce que tu m'as lu, même, par exemple, dans cette notation de rêve, même là, de temps en temps, je sentais l’intrusion de la vieille habitude.

Mais alors, est-ce que ça vaut la peine de sauver tout cela? Il faudrait recréer le livre.

Tu veux dire qu'il vaudrait mieux en réécrire un autre?

Oui.

Je te l’ai dit: «Le livre DOIT être écrit», mais ce n'est pas forcément celui qui est écrit: c'est celui qui est à écrire! (Mère rit) Tu comprends, il y a une différence pour moi. Il y a «quelque part» quelque chose qui DOIT être dit, et ce quelque chose est très utile: je vois pour les gens, par exemple, qui ont pris confiance en toi à cause du livre sur Sri Aurobindo, ils te liront avec une ouverture d'esprit et si, à ce moment-là, tu leur donnes une espèce de sensation de l’expérience, ça les aidera beaucoup. C'est en cela que je dis que ce livre est utile. Mais pour toi, personnellement, si tu aimes mieux le réécrire tout à fait plutôt que de le corriger, cela n'a pas d'importance... Seulement, pour que tu puisses le réécrire sans retomber dans l’état ancien, il faut que tu aies la conscience décisive de la différence de condition. Admets que tu dises: «Je vais réécrire le livre» et puis que, dès que tu te mets à écrire, le même conflit se reproduise, ce serait inutile... C'est quelque chose qui doit se passer dans le mental là, et c'est là qu'il faut que tu deviennes tout à fait conscient des vibrations.

Je vois assez bien tout ce qu'il faut supprimer... Mais ça fait beaucoup de choses à supprimer!

Tu vois clairement.

Oui, mais j'ai l’impression que c'est presque tout qu'il faut supprimer. C'est toute une manière de dire...

Ah! c'est surtout une manière – c'est une manière de sentir, une manière de penser.

Mais du point de vue de la forme extérieure, reste à savoir ce qui est le plus facile: se servir du texte déjà écrit ou bien tout recommencer. Tout recommencer... N'est-ce pas, à moins que tu ne sois le maître de ton activité...

Oui, je vais retomber dans le même conflit.

Ce n'est pas la peine.

Eh bien, je vais corriger.

Oui, je crois qu'il vaut mieux corriger. Ce n'est peut-être pas très amusant, mais c'est très utile au point de vue de la discipline mentale.

Vraiment, je sens comme une grâce ta lettre parce que, moi, je ficherais tout en l’air.

Non!

Tu m'as fait voir combien c'était faux.

Ce n'est pas détruire qu'il faut, c'est te rendre le maître de l’expression de ton inspiration. Il faut que tu sois le maître, c'est-à-dire que tu ne reçoives pas la chose «comme ça vient» et que tu ne l’écrives pas «comme ça vient». Tu reçois l’inspiration et tu es conscient du phénomène de l’expression. Alors ce sera parfait.

J'avais l’habitude d'être sans mouvement et de laisser couler les choses.

Oui, mais ton mental est actif – le mental est actif. N'est-ce pas, Sri Aurobindo pouvait le faire parce que son mental n'existait plus; il était tout à fait, tout à fait immobile et ça traversait comme à travers un air pur. Mais ton mental... Justement, c'est cela, la discipline à faire, parce que ton mental a l’habitude de se remettre en activité. C'est bien que ce qui vient d'en haut passe comme cela, mais à condition que le mental soit tout à fait immobile. Au fond, pour dire les choses d'une autre façon: c'est pour apprendre à tenir ton mental immobile, et tout de même à écrire.

24 décembre 1966

(À propos des élèves de l’École:)

De tous les côtés, ils posent la question, tout le monde est comme cela: qu'est-ce que c'est que la Vérité? qu'est-ce que vous voulez dire quand vous parlez de la Vérité?

Ils veulent une définition mentale de la Vérité...

La Vérité ne peut pas s'exprimer en termes du mental. C'est cela. Et toutes les questions posées sont des questions mentales.

