L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1970 Vol. 11 443 pages 1981 Edition   Satprem
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Starts the terrible years.The change is DONE: a new mode of being of the cellular consciousness has appeared on earth. The future awaits - will the 'old' yield?

L’Agenda de Mère 1970

The Mother symbol
The Mother

The beginning of the terrible years.... There was the feeling that Mother had found the secret of the change, conquered all she could from her own body, and that she was now sitting there, surrounded by the pack, just putting up with each and every resistance of the old species. "The change is DONE. Everything is tooth and nail, ferociously after me, but it's over." A new mode of being of the cellular consciousness had appeared on earth, as one day, in inert matter, there appeared a new mode of being called life - but this time it is "overlife": "The impression there is a way of being of the cells that would be the beginning of a new body; only, when that comes, the body itself feels it is dying." What would be the feeling of the first corpuscle to experience life? "The body feels it has reached the point of.... unknown. A very, very strange sensation. A sort of new vibration. It's so new that.... I can't speak of anguish, but it's.... the unknown. A mystery of the unknown." And there, what we call death is like the other side of the bowl for the former fish, and yet it is not "another world": "They are surprisingly one within the other! There is something there.... Is it possible? For overlife is both life and death together." And then, this cry of the breakthrough: "What appears to us as 'the laws of nature' is nonsense!...." Another world ON EARTH in which the old mortal laws of our bowl break down.... into something else? "I have just had a fantastic vision of the cradle of a future.... which is not very far. It's like a formidable mass suspended above the earth." But will the old pack let her go through to the end?

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1970 Editor:   Satprem Vol. 11 443 pages 1981 Edition
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Mother's Agenda 1970 Conversations with Satprem

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janvier




1er janvier 1970

Image 1

Le monde se prépare à un grand changement.

Voulez-vous aider?

(Plus tard, Mère commente ainsi ce message:)

Ce grand changement est l’apparition sur terre d'une race nouvelle qui sera pour l’homme ce que l’homme est pour l’animal.

La conscience de cette nouvelle race est déjà à l’œuvre sur terre pour éclairer tous ceux qui sont capables de la recevoir et de l’écouter.

3 janvier 1970

(Suite de la conversation du 31 décembre 1969 sur Auroville et le Matrimandir.)

Douce Mère, j'ai dit à Paolo [l’architecte italien] de venir, il attend dehors.

Oui... Il y a une chose intéressante.

Il y avait longtemps que je sentais quelque chose, puis nous en avons parlé l’autre jour et j'ai vu... J'en ai parlé à R [l’architecte d'Auroville], je lui ai dit de voir Paolo, je lui ai dit aussi que j'avais vu ce qu'il fallait faire. Naturellement, il n'a pas dit non, il m'a dit oui à tout, mais j'ai senti qu'il n'avait pas beaucoup l’intention... Mais voilà ce qui s'est passé. J'ai vu clairement – très-très distinctement –, c'est-à-dire que c'était comme cela et c'est encore comme cela, c'est là (geste désignant un plan éternel): l’intérieur de cet endroit [le Matrimandir].

Tu devrais le dire à Paolo?

Je lui dis tout de suite?... Bon... Je parlerais plus facilement si je suis seule avec toi.

Oui, alors dis, douce Mère.

Je pourrais faire la description. C'est venu comme cela. Ce sera une espèce de hall qui sera comme l’intérieur d'une colonne. Pas de fenêtres. l’aération sera artificielle, avec ces machines-là (Mère désigne un climatiseur), et seulement un toit. Et le soleil qui frappe le centre; ou quand il n'y a pas de soleil (la nuit et les jours sombres), une lumière électrique de projecteur. Et l’idée, c'est de faire tout de suite comme un exemple ou un «modèle» contenant environ une centaine de personnes. Quand la ville sera construite et qu'on aura fait l’expérience, on en fera une grande chose – mais alors, ce sera très grand, contenant de mille à deux mille personnes. Et on fera le second autour du premier, c'est-à-dire que le premier ne partira que quand le second sera fini.

Voilà l’idée.

Seulement, pour en parler à Paolo (et si possible, si je vois que c'est possible d'en parler à R), je voulais avoir un plan. Je vais le faire faire – pas moi-même, je ne peux plus; j'aurais pu le faire dans le temps, mais maintenant, je ne vois plus assez clair. Je vais le faire faire cet après-midi devant moi, un plan, et avec ce plan, je pourrai vraiment bien expliquer. Mais à toi, je voulais simplement dire ce que j'ai vu...

Image 2

Ce sera une tour à douze facettes – chaque facette représente un mois de l’année – et le haut, le toit de la tour sera comme cela (Mère fait un geste représentant à peu près ceci:)

Et alors, à l’intérieur, il y aura douze colonnes – les murs et puis douze colonnes – et tout au centre, il y a par terre mon symbole, et dessus, quatre symboles de Sri Aurobindo qui se joignent, qui font un carré, et au-dessus... un globe. Un globe si possible d'une matière transparente et avec (ou sans) lumière dedans, mais le soleil devra taper sur ce globe; alors, suivant les mois ou le moment, ce sera d'ici, de là, de là... (geste indiquant la marche du soleil), tu comprends? Il y aura toujours une ouverture avec un rayon. Pas une lumière diffusée: un rayon qui frappe, qui devra frapper. Cela demande des connaissances techniques pour pouvoir être exécuté et c'est pour cela que je veux faire un dessin avec un ingénieur.

Et alors, il n'y aura dedans ni fenêtres ni lumières, ce sera toujours dans une sorte de pénombre claire: nuit et jour – le jour avec le soleil, la nuit avec la lumière artificielle. Et par terre: rien, excepté un sol comme celui-ci (la chambre de Mère), c'est-à-dire d'abord du bois (du bois ou autre chose), puis une sorte de mousse de caoutchouc épaisse, très douce, et puis un tapis. Un tapis partout – partout, excepté ce centre. Et les gens pourront s'asseoir partout. Et les douze colonnes, c'est pour les gens qui ont besoin de s'appuyer le dos!

Et alors, on ne viendra pas pour une «méditation régulière» ou quoi que ce soit de ce genre (mais l’organisation intérieure, on la fera après): ce sera un lieu de concentration. Tout le monde ne pourra pas venir; il y aura un moment de la semaine ou un moment de la journée (je ne sais pas) où on laissera venir les visiteurs, mais enfin pas de mélange. C'est une heure fixe ou un jour fixe pour montrer [aux visiteurs], et le reste du temps, seulement pour ceux qui sont... sérieux – sérieux, sincères –, qui veulent vraiment apprendre à se concentrer.

Alors, je crois que ça, c'est bien.

C'était là (geste de vision au-dessus), je le vois encore quand j'en parle – je vois. Tel que je le vois, c'est très beau, c'est vraiment très beau... Une sorte de pénombre: on voit, mais c'est très tranquille, et puis des rayons de lumière très clairs et très forts (la lumière projetée, la lumière artificielle, il faudra qu'elle soit un peu dorée, il ne faut pas que ce soit froid – cela dépendra du projecteur) sur ce globe. Un globe que l’on fera en matière plastique ou... je ne sais pas.

Cristal?

Si c'est possible, oui. Pour le petit temple, le globe n'aura pas besoin d'être très gros: s'il était grand comme cela (environ 30cm), ce serait bien. Mais pour le grand temple, il faut que ce soit grand.

Mais le grand temple sera construit comment? Au-dessus du petit?

Non-non, le petit s'en ira.

Ah! il s'en ira, on en fera un autre.

Mais le grand sera construit après, alors à des dimensions formidables... Le petit partira seulement quand le grand sera fait. Mais, n'est-ce pas, pour que la ville soit finie, il faut compter une vingtaine d'années (vraiment pour que tout soit en ordre, à sa place). C'est comme les jardins: tous les jardins que l’on fait, c'est pour maintenant, mais dans vingt ans, il faudra que tout cela ait d'autres dimensions; là, il faudra que ce soit quelque chose de vraiment... vraiment beau. Et je me demande dans quelle matière faire ce globe, le grand?... Le petit, en cristal peut-être: un globe comme cela (30cm), je crois que ce serait suffisant. Il faut que l’on puisse voir le globe de tous les coins de la salle.

Il ne faut pas qu'il soit trop élevé au-dessus du sol non plus?

Non, le symbole de Sri Aurobindo n'a pas besoin d'être très grand, il a besoin d'être grand comme cela...

Vingt-cinq centimètres, trente centimètres?

Au plus, tout au plus.

C'est-à-dire que ce serait à hauteur des yeux à peu près.

Des yeux, oui, c'est cela.

Et une atmosphère très tranquille. Et rien, n'est-ce pas: de grandes colonnes... À savoir si les colonnes seront d'un style... si elles seront rondes, ou aussi, elles-mêmes, à douze facettes...? Et douze colonnes.

Et un toit à deux pans?

Oui, un toit à deux pans pour pouvoir avoir le soleil.

Il faudra que ce soit arrangé de telle façon que la pluie ne puisse pas entrer. On ne peut pas penser à avoir quelque chose à fermer et à ouvrir quand il y a la pluie, ce n'est pas possible; il faut que ce soit arrangé de telle façon que la pluie ne puisse pas entrer. Mais le soleil doit entrer par rayon: pas diffusé. Par conséquent, il faut que l’ouverture soit limitée... Cela demande un ingénieur calé qui sache vraiment son métier.

Et ils commenceraient quand?

Moi, je voudrais que l’on commence tout de suite, dès que l’on aurait les plans. Seulement, il y a deux questions: d'abord les plans (les travailleurs, on peut en avoir), et puis l’argent... Je crois que c'est possible avec cette idée de faire comme un petit échantillon (enfin, «petit» c'est une façon de parler parce que, pour que cela contienne facilement une centaine de personnes, il faut encore que ce soit suffisamment grand), un petit échantillon pour commencer; et alors, en faisant le petit échantillon on apprendra, et on fera le grand juste quand la ville sera finie – ce n'est pas tout de suite.

J'en ai parlé à R, qui m'a dit le lendemain: «Oui, mais ça va demander du temps à préparer» (je n'ai rien dit de tout ce que je viens dé te dire, j'ai seulement parlé de faire quelque chose). Et après, j'ai eu la vision de cette salle, alors je n'ai plus besoin de personne pour voir ce que cela doit être: je sais. Et il faut plus un ingénieur qu'un architecte, parce qu'un architecte... il faut que ce soit aussi simple que possible.

J'ai raconté à Paolo ce que tu avais vu, cette grande salle vide, où il n'y avait rien; ça le touchait beaucoup, il voyait justement cette grande salle, vide. Il comprend bien. Alors, «vide», cela veut dire une forme simplement.

Mais une forme... comme une tour, mais... (c'est pour cela que je voulais avoir un croquis pour montrer), douze facettes régulières, et puis il faut un mur qui ne soit pas droit, un mur un petit peu comme cela (geste légèrement incliné), je ne sais pas si c'est possible. Et à l’intérieur, douze colonnes. Et alors, il faut trouver un arrangement pour capter le soleil: douze facettes de façon qu'à tout moment de l’année, il puisse venir... Il faut quelqu'un qui sache bien le métier.

Le dehors... Je n'ai pas vu le dehors; pas vu du tout, je n'ai vu que le dedans.

Je voulais expliquer à Paolo quand j'aurais les papiers, ce serait plus facile, mais puisque tu l’as appelé...

(Sujata va chercher Paolo, qui arrive avec une guirlande d'«harmonie» rose. Mère lui donne un hibiscus orange – la fleur d'Auroville –, le regarde, puis se met à parler:)

Depuis que l’on a décidé de faire ce temple, j'ai vu: je l’ai vu à l’intérieur. Je viens d'essayer de le décrire à Satprem. Mais d'ici quelques jours, j'aurai des plans et des dessins, alors je pourrai expliquer plus clairement. Parce que, le dehors, je ne sais pas du tout comment c'est, mais dedans je sais.

(Paolo:) Le dehors sort du dedans.

C'est une espèce de tour à douze facettes régulières qui représentent les douze mois de l’année, et absolument vide... Seulement, il faut qu'elle puisse contenir de cent à deux cents personnes. Et alors, pour soutenir le toit, il y aurait à l’intérieur (pas au dehors: à l’intérieur), douze colonnes; et tout à fait au centre, alors l’objet de la concentration... Et avec la collaboration du soleil, toute l’année le soleil devra entrer par rayon (pas une diffusion: il faudra faire un arrangement pour qu'il puisse entrer comme des rayons); alors, suivant les heures de la journée et les mois de l’année, le rayon tournera (il y aura un arrangement en haut) et le rayon sera dirigé sur le centre. Au centre, il y aura le symbole (de Mère), plus le symbole de Sri Aurobindo soutenant un globe. Un globe que l’on va essayer de faire en quelque chose de transparent comme du cristal ou... Un grand globe. Et alors, les gens seront admis là pour se concentrer – (riant) pour apprendre à se concentrer! Pas de méditations fixes, rien de tout cela, mais il faudra qu'ils restent là dans le silence – dans le silence et la concentration.

(P:) C'est très beau.

Mais l’endroit absolument... aussi simple que possible. Et le sol, de façon que les gens soient confortables, qu'ils n'aient pas à penser qu'ils ont mal ici ou qu'ils ont mal là!

(P:) C'est très beau.

Et au milieu, sur le sol, mon symbole. Au centre de mon symbole, on mettra en quatre parties (comme un carré) quatre symboles de Sri Aurobindo, debout, soutenant un globe transparent.

Ça, ça a été vu.

Alors, je vais faire préparer par un ingénieur des petits plans, simples, pour montrer, et puis je te montrerai quand ce sera prêt. Voilà. Et puis on verra.

Pour les murs, probablement il faudra que ce soit en concrete [béton armé].

(P:) Toute la structure peut être en béton armé.

Le toit devra probablement être incliné, et alors, au centre, il faudra un arrangement spécial pour le soleil.

(Satprem:) Tu disais que les murs, tu les voyais un peu inclinés.

Ce seront ou les murs inclinés ou le toit qui devra être incliné – ce qui sera le plus facile à faire. Les murs, on peut les faire droits, et le toit, incliné. Et la partie supérieure du toit appuyée sur les douze colonnes. Et là-haut, l’arrangement pour le soleil.

Et dedans: rien. Rien que les colonnes. Les colonnes... je ne sais pas, il faudra voir si on les fera à facettes (comme le tout), à douze facettes, ou bien simplement rondes.

(P:) Rondes.

Ou simplement carrées – c'est à voir.

Et alors, par terre, on mettra quelque chose d'épais et de mou. Ici... (vous êtes confortables quand vous êtes assis?... Oui?), il y a d'abord du bois et puis cette espèce de caoutchouc, et par-dessus, un tapis de laine.

(Satprem:) Avec ton symbole?

Pas le tapis. Le symbole, j'avais pensé qu'il vaudrait mieux le faire en quelque chose de solide.

(P:) Il faut de la pierre.

Le symbole... tout sera autour, n'est-ce pas. Le symbole ne couvrira pas le tout, ce sera seulement au milieu de l’espace – (riant) il ne faut pas que l’on s'asseoie sur le symbole!... Il sera au milieu.

La proportion du symbole par rapport au tout est à voir soigneusement, en comparaison avec la hauteur.

(P.) Et la salle assez vaste?

Ah! oui, il faut bien. Il faut que ce soit comme une sorte de pénombre avec ces rayons de soleil – que le rayon de soleil se voie.

Un rayon de soleil.

Alors, suivant les heures de la journée, le soleil tournera (les heures de la journée et les mois de l’année). Et puis, la nuit, dès que le soleil disparaît, on allume des réflecteurs qui auront le même effet et la même couleur. Et nuit et jour, la lumière reste là. Mais pas de fenêtres ni de lampes ni de choses comme cela: rien. La ventilation avec des machines à climatiser (on fait cela dans les murs, c'est très facile).

Et silence. Dedans on ne parle pas!

Ce sera bien.

Alors, dès que mes papiers seront prêts, je t'appellerai pour te les montrer.

(P:) Très bien.

(À Sujata:) Tu me donnes une rose pour lui.

(Mère donne deux roses rouges Paolo se retire)

Je ne lui ai pas demandé s'il avait vu R parce que... R est tout à fait dans l’atmosphère «pratique» de maintenant.

C'est bien, il faut que ça démarre!

N'est-ce pas, c'est ce que j'ai appris: la faillite des religions, c'est parce qu'elles étaient divisées – elles voulaient que l’on soit religieux à l’exclusion des autres religions; et toutes les connaissances humaines ont fait faillite parce qu'elles étaient exclusives; et l’homme a fait faillite parce qu'il était exclusif. Et ce que la Nouvelle Conscience veut (c'est là-dessus qu'elle insiste): plus de divisions. Être capable de comprendre l’extrême spirituel, l’extrême matériel, et de trouver... trouver le point de jonction, là où... ça devient une force véritable. Et c'est en train de vouloir apprendre ça au corps aussi par les moyens les plus radicaux.

Et le malheur (riant: je dis «malheur»!), c'est que chez les gens, ça se traduit par des désordres. Des gens qui sont proches de moi pour le travail tombent «malades». Il y en a un qui est au nursing home [clinique], l’autre qui a des difficultés. Et suivant leur réceptivité, il faut que j'arrive à leur faire comprendre qu'ils ne s'inquiètent pas, que ce n'est pas «une maladie», que c'est... la résistance du corps. Et le corps (de Mère), il a appris à ses dépens!... C'est tout le temps comme cela: si tu es dans la vraie position, tout va bien – à condition que l’on n'observe pas, qu'on ne soit pas à étudier: «Ah! il est comme ça, ou il est comme ça, il sent ça, ou...» Dès que l’on s'occupe de lui, dès que la conscience est tournée vers lui, il y a quelque chose qui se dérange. Ça se dérange. Il faut que l’on soit... comme ça (geste tourné vers le haut). Et alors, il y a quelque chose qui sait tout de même, il y a quelque chose qui sait mais on n'observe pas (je ne sais pas comment dire). Et on voit que dès que la conscience des cellules prend la vraie attitude, la chose qui se manifestait comme un désordre ne se manifeste plus comme un désordre: la nature de la manifestation change – comment?...

Et non seulement cela, mais le «que Ta Volonté soit faite» (sans souci du tout de ce que c'est, de ce que sera cette Volonté, c'est-à-dire une acceptation d'avance de quoi que ce soit), est remplacé d'une étrange façon – d'une étrange façon – par une chose qui n'a rien à voir avec la pensée et de moins en moins avec la vision, quelque chose de supérieur, qui est un genre de perception – un genre de perception nouveau: on sait. Mais ça, c'est venu pour quelques secondes. De temps en temps, ça vient, et puis... les vieilles habitudes recommencent. C'est au-dessus – très-très au-dessus – de la pensée; c'est au-dessus de la vision. C'est une sorte de perception: il n'y a plus de différenciation des organes (Mère touche ses yeux, ses oreilles). Et c'est une perception... oui, qui est totale; qui est à la fois (si on veut l’expliquer), à la fois vision, ouïe et connaissance. Une perception... quelque chose qui est un nouveau genre de perception. Alors là, on sait. Ça remplace le savoir. Mais dès que l’on veut l’amener sur le plan du savoir, c'est fini, on perd le contact.

Tout cela, c'est certainement la conscience de ce que Sri Aurobindo avait appelé le supramental:1 l’être qui suivra l’homme. Comment il sera? – Je n'ai pas encore vu... Ça, je n'ai pas encore vu. J'ai bien vu, j'ai eu des perceptions du surhomme, de l’être intermédiaire, mais on sent très bien que ce n'est qu'un être intermédiaire. Ce que sera cet être-là qui suivra le surhomme? Je ne sais pas... Parce que nous sommes encore beaucoup trop humains; quand nous voyons une forme à la Conscience Suprême, l’Être Suprême, etc. – le Suprême –, nous avons tendance à lui donner une forme similaire à la forme humaine, mais c'est notre vieille habitude... J'avais vu cet être futur (je l’ai vu il y a bien des années); c'était évidemment une forme beaucoup plus harmonieuse et expressive que la forme humaine, mais ça ressemblait, c'était encore une forme humaine, c'est-à-dire une tête et des bras et des jambes et... Est-ce que ce sera ça? Je ne sais pas. Il y aura cela comme intermédiaire, forcément – forcément. Il y a eu toutes ces sortes de singes qui ont servi d'intermédiaires entre l’animal et l’homme... Mais la légèreté, l’invulnérabilité, le déplacement à volonté, la luminosité à volonté, tout cela est entendu, ça fait partie des qualités supramentales, mais... Ah! oui, aussi le revêtement à volonté: ce n'est pas une chose étrangère ajoutée, c'est la substance qui prend certaines formes... Tout cela, je l’ai vu et j'en ai parlé à Sri Aurobindo aussi, et Sri Aurobindo lui-même m'a fait certaines démonstrations (quelquefois, je le vois et il me montre). Lui, a dit simplement ce que sera le pas intermédiaire. Mais toutes les descriptions ne valent rien. Et quand je le vois la nuit (je passe des heures avec lui quelquefois), c'est tellement naturel et spontané que je ne suis même pas là à observer: «Ça, c'est comme ça, ça c'est comme ça...», non. Et le matin avec une concentration, l’impression reste très forte, mais le détail comme nous le comprenons ici, on ne peut pas dire.

De même, cette espèce de chose (Sri Aurobindo aussi l’appelle «perception»), cette perception qui remplace la vision et tout le reste, c'est très fort la nuit. C'est difficile à dire... On en a l’impression au réveil, mais on n'a pas la capacité; la pleine capacité n'est pas là.

(silence)

Au point de vue pratique, je vais essayer de faire comprendre à R. Mais j'ai vu, il me semblait que ce qu'il faudrait... R, quand il est ici, s'occupe d'«Auromodèle», du côté pratique, de tout cela (c'est très nécessaire, c'est très bien), et pour cette construction du centre, je voudrais que ce soit Paolo qui la fasse, et alors je voudrais que Paolo reste quand R est parti: que Paolo soit ici quand R est parti, et avec Paolo on ferait cela. Seulement, je ne veux pas qu'ils sentent l’un et l’autre que c'est l’un contre l’autre (!) Il faut qu'ils comprennent que c'est pour se compléter.

Je crois que Paolo comprendra.

Mais R va prendre cela comme un empiétement sur ses attributions?

Peut-être pas, je vais essayer. Je vais essayer.

Non, quand je lui ai dit qu'il était nécessaire de faire le centre – que je l’avais vu et que ça devait être fait –, il n'a pas objecté. Seulement, il m'a dit: «Mais ça prendra du temps.» Je lui ai dit: «Non, il faut que ce soit fait tout de suite.» Et c'est pour cela que je fais faire ces espèces de croquis par un ingénieur, pour lui montrer, parce que ce n'est pas un travail d'architecte: c'est un travail d'ingénieur avec des calculs très précis pour la lumière du soleil, très précis. Il faut que ce soit quelqu'un qui sache vraiment. l’architecte, il faudra qu'il voie que les colonnes soient belles, que les murs soient beaux, que les proportions soient exactes – tout cela est très bien –, et puis ce symbole au centre. Le côté beauté, naturellement, c'est l’architecte qui doit le voir, mais tout le côté calcul... Et l’important, c'est cela, c'est le jeu du soleil sur le centre. Parce que cela devient le symbole – le symbole de la réalisation future.

(Mère reste concentrée)

Le pas que l’humanité doit faire immédiatement, c'est une guéri-son définitive de l’exclusivisme. C'est cela qui est, dans l’action, non seulement le symbole mais l’effet de la division, de la séparation; ils disent tous: «Ça et pas ça.» – Non: ça et ça... et encore ça, et encore ça, et encore ça, et tout à la fois. Être assez plastique et assez large pour que tout soit réuni. Et c'est cela, c'est à cela que je me cogne tout le temps en ce moment, dans tous les domaines – dans tous les domaines... Dans le corps aussi. Le corps a l’habitude de: «Ça et pas ça, ça OU ça, ça ou ça...» Non-non-non: ça et ça.

La grande Division, n'est-ce pas: la vie et la mort – voilà. Et tout est l’effet de ça. Eh bien (les mots sont idiots mais), la sur-vie, c'est la vie et la mort ensemble.

Pourquoi l’appeler «sur-vie»! Nous sommes toujours tentés de nous appuyer d'un côté: lumière et obscurité... («obscurité» enfin...).

Ah! nous sommes tout petits. On se sent si petit2...


(Peu après, à propos des commentaires de Mère sur les «Aphorismes», le disciple suggère de rectifier un mot.)

Il y a un mot qui ne me semble pas le mot exact...

Oh! tu en trouveras un tas, mon petit! c'est ce que je t'ai déjà dit.

Encore hier, j'ai écrit quelque chose dans une lettre à D, et dès que la lettre est partie, je me suis dit: «Non, ce n'est pas comme cela qu'il fallait dire: c'est comme cela...» Parce que je le fais en hâte et avec une activité mentale à côté de moi (chez la ou les personnes qui entourent Mère), qui ne s'exprime pas en bruits mais qui est là, et qui fait que j'ai de la difficulté à attraper «la chose». Et alors, ça vient après (quand les gens sont partis).

C'était pour cela que j'avais dit qu'il fallait que je revoie ces commentaires.

On pourra les revoir ensemble.3

(silence)

Encore un Aphorisme hier... Mais en lisant ces Aphorismes avec mes expériences de maintenant, je vois que Sri Aurobindo savait tout cela. Il avait attrapé ça, là, il était là, et les mots qui semblent bizarres ou pas tout à fait compréhensibles pour la compréhension intellectuelle même la plus haute, ont un sens. Hier, tout d'un coup: «Tiens! c'était ça» (que Sri Aurobindo avait vu). Par exemple, justement dans l’un de ces Aphorismes que j'ai lu hier, il y avait «perception», et je me souviens que quand j'ai traduit [il y a plusieurs années], je me disais: «Perception, qu'est-ce qu'il veut dire?...» Maintenant, je comprends merveilleusement! C'est quelque chose qui n'a rien à voir avec nos sens: ni vision ni audition ni... – perception. Il a mis «perception». Mais perception est un mot excellent.4

Et encore, pour le moment, je ne lis que la traduction; peut-être que si je revoyais l’original, ce serait encore plus frappant.

(long silence)

Tu sais, maintenant, quand je suis mise en contact avec toutes les choses que j'ai dites (et pourtant je faisais de mon mieux), dans le temps... j'ai tellement l’impression... des paroles de l’ignorance – toutes basées sur le choix et l’opposition: ça et pas ça, ceci et pas cela, on approuve, on désapprouve... Voilà. Et maintenant, ça paraît si stupide! et si étroit – si étroit. Et ce que l’on admire chez les gens que l’on a considérés comme des saints (les saints, surtout les saints), c'est le refus: refus de presque tout, excepté de Dieu (Mère tend un unique doigt en pointe vers le ciel). Et tout-tout, depuis la chose la plus haute – l’approche, la manière d'approcher le Divin –, depuis cela jusqu'à la plus matérielle: les fonctions du corps; tout, depuis en haut jusqu'en bas, c'est toute la même bêtise: ça mais pas ça; ça mais pas ça; ça en contradiction avec ça; ça en opposition à ça... Toute la moralité, toutes les règles sociales, toute l’organisation matérielle du monde est basée sur la division. Et il paraît de plus en plus évident que ce sera la première chose – la première chose – que l’être supérieur (que Sri Aurobindo appelait «être supramental»), que cet être-là voudra abolir.

Je comprends maintenant pourquoi il a dit «supramental»; au lieu de dire surhomme, il a dit supramental parce que surhomme est... Tandis que cet être-là, la base même de son existence est différente; au lieu d'être basé sur la division, c'est basé sur l’union. Et l’homme parle beaucoup de l’union, mais il n'a pas la moindre idée de ce que c'est.

C'est très intéressant.

Et le corps sent si bien qu'il n'est... il n'est plus ici, il n'est pas encore là; et alors... (Mère fait un geste en suspens) c'est quelque chose, en apparence, de tout à fait absurde, avec des faiblesses apparentes que les êtres humains méprisent, et... (riant) des forces inouïes que les êtres humains ne peuvent pas supporter.

C'est curieux.

Et alors, ce n'est pas réalisé, ce n'est pas concrétisé, ce n'est pas exprimé: c'est comme cela (même geste en suspens). Alors c'est devenu quelque chose de tout à fait absurde.

(silence)

Ce que les hommes appelaient «difficile», «compliqué», maintenant, plusieurs fois, le corps, quand il est en présence de «ça», de cet inconnu qui fait pression pour s'exprimer, il dit: «Ah! c'était facile avant quand on croyait savoir!»

Maintenant, il sait qu'il ne sait rien.

7 janvier 1970

J'ai retrouvé des papiers...

(Mère désigne plusieurs notes)

Mais d'abord, hier, j'ai reçu les Aphorismes, deux Aphorismes, et tout d'un coup... (geste de descente), Sri Aurobindo est venu et il a écrit – en français. Et je ne me suis même plus souvenue après de ce qu'il avait écrit. J'ai seulement dit (puisque c'était lui qui avait écrit), j'ai dit que je voudrais avoir le texte tout de suite. Et on me l’a apporté hier soir pour te le montrer.

(Mère tend une feuille au disciple)

272 – Celui qui veut gagner un rang spirituel élevé doit passer des épreuves et des examens sans fin. Mais la plupart des candidats sont seulement anxieux de soudoyer l’examinateur.

273 – Tant que tes mains sont libres, lutte avec tes mains et ta voix et ton cerveau et toutes sortes d'armes. Es-tu enchaîné dans les donjons de ton ennemi et ses bâillons t'ont-ils réduit au silence? Lutte avec ton âme silencieuse qui assiège tout et ta puissance de volonté qui s'étend au loin; et quand tu es mort, lutte encore avec la force qui enveloppe le monde et qui est venue de Dieu en toi.


(Commentaire de Mère)

«La Vérité est une conquête difficile et ardue. Il faut être un véritable guerrier pour faire cette conquête, un guerrier qui n'a peur de rien, ni des ennemis ni de la mort, car, envers et contre tous, avec ou sans un corps, la lutte continue et se terminera par la Victoire.»

Mais si tu savais! C'était compact de lumière dorée quand c'est venu. Et je ne me suis plus du tout souvenue de ce qui avait été écrit.

Mais c'est presque triomphant, ça!

N'est-ce pas... Oh! il y avait une atmosphère de triomphe. l’atmosphère était tellement... dense, tu sais. J'ai seulement eu l’impression... oui, cette impression de victoire, de certitude absolue: tous les doutes possibles, partis; toutes les faiblesses, parties; tout comme cela. Et après, je me suis dit: «Mais qu'est-ce que j'ai écrit?...» – Je ne savais plus. Et je l’ai relu (on me l’a porté hier soir), quand je l’ai relu, j'ai dit: «Ah! c'est ça!...» – Je ne savais plus.

Et tellement la vraie conscience dans laquelle la mort n'existe pas: qu'est-ce que c'est? – C'est rien. l’impression était comme cela quand j'écrivais: comme si, tout d'un coup, il m'avait fait entrer dans un monde de vérité où tout ce monde d'illusion et de mensonge n'avait plus de force.

Ça, je l’ai senti très fort, très fort, et après, je me suis dit: «Qu'est-ce que j'ai écrit?» Et quand je l’ai relu, le soir, je me suis dit: «Ah! c'est ça!»

C'est intéressant.

C'est irréfutable.

Oui, c'est comme cela, il n'y a rien à dire.

On garde ça pour le 15 août?

Si on le donnait le 21 février?

Alors, sans la signature?... Je ne peux pas signer «Sri Aurobindo»! j'aurais l’air de vouloir faire des faux! – Sans signer.

Mais pourquoi? Tu signes, toi.

Moi... c'est seulement ça (Mère pince la peau de ses mains).

C'est une idée: je vais le donner comme message.


Alors, en rangeant des papiers (c'est beaucoup moins intéressant), j'ai trouvé plusieurs choses...

(Mère tend une première note)

Why do men want to worship? It is much better to become than to worship.

(La traduction)

«Pourquoi les hommes veulent-ils adorer? Il vaut beaucoup mieux devenir qu'adorer.»

(Mère rit) Ça, je me souviens, il y a longtemps que je l’ai écrit..

En avril 69 [le 26].

C'étaient des gens qui m'écrivaient des lettres et qui faisaient toutes sortes de choses pour exprimer leur adoration, etc., et je sentais tellement que c'était la paresse de changer qui faisait que l’on adorait! (Mère rit)

Et puis une autre:

Si tu veux trouver ton âme, la connaître et lui obéir, reste ici à tout prix.

Si ce n'est pas le but de ta vie et que tu es prête à vivre la vie de l’immense majorité des hommes, tu peux certainement retourner dans ta famille.

C'est bien aussi. Il y a tant de gens qui demandent «pourquoi rester ici?...» J'ai pensé que ça pouvait être utile.

Et puis le dernier.

Adressé aux gens de mauvaise volonté:

Le mal que vous avez fait volontairement vous revient toujours sous une forme ou une autre.

Et en bas, il y a une note: «Dicté par la conscience du S.H.» [surhomme].

Oui, c'est cette Conscience qui, un jour... Je me souviens, je disais: «Pourquoi s'attacher à des choses comme cela?» Alors, elle m'a répondu comme cela et elle a insisté jusqu'à ce que j'écrive.

Le mal que vous avez fait volontairement (c'est-à-dire la volonté de nuire, la volonté de détruire), vous revient toujours-toujours... Et j'ajoute qu'elle le fait – elle est en train de le faire: je le vois. Des choses tout à fait inattendues.

Il y a beaucoup de gens qui ont eu un mouvement de colère, un mouvement de... qui ont fait du mal volontairement – ça leur revient.

On le met dans le Bulletin de février?

Comme tu veux. C'est toi qui es juge pour les «Bulletins»! (Riant) Non, vraiment, tout à fait sincèrement, il n'y a plus rien en moi qui ait une opinion – rien, nulle part. Parce que tout me paraît pouvoir être présenté (Mère tourne sa main de tous les côtés comme pour montrer d'innombrables facettes) comme cela, comme cela, comme cela, ou comme cela... Alors...

Et en plus, c'est curieux, quand quelque chose est décidé, il y a imédiatement une force qui vient pour le soutenir... Mais ça, je ne le dis pas parce que les gens en profiteraient! Je le dis pour nous. Je t'ai confié le Bulletin et je vois: quand c'est décidé, la Force vient et elle met son appui – ce n'est pas pour que tu deviennes négligent! Mais c'est comme cela. C'est très intéressant.

C'est très intéressant, les choses deviennent... je ne sais pas... concrètes. Les choses qui étaient comme cela (geste éthéré), ce qu'on appelait le «domaine de l’esprit», ça devient concret, matériel.

Et quand il y a seulement un mouvement de mauvaise volonté – des gens qui ne sont pas satisfaits de ce que le Divin a fait pour eux, même une toute petite chose –, quand ils viennent devant moi, ils n'ont besoin de rien dire: tout d'un coup, tous mes nerfs commencent à avoir des douleurs horribles – alors, je sais. C'est arrivé trois fois déjà.1 Et ce sont des gens qui, apparemment, sont de bonne volonté. Seulement, ça suffit; il suffit qu'il y ait la présence de cette force, même seulement dans un détail: tous les nerfs commencent à faire mal.

Il y a T.F. qui a préparé un grand scénario de cinéma (remarquable). Elle m'en a lu la moitié (vraiment c'est remarquable), et alors elle vient de me lire une description du monde vital, de la vie... Mon petit! c'est certainement au-delà de la conscience humaine: c'est la conscience d'un être vital qui peut écrire cela – ça m'a donné la fièvre. C'est parti; maintenant c'est tout à fait parti, mais ça m'avait donné la fièvre. Et je n'ai senti aucun malaise, rien: j'admirais, je me disais: sapristi! il faut être calé pour décrire ça (c'est invraisemblablement exact, tu comprends, c'est certainement au-delà de l’humain). Et c'est elle qui m'a dit: «Oh! mais je t'ai donné la fièvre!» Et c'est vrai, j'avais la fièvre. C'est parti maintenant, c'est tout fini.

Les choses sont comme cela, tu comprends, elles deviennent... réelles.


(À propos d'un disciple.)

... Tu es bien bonne pour lui.

(Mère sourit)

Pour moi, à tout péché miséricorde.

Mais est-ce qu'il y a miséricorde pour l’égoïsme total?

Oui, oh! oui. C'est cela!...

10 janvier 1970

(Malgré son caractère épisodique, nous publions le début de la conversation suivante, car il est révélateur des difficultés auxquelles Mère se heurtait.)

...Et puis ça, c'est une traduction: quelqu'un qui était ici (il est parti maintenant) a fait une traduction. Probablement, ça ne vaut pas grand-chose, je n'en sais rien. Je ne sais pas à qui le donner. Quand tu n'auras rien à faire...

Douce Mère, le problème est que l’on n'arrive pas à publier les traductions à l’Imprimerie, ça n'avance pas. J'ai cinq livres de Sri Aurobindo qui sont prêts et ça n'avance pas.

Ils n'arrivent pas à faire leur travail.

Et alors, ils vous promettent, et ils ne peuvent jamais tenir leurs promesses.

Oh! ça, c'est ennuyeux. Parce que, quand A était ici, il avait fait un programme avec eux et il voyait que c'était...

C'est parti. Tout prêt, à l’Imprimerie, j'ai: Les Bases du Yoga, Les Lumières sur le Yoga, Le Cycle Humain, l’Idéal de l’Unité Humaine, tes Entretiens 1958. J'ai ces cinq volumes qui sont prêts et qui attendent.

Mets-moi ça sur un papier. Et la prochaine fois que je vois Z (le manager), je lui dirai.

Et alors, douce Mère, à l’occasion dis-lui que quand je lui demande quelque chose – et que je le lui demande par écrit une fois, deux fois, trois fois –, il pourrait comprendre que je fais cela parce que je sens que ça doit être fait et il devrait répondre à ma demande, n'est-ce pas?

C'est parce qu'ils ne savent pas quoi dire...

Mais non, douce Mère, c'est un truc très simple: je lui ai écrit trois fois pour lui dire: «Envoyez-moi les épreuves de la couverture de La Synthèse des Yogas.» Et il ne l’a pas fait.

Je crois que ce pauvre garçon n'a aucune autorité là-bas. Voilà mon impression.

Oui, mais alors, si la chose est imprimée avec des fautes, qu'est-ce que je dis? C'est ma responsabilité.

Oui, et alors il vaudrait mieux que... On peut essayer de lui dire... Dans le temps, je le voyais une fois par semaine, et alors j'avais un petit peu plus de contrôle. Maintenant, je le vois une fois par mois; il vaudrait mieux que je recommence à le voir plus souvent...

Peut-être, oui?

Lui, était très content que je cesse de le voir...

(le disciple ouvre de grands yeux)

... parce que je fais une pression!

C'est décourageant!...

(Mère rit)

Je n'arrive pas à comprendre que l’on puisse écrire trois fois à quelqu'un pour lui dire: «Envoyez-moi ces épreuves», et il ne le fait pas! Non seulement il ne le fait pas, mais il me répond par un mensonge en me disant: «It has been approved by you»! [ça a été approuvé par vous]. Je ne lui en veux pas, douce Mère, il est bien gentil...

(Mère rit) Mais incapable! Ce que je peux faire, c'est de lui demander de m'envoyer les épreuves, et je te les passerai! Alors il verra qu'il est obligé de le faire!1


J'ai retrouvé la Revue Cosmique,2 c'est très amusant!... Je l’ai gardée pour te la montrer. Et puis ils ont fait des «règlements» pour les membres de la Société, c'est très amusant! Il faut être bien gentil les uns avec les autres!... Et puis, dans les règlements, il y a que l’on ne doit pas reconnaître de dieux personnels.

(Mère tend le dossier au disciple)

«La philosophie cosmique n'accepte aucun dieu personnel...»

Qu'elle accepte ou qu'elle n'accepte pas, il y en a malheureusement!... (rires)

C'est amusant. Je ne sais pas où mettre ça, tu peux le garder.

Je crois qu'il faut le garder.

Tu peux le garder?

Oui, douce Mère, il faut le garder, et un jour, pour l’histoire, ça vaudrait la peine de publier tout cela.

Mais oui, c'est cela: au point de vue historique, c'est amusant.

Il faut le garder très précieusement et un jour le publier comme un document.

Oui, c'est cela.


Peu après3 Et puis j'ai une lettre de Paolo...

Je vais le voir cet après-midi.

Je t'ai dit que j'ai vu la construction centrale d'Auroville... J'ai un plan. Ça t'amuserait de le voir?... Il y a des rouleaux, là (Mère déroule le plan tout en expliquant):

Il y aura douze facettes. C'est un cercle. Et à une égale distance du centre: douze colonnes. Au centre, sur le sol: mon symbole; et au centre de mon symbole, il y a quatre symboles de Sri Aurobindo, debout, formant un carré; et sur le carré, un globe translucide (on ne sait pas encore dans quelle matière). Et alors, du haut du toit, quand il y a du soleil, le soleil tombera en rayon là-dessus (nulle part ailleurs: seulement là); quand il n'y a pas de soleil, il y aura des réflecteurs électriques qui enverront un rayon (aussi UN rayon: pas une lumière diffusée), juste là-dessus, sur ce globe.

Et puis, il n'y a pas de portes, mais... en descendant profondément, on remonte dans le temple; on passe sous le mur et on remonte dedans – c'est encore un symbole. Tout est symbolique.

Et puis, il n'y a pas de meubles, mais il y a, sur le sol (comme ici), d'abord du bois probablement; puis sur le bois, un «dunlop» épais; et là-dessus, un tapis, comme ici. La couleur est à choisir. Le tout sera blanc. Je ne suis pas sûre si les symboles de Sri Aurobindo seront blancs... Je ne crois pas. Je ne les voyais pas blancs, je les voyais d'une couleur indéfinissable, qui était entre l’or et l’orange. Une sorte de couleur comme cela. Ils seront debout, ils seront creusés dans la pierre. Et un globe qui n'est pas transparent mais translucide. Et alors, tout au fond (sous le globe), il y aura une lumière qui sera projetée en l’air et qui rentrera diffusée dans ce globe. Et puis, du dehors, il y aura des rayons de lumière qui tomberont sur le centre. Et pas d'autres lumières: pas de fenêtres, une ventilation électrique. Et pas un meuble: rien. Un endroit... pour tâcher de trouver sa conscience.

Dehors, ce sera à peu près comme cela (Mère déroule un autre plan)... On ne sait pas si le toit sera tout à fait pointu ou...

Tout simple, tout simple.

Ça pourra contenir à peu près 200 personnes.

Alors, la lettre de Paolo?

Très douce Mère,

J'ai vu R dimanche, il est venu dans ma chambre, on a déjeuné ensemble.

Avec amour, j'ai arrangé pour Toi et pour R de très belles fleurs. Toi, tu étais avec nous. On a beaucoup parlé. J'ai senti R comme un frère.*

Je lui ai dit qu'Auroville ne peut pas naître comme n'importe quelle ville (problème d'urbanisme, social, économique, tout cela: après). Le commencement doit être «autre chose». C'est pour cela qu'on doit commencer par le Centre. Ce Centre doit être notre levier, notre point fixe, la chose sur laquelle on peut s'appuyer pour essayer de sauter de l’autre côté – parce que c'est seulement de l’autre côté qu'on peut commencer à comprendre ce que doit être Auroville. Et ce Centre doit être la forme qui manifeste dans la matière le contenu que Toi tu peux nous transmettre sur tous les plans (aussi occultes). Nous, on doit être seulement le moyen ouvert et sincère à travers lequel tu peux concrétiser cela.*

Et je lui ai dit comme j'ai senti la nécessité de s'approcher de tout cela en vivant l’expérience intérieurement et tous unis – gens d'Orient et d'Occident – dans un vaste mouvement d'amour, car c'est le seul béton possible pour bâtir «autre chose»...

C'est bien, ce qu'il dit.

... Et le Centre peut nous donner cet amour tout de suite parce que c'est l’amour pour Toi!

Je lui ai dit que, pratiquement, on pourrait commencer avec un moment de silence, tous rassemblés, et essayer de faire un blanc total, et sur ce blanc, avec l’aspiration de tout le monde, faire descendre les signes pour le commencement. Mais tous unis et tous ensemble, surtout ceux qui sont spirituellement les plus avancés: les Indiens.

R a été parfaitement d'accord. Il a dit que vraiment il faut faire ça.

(Mère approuve de la tête)

Je vois Paolo cet après-midi pour lui donner ce plan. Parce que c'est cela que j'ai vu, n'est-ce pas.

On va le faire en marbre blanc. L a dit qu'il irait chercher le marbre, il connaît l’endroit.

Toute la structure en marbre blanc?

Oui, oui.

Mais Paolo m'a dit une chose que je sens juste. Il m'a dit: on va construire ce Centre, on va mettre tout notre cœur et notre aspiration là-dedans, dans ce Centre...

Oui, oui.

Et à travers les années, ça va se «charger» de plus en plus...

Oui.

Alors, il faut que ce Centre soit définitif: il ne faudrait pas qu'on enlève ce temple-là pour en construire un autre plus grand après.

J'ai dit cela pour calmer les gens qui pensent qu'il faut quelque chose de formidable. J'ai dit: «On commence par ça, et puis on verra...», tu comprends? J'ai dit: ce Centre doit être là jusqu'à ce que la ville soit entièrement construite, et après on verra – après, on n'aura pas envie de l’enlever!

Parce qu'il y en a beaucoup qui pensaient à quelque chose de «formidable».

Mais il dit qu'au point de vue architectural, il est très possible d'étendre la chose de l’extérieur, sans toucher à ce qui est déjà bâti.

Oui, oh! c'est très possible.

N'est-ce pas, R m'a dit: «Et alors, qu'est-ce que l’on fera après?» J'ai dit: «Eh bien, on y pensera plus tard!...» – C'est cela, ils ne savent pas... ils ne savent pas qu'il ne faut pas penser. Moi, je n'y pensais pas du-tout-du-tout-du-tout – un jour, je l’ai vu comme cela, comme je te vois. Et encore maintenant, c'est tellement vivant qu'il suffit que je regarde pour que je le voie. Et ce que je voyais, c'était le Centre et la lumière qui tombe dessus, et puis tout naturellement, en observant, j'ai remarqué, j'ai dit: voilà, c'est comme cela. Mais ce n'était pas «pensé», je n'ai pas pensé «douze colonnes et puis douze facettes et puis...» Je n'ai pas pensé tout cela: j'ai vu.

C'est comme ces symboles de Sri Aurobindo... Quand je parle du Centre, je vois encore ces quatre symboles de Sri Aurobindo, qui se tiennent par leur angle, comme cela, et cette couleur... couleur étrange... je ne sais pas où l’on pourra trouver cela. C'est un or orangé, très chaud. Et c'est la seule couleur de l’endroit: tout le reste est blanc. Et le globe translucide.

Paolo a dit qu'il allait tout de suite se renseigner en Italie à Murano – l’endroit où l’on fait les grands cristaux –, pour savoir dans quelle mesure on peut faire un globe, par exemple de 30cm, en cristal

Il y a la dimension exacte sur le plan, ça doit être marqué.

Il y a une grande cristallerie là-bas.

Oh! ils font des choses merveilleuses là-bas.

Ce n'est pas marqué, la dimension du globe?

Soixante-dix centimètres.

Ça peut être creux. Cela peut ne pas être plein, pour que ce ne soit pas trop lourd.

(silence)

Il est bien, Paolo.

Oui, douce Mère.

Ce souterrain pour entrer... On entrera à une dizaine de mètres de distance du mur et au pied de l’urne. Ce sera l’urne qui marquera la place de la descente. Il faut que je choisisse exactement de quel côté... Et alors, il se peut très bien que, plus tard, l’urne, au lieu d'être dehors, soit au-dedans de l’enceinte. Alors on pourrait mettre, peut-être, simplement, un grand mur tout autour, et puis des jardins. Entre le mur d'enceinte et le bâtiment que l’on va faire maintenant, avoir des jardins et l’urne. Et ce mur-là aura une entrée (une ou plusieurs portes ordinaires): on pourra circuler dans le jardin.

Et puis, il faudra remplir certaines conditions pour avoir le droit de descendre dans le souterrain et d'émerger dans le temple... Il faut que ce soit initiatique un peu: pas tout à fait «comme cela» n'importe comment.

(silence)

À R, j'ai dit: «On verra cela dans vingt ans!» Alors, cela l’a tenu tranquille.

Mais la première idée était d'entourer ça avec de l’eau, de faire un îlot pour que l’on ait à traverser l’eau afin de pouvoir arriver au temple. C'est très possible de faire un îlot...

(silence)

Alors, c'est tout? Tu n'as pas autre chose?

Non, douce Mère.

Ta maman va bien?... Je voudrais lui donner des fleurs. Ici, j'ai des fleurs pour toi, et puis pour Sujata – où est-elle?

Sujata?... elle est là!

Elle est là, derrière mon dos? (rires)

Non, à côté de toi!

(À Sujata:) Mais il faudrait des roses pour sa maman.

C'est à toi que Baron a dit (le dernier gouverneur de Pondichéry) qu'il voulait se faire enterrer dans mes couvertures de laine! (rires) Oui, il paraît qu'il avait froid. C'est S qui s'occupe de lui et qui m'a écrit pour me dire qu'il se réveillait en grelottant, et elle m'a dit: «Est-ce que tu peux lui envoyer une couverture ou deux?» Il paraît qu'il y avait dans la salle de méditation une de ces grandes boîtes de bois pleine de couvertures de laine magnifiques! Alors, j'en ai envoyé deux. J'ai seulement dit: «À condition qu'il ne les emporte pas... parce qu'il est très capable de les prendre!» (rires) Et puis il a dit à F, oh! qu'il était si heureux: «Je demanderai qu'on m'enterre dans les couvertures»! (rires)

14 janvier 1970

J'ai quelque chose à te demander pour le «Bulletin». Il s'agit de cette note où tu as dit: «Pourquoi les hommes veulent-ils adorer? Il vaut beaucoup mieux devenir qu'adorer.»

(Mère rit)

Est-ce que l’on pourrait ajouter à cela le commentaire que tu as fait la dernière fois? Tu as ajouté: «C'est la paresse de changer qui fait que l’on adore.»

C'est vrai. Mais c'est dur! (Mère rit)

Tu crois?

(silence)

Seulement, il faudrait ajouter: «On peut ne pas adorer seulement à condition que l’on change.» – Il y en a beaucoup qui veulent ne pas changer et ne pas adorer aussi!

17 janvier 1970

Qu'est-ce que tu voulais me dire?

J'ai reçu la visite de Paolo et de N... Il y a deux choses. Mais d'abord, il y a le plan de ce Centre – plus exactement de l’extérieur de ce Centre.

l’extérieur, je n'ai rien vu. Il y a un croquis, c'est un croquis de L. Je n'ai rien vu du tout et je suis ouverte à toutes les propositions. Et alors?

m'a expliqué quelque chose que j'ai trouvé très beau, que je voudrais te soumettre... Quand tu avais parlé de ce Centre, en effet, pour l’extérieur, tu disais: «Je ne sais pas si les murs seront inclinés ou si c'est le toit qui sera incliné»; tu semblais avoir une hésitation. Alors Paolo dit qu'il a reçu comme une inspiration et qu'il a vu quelque chose de très simple, comme une grande coquille dont une partie émergerait à la surface, et une autre partie serait enfouie dans la terre. Et il a dessiné une sorte de schéma que je voudrais te montrer.

Est-ce qu'il a vu R aussi? Parce que R avait deux idées; il est venu me voir avec deux idées, et je lui ai dit ce que je préférais des deux, mais rien n'est décidé encore. Et R doit faire le croquis de ses idées. Alors je vais voir ce que dit Paolo et puis je te dirai les idées de R.

(Le disciple déroule le plan) Alors tu vois: voilà l’extérieur, qui serait simplement comme une coquille. l’intérieur est exactement comme tu l’as vu: ce grand tapis tout nu et puis la boule au centre. Et ce qui a déterminé l’inspiration de Paolo,

Image 3

c'est que tu as dit qu'il fallait entrer sous terre pour réémerger. Alors il a eu Vidée de descendre profondément, de faire un escalier en hélice, ici, qui remonterait, et arrivé là, il y aurait comme une série d'escaliers qui s'embrancheraient dans toutes les directions (dans la partie inférieure de la coquille) et qui aboutiraient dans le temple lui-même. Alors, toute la partie inférieure serait en marbre noir, et toute la partie supérieure en marbre blanc tout simple. Et l’ensemble est comme un grand bouton, tu vois, comme si ça poussait de terre.

Tu es sûr qu'il n'a pas vu R? Parce que R m'a dit: «Je veux faire un grand cercle; l’intérieur est exactement un demi-cercle, et l’autre demi-cercle serait sous terre.» Il m'a dit presque les mêmes mots.

Parce que Paolo lui a dit son idée.

Ah! Paolo lui avait dit! Ah! c'est ça...

C'est comme un bouton qui sort de terre.

Oui, oui, c'était la première idée que R m'avait dite, presque identiquement les mêmes mots. Et alors, sa seconde idée était une pyramide: laisser le temple comme on l’avait dit, et puis faire une pyramide. Mais j'avais pensé aussi à une pyramide et je lui ai dit: «J'ai pensé à une pyramide...» Mais il a dit qu'il ferait les deux plans et puis que l’on verrait. Mais si ça s'accorde avec l’idée de Paolo, c'est très bien.

Mais l’idée de R, en fait, est l’idée de Paolo.

Oui, c'est cela.

Alors, quand on arrive en haut de la «tige», il y a toute une série d'escaliers dans toutes les directions, si bien que l’on peut émerger dans le temple par n'importe quel côté...

Image 4

Et le centre est absolument nu, et tout autour, il y a comme une passerelle par laquelle on émerge du fond: c'est par là qu'il y aura tous ces escaliers. Et tout sera nu. Il y aura simplement cet immense tapis qui sera tenu de coin en coin par des passerelles. Ça aura l’air comme suspendu. Tout blanc, tout uni. Et il y avait la question des douze colonnes... Paolo disait qu'il sentait que les colonnes étaient encore un symbole ancien qui ne s'allierait pas bien avec la coquille, et il suggérait: au lieu de douze colonnes, on pourrait symboliquement mettre douze appuis, douze bases de colonnes qui serviraient de dossiers.

Oh! mais les colonnes ont un usage, parce que c'est en haut des colonnes que l’on mettra les projecteurs qui enverront la lumière sur le Centre: il y aura de la lumière nuit et jour; le jour, on arrangera l’ouverture, mais dès que le soleil sera parti, on allumera les projecteurs, et les projecteurs sont fixés sur les douze colonnes et convergent sur le Centre.

Mais douce Mère, si les colonnes ont une utilité uniquement pour les projecteurs, on peut les fixer aussi sur les murs?

Les colonnes ne sont pas près du mur, les colonnes sont ici, juste à moitié de distance entre le Centre et le mur.

Parce qu'il voyait cet espace au centre, tout nu, avec juste le symbole au Centre et ce grand tapis tout uni, sans coupure de colonnes. Mais à la place, mettre comme de gros blocs – douze gros blocs – qui signaleraient la place des colonnes et qui serviraient en même temps d'appui. Douze gros blocs d'environ 50cm de haut.

Ça n'a pas de sens.

Un sens symbolique? Parce que tu parlais beaucoup de ces piliers comme d'un appui aussi pour les gens qui voudraient s'asseoir.

Oh! pour leur dos.

Alors il disait que ces douze blocs pourraient, par exemple, être chacun dans une matière différente, comme un symbole: douze matériaux différents.

Moi, j'ai vu des colonnes.

Sur les murs extérieurs, on organisera la ventilation générale qui sera électrique (pas de fenêtres) et alors, sur les colonnes, il y avait la lumière – j'ai vu des colonnes, je ne peux pas dire. J'ai vu clairement les colonnes.

Eh bien, je le lui dirai.

Quant à la galerie tout autour, je ne sais pas si j'aime beaucoup cela... Je ne l’ai pas vue: j'ai vu les murs tout nus, sans fenêtres, et puis les colonnes, et puis le Centre. Ça, je suis sûre parce que je l’ai vu, et je l’ai vu longtemps.

La forme d'une coquille te convient?

C'est-à-dire que cela fait un cercle parfait: moitié en haut, moitié en bas... Ça peut aller.

Seulement il faudra faire un arrangement pour le soleil.

Oui, N connaît très bien le problème d'éclairage par prismes, parce que si l’on veut attraper un rayon de soleil, il faut mettre des prismes. Il dit qu'il résoudra le problème très facilement, qu'il s'en occupe. Simplement, on met des prismes à un certain nombre d'endroits, qui capteront juste un rayon de soleil.

Il faut un rayon. On voyait le rayon.

C'est cela, avec un prisme on voit le rayon. Alors il y aura un certain nombre d'ouvertures géométriques suivant le mouvement du soleil... Mais à l’intérieur, sur les parois, les douze facettes seront reproduites.

Oui, oui.

Et ça, en principe [le disciple montre la galerie circulaire], c'étaient les entrées par lesquelles on émergeait du souterrain.

Je ne sais pas si c'est bon de multiplier les entrées comme cela... Il y aura un problème pratique à résoudre: s'il y a une seule entrée et qu'il y ait une surveillance très sévère à cette entrée, ça va bien, mais s'il y a plusieurs entrées et qu'il n'y ait pas suffisamment d'éclairage, il y aura des catastrophes.

Non-non, douce Mère, il n'y a qu'une entrée à l’extérieur, mais quand on débouche à la base de la coquille et qu'on remonte, il y aurait cette multiplicité d'entrées. Non, à l’extérieur, il n'y a qu'une descente; une descente qui aboutit ici, au pied de cet escalier en hélice.

(silence)

Il avait pensé à cette passerelle tout autour parce qu'il disait que cela détacherait davantage tout ce tapis central tout blanc qui aura l’air comme de flotter, détaché, au lieu d'être collé au mur.

Je ne pensais pas «collé au mur», il y avait toujours une circulation autour du mur.

Alors, c'est cette circulation, avec un certain nombre de passerelles par où les gens émergeraient. Et c'était aussi cette idée de nudité qui lui avait fait enlever les colonnes.

Ce que je n'aime pas, c'est l’idée des passerelles, parce que les murs étaient tout droits, du haut en bas, en marbre blanc.

Ah! mais les passerelles ne sont pas hautes, elles sont à peu près à 30cm au-dessus du sol.

Oui, ça, ça va.

Et d'ailleurs, il disait que sur ces passerelles, ou plutôt ce rebord qui limite la circulation autour, le tapis pourrait venir juste en angle, couvrir en angle.

Ça, ça va bien.

(silence)

Bon, ça va. Alors il faut qu'ils s'entendent. Mais ce doit être à moitié fait puisque R m'a parlé de l’idée. Si j'avais su que c'était l’idée de Paolo, j'aurais dit oui tout de suite. Mais ça s'arrangera. Ça va bien.

Alors je lui dis de travailler sur cette base... La seule question en suspens, c'est à l’extérieur: est-ce que l’on doit laisser un vide autour de la coquille pour que l’on voie bien la descente de la coquille? Autrement, si l’on bouche tout, ça aura l’air simplement d'un hémisphère posé sur terre. Pour que l’on comprenne bien la descente de cette coquille sous terre, il pensait faire une ouverture tout autour.

Je ne sais pas. Je te dis, je n'ai rien vu pour l’extérieur; alors je ne sais pas.

Mais ce sera dangereux. On pourrait tomber.

Ou bien, on peut faire une sorte de douve avec de l’eau tout autour, une eau transparente qui soulignerait cette descente de la coquille, par exemple?

Oui. Oui, cela pourrait être bien.

Il y a aussi une question de mesures. D'après le plan, tu as donné 24m – 12m de chaque côté du globe. Mais est-ce que l’on peut garder un peu de distance supplémentaire de chaque côté pour la circulation? Le plan indique 24m en diamètre, et 15m 20 en hauteur.

Ah?

Il demande si ces proportions peuvent varier? Garder 24m pour la base du tapis, mais avec la possibilité, par exemple, de garder 2m ou 3m de chaque côté pour les dégagements?

Alors le mur serait où?

Le mur serait là [le disciple indique l’extérieur du passage circulaire].

C'est le mur qui doit être à 24 mètres.

Il dit que s'il doit y avoir ces passages, 24m serait un peu court.

(silence)

Et la hauteur aussi est en question.

La question, justement, était que cela devait faire un cercle parfait.

Si cela fait un cercle parfait, alors la hauteur fera le rayon de la distance entre les deux murs.

Oui.

(long silence)

La chose qui me ferait vraiment plaisir, c'est s'ils se mettaient d'accord tous les deux et qu'ils me présentaient un projet de tous les deux en même temps. Comme cela, ce serait facile pour l’exécution... N'est-ce pas, si R a adopté l’idée de Paolo, pourquoi ne verraient-ils pas ensemble, tous les deux, comment l’exécuter?

Oui, ça simplifierait les choses.

Oh! beaucoup-beaucoup.

(silence)

Qu'est-ce qui se passera là-dessous?... (Mère désigne la partie souterraine de la coquille) Tout cela est mental. Mais quand vous allez avoir un grand sous-sol tout noir, qu'est-ce qui va se passer là-dedans?... Qu'est-ce qui va se passer? – Des tas de choses innommables. l’humanité n'est pas transformée, il ne faut pas l’oublier! Et il y aura toutes sortes de gens qui viendront... Même s'il y a un contrôle à l’entrée, on ne peut pas empêcher les gens d'aller voir, alors qu'est-ce qui se passera là-dessous?... C'était ma première objection quand R m'a dit: «On pourrait faire des souterrains magnifiques!» Je lui ai dit: «C'est très bien, et qui contrôlera ce qui se passe là-dessous?»

J'avais pensé que c'était ton idée, la descente?

Mon idée était une descente assez courte et qui émergerait là (Mère désigne l’unique ouverture du plan primitif). Une descente assez courte: pas un grand souterrain comme cela... Mais c'est possible, c'est une question de contrôle, c'est tout. Seulement, entre un souterrain où il y a place pour deux rangées de personnes (une qui monte et une qui descend) et qui émerge là, ou un énorme souterrain comme celui-là, il y a une grande différence! Et maintenant, il ajoute à cela que ce sera tout noir!

En marbre noir, oui.

Oui, alors? C'est-à-dire que l’on n'y verra pas très clair. Alors qu'est-ce qui se passera là-dedans?

Les souterrains ne sont pas en forme de boyaux: c'est un escalier central en hélice, et quand on arrive au sommet de l’hélice, elle s'embranche en une série d'escaliers à découvert, suspendus comme des passerelles. Ce n'est pas enfermé, c'est tout volant.

Il n'y aura pas d'accidents?... Ah! il y a tout prêts des gens hallucinés qui se casseraient la tête par terre... N'est-ce pas, c'est un peu trop mental, pour mon goût, c'est-à-dire qu'au point de vue mental, c'est très attractif, mais en vision...

l’idée, c'est surtout la construction collective de ce souterrain, comme un symbole...

(long silence)

On verra! (Mère rit)

(silence)

En tout cas, il faudrait qu'ils se mettent ensemble. Et puis je verrai.

J'aimerais pouvoir les avoir tous les deux ensemble avec leur papier. Alors ce serait très bien.

Parce que l’un ne me dit pas que c'est l’idée de l’autre – il le présente comme sa propre idée (!), et puis l’autre ne me dit pas qu'il a parlé au premier!...

Mais il n'a pas eu l’occasion de te le dire.

Non, mais tu l’as dit parce que je te l’ai dit... Mais moi, je sais. Alors, tu comprends, on travaille pour «l’unité de l’humanité», et les travailleurs ne s'entendent pas!

Et je vois bien, je vois bien chez chacun ce qui est comme cela (geste de torsion). Ce n'est pas que je sois étonnée, mais... Ma logique est celle-ci: «Oui, c'est très bien, vous êtes très gentils, vous travaillez pour l’unité de l’humanité – au moins soyez unis!...» Tu comprends?

Mais je suis sûr que Paolo ne demande qu'à s'entendre avec R.

Mais tu comprends bien que si R a pris l’idée de Paolo, c'est qu'il a une admiration pour l’intelligence de Paolo, autrement il ne l’aurait pas prise; alors, par conséquent, pourquoi un côté comme cela et puis l’autre côté... Nous ne voulons plus de ces petites choses-là.

Mais quand Paolo m'a montré ce plan, j'avais l’impression de quelque chose de très beau... Je vais te dire ce que j'ai senti; j'ai senti: j'assiste à la naissance d'Auroville.

Non, ce n'est pas vrai.

La naissance matérielle, je veux dire.

Oui, oui, je comprends bien, mais ce n'est pas vrai.

(Mère entre dans une longue concentration)

On va laisser décanter. Parce que tu comprends, pour accepter des changements, il faut que je sois sûre que l’origine de l’inspiration soit de la même qualité que la mienne... Pour l’exécution, je sais très bien qu'il faut des gens qui sachent le métier et qui fassent le travail, mais pour l’inspiration, il faut que je sois sûre que l’origine de l’inspiration soit au moins à la même hauteur que la mienne... Et je ne suis pas sûre, parce que j'ai vu tellement clairement. Et tout de suite, avec les idées de Paolo, j'ai vu le mélange. Ses idées sont toutes des idées mentales, je peux le garantir parce que c'est facile pour moi de le voir. Eh bien, elles apportent toutes le même mélange qu'il y a dans tout ce qui se fait dans le monde. Et ça... à quoi ça sert de recommencer encore-encore-encore...?

Il y a quelque chose qui me gêne. Entrer par-dessous, c'est très bien, mais cet énorme dessous?... (Mère fait une moue)

(silence)

On verra. Il faut laisser se tasser, on verra.

Et pour le dessus, est-ce qu'on laisse cette idée de coquille, ou bien est-ce à étudier?

Coquille... l’idée, c'était une sphère. Pourquoi une coquille?

«Coquille», enfin une forme ronde, une forme sphérique.

Une coquille d'œuf est allongée, elle n'est pas sphérique. l’œuf comme il est vraiment, est un peu comme une toupie; alors le haut serait plus large et le bas plus étroit, avec seulement les escaliers... Ça, c'est très possible.

Donne-moi un papier... (Mère dessine un œuf tout en expliquant.) Et alors là, tout en bas, il n'y aurait que les escaliers.

Comme cela, oui.

Son idée, c'était de reproduire l’œuf de Brahman: tu sais, l’œuf primitif. Que le temple reproduise l’œuf primitif.

Mais alors, comment est-il, l’œuf de Brahman!...

Je ne sais pas... Comme un œuf, je pense!

Un œuf a une base toujours plus étroite que le sommet. Alors, si l’on conçoit un œuf comme cela (Mère dessine) et qu'à la base, ce soit l’escalier, et que l’escalier en spirale arrive jusqu'au temple... Par exemple, sept embouchures d'escalier.

Sept au lieu de douze.

Et ici (Mère dessine la moitié médiane de l’«œuf»), c'est 24m, et seulement 15 m 50 de hauteur. Alors comme cela, c'est correct.

24m pour la largeur totale ou pour le tapis?

Non, il faut avoir des murs droits, les murs ne peuvent pas être courbes. Je les ai vus droits.

Droits, et qui remontent arrondis.

D'après ce que j'avais vu, les colonnes étaient plus hautes que les murs, et c'est pour cela que le toit s'inclinait. Et alors, c'était sur les colonnes que se trouvait la lumière électrique.

Et le point le plus large de l’œuf serait ici (Mère tire un trait à hauteur du tapis).

À la limite du sol.

Oui.

Et tu disais sept ouvertures?

Sept escaliers.

Et alors, un souterrain qui conduit à la base de l’œuf, d'où partent ces sept escaliers.

Ça, c'est possible.

En somme, les murs intérieurs du temple doivent être droits.

C'est-à-dire que l’on peut, pour le dehors, pour la vision, arrondir, mais à l’intérieur, il faut que le mur soit droit.

Le mur droit, et une coupole sur le mur droit.

Oui, une coupole sur le mur droit. Mais la coupole peut être la coupole de l’œuf, et j'avais pensé que l’endroit où la coupole se raccorderait avec les murs, serait sur les colonnes.

Douze colonnes.

Image 5

Et ici, pour le dehors, ils peuvent continuer leur mur en forme arrondie, comme cela (Mère dessine).

Il y aurait même une possibilité: c'est d'avoir un espace entre le mur le plus extérieur et le mur intérieur. Faire un passage espace. C'est à savoir. extérieur

Cela veut dire, en supplément des 24 m?

Oui, c'est entendu: les 24 m se terminent aux murs.

Et les ouvertures pour les sept escaliers?

J'aimerais mieux qu'elles soient en dehors du mur.

Oui, ce serait mieux parce que cela donnerait plus d'espace au Centre.

Oh! oui, et l’intérieur serait beaucoup plus net. Voir tous ces escaliers ne me plaisait pas. Même un escalier, je n'aimais pas, mais en voir sept... Tandis que dehors, c'est bien.

Donc un passage au-dehors.

Le passage au-dehors.

Oui, comme dans l’Inde quand on fait le tour des temples.

Oui.

Ça, ça va bien.

Et les sept escaliers partent directement de la base de la coquille sans cette «tige» qui monte du fond?

Ça, c'est comme ils veulent. En dessous, cela m'est égal. S'ils veulent que ce soit un escalier comme cela ou un escalier... Pourvu que ce ne soit pas trop raide.1

(silence)

(Pour comprendre de quel Auroville – et de quels Auroviliens surtout – Mère parle ici, il faut dire que la quasi totalité des premiers venus – il y a des exceptions remarquables – représentait un ensemble assez composite qui cherchait des sortes de vacances sur une Côte d'Azur exotique et qui traînait un certain nombre d'habitudes peu satisfaisantes. C'est là-dessus que se sont basés, plus tard, les ennemis d'Auroville pour dire toutes les méchancetés possibles. Il a fallu quelques années de décantation pour que la situation change complètement et que la plupart des éléments indésirables s'en aillent d'eux-mêmes, tandis que de nouveaux venus apportaient une aspiration plus véridique.)

Qu'est-ce que tu as encore?

Il y a la deuxième partie du problème.

Ah! qu'est-ce que c'est?

N et Paolo se sont rendu compte que si on laisse Auroville ou la construction de ce Centre aux gens d'Auroville comme séparés de l’Ashram, cela ne marchera jamais: il n'y aura jamais la vraie force, les gens qui sont là ne sont pas assez réceptifs pour faire le travail. S'il y a cette coupure entre l’Ashram et Auroville, on n'arrivera jamais, on fera encore une «fabrication» mais pas quelque chose de vrai. Selon eux, le seul espoir est que, réellement, ce Centre soit construit non pas par des Auroviliens, mais par tous les gens de l’Ashram, sans distinction entre Auroviliens et non-Auroviliens; que toute la force s'unisse dans la construction de ce Centre: ne pas abandonner les Auroviliens à une coupure extérieure. De même que tous les disciples ont construit «Golconde», il faudrait que, de la même manière, tous les disciples construisent le Centre d'Auroville, sans main-d'œuvre extérieure.

À Golconde, il y a eu une main-d'œuvre extérieure.

Enfin, en limitant autant que possible l’élément extérieur pour que ce soit une œuvre de consécration. Autrement, me disent-ils (surtout N): les gens d'Auroville sont tous pleins d'arrogance, d'incompréhension, ils voient l’extérieur des choses. Il faut que se mêle à cela la force des gens d'ici. Et si les gens de l’Ashram ne se mêlent pas à eux, ne viennent pas insuffler la force, on n'arrivera à rien... À l’heure actuelle (me disait Paolo), Auroville tel que ça a l’air de l’extérieur, ressemble à une nécropole.

(Mère rit)

C'est le fruit «vivant» de l’égoïsme. La seule chose qui puisse sauver, c'est que les gens de l’Ashram entrent là-dedans et fassent le travail, et que les autres soient absorbés là-dedans, sinon...

(après un long silence)

Mais à l’Ashram, nous avons trois centres qui font de la construction: il y a P, qui s'occupe de l’entretien des maisons, A.S. et L... A.S. n'est pas équipé pour cela, et puis il est trop occupé aussi parce qu'il n'a pas seulement la construction, il a aussi toutes les automobiles et puis toutes ces terres; maintenant, je considère qu'il est pleinement occupé et il fait bien son travail, et si l’on voulait lui en donner trop, il ne pourrait plus bien le faire... L, lui, est très intéressé, il a même dit qu'il se chargeait de faire venir le marbre blanc; il irait le chercher et le choisir lui-même. Il est très intéressé, si je lui disais de le faire... Mais ce ne serait pas mieux.

Mais ce n'est pas cela qu'il voulait dire, il ne parlait pas du tout d'un problème de construction: il parlait du problème que les disciples travaillent avec les Auroviliens... N, en tant qu'ingénieur et avec l’argent ramassé, fera la construction, mais il faut que toute la main-d'œuvre soit fournie par l’ensemble des gens de l’Ashram qui se mêlent aux Auroviliens. C'est cela, l’idée.

Ce n'est pas possible. Tous les gens de l’Ashram qui sont en âge de travailler travaillent tous, ils ont tous leur occupation.

Il voyait une sorte de roulement, chacun donnant, par exemple, une heure par jour, ou une journée par semaine. Parce que, autrement...

Ils ne demanderaient pas mieux! Ils prendraient cela comme un extraordinaire amusement! J'ai plus de peine à les empêcher de se disperser que je n'aurais de peine à leur faire faire quelque chose! Ce serait pour eux un amusement.

Parce qu'il dit que s'il n'y a pas la force intérieure des gens de l’Ashram, qui se mêle à ceux d'Auroville, ceux d'Auroville resteront ce qu'ils sont. Il y a une coupure entre Auroville et l’Ashram.

Moi, je ne la trouve pas suffisante.

La coupure?

Oui.

Ah!bon!

Je ne la trouve pas suffisante. Ce n'est pas du tout sur le même plan.

Les gens d'ici...

(silence)

Tu n'as qu'à imaginer que je sois partie.

Baba!

Imagine seulement cela et tu verras, tu verras tout de suite ce qui arrivera.

Eh bien, c'est le seul espoir.

S'ils viennent dire: «Il faut que vous [Mère] preniez la responsabilité», ah! je dirais: «Ça, ils ont raison», c'est tout à fait différent.

Ils ont été à côté. Ce n'est pas ça.

Mais, douce Mère, je crois que c'est cela qu'ils veulent dire? Non?

(Mère rit) Ils ne pensent pas clairement! C'est une pensée confuse.

Quand ils disent que tous les disciples ici se mêlent à la construction d'Auroville, comme on l’a fait pour Golconde, ils veulent dire que c'est toi qui donnes l’impulsion à tous les disciples de venir participer au travail C'était cela, l’idée. Mais toi, tu dis qu'il faut au contraire qu'il y ait une séparation – pas de mélange.

(Riant) Si tu savais les choses comme elles sont!... Les gens d'Auroville amènent ici la drogue, le... toutes sortes de choses.

Oui-oui, je sais – je sais, douce Mère. C'est pour cela qu'il dit que le seul espoir...

C'est qu'ils aillent attraper là-bas toutes ces choses!

Il dit: «Autrement, il n'y a pas d'espoir.»

Oh! non, il ne sait pas! C'est tout dans la mentalité, c'est tout mental. Ils ne savent pas. Qui est-ce qui sait? C'est seulement quand on voit. Il n'y en a pas un qui voie.

Tout: des pensées, des pensées, des pensées – ce ne sont pas les pensées qui construisent.

Les éléments d'Auroville peuvent faire le travail?

Je suis en train de travailler-travailler (geste de malaxage) pour rassembler les énergies qui peuvent faire. Et il faut un décantage là-bas.

Oui.

(silence)

Mais tu comprends, ils parlent de travail physique, et pour le travail physique, il n'y a que les jeunes qui sont à l’École – tous les Ashramites sont devenus vieux, mon petit! ils sont tous vieux. Il n'y a que les jeunes à l’École. Et les jeunes qui sont à l’École ne sont pas ici pour être des Ashramites: ils sont ici pour être éduqués – c'est à eux de choisir... Il y en a beaucoup-beaucoup qui veulent aller à Auroville. Alors ce serait l’éducation de l’Ashram qui irait à Auroville – il y en a beaucoup. Mais... donne-moi des noms, qui est-ce qui peut aller travailler avec ses mains?

Mais, douce Mère, la seule possibilité c'est que tu dises; alors moi, demain, je vais passer deux heures à Auroville et ramasser des «baskets»! [paniers de détritus]

(Mère rit) Mon petit! toi, tu es l’un des plus jeunes... Tu me vois disant à Nolini: allez travailler.

Ah! mais ça tirerait tous les autres... Enfin, c'est l’idée de N et de Paolo.

(Mère rit) Pauvre Nolini!

(long silence)

Si tu savais combien de lettres je reçois de prétendus Auroviliens qui disent: «Oh! je veux enfin être tranquille, je veux venir à l’Ashram, je ne veux plus être Aurovilien...» Voilà. C'est juste le contraire: «Je veux être tranquille.»2 Voilà.

(silence)

Moi, tu sais, je ne crois pas aux décisions extérieures. Simplement, je ne crois qu'à une chose: la force de la Conscience qui fait une pression comme ça (geste écrasant). Et la Pression va en augmentant... Ce qui fait qu'elle va décanter les gens.

Autrement, ce serait sans issue, parce que, n'est-ce pas, dans le temps (il y a seulement dix ans de cela), j'allais, je venais, je voyais... Mais c'est fini. Ce n'est pas une décision que j'ai prise, je n'ai pas pensé que c'était fini du tout, ce n'est pas du tout cela: c'est quelque chose qui m'a obligée. Tu comprends? Alors j'ai dit bon. Ce n'est pas une incapacité: ce corps est extrêmement docile, il fait tout ce qu'on lui demande de faire; si on lui demandait de sortir, il s'arrangerait pour pouvoir sortir. Il est extrêmement docile. Mais c'est comme cela, il y a l’Ordre: non. Et je sais pourquoi...

Mais tu sais, je ne crois qu'à ça: la pression de la Conscience. Tout le reste, ce sont les choses que les hommes font; ils les font plus ou moins bien, et puis ça vit, et puis ça meurt, et puis ça change et puis ça se déforme et puis... – tout ce qu'ils ont fait. Ce n'est pas la peine. Il faut que la puissance d'exécution soit d'en haut, comme cela, imperative (geste de descente). Et alors, pour cela, il faut que ça (Mère désigne le front), ça reste tranquille. Pas dire: «Oh! il ne faut pas ceci, oh! il faut cela, oh! nous devons faire...» Paix-paix-paix, Il sait mieux que vous ce qu'il faut. Voilà.

Alors, comme il n'y en a pas beaucoup qui peuvent comprendre, je ne dis rien: je regarde et j'attends.

Je regarde... N'est-ce pas, on me donne un papier comme tu viens de le faire quand tu m'as donné ce dessin, je regarde comme cela, et je vois très bien qu'est-ce qui, dans ce papier, est le résultat d'en haut et qu'est-ce qui s'est mélangé et qu'est-ce qui... Comme cela. Mais on ne va pas dire cela! – d'ailleurs ils ne me croiraient pas.

(silence)

Je comprends très bien – très bien – pourquoi Sri Aurobindo n'a pas dit «surhomme», pourquoi il a dit supramental. Il n'a pas dit surhomme parce qu'il ne voulait pas que ce soit «un homme qui se perfectionne», ce n'est pas cela. Il a dit supramental parce que... Il a dit: laissez tout ça.

Supramental – supra, tu comprends?

J'ai vu ces jours derniers les photographies de ces gens qui sont allés à la lune... Tu les a vus? Tu n'as pas vu comment ils étaient attifés?

Oui, j'ai vu.

Ah!... alors ils sont devenus des machines.

C'est cela: des robots.

Oui, alors (riant) les Russes ont dit: pourquoi ne pas envoyer des robots, ce n'est pas la peine!...

C'est cela.

(silence)

N'est-ce pas, N a passé son temps à dire autant de mal qu'il pouvait de R en disant que tous ses plans étaient mauvais et que son travail ne pouvait pas réussir. R a passé son temps à dire: «N a abîmé tout mon travail!» Et un autre dit «celui-là...» et celui-là dit «celui-ci...», et ils sont tous comme cela! Et alors, je vois d'une façon certaine que si le travail doit être fait, il faut d'abord qu'ils surmontent cette toute petite mesquine humanité. Ils «voient», ils ont «des idées» (ils ont tous beaucoup d'idées), ils ont des idées, ils voient; les autres voient autre chose et ont d'autres idées; et alors: «Oh! ça, ça ne vaut rien, c'est mon idée qui est bonne...» Ils sont comme cela! Et toute mon action est comme cela: une PRESSION sur eux pour leur faire abdiquer leur petite personne. Tant que ça n'abdiquera pas, le travail ne peut pas être fait.

Et ils cherchent effectivement toutes sortes de raisons pour ne pas voir la vraie.

Il faut que... ouf! un peu d'air.

Le corps – ce corps-là – est en train de recevoir une discipline, tu sais, oh! terrible... Mais il ne se plaint pas, il est content, il la demande. Et il voit à quel point on est plein de toutes petites choses qui sont tout le temps en train d'enrayer l’action de la Force. Eh bien, il faut commencer par se débarrasser de ça. Il faut être comme cela (geste d'abandon, ouvert) et recevoir la Force. Alors viendront toutes les inspirations, et non seulement les inspirations mais les moyens d'exécution, et la Vraie Chose. Autrement...

Et comme ils ne sont pas tous très prêts, je fais comme la Conscience: je mets la Pression et je ne dis rien – j'attends (Mère rit).

(silence)

Si tu savais tout ce qui se passe, ça t'amuserait beaucoup... Tout le côté agriculture, c'est la même chose; tout le côté éducation, c'est la même chose; partout, c'est la même chose... Côté international, c'est la même chose, partout-partout: l’Homme (Mère se rengorge), l’Homme qui se gonfle.

Il faut qu'ils comprennent d’abord: abdication. Après, on verra.

Je leur transmets ton message?

Oh! non, mon petit! Ils vont être épouvantés, les pauvres!

Tu crois? Ça leur ferait du bien.

Oh! non-non, ça les bouleversera. La Pression, c'est la meilleure chose. Parce qu'ils ne comprennent pas ce que tu penses, ils ne comprennent pas ce que tu dis: ils comprennent ce qu'ils ont dans la tête. Ils changent le sens des mots... Comme c'est arrivé à A.R.,3 n'est-ce pas, qui a pris cela pour une attaque personnelle.

Oui, c'est vrai! C'est vrai, j'ai remarqué cela: ils prennent ça pour une attaque personnelle.

C'est cela. Mais c'est ça partout, c'est la difficulté: la personne d'abord. Alors ça gâte tout.

On dit la vérité objectivement comme on la voit – c'est comme si on les attaquait, eux!

On les attaquait, oui.

Alors il faut a-t-t-en-dre qu'ils soient mûrs – tu comprends, on perd beaucoup de temps. Il vaut mieux ne rien dire: mettre la Pression. Ça, je suis impitoyable! (Mère rit beaucoup)

Et alors qu'est-ce que je fais au milieu de tous ces gens?

Tu peux leur dire que... Justement R m'avait parlé (c'était la même chose avec d'autres mots), et je n'ai dit ni oui ni non, j'étais en attente parce que je voulais savoir comment les autres voyaient. Alors maintenant j'ai vu, je vois qu'ils sont d'accord. S'ils peuvent se mettre d'accord, le travail ira plus vite! Voilà. Les objections de détail n'ont pas d'importance parce que l’on part avec une idée et on arrive avec une autre – on fait beaucoup de progrès entre les deux. Alors, ça n'a pas besoin d'être discuté, c'est seulement... Seulement tâchez de mettre vos énergies ensemble pour démarrer plus vite, c'est tout! (Mère rit)

Quelle heure est-il?

Oh! il est très tard, douce Mère, onze heures et demie.

Oh!...4

21 janvier 1970

(Mère écoute la lecture de la traduction anglaise de la conversation du 13 décembre 1969 où elle parle de la guérison du mal «sans refoulement»: «Ce qui produit le refoulement, c'est l’idée du bien et du mal... C'est l’infirmité de notre conscience qui fait cette division.» Puis elle dit qu'il faut «apprendre à disparaître.» Le disciple avait proposé la publication de certains extraits dans les «Notes sur le Chemin».)

C'est la fin?...

(À Nolini:) You think it's all right? It won't just create a great confusion?... I am not sure... [Vous croyez que ça va? Est-ce que cela ne va pas simplement créer une grande confusion... Je n'en suis pas sûre.]

Ils vont se sentir tout à fait perdus.

(silence)

(Satprem:) Tu vas au cœur du problème – au cœur de tous les problèmes.

Oui, mais... (Mère rit)

Les gens ont trente-six mille difficultés, mais il n'y a qu 'une difficulté; il y a trente-six mille facettes mais il n'y a qu 'un problème. C'est dit clairement là.

Ils vont être épouvantés!

(silence)

Ce qu'il faudrait dire, c'est que, dans cette Conscience où les deux contraires, les deux opposés sont joints, tous les deux changent de nature. Ils ne restent pas ce qu'ils sont. Ce n'est pas qu'ils soient joints et qu'ils restent les mêmes: tous les deux changent de nature. Et ça, c'est tout à fait important. Leur nature, leur action, leur vibration, sont tout à fait différentes de la minute où ils sont joints. C'est la séparation qui en fait ce qu'ils sont.

Il faut supprimer la séparation, et alors leur nature même change: ce n'est plus le «bien» et le «mal» mais quelque chose d'autre, qui est complet. C'est complet.

(silence)

C'est en lisière... tout cela est en lisière... Quand la Chose viendra?... Je ne sais pas.

28 janvier 1970

(Le disciple commence par lire à Mère sa préface à la deuxième édition de «l’Aventure de la Conscience». Nous la publions ici pour donner la température de l’époque.)

«Le règne de l’aventure est terminé. Même si nous allons jusqu'à la septième galaxie, nous irons là casqués et mécanisés, et nous nous retrouverons tels que nous sommes: des enfants devant la mort, des vivants qui ne savent pas très bien comment ils vivent ni pourquoi ni où ils vont. Et sur la terre, nous savons bien que le temps des Cortez et des Pizarre est fini: la même Mécanique nous enserre, la souricière se referme. Mais comme toujours, il se révèle que nos plus sombres adversités sont nos meilleures occasions et que l’obscur passage est un passage seulement, conduisant à une lumière plus grande. Nous sommes donc mis au pied du mur, devant le dernier terrain qu'il nous reste à explorer, l’ultime aventure: nous-mêmes.

«Et les signes abondent, ils sont simples et évidents. Le phénomène le plus important de cette décade n'est pas le voyage sur la lune, mais les "voyages" de la drogue et la grande transhumance des hippies et l’effervescence des étudiants à travers le monde – et où iraient-ils? Il n'y a plus d'espace sur les plages grouillantes, plus d'espace sur les routes écrasantes, plus d'espace dans la termitière grandissante de nos cités. Il faut déboucher ailleurs.

«Mais il y a toutes sortes d"'ailleurs". Ceux de la drogue sont incertains et semés de danger, et surtout ils dépendent d'un moyen extérieur – une expérience doit pouvoir s'obtenir à volonté et n'importe où, au milieu du marché comme dans la solitude de notre chambre, sinon ce n'est pas une expérience mais une anomalie ou un esclavage. Ceux de la psychanalyse se limitent, pour le moment, à quelques caves mal éclairées, et surtout ils manquent du levier de conscience qui permet d'aller où l’on veut, en maître et non en témoin impuissant ou en victime maladive. Ceux de la religion sont plus illuminés, mais ils dépendent aussi d'un dieu ou d'un dogme, et surtout ils nous enferment dans un type d'expérience, car on peut aussi bien, et davantage, être prisonnier des mondes ailleurs que du monde ici...

Oui-oui.

«...Et finalement, la valeur d'une expérience se mesure à son pouvoir de transformation de la vie, sinon nous sommes devant un vain rêve ou une hallucination.

«Or, Sri Aurobindo nous fait faire une double découverte dont nous avons un besoin urgent si nous voulons non seulement donner un débouché à notre étouffant chaos, mais transformer notre monde. Car, en suivant pas à pas avec lui sa prodigieuse exploration – sa technique des espaces intérieurs, si l’on ose dire –, nous sommes amenés à la plus grande découverte de tous les temps, à la porte du Grand Secret qui doit changer la face du monde, à savoir que la conscience est un pouvoir. Obnubilés que nous sommes par l’"inévitable" condition scientifique ou nous avons pris naissance, il semblerait que l’homme n'ait d'espoir que dans une prolifération toujours plus énorme de ses machines, qui verront mieux que lui, entendront mieux que lui, calculeront mieux que lui, guériront mieux que lui – et finalement peut-être vivront mieux que lui...

(Mère rit)

«...Il s'agit de savoir que nous pouvons mieux que nos machines, et que cette énorme Mécanique qui nous étouffe peut s'écrouler aussi vite qu'elle est née, si seulement nous voulons toucher le levier du vrai pouvoir et descendre dans notre propre cœur comme des explorateurs méthodiques, rigoureux et lucides.

«Alors, nous découvrirons peut-être que notre splendide XXe siècle était encore à l’âge de pierre de la psychologie, et qu'avec toute notre science, nous n'étions pas encore entrés dans la vraie science de vivre ni dans la maîtrise du monde et de nous-mêmes, et que devant nous, s'ouvrent des horizons de perfection et d'harmonie et de beauté auprès desquels nos découvertes superbes sont comme de grossières ébauches d'apprentis.»

C'est très bien, très bien... c'est magnifique. Ça, ça a une force dynamique.


Peu après

Pas la nuit dernière, la nuit d'avant, j'ai vu pour la première fois – c'était la première fois – Sri Aurobindo conduire l’automobile. Il conduisait l’automobile, j'étais là tout de suite derrière et puis il y avait comme le monde entier. Mais entre moi et Sri Aurobindo, c'est-à-dire entre le monde et Sri Aurobindo, il y avait comme ces écrans devant (un pare-brise), mais c'était une natte pour que l’on ne puisse pas voir au travers. Alors, moi, je voyais, mais les autres ne voyaient pas, et je voyais Sri Aurobindo au guidon, et c'est lui qui conduisait. Il était... sans âge, avec une puissance extraordinaire, et une MAÎTRISE dans la conduite, extraordinaire! Et c'était comme si... il commençait à conduire le monde.

Et je me disais: «Comment se fait-il...?» C'est la première fois. Je le vois presque toutes les nuits, mais toujours occupé, allant ici, là, faisant ceci, ou restant tranquille, ou voyant les gens, ou apparemment ne faisant rien; mais là, il conduisait l’auto – c'était l’auto du monde – et il y avait un écran pour que l’on ne voie pas que c'était lui... Tout-tout le monde était derrière, et on ne savait pas, mais c'était conduit avec une sûreté et une rapidité extraordinaires.

Et quand je me suis réveillée, j'ai eu l’impression que, vraiment, il y avait quelque chose de changé.

C'est évidemment l’arrivée du centenaire...1 Et encore, il y avait un écran, mais c'était lui qui conduisait.

Maintenant, je comprends ma vision.

C'était cette force, cette puissance qui était en lui... c'était formidable.

(silence)

C'était une nuit assez particulière... Il y a un vieil ami d'Amrita qui est mort dans la nuit: Ganeshan. Je ne le savais pas. Et c'était...

Comment expliquer vraiment?... Le corps, la conscience du corps était la conscience d'un corps qui meurt, et en même temps avec une connaissance parfaite qu'il ne mourait pas. Mais c'était la conscience d'un corps qui meurt, avec toutes les angoisses, toutes les souffrances, toutes les choses, mais il y avait la connaissance que ce n'était pas ça qui mourait (Mère désigne son propre corps). Et ça a duré longtemps: ça a duré toute la nuit – il est mort de très bonne heure le matin. Et après, j'ai su (seulement quelques heures après quand on m'a dit qu'il était parti), alors j'ai compris... Cet homme était très ardent dans sa dévotion et il savait depuis longtemps qu'il allait mourir; il a des fils qui lui avaient proposé de l’emmener pour le soigner – il a dit non, je veux mourir à l’Ashram, je ne veux pas quitter l’atmosphère... Et je comprends pourquoi, parce que... n'est-ce pas, la conscience était là à l’aider tout du long, il a eu tout du long la réaction que ce corps aurait (le corps de Mère), tu comprends? C'est-à-dire qu'il est mort dans des conditions particulièrement favorables. Mon corps était comme cela (geste d'abandon) et il disait: «Bien, Seigneur, c'est comme Tu veux, je suis tout à fait prêt.» Et en même temps, il avait parfaitement la connaissance: «Mais tu n'es pas en train de mourir!...» Comme cela.

Mais il était comme cela, il disait: «Eh bien, c'est bon, si Tu as décidé, Tu as décidé...» Et il savait. Je ne peux pas dire qu'il ait passé une bonne nuit, non!2 mais la conscience était très-très-très consciente, oh!...

Et alors, quand on lui a dit (au corps) le matin, que cet homme était parti (riant), il a ri, il a dit: «Ah! c'est ça!...»

Mais c'était intéressant. Et c'est après (je ne sais plus à quelle heure, mais probablement quand il a eu l’impression que c'était fini, ou que ça allait être fini – en tout cas l’intensité de l’«opération» était passée) qu'alors imédiatement j'ai eu cette vision: il est entré dans son repos habituel et imédiatement, j'étais dans cette auto – cette auto mondiale conduite par Sri Aurobindo... Et d'une clarté tellement-tellement vraie, et vivant, réel, extraordinaire!3

(méditation)

31 janvier 1970

Quelqu'un m'a écrit de France qu'il avait tout essayé et que rien n'avait réussi, qu'il était tout à fait désespéré et que... Alors j'ai répondu ceci:

(Mère tend une note)

Image 6

C'est au moment où tout paraît perdu que tout peut être sauvé. Quand on a perdu confiance en son pouvoir personnel, il faut avoir la foi en la Grâce Divine.

C'est utile pour beaucoup de gens.

Ça a été dit je ne sais combien de fois, mais il semble toujours nécessaire de le redire.

(silence)

Alors, le vieux système de la propriété personnelle est en train de s'écrouler dans le monde. Seulement, comme d'habitude, ça s'écroule d'une façon dégoûtante... Ici, ils ont mis un espionnage sur tout le pays, un espionnage répugnant, pour les gens qui envoient de l’argent d'un endroit à un autre pour en recevoir davantage. Moi, cela m'est égal parce que je ne fais rien, seulement je sais qu'ici il y en a qui le font. Et je ne voudrais pas qu'il y ait des histoires.

On a dénoncé S parce qu'elle avait de l’argent (je ne sais pas exactement quoi, je ne comprends même pas ces histoires), en tout cas cet argent est allé à un ami en Amérique, et l’ami le lui a envoyé pour qu'elle puisse l’avoir. Et alors, on est venu lui demander des explications. Mais tout s'était passé très correctement... Enfin, je veux dire que, même à l’Ashram, ils soupçonnent.

Alors, si jamais quelqu'un te fait une confidence, tu lui diras: «Faites attention.»

C'étaient des gens qui étaient venus trouver S en lui disant qu'ils venaient de la part de la Radio, figure-toi! (comme cela, des petites histoires ignobles, pleines de mensonge). Ils sont venus lui dire qu'ils venaient de la part de la Radio; naturellement, elle les a reçus, a répondu, puis ils ont posé des questions: «Avez-vous reçu de l’argent et de qui et comment?...» Alors elle a répondu la vérité, c'était tout à fait normal. Puis elle m'a écrit. J'ai passé la lettre à C en lui disant: «Qu'est-ce que c'est que cette histoire?» Il m'a dit que plusieurs ici ont été ennuyés comme cela... Et ils ont un système d'espionnage partout pour attraper les gens qui le font.

Je n'y comprends rien, d'ailleurs. Quel mal peut-il y avoir à recevoir de l’argent d'ici au lieu de le recevoir de là, je ne sais pas! Quelle faute cela peut être, je n'y comprends rien.

C'est plus le plaisir de filouter qu'autre chose – une roupie de plus ou deux roupies de plus, qu'est-ce que c'est? Ce n'est rien. On excite les gens – en leur disant «C'est défendu», imédiatement ils ont envie de le faire.

Mais dans la Constitution de l’Inde, il y avait un article spécifiant que la propriété personnelle ne pouvait d'aucune façon être retirée, c'est-à-dire que l’on affirmait le droit de la propriété personnelle. Ils vont l’enlever, ils vont dire qu'il y a «des cas» où ça peut être retiré. Alors tu comprends...

C'est évident, je le sais: c'est passé, ça s'en va – la propriété personnelle, c'est le passé. Seulement... N'est-ce pas, les Russes avaient dit que c'était l’État qui remplaçait la personne, et alors (riant), avec l’État qu'est-ce qui est arrivé? – C'est l’État qui s'est enrichi aux dépens de tout le monde. Et maintenant, ils sont en train de faire machine arrière. Mais les autres pays, sans avoir le bon sens de profiter de l’expérience, veulent suivre la même bêtise...

Mais personne encore n'a osé dire: l’argent est une force et elle n'appartient à personne, mais elle doit être utilisée par la personne la plus désintéressée et la plus clairvoyante du pays (la ou les personnes).

On n'en est pas encore là.

Il s'en faut!

Ça prendra quelques centaines d'années – peut-être pas tant que cela.

(silence)

C'est très simple, on n'ose pas vous dire: «Vous n'avez plus d'argent, ce n'est pas à vous», mais on vous empêche de le dépenser comme vous le voulez, où vous voulez – vous n'avez plus le droit. Vous n'avez plus le droit d'en faire ce que vous voulez; on ne vous le prend pas, mais vous ne pouvez pas l’utiliser. Alors, à quoi ça sert?

(silence)

Mais il y a une satisfaction extraordinaire, vraiment formidable, à pouvoir dire: «Moi, je n'ai rien – rien.» (Mère rit)... Il y avait quelqu'un (Sri Aurobindo était encore là) qui s'était plaint du «luxe» dans lequel je vivais, et alors Sri Aurobindo a répondu: «La Mère ne considère pas que les robes qu'elle met soient sa propriété personnelle, mais on les lui prête pour que nous ayons une Mère agréable à voir (!) et si elle quittait son poste, elle quitterait ses robes aussi!» (Mère rit beaucoup)

Je t'assure que la vie est drôle!1

(long silence)

Tu as des nouvelles de ton livre?2

Non, douce Mère.

Cette personne qui devait s'en occuper, elle n'a pas de nouvelles?

Non, pas de nouvelles... Je ne sais pas très bien quelle attitude avoir vis-à-vis de ce livre... Non pas que je me tourmente mais... j'y pense. Je me demande si c'est conduit?

Tu sais, mon petit, de PLUS EN PLUS et d'une façon ABSOLUE, je VOIS – n'est-ce pas, je vois, je sens: tout est décidé.

Tout est décidé.

Et chaque chose a une raison d'être – qui nous échappe parce que notre vision n'est pas assez large.

Et tu comprends, la vie, l’existence, enfin le monde n'aurait aucun sens s'il en était autrement.

Oui.

C'est... c'est une sorte de conviction absolue. Et je le VOIS, n'est-ce pas, c'est une chose que je vois. Comment dire?... Je suis en train de la payer, cette conviction! Le corps, dans son transfert d'autorité (ce que j'appelle le transfert), a des moments difficiles, vraiment des moments difficiles, et alors, vu avec la vision ordinaire, ça n'aurait aucun sens parce que les difficultés semblent augmenter avec ce que l’on pourrait appeler la «conversion», mais... pour la vraie vision (quand on est DANS la vraie vision), c'est le restant du Mensonge qui est la cause de tous les désagréments (ce qui est encore mélangé). Et même tout à fait matériellement (moralement, c'est conquis depuis longtemps: avec la disparition des désirs, tous les tourments disparaissent, sont remplacés par un sourire perpétuel et tout à fait sincère – pas voulu, pas avec un effort –, naturel et spontané), mais ce que je veux dire, c'est physiquement, matériellement: malaises et difficultés et tout cela. C'est la même chose. C'est la même chose, seulement... on est moins prêt, n'est-ce pas; la matière est plus lente à se transformer, alors il y a plus de résistance.

Et la seule solution, à chaque minute et dans tous les cas, c'est... (geste d'abandon): «Ce que Tu veux.» C'est-à-dire l’abolition de la préférence et du désir. Même la préférence pour ne pas souffrir.

Mais ce que l’on a du mal à comprendre, c'est que cette Conscience... on comprend bien qu'elle dirige tout dans l’immensité et dans l’éternité, mais est-ce qu'elle dirige tout dans le tout petit détail, c'est cela qui est...?

Dans le microscopique.

Dans le microscopique.

Et c'est justement ce que je voyais, je comprends pourquoi. Le problème était là, ce matin: la conscience individuelle, même très vaste, n'arrive pas à réaliser, c'est-à-dire à comprendre concrètement la possibilité d'être conscient de tout en même temps. Parce qu'elle n'est pas comme cela. Et alors, elle a de la difficulté justement à comprendre que la Conscience est consciente de tout en même temps: dans l’ensemble, dans la totalité et dans le moindre détail. Ça...

Oui, c'est difficile... Mais c'est réconfortant!

Ah! ça vous rend très tranquille, très tranquille... Et je t'ai dit l’autre jour que le corps avait eu cette expérience de mourir sans mourir, et alors l’expérience a servi au corps à dire: «Bien... c'est bien.» Accepter sans... (comment dire?) sans effort: adhérer. Et alors c'est fini. Toute la vieille illusion de disparaître avec la dissolution du corps, il y a longtemps qu'elle n'est plus là, n'est-ce pas, et maintenant, le corps lui-même est tout à fait convaincu que même s'il était répandu comme cela, ça élargirait son champ de conscience... Je ne sais même pas comment expliquer parce que ce sens du personnel et de la nécessité du personnel pour la conscience a disparu.

Et je vois bien, le corps se rend bien compte que ce n'est que par sa résistance – sa résistance à la Vérité – qu'il peut souffrir. Partout où il y a une adhésion complète, la souffrance disparaît imédiatement.

(silence)

Mais c'est la même chose pour les pays et les États: c'est le même changement d'autorité. Au lieu des autorités personnelles, cela va être une autorité divine, et le même changement d'autorité fait l’innommable chaos dans lequel on vit – à cause de la résistance.

(long silence)

Plus une partie de l’être (quelle qu'elle soit) s'approche du moment de la transition, c'est-à-dire plus elle est prête à cette transition, plus sa sensibilité croît. Et alors, au moment où l’on peut dépasser le stade des problèmes et voir de la vision universelle, les problèmes prennent, pour la sensibilité personnelle, une acuité tout à fait aiguë. Ça, je l’avais remarqué avant; maintenant, ça se reproduit pour le corps. Il prend une sensibilité... terrifiante, n'est-ce pas. Les gens qui ne savent pas pourquoi c'est comme cela sont vraiment terrifiés... La possibilité du malaise, de... Et c'est la même chose pour les problèmes. Seulement, pour ceux qui SAVENT et qui ont compris, c'est l’occasion de faire le dernier progrès, de faire comme cela: (Mère ouvre les mains vers le haut).

Au fond, ce qui a encore l’illusion d'être quelque chose de séparé doit se dissoudre. Ça doit se dire: «Ça ne me regarde pas, je n'existe pas.» C'est la meilleure attitude que ça puisse prendre. Alors... ça rentre dans le Grand Rythme universel.3

(méditation)

février




4 février 1970

(Mère a l’air fatiguée.)

Tu as quelque chose à dire?... Moi non plus... Je n'ai rien du tout.

Tu es fatiguée?

Pas cela. C'est difficile.

(Mère entre dans une longue méditation qui durera toute l’entrevue)

De plus en plus, la sensation de l’inutilité de ce que l’on dit, c'est cela surtout.

Toutes les paroles sont un à-peu-près – un à-peu-près.

7 février 1970

(Nous ne saurons jamais exactement quoi ni pourquoi, mais on peut presque dater de ce jour-là un changement perceptible dans la condition physique de Mère.)

Quelqu'un m'a donné un rhume formidable, je tousse-tousse-tousse. Je n'ai pas été bien hier toute la journée.

J'ai eu l’impression que l’on traversait un orage.

Oh!... oh! c'est pire qu'un orage.

(silence)

Des mauvaises volontés, des délations, le gouvernement s'inquiète, on m'a dit de faire attention à quelqu'un que tu connais... un Marquis.

Ah! oui, je sais.

Tu sais?

Oui, ils ont poursuivi cet homme. Pendant dix ans, ils Vont empêché de rentrer dans l’Inde. Il est sur des listes noires, suspecté de faire...

De l’espionnage?

Non-non! de la contrebande.

Oh! bon. l’espionnage me dégoûte, mais la contrebande m'est égal!

Mais il n'y a pas de contrebande par-dessus le marché! l’histoire est qu'il y a dix ans, il avait acheté au Nizam de Hyderabad un magnifique palais qui servait à la Begum, un très beau palais. Cela a suscité des jalousies, ils lui ont fait toutes sortes d'histoires pour l’obliger à sortir de là, enfin une histoire infâme. Alors ils ont mis des tas d'accusations sur son dos et pendant dix ans, ils l’ont empêché de revenir dans l’Inde.

Oh!... Mais on m'a fait dire de faire attention, comme une «grande faveur» que l’on me faisait!

Quel culot!

J'ai répondu: «J'ai vu cet homme, il me paraît bien!» (Mère rit)

Moi, je connais bien cet homme, ils ont beaucoup souffert, surtout sa femme indienne qu'ils ont empêchée de revenir dans l’Inde pendant dix ans.

Ils sont stupides.

Alors, on les a mis sur des listes noires et ils ne peuvent plus se sortir de cette histoire. Partout où ils vont, ils sont suivis, espionnés, déshabillés aux aéroports, c'est infernal.

Je suis contente de t'en avoir parlé parce qu'il y a une chose que je n'aime pas, c'est l’espionnage, tout le reste m'est égal. Et c'est justement ce que l’on ne peut pas savoir parce qu'ils sont très soigneux de ne rien dire, tout en dénonçant. J'ai simplement répondu: «J'ai vu cet homme, il est très bien.»

Mais il est vraiment Marquis: c'est un chevalier.

C'est un gentleman.

Ce que je voudrais bien, c'est qu'il soit délivré de cette chose qui pèse sur lui.

Mais les gouvernements sont l’esclave de leur paperasserie.

(silence)

J'étais beaucoup mieux ce matin, et puis c'est retombé sur moi (geste comme un tombereau qui se déverse)... Ça passera.

Oui, on sent bien que ça tire, l’atmosphère est un peu difficile.

Il y a une rage quelque part.

Oui.

C'est tout à fait quelque chose qui rage.

Malheureusement, ce sont tous les gens qui m'apportent cela... J'arrive à remettre les choses à peu près en ordre, et puis brrf! on m'en jette un tombereau encore, et puis tout revient.

(silence)

Matériellement, les gens du Consulat [de France] sont acharnés contre nous, et ils ont réussi à faire entrer dans l’Ashram une vieille dame qui fait des «œuvres de charité» et qui veut emmener S pour lui tenir compagnie. J'ai dit à S: «Si tu peux la convertir, va et reviens avec elle (parce qu'elle devait revenir dans six mois), reviens dans six mois avec elle convertie»... Très riche! une dame très riche... qui gaspille tout son argent à faire des «œuvres de charité». Il paraît qu'ils ont des espèces de dispensaires où l’on distribue des vêtements et de la nourriture, et alors avec des airs... – horrible-horrible.

Oui, la charité est une horrible chose.

Oh! c'est pour moi une chose horrible. C'est une façon de se gonfler.

Alors, j'ai dit à S: «Si tu peux la convertir...» Elle est très riche (riant), ce serait très utile!

Mais tu dis que le consulat aussi est contre nous?

Oui, c'est une amie du consulat.

Je crois que la femme du consul n'a jamais pardonné ce que je lui ai dit.

Oh! mais ACTIVEMENT ils sont contre nous... Ils nous ont accusés d'hospitaliser, enfin de recevoir ces voyous qui sont arrivés, qui prennent des drogues et tout cela – il y en a toute une bande qui est installée au «Parc à Charbon»1, et il paraît que c'est nous qui les avons fait venir.

Mais, douce Mère, je trouve ces «voyous» beaucoup mieux que tous ces consuls!

(Mère rit)

Au moins là, il y a quelque chose qui est affranchi (d'une certaine façon).

Oui, mais... ils ne sont pas tous très bien.

Évidemment, il y a de tout. Mais il n'y a rien de pire que les gens qui sont enfermés dans leur certitude bienfaisante.

Oh!...

(silence)

Mais ça a touché depuis là jusque là (Mère désigne le haut de la poitrine, la gorge et le nez): tout ce qui est en rapport avec les gens. Et puis c'était comme plein de nœuds, il y avait des difficultés; alors est venu le moment où cela devait être clarifié; et c'était très bien, je sentais le Travail; mais alors ça s'est aggravé de toutes sortes de choses qui ne sont pas positivement «tombées» sur moi, mais qui m'ont été apportées. C'est devenu un peu difficile.

C'était d'ici à là (même geste), ce qui est en rapport avec le monde extérieur. C'était encore là ce matin.

Alors, ça a commencé par le nez, la gorge, et puis c'est venu ici (poitrine): tousser-tousser-tousser...

Enfin, je suis contente de ton Marquis. Ça m'agaçait, cette histoire-là.

(silence)

C'est la même chose: maintenant, ils sont hypnotisés par cette histoire de «change». Ça provient de l’imbécillité collective qui a accepté toutes ces règles de change – ça n'aurait jamais dû être soumis à des règles parce que, naturellement, dès qu'il y a une règle, c'est fait pour être violé. Et alors, tous les gens font cela en dessous, oh!... Et j'ai reçu une lettre d'un monsieur (je ne l’ai pas reçue directement, c'est venu par quelqu'un), un monsieur qui m'a offert, si je lui donnais les dollars que je reçois (j'en reçois pas mal – pas énormément, mais enfin assez régulièrement), si je lui donnais les dollars, de me donner onze roupies pour un dollar, tu comprends? et même quelquefois douze... Je n'ai pas répondu. Et alors, ils sont là à guetter pour voir s'il n'y a rien à... C'est dégoûtant.

Et le monsieur a dit: «Je ne fais pas cela pour tout le monde, je donne dix pour un, ce qui est régulier, mais pour vous je ferai cela (!)...» Tu sais, ça avait une odeur pas agréable. J'ai dit: oui, pour que l’on puisse dire: «La Mère le fait», merci bien!

Et au fond, c'est plus le plaisir de filouter qu'autre chose – une roupie de plus ou deux roupies de plus, qu'est-ce que c'est? Ce n'est rien. On excite les gens – en leur disant «c'est défendu», imédiatement, ils ont envie de le faire.

Ah! s'il vous plaît (désignant le magnétophone) il faut enlever ça parce que... c'est dangereux!2

(silence)

Tout de même, j'avais l’impression qu'il y avait quelque chose... Quoi?... Ah! les Aphorismes... Tu as lu celui d'hier?

Sur l’état anarchique?

Oui! C'est bien, n'est-ce pas?

(le disciple lit)

321 – l’état anarchique est le vrai état divin pour l’homme, à la fin comme au commencement, mais au milieu il nous mènerait tout droit au diable et à son royaume.

Et qu'est-ce que je réponds à l’aphorisme d'avant?

Ah! oui...

320 – Les gouvernements, les sociétés, les rois, la police, les juges, les institutions, les Églises...

Oui, il a tout mis là-dedans: les religions et la police ensemble!

Oui, ça va ensemble!

J'étais ravie.

...les lois, les coutumes, les armées, sont des nécessités temporaires qui nous sont imposées pendant quelques séries de siècles, parce que Dieu nous a caché Sa face. Quand elle apparaîtra de nouveau devant nous en sa vérité et sa beauté, alors, dans sa lumière, ces nécessités s'évanouiront.

Et qu'est-ce que j'ai répondu?

Tu as dit:

«l’état anarchique est le gouvernement de chacun par lui-même.

«Et ce sera le gouvernement parfait quand chacun sera conscient du Divin intérieur et n'obéira qu'à Lui et à Lui seul.»

J'écris, et après la suite vient, mais je n'ai pas le temps de noter...

Quelqu'un d'Auroville m'a écrit qu'il pensait qu'il était venu ici pour n'obéir qu'à lui-même (ou quelque chose comme cela) et qu'il s'apercevait qu'il y avait des règlements et des lois. Et il a dit: «Je ne ferai pas ça! moi, je suis libre. Je refuse de faire ça.» On me l’a rapporté naturellement,3 alors je lui ai écrit (je ne me souviens plus): «On n'est libre que quand on est conscient du Divin et que c'est le Divin qui prend les décisions en chacun, autrement on est l’esclave de ses désirs, de ses habitudes, de toutes les conventions...» Et j'ai envoyé cela, et après il s'est tenu tranquille.

C'était cela que je voulais ajouter là (dans cet Aphorisme). Il faudrait dire: on n'est libre que quand c'est le Divin qui prend les décisions en chacun de nous, autrement les hommes sont les esclaves de leurs désirs, de leurs habitudes, de toutes les conventions, de toutes les lois, de tous les règlements... Et plus ils se croient libres, plus ils sont liés!

(silence)

Qu'est-ce que tu as à dire?

Est-ce que l’on t'a dit qu'en France, ces derniers temps, il y a eu cinq ou six cas d'étudiants qui se sont immolés par le feu?

Hein?!

Oui.

Qui se sont...

Immolés par le feu.

Quelle horreur!

Des garçons de dix-sept, dix-huit ans.

Oh!...

Des étudiants.4

C'est la nouvelle manie – ici aussi ils voulaient faire la même chose... Qu'est-ce que c'est que ça?

La protestation contre cette société irrespirable.

Quelle horreur...

En France?

En France.

(silence)

On ne sait pas ce qu'ils pensaient?... Parce que je me suis dit cela: si... par exemple, ce que je sais, que vraiment la mort n'existe pas, que c'est... c'est une toute petite différence (on croit que c'est une différence formidable – c'est une toute petite différence), mais si les hommes le savaient trop tôt, il y en aurait des quantités qui s'en iraient...

Et alors, j'aimerais beaucoup savoir ce qu'ils pensaient, ces garçons qui sont partis? S'ils savaient, si c'étaient des garçons qui avaient une vie spirituelle ou...? Parce que, n'est-ce pas, le premier degré quand on sait cela... si l’on savait que vraiment la mort n'est pas la différence si totale que les gens croient, s'ils savaient ce que c'est vraiment, sans avoir la réalisation intérieure du don de soi, tous ceux qui seraient vexés, diraient: «Je m'en vais!...»

Tout d'un coup, j'ai compris cela, je me suis dit: c'est encore une Sagesse infinie, une Grâce infinie qui a fait que l’homme ne sait pas – que l’homme ne sait pas ce que c'est que la mort, il croit que c'est la fin.

Ce serait intéressant à savoir.

D'après ce que l’on a dit, ce sont des étudiants d'un milieu très moyen qui ont réagi... l’un d'eux a dit que c'était à cause des massacres du Biafra...

Où?

En Afrique. Il y a toute une tribu africaine (les Ibos) qui a été à moitié annihilée avec la complicité des Anglais, des Russes, des ceci, cela, etc.

Pourquoi?

Parce qu'ils voulaient faire sécession.

C'est formidable!... Non, je ne sais pas ce qui se passe.

C'étaient des territoires qui appartenaient aux Anglais avant, qui étaient unifiés sous la coupe des Anglais, et quand les Anglais sont partis, il y a toute une tribu qui a voulu faire sécession, et alors l’autre partie a voulu empêcher la sécession avec des armes de l’Angleterre, des armes de la Russie, des armes... etc. Alors, petit à petit, on les a écrasés. Le seul pays qui ait protesté vraiment, c'est la France.

Ah!

Enfin, il y a toute une histoire politique pas jolie. Mais dans l’esprit de l’un de ces étudiants, c'était pour «racheter les massacres du Biafra».

Oh!...

En fait, c'est la protestation contre cette société qui est... qui est fausse, qui n'a pas d'avenir.

Oui, c'est vraiment vilain ce qui se passe sur la terre.

Oui, c'est vilain.

(silence)

Il y a quelques jours, j'ai eu la visite d'une dame vietnamienne (je crois que c'est une Vietnamienne), je l’avais déjà vue il y a très longtemps. Et alors, elle est revenue et elle m'a vue, et elle s'est assise en face de moi (une petite dame courte et ronde, très gentille), elle m'a dit: «Je suis venue parce qu'il y a vingt-cinq ans que nous sommes en guerre...» Et il y avait une telle douleur dans son atmosphère, c'était... oh! c'était si lamentable! «Il y a vingt-cinq ans que nous sommes en guerre... alors je suis venue, m'a-t-elle dit, est-ce que nous pouvons espérer la paix?...» Et j'ai senti... (Mère ferme les yeux)

(silence)

C'est cela: ils sont si fiers parce qu'ils vont dans la lune, et ils sont en train de se massacrer sur la terre.

(long silence)

Il y a beaucoup de choses que je comprends maintenant... Quand je suis dans la conscience terrestre, il y a de grandes vagues de quelque chose de si misérable, de si... d'une douleur si lamentable... Ça vient par vagues. Alors, si je suis tout à fait tranquille, immobile, sans rien faire, en réponse à cela, la Force descend comme cela et entre, pénètre là-dedans. Et ça fait beaucoup de travail.

Cette atmosphère est pleine d'une angoisse qui a tellement besoin d'une réponse, et alors ça vient, et au bout de... (quelquefois ça prend longtemps, ça prend des heures), mais ça pénètre, ça se répand. Mais je n'ai pas toujours le temps. Particulièrement le matin, je vois beaucoup de monde toujours (le mercredi et le samedi sont les deux jours où j'ai supprimé les entrevues, mais il y a tout de même une vingtaine de gens que je vois avant!), et ça fait une dispersion des forces. Alors ça se traduit comme cela (Mère désigne sa gorge): le désordre augmente. Autrement, quand je suis toute seule, c'est-à-dire la nuit (c'est seulement la nuit), quand je suis comme cela, sur mon lit, alors... alors ça va. Mais c'est l’angoisse du monde! maintenant je comprends (je ne connais pas, je ne sais pas ce qui se passe), mais c'était si affreux! je sentais, je' me disais: «Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce qui se passe pour qu'il y ait ça?...» Et les hommes eux-mêmes sont tellement inconscients. Je t'ai raconté l’histoire de ces pauvres petits phoques?...

C'est d'une telle inconscience. S'ils sentaient seulement un peu ce qu'ils font souffrir aux autres, ça pourrait les arrêter (?)

Alors, c'est cette partie-là (Mère désigne la gorge en toussant), c'est en rapport avec le monde.

(long silence)

Ce trajet de l’Inconscience pour aller à la Conscience, il y a longtemps que ça dure – mais combien de temps faudra-t-il que ça dure encore?... C'est... au fond, c'est une chose horrible.

Mais je comprends une chose, c'est qu'il faut OU la Suprême Conscience ou bien l’inconscience; c'est le passage entre les deux qui est horrible; une demi-conscience, c'est encore pire.

(long silence)

l’espèce d'harmonie artificielle dans laquelle le corps vit, est due, presque totalement, à l’inconscience dans laquelle il vit, et dès qu'un peu de conscience entre, ça déséquilibre tout; et si trop entrait, il ne peut plus le supporter. Je vois ça maintenant... Alors, à une échelle formidable...? Je me souviens, j'ai eu deux ou trois nuits... (Mère hoche la tête indiciblement)

(silence)

Plusieurs personnes ici sont devenues tout d'un coup malades d'une façon inattendue, et certains ont été conscients; ils m'ont écrit que, tout d'un coup, ils sont devenus conscients d'«autre chose» – quelque chose qu'ils ne connaissaient pas –, et que c'était dans le déséquilibre de leur maladie que, tout d'un coup, ils ont attrapé ça.

Il y a une TRÈS FORTE action. Mais, n'est-ce pas, les gens croient qu'il faut que tout aille bien à leur manière, et alors ils s'étonnent: comment se fait-il que cette Conscience divine soit à l’œuvre et qu'il y ait tant de choses pénibles ou douloureuses ou inattendues...? – comprennent pas. Mais ce corps-ci comprend bien! Pas une minute, il ne s'est plaint. Il n'a même pas... pas une seconde, il n'a mis la faute sur les autres. Mais il s'est dit: mon pauvre petit, tu en as encore beaucoup de ce vieux Désordre.

Oh! il y a beaucoup à faire.

(silence)

Et alors, je reçois des lettres (des enfants) qui me disent: «Pourquoi? pourquoi le Seigneur Suprême a-t-il permis que ce soit comme cela?...» C'est ce que je reçois le plus souvent.

Mais dès qu'il y a un VRAI CONTACT... c'est fini.

Alors il y a des gens qui ont dit (je ne me souviens plus qui, dans quelle religion), qui ont dit: «Mais Dieu ne souffre pas!...» (Mère rit) Alors les gens étaient encore plus furieux: «Oui, lui, ne souffre pas; il nous fait tous souffrir et lui ne souffre pas!» (Mère rit) Peut-être que ça l’amuse!

Je me souviens, cette pauvre Bharatidi (c'était une révoltée), une fois il y a longtemps, nous nous sommes occupées ensemble d'une pièce que l’on mettait en scène, et alors elle m'a dit un jour (nous étions avec tous ceux qui allaient jouer): «Et penser que Dieu voit tout ça et qu'il le tolère!» (Mère rit) Je lui ai dit: «Peut-être qu'il ne voit pas comme nous!»

Ça m'a amusée parce que c'était une femme très intelligente. Mais ça5... (Mère rit)

(silence, Mère tousse)

Quelle heure est-il?

*Onze heures vingt.

Déjà... J'allais te proposer une méditation, mais il est trop tard.

(Mère sort des roses)

Tiens, je vais faire comme cela aujourd'hui...

(Mère donne la rose jaune de Sujata avec la rose rouge de Satprem, ensemble)

(Prenant les mains de Satprem:) Mes mains ne sont pas enrhumées!

11 février 1970

(Mère tousse, sa voix est très voilée.)

Ça ne va pas. Impossible de parler.

Tu as reçu les Aphorismes?

325 – «Liberté, Égalité, Fraternité», s'écriait la Révolution française, mais en vérité, seule la liberté a été mise en pratique, avec une certaine dose d'égalité; quant à la fraternité, c'est seulement une fraternité de Caïn qui s'est fondée... et de Barabbas. Quelquefois, elle s'appelle «trust» ou «cartel», et parfois «Concert des Nations d'Europe».

326 – Les penseurs avancés d'Europe s'écrient: «Puisque la Liberté a échoué, essayons la Liberté + l’Égalité, ou, puisqu'il n'est pas facile d'apparier les deux, essayons l’égalité à la place de liberté. Quant à la fraternité, elle est impossible, par conséquent nous la remplacerons par l’association industrielle.» Mais je pense que cette fois-ci non plus, Dieu ne sera pas trompé.

(le disciple lit la réponse de Mère)

«Pour le moment encore, liberté, égalité, fraternité, ne sont que des mots qui ont été proclamés à grands cris mais qui n'ont jamais encore été mis en pratique et ne peuvent pas l’être tant que les hommes resteront tels qu'ils sont, gouvernés par leur ego et tous ses désirs au lieu d'être gouvernés seulement par l’Un Suprême et suprêmement Divin.»

Et j'ai ajouté:

La liberté ne pourra être manifestée que lorsque tous les hommes connaîtront la liberté du Seigneur Suprême.

l’égalité ne pourra être manifestée que lorsque les hommes seront tous conscients du Seigneur Suprême.

La fraternité ne pourra être manifestée que lorsque tous les hommes se sentiront également issus du Seigneur Suprême et «un» dans Son Unité.

Cela paraît impossible pour les hommes, mais ce sera possible sans doute pour la nouvelle espèce.

Autre chose... (Mère tend une autre note) Je ne vois pas clair... C'est une petite qui était terriblement embêtée par l’opinion des autres, alors je lui ai répondu:

Seule l’opinion du Seigneur Suprême a de l’importance.

Seul le Seigneur Suprême mérite tout notre amour et nous le rend au centuple.

(silence)

Ça ne va pas (Mère serre sa tête dans ses mains). Ma tête, je n'ai jamais eu de ma vie la tête comme cela. J'entends du bruit dedans et...

Ça a commencé ce matin, c'était plein de quelque chose qui... je ne sais pas ce que c'est. Et les gens pressent-pressent-pressent – il y en a! Je n'en ai jamais tant vus... J'étais presque guérie hier matin, je pensais que c'était fini, et puis j'ai vu des gens jusqu'à midi et demie. Alors après...

Tu n'as rien?... Alors je ne parle pas.

(longue méditation)

Je te vois samedi, j'espère que ce sera fini.

Je n'ai jamais eu la tête dans cet état... La conscience est très claire, très claire... C'est curieux... J'ai l’impression que ma tête est grosse comme cela (geste), comme si elle était devenue énorme.

(silence)

Il y a un attaché d'ambassade [français] qui est venu, qui a dîné au consulat avec R et F et Baron (l’ancien gouverneur de Pondichéry), et c'était sa fille qui était venue à l’inauguration d'Auroville pour mettre la terre de France. Alors il posait toutes sortes de questions et il était très intéressé... Il va y avoir un nouvel ambassadeur, on espère que celui-là sera mieux1... Le précédent était tout à fait anti-ashram. Mais on espère que le nouveau sera mieux, cet attaché est venu pour le nouvel ambassadeur.

18 février 1970

(Mère n'était pas bien portante et n'a pas pu recevoir le disciple la dernière fois, le 14. La conversation qui suit est très importante, car elle marque le début visible d'un conflit que nous pourrions appeler «médical», qui allait prendre des proportions aiguës avec les années.)

De ma vie, je n'ai eu un rhume pareil! (Mère tousse beaucoup depuis le début de février). Et cette nuit, j'ai eu une espèce de cauchemar physique!... Jamais de ma vie, je n'avais eu des choses pareilles... Je ne peux pas dire que je dormais tout à fait, mais... Comment dire? C'est un mélange entre quelque chose qui essaye de trouver son vrai remède intérieur, et le Docteur qui dit que, si je ne prends pas de médecines, j'en aurais «pour des mois»!

Oui, ils disent toujours ça.

Alors...

Oh! mais il faudrait des heures pour raconter tout cela. C'est sûrement dans le monde matériel. Et alors (riant), cette nuit, tout d'un coup, j'ai vu deux grandes figures avec des formes d'homme, mais tout gris, et on ne voyait pas d'yeux, de nez, etc. Ça avait la forme d'homme et c'était tout gris, et c'étaient les deux «docteurs» (quels docteurs, je ne sais pas?) et ils discutaient. Mon corps était sur le lit (mais je crois que je n'étais pas assise, et pourtant je n'étais pas debout!), et ils discutaient entre eux mais sans parler. Ça avait l’air d'espèces d'êtres d'un monde vital inférieur, huge [énormes], de grands êtres – grands, forts, formidables. Alors il y en a un qui, dans sa démonstration, a montré mon cœur avec son doigt, et son doigt a touché – mais j'ai poussé un hurlement! Un hurlement physique!

Je n'étais pas contente.

Jamais-jamais-jamais touchée, jamais. Une fois, j'avais eu une très forte fièvre, j'avais 42 de fièvre et c'était formidable (ça n'a pas duré longtemps mais quelques heures), j'avais attrapé cela en allant à une réunion des ouvriers qui faisaient un poudja1 ou je ne sais quoi. J'avais attrapé la fièvre. Mais Sri Aurobindo était là. Mais alors, je voyais, je voyais tous les êtres du vital le plus matériel qui venaient à l’assaut (geste montant sur le corps). Je me souviens de cela, c'était du temps de Sri Aurobindo (il y a fort longtemps). Et alors, je les ai vus et je disais à Sri Aurobindo: «Voilà, c'est cela qui donne des cauchemars épouvantables aux gens.» Mais ils approchaient (ils essayaient d'approcher), puis, quand ils touchaient la présence de Sri Aurobindo autour de moi, ils reculaient, et puis ils revenaient et ils étaient repoussés – ça a duré toute la nuit. Mais la nuit dernière, ce n'était pas cela... Naturellement, Sri Aurobindo n'était pas là physiquement, et... j'ai vu ces êtres. Mais ce qu'il y a surtout, c'est que, quand cet être qui faisait sa démonstration, m'a touchée avec son doigt, ça m'a fait hurler – j'ai hurlé matériellement.

Oui, il t'a touchée.

Ah! oui – il a pu me toucher.

Tout cela, à cause des «docteurs».

Oui, ils prétendaient être les docteurs.

Ah! matériellement, on n'est pas très protégé, autrement ce ne serait pas comme cela... Matériellement, je ne suis protégée que quand je ne suis pas endormie, tout à fait concentrée, absolument immobile, sans parler à personne, en contact avec rien autour et seulement comme enveloppée de la Présence divine. Alors là, ça va. Mais c'est loin d'être comme cela! (Mère tousse)

(silence)

Tu peux le mettre dans l’Agenda, mais il ne faut pas en parler.

Dans l’Agenda, oui, mais pas autrement.

(long silence)

Mais tu sais, douce Mère, plusieurs fois, j'ai eu cette espèce de «rêve médical», d'une sorte de médecin qui vient sous prétexte de vous soigner et qui vous fait terriblement mal, ou bien qui essaye de vous opérer, qui veut vous torturer le corps pour vous opérer; alors, au début, vous êtes tout soumis, vous dites: «Bon, il faut que je me fasse opérer», et puis finalement, la conscience revient et vous rejetez ce soi-disant docteur. Mais ça m'est arrivé souvent. Un être qui vient soi-disant pour vous soigner: un «docteur».

Je crois que c'est cela, je crois qu'il y a des êtres du vital qui se servent... qui se servent de ce qui reste d'inconscience dans les docteurs.

(silence)

Mais c'est arrivé une fois à Sri Aurobindo: dans la nuit – une nuit comme cela –, il avait crié. Et il a dit, après, que c'était dans le monde matériel: des êtres du vital le plus matériel, mais qui sont dans l’atmosphère terrestre, pas dans l’atmosphère vitale.

Ce peut être des entités vitales qui sont des résidus de gens morts – c'est possible. Mais ce peut être aussi des espèces de semi-matérialisations d'êtres du vital lui-même: des êtres du vital.

Mais toute ma vie, j'ai eu cette espèce de lumière blanche – pas blanche transparente: blanche comme du... BLANC, n'est-ce pas. Cette lumière-là qui est extrêmement intense. Jamais-jamais, ils n'approchaient – pouvaient pas approcher de ça. Il n'y a eu que cette nuit-là, quand j'ai eu la fièvre (c'était... je crois que c'était en 1918, quelque chose comme cela... non, en 1920),2 mais là, j'avais attrapé la fièvre avec les gens. Autrement, jamais-jamais, ils ne pouvaient approcher.

21 février 1970

(Mère a quatre-vingt-douze ans. l’entrevue a lieu après la méditation collective. Mère regarde longuement le disciple avec une indicible expression avant de se mettre à parler.)

Le corps a reçu un cadeau ce matin... Ce matin, vraiment le Seigneur Suprême lui a appris à être à Lui entièrement, et c'était si merveilleux!... Pendant toute la nuit – toute la nuit, toute la matinée –, c'était comme s'il y avait une démonstration absolument concrète de comment être à Lui parfaitement... Jamais-jamais le corps n'avait senti comme cela. Naturellement, il est tout à fait conscient de ce qui, encore, «grince» – c'est d'ailleurs pour cela qu'il y a les vestiges (ce sont seulement les vestiges) de cette fameuse attaque,1 mais...

l’expérience absolument concrète, pour le corps, il l’a eue toute la matinée, et la conclusion a été pendant la méditation.

C'est un peu difficile à définir – les mots diminuent beaucoup. Ça ressemble à ce que nous appelons la «paix», mais c'est lumineux, avec une impression tellement... (comment?) bien-aise, bien-être... quelque chose... Ce n'est pas tourné comme cela (geste vers soi), c'est tourné comme ça (geste vers le dehors), et alors c'est ce qui fait que c'est si difficile à expliquer. Ce n'est pas dans le corps, en lui-même qu'il trouve son bien-être, c'est un bien-être... (geste dans toutes les directions), une sorte de bien-être rayonnant et si... oui, quelque chose qui ressemble à une certitude – il n'y a plus de... «anxiété» est tout à fait hors de question («question» est tout à fait hors de question!...) mais c'est... c'est plus ce que nous appelons positivement bien-être et certitude. C'est quelque chose d'indicible. C'est tellement vaste (c'est cela: dans le corps), tellement vaste... Vraiment, c'était comme une offrande pour aujourd'hui.

l’attaque hier toute la journée était très forte, comme pour voir si le corps tiendrait le coup. Mais il a gardé sa confiance et sa calme certitude (ça, il l’avait toute la journée), et puis c'est devenu quelque chose... c'était cela, mais... C'est difficile à expliquer.

Tu as senti quelque chose, non?2

Oui!

C'était comme la queue de la méditation.

(silence)

Hier, c'était vraiment comme une épreuve pour voir si le corps tiendrait le coup, s'il était capable de sortir de lui-même – il a été convenable (surtout la nuit, c'était bien).

C'est tellement... Tous les mots sont tout petits.

Extraordinaire!... (Riant) Vraiment, on lui a fait un cadeau!3


(Ce jour-là, Mère a donné la réponse suivante à une question qui lui était posée par l’une des associations de l’Ashram:)

Quel est le grand changement auquel le monde se prépare? Comment peut-on l’aider?

Un changement de conscience. Et quand notre conscience changera, nous saurons ce qu'est le changement.

Le changement n'a pas besoin de notre aide pour venir, mais nous avons besoin de nous ouvrir à la conscience afin qu'elle ne vienne pas en vain pour nous.

25 février 1970

C'est devenu très intéressant, seulement on ne peut pas parler... (Mère tousse) et il vaut mieux ne pas parler.

Très intéressant.

J'ai passé toute la nuit dernière avec Sri Aurobindo, mais avec un monde d'explications. Il m'a fait comprendre des tas de choses, mais tout à fait... enfin extraordinaires. Et pratiques: sur l’état actuel où en sont les choses... Pas parler, c'est pour cela que je tousse, c'est exprès (!)

C'est extraordinairement intéressant.

(silence)

Une démonstration en détail de la différence entre les deux consciences.

(silence)

Il m'a expliqué, entre autres choses et d'une façon tout à fait pratique et positive, que ce qui est la cause de toutes les maladies, les désordres, les conflits, ici, dans le monde matériel, c'est que les deux mouvements qui sont simultanés – l’un est le mouvement de durée (ce que l’on pourrait appeler la Stabilité) et l’autre, le mouvement de transformation –, les deux mouvements dans la Conscience originelle ne font qu'un et ils ne sont pas en contradiction; et on m'a montré comment (pas avec la pensée: avec la conscience), ici, ils sont séparés, et alors c'est cela qui est la cause de la mort. C'est parce qu'ils ne peuvent pas s'accorder – ils ne savent pas s'accorder: ils peuvent mais ils ne savent pas. l’un, c'est le mouvement de transformation, et l’autre, le mouvement de stabilité. Quand ils ne sont pas en harmonie et là où il faut, cela produit une rupture d'équilibre et l’être meurt – les choses meurent, tout meurt –, à cause de ça. Mais dit comme cela, ça n'a pas de sens. C'est l’expérience de la chose qui est donnée... Et ça aussi, la toux et tout cela – tout cela, tout –, c'est si simple! c'est tellement évident une fois que l’on a l’expérience.

On pourrait dire (presque dire) que si les deux trouvent leur équilibre d'existence simultanée, ça recrée le Divin... Il est en nous, mais pas accordé.1

(silence)

Au moins quatre heures avec Sri Aurobindo, la nuit dernière... Oh! extraordinaire-extraordinaire, tout montré, tout expliqué.

(silence)

Est-ce que tu as reçu le dernier Aphorisme, celui d'hier?... Je lis, et puis Sri Aurobindo me fait écrire. Et alors, j'ai commencé à écrire sur un ton prophétique! Tu as lu cela? C'est comme si je parlais à quelqu'un...

Non. J'ai celui du 23, avant-hier.

Qu'est-ce que c'est?

Sri Aurobindo dit que «l’âme est nue et sans honte»,2 et on te demande: «Est-ce que l’âme n'est pas toujours pure?» Alors tu dis:

«l’âme ne porte pas de déguisement, elle se montre telle qu'elle est et ne se soucie pas du jugement des hommes parce qu'elle est la servante fidèle du Divin dont elle est le domicile.»

Non, ce n'est pas celui-là. J'ai écrit comme cela: «Tu es...» (Mère cherche à se rappeler) enfin je m'adresse à je ne sais pas qui, en tutoyant – à l’humanité, ou à l’être humain, je ne sais pas.

Mais celui-là est bien... Elle ne porte pas de déguisement, c'est bien... C'était si concret comme la conscience humaine (surtout mentale) a toujours un déguisement: il faut avoir l’air comme cela, il faut avoir l’air comme ceci, il faut donner cette impression, il faut avoir cette apparence – un déguisement.

(méditation)

28 février 1970

(Mère continue de tousser.)

Le travail dans le corps va à une allure accélérée, mais pas facile... Seulement très précis, très exact. Je t'ai dit que j'avais passé toute une nuit avec Sri Aurobindo et il m'a expliqué pour le corps tout ce qui se passait, en détail...

C'est difficile.

On a tellement l’impression que l’état que l’on trouvait naturel avant est un état d'imbécillité parfaite, alors... et que tous-tous les points d'appui que l’on avait, ce n'est rien du tout. Alors c'est... difficile.

Des choses... C'est tellement intéressant! On croit toujours qu'il y a certaines choses qui sont dangereuses (certaines maladies, par exemple, ou certains désordres qui sont dangereux), que les autres sont insignifiants, et alors il est démontré d'une taçon absolument irréfutable que cela ne dépend pas du tout de ça, que... tout dépend absolument (pour le mettre d'une façon compréhensible) de ce qui a été décidé, de ce que le Seigneur Suprême a décidé. Avec la moindre chose, une chose absolument insignifiante, Il peut arrêter le fonctionnement du corps, et avec une chose d'une gravité que l’on considère comme irrémédiable, ça passe sans importance. Et c'est démontré pratiquement.

Il y a des moments embêtants. Parce que les convictions mentales, les constructions mentales aident beaucoup le corps, et il n'en a plus, alors il n'a plus cette facilité. Par exemple, quand on a une foi mentale – la foi, n'est-ce pas –, cela aide beaucoup, parce que ça reste sans bouger au sein de toutes les difficultés... mais ce n'est plus là! C'est seulement la Conscience, et alors la Conscience... (souriant) la Conscience ne fait pas d'histoires. La Conscience ne dit pas de blagues, elle ne vous raconte pas des histoires au moment voulu pour vous aider – c'est comme cela, tel que (geste comme une présence immuable), dans sa simplicité et sa sincérité absolues. Alors on voit bien, on sait bien, mais...

Et le corps voit bien, il voit d'une façon évidente aussi que ses sensations sont... presque fabriquées, c'est-à-dire qu'elles ne correspondent pas vraiment à la vérité – mais... (riant) ça ne l’aide pas beaucoup!... Quelquefois, il ne se sent vraiment pas à l’aise.

Il est devenu tellement conscient de son imbécillité que... le premier effet a été de dire: c'est hopeless, il n'y a pas d'espoir; il faut que ça se dissolve et puis que quelque chose d'autre prenne la place. Et puis il y a toujours ce Sourire qui regarde ici, qui ne fait pas d'histoires... Alors... alors il essaye de se tenir tranquille.

N'est-ce pas, il a dépassé le stade d'imbécillité où l’on dit: «Pourquoi ces choses sont-elles comme cela?» – Il voit bien, il voit bien pourquoi c'est comme cela. Mais c'est tellement vaste, c'est tellement général que... C'est difficile pour la conscience corporelle de rester dans cet état d'universalité tout le temps.

(silence)

Pour faire une phrase (parce que tout cela paraît être des phrases), c'est savoir que l’on vit dans un mensonge, savoir quel est ce mensonge, savoir, par éclair, ce qu'est la Vérité, et pourtant ne pas être capable... d'ajuster. Et de voir pourquoi. Parce qu'il y a tout un chemin à parcourir pour que ce mensonge puisse abdiquer devant la Vérité, se transformer en Vérité, d'une façon VRAIE – pas d'une façon arbitraire, d'une façon vraie. Et alors ça demande toutes sortes d'expériences, d'ajustements, et pour nous ici, ça se traduit par du temps, il faut du temps. Ça ne peut pas se faire instantanément. Et le corps, quand il voit, quand il devient conscient de son imbécillité, il voudrait, il aspire à ce que ça disparaisse instantanément, et alors ça grince.

Ah! ce n'est pas commode.

(long silence)

Rien ne lui est dit d'une façon positive – claire, enfin précise –, ni que la transformation est possible ni qu'elle est impossible. Alors il est comme cela, à voir quel formidable travail c'est – quelle différence il y a entre ce qu'il est et ce que ça devrait être –, et en même temps sans savoir s'il sera capable de le faire ou s'il ne sera pas capable. Qu'est-ce qui est attendu de lui? On lui dit à la minute la minute ce qui est attendu de lui; ça, c'est dit très clairement, alors il le fait, alors il y a des moments où il peut se laisser aller (Mère étend ses bras dans le Grand Rythme), alors ça va bien, mais... Il y a la vie et il y a toutes les nécessités de la vie, et chaque chose est un problème.

(silence)

Dans son état d'ignorance (une ignorance générale), quand le corps veut persister, il accepte (comment dire?) PASSIVEMENT de persister tel qu'il est; mais dans l’état où il est maintenant, il ne peut pas accepter de rester tel qu'il est, il a trop la prescience de ce qui doit être, et alors il y a comme cela un besoin de rester – un besoin de rester mais sans rester, tu comprends? Ça devient... dans une transformation constante et presque totale.

(long silence)

Oh! la nuit dernière, je crois, ou la nuit d'avant (je ne me souviens plus laquelle), je t'ai fait une démonstration de la condition dans laquelle tu es. Maintenant je ne me souviens plus un mot.

C'est dommage!

C'est dommage. Oh! et c'était tellement clair, et je te disais: «Mais tu vois...» C'était tellement précis, vu dans cette nouvelle conscience. Je te disais: «Voilà...» Mais c'était bien. Je te disais: «Tu vois, tu n'as pas lieu de te tourmenter, ça va bien!» (Sujata rit) Ça, je me souviens! Et je t'expliquais même pourquoi tu n'étais pas conscient quand tu étais éveillé.

C'est une chose curieuse. Quand je suis dans cet état-là, je ne dors pas et je ne suis pas éveillée; ce n'est ni l’un ni l’autre; c'est une espèce d'état nouveau que j'ai; que je sois dans mon lit ou que je sois sur le fauteuil, cela ne fait aucune différence. C'est un certain état dans lequel j'entre, où je sais les choses d'une façon tellement claire, et alors (comme pour toi) je les explique. Et puis quand je suis sortie de cet état, pfft! fini... C'est curieux. Les nuits sont très-très courtes – très courtes –, et pourtant je me couche, il n'est même pas neuf heures, je crois, et je me lève à quatre heures et demie – ça fait longtemps. Et c'est très court. N'est-ce pas, je ne dors pas comme les gens dorment (ça, pas du tout), et je ne suis pas réveillée. C'est autre chose. Et alors, les choses sont évidentes, très faciles à comprendre, je peux les expliquer (comme à toi, je les explique), et c'est un phénomène tout à fait naturel – il n'y avait aucun étonnement de te rencontrer (ce n'est pas une «rencontre»: tu étais là) et je t'ai dit les choses. Et puis, pfft! fini. Tout d'un coup, je tousse ou j'ai une douleur ici, là, et alors... on retombe dans cette imbécillité ordinaire.

Et c'est comme cela quelquefois quand je suis simplement assise là, dans mon fauteuil.

Et alors, ce qui est drôle, c'est que j'entends très clairement, je vois très clairement, mais ce n'est évidemment pas avec ces sens-ci parce que, maintenant, par exemple, je n'entends pas bien et je ne vois pas clair. Et à ce moment-là... Et je me souviens que je fais des choses; par exemple, quand je suis avec Sri Aurobindo la nuit, c'est avec cette conscience-là; et maintenant, matériellement, mon corps est voûté – la nuit, il était tout à fait normal! Et je ne dors pas! Qu'est-ce que c'est? Je ne sais pas. Il y a là quelque chose... Est-ce que c'est possible?

Et je ne sors pas de mon corps... Ou bien ce corps est remplacé par un autre? – Je ne sais pas.

Et tout est différent.

mars




4 mars 1970

(Après la lecture de l’Aphorisme 135.)

135 – Toute maladie est un moyen d'arriver à une nouvelle joie de santé; tout mal, toute douleur, une préparation de la Nature à un bien et à une béatitude plus intenses; toute mort, une ouverture sur une immortalité plus vaste. Pourquoi et comment doit-il en être ainsi? Tel est le secret de Dieu, que seule l’âme purifiée de l’égoïsme peut pénétrer.

Oui-oui (Mère approuve de la tête), c'est ce que je suis en train de faire en ce moment. Et il faut vraiment être persévérant.

Ce n'est pas pour me faire des compliments, mais je crois que ce n'est pas facile! Parce que tant que c'est vital ou mental, ce n'est rien – c'est rien! Mais quand ça devient physique... c'est plus difficile! (Mère rit)

Cet Aphorisme reste tout à fait, tout à fait vrai.

(Mère entre en contemplation puis donne une rose rouge au disciple)

Ça, ce sont «toutes les passions humaines tournées vers le Divin», et ça (Mère donne une rose rose), c'est la Réponse.

13 mars 1970

(Le disciple avait écrit une lettre un peu fâchée à Mère parce que l’on avait fait de vilains «rapportages» sur son compte, de même qu'on lui avait rapporté – à quelles fins, nous l’ignorons – que notre ami, le Marquis B., faisait de l’«espionnage». Nous ne comprenions rien à ces jalousies et nous nous étonnions que Mère puisse seulement écouter ces ragots. Nous ne comprenions pas qu'en fait, Mère n'«écoutait» pas, mais travaillait sur tous les éléments qui venaient à elle. C'était son «champ de bataille sordide», comme elle disait. Ces tristes incidents sont seulement le signe que l’atmosphère autour de Mère commençait à devenir... étrange.)

Satprem, mon cher enfant,

Je ne crois pas à ce que me dit Udar, ni à ce que me dit qui que ce soit. Le Seigneur m'a donné le pouvoir de voir les choses telles qu'elles sont; et je ne juge pas.

Notre relation est d'une nature telle qu'elle ne peut être altérée par de semblables enfantillages.

À demain donc, dans la paix et la joie, afin que les derniers nuages se dissipent.

Avec toute ma tendresse et mes bénédictions.

Signé: Mère

14 mars 1970

(À propos des derniers «Aphorismes» commentés par Mère.)

383 – Les machines sont nécessaires à l’humanité moderne en raison de son incurable barbarie. Si nous devons nous enfermer dans une stupéfiante multitude de conforts et d'apparats, nous devons aussi, nécessairement, nous passer de l’Art et de ses méthodes. Car se priver de simplicité et de liberté, c'est se priver de beauté. Le luxe de nos ancêtres était riche, voire fastueux, mais jamais encombré.

384 – Je ne peux pas donner le nom de civilisation au confort barbare et à l’ostentation encombrée de la vie européenne. Les hommes qui ne sont pas libres en leur âme et noblement rythmiques en leurs aménagements ne sont pas civilisés.

385 – Dans les temps modernes et sous l’influence européenne, l’art est devenu une excroissance de la vie ou un laquais inutile; il aurait dû être son principal intendant et son organisateur indispensable.

Tant que le mental gouvernera la vie avec son outrecuidante certitude de savoir, comment le règne du Divin pourra-t-il être établi?

386 – Les maladies se prolongent inutilement et se terminent par la mort plus souvent qu'il n'est inévitable, parce que le mental du malade soutient la maladie de son corps et s'y appesantit.

C'est d'une vérité absolue!

387 – La Science Médicale a été une malédiction plus qu'une bénédiction pour l’humanité. Certes, elle a brisé la force des épidémies et découvert une chirurgie merveilleuse, mais elle a aussi affaibli la santé naturelle de l’homme et multiplié les maladies individuelles; elle a implanté la peur et la sujétion dans le mental et dans le corps; elle a appris à notre santé à ne pas compter sur la solidité naturelle mais sur l’appui branlant et répugnant des comprimés du royaume minéral et végétal.

C'est admirable!

388 – Le médecin décoche une drogue sur une maladie: parfois il frappe juste, parfois il manque le but. Les coups manques sont laissés hors de compte; les coups au but sont précieusement thésaurises, comptés, mis en système et font une science.

389 – Nous rions du sauvage à cause de sa foi en le sorcier-guérisseur, mais l’homme civilisé est-il moins superstitieux avec sa foi en les docteurs? Le sauvage constate qu'en répétant une certaine incantation, souvent il guérit d'une certaine maladie: il a confiance. Le malade civilisé constate qu'en prenant certains remèdes suivant certaine ordonnance, souvent il guérit d'une certaine maladie: il a confiance. Où est la différence?

On pourrait dire, pour conclure, que c'est la foi du malade qui donne aux remèdes le pouvoir de guérir.

Peut-être que si les hommes avaient une foi absolue en la puissance curative de la Grâce, ils éviteraient bien des maladies.


(La voix de Mère a beaucoup changé. On dirait qu'elle s'essouffle de plus en plus, comme si sa voix devait traverser des distances.)

(À Sujata:)... Demain, on fera ça – demain matin?

(Sujata:) Mais demain matin, tu es très prise, Mère.

Mais c'est tous les jours, mon petit! c'est... c'est absolument effrayant. Il n'y a que ces deux jours-là, mercredi et samedi, sinon j'ai coupé tout; même les «birthdays» [anniversaires], je les vois l’après-midi. Les autres jours, ça commence à 8 heures et ça finit à midi. C'est infernal.

Alors viens demain... neuf heures et demie? Ça va?1

(silence)

(À Satprem:) Tu as vu les derniers Aphorismes?

Oui, sur les maladies, les médecins... Mais là, dans un Aphorisme, Sri Aurobindo fait juste une petite phrase que je trouve admirable, où il dit: «Les machines sont nécessaires à l’humanité moderne en raison de son incurable barbarie...»

(Mère hoche la tête et reste longtemps silencieuse)

Aujourd'hui, j'ai reçu la nouvelle que L.D. était partie.2 Elle avait subi une très grave opération (il y avait un cancer), elle était remise, elle était revenue à la maison, elle m'a écrit une lettre où elle me dit: «Je vais de mieux en mieux...», et puis, partie. J'ai reçu la nouvelle aujourd'hui même. Comme ça.

C'est comme R, la même chose: une rechute. Et ça a tellement l’air... C'est cet effort contre, oui, ce que Sri Aurobindo appelle la barbarie (Mère fait un geste qui coiffe toute l’atmosphère terrestre). Ça paraît être... je ne sais pas si c'est un refus ou une incapacité de sortir de la construction mentale. Et l’action de cette Conscience... (comment dire?) elle est presque impitoyable pour montrer à quel point toute la construction mentale est fausse – tout, même les réactions qui ont l’air spontanées, tout cela est le résultat d'une construction mentale extrêmement complexe.

Mais elle est impitoyable.

On est né dedans et ça paraît tellement naturel de sentir selon cela, de réagir selon cela, de tout organiser selon cela, que... ça vous fait passer à côté de la Vérité.

C'est dans l’organisation même du corps.

Et alors, l’Action semble s'imposer avec une puissance extraordinaire et ce qui paraît (ce qui nous paraît) sans merci (Mère frappe son poing dans la matière), pour que l’on apprenne la leçon.

(long silence)

Je me suis souvenue du temps où Sri Aurobindo était là... N'est-ce pas, la partie intérieure de l’être entrait dans une conscience qui sentait, voyait les choses selon la conscience supérieure: tout à fait différentes; et puis, justement quand Sri Aurobindo est tombé malade et quand il y avait toutes ces choses, d'abord cet accident (il s'est cassé la jambe3)..., alors le corps, le CORPS disait tout le temps: «Ce sont des rêves, ce sont des rêves, ce n'est pas pour nous; pour nous, les corps, c'est comme ça...» (geste sous terre) C'était effroyable... Et tout cela était parti. C'était parti complètement après tant d'années – toutes ces années d'effort –, c'était parti, et le corps lui-même sentait la Présence divine et il avait l’impression que... tout devait nécessairement changer. Et alors, ces jours-ci, cette formation qui était partie (qui est une formation terrestre, de toute l’humanité, c'est-à-dire que ceux qui ont la vision, la perception, ou même seulement l’aspiration à cette Vérité supérieure, quand ils reviennent dans le Fait [matériel], sont devant cette chose affreusement douloureuse de la négation perpétuelle de toutes les circonstances), ça, le corps s'en était complètement libéré – et c'est revenu. C'est revenu, mais... quand c'est revenu, quand il l’a vue, il l’a vue comme on voit un Mensonge. Et j'ai compris à quel point il était changé parce que, quand il l’a vue, il a eu l’impression... il a regardé ça avec un sourire et l’impression, ah! que c'était une vieille formation qui n'avait plus de vérité. Et ça a été une expérience extraordinaire: que ça, le temps de ça, est fini. Le temps de ça est fini. Et cette Pression de la Conscience est une pression pour que les choses telles qu'elles étaient – si misérables et si petites et si obscures et si... inéluctables en même temps, en apparence –, tout cela, c'est... (Mère fait un geste par-dessus l’épaule) c'est en arrière comme un passé qui est dépassé. Alors vraiment, j'ai vu – j'ai vu, j'ai compris – que le travail de cette Conscience (qui est sans merci, elle ne se soucie pas que ce soit difficile ou pas difficile, même probablement elle ne se soucie pas beaucoup des dégâts apparents), c'est pour que l’état normal ne soit plus cette chose si lourde, si obscure et si laide – si basse –, et que ce soit l’aurore... n'est-ce pas, quelque chose qui point à l’horizon: une Conscience nouvelle. Ce quelque chose de plus vrai et de plus lumineux.

Ce que Sri Aurobindo dit là, des maladies, c'est justement cela: la puissance de l’habitude et de toutes les constructions et ce qui paraît «inévitable» et «irrévocable» dans les maladies; tout cela, c'est comme si les expériences se multipliaient pour montrer... pour que l’on apprenne que c'est simplement une question d'attitude – d'attitude –, de dépasser... dépasser cette prison mentale dans laquelle l’humanité s'est enfermée et de... respirer là-haut.

Et c'est l’expérience du corps. Avant, ceux qui avaient des expériences intérieures disaient: «Oui, là-haut c'est comme ça, mais ici...» Maintenant, le «mais ici», bientôt ne sera plus. On fait la conquête de ça, ce changement formidable: que la vie physique doit être régie par la conscience supérieure et non par le monde mental. C'est le changement d'autorité... C'est difficile. C'est pénible. C'est douloureux. Il y a la casse naturellement, mais... Mais vraiment, on peut voir – on peut voir. Et ça, c'est le vrai changement, c'est ça qui permettra à la Conscience nouvelle de s'exprimer. Et le corps apprend, il apprend sa leçon – tous les corps, tous les corps.

(silence)

C'était la vieille division faite par le mental: «Au-dessus, c'est très bien, vous pouvez avoir toutes les expériences et tout est lumineux et merveilleux; ici, rien à faire.» Et l’impression que quand on est né, on est né encore dans «le monde où il n'y a rien à faire». Ça explique d'ailleurs pourquoi tous ceux qui ne prévoyaient pas la possibilité que ce soit autrement avaient dit: «Il vaut mieux en sortir, et puis...» Tout cela est devenu si clair! Mais ce changement-là, ce fait que ce n'est plus inévitable, c'est ça la grande Victoire: ce n'est plus inévitable. On sent – on sent, on voit, et le corps lui-même a eu l’expérience – que, bientôt, ici aussi, ça pourra être plus vrai.

Il y a... il y a vraiment quelque chose de changé dans le monde.

(silence)

Naturellement, ça va prendre du temps pour que ce soit vraiment établi. Là, c'est la bataille. De tous les côtés, sur tous les plans, il y a un assaut de choses qui viennent dire extérieurement: «Rien n'est changé» – mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai, le corps sait que ce n'est pas vrai. Et maintenant il sait, il sait dans quel sens.

Et ce que Sri Aurobindo a écrit, justement dans ces Aphorismes que je vois en ce moment, c'est tellement prophétique! C'était tellement la vision de la Vraie Chose. Tellement prophétique!

(silence)

Et je vois maintenant, je vois comment son départ et son travail si... si immense, n'est-ce pas, et constant, dans ce physique subtil, combien, combien ça a aidé! Combien il a (Mère fait le geste de triturer la matière), combien il a aidé à préparer les choses, à changer la structure du physique.

Toutes les expériences que d'autres avaient eues, qui étaient d'entrer en rapport avec les mondes supérieurs, ça laissait ici le physique tel qu'il est. (Comment dire?...) Tout le commencement de l’existence jusqu'au départ de Sri Aurobindo, j'étais dans la conscience que, on peut monter, on peut savoir, on peut avoir toutes les expériences (en fait, on les avait), mais quand on revenait dans ce corps... c'étaient ces vieilles lois mentales for-mi-da-bles qui régissaient tout. Et alors, toutes ces années ont été des années pour préparer-préparer – se libérer et préparer –, et ces jours-ci, c'était... ah! la constatation physique, faite par le corps, que c'était changé.

Ça doit être worked out comme on dit, c'est à réaliser dans tous les détails, mais le changement EST FAIT – le changement est fait.

C'est-à-dire que les conditions matérielles qui ont été élaborées par le mental, FIXÉES par lui (Mère serre ses poings solidement), et qui paraissaient si inévitables, au point que ceux qui avaient une expérience vivante des mondes supérieurs pensaient qu'il fallait fuir ce monde, abandonner ce monde matériel si l’on voulait vraiment vivre dans la Vérité (c'est cela qui est la cause de toutes ces théories et de toutes ces croyances), mais maintenant, ce n'est plus comme ça. Maintenant, ce n'est plus comme ça. Le physique est CAPABLE de recevoir la Lumière supérieure, la Vérité, la vraie Conscience, et de la ma-ni-fes-ter.

Ce n'est pas facile, ça demande de l’endurance et de la volonté, mais un jour viendra où ce sera tout naturel. C'est juste-juste la porte ouverte – c'est tout, maintenant il faut aller.

(silence)

Naturellement, ce qui était établi s'accroche et se défend désespérément. C'est cela qui fait tout ce trouble (geste grouillant dans l’atmosphère terrestre) – il a perdu la partie. C'est fini. C'est fini.

(silence)

Ça a pris... un peu plus d'un an à cette Conscience pour remporter cette Victoire.4 Et encore, naturellement, elle n'est visible que pour ceux qui ont la vision intérieure, mais... mais c'est fait.

(long silence)

C'était cela, le travail que Sri Aurobindo m'avait donné. Maintenant, je comprends.

Mais c'est comme si de tous les côtés – tous les côtés –, ces forces mentales, ces puissances mentales, se levaient dans une protestation – violentes dans la protestation –, pour imposer leurs vieilles lois: «Mais ça a toujours été comme cela!...» Mais c'est fini. Ce ne sera pas toujours comme ça, voilà.

(long silence)

Quelque chose de cette bataille se passait dans ce corps ces jours derniers... C'est vraiment très intéressant... Il y avait du dehors, venant du dehors, un effort pour donner au corps des expériences afin qu'il soit obligé de constater: «Non, ce qui a toujours été, sera toujours; tu peux essayer, mais c'est une illusion», et alors, quelque chose venait, une bonne petite désorganisation dans le corps, et puis le corps répondait par son attitude: une paix comme cela (geste immuable) et son attitude (geste mains ouvertes): «C'est comme Tu voudras, Seigneur, c'est comme Tu veux...» – Comme un éclair, tout disparaît! Et c'est arrivé plusieurs fois (au moins une dizaine de fois en une journée). Alors – alors le corps commence à sentir: «Voilà!...» Il a cette joie, cette joie de... de la Merveille vécue.

Ce n'est pas comme c'était, ce n'est plus comme c'était – ce n'est plus comme c'était.

Il faut encore lutter, il faut avoir de la patience, du courage, de la volonté, de la confiance – mais ce n'est plus «comme ça». C'est la vieille chose qui essaye de s'accrocher – hideux! Hideux. Mais... ce n'est plus comme ça. Ce n'est plus comme ça.

Voilà.

(silence)

Et ça aussi: jusqu'où, jusqu'où le corps pourra-t-il aller? Ça aussi, il est... parfaitement paisible et heureux: c'est ce que Tu voudras.

(long silence)

Tout le reste paraît si vieux, si vieux, comme quelque chose... qui appartient à un passé mort – qui essaye de ressusciter, mais il ne peut plus.

Et tout-tout, toutes les circonstances sont aussi catastrophiques qu'elles peuvent l’être: les embêtements, les complications, les difficultés, tout-tout s'acharne comme cela, comme des bêtes féroces, mais... c'est fini. Le corps sait que c'est fini. Ça prendra peut-être des siècles, mais c'est fini. Pour disparaître, ça peut prendre des siècles, mais c'est fini maintenant.

Cette réalisation tout à fait concrète et absolue que l’on pouvait avoir seulement quand on sortait de la Matière (Mère abaisse un doigt): il est sûr, il est sûr et certain qu'on l’aura ici-même.

(Mère regarde longtemps le disciple, puis prend ses mains)

C'est le quatorzième mois depuis que la Conscience est venue – quatorzième mois: deux fois sept.

(silence)

Nous sommes le 14?

Oui, quatorze.

Alors c'est intéressant.

Comme il a travaillé depuis qu'il est parti! oh!... tout le temps, tout le temps...

(silence)

Cela paraît... ça paraît un miracle dans le corps. La disparition de cette formation, ça paraît vraiment miraculeux.

Et tout devient clair.

On verra.

(long silence)

Ça a été relativement vite.

(silence)

Bien...

C'est-à-dire que toutes les consciences humaines qui ont un peu de foi, ont maintenant la possibilité de sortir de cet hypnotisme mental?

Oui-oui, c'est cela. C'est ça.

C'est ça».

18 mars 1970

(À propos des derniers Aphorismes et de la traduction anglaise des commentaires de Mère.)

394 – Nous devrions nous servir de la santé divine qui est en nous pour guérir et empêcher les maladies; mais Galien, Hippocrate et toute la sainte tribu, nous ont fourni à la place un arsenal de drogues et des tours de passe-passe barbares en latin pour évangile physique.

400 – Il fut un temps où l’homme était naturellement en bonne santé, et il pourrait revenir à cette condition première si on le lui permettait; mais la science médicale poursuit notre corps d'une innombrable troupe de drogues et assaille notre imagination d'une horde vorace de microbes.

401 – Je préférerais mourir et en avoir fini de tout cela plutôt que de passer ma vie à me défendre contre le siège fantôme des microbes. Si c'est là être barbare et non éclairé, j'embrasse joyeusement mes ténèbres cimé-riennes.

402 – Les chirurgiens sauvent et guérissent en coupant et mutilant. Pourquoi ne pas chercher plutôt à découvrir les remèdes directs et tout-puissants de la Nature?

403 – Il faudra longtemps pour que l’auto-guérison remplace la médecine, à cause de la peur, du manque de confiance en soi et de notre croyance physique non naturelle en les médicaments que la science médicale a enseignés à notre mental et à notre corps et dont elle a fait notre seconde nature.

En fait, très souvent, la réponse me vient en anglais parce qu'elle me vient de Sri Aurobindo. Quand je lis, j'écoute, et puis il dit. Et alors, c'est moi qui traduis en écrivant! je traduis en français. Mais je pourrais l’écrire en anglais en même temps.

Hier encore... Tu as lu celui d'hier?... Mais hier, il était acharné contre les docteurs! Et j'ai dit: «Pour que, spontanément, on n'ait pas besoin de cela [de remèdes], il faut que la nature change.» C'est une trop vieille habitude.

Qu'est-ce que j'ai dit?

(le disciple lit)

«Ce n'est par aucune mesure extérieure que nous pouvons réagir contre le mal fait par la foi mentale en la nécessité des drogues. C'est seulement en sortant de la prison mentale et en surgissant consciemment dans la lumière de l’esprit que nous pourrons, par une union consciente avec le Divin, Lui permettre de nous redonner l’équilibre et la santé que nous avons perdus.

«La transformation supramentale est le seul remède véritable.»

(silence)

l’expérience, je l’ai depuis des mois maintenant (surtout depuis cette année), que le «déplacement» de la conscience – au lieu que la conscience soit dans l’état ordinaire, si on la déplace (je parle de la conscience du corps), si elle est directement branchée sur le Divin, en quelques... quelquefois ce sont des secondes, quelquefois ce sont des minutes, mais en quelque minutes, le mal disparaît absolument. Et si l’on fait seulement cela (Mère bascule légèrement un doigt à gauche), que l’on retourne un petit peu en arrière, ça revient imédiatement. Et si l’on garde sa conscience au bon endroit, c'est parfait.

Ça, c'est une expérience que j'ai faite plus d'une centaine de fois, même avec des choses comme le mal aux dents (c'est un mal qui est difficile à guérir), des douleurs même aiguës à un endroit ou à un autre. Ça, l’expérience est faite par le corps. Le corps le sait.

(long silence)

C'est très intéressant parce que c'est une expérience qu'il a faite dans tous les détails et à tous les stades... La première chose qu'il avait trouvée, c'était de ne pas penser au mal, de ne pas être occupé par lui. Ça, c'est le premier stade. Après, il a trouvé que quand il était occupé à autre chose, ça diminuait beaucoup. Après, il a eu l’expérience que si quelqu'un s'approche de lui (qui sait que vous avez mal), ça revient! Tout cela est très-très intéressant: des tas de petites constatations de chaque minute. Et finalement, il a eu cette preuve répétée et absolument convaincante que dès qu'il se concentre sur le Divin, qu'il entre en relation (parce qu'il sent, il a la sensation dans les cellules), dès qu'il se concentre (sans s'occuper de ce point malade: il vaut mieux ne pas s'en occuper), ça disparaît totalement, au point que... Il y a des fois comme cela (ce sont des choses qui font mal, alors le premier effet est de ne plus sentir le mal), il y avait des fois, au commencement, où il demandait l’Intervention (le corps) et ça avait de l’effet, mais il y avait le sentiment d'une lutte, d'une résistance (quelque chose comme cela): ça prenait un peu de temps; mais quand il arrivait à se concentrer sans demande, n'est-ce pas (simplement le don de soi), sur le Divin, alors lui, n'y pense plus, le corps lui-même ne pense plus à la douleur, mais au bout d'un certain temps, il s'aperçoit que c'est complètement disparu! – il n'y pensait plus, il n'y a plus rien.

Cette expérience-là a été répétée des centaines de fois, pour toutes sortes de choses différentes.

(silence)

Il doit y avoir une condition où la possibilité d'accident disparaît. Mais ça... ça, je ne sais pas.

Ce seraient les conditions naturelles de la vie supramentale.

Et alors, nécessairement, puisque ça se passe dans le corps, la constitution même du corps doit changer – devra changer. Comment? Ça, je ne sais pas encore.

C'est dans la direction d'une obéissance parfaite de la Matière à la Conscience (la Conscience supérieure); pour l’expérience présente, c'est la conscience divine, mais très probablement c'est ce que Sri Aurobindo appelait la conscience supramentale. Parce qu'il doit y avoir... (geste en degrés) une ascension indéfinie.

C'est une conscience où le sens de l’ego disparaît tout à fait, ça n'existe pas. Il n'y a pas «la personne» en face des autres, n'est-ce pas, qui reçoit des influences et qui en envoie – ce n'est plus du tout comme cela. C'est un jeu de force général (Mère fait un vaste geste mouvant) où chacun joue spontanément son rôle.

Ça, le corps a eu cette expérience plusieurs fois. Il reste très longtemps dans ça. Maintenant, c'est presque... cette relation à l’égard des choses et des êtres (la vieille relation), c'est sur le point de devenir un souvenir. Ce n'est plus... ce n'est plus naturel.

(long silence)

Je ne sais pas comment expliquer... Il y a quelque chose de radicalement changé non seulement dans la conscience du corps, mais dans son fonctionnement. Pour le moment, c'est encore difficile à expliquer... N'est-ce pas, l’image d'être au centre et que les choses vont vers vous et que tout est en relation avec ça (le centre égocentrique), c'est une vieille chose qui est partie depuis longtemps. Mais il y avait encore...

(silence)

Ce n'est pas tout à fait cela, mais c'est un peu ça: comme si toutes les cellules étaient comme branchées – branchées sur quelque chose qui leur est supérieur, même dans l’espace, mais qui leur donne l’impression d'être leur centre. Mais c'est un centre... qui n'est pas comme cela (Mère fait un geste sur soi), et ce n'est pas... (comment dire?) localisé; c'est... ni là (corps), ni au-dessus, ni... Ce n'est pas localisé. Et pourtant, l’impression des cellules est que la Force – la force motrice ou la force-volonté – qui émane de «ça», se répand (geste descendant, en éventail) pour entrer dans le corps. Et... (ça, c'est intéressant), le corps a l’impression d'être plus directement en relation avec «ça», et que, à travers lui, ça agit sur les autres, sur l’entourage – mais ce n'est pas «les autres», c'est... Il a eu même parfois l’impression que certaines de ces choses comme cela (les «autres», ce qui est autour) sont plus proches de lui que d'autres... C'est très difficile à dire... Mais c'est spontané. N'est-ce pas, la difficulté est que, pour l’exprimer, il faut que je commence à le penser alors que c'est spontané: c'est une sensation, ce n'est pas une pensée.

Par exemple, la nuit quand je suis seule, il y a des moments, l’impression d'un désordre ou d'une angoisse quelque part (dans l’«entourage»), et alors, le remède du corps (le corps sent bien que ça vient du dehors vers lui – mais «dehors», ce n'est pas le mot: d'une distance... je ne sais pas comment dire), et son seul mouvement de remède, c'est de se précipiter dans ce centre lumineux – ce n'est pas «attirer» vers lui quelque chose, c'est... se précipiter dans ça.

(Mère entre dans une longue contemplation, puis sourit)

Il y avait là, à côté de toi, mais très... (comment dire?) très visible et très net, ce que tu as été dans une vie précédente. Une tête, j'aurais pu la dessiner... Un crâne rasé, grand, et une tête très large, avec un menton un peu long, et un nez mince. Et pourtant, c'est tout à fait toi, c'est curieux.

Mais une couleur... la couleur indienne très claire (la couleur indienne, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de rose du tout), de grands yeux comme ça, à peu près 25-30 ans. Une tête un petit peu plus grande que la tienne (un petit peu, pas beaucoup). Mais très proche de toi, je veux dire très uni... Un grand front – grand, un front très grand. Et la tête comme... ça fait une tête comme cela, en poire.

Il était en méditation, et puis à un moment donné, il m'a regardée: le regard était tout à fait lumineux... Comme s'il était si proche, si proche – n'est-ce pas, je n'ai pas été loin profondément: c'était là. C'est curieux.

Tu n'as rien senti?

Mais j'ai eu l’impression que ce n'est pas un fait nouveau: comme s'il était là d'une façon très constante.

C'est amusant. C'était presque comme si j'avais vu avec ces yeux! (physiques)

La tête un petit peu plus grande que la tienne – pas beaucoup, un petit peu.

Et ça te ressemble! (Mère rit) Ça (front): grand.

Il avait l’air installé là. Pas venu en visite: installé.

Quel genre d'aide apporte-t-il?

C'est un être qui a fait un yoga très intensif. C'est une relation avec les consciences supérieures. Mais très... il a dû être très-très ascétique... Ce n'était pas ça (la matière) qui le préoccupait: il était tout dans la relation avec la Conscience – très-très concentré.

Ma difficulté à reconnaître les forces ou les influences, c'est que ça se traduit toujours par une intensité de force en moi, alors je ne sais pas démêler; c'est toujours «de la force», tu comprends, de l’intensité.

Oui, ça, la sienne doit être très intense!

Et il était souriant. Souriant comme s'il était dans une expérience très heureuse. Mais tout au-dedans. Probablement pas très intéressé par le dehors.

Ça a dû être un sannyasin. Il avait d'ailleurs... c'était tout nu, il y avait un petit bout d'étoffe que l’on voyait, mais c'était une étoffe orange... C'était la couleur des Indiens très clairs.

Et à un moment, il a regardé: les yeux étaient très beaux, le regard était très beau.

Une très intense aspiration.

21 mars 1970

(Le début de cette conversation a eu lieu en présence de Nolini et en anglais. Nous en donnons directement la traduction.)

Tu as reçu les Aphorismes d'hier?... Peut-être Nolini peut-il dire quelque chose...

408 – Je ne suis pas un bhakta [celui qui suit la voie de la Dévotion ou de l’Amour], car je n'ai pas renoncé au monde pour Dieu. Comment puis-je renoncer à ce qu'il m'a pris de force et qu'il m'a redonné contre ma volonté?...

(Mère rit) Alors T me demande ce qu'il voulait dire. Et puis, il y a un autre Aphorisme.

412 – Une fois que j'ai su que Dieu était une femme... (rires), j'ai compris vaguement ce qu'était l’amour; mais c'est seulement quand je suis devenu une femme et que j'ai suivi mon Maître et Amant, que j'ai connu l’amour absolument.

Que veut-il dire exactement? Savez-vous quand il a écrit cela?...

J'ai répondu à T:

«Je ne peux pas répondre parce que tant qu'il était dans un corps, il ne m'a jamais rien dit à ce sujet.

«S'il y a quelqu'un qui sait la date exacte à laquelle il l’a écrit, cela pourrait être une indication.

«Peut-être N pourrait-il te dire quand cela a été écrit ou si Sri Aurobindo lui en a dit quelque chose.»

(À Nolini:) Vous ne savez pas?

(Nolini:) Au début, quand il est arrivé à Pondichéry.1

Tout à fait au début... Mais alors qu'est-ce qu'il veut dire quand il dit: «Quand j'ai su que Dieu était une femme»!

(Nolini:) Il disait toujours que Krishna et Kâli sont un seul et même être. Ramakrishna aussi, une fois, est devenu une femme: Dieu était Krishna et il est devenu une femme. Pendant longtemps, il avait cette impression.

Naturellement, pour moi, la réponse c'est ce sens de l’humour! (Mère rit)

(Satprem:) Oui, tu as écrit à T: «Sri Aurobindo avait le génie de l’humour et il ne reste rien à faire que d'admirer et se taire.»

C'était ma première réponse, mais après, T m'a demandé: «Pourquoi exactement Sri Aurobindo a-t-il dit comme cela?...» Ça dépend de la date à laquelle ça a été écrit.

(Satprem:) Ça a l’air d'être la même expérience que Ramakrishna.

(Nolini:) Il signait les lettres qu'il écrivait à cette époque non pas «Sri Aurobindo», mais «Kâli».

Oh!

(Nolini:) Oui, toujours... Toutes les lettres qu'il a écrites à Motilal étaient comme cela.

Mais la façon de le dire!... (tout le monde rit)


Peu après

Ce matin, j'ai eu pendant des heures cette expérience (le corps – le corps) que rien n'existe que le Divin. Et alors les deux sont comme cela (Mère place les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche). Mais pendant des heures... Et le malaise pour de toutes petites choses2 est beaucoup plus grand que dans la vie ordinaire, et le bien-être est merveilleux, et les deux sont comme cela! (Même geste indiquant une étroite fusion) Il faut être très-très-très tranquille. C'est seulement dans une paix intérieure que c'est supportable.

Ce n'est supportable, pour le corps, que quand le moment est venu où il est convaincu que le Divin est la seule Vérité, alors ça va bien. Parce qu'il sait que le malaise, si intense soit-il, est sûr de passer. Alors il est tranquille... C'est cela que j'ai appris... Ça a commencé hier soir et ça a duré toute la matinée – en fait, jusqu'à ce que tu viennes, mais c'est encore là.

(long silence)

Oui, c'est comme si cette Conscience intensifiait toutes choses pour les rendre plus perceptibles: toutes les circonstances de la vie. Des histoires fantastiques! fantastiques!... incroyables. Les maladies, les malentendus, les disputes, tout-tout est devenu aigu-aigu-aigu, comme pour que l’on soit bien obligé de le voir.

(silence)

Une chose drôle: une femme qui était ici (elle n'y est plus) a écrit une lettre qui est arrivée dans une enveloppe (une enveloppe qui a passé par la poste avec les timbres de Genève et les cachets): une lettre d'insulte pour l’Ashram à cause du traitement qu'elle y a reçu. Et en même temps (cette lettre est arrivée hier), ce matin, une dépêche de Bombay me remerciant de son séjour! Enfin un télégramme plein de gratitude me disant: je pars samedi (c'est-à-dire aujourd'hui) pour Genève. Et la lettre de Genève est arrivée avant, c'est-à-dire hier! Et le télégramme est arrivé aujourd'hui! (Mère rit)... Impossible de comprendre. Et sur le télégramme, il y avait la date, n'est-ce pas. Et les mêmes noms. Et l’une: des insultes; l’autre: des remerciements!... Ce n'est pas le seul exemple – celui-là est plus récent, c'est pour cela que j'en parle.

Il y a évidemment la volonté de bouleverser toutes nos prétendues connaissances d'habitude.

(long silence)

Ah! il faudra encore beaucoup de temps... Mais ça va aussi vite que ça peut. Seulement il y a beaucoup de travail.

25 mars 1970

Ça continue à être très difficile. Les choses deviennent de plus en plus compliquées et difficiles, et en même temps, le pouvoir devient de plus en plus grand, même étonnant.

Mais pour les gens qui aiment être tranquilles (riant), c'est ennuyeux!

Tu as quelque chose? Tu n'as rien apporté, rien à dire?

Il y a une lettre du Marquis, cet ami à moi. Il demande ton aide...

Pour?

Pour changer de vie et se débarrasser de tous ses problèmes matériels et financiers là-bas.

Je croyais qu'il était très riche?

Mais il veut se débarrasser de tout.

Ah!... qu'il les donne à l’Ashram! (Mère rit)

Il a beaucoup de capitaux engloutis dans des terres, des châteaux, etc., et il dit: je pourrais laisser tout cela entre les mains d'une organisation financière et voir ce qui se passera, ou bien dois-je m'en occuper moi-même, liquider cela, puis venir ici?

(après un silence)

S'il vient, il faut qu'il vienne avec de l’argent, parce que la situation ici est critique. On dépense trois fois plus que l’on a, alors... C'est une sorte de miracle constant. Et les dépenses vont en augmentant. D,1 ce matin, m'a dit qu'il ne pouvait pas continuer. Et c'est comme cela. Et puis le gouvernement augmente les taxes dans une proportion de un à dix – dix fois plus. Alors tout est comme cela. Et on est en face de... un trou. Alors, je ne peux plus prendre de gens, que ceux qui sont capables non seulement de subvenir à leurs besoins, mais aussi d'aider un peu l’Ashram.

C'est très-très-très difficile.

(long silence)

Ce que l’on pourrait appeler le «règne de l’argent» tire à sa fin. Mais la période de transition entre l’arrangement qu'il y avait dans le monde jusqu'à présent et celui qu'il va y avoir (dans une centaine d'années, par exemple), cette période-là va être très difficile. Et elle l’EST.

Les industries avaient été le grand moyen de gagner de l’argent – maintenant, c'est tout à fait fini. Tous les bénéfices, c'est le gouvernement qui les prend. Ou alors, nous avions ici des petites industries et on les avait libérées des taxes à condition qu'ils donnent 75% de leurs bénéfices à l’Ashram – maintenant ils ont changé leurs lois et ce n'est plus 75%: c'est la totalité.

À l’Ashram? – Tu veux dire à l’État?

Non-non! À l’État, ils donnent tout; mais avant, nous avions obtenu que ceux qui étaient à l’Ashram soient libérés des taxes à condition qu'ils donnent 75% à l’Ashram; maintenant, les 75% ont été changés en totalité. C'est-à-dire que toutes les industries d'ici doivent donner tous leurs bénéfices à l’Ashram, ou alors on les taxe.

Eh bien, ce n'est pas mal, ça!

(Mère rit) Oui, mais c'est le signe des temps! Pour eux, ce n'est pas mal parce que, avec moi (riant), on peut toujours s'arranger! Mais il y a d'autres organisations... La plupart des gens ouvrent une industrie pour gagner l’argent de leur vie – ils ne peuvent plus. Ils ne peuvent plus parce que les dépenses personnelles ne sont pas admises.

Mais ça, les dépenses personnelles «pas admises», c'est depuis le commencement. Je me souviens, il y a longtemps de cela, ma mère avait commencé... je ne sais pas si c'était un poulailler ou quelque chose comme cela, parce qu'elle voulait augmenter un peu ses revenus, et alors... (il y a de cela peut-être cinquante ou soixante ans), elle était très simple, pas compliquée; elle avait ouvert son affaire et elle vendait ses poules, ses œufs, etc.; elle dépensait l’argent personnellement et elle faisait toutes ses affaires... Et un beau jour (riant), on lui a demandé des comptes! Et on a failli la punir très sévèrement parce qu'elle avait pris cet argent pour ses dépenses personnelles – elle n'a pas compris!... Ça m'a bien amusée. Il y a au moins cinquante ans.

Tu comprends, moi, ça me paraît un drôle d'état d'esprit. Vous travaillez, pourquoi? Normalement, vous travaillez pour gagner votre vie – ce n'est pas légal. Vous devez travailler, et l’affaire, ce n'est pas du tout personnel! Vous n'avez pas le droit de prendre vos dépenses sur l’industrie que vous avez ouverte vous-même!

Le monde est d'une stupidité qui n'a pas d'égal. Alors, naturellement, il faut que ça finisse, ça ne peut pas durer.

Comment? Qu'est-ce que ça deviendra? Je ne sais pas... Naturellement, leur calcul est tout à fait faux (le calcul du gouvernement): ils ruinent le pays de plus en plus! Et alors, ils sont vraiment dans une situation critique. Mais ça, il y a longtemps que l’on avait commencé à découvrir que toutes ces taxes, ces impôts, tout cela, c'est simplement la ruine du pays, pas autre chose... Presque toutes les industries du Nord [de l’Inde] vont fermer, presque toutes. Alors...

On fait beaucoup de choses tout à fait inutiles. Tout cela disparaîtra, mais...

Je suis en rapport un peu avec tout: on vient me voir; tout le monde vient se plaindre, vient me dire l’état misérable dans lequel sont les choses: les gouvernants, les particuliers et tout le monde. Et je vois ça: ça devient... impossible. Comment faire pour vivre? on ne sait pas. Parce que l’on avait mis comme base l’argent – l’argent –, et naturellement on avait essayé de le gagner. Maintenant, ça ne marche plus. On ne peut plus gagner de l’argent, et on ne peut pas en avoir tout le temps sans en gagner, alors comment faire? – Il faut changer tout.

En Russie, ils avaient essayé que le gouvernement soit responsable, mais ça... (riant) il est arrivé que tous ceux qui étaient dans le gouvernement s'emplissaient les poches et que la misère était partout. Alors, comme ils n'ont pas beaucoup d'imagination, ils veulent retourner à l’ancienne manière de faire. Mais ce n'est pas ça: il faut aller un peu plus loin.

Diviser la terre en un tas de petits morceaux, et chaque morceau dressé contre l’autre, ou bien... Il faut une organisation mondiale. Et par qui? Il faut que ce soient au moins des gens qui aient une conscience mondiale! (Mère rit) autrement ça ne peut pas marcher. Alors... il va y avoir une centaine d'années très difficiles, très difficiles. Peut-être, après, on émergera vers quelque chose...

(silence)

Ce que t'écrit là cet homme (le Marquis), il y en a beaucoup comme cela! Il y en a beaucoup qui l’ont écrit: des gens de tous les pays. Ils sont excédés par la façon dont sont les choses. Ils disent: «Plus de propriété personnelle!», mais ils n'ont pas beaucoup d'imagination, alors ils n'ont pas trouvé encore comment faire.

(silence)

Un système de «coupons d'heures de travail», et une échelle de la qualité ou du degré du travail que l’on fait.

Où est-ce que l’on pratique cela?

Je ne sais pas, dans mon imagination!

Ah! c'est toi. Mais oui, mais c'est très bien!

Quelque chose qui soit basé sur le travail.

Oui.

Des coupons d'heures de travail. Alors on peut dire que le coupon d'un coolie vaut un, et le coupon d'un ingénieur vaut cinq, par exemple, c'est tout.

Ce serait toute une organisation à faire. Il faudra... il faut quelque chose comme cela à Auroville.

Fondé sur le travail.

Oui, une activité. On peut définir ce travail comme une activité qui a une utilité collective, pas égoïste.

(silence)

La difficulté, c'est l’appréciation de la valeur des choses. N'est-ce pas, il faut avoir une vision très large pour cela. l’argent avait eu la facilité qu'il devenait mécanique... Mais cet autre système ne peut pas le devenir tout à fait, et alors... Mais par exemple, l’idée est que ceux qui vivront à Auroville n'auront pas d'argent – il n'y a pas de circulation d'argent –, mais pour manger, par exemple, tout le monde a le droit de manger naturellement, mais... Au point de vue tout à fait pratique, on avait conçu la possibilité de toutes les nourritures possibles suivant les goûts ou les besoins de chacun (par exemple, il y a les cuisines végétariennes, les cuisines non-végétariennes, les cuisines de régime, etc.), et alors, ceux qui veulent recevoir la nourriture de là doivent faire quelque chose en échange. Donc travailler, ou... C'est difficile à organiser pratiquement, tout à fait pratiquement... N'est-ce pas, on avait prévu beaucoup de terres autour de la ville de façon à pouvoir faire de l’agriculture en grand pour la consommation de la ville. Mais pour la culture de ces terres, on a besoin, pour le moment, d'argent, ou bien de matériaux. Alors... J'ai à faire face à tout le problème dans tous les détails maintenant, et ce n'est pas commode!

Il y en a qui comprennent.

N'est-ce pas, l’idée est qu'à Auroville, il n'y aura pas de douanes et pas d'impôts, et que les Auroviliens n'auront pas de propriété personnelle. Comme cela, sur le papier, c'est très bien, mais quand il s'agit de le faire pratiquement...

Et le problème est toujours le même: la responsabilité devrait incomber à ceux qui ont une conscience... universelle, n'est-ce pas, autrement... Partout où il y a la conscience personnelle, c'est un être incapable de gouverner – nous voyons comment sont les gouvernements, c'est effroyable!

(long silence)

Il y a un point de vue psychologique: il y a quelque chose de très intéressant, c'est que les besoins matériels diminuent en proportion de la conscience spirituelle. Non pas (comme le disait Sri Aurobindo), non pas par ascétisme, mais c'est que l’attention, la concentration de l’être change de domaine... l’être purement matériel, on le conçoit très bien, ce ne sont que les choses matérielles qui lui plaisent; et tous ceux qui vivent dans l’être émotif et dans le mental extérieur, l’intérêt de l’être est tourné vers... par exemple, les choses de beauté, comme ceux qui ont besoin de vivre dans un entourage avec de belles choses, qui veulent se servir de jolies choses. Maintenant, cela paraît être le sommet humain, mais c'est tout à fait... ce que l’on pourrait appeler une «région centrale» (geste à peine au-dessus de terre), ce n'est pas du tout une région supérieure. Mais tel que le monde est organisé, les gens qui n'ont pas de besoins esthétiques retournent à une vie très primitive – ce n'est pas bien. Il faudrait un lieu où la vie... que le cadre de vie lui-même ne soit pas une chose individuelle, mais une beauté qui soit comme l’entourage naturel d'un certain degré de développement.

Maintenant, telles que les choses sont arrangées, il faut être riche pour pouvoir être entouré de belles choses, et ça, c'est une source de déséquilibre parce que la richesse va généralement avec un degré de conscience tout à fait moyen, même médiocre quelquefois. Alors, partout, il y a un déséquilibre et un désordre. Il faudrait... un endroit de beauté – un endroit de beauté où l’on ne peut vivre que si l’on est à un certain degré de conscience. Et que ce ne soient pas d'autres gens qui en décident, mais que ce soit décidé tout spontanément, naturellement. Alors comment faire?...

Il commence à y avoir des problèmes comme cela à Auroville, et cela rend la chose très intéressante. Naturellement, les moyens sont très limités, mais cela aussi fait partie du problème à résoudre.

(long silence)

Les conditions pour organiser – pour être un organisateur (ce n'est pas «gouverner»: c'est ORGANISER) –, les conditions pour être un organisateur devraient être celles-ci: plus de désirs, plus de préférences, plus d'attractions, plus de répulsions – une égalité parfaite pour toute chose. Naturellement sincère, mais cela va de soi: partout où entre l’insincérité, le poison entre en même temps. Et alors, il n'y a que ceux qui sont eux-mêmes dans cette condition-là, qui sont capables de discerner si un autre y est ou non.

Et maintenant, toutes les organisations humaines sont basées sur: le fait visible (qui est un mensonge), l’opinion publique (qui est un autre mensonge) et le sens moral qui est un troisième mensonge! (Mère rit) Alors...

(silence)

Ah! tu as lu cette dernière réponse aux «Aphorismes»?

Ton expérience de «Dieu»?

Oui, je ne suis pas sûre que j'aie été très claire... Je ne suis pas convaincue que cela puisse être publié!

Elle demande: «Qu'est-ce que Sri Aurobindo veut dire par "la joie d'être l’ennemi de Dieu"2 Alors tu dis:

«Ici aussi, je suis obligée de dire que je ne sais pas exactement parce qu'il ne me l’a jamais dit.

«Mais je peux te parler de ma propre expérience. Jusqu'à l’âge de 25 ans environ, je ne connaissais que le Dieu des religions, le Dieu tel que les hommes l’ont fait, et je n'en voulais à aucun prix. Je niais son existence mais avec la certitude que si un tel Dieu existait, je le détestais.

«Vers 25 ans, j'ai trouvé le Dieu intérieur, et en même temps, j'ai appris que le Dieu décrit par la plupart des religions d'Occident n'est nul autre que le Grand Adversaire.

«Quand je suis venue dans l’Inde...

Ah! c'est là qu'il faudrait dire combien de temps après... J'avais 25 ans, et je suis née en dix-huit cent... 78.

C'était en 1903.

Et je suis venue dans l’Inde en 1914. Il faudrait indiquer cela. C'est vers 1903 que j'ai eu l’expérience du Divin intérieur.

«Quand je suis venue dans l’Inde en 1914 et que j'ai connu l’enseignement de Sri Aurobindo, tout est devenu très clair.»

Je n'aime pas parler de moi. Seulement... (ça, c'est une chose que je ne sais pas: si mon corps, ce corps sera préservé ou pas – je n'en sais rien et ça ne m'intéresse pas), mais il me semble que ça ne pourrait être utile que si ce corps est parti.

Écoute!

(silence)

Pas parti: changé.

Oh! changé... Est-ce que c'est possible?

Eh bien, si ce n'est pas possible dans ton corps, comment sera-ce possible dans d'autres corps?

Non... Je ne sais pas. Pour l’homme, il semble être prouvé que ce soit de naissance en naissance que se fait le progrès, avec des naissances intermédiaires très fugitives, des formes qui ne se perpétuent pas. Alors, il se pourrait que certaines gens, qui auraient maintenant un corps un peu... (comment dire?) développé ou évolué, aient des enfants qui eux-mêmes auraient... comme cela (geste en boule de neige), et puis que ces échelons-là disparaissent.

Je ne sais pas.

N'est-ce pas, il y a ce fait que, pour l’existence même, il y a cette nécessité de dépendre de quelque chose de matériel, qui naturellement chaque fois rapporte une vieille difficulté qui revient. Cette question de nourriture... Tout cela est sous observation en ce moment (une observation très minutieuse, que je pourrais presque qualifier de scientifique), eh bien, les cellules sont conscientes de la Force divine et de la puissance que cette Force donne, mais elles sont conscientes aussi que, pour leur durée telles qu'elles sont, même en état de transformation, elles ont encore besoin de cet appoint de quelque chose qui vient du dehors – avec cela, chaque fois on avale une nouvelle difficulté... Et tout ce que je disais sur le fonctionnement (le changement de fonctionnement) est prouvé de plus en plus, mais il y a ça qui reste (la nourriture), et alors ça veut dire: estomac et tout le reste, et sang et... Et avec cela, est-ce que l’on peut concevoir (je ne sais pas), est-ce que l’on peut concevoir quelque chose qui fonctionne de cette façon et qui ne se détériorerait pas? qui serait capable de progression constante (on ne peut durer que si la progression est constante)? Est-ce que c'est capable de progrès?... Pour le moment, c'est comme ça... (geste en équilibre)

Tout ce qui était automatique a presque disparu – ça a fait une grande diminution au point de vue des capacités; c'est remplacé par une conscience qui a une certaine puissance qui n'existait pas avant: c'est une amélioration. Mais tout compte fait, eh bien, si je me plaçais au point de vue ordinaire, je ne peux plus faire ce que je faisais quand j'avais vingt ans, c'est tout à fait évident. Je sais peut-être cent mille fois plus que je ne savais, mais... Ce corps, le corps lui-même sait – il sent, il est capable de savoir tout ce qu'il ne savait pas à ce moment-là –, mais au point de vue purement matériel... (Mère hoche la tête en montrant l’incapacité de son corps). Est-ce que ça pourrait revenir? Je ne sais pas. Là, il y a un point d'interrogation. Je ne sais pas... Et ça ne pourrait durer que si les capacités revenaient; comme Sri Aurobindo le disait très raisonnablement: qu'est-ce qui voudrait continuer à être dans un corps qui va en perdant toutes ses capacités?3... N'est-ce pas, la vision n'est plus claire, on n'entend plus bien, on ne peut plus parler clairement, on... enfin on ne marche pas librement, on ne peut plus supporter un poids – toutes sortes de choses.

Est-ce que ça, tel que c'est, ça (Mère pince la peau de ses mains), ce serait capable de se transformer par la Force? Est-ce que c'est possible? – On le saura quand ce sera fait et pas avant!

Moi, ça me semble tout à fait possible.

Évidemment, logiquement, tu as raison, parce que la capacité de guérir est là; alors, si on a la capacité de guérir, il y a la capacité de remédier à l’usure. Évidemment.

Mais toutes les possibilités sont là! c'est simplement la question que la Matière doit s'adapter à l’infiltration d'une autre force.

Oui.

Mais le jour où elle sera adaptée vraiment...

Mais oui, mais voilà!.,.

Qu'est-ce qui empêche?...

Est-ce qu'elle peut?

Mais oui, sûrement elle peut! Sûrement elle peut.

C'est ça.

Si l’Esprit veut, il peut. Si l’Esprit voit que c'est le moment, il peut. Il n'y a aucune raison.

Ce serait intéressant de voir! (Mère rit)

Oui!

(Mère entre en contemplation)

Pour la conscience corporelle qui reste consciente quand le corps dort, le monde tel qu'il est, est sombre et boueux – toujours. C'est-à-dire que c'est toujours une pénombre – on voit à peine – et la boue. Et ce n'est pas une opinion, ce n'est pas une sensation: c'est un FAIT matériel. Par conséquent, cette conscience (corporelle) est déjà consciente d'un monde... qui ne serait plus soumis aux mêmes lois.

Les cellules sont tout à fait, absolument convaincues que... (je le mets de la façon la plus simple), le Seigneur est tout-puissant, tu comprends? Seulement, ce dont elles ne sont pas convaincues, c'est s'il VEUT (riant) que ce soit comme ça ou autrement, c'est-à-dire s'il veut que la transformation se fasse dans un corps déjà existant, ou par étapes.

Mais alors, des étapes, ça veut dire des siècles et des siècles...

Oui, naturellement!

Mais il semble que le moment soit venu?

Il y a un refus absolu de répondre.

Oh! mais je sais très bien pourquoi! Parce que (comment dire?... il faut le dire d'une façon tout à fait enfantine), la matière physique est paresseuse, et alors... (riant) si elle était sûre, elle se laisserait aller!

Seulement, la chose qu'il a (je peux dire presque totalement) conquise, c'est: plus de désirs, plus de préférences (geste immuable). C'est remplacé par... «Seulement ce que Tu veux.» Choisit pas, ne dit pas: «Ça est mieux que ça» – ce que Tu veux.

Ça, c'est l’état naturel et spontané.

(silence)

Bien (riant), on verra!

Non, je ne crois pas.

Quoi?

Je ne crois pas. Parce que, autrement, il faudrait vraiment des siècles et des siècles et des siècles.

Oui. Mais les siècles, ce n'est rien pour le Suprême.

Oui, évidemment.

Pour lui, c'est...

Mais tout de même, le monde est arrivé à un tel état aigu de souffrance et de douleur que...

Oui.

C'est le moment qu 'un corps se change suffisamment pour avoir la possibilité de donner un espoir concret à l’humanité.

Oui-oui... Ce serait même seulement, peut-être, comme un exemple.

Oui, peut-être, mais pas seulement, parce que du jour où ce Pouvoir serait tellement entré dans ta matière, tu aurais la possibilité de le passer à d'autres corps qui sont prêts.

Ah! mais ça, la possibilité existe déjà. Ça, j'ai des preuves constantes – extraordinaires... Tu sais, les petits miracles sont tout le temps, tout le temps.

(silence)

Il y a évidemment UN moment où ça aura lieu.4

28 mars 1970

(Mère tend une note au disciple.)

C'est ce que j'ai envoyé pour les conférences du New Age Association.1 Ils ont posé cette question: «Le but de la vie est-il d'être heureux?...» Alors j'ai répondu:

«C'est juste mettre les choses sens dessus dessous.

«Le but de la vie humaine est la découverte du Divin et sa manifestation. Naturellement, cette découverte conduit au bonheur, mais ce bonheur est une conséquence et non une fin en soi. Et c'est cette erreur de prendre une conséquence comme but de la vie, qui a été la cause de la plupart des misères qui affligent l’humanité.»

Qu'est-ce qu'ils entendent par «bonheur»!

Oui! chacun pense que c'est son petit bonheur personnel, et c'est cela qui fait toute la misère.

Ils ont bien mis «to be happy» [être heureux]: «Is the aim of life to be happy?» [Le but de la vie est-il d'être heureux?]... C'est formidable! Et c'est justement cela qui a déformé, c'est cela qui est la source de tout. «Moi, je suis heureux si je tue quelqu'un – alors je tue quelqu'un»! (Mère rit)

Oui, c'est toujours la petite personne que l’on met au centre.

Oui, toujours-toujours!

(silence)

Qu'est-ce que tu apportes? Rien?... Il y a les dernières choses de Sri Aurobindo, tu les as?

Sur les quatre étapes de la douleur?

422 – Il y a quatre étapes dans la douleur que Dieu nous inflige: quand c'est seulement de la douleur; quand c'est une douleur qui cause du plaisir; quand la douleur est un plaisir; et quand c'est seulement une forme violente de délice.

Tu réponds:

«Si Sri Aurobindo parle de la douleur morale quelle qu'elle soit, je peux dire, par expérience, que les quatre étapes dont il parle correspondent à quatre états de conscience qui proviennent du développement intérieur et du degré d'union avec la conscience divine, obtenue par la conscience individuelle. Quand l’union est parfaite, il n'existe plus que "la forme violente de délice".

«S'il s'agit de douleur physique supportée par le corps, l’expérience ne suit pas un ordre si clairement défini; d'autant plus que, le plus souvent, l’union avec le Divin amène la disparition de la douleur.»

Oui, c'est mon expérience, c'est ce que je t'avais raconté.

Je ne sais pas si c'est vraiment de la douleur physique dont il parlait?... Comment dit-il?

«...A fierce form of delight.» [Une forme violente de délice.]

Cette expérience-là, je l’ai eue en 1912 (1912 ou 13, je ne me souviens plus), à Paris. J'étais à Paris. Et alors, j'ai eu une anxiété à propos de quelqu'un qui devait venir de voyage et arriver à une certaine heure, et puis l’heure passait et passait et passait, et la personne ne venait pas. Alors, à ce moment-là, j'ai eu une sorte d'angoisse, je me suis demandé ce qui était arrivé. Et cette angoisse, tout d'un coup... N'est-ce pas, j'étais déjà consciente de mon être psychique (il y avait longtemps de cela), et cette angoisse, tout d'un coup est devenue d'une extraordinaire intensité et ça a été (geste d'éclatement) comme un feu d'artifice – une merveille! Alors je comprends ce qu'il entend par «a fierce form of delight». Mais c'était purement psychologique, ce n'était pas physique... 1912 ou 13.

Mais physiquement, toute l’expérience du corps maintenant est qu'il suffit que le corps se mette... qu'il se donne sans réserve, qu'il s'abandonne totalement à la Présence divine, et la douleur, quelle qu'elle soit, disparaît.

Ça, je l’ai dit l’autre jour.

Ce n'est pas du tout qu'elle soit changée en autre chose: elle disparaît. Et alors, au point de vue physique, c'est plus important parce qu'elle disparaît et la CAUSE de la douleur disparaît aussi. C'est-à-dire que le désordre qui s'était produit est dissous, il n'existe plus. C'est pour cela que je ne crois pas que Sri Aurobindo parle de choses physiques parce que, dans le physique, les expériences sont différentes.

Les choses psychologiques ou intérieures, même de sensations (les sensations qui concernent les événements: pas les sensations qui concernent le corps), ont une fluidité, c'est tout à fait différent comme nature. Les choses du corps ont une espèce de... (comment dire?) peut-être de stabilité ou de fixité concrète, je ne sais pas. Par exemple, si on a mal quelque part (mettons que l’on ait mal au cœur ou aux poumons ou... mal), ça correspond à quelque chose dedans, quelque chose qui est arrivé, un désordre, et le mal (quand on est en état de tranquillité), correspond à ce qu'on pourrait appeler la «situation» des cellules, et quand le mal disparaît, cela veut dire que les cellules se sont remises en place – ça ne veut pas dire que le désordre continue et qu'on ne le sente plus, ce n'est pas cela. Alors ce n'est pas la sensation que l’on a qui change: c'est le FAIT matériel qui est changé. Et moi, je trouve cela beaucoup plus merveilleux: le contact avec la vraie Force remet les choses en ordre.

Pourtant, d'habitude pour les choses physiques, on a l’impression qu'il faut un peu de temps...

Mais c'est parce que les cellules ne sont pas habituées à se soumettre, à se donner. Quand les cellules sont conscientes et qu'elles se donnent, j'ai remarqué que cela pouvait aller vraiment très vite. Mais ça peut dépendre du genre de désordre; j'imagine, par exemple, qu'un os cassé, il faudrait du temps pour qu'il se répare.

Je me suis cassé ce petit os (Mère désigne le petit doigt de sa main gauche), Sri Aurobindo était là, je ne l’ai dit à personne qu'à lui (je ne l’ai surtout pas dit à un docteur). Je ne l’ai pas bandé, je n'ai rien fait, je l’ai gardé droit. Il y avait même un moment où la soudure se sentait (ça avait fait une petite bosse, comme cela fait toujours), mais ça aussi, ça a disparu. Mais ça a pris... je ne me souviens plus exactement (il y a longtemps, il était là), mais simplement, je faisais attention de ne pas bouger mon doigt (c'était la main gauche), et ça s'est ressoudé sans bandage, sans rien, comme ça, relativement très vite, et ça n'a laissé AUCUNE trace. C'était cassé.

C'était cassé, mais pas déplacé. Je sentais la cassure – un mois après, c'était fini (je ne sais pas exactement combien de jours). Et cassé, c'est évidemment quelque chose de très concret!

Mais je ne sais pas si, par exemple, dans l’état où il est maintenant, ça ne se passerait pas beaucoup plus vite? Je ne sais pas. Mais maintenant, c'est un travail tout à fait conscient et que je pourrais presque appeler «méthodique» qui est infligé au corps pour qu'une partie après l’autre, et toutes les parties et tous les groupes de cellules apprennent... la vraie vie.

(silence)

Mais il y a une chose... Dans ce qu'il écrit, dans ce qu'il m'avait dit, Sri Aurobindo semblait avoir pris comme un signe de la transformation, la présence constante de l’Ananda [la béatitude]... Et c'était l’une des choses dont je lui avais parlé: l’être qui se manifestait dans ce corps-là, et par suite le corps (parce que même dès tout petit, le corps avait essayé de se soumettre à l’être intérieur, de ne pas rester indépendant), dans le corps lui-même, il n'y avait jamais eu ni le sentiment, le besoin, ni même l’intention de vivre dans l’Ananda. Le corps, depuis tout petit, était comme construit de... (ce que l’on pourrait traduire comme cela:) «La volonté de faire ce qu'il fallait» – d'être ce qu'il fallait et de faire. l’objet de la soumission n'était pas connu quand il était tout petit, mais de la minute où il l’a connu, ça a été pour lui définitif... N'est-ce pas, le premier contact (comme je l’avais dit), c'était la Présence divine dans l’être psychique, et alors, de la minute où c'est devenu un fait – un fait patent: il n'y avait pas de discussion, l’expérience était tout à fait concluante –, de cette minute-là, le corps n'a plus eu qu'une idée (pas même une idée: une volonté), c'est d'être ce que Ça voulait qu'il soit... Maintenant, pour lui, c'est en dehors de toute discussion possible: il est comme cela (geste mains ouvertes), simplement attentif et anxieux de faire ce que le Divin veut qu'il fasse, et il essaye de plus en plus de ne pas sentir de différence – ça commence (ce n'est pas partout encore). Dans beaucoup de parties du corps, ce n'est plus qu'UNE chose: il n'y a pas la Chose qui veut et la chose qui obéit, ce n'est plus comme cela – qu'UNE Vibration. Ça commence. Mais il ne s'attend pas à ce que ça se traduise par un sens de délice ou d'Ananda ou de... En fait, ça lui est indifférent. Il est né, il a été formé tout à fait indifférent.

J'avais dit cela à Sri Aurobindo. (Riant) Il m'avait regardé, il m'a dit: «Il n'y en a pas deux sur terre comme vous!» (Mère rit) Parce qu'il dit que les gens peuvent surmonter le besoin d'être heureux (pas «être heureux», ça ne veut rien dire), enfin de la satisfaction, de l’Ananda, mais que ce soit spontané, c'est cela! sans effort.

Aucun mérite! C'était tout à fait naturel.

C'est pour cela que cette fameuse question (le but de la vie humaine est-il d'être heureux?), pour le corps lui-même, c'est une chose tellement évidente! Si on lui dit: «Vous êtes venue au monde to be happy...» (Mère regarde avec étonnement), il ne comprend pas!


(Peu après, Mère demande au disciple de chercher une citation de Sri Aurobindo pour le Message d'avril. Nous proposons celle-ci:)

There is nothing that can be set down as impossible in the chances of the future, and the urge in Nature always creates its own means.

(La traduction)

«Il n'est rien que l’on puisse déclarer impossible parmi les chances de l’avenir, car le besoin dans la Nature crée toujours ses propres moyens.»

C'est intéressant... C'est justement le changement de conscience qui a eu lieu dans les cellules du corps: on lui dit «la Nature trouvera le moyen», ça les laisse absolument indifférentes – elles ont l’impression que c'est directement le Divin qui... triture la Matière. C'est cela, l’objet de ce que j'appelle le «changement du pouvoir»: c'est de remplacer le pouvoir de la Nature par le Pouvoir divin, direct. Et les cellules n'ont plus du tout cette... (comment dire? je ne trouve pas le mot en français), reliance.

Confiance?

Ce n'est pas tout à fait confiance, c'est «compter sur». Elles ne comptent plus sur la Nature pour faire les choses: elles ont la conviction et une foi, et même une expérience (fragmentaire) de l’Influence directe du Divin.

C'est quand la Nature fait les choses que ça prend du temps, c'est elle qui a besoin de temps.2

(silence)

Il n'y a pas autre chose?

Whatever the way may be, you must accept it wholly and put your will into it; with a divided and wavering will you cannot hope for success in anything, neither in life nor in yoga.

(La traduction)

«Quel que soit le chemin, vous devez l’accepter totalement et y mettre toute votre volonté – avec une volonté divisée et vacillante, on ne peut pas espérer réussir quoi que ce soit, ni dans la vie, ni dans le yoga.»

Ça, c'est très utile, oui très utile! La plupart des gens sont comme cela (geste vacillant).

Tu en as d'autres?

To know the highest Truth and to be in harmony with it is the condition of right being; to express it in all what we are, experience and do is the condition of right living.

(La traduction)

«Connaître la Vérité suprême et être en harmonie avec elle, est la condition pour être vraiment; l’exprimer dans tout ce que nous sommes, faisons et éprouvons, est la condition pour vivre vraiment.»

Ah! mais ça, c'est très bien! On va prendre ça. C'est bon pour tout le monde.


(Puis Mère passe à la traduction de ce texte et cherche longtemps un mot pour traduire «right». Le disciple regarde dans le dictionnaire: «Comme il faut... avec sagesse... bien... correct... exact...» etc.)

La langue française est très littéraire et très mentale, non?

Oui, elle est très rigide.

Rigide, oui.

Il commence à être question de savoir quelle sera la langue d'Auroville?

J'ai l’impression que ce sera une langue qui... (Riant) Ce sont les enfants qui donnent l’exemple: ils savent plusieurs langues et ils font des phrases avec des mots de toutes les langues et... c'est très coloré! Le petit A.F. sait le tamoul, l’italien, le français et l’anglais; il a trois ans; et alors (riant), ça fait une bouillie!

Quelque chose comme cela.

C'est comme les Américains. Ils ont une langue... les Anglais disent qu'ils ont complètement abîmé la langue, mais les Américains disent que quand ils parlent, ça a plus de vie. C'est comme cela.

Ce petit A.F., il est gentil... Il est très drôle. Avant-hier, c'était la fête de sa mère, alors je l’ai reçue. Il était très vexé parce qu'il n'était pas venu. Et il avait dit: «Je verrai Mère – je verrai Mère demain.» Alors hier toute la matinée, il a dit à tout le monde: «Je vais chez Mère, je vais voir Mère...» Il est arrivé ici – Z m'a dit: il est là. J'ai dit: «Va le chercher.» (Riant) Elle a été le chercher, il a dit: «Oh! je n'ai plus besoin de voir Mère!» (rires)... Probablement il avait senti la Force dans l’atmosphère.

Alors, on lui a donné une fleur et il est parti.

Je crois que ces enfants ont une sensibilité intérieure beaucoup plus grande – beaucoup plus grande. Il y a des petits comme cela... (c'est à peu près de cet âge-là: 2, 3, 4 ans comme cela). Il y a un petit qui est venu avec ses parents, ils l’ont amené; je n'ai pas fait particulièrement attention à lui (le petit, je l’ai trouvé gentil, c'est tout); et après, quand il est parti, il a dit: «Je ne pars plus d'ici. Je veux voir Mère, je ne pars plus d'ici.» Et il a demandé, il a dit: «Je veux voir Mère tous les jours»!... Il est revenu, il s'est assis (tous les membres de la famille sont passés, ont reçu des fleurs, etc.), lui, est resté assis tranquille à mes pieds. Il n'a pas bougé, il était tout à fait satisfait. Et ce qui est curieux, c'est que ce n'est pas parce que je fais attention à eux particulièrement, pas du tout. Pas du tout.

Il y en a un, l’autre jour, qui m'avait apporté des fleurs, je lui ai donné une rose, et alors il allait aux autres membres de la famille: il voulait leur prendre leur bouquet pour me le donner... Il est revenu, il s'est assis, puis il a regardé sa rose très longtemps, et puis il est venu me la donner comme la chose... c'était tellement cela: «C'est ce que j'ai de meilleur, alors je te la donne!» (Mère rit)

Je la lui ai rendue.

Ils ont quelque chose de plus, déjà.

(silence)

Les gens qui parlent esperanto m'ont écrit une lettre officielle pour me dire leur nombre (qui est considérable) et me dire qu'ils voudraient que leur esperanto soit la langue d'Auroville... Ils sont beaucoup à parler ça, beaucoup. Il y en a partout, je crois. J'ai reçu cette lettre il y a deux jours ou trois jours.

Mais la langue d'Auroville, il n'y a qu'à la laisser naître spontanément!

Oui, spontanément, naturellement! Ah! il ne faut pas intervenir.

Pour le moment, les actes de naissance, je les écrits en français... Et quand il y aura une organisation centrale (qui sera comme l’Hôtel de Ville, la Mairie, ou je ne sais quoi – n'importe quoi), s'ils donnent des passeports, on sera citoyen du monde... Alors on va commencer par dire partout: «Ils sont un peu fous», et puis dans une centaine d'années... ce sera naturel. Je me souviens du commencement du siècle (de ce siècle, avant que tu ne sois né), et maintenant... mais il y a un changement formidable!

(le disciple s'apprête à sortir, pose son front sur les genoux de Mère, qui lui prend les mains)

Ce matin, j'ai eu pendant deux ou trois heures une curieuse expérience (le corps). Il avait eu l’expérience que chaque... (comment peut-on dire? ce n'était pas une personne, mais c'était comme un agglomérat individualisé), chaque agglomérat avait sa manière essentiellement (pas tel que c'est maintenant: tel que C'EST ou ça devrait être), avait sa manière de comprendre et de manifester le Suprême, le Divin, et que c'était cela qui faisait son individualité, sa manière particulière. Et que toutes les manières ensemble reproduisaient tant bien que mal le Divin total – mais il faut que chaque manière comprenne qu'elle n'est qu'UNE manière et que toutes les autres manières sont, au même titre qu'elle, vraies. Mais c'était le corps qui comprenait! il sentait ça très bien, pendant plusieurs heures. UNE manière... Et alors, c'était si amusant! parce que (riant) il disait: «Oui-oui-oui, moi, je suis la manière qui veut que TOUT soit harmonieux!» Il disait comme cela et il répétait-répétait: «Je suis la manière qui veut que TOUT soit harmonieux...» Et il comprenait, il comprenait ça; ça ne le gênait pas du tout qu'il y ait des millions et des milliards d'autres manières: c'était SA manière.

Tout-tout-tout doit être tout harmonieux – harmonie-harmonie-harmonie. Quelque chose... (les mots sont très-très secs, très creux), quelque chose – une vibration qu'il connaît bien –, une vibration qui, pour lui, est... la combinaison exprimée de l’Amour et de l’Harmonie. Mais «amour» est petit et «harmonie» est petit. Les deux ensemble (avec quelque chose d'autre), font sa manière d'être dans l’univers.

C'était très amusant. Vraiment, c'était très amusant.

Il comprend ça très-très-très bien – très bien – que tous ont le même droit d'existence et qu'il faut que... Tout est à peine capable d'exprimer Ce qui est à exprimer.

C'était le corps, pas mental – c'est curieux, ça a un sens de réalité qui n'est ni mental ni vital ni émotif, rien de tout cela. C'est quelque chose d'autre. C'est très-très concret.

C'est curieux.

Et il était content, il était très content! Il dit: «Oui, c'est ça, c'est ça, c'est ça!» C'était comme si le Seigneur lui avait dit son secret. Il a dit: «Maintenant, je sais; maintenant, je sais que c'est ça.» Et chacun – chacun, tout –, chacun, tous ces milliards... tout ça. Mais ils ne savent pas! (Mère rit)

II est amusant, tu sais! C'était amusant comme expérience.

Harmonie, amour. Mais... ce que les hommes mettent dans ces mots, ce n'est pas ça – ce n'est pas ça.

(silence)

C'est après la lecture de tous ces «Aphorismes»: ça le fait beaucoup travailler.

Quelle devrait être ma manière d'être?

Ah! il faut que tu la trouves. Ah! ce n'est amusant que comme cela.

Moi, je crois que je sais, mais ce n'est plus le corps qui sait (Mère fait un geste au-dessus).

Non... il faut trouver. (Mère rit)

avril




1er avril 1970

T m'a posé des questions à propos de la mort de son frère, N.J.1 Il paraît que quelques mois avant de mourir, il savait qu'il allait mourir et il a dit: «Mais je reviendrai à l’Ashram.» Et alors, sa sœur le voyait; je lui ai dit: «Quand il est mort, moi, je sais que je l’ai conduit à l’endroit du repos – il a pu en sortir.» Et puis quand elle m'en a parlé, je me suis un peu concentrée, et j'ai vu, une nuit; je l’ai vu revenu: il était dans le corps d'un enfant de deux ou trois ans. Mais je ne l’ai pas vu ici – je ne sais pas où il est.

(silence)

Il y avait un Aphorisme très curieux que j'ai vu hier. Je ne sais pas quand il a écrit cela... J'ai simplement mis en bas: «Rien à dire.»

Je ne sais pas, c'est étrange... Un Aphorisme où il dit: «Jouir de la Nature comme on jouit du corps d'une femme»! (Mère rit)

429 – À quoi sert d'admirer la Nature ou de l’adorer comme un Pouvoir ou une Présence ou une déesse? À quoi sert aussi de l’apprécier esthétiquement ou artistiquement? Le secret est de jouir d'elle avec l’âme comme on jouit d'une femme avec le corps.

Tu as vu ma réponse?

Oui: «Rien à dire.»

Rien à dire, oui.2

Il y en a un autre où il a dit: «Je ne savais pas qui j'aimais davantage, Kâli ou Krishna...?» (c'est un commentaire, je ne cite pas exactement). «...Et puis je me suis aperçu que d'aimer Kâli, c'était m'aimer moi-même, tandis que d'aimer Krishna, c'était aimer moi-même et quelqu'un d'autre aussi...»

428 – Pendant un certain temps, je ne sais pas qui j'aimais le plus, de Krishna ou de Kâli; quand j'aimais Kâli, c'était m'aimer moi-même, mais quand j'aimais Krishna, j'aimais un autre, et en même temps c'était moi-même que j'aimais. Ainsi, j'en vins à aimer Krishna encore plus que Kâli.

Qu'est-ce qu'il veut dire exactement? Je ne comprends pas... Il écrit comme s'il se sentait identifié à Kâli plus qu'à Krishna. Et pourtant (et ça, il me l’a dit), il y avait quelque chose de Krishna en lui.

Alors, j'aurais voulu savoir si toutes ces choses ont été écrites au même moment ou à des années de distance?

Nolini semblait dire que c'était au début.

Oui, c'était au début.

À une époque où il signait toutes ses lettres Kâli [vers 1910].

Ah! il y avait une époque où il signait Kâli...

Il signait toujours ses lettres Kâli: les lettres à Motilal,3 par exemple.

Ah! je n'ai jamais vu. Tiens, je ne savais pas.

Alors, c'est à ce moment-là.

(silence)

C'était certainement longtemps avant que je ne vienne.4

(silence)

Est-ce que je t'ai dit la vision que j'avais eue ici?... J'en ai eu beaucoup, mais il y en a une... C'était après que la guerre avait été déclarée: entre le moment où la guerre (la première guerre) a été déclarée et mon départ. Il y a eu une assez longue période: la guerre a été déclarée au mois d'août et je suis partie au mois de février d'après. Eh bien, entre les deux, un jour que j'étais en méditation, j'ai vu entrer par la porte Kâli – la Kâli vitale nue, avec une guirlande de têtes –, et elle est entrée en dansant. Et elle m'a dit (elle est restée comme cela, à une certaine distance), elle m'a dit... je ne me souviens plus exactement des mots, mais: «Paris est pris...» ou «Paris va être pris» ou «Paris est détruit» (quelque chose comme cela), enfin les Allemands marchaient sur Paris. Et alors, à ce moment-là, j'ai vu la Mère – la Mère, c'est-à-dire... (comment l’appelle-t-il? Maha...)

Mahashakti.

Énorme!... N'est-ce pas, Kâli était d'une taille humaine, et elle, énorme (elle montait jusqu'au plafond). Elle est entrée derrière et elle s'est tenue là, et elle a dit: NON – simplement, comme cela (d'un ton tranquillement définitif). Alors, moi (riant)... À ce moment-là, il n'y avait pas de radio, on recevait les nouvelles par télégramme; alors on a reçu la nouvelle que les Allemands marchaient sur Paris, et au moment (c'est-à-dire le jour où j'ai eu ma vision), au moment correspondant, ils ont eu une panique, sans raison, et ils se sont retournés, ils sont partis... C'était juste au moment... Ils marchaient sur Paris; alors Kâli est entrée, disant: «Paris est pris.» Et puis Elle est venue (Mère abat sa main souverainement): NON... Comme ça. C'était vraiment remarquable parce que j'étais simplement comme cela, assise, à regarder. Et c'est devant moi que ça s'est passé.

J'ai dit cela à Sri Aurobindo, il n'a rien dit. C'est lui qui recevait les nouvelles; et après, dans l’après-midi, il m'a dit: «Voilà les nouvelles...» Il paraît qu'ils ont été pris de panique tout d'un coup; ils se sont dit «Ce n'est pas possible» (il n'y avait personne pour s'opposer à eux, la voie était ouverte, c'était tout clair, ils ne rencontraient personne, rien), ils se sont dit «C'est un traquenard.» Et... (riant) ils se sont sauvés. Ils ont tourné le dos, ils sont partis... C'était vraiment intéressant.

(silence)

Je n'ai jamais entendu Sri Aurobindo me dire ces choses-là (sur Kâli et Krishna). Je sais qu'il y avait quelque chose de Krishna – il me l’a dit, je le voyais; c'était ce que je voyais, mais il l’a confirmé, il me l’a dit. Il y a même un jour où il a senti Krishna qui était EN lui, et alors... (il n'était pas encore retiré à ce moment-là, il voyait tout le monde: il voyait les gens, c'est le moment où il voyait Pavitra et les autres),5 et alors il a appelé tous les gens6 et il s'est assis dans la véranda de cette maison (la maison qui est au-dessus de l’entrée de l’Ashram), il s'est assis là, il m'a fait asseoir à côté de lui, puis il a appelé tout le monde, et puis il a dit: «J'ai pris la résolution de me retirer de l’activité et c'est elle qui sera votre Mère et qui vous...» Officiellement, il m'a nomée. Et puis il s'est retiré dans sa chambre. Et moi, je fonctionnais dans ce qui est maintenant «Prospérité»... Et à ce moment-là, il sentait que Krishna était en lui – c'est pour cela qu'il s'était retiré.

Il n'aurait pas pu continuer dans l’activité avec la présence de Krishna?

Je ne sais pas.

Je ne sais pas... Je ne lui posais jamais de questions, pour dire la vérité; je ne demandais jamais rien: j'écoutais ce qu'il disait.

(long silence)

C'est à ce moment-là que, moi, je suis restée dix jours sans manger, pour voir.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Je passe les nuits – presque les nuits entières comme cela: je ne dors pas et... ça passe si vite!... Quelquefois, j'ai des visions.7

(Mère replonge)

4 avril 1970

Il y a soixante ans que Sri Aurobindo est arrivé à Pondichéry1...

(silence)

Tu continues de recevoir les Aphorismes?... Je ne me souviens pas d'avoir lu ces choses... N'est-ce pas, il voulait à toute force briser les règles, les conventions.2

J'ai eu fortement l’impression que c'était cela qui avait eu pour résultat l’attitude de l’Europe: ce mélange du sexe et du yoga et de tout cela... Ce [genre d'aphorisme] devait être indispensable à ce moment-là, mais maintenant j'ai l’impression qu'on est passé au-delà, ou en tout cas qu'on est en train de passer au-delà.

(silence)

Tu n'as rien?... Pas de questions, rien à dire?

Il y a un mot de G; si tu veux que je te le lise... Il dit ceci:

(traduction)

«Mes difficultés de santé [de graves attaques cardiaques] m'ont amené à découvrir bien des éléments cachés dans le corps, comme l’amour de Mère, la grâce, et Mère elle-même avec moi... Mon corps ne semble plus être à la merci des vieilles croyances. Ainsi, la confiance grandit dans mon corps jour après jour et je sens, je vois clairement que le corps peut rejeter n'importe quelle difficulté en se mettant en contact avec l’amour et la grâce de Mère. Un jour, j'ai demandé à Mère, au-dedans, de ne plus permettre ces attaques, qui de temps en temps me mettent dans un état voisin de l’effondrement, et, Mère, ce n'est jamais revenu depuis environ une dizaine de jours!...»

(Mère reste silencieuse)

Oui, il m'a dit qu'il était très frappé de découvrir pratiquement comme les «lois» ne tenaient pas, les soi-disant lois disparaissaient.

(silence)

Tous ces temps, depuis des semaines, c'est nuit et jour comme une démonstration de tout ce qui reste mélangé dans le corps: des vieilles influences, les vieilles vibrations, les vieilles... et avec la nouvelle manière. Et alors, quand la nouvelle manière est pure, sans mélange, il y a encore dans le corps, dans la conscience du corps... (Mère a un mouvement de surprise) l’émerveillement de quelque chose qui paraît impossible encore.

Ça donne la distance entre ce qui est et ce qui doit être...

Mais il y a des moments où toutes-toutes les conséquences de la vieille manière d'être semblent soudain effacées – mais ça ne dure pas.

(long silence)

Une fois, tu m'as dit que tu avais vu Sri Aurobindo supramental sur son lit...3

Oui, oui.

Est-ce qu'il y avait là un élément «de plus», ou quelque chose qui n'est pas maintenant ou pas encore maintenant?

Il y avait une luminosité. La substance était... pas radiante mais... Je ne peux pas dire «phosphorescente» parce que c'était d'une couleur dorée, mais c'est comme les corps phosphorescents: c'était une sorte de buée dorée qui sortait du corps.

Mais je voulais dire: est-ce un élément (moi qui ne vois rien), un élément qui n'est pas là maintenant, ou qui n'est pas encore, ou quoi?

J'avais l’impression... Oui, je pourrais dire que les proportions dans la combinaison de la matière n'étaient pas les mêmes.

C'est une chose que je me suis demandé beaucoup au point de vue des os: comment ce sera?

Il y a évidemment une souplesse, une flexibilité et une plasticité qui sont impossibles à notre corps tel qu'il est. Et alors... tant qu'il y a là-dedans cette espèce d'armature rigide, comment est-ce que cela peut être plastique?

Mais c'était dans Sri Aurobindo?

Je l’ai vu comme cela – je ne l’ai pas touché.

Il était lumineux et on avait l’impression d'une plasticité.

Seulement, lui, n'est pas physique, alors dans le physique subtil, c'est comme cela; mais dans le physique subtil, il n'y a pas d'os.

C'est la transition entre ça et ça qui est difficile.

(long silence)

Au fond, c'est avoir une permanence sans fixité.

Jusqu'à la conception d'une espèce nouvelle, on pensait qu'avec la fixité, il y avait la mort, la dissolution, et on ne prévoyait pas quelque chose qui serait permanent sur la terre ET qui ne serait pas fixe... On ne peut pas dire que ce soit impossible parce que tout est possible, mais... ça veut dire quelque chose de très différent dans la combinaison de la matière. Toi, tu avais dit (tu m'avais dit une fois) que l’on se rendait visible ou invisible à volonté – mais ça veut dire une plasticité très grande.

(Mère secoue la tête plusieurs fois et plonge)

Et...

(Mère secoue encore la tête et replonge longtemps)

On est loin.

(très long silence)

Toi, tu n'as aucune indication?... Seulement, c'est mental, non?

Le corps est tout à fait incapable de dire quelque chose.

l’impression que j'ai comme cela, c'est que peut-être ce corps subtil, qui est déjà supramental ou supramentalisé, pourrait se matérialiser en se servant...

Mais comment? voilà! Comment?

En se servant du corps matériel comme support.

(Mère reste silencieuse longtemps)

Quand il n'y aura plus de «mélange» nulle part, comme tu dis, alors la fusion pourrait se faire.

Peut-être.

Le corps (quand j'entre en concentration comme cela), il y a un moment où... (comment dire?)... le mot angoisse est trop, beaucoup trop fort, mais l’impression d'être au point de... l’inconnu, comme cela – l’inconnu, le... quelque chose. Et c'est une sensation très-très-très bizarre.

Il a vraiment, d'une façon presque constante, une sensation très... (au moins bizarre), d'être... de ne plus être ça et de ne pas encore être Ça. Comme cela.

(silence)

Inexprimable.

Mais c'est tout à fait étrange; il n'y a absolument pas de peur, il n'y a pas de sensation aiguë (aucune sensation aiguë), il y a quelque chose... Tiens, ce que l’on pourrait dire de plus exact: c'est une sorte de vibration nouvelle. C'est tellement nouveau que... on ne peut pas dire angoisse, mais c'est... l’inconnu. Un mystère de l’inconnu. Mais ça n'a rien de mental, n'est-ce pas, c'est juste dans la sensation de la vibration.

Et ça, ça devient constant. Et alors, il y a la conscience qu'il n'y a qu'une solution pour le corps, c'est de... le surrender total – total. Et c'est dans ce surrender total qu'il s'aperçoit que cette vibration (comment dire?), cette vibration n'est pas une vibration de dissolution, mais quelque chose... quoi?... l’inconnu, tout à fait inconnu – nouveau, inconnu.

Parfois, il est pris de panique. Et il ne peut pas dire qu'il souffre beaucoup, je ne peux pas appeler cela une souffrance; c'est une chose... tout à fait extraordinaire. Alors la seule solution pour lui, c'est... la disparition dans la Conscience divine. Alors tout va bien.

Mais il sait que ce n'est pas ça (la dissolution). Tu comprends, c'est quelque chose qu'il ne connaît pas. Pendant un certain temps, il croyait que c'étaient certaines influences ou certaines actions, ou certaines... et puis il s'aperçoit que ce n'est pas ça du tout. Ça ne dépend pas des influences, ça ne dépend pas des événements, ça ne dépend pas de l’action, ça ne dépend... c'est... quelque chose.

Et alors son seul remède, c'est pour ainsi dire de se blottir dans le Divin: arrivera ce qui arrivera.

Oui, l’«autre chose» doit être tellement autre que ça doit être comme une mort pour le corps!

En tout cas, c'est l’équivalent. C'est ça. C'est l’équivalent.

Mais (souriant)... il ne confond pas. Il ne confond pas; il SAIT que ce n'est pas ce que les gens appellent la mort.

(silence)

C'est une drôle de vie en tout cas.

Oui, c'est une drôle d'aventure.

Oh! oui (Mère rit). Oh! oui... Et toutes les choses autres que purement matérielles, toutes les choses psychologiques, morales, tout cela, ça paraît tellement enfantin!... «Oh! vous faites des embarras pour rien! quand vous saurez ce que c'est que LA» (Mère désigne le corps). Voilà.

Oui (riant), je crois que c'est ça, la grande aventure!

Bien.

Le corps passe des heures à répéter... pas avec des mots, mais vouloir de toute sa force (Mère serre son poing): «N'être plus que Toi, n'être plus que Toi, ne plus exister, n'être que Toi...» Comme ça, tellement il est comme ça... oh!

Et il sait très bien que ce «Toi» n'est pas le Suprême, mais c'est pour lui le Suprême, pour le moment.

On verra! (Mère rit)

(silence)

Et tout-tout devient comme cela, TOUT. Le changement du sommeil, c'est ce qui s'est fait le plus facilement, mais tout le travail, tout-tout ce que Je fais – parler est devenu une chose très difficile, très difficile... ma voix ne sort plus, c'est comme quelqu'un d'autre qui parle, tu comprends?

Quelle heure est-il?

Onze heures quinze.

Dans quelque temps, il y aura des choses que je pourrai dire, mais... Tu entends quand je parle?

Oui-oui, douce Mère, très bien!

(silence Mère a des gémissements)

Plus tard... Plus tard.

(Mère prend les mains du disciple)

Je vais bientôt avoir une contagion dangereuse, tu sais! (Mère rit)

8 avril 1970

(Nous regrettons tellement de n'avoir pas conservé l’enregistrement magnétique de la conversation suivante. Peut-être sentions-nous trop l’apparence négative des difficultés de Mère sans comprendre que cette négativité même était la condition de l’expérience?... Au début de cette conversation, Mère recopie un texte pour en faire un fac-similé.)

Ma vue a baissé beaucoup depuis deux jours.

(silence)

Il y a une difficulté... Je commence à ne plus pouvoir manger, alors... Ça devient difficile.

C'est la conscience ou le corps?

C'est... Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui se passe.

(silence)

Le corps semble être à cheval... (geste entre deux mondes). Naturellement, il a encore toutes les vieilles habitudes, alors ça fait... ça fait une drôle de chose. Il n'y a que la conscience qui est plus claire qu'elle n'a jamais été... La conscience de ce qui se passe dans les gens... Mais parler est une chose difficile, très difficile, et la vision est... (Mère hoche la tête)

(long silence)

Sais pas.

(long silence)

C'est vraiment une très étrange condition. C'est très étrange.

Tu sais, toute cette base, depuis l’automatisme jusque toutes les choses que l’on fait par habitude, c'est... (oui, il y a une énorme quantité de choses que l’on fait automatiquement)... parti. Et alors c'est... difficile.

(silence)

C'est ça: surtout-surtout manger, parce qu'il y a extrêmement longtemps (il y a de nombreuses années) qu'il n'y a pas d'intérêt pour la nourriture, du tout. C'est pris seulement... C'est pris avec une certaine connaissance de ce qu'il faut, mais c'est tout; eh bien, maintenant, c'est... presque difficile d'avaler. C'est cela surtout: très difficile d'avaler.

(Mère entre en contemplation)

Il y a une difficulté pour respirer aussi. La respiration est... est courte.

(silence)

Qu'est-ce qui va arriver? Je ne sais pas. (Mère rit)

Mais la Puissance est de plus en plus massive, on a l’impression.

Oui-oui. Oh! et parfois... Écoute, hier, j'ai vu un garçon qui s'était mis de travers (il est à Auroville). Il s'est mis de travers, il était révolté, il ne voulait plus rien faire. Enfin... Alors je lui ai écrit de venir... Tous les mardi, ils viennent d'Auroville, à quatre. Il est venu avec eux. Il est entré... fermé, bloqué. Je n'ai absolument rien dit, je l’ai regardé, simplement regardé... (geste). Au bout de quelques minutes, brrt! tout fondu. Et alors il l’a exprimé.

Sans rien dire, rien, aucun mot, simplement...

Et tout le temps, tout le temps il y a des choses comme cela. C'est curieux, le corps sert d'intermédiaire (geste de rayonnement à travers le corps), comme ça, simplement comme ça.

(silence)

Mais je suis tout le temps essoufflée... Je ne crois pas qu'il y ait rien de malade. Je n'ai pas cette impression. Au contraire, j'ai l’impression que certaines choses s'arrangent plutôt (pas, rien-rien de spectaculaire enfin, mais il y a des choses qui s'arrangent). Mais deux difficultés: l’une, c'est la respiration: courte, très courte; et l’autre, c'est de manger... Boire, je peux encore boire.

Sais pas.

Et je voudrais bien ne pas arriver à un état où l’on me demanderait de voir un docteur, parce qu'ils ne peuvent pas comprendre...

Je t'ai donné des fleurs?

11 avril 1970

(À propos d'un texte de Sri Aurobindo sur la différence entre les pouvoirs occultes et la réalisation supramentale.)

«The physical Nature does not mean the body alone but the phrase includes the transformation of the whole physical mind, vital, material nature – not by imposing siddhis on them, but by creating a new physical nature which is to be the inhabitation of the supramental being in a new evolution. I am not aware that this has been done by any Hathayogic or other process. Mental or vital occult power can only bring siddhis of the higher plane into the individual life – like the Sannyasi who could take any poison without harm, but he died of a poison after all when he forgot to observe the conditions of the siddhi. The working of the supramental power envisaged is not an influence on the physical giving it abnormal faculties but an entrance and permeation changing it wholly into a supramentalised physical. I did not learn the idea from Veda or Upanishad, and I do not know if there is anything of the kind there. What I received about the Supermind was a direct, not a derived knowledge given to me; it was only afterwards that I found certain confirmatory revelations in the Upanishad and Veda.»

11.9.1936
On Himself, XXVI.112

(La traduction)

«La Nature physique ne comprend pas simplement le corps; ma phrase inclut la transformation du mental physique, du vital et de la nature matérielle tout entière, non pas en leur imposant des siddhis [pouvoirs occultes], mais en créant une nouvelle nature physique qui sera la demeure de l’être supramental dans une nouvelle évolution. Je ne crois pas que ceci ait été réalisé par quelque procédé hathayoguique ou autre. Les pouvoirs occultes, mentaux ou vitaux, peuvent simplement apporter des "siddhis" du plan supérieur dans la vie individuelle, comme le Sannyasin qui pouvait prendre n'importe quel poison sans en être affecté, mais finalement il est mort d'un poison le jour où il a oublié de respecter les conditions de la siddhi. Le fonctionnement du pouvoir supramental tel que nous l’envisageons ne consiste pas à influencer le physique afin de lui donner des facultés extra-normales, mais à pénétrer et à imprégner le physique afin de le changer complètement en un physique supramentalisé. Je ne tiens pas cette idée des Védas ni des Oupanishads et je ne sais pas si l’on y trouve quoi que ce soit de ce genre. La connaissance que j'ai reçue au sujet du Supramental m'a été directement donnée, sans intermédiaire; c'est seulement plus tard que j'ai trouvé certaines révélations confirmatives dans les Oupanishads et les Védas.»

Qu'est-ce qu'il dit exactement, qu'est-ce qui se passera?

«...The working of the supramental power... is not an influence on the physical giving it abnormal faculties... [le fonctionnement du pouvoir supramental... ne consiste pas à influencer le physique afin de lui donner des facultés extra-normales...]

Non, ce n'est pas cela du tout!

«But an entrance and permeation... [mais à pénétrer et à imprégner le physique...]

Ah! oui.

«...changing it wholly into a supramentalisedphysical.» [afin de le changer complètement en un physique supra-mentalisé.]

(silence)

En tout cas, dans mon cas (je ne sais pas si tous les cas sont semblables), ce qui est gênant, c'est que... Dans la condition ordinaire de la vie, le corps a une espèce de base stable qui fait qu'il n'est pas inconfortable, qu'il peut être occupé à tout autre chose et il reste neutre: on ne s'aperçoit pas de son existence ni de... il n'a pas besoin d'une attention continue pour être dans un état – un état favorable, disons. Dans la vie ordinaire, on vit normalement en s'occupant au minimum de son corps: c'est l’instrument qui fonctionne automatiquement. Mais dans cette condition (de Mère), en ce moment, aussitôt que toute l’attention du corps n'est pas tournée vers le Divin, ne s'appuie pas sur le Divin, il devient TRÈS misérable. C'est ça... Et alors, quand il ne fait rien, il est concentré; quand je vois des gens, il est concentré aussi – tout cela va très bien. Mais tout le reste du temps, il suffit qu'il ne soit pas ACTIVEMENT concentré, il se sent tout à fait misérable. Et alors, ça devient terrible.

La presque totalité de la nuit, c'est un repos concentré dans le Divin, et c'est très bien, mais quelquefois, ça glisse encore dans quelque chose qui ressemble au sommeil, et alors il devient si misérable! c'est effroyable...

Et je ne sais pas si ça lui est particulier, mais l’atmosphère (Mère palpe l’air autour d'elle) est pleine des suggestions les plus absurdes... Et tout cela ne disparaît que quand il est ACTIVEMENT concentré. Il est la plupart du temps comme cela, mais il y a tout de même des moments... Par exemple, au moment des repas, c'est très difficile; c'est comme s'il fallait que chaque bouchée soit consciemment prise comme une offrande, en pleine conscience du Divin. Autrement, ça ne va pas du tout: je ne peux pas manger, je ne peux pas avaler.

Je ne sais pas si c'est particulier à ce corps ou si ce sera pour tous les corps comme cela... Naturellement, il est très conscient que c'est la période de transition, mais... c'est très difficile.

(long silence)

Pour quelques secondes, de temps en temps, il y a... peut-être un «échantillon» de ce qui doit être, de ce qui sera – quand? je ne sais pas –, mais ça dure quelques secondes. Ça, c'est merveilleux, mais...

(long silence)

C'est devenu très-très-très difficile de parler... (je veux dire le fait matériel de parler).

Comment sont tes nuits?... Les mêmes?

Oui... je ne sais pas. C'est tout à fait inconscient.

Mais tu dors?

J'ai l’impression que c'est très léger: le moindre bruit me réveille instantanément.

(Mère entre en contemplation)

C'est très difficile à expliquer. C'est une très curieuse impression... comme si on était... en bordure – mais en bordure de quoi? Je ne sais pas. Mais... quelque chose (Mère hoche la tête).

(Mère replonge en contemplation jusque vers la fin de l’entrevue)

Ça pourrait durer tout le temps, tu comprends, il n'y a pas de raison pour que ça change. C'est tout le temps comme cela. Quelle heure est-il?

Onze heures vingt.

Si tu veux me faire parler, il faut que tu arrives avec des questions, autrement ce n'est pas possible.

Tu crois que je dois arriver avec des questions?

Si tu veux!

J'ai l’impression, quand on est là devant toi, que... [Mère rit]... ça fond.

Oui. Si ça te suffit...

C'est une situation curieuse. l’être n'est pas du tout tourné sur lui-même: il n'y a rien, il est comme ça (Mère étend ses mains dans l’infini). Il est comme ça. Peut-être que c'est cela: il reçoit des forces, mais il ne les garde pas, elles n'entrent pour ainsi dire pas (en Mère), c'est comme ça... (geste de flot continu qui passe par Mère et se répand) tout le temps. Tout le temps comme ça. Alors si on me parle de quelque chose, ça fait un point (Mère pince un point dans l’espace, entre deux doigts), un point de concentration pour un moment; autrement, c'est comme ça tout le temps (même geste de flot continu), tout le temps. Ça va comme ça, comme ça (même geste qui coule vers le «dehors»). Il sent – le corps sent les forces qui viennent, mais... il ne sent même pas que ça passe, qu'il les donne, pas du tout, il est comme ça (même geste de diffusion). Ça passe au travers sans... à travers quoi, on ne sait pas... très inexistant. Très inexistant. Et alors, s'il y a un commencement de conscience de soi ou de quelque chose, c'est TOUT À FAIT désagréable, un malaise...

J'ai remarqué qu'avec les gens réceptifs (je vois des gens, beaucoup de gens), les gens réceptifs, ça se met à couler et couler, couler-couler... comme ça. Et rien d'autre: pas de pensée, pas de... pas même de sensation. Et ce qui est curieux, c'est que si le corps prend conscience de lui-même... (il ne souffre pas, ce n'est pas de la souffrance), mais c'est quelque chose qui est... un malaise inexprimable.

(Mère tient longtemps les mains du disciple en le regardant)

Dis-moi une chose... Tu as senti que tu recevais ou que tu donnais?

Je me suis senti empli!

Ah! bon... Alors c'est ça. Ça, c'est ma condition idéale. À ce moment-là, c'est tout à fait bien. Comme ça, ça va bien. Tu comprends?

Oui, je crois que c'est ça: je n'ai pas l’impression que [j'existe]... ça n'a pas de limites, tu comprends, c'est ça qui est curieux. Ça (Mère désigne le corps), c'est tout à fait artificiel.

Là, c'est bien, pas de...

Mon petit...

Oui, c'est...

(Mère rit)

... c'est le Divin qui regarde.

(Mère rit beaucoup)

...Et c'est curieux, je n'ai pas du tout l’impression que ça vienne d'un endroit. C'est au contraire une concentration; c'est une concentration ici, comme... (riant) comme une nappe de quelque chose que l’on forcerait à passer par un trou! (Mère fait un petit cercle entre deux doigts.) Tu comprends, c'est comme ça!... Et pourtant, ce n'est pas limité, mais c'est... c'est un mouvement comme ça (geste de coulée à travers Mère). Et alors c'est dirigé (sur la personne, sur le monde). C'est dirigé.

Mais ça, c'est l’état idéal! (Mère rit)

15 avril 1970

Il semble qu'il y ait une Pression de plus en plus puissante et toutes les difficultés surgissent (geste de soulèvement d'en bas). Les gens se disputent, les... oh!

Et ce n'est pas seulement ici, c'est dans tout le pays. Et on me dit que c'est dans le monde entier.

Tu sais, c'est comme une Pression... (geste de descente implacable), alors tout se soulève.

(la voix de Mère est voilée)

Une dizaine de lettres tous les jours, de gens qui supplient qu'on les aide... Tout devient difficile.

Il faudra probablement que ça devienne encore plus difficile.

Ça a l’air... Seulement, c'est... c'est juste au point de casser.

Entre la Russie et l’Amérique, ils sont arrivés, disent-ils, à l’«équilibre des terreurs».

C'est effrayant.

(Mère plonge)

Je suis incapable de parler. Je peux à la rigueur répondre à une question, mais je ne peux pas parler.

Qu'est-ce qu'on peut faire?

Qu'est-ce qu'on peut faire?...

(Mère replonge jusqu'à la fin de l’entrevue)

Ça peut durer indéfiniment!

Chaque fois que je tente de me poser une question à moi-même ou à toi, j'ai l’impression que c'est futile – ça fond.

Oui, c'est comme cela.

Il y a seulement à être comme cela [geste mains ouvertes].

(Mère rit)

On est bien, on est très bien...

Oui.

Mais on a l’impression qu'il n'y a rien d'autre à faire.

(Mère sourit et s'en va ailleurs)

Je crois qu'il vaudra mieux que tu apportes des questions... J'ai de la difficulté à parler, mais je peux parler.

18 avril 1970

(La voix de Mère semble de plus en plus frêle. Cette conversation contient peut-être la clef de tout.)

Alors, aujourd'hui tu as apporté des questions?

Oui, douce Mère, il y en a aussi d'elle [désignant Sujata].

Tu commences, et puis elle dira.

Je ne sais pas si c'est une «question», mais... Je ne comprends pas très bien le fonctionnement du physique subtil, ou le rapport entre le physique subtil et le physique matériel. Par exemple, tu dis que Sri Aurobindo est dans le physique subtil et qu'il travaille à préparer le nouveau monde...

Oui.

Et que souvent, nous-mêmes, la nuit, par une partie de notre être, nous travaillons là aussi à préparer... ce qui viendra. Comment...?

Écoute, ta question vient juste à point. Cette nuit, pour la première fois – c'est vraiment la première fois. Ce n'était pas un rêve, je n'étais pas endormie, et j'ai eu toute une histoire (que je vais te raconter), absolument persuadée au moment même que c'était quelque chose qui se passait ici (pas sous cette forme peut-être, mais enfin sous une forme analogue), et puis je me suis aperçue qu'il ne s'était rien passé ici (en tout cas extérieurement il n'y a aucun signe)... Ça m'ennuie seulement de donner les noms. Mais je ne dirai pas les noms, ça n'a pas d'importance. Mais c'étaient les noms, les personnes, tout-tout exact, comme ici.

Je ne me souviens plus comment cela a commencé, mais j'étais très malade, gravement malade, et mon corps ne dormait pas, mais n'était pas réveillé (c'est un état assez normal maintenant: je suis absorbée dans une conscience, que je crois être la conscience du physique subtil, du moins cette nuit j'étais là). Alors j'étais très malade et je savais que ce n'était pas ce corps-ci (mais c'était la conscience de ce corps), et c'était une famille de l’Ashram, et le père cherchait secours et était à la recherche du docteur (et tous les détails avec une précision!...). Alors, pendant que ça se passait, le corps lui-même se disait: «Donc, je suis identifié avec cette personne puisque c'est elle (c'est-à-dire moi) qu'il soigne; et puisque je suis identifié à cette personne, il faut que je fasse en elle ce qui est nécessaire.» Alors, je me suis concentrée et j'ai appelé les forces du Seigneur et je l’ai soignée. Tout cela, dans les moindres détails. Ça a duré pendant deux heures. Et en même temps, je voyais des gens qui étaient extraordinairement intéressés par l’événement et qui regardaient; et parmi ces gens, par exemple, pour ne pas le nommer, il y avait Nolini qui était penché comme cela et qui regardait (Mère ouvre de grands yeux) pour tâcher de comprendre ce qui se passait. C'est-à-dire que ça se passait dans un monde qui avait toute l’apparence – toute l’apparence – du monde matériel, mais où l’on était conscient.

Je ne raconte pas tous les détails, mais mon corps sentait la bataille de la maladie. Et il savait en même temps que ce n'était pas le sien, tu comprends? C'était comme cela, c'était une conscience très complexe et très précise, avec une grande force. Et tout cela était en même temps: je ne dormais pas.

Je m'attendais ce matin à ce que l’on me dise que quelque chose de très grave s'était passé dans cette famille (il y a dans la famille trois personnes malades: trois femmes), qu'à l’une des trois, il était arrivé quelque chose. Et il n'est rien arrivé!... Et ça, c'était un fait, enfin c'était vécu dans tous les détails, avec une conscience absolument claire, et c'était dans le physique subtil. Mais... mais, je te dis, je sentais, le corps se sentait très-très malade. Et il savait en même temps que c'était la maladie d'une autre personne. Et il a pris l’attitude, il a dit: «Ça arrive comme cela pour que je prenne l’attitude qu'il faut pour cette personne.» Et tout cela, tout ça, pleinement conscient. Il a pris l’attitude et il l’a gardée pendant deux heures comme cela.

Il n'y a qu'une possibilité: ça s'est passé la nuit et ces personnes étaient endormies et elles ne s'en sont pas aperçues... Tu comprends, ce corps a l’impression d'avoir sauvé la vie à quelqu'un.

Oui, on ne t'a pas dit qu'il y avait eu quelque chose parce que tu as empêché l’accident d'arriver.

La fin, je ne sais pas. Je me suis «réveillée», je suis revenue à la conscience ordinaire. À un moment, j'ai dû me lever, et... ça a été plutôt un soulagement pour le corps parce qu'il souffrait. Après, il n'a plus souffert. Mais c'était parce que le travail était fini.

Oui, il n'y a rien eu dans le physique parce que tu as arrêté la chose dans le physique subtil.

Peut-être bien. Mais c'est... jamais-jamais je n'ai vécu si totalement dans le physique subtil, en pleine conscience, sans dormir (et j'étais couchée sur mon lit), et ça a duré deux heures. Et les choses aussi réelles, aussi précises qu'ici... Et la même volonté: ce n'est pas une autre volonté, c'est la même volonté; c'est la Volonté divine à travers le psychique qui agit dans ce corps. Alors elle a dit: là et ici, sans différence. C'est-à-dire que quand je suis dans ce physique subtil ou quand je suis dans le physique matériel, c'est la même volonté, la même volonté psychique qui agit – la même, exactement et de la même manière. Ce qui fait que... je ne sais pas quelle est la différence. C'est une différence... c'est mince, on n'a pas l’impression de quelque chose d'épais ni de lourd: c'est mince. Cette union-là entre les deux, entre le physique subtil et le physique matériel, se fait tout le temps – jour-nuit-jour-nuit. Le travail est... On pourrait presque dire: on essaye de remplacer l’un par l’autre.

Et tu sais, les figures, les expressions, les gestes, les mouvements, les paroles: aussi précis, aussi précis qu'ils le sont ici. Et ça semble être une réponse... parce que j'ai demandé (c'est hier, je crois, dans la journée d'hier; justement quand je suis comme cela assise, comme j'étais l’autre jour avec toi, les deux mondes sont fondus – Mère tient les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche –, on ne peut pas sentir la différence), j'ai demandé à Sri Aurobindo si les choses étaient aussi précises et exactes; alors il m'a dit oui, il m'a répondu oui, mais que je devais en avoir l’expérience. Et cette expérience, je l’ai eue cette nuit d'une façon tout à fait inattendue. C'était vers trois heures du matin (entre deux heures et trois heures du matin).

Et alors, j'ai vu une personne de la famille en question, ce matin, qui aurait pu être l’une des gravement malades – elle ne mentionnait rien, ne parlait de rien... Par conséquent, peut-être que ça a commencé pour elle dans le sommeil et que l’action (de Mère) a suffi pour la guérir sans qu'elle devienne consciente. C'est possible.

Tu comprends, c'est ce genre de conscience qui dit: «Mon corps souffre», et ce n'était pas mon corps: c'était le corps de quelqu'un d'autre. Il a dit: «Je souffre, mais je sais que ce n'est pas moi; c'est la souffrance d'une des personnes de cette famille (et je n'ai pas cherché à savoir laquelle), et c'est pour cela, c'est parce qu'il faut que je fasse ce que je ferais dans mon propre cas», et je l’ai fait, et cela a duré pendant deux heures.

C'est la première fois. Toutes les nuits, c'est comme cela, mais c'est fugitif, ça vient pour un détail, un moment; le reste du temps, je suis dans une Paix parfaite. C'est la première fois que j'ai une action comme cela. Et j'étais tellement malade (!) que je me suis demandé (pendant que ça durait), je me suis demandé s'il n'allait pas m'en rester quelque chose physiquement. Et c'est pour cela, quand j'ai senti qu'il fallait me lever, j'ai pensé que c'était voulu aussi; je me suis levée et je me suis aperçue: rien!

Mais ça donne des indications (c'est de plus en plus, c'est jour après jour, expérience après expérience), des indications à quel point l’intervention de cette Volonté (que nous appelons la Volonté divine) à travers le psychique (ou même directe, ça dépend des cas), à quel point c'est... c'est tout-puissant. Et ça dépend exclusivement... Cette Volonté est toujours active pour l’Harmonie parfaite – oui, l’Harmonie parfaite telle que nous pouvons la concevoir; il y a aussi là, dans la conception, la connaissance que ça aussi, ça progressera, qu'une fois que cette harmonie-là sera manifestée, alors commencera le travail pour une autre perfection, qui pour le moment nous échappe. Ça aussi, ça sait.

Et de plus en plus, c'est comme une sorte de... ce n'est pas positivement une fusion (entre le physique subtil et le physique matériel), mais... (comment dire?...) Pour que tout se tienne ensemble, il y a cette manière d'être de la conscience matérielle qui continue (la conscience physique matérielle), mais là-dedans, se produit une perméation (c'est vraiment une perméation) qui ne chasse pas l’autre, mais... il est probable qu'à l’usage, ça transformera l’autre. Ça ne la chasse pas (la conscience matérielle), mais c'est là et ça domine – des fois, ça ne domine pas, c'est l’autre qui domine; et alors, suivant le cas... ça change les circonstances extérieures (c'est difficile à expliquer).

Ça change les circonstances extérieures?

Extérieures.

Aah!...

Extérieures. Cette pénétration a certainement l’intention (mais c'est probablement très loin) d'un remplacement, tu comprends? Ce physique subtil est en train de... (Mère fait un geste comme pour user une paroi), de travailler pour prendre la place de l’autre, mais pas par élimination: par transformation. Mais on voit (comme on perçoit les deux en même temps, on voit très bien): c'est un travail formidable.

Et ça enlève de la fixité (ce n'est pas seulement fixe: c'est friable); notre physique est friable, et ça enlève cette friabilité: là où ça casse, ça plie, tu comprends? Là où ça s'émiette, c'est fluide, ça devient (Mère fait un geste arrondi)... C'est très curieux. C'est difficile à expliquer.

Je m'étais demandé cela, je m'étais dit: «Mais comment? comment est-ce que...?»1 Alors, avec ces expériences-là, je vois. Seulement, n'est-ce pas, c'est un travail colossal...

Certainement, le corps (de Mère) a été choisi comme champ d'expérience pour une raison quelconque, qui doit être une raison de plasticité de la substance (je ne sais pas). Il y a peut-être une raison, mais en tout cas c'est un fait qu'il a été choisi pour faire l’expérience. Parce que l’expérience est en train de se faire: ça commence par le plus subtil et on voit que ça va... (Mère fait un geste de descente progressive dans la Matière). Depuis des mois et des mois, ça a commencé par le plus subtil, et puis, petit à petit, très lentement et très progressivement, ça descend dans un domaine plus matériel. Cette nuit, c'était vraiment remarquable... On n'aurait pas pu dire: enfin ça, c'est le physique subtil, et ça, c'est le physique matériel; c'était... (Mère tient les doigts de sa main droite étroitement serrés entre les doigts de sa main gauche)... c'était étonnamment l’un dans l’autre. On n'a pas l’impression de deux choses, et c'est pourtant très différent – ce serait plutôt une modalité qu'une différence (je ne sais pas comment dire) et qui vient exclusivement de la conscience. C'est un phénomène de conscience.

Dans l’expérience de cette nuit, c'était tout à la fois: le corps sentait, il agissait, il était conscient, il observait, il décidait, et tout-tout-tout à la fois. Il y a même eu... Je ne sais pas, je n'ai pas eu la vision de Sri Aurobindo mais j'avais la sensation de sa présence (ça arrive souvent: parfois, je le vois et il ne me parle pas; parfois, je ne le vois pas et j'entends, il me parle – les lois ne sont pas les mêmes), mais il m'a fait remarquer, ou plutôt j'ai noté que, quoique le corps souffrait beaucoup (n'est-ce pas, la situation était critique), il n'y a pas eu l’ombre d'une peur dans le corps. Alors il m'a dit: «Oui, c'est parce qu'il est capable de ne pas avoir peur que tu peux faire la chose.»

Ça, l’absence de peur, c'est vraiment le résultat du yoga depuis tant d'années – depuis un demi-siècle.

Il était comme ça (geste mains ouvertes), il offrait sa souffrance, tout le temps comme ça.

(silence)

Après cette nuit, j'ai tout lieu de penser que le travail est très-très actif, très actif.

Mais d'une façon terrestre, comment les choses se passent-elles? Par exemple, tu dis que Sri Aurobindo, toi, et beaucoup d'entre nous, travaillent dans ce physique subtil à préparer le monde nouveau, comment se fait la perméation de ce physique subtil?

Mais comme ça.

De la même façon?

Comme ça – c'est ça, c'est ça le travail: perméation.

Mais ça se fait terrestrement?

Oui.

En chacun.

Oui, oh! je reçois des lettres de gens avec des expériences ahurissantes, pas du tout proportionnées à leur degré d'intelligence ou à leur degré de développement – des expériences ahurissantes. Ils sont eux-mêmes ahuris. Des expériences très différentes les unes des autres mais toutes que je connais. Je connais que ce sont les expériences du physique subtil. Des gens que je connais ou que je ne connais pas, m'écrivent (ils viennent, ils ont lu ton livre ou ils ont entendu parler de Sri Aurobindo ou...), et ils décrivent ça comme je le décrivais moi-même, c'est-à-dire avec la pleine connaissance. Et ils ne savent rien! C'est tout à fait ahurissant, oh!...

Oui. Et alors, quand on est dans cette conscience physique subtile, les lois changent – on peut changer la loi matérielle si l’on est dans cette conscience-là.

Oui, ça ne fonctionne pas du tout de la même manière.

Je veux dire que...

Mon petit, on a pris grand soin de ne pas mentaliser cette chose. Et probablement, c'est très utile.

La conscience est très active – une conscience tout à fait éveillée à la moindre chose – mais la description mentale... (Mère secoue la tête). De temps en temps, par la vieille habitude, je pose une question comme cela, mentale, et toujours je reçois la même réponse: il ne faut pas mentaliser.

Ça ramène la vieille manière imédiatement.

Je veux dire: j'ai eu une ou deux fois une perception si intense que c'est presque une expérience, même si c'est seulement mental, que dans un certain état de conscience, toutes les lois physiques s'écroulaient...

Oui, oui.

Vraiment, elles n'avaient pas de pouvoir.

Oui, c'est tout à fait vrai. Elles n'ont pas de sens.

C'est ça, pas de sens.

Elles n'ont pas de sens, au point... Je me souviens, cette nuit, d'une chose: tout d'un coup, j'ai vu un fonctionnement et je me suis dit: «Ah! ça, si on savait ça, combien de choses – combien de peurs, combien de combinaisons, combien de... s'effriteraient, n'auraient plus de sens!» C'était... ce qui nous paraît les «lois de la Nature», les choses «inéluctables», c'était absurde, une absurdité!

Oui, et je sentais cela comme quelque chose de mince, comme une pellicule, quelque chose qui n'a... Ces lois si formidables, c'était quelque chose de très mince.

Oui-oui!

Il n'y avait presque qu'à souffler dessus.

Oui, c'est ça. Oui. Avec la vraie conscience, ça s'effrite.

(silence)

Plusieurs fois comme cela, quand les gens me disent qu'ils sentent comme s'ils étaient devant une loi inéluctable: «Il y a ça et ça, par conséquent ça, c'est inévitable», et la réponse est toujours la même: Si vous voulez!

C'est vous qui décidez que c'est inéluctable!

(silence)

Ce matin, quand je me suis aperçue qu'il n'y avait pas de trace (le corps était plutôt mieux qu'il n'est d'habitude, après ça), il était un peu étonné tout de même et il se disait...

(Mère est brusquement coupée)

Ah! on ne veut pas que ce soit dit...

Ça, c'était une expérience extraordinaire.

Ça revenait à ceci... «Oui, le monde est encore comme cela pour toi parce que Tu le veux comme cela; quand Tu ne le voudras plus comme cela, il sera de la vraie manière.» Alors... Mais «Tu le veux», ce n'est pas l’idée du petit ego qui veut, n'est-ce pas, ça n'a rien à voir avec ça.

C'est probablement une... il y a une position à changer, une position de la conscience qui est à changer.

(long silence)

Mais j'ai eu clairement la connaissance que ce dont j'ai été consciente cette nuit, ce sont des choses qui se passent constamment, mais je n'en suis pas consciente parce que... pour ne pas aggraver la somme de conscience. En ce moment, la quantité de choses qui sont conscientes en même temps (en Mère), au point de vue ordinaire, pour un être humain ordinaire, c'est formidable!... C'est sans fatigue, sans effort, sans difficulté, naturel, mais il y en a beaucoup plus qui se font consciemment et qui ne sont pas transmises au centre de conscience pour... pour que ce ne soit pas trop!

Il y a aussi cette chose que l’on connaît bien: suivant la concentration de la conscience, la valeur du temps change. Ça, c'est perpétuel et constant. Les mêmes circonstances, les mêmes petits événements de chaque jour, on me les fait sentir avec la conscience ordinaire, et puis trois ou quatre consciences différentes, et la valeur change. Ça va depuis un temps long, interminable, jusqu'à... une seconde. C'est-à-dire que l’irréalité du temps tel que nous le percevons ici est démontrée – ça, tous les jours, tout le temps.

Il y a une Force qui agit... Ça, je pense, j'ai l’impression que c'est la Force, parce que c'est à travers la volonté (mais c'est plus profond ou plus vrai ou plus haut, je ne sais pas, que la volonté). Par exemple, si «on» ne veut pas que je dise quelque chose, au lieu de passer par une pensée: «Ne pas dire, il ne faut pas dire» – Je ne peux plus parler!... Et toutes sortes de choses comme cela. Le fonctionnement est direct.

Et le corps, on lui apprend à apprendre... comment être. Sa façon de manger a tout à fait changé. Pour parler, c'est comme cela aussi, c'est tout à fait changé.

Il y a des moments où le corps sent une force si grande qu'il a l’impression qu'il pourrait faire (il sent, il voit bien, les mains sont fortes), une force... une force d'une autre qualité, mais beaucoup plus grande qu'avant. Et il y a des moments où il ne peut même pas se tenir debout, et pour une raison qui n'est... Il n'est plus, il n'obéit plus aux mêmes lois que les lois qui vous font tenir debout. Alors... Et cela, tout ça se passe dans la même journée!...

(silence)

Ah! (s'adressant à Sujata) pose ta question.

Douce Mère, est-ce qu'il existe une «Mère de l’Ignorance»?

Qu'est-ce que tu appelles une Mère d'Ignorance?

J'ai eu un rêve où il m'a semblé rencontrer une personne qui était la Mère de l’Ignorance.

C'est possible... C'est possible, oh! oui. Mon petit, tout est possible, et non seulement possible: tout est. Mais tout n'est pas sur la terre, n'est-ce pas. Tu comprends, il y a beaucoup de mondes, il y a beaucoup de régions – il n'y a pas une chose qui soit impossible et qui ne soit pas: du fait qu'elle est possible, cela veut dire qu'elle est quelque part.

Logiquement, il doit y avoir une Mère d'Ignorance.

(Satprem à Sujata:) Qu'est-ce qu'elle faisait, la Mère de l’Ignorance?

(Sujata:) Dans mon rêve?... J'ai eu un long rêve et vers la fin, je l’ai rencontrée; je devais traverser, et je lui ai dit: je dois aller à la Lumière, à la Mère de Lumière.

(Satprem:) Et alors?

(Sujata:) Alors le rêve a disparu.

(Mère n'a pas entendu)

Tu l’as rencontrée, elle t'a parlé?

Oui, Mère, elle m'a parlé.

Et alors, qu'est-ce que tu lui as dit?

(Satprem:) Qu'elle voulait aller à la Mère de Lumière.

Ah! (riant) alors elle est partie!

(Sujata:) Mais elle était là, comme si...

Comme si elle gouvernait.

Oui, Mère, comme si elle gouvernait.

C'est cela.

Qu'est-ce que c'est que ces régions?... Il y a des quantités de régions. Il y a des choses inimaginables. Mais ça, où est-ce? Je ne sais pas.

(Satprem à Sujata:) Raconte ton rêve.

(Mère enchaîne)

Ce doit être dans une région intermédiaire entre le physique, le vital et le mental physiques les plus matériels. Il y a tout ce que tu peux imaginer, on voit les choses les plus extraordinaires. Et c'est comme cela. C'est étrange même, on a une puissance là: une goutte de vérité a une puissance for-mi-da-ble dans ces mondes. Tu peux, d'un seul mouvement, changer des tas de choses. Seulement, n'est-ce pas, on les crée aussi comme cela: le mouvement contraire, le mouvement d'ignorance (tous les mouvements d'ignorance du monde) créent tout le temps des choses. C'est-à-dire que c'est mettre en forme ou rendre actif, ou faire agir... Seulement, c'est une réalité... d'abord, c'est d'une réalité impermanente. Au fond, il y a très peu de formes – de formes, de pensées – qui aient une réalité éternelle: tout cela (Mère fait un geste de refonte perpétuelle) est tout le temps en train de bouger-changer.

Je me souviens, la première fois (il y a fort longtemps de cela, il y a soixante... plus de soixante ans), la première fois que j'ai demandé: «Mais pourquoi meurt-on, pourquoi vit-on pour mourir? – C'est idiot!» Alors, à ce moment-là, on m'a fait comprendre que tout ce qui nous paraît «forme», c'est... (même geste en mouvement perpétuel). C'est notre petite conscience... crispée; une conscience crispée qui fait que ça nous paraît un phénomène «formidable»: on est petit, on devient grand et puis au bout, on se dissout. Mais tout est comme cela (même geste), tout est comme cela! il y a très peu de choses – très peu – qui soient éternelles. Ça a une autre qualité. Ça, c'est la première expérience que l’on a quand on touche à ce qui est éternel: ça a une autre qualité vibratoire... Et alors, cette volonté de vouloir faire durer ça (Mère désigne le corps) qui est fait, tout fait de mouvements faux – mouvements faux et tout le temps en mouvement, tout le temps en changement, tout le temps (même geste)... Comme Sri Aurobindo l’a dit: «Vous voulez faire durer votre corps et votre entourage tel qu'il est comme ça?» – Ah! non merci! (Mère rit) Durer, c'est justement devenir conscient, pleinement conscient dans le monde éternel.

(silence)

Il savait tout cela, Sri Aurobindo... Tu as vu encore les derniers Aphorismes?

Sur le rire?

(le disciple lit)

479 – Un Dieu qui ne peut pas sourire n'aurait pas pu créer cet univers plein d'humour.

(Mère rit)

477 – Quand donc le monde changera-t-il à l’image du ciel? – Quand toute l’humanité deviendra telle des garçons et des filles jouant ensemble dans le jardin du Paradis, avec Dieu se révélant comme Krishna et Kâli – le garçon le plus joyeux et la fille la plus forte de la foule. l’Éden sémitique était assez bon, mais Adam et Eve étaient trop âgés, et même son Dieu était trop vieux et trop sévère et trop solennel...

Oh!... (Mère rit)

...pour que l’on puisse résister à l’offre du Serpent.

C'est vraiment admirable!

(silence)

(S'adressant à Sujata) Alors, la prochaine fois, si tu la vois, tu lui diras: «Ton heure sera bientôt passée.»

(Sujata:) Je lui ai dit tout simplement: «Ô Mère de l’Ignorance, c'est à la Mère de Lumière que je veux aller.»

Ça a suffi! (Mère rit)

22 avril 1970

Alors, tu as apporté des questions?

(Riant) Non!

Et toi?

(silence)

Extérieurement: gens malades, difficultés, complications... Très difficile... Très difficile... Ça a pris presque la forme d'un acharnement.

Il n'y a que les Aphorismes de Sri Aurobindo qui sont de plus en plus amusants, tu les as?

(le disciple lit)

484 – Le péché est une ruse et un déguisement de Krishna pour se cacher du regard des vertueux, ô Pharisien, contemple Dieu dans le pécheur, pèche en toi-même pour purifier ton cœur, et embrasse ton frère.

«Pèche en ton cœur», ça a l’air... Ce n'est pas une plaisanterie? C'est le mot «péché» ou «to fish»! [aller à la pêche]

C'est «sinning»! [pécher]

En français, c'est difficile à distinguer!

Mais il y en a un qui est admirable:

483 – Mon Amant m'a enlevé ma robe de péché...

Oh! oui, c'est admirable! Et quand il lui a enlevé la robe de vertu!...

...et je l’ai laissé tomber avec joie; alors il a attrapé ma robe de vertu, mais je me suis senti honteux et alarmé et j'essayai de l’en empêcher. Et c'est seulement quand il me l’a arrachée de force, que je vis combien mon âme m'avait été cachée.

Ah! ça, c'est admirable. C'est admirable.

Mais T (celle qui pose des «questions» sur les Aphorismes) m'envoie quatre ou cinq Aphorismes à la fois, sans la place pour répondre à chacun... Alors je réponds au dernier!

Ce serait bien de dire: «Laissons tomber notre robe de vertu afin d'être prêts à la Vérité.»

C'est l’une des choses qui se fait constamment (oh! mais il y a longtemps que c'est comme cela), il y a longtemps que le corps est libre de cette illusion du péché et de la vertu, il y a longtemps. Ça lui paraît tout à fait... tout à fait ridicule!

Et alors, dans le contact avec les gens... Je sais mal qui sont les gens que je vois (à peu près), alors je les vois sans les avoir pensés, tu comprends, tels qu'ils sont, et APRÈS je demande ou on me raconte des choses et... (riant) je m'aperçois que la plupart du temps, il y a un contact qui s'établit (quand je les vois, un contact s'établit, une réceptivité), et c'est avec les gens qui sont le plus méprisés des autres... et qui vraiment se conduisent extérieurement comme des goujats! Encore tout dernièrement, j'ai eu une expérience comme cela.

Évidemment, l’une des choses dont la vibration est la plus difficile à supporter, ce sont les indignations vertueuses. N'est-ce pas, les gens me racontent ce qui se passe (chacun me raconte une histoire), et les vibrations les plus difficiles à supporter, celles qui produisent un... (geste de frottement désagréable), ce sont les indignations vertueuses.

Maintenant, je dois dire une chose: quand les gens viennent me voir (les gens que je ne connais pas – pas ceux que je vois tout le temps), tous ces visiteurs, c'est le meilleur d'eux-mêmes qui sort. Plusieurs fois, j'ai eu des contacts avec des gens et l’impression qu'il y avait quelque chose à faire, ils avaient une réceptivité – et après, ces gens se conduisent mal et ils créent du désordre ou ils sont très embêtants pour les autres! Mais ils ne sont pas les mêmes quand ils sont devant moi. Et ils le sentent, ils sentent que c'est quelque chose d'autre qui devient actif. Mais c'est la Présence qui... compels, oblige; alors, ils sortent (de chez Mère), et puis ils se conduisent très mal, ils se disputent, ils... C'est très difficile!

Je vois par roulement (une fois par semaine) des gens d'Auroville, justement pour tâcher de travailler cette matière, et c'est vraiment intéressant (des gens que je ne connais pas: chaque fois on m'en amène un ou deux ou trois qui sont nouveaux; il y en a qui restent et il y a un roulement des autres). J'ai dit: «Ceux qui veulent un bain de silence peuvent venir à tour de rôle», et on ne dit pas un mot. Et c'est vraiment intéressant. Eh bien, il y a de ces gens qui là-bas, se conduisent... Et malgré tout, ils sentent que ce qu'ils sont ici est supérieur à ce qu'ils sont là-bas. Seulement il faudrait que les autres aient une grande patience!...

(silence)

Qu'est-ce que tu as à demander ou à dire?... Il n'y a pas besoin de «demander»: raconte-moi quelque chose.

Comment établir le contact consciemment avec ce physique subtil?

Ça, mon petit, je n'en sais rien parce que je ne l’ai jamais fait exprès! (Mère rit) C'est venu tout seul.

Maintenant, c'est tout à fait curieux, il y a des moments où les deux sont là, alors... Heureusement que je me tais (c'est seulement avec toi que je parle), autrement, sûrement, on dirait: «Mère déménage!» (rires)

Par exemple, il y a une région (j'y ai été exclusivement pendant un temps, il y a quelques mois – je ne me souviens plus, peut-être un peu plus, peut-être une année), une région où il y a beaucoup de scènes de la Nature comme des champs, des jardins, des... mais tout, derrière des filets! Il y a un filet d'une couleur, d'une autre couleur... Et ça a un sens. Tout-tout-tout est derrière un filet, on est comme... comme si l’on se mouvait avec des filets. Mais ce n'est pas un seul filet, ça dépend: le filet dépend, dans sa forme et sa couleur, de ce qui est derrière. Et c'est... le moyen de communication. Tu comprends, heureusement que je ne parle pas parce qu'on dirait que je déménage! Et ça, les yeux ouverts, dans la journée, tu imagines! Alors je vois, par exemple, ma chambre (je suis ici, je vois les gens), et en même temps, je vois un paysage ou un autre, et ça change et ça bouge... et avec un filet comme ça entre moi et les paysages... Le filet semble être... (comment?) ce qui sépare ce physique subtil du physique ordinaire. Et qu'est-ce que ce filet représente? Je n'en sais rien... N'est-ce pas, il n'y a aucune mentalisation, il n'y a pas d'explications, il n'y a pas de pensée, il n'y a pas de raisonnement, tout cela est clairement supprimé. Et alors justement, je vois...

La sensation n'est pas la même non plus. La façon de sentir que nous avons au point de vue physique, n'est pas là, ce n'est pas comme cela... C'est plutôt un sens de proximité ou de non-communication, d'indifférence; mais les choses qui appartiennent au monde indifférent ne se présentent pas quand il y a la double vision.

(silence)

Les nuits sont très particulières. Et justement parce que tout cela n'est pas mentalisé, il n'y a pas beaucoup moyen de décrire, d'expliquer... Mais ce physique subtil a d'une façon tout à fait concrète le sens ou le sentiment ou la perception (je ne sais pas) de la Présence divine – la Présence divine dans toutes les choses, partout. Et alors, ce corps est... on pourrait dire partiellement comme ça, partiellement comme ça (geste de bascule entre deux mondes)... Ça, c'était une chose que je demandais ce matin: comment (le corps se demandait), pourquoi, comment, comment se fait-il qu'ayant cette perception divine d'une façon quasi constante (parce que je te dis, cette conscience-là est en train de s'établir), comment se fait-il qu'il ait cette angoisse? – Il vit dans une espèce d'angoisse constante. Alors qu'est-ce que c'est que cette angoisse?... Et il n'y a pas d'explications ni de..., mais au moment où il se demandait, il y avait quelque chose comme cette façon si pleine d'humour de Sri Aurobindo qui était là, comme si c'était lui (mais pas visible), qui me disait: «Regarde bien: dans cette angoisse, il y a la Félicité.» Et ce matin, j'étais comme cela assise sur mon lit pour me lever, et cette espèce de... je ne peux pas dire une souffrance mais... ça tient plutôt du malaise, je ne sais pas, comme à l’idée de toute la journée qui venait (pas l’«idée», ce n'est pas une idée: c'est comme la journée qui pèse), et alors, au moment même où j'avais ce malaise (il fallait faire un effort pour me lever et reprendre l’activité), en même temps que cela, il y avait comme quelque chose qui riait au fond, tout au fond, et qui disait: mais!... qui était dans une béatitude. Et alors, le corps a gardé (cela faisait partie de sa formation) un très grand souci de bon sens: ne pas déménager... On a l’impression d'être... tu sais, juste à la frontière, là: un tout petit mouvement comme ça et... (geste de dissolution).

Et il avait l’habitude du bon sens, du sens pratique – et tout cela, prrt!... ça a l’air de s'effriter. Alors il y a comme... Ce qui sauve de la situation, c'est que je me dis (je vois – je ne sais pas comment expliquer –, je vois que c'est la réaction des gens: que les gens naturellement, devant cela, ont tout à fait l’impression qu'on déménage), et alors je me dis: «Qu'est-ce que ça peut me faire! Qu'est-ce que ça peut me faire ce qu'ils pensent de moi – n'importe qui, ça m'est tout à fait égal.» Le corps, ça lui est tout à fait égal (le reste, il y a beau jeu que ça lui est égal, mais le corps). Et alors je vois dans mon souvenir certaines expressions de Sri Aurobindo, avec certains sourires devant les attitudes tout à fait raisonnables... et le ridicule de ces attitudes raisonnables devient évident. Et je vis tout le temps là-dedans.

Et c'est (je ne sais pas comment dire), c'est comme ça (geste étroitement serré, main contre main): dans une attitude (mais pas une attitude voulue, combinée, pas cela: c'est spontané), dans une attitude, on est par-fai-te-ment à l’aise – tout est paisible, normal; et alors, le fait est le même, mais à côté de ça (pas même à côté, ni dedans ni... on ne sait pas comment dire, c'est simultané), il y a... une légère angoisse. Et cette angoisse est constante – c'est peut-être l’angoisse d'une manière d'être qui meurt, je ne sais pas, mais ça fait une drôle de situation.

Et alors, tout devient simple quand quelqu'un est là réceptif, c'est-à-dire vient sans pensée, sans... non: simplement comme une éponge et absorbe. Alors la Présence devient concrètement sensible, tout à fait. Les choses sont exactement les mêmes, mais la Présence est concrète et tout à fait... pas seulement perceptible: elle s'impose. Et alors, il y a un arrêt, une stabilisation – et tout devient parfait.

Mais ça dépend beaucoup – je veux dire: ça dépend ENCORE de la réceptivité des gens... Et j'ai eu ces jours-ci l’impression (comment?), quelque chose comme une perception, une impression, d'un Pouvoir for-mi-da-ble! Ce Pouvoir qui semblerait capable de ressusciter un mort, n'est-ce pas. Un Pouvoir formidable qui se sert de ça (le corps) sans une identification consciente, mais tout-tout naturellement, sans... comme s'il n'y avait pas de résistance. C'est un état naturel, et ce n'est ni ça ni ça ni ça, c'est... c'est TOUT (geste désignant un mouvement immense) qui... qui agit suivant les circonstances.

D'habitude, je ne dis rien, c'est la première fois que je dis cela, parce qu'il y a encore comme un souvenir de ce qui était (avant) et qui reste conscient que si ces choses-là sont dites tout simplement comme elles sont, alors... l’impression que ça donnerait aux gens, je ne sais pas... Le corps s'en moque, mais il y a quelque chose qui veille – je vois ce «quelque chose» comme une personne (que je ne connais pas d'ailleurs), qui veille sur mon corps et sur les circonstances et qui m'empêche de faire certaines choses... pour qu'il n'y ait pas de catastrophes.

C'est une personne impersonnelle, je ne sais pas; il n'y a pas de relation personnelle avec elle, mais c'est quelqu'un qui est chargé de veiller au bien-être de ce corps et surtout à ses relations avec les autres parce que, lui, est arrivé au point où... ça lui est vraiment totalement indifférent.

Des choses curieuses. Il y a des gens qui sont tout à fait bien disposés, qui même, pourrait-on dire, sont plein d'affection, de soins, de... et, je ne sais pas, je ne peux pas expliquer... il faut que certaines choses restent ce qu'elles sont et que rien ne les dérange (ces gens), et le corps ne s'en soucie pas du tout. l’être conscient, actif, est seulement tourné vers la Conscience suprême et uniquement occupé à faire ce que cette Conscience veut que ça fasse, et alors il y a comme des gens qui sont (des gens ou un) qui sont chargés de faire que les choses soient compréhensibles dans l’état transitoire où nous nous trouvons, voilà.1

(silence)

Mais pour les gens, quand on me dit une circonstance, quand quelqu'un (ou directement ou par une personne) me dit une difficulté, une circonstance... la vision claire de ce qu'il faut faire et précise vient, et ça ne correspond à aucune pensée, rien du tout (une fois que je l’ai dit, généralement je ne me souviens même plus de ce que j'ai dit). Et tout à fait pratique: il faut faire ceci, il ne faut pas faire cela.

La vie ordinaire, la façon ordinaire, est comme jetée sur un écran (ce n'est pas dedans du tout, c'est...), et tout le temps, le désordre de la vie ordinaire est comme montré: inconsistant, mais perceptible. Et s'il y avait quelque chose (en Mère) qui était encore ouvert à ça, ou même (disons-le d'une façon tout à fait simple), s'il y a quelque chose qui est encore ouvert, ça se traduit par un fait: un malaise, des choses tout à fait désagréables – ça commence de plus en plus à être irréel et à ne pas avoir de possibilité de toucher (Mère)... mais ça, on ne sait pas.

C'est une vie qui, décrite en détail, serait absolument la vie... [d'un fou]. Heureusement que j'ai l’air encore d'avoir du bon sens! (rires)

Mais je ne parle pas de tout cela.

(À cet instant précis, le disciple a eu très fortement la pensée suivante, qu'il a failli dire à Mère: «Si la vision de la chenille était brusquement changée en vision d'homme, ce serait évidemment un éclatement de toute sa logique.»)

(long silence)

Toi (à Sujata), tu as quelque chose à dire?

Très souvent, après, quand je suis devant toi, je sens...

Je n'entends pas.

Après le départ de Satprem, je viens faire mon «pranam»;2 à ce moment, devant ton regard, il me semble que mon être intérieur vrai sort devant.

Oui.

Et curieusement, j'ai la sensation d'une force de... Tu connais le Gange, la déesse Gange? Je sens une affinité avec elle.

Avec la rivière?

Cette déesse.

Tiens, c'est curieux!

(silence)

C'est le pouvoir de la plasticité vitale, cette identification avec [le fleuve]... Et probablement, il y a des familles d'êtres comme cela.

(Mère plonge)

Ça te donne une sensation particulière quand tu as cela? Tu sens une chose particulière?

(Sujata:) Pour l’instant, c'est comme très intériorisé, et en même temps c'est l’être intérieur qui est devant: les deux en même temps, comme ça.*

Oui.3

(Mère replonge)

29 avril 1970

(Mère a eu plusieurs crises cardiaques depuis le darshan du 24 avril. Nous n'avons pas pu la voir le samedi précédent.)

Ça avait choisi le jour du darshan pour le transfert du cœur. J'ai cru que je ne pourrais pas aller au balcon. Mais j'y suis allée tout de même. Et alors, le lendemain... (Mère a été très secouée) Et ce n'est pas fini.

Intéressant.

Rien de plaisant à raconter.

Et toi, tu as des questions?

Je me demande: quand il y a ces transferts dans une partie de l’être ou l’autre, ce n'est pas seulement la conscience qui change, il y a quelque chose dans la substance qui change aussi?

C'est presque dans le fonctionnement.1


(Puis Mère classe de vieux papiers et retrouve nos lettres de Ceylan, au moment où nous allions devenir Sannyasin. Ces mêmes lettres ont redisparu après le départ de Mère.)

J'avais plusieurs papiers comme cela qui ont disparu depuis que je suis montée: un acte de naissance... Je ne sais pas si les papiers ont été brûlés en France (il y a des mairies qui ont brûlé leurs papiers pendant la guerre). C'était dans le IXe.

Je crois que la maison n'existe plus. C'était au 60 ou 61 boulevard Haussmann,2 et c'était dans le IXe.

(silence)

On va être obligé de donner un objet d'identité aux gens d'Auroville. Oui, parce qu'il est arrivé que des gens viennent s'installer sur les territoires d'Auroville sans demander la permission à personne, et tout d'un coup, on se trouve en présence d'un monsieur ou bien d'une famille... Alors ça commence à être gênant. Parce que c'est très dispersé.

(silence, Mère demande un verre d'eau)

J'ai une soif! Tout le temps une soif terrible... Il y a quelque chose dans la gorge... Je t'ai dit que c'était l’endroit difficile – ça reste. Ça m'a donné pas mal de tracas.3

(silence)


Il y a des choses... Il y a des choses vraiment intéressantes.

C'est curieux, on pourrait dire qu'il y a des quantités de miracles, c'est-à-dire de choses qui contredisent toutes les habitudes, mais ils se cachent, ils se voilent – mais moi, je vois.

Tu sais que dans la nuit du Darshan au lendemain, on a trouvé Rishabhchand4... Il y avait presque un an qu'il me demandait de s'en aller. Alors, quand il m'a demandé de s'en aller (très sérieusement: il souffrait beaucoup, il était très misérable), j'ai fait ce que je fais toujours: j'ai présenté la demande au Seigneur Suprême et je Lui ai dit... Et puis, il n'est pas parti. Il s'est rétabli. Il s'est rétabli, il a été beaucoup mieux pendant quelque temps. Mais sa volonté de partir était restée. Et alors, le jour du Darshan (je pense qu'il m'a vue, je ne sais pas), il a disparu de sa chambre, et on a retrouvé le corps en partie sur la rive, en partie dans l’eau. Mais comme c'était un endroit public, la police a demandé une autopsie et on a fait l’autopsie: il n'y avait pas une goutte d'eau dans l’estomac, c'est-à-dire qu'il ne s'était pas noyé. Et il semble, d'après ce qu'on a dit, qu'il ne s'est pas noyé (mais je n'ai pas vu le corps, alors je ne suis pas absolument sûre), mais une chose est sûre, c'est qu'il a quitté son corps, et une autre chose est sûre, c'est que ce n'est pas lui qui s'est tué... Il est sorti avant quatre heures du matin (on ne sait pas à quelle heure – dans la nuit, mais on ne sait pas à quelle heure). On s'est aperçu à quatre heures du matin qu'il était parti. Personne ne l’a entendu sortir. Et il était mort, c'est évident, et il ne s'est pas tué. Alors qu'est-ce qui est arrivé?... Il avait une bosse au front: il est tombé.

Il y avait comme un trou. Il a dû tomber et se cogner contre les rochers.

Mais il y a des rochers là?

Oui, douce Mère, devant la Distillerie, ils sont en train d'entasser des tonnes de rochers.

Ah! c'était devant la Distillerie.

On ne sait pas, parce qu'on l’a retrouvé sur le sable, plus loin. Mais le visage était cogné.

Mais il n'avait pas été noyé; ça, j'en suis sûre. C'est soi-disant un «accident», c'est-à-dire qu'il est parti... N'est-ce pas, vraiment, il suppliait de s'en aller, et il est sorti – il a dû être conduit là où il fallait.

Mais alors, je te signale qu'il y a des gens qui racontent des histoires très stupides sur le départ de Rishabhchand.

Ah! qu'est-ce que l’on dit?

Eh bien, on dit qu'il s'est suicidé.

Mais ça, ce n'est pas vrai!

Et puis, par exemple, des gens comme C, dans leur bonne volonté, mais ignorante, disent: «Eh bien oui, à la fin de la vie comme cela, il y a des yogis qui font des chutes...» C'est stupide!

Oui. Mais on me l’a dit; c'est comme cela qu'on me l’a annoncé! On m'a annoncé que Rishabhchand s'était «suicidé». Et il y a eu en moi un NON catégorique... Je ne l’ai pas dit. Je ne l’ai pas dit, j'ai attendu; parce que si j'avais dit quelque chose, on aurait... Je n'ai rien dit, j'ai attendu. Alors on m'a annoncé que la police avait réclamé le corps, et après on m'a dit: «Oui, la police a trouvé qu'il n'avait pas une goutte d'eau dans le ventre.» Par conséquent il ne s'était pas jeté à l’eau. Et c'était la seule chose qu'il pouvait faire.

Mais, douce Mère, c'est au point même que dans le groupe de gymnastique de la petite Astha [neuf ans], on est venu la trouver en lui disant: «Tu n'as pas honte, ton grand-père s'est suicidé, tu n'as pas honte!»

Oh!...

Et alors, dans l’Ashram, les gens disent... Ils sont bêtes. Et C. en tête, douce Mère!... C'est ignorant, tout cela.

Je l’ai consolée, la petite (parce qu'ils sont venus), et Mounnou (l’autre petite fille) m'a demandé (non, elle ne m'a rien demandé, mais il y avait une question dans ses yeux), alors je lui ai dit: «Ça va bien, mon petit, ne t'inquiète pas.» Alors elle m'a questionnée, j'ai dit: «Ça va très bien, il ne s'est pas tué.» – Ça, j'en suis sûre.

Mais j'ai trouvé que c'était... tout était conduit d'une façon si merveilleuse! C'était... (comment dire?) Pour parler un langage compréhensible, j'ai prié: j'ai prié que si c'était vraiment possible, eh bien, qu'«on» l’aide à s'en aller. Et c'est ce qui a été fait (mais je l’avais fait la fois d'avant).

C'est venu juste à l’heure où il fallait.

Il avait fini son travail; tu vois, la première fois quand il avait demandé à partir, il n'avait pas fini la Vie de Sri Aurobindo, et cette fois-ci, il l’a finie – il n'avait plus rien à dire.

Et puis il t'avait vue [Rishabhchand].

Il m'avait vue le jour du Darshan. Il n'a pas choisi un autre jour.

(Sujata:) Il est venu à toi [après son départ]?

Pas en forme. J'ai eu l’impression... J'ai eu, au moment où il s'en allait (je n'en savais rien, j'étais dans mon lit – je ne dors pas, n'est-ce pas), mais alors j'ai eu une étrange vision. J'étais quelqu'un (et j'ai pensé, après, que c'était lui, que c'était avec lui que j'étais – je dis «moi» parce que c'est comme cela que ça s'est présenté la nuit, mais je savais que ce n'était pas moi: je savais que c'était quelqu'un d'autre). Le Seigneur m'avait donné rendez-vous sur le haut d'une montagne; alors je suis allée, mais je ne voulais pas que les autres le sachent... (je m'interromps pour te dire une chose: c'était la nuit, au moment même ou la chose se passait, c'est-à-dire que physiquement, matériellement, je ne savais rien). J'étais allée au rendez-vous, mais je ne voulais pas que d'autres me voient, et alors je suis allée jusqu'au haut de la montagne et... je n'arrivais pas à voir le Seigneur. Je me disais: «Comment? comment, Il est là et je ne Le vois pas? Il se cache bien.» Et finalement: «Maintenant il est l’heure, je ne peux plus Le voir...» Et je redescends – je redescendais, je rencontrais des gens et je ne voulais pas que ces gens m'arrêtent; et alors j'ai eu des difficultés, je voyais des gens, et puis j'avais l’impression que ces gens, la montagne, que tout... s'éloignait, s'éloignait, s’éloignait.5 Et alors, quand la chose s'est éloignée, c'était l’heure pour moi de me lever, c'est-à-dire quatre heures et demie.

J'étais très préoccupée par cette vision. Préoccupée, je me suis demandé: «Qu'est-ce que ça peut être? Qu'est-ce que ça peut être: quelqu'un à qui le Seigneur avait donné rendez-vous et qui n'avait pas pu Le voir?...» Et puis quelques heures après, on m'a dit (on m'a dit avec la brutalité ordinaire):

–«Rishabhchand s'est tué cette nuit.»

– «Hein?»

Alors on m'a expliqué: «Le domestique est venu, il est entré, Rishabhchand n'était pas là, personne ne l’a vu sortir, et le domestique l’a trouvé noyé au bord de la mer...»

Je n'ai rien dit, j'ai senti fortement: CE N'EST PAS VRAI. Alors, après – longtemps après –, on m'a raconté l’histoire de la police et que, finalement, il était à moitié dans l’eau, à moitié sur la rive, et qu'il y avait un coup à la tête. Et alors j'ai compris. J'ai compris que le Seigneur lui avait donné rendez-vous... (Mère fait le geste de prendre Rishabhchand par la main), l’avait fait sortir de sa maison. Mais dans sa conscience (mon «rêve» a dû s'arrêter au moment où il a perdu conscience physiquement), dans sa conscience PHYSIQUE, il ne Le voyait pas. Alors c'est devenu clair!

Tu sais, j'ai trouvé cela tellement merveilleux! Parce que les expériences que j'ai maintenant... jamais je n'avais des expériences si précises et concrètes, parce que ce sont des expériences du corps. Et j'avais eu cette expérience, et quand je me suis levée le matin, je me suis dit: «Qu'est-ce que c'est que ça?...» Et je savais que ce n'était pas moi, mais je ne pouvais pas savoir qui c'était. Je savais que ce n'était pas moi. «Le Seigneur m'a donné rendez-vous et je suis allé(e) au rendez-vous, et je n'ai pas pu Le voir...» – Son corps est parti, et il l’a vu.

C'est très intéressant! Je ne l’ai raconté à personne, je te le dis à toi.

J'ai trouvé ça... Tu sais, quand j'ai eu la preuve matérielle que c'était vrai, qu'il ne s'était pas noyé, qu'il est mort d'un accident – mais c'était un accident qui n'était pas un accident: il avait été conduit par la main, «on» l’avait mené à l’endroit où il s'est cogné.

C'est une chose magnifique.

Le Seigneur lui a donné rendez-vous, et il s'est levé – il s'est levé sentant que c'était le Seigneur qui l’appelait; et il est sorti et il a été se taper la tête sur les rochers – le Seigneur l’a conduit... C'est joli, non?

Et comme j'étais identifiée à sa conscience physique, j'avais l’angoisse qu'il a dû avoir: «Le Seigneur m'a donné rendez-vous, mais je ne peux pas Le voir...» Et il ne voulait pas qu'on le voie: «Il ne faut pas qu'on me voie, il ne faut pas qu'on me voie...»

Et alors (ça, je ne l’ai dit à personne), le jour du Darshan, j'ai donné la méditation étendue, à dix heures. J'ai fait la méditation, mais j'étais étendue parce que... le docteur était venu et (riant) il avait l’air un peu effrayé, il disait «Oh, the heart is weak, the heart is very weak» [oh! le cœur est faible, le cœur est très faible], et fantaisiste! Alors c'est lui qui m'a dit: «Il faut vous étendre et puis ne pas bouger.» Alors je me suis étendue et j'ai donné la méditation. Mais après la méditation... brr! il y a eu plusieurs heures très-très difficiles. Seulement, j'ai interrogé, je me suis dit: «Pourquoi juste aujourd'hui où j'ai besoin d'aller au balcon?» Et alors, c'était comme cela: «Mais tu iras! tu iras.» Et au moment où je devais aller, c'était... la chose [l’attaque] était tellement forte que la vue était brouillée aussi et je ne savais plus si j'étais debout ni où j'étais (ce n'était pas brillant). Et je suis allée au balcon: je suis restée dix minutes – je ne l’ai même pas su! Je n'ai même pas su que j'étais restée dix minutes, je croyais que j'étais allée et revenue. Voilà.

Ça aussi, c'est miraculeux.

Mais je sais que la vie de ce corps... (comment dire?) oui, la vie de ce corps est un miracle. C'est-à-dire que si ce n'était pas ce que c'est et comme c'est, et arrangé comme cela, n'importe qui serait mort... Mais alors, si tu savais (souriant) comme ça devient... Le corps est conscient (et on ne le lui cache pas: on ne lui raconte pas de blagues, on le laisse voir les choses comme elles sont), mais alors il est comme cela, il dit: «Mais au fond, ce serait surtout pour les autres que ça ferait une différence! – Pour moi...» Seulement, eux, n'est-ce pas, ils sont encore dans cette espèce d'illusion de la mort, parce que ça (le corps) disparaît; et même ça (le corps de Mère) ne sait plus tout à fait lequel est [vrai]!... Pour ça, ce devrait être la matière, la vérité – eh bien, même pour ça, il n'est pas tout à fait sûr (riant) de ce que c'est que ça! Il y a l’autre, l’autre façon de voir et de sentir et d'être – une autre façon d'être. Et ça (le corps) commence à se demander... Il sait que la vieille façon, ce n'est plus ça, mais il commence à se demander comment ce sera, c'est-à-dire la façon de percevoir, la relation avec les choses: «Comment s'établira la relation de la nouvelle conscience avec la vieille conscience de ceux qui seront encore des hommes?...» Toutes ces choses resteront ce qu'elles sont, mais il y aura une façon de les percevoir, une relation... Ça vient... c'est curieux, ça vient comme un souffle – comme un souffle –, et puis ça disparaît encore. Comme un souffle d'une autre façon de voir, une autre façon de sentir, une autre façon d'entendre. Et ça, c'est comme quelque chose qui s'approche, et puis qui se voile. Mais alors, dans l’apparence (du corps de Mère)... dans l’apparence c'est... (Mère fait un geste chaotique). Pourtant, très visiblement, je ne suis pas malade, mais il y a des moments où... c'est très difficile. Très difficile. Et alors, j'ai eu plusieurs fois les deux [façons] à la fois... Et (riant) le corps se dit: «Eh bien, si on savait comment tu es, on te dirait que tu es tout à fait fou!» (Mère rit) Et il rit.

Il n'a pas peur. Il n'a pas peur...

Il souffre; il souffre quelquefois d'une façon très... un drôle de souffrance! très drôle de souffrance. Et alors, comme tout est arrangé merveilleusement! dans les Aphorismes, il y a toutes les choses de Sri Aurobindo sur l’irréalité de la souffrance, et c'est venu juste au moment!6 je me suis dit: «Mais comme c'est merveilleusement arrangé!» Juste, c'est venu pour dire à mon corps: «Ne te fais pas de souci!...» La dualité (souffrance, béatitude) est tellement-tellement concrète qu'il est... mon corps gémit – gémit, littéralement gémit comme s'il souffrait terriblement –, et en même temps, il est en train de se dire: «Ah! c'est ça, la béatitude!» Et il gémit! Tu comprends, les deux sont comme ça... (geste fondu)

«J'avais l’habitude de haïr et d'éviter la douleur, j'étais offensé qu'elle me fût infligée; mais à présent, je découvre que si je n'avais pas souffert, je ne posséderais pas, maintenant, forgée et complète dans mon mental, dans mon cœur et dans mon corps, cette capacité de délice infinie et innombrablement sensible. Dieu se justifie à la fin, même s'il a pris le masque du brutal et du tyran.»
Mère avait commenté ainsi cet Aphorisme:
«C'est la même leçon que le Seigneur Suprême veut enseigner au corps qu'il est en train de transformer.»
Puis le 28 avril, Mère a reçu l’Aphorisme 501:
«La souffrance nous rend capables de recevoir l’entière force du Maître des Délices; elle nous rend capables aussi de supporter l’autre jeu du Maître du Pouvoir. La douleur est la clef qui ouvre les portes de la force; c'est le grand chemin qui mène à la cité de la béatitude.»

Et ça dépend d'un petit quelque chose qui ressemble à un acte de volonté (mais ce n'est pas ça). Ce n'est pas ça. Je ne sais vraiment pas... c'est quelque chose de nouveau.

Le corps gémit, et il dit, il se dit qu'il souffre, et il y a un petit quelque chose (mais ça, je ne sais pas exactement ce que c'est; ça ressemble plus à un acte de volonté, mais ce n'est pas ça), et alors, ce n'est plus une souffrance, ce n'est pas du tout ce que nous appelons une «béatitude» – nous ne savons pas ce que c'est... c'est quelque chose d'autre. C'est quelque chose d'autre. Mais qui est extraordinaire. Nouveau, tout nouveau – tout nouveau. Et alors tout ça, c'est comme estompé, imprécis, c'est comme une... quelque chose qui se passe dans une nébuleuse, qui n'est plus ça et qui n'est pas encore ça.

(silence)

Ce n'est plus, ce n'est plus... ça, visiblement, ce n'est plus la conscience corporelle telle qu'elle était. Elle n'est plus: les relations ne sont plus les mêmes, la façon d'entendre, la façon de parler... (c'est très difficile de parler, il faut un effort considérable). Et ce n'est pas encore, oh!... c'est en route vers quelque chose, mais ce n'est pas encore là.

(long silence)

Mais la présence de la Grâce est une chose absolument merveilleuse! parce que tel que je vois, l’expérience telle qu'elle est... si l’on ne me donnait pas en même temps le sens véritable de ce qui se passe, ce serait une agonie sans arrêt – c'est la vieille manière qui meurt.

Naturellement, il y a toute la préparation yoguique, mais le corps est... n'est-ce pas, c'est un miracle constant! Ça ne pourrait pas être supporté plus de quelques minutes; et ça dure, ça dure, ça dure, ça dure...

Ça a commencé exactement le jour du Darshan.

Une ou deux fois, il a été offert au corps de retourner à la condition précédente – il a refusé. Il a dit: «Non, c'est OU ça, ou bien s'en aller.»

C'est pour cela que ça dure... Il y a combien de jours depuis le Darshan? – 24, 25, 26... Aujourd'hui, c'est?

29: six jours.

Ça n'a pas paru si long! Ça aussi, c'est un miracle: je croyais trois jours.

(long silence. Puis Mère regarde quelque chose avec un sourire et secoue plusieurs fois la tête)

C'est... c'est beaucoup plus merveilleux que nous ne pouvons nous l’imaginer – tout-tout...

(long silence)

C'est difficile... C'est difficile à dire exactement. Nous croyons que ça, cette apparence (Mère désigne le corps), c'est... ça paraît être, pour la conscience ordinaire, le plus important – c'est évidemment la dernière chose qui changera. Et ça paraît, pour la conscience ordinaire, la dernière chose qui changera, parce que c'est la plus importante: ce sera le signe le plus certain. Et ce n'est pas du tout ça!... Ce n'est pas du tout ça.

C'est ce changement dans la conscience – qui s'est produit –, qui est la chose importante. Tout le reste, ce sont des conséquences. Et ici, dans ce monde-là, matériel, ça nous paraît être le plus important parce que c'est... c'est tout à l’envers. Je ne sais pas comment expliquer.

Pour nous, quand ça (le corps) pourra être visiblement quelque chose d'autre que ça n'est, on dira: «Ah! maintenant la chose est faite.» – Ce n'est pas vrai: la chose est faite. Ça (le corps), c'est une conséquence secondaire.

Quelle heure est-il?

Il est onze heures trente-cinq, douce Mère.

Oh!... Le docteur est là?

Oui.

Oh!...

mai




2 mai 1970

J'ai quelque chose pour toi... (Mère désigne une note écrite.)

C'était il y a deux ou trois jours, c'est venu impérativement comme ça, à propos d'une histoire. Ils ont des réunions à Auroville, à «Aspiration»; je crois que ce sont des méditations, ou quelque chose comme cela, je n'en sais rien. Il y en a un qui est arrivé et qui a placé ma photographie; alors un autre s'est précipité dans sa chambre et puis il est revenu avec une croix!... Et il a dit: «Non, si vous mettez une photographie de Mère, moi, je mets ma croix.» On m'a raconté cela. On me l’a raconté parce que celui qui avait mis la croix était venu me voir avec les autres (ils viennent une fois par semaine, quelques-uns, quatre ou cinq), on ne m'avait rien dit. Il est venu, il s'est assis en face de moi... je lui ai trouvé un air un peu inquisiteur (je ne savais rien du tout, n'est-ce pas), et quand ils sont partis, j'ai demandé qui c'était. Alors on m'a dit qu'il était catholique et on m'a raconté cette histoire.1

Après cela, est venue toute une série de choses. Mais il faut dire qu'il y a littéralement une invasion là-bas (à différents endroits d'Auroville), parce que ce n'est pas gardé, il y a des bouts de terrain libres; et surtout au centre, ce sont des gens qui sont installés là et il y en a qui viennent tout le temps et qui s'installent sans demander de permission. Et on avait pensé qu'il allait falloir avoir un «badge» pour ceux qui sont vraiment Auroviliens (Mère montre un échantillon du badge). Cela fait déjà plusieurs jours que l’on pense à organiser cela: pour la première année, ils auront une sorte de carte d'identité, et après, si au bout de l’année ça va bien, on donne le badge.

Mais moi, ce qui m'est venu, c'est ça (Mère désigne ses notes). Ce n'est pas fini... (Sujata s'apprête à apporter la lampe pour que Mère puisse lire.) Je n'ai pas besoin de lumière, je ne vois plus clair.

(le disciple lit)

«Auroville est pour ceux qui veulent vivre une vie essentiellement [religieuse], mais qui renoncent à toutes les formes de religion, qu'elles soient anciennes, modernes, nouvelles ou futures2...

Douce Mère, je m'excuse, mais pourquoi n'as-tu pas mis «spirituelle» au lieu de «religieuse»?

Je ne suis pas encore sûre.

Ça m'a fait un drôle d'effet!

Oui, j'ai vu!... Il vaut peut-être mieux mettre «spirituelle». Je vais voir.

«...La connaissance de la Vérité ne peut être qu'expérimentale.

«Personne ne doit parler du Divin à moins qu'il n'ait eu l’expérience du Divin...

Ça, c'est le point important.

«...Connaissez le Divin, alors vous pourrez en parler...

Tu comprends, on peut mettre «spirituel», mais...

«...l’étude objective des religions fera partie de l’étude historique du développement de la conscience humaine...

Je mets les religions en-dessous: dans le domaine mental.

Oui, justement, oui!

Dans le domaine mental, et c'était un «sujet d'études».

C'est drôle, il y a deux jours, cela m'est venu presque comme une expérience: la religion, c'est le monde mental.

Oui-oui! C'est la mentalisation, un essai de mentalisation de... ce qui dépasse de beaucoup le mental.

«...Les religions font partie de l’histoire de l’humanité et c'est à ce titre qu'elles seront étudiées à Auroville; non pas comme des croyances auxquelles on doit ou l’on ne doit pas adhérer, mais comme le processus du développement de la conscience humaine qui doit mener l’homme vers sa réalisation supérieure.»

Alors, «programme»... (Mère rit)

PROGRAMME

La recherche expérimentale de la Suprême Vérité. Une vie divine mais PAS DE RELIGIONS.

C'est bien!

Oh! très bien!... C'est le «religieuse», là, qui me gêne.

Alors on va l’enlever!

Parce que, justement, tu dis: «Pas de religions.»

Non, je prenais «religieux» dans l’autre sens, mais ça fera toujours une confusion.

Ça a pris un sens si faux.

Oui. Je vais t'expliquer, je n'ai pas voulu mettre «spirituel» parce que, d'abord le mot spirituel en français a un autre sens, et puis les gens qui vivent une vie «spirituelle» rejettent la Matière, et nous ne voulons pas rejeter la Matière. Alors ce serait faux.

Je reconnais que «religieux» n'est pas un bon mot parce que imédiatement... J'employais «religieux» au sens d'une «vie essentiellement préoccupée de la découverte ou de la recherche du Divin.» Il n'y a pas de mots en français, et ce n'est pas spirituel.

Divine?

Il faut trouver un mot – on peut mettre ça:

«Auroville est pour ceux qui veulent vivre une vie divine...

Oui, «une vie essentiellement divine», oui. «Divine», c'est large, douce Mère.

(silence)

C'est fini?... Il y en a eu tant, je n'ai pas tout noté... C'était avant-hier, je crois, toute la journée était prise comme cela dans l’expérience, et j'ai eu l’impression de la révélation du but véritable d'Auroville, et que c'était ça qu'il fallait dire, et ça qui... will select the people, sélectionnera les Auroviliens. Les vrais Auroviliens sont ceux qui veulent faire la recherche et la découverte du divin. Mais justement, n'est-ce pas, ce n'est pas par des moyens mystiques: c'est dans la vie.

Ça aussi, ça devrait être dit.

(Mère écrit)

«Notre recherche ne sera pas une recherche par des moyens mystiques, c'est dans la vie que nous voulons trouver le divin.»3

(Mère achève d'écrire sa note et passe sa main sur ses yeux)

C'est une très curieuse chose: à mesure que... Voyons, il y a deux manières de le dire. l’une, c'est: à mesure que la vision et l’audition naturelles diminuent, l’autre croît. Mais je crois qu'il est beaucoup plus vrai de le mettre de l’autre manière: à mesure que l’audition et la vision... comment l’appellerons-nous?

Vraies? Ou «supérieures» en tout cas.

Supérieures. Mettons supérieur, parce que «vrai», ce n'est peut-être pas la suprême vérité... À mesure que l’audition et la vision supérieures se développent, la vision et l’audition matérielles s'estompent.

Toutes les manières de dire me paraissent... pas tout à fait vraies.

J'ai l’expérience, par exemple, qu'avec certaines personnes ou un certain genre d'occupation, il y a une dominante de... mettons, la «prochaine manière»: la prochaine manière de voir, la prochaine manière d'entendre; et alors, toute intrusion de l’ancienne manière, imédiatement diminue la perception. C'est-à-dire que la vision ordinaire est comme derrière un voile, et alors le voile devient plus épais. Mais si les circonstances, les gens ou le travail me laissent entrer plus complètement dans la conscience nouvelle, la perception devient de plus en plus claire.

Le corps a compris ça, il a été amené à comprendre ça: il ne s'inquiète pas de la diminution de vision ou d'audition, et il s'aperçoit, il se rend compte que plus celle-là (la manière ordinaire) s'estompe, s'atténue, plus l’autre augmente – à condition que je ne fasse pas d'efforts pour garder l’autre. Si je laisse aller naturellement, c'est comme cela.

Tout effort pour garder la vieille manière est devenu... produit un malaise, un malaise presque intolérable. Tandis qu'une acceptation confiante des conditions donne une sorte de... oui, je ne sais pas, on ne peut pas appeler ça «bien-être»... c'est une paix confiante.

Mais maintenant, ce n'est plus seulement la vision et l’audition: c'est tout. La parole devient de plus en plus difficile... Manger est très difficile: c'est un mélange de quelque chose qui se passe sans que l’on s'en aperçoive et tout à fait facilement, ou bien d'une lutte contre une grande difficulté. Et c'est seulement maintenant, parce que je veux le dire, que je l’observe et que j'essaye d'exprimer, autrement il n'y a pas d'activité mentale.

Ces choses-là se sont imposées.

(Mère plonge)

Est-ce que l’on mettra un titre à ces notes sur Auroville?... Par exemple: «La Position d'Auroville à l’égard des religions»?

Si l’on mettait: «Nous voulons la Vérité»?... J'emploie ce mot-là parce que personne au monde n'oserait dire: nous ne voulons pas la vérité! (rires)

Pour la plupart des gens, c'est comme cela: ce que nous voulons, c'est la vérité! (rires)

J'ai montré à R le «Programme d'Auroville», (riant) ses cheveux se sont dressés sur sa tête: «Mais... mais les gens ne peuvent pas tolérer ça maintenant!» – Ah?...

Et alors, les Auroviliens doivent vouloir la Vérité quelle qu’elle soit... Ils appellent la Vérité ce qu'ils veulent, tandis qu'ils doivent vouloir la Vérité quelle qu'elle soit.

(Mère écrit sa dernière note sur Auroville)

Nous voulons la Vérité

«Pour la plupart des hommes, c'est ce qu'ils veulent qu'ils appellent la vérité.
«Les Auroviliens doivent vouloir la Vérité quelle qu'elle soit.»

Je mets «Vérité» avec une majuscule. (Mère rit) Parce que, à dire vrai, ce n'est pas cela, c'est: «Nous voulons le divin.» Mais alors tout de suite c'est la discussion! Alors il vaut mieux «Vérité».

6 mai 1970

(De nouveau, Mère n'est pas bien portante. Elle a du mal à parler, elle est très essoufflée.)

Ça ne va pas.

Je ne peux plus manger et...

Quand je reste couchée, ça ne va pas, mais quand je reste comme cela en concentration, ça peut aller. Alors si tu veux rester comme cela...

(contemplation)

9 mai 1970

(l’état physique de Mère, ces jours derniers, était sérieux.)

Tu as reçu l’Aphorisme d'hier?

Non, on ne me l’a pas donné.

Ah?... C'était comme cela... (Mère cherche à se rappeler) «la plus étrange expérience de l’âme...» Je ne sais plus.

Oui, c'est celui-ci:

508 – La plus étrange des expériences de l’âme est celle-ci: quand l’âme cesse de se soucier de l’image et de la menace des afflictions, elle s'aperçoit que les afflictions mêmes n'existent plus nulle part dans notre voisinage. Alors, derrière ces nuages irréels, nous entendons Dieu qui rit de nous.

Alors, hier, j'ai écrit (je ne me souviens plus des mots): «Et quand Tu veux transformer l’IMAGE à Ta ressemblance, que se passe-t-il?»1 Quelque chose comme cela. Et j'ai reçu la réponse cette nuit!... Deux activités du physique subtil.

Oh! je dirai la première (riant): je tuais quelqu'un à bout portant!...

Ah!

Et la seconde était plus personnelle. Et alors, j'ai compris: c'est que le corps lui-même, la conscience elle-même (conscience physique) est pleine de tous ces mensonges et de toutes ces illusions et de toutes ces idées préconçues, et quand ça, c'est parti, alors le Seigneur peut se manifester là-dedans.

Ça a été... c'était vécu, et c'était une réalisation foudroyante, mon petit!

Ça (le corps), ça ne va pas encore tout à fait bien – il y a beaucoup à faire, mais... j'ai eu l’impression que j'avais chaviré du bon côté.

C'était simplement merveilleux!... merveilleux.

Et tu sais, c'est simplement un mouvement comme ça (geste de léger renversement ou de bascule) et... Vraiment j'étais, on peut dire misérable (je parle au point de vue purement physique: nausée, tout-tout ce que l’on peut imaginer, constant, constant), et puis ça fait comme ça (même geste de léger renversement): une béatitude... Le corps.

Cette expérience que l’on a, que l’on a eue dans la conscience (vitalement, mentalement, tout cela), cette expérience qui, une fois qu'on l’a, c'est fini, on est libre... il restait le corps: misérable, n'est-ce pas, il souffrait d'une façon effroyable (ce n'était pas violent et c'était pire que ça, constant), et alors, simplement ça (même geste): béatitude.

J'ai de la peine à garder ça parce que... tous les contacts ramènent la vieille conscience – je ne connais pas de gens qui soient dans cet état-là. Quand je suis très tranquille...

Mais ce n'était pas comme cette nuit, ce n'était pas si complet, si total, mais tout de même il y a le souvenir, et puis j'ai l’impression... que le corps a basculé du bon côté. N'est-ce pas, il était en train de... il était en train de faire ce qu'ils font tous: de se désintégrer, de se désorganiser. l’impression que ça a l’air d'être arrêté.2 Mais ce n'est pas encore ça, c'est seulement... Mais c'était merveilleux.

N'est-ce pas, la vision ordinaire: partie; l’audition ordinaire: partie; la capacité de travailler (Mère fait le geste d'écrire): partie. Et ça ne peut plus revenir que de la vraie manière, quand... Mais j'ai eu la preuve que tout peut revenir merveilleusement. Savoir si...

J'ai compris, le corps a compris – le corps a compris –, il a compris, il a eu l’expérience. Qu'est-ce qui viendra après? On verra.

Je voulais te le dire.

C'est ça, n'est-ce pas, c'est ça, et le corps est capable. J'ai dit hier quand j'ai lu cet Aphorisme, j'ai dit à Sri Aurobindo: «Mais tu as dit que le corps changerait lui aussi; là (dans l’Aphorisme) c'est «l’image», l’image qu'on dépouille au moment où l’on retourne vers la Vérité; mais tu as dit que la vraie Vérité, c'était ICI que ça changerait...» – I challenged, yes! [Je l’ai défié, oui!] Et j'ai eu la réponse comme cela. Deux... ce que l’on pourrait appeler deux «rêves», mais je ne rêve plus. C'étaient deux activités du physique subtil (riant) extraordinaires!

Mais qui est-ce que tu tuais?

Je ne sais pas, c'était... c'était quelqu'un que j'aimais beaucoup! J'aimais beaucoup (Mère rit)! Je ne sais même pas si je savais qui c'était. Et il n'y avait pas de raison! Il n'y avait pas de raison, c'était... Je tuais, je crois que c'était d'un coup de pistolet (ça n'avait aucune importance, l’individu n'avait pas l’air malheureux!), c'était le geste, c'était l’acte qui importait, l’acte qui avait de l’importance... J'étais pleine d'affection et de tendresse pour la personne, et puis je la tuais. Je ne connais pas cette personne. Mais c'était un homme jeune – c'était peut-être un type symbolique, je ne sais pas. Je ne sais pas. Et il y avait l’impression sur la vieille conscience... Tiens, je savais que c'était la nuit, je savais que c'était une activité de la nuit (tout-tout pleinement conscient), et je me suis dit même (riant): «Tout de même, éveillée, c'est une chose que je ne ferais pas (!)» Et alors j'ai entendu très bien la voix de Sri Aurobindo me répondant: «Ce n'est pas nécessaire!» (Mère rit) Ça aurait pu être tout à fait comique, toute l’affaire.

(un disciple entre pour arranger le magnétophone qui ne fonctionne pas bien)

Qu'est-ce qu'il y a?

On arrange la machine, on a eu des ennuis avec cet appareil

Ah!... (riant) peut-être qu'il ne voulait pas que ce soit pris!... Ça ne fait rien, ça m'est tout à fait égal! tout à fait égal.

(silence)

Comment t'expliquer?... J'avais la même objectivité que l’on a éveillé: j'étais pleinement éveillée, je ne dormais pas, ce n'était pas un rêve. Objectivité: je voyais le fait et puis je raisonnais dessus – tout à fait, tout à fait une nouvelle conscience.

Je sais maintenant quelle est cette conscience, je le dis d'une façon positive (je veux dire que c'est le corps qui parle, il le sait positivement – il demandait hier). Et alors, son attitude est comme cela: «Je sais maintenant, et c'est Toi qui décides si... si je suis capable de l’avoir ou si c'est seulement pour me montrer.» On verra...

Il y a quelque chose qui doit matériellement changer, c'est la conscience de ce corps. Il y a quelque chose qui doit changer... (est-ce que ça peut changer? Je ne sais pas), il y a quelque chose qui doit changer dans la constitution – est-ce que ça peut se faire? Je ne sais pas.

(silence)

Pour la conscience ordinaire, ça a l’air d'un autre mode de vibration – ce n'est pas cela... Évidemment, c'est la Conscience, mais... Alors c'est quelque chose qui doit changer dans la vibration pour que la Conscience puisse se manifester sans déformation.

Et alors, la déformation, c'est ça qui crée... une misère, n'est-ce pas, qui maintenant paraît effroyable à ce corps. Et quand ça, ça disparaît, ça se transforme: c'est une béatitude... Tout cela, dans ça, là (corps): rien, pas de pensée, pas même de... on pourrait dire pas de sensation au point de vue vital – c'est seulement le genre de sensation qui est là-dedans (dans le corps).

Qu'est-ce que le Seigneur a décidé qui sera? Je ne sais pas... Le corps ne sait pas... Ce sera ce qu'il voudra.

(Mère entre en contemplation)

Il y a eu deux activités. l’autre, je ne peux pas la raconter parce que, naturellement, ça ne peut pas être utilisé. Mais la seconde vision était comme cela: je me promenais nue, mais exprès nue entre ici et là (geste entre le haut de la poitrine et les cuisses); là (au-dessus), il y avait peut-être des vêtements; et je me montrais à certaines personnes exprès, et j'avais avec moi quelqu'un, qui est toujours la même personne, qui est la Mère physique. C'est la Mère physique, c'est l’image ou le symbole de la Mère physique. Elle était avec moi et j'avais sur moi, excepté sur la partie découverte3... (Mère s'interrompt) Ah! et cette partie que je montrais était insexuée, c'est-à-dire ni homme ni femme: il n'y avait rien; et ça avait une couleur... un peu comme la couleur d'Auroville (orange), comme ça, mais vibrante, c'est-à-dire comme si c'était... pas lumineux, mais une sorte de luminosité. Et alors, la Mère avait mis une grande cape qui était comme un grand voile sur tout son être, de cette couleur-là, en me disant: «Tu vois, je l’ai mise parce que je l’ai acceptée – pour te dire que je l’ai acceptée.»

C'était le second «rêve».

Et le reste de mon corps était aussi avec une étoffe... ce n'était pas une étoffe: c'était quelque chose comme cela (comme cette cape). Mais ça (cette nudité de Mère), c'était exprès; tu comprends, c'était un acte qui avait une grande importance. Et alors ces deux personnes (les deux témoins à qui Mère montrait son corps), je ne sais pas qui ils sont, mais ils avaient l’air d'être des hommes. Je ne sais pas qui ils sont (la nuit, je les connaissais très bien, mais je ne sais pas qui ils sont, réveillée). Et c'était pour leur dire: «Voilà, c'est comme ça; voyez, c’est comme ça.» Ils prenaient ça d'ailleurs très scientifiquement.

Et c'était surtout cela, cette Nature... Un peu plus grande que mon corps... Il y a des années, chaque fois que je vois la Nature, c'est cette personne-là que je vois; il y a des années que c'est pour moi la Nature; et ce n'est pas une «relation», mais comme ma mère qui serait ma sœur, ou ma sœur qui serait ma mère, comme cela (les choses ne sont pas tout à fait tranchées, les mots ne valent rien). Elle est grande, c'est une belle femme, et elle est très-très-très simple, très simple, et très formidable; et avec moi: comme un petit enfant. Et elle m'accompagnait, et elle me disait: «Tu vois, je l’ai mise, ta robe, j'ai mis ta robe pour te dire qu'elle est acceptée – je l’ai mise, ta robe.» Et c'était la même couleur que la couleur de la peau (la partie découverte de Mère), c'était quelque chose comme de la peau, et la robe avait exactement la même couleur. Et elle avait aussi une petite luminosité comme cela, quelque chose comme «efflorescent».4 Et la peau était «efflorescente». Et c'était cela: pas de sexe, ni homme ni femme – pas de sexe. C'était une forme comme cela (Mère dessine une silhouette dans l’espace, très svelte), une forme qui ressemblait à notre corps, mais sans sexe: les deux jambes réunies.

C'était joli.

Ces deux «rêves» étaient évidemment la représentation des deux grosses difficultés de la conscience humaine – surmontées complètement, ça n'existait plus. Alors, tous ces sentiments humains (le sentiment de l’horreur, de la crainte...), tout cela, absolument inexistant, c'était tout de la béatitude... Le premier «rêve», comme je le disais, c'était dans un amour intense, et le second c'était dans une dignité, n'est-ce pas, supérieure.

C'est intéressant.

La mort, c'était le premier, et l’autre, c'était le second.

Ça, c'était la vraie conscience.

Et c'est mon CORPS qui l’a eue, pas l’être psychique ni les êtres supérieurs (ça, il y a longtemps que toutes ces choses-là sont très familières), mais c'est le CORPS, le corps lui-même, ÇA, ça, ça.

Et ça lui a donné une paix!...

Ce sont les deux choses qui doivent être maîtrisées. Ce que nous appelons la mort, qui est... ça n'existe pas. Oui, je dois ajouter au premier «rêve», que je le tuais, mais qu'il bougeait tout de même! Je le tuais à bout portant mais il continuait à remuer... Je crois que je le tuais avec un pistolet (mais ça n'a pas fait de bruit et il n'y a pas eu de...) et il continuait à remuer très bien. Et il ne m'en voulait pas du tout!... N'est-ce pas, c'était l’image de l’irréalité du mensonge de toutes ces histoires-là.

Mais le second, j'avais toujours demandé, j'avais dit: «Comment est-il, le corps supramental, je voudrais bien le voir?» Eh bien, je l’ai vu, mon corps, comment ce sera. C'est bien! (riant) c'est bien!... Et c'est un corps... pas très différent, mais tellement raffiné! tellement... une chose si raffinée! Mais rien de tous ces mouvements – ces mouvements grossiers –, même simplement ordinairement humains ne peut exister là-dedans: les deux ne peuvent pas être ensemble; quand il y a l’un, il ne peut pas y avoir l’autre. Et c'est ÇA, il faut que ce soit... fini, décanté – qu'il ne reste rien, rien que... rien que la béatitude divine.

(silence)

Je la vois, je la vois encore, la Nature... Elle a des cheveux... je ne sais pas, ils n'ont pas la couleur de nos cheveux: c'est comme toutes les couleurs à la fois; et elle est coiffée comme moi, toujours (Mère montre son chignon derrière la tête); toujours, elle a toujours été coiffée comme moi. Et toujours des cheveux qui n'ont... Je ne sais pas, ça a toutes les couleurs à la fois. Et elle a une longue figure tranquille... Elle n'a pas d'âge: ni jeune ni vieille; je ne sais pas, ça n'a pas d'âge. Et une puissance extraordinaire dans la figure.

(silence)

C'est la Nature matérielle, c'est la Nature physique, la Nature physique matérielle, et elle a dit: «J'ai mis la robe, j'ai mis ta robe – j'ai mis ta robe pour te dire que je l’avais adoptée.»

Cela veut dire que la Nature matérielle a adopté la nouvelle création.

13 mai 1970

R. m'avait demandé de dire ce que nous entendons par religion...

(Mère tend une lettre)

Douce Mère, la notion de religion est le plus souvent liée à celle de la recherche de Dieu. Est-ce seulement dans cette perspective qu'il faut la comprendre? N'y a-t-il pas en effet, aujourd'hui, d'autres formes de religion?

J'ai écrit quelque chose avant d'avoir cette question. C'est venu en anglais:

(Mère tend une note)

(traduction)

Nous appelons «religion» toute conception du monde ou de l’univers qui se présente comme la Vérité exclusive en laquelle on doit avoir une foi absolue, généralement parce que cette Vérité est censée être le résultat d'une révélation.

La plupart des religions affirment l’existence d'un Dieu et les règles à suivre pour Lui obéir, mais il y a aussi des religions sans Dieu, telles les organisations socio-politiques qui, au nom d'un Idéal ou de l’État, réclament le même droit à l’obéissance.

Le droit de l’homme est de poursuivre librement la Vérité et de s'en approcher librement par ses propres voies. Mais chacun doit savoir que sa découverte est bonne pour lui seulement et qu'elle ne doit pas être imposée aux autres.

Et puis ça:

À Auroville, rien n'appartient à personne en particulier. Tout est une propriété collective.

Je parle avec difficulté...


Tu n'avais rien à demander?

Si, j'aurais eu plusieurs choses... Il y aurait deux choses. D'abord, sur le plan mental ou sur le plan vital, il y a des moyens de correspondance: on a un corps mental ou un corps vital et on peut développer ces corps. Mais ce physique subtil, comment le développer, comment entrer en contact avec lui consciemment?

(après un long silence)

Moi, je ne l’ai pas fait exprès, alors je ne sais pas!

En fait, j'y ai plutôt suivi Sri Aurobindo, parce que, avant qu'il n'ait quitté son corps, je ne me souviens pas d'avoir eu beaucoup de rapports avec ce physique subtil – j'ai pu en avoir, mais ça ne m'a pas frappée. Mais c'était depuis qu'il était là et que je l’ai rencontré quotidiennement...

Mais on a un corps correspondant à ce monde, non?... Je veux dire nous, par exemple. Est-ce que nous, êtres humains, nous avons un corps correspondant à ce monde?

Il y en a qui ont des corps dans le physique subtil, oh! oui... oh! oui.

Mais pas tous?

Les uns, c'est... fluide, c'est-à-dire incertain, mais il y en a qui en ont... Je crois que l’on développe, même durant sa vie, son physique subtil.

Oui, j'aurais voulu savoir comment c'est possible, justement.

Comment on le fait? C'est cela que je ne sais pas parce que, je te dis, c'est venu spontanément.

Mais c'est très analogue (au monde matériel)... Seulement, il ne paraît pas y avoir les mêmes lois de... comment appelle-t-on cela, ce qu'ils ont dit être le résultat de l’attraction du centre de la terre?

Gravitation.

Oui, il ne paraît pas y avoir les mêmes lois de gravitation, parce que l’on peut se déplacer comme ça (du doigt, Mère fait un bond d'un point à un autre), par la volonté. On n'est pas obligé de marcher ni de... (même geste). La conscience et la volonté ont un pouvoir beaucoup plus grands que dans le physique matériel.

Il y a une plus grande fluidité, mais tout de même on retrouve des choses: on retrouve des choses et on les retrouve avec des changements, tu comprends? Ce sont des choses qui existent indépendamment de notre volonté.

(long silence Un paon se pose sur la terrasse de Mère)

Je ne suis pas très utile! (Mère rit) Moi-même, n'est-ce pas, j'ai tout à apprendre là.

Évidemment, ça ne doit dépendre ni du mental ni du vital...

(Mère secoue la tête négativement)

Mais est-ce que cela dépend du psychique ou d'une aspiration dans le corps?

Moi, j'ai l’impression (c'est plus une impression qu'une certitude) qu'il y a une partie plus subtile (c'est là où se trouve Sri Aurobindo: Mère lève un peu sa main droite), et qui dépend d'en haut, c'est-à-dire de la conscience supérieure et du psychique; et puis, il y a une partie qui essaye de se former dans le corps (geste de jonction entre les deux ou de descente de l’un dans l’autre), c'est-à-dire une manière d'être des cellules qui serait le commencement d'un nouveau corps, mais ça, c'est... quand ça arrive, c'est une bizarre sensation. Une bizarre sensation. Le corps lui-même a l’impression... de mourir – quelque chose, il ne sait pas ce que c'est. Et c'est assez pénible. Ce n'est qu'un état de foi intense qui fait que l’on peut le supporter. Comme si l’un était changé en un autre... Comme si ce qui est, était en train d'essayer de changer en quelque chose d'autre. Mais ça, c'est... c'est pénible. Il faut vraiment être dans un état de foi très intense pour passer au travers de la chose; ça se traduit par quelque chose qui ressemble à... de tout à fait nouveau, et alors qui ressemble à un malaise.

C'est un état presque constant pour mon corps maintenant. Il n'y a que de très rares moments où, tout d'un coup «Aah!...» (geste émerveillé). Quand ces moments viennent, c'est merveilleux. Mais c'est très rare... Quelquefois, une journée se passe sans en avoir un. Cet état était plus fréquent le jour, mais maintenant il commence à être la nuit. Cette nuit, une bonne partie de la nuit, je l’ai passée comme cela (dans ce «malaise»), et alors, je n'ai pu être tranquille que parce que mon corps tout entier était... (geste d'abandon), disait au Seigneur: «Ta Volonté, Seigneur, Ta Volonté, Ta Volonté...» Comme ça.

(silence)

Et alors, l’ouïe et la vision, il y a des moments où ça devient comme si ça allait s'effacer tout à fait; et des moments où ça devient très-très-très clair – très clair. Et il n'y a aucune raison apparente. Parfois, je vois les choses tout à fait distinctement; parfois, c'est tout à travers un voile.

Et pour l’audition, c'est la même chose: parfois, j'entends très distinctement; parfois, je n'entends plus rien.

Ça doit dépendre de la vérité dans ce que tu vois ou ce que tu entends?

Peut-être, mais ça dépend surtout... Oui, c'est peut-être cela. Mais ça dépend aussi de l’état dans lequel est le corps lui-même.

(long silence)

Tu avais autre chose?

Oui, justement l’autre question était de savoir à quoi ressemble cette «prochaine manière» de voir et d'entendre?

Ah!...

(après un silence)

Ça dépend (ça, je le sais), ça dépend exclusivement de la conscience, c'est-à-dire du point auquel la conscience est éveillée.

Généralement, ça vient comme cela, ce malaise dont je parle; alors imédiatement, le corps s'abandonne – s'abandonne comme s'il disait (il ne le dit pas, mais enfin comme s'il disait): «Si c'est la mort, eh bien, que Ta Volonté soit faite.» Tu comprends, l’abandon total. Alors, parfois, quand l’abandon est... (s'il est plus ou moins réussi, je n'en sais rien), parfois il vient une clarté, une compréhension, une évidence de tout – un état qui est vraiment remarquable. Mais ça ne dure pas. La moindre chose le dérange.

(long silence)

Je sais... Le corps sent que s'il pouvait totalement s'abandonner – ne pas exister indépendamment, ne pas avoir d'effort personnel, de volonté personnelle –, et dans la mesure où ça, c'est possible, tout va bien. Mais ça, c'est une tension et une fatigue qui deviennent absolument insupportables, alors... Dans le cas général, c'est cela qui amène la mort, c'est la fatigue de la tension de vivre. Encore cette nuit, c'était comme cela... Ça devient tellement-tellement fort que je me suis... J'étais comme cela (geste d'abandon) et le corps se donnait pour... (comment dire?), on ne peut pas dire pour «disparaître», mais c'est comme cela (geste de fusion, d'abandon), et alors j'étais sur mon lit comme... on pourrait dire... je ne peux pas dire «prête à mourir» parce qu'il n'y avait aucune volonté de mourir ni de ne pas mourir, mais c'était comme cela: sans résistance, absolument sans résistance; et alors, qu'est-ce qui s'est passé? je ne sais pas, les heures ont passé, et puis je me suis réveillée – ce n'est pas «dormir», et pourtant c'était quelque chose comme le sommeil.

Cette nuit.

Et le matin, ce n'était pas plus difficile que ce n'est d'habitude – ce n'était pas beaucoup plus facile, mais ce n'était pas plus difficile que d'habitude.

Quand le corps réussit à ne pas penser à lui-même (je ne sais pas comment expliquer cela parce que ce n'est pas une «pensée»), à ne pas être conscient de lui-même, alors ça va mieux.

(silence)

J'ai l’impression qu'il y a un travail qui se fait là, en bas (Mère touche son corps), et qu'il y a un travail qui se fait comme cela (geste un peu au-dessus avec la main droite, et au-dessous avec la gauche, les deux mains placées parallèlement l’une à l’autre avec un espace entre les deux), et puis qu'entre les deux, c'est... ce n'est pas encore. Et alors, qu'est-ce qui va se passer entre les deux?... Ça (main du dessus), c'est le physique subtil, et puis ça (main du dessous), c'est le physique matériel, et alors entre les deux, il y a une confusion... ou quelque chose qui n'est pas prêt ou...

(long silence)

Tu avais autre chose?... Et toi (à Sujata), tu n'as rien?

Douce Mère, vendredi matin, je t'ai vue, tu m'as appelée, tu m'as montré le mur et tu m'as dit: «Regarde, ces deux images vont devenir réelles.»

Et alors?

Alors j'ai commencé à essuyer pour que ça puisse se faire sans difficulté.

Quoi?

(Satprem:) Elle a commencé à essuyer, à nettoyer le mur pour que l’image puisse sortir sans difficulté.

Tiens!...

(Mère sourit)

Et quelque chose est sorti?

(Sujata:) Il y avait deux images.

(Satprem à Mère:) Après, tu as parlé de ces deux visions que tu as eues: l’image de la mort (tu tuais quelqu'un à bout portant) et l’autre, de ton corps supramental.

Mais c'était le même jour?

Le matin précédent.

Aah!

(Mère entre en contemplation)

Il y avait comme cela, autour de toi, un de ces... comme un temple hindou, mais petit... tu sais, les temples hindous? Simplement comme cela...

16 mai 1970

(Mère a la voix très voilée)

Pas de voix... Mais ça ne fait rien... Tu m'entends?...

Si tu as des questions, tu peux les poser.

On a l’impression que ça grince et que c'est difficile.

Oui, oui.

(longue contemplation)

Je peux rester comme cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Manger est devenu un problème...

(silence)

Quelquefois, on a une petite lueur de l’héroïsme qu'il faut pour faire le travail que tu fais...

(Mère rit) Le corps est assez endurant, je ne peux pas dire.

S'il y avait la certitude; si, par exemple, Sri Aurobindo disait: «Ça, ça, ça, c'est comme cela», alors ce serait très facile! mais ce qui est difficile, c'est... N'est-ce pas, on est entouré de gens qui vous croient malade, et qui vous traitent comme une malade, et on sait que l’on n'est pas malade; mais tout-tout est démoli... dérangé.

De temps en temps, rarement – rarement –, de temps en temps, il y a tout d'un coup une béatitude. Ça dure quelques secondes. Peut-être est-ce cela, la façon de me dire: «Le bout, c'est ça»?... Mais on est entouré d'une certitude que l’on est en train de s'en aller très vite vers la fin, et alors ce pauvre corps est comme cela (geste chancelant). Il ne s'en préoccupe pas, mais il n'a pas la certitude de comment ça se terminera. Alors il lui reste seulement à être tranquille, avoir confiance et... endurer.

(long silence)

J'ai eu un drôle de rêve l’autre jour.

Ah!

Dans la nuit d'avant-hier, vers le matin, j'étais avec toi et tu étais «à l’extérieur». C'était comme si nous marchions ensemble, je marchais avec toi dans une rue. C'était à l’extérieur. Alors tu me disais: «Mais pourquoi ne me poses-tu pas de questions sur le monde extérieur?» Puis tu as commencé à parler de la Chine, et si j'ai bien compris, tu disais que la Chine allait... balayer tout le monde.

Bah!

Je ne sais pas ce que c'est. Mais c'était à l’extérieur. Et un détail, par exemple: j'enregistrais ce que tu disais et je me suis aperçu qu'au loin, il y avait l’ancienne machine dont on se servait quand tu étais en bas. Je ne sais pas si ce détail signifie quelque chose... Nous étions dans une rue et on marchait tous les deux; j'étais à tes côtés et on marchait.

(silence)

Et puis tu as parlé de l’Afrique, de Madagascar... En tout cas, tu m'as dit (si j'ai bien compris, si c'est clair): la Chine va balayer tout le monde.

Bababa... Ce n'est pas amusant!

(silence)

Ils ont très peur de la Chine ici, au point que beaucoup de gens veulent faire des bombes atomiques; alors en désespoir de cause, ils m'ont demandé (le gouvernement m'a demandé): «Qu'est-ce qu'il faut faire?...» – J'étais la dernière personne à qui il fallait demander cela!

C'est un moyen d'intimidation, mais... La Chine en a, la Russie en a, la France en a (Mère pose une main sur ses yeux en parlant de la France), horrible!...

Je ne sais pas si c'est la Chine ou l’Amérique, il y a une bombe qui suffirait à détruire tout Paris.

Oui, sûrement!

(Mère passe sa main sur son front long silence)

Tu as autre chose?

(Sujata glisse un billet à Satprem)

C'est Sujata qui pose une question. Elle dit: si l’Inde appelait le Divin, est-ce que ce ne serait pas un moyen plus efficace d'arrêter la Chine?

In-con-tes-ta-ble-ment! (Mère rit) Incontestablement.

Ils n'ont pas la foi!

(Mère entre en contemplation)

20 mai 1970

(Ces jours derniers, Mère a eu une légère infection de l’œil gauche, puis un abcès dentaire – le disciple aussi.)

Après l’œil, c'étaient les dents... Une chose après l’autre. Enfin...

Simplement, ça continue.

(silence)

Tu as vu la plaquette (sur Auroville et les religions)? C'est bien... Je l’ai distribuée à Auroville. Les gens d'«Auromodèle» viennent à tour de rôle le mardi après-midi (il en vient cinq ou six tous les mardi), alors hier je leur ai donné ça.

Mais j'en vois aussi; l’un après l’autre ils viennent me voir.

Ah!

Oui, on a l’impression qu'ils commencent à s'éveiller un peu.

Oui-oui, ça commence à remuer.

Il y en a plusieurs qui sont gentils...

Qu'est-ce qu'ils te racontent, ça m'amuserait de savoir?

La plupart ont des problèmes d'action, ou de manque d'action plutôt.

Oui.

Et des problèmes de relation entre eux, etc. Alors j'essaie... je leur dis ce qui me vient sur le moment. J'essaie de leur faire comprendre la grande chose qui est derrière.

Oui, ça leur fait du bien. Ils ont besoin d'être guidés.

Mais il y en avait même un qui m'avait demandé si je pourrais aller là-bas!...

(Mère rit)

Alors je leur ai dit: écoutez!... non, faire des discours c'est tout à fait inutile, mais tous ceux qui veulent venir comme cela, je peux individuellement dire quelque chose pour eux, mais pas collectivement.

(Mère approuve)

Ça, tu sais, c'est une prière que je fais souvent: savoir ce qu'il faut dire aux gens.

Oui.

(silence)

Il y a un nouvel ambassadeur de France à Delhi (l’ancien était... oh! il était terrible, terrible de stupidité), on en a envoyé un nouveau, et Maurice Schumann1 lui a écrit une lettre en lui disant qu'il était particulièrement intéressé par l’Ashram et qu'il voulait avoir des renseignements – cet individu n'est même pas venu! Et alors (riant) il a écrit (je l’ai su parce que Schumann a écrit à Baron qui a envoyé la lettre à A), ce monsieur a écrit qu'il n'avait pas eu le temps de venir, mais qu'il avait demandé des renseignements à D!2 (Mère rit) Alors D a écrit... tu comprends ce que cela peut être!

Ils ont insisté beaucoup (le Consulat) sur le mauvais accueil des gens des villages. Ils ont même dit que les villageois avaient jeté des pierres à nos gens d'Auroville... Naturellement, ils (les D) ne pouvaient faire que du gâchis, tandis qu'au contraire, ça a l’air de marcher tout à fait bien.

R (l’architecte d'Auroville) a demandé à me voir ce soir.

Ah! tiens, pourquoi?

Comme ça. Je ne sais pas. Simplement prendre contact.

R, ça bouge dedans! (Mère rit beaucoup) Il est tiraillé entre le vieil homme qui est plein d'attaches là-bas, et la nouvelle vie, la nouvelle conscience qui commence à être intéressante.

(long silence)

Il y avait encore des choses intéressantes de Sri Aurobindo, tu les as?

(le disciple lit les derniers Aphorismes reçus)

518 – Tant que tu n'auras pas appris à t'empoigner avec Dieu...

(Mère rit de bon cœur)

...comme un lutteur avec son camarade, la force de ton âme te sera à jamais cachée.

517 – O dupe de ta faiblesse, ne couvre pas la face de Dieu d'un voile de terreur, ne t'approche pas de Lui avec une faiblesse suppliante. Regarde! tu verras sur Sa face non pas la solennité du Roi ni du Juge, mais le sourire de l’Amant.3

Je ne me souviens plus... Mais il y a autre chose après, non?...

Après, non, mais avant:

516 – Celui qui a fait, ne serait-ce qu'un peu de bien aux êtres humains, même s'il est le pire des pécheurs, est accepté de Dieu dans les rangs de ceux qui l’aiment et Le servent. Il verra la face de Dieu.

Et tu réponds:

«l’effort de Sri Aurobindo a toujours été de libérer ses disciples, ou même ses lecteurs, de tout préjugé, de toute moralité conventionnelle.»

C'est merveilleux à quel point ce n'est pas cette conscience active qui écrit: ça me paraît tout à fait étranger!... Mais avant-hier, j'ai écrit quelque chose, et en écrivant je me disais: «Tiens, ça intéressera Satprem.» Et je ne me souviens plus du tout non plus!

C'est très curieux.

Je suis comme cela (geste immobile au front), et puis tout d'un coup, je prends mon crayon et j'écris. Et je sais ce que j'écris au moment où je l’écris, et après c'est fini.

(Mère cherche le cahier de S.S. à côté d'elle)

Dans celui-ci, j'écris tous les deux jours. Seulement il enlève tout, alors je ne sais pas. Ça, c'est le dernier. Tu me diras si l’on comprend.

Il demande: «Est-ce que le sens de la douleur physique n'existe plus dans la conscience cosmique?»... Alors tu dis:

«Dans la conscience cosmique, certainement elle existe...

La conscience cosmique, c'est la conscience universelle, la conscience matérielle; là, elle existe. D'ailleurs je le sais, parce que c'est une conscience que j'ai constamment, alors je sais que la douleur existe.

Mais c'est après:

«C'est dans la Conscience Suprême, Divine, qu'elle n'existe pas. C'est-à-dire que la nature de la sensation change et que les opposés disparaissent pour être remplacés par quelque chose qui est indéfinissable dans notre langage.»

C'est clair?

Oui-oui, c'est clair!

Il y a beaucoup de choses comme cela (dans le cahier de S.S.), mais je ne sais pas ce qu'il en fait... Tu pourrais le lui demander4...

(silence)

Tiens! (Mère frotte son œil gauche), c'était mieux et puis c'est redevenu rouge encore?

Non, je ne vois pas, douce Mère.

Ça brûle...

Oh! mais tu sais, dedans, c'est comme ça (geste de bataille). Tout à fait, tout à fait l’impression (et une impression très concrète) du Mensonge qui se débat contre la Vérité.

Et de temps en temps, une petite expérience de... trois, quelques secondes: absolument inimaginable, merveilleuse, et puis hop! plus rien... C'est un véritable champ de bataille.

Est-ce que nous suivons un peu ton expérience?... Ou qu'est-ce qu'il faudrait faire pour être mieux dans le mouvement?

(après un silence)

Mais j'ai eu pour toi (c'était la dernière fois que je t'ai vu), j'ai eu pour toi l’impression que tu suivais bien. J'ai l’impression (désignant Sujata) qu'elle suit aussi bien. Il y en a qui commencent à avoir des expériences. Il y en a qui en ont, mais qui ne le savent pas! (Mère rit) Ça a de l’effet. Je ne peux pas dire, ça a de l’effet.

La plus grosse difficulté, toujours, c'est le mental, parce qu’il veut comprendre à sa manière. C'est cela, la difficulté... Il y en a qui iraient beaucoup plus vite s'ils n'avaient pas cela. Ils ont l’impression que s'ils ne comprennent pas mentalement, ils n'ont pas compris.

Oui, ça, je comprends très-très bien!

Oui, oh! oui. Mais je crois que tu vas vite, j'ai l’impression que tu vas vite.

Mais la substance, c'est cela, comment... [la changer]?

Ah!... ça, même le corps ne... [sait pas]. Je te dis, c'est comme cela: de temps en temps, une fois, deux fois, trois fois par jour au plus, ou la nuit une fois: quelques secondes... (Mère ouvre des yeux émerveillés), et puis poff! parti.

Le corps ne s'inquiète pas, mais il y a la pression (des gens) du dehors: «Est-ce qu'il changera ou est-ce que tout ça sera... sera tout simplement du travail de préparation pour une autre existence?...» Il ne se le demande pas: les autres se le demandent. Et alors, il y a aussi la pression de toutes les pensées ordinaires, imbéciles...

Oh! oui.

Mais ça m'est égal, ça ne me gêne pas beaucoup. Je suis habituée. Ça ne gêne pas la conscience, mais ça donne quelquefois des difficultés.

N'est-ce pas, le corps n'a pas un temps très agréable, mais enfin il ne se plaint pas; mais quelquefois, tout d'un coup, il est émerveillé de voir comme... comme c'est miraculeusement arrangé pour lui. Et puis la minute d'après, il ne le sent plus. C'est ça, c'est surtout ça!

Ces inconvénients (Mère touche sa joue) semblent encore très réels, et pour quelques secondes, ils ne le sont plus – mais ils ne disparaissent pas (parce que ça ne dure pas assez longtemps, je suppose).

(silence)

Si l’on pouvait savoir exactement ce qui fait balancer d'un côté ou de l’autre...

Oui-oui-oui.

Il y a évidemment une tentative de le faire savoir au corps, et il se trouve tout d'un coup... en dehors de toutes les habitudes, de toutes les actions, réactions, conséquences, etc.; et là, c'est comme ça (Mère ouvre des yeux émerveillés), et puis ça disparaît.

C'est si nouveau pour la conscience matérielle que chaque fois, on se sent comme sur... on the verge, au bord du dérangement mental (dérangement de conscience – ce n'est pas du dérangement mental; le mental n'a rien à voir, heureusement! ça, c'est une aide merveilleuse qui m'a été donnée). Mais la conscience, la conscience a une minute d'affolement.

Parce que dès le début et tout le temps, il y a une espèce de bon sens qui est enraciné dans l’être et qui se refuse à l’imagination; qui dit: «Je ne veux pas m'imaginer ceci, je ne veux pas m'imaginer cela...» Et alors, la conscience ne prend les choses que quand elles sont tout à fait concrètes – n'est-ce pas, c'est trop facile de commencer à broder et à... Pas ça. Tout à fait pratique, concret.

Mais c'est un obstacle, ce sens pratique?

Ah! ce n'est pas un obstacle! pour moi, c'est une garantie.

Non, je vois trop clairement, trop de gens qui ont une petite expérience, et avec cette expérience (geste d'enrouler une pelote énorme), ils font toute une construction mentale, et alors... Tu sais quand le mental s'en mêle...

(silence)

Mais je me suis dit plusieurs fois que si, tout d'un coup, on donnait à une chenille, par évolution accélérée, des yeux d'homme...

Oui!

Ce serait affolant.

Oui, c'est cela.

Eh bien, toutes proportions gardées, ce doit être quelque chose d'un peu similaire.

Oui, c'est ça!... Justement, le corps a assez de bon sens pour... Il SAIT qu'il n'est pas malade – ça, il sait que ce n'est pas une maladie, que c'est justement une tentative de transformation, il le sait très bien... Et au point de vue psychologique, ça a de l’importance et ça aide beaucoup, mais... il y a tous les siècles d'habitudes.

(Mère entre en méditation)

l’atmosphère est très bonne... J'ai justement été comme cela (geste penché sur le disciple, pour savoir s'il «suivait le mouvement» j, c'était magnifique. Ton atmosphère est très bonne. C'est très bien. Et très paisible mentalement, presque complètement silencieux.

Très agréable!5 (Mère rit)

Oui, tu pourrais demander à S.S. (l’homme au cahier) qu'il te donne tout ce qui n'est pas absolument personnel. Il y en a qui sont tout à fait indifférentes, mais de temps en temps, il y aura une réponse intéressante.

Je vais lui demander.

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Le corps, la conscience du corps est en train de changer très rapidement. Et son attitude est tout à fait différente, il s'universalise bien; il n'a plus... (Mère touche ses mains pour indiquer la séparation du corps) ça devient de plus en plus mince et... irréel.6

23 mai 1970

(Le disciple remet à Mère sa pension. Puis Mère enchaîne.)

C'est la période des découvertes... partout!... C'est comme quelque chose qui a pressé jusqu'à ce que les choses ne puissent plus prétendre – il faut que tout se montre tel que c'est. Alors (riant), ce sont des découvertes!

Et naturellement, si l’on entend les deux côtés, c'est une histoire presque contradictoire, alors... la réalité, on ne sait pas où elle est.

Mais ce n'est pas seulement ici (à l’Ashram): c'est dans tout le pays. Et alors, on me raconte toutes les misères et on me demande d'intervenir (pas extérieurement naturellement).

C'est une bouillie...

(silence)

Tu as vu les derniers Aphorismes de Sri Aurobindo?... Il nous dit de perdre complètement notre sens moral!

(le disciple lit)

521 – Selon le profond apologue sémitique, nos ancêtres déchurent parce qu'ils avaient goûté du fruit de l’arbre du bien et du mal. S'ils avaient tout de suite goûté à l’arbre de la vie éternelle, ils auraient échappé aux conséquences imédiates; mais le dessein de Dieu dans l’humanité aurait été déjoué. Sa colère est notre avantage éternel.

Et du dis:

«Sri Aurobindo essaye de nous faire comprendre comment les limitations de notre vision nous empêchent de percevoir la Sagesse Divine.»

(Mère rit) Ça, je l’ai écrit hier.

Il y a des gens qui sérieusement cherchent où était le paradis terrestre! – Il y en a qui l’ont trouvé. Ils me l’ont dit, mais je ne me souviens plus où.

Théon, lui, disait que le serpent, c'était l’évolution.

(silence)

Tu n'as pas de questions?

Justement, j'ai vu R (l’architecte d'Auroville). Je l’ai vu deux fois.

Tiens! et qu'est-ce qu'il t'a dit?

C'est intéressant. D'abord je l’ai trouvé considérablement changé.

(Mère approuve)

C'est un autre homme. Et je l’ai trouvé près, pas loin. J'ai eu l’impression qu'il était tout près.

(Mère approuve de la tête)

Et il était prodigieusement intéressé par cette nouvelle conscience. Il disait: «Moi, je voudrais bien avoir l’expérience de cette nouvelle conscience, alors qu'est-ce qu'il faut faire?...» Il m'a dit: «Toutes les histoires spirituelles nous disent qu'il ne faut pas faire ceci, il ne faut pas faire cela, et puis il faut faire ceci, il faut faire des méditations et des...»

Non-non!

Alors j'ai essayé de lui expliquer que cette nouvelle conscience n'était pas comme cela justement.

Oui. Mais il ne m'en a pas parlé.

Ça le tourmente beaucoup: «Qu'est-ce qu'il faut faire pour avoir l’expérience de la nouvelle conscience?»

Il faut l’aider.

On a l’impression qu'il est tout à fait au bord de quelque chose.

Oui.

Comment faire pour avoir l’expérience de la nouvelle conscience?

Eh bien, tu pourras l’aider.

J'ai essayé de lui dire quelque chose; je ne sais pas si j'ai...

À moi, il ne demande rien.

Pourtant, il m'a dit: «Ah! je viens tous les matins voir Mère et c'est mon oxygène.»

Oui, on parle de ce qui se passe là-bas [à Auroville], et alors je lui dis (ma foi, très franchement) ce que je vois et ce que je comprends, ça oui... Mais je veux dire qu'il ne me parle pas de lui-même du tout.

Ça, il est tiraillé par la France, par ses attaches. Mais je te dis, je le sens sur le point de quelque chose.

Oh! oui, oh! oui.

Il faut qu'il tienne le coup encore quelque temps.

Tu peux l’aider beaucoup.

Ce que j'ai essayé de lui dire, c'est que cette nouvelle conscience, elle ne demande pas de l’athlétisme spirituel, des grandes concentrations et des méditations et de la tapasya [austérité], ou des vertus particulières...

Non.

Elle demande simplement la confiance en autre chose, une espèce de confiance un peu enfantine, et un besoin d'autre chose.

Oui, c'est ça.

Il avait surtout peur que ce soit encore une «affaire de discipline spirituelle».

Non-non-non! Il n'en est pas question.

Mais les gens tombent toujours là-dedans! même à Auroville, là: méditation! Et je ne peux pas décemment leur dire: ça ne sert à rien! (Mère rit)

Il a été touché par ce que j'ai dit et rassuré. Seulement, il ne sait pas comment faire.

Mais tu peux lui dire des choses qui l’aideront.1

C'est très bon signe qu'il t'ait demandé de le voir.

(long silence)

Tu n'as rien à demander?

Ce serait intéressant que tu leur dises comment on peut faire pratiquement pour avoir l’expérience de la nouvelle conscience?

Mais c'est cela qui est tellement extraordinaire! toutes les autres réalisations, j'ai travaillé, j'ai suivi des disciplines... Ça, c'est venu comme ça (geste de descente soudaine), sans que je dise rien, sans que je cherche rien, sans un effort, sans...

Seulement après, j'ai fait attention. Voilà tout.

Qu'est-ce que je peux leur dire?

Ça se traduit par une direction plus précise dans les actions ou dans ce qu'il faut faire ou...?

Non... Ce que j'ai remarqué, c'est que la vision, la réaction (c'est-à-dire la manière de voir, la manière de comprendre surtout), c'était totalement différent. Encore maintenant, jour après jour, toutes les vieilles choses de mon corps: tout fini. Mais alors, je vois, par exemple, quand je lis des choses de Sri Aurobindo, je les comprends d'une tout autre manière; alors je me dis qu'au fond, Sri Aurobindo aussi était en rapport avec cette conscience (!)... Mais la différence, c'est qu'elle est très pratique. Par exemple, quand le gouvernement (ou Indira ou N.S.) m'envoie dire: «Voilà, il y a ça et ça et ça, qu'est-ce qu'il faut faire?» Avant, j'aurais dit: «Je n'en sais rien.» Mais maintenant, je vois clairement, je leur dis: «C'est ça et ça et ça, voilà.» Et je n'y ai pas pensé une minute: c'est cette Conscience-là qui voit.

Seulement, ça, je ne peux pas le donner comme une indication parce que je ne crois pas que ce soit pour tout le monde la même chose.

Il faut être décanté avant, évidemment.

Oui.

Autrement on risque de prendre ses...

C'est très dangereux, je ne le dis jamais aux gens. Ils peuvent prendre toutes leurs impulsions pour des révélations.

(silence)

La confiance est probablement une grande clef, non?

Mais moi, tout le travail se fait dans le corps, et le corps, il est... Du matin au soir, du soir au matin, c'est l’appel constant... Tout-tout est rapporté au Divin tout le temps, tout le temps, constamment... tout: les choses les plus microscopiques.

(silence)

Et ça, je ne peux pas le dire ou le demander à qui que ce soit, parce que... tous ces gens, comme R, par exemple, je leur dis «le Divin» – c'est pour eux un zéro, ça ne correspond à rien!

Moi, je leur dis «l’autre chose.»

C'est beaucoup mieux. C'est pour cela, je te dis, que tu peux l’aider beaucoup plus que moi (!)

Oh! [rires]... Eh bien, tu l’as bien transformé en tout cas...

(Mère rit)

Moi aussi!2

(long silence)

Douce Mère, j'ai l’impression que je devrais assez prochainement me mettre à un autre livre...

Ah!

...qui serait...

La continuation.

Oui, la continuation, le «next step», la prochaine étape.3

(Mère approuve de la tête)

Une approche toute différente.

(silence)

Le pays semble s'en aller en morceaux, alors on m'a demandé là-bas (à Delhi) ce qu'il fallait faire. J'ai dit que ce Centenaire [de Sri Aurobindo] est venu exprès. C'est certainement une chose qui arrive maintenant parce que le seul salut du pays, la seule chose qui puisse l’unifier, c'est justement qu'il adopte l’idéal de Sri Aurobindo pour le pays – il avait un plan, il voyait très clairement comment le pays devait être organisé, il me l’a dit; c'est là, si on lit ses livres très sérieusement, on le voit. Alors j'ai dit qu'il fallait organiser les choses de façon à ce que, dans l’Inde entière, il y ait des groupes d'étude, des bibliothèques, des conférences, n'importe, pour que le pays tout entier connaisse la pensée et la volonté de Sri Aurobindo. Et le Centenaire est une occasion excellente. Ils m'ont demandé: «Que faire pour sortir de ce chaos?...» Sur mon conseil, Indira essayait de s'entourer de gens de valeur (elle m'a fait dire qu'elle avait oublié les questions de parti et qu'elle voulait s'entourer de gens de capacité...). La difficulté est de trouver des gens intègres. Alors il faut les éduquer – ils n'ont même pas l’IDÉE comment on peut être! Alors, j'ai dit: «Il faut organiser ce Centenaire dès maintenant, tout de suite, comme une chose qui couvrirait le pays, à l’occasion du Centenaire...» Et dans ce qu'il a écrit, ils trouveront tout ce qu'il leur faut pour organiser le pays, et beaucoup mieux, je leur dis: c'est infiniment mieux que ce que je peux dire parce que, lui, il connaissait le pays infiniment mieux que moi et la formation mentale et tout.

Les hommes ont besoin d'occasions pour faire les choses. Mais ça semble avoir été préparé merveilleusement exprès.4

(long silence)

C'est tout?

Est-ce que pour écrire ce nouveau livre, il ne serait pas bon que je relise tout ton Agenda?

À moi?

Oui.

Qu'est-ce qu'il y a dedans?!

(Rires)... Tout le processus.

(Mère rit) Tu peux le relire si tu veux!

(silence)

Jour après jour, presque heure après heure, le corps s'aperçoit de son ignorance, de son imbécillité, de... tout le temps. Et c'est vu d'une façon tout à fait différente, en dehors de tout sens moral et naturellement de toutes les idées préconçues – ça, on a fait le balayage, oh! tu ne peux pas t'imaginer à quel point mon corps est reconnaissant qu'on lui ait enlevé le mental, oh!... Et il s'est formé un mental à lui, qui ne fonctionne pas du tout à la manière ordinaire, mais alors qui est une espèce de vision, et une vision avec... avec des yeux de là-haut. Et... (riant) ce serait effroyable mais c'est tellement comique! (Mère rit beaucoup)

La seule chose, c'est que tout, à chaque seconde... (Mère ouvre ses mains en geste d'offrande, avec un sourire béatifique) ce qui se sent encore séparé, oh! se précipite et... a une aspiration à être un petit peu plastique.

(silence)

Ici, il est en train d'apprendre que... N'est-ce pas, toute la vie est organisée sur cette vieille habitude de l’opposition entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui fait du bien et ce qui fait du mal, et ça, c'est balayé complètement, et alors il est en train d'apprendre... Par exemple, une petite sensation qui vient (c'est constant, n'est-ce pas, je suis obligée de prendre une chose parmi des centaines pour l’exprimer), mais c'est comme cela: comment la sensation peut devenir vraie? Et c'est vraiment intéressant.

Seulement, c'est inexprimable; dès que ça se met en mots, ça prend des proportions énormes.

La nature du corps n'est pas littéraire, elle n'aime pas les phrases, et dès que quelque chose veut être dit, oh! ça lui paraît... des mots.

Tu peux me dire l’heure? Onze heures moins cinq.

Nous avons le temps. Tu veux qu'on reste sans rien dire?

(méditation)

Ça peut durer indéfiniment!

27 mai 1970

Je crois que c'est la pression de cette Conscience, mais il y a des tas de gens qui se disputent entre eux dans les Services et particulièrement à l’Imprimerie. Alors j'ai écrit quelque chose:

(Mère tend une note)

«Vous avez l’air d'oublier que, par le fait que vous vivez à l’Ashram, ce n'est ni pour vous-mêmes ni pour un patron que vous travaillez, c'est pour le Divin. Votre vie doit être une consécration à l’Œuvre divine et ne peut être gouvernée par de petites considérations humaines.»

Tu veux le publier ou l’afficher?

C'est peut-être un peu trop public...

Ce que l’on pourrait faire... C'est surtout à l’Imprimerie que c'est comme cela, alors ce serait amusant de leur donner (riant), de leur dire de l’imprimer sur une petite carte!

(silence)

À part cela, je n'ai rien... Des «rêves» – pas des rêves: les activités de la nuit sont devenues très claires, très intéressantes, mais quelquefois c'est un rêve symbolique. Et c'est tellement concret et réel... Je n'ai jamais eu de rêves comme cela avant. Très instructif.

Mais alors, un phénomène. C'est un monde (ce monde symbolique) où il n'y a pas de distinction entre les vivants et les morts. Je veux dire qu'il n'y a même pas de distinction perceptible; par exemple, cette nuit, j'ai eu une activité; eh bien, il y avait Amrita et il y avait plusieurs autres personnes vivantes, et Amrita était comme les autres... excepté qu'il était un peu... (geste fatigué ou indolent), mais ce devait être dans sa nature: pas envie d'intervenir.

C'était une traduction symbolique de l’activité concernant l’argent, et alors, au lieu d'être de l’argent, c'était de la nourriture, mais c'était clairement l’activité pour l’argent: les différentes attitudes des gens et la réception, l’utilisation, etc., avec des précisions tout à fait intéressantes (mais intéressantes au point de vue de l’action, n'est-ce pas, de ce qui est fait, comment c'est fait).

C'est dans le physique subtil, cet endroit où les vivants et les morts sont ensemble?

Oui.

Mais est-ce dans le sens d'une matérialisation du physique subtil que doivent se dérouler les choses?

Non. Ça ne peut pas se matérialiser, ce serait impossible!... Je crois que c'est un moyen d'action, c'est-à-dire que ça répond plus clairement et plus fortement à la volonté. Ça paraît plus réceptif. C'est plus souple, c'est plus expressif aussi. Mais matérialisé, ce serait un pur chaos en apparence.

Ça me paraît être le lieu symbolique de la vie physique. Par exemple, dans un petit espace, on peut faire une action très étendue qui atteigne très loin... Il y avait comme cela, comme dans des chambres contiguës, des gens qui habitent très loin, au Nord de l’Inde ou dans un autre pays ou... Ils étaient dans des chambres différentes seulement, mais moi, je pouvais passer de l’une à l’autre; alors ça a l’air d'une... (Mère fait un geste exprimant une concentration ou un champ restreint). Ça n'a pas la même réalité concrète, c'est symbolique.

Par exemple, l’argent était symbolisé par une certaine nourriture (en fait c'étaient des asperges! mais pas des asperges comme nous les avons ici: c'étaient de grandes asperges comme cela: environ 50cm), et alors, on pouvait disposer, recevoir, arranger, comme si l’on arrangeait de la nourriture, et on ne la mettait pas à la bouche (c'est symbolique).

Mais alors, ce qui se matérialiserait, ce n'est pas ce monde-là, mais c'est la conscience propre à ce monde, l’état de conscience?

Peut-être, oui... Ce qui essaye de se produire, c'est une influence plus forte et plus directe sur les circonstances purement matérielles... Oui, c'est cela: agir sur ce physique subtil a un effet selon les lois du monde matériel dans le monde matériel.

N'est-ce pas, au milieu de beaucoup d'autres choses (ça a duré longtemps et c'était une chose très complexe), mais comme un exemple au milieu d'autres choses, il s'agissait des conséquences, même présentes, de certaines choses que Amrita a faites quand il était là et qu'il maniait l’argent. Mais je lui parlais et j'arrangeais les choses avec lui comme s'il était présent, pas comme s'il était parti.

(long silence)

Tu n'as rien à demander?

J'étais en train de me demander quelque chose. l’autre jour, je te demandais comment accéder à ce physique subtil? Mais d'après ce que tu dis maintenant, est-ce que l’on accède à ce monde, en quelque sorte, par des activités de travail?... C'est un monde de travail?1

Celui-LÀ, oui... Il faudrait que je voie plusieurs choses différentes pour pouvoir faire une règle, et je ne sais pas. Cette nuit, c'était comme cela, c'est tout ce que je peux dire.

Peut-être dans quelque temps pourrai-je dire, mais il faut que je puisse faire des rapprochements entre différentes choses.

(silence)

Tu comprends, ce sont de toutes petites choses, et c'est amusant comme symbolisme. Par exemple, cette nourriture qui ressemblait à des asperges mais qui n'était pas des asperges, elle venait en grande quantité, et je la distribuais, mais, jamais, je ne mangeais rien; jamais, je ne mangeais: je donnais aux autres. Eux, mangeaient: ceux qui dépensaient, qui utilisaient l’argent et qui considéraient que cet argent leur appartenait, ils mangeaient... Et alors, il y avait des choses qui n'étaient pas très agréables, et il y en avait qui étaient... qui avaient l’air succulentes!2 (Mère rit)

(long silence)

Rien? Qu'est-ce que tu as?

Il y a une chose pratique. Dans un Agenda d'il y a quelque temps [du 3 janvier], tu as parlé du Surmental et du Supramental, et j'ai l’impression qu'une ou deux fois, tu as employé un mot pour l’autre. Mais je voudrais bien en être sûr... [le disciple sort le texte] Au début, tu parles d'un nouveau genre de perception qui combine à la fois tous les organes: une sorte de perception totale qui combine l’ouïe, la vue, etc. Et alors tu dis:

«Tout cela, c'est certainement la conscience de ce que Sri Aurobindo avait appelé... [alors ici, tu as dit le "Surmental", mais je crois que c'est le Supramental]... le Supramental, l’être qui suivra l’homme...

Oui, c'est «Supramental».

«...Comment il sera? Je n'ai pas encore vu... J'ai bien vu, j'ai eu des perceptions du surhomme, de l’être intermédiaire, mais on sent très bien que ce n'est qu'un être intermédiaire. Ce que sera cet être-là, qui suivra le surhomme?... Je ne sais pas...

J'ai eu, depuis, une vision où j'avais vu mon propre corps.3

Mais ton propre corps, c'était ton corps supramental ou surhumain?

Ah! non, ce n'était pas surhumain.

C'était supramental?

Oui, ce n'était pas surhumain du tout... Et je ne vois pas le moyen que ça (Mère pince la peau de ses mains) se change en Ça. Il doit y avoir quelque chose entre les deux. C'est-à-dire que matériellement, je ne vois pas comment ça (Mère désigne son corps), ça peut devenir ce que j'ai vu.

Mais j'avais vu deux choses cette même nuit?

Oui, tu tuais quelqu'un.

Ah! oui... qui ne mourait pas d'ailleurs! (Mère rit)

C'était pour montrer le Mensonge de l’illusion de la mort. Et c'était aussi par-delà toutes les questions de sexe.

Oui.

Alors tu continues [le disciple reprend le texte]: il y a une ambiguïté qui continue:

«Ce que sera cet être-là, qui suivra le surhomme?... Je ne sais pas. Parce que nous sommes encore beaucoup trop humains; quand nous voyons une forme à la Conscience Suprême, l’Être Suprême, etc. – le Suprême –, nous avons tendance à lui donner une forme similaire à la forme humaine, mais c'est notre vieille habitude... J'avais vu cet être...

Alors, ici, est-ce que tu parles de l’être supramental ou bien de l’être intermédiaire entre l’homme et le supramental?... Tu dis:

«J'avais vu cet être – je l’ai vu il y a bien des années –, c'était évidemment une forme beaucoup plus harmonieuse et expressive que la forme humaine...

Ah! ça, je ne sais pas ce que c'était parce que c'était avant: avant de connaître Sri Aurobindo. Je l’avais vu... je crois que c'est à Tlemcen que je l’avais vu. Alors je n'avais pas l’idée de surhomme et de supramental ni de tout cela, je n'employais pas ces mots. Alors je ne sais pas... Il faudrait mettre quelque chose de vague.

l’être intermédiaire?

Je ne sais pas.

l’être prochain ou futur?

Oui: «cet être futur.»

«J'avais vu cet être futur il y a bien des années; c'était évidemment une forme beaucoup plus harmonieuse et expressive que la forme humaine, mais ça ressemblait, c'était encore une forme humaine, c'est-à-dire une tête et des bras et des jambes, etc. Est-ce que ce sera ça? Je ne sais pas. Il y aura ça comme intermédiaire, forcément. Il y a eu toutes ces sortes de singes qui ont servi d'intermédiaires entre l’animal et l’homme... Mais la légèreté, l’invulnérabilité, le déplacement à volonté, la luminosité à volonté, tout cela est entendu...

Tu veux dire que cela fait partie du supramental?

Oui, oui.

«Et aussi le revêtement à volonté: ce n'est pas une forme étrangère ajoutée, c'est la substance qui prend certaines formes.»

Ah! oui, ça, c'est très important, parce que ça, positivement, je l’ai vu. C'est la substance elle-même qui prend tantôt la forme d'un vêtement, tantôt... (geste mouvant)

(silence)

La différence entre l’homme et le surhomme sera plus une différence de conscience qu'une différence matérielle probablement?

(après un silence)

Au point de vue de la forme, cela paraît être comme cela, mais est-ce à cause de notre impuissance? C'est à savoir.

Il y a évidemment le précédent du singe et de l’homme, mais s'il y a la même différence entre cet être-là et l’homme, qu'entre l’homme et le singe...

Ce serait déjà pas mal!

C'est beaucoup! C'est beaucoup.

Mais on peut concevoir qu'une conscience supérieure «esthétise», harmonise cette substance matérielle...

Oui.

Mais c'est le pas d'après qui est plus incompréhensible.

Oui.

N'est-ce pas, c'est le fonctionnement des organes et la nécessité des organes, c'est cela qui ferait une grande différence. Un être qui n'aurait pas besoin de poumons, qui n'aurait pas besoin de cœur... cela ferait une différence formidable!

Oui, ça ne semble être possible que comme une matérialisation plutôt que comme une évolution.

(Mère hoche la tête)

Je ne sais rien du tout.

La seule chose assez imédiatement concevable, c'est qu'un être humain se nourrisse d'air pur, comme il y a des êtres qui se nourrissent d'eau (qui vivent dans l’eau et se nourrissent d'eau). Ça, on peut concevoir que des êtres humains se nourrissent d'air pur. Il y a des yogis qui le faisaient.

Il y a des êtres qui se nourrissent d'eau seulement?

Je veux dire des êtres qui vivent dans l’eau.

Oui, ils vivent dans l’eau, mais ils se nourrissent.

Simplement du plancton: des petites particules qui sont dans l’eau... Il y a des yogis, dit-on, qui peuvent se nourrir d'air pur. Les textes anciens parlent de cette nourriture de l’air.

Ce serait bien commode!

Mais leur apparence ne peut pas être la même.

En tout cas, ça éliminerait déjà beaucoup de problèmes... Et ça, c'est très concevable.

Qu'est-ce qui formerait ça, alors (Mère désigne la substance du corps), la première formation?... On peut imaginer que l’usure soit supprimée et que ça puisse continuer indéfiniment avec un renouvellement de vitalité, on le conçoit très bien, mais la première formation?

Oui, la matière, la substance.

Eh bien, oui!

(long silence)

Je ne sais pas au point de vue purement scientifique comment se forme l’enfant dans la mère?... Dans notre système, la nourriture est presque dématérialisée pour être utilisée, et alors, pour la formation de l’enfant, c'est la même chose?

Oui, c'est la même nourriture qui sert à l’enfant.

Oui, mais sous la même forme dématérialisée?

Sous la même forme.

C'est le sang qui transmet?

C'est par le sang, il est nourri par le sang de la mère. En fait, le cordon ombilical est le lien de transfusion des nourritures.

Ah! ça, sûrement!... Par conséquent, ce procédé de «devenir matériel» et de «cesser d'être matériel» est inutile... Ce qui nourrit, si on pouvait le recevoir directement?...

Oui-oui.

Mais qu'est-ce que c'est? Au point de vue purement scientifique, au point de vue chimique?

Ce sont des molécules et des atomes. Différents arrangements de molécules et d’atomes.4

Mais qui ne nous paraissent pas matériels?

Ils sont matériels en ce sens qu'ils sont observables.

Ils sont observables.

Oui, ils en ont fait le compte.

(après un silence)

C'est-à-dire que, pour le moment, la production de ces atomes doit passer par le processus de matérialisation pour devenir matérielle,5 et puis... (se dématérialiser à nouveau pour devenir assimilable)... N'est-ce pas, la matière dense est une apparence. Alors? C'est cela que je ne comprends pas, il y a quelque chose que je ne comprends pas au point de vue purement scientifique.

Oui, si tu absorbes, je ne sais pas, une carotte ou une pomme de terre, il y a un gros élément de déchet inutile et puis il y a l’essence de la chose.

Oui, par conséquent si l’on absorbait directement l’essence, il n'y aurait plus de déchets et il n'y aurait pas besoin de dématérialiser et de rematérialiser... C'est-à-dire que même maintenant, on a trouvé les vitamines, c'est une forme presque... (comment dire?)

Concentrée.

Concentrée – mais ce que nous appelons «concentré», c'est quelque chose qui est de plus en plus matériel, tandis que ça, ce n'est pas matériel... N'est-ce pas, on vous dit: vous êtes obligés de manger de la nourriture solide à cause de la façon dont vous êtes construits; retournez le problème: si vous ne mangez pas de nourriture solide, cette construction serait inutile! (rires) Et alors, il n'y aurait plus besoin d'estomac, de ceci, de cela... Qu'est-ce qui pourrait remplacer ça?

Il faudrait que l’on puisse absorber directement les énergies vitales.

Oui, c'est ça.

Non matérielles: vitales.

Mais c'est une chose que l’on est en train de trouver, parce que l’on peut se nourrir de vitamines et de choses comme cela.

Oui, mais les vitamines, c'est encore un processus matériel, douce Mère. Il est très réduit, mais il repose encore sur une chose matérielle.

Oui, mais ce peut être l’intermédiaire.

Ah! ce peut être l’intermédiaire. Mais l’autre chose serait vraiment un autre degré d'énergie – absorber un autre degré d'énergie –, oui, comme tu faisais autrefois, par exemple, en sentant l’odeur des fleurs, ou comme Madame Théon faisait quand elle se mettait sur la poitrine un... je ne sais plus quel fruit.

Un pamplemousse!... Ça, je l’ai vu, c'était extraordinaire! elle mettait le fruit sur sa poitrine et... desséché! Elle le mettait simplement là et... Elle le gardait plusieurs heures, et puis quand elle l’enlevait, c'était tout flapi, il n'y avait plus rien!

Mais ça, je me suis plusieurs fois dit qu'il devrait t'être possible, à toi, de te nourrir d'air.

Ah! non, l’air est dégoûtant! il est plein de la respiration de tout le monde. C'est cela, la chose, c'est qu'il est dégoûtant. Il faut... autre chose.

Parce que j'ai eu l’expérience que si je vais sur la montagne, je n'ai pour ainsi dire pas besoin de manger. Et je sens l’air me nourrir – mais LÀ, pas ici. Ici, c'est dégoûtant.

Alors ça complique.

On pourrait concevoir que l’on aurait des «ballons de nourriture»! (rires)

Des bols d'air!

Ou alors, comme intermédiaire, un système purificateur de l’air: au lieu de poumons, quelque chose qui purifie l’air, comme on purifie la nourriture.

Ah! quelle heure est-il?

30 mai 1970

(Mère a l’air absorbée.)

Je ne me souvenais plus du tout de ce livre (Pensées et Aphorismes). Tu as vu les derniers?

(le disciple lit)

525 – La compassion sans distinction est le plus noble don du caractère; ne pas faire même le moindre mal à une seule chose vivante est la plus haute de toutes les vertus humaines; mais Dieu ne pratique ni l’une ni l’autre. l’homme est-il donc plus noble et meilleur que le Tout-Aimant?

527 – La pitié humaine est née de l’ignorance et de la faiblesse, elle est l’esclave des impressions émotives. La compassion divine comprend, discerne et sauve.

Tu réponds:

«Comprendre l’intention divine et travailler à son accomplissement, n'est-ce point le plus sûr moyen d'aider l’humanité?»

Je me demande toujours quand il a écrit cela...

Il paraît que c'est au début.

Il était encore... (geste entre deux mondes).

Il avait dit quelque part à Pavitra qu'il avait changé quatre fois de conception de l’univers.1

Tu as changé aussi depuis?

Oui, et il a changé.

Tu veux dire que «là-haut», il a changé aussi?

(Mère rit long silence)

Tu as vu ça? (Mère donne le texte imprimé de sa note sur les querelles de l’Ashram.) C'était spécialement pour les gens de l’Imprimerie; alors je leur ai donné ça à imprimer, j'ai trouvé que c'était amusant!... Mais naturellement, chacun a pris ça pour le voisin, pas pour lui!

Tu as quelque chose?

Pour comprendre «l’intention divine», dont tu parles là, on a l’impression que quand on se branche là-haut pour essayer de comprendre, on rencontre presque toujours une sorte de neutralité immuable?

(Mère entre en contemplation)

(De la tête, Mère demande au disciple s'il a quelque chose. De la tête, le disciple demande à Mère si elle a quelque chose. Rires.)

(Mère replonge)

Rien à dire? Rien à demander? Rien à lire?...

Est-ce qu'on avance?

(Mère replonge)

It can go on indefinitely... It is like that, the feeling of being in a current of force that goes and spreads, goes and spreads... (geste continu de descente sur Mère puis de rayonnement à partir de la tête)... indefinitely. [C'est comme cela: l’impression d'être dans un courant de force qui va et se répand, va et se répand... indéfiniment.]

(Mère replonge)

Quelle heure est-il?

Onze heures moins cinq, douce Mère.

Si ça ne t'ennuie pas d'être comme cela...

Oh! écoute! Ça fait beaucoup de bien!

Bon, alors...

(Mère replonge)

juin




3 juin 1970

Hier, nous avons commencé un travail pour Auroville, c'est-à-dire que l’on veut donner aux gens d'«Aspiration», au fond simplement l’idée de ce que veulent les Auroviliens: pourquoi ils sont ici et ce qu'ils veulent. Parce qu'il paraît que... au fond, ils n'en savent rien. Chacun est venu dans l’attente de quelque chose, mais tout cela n'est pas coordonné et n'est pas clair. Alors R m'a demandé d'exprimer clairement les choses importantes. Je me suis dit qu'il valait mieux le faire avec les gens pour savoir ce que, eux, veulent, et pour leur faire faire un effort pour trouver. Autrement... Alors nous avons commencé hier (Mère sort un papier).

Hier, j'ai demandé à C:1 «Mais pourquoi est-on à Auroville? Pourquoi Auroville va-t-il être créé?» Alors il m'a donné le premier paragraphe:

POUR ÊTRE UN VRAI AUROVILIEN

1) La volonté de se consacrer entièrement au Divin.

C'est ce que, lui, a dit. J'ai trouvé cela bien.

Après avoir écouté intérieurement, j'ai ajouté cela:

2) l’Aurovilien ne veut pas être l’esclave de ses désirs.

l’idée est celle-ci: «Nous venons à Auroville pour échapper aux règles sociales et morales qui sont pratiquées artificiellement partout, mais ce n'est pas pour vivre dans la licence de la satisfaction de tous les désirs: c'est pour s'élever au-dessus des désirs dans une conscience plus vraie.» Quelque chose comme cela... Il paraît qu'ils en ont grand besoin! (Mère rit) Alors il faudrait ajouter cela.

On pourrait faire tout un programme, ce serait assez intéressant.

Oui, mais dans l’ordre pratique, tant que les gens ne seront pas passés un peu derrière les apparences, tant qu'ils vivront à la surface d'eux-mêmes, rien ne voudra rien dire.

Mais c'est justement tout cela qu'il faut dire!

Alors, la première nécessité est d'aller au fond d'eux-mêmes, un peu. Parce que même si tu leur dis «le Divin», qu'est-ce que cela veut dire dans leur conscience de surface?

Oui... Pour lui, pour ce garçon-là, ça a un sens, mais pour la plupart des autres...

Oui, ça n'a aucun sens.

Alors il faudrait mettre: «La première condition est la découverte intérieure...»

Dans l’ordre idéal, la première condition est d'avoir besoin d'autre chose que des conditions terrestres et humaines actuelles.

Ça, c'est entendu.

Et puis, pour arriver là, la première condition est de descendre au fond de soi-même pour savoir ce qu'on EST derrière toutes ces apparences héréditaires, sociales, culturelles, etc. – ce qu'on est vraiment. Alors, à partir de ce moment-là, les choses prennent un sens, mais avant, elles n'ont pas de sens. Avant, elles ont le sens qu'on leur donne dans la morale, dans la religion, dans la philosophie – ça n'a pas de sens.

Alors, nous mettons (Mère écrit): première condition essentielle...

C'est plus qu'une condition: c'est une nécessité.

1) La première nécessité est la découverte intérieure pour savoir ce que l’on est vraiment derrière les apparences sociales, morales, culturelles...

Raciales?

Oh! oui.

...raciales, héréditaires.

Mais alors, il faut leur dire qu'IL Y A une découverte à faire, parce que beaucoup ne le savent pas du tout! (Mère écrit)

Au centre, il y a un être libre, vaste, connaissant, qui s'offre à notre découverte et qui doit devenir le centre agissant de notre être et de notre vie à Auroville.

Alors, après, est-ce que l’on met ça (Mère désigne l’ancien paragraphe 1 sur la consécration au Divin), ou bien on met autre chose?... Il me semble que ça, c'est plutôt un accomplissement, quelque chose qui vient à la fin.

(long silence)

Il faudrait leur apprendre aussi à se libérer de l’idée de possession personnelle... N'est-ce pas, tout appartient au Divin, et le Divin, en même temps qu'il donne un centre (le centre de l’individualité), il lui donne la possibilité de l’usage personnel d'un certain nombre de choses; mais il faut les prendre toutes comme cela, comme des choses qui sont prêtées par le Divin. Le Divin est éternel, n'est-ce pas, il est everlasting, dirait-on en anglais, et en même temps qu'il crée ce centre individuel, il y a un certain nombre de choses qui seront à la disposition pour Son travail, et alors ce sont des choses prêtées. C'est un fait tout à fait exact: vous en avez la possession pendant un certain temps.

C'est pour déraciner ce sens de la possession personnelle.

(silence)

Ce serait intéressant: «La description du citoyen de la cité de demain.»

Il y a le paragraphe 2 sur les désirs, et le 3 serait sur la possession personnelle.

Le seul moyen vrai de guérir les désirs, c'est le don de soi au Divin et accepter ce qu'il vous donne comme les seules choses nécessaires. Mais ça, c'est déjà très avancé.

Au début, tu as dit que les Auroviliens étaient venus «pour échapper à toutes les conventions morales, etc., mais que ce n'est pas pour donner libre cours à la licence...»

Oui, c'est cela. (Mère écrit)

2) On vit à Auroville pour être libre des conventions morales et sociales; mais cette liberté ne doit pas être un nouvel esclavage à l’ego, à ses désirs et à ses ambitions.

C'est tout? Ça suffit pour aujourd'hui!

Si tu veux rattacher ça à l’autre paragraphe, on peut dire quelque chose comme cela: le désir est le plus puissant déformateur de la découverte intérieure?

Ah! oui. (Mère écrit)

l’accomplissement du désir barre la route à la découverte intérieure, qui ne peut s'accomplir que dans la paix du parfait désintéressement.

Il y a un mot qui me vient, douce Mère: pas seulement la paix, mais la transparence.

Oui (Mère écrit):

...dans la paix et la transparence du parfait désintéressement.

Ça va devenir quelque chose d'intéressant!

Ça, c'est la base. Et il y a le troisième paragraphe. Tu avais dit: «l’Aurovilien doit se libérer de Vidée de la possession personnelle.»

Mais ce n'est pas l’«idée»! C'est le «sens»! (Mère écrit)

3) l’Aurovilien doit se libérer du sens de la possession personnelle.

Pour notre passage dans le monde matériel, ce qui est indispensable à notre vie et à notre action est mis à notre disposition...

Tu ne dis pas par qui?

(Mère rit) Non!... Par le Tout-Possédant!

...suivant la place que nous devons occuper.

Douce Mère, j'aurais envie de rajouter: plus nous sommes en contact avec notre être intérieur, plus les moyens exacts nous sont donnés.

Ah! c'est bien (Mère écrit):

Plus nous sommes CONSCIEMMENT en rapport avec notre être intérieur, plus les moyens exacts nous sont donnés.

Ça va devenir intéressant!

Ça leur donne la base.

Oh! mais on pourra faire quelque chose d'intéressant!


(Peu après, Mère se met en quête de ses anciens cahiers de «Savitri» au milieu d'un invraisemblable amoncellement de boîtes, de papiers, d'objets...)

Quand j'étais enfant (environ douze ans), je ne savais rien des choses spirituelles, ma famille vivait dans une atmosphère tout à fait matérialiste; mais une fois, j'ai vu quelque chose en rêve: un être qui venait à moi, une femme, et qui me disait: «Tu auras toujours tout ce qu'il te faut en abondance.» C'était la Nature, la Nature matérielle, le même être que j'ai toujours vu après. Et c'est vrai, c'est tout à fait vrai! (Mère montre en riant le fouillis autour d'elle). Plus tard, quand j'ai vu Théon, il m'a expliqué; mais à ce moment-là je ne savais rien du tout; ce n'était pas une fabrication de ma pensée, c'est venu comme cela sans que je sache rien: «Tu auras toujours tout ce qu'il te faut en abondance.» (Mère rit) C'est vrai!

6 juin 1970

(Le disciple lit à Mère une lettre qu'il a reçue de F, une disciple de l’entourage de Mère, qui a beaucoup cherché à s'immiscer dans ces entrevues, notamment sous le prétexte de traduire «Savitri». Les manœuvres autour commençaient à se faire sentir.)

Cela changerait tout te caractère de nos rencontres... Tu ne crois pas?

Moi, je n'y tenais pas. (Mère semble soulagée)

Je crois que c'est mieux qu'elle ne vienne pas.


Est-ce qu'il ne serait pas bon que tu fasses le reste du «Programme d'Auroville» avec les gens d'Auroville, puisque tu avais commencé à le faire?...

Je les ai fait parler pour voir ce qu'ils me diraient...

Ils sont presque tous terriblement paresseux, et alors je voudrais leur dire que le travail manuel...

(Mère écrit)

4) Le travail, même manuel, est une chose indispensable à la découverte intérieure. Si l’on ne travaille pas, si l’on ne met pas sa conscience dans la matière, celle-ci ne se développera jamais. Laisser la conscience organiser un peu de matière à travers son corps est très bon. Mettre de l’ordre autour de soi, aide à mettre de l’ordre en soi.

Une autre chose aussi:

On doit organiser sa vie non pas selon des règles extérieures et artificielles, mais selon une conscience organisée intérieure, parce que si on laisse la vie sans lui imposer le contrôle de la conscience supérieure, elle devient flottante et inexpressive. C'est gaspiller son temps, dans ce sens que la matière reste sans utilisation consciente.


Tu as vu l’Aphorisme?

(le disciple lit)

535 – Le rejet du mensonge par le mental en quête de la vérité absolue est l’une des causes principales de son incapacité à atteindre à la vérité stable, ronde et parfaite; l’effort du mental divin n'est pas d'échapper au mensonge, mais de saisir la vérité qui s'est masquée derrière l’erreur, même la plus grotesque et la plus divagante.

[Mère commente:] Sri Aurobindo appelle «mental divin» le prototype de la fonction mentale qui est totalement et parfaitement soumis au Divin et qui ne fonctionne que sous l’inspiration divine.

Si un être humain n'existe plus que par et pour le Divin, son mental devient nécessairement un mental divin.


(Puis Mère passe à la lecture de «Savitri»: la fin du Dialogue avec la Mort.)

C'est un discours de ce monsieur?

Oui [riant], oui, c'est la fin.

La fin de son discours?

Il faudrait que l’un de nous deux écrive... Si c'est plus commode que j'écrive, j'écrirai.

C'est toujours mieux d'avoir ton écriture! Mais si cela te fatigue, c'est très facile de noter.

Oh! «fatigue», pas! C'est simplement que ce n'est plus bien. Ce n'est plus ce que ça devrait être – fatigue, ça ne me fatigue pas. Alors nous mettons:

Si tu es Esprit et que la Nature soit ta robe,
Rejette ton vêtement et sois ton être nu.
Immuable en sa vérité immortelle,
Seule à jamais dans le Seul muet.
Tourne-toi donc vers Dieu; pour lui laisse tout derrière;
Oubliant l’Amour, oubliant Satyavan,
Annule-toi dans sa paix immobile.
ô âme, noie-toi dans sa béatitude immuable.
Car tu dois mourir à toi-même...

Ça, c'est sûr! Tu dois mourir à toi-même pour atteindre... «À la suprématie divine»?...

«Pour atteindre les hauteurs divines»?

Non, il faut mettre «Dieu» dans la bouche de la Mort.

Car tu dois mourir à toi-même pour atteindre le sommet de Dieu:
Moi, la Mort, je suis...

...le bonheur?

Moi, la Mort, je suis la porte de l’immortalité.

Savitri, X.IV.647

Il est clever [habile]

Chaque fois qu'on le relit, c'est nouveau.

Mais ça, c'est un phénomène très intéressant. Chaque fois que je le lis, j'ai l’impression de le lire pour la première fois, tout à fait. Ce n'est pas que je comprenne autrement, c'est que c'est tout à fait nouveau: je ne l’avais jamais lu! C'est curieux. C'est au moins la quatrième fois que je le lis.

Et vraiment, il y a tout là-dedans. Toutes les choses que j'ai découvertes ces temps derniers et qui étaient vraiment comme des révélations, c'était là-dedans. Et je ne l’avais pas vu. C'est curieux.

La première fois que je l’ai lu, c'était une révélation, ça se tenait parfaitement bien d'un bout à l’autre et j'avais l’impression que j'avais compris (et j'avais compris quelque chose). La seconde fois que je l’ai lu, j'ai dit: «Mais ce n'est pas la même chose que j'ai lu!...» Et ça se tenait, ça faisait un tout – et j'avais compris autre chose. Et puis, ces temps derniers quand je lisais, à chaque passage, je me disais: «Comme c'est nouveau! et comme il y a là-dedans les choses que j'ai trouvées depuis!» Et encore aujourd'hui, c'est comme cela, c'est comme si je le lisais pour la première fois! et ça me met en rapport avec les choses que je viens de trouver.

C'est un livre miraculeux! (Mère rit)

On continuera comme cela.

10 juin 1970

Tous les nerfs sont désorganisés...

Je ne suis pas bonne à grand-chose, mais si tu veux, on peut traduire «Savitri».

On peut rester tranquille... ça te fera du bien. Je suis très heureux de rester comme cela.

Tu as reçu les derniers «Aphorismes»?

Oui, c'est la fin des Aphorismes, et ça finit bien!

(le disciple lit)

541 –Peux-tu voir Dieu dans celui qui te torture et te tue, et ce au moment même de ta mort ou à l’heure de ta torture? Peux-tu Le voir dans ce que tu es en train de tuer – voir et aimer même pendant que tu tues? Tu as posé la main sur la connaissance suprême. Comment peut-il atteindre Krishna, celui qui n'a jamais adoré Kâli?

Tu réponds:

«Tout est le Divin et le Divin seul existe.»

(Mère entre en contemplation)

13 juin 1970

Il faut que nous finissions notre «programme» d'Auroville... Auroville est pour préparer la venue de l’espèce nouvelle.

(Mère écrit)

5) La terre tout entière doit se préparer à l’avènement de l’espèce nouvelle, et Auroville veut travailler consciemment à hâter cet avènement.

6) Peu à peu nous sera révélé ce que doit être cette espèce nouvelle, et en attendant, le meilleur moyen est de se consacrer entièrement au Divin.

Ça suffit!... À suivre!...


(Mère fait appeler son assistante, Vasoudha, et avec l’aide de Sujata procède au classement de vieux papiers. Elle tombe sur un dossier de 1967 contenant les «Instructions en cas de transe cataleptique»: «Il faut laisser ce corps en paix...» etc. et en donne une copie à Vasoudha.)


Oh! il y a Paolo qui veut me faire une chambre, alors il y aura des armoires, on pourra classer beaucoup de choses là-dedans.

Toutes les choses d'Auroville, je te les donnerai.

Douce Mère, j'aurais un problème important à régler avec toi, si tu as le temps... C'est au sujet de mon livre, «Le Sannyasin». Il s'est produit quelque chose et je ne sais pas si c'est un signe de la Grâce, ou un signe de l’opposition!

(Mère rit)

Tu sais qu'on avait donné ce livre à P.L. [le disciple du Vatican] pour qu'il le remette à un éditeur qu'il connaissait à Paris, Robert Laffont, parce que, moi, je ne tenais pas beaucoup à ce que cela aille entre les mains de mon éditeur habituel avec qui j'ai eu pas mal d'ennuis... Alors il se trouve qu'avant d'aller voir Robert Laffont, P.L. a dû aller voir mon éditeur habituel pour signer le contrat de la traduction espagnole de «l’Aventure de la Conscience». Et voilà ce qui s'est passé... P.L. m'écrit: «Il commence par me faire de grandes difficultés. Je lui dis que je ne veux aucune faveur, je suis prêt à lui verser de suite les droits et à signer le contrat. À un moment, il me demande: "Mais pourquoi vous intéressez-vous aux problèmes et doctrines de l’Inde?" Je lui réponds: "Les Églises sont en crise; et quand le bateau coule, inutile de discuter s'il faut sauter à gauche ou à droite!" D'un coup, l’étincelle de l’amitié jaillit; il me dit qu'il est protestant, que son beau-père est un pasteur très important de Paris, qui a été invité au Vatican pour faire une réunion des catholiques et des protestants. Là-dessus, nous signons le contrat. Je lui dis que j'attache une grande importance à ce livre dans toute l’Amérique latine. Il me dit qu'en France aussi, "Sri Aurobindo" de Satprem se vend très bien, mais qu'il y a un certain malentendu avec vous. Puis je lui dis qu'en sortant de chez lui, je me propose d'aller voir Laffont, un autre éditeur, car j'ai avec moi votre dernier ouvrage: "Le Sannyasin". Et je le lui montre. À peine l’a-t-il vu qu'il me supplie de ne pas le priver de le publier, de ne pas aller chez Laffont et de lui laisser le livre, car il désire le lire imédiatement! Je lui ai dit que j'allais réfléchir...»

C'est oui.

C'est oui? [le disciple fait la grimace.]

Il est converti! Ça c'est intéressant. C'est intéressant, oh!... c'est quelque chose.1

P.L. est très bon conducteur de la Force, oh!... Ça, je le savais. J'ai eu déjà cette sensation pour lui deux ou trois fois (ce n'est pas la première fois: deux ou trois fois)... Comment expliquer cela?... La Puissance qui est à l’œuvre est répandue partout comme cela (geste universel), et deux ou trois fois déjà (peut-être même davantage), j'ai vu P.L. comme... je le sens comme un instrument qui rassemble les Rayons – les rayons de la Force – et qui les dirige avec une puissance extraordinaire pour obtenir le résultat. Il est comme une... je ne sais pas, j'ai l’impression d'une mitrailleuse! J'ai tout à fait l’impression d'une mitrailleuse qui rassemble la Force (geste montrant le «canon» de la mitrailleuse) et vrrm! la précipite. Mais c'est MATÉRIEL. Il a un pouvoir extraordinaire!... Oui, ça fait comme un coup de canon, je ne sais pas, quelque chose qui domine les résistances d'une façon extraordinaire. Et ils doivent le sentir là-bas (au Vatican), ils sont très sensitifs, ces gens. Ils doivent avoir trouvé qu'il a un pouvoir d'action extraordinaire – ils ne veulent pas le perdre, c'est pour cela qu'ils ne lui répondent pas.2

C'est comme la capacité d'une direction (geste de concentration de la Force à travers un canal), et quelque chose qui a la puissance de balayer les résistances.

Et c'est pour cela qu'on ne l’a pas laissé aller avec le pape,3 parce qu'ils auraient fait quelque chose ensemble.

Dans le temps, quand un homme était comme cela, on l’appelait «l’instrument de Dieu». Il me fait absolument cet effet: l’instrument de Dieu. Un pouvoir qui rassemble la Force, la concentre, et ça devient formidable.

Je suis contente, très contente, tu le lui diras!

17 juin 1970

(Mère écoute la lecture de quelques extraits de Sri Aurobindo pour le Bulletin du mois d'août.)

«Certainement, quand le Supramental touchera la terre avec une force suffisante pour s'implanter dans la conscience terrestre, la Mâyâ asourique1 n'aura plus aucune chance de succès ni de survie.»

18.10.1934
On Himself, XXVI.472

C'est très bien... C'est magnifique!

La «Maya asourique», c'est tout le Mensonge actuel?

Oui. On sent en ce moment... (geste qui se débat). C'est vraiment un moment extraordinaire... mais pas positivement très agréable! Ça se défend comme ça peut.

(le disciple lit un autre texte)

«Tous ces braves gens se lamentent et s'étonnent qu'eux-mêmes et d'autres braves gens, inexplicablement, soient affligés de pareilles souffrances et de pareilles infortunes dépourvues de sens. Mais sont-ils vraiment attaqués par un Pouvoir extérieur ou par la loi mécanique du Karma? Ne se pourrait-il pas que ce soit l’âme elle-même – non le mental extérieur, mais l’esprit au-dedans – qui ait accepté et choisi ces épreuves comme une partie de son développement afin de passer par les expériences nécessaires à une allure rapide...

C'est admirable, c'est juste ce qui se passe!

«...pour frayer son chemin, durchhauen, fût-ce au risque ou au prix de grands dommages pour la vie extérieure et le corps? Pour l’âme qui grandit, pour l’esprit au-dedans de nous, les difficultés, les obstacles, les attaques, ne sont-ils pas des moyens de grandir, d'accroître sa force, d'élargir son expérience, de s'entraîner à la victoire spirituelle? Peut-être est-ce cela, l’arrangement des choses, et non une simple question de gros sous pour une distribution de récompenses et d'infortunes justicières.»

29.06.1932

Letters on Yoga, XXII.449, 450

On pourrait mettre sur le précédent et celui-là (je ne sais pas s'il y en a d'autres): «Les prophéties de Sri Aurobindo», ou «Sri Aurobindo a dit prophétiquement.»

C'est extraordinaire, extraordinaire!

C'est admirable, c'est exactement comme s'il parlait maintenant (Mère prend le ton de Sri Aurobindo): All these good people... [tous ces braves gens...] (Mère rit)

(autre texte)

«Les voies du Divin ne sont pas les mêmes que celles du mental humain et ne suivent pas nos modèles, et il est impossible de les juger ni de Lui fixer ce qu'il fera ou ne fera pas, car le Divin sait mieux que nous ne pouvons savoir. Si nous admettons le Divin le moins du monde, la vraie raison et la bhakti me semblent toutes deux d'accord pour exiger une foi et une soumission implicites.»

Letters on Yoga, XXIII.596

Oh! mais c'est admirable... C'est merveilleux! (Mère répète d’un ton plein d’humour): The ways of the Divine are not like those of the human mind or according to our patterns... [Les voies du Divin ne sont pas les mêmes que celles du mental humain et ne suivent pas nos modèles...]

(autre texte)

«Être libre de toute préférence et recevoir joyeusement tout ce qui vient de la Volonté divine, n'est pas possible au début pour n'importe quel être humain. Ce que l’on devrait avoir au début, c'est l’idée constante que ce que le Divin veut est toujours pour le mieux, même quand le mental ne voit pas comment il en est ainsi...

C'est exactement comme s'il répondait à tout ce que les gens disent maintenant!

«...et accepter avec résignation ce que l’on ne peut pas encore accepter avec joie, et arriver ainsi à une calme égalité qui n'est pas ébranlée, même si passent à la surface les mouvements d'une réaction momentanée aux événements extérieurs. Une fois ceci fermement établi, le reste peut venir.»

Ibid. XXIII.597

Vraiment intéressant, juste-juste ce qu'il faut.

(silence)

Il y a longtemps que tu ne dis plus rien...

(silence)

Je vis dans un constant émerveillement! à chaque minute, c'est ce qui est nécessaire qui vient: les circonstances, les réactions... tout-tout-tout, c'est une vision constante de la façon merveilleuse dont c'est organisé, dont le monde est organisé.

Et ce qu'il dit là, comment les choses sont organisées pour vous faire aller vite et vous donner le maximum, la condition maximum de progrès – c'est merveilleux. Et toujours, ça vient juste appuyer sur l’endroit. (Mère presse du pouce) où il y avait une faiblesse, une incompréhension... toujours.

C'est absolument merveilleux.

(Mère entre en contemplation)

Ça a été une longue période pendant laquelle le physique a remplacé le mental et le vital absents, et ça a été remplacé par quelque chose qui n'est pas pareil à ce qui était avant, et c'est très intéressant, mais il faut que ce soit fini [pour pouvoir en parler]. Il faut que le travail soit fini. Et c'est un long travail.

20 juin 1970

Je voudrais te dire que j'ai des ennuis avec mon corps depuis quelque temps...

Ah?

Un peu désorganisé.

Qu'est-ce qui lui est arrivé?

Je ne sais pas... J'ai l’impression que quelque chose me menace.

Depuis quand?

Un mois à peu près.

Mais qu'est-ce qui fait mal?

Un fonctionnement qui est désorganisé. J'ai l’impression qu'il y a une obstruction ou quelque chose, ou... enfin je ne sais pas ce qu'il y a.

(après un silence)

Parce que la Force de transformation travaille très-très fort, et il y a beaucoup de gens qui sont comme cela; les fonctions ne sont plus ce que l’on appelle «normales», c'est-à-dire qu'elles changent de fonctionnement, et alors la première impression est toujours un désordre. Mais si l’on peut mettre dans le corps cette espèce de tranquille patience, tu sais, comme cela, qui ne s'inquiète pas, au bout d'un certain temps, ça va bien... Par exemple, pour la digestion, un jour on ne peut plus rien digérer, alors on croit que... et puis, si on reste bien tranquille, comme cela, sans s'inquiéter – surtout sans s'inquiéter –, on voit que, lentement, ça prend un autre mouvement, et alors ça va... mais d'une autre manière, tout à fait nouvelle.

Ce devrait être cela, mais je ne peux pas savoir, n'est-ce pas. Ce devrait être cela.

J'ai beaucoup à lutter contre toutes sortes de suggestions.

Ah! c'est ça, voilà, c'est ça qui trouble.

Des suggestions de quel genre?

Tu sais, ce genre de maladie qu'on a généralement.

(Mère fait la grimace. Longue concentration)

Une chose, je sais, c'est que la Conscience travaille très fort en toi, mais... Tu ne sens pas ça?

Oh! je sens TOUJOURS cette Force.

Oui, mais [je veux dire] très matériellement, tu comprends. Il y a une différence quand ça travaille dans le mental, par exemple, même dans le vital, et puis quand ça se met à travailler dans le corps.

Mais il y a le fait que ma dernière expérience dans les hôpitaux, m'a laissé une empreinte terrible.

Ah!

Ça a mis sur moi quelque chose qui n'était pas là avant.

Ah! c'est ça... c'est ça.

(longue concentration)

Tu te reposes dans la journée?

Après le déjeuner, oui.

À quelle heure?

Vers une heure et quart.

On essaiera.

Mais en ce moment, tu n'as pas mal?

Non-non pas en ce moment. Je crois qu'il faut surtout balayer ces suggestions.

Oui, c'est ça, c'est surtout ça.

Si tu peux arriver à mettre dans le corps – DANS le corps –, le COMPLET «surrender», c'est-à-dire qu'il ne COMPTE QUE sur l’intervention du Suprême, tu comprends; que le CORPS – le corps – Lui dise: «Voilà (Mère ouvre les mains), voilà...» vis-à-vis du Suprême, avec la connaissance qu'il est là; qu'il est là dans l’atmosphère, dans les cellules, dans tout, et... (geste mains ouvertes) et c'est tout. Ça, c'est très efficace. Parce que je sais, n'est-ce pas, ce corps-ci a beaucoup de difficultés, et c'est son seul remède. Il n'en connaît pas d'autres. Et c'est le seul qui soit vraiment efficace (même geste mains ouvertes, les yeux clos).

Quand on apprend à le faire, même les douleurs s'en vont en quelques minutes.

Et tu essayes.

Il ne faut surtout pas, tu sais, penser, se souvenir des choses... Ça, c'est très mauvais, très mauvais.


(Puis Mère passe à la traduction de «Savitri»: la réponse de Savitri à la Mort.)

Mais Savitri répondit au dieu sophiste:
«Une fois encore appelleras-tu la Lumière pour aveugler les yeux de la Vérité,
Pour enfermer la connaissance dans les mailles de l’Ignorance
Et faire du Verbe une flèche pour tuer mon âme vivante?

On ne peut pas tuer l’âme!

Offre, ô Roi, tes bienfaits à des esprits fatigués...

(Mère sourit)

Et aux cœurs qui ne peuvent supporter les blessures du Temps;
Que ceux qui étaient liés au corps et au mental,
Arrachent ces liens et fuient dans le calme blanc...
Blancheur calme? ou... Calme blanc... (souriant) c'est plus concis.
...Et fuient dans le calme blanc
Implorant un refuge hors du jeu de Dieu;
Sûrement tes bienfaits sont grands puisque tu es Lui!»

Savitri, X.IV.647

27 juin 1970

(Mère a le visage gonflé par une infection dentaire.)

Il faudrait des «Notes» pour le Bulletin d'août?

Mais tu en as! (rires)

Il y a bien quelque chose, mais il y a longtemps que tu ne parles plus.

(long silence)

Je me suis demandé, quand même, une ou deux fois, si cela ne tenait pas à quelque chose de moi, si tu ne parles pas?

Non!

Quelque chose dans mon attitude ou je ne sais pas?

Non-non, mon petit! Non, ce n'est pas ça.

Ce n'est pas ça.

Ce serait ça si je pouvais parler à quelqu'un d'autre, mais c'est pour tout le monde la même chose.

Il se passe quelque chose – ce n'est pas que ça ne se passe pas, mais...

(très long silence Mère a des gémissements)

N'est-ce pas, pour exprimer, il faut un minimum de mentalisation, et c'est cela qui est très difficile, parce que c'est le corps qui est en train d'avoir toutes sortes d'expériences et d'apprendre, mais dès que ça essaye de s'exprimer, il dit: «Non! ce n'est pas vrai, ce n'est pas comme ça»... (Mère dessine des petits carrés comme des boîtes). C'est comme si l’on faisait des dessins géométriques avec la vie; c'est cela, son impression.

Et autrement, c'est inexprimable parce que c'est multiple, complexe, et si l’on ne déploie pas ça dans une explication... ça ne peut même pas se dire. Et dès qu'on le déploie dans une explication, ce n'est plus vrai.

Tous ces jours-ci, c'est cette expérience de la conscience qu'un tout petit déplacement (comment dire?), un tout petit changement d'attitude, qui n'est même pas exprimable, et, dans un cas on est dans la béatitude divine, et les choses restant exactement les mêmes, ça devient presque une torture! Et c'est une chose constante. N'est-ce pas, il y a des moments où le corps hurlerait de douleur, et... un tout petit, un tout petit changement, qui est presque inexprimable, et ça devient une béatitude – ça devient... c'est autre chose, ça devient cette extraordinaire chose du Divin partout. Et alors, le corps est tout le temps à passer de l’un à l’autre, comme une sorte de gymnastique, de lutte de la conscience entre ces deux.

Et ça devient extrêmement aigu; quelquefois, à certaines secondes, au moment où le corps dit: «Ah! j'en ai assez, j'en ai assez...» et pftt!... (Mère fait un geste de renversement).

Alors c'est impossible à dire. Tout ce que l’on dit, ce n'est plus vraiment vrai.

Et toutes les vibrations qui souffrent (Mère touche sa joue gonflée) sont comme soutenues par la masse de la conscience humaine générale – c'est cela. Et l’autre [état], c'est soutenu par... quelque chose qui semble ne pas intervenir, être comme cela (geste immuable) en comparaison de cette masse humaine qui tend à s'exprimer... Alors c'est impossible à dire, tout cela.

Et constamment-constamment, il y a, ou cette Paix immuable – cette Paix superlative, n'est-ce pas, qui est plus que n'importe quelle paix que l’on peut sentir –, et en même temps on sait (on ne peut pas dire «on sent», mais on sait) que c'est une rapidité de mouvement de transformation qui est tellement grande qu'elle ne peut pas être perçue matériellement. Et les deux sont concomitants, et ce corps passe de l’un à l’autre, et quelquefois... quelquefois presque les deux ensemble! (Mère hoche la tête, constatant l’impossibilité de s'exprimer.)

Et alors, ça donne, pour la vision des choses ordinaires, enfin de la vie telle qu'elle est, ça donne la perception, au point de vue – pas au point de vue divin mais comparé au Divin –, d'une folie générale, et aucune différence vraiment sensible entre ce que les hommes appellent fou et ce qu'ils appellent raisonnable. Ça, c'est... c'est comique, la différence que les hommes font. On serait tenté de leur dire: mais vous êtes TOUS comme ça, à des degrés différents!... Alors...

Et tout cela, c'est un MONDE de perceptions simultanées, alors vraiment c'est impossible de parler.

Ça, il n'y a rien là (Mère touche sa tête), ça ne passe pas par là, il n'y a rien là. C'est quelque chose... quelque chose qui n'a pas de forme précise et qui a une expérience INNOMBRABLE en même temps, avec une capacité d'expression qui est restée ce qu'elle est, c'est-à-dire incapable.

(silence)

Par exemple, en même temps, pour n'importe quoi qui se passe, il y a l’explication («explication» n'est pas le mot exact, mais enfin...), l’explication de la conscience humaine ordinaire («ordinaire», je ne veux pas dire banale: je veux dire la conscience humaine), puis l’explication comme la donne Sri Aurobindo dans un mental illuminé, et... la perception divine. Les trois simultanées pour la même chose – comment, comment décrire?!

Et c'est constant, c'est tout le temps comme cela. Et alors, ça (Mère désigne son corps), ce n'est pas en état d'exprimer, ce n'est pas le moment de l’expression.

C'est au point que quand j'écris aussi, c'est comme cela. Alors j'essaie de mettre ce qui peut tenir dans nos formules idiotes – et je mets tant-tant! qui ne peut pas s'exprimer par des mots –, et quand on me relit ce que j'ai écrit, j'ai envie de dire: vous vous moquez de moi, vous avez tout enlevé!...

juillet




1er juillet 1970

(Le disciple lit la dernière conversation du 27 juin – «un tout petit déplacement de conscience» – que Mère pensait utiliser pour les «Notes».)

C'est tout? Je n'ai dit que cela?... J'avais l’impression d'avoir dit quelque chose d'intéressant – ce n'est pas très intéressant.

Si! il y a beaucoup de choses là-dedans!

Il y a toujours tellement PLUS que ce qui peut se lire!

J'avais vraiment l’impression que j'avais dit quelque chose, et puis maintenant, ça me paraît rien du tout!

Quand je le lis à haute voix, ce n'est pas si bien, mais quand on le lit soi-même et que l’on rentre un peu dedans, on sent bien...

Oui, TOI. Mais pour toi qui lis comme cela, il y en a mille qui lisent à la surface.

Pas tous!

Enfin... ça ne fait rien.


Peu après

J'ai eu une expérience qui était pour moi intéressante parce que c'était la première fois. C'était hier ou avant-hier, je ne me souviens plus, R était là juste en face de moi, à genoux, et j'ai vu son être psychique qui la dominait d'autant (environ 20cm), plus grand. C'est la première fois. Son être physique était petit, et l’être psychique était grand comme cela. Et c'était un être insexué: ni homme ni femme. Alors je me suis dit (il est possible que ce soit toujours comme cela, je n'en sais rien, mais là, je l’ai remarqué très nettement), je me suis dit: «Mais l’être psychique, c'est cela qui se matérialisera et deviendra l’être supramental!»

Je l’ai vu, c'était comme cela. Il y avait des particularités mais ce n'était pas très marqué, et c'était nettement un être qui n'était ni homme ni femme, qui avait la caractéristique des deux combinés. Et il était plus grand qu'elle, il la dépassait de partout, à peu près de ça (geste débordant le corps physique d'environ 20cm). Elle était là et il était comme ça (geste). Et il avait cette couleur... cette couleur... qui, si elle devenait très matérielle, serait la couleur d'Auroville [orange]. C'était plus atténué, comme derrière un voile, ce n'était pas d'une précision absolue, mais c'était cette couleur-là. Et il y avait des cheveux, mais... C'était autre chose.

Je verrai mieux une autre fois peut-être.

Mais cela m'a beaucoup intéressée parce que c'était comme si cet être me disait: «Mais tu es en train de chercher ce que sera l’être supramental – le voilà! Le voilà, c'est ça.» Et il était là. C'était son être psychique.

Alors, on comprend. On comprend: l’être psychique se matérialise... et ça donne une continuité à l’évolution.

Cette création donne tout à fait l’impression qu'il n'y a pas d'arbitraire, qu'il y a une espèce de logique divine qui est derrière, qui n'est pas comme notre logique humaine mais qui est très supérieure à notre logique (mais il y en a une), et celle-là était pleinement satisfaite quand j'ai vu cela.

C'est curieux, c'était aussi quand R était là que j'ai eu cette expérience de la lumière supramentale qui est passée dedans [en Mère] sans faire d’ombre.1 R a quelque chose qui est comme cela, je ne sais pas... Et cette fois-ci, c'est vraiment intéressant. J'étais tout à fait intéressée. C'était là, tranquille, et il me disait: «Mais tu cherches... eh bien, le voilà, mais c'est ça!»

Et alors, j'ai compris pourquoi on a renvoyé le mental et le vital de ce corps, et on a laissé l’être psychique (naturellement, c'était lui qui gouvernait tous les mouvements avant, alors ce n'était rien de nouveau, mais il n'y avait plus de difficultés: toutes les complications qui viennent du vital et du mental, qui ajoutent leurs impressions, leurs tendances, c'était tout parti). Alors, j'ai compris: «Ah! c'est ça, c'est cet être psychique qui doit devenir l’être supramental.»

Mais je ne m'étais jamais occupée de savoir comment était son apparence. Et quand j'ai vu ça, j'ai compris. Et je le vois, je le vois encore, j'ai gardé le souvenir. C'était presque comme si ses cheveux étaient roux, c'est curieux (mais ce n'était pas comme des cheveux roux, mais c'était comme cela). Et son expression! une expression si fine et doucement ironique... oh! extraordinaire-extraordinaire.

Et tu comprends, j'avais les yeux ouverts, c'était une vision presque matérielle.

Alors, on comprend! Tout d'un coup, toutes les questions sont parties, c'est devenu très clair, très simple.

(silence)

Et le psychique, c'est justement ce qui survit. Alors s'il se matérialise, c'est la suppression de la mort. Mais «suppression»... il n'y a de supprimé que tout ce qui n'est pas selon la Vérité, qui s'en va – tout ce qui n'est pas capable de se transformer à l’image du psychique et de faire partie du psychique.

C'est vraiment intéressant.


Nous avons le temps de faire du «Savitri»?

Oui, douce Mère. Dans les derniers vers, Savitri disait:

Que ceux qui étaient liés au corps et au mental
Arrachent ces liens et fuient dans le calme blanc...

C'est Savitri qui dit cela?

Oui, la Mort lui avait dit qu'il fallait quitter son corps pour trouver les hauteurs de Dieu...

(Mère poursuit la traduction)

Mais comment puis-je chercher le repos dans une paix sans fin
Moi qui abrite la force violente de la formidable Mère,
Sa vision attentive à lire le monde énigmatique,
Sa volonté trempée par le brasier du soleil de la Sagesse
Et le silence flamboyant de son cœur d'amour?
Le monde est un paradoxe spirituel
Inventé par un besoin dans l’Invisible,
Une pauvre traduction pour les sens des créatures
De Cela qui à jamais dépasse l’idée et la parole,
Un symbole de ce qui ne peut jamais être symbolisé,
Un langage mal prononcé, mal épelé, pourtant vrai...

Savitri, X.IV.647

Il y en a encore?

Oui, il y en a encore.

(Ce devaient être les derniers vers du Dialogue avec la Mort traduits par Mère)

4 juillet 1970

Je me suis demandé si l’on ne pourrait pas rajouter parmi les «Notes» ce que tu as dit la dernière fois, à propos de cet être psychique qui deviendra l’être supramental?

Qu'est-ce que tu en dis?

Je dis que c'est important!

Oui!...

C'est au point de vue de l’effet... J'ai peur que tout le monde tout d'un coup... ait un être psychique! (rire général)

Ah! Mère, tu es unique!

(Mère rit) Mais ça ne fait rien!... C'est bien... Ça va faire des remous.


(Puis Mère écoute la lecture de quelques extraits de Sri Aurobindo pour le Bulletin du mois d'août.)

La conception du Divin en tant que Puissance extérieure omnipotente qui a «créé» le monde et le gouverne comme un monarque absolu et arbitraire (la conception chrétienne ou sémitique), n'a jamais été mienne; elle contredit trop ma vision et mon expérience depuis trente ans de sâdhanâ. C'est contre cette conception que s'élève l’objection athée – car l’athéisme en Europe a été une réaction peu profonde et plutôt enfantine contre une religiosité exotérique peu profonde et enfantine avec ses notions populaires insuffisantes et grossièrement dogmatiques. Mais quand je parle de la Volonté divine, j'entends quelque chose de différent: quelque chose qui est descendu ici-bas dans un monde d'Ignorance en évolution et qui se tient derrière les choses, faisant pression sur l’Obscurité avec sa Lumière, conduisant les choses vers le mieux possible pour le moment, dans les conditions d'un monde d'Ignorance, et finalement les préparant à la descente d'un pouvoir divin plus grand qui ne sera pas une omnipotence atténuée et conditionnée par les lois du monde tel qu'il est, mais en pleine action et qui, par conséquent, amènera le règne de la lumière, de la paix, de l’harmonie, de la joie, de l’amour, de la beauté et de l’Ananda, car telle est la nature divine. La Grâce divine est là, prête à agir à chaque instant, mais elle se manifeste à mesure que l’on grandit et que l’on passe de la Loi de l’Ignorance à la Loi de la Lumière, et elle n'agit pas comme un caprice arbitraire, si miraculeuse qu'en soit souvent l’intervention, mais comme une aide pour cette croissance et une Lumière qui conduit et finalement délivre. Si nous prenons les faits du monde tels qu'ils sont et les faits de l’expérience spirituelle – et ni l’un ni l’autre ne peuvent être niés ni négligés –, je ne vois pas quel autre Divin il peut y avoir. Ce Divin peut souvent nous conduire à travers l’obscurité, parce que l’obscurité est là en nous et autour de nous, mais c'est vers la Lumière qu'il conduit et vers rien d'autre.

Letters on Yoga, XXII. 174

On ne peut pas dire si la conquête est proche ou non – il faut poursuivre régulièrement la méthode de la sâdhanâ sans penser au proche ni au lointain, fixé sur le but, sans exaltation si elle semble proche, ni dépression si elle semble encore lointaine.

Letters on Yoga, XXIV

23.6.1936

Dans la vie, toutes sortes de choses se présentent. On ne peut pas prendre tout ce qui vient avec l’idée que c'est envoyé par le Divin. Il y a un choix à faire, et le mauvais choix produit ses conséquences.

Letters on Yoga, XXII.475

Ah! ça c'est une bonne chose à dire.

(À Sujata:) Tu me le taperas, je veux donner ça à Nava.

La vie et le mental humains ne sont ni en harmonie avec la Nature comme le sont les animaux, ni en harmonie avec l’Esprit – ils sont troublés, incohérents, en conflit avec eux-mêmes, sans harmonie et sans équilibre. Nous pouvons donc les considérer comme malades, sinon comme une maladie eux-mêmes.

Ibid., XXII.499


Plus tard

Pas de questions?... Et elle?...

Il y a quelque chose que j'ai observé pour moi... Tu m'as dit, par exemple, l’autre jour, que la Force travaillait très activement dans mon corps, et tu me demandais: «Mais est-ce que tu ne sens pas?» Et alors, il y a quelque chose que j'observe, c'est que j'ai l’impression de vivre constamment avec une espèce de conscience très solide et très forte de la Force qui est là, et j'ai l’impression que c'est cela qui me voile toutes les perceptions: tout est comme absorbé là-dedans.1 Et ça m'empêche de sentir tout le reste.

Moi aussi! (Mère rit) C'est comme cela! justement c'est comme cela: j'observais.

On parlait du psychique tout à l’heure; je ne peux pas parler de psychique, je ne peux pas parler de choses matérielles ou vitales, parce que dès que je m'arrête une seconde, il y a cette Conscience qui est là, solide...

Oui-oui...

... Et tout le reste, je ne sais pas.

Exactement la condition ici (chez Mère).

Quand j'ai eu cette expérience pour le psychique (avec R), je me suis dit: «Où est-il, mon psychique?...» Il est constamment actif, il est mêlé à tout, c'est lui qui parle; quand les gens posent des questions, c'est à travers lui que je réponds... Mais je n'ai pas la «sensation» de sa présence.

Je crois que c'est quand l’identification est faite: ce n'est plus un être séparé, n'est-ce pas.

Oui, je m'inquiétais, je me demandais: est-ce quelque chose qui voile?

Non! Je crois que c'est quand l’identification avec la conscience physique est faite. Parce que ça a toujours été comme cela pour moi: de la minute où il y a eu l’union, après c'était fini, il n'y avait pas «être psychique et le reste»... C'est lui qui vivait.

Pourtant, je n'ai pas l’impression d'en être là... Mais enfin, je ne sais pas où j'en suis, à vrai dire... Parce que dès que je m'arrête un tout petit peu, c'est puissant, là, c'est solide, et...

Oui-oui.

Et puis, il n'y a que «ça».

Oui, c'est ça, il n'y a que ça.

Mais, n'est-ce pas, plus l’identification avec l’être véritable se fait, moins on a le sentiment d'exister, d'être quelqu'un.

Oui.

Le corps lui-même en est arrivé là, il a une grande difficulté à se sentir une existence séparée, (riant) et le plus curieux c'est que c'est seulement (Mère touche sa joue), seulement quand il souffre. Par exemple, j'ai constamment mal aux dents, ici (Mère désigne la bouche et la gorge: comme je te l’ai dit, cette région-là), et c'est ça, c'est seulement cela qui me donne l’impression d'être «mon corps». Il ne se sent pas séparé. Alors je crois que ça, c'est la condition naturelle pour le développement normal.

N'est-ce pas, l’impression que l’on «sent» d'une certaine manière, que l’on «pense» d'une certaine manière, tout cela est complètement disparu: on reçoit des indications – quelquefois, de comment telle personne sent et telle autre réagit –, mais c'est quand il y a un travail à faire, c'est une indication, et c'est une chose qui se passe là, comme cela (geste à la périphérie, à une distance), ce n'est pas au-dedans.

Non, j'ai regardé plusieurs fois: j'ai toujours eu l’impression que ça allait bien (je veux dire pour toi), que le progrès était tout à fait bien. Tu es en route. Ça va. Et je trouve un grand changement... Ce n'est qu'un coin, peut-être du mental spéculatif, qui a encore son attitude à lui: ça, assez haut dans le mental (pas un mental ordinaire, un mental... geste là-haut). Mais ce n'est rien.

(silence)

Mais c'est même curieux, on pourrait dire comme cela: c'est seulement à peu près cette partie-là (de la joue au menton) qui est consciente de comment sont les gens et de ce qui vient d'eux, et qui a encore des réactions que l’on pourrait appeler «personnelles». C'est-à-dire que si l’atmosphère est troublée, eh bien, il y a du désordre (dans cette partie de Mère), c'est soumis (au désordre extérieur), et ça semble être la seule partie. Autrement, tout le reste est... c'est comme baigné-baigné constamment dans le Divin, et automatiquement tout va au Divin; et la Volonté divine (geste de descente et de diffusion à travers Mère) traverse et fait agir: automatiquement. Et alors, il y a des moments où, pour une raison quelconque, le corps appelle (le mantra que je t'ai dit), et ça produit une... (geste de dilatation) tout d'un coup, toutes les cellules entrent en béatitude – ça ne dure qu'une minute (même pas une minute, mais quelques secondes), mais simplement le fait de dire ça, c'est la béatitude. Et après, tout reprend (geste indiquant le rythme normal).

C'est très intéressant.

Je crois (tu m'as dit l’autre jour qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans ton corps), je crois que dans les endroits qui ne sont pas encore en voie de transformation, il y a une augmentation, comme une concentration de la difficulté: on est plus malade à cet endroit-là.

Et la seule chose possible, c'est... (Mère ouvre les mains) la paix du surrender total, comme ça (geste absolument étal, vaste, immuable): advienne que pourra. Voilà. Alors, ça va bien.

J'ai remarqué cela, si l’on peut établir à l’endroit qui ne va pas cette paix – une paix totale, n'est-ce pas, la paix du parfait surrender: on abdique toute préoccupation, toute aspiration, tout-tout-tout comme cela (même geste étal, immuable), alors ça aide à mettre de l’ordre.

(Mère prend les mains du disciple)

Ça va. Ça va.

Seulement, pour les gens qui ne savent pas cela, les apparences sont trompeuses: ils se sentent plus malades, ils ont des attaques, des choses comme cela. Et alors ils ne comprennent plus.

(long silence)

J'ai eu l’expérience – d'innombrables fois – que quand le corps peut attraper cette attitude (complète, n'est-ce pas, même par-delà l’aspiration à l’union ou à la transformation: c'est COMME CELA – même geste étal), c'est presque miraculeux, instantané. Mais ça revient avec le mauvais mouvement. Ce n'est pas établi d'une façon permanente – qu'est-ce qu'il faut pour y arriver? Je ne sais pas... Probablement qu'il n'y ait plus la présence, nulle part, de la possibilité du mauvais mouvement. Mais c'est difficile...

On respire, on mange, on... c'est le Divin.

Si l’on racontait en détail ce qui se passe, c'est absolument merveilleux!... Par exemple, en mangeant, quand le corps garde son attitude vraie et la perception de la Présence divine en toute chose, et naturellement dans ce qu'il absorbe, et qu'il l’absorbe automatiquement avec cette attitude et qu'il n'y a pas de contradiction, tout se passe sans aucune difficulté. Et c'est au point que si l’attitude se «détériore» (quoi que ce soit), ça peut aller jusqu'à... (geste d'étouffement) avaler de travers, comme cela, en l’espace de quelques secondes.

C'est évidemment une période de transition, mais combien de temps elle durera? Je ne sais pas... l’harmonie du fonctionnement devient... miraculeuse – miraculeuse. Seulement ce n'est pas automatique, ça dépend encore de l’attitude. Ce n'est pas une chose qui s'impose: c'est une conséquence.

(long silence)

Douce Mère, avec Sujata, il se produit un phénomène curieux: tout d'un coup, elle s'évanouit.

Ah!

Elle tombe par terre... Sans raison, comme cela, tout d'un coup le contact est coupé et elle tombe.

(après une longue concentration)

Seulement c'est ennuyeux parce qu'on peut se faire mal en tombant.

C'est arrivé deux fois quand j'étais là, alors je l’ai attrapée. À quoi cela tient, je ne sais pas?

Elle n'est pas prévenue, d'aucune manière?

Non, tout d'un coup elle tombe. Mais j'ai remarqué que cela arrivait tout de même en fin de matinée, après avoir été longtemps à travailler debout. Il y a aussi cela.

Mais matériellement, c'est le sang qui ne monte pas au cerveau...

Je crains qu'elle ne mange pas assez.

Oui, moi, je pense cela aussi. Elle ne se nourrit pas correctement.

Il n'y a pas quelque chose que tu aimerais manger?

(Sujata secoue la tête)

8 juillet 1970

(Mère a l’air fatiguée. Son visage est encore gonflé.)

Des moments difficiles...

(longue contemplation pendant toute la durée de l’entrevue)

Tu n'as rien à demander?... (À Sujata:) Et toi?

Tu sais, douce Mère, c'est très curieux, trois nuits de suite, j'ai rêvé de toi et de nourriture.

Tu me nourrissais?

Je te nourrissais, ou bien je cherchais de la nourriture ou bien je préparais.

Tu me nourrissais comment?... Tu me donnais des choses à manger? Ou tu me nourrissais comme un bébé!

Non, la première fois, tu étais allongée et tu avais soif, il y avait beaucoup de monde et personne ne faisait rien...

(Mère hoche la tête)

Et j'ai dit à quelqu'un d'aller chercher du jus de grenade... 1

(Mère sourit et replonge)

11 juillet 1970

Quelqu'un m'a envoyé une lettre, si cela t'intéresse, sur la transformation du corps.

Voyons...

Il paraît qu'un yogi tamoul [Swami Ramalingam] de cette région, qui vivait aux environs de 1850, a eu des expériences (qu'il a décrites dans un poème) et qui semblent assez voisines... Des expériences de la transformation du squelette, des os, etc. C'est d'ailleurs un Tamoul qui m'a envoyé cette lettre en me demandant de te poser la question.

Bon.

(traduction)

«Mère pourrait-elle apporter quelque lumière sur la nature et la mesure de la transformation que le Swami a subie dans les dernières années de sa vie? Souvent, le Swami a déclaré et affirmé la transformation et l’immortalité de son propre corps par le pouvoir de "Srut Perun Joti", la vaste Lumière-de-Grâce infinie du Divin. Il a aussi prédit et promis que vers l’année 1871, le suprême Divin viendrait bientôt sur la terre pour établir le règne direct de la Lumière-de-Grâce (que le Swami appelait aussi la Lumière-de-Vérité) et qu'alors une nouvelle race d'êtres surgirait, qui défierait la maladie, la vieillesse et la mort...»

C'est intéressant.

Alors, voici le texte original, traduit du tamoul, de ce sage:

Extract de «Joti Agaval»
[Poème de Swami Ramalingam, couplets 725 à 740.]

(traduction)

«O mon unique Amour qui a jailli de mon cœur et l’a rempli tant qu'il a fait fleurir ma vie. O mon unique Seigneur d'Amour qui s'est donné à moi totalement, qui par la Lumière-de-Grâce m'a transmué. Cet Amour est entré en moi et s'est uni à mon cœur, transformant mon corps en un corps doré. La peau est devenue souple; l’influx du courant nerveux vibre à travers tout mon corps, avec une pause entre chaque vibration; les os sont devenus pliables et de nature plastique; les muscles sont lâches et se sont vraiment déliés; le sang s'est condensé dedans; la semence s'est concentrée en une seule goutte et confinée dans la poitrine; les pétales1 du cerveau se sont ouverts et répandus; l’amrita [le nectar d'immortalité] jaillit en cascades à travers le corps et le remplit; le front est lumineux et transpire; le visage est lumineux et irradie; le souffle est plein de paix et il devient frais et rafraîchissant; le sourire intérieur rayonne; les cheveux se dressent sur la tête; des larmes de joie coulent vers les pieds; la bouche vibre d'un appel passionné [vers le Divin]; les oreilles vibrent d'un son musical en sourdine; le corps est devenu frais; la poitrine est lisse et se dilate; les mains se joignent [comme en prière]; les jambes pivotent ou font le tour complet; le mental fond doucement; l’intelligence s'emplit de lumière; la volonté est pleine de joie et d'harmonie; l’individualité s'est élargie partout; le cœur s'est épanoui dans un sentiment d'universalité et peut sentir physiquement le monde; le corps de connaissance est devenu tout béatifique; même l’egoïsme spirituel des sens a disparu: les sens (tatvas) ont été entièrement remplacés par la Vérité (satva); le principe de vérité ou la substance de vérité maintenant dominent uniquement; l’attachement aux objets des sens et aux choses du monde s'est dissous; seules, l’aspiration et la volonté de se fondre dans la Grâce sans limite grandissent et s’intensifient.»2

Et il a vécu comme cela combien de temps?

Il paraît que ça lui est arrivé à la fin de sa vie et ça a dû durer quelques années, je pense... Mais il a dit qu'il «reviendrait».3

1870?

Oui, il est né en 1823 et mort en 1874.

Il est mort deux ans après la naissance de Sri Aurobindo.

(long silence)

Qu'est-ce qu'il dit à propos des jambes? je n'ai pas compris.

Il dit que tous les os sont devenus souples... «Le corps est devenu frais; la poitrine est lisse et mouvante; les mains se joignent comme en prière; les jambes pivotent ou font le tour complet...» C'est-à-dire, probablement, que les jambes peuvent se mouvoir dans n'importe quel sens, les os sont devenus «pliables».

(long silence)

Et combien d'expériences comme cela ont été faites par des gens qui n'avaient personne pour les noter...

Mais souvent, tu posais la question de ce squelette, justement; tu disais: comment est-ce possible?

Moi aussi.

Là, il dit que cela devient plastique, souple.

Et alors, comment se tient-il debout?

Par cette «condensation»... Est-ce à cause de cette condensation du sang dont il parle?

Qu'est-ce que c'est que cela?

Je ne sais pas ce que c'est que cette «condensation du sang»... Mais il y a une chose dont je ne t'ai pas entendu parler et dont Sri Aurobindo parle souvent (par exemple, dans la «Manifestation Supramentale»), c'est de la transformation des organes par les «chakras»: par l’énergie des centres de conscience. Tu parles très rarement des chakras ou du rôle des chakras... Parce que l’on pourrait concevoir que ces centres d'énergie donnent l’armature suffisante au corps pour qu'il tienne?

(après un long silence)

Cette montée de la «koundalini», je l’ai eue en... J'étais encore à Paris. C'était avant que je ne vienne dans l’Inde. J'avais lu des livres de Vivékananda sur cela... Et quand la Force est montée, elle est sortie de la tête par là (geste au sommet du crâne); l’expérience [classique] n'a jamais été décrite comme cela. Elle est sortie et la conscience s'est installée là (geste à 20cm environ au-dessus de la tête). Alors, quand je suis venue ici, j'ai dit cela à Sri Aurobindo; il m'a dit que, pour lui aussi, ça avait été comme cela et que dans l’«enseignement», selon les textes, on ne «peut pas» vivre quand c'est comme cela: on meurt! Alors... (riant) il m'a dit: «Nous sommes deux à ne pas être morts!»

Et la conscience est restée là (geste au-dessus), elle n'est plus descendue; elle est là, elle est toujours là.

Mais je la sens souvent là. Je ne sais pas si c'est une illusion, mais je la sens beaucoup plus souvent là qu'en dessous.

Oui. Oh! mais ça doit pouvoir se communiquer.

Ici, légèrement au-dessus de la tête (même geste à 20cm), comme cela.

Quand j'essaye de savoir quelque chose, c'est toujours pareil: tout s'arrête et j'écoute là (geste au-dessus), c'est là que j'écoute.

(silence)

Et alors, quand je suis revenue d’ici4..., c'est une chose qui a été faite volontairement: toutes les énergies du dernier centre (sexuel) ont été tirées là (cœur).

Mais j'ai senti des centres AU-DESSOUS des pieds.

J'ai senti un centre au-dessous des pieds5... Il y en avait un au-dessous des pieds et un aux genoux, et un là (centre sexuel), et tout ça (Mère fait le geste de tirer les énergies vers le haut) comme cela, tiré, et c'est venu là (cœur).

Est-ce que Sri Aurobindo parle de cette transformation du subconscient qui devient conscient?

Oui, douce Mère, il en parle.

C'est ce qui s'est produit quand les énergies ont été tirées là: ça a été le résultat.

(long silence)

Du moment où je suis venue ici, je ne me suis plus occupée du corps: je me suis occupée du Travail; mais avant de venir, spécialement entre le moment où je suis partie d'ici et le moment où je suis revenue, ça a été... (combien?... je suis revenue en 1920; je suis venue ici en 1914 et je suis partie d'ici en 1915, je crois – de 16 à 20 j'étais au Japon –, mais je suis venue en 14 et je crois que je suis partie en 1915), et depuis ce moment-là, il y a eu toutes ces expériences (koundalini, etc.) en France et au Japon.

(Mère entre en contemplation)

Mais, douce Mère, ce que je voudrais comprendre, c'est que depuis que tu t'es retirée dans cette chambre6 pour la transformation corporelle, tu n'as jamais parlé du rôle des «chakras», alors que dans la «Manifestation Supramentale», Sri Aurobindo a l’air de leur attribuer une importance décisive pour la transformation du corps? Il en parle beaucoup, comme si c'était un élément-clef.

(après un silence)

Ce dont je suis consciente, c'est de la Conscience, là (geste au-dessus); ça, c'est une chose qui ne bouge pas. Ça (geste au front): blanc. Et si ça se met à bouger, c'est très inconfortable, mais généralement ça ne bouge pas du tout – ça a bougé un jour pendant quelques minutes, et c'était extrêmement désagréable. C'est comme cela (geste comme une barre immobile), blanc: une impression blanche comme du papier blanc... Ça (geste à la gorge et à la bouche), c'est la connexion avec les gens, et c'est EXTRÊMEMENT désagréable, vraiment extrêmement désagréable (je ne peux pas dire), et matériellement ça se traduit par la détérioration des dents et... C'est très désagréable. Ici (geste au cœur)... je te l’ai dit: toutes les énergies, depuis sous les pieds (Mère fait le geste de tirer vers le haut), tout cela avait été remonté là (cœur). Là (cœur), c'est comme un soleil, tout le temps. C'est comme un soleil radiant: c'est là que je travaille; c'est de là que je travaille... Mais les centres-là (geste vers la base de la colonne vertébrale), c'est comme si toutes les énergies avaient été remontées au cœur.

Et ça, c'est tellement naturel... Ça et ça (geste au cœur et geste au-dessus de la tête), c'est tellement naturel que je ne l’observe même plus: c'est ma manière d'être.

Mais la conscience n'est pas centrée dans le corps, et le corps donne l’impression... presque d'un tuyau de transmission!

Douce Mère, une dernière chose, celui qui a écrit la lettre, a posé une question: il demande si cette vaste «Grace-Light» [Lumière-de-Grâce] ou «Truth-Light» [Lumière-de-Vérité] dont parle le Swami, est la lumière supramentale?

Quelle lumière?

Cette vaste «Grace-Light» [Lumière-de-Grâce].

Grace-Light... Oh! j'ai aimé ça beaucoup dans sa lettre... Grace-Light. Ça, c'est ce qui travaille, tu sais: le travail qui se fait à travers ça (le corps), c'est tout à fait comme cela, c'est tout à fait comme une «Grace-Light». Ça m'a beaucoup plu. C'est tout à fait cela.

N'est-ce pas, c'est une lumière qui a plusieurs degrés, et dans le plus matériel, c'est légèrement... ce doit être la force supramentale parce que c'est légèrement doré, légèrement rosé (tu sais cette lumière), mais très-très pâle. Il y en a une (geste désignant une autre couche plus élevée) qui est blanche comme du lait, opaque – elle est très forte. Et il y en a une (geste très haut) qui est d'un blanc... qui est de la lumière transparente. Celle-là, c'est une chose curieuse: une goutte de ça sur les forces hostiles, ça les dissout. Elles fondent comme cela (geste à vue d'œil). J'ai dit tout cela à Sri Aurobindo, il me l’a confirmé tout à fait. Ça, c'est essentiellement la Grâce dans son état... (geste très haut) suprême. C'est une Lumière... ça n'a pas de couleur, n'est-ce pas, c'est transparent, et cette lumière-là (j'en ai fait l’expérience, j'en parle parce que je le sais): on la met sur un être hostile et... ça fond comme ça. C'est extraordinaire... Et alors, sous sa forme que l’on pourrait appeler «bienveillante» (c'est-à-dire la Grâce qui secourt et qui aide et qui guérit), c'est blanc comme du lait. Et si je veux une action tout à fait matérielle (mais ça, c'est récent – c'est récemment depuis que cette nouvelle Conscience est venue), alors dans son action physique, sur le physique, c'est devenu légèrement coloré: c'est lumineux, c'est doré avec du rose dedans, mais ce n'est pas rose... (Mère prend un hibiscus auprès d'elle) C'est comme cela.

Comme la fleur d'Auroville?

Comme la fleur d'Auroville. Mais j'ai choisi ça comme la fleur d'Auroville EXPRÈS, à cause de cela. Et j'ai l’impression que c'est ça, la couleur supramentale: quand je vois des êtres du supramental, ils ont... pas tout à fait cette couleur... Ce n'est pas comme une fleur, c'est comme de la chair. Mais c'est comme cela (Mère désigne la couleur de la fleur).

(silence)

Oui, il a été en rapport avec ça, cet homme, sûrement. Je l’ai senti tout de suite quand tu m'as lu cette lettre.

Oui, on a l’impression... Il est probable qu'à travers les âges, il a dû y avoir des expériences individuelles.

Oui, oh! oui, sûrement. Sûrement. Et il doit y en avoir encore en ce moment, que nous ne savons pas.

Mais la différence maintenant, c'est que c'est une chose collective.

Oui.

C'est cela, la différence.

(long silence)

Mais ce qui devient très clair, c'est que tout restant le même et la position de la conscience restant la même, il y a un renversement comme cela ou comme cela (Mère fait basculer sa main d'un côté ou de l’autre), je ne sais pas comment expliquer. Dans un cas, c'est-à-dire pour la conscience humaine ordinaire (pas ordinaire mais présente), la souffrance est presque intolérable; et tout restant IDENTIQUEMENT LE MÊME, avec ce petit renversement (je ne sais pas comment l’expliquer... on pourrait dire peut-être «le contact avec le Divin», je ne sais pas), mais tout restant le même (c'est un phénomène de conscience): une béatitude merveilleuse – les choses physiques, tu comprends, restant identiques!... Et ça, j'ai ça tout le temps. Malheureusement... (riant) le côté douloureux est le plus long! Quand je suis tranquille, immobile, alors naturellement c'est l’autre.

Mais ce mal aux dents et tout cela, qui pour la conscience matérielle, au point de vue extérieur, est très vrai (!), même cela, ce n'est plus... Quand la conscience devient vraie, ça n'a plus le même caractère – je ne sais pas comment expliquer. Il doit y avoir ce que nous appellerions dans notre conscience ordinaire une «guérison», mais ce n'est pas une guérison: ça change de nature.

Ça, c'est le travail le plus constant, c'est dans ce travail-là que je suis (c'est pour cela que je n'ai rien à dire)... Il n'y a plus d'idées, il n'y a plus de sentiments, il n'y a presque plus de sensations, c'est... ça-ça (même geste de bascule d'un côté ou de l’autre), cette espèce de déplacement, et un déplacement qui est A ce point différent, n'est-ce pas, et dans une immobilité totale!

Mais dans cette vraie conscience, la matière n'a... la matière semble perdre quelque chose, ou bien il y a quelque chose qui est transmué en...? Je ne sais pas... Est-ce que ce sera d'une façon permanente, ou est-ce la transition? Je ne sais pas. Je veux dire: est-ce que le corps supramental n'aura pas... Pourtant, il n'y a pas de différence entre la matérialité de l’homme et celle de l’animal? – Il y en a une?

Non, douce Mère.

(silence)

Quand on regarde, on arrive toujours à la même conclusion: on ne sait rien.

Mais il y a cette Conscience... tout d'un coup, quand on n'est plus, quand il n'y a plus que Ça, cette Conscience qui est là (geste autour de la tête), une Conscience légèrement dorée, on a vraiment l’impression de la toute-puissance et... Et ici, on ne sait rien! rien-rien-rien, on ne peut rien expliquer. Tout cela, ce sont des... ce que j'appelle des imaginations mentales.

Maintenant, quand on me pose une question, rien-rien ne répond, et puis tout d'un coup, la réponse vient (geste de descente) en mots; mais si je ne fais pas très attention, prrt! et puis il ne reste plus rien, je ne peux même plus avoir les mots... La conscience de la réponse est là (geste au-dessus), ça ne bouge pas, elle est toujours là, cette conscience, mais c'est la matérialisation qui est très fugitive.

18 juillet 1970

(Mère commence par la traduction de deux textes de Sri Aurobindo pour le prochain Bulletin.)

«Il est beaucoup plus facile pour le sadhak [le disciple] par sa foi en la Mère, de se libérer des maladies, que pour la Mère de s'en débarrasser, parce que la Mère, de par la nature même de son travail, doit s'identifier aux sadhaks, supporter toutes leurs difficultés, recevoir en elle-même tout le poison de leur nature...

C'est bien aimable! (Mère rit)

«...et prendre en outre toutes les difficultés de la nature terrestre universelle, y compris la possibilité de la mort et de la maladie, afin de les combattre. Si elle n'avait pas fait cela, pas un seul sadhak n'aurait été capable de pratiquer ce Yoga...

(Mère hoche la tête)

«...Le Divin doit se revêtir d'humanité...

Se revêtir d'humanité... C'est bien!

«...afin que l’être humain puisse s'élever jusqu'au Divin. C'est une simple vérité...,

(Mère rit)

«...mais personne dans l’Ashram ne semble capable de comprendre que le Divin puisse faire cela tout en restant différent d'eux – et qu'il peut rester tout de même le Divin.» 8.5.1933

On Himself and on the Mother,
XXV.317

Il y a un autre texte qui commence par une question:

«Les gens de l’Ashram croient que la Mère prend sur elle leurs difficultés et leurs maladies, et que, par conséquent, elle a quelquefois à souffrir. Mais à ce compte, elle devrait subir un véritable assaut provenant de bien des sadhaks. l’idée me vient de prendre sur moi quelques-unes de ces difficultés et de ces maladies afin de pouvoir aussi souffrir avec elle agréablement?»

(Mère rit beaucoup) Agréablement!... avec un point d'interrogation.

Sri Aurobindo répond:

«Agréablement? Ce serait tout, sauf agréable, ni pour vous ni pour nous.

«C'est une manière plutôt simpliste de voir les choses. Pour faire son travail, la Mère a dû prendre tous les sadhaks au-dedans de sa conscience et de son être personnels; du fait qu'ils sont pris au-dedans personnellement (et pas seulement impersonnellement), tous les désordres et toutes les difficultés qui sont en eux, y compris les maladies, peuvent se jeter sur elle d'une manière qui n'aurait pas été possible si elle n'avait pas renoncé à la protection de la séparation. Non seulement les maladies des autres peuvent se traduire par des attaques sur son corps (généralement elle peut rejeter celles-ci dès qu'elle sait d'où elles viennent et pourquoi), mais les difficultés intérieures des sadhaks – leurs révoltes, leurs accès de colère et de haine contre elle – peuvent avoir le même effet, ou pire...

Ça, c'est encore vrai... Il y a des gens, dès qu'ils arrivent, tout d'un coup je sens un désordre, ou je me mets à tousser, ou... Et alors, quand je regarde, je vois pourquoi. Quand je vois pourquoi, je peux tenir la chose à distance. C'est curieux.

«...C'est le seul danger pour elle (parce que les difficultés intérieures sont aisément surmontables)...

C'est tellement vrai! Ça, il suffit d'un sourire.

«...mais la matière et le corps sont le point faible ou le point crucial de notre yoga, car ce domaine n'a jamais été conquis par le Pouvoir spirituel; les anciens yoga l’ont laissé de côté ou se sont seulement servis d'une force mentale et vitale secondaires pour maîtriser les difficultés, et non de la force spirituelle complète. C'est la raison pour laquelle, après une sérieuse maladie provenant d'une terrible mauvaise condition dans l’atmosphère de l’Ashram...

(Mère rit)

«...j'ai dû insister pour qu'elle se retire partiellement afin de réduire au minimum la partie la plus concrète de la pression sur elle. Naturellement, la pleine conquête du physique révolutionnera les choses, mais, pour le moment, c'est encore la lutte.»

31.3.1934
Ibid., XXV.317

Comme ça reste vrai, ce qu'il dit, c'est épatant!

La révolution est encore loin, ou près?

Hélas! (Mère rit)


Peu après

On m'a dit que tu voyais... (Mère cherche à se rappeler du nom) Quelqu'un qui te voit souvent, que je ne connais pas.

J'en vois beaucoup!

Il paraît!... Comment ça se fait?

Je me demande justement ce que je dois faire?

Quand les vois-tu?

Ils savent très bien le truc: je sors...

(Mère rit beaucoup) C'est ça!

Et alors, tu sors de ta maison...

Je sors de ma maison le soir vers 5h30 pour aller prendre l’air. Je vais d'abord au Samâdhi – ils m'attrapent au Samâdhi et ils font le tour avec moi; et puis ils viennent jusqu'à la plage et ils restent avec moi jusqu'à ce que je rentre... Alors j'en vois de toutes sortes. J'en vois beaucoup.

Il y en a qui sont intéressants?

Oui. Je me laisse faire parce que j'ai l’impression que c'est utile.1

Oh! utile, certainement, mais il ne faut pas se fatiguer. Parce que tu sais, ils vous... *(Mère fait le geste d'avaler)

Oui, c'est fatigant, c'est vrai.

Ils trouvent tout à fait naturel de vous absorber complètement.

Oh! c'est fatigant.

C'est la même chose pour moi avec les gens qui viennent me voir... J'ai dû commencer à me battre2 parce que, autrement, si je disais oui-oui-oui... ils restent jusqu'à une heure de l’après-midi, et puis... C'est impossible.

Fais attention.

Je ne sais pas que faire.

Si c'est seulement le temps que tu es dehors, ça va.

Chez moi, je suis assez féroce et je ferme ma porte.

C'est ce que je voulais te dire: ne les laisse pas entrer.

Oh! il y en a tout de même quelques-uns qui arrivent à s'infiltrer.

Non-non! ne les laisse pas entrer. Parce que alors, on ne vit plus – on n'est plus que de la nourriture pour eux.

Oui, c'est fatigant...

Non, dehors, c'est bien, ça ne t'empêche pas de respirer l’air, mais dedans: pas.

Tu voulais savoir quelque chose à propos de quelqu'un que je voyais? De quel «quelqu'un» t'a-t-on parlé?

Je ne me souviens plus.

Récemment, j'ai vu quelqu'un que j'ai trouvé très intéressant. Un jeune garçon. Il s'appelle L.

Et alors?

J'ai tout à fait l’impression que c'est un garçon qui a un passé derrière lui et qui tout d'un coup a des expériences assez étonnantes. Il a l’air de comprendre de l’intérieur, d'aller très vite.

Oui, ce doit être celui-là.

Je vais te donner un exemple: il était avec Z et il demandait à Z comment se prononçait la syllabe OM (il ne le savait pas). Z le lui a dit. Alors il a répété seulement ce mot, et il a dit que tout d'un coup, ça a été absolument formidable, comme s'il y avait des centaines d'amplificateurs et que toute la Matière, partout, disait OM.

Ah! il est sensitif.

Oui, c'est bien.

Oui, il est intéressant... Alors il me pose des tas de questions parce qu'il est dans la découverte subite de tout cela.

Ça, c'est intéressant.

Oui, c'est utile et intéressant... Ce sera bien quand tu le verras. Il avait commencé des expériences à Paris avec des drogues.

Ah!

Et alors, il m'a dit: «Mais quand j'ai vu que je pouvais avoir des expériences comme cela, sans drogues, je me suis dit que c'était beaucoup mieux!»... Mais il est bien, il n'est pas faussé.

(silence)

(Mère tend une fleur) Qu'est-ce que c'est?

C'est le «Pouvoir de vérité dans le subconscient»... Ce n'est pas commode!

(Mère rit) Les fleurs sont très hardies!

(Mère prend une autre fleur) Ça, c'est une «Perfection psychologique»... C'est pour trouver ça [le pouvoir de vérité dans le subconscient].

On est en train de préparer un livre de fleurs. Il y aura des photos de fleurs en couleur, et puis leur signification, et un commentaire de moi! On me fait écrire un commentaire sur chaque fleur... Alors je m'amuse! Ça va être intéressant.

Mais dans le subconscient, il y a des choses qui ont un pouvoir de récurrence...

Oh!

Non seulement cela, mais on a l’impression d'une puissance EN SOI, qui est tout à fait indépendante de tout, comme une entité qui a une existence en soi.

Oui.

Alors qu'est-ce que l’on peut faire là-dessus?

Ça ne changera que quand tout changera.

Oui, c'est une bataille quotidienne.

Oui.

22 juillet 1970

(Nous assistons ici à la première et très instructive ébauche d'un phénomène qui a donné naissance à toutes les religions du monde, et qui tentera de se cristalliser encore après le départ de Mère.)

J'ai quelque chose au sujet de ce Swami tamoul qui a eu une expérience de la transformation du corps... Tu te souviens de ce Swami, Ramalingam, qui avait eu cette vision de la «Grace-Light» [Lumière-de-Grâce]? Tu avais fait quelques remarques, que j'ai transmises en partie à celui qui avait posé la question... Alors j'ai soulevé une tempête.

Ah? Pourquoi?

Pas chez ce brave homme [le disciple tamoul de Ramalingam], du tout, mais chez A.1

A.?

Oui, A. a dû avoir connaissance de la réponse, et il a envoyé une lettre, par moi, à toi.

Pour dire quoi?

Tu sais... cela me fait un peu l’impression d'un mensonge mental.

Quoi, ça le gêne?

Oui, il est tout à fait indigné.

De quoi! De ce que j'ai dit?

De ce que, moi, j'ai dit, en tout cas. Il dit que ce n'est «pas possible que Mère ait dit...»

Qu'est-ce que c'est que cette histoire!... Mais pourquoi?... Qu'est-ce qui a indigné ce monsieur?

Je vais d'abord te lire ce que j'ai écrit à T [le disciple tamoul de Ramalingam]:

(traduction)

«La traduction des expériences de Swami Ramalingam a été lue à Mère et elle ne doute point de leur authenticité; elle a particulièrement aimé la façon dont le Swami appelle cette lumière, la «Lumière-de-Grâce» et elle a dit que cela correspondait à sa propre expérience. Elle a remarqué qu'il est très probable qu'à travers les âges, et même maintenant, un certain nombre d'individus, connus et inconnus, ont eu des expériences similaires. La seule différence est que, maintenant, au lieu d'une possibilité individuelle, il s'agit d'une possibilité collective – c'est justement le travail de Sri Aurobindo et de Mère: établir comme un fait terrestre et comme une possibilité pour tout le monde la conscience supramentale ou la «Lumière-de-Grâce» comme l’appelait Swami Ramalingam.»

Satprem

Ah! c'est de mélanger les deux, «grace-light» [lumière-de-grâce] et «supramental light» [lumière supramentale], qui l’a indigné... Je n'ai pas dit que c'était la même chose. Enfin, ça ne fait rien... Il n'aurait pas fallu mettre «the supramental consciousness» [la conscience supramentale], parce qu'ils ne comprennent pas... Ça ne fait rien.

Mais moi, j'avais compris, d'après ce que tu as dit, que ce «Grace-Light» était la lumière supramentale.

C'est UNE des actions de la lumière supramentale. Mais ça ne fait rien.

Alors A. dit ceci:

(traduction)

«Très chère Mère, à propos de certaines traductions des poèmes de Swami Ramalingam par son disciple T, vous avez répondu à ce disciple, par Satprem, d'une façon telle qu'il a été amené à mettre sur le même pied la «Lumière-de-Grâce» de Ramalingam et la Conscience supramentale...

Oui, ça, je ne l’aurais pas fait... Alors il est furieux!

Mais tu vois, dans mon esprit, quand je te demandais si à travers les âges, il y avait eu des expériences de ce genre, je pensais à des expériences d'individus qui avaient touché la lumière supramentale individuellement ou le niveau supramental individuellement...

Une des formes de la manifestation supramentale... Ça ne fait rien. Continue.

«... Avez-vous réellement voulu dire que Ramalingam était directement en contact avec le Supramental?...

Pourquoi pas!...

Alors continue.

«...et qu'il était en relation avec lui comme vous et Sri Aurobindo l’étaient?...

Non, je n'ai pas dit cela!

Oui! C'est vraiment un mensonge mental parce que, nulle part dans la lettre, il n'était dit des choses pareilles.

«...Les prémonitions et les visions momentanées sont d'un autre ordre; c'est toute la question d'un yoga supramental direct, complet et dans toute son ampleur...

Mon Dieu, que les gens sont idiots! idiots!

Oui, douce Mère.

C'est tout?

Non.

«...T [le disciple de Ramalingam]a cru comprendre par votre réponse, que la seule différence entre le yoga supra-mental de Ramalingam et le vôtre ou celui de Sri Aurobindo, est que le sien s'occupait d'une supramentalisation individuelle tandis que vous et Sri Aurobindo aviez aussi travaillé à une supramentalisation collective.

«T. est convaincu et déclare également que Ramalingam était parvenu à la supramentalisation complète du corps...

Nous n'avons pas dit ça!

«...À son avis, ce que vous avez dit le confirme.

«Je suis enclin à considérer que toute sa position est plutôt fantastique; cela me prouve que la vision, l’œuvre et le yoga de Sri Aurobindo n'ont pas du tout été compris à leur juste valeur par T. Je crois que non seulement la supramentalisation collective, mais la supramentalisation individuelle n'ont jamais été tentées avant, sans parler de réalisation. Même la connaissance complète du Supramental par une ascension dans le Supramental et par une entrée souveraine dans le Supramental n'a pas été faite. Alors comment peut-on parler d'une réalisation pratique de la dynamique complète de la descente supramentale?

«Du moins, c'est ce que j'ai compris en étudiant les écrits de Sri Aurobindo et les vôtres. Me trompè-je? Une claire indication de votre part serait très utile pour nous faire voir les choses dans la vraie lumière.»

(après une longue concentration, Mère prend un bloc pour écrire, puis replonge encore longtemps)

Ça refuse de répondre.

(long silence)

Cet homme vivait maintenant?

Non, vers 1850. Il est mort deux ans après la naissance de Sri Aurobindo, et il avait annoncé la venue d'une incarnation du Divin et d'une nouvelle race qui «défierait la mort, la vieillesse, etc.», un an avant la naissance de Sri Aurobindo.

(après un long silence, Mère reprend le bloc, hésite, puis écrit une lettre à A.)


22.7.70

A.,

C'est regrettable, mais vous me faites dire ce que je n'ai pas dit.

Je n'ai donc rien à répondre à vos conclusions sans fondement.

Espérons que la paix reviendra dans votre mental, et avec elle, une meilleure compréhension.

Avec mes bénédictions.

Signé: Mère


C'est dur.

Quand j'ai reçu sa lettre, j'ai eu l’impression intérieure d'un mensonge mental

Oui, c'est une excitation.

Mais ce que je peux faire, c'est de rectifier auprès du disciple de Ramalingam ce que tu as dit.

Non, ce n'est pas «le Supramental», c'est un aspect du Supramental, ou plutôt une activité du Supramental.

Veux-tu que je lui envoie cette rectification?

S'il bavarde sur ce qu'on lui dit, oui.

(Mère regarde sa lettre à A. puis hésite à l’envoyer)

Oh! on peut la laisser – il va être vexé.

(silence Mère a l’air fatiguée)

Je regrette vraiment! 292

Non! (Mère rit) Ça ne fait rien!2 Ce n'est pas de ta faute, c'est la faute d'A.

Je ne sais pas pourquoi ils se mettent en ebullition.

Oh! moi, je vois bien... Tout ça se passe ici (geste au front).

Le mental est quelque chose de terriblement compliqué, vraiment!

Oh! c'est comme cela, c'est ici (même geste au front). Et quand je regarde, je vois tellement!... Les conceptions humaines... toujours ça a été la même chose avec tous-tous les Avatars: s'il n'est pas UNIQUE – unique –, et enfermé comme ça (geste comme sous une cloche), ce n'est plus ça! Ça les dérange...

Oui, c'est cela!

C'est cela, ils ne voient pas la Force qui... (geste immense qui embrasse tout)

Moi, je vois si bien!... Cette personnalisation... N'est-ce pas, il y a une grande Force qui descend pour travailler, et puis elle se «coagule», pour ainsi dire, dans un point personnel pour pouvoir toucher la Matière. Et alors les hommes (riant) aiment prendre des ciseaux et puis ils coupent (Mère découpe un petit carré dans cette vaste coulée de Force) et ils font une personne et ils l’isolent (geste comme sous une cloche). C'est une chose que je vois tellement bien!

Oui, c'est la porte du sectarisme et du fanatisme.

Oui-oui-oui.

(Mère tend une guirlande d'«aspiration» au disciple)

Tu veux?

Oui, douce Mère, oui-oui!

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Je me REFUSE absolument à me laisser mettre comme ça (geste sous cloche)... J'aime mieux –j'aime mieux me dissoudre, tu comprends.

Que ce soit fluide.

J'ai l’impression que les hommes ont des grands ciseaux, et ils veulent toujours couper des morceaux du Seigneur!

25 juillet 1970

Il y a des années, je recevais un cahier de B, et je lui répondais, puis, une fois, je l’ai oublié. Et il m'a écrit hier pour me dire qu'il voudrait bien avoir son cahier, et je l’ai retrouvé. Et dans ce cahier, il y avait une question à laquelle je n'avais pas répondu.

Alors j'ai répondu... Ce matin, j'ai «présenté» cette question (au Seigneur) et c'était comme si ça attendait l’occasion. J'ai reçu une réponse... simple comme toujours, mais qui explique TOUT-tout le fonctionnement. Et quand j'ai vu cela, ça a été une telle illumination que... tout est devenu si simple! (Je l’ai écrit, mais ce n'est rien, ça a l’air d'un lieu commun.) Mais ça met fin à toutes les questions. Ça a été absolument merveilleux!

Alors, au lieu de lui renvoyer le cahier, je l’ai gardé pour que tu le voies, parce que ça n'a l’air de rien du tout, mais si cela donne aux autres l’expérience que ça m'a donné, c'est quelque chose!... J'ai vécu pendant plusieurs heures dans une Paix que rien ne peut déranger... C'est si simple! si simple!

(le disciple lit le cahier)

Douce Mère,

Est-ce que le Divin punit l’injustice? Est-ce qu'il est possible qu'il punisse jamais personne?

(Mère rit) Il avait toujours une façon très enfantine de poser les questions! Alors j'ai répondu:

«Après tant d'années, je retrouve le cahier oublié, et je réponds:

«Le Divin ne voit pas les choses comme les hommes...

Ça, c'est à l’usage de B.

«...et n'a pas besoin de punir et de récompenser. Toutes les actions portent en elles-mêmes leur fruit avec leurs conséquences.

«Selon la nature de l’action, elle rapproche du Divin ou elle éloigne du Divin...

Alors... tu vois l’immense Mouvement dans l’univers se rapprochant du Divin, et que tout-tout dedans est comme cela (en marche vers le Divin)... Je voudrais te passer mon expérience, elle est extraordinaire!... Simplement ça.

«...et cela, c'est la suprême conséquence.»

C'est créé de telle façon, c'est organisé de telle façon que c'est tout comme cela et à chaque seconde (et alors je comprends; je comprends des mouvements que j'ai sentis dans la conscience et que je ne m'expliquais pas), c'est automatique et continu, à chaque seconde (nous, nous divisons en secondes, mais c'est continu). Alors c'est la marche vers le Divin, vers l’identification consciente avec le Divin, ou alors le recul. Et le corps avait senti des choses qu'il ne comprenait pas, parce que la conscience était d'une certaine façon et il y avait des choses qui n'allaient pas (tout d'un coup, un tout petit malaise, on ne sait pas pourquoi): c'est à cause de ça. Ça explique tout-tout. Le fonctionnement de l’univers est pleinement expliqué comme cela.

Ça élimine instantanément toutes les notions de péché, de mal...

Mais toutes-toutes les constructions humaines tombent. C'est si simple! C'est si simple. Et toute cette énorme bâtisse mentale que les hommes ont faite pour tâcher d'expliquer, elle tombe par terre.

C'est automatique.1

C'est automatique et universel. Et j'ai remarqué que ce n'est pas une chose vague ou imprécise: c'est exact comme si chaque élément avait son destin propre... Et un jour on peut faire un grand pas en arrière, et le lendemain un grand pas en avant. Et ça explique toute la confusion apparente du monde.

Oh! j'étais tout d'un coup allégée. C'était comme si un poids, un poids d'Ignorance était enlevé de moi.

(silence)

Et tu vois comme les choses sont arrangées: je ne l’ai pas fait exprès, mais je n'ai retrouvé ce cahier que quand j'étais capable de comprendre. À ce moment-là, Dieu sait quelle réponse j'aurais écrite! C'est arrivé juste au moment où j'étais capable de répondre. C'est admirable!

Oui, tout cela est d'une précision microscopique vraiment.

Oui-oui, c'est cela, n'est-ce pas! C'est la précision, l’exactitude – c'est la Suprême Conscience qui est partout. Nous avons même de la difficulté à le concevoir. Mais c'est évident... c'est aveuglant.2

(silence)

Tu as quelque chose à dire?

Non, mais j'ai une question d'orthographe à te poser!

Oh! mon petit, je fais autant de fautes d'orthographe que possible! (Mère rit)

C'est pour ces fameux «Aurovilliens»...

Je l’écris avec un seul «1».

Volontairement?

Volontairement. (Riant) Ce n'est pas du français: c'est de l’auro-vilien!3

(silence)

Je suis dans une joie extraordinaire depuis ce matin, tout s'est éclairci!

Et ce qui est amusant, c'est que l’on croyait savoir – on croyait savoir ça, ça n'a pas l’air d'une révélation... et on ne le savait vraiment pas! C'était comme quelque chose qui s'est renversé.

(silence)

Si l’on pouvait expliquer cette différence de compréhension, ça expliquerait la différence entre le fonctionnement mental (même mental supérieur, le fonctionnement intellectuel même le plus élevé) et le fonctionnement de la Conscience divine... Je le sens, mais... (Mère cherche à expliquer et y renonce)

Le fonctionnement mental explique – il explique. Les choses sont des conséquences (même mon mot «conséquence» dans le cahier, je ne suis pas sûre qu'il soit bon), il «explique», tandis que ça, c'est spontané. Ce n'est pas le résultat d'une décision: c'est spontané. On pourrait presque dire que c'est automatique. Nous avons toujours l’impression («nous», j'entends les êtres humains), l’impression, quand nous pensons à l’Action divine, d'une action supra-humaine, c'est-à-dire qui commence par voir, puis qui décide – et ce n'est pas ça! C'est... oui, un automatisme, je ne sais comment dire.

Je dois dire qu'il y a deux jours, j'ai eu une expérience (c'était encore avec R, elle était là): une expérience de tout l’univers, comme une vision globale d'une Immensité, et puis tout d'un coup, c'était comme si la conscience était devenue un point qui n'occupait pas de place, et ce point, c'était la Conscience Éternelle. Et alors, c'était tellement fort! tellement fort... comment tout cela, tout cet univers déployé était le résultat de cette Conscience... (Mère désigne un point). N'est-ce pas, la conscience ici est devenue cette Conscience Éternelle (pour quelques secondes peut-être, je ne crois même pas que ça ait duré une minute, mais le temps n'avait rien à voir là-dedans), c'était l’Éternel, c'était la Conscience. Et cette expérience avait déjà préparé quelque chose (en Mère), parce que les deux étaient simultanés; l’un n'abolissait pas l’autre, les deux étaient simultanés: ce Point qui n'occupait pas de place mais qui était éternel et qui était tout, et en même temps le déploiement (de l’univers). Ça a été une expérience très intense. Et puis, il n'est plus resté que cette vaguerie qui est le «tout»; mais elle n'a pas perdu son impression de vaguerie, c'est-à-dire de quelque chose d'imprécis. Et depuis ce moment-là, il y a quelque chose de changé (en Mère). Et alors aujourd'hui, dans cette conscience, quand la réponse est venue, ce n'était pas la connaissance de «ça» – ce n'était pas la connaissance: c'était le fonctionnement. Tout d'un coup, j'étais devenue le fonctionnement. Et alors je l’ai traduit comme j'ai pu dans ce cahier... C'était d'une simplicité, n'est-ce pas, d'une simplicité toute-puissante, merveilleuse!

Les mots sont des à-peu-près. J'ai dû mettre un mot parce que j'ai dû lui écrire, mais l’expérience est venue comme cela, du fonctionnement: de cette Immensité universelle qui retourne vers la Conscience Divine, comment elle y retourne – alors innombrable, n'est-ce pas, avec toutes les expériences possibles, mais d'une sim-pli-ci-té merveilleuse.

(long silence)

Les mots...

Ça m'a donné en même temps comme une expérience corporelle du mouvement universel de retour de la conscience vers le Divin; et ça... une perception qui n'est pas du tout mentale, pas du tout: comme si toutes les cellules sentaient ce mouvement, n'est-ce pas, ce mouvement de retour formidable vers la Conscience.

Ce doit être le mouvement de l’univers vers le Suprême.

Je dois dire que certaines choses ont contribué à l’expérience: en réponse à certaines questions, Z m'a parlé hier de l’âge de la terre et comment, maintenant, ils sont arrivés à le mesurer (des choses qui sont la façon mentale d'aborder le problème), et alors, tout d'un coup, quand il a parlé, tout d'un coup est venue cette espèce d'union et de... (comment dire?) presque de sensation dans le corps, de la terre retournant vers la Conscience Divine. Alors tout cela, joint, combiné, a abouti à cette expérience.

(silence)

Avant, quand j'avais des expériences (il y a longtemps, il y a des années), c'était le mental qui en profitait plus ou moins, puis qui le répandait, l’utilisait; maintenant, ce n'est pas comme cela: c'est directement le corps, c'est le corps qui a l’expérience, et c'est beaucoup plus vrai. Il y a une attitude intellectuelle qui met une espèce de voile ou de... je ne sais quoi, quelque chose... quelque chose d'irréel, sur la perception des choses – une attitude, c'est une attitude. C'est comme si l’on voyait à travers un certain voile ou un certain... quelque chose... une certaine atmosphère; tandis que le corps, il le sent en lui-même, il devient ça. Il sent en lui-même. Ce n'est pas comme si la chose était prise comme cela (geste d'absorption en soi): c'est comme si, lui, devenait ça (geste d'éclatement de soi ou d'expansion). Au lieu de tirer l’expérience à la mesure de l’individu, c'est l’individu qui s'élargit à la mesure de l’expérience.

(Mère entre en contemplation)

Tu n'as rien à dire?

J'ai eu, une fois, une sorte de perception qui était une expérience vraiment, très forte, de tout ce mouvement justement, universel, de retour, et j'avais l’impression ou la sensation que tout allait vers Ça, que tout était pour Ça, et qu'il était impossible que là-dedans, il y ait quoi que ce soit «contre», qu'il y ait quoi que ce soit qui n'aille pas dans ce sens-là, même quand, apparemment, c'était «contre» ou «de travers» ou «obscur» ou...

Oui-oui.

J'avais l’impression que tout allait, tout était pour Ça, qu'il n'y avait rien de contre – l’impossibilité d'une chose contre là-dedans.

Oui, c'est comme si... je ne sais pas... c'est comme si le «contre» le rendait inexistant, n'est-ce pas, d'une façon qui pour nous est incompréhensible.

Une incompréhension qui fait que nous disons «contre».

Ça m'était venu sous cette forme: même ce qu'on appelle le «faux chemin» fait partie du bon chemin.

Oui.

Ça a l’air d'un paradoxe...

Oui, c'est cela, c'est une limitation de vision, tout simplement.

(silence)

Avec la perception de l’espace (qui doit correspondre à quelque chose), les choses qui s'éloignent (dans ce que j'ai vu, mon expérience), c'est comme si c'était pour faire une courbe plus grande pour... C'est cela: l’éloignement, c'est comme pour élargir son horizon ou son champ d'action.

(silence)

Mais ce qui est intéressant (qui est très intéressant pour moi), c'est que le corps était occupé beaucoup par toutes les difficultés de la transformation, et cette expérience-là lui a donné... on ne peut pas dire une «joie» (c'est quelque chose d'infiniment supérieur et plus grand, plus fort – c'est tellement immense!...), c'est comme si toutes les cellules dansaient de joie. C'est cela, l’impression.

Ça aussi, ces jours derniers, je me demandais pourquoi le corps est si absorbé par les difficultés de la transformation, et je n'avais pas reçu de réponse, excepté d'être patient et tranquille et de ne pas s'agiter – comme toujours. Mais maintenant, je comprends!... Il ne peut être joyeux que dans une certaine atmosphère de vérité; alors là... c'est comme si tout s'élargissait, se détendait, et alors c'est une joie extraordinaire qui n'a pas d'équivalent dans la perception ordinaire, du tout.

(Riant) C'est un peu comme si l’on m'avait pris la tête et puis qu'on l’avait retournée! (Mère fait le geste de se retourner la tête vers le haut). N'est-ce pas, c'est ici qu'est la Conscience (geste au-dessus) et on l’avait prise et on l’avait retournée du bon côté! (rires)

(silence)

Ce sont les limitations qui créent l’impression du mal, du mauvais – dès qu'on enlève les limitations, c'est parti.

29 juillet 1970

Des histoires, des complications...

Mais est-ce que Nolini ne pourrait pas faire quelque chose?

Nolini veut la paix.

Ah! toi, qu'est-ce que tu as à me dire?

J'ai une lettre de Monseigneur R [l’ami de P.L.]. Est-ce que cela t'intéresse?... Tu sais qu'il devait venir à la fin de l’année dernière, je crois, et, «comme par hasard», il en a été empêché.

Cela ne m'étonne pas.

Puis, tout récemment, il a eu une grave opération. Alors il t'avait écrit une lettre au mois de février, qu'il n'a jamais envoyée, et il Va donnée à Z1 pour te la remettre.

Tiens!...

Il est encore malade?

Non, il est en guérison. Et puis, il est dans une affaire... Je t'ai dit que cet homme avait des centaines et des centaines de millions, une fortune considérable, qu'il ramassait toujours avec des femmes – il a un pouvoir sur les femmes.

Il en a encore reçu?

Oui, il a encore reçu cent millions de francs suisses de la veuve d'un banquier.

Il est vieux, cet homme, non?

J'ai sa photo là.

Oh! montre.

Il est justement avec la femme qui vient de lui donner cent millions.

Ça, c'est amusant!... (Mère regarde la photo) Oh! ils ne sont plus en costume, ils sont en civil?...

Ça dépend des occasions!

(Mère regarde) Oh! c'est ça... Tiens-tiens-tiens!...

C'est un homme d'une cinquantaine d'années?

Un peu plus, je crois.

(après un silence)

C'est intéressant. Et alors, qu'est-ce qu'il écrit?

27 février 1970

Mère,

Plus l’attente se prolonge et plus vif est mon désir de vous voir. C'est sans doute parce que notre rencontre doit avoir sur ma vie une influence considérable que les obstacles se multiplient sous mes pas. Je suis navré de voir ce départ pour Pondichéry sans cesse retardé et remis à plus tard.

Demain, en votre anniversaire, je serai par la pensée et par la prière au milieu de tous vos enfants si heureux de vous offrir leurs vœux les plus chaleureux et les plus affectueux.

Que Dieu vous garde encore de longues années à l’affection de vos innombrables amis – qui ont tous besoin de vos conseils et de votre présence pour purifier leur être et le grandir jusqu'à la taille surhumaine voulue du Créateur.

Je tiens, Mère, à vous redire mon admiration, mon attachement, et mon immense désir d'aller près de vous au plus tôt.

(après un silence)

P.L. travaille toujours pour lui?

Oui, depuis cette grave maladie, R lui a passé tous les pouvoirs pour gérer cette immense affaire – des milliards.

Tout, des cadeaux?

Tous, des cadeaux. Et tout tombe sur les épaules de P.L.

(après un long silence)

Z t'a dit qu'elle voulait s'en aller?2

Oui.

Qu'est-ce qui l’a fait décider cela?

Douce Mère, j'ai eu une étrange impression avec elle... Deux ou trois fois, j'ai été amené à lui dire: «Que la Grâce soit avec vous», parce que j'ai l’impression qu'il n'y a que la Grâce qui peut la sauver.

Quelque chose est arrivé.

Oui, douce Mère. Il est arrivé qu'avant son départ pour l’Europe, elle a eu l’écroulement complet de toutes les constructions mentales...

Oui, ça, je sais.

Alors tout s'est élargi et elle s'est ouverte au niveau vital (du vital supérieur), et elle dit: «Le Divin est partout», c'est «l’immense Amour», et «Tout coule à travers moi sans résistance»... Et en effet, quand on est près d'elle, on sent une force vitale considérable, qui la dépasse de beaucoup, et, pour elle, c'est le Divin qui s'exprime par là, à ce niveau-là [plexus solaire].

(D'un ton attristé) Ah!...

Tout est «l’immense Amour» et c'est «la même chose partout»... Alors je lui ai dit: «Mais par exemple, est-ce que Sri Aurobindo représente quelque chose pour vous?» – «Oh! m'a-t-elle dit, plus de formes, plus de formes! C'est la même Chose partout, il n'y a pas de formes, je vois le visage de Mère partout – tout est la même Chose. C'est une illusion de dire qu'à Pondichéry, il y a plus qu'ailleurs...» Parce qu'elle veut mettre ses enfants en Suisse [qui étaient à l’École de l’Ashram].

Oui, je sais.

Alors, je lui ai dit: «Mais ils sont contents, les enfants?» – «Oh! m'a-t-elle dit, là-bas c'est tout les idées de Mère, c'est tout la même chose.» Et elle m'a dit: «Vous croyez qu'il y a une différence entre le Divin ici et là?...» Alors elle est ouverte complètement au niveau des forces vitales. Quand on est près d'elle, on reçoit une espèce de déferlement vital – pas laid, pas bas, mais... Avec un grand désir d'«aider les autres», d'«agir», d'«être l’instrument», etc.

Oh!...

Elle dit: «Ça coule à travers moi sans résistance.»

(après un long silence)

Ça lui est arrivé avant de partir [pour l’Europe]. J'avais eu l’impression (pas des pensées: quelque chose comme une supersensation) que, peut-être, elle avait «tiré», parce que la force qui passait à travers elle était trop grande pour elle. Ça, je l’avais vu avant – j'avais vu ça, senti avant qu'elle ne s'en aille. Mais je l’ai vue quand elle est revenue et... c'était comme si elle était sortie de l’atmosphère.

Oui, douce Mère, elle est sortie.

J'ai eu l’impression qu'il y avait quelque chose qui bouillonnait.

Oui, très fort.

Très fort, mais... Pour moi, c'est là (geste tout en bas), ce n'est rien (geste qui s'effrite entre les doigts).

Mais ça fait de l’effet.

Oh! moi...

C'est ici [au plexus solaire] son «immense amour»; elle dit que ça palpite constamment ici, tu comprends.

Oui, c'est vital... Parce que, ce que j'ai perçu, c'était comme un grouillement terrestre.

Oui, c'est tout à fait cela... Alors, quand j'étais près d'elle, je suis resté très tranquille pour savoir ce que je devais lui dire. Et c'est comme si l’on me disait: «Ne dis rien.»

Oui.

«Ne dis rien.» La seule chose que j'ai perçue, c'est qu'elle était sur une voie dangereuse et je lui ai dit deux fois: «Que la Grâce soit avec vous.» Parce que j'avais l’impression qu'il n'y avait que la Grâce qui pouvait la sauver.

Moi, dès qu'elle m'a dit qu'elle voulait mettre les enfants à l’école suisse et que cette école enseignait tout à fait ce que je disais...

Oui, c'est «la même chose».

Je connais tout ce fourbi d'enseignement: ça se passe là, par terre. Mais je n'ai rien dit, rien-rien, parce que... parce qu'il n'y avait rien à dire.

Moi, non plus, je n'ai rien dit du tout... Alors, en Europe, elle est entrée dans un milieu défini qui est fait de gens super-riches: des «super-artistes», des «super-banquiers», tout un monde très frelaté et très désabusé pour qui le «spirituel» est encore une autre façon de théâtre, tu comprends: tout d'un coup, on se découvre une «âme spirituelle». Alors elle agit dans ce milieu-là, elle fait de l’effet, beaucoup, dans ce milieu-là, et elle veut rentrer, j'imagine, pour travailler dans ce milieu-là.

Moi, je ne me suis préoccupée que d'une chose: est-ce que cela a de l’effet sur P.L.? Parce que P.L. est tout à fait...

Oui, mais, douce Mère, P.L. a quelque chose qui ne peut pas finalement se laisser tromper.

Espérons-le.

Il est bien au-dessus.

Et maintenant, tu m'as lu cette lettre... Cet homme-là est très mental – très mental – mais... Et ce n'est pas «moi» qu'il veut voir: c'est une construction mentale qu'il a faite (mais cela ne fait rien, on peut travailler à travers n'importe quoi)... Mais il y avait quelque chose dans cette lettre, de plus que je ne pensais. J'ai toujours pensé que c'était un homme très mental avec une puissance vitale d'attraction – il y a peut-être quelque chose d'autre... Mais ils sont pris par les formations vitales. P.L. aussi, j'ai toujours eu l’impression qu'il fallait le protéger.

Z a dit quand elle voulait s'en aller?

Fin août. Et elle voudrait revenir Vannée prochaine avec Monseigneur R, en février, je pense.

(long silence)

Quand elle m'a dit ses projets, je ne lui ai absolument rien dit, mais j'ai regardé, et très clairement il m'a été dit: «Il lui faut cette expérience.»

Oui.

Elle a besoin de l’expérience.

Moi aussi, j'ai senti cela. Seulement c'est une expérience dangereuse.

Ah!... ça peut rendre la réalisation à une autre vie.

(long silence)

Je crois que je t'ai dit que quand P.L. a fait ce scandale là-bas (au Vatican), il m'a été clairement dit que c'était le «commencement de la conversion du christianisme». Et naturellement, c'est cela qui m'intéresse beaucoup plus que les questions de personnes...

Mais je vois que P.L. n'est peut-être qu'un intermédiaire et R est peut-être... comment dire?

Le canal.

Oui, là-bas, pour introduire le Courant.

(silence)

On m'avait dit déjà que le pape était l’homme le plus riche du monde.

Oui, c'est vrai.

La richesse matérielle semble être concentrée là. Et c'est à ce point de vue-là, au point de vue positif (il y a un point de vue négatif très important), mais c'est à ce point de vue positif que cette conversion est importante... Les richesses de la terre doivent être utilisées pour la transformation de la terre.3

(Mère entre dans une longue concentration, ferme les yeux très fort et regarde quelque chose, puis plonge)

Z fait de la propagande pour emmener des gens d'ici.

D'ici!

Oui, une enfant qui m'a écrit. J'ai reçu un mot hier ou avant-hier, où elle me dit (c'est une fille): «Z veut que j'aille avec ses enfants à l’école de Suisse, et tout d'un coup, m'a-t-elle dit, je ne suis pas heureuse ici.» C'était tout le contraire avant...

Douce Mère, j'ai une certaine influence sur Z parce que c'est à travers mon livre qu'elle est venue, et chaque fois, elle vient me voir comme pour avoir une approbation ou une confirmation – elle sent qu'il y a quelque chose au-dessus. Quand elle est venue me voir, je n'ai pas bougé, rien dit, malgré tout ce que je sentais de danger, de fausseté; mais crois-tu que je doive intervenir, parce qu'elle m'écoutera si j'interviens?

Je ne veux pas qu'elle reste.

Tu ne veux pas qu'elle reste.

Non, parce qu'elle a besoin de l’expérience... Mais quand j'ai reçu la lettre de cette enfant, le cas m'a paru plus sérieux. Si elle fait de la propagande ici pour enlever les gens...

Quand les gens s'en vont d'ici, ils s'aperçoivent tout d'un coup de ce qu'ils ont perdu. Tant qu'ils y sont, ils ne se rendent pas compte, parce que notre apparence est... Le vital ne fait pas de manières, tu sais, ne joue pas la comédie, alors ils sont facilement trompés! Mais quand ils s'en vont, ils s'aperçoivent tout d'un coup de ce qu'ils ont perdu. Alors... Mais ce n'est pas à ce point de vue-là que je me place, c'est au point de vue de ce que je pourrais appeler la «gravité du cas» de Z. Quand j'ai vu qu'elle était capable de vouloir tirer des gens d'ici, ça... au point de vue aberration mentale, c'est sérieux.

Son aberration, c'est d'avoir la «réalisation», dit-elle, que c'est «partout la même chose», et que les formes extérieures – Mère, Sri Aurobindo –, c'est une espèce d'illusion, et qu'en réalité c'est une grande force impersonnelle, partout la même.

(Mère hoche la tête silence)

Je ne crois pas que le moment soit venu de livrer la bataille, tu comprends... C'est toute cette transformation du christianisme qui commence, c'est tout ce monde d'Occident qui... Il ne faut pas encore entrer en lutte, il faut laisser. On va voir.

Mais tu sais, chez ce Mgr R, je sens que c'est un homme qui a une ouverture là-haut et qui comprend très bien ce qu'est le surhomme – pour lui, le surhomme veut dire quelque chose. C'est par là qu'il peut être touché.

C'est possible... C'est un homme très puissant (j'ai vu, tu m'as montré la photo), très puissant.

(long silence souriant)

Pas parler... Pas parler trop tôt.

(long silence)

Est-ce que tu réponds quelque chose à cette lettre?

(après un silence)

C'est cette phrase de Sri Aurobindo qu'il faudrait lui envoyer, tu la connais: «In the Hour of God all is possible...» Je ne me souviens plus. Hier soir encore, je l’ai traduite... «Rien n'est impossible à l’Heure de Dieu...» Une seule phrase. C'est seulement cela que je voudrais lui dire. (Le disciple cherche en vain la référence)

Douce Mère, on peut simplement lui dire la phrase comme de toi.

«Moi», ça n'a pas de valeur.

C'était court comme cela: «Rien n'est impossible quand c'est l’Heure de Dieu...» ou «à l’Heure de Dieu...»4 Ma mémoire... Je me souviens d'un tas d'impressions que j'ai, mais je ne me souviens pas de mots et de phrases.

Et puis, je vois trop de gens et je fais trop de choses.

C'est la seule chose que je veux lui dire... Parce que je viens d'avoir une vision fantastique... Une vision sans forme... de (comment dire?) du berceau d'un avenir... qui n'est pas très lointain. Un avenir... je ne sais pas.

Mais ça ne veut pas être dit.

Seulement ça: c'est une masse for-mi-da-ble (geste) qui est suspendue sur la terre.

août




1er août 1970

(Mère donne au disciple le message du 15 août:)

«Même le corps se souviendra de Dieu.»

Savitri, XI.I.707


(Puis elle traduit une dernière citation de Sri Aurobindo.)

«Les souffrances que l’on rencontre sur le chemin, quelles qu'elles soient, ne sont pas un prix trop élevé pour la victoire qui doit être remportée, et si on les prend dans le véritable esprit, elles peuvent même devenir des moyens de remporter la victoire.»

Letters on Yoga, XXIV. 1636


Peu après

On a fait des brochures: «On India» [sur l’Inde], et puis cinq cartes avec des citations.

(Mère donne les textes au disciple)

Il paraît que tu as dit que la menace chinoise était «inévitable» sur l’Inde?

Non, je n'ai pas dit cela... Qui a dit cela?

On prête ces paroles à P.B. Tu sais, les choses se déforment...

Oui, tout à fait déformées. J'ai dit que c'était «sérieux». Parce qu'ils ne sont pas conscients, le gouvernement n'était pas conscient du tout du danger. Alors, on les a prévenus de ma part. Mais je n'ai pas dit que c'était «inévitable»; j'ai dit que c'était dangereux – si c'était inévitable, je n'aurais rien fait!

Tu sais que tous les murs de Calcutta sont placardés de slogans: The chairman of China is our chairman [le président de la Chine est notre président]. Et l’atmosphère est comme cela. Et il y a un monsieur qui était, je crois, à la tête de l’université là-bas,1 ou l’officiel à la tête de l’Enseignement, qui est venu ici nous demander d'aller faire quelque chose au Bengale – je l’ai vu. Il paraît qu'il a une frousse épouvantable... Il a demandé que l’on aille faire quelque chose. Alors c'est presque officiellement que l’on est appelé là-bas.

La réponse en Orissa est excellente.

Mais il y a... je crois que c'est le premier ministre2 ou un ministre de Madras qui est allé en France parce qu'il y avait un Congrès tamoul là-bas, et il a vu Z qui est notre ami,3 et il lui a dit que lui et le gouvernement de Madras en général étaient «très réservés vis-avis de l’Ashram», parce que nous étions «des Bengalis...» (je ne me souviens plus – absolument idiot!), «et que ce que nous disions n'était pas vrai.» Enfin... des choses tellement stupides que je ne peux même pas m'en souvenir. Et ça, c'est l’attitude officielle. Il a dit: «Nous aimons mieux qu'il y ait des étrangers là-bas que des Bengalis parce que nous serons plus en sécurité.» – Voilà! Enfin absolument imbécile.

Alors nous sommes dans une situation... bizarre: il y a tout le mouvement anti-gouvernemental dans l’Inde qui ne veut pas que nous soyons aidés par le gouvernement; et il y a le gouvernement d'une province qui dit que nous sommes les amis d'une autre province et qu'il ne faut pas être l’ami... Alors, pour leur plaire, il faudrait que nous devenions aussi stupides qu'eux.

P.B., je ne sais pas ce qu'il dit, mais il m'a lu quelque chose qu'il avait écrit et qui était bien. Et il a dit que le danger était sérieux – et c'est vrai... Mais il y a eu des choses remarquables: par exemple, des jeunes qui sont dans ce mouvement pro-chinois,4 qui veulent les Chinois, m'ont écrit pour me demander si c'était bien et s'il fallait être comme cela, et... «nous ferons comme vous direz.» Alors, cela prouve qu'en tout cas l’Influence est forte... Il y a des signes... il y a de l’espoir... Non, ce n'est pas inévitable. C'est dangereux mais ce n'est pas inévitable.

Mais ils sont entre eux pires que des voyous! ils se querellent d'une façon toute petite, alors c'est cela qui rend le travail difficile.

Mais j'ai appris des choses à propos des Tibétains... Les Tibétains sont avec nous, mais il y a un garçon tibétain qui est arrivé ici et qui a raconté des choses effrayantes... Ils s'étaient sauvés de leur pays et ils étaient près de la frontière (ils habitaient dans des huttes près de la frontière, avec son père, sa mère, son grand-père) et il y a un lama tibétain qui est venu leur demander abri. Ils l’ont pris, ils l’ont logé. Mais au bout de quelque temps (je ne sais pas combien de jours), une troupe d'autres tibétains est venue chercher cet homme-là, disant qu'il était l’ennemi. Alors, ces Tibétains (moi, je croyais qu'ils étaient tous les «victimes des Chinois» – ils sont les victimes de leur propre division), ils sont venus, ils ont assassiné le père, la mère, le grand-père; ils ont essayé d'assassiner le fils, mais ils l’ont manqué: il s'est sauvé et il est ici. Des histoires incroyables! Alors ils sont tous comme cela, à se disputer et à se quereller entre eux – s'ils continuent, évidemment... ils ouvrent la porte à tout.

Alors les uns me disent: «Ne soyez pas avec celui-là parce que...» Les autres me disent: «Ne soyez pas avec ceux-ci parce que ce sont des ennemis...» Voilà!

Alors on répond: nous sommes avec tout le monde.

On se demande ce qui pourra sortir l’Inde de toute cette petitesse politique.

Il faut sortir de la politique.

Sri Aurobindo a dit en toutes lettres ce qu'il fallait qu'ils fassent.

J'ai dit (j'ai vu le gouvernement, il vient me voir), et je lui ai dit: «Vous avez une chance exceptionnelle, c'est le Centenaire, c'est une occasion, cela vous donne comme une espèce de droit de pousser cela en avant – servez-vous de ça, de cette occasion; vous avez deux ans pour contrecarrer le mouvement.»

Mais nous, nous ne pouvons pas ouvertement dire que nous sommes avec eux parce que... parce que cela écarterait tout un parti – nous ne sommes avec personne. Nous sommes seulement avec Sri Aurobindo – avec personne. Ceux qui viennent, quels qu'ils soient, sont les bienvenus.

Ça (Mère désigne les brochures), cela fait partie de la littérature que l’on distribue, il y a des choses très bien là-dedans. Je ne l’ai pas lu.

C'est une série de questions avec les réponses sur toutes sortes de problèmes: éducation, langage, etc.

Il y a des réponses de Sri Aurobindo?

Je ne sais pas, ce n'est pas signé. Et pourtant, je vois une chose de toi... Rien n'est cité ni signé, alors on ne sait pas si c'est de Sri Aurobindo, de toi ou de quelqu'un.

Mais on est obligé de laisser l’idée à sa valeur propre, parce que si l’on présente l’idée au nom de quelqu'un qu'ils n'aiment pas, ils l’enverront promener!

Ils voulaient me mêler à l’action et j'ai refusé. J'ai dit: «Non, je ne veux pas.» Je ne veux pas du tout être mêlée à ça: je ne suis pas Indienne et je ne veux pas que vous me poussiez en avant et puis que tout d'un coup, un jour, on dise que c'est «une étrangère qui se mêle de nos affaires». Ça, j'ai défendu que l’on dise: «La Mère a dit ça... la Mère a dit ceci...» Non, merci!

Une étrangère!...

Oui, mais ils sont comme cela!

(silence)

C'est confortable quand on est... (geste à l’arrière-plan). Et j'en vois pourtant, il en vient, et il en vient de plus en plus. Je ne peux pas refuser toujours.

C'est pour cela, c'est à cause de cela que je n'ai pas voulu mettre quelque chose de moi à ce Mgr R. Je ne veux pas, je ne veux pas que l’on puisse dire: «Oh! il y a une femme qui... Mère qui...» – Ça n'existe pas! (Mère rit)

5 août 1970

(Cette conversation devait être la dernière avant une grave épreuve qui s'est de nouveau traduite par une «maladie» d'un mois. Notons que par une coïncidence qui n'en est pas une, le 6 août, la fidèle assistante de Mère devra partir à Bombay se faire opérer d'un cancer. C'était le dernier élément sur lequel Mère pouvait compter dans son entourage physique imédiat. Désormais, elle sera seule entre son «gardien» et son médecin. Le jour même du 6 août, commençaient un rhume et de la fièvre.)

Les fonds, tout d'un coup, sont devenus plats, il n'y a plus rien! J'attends de l’argent, mais il ne vient pas (l’argent qui aurait dû venir il y a un mois). Il y avait longtemps que je n'étais pas arrivée à cette condition... (riant) je ne paye plus le caissier! Alors quand je ne paye plus le caissier, ça devient tout de suite des sommes formidables... Nous verrons.

Il n'y a pas de nouveaux développements? Je n'ai pas revu Z.1

Moi non plus.

Il doit y avoir du tirage.

Oui, on ne peut pas être impunément ici.

Oui...

(Mère prend une fleur près d'elle)

Tu veux le «silence» – pas Satprem, non! (Mère rit) tu ne ferais plus ton travail! (À Sujata:) Toi, tu veux?

(silence)

Il est arrivé un accident à son fils.

Au petit de Z! Aah!

Oui, il était à bicyclette et il s'est cogné je ne sais pas contre quoi – pas quelque chose de très grave, mais enfin ça lui a entaillé la jambe.

C'est un symbole.

Oui. J'ai trouvé ça... ennuyeux.

Mais elle ne comprendra pas... à moins que la Grâce ne lui fasse comprendre.2

(long silence)

Cette Conscience qui est venue il y a plus d'un an (un an et demi maintenant), semble travailler très-très dur, d'une façon très positive, pour la sincérité. Elle n'admet pas les pretences, que l’on prétende être cela et qu'on ne le soit pas. Il3 veut que ce soit la vraie chose.

Oui, tout ressort.

Et ça disloque des arrangements comme cela, d'apparences.

C'est un excellent mentor pour ce corps: il lui donne des leçons perpétuellement... Et je ne sais pas si tous les corps sont comme cela, mais celui-ci se sent un tout petit enfant et il veut être à l’école, il veut qu'on lui montre où il se trompe et apprendre toutes les choses. Et il est constamment à apprendre. Mais tout ce qui vient du dehors... Ça, c'est très intéressant: la Conscience (la Conscience qui est là: geste au-dessus) n'est influencée par rien: elle est témoin, elle voit, mais elle ne reçoit pas; le corps reçoit encore des vibrations: certaines gens, quand ils s'asseoient devant moi, tout d'un coup il y a des douleurs, il y a des choses qui ne vont pas; mais alors, il sait maintenant (naturellement il sait qu'il souffre!), mais il ne s'en prend pas aux autres: il s'en prend à lui-même; il le prend comme une indication des points qui ne sont pas encore uniquement sous l’Influence divine. Et de ce point de vue, c'est très intéressant... Il sait l’écart qu'il y a entre la conscience de l’être qui se sert de lui, et lui; et il n'en souffre pas, mais il est d'une humilité, d'une modestie parfaite. Et il ne s'étonne pas ou il ne s'inquiète pas parce que c'est: «Que Ta Volonté soit faite.» Ça, c'est devenu une loi absolue: «Que Ta Volonté soit faite; ça ne me regarde pas, je suis incapable de juger et je n'essaye pas – que Ta Volonté soit faite.» Et alors, il est comme cela (geste passif, abandonné). Et quand il disparaît, qu'il est tout à fait, tout à fait soumis, qu'il n'existe plus par lui-même, alors la Force qui passe devient... quelquefois elle est formidable. Quelquefois on peut voir, la conscience-témoin peut voir qu'il n'y aurait vraiment pas de limites aux possibilités. Mais ce n'est pas encore «ça», il s'en faut de beaucoup... Ça vient comme un exemple de ce qui peut être. Mais... avant que ce soit spontané et naturel...

(long silence)

Qu'est-ce que tu as apporté? Rien?

Je ne sais pas si c'est correct, mais j'ai l’impression d'une certaine différence entre il y a plusieurs années et maintenant, dans ta présence avec nous, si je puis dire. Par exemple, autrefois, j'avais souvent l’impression que tu t'occupais activement de nous; maintenant, je ne sais pas si c'est exact, mais j'ai plutôt l’impression que c'est laissé à une force... pas impersonnelle mais...

Ah! il y a beaucoup de l’activité que j'ai laissée à cette Conscience, c'est vrai. Ça, c'est vrai. Cette Conscience, je la laisse travailler activement parce que... je me suis aperçue qu'elle sait vraiment. Autrement, le sentiment de proximité avec vous est beaucoup plus grand qu'avant – beaucoup plus. J'ai presque l’impression de me mouvoir au-dedans de vous (que je n'avais pas avant). Mais peut-être qu'avant, ma conscience faisait une pression sur la vôtre (geste du pouce), tandis que maintenant, elle ne doit plus en faire parce que... c'est comme si c'était du dedans que je faisais.

Oui, quand on est avec toi, près de toi, c'est évident, ça se sent. Oui, on sent que tu es au-dedans.

Oui, c'est cela.

Ça, tout à fait. Mais c'est plutôt quand on est physiquement écarté, on a l’impression que l’on est davantage avec quelque chose d'impersonnel. Je ne sais pas si c'est exact.

C'est peut-être devenu impersonnel. J'ai l’impression que même la conscience du corps est un minimum de personnel. Parfois, je n'ai plus l’impression des limites de mon corps... (Je ne sais pas comment dire...) Oui, c'est cela, c'est presque comme si c'était devenu fluide. Et il ne doit plus y avoir d'action personnelle. Mais justement, au-dedans, oui (je ne sais pas comment expliquer); ce n'est même pas comme une personne qui se serait agrandie pour prendre les autres au-dedans d'elle, ce n'est pas cela: c'est une force, une conscience qui est répandue sur les choses. Je n'ai pas l’impression d'une limite: j'ai l’impression d'une chose qui est répandue, même physiquement... C'est d'ailleurs comme cela que si quelqu'un vient avec un sens critique très actif, voulant observer et juger, c'est comme s'il entrait au-dedans, tu comprends, ça dérange dedans.

Je ne pense pas que l’action donne l’impression d'une action personnelle – il y a longtemps de cela (c'est-à-dire depuis le commencement de cette année au moins). Quand les gens m'écrivent qu'ils ont eu l’impression que «j'ai fait» ceci ou cela pour eux, je suis toujours étonnée. S'ils disaient: «La Force a fait ça» ou «La Conscience a fait ça», alors cela me paraîtrait plus naturel.

Ce qui parle, ce qui observe, c'est un centre de conscience qui est là (geste au-dessus), mais qui naturellement n'est pas localisé: c'est pour communiquer avec la bouche et les sens. C'est là (même geste au-dessus). Mais ça n'a pas le caractère d'une personnalité... N'est-ce pas, si quelqu'un me pose la question: «Comment voyez-vous cela?» Il me faut un moment pour comprendre la question. Je n'ai pas l’impression que c'est «une personne qui voit».

Certaines expériences me font penser que ce sens de la limitation personnelle n'est pas nécessaire à l’existence physique – c'est une chose qui doit être apprise mais ce n'est pas nécessaire. On avait toujours l’impression que le corps défini comme faisant des individualités séparées était nécessaire – ce n'est pas nécessaire. On peut vivre physiquement sans cela, le corps peut vivre sans cela... Spontanément, c'est-à-dire laissé à ses vieilles habitudes et manières d'être, c'est très difficile, cela donne une organisation intérieure qui ressemble beaucoup à du désordre – c'est difficile. N'est-ce pas, les problèmes se posent tout le temps, pour tout – TOUT –, il n'y a pas une activité du corps qui ne soit mise en question par ça.4 Le processus n'est plus le vieux processus, ce n'est plus comme c'était, mais «comme c'est» n'est pas devenu une habitude, une habitude spontanée, c'est-à-dire que ce n'est pas naturel, ça demande que la conscience veille constamment – pour tout, même pour avaler un déjeuner, tu comprends? Et alors, ça rend la vie un petit peu difficile – surtout-surtout quand je vois les gens. Je vois des quantités de gens (quarante, cinquante personnes tous les jours), et chacun apporte quelque chose qui fait que cette espèce de Conscience qui fait fonctionner tout cela doit s'arranger avec les choses qui viennent du dehors... Et je vois, n'est-ce pas, il y a beaucoup de gens qui deviennent malades (ou qui pensent être malades ou qui semblent avoir une maladie, ou qui en ont vraiment), mais cela devient concret dans le corps à travers leur manière d'être, qui est l’ancienne. Pour cette nouvelle conscience physique, ça pourrait être évité, mais, oh! c'est d'une difficulté! Il faut maintenir, par une espèce de concentration consciente, un état, une manière d'être qui n'est pas naturelle selon l’ancienne nature, mais qui est évidemment la nouvelle manière d'être. Mais comme cela, on peut éviter la maladie. Mais c'est presque un travail herculéen.

C'est difficile.

Tu comprends, toutes les impossibilités, tous les «ça ne peut pas être, ça ne peut pas être fait...», tout cela est balayé; mais c'est balayé en principe, et c'est en train d'essayer de devenir un fait, un fait concret.

Ça, c'est tout récent, c'est après le commencement de cette nouvelle année. Et alors, il y a toute la vieille habitude – on pourrait dire quatre-vingt-dix ans d'habitudes. Mais le corps sait, il sait que ce n'est qu'une habitude.

Mais...


(Mère passe à la traduction de quelques extraits de «Savitri».)

The great World-Mother by her sacrifice
Has made her soul the body of our state...

II.I.99

[La grande Mère du monde par son sacrifice
A fait de son âme le corps de notre condition...]

C'est intéressant, je n'avais pas remarqué: «has made her soul...» [a fait de son âme].

The divine intention suddenly shall be seen,
The end vindicate intuitions sure technique.

II.I.100

[l’intention divine soudain sera vue
La fin justifiera la sûre technique de l’intuition.]

C'est intéressant...

12 août 1970

Peux pas parler... (Mère désigne sa bouche et sa gorge)

(méditation pendant toute l’entrevue)

Tout ça...

(Mère hoche la tête)

22 août 1970

(Depuis le 6 août, date à laquelle l’assistante de Mère est partie se faire opérer d'un cancer, Mère a été dans un état de santé très difficile. Plusieurs fois, le disciple n'a pas pu la voir, et quand il la voyait, elle faisait signe qu'elle ne pouvait pas parler. Cette fois-ci de même, à part cette question:)

Tu as quelque chose à dire?

J'ai commencé à écrire le nouveau livre.

Ça, c'est bien!

Et comment s'appelle-t-il?

La Genèse du Surhomme.

(Mère approuve beaucoup de la tête puis reste longtemps concentrée sur le disciple)

septembre




2 septembre 1970

(Les premières paroles de Mère depuis près d'un mois. Son œil gauche est très gonflé. Sa voix est voilée. Ce n'est pas fini.)1

Défense de parler: ça me fait tousser terriblement.

(longue méditation)

Tu connais un homme, un peu roux, blond foncé, qui a une barbe?

???

Non?... Il était là (geste à côté du disciple).

Tu ne sais pas qui c'est?... Il était assis comme cela, par terre.

(Mère regarde encore)

Tu as beaucoup de disciples maintenant, n'est-ce pas?

Qui?2

(silence)

Qui?

(silence)

Pas moi!?

(Mère plonge à nouveau)

Ça va mieux3... Très lentement.

Si je me souviens, quand c'est fini, j'aurai vraiment quelque chose d'intéressant à dire. Seulement je ne sais pas si je me souviendrai...

C'est l’expérience du corps – du corps laissé à lui-même.4

(silence)

On verra.

Il se peut... il se peut que le psychique ait «assisté», tu comprends, sans intervenir, et qu'il se souviendra, c'est possible.

C'est... enfin. C'est encore une... Le résultat n'est pas certain, voilà tout ce que l’on peut dire.

(silence)

C'est quelque chose de formidable... et qui a l’air imbécile.

(long silence)

N'est-ce pas, le petit corps... le petit corps est comme un point, mais il a l’impression d'être l’expression d'un pouvoir formidable, et il est... comme ça: aucune capacité, aucune expression, rien – et assez... assez misérable. Et pourtant... c'est comme une condensation – condensation –, comme une condensation d'un pouvoir formidable!... Des fois, il a même de la difficulté à le supporter, tu comprends.

Toutes les expériences sont comme au centuple... N'est-ce pas, il a de la difficulté à apprendre.

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère. Mère prend à tâtons des fleurs près d'elle)

Qu'est-ce que c'est que cela?

(Sujata:) Je ne sais pas, c'est une nouvelle fleur, douce Mère.5

(Mère approuve de la tête) Ah! n'est-ce pas! J'ai l’impression que c'est une fleur qui est en connexion avec ce qui se passe.

(Satprem:) C'est un hibiscus. C'est un «pouvoir».

Oui, c'est un pouvoir.

Je vais t'en donner une pour que tu essayes de savoir ce que c'est. Je vais garder l’autre pour savoir si je trouve.

Voilà, mes enfants.

(Mère prend les mains du disciple)

La fin n'est pas... le résultat, je veux dire, dans ma conscience, n'est pas encore décidé. Ce peut être... la Tentative, ce peut être... (geste vague qui s'étend dans le temps et l’espace).

Ça prépare quelque chose de formidable, mais je ne sais pas si ce corps... si c'est ce corps qui le fera. Voilà tout.

(Mère prend la main de Sujata dans sa main gauche et la main de Satprem dans sa main droite)

5 septembre 1970

l’AGENDA TERRIBLE

(Mère a l’air épuisée. Elle parle très difficilement, comme à bout de souffle.)

Moi, je n'ai rien à dire; si toi, tu as à demander, je peux un peu parler.

(long silence Mère a une respiration haletante)

Et alors, qu'est-ce que tu dis?

La dernière fois, quand tu as parlé de cette longue période, tu as dit que ce qui s'était passé, c'était à la fois quelque chose de formidable et... presque «imbécile», tellement c'est simple – tu as dit: «presque imbécile».

Je ne me souviens pas.

C'est à la fois formidable et... presque imbécile tellement c'est simple.

Seulement il y a eu... Pour la première fois, le cerveau a été affecté, dans le sens que j'ai des mouvements incontrôlés. J'arrive à les contrôler, mais... c'est très ennuyeux. Et je passe absolument des nuits sans sommeil, à cause de cela. Je suis obligée de rester éveillée pour... Mais il est arrivé quelque chose – le jour où tu es venu, c'était quel jour?

Mercredi.

Mercredi soir, j'étais comme cela, couchée et sans sommeil, lorsque tout d'un coup, j'ai vu un Saint Pierre en face de moi et, de lui, sortaient des rayons qui venaient vers moi. Alors j'ai compris qu'ils ont fait de la magie. Et sur le moment, j'étais tout à fait... (comment dire?) comme... tu sais, comme désespérée – j'étais fatiguée et... Lorsque (Mère prend son front entre ses mains et reste longtemps silencieuse)...

Je ne peux pas parler, je n'ai pas l’habitude...

Alors je l’ai appelé (Sri Aurobindo), je lui ai dit; alors il m'a dit: «Mais qu'est-ce que cela peut vous faire! Qu'est-ce qu'ils peuvent faire, ils ne peuvent rien, ils n'ont pas de force!» Ça a suffi. Et naturellement, la Force est venue, mais alors ça a été une force... incroyable! Et ça agissait comme cela (geste écrasant) sur le monde entier, et j'ai passé ma nuit dans une sorte de Puissance blanche qui repoussait et donnait des coups... Au moins six heures – six heures d'une Puissance de domination comme je n'en avais jamais sentie... Mais le corps n'en profite pas; c'est cela qui est ennuyeux, mon corps est dans un état...

Ça (l’expérience de la Puissance blanche), je n'ai jamais eu de ma vie ça. Pendant au moins six ou sept heures, une Puissance blanche qui renvoyait et qui... comme écrasait, tu sais, des choses... Seulement, c'est comme si le corps n'en profitait pas. Les mouvements sont presque sous contrôle – encore un, deux par jour comme ça –, mais le... Ça,1 c'est fini, c'était comme cela et puis ça a été fini. Il n'y a pas eu de retour.

Mais le corps est tellement fatigué – ce n'est pas fatigué, n'est-ce pas: incapable!... Non pas que j'essaye de faire les choses et que je ne puisse pas, mais il n'y a pas la volonté d'essayer.

Et pourtant, au point de vue extérieur, le docteur a dit que la meilleure chose est de «faire» quelque chose, de travailler; par exemple, de signer des photographies, des choses comme cela, un travail mécanique.

Mais ça... ça, c'est dégoûtant.

Oui.

Alors, n'est-ce pas, ça ne guérit pas (Mère touche sa poitrine). Ça va mieux, mais ça ne guérit pas. J'ai toujours la même toux. Il paraît qu'il y a une infection au poumon (Mère touche le sommet gauche).

(silence haletant)

Tu vois, je manque de souffle.

N'est-ce pas, je ne sais pas... Quelquefois, le corps est fatigué; ça veut dire qu'il voudrait cesser. Mais ça ne dure pas, n'est-ce pas, seulement il y a dans la conscience que... Il a encore une très grande énergie – une énergie, même de la force; mais c'est dans... je ne sais pas, dans la conscience, comme une... Il ne sait pas ce qu'on attend de lui: si l’on attend de lui l’énergie de se remettre et de revivre normalement, ou bien si... s'il s'en va comme ça (geste d'effritement). Et alors ça', c'est dégoûtant, c'est...

Tu comprends, il est fatigué de la bataille.

(silence le disciple se sent le cœur déchiré)

Il y a autour de lui une atmosphère... une atmosphère mixte et complexe. Je sais qu'il ne croit pas à la possibilité de la... Il croit à la possibilité de la prolongation d'une vie – mais pas dans ces conditions! pas, c'est absurde, n'est-ce pas, c'est absurde!

N'est-ce pas, on ne peut pas durer comme ça, c'est idiot.

Je vois clairement que ça dépend de la condition parce qu'il y a des fois où je ne vois presque plus, et il y a des fois où je vois presque clair, et naturellement... Ça (Mère désigne son œil gauche très gonflé), c'est un accident encore, c'est de l’emphysème, paraît-il... Il y a une désorganisation physique qui n'est pas tolérable. Les docteurs disent tous que c'est tout à fait réparable... Voilà tout ce que je sais: que ça peut se remettre complètement. Si ça peut se remettre complètement, c'est bien. Mais...

La conscience là-haut (geste au-dessus de la tête) n'a pas changé, mais... (Mère prend son front entre ses mains) la transmission physique n'est plus si bonne. Mais ça, ils disent que ça peut se remettre aussi.

l’état est comme cela: tantôt il y a une volonté, et alors il y a évidemment un progrès, tantôt il y a... comme une fatigue de l’effort.

(silence haletant)

C'est comme cela, n'est-ce pas, je suis tout le temps essoufflée.

(silence)

Et alors, avant, je me réfugiais toujours dans le silence et la concentration, et maintenant il y a cette chose qui vient2 – ça, ça a été la plus grosse difficulté. Dans le silence et la concentration, je pouvais passer des heures, des heures, des heures, mais maintenant il vient de ces mouvements incontrôlés, alors... Ça, c'est... C'est cela vraiment qui m'a attristée, tu comprends?

(le disciple sent des larmes couler sur ses joues)

Parce que le silence concentré, j'y pouvais passer des vingt-quatre heures – c'est une joie qui m'a été enlevée.

(Mère prend des paquets de potage près d'elle et les donne au disciple)

Et j'ai une grande difficulté à manger, grande difficulté.

(Puis elle entre dans une longue méditation, parfois apaisée, parfois haletante, d'où elle sort en sursaut)3

C'est comme cela tout le temps.

(Mère change de position et plonge de nouveau, tantôt haletante, tantôt apaisée, sursaute encore et secoue la tête, puis repart dans ses halètements suivis de brefs apaisements. Elle se redresse soudain)

Et puis les jambes me font mal.

(Sujata et le disciple essayent de masser un peu ses jambes)

Les jambes me font mal.

(long silence, tantôt apaisé, tantôt souffrant visiblement, puis Mère sursaute encore)

C'est cela qui est fatigant... N'est-ce pas, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pas de... pas de possibilité de se reposer vraiment. C'est cela.

(long silence)

Si je me laissais aller, je crierais.

Et de crier ne soulage pas, c'est pire.

(silence Mère plonge, puis sursaute encore)

Terrible!... Tu sais... Et alors, cette nuit-là, je me disais: oui, c'est comme ça, l’enfer.

Terrible, c'est terrible.

Je ne vois pas pourquoi j'ai dû passer par là... Parce que, n'est-ce pas, comme cela, c'était la mort qui n'était pas la solution. Ça, c'était effrayant.

(l’heure sonne le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Tentée de dire: prie pour moi.

Oui, douce Mère.

(Mère a des larmes aux yeux) Tu sais, c'est comme cela, c'est si horrible que ça... Je suis tentée de dire: prie pour moi.

Oui, douce Mère.4

(le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère, puis il va dans la chambre de Sri Aurobindo)

6 septembre 1970

(Sujata va furtivement voir Mère.)

T'es gentille... Je vais mieux.

Il existe un enregistrement de cette conversation.

9 septembre 1970

l’ENFER

(Mère semble un tout petit peu mieux mais encore très épuisée.)

J'avais quelque chose à te dire et je ne me souviens plus du tout... Ça reviendra peut-être.

(très long silence, puis Mère fait le geste de se souvenir et replonge)

Ça vient, mais ce n'est pas encore assez précis.

Tu n'as rien à demander, toi?

C'est à propos de «cette nuit-là», où tu étais comme dans l’enfer?

Oui, c'est à propos de cela. C'était... Je vais essayer de l’expliquer. Tu sais que l’on dit que OM est le son de tout l’univers tourné vers le Suprême et implorant le Suprême, et que cela fait OM. J'ai eu l’impression que j'étais toute la douleur du monde – toute la douleur du monde (comment dire?) sentie ensemble. Je ne sais pas comment dire.

Et ce doit être cela – ce doit être cela parce que, avant, j'étais dominée, tu comprends: quand ça venait, j'étais comme écrasée par la chose; tandis qu'à partir du moment où j'ai compris comme cela, je pouvais être au-dessus de la douleur. Et ça va beaucoup mieux. Mais au moment où je l’ai dit, c'était très... ça avait même le caractère d'une révélation. Et alors, c'était très précis – très précis, très concret. Maintenant... c'est une traduction, n'est-ce pas.

J'ai senti, j'ai senti en même temps comme une Protection extraordinaire qui empêchait de devenir fou... Ça a été une expérience TRÈS concrète pendant plusieurs heures: la protection d'une Conscience... d'une conscience supérieure, et une espèce de Pouvoir qui dominait la chose, avec la perception que si Ça, ce n'était pas là, il y en avait assez pour rendre fous des quantités de gens.

Mais le corps est très... le corps est très affecté (Mère touche son œil gauche, son front). N'est-ce pas, il y a des...

Impossible, presque impossible de manger – ça surtout.

(très long silence gémissant)

Cette impression d'écrasement n'est pas encore partie.

C'est comme quelque chose qui m'empêche de respirer librement.

Mais la nuit qui a suivi le jour où je t'ai vu et je t'ai dit, tu sais, je t'ai dit (souriant) de prier pour moi...

Oui, douce Mère.

La nuit a été absolument merveilleuse – absolument paisible et merveilleuse. Une nuit comme je n'en avais pas eue depuis longtemps-longtemps... Je t'ai remercié, je ne sais pas si tu sais!

Oh! douce Mère...

(Mère rit, le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère, silence)

Mais Sri Aurobindo? Sri Aurobindo...

Oui.

Qu'est-ce qu'il dit?

(après un silence)

J'ai eu (et ça, c'était effrayant), j'ai eu la conscience de tout ce qu'il a souffert physiquement. Et ça, ça a été l’une des choses les plus... (Mère a la voix couverte de larmes) les plus difficiles à supporter. Comme si... physiquement... Et nos inconsciences physiques à côté de ça, et l’espèce de torture physique qu'il a subie.1 Ça a été l’une des choses les plus difficiles, les plus difficiles.

La torture qu'il a supportée et que nous traitions si légèrement comme si... comme s'il ne sentait rien. Ça, ça a été l’une des choses les plus effrayantes.

(très long silence Mère plonge, puis sursaute)

Tu vois, c'est ça (Mère fait le geste de suffoquer): une Angoisse qui pèse, et ça, c'est terrible.

Ce n'est pas la pensée, n'est-ce pas (même geste suffoqué).

Mais, douce Mère, cette douleur de la terre, est-ce que ce n'est pas pour qu'elle appelle la Conscience Suprême là aussi, tout au fond?

Oui, bien sûr. C'est ce que je me dis, que j'essaye de trouver, mais...

Il y a quelque chose à trouver.

(très long silence)

C'est ça (même geste de suffocation), et c'est toujours là... Il y a un endroit, comme un endroit où il y a une angoisse tellement épouvantable... Tu sens comme j'ai de la difficulté à respirer? – C'est cela. C'est constant.

(silence)

C'est là (Mère trace une barre en haut de sa poitrine). C'est là. Et il y a comme une interdiction de... (Mère fait le geste de monter pour rejoindre l’Origine au-dessus de la tête)... Comme s'il fallait absolument que je trouve quelque chose.

(silence)2

Quelle heure est-il?

Onze heures dix, douce Mère.

Tu n'as rien à dire?

Mais le Mantra n'a pas d'action là-dessus?

Mon corps répète le Mantra sans cesse. Je crois qu'il ne pourrait pas tenir le coup s'il ne le faisait pas... constamment-constamment.

(silence)

Quelquefois, je me dis que nos obscurités sont ton obstacle, et que si l’on pouvait vaincre nos propres obscurités...

Ah! naturellement, pour moi ce serait plus facile. Mais ça... (comment dire?) ce n'est pas mon affaire. Je n'ai pas le droit de l’exiger: il faut que je fasse le travail... Naturellement, comme je te l’ai dit, ta prière de cette nuit, ça a eu un... tu sais, le mot relief en anglais, «relief». C'était, oh! un soulagement.

(très long silence gémissant)

C'est curieux, ça prend comme ça (geste qui va de la taille jusqu'aux genoux), c'est surtout là (geste à la taille). Je ne peux pas dire ce que c'est, mais c'est une angoisse épouvantable... Quand ça vient là (poitrine), je crie.

C'est dans les jambes jusqu'aux genoux. Maintenant, je peux à peine marcher.

C'est tout à fait physique, matériel.

(silence)

Ah!...

N'est-ce pas, je sais très bien ce qu'il faudrait: il faudrait que ce [phénomène] soit observé au lieu d'être senti – être su: une connaissance au lieu d'une sensation. Alors ce serait comme toutes les connaissances, n'est-ce pas... Mais de quoi ça dépend? Je ne sais pas.

(long silence)

Nous vaincrons, douce Mère.

Oui.

(silence, le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Tu comprends: que ce sera vaincu, j'en suis absolument certaine, mais... est-ce que le moment est venu, voilà?

Et c'est cela, c'est ce doute qui est une torture.

(Mère prend les mains du disciple)

12 septembre 1970

(Mère donne des fleurs de «transformation».)

Toi et Satprem...

On me défend de prendre du sel (Mère donne des paquets de potage au disciple), il paraît que cette difficulté (de l’œil gauche) vient quand on mange trop de sel...

Qu'est-ce que tu as à dire?

Ça va mieux, douce Mère?

Oui, un peu mieux. C'est un peu mieux. Ce n'est pas encore... (Mère hoche la tête)

Mais j'aimerais bien boire quelques gouttes d'eau parce que...

(Sujata va demander de l’eau)

Seulement, je ne peux encore pas manger vraiment.

Ça va mieux, et la nuit, la seconde partie de la nuit, a été relativement bonne, c'est-à-dire sans des douleurs constantes.

(Mère boit, ou plutôt essaye de boire quelques gouttes d'eau)

Je me suis aperçue... Avant, pour moi, rester des heures silencieuse, immobile, concentrée, c'était... c'était ma grande satisfaction; maintenant je ne peux plus: j'ai des mouvements incontrôlés. Il faut que je sois au contraire occupée. Si je suis occupée, ça va relativement bien. Ou occupée presque mécaniquement, c'est-à-dire signer des photographies, etc. Ça garde mon corps tranquille. Ou alors occupée à répondre: on me demande des choses, on me pose des questions.

Il n'y a que les yeux... Les yeux sont étranges. Naturellement ça (l’œil gauche gonflé), c'est ennuyeux, mais il y a des moments où je vois presque clairement, et il y a des moments où tout est derrière un voile. Mais la respiration n'est pas encore normale. Il paraît qu'il y a eu une inflammation dans les poumons (Mère touche le sommet gauche). Ce n'est pas encore tout à fait normal.

l’angoisse est toujours là?

Ça... ça a été une bataille effroyable. Ce n'est pas tout à fait fini.

N'est-ce pas, il faut que les choses [l’expérience en cours] soient transférées de la sensation à la conscience; et à la conscience c'est impossible de... [saisir]. À la conscience, ça va; à la sensation, c'est impossible. Et alors, comme je l’ai eu à la sensation d'abord... Naturellement, de la minute où je suis devenue consciente, c'était plus facile à supporter, mais ça ne durerait pas si c'était la sensation.

(Mère est essoufflée)

Et puis, c'est ça, la respiration n'est pas libre... Ces deux choses-là devraient partir, alors ce serait bien.

Il y a une diminution physique, n'est-ce pas (Mère touche ses jambes). Je marche avec difficulté et je me suis voûtée d'une façon tout à fait... C'est mauvais pour la respiration.

Seulement, j'ai remarqué que ça dépend d'une certaine attitude... l’ennui, c'est que les circonstances (geste autour) m'obligent à penser à ce corps, tu comprends? C'est cela qui est ennuyeux. Quand je n'y pense pas, ça va bien – quand je pense au travail ou que je regarde les choses, ça va relativement bien. Seulement ce corps est devenu très... très encombrant.

Je ne peux pas marcher toute seule, n'est-ce pas – je pourrais, mais il y a la possibilité de perdre l’équilibre, alors ils ne veulent pas me laisser – ils ont tout à fait raison. Mais...

Et puis ça (Mère touche sa gorge, sa poitrine), la respiration courte, mauvaise, pas libre.

Mais alors, on dirait qu'il y a comme une volonté de te forcera rester dans ton corps, puisqu'on t'enlève tes concentrations, on t'enlève tout cela...

Oui-oui.

Comme si l’on voulait...

Oui, c'est ça! Ah! quand je commence à faire ça (geste de se soulever au-dessus du corps), tout de suite, tout de suite, un malaise terrible: c'est NON.

C'est tout à fait ça.

(silence)

C'est pour moi que cette vie dans le corps est presque une torture, dans le sens qu'elle n'a aucun intérêt, n'est-ce pas, en elle-même... Il y avait longtemps que je n'en jouissais plus physiquement. Et c'est au point que les gens ne comprennent pas pourquoi je souffre: je n'ai pas l’air malade, excepté cette respiration courte qui n'est pas tellement sérieuse. Je n'ai rien qui puisse vraiment être appelé une souffrance: rien. C'est une espèce de... En tout cas, le moins qu'on puisse dire, c'est un manque complet d'intérêt: que je mange ou que je ne mange pas... La seule chose, c'est que je ne peux pas me reposer, c'est justement de ne pas pouvoir... (Mère fait le geste de se retirer de son corps) entrer dans une... [conscience supérieure]. Ça, c'est une chose... Depuis TANT d'années, depuis tant d'années, plus de vingt ans peut-être, je me mettais dans mon lit et ouf! (geste de retrait), je rentrais dans le Seigneur. Et ça, ça m'est interdit, et c'est cela qui est la souffrance la plus grande.

Il est probable... il est probable que je n'aurais pas pu supporter ce travail, que j'aurais quitté mon corps; c'était trop naturel de... (geste de sortie au-dessus). Mais... (Mère abat ses deux poings comme si elle était précipitée ou maintenue de force dans la Matière.) Mais je n'ai pas pris la précaution de tirer vraiment dans le corps la Force... Je pourrais dire que mon corps avait trop (probablement la façon de voir et de sentir et de réagir au monde matériel), trop1... C'est extrêmement rare dans ma vie – extrêmement rare –, que j'aie eu l’Ananda dans le corps physique. C'était seulement quand je voyais de belles choses (Mère lève les yeux comme pour regarder le cocotier dans la cour, qu'elle ne voit plus avec ses yeux), c'est-à-dire que c'est à certains moments, en contact avec la Nature, alors là je l’ai eu, mais autrement dans toute ma vie, ça n'a jamais été... (comment dire?) une occasion d'Ananda, tu comprends.

(Mère s'arrête et essaye de respirer)

Et puis c'est ennuyeux de ne pas respirer librement.

Ça, quand on est actif, on ne le remarque pas, mais quand on est là, comme ça, à ne rien faire, et que l’on est tout le temps à haleter... c'est désagréable.

(silence)

N'est-ce pas, toute ma vie, c'était une complète indifférence pour la façon d'être des choses: qu'elles soient d'une manière ou d'une autre, cela n'avait pas d'importance. Maintenant, voilà... je te donne un exemple: j'ai demandé de l’eau, n'est-ce pas, l’eau que l’on m'a donnée était trop froide, alors je n'ai pas pu la prendre; autrement je l’aurais prise tout de même, mais je n'ai pas pu, j'ai la gorge serrée. Au lieu de me donner de l’eau d'une température fraîche, on m'a donné de l’eau presque glacée2...

Oui, j'ai vu.

Je n'ai pas pu la boire. Et alors, on est tellement insupportable, n'est-ce pas! Il faut que les choses soient exactement comme ceci ou comme cela – ça rend la vie des autres insupportable.

Non, douce Mère, non-non!

Alors, ça s'arrange comme cela: il faut que ce soit le docteur qui dise: «Ce DOIT être comme cela»... Alors... Tu comprends, c'est ridicule.

C'est-à-dire que j'ai donné à la vie matérielle une importance infiniment plus grande qu'elle n'en a jamais eue, et ce n'est pas amusant!... C'est juste au moment où elle est pleine de difficultés, de grincements, de...

Et alors, naturellement, comme j'ai l’apparence fatiguée, on ne veut pas me parler de ce qui se passe, on ne veut pas me donner du travail, on ne veut pas... Et cela me fait juste l’atmosphère contraire à celle qu'il faudrait.

J'ai demandé maintenant que l’on me fasse travailler... Et tu vois, je parle et je suis essoufflée.

(silence)

Mais tout cela, c'est le signe qu'on approche, douce Mère...

Oui.

Il doit y avoir là... justement, tout au fond de ce corps, il doit y avoir un ressort, il doit y avoir quelque chose LÀ.

Oui... oui, mais quoi?

(silence)

La Volonté Divine, là.

(Mère approuve de la tête et entre dans une longue contemplation assez paisible)

Ah! tu n'as rien?

Non, douce Mère.

Quelle heure est-il?

Onze heures moins cinq.

(Mère replonge, puis sort de sa contemplation en suffoquant)

Ah!...

(replonge encore, puis a un mouvement brusque des jambes)

Voilà, c'est ça, ce sont ces mouvements dès que je me concentre.

Et alors, si je persiste, ça prend des... Je me mets à hurler. Voilà.

Ce n'est que s'il reste dans une activité quelconque que ces mouvements ne viennent pas.

N'est-ce pas, si je n'entre pas en activité et si je persiste [à m'intérioriser], je me mets littéralement à hurler comme si j'étais torturée.

(silence)

J'ai demandé au docteur hier – pas à Sanyal:3 au Dr. Bisht qui est un homme intelligent. Il m'a dit qu'il y a des cellules du cerveau qui sont indépendantes, qui ne sont pas sous contrôle (chez tout le monde) et que ce sont celles-là qui deviennent prééminentes quand ces mouvements arrivent... Alors ce seraient des cellules qui sont sous le contrôle du subconscient?...

Mais comment se fait-il que j'étais pendant DES HEURES concentrée comme cela, et il ne m'est rien arrivé – elles n'avaient jamais le pouvoir de bouger.

(Mère entre dans un long silence absorbé)

Il y a tant de choses que l’on ne sait pas...

Et on a l’impression, quand on demande aux docteurs de vous dire ce qu'ils savent, que c'est seulement une observation partielle, superficielle, et il manque la vraie chose. Et alors, quand on leur demande, ils disent: «Ah! ça, non, nous ne savons pas.» Alors nous sommes là, comme ça... Tu comprends, j'ai l’impression d'être plongée dans un monde que j'ignore, à me débattre avec des lois que je ne connais pas... et pour faire un changement que j'ignore aussi – quelle est la nature de ce changement?...

Ce n'est pas très agréable.

Quand on fait cela dans la bonne santé et dans le mouvement, dans l’action, c'est très bien, c'est très joli; mais comme ça, comme je suis là, n'est-ce pas, avec une impuissance physique, c'est terrible!

Je ne le pense pas, je ne le pense pas, mais je suis comme ça, à ne pas savoir, ne pas savoir ce qui se passe. Et alors... ce n'est pas particulièrement agréable.

Oui, mais douce Mère, j'ai tout à fait l’impression qu'à travers cette obscurité, cette ignorance des «lois», tu es sciemment portée au point où la solution sera trouvée, que tout cela est organisé, que ce ne sont pas des circonstances «contraires», que tu es réellement portée.

Tu as raison. Tu as raison; si tu veux, je pourrais dire que je pense comme ça (je ne pense pas, mais...), il y a une perception comme ça. Mais... il y a tout ce qui est entre.

Oui... Oui.

Allez! (Mère rit et prend les mains du disciple)

Continue à penser comme ça.

Oui, douce Mère, je sens comme cela.

Oui... J'espère que je suis capable, ce corps. N'est-ce pas, il y a ça, il y a ce doute-là.

Mais si tu y es – si tu y es, douce Mère, c'est que c'est le moment, autrement tu ne serais pas là. Si tu es dans cette condition, c'est que c'est le moment justement.

Mais naturellement, je sais bien – ça, je sais bien que c'est le moment où... C'est le moment de faire la Tentative, mais est-ce qu'elle réussira? Je ne sais pas... Est-ce qu'elle est (si tu veux, pour mettre les choses plus clairement), est-ce qu'elle est destinée à réussir? C'est ça, le doute. Est-ce qu'elle est destinée à réussir?4

Ça ne me semble PAS POSSIBLE... Ce n'est pas possible que ça ne réussisse pas.

Pourquoi?

Parce que tu es le corps du monde!... Parce que c'est vraiment l’Espoir.

Ça, est-ce que ce n'est pas de la poésie?

Mais non, douce Mère! c'est COMME ÇA. Il n'y a qu'à voir: le monde extérieur est de plus en plus infernal.

Ah! ça, oui.

Alors, c'est ça dans ton corps.

(Mère prend les mains du disciple avec des larmes dans les yeux)

Ça me donne envie de pleurer.

(silence)

Merci.

Merci.5

16 septembre 1970

(Mère a l’air beaucoup mieux. Après avoir donné des fleurs de transformation, elle entre dans une longue contemplation paisible.)

La paix est revenue... Encore de temps en temps, une tension.

(long silence)

Tu n'as rien à demander?

Non, douce Mère.

(Mère entre à nouveau en contemplation)

Tu n'as pas de questions?

On a l’impression que la Puissance [près de Mère] devient de plus en plus puissante.

(après un silence)

Les gens qui étaient tombés malades se sont rétablis.1

Mais est-ce que quelque chose a commencé à passer de la sensation à la connaissance?

Ah! oui. À ce point de vue, oui.

Il y a eu nettement la séparation entre la sensation et la conscience, c'est-à-dire que... j'ai vu les choses.

(long silence)

Mais j'ai même eu pendant une ou deux heures, l’Ananda de la création... Et ça paraissait si naturel! Et je me suis demandé: «Qu'est-ce que cette aberration dans laquelle j'étais?» Et je n'ai pas pu comprendre. Je n'ai pas pu comprendre cet... n'est-ce pas, cet enfer. Je n'ai pas pu comprendre comment j'y étais. Et ma foi, je n'ai pas essayé parce que je me suis dit: je ne veux pas retourner là-dedans! Alors je n'ai pas essayé de comprendre... Avec la perception concrète de la Présence divine et l’action constante de la Grâce, c'est revenu totalement, et je n'ai pas essayé de comprendre comment j'avais pu être dans l’autre état – ça me suffisait!... Mais c'est arrivé tout d'un coup: tout d'un coup, un matin, quand j'avais passé une nuit relativement tranquille. Il y a encore, de temps en temps, une espèce d'angoisse, comme une angoisse, quelque chose qui... un malaise – un malaise et une angoisse –, et alors je fais bien attention de ne pas me concentrer au-dedans.

(silence)

Je saurai ça plus tard.

J'ai eu une indication, ce matin. Une indication du genre rêve. C'est-à-dire que ce matin, quand c'était l’heure de me réveiller, je me suis trouvée... (comment dire?) crawling, rampant sur un toit, portant quelqu'un, une fille (une «fille», enfin une jeune fille, une grande personne), je portais cette personne à deux mains et j'arrivais à ramper sur le toit pour descendre de l’autre côté. Un toit qui était comme cela (geste en arête aiguë), j'étais sur le haut du toit! C'est-à-dire que je faisais une gymnastique impossible, tout ce qu'il y a de plus dangereuse et difficile, et je faisais ça VOLONTAIREMENT et INUTILEMENT.

Alors, je me suis dit... Je me suis «réveillée», enfin je suis sortie de là au moment où je me suis dit: «Mais pourquoi est-ce que je fais ça?» Cette personne, je la trouvais charmante, et elle était très bien, elle était... c'était comme un enfant, une personne impuissante: elle ne pouvait pas se déplacer elle-même. Elle avait une tête... elle était très consciente, très jolie – très consciente. Une tête et... je ne sais pas, les mains, les bras étaient comme impuissants ou incomplets ou... je ne sais pas. Naturellement, tout cela était symbolique. Et j'étais sur le haut d'un TRÈS HAUT toit, très haut toit, et je portais cette personne comme cela (geste dans les bras), et je me suis demandé: «Pourquoi est-ce que je me donne ce tracas?...» Et il y avait des personnes en bas, en dessous, et ils demandaient (riant): «Est-ce très nécessaire de faire ça?...» Alors j'ai résolu de cesser. Mais je l’aimais beaucoup et elle était très... elle était TRÈS gentille, je veux dire qu'elle avait une jolie conscience. Et finalement j'ai décidé: «Je crois que ça suffit de cette gymnastique!» Alors je me suis réveillée, je suis revenue à mon état normal éveillé.

C'était un rêve, mais ce n'était pas un rêve – c'était vraiment une activité, et j'avais tous mes nerfs, tous mes muscles, toute ma volonté, tendus, terriblement tendus dans le sommeil.

Deux fois j'ai eu, la nuit, le sentiment d'entrer dans une façon TOUT À FAIT nouvelle de voir et de sentir les choses. Comme si je faisais des choses extrêmement difficiles, et tout à fait inutilement... Je me suis dit ce matin: «Voilà comment tu es!...» Des choses pour ainsi dire impossibles, extrêmement difficiles, et je les faisais sans effort – sans effort –, mais il semblait, tout à fait inutilement; il n'y avait pas de raison que je le fasse.

Alors, ce matin, j'ai beaucoup réfléchi à cela... Probablement – probablement une grande partie de la difficulté du travail provient... on peut dire d'une stupidité de ma part.

Pourtant, pour ma conscience consciente, je suis tout le temps à dire: «Ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu voudras...» Mais il doit y avoir dans mon corps l’habitude d'un effort inutile.

Mais, douce Mère, il y a trois semaines à peu près, quand tu étais encore en plein dans cette expérience, tu m'as dit: «Je ne sais pas si je me souviendrai, mais peut-être le psychique se souviendra, parce qu'il a assisté.» Et tu as dit: «C'est quelque chose de formidable et de presque imbécile tellement c'est simple.»

(Mère hoche la tête silence)

Mais ça, c'était très clair et très impératif ce matin, comme pour me donner une leçon.

C'est encore mélangé: de temps en temps, cette angoisse et ce malaise reviennent, et ça, je vois clairement que c'est... c'est surtout ce qui, dans l’être, appartient au passé, tu comprends, ce qui est encore dans l’habitude de son fonctionnement passé.

(silence)

C'était admirable (!) je portais cet enfant à deux bras et ce n'était qu'avec mes jambes que je marchais à genoux sur la crête du toit! Et un toit d'une maison qui devait avoir au moins quatre ou cinq étages! C'était absolument fou! Et je le faisais tout naturellement, sans effort, lorsque, tout d'un coup, quelque chose... quelque chose comme une conscience qui me regardait, m'a fait dire: «Mais pourquoi est-ce que je fais ça?...» Et cette petite, je la tenais dans les bras et je lui disais: «Comme tu es gentille! Comme tu es gentille!» Et elle était... elle était gentille, mais gentille... c'était lumineux, c'était conscient – et c'était absolument impuissant. Absolument: c'est comme si elle n'avait ni bras ni jambes. Comme si c'était quelque chose de tout à fait impotent... C'est très curieux.

Et alors, j'ai vu des gens qui n'étaient pas sur le toit (ils devaient être à un étage au-dessous) et qui me regardaient presque en riant (en tout cas amusés), et ils disaient: «Mais pourquoi faites-vous ça?!...» Et je me suis réveillée avec l’impression que je rendais ma vie terriblement difficile – difficile et dangereuse –, ab-so-lu-ment inutilement.

Ça m'a frappée longtemps ce matin. Longtemps j'étais sous l’influence de ça. Je me disais (riant): «Je dois être extrêmement stupide quelque part!»

Mais c'était joli, elle avait, oh! une si jolie conscience!

Ce n'est pas la nouvelle conscience?

Je ne crois pas...

Tu ne crois pas.

Je ne sais pas.

Enfin, en tout cas, elle était tout à fait impuissante. Tout à fait impuissante: c'était moi qui la portais.

Mais la nouvelle conscience DU CORPS, peut-être?

Mais j'avais le sentiment qu'il n'y avait aucune-aucune raison de faire ça... Je ne sais pas.

(Mère reste longtemps silencieuse et fait le geste de ne pas savoir)

Et la personne n'a pas disparu. Je ne sais pas... Elle n'est pas partie. C'est la relation qui a changé – je crois que c'est une question de relations, parce que la relation a changé: j'ai eu l’impression qu'elle n'était plus séparée, quelque chose comme cela.

Peut-être est-ce la séparation des deux qui2...

Peut-être est-ce le sens de séparation entre les deux?

On verra.

(long silence)

On verra.

Il y a évidemment un grand changement. Seulement, ça ressemble... ça ressemble tout à fait à l’état de conscience que j'avais avant. l’état de conscience semble ne pas avoir changé.

J'ai eu ce matin l’impression que je sortais de tous ces joufs-ci comme je sortais d'un mauvais rêve... J'avais perdu la conscience que j'avais dans mon corps.3

Je ne sais pas... Il y aura beaucoup de choses à comprendre.

Je ne sais pas.

Tu comprends, ce peut être de deux choses l’une: ou j'étais en train de sortir de mon corps et de passer dans l’autre monde, et puis je suis revenue – c'est peut-être cela –, ou ce peut être que j'étais dans une période de transition pour la transformation, et que je suis sortie de l’endroit dangereux, critique. C'est l’un des deux. Lequel est-ce? Nous verrons.

Tu comprends ce que je veux dire?

Je ne sais pas...

(silence)

N'est-ce pas, je ne veux absolument pas imaginer quoi que ce soit, faire comme on fait toujours: tirer des conséquences et dire: «Ça, c'est comme ça.» Absolument pas, je m'y refuse absolument. Alors, je ne sais pas. Je regarde, et puis on verra! (Mère rit)

En tout cas, le cauchemar est parti.

Mais la nature se souvient de l’expérience et elle est encore... (geste flottant) elle n'est pas très rassurée.

Il y a aussi l’impression qu'il fallait – qu'il fallait avant que la nature soit prête à rentrer dans cette création nouvelle –, qu'il fallait qu'elle ait connu tout de l’ancienne création, complètement, et que ça, c'était... le complément. Mais ça vraiment, c'était une chose épouvantable (Mère prend son front entre ses mains)... Si je pouvais... Je me suis vue, comme ça, PRIANT pour que tout cela n'existe plus dans le monde. Si je pouvais avoir purgé le monde de ça en ayant ces jours d'horreur, alors ça ne fait rien, ça m'est égal. Parce que... (Mère prend son front) c'est... c'est horrible. Si on pouvait avoir vidé le monde de ça...

C'était d'ailleurs le sentiment que j'avais: le sentiment que si, en vivant ça, je pouvais purger le monde... ça ne faisait rien.

Nous verrons... Nous verrons.

(Mère prend longtemps nos mains)


(Après le départ du disciple, Mère a encore reparlé à Sujata de son expérience sur le toit, et elle a fait un dessin explicatif en disant ceci en substance:)

C'était une personne comme toi, de ta taille [1 m 58], de tes dimensions, et je lui disais: «Tu es si gentille, si gentille!...» Elle était toute lumineuse, mais les bras et les jambes étaient comme collés au corps. Et sans peur – ni moi, ni l’enfant n'avaient peur.

19 septembre 1970

(Mère semblait mieux mercredi dernier.)

Tu as quelque chose?

Non, douce Mère, rien de spécial... Tu as vu des changements?

(Mère secoue la tête négativement longue méditation, souffle haletant)

Tu n'as pas de questions?

Tu n'as pas trouvé l’explication de ta descente?

(Mère secoue négativement la tête)

Mais c'est fini maintenant?

Oh! oui, tout à fait fini.

(de nouveau méditation souffle oppressé)

Tu n'as rien à demander?

J'avais vu un texte de Sri Aurobindo que j'avais trouvé intéressant...

Ah!

Il y a une question justement... C'est une lettre où il parle de la première période de l’Ashram où tout le monde était dans les «grandes expériences»; après, on est descendu au niveau physique. Alors il dit ceci:

«Travailler sur le physique est comme de creuser la terre: le physique est absolument inerte, mort comme un caillou. Quand le travail a commencé là, toutes les énergies d'avant ont disparu, les expériences se sont arrêtées, ou si elles venaient, elles ne duraient pas. Le progrès est extrêmement lent. On grimpe, on tombe, grimpe encore et tombe encore, et constamment on rencontre les suggestions des Asouras védiques: "Tu ne peux rien, tu es voué à l’échec."

«Il faut continuer de travailler année après année, point après point, jusqu'à ce que l’on arrive à un point central dans le subconscient, qui doit être conquis et qui est le nœud de tout le problème, et donc extérieurement difficile... Ce point dans le subconscient est la semence, et elle continue à germer et germer jusqu'à ce que l’on ait extirpé la semence.»

7.1.1939

Correspondance avec Nirodbaran

(après un silence)

Et puis, il n'a pas dit quelque chose de plus... de plus encourageant? (rires)

(long silence)

Qu'est-ce qu'il dit, «a point»?

«A central point in the subconscient, and it is the crux of the whole problem» [Un point central dans le subconscient et qui est le nœud de tout le problème.]

(après un long silence)

Il n'a pas dit ce que c'était?

Non, douce Mère.

(Mère fait le geste de ne pas savoir longue concentration)

Rien-rien-rien ne vient.

(long silence haletant)

Rien, il n'y a rien à dire. Pas d'expériences, rien.

Quelle heure est-il?

Onze heures, douce Mère.

Il n'y a pas de travail?... Le travail évite de se concentrer.

N'est-ce pas, ça me donne un malaise partout comme cela (geste en haut de la poitrine).

Mais qu'est-ce qui te donne ça?

Je ne sais pas, je l’ai maintenant.

Ça vient de moi?

Non! Non... je vis dans une... (Mère secoue la tête)

(long silence)

Il vaut mieux me lire quelque chose.

(Le disciple passe à la lecture des Aphorismes de Sri Aurobindo pour le prochain Bulletin)

159 – Celui qui ne reconnaît pas Krishna, le Dieu dans l’homme, ne connaît pas Dieu complètement; celui qui connaît seulement Krishna, ne connaît même pas Krishna...

Ça, c'est bien, c'est TRÈS bien.

...Pourtant, la vérité opposée est aussi pleinement vraie: si tu peux voir Dieu tout entier dans une insignifiante petite fleur pâle et sans parfum, alors tu as saisi Sa suprême réalité.

Alors j'ai saisi ma suprême réalité, mais...! (Mère rit) Bon, ça va bien, c'est une consolation! (rires)

(le disciple continue la lecture, puis demande)

Ça te fatigue?

Fatigue, oh! non... Ça me console un peu! Ça ne me fatigue pas du tout.

(silence le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

La prochaine fois, tu me lis. Au moins, c'est... [consolant?]

23 septembre 1970

(Mère semble très retirée.)

J'ai retrouvé de vieux papiers...

(le disciple lit)

Il faut pouvoir se tenir dans la lumière de
la Conscience Suprême sans faire une ombre.

Je t'ai raconté l’histoire1... C'est bien, ça.

(silence)

Qu'est-ce que tu apportes?

Il y a le Bulletin de novembre... Il n'y a rien de nouveau?

Non.

(Puis le disciple propose de publier certains fragments de la conversation du 9 septembre – l’agenda infernal – pour le Bulletin.)

Pour Sri Aurobindo (les tortures qu'il a subies), il ne faut pas le mettre dans le «Bulletin»... Ça, c'est impossible, ça ferait une révolution.

Pour la fin («Est-ce que le moment est venu?» le doute de Mère), ça, c'est terrible – on ne peut pas le mettre.

Je laisse simplement ce que je t'ai dit: «Nous vaincrons, douce Mère» et tu réponds oui. Et puis c'est tout.

C'est difficile de mettre ça sans... sans quelque chose de réconfortant.

Est-ce que tu as quelque chose de réconfortant?

(Mère rit, long silence méditation)

De nouveau, la Paix est revenue.

Qu'est-ce que l’on fait pour cet Agenda? On le publie comme cela?

Il faudrait quelque chose à la fin... Parce que c'est parti maintenant (l’enfer), c'est tout à fait parti. Il faudrait dire tout de même que j'en suis sortie.

Il y a ce «nous vaincrons» qui reste à la fin.

Oui. Bon.

(long silence)

Je voudrais quelque chose à la fin qui soit consolant... Je ne l’ai pas cette fois-ci.

Ce sera pour février.

Février de l’année prochaine?... (Mère semble trouver cela très loin).

26 septembre 1970

Quoi de neuf? Ici, il n'y a rien (Mère hoche la tête). Il n'y a rien d'intéressant.

Ça va (d'un ton peu convaincu).

(Puis le disciple lit les «Commentaires sur les Aphorismes» et «Mère Répond» pour le prochain Bulletin.)

J'ai maintenant l’impression que tout cela est écrit ici (geste juste au-dessus de la tête), et que je suis allée dans ma conscience la plus haute (geste très loin au-dessus)... Mais ça ne peut pas s'exprimer encore. Ce n'est pas par des mots et des idées que ça doit s'exprimer. C'est le moyen d'expression qu'il faut trouver.

Au fond, la grande différence de l’homme, c'est qu'il a inventé le langage – langage, et alors, naturellement, l’écriture et tout cela. Eh bien, un moyen de s'exprimer qui est supérieur au langage et à l’écriture – c'est cela qu'il faut trouver.

Un moyen supérieur, matériel?

Oui, ce doit être quelque chose de matériel. Matériel mais... En tout cas, peut-être avec le développement de nouveaux organes? Comme l’homme a développé le langage. Quelque chose comme cela.

Mais j'ai toujours l’impression, quand j'écris, qu'il y a une musique derrière.

Ah!

J'ai l’impression qu'il y a toujours une musique derrière les choses. Une musique ou un rythme.

Un rythme, oui.

Ce serait peut-être cela?

(Mère approuve vivement) Oui-oui.

(Mère entre dans une longue contemplation)

C'est une GRANDE Paix. Tu as senti?

Oui, douce Mère.

Grande Paix.

(long silence)

J'ai l’impression, par exemple, d'une nouvelle manière de compter le temps. Je ne sais pas comment dire. Et puis... (Mère hoche la tête dans l’impossibilité de s'exprimer)

30 septembre 1970

(Mère est un peu en retard.)

Je ne sais pas les jours et on ne me dit pas les jours, alors je ne savais pas que c'était ton jour. C'est pour cela que je suis en retard. Je ne sais pas les jours du tout. Alors, je suis en train de voir des gens, et puis tout d'un coup, on me dit que c'est mercredi, alors... Je ne sais même pas si c'est mercredi ou samedi.

Je vis tout à fait en dehors du temps, de la petite réalité quotidienne.

(silence)

J'ai vu G hier, il ne va pas trop bien.

(après un long silence)

J'ai l’impression qu'il vit en dehors de l’atmosphère.

Pourtant, il dit qu'il est tellement tourné vers toi, à chaque instant.

Il y a quelque chose qui empêche le contact.

(après un silence)

Son contact est mental.

Physiquement, c'est comme s'il habitait ailleurs, tu comprends?

(longue concentration sur G)

Et puis, on va faire une édition de la traduction hollandaise de «l’Aventure de la Conscience», et D avait demandé à A.M. de faire une couverture pour le livre. A.M. a fait quelque chose qu'il voudrait te montrer. Voilà ce qu'il a fait1... [le disciple montre la peinture].

Bah! c'est bien noir.

C'est bien noir, son monde est noir.

Ouf! c'est sans espoir.

Ça a l’air un peu comme cela.

Je n'aime pas ça.

Je crois que le symbole est bon, mais la couleur...

Oui. Mais s'il faisait le bleu du mental: la Conscience qui doit sortir du mental. S'il faisait un bleu du mental, alors ça irait. Mais ce noir, c'est dégoûtant.

Et avec du soleil ici.

Le soleil, on ne le voit pas.

C'est une lune, je crois... Non, il faut le bleu du mental et le soleil qui se lève.

Oh! oui. La lune, ça ne va pas du tout.

C'est ce que j'avais senti.

Non, pas pour ton livre. Il faudrait quelque chose qui s'épanouisse au lieu de ça. Ça, c'est serré, c'est restreint, c'est étriqué – quelque chose qui s'épanouisse dans une grande lumière.

Ça ne va pas du tout.

l’autre livre, tu sais, c'est une aventure... [La Genèse du Surhomme]

(Riant) Alors?

Rien, c'est une aventure.

Donne un papier (Mère dessine).

D'abord, pas besoin de mettre autant d'eau. Il vaut mieux que la chose soit au-dessus.

Au lieu d'une tige qui se tortille (tu ne te tortilles pas! rires), tu peux mettre sept lignes – sept lignes. Alors, un rassemblement des sept lignes ici (juste à fleur d'eau). Ça, c'est symbolique de la formation du livre. Et puis ici (au-dessus des eaux) monter tout droit et... (Mère dessine sept lignes qui s'épanouissent au sommet d'une tige). Tu comprends: sept ascensions (en bas) et ici (en haut) sept réponses. Comme cela. Sept qui se centralisent sur un point qui correspond à ça (à l’autre point de rassemblement des sept lignes du bas). Alors, ça a un sens.


(Puis le disciple passe à la lecture d'un ancien Entretien, du 6 septembre 1953, qui se termine par ces lignes:)

«...Alors que, si l’on était ouvert et que simplement on respirait – c'est tout, on ne fait que cela –, on respirerait la Conscience, la Lumière, la Compréhension, la Force, l’Amour et tout le reste. Et tout cela est gaspillé sur la Terre, parce que la Terre n'est pas prête à le prendre. Voilà.»

Est-ce que la terre est un peu plus prête, douce Mère?

(Mère entre dans une très longue contemplation jusqu'à la fin de l’entrevue, et ne répond pas)

octobre




3 octobre 1970

(Mère donne un bloc-notes-calendrier au disciple, puis un crayon-feutre.)

Quelle couleur?

C'est violet.

Le violet du pouvoir.

(Mère cherche en vain un crayon vert pour Sujata et finit par lui en donner un bleu,)

Tu as quelque chose?

(Mère entre dans une longue contemplation. La respiration s'améliore, devient paisible, mais de temps en temps, il y a des mouvements involontaires de la jambe gauche et des épaules, surtout de l’épaule droite.)

Tu n'as rien?

Il y a du nouveau?

(Mère hoche la tête négativement, puis replonge)

Tu n'as vraiment rien à me lire?

Si tu veux, je pourrais te lire mon nouveau livre1... Ça me rassurera parce que je ne sais pas où je vais.

C'est bien. Je serais contente de l’entendre.

(Mère replonge)

Ça va (d'un ton peu convaincu).

Quelle heure est-il?

Onze heures quinze.

(Mère regarde plusieurs fois, mais s'en va tout de suite)

Alors la prochaine fois, tu apportes ton livre.


(Après le départ du disciple, Sujata parle à Mère des jeunes filles de sa génération, qui n'ont pas l’avantage d'être «proches de Mère» ni dans le cercle des «personnes importantes» et qui ne voient jamais Mère, et en souffrent. Nous touchons ici – et c'est pourquoi nous le notons – à un problème très central de l’Ashram: une sorte de dichotomie entre les éléments simples qui lavent la vaisselle, cousent, graissent les voitures et qui sont là simplement avec leur amour pour Mère, et les éléments «dirigeants» pourrait-on dire, qui révèlent de plus en plus leur nature ambitieuse et donc tordue. C'est pourtant avec ce noyau épais que Mère devait travailler presque quotidiennement et c'est cela qui faisait la difficulté de Mère, sinon sa suffocation. Avec Sujata, Mère convient donc de recevoir, par roulement, un certain nombre de jeunes éléments simples – malheureusement, cette nouvelle ouverture sera vite bouchée par les circonstances: un nouveau tournant grave du yoga de Mère, puis d'autres «impossibilities».)

7 octobre 1970

J'ai reçu des citations de Sri Aurobindo. Lis cela.

«To persevere in turning towards the Light is what is most demanded. The Light is nearer to us than we think...

Ça, c'est intéressant!

«...and at any time its hour may come.»

On Himself, XXVI.216

(La traduction)

«Ce qui est le plus indispensable, c'est de persévérer dans son orientation vers la Lumière. La Lumière est plus proche de nous que nous ne le pensons... et à n'importe quel moment, son heure peut venir.»

C'est de 1943.

Ce qu'il appelait «the Light» [la Lumière], c'est la Conscience qui est venue en... (Mère cherche à se rappeler) elle est venue en 1969.

Ah! la Nouvelle Conscience.

Et puis l’autre?

l’autre citation, c'est un mantra.

OM Sri Aurobindo Mira

Open my mind, my heart, my life to your Light, your Love, your Power. In all things may I see the Divine.

16.7.1938
On Himself, XXVI.512

(La traduction)

OM Sri Aurobindo Mira,

ouvrez mon mental, mon cœur, ma vie à votre Lumière, à votre Amour, à votre Pouvoir. En toute chose, puisse-je voir le Divin.

C'est bien.

Que fait-on de tout cela?

Le premier peut faire un message pour le Darshan de novembre?

Pour novembre, oui, c'est très bien.

«The Light is closer to us...» [la Lumière est plus proche de nous...]

l’autre pourrait faire un message pour février?

Je n'aime pas beaucoup mon nom là-dedans.

Et si l’on mettait Ma [Mère] à la place de Mira?

Il a mis Mira, lui.

Il me semble que tu pourrais mettre Mâ au lieu de Mira.

Non, je n'aime pas beaucoup faire des choses comme cela.

(Mère a encore une respiration difficile)

Le message, il faut le mettre tel qu'il est; si, après, on le change en mantra, alors on pourra mettre Mâ.

Le mettre tel quel pour février?

Oui. Ou ne pas le mettre, ou le mettre tel quel. Pour citer Sri Aurobindo, il faut le citer tel quel. Et puis on peut en faire un mantra après.

(long silence)

Qu'est-ce que tu apportes?

On dirait que tu es très absorbée, douce Mère?

Moi?... Non... Je ne sais pas.

(silence)

Tu comprends, quand il utilise ce mot [Mira], il parle de ce corps (Mère touche son corps), c'est-à-dire qu'il identifie tout avec le corps... Et ce processus de changement est en cours d'exécution, et le corps ne sent pas que, légitimement, il tient la... Je ne sais pas comment dire... Ou peut-être, est-ce un souci de tranquillité?1 Je ne sais pas.

Peut-être qu'en février, il sera prêt? C'est possible.

(silence)

Il a beaucoup-beaucoup changé.

Oui...

Beaucoup. Mais ce n'est pas fini – loin de là. Alors comment faire?

Ça (le mantra), c'est pour quand il (le corps) a fini – quand c'est fini.

Si l’on met le nom (Mira), ça veut dire ce corps.

(silence)

Ce n'est pas qu'il ne soit pas conscient, mais il sent trop qu'il n'est pas transformé. Mais il est conscient. Ce que tu dis: «absorbé», c'est qu'il est conscient du travail de transformation (Mère fait le geste de triturer).

Combien de temps ça prendra? Je ne sais pas.

On décidera cela en février.

En tout cas, comme message, il faut le laisser comme il est... C'est presque une obligation sur moi, tu comprends?2

Oui.

Tu comprends ce que je veux dire.

(silence)

Et la terre, est-ce qu'elle te semble plus prête?

La terre? Je ne sais pas. Mais dans l’humanité, oui, il y a des éléments qui sont touchés. Il y a des réponses inattendues. Et puis (riant... mais ça, il ne faut pas le dire), il y a une grande augmentation de gens qui sont considérés comme fous; et ceux-là, ce sont sûrement ceux qui ont reçu les premières vagues. J'en ai vu un ou deux qui sont considérés par les autres comme fous – ils ont été touchés, mais la somme de transformation n'est pas suffisante pour garder l’équilibre.

Ça, il vaut mieux ne pas le dire!

Oui, j'en connais un comme cela, ici.

Ah! moi, j'en connais beaucoup! De tous les côtés, on m'écrit.

(silence)

Tu as des choses à me lire?

La dernière fois, nous avions parlé de ce livre... Tu veux que je te lise?

Oui, j'écoute.

C'est un premier jet.

Ce n'est pas le commencement du livre?

Si-si, mais je veux dire que tout ce que j'ai écrit, vraiment j'ai l’impression de l’écrire presque automatiquement.

Oh!...

Alors vraiment, tu sais, c'est une... c'est un peu une angoisse pour moi, d'écrire ce livre. Non seulement quand j'écris un chapitre, je ne sais pas ce qui va venir; quand j'écris un paragraphe, je ne sais pas ce qui va venir; quand je commence une phrase, je ne sais pas comment je la terminerai.

Bah! C'est intéressant.

Mais c'est angoissant!

Non! (Mère rit) Ça, c'est une condition béatifique!

J'ai dédié le livre «aux pieds de la Vérité.»

C'est bien.

Ça s'appelle «La Genèse du Surhomme» (essai d'évolution expérimentale). Pour l’introduction, je mets une citation de Sri Aurobindo. Cette citation, c'est celle-ci:

«Et peut-être trouverons-nous, quand tout le reste aura échoué, cachée dedans, la clef du parfait changement.»

Où est-ce qu'il a écrit ça?

Dans «Savitri», douce Mère.

Oh! intéressant.

(le disciple passe à la lecture de l’introduction)

«Les secrets sont simples, parce que la vérité est simple.............deviendra comme un jeu d'enfant.»

C'est magnifique, mon petit, magnifique!

C'est la chose dont on a besoin.

Comment faire pour que ce soit répandu?... Il faudrait que ce soit... (geste dans toutes les directions). Un livre, ce n'est pas suffisant. Il faudrait quelque chose qui aille partout.

(Mère reste à réfléchir)

Et c'est complet. C'est l’introduction et c'est complet en soi-même. Il faudrait l’avoir traduit, sous ta supervision, en anglais, en allemand, en italien, et il faudrait en même temps le répandre dans un journal... un de ces journaux qui ont de grandes émissions. Mais il faut que les traductions soient prêtes et que ça aille comme ça (geste simultané dans toutes les directions).

Les traductions, tu peux les avoir ici.

Tu en as encore?

J'ai écrit en tout neuf chapitres.

Oh!... Mais ça (l’introduction), ça se tient debout tout seul.

Chaque fois, tu me liras un chapitre.

On a le temps puisque tu n'as pas fini, mais c'est cette introduction qui doit être répandue (le livre, ce sera une étude). Il faut que ça aille partout.

Qui peut traduire ça?

En anglais, je ne sais pas... Il y a T qui avait traduit le premier livre.

T peut traduire. En anglais, c'est facile.

En italien, il y a N.

Il est très occupé, mais je le lui demanderai. Seulement l’introduction. Le reste on a le temps. C'est seulement l’introduction qu'il faut jeter comme cela sur le monde.

Pour l’allemand?

Un jeune... (Mère cherche en vain)

Seulement l’introduction. Et il faudrait des milliers et des milliers d'exemplaires.

Il faudrait toucher les grandes revues.

Oui. Mais je veux que l’on fasse partout en même temps – pas que l’un sorte, et six mois se passent, et puis... Non: tout en même temps.

(silence)

Il faudrait que Shu-Hu le traduise en chinois. On pourrait lui envoyer un exemplaire français et un exemplaire anglais: les deux. Je lui demanderai de faire la traduction.

En principe, si tout va normalement, je pense que le livre sera terminé d'ici quatre mois, vers le mois de février.3 À ce moment-là, on pourrait lancer l’introduction partout en même temps.

Oui, c'est cela. En février.

(long silence)

Douce Mère, je prie pour que la transmission soit pure et fidèle... C'est cela qui est angoissant.

(Mère approuve de la tête) C'est bien.4

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

10 octobre 1970

(Mère donne des fleurs de «transformation», en passe une à sa boutonnière, puis reparle de la traduction de l’introduction à «La Genèse du Surhomme».)

J'ai pensé aussi demander à Shu-Hu de le faire en chinois. Ce serait bien.

Je lui demanderai pour toi?

Oui, tu lui diras que je lui demande de le faire, s'il veut bien le faire. Si on pouvait l’envoyer en Chine... Il y a un Chinois à Shantini-ketan, mais je ne suis plus en rapport avec lui (il a donné tous ses biens à la Chine communiste, et il reste ici). C'est un philosophe, un homme très intelligent... Mais en tout cas, pour traduire, c'est Shu-Hu qui doit le faire.

l’allemand, je ne sais pas... Nous avons beaucoup d'Allemands, mais je ne sais pas.

Quant au livre lui-même, il fera comme l’Aventure, il se répandra peu à peu.


(Puis le disciple passe à la lecture du chapitre I: «La forteresse mentale». Mère s'arrête à la phrase suivante:)

«...Rien n'est inutile au monde, nous en sommes encore à chercher la douleur qui n'a pas sa secrète puissance d'élargissement.»

C'est magnifique! magnifique.

(À la fin du chapitre, le disciple cite le début de «l’Heure de Dieu», de Sri Aurobindo)

«...il est des moments où l’Esprit se meut parmi les hommes..., il en est d'autres où il se retire et les abandonne à leurs actes selon la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme. Les uns sont des périodes où même un léger effort suffit à produire de grands résultats et à changer la destinée...»

C'est fini?

Tu ne dis pas que nous sommes à un moment comme celui-là?

Je peux ajouter une phrase: «En vérité, nous sommes à ce moment-là.»

Ah! oui.

(Mère fait divers commentaires satisfaits, puis entre dans une contemplation très souriante)

C'est curieux, ça fait des images...

(Mère replonge)

14 octobre 1970

En rangeant des papiers, j'ai trouvé ça. Je ne sais pas ce que c'est.

(le disciple lit)

Mes cheveux ne sont pas teints. C'est leur couleur naturelle. Excepté une légère teinte rougeâtre provenant de la lotion au bois de panama dont je me sers pour me nettoyer la tête.

Quand je sortais, j'étais obligée de mettre du jus de rose sur mes lèvres pour qu'elles ne se gercent pas et du sumo (poudre de perle brûlée) sur les paupières pour que le soleil et la poussière ne les irritent pas.

Donner des soins à la peau et au cuir chevelu n'est pas plus un artifice que de se soigner les dents.

Si une «sadhika» [une disciple] a le loisir et le goût de se farder, je n'y vois aucun mal pourvu qu'elle ne le fasse pas par vanité et coquetterie.

Ce n'est pas ce que l’on fait, mais l’esprit dans lequel on le fait, qui a de l’importance pour la sâdhanâ.

La malveillance, la critique, le doute, le scepticisme et la dépression sont de bien plus sérieux obstacles pour le développement spirituel que les futilités et les enfantillages de la vie, acceptés sans y attacher d'importance.

13 mai 1965

(Riant) C'est quand R.R. est venu, il a dit que je me teignais! (Mère rit) «Mère se peint.» Je ne lui ai jamais envoyé d'ailleurs.

Avec ta réponse, il y a une lettre de R.R. Oui, il te demandait: «Pourquoi emploies-tu ces artifices?...» Il te demandait aussi: «Pourquoi y a-t-il dans l’Ashram cette iconolâtrie si poussée?»

Je crois qu'il a un peu changé, ce monsieur. Il y a la date?

1965.

Je crois qu'il a changé.

(le disciple lit un autre feuillet)

«Pour calmer toutes les ambitions personnelles, je dois déclarer que:

«Si, pour une raison quelconque, ce corps devient inutilisable, la Mère universelle recommencera à se manifester dans des centaines d'individualités suivant leur capacité et leur réceptivité, chacune étant une manifestation partielle de la Conscience Universelle.»

Ça, c'est important.

C'est amusant!... Il y a longtemps aussi.

Il n'y a pas de date.

On retrouve des choses amusantes... Il y avait trois ou quatre personnes ENSEMBLE, ici, qui étaient venues (au moment où j'ai écrit cela, je ne sais plus quand c'est), qui étaient venues pour prendre la suite de la Mère universelle!... Trois ou quatre. Surtout il y en avait deux d'Amérique. Et puis il y en a une ici (Mère rit).

C'est futile, c'est très enfantin.

(Mère hoche la tête et donne le manuscrit au disciple)


(Puis Mère prend quelques extraits de «Savitri» qui doivent être mis en musique.)

A little point [shall] reveal the infinitudes.

[Un petit point révèlera les infinitudes.]

II.I.100

C'est intéressant.


(Le disciple passe à la lecture du chapitre II de «La Genèse»: «Le Grand Processus.» Après quelques remarques satisfaites, Mère ajoute:)

Ça produit un curieux phénomène d'absorption: rien n'existait plus, que ça.1 C'est curieux. Et j'ai su que ça allait finir parce que j'ai repris contact avec le monde. C'est vraiment intéressant. Oh! c'est très bien.

Où va-t-on le faire publier?

En principe, ce devrait être celui qui a édité «l’Aventure de la Conscience».

Oui... Mais il a l’envergure?

Il a... Il profitera de «l’Aventure de la Conscience».

(Mère regarde le disciple en souriant)

Quelle heure est-il?

Onze heures, douce Mère.

Tu n'as pas un petit travail pratique à faire, non?

Non, douce Mère,... sauf si tu veux continuer la traduction de Savitri... Mais toi, douce Mère, tu ne dis rien?

Moi, je n'ai rien à dire.

(silence)

La conscience du corps est en train de changer lentement et de telle façon que toute sa vie antérieure lui paraît étrangère. Ça paraît être la conscience de quelqu'un d'autre, la vie de quelqu'un d'autre. Sa «situation», si tu veux, dans le monde, est en train de changer.

Vis-à-vis de toute sa vie antérieure, elle regarde cela comme quelqu'un qui... pas positivement une étrangère, mais c'est la vie de quelqu'un qui est proche, que l’on comprend bien (on n'a pas d'étonnement, on comprend bien), mais... une étrangère. Non, ce n'est pas «étrangère»... AUTRE, autre. Quelqu'un d'autre.

(long silence)

Mais la nouvelle personne n'a pas de limites de contact, elle ne s'arrête pas quelque part (Mère touche la peau de ses mains)... Une drôle de sensation.

(long silence)

C'est en train de se faire. Ce n'est pas quelque chose que l’on peut regarder: c'est quelque chose qui est en train de se faire.

(long silence)

C'est comme s'il n'y avait pas de passé, tu sais, on est tout comme ça (geste en avant), il n'y a rien derrière. Une curieuse sensation.

(long silence)

Une curieuse sensation de quelque chose qui commence. Pas du tout, du tout, du tout, quelque chose qui finit. C'est une curieuse sensation: quelque chose qui commence. Avec tout l’inconnu, l’imprévu... Curieux.

J'ai ça tout le temps. Tout le temps j'ai l’impression que les choses sont nouvelles... que ma relation avec elles est nouvelle... Moi, c'est quelque chose là (geste en haut). Et le corps aussi (Mère touche ses mains) a l’impression d'une nouvelle façon de sentir, nouvelle façon de réagir... C'est très curieux.

(Mère prend les mains du disciple)

17 octobre 1970

J'ai une lettre du Dr V, il pose une question sur quelque chose que Sri Aurobindo a dit.

(le disciple lit)

«Sri Aurobindo parle dans "La Synthèse des Yoga", de la perfection du mental inférieur, du prâna psychique...

Qu'est-ce que c'est?

Je crois que c'est la substance vitale, que Sri Aurobindo appelle comme cela.

«... et de ses exigences tyranniques qui représentent le principal obstacle naturel envahissant toute l’action de l’être.

D'où vient ce prâna psychique? Fait-il partie du psychique tel qu'on l’entend dans le langage psychologique de l’Inde?...

Oui, Sri Aurobindo employait à ce moment-là, le mot «prâna psychique», mais ce n'est pas du tout le psychique, l’âme: je crois que c'est la substance vitale primaire... Il demande encore:

«... Ce prâna psychique a-t-il un rapport quelconque avec la constitution de la Psyché des psychologues de l’Occident?»

Toutes ces choses-là, je ne sais pas. C'est de la philosophie... je dirais en anglais wordy [verbeux]. Ce sont des mots psychologiques que je ne connais pas du tout.

Oui, bien sûr! En tout cas, ça n'a aucun rapport avec le «psychique», l’âme comme nous l’entendons.

Il est inutile que les gens me demandent ces choses-là, ça ne m'intéresse pas du tout.

Bien sûr!

Sri Aurobindo s'est servi d'un tas de vocabulaires, et ce n'est que finalement qu'il a adopté celui que j'ai apporté, alors on s'est compris. Avant, au début, quand je suis arrivée, il parlait de toutes sortes de choses comme cela.

Et par-dessus le marché (riant), ça ne m'intéresse pas!

(Mère tend des paquets de potage au disciple)

Peux pas manger.


(Puis le disciple lit le chapitre III de «La Genèse»: «La Voie Ensoleillée.» Après la lecture, Mère reste longtemps à regarder le disciple avec un sourire charmant.)

Tu es entré dans un monde nouveau... Ceux qui pourront te suivre, c'est bien!

Oh! c'est tout à fait nouveau... (Souriant et approuvant) C'est extraordinaire, tu comprends, c'est...

l’impression d'une nouvelle porte ouverte. l’impression que c'est comme si tu avais ouvert une nouvelle porte pour l’humanité.

C'est toi qui l’ouvres!

(silence)

Extraordinaire.

C'est comme si tu avais dit au revoir au vieux monde.

Oui.

Maintenant (riant), je voudrais bien entendre la suite! Il y en a encore combien d'écrit?

J'en ai écrit dix en tout.

Et c'est le troisième... Bah!

(Mère ne cesse pas de secouer la tête comme si elle était ravie)

Magnifique, c'est magnifique!

(silence)

Comment est-ce que ça vient?

Oh! douce Mère, je prie et puis je laisse venir.

C'est ça... C'est évidemment d'un autre monde.

Il ne faut pas qu'on te dérange jusqu'à ce que tu aies fini.

Oui, douce Mère... Justement, il y a beaucoup de choses qui essayent de me déranger.

Oui.

Dedans et dehors.

Dedans?

Oui, aussi: des circonstances.

Il ne faut pas, il ne faut pas laisser. Et il ne faut pas que les gens lisent ça avant que ce soit fini.

Oui, douce Mère.

Pour l’introduction, nous gardons notre programme... Tu n'as pas encore trouvé un Allemand?

Non, douce Mère, je ne connais pas.

Moi, j'ai cherché et je ne trouve pas. Il faut quelqu'un qui soit un peu intelligent. Il faut que ce soit prêt pour février. Mais le livre, ne le montre à personne jusqu'à ce que ce soit fini.

Il n'y a que Sujata qui le lit et le tape.

(Riant) Sujata, c'est personne!

Tu sais, c'est magnifique.

Oh! douce Mère, je n'y suis pour rien, je t'assure!

Je voudrais bien entendre la suite.

J'espère que ça ne te décevra pas.

Non-non.

Oh! Je prie beaucoup pour recevoir purement.

(silence)

Ça, les éditeurs ordinaires sont incapables de... Ce qu'il faudrait, c'est faire une bonne édition ici (nous le pouvons; au point de vue du travail ça peut être bien), et puis préparer une publicité tout à fait générale, mondiale... Des articles dans les journaux littéraires: organiser une publicité. Je crois que ça vaudra mieux que de laisser ça à un individu qui... Il faudrait arranger la chose soi-même – on peut. Si l’on veut, on peut.

Le seul avantage des éditeurs, c'est qu'ils ont le nom de leur maison et ils ont les moyens de toucher la presse – et de faire la distribution. C'est cela, leur pouvoir.

Mais il y aurait moyen de toucher la presse. Il y a un moyen.

(silence)

Nous allons... (Mère fait le geste d'enfoncer un mur)

(silence)

J'attends; je te dirai mon idée quand tu auras fini, quand tu m'auras tout lu.

J'ai une idée... Quand tu auras fini.

J'attends d'avoir lu le dernier chapitre! (rires) Voilà.

Parce que, avec ça, on peut faire quelque chose.

(silence)

J'ai eu l’impression d'aller là (geste au-dessus) et puis de ne pas en descendre. Ça prouve que... J'ai eu une impression extraordinaire, tu comprends: j'entendais LA (même geste au-dessus de la tête), et je n'ai pas eu à descendre.

(Riant) J'attends la suite!

21 octobre 1970

J'ai retrouvé de vieux papiers.

(le disciple lit)

«On me dit que tu as l’intention de distribuer une reproduction du portrait que tu as fait de moi. Il vaudrait mieux ne rien introduire de personnel dans cette réunion qui puisse suggérer l’atmosphère de religion naissante.»

C'était pour Auroville, et c'était un portrait de Y, tu as vu ça? Tu as vu ce portrait! (Mère rit)

C'était une façon polie de lui dire. Seulement elle ne m'a pas écouté, elle l’a distribué.


(Puis Mère écoute la traduction anglaise de certains extraits de l’«Agenda infernal» du 9 septembre que le disciple pensait publier dans les prochaines «Notes sur le Chemin». Nolini lit sa traduction.)

Ce n'est pas intéressant.

C'est tellement personnel...

(Mère secoue la tête et plonge) It seems to me too personal to be published. [Ça me semble trop personnel pour être publié.]

(Mère plonge encore)

Je ne sais pas...

C'est parti, c'est fini.

Je voudrais que vous soyez absolument sincères tous les deux (Nolini et le disciple): il n'y a rien en vous qui a pensé «Non, ça ne peut pas se publier»?

(Satprem:) Je n'ai pas eu cette impression-là. J'ai eu l’impression que ça pouvait être utile. Mais je crois que c'est plutôt Nolini qui sera plus objectif puisqu'il n'était pas là quand tu as parlé.

(À Nolini:) Tell what you feel absolutely sincerely [dites-moi ce que vous pensez absolument sincèrement].

(Nolini:) I have found that it was a little too personal [j'ai trouvé que c'était un peu trop personnel].

(Mère approuve) Too personal, [trop personnel]

(Nolini:) Not the whole but part of it. I feel like that [pas tout, mais en partie. C'est ce que je sens].

(silence)

J'ai peur que ce ne soit l’occasion de... que ça n'encourage chez les gens des expériences morbides.

(Satprem:) Oui, douce Mère, c'est vrai.

C'est cela qui m'ennuie. Il vaut mieux pas. C'est encourager des choses morbides chez les gens.

Oui, j'en ai vu comme cela.


(Puis le disciple s'apprête à lire un nouveau chapitre de «La Genèse»: «La bifurcation.»)

Il faut faire traduire l’introduction en hindi. Je vais voir avec R.

Tu sais que C.S. [un traducteur d'allemand] est ici? Tu l’as vu?

Non, douce Mère.

Pas encore?

Non, il n'est pas en très bons rapports avec moi.

Ah? pourquoi?

Écoute, douce Mère, depuis deux ans à peu près, j'ai beaucoup travaillé pour lui. Et chaque fois... j'ai reçu des dizaines de lettres où se dévoilait de plus en plus une sorte de microscopique possession mentale, quelque chose de très petit, très laid, qui s'accrochait toujours à des... Je ne pourrais pas dire, c'est comme un petit nain mental en lui, qui est plein de fiel, plein d'amertume. Il y a un point là qui n'est pas joli. Alors, chaque fois que j'essayais de lui envoyer un peu de... (comment dirais-je?) de baume pour l’aider, chaque fois il renvoyait une lettre pleine de fiel. Au bout d'un ou deux ans, je me suis aperçu que je ne faisais qu'encourager ce genre de réaction. Alors, un jour, je lui ai écrit, je lui ai dit: «Maintenant, c'est entre les mains de Mère; moi, je ne peux plus rien pour vous.»

C'est à propos de quoi?

À propos de rien! Il me dit que mon livre, «l’Aventure de la Conscience», est un énorme mensonge...

Il dit ça?

Oui! il dit que toute sa vie lui a démontré que mon livre était un mensonge, parce qu'il n'a rien réalisé de ce que j'ai dit, et tout cela est faux, c'est un mensonge. Alors, dans chaque lettre, il revenait sur: «Oui, vous dites ça, à Pondichéry, vous qui êtes dans la lumière et dans la tranquillité, mais nous, là-bas... Votre livre est un mensonge!»

Alors, qu'est-ce qu'il vient faire ici!

Je ne sais pas... mais il souffre, tu comprends! il est malheureux, le pauvre homme. Il est tiré d'un côté par le bon côté, et puis tiré par son petit gnome! Je n'ai pas arrêté mes relations avec lui pour des raisons personnelles parce que je ne me froisse pas du tout, mais parce que j'ai vu que ça ne l’aidait pas – c'est tout. Autrement, je n'ai rien contre lui, il souffre ce pauvre homme.

Moi, je ne lui ai jamais parlé.

Il y a une déformation mentale. Une espèce d'aigreur, tu sais, d'amertume, de fiel!

Je n'ai pas encore trouvé pour traduire en allemand...

À Auroville?

(silence)

Ou tu pourrais demander à A, douce Mère, il connaît tous les Allemands qui viennent ici.

A. n'est pas psychologue. Il vaut mieux attendre et être sûr. Ah! j'écoute.

Je te lis quand même? tu n'es pas fatiguée?

Non-non... J'ai remarqué ça: je ne sais plus ce que c'est que d'être fatiguée – même physiquement.

Il y a eu un changement formidable, mais ce n'est pas encore... on ne peut rien en dire.

(lecture)

24 octobre 1970

(Mère traduit quelques fragments de «Savitri» qui ont été choisis pour elle.)

Un miracle de l’Absolu était né
l’infini avait revêtu une âme finie
Tout l’océan vivait dans une goutte errante
Un corps fait par le temps abritait l’Illimité.
Afin de vivre ce mystère nos âmes vinrent ici-bas.

Une forme solitaire sur les marches géantes de la Nature
Montait vers une fin indiscernable
Sur le sommet nu des choses créées.

II.I.101, 102

C'est bien, ça. C'est dommage d'avoir coupé des petits morceaux!


(Lecture du chapitre V de «La Genèse»: «La Nouvelle Conscience.»)

C'est tout à fait bien, c'est créateur de la condition.

(silence)

Peux pas parler (Mère secoue la tête).

28 octobre 1970

(Mère donne au disciple le message de l’année 1971.)

Image 7

Bénis soient ceux qui font un bond vers l’avenir.


(Mère tente de lire, avec difficulté, quelques vers de «Savitri» écrits en grosses lettres. Ces textes sont destinés à accompagner de la musique.)

Il y a des moments où je lis très bien, et des moments où...

Là, emmuré et isolé par sa propre intériorité
Dans un barrage mystique de lumière dynamique
Il vit la haute courbe d'un amoncellement de mondes
Dressés comme la montagne d'un chariot des dieux
Immobiles sous un ciel impénétrable.

Une fois, dans la vigile d'un regard immortel
Ces degrés marquèrent sa géante plongée vers le bas,
Le vaste bond descendant d'une chute divine.
Notre vie est un holocauste du Suprême.1
La grande Mère du Monde par son sacrifice
A fait de son âme le corps de notre condition...

II.I.97, 99

Le corps de notre condition...

De notre état humain.

(Mère répète) Elle a fait de son âme le corps de notre condition...

(silence)

Alors, il vaudrait mieux que j'essaie de redire ça.

Non, douce Mère, tu vas te fatiguer les yeux.

Je vois mal.

Oui, douce Mère, ce n'est pas la peine d'essayer.

Si tu n'es pas fatigué d'être assis...

Oh! non, douce Mère!

On peut rester encore dix minutes. Tu n'es pas fatigué?2

(méditation)


Peu après

Il y a une question à propos de la traduction anglaise de mon livre. Il y a deux possibilités pour le titre. En français, c'est «La Genèse du Surhomme», en anglais, T propose, ou bien «Superman in the Making»... ou bien «The Birth of the Superman»?

(après un long silence)

Toi, qu'est-ce que tu aimes mieux?

Je ne sais pas, j'ai l’impression que «Superman in the Making» est peut-être un peu mieux? Je ne sais pas.

(après un long silence, souriant)

Ça manque un peu de dignité.

Oui.

(silence)

Je viens de penser à quelque chose comme «The Emergence of the Superman»?

(Sans enthousiasme) C'est peut-être mieux?

(Mère reste concentrée)

Ça n'irait pas: «On the Way to Supermanhood»? [sur le chemin de la surhumanité]

Oui, très bien! On the Way to Supermanhood. Oui, douce Mère! oui.

Tu lui proposeras ça.

Je ne sais pas si c'est voulu ou si cela vient de moi, mais j'avance très vite dans ce livre, comme si je ne développais pas les choses: je les amenais; je les amenais sans vouloir les développer vraiment.

Oui, il ne vaut mieux pas.

Il ne vaut mieux pas? c'est voulu vraiment?

Oui.

Parce que j'ai l’impression que ça va très vite – je me demandais si ça n'allait pas trop vite!

Non-non... Il faut toujours être en avant.

Par exemple, certaines choses que les gens, normalement, développeraient en deux pages, c'est là en deux lignes.

Oui-oui, c'est mieux. C'est beaucoup mieux!... Je trouve que les gens bavardent – ils bavardent.

Non, c'est mieux.

Je regrette de ne pas avoir entendu le chapitre!3

31 octobre 1970

(Mère tente de lire quelques vers de «Savitri» en anglais, écrits spécialement en grosses lettres pour elle.)

C'est un phénomène curieux: c'est F qui l’a écrit, elle ne comprend pas bien, pour elle ce sont des mots – et je ne peux pas lire!

Oui, je comprends. C'est la conscience qu'elle a mise dedans.


(Puis Mère écoute la lecture de quelques lettres de Sri Aurobindo.)

[Question:] X m'a demandé s'il est possible qu'au cours des réincarnations, une femme devienne un homme, et un homme une femme. Il pensait à certains traits féminins en lui qui pourraient s'expliquer par ces raisons. J'aimerais aussi savoir si, dans l’être psychique lui-même, il existe quelque chose qui ressemble au sexe?

[Réponse:] Pas sexe exactement, mais ce que l’on pourrait appeler le principe masculin et le principe féminin. C'est un problème difficile. Les réincarnations suivent certaines lignes, et selon ma propre expérience et l’expérience de beaucoup, on suit généralement une ligne simple. Mais on ne peut pas affirmer que le changement de sexe soit impossible. Il se peut que certains alternent. La présence de traits féminins dans un homme n'indique pas nécessairement une vie passée féminine: cela peut venir du jeu général des forces et de leur formation. En outre, il y a des qualités communes aux deux sexes. Il se peut aussi qu'un morceau de personnalité psychologique ait été associé à une vie qui n'est pas la sienne. On peut dire d'une certaine personne du passé: «Ce n'était pas moi-même, mais un morceau de ma personnalité psychologique qui était présent dans cette personne.» La réincarnation est une affaire complexe; son mécanisme n'est pas si simple que le croit la pensée populaire.

11.1.1936
Letters on Yoga, XXII.447

Il dit que ce sont «des morceaux»?

Oui: qu'il peut y avoir des morceaux.

C'est mon expérience. Par exemple, j'ai un morceau de Murât. Et alors, j'ai retrouvé toute l’expérience de ce morceau1 – mais c'était tout, il n'y avait que ça.

Ce doit être exact (ce que dit Sri Aurobindo), c'est conforme à ma propre expérience.

Mais le psychique, oui, a des tendances masculines et des tendances féminines, mais ce n'est pas «un homme» ou «une femme»: le psychique est insexué.

Et comme il dit, c'est une affaire très compliquée, il y a toutes les possibilités. On ne peut dire de rien: c'est impossible.2

(silence)

Maintenant, je veux entendre ton chapitre.

*(Le disciple commence à lire une demi-douzaine de pages du chapitre VI: «Le déchirement des limites», puis doit s'arrêter ayant encore mal à la gorge.)

Douce Mère, je ne peux pas continuer, c'est trop long pour moi.*

Tu es fatigué. La prochaine fois.

C'est très bien... C'est très bien.

Moi, ça me fait sortir complètement... Je perds tout contact, c'est curieux. C'est la seconde fois que cela me fait ça. Tout disparaît: j'entre dans une formation de ça, et ça reste la seule chose. Un phénomène très bizarre. Tout le monde disparaît. Et quand tu as arrêté, tout d'un coup c'est comme si je TOMBAIS de quelque part. C'est curieux.

C'est très intéressant.

J'ai l’impression d'entrer dans ce qui remplacera le mental. Une atmosphère qui remplacera le mental, qui est l’atmosphère de la nouvelle création... J'ai eu cela très fort l’autre fois, mais c'était la première fois – j'étais tout à fait ahurie, et je croyais que ça dépendait de ma condition; mais aujourd'hui, j'ai écouté tout à fait comme d'habitude, et puis tout d'un coup, sans même m'en apercevoir, j'ai été transportée dans une atmosphère... une atmosphère de compréhension. Et quand tu as arrêté (riant: geste de tomber par terre)... Curieux.

C'est comme un monde en construction.

C'est très intéressant.

Je comprends AILLEURS, tu comprends? Ce n'est plus la même chose. Je comprends ailleurs. Et «comprends», c'est merveilleusement clair et expressif. C'est curieux! C'est intéressant. J'avais oublié que c'était arrivé l’autre fois, et c'est arrivé exactement la même chose. C'est très intéressant.

C'est la moitié du chapitre?

À peine: un tiers.

Oh! c'est tout à fait, tout à fait une expérience.

Parce que le mental n'est pas là, c'est... Au fond, c'est la compréhension psychique des choses.

Oh! c'est intéressant.

(Riant) Quand tu as arrêté, c'est comme si je retombais dans quelque chose – quelque chose d'habituel –, et que je venais d'un autre monde. Ça appartient à un autre monde.

C'est très-très-très intéressant.

(long silence respiration rauque)3

Tu penses que ce sera fini pour le mois de février?

Je pense que j'aurai fini le mois prochain.

Oh!

Ça va très vite. Mais peut-être faudra-t-il quand même que je révise après.

Pourquoi? Oh! NON.

Ce que je te lis là, c'est tel que je l’ai écrit.4

Moi, je trouve ça tout à fait bien, tout à fait bien. Ah! non, il ne faut pas changer.

Pas changer?

Non, c'est quelque chose d'exceptionnel. C'est quelque chose qui semble venir comme ça (geste de descente en bloc).

Ah! ça, j'ai l’impression que ça m'est donné.

Oui-oui, c'est tout fait. Il ne faut pas y toucher.

Oui, j'ai un peu l’impression que c'est «tout fait», c'est ça.

(Mère silencieuse secouant la tête)

Ah! non, ça l’humaniserait – il ne faut pas.

Oui.

Ce n'est pas humain. Il ne faut pas l’humaniser, même-même si l’être extérieur pense qu'il y a des choses... (à modifier ou à clarifier ou à développer). Parce que je sais, je sais où je vais. Non.

La nuit, je vais là, et il arrive quelquefois des choses qui sont comme reflétées sur tout ce qui se passe dans la journée.

C'est très fort, c'est vraiment un nouveau monde qui se prépare.

C'est très fort.

(silence)

Ça m'intéressera beaucoup de voir la fin, ton dernier chapitre.5

(Mère reste longtemps à «regarder»)

novembre




4 novembre 1970

(Le disciple lit la deuxième partie du chapitre VI de «La Genèse du Surhomme»: «Le déchirement des limites.»)

C'est tout un monde nouveau.

(silence)

Moi, je resterais à écouter comme cela sans bouger pendant des heures! C'est très reposant. Je ne sais pas comment expliquer... C'est très reposant.

C'est curieux... On n'a plus envie de bouger, plus envie de parler, plus rien.

(Mère hoche la tête et part en contemplation)

5 novembre 1970

(Mère enregistre un message en français pour la Radio indienne.)

Nous voulons être messagers de lumière et de vérité. Et tout d'abord, un avenir d'harmonie s'offre pour être annoncé au monde. Il est temps que la vieille habitude de gouverner par la peur soit remplacée par le gouvernement de l’amour.

7 novembre 1970

(Mère répond à une question posée par une jeune disciple.)

«J'ai beaucoup lu et entendu parler des vies passées et futures, mais je sens très fort que c'est dans cette vie même que nous devons réaliser nos plus hautes aspirations, comme si c'était la dernière chance qui nous était donnée. Les allusions aux autres vies sont pour moi intangibles et académiques plutôt qu'une aide et un espoir. Ce n'est pas que je ne croie pas à la réincarnation, mais cette pensée-là me revient à l’esprit très souvent. Mère, est-ce une étroitesse de vision de ma part ou quoi?»

La connaissance des vies passées est intéressante pour la connaissance de sa nature et la maîtrise de ses imperfections. Mais à vrai dire, elle n'a pas une importance capitale et il est beaucoup plus important de se concentrer sur l’avenir, la conscience à acquérir et le développement de la nature qui est presque illimité pour ceux qui savent le faire.

Nous sommes à un moment spécialement favorable de l’existence universelle où, sur la terre, tout se prépare pour une nouvelle création ou plutôt pour une nouvelle manifestation dans la création éternelle.


(Puis il est question d'un disciple chinois qui a déposé de l’argent chez des amis de l’Ashram à Singapour...)

Demain est illusoire.

11 novembre 1970

Tu vas me lire ton chapitre.

Oui... Mais toi, tu ne parles plus?

Moi, je n'ai rien à dire.

Quand tu auras fini ton livre, je parlerai.

Tu as fini?

Presque.

C'est cela qui m'intéresse, ce que tu as mis à la fin.

14 novembre 1970

Et alors, quoi de neuf?

J'ai terminé mon livre.

Oh!... Bien! ça, c'est bien.

Combien de chapitres restent à lire?

Nous sommes à la moitié, je suis en train de te lire le huitième. Il y en a seize.

Ça va aller jusqu'en janvier.

Tu veux tout entendre?

Oui, bien sûr! (Mère rit)

(Le disciple passe à la lecture de la fin du chapitre VIII: «Le changement de vision.» Après la lecture, Mère reste longtemps absorbée, comme en profonde méditation.)

Je m'en vais toujours – c'est curieux – dans un... comme un pays nouveau. Chaque fois, cela m'arrive.

(silence)

Tu crois que des gens sauront traduire ça?

(silence)

C'est calme (geste vaste), c'est lumineux – c'est magnifique, tu sais!

(silence)

Qu'est-ce qui traduit en anglais?

C'est T.

Elle fait bien?

Oui, elle comprend le rythme, elle comprend la vibration. En italien, c'est N.

Il faudrait quelqu'un qui...

(Mère plonge)

Ça, c'était très court.

(Mère reste à regarder longtemps, puis sourit soudain et replonge)

Quelle heure est-il? Il n'y a rien à faire?

Non, douce Mère... Tu ne dis rien?

(après un silence)

Je viens de voir une chose assez curieuse... Il y a la fille d'un homme qui a un grand cinéma – enfin un homme riche –, je ne sais pas ce qui est arrivé, elle était bien, puis elle a accouché à l’hôpital et elle est morte. On n'a jamais su pourquoi. Moi, j'avais oublié ça, c'était il y a un an. l’enfant avait un an (c'était un garçon) et on me l’a amené. Mais je ne me souvenais plus de l’histoire, que la mère était morte, etc. Je ne savais pas. Quand il est venu, j'ai eu l’impression que c'était une fille. Je regardais. Et alors, on m'a dit: «Non, c'est le petit dont la mère est morte quand il est né.» Et il y avait dans cet enfant, le vital de sa mère, mais tout à fait clair, précis, comme conservé. Il était là et il répondait à travers le corps de l’enfant – le vital de sa mère avec toute sa conscience. C'est curieux. Et je n'ai su l’histoire de la mère qu'après. Je voyais ça, je voyais un vital féminin, très conscient: «Qu'est-ce que c'est que ça?» Puis on m'a dit: «Mais c'est l’enfant dont la mère est morte en lui donnant naissance.» Alors j'ai compris. Le vital est resté là, dans l’enfant qui sortait.

C'est curieux.

(silence)

Mais si les parents savaient comment faire, ils pourraient... Cet enfant pourrait être absolument remarquable, n'est-ce pas, avec un vital pleinement conscient.

Maintenant, on m'amène tous les enfants nés à Auroville, et alors je vois... je vois des choses étonnantes. Il y en a (pas beaucoup, un ou deux), c'est comme un tout petit animal, ce n'est rien – c'est très gentil: un tout petit animal. Mais presque tous, c'est un être conscient. Et les parents sont absolument stupides dans leur manière d'agir avec eux, parce qu'ils ne savent pas, ils ne comprennent pas.

J'en ai vu un encore aujourd'hui (geste minuscule): il a trois, quatre jours, cinq jours – il est grand comme ça –, et j'ai vu la conscience qu'il y a là-dedans, c'est admirable!

Et alors, ils le traitent comme un petit animal – il n'a aucun moyen de défense.

(silence)

Est-ce que ce sont ces petits-là qui deviendront les êtres intermédiaires?... Je ne sais pas.

(long silence)

Tu ne dis rien de toi, douce Mère.

Non, rien à dire.

Rien à dire.

(Mère hoche la tête et reste à regarder)

18 novembre 1970

(Mère donne au disciple, comme chaque fois, des paquets de potage. Puis elle commente:)

Il y a eu quelque chose comme une petite catastrophe! C'est-à-dire que tous les Indiens sont renvoyés ou leurs propriétés confisquées en Afrique, et c'est d'Afrique que nous recevions le fromage! (rires) Alors nous n'aurons plus de fromage... mais j'ai encore ça qui vient d'Allemagne (Mère donne un tube).

Il y a eu une plus grande catastrophe au Pakistan.

Qu'est-ce qu'il y a eu?

Eh bien, il y a peut-être trois cent mille morts.

Hein!

Il y a eu un cyclone, puis un raz-de-marée: une vague énorme de plus de cinq mètres de haut qui a balayé toute une surface, et il y a peut-être trois cent mille morts.

Bah! Quand est-ce arrivé?

Il y a deux ou trois jours.

Personne ne m'a rien dit... Il était là, P.L.?

Non-non, au Pakistan, douce Mère, en Bengale oriental!

Oh! là, je sais. J'ai entendu Vatican.

Non-non! Ça, ce ne serait pas si mal! (rires)

Ça, je sais, au Pakistan.

Ils sont sur la mer?

Oui, le golfe du Bengale.

(Mère reste très longtemps absorbée)

Nous sommes en pleine incertitude. Les choses établies sont en train de crouler – partout.

C'est clairement un moment de transition.

(silence)

Alors, c'est le chapitre IX?

Oui, douce Mère, tu as bonne mémoire!


(Le disciple lit le chapitre intitulé «Le Moi plus grand.»)

Qu'est-ce qui t'est arrivé!... Mon petit, c'est... (Mère a l’air tout émue). Ça, c'est vraiment le livre de demain. C'est fini?

Oui, j'ai fini le livre.

J'aimerais voir la dernière page!

(Mère reste longtemps les deux mains appuyées sur son visage)

C'est quelque chose comme un miracle.

C'est comme si demain avait été appelé d'avance!

(Mère secoue la tête et prend les mains du disciple)

Mon petit, c'est magnifique, magnifique! (Mère a des larmes aux yeux).

Oh! douce Mère, je n'y suis pour rien, tu sais, je n'y suis pour rien du tout.

Savoir ne pas mettre des obstacles sur le chemin, c'est déjà quelque chose.

(le disciple s'apprête à partir)

J'ai envie de te dire merci! (Mère a des larmes aux yeux)

Oh! douce Mère.

(le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère)

21 novembre 1970

(Mère traduit quelques extraits de «Savitri», écoute la moitié du chapitre X de «La Genèse» et reste plongée ou absorbée la plupart du temps.)

Ça continue dedans.


(À Sujata, après le départ du disciple.)

5 et 9 décembre, nous aurons l’entrevue après la méditation [collective]. Je ne traduirai pas, mais je veux écouter La Genèse.1

C'est très bien... C'est plus que très bien: ça ouvre la porte à l’avenir.

25 novembre 1970

(Le disciple lit la deuxième partie du chapitre X: «l’harmonie.» Mère écoute les yeux clos.)

«...Quand le regard change, on peut refaire le monde.»

(Mère ouvre de grands yeux et replonge jusqu'à la fin)

C'est extraordinaire! il y a une sorte... une sorte d’ÉMOTION là-dedans, qui n'appartient pas à ce monde. Ça met en contact avec une certaine... je ne sais pas comment l’appeler, mais c'est comme de l’émotion,1 qui est par-delà le mental – par-delà tout-tout, non seulement le mental, mais l’intellectuel. C'est une émotion nouvelle. Je ne peux pas décrire. C'est curieux.

Et chaque fois, ça fait cela, et chaque fois je me dis: «Je vais faire bien attention et suivre pour voir...» et... J'essaye de garder ma conscience dans son état naturel, et alors, malgré moi, c'est quelque chose qui... C'est comme une magie, mon petit!

C'est quelque chose comme de l’émotion, mais c'est de l’émotion qui sait, de l’émotion qui comprend. Ce n'est pas la pensée. C'est vraiment intéressant. Et chaque fois, ça devient de plus en plus conscient; chaque fois, je me dis: cette fois, je ne me laisserai pas prendre! (rires) Mais cette fois-ci, j'étais plus consciente de ce que c'était... Et ça, c'est une chose nouvelle qui est par-delà le mental, l’intellectuel et toute la compréhension, et c'est une façon d'être qui... (je ne sais pas comment l’appeler), c'est quelque chose comme une émotion, mais c'est très clair et très conscient.

Et c'est fort! Ça a une force extraordinaire.

C'est vraiment intéressant.

Il y en a combien encore?

Il y en a encore six. C'est le dixième.

Peut-être qu'à la fin je saurai!

C'est vraiment intéressant.

Et ça a un curieux pouvoir de transformer les choses... N'est-ce pas, le Satprem de ce livre, pour moi, n'est pas le même Satprem qu'avant. Et tout prend une... une apparence nouvelle, je ne sais pas – un contact nouveau.

C'est intéressant.

Alors, j'en ai encore pour six fois! J'attends cela avec... C'est vraiment comme une création nouvelle, comme un monde nouveau qui est mis en rapport avec ici.

(silence)

Et c'est par-delà les personnes. Il n'y a pas d'ego.

Oui.

C'est par-delà les personnes.

Il y a quelque chose d'autre – d'autre.

(Mère ferme les yeux)

Et ça ne me quitte pas, cette atmosphère ne me quitte plus. Et pour toutes les choses qui viennent, il n'y a plus la même façon de répondre.2

28 novembre 1970

(Le disciple offre sa pension à Mère et lui demande s'il pourrait garder un peu d'argent pour se construire une chambre dans les jardins de Nandanam, aux environs de Pondichéry.)

Oui, ça te fera du bien.


(Puis Mère traduit quelques passages de «Savitri», dont celui-ci:)

Il prête de la beauté à la terreur des gouffres
Et des yeux fascinants aux dieux périlleux,
Revêt de grâce le démon et le serpent.

II.II.106

C'est charmant!

C'est tout à fait le caractère du vital, ce que Théon appelait «le monde nerveux».


(Puis le disciple lit le début du chapitre XI de «La Genèse»:) «Le changement de pouvoir.»

Ça crée une atmosphère qui dure toute la journée comme cela, et je ne peux plus parler.

(Mère plonge)

On peut aller indéfiniment.

Et c'est vaste – c'est vaste, c'est compréhensif –, et c'est comme si l’on mettait de la lumière sur le monde. C'est curieux, chaque fois ça me fait la même chose.

Et il n'y a plus rien ici (Mère touche son front), il n'y a rien. Tu comprends, c'est comme si ça venait comme cela, et puis ça allait comme cela (geste continu qui monte du disciple vers Mère, puis, de Mère, se répand de chaque côté sur le monde).

Image 8

C'est vraiment intéressant! Il n'y a rien qui reste là (front),qu'une impression très agréable, très stable, comme cela, et puis rien: silence. Et ça va comme ça, comme ça (même geste continu qui se répand), comme ça... C'est vraiment intéressant.

Je me demande s'il y a des gens qui peuvent l’entendre?... Ce serait intéressant de savoir. Ça va dans une atmosphère... pas mentale, juste au-dessus du mental, mais c'est dans cette nouvelle conscience. Et c'est comme cela (même geste), ça s'en va vaste-vaste-vaste... comme si ça allait sur la terre.

C'est intéressant.

(Mère, souriante, plonge)

décembre




2 décembre 1970

(Mère a une hémorragie à l’œil gauche et la joue gonflée.)

Ça va?

Oui, douce Mère, et toi?

Mal aux dents... Toujours quelque chose... Ça ne fait rien.

C'est intéressant simplement parce qu'il n'y a pas cette réaction spontanée que tout le monde a (Mère fait un geste sur soi), de voir et d'agir avec les choses par rapport à ça (Mère désigne le corps). Ça (le corps), c'est comme ça (geste d'abolition), ça n'existe pas. C'est très curieux: spontanément. Ce n'est pas l’effet d'une volonté ni même d'une pensée, d'une conscience: c'est un état naturel. C'est comme si ça n'existait pas. Et je suppose que c'est pour cela que chaque petit coin qui n'est pas encore tout à fait comme il faut, se met de travers, alors... Alors il a à se remettre droit, voilà tout.

Au point de vue conscience, ça va très bien – très bien. Ça devient naturel, tout à fait spontané, sans effort.

Le centre n'est pas là, n'est-ce pas! (Mère rit, désignant le corps), même-même physiquement.

Ça va.


(Puis Mère traduit quelques fragments de «Savitri».)

Cette boue doit abriter l’orchidée et la rose,
De sa substance aveugle et récalcitrante doit émerger
Une beauté qui appartient à des sphères plus lumineuses.

II.II.107


(Après la lecture de la fin du chapitre XI de «La Genèse»: «Le changement de pouvoir.»)

C'est magnifique!...

T est en train de traduire en anglais?

Ça l’intéresse?

Sais pas.

Et l’allemand?... S'il y avait quelqu'un...

(silence)

Ça me laisse toute la journée dans une atmosphère très confortable.

Nous avons encore du temps. Nous pouvons rester encore un petit moment tranquille.

(méditation)

3 décembre 1970

À partir de cette date, Mère a traversé une longue épreuve qui a duré plus d'un mois et demi. Ce sera le dernier tournant après celui de 1962 et de 1968. Nous ne la reverrons que le 16 janvier prochain. Le 31 décembre, son fidèle caissier, Satyakarma, quittait son corps, dernier de la série malheureuse qui privait Mère de ses aides les plus sûrs. Au cours de cette épreuve, Mère a successivement été atteinte à la poitrine, au ventre, puis dans les jambes et jusque dans les pieds. Les premières escarres sont apparues sur son dos.









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