L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1968 Vol. 9 1981 Edition   Satprem
French
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. The consciousness of the cells is being taught to break free of 'false matter' with resultant effect in every country and continent, and every branch of human knowledge.

L’Agenda de Mère 1968

The Mother symbol
The Mother

A fire spread across the world that year, from Warsaw to Colombia, from Nanterre to Alexandria: "There are long periods when things are being prepared, and a moment comes when something happens; and this something is what will bring about a new development in the world. Like the moments when man appeared on earth; now it is another being." This is the second turning point of Mother's Yoga. She is 90. Auroville has just been founded: "A center for accelerated evolution." Martin Luther King is assassinated, and Robert Kennedy. Russia invades Czechoslovakia - what is going on? "I have the strong impression of an attempt to make us learn something like the secret of the functioning [of man, of the earth]. The method we have learned is constantly shown to be false, it doesn't conform to reality, and there is a will to make us find the true method, but through experience." As if the earth were shut in a bowl, prisoner of a "false matter": "There is a sort of web over the entire earth, and the body is being taught how to get out of it.... Little by little the consciousness of the cells is breaking that hold." And on the other side of the web all of a sudden: "Never in my whole life have I seen or felt anything so beautiful!.... The most marvellous hours ever possible on earth - why do people go looking up above for something which is right here!" The short-lived miracle of 1968 seems to be swallowed up, while the walls of our bowl are slowly but inexorably being shattered in every country, every continent and every branch of human knowledge. "A considerable amount of time would still seem necessary for everything to be ready to change. And yet, there is almost a promise that a sudden change is going to take place." Could it be that, one fine morning, one last pressure of circumstances will throw us headlong into a new consciousness?

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1968 Editor:   Satprem Vol. 9 1981 Edition
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Mother's Agenda 1968 Conversations with Satprem

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janvier




1 janvier 1968

Le message vers le nouveau an

Image 1

Reste jeune,

Ne cesse pas de tendre vers la perfection.

3 janvier 1968

Mère arrive avec trois quarts d'heure de retard

Et j'arrive avec mon travail pas fait! Le travail est à faire (Mère désigne un paquet de correspondance)... Maintenant, les nuits commencent à onze heures du soir, plus de déjeuner, naturellement pas question de se reposer, et plus d'exercices, alors... Et des gens et des gens et des gens – et un bon quart pas satisfait qui s'en va sans que je les voie, parce que je n'ai pas eu le temps.

Je crois que c'est parce que, pendant toute mon existence jusqu'à à peu près quarante ans, j'étais peut-être la personne la plus exacte du monde: j'étais toujours à la minute – peut-être qu'il y avait quelque chose qui était fier et qui a reçu une bonne tape!

C'est comme cela.

Mais une chose est sûre, c'est que dès que l’on est sorti du rythme mental habituel avec les pensées (je parle du corps), dès qu'il est sorti de ça, il a une endurance extraordinaire. C'est surtout ce. qu'on pense, ce qu'on craint, les vieilles habitudes et tout cela...

6 janvier 1968

Je voulais te montrer quelque chose, puis j'ai oublié. Peut-être que tu l’as vu? C'est quelque chose que j'aurais dit il y a des années – des années – à M, à propos de Savitri, et lui, l’avait noté en français, et tout dernièrement (enfin il y a peut-être trois ou quatre semaines), il m'a montré ce qu'il avait noté... Et puis voilà qu'il ne l’a pas montré seulement à moi, il l’a montré à d'autres (!) et alors on l’a traduit en anglais et puis maintenant ils veulent que je le lise pour qu'on le tourne au Playground [Terrain de jeu]. Je voulais revoir le français avec toi, mais enfin il le faut en anglais. l’anglais n'est pas fameux, mais cela ne fait rien... Ils sont tous enthousiastes, heureux – moi, je n'aime pas cela parce que c'est sous une forme tellement personnelle.

Tu as vu le texte français?

Oui, j'ai vu.

Et alors?

Il a certainement attrapé quelque chose de ta vibration. On sent. Mais je ne sais pas ce que cela ferait, répété?... Si tu pouvais REDIRE quelque chose sur Savitri?

Ah!... Mais, n'est-ce pas, je ne suis plus la même personne! je ne dis plus les mêmes choses – c'est impossible. C'est impossible. J'ai regardé; justement toute cette histoire est revenue maintenant comme une illustration de l’immense différence – immense, mais colossale différence – de l’état de conscience. Maintenant, pour moi [cette notation de Savitri], c'est tellement une vision personnelle des choses... Hier, j'ai eu une journée intéressante à ce point de vue.

C'est l’ego physique qui a été détruit et qui maintenant est comme cela (geste bras ouverts vers le haut)... Ça lui paraît drôle! Je ne sais pas comment expliquer. Cette façon de se mettre au centre des choses et de les voir par rapport à ce centre de conscience, ça paraît si... C'est une conscience, n'est-ce pas, qui est répandue; qui est autant ici, là, là, là qu'ici, et qui rapporte tout à une Conscience supérieure, centrale (Mère rapproche ses deux bras, formant un triangle au-dessus de sa tête, la pointe des deux mains jointes vers le Suprême) qui est comme une espèce de Phare – de phare immuable et tout-puissant – qui éclaire toutes choses de la même façon, sans-sans aucune espèce de réaction personnelle.

Et les derniers vestiges – cela paraissait être les derniers, hier, à cause de cette histoire justement que l’on m'avait demandé de lire... Naturellement, quand je parle, je dis «je» parce que c'est le corps qui parle, mais il n'a pas le sentiment du je, il est... C'est très difficile à expliquer. Mais enfin, à cause de cette histoire, j'ai dit: «Ah! mais comment? Comment est-ce que cela, ça peut être dit quand ce n'est pas moi? – Il n'y a pas de moi, ce n'est pas moi!» Et alors, en même temps, il y avait cette Conscience en haut qui disait: «Pas de réactions personnelles – il n'y a plus de moi –, et ça, si ça doit être fait, il faut que ce soit fait.» Et pendant des heures et des heures, c'était un état si particulier où tout... C'étaient comme des espèces de vestiges, comme des morceaux d'écorce, je ne sais pas; des morceaux de quelque chose d'un peu durci ou racorni qui étaient effrités et qui s'en allaient en poudre, et seulement, seulement cette Grande Vibration (geste comme deux grandes ailes qui battent dans l’infini), si puissante et si calme – toute la journée. Et une espèce de perception que la vie dans une forme comme cela qui a l’apparence d'être personnelle, c'est seulement pour l’action – seulement pour l’action, pour les nécessités de l’action; et il ne doit pas y avoir de réactions, ça doit être l’instrument qui agit – qui agit selon l’Impulsion suprême, sans réactions. Et la perception était si claire que tous-tous les souvenirs sont abolis, et de plus en plus abolis, afin que ce ne soit plus qu'une espèce... de masse de vibrations organisées de façon à faire ce qu'il faut faire dans l’ensemble pour que tout soit préparé et... (geste d'ascension) croisse, tende de plus en plus vers... la transformation.

Ça rend la parole difficile, à cause de cette vieille habitude (peut-être aussi une nécessité pour se faire comprendre) d'employer le je – «je», qu'est-ce que c'est que ce je? Ça ne correspond plus à rien, excepté juste à l’apparence. Et l’apparence, c'est la seule chose qui contredise. C'est cela qui est intéressant: cette apparence est évidemment une contradiction de la vérité; c'est quelque chose qui appartient encore aux vieilles lois, au moins justement dans son apparence. Et à cause de cela, on est obligé de dire les choses d'une certaine manière, mais ça ne correspond pas – ça ne correspond pas à l’état de conscience, du tout... Il y a une fluidité et une ampleur, et une sorte de totalité, et surtout le sens (cela, de plus en plus fort) que ça (le corps), ça doit devenir de plus en plus souple – souple –, fluide pour ainsi dire, de façon à exprimer sans résistance et sans déformation la vision – la vision réelle, l’état de conscience réel. Et c'est cette possibilité de fluidité, de plasticité, qui devient de plus en plus évidente pour la conscience, avec seulement, seulement juste quelque chose extérieurement qui... qui devient de plus en plus comme une illusion. Et pourtant, c'est pourtant ça que les autres voient, qu'ils comprennent, qu'ils connaissent et qu'ils appellent un «moi». Et vraiment, ça s'efforce, ça s'efforce de s'adapter de plus en plus, mais... le temps semble avoir encore son importance.

(long silence)

C'est un curieux état de transition.1

10 janvier 1968

Pendant une heure le matin, j'arrange les fleurs dans mon cabinet de toilette là; toutes les fleurs sont là pour que je choisisse (je fais une distribution tous les matins), c'est si beau! C'est admirable! Toutes les fleurs parlent comme cela, elles ont une vie – elles sentent. Et comme je les aime beaucoup, elles sont là, vibrantes. Et puis alors, il y en a qui sont fermées de la nuit; je les prends, je les regarde, je leur dis qu'elles sont jolies – et elles s'ouvrent. C'est vraiment une vision plaisante. Regarde-moi ça! (Mère tend une rose)


Peu après

Maintenant, il est venu un message pour le 29 février (troisième anniversaire de la manifestation supramentaîe). Le message du 21, c'est la boutade, et là, c'est l’explication charitable... qui vient une semaine après!

Oh! c'est très simple (Mère lit):

«Seule la Vérité peut donner au monde le pouvoir de recevoir et de manifester l’Amour Divin.»

C'est une explication, c'est un commencement d'explication. Mais enfin, je dis là (dans le message du 21): «Servez la Vérité et vous hâterez la venue de l’Amour Divin.» – «Ah! qu'est-ce que ça veut dire?» Alors je mets ici: «Seule la Vérité peut donner au monde la capacité de recevoir...» etc.

Maintenant, il faut que je le copie décemment (Mère s'arrête et pose les paumes de ses mains sur ses yeux comme si elle était fatiguée).

Déjà à cette heure-ci, ils m'ont fait écrire une vingtaine de cartes de «bonne fête», alors il y a une sorte de fatigue qui vient dans les yeux, c'est cela qui est ennuyeux... Je ferme les yeux, alors quand je ferme les yeux, ils croient tous que je m'endors! (Riant) Alors ils sont très gentils, ils attendent poliment que je me «réveille»!

(Mère commence à recopier, puis hésite sur la première phrase)

Est-ce qu'il n'y a pas une ambiguité? Est-ce qu'il faut mettre «seule la Vérité» ou «la Vérité seule»?... Quand ça vient, ça vient avec une précision! et alors, il y a toujours quelque chose qui paraît un flottement quand cela se traduit. J'étais là l’autre jour pendant une demi-heure à me répéter cela: est-ce que c'est ceci, est-ce que c'est cela? Par exemple, la place du mot alone [seul]: The Truth alone, or Truth alone, or alone Truth [la Vérité seule ou seule la Vérité]... pour insister sur le fait que ce n'est pas elle seule, sans rien d'autre, sans la collaboration du reste, mais que c'est le Principe de Vérité seul qui a la capacité... Je ne sais même pas comment m'expliquer!

Je ne veux pas dire qu'elle soit seule à travailler – que quand elle travaillera, elle travaillera toute seule –, mais sa présence est indispensable. (C'est un à peu près de la nuance.) Pour exagérer le sens, je dirais ou bien: «Il faut qu'elle travaille seule pour faire la chose», ou bien «Seule elle est capable...» Mais alors, cela devient lourd et impossible. Et ce qu'il faut, c'est: «Seule, elle est capable», ce n'est pas qu'elle travaille seule...

(Mère ferme les yeux et entre en contemplation)

12 janvier 1968

Il y a une question, mais...

Une question?

Il y a un fait que tu n'es probablement pas sans connaître...

Quoi?

Tu as reçu la visite de cet Italien, E, et de sa femme?

Et alors?

Il m'avait posé des questions sur le «tantrisme de la main gauche», tu sais, le «Vâma Mârga»...

Qu'est-ce que c'est?

Ce sont ces soi-disant tantriques qui se servent de la sexualité pour faire un «yoga». Et il m'avait posé toutes sortes de questions pour me demander quelle était la place de la sexualité dans le yoga, en me disant que depuis un an, il s'efforçait, avec sa femme, de vivre sur un autre plan et d'une autre façon. Alors j'ai essayé de lui dire le point de vue vrai, et je lui ai donné une lettre que j'avais écrite un an plus tôt sur ce sujet – une lettre qui m'avait vraiment été inspirée1 – sur le problème de la sexualité dans le yoga, où je donnais à la fin deux extraits de Sri Aurobindo montrant l’«erreur vitale» qui est derrière ce soi-disant yoga. Je lui ai envoyé cette lettre, et trois jours après, je l’ai vu revenir avec ma lettre et il était troublé. Il a commencé par me dire: «Savez-vous qu'il existe un "centre occulte" dans l’Ashram, qui fonctionne avec les bénédictions de Mère?»

Quoi? Qu'est-ce que c'est que ça!

Oui, c'est comme cela. Alors je lui ai demandé: «Mais qu'est-ce que c'est que ce centre occulte?» Il m'a dit: «Oui, c'est un centre intérieur qui est fait pour les "disciples plus évolués", qui sont plus "au courant des choses", et il y a une sorte de grande-prêtresse là-dedans» – c'était Y [une disciple européenne].

Oh! c'est Y.

Alors il m'a dit: «Je suis très inquiet et je suis choqué. Je suis un étranger ici et je suis là depuis quatre jours, et déjà j'ai été sollicité et de plusieurs côtés, et qu'est-ce que cela veut dire, est-ce que cela a vraiment les bénédictions de Mère?» Puis il m'a dit en me rendant ma lettre: «Mais ce qu'ils font là, ou leur façon de voir, n'est pas du tout en accord avec ce que vous écrivez dans cette lettre.» Et il m'a donné un exemple. Il m'a dit, par exemple: «Ce petit R, eux, ils s'imaginent qu'ils sont en train de fabriquer un être supramental – ce n'est évidemment pas comme cela que l’on fabrique un être supramental, mais enfin on devrait essayer de fabriquer un être gentil...» Alors leur méthode est la suivante: ils prennent l’enfant,2 le petit R, ils lui font écouter de la musique, et pendant qu'il écoute de la musique, on le caresse, et on caresse aussi son sexe.3 Alors il m'a demandé: «Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce vraiment à ce niveau-là qu'on effectue la transformation?...» Il m'a dit: «Voilà un être que l’on devrait faire gentil, et on est en train de pourrir cet enfant ou d'attirer je ne sais quoi sur lui, est-ce que Mère approuve?...»

Tu l’as vu, le petit?

Non, je ne l’ai pas vu.

Les parents me l’ont amené il y a quelques jours, parce que... il est de plus en plus malade, alors ils se sont inquiétés et ils m'ont amené cet enfant. Cet enfant, je crois qu'il file un mauvais coton. En tout cas, son apparence, c'est l’apparence de ceux qui vivent dans un rêve pervers. Justement un rêve de sexualité vitale. Il est blafard, il a l’air atone, avec des yeux comme ça, pas de réactions. Et alors ce pauvre gosse... Tu sais que la première fois que je l’avais pris, je voulais voir l’effet du silence sur lui: il s'est mis à hurler.4 Cette fois-ci, j'avais décidé que je lui parlerais depuis le commencement, alors j'ai commencé à lui parler, lui parler... Il était comme ça, hébété; mais je l’ai pris dans mes bras, il s'est mis là, il ne voulait plus bouger. Ils sont en train... je ne sais pas s'ils le tueront, mais en tout cas...5

Je sais, mon petit! Je sais. Mais quoi faire?... N'est-ce pas, Sri Aurobindo et moi nous appartenons au «passé»; le Bulletin, c'est un organe du «passé» – eux, ils sont «en avant». Et ils sont toute une bande.

Oui, tu vois: cet homme était là depuis quatre jours et déjà...

Oui, c'est cela.

Il s'en va, d'ailleurs.

Il était choqué, il m'a dit: «Vraiment...»

Ça, je comprends! Je comprends.

Ils disent... Non, ils disent mieux que cela: ils disent que je suis la «disciple de Y.» Tu comprends, c'est cela: «J'apprends par Y», j'apprends la vie et le yoga!

Je sais! je sais depuis longtemps. Il y a des gens ici qui ont du bon sens, mais qui ont eu de la peine à se sortir de là. Et qui ne veulent rien dire parce que les «disciples» (les disciples qui s'imaginent avoir un pouvoir fantastique), se mettent dans de grandes colères, et ils vous font des scènes! Alors on n'a pas envie d'avoir des scènes, n'est-ce pas, et on ne dit rien. Simplement, on s'abstient d'y aller. Mais ça dure depuis longtemps, depuis plus d'un an.

Pour ne pas les nommer: A, G, etc. (des disciples occidentaux), justement ce sont les éléments non-indiens qui vont là.6

Mais oui! c'est ce que m'a dit cet Italien, et puis il m'a dit: «Qu'est-ce que cela veut dire, ce Canadien avec sa soi-disant "fille"?... Moi, on m'a fait les mêmes propositions quand j'étais dans le Pacifique, d'initiation, en me laissant dans une hutte avec une jeune fille pendant trois jours. Est-ce que c'est la même chose que l’on fait à l’Ashram?»

La «fille» commence à être dégoûtée.

Non, j'avais l’impression qu'il y avait quelque chose, mais je ne savais pas grand-chose; mais que cela ait pris cette proportion presque publique...

Oh! ça a pris des proportions formidables – formidables... La première qui m'ait avertie, c'est S.M., il y a longtemps, plus d'un an. Puis il y en a eu d'autres. Naturellement, F a été sollicitée aussi et R (des disciples occidentaux).

Oui, les Indiens ont ce discernement.

Ah! leur spiritualité est vraie (Mère touche son cœur), alors eux, ça ne mord pas!

Mais, n'est-ce pas, quand Y a soi-disant eu la typhoïde (qu'elle n'a jamais eue: cela faisait partie du grand jeu, c'était la «maladie de la transformation»), elle voulait aller à l’hôpital de Vellore avec M. Alors elle m'a écrit une lettre pour me demander que tout soit arrangé, qu'ils soient dans la même chambre. Et elle m'a écrit, littéralement, dans sa lettre: «Pour moi, M est Dieu»... Alors l’autre, le pauvre bougre, c'est un peu lourd pour lui!... (Mère rit) Ça l’a rendu malade!... Oh! il vaut mieux rire. Au fond, ces choses-là sombrent dans le ridicule. Moi, simplement je fais comme cela (geste de mettre la lumière). On verra bien. Je te dis, le premier résultat est que ce pauvre M est malade: il a eu mal aux reins. Et il n'a plus de fièvre... mais il n'a plus de colonne vertébrale! Alors le plus amusant, c'est que moi (riant), qui suis d'un «passé périmé», quand les choses vont mal, c'est à moi que l’on écrit! Alors il m'a demandé conseil: s'il fallait faire ceci, s'il fallait faire cela... Ma foi, je me suis payé la satisfaction de lui répondre (par Y) que sa maladie était surtout psychologique et que je ne vois pas comment le docteur peut aider! Depuis, silence.

Mais enfin, c'est triste pour ce petit gosse.

Pour le petit... non. Le petit, je ne sais pas si je te l’ai dit, je n'avais rien vu, je n'avais rien prévu, je n'avais surtout rien formé, simplement je regardais ces deux-là (le père et la mère): elle n'était pas encore divorcée, et enfin ils étaient en marge de la société; je me suis dit: le mieux est de faire naître l’enfant à Auroville, là c'est la pleine liberté. C'était tout. Ça commençait là, ça finissait là. Je n'avais jamais pensé que ce serait un être «extraordinaire», rien du tout: simplement un enfant. Mais alors, le soir qui précédait la naissance de l’enfant (l’enfant est né vers une heure du matin, je crois), le soir qui précédait sa naissance, j'ai reçu un télégramme d'Amérique annonçant le décès de Paul Richard. Or, je ne sais pas ce qu'il était devenu, mais je lui avais appris l’occultisme: il le savait, il savait comment entrer dans un autre corps. Et je savais aussi (par d'autres gens) que depuis longtemps, il avait eu une sorte d'ambition de revenir ici. Alors les deux ensemble, ça m'a... Ah! j'ai dit: «C'est étonnant!» N'est-ce pas, juste le temps de sortir normalement de son corps et d'entrer normalement dans un autre. Je n'ai rien dit, mais c'est Amrita qui a apporté le télégramme, alors nous nous sommes regardés, j'ai dit: «Tiens!» C'est tout. Le lendemain, tout l’Ashram savait que Paul Richard était réincarné dans R! Et même, quelqu'un m'a écrit pour me dire: «Il paraît que vous avez réincarné...» Oh! j'ai dit: «Assez-assez!» (Mère rit) Voilà.

Ce qui fait que... Paul Richard avait un côté sexuel qui n'était pas sain du tout, pas du tout, il s'en faut. Il avait beaucoup de connaissances mentales (beaucoup, une très forte intelligence), mais pas de vie spirituelle. Alors ce n'était pas un être exceptionnel – il lui arrive ce qui doit lui arriver.

Le petit, j'ai essayé, mais... Ça va fausser quelque chose dans sa construction vitale, ça, c'est sûr. On verra.

On verra.

Mais on a déjà mis (heureusement qu'il y a moins de crédulité de ce côté-là), on a mis déjà une formation sur l’autre,7 A.F.: il paraît que c'est Ramsès d'Egypte... Je n'en sais rien (!) Moi, je n'ai rien vu. En tout cas, celui-là est très gentil – pour le moment, il est très gentil.

Ils ne vont pas dans ce groupe, j'espère?

Je ne crois pas, mais enfin... Je ne crois pas que cela ait mordu.

Parce qu'il est gentil, celui-là (le père).

Il est très gentil. Seulement, lui, l’enfant, a l’inconvénient que le sang de la mère et le sang du père ne s'accordent pas. Là, il y a une difficulté, mais enfin je crois qu'il s'en tirera.

(silence)

Sous prétexte de liberté...

Alors ils font de la propagande active?

Oui, tu vois, c'est cet Italien qui m'a dit: «Voilà quatre jours que je suis ici, j'ai déjà été sollicité, et de plusieurs côtés.» Et c'est après avoir lu ma lettre justement, qu'il a dit: «Eh bien, ce n'est pas comme cela, ça ne peut pas avoir les bénédictions de Mère.» Et il m'a posé la question.

Non, c'est mieux que cela, je te dis, je suis «une disciple»!

Ça ne fait rien. Ça ne fait rien, on voit tout comme cela (geste d'en haut). Au fond, c'est le Seigneur qui s'amuse! (Mère rit)

Moi, ce qui m'a tout à fait désarmée, c'est quand je suis devenue la disciple, n'est-ce pas, c'était délicieux! Après cela, il n'y a plus qu'à rire.

Mais j'ai dit à cet Italien: «Écoutez, ne vous inquiétez pas, le mensonge s'avale lui-même.»

Mais oui! Mais oui, c'est cela, c'est exactement cela. Justement on voit, n'est-ce pas, il n'y a qu'à juste faire un tout petit peu comme cela (geste de pression du pouce)... Pour ce pauvre M, ça a été instantané! Il n'y avait qu'à faire ça (même geste).

Je vais le voir, cet Italien, il s'en va; il m'a écrit un mot très gentil pour me demander s'il pouvait me voir avant de partir. Mais il ne faut pas qu'il parle parce que je n'entends pas!

Je n'entends pas... C'est un phénomène bizarre: les gens me parlent dans un AUTRE état de conscience – ce n'est pas au même niveau de conscience –, et alors j'ai tout à fait l’impression comme ça.(geste en-dessous), de vibrations qui n'entrent pas en contact avec ma conscience. Je vois les vibrations comme cela (même geste), mais... J'entends quelquefois des sons, mais ça n'a AUCUN sens. Alors ce n'est pas la peine qu'il parle.

(silence)

Tu ne sais pas comment ils se comportent à leurs «séances»?...

Non.

(Riant) J'espère qu'ils se conduisent décemment! Si ce sont des paroles, ça va; autrement je serais peut-être obligée d'intervenir.

Non, je ne veux rien dire, parce que c'est descendre au même niveau.

Mais il y a longtemps. Il y a longtemps: quand Y m'écrit une lettre, elle met sur le dessus «Douce Mère», et puis derrière, tout en haut de l’enveloppe, il y a «Y». Alors, moi, quand je lui réponds, je lui renvoie la même enveloppe... et une fois, j'ai fait une bonne blague (riant): après «Douce Mère», j'ai mis une flèche, qui est montée jusqu'en haut et qui a tourné le bord de l’enveloppe jusqu'à «Y». (Mère rit)

C'est très rigolo!

Et elle est (elle est ou elle sera, je ne sais pas, cela dépend des gens à qui elle parle) l’incarnation de... Tu sais que Sri Aurobindo, dans le livre La Mère, a dit qu'il y avait l’«aspect d'Amour» de la Mère, qui n'était pas encore incarné parce que le monde n'était pas prêt. Alors c'est Y.8

Quand on la regarde, on n'a pas cette impression-là.

Ah! (se moquant du disciple) mais c'est superficiel, c'est une vision superficielle'!

(silence)

Il paraît que je lui ai laissé la «pleine liberté» d'organiser Auroville. Alors elle l’appelle la «ville universitaire». On lui a dit que ce mot était employé dans un sens précis; elle m'a dit: «Oh! j'ai expliqué», et sur les invitations du 28 (pour la pose de la première pierre), elle voulait que l’on mette «la cité universitaire»; mais on ne lui a pas demandé son conseil, on a fait l’invitation et on a mis: «The city of universal culture» [la cité de la culture universelle].

C'est cela, c'est toujours un signe chez les gens qui ont un pouvoir constructeur purement mental: ils veulent forcer les mots à exprimer ce qu'ils veulent dire. Je lui ai dit: «Ça ne se fait pas, tu auras beau dire, ce mot pour tout le monde aura le sens qu'il a; invente un autre mot ou fait une tournure de phrase.»

(Ton agressif) – «Mais c'est ça que cela veut dire»...

Et elle voulait avoir un petit orang-outang, parce qu'il paraît que l’espèce orang-outang est en train de disparaître de la terre, alors elle en voulait un pour perpétuer l’espèce – je ne sais pas pourquoi... Et quand M est allé à Tahiti, elle lui avait demandé de rapporter un orang-outang. Pauvre M...! ce n'est pas une besogne très amusante. Alors M m'a dit avant de s'en aller: «Il paraît que je dois rapporter un orang-outang?» Je lui ai répondu: «J'aimerais beaucoup que vous ne le trouviez pas!»

Et il ne l’a pas trouvé!9

ADDENDUM

(Une lettre de Satprem à un ami sur le «Yoga de la sexualité».)

Le 28 janvier 1967

Je vais essayer de répondre à vos questions aussi simplement que possible, c'est-à-dire sans enfumer le problème dans les vapeurs sibyllines de mystérieuses traditions, mais en me servant directement de mon expérience. Et après tout, c'est la meilleure façon de retrouver la vérité des traditions, qui, elles aussi, sont nées d'une expérience. Il est un plan de vérité simple où toutes ces expériences se rejoignent.

On peut commencer par regarder le problème dans le grand sens, celui de l’évolution. Les espèces ont évolué du minéral au végétal et à l’animal puis à l’homme. Tout indique que le progrès de l’évolution n'est pas un progrès dans les formes mais un progrès de la conscience. Les formes sont seulement un support de mieux en mieux adapté au progrès de la conscience. Nous sommes arrivés au stade homme, mais il n'y a pas de raison de supposer qu'il est définitif et suprême (sinon il n'y a pas d'évolution), pas plus qu'un observateur objectif aurait eu raison de supposer, il y a cent millions d'années, que le caméléon ou le babouin était le plus haut terme de l’évolution. Nous sommes simplement arrivés au stade évolutif décisif où nous pouvons intervenir consciemment pour accélérer le processus naturel, qui autrement pourrait encore demander quelques millions d'années avec beaucoup de gâchis. Le yoga et toutes les disciplines spirituelles finalement ne sont pas autre chose que des procédés d'accélération consciente de l’évolution dans le sens vrai.

Ici, il peut y avoir quelque débat sur ce «sens vrai», certains vous disent (avec les religions que nous connaissons) que le sens vrai n'est pas ici, mais dans je ne sais quel ciel au-delà. C'est un point de vue, mais si cette évolution matérielle ne porte pas son sens en soi, c'est que nous sommes en présence d'une sinistre farce inventée par je ne sais quel masochiste divin. Si Dieu existe, il doit être un peu moins bête que cela et l’on peut penser que cette évolution matérielle a un sens divin et que c'est le lieu d'une manifestation divine dans la Matière. Notre discipline spirituelle, par conséquent, doit viser à obtenir cet homme divin ou peut-être cet autre être encore inconnu qui sortira de nous comme nous sommes sortis des balbutiements hominiens. Quelle est la place de la fonction sexuelle dans cette évolution? Jusqu'à présent, le progrès de la conscience s'est servi du progrès des espèces, c'est-à-dire que la reproduction sexuelle était la clef de la multiplication des espèces afin d'arriver à la forme la plus appropriée pour manifester la conscience. Depuis l’apparition de l’homme, il y a 2 ou 3 millions d'années, la Nature n'a pas produit d'espèces nouvelles, comme si elle avait trouvé en l’homme le mode d'expression le plus approprié. Or l’évolution ne peut pas rester stagnante, sinon ce n'est plus une évolution. C'est donc que la clef de l’évolution n'est plus dans la multiplication des espèces par voie de reproduction sexuelle mais directement par le pouvoir même de la conscience. Jusqu'à l’homme, la conscience était encore trop enfouie dans son support matériel; avec l’homme, elle s'est suffisamment dégagée pour assumer sa maîtrise véritable sur la Nature matérielle et opérer d'elle-même ses propres mutations. Du point de vue de la biologie évolutive, c'est la fin de la sexualité. Nous arrivons au stade où l’on doit passer de l’évolution naturelle par le pouvoir sexuel, à l’évolution spirituelle par le pouvoir de la conscience. La Nature ne s'attarde généralement pas à développer les fonctions et les organes qui ont fini de servir son dessein évolutif, on peut donc prévoir que la fonction sexuelle s'atrophiera chez les êtres qui sauront canaliser leur énergie non plus pour se reproduire, mais pour développer leur conscience. Il est bien évident que nous n'en sommes pas tous là et que pendant longtemps encore la Nature aura besoin du pouvoir sexuel pour poursuivre son évolution au sein de l’espèce homme, c'est-à-dire pour conduire l’homme assez brutal que nous sommes encore, à un homme plus conscient, plus capable de saisir le sens véritable de son évolution et finalement tout à fait capable de passer de l’évolution naturelle à l’évolution spirituelle. l’inégalité du développement des individus est la raison évidente pour laquelle on ne peut pas faire de règles générales ni distribuer des prescriptions infaillibles. À chaque stade convient sa loi. Mais quels que soient les délais, il est évident aussi, du point de vue de la biologie de l’évolution, que la fonction sexuelle s'achève quand elle a rempli ses fins, c'est-à-dire quand elle est parvenue à mettre au monde un homme suffisamment conscient. On ne peut donc pas raisonnablement établir une discipline spirituelle d'accélération de l’évolution sur un principe qui va à rebours de l’évolution. Il suffit, d'ailleurs, d'avoir juste passé un tout petit peu la ligne difficile, le point X du passage de l’évolution naturelle à l’évolution spirituelle, pour s'apercevoir que toutes les tentatives pseudo-mystiques pour enjoliver les relations sexuelles de l’homme et de la femme sont des trompe-l’œil. Je n'ai rien contre les relations sexuelles (dieu sait!), mais vouloir les recouvrir d'une phraséologie yoguique ou mystique est une illusion mensongère, une «self-deception». Il n'y a donc pas de «clef à retrouver» dans ce sens-là, elle n'existe pas.

Il y a une clef dans les relations de l’homme et de la femme, mais pas dans leurs relations sexuelles. Les soi-disant «tantriques de la main gauche» (Vâma Mârga) sont par rapport au tantrisme véritable ce que sont les Contes de Boccace par rapport au Christianisme, ou le Bacchus romain qui cuve son vin par rapport au Dionysos des mystères grecs. Je connais le tantrisme, c'est le moins que je puisse dire. Quant aux Cathares, pour qui j'ai la plus haute estime, ce serait leur faire peu d'honneur de croire qu'ils faisaient une sorte de «yoga de la sexualité». À travers ma propre expérience, il m'a souvent semblé retrouver l’expérience des Cathares et je vois bien que si certains d'entre eux ont essayé de mêler la relation sexuelle à la relation vraie entre l’homme et la femme, ils se sont vite aperçus de leur erreur. C'est une voie sans issue, ou plutôt sa seule issue est de faire voir qu'elle ne conduit nulle part en avant. Les Cathares étaient des hommes trop sincères et trop conscients pour persister dans une expérience alourdissante. Car, en définitive, c'est bien de cela dont il s'agit, l’expérience sexuelle de par sa nature même (qu'il y ait «reflux» ou pas de reflux et quel que soit le mode) est un raccrochage automatique aux vieilles vibrations animales – tu n'y peux rien, tu peux y mettre tout l’amour que tu veux, mais la fonction elle-même est liée à des millénaires d'animalité, c'est comme si tu voulais plonger dans un marécage sans soulever de boue. Ce n'est pas possible, le «milieu» est comme cela. Et alors, quand on sait ce qu'il faut de transparence, de décantation, d'immobilité intérieure pour pouvoir lentement passer à une conscience supérieure, ou pour permettre à une lumière supérieure d'entrer dans nos eaux sans être imédiatement obscurcie, on ne voit pas du tout comment une activité sexuelle peut vous faire passer dans cette limpidité immobile où les choses peuvent commencer à se produire??? l’union, l’unité de deux êtres, la rencontre vraie et totale de deux êtres ne se produit pas à ce niveau-là et par ces moyens-là. C'est tout ce que je peux dire. Mais j'ai vu que dans la tranquillité silencieuse de deux êtres qui ont la même aspiration et qui ont surmonté le passage difficile, il se produit peu à peu quelque chose de tout à fait unique, qui est insoupçonnable tant que l’on en est encore aux «débats de la chair», pour employer un langage de père prédicateur! Je crois que l’expérience des Cathares commence après ce passage. Après, le couple homme-femme prend son sens véritable, son «efficacité» si je puis dire. Le sexe est seulement un premier mode de rencontre, c'est le premier moyen inventé par la Nature pour briser la coquille des ego individuels – après, on grandit et on découvre autre chose, non par inhibition ou refoulement, mais parce que quelque chose d'autre, infiniment plus riche, prend la place. Ceux qui veulent précieusement conserver le sexe et le mystifier pour passer au deuxième stade de l’évolution, font penser à des enfants qui s'accrochent à leur trottinette, ce n'est pas plus sérieux que cela, il n'y a pas de quoi faire un yoga avec cela, pas de quoi non plus s'indigner ou hausser les sourcils. Je n'ai donc rien à critiquer, j'observe seulement et je mets les choses à leur place. Tout dépend du stade auquel on se trouve. Et ceux qui veulent se servir du sexe pour telle ou telle raison plus ou moins sublime, mon dieu, qu'ils fassent leur expérience. Comme me disait Mère pas plus tard qu'hier à ce même propos: «À dire vrai, le Seigneur se sert de tout. On est toujours en route vers quelque chose.» On est toujours en route, par n'importe quel moyen, mais ce qu'il faut, autant que possible, c'est garder l’esprit clair et ne pas se tromper soi-même.

Je vais tâcher de retrouver un ou deux passages de Sri Aurobindo pour vous donner son point de vue.

Signé: Satprem


(de Sri Aurobindo)

«Il n'est pas d'erreur plus périlleuse que d'accepter l’intrusion du désir sexuel et sa satisfaction subtile sous une forme quelconque et de considérer qu'ils font partie de la sâdhanâ. Ce serait le moyen le plus efficace d'aller droit à une chute spirituelle et de précipiter dans l’atmosphère des forces qui bloqueraient la descente supramentale en faisant descendre à sa place des puissances vitales adverses semant le trouble et le désastre. Il faut absolument rejeter cette déviation si elle essaie de se produire et l’extirper de la conscience afin que la Vérité puisse se manifester et l’œuvre s'accomplir.

«C'est aussi une erreur de s'imaginer qu'il suffise de rejeter physiquement l’acte sexuel, et que son imitation intérieure fasse partie de la transformation du centre sexuel. l’action de l’énergie sexuelle dans la Nature est un mécanisme à certaines fins particulières dans l’économie de la création matérielle ignorante. Mais l’excitation vitale qui l’accompagne produit une vibration dans l’atmosphère créant une occasion des plus favorables à l’irruption des forces et des êtres vitaux dont la seule occupation précisément est d'empêcher la descente de la lumière supramentale. Le plaisir qui s'y associe est une dégradation de l’ànanda divin, non sa vraie forme. Le vrai ànanda divin dans le physique a une qualité, une substance, un mouvement différents; essentiellement existant en soi, sa manifestation ne dépend que d'une union intérieure avec le Divin. Vous parlez de l’Amour divin, mais l’Amour divin quand il touche le physique, n'éveille pas les grossières tendances du vital inférieur; s'y complaire ne ferait que le repousser et le ferait fuir à nouveau sur les hauteurs d'où il est déjà si difficile de l’attirer dans l’épaisseur de la création matérielle que lui seul peut transformer. Cherchez l’Amour divin par la seule porte qu'il consente à franchir: la porte de l’être psychique, et rejetez l’erreur du vital inférieur.»

Sri Aurobindo

17 janvier 1968

(À propos d'une ancienne conversation de Mère sur Savitri, notée de mémoire par un jeune disciple.)*

Ils sont tellement contents, tellement enthousiastes! tout le monde vient dire: «Oh! c'est si bien!» J'ai pensé: «Faut-il en faire des fautes pour que ces gens trouvent que ce soit bien! Quand on ne fait plus de fautes, ils ne l’aiment plus.» Voilà.

Et ils veulent le publier.


Peu après, à propos d'un passage de ce même texte sur Savitri

Sri Aurobindo écrivait la nuit, et moi, la nuit, j'avais l’expérience, et le matin il me lisait et je reconnaissais mon expérience – je ne lui avais rien dit, il ne m'avait rien dit. C'est intéressant...

Mais on a toujours l’air de se vanter, c'est cela qui est embêtant. Non, c'est vrai, on peut dire une chose comme cela, c'est très différent que de l’écrire et de le publier.

20 janvier 1968

(Mère donne au disciple un paquet de potage auquel elle n'a même pas goûté.)

Tu n'as pas le temps d'essayer?

C'est inutile.

Il y a quelque chose qui s'efforce de m'empêcher de manger. Je ne sais pas... Je mange encore par... (comment dire?) bon sens, vieux bon sens. Évidemment, le corps fonctionne encore à la vieille manière, par conséquent il faut employer les vieux moyens, mais... C'est tout.

24 janvier 1968

(Le disciple s'apprête à quitter Mère comme d'habitude vers onze heures et demie.)*

Ça va être un dur mois...

Oh!...

Les jours où tu viens, ce sont les seuls jours de la semaine où je peux manger à midi. Les autres jours, je suis si tard que si je mange, je ne peux pas prendre de bain, alors je ne mange pas.1 Alors le déjeuner de midi... Mais au fond, je suis très contente.

Non, il y a toute une réorganisation interne... On verra ça. C'est encore en période de transition.

Probablement, une sorte de fixité mécanique va disparaître, c'est cela que je pense, ce sera la première chose qui changera; une sorte de fixité mécanique qui était nécessaire pour... N'est-ce pas, la vie physique était extrêmement mécanique pour pouvoir fonctionner normalement; eh bien, ça, c'est en train de disparaître. Mais la transition est difficile.

Voilà.

27 janvier 1968

Le directeur de la Radio m'a écrit hier pour me dire qu'il voudrait faire une audition «spectaculaire» le 21 février, puis il m'a demandé, à la fin, pour «couronner» l’affaire, que je lui donne mes «réminiscences de ma vie dans l’Inde»! (Mère rit) Alors j'ai préparé ma réponse...

«The reminiscences will be short. I came to India to meet Sri Aurobindo, I remained in India to live with Sri Aurobindo, when he left his body I continued to live here in order to do his work which is by serving the Truth and enlightening humanity to hasten the rule of the Divine's Love upon earth.»

Voilà, un point c'est tout, fini.

C'est venu en anglais et je l’ai mis en français:

«Les réminiscences seront courtes. Je suis venue dans l’Inde pour rencontrer Sri Aurobindo; je suis restée dans l’Inde pour vivre avec Sri Aurobindo; quand il a quitté son corps, j'ai continué à vivre ici pour faire son œuvre: servir la Vérité et éclairer l’humanité afin de hâter le règne sur la terre de l’Amour divin.»

C'est Pavitra qui m'a lu la lettre du monsieur hier soir, et pendant qu'il la lisait, Sri Aurobindo est venu, et puis il a commencé à rire! quand le bonhomme a demandé mes réminiscences, il a ri, puis tout de suite – tout de suite –, j'ai eu la réponse, tout de suite. C'est venu comme cela: «C'est très simple, il n'y a pas grand-chose à dire»... Mais ces gens ne comprennent pas! Et Sri Aurobindo m'a dit: Il is great time that they learn it [il est grand temps qu'ils l’apprennent]. Alors cela a été fait en cinq minutes.


(Puis Mère écoute la traduction anglaise de l’«À Propos» du 24 novembre 1967 pour le prochain Bulletin.)

Au moment où on a l’expérience, c'est très intéressant, parce que c'est une expérience, cela vous apprend quelque chose de nouveau, on vit quelque chose de nouveau, mais... Alors on le raconte, mais quand, après, on l’entend, oh! ça paraît faire tant d'embarras pour si peu de chose.

Ces expériences, j'en raconte une de temps en temps – elles sont innombrables, constantes. Chacune en elle-même est très intéressante, elle vous apprend quelque chose, une nouvelle vision du monde, une nouvelle action, mais raconter tout cela... c'est interminable et chacune en elle-même n'a qu'un intérêt très relatif.

Ce matin encore pendant une heure, j'ai vécu dans un certain état de conscience, une certaine vision du monde, c'était extrêmement intéressant parce que c'était tout à fait nouveau, mais raconter tout cela en détail... Enfin, je vous laisse juge, c'est vous qui décidez, moi cela m'est égal!

31 janvier 1968

C'est curieux, il est venu comme une interdiction de parler et... je ne sais pas comment expliquer cela, j'ai l’impression de parler à une distance. Je ne sais pas comment expliquer. Et c'est cela qui a donné cette voix rauque (Mère est légèrement enrouée). Je pense que c'est en train de subir une sorte de transformation. Avant, il y avait eu un grand contrôle sur la voix, sur le son de la voix – tout cela, parti! Et c'est comme si je faisais parler quelque chose qui est très loin de moi.

Ça passera.

(silence)

Et pour tout, tout... il y a un changement dans le MODE d'être. Pour les nuits aussi, les nuits sont très différentes – tout cela était organisé, très régulier, très organisé, très conscient, et tout cela est changé maintenant. Et la conscience... oui, elle est constamment extérieure à l’instrument, comme quelque chose qui est comme cela (geste au-dessus), très vaste – très vaste et très souple –, mais comme cela constamment: nuit et jour. Et c'est pourtant la conscience de ça (Mère touche son corps), de l’instrument. C'est la conscience qui était corporelle, et maintenant c'est la même conscience mais qui est devenue quelque chose de très vaste et très fort, et comme cela (même geste au-dessus), comme à une distance du corps, et qui agit comme cela sur le corps, tout le temps, pour le faire mouvoir. Et le corps ne semble pas si limité à la forme: il sent à une certaine distance, il touche à une certaine distance.

C'est curieux. (Riant) Il y a quelque chose qui est en train de se passer, je ne sais pas ce que c’est!1


(À la fin de cette entrevue, le disciple rentre chez lui, puis Mère lui envoie la note suivante:)

Voilà ce que j'essayais de dire ce matin:

Au lieu de la conscience à l’intérieur du corps, c'est le corps qui est à l’intérieur de la conscience, et pourtant c'est encore la conscience corporelle.

février




3 février 1968

(Mère commence par lire pour la Radio indienne le texte de ses «réminiscences» de sa vie en Inde: voir conversation du 27 janvier 1968.)

Et puis j'ai écrit quelque chose... Ils voulaient faire une sorte de brochure sur Auroville, à distribuer à la presse, aux gens du gouvernement, etc., le 28,1 et avant, il y a une conférence de toutes les nations («toutes les nations», c'est exagéré, mais enfin ils disent «toutes les nations») à Delhi, dans deux ou trois jours. Et Z y va, et elle veut emporter les papiers d'Auroville. Ils avaient préparé des textes – toujours longs, ça n'en finit plus: des discours, des discours. Alors j'ai demandé, je me suis concentrée pour savoir ce qu'il fallait dire. Et puis tout d'un coup Sri Aurobindo m'a donné une révélation. Ça, c'était intéressant. Je me suis concentrée pour savoir le pourquoi, le comment, etc., et puis tout d'un coup, Sri Aurobindo a dit... (Mère lit une note)

«l’Inde est devenue...

C'était la vision de la chose, et alors ça s'est traduit en mots français tout de suite.

«l’Inde est devenue la représentation symbolique de toutes les difficultés de l’humanité moderne.

«l’Inde sera le lieu de sa résurrection, la résurrection à une vie plus haute et plus vraie.»

Et la vision claire: cette même chose qui dans l’histoire de l’univers a fait de la terre la représentation symbolique de l’univers afin de pouvoir concentrer le travail sur un point, le même phénomène se produit maintenant: l’Inde est la représentation de toutes les difficultés terrestres humaines, et c'est dans l’Inde que sera la... guérison. Et alors c'est pour cela – c'est POUR CELA que l’on m'a fait faire Auroville.

C'est venu, c'était tellement clair et formidable en puissance!

Alors j'ai écrit cela. Je ne leur ai pas dit comment ni pourquoi, mais je leur ai dit: mettez cela au commencement de votre papier, quel qu'il soit; vous pouvez raconter tout ce que vous voulez, mais ça, d'abord.

(silence)

C'était très intéressant. C'est resté tout le temps, pendant plus d'une heure, une vision si forte, si claire, tout d'un coup comme si tout devenait clair. Je me posais souvent la question (pas «posais la question», mais il y avait une tension pour comprendre pourquoi c'était devenu ici, dans l’Inde, un tel chaos, avec de si sordides difficultés, et tout cela comme une accumulation), et tout est devenu clair, tout de suite, comme cela. C'était vraiment intéressant. Et alors cela a été immédiatement: voilà pourquoi tu as fait Auroville. Je ne le savais pas, n'est-ce pas, je faisais la chose sous pression, et cela prenait des proportions de plus en plus grandes (ça devient vraiment terrestre), et je me disais: pourquoi?... J'avais pensé pendant un temps que c'était la seule possibilité actuelle d'empêcher la guerre,2 mais cela me paraissait comme une explication un peu superficielle. Et puis tout d'un coup, c'est venu: ah! voilà.

Et alors, comme il y avait tout ce pouvoir là-dedans, j'ai dit: «Mettez ça.» On verra bien – ils ne comprendront rien mais ça ne fait rien, ça agira.


Peu après

Et puis, je t'ai envoyé une petite note l’autre jour...3 Et alors, ce matin (ce matin jusqu'à ce que je sois en contact avec les gens, toutes les premières heures de la matinée), il y a eu quelque chose. Je l’ai noté pour pouvoir te le dire parce que je savais que ça allait... non pas s'évaporer, mais s'atténuer (Mère lit):

«Le corps est baigné dans la Conscience Divine...

C'est comme flotter dans l’eau. C'est cela, l’impression; la Conscience Divine partout, très forte – très forte – comme cela, très puissante, et le corps est comme baigné là-dedans, et ça fait l’impression de quelque chose qui est encore... un peu coriace – c'est cela, un peu coriace, un peu comme une écorce –, un peu coriace mais qui commence à être souple, qui commence à avoir cette souplesse, cette plasticité. Et alors les deux sont comme cela, intimement mélangés. Et ce corps, son état de conscience, son état d'être, sa manière d'être, est comme cela (Mère reprend sa lecture):

«Il fait de son mieux pour être translucide et transparent et pour ne pas obstruer ou déformer cette Conscience dans son action.»

C'est vraiment cela, pas positivement «transparent» parce que transparent... un verre, par exemple, est transparent et il reste dur; c'est un effort pour se fondre – pour se fondre, pour s'identifier comme cela, pour se fondre; au point que quand je suis très tranquille, que je ne bouge pas – rien ne bouge dedans, rien ne bouge dehors, assise tranquille –, que dedans tout-tout reste immobile, c'est comme s'il y avait une dilatation – une dilatation – et comme quelque chose qui a tendance à vouloir se fondre. C'est une impression très-très forte. Et alors, cela produit à travers les cellules une puissance de vibration extraordinaire! n'est-ce pas, quelque chose qui est tout à fait disproportionné avec le corps humain – formidable! – qui passe comme cela.

Ça m'est arrivé quelquefois avec des gens: tu sais que, toujours, je veux leur donner un «bain de Seigneur» comme je dis, quand ils viennent, mais il y en a qui répondent et qui «tirent», et alors à ce moment-là (c'est arrivé une ou deux fois), c'est comme si toutes les cellules se gonflaient, quelque chose qui devient très-très gros, très grand comme cela, et puis une vibration tellement... mais presque formidable, n'est-ce pas. Alors, quand ça arrive, que je regarde, il y a des gens qui fondent (pas beaucoup, très peu), mais il y en a qui sont épouvantés! qui se lèvent et qui se sauvent. Et il y en a qui ont ce qu'on appelle awe en anglais [terreur, effroi religieux]: ils sont abrutis. J'ai remarqué cela plusieurs fois. Je pensais simplement: le Seigneur fait son action – mais ce n'est pas cela! c'est... c'est qu'il y a vraiment quelque chose qui change dans le corps.

Mais maintenant c'est devenu clair et c'est devenu conscient, et le corps... Il suffit d'arrêter l’activité, mais deux ou trois secondes, une ou deux minutes au plus, pour que le corps se sente flotter, flotter comme cela, flotter... Et on voit une immensité, comme un océan de cette Conscience vibrante, lumineuse, dorée, puissante, et là-dedans, ça flotte... Je te dis, c'est encore un peu comme un bout d'écorce, mais il y a des parties qui s'effritent. C'est comme un bout d'écorce qui couvre maladroitement à certains endroits: ce sont les choses qui... sentent encore l’identification; ce n'est pas l’identification parfaite parce qu'elle est encore sentie – mais sentie dans une béatitude!...

Au point de vue pratique, s'il y a quelque chose qui se dérange quelque part pour une raison quelconque (le plus souvent, sous l’influence de quelque chose qui vient du dehors d'une façon inattendue: il y a une douleur ici, quelque chose qui se dérange là, etc.), avec Ça, presque instantanément – presque instantanément –, la chose disparaît, et si je reste patiemment dans cet état, le souvenir disparaît. Et alors c'est comme cela que des désordres, qui étaient devenus des habitudes, petit à petit disparaissent.

Douce Mère, il y a une question que je me suis souvent posée. Ce n'est pas une question, c'est un état quand je médite: très souvent, je n'ai pas envie du tout de mantra, je n'ai pas envie du tout de rien du tout, je sens que je me laisserais couler béatifiquement dans une espèce de dissolution, vraiment comme une dissolution, une transparence complète, où justement il n'y a plus rien qui bouge. Et quand j'arrive à ce moment-là, il y a toujours quelque chose en moi qui reprend en disant «non»... Parce que j'éprouve aussi le besoin de garder l’aspiration, la vie de l’aspiration; parce que même la vie de l’aspiration disparaît là-dedans.

Oui, je connais cela.

Alors quelle est la bonne chose?

Sri Aurobindo l’a dit plusieurs fois: dès que l’annulation de l’être est faite, imédiatement l’essence, la raison essentielle de l’individualisation réapparaît sans les limites de l’ego. Mais cette chose dont tu parles, cette espèce d'angoisse qui fait que l’on arrête,4 c'est un mouvement nécessaire jusqu'à ce que l’être tout entier soit prêt, parce que si cette annulation de la personnalité, de l’individu, se produisait avant que tous les éléments du corps, ou même du vital et du mental, ne soient prêts... n'est-ce pas, ce serait dissous, et alors on ne sait pas ce qui arriverait. Alors ce besoin de se reprendre arrive jusqu'au moment où l’on est tout à fait prêt – quand on est prêt, on peut se laisser aller. Et dès que la fusion est faite (comment dire?...), pas la «loi», mais on peut appeler cela la raison d'être, revient, sans les limitations de l’ego.

Cette expérience, je l’ai eue dans le vital et dans le mental; maintenant je vois dans le corps que c'est comme cela, que le rappel revient parce que telle ou telle partie, tel ou tel élément n'est pas encore prêt et qu'il faut attendre qu'il soit prêt. Mais justement dans l’expérience de ce matin, il n'y avait plus que comme des morceaux d'écorce qui flottaient.

Cela veut dire que le travail se fait très rapidement.

Mais le corps pourra se laisser aller comme cela, sans être dissous, quand il sera prêt. Et c'est cela, c'est la préparation. Le mouvement, c'est, oui, de se fondre totalement. Mais le résultat est l’abolition de l’ego, c'est-à-dire un état qui est inconnu, n'est-ce pas, on peut dire «pas réalisé physiquement», parce que tous ceux qui cherchaient le Nirvana, cherchaient cela en abandonnant leur corps, tandis que notre travail, c'est que ce soit le corps, la substance matérielle qui puisse se fondre; mais alors le principe de l’individualisation demeure et tous les inconvénients de l’ego disparaissent. C'est cela qu'on va essayer. Comment garder la forme sans qu'il y ait d'ego, c'est cela le problème? Eh bien, c'est comme cela que ça se fait, petit à petit, petit à petit. C'est pour cela que ça prend du temps: chaque élément est repris, transformé... La merveille, c'est cela, c'est cela (pour la conscience ordinaire, c'est un miracle), c'est de garder la forme en perdant tout à fait l’ego. Pour le vital, pour le mental, c'est plus facile à comprendre (pour la majorité des gens, c'est très difficile, mais enfin pour ceux qui sont prêts, c'est facile à comprendre, et alors l’action peut être beaucoup plus rapide), mais ici, ça (Mère désigne le corps), que ce ne soit pas dissous par ce mouvement de fusion?... Eh bien, c'est cela, c'est justement cela, l’expérience. Et il y a un petit mouvement de patience, un mouvement de... c'est vraiment l’essence profonde de la compassion: le minimum de déchet pour le maximum d'effet. C'est-à-dire que l’on va aussi vite que l’on peut, mais les délais viennent de la nécessité de préparation des différents éléments.

C'est justement la courbe si intéressante de ce qui se produit en ce moment. Il y a des moments où on a l’impression que tout-tout se dissout, se désorganise; et j'ai bien vu: au commencement, la conscience physique n'était pas suffisamment éclairée, et alors, quand ces préparations intérieures se faisaient, elle avait l’impression que: «Ah! ce doit être cela qui annonce la mort», et puis petit à petit est venue la connaissance que ce n'était pas du tout cela, que c'était seulement la préparation intérieure pour être apte, apte à s'identifier. Et au contraire, alors, la vision très claire de cette plasticité si particulière, cette souplesse si extraordinaire que si elle était réalisée... une fois qu'elle est réalisée, c'est évidemment l’abolition de la nécessité de la mort.

Et cette expérience de ce matin, c'était... Tout était un immense océan de conscience lumineuse, si puissante! formidablement puissante. Et en même temps, c'est quelque chose de si doux, si compatissant, mais sans cause – il n'y avait pas de cause: comme ça. C'est comme l’Amour Divin qui est sans objet, c'est comme cela. Et alors ce corps qui commence à flotter dedans, de plus en plus léger, de plus en plus transparent, et qui reste encore... encore... l’impression, c'est une écorce, mais ce n'est même pas une écorce partout. C'est un curieux effet de quelque chose qui a des contradictions encore. Mais pas des contradictions volontaires, ce n'est pas cela: des incapacités – des impuissances, un manque de réceptivité. Mais ça, petit à petit, petit à petit, lentement, ça se guérit.

Chaque expérience – et ça va vite maintenant –, chaque expérience indique un grand pas en avant.

(silence)

Chaque fois que la règle ou la domination des lois ordinaires de la Nature est, sur un point ou un autre, remplacée (ou doit être remplacée ou va être remplacée sur un point quelconque) par l’autorité de la Conscience Divine, cela fait un état de transition qui a toutes les apparences d'un désordre formidable et d'un danger très grand. Et alors, le corps, tant qu'il ne sait pas, tant qu'il est dans son état d'ignorance, est pris de panique (c'est ce qui arrive chez presque tout le monde), pris de panique, croit à une grande maladie, et quelquefois cela se traduit même, à l’aide de l’imagination, par une maladie; mais à l’origine ce n'est pas cela: c'est le retrait, le retrait de la loi de la Nature ordinaire avec son adjuvant de loi vitale et mentale personnelles (mais la loi de la Nature dans le corps est généralement beaucoup plus forte que la loi du mental et du vital); eh bien, c'est le retrait de cette loi et le remplacement par l’autre; alors il y a un moment où ce n'est ni ça ni ça, et ce moment-là est critique. Mais si le corps commence à savoir, il reste immobile avec la foi – la confiance et la foi –, il reste immobile, alors tout va bien. Ça passe rapidement et tout va bien. Tant qu'il ne sait pas... ses réactions sont désastreuses. Mais pour le savoir automatiquement, spontanément, cela demande déjà qu'une grande partie des éléments du corps soient déjà conscients et transformés. Maintenant, ça va. Il n'y a pas si longtemps encore, il fallait s'arrêter, se taire, se concentrer, appeler la Présence, faire acte de foi, alors tout rentrait dans l’ordre. Maintenant le mouvement est spontané.

Et la surface, justement la partie qui donne l’impression d'une écorce, c'est ce qui changera en dernier – qu'est-ce qui va se passer? Je ne sais pas... Je ne sais pas. Mais ça changera en dernier.

Et il y a des petits détails amusants. Quand je me trouve en présence de quelqu'un qui, pour une raison ou pour une autre, reçoit un choc ou a un malaise à cause du fait que je suis voûtée maintenant (quelqu'un qui m'a connue avant), cela crée une atmosphère qui donne au corps une sorte de regret de cette apparence (mais ce n'est pas un «regret»: c'est une désapprobation plutôt), de cette apparence de déchéance (c'est un exemple que je donne au milieu de beaucoup d'autres), alors il y a la très claire vision, presque imédiatement, de ce qui peut guérir cela, de l’état de conscience qui peut guérir cela. Mais il faut que ce soit un état spontané pour être constant... Il y aura un moment de transition pour cela comme pour tout le reste, et probablement il sera dangereux. Il faut que l’état de conscience-de-vérité soit suffisamment établi pour qu'il soit spontané: qu'il n'y ait pas besoin d'une concentration et d'une volonté, n'est-ce pas, qu'il soit spontané. Alors la transition pourra avoir lieu.

Il m'a été donné dans ma vie tant-tant d'expériences pour me prouver que tout est possible. Par exemple, à vingt-deux ans, une nuit, après une expérience que j'ai eue dans la nuit (je ne me souviens plus des détails de ce que c'était), mais à ce moment-là, on portait des robes qui touchaient le sol exactement, juste touchaient le sol sans s'appuyer (geste au ras du sol), et dans mon expérience de la nuit, j'étais devenue grande, et le matin, il y avait deux centimètres de différence entre la robe et le sol! C'est-à-dire que le corps avait grandi de deux centimètres avec L’expérience de la nuit. N'est-ce pas, dans l’expérience de la nuit, j'étais devenue grande (je ne me souviens plus des détails) et le matin... Ça, ce contrôle matériel m'a été donné pour beaucoup de choses comme cela, pour que je sois sûre, que le corps puisse être convaincu sans avoir besoin de répéter-répéter-répéter les expériences. Par conséquent, il sait, il sait qu'il n'y a pas d'«impossible», il sait qu'impossible, ça ne veut rien dire... Mais cela ne dépend pas d'une volonté individuelle, n'est-ce pas. Et la Conscience qui régit les choses, elle est merveilleuse de sagesse, de patience, de compassion, d'endurance. Quand il y a destruction ou désordre, c'est que c'est absolument inévitable, absolument – que la résistance de la matière dans l’individu ou dans les choses est tellement forte que cela amène tout naturellement le désordre ou la destruction. Mais cela ne fait pas partie de l’Action, de l’Action suprême, qui est une merveille. Et le corps a compris cela; il a compris, il est patient. Seulement, de temps en temps... (comment dire?)... Il y a des gens que j'empêche de mourir – plusieurs. Je n'ai pas encore la conscience, le pouvoir conscient de les guérir, mais la possibilité est là et je la maintiens au-dessus d'eux; c'est-à-dire que ce n'est pas tout-puissant dans le sens que certaine réceptivité, certaine réponse, certaine attitude sont nécessaires, qui ne sont pas toujours là (les natures humaines sont très fluctuantes, il y a des hauts et des bas et des hauts et des bas, et cela rend le travail très difficile), mais alors, quelquefois, à des moments de bas, quand l’être souffre ou fléchit, il y a quelque chose dans la conscience (de Mère), une compassion... (comment expliquer cela?)... Tous ces mouvements, ce sont des mouvements de faiblesse, mais «ça», c'est quelque chose de très fort et de très doux en même temps, et presque comme un chagrin, et toute-toute la conscience qui est dans le corps va comme une prière et une aspiration, mais une prière: «Pourquoi les choses sont-elles encore dans cet état misérable, pourquoi? Pourquoi-pourquoi?» Instantanément, cela produit un effet (chez le malade). Malheureusement, l’effet n'est pas durable; il n'est pas durable parce que certaines conditions dans les autres sont encore nécessaires. Mais... c'est merveilleux, n'est-ce pas! C'est quelque chose de tellement merveilleux. Et alors cela fait comprendre la nécessité d'une présence de ce côté-ci, d'une présence qui est capable de sentir, de comprendre encore de l’autre manière, pour que la souffrance des autres... soit une réalité. Et ça aussi, c'est tenu en compte, et ça aussi, cela fait qu'il faut du temps, il faut de la patience. Et le corps le sait maintenant – il n'y a plus d'impatience; il y a seulement, de temps en temps, cette sorte de chagrin, surtout quand les êtres sont pleins d'aspiration, de bonne volonté, de foi, et que, malgré cela, il y a encore cette souffrance qui s'accroche. Ça, d'un côté, et de l’autre côté il y a une chose: il y a encore une sorte d'horreur et de réprobation pour les actes de cruauté, pour la cruauté, ça... Alors, il y a cette formidable Puissance – on sent, on sent qu'un rien, un simple petit mouvement, oh! ça produirait une catastrophe. Et alors il faut garder ça tranquille-tranquille-tranquille... pour que ce soit le mieux qui se passe, toujours.

Maintenant, la stupidité, l’imbécillité, l’ignorance, toutes ces choses-là, on les regarde avec une patience... qui attend que ça se développe. Mais la mauvaise volonté et la cruauté – surtout la méchanceté, la cruauté, ce qui aime à faire souffrir –, ça, c'est encore difficile, il faut encore se tenir. Alors, dans le langage imagé (pas «langage»: la façon d'être), c'est Kâli qui veut frapper, et je suis obligée de lui dire: «Tiens-toi tranquille, tiens-toi tranquille.» Mais ça, c'est une transcription humaine. Tous ces dieux, tous ces êtres, c'est vrai, ça existe, mais... c'est une transcription. La vérité vraie est au-delà de tout cela.

Voilà.

C'est le jour de Mahâsaraswati5... (Riant) elle a beaucoup bavardé!6

7 février 1968

Il m'est arrivé une histoire très amusante avec les fleurs. J'avais arrangé des roses; j'avais choisi des roses pour donner aux gens, et puis, quand ces gens sont venus, j'ai sorti une rose que j'avais gardée, et elle s'était ouverte trop et elle n'avait plus l’air très bien. Alors j'ai regardé, j'ai pensé: «Est-ce qu'elle est assez bien pour être donnée?» Je la tenais sans la serrer, comme cela... Mon petit, devant mes yeux, elle s'est retournée et elle m'a enfoncé son épine dans le doigt!

J'ai eu d'autres exemples de conscience dans les fleurs, mais ça, c'était remarquable. Quand je les prends et puis que je leur dis qu'elles sont jolies, qu'elles sont gentilles, elles s'ouvrent – ça arrive souvent; mais ça, elle s'est retournée (je ne la tenais pas serrée naturellement), elle s'est retournée et m'a enfoncé son épine dans le doigt!

Et j'ai eu un autre exemple, mais ça, c'était très amusant. Tu sais que je mets des hibiscus là, sous la lampe. J'avais mis deux fleurs: la «conscience supramentale» et puis une autre, rose pâle, la «beauté supramentale», là, sous la lampe. Et puis on m'a envoyé un «pouvoir», un hibiscus grand comme ça, tout blanc, avec le centre d'un grenat foncé – une merveille! Grande comme cela. Je la mets là; l’autre... elle tenait (elle tenait très bien, elle avait tenu toute la matinée), instantanément elle est tombée, furieuse – pas «tombée», elle s'est jetée par terre, comme cela!

Ça, j'ai remarqué: la jalousie entre les fleurs. Il y a des roses, si on met d'autres fleurs avec, elles se fanent tout de suite.

Mais la colère, c'était la première fois.

Et alors, le plus beau de l’affaire, c'est que je l’ai gardée et que je l’ai donnée! (riant) Elle a réussi son coup!

Il y a quelqu'un à qui j'envoie des fleurs et qui m'envoie des fleurs tous les jours, quelqu'un qui fait le yoga sérieusement. Alors il m'a écrit (il m'envoie justement de ces hibiscus dorés, les «beauté supramentale»), il m'a écrit qu'il y avait une de ces fleurs à qui il avait dit: «Vous allez voir Mère», et qu'elle a souri. Elle s'est épanouie, elle était contente, elle a souri. Il m'a dit: elle m'a souri.

Je ne sais pas si c'est notre perception qui progresse ou si vraiment, comme Sri Aurobindo l’avait dit: «Quand la Force supramentale viendra sur la terre, partout il y aura une réponse.» Ça m'a l’air d'être cela, parce qu'elles sont si-si vibrantes, pleines de vie. Le matin, j'en arrange toujours (j'ai au moins trois quarts d'heure de travail, il y a plus d'une centaine de fleurs dans des vases différents à arranger, là, et je donne un genre spécial à chaque personne, j'arrange comme cela), et alors, dans les vases, il y a des fleurs qui me disent: «Moi!» Et en effet, elles sont justement ce dont j'ai besoin. Elles m'appellent pour me dire: «Moi!»... Mais ça, ce n'est pas nouveau parce que quand j'étais au Japon, j'avais un grand jardin, j'en avais cultivé une partie pour faire des légumes, et le matin je descendais dans le jardin pour trouver les légumes à manger dans la journée. Et il y en avait là, là, là (geste dispersé) qui me disaient: «Moi! moi! moi!» Comme cela. Alors j'allais les ramasser. Elles m'appelaient littéralement, elles m'appelaient.

Ça, c'est vieux, mille neuf cent... combien était-ce? C'était en 1916-17, alors il y a de cela... quarante ans.

Cinquante.

(Mère rit) Il y a cinquante ans!

Mais maintenant, le matin, je n'ai qu'à ne pas penser, à rester tranquille, et je vais tout droit, elles disent: «Moi! moi!...» Malgré moi, je suis étonnée, je dis: c'est merveilleux, c'est juste ce que je veux!1


Peu après

Ah! maintenant au travail. Tu sais ce qu'il faut faire?... Préparer la «Charte d'Auroville»! On va mettre cela dans la terre; quand on va jeter toutes les terres de tous les pays, on va mettre une boîte en métal avec ça écrit dedans, un parchemin. Alors il faut l’écrire... j'ai quelques petites idées.

Et puis il y a la charte préparée par G et la charte préparée par Y, il faut que tu me les lises, on va voir (Mère tend la charte de G).

Charte d'Auroville (G)

1) Auroville est le premier creuset de l’homme planétaire.

Ah! «planétaire», c'est comme disciple de Y! Y aime beaucoup «planétaire».

2) Auroville s'offre pour découvrir les sources profondes de l’unité de l’homme et de l’univers, de la connaissance dans la joie et l’amour.

Comprends pas! Ça ne fait rien.

3) Tout à Auroville appartient à la terre entière et les membres d'Auroville sont tous les êtres de la terre.

4) Ce jour, Auroville est solennellement consacrée à servir à tout jamais l’union du ciel, de la terre et de la vie.

Ciel? Quel ciel?

Voilà l’autre (Mère tend la charte de Y). C'est plus littéraire (!)

Dédication d'Auroville (Y)

1) Nous fondons solennellement cette ville comme premier foyer d'une société planétaire...

Ah!

... la société de demain.

2) Nous consacrons solennellement cette ville comme la synthèse constamment renouvelée des dernières conquêtes de la science et de la plus ancienne sagesse.

3) Nous établissons solennellement comme fonction principale de cette ville la préparation de chaque enfant à sa plus haute destinée spirituelle et planétaire...

Aïe!

... afin que cette ville devienne le berceau d'une humanité nouvelle.

C'est tout? C'est mieux, mais ce n'est pas ça.

Moi, je n'ai pas mis de solennités... Je n'ai pas écrit, parce que ce n'est jamais mental, alors ce n'est pas organisé (Mère cherche des petits bouts de papier éparpillés). Au point de vue mental, ça n'a pas de valeur, ce n'est pas organisé, mais il y a des choses qui sonl venues. C'est par fragments, ça ne se suit pas (Mère continue de trier les bouts de papier). Je ne sais même plus ce que j'ai dit... Ce n'est pas organisé, je ne sais pas dans quel ordre je le mettrai... Ah! (Mère tire un papier)... Il y a d'abord un point matériel que G a essayé de dire d'une façon maladroite: que tout le monde es1 citoyen d'Auroville. La vérité est ici (nous n'allons pas mettre de solennités, ce n'est pas nécessaire)...

(Mère déroule un grand parchemin sur le rebord de la fenêtre, face au Samâdhi, puis se juche sur un petit tabouret pour être mieux à la hauteur, et armée d'un énorme crayon-feutre noir qui fait des lettres comme des bâtons cunéiformes, elle se met à recopier la Charte tout en faisant des commentaires.)

  1. Auroville n'appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble...

Voilà, c'est le fait matériel. Auroville n'appartient... je n'ai pas mis «à aucun pays» parce que l’Inde serait furieuse. J'ai mis «n'appartient à personne» – «personne» est un terme vague que j'ai mis justement pour ne pas mettre «à aucun être humain» ni «à aucun pays». Et j'ai mis «Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble», parce que c'est l’équivalent de rien! Parce que comme on ne peut pas s'entendre tous ensemble, c'est impossible! Je l’ai fait exprès.

Et puis, je ne parle pas de «citoyens» ni de tout cela, je dis:

...Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.

Ils vont tous tiquer à «Divine», mais ça m'est égal! N'est-ce pas, c'est l’explication du Matri Mandir2 au centre. Le Matri Mandir représente la Conscience Divine. Tout cela, on ne le dit pas, mais c'est comme cela.

Et puis:

  1. Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant et d'une jeunesse qui ne vieillit point.

Et alors:

  1. Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes...

Toutes les découvertes, n'est-ce pas: philosophiques, spirituelles, morales, scientifiques, tout – profitant du passé.

...de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s'élancer vers les réalisations futures.

Et finalement, il y a deux versions: 4. «Auroville sera le lieu des recherches de la connaissance et des moyens d'existence pour aboutir à l’unité humaine basée sur la compréhension réciproque et la bonne volonté.»

Sur un autre bout de papier, c'est écrit: «Pour donner un corps vivant à une concrète Unité humaine.»

Alors nous allons modifier un peu:

  1. Auroville sera le lieu des recherches spirituelles et matérielles pour donner un corps vivant à une Unité Humaine concrète.

Voilà.

(Mère descend de son tabouret)

Ce n'est pas moi qui ai écrit tout cela... J'ai remarqué quelque chose de si intéressant: quand ça vient, c'est impératif, il n'y a pas de discussion; je l’écris, je suis OBLIGÉE de l’écrire quoi que je fasse. Et puis, quand ce n'est pas là, ce n'est pas là! Même si j'essaye de me souvenir, il n'y a rien, ce n'est pas là!... Par conséquent, c'est évident que cela ne vient pas d'ici: ça vient de quelque part là-haut.

Image 2

10 février 1968

(Mère emploie un mot anglais pour un mot français.)

C'est curieux, maintenant le mot anglais me vient plus facilement que le mot français, et je sais très bien pourquoi, c'est parce que, dans cette partie-là, je suis constamment en contact avec Sri Aurobindo; alors quand j'ai besoin d'un mot, c'est dans son magasin que je le trouve! Tandis que moi, là (geste au front), ça devient très bien... très bien!1


(À propos de la cohue à l’Ashram et chez Mère.)

Il est tout à fait évident, tout à fait, incontestable, que tout cela, c'est-à-dire les circonstances de la vie, tout ce qui arrive, cela a été voulu, décidé, organisé. Et c'est le meilleur dressage possible pour le corps. C'est pour lui donner trois choses:

La première, d'abord (encore un mot anglais) une reliance, c'est-à-dire qu'il ne prenne son point d'appui, la source de sa force, de sa santé, de sa capacité, que sur le Divin; que toutes les règles et les lois matérielles sont niées et ne doivent plus avoir aucune importance.

Ça, c'est l’expérience presque de chaque minute.

D'abord cela, le seul point d'appui: le Divin – la nourriture, repos, etc., tout cela n'existe plus. Ça n'existe plus – en fait, ça n'existe pas, mais ça n'existe plus comme facteur d'importance.

Et alors deux choses, qui ont l’air d'être contradictoires (qui dans la conscience ordinaire sont contradictoires), mais qui en fait sont seulement complémentaires. Un surrender (il n'y a pas d'autres mots), une abdication totale – totale, tout de suite, complète. C'est-à-dire l’égalité et l’acceptation – pas même «acceptation»: tout, tout est bien, tout est bien. C'est-à-dire que si la mort venait demain, cela ne causerait aucun trouble, et si la vie doit durer éternellement, cela ne cause aucun trouble – comme cela, n'est-ce pas (geste parfaitement égal qui domine): l’acceptation spontanée, spontanée, sans effort, sans raisonnement, sans... spontanée et totale, comme cela (même geste). Ça, c'est le second point.

Et le troisième point: une vo-lon-té formidable! qui se traduit à chaque moment par... Par exemple, il y a quelque chose qui se désorganise, une douleur; alors, avec cet arrière-fond... ce n'est pas un «arrière-fond», c'est une base, une base d'égalité («égalité», c'est encore vu de l’autre côté! Ce n'est pas cela, c'est... c'est une adhésion, une adhésion spontanée), sur cette base-là, il y a une volonté formidable – formidable – d'être... ce que le Divin veut, mais pas avec l’idée que ça peut être comme ceci ou comme cela. Au fond, pour le dire vraiment, il faut dire: «Être divin» – être Divin. C'est-à-dire dominer toutes les situations, toutes les volontés, toutes les circonstances, comme cela (même geste parfaitement égal qui domine).

Alors ces trois choses sont simultanées et tout le temps présentes. Et tout cela, dans le corps.

Et le corps (ça commence à devenir intéressant), il a les mêmes expériences dans les hauteurs de la conscience, les mêmes expériences (on pourrait dire supramentales, parce que vraiment c'est supramental, là) qu'avaient avant le vital, le mental et les êtres intérieurs.

Il recommence à avoir la même chose, lui – lui, le corps.

Ça s'est passé les nuits dernières, et alors il s'est tout d'un coup souvenu du temps (il y a de cela vingt ans, par exemple) où ces expériences-là étaient les expériences du vital, du mental, de l’être psychique et au-dessus. C'était la manière d'être là (geste au-dessus), mais le corps était en dehors; il était autrement, à sa manière. Mais maintenant, c'est le corps: les mêmes expériences, les mêmes, qui lui reviennent comme cela, et avec une certitude, une solidité de base, incomparables!

Il y a encore, dans un arrière-fond subconscient, les mauvaises habitudes – toutes les mauvaises habitudes: de défaitisme, de doute, de pessimisme, tout cela (c'est la manière d'être de là), mais c'est devenu en dessous, et quand ça passe (plus par habitude que par mauvaise volonté), quand ça... en anglais je dirais bubble out [ça montre son nez], ça reçoit une de ces tapes!

Et je vois bien: quand cet état de volonté (vraiment, il n'y a qu'une façon de dire et c'est une mascarade, mais c'est: «être divin», comme cela, une volonté toute-puissante), quand ça, ce sera la manière d'être normale et spontanée, alors les résultats commenceront à être sérieux.

Encore, il y a quelque chose qui se regarde être – ça veut dire qu'il y en a encore beaucoup qui n'est pas comme cela.

Mais il y a des petites oscillations entre la vieille habitude de céder, d'être humain (avec tout ce que cela comporte), et l’autre. Mais l’autre est vigilant, veille et dit: «Non-non! – non! plus de ça, fini! le temps de ça est passé.» Parce que c'est très clair: ça, c'est la dégringolade vers la mort; l’autre, c'est l’ascension vers... nous ne disons pas encore l’immortalité parce que c'est difficile pour cette matière, mais la vie à volonté.

On verra.

C'est une vision très claire, maintenant, très claire et très certaine, que la mort, c'est l’acceptation de la défaite, alors... Mais partout, pour tout le monde.

Avant, c'était l’habitude inéluctable (Mère dessine une ronde), l’aboutissement inévitable – plus du tout cela, plus du tout! C'est encore le souvenir d'un passé désastreux.

Voilà.2

14 février 1968

(À propos de certains disciples qui justement, aujourd'hui, dirigent les affaires de l’Ashram.)

...Mais c'est très-très instructif. C'est-à-dire que ce n'est pas que cela m'apprenne quelque chose, mais c'est le tableau tout à fait clair, précis, évident, que c'est l’homme qui crée toutes ses difficultés. Les choses seraient simples et faciles s'il n'y avait pas toutes ces réactions d'ego: réactions d'ambition, réactions d'amour-propre – et alors la fourberie, quand elle vient (geste en dessous)... Oui, ces trois choses-là: ambition, avec besoin de paraître, besoin de dominer; amour-propre ou vanité (être vexé quand on n'est pas apprécié à sa vraie valeur, alors on se fâche et on se querelle, et on grince et on tire); et puis, la soif de l’argent, greed, le désir de posséder, la cupidité; on veut «profiter», profiter de l’occasion: je veux gagner, je veux gagner... Avec ces trois-là, tout est embrouillé.

Tant que tout cela s'étale avec candeur et franchise, on sourit, mais quand ça devient de la duplicité: se servir de toutes sortes de trucs dans l’espoir de tromper, cacher son mobile, en faire croire à un autre et... des combinaisons. Alors, ça ne va plus.

Et alors imédiatement, imédiatement tout se désorganise.

N'est-ce pas, des preuves, des preuves évidentes, il faut être absolument aveugle pour ne pas le voir. Et l’aveuglement est volontaire: on ne veut pas savoir la cause, on ne tient pas du tout à savoir... parce que si l’on savait, on serait obligé de changer.

Tout de suite, tout de suite tout se désorganise.

Ah! (Mère lève les deux mains vers le haut en geste d'offrande.)

C'est beaucoup plus facile de dire et de croire que le monde ne peut pas être changé et qu'il faut le laisser à sa propre décomposition – s'en aller tranquillement. Comme c'est commode!... Comme c'est commode.

(silence)

Tu sais comment la tradition spirituelle hindoue a été convaincue – a été obligée d'être convaincue – de la multiplicité des âmes (ils ne disent pas «âmes»), de l’être divin dans les individus? Parce que ces gens étaient très logiques: s'il n'y avait qu'une âme, c'est-à-dire qu'une conscience suprême, n'importe où et n'importe quand, de la minute où elle aurait fait l’expérience de la libération (la fuite dans le Nirvana, l’abandon de tout, toute l’illusion de la vie et de la création), s'il n'y en avait qu'une, ce serait fini! Mais voilà, il se trouve qu'il y en a plusieurs qui ont fait l’expérience, et que cela n'a rien changé au monde (dans son ensemble en tout cas). Alors ils sont arrivés à la conclusion que, peut-être, il y en avait autant que d'individus, et qu'ils ne communiquent que là-haut, ici ils ne communiquent pas.

Quand on m'a raconté cela, ça m'a bien amusée!

Et dans tout cela, il n'y a rien de vrai! ni d'un côté ni de l’autre. C'est seulement un aspect.

Parce qu'il n'y a qu'UN.


Peu après

On m'a montré hier la photographie d'un homme qui est le gourou de beaucoup de gens.1 Je ne sais pas ce qu'il déclare être, mais c'est un Indien qui est allé en Europe et en Amérique et qui a beaucoup – des milliers et des milliers de disciples –, de gens qui le suivent, qui croient en lui, et qui dit qu'il n'y a qu'un moyen d'amener la paix sur la terre, c'est une liberté totale et complète: liberté naturellement de pensée et morale, mais liberté vitale et liberté physique. C'est-à-dire de se libérer de toutes les sujétions et de toutes les lois, de vivre selon son impulsion propre. Et alors il dit qu'il y a un «quelque chose» (je ne sais plus maintenant comment il l’appelle) qui gouverne et qui vous gouvernera, qui vous fera faire ce qu'il faut. Ce n'est pas l’individu qui décide, c'est «ça». Et si on lui demande: «Mais comment? comment savoir que c'est ça, comment trouver ça?», il répond simplement: «Venez vous asseoir à côté de moi en méditation et vous le saurez.» Et il est convaincu qu'avec cela, il peut amener la terre à la paix.

J'ai vu sa photo hier. Vitalement, il est extraordinairement fort. Je ne sais pas si c'est sa force personnelle ou si c'est ce qu'il reçoit des autres parce que ça, on ne peut le savoir qu'avec le contact physique.

(silence)

C'est encore une manière d'approcher.

Il y a beaucoup-beaucoup de gens comme cela maintenant. Je t'ai parlé de trois ou quatre déjà. Et chacun a des milliers de gens qui le suivent, et qui probablement ne comprennent rien à ce qu'il fait! Mais on a l’impression de quelque chose qui... qui fait soulever la pâte, comme cela (geste).

On attrape un tout petit coin, un angle; on a comme un petit trou par lequel on voit de l’autre côté, et avec ça on remue des milliers de gens.

Tant que ce n'est pas exclusif, c'est-à-dire tant que l’homme ou la femme (quels qu'ils soient), le gourou, ne vient pas dire: «Moi seul, je sais la Vérité» (n'est-ce pas, les autres ne savent pas, moi seul je sais), tant qu'ils ne sont pas comme cela, ça va bien. Et quand ils sont assez éclairés pour pouvoir dire: «Oui j'ai attrapé un petit bout comme ça, je vous le donne; tous les autres bouts sont bons»... Mais même si l’on met tous les bouts ensemble, on est encore loin de LA Vérité.

J'aurais dû garder cette photo pour te la montrer. Aussi son corps vit en liberté! Des cheveux pas coiffés (peut-être qu'il ne se lave jamais!), une barbe... Des yeux très forts.

C'est curieux, les gens qui ont du succès comme cela, ce sont toujours des Indiens.

Oui, il y a eu Steiner qui avait beaucoup de pouvoir sur ses disciples, mais ça, c'était carrément une force adverse avec toute la puissance des asouras.

17 février 1968

Ah! avant que nou ne commencions à travailler, j'ai reçu ça...

(Mère tend d'abord une lettre)

«Voici quelques pages de notre numéro sur Auroville, la cité de l’amour gardée par les quatre Mères.»

Signé: Y

(Puis Mère tend un dépliant qui représente...)1

Si tu comprends, tu me le diras.

Tu as compris?

Non.

Tu n'as pas compris? Moi, je croyais que tu allais m'expliquer!

C'est tout embrouillé là-dedans.

Est-ce que c'est un serpent qui se mord la queue?

C'est vraiment, exactement, une construction mentale.

Ah! oui.

Et le texte... Il n'y a pas la moindre petite chose qui vibre de vérité là-dedans.

Oui, c'est tout à fait construit.

Il n'y a pas une flamme, il n'y a rien là-dedans.

Et de quel amour parle-t-elle? Ça a l’air tout à fait de l’amour sexuel.

Ça a l’air d'être très humain.

(Mère rit) Très-très humain, oui.

J'ai regardé beaucoup et je me suis demandé si cela n'allait pas être justement la conception moderne du yoga?

Oui, ils sont pleins de ces histoires de «yoga sexuel». Ils ne pensent qu'à cela, ils ne parlent que de cela. La «cité de l’amour», moi ça me semble...

Mais ce mot, dès que l’on s'en sert de la façon ordinaire, c'est comme cela.

Je ne sais pas quoi faire.

Ça ne me semble pas intéressant.

Moi, je ne trouve pas cela intéressant DU TOUT. Mais est-ce que ce n'est pas dangereux, voilà?

C'est tout de même donner une idée fausse d'Auroville. C'est sujet à toutes sortes d'ambiguïtés.

(Mère regarde les petits dessins qui accompagnent et qui ressemblent à trois lignes entremêlées)

Il y a toujours un, deux, trois. S'il n'y avait que deux encore, mais toujours un, deux, trois, c'est-à-dire l’union et le résultat!

Et le dessin principal, c'est exactement une image du ventre, ça se situe dans le ventre.

Oh! mais alors c'est encore pire!

C'est cela que ça évoque, on a l’impression d'une image viscérale.

C'est affreux!

Quelque chose qui est tout replié sur soi, enfermé sur soi.

Oui, c'est cela.

Je n'aime pas cela.

Moi non plus.

Et Z a une maladie qui n'arrive que quand on a des désirs sexuels réprimés. Et il n'arrive pas à s'en débarrasser parce qu'il ne se débarrasse pas de la cause... Ils sont en plein là-dedans.

Qu'est-ce que je dois faire de ça?

C'est dommage si, à l’inauguration d'Auroville, c'est cela qu'on distribue.

C'est pire que cela: ils vont avoir une conférence pour les enfants, et les enfants vont poser des questions, et il y aura là une dizaine de personnes pour répondre, mais ce sera surtout Y et Z. Alors ces enfants arrivent avec l’idée de trouver quelque chose d'un peu vrai, et puis ils vont trouver ça.

La «cité de l’amour», ce ne sera probablement pas compris comme ce doit être compris. Et tu sais que la revue «Planète» envoie Monsieur D pour faire un article sur Auroville, et ce D, je l’ai vu il y a un an quand il est venu ici, et c'est le grand adepte justement du «yoga de la sexualité».2 Et j'ai eu toute une conversation avec lui, une conversation si vive qu'après, j'ai reçu comme une révélation et j'ai écrit toute une lettre sur le problème de la sexualité dans le yoga. Et c'est un homme qui est pourri de ces histoires-là. Il est envoyé par «Planète». Alors si on lui montre ça, la «cité de l’amour»...

C'est ennuyeux.

Je crois que cela s'est aggravé, mon petit, parce que je me souviens, quand j'ai demandé à Y de s'occuper de l’éducation d'Auroville, elle était encore assez convenable. Je crois que ça lui a tourné sur le cerveau.

Eh bien, c'est l’histoire du petit R que l’on éduque avec de la musique et des caresses. C'est la même histoire. Enfin la «cité de l’amour», zut! Auroville, ce doit être quelque chose qui doit vous élancer vers d'autres concepts que ces petites choses-là. Moi, je suis allé là-bas, un jour; eh bien, c'est émouvant, cet endroit...

Oh! c'est beau.

C'est beau, c'est émouvant, on a l’impression qu'il y a vraiment quelque chose qui va se créer. Alors la «cité de l’amour»...

Mais je n'ai jamais dit qu'Auroville était la cité de l’amour, jamais, pas une fois!

C'est un mot qui est trop mal employé. Il vaut mieux ne pas en parler.

Justement, ce mot, on ne peut l’employer qu'avec le mot divin après. C'est la seule manière. Si l’on enlève le mot divin, il devient impossible. Et ces gens-là se refusent à employer le mot divin.

Oui, ça leur fait peur.

Alors, qu'est-ce que nous allons faire?... Si je lui renvoie son papier sans rien dire, elle dira que j'ai approuvé; si je lui dis que ça ne va pas, elle va devenir encore plus furieuse... Et elle s'occupe de tout, se mêle de tout (et légitimement dans un sens, puisque je lui ai dit que je la chargeais de l’éducation). Mais c'est après qu'elle est devenue comme cela. À ce moment-là, elle était un peu hurluberlue, mais encore très convenable.

C'est ennuyeux.

(Mère reste un instant silencieuse) Est-ce que je lui envoie ceci:

«Se méfier du mot amour s'il n'est pas suivi de l’adjectif divin, parce que dans la mentalité générale, ce mot évoque la sexualité.»

Simplement, rien d'autre, pas d'opinion de ce qu'elle a fait, mais ça. (Mère écrit sa note)

Je le trouve nocif, son papier, parce que non seulement il n'apporte rien, mais il ouvre la porte à des ambiguïtés. Et il n'apporte rien: les «hippies» aussi sont des «fils de l’amour», c'est leur grande doctrine.

Pour dire la vérité, quand j'ai ouvert ce papier, j'ai eu une impression dégoûtante.

Non, si j'avais confiance en elle, je le mettrais autrement – je mettrais imédiatement: «...Ce qui est un désastre au point de vue spirituel.» Seulement... ça ne sert à rien de mettre les gens en colère.

Elle n'a pas confiance du tout, elle se croit infiniment supérieure. Seulement, au point de vue politique, elle a très grand soin de ne pas entrer en conflit visible (avec Mère) parce qu'elle sent que cela gênerait son action.

Elle voulait – et elle a dit que moi, j'avais autorisé (ce qui est un croc-en-jambe à la vérité) –, elle voulait ouvrir un club de LSD à Auroville. Parce que je lui ai écrit... N'est-ce pas, en étant aussi objective que possible, j'ai écrit que cela ne pourrait être utilisé que sous le contrôle de gens qui ont la connaissance spirituelle et le pouvoir pour contrôler et assister. Alors elle a tourné cela et elle a dit: «Mère a autorisé à condition qu'il y ait un contrôle de gens qui savent.» Voilà. Les gens qui savent, naturellement...3

Au fond, dans la vie, dans l’action, tout ce qui arrive, c'est afin que le mouvement de transformation et d'ascension soit aussi rapide que possible. Peut-être qu'il y a des époques – il y a un rythme et il y a des époques qui sont plus favorables à l’harmonie, mais à une harmonie stagnante, et qu'alors on essaye de supprimer, ou en tout cas de comprimer tous les mouvements dangereux et qui risquent d'arrêter le progrès et même de mener vers la destruction; mais il y a d'autres moments où il y a une très forte poussée vers la transformation, et ma foi... avec le risque d'un dégât possible. Et certainement, depuis 1956, on voit visiblement qu'il y a quelque chose qui pousse-pousse-pousse pour hâter le mouvement et... ça produit des extravagances qui sont très dangereuses.

C'est avec cette connaissance et cette certitude – cette vision des choses – que le plus souvent je me tiens en témoin qui n'intervient pas. Ce ne serait que si ça devenait vraiment vilain, alors on est obligé d'intervenir.

On verra.

20 février 1968

(Depuis quelques semaines, avec l’approche du 21 février, quatre-vingt-dixième anniversaire de Mère, Mère n'a plus le temps de manger, à peine le temps de dormir et passe des heures à recevoir des gens, travailler, écrire des lettres, etc. Le disciple remarque qu'elle n'a pas l’air fatiguée.)

S'il n'y avait pas la pensée des gens, la suggestion collective, et peut-être – peut-être – une suggestion subconsciente (c'est possible que les cellules soient encore soumises à une suggestion subconsciente, parce que ça...), autrement, avec quelques secondes de... (geste d'intériorisation) comme cela, se replonger dans la Conscience Suprême: tout va bien. Je n'ai jamais faim (et je ne sens pas le besoin de manger), je n'ai jamais sommeil (et je ne sens pas le besoin de dormir). Seulement, il y a encore la vieille suggestion, et puis toute la pensée des gens: que si je ne mange pas, je vais devenir faible et je tomberai malade; que si je ne dors pas, je vais devenir fatiguée et que je tomberai malade – des histoires comme cela. Les cellules n'y croient pas, mais... N'est-ce pas, elles se croient le devoir de manger et le devoir de dormir, autrement... Et je vois bien, ce n'est pas du tout le travail qui me fatigue: je ne suis pas plus fatiguée après avoir vu quarante, quarante-cinq, cinquante personnes... qu'après en avoir vu un qui est mal disposé. Surtout, il y a des atmosphères qui sont corrompues, dans le sens que ces gens ont instinctivement horreur de la vérité (il y en a – ils ne le savent même pas), ça produit un malaise, ça produit encore un malaise. Et ça, il suffit – il suffit d'une minute, tu comprends, de quelqu'un qui entre avec cette atmosphère, alors là il faut se concentrer, faire un effort. Quelquefois il faut... (geste montrant la Force qui descend comme pour frapper): il y a des gens à qui je «dis»: «Toi, tu ferais bien de te tenir tranquille, autrement il t'arrivera quelque chose.» Je ne le pense pas du tout, n'est-ce pas, mais la Force est comme cela (même geste). Pas beaucoup, mais de temps en temps il y en a.

Mais les nerfs se souviennent... Tu sais qu'après avoir vécu un an avec Sri Aurobindo, quand je suis partie la première fois au moment de la guerre, à cause de la guerre, tous les nerfs sont tombés malades: ils étaient dans un état de tension irritée (on appelle cela une névrite, je crois, tous les nerfs malades, tout-tout). C'est spécialement douloureux, partout, tout désorganisé: circulation désorganisée, digestion désorganisée, tout-tout était désorganisé (en France, dans le Midi de la France). Les nerfs se souviennent de cela, et je ne sais pas pourquoi, ils s'en sont souvenus une fois qu'il y avait beaucoup de difficultés ici. Sri Aurobindo était là, je le lui ai dit (je crois que je te l’ai déjà raconté): j'ai eu tout à fait l’impression d'une main qui venait et qui enlevait toute la douleur comme cela – partie en une seconde. Et ce n'était jamais revenu. Maintenant, de temps en temps, quand les gens sont mal disposés, que les pensées sont mauvaises, et qu'alors il n'y a pas de repos, pas de manger, pas de dormir, alors, de temps en temps, ici, là, là, ils tirent. C'est le maximum d'une douleur aiguë. En France, je l’ai eu pendant des semaines. Ça vient parfois, et là, il faut que je me tienne tranquille et que... que je me fonde... dans la Présence Divine, alors c'est fini, ça s'en va sans laisser de traces.

Mais quand ils se sentent mal à l’aise, ils se souviennent. Ils se demandent: «Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour enlever ce souvenir.» Je les attrape, je leur dis qu'ils sont stupides, mais... Alors ils se tiennent tranquilles.

Mais ce que je trouve intéressant, c'est cela: il n'y a pas la faim et il n'y a pas le sommeil; ça n'existe pas, ça ne correspond pas à une sensation, du tout. Il y a très clairement le sens de l’harmonie et de la désharmonie; quand l’atmosphère est harmonieuse ou en tout cas de bonne volonté (une harmonie peut toujours être plus grande, c'est entendu), mais de bonne volonté, alors ça va.

Il y a des gens, dès qu'ils arrivent, dès qu'ils entrent, il y a une descente formidable, très souvent du pouvoir de Kâli ou du pouvoir de Maheshwari, très souvent (pas le Suprême, mais ce qu'ils comprennent le mieux), très souvent, tout de suite, instantanément. Alors tout est immobilisé. Et ça, c'est très amusant, c'est intéressant: c'est à la Réponse (à la Réponse: à ce qui répond) que je me rends compte très clairement de l’état dans lequel sont les gens. Ce n'est pas du tout une perception mentale; je ne sais ce qu'ils pensent que par induction, d'après ce qui est arrivé (le genre de force qui s'est manifesté dans Mère), alors tout naturellement je sais: ils doivent être dans cet état d'esprit.

Mais je ne saurais pas dire ce qu'ils pensent; par exemple, il y a des gens qui vous disent très bien: «Vous pensez ceci et cela», mais moi, je ne saurais pas dire cela. Tout ce qui est mental m'est très étranger. Mais je pourrais très clairement dire quel est l’état de réceptivité, de bonne volonté et d'aspiration – et automatiquement, sans essayer de le savoir, simplement par ce qui est créé dans l’atmosphère.

(silence)

Sri Aurobindo est toujours là; quelquefois il devient très actif; et alors il est surtout très actif quand les gens «pompent», tirent ou écrasent avec le poids de toutes leurs difficultés et de tous leurs désirs. Et alors (ces jours-ci comme cela), je pourrais traduire par les mots qu'il a dits souvent, mais c'est son attitude: «Ils n'admettent le Dieu que quand ils peuvent le crucifier.»

Ça, je trouve ça si intéressant!

Ils n'admettent Dieu – le Divin – que quand ils peuvent le crucifier. C'est-à-dire qu'ils ne reconnaissent le Divin dans un corps que si ce corps est bon pour être crucifié ou torturé. Et alors, s'il y a des conséquences fâcheuses: «Alors il n'est pas divin!»

Il n'est pas divin...

Il disait toujours: «Et le Divin prend soin de se voiler pour ne pas les écraser.»

Et c'est vrai, je l’ai remarqué: quelquefois quand la Force vient vraiment dans sa puissance, c'est terrible! Même les plus habitués, même les plus courageux... c'est dur. Et alors, toujours, c'est comme cela: ça se contient pour ne pas être... insupportable.

Qu'est-ce que tu as à me dire? Rien?... C'est dommage, c'est toujours moi qui parle!

(Mère entre en méditation)

Tu as là, devant toi, là (geste à hauteur de la poitrine), le symbole de Sri Aurobindo. Le triangle qui descend est de lumière presque blanche, mais avec une teinte dorée, et la partie qui monte est d'un violet foncé intense – je ne sais pas pourquoi... Le triangle ascendant est d'un violet foncé (la couleur du pouvoir vital), un violet foncé intense, très-très fort, et puis le triangle descendant, et ça fait le symbole de Sri Aurobindo, qui est là, comme cela, devant toi.

Ce n'est pas lumineux, mais ce n'est pas obscur: c'est une couleur riche et très intense, d'un violet très intense.

Le triangle ascendant, c'est l’aspiration de la création; le triangle descendant, c'est la réponse du Divin. Et les deux qui se joignent, ça fait le carré de la manifestation. Et c'était là, devant toi, très clairement écrit.

Ça correspond à ton état intérieur... (Riant) C'est bien!

Bonne fête, douce Mère!

(Mère prend les mains du disciple)

28 février 1968

(Tout l’Ashram est parti à Auroville pour assister à l’inauguration. Mère lit son message qui est retransmis directement à Auroville par la radio indienne:)

«Salut d'Auroville à tous les hommes de bonne volonté.

«Sont conviés à Auroville tous ceux qui ont soif de progrès et aspirent à une vie plus haute et plus vraie.»

(puis Mère lit la Charte)

Charte d'Auroville

  1. Auroville n'appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.

  2. Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant et d'une jeunesse qui ne vieillit point.

  3. Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s'élancer vers les réalisations futures.

  4. Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète.1

(puis on déconnecte la radio... silence)

Alors, maintenant, nous sommes tranquilles comme des princes et des rois! (ça n'arrive pas souvent) jusqu'à onze heures trente. Si tu as quelque chose à me dire, j'écoute.

C'est peut-être toi qui as quelque chose à dire?

Non-non! ça suffit! (Mère rit)

J'ai passé toutes mes journées et toutes mes nuits à tranquilliser l’atmosphère, ça avait pris des proportions... Tu sais, ces mouvements qui commencent à tourner comme cela, comme le vent des cyclones ou dans la mer, et puis ça va de plus en plus vite, de plus en plus fort, de plus en plus fort. Alors les gens tombent malades, ils sont éreintés, ils ne peuvent plus rien. Depuis trois jours, je passe mon temps à calmer-calmer-calmer l’atmosphère. Heureusement qu'ils venaient à moi (ce n'était pas à «moi» naturellement), mais ils avaient le sentiment qu'il y avait là quelque chose de stable qui pouvait arrêter ce désordre, autrement... Mais c'était très difficile à cause du nombre vraiment grand des additions extérieures: le 21 au darshan, ils étaient plus de quatre mille personnes en bas, et il y a tous ceux qui sont venus pour aujourd'hui et pour demain, alors ce doit être cinq ou six mille – à nourrir, à loger... Tout un travail.

Et puis, ils m'ont demandé qu'il n'y ait pas de pluie naturellement, mais qu'il n'y ait pas de soleil aussi! (Mère rit) Alors c'était un petit peu difficile, mais tout à l’heure, Z est venu me dire que le site d'Auroville était clouded [nuageux], pas de soleil... Elles sont très obligeantes, toutes ces petites entités-là, mais on leur demande des choses impossibles! Je reçois en même temps des demandes: «Ah! il me faut de la pluie; ah! non, je ne veux pas de pluie; ah! j'ai besoin de soleil; oh! non, je ne veux pas de soleil...» Comment peuvent-ils faire!

Tu es contente?

Contente? qu'est-ce que cela veut dire?

Ça marche?

Je ne sais pas. J'ai l’impression que là-bas, ça va bien.

Z m'a dit quelque chose il y a deux jours: «Ah! ça a été une bonne leçon: maintenant, nous sommes convaincus que la manière des Occidentaux n'est pas meilleure que la nôtre», parce qu'ils croyaient tout le temps que la manière matérialiste faisait des réalisations meilleures – tous –, alors maintenant ils sont convaincus.

Je t'ai dit que le consul des Soviets est enthousiaste! Il a vu la Charte – il l’a vue en anglais d'abord (en anglais, il y a Divine's Consciousness, avec l’apostrophe), il a dit: «C'est dommage, ça évoque l’idée de Dieu» (c'est S qui est allée là-bas), elle a dit: «Ce n'est pas cela du tout! il n'y a rien de religieux dans cette affaire et on va vous montrer le français.» Alors il a lu la «conscience divine» et ça l’a satisfait. Il a dit: «C'est juste ce que nous voulons réaliser, et sans ces mots-là, ce serait officiellement soutenu et reconnu par le gouvernement soviétique.» Alors on lui avait demandé de le traduire en russe, mais finalement ce n'est pas sa traduction qu'on lit à Auroville, c'est celle de T qui est venue, et elle n'a pas peur des mots. Mais je lui ai envoyé l’autorisation: je lui ai fait expliquer que les mots étaient seulement une transcription plus ou moins maladroite, non seulement de l’idée, mais de ce qui est au-dessus de l’idée, le principe; et que cela n'avait pas beaucoup d'importance si c'étaient ces mots-ci ou ces mots-là (chacun emploie les mots qui lui conviennent le mieux), et qu'alors je l’autorisais à mettre les mots qui seraient acceptables pour son gouvernement. Et le consul soviétique a dit «oui» et il était très content. Il a dit: «Quand le gouvernement soviétique soutient quelque chose officiellement, c'est sérieux.» – C'est vrai, je le sais, ils sont très généreux. Alors j'espère que cela va avoir un résultat favorable. Et puis c'est juste ce que je voulais, n'est-ce pas: d'Amérique, depuis longtemps ils sont enthousiastes – c'est bien, mais eux, comprennent peut-être moins bien; les Russes, dans leur nature, sont mystiques, et alors ça a été opprimé, supprimé, et naturellement ça a gagné beaucoup de force. Et maintenant, ça a tendance à vouloir éclater.

Mais si les deux à la fois soutiennent Auroville, nous n'aurons plus d'embêtements financiers!

C'est venu petit à petit, petit à petit. Je t'ai dit ce que Sri Aurobindo m'avait révélé à propos de l’état de l’Inde, qui était la représentation symbolique de l’état actuel de l’humanité, et que c'est pour cela, m'a dit Sri Aurobindo, c'est pour cela qu'Auroville a été créé.2 Alors j'ai compris. Depuis ce moment-là, c'est devenu très clair – «clair», je veux dire qu'il a fait comme si cela s'était répandu et les gens commençaient à comprendre.

Voilà.


ADDENDUM

(Extrait d'une conversation de Mère avec un disciple au sujet d'Auroville.)

Il faut être d'une sincérité absolument transparente. Le manque de sincérité est la cause des difficultés actuellement.

l’insincérité est dans tous les hommes. Il y a peut-être cent hommes sur terre qui soient totalement sincères. C'est la nature même de l’homme qui le rend insincère, c'est très compliqué, car il est constamment en train de tricher avec lui-même, de se cacher la vérité, de s'excuser. Le yoga est le moyen d'arriver à être sincère dans toutes les parties de l’être.

Il est difficile d'être sincère, mais on peut au moins l’être mentalement, c'est ce que l’on peut exiger des Auroviliens.

La Force est là, présente comme jamais, c'est l’insincérité des hommes qui l’empêche de descendre, d'être ressentie. Le monde est dans le mensonge, tous les rapports entre les hommes n'ont été jusque là basés que sur le mensonge et la tromperie. La diplomatie entre les nations est basée sur le mensonge. Ils prétendent vouloir la paix et s'arment d'un autre côté. Seule, la sincérité transparente chez l’homme et entre nations permettra la venue d'un monde transformé.

Auroville est la première tentative de l’expérience. Il naîtra un monde nouveau si les hommes veulent faire l’effort d'une transformation et d'une recherche de sincérité – c'est possible. De l’animal à l’homme, des millénaires ont été nécessaires; aujourd'hui, l’homme, grâce à son mental, peut accélérer et vouloir une transformation vers un homme qui sera Dieu.

Cette transformation à l’aide du mental, en s'analysant, est une première étape; ensuite, il faut transformer les impulsions vitales – c'est beaucoup plus difficile – et surtout transformer le physique: chaque cellule de notre corps devra devenir consciente. C'est le travail que je fais ici. Cela permettra de vaincre la mort. C'est une autre histoire; ce sera l’humanité du futur, peut-être dans des siècles, peut-être plus rapidement. Cela dépendra des hommes, des peuples.

Auroville est le premier pas vers ce but.

mars




2 mars 1968

(À propos de la Charte d'Auroville.)

Tout le monde veut changer mes messages!...

Changer!

Oui.

Pourquoi?

(Mère rit) Chacun parce que les mots, ne sont pas ceux qu'ils veulent... Il y a eu toute une histoire avec les communistes et le consulat des Soviets: un homme paraît-il très intelligent, lecteur de Sri Aurobindo, tout à fait intéressé, voulant être utile et... il dit: «Qu'est-ce que je peux faire avec la "conscience divine"!1 (Mère rit) Le mot est interdit chez nous.» On lui a dit: il ne s'agit pas de Dieu (n'est-ce pas, qu'on interdise Dieu, je comprends très bien parce que l’on met ce qu'on veut là-dedans), et il a dit: «Je ne peux pas.» Ils ont envoyé une traduction en russe, qui heureusement est arrivée après la cérémonie, qui était la traduction de leur propre pensée mais pas du tout celle de mon texte! Alors on leur a répondu que c'était arrivé trop tard. C'est T qui a traduit, mais elle a refusé de lire parce qu'elle a dit que c'était une «trop grosse responsabilité»! (Mère rit) Ils sont tous comme cela. Finalement, c'est S qui a lu. Mais alors, nous avons un architecte communiste, russe, qui a travaillé beaucoup-beaucoup pour Auroville, pour les maquettes, etc. (un jeune homme, très gentil), et il est venu hier avec une prière: s'il pouvait changer le mot «Divine». Je lui ai demandé: «Qu'est-ce que vous m'offrez?» Il m'a dit: «La conscience universelle.» Alors je lui ai répondu (riant): «Vous la rapetissez terriblement!» Il était ennuyé, comment faire? Je lui ai dit: «Écoutez, je vous fais une concession; si vous voulez, on dira: la "conscience parfaite", c'est anodin.» Et il a été content, je lui ai écrit «conscience parfaite» sur son papier et il est parti avec!

Mais ici, le groupe... (comment va-t-on les appeler?)... les disciples de Y, le groupe «en avant», n'aime pas du tout «conscience divine», alors celle qui a traduit en allemand et qui est une disciple (pas directement de Y, mais disciple de M), est allée trouver M pour son aide (morale probablement), et ce qu'ils ont trouvé de mieux, c'est «la conscience la plus haute»... Alors j'ai demandé: «Où est votre haut, où est votre bas?»

À moi, ils ne m'ont rien demandé, ils sont trop sûrs d'eux-mêmes. Mais on a lu leur texte à Auroville et des gens qui ont entendu et qui savent l’allemand m'ont dit: «Comment se fait-il?»... C'est comme cela que je l’ai su. «Comment se fait-il que, dans la version allemande, on ait traduit la conscience divine par la conscience la plus haute?»

Alors chacun y met du sien!

Mais on va faire une petite brochure du message et de toutes ces traductions, en japonais, en hébreu, en arabe, etc., ça va être photographié, alors on rétablira le texte allemand. Oh! le texte russe...

Mais c'est amusant comme «cité de la paix»! (Riant) Ça promet!

Ça m'est égal; ce que je trouve tout petit, c'est de ne rien me dire, de le faire en cachette. Espérer que je ne le sache pas est un enfantillage, et la tendance à vouloir me cacher n'est pas très jolie.

Mais dans l’ensemble, ça s'est bien passé.

Nous avons un drapeau d'Auroville qui est très joli, on l’a apporté là-bas; il n'y avait que deux drapeaux (les autres pays avaient des banderoles), mais il y avait le drapeau de l’Ashram et le drapeau d'Auroville. Il est de cette couleur-là (Mère montre un hibiscus orange sur sa table).

Quant aux jeunes délégués, c'était assez mélangé: ceux qui sont venus spontanément de leur pays ou recrutés par l’Unesco, c'était très convenable; et puis on a fait un recrutement presque par propagande, à Delhi (beaucoup sont venus des ambassades là-bas), ça, c'était... il y en avait de douteux. Il y en avait qui fumaient, il y en avait même un qui s'est saoûlé d'une façon... Mais tout de même, quand ils étaient ensemble, ils se conduisaient convenablement. Et alors il y en a un – un Tchécoslovaque – qui ne veut plus partir! Il a dit en tout cas qu'il attendrait tant qu'il faut, mais qu'il voulait me voir avant de s'en aller.

Mais on voit bien – on voit bien comme la Force et la Grâce travaillent à travers tout.

Oui.

Parce que, vraiment, s'il n'y avait eu que ces éléments-là livrés à eux-mêmes, eh bien, il n'y avait rien, c'était la confusion. On voit bien que ça travaille... ça travaille, ça se sert de n'importe quoi!

Non, elle tire avantage même des pires choses! c'est cela qui est intéressant.

(silence)

J'ai entendu des réflexions pas plaisantes sur «= 1», par des gens qui sont complètement en dehors de l’affaire.2 Ils m'ont dit, d'abord que c'est très intellectuel, très nébuleux...

Oh! oui.

Et puis qu'ils ont l’air de «tirer toute la couverture» à eux.

Mais c'est surtout cela!

Et la troisième chose qu'ils m'aient dite: on cite à peine le nom de Sri Aurobindo à la fin, comme cela, par hasard.

Oui. Tiens, tu as vu le numéro? (Mère cherche un exemplaire.) La présentation est très bonne, très bonne – elle s'en est donnée à cœur joie. C'est très bien présenté.

Oui, c'est dommage. Tout cela, ce sont des talents pervertis.

Pervertis: j'ai surtout l’impression de la perversion.

Mais rien que cela (Mère montre la couverture), c'est terriblement agressif. Au lieu de l’aspiration qui s'épanouit (Mère fait un geste qui monte en s'ouvrant)...

C'est comme un couperet de guillotine.

N'est-ce pas, les fleurs, leur aspiration s'épanouit en fleur; la Nature, ça monte, ça s'élargit autant que ça peut pour recevoir. Ça (Mère montre =1), c'est comme un tranchant. C'est très symbolique.

Je n'ai jamais rien dit.

Mais c'est fait avec beaucoup de goût.

C'est le mental qui est perverti. (Mère feuillette le numéro) Tout cela est agressif, c'est tout d'une nature agressive.


Peu après

Je suis rentrée hier (je ne peux pas dire «matin»), je suis rentrée de là-bas (la chambre des entrevues), après avoir vu soixante-dix-huit personnes... il était trois heures de l’après-midi: l’heure où d'habitude je reviens de mon bain pour travailler – pas déjeuné. Ça, le déjeuner de soi-disant midi, il y a longtemps qu'il est passé au bleu.

(silence)

Il y a trois choses pour lesquelles il faut être sur ses gardes. l’une, c'est la suggestion collective de la «maladie» – «maladie», ça doit exister dans le sens qu'il y a évidemment des forces adverses qui travaillent et qui essayent de désorganiser et de retarder le travail; mais pour l’individu, ces soi-disant maladies... C'est basé extérieurement sur l’idée (on appelle cela la «connaissance»), la connaissance des microbes, des germes, etc., mais c'est tout prendre à l’envers, la tête en bas et la queue en l’air, parce que ces microbes, ces germes, toutes ces choses, sont des effets, ce ne sont pas des causes.

C'est l’effet de trois choses combinées: mauvaise volonté (au pire: refus de suivre le mouvement), mauvaise volonté plus ou moins totale; ignorance des lois et des conséquences, c'est-à-dire des causes et des effets (ignorance complète); et évidemment une forme (tout est une forme d'inertie), mais la plus grande forme d'inertie, c'est l’incapacité de recevoir et de répondre. Ce sont ces trois choses combinées qui créent les maladies, etc., et l’effet final: la mort. C'est-à-dire la désintégration de l’harmonie créée.

Mais au point de vue collectif, de l’influence collective, c'est l’opposé, c'est-à-dire que c'est cela qui est la «cause» des désordres: au lieu d'être l’effet, c'est la cause – c'est absurde.

Et alors, au point de vue de la transformation des cellules et de l’organisme, cette influence collective est un état comme un bain dans lequel on est plongé, et les gens qui ont voulu y échapper ont coupé: ils ont essayé de s'isoler. Le résultat, c'est le départ de la zone matérielle, parce qu'il est impossible d'être comme cela (geste comme dans une coquille), comme quelque chose qui n'a aucune connexion avec le tout. Alors ils ont renoncé à la vie.

Dans les rapports avec le tout, il y a trois... on pourrait dire «moyens de défense», ou attitudes que l’on peut prendre, en gros. Celle de l’isolement, qui ne peut pas être total à moins de se retirer et qui n'est que très relativement efficace. Celle de l’attaque: la puissance qui se bat et repousse les adversaires. (Elle a un gros inconvénient, c'est que si ce sont des forces du même plan, elles sont inefficaces, ou très relativement efficaces; si ce sont des forces suprêmes, alors... c'est plutôt catastrophique comme effet: ça reviendrait à détruire pour conquérir, ce qui n'est certainement pas l’intention du Suprême.) Et puis, il y a le moyen de la contagion de la Force supérieure, mais celle-là implique ce qui se traduit ici par le temps. C'est celle-là qui a été adoptée. Mais cela implique le temps – c'est pour cela que les âges passent.

Le résultat est certain, avec le minimum de dégâts. Mais ce minimum est encore très considérable.

Et pour la conscience humaine, c'est long. Mais comme tu le remarquais tout à l’heure, c'est joli. On a l’impression de quelque chose qui va comme cela (geste comme une marée qui se répand), certainement très lentement pour la conscience humaine, mais très implacable pour les résistances, et si sou-ve-rai-ne-ment sûr de sa victoire... Ça, c'est joli. Et incontestablement, avec un minimum de dégâts. Sans compter que ce qui nous apparaît comme des «dégâts» peut n'être que des moyens de réalisation supérieure, vu dans son ensemble.

9 mars 1968

(À propos d'un ancien Entretien du 27 mai 1953 où Mère dit notamment: «Quand la conscience est développée derrière, quand on a le pouvoir de la concentrer, alors on peut faire n'importe quoi, cette conscience agira.»)

C'était encore l’expérience de ce matin.

l’expérience était comme cela: ce qui est important, c'est de garder la conscience de la Présence, c'est-à-dire que la Présence doit être concrète; et alors tout ce que l’on fait et tout ce que l’on dit – quoi que ce soit que l’on fasse et quoi que ce soit que l’on dise –, c'est cette Présence qui s'exprime. Et l’expérience de ce matin, c'était pour trouver la différence entre l’expression directe et l’expression plus ou moins voilée; et les différences de qualité de l’expression dépendaient du jugement mental, c'est-à-dire que le mental chez chacun juge de cette différence, mais c'est seulement une question individuelle, et au point de vue général, quelquefois les choses qui nous paraissent les moins transparentes ou expressives sont les meilleures expressions.

C'est difficile à dire.

C'était la perception de ce que la conscience mentale ajoute à l’action de la Conscience suprême, et que cet ajout, ou ce jugement, est encore une chose tout à fait relative – relative au temps, à l’occasion, à la personne; ce n'est pas un absolu, c'est-à-dire que dans un cas, un tel revêtement exprimera parfaitement, et dans un autre cas, le même revêtement n'exprimera pas parfaitement... C'était une longue expérience de la relativité dans laquelle se trouve le monde mental par rapport à la Conscience suprême qui s'exprime.

C'était venu à la suite d'une phrase que quelqu'un a écrite (je ne sais plus, un auteur quelconque), disant (je transcris): on est sûr que le Créateur doit avoir le sourire quand on voit à quel point la création est humoristique... Et avec cela, je voyais à quel point le revêtement dans la conscience humaine est relatif – il n'y a pas d'absolu, d'expression absolue, c'est toujours une expression relative, et l’impression qu'elle fait est relative suivant l’individu qui la perçoit.

J'essaye d'exprimer, mais c'était une expérience concrète: la relativité du revêtement mental de l’action de la Conscience supérieure.

Et alors, l’expérience revenait à ceci: être aussi passif et translucide que possible de façon à ce que la vibration de la Conscience se traduise avec le minimum de déformations dans le revêtement. Et c'était cela qu'on essayait.

(Revenant à l’ancien Entretien) Je ne pourrais plus faire des discours comme cela! À moi, ça me paraît outrecuidant! (Mère rit)

Toutes les expériences, toutes, maintenant, sont comme pour décanter la vie, c'est tout à fait intéressant: mettre les choses à leur place. Et toutes les préférences, toutes les opinions, toutes les attractions, tous les dégoûts, tout cela, ça s'en va... justement dans une espèce de sourire – pas dans une indifférence, mais dans un sourire, le sourire de la relativité extraordinaire de la manifestation. Et commence à venir la perception de ce qu'une manifestation vraie serait: dans une sorte d'harmonie très souple, sans heurts, et très vaste. C'est en voie de formation, c'est très intéressant.

Alors ces choses-là (montrant l’Entretien) sont encore trop tranchées. Mais je comprends très bien que si l’on disait maintenant les expériences comme celle que j'ai eue ce matin, ce serait presque incompréhensible – trop loin de la conscience.

Voilà.

13 mars 1968

(À propos d'un ancien Entretien du 27 mai 1953.)

Tu dis ceci: «Oui, la science peut trouver. Si elle s'en va dans une direction très définie, si elle progresse suffisamment, si elle ne s'arrête pas en route, ils trouveront la même chose que les mystiques ont trouvée, que les gens religieux ont trouvée, que tout le monde a trouvée, parce qu'il n'y a qu'une chose à trouver et qu'il n'y en a pas deux. Il n'y en a qu'une. Alors on peut faire beaucoup de chemin, on peut tourner et tourner et tourner, et si l’on tourne assez longtemps sans s'arrêter, on est obligé d'arriver au même endroit. Une fois que l’on est arrivé là, on a l’impression qu'il n'y a rien à trouver du tout! Comme je viens de le dire, il n'y a rien à trouver. C'est cela, le pouvoir. C'est cela, c'est tout. C'est comme cela.» «C'est cela, le Pouvoir.»

Qu'est-ce que tu veux dire?

C'est curieux, quand tu l’as lu, c'était SIMPLE, c'était évident, et maintenant...

Oui, quand je l’ai lu, cela m'a paru évident... Peut-être que c'est sans commentaires, c'est tout!

Oui, ils trouveront la même chose que les mystiques ont trouvée, que les religieux ont trouvée, que tout le monde a trouvée1 – c'est cela, le pouvoir. C'est ce qu'on trouve qui est le pouvoir. Et Ça, essentiellement, on ne peut pas lui donner un nom ni une définition.

C'est la grande querelle maintenant à propos d'Auroville: moi, dans la «Charte», j'ai mis «Conscience Divine» [«pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine»], alors ils disent: ça fait penser à Dieu. J'ai dit (riant): moi, ça ne me fait pas penser à Dieu!... Alors les uns traduisent «la plus haute conscience», les autres mettent autre chose. Je suis tombée d'accord avec les Russes pour mettre «Conscience parfaite», mais c'est une approximation... Et c'est Cela – qu'on ne peut pas nommer et qu'on ne peut pas définir – qui est le Pouvoir suprême. C'est le pouvoir suprême qu'on trouve. Et le Pouvoir suprême est seulement un aspect: l’aspect qui concerne la création.


(Peu après, à propos d'un autre passage du même Entretien où quelqu'un demandait à Mère si le Divin pouvait «se retirer de nous».)

Tu réponds: «C'est une impossibilité. Parce que si le Divin se retirait de quelque chose, imédiatement cela s'écroulerait, parce que cela n'existerait pas. Pour dire plus clairement: Il est la seule existence.»

Maintenant, j'aurais répondu: c'est comme si tu demandais si le Divin pouvait se retirer de Lui-même! (Mère rit) C'est cela, le malheur, c'est que l’on dit «Divin» et ils comprennent «Dieu»!... Il n'y a que Ça: Ça seul existe. Ça, quoi? – Ça seul existe!

(silence)

Ce matin encore, j'étais en train de regarder, de voir, et c'est comme si je disais au Divin: «Pourquoi prends-Tu plaisir à Te nier Toi-même?»... N'est-ce pas, pour une satisfaction de logique, nous disons: tout ce qui est obscur, tout ce qui est laid, tout ce qui n'est pas vivant, tout ce qui n'est pas harmonieux, tout cela n'est pas divin. – Mais comment est-ce possible?... C'est seulement une attitude d'action. Et alors, en se mettant dans la conscience de l’action, je disais: «Mais pourquoi est-ce que Tu prends plaisir à être comme cela!» (Mère rit)

C'était une expérience très concrète des cellules, et avec le sentiment (pas sentiment – ni sentiment ni sensation), une sorte de perception qu'on est juste-juste en bordure du grand secret... Tout d'un coup, il y a un ensemble de cellules ou une fonction du corps qui s'amuse à se mettre de travers – pourquoi? quel sens y a-t-il là-dedans? Et la réponse était: c'était comme si tout cela aidait à briser les limites.

Mais pourquoi, comment?

Mentalement, on peut tout expliquer, mais ça ne signifie rien du tout: pour le corps, pour la conscience matérielle, c'est abstrait. La conscience matérielle, quand elle saisit quelque chose, elle le sait cent fois mieux qu'on ne peut le savoir mentalement. Quand elle le sait, elle a le pouvoir: ça donne le pouvoir. Et c'est cela qui s'élabore lentement-lentement. Et pour une conscience ignorante: lentement et douloureusement. Mais pour la vraie conscience, ce n'est pas cela! La douleur, la joie, tout cela, c'est une façon... une façon si absurde de voir les choses – de les sentir, de les voir.

Il y a une perception de plus en plus concrète que tout, qu'il n'y a rien qui ne contienne sa joie d'être, parce que c'est LA façon d'être: sans joie d'être, il n'y a pas d'être. Mais ce n'est pas ce que nous comprenons mentalement par «joie d'être». C'est... quelque chose qui est difficile à dire. Et cette perception de la souffrance et de la joie (presque du mal et du bien), tout cela, ce sont des nécessités de travail pour permettre au travail de se faire dans un certain ensemble d'inconscience. Parce que la vraie conscience est quelque chose de tout à fait, tout à fait différent. Et ça, c'est ce que cette conscience des cellules est en train d'apprendre, et d'apprendre par une expérience concrète; et toutes ces appréciations de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, de ce qui est une souffrance et de ce qui est une joie, tout cela, ça paraît fumeux. Mais encore «la chose» – la Vérité –, la chose concrète n'est pas encore attrapée. Elle est en route, on sent qu'elle est en route, mais ce n'est pas encore ça. Si on l’avait... on serait le maître tout-puissant. Et il est possible que l’on ne puisse l’avoir que lorsque le monde dans sa totalité ou dans un ensemble suffisant sera prêt pour la transformation.

Ça, c'est une spéculation, ce qu'on pourrait appeler une inspiration. Mais ça appartient encore au domaine là-haut.

De temps en temps, c'est comme si l’on effleurait la perception de la toute-puissance: on est sur le point... ah! (Mère fait le geste de saisir la chose)... mais ça s'efface.

Quand on aura ça, le monde pourra changer. Et quand je dis «on», je ne parle pas d'une personne... Il y a peut-être quelque chose qui équivaut à la Personne, mais ça... Cela aussi, je ne suis pas sûre que ce ne soit pas une projection de notre conscience sur quelque chose qui nous échappe.

Sri Aurobindo disait toujours que si l’on va assez loin par-delà l’Impersonnel, si on va au-delà, on trouve quelque chose que nous pouvons appeler la Personne, mais qui ne correspond à rien du tout de ce que nous concevons comme la «Personne».

Et alors là, il n'y a plus... il n'y a plus que Ça! Et c'est Ça qui a le pouvoir. Mais même quand nous disons «il n'y a plus que Ça», (riant) nous le situons dans quelque chose d'autre!... Les mots, le langage est impropre à exprimer quelque chose qui dépasse la conscience. Dès que l’on formule, ça descend.2

(silence)

Un peu plus loin [dans cet Entretien], tu dis: «Il y a beaucoup de gens qui ont réalisé le Divin, qui n'en ont jamais rien dit, et qui n'en savaient rien.» Comment est-ce possible? On peut réaliser le Divin sans le savoir?

C'est encore la même chose. On pourrait ajouter: et qui, MENTALEMENT, n'en savaient rien. Ils ne disaient pas «J'ai réalisé le Divin» parce que cela ne correspondait à aucune conception mentale.

16 mars 1968

Mère tend une fleur au disciple

Ça, c'est happy heart [cœur content].1

Je suis en train de trouver le secret de ça.

(long silence)

On a l’impression d'être tout le temps – tout le temps – en route vers une grande découverte, et puis on la fait, la découverte, et puis on s'aperçoit qu'elle a toujours été faite!... C'est seulement (riant) qu'on la regarde d'une autre manière.

Ce matin, une expérience, qui paraissait une révélation extraordinaire, et... c'est une chose qui était toujours sue. Alors on la mentalise – du moment où on la mentalise, ça devient clair, mais ce n'est plus ça! N'est-ce pas, on peut dire que cette création-ci est la «création de l’équilibre»,2 et que c'est justement l’erreur mentale de vouloir choisir une chose et d'en rejeter une autre – que toutes les choses doivent être ensemble: ce qu'on appelle bien, ce qu'on appelle mal, ce que l’on appelle bon et ce que l’on appelle mauvais, ce qui vous semble plaisant et ce qui vous semble déplaisant, tout cela doit être ensemble. Et ce matin, c'était la découverte que par la Séparation – cette séparation qui a été décrite de toutes sortes de façons différentes, quelquefois d'une façon épisodique, quelquefois simplement abstraite, quelquefois philosophique, quelquefois... tout cela, ce sont seulement des explications, mais il y a quelque chose, qui probablement est simplement l’Objectivation (Mère fait le geste de pousser en avant l’univers hors du Non-manifesté)... Mais c'est encore une façon d'expliquer. Cette soi-disant Séparation, qu'est-ce que c'est exactement? On ne sait pas (ou peut-être qu'on le sait, je ne sais pas). Ça a justement créé (mettons-le en couleur) le noir et le blanc, la nuit et le jour (ça, c'est déjà plus mélangé – mais le noir et le blanc aussi sont mélangés), mais c'est la tendance à faire deux pôles: la chose agréable, la chose bonne; la chose désagréable, la chose mauvaise. Et dès que l’on veut retourner à l’Origine, les deux ont tendance à se refondre. Et c'est dans l’équilibre parfait, c'est-à-dire où il n'y a plus de division possible et où l’un n'a pas d'influence sur l’autre – où les deux ne font plus qu'un –, qu'est cette fameuse Perfection que l’on essaye de reconquérir.

Le rejet de l’un et l’acceptation de l’autre, c'est un enfantillage. C'est une ignorance. Et toutes les traductions mentales, comme celle d'un Mal éternellement mal qui donne naissance à l’idée de l’enfer; d'un Bien éternellement bien... tout cela, c'est tout-tout des enfantillages.

(silence)

Il se peut (il se peut, parce que dès que l’on veut formuler, on mentalise, et dès qu'on mentalise, c'est réduit, diminué, limité, ça perd la puissance de la vérité, mais enfin...) que dans cet univers tel qu'il est constitué, la perfection soit... (Mère reste longtemps absorbée). Ça échappe aux mots... On pourrait dire comme cela (c'est sec et sans vie): c'est la perception (est-ce que c'est seulement perception? ce n'est pas seulement perception; ce n'est ni perception, ni connaissance, ni conscience...) c'est la conscience de l’unité du tout perçue dans l’individu – perçue, vécue, réalisée. Mais ce n'est rien, ce ne sont rien que des mots... l’univers semble avoir été créé pour réaliser ce paradoxe de la conscience du tout, vivante (pas seulement perçue, mais vécue) dans chacune des parties, chaque élément constitutif du tout.

Alors, pour la formation de ces éléments, ça a commencé par la Séparation, et c'est la Séparation qui a donné naissance à cette division entre ce que l’on appelle le bien et le mal; mais au point de vue sensation – sensation dans la partie la plus matérielle –, on peut dire que c'est la souffrance et l’Ananda. Et le mouvement est de faire cesser toute séparation et de réaliser la conscience totale dans chacune des parties (ce qui au point de vue mental est une absurdité, mais c'est comme cela).

Pour mon goût, c'est beaucoup trop philosophique, ce n'est pas assez concret. Mais l’expérience de ce matin était concrète, et elle était concrète parce que issue de sensations extrêmement concrètes dans le corps, de la présence de cette constante dualité (en apparence), d'une opposition (non seulement opposition, mais négation l’une de l’autre) entre... nous pouvons prendre comme symbole la souffrance et l’Ananda. Et l’état véritable (qui paraît impossible à formuler en mots pour le moment, mais qui était vécu et senti), c'est une totalité qui contient tout, mais au lieu de contenir tout en éléments qui s'affrontent, c'est une harmonie du tout, un équilibre du tout. Et quand cet équilibre sera réalisé dans la création, cette création pourra... (si l’on dit des mots, ce n'est plus ça)... on pourrait dire: continuer à progresser sans rupture.

Mais ce n'est pas ça.

Vu encore dans la conscience imparfaite actuelle, il y a eu ces jours-ci, d'une façon répétée (mais tout cela, méthodique et organisé par une organisation d'ensemble infiniment supérieure à tout ce que nous pouvons imaginer), un état qui est l’état déterminant la rupture d'équilibre, c'est-à-dire la dissolution de la forme – ce qu'on appelle d'habitude la «mort» –, et cet état jusqu'à l’extrême limite comme une démonstration, avec en même temps l’état (pas la perception: l’état) qui empêche cette rupture d'équilibre et qui permet la continuité du progrès sans rupture. Et cela donne, dans la conscience corporelle, la perception simultanée (pour ainsi dire simultanée) de ce que l’on pourrait qualifier d'extrême angoisse de la dissolution (quoique ce ne soit pas tout à fait cela, mais enfin) et puis d'extrême Ananda de l’union – les deux simultanés.

Alors, traduit dans les mots ordinaires: l’extrême fragilité (plus qu'une fragilité) de la forme, et l’éternité de la forme.

Et ce n'est pas seulement l’union, mais la fusion, l’identification des deux qui est la Vérité.

Quand c'est mentalise, ça devient clair pour tout le monde – ça perd sa qualité essentielle, le quelque chose qui ne peut pas se mentaliser.

C'est la conscience des deux états qui doit être simultanée?

Pas divisée. C'est l’union des deux états qui fait la conscience véritable; l’union des deux («union» implique encore division), l’identification des deux états qui fait la conscience véritable. Et alors, on a la sensation que c'est cela, c'est cette conscience-là qui est le Pouvoir suprême. N'est-ce pas, le Pouvoir est limité par les oppositions et les négations: le pouvoir le plus puissant, c'est celui qui domine le plus – mais c'est une imperfection complète! Mais il y a un Pouvoir tout-puissant qui est fait de la fusion des deux. Ça, c'est le Pouvoir absolu. Et si Ça, c'était réalisé physiquement... probablement ce serait la fin du problème.

Justement, les quelques heures que j'ai vécues comme cela ce matin, c'était l’impression qu'on a tout maîtrisé et tout compris – et «compris», cette sorte de compréhension qui fait le pouvoir absolu. Seulement, naturellement, ça ne peut pas se dire.

C'est cela que les gens qui ont dû avoir l’expérience, ou toucher à l’expérience, ont traduit en disant que ce monde était le monde de l’équilibre: c'est-à-dire que c'est la simultanéité sans division, de tous les contraires. Dès qu'il y a une divergence quelconque – pas même divergence: une différence quelconque –, c'est le commencement de la division. Et tout ce qui n'est pas cet état-là ne pouvait pas être éternel; c'est seulement cet état qui... pas contient, mais exprime (ou quoi?) l’éternité.

Il y a eu toutes sortes de philosophies qui ont essayé d'expliquer cela, mais c'est en l’air, c'est mental, spéculatif. Mais ça, c'est vécu – vécu, je veux dire être ça.

Est-ce que c'est l’équivalent matériel d'une expérience psychologique que l’on a, où la perception du mal disparaît complètement dans la perception d'un Bien absolu, même dans le mal?

Oui, c'est cela. On pourrait dire qu'au lieu d'être une conception mentale justement, c'est une réalisation concrète du fait.3

20 mars 1968

Il y a un problème. Il s'agit de P.L. Tu sais qui il est?1

Non.

C'est un des dignitaires de la Curie romaine.

Je ne comprends pas! C'est un catholique?

Il va être nomé évêque dans tel pays.

...!!!

Alors il y a un problème. C'est un personnage important, il veut tout quitter – ce christianisme, tout cela, il le rejette, il n'en veut plus. Il veut quitter son Église, son épiscopat, tout, et rester ici. Il a «trouvé» quelque chose ici.

Oui, mais je l’ai vu, cet homme-là: il était très attaché.

Oui, alors il veut tout quitter. Mais c'est un problème, parce que la moindre chose peut faire des scandales en Italie. Les communistes sont toujours prêts à se saisir de la moindre occasion: un prêtre qui défroque... Non seulement un prêtre, mais un apprenti évêque de la Curie romaine. Alors il voudrait que ça se passe sans scandale. Mais comment faire?

Moi, j'ai vu cet homme, je l’ai trouvé très bien.

Il est très bien. Il a quelque chose. Il a des expériences avec Sri Aurobindo, il voit Sri Aurobindo. Mais là aussi, il y a un problème. D'abord, il a besoin de ta force: c'est un homme qui vitalement et physiquement n'a pas beaucoup de force. Quand il sort de son corps... l’autre jour, il a vu Sri Aurobindo au samâdhi, et pendant ce temps-là, son corps était dévoré par des bêtes féroces et projeté hors de son lit. C'est un homme qui est attaqué. Il a besoin d'être protégé. Il est faible vitalement et physiquement. Alors s'il rentre à Rome, tu comprends que ces gens ne vont pas vouloir le laisser partir sans une bataille... Il veut te demander comment procéder?

Il est [de telle nationalité]?

Oui, et il est employé au tribunal de Rome, c'est lui qui règle les cas de divorce. Alors, d'une part, il a besoin de ta force pour faire cette opération, parce que c'est une vraie opération, et ensuite comment procéder pour éviter le scandale? Il me dit qu'il est le bras droit du cardinal T2: «Est-ce que je dois agir auprès du cardinal T pour me faire donner une sorte de mission en dehors de Rome, en Afrique ou en Inde, et peu à peu sortir de Rome, me faire oublier, et puis disparaître? Ou bien est-ce que je dois parler directement au pape et lui dire clairement tout ce qui se passe?...» Parce que tu sais que P.L. était dans l’avion avec le pape quand il est venu à Bombay...

Moi, j'aime mieux la solution de parler au pape.

(Mère entre dans une longue concentration)

C'est lui qui s'était évanoui ici en méditation?

Oui, il est faible vitalement et physiquement.

Mais le pape est très fort vitalement. Ça, c'est ennuyeux.

(Mère entre à nouveau dans une longue concentration)

C'est la seule chose à faire. Il y a ce danger, mais il faut qu'il passe à travers ça.

Il s'en va quand?

Début d'avril. Il demandera à te voir avant.

Oui. Mais je ne parlerai pas.

En s'en allant d'ici, il ira tout droit où?

À Rome, je crois.

(silence)

Moi, j'ai l’impression que peut-être aussi, le pape sera intéressé?

(Mère acquiesce de la tête)

23 mars 1968

(Le disciple lit à Mère la fin de l’Entretien du 3 juin 1953 où il est question du Karma: «Les gens qui ont dit cela dans toutes les religions [que les conséquences du Karma sont rigoureuses], qui ont donné de ces règles si absolues, moi, je crois que c'était pour se substituer à la Nature et pour tirer les ficelles des gens... Alors les gens s'affolent, ils sont épouvantés... – Ils n'ont qu'à monter à l’étage supérieur. Il faut leur donner la clé pour ouvrir la porte. Il y a une porte à l’escalier, il faut une clé. La clé, c'est l’aspiration suffisamment sincère ou la prière suffisamment intense... Il y a un pouvoir magique dans tous les deux, il faut savoir s'en servir... Certains détestent la prière (s'ils allaient au fond de leur cœur, ils verraient que c'est un orgueil). Et alors il y a ceux qui n'ont pas d'aspiration, qui essaient, qui ne peuvent pas – c'est parce qu'ils n'ont pas la flamme de volonté, c'est parce qu'ils n'ont pas la flamme d'humilité. Il faut les deux: il faut une très grande humilité et une très grande volonté pour changer son Karma.»)

Quand est-ce que j'ai dit cela?

En 1953.

C'est curieux.

Il y a une IMMENSE douleur derrière, quelque chose de très vaste et de très fort. C'est curieux.

C'est comme une association avec la douleur humaine... C'est curieux.


Plus tard

Je suis en train de passer par des moments décisifs. Mais c'est très difficile.

C'est le transfert du système nerveux. J'ai dit que tout était «transféré», une chose après l’autre; maintenant, c'est le système nerveux. Ça... très difficile. C'est très difficile.

J'en parlerai plus tard.

27 mars 1968

Le premier avril va s'ouvrir la saison des sports et j'ai donné un message... approprié.

J'ai commencé par un paradoxe:

«The first condition for acquiring power is to be obedient.

«The body must learn to obey before it can manifest power; and physical education is the most thorough discipline for the body.

«So be eager and sincere in your effort for physical education and you will acquire a powerful body.»

C'est logique. C'est tout.1

Et maintenant, la traduction:

«Pour acquérir le pouvoir, la première condition est l’obéissance.

«Avant de manifester le pouvoir, le corps doit apprendre à obéir, et pour le corps, l’éducation physique est la discipline la plus complète.

«Soyez donc ardents et sincères dans votre effort d'éducation physique, et vous aurez un corps puissant.»


Peu après2

Tout le monde se querelle... Oh! des querelles absolument à propos de rien – tout le monde se met en colère, tout le monde se querelle. C'est depuis trois jours comme cela. Les astrologues disent que ça dépend de la «position des astres» – moi, je n'y crois pas! Je crois que la situation des astres est seulement... (comment dire?) la façon céleste de noter les événements terrestres (!) Ce n'est pas qu'ils conditionnent: ils sont l’expression.


*(Puis Mère entre dans une longue contemplation qui va durer presque tout le temps de l’entrevue. À un moment, elle ouvre les yeux, regarde le disciple comme s'il se passait quelque chose ou comme si elle allait dire quelque chose...)3

Tu n'as rien à demander?

J'ai eu l’impression qu'il y avait quelque chose.

Quoi?

Je ne sais pas.

Mais j'allais justement te demander... Moi aussi, j'ai eu cette impression – pour toi. Quelque chose de nouveau. Non? Tu n'as pas eu une expérience nouvelle?

J'ai eu une impression.

Oui, mais moi, très forte! J'allais te demander (quand Mère a ouvert les yeux) et puis au lieu de te demander, j'ai essayé de voir, et puis je n'ai rien vu! (Mère rit)

Il y a une qualité de vibration très différente, une espèce de...

Il est midi?... Nous sommes seuls?

Oui.

l’impression d'une force consciente très paisible, mais très forte, qui est installée en toi, qui est descendue, quelque chose de nouveau. Tu as senti?

Ça s'est traduit mentalement il y a quelques jours.

Ah!... (ton déçu) Quoi?

l’impression que toutes les réalisations là-haut et que tous les affreux enfers que l’on peut vivre – dans le Feu, c'est UN. Dans la Flamme, c'est UN. Tout cela, là-haut, se dissout; tout cela, en bas, se dissout; et puis dans la Flamme, c'est UN, il n'y a plus de contraires.

Pour moi, ça [ce que j'ai perçu en toi] s'est traduit comme cela, par une espèce d'équilibre très fort, très lumineux et... oh! d'une paix extraordinaire.

N'est-ce pas, quelque chose qui s'est établi (geste comme un carré solide). On pourrait traduire par le mot «réalisation».

Paisible, fort, lumineux – très solide.

On verra.4

30 mars 1968

(Depuis quelque temps, Mère a l’air grave.)

Tu as l’air grave?

Ça va. Mais je ne peux pas parler. Ça va bien, c'est... comment pourrait-on appeler cela? (Mère reste silencieuse)... l’universalisation de la conscience corporelle – de grands mots! Mais c'est cela.

Très intéressant. Mais j'aime mieux ne pas parler. Mais ça va bien.

Ce matin encore, c'était très-très-très intéressant. Mais je ne peux pas dire encore. Dans quelque temps, on verra.1

avril




3 avril 1968

(Suite de la conversation du 20 mars 1968, à propos de l’homme de la Curie romaine.)

Tu as revu P.L.?

Non.

Je l’ai vu hier.

Il m'a parlé, mais je n'ai pas entendu. Je ne sais pas ce qu'il m'a dit. Mais j'ai eu très fortement – très fortement, et ça a duré longtemps – l’impression du début, du commencement... du départ de quelque chose comme une action ou une série d'événements qui avaient une grande importance pour le développement de la terre.1 Très fort: c'est resté pendant des heures, cette impression. Et c'est tout à fait inaccoutumé pour moi parce que, généralement, les choses extérieures... (Mère hoche la tête), tout cela est tellement relatif et tous les événements sont tellement relatifs que ça ne laisse pas d'impression.

Tout à fait inhabituel. Et inattendu.

C'est comme une porte qui s'ouvre sur quelque chose qui aura une importance assez considérable dans le développement terrestre.

Je n'avais pas l’impression qu'il fût conscient lui-même... Ça dépassait un peu les consciences humaines. Mais j'ai vu très clairement, j'ai vu très clairement le pape.

Il a décidé d'aller à Rome?

Oui, dès en arrivant, il demandera une audience.

C'est tout à fait (pendant des heures, c'est resté), tout à fait inaccoutumé: quelque chose qui dépasse de beaucoup les individualités humaines, mais qui était le commencement d'une chose très importante dans l’histoire de l’évolution terrestre.

La dernière fois que je l’ai vu, il m'a demandé comment procéder pour se faire recevoir par le pape. Alors je lui ai dit: «C'est très simple, c'est le nom de Sri Aurobindo qui vous ouvrira la porte; vous écrirez au pape: je viens de l’Ashram de Sri Aurobindo et je voudrais vous voir.»

(Mère entre dans une longue concentration)

C'est étrange, une étrange sensation... Tu sais, comme quand on tourne une page. Depuis hier et en ce moment, c'était tellement fort: l’impression de quelque chose qui a fait comme cela (geste comme une page qui tourne) et puis ça, c'était le commencement. Et n'est-ce pas, rien dans la tête, pas une pensée, rien: seulement une espèce de perception que quelque chose a fait comme cela (même geste) et...

Il faudrait noter la date – peut-être que dans dix ans ou vingt ans, on comprendra!

Hier, c'était le deux avril, oui, le deux. C'était une date étrange: c'est 2-4-6-8. Hier. Deux, quatre, six, huit. Et l’impression, c'est quelque chose qui a fait comme cela, comme une page qui est tournée, et puis... le commencement. Ou si tu veux (ce n'est pas une sensation géométrique mais...), l’impression d'une courbe qui est terminée et d'une autre qui commence. Mais ce n'est pas si bien que cette image comme d'une immense page qui retombe, et puis quelque chose qui commence. C'est blanc, c'est... c'est juste le commencement.

Et aucune perception d'une chose personnelle: les personnalités (P.L.) sont seulement comme des pions qui ont servi à commencer, c'est tout. Le mouvement, l’origine du mouvement est infiniment plus haute et plus vaste que toute personnalité physique.

Vraiment, la perception que tous les gens et toutes les choses ne sont que comme des pions, comme cela (geste sur un échiquier), qui sont mis en mouvement, mais...

On verra.

Il faut noter ça.

Ça a quelque chose à voir avec le pape tout de même?

Oui. Avec la Chrétienté.

(Mère entre à nouveau dans une longue contemplation)

Depuis hier (ça n'avait pas l’air d'être en relation avec la première expérience), mais toute la journée, ma façon de réagir (intérieurement, pas extérieurement), ma façon de réagir vis-à-vis des choses, ma façon de voir toutes les choses matériellement: complètement changée. Et c'était comme s'il y avait une nouvelle personne... qui s'étonnait même des anciennes réactions, qui se demandait: «Comment? je réagissais comme cela! (le corps, n'est-ce pas). Maintenant ce n'est plus ça.»

Et maintenant, c'est encore très fort, comme si... pas une nouvelle personnalité, mais une nouvelle manière d'être était là. Et pas personnelle: c'est comme un grand courant.

C'est très-très curieux.

J'ai eu trois jours très-très difficiles, très difficiles, même dangereux, et puis avec un raidissement de la volonté et comme un travail très actif de surrender de toutes les cellules, ça a abouti hier à cela.

Très bizarre, très bizarre.

On verra!2 (Mère rit)

6 avril 1968

Je ne voulais pas faire de règles pour Auroville, mais je vais être obligée de commencer à formuler certaines choses parce que... il se trouve qu'il y a des difficultés. Je ne sais pas comment faire.

Ce que je voulais dire est venu: c'est très simple (Mère prend une note écrite), simplement comme cela (c'est pour de toutes petites choses).

«Il faut choisir entre s'enivrer et vivre à Auroville, les deux sont incompatibles.»

Ce n'est pas une ivrognerie innocente, c'est-à-dire que ça se traduit par des actes de violence, ça frise la folie.

Et alors, naturellement, si l’on commence dans cette voie, on peut dire ceci aussi (Mère prend une autre note):

«Il faut choisir entre vivre dans le mensonge et vivre à Auroville, les deux sont incompatibles.»

Pourvu que ce soit vrai!

On pourrait dire que ceux qui s'enivrent, c'est pour oublier; eh bien, on ne vient pas à Auroville pour oublier: on vient à Auroville au contraire pour se souvenir.

Oui, on pourrait plutôt le mettre sous cette forme-là.

Mais l’idée, c'était surtout d'insister sur le choix: vivre à Auroville est un choix. C'est un choix, une attitude que l’on prend, une décision que l’on prend. Vivre à Auroville est un choix, on choisit une certaine vie. Mais si l’on choisit une chose, il y en a d'autres qui sont incompatibles... En tout cas, vivre à Auroville est une action, est une décision que l’on prend, une action.

Mais ça (Mère désigne sa note), c'est une concession à l’état actuel de l’humanité parce que, à vrai dire, pour Auroville, ce devraient être seulement des cas particuliers. Ce que je veux dire, c'est ceci: il se peut qu'il y ait des gens qui s'enivrent et qui soient tout de même aptes à vivre à Auroville. Alors on ne peut pas faire une règle générale. Mais si l’on ne fait pas une règle générale, sur quel pied danser pour dire à quelqu'un (qui a été accepté, c'est cela, la difficulté), lui dire: «Non, il faut que vous changiez – ou vous arrêtez ça, ou vous ne pouvez pas rester à Auroville...»?

Ce que l’on dit de l’alcool, on peut le dire des drogues; on peut le dire de beaucoup d'autres choses.

Oui, de beaucoup, beaucoup. Ce n'est qu'un commencement. J'ai vu, n'est-ce pas, on va être mis en présence de nécessités... Ce sont des nécessités de choix – dire: c'est ça ou ça.

C'est comme les drogues, il y a des gens chez qui les effets ne sont pas dangereux, ou ils ne sont pas malfaisants.

Au fond, la liberté de chacun est limitée par le fait qu'elle ne doit pas aller contre la liberté des autres. C'est cela, la limite.

C'est évidemment difficile de faire des règles générales.

C'est impossible.

Moi, je me souviens d'avoir pris de l’opium pendant plusieurs années et cela m'a fait du bien, ça m'apaisait, ça me tranquillisait. En prendre maintenant serait absurde, mais à cette époque-là, cela ne m'a pas fait de mal.

Mais oui, mais cela, je comprends très bien! Je vois cela tellement bien, d'une façon tellement universelle... N'est-ce pas, une phrase comme cela (Mère montre sa note), on ne pourrait la dire qu'à un individu, c'est-à-dire: pour vous, c'est comme cela – c'est à choisir entre surmonter votre faiblesse ou votre habitude et vivre à Auroville, les deux ne vont pas ensemble. Mais alors, c'est une question purement individuelle; à un autre, on peut très bien ne pas avoir à le dire.

C'est pour cela que la formule la plus générale, c'est de dire que tout oubli de soi est contraire à la vie d'Auroville. On ne va pas à Auroville pour oublier, pour s'oublier – tout oubli de soi, sous n'importe quelle forme.

Ah! mais «oubli de soi», si on le prend au point de vue moral!... (Mère rit)

l’oubli du vrai soi.

(Mère rit) Dès qu'on formule...

Il serait plus exact de dire:

«Toute recherche de l’inconscience est contraire à la vie d'Auroville.»

C'est plus général. Et alors, si l’on veut être encore plus général, on pourrait dire:

«Tout mouvement de recul ou de descente est en contradiction avec la vie d'Auroville, qui est une vie d'ascension et d'avenir.»

Mais les mots...

II y a des articles qui ont paru dans les journaux à propos de la fondation d'Auroville, par exemple avec ce thème-là: «Une utopie qui va se réaliser.» Et alors, il y a ceux qui vous disent: «Jamais vous ne réussirez!», parce que leur argument est: «Ce sont des êtres humains et ils resteront humains» – et c'est là où ils se trompent. «La nature humaine est inchangeable», c'est sur cette base qu'ils vous disent: vous ne réussirez pas. Par conséquent, la seule chose nécessaire, c'est non seulement d'accepter et de vouloir l’avenir, mais d'adhérer à la volonté de transformation, de progrès. Et ça, c'est très bien comme formule générale.

Mais tu vois, les drogues par exemple, prends le chloroforme dont on se sert pour les opérations; eh bien, le chloroforme a sur chaque individu des effets différents (ils ne l’acceptent pas en théorie, mais c'est un fait). Nous avons ici S qui était anesthésiste, et le résultat de son expérience, c'est que sur chaque personne, ça a un effet différent. Il y en a que cela jette dans l’inconscience (c'est la grande majorité, je crois), mais dans certains cas au contraire, cela projette dans une autre conscience.

Et c'est pour tout la même chose.

Alors ma note ne va pas, ça ne peut aller qu'individuellement: dans votre cas, c'est comme cela; mais dans le cas d'un autre, ça peut ne pas du tout être incompatible.

Alors, il va falloir voir cela petit à petit... Ce sera intéressant!

10 avril 1968

P.L. est parti. Il m'a fait demander des «paquets de bénédictions» pour l’aider... (riant) par quatre personnes différentes pour être sûr de les avoir! À chacun, il a dit à peu près la même chose: qu'il allait faire quelque chose de très difficile et qu'il avait besoin de mon aide très active... Alors j'ai donné quatre paquets!

J'ai eu la pensée de lui dire de me télégraphier dès qu'il saurait l’heure et le jour de son entrevue avec le pape.

C'est une bonne idée.

Il paraît qu'il est le fils d'un ministre... Je ne sais plus à qui il a fait des confidences, mais il a dit que son père est (ou a été) premier ministre de tel pays et que lui-même est avocat et qu'il régit la fortune de plusieurs personnes. Il a dit qu'il avait à régir quelque chose comme vingt crores de roupies,1 c'est-à-dire une fortune considérable. Mais c'est tout, il n'a rien dit d'autre.

Il m'a demandé ce qu'il devait faire de son argent, alors je lui ai conseillé d'aller voir A. Il me disait, par exemple, qu'il avait des actions dans beaucoup d'affaires et il me demandait: «Est-ce qu'il faut que je me dépouille de tout cela?» Je lui ai dit: «A. pourra vous conseiller, mais à première vue, il n'y a aucune raison de se dépouiller; si vous avez des intérêts, vous pouvez donner les intérêts à l’Ashram si vous êtes dévoué à l’Ashram, mais il n'y a aucune raison de tout jeter en l’air.»

Il n'a pas parlé de se dépouiller quand il a vu A, il a dit qu'il régissait l’argent d'AUTRES personnes.

Ah! il ne m'a pas dit cela.

Ça a l’air bizarre: à l’un, il dit une chose, à l’autre il dit une autre...

*Je ne crois pas.

Moi, je sens: le contact est très agréable – très agréable, très confiant, très bien. Un très bon contact.

Probablement, il ne dit qu'un petit morceau à chacun.

À moi, il a dit qu'il voulait tout donner, puis il a eu une hésitation, il a dit: «Mais par exemple, si j'ai besoin de revenir dans mon pays, voir ma mère?...» Je lui ai dit: il n'y a pas de raison de tout donner comme cela. Si vous voulez, vous gardez une certaine liberté avec un peu d'argent pour les cas de nécessité. En tout cas, lui ai-je dit, personne ne vous demandera rien, c'est à vous de faire selon votre cœur.

Oui.

Mais alors, si ce n'est pas l’argent des autres qu'il régit, si c'est le sien, il est très riche.2

(silence)

Hier, j'ai eu la visite d'un jeune homme (tout jeune homme) avec sa mère et sa grand-mère: ce sont des gens qui ont une usine de jute... en Pakistan. Et cela vaut à peu près vingt crores de roupies, dont la moitié est à eux personnellement: c'est leur argent personnel. Le gouvernement du Pakistan a tout pris. Mais il y a eu un jugement (et c'était un tribunal en Pakistan), et le tribunal a décidé (riant) que l’usine revenait à son propriétaire. Et alors le gouvernement du Pakistan a écrit à ce monsieur en lui disant: venez prendre possession de votre usine. Mais il a été prévenu (je ne sais comment) de faire attention: qu'on le mettrait en prison dès qu'il arriverait!... Alors, très embarrassé, il est venu me trouver. Il m'a dit la situation. J'ai dit: «Bien, on verra.»

On va essayer.

C'est amusant!

C'est comme cela: l’argent (c'est-à-dire pas quatre sous et demi) a comme une... (je ne sais pas si c'est une attraction ou un besoin de venir [à Mère])... et puis, partout, on voit clairement que c'est la force hostile qui l’empêche de venir, que c'est une force de désordre, une force de «mal-appropriation» pourrait-on dire. Et c'est intéressant à voir comme conflit.3

Je ne sais pas si c'est pour m'apprendre à trouver le genre de vibration ou de pouvoir qui peut enlever cette mainmise... c'est possible.

Mais c'est le conflit entre ce que l’on pourrait appeler «des propriétaires opposés». Et la vérité, c'est que cela n'appartient à personne. C'est cette idée de POSSESSION de l’argent qui a tout faussé. l’argent ne doit pas être une «possession»: au même titre qu'un pouvoir, c'est un moyen d'action qui vous est donné, mais il faut que vous l’utilisiez selon... on pourrait appeler cela la «volonté du Donateur», c'est-à-dire d'une façon impersonnelle et clairvoyante. Si l’on est un bon instrument de diffusion et d'utilisation, alors ça vient vers vous, et ça vient vers vous en proportion de votre capacité de l’utiliser comme il faut. C'est cela, le vrai fonctionnement.

Je vois ces gens (de l’usine de jute), il n'y a pas de choix à faire; le monsieur n'a pas dit spontanément (enfin avec sentiment): «Cet argent est à la disposition des forces divines pour l’action.» – Pas du tout, c'est à mille lieues de sa pensée; c'est: «Je veux tout simplement reprendre POSSESSION...» de quelque chose qu'il prétend lui appartenir. Et c'est pour cela (Mère hoche la tête): que ce soit ceci, cela, comme ceci, comme cela, ça ne fait pas beaucoup de différence.

La vraie attitude est celle-ci: l’argent est une force universelle destinée à faire le travail sur terre, le travail nécessaire pour préparer la terre à recevoir les forces divines et à les manifester, et il doit venir entre les mains (c'est-à-dire le pouvoir d'utilisation) de ceux qui ont la vision la plus claire, la plus générale et la plus vraie.

D'abord, la première chose (mais c'est élémentaire), c'est de ne pas avoir le sens de la possession – qu'est-ce que cela veut dire, «c'est à moi»? Qu'est-ce que cela veut dire?... Maintenant, je n'arrive pas très bien à comprendre. Pourquoi les gens veulent-ils que ce soit à eux? – Pour pouvoir l’utiliser comme ils veulent et en faire ce qu'ils veulent et le manier selon leur conception. C'est comme cela. Autrement, il y a, oui, les gens qui aiment mettre ça en tas quelque part... Mais ça, c'est une maladie. Pour être sûrs d'en avoir toujours, ils l’entassent. Mais si l’on comprenait qu'il faut être comme un poste récepteur-transmetteur; que plus le poste est vaste (juste le contraire de personnel), plus il est impersonnel et général, vaste, plus il peut contenir de forces (de «forces», c'est-à-dire, traduit matériellement: de billets ou de monnaie), et ce pouvoir de contenir est en proportion de la capacité d'utilisation la meilleure – la «meilleure», c'est-à-dire au point de vue du progrès général: la vision la plus large, la compréhension la plus large et l’utilisation la plus éclairée, exacte, vraie, non pas selon les besoins falsifiés de l’ego mais selon le besoin général de la terre pour son évolution et son développement. C'est-à-dire que la vision la plus large doit avoir la capacité la plus large.

Derrière tous les mouvements faux, il y a un mouvement vrai: il y a une joie à pouvoir diriger, utiliser, organiser de façon qu'il y ait le minimum de gaspillage et le maximum de résultats. (C'est une vision très intéressante à avoir.) Et ce doit être le côté vrai des gens qui veulent accumuler: c'est la capacité d'utiliser à une très grande échelle.

À mesure que cette vision-là devient plus claire... Il y a longtemps-longtemps, il y a des années et des années que le sens de la possession a disparu; ça, c'est un enfantillage, ce n'est rien, c'est tellement bête! Veux-tu me dire quel plaisir peut avoir quelqu'un à mettre dans une boîte ou dans son mur des quantités de papiers! Un vrai plaisir, il ne peut pas en avoir. Le maximum de plaisir, c'est celui de l’avare qui va ouvrir sa boîte et regarder – ce n'est pas grand-chose! Il y a des gens qui aiment beaucoup dépenser, qui aiment beaucoup posséder et dépenser; ça, c'est autre chose, mais ce sont des natures généreuses qui ne sont pas réglées, qui ne sont pas organisées... Mais la joie de mettre à la disposition de tous les vrais besoins, de toutes les nécessités, le moyen de s'exprimer, ça, c'est bien. C'est comme la joie de changer une maladie en bonne santé, de changer un mensonge en vérité, de changer une souffrance en joie, c'est la même chose: changer un besoin artificiel et stupide qui ne correspond à rien de naturel, en une possibilité qui devient une chose tout à fait naturelle – on a besoin de tant d'argent pour faire ceci et cela et cela qui est nécessaire, pour arranger ici, réparer là, construire là, organiser là – ça, c'est bien. Et je comprends que l’on aime être le canal conducteur de tout cela pour mettre l’argent juste à l’endroit où il faut. Ce doit être le vrai mouvement des gens qui aiment... (traduit en égoïsme stupide) qui ont besoin d'accaparer.

La combinaison du besoin d'accaparer et du besoin de dépenser (les deux, ignorants et aveugles), combinés ensemble, peuvent faire une vision claire et une utilisation ayant un maximum d'utilité. Ça, c'est bien.

Alors, lentement-lentement, c'est la possibilité de mettre en pratique qui vient.

Mais on a besoin naturellement de cerveaux très clairs et d'intermédiaires très intègres (!) pour pouvoir être partout à la fois et faire tout en même temps. Alors cette fameuse question d'argent serait résolue.

l’argent n'appartient à personne: l’argent est un bien collectif qui ne doit être utilisé que par ceux qui ont une vision intégrale et générale, universelle. Et j'ajouterais quelque chose: pas seulement intégrale et générale, mais aussi essentiellement vraie, c'est-à-dire qui peut faire la distinction entre une utilisation conforme au progrès universel, et une utilisation que l’on pourrait appeler de fantaisie. Mais ce sont des détails parce que même les fautes – même, à un certain point de vue, les gaspillages – servent au progrès général: ce sont des leçons à rebours.

(silence)

Je me souviens toujours de ce que Théon disait (Théon était tout à fait contre la philanthropie), il disait: «La philanthropie perpétue la misère humaine, parce que sans misère humaine, elle n'aurait plus de raison d'être!» Et tu sais, ce grand philanthrope... comment s'appelait-il?... du temps de Mazarin, celui qui a fondé les «Petites Sœurs de Charité»?

Vincent de Paul.

C'est cela. Mazarin lui a dit une fois: «Il n'y a jamais eu tant de pauvres que depuis que vous vous en occupez!»4 (Mère rit)


Un peu plus tard

Je repense à mon affaire monétaire: c'est comme cela que devrait être organisée la vie à Auroville – mais je doute que les gens soient prêts.

C'est-à-dire que c'est possible aussi longtemps qu'ils acceptent la direction d'un sage.

Oui.

La première chose qui doit être acceptée et reconnue de tous, c'est que le pouvoir invisible et supérieur (c'est-à-dire qui appartient à un plan de conscience – qui pour la plupart est voilé, mais que l’on est capable d'avoir –, une conscience que l’on peut appeler n'importe comment, de n'importe quel nom, cela ne fait rien, mais qui est intégrale et pure dans le sens qu'elle n'est pas mensongère: dans la Vérité), que ce pouvoir-là est capable de régir les choses matérielles d'une façon BEAUCOUP PLUS VRAIE, heureuse et salutaire pour tous que n'importe quel pouvoir matériel. Ça, c'est le premier point. Une fois que l’on est d'accord là-dessus...

Et ce n'est pas une chose que l’on puisse prétendre avoir; un être ne peut pas prétendre l’avoir: ou il l’a, ou il ne l’a pas, parce que (riant) à n'importe quelle occasion de la vie, si c'est une prétention, cela devient évident! Et par-dessus le marché, ça ne vous donne aucun pouvoir matériel – là aussi, Théon avait dit quelque chose à ce point de vue, il avait dit: «Ceux qui sont (il parlait de la hiérarchie VRAIE, la hiérarchie selon justement le pouvoir de conscience de chacun), celui qui est tout en haut (celui ou ceux), ont nécessairement un minimum de besoins; leurs besoins matériels diminuent à mesure que leur capacité de vision matérielle augmente.» Et ça, c'est tout à fait vrai. C'est automatique et spontané; ce n'est pas le résultat d'un effort: plus la conscience est vaste et plus elle embrasse de choses et de réalités, moins les besoins matériels sont grands – automatiquement –, parce qu'ils perdent toute leur importance et toute leur valeur. Ça se réduit à un besoin minimum de nécessités matérielles, qui lui aussi changera avec le développement progressif de la Matière.

Et cela, c'est facilement reconnaissable, n'est-ce pas, il est difficile de jouer la comédie.

Et la seconde chose, c'est le pouvoir de conviction. C'est-à-dire que spontanément, la conscience la plus haute mise en contact avec la Matière, a... (comment dire?... ce n'est pas une «influence» parce qu'il n'y a pas la volonté d'influencer... peut-être pourrait-on dire comme cela:) a un pouvoir de conviction plus grand que toutes les régions intermédiaires. Par le simple contact, son pouvoir de conviction, c'est-à-dire son pouvoir de transformation est plus grand que celui de toutes les régions intermédiaires. Ça, c'est un fait. Ces deux faits font que toute prétention ne peut pas être durable. (Je me place au point de vue d'une organisation collective.)

Dès que l’on descend de cette Hauteur suprême, il y a tout le jeu des influences diverses (geste de mélange et de conflit), et c'est justement cela qui est un signe certain: même un tout petit peu de descente (même dans un domaine de mentalité supérieure, d'intelligence supérieure) et tout-tout le conflit des influences commence. Il n'y a que ce qui est vraiment tout en haut, avec une pureté parfaite, qui a ce pouvoir de conviction spontanée. Par conséquent, tout ce que l’on peut faire pour remplacer ça, est une approximation, et ce n'est pas beaucoup meilleur que la démocratie – la démocratie, c'est-à-dire le système qui veut gouverner par le nombre le plus grand et le plus bas (je veux parler de la «démocratie sociale», la dernière tendance).

S'il n'y a pas de représentant de la Conscience suprême (cela peut arriver, n'est-ce pas), s'il n'y en a pas, on pourrait peut-être remplacer ça (ce serait un essai à faire) par le gouvernement d'un petit nombre – qu'il faudrait décider entre quatre et huit, quelque chose comme cela: quatre, sept ou huit –, d'une intelligence INTUITIVE. «Intuitive» est plus important qu'«intelligence»: d'une intuition manifestée intellectuellement. (Cela aurait des inconvénients au point de vue pratique, mais ce serait peut-être plus proche de la vérité que le tout en bas: socialisme ou communisme.) Tous les intermédiaires se sont prouvés incompétents: le gouvernement théocratique, le gouvernement aristocratique, le gouvernement démocratique et le gouvernement ploutocratique, tout cela: une complete failure [un échec complet]. l’autre est en train de prouver sa failure aussi, le gouvernement... comment peut-on appeler cela?... démocratique?5 (mais la démocratie implique toujours l’idée de gens éduqués, riches), ça a prouvé son incompétence complète.

C'est le règne de la bêtise la mieux partagée.

Oui, c'est cela!... Mais je parle du système tout en bas, socialiste ou communiste qui représente les besoins matériels... Au fond, ça correspond à une sorte d'absence de gouvernement, parce qu'ils n'ont pas le pouvoir de gouverner les autres: ils sont obligés de transférer leur pouvoir à quelqu'un qui exerce le pouvoir, comme un Lénine, par exemple, parce que c'était un cerveau. Mais tout cela... tout cela a été essayé et a prouvé son incompétence. La seule chose qui pourrait être compétente, c'est la Conscience-de-Vérité qui choisirait des instruments et s'exprimerait par un certain nombre d'instruments s'il n'y en a pas un («un» n'est pas suffisant aussi, «un» aurait forcément besoin de choisir tout un ensemble).6 Et ceux qui possèdent cette conscience peuvent appartenir à n'importe quelle classe de la société: ce n'est pas un privilège qui vient de la naissance mais le résultat d'un effort et d'un développement personnels. Justement, c'est cela qui est un signe extérieur, un signe évident du changement au point de vue politique, c'est qu'il ne s'agit plus de classes et de catégories ni de naissance (tout cela est périmé): ce sont les individualités qui sont arrivées à une conscience supérieure qui ont le droit de gouverner – mais pas les autres –, à n'importe quelle classe qu'ils appartiennent.

Ce serait la vraie vision.

Mais il faudrait que tous ceux qui participent à l’expérience soient absolument convaincus que la conscience la plus haute est le meilleur juge des choses les plus matérielles. N'est-ce pas, ce qui a ruiné l’Inde, c'est cette idée que la conscience supérieure a affaire aux choses «supérieures» et que les choses d'en bas ne l’intéressent pas du tout et qu'elle n'y entend rien! C'est cela qui a été la ruine de l’Inde. Eh bien, cette erreur-là doit être abolie complètement. C'est la conscience la plus haute qui voit de la façon la plus claire – la plus claire et la plus vraie – ce que doivent être les besoins de la chose la plus matérielle.

Avec cela, on pourrait essayer un nouveau genre de gouvernement.

Voilà.7

(Mère rit)

13 avril 1968

R est arrivé (l’architecte d'Auroville) pour cinq jours, et il veut faire ce qu'il appelle un «quartier d'Auroville», c'est-à-dire qu'au lieu de faire face au problème de dix ou vingt mille personnes à la fois, tout de suite, il veut commencer pour deux ou trois mille, au point de vue structure, mais surtout pour voir comment ça va marcher: faire l’expérience de la vie à Auroville... J'y avais pensé, et quand je t'ai parlé la dernière fois, c'était cela qui venait: dans quel sens faire l’expérience? N'est-ce pas, Y a des idées au point de vue éducation (je n'interviens pas); lui, R, a des idées au point de vue de la construction (je n'interviens pas); mais personne n'a vu le problème au point de vue administratif ou organisation et argent, et c'était cela justement dont je te parlais la dernière fois.

Alors si tu pouvais me lire ce que j'ai dit, si cela peut aller, je leur donnerais le texte... Il y a aussi cet architecte communiste russe qui est devenu tout à fait enthousiaste: pour lui, Auroville, c'est la réalisation idéale. C'est un garçon qui est très fort, il a de la puissance (de la puissance de conviction aussi pour les gens). Et alors, ce serait intéressant qu'il puisse voir un petit peu dans quelle ligne on va.

(Mère écoute la lecture)

C'est incomplet.

Il y a beaucoup de choses déjà là-dedans.

(silence)

Mais autrefois, les sages des temps védiques étaient les conseillers des rois. C'était comme cela autrefois.

Ou du moins c'est ce que l’on nous dit!

Je parlerai plus tard. Ce qui était dans ma conscience était beaucoup plus complet et général que ce que j'ai dit là, et alors... Les expériences en ce moment sont très-très activées, très intenses. Et quand c'est dit, ça devient plat. Alors j'aime mieux ne rien dire – plus tard.

Ce n'est pas plat. Il y a un pouvoir là-dedans.

Oui, mais ce que j'ai vécu intérieurement est cent fois plus fort... Oh! ça leur fera du bien, je sais, mais...

Ce qui est resté dans la conscience, ça doit se vivre avant de se dire. Alors nous avons le temps!

17 avril 1968

(Mère passe toute l’entrevue en contemplation. Vers la fin, elle prend la parole.)

Pas envie de parler.

Rien à demander, non?

Tu as l’air un peu grave?

Non, ce n'est pas cela.

C'est...

(Après un long silence)

C'est très difficile à dire, mais c'est évidemment le phénomène de transformation matérielle. Ça commence par ce que l’on pourrait appeler un «changement de gouvernement»: au lieu que ce soit un être personnel, intérieur, qui gouverne, c'est directement la Conscience, la Conscience suprême. Et alors, c'est le transfert de tous les mouvements, toutes les activités – tout le fonctionnement. Le transfert de l’être personnel. Au lieu d'obéir à un être personnel, c'est sous l’Influence et MÛ par la Conscience, directement.

C'est le même phénomène qui s'est produit pour les différents états d'être intérieurs (mais ça, c'est relativement facile), et maintenant, c'est physique. Et puis ce n'est pas mentalisé, alors c'est difficile à exprimer.

20 avril 1968

(Mère tend une note au sujet d'Auroville. Ttraduction:)

(Question:) Dans quelle mesure la construction d'Auroville dépend-elle de l’acceptation de la spiritualité par les hommes?

Cette opposition et cette division entre la spiritualité et la vie matérielle n'ont pas de sens pour moi, parce que, en vérité, la vie et l’esprit sont UN; c'est dans et par le travail physique que doit se manifester l’esprit suprême.

J'ai reçu aujourd'hui une lettre d'une dame suédoise, je crois (suédoise ou norvégienne, je ne sais pas) qui a acheté une crucifixion... Un tableau immense! – immense, je ne me souviens plus des dimensions, mais c'est formidable, quelque chose comme dix mètres de haut. Elle me demande ce qu'il faut en faire! Elle veut me l’envoyer... Alors je lui ai dit (elle l’a payé assez cher, mais c'est une femme très riche, seulement elle voulait m'en faire cadeau), je lui ai dit de faire une exposition dans une grande salle, avec, écrit dessous: le passé. Et puis de mettre à côté, en tout petit, la photographie de la galaxie, qui est presque identique au projet d'Auroville – la photographie de la galaxie qui est grande comme cela –, et puis, en dessous, le projet d'Auroville qui est grand comme cela (geste encore plus petit), et de mettre: l’avenir.

Et elle fera payer l’entrée pour que les gens puissent voir!

Tu connais cette photographie de la galaxie? Elle est très jolie. Et l’un des projets d'Auroville est presque identique, et ils l’ont fait sans voir la photo de la galaxie... Ils vont mettre ces deux photos-là, et si les gens posent des questions, on leur dira: écrivez là-bas, on vous répondra.

J'ai trouvé que ce serait un intéressant symbole.

N'est-ce pas, si je mets quoi que ce soit d'autre, je veux dire une photo de Sri Aurobindo, par exemple, ou bien des livres, ça aura l’air... ce sera comme si l’on voulait commencer une nouvelle religion – je ne veux pas de religions, finies les religions!

Alors c'est un essai de réalisation.


(Puis Mère entre dans une longue contemplation qui va durer jusqu'à la fin de l’entrevue.)

Tu n'as rien à demander?

Ça va?

Oh! c'est très intéressant... Ça paraît être des journées décisives. Tous les supports sont enlevés, il n'y a plus que Celui-là.

23 avril 1968

(Mère montre une brochure sur Auroville dont la première photo représente l’urne toute blanche sous un grand ciel.)

Elle est très bien. Ça a quelque chose... je ne sais pas (Mère enfonce son poing dans la Terre), c'est comme une Loi du Destin: quelque chose qui s'impose.

(silence)

Est-ce que je t'ai raconté qu'une dame suédoise ou norvégienne veut m'envoyer une grande crucifixion?... Oui. Mais je ne t'ai pas montré les deux textes. N'est-ce pas, j'ai choisi une photo de la galaxie, et puis une photo d'Auroville qui ressemble un peu à celle-là, et alors, sous la crucifixion, on va mettre en grand (Mère lit):

«La Conscience Divine crucifiée par les désirs de l’homme.»

Et après, en tout petit comme cela, sous la photo d'Auroville, on va mettre:

«La Conscience Divine manifestée par l’unité humaine.»

Nous allons voir! La dame est de très bonne volonté, on va voir la réponse dans son pays.

(silence)

Hier, ils sont venus de l’imprimerie avec la brochure d'Auroville et ils m'ont dit: «Ah! il y a une erreur, on est venu nous dire qu'il fallait changer le texte de la Charte d'Auroville: que, moi, j'avais dit qu'il fallait remplacer partout la "Conscience Divine" par la "Conscience parfaite".» Je l’ai regardé:

«Quoi!»

«Oui, on nous a dit cela.»

Alors j'ai dit (riant): «Qui est l’imbécile qui vous a dit cela!»

Il m'a répondu: «Mais il a dit que c'était vous qui l’aviez dit!»

Alors je lui ai demandé: «Dites-moi son nom que je lui donne une bonne gifle!»

Naturellement, il n'est pas question de changer quoi que ce soit. Ce qui est arrivé, c'est que les gens qui ont traduit en russe, en yougoslave, en... (je ne sais plus, enfin un certain nombre de langues), m'ont demandé ce qu'il fallait mettre au lieu de «Divin», parce que... En Russie, c'est mieux, c'est défendu! Il est interdit de se servir du mot divin! Alors j'ai dit bon. J'ai dit: pour la Russie, si vous voulez, vous pouvez mettre la «Conscience parfaite» au lieu de la «Conscience Divine». Je lui ai fait remarquer (riant): «C'est un peu moins, c'est un peu au-dessous, mais enfin, ça ne fait rien!»

Là, dans la brochure française, c'est «divin». Et j'ai dit: si vous voulez, en russe ou en allemand (en allemand, T avait traduit par «la plus haute», je lui ai dit: c'est pauvret, mais enfin), enfin j'ai dit que je ne protesterais pas. En chinois, c'est «divin». Je crois qu'en japonais aussi, c'est «divin».

En allemand, on m'a déclaré: «Oh! si l’on met «divin», imédiatement les gens vont penser à Dieu...» J'ai répondu (riant): «Pas nécessairement, s'ils ne sont pas des imbéciles!»

Mais cela m'a donné un tableau très précis de ce qui arriverait si, pour une raison quelconque, je n'étais plus ici... Chacun dirait en mon nom... (Mère rit) Ce serait effrayant!

Oui.


Puis Mère entre en contemplation

C'est très-très intéressant, c'est très curieux. C'est une curieuse sensation... Je ne sais pas, il y a longtemps que c'est comme cela, mais ces jours-ci c'est devenu tellement intense et tellement précis... La sensation d'être comme cela (geste en suspens), sortie d'une vieille manière d'être (pas personnelle: terrestre, peut-on dire) et sur le point – c'est sur le point – d'entrer dans une nouvelle manière d'être, et puis d'être... comme ça (même geste suspendu entre deux mondes).

Toute l’ancienne manière d'être (manière de sentir, manière de penser, même l’état de conscience), c'est vu... pas positivement comme une déformation ou une falsification, mais c'est quelque chose comme cela – ce n'est pas cela: c'est la manière humaine d'être. Et c'est nécessairement la manière d'être qui est le résultat du développement mental intensif.

Ce qui devient tout à fait clair, c'est: Conscience. Ce n'est plus expliqué avec des mots ou défini ou... ce n'est plus cela, c'est: Conscience (du moins, on a l’impression que l’on sait ce que c'est), Conscience. C'est cela l’état: Conscience. Mais c'est encore une conscience fragmentée qui (je ne peux pas dire «s'efforce» parce qu'il n'y a pas d'effort), qui est en train de muer en conscience totale. Et alors, c'est ce passage-là (même geste en suspens). C'est encore une conscience (pas positivement individuelle ou personnelle, mais fragmentée, c'est-à-dire qui a été objectivée) qui prend conscience de s'unir. C'est encore cela, ce n'est pas l’union totale.

Alors ça donne toutes sortes d'expériences...

Et ça, ce n'est pas le résultat d'une concentration ni de quoi que ce soit: c'est la manière d'être normale, enfin constante. Mais il y a encore des dédoublements, dans le sens qu'il y a une attitude de conscience qui en regarde une autre, et une autre qui regarde les deux autres – tout cela est encore... (geste fluctuant). C'est comme un jeu de différentes consciences qui s'observent, s'objectivent. Alors ce n'est pas ça encore.

Et tout cela, c'est dans le corps – peut-être différentes parties du corps, je ne sais pas. Il y a des DEGRÉS de conscience, ou des identifications qui sont plus ou moins totales suivant certaines fonctions du corps, je ne sais pas. Il y a encore, par en dessous, de vieux courants d'influence mentale, du mental qu'on a l’habitude d'appeler «supérieur» (mental intuitif, etc.). Et puis alors, tout un jeu de forces, de suggestions, de formations, qui est tout autour et qui vient du dehors. Je dis «qui vient du dehors» mais il n'y a pas le sens d'un «dehors»; il n'y a pas ce sens-là, il n'y a plus le sens de «ceux-ci et ceux-là», ce n'est pas comme cela, ce n'est plus du tout comme cela, même pour le corps.

(Mère entre abruptement dans une longue contemplation jusqu'à la fin de l’entrevue)

La suite au prochain numéro!

24 avril 1968

"In the spiritual order of things, the higher we project our view and our aspiration, the greater the Truth that seeks to descend upon us, because it is already there within us and calls for its release from the covering that conceals it in manifested Nature."

Sri Aurobindo

The Life Divine

27 avril 1968

Tu as des nouvelles de P.L.? Il paraît qu'il était malade.

Oui, une mauvaise lettre... J'ai deux choses: une lettre de P.L. et une lettre au sujet de P.L. Voici celle de P.L. (suit une lettre où P.L. raconte qu'il est tombé malade dès son retour au Vatican, qu'il n'a pas pu voir le pape, qu'il est désespéré, incapable, etc.].

Il n'a pas la force. C'était ce que je craignais. l’influence est trop forte (geste comme pour montrer P.L. sous une griffe). Et l’autre lettre?

C'est une lettre de Monseigneur R, ami de P.L. C'est un homme qui a des milliards, et c'est P.L. qui administre, en fait, les milliards de ce Monseigneur. Il écrit à J [l’amie de P.L.]. Et il dit ceci... [suit une lettre où Mgr R demande à J de venir au secours de P.L., de l’accueillir chez elle à Pondichéry et de le soigner, que le cas est très grave, que P.L. traverse une «crise psychologique» et qu'il lui faut sortir de son milieu, etc.].

Il vaut mieux qu'il vienne.

Et qu'est-ce qu'elle a fait?

Oh! c'est un autre problème. J m'a répondu: «Impossible.» Elle a une réaction contre P.L., parce que P.L. s'accroche à elle désespérément.

Aïe!

Il s'accroche à elle comme à la vie même. Quand il est là, il ne veut pas la quitter, il veut habiter chez elle, il s'y accroche de toutes ses forces. Et Sri Aurobindo et Mère, qui sont la raison profonde, il ne les voit qu'à travers J. C'est cela, l’histoire. Alors J a une réaction de rejet, elle dit: je ne veux plus.

Lui, ne demande pas à revenir?

Je crois qu'il ne demande que cela. Seulement il n'a pas la force de régler sa situation au Vatican. Il n'a pas le courage de régler ses affaires.

Mais l’autre, le Monseigneur R, le fera pour lui: il le renverra.

Oui, mais il n'aura pas le courage de dire qu'il quitte tout.

Ah!...

Là-bas, on lui demande une réponse imédiate?

Ce Monseigneur veut un télégramme.

Oui, on peut télégraphier et lui dire de venir. Mais je veux dire: là-bas, il doit régler la situation imédiatement ou cela peut se remettre?

Ça peut se remettre.

Alors il vaut mieux qu'il vienne. Mais il peut ne pas habiter avec J. Il peut très bien habiter ici sans habiter avec elle.

Ce sera un drame parce que, lui, il tient absolument à être avec J.

Ce que je vois, c'est ceci: qu'il revienne ici, qu'on le loge à Golconde.1 Il faut envoyer un télégramme à ce Monseigneur dans ce sens-là.

Et prévenir P.L. qu'il sera reçu à Golconde – le prévenir d'avance.

Ah! oui.

P.L. a écrit à F hier en lui disant: dites à Mère que je suis malade et que j'ai besoin d'aide. Et j'ai donné un paquet de «bénédictions» pour lui. Il ne parlait pas de revenir, mais il disait: j'ai absolument besoin d'aide.

Il va se retrouver dans la même situation: il va revenir ici, il sera très heureux, très content, ça va aller bien, et puis...

Et puis il n'a qu'à rester ici!

Il n'a qu'à rester ici?

Et l’affaire se dénouera là-bas tout naturellement.

N'est-ce pas, il n'y avait pas de jours où je n'avais une connexion avec lui; et moi, je ne suis pas «active», c'est-à-dire que je n'ai de connexion que quand les gens appellent. Par conséquent, cela veut dire que vraiment il appelait. Et comme cela: continu-continu, avec l’impression d'une tension. Et la lettre adressée à F est arrivée hier après-midi. Alors j'ai compris.

Mais cela prouve que son vital n'est pas encore assez pur pour être assez fort. Les forces vitales de là-bas (au Vatican) sont extrêmement puissantes.

Mais il me disait ici que dès qu'il s'extériorisait, son corps était dévoré par des bêtes féroces.

Ah!...

Même ici, ça lui arrivait?

Oui.

C'est ennuyeux.

Il m'a raconté une autre histoire. Il a eu un autre «rêve» ici, à Pondichéry, qui l’a beaucoup bouleversé (parce qu'il t'aime, il a quelque chose pour toi), mais une nuit, il s'est vu, lui, P.L., changé en oiseau, une espèce de hibou, qui voulait aller te tuer! Cet oiseau avait un poignard et il venait pour te tuer, toi. Alors il a été réveillé tout d'un coup, horrifié de ce qu'il allait faire. C'était P.L. devenu un hibou, qui se précipitait sur toi avec un poignard pour te tuer... Il était horrifié, le pauvre.

Ça veut dire qu'il est beaucoup sous leur influence.

(silence)

Quand il a vu Sri Aurobindo au samâdhi, il s'est évanoui... Il y a un grand conflit dedans.

Mais quand il a vu Sri Aurobindo, Sri Aurobindo lui a dit: «Viens, viens t'asseoir ici, viens t'asseoir près de moi, reste ici.» Alors il est resté là très content, et puis tout d'un coup il s'est enfui...

Ah!

Mais Sri Aurobindo lui a dit: «Viens t'asseoir, sois tranquille.»

Oui, la bataille se livre au-dedans.

(silence)

Je crois que la seule chose à faire, c'est cela, c'est de dire à J de télégraphier en disant qu'il sera logé à Golconde, et puis on verra. Il ne faut pas demander qu'elle le prenne, il vaut mieux qu'il n'aille pas habiter chez elle. Je ne voudrais pas qu'ils aient des relations. Ça, il ne faudrait pas – il ne faut pas que ça se passe ici, tu comprends, ça le sortirait de la protection tout de suite, alors... Si c'est un désir de cet ordre qui le fait revenir ici, ça le sort de la protection.

Mais il y a les deux! Il y a sa passion pour J et il y a Sri Aurobindo et Mère.

Oui, c'est mélangé.

La vraie chose s'est servie de cela.

Oui... Bon.

Ça dépasse de beaucoup les individus, n'est-ce pas, c'est cela surtout.2

mai




2 mai 1968

Ton P.L. revient!

Quelle avalanche de télégrammes! Et ce n'est pas fini: en voilà encore un [suit un télégramme où P.L. annonce un mystérieux «fait nouveau» et supplie qu'on le loge chez son amie J pour des raisons «graves»/

Alors il n'y a qu'à le loger chez elle!

Il a eu tout d'un coup la frousse là-bas. C'est vrai que leur pouvoir occulte est très grand et qu'il faut être très fort pour résister. Et il a eu la frousse. Et c'est cela qui l’a rendu malade.

Moi, j'ai l’impression que l’autre, ce Monseigneur R, avait envie de s'en débarrasser... Sérieusement, j'ai l’impression qu'il flairait quelque chose et qu'il a dit: il vaut mieux qu'il s'en aille.

Évidemment, il n'a pas la force.

Non, il n'a pas la force.

Mais tu sais, c'est vraiment une victime: à l’âge de sept ans, sa mère l’a envoyé en Espagne dans un couvent de frères... jusqu'à l’âge de dix-huit ans!

Pauvre homme!

En Espagne! Tu sais, ce christianisme inexorable... De sept ans à dix-huit ans. C'est affreux!

Non, c'est un homme très gentil, mais il n'est pas assez fort vitalement. Et alors je comprends, s'il a vécu dans un couvent pendant tant d'années...

(Mère reste longtemps concentrée)

Je n'ai pas l’impression que cette affaire soit finie.

(long silence)

J. est troublée parce qu'il est très accaparant.

Qui est-ce qui avait pensé à lui pour le cardinalat?

Je ne sais pas, mais enfin c'était attendu.

C'était attendu... Ce devait être une affaire politique parce que... Je crois d'ailleurs généralement que c'est une affaire politique...

Oh! oui, ce n'est rien que de la politique.

...Parce qu'il est beaucoup trop passionné pour cela.

C'était pour tout de suite ou plus tard?

Je ne sais pas.

Je te demande cela, parce que c'est peut-être cela le «fait nouveau» dont il parle. On a peut-être pris une décision... Moi, j'ai eu fortement l’impression que l’autre (Mgr R) voulait s'en débarrasser pour une raison quelconque.

On verra.


(Puis Mère entre dans une longue contemplation qui va durer jusqu'à la fin de l’entrevue.)

J'ai toujours l’impression de quelque chose d'IMPORTANT qui a commencé... Mais ça durera pendant très longtemps probablement. Ça prendra très longtemps.

4 mai 1968

(Mère donne une fleur appelée «pureté divine»: Isotoma longiflora.)

Tu connais cela?

La définition de la pureté d'après Sri Aurobindo, c'est d'être exclusivement sous l’influence du Divin. Alors naturellement, le Divin est exclusivement sous son influence (!) et c'est cela, la pureté!

Tu as quelque chose au sujet de P.L.?

On l’attend aujourd'hui.

Il a dit un «fait nouveau», qu'est-ce que cela peut être?...1

Moi, j'ai eu fortement – fortement – l’impression qu'on voulait se débarrasser de lui, dans le sens que, ou c'est le pape qui ne voulait pas l’entendre, ou peut-être plus, c'est l’ami, le Monseigneur R, qui ne voulait pas que le pape entende ce qu'il avait à lui dire. C'est une très forte impression.

On pourrait dire comme ceci: l’impression que j'avais, mais très forte (très forte, ça a duré pendant au moins deux jours, très fort), l’impression du Catholicisme qui se défend. Et comme dans le domaine mental, on ne pouvait pas toucher P.L., alors on est venu par en bas et on lui a démoli sa santé – ils savent faire tout cela, ce sont des occultistes très calés.

Et lui, n'avait pas cet équilibre immense (geste vaste au-dessus) qui fait que tout ça, ça n'a pas d'effet. Il est encore ouvert.

Mais il n'a même pas écouté les conseils élémentaires qu'on lui a donnés. On lui a dit: «Il ne faut parler qu'au pape, à personne d'autre.» Il a parlé à droite et à gauche. Il a parlé au cardinal Tisseront et il a parlé à ce Monseigneur R, alors...

(silence)

Ils tiennent tellement à leur pouvoir qu'ils sont capables d'en revenir à leur vieille manière: excommunication, inquisition et tout cela, pour empêcher que ça bouge. C'est cela que je sens. C'est cela qui est terrible. Tandis que le pape, il y avait en lui l’effort d'aller plus loin.

Tu dis «il y avait»?

Qu'est-ce que j'ai dit?

Tu as dit: il y «avait» l’effort...

Oui, je ne suis pas sûre qu'on ne le...

(Mère reste silencieuse)

Tu as entendu: le bruit a couru que le pape allait abdiquer? Dans les journaux il y a quelques jours, il était question d'une rumeur selon laquelle le pape allait abdiquer.2

Voilà!... Je ne savais pas.

Ça a été démenti, mais le bruit a beaucoup couru.

C'est cela. C'est cela. Je ne savais pas. Ah! c'est très intéressant... Je crois qu'il y a une bande de brigands là-bas.

Oh! oui... X me disait que quand elle était à Rome, elle assistait à toutes les réceptions officielles, et elle disait: tous ces prélats étaient gras comme des..., ils buvaient le champagne, le cognac... Où était la spiritualité là-dedans!

(après un silence)

Ah! les cardinaux veulent faire partir le pape...

(autre silence)

Oui, ils vont résister tant qu'ils peuvent.

Ce serait bien qu'un contact puisse s'établir entre toi et lui.

(Mère hoche la tête avec force) Oui. Oui.

Mais je te l’ai dit, je le savais: ce sont des gens qui ont une connaissance occulte assez grande et un manque total de scrupules. Je suis absolument convaincue que ce sont eux qui ont rendu P.L. malade. Peut-être ne le sait-il pas (probablement il ne le sait pas), mais j'en suis convaincue, j'en suis sûre.

Il y a eu une très forte attaque ici – très forte et directement sur moi. Je l’ai vue, n'est-ce pas – je l’ai vue. Je ne peux pas dire que je l’ai sentie, mais je l’ai vue.

Venant d'eux?

Venant d'eux.

Et non seulement c'était directement sur moi, mais ça a touché... (geste dans l’atmosphère de l’Ashram), ça a touché.3

Ils sont calés.

N'est-ce pas, il n'y a qu'une chose qui soit plus forte qu'eux, une seule: la paix du Seigneur. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire (je parle avec des mots qui ressemblent à leur propre langage), mais c'est... (geste au-dessus, immense)... «Ça», là, ils ne peuvent pas toucher. Mais c'est la seule chose. Et il n'y a pas beaucoup de gens qui sachent se mettre à l’abri de «ça».4

(Mère entre dans une longue contemplation)


Quand es-tu venu la dernière fois? Avant-hier?... Avant-hier, dans la matinée, à cinq heures du matin, j'avais lu une lettre de T.F. que je n'avais pas eu le temps de lire. J'étais toute seule, là, concentrée, et deux phrases sont venues en réponse à sa lettre, et je voulais écrire. J'ai commencé à écrire, et puis j'ai écrit avec une toute petite écriture! J'essayais de la rendre plus grande: impossible. Alors je me suis intériorisée, j'ai regardé, et j'ai vu que c'était Sri Aurobindo qui écrivait! Et alors, naturellement, j'ai laissé faire et il a écrit.

Ce n'est pas son écriture, mais ce n'est pas mon écriture non plus! C'est une sorte de combinaison des deux... J'avais eu la même expérience il y a des années, tout de suite après cette «maladie» quand je commençais à traduire Savitri, ici. Un jour, en écrivant, c'était lui qui écrivait; et c'était son écriture, c'est-à-dire à peu près illisible! Alors (riant), j'ai dit non, je ne veux pas! (parce que c'est illisible – si c'était plus clair que la mienne, je serais contente!). Et j'ai arrêté. Mais c'est venu avant-hier, et c'était... Je ne sais plus où j'ai mis ce papier (Mère cherche). T.F. disait, dans sa lettre, son impression de qui j'étais, et elle mettait à la fin «si c'est vrai que c'est comme cela, si je ne me trompe pas...» Alors, en réponse à cela, Sri Aurobindo est venu dire... (Mère cherche à se rappeler, en vain). Je ne me souviens plus des mots.

C'est curieux, je n'arrive pas à me souvenir.

(Voici le texte retrouvé)

«La vie divine en voie d'évolution, la Conscience divine à l’œuvre dans la Matière, voilà, pour ainsi dire, ce que cette existence représente.»

Et alors, en même temps, c'était la vision claire, la conscience très précise de tout cela au point de vue de l’évolution terrestre: ce qui était en train de se faire dans l’évolution terrestre.5

(long silence)

Tous ces jours-ci, c'est un travail intense, extrêmement intense, d'impersonnalisation de la conscience physique... Ça donne une sorte de... (geste flottant), n'est-ce pas, toute la base solide qui fait la personne corporelle, hop! partie, enlevée. Et alors, il y a des moments de flottement. Par exemple, j'ai eu pendant peut-être dix minutes, un quart d'heure, une abolition totale de la mémoire – du souvenir et de la mémoire. Alors... Maintenant, j'ai l’habitude de ces choses (il y en a une quantité formidable), alors je reste comme cela, exclusivement tournée... toutes les cellules sont immobiles, silencieuses et exclusivement tournées là, vers la Force, la Conscience (geste bras ouverts vers le haut), puis attendent. Et alors, c'est une espèce de concentration d'énergie, de force, et puis tout d'un coup, comme venant d'ailleurs (et ça, c'est une sensation très bizarre)... N'est-ce pas, tout ce que l’on fait, tout ce que l’on sait, tout est basé sur une sorte de mémoire semi-consciente qui est là – ça, parti. Et alors plus rien. Et c'est remplacé par une sorte de Présence lumineuse et... les choses sont là, on ne sait comment. Ce n'est pas comme si elles étaient revenues comme avant, ce n'est pas cela, c'est... Et elles sont là sans effort. Et il n'y a là que juste ce qui est nécessaire au moment voulu. Il n'y a pas tout ce bagage qu'on traîne derrière soit tout le temps comme cela, comme avant, ce n'est pas cela: il y a juste la chose dont on a besoin. Mais il faut être très-très-très tranquille; si l’on s'agite ou s'énerve le moins du monde, ou même que l’on fasse un effort, il n'y a plus rien... Et au point de vue le plus matériel, il y a aussi une sorte de perception que tout l’équilibre matériel passé, lui aussi a disparu, et qu'alors ça peut être n'importe quoi à n'importe quel moment... Heureusement (probablement c'est pour cela que c'est fait), heureusement, les cellules ont une foi très ardente, très ardente.

Je t'ai dit tout à l’heure que j'avais senti cette avalanche d'attaques. Elle est venue sous une forme très subtile: l’irréalité de la conception telle qu'elle a été admise et adoptée – l’irréalité de la Présence divine dans le corps, l’irréalité du monde en transformation qui deviendra de plus en plus divin; tout cela comme une irréalité qui venait (geste par en bas, comme une vague), sournoise, pour couper la base et le support de la foi.

Mais la Conscience était là, et la conscience que c'était une attaque; et il n'y a pas eu un combat ni un essai, une tentative de convaincre, ni rien, simplement comme cela (Mère ouvre ses bras vers le haut), le surrender TOTAL.

Et alors ça... c'est ce que j'ai dit, c'est intouchable.

C'est une immobilité lumineuse.

Et petit à petit, toute la conscience des cellules sort de cette emprise et renaît dans la Lumière.

C'était très-très intéressant.

Et l’attaque est venue avec, naturellement, toutes les suggestions de maladie, de mort, de décomposition, d'irréalité – tout cela qui grouillait.

Il n'y a pas eu une seule tentative de lutte ni rien, rien; tout simplement (même geste, bras ouverts): une aspiration et un don de soi.

Ce n'est pas encore fini, mais... J'avais l’intention d'en parler seulement quand ce serait tout à fait fini, mais à cause de cela (affaire de l’abdication du pape), je vois que cela a précipité les choses – précipité et concentré.

On verra. On va voir.6

8 mai 1968

Tu as revu P.L.? Comment l’as-tu trouvé?

Il est très secoué, très épuisé nerveusement.

Tu ne crois pas qu'ils ont fait de la magie sur lui?

J'en ai tout à fait l’impression.

Ah! toi aussi... Moi, j'ai sérieusement l’impression qu'ils ont fait de la magie pour qu'il ne puisse pas parler au pape.

Pour l’instant, il est très épuisé.

Oui, ils l’ont vidé.

Ça a commencé par une attaque mentale: tous les doutes. Sri Aurobindo, c'est «comme Saint Augustin»; Mère, c'est «comme la Vierge Marie», c'est la «même chose». Enfin une attaque mentale. Et après, il ne pouvait plus manger: chaque fois qu'il mangeait, il vomissait. Puis il a eu des crises d'hystérie: des convulsions, de la bave qui venait, et puis il était comme à moitié fou.

Bah! Bah!

Parce qu'il a écrit au pape... Voilà ce qui s'est passé: il a écrit au pape en lui demandant une audience, et cette lettre n'est jamais parvenue au pape.

Ah!

C'est tombé entre les mains du «Maître de l’Épistolat», qui probablement a envoyé cela au «Département indien» du Vatican pour savoir ce qu'était cet Ashram... Et on ne lui a jamais permis de voir le pape. Au bout de huit jours, ces attaques ont commencé à venir. Et au bout de huit jours, on lui a dit: ah! vous êtes trop malade, vous ne pouvez pas rencontrer le pape. Vous êtes «hors circuit».

On se méfie maintenant là-bas.

Mais avec ce qu'il m'a raconté, j'ai attrapé l’atmosphère du Vatican... C'est quelque chose d'effrayant, c'est une maffia, ce sont des bandes qui se haïssent, qui guettent le moment où le pape va disparaître et qui n'osent rien dire: ceux qui sont pour le pape n'osent rien dire, parce qu'ils se disent: «Quand le pape va mourir, j'aurai besoin des ennemis du pape actuel pour être élu, moi, à sa place.» Ils sont tous à penser à la succession. Alors personne ne veut être l’ennemi des autres et tout le monde se surveille. C'est une atmosphère effrayante.

Depuis qu'il avait donné cette lettre pour le pape, je vois de constantes attaques ici, constantes.

Ce sont des gens dangereux.

Et puis, il y a un fait grave que m'a appris P.L. Tu sais que le pape avait été opéré il y a un an...

De quoi?

De la prostate. Et en fait, c'est un cancer.

Oh!... Alors on s'attend à ce qu'il meure...

Et on ne l’aime pas. P.L. m'a dit: «Au Vatican, on ne l’aime pas.» On dit: «C'est le fils d'un journaliste, c'est un type qui veut faire de la sensation.» Voilà comment on le juge au Vatican.

(Mère reste longtemps concentrée)

Le pape avait été opéré avant de venir dans l’Inde ou après?

Après, je crois.


Puis Mère reste en contemplation jusque vers la fin de l’entrevue

Je n'ai pas envie de parler... Mais c'est un travail continu, jour et nuit, jour et nuit... «On» semble avoir déclenché quelque chose... quelque chose d'assez formidable.1

Tu n'as rien à dire?

On se demande ce que tout ça va faire là-bas, au Vatican?

Tout ce qu'ils veulent, c'est garder les choses comme elles sont. Toute leur volonté est que ça ne bouge pas... Malheureusement, c'est plus facile d'empêcher de bouger que de faire bouger.

11 mai 1968

(Une disciple avait écrit un article sur l’avenir de l’Ashram où elle disait notamment: «l’Ashram deviendra un centre occulte, une collectivité très sélectionnée...»)

Je ne tiens pas du tout à ce que l’on fasse de la réclame pour l’Ashram ni de la publicité. Ce n'est pas du tout nécessaire.

Il n'est pas nécessaire de parler de l’Ashram – (riant) la vraie manière de le rendre «occulte», c'est de n'en pas parler!


J'ai vu P.L.

J'ai vu aussi les petits de J (l’amie de P.L.) et le garçon m'a dit: «Je veux être ton guerrier pour conquérir et défendre la Vérité.»

Très gentil, le petit, très gentil!

Lui (P.L.), c'est surtout l’imagination. Il y a des troubles occultes, mais...

Mais dès qu'il pense à ça (le Vatican), sa figure se crispe. Alors je lui ai dit de ne plus y penser, de ne plus s'en occuper ni rien – laisser ça pour un avenir... incertain. Ne plus s'en occuper. Et alors, quand on lui dit de ne plus s'en occuper, sa figure est toute souriante!

15 mai 1968

(Le bruit avait circulé que Mère n'était «pas bien», et en effet elle n'avait reçu personne. Quand le disciple entre, Mère a tout le bas du visage complètement tuméfié, apparemment par une «infection». Elle n'a rien pu manger.)

Tu vois, c'est le Vatican.

J'ai lutté, lutté, mais... il y a trop de mensonges autour de moi. C'est cela, trop de gens disent des mensonges tout autour.

Je devais voir P.L. demain; je crois qu'il vaut mieux attendre quelques jours. Tu pourrais le lui dire – ne lui dis pas pourquoi!

C'est à travers son atmosphère que c'est venu?

Pas particulièrement: directement.

Naturellement, c'est à cause de cette histoire, et surtout à cause de ce que nous voulions qu'il fasse au Vatican. C'est la réponse à cela.

J'ai senti tout de suite et j'ai pu résister très longtemps, et puis... l’atmosphère n'est pas assez pure ici.

Ça se sert de l’un ou de l’autre.

C'est l’atmosphère générale.

Quand le désordre est invisible, je peux ne rien dire et on ne sait pas, mais là (riant), ça a pris une forme si visible que je n'ai pas pu l’ignorer!

Cette nuit, au moment du plus profond sommeil, je me suis trouvé dans un monde infernal. J'ai d'abord pensé que c'étaient des S.S.: de grands types vêtus en noir, et j'étais prisonnier là-dedans. C'était un monde d'hommes affreux, comme des S.S., mais tout vêtus en noir – c'étaient peut-être des prêtres, pas des S.S.? J'avais l’impression d'être prisonnier comme dans un camp de concentration là-dedans.

Oh!

De grand types vêtus en noir, avec des visages cruels, des lèvres... J'avais l’impression que c'étaient des S.S., mais ce sont peut-être des prêtres?

(Mère reste silencieuse puis entre dans une longue contemplation. Soudain, elle s'interrompt pour dire:)

Obstinément, une colonne blanche – obstinément, tout le temps, là (geste devant elle), comme une offre de paix.


(À la fin de l’entrevue, le disciple revient à l’affaire du Vatican.)

Ça ne va pas leur retomber dessus, tout cela?

Ça m'est égal.1

18 mai 1968

(Le disciple s'étonne que Mère soit si rapidement guérie de cette fluxion, sans traces. Mère rit.)

Je sais faire!

Et puis... il y a quelque chose d'autre. Les élèves, on essaye de les décrasser un peu! On leur donne des sujets à étudier, des recherches, et on m'a demandé un sujet pour eux. J'ai dit: «Qu'est-ce que la mort?»

Une classe a fait cet essai et on m'a envoyé les notes des élèves: quatre élèves.

(Mère tend quatre feuilles que le disciple lit)

Rita:

«Le fait réel de la mort me suggère une expérience où on est lancé dans l’espace avec un élan croissant.»

C'est amusant! J'ai trouvé cela très amusant. C'est la seule d'ailleurs, les autres sont tout à fait pratiques.1

Dilip:

«Une cessation de toute activité physique due à l’absence d'une source d'énergie (ou âme).»

Ce n'est pas clair... Et les deux autres sont tout à fait pratiques (!)

Anand:

«Quand le cerveau cesse de fonctionner et que la décomposition du corps commence, c'est la mort.»

(Mère rit beaucoup)

Et puis le dernier est très matter-of-fact [terre-à-terre].

Abhijit:

«Toute circulation du sang cesse dans les cellules du cerveau.»

Ça, c'est la mort.

Alors, moi, je leur dis ceci (Mère Ut avec difficulté):

«La mort est le phénomène de décentralisation et de dispersion des cellules qui constituent le corps physique.

«La conscience est, de par sa nature même, immortelle et, pour se manifester dans le monde physique, se revêt de formes matérielles plus ou moins durables.

«La substance matérielle est en voie de transformation pour devenir un mode d'expression multiforme de plus en plus perfectionné et durable pour cette conscience.»

Je vais leur envoyer cela. Mais j'ai apprécié leurs notes...

Ce qui est intéressant (pour moi), c'est que j'ai ouvert ces quatre notes hier soir; j'ai lu d'abord celle d'Abhijit: «Quand la circulation cesse...», et alors, je ne sais pas, il y avait certainement une grâce spéciale sur moi parce que j'ai lu ces mots et j'ai été instantanément mise en rapport avec l’esprit scientifique le plus objectif, le plus calme et le plus détaché – c'est sa façon de voir et de dire le phénomène: aucune émotion, aucune réaction, simplement comme cela. Et j'ai vu (j'ai compris, j'ai vu infiniment plus que ce que ce garçon a mis) toute une sagesse qui était là-dedans, une sagesse scientifique. Et en même temps, la perception du remède dans le cours de l’évolution des choses. Le remède le plus matériel.

Cela m'a donné toute une série d'expériences la nuit et le matin, dépassant certainement de beaucoup le champ que leurs quatre réflexions couvrent... Avec la petite (Rita), il y a eu l’impression, la vision de tous ceux pour qui la mort est la porte d'entrée sur une réalisation merveilleuse.

Et tout cela est venu tellement spontanément et naturellement que j'avais l’impression que c'était LÀ. Maintenant que tu me l’as relu (riant), je m'aperçois que ce n'est pas là! Mais c'était venu si spontanément: j'étais assise là, j'ai lu ces quatre choses, et puis c'est venu l’un après l’autre. Et surtout celle d'Abhijit, cette vision tout à fait objective, enfin complètement détachée du phénomène: «La circulation s'arrête...» comme si l’on regardait un petit instrument ou un petit outil (Mère fait tourner quelque chose du bout des doigts) et puis on dit: «Ah! voilà, ça s'est arrêté... c'est pour cela que ça ne marche plus.» Comme cela. C'est-à-dire aucune des incertitudes, aucune des angoisses, aucune des aspirations... Tout cela, tout ce qui était émotions, sentiments, phénomènes psychologiques: complètement absent... Un petit machin très simple (même geste du bout des doigts) qu'on regarde comme on regarde une machine, et la machine s'arrête «parce que ça ne fait plus comme ça». Voilà. Et du même coup, ce corps était complètement détaché de toute l’angoisse humaine, mais de tout: non seulement l’angoisse mais l’habitude, toute la formation humaine au sujet de la mort – tout parti. Comme si j'étais tout en haut comme cela, et je regardais tout en bas – hop! c'est parti.

C'est ce que l’on pourrait traduire par le détachement parfait du phénomène.

Et alors, après cela, sans chercher, sans réfléchir, rien, cette note est venue. C'est venu d'une façon tellement impersonnelle que tu as vu la difficulté que j'avais à lire: je ne me souvenais pas un mot de ce que j'avais écrit. C'est venu, j'ai écrit, et puis voilà. «J'ai» écrit, c'est-à-dire qu'on me l’a fait écrire pour le leur envoyer.

Je vais le recopier convenablement (Mère chercher un papier et poursuit)... Et alors, ça a situé tout... Ah! pour que tu me comprennes, il faut que j'ajoute quelque chose. J'ai vu D hier, et comme elle m'avait écrit qu'elle ne «savait pas méditer, mais enfin qu'elle resterait silencieuse pour ne pas me déranger» (!) naturellement j'ai commencé à parler! Mais alors je lui ai dit des choses que je n'avais jamais dites avant (que je ne pourrais pas répéter, et qu'elle ne saura pas répéter non plus parce qu'elle n'a compris que très-très peu de ce que j'ai dit). Je lui ai dit qu'au point de vue de la manifestation (je n'ai pas parlé d'au-delà de la manifestation), mais au point de vue de la manifestation, il n'y a qu'une chose qui soit vraie: c'est la Conscience. Et que tout le reste, c'est l’apparence de quelque chose, mais ce n'est pas la chose; que la chose, c'est la Conscience, et que tout le reste est une sorte de jeu où chacun a l’illusion d'être une personnalité, mais que c'est une illusion... J'ai eu l’expérience tout à fait sincère et spontanée au moment où je parlais. Et je me suis aperçue que cette expérience de la Conscience unique qui joue à travers les innombrables formes... (Mère s'interrompt)

Mais on ne peut pas dire cela, les mots ne peuvent pas. Au moment où je parlais, c'était cette Conscience qui parlait... Et les deux expériences ensemble (les notes des enfants, je les ai lues hier soir; D, je l’avais vue le matin), les deux ensemble m'ont donné le détachement (ce n'est pas un détachement: c'est une libération) du phénomène de la mort d'une façon si absolue que j'ai pu regarder partout dans l’Histoire, loin dans le passé, toute la tragédie humaine... C'est-à-dire que c'était un phénomène naturel dans la création terrestre, mais comme un moyen de transition – je voyais clairement pourquoi c'était devenu nécessaire et comment, avec la conscience humaine et le développement mental, c'était devenu une tragédie, et comment cela redevenait seulement un moyen de transition (on pourrait presque dire maladroit), qui était en train de redevenir inutile.

C'était toute cette vision d'ensemble de l’histoire de la création. C'était vraiment intéressant. C'était intéressant parce que... ouf! on se sentait si libre! si libre, si paisible, si souriant! et en même temps avec une telle certitude que tout allait vers une manifestation plus harmonieuse, moins chaotique, moins douloureuse... et que c'était seulement un pas de plus à faire dans la création.

Ce que j'ai admiré (je l’admire souvent): souvent, ce sont les choses qui en apparence sont médiocres ou de peu d'importance (tout ce que les hommes jugent comme insignifiant), c'est généralement cela qui amène les progrès les plus considérables. Dans cette journée d'hier et apparemment (je sais que ce n'est qu'une apparence), apparemment par la visite de D et par ces réponses d'enfant, toute cette période de la manifestation est devenue claire, a pris sa place, a perdu tout son pouvoir d'influencer et toute sa poigne sur la conscience. C'était comme si la conscience s'élevait tout à fait libre et lumineuse, joyeuse, au-dessus de tout ça.

De toutes petites choses.

(silence)

Ce matin, après avoir écrit cela, il m'est même arrivé de regarder en arrière l’histoire de ce corps, comme cela, d'un seul coup tout ensemble (geste comme un phare), avec des yeux ahuris... Par combien d'émotions, d'expériences et de découvertes, oh!... (je ne peux pas dire de drames parce qu'il n'a jamais eu beaucoup tendance au drame), mais enfin c'étaient des «expériences», des «découvertes», (Mère prend un ton grandiloquent) des «révélations»... (riant) pour retrouver ce qu'on a toujours su!

C'est amusant.

l’état de la conclusion (justement après avoir écrit cette note): d'abord, il y a eu cette perception tout à fait spontanée, naturelle, évidente, de la Conscience qui se sert de quelque chose et puis le quitte, le laisse se défaire quand ce n'est plus utilisable – mais ce n'était pas cela: ce n'était même pas prendre quelque chose, l’utiliser et puis s'en servir jusqu'à ce que ça devienne inutilisable; c'était un mouvement continu (geste souple comme une immense vague) dans une substance unique, avec des sortes de moments de concentration et d'utilisation de quelque chose jusqu'à son maximum de possibilité, et puis, non pas de rejet, mais d'expansion, d'immensité de paix – de remise dans un état d'immensité de paix de façon à reformer. Et une chose continue, comme cela (même geste comme une vague immense), et alors sans perte véritable, sans déchet véritable: la mort, c'est seulement une apparence, on ne comprend même plus comment c'est possible de vivre dans cette illusion. Et la Conscience, une Conscience – pas ceci, cela, cela (geste pour indiquer une addition d'individualités séparées), non-non: une conscience... qui joue.

(silence)

Il y avait quelque part, encore, l’idée de l’effort pour pouvoir être à la hauteur de la tâche qui avait été donnée; il y avait encore, oui, l’idée de l’effort, il y avait de la lutte; et ça, c'est parti. C'était parti. C'est parti.

Ça a commencé d'abord presque par une question du corps, qui a demandé: «Pourquoi, pourquoi est-ce que tu tiens à me conserver? Ce n'est pas si fameux (c'était très familier avec soi-même), ce n'est pas dans un état si remarquable.» (Mais ça ne souffrait pas, ce n'était pas misérable du tout, pas du tout: ça regardait avec un sourire.) Et alors il y a eu cette réponse... On ne peut pas dire, il n'y a même plus de questions: les choses sont ce qu'elles sont spontanément, dans un sourire perpétuel et dans une vibration – une vibration si légère! si lumineuse, si... sans contradictions. Une vibration d'expansion et de progrès. Je voyais l’image: l’expansion et le progrès.

Surtout l’effort, la lutte, et alors encore plus, la souffrance, la douleur, tout cela: parti! Parti... vraiment comme une illusion.

On pourrait dire que c'était (je dis «c'était» parce que je peux en parler maintenant; à ce moment-là, je n'aurais pas pu en parler), c'est l’état dans lequel la mort n'a pas de réalité – la mort et tout ce qui l’accompagne et tout ce qui l’a rendue nécessaire dans le cours de l’évolution.

(Puis Mère se met à recopier sa note)

Je ne sais pas qui l’a écrite. Tout le temps maintenant, j'écris des choses, je ne sais pas vraiment qui les écrit. Parfois je sais clairement que c'est Sri Aurobindo, mais parfois je ne sais pas du tout. Mais c'est quelqu'un qui n'est pas sur terre, ça je sais.

Tiens, je vais te donner un exemple intéressant (Mère reprend un paragraphe de sa note). Tu vois, dans l’état de conscience où j'étais, j'aurais dit (comme approximation la plus proche de la chose): «La conscience est, de par sa nature même, immortelle et, pour se manifester dans le monde physique, se condense en formes matérielles... etc.», et c'est venu avec insistance: «Non, se revêt de formes.» Mais la spontanéité chez moi, était de dire «se condense en formes», parce que je voyais ce mouvement-là: un mouvement de condensation, de manifestation, et quand la chose est finie: l’expansion.2 Un mouvement continu qui se condense et se répand, se condense et se répand... (geste comme la pulsation d'un océan). Mais c'était impératif: il fallait dire «se revêt». Par conséquent, il est tout à fait sûr que c'est quelqu'un d'autre qui écrit. Et ce n'est pas l’impression d'être «une personne» et qu'une «autre personne» veuille écrire ou veuille dire, ce n'est pas cela! Ce n'est pas cela. De même, lorsque je dis (je sens, je sais) que c'est Sri Aurobindo, ce n'est pas que je le voie matériellement et qu'il prenne ma main et qu'il me fasse écrire – rien de tout cela. C'est quelque chose de fluide qui se concentre et qui fait écrire. Et c'est la qualité de cette fluidité qui me fait savoir qui c'est. C'est tout à fait étrange. C'est comme une disparition totale du sens de la séparation, et pourtant il y a un sens de diversité qui reste: diversité de modes d'être; mais ce n'est plus délimité, comme coupé, séparé (Mère dessine des petits cubes): ce sont comme des modes vibratoires de perception ou d'action (et la vibration est différente de qualité), des modes vibratoires de perception et d'action qui se succèdent, s'entremêlent, se superposent. Une sorte de jeu fluide: ce ne sont plus des petits pantins comme cela, séparés.

Mes nuits sont entièrement comme cela. Dans la journée, il y a encore quelque chose de la vieille habitude, mais dans les nuits, c'est tout de suite comme cela.

Et pourtant, par analogie (ce n'est pas une analogie, c'est une correspondance), je peux dire qu'il s'agit de ce que nous appelons «celui-ci» ou «celle-là», telle personne, telle autre. Cette nuit, par exemple, j'ai passé un long moment avec M et G qui m'appelaient frénétiquement (elles sont parties, elles sont arrivées en Angleterre), j'ai passé un long moment avec elles, mais ce n'étaient plus «des personnes», ces pantins que nous sommes, ce n'était pas cela! mais c'étaient elles. Le contact était très exact, très précis, les qualités de vibration très nettes. Et il y avait des formes: on peut voir des formes, mais ça n'a pas la même qualité. Il y a quelque chose de dur, d'opaque et de maladroit qui disparaît.

Et alors (montrant la note), c'est comme cela aussi dans la traduction. Quand ça descend, il y a une volonté d'écrire, mais c'est une condensation de la conscience.

Ce n'était pas expliqué, mais c'était clairement conscient: le temps n'est pas venu pour cela.

C'est une conscience extrêmement-extrêmement consciente, non seulement de la chose, non seulement du but, non seulement du moyen, mais même des conditions: tout ensemble. Quand Ça regarde, Ça sait exactement, dans cette immensité qui se déroule, que, à ce moment-ci, c'est comme cela que ça doit être et que ça doit se faire.

D'une façon absolue, c'est libre – spontanément libre. Spontanément. Toute action est spontanée. C'est comme une vision. Une vision qui s'exprime.

(Mère achève de recopier sa note)

C'est de plus en plus intéressant. Il n'y a absolument pas de pensée, tu sais, rien: une seconde avant, je ne sais pas, et puis ça vient d'une façon absolue. Quelquefois, quand ça vient, il y a quelque chose qui se lève et qui dit: «Moi, je dirais comme cela, mon expérience est comme cela» (comme je te l’ai dit tout à l’heure). – «Non, c'est comme cela.»

Hier, j'ai vu quelqu'un dont je ne veux pas dire le nom et j'ai commencé à lui parler. Je ne savais pas, il n'y avait pas de pensée avant, rien. J'ai commencé à parler et j'ai dit:3 voilà, nous sommes au moment où l’on va voir des choses... Il y a de longs-longs-longs moments où l’on prépare les choses; il y a, après, un très long, très long moment où les choses se développent, s'organisent, s'installent et ont des conséquences; mais entre ça et ça, il y a un moment où ça se fait, où les choses arrivent. Ce n'est pas toujours très long (c'est quelquefois long, c'est quelquefois très court), mais où quelque chose arrive. Et c'est ce «quelque chose» qui va donner un nouveau développement au monde. Eh bien, nous sommes juste, c'est arrivé que nous sommes juste à ce moment-là. C'est-à-dire que si nous sommes (la plupart du temps, les gens sont aveugles), mais si nous ne sommes pas aveugles, si nos yeux sont ouverts, nous verrons, nous allons les voir.

l’occasion de tout cela (pour situer la chose), c'est parce que j'ai dit: «Le Président des États-Unis va aller en Russie pour signer la paix avec le Vietnam»4... Il y a deux autres circonstances analogues en même temps, c'est-à-dire trois paix vont être signées en même temps.

Mais quand ça commence à faire comme cela, ça prouve que l’on va voir des choses.

(silence)

Il y a des gens qui sont dans la nuit, dans le passé, dans le mensonge jusque là (geste jusqu'aux sourcils), ils ne voient rien-rien-rien – ils iront jusqu'au bout sans rien voir.

Ceux qui ont les yeux ouverts verront.5


(À la fin de l’entrevue, il est question d'une plaie dans le dos du disciple.)

Ça t'empêche de dormir?

Non, ce n'est rien, seulement ça se développe. C'est là depuis quinze jours.

Oh!... quelle drôle d'idée... C'est peut-être la même chose que pour moi (cette attaque de magie). Ce n'est pas toujours facile d'empêcher que ça touche.6

Oh! c'est une qualité de vibration tout à fait spéciale: quand on a l’habitude de noter les vibrations, on ne peut pas se tromper; on ne peut pas prendre celle-ci pour celle-là. Quand ça vient de là (magie), on le sait tout de suite. C'est tout à fait spécial... (Mère fait un petit geste perçant, comme une langue de serpent ou un minuscule éclair qui vibre et frappe).

Je sens des puissances qui passent comme cela, en réponse à ces attaques...

Il y avait un moment où je sentais encore des indignations; maintenant ça commence à être impossible.7

22 mai 1968

Mère tend au disciple le texte d'une note:

«Par l’élargissement de sa conscience, ce corps est plus ou moins identifié à ceux qui l’entourent.

«Tout effort fait pour la purification de sa conscience physique est autant de travail en moins pour ce corps-ci.»

Si chacun faisait l’effort...

(Mère hoche la tète)


J'ai vu P.L. hier. Il est encore terriblement nerveux. Il a dit qu'il était beaucoup mieux, mais à la moindre chose, sa figure se crispe. Et il y a encore autour de lui...

Alors il faut qu'il reste pour que tout cela soit défait, nettoyé, détruit.

C'est intéressant, il se passe des choses intéressantes.

P.L. a fait un rêve intéressant. Il Va noté pour que je t'en parle... C'est très curieux, c'est un rêve qu'il a fait trois fois de suite à quelques jours de distance à peu près l’un de l’autre. Exactement le même rêve, le même circuit...

C'est quelqu'un qui le lui a envoyé.

Voyons.

(Le disciple lit:) «C'est un jour de fête au Vatican. La place Saint-Pierre est archipleine. Le cortège du pape commence son défilé, auquel j'ai assisté maintes fois, tout près du pape, à côté des cardinaux. Mais à la place de la "sedia gestatoria" [la chaise porteuse du pape], il y a un énorme éléphant qui porte sur lui un personnage. Qui est ce personnage? Douce Mère? Non, c'est Pavitra... Mais non, c'est Satprem! Non, c'est le directeur de l’École... Plus je veux fixer mon attention sur ce personnage, plus le visage change, comme dans un kaléidoscope. En réalité, je ne peux pas fixer bien mon attention car je souffre sous le poids de l’éléphant, qui continue son entrée à la Basilique Saint-Pierre. En effet, je suis dans une position qui est très incommode, car je ne suis pas l’éléphant: je suis dans ses pattes, dans ses ongles, et son poids est très-très lourd, c'est pour cela que je n'arrive pas à voir qui est sur l’éléphant. Et l’éléphant, entretemps, est arrivé à la hauteur du Baldaquin de Bernini, dans la Basilique Saint-Pierre, et finalement arrive au trône du pape où il prend sa place et s'asseoit...

(Mère rit)

«Sur sa tête, il y a le même personnage toujours: Douce Mère? Pavitra? Satprem? Un professeur? Je ne sais pas. Je ne vois pas bien le corps, seulement le visage qui change... Tout à coup, la multitude, la foule immense, présente, reçoit une vibration formidable: tout est ébranlé, et, de ce changement de mentalité, jaillit un cri très fort, un applaudissement vers cette Force qui vient de pénétrer leurs âmes – toute la foule est transformée... La cérémonie finie, l’éléphant sort de la Basilique. Je suis à la porte et contemple la foule infinie qui se prolonge loin-loin. Je voudrais bien savoir combien il y a de personnes, et à la fin, à l’horizon, apparaît un numéro: 1.600.000.000.»

Il est prodigieusement réceptif, cet individu!

(long silence)

Trois fois, tu dis?

Trois fois: le 9 mai, le 11 mai et le 18 mai.

Quel chiffre?

Mille six cent millions. Il paraît, m'a-t-il dit, que cela correspond à peu près à toute la chrétienté: non seulement les catholiques, mais les chrétiens.

C'était ce qui m'avait été dit. Il m'avait été dit que c'était le premier mouvement: la première indication, le premier mouvement de la conversion de la chrétienté à la Vérité. Il était clairement indiqué que ça avait été DÉCRÉTÉ. C'est cela que j'avais vu.

Je n'avais jamais vu une chose comme cela! Je te l’ai dit, quand j'étais dans la chambre (où Mère reçoit) et que P.L. était venu, il est arrivé quelque chose qui était tellement... sérieux (comment dire?...) quelque chose qui avait l’importance et la stabilité des grands mouvements terrestres: les grands âges, le commencement d'un grand âge.1 Je n'avais jamais senti cela. C'était avant qu'il ne s'en aille [au Vatican]. Alors j'ai regardé et j'ai vu que c'était décrété d'en haut: le début de la conversion de la chrétienté à la Vérité – la chrétienté dans son ensemble.*

Quelque chose a été senti là-bas: je t'ai dit qu'il y avait eu une attaque d'une violence...

C'est surtout P.L. qui a été la victime, et moi en partie: ça a touché ce corps. Mais tu sais que, vraiment, même au point de vue le plus ordinaire, le plus extérieur, la guérison a été miraculeuse. Ces choses-là (fluxion) durent généralement de huit à dix jours – en deux jours, c'était fini. Ça... mon corps lui-même, qui pourtant est habitué à être en contact avec les forces, en était émerveillé. Ça a été miraculeux.

l’action concrète de cette Force, que Sri Aurobindo appelait «la force supramentale», son premier contact et son premier aspect est un aspect de Vérité.2 Comme Sri Aurobindo l’avait dit: il fallait que la Vérité se manifeste d'abord avant la Puissance de l’Amour.

Comparé à la façon dont la vie suivait son cours, vraiment ça tient du miracle – miracle dans le sens que c'est la rapidité de la transformation et de l’action qui est tout au moins inhabituelle.


Après une longue concentration, Mère reprend

Il y a eu deux petites choses, toutes petites choses, mais amusantes... Il y a un an ou un an et demi (je ne me souviens plus), quelqu'un m'avait envoyé un album de photographies de la France et de Paris spécialement, et je l’avais regardé; je le regardais, et en le regardant, j'ai vu une photo des quais (que j'ai vue, j'ai regardé attentivement dans les détails), j'ai vu les quais avec tous les bouquinistes. Il y avait un bouquiniste devant, il était assis devant, je l’ai vu. Puis j'ai fermé l’album, je l’ai mis de côté. Et j'ai voulu en parler à quelqu'un, j'ai dit: «Vous voulez voir comment sont les bouquinistes à Paris? Il y a une photo...» Je tourne page après page, page après page – pas une seule photo de bouquiniste! J'ai regardé encore, encore... pas une seule photo de bouquiniste.3 Ça a été un assez fort problème pour que je revoie le cahier plusieurs fois et que j'essaye même de donner une explication. Et puis... M et G sont allées à Paris, elles m'ont envoyé une carte postale des quais et des bouquinistes – c'était celle-là! Je l’ai reçue hier. Ce n'était pas dans l’album: je l’ai reçue hier, exactement la photo.

l’autre chose, c'est à propos de R qui avait été attaqué de filariose il y a quelques années. Il me l’avait dit et ça avait passé. Et puis c'est revenu. C'est revenu peut-être trois ou quatre ans après, très fort, et il n'arrivait pas à s'en débarrasser. Il m'a écrit en se plaignant. Je lui ai dit qu'il y avait une «chute dans sa foi». C'était, paraît-il, la troisième fois que je lui écrivais cela (je n'en savais rien – je ne sais jamais ni pourquoi ni comment j'écris les choses). Alors il m'a écrit pour me dire: «C'est la troisième fois que vous me dites cela, qu'est-ce que cela veut dire?» Je le lui ai expliqué. Mais en recevant sa lettre et en lui expliquant, j'ai fait ce que je fais toujours (je le fais toujours, je le fais tout le temps: je l’ai mis en rapport avec le Seigneur et j'ai demandé l’intervention)... Il a reçu ma lettre, et il m'écrit aujourd'hui que, pendant qu'il la lisait et dans l’espace d'une dizaine de minutes, il a actuellement vu (le pied était devenu deux fois aussi grand, la jambe gonflée, tu sais comment c'est quand on a l’éléphantiasis), actuellement il voyait comme cela: ça diminuait-diminuait, et en dix, quinze minutes, c'était parti! Il me l’a écrit ce matin... Et je lui avais dit que la Force était la même, mais que c'était sa foi qui n'était plus la même, et que c'était pour cela que la Force n'avait pas autant d'effet. Et là, il me dit: «Moi, je lisais simplement la lettre, et à vue d'œil c'est parti!»

Et ce corps, si on lui demande, la seule chose... Il y a deux choses dont il est conscient: une adoration de plus en plus intense des cellules, oh! comme cela (geste comme une flamme qui monte), et en même temps, un tel sens du point auquel elles ne sont pas ce qu'elles devraient être, de l’indignité de leur condition. Ces deux choses-là sont constantes et constamment ensemble. Et c'est tout. Et quand on me raconte des cas comme cela, maladie ou autre (on m'en raconte trois, quatre, cinq tous les jours, il arrive tout le temps des choses comme cela – je te donne celui-là comme un exemple très concret parce que c'est tout de suite et que tu connais R), le corps n'a pas conscience de servir d'intermédiaire même, parce qu'il est trop conscient de son infirmité, de ce qu'il devrait être et qu'il n'est pas encore... C'est comme cette guérison (la tuméfaction du visage de Mère), ça a été une guérison comme celle de R, presque spontanée: c'est arrivé tout d'un coup et c'est parti. Mais ça, le corps est tout à fait conscient de la splendeur d'une Merveille... d'une Merveille qui dépasse toute compréhension.

Et alors, il y a le très fort sentiment – très fort – dans la conscience, que le temps est venu.

Je disais cela à Rijuta l’autre jour: il y a d'immenses périodes où les choses se préparent – le passé s'épuise et l’avenir se prépare –, et ce sont d'immenses périodes... neutres, ternes, où les choses vont se répétant, se répétant, et ça a l’air de devoir être toujours comme cela. Et puis tout d'un coup, entre deux périodes comme cela, le changement se produit. Comme le moment où l’homme est apparu sur la terre – maintenant c'est quelque chose d'autre, un autre être.

En tout cas, il est certain que nous verrons les signes, ou plutôt même que nous sommes en train de voir les signes précurseurs... Je disais cela à Rijuta en lui annonçant (je ne le savais pas) que le Président des États-Unis allait se rendre à Moscou pour signer la paix avec le Vietnam. Et il y avait trois guerres, dont l’une était arrêtée mais n'était pas close: c'était celle de l’Egypte et d'Israël, ils sont arrivés à un accord. La troisième, je ne me souviens plus. Et les trois en même temps. Mais la plus sérieuse des trois, c'était la guerre de l’Amérique avec le Vietnam. Alors je lui disais cela; je lui ai dit: ça, c'est un signe.

Et ce n'est pas une conception mentale, ce ne sont pas des idées: pendant que je le disais, je le voyais, je voyais.

Oui, il y a vraiment quelque chose qui est en train de changer.

Ce sont encore les signes précurseurs, les mouvements avant-coureurs, alors c'est dispersé, ce n'est pas combiné, mais pour celui qui sait voir, c'est évident.

(silence)

Avec cette dernière aventure (cette attaque sur Mère), ce corps a appris la confiance. Il était très pétri de pessimisme à cause de ses antécédents matériels. Certains antécédents, c'est-à-dire père et mère, avaient été choisis très pratiques et d'une honnêteté matérielle très concrète, et pas de mysticisme, rien de tout cela – exprès. Mais alors, ça avait donné une sorte de... pas exactement de pessimisme, mais une vision très aiguë de comment les choses ne vont pas bien; et le corps avait cela, et sa foi devait lutter contre une habitude de s'attendre à la difficulté, à l’obstacle, à la résistance,et, quoiqu'il ait eu une foi complète en la Victoire finale, il ne pouvait pas surmonter l’habitude de s'attendre aux difficultés sur le chemin... Cette dernière aventure lui a donné un bon push [poussée] en avant: sa confiance est beaucoup plus souriante. Et alors la vision générale est comme je te l’ai dit. Et tout le temps – tout le temps –, même au moment des pires difficultés, tout le temps, il y a... ça jaillit des cellules, comme un hymne doré: l’incantation, n'est-ce pas, l’appel, l’incantation à la Puissance suprême... Et ça, avec une foi! merveilleuse.

(silence)

Douce Mère, et ce qui se passe en France en ce moment, qu'est-ce que cela veut dire?4

C'est clairement l’avenir qui s'éveille et qui veut chasser le passé.

Tu as lu les lettres des enfants de S? Ils sont là-bas. Par exemple, tous les étudiants et toute la classe ouvrière se sont unis. Il y a naturellement, mentalement, tout le mélange de toutes sortes d'idées, mais la Force derrière... Par exemple, les étudiants veulent changer complètement le mode d'instruction: ils réclament violemment la suppression de tous les examens. Et ils ne le savent pas eux-mêmes, mais ils sont poussés par une force qui veut la manifestation d'une vérité plus vraie.

Eux-mêmes ne voudraient pas de violence – il paraît que ce ne sont pas eux qui ont commencé la violence, mais la police. Et ça, c'est très intéressant, parce que la police représente la défense du passé. Et quand j'ai lu les lettres de ces enfants, puis que l’on m'a donné les nouvelles, alors est venu en moi (cela a été dit très-très clairement, une vision très claire): l’avenir. C'est la Puissance supérieure qui contraint les gens à faire ce qu'ils doivent faire. Entre maintenant et ça (qui est très en avant), ce doit être la puissance d'un nombre immobile. Et alors la vision était claire: si des millions – pas des milliers: des millions – de gens s'assemblent, occupent, absolument pacifiques (simplement s'assemblent et occupent, avec des représentants naturellement qui diront ce qu'ils veulent), alors ça aura le pouvoir. Mais il ne faut pas de violence; dès que l’on se laisse aller à la violence, c'est le retour au passé, c'est l’ouverture à tous les conflits... À ce moment-là, je ne savais pas que c'était la police qui avait commencé la violence; je ne savais pas, je ne connaissais pas les détails de l’histoire. Mais c'était une vision très claire: une occupation par la masse, mais une masse toute-puissante dans son immobilité, qui impose sa volonté par le nombre, avec des représentants intellectuels pour les négociations.

Je ne sais pas... De Gaulle est ouvert à quelque chose de plus que la force purement matérielle. Est-il de taille? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il est parmi les meilleurs instruments.

C'est clairement (pas dans le détail, mais dans la direction du mouvement), c'est clairement la volonté d'en avoir fini du passé, de laisser la porte à l’avenir.

C'est comme une sorte d'écœurement de la stagnation. Voilà. Soif de quelque chose qui est en avant, qui paraît plus lumineux et meilleur. Et en effet, il Y A quelque chose – ce n'est pas seulement une imagination: il Y A quelque chose. C'est cela, la beauté, c'est qu'IL Y A quelque chose. I l Y A une Réponse. I l Y A une Force qui veut... qui veut s'exprimer.

La France est dans une situation privilégiée: l’Inde d'abord, la France après, pour des raisons... simplement de réceptivité. La France a toujours essayé d'être en avant – c'est d'ailleurs pour cela que ce corps est né là.

(silence)

Les journaux parlent d'une grève de plusieurs millions là-bas (ces enfants ont écrit). Ça n'a pas du tout le caractère d'une grève, ça a le caractère d'une révolution.

Je connais cela. Je ne sais pas si je te l’ai jamais dit, mais il y a eu – il y a toujours eu – identification de la conscience de ce corps avec tous les mouvements de révolution. Je les ai toujours connus et guidés avant même que les nouvelles ne viennent: en Russie, en Italie, en Espagne et ailleurs – toujours, partout –, et c'était essentiellement, toujours, cette même Force qui veut hâter la venue de l’avenir – toujours –, mais qui est obligée d'adapter ses moyens d'action suivant l’état dans lequel se trouve la masse.

Et maintenant, justement, il semblerait que l’état de la terre soit tel que tout au moins se prépare (si ce n'est pas encore comme cela), se prépare la manifestation de la masse dans une espèce de volonté silencieuse et immobile... Et ça, c'est une période intermédiaire pour arriver à l’état où cette masse sera tenue sous contrôle et mise en mouvement directement par la Puissance d'en haut.

C'est vers cela que l’on marche.


Vers la fin de l’entrevue

J'ai dit hier à P.L. que quand il sentait le besoin de me voir, qu'il me le fasse savoir. Naturellement, il vaut mieux que ce ne soit pas trop souvent parce que je suis terriblement occupée, mais on verra. C'est nécessaire. C'est important.

Je ne lui dis rien sur son rêve, ou est-ce que je peux lui dire...?

Oh! tu peux lui dire que j'ai dit qu'il est remarquablement sensitif et réceptif; qu'il y a une vérité très profonde derrière ce rêve, malgré sa forme extérieure un peu enfantine. Il y a une vérité très profonde.

Seulement... Ce n'est pas un homme qui a besoin d'être poussé: c'est un homme qui a besoin d'être retenu, parce que l’âdhâr (diraient les Indiens), c'est-à-dire le revêtement matériel, n'est pas assez fort pour la puissance qui l’anime. Alors cela produit des maladies. Ce n'est pas un homme qu'il faut pousser: c'est un homme qu'il faut retenir.

Mais il est très conscient – très conscient, beaucoup plus conscient même que ne semble le rêve. Très conscient... Ça aussi, c'est le moment du Tournant où toute cette vieille formidable formation chrétienne qui s'est répandue sur la terre comme cela (geste comme une pieuvre) – qui naturellement a rempli son office, a fait ce qu'elle devait faire, est venue au moment où elle était nécessaire, etc., etc., nous savons –, mais le moment où ça doit changer pour devenir l’instrument de la vérité de demain.

Et ce pape a bien fait son travail, autant qu'il pouvait.5

Mais pendant peut-être longtemps encore, en tout cas quelque temps, P.L. doit être l’intermédiaire seulement un petit peu conscient: pas actif. Il sert d'intermédiaire, il sert de lien (geste comme un pont entre Mère et le Vatican), mais il ne faut pas... Il n'a pas la capacité de résister à la puissance formidable de ces gens. Il faut qu'il soit bien tranquille – bien tranquille, bien paisible –, qu'il se laisse vivre heureux, et il remplit son office.

25 mai 1968

(À propos d'un ancien Entretien du 10 juin 1953.) De quoi s'agit-il?

Des attaques des forces adverses et des Asoura.

Oh!... (riant) C'est un moyen commode de mettre la faute sur les autres, ça!

Tu crois qu'il faut publier ça?

Sûrement, c'est utile.

Maintenant, quand les gens me parlent de cela, d'attaques des forces adverses, j'ai toujours envie de leur dire: «C'est au-dedans de vous qu'il y a l’adversité!»

Je crois que c'est un très commode moyen d'avoir l’impunité... Parce que, si l’on est parfait, ils ne peuvent rien contre vous. C'est tout à fait évident. Ce sont les imperfections qui leur donnent le pouvoir. Et alors, si l’on déplace le point de vue comme Sri Aurobindo l’avait fait, on voit comme il disait: les forces soi-disant adverses sont tolérées parce qu'elles sont utiles pour éveiller les gens à la nécessité de la transformation, à l’urgence de la purification.

29 mai 1968

(Mère cherche un vase pour mettre un amaryllis et s'apprête à le mettre avec les roses.)

Ça, les roses n'aiment pas cela du tout! Elles ne veulent pas. Elles ne veulent pas avoir quelqu'un d'autre... Mais je le leur mets tout de même!

(Mère plante l’amaryllis au milieu des roses en riant)

Elles ont un esprit de caste!


Peu après

Il y a une lettre de T.F. pour se plaindre des films que l’on montre, disant que le film devrait être instructif et vous montrer des choses admirables...

Mais pour qu'un film puisse montrer des choses admirables, il faudrait que les gens les vivent, les choses admirables! non?

Elle m'a même écrit qu'ils étaient tout un groupe de professeurs qui voulaient écrire une lettre et la faire circuler pour demander que ça change – je n'aime pas tout ça. C'est un esprit de petit pensionnat. Alors, hier soir, j'ai écrit une réponse.

(Mère lit)

«On aimerait pouvoir montrer aux enfants des représentations imagées de ce que la vie doit être, mais nous n'en sommes pas là, bien loin de là. Ces films-là restent encore à faire. Et pour le moment, le plus souvent, le cinéma montre ce que la vie ne doit pas être, d'une façon assez frappante pour vous en donner le dégoût.

«Cela aussi a son utilité préparatrice.

«Les films sont admis à 1'Ashram non comme un amusement, mais comme faisant partie de l’éducation. C'est donc le problème de l’éducation qui se pose.

«Si l’on considère que l’enfant ne doit apprendre, savoir et connaître que ce qui peut le garder pur de tout mouvement inférieur, grossier, violent et dégradant, c'est tout le contact avec le reste de l’humanité qu'il faudrait d'un coup supprimer, à commencer par tous ces récits de guerres, de meurtres, de conflits et de tromperies qu'on appelle l’Histoire; c'est le contact actuel avec la famille, les parents, les amis, qu'il faudrait supprimer; c'est le contact avec toutes les impulsions vitales de leur propre être qu'il faudrait contrôler constamment.

«C'est cette idée-là qui a été cause de la vie monastique enfermée dans les couvents, ou de la vie ascétique dans la caverne et la forêt.

«Ce remède s'est prouvé tout à fait inefficace et n'a pas tiré l’humanité de son bourbier.

«Selon Sri Aurobindo, le remède est tout autre.

«Il faut faire face à la vie intégrale et à tout ce qu'elle comporte encore de laideur, de mensonge et de cruauté, mais en prenant soin de découvrir en soi-même la source de toute bonté, toute beauté, toute lumière et toute vérité, pour mettre consciemment cette source en rapport avec le monde afin qu'elle le transforme.

«C'est infiniment plus difficile que de s'enfuir ou de fermer les yeux pour ne pas voir – mais c'est le seul moyen vraiment efficace, le moyen de ceux qui sont vraiment forts et purs et capables de manifester la Vérité.

«Tu peux montrer cette lettre à ceux qui s'indignent avec toi.»

Ils ont besoin qu'on les secoue un peu, ils sont goody-goody [bigots], oh!

Et puis, ce n'est pas tout. Il paraît que je vous fais des «classes» à tous les deux...
(Sujata et Satprem)

Des classes!

Et on me demande si l’on pourrait participer à ces «classes»!... Oh! cette idée! Tu me vois vous faisant une classe! Oh! c'est affreux... C'est affreux. Elle demande que j'admette «un certain nombre de professeurs» à cette classe, parce que ça leur ferait du bien, à commencer par elle.

Je vais lui dire: «Je ne peux pas vous admettre pour la bonne raison qu'il n'y a pas de classes!...» Déjà l’année dernière, R m'avait demandé, et je lui avais dit: «Mais ce n'est pas du tout comme cela! Il se peut que je ne parle pas, il se peut que je parle, mais ce n'est jamais une classe! De temps en temps, je dis quelque chose, et puis...»

Quelle conception!... Le gourou qui devient super-professeur! Déjà l’idée du gourou me fait frémir, mais un gourou-super-professeur, oh! quelle horreur!

Ce qu'ils doivent dire de bêtises entre eux, c'est effrayant.

juin




3 juin 1968

Je viens de là-bas (la chambre de musique où Mère reçoit les visiteurs). J'ai vu une vingtaine de personnes... Il y avait le premier ministre d'Orissa (Orissa est la première province de l’Inde qui ait donné de l’argent pour un pavillon à Auroville: ils ont donné un lakh de roupies). C'est un homme bien. Ce sont des gens bien, les gens d'Orissa; ce sont eux, de toutes les provinces, qui paraissent le plus vouloir aller de l’avant, changer quelque chose.

Et le Bengale? Il n'est pas en avant?

Ils sont un peu... fantaisistes. C'est-à-dire qu'ils parlent beaucoup – ils parlent très bien! Ceux d'Orissa sont plus pratiques – généreux, de nature très généreuse: ils donnent beaucoup.

Le Bengale... ils se savent, ou ils se sentent à la tête intellectuelle du pays, alors ils sont gonflés d'eux-mêmes. Moi, j'aime les gens simples.


Peu après

J'ai eu la suite de la classe de T.F. sur la mort. Il y a de nouvelles notes.

(Mère tend un papier au disciple)

Douce Mère, nous avons reçu avec joie ta réponse et nous t'envoyons nos réflexions et nos questions à propos du premier paragraphe: «La mort est le phénomène de décentralisation et de dispersion des cellules...»

Alors?

Abhijit dit ceci: «Si une cellule devient consciente de sa personnalité, elle risque d'agir uniquement dans son propre intérêt sans tenir compte de l’intérêt collectif.»

(Mère rit) l’intérêt d'une cellule!

Et puis?

Amitangshu pose deux questions. La première est celle-ci: «Est-ce que la décentralisation se fait tout d'un coup ou par degrés?...

Ça prend du temps.

C'est comme cela: la volonté centrale de l’être physique abdique sa volonté de tenir toutes les cellules ensemble. C'est le premier phénomène. Elle accepte la dissolution. Mais tout ne se disperse pas comme cela tout d'un coup: ça prend longtemps.

Ce qui précède la mort, c'est l’acceptation de cesser la centralisation dans la forme, pour une raison ou une autre. J'ai remarqué que l’une des raisons des plus fortes (l’une, très forte), c'est le sens d'une désharmonie irréparable. l’autre, c'est une sorte de dégoût de continuer l’effort de coordination.

En fait, il y a d'innombrables raisons, mais il y a une sorte d'effort de cohésion et d'harmonisation, et ce qui précède inévitablement la mort (à moins que ce ne soit un accident violent), c'est que, pour une raison ou une autre, ou sans raison, cette volonté de maintenir la cohésion abdique.

Il y a une deuxième question: «Chaque cellule doit-elle être consciente de son unité avec le centre?»

Ce n'est pas comme cela.

(après un long silence)

C'est difficile de leur faire comprendre... C'est encore une conscience semi-collective, ce n'est pas une conscience individuelle des cellules.

Et puis?

Anand Arya dit ceci: «Est-ce que la décentralisation se fait toujours après la mort, ou peut-elle commencer avant?»

(Riant) Elle commence souvent avant!

Dilip M. dit ceci: «Les cellules se dispersent-elles dans l’espace ou dans le corps même? Si c'est dans l’espace, le corps doit disparaître avec les cellules?»

Naturellement! Naturellement le corps se dissout après la mort. Mais cela prend longtemps...

Eux, ne savent pas parce qu'on les brûle.

Rita demande: «Dans l’expression "dispersion des cellules", le mot dispersion n'a-t-il pas un sens particulier? Dans ce cas, lequel?»

Je l’ai dit dans son sens tout à fait positif.

J'ai même vu que ces cellules qui ont été particulièrement développées et qui sont devenues conscientes de la Présence divine au-dedans d'elles, quand la concentration qui forme le corps est arrêtée et que le corps se dissout (petit à petit, il se dissout), toutes ces cellules qui sont conscientes se répandent et entrent dans d'autres combinaisons où elles éveillent par contagion la conscience de la Présence que chacune a eue. Et ainsi, c'est par ce phénomène de concentration, de développement et de dispersion, que toute la Matière évolue, pour ainsi dire, et apprend par contagion, se développe par contagion, a l’expérience par contagion.

Mais ce n'est pas la cellule elle-même qui entre dans d'autres combinaisons – c'est la conscience subtile des cellules?

Oui, naturellement! la cellule se dissout aussi. C'est la CONSCIENCE des cellules qui pénètre en d'autres.

C'est très difficile à expliquer quand on n'a pas l’expérience.

5 juin 1968

J'ai une question a propos de P.L. Il y a deux faits nouveaux. D'abord, il y a plusieurs années, il était en relation avec une Américaine extrêmement riche qu'il a aidée. Cette femme est très reconnaissante à P.L. et voudrait lui donner un million de dollars pour une œuvre.

Ça tombe bien!

Oui, mais elle est très catholique. C'était à un moment où P.L. était dans les Ordres.

Elle est catholique?

Oui, elle est même très pieuse. Une femme bien, paraît-il. Alors, P.L. demande s'il ne devrait pas essayer de lui expliquer ce qu'il fait ici, de lui envoyer quelques livres de toi, et puis de voir comment cela agit. Peut-être cela orienterait-il cette femme vers quelque chose de plus intéressant?

Ce n'est pas une femme qui veut «la paix sur la terre»?

Je ne sais pas. Quand P.L. l’a rencontrée, sa fille avait été assassinée, et dans ce moment difficile, P.L. l’a aidée. Alors elle est très reconnaissante et elle voudrait donner cet argent à une œuvre, bien sûr chrétienne.

Généralement, les gens de ce genre comprennent mieux une œuvre que des idées.

Auroville?

Auroville, comme Sri Aurobindo l’a dit, est un moyen pratique de créer une unité humaine qui serait assez forte pour lutter contre la guerre.

C'est à voir. On peut essayer.

On verra.

Il y a un autre fait, à propos de ce Mgr R dont P.L. gérait les formidables intérêts. On a eu la pensée (c'est J qui a eu cette pensée) de lui envoyer mon livre, «l’Aventure de la Conscience», et alors il a écrit une lettre enthousiaste, disant qu'il était très pris par ce livre, que cela l’intéressait prodigieusement. Et puis il a écrit une deuxième lettre à P.L. en lui disant: «Si je n'étais pas retenu à Rome, je viendrais vous rejoindre imédiatement.»

Oh!... Ça, c'est bien. Ça, c'est bien.

8 juin 1968

J'étais en train de regarder un problème...

Au fond, si on enlève le vernis – le vernis des bonnes manières –, l’homme n'admet l’existence du Divin qu'à condition qu'il soit uniquement occupé à satisfaire tous ses besoins et tous ses désirs – ce peuvent être des besoins collectifs, ce peuvent être des désirs «planétaires» comme dirait Y, mais ça se réduit à cela.

Et c'est comme cela surtout, surtout avec l’idée d'un Divin qui s'est revêtu d'un corps... Au fond, il leur a paru très naturel que le Christ soit crucifié pour leur salut à eux – cela me paraît une monstruosité.

Cela m'a toujours paru une monstruosité.

Mais maintenant, je vois que c'est... tout spontané. Ici, dans l’Inde, avec l’idée du gourou, de l’Avatar, il n'est là (on peut le reconnaître, l’admettre) mais uniquement pour satisfaire toutes les demandes, et non pas parce qu'il est revêtu d'un corps humain mais parce qu'il est le représentant du Pouvoir suprême, et le Pouvoir suprême, on l’accepte, on prétend lui obéir, on lui fait sa soumission, mais avec l’arrière-pensée: «Il est là uniquement pour satisfaire mes désirs.» La qualité des désirs dépend de l’individu: les uns, ce sont de tout petits désirs personnels; les autres, ce sont de grands désirs pour toute l’humanité, ou même pour des réalisations plus grandes, mais enfin cela revient au même. Ça paraît être la condition de la soumission (!)

Il faut sortir de la conscience humaine, c'est-à-dire de la conscience active qui fait, pour sortir de cela.

C'est au point que si quelqu'un a l’outrecuidance de dire que le monde et toutes les créations existent pour la satisfaction du Divin, imédiatement il y a une protestation violente et on le taxe de... on dit: «Mais ce Divin-là est un monstre! un monstre d'égoïsme», sans s'apercevoir que l’on est justement comme cela.

(silence)

Ce n'est pas plaisant.

Ah! il vaut mieux travailler, passons au «Bulletin».

Oui, mais c'est aussi le Divin qui fait que l’on désire une réalisation plus belle ou plus haute?

Mais oui.

Non, ce que je voulais dire, c'est que l’on peut élargir, agrandir presque jusqu'à l’infini le genre de conscience tel que les êtres humains l’ont – ce n'est rien. Il faut dépasser, dans le sens que cette notion d'égoïsme justement, cela appartient encore entièrement à l’humanité.

N'est-ce pas, chaque être humain (et ça résiste à tous les développements et à tous les agrandissements), spontanément, naturellement, se met au centre et organise le monde autour de lui; et alors forcément, pour lui, le Divin est quelque chose qui s'est mis au centre et qui organise le monde comme cela.

Pendant peut-être quelques heures (je ne sais pas parce que je ne me suis pas occupée du temps), tout d'un coup, la conscience a été comme... je ne sais pas, retournée (comment dire? je ne sais pas), et il n'y avait plus de centre, ça n'existait plus du tout, ce centre avec tout organisé autour; c'est-à-dire que la Conscience divine n'était pas une conscience centrale avec tout organisé – du tout! du tout, du tout. C'était... quelque chose d'extraordinairement simple et extraordinairement complexe en même temps.

(Mère reste longtemps silencieuse)

Maintenant ce n'est plus que le souvenir, alors ce n'est plus cela. Ce n'est plus qu'essayer de se rappeler.

Le sens même de la possibilité de la division n'existait pas...

Je vois maintenant (Mère ferme les yeux).

Ce serait comme une unité, une unité qui est d'innombrables – des milliards, n'est-ce pas –, d'innombrables points brillants. Une seule conscience – une seule conscience – faite d'innombrables points brillants conscients d'eux-mêmes.

Ça a l’air tout à fait idiot, mais...

Et ce n'est pas le total de tout cela, c'est cela! Ce n'est pas ça, ce n'est pas un total: c'est une unité. Mais c'est une unité innombrable. Et du fait même de dire des mots, cela devient idiot.

Impossible. Le langage est inapte.

Ah! travaillons.


(Peu après, à propos d'un ancien Entretien du 24 juin 1953 où il est question des maladies.)

En ce moment, depuis quelque temps, les deux choses sont simultanées (Mère joint l’index de sa main gauche contre l’index de sa main droite), dans le sens que presque à chaque minute (ce n'est pas «minute», mais enfin), à chaque moment, il y a la conscience qui sait: si l’attitude est comme cela (Mère penche un peu à gauche l’index gauche), c'est la maladie; si l’attitude est comme cela (Mère penche un peu à droite l’index droit), ça reste dans l’ordre. Avec le «comment ça rentre dans l’ordre.» C'est extrêmement intéressant.

Mais j'attends un peu pour dire cela que ce soit plus établi, que cela devienne plus clair, plus exact et tout à fait... enfin dans une sorte d'attitude scientifique. Mais c'est très intéressant.

Si l’on prend cette attitude-là (même geste à gauche), ça devient la maladie; si on prend cette attitude-ci (même geste à droite), cela fait partie de l’évolution.

Dans le corps.

Dans le corps.

Comment le corps peut participer consciemment à sa transformation.

Mais c'est un long sujet et j'aime mieux que ce soit plus poussé. Je suis encore sur le champ d'expérimentation. Quand ce sera plus établi, j'en parlerai.

12 juin 1968

(À la suite d'une lettre où le disciple s'était plaint de la difficulté qu'il avait à écrire – ou plutôt à réécrire – son «Sannyasin», et de la complète inconscience de son sommeil.)

Je ne t'ai pas répondu parce qu'il n'y avait rien à dire – je fais de mon mieux!

Mais oui, le livre va mieux!

Ah! ça va mieux.

Le livre, j'y avais pensé trois ou quatre jours avant ta lettre, c'était venu très fortement – avant que tu n'écrives.

Les nuits, ça, je sais!...

Qu'est-ce que je fabrique, la nuit?

Je t'ai dit que je te voyais très souvent autrefois; maintenant, mes nuits sont réduites beaucoup parce que j'ai du travail jusque très tard et je me lève de très bonne heure, alors je n'ai pas beaucoup de nuit. Mais c'est toujours à la même place que je te trouve, et là tu es très actif et tout à fait conscient... C'est la connexion entre cette partie de ton être et la partie éveillée qui n'est pas là – oh! c'est quelquefois rien du tout, une toute petite... Tu sais, comme s'il y avait un vide entre deux choses. Autrement, tu es très conscient, tu travailles même très logiquement: c'est une chose qui continue, qui se développe. Et c'est au point de vue terrestre, organisation terrestre. Et c'est toujours au même endroit que je te vois, toujours au même endroit que nous travaillons. Ça a l’air très logique.

Je me suis demandé... Plusieurs fois je me suis demandé si ce n'était pas pour ton bien... parce que si tu devenais très conscient de cette partie-là de ton être – on est si libre, si tranquille, si puissant... quelquefois ça vous dégoûte de la terre! Plusieurs fois je me suis demandé cela, si ce n'était pas pour ton bien.

Parce que là, ça se continue: tu comprends, ce ne sont pas des «rêves», c'est une réalité qui se continue.

Dans le temps, j'y allais toutes les nuits; maintenant, les nuits sont très courtes, alors j'y vais de temps en temps seulement, mais je te retrouve toujours là.

Qu'est-ce que tu fais avec ton bouquin? Tu le révises ou...

Non, pratiquement je réécris tout.

Oh!

Mais j'arrive vers la fin maintenant.

Qu'est-ce que tu veux dire à la fin? Qu'est-ce que tu veux démontrer, pour ainsi dire?

La dernière fois que tu m'as lu, ce n'était pas clair, ta fin, je ne comprenais pas ce que tu voulais, ça avait l’air d'être de l’indifférence.

Non-non!

Est-ce que tu veux montrer que le chemin du sannyasin n'est pas le vrai chemin, ou bien est-ce que tu veux montrer comment il conduit au vrai chemin?

Oui, je veux montrer que c'est une partie du chemin, que tout le domaine intérieur, des expériences intérieures, toute cette ouverture de conscience là-haut, c'est seulement un point de départ, au fond.

C'est cela.

Et que, après, on est amené à chercher autre chose qui ait une réalité ici.

C'est cela. C'est ce que j'avais compris, mais ce n'était pas très clair dans ta fin.

Mais ça va être réécrit complètement.

Oui, ça, c'est très utile. C'est une chose très utile de montrer que ce chemin a eu son temps d'utilité pour mettre en contact avec un monde que l’on ne connaissait pas, mais il faut aller au-delà.

Oui, je veux donner la meilleure forme à ce Sannyasin, je veux le présenter le mieux possible, ne pas le dénigrer facilement, au contraire, mais montrer son insuffisance.

Oui, que cela conduit ailleurs.

Parce que, en même temps, ça démolit toutes les religions et tout leur but «au-delà». À travers le Sannyasin, je touche toute une attitude spirituelle.

Oui, c'est cela, c'est très bien.

15 juin 1968

Mère regarde un amaryllis orange

C'est joli... Je ne sais pas pourquoi, ça me fait toujours une impression d'église...

Oui, exactement!

À toi aussi? Pourquoi?... C'est très joli, je ne sais pas pourquoi. Ça donne l’impression... d'une adoration artificielle!


Le disciple lit à Mère une lettre de Sri Aurobindo:

«Dans notre yoga, nous entendons par "subconscient" cette partie tout à fait submergée de notre être où il n'y a pas de pensée ni de volonté ni de sentiments consciemment éveillés et cohérents, ni de réactions-organisées, mais qui, néanmoins, reçoit obscurément et emmagasine toutes les impressions; de là, peuvent surgir en rêve ou dans la nature éveillée toutes sortes de stimuli, de mouvements habituels et persistants qui se répètent grossièrement ou se déguisent sous d'étranges formes. Ces impressions surgissent surtout en rêve d'une manière incohérente et désorganisée, mais elles peuvent aussi surgir et surgissent constamment dans notre conscience de veille sous forme de répétition mécanique de vieilles pensées, de vieilles habitudes mentales, vitales et physiques, ou comme l’obscur stimulus de sensations, d'actions ou d'émotions qui ne viennent pas de notre pensée consciente ni de notre volonté consciente et qui même s'opposent souvent à leurs perceptions, leur choix ou leurs ordres. Dans le subconscient, il y a un mental obscur plein de samskâra [empreintes ou habitudes] obstinés – impressions, associations, notions fixes, réactions habituelles – formés par notre passé; un vital obscur plein de semences de désirs, de sensations et de réactions nerveuses habituelles; un matériel très obscur qui gouverne presque tout ce qui touche à la condition du corps. Il est en grande partie responsable de nos maladies; les maladies chroniques ou récurrentes sont en fait principalement dues au subconscient, à sa mémoire obstinée et à son habitude de répéter tout ce qui s'est imprimé sur la conscience du corps. Il faut clairement distinguer ce subconscient des parties "subliminales" de notre être, telle la conscience physique intérieure ou subtile, le vital intérieur ou le mental intérieur, qui ne sont pas du tout obscurs ni incohérents ni mal organisés, mais seulement voilés à notre conscience de surface. Notre surface reçoit constamment des poussées intérieures, des communications ou des influences de ces sources sans bien savoir la plupart du temps d'où cela vient.

«Pour affirmer sa volonté dans le sommeil, il suffit simplement d'habituer le subconscient à obéir à la volonté mise sur lui par le mental de veille avant de dormir. Il arrive très souvent, par exemple, que si l’on fixe sur le subconscient une volonté de se réveiller à une heure particulière le matin, la volonté subconsciente obéit et l’on se réveille automatiquement à l’heure dite. Ceci peut s'étendre à d'autres domaines. Bien des gens ont constaté que si, avant de s'endormir, ils mettent une volonté sur le subconscient contre les rêves ou les actes sexuels, il se produit au bout d'un certain temps (cela ne réussit pas toujours au début), une action automatique qui les fait se réveiller avant la conclusion du rêve ou avant qu'il ne commence, ou qui empêche d'une façon quelconque la chose interdite de se produire. On peut aussi développer un sommeil plus conscient dans lequel une sorte de conscience intérieure peut intervenir.»

Sri Aurobindo
24.6.1934

Je me souviens très bien maintenant! Sri Aurobindo me lisait les choses qu'il écrivait avant de les envoyer.1


Puis il est question d'un ancien Entretien du 24 juin 1953

Tu dis: «Une maladie, c'est tout simplement, toujours, dans tous les cas, même quand les docteurs vous disent qu'il y a des microbes – dans tous les cas –, c'est un déséquilibre dans l’être: un déséquilibre entre divers fonctionnements, un déséquilibre entre les forces...»

Je ne sais pas, «un déséquilibre entre divers fonctionnements», cela a l’air d'être purement physique alors, si tu dis cela. J'ai l’impression qu'il manque quelque chose pour dire que c'est un déséquilibre dans l’être psychologique ou dans le fonctionnement psychologique?

(long silence)

Depuis quelques jours, et ça va en s'installant de plus en plus, il y a une impression que la santé ou la maladie, c'est un choix (je simplifie l’expression). Un choix de chaque minute. En tout cas, pour ce corps, c'est comme cela.

C'est abdiquer vis-à-vis du fonctionnement général de la substance physique et du corps et avoir des maladies, dont on guérit ou dont on ne guérit pas suivant... d'autres lois que les lois physiques. Mais à chaque minute – à chaque minute –, il y a la possibilité du choix de la conscience véritable, ou il y a, oui, un désordre ou un déséquilibre. C'est quelque chose qui ne peut pas suivre le mouvement d'harmonie progressive, ou même quelquefois qui ne veut pas. Je parle des cellules et des groupements de cellules.

Le plus souvent, c'est une sorte de paresse, quelque chose qui ne veut pas faire l’effort, pas prendre la résolution: laisser la responsabilité à d'autres. En anglais, je dirais que c'est the remnant, les déchets de l’Inconscient. C'est une sorte de veulerie (geste d'aplatissement) qui accepte une loi générale impersonnelle: on barbote dans la maladie. Et à chaque minute, en réponse à cela, dedans, il y a le sens de l’attitude vraie, qui se traduit avec une grande simplicité dans les cellules: «Il y a le Seigneur qui est le Maître tout-puissant.» Quelque chose comme cela. «Ça dépend entièrement de Lui. Si l’on veut faire une soumission, c'est à Lui qu'on se soumet.» Mais je fais des phrases, et pour elles, ce ne sont pas des phrases. C'est un tout petit mouvement qui se traduit par la répétition du mantra; alors le mantra est plein – plein de force – et imédiatement, la soumission: «Que Ta Volonté soit faite», et une tranquillité – une tranquillité lumineuse –, et on voit qu'il n'y avait absolument aucune nécessité imperative à être malade ou à ce que le déséquilibre se produise.

Le phénomène se reproduit des centaines de fois par jour, pour de toutes petites choses.

Et alors, cela donne de plus en plus l’impression de l’irréalité – l’irréalité foncière – des maladies. C'est ce que je dis là: c'est seulement un déséquilibre. C'est l’habitude de s'en remettre à une sorte de volonté collective impersonnelle de la Nature la plus matérielle qui arrange les choses dans leur apparence.

Ça, c'est le genre de travail qui se fait en ce moment, ces jours-ci: tout le temps, tout le temps, tout le temps. Le seul moment où ça ne se fasse pas, c'est quand je vois des gens, parce que quand je vois des gens, il n'y a plus qu'une chose: la Présence du Seigneur, et les plonger dans ce bain de Seigneur. Ça, ça continue et c'est toujours là. Ce qui fait que même si, avant, il y avait une difficulté, une lutte, un conflit entre les deux états et une volonté de tenir bon, ça s'en va à ce moment-là, parce que le travail n'est pas cela: le travail est de plonger tous ceux qui s'approchent dans la Présence – la Présence immuable, constante, active... proche.

(silence)

Ce qui tendrait à prouver que la possibilité de ce que l’on appelle la «maladie» est une chose constante, un état constant dans lequel on se trouve, ou on ne se trouve pas; et ce «on se trouve ou ne se trouve pas» dépend... de beaucoup de choses, surtout du souvenir – du souvenir de la Présence et de la Réalité divine unique –, et de la façon dont on agit. La vie est une série d'activités continues – plus ou moins durables, plus ou moins absorbantes, donnant plus ou moins l’impression d'une importance ou d'un manque d'importance –, mais c'est une sorte de série continue d'activités; et ce que l’on appelle le repos, c'est-à-dire quand le corps matériel est relativement immobile, c'est une activité sur un autre plan et d'un autre genre. Et l’état d'union – d'union réalisée, c'est-à-dire pas quelque chose qui vient dans un éclair et qui s'en va, mais un état qui est établi et dans lequel on a l’impression de la continuité, excepté quand la Conscience, la Volonté centrales vous pousse à en sortir... (Mère part en contemplation sans finir sa phrase.)

(long silence)

Alors qu'est-ce que tu veux exactement?

D'après ce que tu dis là, on a l’impression que la maladie a des causes purement physiques. Alors il faudrait peut-être ajouter quelque part le mot «conscience» ou «psychologique». Tu dis: «C'est toujours un déséquilibre dans l’être, un déséquilibre entre divers fonctionnements, un déséquilibre entre les forces...» Cela donne l’impression d'être quelque chose de purement matériel.

Les forces purement matérielles, ça n'existe pas.

Si tu veux, la seule distinction que l’on puisse faire, c'est entre le plus ou moins de conscience. Et c'est dans la proportion de l’inconscience qu'est l’apparente matérialité.

N'est-ce pas, c'en est venu au point où il y a une impression de fluidité, de plasticité, qui s'affirme de plus en plus avec la croissance de la conscience vraie. Le durcissement paraît être le résultat de l’Inconscience; le manque de fluidité, de plasticité, semble être le résultat de l’Inconscience. Pas seulement dans le corps: pour tout, l’impression est comme cela; avec la croissance et l’état normal de conscience, il y a une souplesse et une fluidité qui changent complètement la nature de la substance, et la résistance vient seulement du degré d'inconscience, est proportionnelle au degré d'inconscience.

Et toute cette façon de parler (comme dans cet Entretien), la façon de parler ordinaire, cela paraît être... oui, une manière de parler, voilà! Mais ça ne correspond pas au fait. Ça ne correspond pas à la réalité. C'est une manière de parler, une manière de sentir, une manière de voir – une vieille habitude. Mais ce n'est pas ça.

Mais le travail est en pleine activité ici et on n'a pas le recul pour en parler.

Et ce qui est intéressant en ce qui concerne ce corps, c'est que j'ai de plus en plus l’impression... d'un «résidu» qui reste encore inconscient; parce que dans mon état (qui devient de plus en plus normal), je sens (je «sens»: sensation matérielle) à une distance d'au moins cinquante centimètres. Et quand je suis concentrée consciemment dans une chose ou dans un individu, je sens dans cette conscience et dans cet individu matériellement. Et par exemple, si quelqu'un agit d'un mouvement très inconscient, ça fait mal. C'est comme si l’on me donnait un coup.

Et ça va en augmentant de plus en plus.

Et de plus en plus, il y a des moments (les gens croient que je dors, ça m'amuse beaucoup! ils croient que je dors...), où je suis le mouvement comme cela (en apparence toute concentrée) et la sensibilité, la conscience est répandue tout autour, partout, ou sur un point donné pour un travail, mais matériellement – pas mentalement (ça, c'est tranquille depuis longtemps et de plus en plus); vitalement, c'est très paisible: matériellement.

(silence)

Ce que je ne sais pas encore, ce qui n'est pas très clair, c'est... quel sera le sort de ce résidu? Pour la pensée ordinaire des gens, c'est ce qu'ils appellent la «mort», c'est-à-dire que les cellules qui n'ont pas pu entrer dans cet état de conscience plastique sont rejetées. Mais de la façon dont le travail se fait, il n'y a aucune division catégorique (entre les groupes de cellules conscientes ou inconscientes dans le corps de Mère): ce sont des états imperceptibles, ou presque, de variations entre les différentes parties de l’être. Par conséquent, on se demande: où, quoi, quand, comment, qu'est-ce qui va arriver?... Ça devient de plus en plus un problème...

Tout le fonctionnement intérieur devient de plus en plus le résultat de cette action consciente, volonté consciente; même avec, en partie (en tout cas en partie) déjà clairement le fonctionnement vrai. N'est-ce pas, on a l’impression qu'il y a un déchet, mais le déchet n'est pas quelque chose qui est rejeté: c'est quelque chose qui hésite, qui est en retard, qui a de la difficulté et qui essaye – et qui ne demande pas mieux: s'il y a, par exemple, un endroit où il y a un désordre perceptible, une douleur, ça ne commence plus à frétiller et à s'inquiéter et à vouloir des remèdes ou des docteurs ou des interventions, non, du tout; ça demande... ça fait: «O... Seigneur...», comme cela. C'est tout. Et ça attend. Et généralement, en l’espace de quelques secondes, la douleur s'en va.

Ce qui complique, c'est l’entrée du dehors, de formations, avec des pensées, des ignorances (geste grouillant autour), des impressions, toutes les impressions. La plupart du temps, ça ne fait rien, mais quelquefois ça fait un choc. Alors ça complique un peu.

(silence)

Alors toute cette façon de dire [dans cet Entretien], c'est de l’antiquité. Il vaut mieux le laisser tel quel.

Ou si, pour la clarté de la phrase, tu as besoin d'ajouter un mot, ajoute-le.

Comme tu dis que la maladie est un «déséquilibre entre divers fonctionnements», je proposais d'ajouter: «entre divers fonctionnements de conscience»?

Pas fonctionnements de conscience.

Parce que tout cela a l’air d'être purement matériel! Il faut, j'ai l’impression, ajouter un mot qui donne un sens intérieur.

Oui, pour ce corps-ci, c'est ce que l’on appelle «purement matériel»: il n'y a pas d'intervention vitale ou mentale. Généralement, ce qui arrive aux gens, c'est le vital qui intervient et le mental qui intervient – ça n'arrive jamais-jamais (chez Mère). Ça, ça appartient au passé, il n'est plus question de cela. Tout se passe dans la conscience physique, purement. Alors, pour la compréhension ordinaire, ce sont des déséquilibres entre les divers fonctionnements de respiration, digestion, circulation, etc. Mais tout cela, pour moi, c'est devenu l’expression de quelque chose d'autre.

Oui!

Mais je n'en suis pas encore à pouvoir l’expliquer de façon à être comprise.

Alors je crois qu'il vaut mieux le laisser.

Quelle heure est-il?

On peut traduire un peu... Est-ce que le «Bulletin» est prêt?

Tout est prêt, douce Mère, sauf les «Notes sur le Chemin».

Les «Notes», nous n'en ferons pas.

À moins que l’on ne mette ce que tu as dit aujourd'hui?

Oh!...

Qui est-ce qui peut comprendre? Moi-même, je ne peux pas expliquer clairement.

Mais j'ai l’impression que l’on saisit quelque chose. Moi, j'ai l’impression de saisir. Je me trompe peut-être.

Ah?

C'est, au contraire, très...

Moi, j'ai de plus en plus l’impression de parler chinois aux gens.

Ah? Oui?

Je ne peux plus expliquer, ils ne peuvent plus comprendre. Toi, n'est-ce pas, tu as suivi pas à pas, alors tu es habitué, mais les autres ne comprennent pas – plus personne, je ne peux plus rien dire à personne.

Les relations avec les gens sont tellement différentes!... C'est constamment comme je te l’ai dit: un mouvement d'inconscience, c'est un choc; et il y a des choses...

Je ne peux pas expliquer, ce n'est pas possible.

C'est comme ce fait que je me voûte de plus en plus (quoique ce ne soit ni l’effet d'une fatigue, ni l’effet d'un manque d'équilibre, ni... ça n'a pas de raison matérielle), j'ai l’impression que la partie présente du corps (ou plutôt la partie qui appartient au passé) va en diminuant, et moi, ma conscience, je suis si vaste et au contraire si grande et si puissante, mais à distance, n'est-ce pas!... Je ne sais pas comment expliquer, c'est une drôle de sensation. C'est comme si l’on continuait à traîner avec soi un vieux bagage.2 Mais ce n'est pas que ça ne veut pas... C'est plus ou moins difficile, n'est-ce pas, alors ça prend plus ou moins de temps. Ce sont comme des retardataires.

Mais la nouvelle manière d'être ne serait visible que pour quelqu'un qui aurait lui-même, ou elle-même, la vision supramentale... Je vois toutes sortes de choses matériellement, mais qui ne sont pas visibles pour les autres (Mère regarde autour du disciple). Mais c'est matériellement.

Un drôle d'état.

Est-ce qu'on a le temps de traduire? En traduire un peut-être... pour se donner l’illusion qu'on a fait quelque chose!


Mère passe à la traduction d'un texte de Sri Aurobindo:

«This question of free-will and determination is the most knotty of all metaphysical questions and nobody has been able to solve it – for a good reason that both destiny and will exist and even a free-will exists somewhere; the difficulty is only how to get at it and make it effective.»3

Ça, c'est tout à fait vrai! C'est tout à fait vrai, cela fait encore partie de mon expérience de maintenant. C'est comme si, tout d'un coup, quelque part, on me disait: «Mais dis seulement: je veux ça!» (mais pas avec des mots, les mots sont un travestissement). Et alors, il y a un petit quelque chose dans l’être, qui fait comme cela (geste de rassemblement) et... et ça y est. Et c'est vrai. pour le corps (je ne dis pas pour la pensée, les sentiments: tout cela, une fois pour toutes, nous n'en parlons pas), seulement pour le corps, quelque chose qui dit: «Mais tu as seulement à dire je veux, il faut» (pas avec des mots), et en effet quelque chose fait comme cela (même geste), fait comme cela dans une lumière bleue – un saphir éclatant – et... et ça y est. Ça y est. C'est très simple.

Seulement, on ne peut pas expliquer parce que l’on se sert de mots qui ont un autre sens. Parce que si l’on dit: «Tu n'as qu'à vouloir», on dirait une sottise.

C'est curieux.

C'est tout? On fait encore une traduction? Ils sont longs?

Cinq et neuf pages.

Ce sera pour une autre fois.

Mais on va me demander tout cela, ils commencent déjà à s'impatienter. Et alors, ils pensent (ils sont très polis, très bien élevés), et puis ils pensent: Mère est en train de... She is going down! [elle dégringole.] (Mère rit)

Tout d'un coup... (je fais quelque chose, j'écris ou j'écoute, ou n'importe), tout d'un coup, j'entre dans une conscience où je vois toutes les relations qui sont différentes, et puis une espèce de pouvoir qui veut apprendre à s'exercer; alors c'est extrêmement intéressant, n'est-ce pas, et au lieu de continuer à faire ce que je fais, je suis le mouvement... «Voilà Mère qui s'endort encore»! Et alors je lis dans leurs pensées, clair comme le jour, leurs réactions... Et je suis encore polie, je ne leur dis rien. Si je n'étais pas polie, ça ferait des désastres.

Mais enfin, il y aura quelqu'un qui saura!

Mais je voudrais savoir... (je commence à être intéressée par le problème, je regarde comme cela): est-ce que ce résidu... (Mère s'interrompt). Mais la question n'est pas comme cela, c'est une question de temps. Avec le temps (Sri Aurobindo avait dit trois cents ans), avec le temps tout arriverait à changer. Mais il y a la vague des habitudes et de la solution facile qui est tout simplement de prendre ça (Mère désigne son corps comme un vieux vêtement) et de le jeter: «Va-t-en, je ne te veux plus!» C'est dégoûtant. Parce que ça ne marche pas assez vite, on le prend et on dit: «Va-t-en! Va-t-en, je ne te veux plus, va à la décomposition.» C'est dégoûtant.

Et je SENS l’atmosphère. Il y a toute la pensée collective, les gens qui m'écrivent: «J'espère que vous vivrez encore longtemps»! (Mère rit) et toutes les stupidités habituelles. N'est-ce pas, ils sont si pleins de bonne volonté imbécile... Ça fait une ambiance difficile.

Je regarde ce corps; quelquefois il dit (quelquefois, quand il y a trop d'incompréhensions, quand l’entourage est trop absolument incompréhensif), il dit: «Ah! laisse-moi aller.» Il me dit («il», quoi? ce qui est encore inconscient, trop inconscient et pas assez réceptif), il dit: «Bien, laisse-moi, tant pis, laisse-moi aller.» Comme cela. Mais pas dégoûté ni fatigué, mais... Et alors vraiment, c'est pitoyable. Alors je lui dis (ton, comme l’on parle à un enfant): «Non-non-non.»

C'est une question de patience, n'est-ce pas. Question de patience.

(silence)

Qu'est-ce qui va arriver?

Je ne sais pas. On verra.

En tout cas, toi, tu sauras.

Tu pourras leur dire (riant): «Ce n'est pas comme vous pensez...» Je leur dirais bien, mais ils ne m'entendront pas.4

Je ne sais pas... Je ne sais pas ce qui va se passer. Qu'est-ce qui va se passer? Tu sais, toi?

Ce sera glorieux un jour.

(silence)

Quand on fait quelque chose pour la première fois, personne ne peut vous l’expliquer.

On verra.5

18 juin 1968

(À propos d'une lettre inédite de Sri Aurobindo.)

K me demande si c'est correct?

(Question) Il y a une étrange chose. Quand on touche les Européens, on ne sent jamais de vibrations sexuelles, tandis que l’on peut à peine toucher les Orientaux sans sentir ces vibrations tout de suite ou dans la mémoire après. Est-ce à dire que les Européens sont plus purs que les Orientaux?

(Sri Aurobindo) «Non, ils ne sont pas plus purs, mais ils vivent davantage dans le mental et moins dans le vital.

Par suite, chez la plupart d'entre eux, le sexe est moins passionné et moins préoccupant qu'il ne l’est avec la plupart des Indiens. Du moins est-ce vrai quand il s'agit des Anglais ou des Américains, peut-être n'est-ce pas si vrai pour les peuples du Sud. En tout cas, le fait est que l’on peut rencontrer plus facilement les Européens sur un plan purement mental. Vivékananda l’avait remarqué à propos des femmes américaines et il l’écrit dans l’une de ses lettres.»

Pas depuis la guerre.

Oui, au contraire, j'avais l’impression que c'était beaucoup plus prédominant chez les Européens que chez les Indiens.

Moi aussi.

Même quand, moi, j'étais là-bas, j'avais l’impression que tout tournait autour de ça. On ne pouvait pas se rencontrer sans...

Peut-être est-ce différent chez les Anglais, je ne sais pas – les Anglais m'ont toujours paru être en bois!1


Peu après

Nous avons fini le «Bulletin»?... Il reste à traduire des choses de Sri Aurobindo.

Veux-tu que je le fasse chez moi?

J'ai peur d'être paresseuse, tu sais! Toi, tu as beaucoup à faire.

Non-non, douce Mère! je suis là pour faire le travail

Évidemment, ça ira plus vite.2

Je deviens de plus en plus paresseuse!

Mais non! tu as plus important à faire.

J'ai l’impression d'un travail très continu. Les nuits aussi sont très actives.

Je deviens paresseuse...

Écoute!

C'est curieux, ça s'impose comme cela: je suis un mouvement, et puis... je pars en transe. Et ça vient à n'importe quel moment. Je mange: au milieu de la nourriture, il y a quelque chose qui vient comme cela, je suis le mouvement, je reste absorbée; alors après, je vois tous les gens qui attendent! (Mère rit)

Depuis plusieurs mois, c'est comme cela.

C'est comme cela?

Oui, j'ai remarqué. On a l’impression que tu es beaucoup plus... intériorisée.

Intériorisée, oui.

Je m'entends parler, tu comprends... La conscience est plus au fond. Je m'entends parler. Même quelquefois, je ne reconnais pas la voix, enfin des choses comme cela.

Oui, j'ai eu même l’impression parfois... je me suis dit: Mère s'éloigne. Un éloignement.

Non...

Je suis dedans, beaucoup plus dedans qu'avant – pas dedans ici (en Mère), dedans en toutes choses... Extrêmement sensible à tous les mouvements de ceux qui m'entourent: mouvements intérieurs.

Par exemple, le temps... le temps passe avec une rapidité, mais foudroyante, n'est-ce pas! Les nuits, les jours, les semaines se succèdent vertigineusement vite. Quand un dimanche arrive, j'ai l’impression que l’autre dimanche était la veille. Tout va très-très-très vite.

(long silence)

Oui, je comprends ce que tu veux dire: le rapport avec les choses extérieures n'est plus le même.

On verra! (Mère rit)

Et est-ce que la matière humaine répond un peu, suit?

Ça, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que l’action sur la matière humaine est beaucoup plus grande qu'avant – l’action. Par exemple, la possibilité d'enlever une douleur, de changer une vibration, tout cela augmente beaucoup. Avec des résultats qui sont parfois très intéressants.

l’autre jour (c'était hier, je crois), tout d'un coup, il m'est revenu comme cela (je sais pourquoi maintenant les choses viennent: c'est toujours quand quelqu'un appelle ou qu'il y a un travail à faire), et pour une raison quelconque, je me suis souvenue de cette histoire du Christ, an old saying: le Christ était en train de guérir des malades etc., même de ressusciter un mort, puis on lui a amené un idiot et on lui a demandé de lui donner l’intelligence... Alors l’histoire dit qu'il s'est enfui! (Mère rit) Après, on lui a demandé: «Pourquoi vous êtes-vous enfui?» – «C'est la seule chose que je ne puisse pas faire!»...

Mais pourquoi est-ce venu (parce que ça vient tout d'un coup comme cela)? Et j'ai regardé, et alors j'ai dit: «Mais non! pourquoi s'est-il enfui? Il n'avait qu'à faire ça (Mère tourne légèrement la main comme si elle modelait quelque chose) et l’enfant serait devenu intelligent.»

Quand je m'en vais comme cela, dedans, c'est toujours comme si je... je modelais des vibrations. Et alors à ce moment-là, c'était tellement clair, j'ai dit: «Mais non! il n'y a qu'à faire comme cela, comme cela... (même geste de la main) et alors il reçoit la lumière et il devient intelligent...» N'est-ce pas, quand j'entre au-dedans, c'est toujours pour travailler sur des vibrations. Et j'apprends après (le lendemain ou dans la journée) qu'il est arrivé quelque chose à quelqu'un, il m'a appelé, il m'a demandé cela. C'est toujours un appel. Et c'est une réponse.

Mais comme le mental est très tranquille, je ne «sais» pas sous cette forme mentale; c'est sous une forme très... très simple, très objective (geste, comme si Mère voyait une image): tout d'un coup est venu le Christ qui s'enfuit parce qu'on lui amène un idiot – «Mais non!» Et il y avait le mouvement de tourner les vibrations (même geste que tout à l’heure), recevoir la lumière, et puis il devient intelligent – comme cela.

Au fond, c'est à des choses comme cela que je passe mon temps. Je ne note pas parce que... d'abord il y en aurait de trop.

Quelqu'un... (le plus souvent je sais qui c'est, mais quelquefois je ne sais pas)... il est arrivé quelque chose à quelqu'un, il y a quelque chose qui s'est tordu; alors on travaille, on le remet droit, on remet la lumière, la bonne vibration, et puis... dans la journée, ou le lendemain, je reçois un mot: «J'avais très mal» ou «Je vous ai appelée.» Et c'est comme cela.

Mais c'est libre de toute la notation mentale – ça n'existe pas: très tranquille.

Voilà! (Mère rit)

Alors tu travailleras encore un peu plus.

Mais ce n'est rien, douce Mère!3

22 juin 1968

Tu as des nouvelles de P.L.?

Non, il est parti pour Rome, je sais.1

Il est arrivé.

Je me demande, parce que...

Tu sens que ça ne va pas bien?

J'ai un très fort soupçon sur le fameux «ami» (Mgr R), parce que c'est lui qui a dit à P.L. de venir ici (tu te souviens comme il a insisté pour qu'il vienne), et maintenant il dit que P.L. est venu vivre ici avec une femme. Et c'est lui qui a arrangé tout pour qu'il habite chez J!

J'ai un très fort soupçon.

Est-ce qu'ils ne lui ont pas fait un traquenard terrible?...

Il s'attend à une sorte d'interrogatoire.

Oui.

Tu te souviens que c'est ce Monseigneur qui a envoyé un télégramme à J pour lui dire de prendre P.L....

Pour moi, ces gens-là sont capables de tout.

Surtout que, maintenant, cela doit être su qu'il a voulu voir le pape et lui parler de l’Ashram.

Mais oui, bien entendu!

Il m'avait dit, avant de partir, qu'il avait fait un rêve. Je crois que c'est une symbolique personnelle, mais je ne sais pas. Il était dans un monde vital (poursuivi, je crois) et tout d'un coup, il a grimpé sur un arbre, qui s'est transformé en croix, et il était crucifié sur la croix... Cet endroit se trouvait au bord d'une mer qui était comme une mer de plomb. Alors il est monté sur cet arbre, qui s'est transformé en croix; il a été comme crucifié sur cet arbre, et à la place (tu sais qu'au sommet de la croix, il est marqué INRI), à la place de cela, il y avait ton symbole: le symbole de Mère. Et après, cette croix a été comme prise ou engloutie par cette mer de plomb, et comme elle était engloutie dans la mer de plomb, seul le symbole de Mère a émergé, est resté à la surface; la croix s'est engloutie, et peu à peu cette eau de plomb a changé de couleur et elle est devenue transparente. Mais lui, était englouti avec la croix.

(Après un silence) Je l’ai vu avant qu'il parte; il y avait une atmosphère que je n'aimais pas autour de lui... Oui, comme un homme qui va se sacrifier.

Mais il m'a dit qu'il était très tranquille.

Moi, j'ai fait tout ce que j'ai pu – j'ai bien travaillé, j'ai beaucoup travaillé! Parce qu'il n'y a rien, il n'y a pas de destin qui ne puisse être transformé. J'ai fait tout ce que j'ai pu. Mais leur intention ne me plaît pas.

Oui, il m'a dit: «Mère, c'est mon salut.»

Et je suis tout le temps tirée comme cela (geste d'appel là-bas); encore ce matin, tirée, et quelque chose qui m'oblige à aller travailler là-bas.

J'ai su exactement le moment où il est arrivé dans leur atmosphère (je ne me souviens plus quand), mais exactement j'ai senti et j'ai vu sa figure.


(Peu après, Mère montre au disciple une lettre décachetée, mais scellée.)

Il y a ce nègre qui était ici, qui m'a envoyé une lettre d'Amérique: on l’a ouverte à la police... (Riant) Ils se sont demandé s'il y avait des explosifs!... ou je ne sais quoi.

Ils ont rescellé, tu vois.

J'espère qu'il ne dit rien de compromettant!

Regarde-moi ce courrier! (Mère tend un paquet de lettres au disciple.)

Congo... Fiji... Allemagne... France... Amérique...

C'est tous les jours comme cela.

J'ai reçu plusieurs lettres d'Amérique me demandant de sauver Kennedy, alors ces lettres sont ouvertes par la police, ils ont dû se demander... Et ils ont appelé ici notre A, l’Américain, et on l’a interrogé pendant plus d'une heure – tu sais comment ils font.

Mais pourquoi? Cela vise tous les Américains spécialement?

Oui, c'est pour les Américains.

Mais pourquoi?

Sais pas... Ils se sont mis dans l’idée que nous sommes le «foyer des espions américains»!


(Puis Mère écoute la lecture de l’Agenda du 15 juin sur les maladies et le «résidu» corporel.)

Il y avait dans ma conscience beaucoup plus que je n'ai dit...

Oui, tu étais les trois quarts du temps en transe.

Il y avait beaucoup plus de choses.

Mais c'est inutile, je ne peux pas le donner (pour les Notes sur le Chemin).

J'étais très-très consciente à ce moment-là, mais c'est difficile à exprimer.

Pas le moment de parler.

Mais ce que j'ai dit là va en se confirmant, en se précisant. Dans quelque temps, ce sera intéressant.

(silence)

Pauvre P.L.!

Il ne t'a rien dit qui te faisait penser qu'il a l’esprit de sacrifice? Il n'en a pas l’air, mais...

Non, je n'ai pas eu cette impression.

Moi non plus.

Tu sais ce que frère A2 avait dit: «Je veux être le messager pour leur prêcher la Vérité, et s'ils me torturent pour cela, eh bien, ils me tortureront.»

Mais P.L. n'a pas cet esprit-là. Mais il veut rendre service.

P.L. pourrait être très-très utile s'il voulait – très utile. Mais il y a un petit quelque chose qui résiste, je ne sais quoi – peut-être comme un petit manque de courage quelque part, je ne sais pas quoi... Il est tout de suite tourmenté quand il est en face de la difficulté.

C'est cela qui m'ennuie. Parce que j'ai mis sur lui assez de force pour que, en tout cas, il se tire d'affaire, mais s'il se met à vibrer intérieurement, ça ne peut plus marcher.

Je lui ai dit cela. Je lui ai dit: «Tout dépend de votre tranquillité. Si vous avez confiance, rien ne peut vous arriver.»

Ah! bon, alors peut-être...

Mais il me fait travailler dur! (Mère rit)

On verra.

26 juin 1968

Tu as des nouvelles de P.L.?

Je m'inquiétais un peu de lui justement ce matin. J'ai l’impression qu'il est... engouffré dans un trou. Je n'aimais pas cela.1


Le disciple lit un texte de Sri Aurobindo:

«La peur de la mort et l’aversion de la cessation corporelle sont les stigmates laissés sur l’être humain par son origine animale. Cette marque doit être absolument effacée.»

The Synthesis of Yoga, XX.334

Je ne connaissais pas cela. C'est très intéressant!

C'est très intéressant dans le sens qu'avant de pouvoir atteindre à la condition où la mort n'est pas nécessaire, il faut absolument la trouver... tout à fait naturelle, un événement sans importance. C'est surtout cela, quelque chose qui a une très petite importance.

(silence)

l’éducation de la conscience physique (pas la conscience globale du corps, mais la conscience des cellules) consiste à leur apprendre... C'est d'abord un choix (ça a l’apparence d'un choix): c'est de choisir la Présence divine – la Conscience divine, la Présence divine, le Pouvoir divin (tout cela sans mots), le «quelque chose» que nous définissons comme Maître absolu. C'est un choix DE CHAQUE SECONDE entre les vieilles lois de la Nature – avec quelque influence mentale et toute la vie telle qu'elle a été organisée –, le choix entre cela, le gouvernement de cela, et le gouvernement de la Conscience suprême qui est aussi présente (le sentiment de la Présence est aussi grand); l’autre, c'est plus l’habitude, et ça, c'est la Présence. Et c'est à chaque seconde (c'est infiniment intéressant), avec illustrations: par exemple, les nerfs... si le nerf obéit à cet ensemble des lois de la Nature et des conclusions mentales et de tout cela – tout ce machin –, alors la douleur se fait sentir; et s'il obéit à l’influence de la Conscience suprême, il y a un curieux phénomène qui se produit... ce n'est pas comme quelque chose qui se «guérit» – on pourrait plutôt dire que ça s'efface comme une irréalité.

Et ça, c'est la vie de chaque seconde, pour la moindre chose, tout le fonctionnement du corps: sommeil, nourriture, toilette, activités, tout-tout-tout – chaque seconde. Et le corps apprend. Il y a naturellement des hésitations qui viennent de la puissance de l’habitude et puis des vieilles idées qui flottent dans l’air (geste grouillant dans l’atmosphère): tout cela n'est pas personnel. C'est formidable comme travail.

C'est continu.

C'est continu. Il y avait un temps où c'était oublié de temps en temps; maintenant, ça commence à ne plus être oublié. C'est continu. Il n'y a qu'une chose qui l’interrompt, c'est le travail avec l’extérieur, le rapport avec les autres pour cette action qui consiste à les imbiber – les imbiber de conscience divine. Et alors, voir le résultat. D'abord, la vision très claire (une vision qui n'est pas imagée, mais une vision très claire) de l’état dans lequel ils se trouvent, et puis ça: les envelopper et imbiber de conscience divine; et alors l’effet que cela produit, ou que cela ne produit pas. Ça, c'est l’occupation dans les rapports avec les gens. l’autre (le travail sur les cellules), c'est la vie de chaque minute.

Ça se précise, ça devient de plus en plus intéressant – mais absorbant.2

Et une conscience – une perception plutôt –, une perception croissante d'un état qui... Je ne sais pas comment expliquer. Il y a deux états simultanés: l’état de continuité ininterrompue et presque sans fin, et l’état de... basculer dans la décomposition (pour le corps); les deux constamment comme cela ((Mère juxtapose étroitement ses mains). Et le choix – le choix constant – justement basé sur une reliance [appui]... prendre son point d'appui sur la Conscience divine pour toute chose et à chaque seconde, ou bien la cessation de ce point d'appui. Et ce choix apparaît aux cellules comme un choix libre, avec un très fort sentiment (pas formulé en pensées, du tout) du support donné par la Conscience suprême constamment pour aider à ne s'appuyer que sur elle.

Ce n'est pas mentalisé – c'est très peu mentalisé –, c'est presque informulable. Mais c'est très clair. Très clair... quoi? Ce n'est pas dans la sensation: dans l’état de conscience. Ce sont des états de conscience très clairs. Mais difficiles à exprimer. Continus-continus-continus: nuit, jour, sans cesse, continus. Ça change de plans et change d'activités, mais c'est continu. C'est peut-être un mode d'être ou une manière d'être qui peut cesser en faveur d'un autre, mais cet état de conscience est perpétuel, ininterrompu, universel, éternel – hors du temps –, hors du temps, de l’espace. C'est l’état de la conscience.

(Un coup de vent balaye les lettres sur la table de Mère)

Je suis bombardée de lettres! C'est pour m'arrêter.

(silence)

Et alors, ce prétendu repos ou annulation qui vient soi-disant de la mort, n'est pas un repos ni une annulation: c'est simplement une chute en arrière, d'où il faut remonter. C'est une veulerie qui vous fait retomber en arrière – parce qu'il faut remonter. Ce n'est pas autre chose que cela. Il n'y a pas d'opposition, de différence (entre la vie et la mort), tout cela est... Le corps est en train de faire des découvertes for-mi-da-bles.

Et alors, de temps en temps, il y a la vieille habitude (protestation du corps): «Oh! ouf! trop! trop!» Il n'y a qu'à lui donner une petite tape et il a honte et il recommence. C'est très intéressant. Très intéressant.

Voilà, au revoir.3

29 juin 1968

Tu n'as pas reçu de nouvelles de P.L.?

J'ai reçu une lettre de bonne arrivée où il disait qu'il était convoqué le jour même, d'urgence, au Vatican, à dix heures le matin.

Il n'a rien dit.

Il n'y a pas eu de lettre depuis.

Oui, c'est-à-dire qu'il n'a pas dit le résultat, il n'en a pas parlé.

Et comme par hasard, le jour de son arrivée, le Monseigneur R partait en Espagne. Il ne l’a pas rencontré.

Je ne crois pas au hasard.1


Plus tard

C'est une expérience continue, jour et nuit, et si touffue, si intense que... c'est impossible à décrire.

C'est comme si, à chaque minute, je faisais une découverte.

(long silence)

À chaque minute, une découverte. Tu sais: un mouvement absolument accéléré. Et tu sais ce qui a fait partir cela? C'est ce texte de l’autre jour, que tu m'as lu, de Sri Aurobindo, où il a dit que la peur de la mort dans l’homme était le souvenir de l’animal. C'est comme si cela avait ouvert toute une porte.

C'est comme une étude – une étude vraiment accélérée, tu ne peux pas t'imaginer, une minute après l’autre, comme cela (geste en boule de neige) –, au point de vue du travail, c'est-à-dire de la raison d'être de l’existence physique dans un corps et de l’utilité de la présence physique; et la vision absolument claire, précise, détaillée dans les moindres détails, de ce qui est réel et de ce qui est illusoire, de ce qui est vraiment nécessaire et de ce qui est seulement une imagination (à la fois des autres ou de soi-même au besoin). Mais il me faudrait des heures pour raconter tout cela... Avec (est-ce une base?) la perception dans la conscience (mais perception détaillée – je ne veux pas dire des idées, cela n'a rien à voir avec des idées ou des principes, etc.: aucune traduction mentale), la perception de ce qui, dans le travail, exige ou dépend de la présence corporelle (c'est exprès que je ne dis pas «physique», parce qu'il y a une présence physique subtile qui est indépendante du corps), la présence corporelle. Et alors, en même temps, une vision si claire, si précise, si détaillée, de la relation que chacun a avec ce corps (relation qui est à la fois: pensée, sentiments, réactions physiques), et c'est cela qui donne l’impression de la nécessité de la présence corporelle – ça donne sa mesure aussi. Alors il y a en même temps, la perception de la VRAIE utilité de la présence physique et la perception de la réaction dans les individus... C'est un monde! C'est un monde à cause de la quantité formidable de détails. C'est un monde qui à chaque seconde se déroule. Et alors, accompagné par une perception intérieure, d'abord de l’effet que cela a sur les cellules, et puis que la cohésion est devenue vraiment, maintenant, on peut dire, le résultat d'une Volonté suprême, dans la mesure où c'est nécessaire pour... mettons l’expérience ou le travail (n'importe: on met ce que l’on veut). C'est-à-dire qu'il y a l’aspect du progrès des cellules en tant qu'agglomérat. Il y a à peine – à peine, très faiblement – l’impression d'une personnalité ou d'une individualité physique, c'est à peine cela; ce n'est pas non plus une habitude d'être ensemble parce que c'est très fluide là-dedans: c'est vraiment tenu ensemble par une Volonté supérieure dans un but défini, mais ça aussi, fluide – il n'y a rien de fixe.

(silence)

C'est un monde de choses qu'il faudrait dire pour être claire, mais ce n'est pas possible.

En tout cas, l’organisation intérieure (ou supérieure) des circonstances, des sentiments, des sensations, des réactions dans tout l’ensemble de... ce qui croit être des «personnes», certainement va en se précisant vers un but défini dans son orientation, un but que l’on peut définir comme le «progrès du contenu de la conscience», c'est-à-dire: élargissement et éclaircissement des consciences. Mais je le mets à l’envers (c'est-à-dire que je le mets comme on le comprend); la vérité est ceci: la Conscience qui fait un travail spécial (geste de pétrissage) sur les instruments de sa manifestation pour les rendre plus clairs, plus précis, plus transparents et plus complets. La Conscience, quand elle s'exprime, s'exprime dans des instruments qui obscurcissent, embrouillent, mélangent et diminuent formidablement son pouvoir d'expression; eh bien, c'est ce travail-là, c'est-à-dire rendre plus limpide – plus transparent, plus limpide –, plus direct, moins embrouillé, et élargir-élargir-élargir... et en même temps de plus en plus transparent: enlever le brouillard qui obstrue – transparent, limpide, et puis très vaste.

Et c'est un mouvement d'accélération: c'est le grand travail de toute la création pour retourner consciemment (retourner est encore un mot idiot, pour «se tourner» serait mieux), mais redevenir, s'identifier à nouveau, non pas en abolissant tout le travail de développement et d'ascension, mais... C'est comme une multiplication des facettes de la Conscience, et cette multiplication devient de plus en plus cohérente, organisée et consciente d'elle-même.

Et l’individualisation n'est qu'un moyen de rendre plus complexes, plus raffinés et plus cohérents les innombrables détails de la Conscience. Et l’«individualisation»... il ne faudrait pas prendre cela pour la vie physique: la vie physique est UN des moyens de cette individualisation, avec un tel morcellement et une telle limitation que cela oblige à une concentration qui intensifie le détail du développement; mais une fois que cela, c'est fait, ce n'est pas la vérité durable.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Qu'est-ce que tu voulais me dire?

Tu dis que ce n'est pas la «vérité durable» cette individualisation?

l’individualisation, dans son sentiment ou sa perception ou son impression, sa sensation d'individualité séparée, n'a pas de vérité durable. Cela continue à exister (comment dire?) dans tout son pouvoir et toute sa connaissance, mais avec le sens de l’Unité. C'est tout à fait différent. Et il y a la perception tellement claire de ce qui vient dans les consciences, dans les individus, ce qui vient du mensonge de la séparation; et il y a toujours quelque chose qui reste, mais parfois ça s'atténue au point de presque disparaître (ça, dans des cas exceptionnels ou des êtres exceptionnels). Mais le sens de la division disparaît tout à fait. C'est...

Il faudrait trop dire pour pouvoir expliquer quoi que ce soit.

(contemplation)

Je dirai plus une autre fois.

C'est l’heure?

Oui, il est onze heures et demie.

Tu n'as rien à demander, non?

Je me disais que quand on est de l’autre côté, soi-disant mort, on perd un moyen d'action quand même?

Oui. Pas tellement grand que l’on croit. Par exemple, j'ai essayé tous ces temps derniers de ne rien dire, mais de mettre une forte formation – ça réussit très bien. Au lieu de dire: «Apportez-moi cela», ou «Faites-moi cela», de mettre une forte formation: ça réussit très bien. Et la formation ne dépend pas du tout du corps – pas du tout. La conscience n'a pas besoin du corps pour faire la formation.

Oui, mais la matière a besoin de la présence corporelle pour se transformer.

C'est cela, c'est réduit à cela.

Sri Aurobindo ne peut pas faire cela.

Sri Aurobindo travaille tout le temps.

Oui, mais ça, il ne peut pas le faire, cette transformation de la matière.

Ah! ça, non, il ne peut pas. C'est dissous, n'est-ce pas.

Ça, c'est ce que l’on pourrait appeler le travail individuel. Seulement, dans quelle mesure cette transformation peut-elle être intégrale, voilà?... Évidemment, je dis que c'est un travail très accéléré, mais malgré cela, on a l’impression que la quantité d'expériences nécessaires pour la transformation est si formidable que... les limites de la durée de la vie sont trop courtes. Mais là... Je t'ai dit déjà plusieurs fois que cet agglomérat-là a... pas une impression: une perception très claire qu'un certain déséquilibre ou désordre (mais qui en apparence est tout petit, qui n'est rien) suffit à dissoudre. Il a l’impression que la moindre chose suffit à dissoudre, que c'est seulement la Volonté d'en haut, de garder ensemble, qui empêche que ça aille jusque là. Comme cela. Que ça dépend de Ça... J'ai vécu les trente (à peu près trente, de vingt-cinq à trente) premières années de ma vie dans la sensation que rien ne pouvait dissoudre; que si le désordre venait, tout naturellement ça se remettrait en ordre pour que ça continue. Très fort, c'était très fort. Et il y a eu une période où il n'y avait rien, ni d'un côté ni de l’autre; et puis lentement-lentement, maintenant est venue la perception que la moindre chose suffit, et que c'est seulement la Volonté suprême (même pas supérieure: la Volonté suprême) qui empêche la dissolution. Cela dépend exclusivement de Ça.

Et c'est, comme tu dis, dans la mesure où cette présence est utile, est indispensable à un certain aspect du travail, qu'elle est maintenue. Et alors là, il n'y a pas de question: longtemps, pas longtemps, quand, comment, quoi, tout cela – «C'est comme Tu veux.» C'est tout le temps, dans toutes les cellules, dans toutes les activités, tout le temps: «Ce que Tu veux, Seigneur», tout le temps. Comme cela. Pas de question. Pas de question. Seulement, il y a une constatation du fait, une perception très claire du fait que c'est cette Volonté suprême qui fait que les choses continuent comme elles continuent.

Alors la conclusion est facile à tirer: tant qu'il voudra, ce sera comme cela; quand Il voudra autrement, ce sera autrement. Voilà tout. Et en même temps, la leçon est donnée, n'est-ce pas: une perception de plus en plus claire que le domaine de l’indispensable n'est pas si grand qu'on se l’imagine... Pour moi, la présence de Sri Aurobindo est extrêmement efficace – agissante.

Mais pour ce corps-ci, c'est intéressant, c'est dans les moindres petits détails, tu sais, que la mesure est donnée où vraiment la présence a un effet véritable, et par conséquent ça la rend nécessaire, et la mesure où elle n'est pas nécessaire. Ça va en se précisant dans les moindres détails.

Et les cellules n'ont pas de choix personnel; vraiment leur attitude est comme cela: «Ce que Tu veux, ce que Tu veux...», tout-tout. Avec seulement une sensation qui va grossissant et s'intensifiant et devenant de plus en plus constante, ininterrompue, que le seul support: Seigneur Suprême – il n'y a que Lui, il n'y a que Lui. Et ça, dedans, dans le corps.

Et en même temps, une perception très précise... Tu sais, j'ai dit une fois (il y a des années), on m'avait demandé: «Qu'est-ce que la pureté?» J'ai répondu: «La pureté, c'est d'être exclusivement sous l’influence du Seigneur Suprême et de ne rien recevoir que de Lui», et puis, un ou deux ans après, en lisant Sri Aurobindo, j'ai trouvé une phrase en anglais qui dit exactement la même chose en d'autres mots2 (que je n'avais jamais lue, que je ne connaissais pas). Cette même phrase, je l’ai vue hier soir (j'ai un calendrier où il y a des citations de Sri Aurobindo)... Elles (les cellules) deviennent de plus en plus pures, et dans la mesure où elles ne le sont pas, c'est indiqué très clairement, d'une façon absolument précise, nette, avec une pointe, comme une pointe d'aiguille, sur l’endroit où ce n'est pas pur. Et ça fait mal! ça correspond toujours à une douleur – tandis que la même condition physique continue. Prends, par exemple, un nerf exposé dans une dent; normalement, ça devrait faire mal tout le temps: il y a des moments où (d'une façon presque générale) ça n'existe pas, et le moment où la pureté n'est pas totale, ouf! ça fait un mal atroce!... En quelques secondes, cela peut passer. Par conséquent, tout cela dépend exclusivement de Ça – tout. La preuve, la preuve la plus concrète!3

juillet




3 juillet 1968

Et ta traduction de «Savitri»?

Mais j'ai du travail. Je n'ai plus le temps. Je n'ai plus le temps de rien faire.

C'est dommage.

C'est-à-dire que, maintenant, F s'est mise dans la tête de traduire Savitri avec moi (elle se contente de regarder dans le dictionnaire quand j'ai besoin d'un mot), depuis le commencement, et j'en suis à la deuxième page! Ça prendra dix ou quinze ans!

Mais c'est très intéressant pour moi, parce que je n'ai qu'à rester tranquille, et puis Sri Aurobindo me dicte. Alors il y a une petite correction de français, et puis ça y est. Il me dit les mots: pour tel mot, c'est tel mot. Comme cela. C'est très intéressant. Seulement, j'en fais cinq ou six lignes chaque fois... Et je fais mieux maintenant que je ne le faisais avant.


Peu après

Le gouvernement (je ne sais pas qui) a demandé au chef de la Radio ici, de me demander un message sur la condition de l’Inde. J'ai commencé par répondre: «Je ne fais pas de politique.» Alors il m'a dit: «Non, ce n'est pas au point de vue politique: c'est au point de vue spirituel.» J'ai dit: «Je ne sais pas.» Mais il a insisté, il m'a dit: «C'est le gouvernement qui m'a demandé; si je ne peux pas le leur donner, ce serait ennuyeux pour moi...» Le pauvre homme a su me prendre! (Mère rit)

Tiens, voilà sa lettre (le disciple lit): «I pray the Mother to record a message for my radio on "integration and unity of India"... etc.» [Je prie la Mère d'enregistrer pour ma radio un message sur l’intégration et l’unité de l’Inde.]

J'ai dit ceci:

(Mère lit)

«It is only India's soul who can unify the country.

«Externally the provinces of India are very different in character, tendencies, culture, as well as in language, and any attempt to unify them artificially could only have disastrous results.

«But her soul is one, intense in her aspiration towards the spiritual truth, the essential unity of the creation and the divine origin of life, and by uniting with this aspiration the whole country can recover a unity that has never ceased to exist for the superior mentality.»

(traduction)

«Seule l’âme de l’Inde a le pouvoir d'unifier le pays.

«Chaque province a sa culture propre, ses tendances, son caractère, de même qu'elle a son langage, et vouloir unifier tout cela artificiellement ne pourrait avoir que des résultats désastreux.

«Mais l’Inde a une âme unique, intense dans son aspiration à la vérité spirituelle, qui est l’unité essentielle de la création et l’origine divine de la vie; en s'unifiant à cette âme et à sa réalisation, le pays pourrait retrouver une unité qui n'a jamais cessé d'exister dans les consciences supérieures.»1

J'écris bien mal maintenant... Ce n'est pas moi qui ai écrit cela, je ne me souviens pas du tout – ça ne me rappelle aucun souvenir.

J'ai mis aussi (ça, c'est moi): «l’unité essentielle de la création et l’origine divine de la vie», tout cela, je sais, pour essayer de dire la chose sans employer le mot de «Dieu» ou de «God», parce que... Il y a eu une période d'au moins une vingtaine d'années dans ma vie où ces mots me hérissaient, alors je comprends très bien le sentiment chez les gens. Après, c'est Sri Aurobindo qui m'a fait passer au-dessus de cela; mais c'est parce qu'il m'a tirée très haut que j'ai passé au-dessus de cela, autrement, à un niveau intellectuel, ça n'allait pas du tout. Ça évoque toute la religiosité la plus étroite et... ça ne va pas. Par conséquent, je ne veux pas – le pays est en plein comme cela maintenant ici, dans l’Inde. Je ne veux pas susciter ce premier obstacle. Et c'est pour cela que j'ai fait cette longue phrase.


À la fin de l’entrevue

Tu as des nouvelles de P.L.?

J'ai reçu une lettre. Il ne dit rien en fait, il dit qu'il a été convoque au Vatican, mais il ne donne pas les détails. Autrement, il dit qu'il va bien, qu'il sent ta présence.

Oui, ça, je sais.

Et il dit que le cardinal T, qui est le cardinal de France, ainsi que Monseigneur R, tous les deux, ont insisté auprès de lui pour qu'il reste à son poste au Vatican.

Ah!... Je croyais qu'ils voulaient le nommer cardinal là-bas...

Oui, lui (P.L.) voulait se retirer du Vatican.

Lui, oui.

Eux, veulent qu'il reste à son poste au Vatican, du moins pour le moment.

Ah!...

6 juillet 1968

(Mère n'est pas bien portante. Elle a malgré tout procédé à l’enregistrement du «Message sur l’Unité de l’Inde» pour la Radio indienne.)1

Qu'est-ce que tu as à dire?

Tu es fatiguée.

Non, oh!... c'est une longue affaire.

La dernière fois que tu es venu, j'étais enrhumée; ça a duré même pas une journée: dans la nuit suivante, c'était fini. Mais ça a précipité le mouvement de transformation, alors c'est devenu difficile.

Tout cela, là, là (gorge, poitrine, etc.) était pris... Ça prend généralement plusieurs jours.

Et ce matin, je ne sais pas – je crois que je sais pourquoi: parce que le corps lui-même est branché à tous ceux qui appellent avec beaucoup de force, et comme un ignorant qu'il est, il subit les conséquences. Ces jours-ci, il y a eu trois ou quatre cas, j'ai vu dans le corps une sorte d'imitation... Il n'a pas encore appris à transformer imédiatement la vibration.

Alors, il y a eu deux ou trois cas (deux cas très clairs), et ce matin, cet idiot de corps s'est mis à être essoufflé: «Trop, trop vite, trop vite...» Alors il a fallu l’immobiliser (il commençait à avoir la fièvre), cesser de manger. Mais je lui avais dit (j'avais vu que cela venait à cause de quelqu'un qui est très malade; une combinaison de toutes sortes de choses en même temps), mais je lui avais dit dans la nuit qu'il y avait ce travail à faire (enregistrement pour la radio) et puis qu'il n'y avait pas à flancher. Alors, pour pouvoir le faire, il a supprimé tout le reste: pas arranger les fleurs, pas prendre son déjeuner, etc.

Le rhume aussi, c'était de quelqu'un (je n'ai aucune occasion de prendre froid), c'était quelqu'un. Et je sais qui c'est, mais...

C'est comme cela: ou changer, ou se dissoudre.

Lui, ne demande pas mieux, n'est-ce pas, il ne refuse pas, il veut, il veut, il veut, mais quelquefois ça va très vite, c'est difficile.

(long silence)

Tu avais quelque chose à dire?

J'ai des nouvelles de P.L.

Ah!

*C'est toute une série de choses. Il y a d'abord un mot de J qui a reçu une lettre de P.L., et elle me dit ceci: «P.L. va très bien. Monseigneur R lui a dit "avoir découvert un autre monde à travers votre livre"2... Il est entré en contact avec Mère. Il a fait voir à P.L. l’importance de rester encore dans ce milieu s'ils veulent le transformer...

(Mère ouvre de grands yeux)

Ah!...

«...P.L. se sent guidé totalement par Mère, il s'isole dès son travail terminé pour étudier et méditer "La Vie Divine"...» Puis une autre chose: P.L. a envoyé la lettre que Mgr R lui avait laissée à son arrivée à Rome; dans cette lettre, ce Monseigneur lui disait notamment: «Je tiens aussi à t'informer que j'ai révélé – sous le secret – à Son Eminence [le cardinal de France] que tu étais dans un Ashram en Inde. Sa réaction a été excellente et il t'approuve totalement.»

Bah!

*Et enfin, une lettre de P.L., qui raconte l’histoire: «Je me suis retenu un peu pour vous écrire et vous informer de ma nouvelle situation qui, à chaque instant, pouvait se précipiter. Une double politique a été suivie par le Vatican à mon retour: des menaces d'une part, et de l’autre, des promotions et offres de belles situations. J'étais absent de Rome depuis le 9 décembre: quelle étrange maladie pouvait bien durer si longtemps? On parlait de me soumettre à une expertise de trois médecins, exigeant les noms des cliniques visitées,3 etc. J'ai consulté Son Eminence et Mgr R; être éjecté par l’application du règlement ne convenait à personne: ni à ma famille, ni au Cardinal même. Donc, la solution était de prendre ma nouvelle place en assurant que je suis complètement rétabli: ainsi les enquêtes s'arrêtaient; je n'étais plus sous procès, le dossier archivé. Certes, la curiosité, les soupçons ne se sont pas amortis, mais ma vie est rentrée dans la routine et dans quelque temps, tous vont oublier. Je verrai le Pape le mois prochain et il est possible que je l’accompagne dans son voyage en Colombie à la fin août:je vous tiendrai au courant. Il existe toujours la difficulté de sa santé qui peut empêcher le voyage... Tout ce que je viens de vous dire m'est très "extérieur" et j'y participe très peu: je préfère plutôt vous entretenir de ma conscience: elle n'a pas changé: elle est restée branchée à l’influence de Douce Mère; je sens sa protection; tout est facile car elle est avec moi; elle me donne la réponse adéquate. Comme un mantra, je répète: "Oh! Douce Mère, avec ton aide qu'y a-t-il d'impossible?" Plus encore, la joie qu'elle a mis dans mon cœur reste inébranlable. Ma pensée s'envole pleine de reconnaissance vers elle. Mgr R a dit à Son Eminence que j'étais à l’Ashram: le Cardinal est ravi. R a fini votre livre: il a prêché dans sa Messe les idées d'Aurobindo: il m'a dit qu'il est entré en contact avec Mère: il va lui écrire et plus tard lui rendre visite: il a accepté le message d'Aurobindo comme solution du monde. Je dois encore vous dire ma joie que le télégramme m'a fait: à Mère toute ma gratitude.»

(Mère entre dans une longue contemplation)

C'est bien... C'est bien.

C'est tout à fait vrai que je suis avec lui. C'est tout à fait vrai. Et tu te souviens, je t'avais dit cette expérience, cette chose très forte que j'avais sentie: comme une grande chose qui commençait, un Commencement4... Ça paraît être vrai.

Ça va être un grand pas pour le monde – pour le monde tout entier.

Tout à fait bien.

Je crois sentir qu'il voudrait une confirmation de toi qu'il doit rester là pour faire le travail.

Oh! oui, c'est bien comme cela, il faut qu'il reste faire son travail. Il faut qu'il reste. Et quand je dis «c'est très bien», cela veut dire que TOUT est très bien. Il est tout à fait à la hauteur de la situation. C'est très bien.

C'est la petite personnalité qui abdique son bien-être propre pour le travail général, et ça, c'est très bien, ça vous fait avancer très vite.

C'est très bien. De toutes façons, c'est très bien.

La réponse (de P.L.) est très supérieure à ce que j'attendais.

J'ai tout à fait l’impression de ces moments merveilleux de la Grâce divine... on n'a plus envie que de se taire et adorer, c'est tout.5

10 juillet 1968

Mère classe des lettres

Il y a la petite S qui m'a écrit une lettre – une lettre tout à fait désespérée où elle disait qu'elle ne voulait plus vivre. Parce qu'elle a fait des bêtises. Alors je lui ai répondu en lui disant que l’on ne vit pas pour sa propre satisfaction: on vit pour découvrir le Divin et s'identifier à lui. Et par conséquent, ce n'est pas une question de «plaisir» ou «pas de plaisir».

J'ai écrit très fort et j'ai envoyé la lettre. Depuis ce moment-là, silence absolu! Personne ne bouge plus.

(une autre lettre)

Ça, c'est Y qui veut me montrer que j'avais tort et qu'elle avait raison. C'est très bien! Qu'elle reste convaincue d'avoir raison, ça m'est égal! (Mère rit)

(une note de Mère)

«Selon ce que je sais et vois, d'une façon générale, après quatorze ans, les enfants doivent être laissés indépendants et ils ne doivent être conseillés que dans la mesure où ils le demandent.

«Ils doivent savoir qu'ils sont responsables de la conduite de leur propre existence.»1


Peu après

J'avais fait une réponse aux élèves de T.F. sur cette question: «Qu'est-ce que la mort?» (Ils m'avaient écrit, j'avais répondu.) Alors ils n'ont rien compris. Et voilà leurs nouvelles questions.2

(Mère tend une lettre au disciple)

À propos de ta dernière réponse, voici nos questions: «Quand la volonté de l’être physique abdique "sans raison", est-ce sans raison physique ou sans raison du tout?»

Qu'est-ce que je leur avais dit?

Oui, à propos du départ, tu avais dit:
«Il y a d'innombrables raisons, mais à moins que ce ne soit un accident violent, c'est surtout cette volonté de maintenir la cohésion, qui abdique pour une raison ou une autre, ou sans raison. C'est ce qui précède inévitablement la mort.»

La conscience physique n'est consciente que physiquement, alors mon expression n'était pas suffisamment claire: «sans raison dont elle soit consciente.» C'est tout.

l’autre?

«D'où vient le dégoût de l’être physique de continuer l’effort de coordination et d’harmonisation?»3

Généralement, ce dégoût se produit quand il y a, dans une partie de l’être – une partie importante, ou vitale ou mentale –, un refus absolu de progrès, et alors physiquement, cela se traduit par un refus de faire effort contre la détérioration qui vient du temps.4

Et la dernière question: «Où se fait la liaison entre la volonté centrale de l’être physique et les cellules? Comment se fait-elle?»

(long silence)

Les cellules ont une composition ou une structure intérieure correspondant à la structure de l’univers. Alors le rapport se fait... (on est arrêté tout de suite par l’imbécillité des mots: ce n'est pas «extérieur», mais c'est extérieur pour l’individu), se fait entre les états identiques extérieurs et intérieurs, c'est-à-dire que la cellule, dans sa composition interne, reçoit la vibration de l’état correspondant dans la composition totale.

Les mots sont idiots.

(Mère entre dans une longue concentration, puis sourit tout d'un coup, amusée, au milieu de sa contemplation)

Il y a quelqu'un (je ne sais pas qui) qui vient de me montrer... C'était une grosse main d'homme, il y avait dedans... ce n'était pas un œuf, ce n'était pas un objet physique, et il me disait que c'était la représentation d'une cellule. C'était un objet qui m'apparaissait grand comme cela (environ 7cm), transparent et vivant: c'était vivant; et il me montrait les différentes compositions intérieures de la cellule et la correspondance avec le centre. Une vision tout à fait précise, tellement précise, j'en étais ahurie, j'ai fait: ah!

Ça avait une forme étrange: pas comme un œuf, mais plus étroit à un bout et... Je ne sais pas comment décrire. Donne-moi un papier.

(Mère se met à dessiner)

Image 3

Ce n'était pas très précis de contour, parce que c'était radiant. Et alors ça avait des compositions intérieures de différentes radiances (Mère dessine des points ou des concentrations diverses au sein de la cellule), et le centre ici était tout à fait lumineux. Et il y avait une grosse main, comme une patte, tu sais, une grosse main, qui tenait très soigneusement cette cellule: il faisait bien attention de toucher le moins possible (Mère dessine deux gros doigts qui tiennent la cellule). C'était lumineux, présenté avec deux doigts comme cela... Je ne sais pas quelle est la forme scientifique des cellules, mais c'était comme cela. Et il me montrait les différentes radiances. La périphérie était le plus opaque; plus ça entrait, plus ça devenait lumineux; et le centre, c'était tout à fait lumineux, c'était brillant, c'est-à-dire que c'était irradiant. Et alors, il y avait différentes couleurs – pas très colorées, mais différentes couleurs. Et c'était un grossissement d'une main peut-être, parce que la main était grande comme cela (environ 25 cm), tandis que cet objet-là était grand comme cela (environ 7 cm), et c'était une cellule.

Il me montrait la composition et comment se faisait la connexion.

La connexion était au centre de la cellule?

Oui, au centre de la cellule.

Les doigts étaient beaucoup plus gros par rapport à la cellule, et ils touchaient seulement par une petite partie d'un doigt, comme cela (geste du bout des doigts), et on voyait seulement l’index et le pouce: le bout du pouce. Mais des doigts formidables! Alors ça devait être grossi probablement.

(Mère rit) J'étais un peu ahurie!

C'était peut-être la relation entre la dimension de la main et la cellule – non, ce n'est pas possible. Mais c'était une main formidable, comme cela, qui me présentait une cellule. Grande comme cela. Il montrait la connexion. Il y avait des couleurs: il y avait des endroits qui étaient un peu bleutés, des endroits... Il y avait toutes sortes de choses – c'était très complexe – avec des radiations différentes. Et la connexion était de lumière à lumière.

Mais ici, ce garçon parle de la liaison entre la cellule et la volonté centrale de l’être physique.

Physique, oui.

Mais ce que tu viens de dessiner, c'est la volonté centrale cellulaire.

Mais c'est la correspondance entre les deux. C'était pour me montrer comment la volonté centrale de l’être physique était en rapport ou agissait sur les cellules. Il me montrait une cellule qui était comme la représentation...

C'est-à-dire que la volonté, la lumière centrale, agit sur la cellule en touchant des lumières correspondantes?

Oui, c'est cela, par un contact intérieur de l’être. Cela donnait l’impression que chaque cellule était un monde en miniature correspondant au tout.

(silence)

Pendant toute ma vie, je m'étais plainte que mes visions n'étaient pas plus matérielles que les visions vitales: ça commençait au vital et de plus en plus haut, mais plus bas, il n'y avait rien. Et maintenant, c'est une vision perpétuelle du physique subtil – et constante, je vois les deux ensemble: physique et physique subtil. Seulement, la vision physique purement physique est dérangée beaucoup par l’autre vision. N'est-ce pas, c'est plus une conscience des choses que purement, uniquement une vision. Et j'ai remarqué: j'ai quelqu'un en face de moi, il y a des personnes, par exemple, quand je les regarde, elles deviennent de plus en plus précises et claires; il y en a d'autres, elles s'estompent de plus en plus à ma vision physique. Et ça doit dépendre de leur état de conscience. Il y en a qui deviennent tout à fait précis-précis, les yeux surtout, et dans les yeux, je vois la conscience – les yeux sont tout à fait visibles. Et d'autres, au contraire, s'estompent comme cela; il y en a même, j'ai vu à la place des yeux deux plaques noires. Comme s'ils voulaient voiler. C'est très intéressant.

Oh! physiquement, je vois assez pour tout faire, mais je ne peux pas lire. Et même, ma vision des images est un peu... je ne sais pas si c'est détériorée ou transformée: ce n'est pas l’image telle qu'elle est exactement, mais peut-être telle qu'elle a voulu être, que je vois. Une légère différence.

Hem! (Mère sourit, amusée)

Une autre fois, je te poserai une question sur cette vision. Il est trop tard maintenant.

Si tu me l’avais dit, j'aurais été contente. Maintenant il est un peu tard.

Quelle question?

Sur la vision supramentale justement.

Ah! oui, c'était un problème. Bon-bon!

13 juillet 1968

(Mère a l’air très fatiguée.)

Quoi d'autre?

J'aurais voulu te poser une question sur cette vision du physique subtil – cette vision matérielle que tu as les yeux ouverts – et savoir à quoi cela correspondait, si cela correspondait à une vision supramentale ou si c'était une vision que pouvait avoir, par exemple, une voyante développée?

Je ne crois pas.

(long silence)

Dès que je parle de quelque chose, ça s'en va. Alors quand j'en parle trop tôt, je n'ai pas l’expérience complète.


(Puis Mère entre dans une longue contemplation dont elle sort seulement à la fin de l’entrevue.)

C'est difficile... C'est difficile.

17 juillet 1968

(Mère a de la fièvre, une respiration difficile, tousse. Elle n'a rien mangé. Elle reçoit le disciple allongée sur sa chaise.)

C'est la même chose qui continue...

Tu as des nouvelles?

J'ai des nouvelles de P.L. et de Mgr R.... Mais cela ne va pas te fatiguer?

Non-non! cela ne me fatigue pas.

Il y a une lettre de Mgr R adressée à toi. C'était envoyé par l’entremise de J. Voici ce qu'il écrit à J: «D'abord, je tiens à vous remercier – à nouveau – pour le livre de Satprem sur Sri Aurobindo. J'en ai terminé la lecture. Ce livre a et aura sur ma vie une influence considérable. En second lieu, je vous remercie de l’aide que vous avez apportée à mon cher P.L. Il est revenu transformé, purifié, illuminé. Enfin, puis-je vous demander de remettre à Mère la lettre ci-jointe...»

Qu'est-ce qu'il dit?

«Mère, c'est bien sans la moindre réserve que je vous donne ce nom de Mère, à vous qui avez rendu la vie à celui qui est mon fils de prédilection... Son séjour à l’Ashram a marqué une étape essentielle. C'est dans son être intime un bouleversement radical... Puis-je ajouter que je ressens moi-même votre puissante et bienfaisante protection? J'ai l’impression d'être compris de vous, et je me sens l’héritier – avec vos nombreux fils, filles et disciples – des trésors spirituels accumulés chaque jour par votre fidélité à la mission qui vous est confiée. Avec ma profonde et vive gratitude, je vous prie d'agréer, Mère, l’hommage de ma respectueuse et filiale piété.»

Tu n'as pas la photo de cet homme?... Non?

Et P.L., qu'est-ce qu'il dit?

Ça ne te fatigue pas? Je lis?... Il répond à ma dernière lettre où je lui avais dit ton message:

«J'ai les larmes aux yeux: une commotion de joie immense a percé tout mon être à la lecture de votre lettre, des paroles de Douce Mère, que vous me répétez... Je ne trouve pas les paroles pour vous décrire mon état psychologique: devinez-le. Je me sens si petit, insignifiant devant les horizons que vous me laissez entrevoir. Tout cela m'encourage au travail sérieux, à "l’abdication de la petite personnalité" pour être digne d 'elle. Ces sentiments dans mon âme sont très différents de toutes mes expériences religieuses antérieures...

(Mère approuve de la tête)

«... je me sens tout lumineux, la Grâce Divine est si puissante que, parfois, je crois que mon corps est incapable de la contenir; la Présence de Mère est si réelle; la félicité est si sereine, si tranquille... la petite Aventure commencée au Samâdhi devient si digne d'être vécue, la Conscience s'est tellement élargie... l’obscurité, la peur, les scrupules, les macérations sont si loin! Il y a quelques semaines, j'ai eu un rêve très pénible: mon corps écartelé, j'avais des souffrances atroces; on me tirait les pieds, les mains, la tête... Aujourd'hui, en lisant votre lettre, j'ai compris le sens: il fallait grandir... Deux mots seulement pour vous informer de ma situation. Comme je vous l’ai dit, j'ai trouvé au Vatican deux courants, le premier très déchaîné contre moi; on croyait que la prise de possession de ma nouvelle place allait les calmer... mais ils sont arrivés quelques jours plus tard à exiger l’examen collégial (un neurologue qui avait, je crois, l’ordre de me déclarer "malade"; un endocrinologue et un expert en médecine générale, et le Dr. du Pape), d'où le cri de l’enfant qui court à sa mère: mon télégramme demandant la protection de Douce Mère. J'avais eu un rêve le dimanche 7: Mère est venue dans une espèce d'énorme hangar où je me trouvais par terre et me disait: "Vite-vite, pars, laisse-moi ta place", je me suis volatilisé (sans mon corps qui restait toujours par terre): c'était mon âme qui partait et – de très haut, très haut –, j'ai vu que Douce Mère prenait, entrait dans mon corps, qui ne bougeait pas: tout à coup une armée de médecins en robe blanche se dirigent vers mon corps (Mère était toujours cachée dans mon corps); à peine ont-ils entouré le corps et ont commencé à voir, une terrible explosion les a fait sauter en l’air...

(Mère rit)

«...Je me suis réveillé au bruit de la détonation... Vous avez reçu mon télégramme: "Diagnostic parfait." Ainsi, le groupe qui voulait m'éliminer du Vatican, chaque jour perd des forces, des armes, et ses intrigues sont neutralisées; l’autre groupe, par contre, qui m'est favorable, voit avec plaisir ma transformation et, avec prudence, je commence à lui donner le message d'Aurobindo. Je vous ai dit que Monseigneur R est enthousiaste. Maintenant, sachant que Mère a répondu: "Oh! oui, c'est bien comme cela, il faut qu'il reste faire son travail. Il faut qu'il reste... C'est tout à fait vrai que je suis avec lui", je suis très tranquille, plein de désir d'être l’"instrument de ce grand travail divin".»

C'est bien. Il est bien, cet homme-là.

(Mère reste à contempler)

Et puis j'ai des nouvelles questions de la classe de T.F.... Les enfants ont une pensée toute petite, toute petite.

(Mère fait chercher la lettre)

Ce n'est pas très excitant, mais enfin!

(Mère rit et le disciple lit)

«Est-ce que la volonté de progrès suffit pour empêcher la détérioration qui vient du temps? Comment l’être physique peut-il empêcher cette détérioration?»

C'est justement cela, la transformation du corps! c'est que les cellules physiques deviennent non seulement conscientes, mais RÉCEPTIVES à la Force-Conscience vraie, c'est-à-dire qu'elles admettent le travail de cette Conscience supérieure. C'est cela, le travail de transformation... Ce n'est pas facile!

l’autre question: «Comment la Volonté, la Lumière centrale, qui est non-matérielle, agit-elle sur la matière grossière de la cellule?»

C'est exactement comme de demander: «Comment la Volonté agit-elle sur la Matière?...» Toute la Vie est comme cela! Il faudrait expliquer à ces enfants que toute leur existence est le résultat de l’action de la Volonté; que sans la Volonté, la Matière serait inerte et immobile, et que c'est justement le fait que la vibration de la Volonté a une action sur la Matière, qui permet la Vie, autrement il n'y aurait pas de Vie.

S'ils veulent une réponse scientifique et savoir le comment, c'est plus difficile, mais le fait est là, c'est un fait qui se voit à chaque seconde.

(long silence)

Dis à P.L. que j'apprécie beaucoup et que je suis avec lui. Je trouve que c'est très bien.

l’autre...? (Mgr R)

En principe, c'est J qui devrait lui transmettre ta réponse.

(Mère entre dans une longue contemplation)

J'ai toujours la même impression... Tu sais, le début de quelque chose de très important.

20 juillet 1968

(Mère semble mieux, bien qu'elle tousse encore. Par contre, le disciple a attrapé la fièvre.)

Ça vient de là-bas (le Vatican), c'est la même origine que pour moi. La première fois, j'étais sur mes gardes, mais cette fois-ci, j'ai été prise par surprise... Si ça les amuse!1


Peu après

Je ne peux pas parler... (Mère tousse) Il y a Z qui m'a fait une «confession» et qui m'a posé des questions. J'avais pensé répondre aujourd'hui, mais aujourd'hui, je n'ai pas de voix. Si tu veux lire (Mère tend une lettre au disciple).

«J'ai le sentiment d'une division et d'une confusion dans mon esprit, et sans doute entre différentes parties de mon être dont je ne suis pas clairement consciente.

«Dans une de ces parties, le Divin, ou le Suprême, est une chose sans forme, indéfinie, vaste, que je ne connais pas vraiment, mais que j'aspire à connaître, et c'est vers cela que vont ma pensée et mon amour lorsque aucune autre partie ou circonstance n'intervient. C'est cela que je trouve dans la profondeur. En cela, je trouve l’explication et la raison d'être de toute chose, et chaque jour, relativement à ma petitesse, me permet d'en découvrir un nouvel aspect. Là, il n'y a aucun problème, aucune difficulté, tout est paisible et heureux.

«Dans une autre partie, plus complexe, il y a la vie de tous les jours et la personnalité ordinaire. Là, les choses sont tout à fait différentes. Le pôle central de cette partie-là a, jusqu'à présent, été l’amour, mais l’amour tel que je l’entends ici, c'est-à-dire non pas quelque chose de subtil et qui monte, mais quelque chose de concret qui se vit et qui s'échange, et qui a besoin pour exister de la présence physique, du "vivre avec", sinon elle n'a pas de raison d'être car elle n'a pas de point d'appui, elle n'a pas de forme concrète. C'est sans doute pour cela que tu m'as dit que j'aimais l’amour et non les personnes. C'est très vrai, parce que les personnes ne sont pour moi qu'une occasion de vivre l’amour ou ce que j'appelle ainsi.

«Maintenant, il n'y a plus dans ma vie aucune personne humaine, plus rien; peut-être est-ce ce vide qui a donné lieu à la dernière crise. Je sens vaguement quelque chose de trouble que je ne peux pas définir, mais qui me déplaît, comme si une partie de moi essayait de vivre avec Toi ce qu'elle ne peut plus vivre avec les êtres humains... Ma difficulté actuelle vient de l’impossibilité de réconcilier les deux parties de mon être, intérieure et extérieure, et le divorce que cela entraîne en ce qui te concerne. Voudrais-tu m'éclairer sur les points suivants:

Ah! voilà les questions.

1) Ce que j'appelle le Suprême et ce vers quoi je vais au-dedans, est-il, relativement à ma petitesse, une réalité, et mon mouvement vers cela est-il une chose vraie, ou une imagination et la fuite devant une autre réalité que je refuse de reconnaître.

Ça, c'est facile!

2) Quel rapport y a-t-il entre ce que j'appelle le Suprême, que je cherche au-dedans, et toi-même?

(Riant) Elle ne s'attend pas à ce que je lui réponde à cela!

3) Que signifie, sur le plan pratique du Yoga, ce que dit Sri Aurobindo, qu'il faut passer par Toi pour atteindre la Réalisation...

Il a dit qu'il fallait passer par la Mère?

Oui. Il a dit que si l’on se tournait uniquement vers l’Impersonnel, on tendait à une réalisation immobile, statique, tandis que si l’on passait par toi, c'était la réalisation dynamique.

Ah! c'est cela...

Et puis?

«...Et qu'est-ce que cela implique, en ce qui me concerne, vis-à-vis de l’attitude juste envers le Suprême et envers Toi?»

C'est tout?

Oui. Elle fait des divisions.

Oui, c'est absurde.

Je pensais lui répondre, mais je ne peux pas parler. Elle attendra.

(long silence)

Mais je me suis plusieurs fois, quand même, demandé (pour moi) d'un point de vue pratique, ceci: j'ai plus spontanément tendance, quand je me concentre, à me concentrer sur «Ça», que je ne définis pas, qui est «Ça».

(Mère approuve vivement) Oui-oui.

Mais je me demande parfois si ce ne serait pas mieux de me concentrer sur une forme plus précise, comme la tienne, par exemple – je ne fais pas de différences.

Je ne suis pas de cet avis.

Tu n'es pas de cet avis?

Ça rétrécit beaucoup.

Je ne fais pas de différences, note: «Il y a Mère et puis il y a le Suprême», ce n'est pas cela, mais je me demande si, pratiquement, ce ne serait pas mieux que ce soit «Toi», plutôt que «Ça».

Non! Non, quand on me demande, je dis carrément non. Parce que, malgré tout, même si l’on comprend, on est influencé par le fait d'une forme personnelle, d'une apparence personnelle, d'une personnalité définie – ça ne vaut rien. Il y a ceux qui aiment mieux aller au Suprême par l’idée de «la Mère», c'est-à-dire de la Force exécutrice... Moi, n'est-ce pas... Naturellement, pour moi, ça n'a pas de sens. Mais je vois très bien, je sais que si les personnes m'appellent, ça ne va jamais ici (Mère désigne sa personne), ça va toujours tout droit vers le Suprême; même ce qui passe par la conscience active va tout droit au Suprême. Mais pour eux, c'est quelquefois plus facile. Alors je les laisse faire, mais... Parce que ça n'a pas d'importance; cette personne (de Mère) est devenue tout à fait... comment pourrait-on appeler cela?... Ce n'est même pas une image, c'est peut-être un symbole... Mais c'est comme les gens qui ont besoin de fixer un point pour fixer leur attention. Je vois ce qui se passe tout le temps: au lieu d'aller directement comme cela (vers le Suprême) et alors d'être un peu imprécis pour les gens; ça va comme ça (vers Mère), c'est rassemblé là (en Mère), et ça va là (vers le Suprême).

(Mère dessine des deux bras une sorte de circuit qui va vers elle, monte vers le haut puis redescend sur les personnes à travers elle. l’ensemble du circuit ressemble assez bien à la silhouette d'un Être unique.)

Image 4

Et alors là (en Mère), il y a le fait de la présence physique qui fait que la direction des forces est plus précise. Je vois comment la Force d'en haut agit (geste de pression ou de masse qui descend), et c'est par similitude de vibration qu'ils entrent en contact. Mais il y a, en plus, quand ça fait comme cela (passage par Mère), il y a en plus cette connaissance physique matérielle qui précise et concrétise (l’action de la Force). Au point de vue de l’aide c'est... Sri Aurobindo avait raison: l’aide est plus directe. Ça évite aux gens un travail. Je vois ce qui vient, cette espèce d'atmosphère – c'est beaucoup plus qu'une atmosphère: une Présence, n'est-ce pas, constante –, mais alors dans la conscience ici (de Mère), l’action se précise: individuellement elle se précise; suivant les cas, les besoins, les occasions, ça se précise. C'est une espèce de travail presque automatique. Et évidemment, je conçois que cela doive aider les gens. Ils ont besoin généralement d'une chose personnelle – «personnelle»: dont la vibration soit identique à la leur.

Je ne sais pas si c'est à cause de ce rhume, je ne sais pas (je ne crois pas – je sais très bien d'où cela vient), toute la matinée (la nuit et la matinée), il y a eu une sorte de perception de toutes sortes d'états de conscience par lesquels ce corps a passé, des ensembles de circonstances, et alors une perception mais si concrète, n'est-ce pas, si absolue: «Où est la personne? Où est, où est l’individu, où est la personne, où est...?» Et avec la vision si claire de la Conscience suprême qui, elle, est la SEULE qui soit permanente – la Conscience suprême qui se joue dans tout ça, dans tous ces mouvements, toutes ces actions, tous ces... Mais c'était senti et vécu d'une façon tellement concrète que je voyais que, par exemple, ce corps, que les gens croient être le même corps que celui qui est né il y a plus de quatre-vingt-dix ans, ce n'est pas du tout le même! tout est changé: les cellules sont changées, tout est changé! Tout: état de conscience absolument différent; alors où, où est la personne?... Il y avait tout d'un coup un «Où, où est cette personnalité, où, où est-ce qu'elle est?...» Il n'y avait que Ça (geste en haut): Conscience. Et alors, la vision du tout, des choses qui se forment, qui... (mouvement onduleux d'un Tout qui se diversifie en d'innombrables formes).

C'est-à-dire que cette expérience que l’on a généralement dans le mental supérieur, dans le psychique, c'est le corps qui l’a – c'est le corps dans sa constitution cellulaire qui l’a. Il a eu cette expérience-là ce matin: il y avait seulement Ça qui était permanent, c'est-à-dire Cela qui, dans l’innombrable changement, reste... (geste immuable, inébranlable, du tranchant de la main).

C'était une expérience tellement concrète – tellement concrète pour le corps – qu'il se demandait comment il restait encore en forme?

Et alors, toutes les notions ordinaires... plus aucun sens. Plus aucun sens, ça ne signifie plus rien.

Ça a commencé hier par la notion de l’infiniment petit et de tous ces mondes qui sont organisés comme cela (Mère fait peut-être allusion à sa vision de la cellule dans une main gigantesque). Et alors, l’impression d'une personnalité plus grande (je veux dire occupant plus de place, si l’on peut dire), les hommes, tous les hommes n'étant que des tout petits éléments constitutifs là-dedans... C'était ça, hier. Et puis aujourd'hui, c'était l’expérience opposée, mais complémentaire. Et alors ça aboutit à cette vision du Tout et de tout – du Tout que, à cause de notre infirmité, nous voyons toujours avec des limites.

(Mère entre dans une longue contemplation, puis sourit soudain)

Je ne sais pas si c'est le fait de ce que je t'ai dit, ou quoi, mais j'ai vu un Être immense qui est arrivé en tenant un petit enfant par la main... et le petit enfant, c'était toi. Et il est venu le mettre devant moi, comme ça (geste aux pieds de Mère). Immense-immense, beaucoup plus grand que la maison, n'est-ce pas: le petit enfant était comme un doigt pour lui (Mère montre deux phalanges de son petit doigt). Il le tenait comme ça, il est venu le mettre devant moi (Mère rit).

C'est peut-être la suite de ce que j'ai dit! Mais c'était très concret.2

Sri Aurobindo a dit que, quand on allait par-delà l’Impersonnel, on trouvait le Personnel: LA Personne. Je suis sûre qu'il a eu l’expérience... Ma sensation à moi, c'est une espèce de fusion – de fusion de tout le sens de la personnalité dans... je ne veux pas dire dans une impersonnalité, ce n'est pas vrai, mais c'est quelque chose qui est sans limites, et pourtant c'est un sens pas personnel du tout au sens étroit du mot, mais avec toute la réalité concrète de la Personne. N'est-ce pas, c'est l’expérience du corps (je n'ai jamais eu de difficultés dans les autres domaines), mais l’expérience DU CORPS; le corps a l’expérience de cette fusion, constamment; constamment c'est comme s'il se fondait, mais... pour lui, c'est tout de même l’identique à l’identique; et le sentiment (le sentiment ou sa sensation) d'«autre», d'être autre, il le sent comme sa propre imperfection. Et pourtant, ce n'est pas du tout l’expérience d'un moi agrandi démesurément, absolument rien de cela, mais... Ce qui est tout à fait concret, c'est la Toute-Conscience (il sent bien que c'est beaucoup plus que cela, que c'est seulement un aspect, que c'est beaucoup plus que cela). Mais ça, c'est l’expérience constante-constante.

Et cette idée de Personnel ou d'Impersonnel n'a pas de sens. Ça ne correspond à rien. Le corps a perdu le sens de sa personnalité, tout à fait, tout à fait, et étrangement, n'est-ce pas, étrangement. Par exemple... (tout-tout, pour le moment, se traduit en phénomènes de conscience), par exemple, il arrive je ne sais combien de fois par jour: tout d'un coup, la conscience d'un désordre, d'une douleur ou d'une souffrance quelque part – quelque part dans une partie, mais pas une partie... pas enfermée là-dedans (Mère désigne son propre corps), mais comme dans un corps immense, un endroit; et après un moment, ou après quelques heures, j'apprends que telle personne ou telle personne a eu tel mal ou tel mal, qui a été senti comme faisant partie de ce corps immense... C'est devenu très curieux. Ça a augmenté considérablement avec ce rhume. N'est-ce pas, j'ai vu moins de gens, j'ai fait moins de travail, je me suis reposée davantage – je dis comme cela par habitude, mais ça ne correspond pas très bien à l’état... Le «je», c'est comme si je me mettais dans la pensée des gens et que je parle de ce qui fait comme cela; parce que ce n'est pas comme cela que c'est senti, du tout.

Ah! je vais te fatiguer...

Non! Pendant que tu méditais tout à l’heure, j'ai rarement eu une impression aussi physique, d'expérience aussi physique, dans mon corps.

Ah?

Oui, je sentais ça très fort: quelque chose qui ne se passait pas du tout là-haut, qui se passait ici.

(Mère hoche la tête et reste silencieuse)

Oui, au fond, comme une conscience ici, dans le corps.3

Oui, oui.

(silence)

Ce qui est extraordinaire, c'est qu'avec un... un torrent de force aussi fantastique que celui qui est près de toi, ou sur toi, ou en toi, ça ne se traduise pas plus physiquement que cela!

Mais de plus en plus (par les nouvelles que les gens apportent, les choses qui se passent), de plus en plus, j'ai l’impression d'un torrent tellement formidable que... Oui, mais je crois que c'est comme cela: je crois que c'est en train de tout changer, et à une allure fantastique, mais que nous ne nous en rendons pas compte et qu'on s'en apercevra... après. Parce que, des constatations d'état, il y en a des centaines, et l’impression d'ensemble est assez formidable. N'est-ce pas, si la conscience se concentre – est pour une raison quelconque concentrée dans le corps ici –, alors il semblerait que tout est en train d'éclater – de bouillir et d'éclater –, au point que plusieurs fois j'ai demandé: «Est-ce que j'ai la fièvre?» – Je n'ai pas de fièvre du tout! Et dès qu'il y a l’immobilité, l’inaction et la concentration avec la conscience, alors c'est une chose tellement formidable, immense, n'est-ce pas, et... Et alors, c'est la Paix, la Sérénité. Une paix... quelque chose d'inexprimable – dans une action formidable. Et alors...4

(Mère entre en contemplation)


À la fin de l’entrevue

Reste la question de Mgr R qui t'a écrit, je t'ai lu sa lettre la dernière fois.

Il demande une réponse?

Il s'attend à quelque chose.

J'ai répondu abondamment, très concrètement – très concrètement –, avec une grande concentration... Je ne sais pas si c'est un homme sensible.

Le contact était long, très complet, et le travail très précis. J'ai répondu d'une façon beaucoup plus véridique que les mots ne peuvent le faire.

J'ai pensé à dire certaines choses, mais tout est si mince. Les grandes phrases, c'est inutile, je les déteste. Tout est si mince et si petit.

Je verrai si ça vient.

24 juillet 1968

(Le disciple avait écrit à Mère qu'il avait encore de la fièvre.)

Qu'est-ce que c'est que ça!

Mais ça va mieux.

Ah!

Hier après-midi, tout d'un coup. Je t'ai écrit avant-hier, et puis la fièvre a continué et même augmenté...

Mais mon petit, je ne savais pas que tu avais écrit, je l’ai su hier soir.

Eh bien, hier après-midi, tout d'un coup, mais alors brusquement, en une seconde, j'ai dit: «Tiens! la fièvre est partie...» C'est curieux!

(Mère fait mine de donner une tape au disciple pour l’impertinence du «c'est curieux»)

Non, je dis c'est curieux, parce que c'est quand même étrange: j'étais en train de travailler, et c'est tout d'un coup, je me suis dit: «C'est parti!» Je ne sais pas pourquoi. Ce qui m'étonne, c'est la brusquerie de la chose.

Non, c'est comme cela.

(silence)

Je crois que l’on est en train de procéder à un nettoyage.

Et en règle générale, jamais je ne passe ce que j'ai aux autres (j'attrape ce qu'ils ont!), cette fois-ci tout le monde a eu un rhume, sous une forme ou une autre! Tous.

Et pour moi, c'est clairement, très clairement un nettoyage, et puis... radical.


(Mère reste en contemplation pendant presque toute la durée de l’entrevue.)

Moi, je ne peux pas parler (Mère tousse), et toi, tu ne dois pas parler, alors...

J'ai juste une petite question au sujet de P.L. Il écrit pour dire que dans vingt jours, ce sont ses vacances au Vatican et il demande s'il peut venir.

Je n'ai pas d'objections, s'il pense que cela n'a pas d'inconvénients là-bas.

Il dit aussi qu'il est probable que Mgr R viendra ici. Pour le moment, il a été appelé au Canada, mais il espère bien qu'au mois d'août, il pourra venir «prendre les bénédictions de Mère».

C'est bien.

Ça m'intéressera de voir cet homme.1

Il dit: «Les lectures actuelles de Mgr R sont les "Bulletins". Je lui ai dit que nous pouvons changer la face de l’Église et la remplir d'un contenu plus vrai, plus actuel, avec les idées de Sri Aurobindo. Il est convaincu...»

(Mère rit, amusée) C'est très bien!

31 juillet 1968

Tu as des nouvelles de Rome?

Rien d'important, mais P.L. m'a envoyé la photo de Mgr R.

Ah! je voudrais voir.

Mais je ne crois pas que ce soit une photo récente.

(Mère regarde)... Il a eu à lutter contre des instincts puissants. Sensualité et...

Très intelligent, oh!

Intéressant.

Un homme curieux: il est amoral. C'est-à-dire qu'il peut faire le bien extrême, le mal extrême, avec une égale facilité. Et une intelligence, oh! brillante. Politicien de premier ordre... Tu comprends, il est bon par politique; n'est-ce pas, si la politique était d'être mauvais, il serait mauvais.

Je me demande s'ils en ont beaucoup comme cela parmi les cardinaux?...

Sensation et pensée.

Sentiments: rien – ce qu'on considère qui doit être, c'est tout.

Intéressant, très intéressant.

Quand est-ce qu'il viendra?

Ce n'est pas encore décidé. Peut-être au mois d'août... Mais d'une part, P.L., et d'autre part, J, m'ont dit que c'est un homme qui avait un étrange pouvoir sur les femmes.

Ah!

Tu sais qu'il a une fortune colossale qui lui a été donnée pour des œuvres, et ce sont toutes des femmes qui lui ont donné cet argent. Et J m'a dit: il a un pouvoir d'attraction sur les femmes, qui est tout à fait curieux. Mais P.L. me disait qu'«il est constamment malade, il attrape constamment des coups...» Il doit avoir une ouverture vitale quelconque, une faiblesse, et il attrape des coups.

Oui, c'est le genre d'homme qui dans le temps (maintenant ce n'est plus comme cela), mais qui, dans le temps, me dégoûtait le plus. Ça ne m'étonne pas... Il a quelque chose de huileux.

Mais P.L. me disait qu'en même temps, il y a quelque chose en lui qui sent qu'il s'est dévoyé et qui aspire à quelque chose d'autre, en même temps.

Oui, ça, c'est au-dessus du mental.

C'est à peu près le seul genre d'homme qui était pour moi intolérable.

On verra.

(Mère entre dans une longue contemplation)

J'ai été très en contact avec tous ces gens.

On verra.

Et toi, ça va maintenant?

Oh! j'ai eu la fièvre, c'était vilain pendant deux jours. Une grosse bataille.

On verra plus tard (Mère n'a manifestement pas envie de raconter ce qui se passe)

août




3 août 1968

(Mère est toujours très fatiguée. Elle écoute, pourtant, un long mémoire sur Auroville, qu'elle rejette, et met au point avec le disciple une note qui résume l’idéal de cette cité future:)]

«Depuis des millénaires, nous avons développé des moyens extérieurs, des instruments extérieurs, des techniques de vivre extérieures – et finalement ces moyens et ces techniques nous écrasent. Le signe de l’humanité nouvelle est un renversement de point de vue et la compréhension que les moyens intérieurs, la connaissance intérieure et la technique intérieure peuvent changer le monde et le maîtriser sans l’écraser.

«Auroville est le lieu où s'élabore cette nouvelle manière de vivre, c'est un centre d'évolution accélérée où l’homme doit commencer à changer son monde par le pouvoir de l’esprit intérieur.»


Puis Mère entre dans une longue contemplation

Ça m'a l’air d'être de la transformation accélérée, c'est un peu écrasant.

On verra.

7 août 1968

(Au moment où le disciple monte chez Mère, le docteur descend et l’avertit que Mère a mal à la poitrine et que son cœur est en mauvais état. Mère est assise dans sa chaise, très pâle.)

Nous avons à faire la traduction pour le message du 15 août.

J'ai choisi ceci (Mère tend un papier au disciple):

Extrait d'une lettre de Sri Aurobindo à Mère en France, le 6 mai 1915: «Il faut avoir un cœur calme, une volonté soutenue, une abnégation de soi complète, et les yeux constamment fixés sur ce qui est au-delà, pour vivre sans découragement à une époque comme celle-ci qui est vraiment une période de décomposition universelle.»

Sri Aurobindo
(6.5.1915)

(silence)

C'est la décomposition universelle?

(Mère sourit et hoche la tête)

Tu as des nouvelles?

De Rome?... Il va venir vers la fin du mois. Le Monseigneur ne peut pas venir tout de suite, mais viendrait plus tard. Il a écrit une très bonne lettre, d'ailleurs.

Oh! tu veux me la lire?

C'est adressé à J, c'est à la suite de la lettre que j'ai écrite où je disais qu'à l’intérieur, tu avais répondu «abondamment» à sa lettre, mieux qu'avec des mots. Alors il dit:

«À maintes reprises j'ai été en contact direct avec Mère et je sens sa force m'envelopper. J'ai commencé, hier, la lecture de "Prières et Méditations" de Mère. C'est une splendeur. Avec P.L. tous les jours nous parlons de l’Ashram de Sri Aurobindo. Tous les jours. Le Seigneur vous a conduite par la main dans cette oasis de paix et de lumière: bénissez-le. Je vous envie!... Avec P.L. nous formons ensemble une équipe invincible. Nous avons de grands projets... et nous les réaliserons. Je me croyais "vieux", mais P.L. m'a révélé que "you become old when you stop progressing" [on devient vieux quand on cesse de progresser].»

C'est bien.

Tu as des nouvelles de ton éditeur pour le «Cycle Humain»?

Non, pas du tout.

Bah!1

(Mère entre dans une longue contemplation)

Il s'est passé ceci, c'est que le corps a tout d'un coup (oui, ça lui a pris un jour comme cela) une espèce de... pas positivement dégoût, mais en tout cas insatisfaction de sa façon d'être et de tous ses mouvements, toute sa conscience et tout, et alors... (il est évident que cela correspondait à un mouvement – un mouvement sur lui – de transformation): ça a été une décomposition complète. Et très spontanément, et avec toute la sincérité dont il est capable, il s'est donné à la transformation en disant: «Ou la transformation, ou la décomposition.» Comme cela.

Alors les choses semblent avoir pris un mouvement accéléré et toute la vieille énergie qui venait... au fond qui venait simplement de l’ego, du sens de la personnalité: partie. Alors matériellement, le résultat, c'est que le pouls a commencé à être plus que fantaisiste.

Mais spontanément et constamment, le corps invoque-invoque-invoque...

Seulement, il est encore dans la période où il y a des douleurs partout – tout est misérable, partout. Et... il n'y a pas de joie positive, n'est-ce pas, il y a une sorte d'émerveillement, mais... Et alors, absolument aucune force.

J'ai été obligée de réduire tout le travail; pendant la minute, ou les minutes de contact avec les autres, la Présence vient très positive, comme toujours, mais... (Mère hoche la tête). Les circonstances semblent s'arranger pour prouver la Présence et l’Aide; par exemple, le pouvoir sur les autres est encore là, mais ça... (Mère désigne son corps comme si, là, il n'y avait plus rien, plus de pouvoir sur le corps).

(silence)

Je ne sais pas...

On t'a dit quelque chose, à toi, à mon sujet?

Non.

Je ne sais pas ce qu'ils se disent entre eux, mais j'ai très fort l’impression qu'ils pensent tous que c'est la fin.

Non-non! Non-non!

Non?

Non, douce Mère. Non-non!

La conscience est claire-claire-claire, tu sais, absolument pas touchée,2 absolument, mais...

Claire – elle est même peut-être plus claire.

Encore hier, je ne pouvais pas parler du tout: dès que je disais un mot, je commençais à tousser-tousser. Je viens de parler pour la première fois depuis la dernière fois que je t'ai vu.

Non, douce Mère, on a tous,3 au contraire, la foi – une foi naturelle – que c'est vraiment l’ultime possibilité et que ça ne peut pas ne pas bien marcher!

Le corps s'est donné en toute sincérité vraiment, en toute sincérité. Seulement, est-ce qu'il y a trop à faire? Je ne sais pas.

(Mère entre en contemplation)

Ah! alors la prochaine fois...

Samedi... Mais les gens comprennent, douce Mère!

Ils comprennent?

*Oui, les «Notes sur le Chemin» ont aidé à comprendre.

Ah! bien.

Ils savent que c'est du travail qui se fait.

Bien4... (Mère rit, moqueuse)

Mon petit...

10 août 1968

(Mère a l’air un peu plus forte: elle est restée debout pour nous donner des fleurs. Le disciple remet à Mère l’offrande de sa pension.)

Satprem est devenu un homme riche! (Mère rit)

Il n'y a rien que nous devions faire?... Je suis sûre que j'avais quelque chose à te montrer... que je devais faire avec toi.

(silence)

C'est quelque chose que j'ai fait cette nuit avec toi.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Il y a une amélioration sensible, mais encore impossibilité de parler.

Tu avais quelque chose à demander?

Quelle heure est-il?... Onze heures et quart.

Il y avait LONGTEMPS que je n'avais pas pu me reposer si tranquillement – longtemps.1

22 août 1968

(Nous n'avons pas vu Mère depuis le 10 août D'après le docteur, son cœur est défaillant, elle ne mange plus et elle ne peut plus tenir debout. Pourtant, elle est apparue cinq minutes au balcon pour le darshan du 15 août, mais P et V – le gardien et l’assistante – étaient derrière elle et à côté d'elle, prêts à la soutenir. Elle avait l’air si pâle dans sa cape d'argent. Et ce matin, 22 août, elle a envoyé un mot au disciple, avec des paquets de potage, se souvenant même des besoins matériels du disciple. Son écriture est très changée.)

22.8.68

Voici des soupes, tu dois être démuni.

Cette fois, c'est vraiment intéressant – mais un peu total et radical.

Et comme on est loin, loin du but...

J'essayerai de me souvenir.

Avec toi toujours.

Signé: Mère

28 août 1968

(Mère nous reçoit dans son nouveau fauteuil bas, en bois de rose, celui qui restera jusqu'à la fin. Elle ne se lève plus pour nous chercher les fleurs.)

Viens ici, je suis plus sourde que jamais! Comment ça va?

C'était long sans te voir!

C'était intéressant, mon petit. J'ai gardé toutes ces notes, nous allons les voir. Ce n'est pas fini. Ce n'est pas fini et je ne sais pas quand ce sera fini. Mais enfin, je pourrai recommencer à te voir le matin.

D'abord, tu dois être affamé!

Non, pas du tout!

(Mère donne des potages au disciple)

Tu as des nouvelles?

Non, douce Mère. J'avais vu quelque chose avant le 15 août, une nuit, vers le 11 août: j'ai vu une énorme, fantastique vague d'écume blanche, mais une vague plus haute qu'une maison, fantastique; et poussé par cette vague, un immense paquebot, tout noir, qui semblait rouler sur les rochers, mais pas écrasé. Il était poussé par cette vague. Et un autre beaucoup plus petit, qui me semblait gris clair, qui allait encore plus vite. Et cette vague fantastique d'écume blanche.

Il y a beaucoup de choses qui bougent là-bas... Tu sais les événements de Tchécoslovaquie.1

Ça bouge.

Un paquebot noir?

Oui, un énorme paquebot. Et c'est curieux, on avait l’impression qu'il allait sur les rochers (noirs aussi), sans être écrasé d'ailleurs.

Je suis sûre que le mouvement a commencé... Combien de temps cela prendra pour arriver à une réalisation concrète, visible et organisée? Je n'en sais rien.

Quelque chose a commencé... Ça paraît devoir être la ruée de l’espèce nouvelle, la création nouvelle, ou une création nouvelle en tout cas.

Une réorganisation terrestre et une création nouvelle.

Pour moi, les choses sont devenues très aiguës... Il était impossible que je dise un mot, un seul mot: dès que je parlais, je commençais à tousser-tousser-tousser. Et alors, j'ai vu qu'il était décidé que je ne devais pas parler. Je suis restée comme cela et j'ai laissé la courbe se développer. Après, j'ai compris. Nous ne sommes pas au bout, mais... (comment dire?) nous sommes de l’autre côté.

Il y avait un moment où les choses étaient si aiguës... D'habitude, je ne perds pas patience, mais c'était arrivé au point où tout-tout-tout était comme annulé dans l’être. Non seulement je ne pouvais pas parler, mais la tête était dans un état où elle n'a jamais été de toute mon existence: douloureuse, n'est-ce pas. Je ne voyais plus du tout, je n'entendais plus du tout. Alors, un jour (après, je vais te dire les expériences), mais un jour où vraiment les choses étaient... c'était pénible, douloureux partout, le corps a dit, il a dit vraiment très spontanément et très fortement: «Cela m'est tout à fait égal d'être dissous, je suis tout à fait prêt à vivre, mais l’état dans lequel je suis, c'est impossible, ça ne peut pas continuer – ou vivre ou mourir, mais pas ça.» À partir de ce moment-là, ça a commencé à être un peu mieux. Alors, petit à petit, les choses se sont situées, classées.

J'ai pris des notes qui ne valent pas grand-chose, mais je crois qu'elles peuvent servir (Mère cherche des notes sur une table près d'elle). Je ne vois pas encore. Je ne vois pas, seulement je sais.

J'ai deux choses ici. l’une, un peu sarcastique et courte, qui peut servir comme «À Propos» dans le prochain Bulletin. Et j'en ai d'autres avec lesquelles, si tu les organises, tu peux, je pense, faire des «Notes sur le Chemin».

l’«À Propos» est très court (le disciple lit):

«Le docteur recommande de ne pas se fatiguer. Qu'est-ce qui est fatigant? – Seulement ce qui est inutile.

«Voir des gens sincères à qui cela fait du bien, ce n'est pas une fatigue.

«Mais ceux qui viennent pour juger des théories et des pratiques, ceux qui, dans leur intelligence, se croient très supérieurs et capables de distinguer le vrai du faux et qui s'imaginent pouvoir décider si un enseignement est vrai et si une pratique est en accord avec la Réalité Suprême, ceux-là sont fatigants et les voir est pour le moins inutile...

Ah! oui, je comprends! Je comprends bien cela!

(Mère rit) J'ai pensé que cela pouvait faire un petit mot amusant.

Oh! j'ai vu des tas de gens comme cela, tu sais!...

«...Que les intelligences supérieures suivent leur petit bonhomme de chemin, qui durera des millénaires, et qu'ils laissent les gens simples et de bonne volonté, ceux qui croient en la Grâce Divine, avancer tranquillement sur leur sentier de lumière.»

Alors, ici, j'ai plusieurs notes, je ne sais pas ce que c'est...

(Mère tend des papiers au disciple)

La première note est datée du 22 août:

«Pendant plusieurs heures, les paysages étaient merveilleux, d'une harmonie parfaite.

«Pendant longtemps aussi, visions d'intérieur de temples immenses, de divinités vivantes. Chaque chose avec une raison, un but précis, pour exprimer des états de conscience pas mentalisés.

«Visions constantes.

«Paysages.

«Constructions.

«Villes.

«Le tout immense et très varié, couvrant tout le champ visuel et traduisant des états de conscience du corps.

«Beaucoup, beaucoup de constructions, des villes immenses en construction...

Oui, le monde qui se construit, le monde futur qui se construit. Je n'entendais plus, je ne voyais plus, je ne parlais plus: je vivais là-dedans, tout le temps, tout le temps, tout le temps, nuit et jour. Alors, dès que j'ai pu noter, j'ai noté cela.

«...Toutes sortes de styles de construction, surtout nouveaux, inexprimables.

«Ce ne sont pas des tableaux vus, mais des endroits où je me trouve.»

Oui, c'est cela. Je vais t'expliquer ce qui est arrivé. Il y a ici une autre note qui est le commencement:

«Le vital et le mental envoyés en promenade pour que le physique soit vraiment laissé à ses propres moyens.»

Tout seul! Tout seul. Et alors, je me suis aperçue de la mesure dans laquelle le vital et le mental font que l’on voit et que l’on entend et que l’on peut parler. C'était... Je voyais, en ce sens que je pouvais bouger, mais c'était tout à fait sans précision. Sans précision. J'entendais encore moins qu'avant, c'est-à-dire très peu – un peu –, quelquefois la même chose qu'avant, quelquefois un tout petit son très lointain que les autres n'entendaient pas, je l’entendais; et quand ils me parlaient, je n'entendais pas: «Qu'est-ce que vous dites?» Je ne sais pas. Et ça: continu, nuit et jour.

Une nuit (c'est pour te dire que tout était bouleversé), mais une nuit, j'avais mal; il était arrivé quelque chose et j'avais une douleur assez forte, et impossible de dormir; je suis restée concentrée comme cela, et la nuit a passé, il me semble, en quelques minutes. Et d'autres fois, alors, d'autres jours, à d'autres moments, j'étais concentrée, et de temps en temps je demandais l’heure; une fois, il me semblait que j'étais restée des heures et des heures, et j'ai demandé: «Quelle heure est-il?» – Il y avait cinq minutes... N'est-ce pas, tout était, je ne peux pas dire bouleversé, mais un ordre tout à fait différent, tout à fait différent.

Et le 23, c'était la fête d'A. Je me suis dit: pauvre homme, il est ici, il faut que je le voie. Je l’ai appelé et il s'est assis. Et tout d'un coup, comme cela, tout de suite, la tête a commencé à marcher – pas «tête», pas «pensée» (Mère dessine des sortes de courants ou d'ondes qui passent à travers elle), je ne sais pas comment expliquer ça; ce n'est pas une pensée: c'étaient des espèces de visions, de perceptions. Et alors je lui ai posé des questions et il les a notées (Mère tend au disciple une note dactylographiée). Il a noté seulement mes questions, pas ses réponses.

Mère a dit...

le 23 août 1968 dans l’après-midi

«Sait-on comment la Matière s'est formée?...

C'était le physique qui posait des questions. Je ne sais pas, probablement au contact de l’atmosphère de A (un scientifique), ce corps s'intéressait de savoir comment tout cela s'est formé. Et A était là, je savais qu'il pouvait répondre; alors je lui ai posé les questions.

«Sait-on comment la Matière s'est formée?

«Dire que c'est de l’énergie condensée, c'est simplement reculer le problème.

«La vraie question est: comment le Suprême s'y prend-il pour se manifester en Matière?...

Le pauvre A était un peu surpris! N'est-ce pas, ces sujets qui sont considérés comme si importants, si vastes, si nobles, si... j'en parle sur un ton tout à fait enfantin et avec des mots tout à fait ordinaires (Mère rit), alors ça fait un décalage... qui était difficile pour lui! Il a dit: «J'ai fait de mon mieux» (!)

«...Sait-on depuis quand la Terre existe?

«Quand on parle de millions ou de milliards d'années, qu'est-ce que cela veut dire?...

On n'avait pas de montres, tu comprends!... C'était le corps, avec la simplicité d'un enfant, qui a dit: vous dites des milliards d'années, mais avec quoi avez-vous mesuré!

«...Est-on sûr que ce que nous appelons une année a toujours représenté la même chose?... J'ai eu, pendant cette période, la conscience de la non-réalité de notre conception habituelle du temps. Parfois, une minute paraissait interminable; d'autres fois, les heures, une journée même passaient sans paraître avoir duré.

«Est-ce que l’on dit qu'il y a eu un commencement? (Ici A explique à Mère la théorie suivant laquelle l’univers passe par des périodes successives d'expansion et de contraction,-^ cette théorie semble plaire à Mère).

Oui, ce sont les «pralaya».2

«...Ces questions, c'est maintenant le corps qui les pose. Le mental est parti depuis longtemps. Mais le corps, les cellules du corps voudraient avoir le contact avec l’être vrai sans avoir à passer, pour ainsi dire, par le vital ni même par le mental. C'est cela qui se passe.

«Pendant cette période, j'ai eu deux ou trois fois la Connaissance...

Ah! j'ai eu des moments, deux ou trois fois, des moments absolument merveilleux et uniques – intraduisibles. C'est intraduisible.

«...Mais dès que l’on a conscience d'une telle expérience...

On a l’expérience, et puis on devient conscient de l’avoir; de la minute où l’on devient conscient de l’avoir, ça s'obscurcit. Il y a quelque chose qui est obscurci.

Oui, c'est tout le phénomène d'objectivation du mental qui, au fond, disparaîtra dans une prochaine espèce.

Oui, ça paraît comme cela.

(La note de A continue)

«...Dès que l’on a conscience d'une telle expérience, dès qu'elle se marque dans le souvenir, elle est déjà complètement faussée.

«Au fond, c'est ce qui se passe pour les hommes de science. Quand ils ont une petite parcelle de connaissance, ils doivent l’habiller, la travestir pour la rendre accessible à la conscience humaine, compréhensible pour le mental.

(silence)

«Sait-on depuis quand l’homme existe?

«Il faudra moins longtemps pour l’apparition du surhomme qu'il n'en a fallu à l’homme pour se développer, mais ce n'est pas pour tout de suite...

Ce jour-là, le 23, j'étais encore... j'étais encore dans une bouillie, mon petit! Alors je me suis dit: pour sortir de cette bouillie et pour devenir un être effectif, n'est-ce pas, qui existe et qui agit, il faudra longtemps. C'est cela que je lui ai dit.

Mais tu dis aussi, pour conclure la note:

«Nous aurons fait ce que nous aurons pu.»

Oui, je lui ai dit ça pour le consoler!

Alors la nuit, voilà ce qui s'est passé (Mère tend une autre note au disciple, écrite par elle-même):

Nuit du 26 au 27

«Pénétration puissante et prolongée des forces supra-mentales dans le corps, partout à la fois...

Pénétration dans le corps. Oui, des pénétrations de courant, j'en ai eues plusieurs fois, mais cette nuit-là (c'est-à-dire la nuit d'avant-hier), tout d'un coup c'est venu comme s'il n'y avait plus qu'une atmosphère supramentale. Il n'y avait plus que ça. Et mon corps était dedans. Et ça PRESSAIT pour rentrer, de partout-partout-partout à la fois – partout. N'est-ce pas, ce n'était pas un courant qui entrait: c'était une atmosphère qui pénétrait de partout. Ça a duré pendant au moins quatre ou cinq heures. Et il n'y avait qu'une partie qui était A PEINE pénétrée: c'était depuis ici jusque là (entre la gorge et le sommet de la tête): là, ça avait l’air gris et terne, comme si ça pénétrait moins... J'ai les dents dans un état épouvantable et la tête dans un état épouvantable – je te dis: je ne vois plus, je n'entends plus, je... Tout cela (de la tête à la gorge) a besoin d'une grande transformation. Mais à part cela, tout-tout le reste: ça entrait, ça entrait, ça entrait... Jamais, jamais je n'avais vu cela, jamais! Ça a duré des heures – des heures. Tout à fait consciemment.

Alors, au moment où c'est venu et pendant que c'était là, j'étais consciente: «Ah! c'est pour ça, c'est pour ça! c'est ça, c'est ça que Tu veux de moi, Seigneur! c'est pour ça, c'est pour ça, c'est ça que Tu veux.» À ce moment-là, j'avais l’impression que quelque chose allait se passer.

J'espérais un retour cette nuit, mais il n'y a rien eu.

C'est la première fois. Des heures. Il n'y avait plus que Ça. Et ça (le corps), c'était comme une éponge qui absorbait.

Seulement la tête, c'est encore gris, terne – gris et terne. Les dents toutes abîmées, enfin c'est encore dans un état... Mais alors, tout de même, une vision très claire de tout ce qui s'est passé pour ce corps depuis quelques mois et... presque un espoir. Presque un espoir, c'est comme si l’on me disait qu'il était possible que quelque chose se produise ici. Voilà.

Et ça, c'était en réponse à ce que le corps avait dit (peut-être deux jours ou trois jours avant), ce que je t'ai dit au commencement: qu'il était tout à fait prêt à être dissous (c'est une soumission parfaite) et il était tout à fait prêt à continuer à vivre dans n'importe quelles circonstances, mais pas dans cet état-là. Pas dans cet état de décomposition. Alors, à cela, il n'y a pas eu de réponse pendant deux jours, et puis est arrivée cette Pénétration. C'est-à-dire que, dès le lendemain, j'étais un petit peu mieux, j'ai pu commencer à... Je ne pouvais même plus me tenir debout! Je n'avais pas le sens de l’équilibre, il fallait qu'on me tienne. J'avais perdu le sens de l’équilibre, je ne pouvais pas faire un pas. C'est là où j'ai protesté. Et dès le lendemain, ça a commencé à revenir.

Et puis est arrivé le 23, j'ai vu A, et je me suis aperçue que quand il était là, le CORPS était tout à fait en éveil – n'est-ce pas, ce n'était pas le mental et le vital: partis!... Je ne sais pas si tu peux réaliser ce que cela veut dire!

Oui, c'est fantastique.

Un corps sans mental et sans vital. Et il était dans cet état-là. Il n'y avait que ces perceptions (villes, constructions, temples), il vivait dans des états d'âme: il y avait les états d'âme des autres, les états d'âme de la terre, les états d'âme... Des états d'âme qui se traduisaient par des images. C'était intéressant. Je ne peux pas dire que ce n'était pas intéressant, c'était intéressant, mais pas de contact avec la vie matérielle, très peu: je pouvais à peine manger, je ne pouvais pas marcher... Enfin c'était devenu quelque chose dont les autres devaient s'occuper.

Et alors, au contact de A, le corps s'est mis à s'intéresser à tout cela, à poser des questions tout spontanément, il ne savait pas pourquoi. Il demandait-demandait: «Tiens, c'est comme cela qu'on est fait...» Alors il a commencé à s'amuser.

Ça prendra un peu de temps.

Quand cette Pénétration est venue avant-hier, je me suis dit: «Ah!»... J'ai espéré que la courbe allait s'accélérer et qu'on allait sortir vite, mais cette nuit, il n'y a rien eu. Ce qui me fait dire que ça va prendre encore du temps.

Mais c'est curieux, ta note du 26 au 27 ajoute ceci:

«Comme si le corps tout entier baignait dans les forces, qui le pénétraient partout à la fois avec une légère friction...»

Et alors tu dis:

«La tête jusqu'au cou était la région la moins réceptive.»

C'est curieux que ce soit le moins réceptif?

Non, c'est la région qui est la plus mentalisée. C'est le mental qui fait obstacle.

C'est curieux, chaque fois que tu as eu ces grands moments, ou ces grands coups si je puis dire, chaque fois, c'est le mental et le vital qui étaient balayés. La première fois aussi, en 1962.

Oui, chaque fois.

Je sais, c'est comme cela: le mental et le vital ont été des instruments pour... triturer la Matière – triturer-triturer-triturer de toutes les façons: le vital par les sensations, le mental par les pensées – triturer-triturer. Mais ils me font l’effet d'instruments passagers qui seront remplacés par d'autres états de conscience.

Tu comprends, c'est une phase du développement universel, et ils seront... ils tomberont comme des instruments qui ne sont plus utiles.

Et alors, j'ai eu l’expérience concrète de ce qu'est cette matière triturée par le vital et le mental, mais sans vital et sans mental... c'est autre chose.

Mais cette «perception d'états d'âme», il y avait des choses... des merveilles! Aucune, aucune conception mentale ne peut être aussi merveilleuse – aucune. J'ai passé des moments... Tout ce que l’on peut sentir, voir humainement, n'est rien en comparaison de cela. Il y avait des moments... des moments absolument merveilleux. Mais sans pensée, sans pensée.

On pourrait mettre ce petit «À Propos»... (où je me fiche des gens!) et puis tu pourrais préparer des «Notes» avec tout cela.

Il y a encore plusieurs notes, là, que je ne t'ai pas lues. Tu dis:

«Pour l’homme, dans la majorité des cas, la conscience commence avec la sensation. Pour le corps, toutes les sensations étaient comme réduites, ou plutôt estompées: vision et audition comme derrière un voile. Mais perception extrêmement nette du degré d'harmonie ou de désharmo-nîe. Traduction imagée: pas pensée ni même sentie.»

Je te l’ai dit, j'ai vu... Ce n'est pas «vu» comme vu un tableau: c'est être dans, être dans un certain endroit. Je n'ai jamais rien vu ou senti de si beau que cela! Et ce n'était pas senti, c'était... Je ne sais pas comment expliquer cela. Il y a eu des moments absolument merveilleux, merveilleux, uniques. Et ce n'était pas pensé, je ne pouvais même pas décrire – comment décrire? On ne peut commencer à décrire que quand on commence à penser.

Il y a encore une note:

«l’état de conscience du corps et la qualité de son activité dépendent du ou des individus avec lesquels il se trouve...

Ah! ça, c'était très intéressant. C'était très intéressant parce que je voyais comme cela (geste mouvant comme un film qui se déroule), ça changeait. Quelqu'un s'approchait de moi: ça changeait. Il arrivait quelque chose à quelqu'un: ça changeait. J'avais près de moi P, V, le docteur, et de temps en temps un petit peu C, mais C n'avait pas beaucoup d'effet sur l’atmosphère. Mais les trois autres, surtout P et V... Mon petit, un jour, je ne sais pas ce qui leur est arrivé: ils étaient surhumains. Un jour où, probablement, en apparence, j'étais en danger, je ne sais pas. Un jour, pendant toute une journée, les images (pas les «images»: ces endroits où je me trouvais), c'était si merveilleusement beau, harmonieux... C'était inexprimable, inexprimable. Et alors, la moindre chose qui changeait dans leur conscience, ah! voilà tout qui se mettait à changer! C'était une espèce de kaléidoscope perpétuel, jour et nuit. S'il y avait eu un moyen quelconque de noter cela... c'était unique. C'était unique. Et le corps était là-dedans, n'est-ce pas, presque poreux – poreux, sans résistance, comme si la chose passait au travers.

J'ai eu des heures... les plus merveilleuses, je crois les plus merveilleuses qu'on puisse avoir sur terre.

Et alors, c'était tellement expressif et tellement révélateur! Tellement expressif. Une nuit, pendant deux heures, ces temples dont je parle (ce n'est pas physique), d'une immensité, d'une majesté... les divinités vivantes, mon petit! pas des images. Et je sais ce que c'est. Et alors, l’état de conscience de l’Éternité, oh!... comme au-dessus de toutes les circonstances.

Il y a eu des choses uniques, mais comment les dire?... Impossible. Impossible: pas même suffisamment de conscience pour pouvoir écrire.

La note continue:

«Le siège et le champ de sa conscience [du corps] ainsi que la qualité de son activité changent et varient suivant les présences, sur une gamme complète, depuis la plus matérielle jusqu'à la plus spirituelle, en passant par tous les genres d'activité intellectuelle.

«Mais la perception de la Présence est constante et associée à tous les états de conscience quels qu'ils soient...

Ah! je me suis aperçue que les cellules, partout comme cela, tout le temps, tout le temps, répétaient: OM

Namo Bhagavaté, OM Namo Bhagavaté... tout le temps, tout le temps.

«...et OM Namo Bhagavaté se répète spontanément et automatiquement dans une sorte de paix floue.»

Image 5

C'est pour cela, n'est-ce pas: on ne peut pas dire qu'il souffrait, on ne peut pas dire qu'il était malade, ce n'est pas possible! Ce n'est pas possible.

Il n'y a qu'un moment où, vraiment, quelque chose (je ne sais pas quoi dans le corps), quelque chose a dit... (mais ça, je ne l’ai pas noté, parce que je ne veux pas que ce soit dit, ça ne doit pas être dit; je te le dis à toi simplement pour expliquer, mais ça ne doit pas paraître, ça ne doit pas être dit, je ne veux pas...) Le corps a dit (il était dans sa Communion), il a dit: «Je suis prêt à la dissolution complète. Je suis prêt à la vie éternelle. Mais pas ça, pas cet état de demi-décomposition: il faut sortir de là.» Et à partir de ce moment-là, ça a commencé à remonter.

C'est-à-dire que pour quelques minutes, il a perdu patience. Et alors il a su, cet imbécile, il a su – quelques minutes après, il a su: c'est bien, il avait simplement refusé d'accepter une expérience plus totale. N'est-ce pas, le corps n'avait pas eu le courage ni l’endurance ni la patience ni la foi nécessaires pour accepter une expérience plus totale.

Figure-toi que, tout d'un coup, je ne sais pas... Je dois dire que ce n'était pas agréable (!), il y avait quelque chose, comme une suggestion malicieuse qui venait du dehors et qui me disait: «Si tu guéris, quand tu auras à mourir, tu vas avoir à recommencer ça.»3 C'était hideux! Et je crois que c'est cela qui a été la cause de cet outburst [éclat d'impatience].

Alors ça, il ne faut pas en parler.

Je considère cela comme une défaite.

Mais je dois dire (très modestement) que je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup qui auraient supporté cela.

Voilà.

Alors maintenant, le corps fait son mea culpa.

On verra.

Voilà, mon petit.4

30 août 1968

J'ai pensé qu'il vaudrait mieux précéder ton dernier «À Propos» d'une petite note d'introduction, parce que tous ceux qui lisent le Bulletin ne sont pas au courant. Je propose de mettre ceci: «Cet À Propos a été écrit par Mère à la suite d'une épreuve qui a menacé son corps physique.»

C'est un peu dramatique!

Mais enfin, c'est ce qui s'est passé.

(Après un silence) Oui, tu as raison, il vaut mieux dire que c'est une question purement physique – il n'y a plus d'épreuves «là-bas»! Il n'y a que le corps qui en a besoin.

(Puis le disciple lit à Mère les «Notes sur le Chemin» formées de la dernière conversation. Mère hésite sur l’opportunité de publier ces expériences.)

Le Bulletin va partout, n'est-ce pas... Ce n'est pas une question personnelle: c'est au point de vue du travail et de l’effet que cela produira. Enfin, je vous laisse décider tous les deux (avec Nolini) si c'est opportun ou non pour le travail.1

J'ai l’impression que ça explique tellement clairement ce passage de l’instrument mental et vital à un autre instrument qui n'est pas mentalisé, pas vitalise. C'est tellement important!

Évidemment.

C'est évident. Maintenant, j'ai l’impression que c'est vraiment nouveau.

Oui!

C'est vraiment une expérience nouvelle.

(silence)

On a parfois l’impression qu'au fond, le Mental, c'est la plus formidable illusion du monde...

(Mère acquiesce de la tête)

...Que c'est cela qui est le voile du monde vrai.

D'après ce que je vois maintenant, il me semble que le Mental a été l’instrument nécessaire pour faire passer de l’inconscience à la conscience, c'est-à-dire pour rendre cette Matière capable de recevoir la conscience. Mais que, lentement, il sera ou transformé ou éliminé.

Et la même chose pour le Vital. Le Vital a très mal tourné, n'est-ce pas; c'est le Vital qui contenait toutes les forces adverses et toutes les difficultés. Eh bien, c'est la même chose: ça a été le premier moyen de faire sortir la Matière de l’Inconscient, mais une fois qu'il a fait son travail, on pourrait dire (souriant): ces deux brigands, on s'en passera!

Il y a une expérience (c'est une expérience que Sri Aurobindo avait constamment): il y a une Intelligence qui est très supérieure au Mental et qui n'a rien à voir avec le Mental. Une «intelligence des choses»... Et c'est pour cela qu'il a appelé sa nouvelle création «supramentale». Et toujours, il la décrivait comme une compréhension parfaite des choses.

Mais on a l’impression que le Mental, non seulement est un voile sur la connaissance, mais est un voile sur le monde Même! que l’on ne voit pas le monde comme il est parce qu'on le voit mentalement.

Oui, c'est possible.2

(silence Mère regarde autour d'elle)

Encore je ne vois pas...

septembre




4 septembre 1968

(Mère a appelé Nolini pour savoir ce qu'il pense de la conversation du 28 août et si l’on doit la publier dans les «Notes sur le Chemin»)

(À Nolini) Vous avez lu? Quel est votre avis?

(Nolini) Tout d'abord, j'ai hésité pour la publication, puis j'ai pensé que si cela avait le même effet sur les autres que sur moi, ce sera bien.

(Mère rit) Moi, je n'ai rien à dire... C'est ce pauvre petit corps qui fait son éducation. C'est charmant!

(Nolini) Alors on va publier, non?

(Satprem) On pourrait demander à Pavitra aussi?

Pavitra dira: «C'est ce que Mère dit»!...

Moi, ça me semble très utile. Ceux qui comprendront mal, de toutes façons comprendront mal.

Oh! ça, ils comprennent déjà mal!1

(Nolini sort)


Tu n'as rien à dire?

Tu vas mieux, douce Mère?

Ce pauvre corps est en train de suivre une discipline... Au point de vue médical, je crois que ça va bien, je ne sais pas (!) C'est-à-dire que je ne tousse plus, je ne...

C'est encore difficile de parler.

Difficile, et aussi cela paraît si inutile...

(long silence)

Il y a deux ou trois nuits, et encore la nuit dernière, longtemps Sri Aurobindo était là; et il y a deux jours, c'était au moins pendant deux heures qu'il était là. Et il était là parce qu'il y avait quelqu'un qui était arrivé et qui voulait (quelqu'un qui avait beaucoup d'autorité), qui voulait organiser quelque chose, et je voulais que Sri Aurobindo lui explique comment le faire. Ce quelqu'un était un Européen (Européen ou Américain, je ne sais pas, mais il m'a paru plutôt Européen), très grand, large d'épaule. Je ne le connais pas. Un homme entre quarante et cinquante ans, je crois... Comment est ce Monseigneur R?

C'est un homme fort, il a l’air trapu, un grand front, mais le bas du visage assez sensuel.

Oui, j'ai vu la photo.

Il [Sri Aurobindo] est revenu encore hier soir, la nuit. Pendant un bon moment, il était là.

Alors maintenant, les visions sont si concrètes qu'elles sont presque matérielles – ce ne sont pas des «visions», n'est-ce pas: c'est de la vie pendant un temps. C'est certainement dans un domaine où je ne voyais pas avant.2 Très concret, précis, et le passage entre cet état-là et l’état de veille est presque imperceptible. Ce n'est pas un renversement de conscience comme c'est d'habitude: c'est presque imperceptible, c'est comme mélangé (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche pour montrer l’interpénétration des deux mondes).

Je vois toutes sortes de gens que, généralement, je ne voyais pas. Par exemple, je ne rêvais pas de P, je ne le voyais jamais la nuit; et je le vois maintenant souvent, mais... (comment dire?) il y a seulement un petit changement (même geste, les doigts d'une main qui passent entre les doigts de l’autre), c'est très... Ce n'est pas du tout dans le même domaine. Et M, par exemple, je ne le voyais pas la nuit; cette nuit, je l’ai vu pendant longtemps – je l’ai questionné, il m'a répondu, je lui ai parlé... C'était tout à fait concret.

Mais le décor n'est pas le même. C'est un décor très familier: je n'ai pas l’impression d'être dans un endroit nouveau; c'est un endroit où je suis, sinon tout le temps, du moins quotidiennement. Et où il y a des habitudes, des... C'est très curieux, c'est un domaine où je n'étais pas consciente auparavant. Et très-très proche (même geste).

Par exemple, cette nuit, quand Sri Aurobindo est arrivé, je lui ai apporté un grand dessin comme cela, un dessin avec des choses écrites, en lui disant: «Voilà, je voulais justement vous montrer ça, comme c'est intéressant, comme c'est amusant!» Et c'était... Je ne sais pas ce que c'est quand je suis éveillée. C'était quelque chose que j'avais mis de côté pour le montrer à Sri Aurobindo, et je lui ai montré dès qu'il est arrivé, en lui disant: «Voyez comme c'est intéressant!» Et éveillée, je ne sais pas ce que c'est... Il semblerait qu'il y ait comme cela toute une VIE – toute une vie, toute une activité – qui se déroule, oui qui est toute proche, qui doit être dans le physique subtil, mais tout proche. Très-très concret, pas du tout l’impression de rêve. Tout à fait concret, avec des sensations. Et une continuité: ça continue même quand je n'en suis pas consciente, et quand je prends conscience, il y a la continuation: je reprends conscience «en avance», ça a changé pendant que je n'étais pas consciente là.

Ça a l’air d'un domaine matériel (matériel, c'est-à-dire physique) où la conscience est plus éveillée – la conscience est très claire, très claire, et aiguë, n'est-ce pas: perceptions aiguës.

Et le corps a tout à fait l’impression de faire son éducation, d'apprendre des choses – d'«apprendre», pas des choses: d'apprendre tout.

C'est comme une doublure (ce monde subtil), mais qui serait plus consciente.

La lumière est très claire, les formes sont très précises.

(silence)

Il y a trois ou quatre jours après le déjeuner (je me repose avant d'aller prendre mon bain, je m'étends là), je me suis endormie (je dors très peu: j'entre dans une conscience intérieure, mais je ne dors pas). Je me suis endormie. Je me suis réveillée, et puis je me suis mise à aller vers la salle de bains – je me sentais comme avant: je marchais toute seule, j'avais mon équilibre. Et spontanément, sans pensée. Mais... ça a été retiré (geste, comme si quelqu'un venait reprendre cette force à Mère). Alors j'ai soupçonné que pendant ce sommeil, une partie de l’être vital (riant) était rentré, et qu'alors naturellement je recommençais à vivre!... Et ça a été retiré.

Et c'est vraiment une éducation qu'on donne au corps: on lui apprend comment vouloir – quelle est la vraie manière d'être et de vouloir. Et sur toute la création matérielle (geste couvrant, enveloppant la terre), il y a un tissu – tissu que l’on pourrait appeler «catastrophique» – de mauvaise volonté. C'est-à-dire une sorte de trame, oui, de trame défaitiste – défaitiste, catastrophique – où ce que l’on veut faire, on le rate, où il y a tous les accidents possibles, toutes les mauvaises volontés. C'est comme une trame. Et on apprend au corps à sortir de là.3

C'est comme mélangé à la Force qui se réalise et qui s'exprime; c'est comme quelque chose qui se mélange à la création matérielle. Et on apprend au corps à s'en libérer. Mais c'est difficile, c'est très difficile.

C'est la cause des maladies, c'est la cause des accidents – c'est la cause de toutes les choses destructives.

Et cette trame, c'est tout le temps, c'est tout le temps là, comme ça (même geste couvrant).

C'est très-très mélangé (au corps). Ce n'est pas encore clairement séparé.

Alors c'est comme cela que je vis. Encore, il se passe des heures où je ne sais pas ce qui arrive extérieurement.4

7 septembre 1968

Quelqu'un m'a envoyé une citation de Sri Aurobindo qui semble être très bonne pour le Bulletin de novembre, c'est dans Thoughts and Glimpses:

«The changes we see in the world today are intellectual, moral, physical in their ideal and intention: the spiritual revolution waits for its hour and throws up meanwhile its waves here and there. Until it comes, the sense of the others cannot be understood and till then all interpretations of present happening and forecast of man's future are vain things. For its nature, power, event are that which will determine the next cycle of our humanity.»

Sri Aurobindo
(written in 1917)

(La traduction)

«Les changements que nous voyons dans le monde aujourd'hui sont intellectuels, moraux, physiques, dans leur idéal et leur intention. La révolution spirituelle attend son heure et pendant ce temps fait surgir ses vagues ici et là. Jusqu'à ce qu'elle vienne, le sens des autres changements ne peut pas être compris, et jusqu'à ce moment-là, toutes les interprétations des événements présents et toutes les prévisions de l’avenir humain sont choses vaines. Car la nature de cette révolution, sa puissance et son issue sont ce qui déterminera le prochain cycle de notre humanité.»

(Aperçus et Pensées, 1917)

Celle du mois d'août, ils l’ont escamotée, je ne l’ai même pas vue! Je crois que Nolini ne l’aimait pas.

Oui, parce que tu parles de la «décomposition universelle».

Oui.

Mais celui-là est bien, parce qu'il parle de la révolution spirituelle comme si elle allait arriver bientôt.

«La révolution spirituelle attend l’heure.»

Elle est peut-être proche?

Moi, je crois que c'est déjà commencé!]

C'est cela.

Il faut mettre que ce texte a été écrit à telle date... (1917)

Mais c'est bien de dire que l’on ne peut comprendre les autres que quand celle-là aura eu lieu.

Oui, les autres, ce sont les chaînons.

En Europe, ça bouge beaucoup en ce moment.

(silence)

Pavitra a lu les «Notes sur le Chemin» (conversation du 28 août), je crois qu'il n'y a rien compris! Parce qu'il m'a dit hier qu'il avait lu, et il a dit très gentiment qu'il «demandait la compréhension»...1


(Puis le disciple lit à Mère un ancien Entretien du 1er juillet 1953 où Mère parle de la mort. D'abord, Mère commence par vouloir supprimer la fin...)

(Texte de l’Entretien)

«Je vous ai dit beaucoup de fois, et je ne saurais vous le répéter trop souvent, qu'on n'est pas fait d'un seul morceau. Nous avons au-dedans de nous beaucoup d'états d'être, et chaque état d'être a sa vie propre. Tout cela est réuni dans un seul corps tant que vous avez un corps et agit à travers un seul corps; alors cela vous donne l’impression que c'est une seule personne, un seul être. Mais il y en a beaucoup, et surtout il y a des concentrations dans des plans différents: de même que vous avez un être physique, vous avez un être vital, vous avez un être mental, vous avez un être psychique, vous en avez beaucoup d'autres et tous les intermédiaires possibles... Alors, quand vous allez quitter votre corps, tous ces êtres vont se disperser. Ce n'est que si vous êtes un yogi très avancé et que vous ayez été capables d'unifier votre être autour du centre divin que ces êtres restent reliés ensemble. Si vous n'avez pas su vous unifier, alors au moment de la mort, tout cela se disperse: chacun retourne dans son domaine. Par exemple, pour l’être vital, vos différents désirs vont se séparer et courir chacun à sa réalisation, tout à fait indépendamment, parce qu'il n'y aura plus d'être physique pour les tenir ensemble. Mais si vous avez uni votre conscience à la conscience psychique, quand vous mourrez, vous resterez conscients de votre être psychique, et l’être psychique retourne dans le monde psychique qui est un monde de béatitude, de joie, de paix, de tranquillité et d'une connaissance croissante... Mais si vous avez vécu dans votre vital et dans toutes les impulsions, chaque impulsion va essayer de se réaliser ici et là... Par exemple, l’avare qui était concentré sur son argent, quand il meurt, la partie de son vital qui était intéressée par son argent va se fixer là et restera à veiller sur l’argent pour que personne ne le prenne. Les gens ne le voient pas, mais il est là tout de même, et très malheureux s'il arrive quelque chose à son cher argent... Et maintenant, si vous vivez exclusivement dans votre conscience physique (c'est difficile, parce que vous avez, après tout, des pensées et des sentiments), mais si vous vivez exclusivement dans votre physique, quand l’être physique disparaît, vous disparaissez en même temps, c'est fini... Il y a un esprit de la forme: votre forme a un esprit qui persiste pendant sept jours après votre mort. Les docteurs ont déclaré que vous êtes mort, mais l’esprit de votre forme est vivant, et non seulement vivant mais conscient dans la plupart des cas. Mais cela dure de sept à huit jours, et après, ça aussi se dissout – je ne parle pas des yogi, je vous parle des gens ordinaires. Les yogi n'ont pas de lois, c'est tout à fait différent; pour eux, le monde est différent. Je vous parle des gens ordinaires, vivant une vie ordinaire; pour eux, c'est comme cela. Donc, la conclusion est que si vous voulez préserver votre conscience, il vaut mieux la centraliser sur une partie de votre être qui est immortelle; autrement elle s'évaporera comme une flamme dans l’air. Et c'est très heureux, parce que s'il en était autrement, il y aurait peut-être des dieux ou des espèces d'hommes supérieurs qui créeraient des enfers et des paradis comme ils en créent dans leur imagination matérielle, où ils vous enfermeraient...»(Question:) On dit qu'il y a un dieu de la mort. Est-ce vrai?«Oui. Moi, je l’appelle un "génie de la mort". Je le connais bien. Et c'est une organisation extraordinaire. Vous ne savez pas à quel point c'est organisé! Je crois qu'il y a beaucoup de ces génies de la mort, je crois qu'il y en a des centaines. J'en ai rencontré au moins deux. l’un, je l’ai rencontré en France, et l’autre, je l’ai rencontré au Japon, et ils étaient très différents; ce qui fait croire que, probablement, suivant la culture mentale, suivant l’éducation, suivant les pays, suivant les croyances, il doit y avoir des génies différents. Mais il y a des génies de toutes les manifestations de la Nature:il y a des génies du feu, il y a des génies de l’air, de l’eau, de la pluie, du vent; il y a des génies de la mort. Chaque génie de la mort, quel qu'il soit, a droit à un certain nombre de morts par jour. C'est en vérité une organisation fantastique. C'est une sorte d'alliance entre les forces vitales et les forces de la Nature. Par exemple, s'il a décidé: "Voilà le nombre de gens auquel j'ai droit", mettons quatre ou cinq, ou six, ou une ou deux personnes (cela dépend des jours), il a décidé que telles personnes mourraient, il va tout droit s'installer près de la personne qui va mourir. Mais s'il se trouve que vous êtes conscient (pas la personne), si vous voyez le génie et qu'il aille à une personne et que vous ne vouliez pas qu'elle meure, alors vous pouvez, si vous avez un certain pouvoir occulte, lui dire: "Non, je te défends de le prendre." C'est une chose qui s'est produite, pas une fois, plusieurs fois, au Japon et ici. Ce n'était pas le même génie. C'est ce qui me fait dire qu'il doit y en avoir beaucoup... Vous pouvez lui dire: "Je te défends de prendre celui-là" et avoir le pouvoir de le renvoyer, et il n'a rien à faire qu'à s'en aller; mais il ne renonce pas à son dû et il va ailleurs – il y a une autre mort...»(Question:) Quelquefois, quand les gens meurent, ils comprennent qu'ils vont mourir. Pourquoi ne disent-ils pas au génie de s'en aller?«Il y a deux choses nécessaires. D'abord, que rien dans votre être, aucune partie de votre être ne désire mourir. Cela n'arrive pas souvent. Vous avez toujours un défaitiste en vous quelque part; quelque chose qui est fatigué, quelque chose qui est dégoûté, quelque chose qui en a assez, quelque chose qui est paresseux, quelque chose qui ne veut pas lutter et qui dit: "Tiens! ah! que ce soit fini, tant mieux." Ça suffit, vous êtes mort. Mais c'est un fait: si rien, absolument rien de vous ne consent à mourir, vous ne mourrez pas. Pour que quelqu'un meure, il y a toujours une seconde, peut-être la centième partie d'une seconde, où il va consentir. S'il n'y a pas cette seconde de consentement, il ne meurt pas... Mais qui est sûr qu'il n'a pas au-dedans de lui un petit bout de défaitiste, quelque part, qui juste cède et dit: "C'est bien"?... C'est cela, la nécessité de s'unifier. Quel que soit le chemin que nous suivons, le sujet que nous étudions, nous arrivons toujours au même résultat. La chose la plus importante, pour un individu, c'est de s'unifier autour de son centre divin; comme cela, il devient un vrai individu, maître de lui-même et de sa destinée. Autrement, il est un jouet des forces qui le ballottent comme un bouchon sur une rivière. Il va où il ne veut pas aller, on lui fait faire ce qu'il ne veut pas faire, et finalement il se perd dans un trou sans avoir aucun pouvoir de se rattraper. Mais si vous êtes organisés consciemment, unifiés autour du centre divin, gouvernés, dirigés par lui, vous êtes le maître de votre destinée. Cela vaut la peine d'essayer... En tout cas, je trouve qu'il est préférable d'être le maître que d'être l’esclave. C'est une sensation assez désagréable de sentir qu'on est tiré par des ficelles et qu'on vous fait faire des choses que vous voulez ou que vous ne voulez pas faire... C'est très ennuyeux. Enfin, je ne sais pas, moi j'ai trouvé cela très ennuyeux, même quand j'étais toute petite. À cinq ans, cela a commencé à me paraître tout à fait intolérable et j'ai cherché un moyen pour que ce soit autrement – sans que personne puisse rien me dire. Parce que je ne connaissais personne qui puisse m'aider et je n'avais pas la chance que vous avez, quelqu'un qui peut vous dire: "Voilà ce qu'il faut faire. " Il n'y avait personne pour me le dire. Il a fallu que je le trouve toute seule. Je l’ai trouvé. J'ai commencé à cinq ans. Et vous, il y a longtemps que vous avez eu cinq ans?...»

On enlève la fin.

Mais pourquoi!

Ça a l’air très boasting [on a l’air de se vanter].

Non-non! On n'a pas du tout cette impression-là. Tu les pousses un peu, ces enfants!

(De plus en plus, Mère semble parler de très loin)

Tout cela me paraît... (Mère fait un geste par-dessus l’épaule). C'est cela que les gens aiment. Si je leur disais ce que je sais maintenant, ils ne seraient pas contents.

Il y a une vaste différence entre ta perception d'alors et de maintenant.

Un autre monde.

Ce que je dis là, c'est la vision du mécanisme (occulte de la mort), et c'est très vrai dans le sens que c'est comme cela que ça a été vécu. Mais maintenant, je suis de l’autre côté. Tout ce que je dis là, ça fait partie de toutes les complications de l’exécution.2

C'est bon.

C'est comme une autre personne pour moi, maintenant.

(silence)

C'est curieux, j'ai eu une impression très bizarre (pendant que le disciple lisait), c'était comme si... comme si tu lisais ici (geste au ras du sol).

Je sais que tout cela est exact, ça s'est passé comme c'est dit et c'est tout à fait exact. Mais maintenant, c'est comme si je voyais d'au-dessus, comme cela (Mère se penche comme si elle regardait de très haut). Et alors, ça devient si simple... Simplement la Vision qui se réalise (ce n'est pas une vision, ce n'est pas une volonté, ce n'est pas une décision, mais ce qui est le plus proche à dire, c'est vision). C'est la Vision qui se réalise (geste comme pour montrer la Force de la Vision qui descend). Et alors, en bas, tout cela fait des appels. D'en haut, c'est comme cela, c'est quelque chose qui descend; et alors de là-haut, on voit: il y a, oui, des points de conscience qui brillent et qui appellent, alors il y a le Contact (geste de jonction de la Force d'en haut et des points qui brillent en bas).

C'est très curieux, j'ai vraiment l’impression d'être quelque part en haut, de voir les choses d'en haut.

Une grande masse de Pouvoir – Pouvoir-Conscience-Vision – qui descend sur le monde.

(long silence)

Ces jours-ci, quand apparemment je me réveillais (mais ce n'était pas un réveil: c'était la conscience qui, dans son état naturel, est toute répandue partout, et qui se concentre dans le corps), quand elle se concentre là-dedans, d'abord il y a l’impression d'une espèce de chute (au sens aérodynamique) et puis une curieuse sensation de restriction, qui les premières fois était presque douloureuse. (Maintenant c'est devenu une sorte d'habitude.) La conscience qui se concentre là-dedans. Alors il y a un petit moment d'adaptation; d'abord il fallait surmonter un malaise, maintenant ça va mieux.3 Et alors, le fonctionnement recommence. Et maintenant je comprends, parce que pendant que tu lisais, j'étais là, en haut, comme cela, et je regardais comme cela (Mère se penche), comme d'en haut. Et encore maintenant, je vois d'en haut.

Ce que j'ai dit là, c'est la description du fonctionnement de la mort... Toutes ces complications! C'est si simple ici (geste descendant de la Force-Vision qui s'exprime).

C'est curieux... J'ai les yeux fermés, mais je vois. Seulement, je vois... différemment. C'est très simple. Ce sont des forces... c'est comme une Pression comme cela (même geste descendant).

C'est très étrange.

Évidemment, le centre de la conscience est ailleurs.

(silence le disciple s'apprête à partir)

*Douce Mère, j'aurais ton aide à te demander.

Pour?*

Je suis en train d'écrire les dernières pages de mon livre («Le Sannyasin»).

Ah!... bien.

Si je t'emène là où je suis! (Mère rit) ce sera intéressant.

On va essayer.

11 septembre 1968

Pour moi, il s'est passé seulement une chose... Une constatation très intéressante. Je ne me souviens plus à quelle occasion ni comment, mais c'était avant-hier, et c'est la constatation de la présence de l’être psychique: que l’être psychique n'est pas parti du tout. J'ai dit (le 28 août): «Le vital et le mental sont partis», mais l’être psychique n'est pas parti.

C'était à propos, je crois, de quelqu'un que j'ai vu (je ne me souviens plus), et je me suis aperçue d'une très grande puissance qui était là, et alors l’être PHYSIQUE, le corps était conscient de la présence de l’être psychique, qui était tout le temps là, derrière. Il n'est pas parti. Conscient.

C'était un jour où quelqu'un était venu (je ne sais plus qui) et que toute la Force qui était là avant se concentrait sur la personne – c'était la même chose: la Force, la Présence, avec la même Pression sur la personne; et alors, c'est l’être psychique qui a dit: «Mais moi, je ne suis pas parti, je suis resté là!» Avec sa pleine conscience, n'est-ce pas. Ce sont les intermédiaires qui sont partis.1

C'est difficile à expliquer... Il y a l’impression d'un manque – d'un manque au point de vue actif, au point de vue de l’action quotidienne.

Mais par exemple, le contact avec les gens (le contact avec les gens présents et même quand ils ne sont pas là), la relation est restée la même, tout à fait la même. Elle est même plus constante: cet état est plus constant que d'habitude.

C'est très difficile à expliquer.

Voilà, on pourrait dire comme cela: toute action (occulte, n'est-ce pas) dans la présence et à distance semble être au moins aussi forte – dans certains cas, plus forte. Tout besoin d'activité (il n'y en avait pas beaucoup avant déjà), a diminué considérablement. Et il y a une sorte de différence dans la relation extérieure, ça a changé. J'ai observé tous ces jours-ci (et c'est évidemment la conscience psychique qui observe; quand je dis «je», ce n'est pas – c'est ce qui m'avait frappée –, ce n'est pas le corps: c'est la conscience psychique), mais par exemple, l’habitude de garder les yeux fermés a augmenté, et cela ne gêne d'aucune façon l’être psychique. Il continue son action, sa relation.

Il se peut (je ne dis rien parce qu'il n'y a rien de très... rien de définitif en tout cas), mais il se peut qu'il y ait une nouvelle relation ou un nouvel intermédiaire qui se construise entre l’être psychique et le matériel, le physique. Ça a l’air d'être quelque chose qui est en train de se développer.

On verra.

Mais la Force qui s'exprime, elle s'exprime directement ou à travers l’être psychique: cette Force qui descend?

l’être psychique est tout à fait transparent, il ne produit aucun changement.

Cela doit dépendre des cas, oui, des cas de l’action: des gens, des circonstances. Parce que l’être psychique ne change d'aucune façon ni la qualité ni la nature ni l’action de la Force. C'est comme quelque chose d'absolument transparent.

C'est plutôt suivant les cas où la Force veut s'appliquer: les cas, les personnes, les circonstances. Il semble que quand l’action est générale, elle est directe. Mais je ne suis pas absolument sûre. Et la présence de l’être psychique se fait sentir seulement dans le cas de certaines personnes.

Cela fait l’effet d'une espèce de phare – de phare qui projette la Lumière –, et en même temps comme une sorte d'appareil récepteur qui reçoit les vibrations... C'est très-très exact – très exact – sur la qualité des vibrations de ce qui l’entoure. Oh! c'est devenu beaucoup plus exact qu'avant. Un petit mouvement ici, là, là, ou une vague, tout cela est perçu très clairement, très clairement, avec une conscience très réceptive et en même temps qui n'a pas de réactions. Il n'y a pas de réactions, c'est comme un appareil récepteur extrêmement délicat (c'est-à-dire sensible), mais qui n'a aucune réaction. Il n'y a aucune réaction. Ça entre dans un grand, immense mouvement lumineux.

La conscience est tout le temps comme cela: quelque chose de très vaste – très vaste –, TRÈS paisible, très lumineux, comme cela, et tout s'inscrit.

Le Pouvoir vient d'au-dessus. Et le Pouvoir est une chose... (comment dire?) comme chaud, doré. Et alors ça donne l’impression d'être... (souriant) plus compact.2


(Peu après, le disciple lit à Mère un ancien Entretien du 15 juillet 1953.)

*«Vous verrez que toute cette conception et cette idée que vous avez (du paradis et de l’enfer) est fondée sur une chose, une entité que vous appelez Dieu, et un monde que vous appelez sa création, et ce sont, croyez-vous, deux choses différentes, l’une ayant fait l’autre et l’autre étant soumise à la première et étant l’expression de ce que la première a fait. Eh bien, c'est cela, l’erreur initiale. Mais si vous pouviez sentir profondément qu'il n'y a pas de division entre ce quelque chose que vous appelez Dieu et ce quelque chose que vous appelez la création; si vous vous disiez"C'est exactement la même chose", et si vous arriviez à SENTIR que ce que vous appelez Dieu (peut-être est-ce simplement un mot), ce que vous appelez Dieu, quand vous souffrez, il souffre, quand vous ignorez, il ignore, et que c'est à travers toute cette création, petit à petit, pas à pas, qu'il se retrouve lui-même, qu'il s'unit à lui-même, qu'il se réalise lui-même, qu'il s'exprime lui-même, et que ce n'est pas du tout quelque chose qu'il a voulu d'une façon arbitraire et qu'il a fait d'une façon autocratique, mais que c'est l’expression croissante, se développant de plus en plus, d'une conscience qui s'objective à elle-même... Alors au lieu d'être comme le petit enfant qui se met à genoux, qui joint les mains et qui dit: "Mon Dieu, je T'en prie, fais-moi bien sage pour que je ne fasse jamais de peine à ma maman"... (Ça, c'est très facile et, ma foi, je ne peux pas dire que ce soit mauvais!...) Au lieu d'allumer une bougie et de te mettre à genoux devant avec tes mains comme ça, allume une flamme dans ton cœur, et puis aie une grande aspiration vers "quelque chose de plus beau, de plus vrai, de plus noble, de meilleur que tout ce que je connais; je demande que demain, toutes ces choses, je commence à les connaître, tout ce que je ne peux pas faire, je commence à le faire – et tous les jours un peu plus. "Et alors, si l’on objective un peu, si, pour une raison quelconque, on a été mis en présence de beaucoup de misères dans le monde, si on a des amis qui sont malheureux ou des parents qui souffrent, ou des difficultés, n'importe quoi, alors on demande que toute la conscience puisse s'élever ENSEMBLE vers cette perfection qui doit se manifester, et que toute cette ignorance qui a rendu le monde si malheureux puisse se changer en une connaissance éclairée, et que toute cette mauvaise volonté puisse s'illuminer et se transformer en bienveillance... Et comme ces prières-là seraient jolies!»

Je me souviens que ces jours de «leçon», certains jours je savais que c'était le psychique qui parlait, et d'autres jours, c'était seulement le mental. Et je me souviens que ce jour-là, la présence psychique était très forte.

C'est intéressant.

14 septembre 1968

(Presque toute l’entrevue se passe en contemplation. Vers la fin, Mère demande:)

Rien à demander?

J'ai beaucoup l’impression de Sri Aurobindo.

Ah!... Il est très constamment là.

(Mère repart en contemplation)

Alors, à mercredi. Est-ce que la traduction des «Notes» sera prête?... Si ce n'est pas mercredi, ce sera samedi.

J'ai pris l’habitude de longs silences.

(long silence)

Une espèce de sens de l’inutilité de la parole.

21 septembre 1968

Douce Mère, ce serait bon que j'aie ta protection, ainsi que Sujata, tous les deux.

Pourquoi?

Nous ne sommes pas en bonne santé physique.

Ah! qu'est-ce qu'il y a?

Depuis plusieurs jours, elle a de la fièvre, forte fièvre; cette nuit, elle s'est évanouie et elle a été comme «poussée» contre le mur: elle s'est blessée. Et moi, j'ai attrapé de la fièvre aussi cette nuit.

Bah!... Qu'est-ce que c'est que ça?

Je ne sais pas. Tous les deux. Il y a quelque chose qui veut nous embêter.

(après un long silence)

Je ne sais pas... Je t'ai dit au commencement que j'avais senti quelque chose qui venait de là-bas (Vatican).

Il y a quelque chose.

Il y a quelque chose... Il y a une espèce d'acharnement, quelque chose qui dérange tout et qui s'acharne.

Ça se voile bien, dans le sens que je n'arrive pas à trouver exactement ce que c'est. Mais c'est... Je te donne un exemple: pas plus tard qu'hier soir ou ce matin (ou dans la nuit, je ne sais pas), le corps disait: «Mais qu'est-ce que j'ai donc fait pour que toutes les choses grincent comme cela, tout le temps?» Et alors, «ça» me montre (mais qui? je ne sais pas), ça me montre des choses de mon existence... cette fois-ci, ça m'a montré une chose assez récente, c'est-à-dire de ma vie dans l’Inde (pas les choses du commencement: les choses de ma vie avec Sri Aurobindo), et d'une façon!... où tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai pensé, toute ma façon d'agir, tout cela devient si laid, mon petit! si égoïste, si étroit, si petit, si laid... Et alors, conclusion imédiatement: «l’état dans lequel tu te trouves, est tout à fait naturel!»... C'était quelque chose comme cela.

Qu'est-ce que c'est?...

Alors il n'y a qu'une réponse: (geste mains ouvertes vers le haut) le calme imperturbable et mettre le Suprême là, et puis c'est tout. Mais... ça n'affecte pas vraiment, mais c'est toujours là, c'est-à-dire que ce n'est pas renvoyé, ce n'est pas dissous: c'est là (geste comme un encerclement autour de Mère). Et c'est comme cela depuis que je te l’ai dit tout au commencement: une formation formidable.

Mais, douce Mère, presque toutes les nuits, je me réveille avec des maux de tête.1 J'ai des nuits très fatigantes, très fatigantes.

Mais moi, chaque fois que j'entre dans un état intérieur de paix, de tranquillité, quelque chose TIRE comme cela, comme par malice, et me secoue comme s'il y avait une catastrophe!

D'où cela vient?...

Il y a une malice. Hier, je l’ai sentie, cette malice.

Ah?

Ah! oui, j'ai vu des vagues de suggestions.2 Et surtout ces nuits qui sont si pénibles, pourquoi?

Tu comprends, on est tout le temps dans un monde où toutes les choses s'enchevêtrent. D'une façon normale (je ne dis pas normale pour tout le monde, mais cela a toujours été normal pour moi), ça s'arrange; ça s'arrange bien, on sent la Protection. Et c'est cela qui est parti! C'est quelque chose qui lutte contre cela... Et jusqu'à maintenant, jamais-jamais il n'y a eu le sentiment de quelque chose qui avait vraiment une puissance (contre Mère): je n'avais qu'à faire comme cela (geste de balayer), et puis c'était fini. Ce que j'arrive à faire, c'est à réparer les mauvais effets, ou à les repousser – c'est intolérable!

Et c'est surtout mental, c'est avec une sorte de sentiment de fatalité: «Ce qui vous arrive, c'est vous qui l’avez fait venir, vous le méritez bien.» Comme cela. Alors la réponse du corps est très simple, il dit: «Nous sommes tous dans le même état! la Matière tout entière est comme cela, elle est pleine d'ignorance et d'incapacité», et cela devient des «fautes» dans l’esprit humain, mais ce ne sont pas des fautes. Ou alors, c'est sans espoir: si ce qui a été, est cause de tout le futur indéfiniment, c'est sans espoir.

Alors tout cela arrive à être tenu à distance, à se calmer, mais je vois bien que ça ne part pas. Et vraiment le corps a une confiance, une foi, c'est cela qui le sauve, autrement...

Et ça montre aussi les conséquences: comme, oui, justement l’incapacité de protéger les autres, de leur donner la condition qu'il faut, de faire pour eux ce qu'il faut – tout cela est montré avec... tu sais, avec un acharnement féroce. Au point que ce pauvre corps, il s'est mis à pleurer! comme cela. Et puis naturellement, il y a la foi qui arrange tout. Mais, n'est-ce pas, c'est comme si... c'est comme si on avait été un monstre qui avait créé tout le désordre partout. Mais c'est effroyable!

Oui, à un moment cette nuit, j'ai vu comme des vagues de boue qui cognaient; j'étais protégé par un mur et ces vagues qui cognaient-cognaient-cognaient comme cela.

C'est cela.

Des vagues brunes, tu sais, comme de la boue. Ça cognait-cognait...

(après un silence)

Le corps est convaincu que toutes ses difficultés sont tolérées parce qu'elles font partie de la tapasyâ3, et il ne refuse pas – il ne se plaint pas, il ne refuse pas –, mais... c'est une tapasyâ féroce.

Et ce n'est pas le simple jeu des forces: c'est conscient.4 C'est conscient et ça a l’obstination d'une volonté consciente.5

(long silence)

J'ai vu P.L. hier (le disciple du Vatican). Tu l’as vu?

Oui.

Il m'a demandé, lui aussi, de le protéger.

Sûrement! Il est bien, cet homme.

Oui.

Il est parti?

Cet après-midi.

(long silence)

Tu as encore la fièvre?6

Je crois, un peu. Mais elle, hier, a eu une très forte fièvre. C'est parti, alors maintenant il y a de la faiblesse.

Bah!

Et qu'est-ce que tu fais pour te soigner?

Rien.

Vous ne faites rien?

De temps en temps, je prends de l’aspirine. Mais elle ne prend rien du tout.

Il faut aller te reposer, mon petit.

(À Sujata) Toi, tu vas aller au lit!

(Sujata) Après deux jours de lit, je suis fatiguée du lit!

(Satprem) Mais j'ai confiance, tout à fait

Naturellement! Mais enfin il ne faut pas que ça dure, on en a assez, hein?

Il y a quelque chose qui a envie de se mettre très en colère, mais je n'ose pas – le corps n'ose pas. Quelque chose qui a envie, oh! de taper très fort, mais... Parce que, que cela ait sa pleine puissance, c'est sûr! J'en ai eu la preuve – pas seulement une preuve: beaucoup de preuves. Mais...

Si je savais. Si je savais d'une façon tout à fait précise et certaine d'où viennent ces attaques, alors...

(silence)

C'est comme cela: le corps est tout-tout à fait convaincu qu'il n'y a qu'une Volonté – une Conscience, une Volonté. Par conséquent, quoi que ce soit, cela fait partie de cette Conscience et de cette Volonté. C'est cela, n'est-ce pas. Alors il ne peut pas se mettre en colère. Il n'a qu'une tendance spontanée: c'est que l’aspiration soit plus intense, que la soumission soit plus complète, que la confiance soit plus totale. Et alors, ça se formule ainsi: «Cela – Ça qui est tout et qui est un –, c'est tout de même, malgré, malgré toutes les apparences, c'est tout de même la Suprême Bonté, la Suprême Beauté, la Suprême Harmonie... c'est vers Ça que ça tend. C'est cela. Et nous, c'est vers Ça que ça tend.» Voilà, c'est la «philosophie du corps». Et pas à la manière des autres parties de l’être: c'est tout à fait spontané, et une sorte d'indiscutable.

(silence)

N'est-ce pas, il est convaincu – absolument convaincu – qu'il ne peut recevoir des coups que parce que sa foi n'est pas suffisante. N'est pas assez totale, n'est pas assez complète, n'est pas assez absolue.

Il est très conscient de son imbécillité et... (comment expliquer?) en même temps il a le sentiment que cette conscience même de son imbécillité est un obstacle; qu'il devrait se sentir seulement comme... la Vérité suprême, la Réalité suprême. Qu'alors tout irait bien.7

Ah! va te reposer.

On est bien ici!

Tu as ce qu'il faut pour manger?...

25 septembre 1968

(Mère donne au disciple une fleur appelée «Transformation».)

Je te donne la bonne.

Pourquoi la bonne?

Je dis cela parce qu'il y a des confusions dans l’esprit de beaucoup de gens. Par exemple, au point de vue du progrès, quand moi, je parle de progrès, je veux dire «passer de la conscience mentale à une conscience supérieure», mais généralement les gens comprennent «faire des progrès matériellement ou mentalement ou...» Alors quand on parle de transformation aux gens, ils pensent à toutes sortes de choses bizarres... Nous, quand nous parlons de transformation, nous voulons dire la transformation supramentale.

C'est pour cela.1


Peu après

J'ai retrouvé de vieux papiers (je ne peux plus lire, je ne vois pas clair), je ne sais pas ce que c'est. Il y a une enveloppe de toi.

C'est une question sur les «Aphorismes» de Sri Aurobindo..

Quand j'entends parler d'une juste fureur, je m'émerveille du pouvoir qu'ont les hommes de se leurrer eux-mêmes.

C'est admirable!

Il y avait une question: «On est toujours "de bonne foi" quand on se trompe soi-même; c'est toujours pour le bien des autres qu'on agit, ou dans l’intérêt de l’humanité et pour te servir, cela va de soi! Comment fait-on pour se tromper et comment savoir vraiment?»2

C'est terriblement vrai.

Hier même, avant même d'avoir lu cela (je ne l’avais pas lu), j'ai eu une longue vision à ce sujet, c'est cela qui est étonnant!

Mais c'est tellement sur un autre plan...

Oui, quand on prend la partie supérieure de son mental comme juge de son action, c'est comme cela que l’on peut «se tromper de bonne foi». C'est-à-dire que le mental est incapable de voir la vérité et qu'il juge avec sa propre capacité qui est limitée – non seulement limitée mais inconsciente de la vérité; et alors, pour le mental, il est «de bonne foi», il fait aussi bien qu'il peut. C'est cela.

Naturellement, pour ceux qui sont pleinement conscients de leur psychique, ce n'est pas possible de se tromper parce que s'ils réfèrent leur problème au psychique, ils peuvent là avoir la réponse divine. Mais même pour ceux qui sont en rapport avec leur psychique, la réponse n'a pas le même caractère que celle du mental, qui est précise, catégorique, absolue, qui s'impose – c'est quelque chose qui est plus une TENDANCE qu'une affirmation. Quelque chose qui peut encore avoir différentes interprétations dans le mental.

J'en reviens à mon expérience d'hier. Après avoir regardé, j'étais arrivée à la conclusion qu'il est impossible de faire un reproche à un être humain qui fait aussi bien qu'il peut faire selon sa conscience, parce que, comment peut-il dépasser sa conscience?... Et c'est justement l’erreur que font la majorité des gens: ils jugent d'un autre selon leur propre conscience, mais l’autre n'a pas leur conscience! Par conséquent ils ne peuvent pas juger (je parle seulement des gens de bonne volonté, n'est-ce pas). Selon la vision d'une conscience plus totale ou supérieure, une autre personne se trompe, mais selon la personne elle-même, elle fait au maximum de ce qu'elle croit devoir faire.

Ce qui revient à dire qu'il est absolument impossible de blâmer quelqu'un qui agit sincèrement selon sa propre conscience limitée. Et en fait, si nous en venons là, tout le monde a une conscience limitée, excepté LA Conscience. C'est seulement LA Conscience qui n'est pas limitée. Mais toutes les manifestations sont forcément limitées, à moins qu'elles ne sortent d'elles-mêmes et qu'elles ne s'unissent à la Conscience suprême, alors là... Dans quelles conditions cela peut-il se faire?

C'est le problème de l’identification avec le Suprême, qui est le Suprême Un – Un qui est tout.

(silence)

Il y a tout un côté de la pensée humaine qui a conçu que l’identification avec la Conscience suprême ne pouvait venir que par l’annulation de la création individuelle, mais justement Sri Aurobindo a dit que c'était possible SANS supprimer la création. Ils ont cette conception qu'il faut supprimer la création, parce qu'ils arrêtent la création à la création humaine – c'est impossible à l’homme, mais c'est possible à l’être supramental. Et ce sera essentiellement la différence de l’être supramental: il pourra, sans perdre une forme limitée, unir sa conscience à la Conscience suprême.

Mais pour l’homme, c'est impossible. Ça, je le sais.

Comme je l’ai dit, on l’a [l’union avec la Conscience suprême], mais dès qu'on veut l’exprimer, c'est fini, ça redevient... (geste enfermé comme dans une boîte). C'est-à-dire que la substance dont nous sommes construits n'est pas suffisamment purifiée, illuminée, transformée (n'importe quoi, n'importe quel mot) pour exprimer la Conscience suprême sans la déformer.

(silence Mère entre dans une expérience)

C'est une certaine opacité de la Matière, de la substance, qui l’empêche de pouvoir manifester la Conscience... et c'est cette même opacité (je ne sais pas comment dire), opacité, qui lui donne le sens d'exister.

Cela fait partie de l’expérience de ces jours derniers. J'ai vécu pendant... je ne sais pas, des semaines, dans une sorte de fluidité – fluidité transparente –, et c'est à mesure que cette fluidité transparente est remplacée par ce quelque chose que j'appelle maintenant «opacité», que revient une sorte de concrétisation de l’existence du corps.

N'est-ce pas, le contact direct de l’être psychique avec la substance du corps, sans intermédiaire, donne la sensation... (est-ce que c'est «sensation»? je ne sais pas; ce n'est pas une sensation, ce n'est pas une perception), c'est une sorte de «vision sentie» (et cette vision est très précise, très précise) de la valeur des vibrations par rapport à une vibration supérieure qui est (tout ce que je peux en dire) plus directement expressive de la Vibration suprême.

C'est très difficile à exprimer, mais le corps est en train de vivre une expérience qu'il n'a jamais eue, et c'est comme de passer d'une imprécision à une précision, d'une sorte de fluidité à... ce n'est pas une chose concrète, mais d'une chose fluide – fluide et imprécise – à une chose précise. Tous les événements (n'importe quel petit événement, qui varie), sont l’occasion d'une perception nouvelle. Avant, tout était fluide et imprécis; maintenant, ça commence à être plus précis – plus précis, plus exact. Mais ça perd un peu de sa fluidité.

C'est très difficile à exprimer.

Je n'y avais jamais pensé. C'est curieux, ce n'est pas voulu, je viens de faire l’expérience juste maintenant. Alors ce n'est pas très clair encore.3

Au fond, le mental donne une précision qui manque quand il n'est pas là. Son rôle dans la création, c'est justement de préciser, expliquer, et limiter en même temps.

28 septembre 1968

Tu vas mieux?

Je suis très ennuyé. J'ai une espèce de fatigue cérébrale constante avec des maux de tête et des maux d'yeux, et tout est comme voilé.

Ah! mon petit, ce sont ces animaux-là... Moi, c'était la même chose pendant cette soi-disant maladie: j'étais comme enfermée dans une cape de coton gris. Et ce n'est pas parti, c'est là, à distance. Ça presse tout autour.

C'est ennuyeux.

Oui, douce Mère, ça dérange beaucoup mon travail. Faire un travail ordinaire me fatigue, mais dès que je veux écrire ou faire quelque chose de créateur, imédiatement ça se bloque là, ça devient douloureux, j'ai mal aux yeux et je ne peux plus travailler.

Et tu manges bien?

Oh! oui, très bien... Et souvent, j'ai remarqué que c'est la nuit que ça augmente.

Oui.

Au lieu de me reposer la nuit, j'ai l’impression que ça vient à ce moment-là.

Oui, mais c'est la nuit que c'est le plus fort.

Pour moi, il y avait un temps où c'était visible.

Et encore maintenant, c'est quelque chose qui fait comme cela (geste de pression autour de la tête). Alors, quand je suis dans un certain état intérieur, j'arrive à le repousser, mais si je ne suis pas (pendant une minute, tu comprends), si je ne suis pas sur mes gardes... C'est-à-dire que c'est une formation permanente.

C'est quelque chose qui presse.

Oui, là, comme ça (geste autour de la tête). Et alors, quelquefois, ça arrive à annuler tout-tout-tout: la pensée, le souvenir, tout comme cela. Et pas plus tard que ce matin, ça transformait tous les mouvements intérieurs (les mouvements des nerfs, des muscles, tout cela) en sons – en sons et en mots – et avec une malice, n'est-ce pas! on voyait une volonté de vous rendre fou. Mais c'est terrible! C'est une chose terrible, je n'ai jamais vu ça. Naturellement, il suffit de les repousser, mais ça vous oblige à une concentration constante.

Il y a des moments où ça cède (c'est tout récemment, depuis deux-trois jours), des moments où c'est parti... Une fois, j'ai demandé, j'ai dit: «Mais enfin, pourquoi? Pourquoi est-ce permis?» Et c'est toujours la même chose: les difficultés qui doivent aboutir à une augmentation du Pouvoir.

De temps en temps (de temps en temps, maintenant cela commence), une petite lueur de ce Pouvoir, qui est évidemment formidable. Mais tu sais, c'est comme quand on vous montre la chose pendue au bout d'un fil: «Tu vois, c'est comme ça», comme une promesse.

Je voulais te dire quelque chose encore. V a eu une vision pendant que tu étais malade soi-disant.

Ah?

Une nuit, il a vu une lumière rouge qui arrivait. Une lumière rouge comme du rubis. Et qui s'est mise à encercler ton corps, à l’encercler et comme à l’écraser – l’imprégner, l’écraser. Et quand tu étais toute remplie de cette substance rouge, tout d'un coup, il y avait comme des étincelles blanches qui sortaient de ton corps, et cette substance de lumière rouge commençait à s'éclaircir: à devenir rose, jaune, de toutes les couleurs, et puis à s'en aller. Et puis, hop! elle se reformait, elle revenait écraser ton corps, et à nouveau il y avait ces étincelles qui sortaient de ton corps et qui écartaient la chose...1

(après un silence)

Oui, c'est bien comme cela!2 (Mère rit)


(Puis Mère écoute la lecture de la dernière conversation où elle parlait de cette «opacité» de la Matière qui l’empêche de manifester la Conscience et de cette «fluidité transparente» mais un peu imprécise.)

Tu as des questions?

Oui, un esprit ordinaire qui lit cela peut se dire: mais quel est l’avantage de cette imprécision?

Il n'y a pas d'avantage!

Il est tout à fait certain que lorsque le Supramental se manifestera, il remplacera la précision mentale (comment dire?) diminutive – la précision qui limite et qui, par conséquent, fausse les choses en partie – par une clarté de vision, un autre genre de précision qui ne diminuerait pas. C'est cela qui est en train de se construire.

Au fond, on peut dire (ce n'est pas exactement cela): pour préciser, le mental limite et sépare; et il y a évidemment une précision qui peut venir d'une vision plus exacte, sans division et sans séparation. Et c'est cette précision-là qui sera celle de la vision supra-mentale. La précision viendra avec, en même temps, la vision du rapport de toutes les choses entre elles, sans les séparer.

Mais ça, c'est quelque chose qui se prépare. Ça vient comme un éclair, pour une minute, et puis ça retombe dans sa vieille manière.

On pourrait dire la même chose pour le vital: le vital donne une intensité que rien ne semble pouvoir donner; eh bien, cette même intensité existe dans le Supramental, mais sans division. C'est une intensité qui ne sépare pas.

Les deux expériences, je les ai eues, mais d'une façon très momentanée. Ce sont des choses qui sont en train de s'élaborer juste maintenant.3


Peu après

J'ai reçu des questions de la classe de T.F. Il y en a une à laquelle j'ai commencé à répondre... Ces questions, elles sont assez stupides (Mère tend des papiers au disciple).

«Comment devient-on conscient de l’être physique?»

l’être physique, regarde-moi cela! C'est insensé!

Tu réponds:

«l’humanité, presque dans sa totalité, n'est consciente QUE de l’être physique. Avec l’éducation, le nombre des hommes conscients de leur vital et de leur mental va en augmentant. Quant aux êtres humains conscients de leur être psychique, leur nombre est relativement minime.»

Ils sont un peu... ils sont très ignorants, ces enfants!

S'ils demandaient encore: comment éveille-t-on la conscience de l’être physique?

Ah! oui, cela a un sens! On pourrait leur dire: si c'est cela que vous voulez dire, c'est justement le but de l’éducation physique. Et l’instruction est un essai pour remplacer la Conscience par... (riant) par une bibliothèque intérieure!... Si je plaisante trop, ils ne comprendront plus!

On peut leur dire ceci: pour éveiller vraiment la conscience physique, c'est l’éducation physique. C'est l’éducation physique qui apprend aux cellules à être conscientes. Mais pour développer le cerveau, c'est l’étude, l’observation, l’éducation intelligente – surtout l’observation et le raisonnement. Et naturellement, pour toute l’éducation de la conscience au point de vue caractère, c'est le yoga.

Une autre question:

«La volonté centrale de l’être physique a-t-elle un siège particulier dans le corps?»

l’être psychique?

Physique.

Physique! c'est insensé!... C'est le cerveau, voilà.

Ici, c'est plus intéressant:

«Peut-on avoir l’expérience de la mort sans mourir?»

C'est sûr! On peut avoir yoguiquement l’expérience, on peut même l’avoir matériellement si... (riant) si la mort est assez courte pour que les docteurs n'aient pas le temps de vous déclarer mort!...

Ils ne comprendront pas!

On peut répondre «oui», tout simplement – pour leur dire: ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas!

«Après la mort, quelle est la partie de l’être qui se rend compte qu'on est mort?»

N'importe laquelle des parties de l’être qui survit se rend compte que le corps n'est plus là! Ça dépend.

«Comment peut-on dire avec certitude que le corps physique est mort?»

Seulement quand il se décompose.

«Tu as dit: "La décentralisation des cellules commence souvent avant la mort... " Comment contrôler ou empêcher le processus de désintégration?»

(Mère rit) En se portant bien! En ayant soin de garder l’équilibre physique.

Ça suffit!4


Vers la fin de l’entrevue

Tu as mal à la tête?

Non, mais dès que je veux travailler, ça se voile, c'est comme s'il y avait quelque chose qui me coupait: je ne peux pas attraper l’inspiration, et ça se bloque. Et alors si j'insiste, j'ai des maux de tête et des maux d'yeux.

Tu as attrapé ma maladie!

C'est évidemment quelque chose que nous devons conquérir, autrement ce ne serait pas là.

(silence)

Il y a un état d'être (un état d'être ou une manière d'être) dans laquelle ces... (comment les appeler? c'est de la magie supérieure) ces pratiques de magie supérieure n'ont pas d'effet. Il y a un état de conscience dans lequel elles ne peuvent pas agir, qui échappe à leur domaine d'action.

Pour que ce soit actif, il faut que cet état de conscience soit suffisamment matériel, c'est-à-dire dans la partie la plus matérielle du psychique. C'est un état de conscience qui appartient au monde psychique. Mais il faut que ce soit dans le psychique tourné vers la Matière. Et pas seulement une pensée: il faut que ce soit une manière d'être spontanée.

Ça peut se dire de plusieurs manières... C'est une manifestation terrestre de l’Amour divin sous sa forme de... c'est quelque chose qui tient de la bienveillance – ce n'est pas «bienveillance», mais c'est une manière d'exister, de sentir, de voir, d'agir, qui est une sorte de... (les mots sont idiots): une «bienveillance psychique», qui est une expression de l’Unité divine (Mère hoche la tête devant l’impossibilité des mots). La transcription mentale lui enlève toute sa vérité.

C'est quelque chose que je sens, mais je ne peux pas le décrire; quelque chose qui est excessivement puissant dans le sens que même matériellement, tout à fait matériellement (physiquement, matériellement), si quelqu'un vient pour vous tuer, il ne peut pas. Il vient jusqu'à ce qu'il vous approche, et puis il ne peut plus. Il y a eu des exemples.

Mais je SENS cela. l’origine de ça est psychique, mais ça peut se concrétiser et créer un certain genre de vibration. Eh bien, ça, si dans sa conscience, on vit là-dedans, il n'y a absolument aucune magie qui puisse agir. Ça, je le sens, parce que de temps en temps, ça vient, et à ce moment-là tout est clair. Et ça agit ici surtout (geste autour de la tête).

La «bienveillance» (riant), c'est la déformation humaine ridicule de «ça». C'est une vibration très-très spéciale. C'est ce que l’on pourrait appeler «une des manières d'être de l’Amour divin». Et ça peut devenir une vibration très matérielle.

Ce doit être pour nous apprendre à cultiver ça!5

octobre




5 octobre 1968

(Mère est à nouveau mal portante. Le disciple n'a pas pu la voir depuis une semaine.)

C'est un abrutissement de tout.

Je ne vois plus, je n'entends plus, je passe des nuits à tousser. Le docteur n'y comprend rien. Médicalement, tout devrait aller très bien, et puis en quelques minutes, tout se désorganise.

Je te vois comme derrière un épais brouillard.

C'est comme si tout ce qui était dedans voulait sortir dehors... Je connais bien ce genre de magie.

Il y a V qui a eu une autre vision. Il est allé au Vatican.

Au Vatican!... Dans son sommeil?

Il ne dormait pas: il entendait le bruit du générateur électrique (de l’Ashram). C'était une vision à 5h30 du matin. Il s'est trouvé dans un immense hall avec des tapis rouges. Il y avait toutes sortes de gens là, et chacun se mouvait suivant son ordre. Et puis, dans un coin, assis dans un grand fauteuil, il y avait un homme coiffé d'un chapeau rouge, une sorte de mitre,1 qui était en concentration. Il était concentré et il répétait quelque chose en faisant un certain geste de la main, comme s'il tournait quelque chose. Tout de suite, V a su que c'était lui. Un homme aux yeux bleus intenses, avec de longs cils, pas fort physiquement, mais d'aspect très puissant, un nez mince, pointu, une barbe clairsemée comme quelqu'un qui est mal rasé ou pas rasé depuis deux ou trois jours, environ 55 ans. Un homme qui donnait l’impression d'une grande ambition égoïste, dit V. Et il guettait P.L., et particulièrement ton symbole que P.L. porte autour du cou. Et il répétait quelque chose en faisant tourner le poignet de sa main.

Ah! c'est cela! c'est pour cela: P.L. est retourné là-bas. C'est depuis qu'il est retourné là-bas que les attaques sont revenues.

Oui, P.L., c'est le lien.

(après un silence)

Oui, c'est revenu.

Quelquefois, en l’espace de quelques secondes, ça vous tombe dessus à croire que l’on va devenir fou. Cette nuit, c'était terrible.

Et toi, ça va mieux?

Oui, c'est tout à fait parti, aussi subitement.

Quand tu m'avais dit cela la dernière fois, j'avais pris la chose... (geste d'arracher un invisible point noir dans l’atmosphère du disciple).

Je ne peux pas parler; dès que je parle, je tousse. Mais si tu veux, on peut rester tranquille.

(méditation)


(Pendant la méditation, l’assistante de Mère passe silencieusement dans la chambre sans faire le moindre bruit sur les tapis. Quelques secondes après, Mère arrête la méditation:)

Quelqu'un est venu dans la chambre?...

Oui, Vasoudha.

(Mère tousse) Impossible de parler.

Oh! l’autre jour, le jour de Dourga,2 je suis allée là-bas (dans la chambre de musique où Mère reçoit)... Je t'avais dit l’année dernière qu'elle était venue et qu'elle avait fait sa soumission. Cette fois-ci, je suis allée là-bas (c'était la première fois que je sortais); dès que je suis entrée dans la chambre, j'ai senti qu'il y avait quelque chose, une attaque qui se préparait. Alors je me suis assise, je suis restée bien tranquille et j'ai appelé le Seigneur comme d'habitude pour qu'il remplisse la chambre de sa lumière. Et c'est Elle qui est venue dans une lumière dorée – une gloire d'adoration et de consécration! Elle était là (geste immense, debout). C'était magnifique! magnifique. Alors toute la matinée était très bien. Et puis l’après-midi, ça s'est gâté de nouveau.

Tu ne pourrais pas taper un peu sur ces gens-là?

Je ne peux pas taper! (Mère ouvre ses bras) Je ne peux plus!

Je lui souris.

Je lui dis:

«Allons, à quoi ça sert?»

À Dourga aussi, j'ai appris à ne pas taper.

Alors, à mercredi. J'espère que ça ira mieux.

9 octobre 1968

Ça ne vaut encore rien (Mère tousse). Je ne m'entends pas moi-même.

Et toi, ça va bien? Tout fini?

*Oui-oui, c'est fini!1

Tu as des nouvelles de là-bas?

De Rome? Oui, il y a quelque temps, P.L. m'a écrit une lettre toujours tournée vers toi. Est-ce que cela t'intéresse que je te dise ce que V a vu encore?

Il a encore vu autre chose!... Mais il connaît l’histoire?

*Mais non! Il se trouve que par hasard (il n'a pas compris pourquoi), il a vu le pape deux fois,2 il y a plusieurs mois de cela, et il ne savait pas pourquoi du tout. La première fois, il s'est trouvé là-bas devant ce trône, devant cet homme [le pape], qui l’a fixé, qui a d'abord voulu l’hypnotiser, et comme il commençait à l’hypnotiser, V s'est mis à répéter ton nom au-dedans de lui-même. Alors le pape a cessé ce regard, il a donné un sourire, puis il lui a demandé: «D'où venez-vous?» Va répondu: «Je viens de l’Ashram de Sri Aurobindo.» Alors le pape a répondu: «Oh, I know the Mother very well!» [Oh! je connais très bien la Mère!]

(Mère sourit)

V ne comprenait pas pourquoi, ce que cela voulait dire. Et puis une deuxième fois, il est retourné là-bas, il a encore vu le pape, qui l’a accueilli gentiment et qui lui a dit: «Ah! je voudrais bien retourner dans l’Inde.» V lui a dit: «Si vous revenez dans l’Inde, il faut venir voir Mère.» Il a dit: «Certainement, si je retourne dans l’Inde, j'irai voir Mère.»

Tiens!... Et alors?

Alors, à la suite de cela, quand tu as parlé de ces attaques qui venaient de là-bas, tout d'un coup la pensée m'est venue: je vais lui dire de regarder ce qui se passe, ce qu'il y a. Et deux jours après, il a eu cette vision, de cet homme qui répétait quelque chose, qui était concentré et qui surveillait l’atmosphère de P.L. Et alors, il y a quelques jours, il a encore vu autre chose, mais ce n'était pas là-bas, c'était ici.

Ah!

Sur ta terrasse, une espèce d'ours: énorme, tout noir, de près de dix pieds de haut, avec des oreilles pointues, qui était assis là comme un seigneur et qui guettait. Et qui restait là d'une façon établie. Il était au Nord-Ouest de ta terrasse, installé. Il regardait du côté du Nord-Ouest.

(Mère reste les yeux clos, souriant)

Qu'est-ce que ça peut être que ça! (Mère tousse)

Mais c'est ça qui te fait tousser, sûrement!

(Mère rit)

Un ours? qu'est-ce que c'est qu'un ours? Un ours noir?

Un ours...

Un ours tout noir, avec de très grandes oreilles!

(Mère rit)

Et il a dit qu'il continuait à voir ces vagues... Tu sais qu'il avait vu ces vagues rouges qui venaient sur toi; maintenant, ce n'est pas cela: c'est sur ta maison, des vagues de couleur grise, et les vagues semblent être plus «scattered» [clairsemées] m'a-t-il dit.

(Mère reste dans une longue concentration)

Une grande barbe comme cela (geste flottant). Ce n'est pas la barbe de Sri Aurobindo, c'est une barbe touffue et bien taillée.

C'est une tête énorme. Mais ce n'est pas un ours!... Seulement, je ne vois pas le haut de la tête, je vois seulement la barbe: comme cela, une grande barbe (même geste). C'est blanc jaunâtre. Blanc sale.

(Mère entre encore en concentration)

Je suis entourée de gens et de choses (invisibles), il y en a plein la chambre!

Je vois tout le temps. La nuit (surtout la nuit), je vois des formes bouger qui ressemblent à... Tu sais comme est habillé J (les gens du Penjab, avec leur longue veste et un pantalon collant) ou comme le docteur Agarwal (qui porte un haut bonnet à la Gandhi et une longue barbe)... Tiens, à propos du docteur Agarwal, quand Pralhad (son fils) est mort, sa mère était très anxieuse de savoir s'il était venu me trouver. Je lui ai dit: «Rien, je n'ai rien vu.» Alors je ne sais pas si c'est cela ou si j'y ai pensé, mais il y a deux jours (avant-hier), j'ai été me promener dans une forêt du vital!... Mon petit, c'était beau! oh! une forêt magnifique, et puis une forêt si bien tenue, si propre, oh! c'était joli! un endroit vraiment magnifique, vraiment magnifique. Et alors, tout d'un coup, je vois un Pralhad jeunet, là, tout jeunet, qui vient vers moi et qui me dit (ton désespéré): «I don't know, can't find the religion» (Mère rit) [je ne sais, je n'arrive pas à trouver la religion]. Alors je lui ai dit: «Tu n'as pas besoin d'une religion!» Il m'a dit: «Oh, there is another man here also who can't find a religion» [oh! il y a un autre homme ici aussi qui n'arrive pas à trouver une religion]. Et c'était Benjamin! (un ancien disciple, mort il y a plusieurs années).3 J'ai dit: «C'est un idiot! He doesn't need to find a religion!» [il n'a pas besoin de trouver une religion!] Voilà... Benjamin perdu dans une forêt mer-veil-leuse (tu sais, c'est beau!) parce qu'il ne trouve pas de religion! Et Pralhad qui cherche une religion!... Alors je voulais envoyer un mot à sa mère pour lui dire: «Console-toi, Pralhad est dans un très bel endroit!...»

Il était très bien. Il était très bien habillé...

Oh! comme c'est ridicule!

(silence)

Mais la chambre, la nuit, est pleine – les yeux ouverts!

Je vois des gens... de grandes gens comme des géants, bouger comme cela, et maladroits. Mais ils ne font pas de bêtises. Au contraire, ils essayent de se rendre utiles, ils ne font pas de bêtises... (Riant) Ils font très sérieusement des choses inutiles!

(silence)

Oh! quelle belle forêt, mon petit! Ce doit être les forêts de... C'est entre le physique subtil et le vital: c'est comme si cela joignait les deux, le physique subtil au vital. Des arbres comme je n'en ai vus qu'au Japon; des arbres comme des colonnes, tout droits! et plantés régulièrement, magnifiques! Avec de l’herbe claire-claire, d'un vert pâle. De l’herbe par terre, de l’air, beaucoup d'air, et en même temps ce ne sont rien que des arbres: une forêt. Mais pas serrée, pas écrasée. Et alors, dans cet endroit magnifique, cet imbécile au lieu de se réjouir (Mère prend un ton pleurard): «I don't know what happened to me, I have no religion»! (Mère rit) [je ne sais pas ce qui m'est arrivé, je n'ai pas de religion]. Alors je lui ai dit: «Mais réjouis-toi! Pas de religion... tu es dans un endroit beaucoup plus beau que toutes les religions!» (Ton pleurard) – «Je ne comprends pas.»4

(silence)

Il n'y a pas de travail... Tu vas bien?

Oui, très bien... Mais tu m'entends quand même!

Oui, derrière un voile. Surtout maintenant, tu viens de crier!

Mais non!

(Après un silence) Tous ces mondes du vital, c'est tout des mondes de suggestion. On est dans une vague de suggestion comme cela: tout est effrayant; on est dans une autre vague de suggestion: tout est charmant; on est dans une vague: tout est magnifique. Comme cela. C'est curieux. Ce sont comme des mondes qui existent par suggestion. Et c'est entre le physique subtil et le vital matériel, comme cela (Mère colle sa main droite contre sa main gauche), aussi près que possible.

J'ai idée qu'il y a un monde des médicaments qui est comme cela! Parce que le même médicament, donné à des moments différents pour les mêmes choses, fait un effet différent: le même médicament. Et alors si, du dedans, tu prends la résolution, tu dis: «Tu seras en accord avec le médicament» (pour savoir exactement ce qu'il fait), alors il y a comme un petit esprit malicieux qui vient et dit (ton moqueur): «Qu'est-ce que tu as?!» Mais le médicament n'en sait rien parce que suivant les cas... Ah! je t'assure, c'est une comédie!

Et presque tout est comme cela, presque tout. Et au fond... mais ça, je me suis demandé deux ou trois fois si je n'étais pas sur le bord de la folie; deux ou trois fois, je me suis demandé si TOUT n'était pas comme cela, excepté le Suprême.

Et alors, c'est Lui qui se jouerait une comédie à Lui-même pour s'amuser?... Mais ce n'est pas amusant! Je lui ai dit: «Pour Toi, cela peut T'amuser, mais nous, ça ne nous amuse pas!»

Mais en fait de beauté, depuis ces derniers mois, j'ai vu des choses... les plus belles que j'ai jamais vues de ma vie, oh!5

Voilà.

Alors, ayons pitié de ça (Mère montre sa gorge) et pitié de toi aussi, ça ne doit pas être amusant!

Oh! douce Mère, écoute...

(Mère prend les mains du disciple) Tu es encore chaud.

Non-non, ça va très bien!

(silence)

Oui, c'est très beau tout ce que j'ai vu ces temps derniers, et les yeux ouverts. C'est pour me compenser de ne plus... (Mère regarde autour d'elle). Non, c'est quelque chose dans la vision que je ne comprends pas – et combien de choses il y a que je ne comprends pas, oh!...

C'est en même temps, la constatation d'une toute-puissance qui n'a pas de limites, et d'une impuissance qui n'a pas de limites. Et tout cela, ici, au même endroit (Mère ferme ses deux mains l’une sur l’autre)... Et je suis d'un tempérament assez raisonnable pour ne pas parler, parce que si je disais tout ce que je vois et tout ce qui se passe et tout ce qui est là... on dirait: «C'est fini, elle est partie, elle a perdu son équilibre; avec son mental, elle a perdu la tête »(Mère rit) Alors je regarde très sérieusement et je me dis: «Voyons, prenons un de leurs si importants problèmes – qui sont des problèmes de vie et de mort pour eux –, voyons, regardons ça bien en face et soyons un peu sérieux...» (Mère rit) Mais ça va, l’équilibre est encore là!

Voilà, tu diras à V que son ours noir, moi, je l’ai vu comme un homme brun, avec un pardessus brun et un chapeau... (tu sais, leurs bonnets pointus) qui faisait les oreilles!

Mais qu'est-ce que c'est?

Quelqu'un qui voulait être utile, et qui faisait des choses inutiles, je te l’ai dit – je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce qu'il voulait là. Peut-être qu'il voulait me voir?... Il n'avait pas l’air de regarder – l’air assez stupide.

Ces choses-là... on donne une petite tape sur la tête comme ça: «Tu es bien gentil!»

Voilà.

(Mère regarde le disciple avec «ces yeux»...)

Et le sens de la Présence.6

11 octobre 1968

(Mère continue à n'être pas bien portante.)

Tu n'as rien à dire? (Mère tousse)

Je ne voudrais pas te faire parler.

Ça ne fait rien.

Je ne sais pas pourquoi, je pense à quelque chose...

Dis.

Ce procédé de transformation, on a l’impression qu'il doit se passer dans le corps, mais est-ce que, après tout, ce ne serait pas plutôt comme une condensation de puissance qui se fait peu à peu autour de toi ou derrière toi, et qui se matérialiserait un jour pour faire un être?

C'est possible – c'est possible, j'y ai pensé aussi.

Et puis, continue?

Rien... c'était cette image qui m'était venue: une condensation de toi. Un peu, tu sais, comme cette histoire (à un niveau tout à fait inférieur), cette histoire des pierres qui s'étaient «condensées» dans la cour du «Guest-House»: on jetait des pierres sur le Guest-House.1 Mais au lieu d'une magie inférieure, ce serait une magie supérieure, si je puis dire: une condensation lumineuse de Vérité.

(Mère entre en contemplation pendant tout le reste de l’entrevue et ne dit rien)

16 octobre 1968

Qu'est-ce que tu as à dire? Rien...?

C'est triste de te voir comme cela.

Je ne comprends pas ce qui se passe. À moins que ce ne soit tout la même chose (Vatican), alors c'est vraiment très obstiné.

Ah! l’autre jour, j'ai eu une vague de leur magie. C'est revenu et c'est parti. C'est resté une journée.

Ah?

C'est quelque chose qui prend le cerveau et qui fait un abrutissement.

Non, aujourd'hui ce n'est pas le cerveau, c'est... (Après un long silence) Je ne peux même pas dire ce que c'est.

Et Sri Aurobindo ne dit rien?

Je ne l’ai pas vu ces jours-ci.

(long silence)

Je ne comprends pas.

Je ne fais que tousser tout le temps.

Ça, cet état dans lequel je suis, c'est de ce matin, c'est tout à fait nouveau. Hier, j'ai eu mal, mais c'était physiquement. Ça, c'est une chose différente.

(silence)

C'est curieux... La conscience est devenue de plus en plus, de plus en plus intense (geste au-dessus, répandu), quelque chose comme cela (même geste), qui domine tout et... je crois que le plus exact est: pas actif.

Ça (le corps), c'est comme quelque chose qui flotte dans cette conscience, mais ce n'est pas actif.

(silence)

Je ne peux pas expliquer.

C'est comme un océan de lumière qui continue à faire son travail, et puis là-dedans, flotte quelque chose... (Mère hoche la tête d'un air de ne pas savoir ce qu'est ce «quelque chose», son corps).

Ce n'est pas coupé:1 ce n'est pas actif, c'est tout.

(silence)

Par exemple, je vois quatre personnes tous les matins; je ne parle pas, mais la conscience est pleinement là, elle travaille, elle fait son travail avec une puissance de concentration – et puis voilà, ils sont partis, c'est parti.

Mais ça (le corps), ça n'a même pas le sentiment d'être un instrument, n'est-ce pas... je ne sais pas ce que c'est. Ce n'est pas un instrument. Je ne sais pas ce que c'est.

(Mère «regarde») C'est bleu outremer foncé. Tu connais cette couleur?... Voilà.

(long silence)

Tu n'as pas quelque chose à demander? On verrait si ça fait venir quelque chose (geste de contact avec l’océan)?

Non, je m'étais étonné que Sri Aurobindo ne vienne pas te dire ce qui se passe, enfin t'expliquer ou...

Si: hier matin, j'ai eu une crise (pour la première fois de ma vie) une crise de crampes d'estomac, très douloureuse, et comme un enfant j'ai demandé d'être guérie, mais il m'a guérie! Je l’ai vu, je l’ai senti... Seulement voilà, il est intéressé par ça (la transformation), c'est tout.

N'est-ce pas, il y a une raison, il y a quelque chose qui ne m'est pas révélé pour une raison quelconque. Tout cela n'est pas inutile – pas du tout inutile ni... (comment dire?) unexpected [inattendu], tu comprends?

C'est comme si c'était organisé pour que quelque chose se passe – quoi? je ne sais pas.

(silence)

Je crois qu'il faut patiemment attendre que les choses finissent.

Oui, tout cela a sûrement une raison, c'est sûr.

Oui.

On saura après.

Tiens... Oh! cette nuit, je crois, il y a eu toute une activité avec P.L., je ne sais pas quoi.

Les nuits, il se passe tout le temps des choses, mais je ne me souviens pas – exprès, on ne me laisse pas me souvenir.

Évidemment, on ne veut pas que ça (le corps) se fatigue. On veut que ça reste bien tranquille, bien tranquille, aussi tranquille que possible, pour une raison quelconque.

Il ne faut pas se tourmenter, attendre patiemment, on verra bien.

On verra.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Pas s'inquiéter.

Ce n'est évidemment pas le moment de dire quoi que ce soit.

On verra.

(avant de partir le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Je n'ai pas le sentiment de faiblesse du tout, du tout (geste de descente de la Force). C'est-à-dire que c'est toujours là (la Force d'en haut).

Ah! oui!... Oui, c'est là!2

Il y a quelque chose qui se passe, on verra.

19 octobre 1968

(Ces paroles, Mère les a prononcées par tout petits bouts, coupés de longs silences, comme si cela tombait de très loin... peut-être de l’éternité.)

Je peux rester sans tousser, mais à cause de cela, je ne peux pas parler... Il n'y a rien dont on puisse parler. C'est cela.

(silence)

Le matériel, le physique apprend – apprend ce qu'il est – et c'est très intéressant. Mais... c'est très difficile à exprimer.

(silence)

N'est-ce pas, je reste des heures et des heures et des heures sans parler, et c'est comme un développement qui se suit logiquement, mais... Cette toux, ce doit être exprès pour m'empêcher de parler. Parce que je vois bien que les choses... C'est comme si l’on gaspillait son temps en parlant.

Je reste, je peux rester pendant des heures, des heures et des heures comme cela, à regarder le développement – un développement qui est à la fois universel et personnel; mais «personnel», il n'y a pour ainsi dire pas de personne, c'est une chose curieuse. Il y a une série d'états de conscience qui s'organisent.

(silence)

Il y a d'une façon presque constante et presque générale l’impression que les choses matérielles – mais pas seulement les choses: les perceptions, les sentiments (ce sont des espèces de sentiments bizarres qui n'ont rien à voir avec.) et les manières d'être, les perceptions, les conséquences, les réactions, tout cela donne constamment l’impression d'être... oui, on pourrait dire comme cela: différents de ce que les hommes les pensent.

Je ne sais pas comment expliquer.

On pourrait dire: les causes et les conséquences... (Mais ce n'est pas pensé, c'est cela qui est difficile.) C'est certainement quelque chose que je suis en train de découvrir, alors... Je ne sais pas si c'est la cause ou si c'est le processus de la déformation entre ce qui est et ce qui est perçu (ce qui est vécu, ce qui est perçu).

(Mère reste très longtemps absorbée)

C'est encore inexprimable.

On a l’impression que ça peut durer... C'est presque en marge du temps, on ne sait pas comment expliquer.

Inexprimable.

Avec, de temps en temps, quelque chose comme une réflexion d'un Bonheur ineffable, mais sans motif; et en même temps, à d'autres moments, il y a une espèce de... (comment appeler cela?) une tristesse ou une mélancolie (je ne sais pas comment expliquer cela), qui est aussi sans motif, et qui paraît être le résultat de la déformation de l’autre.

Bon. Il faut être patient.

23 octobre 1968

J'ai reçu une citation de Sri Aurobindo... Je la trouve très intéressante.

«Ce qui arrive est pour le "mieux" en ce sens seulement que le bout sera la victoire divine en dépit de toutes les difficultés. Telles ont été et seront toujours ma vision, ma foi et ma certitude – si vous voulez bien admettre mes paroles.»

Sri Aurobindo
(28.12.1931)

Je trouve cela très intéressant. Parce que quand on leur dit: «Ce sera pour le mieux», ils pensent toujours le mieux comme ils le conçoivent!


(Mère entre en méditation, puis en sort brusquement:)

Et ton livre?1

Ce n'est pas facile... Je suis en train de réviser.

Ah!

C'est terrible comme travail.

Non, quand on se met dans cette attitude, il n'y a jamais de fin! – jamais ça ne finira. On révise suivant un certain courant, et après, quand on est au bout, on entre dans un autre courant, et alors... Et ça n'en finit pas.

Je connaissais un peintre comme cela; c'était un grand peintre, Gustave Moreau; mais il y a très peu de peintures de lui parce que c'est un homme qui refaisait toujours ses peintures. Il progressait, sa vision progressait, et alors sa peinture lui paraissait toujours en dehors, pas finie – elle ne pouvait pas être finie! Alors c'est seulement quand il est mort que l’on a eu des peintures – on en a eu beaucoup, et qui étaient magnifiques. Seulement, chacune était un mouvement vers quelque chose...

Tu as vu sa maison? Il a laissé sa maison avec tout ce qui était dedans, on en a fait un musée.

(silence)

Le silence, c'est tout ce que je peux t'offrir.

(méditation)

26 octobre 1968

Je n'ai rien à dire. Je peux parler, mais je n'ai rien à dire!

Ça va?

Je ne tousse pour ainsi dire presque plus... Mais je n'ai rien à dire.

(silence)

Ce physique, cette conscience physique (je ne crois pas que ce soit une conscience physique personnelle), la conscience physique générale a été prise, dans ce corps, d'une pitié, oh!... Je ne peux pas dire «pitié»... c'est quelque chose de très spécial: c'est une compassion très intime et très tendre, de la condition physique humaine. Mais ça m'a pris dans des proportions formidables! Il n'y avait plus que cela dans la conscience, et si je n'avais pas contrôlé, je me serais mise à pleurer-pleurer-pleurer...

C'est cela, la dominante de ces derniers jours.

Et alors, comme par-dessous, comme venant des profondeurs, par-dessous, la perception de cette Compassion – de la Compassion divine –, de la façon dont la chose est vue et sentie par le Divin... Ça, c'était merveilleux.

C'était vraiment une dominante.

Et il n'y a pour ainsi dire pas de contradictions du dehors – je ne vois pas beaucoup de monde: parmi eux, il n'y a qu'UNE personne, une personne qui vit dans une conscience joyeuse. Une seule parmi tous les gens que je connais. Et encore, c'est parce qu'elle vit dans une conscience vitale-mentale très harmonieuse et elle est contente... D'ailleurs, j'ai l’impression que si l’on grattait un peu... (la joie tomberait).

Oui, la condition des corps humains est très misérable.

C'est misérable.

Oui, très misérable.

C'est vraiment misérable.

Oh! ce n'est pas du tout, cela n'a rien à voir avec les difficultés vitales, les difficultés mentales, tout cela... Le corps n'est pas conscient de ça, et ça ne l’intéresse pas – ça ne l’intéresse pas; quand les gens racontent des difficultés vitales ou mentales, ça lui paraît tout à fait enfantin. Mais c'est la MISÈRE dans laquelle ce corps vit, c'est cela qui est affreux.

Il y avait même des moments...

Il y a, comme je l’ai dit, le CONSTANT appel – constant appel – au Divin, et même fortement (comment dire?) la perception de sa Présence, et alors c'est comme une espèce de contradiction... Quand ça a commencé, j'ai dit: «Comment est-ce que Tu peux vouloir ça?»

N'est-ce pas, depuis très longtemps – depuis des années –, l’attitude spontanée (ce n'est pas le résultat d'un effort), l’attitude spontanée du corps est: «C'est mon incapacité, c'est mon ignorance, c'est mon impuissance, c'est ma stupidité, c'est... qui fait ma misère.» Il se considère seul responsable de toutes ses misères. Mais alors, c'est cela, c'est cette contradiction: «Pourquoi-pourquoi-pourquoi est-ce que Tu veux que ce soit comme cela? Pourquoi?»

Et alors, je passe presque des journées et des nuits entières dans le silence (je veux dire sans parler), mais à voir – à voir... Et alors, il n'y a pas la sensation ni la perception d'une individualité séparée, et il y a d'innombrables expériences, par douzaines tous les jours, montrant que c'est l’identification ou l’unification avec les autres corps qui fait qu'on sent la misère de celui-ci, la misère de celui-là, la misère... C'est un fait. Et non pas comme étant d'un autre corps, mais comme le sien propre. C'est-à-dire que, maintenant, il est difficile de faire une distinction sur un plan... (Mère étend ses mains au loin) il y a un plan un tout petit peu, tout petit peu plus subtil que le tout à fait matériel... Alors ce n'est pas la plainte de sa propre misère, mais TOUT est sa misère.

C'est-à-dire que ce n'est pas une plainte égoïste.

Il y a une perception très claire et spontanée qu'il est impossible d'extraire un petit morceau du tout et d'en faire quelque chose d'harmonieux quand tout ne l’est pas.

Mais pourquoi-pourquoi-pourquoi?... Je n'arrive pas à comprendre... Tant qu'il se sentait séparé (dans le temps – il y a très longtemps –, il y a très longtemps), quand il se sentait un corps séparé des autres, et surtout séparé du Divin, alors ça se comprend: il n'y a rien à dire, c'est tout naturel, cela se comprend. Mais maintenant que, pour lui, vraiment TOUT est le Divin, comment, comment cela n'apporte-t-il pas l’Harmonie?... N'est-ce pas, vitalement, mentalement (et naturellement au-dessus), quand on a l’expérience de l’identité, on a en même temps la Béatitude. Ici (corps), il y a l’expérience de l’identité et PAS de Béatitude. Pourquoi?

Il se peut que si le corps avait réussi à rester séparé, il aurait pu sentir quelque chose – mais ce n'est pas vrai! c'aurait été un mensonge alors... N'est-ce pas, cette identité, ce n'est pas le résultat d'un effort, ce n'est pas le résultat d'une volonté: c'est un fait – c'est un fait spontané, je n'ai pas essayé le moins du monde de l’avoir. Ça a commencé comme cela. Et ce corps-là lui-même, il est dans un état... je ne peux pas dire précaire, mais enfin qui n'a rien de particulièrement réjouissant. Ça ne lui a pas apporté une harmonie physique.

Parce qu'il y a tout le reste.

Justement!

De temps en temps, pour... même pas quelques minutes (ce sont quelques secondes), il y a une claire perception de la vraie Identité qui est une Harmonie parfaite, et alors tous les désordres n'existent plus – mais... matériellement ils existent! Prends une chose très simple: par exemple, mes dents sont toutes branlantes dans ma bouche – c'est un fait –, il est vrai que, logiquement, un tel état de la bouche devrait être très douloureux: il ne l’est pas; et je vois bien qu'il ne l’est pas à cause d'une Présence – ça, je le comprends bien. Mais ça ne guérit pas, il s'en faut! C'est inguérissable.1

Ce physique est vraiment... un mystère.

Je comprends les gens qui ont dit: «Il faut l’abolir, c'est un mensonge.» Et pourtant, ce n'est pas vrai, ce n'est pas un mensonge, c'est... c'est quoi? Dire une «déformation», cela ne signifie rien.

(silence)

Mais le pouvoir de soulager (non pas de guérir: le pouvoir de soulager), loin d'avoir diminué, a augmenté. Quand on me rapporte que quelqu'un est malade, au moins plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, j'ai déjà ÉPROUVÉ la chose, et alors ce que l’on me dit me fait dire: «Ah! c'est telle personne.» Je l’ai déjà éprouvé comme faisant partie de mon être physique (geste au loin), un être physique immense, n'est-ce pas, immense et sans forme précise. Alors c'est cette précision et cette division qui sont... (comment dire?)... est-ce l’obstacle, est-ce la cause? (ce sont probablement les deux), qui empêchent l’Harmonie de s'établir. C'est parce que nous sommes réellement séparés. Mais alors, tu conçois comment serait un monde qui ne serait pas réellement séparé?... Parce que, tu comprends, c'est sérieux: si pour que le monde existe tel qu'il est, il faut qu'il soit réellement séparé, et que d'être réellement séparé est la cause de toute la misère, alors... Et pourtant, autrement (je ne sais comment), autrement je sais (ce n'est pas «moi» qui sais: il n'y a pas de moi, là), je sais, je sais (c'est le grand Je qui sait) que l’abandon, la disparition de ce monde n'est pas la solution... Mais quoi?...

C'est le seul monde où la division n'est plus le résultat d'un état de conscience, mais c'est un fait, et alors...? Partout ailleurs, c'est le résultat d'un état de conscience: la conscience change, l’état change – là: pas. C'est le seul: ça (la matière). Et pourtant... c'est un mensonge.

(silence)

On conçoit facilement une amélioration considérable avec un établissement de la Conscience vraie, parce que, comme je l’ai dit, il y a des expériences (tout à fait passagères, mais enfin) qui sont très concrètes, d'une harmonisation même matérielle qui a toute l’apparence d'un miracle de cette façon-là; mais on conçoit qu'en rétablissant la Vraie Conscience et avec elle, l’Harmonie qu'elle apporte, cela ferait une différence considérable... Probablement une différence suffisante pour que puisse se réaliser un état harmonieux et progressif: dans l’harmonie, pas dans la misère.

C'est peut-être cela, le suprême miracle que le Divin essaye de réaliser: la séparation – un fait existant – et l’état de conscience de l’Unité.

(silence)

Ça, maintenant en tout cas, je sais... Le travail dans les autres états (même, même dans un physique subtil), c'est relativement un jeu d'enfant. La difficulté est ici.

(silence)

Alors on peut concevoir une amélioration, même une amélioration considérable, un état beaucoup plus harmonieux que celui qui existe. Celui qui existe... vraiment c'est un enfer; il n'y a que cette Possibilité qui fait que ce n'est pas un enfer. C'est parce que, derrière cet enfer, il y a cette Possibilité – qui est vivante, réelle, existante, que l’on peut toucher, dans laquelle on peut vivre –, autrement, c'est infernal... N'est-ce pas, on a l’impression que tous les états d'être ont été comme battus ensemble (tu sais, comme quand on fait une mayonnaise!), tous les états d'être comme cela, bien mélangés dans une grande confusion, alors naturellement l’«horrible chose» est supportable... à cause de tout le reste qui est là-dedans. Mais si on sépare... oh! (geste d'horreur)

Qu'est-ce que tu as à dire, toi?

Eh bien, cela veut dire qu'il faut que la conscience du tout change. C'est toujours le même problème: quand tout l’ensemble aura progressé, changé de conscience, le «fait» matériel devrait devenir différent.

Cela paraît comme cela.

C'est cela.

Il n'y a pas moyen d'échapper, de diviser ça.

Il faut que tout change.

l’individualité est seulement un moyen d'action pour la transformation du tout.

Je comprends qu'ils aient dit qu'il fallait s'évader! Ça exige une telle transformation... c'est presque une éternité de temps.

Une fois qu'on est sorti, on est sorti, mais tout le temps que l’on a mis à...

On ne peut pas transformer «un» sans transformer tout!

Oui, c'est cela. C'est cela.

C'est-à-dire que «un» accélère la transformation du tout.

Oui.

Alors ça, c'est le grand surrender: «C'est comme ça, c'est comme ça»... C'est effrayant.

Et c'est pour cela qu'il y a des gens qui s'échappent (même si c'est inutile, parce qu'ils auront à revenir). C'est pour se reposer! (Mère rit)

Il est de toute évidence que si ce n'était pas insupportable, ça ne changerait jamais. Et si c'est insupportable, eh bien... vraiment ça vous donne envie de vous sauver – c'est impossible, n'est-ce pas, c'est leur sottise de croire que l’on peut sortir de ça: ce n'est pas possible. Seulement, pour un temps... on se repose. C'est abandonner le travail. Ça retarde le résultat.

Et pourtant... pourtant on a l’impression que si, par quelque miracle, UN individu arrivait à physiquement se supramentaliser, ce serait un tel exemple pour le reste du monde que... Je ne sais pas, ça le bouleverserait.

Mais cela, ce serait tout de même partiel.

Oui, mais ça saisirait tellement les consciences...

Ce ne serait pas général, ce ne pourrait être que partiel. Mais ce sera. Ça fait partie du Plan. Mais la perfection d'une réalisation dépend d'une réalisation totale. Il peut y avoir une certaine «quantité» de réalisation, c'est incontestable – justement, c'est ce que réalisera la race supramentale, c'est évident. C'est évident.

Mais je veux dire que si, maintenant, par quelque miracle, UN devenait lumineusement vrai, ce serait un tel saisissement pour le reste de l’humanité que cela la retournerait sur le chemin de la Vérité – UN exemple.

Mais oui. Mais ça...

(silence)

Espérons-le!

(silence)

Ça, c'est la vraie soumission... oh!...

(longue contemplation)

Peut-être le miracle de la vraie soumission?... («soumission», ce n'est pas cela; ce n'est même pas surrender: c'est quelque chose comme une acceptation, qui est en même temps l’annulation de toute séparation). Ça, parfait... peut-être. C'est à voir.

Voilà.

Alors, la prochaine fois, c'est ta fête:2 une nouvelle naissance.

(silence)

Puisque Tu l’as conçu... c'est que Tu dois essayer de le faire.3

30 octobre 1968

(À propos du message que Mère a donné au disciple à l’occasion de sa «fête».)

«Voici la Lumière et l’Amour Divin qui sont avec toi toujours sur le chemin dont chaque aboutissement n'est que le point de départ d'une étape nouvelle.»

C'est juste l’expérience que j'ai eue ces jours-ci (hier je crois), juste avant d'écrire la carte. Nous mettons toujours un terme aux choses – il n'y a pas. Il n'y a pas. La vérité: on monte comme cela (Mère dessine une courbe qui touche un point dans l’espace), c'est pour pouvoir faire comme cela (nouvelle courbe plus haut, à partir de ce point), et puis encore comme cela – toujours-toujours.

Et c'est une conscience qui peut être individuelle, pas nécessairement impersonnelle; pour la conscience individuelle aussi c'est comme cela: une grande courbe (Mère dessine une trajectoire jusqu'à un certain point), et puis comme un tremplin pour aller encore plus loin. Et alors, c'était une vision comme cela, de quelque chose qui se développe – qui se développe en s'agrandissant et en s'illuminant.

Ce que l’on pourrait dire: la Conscience qui devient consciente d'elle-même de plus en plus. C'était cela, l’impression.

Et tout est un moyen de devenir conscient d'elle-même.

Ça explique tout, d'ailleurs. C'est cela qui explique tout.

Le moyen de prendre conscience d'elle-même.

(silence)

Et ce travail de prise de conscience (conscience de soi-même) dans le corps, est vraiment très intéressant. Très intéressant.1

Qu'est-ce que tu as à me demander pour ta fête?

Tu n'as rien à demander?

Je voudrais faire mieux.

(méditation)


Puis Mère écrit le Message qu'elle donnera pour l’année 1969:

«Pas de paroles: des actes»

Il paraît que tu as donné déjà ce message pour l’année 1950?

On se répète!

Les choses se répètent, oui... Dix-neuf ans!

On n'a pas fait de progrès.

*Si! j'ai l’impression qu'il y a beaucoup de chemin parcouru.2

(Mère hoche la tête sans rien dire)

Tu m'avais demandé, la dernière fois: «Où est-ce que j'en suis?» Et alors, quand j'ai écrit ta carte, je me suis souvenue de ta question. J'ai pensé à te mettre quelque chose là-dessus. Puis j'ai évoqué Sri Aurobindo dans son portrait (la carte d'anniversaire est accompagnée d'une photo de Sri Aurobindo). J'avais écrit:

«Voici la Lumière et l’Amour Divin qui t'accompagnent toujours...

«Qui sont avec toi toujours sur le chemin...»

Et là, j'ai demandé: «Eh bien, où en est-on?» (pour toi). Et il a répondu...

«...Chaque aboutissement n'est que le point de départ d'une étape nouvelle.»

Il m'a fait avoir l’expérience ces jours-ci. C'était la réponse à ta question.

Ça s'en va indéfiniment (Mère dessine une route immense), alors «où est-ce que j'en suis?» (même geste immense): il y en a autant derrière, autant devant! (Mère rit)

Mais ça bouge?

Mais oui, ça bouge! ça bouge tout le temps.

Pourtant, on ne sent pas bien que la conscience se développe...

Ah?

On sent que la Lumière est plus forte, que la Vérité est plus vivante... Il n'y a plus de questions en un sens; c'est sûr, il n'y a plus de questions. Mais... quoi? On a l’impression que la conscience ne se développe pas beaucoup.

(méditation)

Si tu n'as rien à dire...

Je voudrais te servir mieux.

Te préoccupe pas! ça va tout à fait bien.

(silence)

J'ai perdu l’habitude de parler, c'est très difficile pour moi.

(silence)

J'ai très fort l’impression que l’«on» veut nous apprendre quelque chose. Ça, très fort. Et je ne sais pas quoi.

C'est... quelque chose comme le secret du fonctionnement.

Il est démontré tout le temps, par des petits faits comme cela, que le procédé que nous concevons, ou que nous comprenons ou que nous avons admis, est faux, n'est pas conforme à la réalité, et on veut nous faire trouver, découvrir – mais découvrir en vivant – le vrai procédé de la Manifestation: le pourquoi et le comment. Le pourquoi: il y a une impression comme cela. Le comment... (Mère hoche la tête comme si la chose lui échappait).

Voilà. Et c'est cela qui est tout le temps l’état de conscience dans lequel je me trouve. Je suis comme à pousser-pousser... (geste à tâtons, et puis ça échappe).

(silence)

Je sens bien que c'est seulement une identification... [qui peut donner la clef]... oui, comme une identification consciente, c'est-à-dire que la conscience reste entièrement éveillée.

Voilà.

On verra l’année prochaine où on en est!

Mon petit...

Bonne année, mon petit.3

novembre




2 novembre 1968

Tu n'as rien?

J'avais reçu une lettre de P.L. Mais ce n'est pas complet.

Qu'est-ce que tu veux dire?

Je lui avais écrit une lettre en lui disant la vision de V, avec la description de ce personnage qui fait de la magie au Vatican, et je lui avais dit: «Regardez silencieusement si vous voyez que cela correspond à quelqu'un.» Il m'a dit: «Oui! je sais qui c'est.»

Ah! il a dit oui.

Oui, P.L. a dit: «Je sais qui c'est et je vais vous envoyer la photo.» J'attends la photo... Voici ce qu'il écrit: «La vision de V vient me démontrer l’exactitude du personnage décrit: il s'agit de Mgr Z., archevêque au sein du Secrétariat d'État du Saint Siège, ami intime du Saint Père et son collaborateur privé...

Oh!

«Je cherche la photo pour vous l’envoyer...

Oh! mais c'est un homme dangereux.

Et il dit: «Cette vision m'arrive le jour même où l’on m'annonce que le Saint Père a donné instructions à ses collaborateurs les plus proches pour la formation d'un programme d'action qui puisse secouer la léthargie des millions de catholiques endormis dans la routine d'une pratique religieuse inconsciente.1 Voilà les noms les plus importants de ce comité: X, le cardinal d'Italie; Y, le cardinal de France; Z, le factotum du Pape, puis Mgr Z....

Celui-là.

«Et puis moi!... Ces réunions se feront "sub secreto specialissimo", formule qui correspond au "top-secret".»

Oh! il va y être.

Oui, il va y être, c'est cela qui est extraordinaire!

C'est intéressant.

C'est tout à fait extraordinaire. Et il y a ce Mgr Z qui en sera. Après, la lettre continue: «Peut-être vous rappelez-vous que l’on m'a annoncé une promotion au Vatican; cette promotion faite pendant que j'étais à Pondichéry, a suscité les plus basses intrigues au point d'arrêter le titre et, paradoxe: on m'a confié les fonctions sans le titre... Ils ont décidé de me mettre à l’épreuve, et ceci pour une période d'au moins quatre ans... La lutte pour le pouvoir dans mon milieu est effrayante. Mais moi, je vois tout cela de si loin! J'ai la sensation qu'il s'agit d'une autre personne, pas de moi, et cela met en embarras mon entourage, car je ne réagis pas à l’injustice (mais quelle injustice! – s'ils savaient comme ce petit monde m'indiffère). Voilà le triste panorama. Et vous vous rendez compte maintenant pourquoi la paix, la douceur du Samâdhi m'est si chère et intime de mon âme. Parfois, je me sens comme une feuille que le vent emporte ici et là, et tout mon effort s'ancre dans la lumière que Douce Mère a mise dans ma psyché. Vers elle, ma tendresse s'élève dès le premier moment de la journée, et alors je vois que ce que je fais n'a pas d'importance, mais la FAÇON est importante...» (long silence)

Combien dit-il qu'il y a de catholiques?

Cinq cents millions, je crois.

!!! C'est la moitié de la population de la terre?

Pas tout à fait, je crois, mais...

(Mère reste longtemps en méditation)

Tout de même, c'est une victoire que tu aies un homme dans ce gang.

Oui.

J'étais entrain de regarder: qu'est-ce que l’on peut faire? (Mère hoche la tête) Adopter son programme [du pape]? Éveiller ces...?

Cinq cents millions.

Je ne vois pas ce que l’on peut faire.

À moins qu'ils ne construisent une chose mensongère, et alors ça n'aura pas de force...

La «réincarnation du Christ»? (Mère hoche la tête négativement)

Pour trouver quelque chose, il faudrait qu'ils s'écartent un peu de la tradition – ils ne peuvent pas.

(silence)

Il faudrait s'appuyer sur cette manifestation des forces supra-mentales... Seulement il n'est pas question de quoi que ce soit de ce genre dans la religion, n'est-ce pas. S'il avait été question d'une Force ou d'une Lumière ou d'un changement dans l’atmosphère annonçant la réincarnation du Christ, ils auraient pu marcher dans ce sens, mais il n'y a rien comme cela.2

Il y a des Écritures très vagues qui le disent. Mais c'est considéré comme de l’êsotérisme farfelu.

(silence)

Je ne sais pas si j'ai eu raison, mais j'ai quand même conseillé à P.L. de ne pas distribuer Sri Aurobindo comme cela et de rester tranquille.

Ça ne servirait à rien.

Ça servirait seulement à le mettre à l’index.

Oui.

(Mère reste en méditation)

C'est encore une période de transition.

(long silence)

On se demande ce qu'il faudra pour secouer tout cela?

(Mère entre à nouveau en méditation, puis tout d'un coup a un sursaut)

Il y avait dans ma main un vase contenant des «amour divin» (fleur de grenadier), et je voulais te le passer, et quand c'est arrivé au-dessus de mes genoux... Tu as vu ce mouvement?

Oui.

C'est le vase qui est tombé sur mes genoux. Il n'est pas tombé par terre, il est tombé ici...

Qu'est-ce que ça veut dire?

(long silence)

Je ne sais pas ce que ça veut dire.

En tout cas, j'ai le clair sentiment que l’on ne peut rien faire. Que l’on peut être témoin, mais aucune manifestation active. On ne peut rien faire.

C'est la même chose pour Sri Aurobindo en France. Je t'ai dit que j'avais envoyé la traduction du «Cycle Humain»; l’éditeur a fini par me répondre que c'était bon pour les «maisons spécialisées dans ce genre de choses.» Un deuxième éditeur m'a dit la même chose. Alors j'attends la réponse d'un troisième...3

Oui, c'est cela. C'est cela exactement.

(silence)

On a le sentiment que ça bouge, mais c'est encore une action subconsciente. Toute action consciente extérieure ne ferait que du gâchis.

Rien à faire.

(silence)

Le Pouvoir va croissant-croissant-croissant, mais il ne veut pas, il ne veut aucune manifestation précise, extérieure – rien. Comme cela: cette action dans le silence.

6 novembre 1968

(À propos d'une visite que le disciple est allé rendre à une vieille disciple française, Bharatidi, à l’hôpital de Vellore où elle doit être opérée. Bharatidi, membre de l’École Française d'Extrême-Orient, est bien connue pour son esprit pétillant, sa verve, son ironie mordante.)

Alors, tu es allé voir Bharatidi?

Oui, douce Mère. Elle est bien, cette Bharatidi, quelle force elle a! Et puis quel sens de l’humour, vraiment elle est reine.

Oui.

Il y a une grande noblesse dans cette femme.

Oh! oui.

Tu lui as donné mon mot?

Oui, des larmes lui sont venues aux yeux.

On va l’opérer demain.

Demain matin.

Mais moi, je me suis demandé si c'était vraiment indispensable. Ils ne savent même pas si c'est un cancer.

C'est une tumeur, qui peut être un cancer ou une tumeur simple.

Enfin, elle prend ses dispositions, elle a déjà distribué tout son argent.

Ils disent que si on ne l’opère pas, ça ira de pire en pire.

Oui.

Elle a quel âge?1

Plus de soixante-dix ans, je crois. Mais on la prépare en lui faisant des transfusions de sang. Elle est très faible physiquement, très émaciée. Seulement, elle a cette énergie...

Elle ne savait pas qu'elle avait cela?

Non... Mais ça fait du bien de voir un être humain qui a cette dignité...

Ah! oui.

... Racontant avec humour la visite des missionnaires et des bonnes sœurs qui voulaient la convertir (parce que c'est un hôpital protestant)...

Ah?

Alors il y a des «bishops» [évêques], il y a des nonnes, et une fois, ils sont venus dans sa chambre pour essayer de la convertir. Elle raconte tout cela avec un tel humour: – «Je n'ai pas peur de mourir, je sais qu'on naît plus d'une fois!» Alors les autres n'ont plus rien à dire.

Oui, elle m'a envoyé un message par M: «Je n'ai pas peur de mourir parce que je sais qu'on ne meurt pas.» C'est bien.

(long silence)

Il y avait une étrange relation entre mon mental et le sien... Quand j'observais les choses et que j'en parlais, j'avais la voix de Bharatidi et sa manière de dire et de voir! Et je me suis toujours demandé pourquoi, j'ai regardé: il y a eu une vie où nous étions ensemble, dans un même corps. Il y a très longtemps.

C'est curieux, c'était très intéressant... Tout d'un coup, je parlais avec sa voix: le son, les mots, tout, c'était tout à fait elle.2

Oui, elle a un joli mental, très joli.

Avant de venir ici, elle était bouddhiste3 et communiste – communiste très fervente.

(silence)

Ils sont protestants militants dans cet hôpital?

Oh! oui, partout il y a de grandes inscriptions dans les chambres: «He died for our sins» [il est mort pour nos péchés], avec des versets de la Bible partout.

Oh!

Ils sont très protestants. On entend des chants religieux tout le temps...

(après un silence)

Ces protestants, ils sont bien pires que les catholiques.

Je me souviens toujours d'une femme danoise (qui était la mère de Hohlenberg4 qui était venu ici) et qui est venue à Paris par hasard, et que j'ai eue à déjeuner chez moi un jour; et alors, si tu avais vu cette femme... Je ne sais plus à propos de quoi, il a été question des catholiques, elle est devenue mais tellement furieuse! Elle criait: «Et ces idolâtres!...» (Mère rit) C'était effrayant!

Ils sont pires... Je connais les deux, j'ai vu les deux: ils sont pires. Ils sont beaucoup plus... ils sont durs. Ils sont très durs. Ils ont enlevé (riant) tout ce qui était artistique dans la religion catholique! Ils en ont fait quelque chose...

C'est de la morale mentale.

Oui, c'est cela.

Tu connais l’histoire de cet «évangéliste» (je crois), un pasteur qui habitait la maison où est H maintenant? Naturellement, il avait des contacts avec l’Ashram et je ne sais comment, il avait reçu des «messages», et alors il croyait que je m'annonçais comme un dieu – que j'étais un dieu –, et ça le rendait furibond! Il criait: «Aah! aah! notre dieu, au moins, il est mort sur la croix, il a souffert pour nous...» Voilà. «...Mais elle, elle vit confortablement...»

C'est effrayant.

«...Mais ça au moins, enfin, ça a de la valeur: il a souffert pour nous, il est mort sur la croix!»

Oui, j'ai vu cela à l’hôpital, il y avait une grande inscription: «He died for our sins.»

Quelle horreur!

Une grande inscription comme cela (geste).

Oh! quelle horreur.

C'est de la barbarie, c'est tout.

Oui.

(silence)

Ils sont relativement peu nombreux, beaucoup moins nombreux que les catholiques.

Mais leur religion est si mince, n'est-ce pas, si mince et si creuse, que c'est rien, au fond. Le four où ça cassera, ils seront complètement stupéfiés.

Oui.

C'est ce qui se passe en Amérique, d'ailleurs: ça casse de tous les côtés. Chez les catholiques, il y a quand même quelques racines...

Il y a eu un temps où je faisais une étude comparée de ce que je voyais et sentais dans tous les sanctuaires religieux, et là c'est vraiment intéressant. Dans les temples protestants, ça s'arrêtait au mental, il n'y avait rien d'autre – rien: sec-sec. Un mental, et puis derrière, rien.

Pour les catholiques, cela dépendait beaucoup-beaucoup de l’église ou de la cathédrale: de l’endroit. Varié. Et alors, je comparais avec tous les autres sanctuaires... N'est-ce pas, dans mes voyages, j'allais toujours voir – très intéressant.

Les temples bouddhiques sont très bien. C'est évidemment nihiliste, mais c'est toujours une atmosphère très concentrée – concentrée et sincère. Un effort sincère.

Dans les temples ici... Oh! j'ai rencontré toutes sortes de choses (beaucoup de diablotins), mais toutes sortes de choses. Ici, c'était vraiment très intéressant... La divinité d'un temple est venue me trouver en me demandant que je l’aide à avoir de l’influence sur les gens! Elle m'a dit: «Je te donne tout ce que j'ai, mais tu feras que...» (elle ne me l’a pas dit avec des mots comme cela: je traduis). J'allais en voiture vers son temple, et en cours de route, elle est arrivée dans la voiture! C'était tellement inattendu! Elle m'a dit: «Tu viens; fais que mon pouvoir grossisse, je te donne tout ce que j'ai!...» (C'était dans ce temple où l’on coupe le cou à des centaines de poulets une fois par an.)5 Alors je lui ai dit: «Non.»

Si je pouvais empêcher tous ces massacres!...

Mais dans beaucoup de temples ici, j'aime beaucoup l’atmosphère.

Oui.

Il y a une vibration si vieille, si vieille...

Oui.

On a l’impression qu'on retrouve là des millénaires qu'on connaît.

Oui.

(long silence)

On a mis des «placards» dans sa chambre?

Oui-oui partout.

Elle ne les a pas fait enlever, non?

Il y a même une Bible dans un coin... Non-non, pas question d'enlever ça!

Dans sa chambre!

Oui.

Et toi, quand tu étais là-bas malade, ils avaient mis une Bible?

Non, je n'ai pas vu la Bible, mais il y avait un placard aussi (je ne me souviens plus quoi).

Ils font de la propagande.

Ah! oui, bien sûr.6

(long silence)

Il n'y a rien, pas de travail? Tu n'as rien?

Il y a V qui a vu quelque chose encore. Quelque chose d'inattendu. Tous les soirs, il vient méditer au Samâdhi, et au Samâdhi, il n'a jamais eu de vision de sa vie: il y a simplement Sri Aurobindo, c'est tout, jamais autre chose, depuis des années. Et l’autre jour, il est venu, et il a eu tout d'un coup une vision: il a vu Kâli qui est sortie du Samâdhi, de l’endroit où est la tête de Sri Aurobindo – Kâli toute bleue, couverte d'ornements d'or.

Quel jour?

Il y a peut-être quatre ou cinq jours.

(Mère reste longtemps silencieuse, puis suit un quiproquo)

Je n'aime pas beaucoup la sentir là-dedans.

Ce qui l’a surpris, c'est qu'au lieu qu'elle soit nue, elle était couverte d'or.

Quoi?

Ah! Tu parles de Bharatidi! pardon!

Mais ça ne fait rien, qu'est-ce que tu disais à propos de Kâli?

Ce qui Va surpris, c'est qu'elle soit couverte d'or au lieu d'être nue.

Elle sortait du Samâdhi?

Non, ça ne m'étonne pas.7

Mais ma réflexion était à propos de Bharatidi8... C'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'elle meure, parce que c'est un mauvais endroit pour mourir.

*Oui.

Moi, quand j'étais hospitalisé là-bas, j'ai eu une impression affreuse.*

Oui.

Je me disais tout le temps: il faut que je sorte de là, il faut que je sorte de là...

Oh! ça, je voulais tout le temps que tu t'en ailles de là-dedans.

Bien.9


ADDENDUM

(Lettre de Mère à Bharatidi écrite vers 1963, à une époque où Mère ne recevait aucun disciple, sauf, parfois, les gens qui allaient se marier. Bharatidi, 73 ans, avait écrit à Mère pour lui demander si elle devait se marier afin d'avoir droit à une entrevue...)

O Bharatidi, notre très chère amie!

Ne vous mariez pas, ce serait un si grand dommage pour tous – car il faudrait que vous quittiez 1'Ashram, au moins pendant la lune de miel...

Et je vais vous dire la vérité. Si je ne vous vois pas, c'est que je ne parle pas et, encore pire, je n'entends pas, et comment vous voir sans entendre toutes les choses si intéressantes que vous avez toujours à me dire?...

Mon programme est généralement cinq minutes de méditation, parfois moins – et comment vous demander de grimper deux étages pour cela?

Si vous le voulez bien, nous attendrons un peu que la tension (pas artérielle!) soit moins grande.

Pour moi, vous le savez, j'ai le grand avantage d'être avec vous sans la nécessité de la présence physique et votre voix résonne souvent à mon entendement intérieur – et je réponds toujours dans le silence.

J'y joins maintenant ce long discours écrit pour vous envoyer mes vœux les meilleurs pour la nouvelle année.

Avec toute ma tendresse

Signé: Mère

9 novembre 1968

(La mort de Bharatidi marque une sorte de tournant dans la vie de Mère, ou le commencement d'une série malheureuse: Amrita, le fidèle trésorier de Mère, devait partir quelques mois plus tard, en janvier 1969, puis Pavitra en mai 1969, puis l’assistante personnelle de Mère, Vasoudha, qui tombera gravement malade en août 1970, et enfin le caissier de Mère, Satyakarma, en décembre 1970. C'est-à-dire que les quelques disciples sûrs autour de Mère, s'en allaient – pourquoi cette migration?... Peu à peu, l’atmosphère allait beaucoup changer: «Je suis entourée de Mensonge... Ils mentent tous!... une déshonnêteté générale», dira-t-elle bientôt.)

Elle est partie, Bharatidi.

Oui, on a eu du chagrin.

Je crois qu'elle voulait partir, parce qu'elle avait tout arrangé. l’ennui, c'est l’endroit... Elle est partie dans la nuit (le soir du 7 novembre), et j'ai eu une très-très mauvaise nuit, c'est-à-dire souffert beaucoup. Et je ne l’ai pas vue; elle n'est pas venue, mais sa pensée constamment. Je ne sais pas, je ne l’ai pas vue. Je ne l’ai pas vue, je n'ai su qu'elle était partie que quand on me l’a dit.

Je sens sa pensée très fortement.

Oh! très fortement, très fortement, constamment. Mais c'est curieux, c'est comme une insistance pour trouver... (comment dire?) ce qui arrive quand on s'en va, et c'est cela qui m'étonne. Constamment-constamment: qu'est-ce qui arrive quand on quitte son corps?

J'ai senti la même chose.

La même chose. Mais c'est sa pensée qui est comme cela. Mais très insistant, très insistant: encore, encore... Alors, qu'est-ce qui s'est passé?

D'abord, comme je ne l’avais pas vue (après sa mort), j'ai pensé que c'était son vieux bouddhisme, qu'elle était partie dans un nirvana. Mais alors, c'est cela: constamment sa pensée qui vient: «Et qu'est-ce qui arrive quand on quitte son corps?» C'est cela qui est curieux. C'est elle qui le demande. C'est cette pensée.

Oui, cette pensée-là m'est venue très fortement aussi.

Oui, mais c'est cela! C'est le problème tout entier qui vient comme cela: qu'est-ce qui arrive quand on quitte son corps? Et j'ai regardé-regardé-regardé (j'ai passé des heures): pas de Bharatidi. Pas de forme: une pensée.

Pour moi, c'est très curieux, je peux dire que jamais la disparition d'un être ne m'a frappé comme cette disparition-là. Pourquoi? Je ne sais pas.

Je peux dire que je n'ai jamais été occupée comme cela du départ de quelqu'un comme je l’ai été d'elle – jamais. Et constamment: «Mais qu'est-ce qui arrive après la mort?»... Comme si... Il n'y a que la pensée et pas de forme: je ne la vois pas du tout – du tout. Je me souviens comment elle était physiquement, mais je ne la vois pas. Et constamment le problème: qu'est-ce qui arrive...? Et après, je me souviens de toutes mes expériences, de tous les gens que j'ai vu mourir, de toutes mes expériences si concrètes... Et pourquoi est-ce comme cela: «Qu'est-ce qui arrive après la mort?» Et c'était comme s'il y avait une sorte de préoccupation: «On ne saura jamais (je peux traduire comme cela), on ne saura jamais ce qui est arrivé à Bharatidi après sa mort.» Et c'est elle, c'est sa pensée. Je ne peux pas dire «elle», mais sa pensée. Sa pensée comme si elle me disait (tu sais comment elle était!): «On ne saura jamais ce qui est arrivé à Bharatidi après sa mort.» Comme cela, son ironie.

Elle ne voulait pas revenir à Pondichéry.1

Non.

Les dernières années (peut-être, je ne sais pas, deux ans), elle sentait qu'elle allait être convertie. En me voyant, quand elle était assise en face de moi, elle avait l’impression qu'elle allait être convertie. Ça, elle ne voulait pas. Elle voulait garder son bouddhisme: son bouddhisme nihiliste, matériellement traduit par le communisme.

Quand je lui ai dit au revoir, elle avait des yeux magnifiques. Elle m'a regardé... des yeux lumineux, avec une telle force, une telle beauté.

Elle savait qu'elle ne te reverrait plus.

Oh! ces yeux magnifiques...

Elle savait qu'elle ne te verrait plus.

Moi, je crois que c'est cela, que son être psychique était devenu conscient et que tout son mental ne voulait pas sortir de sa conception. Ça, je l’ai vu. Je l’ai vu: elle avait l’impression, quand je lui tenais la main comme cela, qu'elle allait être OBLIGÉE de changer de conception, et elle ne voulait pas. Alors elle se levait brusquement et elle partait.

C'était un être indomptable, Bharatidi.

(Mère rit) Oui, extrêmement mental. Extrêmement mental. Vital, elle l’avait dominé; physique... Mais tout: mental-mental-mental... Et alors, une sorte de concentration dans son être mental.

Elle a dû avoir une mauvaise nuit, ça a dû être difficile – parce que ça a été très-très difficile ici, et je ne savais pas que c'était pour elle. Et dès que j'ai su, j'ai été voir là-bas (je l’ai su le matin), parce que ce n'était pas un bon endroit (mais ça lui était égal: elle est sortie de ça). Mais alors son mental, constamment-constamment: «Qu'est-ce que, vraiment, il arrive après la mort?...» Et pendant des heures! Je fais autre chose, je suis occupée: pendant des heures, ça revient là... À la fin (c'était toute la journée d'hier et ce matin c'était encore là), mais ce matin, je lui ai dit: «Écoute, Bharatidi, tiens-toi tranquille, et si tu es tranquille, tu sauras.» Depuis ce moment-là, plus rien.

Un mental tellement fort et... oui, je crois essentiellement révolté.

C'était très intéressant quand elle venait me voir. Elle venait et elle était attirée, et elle le savait, elle m'a dit: «Oui, je suis attirée»; elle s'asseyait, elle me prenait la main, et puis on voyait que c'était comme cela (geste de raidissement), quelque chose qui se passait, quelque chose qui se passait, et puis tout d'un coup... elle se levait et elle partait.

Elle m'a dit un ou deux mots comme cela, mais elle ne voulait pas – elle ne voulait pas sortir de sa conception. Et alors, il a dû lui arriver quelque chose d'étrange: «Qu'est-ce qui arrive après la mort?...» Et ça revenait comme cela: «Personne ne saura jamais ce qui est arrivé à Bharatidi après sa mort.»

C'est curieux. Mais j'ai fini par lui donner la paix. Je crois que ça va mieux maintenant.

Elle m'a même dit (c'était presque une conversation!): «Toi qui sais ce qu'est la mort, tu ne sais pas ce qu'est ma mort!» (Mère rit) C'est vrai, je ne sais pas! «Je ne sais pas ce qui m'est arrivé et ce qui m'arrivera... Et qu'est-ce qui m'arrive? quoi?» J'avoue que c'est la première fois, ça ne m'est jamais arrivé de ma vie. C'est la première fois, c'est la première personne qui est comme cela.

Et le contact seulement avec le mental; le reste, je ne sais pas ce qui est arrivé.

Moi, j'étais plein d'elle.

Ah! (riant) peut-être qu'elle est... (geste d'entrée dans le disciple). C'est très possible! c'est très possible. Je lui ai dit: «Si tu veux, toute cette partie de ce mental que j'aime beaucoup, il peut rester en moi.» Je lui ai dit: «Si cela te fait plaisir, tu peux venir.» Et puis j'ai observé pour voir... Mais c'est possible, c'est possible qu'elle soit entrée. Il m'a semblé que quelque chose d'elle entrait dans cette fille, P, qu'elle aimait beaucoup. Moi, je crois qu'elle a dispersé son vital, et que mentalement... (geste d'entrée ici et là, chez ceux qui étaient réceptifs). Mais ça, je te l’avais dit avant: il y avait toujours eu un contact (avec Mère), alors ça ne fait pas une grosse différence. Mais je crois que c'est cela.

J'étais plein d'elle.

C'est cela, c'est cela! (Riant) Elle s'est partagée: communiste, une mort communiste!

Oui, c'est cela. l’être psychique parti tranquillement; le mental répandu. Oui, parce que c'était elle, mais c'était... je ne peux pas dire un «moi» (il n'y a pas de moi), mais c'était dedans. C'était dedans, ce n'était pas comme quelque chose de dehors (ça, c'est général), mais insistant.

Oui, c'est cela, elle s'est répandue.

(silence)

Mais au fond de Bharatidi, je sens quelque chose de très douloureux. Un être qui a souffert beaucoup, qui a été très seul, qui aurait voulu aimer et qui ne pouvait pas aimer.

Elle ne pouvait pas.

J'ai l’impression que je connais bien Bharatidi.

Ah?

Sa révolte, justement, son indépendance, et cet amour qu'elle a dominé, qu'elle ne voulait pas montrer, à personne... Quand elle m'a regardé, vraiment, il y a... Je ne peux pas dire... Il y a eu quelque chose dans ce regard, et j'ai senti tout cela.

(long silence)

N'est-ce pas, tu lui avais donné mon mot où je lui disais: «Mon amour est avec toi», alors elle a répondu à cela (elle a vu tout de suite pourquoi), elle a répondu: «Je n'ai pas peur de la mort parce que je sais qu'on ne meurt pas.» C'est M qui me l’a rapporté le lendemain matin.

Oui, elle l’a fait EXPRÈS comme cela.

Oh! mais elle s'est fait opérer pour mourir.

Ah! oui, ça elle savait. Elle savait. Elle trouvait que c'était un moyen commode de mourir.

Elle est bien.

(silence)

Elle a dû se disperser exprès, s'en aller dans tous les gens qui étaient proches d'elle, réceptifs: là où il y avait une réceptivité.

Elle s'est dispersée.

Au fond, si je traduis exactement les vibrations que j'ai reçues (c'était toute la journée), les vibrations: «Tu crois que tu sais (je traduis), tu crois que tu sais ce qui arrive après la mort?... Qu'est-ce qui est arrivé après la mort de Bharatidi, veux-tu me le dire!» Comme cela.

Maintenant je comprends tout!

Elle était contre l’individualisme, et alors... Elle n'en voulait pas.

Naturellement, durant tout cela, je lui ai dit une fois (c'était hier), je lui ai dit (j'ai dit à son mental: c'était son mental – pas même tout entier, je comprends que c'est seulement un morceau), je lui ai dit: «Pour toi, c'est comme cela, mais pour chacun, c'est différent.» Après, elle s'est tenue tranquille.

C'était même très intéressant hier, parce que je lui ai dit, j'ai dit à son mental: «Oui, si tu veux, tu peux t'installer, te servir de cet instrument (Mère), mais tu sais, il faudra renoncer à tes préférences et à tes idées fixes!» Elle avait encore des réactions terribles quand elle trouvait que les gens ne se conduisaient pas comme il fallait avec elle. Alors je lui ai dit: «Tout cela, il faudra que ça s'en aille!» (Mère rit)

Mais maintenant elle est tranquille. La nuit dernière, je suis arrivée à la tranquilliser.

Je ne sais pas si c'est cela que j'ai vu, mais la nuit où elle est partie, il y a un moment, j'ai eu une image qui est venue: j'étais dans un petit port qui semblait ensoleillé, et puis j'ai vu une énorme vague bleu foncé qui venait, et qui venait comme pour engloutir l’endroit où j'étais.

Ah!

Une vague bleu foncé, très haute.

Bleu foncé, c'est le mental.

(long silence)

(Mère rit) Elle a très bien réussi son affaire!

(silence)

Mais il y avait dans sa formation mentale une pitié profonde pour les souffrances humaines, et surtout-surtout, oh! une compassion extraordinaire pour, justement, les douleurs de la mort, ce passage, ce moment où on passe – les douleurs de la mort. Ça la préoccupait beaucoup. Et c'est cela qu'il y a eu toute la nuit où elle est morte; ça a été une très mauvaise nuit; une nuit mauvaise dans le sens que j'ai souffert beaucoup, et très difficile. Pas dormi une minute.

Et alors, quand j'ai appris qu'elle était partie, la première chose qui est venue (geste de vibration mentale): oh! comme elle a dû se sentir seule en mourant. Et ça me préoccupait beaucoup, jusqu'à ce que sa pensée m'ait dit: «Maintenant c'est fini, on n'y pense plus.» Elle a dû avoir un moment difficile.

Elle m'a même dit: «Tu étais avec moi, mais c'était trop profond»... C'est dans le mental actif qu'elle était.

Mais alors, c'est elle qui a dit; «Non, maintenant c'est fini, on n'y pense plus.» Et tout cela, sans forme – ça, elle ne voulait pas, elle ne voulait pas qu'il y ait une forme! j'ai bien cherché, je n'ai rien trouvé.

C'est cela, je sentais la pression (du mental de Bharatidi), je lui ai dit: «Oui, c'est bien, je te donne asile, mais pas à tes préférences.»

Bien.

Mais ce mental qui s'est dispersé, de quelle façon va-t-il continuer d'être?

Oui, dans chacun: il s'est uni. C'est ce qu'elle a fait, elle ne voulait pas rester individuellement mentalement. Avec le psychique, on ne peut pas faire des plaisanteries comme cela: il est parti. Mais elle ne s'en occupait pas beaucoup de son psychique – c'était la croyance qu'elle ne voulait pas croire, n'est-ce pas! Mais mentalement, elle s'est dispersée (ce n'est pas très difficile).

Mais ça doit faire une différence dans la conscience de la personne chez qui elle va?

Ah! oui, cela devrait faire. Moi, je t'ai dit que le contact existait déjà, et puis je l’ai fait volontairement, j'ai accepté volontairement, alors ça ne peut pas faire de différence en moi, mais par exemple, en P, cela peut très bien faire une différence. Dans la mesure de la conscience réceptive de la personne, cela fait une différence. Par exemple (mais ça, c'est le mental tout à fait matériel), elle savait le «pâli» très bien... s'il y a quelqu'un de réceptif, ce serait bien. Elle savait bien le «pâli». J'aurais été très contente si c'était venu, mais ce n'est pas venu. Ce morceau-là, je ne sais pas où il est allé... Mais il faut quelqu'un de très-très plastique pour que ça puisse se transmettre, parce que c'est déjà très matériel.

J'ai vu des exemples, j'ai rencontré des personnes qui, tout d'un coup, avaient une connaissance qu'elles n'avaient pas avant, qui est venue toute prête. Probablement elle a dû choisir quelqu'un.

Si c'était venu, j'aurais été très contente.

Tout ce qui est venu, c'étaient les idées générales, les visions d'ensemble, et quelque chose qui voulait absolument me convaincre que c'est la dispersion après la mort.

Elle avait un mental très fort, très fort. Peut-être un petit embryon d'être psychique. Mais c'était toute une organisation mentale.

(long silence)

Elle m'aimait beaucoup, mais elle n'avait aucune confiance en moi! Je représentais ce qu'elle ne voulait pas savoir!

Oui, comme dit Sujata, c'est de l’amour dont elle avait peur.

Oh! oui.

Bien.

Elle avait encore de la famille?... Je pense qu'on a prévenu?

Oui, elle avait préparé une dizaine de lettres avec toutes les adresses – à remplir.

Des lettres dans lesquelles elle annonçait sa mort!

Elle avait simplement écrit l’adresse et laissé le dedans en blanc pour que l’on écrive. Elle avait même préparé aussi un télégramme pour une personne. Oh! tout était... réglé.

(silence)

Tu sais, elle m'a envoyé tout ce qui, en elle, était contraire à ce que Sri Aurobindo dit – ça, elle en a fait un bon paquet et elle me l’avait tout envoyé! (Mère rit) Ça ne fait rien! J'ai regardé, j'ai reçu très sérieusement, très sérieusement – je ne l’ai pas renvoyé, je n'ai pas balayé, j'ai tout reçu, tout classé, tout organisé...

Mais jamais-jamais de... (combien?) quatre-vingt-dix années de vie, je n'ai jamais été aussi occupée de la mort de personne comme de la sienne, justement à cause de cela, parce qu'elle voulait me prouver la «dispersion»: «Personne ne saura jamais ce qui est arrivé à Bharatidi...»

Je ne lui ai pas dit: «C'est un enfantillage!» parce que, comme elle n'avait plus de corps, je l’ai traitée avec douceur. Mais le moment, le passage a été difficile... douloureux. Il y a eu un moment douloureux où elle s'est sentie très seule. Très seule mentalement, n'est-ce pas. Physiquement, elle avait son petit Krishna là (son domestique). Ce n'était pas physique, c'était mental – à cause de sa conception.

Bien.

On verra.

Son psychique est allé se reposer.

(silence)

Mais si tu sens en toi des différences de pensée, de manières de penser, tu me le diras!2 (Mère rit)

13 novembre 1968

C'est vraiment un travail interminable. C'est ce certain... (comment peut-on dire?) on peut à peine l’appeler mental, du physique... Il semble être en train d'être éduqué. Mais c'est un travail interminable.

Par exemple, son habitude de construire des possibilités, ou de prévoir (on peut à peine appeler cela construire ni prévoir... c'est une espèce de chose très obscure au fond), des possibilités et d'imaginer des événements, et avec le côté pessimiste et dramatique qui est montré dans tout son ridicule. Et alors, je ne sais pas, c'est évidemment pour apprendre à contrôler et à diriger ça, mais... À première vue, c'est simplement à balayer, c'est tout à fait inutile: on perd son temps et on fait du mauvais travail. On remplit l’atmosphère d'une quantité de formations tout à fait dégoûtantes avec des imaginations de roman-feuilleton.

Il y a un essai de contrôle, mais tout cela est encore très-très-très obscur.

(long silence)

Il y a beaucoup de gens des États-Unis qui viennent en ce moment, et ils apportent la nouvelle d'une crise épouvantable là-bas, une crise de pessimisme découragé... Il semble que toute la jeunesse soit dans un état affreux, de dépression, de découragement.

Ils ont découvert tout ce qu'ils avaient de creux, de mensonger, d'irréel dans la vieille façon de voir la vie, et ils n'ont rien trouvé pour la remplacer... Quelques rares individus (on reçoit des lettres, ou ils viennent), disent qu'ils ont rencontré l’enseignement de Sri Aurobindo et que cela leur a paru le salut. Mais ils sont très peu nombreux. Et la majorité ne comprend pas – ils n'ont pas l’intelligence pour comprendre.

Alors partout on retombe; il y a eu un effort pour se sortir de cette recherche exclusive de la satisfaction personnelle et ça a mené à des extravagances, et alors l’absurdité même de ces extravagances paraît maintenant, et ils retombent très plat, ils n'ont pas trouvé – ils n'ont pas trouvé le vrai chemin. Parce que ce n'est pas un chemin mental.

Et partout, il y a encore le culte du mental, c'est cela, le terrible.

En Europe, c'est terrible! Ils auraient l’intelligence pour comprendre, mais ils sont enfermés dans leur forteresse intellectuelle.1

Oui.

On essaie de faire entrer Sri Aurobindo, mais on n'en veut pas. Ils savent mieux, ils savent tout!

(long silence)

Et la difficulté aussi, c'est qu'il y a eu tellement de faux prophètes et de charlatans de l’Hindouisme et de la «Vérité de l’Asie», que la vraie chose ne peut pas rentrer. C'est plein de charlatans. l’atmosphère est comme pourrie...

(Mère approuve de la tête)

Ça pullule de swamis, de ceci, de cela... Alors qu'est-ce que peut faire la Vérité là-dedans?

(Mère entre en contemplation)

Interminable travail, c'est tout. C'est cela, l’impression qu'a ce corps. Il est tranquille. Interminable travail.

Et il n'a pas... (comment dire?) une vision claire du chemin ou du procédé, alors... Il ne comprend qu'une chose: ne jamais oublier, à aucun moment, pas même une seconde, ce qu'il appelle le «Divin» et qu'il veut atteindre. C'est tout.

Et alors, de temps en temps, il y a des éclairs, comme des éclairs de la Grâce, absolument merveilleux... mais ça dure une seconde.

(silence)

Pas très encourageant.

Il y a seulement une chose: comme une accumulation de force... de force qui POURRAIT être un Pouvoir. Ça, je sens que ça s'accumule lentement-lentement... Et alors, peut-être est-ce cela qui vibre... et peut-être y a-t-il une impatience d'agir? Je ne sais pas.

Mais ça, ce n'est pas précis encore.

Et une conscience très claire de tous les obstacles, de tout ce qui est contre, de l’attitude générale. Avec la perception très claire que... il faut rester voilée. C'est cela. Que c'est le temps où il faut rester voilée. C'est tout.

Mais de le dire, ça le rend beaucoup plus précis que ce n'est vraiment.

16 novembre 1968

C'est le physique qui fait son éducation.

Quand le vital et le mental sont là, ils se servent du physique comme d'un instrument de leur volonté et de leurs caprices – d'habitude, il n'a pas de vie indépendante. Et alors, en quelques jours, quelques semaines, il a refait toute son éducation. Il s'est souvenu de toutes les expériences qu'il a eues et il les a reclassées, pour ainsi dire, et il est arrivé à une sorte d'homogénéité qui est toute centrée autour de la Présence divine.

Il a eu plusieurs expériences de cette Présence... Spontanément, pour lui, c'est une «Lumière consciente»; une Lumière consciente qu'il voit partout, qu'il sent partout, dont il sent la présence constamment. Mais une ou deux fois, il a vu une figure. Ça l’a beaucoup étonné et il n'était pas très rassuré (!), il se demandait si ce n'était pas une imposture ou... Mais une grande Présence (geste comme une silhouette). Les détails des formes n'étaient pas là, mais... C'était comme une concrétisation, à l’usage du physique, de cette Lumière consciente qui était là, n'est-ce pas, et qui était comme concrétisée (geste de rassemblement) dans une forme qui était lumineuse aussi, qui se voyait, et avec une puissance! C'était surtout comme la Puissance du Seigneur, c'était formidable. Et le corps avait l’impression que Ça, ça pouvait faire n'importe quoi. Il n'y avait rien que Ça ne puisse faire. Et je ne peux pas dire que l’on voyait des bras, des mains, des jambes; ce n'était pas cela, c'était une forme, mais il y avait comme une tête et des épaules: une forme, n'est-ce pas. Et d'abord, comme je l’ai dit, la première fois qu'il l’a vue, il était un petit peu inquiet: «Qu'est-ce que c'est que ça? Est-ce que c'est une imposture?...» Et il y a eu, comme toujours, la «Chose» qui est venue sur lui en lui disant: «Tranquille-tranquille-tranquille...» Pas des mots: comme des vagues. Alors il s'est tenu bien tranquille, et il a senti une Puissance formidable. C'est venu quand le corps était bien tranquille, qu'il ne se tourmentait plus, et c'était comme si Ça lui disait: «C'est comme cela que j'agis sur les gens.» Et c'était comme une sorte de concrétisation ou matérialisation (je ne sais pas) de cette Lumière consciente. On ne voyait pas d'yeux, un nez, une bouche ni tout cela: c'était une forme, immense («immense», enfin la partie qui était comme une tête touchait au plafond).

Je l’ai vue deux fois, et les deux fois, c'était quand j'appelais le Seigneur pour qu'il agisse; j'appelais le Seigneur pour une raison quelconque sur quelqu'un ou pour quelque chose, et le corps était comme cela (geste d'aspiration ou d'appel). Et une fois, je l’ai vue derrière quelqu'un. Et c'était comme... (Mère ferme les deux poings) comme du Pouvoir condensé.

Dans deux cas (mais un surtout très clairement) où les choses paraissaient ne pas être comme elles devaient être; il semblait qu'il y avait un désordre à rectifier; et alors, comme toujours, je mettais le contact – simplement le contact.1 Et c'est là que j'ai senti que ça devenait cette Puissance. Je n'ai rien dit – je n'ai pas dit un mot, je n'ai pas fait un geste, je n'ai rien dit –, et la circonstance a changé. Et ce n'était pas ici: c'était quelque chose qui se passait ailleurs au point de vue physique. Et comme cela, ça a été changé... Il y a un autre cas où c'était la volonté et la pensée de quelqu'un qui étaient à changer – mais ça, je ne sais pas, je n'ai pas encore de nouvelles, je ne sais pas.

Le développement paraît aller vers cela: une action sur les gens et sur la terre, tout à fait physique.

Plusieurs fois, quand le corps était... simplement dégoûté de sa petitesse, son incapacité, son ignorance, sa stupidité... (riant) la réponse était très bien: «Tiens-toi tranquille! ce n'est pas toi qui fais les choses.» Alors il se demandait (riant): «Mais alors, à quoi je sers!» Il a dit... Je ne sais pas, ça m'a donné l’impression (le corps de Mère) de l’endroit où l’on joint les deux courants (tu sais, quand on met en contact un courant avec l’autre?), que le corps était comme cela, il servait à ça!... Il a eu cette sensation d'être comme un de ces outils... (Mère montre la prise de courant)

Une prise.

(Mère rit silence)

C'est-à-dire que dès qu'il est conscient de son existence même, il gêne le travail. Il devrait... ne pas savoir qu'il existe.

En fait, c'est cela qui le rend malade, c'est quand il est conscient de lui-même.

(silence)

Encore aujourd'hui, j'ai vu une dame allemande qui a travaillé un peu au dispensaire de N; naturellement, elle a constaté qu'il n'avait rien de ce qui lui fallait au point de vue moderne; alors, pour une raison que j'ignore, elle doit retourner en Allemagne, mais elle veut revenir avec l’équipement complet, et avant de partir, elle a demandé à me voir. Je ne l’avais jamais vue. Elle est venue, je lui ai dit quelques mots sur ce qu'elle devrait faire, et puis elle ne voulait plus s'en aller! Elle était assise. Alors simplement j'ai fait comme je fais d'habitude, c'est-à-dire que le corps... (je ne sais pas comment dire) c'est comme s'il disparaissait, et puis le Seigneur (geste de Descente)... Mais c'est une chose qui est arrivée, je ne sais pas, peut-être des centaines de fois: poff! elle s'est levée et... (riant) elle a fait un «pranam» et elle est partie. Des centaines de fois, c'est arrivé! Et tu sais... c'est de la Surbonté (je ne sais pas comment t'expliquer), c'est une chose tellement merveilleuse d'amour, de bonté, de... mais c'est formidablement puissant! Je crois que c'est la puissance qui les épouvante. Mais ça arrive tout le temps. Le corps fait comme cela (geste de retrait ou de disparition), et puis c'est la Présence qui est là. Et simplement je regarde. Mais neuf fois sur dix, ils prennent la fuite!

Il y en a qui ont l’habitude et qui au contraire sont très contents, mais il n'y en a pas beaucoup.2

20 novembre 1968

(Mère a l’air lasse. Son visage est tuméfié par un abcès dentaire.)

Tu n'as rien?

Si, des nouvelles du Vatican.

Ah!... dis, c'est intéressant.

P.L. a envoyé les photos de cet homme qui fait de la magie soi-disant. Tu sais que c'est l’ami intime du pape, son collaborateur privé, et qu'il est en même temps archevêque au Secrétariat d'État du Saint Siège. Voilà la photo.

Oh! il a un grand chapeau comme cela!

(Mère regarde longuement)

Et qu'est-ce que V dit?1

Il n'est pas là en ce moment.

Les archevêques sont habillés comme cela?

Il est de quelle nationalité?

De [telle] nationalité...

(Mère ne dit rien)

Le frère A2 est devenu intime avec le Consul et sa femme... et il dit du mal de l’Ashram aux gens.

Je ne sais pas pourquoi.

Ces gens, tout leur esprit est basé sur «la fin légitime les moyens». C'est cela qui sort de la photo.

(silence)

Et il y a la nouvelle que toute une école catholique avec des aumôniers, arrive pour visiter l’Ashram... D'où? Je ne sais pas. De France, je crois.

Mais ces gens-là, on leur donne tout ce que l’on peut, et ils donnent tout le poison qu'ils peuvent.

Oui.

Et les meilleurs sont comme cela.

Ils ne viennent pas simplement pour voir et savoir: ils viennent pour découvrir tout ce qu'ils peuvent critiquer – et dans l’apparence, il ne manque pas de choses à critiquer!

(Mère entre dans une longue méditation)

Je crois qu'il se passera encore beaucoup de temps avant que tout cela ne change.

23 novembre 1968

J'ai eu une intéressante expérience... Pas hier soir, mais le soir d'avant, quelqu'un que je ne nommerai pas m'a dit: «Je suis en plein dans la conscience physique: plus de méditations, et puis le Divin, c'est devenu quelque chose là-haut, si loin...» Alors imédiatement, pendant qu'il parlait, toute la chambre s'est remplie de la Présence divine. Ah! je lui ai dit: «Pas là-haut: ici, ici-même.» Et à ce moment-là, tout, toute l’atmosphère... c'était comme si l’air se changeait en Présence divine (Mère touche ses mains, son visage, son corps): n'est-ce pas, tout était touché-touche, pénétré, mais avec... ce qu'il y avait surtout, c'était une Lumière éblouissante, une Paix comme cela (geste massif), un Pouvoir, et alors une Douceur... quelque chose... on avait l’impression que ça suffirait à fondre un rocher.

Et ce n'est pas parti. C'est resté.

C'est venu comme cela, et puis c'est resté.

Et alors, toute la nuit était comme cela – tout. Maintenant même, il y a les deux: comme mécaniquement, un peu de la conscience ordinaire, mais je n'ai qu'à rester une seconde tranquille ou concentrée, et c'est là. Et c'est l’expérience du corps, tu comprends, physique, matériel, l’expérience du corps: tout-tout-tout-tout est plein-plein, il n'y a que Ça, et nous sommes comme... tout est comme quelque chose de recroquevillé, tu sais, comme une écorce desséchée, quelque chose comme cela qui est desséché. On a l’impression que les choses (et pas totalement: superficiellement) sont racornies, desséchées, et que c'est pour cela que ça ne sent pas. C'est pour cela que ça ne Le sent pas, autrement c'est tout-tout, il n'y a que Ça; n'est-ce pas, on ne peut pas respirer sans Le respirer; on bouge, c'est au-dedans de Lui qu'on bouge; on est... tout-tout, l’univers tout entier est au-dedans de Lui – mais matériellement, physiquement, physiquement.

C'est la guérison du «dessèchement» que je suis en train de chercher.

Je sens que c'est fantastique, tu comprends?

Et alors, quand j'écoute, Ça dit des choses aussi; je Lui ai dit: «Mais alors, pourquoi, toujours, on va là-haut?» Et avec l’humour le plus extraordinaire, fantastique: «Parce qu'ils veulent que je sois très loin de leur conscience!» Des choses comme cela, mais pas formulées d'une façon si précise: des impressions. Plusieurs fois – plusieurs fois –, j'avais entendu: «Pourquoi vont-ils chercher si loin ce qui est... (n'est-ce pas, il y a les théories qui ont dit: c'est au-dedans de vous)... ce qui est partout?»

Je ne l’ai pas dit à cette personne, d'abord parce que l’expérience n'était pas comme maintenant une chose continue.

Et puis il y avait surtout: PAS DE NOUVELLES RELIGIONS! pas de dogmes, pas d'enseignement fixe. Éviter – il faut éviter à tout prix que cela ne devienne une nouvelle religion. Parce que, dès que ce serait formulé d'une façon... élégante et qui s'impose, qui ait une force, CE SERAIT FINI.

On a l’impression qu'il est partout-partout-partout, il n'y a pas autre chose. Et nous ne le savons pas parce que nous sommes... recroquevillés; je ne sais pas comment dire, desséchés. Nous avons fait des efforts (riant) formidables pour nous séparer – réussi! Réussi, mais réussi seulement dans notre conscience, pas en fait. En fait, c'est là. C'est là. Il n'y a QUE Ça. Ce que nous connaissons, ce que nous voyons, ce que nous touchons, c'est comme si cela baignait, cela flottait dans Ça; mais c'est perméable; c'est perméable, c'est tout à fait perméable: ça passe au travers. Le sens de la séparation vient de ça (Mère touche son front).

l’expérience est peut-être venue parce que, depuis plusieurs jours, il y avait une très grande concentration pour trouver, pas exactement le pourquoi ou le comment, mais le FAIT, le fait de la séparation, que tout paraît si stupide, si laid... J'étais assaillie, assaillie par des espèces de souvenirs vivants de toutes sortes d'expériences (de tous genres: depuis les lectures, les tableaux, les cinémas, et la vie, les gens, les choses), souvenirs de ce corps, tous les souvenirs que l’on pourrait appeler «anti-divins» où le corps a eu la sensation de choses qui étaient repoussantes ou mauvaises, comme des négations de la Présence divine. Ça a commencé comme cela; pendant deux jours, j'étais comme cela, au point que le corps était presque désespéré. Et puis l’expérience est venue, et puis ça n'a pas bougé. Ça n'a pas bougé. C'est venu: brrff! fini, pas bougé. N'est-ce pas, les expériences viennent et puis elles reculent: pas bougé. En ce moment, c'est là. Et alors, le corps essaye d'être fluide (Mère fait le geste de se répandre), il essaye de se fondre; il essaye, il comprend ce que c'est. Il essaye – réussit pas, c'est évident! (Mère regarde ses mains), mais sa conscience sait.

Seulement, il y a des effets de cette expérience: des gens qui se sont sentis tout d'un coup soulagés; un ou deux absolument guéris. Et quand quelque chose va mal dans le corps, il n'a pas besoin de demander: tout naturellement, ça s'arrange.

Et cela n'a même pas donné au corps le besoin de ne rien faire et d'être tout concentré dans son expérience: non, aucun désir, rien. Comme cela: flotter... flotter dans une immensité lumineuse... qui est dedans! (Mère rit) Elle n'est pas seulement dehors: elle est dedans. Elle est dedans. Ça (Mère touche ses mains, cette apparence séparée), on a vraiment l’impression que c'est... je ne sais pas comment dire, mais ça n'a de réalité que dans la déformation de la conscience – mais pas la conscience humaine: quelque chose qui est arrivé; quelque chose qui est arrivé dans la Conscience... (Mère hoche la tête) je ne comprends pas.

(silence)

Toutes les théories, toutes les explications, toutes les histoires qui sont à la base de chaque religion, tout cela me paraît... un divertissement. Et alors on se demande, on se demande... Je vais dire une chose... si le Seigneur ne s'est pas joué une comédie à Lui-même!...

Mais c'est difficile à dire. J'ai eu des jours où j'ai vécu vraiment toutes les horreurs de la création (et dans la conscience de leur horreur) et puis ça a amené cette expérience, et... toute l’horreur a disparu.

Et ce n'étaient pas du tout des choses morales: c'étaient surtout des souffrances physiques. C'était surtout LA souffrance physique. Et cette souffrance physique, je l’ai vue: une souffrance physique qui dure – qui ne s'arrête pas, qui dure nuit et jour –, et puis tout d'un coup, au lieu d'être dans cet état de conscience, on est dans l’état de conscience de cette Présence divine exclusive – douleur partie! Et c'était physique, c'était tout à fait physique, avec une raison physique;1 n'est-ce pas, les docteurs diraient: «C'est pour ceci, cela, cela»; une chose tout à fait matérielle, tout à fait physique: poff! parti... On change de conscience: ça revient.

Et si l’on reste assez longtemps dans la vraie conscience, l’apparence, c'est-à-dire ce que nous appelons le «fait» physique lui-même disparaît, pas seulement la douleur... J'ai l’impression d'avoir touché à... (il n'y a pas de mental qui comprenne, Dieu merci!) mais d'avoir touché à l’expérience centrale.

Seulement, c'est un tout petit commencement.

On aurait l’impression ou la certitude d'avoir touché le Secret suprême, seulement si le physique se transformait... D'après l’expérience (la toute petite expérience de détail), ce devrait être comme cela. Et alors, est-ce que ce serait d'abord UN corps où s'exprimerait cette Conscience, ou est-ce que tout, tout doit se transformer?... Ça, je ne sais pas.

Ce serait si le jeu – le jeu de la séparation – prenait fin. C'est cela qui serait la solution de la transformation. Un phénomène de conscience.

Mais c'est tellement concret, c'est cela!

(silence)

Seulement, l’autre conscience est encore là... Maintenant, ce matin, j'ai vu une quantité considérable de gens: chacun venait et je regardais (il n'y avait pas de «je regardais»: pour lui, c'était comme cela, je le regardais), les yeux étaient fixés comme cela, et alors c'était la perception et la vision (mais pas vision comme on le comprend: c'est tout un phénomène de conscience), la conscience de la Présence; de la Présence qui pénètre cette espèce d'écorce, de chose racornie; qui pénètre, qui pénètre, qui est partout; et alors, quand je regarde, quand les yeux sont fixés, ça fait comme une concentration (de cette Présence)... Mais c'est certainement un état tout à fait transitoire et intermédiaire, parce que l’autre conscience (la conscience qui voit les choses et qui deals with them, qui s'occupe d'elles comme d'habitude, avec la perception de ce qui se passe dans l’individu, de ce qu'il pense – pas tant de ce qu'il pense, mais de ce qu'il sent, comment il se trouve), ça, c'est là. Évidemment, c'est nécessaire aussi pour garder le contact, mais... Évidemment, c'est encore une expérience, ce n'est pas un fait établi. Ce que je veux dire par «fait établi», c'est la conscience établie de telle façon que rien d'autre n'existe, qu'elle est seule présente – ce n'est pas encore cela.

(long silence)

Et toi? Qu'est-ce que tu as à me dire?2

J'ai senti un changement dans l’atmosphère.

Ah!

Ah! oui. Il y a cinq ou six jours, j'avais l’impression de quelque chose d'accablant...

(Mère rit)

D'accablant. Et cette nuit, c'est assez bizarre, à un moment, je t'ai vue, tu étais complètement allongée par terre, aplat. Alors je me suis approché de toi, je t'ai demandé: «Est-ce que tu ne veux pas un coussin sous ta tête?» Tu m'as dit: «Non, rien.» Et tu étais allongée à plat, par terre...

Tiens!

Qu'est-ce que cela veut dire?

(Mère reste longtemps silencieuse et ne répond pas)

Mais cette notion du Supramental qui «descend», d'une Conscience qui a «pénétré», c'est notre traduction... l’expérience est venue comme l’expérience d'un fait éternel: pas du tout de quelque chose qui était en train d'arriver. Que tout cela soit le résultat d'états de conscience, c'est sûr (s'il y a quelque chose au-delà, je ne sais pas, mais en tout cas, de cela, j'ai l’expérience positive). Ce sont des mouvements de conscience. Pourquoi, comment?... Je ne sais pas. Seulement, si l’on regarde de l’autre côté, le fait que quelque chose qui appartient à ce domaine terrestre tel qu'il est, soit devenu conscient, c'est cela qui donne l’impression que quelque chose est «arrivé»... Je ne sais pas si je peux me faire comprendre... Je veux dire que ce corps est tout pareil à tout le reste de la terre, mais il se trouve que, pour une raison quelconque, il a pris conscience de l’autre manière; eh bien, ça, ça doit normalement se traduire dans la conscience terrestre par une «arrivée», une «descente», un «commencement»... Mais est-ce un commencement? Qu'est-ce qui est «arrivé»?... Tu comprends, il n'y a que le Seigneur (je l’appelle «le Seigneur» pour la facilité du langage parce que autrement...), il n'y a que le Seigneur, il n'y a pas autre chose, rien d'autre n'existe. Tout se passe au-dedans de Lui, consciemment. Et nous sommes comme... des grains de sable dans cette Infinité; seulement, nous sommes le Seigneur ayant la capacité d'être conscients de la conscience du Seigneur. C'est cela exactement.

(silence)

Avant cette expérience, au moment où j'étais dans la conscience de toutes les souffrances, les horreurs de la vie physique, à un moment donné, il y a quelque chose qui est venu (qui n'a pas «dit» – on est obligé d'employer des mots, mais tout cela se passe sans mentalisation), une impression (si je traduis, je dirais): «Est-ce que tu n'as pas peur de devenir folle?»... Tu comprends? (c'est une traduction). Et alors, le corps a répondu spontanément: «Nous sommes TOUS fous, nous ne pouvons pas devenir plus fous que nous ne sommes!» Et tout de suite, ça s'est calmé.

(long silence)

C'est ici qu'elle est, cette conscience (Mère touche la poitrine du disciple). Ça (geste désignant le mental et au-dessus), c'est lumière-lumière... (geste immense). Mais dans ce corps, c'est ici qu'elle est, cette conscience (même geste à la poitrine). Je veux dire la conscience... qu'on est dedans le Seigneur.

Je sais, la conscience qui est là sait que cette façon de parler est tout à fait enfantine, mais préfère cette façon enfantine à quelque chose qui essaierait d'être exact et qui serait mental.

(Mère regarde l’heure)

Oh! il est tard... J'ai beaucoup parlé, baba! baba!3

27 novembre 1968

(Mère est très enrhumée. En fait, elle est dans la même courbe douloureuse depuis le mois de juillet.)

Ce que tu as dit la dernière fois, pourrait peut-être servir pour le Bulletin de février? Ça a l’air d'être très important...

Je ne me souviens plus du tout.

Tu as touché à l’«expérience centrale» de la transformation.

Ah! c'est ça.

Ça continue1... Le corps a l’impression qu'il commence à comprendre. Pour lui, naturellement, il n'y a pas de pensées du tout – du tout; mais ce sont des états de conscience. Des états de conscience qui se complètent, qui se remplacent... Et c'est au point qu'il se demande comment on peut savoir avec la pensée; pour lui, la seule façon de savoir, la seule façon de connaître, c'est la conscience. Et cela devient de plus en plus clair au point de vue général, et il l’applique; il applique cela à lui-même, c'est-à-dire qu'un travail se fait pour que toutes les parties du corps soient conscientes non seulement des forces qu'elles reçoivent, des forces qui le traversent, mais de l’action de son fonctionnement intérieur.

Ça devient de plus en plus précis.

Et c'est surtout cela: tout, pour lui, est un phénomène de conscience, et quand il veut faire quelque chose, il ne comprend presque plus ce que veut dire «savoir le faire»; il faut qu'il soit CONSCIENT de la manière de le faire. Et non seulement pour lui, mais pour tous les gens qui l’entourent. Cela devient comme un fait tellement évident... Alors, apprendre de quelqu'un d'autre – par exemple, apprendre la manière de faire une chose, pour lui c'est seulement en le faisant, avec la conscience qui s'applique, qu'il peut apprendre. Et ce que l’on explique, ce que quelqu'un d'autre peut expliquer, ça paraît... ça paraît creux – sans vie, creux.

Et ça devient de plus en plus comme cela.2

(silence)

Tu n'as pas répondu à ma question sur cette vision de toi, à plat par terre...

(Mère rit) Je crois que c'est le symbole de la soumission parfaite. J'étais sur mon dos, n'est-ce pas?

Sur ton dos, par terre.

Sur le dos, oui. Ce doit être l’expression imagée de l’attitude du corps.3

C'est l’attitude de la parfaite réceptivité dans l’abandon total.

Parce que c'est vrai.

Vraiment, je ne sais pas s'il y a des «morceaux», des organes qui ont encore ce qu'on pourrait appeler leur «esprit d'indépendance», mais vraiment le corps a fait sa soumission, c'est-à-dire qu'il n'a pas de volonté propre; il n'a aucun désir, aucune volonté propre, et il est tout le temps comme «à l’écoute» – tout le temps – pour percevoir l’Indication.

Il commence à savoir exactement l’endroit ou la fonction qui n'est pas... je ne peux pas parler de «transformée» parce que c'est un bien grand mot, mais qui n'est pas en harmonie avec les autres et crée un désordre. Cela devient une perception de chaque moment. Quand il se passe quelque chose qui semble anormal, il y a la compréhension, la conscience de pourquoi cela se produit et que cela doit mener à telle chose: comment un apparent désordre peut mener à une perfection plus grande. C'est cela. C'est un tout-tout petit début. Mais ça commence. Il commence à être un peu conscient. Et non seulement pour lui tout seul, mais pour les autres aussi, ça commence: voir comment, percevoir comment la Conscience (avec un grand C) agit dans les autres; et quelquefois justement... (les mots sont très en retard sur l’expérience), il n'y a plus la perception de la division: il y a la perception de la diversité, et ça devient très intéressant... La diversité qui (s'il n'y avait pas ce que l’on pourrait appeler «accrochage» de la séparation), qui, dans la conscience vraie, serait parfaitement harmonieuse et ferait un tout qui serait la perfection même (Mère fait un geste rond).

C'est l’accrochage – qu'est-ce qui s'est passé?... qu'est-ce qui s'est passé?...

Reste à savoir si, pour une raison quelconque, c'était nécessaire ou si c'est un accident – mais comment cela peut-il être un accident!... Pour le moment (il n'y a pas de pensée, alors c'est un peu vague), pour le moment, il y a l’impression... on pourrait dire simplement comme cela: d'une acquisition de conscience formidable qui a été acquise, payée le très grand prix de toute la souffrance et tout le désordre... Hier ou aujourd'hui (je ne me souviens plus), hier je crois, à un moment donné, le problème était très aigu (Mère touche sa joue, sa gorge), et alors c'est comme si la Conscience divine disait: «Dans toute cette souffrance, c'est Moi qui souffre (la Conscience, n'est-ce pas), c'est Moi qui souffre, mais d'une autre manière que la vôtre.» Je ne sais pas comment dire... c'était comme cela l’impression que la Conscience divine percevait ce qui, pour nous, est une souffrance, que ça existait – ça existait pour la Conscience divine. Mais d'une façon différente que pour notre conscience à nous. Et alors, il y avait un essai pour faire comprendre la conscience du tout en même temps, simultanée, tout (on pourrait dire simplement pour s'exprimer): de la souffrance (le désordre le plus aigu), et de l’Harmonie (de l’Ananda le plus parfait) – les deux ensemble, perçus ensemble. Et ça change naturellement la nature de la souffrance.

Mais tout cela est très conscient que c'est quelque chose comme du bavardage. Ce n'est pas la traduction de ce qui est.

Il y a aussi la perception que, petit à petit, par suite de toutes ces expériences, chaque agrégat (ce qui, pour nous, est un corps) s'habitue à avoir le pouvoir de supporter la Conscience vraie... Ça demande un jeu d'adaptation.

Mais tu sais, Sri Aurobindo avait écrit aussi dans «Aperçus et Pensées», je crois, que la souffrance était la préparation de l’Ananda.4

Oui. Je dois dire qu'il y a beaucoup de choses de Sri Aurobindo que je commence à comprendre d'une façon très différente.5

Je t'ai dit que c'était là (Mère désigne le nez, la bouche, la gorge) qu'il y a eu la résistance la plus complète. C'est très intéressant comme expérience, mais c'est encore en plein travail...

(silence)

l’impression d'être sur le point de toucher quelque chose, et puis... ça s'échappe. Il manque quelque chose.

(silence)

Encore un long-long-long chemin.6

30 novembre 1968

Est-ce qu'on ne pourrait pas, pour le 21 février prochain, diffuser au «Play ground» [Terrain de Jeu de l’Ashram] l’enregistrement de cette conversation si importante, tu sais, sur «l’expérience centrale»?1

Non.


C'est impossible de parler... Tout le temps, le corps a l’impression d'apprendre – d'apprendre à vivre. Et d'apprendre à être ce qu'il faut, ce qu'il doit être. Et c'est constant, nuit et jour.

Et puis c'est tout.

Il a tout à apprendre.

Et d'une façon très aiguë, la sensation que la parole déforme, que le mot déforme... Il n'aime pas parler.

(long silence)

Par exemple, ces jours-ci, il se demandait une chose: est-ce qu'il y a des corps qui sont orgueilleux?... Il y a des quantités de corps qui sont orgueilleux quand il y a le vital et le mental dedans. Mais sans ça... ce n'est pas possible! Pas possible.

(méditation)

Mais il a constamment la sensation, non seulement de la Présence mais de l’Action divine, comme cela (geste comme une coulée qui passe à travers Mère et va sur les gens), et il n'a même pas la pensée: «C'est à travers moi», même pas cela. Il a l’impression (si on la traduisait): ce peut être à travers n'importe quoi. Et il y a des actions très précises qui se passent, et le corps est conscient, mais il n'est jamais conscient qu'il le fait, ou que c'est à travers lui que c'est fait. Le sens de «lui» n'existe pas... excepté, de temps en temps, l’impression qu'il y a quelque chose d'un peu inerte; il a encore la sensation de son inertie – ce n'est pas la pleine Conscience. Mais même cela, il ne s'en occupe pas, ce n'est pas son affaire.

C'est une observation aiguë et constante de TOUT, tout-tout ce qui se passe – inexprimable... Le temps de le dire et il y a une quantité d'autres choses qui se passent.

Voilà.

décembre




4 décembre 1968

(Mère toujours enrhumée.)

Quoi de neuf? Rien?

Si: V1 a vu la photo de cet homme du Vatican, il a confirmé, il a dit: c'est celui-là.

C'est celui-là... (Mère regarde la photo)

C'est curieux, c'est un homme intelligent. Mais ces gens-là sont hypocrites; ils pensent les choses et puis ils font selon un autre principe.

Ce n'est pas un homme bouché, c'est un homme qui est capable de comprendre.

Mais moi, il me donne l’impression d'un homme cruel.

Cruel...

Va dit aussi: «He can kill» [il peut tuer].

He can kill... peut-être.

C'est l’autre côté de sa nature. Il y a beaucoup de gens qui pourraient tuer s'ils avaient le courage.

Dans leurs sentiments, ils tuent.

(silence)

La tapasyâ du corps est une chose bien intéressante, vraiment intéressante. Le corps... Tu sais, il est d'une modestie totale; il a une impression aiguë de toutes ses limitations, de toutes ses incapacités, de toutes ses ignorances, de toutes..., et en même temps – en même temps –, le sentiment ABSOLU de la Présence divine, absolu; et d'une Présence divine qui peut tout casser si elle veut. C'est tout à fait intéressant... Une Présence d'un pouvoir! D'un pouvoir... incalculable, qui n'a aucune commune mesure avec les choses terrestres.

Le corps a très-très fortement l’impression (une espèce de conscience) que ses souffrances viennent de son incapacité. Il y a la perception comme cela qu'il a 1'habitude de tourner en souffrance quelque chose qu'il ne peut pas supporter.

(silence)

Tout à l’heure, j'ai vu Z. Elle est en pleine révolte parce que, il y a longtemps, je lui avais parlé d'une chose qu'elle n'a pas comprise, à propos du cinéma (mais enfin ce n'est pas cela): elle a glissé dans un trou. Alors elle était là (je lui tenais la main), et ce corps sentait que c'était tout le même genre de matière – cette espèce de communauté, d'identité –, et à la fois amusé et très gentil, et puis il y avait là, comme cela, un Pouvoir si formidable, mon petit! que le corps était conscient que Ça peut écrabouiller un être. Et Ça restait comme cela (geste de témoin tranquille), Ça n'agissait pas. Le Pouvoir qui a la capacité de se manifester avec le pouvoir vital (qui domine le vital, qui a la capacité de s'en servir), et qui, dans une immobilité totale, peut dissoudre les choses. C'est extraordinaire.

Mais le corps ne se trompe pas, il sait ce que c'est. Il sait ce que c'est. Et il sait une chose: que c'est seulement quand (et parce que) il peut être absolument paisible – paisible comme quelque chose de complètement transparent et immobile –, que ce Pouvoir peut agir. Et il le sait. Il sait que la seule chose qui est demandée de lui, c'est cette immobilité totale, transparente.

(silence)

Pour en revenir à cet homme du Vatican, il est de l’espèce qui a des principes d'action et qui peut tuer (ou faire tuer) son plus cher ami, comme cela, par conviction. Ça, oui.

C'est l’espèce des «grands Inquisiteurs».

Oui.

Si l’on veut être tranquille, le mieux est de ne pas attirer leur attention!

Mais il surveille P.L.: dans cette vision, il surveillait ton symbole au cou de P.L.

P.L. le porte?

Je ne sais pas. V voyait P.L. avec ton symbole autour du cou, et cet homme qui regardait ton symbole.

Mais je ne crois pas que P.L. le porte.

Je crois qu'il le porte, mais caché, bien sûr, pas dehors!

Caché, ça ne fait rien.

Oui, mais enfin cet homme surveille, il a l’œil dessus.

P.L. ferait bien de faire attention.

Je le lui ai dit.

Ils vont être dans le même comité!2 Ça, c'est très intéressant! (Mère rit) Très intéressant.

Ça... (comment dire?) j'ai remis entre les mains de la Grâce toute cette histoire (des réformes de l’Église). Et je m'attends à ce qu'il se passe des choses intéressantes, parce que là, on ne sait pas... Ce que les hommes ne savent pas, c'est le miraculeux pouvoir de la Grâce, même sur le plus incroyant, même sur le plus ennemi.

(silence)

Le corps est très simple, la simplicité d'un enfant. Ce matin, il était assailli de visions – pas «visions», je ne sais pas comment dire... ce n'étaient pas exactement des souvenirs, mais des choses qui venaient et qui exprimaient toutes, la haine, la violence (n'est-ce pas, ce côté-là), et alors lui, il voyait – il voyait, il sentait –, et si spontanément il disait (il continue à être dans cette communion constante avec la Présence divine), il disait au Divin: «Pourquoi portes-tu tout cela en Toi-même?» Avec la candeur et la simplicité d'un enfant: «Pourquoi portes-tu tout cela en Toi-même?» Et au moment où il disait cela, il avait comme une vision – une vision étendue sur la terre entière – de toutes les horreurs qui s'y commettent constamment: «Pourquoi portes-tu...?» Et alors, toujours, toujours la Réponse est la même (elle est comme cela, elle est là comme cela: geste autour de la tête): «Dans ma Conscience, les choses sont différentes.» Ou bien: «Les choses ont une différente apparence dans ma Conscience.» Et il y avait cette insistance: «Travaille pour avoir la vraie conscience.» La vraie conscience qui contient tout.

Et alors, il a compris ce matin; très clairement c'était compris (tout cela n'est pas pensé, je ne sais pas comment expliquer... ce ne sont pas positivement des sensations, mais... ce sont des perceptions... je ne sais pas – Mère fait le geste de palper l’air), mais il a compris pourquoi, pendant un temps, pour la croissance de l’être, la division était nécessaire. Parce que si, dès le début, il y avait la perception qu'il a maintenant de tout au-dedans du Seigneur, tout-tout, toutes les choses par exemple, qui, encore (pas de la même façon, mais il n'y a pas si longtemps), encore lui causaient une sorte d'horreur: certaines cruautés, certaines choses vraiment causaient une horreur au corps... Maintenant, ce n'est plus comme cela, mais encore il ne peut pas être heureux avec cela; il peut être indifférent (geste du Témoin), mais il ne peut pas être heureux. Et il a compris pourquoi cette horreur était nécessaire; pourquoi il y a eu un temps où il était nécessaire que le monde manifesté, le monde de la manifestation, apparaisse en dehors et séparé du Seigneur... (Après un silence) Il faut... il faut avoir cette Paix immuable, il faut être grand comme l’univers pour pouvoir supporter l’idée que tout est le Seigneur suprême.

Et le corps a compris que c'est seulement maintenant qu'il a l’expérience, parce que c'est seulement maintenant qu'il est assez conscient et assez soumis (soumis dans le vrai sens; on pourrait presque dire «identifié» mais c'est un trop grand mot, et il ne veut pas, il sait que ce n'est pas comme cela, que l’identification, ce sera autre chose), mais tout simplement qu'il est capable, qu'il est prêt à supporter l’idée que tout est le Seigneur, qu'il n'y a QUE le Seigneur. Avant, pendant bien longtemps, il avait encore besoin de sentir que tous ces mouvements-là (geste en avant) mènent vers le Seigneur, et que tous ces mouvements-là (geste en retrait) éloignent du Seigneur. Le choix était nécessaire, pendant longtemps. Et maintenant, maintenant il est en train de faire sa tapasyâ pour être capable de supporter cette idée – et sans admettre ni accepter les mouvements de dégradation et de cruauté... C'est-à-dire avec le commencement d'une impression que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent; que nous voyons seulement l’apparence et qu'elles ne sont pas ce qu'elles semblent.

Mais le cerveau ne peut pas comprendre. Le Mental peut spéculer sur tout; mais là, c'est autre chose, le mental n'est pas là. Le cerveau, cette capacité-là... (Mère reste à considérer).

Encore ce matin, toute la matinée, c'était... (comment dire?) ça a la nature de l’émerveillement, mais ça n'a pas la joie de l’émerveillement, et ça n'a pas la stupidité de l’ahurissement, c'est... c'est quelque chose... c'est un état, oui. Il constate ce qu'est la vie (ou du moins ce qu'elle est pour notre conscience active extérieure), ce qu'est la vie, ce qu'elle paraît être... et c'est très difficile pour lui de ne pas dire: pourquoi-pourquoi-pourquoi? Pourquoi?... pourquoi?... Et alors, quand il est comme cela à voir, il devient triste-triste-triste; alors il sent que ce n'est pas cela. Et qu'est-ce que c'est que cette tristesse?... Ce doit être... Ce doit être la porte qui conduit à quelque chose d'autre... qu'il ne comprend pas encore.

Pourquoi, pourquoi ce monde comme cela, pourquoi? Pourquoi toutes ces horreurs, pourquoi?... C'est comme cela qu'il était ce matin. Et alors, il a l’impression – comme il a cette sensation si forte, cette sensation si forte d'être dans le Seigneur –, il a l’impression vers quoi cela conduit, ce qui va venir. Et là, avec une confiance totale, totale... Mais il ne sait pas encore.

Il est tout le temps – tout le temps, ça ne cesse pas –, tout le temps mis en présence de cette expérience que quand on est comme cela (Mère tourne deux doigts d'un côté), c'est-à-dire tourné vers le Divin, les choses s'arrangent miraculeusement – miraculeusement... incroyable; et que, il suffit d'être seulement comme cela (Mère bascule les deux doigts de l’autre côté), pour que ce soit dégoûtant, que tout aille mal, que tout grince: un tout petit mouvement, ou d'ouverture confiante, ou la conscience ordinaire (pas du tout une conscience de révolte ou de négation, rien du tout: c'est seulement la conscience ordinaire, la conscience de la vie telle que les hommes l’ont – conscience ordinaire), ça suffit... ça devient effroyable; et puis ça comme cela (geste dans l’autre sens): miraculeusement merveilleux. Pour des choses microscopiques, sans importance, n'est-ce pas, c'est-à-dire tout – sans les «choses importantes» et les «choses qui ne le sont pas», rien de tout cela, pour tout: ça devient simplement miraculeux, et puis c'est la même chose! Mais dans un cas on a mal, on souffre, on est misérable, et même on devient mad [fou], et dans l’autre cas... Et c'est la même chose.

Mais c'est au point que, maintenant, le corps est tout à fait ahuri que l’on puisse vivre de la vie ordinaire avec la conscience ordinaire, et être content! Ça lui paraît effroyable, n'est-ce pas, effroyable. Et cette façon d'être dans le chaos, la laideur, la méchanceté, l’égoïsme, la violence, oh!... la cruauté, toutes les horreurs possibles, et puis de trouver cela tout à fait naturel... Alors c'est là que le corps se dit: «Ce doit être... ce devait être nécessaire comme une étape du développement, et c'est un effet de la Grâce, donc il n'y a rien à dire, il n'y a qu'à admirer.»

Mais il est tout à fait certain – tout à fait certain – que si le monde, si la création était telle qu'elle paraît être à cette conscience du corps telle qu'elle est maintenant, il n'y aurait qu'une chose à faire, c'est qu'il n'y en ait plus!... C'est cela qui est évidemment l’explication – et la légitimation – de toutes les religions et les philosophies nihilistes. Il faut une insensibilité tout à fait inconsciente pour pouvoir vivre heureux et content dans cette horreur qu'est le monde. Et tout cela... c'est le Seigneur, et non seulement c'est le Seigneur, mais c'est dans le Seigneur; c'est-à-dire que ce n'est pas comme nous concevons: des choses qui ont été repoussées et rejetées, pas du tout, du tout – tout ça, c'est là, dans le Seigneur... Voilà.

N'est-ce pas, le corps a cette expérience: il est tout à fait désorganisé, il a du rhume, il a mal ici, il a mal là, il a... et quand il est dans une certaine attitude (on peut appeler cela une attitude, je ne sais pas), un état de conscience en tout cas: plus rien! Ça n'existe plus, il n'y a plus de traces – il n'y a plus de rhume, il n'y a plus de mal, il n'y a plus rien, tout est parti! Mais quitte à revenir... Et non seulement est parti (ce serait un phénomène psychologique), mais les circonstances de l’entourage changent! sont différentes: dans un cas, tout est comme cela, braqué, tordu, et dans l’autre cas...

(long silence)

Alors, justement l’avantage du corps sur le mental, c'est qu'il comprend très bien (c'est naturel pour lui) que toute cette façon de voir et de dire, c'est seulement une façon de voir et de dire; que l’on peut avoir l’opposé et que cela peut être tout aussi vrai, et encore une autre façon est encore tout à fait vraie, et que, finalement, tout ce qu'on dit et tout ce qu'on pense, c'est seulement... des manières de voir. Ça, le mental a de la difficulté à cela, mais le corps sait cela, très bien, très bien... Mais3...

(long silence)

Inexprimable.

(silence)

Comment sont tes nuits?

Pas bien.

Pareilles?

Oui, ce n'est pas brillant.

Pas changées?... Bien.

Le corps connaît un état où il ne dort pas à la façon habituelle (ce qu'on appelle «dormir»), et à la place, il y a un état (que l’on pourrait appeler d'harmonie, mais pas actif, et très immobile) où le temps n'existe plus, c'est-à-dire qu'il peut passer deux heures, trois heures comme cela, en croyant que c'est cinq minutes. Et c'est cela, la nuit maintenant; ça devient de plus en plus fréquent. Et j'ai l’impression que c'est cela qui changerait ton sommeil (j'y ai pensé souvent, presque tous les jours), c'est cela: entrer dans cet état, qui n'est pas du tout le sommeil ordinaire où l’on a des rêves et des activités et où le subconscient est si actif – non, rien de tout cela.

Tout ça, c'est quelque chose qui commence. II faut avoir de la patience.

Je me suis demandé... Tous ces derniers temps, je me réveillais le matin avec mal aux yeux. Je me demandais d'où cela venait?

Tu travailles beaucoup le soir?

Je travaille normalement. Mais ce qui est curieux, c'est qu'à mesure que la journée s'écoule, ça va mieux. Et puis la nuit, j'ai mal aux yeux. Qu'est-ce qui se passe?... Je me suis demandé s'il n'y avait pas quelque chose de subtil qui m’embêtait.4

(Mère reste à regarder)

11 décembre 1968

(Mère lit le Message qu'elle a l’intention de donner pour l’année 1969.)

Pas de paroles: des actes.

No words – acts.1


(À Sujata) Qu'est-ce que tu veux pour ta fête?

Je veux m'offrir plus intégralement.

Offrir, c'est toi – donner, c'est moi!


(Puis Mère écoute la lecture d'un ancien Entretien du 22 juillet 1953.)

Comme ce sont des choses que je n'écrirais plus maintenant!... Mais enfin, elles sont vraies à leur niveau (geste par terre).

(silence)

l’expérience continue et devient de plus en plus consciente et presque pratique. Quand une personne vient, c'est comme si je voyais... presque comme si je pouvais mesurer la quantité de voiles qui empêche de voir et de sentir la Conscience suprême. Et c'est devenu vraiment intéressant: une personne est en face de moi, je la regarde, et alors je concentre-concentre-concentre jusqu'à ce que le contact avec la Conscience suprême soit établi, et je peux mesurer la réaction: il y en a, quand ils sont là, c'est très difficile d'obtenir le contact; il y en a (et c'est tout à fait inattendu, cela n'a rien à voir avec ce que l’on pense, c'est extraordinaire, extraordinaire!), il y a des personnes, tout de suite, ça fait hop! comme ça (geste qui perce un voile) et le contact s'établit, et quelquefois des personnes tout à fait inattendues; il y en a d'autres qui font la sâdhanâ, qui sont tout à fait consacrés, qui... et il faut un labeur! C'est vraiment intéressant. Vraiment intéressant. Et alors, il y en a, quand le contact est établi, qui ne veulent plus bouger! (je doute qu'ils sachent ce que c'est, mais ils ne veulent plus bouger); il y en a, au contraire, ça commence à faire comme ça (geste trépidant), ils voudraient bien s'en aller! (Mère rit) C'est formidablement intéressant!

Je me souviens du temps où je parlais d'un «bain de Seigneur» que je donnais – ça me paraît tout à fait périmé, cette histoire-là, ce n'est pas ça! c'est... Le Seigneur est là, partout, toujours! (je dis «le Seigneur» pour ne pas faire de phrases, mais quelquefois je dis «Conscience suprême» pour être moins... comment dire?... enfantin, parce que tout cela, c'est enfantin, tout ce que l’on dit). Mais l’expérience devient de plus en plus merveilleuse.

Comme j'étais loin encore quand je disais cela! (cet Entretien de 1953) Comme j'étais loin... C'était une transcription mentale. Enfin, ça ne fait rien; les gens, ça les amuse. Ils comprennent cela; ils ne comprennent pas ce que je peux faire maintenant. Et puis...

Il reste encore l’habitude de dire «je», mais je crois que c'est parce que, autrement, cela deviendrait très difficile de parler. Mais je ne le pense pas, je ne sais pas ce qui est «je»; ce qui parle, c'est... c'est la conscience qui est particulièrement occupée du travail de ce corps. N'est-ce pas, ce corps est utilisé pour un travail, et il y a une Conscience qui est déléguée pour s'occuper particulièrement de ça – voilà en un peu plus exact, mais on ne peut pas toujours faire des phrases!

Mais comme c'est intéressant!... Il y a des fois, oh! ça devient si beau! et il y a des fois où c'est si pénible! il faut un tel labeur, et quelquefois (riant) avec les gens qui ont la plus belle réputation!... C'est vraiment intéressant. Moi-même, je suis étonnée.

(silence)

Dès que l’on parle, la conscience descend. Mais ce n'est pas nécessairement pour se faire comprendre, c'est parce que la conscience est trop subtile pour les mots dont on dispose.

(longue méditation)

Je ne sais pas si je pourrai jamais dire d'une façon expressive... mais pour le moment les mots sont de terribles voiles.

Le corps est quelque chose de très-très simple et très enfantin, et il a cette expérience d'une façon tellement imperative, n'est-ce pas, il n'a pas besoin de «chercher»: il n'a qu'à arrêter une minute son activité et... c'est là. Et alors, il se demande pourquoi les hommes n'ont pas su cela depuis le commencement? Il se demande: «Pourquoi-pourquoi ont-ils cherché toutes sortes de choses – les religions, les dieux, les... toutes sortes de choses –, et c'est si simple!» Si simple, c'est pour lui si simple, si évident.

Toutes ces constructions – les religions, les philosophies, les... toutes ces constructions –, c'est un besoin du mental pour... pour «jouer bien». Il veut jouer le jeu bien. l’autre est si simple, si simple, si évident! Si évident, si simple: «Pourquoi?» Il se demande «Pourquoi-pourquoi-pourquoi cherchaient-ils toutes sortes de complications et... c'est si simple.» Même le fait de dire que «le Divin est au-dedans de vous profondément»... (n'est-ce pas, il se souvient de sa propre expérience), c'est tellement compliqué quand c'est si simple!

Et il ne peut pas expliquer, peut pas dire, il n'y a pas de mots, mais il a une sorte de perception consciente de... (Mère fait une légère torsion du bout des doigts) ce qui déforme et voile. Et c'est cela qui a été rendu la réalité pour toutes les consciences humaines.

C'est difficile à dire.

Ça devient pour lui un fait si évident... Il se demande comment on peut penser autrement, comment on peut sentir autrement? c'est si évident.

(silence)

Tu ne peux pas savoir quelle impression cela m'a fait en écoutant! (cet ancien Entretien de 1953) J'ai eu l’impression que je retournais des vies en arrière!...

C'est utile.

C'est utile...

Mais les gens ont besoin de moyens pour établir le «contact», c'est cela, l’histoire!

Tant de choses inutiles dans ces moyens!

Eh bien, oui! parce que aussitôt les moyens les enferment.

Oui.

Oh! c'est surtout ce «MOI», cet énorme moi, chez tout le monde, qui vient – qui vient falsifier tout. Mais le corps commence à se demander comment, comment on peut, comment?... Ce n'est pas une pensée, c'est une espèce de sensation, je ne sais pas, de perception (le langage est au-dessous de sa conscience; il dit «je» par habitude; peut-être par besoin de se faire comprendre, mais surtout par habitude), et le je...? II est tellement conscient qu'il y a un Je (geste en haut, un doigt en l’air).

(Mère sourit, hoche la tête et reste silencieuse)

Bien. Il faut attendre – patience-patience – que tout soit prêt.2

14 décembre 1968

(Mère lit trois versions différentes d'un message qu'elle veut donner pour l’ouverture de l’École. Puis elle choisit la première version.)

C'est venu successivement. C'est l’expérience que j'ai eue alors:

«Quand on vit dans la Vérité, on est au-dessus de toutes les contradictions.»

Les deux autres sont venues après:

«Vivre dans la Vérité, c'est être au-dessus de toutes les contradictions.»

Et puis:

«Celui qui vit dans la Vérité est au-dessus de toutes les contradictions, de toutes les oppositions.»

C'est tout à fait silencieux là (geste au front), et seulement je tourne (geste vers le haut) et j'attends, et je crois que ce qui vient en premier est le plus pur, c'est-à-dire le moins mélangé d'activités; après, c'est comme si dans l’atmosphère, là, ça se mélangeait à des vibrations mentales.


J'ai reçu un mot de P.L.

Ah!

Il partait en Espagne pour faire un «sondage d'opinion» au sujet des réformes de l’Église, et il me disait simplement: «J'ai eu une terrible expérience, qui s'est heureusement terminée avec douce Mère. Quand je reviendrai d'Espagne, je vous raconterai ce qui s'est passé.»1


(Puis Mère écoute la lecture d'un autre Entretien de 1953.)

C'est de quelle année?

1953.

Oh! comme je bavardais! (Mère rit) Enfin...

Mais en fait, ce n'était pas un bavardage: tu précipitais de la Force sur ces enfants. C'était cela.

C'est à l’usage des enfants.

Oui, mais il y a toute cette Force que tu déversais sur eux... C'est cela qui leur manque maintenant.2

(Mère reste silencieuse)

18 décembre 1968

(À propos de la traduction anglaise de la conversation du 23 novembre 1968, que le disciple a obtenu de faire publier dans les «Notes sur le Chemin».)

Les gens vont être abrutis!

Mais, douce Mère, s'ils lisent avec un tout petit peu de compréhension, ils comprendront comme c'est une expérience centrale.

C'EST une expérience centrale.

C'est tout à fait curieux... Le corps n'a pas quitté cette Conscience – ce sont les deux en même temps, mais si l’autre s'arrête pour, même deux minutes, c'est là.

Il y en a qui suivent.

Il y en a.,.?

Pour dire la vérité, ça m'est tout à fait égal!

21 décembre 1968

Ces jours-ci, il y a eu beaucoup-beaucoup de choses... Mais ça suffit! (Mère vient d'écouter la lecture d'une conversation qui sera publiée dans le prochain Bulletin).

Tu as quelque chose à dire?... Quoi?

Quelqu'un a posé une question (pas moi). Il paraît que c'est «typique» des questions que l’on pose après avoir lu tes «Notes»... Tu veux savoir?

Ce doit être quelque chose encore...

Je traduis: «En décrivant ses expériences d'août et de septembre derniers, la Mère parle de l’"exclusion du mental et du vital" Pourquoi doivent-ils être éliminés pour une rapide et effective transformation du corps? Est-ce que la conscience supramentale n'agit pas sur eux aussi?»

Certainement elle agit! Elle a DÉJÀ agi, depuis longtemps. C'est parce que le corps est habitué (était habitué) à obéir au vital et surtout au mental, et alors c'est pour changer son habitude, pour qu'il n'obéisse qu'à la Conscience supérieure. C'est pour cela. C'est pour que ça aille plus vite. Chez les gens, c'est à travers le mental et le vital que Ça agit – mais j'ai dit que c'était plus sûr aussi (c'est assez risqué comme expérience). Mais ça augmente la rapidité considérablement, parce que normalement il faut agir sur le corps à travers les deux, tandis que de cette façon-là, quand ils ne sont pas là, Ça agit directement. C'est tout.

C'est innocent comme question.

Le procédé n'est pas recommandé! Chaque fois que j'en ai l’occasion, je le dis: il ne faut pas que les gens s'imaginent qu'il faut essayer de faire cela (ils ne pourraient pas, mais enfin ça ne fait rien), ce n'est pas recommandé. Il faut prendre le temps nécessaire. Seulement, c'était à cause du nombre d'années... pour que ça aille plus vite.

(silence)

Ce qui est curieux, c'est qu'il y a comme des démonstrations de la tendance naturelle du corps (je suppose que ce n'est pas pour tous les corps la même chose: ça dépend de comment il a été bâti, c'est-à-dire: père, mère, antécédents, etc.), une démonstration du corps laissé à lui-même. Par exemple, celui-ci a une sorte d'imagination (c'est quelque chose de bizarre), imagination dramatique: tout le temps, il a l’impression de vivre des catastrophes; et alors, avec sa foi qui reste là, la catastrophe se transforme en réalisation – des choses comme cela, absurdes. Alors, pendant un certain temps, il est laissé à cette imagination (c'est ce qui s'est passé ces jours-ci), et quand il est bien fatigué de cette activité imbécile, il prie, n'est-ce pas, avec toute son intensité pour que ça cesse! IMédiatement, juste, hop! ça fait comme cela (geste de renversement), ça se retourne d'un coup, et il est dans une contemplation (mais pas lointaine: toute proche) de cette Présence merveilleuse qui est partout.

C'est comme ça, comme ça (Mère renverse brusquement deux doigts): ça ne prend pas de temps, il n'y a pas de préparation ni rien, c'est hop! hop! comme ça. (même geste), comme pour montrer la stupidité du corps. C'est quelque chose de tout à fait idiot, comme une démonstration par l’évidence, de la stupidité du corps laissé à lui-même, et puis de cette merveilleuse Conscience qui vient où tout ça s'évanouit comme... comme quelque chose qui n'a aucune consistance, aucune réalité, et qui s'évanouit. Et comme une démonstration que ce n'est pas seulement dans l’imagination, mais que c'est dans le fait: démonstration du Pouvoir pour que tout ce... ce vain rêve de la vie telle qu'elle est (qui est devenue pour la conscience de ce corps quelque chose de si effroyable), puisse se changer en une merveille, comme cela, simplement avec le retournement de la conscience.

l’expérience se répète dans tous les détails, tous les domaines, comme une démonstration par le fait. Et ce n'est pas un «long procédé» de transformation: c'est comme quelque chose qui se retourne tout d'un coup (Mère renverse deux doigts), et au lieu de voir la laideur, le mensonge, l’horreur, la souffrance et tout cela, tout d'un coup, il vit dans la béatitude. Et toutes les choses sont pareilles, rien n'a bougé, excepté la conscience.

Et alors, reste (c'est ce qui est en avant, qui va venir probablement): comment l’expérience doit se traduire matériellement?... Pour le corps lui-même, c'est tout à fait évident: pendant, mettons une heure, deux heures, trois heures, il souffrait beaucoup, il était très misérable (pas une souffrance morale: une souffrance tout à fait physique), et puis tout d'un coup, brrff! tout parti... Le corps apparemment est resté le même (Mère regarde ses mains) dans son apparence, mais au lieu d'un désordre intérieur qui fait souffrir, tout va bien, et c'est une grande paix, une grande tranquillité, et tout va bien. Mais ça, c'est pour un corps – comment cela agit-il sur les autres?... Il commence à percevoir la possibilité dans les autres consciences. Au point de vue moral (c'est-à-dire des attitudes, du caractère, des réactions), c'est très visible; même au point de vue physique quelquefois: tout d'un coup, quelque chose disparaît – comme nous avions l’expérience quand Sri Aurobindo enlevait une douleur (Mère montre comme une main du physique subtil qui vient et qui prend la douleur), on se demandait... ah! parti, évanoui, comme cela. Mais ce n'est pas constant, ce n'est pas général, c'est seulement pour montrer que ça peut être comme cela par le fait que cela est dans un cas ou un autre – montrer que ça peut être comme cela.

On pourrait dire de cette façon: le corps a l’impression d'être enfermé dans quelque chose – oui, enfermé –, enfermé comme dans une boîte, mais il voit au travers; il voit et il peut aussi avoir une action (limitée) à travers quelque chose qui est encore là et qui doit disparaître. Ce «quelque chose» donne l’impression d'un emprisonnement. Comment ça doit disparaître?... Ça, je ne sais pas encore.

Il doit y avoir à trouver la relation entre la conscience dans un corps et la conscience du tout. Et dans quelle mesure il y a dépendance, et dans quelle mesure il y a indépendance; c'est-à-dire jusqu'à quel point le corps peut se transformer dans sa conscience (et comme résultat, nécessairement, dans son apparence), comment il peut se transformer sans... sans la transformation du tout – jusqu'à quel point? Et dans quelle mesure la transformation du tout est nécessaire pour la transformation d'un corps? Ça reste à découvrir.

(silence)

S'il fallait tout raconter, ça prendrait des heures...

Mais cette «boîte» dont tu parles, c'est une boîte universelle.

Oui!

J'ai souvent eu l’impression que toutes ces soi-disant lois humaines ou lois «naturelles», c'est seulement une immense imagination morbide qui a été fixée collectivement – c'est ça, la boîte.

Oui, c'est cela! c'est cela.

Alors, comment...?

Oui, dans quelle mesure une lumière individuelle peut agir là-dessus?... Voilà le problème... Je ne sais pas.

(silence)

La vision est très claire du progrès collectif (notre champ d'expérience est la terre) qui s'est produit sur la terre; mais d'après le passé, il semblerait qu'il faille encore un temps formidable pour que le tout soit prêt à changer... Et pourtant, c'est presque une promesse que... il va y avoir un changement brusque: ce qui, dans notre conscience, se traduit par une «descente», une action qui «se produit» – quelque chose qui n'agissait pas jusqu'à présent et qui commence à agir (dans notre conscience, ça se traduit comme cela).

On verra.

Pour le corps lui-même, il y a une expérience croissante, c'est-à-dire de plus en plus précise: en même temps de sa fragilité (extrême fragilité: un tout petit mouvement peut faire cesser son existence actuelle), et en même temps – en même temps, simultanément –, le sens d'une éternité! qu'il a une existence éternelle. Les deux en même temps.

C'est vraiment une période de transition!

(silence)

Une ou deux fois quand son... ce qu'on pourrait appeler son «angoisse de savoir» était très intense, quand il avait pleinement le sens de la Présence – ce sens de la Présence partout, au-dedans, partout (Mère touche son visage, ses mains) –, il s'est demandé comment (pas même le pourquoi, pas de curiosité comme cela), comment le désordre actuel? Eh bien, quand c'était très intense, très intense, une ou deux fois, il a eu l’impression: ça trouvé, c'est l’immortalité.

Alors il est comme cela à pousser-pousser pour attraper le secret; on a l’impression qu'on va le trouver, et puis... Et puis il y a une espèce d'accalmie dans l’aspiration: paix-paix-paix... N'est-ce pas, une ou deux fois, l’impression: «Ah! ça va être compris» («compris», c'est-à-dire vécu; ce n'est pas «compris» avec la pensée: vécu), et puis... (geste qui échappe). Et une Paix qui descend.

Mais l’impression: «Ce sera pour demain.» Mais le «demain»... quel demain? – Pas demain à notre mesure.

On verra.

Mais les expériences sont innombrables, avec tous les aspects. Il faudrait des heures – et encore on a toujours l’impression que la parole, oui, fausse quelque chose. Ce n'est plus si simple, ce n'est plus si beau, et ce n'est plus si clair. Ça devient compliqué.

Le corps a des moments absolument merveilleux – il a des heures d'angoisse. Et tout d'un coup, un moment merveilleux. Mais ce moment-là ne peut pas s'expliquer... Si l’on doit juger le degré de développement d'après la proportion du temps, eh bien... le moment merveilleux dure quelques minutes, et il y a des heures d'angoisse. Il y a même des heures de souffrance. Et alors si, d'après cela, on juge de la proportion, il y a encore très-très-très, extrêmement loin...

Mais quoi faire? Il n'y a qu'à continuer, c'est tout.1

25 décembre 1968

J'ai rencontré X [un tantrique que nous avions suivi autrefois].

Ah!

Oui, par hasard. Je n'avais pas l’intention de le voir, et puis j'ai oublié qu'il était arrivé ici et je suis passé dans sa rue, et il était sur le pas de sa porte. Je n'ai pas fait demi-tour, j'y suis allé.

Qu'est-ce qu'il t'a dit?

Aimable... Mais j'ai eu l’impression que ce qu'il y avait là autrefois, n'est plus là... J'avais toujours l’impression qu'il y avait une lumière bleue autour de lui (c'était mon impression autrefois), et je n'ai pas eu cette sensation de pouvoir ou de force...

C'est peut-être quelque chose que tu avais mis là? Moi, je me suis demandé... Parce que, l’impression que j'avais eue de lui par toi était bien meilleure que lui-même, très supérieure à ce qu'il est. Alors je me suis demandé si ce pouvoir n'était pas venu A ce moment-là parce que c'était nécessaire pour te faire sortir de tes difficultés.

Et j'ai fait deux ou trois «tests» avec lui. Par exemple, il s'était vanté qu'il pouvait me faire avoir tout l’argent dont j'avais besoin; alors je lui ai dit: «J'ai besoin: faites venir.» (Il avait dit «des lakhs et des lakhs, des crores de roupies».)1 J'ai dit: «Bon, j'ai besoin de cela, faites venir.» – Ce n'est jamais venu... N'est-ce pas, j'ai eu l’impression qu'il s'était vanté de pouvoirs. Il vivait là-bas (il vit encore là-bas) au milieu d'une population tout à fait primitive qui est émerveillée, par la moindre expression de pouvoir; il avait l’habitude d'être considéré comme un être tout à fait «puissant et supérieur», et dès qu'il est entré en rapport avec nous et les gens qui étaient habitués aux visions de Sri Aurobindo et à être dans un autre monde que ce monde purement vital, il s'est trouvé tout perdu... Il est resté trois ans, je crois, sans venir, ou deux ans sans venir. Il vient pour sa «fête» (je le vois le 29), mais les dernières fois que je lui ai donné la méditation, c'était... enfin, il y en a beaucoup-beaucoup dans l’Inde comme cela. Il a un pouvoir qui agit seulement dans un vital très ordinaire. Et rien de vraiment supérieur.

Et alors, pour la qualité de la vision, il y a eu une histoire tout à fait... curieuse. La mère de K était venue ici avec une fille qui était mariée, qui venait de perdre son fils (un jeune homme qui était mort subitement). Ils sont venus ici, elle était tout à fait malheureuse, et quand elle est venue me voir, j'ai vu le fils qui était dans son atmosphère, à elle. Je lui ai dit: «Votre fils est avec vous. Si vous avez la vraie attitude, vous pouvez entrer en rapport avec lui et sentir qu'il est là.» Elle part de chez moi, elle s'en va trouver X, et comme ils font toujours, elle lui a demandé ce qu'il savait de son fils. X lui a dit d'autorité: «Votre fils est entré dans un berger»... Alors naturellement elle a perdu toute confiance en moi, parce que, moi, je ne dis pas les choses avec une autorité dogmatique; et lui, a parlé comme cela, avec aplomb; alors elle était sûre qu'il avait raison!... Il y a peut-être une petite partie du fils qui est entrée dans un berger (!) je n'en sais rien; moi, ce que j'ai vu, c'était la partie psychique. Mais elle a perdu toute confiance, elle n'est plus jamais revenue me voir. Alors c'est ennuyeux. Cela prouve qu'il est très enfermé en lui-même et dans sa propre conception.

Ça ne fait rien...

Il ne t'a pas demandé si tu continuais les «poudja»?

Non, rien. Il a compris que c'était fini.

(silence)

Et puis... Tu sais que j'ai cherché de tous les côtés à faire publier Sri Aurobindo: notamment «Le Cycle Humain». Enfin, j'ai reçu une réponse d'un certain J.B. qui dit ceci: «Voici fort longtemps qu'un éditeur (F...) me demande de créer chez lui une collection, l’avais pensé à quelques livres, surtout étrangers, groupés autour d'un titre du genre "Vers la mutation spirituelle", et centrés sur les recherches actuelles, individuelles, maladroites, souvent dangereuses, mais sincères et entreprises dans un tout autre esprit que celui de la génération précédente, d'une certaine jeunesse actuelle avec qui je suis en contact. Montrer à ces "jeunes" que leurs tentatives, leurs aspirations sont légitimes, même s'ils les ont découvertes par la drogue, puisque dans bien des cas elle seule a pu les désancrer du fond rationaliste cartésien, leur exposer des expériences, elles, positives, leur proposer des directives, des modèles. Autrement dit, le côté amateurisme-exotisme de Z [un autre éditeur] serait remplacé ici par un côté pratique, technique, largement ouvert sur toutes les recherches spirituelles, quelles qu'elles soient, les expériences "métapsychiques" dûment contrôlées, les expériences psychédéliques sérieuses (je pense à l’étude de T. Leary, par exemple), les nouvelles théologies... Bien entendu, il y aurait place, une place majeure, pour l’effort oriental En somme, il s'agirait de toutes les recherches, tentatives pour dépasser, faire craquer cette espèce de corset dans lequel depuis si longtemps l’esprit occidental tourne en rond. Ce qui n'exclue nullement, mais au contraire, certains ouvrages scientifiques – de science pure –, où ce cartésianisme est déjà, par nécessité intrinsèque, singulièrement secoué. Bien sûr, tout cela ferait un cadre bien hétéroclite, que vous considérerez comme indigne d'elle, autour de la pensée de Sri Aurobindo... La collection projetée pourrait s'intituler "Aventures spirituelles"...»

On peut essayer.

Au milieu de tout ça?

Ça ne fait rien. On peut essayer.

Parce que cela peut toucher des gens, n'est-ce pas, c'est cela qui est important. On peut essayer.


Enfin il y a une lettre de P.L.: «...Mon séjour en Espagne s'est prolongé plus que je ne supposais... Dites à Douce Mère que je continue ma lutte et mon effort, qu'elle me suit partout et que sa protection est mon soutien. Je vais vous entretenir de mon expérience. Je suis allé passer un week-end au bord de la mer où j'ai un appartement très petit et très joli... Là, je médite et repasse tous les enseignements de Mère en me plongeant dans la lecture de "La Vie Divine" et des "Entretiens". J'ai mis à brûler un bâton d'encens. Soudain, j'ai eu une sueur très copieuse dans tout le corps et une lutte atroce a commencé. Si je pouvais parler en termes religieux avant mes expériences ashramites, je dirais que toutes les tentations de St Antoine sont tombées sur moi pour me détruire, pour m'abattre spirituellement. D'abord, un désarroi, une détresse très profonde, d'impuissance: à quoi sert ma vie? Qu'est-ce que je fais? Pourquoi je vis? Mes efforts tous inutiles... Après, c'était l’attraction de la femme, qui venait ridiculiser ma continence... Tout était mis en cause: les pourquoi et pourquoi faisaient éclater ma tête. Après, ce fut l’invasion du pouvoir: pourquoi as-tu renoncé à être évêque? La gloire serait venue avec... Ensuite le désir de l’argent... Tout, dans un tour macabre et attirant à la fois. Enfinla solitude totale... abandonné par tous; tous étant partis: mes amis, les appuis au Vatican, ma famille, vous, tous. Combien de temps s'est-il passé? Je ne le sais pas. Je crois cependant avoir entendu une toute petite voix... (mais j'étais si faible que je suis incapable de dire si c'était vrai), qui me disait: "Ne pleure pas, je suis avec toi. Si je suis avec toi, les autres sont de trop, et si tu es sans moi, les autres ne pourront pas t'aider..." Je suis resté dans le vide... Toute la nuit s'est écoulée... le matin, le soleil: tout était si beau! En rentrant à la maison de Rome, on me disait que j'étais transformé! Voilà.»

Ça, je lui ai dit [«je suis avec toi»].

Ils sont très forts occultement, ces gens.

J'ai senti pendant au moins deux jours de suite qu'il était dans une grande difficulté. Je pensais que c'étaient «les autres» qui lui faisaient des difficultés...

Je ne lui ai pas dit avec ces mots-là [«Je suis avec toi»] parce que je ne dis jamais «je suis», mais la conscience était comme cela: «Le Seigneur est avec toi.» Seulement, je ne peux pas le dire en mots parce que, pour eux, dès qu'il s'agit de «Dieu», toute leur religion revient. C'était le FAIT de conscience que je mettais sur lui. Mais tu peux lui dire que c'était exactement ce que je voulais lui dire. Ça s'est traduit comme cela en lui parce que, en lui, je représente... l’autre côté de la vie.

C'est bien, c'est exactement ce que je voulais lui faire sentir.

28 décembre 1968

(Après avoir écouté la musique composée par Sunil pour le premier janvier.)

Ça t'a plu?

C'est très beau, très puissant.

N'est-ce pas! Et ça crée une atmosphère.

D'habitude, je lui joue de la musique et c'est d'après cela qu'il compose, mais cette fois-ci je n'ai pas joué, alors il a pris de vieilles musiques à moi, et avec cela il entre en contact et il compose.

Il y a un musicien américain qui est venu et je l’ai envoyé à Sunil (c'était un pianiste). Il a dit qu'il avait entendu de la musique de Sunil là-bas, en Amérique, et qu'au premier moment, les gens sont un peu ahuris, mais que quand ils l’entendent plusieurs fois, après ils sont tout à fait enthousiastes.

Moi, je trouve que ça crée une atmosphère: ça fait descendre une atmosphère.

Et la voix humaine est très jolie, mélangée.1


(Puis Mère écoute la lecture de la conversation du 21 décembre: «la boîte universelle».)

Ça continue, jour après jour, jour après jour.

Et jamais la même chose ne se reproduit deux fois: ou c'est un autre point du corps qui fait l’expérience (une autre activité, un autre mouvement dans le corps), ou bien c'est un détail qui n'était pas résolu, ou bien... Il y a tout un champ – énorme – d'études et d'observations, justement de la relation avec les autres corps et de la mesure où ce corps fait du travail pour d'autres corps. C'est très intéressant, oh! très intéressant. Parce que tout se passe sans l’intermédiaire de la pensée; alors le corps a une sensation ou une expérience, ou il perçoit un désordre, ou... et il agit là-dessus, et puis au bout d'un moment, il s'aperçoit que ce n'est pas lui-même, que c'est un autre. Et c'est comme cela qu'il agit.

Tout cela paraît dans un champ encore limité, mais je ne suis pas sûre que ce ne soit pas beaucoup plus général. Tout le temps (presque tout le temps), il semble qu'il y ait une intervention du psychique, et c'est comme si le psychique faisait souvenir le corps... (je ne sais pas comment dire), faisait que le corps se souvienne de son universalité, et que les mouvements de conscience – les mouvements de la Conscience supérieure qu'il exprime –, ce n'est pas seulement pour lui-même qu'il l’exprime: ça a un effet général.

On le saura. Tout cela, on le saura... plus tard, dans...

Mais le corps a une étrange sensation, vraiment étrange, d'être vaste comme la terre, même plus (ça ne peut pas se dire, parce que la façon de dire n'est pas vraie), mais il y a quelque chose comme cela: une sorte d'identité intérieure qui s'exprime dans le plan... (Mère cherche)... Dans la Conscience supérieure, ça a un effet. Je ne sais pas comment dire.

Et dans cette conscience-là, l’étrange, c'est l’importance d'une minute, qui pour notre conscience n'est rien, et là ça a une importance... Il peut, en une minute, se faire quelque chose de... général. Naturellement tous les mots sont idiots, mais c'est comme cela. Une minute.

En une minute... Et c'est au point que le corps perçoit que une minute comme cela (Mère tourne légèrement deux doigts), c'est une victoire; une minute comme cela (Mère tourne les deux doigts dans l’autre sens), c'est une catastrophe. Et pas seulement pour lui (lui, c'est réduit et concentré, ce n'est pas la même chose), mais c'est général.

C'est une observation qui a commencé aujourd'hui (pendant des heures, n'est-ce pas), d'une façon tout à fait aiguë. Mais c'est nouveau – c'est nouveau dans son aspect; c'est la suite de tout ce qui précède, mais dans l’aspect que ça a pris, c'est tout nouveau. C'est-à-dire que la conscience du corps s'en aperçoit peut-être d'une façon nouvelle.

Tout cela, c'est un à-peu-près. Peut-être que dans quelque temps, ce sera plus précis.

C'est la qualité du temps qui change.

Il y a une sorte d'intensité de conscience qui change la valeur du temps (je ne sais pas comment dire).

C'est un commencement.

On verra.

Ce n'est pas bien dit, tout cel a, mais comment le dire? Je ne sais pas. Peut-être plus tard.

Alors, je te vois l’année pr ochaine, juste le premier jour de l’année.

Mercredi?

Oui, c'est le premier jour de l’année!2 (Mère rit avec une malice ravie)









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