La Vérité ne se formule pas, elle ne se définit pas, mais elle se VIT.

Et celui qui est entièrement consacré à la Vérité, qui veut vivre la Vérité, servir la Vérité, saura À CHAQUE MINUTE ce qu'il faut qu'il fasse: ce serait une espèce d'intuition ou de révélation (le plus souvent sans mots, mais quelquefois aussi exprimée en mots) qui ferait savoir à chaque minute quelle est la vérité de cette minute. Et c'est cela qui est si intéressant... Ils veulent savoir «la Vérité» comme une chose bien définie, bien classée, bien établie; et puis là, on est bien tranquille, il n'y a plus besoin de chercher! On adopte ça, on dit: «Ça, c'est la Vérité», et puis c'est fixé – c'est ce qu'ont fait toutes les religions, elles ont établi leur vérité comme un dogme. Mais ce n'est plus la Vérité.

La Vérité est une chose vivante, mouvante, qui s'exprime à chaque seconde et qui est UNE façon d'approcher le Suprême. Chacun a sa façon d'approcher le Suprême. Il y a peut-être ceux qui peuvent l’approcher de tous les côtés à la fois, mais il y a ceux qui approchent par l’Amour, ceux qui approchent par le Pouvoir, ceux qui approchent par la Conscience, et ceux qui approchent par la Vérité. Mais chacun de ces aspects est aussi absolu, impératif et indéfinissable que le Seigneur suprême l’est lui-même. Le Seigneur suprême est absolu, impératif et indéfinissable, insaisissable dans son entier, et ses attributs ont cette même qualité.

Une fois que l’on sait cela, celui qui se met au service de l’un de ces aspects saura (ça se traduit dans la vie, dans le Temps, le mouvement dans le temps), il saura à chaque moment ce qu'est la Vérité – ça, c'est très intéressant –, ou il saura à chaque minute ce qu'est la Conscience, ou il saura à chaque minute ce qu'est le Pouvoir, ou il saura à chaque minute ce qu'est l’Amour. Et c'est un Pouvoir, un Amour, une Conscience, une Vérité multiformes qui s'expriment innombrablement dans la manifestation, de même que le Seigneur s'exprime innombrablement dans la manifestation.

28 décembre 1966

À propos d'une disciple malade:

Elle part à Hong Kong pour trois mois.

Trois mois!

«Ordre du docteur».

Mais ce n'est pas Hong Kong qui va la remettre!

Le docteur a dit bien pire que cela, il a dit: «Si elle retourne à Pondichéry avant de passer au moins deux mois dans un climat frais (et Hong Kong n'est pas frais!), elle sera incurablement malade, son foie ne guérira jamais.» Alors, devant une suggestion pareille, j'ai dit: «Je ne prends pas de responsabilité: va guérir ta suggestion à Hong Kong»!

Ils sont terribles.

Et ils ont dit qu'elle était mourante et qu'ils l’ont «sauvée», mais qu'elle redeviendrait mourante si elle revenait ici... On m'a écrit tout cela (c'est le mari qui m'a écrit; elle, elle se préparait à revenir). J'ai dit: «Je ne veux pas, je ne prends pas cette responsabilité, la suggestion est trop forte, il faut aller guérir la suggestion à Hong Kong.»

Il faut se guérir de la suggestion.

Oui, c'est cela! (Mère rit)

31 décembre 1966

Mère donne une rose rouge au disciple:

La rose rouge, c'est l’ordre des «chevaliers de la Vérité». Tu ne sais pas ça?... J'avais commencé à situer cela quand le colonel Répiton était venu ici, celui qui avait fait la marche d'Afrique durant la guerre. Je lui donnais tous les matins une rose rouge, et avec lui j'avais institué cela. Et depuis, à tous les hommes, quand je leur donne une rose (je leur donne une rose rouge), c'est pour être chevalier de la Vérité.

Mais je ne le dis pas.


(Peu après, le disciple propose à Mère de faire lui-même certaine traduction afin de lui gagner du temps. Mère refuse en souriant et veut faire elle-même la traduction:)

Si j'écoute, Sri Aurobindo me le dira, alors ce sera mieux!

Tout d'un coup, il me dit ce qu'il faut écrire – c'est si clair! si clair, si évident. Quelquefois même, il y a un mot que je n'entends pas bien; je lui dis: «Quoi?», comme ça, et il le répète!

Je crois que c'est pour cela que je deviens sourde! c'est que j'écoute tout comme cela (geste tourné vers le haut), tout le temps. Alors je n'écoute pas assez ici.

C'est la même chose pour les yeux... J'ai commencé à voir des choses avec les yeux ouverts, et alors!... l’état des gens, leurs pensées, mais surtout l’état de leur vital (parce que c'est une vision du physique, un physique très subtil, très vitalise, et c'est une représentation imagée des choses), et leur état se traduit... si tu savais (Mère rit) ce qu'on peut voir!... Une quantité innombrable de formes, de visages, d'expressions; on dirait l’album de l’humoriste le plus fin que l’on puisse imaginer. C'est extraordinaire d'humour et de finesse de perception et du sens du ridicule des gens. Et puis tout d'un coup, au milieu de tout cela, une belle forme, une belle image, une belle expression; quelque chose de si beau, de si pur, de si merveilleusement noble! Et ça tourne tout autour et tout le temps. C'est vraiment très amusant.

Je m'étais toujours plainte que c'était un domaine où je ne voyais pas. Je voyais surtout (dans le temps), je voyais surtout mentalement – des visions mentales –, et puis naturellement, je voyais tout là-haut (mais ça, c'était organisé), et vitalement un peu, surtout la nuit, mais enfin... La vision était très développée, très claire, très précise, mais physiquement («physiquement», c'est-à-dire dans le physique subtil et physiquement), je n'avais jamais vu avec les yeux ouverts: je voyais toujours la réalité brutale telle qu'elle est, jamais rien d'autre, et je m'en étais toujours plainte. Et puis c'est venu tout d'un coup; un jour, j'ai commencé à voir, et alors!... (Mère rit) Maintenant, je suis obligée de calmer ça parce que (riant) c'est trop. Mais c'est incroyable – c'est incroyable comme l’air est plein de formes, mais de formes tellement expressives! C'est comme si, oui, un humoriste, un caricaturiste même, faisait tout le temps la représentation subtile de ce qui se passe matériellement.

Et je crois que quand les gens ont ce que la science médicale appelle des «hallucinations», quand ils ont la fièvre, par exemple, c'est cela qu'ils voient. Mais ça, je le savais parce que j'ai eu une fois une fièvre tellement forte que j'étais dans l’état où, selon les docteurs, on «déménage». Et alors j'ai vu (la vision matérielle), la vision de tous les êtres hostiles qui se précipitaient sur moi pour m'attaquer de tous les côtés – c'était effroyable! N'est-ce pas, c'est le support de la conscience matérielle qui n'est plus là, on est tout entier dans ça, dans cette vision-là, alors c'est pour cela que les gens ont peur généralement et que les autres croient à une «hallucination». Je me souviens (Sri Aurobindo était là), je lui ai dit à ce moment-là: «Ah! je sais maintenant ce que c'est que les hallucinations de la fièvre.» – Ça n'a rien à voir avec des hallucinations! Mais ce n'est pas agréable, c'est la vision d'un monde qui n'est pas joli.

Mais maintenant, ce n'est pas le résultat de la fièvre, c'est simplement la vision. Et alors!... Comme je l’ai dit, il y a de tout, toutes les possibilités; et probablement à cause de la qualité de l’aura (de Mère), je n'ai rien vu qui soit vraiment malpropre et laid. Mais ça doit exister – ça doit exister, seulement ça n'entre pas.

Mais ce qu'on voit, c'est d'un humoriste impayable! Des choses... comme, par exemple, les grandes ambitions des hommes, et puis leur satisfaction d'eux-mêmes, l’opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, oh! tout ça, c'est d'un comique! montrant ces vies par rapport à (et pour ainsi dire en contact avec) la Lumière de Vérité, alors apparaît clairement la différence entre le mouvement des gens (ou la pensée, ou l’attitude, ou l’action, ou l’état de conscience) et la Vérité, l’état de Vérité, oh! si tu savais!... Mais ce n'est pas vu par quelqu'un de sévère ou de méchant, non-non! mais par quelqu'un qui est très fin – très fin – avec un sens de l’humour admirable et une ironie charmante.

Ça grouille, ça grouille...

Alors, l’autre jour (hier ou avant-hier), je Lui ai dit: «Bon, ça va bien! maintenant je voudrais bien entrer dans le silence et la paix et une immensité lumineuse» (tu te souviens, comme dans cette méditation que nous avions eue une fois ici; ça, c'est beaucoup plus agréable!). Alors ça s'est calmé.1


(Après avoir lu à Mère la conversation du 30 septembre où elle envisageait le passage de l’homme à l’être nouveau.)

Mon sentiment (c'est une espèce de sentiment-sensation), c'est qu'il faut des échelons intermédiaires.

Et alors, quand on voit comme l’homme a dû se battre contre toute la Nature pour exister, on a l’impression que ces êtres, ceux qui les comprendront, qui les aideront, auront avec eux une relation de dévotion, d'attachement, de service, comme les animaux pour l’homme; mais ceux qui ne les aimeront pas... ce seront des êtres dangereux. Je me souviens une fois, j'avais eu une vision très claire de la situation précaire de ces être nouveaux, et j'avais dit (c'était avant 1956, avant la descente du pouvoir supramental), j'avais dit: «Le Supramental se manifestera d'abord sous son aspect de Pouvoir, parce que ce sera indispensable pour la sécurité des êtres.» Et en effet, c'est le Pouvoir qui est descendu le premier – le Pouvoir et la Lumière. La Lumière qui donne la Connaissance et le Pouvoir.

C'est une chose que je sens de plus en plus: la nécessité des périodes intermédiaires... Il est de toute évidence que quelque chose est en train de se passer, mais ce n'est pas le «quelque chose» qui a été vu et prévu et qui sera l’aboutissement: c'est l’UN des stades qui va se produire, ce n'est pas l’aboutissement.

Sri Aurobindo aussi avait dit: «D'abord viendra le pouvoir de prolonger la vie à volonté» (c'est beaucoup plus subtil et plus merveilleux que cela). Mais ça, c'est un état de conscience qui est en train de s'établir: c'est une espèce de relation et de contact constants, établis, avec le Seigneur suprême, et ça abolit le sens de l’usure: ça le remplace par une sorte de flexibilité extraordinaire, une plasticité extraordinaire. Mais l’état d'immortalité SPONTANÉ, ce n'est pas possible – «pas possible», du moins pour le moment. Il faut que cette structure se change en quelque chose d'autre, et pour changer en quelque chose d'autre, de la façon dont les choses se passent, il faudra longtemps. Ça pourra aller beaucoup plus vite que dans le passé, mais même en admettant que le mouvement se précipite, tout de même cela prend du temps (selon notre notion de temps). Et ce qui est assez remarquable, c'est que pour être dans l’état de conscience où l’usure n'existe plus, il faut changer son sens du temps: on entre dans un état où le temps n'a plus la même réalité. C'est autre chose. C'est très particulier... c'est un innombrable présent. Je ne sais pas... Même cette habitude que l’on a de penser en avant ou de prévoir ce qui va être ou de... ça gêne, ça raccroche à la vieille manière d'être.

Tant-tant-tant d'habitudes à changer.2

Voilà.

Alors je te souhaite une bonne année.


(Dans l’après-midi, Mère a envoyé le billet suivant au disciple, comme une continuation de la conversation du matin, voulant dire que la réalisation intégrale, celle de l’être nouveau, ne pourra se produire que...)

Oh! être divin spontanément sans se regarder être ayant dépassé le stade où on veut l’être.









Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates