L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1969 Vol. 10 582 pages 1981 Edition   Satprem
French
 PDF    EPUB   

ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Mother has found the 'new consciousness': 'these cells, other cells, it was life and consciousness everywhere, all bodies were this body!' SALVATION is PHYSICAL.

L’Agenda de Mère 1969

The Mother symbol
The Mother

Now Mother has found the "passage", what she calls "the new consciousness," the one capable of opening up a new world to us, just as the first breaking of the watery mirror by an amphibian opened up a new air to us: "I don't know what is happening, there's a state of intense vibration, like waves of lightning rapidity, so rapid that they see motionless. And then I go off to America, to Europe.... This body has never been so happy: these cells, other cells, it was life everywhere, consciousness everywhere, all bodies were this body!...." And all our physiological misery vanishes by the same token: "There is a sort of dilation of the cells, the sense of boundaries lessons, fades away, and the pains vanish physically." And it isn't "another world," it is this earth, our earth but lived otherwise: "As if we had entered an unreal falsehood, and everything disappears once you get out of it - it simply does not exist! And all the artificial means of getting out of it, including Nirvana, are worthless. SALVATION IS PHYSICAL! It is here, right here. All the rest, death included, really becomes a falsehood - there is no such thing as "disappearing", no "life vs death"!...." And as she breaks through the walls of our bowl, the whole world is in revolt - including Mother's entourage - as if it were under the pressure of a new air: "A considerable number of desires for it to die [Mother's body]; everywhere, they are everywhere!.... The whole gamut of feelings around me, from anxiety, eagerness for it to be over quickly, to impatient desires: free at last!.... I don't want to be put in a box, the cells are conscious.... What is going to happen? I don't know. It runs contrary to all habits." A new species is quite contrary to the old habits of the world - will the world accept it, or wind up killing it off?

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1969 Editor:   Satprem Vol. 10 582 pages 1981 Edition
French
 PDF    EPUB   

Mother's Agenda 1969 Conversations with Satprem

  French|  62 tracks
0:00
0:00
Advertising will end in 
skip_previous
play_arrow
pause
skip_next
volume_up
volume_down
volume_off
share
ondemand_video
description
view_headline
NOTHING FOUND!
close
close
close
close
35:46
|
11:13
|
9:16
|
16:46
|
6:48
|
33:24
|
37:44
|
22:36
|
29:01
|
24:41
|
38:07
|
6:39
|
21:43
|
20:00
|
3:34
|
22:50
|
8:44
|
47:08
|
22:49
|
22:06
|
23:43
|
31:19
|
36:24
|
29:29
|
46:46
|
28:49
|
40:47
|
20:44
|
45:31
|
12:09
|
20:05
|
17:12
|
46:21
|
30:56
|
18:28
|
30:19
|
39:06
|
19:04
|
31:24
|
41:50
|
18:38
|
28:52
|
9:37
|
29:14
|
6:01
|
16:46
|
36:45
|
55:28
|
42:36
|
16:18
|
25:09
|
23:39
|
57:34
|
42:14
|
36:36
|
11:23
|
29:22
|
11:09
|
24:38
|
23:34
|
23:14
|
51:01
|

janvier




1er janvier 1969

C'est une cohue effroyable! Et encore, je ne vois pas la moitié des gens qui ont demandé à me voir.

J'ai commencé à 8 heures... sans arrêt.

Ce n'est pas trop bien!

C'est certainement moins de la moitié de ce qui m'a été demandé.

Mais naturellement, il faut une limite, autrement ça recommencerait comme avant. Il y a un temps où je n'avais plus que deux heures pour dormir et je faisais semblant de manger... mais... On peut faire cela pendant un temps, mais pas trop longtemps.

Ce n'est pas le travail physique qui fatigue, c'est ce que les gens ajoutent. Il y a des gens, en cinq minutes, il semble que tout va craquer; il y en a d'autres, ça va bien. Pour la majorité, je dois dire, c'est surtout une «sollicitude ignorante» qui est la plus fatigante; ce sont les gens qui ont toute une pensée de ne «pas fatiguer», de ceci, de cela – c'est très oppressant. Mais autrement, quand les gens sont tranquilles et réceptifs, ce n'est pas fatigant du tout, pas du tout.

Mais l’atmosphère médicale est dangereuse.

Elle est très dangereuse.1

(silence)

Tu n'as pas de nouvelles de P.L.?2

Il partait brusquement pour [tel pays].

Quelle heure est-il?

Onze heures et quart.

On reste tranquille dix minutes?

(méditation)

Je t'avais parlé, la dernière fois, de cette «imagination morbide» qu'avait le corps – complètement partie, finie, nettoyée! Du moment où le corps a réagi en disant: «Non, c'est dégoûtant, qu'est-ce que c'est que ça!» – parti. C'est cela qui est si remarquable avec ce corps: vitalement, mentalement, il faut faire les choses encore et encore et encore pour que l’expérience s'établisse; le corps est moins prompt dans son ouverture, mais quand il a compris ou qu'il a eu la bonne expérience, c'est fini, c'est établi. C'est cela qui est remarquable. Et c'est très tranquille. Et alors, quand certaines choses essayaient de revenir (quand c'était même à une distance, que c'était seulement à la périphérie), il a dit: «Ah! non-non! ça, je ne veux plus, ça appartient au passé.»

Certainement, d'après l’expérience présente, la majorité – la grande majorité – des maladies et des désorganisations corporelles viennent du vital et du mental, de leur influence.

(silence)

J'ai reçu une lettre dernièrement (je ne sais plus de qui et je ne sais plus d'où, mais c'est de quelqu'un en Europe), quelqu'un qui a vu mon être vital, et une autre personne qui a vu mon être mental. Tu sais qu'ils ont été renvoyés (ils continuent à travailler, à voir des gens, à aller, venir...) Et alors, elle l’a vu tel que, moi, je le connais (ce qui m'a surpris parce que les gens généralement changent l’apparence avec leur conception). Elle m'a vue, elle savait que c'était moi, et c'était un grand guerrier – grand-grand guerrier avec un costume ancien, et qui tenait une hallebarde.

C'est la première fois.

Oui, je sais qui c'est. Elle m'a dit cela, je l’ai rencontrée. C'est une Italienne, elle a des visions de toi, extraordinaires. Elle me dit souvent des choses extraordinaires. Elle vit en toi d'une façon... je n'ai jamais vu personne vivre en toi comme cela.

Tiens!... elle est encore ici?

Elle est arrivée il y a quinze jours. Elle s'appelle F.

Ah! F... Pendant un temps, elle ne voyait plus physiquement, alors ça a développé la vision intérieure.

Un guerrier de diamant, disait-elle.

Oui, c'est cela. Oh! il a un pouvoir extraordinaire sur l’atmosphère vitale. Ça, je l’ai vu depuis toute petite – je m'en suis aperçue avant de rien savoir du dehors, avant qu'on me le dise. Et je l’ai vu laissé à lui-même, c'est-à-dire quand il n'y avait pas l’intervention de toutes les idées et de tout cela... C'est curieux. Et invincible... (comment dire?) il ne peut pas être affecté, d'aucune façon: il ne reçoit pas du dehors, il ne reçoit que de la conscience psychique ou directement de la Conscience suprême.

Et maintenant, il se promène! (Mère rit)

Ces deux-là, le vital et le mental, se soucient très peu – très peu – du bien-être du corps: c'est seulement un instrument dont on se sert, et puis il n'a qu'à obéir. Et le corps se sent beaucoup plus libre qu'avant. C'est cela, l’une des raisons de leur renvoi, ce n'est pas seulement pour aller plus vite – nous avons dit que c'était pour la rapidité du travail, mais ce n'est pas seulement pour cela, c'est parce que le corps, laissé à lui-même, a tellement plus de bon sens pratique... Je ne sais pas comment dire. Une stabilité extraordinaire.

La seule chose, chez lui, qui était un peu morbide, c'était ce mental physique, le mental du corps, que Sri Aurobindo considérait comme impossible à changer – il était très obstiné, mais tu vois, c'est lui qui a fait le travail, c'est le changement de ce mental; il avait cette habitude d'imagination, et c'est fini, c'est-à-dire que c'est comme cela (Mère abat ses mains en geste d’autorité), il en est le maître.

Il a des possibilités intéressantes... Très patient, très patient. Très steady [stable].

(la pendule sonne)

Oh! il y aurait des montagnes de choses à dire, mais on verra plus tard (Mère regarde la pendule cachée par une pile de lettres sur lesquelles elle a posé deux fleurs appelées «prospérité»). Maintenant, tu vois, la «prospérité» me cache l’heure! alors... (Mère rit)

Alors, une bonne année, mon petit!

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

C'était cela, il y avait... Dans la nuit, c'est venu lentement, et au réveil ce matin, il y avait comme une Aurore dorée, et l’atmosphère était très légère. Le corps sentait: «Tiens, c'est vraiment... c'est vraiment nouveau.» Une lumière dorée, légère et... bienveillante.

Bienveillante dans le sens d'une certitude – une certitude harmonieuse.3

C'était nouveau.

Voilà.

Et quand je dis «bonne année» aux gens, c'est ça que je leur passe. Et ce matin, j'ai passé mon temps comme cela spontanément, à dire: «Bonne année, bonne année...» Alors4...

4 janvier 1969

(Mère donne des roses au disciple, puis respire l’odeur d'un bouquet de petites fleurs jaunes1 près d'elle.)

Ça sent bon!

C'est pour ma propre satisfaction. Celles-là, et puis la «nouvelle naissance»,2 ce sont deux parfums, oh! ils sont si propres... (Désignant le petit bouquet) C'est la «simple sincérité». Tu sais, une sincérité qui ne fait pas d'embarras!...

Voilà, alors qu'est-ce que tu m'apportes?

Rien, douce Mère.

Rien...

Le premier, il s'était vraiment passé quelque chose d'étrange... Et je n'étais pas la seule à le sentir, plusieurs personnes l’ont senti. C'était juste après minuit, mais je l’ai senti à deux heures, et d'autres personnes l’ont senti à quatre heures du matin. C'était... Je t'en ai dit deux mots la dernière fois, mais ce qui était étonnant, c'est que cela ne correspondait absolument à rien de ce que j'attendais (je n'attendais rien), ni aux autres choses que j'avais senties. C'était quelque chose de très matériel, je veux dire que c'était très extérieur – très extérieur – et c'était lumineux, d'une lumière dorée. C'était très fort, puissant; mais alors, son caractère, c'était une bienveillance souriante, une joie paisible, et une espèce d'épanouissement dans la joie et la lumière. Et c'était comme une «bonne année», comme un souhait. Moi, ça m'avait prise par surprise.

Ça a duré – pendant au moins trois heures, je l’ai senti. Après, je ne m'en suis plus occupée, je ne sais pas ce qui est arrivé. Mais je t'en ai dit deux mots et j'en ai parlé à deux ou trois personnes: elles l’avaient toutes senti. C'est-à-dire que c'était très matériel. Ils avaient tous senti, comme cela, une sorte de joie, mais une joie aimable, puissante et... oh! très-très douce, très souriante, très bienveillante... quelque chose... Je ne sais pas ce que c'est. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est une espèce de bienveillance; par conséquent, c'était quelque chose de très proche de l’humain. Et c'était si concret! si concret. Comme si cela avait un goût, tellement c'était concret. Après, je ne m'en suis plus occupée, excepté que j'en ai parlé à deux ou trois personnes: toutes avaient senti. Maintenant, je ne sais pas si ça s'est mélangé ou si... Ce n'est pas parti, on n'a pas l’impression de quelque chose qui vient pour s'en aller.

C'était beaucoup plus extérieur que les choses que je sens d'habitude, beaucoup plus extérieur... Très peu mental, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas le sentiment d'une «promesse» ou... Non. Ce serait plutôt... Mon impression à moi, c'était l’impression d'une immense personnalité, immense (c'est-à-dire que, pour elle, la terre était petite, la terre était comme cela: Mère tient un petit objet au creux de ses mains, comme une boule), immense personnalité, très-très bienveillante, qui vient pour... (Mère semble soulever gentiment cette petite boule au creux de ses mains). C'était l’impression d'un dieu personnel (et c'était pourtant... je ne sais pas), qui vient pour aider. Et si-si fort! et en même temps si doux, si compréhensif.

Et c'était très extérieur: le corps le sentait partout-partout-partout (Mère touche son visage, ses mains), partout comme cela.

Qu'est-ce que c'est devenu? Je ne sais pas.

C'était le commencement de l’année. Comme si quelqu'un à la dimension d'un dieu (c'est-à-dire quelqu'un) venait dire «bonne année», avec tout le pouvoir d'en faire une bonne année. C'était comme cela.

Mais qu'est-ce que c'était?...

Si concret...

Je ne sais pas.

Est-ce... Est-ce la personnalité (parce que cela n'avait pas de formes, je ne voyais pas de formes, il y avait seulement ce que ça apportait – Mère palpe l’atmosphère – la sensation, le sentiment: ces deux-là, sensation et sentiment), je me suis demandé si ce n'était pas la personnalité supramentale?... Qui, alors, se manifestera plus tard en des formes matérielles.

Le corps – ce corps-là – se sent depuis ce moment-là (ça l’a pénétré partout, beaucoup), il se sent beaucoup plus joyeux et moins concentré, plus vivant dans une expansion heureuse, souriante. Par exemple, il parle plus facilement. Il y a une note... une note constante de bienveillance. Un sourire, n'est-ce pas, un sourire bienveillant, et tout cela avec une grande force... Je ne sais pas.

Tu n'as rien senti?

J'ai eu une impression de contentement ce jour-là.

Ah! c'est cela. Oui, c'est cela.

Est-ce la personnalité supramentale?... qui s'incarnera dans tous ceux qui auront un corps supramental...

C'était lumineux, souriant, et si bienveillant par puissance; c'est-à-dire que la bienveillance, généralement dans l’être humain, est quelque chose d'un peu faible, en ce sens que ça n'aime pas le combat, ça n'aime pas la lutte; mais ce n'est pas du tout cela! Une bienveillance qui s'impose (Mère abat ses deux poings sur les bras de son fauteuil).

Ça m'a intéressée parce que c'était tout à fait nouveau. Et si concret! Concret comme cela (Mère touche les bras de son fauteuil), comme ce que, d'habitude, la conscience physique considère comme «les autres», concret comme cela. C'est-à-dire que ce n'est pas passé par un être intérieur, par l’être psychique: c'est venu directement sur le corps.

Qu'est-ce que c'est?... Oui, c'est peut-être ça... Le sentiment du corps est une espèce de certitude depuis que c'est arrivé; une certitude comme si, maintenant, il n'était plus dans l’anxiété ou l’incertitude de savoir. «Qu'est-ce que ce sera? Qu'est-ce que ce sera, ce Supramental, physiquement? Qu'est-ce que ce sera physiquement?», le corps se le demandait. Maintenant, il n'y pense plus, il est content.

Bon.

C'est quelque chose qui va imprégner les corps qui sont prêts?

Oui... Je crois, oui. J'ai l’impression que c'est la formation qui va pénétrer et qui va s'exprimer – pénétrer et s'exprimer – dans les corps... ce qui sera les corps du supramental.

Ou peut-être... peut-être le surhomme, je ne sais pas? l’intermédiaire entre les deux. Peut-être le surhomme: c'était très humain, mais un humain à proportions divines, n'est-ce pas.

Un humain sans faiblesses et sans ombres: c'était tout lumière – tout lumière et souriant et... douceur en même temps.

Oui, peut-être le surhomme.

(silence)

Je ne sais pas pourquoi, avec insistance depuis quelques moments, je me dis: les gens qui ne sauront pas comment les choses se sont passées vraiment, se diront, quand cette force supramentale sera entrée dans l’atmosphère terrestre et les aura pénétrés, ils se diront: «Eh bien, c'est NOUS qui avons fait tout cela!»

(Mère rit) Oui, probablement!

C'est nous, c'est notre belle humanité qui a... fleuri.3

Oui, sûrement. C'est toujours comme cela.

C'est pour cela que je dis – je dis qu'après tout, nous sommes tous ici et nous avons, en somme, à faire face à toutes les difficultés, mais c'est une Grâce! parce que nous, nous saurons comment – et nous ne cesserons pas d'être, n'est-ce pas.

Nous saurons comment ça a été fait.4

(silence)

Ah! je voulais te montrer...

(Mère montre une photo nocturne de ses appartements illuminés)

C'est joli, regarde!

Mais quand tu es à ton balcon, là, on a tout à fait l’impression d'un grand paquebot, et que tu es là, à la dunette du commandant, et que tu conduis le paquebot!


(Peu après, Mère aborde la question du centenaire de Sri Aurobindo en 1972.)

Ils font ici une publication en hindi, bengali, goudjérati, et deux autres langues, je ne sais plus lesquelles, auxquelles ils ont l’intention d'ajouter le tamoul ou le télougou, de toutes les œuvres de Sri Aurobindo. C'est un travail formidable.

Et en même temps, en Amérique, il y a deux ou trois éditions des œuvres complètes de Sri Aurobindo: une édition pour bibliothèques, une édition pour Américains et une édition pour Indiens. Et ils m'ont envoyé les échantillons – c'est magnifique! l’édition pour Américains est une merveille: grande comme cela, du papier admirable...

C'est dommage, on ne fait pas le français.

Oui, les Français ne répondent pas beaucoup.

Oui. Et puis il faudrait quelqu'un pour s'en occuper. Moi, je ne m'en occupe pas du tout, il faudrait quelqu'un. Mais est-ce que... Peut-être que ce n'est pas nécessaire.

Moi, je m'en occupe beaucoup pour la France! pour publier Sri Aurobindo en France...

Oui, mais les gens te répondent qu'ils ne peuvent pas!5

Mais il y a une possibilité, la dernière que je t'ai lue.6

Oui...

Alors j'attends. Peut-être que ça va démarrer là?

Ce serait bien que l’on publie tout C'est pour 1972, c'est son centenaire... Il n'y avait que six ans de différence entre nous deux.

Il y avait une différence avec Gandhi – c'est le centenaire de Gandhi aussi?

C'était cette année.

Cette année...

Oui, il y a une «différence»!

(silence)

Maintenant, sous prétexte (de quoi? je ne sais pas), de ne pas me fatiguer, ou quoi? je ne comprends pas, on m'enlève les choses, on ne me les laisse pas (Mère rit). Je voulais te montrer cette édition américaine qui est très jolie et puis... je ne sais pas où c’est.7

Je voudrais bien qu'en France, on fasse quelque chose...

Oui, ce serait bien... Ce serait bon pour les Français!

Ton livre a eu une énorme action, énorme. Il continue.

Je me souviens ici-même, quand Pavitra l’a lu, il m'a dit (il était tout à fait enthousiaste), il m'a dit: «Oh! il m'a fait comprendre quelque chose que je n'avais pas compris!» (Mère rit) Pavitra, qui est l’un des vieux qui ont vécu avec Sri Aurobindo!8

Non, en France, c'est mal parti à cause de H, c'est lui qui a... l’ambition et...

Ça a faussé quelque chose.

Oui, ça a faussé. Ça a faussé l’approche française.


(Vers la fin de l’entrevue, il est question de la prochaine arrivée de la mère du disciple.)

Quand vient-elle, ta maman?

Samedi prochain.

Samedi... Alors nous allons changer la date de l’entrevue. Apporte le cahier...

Ça ne te dérange pas? Ça ne fait pas trop de complications?

Non, il n'y a de complications que quand on le veut!9

C'est ton frère ou un autre frère qui vient d'avoir un enfant?

Non, c'est une sœur.

Oh! tu as une sœur...

J'en ai cinq!

Quoi! cinq sœurs... ooh!... et trois frères... oh! ta maman, baba!

Oui.

Quel courage!

Alors, tu as des quantités de neveux et de nièces?

Ah! oui, il y en a partout!... Je ne m'en occupe pas beaucoup.

Oh! tiens, je ne savais pas.

Mais j'ai toujours vécu en dehors de ma famille.

Oui, c'est comme moi avec ma famille!... J'ai reçu la semaine dernière une lettre de quelqu'un (je ne sais plus son nom) qui m'écrit: «Chère tante»! (Mère rit) Mais les enfants de mon frère [Mattéo], je ne les connais pas, et encore moins leurs enfants. J'ai une grande famille aussi... Celle-là (qui a écrit à Mère), c'était la fille d'une sœur de... de ma grand-mère! qui m'écrit (elle est abonnée au «Bulletin», paraît-il) que je l’ai «aidée pendant des années», et elle m'exprime sa reconnaissance, puis elle dit qu'elle «rêve de venir dans l’Inde...»

Il y a une des filles (je crois) de mon frère qui a épousé un Japonais et qui est venue ici avec son mari, le Japonais – je l’ai vu –, et elle a une ribambelle de gosses! Mais le fils de mon frère et l’autre fille, je ne les connais pas.

Non, je n'ai pas le sens de la famille!

Moi non plus!

Avec mon frère, nous avons vécu toute notre enfance ensemble, mais très proches, très proches, jusqu'à ce qu'il entre à Polytechnique – dix-huit ans –, et il n'a RIEN compris. Et c'était un homme intelligent, capable: il a été gouverneur, et un gouverneur assez successful [brillant], dans plusieurs pays. Mais RIEN compris... Il était en relation avec Jules Romains, et Jules Romains lui a dit qu'il avait très grande envie de venir ici mais qu'il ne pouvait pas. Jules Romains a compris mieux que mon frère, voilà!

C'était curieux, il avait... seize ans, je crois, ou dix-sept ans... Je t'ai raconté ce qui lui est arrivé?

Oui, une voix qui lui a dit...

Oui, qui lui a dit: «Veux-tu être divin»... Il a refusé.10

Il a refusé!

Admirable!

Par peur ou scepticisme?

Non: étroitesse de conscience. Il ne concevait rien de mieux que d'«aider les autres»: philanthropie. C'est pour cela qu'il est devenu gouverneur. En sortant de Polytechnique, il avait le choix entre différents postes, et il a exprès choisi ce poste dans les colonies, parce qu'il pensait à «aider les races arriérées à faire des progrès» – tout ce nonsense! [ces idioties.]

Enfin, il a fait UNE chose bien dans sa vie, mon frère. Il était au Ministère des Colonies, et c'était un ami un peu plus âgé que lui qui était ministre (mon frère avait je ne sais quel poste, mais enfin tout passait par lui). Et quand la guerre a éclaté (quand j'étais ici, la première des guerres mondiales), le gouvernement anglais a demandé que les Français expulsent Sri Aurobindo et le mettent en Algérie – ils ne voulaient pas que Sri Aurobindo soit à Pondichéry, ils avaient peur. Alors nous l’avons su (Sri Aurobindo l’a su), j'ai écrit à mon frère en lui disant: «Il ne faut pas que ça passe.» C'était allé au Ministère des Colonies pour ratification de l’expulsion, et il a eu entre les mains le papier de la ratification – et il l’a mis dans le fond de son tiroir. Ça a complètement disparu.

Et puis on n'en a plus parlé.

Il s'est racheté!

Ça fait passer le reste...11

8 janvier 1969

Et cette descente de la conscience du surhomme...

Est-ce que je t'ai dit que je l’avais identifiée après?

Quand tu parlais, la dernière fois, tu l’avais identifiée.

Oui, mais j'avais dit «la conscience supramentale».

Après, tu as dit «peut-être le surhomme?»

Oui, c'est cela. C'est la descente de la conscience du surhomme. J'en ai eu l’assurance après.

C'était le premier janvier après minuit. Je me suis réveillée à deux heures du matin entourée d'une conscience, mais tellement concrète, et nouvelle, en ce sens que je n'avais jamais éprouvé cela. Et ça a duré, tout à fait concret, présent, pendant deux ou trois heures, et après, ça s'est répandu et c'est allé trouver tous les gens qui pouvaient la recevoir. Et j'ai su en même temps que c'était la conscience du surhomme, c'est-à-dire l’intermédiaire entre l’homme et l’être supramental.

Ça a donné au corps une sorte d'assurance, de confiance. Cette expérience-là, c'est comme si ça l’avait stabilisé, et s'il garde la vraie attitude, tout le support est là pour l’aider.

Il y a un certain nombre de gens (j'ai demandé après) qui ont eu l’expérience, qui ont senti ça (pas d'une façon aussi claire), mais la présence d'une conscience nouvelle – beaucoup de gens. Ils me l’ont dit (je leur ai demandé s'ils avaient senti), ils m'ont dit: oh! oui. Mais chacun avec... (Mère fait une légère torsion des doigts) naturellement son approche spéciale.

(silence)

Ce qui est curieux (je l’ai remarqué pour les autres individus): quand l’Action est silencieuse, elle est BEAUCOUP PLUS PRÉCISE que quand elle se fait à travers des mots. Les mots, ils les reçoivent mentalement et il y a toujours une petite déformation: une déformation du contenu de ces mots. Tandis que quand c'est une action directe (Mère fait un geste de communication intérieure), elle est très précise.

Je ne veux pas dire de noms, mais j'ai eu les deux exemples ces jours-ci. Il y avait quelqu'un que je ne devais voir que dans quelques jours, mais alors j'ai mis la Conscience et la Force sur cette personne, et puis le changement s'est produit, mais d'une façon tout à fait claire et précise; tandis qu'à d'autres, j'ai parlé de cette expérience et ils l’ont transcrite: on m'a lu deux transcriptions, très différentes toutes les deux (j'ai, à peu de chose près, dit exactement la même chose), la transcription est différente et il y a une petite déformation, différente aussi, dans la transcription de chacun.

Je n'ai pas corrigé parce que les mots eux-mêmes déforment, alors...

N'est-ce pas, quand je parle, je donne aux mots un sens très précis – très subtil et très précis; l’autre reçoit le son du mot et donne sa propre interprétation du mot. Mais comment faire?

Cette Conscience se «colore», pour ainsi dire, dans chacun différemment. Et c'est la même chose pour les mots: les mots ont un sens analogue, mais tout de même différent dans chacun de ceux qui les prononcent... Il faudrait communiquer comme ça (geste d'échange intérieur) : directement l’expérience.1

15 janvier 1969

(Après la visite d'un «Achârya» ou Maître de la secte jaïn qui est venu entouré de ses disciples.)

Il a essayé de tous les moyens pour me faire parler! – j'ai refusé. Mais je ne les avais jamais vus, ceux-là, avec la bouche couverte1 – ça ne les empêche pas de parler!

Il paraît qu'il a dit hier (il est arrivé hier) qu'il n'avait «pas encore commencé sa sâdhanâ, qu'il faisait le tour de l’Inde et qu'il commencerait sa sâdhanâ après»... Il m'a demandé un message; je ne lui ai rien dit, mais je lui ai dit intérieurement: «Sois sincère, sois sincère...» Mais je n'ai pas parlé. Il a essayé même la flatterie, mais ça n'a pas réussi! Il a dit: «Oh! (il regardait bien pour voir si ça faisait de l’effet), oh! j'ai beaucoup entendu parler de vous, mais vous voir, est une tout autre affaire»... J'ai eu juste une petite difficulté à ne pas rire!

Il y avait des hommes et des femmes, et les femmes, ils les appellent des «nonnes», et elles aussi ont la bouche couverte...


(Puis il est question d'un disciple américain qui a édifié chez lui tout le panthéon grec et qui est très déséquilibré.)

C'est curieux, il est suffisamment réceptif; chaque fois que je fais quelque chose, il y a un résultat... mais le résultat, il le met au compte de ses dieux! Alors, ça fait une bouillie dans sa conscience.

(silence)

C'est resté, cette conscience [du surhomme]. C'est resté, c'est très fort, oh!... Encore aujourd'hui, avec ces sadhous (jaïns), j'ai eu l’expérience: c'est venu, mon petit, c'était formidable! C'est venu massivement, ça m'enveloppait complètement, alors j'étais bien tranquille, là, derrière: rien ne pouvait passer. Intéressant... Oh! c'est vraiment une puissance. Jusque dans le vital. Physiquement, le corps ne peut pas répondre; ça a eu une action, mais... ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça. Mais ça a mis dans le corps un vital (tu sais que le vital était parti), un vital formidable! C'est tout à fait amusant. On a l’impression de dire aux gens: «Tenez-vous tranquilles!»

Je vais essayer ça sur A (le disciple américain), je vais voir si ça le remet d'aplomb... Il va croire que c'est sa statue d'Athénée! – Ça n'a aucune importance. Même les gens qui pensent bien, pensent encore des bêtises, alors...

Ce sadhou, «ça» a essayé de le tirer au-dedans, et quand la pression devenait très forte, il se mettait à parler! Il ne pouvait pas... [supporter ou contenir]. Le disciple qui était près de lui, est devenu très excité, mais il était contrôlé par lui.

Il a commencé par une banalité à propos du «travail que je faisais pour l’humanité» (une stupidité quelconque) et quand il a vu que ça ne prenait pas, il s'est tû autant qu'il a pu, puis il a recommencé à parler et il a dit ce que je t'ai raconté: «Qu'il avait beaucoup entendu parler de moi, mais...» Moi, je mettais toute cette conscience entre le corps et lui.

Au fond, je me suis amusée! (Mère rit)

Il avait une canne, et il l’avait même enveloppée de blanc! Il était tout blanc; la canne aussi était blanche, il la portait comme cela, comme on porte la crosse d'un évêque.

Ils sont très enfermés.

Ah! ils se sont volontairement coupés du monde, et ils veulent l’affirmer: la séparation fait partie de leur conception.

Ils sont enfermés dans leur sainteté.

Il y en a, je suis sûre, beaucoup, qui ont des désirs refoulés et toutes sortes de choses comme cela qui font des fermentations... Mais le corps s'est tenu bien tranquille avec ça autour (cette conscience du surhomme), et alors la Conscience lui disait tout le temps: «l’individu n'est rien, abdique, abdique l’individu – sois sincère, abdique l’individu. La Conscience suprême seule est...» Ça ne l’a pas touché. Je ne sais pas si quelque chose en lui a reçu, mais il ne s'en est pas aperçu... On verra.

18 janvier 1969

(À propos de la «descente de la conscience du surhomme».)

Oh! t'ai-je raconté, l’autre jour, quand le sadhou (jaïn) est venu, dès qu'il est entré (il s'est tenu debout, là), cette atmosphère est venue d'ici jusque là **(Mère fait un geste semi circulaire devant elle), m'a entourée comme d'un mur. C'était épais, c'était lumineux, et puis c'était d'une force! Et alors, c'était tout dirigé sur lui (geste de projection en avant). Pour moi, c'était visible, c'était très matériel, comme un rempart, à peu près de cette épaisseur-là (environ quarante centimètres), et puis c'est resté là tout le temps qu'il était là. Et c'était comme pour le tenir tranquille! (Mère rit) C'était très amusant.

Alors elle est très consciemment active.

(silence Mère donne des fleurs)

Tiens, ça c'est pour toi.

Tu vois (Mère montre deux hibiscus), ce n'est pas la même chose: ça, c'est la «Grâce», et ça, c'est la «conscience supramentale» – nous avons la fleur avant d'avoir la conscience!

(silence)

J'ai vu aujourd'hui le «lieutenant gouverneur» de Pondichéry (il vient de temps en temps, tous les quinze jours), et puis d'autres gens (un gardien d'Auroville, qui est musulman), il y a un peu de tout, et maintenant, cette atmosphère vient: l’autre jour, je t'ai dit que c'était comme un rempart, mais aujourd'hui avec le gouverneur, c'était beaucoup plus petit, à dimension réduite (geste comme un faisceau), mais c'était là, intact; c'était la même, seulement la concentration était moindre. Et ça vient entre l’Action (Mère désigne son propre corps) et la personne. C'est comme une projection de pouvoir. Et c'est devenu habituel maintenant.

Il y a là-dedans une conscience (une chose très précieuse) qui donne des leçons au corps, lui apprend ce qu'il doit faire, c'est-à-dire l’attitude qu'il doit avoir, la réaction qu'il doit avoir... Je t'avais dit plusieurs fois déjà que c'est très difficile de trouver le procédé de la transformation quand on n'a personne pour vous donner des indications; et c'est comme si c'était la réponse: il1 vient dire au corps: «Prends cette attitude, fais ceci, fais cela comme cela.» Et alors le corps est content, il est tout à fait rassuré, il ne peut plus se tromper.

C'est très intéressant.

C'est venu comme un «mentor» – pratique, tout à fait pratique: «Ça, il faut le repousser; ça, il faut l’accepter; ça, il faut le généraliser; ça...», tous les mouvements intérieurs. Et même, ça, devient très matériel, dans le sens que, pour certaines vibrations, il dit: «Ça, c'est à encourager»; certaines vibrations: «Ça, c'est à canaliser»; certaines: «Ça, c'est à supprimer...» Des petites indications comme cela.

(silence)

Dans l’un des anciens Entretiens, il y a des années, j'avais dit (quand je parlais là-bas au Terrain de Jeu), j'avais dit: «Sans doute, le surhomme sera d'abord un être de puissance pour qu'il puisse se défendre. C'est cela, c'est cette expérience-là. C'est revenu comme expérience. Et c'est parce que c'est revenu comme expérience que je me suis souvenue de l’avoir dit.2

Oui, tu as dit: «C'est d'abord le Pouvoir qui viendra.»

Oui, d'abord le Pouvoir.

Parce que ces êtres-là auront besoin d'être protégés.

Oui, c'est cela. Eh bien, j'ai d'abord eu l’expérience pour ce corps: c'est venu comme un rempart, et c'était formidable! C'était un pouvoir formidable! Tout à fait disproportionné avec l’action apparente.

C'est très intéressant.

Et c'est pour cela aussi (maintenant que je vois cette expérience), je vois que le résultat est beaucoup plus précis, concret, parce que le mental et le vital ne sont pas là. Parce que ça prend leur place. Et avec toute cette tranquille assurance de savoir qui vient en même temps. C'est intéressant.

(silence)

Tu as quelque chose à dire?

Je me demandais comment, individuellement, cette conscience agira, en dehors de toi par exemple?

De la même manière. Seulement ceux qui ne sont pas habitués à s'observer d'une façon objective, s'en apercevront moins, voilà tout. Ça passera comme à travers du coton, comme ça passe toujours. Mais autrement, c'est de la même façon.

Je veux dire: ce n'est pas tellement sur le mental que cette conscience agira, que sur les corps?

J'ai bon espoir que ça fera PENSER correctement.

Au fond, c'est un guide.

Oui, c'est un guide.

C'est une conscience, n'est-ce pas.

Pour moi, la Conscience se limite à des activités spéciales, pour les cas spéciaux, mais c'est toujours la Conscience; de même qu'elle est limitée à presque rien dans la conscience humaine, de même, dans certains états d'être, dans certaines activités, elle se limite à une certaine manière d'être pour accomplir Son action; et ça, je l’avais beaucoup demandé: «Si je pouvais être guidée à chaque minute», parce que ça gagne un temps énorme, n'est-ce pas, au Heu d'avoir à étudier, à observer, à...: on sait. Eh bien, maintenant, je m'aperçois que c'est arrivé comme cela.

(silence)

Il y a un changement très marqué dans ceux qui ont été touchés le premier janvier: c'est surtout... justement une précision et une certitude qui sont entrées dans leur manière de penser.

(avant de partir, le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Oh! le temps est court...

Tu n'as rien à demander? Rien à dire?

C'était là (Mère regarde dans la région du cœur). C'est curieux, c'est comme si j'étais chargée de le mettre en rapport avec tous ceux qui s'approchent de moi.3


(Après le départ du disciple, Mère dit quelques mots à Sujata.)

Depuis que c'est là, je vois plus clairement les yeux des gens – autrefois aussi, je voyais les yeux, mais c'était l’état psychologique, tandis que maintenant, je vois l’expression des yeux, et c'est tellement intéressant!

22 janvier 1969

(Toujours la descente de la conscience du surhomme.)

Je voulais te dire quelque chose, et puis c'est parti...

Il y a eu un tel tohu-bohu depuis ce matin.

(Mère reste absorbée)

Je t'ai dit que j'étais comme entourée [d'un rempart]... Oh! mais elle est très intéressante, cette conscience! elle me donne des leçons tout le temps, c'est très intéressant!

Il1 me donne des leçons la nuit pour me dire les choses qui doivent changer, et des sons imagés pour que je comprenne bien: il me fait vivre certaines situations pour savoir ce qu'il faut changer – c'est épatant ce qu'il fait!

Ça continue dans tous les détails. On ne peut pas tout raconter.

Et ce n'est pas seulement occupé des individus: ça s'occupe aussi des événements sur toute la terre. Je le vois bien parce que ça intervient dans l’action de tel ou de tel pays... Je vois cela surtout la nuit.

C'est très actif.

Il fait mon éducation! l’éducation de ce corps. C'est vraiment très bien! (Mère rit) Nous allons voir ce qui va arriver... ça dépend de sa plasticité, n'est-ce pas.


Peu après

J'aurais un problème à te poser, un problème important: je voudrais bien que tu demandes à Sri Aurobindo ce qu'il faut faire. Il s'agit du «Cycle Humain». Aux dernières nouvelles, l’éditeur de Paris est tout prêt à publier un premier texte de Sri Aurobindo. Et j'ai commencé à avoir une arrière-pensée. Je me suis dit que ce «Cycle Humain» a été refusé une première fois, puis on a renvoyé ici le manuscrit, par erreur. Je me suis demandé si, après tout, ce n'était pas un signe que le premier volume de Sri Aurobindo à faire sortir, au lieu du «Cycle Humain», ce ne serait pas, peut-être, «La Synthèse des Yoga»?... Cette pensée m'est venue. C'est très important: par quoi commencer? Le «Cycle Humain» m'avait semblé plus extérieur et plus généralement accessible.

Tu as la traduction de «La Synthèse»?

Il faudrait que je la revoie un peu, mais c'est l’affaire d'un mois de travail. On pourrait, en ce cas, envoyer le premier livre: «Le livre des Œuvres».

Oui, le yoga des œuvres.

Je crois que ça vaut mieux, oui.

Oui. C'est plus nouveau, c'est plus central.

N'est-ce pas, dans l’autre [le Cycle Humain], on parle de choses dont ils ont déjà parlé et il faut avoir une disposition spéciale pour comprendre que le point de vue est nouveau. Tandis que là, c'est tout à fait nouveau.

Je crois aussi.

Oui, commence par ça.

Je me souviens, moi, personnellement, que c'est cela qui m'a ouvert la porte complètement. C'est cela qui a fait que... «Ah!», et je suis entrée dans une chose nouvelle (avec toutes les constructions mentales de l’Occident, n'est-ce pas).

Ce sera intéressant.

Quel éditeur?

Arthème Fayard.2

Il faudra que ça paraisse en plusieurs volumes.

Oui, ça doit pouvoir se publier en trois volumes.

C'est cela. Si ça pouvait paraître pour son centenaire, ce serait bien.

Sûrement! je compte bien que le premier volume sortira cette année.3 Il me faut encore un peu travailler, mais d'ici trois semaines, un mois, je peux leur envoyer le premier volume.

Bon.

Si ça pouvait paraître au mois d'août, ce serait bien. En tout cas, commencer au mois d’août.4


Vers la fin de l’entrevue

Je voulais te raconter une petite histoire (ce n'est pas intéressant «sérieusement»: c'est seulement amusant comme tournure d'esprit). Tu sais que le docteur est allé se promener dans un temple du Sud, le temple de Tiroupathi,5 et alors ça m'a donné l’occasion d'entrer en contact... Ce sont des gens qui reçoivent des crores de roupies tous les ans, ils ont une immense organisation et ils nourrissent des milliers de gens tous les jours (ça tient beaucoup de place au point de vue physique), et il paraît (le docteur me l’a dit) que c'est d'une propreté impeccable, merveilleuse. Il a été étonné lui-même. Il y a plusieurs centaines de Guest Houses pour loger les gens, enfin c'est une grosse affaire. Et alors, tout est basé sur un dieu qu'ils appellent «Tiroupathi», je crois, et ce dieu vous donne tout ce que vous lui demandez – c'est une croyance générale. Et ils ont fait la statue (j'ai eu la photo entre les mains aujourd'hui) avec le dieu qui a les yeux bandés. Il a quatremains qui sont ouvertes comme cela (quatremains qui donnent: deux de chaque côté) et les yeux bandés. Et il est dit: «Vous, vous voyez le dieu et vous lui demandez; lui, ne vous regarde pas et il vous donne, automatiquement.»

C'est-à-dire que c'est un dieu qui ne voit pas les fautes, qui ne voit pas la vertu, qui ne voit pas... rien: il reçoit les demandes, il donne.

C'est curieux.

J'ai pu établir un contact ces jours-ci parce que j'avais des gens là-bas. Aujourd'hui, j'ai vu la photo et j'ai trouvé cela intéressant (Mère fait le geste de palper l’air)... Pas de justice, pas de discernement, pas... simplement: vous demandez, vous avez. Alors, si vous avez demandé quelque chose de vrai, vous avez quelque chose de vrai; si vous avez demandé quelque chose de mensonger, vous vous enfoncez dans le mensonge. C'est très intéressant comme idée.

Et c'est, je crois, le centre religieux le plus important de l’Inde: c'est sur le haut d'une colline, ils ont une armée de camions qui montent les gens tous les jours. C'est curieux, hein?

Et tout le monde vient, même des gens du gouvernement, même des savants, tout... C'est le besoin de demander secours à quelque chose de plus puissant que vous.

Et alors cette foi: tout ce que vous demandez, tout, vous l’avez.

Je ne sais pas si, dans le détail, ça se réalise toujours, mais le principe est là.

Et il y a une force vraiment?

Il y a une force.

C'est peut-être une démonstration qu'avec la foi, la confiance et une sorte de certitude intérieure, vous faites venir les choses.

Et cette idée: il ne regarde pas votre mérite, ni rien: (Mère ouvre les mains) vous demandez, vous avez.

C'est joli!

25 janvier 1969

(l’entrevue se passe en contemplation, sauf un instant où Mère revient pour dire:)

Tout le temps, tout le temps, il y a comme une petite indication qui passe – et ça ne fait pas de bruit, ce ne sont pas des mots.

29 janvier 1969

Qu'est-ce que tu as à me dire? Moi, je n'ai rien à dire...

Tu es fatiguée?

Ça continue... Les difficultés de l’entourage, du travail, des gens, vont en augmentant, depuis la santé jusqu'à la compréhension (il semble y avoir une crise générale), mais l’Aide et le Pouvoir vont en augmentant aussi. C'est comme une espèce de démonstration.

Mais les difficultés prennent des proportions assez désagréables.

(long silence)

Les enfants sont de plus en plus gentils!... Les NOUVEAUX enfants sont vraiment remarquables. J'ai vu aujourd'hui la petite de V, elle a deux ans, je crois, mais enfin elle était comme les enfants l’étaient à six-sept ans, avant. Éveillée, intelligente... C'est curieux.

Qu'est-ce que tu as à dire?

(long silence)

J'ai une vague impression que j'avais quelque chose à te dire, mais je ne sais pas...

(Puis Mère montre la brochure de «=1» sur l’éducation à Auroville)

...Mais enfin, ce n'est pas mal.

Je ne sais pas si c'est un tort, mais plus aucun «problème» ne m'intéresse. Je ne me pose plus du tout de questions. Le mental spéculatif ne m'intéresse pas.

Ah! je suis peut-être responsable!... Parce que pour moi, c'est l’équivalent de bavardage.

Plus rien ne m'intéresse, sauf quelque chose d'autre que j'attends.

Quelque chose qui doit venir, oui, c'est cela.

Alors tout le reste... On me passe des livres, on me passe des lettres, ça ne m'intéresse pas.

C'est cela.

Alors elle veut me voir... (l’auteur de la brochure).

Ça paraît tellement futile, tout cela!

Oui, c'est quelque chose d'AUTRE.

Oui.

Quelque chose de TOTALEMENT AUTRE...

Oui.

... qui doit venir.

C'est cela.

Alors, tous ces embellissements du présent, ça n'a pas d'intérêt, je trouve.

C'est cela. Et toute la journée, depuis le matin jusqu'au soir, on m'embête avec des histoires comme celle-là (Mère désigne la brochure).

Et elle veut me voir...

Si tu veux que je lise la brochure et que je t'en rende compte?

Non, j'ai lu (je n'ai pas lu, j'ai entendu): ce sont des phrases. Ce n'est pas mal, mais ce sont des phrases.

Seulement elle prend cela au sérieux: c'est «l’éducation à Auroville».

Mais j'ai tellement conscience que c'est le mental qui se complaît en lui-même et qui continue à se complaire, alors... Et si on veut les sortir de là, ils ne comprennent plus rien. Alors il n'y a qu'à les laisser faire. Mais je ne vois pas pourquoi on s'embêterait à lire leurs histoires.

Non, vraiment, la vie mentale semble... tourner en rond.

Il y a un mélange!... (c'est Pavitra qui m'a lu ça hier soir). Tout d'un coup, il y a une phrase de Sri Aurobindo, et puis il y a une autre phrase de Y (l’auteur de la brochure), et puis tout d'un coup une de moi, et puis tout à coup une de M (c'est devenu un grand gourou).

Ils m'ont demandé des articles – pas ceux-là, mais d'autres. J'ai dit: «Qu'est-ce que vous voulez que je dise!...» Ça ne vient pas, ça ne m'intéresse pas.

Ah! ils t'ont demandé...

Mais d'après les échos qui viennent d'Europe, on a l’impression d'un énorme ballon de baudruche qui se gonfle, se gonfle de plus en plus (économiquement, financièrement, mécaniquement), et puis que tout ça va éclater– ça doit éclater... en autre chose. Et le Mental fait partie de ce ballon.

Oui-oui, c'est le Mental qui semble s'être gonflé au maximum, prêt à éclater. C'est exactement cela.

Je me demandais cela: est-ce qu'il va falloir... une faillite complète du Mental pour que les gens comprennent?... Si ça va éclater avec un zéro au bout?

Alors on me demande tout le temps des «messages» (pas des articles parce que je n'en écris plus), mais Y veut que je la voie et qu'elle prenne des «notes» de ce que je dirai. Mais je sais très bien que tout ce que je dirai sera complètement déformé.

On aimerait pouvoir... se tenir tranquille un peu.

Et ils prennent ça si au sérieux! Ils croient que ça a tant d'importance...

À tous ces gens, la seule réponse que j'aie envie de faire, c'est tout le temps: AUTRE CHOSE... AUTRE CHOSE...

Oui, c'est cela.

J'ai l’impression qu'il n'y a rien d'autre à répondre.

(Mère entre dans une longue contemplation)1

I could remain hours like this! [je pourrais rester des heures comme cela!]

A great Peace has come down. Did you feel that?... [une grande Paix est descendue. Tu as senti?...]

Oui.

And then it becomes wide-wide-wide... [et puis ça devient vaste-vaste-vaste...]

(silence)

Moi, je trouve ça très confortable!

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère, puis Mère le regarde longtemps)

Ce sont comme de grands yeux qui regardent (geste de 20 cm). J'ai l’impression de grands yeux qui regardent...

février




1er février 1969

(Mère commence par traduire un passage de Sri Aurobindo.)

«Quant à l’immortalité, elle ne peut pas venir tant qu'il y a un attachement au corps – car c'est seulement en vivant dans la partie immortelle de notre être, qui n'est pas identifiée au corps, et en faisant descendre dans les cellules sa conscience et sa force, que l’immortalité peut s'obtenir. Bien entendu, je parle des moyens yoguiques. Les savants déclarent maintenant qu'il est possible (théoriquement du moins) de découvrir des moyens physiques de surmonter la mort, mais cela signifie seulement une prolongation de la conscience actuelle dans le corps actuel. À moins qu'il n'y ait un changement de conscience et un changement de fonctionnement, ce serait un bien piètre gain.»

Sri Aurobindo
(Lettres, XXIV. 1234)


(Puis Mère écoute une série de questions posées par les élèves de l’École sur la mort.)

La première question: «Que faut-il faire dans notre vie quotidienne pour arrêter le processus de la mort?»

Justement, Sri Aurobindo a dit que le procédé, c'est, au lieu de rester tout à fait attaché au corps, de s'attacher à l’Esprit, et de faire descendre l’Esprit dans les cellules du corps.

Le procédé est de détacher du corps sa conscience et de la concentrer sur la vie profonde de façon à amener cette conscience profonde dans le corps.

Deuxième question: «Si le sens de "moi" s'est identifié plutôt au mental dans la vie, est-ce que c'est le même sens de "moi" qui a toutes les expériences après la mort, c'est-à-dire qui garde en même temps les souvenirs de la vie – je demande pour le mental, car il reste formé un peu plus longtemps que les autres parties après la mort?»

Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai que le mental soit plus durable.

Relis-moi ça.

... Est-ce que c'est le même sens de "moi" qui a toutes les expériences après la mort?

Non, pas du tout.

C'est la conscience psychique qui s'est identifiée à la petite portion de physique, qui sort de cette petite personne physique. Dans la mesure où cette conscience a façonné la vie, elle se souvient de ce qu'elle a façonné, et le souvenir est étroitement lié à la conscience psychique dans les événements: là où la conscience psychique n'a pas participé aux événements, il n'y a pas de souvenir. Et c'est seulement la conscience psychique qui peut continuer.

Ce n'est pas le mental qui garde les souvenirs, c'est tout à fait une erreur.

5 février 1969

J'ai l’impression qu'il y avait quelque chose, et puis... (Mère cherche sur la table près d'elle). Positivement, il y avait quelque chose à faire... Et tu verras, quand tu seras parti, je retrouverai! Je sais avoir dit: «Ah! je ferai ça mercredi avec Satprem.»

Oh! c'est peut-être là (Mère regarde la table encombrée), il y a une quantité de lettres... ça fait peur!

Tant pis.

C'était quelque chose d'intéressant...

(long silence)

En même temps, je me souviens d'une vision de la nuit où je faisais un travail avec des chiffres et je mettais les chiffres – les chiffres et les groupes de chiffres –, je les mettais dans une certaine position, et c'était cela que je voulais te dire. Dans le «rêve» (si on peut appeler cela un rêve), je m'étais dit que je devais te montrer cela.

Maintenant, je me souviens... ça vient comme cela (geste derrière la tête de Mère). Et alors, c'est associé avec des groupes de gens qui sont partout, des groupes de gens qui sont répandus sur la terre et en rapport avec... quelle planète? Des planètes, je ne sais pas. Et je me souviens que je m'étais dit (tout cela pendant la nuit, pas réveillée), je m'étais dit, quand je faisais tout cet arrangement... Je vois encore l’arrangement de chiffres que je faisais, qui étaient tout à fait vivants – les chiffres étaient des choses vivantes –, des groupes de chiffres que j'arrangeais, et il y avait un arrangement comme cela, un arrangement comme ceci... (Mère semble déplacer les pièces d'un puzzle), et alors, en fait, tu étais là, et je te disais que quand c'était comme cela (Mère dessine certain arrangement), ça exprimait telle chose, et quand c'était comme cela (un autre arrangement du puzzle), ça exprimait telle autre chose. Et en même temps, je disais: «Non seulement ça exprime, mais ça a un pouvoir pour réaliser cette chose...»

Tout cela est là (Mère fait un geste derrière sa tête, comme pour montrer une mémoire derrière), c'est là quelque part. Et c'était en connexion avec des groupes de gens qui se trouvaient en différents endroits de la terre.

Et c'était... tiens!... c'était l’expression «chiffrée» – l’expression chiffrée de l’application à la vie dans une réalisation prochaine: de la vie en avant, mais pas très loin; par exemple, dans le centenaire qui suit, qui commence maintenant.

Alors c'était probablement cela qui était resté dans la mémoire et qui faisait que je voulais te dire quelque chose. Mais l’arrangement des chiffres, je le vois encore. J'ai passé longtemps – longtemps – à arranger les chiffres. Longtemps.

Une application plus vraie, plus universelle, et avec la connaissance spirituelle: le principe de la position et l’utilisation des individus sur la terre. Et je ne sais pas pourquoi, cela t'intéressait particulièrement. Tu étais avec moi, avec cet arrangement de chiffres, et je te montrais (même geste, comme les pièces d'un puzzle que l’on déplace)... deux colonnes ici et une colonne là; mais des colonnes vivantes: ce n'était pas sur du papier – ce n'était pas sur du papier, c'était en l’air. Je ne sais pas comment expliquer ça, c'était en l’air, et j'arrangeais, je déplaçais les chiffres comme cela (même geste), et ces chiffres étaient vivants, ce n'était pas de l’écriture sur du papier.

Et il y avait des groupes de chiffres... (Mère cherche à se souvenir), oui, il y avait deux groupes de chiffres: les uns étaient bleus (bleu foncé), les autres étaient jaune doré, et... (comment dire?) ce n'était pas masculin-féminin, mais c'étaient deux principes, les deux principes – le principe... pas de création mais la conception (geste qui descend d'en haut), et le principe de la réalisation.

Et je suis tout à fait consciente quand je fais cela: ce n'est pas un rêve (je ne dors pas à la façon ordinaire; je suis comme endormie mais je ne dors pas; et je ne «rêve» pas: je fais, j'agis), et je suis tout à fait consciente, du même genre de conscience que la conscience de veille – pas un rêve. Et je fais cela, et je t'expliquais comment tous ces chiffres s'organisaient et qu'ils déterminaient les événements futurs.

Quand je me réveille, ou plutôt quand je me lève (je ne peux pas dire «réveillée»), quand je me lève et que j'entre en activité, ça s'en va – ça «s'en va», non pas que ça cesse: ça reste dans son monde. Et c'est seulement maintenant, parce que tu es présent, que ça fait le contact avec le souvenir.

Ça a duré plusieurs heures. Ce n'était pas la «conception» d'un travail: c'était le travail même, c'était comme... comme quand il y a des manettes et des choses que l’on bouge, et ça fait marcher (Mère dessine un grand tableau de contrôle dans une salle électronique), c'était une chose comme cela, mais ce n'est pas cela du tout! C'était l’organisation de ces groupes de chiffres qui déterminait les événements et l’ordre des événements (surtout l’ordre des événements) et la place sur la terre. Et probablement, pendant que je le faisais, il y avait quelque chose qui voulait que je te le dise et qui avait laissé l’impression que j'avais quelque chose à te dire, et puis tout est parti. Quand je reviens à cette vie-ci, tout s'en va; et c'est seulement parce que maintenant, j'ai cherché, que j'ai eu (geste de contact avec le souvenir) cet accrochage: j'ai cherché, c'est revenu. Mais je m'aperçois (presque avec étonnement) que ça doit durer au moins deux heures ou plus – deux heures, deux heures et demie. Je ne dors pas du tout, mais je suis active, absolument active dans le... (Mère cherche à situer la zone) ce qui se prépare pour se manifester sur terre, c'est-à-dire que je ne sais pas s'il faut appeler ça le «physique subtil» ou... C'est la zone créatrice du physique, c'est là. Et alors, comme je ne peux pas courir d'un endroit à l’autre, ce que je fais est relié avec les chiffres comme cela – des chiffres vivants. Des chiffres vivants: je les organise, je les groupe, et je me souviens de ce que j'ai fait la veille, et je dis: «Non, hier c'était comme cela, mais maintenant il faut que ce soit comme cela», et avec la connaissance que, demain, il faudra encore faire un changement. Et c'est cela qui détermine les événements. Mais la conscience (la conscience de veille ou la conscience ordinaire) ne doit pas savoir ce qui est décidé là; elle ne doit en savoir que juste une partie qui est nécessaire à l’exécution, et alors c'est pour cela qu'il y a une coupure – ça reste, ça continue à vivre là comme cela (geste derrière la tête), mais ça ne passe pas... C'est tout à fait parce que j'avais pris la décision que je t'en parlerai à ce moment-là (dans le «rêve») que j'ai pu accrocher le souvenir, mais... Quoique je voie; maintenant je vois ces chiffres, c'est pour cela que je peux les décrire, mais ça n'a plus aucun sens pour moi. Et je ne suis pas sûre que ce soient des chiffres ou des lettres... C'étaient des chiffres, je sais que c'étaient des chiffres; il y avait des chiffres dorés et des chiffres bleus (mais ce ne sont pas nos couleurs matérielles; ce ne sont ni notre substance ni nos couleurs matérielles), et comment je les arrangeais: j'arrangeais toujours, je mettais un groupe comme cela, puis l’autre comme cela (geste comme un puzzle mouvant), puis je choisissais. C'est curieux. Et je devais être très grande, parce que les chiffres étaient grands, et je les prenais et je les plaçais, et c'était une grande surface. Et à mesure que je les plaçais, ça faisait une communication et ça organisait les événements imédiatement en avant.

Peut-être que je me souviens...

Cette nuit, je savais que je le faisais toutes les nuits, mais cette nuit... Il y a eu (dans le corps alors, à l’état de veille hier) une sorte d'aspiration pour savoir quel serait le fonctionnement, l’action dans la conscience du surhomme; j'ai dit: «Ce n'est pas le tout d'avoir cette conscience autour de soi (comme un rempart), il faut savoir quels seront les changements dans les fonctionnements du corps et dans le travail, dans la façon de travail?» Et alors cette expérience (des chiffres) a été comme une réponse pour m'apprendre un peu comment cela va être. Mais c'est curieux, je faisais ça tout à fait comme ils font maintenant avec ces grandes machines électriques, avec toutes sortes de manettes (comme un tableau de bord dans une centrale), je faisais ça comme cela, de cette façon-là: je déplaçais et... Seulement, je crois que je devais être un peu plus grande que je ne suis... Je ne sais pas. En tout cas, je plaçais les objets (même geste comme un puzzle mouvant)... Ce n'étaient pas des objets, c'était quelque chose... Mais c'était quelque chose de fixe dans la forme – c'était fixe –, et il y avait comme une réserve (pas un «magasin», je ne sais pas comment dire), une réserve d'où je puisais des choses, puis je les mettais, je les arrangeais comme cela; et il y avait un arrangement qui était continu dans son ensemble, mais avec des changements de détail.

Si je me souvenais exactement, ce serait très intéressant.

Dans ma conscience active, depuis quelque temps, il y a une préoccupation qui vient avec beaucoup de force, et qui n'est pas personnelle parce que le mental spéculatif ne marche pas. C'est comme une force qui revient sur moi avec une volonté, je ne sais pas laquelle. Et la préoccupation, c'est: «La ruine de la Science, et ce qui arrivera après la ruine de la Science.»

Tiens!

Tu sais, la fin de la grande «baudruche mentale», et ce qui arrivera après, ou la transition de l’un à l’autre. C'est comme un problème que l’on m'envoie (à propos de la médecine, à propos des nouvelles découvertes, à propos de la révolution des étudiants...). Ça m'est poussé de tous les côtés.

Tiens...

Et surtout cela: la ruine de la Science... Il y a comme une force qui voudrait... je ne sais pas si c'est faire quelque chose, ou dire quelque chose, ou écrire..., mais qui semble me pousser dans ce sens-là, vers ce problème.1

Oui, ce doit être évidemment la même force, parce qu'elle voulait que je te montre et que je t'explique, et tu ASSISTAIS au travail. Et même, je te faisais des réflexions de temps en temps, je te disais: «Ces chiffres-là (mais je ne les appelais pas des chiffres, je ne sais pas...), ça, je le mets là à cause de cela...» Je te donnais des explications.

C'est curieux.

Et de tous les côtés, ça me vient.

Ce doit être une activité de cette conscience (du surhomme), parce que ce n'est pas quelque chose que j'aie depuis très longtemps. La nuit dernière, je savais que je faisais cela régulièrement toutes les nuits, mais pas depuis longtemps. Ce doit être venu avec cette conscience-là.

Et il faut dire aussi que, hier (hier dans ma conscience ordinaire, enfin quand j'étais ici), il y a eu deux choses: j'ai pensé à toi et je me suis dit... (ce n'était pas hier, c'était l’autre fois que je t'ai vu, samedi dernier), après ce samedi, j'ai eu quelque chose qui voulait que je sache comment cette force (du surhomme) agissait pour toi; et alors, c'est en réponse à cela que je t'ai vu la nuit dernière et que je t'expliquais tout ce fonctionnement. Et tu participais consciemment, c'est-à-dire que tu comprenais tout à fait bien ce que je faisais – tu participais consciemment. C'est intéressant. Ça deviendra de plus en plus clair.

Mais c'est très curieux, ce n'est pas du tout de «moi»: c'est réellement comme si j'étais poussé vers ce problème, à la solution de ce problème.

Oui.

Pourquoi? Je ne sais pas.

Oui... Et cette vision, c'était comme une application des moyens scientifiques (le grand tableau de bord), mais tout à fait différent! Et c'était basé uniquement sur... Il n'y avait pas de pensée, pas de raisonnement, rien de tout cela: c'était une force qui faisait comme cela (geste de descente qui s'impose), comme c'est toujours, et elle faisait faire. Alors je voyais; je voyais, je savais qu'il fallait faire ça, et je ne pensais pas du tout mais je pouvais expliquer pourquoi, c'est-à-dire que je pouvais dire d'avance que c'était pour telle chose. Et c'était la combinaison de ces deux couleurs de chiffre (peut-être est-ce une traduction dans ma conscience? mais enfin...), les chiffres bleus et les chiffres dorés. Et la priorité pour l’action était toujours aux chiffres dorés, et les chiffres bleus venaient comme pour remplir un trou. Et ça avait une forme (même geste comme un puzzle mouvant), ça avait une forme. C'est curieux. C'est curieux, c'était tellement naturel, tellement spontané, et habituel: il n'y a rien eu dans l’être qui se soit souvenu avec étonnement, c'est-à-dire qu'il ne s'est pas souvenu comme on se souvient d'avoir vu un rêve, d'avoir fait une chose – rien de tout cela, c'était tout naturel: je faisais ça «comme cela» et je savais très bien que je le faisais toutes les nuits... Et si je me souviens bien, c'est entre minuit et trois heures du matin (un peu avant, un peu après).

Mais ça a une forte action, c'est-à-dire que ça commande l’action sur la terre, mais ce n'est d'aucune façon soumis, lié à quelque chose d'en bas qui le tient: c'est comme ça (geste de descente qui s'impose). Et ça reçoit constamment la Volonté ou le Pouvoir d'action d'en haut – pas d'«en haut», ce n'est pas d'en haut, c'est... (Mère fait une sorte de geste signifiant que c'est «dedans partout»), «supérieur» dans le sens véritable.

Et ce corps REÇOIT les choses. Il les reçoit. Il n'a pas l’impression que... Je ne sais pas comment expliquer (le fonctionnement de la pensée n'est pas là). Tout d'un coup, il a senti le besoin de savoir quel effet aura cette conscience (du surhomme) sur la conscience d'ici, comment sera le fonctionnement? Et puis, pour toi, j'ai pensé: «Où et comment cette atmosphère agit?» Et c'est pour cela que j'ai eu cette expérience (des chiffres) – ce n'est pas «pour ça», c'est cela qui a été le préliminaire de l’expérience, c'est venu pour attirer mon attention sur le fait que je devais le savoir... C'est curieux! C'est curieux.

Tu vois, ça avait laissé une impression: je croyais que c'était quelque chose de matériel que j'avais à te montrer (au début, quand Mère cherchait sur la table près d'elle). Ça avait laissé une impression profonde.

(silence Mère essaye de regarder l’heure)

Il est onze heures moins cinq.

Peut-être est-ce le commencement de quelque chose d'intéressant...

Tu n'as rien à dire?

À quelle heure t'ai-je appelé?

Il était dix heures et quart passé.

Déjà...

Tout ça commence à être très incertain...

On ne se souvient pas des choses de la même manière, c'est curieux; le fonctionnement du souvenir est tout à fait différent, tout à fait différent. C'est comme s'il y avait les choses qui venaient comme sur un écran (geste de projection en avant), qui s'imposent; et puis il y en a qui se retirent, elles s'en vont (elles existent – geste derrière Mère –, mais elles n'attirent pas l’attention), et puis à une autre occasion, ça vient comme cela (même geste de projection devant les yeux de Mère). Un curieux fonctionnement. Ce n'est pas un souvenir mental des mots et... pas du tout: ce sont LES CHOSES ELLES-MÊMES qui se projettent.

Peut-être est-on en train de changer un peu! (Riant) Ce n'est pas trop tôt!

8 février 1969

(Par quelque gentillesse du sort, l’enregistrement du début de cette conversation a été conservé, alors que normalement nous effacions toujours les échanges du début ou les petits faits qui ne nous semblaient pas d'un intérêt «historique». Nous retranscrivons ici quelques fragments de ce début... par amusement.)

C'est le jour des soupes! Voilà.

Du poulet... une quantité!

Je ne t'en donne qu'une fois par semaine.

C'est beaucoup!

Ça (à Sujata, montrant une boîte), il faut que je lui montre... Tu veux du travail?

(Sujata:) Oui, douce Mère.

Voilà, j'ai reçu ça hier. Ce sont, paraît-il, des biscuits spéciaux – naturellement, moi je ne peux pas manger, mais si tu crois que tu peux en écraser...

Oui, Mère.

Alors je pourrai les manger.

À moins que tu ne fasses cela après avoir fini les marrons glacés? Mais les marrons glacés ne se gardent pas indéfiniment. Vous en mangez, non?

Oui, douce Mère!

Vous en mangez? Parce que autrement ils vont s'abîmer.

Alors, est-ce que tu crois que tu peux écraser un biscuit? Un à la fois.

(Satprem:) Pas plus d'un?... Deux peut-être?

Deux, ce sera beaucoup à manger.

(Sujata:) Ou un et demi?

Manger deux comme cela, c'est beaucoup pour moi! Un suffit. C'est à la main que tu écrases?

Oui, douce Mère.

Alors tu peux en faire un.

Si tu en prenais l’après-midi?

Ce serait beaucoup l’après-midi...

De bonne heure le matin, ce ne serait pas commode pour toi?... Je prends mon déjeuner à 8 heures et demie le matin, c'est trop tôt?

(Satprem:) Elle fait ça à 5 heures le matin!

Je me lève à 4 heures 30.

(Sujata, riant:) Moi aussi!

Alors, le matin. Tu feras comme cela: un jour, deux jours, trois jours, quatre jours, cinq jours...

Oui, Mère!

Comme cela? Ça ne t'ennuie pas?

Pas du tout!

«Ennui», je ne sais pas, mais difficile?

Non-non, Mère! Je me lève tôt le matin, c'est très bien.

Ça vient d'Allemagne – on m'a apporté ça hier.

Ah! maintenant, toi (à Satprem) tu as quelque chose?

Il y a les épreuves du Bulletin.

Oh! il faut voir ça.

Ça, c'est «La Synthèse», puis les «Entretiens»: ce très long entretien [sur les maladies]...

À ce propos, hier, R (l’architecte d'Auroville) me posait des questions pour pouvoir répondre aux gens, et il me demandait s'il était nécessaire d'organiser, etc. Et alors c'est venu, mais d'une façon tellement imperative; j'ai répondu que l’organisation, c'est la discipline dans l’action, et que la discipline est tout à fait indispensable pour vivre; j'ai dit: le corps, tout son fonctionnement est une discipline, et s'il y a une partie qui ne veut plus suivre la discipline – par révolte ou par incapacité ou par... n'importe quelle raison –, cesse de suivre la discipline, on tombe malade.

C'était venu si clairement que je l’ai dit.

Ce papier-là est avec R, je lui ai demandé de me le donner.1

J'en ai un autre ici que je vais te montrer tout à l’heure.

Mais ce qui est curieux, c'est que l’expérience est venue avant d'avoir eu sa question, comme toujours. Le matin, j'avais cette expérience, je regardais... je regardais le fonctionnement du corps et je me disais: quelle mer-veil-leu-se discipline! Et chaque chose fait son travail régulièrement. Et naturellement, quand il y a une mauvaise volonté ou une fantaisie, ou une incapacité quelconque, pour une raison quelconque, et qu'une partie cesse de jouer son rôle exactement, poff! on tombe malade.

Ce sera pour une autre fois.

Après, ce sont les «À Propos», puis les «Notes sur le Chemin»... Je m'étais demandé, douce Mère, si, pour le 21 février, on ne pourrait pas donner les enregistrements de ce que tu as dit, par exemple sur la descente de la conscience du surhomme?

Tu crois que...

Oui, au Terrain de Jeu, ils donnent toujours des anciens «Entretiens».

Tu crois que ça peut être utile?...

Je crois que cela a évidemment beaucoup plus de pouvoir que...

Que l’écrit.

D'un point de vue personnel, la chose qui me gène, c'est que plusieurs fois, je pose des questions, alors ma voix sera là.

Ça, ça peut aller! (Mère rit)

Oui, mais enfin... Je sais que cela ferait plaisir aux gens. Dit par toi, c'est tout de suite plus...

Qui est-ce qui décide? Nolini?

Ah! non-non-non, personne n'en décide! C'est à toi de dire si cela te convient.

On ne m'a jamais demandé...

Non-non, sauf des «Aphorismes», on n'a jamais pris des entretiens de toi, récents – jamais.

Tu pourrais peut-être demander à Nolini ce qu'il en pense?2

(le disciple montre la fin des épreuves)

Bon, ça va.

Ce n'est pas nécessaire de signer?

Je n'écris jamais.

Tiens, viens ici. Si tu peux enlever tout ça (une pile de papiers d'où Mère extrait une note), j'ai ici un papier... Aïe!... C'est ça, voilà. C'est terriblement mauvais, je te préviens, c'est comme une caricature ridicule de ce que j'ai dit...

C'est noté, ou quoi?

J'ai parlé et c'est F qui l’a écrit de mémoire, alors tu comprends: le mot important est parti, c'est descendu de...

(Le disciple lit:) «À Auroville, on ne gagnera pas d'argent; on ne travaillera pas pour gagner de l’argent...

C'est déjà descendu comme ça (geste par terre).

Alors: «Si l’on monte une entreprise, les profits ou les productions de cette entreprise iront à la ville...

Ce n'est pas comme ça – ce n'est pas comme ça! Non, ça ne sert à rien.

«...Chacun devra fournir un travail pour la collectivité selon ses possibilités et ses aspirations – jamais pour obtenir de l’argent, mais pour servir la collectivité. En échange, chacun recevra ce dont il a besoin pour vivre. Il n'est pas du tout question de donner à tous la même chose, chacun recevra ce dont sa vraie nature a besoin. Ce sera évidemment très difficile à déterminer et il faudra, au centre d'Auroville, une réunion de sages...

(Mère sourit)

«...pour décider des besoins de la vraie nature de chacun. Les travailleurs vivront dans un village conçu pour eux afin qu'ils se trouvent dans leur atmosphère. Selon le travail qu'ils auront fourni, ils recevront des bons avec lesquels ils devront obtenir... etc.»

C'est à peine, à peine, de temps en temps, le mot que j'ai prononcé! C'est curieux, n'est-ce pas. Ça me donne l’exemple exact de ce que je dis et de comment c'est reçu dans le cerveau.

C'est inutile.

Oui, on sent très bien une traduction humaine.

C'est inutile, n'est-ce pas – ce n'est pas ça.

Oui, tu n'as pas dit ça comme cela.

C'est inutile – je ne peux pas m'en servir.

C'est comme cela que les idées sont ruinées.

Oui, elles sont aplaties.

(Mère rit) Tout le sang est parti! Ça ne sert à rien.

Ça devient aplati, petit, et dogmatique.

Dogmatique! C'est absolument méconnaissable! Ça ne sert à rien.

J'ai parlé sans intention, parce que je venais de voir des choses et c'était là – c'était une vision. À ce moment-là, il se trouvait qu'elle était là. Je lui ai dit: «Est-ce que tu veux essayer? je vais parler et si tu te souviens, tu écriras.» Elle était très contente et... Non, ce qui est un peu ennuyeux, c'est que ça ne revient jamais, ce n'est jamais la même chose – jamais. C'est toujours: ou un point de vue différent, ou une occasion différente. Alors l’angle est changé.3


Peu après

Cette atmosphère ou conscience (du surhomme) semble avoir une activité éducatrice parce que, depuis qu'elle est là, elle est en train de faire l’éducation du corps – de la conscience du corps – et c'est tout à fait intéressant. Et cette éducation, ce n'est pas du tout une chose personnelle: c'est la vision de l’évolution terrestre, surtout concentrée sur l’évolution humaine. Il y a bien des notions du tout, de l’ensemble, et des choses très particulières, un point de vue tout à fait particulier, mais alors, des précisions, des insistances qui durent quelquefois une heure sur un sujet, pour bien faire comprendre profondément la cause et les conséquences, et la courbe de l’évolution.

Sa méthode (surtout, pas exclusivement), sa méthode consiste à éveiller un souvenir du corps qui était tout à fait oublié, semblait vraiment absolument parti; ça éveille ce souvenir et ça montre comment c'était possible dans l’état général, et comment (je vais donner un exemple) c'est le résidu du passé, et comment c'est inacceptable pour l’avenir.

Celle de ce matin était très curieuse... Tout d'un coup, ça a éveillé le souvenir de quelque chose qui se passait dans mon enfance quand j'avais huit ou dix ans environ (que j'ai complètement oublié). J'allais le dimanche (je suppose, enfin les jours de congé), jouer avec des cousins germains: les enfants d'un frère de mon père. J'allais jouer avec eux. Je me souviens de la maison, j'ai encore la vision. Et alors, nous passions notre temps généralement à jouer des scènes, ou à faire des tableaux avec des histoires. Et aujourd'hui, ça m'a montré une chose que j'avais vraiment oubliée. Il y a une histoire de «Barbe-Bleue», n'est-ce pas? (Barbe-Bleue... je ne sais plus, je sais seulement ce dont je me souvenais ce matin.) Nous avons, un jour, fait un «tableau vivant» en plusieurs tableaux, d'une histoire de Barbe-Bleue qui coupait la tête à ses femmes... (À Satprem:) C'était comme cela?... (rires) Je me souviens de ce matin seulement, je ne sais plus l’histoire... Et alors, c'était une grande chambre, une sorte de véranda fermée, à Paris – une grande, longue chambre –, et nous avions mis (il y avait des petits camarades, des petites amies), nous avions mis contre le mur un certain nombre de filles: on les avait collées au mur, on avait attaché leurs cheveux en l’air (Mère rit), et puis on avait mis un drap comme cela, pour couvrir le reste du corps – le drap tombait jusqu'en bas, on ne voyait pas le corps, on ne voyait que la tête!... Je le dis parce que je l’ai vu ce matin, autrement je ne me souvenais pas du tout. J'ai vu ça, j'ai vu le souvenir de cette chambre et comment c'était arrangé. Et alors, en même temps est venu... Ça nous paraissait tout naturel, n'est-ce pas, c'était «une histoire» que nous avions lue (parce que je me suis souvenue de l’impression que j'avais à ce moment-là: il n'y avait pas d'horreur! ça ne nous paraissait pas «monstrueux» – riant – on s'amusait beaucoup!...) Alors l’expérience est venue, c'est resté plus d'une heure pour que je comprenne tout profondément d'où venait ce souvenir et comment ça agissait et pourquoi nous étions dans ça. Et ça, pas du tout au point de vue personnel, du tout: au point de vue général, de la terre et de l’humanité en général. C'était excessivement intéressant! Et alors, en même temps, la vision montrant comment, avec quel mouvement de rapidité, la conscience universelle s'en va (geste en flèche) dans une progression vers le Divin – le vrai Divin, n'est-ce pas: pas les religions, ça... –, le vrai Divin... à travers tout cela. Et alors la conscience du tout – du tout – et avec des différences (Sade et tout cela), depuis le plus élevé jusqu'au plus bas. Pendant une heure j'ai vu comme cela toute une étape de l’humanité – une étape qui était vers la fin de 1800, la seconde moitié de 1800 –, et comment ça a marché, progressé (geste comme une grande courbe). Et ça, c'est... Je n'ai pas de mots ni la capacité de le décrire, mais c'est extraordinairement intéressant. La vision de la collectivité humaine sur terre, avec toutes ses étapes, ses degrés, ses différences, et comment tout suivait un mouvement... (même geste en flèche). Et cette histoire (cette «histoire»: cette vision parce que ce n'était pas une histoire: je n'ai pas vu ce que nous avions dit ni rien, c'était seulement la vision de ce que nous avions fait), cette histoire venait comme une illustration d'un certain état d'esprit de l’époque, et comment on donnait à lire aux enfants des histoires de ce genre – on trouvait ça tout à fait naturel! (Mère rit) et ce sont des choses tellement effroyables.

Et dès que je ne suis pas occupée à parler ou à écouter des personnes ou à faire un travail, ça continue-continue: on reprend comme des «échantillons» de la vie de ce corps, et à l’aide de cet échantillon, on montre le tout. C'est une éducation merveilleuse! Jamais-jamais aucune éducation humaine telle qu'elle est conçue, n'est semblable à cela, parce que c'est une vision d'ensemble, où tout est ensemble, on vous montre tout ensemble.

Ça ne peut pas se dire. Du moins, moi, je ne peux pas – je ne peux pas, ce corps est incapable de formuler cela d'une façon méthodique et claire. Mais pour apprendre, il apprend!

Et en même temps, ça donne la notion vraie... Il y avait aussi, mélangé, ce matin (comme pour donner des points de repère), certaines questions de religion justement: de religions, de gens religieux de différentes religions, d'attitude des religions; et tout cela avec la vision du tout et une absence totale de toutes les réactions personnelles (en les voyant, la conscience qui voyait n'avait pas de réactions personnelles; par exemple, la réaction d'une religion pour une autre, d'une croyance pour une autre, d'une soi-disant connaissance vis-à-vis d'une autre et de tout cela, toutes ces réactions, tous ces conflits qui sont dans le mental humain), c'était vu comme cela (geste dominant, comme au-dessus d'une mer étale), c'était vu tout ensemble, et tout sur le même plan; sur un même plan qui est comme une zone mentale et qui n'a absolument rien à voir avec la Vérité – c'est un camouflage de la Vérité incroyable; les soi-disant «vérités» pour lesquelles les hommes se sont battus, sont morts, ont détruit avec toutes les passions humaines: un camouflage presque ridicule de la Vérité.

Toutes les religions, comme cela, vues dans leur ensemble et dans leur histoire.

Et comme ce n'est pas pensé, n'est-ce pas, c'est vu – c'est vu, c'est une vision, une vision dans la conscience –, il faudrait dire dix mots en même temps. C'est impossible à exprimer, impossible à décrire. Si l’on se met à décrire une chose après l’autre, ça n'a plus de sens.

Ce matin, ça a duré trois heures comme cela. Ça n'a cessé, en vérité, que quand j'ai commencé à voir des gens parce que, naturellement... Et la nuit, c'est la même chose, ça continue. C'est comme une super-éducation du corps, de la CONSCIENCE du corps, avec des illustrations. Cette histoire que j'ai racontée, de Barbe-Bleue, c'est comme une illustration pour que le corps comprenne bien, parce que, à ce moment-là, il a SENTI l’état de conscience dans lequel il était. Et alors, ayant senti cela, il a compris – c'était comme s'il était mis en présence d'un abîme. Il s'est dit: «Comment!?...» Un abîme d'inconscience. Et c'est très général. Et alors, il y avait la vision du passé, et la vision de l’actualité présente, et puis un commencement de... (geste comme une courbe en avant), le SENS dans lequel nous allons, et comme une ouverture... (geste au loin) Une vision comme cela, en avant, très en avant, de l’Harmonie ici, qui se manifestera.

Et alors, à un moment, le corps s'est demandé: «Qui... qu'est-ce... quoi...? qui prend plaisir à cet immense déploiement... qui a commencé par quelque chose de si obscur, et qui va vers quelque chose de si lumineux?» Tout d'un coup, le corps s'est demandé: «Pourquoi?» Et alors... (Mère tient les paumes de ses mains ouvertes, dans un geste en suspens), il n'y a pas eu de réponse... En fait, on lui a fait sentir: «Pas encore. Tu n'es pas prêt, pas encore. Tu ne peux pas comprendre.»

(silence)

Mais c'est d'une telle nature!... C'est d'une précision extraordinaire, d'une telle intensité que toute l’attention du corps est tournée vers ça, mais il ne peut pas communiquer encore... À moins que ça ne vienne tout naturellement avec cette conscience (du surhomme) qui agit – qui agit en d'autres, pour un détail ou un autre, pour une chose ou une autre (c'est-à-dire qu'eux-mêmes ne savent pas, chacun ne sait pas toute l’action: c'est suivant le développement de sa conscience qu'il sait). Et la Conscience est très évidemment active à une grande échelle, et avec des résultats tout à fait surprenants qui, vus sans l’accompagnement, semblent des miracles (des petits miracles, mais ça semble des miracles). Et alors, je me suis demandé si cela allait rendre les autres capables du même travail intérieur?... Ce qui est gênant pour la plupart des gens, c'est l’activité mentale – vraiment, ce corps est infiniment reconnaissant qu'on l’ait libéré de la présence mentale de façon à pouvoir être ENTIÈREMENT sous l’influence de cette Conscience, sans tout ce fatras accumulé de soi-disant connaissance que l’on a... C'est spontané, c'est naturel, ce n'est pas sophistiqué, c'est très-très simple, et presque enfantin dans sa simplicité. Et ça, c'est un grand avantage (la disparition du mental). Mais à cette allure-là, ça peut aller très vite – on apprend cent choses, deux cents choses À LA FOIS, n'est-ce pas, tout vu en même temps. Ce matin, c'était particulièrement intense.

Et si c'est décrit comme on peut le décrire avec des mots l’un après l’autre, ça devient comme ce texte de F sur Auroville: c'est plat et artificiel et dénué de vie.

Pour le moment, les moyens humains ne sont pas suffisants. Que seront les moyens surhumains? Je ne sais pas. Mais les moyens humains ne sont pas suffisants.

(silence)

C'est curieux, n'est-ce pas, c'est quelque chose qui s'est passé il y a... probablement plus de quatre-vingts ans (quatre-vingt deux ou trois, ou quatre ans): c'était intense, présent, vivant, si extraordinaire! tellement que, encore maintenant, si je regarde, je vois: je vois la scène d'une façon très claire, l’appartement, les gens, la scène, tout... Et ce n'est pas du dedans que c'est venu: ça m'a été montré (geste qui s'impose), et alors, c'est en le voyant que tout d'un coup, dedans, je me suis dit: «Tiens! mais ça, je l’ai vécu!» C'était gardé quelque part (geste derrière), et gardé comme on ferait une collection de souvenirs pour l’éducation – c'est beaucoup plus précis, complet, concret que des livres et que tout ce que l’on dit avec tant de mots.

(silence)

C'est cela dont j'ai peur, que les gens ne fassent des dogmes pour la création d'Auroville... Et je n'ai rien dit de semblable à'F! mais c'est devenu cela dans sa tête! Mais même ce que l’on écrit, même si on écrit ce que je dis dans le «Bulletin», quand ça vient dans leur tête, ça devient comme cela.

Je suis sûre que ce qui est enregistré là (Mère montre le magnétophone), si trois personnes l’entendent, chacune entend différemment... C'est pour cela que je ne suis pas sûre que ce soit vraiment utile de faire entendre ces enregistrements... Chacun emporte la certitude qu'il a entendu, et puis il a compris tout autre chose. Et surtout – surtout –, ce que je dis, est vu là (geste en haut), et puis... (geste montrant que c'est entendu au ras du sol), ça devient si stupide, si plat!

Enfin, tu verras avec Nolini, mais...

Non, douce Mère, si tu as ce sentiment, ce n'est pas la peine d'insister.

Ce n'est pas un sentiment, c'est une expérience! N'est-ce pas, moi, je ne demande pas mieux... En fait, j'ai toujours l’impression: «Faites aussi bien que vous pouvez, et puis il arrivera le mieux qu'il faut, et puis voilà.» Mais il y a une telle conscience, justement de l’incertitude de l’effet des choses et de cette complexité... Ça devient si mélangé et si confus que...

Et la vie est tout entière comme cela. Les CIRCONSTANCES sont comme cela, je commence à le voir, ça commence à... émerger comme cela, commence à se montrer: les honnêtes gens ont l’air de fripons, les fripons ont l’air de... je ne sais pas.

Sri Aurobindo était très-très conscient de cette confusion générale, et alors il n'aimait pas beaucoup que... (il ne voulait absolument pas de propagande), mais il n'aimait pas non plus beaucoup quand on expliquait aux gens et que l’on essayait de leur faire «comprendre», parce qu'il savait très bien à quel point c'est inutile. Ça, il me l’avait beaucoup dit, beaucoup dit: surtout-surtout pas essayer (pas de propagande, n'est-ce pas, d'aucune façon), pas essayer de faire comprendre aux gens: le maximum de l’effet qu'on peut obtenir, c'est l’effet de la Conscience à l’œuvre dans le monde (geste universel), parce que, en chacun, elle produit le maximum de ce qu'il peut faire – le maximum de ce qu'il peut comprendre, il le comprend par cette influence de la Pression de la Conscience. Dès que les mots interviennent, tout le mental fait son gâchis.

Certainement, il [Sri Aurobindo] devait avoir eu des expériences analogues à celles que j'ai eues; maintenant, je suis absolument convaincue de cela. Parce que les gens qui sont pleins – pleins – d'une bonne volonté complète, qui sont sous l’Influence constante, qui font effort, ils sont... (geste au ras du sol) d'un autre monde. Alors ceux qui n'y mettent pas de bonne volonté...

La musique, c'est bien.

Ah! oui.

Parce qu'il n'y a pas de mots. La musique, c'est bien. J'ai eu une vision comme cela, d'un auditorium à Auroville avec les grandes orgues, et quelqu'un (que j'essaie de préparer, qui sait jouer de l’orgue très bien et que j'essaie de préparer intérieurement), qui jouait (j'ai vu cela, je l’ai vu), qui jouait la musique de la Conscience supérieure. Et c'était un endroit où tous ceux qui voulaient venir entendre pouvaient venir, et il y avait des gens qui venaient de très loin, et ils entraient, ils s'asseyaient là, ils écoutaient, et puis ils s'en allaient. Et alors, cette musique, c'était comme une Conscience qui descendait et qui faisait une Pression sur les gens pour se faire comprendre. C'était très beau – j'espère que ce sera comme cela! Beaucoup mieux que les mots; dès que l’on se met à parler (geste par terre), ce n'est plus ça. Voilà.

Voilà, mon petit, maintenant il est l’heure.4

(à Sujata, après le départ du disciple)

Toutes ces activités (le souvenir d'enfance, par exemple), c'est entre quatre heures du matin et sept heures, avant l’arrivée des gens.


ADDENDUM

(Notes de l’architecte d'Auroville)

1. Est-il besoin, pour construire Auroville, de méthode de travail, d'organisation, de coordination?

La discipline est nécessaire pour vivre. Pour vivre, le corps lui-même est soumis dans toutes ses fonctions à une discipline rigoureuse. Un relâchement quelconque de cette discipline produit la maladie.

2. Quelle devrait être la nature de cette organisation? Dans le Présent. Dans le Futur.

l’organisation est une discipline de l’action mais pour Auroville nous aspirons à dépasser les organisations, qui sont arbitraires et artificielles. Nous voulons une organisation qui soit l’expression d'une conscience supérieure travaillant à manifester la Vérité de l’Avenir.

3. En attendant une conscience commune et que la vraie et juste manière de travailler collectivement soit à l’œuvre, que faire?

Une organisation hiérarchique groupée autour du centre le plus éclairé et se soumettant à une discipline collective.

4. Faut-il utiliser les méthodes d'organisation ayant fait leurs preuves d'efficacité, mais basées sur la logique humaine et l’utilisation de machines?

Ceci est un pis-aller auquel il ne faudrait se soumettre que tout à fait provisoirement.

5. Faut-il laisser l’initiative individuelle se manifester librement, l’inspiration, l’intuition être le moteur de l’action personnelle, et refuser toute suggestion n'étant pas ressentie comme bonne par l’intéressé?

Ceci, pour être viable, exigerait que tous les travailleurs d'Auroville soient des yogis, conscients de la Vérité Divine.

6. Le temps est-il venu de vouloir, de mettre en place, de tenter une organisation générale, ou faut-il attendre l’attitude juste et les hommes?

Il faut une organisation pour que le travail soit fait. Mais l’organisation elle-même doit être souple et progressive.

7. Si l’attente est la solution, est-il néanmoins nécessaire de définir des principes d'organisation et d'empêcher que ne se produise un désordre incontrôlable?

Tous ceux qui veulent vivre et travailler à Auroville doivent avoir:

Une bonne volonté intégrale, une aspiration constante à connaître la Vérité et à se soumettre à elle.

Une plasticité suffisante pour faire face aux exigences du travail et une volonté incessante de progrès pour avancer toujours vers l’ultime Vérité.

Un petit conseil pour finir:

Soyez plus préoccupés de vos propres défauts que de ceux des autres.

Si chacun travaillait sérieusement à se perfectionner lui-même, la perfection de l’ensemble suivrait automatiquement.

6 février 1969

12 février 1969

(Billet de Satprem à Mère)

Douce Mère,

J'aurais bien voulu comprendre ce que disait ton regard ce matin...

Avec amour

S.


(Réponse de Mère au verso)

Je préférerais ne pas l’écrire

M.

15 février 1969

Une seule chose, c'est que cette atmosphère, cette Conscience (du surhomme) est très active, et active comme un mentor, je te l’ai déjà dit. Et ça continue. Et alors, pendant plusieurs heures d'une de ces dernières matinées, de bonne heure le matin, c'était... Jamais-jamais le corps n'avait été si heureux! C'était la Présence complète, la liberté absolue, et une certitude – ça n'avait aucune importance: ces cellules, d'autres cellules (geste ici et là indiquant tous les corps), c'était la vie partout, la conscience partout.

Absolument merveilleux.

C'est venu sans effort, c'est parti simplement parce que... j'étais trop occupée. Et ça ne vient pas à volonté – ce qui vient à volonté, c'est ce que l’on pourrait appeler une «copie»: ça a l’apparence, mais ce n'est pas LA Chose. La Chose... Il y a quelque chose qui est tout à fait indépendant de notre aspiration, de notre volonté, de notre effort... tout à fait. Et ce quelque chose-là paraît absolument tout-puissant, dans le sens qu'aucune des difficultés du corps n'existe. Tout disparaît à ce moment. Mais aspiration, concentration, effort... ça ne sert à rien du tout. Et c'est le sens divin, n'est-ce pas, c'est avoir le sens divin. Pendant ces quelques heures (trois ou quatre heures), j'ai compris absolument ce que c'était que d'avoir la conscience divine dans le corps. Et alors, ce corps-ci, ce corps-là, ce corps-là... (geste ici et là, partout autour de Mère), ça ne fait rien: ça se promenait d'un corps à l’autre, tout à fait libre et indépendant, sachant quelles étaient les limitations ou les possibilités de chaque corps – absolument merveilleux, je n'avais jamais-jamais eu cette expérience avant. Absolument merveilleux. C'est parti parce que j'étais tellement occupée que... Et ce n'est pas parti parce que c'était simplement venu pour dire «comment c'était» – ce n'est pas cela; c'est parce que la vie et l’organisation de la vie (geste comme un tombereau qui se déverse) vous engouffrent.

Je sais que c'est là (geste derrière), je le sais, mais... Mais ça, je comprends, c'est une transformation! Et clairement, les personnes – pas une chose vague –, clairement, ça pouvait s'exprimer dans celui-ci, s'exprimer dans celle-là, s'exprimer... (même geste ici et là), clairement, tout à fait. Avec un Sourire!...

Et alors, les cellules elles-mêmes disaient leur effort pour se transformer, et il y avait là un Calme... (Comment expliquer cela?...) Le corps disait son aspiration et sa volonté de se préparer, et il ne demandait pas, mais il faisait effort pour être ce qu'il devait être;'tout cela, toujours avec cette question (ce n'est pas le corps qui la pose, c'est... l’environnement, l’entourage – le monde: comme si le monde posait la question): «Est-ce qu'il continuera ou est-ce qu'il devra se dissoudre?...» Lui, il est comme cela (geste d'abandon, paumes ouvertes), il dit: «Ce que Tu voudras, Seigneur.» Mais alors, le corps sait que c'est décidé, et qu'On ne veut pas le lui dire – il accepte. Il ne s'impatiente pas, il accepte, il dit: «C'est bien, ce sera comme Tu voudras.» Mais Ce qui sait et Ce qui ne répond pas, c'est... quelque chose qui ne peut pas s'exprimer. C'est... oui, je crois que le seul mot qui décrive la sensation que l’on a, c'est un Absolu – un Absolu. Absolu. C'est cela, la sensation: d'être en présence de l’Absolu. l’Absolu: Connaissance absolue, Volonté absolue, Pouvoir absolu... Rien-rien ne peut résister. Et alors, c'est un Absolu qui est (on a la sensation comme cela, concrète) d'une miséricorde! mais à côté de laquelle tout ce que nous considérons comme bonté, miséricorde... pouah! ce n'est rien du tout. C'est la Miséricorde avec le pouvoir absolu, et... ce n'est pas Sagesse, ce n'est pas Savoir, c'est... Ça n'a rien à voir avec notre procédé. Et alors Ça: partout. Ça, c'est partout. Et c'est l’expérience du corps. Et à Ça, il s'est donné entièrement, totalement, sans rien demander – rien demander. Une seule aspiration (même geste, paumes ouvertes vers le haut): «Pouvoir être Ça, ce que Ça veut: servir Ça» – même pas: «être Ça.»

Mais cet état-là, qui a duré pendant plusieurs heures, jamais ce corps depuis les quatre-vingt-onze ans qu'il est sur terre, n'a senti un bonheur pareil: liberté, pouvoir absolu, et pas de limites (geste ici et là, partout), pas de limites, pas d'impossibilités, rien. C'était... tous les autres corps étaient lui. Il n'y avait pas de différence, c'était seulement un jeu de la conscience... (geste comme un grand Rythme) qui se promène.

Voilà.

À part ça, tout le reste est comme d'habitude.

(long silence)

Mais à part cela, le travail devient de plus en plus exacting [astreignant]: le nombre de gens augmente beaucoup et la durée des entrevues augmente aussi – chacun a quelque chose de plus à dire. Mais je sens très bien (c'est-à-dire que le corps sent très bien) que ça fait partie du dressage.

Ça a l’air d'être comme cela: il faut qu'il tienne le coup, ou bien tant pis, ce sera pour une autre fois.

Toutes les excuses humaines me paraissent des enfantillages.

C'est une chose curieuse: toutes les qualités et tous les défauts humains paraissent des enfantillages – des sottises. C'est curieux. Et ce n'est pas une pensée: c'est une sensation concrète. C'est comme une substance sans vie; toutes les choses ordinaires sont comme une substance à laquelle il manque la vie – la vraie vie. Artificiel et faux. C'est curieux.

Et ce n'est pas tant chez les autres, ce n'est pas cela: c'est le dressage intérieur. Et cette vraie Conscience, cette vraie Attitude, c'est quelque chose de si for-mi-da-ble-ment fort, puissant, dans une PAIX si souriante! Si souriante, qui ne peut pas se fâcher, c'est absolument impossible... si souriante, si souriante... qui regarde.

(silence)

Le caractère spécial de cette nouvelle conscience, c'est: pas de demi-mesures et pas d'à-peu-près. C'est son caractère. Elle n'admet pas l’idée: «Oh! oui, nous ferons cela, et petit à petit, nous...» Non-non, pas comme cela: c'est oui ou non, tu peux ou tu ne peux pas.

N'est-ce pas, il y a une augmentation considérable de gens qui veulent me voir et d'influences quand ils me voient, d'effets quand ils me voient (qui ne correspondent pas du tout à une volonté ni à une conscience ni rien du tout – ça n'existe plus: ça marche ou ça ne marche pas), et vu comme cela, c'est: ou tu tiens le coup et tu peux faire, ou bien tant pis.

C'est comme cela, tu comprends.

Je me suis demandé, d'abord si cette abondance de visiteurs était le résultat de la lecture du «Bulletin» (ce que nous avons publié en novembre), mais il y en a beaucoup qui n'ont jamais touché le Bulletin, qui ne l’ont jamais vu. Alors... ce doit être cette Conscience qui agit.

(silence)

C'est vraiment une Grace, n'est-ce pas, comme si: pas perdre de temps – pas perdre de temps, il faut faire, ou bien...

Mais ce Pouvoir formidable, c'est cela surtout: c'est dans une miséricorde! une mensuétude!... Non, il n'y a pas de mots, nous n'avons pas de mots pour décrire ça, quelque chose... Rien que de faire attention et... c'est une béatitude. Rien que de tourner son attention de ce côté-là, imédiatement c'est la béatitude. Et je comprends (cela a fait comprendre certaines choses), on a parlé de gens qui, au sein de la torture, avaient la béatitude – c'est comme cela. Une béatitude.

Voilà, c'est cela:1

(Mère tend au disciple un hibiscus blanc, «grâce divine»)

19 février 1969

(l’entrevue commence avec une heure de retard.)

Il faut prendre la vie comme une grâce, autrement c'est impossible de vivre.

(silence)

J'avais des choses à dire, mais... je viens de voir au moins une trentaine de gens.

(silence)

Je suis tout à fait convaincue que les choses sont comme elles doivent être, et que c'est simplement le corps qui manque de souplesse, de tranquillité, de confiance... et alors, je ne peux pas dire même que ça grince (ça ne grince pas du tout), mais... N'est-ce pas, le travail consiste à changer la base consciente de toutes les cellules – mais pas toutes à la fois! parce que ce serait impossible; même petit à petit, c'est très difficile: le moment du changement de la base consciente est... il y a presque comme un affolement dans les cellules, et l’impression: «Aah! qu'est-ce qui va arriver?» Et comme il y en a beaucoup-beaucoup encore... Alors, de temps en temps, c'est difficile. C'est par groupe, presque par faculté ou par partie de faculté, et il y en a qui sont un peu difficiles. Je ne sais pas (comme c'est tout à fait nouveau), je ne sais pas si ce serait plus facile sans rien faire? Probablement pas, parce que ce n'est pas tant le travail [à faire], ce n'est pas cela: c'est l’attitude générale des autres. Ça fait comme un soutien collectif au moment de la transition. Au moment où la conscience qui les supporte d'ordinaire s'efface pour que l’autre prenne la place, les cellules ont besoin – «elles ont», je ne sais pas si c'est elles –, mais il est nécessaire qu'il y ait le support de... (comment dire?)... ça se traduit dans les gens par le besoin de la Présence, mais ce n'est pas cela qui est nécessaire: c'est une sorte de collaboration des forces collectives. Ce n'est pas beaucoup, ce n'est pas indispensable, mais ça aide un peu, dans une certaine mesure. Il y a un moment où il y a presque une angoisse, n'est-ce pas, on est suspendu comme cela; ce peut être quelques secondes, mais ces quelques secondes sont terribles. Il y en a encore eu une ce matin... Je me souviens qu'au moment des «darshan», Sri Aurobindo ne voulait pas, pendant deux jours, que je fasse du travail pour les autres (que je les voie, que je lise les lettres, que je réponde, tout cela), mais lui, était là, alors c'était lui qui servait de support. Parce que je vois que ce travail est commencé depuis très longtemps (d'une façon subordonnée et très peu consciente), mais maintenant c'est in full swing [en plein essor]. Et les cellules ont un petit affolement... Généralement, il suffit de quelques minutes de concentration, mais ça produit une sorte de lassitude – lassitude dans les cellules, un besoin de ne rien faire. Et alors voilà (Mère montre la pendule, il est onze heures).

Si je n'avais pas su, si le corps ne savait pas ce que c'était, eh bien, dans un cas ordinaire, je me serais couchée et je n'aurais vu personne. Mais la conscience était là pour dire que le désagrément de ça (cette seconde du passage), la conséquence désagréable de ça, aurait été plus mauvaise que le fait d'être fatiguée.

Il y a eu quelques jours très difficiles quand Amrita est parti,1 parce que toute une collectivité de gens se sont dits: «Aah! on meurt.» Voilà. Alors c'est comme cela.

Mais de plus en plus – de plus en plus –, le corps a appris que ce qui arrive (ce qui arrive à chaque seconde), est la meilleure chose qui puisse arriver dans les conditions-générales. Ça, il est tout à fait convaincu. Et il se contente, lui, de se mettre comme cela (geste d'abandon) et de dire: «Que Ta Volonté soit faite.» C'est tout. S'il peut avoir ça d'une façon continue et très paisible, ça va bien. Il n'y a que quand il essaye de savoir le pourquoi, le comment, le... alors ça ne va pas. Il faut qu'il soit comme cela (même geste d'abandon): «Que Ta Volonté soit faite.» Alors ça va. Il ne demande pas à savoir, seulement il y a la vieille habitude.

Au moment critique (il y a des moments critiques), au moment critique, alors ce «surrender» (c'est même plus que le «surrender»: c'est une abdication complète, de tout, de son existence et de tout), se remplit de lumière et de force. Ça, c'est la Réponse.

(silence)

Tu as des nouvelles?

(Le disciple présente à Mère le manuscrit du «Sannyasin» qui va partir à Paris. Nous n'avons pas gardé les réflexions de Mère.)

(silence)

Le corps est très conscient de son infirmité – et de la Grâce. Par exemple, il y a des moments pénibles, difficiles, mais il sait par-fai-te-ment que c'est à cause de son incapacité de s'ouvrir, de se donner, de se changer. Et une joie profonde, TRÈS CALME, mais très vaste – vaste, n'est-ce pas, les cellules ont l’impression d'un élargissement. Ça, ça augmente petit à petit. C'est seulement quand il y a une douleur physique ou quelque chose d'un peu aigu qu'il est obligé de se cramponner, autrement... Et même cela, ça vient de cet imbécile esprit de conservation (Mère rit) qui est au fond de toute conscience cellulaire – il le sait. Il le sait. C'est une vieille habitude. Mais c'est en train (tout cela, petit à petit, petit à petit, mais au fond très vite – très vite), c'est en train de changer.

Il faut que tous les groupes de cellules, toutes les organisations de cellules fassent leur... pas «soumission»: un abandon total, dans une confiance totale. C'est indispensable. Et alors, il y en a pour qui c'est le mouvement spontané et inévitable et constant; il y en a, dès qu'il y a une difficulté, ça vient; il y en a d'autres qui doivent être un peu triturées pour qu'elles apprennent. Et alors, ce sont les différentes fonctions qui sont prises l’une après l’autre, dans un ordre merveilleusement logique, suivant le fonctionnement du corps. C'est une chose merveilleuse, seulement... le corps est une très pauvre chose, très pauvre; ça, c'est très vrai.

Il y en a même (je l’ai dit) qui répètent spontanément le mantra. Spontanément, le mantra va se répétant, parfois avec une très grande intensité; parfois il y a une espèce de... (tu connais le mot anglais shyness?), timidité à invoquer le Divin, tellement Ça se sent. Mais ça fond – ça fond dans une conscience, une perception consciente d'une Mensuétude! incroyable – incroyable, impensable, c'est tellement merveilleux... (C'est de cela que la bonté est devenue la manifestation humaine toute petite, mais c'est une déformation.) C'est une merveille! Les cellules sont en extase devant cette vibration... Et alors, on voit et on entend cette CLAMEUR de protestations, de misères, de souffrances – c'est une clameur sur toute la terre –, et ça leur fait un peu honte.

(silence)

Son moyen de travail (je t'en avais parlé déjà, je crois, une ou deux fois), ce sont comme des histoires qui se racontent, qui sont basées sur des expériences, des souvenirs, des petites choses toutes petites et endormies qui semblent être parties, qui se réveillent pour que l’expérience devienne concrète. Et alors, tout cela se déroule, et il y a en même temps la sensation humaine, la vision humaine, la compréhension humaine (même la plus spirituelle, pourrait-on dire), et puis... et puis cette Présence. Et alors la Présence apporte la vraie compréhension... Quelque chose de merveilleux.

(silence)

Le corps sait que Ça, cette Conscience-là sait pertinemment s'il continuera ou s'il ne continuera pas. Il ne lui a jamais rien été dit, et il sait (il a senti les deux choses également, comme d'égales certitudes, et avec une égale acceptation), et il sait que c'est cela la condition la plus favorable au travail, et il ne demande rien... Il y a des inquiétudes autour (de toutes sortes), depuis une angoisse à l’idée que c'est possible (autour, comme cela), jusqu'à (riant) une hâte que la fin arrive! (Ça arrive aussi.) Mais maintenant, lui, le corps, a appris à être ab-so-lu-ment indifférent à ces réactions – absolument. Il sourit. Il sourit de ce Sourire bienveillant (de la conscience du surhomme): il a le même. Et il voit, il sait, il sent d'où ça vient (les inquiétudes ou les «hâtes»), il est tout à fait conscient. Au fond, c'est très amusant! Il y a toute une gamme, toute une échelle, depuis la crainte (la crainte semi-consciente, aveugle) jusqu'à... (Mère rit) au désir impatient! «Enfin libres!» – «Enfin libre de faire toutes les bêtises que je veux!...» Il semble qu'il n'y en ait pas beaucoup, mais il y en a.2 Les deux opposés de l’Ignorance aveugle qui se rencontrent. Et le corps est devenu très conscient: il est très sensible à ce qui vient des gens. Il n'avait pas cela avant, mais maintenant, il sent.

Il est supporté, il est aidé: cette conscience du surhomme qui est venue l’aide beaucoup, et c'est à travers elle qu'il sent, et ça l’aide beaucoup. Quelquefois, quelqu'un entre, et avec lui (avec lui, ou elle, ou eux) un petit malaise aigu, et s'il avait senti cela avant de savoir, ç'aurait été pénible; maintenant, il peut sourire et attendre pour découvrir pourquoi c'est comme cela (Mère fait un geste comme poursuivre la vibration qui a provoqué le malaise). Il y en a au contraire, imédiatement l’atmosphère se remplit de la présence de cette Conscience (ça, c'est nouveau, et c'est très intéressant), et alors il se sent bien – il se sent bien, reposé.

Il y a beaucoup-beaucoup de choses qui étaient avant avec un point d'interrogation: «Pourquoi est-ce comme cela?» Maintenant, il sait, il commence à savoir pourquoi – c'est amusant. Et il commence à savoir pourquoi depuis qu'il a complètement abdiqué, qu'il ne tient plus ni à continuer ni à s'arrêter, ni l’un ni l’autre: il est comme cela (geste d'abandon): «Ce que Tu voudras, Seigneur; tant que Tu veux que je sois comme cela, je serai comme cela; quand Tu voudras, ou si Tu veux que je ne sois pas, je ne serai pas» – ça n'a aucune-aucune importance.

(Mère regarde la pendule en riant)

Je regrette beaucoup! je regrette, mais quoi faire?... C'est l’organisation extérieure qui est comme cela.3

22 février 1969

Elle est bien, ta maman... Elle est très concentrée.

(Mère tend au disciple le message qu'elle a donné pour le 21 février, anniversaire de ses quatre-vingt-onze ans:)

«Ce n'est que la paix immuable qui peut donner l’éternité d'existence.»

Tu ne sais pas à quelle date j'ai écrit cela?

Si: c'était en 65, je crois.1

Je ne me souviens plus quand c'est, mais je me souviens que je l’ai écrit après avoir eu l’expérience que l’immobilité de l’Inconscient, le début de la création, c'est (on ne peut pas dire une «projection»), c'est une sorte de symbole inanimé, ou inconscient, de l’Éternité, de l’Immobilité (ce n'est pas «immobilité», les mots ne valent rien, c'est entre immobilité et stabilité). Là, j'ai écrit «paix», mais «paix» est un pauvre mot, ce n'est pas cela, c'est infiniment plus que la paix; mais c'est le «quelque chose» (même le mot «éternel» donne un sens limité, tous les mots sont impossibles), le quelque chose qui est l’Origine de tout et le commencement de l’évolution de la manifestation pour rejoindre l’Origine (Mère dessine une courbe qui joint l’un et l’autre).

Je me souviens d'avoir eu cette expérience... Je ne sais pas, c'était pourtant une expérience que je pensais avoir eue au Playground [Terrain de Jeu], et en 65 je n'y étais plus.

Je ne sais pas, j'ai l’impression que c'était au «Playground», et c'était comme si l’immobilité inconsciente – l’immobilité de l’Inconscient, l’immobilité inerte de l’Inconscient – était le point de départ de l’évolution, et c'était comme la traduction de cette... (comment dire? c'est aussi un autre genre d'immobilité! mais une Immobilité qui contient tous les mouvements), de cette immobilité de l’Origine, cette stabilité, et que toute l’évolution est pour que ça retrouve Ça, avec tout le passage (même geste, comme une grande courbe). C'était une vision très claire, je me souviens d'avoir écrit cela. Et quand j'ai lu cela, l’expérience est revenue.

N'est-ce pas, on parle toujours de «chute» – ce n'est pas cela ce n'est pas du tout cela. S'il y a une chute, c'est au moment où le vital est devenu une volonté d'indépendance: ce n'est pas au début, c'est tout à fait en cours de route... Dans l’ancienne tradition, ils disent que c'est le Conscient qui est devenu l’Inconscient parce qu'il s'est «coupé de l’Origine» – ça me fait l’effet d'histoires racontées pour les enfants.

C'est curieux, dans le silence et la vision, c'est très clair et très lumineux, compréhensible; dès qu'on veut le dire, ça devient idiot.

Mais alors, dans la création même telle qu'elle est maintenant, c'est vrai: c'est peut-être le mot «paix» qui est le plus proche (quoique ce ne soit pas cela, il est tout petit et tout restreint, ce n'est pas cela). Dès que quelque chose se dérange ou va mal, c'est cette «paix» qui vient comme le remède, dedans.

(silence)

Oh! les mots ne valent rien, je ne sais pas comment faire, je ne sais pas si c'est parce que je n'en ai pas assez, ou bien que vraiment... Toute expression mentale semble artificielle; ça donne l’impression d'une pellicule sans vie. C'est curieux. Et tout le langage appartient à ce domaine-là. Cette expérience, quand je veux la dire... Avec certaines gens, j'entre très-très bien, très facilement en relation dans le silence, et je leur dis infiniment plus de choses que je ne pourrais en dire avec des mots; c'est plus souple, plus exact, plus profond... Tiens, la parole, les phrases, les choses écrites me font l’effet de l’image à deux dimensions (l’image ordinaire), et ça, ce contact-là, que j'ai d'une façon avec les gens dès que je ne parle pas, ça ajoute la profondeur et quelque chose de plus vrai (ce n'est pas, c'est loin d'être tout à fait vrai, mais c'est plus vrai), et il y a une profondeur.

(silence)

C'est pour cela que les expériences sont difficiles à dire. Ce ne sont plus des expériences séparées qui viennent l’une après l’autre, c'est comme un mouvement unique et global (geste rond) de transformation, et c'est d'une grande intensité.

Dans le fonctionnement ordinaire de la vie, il y a ce sentiment que «ça va», qui se traduit dans les gens par la sensation de bonne santé, et puis il y a un déséquilibre, une désorganisation; et cette opposition, maintenant, paraît TOUT À FAIT artificielle: c'est seulement un mouvement continu, avec des passages d'un genre de vibration à un autre genre de vibration dont l’origine est beaucoup plus (comment dire? ce n'est pas «profond», ce n'est pas «plus haut», et «plus vrai» donne seulement un côté, ce n'est pas cela), enfin «supérieur» d'une façon quelconque – les mots sont idiots, tout à fait idiots. C'est comme cela, et c'est tout le temps comme cela (ce mouvement continu). Et alors, on est attiré à un endroit ou à un autre: c'est simplement le jeu de notre conscience. Mais pour la conscience qui voit tout, c'est un mouvement continu et global vers... oui, c'est bien cela, c'est pour que cet inerte Inconscient devienne l’absolu Conscient... Je ne sais pas, j'ai une vague impression qu'on a découvert qu'une certaine intensité de mouvement (c'est-à-dire ce que nous appelons «rapidité») se traduit par une impression d'immobilité. J'ai une vague impression que l’on m'a dit cela. Mais ça correspond à quelque chose. Ce que j'ai appelé «paix» dans le message, cette paix... (j'hésite à parler parce que les mots sont stupides), cette paix, ce qui est senti comme paix, c'est un paroxysme de mouvement, mais général – harmonieux, général.

Dès qu'on parle, ça a l’air d'une caricature.

(long silence)

Je finirai par me taire!

J'espère que non!

(Mère rit) Mais c'est si pauvret, tout cela!

Plus tard, on parlera en couleur.

Ah! ce serait joli...

C'est au point que quand on me dit quelque chose, par exemple que l’on me répète ce que j'ai dit, je ne comprends plus!... J'essaye de mon mieux, mais il y a toute l’intensité de la Conscience qui veut s'exprimer, et alors, quand c'est répété, cette intensité n'est plus là et ça n'a plus de sens.

Rien que ce message justement, quand on me l’a lu, l’expérience est revenue, par conséquent je sais comment c'était, et alors ce mot «paix» contenait tant de choses!... Maintenant, ce n'est plus là.

Qu'est-ce que j'ai mis comme mot?

Paix, oui.

Immuable?

Oui: «Ce n'est que la paix immuable...»

Oui, et alors l’expérience était que cette même paix immuable (qui n'est ni «paix» ni «immuable»! mais c'est «quelque chose»), cette même Chose-là était dans l’inertie inconsciente. Et c'était tellement concret!... Et alors toute la courbe de la création pour que ça et Ça soient apparemment un (mais C'EST un – c'est un). On pourrait dire (mais cela devient des phrases, ce sont des phrases): devenir conscient de son identité. Mais c'est une phrase.

(long silence)

l’expérience est si intensément concrète que dès que je me mets à parler, ça descend. Là (geste en haut), la conscience est claire, et puis...

Quoi faire? Il faudrait avoir des photos!

On pourrait faire des progrès, non? (Mère rit)

26 février 1969

Il y a quelques jours (deux ou trois jours), Pavitra a reçu une lettre de France, d'une personne qui écrit (Mère rit) que des Français sont revenus de l’Ashram et ont dit que les mœurs de l’Ashram étaient tout à fait «relâchés», enfin que tout était dans un état lamentable... Et alors, cette personne envoie des «vœux» pour qu'il y ait un «relèvement dans la morale de l’Ashram»...

Pavitra m'a dit: «Est-ce qu'il faut répondre?» Sur le moment, j'ai dit (riant): «Ce n'est pas la peine de répondre, il n'y a rien à dire.» Mais quand il a été parti, c'est venu (geste d'en haut), pas positivement une réponse à cette personne, mais une réponse à un état d'esprit qui est assez commun. C'est venu en français d'abord, en trois parties: une phrase, puis tout un ensemble d'expériences; une deuxième phrase avec encore tout un ensemble; et une troisième phrase. La connexion n'était pas écrite.

(Mère tend une note au disciple)

«Ne jugez jamais sur les apparences, encore moins sur les racontars...

Voilà. Et puis il y avait tout un ensemble... Je ne sais pas comment dire; ce ne sont pas des phrases, mais c'est une sorte de connaissance que, naturellement, les jugements sont basés plus ou moins consciemment sur la morale dans laquelle on a été éduqué et la morale du pays dans lequel on vit. Alors j'ai mis:

«Ce qui est moral dans un pays, est immoral dans un autre...

C'est un fait.

Et voilà la fin:

«Le service du Divin exige une sincérité d'abnégation inconnue à toute morale.»

C'est vrai, il n'y a pas de morale, il n'y a pas de religion qui ait cela! on n'a jamais osé dire cela aux gens.

Je n'avais pas remarqué cela, cette occasion me l’a fait remarquer.

Tu veux dire que cette abnégation comporte aussi un abandon de tous les principes de morale?

Oui, naturellement. Mais c'est surtout cela, la morale n'a jamais dit: «Vous ne devez pas rapporter les choses à vous.» Elle a dit: «Vous ne devez pas être égoïstes, vous devez être bons...», tout cela, mais jamais on n'a critiqué ce sens d'un moi qui existe séparé des autres, nulle part, tandis que l’attitude vraie exige cela.

Tout cela est venu très clairement – ça vient comme des espèces de «tableaux», je ne sais pas comment dire... et si clair! Et puis ça venait et ça revenait, et puis j'essayais de le chasser, et puis encore ça revenait, jusqu'à ce que je l’écrive. Quand je l’ai écrit, ça m'a laissée tranquille.

Ces moralistes s'imaginent qu'ils sont «en dehors», en dehors de la déchéance des «autres», alors qu'ils sont dans la même gadoue que tous les autres!

(Mère rit) Naturellement! oh! les moralistes se croient des gens très supérieurs.

Mais si on gratte un peu, ce n'est pas joli.

Oui, c'est exactement la même chose.1


Peu après

Le travail va vite...

Pour moi, les choses vont vite et vont fort, et il faudrait les noter tout le temps... Il y a des moments difficiles.

C'est trop; il y a trop-trop de choses, on ne peut pas les dire.

(Mère semble parler de très loin)

Il y a évidemment un travail de changement de conscience (Mère touche son corps), et ça va très-très vite, alors je ne me souviens plus des transitions, des passages...

C'est le sens de l’ego du corps qui est parti, avec un résultat très étrange... Au moment où l’expérience est là, je peux à la rigueur la décrire, mais... D'abord, le sens de la limite, c'est-à-dire du corps existant comme une chose séparée, n'existe plus; par exemple, la sensation que l’on «se» cogne et que c'est «quelque chose d'autre» qui vous cogne (je ne sais pas comment expliquer), c'est tout à fait parti. Et ça laisse...

Je n'ai aucun souvenir; je ne peux pas me souvenir d'une chose et la dire: je ne peux dire qu'au moment de l’expérience. Mais c'est presque visuel, je ne sais pas comment expliquer (Mère regarde ses mains), ce n'est pas limité et... Impossible, je ne peux pas exprimer.

Il y a quelque chose qui existe d'une façon constante, permanente: c'est une espèce d'êtat de conscience qui est en rapport avec le monde matériel... Dans l’état ordinaire, une sensation vient d'un endroit précis du corps, elle est notée, enregistrée quelque part dans le cerveau – ce n'est plus du tout comme cela. Les sensations... mais ce ne sont pas positivement des sensations: c'est un certain genre de vibration, et ça vient de partout comme cela (geste autour); comme cela aussi (du corps), mais comme cela, comme cela... (geste de tous les côtés), partout comme cela. Et alors, la conscience... J'ai essayé de voir où elle est, la conscience, et c'est quelque part là-haut (elle est partout, elle est diffusée partout-partout), mais il y a tout de même un centre de conscience quelque part là-haut (geste au-dessus de la tête), c'est comme si c'était plus compact là; autrement, c'est partout, c'est diffusé partout, mais c'est un peu plus compact ici (même geste au-dessus de la tête), compact et stable, comme ça, là (Mère ferme ses deux poings dans un geste inébranlable), et c'est ça qui transmet les ordres au corps (mais tous ces mots sont idiots; quand je les prononce, ils me dégoûtent). N'est-ce pas, c'est là qu'est établi d'une façon permanente et constante le rapport avec la Conscience Suprême (je dis «Conscience Suprême», j'ai adopté ce mot pour ne pas faire des phrases tout le temps); je pourrais dire «le Divin», mais le Divin est si totalement présent partout que... Ce n'est pas la même chose (geste là-haut), je ne peux pas dire «Volonté» parce que ça n'a aucun des caractères de la volonté humaine: ce n'est pas une volonté qui «s'exerce sur» quelque chose, ce n'est pas cela, c'est... en soi; c'est entre vision-décision-volonté-pouvoir, tout cela réuni. Je ne sais pas. Et beaucoup plus que ça. Mais c'est là qu'est le centre en ce qui concerne le corps et ce qui l’entoure imédiatement. Et ça, c'est... C'est curieux, c'est à la fois extraordinairement impératif et tout-puissant, et c'est la Paix («paix» est un pauvre petit mot de rien du tout), c'est la Paix et l’Immobilité parfaite («immobilité» est idiot – comment parler!). Mais ça, c'est là constamment (geste au-dessus de Mère).

Alors, c'est ça qui prend la place de la volonté consciente pour faire mouvoir le corps: pour son fonctionnement intérieur et pour son action. Et c'est au moment (ça se fait graduellement, mais il y a un «moment») où l’ancien fonctionnement (fonctionnement ordinaire) est supprimé ou disparaît et où il est remplacé par Ça (geste au-dessus), ça fait... (geste flottant), je ne sais pas si c'est long ou court, mais il y a juste une transition difficile. Et alors le corps est pris entre... (ici ou là, un endroit ou un autre, pour une chose ou une autre) entre la vieille habitude et le nouveau fonctionnement. Il y a juste une transition d'angoisse. Et il est conscient dans la plupart de ses parties, de l’imbécillité de cette angoisse, mais... Et la fonction, ou le morceau ou... est pris d'affolement; alors là, il a besoin d'une immobilité matérielle pour que les choses rentrent dans l’ordre.

C'est une description absolument inadéquate et stupide, mais je ne sais pas que faire! – pas de mots. C'est un à-peu-près.

Et tout cela se passe au-dedans d'une Conscience permanente (Mère fait un geste rond), solide, n'est-ce pas, stable, extraordinaire! qui est partout comme cela.

Et avec un bombardement d'intrusions de la pensée ou de la sensation des autres, qui vient comme un petit bombardement perpétuel, qui maintenant commence à être clairement perçu comme venant du dehors. Mais une purification est nécessaire constamment-constamment-constamment.

Il y a quelque chose qui est tout à fait différent de ce que c'était seulement il y a trois mois, tout à fait différent... Pour le moment, c'est encore difficile à exprimer.

Et il y a les deux choses: la vraie Perception, et une espèce de souvenir amoindri et ralenti de la vieille manière; et alors là-dedans, dans cette vieille manière, il y a... toutes sortes de choses indésirables mais qui sont générales, universelles, et qu'il est difficile de changer à cause de cela, parce que cette espèce de «formation» qui est en train de se produire est étrangère, pour ainsi dire, au monde.

N'est-ce pas, à travers les gens et les choses, je suis toujours en contact avec la même Présence, mais si, pour une raison quelconque, la manière d'être des gens et des choses s'impose (à Mère), ça paraît bizarre, ça fait un effet bizarre.2

Je suis encore en plein état de transition.

Tu peux m'entendre?

Oui-oui!

C'est en plein état de transition.

(silence)

(Mère regarde l’heure) Je crois qu'il est des heures impossibles!

C'est cela, je suis littéralement accablée de travail et de gens. Et aucun Ordre ou Insistance pour que je m'en libère. Il y a une espèce de laisser-faire de cette Paix éternelle et souriante (geste immense et rythmé), très souriante – éternelle et souriante comme cela... Et une sorte de démonstration constante, au corps, que ce n'est pas cela qui le fatigue, que ce n'est pas le travail, que ce ne sont pas les gens, que ce ne sont pas les choses, ce n'est pas du tout cela qui fatigue: c'est son propre état de transition et sa propre imperfection – c'est cela, pas autre chose. Voilà.

Dans cette Conscience, il y a quelque chose qui sourit dans une paix!... C'est absolument merveilleux, c'est... À moins qu'on ne l’ait senti, on ne peut pas comprendre ce que c'est. C'est quelque chose de merveilleux. Et naturellement, c'est cela qui essaie de... qui travaille – qui travaille à prendre le contrôle de toutes ces cellules.

Il y a encore beaucoup à faire.

C'est bizarre...3 (Mère rit)

mars




1er mars 1969

(l’entrevue commence avec quarante-cinq minutes de retard.)

Ça marche bien, ça marche très bien, mais... Plus d'heure, ça n'existe plus! Ce qui devrait se passer à huit heures trente, se passe à dix heures... Et tous les jours, j'en refuse, tu comprends, j'en refuse des quantités, mais on dit: «Il faut...»

C'est intéressant. La Présence devient constante, et le contact avec les gens est tout à fait intéressant, tout à fait en dehors de..., la plupart du temps, je ne sais pas qui c'est – toutes les choses extérieures deviennent de plus en plus minces et inexistantes –, mais alors les réactions intérieures sont très intéressantes.

Il faudrait que je parle pendant des heures pour expliquer tout ce qui arrive. Mais ça va.

C'est seulement un good training [bon dressage] comme ils disent en anglais, pour le corps. Il faut qu'il apprenne – il sent, il sent très clairement ce qui se passe dans les autres corps –, mais il faut qu'il sache sans que ça l’affecte, et là, il y a un petit point difficile à régler. Généralement, j'ai la sensation et la perception du désordre avant de savoir ce que c'est, alors là... Dès que je le sais, je peux faire le mouvement nécessaire pour que ça n'affecte plus. Mais il faut (c'est évident, ça paraît de plus en plus certain) que le corps fonctionne sans avoir ce sentiment de personnalité. Et alors, généralement, quand il y a un désordre quelque part, tout le reste est affecté; là, on peut éviter cela, on peut isoler ce qui ne va pas. Mais c'est seulement un commencement, c'est très-très-très loin d'une réalisation. Seulement, c'est intéressant; intéressant dans le sens que depuis que cette Conscience (du surhomme) est là, le corps a appris beaucoup de choses, beaucoup de choses. Vraiment intéressant. Le corps a appris des choses que le mental ne savait pas (!), alors c'est très intéressant – des choses nouvelles, des manières d'être, des façons d'être, des organisations intérieures, toutes sortes de choses.

Il faudrait que tous les jours, je passe des heures à raconter ce qui s'est passé si vraiment on voulait garder un record [historique] de la route...

(silence)

Tu avais quelque chose à dire?

(Le disciple présente à Mère le manuscrit de «La Synthèse des Yoga» avant de l’envoyer en France à un nouvel éditeur:)

Je prie qu'il n'y ait pas de difficulté avec H et l’ancien éditeur...

On verra bien.

H avait en quelque sorte un blanc-seing pour faire tout ce qu'il voulait?

Il est venu ici quand Sri Aurobindo était ici, et il a demandé [à publier les œuvres de Sri Aurobindo et de Mère], et Sri Aurobindo a dit: «Qu'il fasse ce qu'il veut», comme cela!... Tout cela lui était tout à fait égal.

Je crois qu'il faut essayer, parce qu'il faut sortir de cette emprise. Pour l’instant, tout Sri Aurobindo et toi en France, au point de vue publication, c'est sous leur poigne.

(Riant) Moi, ça m'est égal! On verra, on va voir.

Je crois que H fait une pression sur nous, mais ce monopole sur un auteur, ça n'existe pas!

C'est du chantage.

On va voir. (Riant) On verra!

8 mars 1969

Il y a un mot de Monseigneur R.1 D'abord, il demande ceci: «Puis-je vous prier de demander à Mère de m'assister dans ces prochaines semaines d'une manière spéciale?...»

Il y croit!

Oui, il y croit!

Bah!...

Tu n'as pas sa photo?

Pas ici.

Tu me l’as montrée déjà?... Oui, alors ça va bien, ça sert à établir le contact.

Puis il envoie un autre mot. À Rome, ils ont reçu la visite de Swami Z, et notre ami P.L. a déjeuné en compagnie du Swami (parce qu'ils ont amené le Swami voir le pape, il a eu une audience avec le pape), ils ont déjeuné ensemble et, dit-il: «Le Swami s'est déclaré très heureux de l’audience du pape. Il a pu remettre un de ses ouvrages au Saint-Père, qui lui a dit (en anglais) qu'il aimait beaucoup l’Inde, qu'il le remerciait du travail spirituel entrepris pour le bien de l’humanité et l’encourageait à poursuivre sa mission. Le pape lui a remis une médaille de son pontificat et a même ajouté qu'il avait de grandes difficultés à développer sa spiritualité en raison de son entourage actuel...

Ah! ça, c'est intéressant!... C'est intéressant.

Il y a encore trois lignes: «Le Swami est convaincu que si le pape n'était pas obligé de rester à Rome pour y remplir les fonctions qui lui sont imposées, il irait sûrement en Inde pour y chercher et découvrir l’illumination.»

C'est intéressant.

(long silence)

Cette Conscience ne travaille pas seulement ici...

C'est bon.

12 mars 1969

(À propos de la traduction italienne, puis de la traduction allemande de «l’aventure de la conscience».)

Je n'ai rien à dire. Mais toi? Tu as quelque chose?

Juste deux choses: il y a N (tu sais l’Italien), qui me charge de t'apporter ça: c'est la traduction italienne de mon livre sur Sri Aurobindo.

Bien... Qu'est-ce que c'est que ça? (Mère regarde la couverture) C'est quoi?

C'est extrait d'une peinture; c'est une peinture italienne... Je crois que c'est quand même le Christ?... Attends voir, je vais te dire; ici il y a une note: «Dieu a créé l’homme.»

Ah! (Riant) Et lequel est Dieu?

Je ne sais pas!

Ils ont mis des photos?

Oui, douce Mère, elles sont là.

(Mère regarde les photos dont l’une d'elle-même)

Moi, je n'ai rien à voir là-dedans.

Un petit peu quand même! Ils ont mis Auroville... le...

Ah! mais ça aussi, ça n'a rien à voir là-dedans!

Oui, ça n'a rien à voir là-dedans, je suis d'accord.

(Une photo du Samâdhi, puis encore une autre qui n'a «rien à voir là-dedans»)

Enfin c'est pour toi.

Moi, je ne garde pas de livres. Ils ont mis «traduit du français», ou «traduit de l’anglais»?

Traduit du français.

Alors, ça va bien. Parce que, autrement, si quelqu'un s'avisait de le retraduire en français! (Riant) Si on faisait cela une fois, ça deviendrait très drôle! Faire le tour de trois ou quatre nations, et puis le dernier, retraduire!

Je suppose que ça va à la Bibliothèque, je ne sais pas? Ou bien lui rendre?

Il m'a dit que c'était pour toi. Je ne sais pas... Tu est bien encombrée!

Mets sur le lit (!)

Et puis il y avait encore la traduction allemande...

Ah!

Depuis des années, C.S. est en bataille pour traduire ce livre...

Oh! oui-oui...

Ça a fait beaucoup de difficultés pour lui.

Il a fini?

Justement, il t'écrit. C'était une grande bataille. Il n'a pas assez confiance en lui-même; il dit toujours: «Cette misérable traduction... J'ai fait une chose affreuse...» Mais à côté de cela, plein de bonne volonté. Il me demandait dans une lettre: «Est-ce que Mère va accepter cette misérable traduction?»

(Rires) Moi, je ne sais pas l’allemand, alors...

Elle est honnête, en tout cas, sa traduction, et ça, c'est beaucoup. Les autres traducteurs prennent de ces libertés... N'est-ce pas, ils ne veulent pas employer le mot «supramental», alors ils me font des propositions à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Mais moi, je ne connais pas l’allemand – c'est la langue que j'ai refusé d'apprendre! (Rires) Je ne sais pas pourquoi, j'étais petite, j'ai dit NON-NON-NON! J'ai appris l’italien, appris... J'ai appris beaucoup de langues, mais l’allemand, j'ai refusé! (Mère rit) Je ne sais pas pourquoi. Une idée d'enfant.

Peut-être pas!

Tu lui as écrit que c'était entendu pour la publication?

Oui, mais je ne t'en avais pas encore parlé...

Mais oui! il faut lui envoyer un mot pour lui dire: «Ça va bien, Mère approuve!» (Mère rit)

Ce pauvre C...!

Pauvre C...


...Nolini a beaucoup plus de travail depuis qu'Amrita est parti. Parce qu'on a été obligé de diviser le travail...

Moi aussi, j'en ai beaucoup!

Ah! c'est bien difficile...1


Peu après

Mais cette Conscience qui s'est manifestée depuis le commencement de l’année, elle est très active; elle s'est répandue et elle est très active. Tu te souviens, je disais toujours (c'est-à-dire, le corps disait) que c'était très difficile sans personne qui sache pour l’aider, et il2 a rempli cette office, il sert de mentor – il lui apprend des tas de choses. Vraiment intéressant. Des choses que le mental ne savait pas, et qu'il lui apprend. Comme cela, le corps devient un peu clever] [malin.]

(silence)

La conscience corporelle est devenue à la fois individualisée et indépendante, c'est-à-dire qu'elle peut entrer dans d'autres corps et se sentir là tout à fait à l’aise. J'ai fait l’expérience un jour («je l’ai fait», ce n'est pas le corps qui l’a faite, c'est: «on lui a fait faire», c'est justement cette Conscience qui lui a fait faire cette expérience) d'entrer dans trois ou quatre personnes, comme cela, l’une après l’autre, et alors, dans chacune, sentir quelle est la manière d'être DU CORPS: ce n'était pas du tout entrer vitalement ni mentalement, c'était une entrée corporelle. Et alors, c'était vraiment très intéressant. Il y a eu là trois ou quatre personnes... Je te l’ai peut-être dit déjà?

Simplement une allusion.

Et sur les quatre personnes, il y en avait une dans laquelle il se sentait à l’aise. Ce n'étaient pas les mêmes habitudes, mais... rien de contradictoire.

Et ça change tout à fait l’attitude du corps vis-à-vis des solutions; n'est-ce pas, il n'y a plus d'attachement ou de sens de disparition, parce que la conscience... c'est la conscience corporelle qui est devenue indépendante. Et ça, c'est très intéressant. C'est-à-dire que dans toute substance physique suffisamment développée pour la recevoir, elle peut se manifester là.

C'est intéressant.

Et ces jours-ci, il y a eu des élections ici3 (c'est un gâchis affreux), et j'ai été mise en rapport avec tout cela (parce qu'il faut dire que le «lieutenant gouverneur» a très grande confiance en moi et il était venu, avant, pour trouver la force – ça ne va pas trop bien, n'est-ce pas, enfin les choses sont assez chaotiques, mais il a dit: «Oh! Mère est là», c'est-à-dire qu'il a l’impression d'être soutenu), alors j'ai été mise, par lui, en rapport avec tout cela. Et ça a été toute une série d'expériences très intéressantes... Il y avait le sens très aigu de tout ce qu'il y a de conventionnel dans les partis politiques, parce que sous le même drapeau politique, il y a les opinions les plus opposées, et chacun au nom du même principe! Alors c'est venu si clair, si clair!... Généralement, ça ne m'intéressait pas parce que j'ai toujours senti là le cabotinage, mais j'étais mise en rapport à cause du gouverneur (sans paroles, il ne m'a rien dit, mais sans paroles, à cause de lui, j'ai touché l’atmosphère), et alors j'ai vu à quel point c'est vraiment une illusion – c'est tout à fait une illusion, la politique est une chose... au nom de même principe, les hommes font des choses absolument opposées! Au nom du même principe politique. Chacun est inquiet que ce soit son parti qui domine... et il m'a paru que cela n'avait absolument aucune importance! C'était seulement la qualité de la réceptivité des gens qui importait, et puis leur niveau de conscience. Et question de parti: n'importe quoi.

C'était une étude assez intéressante, et qui s'est faite sous l’auspice de cette nouvelle conscience, alors d'une façon assez générale et très claire, très claire. Et avec le sens d'un grand pouvoir. Cette Conscience contient un grand pouvoir. Et surtout, un pouvoir psychologique, c'est-à-dire une immunité à toute réaction venant du dehors. C'est intéressant... Toutes les angoisses, les frayeurs, les désirs, les convoitises, tout cela, c'était tout un monde que, volontairement, j'avais toujours tenu à l’écart parce qu'il ne m'intéressait pas, mais sous cet angle nouveau, on peut faire du travail.

(long silence)

Je t'ai raconté le miracle qui s'est produit? Tu ne le connais pas?... On va faire à Auroville une grande usine pour moudre le blé, mais c'est formidable (c'est moudre le blé pour toute l’Inde!), formidable. Des machines qui viennent je ne sais d'où, formidables aussi. Et on a choisi de débarquer à Pondichéry parce qu'il est plus facile d'aller de Pondichéry à Auroville que d'aller de Madras à Auroville. Seulement, quand le bateau est arrivé et qu'on a vu la quantité (et la taille) des caisses, on a eu une peur terrible: ce n'est pas possible. Et c'est une femme, P, qui a ici les chalands de débarquement. Elle avait refusé. Je lui ai fait dire que j'avais besoin d'elle et qu'il fallait qu'elle le fasse (parce qu'elle a prétendu qu'elle voulait me servir, alors j'en ai profité!), je lui ai dit: «J'ai besoin de vous, faites-le.» Elle a été obligée de le faire. Pendant deux jours, tout s'est bien passé, mais on avait gardé la plus grosse caisse pour la fin – une caisse de six tonnes, for-mi-da-ble –, personne ne savait comment faire. Il aurait fallu des grues énormes comme ils en ont à Madras, mais ils n'en ont pas ici: ils avaient deux pauvres petites grues qui toutes les deux ensemble ne pesaient pas six tonnes! (Mère rit) et ce sont elles qui devaient prendre la caisse du bateau et la mettre sur le chaland. Il n'y avait pas moyen de faire autrement, il n'y avait que ça. Alors on a attaché la caisse aux deux grues, puis on a commencé à lever... et puis les grues ont fait comme cela (geste d'affalement), et il y avait en dessous les gens – les gens qui s'occupaient du transbordement –, et alors tout le monde, y compris le capitaine du bateau, tout le monde était là épouvanté. Ils ont dit: «Ça y est, c'est fini, c'est la catastrophe.» Les deux grues ont fait comme cela... et puis, tout d'un coup, elles se sont redressées. Personne n'a jamais su comment. Elles se sont redressées et elles ont transporté la caisse et c'était fini.

C'était tellement évidemment un miracle (le capitaine était comme cela, presque épouvanté, tout le monde). Et alors, ces caisses étaient destinées à un homme ici, M («Aurofood»), et la veille du débarquement, je lui avais envoyé un paquet de blessing [bénédictions], il avait ça sur lui. Alors il est allé voir le capitaine et il lui a dit (montrant le petit paquet): «C'est ça, vous voyez, c'est ça qui a redressé les grues.»

Un homme très simple.

N'est-ce pas, c'était une constatation: il y avait une foule, il n'y avait pas de discussion possible; les deux grues étaient comme cela, penchées, on s'attendait à... Elles se sont redressées! (Mère rit)

Le capitaine a vu L et il lui a dit: «Est-ce que je ne pourrais pas avoir un de ces... (Mère rit) petits paquets!» Alors L est venu me voir. J'ai donné des paquets – quatre paquets – pour lui et ses hommes.

C'est la première fois... L m'a dit: j'ai vu des centaines de miracles, seulement celui-ci était tellement évident, et puis de dimensions si considérables (Mère rit) que personne ne pouvait nier!

C'est intéressant. Je dois dire qu'il y a eu une concentration de force vraiment, parce qu'on était en présence d'une impossibilité (considéré pratiquement, c'était une impossibilité). Alors il y a eu une concentration.

C'est amusant.

Et l’exactitude de la transmission, l’exactitude (ce qui augmente beaucoup le pouvoir), je la mets au crédit de cette Conscience. C'est cette Conscience qui a rendu le pouvoir beaucoup plus précis dans son action... La conscience du surhomme.

C'est intéressant.

Mais il ne faut pas le raconter, on a tout de suite l’air de vouloir se vanter, c'est dégoûtant! – ça peut aller à l’Agenda, mais...

Si seulement les hommes avaient confiance...

Oh!

C'est formidable ce que l’on pourrait faire...

Oui, c'est cela. N'est-ce pas, A m'a écrit (elle est secrétaire ici au gouvernement), elle m'a écrit pour m'annoncer le résultat des élections (la défaite du Congrès), et ils étaient tous désespérés; alors j'ai vu, j'ai dit: «C'est absurde, ce sont eux qui attirent la catastrophe!» Je lui ai répondu qu'elle garde «une confiance inébranlable et tranquille...»

C'est pour cela que, dans le temps, on avait enseigné que «tout ce qui arrivait était l’effet de la Volonté du Divin.» La façon dont on l’avait dit était bornée (c'est toujours la même chose: la manière dont on dit les choses produit une restriction, ou une coloration, ou * c'est montré sous un certain angle: ça perd de sa vérité essentielle), mais je suis sûre que c'était pour l’effet psychologique qu'on l’avait dit... Le danger de cet enseignement est que les gens s'aplatissent et puis ne bougent plus, ils ne font plus rien – plus d'effort de progrès, plus d'effort pour faire du bon travail, ils sont comme cela: «Je n'ai plus rien à faire, c'est Dieu qui fait tout!» – C'est pour cela qu'on ne peut pas le dire de cette façon. Mais ça a un avantage, c'est celui de vous laisser absolument paisible. Et alors, j'insiste beaucoup pour que les gens aient cette paix-paix, tranquille – c'est tout à fait indispensable. J'ai vu (justement à l’aide de cette Conscience), j'ai vu la force de pouvoir qui agissait; et alors, quand l’instrument (c'est-à-dire l’individu ou le groupe) est tout à fait paisible et confiant comme cela, immobile vitalement et mentalement, ça passe sans se déformer – rien ne déforme –, et ça agit avec son plein pouvoir; dès qu'il y a une conscience humaine (ou mentale ou vitale, ou les deux à la fois) qui est agitée, ou qui questionne, qui a des préférences, ou qui croit savoir bien, ou... ça fait une espèce de tourbillon – et la Force perd les trois quarts de son pouvoir!

Alors il faut se servir d'un moyen ou d'un autre (les gens ne comprennent pas, ils comprennent toujours à moitié); moi, je passe mon temps à leur dire: «Soyez tranquilles, soyez tranquilles...» Mais évidemment, ils peuvent aussi devenir comme cela, inertes... On ne sait pas quoi faire.

Avec cette Conscience, j'ai eu cette expérience un matin, du pouvoir (le vrai pouvoir); alors en passant par la conscience tout à fait statique, immobile, paisible, il n'y a aucune déformation; et puis passant, éveillant le sens du pouvoir dans l’individu et la collaboration de la volonté individuelle. Si c'est (j'ai vu les deux en même temps), si c'est une conscience yoguique avec le calme et l’IMPER sonnalité (c'est-à-dire aucun désir et aucune préférence), alors c'est encore plus puissant, parce que c'est dirigé à un endroit précis au lieu de travailler comme cela d'une façon générale – c'est dirigé à un endroit précis, et l’action est multipliée; mais si, dans la conscience à travers laquelle ça doit agir, il y a le moindre désir, la moindre préférence, ou le moindre recul... c'est tout gâché. Tout gâché, ça fait comme cela (geste trépidant), c'est fini. J'ai vu ça avec des exemples à l’appui; pas des exemples racontés, il n'y a rien de mental: c'est tout montré – c'est montré avec les vibrations. Et ça, c'est vraiment intéressant. C'est-à-dire que dans la conscience du surhomme, avec l’impersonnalisation complète (c'est-à-dire aucune préférence, aucun désir, aucun refus, rien, n'est-ce pas, on est comme cela: geste du Témoin immobile), il y aura la capacité de diriger sur un point précis le Pouvoir pour qu'il agisse, et alors, il sera multiplié dans la Matière. Une multiplication de pouvoir, c'est-à-dire une intensification de pouvoir dans la Matière.

Ça explique (c'est le corps qui apprend tout cela, il est vraiment très content), ça lui explique très clairement pourquoi il y a eu des individus et à quoi ça sert dans l’ensemble – mais il faut que ces individus perdent tout ce qui a été nécessaire pour les former; il faut qu'ils dépassent ça et qu'ils redeviennent divins. Alors – alors le résultat sera extraordinaire.

C'est très intéressant.

Ça a expliqué aussi l’usage – la raison d'être et l’usage, l’utilisation – des émotions: comment toutes ces choses qui dans leur état «incomplet» sont des... paraissent être des obstacles et des choses à éliminer, comment, dès que la conscience est clarifiée et que l’union est établie, que la séparation a disparu, toutes ces choses prennent leur place et leur pleine utilité... Je ne me souviens plus maintenant, mais ces jours-ci, j'ai eu un exemple ici si intéressant! je ne me souviens plus (c'est exprès, je ne me souviens de rien), mais d'un mouvement de la conscience ici (et maintenant le corps est très conscient de cette présence de la conscience du surhomme et il est très ouvert et très reconnaissant, et il est très conscient), eh bien, il a vu un mouvement... quelque chose qui ressemble à de la compassion, une compassion aiguë, mais avec l’émotion que le vital sent quand il a une compassion (c'est-à-dire, ce qu'ajoute le vital); il a vu cela et il a vu imédiatement l’effet produit et la réponse. C'était quelqu'un (je ne me souviens plus, c'est enlevé exprès), mais il s'agissait de quelque chose qui était arrivé à quelqu'un, et de la réaction de cette conscience du corps avec une sorte de pitié attendrie, et alors ça a décuplé le pouvoir – l’effet du pouvoir pour la guérison –, parce que c'était tout à fait impersonnel. C'était le Pouvoir qui se servait de ça (cette émotion) comme de moyen d'action.

C'est tout le temps, tout le temps: apprendre-apprendre-apprendre... Intéressant! (Mère rit)

Il y a aussi une perception tout à fait claire de la réaction individuelle; par exemple, comment la foi se manifeste dans les gens, dans les différents individus, la coloration qu'elle y prend, la quantité de (comment dire?) d'ignorance ou de mensonge qui s'ajoute, et la quantité qui reste pure; tout cela, tout le temps, tout le temps, un travail comme cela, tout le temps. Je trouve cela très intéressant.

Et puis commencer à comprendre pourquoi ça, c'est comme cela, et pourquoi ça, c'est comme cela...

Et cette Conscience a un grand pouvoir d'attraction. Il y a des gens qui viennent de partout maintenant, partout. l’autre jour (hier ou avant-hier, je ne sais pas), j'ai vu des Américains qui ont fondé un «groupe», je crois, ou une société pour l’union... (j'ai trouvé ça touchant) «l’union spirituelle des religions»! J'ai trouvé ça touchant. C'est une reconnaissance (riant) que les religions ne sont pas spirituelles! qu'il leur faut une union spirituelle. C'était très intéressant. De braves gens, oh! braves gens, et absolument une mentalité... pas primaire, mais... simpliste, et ça a pris cette forme. Ils sont venus dans l’Inde (parce qu'ils sont aussi en rapport avec World Union) et ils sont venus parce qu'ils voulaient me rencontrer. J'avais d'abord dit: oh! ce n'est pas du tout la peine. Et puis on m'a dit qu'ils étaient venus de là-bas pour cela, alors j'ai dit bon. De braves gens, tu sais, tout à fait Américains, braves gens. Mais ils ont trouvé une vérité très profonde, et ils ne le savent même pas! Ils ont dit: «l’union SPIRITUELLE des religions», ce qui est une déclaration que les religions n'ont pas de vie spirituelle! Ça, ils ne le savent pas.

C'est très-très actif; cette Conscience est très active.

Oui, j'ai une impression de solidité.

Oui! c'est cela, quelque chose de très solide.

C'est parce que c'est venu pour se matérialiser – ce n'est pas venu comme cela pour... (geste dans les nuages): ça cherche des instruments.

J'espère beaucoup dans les petits enfants.

Il y en a qui sont délicieux... A.F. est délicieux. Et il y en a un autre, A.P.: il n'est pas né ici, il est né en Allemagne, il va avoir un an dans quelques jours, je vais le voir. Mais je l’ai vu déjà: remarquable. Et si réceptifs! Ce sont des enfants qui, à un an, en ont au moins trois ou quatre des enfants ordinaires, de conscience. Alors il y a de l’espoir.

Mais ils sont plus sensibles que les parents! Alors les parents sont avec moi dans une certaine relation, et eux sont là à observer, à se demander comment ça se fait – à mon égard, ils [les parents] sont un peu craintifs, alors je suis obligée de voiler, de garder. Avec les gens, ils en prennent, ils en laissent (ils en prennent très peu), ça n'a pas d'importance, mais avec eux [les enfants], il faut faire attention parce que le corps est trop faible. Ils sont beaucoup plus réceptifs que les parents, et c'est un peu trop pour le corps. Mais ils sont bien intéressants.

Il y a quelques jours, A.F. était ici; il était venu avec F et il y avait son père qui attendait dehors et qui devait venir, et F m'a dit: je vais aller le chercher. Alors il y avait le petit qui était avec F; elle l’a laissé pour s'en aller, elle a fait trois pas vers la porte; il s'est senti tout seul et il allait se précipiter vers elle; et alors je l’ai regardé – il s'est détendu et puis il s'est arrêté. C'était remarquable: pas un mot, je n'ai pas dit un mot, simplement je l’ai regardé – il s'est détendu. Il se précipitait, il était déjà là, alors je l’ai regardé – c'est comme si tout se détendait.

À ce point-là!... Pas un mot, rien.4

15 mars 1969

(Mère écoute la traduction anglaise des «Notes sur le Chemin» pour le prochain Bulletin, puis remarque à la fin de la lecture:)

C'est absolument comme si j'étais enrobée d'une couche de coton!... (Riant) C'est peut-être pour me reposer!

(À Nolini) Ce n'est pas assommant? It's useless, no? [c'est inutile, non?]

(Nolini:) Oh no! it's very nice. It's something more than words [oh! non, c'est très joli. C'est quelque chose de plus que des mots].

No, truly, I am not fishing for compliments; I sincerely say that it's a bore, no?... [non, vraiment, je ne cherche pas les compliments (!) mais sincèrement je dis que c'est assommant, non?]

(Nolini:)No!

Ils vont dire: Mère commence à radoter.1

(Nolini rit et sort)

Quoi de neuf?

(le disciple reste silencieux à considérer le «very nice»)

Cette Conscience, elle a une imagination fantastique!... Elle me fait voir toutes sortes de possibilités fantastiques pour ce qui se passera dans l’avenir. Comme, par exemple, pour une femme, au lieu de mourir, de renaître dans son propre enfant... Que les choses ne soient pas comme elles sont maintenant, qu'il y ait la capacité de former l’enfant avec, non pas le «complément matériel», mais un complément spirituel («spirituel», c'est une façon de parler: un complément d'une force invisible), et qu'au lieu de mourir et d'entrer dans un autre corps, on puisse former soi-même, avec les cellules les plus développées de son être, l’être dans lequel on revivra... C'est une idée, non!

Et c'est venu de très bonne heure le matin (c'est toujours à ce moment-là), mais avec tous les détails et une INTENSITÉ de vie extraordinaire!... N'est-ce pas, dans le corps, les cellules qui sont en train de se développer autant qu'elles peuvent, de devenir de plus en plus conscientes, au lieu de se désagréger quand l’ensemble n'est pas suffisant pour exprimer la plénitude de la vie, que ce soit INTÉRIEUREMENT que toutes ces cellules se rassemblent pour former un nouveau corps avec une matière supérieure à la matière ordinaire.

C'était si intéressant que j'ai regardé cela pendant des heures ce matin, et dans tous les détails.

Mais c'est justement le genre de choses que l’on ne peut pas dire, qu'il faudrait FAIRE. Les dire, ça ne sert à rien du tout! C'est le faire, qu'il faut.

C'est venu comme cela... Ça vient comme une pluie! C'est curieux.2

(silence)

Tu n'as rien à dire? Tu as des nouvelles?

Tu n'as pas autre chose à dire, plutôt?

Rien.

Il y a un mot de ma mère [ici, le disciple lit une lettre expliquant la guérison subite de sa mère alors que l’on craignait un cancer: «Mon état est devenu subitement normal, et je n'ai pas douté de l’intervention de Mère...»].

C'est bien...

(long silence)

C'est comme si cette Conscience avait apporté avec elle tout un nouveau champ d'expériences possibles dans le domaine très matériel, avec une... (comment dire?) une suppression d'un certain nombre de choses que les hommes ont déclaré impossibles; comme si elle avait supprimé cette impossibilité et dit: «Ça, ça, ça et ça, c'est possible.» Et alors, l’horizon est extraordinairement élargi.

Mais il faudrait le vivre concrètement.3

19 mars 1969

(Mère écoute la traduction anglaise de la conversation du 15 février– «Ces cellules, d'autres cellules, c'était la vie partout, la conscience partout» – pour les «Notes sur le Chemin», puis remarque:)

It's just like the bark of something!... [c'est tout à fait comme l’écorce de quelque chose!...] Tant pis!


Peu après

Oh! tu sais, c'est vraiment amusant! Ça a commencé à me dire... Tout le temps, ça donne des leçons au corps – pas des leçons mentales: comment le corps se met à vivre, voir, comprendre... C'est bizarre.

Et il y avait toujours un point d'interrogation... On conçoit que dans le supramental, il n'y aura pas besoin de procréation parce que la durée de la vie sur terre sera à volonté, par conséquent il n'est pas nécessaire de se remplacer parce que l’on s'en va. Mais l’intermédiaire? Souvent, il y avait la question de l’intermédiaire (entre l’homme et l’être supramental): «Comment ça va-t-il se faire? comment?...» La vieille manière animale... (Mère hoche la tête), quoique Y (riant) soit pour sa continuation! Mais alors, l’autre jour, pendant plusieurs heures, mon petit, il y a eu toute une scène vécue (naturellement vécue en imagination)... Et qui n'est qu'une solution partielle du problème. C'est incomplet. La question avait été posée: «Tout ce travail de transformation des cellules, de conscience dans les cellules, avec la façon ordinaire, tout cela semble être gaspillé puisque ça va se désagréger?...» Et alors, est venu d'une façon tout à fait précise, presque concrète: il y a une manière, c'est, avant de mourir, de préparer au-dedans de soi un corps avec toutes les cellules transformées, illuminées, conscientes, les grouper et en former un corps avec le maximum de cellules conscientes, et puis, quand le travail est fini, la pleine conscience entre dedans, et l’autre peut se dissoudre, ça n'a plus d'importance.

Mais c'était... c'était vraiment amusant! Et alors, les objections d'âge et de possibilité, capacité, ça n'existait plus... Si ce moyen intermédiaire est considéré comme utile (je veux dire pratique), la possibilité est là, et c'était en train de montrer au corps que la possibilité était là. Pendant, oh! c'était pendant des heures et des heures, et ça insistait, ça ne voulait pas s'en aller! Ça a insisté jusqu'à ce que le corps ait bien compris. Et il n'y a pas besoin d'intervention matérielle: ça peut se faire (ça, on le sait, il y a eu des cas tout à fait reconnus), l’intervention physique n'était pas nécessaire, elle était remplacée par une intervention dans le physique subtil, qui était suffisante. Alors tout cela, dans tous les détails, avec toutes les explications, tout-tout... Puis, quand ça a été bien fait, c'était fini, le chapitre était clos. Mais c'était vraiment inattendu, je n'avais jamais pensé à une chose pareille! Et comment c'était présenté! c'était tellement concret et tellement simple – tellement simple, tellement concret –, et toutes les objections étaient résolues.

Alors, le corps a dit: «Bien, on verra.» (Mère rit) On va voir.

Pour éviter le gaspillage, n'est-ce pas, pour que les cellules qui sont tout à fait conscientes restent groupées, ne soient pas dispersées comme cela, et ne risquent pas d'être dissoutes aussi (ça peut arriver).

Alors, quand ça a été bien vu (pas expliqué avec des mots, je ne sais pas comment dire), j'ai dit: «Maintenant, c'est bon, on verra.»

Bien, on verra!

Il est évident qu'il y a des choses qui viennent corroborer; c'est basé sur certaines expériences qui sont faites maintenant, scientifiquement, comme, par exemple, la naissance qui se fait par une opération:1 il n'y a plus besoin d'intervention volontaire. Et alors, cela avait perdu tout ce que ça a, dans la vie, de morbide, de déplaisant – tout cela, parti-parti! c'était tout à fait dans un autre domaine. C'est-à-dire une AUTRE conscience, une AUTRE façon de voir, de sentir, une autre... tout à fait. C'est étrange, n'est-ce pas, toutes les réactions que nous avons d'habitude vis-à-vis des choses, c'est... ça paraît ne pas avoir de sens. Une espèce de vision... l’équivalent d'une vision scientifique, mais ça n'a pas ce caractère mental, ce n'est pas comme cela: ça garde le sourire. Tout-tout était vu... d'une façon très curieuse, très curieuse.

Alors le corps est vraiment d'une grande bonne volonté, il dit: «C'est très bien, quand ce sera décidé, on verra!» Mais le corps, lui, sait (justement comme ce qui avait été dit là2) qu'il n'y a pas d'intervention de l’effort personnel, de la volonté personnelle – ce n'est pas comme cela, c'est... oh! c'est comme de la belle musique, tu sais, qui se déploie (geste comme un rythme immense) indéfiniment. C'est extraordinaire. Et toute-toute cette tension, tout cela parti, tout à fait.

Et alors, pendant que la vision se développait, il y avait la réponse à toutes les objections possibles, basées justement sur la présence de cette nouvelle conscience qui CHANGE les choses – mais les change en les laissant les mêmes! Je ne sais pas comment expliquer.

Toute notre façon de sentir et de réagir vis-à-vis des choses n'existe pas dans cette Conscience, c'est ça qui est nouveau chez elle! C'est toujours un rythme harmonieux (même geste), et n'importe quoi! même ce qui nous paraît, à nous, dégoûtant (même geste).

Alors, on va voir.

(long silence)

Oui, la façon de voir, la façon de sentir, la façon de réagir et la façon de faire: tout à fait nouveau, et basé sur ce... on pourrait dire ce Sourire éternel, comme cela (même geste, vaste, rythmé, comme de grandes ailes). Et ça, c'est tout à fait nouveau. Quand je vois des gens que je n'ai pas vus depuis longtemps (ceux que je vois une fois par an pour leur anniversaire), quand ils viennent maintenant, c'est tout à fait différent; et imédiatement cette Conscience devient active, elle se présente entre moi et les personnes comme cela (geste comme un rempart), et puis elle commence à leur parler, à leur dire... Et moi, j'assiste. Et je ne parle pas, n'est-ce pas, je ne dis rien, je suis comme cela, mais je vois: ça commence à agir, à dire aux gens... ça leur fait des révélations extraordinaires. Des choses que je ne dirais pas, ça le leur dit (en silence naturellement). Mais ça découvre imédiatement, ça sait quelle est la difficulté de la personne et où est le point sensible sur lequel on peut appuyer pour changer. C'est étonnant.

Je vois beaucoup de monde, et je conçois que justement pendant que cette Conscience est si active, vraiment c'est utile.

(silence)

Cette Conscience est devenue – devient de plus en plus active, et ça a commencé quand le corps a perdu le sens de l’individualité séparée, de l’ego. C'est avec cela que ça a commencé. Ça paraît être la base de manifestation nécessaire.

C'est vraiment intéressant.

Cela paraît être comme la division ou la séparation – le sens de la séparation – qui est en train de s'évanouir. Ça paraît être cela. Il y a encore simplement comme une vieille habitude dans l’expression, qui ne sait plus comment dire les choses, qui est obligée de s'en retourner à la vieille manière et sent très bien que ça n'exprime pas du tout, mais ne sait pas comment faire.

Et avec toutes sortes de subtilités, de nuances qui n'étaient jamais perçues avant. Je pourrais donner des exemples, qui en eux-mêmes ne sont rien du tout, mais qui sont spontanés et constants, et sans effort. Je sais... Le «je», je ne sais pas ce que c'est que ce je; c'est ce qui parle, c'est ce qui rassemble les expériences; ce n'est pas le corps, mais c'est ce qui utilise ou travaille dans ce corps; oui, c'est la conscience qui est en train de travailler dans ce corps, mais pas comme quelque chose qui travaille SUR une autre chose: en même temps elle est identifiée au corps, mais pas liée à cette identification dans le sens que ça se sent tout à fait libre et indépendant, et pourtant c'est identique – qu'est-ce que tu peux comprendre là-dedans!... Libre, indépendant ET identique en même temps.

Quelle heure est-il? *(Mère regarde la pendule) Oh!...3

On m'a demandé un message pour l’ouverture (j'allais dire l’ouverture des jeux olympiques!) l’ouverture de la «saison des jeux». J'ai écrit cela (Mère montre une note). J'ai pensé que c'était l’occasion de leur dire quelque chose:

(Mère lit son texte à la lampe, avec beaucoup de difficulté)

«Since the beginning of this year a new consciousness is at work upon earth to prepare the men for a new creation, the superman. For this creation to be possible the substance that constitutes man's body must undergo a big change...

J'écris presque dans l’obscurité sans savoir, et une fois que c'est écrit, je ne sais plus du tout ce que j'ai dit!

«It must become more receptive to the consciousness and more plastic to its working...

Ce n'est pas moi qui ai dit cela, parce que je ne me souviens plus du tout!

«These are just the qualities that one can acquire through physical education. So, if we follow this discipline with such a result in view, we are sure to obtain the most interesting result.»4

Je ne me souvenais plus du tout.

Je crois que c'est bien de leur dire cela... Ça devient amusant, tu sais! (Mère rit)

22 mars 1969

Il y a deux jours (ce n'était pas hier, c'était avant-hier), cette Conscience m'a dit quelque chose, et puis j'ai dit: bien..., mais elle a continué à dire, à dire, à dire la même chose, jusqu'à ce que je l’écrive! Alors voilà (Mère tend une note). Et elle m'a expliqué pourquoi il y avait «nous».

«Nous nous efforcerons de faire d'Auroville le berceau du surhomme.»

Ah!... c'est une nouvelle importante! (Mère sourit) Et alors, j'ai dit: «Pourquoi nous?» – Elle a dit: «C'est parce que l’on va essayer de faire collaborer les gens qui seront à Auroville.»

Alors, quand je l’ai écrit, ça m'a laissée tranquille, mais jusqu'à ce que je l’écrive, ça revenait et ça revenait...

Et c'est de plus en plus actif. C'est actif dans les gens: quand les gens viennent me voir, tout de suite ça commence à travailler et... des fois, tout à fait amusant! Vraiment amusant. Ça dit des choses et découvre des coins... Tout à fait amusant. Mais je ne parle pas! C'est comme cela (geste d'échange intérieur).

Alors, si tu veux le mettre dans l’«Agenda»... Il ne faut pas s'en servir pour le «Bulletin», non-non! C'est pour l’Agenda simplement.

Tu ne veux pas le diffuser?

Non! Je crois qu'il vaut mieux pas!

C'est mal compris.

Oh! c'est dangereux.

Il y aurait un double danger: ceux qui ne veulent pas (les gouvernements et tout cela) essaieraient de nous coincer, et puis il y a tous ceux qui prétendraient être des surhommes imédiatement!... Les deux extrêmes.

26 mars 1969

(À propos de la traduction de deux lettres de Sri Aurobindo sur l’Ashram, que Mère veut publier dans le prochain «Bulletin».)

«Si quelqu'un, dans l’Ashram, essaie d'établir une suprématie ou une influence dominatrice sur les autres, il a tort. Car ce sera sûrement une influence vitale fausse qui entravera le travail de la Mère.

«Tout travail doit être fait sous la seule autorité de la Mère. Tout doit s'organiser selon sa libre décision. Elle doit être libre de se servir des capacités de chacun, séparément ou ensemble et suivant ce qui est le mieux pour le travail et pour le travailleur.

«Personne ne doit considérer ou traiter un autre membre de l’Ashram comme son subordonné. Si quelqu'un est à la tête d'un service, il doit considérer les autres comme ses associés ou ses aides dans le travail et il ne doit pas essayer de les dominer ni de leur imposer ses propres idées et ses fantaisies personnelles; il doit seulement veiller à l’exécution de la volonté de la Mère. Personne ne doit se considérer comme un subordonné, même s'il doit exécuter les instructions données par un autre ou faire sous la direction d'un autre le travail qu'il doit faire.

«Tous doivent essayer de travailler en harmonie et penser seulement à la meilleure façon de réussir le travail; il ne faut pas permettre aux sentiments personnels d'intervenir car c'est la cause la plus fréquente de trouble dans le travail, d'insuccès ou de désordre.

«Si vous vous souvenez toujours de cette vérité dans le travail et que vous y obéissiez, il est probable que les difficultés disparaîtront, car vos associés seront influencés par la droiture de votre attitude et travailleront sans heurts avec vous,ou, si par quelque faiblesse ou perversité de leur nature, ils créent des difficultés, les effets retomberont sur eux et vous ne sentirez aucun dérangement ni trouble.»

Sri Aurobindo, (XXV.238)
12.10.1929

«Ce qui me semble le plus important, c'est d'essayer d'expliquer comment les choses se font ici. En vérité, très peu de gens le savent et encore moins le comprennent vraiment.

«Il n'y a jamais eu, à aucun moment, un plan mental, un programme fixe ni une organisation décidée d'avance. Le tout a pris naissance, grandi et s'est développé comme un être vivant, par un mouvement de conscience (chit-tapas) continu et constamment accru et fortifié...»

Sri Aurobindo, (XXV.227)
22.8.1939

Quel est le sens de «maintained» [continu]?

C'est-à-dire que le mouvement de conscience n'a pas cessé, à aucun moment. On n'a pas fait un «mouvement de création», puis on s'est arrêté, puis on a recommencé: constamment la conscience recrée, pour ainsi dire, continue sa création; ce n'est pas une chose qui a été faite et qui se développe à partir de ce qui a été fait.

Constamment renouvelé?

«Renouvelé» donne l’impression qu'il y a eu un arrêt. Ce n'est pas cela. Ça CONTINUE à être comme cela. C'est la conscience qui travaille constamment, et non pas comme une suite de ce qui était avant, mais comme un effet de ce qu'elle perçoit à chaque instant. Dans le mouvement mental, il y a la conséquence de ce que l’on a fait avant – ce n'est pas cela, c'est la conscience qui voit CONSTAMMENT ce qui est à faire. C'est extrêmement important à comprendre, parce que c'est comme cela que ça continue à travailler – pour tout. Ce n'est pas du tout une «formation» au développement de laquelle on doive veiller: c'est la conscience qui, à chaque seconde, suit – elle suit son propre mouvement. Ça permet tout! c'est justement cela qui permet les miracles, les renversements, etc. – ça permet tout. C'est juste à l’opposé des créations humaines. Et ça a été comme cela, et ça continue à être comme cela, et ce sera toujours comme cela tant que je serai là.


Peu après

J'aurais à te parler de P.L.

Ah! j'ai reçu ta note hier.

Il y a des choses importantes... Tu sais que le pape a organisé un «Comité de Réformes» de l’Église, dont P.L. fait partie. Pendant plusieurs mois, on lui a demandé d'aller faire des «sondages» un peu partout (au Portugal, en Espagne, etc.), pour voir les réformes possibles. À la suite de ces sondages, le Comité s'est réuni à Rome avec ces Monseigneurs et cardinaux. Et là, P.L. a mis les pieds dans le plat!

Bah!... (Mère rit)

Parce que, il y a cinq ou six mois de cela, je lui avais écrit quelques réflexions que tu avais faites à propos du christianisme. Je lui avais écrit cela en le développant1 (ça m'était venu vraiment). Et alors il a sorti tout cela!

Hein! Bah! Bah!

Voilà sa lettre:

«Finalement je peux vous écrire avec le calme et tendresse qui jaillissent de mon âme vraiment tendue et branchée à Douce Mère qui m'a donné la joie spirituelle qui ne me quitte point depuis l’avoir connue.

«Ces derniers jours, la présence de Mère s'est révélée dans mon être et mes activités, plus forte, plus visible. Dans la commission de sondage, dont vous savez que je fais partie par désir du Pape, l’autre jour j'ai eu une force incoercible dans ma poitrine: je devais parler. Je savais que mes paroles seraient le scandale de la réunion. La petite voix me disait: "C'est le moment: crie ton message que Mère t'a donné: ne crains pas, Elle est avec toi. "Et j'ai parlé, dans la grande consternation des présents. "Écoutez-moi bien tous: la seule chose qui pourrait ouvrir le christianisme (n'est-ce pas, il est fermé sur lui-même, tourné vers le passé et donc immuable, non progressif: c'est le ferment de sa mort et de sa décomposition), la seule chose serait qu'il admette une force du futur..." – Satprem, est-ce que vous vous rappeliez de ces paroles? Vous me les avez transmises de Mère le 26 novembre 68, le jour où je vous ai envoyé l’article sur la crise du christianisme. Et moi de continuer: "Il y a des forces nouvelles et des faits nouveaux, quelqu'un a dit (je n'ai pas nomé Sri Aurobindo selon votre même lettre) et a parlé déjà du supramental, mais peu importe le nom, la forme et les termes (ici, je vous cite encore); si seulement le christianisme pouvait admettre, par exemple, la réincarnation du Christ ou un deuxième Christ futur, il serait sauvé, il serait en ouverture au lieu d'être en fermeture. C'est cela, le nœud de l’histoire, et on peut tourner'autour du pot', faire toutes sortes de réformes et de modernisations, ce n'est rien, c'est seulement l’apparence qu'on touche, si on ne touche pas à ce centre là... Mais bien sûr, c'est tout de suite l’hérésie! Et pourtant, c'est le seul salut de l’Église, c'est la seule chose à vraiment repenser. Tout le reste, c'est du bavardage... Nous avons tout fermé: nous sommes les'dépositaires de la foi'! Depositum Fidei! Rien à ajouter. Le Christ serait mort sans pouvoir augmenter son message? Mais nous ne sommes pas les mêmes hommes de Palestine. Nous avons limité les pouvoirs du Divin. Nous avons interdit au Christ d'avoir une expansion. Fermé et jeté la clé à la mer... "

«Le silence était dense; la stupéfaction énorme. Et moi encore: "Mais nous nous croyons les interprètes, et personne, en dehors de nous, n'a le droit de parler. Cependant, nous sommes devant le phénomène actuel de la contestation. La jeunesse nous échappe, nos formules sont vieilles, sans efficacité, nous prêchons sans conviction, nous exigeons des choses absurdes, et pour avoir la paix, nous mettons une étiquette de péché dans tous les tabous. Je sais que mon discours sera qualifié de subversif. Dans les régimes dictatoriaux ou établis, ceux qui bougent sont suspects. Nous avons eu pendant 20 siècles l’arme de l’hérésie et nous savons les atrocités faites au nom du Christ: c'était notre défense – c'était sa sagesse de garder le pouvoir. Mais si le Christ, d'un coup, apparaissait ici, devant nous, croyez-vous qu'il se reconnaîtrait? Est-ce que le Christ que nous prêchons, c'est le Christ des béatitudes? Nous, préoccupés à interdire l’ouverture. Et nous tombons dans le ridicule de la pilule. Mais de la vérité, sommes-nous aussi préoccupés?... Et pourtant, la question est de relire nos livres saints, mais de les lire sans passion, sans propres intérêts égoïstiques: St Paul a dit, il y a presque deux milles ans:'Multifariam, multisque modis olim Deus loquens in prophetis, novissime diebus istis locutus est nobis in Filio' (plusieurs fois et de différentes façons, Dieu a parlé par les prophètes, mais maintenant, dans les derniers jours, il nous a parlé par son Fils Jésus Christ...) Alors, Dieu a parlé de'différentes façons'. Je sais qu'une nouvelle lumière vient d'apparaître, une nouvelle Conscience – allons la chercher. Mais il faudra descendre de notre trône, de notre commodité. Peut-être laisser la place aux autres: supprimer la Hiérarchie; ni Pape, ni Cardinaux, ni Évêques, mais tous: chercheurs de la vérité, de la conscience, du pouvoir, du sur-naturel, du supra-humain..."

«Satprem, j'ai quitté la salle. Je suis parti... j'ai fait une promenade en pleine campagne... Que vais-je devenir? On fera contre moi un procès? On va me déclarer fou? hérétique? J'attends. J'ai hâte de venir voir Mère. Je prépare mon voyage pour Pâques... (Cela se passait le lundi 24 de février.) Jusqu'à ce jour, aucune réaction. Est-ce que le Pape a été informé? Je n'en sais rien. J'ai continué l’enquête qui m'a été confiée. Voyages et rapports. Je me sens très calme, très fort. De tout cela, je n'ai parlé à personne de mon entourage (même pas à Mgr R). Le personnage maléfique du rêve (Mgr Z) était présent, mais il n'a pas réagi non plus.

«Je vous ai écrit de Paris le mardi 4 mars: alors je vous ai seulement annoncé ma situation, mais je n'avais pas le temps de vous exposer ce que je viens de vous dire. Je suis rentré à Rome le 12: comme je vous l’ai dit, aucune réaction, aucune admonestation. Je continue simplement mon travail. Je ne vous avais pas écrit, manque de temps, et je voulais voir si ma situation changeait. Rien. Nous allons nous réunir à nouveau le 24 mars.

«Alors je suis là à attendre, très branché à Douce Mère.»

(Rome, le 18 mars 1969)

(longue concentration)

C'est bien.


ADDENDUM

(Extrait d'une lettre de Satprem à P.L., à la suite de la conversation du 2 novembre 1968 où Mère parlait de l’avenir du christianisme. Voir Agenda IX de cette date.)

26 novembre 1968

...Merci pour les photos et l’intéressant article sur la «crise de l’Église». À ce propos, Mère me disait que la seule chose qui pourrait ouvrir le Christianisme (n'est-ce pas, il est fermé sur lui-même, tourné vers le passé et donc immuable, non-progressif, c'est le germe de sa mort et de sa décomposition), la seule chose serait qu'il admette une Force du Futur. Sri Aurobindo a parlé de Supra-mental, mais peu importe la forme et les termes; si seulement le Christianisme pouvait admettre, par exemple, la réincarnation du Christ ou un deuxième Christ futur, il serait sauvé – il serait en ouverture au lieu d'être en fermeture. C'est cela, le nœud de l’histoire. Et on peut tourner «autour du pot», faire toutes sortes de réformes et de modernisations, ce n'est rien, c'est seulement l’apparence qu'on touche, si on ne touche pas à ce centre-là. Mais bien sûr, c'est tout de suite l’hérésie! Et pourtant, c'est le seul salut pour l’Église, c'est la seule chose à vraiment repenser. Tout le reste, c'est du bavardage et des replâtrages.

Votre photo de Mgr Z correspondait exactement à la vision! Maintenant, vous n'avez plus rien à craindre. Tenez-moi seulement au courant si vous voyez des changements extérieurs chez ce personnage....

Celui qui a eu la vision me charge de vous demander si, par hasard, vous ne portez pas un symbole de Mère ou quelque chose d'elle, autour du cou? Parce qu'il vous a vu avec ce symbole autour du cou... Il me disait que la basilique où la photo de ce Mgr Z a été prise, avait tout à fait la vibration d'un lieu hanté! Pauvre Église... Vous êtes bien courageux, cher P.L., et vous faites silencieusement un grand et bon travail pour le monde.

S.

29 mars 1969

Tu n'as pas reçu de nouvelles de P.L.?

Si. Tu sais qu'il devait arriver aujourd'hui. Alors il télégraphie ceci: «Impossibilité partir. Lettre suit. Situation difficile.»

Oh-oh!... J'espère qu'on ne l’a pas emprisonné.

Ils ne peuvent pas. Ils peuvent le mettre en procès d'hérésie.

Oui... «Procès d'hérésie»!...

(long silence)

C'est toi qui m'as dit que le pape avait invité un sadhou d'ici?

Oui.

Mais le pape aussi est en procès d'hérésie! Parce qu'il a dit au sadhou que la vraie spiritualité était maintenant dans l’Inde. Alors, lui aussi est un hérétique!

Mais le pape est isolé. Il a dit à ce sadhou que sa tâche était très difficile étant donné les gens qui l’entouraient. Il est isolé là-dedans. Il est entouré d'une maffia de cardinaux qui tiennent au pouvoir.

Ce que je veux dire, c'est que le pape et P.L. ont la même hérésie! alors si l’on fait un procès à P.L., c'est comme si l’on faisait un procès au pape – est-ce qu'ils oseront le faire?

Mais personne ne sait que le pape et P.L. ont quelque relation. P.L. n'a jamais pu voir le pape personnellement.

Il n'a jamais pu...

Non, jamais pu, on l’a toujours empêché. C'est une maffia... rigoureuse.

(Mère entre en transe et reste à travailler intérieurement jusqu'à la fin de l’entrevue)

Est-ce que je télégraphie ou écris quelque chose à P.L.?

Je ne sais pas.

(silence)

Si on le surveille, on va attraper son courrier. Ça peut le mettre dans l’embarras.

S'ils font quelque chose contre lui, ils ont d'innombrables moyens d'attraper sa correspondance. Il ne faudrait pas lui créer des ennuis.

Il vaut mieux attendre la lettre.

avril




2 avril 1969

(Notons que depuis l’année passée, le disciple s'était plaint de maux de tête et de maux d'yeux – qui venaient étrangement la nuit – et que Mère, dernièrement, lui a ordonné d'arrêter de lire et d'écrire pendant un mois.)

Comment sont les nuits?

Ça va.

Ce n'est pas mieux?

Si, c'est mieux.

Ah!... tu as encore mal?

Si je fais quelque chose, j'ai rapidement mal à la tête.

Mais il ne faut rien faire! (Mère rit)

Mais souvent, il y a des gens qui veulent me voir.

Moi, je ne te donne plus de travail.

Mais je regrette! Ce n'est pas fatigant, au contraire. Ce qui me fatigue, c'est de voir des gens.

Mais est-ce nécessaire que tu les voies?

Je me demande ce qu'il faut faire. Normalement, je pense que s'ils viennent, c'est qu'ils sont «envoyés»...

(Sujata, en aparté:) Pas moi.

Je ne sais pas quoi faire. Depuis longtemps, il y a toutes sortes de gens qui viennent me voir. Je me dis: «Quoi? dire non?» Ou accepter: «Puisque ça vient, j'accepte.»

Ce n'est pas toujours utile, n'est-ce pas?

Non, une fois sur cent.

C'est cela.

Tu n'as qu'à dire que tu ne voies personne.

Ils ont trouvé le truc! Ils savent que le soir, je vais me promener à la plage, alors ils viennent là.

Quels sont ces gens?

Toutes sortes, qui ont lu le livre.

Je sais que plusieurs fois, on m'a dit qu'on voudrait te voir; j'ai dit: «C'est inutile, il a autre chose à faire.»

Mais chez moi, j'ai dit «personne», parce que si je reçois chez moi, je ne peux plus travailler et je ne peux plus rien faire. Ça, c'est catégorique. Mais à la plage... ils viennent.

Tu n'as qu'à entrer en méditation à la plage, et tu n'entends rien!

Quelquefois, je le fais.

C'est ce qu'il y a de mieux. Alors tu te feras la réputation d'un grand sage! (Mère rit) et en même temps ça te reposera!

Ils sont insupportables! Moi, ici, j'en vois (Dieu sait que j'en vois!), mais il est entendu que je ne dis pas un mot, et quand ils me parlent, je n'entends rien. Alors quand ils voient qu'il n'y a pas de réponse, ils se taisent.

Il n'y a pas moyen autrement! Ils vous accablent de choses tout à fait inutiles.

Mais j'en ai vu un, hier, un Français qui s'occupe d'Auroville, qui a été très en relation avec les gens de cette nouvelle musique «pop» (tu sais, ce nouveau mouvement «musical» qui va avec les hippies). C'est le père de la petite A, née à Auroville.

Oui, je dois le voir pour sa fête.

Il est venu me voir et il m'a fait entendre cette musique.1

Comment est-ce?

C'est curieux... C'est barbare.

Barbare.

C'est barbare, mais mon impression était: barbare du nouveau monde.

(Mère rit) J'en entendrai un peu le 16 quand je le verrai.

Les gens qui composent cette musique ont des millions d'adhérents. Ce sont des gens qui ont une fortune formidable – qui ont le cinéma, la radio, la télévision, qui ont tout à leur disposition, et qui sont en pleine révolution.

Ah?

Oui, comme je te l’ai dit: les barbares du nouveau monde. Tout l’ancien monde est balayé. Vraiment, c'est le commencement de quelque chose, qui s'exprime d'une façon très barbare mais qui est quelque chose. Alors l’idée de ce garçon est d'essayer de toucher ces gens-là, de les brancher sur Auroville. Parce que, évidemment, ces gens ont des millions et des millions de suivants – ils ont un pouvoir formidable (un pouvoir sur les foules). Et ils ont quelque chose, mais barbare.

Ça m'intéresserait d'en entendre pour savoir, une fois... mais il ne m'en faut pas longtemps.

C'est ce que je lui ai dit.

Il m'en faut quelques minutes.

C'est cela. Il voulait t'en faire entendre une heure!

(Mère rit de bon cœur, silence)

Je me suis souvent demandé quelle était la vraie attitude à prendre vis-à-vis de tous ces gens qui viennent me voir...

Tu peux être en méditation. (Moqueuse) Tu te fais une réputation de sage!

Et quand je leur parle, c'est très curieux, il y a une espèce de guerrier en moi, et il y a des gens qui suscitent des réactions: j'ai envie de taper. Quelquefois, c'est très brutal, je ne sais pas pourquoi. Ça vient et ça tape. Avec d'autres, au contraire, je suis très tranquille. Il y en a qui me disent: vous êtes dur!...

Ça a toujours été comme cela? Ce n'est pas depuis cette nouvelle conscience, depuis cette année-ci?

l’année dernière aussi.

Parce que j'ai remarqué que, dans cette Conscience, il y a quelque chose comme cela: tout d'un coup, ça vient comme cela, oh! et ça a envie de taper.

Surtout quand je touche à la petitesse mentale.

(silence)

Les gens de cette musique, ce sont les mêmes qui prennent des drogues?

Oui.

Alors, ce doit être dans le vital.

Ah! c'est très vital, sans aucun doute. Mais ils ont la perception que le monde est en révolution et que l’on arrive dans un monde nouveau, et que toutes les vieilles conventions sont à balayer. Il n'y a aucun conformisme d'aucune sorte. Ils sont ouverts à tout.

Ouverts comme cela (geste horizontal), pas comme cela (geste vertical).

Non, pas comme cela, mais une certaine bonne volonté malgré tout. Ce sont eux – ou un groupe du même genre: les «Beatles» – qui sont allés voir ce Mahesh Rishi dans l’Himalaya.

Et alors?

l’idée de ce yogi était les «méditations transcendantales», et il les a fait venir pendant un mois chez lui, dans l’Himalaya. Évidemment, au bout de quinze jours, ils s'embêtaient, ils n'en pouvaient plus! Et puis le «Transcendant», c'est sans beaucoup d'ouverture pour le monde... (!) Si l’on montrait à ces gens-là, justement, ce que Sri Aurobindo a apporté, un yoga ouvert sur le monde, ça les toucherait.

Le malheur est que tous ces gens prennent leurs désirs pour des inspirations. Alors là... J'ai cette difficulté avec Auroville aussi, c'est pour cela que je leur répète à toute occasion (ils sont tous à dire qu'ils viennent à Auroville pour «être libres»), alors je leur réponds: on ne peut être libre que si l’on est uni au Seigneur Suprême; pour être uni au Seigneur Suprême, il ne faut plus avoir de désirs!

Oh! il est évident que tout cela (les désirs) était nécessaire, maison ne peut pas rester là.

(silence)

Tu n'as pas de nouvelles de P.L.?

Non.

Nous ne sommes plus tout à fait à l’époque où l’on pouvait enfermer quelqu'un... Ils peuvent lui dire qu'il est «déchu du christianisme», mais je pense qu'il s'en fiche. Peut-être pas?

Il serait touché, parce qu'il ne pourrait plus rien faire pour le catholicisme.

Ce serait dommage. Ce serait très dommage. Mais c'est le pire qui puisse lui arriver.

Il a agi avec un grand courage.

(silence)

Le jour où tu m'as dit les nouvelles de P.L., la nuit, je lui ai envoyé... (comment dire?) une «délégation spéciale de la Conscience» pour qu'elle lui fasse dire juste ce qu'il faut, comme il faut. Ce sera intéressant de savoir.2

Elle est merveilleuse, cette Conscience, elle a une façon de voir les choses! vraiment... vraiment unique. Je pourrais dire que ma vision et ma compréhension du monde, de la vie, de tout, sont tout à fait changées, dans un élargissement... – naturellement l’élargissement, j'avais travaillé tout le temps pour l’avoir, mais cet élargissement s'est trouvé plein de quelque chose de tout à fait nouveau, tout à fait. Et ce sont deux choses mélangées: l’une, c'est cette espèce de Sourire compréhensif et bienveillant qui est CONSTANT en présence de tout, même des plus imbéciles négations; et en même temps, là-dessous, sous cette bienveillance (mais «bienveillance» est un mot faible), il y a une puissance! une puissance formidable. Formidable... C'est comme si c'était gonflé de puissance. Une puissance presque concrète, je ne sais pas (Mère palpe l’air)... c'est de la lumière, mais c'est une lumière comme si on la touchait: si elle passe à travers les doigts, on la sent passer tellement c'est concret. Une lumière d'un or profond.

J'ai eu en quelques jours, deux cas de gens qui s'étaient conduits comme des serins et des imbéciles (ça arrive souvent!), mais tous les deux l’ont compris, senti et m'ont écrit en s'accusant exactement de ce qui avait été vu sous cette lumière. Alors, c'est nouveau. Il y avait une lettre hier et une aujourd'hui; l’un est Français, et l’autre est un Américain. Tous les deux s'étaient conduits absolument comme des serins imbéciles, mais d'ordinaire ils auraient excusé leur conduite avec toutes sortes de bonnes raisons, et tous les deux se sont accusés: «Je me suis conduit comme un imbécile.» C'est nouveau.

(silence)

On pourrait dire ceci: si l’on compare la conscience, non pas de l’humanité ordinaire mais la conscience supérieure de l’humanité, celle que l’on possède quand on est homme et que l’on fait effort pour se mettre en rapport avec la conscience supérieure (le rapport que l’on a avec elle), et puis cette Conscience-là, alors l’impression est que, dès que la conscience humaine voulait être en rapport avec les choses supérieures, se purifier des mouvements inférieurs, s'élargir, ça devenait... fluide, transparent, éthéré; celle-ci, avec une vision, une perception INFINIMENT SUPÉRIEURE à l’autre, est solide et concrète. Et c'est une impression... c'est tellement fort! J'ai dit au commencement que j'avais l’impression qu'elle m'entourait comme une protection (un rempart), solide; eh bien, c'est resté comme cela, cette solidité, et en même temps infiniment plus vaste, plus élevé, plus compréhensif... Et alors, oui, cette solidité. Et dans ce quelque chose que je dois appeler «bienveillance» parce que je n'ai pas de mots, là-dedans, il y a une Puissance de Compassion si extraordinaire! quelque chose qui... presque une intolérance de la souffrance – la souffrance PHYSIQUE (la souffrance morale qui provient d'une déformation morale ne l’intéresse pas beaucoup, ça lui paraît idiot), mais la souffrance tout à fait matérielle qui provient de la structure du monde matériel et de son fonctionnement, ça lui paraît inacceptable. Je ne sais pas comment exprimer cela, il y a une sorte de refus de l’admettre... Je suis en train d'observer (on est encore dans la période d'observation); il me semble, d'après les expériences que j'ai, que dans une certaine mesure au moins, ça a le pouvoir de la transformer, de l’annuler. Il y a des cas où c'est évident, mais ce n'est pas un fait constant. Je ne sais pas. C'est pour cela, par exemple, que d'après ce que j'avais vu et ce qui s'est passé, vraiment j'espérais que tes nuits deviendraient bonnes, mais... Naturellement, je suis un instrument extrêmement imparfait.

C'est beaucoup mieux.

Oui, mais... C'est cela, c'est encore dans le monde du relatif.

Les deux [états] sont comme cela (Mère superpose étroitement ses mains). Pour ce corps lui-même, il a constamment l’expérience d'un état presque miraculeux, mais il reste encore (est-ce le souvenir ou l’habitude, ou bien vraiment un mélange?), il reste encore la capacité de souffrir physiquement, matériellement. Alors, ça veut dire qu'il y a encore beaucoup à faire.

Il y a (pour moi, tout est une question de vibrations maintenant), il y a une certaine vibration, que j'ai de la peine à décrire parce qu'il n'y a pas de mots, mais qui tient, comme je l’ai dit, de la compassion (je ne sais pas comment dire, mais c'est très-très intense, ces perceptions sont très intenses), celle-là, quand elle vient, vraiment elle a un pouvoir extraordinaire, mais... ça ne paraît pas avoir la possibilité (Mère renverse brusquement deux doigts) d'un changement brusque. Dans certains cas, il y a eu des personnes qui ont été complètement... tout à fait soulagées, mais pas guéries.

Ma mère, tu l’as guérie.3

Oui, «comme cela».

Mais elle a été complètement guérie!

Ah! oui (Mère semble se souvenir), ta mère a été guérie.

Je reçois des lettres inattendues de gens avec qui je n'étais pas en correspondance, qui annoncent des guérisons. Mais moi, je parle du tout petit cercle d'ici... Pour Pavitra, ici, ça a été un miracle au dire même d'un docteur qui n'est pourtant pas croyant;4 ça a été un miracle, mais... ce n'est pas total, c'est-à-dire que c'est là avec la possibilité de recommencer. Et pourtant, Pavitra a pris l’attitude la meilleure.

C'est comme cela, n'est-ce pas, c'est presque merveilleux, et puis... C'est probablement pour que nous ne soyons pas gonflés d'orgueil et de satisfaction, pour que nous sachions à quel point il faut encore changer. Ça, quand il s'agit du physique (Mère regarde ses mains), il n'y a besoin d'aucune démonstration, c'est évident! Mais il a été dit, répété cent fois: c'est ce qui viendra en dernier. Alors...

Mais le changement intérieur est considérable – considérable. Considérable: ça a été le plus grand changement de toute mon existence au point de vue de la conscience, et j'en ai eu beaucoup et j'ai beaucoup travaillé et... rien en comparaison de ce qui s'est passé depuis le premier janvier. Au point que le corps a l’impression d'être une autre personne... Mais ça ne suffit pas.

On verra.

Mais je te veux fort et solide... Fais le grand sage, ce sera amusant!5 (Mère rit)

5 avril 1969

Maintenant, quelles sont les nouvelles de P.L.?

Il dit ceci:

Rome, 29 mars 1969

«En annulant mon billet pour Pondichéry, j'ai éprouvé un étourdissement comme quand on reçoit un fort coup sec à la tête et que l’équilibre semble être perdu... Une convocation au Vatican pour me dire de me tenir à la disposition totale du S* Père, qui me confie un très grave et difficile dossier concernant le Président de la Conférence Êpiscopale Italienne: c'est moi qui dois résoudre ce problème. Le Pape compte sur mon habileté, etc.... On m'a interrogé sur les raisons de mes propos du 24 février (le 24 mars, je n'ai pas ouvert la bouche), car une bombe venait d'éclater: deux jeunes évêques latino-américains (celui du Pérou et du Chili) quittaient l’Église – premier cas dans l’histoire, après naturellement le célèbre et unique cas (pour d'autres raisons) de Talleyrand. Ils étaient mes compagnons de cours à l’Université de Rome; ils quittent l’Église à cause d'une crise religieuse... Et pourtant, ils avaient tout ce que l’Église pouvait donner: les honneurs, l’argent: l’un, fait évêque à 33 ans; l’autre, il y a deux ans... Mes paroles, donc, du 24 février étaient prophétiques. La raison de ces fugues? Je vous l’ai dite... «.

Je n'ai pas envie de continuer à vous raconter toute la chronique de ces faits...

Mais c'est intéressant, c'est très intéressant!

«...J'ai eu la velléité de partir. Mais je me suis concentré très fort sur Douce Mère et j'ai senti sa voix qui me disait: "Reste encore...

Oui.

"... Tu viendras plus tard. Continue à être ma PAROLE où tu es...

(Mère approuve de la tête)

"... Je suis avec toi." Alors j'ai annulé mon billet.»

C'est bien.

Tiens! j'ai beaucoup-beaucoup concentré, et j'ai trouvé le pape extraordinairement réceptif – seulement emprisonné. C'est cela, n'est-ce pas, une réceptivité assez remarquable, mais... (geste sous une cloche) emprisonné pour son action. Seulement là où probablement il peut agir, il a pris confiance en P.L. C'est-à-dire qu'ils veulent utiliser ce qu'il sait au lieu d'essayer de l’étouffer. C'est adroit. Et ça peut être utile.

Tu lui as écrit déjà?

Non, j'attendais de te lire sa lettre.

Tu lui diras que c'est vrai que je suis avec lui, mais très fortement et très consciemment.

Seulement, c'est ennuyeux que cela lui ait fait cet effet (le «coup sur la tête»).

Il s'est remis après, semble-t-il, puisqu'il a compris que tu lui avais dit de rester.

Oh! ce sont eux qui lui avaient dit de ne pas venir?

On lui a dit de se tenir à la disposition totale du pape.

Oui.

La fugue des deux évêques tombait vraiment au bon moment!

C'est venu comme une preuve évidente.1:


(Puis Mère lit sa traduction de quelques passages de «Savitri», qui doivent être mis en musique. Le disciple s'aperçoit tout à coup que Mère a une légère hémorragie au coin de l’œil gauche.)

Le maître de l’existence se dissimule en nous
Et joue à cache-cache avec sa propre Force:
Dans l’instrument de la Nature flâne un Dieu secret.
l’Immanent vit dans l’homme comme dans sa maison
Il a fait de l’univers son terrain de jeu,
Un vaste gymnase pour ses tours de force...
Il est l’explorateur et le marin
D'un secret océan intérieur sans limite
Il est l’aventurier et le cosmonaute
De la géographie obscure d'une terre magique...
Ou, passant par une porte de rochers en piliers...
Il quitte les dernières terres, traverse les mers ultimes,
Il tourne vers les choses éternelles sa recherche symbolique,
La vie change pour lui ses scènes temporelles
Ses images voilant l’infinité.

(I.IV.66-70)

Ce n'est pas clair?2

Il y avait juste une voiture qui passait.

Il faut que je recommence...

Ça ne va pas te fatiguer l’œil?

Qu'est-ce qui est arrivé?

Tu as une petite tache rouge à l’œil.

Rouge? Dedans?

C'est nouveau.

Tiens, ce n'était pas là quand tu es venu?

Je ne m'en suis pas aperçu: je viens de le voir maintenant.

Je n'ai pas fait d'effort...

C'est curieux, je n'ai pas fait d'effort.

(long silence)

C'est curieux...

Douce Mère, Sujata a remarqué que chaque fois que je recevais une lettre de P.L., j'avais toujours des maux de tête après.

Ah!

Elle l’a remarqué, et effectivement c'est comme cela.

Oh!... Mais ça aussi (geste à l’œil), je ne suis pas sûre que ce ne soit pas un effet de...

Oui, je me demande s'il n'y a pas quelque chose. Mais Sujata l’a remarqué, elle m'a dit: chaque fois que vous avez une lettre de P.L., vous avez mal à la tête dans la nuit qui suit.

C'est cela. Pour l’œil aussi.

Ça, je l’avais vu; je voulais être sûre, et justement c'est la preuve. Je me suis demandé tout de suite si ce n'était pas un effet de...

Ils veulent se servir de lui.

Et ça attaque les yeux et la tête – chez moi, c'est comme cela.

Ce sont des occultistes très calés.

Alors je vais te dire: quand tu lisais la lettre (de P.L.), Sri Aurobindo était là, et il m'a dit: «Fais attention.»

Je fais toujours attention, mais probablement il a vu quells sont très calés.

(long silence)

La prochaine fois que tu recevras une lettre (ou que tu lui écris ou que tu reçois une lettre de lui), d'abord, tu invoques Sri Aurobindo et lui demandes sa protection avant de commencer.

Il faut faire attention. Voilà.

9 avril 1969

Comment ça va?

Ah! ça va mieux. Oui, depuis la dernière fois, j'ai l’impression que c'est mieux.

Ah! bon.

Moi, je crois que depuis un an, c'était cela qui me touchait [ces manigances occultes]. Parce que c'était toujours la nuit que ces maux de tête et ces maux d'yeux venaient, toujours.

La nuit... c'est dégoûtant!

Je crois que je pourrais recommencer à travailler, non?

Pas pressé.

Tu as des nouvelles?

Il y a une question dont je voudrais te parler. C'est au sujet des publications de Sri Aurobindo en France. Tu sais que l’on a envoyé «La Synthèse des Yoga» et «Le Cycle Humain».1 Les réactions de la femme qui s'occupe de ces publications n'ont pas été très bonnes. Et ce n'est pas la traduction qu'elle met en cause (elle trouve la traduction bonne): c'est Sri Aurobindo et le texte... Elle passe des jugements assez arrogants sur Sri Aurobindo, n'y comprenant rien, mais voyant tout, tout de suite. Une espèce d'arrogance...

Qu'est-ce qu'elle a lu?

La Synthèse des Yoga.

!!! (Mère rit)

Elle est très disciple du Zen, alors elle dit que le Zen dit en une phrase ce que Sri Aurobindo dit en des millions de mots. Elle dit que l’on pourrait «couper Sri Aurobindo en dix sans rien enlever à la substance», tu vois cette arrogance!2

C'est-à-dire qu'elle ne comprend rien.

Oui, elle ne comprend rien, mais elle a tout compris, bien entendu!

C'est récemment que tu as reçu cette lettre?

Il y a deux jours.

Tu n'as pas répondu?

Non.

Ne réponds pas.

J'ai envie de répondre pour lui dire... Tu sais la pensée qui m'est venue? C'est que l’on n'a pas besoin d'aller en mendiant chez tous ces gens pour leur dire que Sri Aurobindo est grand: nous n'avons qu'à le publier nous-mêmes, ici.

Mais oui! c'est ce qu'il me semble.

Ils me dégoûtent, ces intellectuels.

(Mère rit) Oh! oui.

Depuis deux jours, je suis dans un état d'indignation – pas d'indignation: je suis outragé. J'ai envie de taper sur ces gens.

(Mère rit) Ils sont idiots.

Mais je veux dire qu'il ne faut même pas écrire pour leur dire de renvoyer les manuscrits.

J'avais pensé: laisser tomber (avec une action intérieure) et ne plus rien dire. Ça agira naturellement: il y aura quelqu'un qui comprendra dans un an, deux ans... on ne sait pas. Comme cela, mettre sur le manuscrit une force qui fait qu'il sera en relation avec quelqu'un qui comprendra, qui tout d'un coup: «Ah! mais on a ça, et on ne s'en est pas servi!» Dans un an, deux ans...3 Tu comprends: fermer la porte à la personne qui a écrit la lettre, qu'elle se trouve devant une porte fermée – c'est tout, plus rien –, et puis mettre la Force sur le manuscrit, et un jour ça tombera entre les mains de quelqu'un qui comprendra.

Ces intellectuels sont terribles.

Oh! ils sont stupides.

C'est une forteresse. Une suffisance...

(Mère rit) Ils sont stupides.

D'ailleurs, c'est très visible dans l’atmosphère: dès que les gens se croient très intelligents, c'est fini, ils se coupent complètement de la vraie lumière. C'est cela. Ils deviennent self-sufficient [satisfaits], alors... (Mère rit)

Ça ne fait rien, c'est mieux comme cela: nous publierons ici.

Je lui réclame le manuscrit?

Laisse. Un jour... un jour, ça tombera dans les mains de celui qui comprendra.4


Peu après

Au Canada, il y a tout un mouvement maintenant. On vient de me demander un message pour un groupe canadien (Mère cherche une note).

À Auroville aussi, je suis tout le temps en train de leur dire deux choses (Mère fait le geste de marteler): «Ceux qui veulent être libres, il n'y a qu'une liberté, c'est d'être uni au Suprême; et pour s'unir au Suprême, il ne faut plus avoir de désirs!» Alors ils sont comme cela (Mère reste bouche bée). Très amusant!

Alors j'ai mis la même chose ici:

(le disciple lit)

«Une conscience nouvelle est à l’œuvre sur terre pour préparer la venue de l’être surhumain.

«Ouvrez-vous à cette conscience si vous aspirez à servir5 l’Œuvre Divine.

«Pour pouvoir entrer en rapport avec cette nouvelle conscience, la condition essentielle est de ne plus avoir de désirs et d'être tout à fait sincère.»

C'est cela qu'il faut leur répéter (même geste de martèlement). Je suis poussée tout le temps, tout le temps à le leur répéter.

Il y a tout le temps des petits événements tout à fait amusants, de cette Conscience, montrant pourquoi les désirs sont..., vraiment elle a l’impression que ce sont des imbécillités. Et elle montre pourquoi; elle montre au corps, par exemple, tous ces petits désirs imbéciles que le corps a, comment ça empêche la Force d'agir. Et ça, c'est très intéressant. Le corps commence à comprendre. Il commence à sentir d'une façon extrêmement précise et claire que DÈS QU'IL se sent lui-même – dès qu'il se sent lui-même et le reste par rapport à lui –, il tombe dans un trou, et que dès qu'il sent la Force qui agit – la Force qui agit, la Conscience qui agit –, alors ça (Mère touche la peau de ses mains), ça n'a qu'une réalité tout à fait, tout à fait relative... C'est comme de se servir d'un instrument pour faire quelque chose – c'est tout à fait comme cela –, mais avec l’immense avantage de pouvoir ne pas être séparé, de se sentir une sorte de condensation de la Conscience. Et le corps apprend bien, et il voit, il voit ça dans de tous petits détails, tout le temps: dès qu'il se sent comme «quelque chose», et la Force comme «autre chose», il y a une douleur ici, il y a une douleur là, il y a ça qui ne va pas, il y a ça qui se détraque... Un monde... un monde complexe et tout à fait vilain. Et alors, quand il fait une espèce de mouvement... (comment dire?), le contraire de la condensation, comme une dilatation, quelque chose comme une dilatation dans la conscience, alors les limites s'atténuent, s'effacent, et ça devient souple, et puis les douleurs s'en vont... physiquement.

C'est une expérience qui lui est donnée jour après jour, tantôt un endroit, tantôt un autre, tantôt une chose, tantôt une autre, et il passe à travers tout cela. Tu sais, c'est... c'est absolument merveilleux.

Il y a toute la vieille habitude, simplement, qui est à vaincre. Toute la vieille habitude qui, dès qu'il y a un relâchement, fait comme cela (geste de retombement): c'est comme un caoutchouc qu'on laisse aller, et ça recommence; alors on a mal, on a... Et dès qu'il s'identifie à cette Vibration, alors ça devient comme une expression... radiante, n'est-ce pas, de la Conscience, et alors tout est smooth (je ne sais pas comment dire), c'est sans heurts, sans difficultés; et alors, si on se laisse aller comme cela, ça devient une merveille. Ça devient une merveille. Malheureusement, il y a toute l’influence du monde extérieur qui fait qu'il a de la difficulté à être tout le temps comme cela, qu'il a tendance à retomber dans la manière habituelle. C'est pour cela que ça ne peut pas s'installer d'une façon définitive.

Le corps devient conscient comme s'il avait une vision de vérité pour voir tout le mensonge précédent. Tout ce qu'il a fait, même quand l’être intérieur savait et qu'il y avait la conscience qui s'éclairait et une bonne volonté générale... toutes ces imbécillités à cause de ce sens d'une personnalité séparée, tout cela devient clair, devient très clair, et alors la vision qui commence. Et pendant qu'il est dans cet état où la vision est claire, tout devient simplement merveilleux – mais ça ne peut pas durer. Ça ne peut pas durer surtout à cause du contact constant... (geste autour de Mère). Mais même sans contact, par exemple dans la nuit, il peut rester une heure, deux heures dans cet état, et puis tout d'un coup, on ne sait pas ce qui arrive: ah! il retombe dans la vieille manière, alors... Alors on a mal ici, on a mal là, on est mal à l’aise, oh!... dégoûté. Et puis simplement, quand on remonte et que toutes ces divisions disparaissent, alors c'est si clair! si clair, si transparent, et si simple! si simple!...

La vie pourrait être si merveilleusement simple et belle... Vraiment, l’homme l’a rendue imbécile.

Je comprends très bien que c'était nécessaire pour triturer la matière, mais... le moment est venu pour que ce soit fini, qu'on se sorte de là.

Et l’impression, c'est que la forme visible est autant (au moins autant) le résultat de comment on est vu par les autres, au moins autant que de comment on est soi-même... Je ne sais pas comment expliquer cela. Mais il y a une manière d'être qui est produite par la vraie conscience, qui est sentie d'une façon tout à fait concrète, mais qui est comme... pas positivement en contradiction mais tout à fait différente de comment on se voit de la manière dont les autres vous voient... Les yeux commencent à voir de deux manières. La vieille manière est en partie voilée par la nouvelle manière, et quand quelqu'un d'autre vous voit, on se voit de la manière dont les autres vous voient... C'est difficile à expliquer.

Et c'est pour cela qu'il y a quelque chose à trouver pour que ce soit indépendant de l’influence de tout le monde.

Par exemple, la nuit, le corps est plus grand et il est actif, il fait des choses (c'est ce corps subtil qui fait des choses, qui est actif, qui a une existence dont il est tout à fait conscient), et il est différent de ça (Mère touche la peau de ses mains), mais c'est un corps qui est physique dans le physique subtil, et c'est déjà une chose permanente, dans le sens que l’on reste comme cela, on retrouve les choses comme on les a laissées (elles existent d'une façon permanente, mais elles ne sont pas visibles avec la vision ordinaire, mais elles ont une existence logique et continue), eh bien, là, la forme est l’expression vraie – l’expression vraie de l’état de conscience; tandis qu'ici, la forme est le résultat de... (Mère rit) on pourrait dire de tout le mensonge répandu dans la conscience.

Les gens qui me voient la nuit (ceux qui ont cette vision dans le monde subtil), ne me voient pas comme cela (Mère désigne son corps): ils me voient comme je suis, et ils le disent – ils disent: «Ah! mais vous êtes comme ceci, comme cela...»

Mais pour que l’un prenne la place de l’autre...?

Et cette Conscience sait expliquer merveilleusement (pas avec des mots: en vous faisant avoir des expériences l’une à côté de l’autre). Par exemple, beaucoup de gens disent qu'ils ne peuvent pas réaliser la différence entre une aspiration, un effort spirituel, et un désir; pour eux, dans la sensation, c'est difficile à séparer; cette Conscience explique cela, vous montre, vous donne l’un et l’autre et la différence – merveilleux! merveilleux d'exactitude. Maintenant, le corps SAIT, sait parfaitement quelle est la différence – et c'est une différence formidable – entre l’aspiration ou l’effort, la vibration qui vous fait devenir une chose ou obtenir une chose, et puis le désir. Maintenant, le corps sait. Il sait. Il a eu cette démonstration dans tous les détails avec la nourriture... Il y a très longtemps que le corps est très indifférent à la nourriture (probablement c'est pour cela), mais ça lui a été démontré avec une chose, la façon d'être en relation avec cette chose; on lui a montré comment est le désir et comment est l’harmonie qui fait que la chose est bienfaisante; elle lui a montré aussi, pour qu'il comprenne bien, à quel point l’indifférence totale n'est pas bonne non plus – ce n'est pas comme cela, ce n'est ni le désir ni l’indifférence totale, ni ceci ni cela, mais c'est comme cela (du bout du doigt, Mère semble suivre une minuscule vibration): d'une certaine façon, avec une certaine vibration, la chose que l’on prend est neutre (c'est-à-dire qu'elle ne peut pas vous faire de mal, elle est neutre); cette même chose, si vous la prenez avec une certaine vibration, elle est bienfaisante; et alors: montrant comment les vibrations du désir sont funestes – tout cela, en détail. De toutes petites choses, mais si claires, si précises!... pendant que l’on est en train de manger, alors c'est tout à fait concret.

C'est un mentor, cette Conscience. Elle sait, mon petit! elle sait des tas de choses que les hommes ne savent pas!

Tout ce qui se passe dans les gens, leurs réactions, les mouvements. Et puis c'est en rapport avec les oiseaux, c'est en rapport avec les fleurs – ils répondent, les oiseaux répondent très bien... Vraiment, c'est intéressant, on pourrait écrire des choses très intéressantes, mais il y en a de trop!

(silence)

Les nuits sont meilleures?

Oui-oui! douce Mère.

Tu t'endors dans cette Conscience – tu l’appelles, tu l’appelles... (Mère fait le geste de s'envelopper dedans), c'est très confortable, oh!... C'est une espèce de douceur dorée – c'est très confortable – que le corps sent très bien.


ADDENDUM

(Nous publions ici, tout de même, la lettre que nous avons adressée à la lectrice de chez Fayard, car il nous semble qu'elle touche, ou touchait, à une difficulté très centrale pour l’intelligence occidentale. Depuis 1969, les choses ont beaucoup changé.)

27 mars 1969

J'avais senti votre réaction. Elle ne me surprend pas. C'est justement l’une des difficultés générales qu'il faut vaincre. Peut-être est-ce la plus solide (elle semble surtout localisée en France): la difficulté intellectuelle. C'est vraiment un voile qui bouche la vue et vous fait lire, ou comprendre, les choses sur une étendue très mince. On dirait presque que les gens regardent à travers une fente et ils saisissent une minuscule minceur brillante, et tout le reste leur échappe: les montagnes sont décapitées, les abîmes bouchés – reste une ligne «pure». Et si d'aventure, on veut leur ouvrir la vue plus large, la ligne de vision se perd dans les «vapeurs» ou les «moiteurs» dont vous parlez. C'est un curieux phénomène... Je ne sais pas si vous avez confiance en moi, mais moi, je vous dis que chaque phrase de Sri Aurobindo est l’expression ou la traduction d'une expérience précise, et que non seulement elle est comme un monde renfermé en quelques mots, mais qu'elle contient la vibration de l’expérience, presque la qualité de lumière du monde particulier qu'il touche, et qu'à travers les mots, on touche, et peut toucher très bien, l’expérience. Je vous le dis, Sri Aurobindo est plein de merveilles – des merveilles pures – et j'en découvre chaque fois que je relis ses textes, je me dis: ah! comme il avait bien vu ça! Et si, par hasard, il y a un flou, je suis sûr qu'il y a là encore une découverte à faire. Sri Aurobindo n'a jamais employé un mot de trop. Dès qu'il arrive à l’évidence mentale – ce qui justement, pour vous, serait le point de départ d'un brillant développement –, il coupe. Il sourit, il vous laisse pendu en l’air – oh! il est d'une surprenante «discrétion», comme vous le dites vous-même, pour un homme qui a écrit des milliers de pages!

Vous n'êtes pas entrée dans Sri Aurobindo; et je comprends très bien, par contre, que les intellectuels entrent si bien dans le Zen! Mais je ne veux pas comparer les mérites. Avec Sri Aurobindo, je me contente de voir et de sourire... Vous avez «mieux compris» mon livre, il vous a apporté «plus que Sri Aurobindo», dites-vous – mais oui! cela ne me surprend pas, hélas: je suis entré simplement dans les «évidences mentales» qu'il négligeait, je suis descendu d'un certain nombre de degrés en dessous; les «lignes de forces» que vous avez senties sont simplement des petites ficelles que j'ai tendues ça et là pour tenter de raccrocher les gens aux vraies lignes de forces qui semblent leur échapper complètement, parce qu'ils voient et sentent juste au niveau de la fente mentale. Mais je vous dis, je vous répète, si vous avez la moindre confiance en moi, que Sri Aurobindo est un formidable géant et qu'il n'est pas un mot de lui qui n'ait un sens plein... Il y a quelque temps, j'ai voulu faire entendre de la musique de génie à quelqu'un qui est très mélomane (un Occidental, pétri comme moi de vraie musique, formé dans la musique, amoureux de la musique), et c'est en effet de la musique de génie, composée par un Indien; eh bien, ce pauvre garçon n'y a rien compris! il n'entendait pas! Sa fente musicale était juste ouverte à un certain niveau, et littéralement il n'entendait pas ce qui était au-dessus – une vraie merveille, des courants de musique immenses qui jaillissaient tout droit de l’Origine de la Musique!6 Pour lui, ça n'avait pas de «structure», c'était de la musique «informe» – et moi, je voyais, je voyais cette merveille, je savais d'où elle sortait, je touchais ce monde-là, et dès qu'il y avait le moindre fléchissement dans cette haute tension musicale, je sentais tout de suite que ça venait toucher plus bas, un autre centre... C'était la même chose en Egypte. J'ai vécu dans un état extatique en Haute Egypte, pendant des semaines, et j'étais avec des gens qui regardaient des «ruines», qui voyaient de belles «statues» – mais pour moi, ces «statues» étaient vivantes, ces lieux me parlaient, ces ruines soi-disant étaient pleines d'une vie débordante...

Alors que faire?

Sri Aurobindo a dit ou laissé entendre souvent qu'écrire, pour lui, était une sorte de concession qu'il faisait au monde mental, mais qu'il aurait pu fort bien se passer d'écrire et qu'en fait, sa vraie Action se passait dans le silence. Sri Aurobindo n'était pas un écrivain, c'était un ferment évolutif, une formidable Force de propulsion, comme la Mère. Alors, on peut se dire que ses livres, même s'ils sont mal compris, ou incompris, servent de véhicule à cette Force, et qu'il faut «y aller», publier malgré tout, jusqu'au jour où cette fameuse fente mentale s'ouvrira, et les gens ouvriront la bouche. l’Œuvre s'accomplit en dépit des incompréhensions mentales, et même en dépit des «compréhensions» mentales! C'est seulement dommage que les gens ne voient pas la beauté du Jeu et n'y participent pas consciemment.

Je crois qu'il faut avoir définitivement senti que toutes les compréhensions mentales, toutes les illuminations mentales, et naturellement toutes les explications mentales, ne valent rien ou sont insuffisantes, avant de commencer à entrer dans le grand Royaume... Voilà plus de dix ans que je n'ai pas lu un livre, mais si l’on me met un livre entre les mains, je sais imédiatement à quel niveau sa vibration se situe. Pour voir clair, il faut en sortir, c'est évident. De même pour le petit individu – alors vous appelez «sainteté» le renoncement à l’individu?! Mais c'est tout juste le commencement de l’Humanité! Est-ce qu'on «renonce» à une termitière? – On en sort! Et c'est large et c'est joyeux. Nous sommes en pleine enfance humaine.

S.

12 avril 1969

(Mère commence par lire quelques fragments de «Savitri» qui doivent être mis en musique.)

Dans la Matière s'allumera la radiance de l’esprit,...
Peu d'êtres verront ce que nul encore ne comprend;
Dieu grandira tandis que les hommes sages parleront et dormiront;
Car l’homme ne connaîtra la venue qu'à son heure
Et la foi ne viendra que lorsque le travail sera fait.


Cette transfiguration est due au ciel par la terre,
Une dette mutuelle lie l’homme au Suprême:
Sa nature, nous devons revêtir, comme il revêt la nôtre;
Nous sommes les fils de Dieu et devons être semblables à lui:
Sa portion humaine, nous devons la rendre divine.
Notre vie est un paradoxe avec Dieu pour clef.


Mais personne ne sait vers quoi il navigue à travers l’inconnu
Ni quelle mission secrète la grande Mère lui a donnée.
Dans la force cachée de Son omnipotente Volonté
Guidé par Son souffle dans les profonds remous de la vie,
À travers les grondements du tonnerre et à travers le silence sans vent,
À travers le brouillard et la brume où plus rien n'est visible,
II porte, scellés dans sa poitrine, les ordres qu'Elle lui a donnés.


Un pouvoir est sur lui venant de sa force occulte à elle
Qui le lie au destin de sa propre création,
Et jamais le puissant voyageur ne pourra se reposer
Et jamais le voyage mystique ne pourra cesser
Avant que l’obscurité de l’inconscient ne soit soulevée de l’âme humaine
Et que le matin de Dieu n'ait conquis sa nuit.


Cette volonté constante, elle la voilait de son jeu
Pour évoquer une personne dans le Vide impersonnel,
Frapper de la Lumière de Vérité les massives racines de transe de la terre,
Éveiller un moi muet dans les profondeurs inconscientes
Et réveiller un pouvoir perdu de son sommeil de python
Afin que les yeux de l’Intemporel puissent voir à travers le Temps
Et que le monde manifeste le Divin sans voile.
Pour cela, il quitta sa blanche infinité
Et déposa sur l’Esprit le fardeau de la chair,
Pour que la semence divine puisse fleurir dans l’Espace irréfléchi.

Savitri, I.IV.55-73


Peu après

Si cela t'intéresse, il y a un rêve qui a été fait par le petit K [neuf ans et demi], le fils de J1... Veux-tu que je te le lise? Ça concerne le pape!

Tiens!

C'est assez curieux parce qu'il n'est au courant de rien, cet enfant. Il a fait un rêve qui a été noté par sa mère:

«Nous allons voir le pape, il y a beaucoup de monde, maman me place le deuxième dans la file et nous nous approchons du pape... Il donne à maman quelques hosties dans un mouchoir, il demande ensuite à son serviteur d'apporter une aube de toutes les couleurs, semblable à la sienne, et K voit sur la poitrine du pape le symbole de Douce Mère, et derrière, une croix grecque (à deux branches égales). Le domestique apporte l’aube, et le pape la met à K, Tout le monde est parti. K entend la voix de P.L., mais il ne voit qu'un petit ami de l’Ashram. Ils retournent à la maison, et au moment d'entrer, les deux domestiques du pape arrivent; K pense: "Il faut que je sois très attentif maintenant que je vais être pape à mon tour; mon entourage et chaque personne que je rencontre sont importants. Ces hommes viennent peut-être me nuire par jalousie." Maman ouvre la porte et K voit qu'un serviteur du pape est déjà dans la pièce. K rentre, caresse son chien et se réveille.»

(Après un long silence) Tu es sûr qu'il n'a entendu parler de rien?

Il ne sait rien du tout, cet enfant.

C'est curieux.

Tu ne sais pas si l’enfant a jamais vu le pape?

Je ne sais pas. Je ne crois pas.2

Tu ne crois pas...

C'est intéressant.

Ce petit a un destin, mais c'est pour dans des années... Qu'est-ce qui se passera d'ici là, je ne sais pas.

(long silence)

Cette Conscience est en train de montrer au corps, de lui faire... non pas comprendre, mais sentir (Mère palpe l’air)... ce n'est ni sentir ni comprendre: c'est devenir conscient des vibrations qui appartiennent (comment dire? on pourrait dire «à la destruction»), qui appartiennent au processus de destruction dans le monde, et les vibrations qui appartiennent au processus du progrès sans destruction.

Ce sont des expériences qui durent plusieurs heures tous les jours, qui vous font sentir, percevoir les deux comme cela, avec une distinction très claire, très claire, dans ce que les gens font, dans ce que les gens disent, dans la relation avec les événements, et puis les différents états de conscience (tout se passe dans la conscience, n'est-ce pas, ce n'est pas une pensée du tout, ce n'est pas formulé, je ne sais pas comment expliquer). Et aussi, elle enseigne l’action dans le silence – à distance et dans la présence. Toutes sortes de choses; tout le temps, tout le temps à enseigner quelque chose. Et pas formulé, il n'y a aucune formule, ce ne sont pas des pensées: ce sont des états de conscience. Et c'est la relation entre les différents états de conscience: comment ils s'imbriquent les uns dans les autres, comment ça se mélange, comment ça peut se séparer, comment... Ça ne peut pas s'expliquer: ça peut se vivre (ça apprend au corps à vivre), mais ça ne peut pas s'expliquer. Pour tout – pour tout, toutes les activités.

Dès que l’on essaie de formuler, vient cet élément mental dedans. Ce n'est plus ça.

Très-très actif. Et c'est tout le temps une activité comme cela, de démonstration, d'enseignement – dans l’action, dans la vie (pas mental, pas dans la pensée). Et dès que, par exemple, la parole vient, ça enlève de la vérité de la chose, je ne sais pas... Ça en fait comme de la littérature.

On ne peut rien dire.

(silence)

À propos de cette relation avec le monde chrétien (on saura, mais...), il y a une impression maintenant qu'ils veulent se servir de cette Connaissance pour l’utiliser. Au lieu du rejet, ils ont choisi l’utilisation.

C'est mieux – c'est mieux comme cela.

(long silence)

Oh! c'était si intéressant, ce matin! si intéressant! la différence entre les vibrations qui font le progrès sans avoir besoin de la dissolution, et les vibrations qui appartiennent à la vieille méthode de dissolution. Et alors, tout le temps, tout le temps, pour toute chose – tout le temps, toute chose. Et comment ça s'imbrique, comment ça peut se séparer... tout à fait intéressant.

Dès que c'est expliqué, c'est fini, ce n'est pas ça – ce n'est pas ça, c'est l’essence même de la chose qui est perdue.

Ce ne sont rien que des mouvements de conscience.

16 avril 1969

(Mère écoute de la musique «pop» qui lui est présentée par François B, un visiteur enthousiaste. l’enregistrement commence avec la «musique». Puis Mère parle.)

C'est très amusant! (Mère rit)

C'est le plein vital en révolte contre le mental, mais c'est magnifique! Ils rejettent tout le mental. C'est intéressant, très intéressant!

On a l’impression que s'ils poussaient un petit peu plus loin (geste de percée en haut), ils attraperaient quelque chose.

(François B:) Mère, certains groupes ont poussé beaucoup plus loin. Eux [les «Rolling Stones»), c'est le plus vital de tous les groupes. Mais il y en a d'autres qui sont plus ouverts, moins brutaux. Ils sont vraiment prêts à vous reconnaître, mais ils ne savent pas.

C'est évidemment un rejet total de toutes les règles mentales, et ça, c'est le premier pas nécessaire pour pouvoir passer au-delà. Et il y a deux ou trois minutes où, tout d'un coup, hop! (geste de percée) on sent que ça touche quelque chose qui est au-dessus.

Il y a autre chose?

(F.B:) Beaucoup!

(Riant) Vous pouvez m'en donner encore un ou deux!

(«musique»)

(Mère rit, très amusée) Ça me fait l’effet d'une bande d'enfants délivrés de tout joug mental! C'est très amusant.

Ça va.

(F.B:) Je voudrais vous faire entendre encore autre chose, une autre forme. Mais de la même génération. Quelque chose de plus doux.

Bon... Mais c'est très amusant! Il y a, derrière ça, la forme mentale qui ressemble au je-m'en-fichisme du Sourire perpétuel! C'est curieux!... N'est-ce pas: ce qui sourit à toute la vie et à toutes ses formes, mais comme vu et senti par des enfants.

(«musique» d'un genre plus sobre)

Ils sont plus anxieux, ceux-là!

(F.B:) Encore un, voulez-vous?

Je crois que ça suffit! (Mère rit)

(F.B:) Il y a un groupe qui chante quelque chose d'assez humoristique et, à la fin, ils disent: «O Mother, tell me more, tell me more...» [O Mère, dis-m'en plus, dis-m'en plus.] C'est fantastique! parce que c'est une inspiration tellement pure, et ils demandent vraiment: «O Mother, tell me more...»

(Mère rit)

Et ce sont des choses «commerciales», je veux dire que ces choses-là sont dans le public... Croyez-vous qu'il soit temps de les contacter?

(Mère n'a pas entendu la question)

C'est une porte ouverte. Il faut traverser la porte et aller dans l’avenir (geste de percée en haut), vers... ce qui n'est pas encore manifesté.

(F.B:) Peut-être peut-on tes aider?

Ça ouvre beaucoup de portes. Toutes les habitudes, toute la civilisation passée est enfermée comme dans un mur par les règles mentales; cette musique-là (geste d'éclatement), ça les envoie promener! Ça fait l’impression d'une bande d'enfants qui crient pour avoir quelque chose – et la porte ouverte.

Il faut traverser, il faut aller plus loin – il y a des possibilités maintenant qui n'étaient pas là avant, et ça (les gens de cette musique), c'est justement tout ce qui veut s'ouvrir pour pouvoir recevoir ces possibilités. Alors il faut que quelques-uns en avant passent les premiers et reçoivent ce qui est de l’autre côté.

Voilà.

C'est bien.

(Satprem:) Il voudrait les mettre en contact avec l’Ashram...?

Ils ne sont pas tous prêts.

(F.B:) Mère, je ne veux pas leur demander de venir...

Non.

... Mais je veux leur dire que, ici, il se passe quelque chose qui est en relation avec ce qu'ils n'ont pas.

Oui. (Riant) Ils ont cassé les murs pour passer de l’autre côté! C'est vrai.

(F.B:) Mais c'est le problème, Mère, de toute cette génération...

Oui.

(F.B:) Et je crois que l’on peut, peut-être, leur donner l’information que l’on a. Au moins leur montrer, leur donner à lire des choses...

Lire, c'est trop mental encore!

Mais aussi, on peut, si vous pensez que c'est possible, former un petit groupe, ou peut-être un seul individu, ou deux ou trois, pour aller les voir.

C'est cela.

Et leur parler avec leur langage, mais leur montrer qu'il y a autre chose.

Oui, c'est cela.

Mère, je suis – j'étais – profondément dans ce monde «pop», et pour venir ici, il n'a fallu que... décider de venir. Et tout ce que j'ai pu voir ou apprendre depuis que je suis ici sont des grandes joies et des confirmations de l’aspiration que j'avais avant. Mais il y en a beaucoup comme moi, et qui tournent et qui se révoltent...

Oui.

Et si on leur dit: «Il y a ça», ils sont prêts à changer complètement leur action...

Bien.

Et à devenir très purs et très dévots.

C'est bien. Alors il faut que tu prennes cette mission.

(Mère pose sa main sur la tête de F.B.)

C'est bien.

Je ferai tout ce que je pourrai.

Tiens (s'adressant à Satprem), tu sais, j'ai demandé à la Conscience ce qu'il fallait pour qu'on la reçoive sans qu'elle soit déformée, et alors elle m'a répondu (Mère lit une note):

«Il faut pouvoir se tenir dans la lumière de la Conscience Suprême sans faire d'ombre.»

(Satprem:) Sans faire une ombre, oui.

C'est ça qu'elle a répondu.

*(F.B:) C'est-à-dire s'oublier totalement?**

(Satprem:) Être tout à fait transparent.

Mais ça, c'est tout là-haut! (Mère rit)

(À Satprem:) Il va partir à Bombay faire du bon travail.

(F.B:) J'espère.

C'est très intéressant (Mère désigne sa note): il y avait l’expérience de la Conscience, la lumière de la Conscience...

Bon, voilà (Mère tend un paquet de «bénédictions» à François B), c'est pour garder dans la poche, toujours. C'est un moyen de communication, dans le sens que si tu tiens ça et que tu te concentres, je SAIS – et je réponds. Voilà.

(Pendant tout ce temps, la femme de F.B et son bébé de quarante jours sont restés sagement dans un coin. Mère regarde le bébé.)

Oh! il ne faut pas réveiller ça!... Adorable! regarde-moi ça si c'est joli...

(le bébé bouge les doigts, ils sortent)

(À Satprem:) Tu veux de la «patience»?

Oui, douce Mère!

(Mère tend une guirlande de fleurs, puis enchaîne)

Ils refusent le contrôle ordinaire, ça absolument, et il y en a qui sont dans le plein plaisir de tout bouleverser, mais on sent que, de temps en temps, il y a quelque chose qui... (geste de percée): «Ah! je voudrais... je voudrais autre chose.» Et ça, ce sera prêt à recevoir, justement la nouvelle conscience.

Ce garçon est gentil, il a de l’étoffe.

Il paraît qu'il a rencontré Y et il a été subjugué par ses «idées» (!) Et R était très inquiet. Alors je lui ai dit: «Ça ne fait rien!» C'est

pour cela que je l’ai encouragé à s'en aller à Bombay, pour qu'il puisse se libérer de ça (Y). Il parlait tout le temps de «equals one... equals one...»1 Ils sont sans défense mentalement.

Oui, il y en a beaucoup comme cela, qui sont «subjugués»... par rien.

Oui.

Mais c'est une porte ouverte, vraiment.

C'était magnifique, ça, mon petit (Mère désigne sa note), c'est-à-dire qu'elle travaille-travaille-travaille... elle travaille: elle enseigne – nuit et jour, elle enseigne au corps. À ce point de vue, c'est merveilleux. Et elle va comme cela (geste qui se promène partout). Et alors, naturellement, il y a des gens qui s'imaginent que toutes leurs fantaisies sont le résultat de cette Conscience...

Un jour, je recevais quelqu'un ici (en fait, c'était R), et alors le corps demandait comme cela, à cette Conscience, demandait: «Comment? comment contrôler pour qu'il n'y ait pas de mélange de tous les mouvements inférieurs avec cette lumière-là?» Et alors (j'étais assise ici), il est descendu comme une colonne, large comme cela (geste de lm 50 de large), là *(geste devant Mère)*, comme une colonne de lumière. Mais c'est descendu dans LA chambre, mon petit! Je n'étais pas «ailleurs»: j'étais ici. Au point qu'avec les yeux, je voyais. Une lumière... indéfinissable, éblouissante, mais... je ne sais pas... si tranquille! Je ne peux pas dire, je ne sais pas comment expliquer... si stable, si tranquille. Éblouissante. Et ça n'avait pas de vibrations. Et la couleur... indéfinissable, dans le sens que ce n'était ni blanc ni doré ni... mais c'était... c'était comme si TOUT était là. On ne peut pas décrire. Merveilleux. Et puis alors, cette Conscience a pris ma conscience, elle a fait comme cela (geste tournant qui part de Mère à gauche, passe à travers cette colonne de lumière, puis revient à Mère à droite)... Je l’ai sentie (cette colonne de lumière au moment où la conscience de Mère est passée à travers). Je l’ai sentie, mais je n'ai rien vu (pas d'ombre). Je n'ai rien vu, j'ai vu seulement comme un petit mouvement, mais... C'était comme un petit mouvement, mais c'était de la même lumière.2 Et puis ça a passé à travers la colonne, puis c'est rentré (dans Mère). Et alors, ça a pris la conscience de R (même geste tournant qui part de R, fait passer sa conscience à travers la colonne de lumière, puis revient à R), ça a passé, et alors il y avait un «outline» (au passage dans la lumière)*, comme un contour – un contour –, et à la place de la tête, c'était bleu, c'était devenu bleu (l’ombre dans la lumière); R faisait comme cela: un contour. Et puis elle m'a dit quelque chose (pas avec des mots, mais ça s'est traduit en mots imédiatement, comme cela, en anglais):

«When you stand in the light of the Supreme Consciousness you must not make a shadow.»3

Et alors, avec cette expérience, c'était tellement réel et intense!... Elle a dit: «Ça, c'est la condition – c'est la condition.» Et puis, une demi-heure après, elle m'a dit cela en français: ça s'est traduit en français.

J'ai donné le texte à cette personne. Ça ne peut pas être publié comme cela parce qu'il faut toute une explication (et je crois qu'il vaut mieux ne pas le publier, je ne sais pas). Il faut toute une explication. Ou alors, on pourrait mettre:

«Pour pouvoir recevoir la nouvelle conscience sans la déformer...

Puis le texte:

«...Il faut pouvoir se tenir dans la lumière de la Conscience Suprême sans faire d'ombre.»

Les mots... quand on n'a pas eu l’expérience, les mots sont... ils n'ont pas ce que l’expérience a donné: cette puissance. C'était tellement intense, n'est-ce pas! Depuis, le corps est tout le temps à «penser» ça: «Pas faire une ombre, pas faire une ombre...» Et la transformation de la conscience du corps est en train de se faire avec une rapidité formidable.

Mais j'avais les yeux ouverts, je n'étais pas en transe, j'étais en train de parler à R. Je l’ai vue comme cela: elle a pris ma conscience... (même geste tournant).

Ça t'a enveloppé, ou quoi?

Non: c'était en face de moi (cette colonne de lumière), comme cela, entre moi et R. En face de moi, une couche, comme une couche. Entre moi et la fenêtre. Et alors, c'était comme si ma conscience était prise et passait dedans (même geste). Et puis je regardais et je ne voyais rien (pas d'ombre, pas de trace), mais je sentais, je sentais. Il y a eu un petit frémissement (au passage). Et puis, pour faire la démonstration, elle a pris la conscience de R et l’a fait passer dedans; et alors, il y avait le contour comme cela, avec la tête: le contour, on voyait le contour, c'était devenu un peu gris dans l’ensemble, mais pas foncé du tout; et à l’endroit de la tête, c'était plus bleu; c'était bleu, c'était opaque: la tête, la forme de la tête comme cela, un contour. Alors j'ai compris tout à fait ce que cela voulait dire: «When you stand in the light of the Supreme Consciousness, you must not make a shadow.» [Quand on se tient dans la lumière de la Conscience Suprême, il ne faut pas faire d'ombre.]

Et c'était une expérience donnée AU CORPS – je te dis, les yeux étaient ouverts; j'ai senti la conscience... (même geste tournant). On ne peut pas décrire, exprimer.

Depuis ce moment-là, le corps est plein d'une intensité de vibration, d'aspiration, de... Et une volonté formidable de se débarrasser de tout mensonge possible, tout-tout-tout.

(silence)

C'est resté longtemps. C'est resté au moins un quart d'heure, longtemps; et j'avais envie de faire comme cela (Mère se frotte les yeux comme si elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait). C'est la première fois que le corps physique a une expérience comme cela, les yeux grands ouverts. Et je l’ai vue descendre-descendre, comme cela, et s'installer et rester là. Et alors, c'était comme si toutes les cellules avaient soif-soif-soif de ça – c'était merveilleux! inexprimable.

Pas d'ombre, c'est-à-dire pas d'ego.

Oui, justement, c'est cela. Ça veut dire pas d'ego.

(silence)

Et j'ai compris. J'ai compris à quel point ça a été une grâce – vraiment une grâce merveilleuse – de m'enlever mon mental et mon vital. Naturellement, c'est parce que le psychique était tout à fait en possession du corps que cela pouvait se faire, autrement... (Mère rit, montrant que, autrement, elle aurait complètement décroché de son corps). C'est-à-dire que ce n'est pas un procédé à recommander, mais c'était très radical. Mais ça a été merveilleux. Et j'ai retrouvé dans «Savitri» quelque chose... quelque chose dans le Ve Chant (je l’ai traduit hier et je l’ai gardé pour te le montrer)... Voilà:

(Mère prend un rouleau de feuilles et lit)

This knowledge first he had of time-born men,
Admitted through a curtain of bright mind
That hangs between our thought and absolute sight,
He found the occult cave, the mystic door
Near to the well of vision in the soul,
And entered where the Wings of Glory brood
In the sunlit space where all is for ever known.

(Savitri, I.V.74)

(le disciple lit la traduction de Mère)

D'abord, il eut cette connaissance des hommes nés dans le temps.
Admis à travers le rideau d'un mental brillant
Qui est suspendu entre notre pensée et la vision absolue,
Il trouva la cave occulte, la porte mystique
Près du puits de vision dans l’âme,
Et entra là où les Ailes de Gloire couvent
Dans l’espace ensoleillé où tout est pour toujours connu.

Pas fameux, la traduction!

Si, douce Mère.

C'est ce que j'ai trouvé de mieux, mais ce n'est pas fameux.

(silence, Mère regarde une autre feuille)

Mais il y a un endroit où il dit:

He shore the cord of mind that ties the earth-heart
And cast away the yoke of Matter’s law.
The body's rules bound not the spirit's powers ....

(I.V.74)

[Il trancha la corde du mental qui lie le cœur de la terre
Et rejeta le joug de la loi de la Matière.
Les règles du corps ne liaient plus le pouvoir de l’esprit...]

N'est-ce pas, il dit que les battements du cœur s'arrêtent...

(Mère cherche, le disciple lit)

When life had stopped its beats, death broke not in...
[Quand la vie arrêta ses battements, la mort n'intervint pas...]

That's it! [c'est cela.] Et aussi, il dit que le mental est arrêté.

(le disciple lit)

He dared to live when breath and thought were still...
[Il osa vivre quand le souffle et la pensée s'arrêtèrent...]

C'est cela.

Thus could he step into that magic place
Which few can even glimpse with hurried glance...
[Ainsi, il put entrer dans cet endroit magique
Que peu peuvent seulement apercevoir d'un coup d'ceil hâtif...]

Quand j'ai lu cela, je ne savais pas qu'il avait parlé de cette expérience de l’abolition du mental – il en a parlé, et il dit que les battements du cœur se sont arrêtés, et que l’on n'est pas mort. C'est cela.

Je ne sais pas, quand j'ai lu ça, j'ai tout d'un coup eu l’impression qu'il décrivait le passage de la vie ordinaire à une vie supramentale.

Je ne sais pas pourquoi, mais très fort, je me suis dit qu'il fallait absolument que je te montre cela.

(le disciple lit la traduction)

Indifférent au doute et à la croyance, Avide du seul choc nu du réel
Il trancha la corde du mental qui lie le coeur de la terre
Et rejeta le joug de la loi de la Matière.
Les règles du corps ne liaient plus le pouvoir de l’esprit:
Quand la vie arrêta ses battements, la mort n'intervint pas;
Il osa vivre quand le souffle et la pensée s'arrêtèrent.
Ainsi, il put entrer dans cet endroit magique
Que peu peuvent seulement apercevoir d'un coup d'œil hâtif
Soulevés pour un moment des travaux laborieux du mental
Et de la pauvreté de la vision terrestre de la Nature.
Tout ce que les Dieux ont appris est là, connu spontanément.

Je ne sais pas si c'est très fameux comme traduction, mais c'est ce que j'ai pu faire de mieux (je suis en train de traduire petit à petit tout Savitri! Il faudra dix ans!...) Tu te souviens, nous en avions traduit pas mal, mais c'était la fin de «Savitri» – ça, c'est le commencement.

Mais l’abolition du mental, ce n'est pas la même chose que cette complète tranquillité du mental?

Non.

Ce n'est pas la même chose.

Non.

Qu'est-ce que l’on peut faire pour abolir le mental?

Non, je crois qu'il ne faut pas. Je crois que ce qu'il faut, c'est cette tranquillité absolue pour que Ça puisse passer au travers sans se déformer. l’abolition (chez Mère) avait été faite parce qu'il voulait essayer le processus de transformation des cellules du corps, et le corps était déjà très vieux, n'est-ce pas, alors il fallait aller vite. C'était pour la rapidité du mouvement. Mais je vois que, évidemment, c'est risqué...

Cette expérience (de la colonne de lumière) est venue si spontanément, sans effort, sans concentration, rien; et pour le corps lui-même: visible comme cela (geste les yeux grands ouverts). Je ne voyais plus la fenêtre, le meuble là, je ne voyais plus; je ne voyais plus: elle était là comme cela; elle était là, ici; elle était ici (geste entre Mère et la fenêtre). Comme si elle était là physiquement, tu comprends.

C'est en train d'apprendre de tout-tout petits détails, de toutes petites choses, tout le temps, tout le temps, nuit et jour.

Mais il y a seulement un an, je n'aurais jamais pu entendre cette musique. Maintenant (Mère sourit, amusée)... C'est curieux.

Et je n'ai pas seulement entendu: j'ai vu les gens, les choses, l’avenir, où ça allait, tout-tout-tout en même temps, rien que comme cela (geste qui regarde): j'étais seulement un petit peu attentive.

Mais c'est étrangement fragile en même temps, c'est cela qui est curieux. On a l’impression que c'est sorti de toutes les lois ordinaires et... c'est en suspens comme cela. Quelque chose qui est en train de chercher à s'établir.

Et extrêmement sensible à ce qui vient (les deux en même temps): extrêmement sensible à ce qui vient des autres, et en même temps comme avec une puissance extraordinaire pour entrer en eux et y travailler. C'est comme si tout un genre de limites était... (Mère passe les doigts d'une main à travers les doigts de l’autre) supprimé.

C'est curieux.

Ah! (Mère regarde l’heure) il est très tard et nous n'avons rien fait... Tu avais quelque chose? Non. Comment vas-tu?

Ça va bien.

Les nuits?

Oui-oui. Je vais recommencer à travailler.

Pas trop.

Pas trop, il faut en profiter pour... Tu la sens, cette Conscience-là? Non?

Quand je me concentre... Je ne sais pas, je trouve qu'il y a quelque chose de solide.

Oui.

C'est en train de changer les choses. C'est curieux, ça a l’air d'être tout pareil et ça devient très différent.

Au Canada, il y a des tas de gens qui se sont mis en contact avec cette Conscience. Je reçois des lettres étonnantes.

(le disciple se lève pour partir)

Je ne te donne rien à manger, c'est dégoûtant!

Non-non! J'ai tout ce qu'il faut.

Vraiment, tu n'as pas besoin...

Non-non, je n'ai besoin de rien que...

Ah! ce n'est pas à ce point de vue-là que je me place! (Mère rit)

Le corps a encore besoin de manger, mais là aussi, ça paraît... Il y a toutes sortes de choses...

Non, tout paraît être mis en cause encore.4

19 avril 1969

(À propos du départ d'Amrita, celui qui s'occupait des finances de l’Ashram.)

(Riant) Voilà des soupes!

On est dans une confusion épouvantable! épouvantable!

Pendant des années, il y avait tout un côté des choses, au point de vue de l’argent et de tous les arrangements: on ne me disait rien, c'était très bien, je ne m'en occupais pas, cela m'était égal. Maintenant, tout d'un coup, on me dit (à moitié) des choses (et sans me dire ce qu'on faisait avant), et alors je m'aperçois... Tout est dans une confusion épouvantable – épouvantable! Parce que... je ne peux pas comprendre ce qu'ils font parce que je ne sais pas le pourquoi, je ne sais pas comment c'est arrangé.

Maintenant, il y a un poids qui est éclairci, mais... On se querelle... oh!

Et j'avais des choses à te dire... je ne me souviens plus – je ne me souviens plus du tout! J'avais des choses à te dire, je m'en suis aperçue mercredi quand tu as été parti, et maintenant, je ne sais plus – il s'est passé tant de choses que je ne sais plus.

N'est-ce pas, avant, Amrita centralisait beaucoup de choses. Il avait organisé; je ne m'en étais pas occupée, il me disait juste ce qu'il fallait là où il était nécessaire que j'intervienne, et tout le reste était arrangé. Et maintenant, pour la moindre chose, ils viennent à moi, et ils ne savent pas ce qu'il faisait, comment il le faisait, alors tout est à faire. Ça a créé beaucoup de difficultés.

Maintenant, moi, je sais que j'ai quelque chose à te dire et je ne sais pas ce que c’est!1

(silence)

Tout est dans une espèce de tohu-bohu. Tout le pays.

Tu sais qu'il y a un gouvernement communiste au Bengale maintenant... Il vaudrait mieux ne pas l’enregistrer (Mère touche le micro).

Je pourrai l’effacer.

Et alors, il y a eu des scènes (je ne sais plus en détail), mais des scènes assez désagréables, puis une sorte d'émeute, et l’armée a dû tirer. Il y a eu quatre personnes de tuées.2 Alors le gouvernement communiste veut arrêter les quatre soldats qui ont tiré, en disant... enfin que c'est tout à fait bon. On a dit cela au commandant de l’armée, là, qui a dit: «Si l’on vient arrêter mes soldats, moi, j'arrête les gens! J'arrête la police et je la mets en prison...» J'ai trouvé ça charmant. Mais je venais juste de voir N.S.3 – tu connais N.S. – qui était venue de la part d'Indira pour me poser des questions en me demandant ce qu'il fallait faire.4 Elle était juste partie quand on m'a raconté cette autre histoire. J'ai dit: comment faire pour lui dire?... (Indira ne va pas savoir quoi faire: si elle doit être avec " l’armée ou avec la police.) Alors j'ai dit: «Si elle est avec la police, les Chinois sont là dans quinze jours; il faut qu'elle soit avec l’armée, absolument.» Donc, il fallait rattraper N.S. (elle était juste repartie pour Delhi), il fallait la rattraper pour leur dire cela: «Mère a dit qu'il fallait...» Et L est parti, comme cela, derrière, pour rattraper l’avion.

Et c'est comme cela. J'avais vu ces jours derniers toutes sortes de choses catastrophiques. (Je ne savais pas quelle était la situation.) Quand on m'a raconté, j'ai su imédiatement: j'ai vu les Chinois ICI. Oui. Ça m'a beaucoup-beaucoup remuée. Et avec des choses AFFREUSES, affreuses. Et alors, j'ai dû envoyer tout de suite quelqu'un pour dire: «SURTOUT tenez avec l’armée.» C'est le seul espoir de l’Inde. l’armée est bonne, mais elle n'est pas soutenue. Mais ça, il ne faut pas qu'on le dise, parce que, censément, je ne dois pas m'occuper de politique, alors...

Mais il paraît que les communistes dans trois provinces VEULENT que les Chinois viennent. Alors, ça, c'est effroyable. Et les Chinois, mon petit, tu ne peux pas t'imaginer ce que c'est... C'est horrible! horrible. D'une cruauté froide, terrible.

Alors c'est très-très difficile ces jours-ci.

Et c'est presque un miracle: Indira a tout d'un coup (N.S. me l’a dit), elle a réalisé qu'elle n'avait pas la connaissance voulue ni le pouvoir voulu pour faire face aux circonstances, alors elle a dit à N.S. de venir me trouver et de me demander que je l’aide.' Et j'ai compris pourquoi j'avais vu toutes ces circonstances (pendant plusieurs jours, tout concernait l’Inde, et j'ai vu que c'était sérieux, très sérieux).

(silence)

Il y avait un homme qui aurait pu faire quelque chose c'était l’ancien général en chef, le cousin de K5 – ils l’ont envoyé au Canada!... Ça a eu un résultat: tout le Canada s'intéresse à l’Inde! Il y a un mouvement très répandu et tout à fait intéressant là-bas. Seulement, ici, ils n'en veulent pas. Et c'était un bon chef militaire... C'est dommage qu'il soit parti. Et puis il était en contact avec nous... Et juste maintenant...

Alors c'est pour cela, tout le temps il y a la pression de choses très sérieuses.

(silence)

Toi, quelles nouvelles as-tu? Rien?

Mais ce monstre chinois qui grandit de plus en plus, on ne voit pas ce qui pourra l’arrêter.

Oui, c'est cela.

On ne voit pas, sauf évidemment des conflagrations atomiques. Autrement il ne veut que manger partout.

Oui.

Qu'est-ce qui l’arrêtera?... Est-ce qu'il est réceptif aux forces subtiles?

(Après un silence) Il y a un homme... D'abord, il y a notre brave S.H.,6 ici, mais il y a un autre homme qui est à Shantinikétan, que j'ai vu, que je connais, et qui a toujours dit que c'était la pensée de Sri Aurobindo qui pouvait sauver la Chine. Mais il est venu ici parce qu'il n'est pas communiste et parce qu'on lui a chipé tous ses biens – il les a donnés; quand il l’a su, il a écrit (au gouvernement chinois) pour dire: «Je vous les donne; vous les avez pris, je vous les donne.» Et c'était très bien, c'était très habile. Alors on le respecte naturellement. Mais je ne crois pas qu'il puisse faire grand-chose. Mais lui, son opinion, c'est qu'il n'y a que la pensée de Sri Aurobindo qui peut sauver la Chine. La Chine est extrêmement intellectuelle; si l’intelligence chinoise est capturée par la pensée de Sri Aurobindo, ce serait... Mais ça paraît être le seul, le seul espoir.

Mais la Chine de Formose (c'est-à-dire rien) est tout à fait avec nous.

Oui, mais c'est peu de chose.

Ce n'est rien.

Les Soviets étaient un très grand danger, mais eux, ils semblent... ils semblent commencer à comprendre. Ils sont divisés entre eux.

Mais là, c'est vraiment un monstre qui grossit.

Oh! c'est formidable.

(silence)

l’Amérique est extrêmement intéressée par Auroville. La Russie est extrêmement intéressée par Auroville. Les Chinois... rien, absolument rien, pas de réponse.

Ils sont... je ne sais pas comment... On a l’impression de quelque chose comme de la pierre. Ça ne répond pas.

(long silence)

Depuis... depuis des années, au temps même où Sri Aurobindo était ici, il y avait la vision – une vision intérieure – que l’Inde était l’endroit où allait se décider le sort de la terre. Alors il y a les deux possibilités opposées. C'était comme s'il était dit que s'il y avait la guerre, c'était sur l’Inde qu'elle serait; que le conflit mondial... (comment dire?) la partie se jouerait sur l’Inde. Mais est-ce que la Force de Paix sera suffisante pour empêcher la guerre? Toute la question est là. Mais c'est ici qu'est le tourbillon des forces, au-dessus de l’Inde.

Et depuis que cette Conscience est venue, les choses se précipitent. Ça a donné une rapidité de mouvement aux circonstances. Et alors, ça devient violent, comme cela. Et le... oh! le mensonge, la duplicité, le... oh!... c'est comme si tout ça remontait à la surface – c'est hideux. Et est-ce que... est-ce que la Force d'Harmonie et de Paix sera assez forte pour... pour digérer tout ça? Je ne sais pas.

Je croyais (il y avait toutes sortes de choses qui se passaient, comme des images de possibilités), et je croyais que c'était dans la constitution du corps: que ça sortait afin d'être purifié; mais je m'aperçois que c'était peut-être cela en partie, mais que toutes ces images correspondent à des choses qui sont en train de se passer (mondialement), et alors si elles sont véridiques... les suivantes sont plutôt catastrophiques.

Il y a toujours cette volonté intérieure de... (geste de pression pour établir la paix). Comme si c'était, je ne peux pas dire un dernier conflit, mais ça devient... ça devient imédiat.

C'est comme un conflit entre les forces qui veulent détruire la terre, et la transformation terrestre. Si ces forces peuvent être checked, peuvent être maîtrisées et réduites à l’impuissance, alors le progrès terrestre et la transformation vont aller en flèche – magnifique! Mais maintenant, c'est comme si de tous les côtés... des monstres qui viennent pour empêcher.

(silence)

C'est tout à fait comme si l’on était installé sur un volcan: ou il faut que le volcan s'éteigne, ou tout va sauter. C'est comme cela.7

Il est onze heures, oh!

Ça ne t'amuserait pas d'aller en bateau? J'ai dit à Z de femme-ner...

Simplement comme cela... aller sur l’eau. Et je pensais aussi que, comme cela, tu ne seras pas embêté par les gens! Ils ne te trouveront plus!


ADDENDUM

(Compte-rendu de la visite de N.S., le 17 avril 1969. Ces paroles ont été notées de mémoire et sont donc approximatives.)

(traduction)

  1. N.S. raconte de ce qu'Indira lui a dit des difficultés auxquelles elle doit faire face; elle demande l’aide de Mère, sa force, ses conseils. Mère répond qu'elle savait très bien tout cela et qu'elle donnait constamment son aide et ses bénédictions à Indira.

  2. À propos du danger du communisme, Mère répond que le communisme est une vérité qui a été déformée; quand cette vérité sortira, la déformation tombera. La vérité est que tous nos efforts et tout notre travail doivent être tournés vers le Divin et non vers l’État.

  3. Un seul pays au monde sait qu'il n'existe qu'une Vérité vers quoi tout doit être tourné – ce pays, c'est l’Inde. Les autres pays l’ont oublié, mais c'est enraciné dans le peuple de l’Inde, et un jour, ça sortira.

  4. Nous devons tous reconnaître cela et travailler pour cela. l’Inde est le berceau de la Vérité; elle conduira le monde à la Vérité. l’Inde trouvera sa vraie place dans le monde quand elle aura réalisé cela.

  5. Mère prie N.S. de dire à Indira qu'elle doit devenir un serviteur fidèle de la Vérité, soumise et consacrée à la Vérité; alors rien ne pourra l’arrêter. Toutes les difficultés extérieures, même les personnes qui essaient d'ébranler sa position ne pourront pas la toucher; même s'ils semblent triompher, si elle est ferme dans sa foi et dans sa consécration au service de la Vérité, rien ne pourra prévaloir contre elle.

  6. Pour être un vrai serviteur de la Vérité, il faut oublier tous ses désirs personnels et toutes ses préférences personnelles et avoir pour seule pensée de servir la Vérité.

  7. Puis Mère dit personnellement à N.S., en demandant aux hommes présents de l’excuser, que ce sont seulement les femmes qui savent comment utiliser le Pouvoir qui vient du service de la Vérité.

  8. Mère dit aussi de dire à Indira qu'elle doit savoir que les lois humaines ne tiennent pas devant la loi du Divin, et que finalement c'est la loi du Divin qui prévaudra.

  9. Mère dit encore: la nouvelle Conscience qui est descendue le 1er janvier, est très active, et nous arrivons à un moment très critique de l’histoire du monde – c'est très intéressant de regarder comment les choses arrivent. Cette nouvelle Conscience est en train de préparer le surhomme; c'est pourquoi il y a de grands changements partout. Quand le premier homme est apparu, l’animal n'avait pas de mental et ne pouvait pas se rendre compte de l’évolution; l’homme a un mental et il peut se rendre compte; c'est pourquoi nous arrivons au moment le plus intéressant de l’Histoire. Si l’on peut rester dans cette Conscience et regarder d'en haut les événements, on peut voir comme ils sont petits, futiles, et on peut alors agir dessus avec un grand pouvoir.

  10. Mère dit à N.S. qu'elle veut qu'Indira continue à son poste présent parce que Mère peut travailler à travers Indira, du fait qu'elle essaie sincèrement de servir le pays.

  11. Je connais la situation du pays, dit Mère. Même si une seule personne peut se mettre fidèlement à la disposition de la Vérité, elle peut changer le pays et le monde.

  12. Auroville, dit Mère, est le seul espoir d'empêcher une nouvelle guerre mondiale. Les tensions montent et la situation devient très critique. Seule l’Idée d'Auroville, si elle peut se généraliser, est capable d'empêcher une guerre mondiale.

  13. Les enfants qui sont nés à cette époque sont bienheureux.

23 avril 1969

(l’entrevue commence à onze heures au lieu de dix heures.)

C'est effrayant, mon petit!... Oh! il y avait des tas de choses amusantes à te dire, mais ce n'est pas amusant, on est trop pressé...

Oh! tu sais, douce Mère, je voulais te signaler une chose: tout le «gossip» [les cancans] de l’Ashram dit que tu as envoyé L à Delhi avec un message à propos des événements du Bengale pour dire au gouvernement qu'il fallait être fort – tout l’Ashram le sait!

(Mère rit)... Ils ont été TRÈS bien reçus à Delhi. A est revenue (une secrétaire du gouvernement) et m'a dit qu'Indira avait eu une conversation de vingt ou vingt-cinq minutes, qu'elle semblait tout à fait contente. Ça a été tout à fait un succès.

Mais tu sais, on ne peut pas les empêcher de parler! Qu'est-ce que tu veux, ils sont terribles, ils racontent n'importe quoi sur n'importe quoi. Ils ont même raconté, paraît-il, que ce pauvre homme, ce premier ministre de Madras qui est mort d'un cancer,1 j'avais dit que c'était un très mauvais homme, que c'est pour cela qu'il est mort! Voilà, tu comprends.

Maintenant, moi, je suis habituée. Toutes les bêtises du monde, ils les racontent – c'est tout le système qu'il faudrait dissoudre!2

(silence)

Et toi? Ça va?

(Le disciple se plaint de ses yeux)... Sinon ça va, douce Mère.

Mais ne travaille pas trop! – (riant) je prêche la paresse!

J'avais des tas de choses à te dire, et puis c'est curieux, ma montre était arrêtée, je n'avais pas la moindre idée de l’heure, alors j'ai demandé: «Quelle heure est-il?» On m'a dit: «Il est onze heures moins le quart.» Ça m'a donné un tel choc (riant) que tout ce que je voulais te dire est parti! comme ça, wrrp!

(silence)

Mais c'est intéressant, le travail est entré dans une phase intéressante.

(Après un silence) Oui, j'avais marqué cela (Mère cherche un papier)... l’ennui, c'est qu'une fois que je l’ai marqué, c'est parti. Et c'était... (Mère cherche à se rappeler)

Oui, c'était quelqu'un qui m'avait écrit..., je ne me souviens plus, c'était à propos de la «consécration». Mais je me souviens que quand j'ai répondu, j'ai regardé, et j'ai vu... (comment dire?) la courbe, mais ce n'est pas exactement une courbe... N'est-ce pas, la consécration, le don de soi, la soumission (pas «soumission», le mot français ne vaut rien), le «surrender» et tout cela impliquent encore le moi séparé qui se donne. Et j'ai vu – justement j'ai vu dans l’expérience du corps – que le corps est sur le point... il est juste dans un état intermédiaire, parce que toutes les parties ne sont pas exactement au même point (je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme cela), et alors on pourrait dire (mais c'est une simplification), on pourrait dire que pour tout l’ensemble du corps, le don de soi est total, la consécration est presque totale dans le sens qu'il y a une collaboration active partout, mais qu'il y a une intense aspiration et, à certains moments, un moment où ça fait comme ça (geste exprimant un gonflement des cellules), je ne sais pas ce qui se passe, il se passe dans les cellules quelque chose, et alors... il n'y a plus rien qui se donne ou rien qui... ni une «consécration» ni «écouter l’ordre»: c'est un état, un état de vibration intense, où on a en même temps un sens de toute-puissance, même là-dedans (Mère pince la peau de ses mains), dans ce vieux machin, et... une toute-puissance lumineuse et toujours cette... quelque chose qui est dans le sens de la bonté, de la bienveillance, mais bien au-dessus (ces choses-là paraissent des déformations ridicules). Ça, comme cela (même geste de gonflement) et statique, c'est-à-dire qu'il y a dans les cellules le sentiment d'une éternité.

Ça ne dure pas – ça dure quelques minutes au plus, oui, quelques minutes, mais ça revient. Ça revient. Comme cela quelque chose de tout à fait, tout à fait nouveau pour le corps.

Tout le temps – tout le temps, d'une façon constante –, il y a la chaleur, la douceur, le bonheur du don total, avec une aspiration: «Être, être Toi, ne plus exister.» Mais il y a encore le sens de... c'est la joie de se donner. C'est comme cela, c'est constant. Et quand la conscience n'est pas active, c'est-à-dire quand je ne parle pas ou que je n'écoute pas ou que... automatiquement, le corps répète le mantra comme cela, tout le temps comme cela; c'est l’état constant, nuit et jour, sans arrêt. Mais de temps en temps – de temps en temps –, il y a une sorte de fusion (qu'est-ce qui se passe? je ne sais pas), comme une fusion, et même toute cette joyeuse aspiration, toute cette ardeur, c'est transformé en un état... qui est, qui semble être tout à fait immobile parce que... Je ne sais pas comment c'est: ce n'est pas l’immobilité, ce n'est pas l’éternité... Je ne sais pas, mais c'est quelque chose, c'est un «quelque chose» comme cela, qui est... c'est Pouvoir, Lumière, et vraiment un Amour qui ne se «donne» pas et qui ne «reçoit» pas; un Amour qui... quelque chose (ce mot parce qu'on n'a pas d'autres mots), quelque chose comme cela, mais c'est Ça, c'est une vibration qui est Ça, de Pouvoir, de Lumière et d'Amour (pour traduire, ce sont les trois mots qu'il faut employer) et qui est comme cela, dans ça, dans le corps, partout. Partout. Au point que, au moment où l’on sort de cet état-là, on se demande (riant) si on a encore la même forme! Tu comprends, c'est comme cela.

C'est nouveau, depuis deux jours.

Ce n'est pas constant. Et ça vient quand on me laisse tranquille – ce qui... (riant) n'est pas souvent! mais quand je peux me fondre dans la joie d'appartenir au Divin (quelque chose comme cela). Il n'y a même pas l’idée d'«être le Divin», ce n'est pas cela! Ça paraît si bête! La première fois que j'ai lu cela, ça m'a paru le comble de Pégoïsme: c'est vous qui êtes le Divin! (riant) ce n'est pas le Divin qui vous contient, c'est vous qui contenez le Divin, n'oubliez pas!... Mais il y a la joie d'appartenir entièrement au Divin; eh bien, ça, tout d'un coup (geste de décrochage), il y a quelque chose qui se passe... (Mère indique qu’il n’y a plus de séparation, plus de «don» et de «quelqu’un» à qui se donner).

Et c'est curieux, dès qu'il y a le moindre fléchissement dans l’attitude; par exemple, une seconde d'oubli (ce que l’on pourrait appeler l’oubli, c'est-à-dire que la vieille habitude d'avant, la vieille habitude terrestre revient), imédiatement le corps sent qu'il va se dissoudre. Et ça, c'est curieux, c'est une chose... Il a maintenant conscience qu'il ne tient ensemble, qu'il n'existe ensemble que par la Puissance du Seigneur, que ce n'est par aucune loi naturelle – ça, il le sait –, et alors, à ce moment-là, brr! ça peut être deux-trois secondes comme cela qui viennent: impression que tout-tout va se dissoudre.

C'est curieux.

Avec les gens, à moins (c'est très rare), à moins qu'ils ne soient tout à fait insupportables (mais c'est très rare), avec les gens, ça (le corps) n'existe plus: c'est la Conscience Divine qui est là et qui travaille, qui observe, qui travaille, qui répond, et (riant) qui est quelquefois pleine de malice! d'une malice si pleine de bonté, mais pleine de malice. Et alors, elle a un sens de l’humour extraordinaire.

Enfin voilà. Alors ça va. D'une certaine façon, ça va. J'ai l’impression que c'est encore... Voyons, je vais essayer de mentaliser un peu: l’impression, c'est comme si la Conscience suprême avait entrepris le travail de transformation du corps et le faisait thoroughly [radicalement], et alors sans hésitation, sans compromis, sans rien de tout cela, et que... c'est à savoir si le corps va tenir le coup. C'est comme cela. Et le corps le sait – le sait et n'a pas l’ombre de peur, je dois dire –, ça lui est tout à fait égal: «Ce que Tu voudras, ce sera bien.» Il y a des moments où il sent un peu de souffrance pour une chose ou une autre, où il y a un peu de tirage (une douleur ici, là... il y a des douleurs qui ne sont pas très-très agréables), et à ce moment-là, alors, il fait toujours comme cela (Mère ouvre les mains): «Comme Tu voudras, Seigneur.» Et au bout de quelques minutes au plus, ça se calme. Mais il a cessé de se demander s'il durera ou s'il ne durera pas, s'il réussira ou s'il ne réussira pas; tout cela, c'est fini, parti: «C'est comme Tu voudras, comme Tu voudras.» Et il dit ces mots-là parce qu'on n'a qu'une langue dont on puisse se servir, qui est tout à fait incapable d'exprimer; mais on ne sait pas autre chose, alors on s'en sert. Quand il dit: «Comme Tu voudras», c'est ce mouvement de... (geste de dilatation et d’expansion), comment dire?... C'est comme une détente dans toutes les cellules – elles se détendent. Elles se détendent comme cela dans la Lumière suprême, dans la Conscience suprême, comme cela. Alors on a l’impression que la forme va disparaître, mais... (Mère regarde la peau de ses mains) ce doit être la conscience contenue dans les cellules [qui se répand]; ce n'est pas la substance, je ne sais pas, parce que (Mère regarde la peau de ses mains) pour le moment, c'est resté tel que c'est! Mais ça [cette détente] reste comme cela pendant assez longtemps.

Mais il n'y a pas de mots pour exprimer cela, parce que je crois que... (je ne sais pas s'il y a eu des gens qui l’ont senti, mais s'ils l’ont senti, ils ne savaient pas ce que c'était parce qu'ils ne l’ont pas exprimé), c'est nouveau. C'est nouveau pour le corps. C'est nouveau. Une espèce de... comme si on était crispé et que la crispation se détendait, se détendait... (même geste d’expansion, de diffusion). Oui, c'est tout à fait cela, c'est comme quand on est crispé, comme quelqu'un qui a des crispations, et ça se détend. Et alors, c'est pour toutes les cellules comme cela.

Voilà, maintenant j'ai assez bavardé!

(le disciple se lève)

Je vais te donner le Sourire perpétuel de la Conscience divine.

(Mère donne une fleur de champak)3

Et puis des roses... voilà. (À Sujata:) Toi aussi.4

26 avril 1969

(Mère commence par montrer une note qu'elle a écrite sur les religions.)

Telle est l’attitude à prendre vis-à-vis des religions:

Une bonne volonté bienveillante vis-à-vis de tous les croyants.
Une indifférence éclairée envers toutes les religions.

Toutes les religions sont des approximations partielles d'une
unique Vérité qui est loin au-dessus d'elles.

Puis une réponse à des questions du «New Age Association»:

Dans quel sens notre yoga est-il une aventure?

On peut dire que c'est une aventure parce que c'est la première fois que le yoga a pour but la transformation et la divinisation de la vie physique, au lieu d'avoir pour but de s'en échapper.

Pourquoi la foi est-elle suprêmement importante dans le yoga?

Parce que nous avons pour but quelque chose de tout à fait nouveau qui n'a jamais été accompli avant.

Quel est le pouvoir de la foi?

Quand vous avez la foi, vous vous mettez sous la domination du Divin, qui est tout-puissant.1


Peu après

Tu sais que L est allé à Delhi pour voir Indira. Il lui a porté un message à propos de la situation là-haut (au Bengale). Alors, après, à la fin de la conversation, il lui a parlé de la nouvelle Conscience, et il lui a dit qu'il fallait qu'elle s'ouvre à cette Conscience, qu'elle était toute-puissante (il m'a répété tout cela), elle était toute-puissante; et il lui a même dit: «Et même s'il y a un feu, vous pouvez traverser le feu sans danger si elle vous protège», quelque chose comme cela. Et au moment où il me racontait cela, il y avait là-haut (dans le Nord de l’Inde) une réunion du Congrès2 dans un grand «pandal»,3 et le pandal a pris feu et entièrement brûlé! et Indira était là, elle est sortie sans dommage – au moment même où il m'en parlait! C'est amusant! (Mère rit)

Elle commence à avoir vraiment la foi.

(silence)

Alors, cette question: «Pourquoi la foi?» c'est comme si l’on disait: pourquoi la foi a-t-elle du pouvoir?

Au fond, c'est stupide, non?

(long silence)

Il y a eu des choses bizarres... et alors j'ai pensé que c'était peut-être encore le résultat de ce qu'ils font là-bas, et j'étais en train, comme cela, de regarder (en fait, je tâchais de mettre la Lumière et la Paix partout), quand cette nouvelle Conscience m'a dit quelque chose (Mère cherche une note)... Elle ne m'a pas «dit»: elle m'a montré. Elle m'a montré les vibrations de ceux qui veulent faire du mal (tu sais comment c'est là-bas), des vibrations, des formations, et elle m'a montré que quand elle était autour de quelqu'un, autour d'une personne, ces vibrations viennent et sont rejetées violemment sur la personne qui les a envoyées. Et alors elle m'a montré aussi comment, en retournant, elles prennent juste la forme qui peut affecter cette personne!

Ça a été vu, comme cela. Et après, elle m'a fait écrire (Mère désigne la note). Et j'avais écrit sans mettre la première phrase:

«Adressé aux gens de mauvaise volonté»

J'avais écrit sans mettre de titre, alors elle a encore insisté, elle a dit: «Non, il faut mettre ça, c'est très important.»

«Le mal que vous avez fait volontairement vous revient toujours sous une forme ou sous une autre.» (dit par la conscience du S.H.)

Et n'est-ce pas, c'est une chose pratique: c'était fait comme cela; il m'a montré (Sri Aurobindo) que c'était comme cela: «Tu fais comme cela.» Alors si, vraiment, ce qu'il m'a montré est établi dans le monde maintenant, ça doit avoir des conséquences extraordinaires.

Dans les hauteurs mentales, le bouddhisme avait déjà dit quelque chose comme cela: que votre pensée, votre volonté, fait le tour du monde et vous revient; il dit: «Ne croyez pas que vous pouvez impunément faire quelque chose, parce que ça fait le tour du monde et ça vous revient.» Mais là, c'était... Il me montrait les vibrations mauvaises avec leur volonté de nuire, il montrait comment elles venaient, comme cela, et puis que quand elle était là, cette Conscience, autour de quelqu'un, ça cognait et ça retournait, ça rebondissait comme sur un mur – ça cognait et ça retournait. Et en route, ça s'adaptait pour bien être ce qu'il fallait pour frapper la personne.

C'est ce que j'ai vu.

Alors elle m'a fait écrire cela après, comme si je parlais à ces gens.

Tu parles des gens du Vatican ou bien des Chinois?

Tous! Justement, c'était... Ce sont des plans différents. Le Vatican, c'est beaucoup plus mental. Les Chinois, c'est très matériel.

Le mal que vous avez fait volontairement.

Ce que j'ai vu paraît beaucoup plus efficace (c'est-à-dire ayant un effet imédiat) dans le mental que dans le physique. Dans le mental, cela paraît imédiat. Alors ce serait plutôt contre les pratiques de magie. Mais c'était général: je ne sais pas si, par exemple, une armée d'invasion... À moins que cette Conscience ne donne à l’autre armée le pouvoir de la repousser? Ça, je ne sais pas.

Je n'ai pas montré cette note, je n'en ai pas parlé.

J'ai l’impression qu'il y a beaucoup de mauvaises volontés en ce moment – beaucoup de forces de mauvaise volonté.

Oui. Mais oui!

Mais ce message de Sri Aurobindo sur la Grâce, c'était presque, pour moi, une révélation.4 Je me suis dit: «Comment! il y a des gens qui refusent la Grâce...» Et depuis lors, plusieurs personnes me l’ont dit. C'était une chose, pour moi, presque impensable.

Mais l’impression est que les choses vont vite et qu'il y a un changement très radical – dans les gens aussi.

Ça (Mère désigne sa note), c'est venu quand j'étais en train de regarder, d'abord ces actions là-bas (au Vatican); et puis ici, dans l’Inde, il y a un monsieur... qui est un vilain monsieur (j'ai vu sa photo), un méchant homme qui veut entrer au Parlement (il n'est pas au Parlement) pour pouvoir démolir Indira.5 Il s'est mis ça dans la tête. Alors elle avait peur. On lui a dit de ne pas avoir peur et comment il fallait faire, etc. Il n'est pas encore élu (je ne sais pas, c'est le mois prochain que doit avoir lieu l’élection). Mais je regardais cela, et c'est en réponse à ma concentration que c'est venu; c'est venu comme cela: d'abord la vision, puis les explications.

Il semblerait qu'il y ait comme une rage chez les forces adverses, qui sentent que quelque chose de radical est en train de se passer, et elles veulent l’empêcher à tout prix – c'est imbécile, d'ailleurs, c'est tout à fait stupide... Mais on pourrait presque dire que c'est bien, parce que justement elles donnent l’occasion... elles se mettent dans les conditions de recevoir la réponse: le choc en retour.

Mais cette nuit, j'ai vu quelque chose.

Ah!

J'ai vu une immense mer qui était dans un état de violence fantastique, une mer démontée, avec des creux, des tourbillons formidables (et une lumière couleur d'acier), et à côté de cela, une énorme vague, comme une montagne, derrière laquelle j'étais, qui venait se cogner contre cette espèce de mer démontée et tout rejeter, et il y avait comme quelque chose qui venait par-dessus – de cette collision, il y avait quand même des petits éclats qui venaient par-dessus cette montagne et qui me retombaient sur la tête. Mais j'ai vu cette énorme masse (je ne sais pas ce que c'était) de force, de puissance, et puis cette mer démontée qui venait se heurter contre cette montagne... Ça avait l’air d'être des puissances très gigantesques.

Mais c'est ça, c'est l’image de ce que j'ai vu. Ça a excité la résistance.

Mais la Conscience était tout à fait souriante – d'une certitude absolue. Elle montrait, elle était là, n'est-ce pas, autour de quelqu'un (une personne imaginaire), elle était là comme cela autour, et c'était vraiment avec le sourire: ça venait (geste montrant l’assaut des vibrations mauvaises) et dès que ça touchait Ça, c'était rejeté – rejeté, mais avec une puissance formidable!

Oui, c'est ce que j'ai vu aussi. C'était rejeté avec une puissance formidable. Et pourtant, c'était comme un océan en violence, et à côté de cet océan, il y avait une montagne d'«eau» encore plus puissante que tout cet océan en violence. C'était formidable.

C'est cela.

Et effectivement, l’océan venait se cogner contre cette montagne et était rejeté.

C'est tout à fait cela.

Mais je recevais quelque chose sur la tête!

Ça te faisait mal à la tête?

Non, mais par-dessus cette montagne, il y avait quelque chose qui venait me retomber sur la tête. J'ai vu ça. Ça ne me faisait pas mal, j'ai dit: tiens! simplement.

Dans cette Conscience, il y a vraiment une puissance extraordinaire. Et elle encourage à l’action – elle encourage. Avant, quand on me disait que quelqu'un était malade ou qu'il y avait un accident, une chose comme cela, je faisais seulement ça (geste d’offrande, les deux mains vers le Haut): je le présentais au Seigneur suprême, et c'est tout, je restais comme cela (geste immobile, passif). Maintenant, cette Force m'encourage à prendre... (riant) à prendre le Seigneur suprême et à le mettre comme ça (geste comme une épée) sur l’événement. Tu comprends, au lieu d'être comme cela (geste d’offrande passive), c'est comme cela (geste comme une épée). Ça répond. C'est curieux.

(silence)

Mais ça va mieux?

Oui-oui, ça va mieux!

Ça ne te fait pas mal à la tête (!)

Non! Mais j'ai l’impression qu'il y a quelque chose qui s'acharne.

Ah! oui. Oh! oui, ooh!...

Mais c'est pour cela que cette Conscience m'a dit cela, c'est pour... c'est pour que l’on soit, on RESTE dans la Conscience, tranquille, paisible, comme cela (geste enveloppé).

Mais sans l’acharnement, les choses pourraient durer longtemps-longtemps, n'est-ce pas; avec l’acharnement, ça rend le conflit plus prompt. Et elle, c'est cela qu'elle... C'est cette confiance qu'elle voulait donner. N'est-ce pas, il ne faut pas sortir de cette Conscience. Elle a le pouvoir. Et c'est fantastique.

Et au fond, ce message de Sri Aurobindo, c'est presque cela: ne sortez pas de cette Conscience, ne refusez pas cette Conscience. C'est la Grâce qui vous l’envoie, ne la refusez pas.

(silence)

(Mère donne des paquets de soupe au disciple) J'ai reçu des tas de soupes, c'était hier, alors j'ai dit: tiens, c'est venu juste pour lui! (Mère rit) C'est comme cela! mais des TOUTES PETITES choses, mon petit, partout, comme cela: fantastique, incroyable. Incroyable. Il faudrait longtemps pour raconter tout.

Mais il faut bien se porter – avoir la foi!6 (Mère rit)

30 avril 1969

Cette Conscience est vraiment extraordinaire, elle a un sens de l’humour, tu sais!... Elle est en train de faire l’éducation du corps, à commencer par balayer toutes les notions morales. Et alors, le corps est spontanément dans une espèce d'adoration, et cette Conscience, tout d'un coup, lui a montré un grand, énorme serpent, avec deux formidables dents, qui était comme cela (dressé devant Mère), et en même temps, elle donnait l’explication: «Les dents du poison... C'est la Bonté Suprême qui a inventé ça, n'est-ce pas...» Tu sais, d'une façon si... C'est irrésistible. Et alors, ce pauvre corps restait comme cela, un peu sidéré... Il s'est aperçu qu'il n'avait jamais pensé à cela! Il avait pris les choses comme elles sont, le monde comme il est, et il n'avait jamais pensé à cela: «Comment cela peut-il exister, ça?»... (Riant) Il lui a fallu un quart d'heure pour se remettre d'aplomb.

Et tout le temps, c'est comme cela. C'est une lutte acharnée contre toutes les conventions possibles. Et en même temps, c'est comme si elle tâchait d'inculquer le sens d'un pouvoir irrésistible. Et qui n'est pas un pouvoir personnel, du tout; ça n'a rien à voir avec la personne; seulement on doit être en accord avec la Conscience qui régit le monde, et cette Conscience a un pouvoir irrésistible. Mais elle balaye toutes les notions – toutes les notions –, vous fait voir la stupidité des notions que l’on a ensemble (dans la même conscience) et dont l’une naturellement contredit l’autre – tout cela. Et alors, dès que l’on est tranquille (après une chose comme ce serpent: ça dure une minute, deux minutes, dix minutes, cinq minutes, cela dépend des cas, mais une fois que l’on reste comme cela, paisible), il y a une espèce de sens d'immensité sans limites, d'une... en anglais, on appelle cela ease [aise], c'est-à-dire une chose extrêmement paisible, et vibrante en même temps, où on a l’impression que tout est – tout-tout – est harmonieux, comme cela, tout. Et c'est comme cela dans une grande intensité de lumière qui a une tendance à être dorée (mais ce n'est pas doré, je ne sais pas ce qu'est cette couleur-là, mais ça a tendance à être comme cela), une lumière comme cela. Et alors, si l’on reste là, tout va bien – tout va bien: le corps va bien, tout va bien. Et dès que l’on sort de ça et que l’on entre dans les autres mouvements, alors on voit que tout-tout est... que c'est un monde de contradictions, que tout est contradiction: chaos et contradictions. Et là, tout est parfaitement harmonieux.

Ce pauvre corps, il prend ses leçons comme cela.

Alors il n'essaie plus de rien comprendre. Il a compris qu'il ne peut pas comprendre; il dit: «Bien, qu'on fasse de moi ce que l’on veut.»

Ce serpent, tu sais... Pourquoi tout d'un coup cette vision? Je ne sais pas... J'étais dans un état où j'essayais d'établir une harmonie générale – probablement, c'était trop limité ou incomplet ou... Et alors ce serpent est venu.1 N'est-ce pas, l’univers, c'est le Seigneur manifesté, et alors ce corps, c'est pour lui la perfection de toute façon, mais évidemment il est incapable de comprendre; et tout d'un coup ce serpent est venu comme cela, et c'est venu de telle façon qu'il s'est dit: «Tiens! je n'y avais jamais pensé» (ce n'est pas vrai, n'est-ce pas). Il y a toutes les théories qui expliquent le mal comme l’action des forces adverses dans l’univers, mais ça paraît tout à fait enfantin. Et comme toujours, ça a montré quelque chose de très subtil dans le jeu des forces (et alors pour essayer de faire comprendre [le mal], est née l’idée d'une «suite dans le temps», ce qui est absurde, c'est-à-dire les créations successives). Et il y avait une chose très subtile, qui était que ces dents empoisonnées, c'est une défense, ce n'est pas une attaque, et elle prouvait que c'était la défense parce que les dents empoisonnées ont existé après l’attaque – mais comment expliquer cela, je ne sais pas.

(Mère semble regarder un monde de choses simultanées et tâtonne dans les mots)

En tout cas, c'était encore un tournant décisif dans le développement de ce corps. Il a encore eu l’impression que tout ce qu'il savait, tout ce qu'il croyait, tout cela, c'est... rubbish comme l’on dit en anglais [des bêtises], et que, à moins que l’on ne soit dans cette Conscience absolument lumineuse et absolument tranquille et contenant tout... [on ne peut pas comprendre]. «Contenant» donne encore l’impression d'une limite; ce n'est pas «contenant» tout, mais c'est plus vaste que tout ce qui existe. Cette Conscience est plus vaste que le monde qui est manifesté; c'est une espèce, presque de sensation, qu'il y a une Conscience qui est plus vaste: le monde manifesté «tient une place» dans cette Conscience (comment expliquer?), ce n'est pas toute la Conscience... (C'est probablement la difficulté du corps à être tout à fait réceptif, et pourtant c'est LUI qui doit comprendre...) Et ça paraît être l’attitude qu'il faut garder. Est-ce une attitude?... – C'est une manière d'être. Une manière d'être. D'abord, il n'y a pas de limites (mais ça, c'est une vieille expérience qu'il a depuis longtemps), pas de limites: il y a une sorte de capacité de s'identifier aux choses; mais ça, comme une conséquence de la Volonté qui fait agir (de cette Volonté «centrale», pourrait-on dire, qui fait agir). Et lui, il est comme cela... (geste répandu). C'est devenu tellement aigu, cette impression de... Les deux choses (deux choses absolument contradictoires) sont devenues tellement intenses: l’une, qui est une absolue incapacité de rien comprendre à rien, que ça échappe à la compréhension de toute façon; et puis, en même temps, il y a que progressivement les limites du pouvoir diminuent, s'estompent, s'amoindrissent. Ce Pouvoir... c'est devenu fantastique! Fantastique, le Pouvoir.

Et en même temps, ça a montré (oh! tout le temps, tout le temps elle est à enseigner quelque chose), ça a montré comment les gens qui ont encore le sens de l’ego, quand ils reçoivent un peu de ce Pouvoir (c'est-à-dire que ce Pouvoir se sert d'eux), l’espèce d'affolement que cela produit, et pourquoi: n'est-ce pas, l’ego devient formidable. Et ça, c'était pour montrer, pour comprendre bien la nécessité de l’état dans lequel il se trouve (il n'a presque plus le sens de son existence, un minimum; c'est surtout rappelé par des choses qui grincent encore tout à fait matériellement). Mais si, là, à ce moment-là, il sait, ou il peut, il a le temps, ou bien il sait entrer dans cet état de... la difficulté s'évanouit comme par miracle, en un moment. Il y a même eu quelque chose pour montrer comment, comme ça (Mère tient ses deux index étroitement serrés, puis baisse très légèrement l’index de la main droite), il y a la souffrance – comme ça, il y a la souffrance –, et puis quand c'est comme ça (Mère lève légèrement l’index de la main gauche), ça n'existe plus. (Mère recommence le même geste:) Comme cela, la souffrance; comme cela, ça n'existe plus. Pour que le corps sache exactement dans quelle position la souffrance n'existe plus.

Et ça, c'est tout le temps, tout le temps, nuit et jour, tout le temps, tout le temps, continu – une chose après l’autre, une chose après l’autre. Il faudrait passer des heures à raconter.

Ce matin, j'ai vu quelqu'un, et pendant dix minutes, ça a été une expérience continue de la façon de travailler: comment l’Action se produit... Quelqu'un me parle: je vois en même temps comment est la chose telle qu'elle est, et l’opposition avec ce que cette personne dit – les deux. Et tout cela n'est pas mental: c'est une expérience concrète... On me donne une nouvelle (par exemple, de quelque chose qui s'est passé quelque part), on me dit des mots, et alors en même temps, la chose elle-même est la, et je vois la différence entre ce que l’on dit et ce qui a été. Et ça, c'est perpétuel, tout le temps... Les gens viennent (je vois des gens en quantité, c'est effrayant, il n'y en a jamais tant eu), je vois des gens: je vois en avant ce qu'ils pensent être et ce qu'ils veulent paraître; derrière, ce qu'ils sont vraiment – sans effort, sans recherche, automatiquement. Et c'est tout un effet de cette Conscience... Et alors, quand je parle, en même temps que je parle et que j'essaie d'expliquer, il y a ce que je dis et la différence entre ce que je dis et ce qui est... (Souriant) Alors ça rend la parole un peu difficile!

(silence)

Aussi, au point de vue général, il y a comme une démonstration. l’homme donne une grande importance à la vie et à la mort – c'est pour lui une grande différence et un événement assez capital (!) – et alors, on me montre à quel point le déséquilibre qui se traduit dans les circonstances par ce que les hommes appellent la «mort» (et qui n'est qu'une mort tout à fait apparente), comme tout le temps les deux, pour ainsi dire, sont là: cette Harmonie contenant tout, qui est l’essence même de la Vie, et cette... cette division (c'est une espèce de division, oui, de morcellement), morcellement, division apparente, irréelle, qui a une existence artificielle, et qui est la cause de la mort; comment les deux sont imbriquées de telle façon que l’on peut passer de l’un à l’autre à n'importe quel moment et à n'importe quelle occasion. Et ce n'est pas du tout comme les hommes croient, qu'il faut quelque chose de «grave» – ce n'est pas cela, ça peut être avec la chose la plus futile! C'est simplement être ici ou être là (du tranchant de la main, Mère fait un geste de très légère bascule), et voilà. Et alors, être ici (légère bascule à gauche) et y rester, c'est fini; être ici et puis être là (geste entre les deux), être ici une seconde et être là, ça fait une vie comme cela, avec des souffrances, des ennuis – toutes sortes de choses. Et être là (légère bascule à droite), c'est la Vie perpétuelle, le Pouvoir absolu et... on ne peut même plus parler de «paix», n'est-ce pas, c'est... quelque chose d'immuable. Et en même temps, tout est là: cet état-là et cet état-ci sont là tous les deux. Et l’homme fait une espèce d'amalgame plus ou moins maladroit de ces deux choses.

Mais quelques secondes du vrai état dans sa pureté, c'est... c'est un pouvoir formidable. Seulement... c'est encore loin-loin.

Mais je me souviens du temps où, quand il y avait une minute ou un moment de cet État, le corps avait peur – pas «peur», mais inquiet. Ça remonte à peu près à... je ne sais pas, un peu plus de dix ans. Et il y a eu toute une courbe. Maintenant, c'est à rebours: quand il se sent dans cet État, il se sent normal – il sent que c'est normal. Mais il semble que toute la construction du monde est un frein encore, qu'il y a quelque chose... Et c'est à ce «quelque chose» que cette Conscience travaille. Il y a un changement dans la conscience terrestre qui doit avoir lieu pour que ça puisse s'établir.

Mais c'est une Action constante.

(silence)

J'avais peut-être autre chose à te dire, je ne me souviens plus... (Mère regarde autour d'elle, trouve un papier) C'est peut-être ça.

Why do men want to worship...

(Mère rit) C'est encore cette Conscience!

It is much better to become than to worship!2

(Mère répète énergiquement) Better to become! Why do men want to worship the Divine [Mieux vaut devenir! Pourquoi les hommes veulent-ils adorer le Divin?]; better to become! [mieux vaut devenir!]3

C'est tout à fait cette Conscience! C'est son genre.4

Et elle a réponse à tout, tout le temps. Maintenant, elle est devenue tout à fait active... J'ai reçu une lettre d'Y racontant ce que font tous ces jeunes qui sont arrivés pour Auroville (ils ont une place maintenant: c'est le bureau de =1, c'est quelque part derrière la bibliothèque ou devant la bibliothèque), ils ont un appartement et ils font toutes sortes de choses, y compris des «danses improvisées», et alors Y m'a écrit cela (avec beaucoup d'éloges, d'ailleurs, sur les choses), puis elle m'a dit: «Mais ce qui est important, c'est de savoir ce que Sri Aurobindo et puis vous, en pensez?» (Mère sourit.avec ironie). Et alors (riant), cette Conscience m'a fait répondre en lui disant: «Vous n'avez qu'à voir que ça ne dégénère pas...» Et elle a dit (je ne me souviens plus parce que ce n'est pas moi qui ai écrit): «Voir que ça reste...», je ne sais plus les mots. Mais c'était d'une ironie, mon petit, impayable! Et je le lui ai envoyé.

Et tout le temps, tout le temps, ça dit, ça répond. Ça m'oblige à écrire: «Réponds ça... Dis ça...» Elle a pris la place du mental, tu comprends.

C'est tout à fait intéressant.

mai




3 mai 1969

Cette Conscience est très intéressante. Elle a (souriant)... ce n'est pas un mépris, c'est une sorte d'indifférence lointaine pour toutes les idées humaines – toutes les conventions, tous les principes, toutes les moralités, tout cela... ça lui paraît absolument grotesque. De temps en temps, elle est mise en contact avec les idées humaines (Mère prend un ton étonné): «Aah! ils pensent que...» C'est amusant!

Il y a deux choses. D'abord, elle ne comprend pas du tout ce que nous voulons dire, l’importance que nous donnons (ça, pas du tout) à l’argent; pour cette conscience, c'est une bouffonnerie; l’argent, ce système, avoir inventé ce système-là, que l’on ne peut pas faire quelque chose sans tirer un billet, vraiment c'est pour elle une bouffonnerie. C'est drôle, je m'aperçois tout d'un coup que l’être psychique (geste dominant, derrière)... l’être psychique, il est presque comme un témoin, il assiste à toute l’évolution des choses et il sait (il comprend les raisons profondes, il sait comment les choses sont); et c'est dans le corps que cette Conscience est tellement active, et alors chaque fois que le corps continue les petites habitudes du temps où il y avait un mental, un vital, vraiment ça lui paraît une bouffonnerie. Et l’attitude vis-à-vis de l’argent, c'est comme... La mort, la nourriture et l’argent, cette Conscience a l’impression que ce sont les trois choses qui sont «formidables» dans la vie humaine, que la vie humaine tourne autour de ces trois choses – manger, (riant) mourir et avoir de l’argent –, et les trois, pour elle, ce sont... ce sont des inventions passagères qui sont le résultat d'un état qui est tout à fait transitoire et qui ne correspond pas à quelque chose de très profond ni de très permanent. Voilà son attitude. Et alors, elle apprend au corps à être autrement.

Elle tolère la nourriture, à condition que cela ne prenne pas trop de place et que ce ne soit ni trop encombrant ni trop important; elle dit: «C'est bien, tu es bâtie comme cela, tant pis pour toi, il faut manger.» (Mère rit)

Et alors, la mort... J'ai eu juste un exemple hier (hier après-midi). Il y a eu un accident, tu as entendu la nouvelle?1 et vraiment on se demande comment c'est arrivé. Mais moi, j'ai vu TOUT DE SUITE qu'il y avait dans la fille une volonté psychique (dont elle n'était pas consciente: elle avait seulement un malaise), mais il y avait une volonté psychique de mourir (pourquoi? ça, je ne sais pas, je n'ai pas encore vu). C'était clair. Et comment tout s'est arrangé pour favoriser cela, c'est presque miraculeux (on n'en parle pas parce que les gens disent que vous devenez fou si vous appelez miraculeux un malheur comme cela). Mais d'habitude, tous ceux qui sont entrés dans la piscine, quand ils en sortent, il faut qu'ils s'inscrivent (c'est la règle). Hier, celui qui tenait le registre avait demandé à aller à six heures à Madras, alors il n'était pas là, alors personne ne s'est inscrit, alors on n'a pas su... Des choses comme cela. Elle a rencontré le chef de groupe, elle lui a dit: «Je suis fatiguée, je ne me sens pas bien, je veux m'en aller»; le chef de groupe a dit: «Oui-oui, allez-vous en.» (Évidemment, la capitaine a fait la bêtise de ne pas vérifier qu'elle était partie; elle était occupée, elle a pensé: elle s'en va.) Et la fille était à ce moment-là à l’endroit où il n'y a pas beaucoup d'eau – impossible de se noyer là, il faudrait le faire tout à fait exprès (on l’a retrouvée de l’autre côté). Mais l’endroit était plein de gens – personne n'a rien vu. N'est-ce pas, tout s'est arrangé absolument pour... la forcer à mourir.2 Toutes les précautions sont prises, et aucune n'a marché... Et tout de suite, dès que l’on m'a dit l’accident (la nouvelle est venue), dès que l’on m'a dit, j'ai regardé tout de suite et j'ai vu, à l’endroit de son psychique, une volonté paisible, comme cela (Mère étend ses deux bras, d'un geste immuable). Ils étaient en train de travailler dur: ils ont travaillé pendant des heures; d'abord ils ont retiré toute l’eau (ils savent comment faire), ils ont vidé l’eau du corps, puis ils ont commencé à travailler – toutes les tractions et tout cela pour essayer de la faire respirer encore –, ils ont travaillé des heures (ils étaient prêts à travailler toute la nuit), ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient faire. Et le psychique était comme cela (même geste), c'est-à-dire immuable, décidé. Et elle ne savait pas (qu'elle allait mourir): ça a traversé le vital pour l’atteindre et elle se sentait tout à fait mal à l’aise, elle a dit: «Oh! je veux m'en aller», alors on lui a dit: «Oui-oui, il faut t'en aller...» Et parce qu'elle avait dit cela, naturellement (personne ne s'est inscrit, alors on n'a pas pu vérifier), mais on ne s'est pas inquiété quand on ne l’a pas vue; c'est seulement quand on a trouvé ses vêtements... Elle était restée plus d'une heure sous l’eau.

Et cette Conscience si consciente du mouvement dans tous! de la réaction de tout cela, c'était extraordinaire. Et c'est elle qui a vu cela, qui m'a montré cela: un psychique comme cela (même geste immuable), comme une décision irrévocable. Et pour elle, n'est-ce pas, c'est comme quelqu'un qui décide de changer de maison, ou de changer de chambre, ou même de changer de vêtement... «Pourquoi faites-vous tant-tant d'embarras pour ça?»

Je n'ai pas dit tout cela, parce que... Je n'ai rien dit à personne.

(silence)

Et vous vous souvenez, l’année dernière, il y a eu un garçon qui s'est noyé à Gingy:3 c'était avec P (le capitaine du groupe); et cette petite, c'était avec B, la sœur de P (également capitaine). Et j'ai regardé: extérieurement, ils sont très forts vitalement et très égo-centriques (ce serait la raison extérieure, matérielle, qui permet que l’accident se produise, c'est-à-dire aucune intuition des besoins ni de l’état des autres: pas de contact, ils sont comme cela – (geste enfermé sur soi), mais avec une solidité intérieure sur laquelle s'appuyait l’être psychique, pour tous les deux (les deux capitaines).

l’autre aussi voulait s'en aller (celui qui s'est noyé dans l’étang), mais pour lui, c'était très intéressant: j'ai vu Sri Aurobindo venir le chercher sous l’eau, et Sri Aurobindo a dit: «Il naîtra dans la famille (il est revenu dans un enfant); dans le premier enfant qui naîtra dans la famille, il reviendra.» Et celle-ci, je ne sais pas encore ce qui arrivera, mais l’être psychique VOULAIT s'en aller (pour une raison ou une autre).4

(silence)

Et c'est curieux, quand on voit les choses avec cette Conscience-là, c'est tellement formidable comme perfection d'arrangement qu'on est... qu'on est presque épouvanté! Normalement, on aurait dû s'apercevoir tout de suite quand elle est tombée au fond de l’eau – on la ramenait et puis c'était fini (ils savent très bien faire cela, il ne serait rien arrivé).

(silence)

Pour cette Conscience, à part quelques individus, les êtres humains sont faibles. Ce sont des êtres faibles. Très spéculatifs, imaginatifs et très-très actifs dans le mental, oh! formidablement actifs (ça leur donne l’impression de...) oh-oh! quelle agitation! Mais comme cela, au point de vue psycho-physique: faibles.

Je t'ai dit plusieurs fois, depuis le commencement, ce sentiment d'une FORCE, d'une force absolument inaccoutumée (je ne suis pas la seule: tous ceux qui sont en rapport avec cette Conscience disent qu'ils sentent une force... une force extraordinaire). Et c'est elle. Et c'est d'une autre nature: c'est une force qui voit les choses différemment, tout à fait différemment.

Et alors, par exemple, ces deux-là dont j'ai parlé (P et sa sœur, tous deux chefs de groupe), au point de vue humain, on dirait vraiment qu'ils sont insensibles – c'est parce qu'ils sont insensibles et trop égocentriques que l’accident est arrivé. C'est-à-dire un reproche. Pour cette lumière-là: «Ah! ce sont de bons instruments, on peut s'appuyer dessus5 (geste solide), ils ne fléchiront pas, ils sont assez forts pour que l’on s'appuie.» Et tout cela est montré au corps, qui vraiment commence... (riant) à savoir des choses que jamais encore il n'avait apprises avant – jamais. Et à voir la vie d'une façon tout à fait différente. Il se sent... (riant) tu sais, il se sent stupide, c'est-à-dire que, consciemment, il est d'une façon, et puis par atavisme, par construction, il est lié de l’autre façon; alors il se sent très bête, très bête. Mais la Conscience l’a tenu (avec l’événement d'hier), l’a TENU dans sa Conscience comme cela, présent, jusqu'à ce qu'il ait bien compris tout en détail, et puis quand il a eu bien compris, poff! parti, fini. Alors il comprend que quand quelque chose est tenu comme cela, c'est qu'il y a quelque chose à comprendre, c'est qu'il a une leçon à apprendre, et quand la leçon est apprise, qu'il a compris – qu'il a vu clair, qu'il voit clair, que c'est simple et très clair –, ça y est, poff! parti, fini (geste montrant que la Conscience le lâche), comme si c'était tout à fait enlevé. Et ça se passait la nuit quand on ne me dérange pas (les heures de nuit sont les seules heures où je ne suis pas dérangée à toute minute; je peux continuer mon travail tranquillement), et alors j'ai vu. Et cette nuit a été tellement paisible, mais d'une paix!... c'est à dix échelons au-dessus de la «paix» matérielle ordinaire, tout à fait. N'est-ce pas, la paix d'une volonté psychique si puissante (Mère étend ses bras d'un geste souverain), si tranquille... que toutes nos émotions, nos réactions, tout cela, ça paraît absolument des enfantillages. Mais il comprend bien (il commence à comprendre beaucoup de choses depuis cette Conscience), il comprend que c'était (les émotions, les réactions) un chemin nécessaire pour préparer des réceptivités.

C'est vraiment intéressant.

Il y a toutes les vibrations, les petites crispations qui sont dans les êtres, et cette Conscience-là montre (ça montre très clairement) comment c'est ça, la cause des désorganisations, des maladies, des déformations, des... tout le temps cette vibration qui trépide – une vibration de faiblesse.

(silence)

Il y a eu une chose. Cette petite, maintenant, on va la brûler; alors on est venu avec un plateau de fleurs pour me montrer les fleurs que l’on donnait pour l’enterrer. Et là (avec le plateau), il y avait quelque chose de la petite – un embryon de psychique – qui était là; qui était là, et alors ça (cet embryon) a fait un petit mouvement... d'une tendresse si profonde, tout d'un coup. Elle était comme cela (geste devant Mère, avec le plateau de fleurs), j'ai pris une rose, et c'est comme si je la lui donnais dans la main; je l’ai donnée, j'ai dit: «Tiens, c'est pour toi.» Et ça, toutes ces vibrations-là, c'était lumineux, c'était joli, et elle (ce qui était conscient en elle) était si par-fai-te-ment heureux!...

Comment peut-on dire cela aux parents? Ils diraient: vous êtes fou!

Mais c'est le fait, le fait comme cela: je vois Champaklal qui arrive avec le plateau de fleurs, et ça flottait au-dessus, comme cela; et alors, quand je l’ai vue, j'ai pris une rose et... ça a fait quelque chose de si joli, si lumineux, comme cela (une toute petite chose, pas une grande force ni rien), mais si joli, si lumineux, si content, avec un tel sens de repos...

Et combien de fois ce doit être comme cela!

Mon petit, nous ne savons rien! Jour après jour, jour après jour, j'en suis de plus en plus convaincue: nous ne savons rien. Et nous croyons savoir, nous croyons... nous ne savons rien. Nous sommes en présence de merveilles cachées qui nous échappent complètement parce que nous sommes des imbéciles. Voilà.

Mais avec cette Conscience, il y a le pourquoi de tout: les réactions de chacun, et pourquoi il agit de cette façon, et... Et depuis qu'elle est là, pas une fois je n'ai vu un reproche dans cette Conscience – pas une fois elle n'a fait un reproche. Elle expliquait tout de telle façon que cela devient tellement lumineux, tellement com-préhensif qu'on se dit: «Pourquoi ferait-on des reproches?...» Oh! les notions morales, pour elle, c'est une chose... une chose ultra-stupide. Mais je lui ai dit (je continue à lui dire) que c'était nécessaire au cours de l’évolution pour raffiner la matière et pour ouvrir à certaines forces: si les gens avaient été si satisfaits d'eux-mêmes depuis le commencement, ils n'auraient jamais progressé. Mais maintenant, il est temps de voir – temps de voir.

l’immense majorité humaine est inconsciente (ce que, moi, j'appelle inconscience, c'est-à-dire qu'elle n'est pas en rapport avec la Conscience, n'est pas consciemment en rapport avec la Conscience), l’immense majorité; mais celui qui est capable d'être au-dessus des circonstances avec une vision claire et précise du pourquoi et du comment... c'est merveilleux.

Voilà.

C'est ce que Sri Aurobindo avait écrit dans Savitri: le Dieu grandit sur terre – le Dieu grandit –, mais l’homme... (riant) l’homme sage parle et dort... et personne ne s'en apercevra jusqu'à ce que le travail soit fini.6 Et c'est comme cela. Et il savait cela.

(silence)

Tu n'as pas de nouvelles?... Rien?

Est-ce que j'ai un contact avec cette Conscience?

Est-ce que...?

J'ai un contact avec cette Conscience?

(Mère ouvre de grands yeux) Je ne me suis même jamais posé la question! C'était entendu.

Mais je ne me rends pas compte: pour moi, c'est toujours de la «force», alors... Je ne sais pas la différence qu'il y a entre les forces.

Non, mais moi... Note que si je n'avais pas eu cette expérience le premier janvier, où je l’ai sentie venir – je l’ai sentie, vue venir, et c'était tout à fait concret comme... comme quelqu'un entrant dans la chambre, n'est-ce pas, aussi concret que cela; alors c'est cela qui m'a fait dire, autrement ça me paraîtrait le cours normal du développement. Seulement cette expérience m'a alertée; ça et le fait qu'il y a eu trois personnes qui l’ont sentie avant que je ne dise rien, et ce sont elles, ces trois personnes, qui me l’ont dit avant que, moi, je ne dise un mot; elles me l’ont dit en me demandant: «Qu'est-ce qui est arrivé?» C'est cela qui m'a paru intéressant. Mais pour moi, ça a été la même chose que pour eux, il n'y avait pas de différence; je leur ai dit qu'il n'y avait pas une différence de gradation – ce n'est pas qu'elle était plus intime avec moi qu'avec vous: c'est la même chose; c'était comme une personne qui arrive. Mais une personne... superlativement consciente. Mais c'est à cause de cela que j'ai observé le fait; autrement j'aurais pris cela comme le cours du développement, comme toi.

Et elle a fait cette chose... (c'était la première fois que cela m'arri-vait...) N'est-ce pas, on me demandait: «Quelle est la condition dans laquelle il faut être pour pouvoir recevoir pleinement cette Conscience?» Et alors, ici, j'étais assise comme cela, et la personne était assise là où tu es (un petit peu plus de côté), et alors j'ai vu avec les yeux ouverts la Conscience (pas cette conscience-là: la Conscience Suprême) descendre (geste, comme une colonne de lumière devant Mère)... Ça, mon petit, on ne peut pas dire... J'étais comme cela (les yeux grands ouverts) et puis je l’ai vue arriver (même geste comme une colonne) et puis s'installer sur le parquet comme cela, à peu près de cette taille (environ îm 50 de large). Tout le reste était comme d'habitude (Mère montre les meubles, le lit qu'elle voyait comme d'habitude), et «ça» que j'ai vu avec ces yeux. Et puis cette Conscience m'a pris ma conscience (geste tournant, partant du côté gauche de Mère, puis traversant la colonne de lumière devant Mère et revenant du côté droit): je n'ai rien vu (pas d'ombre). Je me suis demandé si elle était passée (pourtant j'ai SENTI au passage). Et puis alors, pour que je comprenne bien, elle a pris la conscience de la personne qui était là et l’a fait passer (dans la colonne de lumière), alors j'ai vu une petite forme et j'ai vu du bleu à l’endroit de la tête... C'était une faiblesse. Et pendant longtemps, j'ai vu, regardé, et puis tout d'un coup c'est parti. N'est-ce pas, c'est tellement indépendant de la volonté, de l’aspiration, des mouvements de conscience, de tout. Et comme cela: visible pour ce corps – à sa dimension, tu comprends. Fantastique!

Ce corps était habitué à avoir des expériences sous l’influence du psychique, dans son adoration pour... la Vérité Consciente Suprême – en adoration. Et toute sa joie était là, et il était pleinement satisfait. Mais depuis ce môment-là, il a eu des expériences – que les autres parties de l’être ont eues A LEUR MANIÈRE, mais cette manière, la manière physique, d'une façon si concrète!... si concrète et si tangible... Le corps peut dire: «J'ai VU la Conscience Suprême», comme les gens dans le temps quand ils disaient: «J'ai vu Dieu.» – Ce corps ne croit pas en Dieu... il croit à quelque chose qui est beaucoup mieux que Dieu! (rires)

Voilà. C'est tout? Tu n'as rien à demander?

Non, douce Mère.

Rien?... Mon petit, je peux te dire (je n'aime pas dire des choses qui ont l’air d'être des compliments ou des flatteries, c'est pour cela que je ne dis rien, mais puisque tu m'as posé la question...) Justement, j'ai l’impression que cette Conscience circule en toi sans rencontrer d'obstacles. Il n'y a que matériellement: le physique a besoin d'un petit encouragement pour se laisser... triturer, pour ainsi dire, pour que tu deviennes vraiment physiquement réceptif – mais moi, mon corps n'a rien à dire, parce que, lui aussi, est comme cela: il a cette même difficulté, mal ici, mal là, ici, ça, ça... tout le temps des petites choses qui... Il faut qu'il se souvienne pour que ça disparaisse. C'est la seule chose, c'est analogue à toi. Mais la Conscience circule (Mère fait un geste onduleux, montrant le corps du disciple), je la vois circuler toujours sans obstacle – sans obstacle, comme une chose naturelle. Tu comprends, c'est comme une chose naturelle: ça passe au travers comme cela (même geste onduleux), tout à fait naturel. Alors ça va!7 (Mère rit)


ADDENDUM

(Commentaires de Mère, notés de mémoire par un disciple, à propos de la noyade de cette jeune fille dans la piscine.) (traduction)

Aujourd'hui à lh30, P a raconté à Mère les détails de son enquête sur l’accident d'hier. Mère a répondu:

Je peux vous dire le résultat de «mon» enquête – l’enquête intérieure. Toute la nuit dernière, j'étais occupée à regarder cet incident. Et je me suis aperçue que c'était son âme qui avait pris la décision; elle n'en était pas consciente, mais son âme voulait partir, quitter son corps. D'après ce que vous m'avez dit, il n'y avait aucune raison vraiment pour qu'elle se noie – et malgré tout, l’âme s'est arrangée pour quitter son corps.

Ce fait a été corroboré ce matin quand Champaklal m'a apporté le plateau de fleurs qu'on allait brûler sur son corps. Au milieu du plateau, j'ai vu une jolie petite flamme. Généralement, je ne mets pas de fleurs dans le plateau, je l’envoie tel qu'il est; mais aujourd'hui, j'étais particulièrement intéressée: j'ai pris une rose et je l’ai mise sur la petite flamme du plateau. La flamme a grandi et elle s'est mise à briller si joliment – c'était très beau.

3 mai 1969

7 mai 1969

(Mère reste longtemps en méditation)

Cette Conscience a commencé à travailler dans le vital des gens. Tu as remarqué? Parce que certaines gens avaient de grosses difficultés vitales – elle commence à travailler dedans. C'est tout à fait inattendu pour moi. Tu n'as pas remarqué?

J'ai l’impression qu'il y a plus de facilité, que les difficultés sont moins violentes – que l’on a plus de maîtrise, si tu veux. C'est l’impression que j'ai.

(Mère hoche la tête, silence)

Et elle s'est mise dans la tête de m'obliger à m'occuper de politique, et ça m'ennuie. Mais si le moment est venu...

J'ai l’impression que de même qu'elle a voulu, pas positivement dissoudre les religions mais entrer au-dedans et enlever les barrières, elle s'est mise dans la tête de faire la même chose pour la politique (si je puis dire cela). Elle a l’air de travailler pour créer, non pas une désharmonie, mais une sorte de... enlever la cohésion des gens: la cohésion des partis, la cohésion des religions. Comme si cette Conscience faisait cela.

C'est curieux.

(silence)

Mais tu as remarqué quelque chose dans le vital?

Oui... J'ai remarqué... (comment dire?) la présence de cette Conscience dans le vital. Certaines personnes que je vois, sont presque exclusivement dans le vital, et la présence de cette Conscience est là, travaillant là.

Et puis je suis contrainte d'intervenir (pas extérieurement, mais intérieurement) dans les actions des gens qui font de la politique.

On verra.

Elle continue son action de mentor pour le corps d'une façon absolument remarquable. Mais ça, ça va. Mais il s'ajoute à cela des contacts dans le vital, et aussi l’obligation d'intervenir dans certaines actions politiques.

On verra.

10 mai 1969

Quoi de neuf?

Rien, douce Mère.

Tu sais, c'est comme un bâton qui remue un étang: tout remonte... une chose après l’autre, partout, dans tout le pays – une pourriture. C'est comme si tout-tout-tout était exposé.1

(silence)

On m'écrit... Avant, toutes sortes de choses se passaient en bas (dans les bureaux de l’Ashram); on parlait à Amrita, on s'«arrangeait»; maintenant, ils m'écrivent à moi!... Je viens d'en entendre, tu sais... (geste comme un tombereau qui se déverse). J'avais bien une espèce de sensation que ça n'allait pas, mais jamais je n'aurais pensé comme cela.

Comment tu vas, toi?

Bien, douce Mère.

Tu n'as rien à dire?... Moi, je crois que j'avais quelque chose; je ne me souviens plus au milieu de tout cela.

Oh! mais il y a vraiment une Grâce qui agit ici constamment pour garder... au moins une harmonie d'apparence, autrement il y a des choses... Et alors, cette Conscience, il y a deux choses qui semblent la tirer: c'est l’argent et le... (Mère passe sa main sur son front comme si elle avait oublié)... Ah! c'est parti – elle ne veut pas que je le dise.

La politique?

Non.

Ça, la politique, elle m'a fourrée dedans, en plein! On m'a demandé de choisir le Président pour remplacer celui qui vient de mourir!2 Et le plus beau de l’affaire, c'est qu'elle suggère imédiatement ce qu'il faut faire... On verra.

Mais vis-à-vis de l’argent, elle ne me dit pas comment elle le remplace. N'est-ce pas, elle veut que l’argent soit une force qui circule. C'est tout à fait vrai, mais3...

(silence)

J'avais une quantité de choses que je voulais te dire, mais... (geste au front) ça vient d'être sorti de ma tête, remplacé par tout le bourbier dans l’Ashram!4 (Mère rit)

Mais toi, tu n'as rien?

Rien de très intéressant, non.

Qu'est-ce que c'est?

Quelqu'un a envoyé une photo de l’endroit où. Léonard de Vinci est mort. Est-ce que cela t'intéresse de voir cela?

Je connais cet endroit, j'y suis allée (Mère regarde la photo).

C'est l’endroit où il est mort.

Mais c'est en France.

Oui, il est parti en France.5

Il a été dit que Sri Aurobindo avait été Léonard de Vinci... mais Sri Aurobindo ne me l’a jamais dit.6 Je ne sais pas. C'est comme on a beaucoup dit que j'étais Mona Lisa, mais je n'en sais rien (!)

(Mère regarde la photo) C'est cela. C'est à quel château?

À Amboise.

C'est cela, oui. Il y a une plaque. J'ai vu une plaque. Mais qui t'a envoyé cela?... Enfin c'est quelqu'un qui pense que c'était Sri Aurobindo.

(Mère regarde) Oui, j'ai vu ça.

C'est encore une... (Mère hoche la tête) une façon enfantine de dire. Tu sais, on met une poupée dans l’autre, et puis on l’enlève, et puis on la met dans une autre... Ce n'est pas comme cela (!)

(silence)

Tu sais, c'est jour après jour et chaque jour, quelque chose de nouveau; et toujours, la conclusion imédiate: je ne sais rien, comprends rien, connais rien, suis rien... La négation de TOUT – tous les échafaudages du mental et de la conscience humaine... tombés. Et pour les petites choses, pour les grandes choses, pour tout. Et ça, cette question de la mort: «Qu'est-ce que la mort, qu'est-ce qui arrive?...» Pour cette Conscience, c'est... c'est évidemment ce que l’on pourrait appeler un «accident», mais un accident qui... qui s'est prolongé. Et elle est en train de montrer comment on meurt, c'est-à-dire comment, tout d'un coup, le corps se disloque – et puis il aurait très bien pu ne pas se disloquer.

Et avec des démonstrations sur les gens, figure-toi. Il y en a un qui vient, qui me supplie de mourir; et alors, la seule chose que je fais et que je puisse faire, c'est d'établir le contact d'une façon constante et sans mélange entre... (comment dire?) la destinée de ce corps et la Conscience Suprême, comme cela. Alors il est arrivé toutes sortes de choses: en une heure, parti – mourant absolument bien portant, tu comprends? Mais j'ai eu encore tout dernièrement un exemple extraordinaire: quelqu'un qui vient et qui me supplie de s'en aller; et alors, je mets la pleine Force dessus – maintenant il est tout guéri! On me l’avait amené sur une chaise, il ne pouvait plus marcher... et il trotte, il vient tout seul! Et vieux: très près de quatre-vingt-dix ans7... Un autre qui s'obstinait; alors sa fille m'a dit: «Il est malheureux, il est misérable, est-ce que vous ne pouvez pas le faire partir?» Je regarde: je vois, serré comme cela (Mère pince deux doigts ensemble, de toutes ses forces), un nœud noir, là. Je dis à la fille: «Oui, je veux bien, mais moi, je ne peux pas lui couper la tête! (riant) Ça tient comme cela (même geste).» Deux jours après, parti!

Mon procédé est toujours le même, n'est-ce pas: pleine concentration de la Conscience Suprême sur la personne, en enlevant tous les obstacles. Et ça fait comme cela, comme cela, comme cela... (geste qui se promène ici et là). Et c'est comme si c'était une démonstration par le fait que TOUTES les règles que nous avons établies dans notre conscience, tout cela est absolument idiot. Ça ne correspond pas à la vérité. Il y a... quelque chose. Il y a quelque chose.

Hier (riant), elle m'a fait voir toutes les volontés, ou les vibrations (parce qu'au fond, ça se réduit à des qualités de vibration), toutes les vibrations qui amènent, depuis les petits embêtements jusqu'aux plus grandes catastrophes – c'est tout la même qualité. Et comment les cellules physiques répondent. Et de temps en temps – de temps en temps –, comme une récompense de l’effort: ce qu'il faut faire, la vraie chose. Mais ça passe – c'est comme un éblouis-sement, mais ça ne dure pas. Nous sommes... Et elle semble devoir aller très vite parce que, au point de vue conscience, nous sommes encore vraiment dans un bourbier, et ça va comme ça (geste de marche en avant irrésistible), oh! elle s'affirme.

Et ce pauvre corps... il ne se plaint pas. Il ne se plaint pas; il est là, il a tout le temps mal quelque part – il est dans un état béatifique. Et ça, dans la conscience des cellules. Il y a quelque chose... Tout le temps mal quelque part, mais il sait que c'est son incapacité à tenir le coup, voilà – mais il faut, il faudra.

C'est incroyable. C'est incroyable, c'est une histoire... Une histoire plus extraordinaire que tout ce que l’on peut imaginer.

Pourquoi? Pourquoi cette habitude de dislocation tout d'un coup, pourquoi?... Évidemment, ce n'est pas nouveau avec la venue de l’homme parce que c'était la même chose avec tout ce qui précédait: ça se formait, se dissolvait, se formait – formait, existait, croissait et se dissolvait –, tout-tout: les plantes, les... Le règne minéral, à force d'inconscience (!) était plus stable, mais tout le reste était comme cela, tout le temps à se former, se déformer, se former, se déformer... Alors l’homme en a fait une histoire, n'est-ce pas, et un drame. Il en a fait un drame, et c'est parce qu'il en a fait un drame qu'il fait un effort... pas pour en sortir mais pour s'ajuster – pour comprendre et pour s'ajuster. Et quand on est dans une certaine conscience, ça a tout simplement l’air d'une stupidité, pas autre chose que cela. Mais pourquoi?... Est-ce le corps humain qui est incapable de... Ce n'est même pas cela, je ne peux même pas dire cela. Il y a des minutes (des minutes, ça ne dure pas), des minutes où le corps a l’impression d'avoir échappé à cette loi. Mais ça ne dure pas; c'est une minute, ça passe comme cela et puis ça recommence comme c'était. Mais la conscience du corps commence à se demander pourquoi c'est comme cela? Pourquoi, pourquoi ce n'est pas... une croissance en lumière et en conscience, indéfinie? Pourquoi? Le corps lui-même se demande: pourquoi? Et puis alors, il est tout le temps assailli par toute... n'est-ce pas, la corruption générale; et de temps en temps – de temps en temps –, un éclair, pendant... quelques secondes: tout d'un coup, autre chose. Autre chose et... une conscience merveilleuse, et puis la vieille routine continue.

Et alors, les gens viennent avec toutes leurs pensées... Il y en a qui viennent et qui s'asseoient en face de moi et qui se mettent à penser: «C'est peut-être la dernière fois que je la vois!» Des histoires comme cela, tu comprends. Alors tout cela vient (geste comme un tombereau qui se déverse), et à cause de cela, c'est... un peu difficile.

Il n'y a pas, dedans, l’affirmation de oui ou de non: rien du tout, il n'y a rien, c'est comme cela (geste neutre, immobile). Il y a seulement une Présence constante. Une Présence constante, et c'est dans cette Présence que le corps se réfugie. Mais tu sais... Il y a les autres choses qui viennent aussi (les bonnes), mais les autres choses... il n'y en a pour ainsi dire... oh! ça arrive peut-être une fois, deux fois dans vingt-quatre heures: tout d'un coup, une lumière qui est pure. Comme cela, quelque chose qui est pur... qui fait ce que l’on pourrait appeler une minute d'éternité. Ça, c'est bien. Mais c'est rare.

Le corps sait beaucoup-beaucoup-beaucoup de choses sur ce qui se passe (je crois, en fait, sur tout ce qui se passe dans le rayon de son activité), mais avec une interdiction de le dire. Et c'est mis de telle façon que ça ne peut pas être dit, parce que tel que c'est mis, ce serait incompréhensible pour les autres. Pas parler, pas parler.

Mais la quantité de formations que l’on pourrait qualifier de «défaitistes» qui sont dans l’atmosphère terrestre, c'est for-mi-da-ble! On s'étonne que tout ne soit pas écrabouillé tellement c'est... Tous les gens, tout le temps, tout le temps forment des catastrophes: s'attendent au pire, voient le pire, n'observent que le pire... Les réactions... Oh! tu sais, c'est jusque dans les plus petites choses: le corps observe tout. Alors, quand la réaction est en harmonie, tout va bien; quand il y a cette réaction que j'appelle maintenant défaitiste: quelqu'un prend un objet, il le laisse tomber. Ça arrive tout le temps. Il n'y a aucune espèce de raison pour que ça arrive: c'est la présence de la conscience défaitiste. Quelqu'un prend un objet, le fait tomber; il veut faire quelque chose, ça fait faire quelque chose d'autre... Et si (le corps s'est aperçu de cela), s'il a le malheur de dire à quelqu'un la chose telle qu’elle est, cette personne est complètement bouleversée!... C'est arrivé encore il y a deux jours – une chose toute simple, n'est-ce pas, c'est-à-dire telle qu'elle est: [et la personne est] complètement bouleversée!

Mais tu sais, elle est amusante, cette Conscience, elle a mis ce corps en rapport avec (si ce n'est pas tout) mais un nombre considérable de désirs qu'il meure! Partout! il y en a partout! Il voit ça, il voit ça comme ça – ça ne l’affecte plus du tout, ça lui est tout à fait égal. Il semble être complètement protégé de toutes les choses qui viennent. Ça lui est tout à fait égal. Même, la plupart du temps, ça le fait rire. Mais c'est formidable!... Et alors, de temps en temps, une petite flamme, et c'est si joli! Et puis cette Présence... Cette Présence, cette Présence... Et ces cellules sont comme des enfants; quand elles sentent, tout-tout disparaît, excepté cette Présence; alors, c'est comme... comme un soupir de soulagement. Mais extérieurement, c'est invisible: s'il souffrait, ça reviendrait à la même chose. Généralement, il ne se plaint pas quand il souffre: il appelle... Il appelle, il appelle, il appelle... Et il sait très bien que c'est tout à fait inutile, que si seulement il savait... rentrer dans l’immobilité, rentrer dans le silence, ça suffirait. Dès qu'il le fait...

Mais je ne suis pas tout à fait sûre (parce qu'il n'a pas cherché à savoir), pas tout à fait sûre que toutes ces douleurs qu'il sent partout, tout le temps, ça ne vient pas de... ce n'est pas l’effet de toutes les mauvaises volontés. N'est-ce pas, c'est partout sur la terre. Et la plupart du temps, c'est à peine conscient...

Pourquoi est-ce comme cela?... Pourquoi-pourquoi?... Veux-tu me dire pourquoi cette extériorisation a commencé (pas commencé: c'est ici sur la terre), par cet Inconscient presque total – l’Inconscient, cette inertie presque totale? Pourquoi ça a dû commencer par ça?... Pourquoi?

Le mental a imaginé toutes sortes de magnifiques raisons, il fait des constructions – ça paraît des enfantillages... Pourquoi?

Il y a tout le côté bouddhique, nihiliste, etc.: c'est que (on peut traduire cela à l’usage des enfants) le Seigneur Suprême s'est trompé! (Mère rit) Il a fait une bêtise, alors... Et alors nous allons l’aider à sortir de sa bêtise!

Il y a l’autre extrême: c'est TA bêtise à toi qui fait que tu le sens comme cela – mais pourquoi ai-je de la bêtise en moi, d'où cela vient?

Il n'y a aucun doute que tout est voulu, et tout a un sens.

Oui, c'est sûr. C'est sûr.

Ça, c'est sûr.

Et c'est... l’impression que l’on a: c'est parce qu'on est trop petit que l’on ne comprend pas.

Mais pourquoi est-ce que ça se traduit comme cela, par... souffrance-souffrance...?

(long silence)

On verra.8

14 mai 1969

(Depuis quelques jours, Mère n'est pas bien portante: une crise «cardiaque».)

Le mouvement se précipite.

C'était le tour du cœur, alors le docteur a défendu que je voie du monde – mais ce n'est pas possible. Avant-hier, j'étais occupée; hier, j'ai vu un peu... En tout, cela devient une cinquantaine de personnes! Fantastique.

Oui, ça a commencé dimanche (je t'ai vu samedi 10 et ça a commencé dimanche). Ça a commencé par une espèce de rage de dents, mais ce n'était pas cela... Il y a toute une résistance qui est centrée là (geste montrant la gorge et la bouche). Alors ça a pris ici, et puis les douleurs sont devenues tellement aiguës (et puis naturellement pas manger), et puis... (naturellement je me suis concentrée, j'ai voulu savoir), alors je me suis aperçue que tout cela était la préparation pour... (Mère fait un geste au cœur).

Alors c'est un peu difficile. Voilà.

Mais intéressant, très intéressant.

(Mère reste en contemplation jusqu'à la fin de l’entrevue)

Je dirai après, dans plusieurs jours.

C'est extrêmement intéressant, mais c'est... ça touche au cœur même des choses. Dans trois-quatre jours, c'est-à-dire peut-être samedi, peut-être mercredi prochain, je te dirai.1

17 mai 1969

(À propos du départ de Pavitra, le plus ancien disciple français, ancien Polytechnicien et chimiste, qui était venu à l’Ashram en décembre 1925 après avoir poursuivi sa quête jusque dans les lamaseries de Mongolie.)1

(Voir Sri Aurobindo, Conversations avec Pavitra, Fayard, 1972.)

Tu sais que je voyais Pavitra tous les jours, le soir. Il était en mauvais état. Mais j'avais été prévenue (il y a longtemps) que son être intérieur attendait le retour d’A2 pour s'en aller. Je ne sais pas si, dans la conscience extérieure, il savait quelque chose, mais en tout cas il n'avait jamais rien dit. Mais moi, je savais... Le jour où A est arrivé, le jour même de l’arrivée (le 13 mai), juste avant de venir ici, il est tombé par terre. Il est arrivé tout à fait égratigné. Je pensais que cela s'arrêterait là, mais le lendemain de l’arrivée de A (je ne me souviens plus, je ne garde jamais le souvenir clair des dates), en tout cas entre le 15 et le 16, la nuit, après neuf heures (je n'ai pas regardé l’heure, alors je ne sais pas exactement, mais j'étais sur mon lit), toute la conscience individualisée de Pavitra (mais pas en forme), la conscience tout à fait éveillée, consciente, et jusqu'à tout ce qui peut sortir des cellules, a commencé à venir et à entrer en moi selon l’ancienne, la très vieille pratique yoguique de se fondre dans le Suprême – de la même façon, cette pratique-là. C'est arrivé, j'étais sur mon lit; ça a commencé et c'était tellement matériel qu'il y avait une très forte friction dans toutes les cellules, partout. Et ça a duré trois heures. Après trois heures, c'est devenu... pas positivement, immobile, mais plus actif. Et alors, le lendemain matin, j'ai vu A (c'était le 16), j'ai vu A à peu près à huit heures et demie (naturellement, Pavitra était couché depuis la veille, on l’avait couché), et il m'a dit, le matin, que juste au moment où il allait venir, Pavitra a ouvert les yeux et l’a regardé... Alors je lui ai dit: «Je ne sais pas, mais avec une connaissance yoguique du procédé, tout à fait extraordinaire (parce qu'il ne s'est jamais vanté qu'il le savait), son être conscient s'est fondu la nuit dernière, est entré dans mon corps, dans ce corps-là...»3 Je lui ai dit: on verra. Mais une demi-heure après, on me disait que c'était juste au moment où je parlais à A que le docteur a déclaré qu'il était parti.

Tu l’as vu? Il paraît qu'il est très bien.

Oui, oh!

Alors, j'avais d'abord dit qu'on l’enterrerait ce matin à dix heures puisque la fin s'était passée avant même que les docteurs déclarent que c'était fini, mais j'ai fait retarder jusqu'à quatre heures... Je ne peux pas dire qu'il soit resté séparé (de Mère), pas du tout, mais de temps en temps, il y a sa manière de réagir pour une chose; c'est tout à fait intéressant; et il a apporté avec lui un sens de satisfaction extraordinaire! comme si: «Ah! enfin...» Comme cela. Et c'est constant, c'est nuit et jour. Je voulais voir la nuit s'il y avait encore quelque chose de lui qui arrivait, mais c'était tout fini, il n'y avait plus rien... C'était fait comme un super-yogi peut le faire! – il ne s'était jamais vanté, je ne sais même pas s'il le savait activement. Il l’a fait merveilleusement. Tu sais, les histoires que l’on nous raconte, de ceux qui s'enfermaient dans une cave et puis qui s'en allaient comme cela – c'est cela.

On ne l’avait pas exactement ramassé parce qu'il n'était pas tombé, mais on l’avait trouvé debout, incapable de bouger. C'était après le déjeuner (il avait déjeuné avec A, le 14) et tout de suite après le déjeuner, il a dit à A de s'en aller,4 et il voulait aller sur sa terrasse – il a mis une heure pour y aller! Et c'est en sortant de là qu'il était resté comme cela, debout – il a failli tomber, on a dû le transporter sur son lit (c'est-à-dire dans l’après-midi du 14), et c'est dans la nuit qu'il a fait cela.5 Et alors, j'avais dit qu'on l’enterrerait ce matin, c'est-à-dire le J7, puis A est venu me disant qu'il était tout à fait intact et qu'il n'était pas raidi (il était allé le voir avec N, qui est médecin, et N avait dit: c'est parce qu'il est si maigre), alors j'ai dit: on peut aussi bien attendre à cet après-midi. On a remis cela à quatre heures. Mais moi, j'avais vu cette nuit soigneusement: il n'y a rien.6 Il vaut mieux laisser; même s'il y a quelque chose, un peu de conscience qui restait, la laisser partir.

Mais je ne m'y attendais pas, je n'y pensais pas, je ne savais même pas qu'il savait sortir comme cela – ce devait être quelque chose au fond de lui qui savait –, je ne savais même pas qu'il savait le faire. Parce que j'avais dit à A la veille au soir du départ de Pavitra (A m'avait raconté ce qui s'était passé au déjeuner), je lui avais dit: «Généralement, je ne vois pas Pavitra, c'est très rare, très rare, ça arrive tout à fait accidentellement, et ce sont plutôt des visions symboliques que des...» Je lui ai dit: «Je ne le vois pas, je ne sais pas, mais je vais m'enquérir cette nuit, c'est-à-dire le 15, pour voir ce que c'est, dans quel état il est, et voir s'il sort de son corps ou s'il vient me trouver...» Il n'y avait rien en forme, rien. Et alors, quelque temps après que je me sois couchée, ça a commencé à venir, mais alors avec une science du procédé extraordinaire! Et pendant trois heures sans arrêt, continu, tout ce qu'il y a de plus steady [régulier], comme cela: une action. Au bout de trois heures, c'était comme maintenant; j'avais l’impression qu'il disait: «Maintenant, c'est fini.» Seulement, on ne sait jamais, n'est-ce pas, s'il y avait une conscience attardée dans le corps... Je me suis dit: il vaut mieux attendre cet après-midi, pas l’enfermer avec quelque chose dans son corps.

Et ça a apporté à la conscience du corps comme un sens de satisfaction: l’apaisement que donne la satisfaction. Et ça, tout à fait concret.

Est-ce qu'il le savait d'une autre vie ou...? Je ne sais pas, ou bien il n'en parlait pas simplement. Parce que, d'après sa façon de parler, il avait l’air de ne pas savoir les secrets des procédés yoguiques.7 Ça a été fait avec une perfection rare... Trois heures, sans arrêt, sans fléchissement – trois heures –, continu-continu. Naturellement, j'étais étendue sur le lit...

(silence)

Quand Sri Aurobindo est parti, je me tenais debout près de son lit (après, quand il était seul, qu'il n'y avait plus personne) et tout ce qu'il avait concentré dans son corps comme force supramentale (ce qui était resté dans son corps), il me l’a passé à moi. J'étais debout près du lit; lui, était «annoncé» mort, mais toute cette conscience supramentale qui était là, sortait de son corps, lentement, et entrait directement dans le mien. Et c'était tellement matériel que tout, partout-partout, je sentais la friction de la force. Mais c'était légèrement lumineux. Ça, c'était autre chose que pour Pavitra. Lui, Sri Aurobindo, il est... (comment dire?) il est resté surtout... Je l’ai trouvé partout: je l’ai trouvé tout en haut, absolument un avec la Conscience Suprême; je l’ai trouvé s'étant répandu et ayant été dans beaucoup d'endroits pour voir beaucoup de gens et pour faire beaucoup de travail; et je l’ai trouvé (alors, dans une forme précise, mais pas fixe – une forme précise assez souple qui lui ressemblait, qui ressemblait à ce que nous connaissions de lui, avec plus de souplesse et pas la fixité du physique, mais comme cela tout à fait précis, une forme à sa ressemblance, tout à fait à sa ressemblance), dans le physique subtil. Là, il a une demeure et il y est installé et il y est d'une façon permanente (ça ne l’empêche pas d'être à beaucoup d'autres endroits et de...), mais il y a là un Sri Aurobindo que je vois presque toutes les nuits, qui s'occupe de tout le travail, qui voit les gens, qui est presque tout le temps avec moi; et dans le physique subtil, c'est un endroit défini, et c'est très grand – c'est énorme, n'est-ce pas –, il est là, il voit des gens, il fait toutes sortes de choses...

À part cela, pour Amrita,8 c'était encore autre chose. Amrita venait en dépit de sa maladie, il venait me voir tous les jours; il montait le matin et il s'asseyait là, et il montait encore une fois le soir (tu as vu quel travail c'était pour monter les escaliers). Alors lui, quand il est parti... Le docteur lui avait dit: «Vous ne pouvez pas monter avant un mois»; et c'est après, c'est dans la journée qu'il est venu: il n'a pas accepté, il a quitté son corps et il est venu – il est venu tout droit à moi. Mais alors, lui, était de sa forme, mais plus subtile, mais c'était très défini (Mère dessine un contour montrant la forme d'Amrita), c'était sa forme, à sa ressemblance; et il est resté là, et tantôt il est actif, tantôt il se repose (il se repose plus qu'il n'est actif, mais de temps en temps encore il est actif). C'est comme... comme une ombre, n'est-ce pas, qui est tout à fait dans mon atmosphère. Et il est resté là – il reste là, il se repose là. Mais dans le cas de Pavitra, c'est tout à fait autre chose: c'est l’être conscient tout entier qui a abandonné... (comment dire?) ses limites, la limite personnelle et la forme, pour s'identifier totalement – il est entré comme cela, comme un courant de conscience et de force, mais très matériel, très matériel: ça produisait une friction, on sentait une friction, et pendant trois heures. Et ça, je ne l’avais jamais vu avant, c'était la première fois – j'avais entendu parler de cela très souvent (ils en parlent beaucoup), comment les grands yogis savaient faire: ils s'en allaient comme cela volontairement.

Et ça a AJOUTÉ quelque chose à la conscience du corps. Dans l’attitude spontanée du corps et dans sa manière d'être, j'ai remarqué un petit changement; ça a ajouté une sorte de... stabilité dans le corps: stabilité satisfaite, comme cela. Et ce n'est pas comme quelque chose qui vient et qui peut s'en aller, ce n'est pas cela: c'est là (en Mère). Ça a été vraiment tout à fait intéressant – et inattendu.

Je voulais être sûre qu'il n'y avait rien qui reste et qui pouvait faire souffrir le corps, mais maintenant je pense que c'est fini.

Est-ce que cela veut dire que son individualité est dissoute?

Tu sais, ces notions d'individualité... elles ont beaucoup-beaucoup changé pour moi, beaucoup. Encore toute la matinée de ce matin... Mais depuis longtemps, depuis au moins un mois, c'est autre chose.

Quand les hommes parlent d'individualité, il y a toujours comme un... au moins un arrière-fond de séparation, c'est-à-dire quelque chose qui existe indépendamment et qui a son destin propre; et maintenant, telle que la conscience dans ce corps la connaît, c'est presque comme une pulsation de «quelque chose» qui, MOMENTANÉMENT, a une action séparée, mais qui est profondément, essentiellement, toujours UN; comme quelque chose qui est projeté comme cela (geste d'expansion) momentanément avec une forme, et puis qui... (geste de contraction) qui peut à volonté annuler cette forme. C'est très difficile à expliquer, mais le sens, en tout cas de la permanence de la séparation, a tout à fait disparu, tout à fait. l’univers est une extériorisation (même geste de pulsation) de la Conscience Suprême; c'est notre incapacité de vision totale qui nous permet d'avoir ce sens de fixité: il n'y en a pas, c'est quelque chose comme des pulsations ou des... vraiment un jeu de formes – il n'y a qu'UN être. Il n'y a qu'un être. Il n'y a qu'une, qu'une Conscience, qu'un Être.

La séparation, c'est vraiment... Je ne sais pas ce qui est arrivé... Et c'est cela qui a fait tout le mischief – tout le malheur, toute la misère... Ce corps vient, pendant quelques jours, de passer par une série d'expériences (beaucoup trop longues pour raconter), par tous les états de conscience dans lesquels on peut passer, depuis le sens de l’unique réalité de ça (Mère pince la peau de ses mains), de la substance, avec toutes les misères, toute la souffrance qui est la conséquence de ce que l’unique réalité c'est la matière; depuis ça, jusqu'à la libération. Ça a été, heure après heure, un travail. Et cet incident de Pavitra est venu comme un exemple, comme une démonstration.

Mais déjà avant cela, la conscience des cellules avait réalisé l’unité – l’unité vraie, essentielle – et qui PEUT devenir totale... si cette espèce d'illusion disparaît. N'est-ce pas, l’illusion qui a créé toute cette misère était vécue d'une façon tellement intense que ça devenait presque insupportable, avec toutes les horreurs et toutes les épouvantes que cela a créé dans la conscience humaine et sur la terre... Il y a eu des choses... effroyables. Et juste après – juste après: la libération.

Ce qui reste à vivre, c'est-à-dire l’expérience qui reste à faire, c'est... le prochain progrès de la création, de la matière – le prochain pas pour retourner à la Conscience véritable. Ça, c'est...

Il semble qu'il a été décidé que quelque chose comme un commencement, ou un essai d'expérience, va être fait (Mère touche son corps).

C'est une question d'intensité de foi, et du pouvoir de supporter que donne cette foi. Tout dépend de la capacité de passer à travers les expériences nécessaires.

En tout cas, toutes les anciennes notions, toutes les anciennes façons de comprendre les choses, tout cela est bien fini, c'est passé.

Et tout cela, nécessairement, c'est le chemin du retour; il a fallu passer par là et il faut encore passer par là (mais pas la même chose), mais toujours avancer jusqu'à ce qu'on puisse... jusqu'à ce que ça (le corps) soit prêt pour vivre la Vérité. Je ne sais pas, l’impression est que ça va aussi vite qu'il est possible d'aller; vraiment la Conscience est en train de nous faire avancer aussi vite qu'il est possible. Ce n'est plus l’heure d'une somnolence qui s'étale.

(long silence)

Je peux dire (et ça a été presque comme une surprise, c'est-à-dire que je ne le savais pas): la conscience qui est sortie du corps de Pavitra était une conscience sans ego – sans ego. Sans SENS de l’ego. Il y avait une volonté claire de se fondre, une volonté avec une intensité d'aspiration, c'était formidable! – formidable.9

Mais par individualité, je n'entends pas un ego: j'entends le «quelque chose» qui est identique à travers toutes les vies, la même chose qui progresse à travers toutes les vies. Le quelque chose qui est semblable et qui poursuit son développement.

Ça, c'est le Suprême.

Oui, mais il y a quelque chose qui...

C'est le Suprême conscient de Lui-même...

Oui.

...partiellement.

Oui, c'est cela, il y a quelque chose...

Le Suprême conscient de Lui-même partiellement.

... qui poursuit une voie de développement.

Oui, c'est le procédé.

C'est le procédé qui a été utilisé pour l’évolution.

Oui, c'est cela que j'appelle individualité.

Ça, c'est entendu. Ça, c'est le procédé – ça a été le procédé de la création.

Et c'est parce que c'était le procédé de la création, que les hommes ont confondu cela avec...

La séparation.

La séparation: l’ego.

Mais ça, c'est évident (ce «quelque chose» qui persiste). C'est là, très fort, dans cette action de Pavitra, c'était très fort. Justement, c'était libre de l’illusion de l’ego et ça avait toute la force de Ça. Mais ça (ce centre-là), ça reste! ça ne peut pas disparaître.

(silence)

Qu'est-ce qui va se passer? Je ne sais pas.

Parce que c'est très clairement une partie du travail (cette fusion de Pavitra): il n'y a pas d'accident, il n'y a rien-rien (tout cela s'est évanoui), très clairement tout est arrivé exactement comme cela devait arriver. Et ça a l’air de vouloir dire qu'«on» est en train d'essayer quelque chose (Mère touche son corps). Mais quoi? Je ne sais pas... Le corps ne se préoccupe pas du tout, il est comme cela (Mère ouvre les mains); ça, tout le temps: «Ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu voudras...» et avec un sourire et une joie parfaite – comme ça, comme ça, comme ça (geste mouvant, comme pour désigner ce côté du monde ou l’autre, ou toutes sortes d'autres côtés)... Très étrangement, on lui a donné une conscience qui n'a plus rien à voir avec le temps: tu comprends, il n'y a pas «quand il n'était pas», il n'y a pas «quand il ne sera plus», il n'y a pas... Ce n'est pas comme cela, c'est tout quelque chose qui bouge. Mais c'est vraiment très intéressant. Et toutes-toutes ces réactions, ces sensations, ces sentiments, tout cela a tout à fait changé – changé même d'apparence. C'est autre chose.

N'est-ce pas, les états dans lesquels on pouvait être quand on était dans les consciences les plus hautes – celles qui s'unissaient, qui étaient une automatiquement avec la Conscience Suprême et avaient la conscience du tout –, cet état-là est devenu l’état naturel du corps. Sans effort, spontané: il ne peut pas être autrement. Alors qu'est-ce qui va se passer, comment ça va se traduire? Je ne sais pas.

C'est contraire à toutes les habitudes.

Est-ce que cette conscience sait ce qu'il faut faire matériellement...? Je ne sais pas. Mais le corps ne s'en préoccupe pas, il fait à la seconde la seconde ce qu'il a à faire sans se poser de questions. Pas de complications et pas de plans, rien-rien.

Voilà.

On verra, c'est intéressant!10

21 mai 1969

(À propos d'une photo qui a été prise juste avant le moment où l’on allait mettre le couvercle sur le cercueil de Pavitra et le descendre en terre. Satprem se tenait près du cercueil, à la droite de Pavitra.)

Pas de nouvelles? Tu n'as rien de P.L.?

Non, douce Mère... Il y a ça [une enveloppe].

Qu'est-ce que c'est?

La pension... [telle somme].

Ah!... Ta maman n'a besoin de rien?

(silence)

J'ai vu les photos – tu as vu les photos, on t'a montré les photos? Ils ont pris des photos là-bas. Je t'en parle parce qu'il y a eu quelque chose d'intéressant... Il y avait une photo où tu étais là (il y avait A, il y avait le gouverneur, il y avait...), au moment où vous étiez en train de descendre le cercueil. Et alors... (tu sais, cette présence de Pavitra ne s'est pas fondue avec le reste [de Mère]: elle est restée là bien tranquille, il est très tranquille – ça ne s'est pas fondu), et alors, au moment où j'ai regardé la photo et où je t'ai vu, il y a eu quelque chose comme cela dedans (geste au cœur, comme une émotion), je ne sais pas, c'était presque comme une tendresse, et il était presque heureux. Je ne peux pas expliquer ce que c'est, il était comme ça: «Oh! Satprem...»

Ça lui a fait vraiment plaisir.

C'est curieux. Je ne m'y attendais pas, on m'a donné les photos, je regarde les photos; tout d'un coup j'ai senti quelque chose (même geste au cœur)... Ça m'a beaucoup frappée. Parce que tu avais demandé: «Est-ce qu'il va se fondre?» Alors, même cela, ce contact-là, il l’a gardé. De temps en temps, quand quelqu'un dit quelque chose concernant le travail, il a sa réflexion à faire (ça, je l’ai noté), mais là, c'était très fort, c'était presque comme un oh! de joie, tu comprends: «Oh! Satprem.» Alors j'ai pensé: c'est bien, puisque ça lui a fait vraiment plaisir.

Je me demande si la conscience (de Pavitra) a été spécialement conservée intacte parce que c'est entré ici (en Mère), ou si c'est toujours comme cela?... Quelqu'un de conscient, où est-ce qu'il va? Est-ce qu'il reste là?...1 Je t'ai dit pour Amrita, c'est une espèce de forme pas très-très précise, mais qui est tout le temps là, qui se repose, qui s'éveille, mais il n'a pas l’air d'être particulièrement intéressé par les choses matérielles. Mais Pavitra, d'après ce que je vois, est comme cela: il semble en être conscient. C'est une chose assez remarquable, je crois.

J'ai vu des cas de gens qui s'intéressaient et qui continuaient à s'intéresser à ce qui se passe, mais alors ils ont une forme indépendante. Mais Pavitra, c'est autre chose.

Ça m'a frappée parce que c'était fort, comme cela (même geste au cœur).

Tous ces temps dernier, depuis quelques semaines, il y a toujours une sorte de... je ne peux pas dire préoccupation, mais comme un besoin de savoir: dans quelle mesure et comment ceux qui sont partis, restent conscients des choses qu'ils faisaient, par exemple, et s'y intéressent, s'en occupent – s'ils en ont les moyens?

Un cas comme celui de Sri Aurobindo, c'est tout à fait différent: c'est comme si ça l’avait multiplié. Il a une présence constante dans le physique subtil, et puis il va, il visite une quantité de gens et il est conscient de beaucoup de choses, il intervient dans beaucoup de choses, mais une quantité considérable – ça a multiplié son action. Mais ça, c'est exceptionnel.

(silence)

Je me suis souvent posé cette même question. Je me suis souvent demandé: est-ce que, de l’autre côté, je serais aussi inconscient de ce côté-ci, qu'ici je suis inconscient de l’autre côté!

(Mère rit beaucoup)

La plupart des gens – l’immense majorité des gens – entrent dans une espèce de sommeil assimilateur: toutes les expériences qu'ils ont eues pendant la vie, tout ce qu'ils ont appris, c'est comme si la conscience ruminait ça. Au début... (Théon savait beaucoup de choses – je ne sais pas de quelle manière, mais je les ai vérifiées et j'ai trouvé qu'elles étaient exactes), au début, l’espace entre les vies est très long, et c'est une espèce de sommeil assimilateur où les conséquences de ce que l’on a appris se développent intérieurement. Et à mesure que l’être psychique est formé et que l’on devient de plus en plus conscient, les réincarnations sont de plus en plus proches, jusqu'au moment où la réincarnation devient le résultat d'un choix: à un endroit précis, pour un temps déterminé; et alors là, suivant ce que cet être psychique veut faire, suivant l’action qu'il a à faire, la réincarnation peut être proche ou peut être lointaine. Là, il y a toutes les différences possibles. Mais dans l’état de formation, c'est comme cela: des réincarnations très lointaines. Et alors je me suis souvent demandé... N'est-ce pas, Théon dit qu'il y a un ÉTAT psychique où ces êtres se reposent (c'est vrai, il y a un endroit comme cela, je le connais), mais il y a beaucoup de gens, surtout au commencement de leur évolution, qui sont très liés à la terre; j'ai vu pas mal de gens dans les arbres, par exemple. J'en ai vu souvent-souvent dans les arbres; souvent, en suivant quelqu'un (avec le regard intérieur), je l’ai vu entrer dans un arbre; et souvent, en regardant un arbre, j'ai vu quelqu'un dedans. J'en ai vu d'autres qui étaient... oh! des gens accrochés à un endroit qui les intéressait: par exemple, j'ai vu un homme qui n'était intéressé que par son argent, qu'il avait caché quelque part, et dès qu'il a quitté son corps, il est allé là, et puis il s'est installé là et puis il n'a plus voulu bouger!... C'est cela d'ailleurs (riant) qui a eu un curieux résultat: ça a fait découvrir l’endroit! N'est-ce pas, ça produisait des mouvements de force, et alors il y a eu des gens qui ont senti et qui ont dit: oh! il doit y avoir quelque chose là.

Il y avait un temps où je m'étais pas mal occupée de cela et j'avais trouvé pas mal de choses (avec les indications de Théon); après, ça ne m'a plus intéressée; puis maintenant, tout dernièrement, je suis en train de revoir toutes sortes de choses, toutes sortes de choses...

Mais le cas de Pavitra, vraiment je le crois exceptionnel. C'est la première fois que cela m'arrive à moi – personne-personne avant. Je t'ai dit, quand Sri Aurobindo est parti, pendant des heures toute la force et la conscience supramentales qu'il avait concentrées dans son corps, il me les a passées. C'était tout de suite, dès qu'il est parti. Je sentais qu'il m'avait appelée; je me tenais là debout près de son lit à le regarder, et puis... je le voyais, n'est-ce pas: la force, toute la force supramentale qu'il avait concentrée dans son corps, il me l’a passée, et je le sentais partout qui entrait comme cela, avec une friction. Et ça a duré des heures. Mais ça, c'est un cas tout à fait exceptionnel, je te l’ai dit. Mais ce qui est arrivé avec Pavitra, vraiment... vraiment c'est... Ce n'est pas la même chose: il est simplement sorti volontairement de son corps (et pas son être psychique: aussi matériel qu'il a pu), et je le sentais, je sentais partout, dans tout mon corps, ça entrait, ça entrait... Et alors, maintenant, si je regarde dedans, je ne peux pas dire que je voie une forme, mais... ce n'est pas complètement fondu. Et pour certaines choses – certaines choses qui concernent les gens, l’École2 –, il y a une réaction personnelle très claire. Et puis ces photos... Ça, je crois que c'est tout à fait exceptionnel.

J'ai senti quelque chose dans le cerveau (tu sais que c'était tout à fait immobile depuis que Sri Aurobindo m'avait donné le silence mental; ça ne s'était jamais remis en marche comme avant, et la conscience était là – geste au-dessus de Mère – et elle travaillait de là), mais alors, depuis que Pavitra est là, il y a quelque chose (geste au front) qui a fait que j'ai demandé (j'ai demandé à ce qui était dedans): «Est-ce que je pourrais avoir la connaissance mathématique que tu avais?» Je le lui ai demandé. Et alors, lui, sa réponse était: «Mais oui, ce serait facile si tu remettais ça en mouvement!» Alors ça, je ne veux pas. Mais enfin...

Mais enfin c'est comme cela, c'est comme si je parlais à quelqu'un qui est dedans!

Comme il était content! Je crois qu'il t'aimait beaucoup. Il ne disait jamais rien de tout cela. Ça lui a fait vraiment plaisir.

Moi, je me tenais toujours en retrait de Pavitra, parce qu'il y avait deux côtés: il y avait ce côté lumineux que j'aimais bien, et puis tout un autre côté... qui ressemblait à mon père: un côté mental un peu rigide. Alors je me tenais en arrière, ça empêchait la communication.

Oui, il était rigide.

Il avait un côté comme cela.

(long silence)

Mais ce qu'il y a de curieux, ça a donné un complet sens d'irréalité à la mort – tout de suite. Et alors, ce corps (riant), il est drôle (!) de temps en temps, il se demandait: «Est-ce que je suis en vie ou je suis mort?!» Comme cela. «Est-ce que je suis en vie ou... je ne suis pas sûr!» Il a eu une très forte fièvre,3 il était tout à fait mal en point, et il ne savait pas bien si c'était lui!... Ça n'a pas duré. Et je ne sais pas... c'est comme si tout cela était une démonstration pour nous faire comprendre les secrets de l’existence. C'est curieux.

(Mère entre en contemplation)

Il y a quelque chose de changé aussi dans les nuits. C'est-à-dire que les deux dernières nuits ont été extrêmement actives; je suis allée dans des endroits (si j'y suis allée avant, je n'y suis pas restée longtemps) où il y avait beaucoup de monde, et mélangé, c'est-à-dire des soi-disant vivants et soi-disant morts, ensemble. Et tout à fait ensemble, et habitués à être ensemble et trouvant cela tout naturel – mais une FOULE de gens! Et la nuit dernière, j'ai remarqué que Nolini était là – il était là, il avait l’habitude d'être là –, et on arrangeait des choses, on organisait, on décidait... Ça me paraît être dans le physique subtil.

Et je me souviens que dans les deux cas, aujourd'hui et hier, quand je me suis levée, je me suis dit: «Tiens! j'ai dit à telle et telle personne que je ne les voyais pas la nuit, mais je les vois régulièrement!» Et à l’une de ces personnes (justement c'était... qui est-ce?...), j'ai dit: «Mais oui, je le vois constamment, et constamment nous faisons des choses ensemble.» C'était comme si cela m'avait ouvert le souvenir d'une nouvelle activité – pas «nouvelle»: un nouveau souvenir d'une vieille activité.4

Et de plus en plus, l’impression que c'est notre tête et notre façon de voir qui font des limites tranchées comme cela (entre la vie et la mort, entre les uns et les «autres») – mais ce n'est pas ça! c'est tout mélangé, c'est de la conscience qui... (geste de brassage) qui s'entre-développe, je ne sais pas. Et tout cela est ensemble.

C'est beaucoup plus interdépendant que nous ne le croyons.

(silence)

En tout cas, il y a une chose qui a été catégorique avec ce départ de Pavitra: s'il y avait la moindre crainte de la mort, anxiété dans le corps, c'est com-plè-te-ment parti. Avec le cas de Pavitra, c'est complètement parti, complètement parti; l’impression: «Mais... mais pourquoi fait-on tant d'histoires à propos de ça!» Voilà.

C'est curieux.5

24 mai 1969

C'est difficile... Les Anglais diraient: it's not a joke [ce n'est pas une plaisanterie]... Tout-tout se désorganise, tout est désorganisé.

On voit bien que ça se désorganise VERS une organisation supérieure, c'est-à-dire un élargissement, une libération – ça, c'est vrai... Mais rien-rien ne va plus à la façon ordinaire. Alors, le corps ne peut plus manger, peut plus... Ça, dormir, il y a longtemps qu'il n'y a plus de sommeil ordinaire (je ne le regrette pas), mais tout-tout est comme cela (geste de bouleversement).

(long silence)

C'est une très étrange sensation: plus aucune relation telles qu'elles étaient auparavant. Rien: ni le corps avec lui-même, ni le corps avec les autres, ni rien, c'est... tout comme quelque chose qui a disparu. De temps en temps, tu sais comme un souffle qui passe, une petite chose... je ne peux pas dire comment c'est – charmante. Ce n'est pas un plaisir, ce n'est pas une joie, c'est... une brise qui passe et qui est tout à fait spéciale – charmante, quelque chose de tout à fait charmant. On boit une goutte de quelque chose, qui la minute d'avant était tout à fait terne – ce n'est pas intense, ce n'est pas violent, ce n'est pas fort, c'est... charmant. La minute d'après, c'est parti. Le corps, tout d'un coup se sent une espèce de repos paisible et lumineux et... tout à fait adorable – la minute d'après, il a mal partout. Alors tout est comme cela.

Une sorte d'identification avec tout, qui est loin d'être très agréable (mais elle n'est pas désagréable non plus), mais... ça donne une impression bizarre de la vie. Tout est comme cela. À un moment, l’impression que l’on ne dépend de rien, qu'on est une expression... (comment dire? Mère sourit) une expression du Seigneur, et qu'on ne dépend de rien; la minute d'après, qu'on n'est rien du tout, qu'une espèce de mouvement semi-conscient au milieu d'une semi-conscience générale – très désagréable. Et c'est comme cela, et c'est tout le temps comme cela... À un moment donné, les choses sont tellement (comment dire?) presque répugnantes, qu'on aimerait hurler – et qu'en fait, si l’on ne se surveille pas, on se met à crier; à un autre moment... tout est si paisible qu'on a l’impression d'entrer dans une éternité. Alors tu comprends... Tout ce que l’on peut faire, c'est d'être tranquille au milieu de tout cela!

Et puis, c'est accompagné d'une conscience (pas une perception mentale: une conscience), conscience de tout ce que les gens pensent, de tout ce que les gens sentent, de tout ce que... tout est, oh! c'est si lamentable! C'est si lamentable... Comme je dis, tout d'un coup, une minute, il y a quelque chose qui est tout à fait merveilleux; et puis la minute d'après, c'est... Alors le corps lui-même, on ne peut pas dire qu'il trouve ça très amusant, non, seulement il est... Il ne se révolte pas du-tout-du-tout-du-tout, il dit: «Puisque c'est comme ça, ça doit être comme ça.» Quelquefois, de temps en temps, il... aspire à aboutir à quelque chose.

Tu vois la condition.

Ce qui fait que je ne peux même plus, je ne peux même plus – par exemple, avant, quand quelqu'un me disait qu'il avait des difficultés et qu'il était malheureux ou... c'était très simple, spontanément je lui disais: «Mais pensez à autre chose, pensez au yoga et vous trouverez la paix» – je ne peux même plus dire cela! Parce que je ne peux pas dire aux gens: faites comme je fais et vous serez tranquilles! C'est vrai que je n'ai au-cun souci – aucun souci. Un jour (c'était hier ou avant-hier, je ne sais pas), tout semblait se désorganiser – tout, partout: tout le monde, toutes les circonstances, toutes les choses –, tout, à l’échelle de la terre. Pas tout petit: à l’échelle de la terre. Tout petit: un désordre complet; général: un désordre complet. Mais même cela, le corps peut encore voir et sourire. Mais, n'est-ce pas, il ne peut plus manger, ou il vomit tout ce qu'il mange, ou... C'est le désordre total. Je ne peux pas dire qu'il trouve cela tout à fait très bien, mais il ne le trouve pas insupportable; il dit: «C'est comme ça, c'est comme ça.» Parce qu'il y a toujours – toujours: ça, ça ne bouge pas (geste au-dessus de la tête, comme une volonté inébranlable), il y a toujours là la conscience de: «Atteindre-atteindre le Seigneur, la Conscience Suprême... Atteindre le Seigneur.» Ça, c'est stable. C'est durable. Et alors: «S'il faut encore que tout cela se dissolve, ça se dissoudra; si ça peut évoluer, ça évoluera; s'il faut passer par tous ces inconvénients, qui ne sont vraiment pas très agréables, il passera.» Ça, ça ne bouge pas (même geste au-dessus de la tête). Et même, ça vient – au moment où ça commence à être assez ennuyeux –, ça vient comme cela: «Être ce que le Seigneur veut... Ce que Tu voudras.»

Voilà.

Alors j'ai arrêté de parler – je parle juste maintenant, mais j'ai arrêté de parler parce que...

Et une sorte de fluidité (geste répandu partout): soit que ce que les gens ont vienne ici, soit que, ici, ça s'en aille là-bas, ou... Une fluidité comme cela... qui n'est pas particulièrement agréable. C'est intéressant, et c'est même amusant quelquefois, c'est drôle et c'est comique. Mais je ne peux pas dire que ce soit très réjouissant.

Je ne savais même pas si je dirais quelque chose parce que ce n'est vraiment pas... ce n'est vraiment pas agréable à dire... Combien de temps ça va durer? Je ne sais pas... Il y a des moments où on a l’impression que ça ne peut pas durer, que ça va finir; il y a des moments où on a l’impression que ça peut être comme cela pour une éternité. Et alors, quand c'est cela, quand il y a ce sentiment... «Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi tout cela? Est-ce que vraiment ça sert à quelque chose qu'il y ait une manifestation comme cela, qui dure éternellement comme cela? À quoi ça sert?...» Si on a la vision d'une Beauté et d'une Joie, d'une Harmonie, alors on dit: «Bon, on passe par la difficulté et puis on arrivera là-bas», mais comme cela, si ça doit être tout le temps comme cela... Voilà.

Et alors, comme je l’ai dit, de temps en temps, pour une seconde (même pas une seconde), une joie... quelque chose... Je ne peux pas dire, ce n'est ni joie, ni plaisir, ni bonheur, ni rien de tout cela, c'est... c'est quelque chose d'adorable – qui peut être rien: qui peut être un goût, qui peut être un parfum, qui peut être un mouvement, et puis... ça disparaît. Si le monde était toujours comme cela, ce serait une chose merveilleuse! Merveilleuse! inexprimablement merveilleuse, mais... Mais impossible d'être tout seul comme cela, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, il y a tout ce qui vient du dehors (geste comme un tombereau qui se déverse) et qui... Alors, s'il faut attendre que tout soit changé... ouf!

Il est évident que la création peut être une chose merveilleuse – elle semble en être le contraire. Mais comment l’un va changer en l’autre?...

(silence)

Le corps est arrivé à un état de conscience où il sait que la mort peut faire un changement, mais n'est pas – n'est pas une disparition (pas une disparition de la conscience). Et alors, cette idée qu'a l’immense majorité des êtres humains: le repos de la mort... (Mère pose sa main sur sa bouche, comme devant une énorme sottise). Même pas cette consolation. Pour la majorité des gens, c'est le contraire d'un repos. Et alors, là aussi, mais d'une façon encore plus aiguë et plus intense: «Le seul, le seul, l’UNIQUE espoir, c'est... Seigneur, Toi. Être Toi, qu'il n'y ait que Toi; que cette séparation, que cette différence disparaisse, c'est MONSTRUEUX!» Que ça disparaisse. Alors, que ce soit comme Tu veux: Toi, en pleine activité, ou Toi, en complet repos, cela n'a aucune espèce d'importance; que ce soit comme-ci ou comme ça, de toute façon cela n'a aucune-aucune importance; ce qu'il y a d'important, c'est que ce soit Toi.

C'est la CERTITUDE absolue (Mère ferme ses deux poings) qu'il n'y a qu'UNE porte de sortie de tout cela, une SEULE – une seule, il n'y en a pas deux, il n'y a pas un choix, il n'y a pas plusieurs possibilités, il n'y en a qu'une: c'est... la Porte suprême. La Merveille des Merveilles. Tout le reste... tout le reste, ce n'est pas possible.

Et tout cela, c'est l’expérience de ça (Mère désigne son corps); ce n'est pas mental, c'est tout à fait, tout à fait matériel.

Je vois, n'est-ce pas, parce que la conscience des gens m'est tout à fait ouverte (il n'y a pas de différence, c'est tout à fait ouvert), alors je vois: dans l’immense majorité, immense majorité, l’idée, quand les choses deviennent vraiment pénibles: «Oh! (il y a toujours cette espèce d'idée) oh! un jour, tout ça, ce sera fini.» – Quelle blague!

(silence)

Mais pourquoi?... Pourquoi?... De temps en temps, le corps s'inquiète: pourquoi? pourquoi-pourquoi tout ça, pourquoi?... Quand il voit, quand il est en contact avec la souffrance, les gens, les misères, les difficultés, pourquoi-pourquoi? Pourquoi... pourquoi?

(le disciple pose son front aux pieds de Mère)

Puisque cette création peut être une merveille identique à la Conscience Suprême, pourquoi-pourquoi a-t-il fallu tout ça (Mère dessine un cercle qui revient au point de départ)?

De temps en temps, ça lui vient.

Mais enfin, évidemment, c'est imbécile parce que ça ne sert à rien – c'est comme ça, c'est comme ça. Tous les pourquoi n'empêcheront pas que ce soit comme ça. Tout ce que l’on a à faire, c'est de trouver le moyen que ce ne soit plus comme cela, c'est tout.

(silence)

Je pense toujours au Bouddha et à tous ceux-là: on va aller se fondre dans le Seigneur, et puis il n'y aura plus rien! (Mère prend sa tête entre ses mains)

Et alors, pour que leur théorie soit vraisemblable, ils disent... (riant) que c'est une «erreur»; et ils ne voient pas l’imbécillité de leur théorie: que le Seigneur Suprême puisse avoir fait une erreur... et s'en repentir et s'en retirer!

Ces gens, tous ces gens, plus ils sont convaincus, plus on a l’impression qu'ils sont enfermés dans des œillères.

(silence)

Mais en fait, ton corps est un symbole de toute la terre.

Ça a l’air d'être comme cela.

Alors, tout vient à toi pour être purifié.

Oui, mais moi, ça ne me console pas, il s'en fiche!

Oui, mais j'ai l’impression qu'une fois que quoi que ce soit t'a touchée, ça ne peut plus revenir dans le monde comme c'était avant.

Ça paraît comme cela, il arrive tout le temps des choses extraordinaires. Tout le temps, tout le temps, à chaque minute, j'entends des choses vraiment extraordinaires.

Mais ça ne le console pas!... Il n'a pas d'amour-propre.

Oui, mais ça sert à quelque chose.

Ah! oui.

Ça purifie – ça doit purifier le monde.

Il ne s'inquiète même pas de sa purification... Je ne sais pas comment expliquer... C'est nuit-jour-sans-arrêt: «Ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu voudras...» N'est-ce pas, le «voudras» au lieu du «veux», parce que ce n'est pas seulement comme cela (geste tourné au-dedans), c'est comme cela (geste tourné au-dehors, répandu). «Ce que Tu voudras, ce que Tu veux.» C'est tout. Ça, c'est son état perpétuel.

(silence)

Parce qu'on sent très bien que tout grince, n'est-ce pas.

(Mère rit, silence)

En tout cas (ça, c'est très clair), la Conscience qui est à l’œuvre pour l’aider dans le travail, lui a fait comprendre par-fai-te-ment que de s'en aller n'est pas une solution. Même si, avant, il y avait une curiosité de savoir ce qu'il sera, cette curiosité est partie; alors le désir de rester, il y a fort longtemps que c'est parti; le possible désir de s'en aller quand ça devient un peu... suffocant, c'est parti avec l’idée que ça ne changera rien du tout. Alors, il ne lui reste qu'une chose: c'est de perfectionner l’acceptation. C'est tout.

Quand il n'en parle pas, c'est relativement plus facile; quand il l’exprime, ça devient très concret.

Voilà.

La seule chose qui vraiment le console (et pas pour longtemps), c'est l’idée que: ce que tu fais, c'est utile à tous; ce que tu fais, ce n'est pas pour toi, une petite personne imbécile, c'est pour que toute-toute la création en profite. C'est la chose qui lui donne de la patience.

Mais quand il y a des gens qui ont, tu sais, une grande bonne volonté (avec peut-être un peu d'ambition) pour faire aussi du travail, alors je leur dis: «Si ça vient, prenez-le, mais n'attirez pas...» Il fallait qu'une partie de la création fasse le travail pour le tout; ça, c'est évident – c'est évident –, eh bien, il se trouve que ce qui parle (Mère), c'est au moins une partie. Il fallait quelqu'un. C'est bien; c'est comme ça, c'est comme ça; il n'y a pas de quoi être... C'est comme ça, c'est comme ça.

Ah! il demande seulement à le faire convenablement, et puis c'est tout.

Le corps a conscience d'une très profonde imbécillité, et il se rend compte que tout-tout l’univers est comme cela à cause de cette imbécillité. Et sa parfaite incapacité d'en sortir... C'est une question de Grâce, c'est tout... Il y a des secondes, tout est si merveilleux que c'est incroyable, et puis la seconde d'après...

Voilà. Il vaut mieux ne pas en parler.

(silence)

On voudrait t'aider mieux.

Mon petit, tu m'aides autant que tu peux. C'est très bien... Il y a une chose: tu es le seul à qui je puisse dire. Et c'est bien; au point de vue général, j'en suis très reconnaissante – tu es le seul à qui je puisse dire. Les autres ne comprennent pas.

Les autres ne comprennent pas.

Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui arrivera; il y a des moments où ça devient si difficile que je me demande si le corps pourra tenir le coup, mais je voudrais... je voudrais qu'on ne me mette pas dans une boîte et qu'on ne le fourre pas... comme ça, parce qu'il le saura, il le sentira, et ce sera ajouter encore une misère à toutes celles qu'il a eues. Qu'on attende qu'il se dégrade. Je te le dis, tu pourras le dire aux autres si c'est nécessaire.

Oui, sûrement.1

Il ne le désire pas, il ne le craint pas – ce sera comme ce devra être, voilà tout. Seulement, il voudrait vraiment qu'on comprenne... qu'on comprenne l’effort qu'il a fait, et qu'on n'aille pas le... (geste de se débarrasser d'un corps encombrant) l’enfermer et un tas de terre dessus. Parce que même longtemps après que les docteurs auront déclaré qu'il est mort, il sera conscient: les cellules sont conscientes.

Voilà, c'est tout.

Je ne sais pas... peut-être que... Tu sais, il y a un tel chemin à faire que ça paraît... absolument miraculeux. Et l’autre chose (la «mort») me paraît de plus en plus idiote. Alors je suis comme cela (geste entre deux). Ça fait vraiment une condition bizarre: on n'est plus vivant, on n'est pas mort.

Ah! au revoir, petit.2

28 mai 1969

(Mère a l’air un peu accablée.)

Je n'ai rien à dire.

Tu n'as rien, aucune nouvelle?

Je n'ai pas de nouvelles, mais il y a une chose ici. On a retrouvé dans les affaires de Pavitra un enregistrement d'une expérience qu'il a eue il y a trois ans, au moment où il commençait à avoir son cancer. Alors, si cela t'intéresse de savoir le texte de cette expérience?...

C'est intéressant?... Moi, je n'ai rien à dire. Je n'ai rien à dire, les choses continuent... C'est difficile.

Oui.

Mais enfin...

Et Pavitra est resté là, pas mélangé du tout; de temps en temps, tout à fait conscient, et autrement très tranquille. C'est bien – pas gênant, tu comprends... De temps en temps, il manifeste quelque chose, ce qui prouve qu'il reste conscient. C'est tout.

Moi, je continue... ce n'est pas commode. C'est tout. Alors je peux écouter ça.

(lecture)

Expérience de Pavitra Nuit du 5 au 6 février 1966

«C'est une nuit d'expérience spirituelle pleinement consciente, une nuit de torture et de gloire.

«Je parcourais des salles dans lesquelles vivaient des êtres sans communication avec le dehors. Et d'autres salles où des êtres misérables traînaient une vie misérable. Ils s'apercevaient de ma présence, qui leur apportait comme un rayon de lumière du dehors. Quelques-uns réagissaient bien, par un sourire; d'autres fuyaient. Quelques-uns se cognaient contre moi. Puis je passais dans d'autres salles. Toujours le même but semblait justifier ma présence. Car, à mon passage, quelques-uns montraient un signe d'espoir. Mais en même temps, des obstacles, des souffrances, des tortures de toutes sortes tombaient sur moi. Ce n'étaient pas des supplices volontairement infligés, mais des sortes de réactions de l’ignorance et de la souffrance.

«Peu à peu, ce travail devenait de plus en plus difficile pour moi. Je me mouvais difficilement, j'allais de plus en plus lentement, comme accablé, jusqu'à ce que, finalement, il me fut difficile de trouver mon chemin... d'échapper.

«Ces expériences semblaient durer longtemps. Quand elles se terminèrent, je me trouvais dans mon corps physique, surpris que celui-ci ne portât pas de marques de tout ce que je venais de subir.

«Mais peu à peu, je commençais à comprendre le sens de tout ce qui était arrivé. Une immense reconnaissance monta de mon cœur vers le Suprême, en même temps qu'un don de moi entier pour que Sa Volonté soit accomplie, partout. «Je perçus le sens de la grande promesse:

"Je te délivrerai de tout mal, ne crains rien."1

«Cette promesse de victoire du Divin incarné sur la terre me transporta de joie.

«Je répète que j'étais pleinement conscient pendant tout le temps qu'ont duré ces expériences.

«C'est tout ce que j'ai à dire.»

C'est après cela qu'il a été malade?

Cela correspond à ce moment-là. C'est à ce moment-là qu'il a commencé à marcher avec deux cannes.

(Après un long silence) Cela voudrait dire qu'il aurait pris sur lui le fardeau de pas mal de gens... Et alors, ça expliquerait ce qui s'est passé: le jour où il est parti, il y a eu un certain nombre de gens qui ont été terriblement attaqués par des choses, comme si elles revenaient sur eux; des choses qui auraient été retirées d'eux et qui revenaient sur eux – spécialement des femmes.

(long silence)

Il y avait en lui un être plus conscient que lui. Ça, c'est évident. C'est le même qui absorbait (le mal des autres).

Alors, en somme, c'est sur la terre, en s'incarnant sur la terre, que l’on peut délivrer ces mondes-là?

(Mère n'a pas entendu)

Ces mondes subtils, qui sont des mondes prisonniers, c'est en s'incarnant sur la terre que l’on peut les délivrer?

Ce sont des mondes du vital.

Ça, sûrement (s'incarner pour délivrer).

(Mère entre en contemplation, parfois elle a des gémissements)

Je comprends mieux pourquoi il est entré (en Mère).

C'est pour échapper à toutes ces horreurs.

Bien.

Il n'y a qu'une solution, c'est le contact direct du physique avec le Suprême. C'est la seule chose.

Voilà.

Mais les cellules du corps... (je ne sais pas si c'est spécial à ce corps; je ne peux pas croire que le corps soit tellement exceptionnel), mais elles sont absolument convaincues, et elles essayent, elles essayent, elles essayent, tout le temps, tout le temps, tout le temps, à chaque misère, à chaque difficulté, à chaque... il n'y a qu'une solution – qu'une seule chose: «Toi, Toi seul, à Toi – Toi seul existes.» C'est cela qui s'est traduit dans la conscience des gens comme les bouddhistes et autres, par l’illusion du monde, mais c'était une demi-traduction.

Mais la vraie traduction, c'est ça: «Toi seul existes, Toi seul.» Tout le reste... Tout le reste, c'est misère. Misère, souffrance... obscurité.

Ouff!...

Peut-être que – peut-être que... Évidemment, dans la conception de Sri Aurobindo, le Supramental échappait à toute cette misère.

Il n'y a que Ça. Autrement, c'est difficile.

Peut-être que les demi-mesures maintenant ne suffisent plus... je ne sais pas. Peut-être qu'il est temps de prendre position tout à fait.

Ce corps, lui, il a pris position. Mais je pensais que... Il faut être très-très endurant – très endurant –, alors je ne poussais pas les autres à le faire; mais ça,2 cela fait peut-être dire que, peut-être, IL est temps. Je ne sais pas.

Ouff!

On en sortira.

Oui! (Mère rit) Naturellement on en sortira.

Je voudrais que l’on puisse dire: on est en train d'en sortir!3

31 mai 1969

Les nuits?... Pareilles? Toujours pareilles?

(le disciple fait la grimace)

La nuit d'avant-hier, j'ai passé plus de trois heures avec Sri Aurobindo et je lui montrais tout ce qui allait descendre pour Auroville. C'était assez intéressant. Il y avait des jeux, il y avait de l’art, il y avait même de la cuisine! Mais tout cela, très symbolique. Et je lui expliquais comme sur une table, devant un grand paysage; je lui expliquais sur quel principe on allait organiser les exercices physiques et les jeux. C'était très clair, c'était très précis, je faisais même une démonstration, et c'était comme si je lui montrais en tout petit: une représentation toute petite de ce qui allait se faire. Je bougeais des gens, des choses... (geste, comme sur un échiquier). Mais c'était très intéressant, et il était intéressé: il donnait comme des grandes lois d'organisation (je ne sais pas comment expliquer).

Il y avait de l’art et c'était joli, c'était bien. Et comment rendre les maisons agréables et belles, avec quel principe de construction. Et puis la cuisine aussi, c'était très amusant! c'étaient les différentes manières de présenter un plat; par exemple, tu prends un poisson, les différentes façons de l’accomoder, et chacun venait avec son invention... Ça a duré plus de trois heures (trois heures de nuit, c'est énorme). Je me suis réveillée juste à quatre heures là-dessus (quatre heures, et je m'étais recouchée à une heure: 1 heure à 4 heures, ça fait 3 heures! je sais encore calculer!). Très intéressant.

Pourtant, les conditions de la terre semblent très loin de tout cela...

Non... C'était juste là, ça ne paraissait pas «étranger» à la terre. C'était une harmonie. Une harmonie consciente derrière les choses: une harmonie consciente derrière les exercices physiques et le jeu; une harmonie consciente derrière la décoration, l’art; une harmonie consciente derrière la nourriture...

Je veux dire que tout cela a l’air d'être aux antipodes de ce qui est maintenant sur la terre.

Pas...

Non?

C'était aujourd'hui l’anniversaire d'Y, elle est venue, et alors (souriant) elle s'est mise à me dire que les dernières découvertes scientifiques étaient «absolument» merveilleuses, qu'on savait comment les pensées se formaient et allaient de l’un à l’autre... (Mère rit). Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire: «Oui, c'est ce que les yogis savaient avant!»

Enfin! oui, vraiment!

Et elle m'a dit aussi que la psychologie des animaux peut vous conduire à connaître la psychologie du surhomme.

Bon.

Là, il y a quelque chose de vrai... Mais enfin, c'est...

C'est vu d'en dessous.

Alors je lui ai dit que toute l’organisation artistique, sportive, même culinaire, et toutes les autres, sont prêtes dans le physique subtil – prêtes à descendre et à s'incarner –, et je lui ai dit: «Il n'y a besoin que d'un peu de terre (geste au creux des mains), un peu de terre pour que l’on fasse pousser la plante...» J'ai dit ça. «...Je t'en parle parce qu'il faut trouver un peu de terre pour faire pousser...» Je ne sais pas si elle a compris!

(silence)

Je ne sais pas si c'est une perception juste, mais depuis quelques mois, j'ai l’impression que la terre n'a jamais été dans autant d'obscurité. J'ai l’impression d'une obscurité formidable.

Oui-oui. Mais il y a les deux. C'est vrai. La CONFUSION – c'est une confusion –, une confusion obscure, oui. Une confusion obscure, mais ça, c'est ce que Sri Aurobindo disait toujours: la confusion devient beaucoup plus intense et obscure au moment où la lumière doit venir. C'est juste. Ça paraît être un chaos obscur. Et spécialement dans ce pays... terrible, oh!... des choses incroyables. C'est parce que ce sont des gens sérieux qui me les ont dites (ce ne sont pas des racontars de journaux) que je suis obligée de le croire. Mais vraiment, il se passe dans le gouvernement et dans l’organisation des choses effroyables – effroyables. Incroyables. Et les Chinois...

Mais douce Mère, sais-tu qu'en Occident, les livres qui ont de l’influence (non seulement de l’influence, mais qui sont lus et dévorés par toute la jeunesse), ce sont les livres de Mao Tsé-Toung.

De?...

Mao Tsé-Toung.

Qu'est-ce que c'est que ça?

... C'est le grand Chinois, le grand mandarin chinois – Mao Tsé-Toung.

Et qu'est-ce qu'il dit, cet homme-là?

Cet homme-là... il dit que le «pouvoir sort de la poudre des fusils.»

(Mère reste silencieuse)

C'est cela qui est lu en Occident Et le dernier grand livre à succès, c'est un livre qui s'appelle quelque chose comme «Les Maudits», et qui est une apologie de la violence: «Il faut s'emparer du pouvoir par la violence.» C'est cela qui a du succès en Occident, c'est cela que tous les étudiants dévorent.1

Oh! une apologie de la violence...

Un évangile de la violence.

Ça, c'est le vital en plein.

Oui.

Ooh! ça m'explique toutes les visions que j'ai eues. Je croyais... Je m'en prenais à mon corps, je me disais: ce pauvre corps, il a un atavisme malencontreux: tout le temps des imaginations effroyables, effroyables – et ce n'étaient pas des imaginations: il était conscient de ce qui se passait... oh!...

Oh! c'est très intéressant ce que tu me dis, parce que hier (ces jours-ci, ces trois jours-ci), devant l’horreur de la perception des choses, ce corps (qui est bien l’opposé d'un sentimental, il n'a jamais-jamais été sentimental), il a pleuré... Il ne pleurait pas matériellement, mais c'était... Et il a dit, dans une intensité intérieure: «Oh! pourquoi ce monde existe-t-il?» Comme cela, tellement c'était... c'était affreux, triste, misérable... tellement c'était misérable et... si horrible, n'est-ce pas, oh!... Mais tout de suite, il a la Réponse – et ce n'est pas une réponse avec des mots, c'est simplement... comme une immensité qui s'ouvre dans la Lumière. Alors, il n'y a plus rien à dire.

Mais comment Ça, cette immensité, peut devenir ça?... Je ne sais pas. La question: «Comment Ça, c'est devenu ça?...» C'est comme cela que c'est venu: «Comment Ça, cette Merveille, a pu devenir ça, cette chose hideuse – monstrueuse?»

Mais le procédé pour rechanger ça en Ça, je ne sais pas... Le procédé, c'est... abdication (comment peut-on dire?), don de soi (ce n'est pas cela). Mais tout-tout lui paraissait si... horrible. Il y a eu une journée très-très-très difficile.2 Et c'est curieux, j'ai su à ce moment-là que c'était la répétition exacte de l’expérience que le Bouddha Siddhartha avait eue, et que c'était DANS cette expérience qu'il avait dit: il n'y a qu'une sortie: le Nirvana. Et en même temps, j'ai eu l’état de conscience véritable: sa solution et la véritable. C'était vraiment intéressant. Comment la solution bouddhique est seulement UN pas de fait – un pas. Et c'est par-delà ça (ce n'est pas sur un autre chemin, mais c'est par-delà ça) qu'est la vraie solution. C'était une expérience décisive.

(long silence)

Mais qu'est-ce que c'est que cette création?... N'est-ce pas, séparation, et puis méchanceté, cruauté (la soif de nuire, pourrait-on dire), alors la souffrance, justement la joie de faire souffrir, et alors toute la maladie, la décomposition, la mort – la destruction. (Tout cela, ça fait partie de la même chose.) Qu'est-ce qui est arrivé?... Et l’expérience que j'ai eue, c'était l’irréALITé de ces choses, comme si l’on était entré dans un mensonge irréel, et que tout disparaît quand on sort de ça – ça N’existe pas, ça n'est pas. C'est cela qui est effrayant! que ce qui, pour nous, est si réel, si concret, si effroyable, que tout cela, ça n'existe pas. Que c'est... on est entré dans le Mensonge. Pourquoi? Comment? Quoi?...

Mais jamais-jamais dans toute-toute l’existence de ce corps, pas une fois – pas une fois –, il n'a senti une... une douleur aussi totale et aussi profonde que ce jour-là... oh!... quelque chose qui le... (Mère serre sa gorge). Et alors, au bout de ça: la Béatitude. Et puis, pfft! ça s'est effacé, comme si: «Pas encore, pas encore, ce n'est pas encore le moment.» Et comme si tout cela, tout cela qui est si affreux, n'existait pas.

Au fond, probablement... probablement c'est seulement la terre (ça, je ne sais pas). Ça ne paraît pas comme cela, parce que la lune, c'est très concrètement une dévastation. Enfin, il y a tout de même une sensation très forte, très précise, que c'est quelque chose de limité qui est comme cela, dans ce Mensonge. Et irréel. Et que nous sommes tous dans le Mensonge et l’Irréalité, c'est pour cela que c'est comme ça. Et ce qui était intéressant, c'était que cette fuite dans le Nirvana n'était pas la solution, n'était qu'un remède – un remède pour un temps (comment expliquer? je ne sais pas)... partiel. Un remède partiel et, on pourrait presque dire, momentané.

Et alors, ça, c'est un paroxysme à un moment. Après vient le long chemin: il faut continuer, continuer le travail progressif de transformation. Et puis, la minute suivante, c'est ce que Sri Aurobindo a appelé l’être supramental. C'est comme le passage de l’un vers l’autre.

Mais comment tout cela changera? Je ne sais pas.

Oui, l’autre jour, j'ai eu une perception (je n'ai pas le don de vision), mais une perception tellement concrète, que la terre était comme sous un manteau noir – c'est ce que tu appelles le Mensonge, l’Illusion. C'était quelque chose qui couvrait la terre.

Oui-oui.

J'ai senti cela, mais très concrètement: un manteau noir.

Oui, c'est cela.

Seulement, il faudrait le tirer pour tout le monde...

(Après un silence) Je ne peux pas dire (c'est inexprimable), c'était quelque chose qui contenait l’horreur, l’épouvante, la douleur – et une compassion, oh! intense... Jamais-jamais ce corps n'avait senti comme cela. Ça l’a d'ailleurs mis dans un état assez... assez critique pour quelques heures. Et après, c'était comme si tout-tout venait – chaque chose venait – avec un Sourire et une Lumière resplendissante; comme si (traduit à l’usage des enfants), comme si le Seigneur disait: «Tu vois, je suis partout. Tu vois, je suis en toute chose.» Et c'était incroyable – incroyable... Mais il n'y a pas de communication entre les deux.

N'est-ce pas, c'était le moment où le corps disait: «Comment? Il va falloir con-ti-nu-er ça? Il faut... il faut con-ti-nu-er ça? Le monde, les gens, toute la création, con-ti-nu-er ça?...» Ça paraissait... J'ai tout d'un coup compris: ah! c'est cela qu'ils ont traduit par l’«enfer perpétuel». C'est cela. C'est quelqu'un qui a eu cette perception.

Et tous les moyens – que l’on pourrait appeler artificiels, y compris le Nirvana –, tous les moyens d'en sortir ne valent rien. À commencer par l’imbécile qui se tue pour «mettre fin» à sa vie, ça, c'est... de toutes les imbécillités, c'est la plus grande, ça rend son cas encore pire. Depuis ça, jusqu'au Nirvana (où l’on s'imagine qu'on peut sortir), tout cela, tout ça, ça ne vaut RIEN. C'est à différents stades, mais ça ne vaut RIEN. Et alors, après cela, au moment où vraiment on a l’impression d'un enfer perpétuel, tout d'un coup... (rien qu'un état de conscience, ce n'est pas autre chose que cela), tout d'un coup, un état de conscience... où tout est lumière, splendeur, beauté, bonheur, bonté... Et tout cela, inexprimable. Et c'est comme cela: «Tiens, voilà», et puis pfft! Ça se montre et puis hop! parti. Et alors, la Conscience qui voit, qui s'impose et qui dit: «Maintenant, next step, le prochain pas.» Et alors c'est cela, c'est en présence de tout cela que ce corps a eu... jamais-jamais dans toute sa vie il n'a éprouvé une douleur pareille, et encore maintenant... (Mère porte la main à son cœur).

Est-ce ça, est-ce ça, le levier?... Je ne sais pas. Mais le salut est PHYSIQUE – pas du tout mental, mais PHYSIQUE. Je veux dire que ce n'est pas la fuite: c'est... ICI. Ça, je l’ai senti très fort.

Mais le corps a eu quelques heures très difficiles. Et toujours, pour lui, ça lui est égal, il dit «bon», il est tout à fait prêt à la dissolution ou... Il n'était pas question de cela; il n'était pas question de cela, il était question de... savoir recevoir la Guérison. Et comment elle est? – Inexprimable avec nos moyens.

Mais ce n'est pas que ce soit voilé ou caché ou quoi: c'est là. Pourquoi? Qu'est-ce qui, dans le tout, vous enlève le pouvoir de vivre ça? Je ne sais pas. C'est là. C'est là! Et tout le reste, y compris la mort et tout, ça devient vraiment un mensonge, c'est-à-dire quelque chose qui n'existe pas.

Oui, c'est un manteau à tirer.

Si ce n'était que cela, ce n'est rien!

Non, je veux dire que tout cela, cette Illusion, c'est comme un manteau à tirer sur la terre.

Oui, c'est cela. Mais oui, c'est cela! Mais est-ce seulement sur la terre? Je ne sais pas... Ils vont se promener là-haut pour voir!

Tout ce que je sais, l’impression que j'ai, c'est que c'est concentré ici. C'est ici la concentration, c'est ici le travail. Mais il se peut que ce soit... tout le système solaire, je ne sais pas.

(silence)

Mais on ne peut pas sortir tout seul.

Mais oui!... Douce Mère, l’autre jour tu as dit quelque chose. Tu as dit: «Il est temps de prendre position.» Tu as dit: «Lui, le corps, a pris position», mais jusqu'à présent tu n'osais pas pousser les autres à le faire, et tu as dit: «Maintenant, il est temps de prendre position.»

Oui, je crois.

Mais qu'est-ce que tu entends par «prendre position»?

Ça: cette conscience dans laquelle le corps est maintenant, que tout cela, c'est irréel.

Le corps, si on lui demandait, il dirait: «Je ne sais pas si je vis, je ne sais pas si je suis mort.» Parce que c'est vraiment comme cela. Pendant quelques minutes, il a tout à fait l’impression d'être mort; à d'autres moments, il a l’impression d'être vivant. Il est comme cela. Et il sent que ça dépend exclusivement de... si on perçoit la Vérité ou pas.

(silence)

De quoi est-ce que ça dépend?...

(silence)

D'après ce que les autres disent ou écrivent ou leur expérience, j'ai vu que l’immense majorité de l’humanité, ce qu'elle craint le plus, c'est cette perception-là, que c'est un Mensonge, et tout ce qui mène vers ça. J'ai connu des gens (ils m'ont écrit), qui justement ces jours-ci ont eu des frayeurs épouvantables, parce que tout d'un coup, ils étaient pris de force, il y avait quelque chose qui commençait à les toucher: la perception de l’irréalité de la vie. Alors ça indique l’immensité du chemin à parcourir. Ce qui fait que tout espoir d'une solution proche paraît un enfantillage. À moins que... les choses se passent autrement.

Si ça doit suivre le mouvement que ça a suivi jusqu'à présent... Il y en a eu des siècles et des siècles et des siècles et des siècles... Alors, le surhomme, ce ne serait encore qu'une étape, et après il y aurait encore beaucoup d'autres choses...

Chaque fois que je pense à cela, j'ai toujours l’impression que la seule solution, c'est que tu aies un corps glorieux, visible pour tous; alors tout le monde pourrait venir voir – venez voir le Divin, comment c'est!

(Mère rit beaucoup) Ça, ce serait bien commode!

Ce serait un tel bouleversement de toutes leurs notions...

Oui, bien sûr! Ça, ce serait bien commode. Est-ce que ce sera comme cela?... Ça, sûrement, je suis tout à fait d'accord! Et je serais très contente que ce soit n'importe qui, je n'ai pas le moindre désir que ce soit à moi!

Venez voir le Divin, comment c'est!

Oui, comment c'est! (Mère rit)

Oh! tu devrais écrire ça...

Écris-le, écris ça.3

(Mère reste longtemps à «regarder» avec une expression incroyable. La pendule sonne...)

juin




4 juin 1969

Il y a une lettre de P.L. Il dit ceci:

«... Mon travail est le même: difficultés à accepter mes idées. On me croit (je le pense, mais personne ne m'en parle, car il y a une force qui me protège) un «illuminé». Cependant, les choses au Vatican, dans le centre de l’Église, sont en train de changer. La lutte des forces nouvelles contre les forces traditionnelles est très forte maintenant. Si le pape accepte (son entourage est contre) d'aller à Genève le 10 juin et participe à l’Assemblée des Églises Protestantes, et affirme que nous ne sommes pas "les uniques à avoir la vérité", je crois qu'un grand pas sera fait. Mais aura-t-il le courage d'accepter qu'il y ait d'autres mouvements religieux qui cherchent aussi? Ou va-t-il rester ancré dans l’affirmation que "extra ecclesia non est salus",1 que l’unique dépositaire de la Vérité, l’unique qui ait le monopole (!) du salut, c'est l’Église catholique?... Pour le moment, je suis dans la liste de ceux qui vont l’accompagner. Il faudra que l’assistance de Mère soit plus forte ce jour-là...»

(Après un silence)

C'est vieux, les religions... Tu n'as pas cette sensation?

Oh! tout à fait.

C'est vieux-vieux...

J'ai même l’impression que c'est fini.

Oui.

(silence)

J'ai l’impression que la prochaine Église à démolir, c'est l’Intellect.

(Mère rit) Oui!2

(Mère entre en concentration)


(Peu après, le disciple propose de publier dans les «Notes sur le Chemin» le texte de la dernière conversation, du 31 mai 1969, sur le corps glorieux «visible pour tous».)

On ne va pas croire que nous sommes devenus fous! Non?

Tu crois que l’on peut publier ça?...

J'ai l’impression.

Tu pourrais demander à Nolini? Moi...

(silence)

J'ai beaucoup regardé après que tu es parti [la dernière fois], toute la journée... Il y a le sens que ce serait une merveilleuse solution (le corps glorieux). Quand tu l’as dit, il y a quelque chose qui est devenu concret tout d'un coup.3 Mais aucun sens personnel dedans... Le corps n'a pas du tout, du tout, ni l’ambition ni le désir ni même l’aspiration de devenir ça (ce corps glorieux), mais il y avait seulement une espèce de joie à la possibilité que «ça» soit – ça soit –, n'importe qui, n'importe où, n'importe comment: que ça soit. Et j'ai regardé très-très attentivement; pas une minute il n'y a eu l’idée: il faut que ce soit ça (Mère pince la peau de ses mains), tu comprends? C'était: que cette incarnation, que cette manifestation son – pas choisir une personne ou une autre, ou un lieu ou un autre, non, tout cela n'existait pas: c'était la chose en elle-même qui était comme une solution merveilleuse. Et puis, c'est tout.

Et alors, la conscience s'est mise à observer: s'il n'y a rien dans ce corps qui «aspire» même à être ça, cela prouve que ce n'est pas son travail. Alors est venu cet extraordinaire Sourire (je ne sais pas comment expliquer), qui était comme cela, qui a passé, qui a dit... (on pourrait le traduire d'une façon tout à fait enfantine): «Ce n'est pas ton affaire!» Et c'est tout. Et puis c'était fini, je ne m'en suis plus occupée. Pas ton affaire, dans le sens: ça ne te regarde pas; que ce soit ça ou ça ou ça, ce n'est pas ton affaire. C'est tout.

Mais ce qui est devenu son affaire, d'une façon tellement-tellement intense que c'est presque inexprimable, c'est: «Toi-Toi-Toi-Toi...» qu'aucun mot ne peut traduire: le Divin, pour mettre un mot. C'est tout. Pour tout – manger: le Divin; dormir: le Divin; souffrir: le Divin... comme cela (Mère tourne ses deux mains vers le haut). Avec une sorte de stabilité, d'immobilité – il y a une grande unification dans les cellules.

(silence)

Cette Conscience, par exemple si quelqu'un écrit et me pose une question, j'ai instantanément la réponse par cette Conscience, et je l’écris, et c'est cette Conscience qui parle. J'ai écrit ces jours-ci un certain nombre de réponses, et toutes tellement EN AVANT sur tout ce que l’on a dit maintenant... La réponse est tellement en avant sur l’état de conscience des gens qui ont posé la question que... Et ça, spontané, sans effort, sans rien, comme cela (Mère laisse couler sa plume).

(silence)

C'est comme si le sens de son existence individuelle, c'est-à-dire séparée, était étroitement, indissolublement, lié à la souffrance (je parle de souffrances physiques, je ne parle de rien de moral: les souffrances physiques). Et alors, si le corps a une aspiration, c'est celle de se fondre... de se fondre, pas dans le tout, mais de se fondre dans... dans ce quelque chose que nous appelons le Divin, et qui est tout – le tout vrai au lieu du tout mensonger. Mais je ne peux pas expliquer.

Il est évident qu'il ne doit se préoccuper de rien; le corps ne doit se préoccuper de rien, ni d'une façon ni d'une autre, ni du progrès ni de la dissolution – se préoccuper de rien. l’état (non pas l’état auquel il aspire, ce n'est pas cela parce qu'il n'a pas d'«aspiration»), mais l’état qui paraît... qui paraît être voulu pour lui (je ne sais pas comment dire), c'est: une paix, une paix réceptive, c'est tout.4

(long silence)

Peux pas parler, les mots sont idiots.

11 juin 1969

(À la suite d'un télégramme de P.L. annonçant qu'il avait été «écarté du cortège» qui accompagnait le pape à l’Assemblée de Genève.)

Cela me paraît être un conflit entre le pape et les cardinaux... Tu n'as pas reçu la lettre?

Pas encore. Simplement il a été «écarté».

(Après un silence) A. m'a raconté que les deux papes précédents avaient fait des changements considérables. Je sais que l’un des changements était de reconnaître que la vie sur terre était ce que l’on appelait le «purgatoire»... Et il paraît que ça a été tellement trituré et tourné que tout est parti! Ce n'est pas resté.


(Plus tard, à propos d'une lettre des Raymond, architectes, amis de Pavitra, qui ont construit «Golconde», le pavillon des hôtes de l’Ashram.)

Tu as vu la lettre des Raymond?... Ils ont écrit une très gentille lettre. Dans cette lettre, ils ont écrit une chose que je ne savais pas, que Pavitra ne m'avait jamais dite; ils ont dit que quand Pavitra les avait mis en rapport avec ici, ça avait totalement changé leur vie, l’objectif de leur vie et tout.

Raymond est un grand architecte. Quand les Raymond sont venus ici1 et qu'ils ont fait «Golconde», j'ai demandé à Raymond le plan pour la première Auroville que j'avais conçue (c'était au temps où Sri Aurobindo était vivant), et c'était magnifique! Il ne l’a pas laissé.

Mais c'était une Auroville avec, au centre, la maison de Sri Aurobindo (geste sur une colline). Sri Aurobindo était vivant, alors on l’avait mis au centre.

(silence)

Pavitra est resté tout à fait conscient, indépendamment. Par exemple, justement quand on m'a lu cette lettre des Raymond, c'est Pavitra qui a écouté! Et qui a eu toutes les réactions... C'est très intéressant. C'est quelque chose de tout à fait inattendu... Il y a des moments où je sens comme une petite dualité intérieure, c'est-à-dire, par exemple (riant) deux réactions pour une chose! C'est tout à fait drôle.

Il était d'une bonne volonté extraordinaire! Je m'aperçois d'une bonne volonté vraiment, et d'une sorte de modeste endurance – jamais l’impression de vouloir tirer les choses à lui...

(Riant) Je le connais mieux maintenant!

25 juin 1969

(La santé de Mère est très perturbée depuis quelque temps. La plupart des dernières entrevues se sont passées en contemplation silencieuse.)

...Et puis, il y a la petite S.U. (tu connais S.U.?) qui n'est pas très contente du travail et elle m'a demandé si je ne pouvais pas l’aider à faire des progrès. Alors je lui ai dit: «Lis le livre de Satprem...» Elle s'est mise à lire le livre de Satprem. Elle m'a dit: si je ne comprends pas, qu'est-ce que je fais? J'ai dit: si tu ne comprends pas, tu me demandes. Et hier, elle m'a cité un morceau de phrase (tu sais comme ils font: ils prennent un morceau de phrase et puis ils vous disent: qu'est-ce que ça veut dire?!). J'ai répondu. C'était une phrase où il était dit qu'il y avait deux «positions»: les matérialistes et les spiritualistes; et tu me mentionnes en disant qu'il faut prendre une autre position, une «troisième position». Elle n'a pas compris (Mère tend le texte au disciple).1

Ma réponse est prompte. Mais j'avais envie de lui dire: «Une autre fois, si tu allais demander à Satprem?»

Ça ne fait pas le même effet!

Non, mais tu pourrais lui expliquer mieux! (Mère rit)

Ah! non.

Tu peux garder ça si ça t'amuse... mes commentaires sur ton livre! (Mère tend sa réponse)

«Dans le monde généralement, les gens se classent en matérialistes qui ne croient qu'à la matière, ou en spiri-tualistes qui repoussent la matière pour ne s'appuyer que sur l’esprit.

«Sri Aurobindo n'est ni matérialiste ni spiritualiste. Il admet les deux, mais veut une matière transformée, divinisée par l’esprit, qui soit capable d'exprimer la vérité au lieu de la nier constamment.»

C'est tout.

Alors qu'est-ce que tu apportes?

Je voulais te signaler une chose (je n'ai pas pu t'en parler l’autre fois), mais j'ai été sollicité par Paolo,2 qui fait un documentaire sur l’Ashram, pour la télévision; il a demandé à me photographier et à me filmer, etc. J'avais dit d'abord: j'en parlerai à Mère; puis ces derniers temps, ce n'était pas possible... Finalement hier, il m'est tombé dessus avec sa caméra et je me suis laissé faire.

Il est gentil, Paolo, il est très gentil!

Oui, mais enfin c'est le fait de m'exhiber...

Oh! mon petit, et moi alors!

Ah! mais toi, c'est différent!

Pardon! C'est encore pire! (Mère rit) Tu comprends, ce corps a le sens du ridicule, alors il dit: voilà, on m'exhibe alors que je n'y suis que pour très peu de chose (pour ne pas dire pour rien) dans cette affaire.

On ne peut pas les sortir de leur... individualisme à outrance. Qu'est-ce que tu veux faire?!

Enfin, je te signale le fait. Et alors, il m'a demandé d'écrire quelque chose: un «manifeste pour les jeunes» qui servirait de fond de tableau à tout ce documentaire. Ça, c'est plus important.

Ça, c'est utile. Mais ça va te donner du travail.

Il faut que ce soit bref, mais il faut que ça ait la force et la simplicité.

Oui... ça, c'est plus intéressant.

Tu n'es plus fatigué?

Non-non douce Mère!

(Mère passe sa main sur le front du disciple)

Alors ça va bien. Il est gentil, Paolo, et il est généreux. Il faut l’aider.

Et puis autre chose... (Mère prend un dossier parmi une pile de lettres et choses diverses). Je reçois ce cahier tous les deux jours. Voyons s'il y a quelque chose d'intéressant?...

(Mère lit)

«Être ce que la Mère veut», n'est-ce pas être transformé?

Très facile à répondre (Mère écrit):

«Incontestablement.

Pour tous: se préparer à cette transformation.

Pour quelques-uns: commencer le travail de la transformation.

Pour un tout petit nombre: hâter le processus de la transformation.»

(Mère se tourne vers le disciple)

La pensée n'est pas claire?

Ah! si!

(Mère rit) Je le vois une ou deux minutes tous les jours. Il m'a dit: est-ce qu'il est possible d'avoir une nouvelle naissance tous les jours? J'ai dit: c'est possible... si on en est capable!

Alors nous allons voir la réaction (Mère semble beaucoup s'amuser).

(silence)

Mais tu sais, cette petite S.U. (je ne l’ai jamais dit), je ne me souviens plus quand (il y a des années, elle était haute comme une botte), ton fameux Sannyasin3 est venu ici, et il a voulu faire un worship to the Mother,4 et alors il a fait une chose... qui n'est pas considérée comme très charitable (il avait une certaine capacité, cet individu): il a mis dans cette enfant une émanation d'un esprit supérieur (que, lui, pensait être une émanation de la Mère), et il a fait la cérémonie, et après (c'était infiniment trop puissant pour l’enfant), il est venu à moi et il m'a dit: «Je vais vous l’envoyer pour que vous enleviez l’émanation, on ne peut pas garder ça!»

Et alors, il m'a envoyé la petite.

Et j'ai vu ça, j'ai vu qu'il avait mis quelque chose en elle (qui était bien, d'ailleurs: ce n'était pas une chose mauvaise du tout – c'était bien), et pendant plusieurs jours, je faisais le travail pour voir ce qui pouvait s'adapter sans trop déranger la conscience de l’enfant, et puis faire partir ce qui était trop fort... Le travail était intéressant, et je l’ai bien réussi, et la petite, ça lui a donné une espèce de confiance en moi (je ne lui ai rien dit naturellement, personne ne lui a jamais rien dit), mais ça lui a donné une confiance assez exceptionnelle. (Elle était toute petite, c'était une botte.) Et depuis ce moment-là, cette enfant m'intéresse à cause de cela. Parce que, vraiment, il y a une aspiration en elle – ça a produit une aspiration dans son être. Et c'est pour cela que j'ai décidé de l’aider, pour cela que je t'en ai parlé... Elle avait de l’étoffe (il était assez sensitif, ton Sannyasin, il avait senti qu'elle était réceptive). S'il m'avait demandé avant, je lui aurais dit: «Surtout, ne faites pas ça, ce n'est pas une chose à faire!» – Il aurait pu déranger toute la vie de cette enfant. Mais à ce moment-là, il avait un semblant de confiance en moi: il est venu me trouver et il m'a dit: «Maintenant il faut enlever ça!» (Mère rit)

Mais l’enfant ne sait rien, il ne faut pas qu'elle le sache.

Il paraît que parmi ces Sannyasins et autres, ils font ça souvent... mais c'est dangereux.5

(silence)

Quelles nouvelles as-tu? Rien?

Travail à un rythme précipité. Le corps... il ne se plaint pas. Il ne se plaint pas parce que... Il y a deux choses en même temps. Il a de plus en plus et d'une façon de plus en plus précise la pleine perception de son... pour dire le mot exact, c'est nullité (ça, c'est une affaire entendue, et il n'y a même pas l’ombre d'un regret parce qu'il y a la pleine conscience que ça ne peut pas être autrement; dans l’état où est la matière, ça ne peut pas être autrement)... Il y a un intéressant processus de développement par lequel il voit EN DÉTAIL – en détail, dans tous les détails – comment la Force de la Conscience agit, et ce que... pour dire les choses simplement: ce que nous en faisons (!) C'est très intéressant. Pour tout, n'est-ce pas, les détails de chaque minute: comment est l’action de la Force de la Conscience, et... ce que nous en faisons. Et de temps en temps, il y a une clef merveilleuse pour certains problèmes, et une chance est donnée d'appliquer la clef pour voir comment ça fonctionne – ça fonctionne admirablement!

Mais tout cela... tu comprends, c'est comme quelques gouttes dans un océan de travail. C'est comme cela. N'est-ce pas, le travail est terrestre – il est de plus en plus terrestre, même le corps a une connexion avec le tout –, par conséquent assez formidable. Mais le sens de l’illimité pour la Force (pas seulement la Conscience: la Force), le sens de l’illimité devient de plus en plus permanent. La dimension du travail en proportion de la forme (le corps de Mère) est très sensible, et elle est perceptible d'une façon très sensible, mais l’inanité de cette forme (pas même le relatif, presque l’inexistence: c'est quelque chose comme le sens... d'une illusion qui se perpétue) est là; et alors, d'une façon tout à fait concrète, la merveilleuse toute-puissance de la Force-Conscience; ça, avec l’impression que ce que l’on appelle des «miracles», ce n'est rien du tout, c'est un fonctionnement naturel. Mais tu comprends, le travail a la proportion de la Conscience, et il doit être fait par... (riant) la dimension du corps. Alors, ça fait une espèce de perception d'une immensité qui doit être faite sur un point... Je ne peux pas l’exprimer, c'est une chose qui ne peut pas s'exprimer en mots... Mais j'ai besoin d'être tranquille.

Et surtout-surtout le bavardage des mots... Par exemple, il m'est devenu très difficile de lire une lettre: il y a toujours au moins cent fois trop de mots. Et on voit bien, c'est dans la tête que ça fait comme ça (geste d'embrouillamini). Et alors ici (geste au front), ici c'est resté mer-veil-leu-sement tranquille et calme et blanc et... oh!... Ça, c'est vraiment une Grâce. C'est resté là. Et tout cela qui vient, qui essaie d'entrer – ça ne répond pas, c'est tenu à distance. Et alors, la Sollicitude, le Soin que l’on prend de rendre la chose aussi facile que nous le faisons possible – c'est merveilleux! Merveilleux... Naturellement, de temps en temps, on est écrasé sous le poids de l’imbécillité, mais malgré tout, il y a, derrière, une Bonté bienveillante et souriante si formidable! que... ça ne fait rien, pas de souci. Voilà. Alors...

Le corps a la sensation d'être suspendu entre deux états: l’un que les hommes appellent la vie, et l’autre que les hommes appellent la mort. Et le corps a l’impression d'être suspendu entre les deux: ni en vie, ni... (riant) mort, comme cela, ni l’un ni l’autre. Il est entre les deux. Et ça, c'est très curieux. C'est très curieux. On a l’impression (pas une impression, c'est une perception) que le moindre petit désordre (geste de bascule à gauche) suffirait pour le flanquer de l’autre côté, et que ce tout petit «comme ça» (geste de bascule à droite, dans la «vie») est rendu impossible par quelque chose qu'on ne comprend pas. Et il suffit d'un rien pour que...

Il faut seulement se tenir très tranquille.

C'est cela, l’impression que le corps a: seulement être très tranquille, toujours très tranquille, même au moment où ça commence à grincer avec les choses qui viennent du dehors, toutes les circonstances – les cellules retardataires qui font comme cela (geste grinçant), mal ajustées, on est tout au bord... tout au bord de la culbute –, il n'y a qu'à rester bien tranquille... et puis ça passe (geste immense, étal)... merveilleux! Quelque chose comme... je ne sais pas... je ne sais pas comment appeler ça, c'est merveilleux (même geste immense, parfaitement étal). Et avec ça, toujours l’impression de ce Sourire, mais un Sourire qui est tout-puissant.

Et pendant... pendant des semaines, ça agissait seulement sur ce corps, qui était dans un état très concentré; depuis (il n'y a pas longtemps, c'est depuis hier), ça commence (geste d'expansion) à être sur d'autres gens. Et alors il se passe des choses tout à fait inattendues, c'est-à-dire qui n'étaient ni prévues ni voulues ni combinées, absolument rien: tout d'un coup, cette Conscience vient, et puis prend la personne qui est là (geste comme une tornade), et puis, à travers ce corps (de Mère), fait quelque chose... et vous l’emmène dans son tourbillon. C'est particulièrement aujourd'hui. Hier, c'était une sorte de Force – de Force active – qui était entrée dans le corps, hier, qui ne se souciait plus de tout ce qui est mal en point;6 et alors, ce matin, deux fois, j'ai eu cette occasion: j'ai vu, j'ai vu (quand je dis «je», c'est la conscience qui est là – geste au-dessus de la tête –, qui est un Témoin très... comme ça – geste immuable –, qui n'a aucune réaction, pas l’ombre d'une velléité d'intervenir dans le travail de cette Conscience, et elle a assisté): à travers ce corps, la Force est venue, a pris l’autre personne (même geste de tornade) et puis l’emène... C'était amusant! C'étaient deux cas difficiles, deux cas où je rencontrais vraiment une difficulté à vaincre – ça vous prenait la personne, oh! comme un enfant qui joue avec un ballon. Comme ça. Extraordinaire! Extraordinaire. Alors, si «ça», ça vient et s'installe... je ne sais pas.

On verra.

Ça a l’air de vouloir devenir amusant!

(silence)

Il est évident qu'il y a une Volonté active à l’œuvre pour que ce corps apprenne à vivre dans un état où il n'y a ni vie ni mort – qui est autre chose.

Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui arrivera – on ne lui dit pas ce qui arrivera. D'ailleurs, c'est très facile à comprendre: si le corps savait d'avance ce qui arrivera, il ferait sûrement des bêtises au lieu d'être très attentif et très... simplement comme ça, non seulement «à l’écoute» (ce n'est pas une question d'entendre), mais attentif à l’Impulsion pour faire exactement ce qu'il doit faire – ce qui est voulu de lui, pour tout-tout-tout, jusqu'à la moindre chose: manger, dormir, parler, bouger, tout-tout-tout. Être comme ça, tout le temps, tout le temps: attentif pour ne rien faire qui ne soit ce qui doit être fait.

Et (riant) ça lui paraît tout à fait drôle, absurde, que l’on puisse penser que l’on est une «personne» (le corps). Il a tellement l’impression d'une fluidité! que tout ce qui n'est pas fluide est mensonger. C'est vraiment amusant.

Voilà.

Assez de bavardage pour aujourd'hui!

Toi, ça va?7

28 juin 1969

Tiens, j'ai reçu ça de la petite S.U., toujours à propos de ton livre:

(Mère tend une lettre)

Douce Mère,

Quelle est l’idée derrière cette phrase de «l’Aventure»: «Malheureusement, nous (les Occidentaux) avons trop d'intelligence pour avoir vraiment rien de très clairvoyant à dire, tandis que l’Inde, trop pleine du dedans, n'a pas assez d'exigence pour égaler ce qu'elle voit à ce qu'elle vit»?

(Mère sourit et dicte aussitôt)

Cela veut dire qu'en Occident (spécialement en France) le développement intellectuel s'est fait très supérieur au développement spirituel et aux contacts avec les régions supérieures, tandis que dans l’Inde, la conscience intérieure est restée plus développée que le domaine intellectuel.

On pourrait traduire la phrase ainsi:

l’Occident exprime plus qu'il ne sait vraiment.

l’Inde sait plus vraiment qu'elle ne peut exprimer.

Ça suffit!1


(Puis le disciple lit à Mère l’article qu'il a écrit pour la télévision italienne.)

C'est pour Paolo, pour la télévision italienne.

Tu pourrais peut-être me le lire...

Ça t'intéresse?... J'ai appelé ça: «Le Grand Sens».

(lecture)

C'est le temps du Grand Sens.

Nous regardons à droite ou à gauche, nous construisons des théories, réformons nos Églises, inventons des super-machines, et nous descendons dans la rue pour briser la Machine qui nous étouffe – nous nous débattons dans le petit sens. Quand le bateau terrestre est en train de couler, est-ce qu'il importe que les passagers coulent à droite ou à gauche, sous un drapeau noir ou rouge, ou bleu céleste? Nos Églises ont déjà coulé: elles réforment leur poussière. Nos patries nous écrasent, nos machines nous écrasent, nos Écoles nous écrasent, et nous construisons davantage de machines pour sortir de la Machine. Nous allons sur la lune, mais nous ne connaissons pas notre propre cœur ni notre destin terrestre. Et nous voulons améliorer l’existant – mais ce n'est plus le temps d'améliorer l’existant: est-ce qu'on améliore la pourriture?...

(Mère retient un rire)

... C'est le temps d'AUTRE CHOSE. Autre chose, ce n'est pas la même chose avec des améliorations.

Mais comment procéder?

On nous prêche la violence, ou la non-violence. Mais ce sont deux visages d'un même Mensonge, le oui et le non d'une même impuissance: les petits saints ont fait faillite avec le reste, et les autres veulent prendre le pouvoir – quel pouvoir? Celui des hommes d'État? Est-ce que nous allons nous battre pour détenir les clefs de la prison? Ou pour construire une autre prison? Ou est-ce que nous voulons en sortir vraiment? Le pouvoir ne sort pas de la poudre des fusils, pas plus que la liberté ne sort du ventre des morts – voilà trente millions d'années que nous bâtissons sur des cadavres, des guerres, des révolutions. On prend les mêmes et on recommence. Peut-être est-il temps de bâtir sur autre chose, et de trouver la clef du vrai Pouvoir?...

C'est magnifique, mon petit!

... Alors il faut regarder dans le Grand Sens.

Voici ce que dit le Grand Sens:

Il dit que nous sommes nés il y a tant de millions d'années – une molécule, un gène, un morceau de plasma frétillant – et nous avons fabriqué un dinosaure, un crabe, un singe. Et si notre œil s'était arrêté en cours de route, nous aurions pu dire avec raison (!) que le Babouin était le sommet de la création, et qu'il n'y avait rien de mieux à faire, ou peut-être à améliorer nos capacités de singes et à faire un Royaume Uni des Singes... Et peut-être commettons-nous la même erreur aujourd'hui dans notre forêt de béton. Nous avons inventé des moyens énormes au service de consciences microscopiques, des artifices splendi-des au service de la médiocrité, et davantage d'artifices pour guérir de l’Artifice. Mais l’homme est-il vraiment le but de tous ces millions d'années d'effort – le baccalauréat pour tous et la machine à laver?

Le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que l’homme n'est pas la fin. Ce n'est pas le triomphe de l’homme que nous voulons, pas l’amélioration du gnome intelligent – c'est un autre homme sur la terre, une autre race parmi nous.

Sri Aurobindo l’a dit: l’homme est un «être de transition». Nous sommes en plein dans cette transition, elle craque de tous les côtés: au Biafra, en Israël, en Chine, sur le Boul’Mich'. l’homme est mal dans sa peau.

Et le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que la seule chose à faire est de nous mettre au travail pour préparer cet autre homme et de collaborer à notre propre évolution, au lieu de tourner en rond dans les vieilles hommeries sans issue et de prendre les faux pouvoirs...

Écoute, tu dis: «Pour préparer un autre homme», est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux mettre: «Pour préparer un autre ÊTRE»?

Oui!

...de nous mettre au travail pour préparer cet autre être et de collaborer à notre propre évolution au lieu de tourner en rond dans les vieilles hommeries sans issue et de prendre les faux pouvoirs pour régner sur une fausse vie.

Mais où est le levier de la Transmutation?

Il est dedans.

Il y a une Conscience dedans, il y a un Pouvoir dedans, celui-là même qui poussait dans le dinosaure, le crabe, le singe, l’homme – qui pousse encore, qui veut plus loin, qui se revêt d'une forme de plus en plus perfectionnée à mesure que son instrument grandit, qui crée sa propre forme. Si nous saisissons le levier de ce Pouvoir-là, c'est lui qui créera sa nouvelle forme, c'est lui le levier de la Transmutation. Au lieu de laisser l’évolution se dérouler à travers des millénaires de tentatives infructueuses, douloureuses, et de morts inutiles et de révolutions truquées qui ne révolutionnent rien, nous pouvons raccourcir le temps, nous pouvons faire de l’évolution concentrée – nous pouvons être les créateurs conscients de l’Être nouveau.

En vérité, c'est le temps de la Grande Aventure. Le monde est fermé, il n'y a plus d'aventures au-dehors: seuls les robots vont sur la lune et nos frontières sont partout gardées – à Rome ou à Rangoon, les mêmes fonctionnaires de la grande Mécanique nous surveillent, poinçonnent nos cartes, vérifient nos têtes et fouillent nos poches – il n'y a plus d'aventure au-dehors! l’Aventure est Dedans – la Liberté est dedans, l’Espace est dedans, et la transformation de notre monde par le pouvoir de l’Esprit. Parce que, en vérité, ce Pouvoir était là depuis toujours, suprême, tout-puissant, poussant l’évolution: c'était l’Esprit caché qui grandissait pour devenir l’Esprit manifeste sur la terre, et si nous avons confiance, si nous voulons ce suprême Pouvoir, si nous avons le courage de descendre dans nos cœurs, tout est possible, parce que Dieu est en nous.

C'est malheureux qu'il ne puisse pas y avoir un autre mot que Dieu.

Oui.

On ne peut pas trouver autre chose?

C'est magnifique, c'est tout à fait très bien... Seulement ce mot...

(silence)

l’UN, ça n'irait pas?

En entendant, les gens ne comprendront pas... Ou mettre «la suprême Lumière cachée»?

Mais ça, ça devient tout petit.

C'est magnifique, tu sais, mon petit, c'est inspiré. C'est seulement la question de juste ce mot... Je suis là depuis si longtemps à me casser la tête pour trouver quoi!?

UN, avec une majuscule, c'est bien quand c'est écrit, mais entendu...

Dieu, c'est un mot terrible. Lord, c'est un mot encore plus terrible (!) Et puis en italien, qu'est-ce que ça va être!

(silence)

Le «Divin», c'est trop impersonnel?

Non, on peut mettre: «Le Divin caché»... Ou alors «C'était la Merveille cachée qui grandissait pour devenir la Merveille manifeste sur la Terre...»?

Oui, ça [le Divin], ou la «Merveille». Mais je pense toujours aux traductions – ça va être traduit... Je ne sais pas.

Demande à Paolo, et fais-lui choisir entre la «Merveille» et le «Divin». Explique-lui l’idée. En anglais, il est sûr que Divine est infiniment mieux que God.2

Oui, sûrement!

C'est la question de garder l’idée sans garder le mot!

Mais c'est très bien... Juste ce qu'il fallait dire.3

juillet




2 juillet 1969

(À propos des conversations du 31 mai et du 4 juin sur le corps glorieux. Nous suggérons à Mère de les publier partiellement.)

Tu ne crois pas que certaines gens vont s'imaginer qu'ils ont un corps divin...?

5 juillet 1969

Il y a des nouvelles de P.L., un peu découragé. Tu sais qu'il avait été écarté du cortège papal quand justement le pape devait faire à Genève un discours sur l’«unité chrétienne» avec les Protestants. Alors P.L. me dit: «Je me suis mis plusieurs fois à vous écrire et je n'arrivais pas à finir la lettre. Après les efforts énormes fournis pour faire pénétrer les sentiments d'ouverture que douce Mère m'avait inspirés, au moment même où le Pape acceptait de s'abstenir de se proclamer le détenteur "unique"de la Vérité et de se mettre au même niveau que les autres croyances, la Réaction l’a emporté et tout est resté comme avant...

C'est cela.

«...À la dernière minute, les paragraphes du discours ont été changés.»

C'est cela. Et c'est pour cela qu'on ne l’a pas laissé aller.

Je vois bien, c'est la même chose qui se passe ici: il y avait ce mouvement de la Conscience qui voulait faire faire un progrès général – et tous ceux qui veulent tirer en arrière tirent tant qu'ils peuvent.

Et ils ne se rendent même pas compte de ce qu'ils font.

C'est tout petit-petit.

12 juillet 1969

Les nuits commencent à être intéressantes! très intéressantes, parce que j'ai une vision – je ne sais pas où c'est, si c'est dans le physique subtil (probablement) –, une vision symbolique mais active (c'est une action) de ce qui se passe, mais alors... (Mère sourit) TEL QUE C'EST, pas tel que les hommes le voient!

Les choses ici sont toujours revêtues d'un tas de vêtements, ce n'est jamais la chose exacte, et là, c'est la chose exacte. Juste maintenant... La nuit dernière, j'ai eu une longue activité et je me suis dit: «Mais pourquoi est-ce que je vois tout cela?», une longue activité (je te dirai ce que c'est), et puis juste maintenant, Z était là et il a commencé à me dire les difficultés qu'ils ont avec les domestiques... «Ah! je me suis dit, voilà, c'est ma vision, ce que j'ai vu cette nuit!» Et dans ma vision... Tu sais qu'ici, c'est P qui s'occupe des domestiques, mais la nuit, c'était Amrita, et Amrita tel qu'il est maintenant, pas Amrita tel qu'il était physiquement (parce qu'Amrita était venu me trouver quand il a quitté son corps, et en fait, il ne m'a pas quitté, mais il est libre: tantôt il se repose, tantôt il se promène), mais la nuit dernière, il était très actif et il symbolisait l’activité de P, comme si c'était son influence qui dirigeait P. Mais c'était... (Mère a l’air très amusée) les symboles étaient si clairs et si amusants, avec un sens de l’humour si amusant! (Ça, les nuits sont devenues très intéressantes...) Oh! la nuit dernière, j'ai fait de la gymnastique! (Mère rit) à cause de cette histoire de domestiques: pour finir, à un endroit, on avait besoin d'un mur pour protéger de l’invasion des domestiques, on avait construit un petit mur (un petit mur pour protéger l’entrée d'une porte), et puis, je suis entrée dans la maison et quand j'ai voulu sortir de l’autre côté, on avait enlevé l’escalier pour faire ce petit mur! Alors (riant), il y avait un trou béant et il a fallu que je descende (j'étais très habile) en m'accrochant au mur! Des choses comme cela, tout à fait amusantes... On avait mis une espèce de grand paravent pour se protéger d'une foule de domestiques qui avaient envahi la rue; pour qu'ils n'envahissent pas ici, on avait mis un paravent, et Amrita est venu et il a ouvert le paravent, et il a commencé à parler avec les gens du dehors! Je lui ai dit (riant): «Voilà, tu défais tout notre travail!»

Et alors, je vais en Amérique, je vais en Europe, je vais... tout le temps. Je vais dans des endroits dans l’Inde. Et tout cela, tout du travail, du travail, du travail – la nuit. Mais si vivant!

l’autre jour, il y a quelques jours, j'avais eu une longue activité en Amérique où j'avais rencontré des gens à une réunion, je leur avais parlé, j'avais répondu à leurs questions, arrangé des choses; et deux ou trois jours après, j'ai reçu une lettre de quelqu'un qui arrivait d'Amérique et qui était en train d'organiser un bateau pour venir ici pour le centenaire, en 1972 – une femme. Et j'ai retrouvé le portrait de cette femme: c'était elle que j'avais vue, à qui j'avais parlé!... Ça devient intéressant.

Pas beaucoup de choses différentes: la plus grande partie de la nuit est tout à fait immobile, silencieuse et dans la Force – dans la Force –, comme si je me couchais dans la Force pour qu'elle pénètre tout; et puis, à un moment donné (généralement à la fin de la nuit), une activité comme celle-là, une seule, qui dure une heure, deux heures, avec toutes sortes de détails, et extrêmement précis. Alors, ça commence à être intéressant.

Le corps participe, n'est-ce pas; je pourrais dire que c'est le corps qui rêve, ce n'est pas un être intérieur: c'est le corps subtil qui rêve. Ça a un caractère très concret et d'un symbolisme très SIMPLE, simple mais si clair! C'est intéressant.

(silence)

Et puis le contact avec les gens... J'ai fait une règle selon laquelle je ne parle pas aux gens qui viennent, aux visiteurs; je ne parle qu'à ceux avec qui je travaille, parce que le corps lui-même sent que sa conscience descend dès que je me mets à parler. Si je ne parle pas, sa conscience est très... (comment dire?) très uniforme et très vaste (beaucoup plus vaste que le corps), très vaste, très uniforme et très réceptive sans déformation; dès que je parle... ce n'est plus ça. Alors je n'aime pas parler, mais je suis obligée de parler comme cela, comme je te parle ou quand j'ai du travail à faire pour organiser. Mais ce matin, j'ai eu la visite de la «Commission» qui a été envoyée par le gouvernement pour voir si nous sommes de bons enfants (!) et si nous méritions l’argent... qu'ils doivent nous donner. Alors cette Commission a demandé à me voir. J'ai dit: «Je consens, à condition qu'on ne parle pas et que je ne dise rien.» Et quand je vois les gens... ils sont transparents, n'est-ce pas, et généralement je vois ce qu'ils pensent, je vois ce qu'ils veulent, ou bien leur impulsion, ou bien... – c'est très amusant. Et je leur parle. Je leur parle dans le sens que je leur dis quelque chose intérieurement («je» ne sait pas: c'est la conscience qui sait exactement ce qui doit leur être dit). Quelquefois je ne sais rien d'eux; ils viennent d'arriver comme cela, je les vois et puis je leur fais un discours! je leur fais un discours et je m'étonne moi-même: «Tiens! pourquoi est-ce que je lui dis tout cela?» Et après, j'apprends que c'est exactement les préoccupations de cette personne, sa difficulté ou...

C'est-à-dire qu'il y a un progrès. Il y a un progrès dans la conscience, mais pas encore dans l’équilibre de santé; ça, c'est très difficile. C'est devenu extrêmement sensible et la moindre chose crée des réactions... On verra.

(silence)

Et toi?... Rien?... Qu'est-ce que tu as à dire?

J'ai l’impression que j'ai moins conscience qu'autrefois (dans mon sommeil par exemple).

Avant, tu me disais toujours que tu étais inconscient!

Les premières années, j'étais plus conscient.

Ah?

Par exemple, souvent dans mon sommeil, je me réveillais en train de méditer, ou bien j'avais conscience d'être pris par une force et de passer ailleurs, des choses comme cela. Maintenant, il n'y a plus jamais de phénomènes de ce genre... C'est le vide complet ou alors des activités chaotiques.1

(Mère reste silencieuse)

J'avais l’impression qu'il y avait quand même une sâdhanâ qui se faisait dans le sommeil...

Pendant un certain temps, je te voyais toutes les nuits, j'allais dans les endroits (je te le disais), dans les endroits où tu vas. Ce sont des endroits qui concernent la vie de la terre, mais qui ne sont pas très proches, je veux dire que c'est une vision assez subtile des choses, qui est au-dessus du mental; une vision et une action qui sont au-dessus du mental. Et là, je te voyais toujours; tu avais comme... comme un bureau; c'était une immense salle (je te l’ai dit plusieurs fois) et pas de murs; on avait l’impression d'être dans des salles et pourtant il n'y avait pas de murs: on voyait le dehors. Et c'était toujours le même endroit, mais les salles différaient, c'est-à-dire que tantôt on s'occupait d'une chose, tantôt on s'occupait d'une autre. Mais tu étais toujours là et toujours occupé. Et il y avait de grandes armoires qui contenaient tous les «rapports» et tu étais très intéressé par cela. Et ça, pendant des années, presque toutes les nuits je te voyais là. Mais maintenant, je n'y vais plus, alors je ne te vois pas.

Je t'ai vu, mais alors c'était tout à fait différent, de temps en temps, comme cela, comme cette vision avec Amrita, alors associé à un travail que je faisais.

Je ne vais plus là parce que... n'est-ce pas, il n'y a que le corps, c'est l’activité du corps; c'est intéressant: c'est la vie intérieure du corps. Alors, de temps en temps, je te vois, mais c'est à cause de la chose dont je m'occupe, ce n'était pas comme avant.

Là, dans ce domaine-là, au-dessus du mental, tu semblés y être toutes les nuits: une activité très constante. Et c'est très intéressant, c'est un endroit où, pour ainsi dire, se décident un certain nombre d'événements qui vont se passer: des changements, des événements qui s'organisent là; mais ça s'organise... comme dans un bureau de direction, tu comprends – on ne fait pas: on organise (geste de vision). l’exécution n'est pas visible, elle est en dessous.

Il y avait un temps où je te voyais très-très-très régulièrement, et c'était le temps où tu me disais que tu étais tout à fait inconscient! (Mère rit)

J'ai l’impression que la clef qui me manque, c'est la clef du mental physique.

Physique?

Physique, oui. Si ce mental physique, j'arrivais à l’accrocher de façon à ce qu'il marche spontanément sur des choses vraies au lieu de fonctionner sur des choses idiotes; si ça fonctionnait automatiquement, alors même la nuit, ce serait...

Oui-oui!

Mais comment faire? Je ne sais pas... Tant que je mets une pression d'en haut sur lui, ça va très bien, mais de la seconde où il n'y a plus de pression...

Il recommence.

Ça continue.

Eh oui! il obéit mais il n'est pas transformé.

Non, pas du tout. Il faut mettre la pression dessus.

C'est cela.

Mais comment l’attraper, je ne sais pas.

(après un silence)

Oh! mais si c'est le mental physique... Parce que c'est le mental physique qui est en train de se développer2 (chez Mère) hors de toutes proportions prévues comme possibles, alors que Sri Aurobindo avait pensé, lui, que ce n'était pas possible; il avait dit: il vaut mieux s'en débarrasser, on ne pourra pas. Mais je me suis aperçue que c'était transformable, parce que le mental et le vital sont partis, alors il y avait un besoin de remplacer le mental dans le fonctionnement, et ce mental physique s'est développé d'une façon très extraordinaire. Il est devenu... (comment dire?) beaucoup plus conscient d'abord, beaucoup plus organisé et méthodique dans son travail. Alors, peut-être, si c'est ton mental physique, on peut faire quelque chose – je vais essayer. Je peux essayer de faire quelque chose la nuit.

Mental, je ne peux plus rien, je n'ai plus de mental; mais mental physique, je peux.

Il faudrait qu'il soit touché.

Oui-oui.

Je me souviens, par exemple, il y a plusieurs années, la première fois où j'ai entendu au «Playground» ce mantra (c'était dans un film),3 eh bien, ce soir-là, ça m'avait tellement touché que, dans la nuit, je me suis réveillé répétant ce mantra.

Oh!...

C'est quelque chose qui a besoin d'être touché. S'il était touché et qu'il accrochait la vraie vibration, eh bien, ça continuerait.

Oui.

Quand je faisais ce «japa» tantrique, souvent, la nuit, par exemple, je sentais qu'il y avait une activité de sâdhanâ à cause de ça.

Oh!...

Parce qu'on l’avait tellement manipulé et manié,4 ce mental physique, que même dans le sommeil, il y avait quelque chose qui restait.

Ah! alors, ça avait de l’effet.

Ça avait de l’effet.

Mais pourquoi ne recommences-tu pas?

Mais j'ai fini avec X.

Oui, mais tu n'as pas besoin de X.

C'est-à-dire qu'il faudrait que je me remette à faire cela pendant plusieurs heures?

Oh! c'était écrit?

Non. Il y avait des «yantram» écrits, mais il y avait aussi du «japa».

Japa? Tu répétais le japa?

Je répétais le japa pendant... je ne sais pas, des heures tous les jours.

Mais je t'ai dit: le corps répète le mantra (qui est japa aussi) spontanément et absolument sans que la conscience intervienne; il a pris l’habitude; dès qu'il a la moindre difficulté, il le répète. Alors tu pourras obtenir la même chose.

Mais oui, mais comment? Il faudrait l’engrener.

Oui.

Mais comment?

On va essayer.

Est-ce qu'il faut que je me remette à faire du japa méthodique comme je le faisais, ou quoi?

Tu pourrais (peut-être simplement comme expérience, pour voir si ça a de l’effet), tu pourrais essayer. Peut-être pas comme tu le faisais ni tout cela, mais comme moi, je le faisais: répéter à la moindre activité, ou à la moindre difficulté, répéter le mantra ou le japa. Et alors presque le prononcer, n'est-ce pas.

Mais douce Mère, en fait je le fais presque tout le temps.

Ah! tu le fais?

Mais je le fais... comme ça, c'est une certaine partie de mon mental, avec un peu de psychique, qui doit le faire.

Ah!...

Ce n'est pas quelque chose de spontané, ce n'est pas ENGRENÉ dans la substance physique, tu comprends.

Mais on pourrait essayer.

C'est par une volonté que je le fais, ce n'est pas une spontanéité.

Oui-oui.

Une volonté qui est devenue très habituelle, mais qui est quand même une volonté.

Oui. Mais on peut essayer.

Qu'est-ce que c'est, ton mantra?

C'est le mantra que tu m'as donné, douce Mère!

Ah! c'est celui-là... oh!... C'est celui-là que le corps répète spontanément. Tout d'un coup, je l’entends qui est en train de le dire, tu comprends, tellement c'est spontané.

On va essayer.

(silence)

Tu m'as donné les photos de quand tu avais été initié?

Oui.

Tu en as, toi?

Oui, douce Mère.

Tu as les mêmes... Je n'arrive plus à les retrouver! Et j'avais mis ces photos avec une lettre de toi que tu m'avais écrite de là-haut, quand tu étais en voyage.

Bénarès?

Pas Bénarès, l’autre endroit?

Brindavan... Non, je ne sais pas.

Un endroit célèbre, un endroit de Krishna, je crois.

Alors c'est Brindavan, peut-être.

De là, tu m'as écrit. Tu m'as écrit une lettre, et dans cette lettre tu m'as dit, mon petit: «Je viens d'avoir une expérience,» Et tu m'avais vue.

Non, c'était à Bénarès.

À Bénarès. Alors j'avais gardé ça séparément avec les photos. Je ne sais plus où c'est. J'ai cherché, j'ai beaucoup cherché. Seulement c'est resté en bas, alors en bas je ne sais pas ce qu'on en a fait... Devant la fenêtre, j'avais un fauteuil où j'étais assise; à côté du fauteuil, il y avait une espèce de petit paravent; dans le bas du paravent, j'avais mis comme un tiroir debout (c'était une espèce de sac, mais fixe), et là-dedans, j'avais mis des lettres et ces photos (j'avais mis d'autres choses aussi). Et tout a disparu. Je ne sais même pas si ce machin existe encore...

Ça existe encore, dit Sujata.

(À Sujata:) Tu veux aller voir. Si ça existe encore, tu veux l’apporter, ce serait amusant? (Sujata sort)

(silence)

Je vais essayer.

Cet endroit où je te voyais, c'était une expérience du mental supérieur, juste au-dessus du mental, et je ne l’ai plus depuis que le mental est parti. Mais ça, là (niveau physique), c'est pleinement actif, pleinement. Je vais essayer.

(Sujata revient avec des boîtes de carton dont Mère se met à examiner le contenu: des vieux objets)

Oh! et ça... ça, je dois bien l’avoir depuis... au moins soixante-dix ans! (rires) C'est un machin de cuivre qui servait comme d'ouvre-lettre, et le manche est parti, et je l’ai gardé, je m'en suis servi... Mais il y a un miroir quelque part, je ne sais pas où il est (un miroir avec une monture où il y avait de l’or dedans – il est très joli, un petit miroir de poche pliant), ça appartenait à ma grand-mère, et ma grand-mère me l’avait donné; elle l’avait eu, elle, quand elle avait... douze ans. On lui avait donné quand elle avait douze ans, elle me l’a donné et je l’ai gardé, et je l’ai encore; ce qui fait que cet objet doit avoir beaucoup plus de cent ans! Il est en bas, dans l’armoire... Mais ça, c'est un ouvre-lettre. Ça, oh! il y a longtemps-longtemps: je l’avais en France avant de venir, je l’ai apporté quand je suis venue; il a été au Japon, je m'en suis servie au Japon (pour ouvrir les lettres de Sri Aurobindo) et je l’ai rapporté ici. Alors il doit avoir... je l’avais au commencement du siècle: une soixantaine d'années – c'est beaucoup plus vieux que toi! Tu le veux? Pour ouvrir des lettres...

(Mère donne l’objet au disciple et continue à regarder les boîtes)

Oh! c'est amusant.

Ça, c'est un taille-crayon! (À Sujata:) Tu emploies des crayons?

Pas beaucoup, non, Mère.

Il y a des gommes à effacer, mais elles doivent être tellement vieilles!...

Il n'y a rien qui te ferait plaisir?... Une vieillerie là?... Si tu trouves quelque chose... qui te ferait plaisir – mais il faudrait que tu t'en serves, pas pour mettre dans un coin.

(Sujata:) Non, Mère, c'est bien où c'est, avec tes affaires.

Alors, la prochaine fois, nous verrons les papiers, je veux absolument retrouver ces photos de toi et cette lettre.

(À Sujata:) Il n'y a rien là qui te ferait plaisir? Non?

Je n'oserais pas utiliser, j'aurais envie de le garder.

Ça, je l’utilisais tout le temps. C'était ça que j'utilisais – prends n'importe quoi!

(Sujata prend un crayon)

Ah! ce sont de bons crayons... Tu veux le taille-crayon? Prends (Mère rit)

La prochaine fois, on verra les papiers, ça va être amusant!

(silence)

Je me souviens de t'avoir vu il n'y a pas très longtemps (il faut que je voie ça), et ce devait être dans le physique subtil. Alors si c'est là que tu veux devenir conscient, c'est plus facile pour moi.

C'est très intéressant, tu sais! C'est très intéressant... La vie dépouillée de son apparence mensongère!

Ce sont encore des formes, mais ce n'est plus du tout la même chose. N'est-ce pas, les hommes ont tellement l’habitude de tout... travestir – tout cela est parti; là, c'est parti.

Dis-moi, à quelle heure te couches-tu?

Vers dix heures et demie.

Dix heures et demie... Alors je me réveille («réveille» c'est une façon de parler) pour la première fois aux alentours de minuit (un peu avant, un peu après), et à ce moment-là, tu dors.

Oui, douce Mère.

Alors à ce moment-là, quand je me recoucherai, je t'appellerai. Mais ne t'en occupe pas. Tu me diras seulement s'il se passe quelque chose. Je vais essayer.

Oh! je vois beaucoup-beaucoup de gens, je fais beaucoup-beaucoup de choses. Et alors, j'ai le contrôle:5 sans chercher, sans questionner j'ai le contrôle après; le lendemain, on me dit ceci, cela, cela... Alors je vais essayer. Je n'essayais pas parce que je pensais que tu allais toujours dans le mental la nuit, dans cette région supérieure là-haut (c'est juste au-dessus du mental), et là je ne vais plus: je vais... (geste tout en haut). Mais tout le temps, je travaille là, dans ce physique subtil. Et ça devient de plus en plus conscient et de plus en plus clair. Alors je vais essayer.

Sri Aurobindo est là – on le voit tout le temps; tout le temps il fait une chose ou l’autre, il est très actif, très actif. Tu le rencontrerais, ce serait bien. Tu ne le vois jamais la nuit?

Jamais, non.6 (Mère fait le geste de mettre le disciple en contact)

19 juillet 1969

(Notons que Mère avait été fortement secouée le mercredi 16 et qu'elle n'avait pas pu recevoir le disciple.)

Ils m'ont mêlée (à Delhi, ici) à toutes leurs affaires politiques..., «mêlée» je veux dire qu'ils demandent mon secours. Il y a des gens qui ne sont pas contents et qui sont sans scrupules, et on a fait du mischief (quand je n'ai pas pu te voir mercredi). Je m'en suis aperçue après. Mais c'était embêtant. Je n'ai rien dit à personne de ce que c'était. C'était une histoire invraisemblable... qui n'avait aucune cause, aucune raison,1 et quand j'ai regardé, j'ai vu d'où cela venait.

Enfin, je n'étais pas en état de voir personne. C'est embêtant. C'est à propos de leur politique – ici (à Pondichéry), ce sont de vilaines histoires, mais à Delhi, c'est à propos de leur Président.2 Enfin, je crois que l’on a trouvé quelqu'un... Il a y Deshmukh (il paraît que l’on a proposé son nom), alors j'ai dit: «C'est très bien.» Oui, Deshmukh est un homme très bien – s'il veut bien; je ne pensais pas qu'il accepterait mais il paraît que son nom est là.3 Et tout cela... Enfin tout cela pour dire pourquoi je ne t'ai pas vu mercredi.

Mais qui a fait du «mischief» [des méchancetés]?

Je ne sais pas exactement d'où ça vient. Je ne peux accuser personne parce que je ne sais pas d'où cela vient. Mais c'est... On avait essayé cela une fois sur moi (il y a très longtemps, très longtemps, j'étais en bas; à ce moment-là nous ne nous voyions pas souvent, je crois). Mais ils ont un truc, ils ont une espèce de... je ne sais quoi, je ne sais pas quel truc de magie, qui fait vider tout ce qui est dans votre corps. Généralement, ça tue les gens. La première fois, ça m'a bien secouée, mais... Cette fois-ci, c'était beaucoup moins fort, mais c'est la même chose. Ça a arrêté toutes les fonctions, digestion et tout.

Enfin, c'est réglé.

Mais il y a une chose intéressante que Nolini m'a montrée hier. C'est une dame française qui est astrologue, paraît-il, et elle a la réputation d'être très calée;4 elle a fait une prédiction d'après les astres, qu'au mois de juillet de cette année (ce mois-ci), l’Inde serait dans une très grande difficulté (justement ce qui se passe), mais alors elle dit que l’Inde en sortirait avec une grande amélioration de conscience... Je n'ai pas vu en détail, je ne sais pas, mais il semblerait qu'elle annonce presque comme un changement de régime... Mais le dérangement, il est là, oh!... affreux.5 Tout le monde se dispute! Et puis il y a des gens qui n'ont aucun scrupules, aucun. Ils sont tous contre le premier ministre parce qu'elle veut nationaliser les banques – elle veut nationaliser les banques parce qu'elle s'est aperçue qu'il y a une bande de riches (que je connais et que je dénonçais depuis très longtemps), qui accaparent tout et qui font une misère générale: des gens absolument sans scrupules. Et alors, avec la nationalisation des banques, elle espère empêcher leur... Je t'ai dit, n'est-ce pas, qu'il y a une bande de gens (je ne tiens pas à les nommer) qui ont de l’argent partout, et des sommes formidables à l’étranger. Et alors, ils tiennent le pays par la gorge, parce qu'ils peuvent faire une banqueroute ici quand ils veulent. Et elle le sait, et ce sont des gens que personne n'a jamais osé toucher. Mais elle, elle a trouvé cela, que si elle nationalisait les banques, ils ne pourraient plus faire leur mischief [méfaits]. Alors ils sont furieux – furieux. Et ils disposent de toutes sortes de moyens6... Et elle, par N.S., est constamment en contact avec moi, et elle demande le secours, l’indication, etc.

On va voir. J'étais contente de cette prédiction parce que... Tout dépend si elle tient bon. Si elle tient bon, ça ira.

On va voir.

Mais il y a quelques jours aussi, j'ai senti que c'était le commencement de quelque chose.

Ah!

Alors que d'habitude, cela ne me frappe pas du tout, ces querelles. J'ai senti clairement: «Ça, c'est le commencement de quelque chose.» Il y a trois ou quatre jours, quand il n'y avait pas encore tous ces événements... Mais la pensée m'est venue aussi: est-ce que les Chinois ne vont pas en profiter?

Le danger est là.

Mais le chaos intérieur... il est déjà presque existant, n'est-ce pas.

Naturellement, il est probable que les Chinois tireraient avantage de cela imédiatement.

(long silence)


(Puis Mère prend sur la table à côté d'elle des lettres de Sri Aurobindo qu'elle a l’intention de publier, notamment celles-ci:)

«The prestige of an institution claiming to be a centre of spirituality lies in its spirituality (Mère rit), not in newspaper columns or famous people.»

La traduction

«Le prestige d'une institution qui se dit un centre de spiritualité, dépend de sa spiritualité (riant) et non des colonnes de journaux ni des gens célèbres.» XXVI.380.

Ça, je sais, c'est à propos de la Société Théosophique. Je ne sais pas à qui il a écrit cela.7

«A sincere heart is worth all the extraordinary powers in the world.»

La traduction

«Un cœur sincère vaut les plus extraordinaires pouvoirs du monde.»

C'est joli.

Et puis, il y a ça... (Mère montre une note). Tu sais qu'il y a une «Commission» qui est venue du gouvernement, et en partant, ils m'ont demandé si je pouvais leur donner quelque chose. Je leur ai donné ça:

«There is a Supreme Divine Consciousness. We want to manifest this divine Consciousness in the physical life.»

La traduction

«Il y a une Suprême Conscience divine. Nous voulons manifester cette Conscience divine dans la vie physique.»


Peu après8

Il y avait une personne en Amérique (une femme) que je voyais souvent la nuit. J'y allais et je parlais, et les gens répondaient... Il y a de ces activités, la nuit, qui sont étranges: j'ai l’impression que j'entre dans quelqu'un, parce que je parle, on me répond... Je ne sais pas dans qui j'entre, ni ce que c'est. Mais il y avait une personne que je voyais souvent: je voyais sa maison, je voyais les réunions (il y avait des réunions), je voyais... Je ne savais pas qui c'était. Puis, un jour, on a reçu une lettre d'une femme qui disait qu'elle voulait avoir un bateau et venir avec un groupe de gens sur ce bateau, pour 1972. J'ai répondu, puis elle a envoyé sa photo – et j'ai vu que c'était la personne que j'avais vue si souvent, avec laquelle j'étais en rapport! Et c'est une femme qui semble avoir de l’autorité là-bas (elle a l’air d'une femme riche): elle a de l’autorité, elle connaît les gens du gouvernement, elle leur a écrit. Elle a déjà un groupe très important, ça a l’air d'être du bon travail qui est en train de se faire en Amérique. Très réceptive et pleine d'énergie. Je me souviens toujours que mes conversations étaient très intéressantes. Et l’autre jour, sa lettre est venue (c'était la deuxième ou troisième fois qu'elle écrivait), et avec sa photo, alors je l’ai reconnue. C'est intéressant, parce que c'était... (à ce moment, la porte de la chambre de Mère claque) c'étaient des rapports constants: l’endroit est constant, les gens sont constants, et je les vois très souvent, ce n'est pas une chose «comme ça», de hasard. Elle a écrit au gouvernement pour leur dire qu'ils devaient s'intéresser particulièrement à Auroville et faire quelque chose. Et elle semble avoir une autorité là-bas.9

(Sujata va voir qui avait claqué la porte, puis revient)

Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce qu'il y a?

Quelqu'un a ouvert cette porte, puis refermé, et il n'y a personne!

Parti?... Mais Champaklal n'est pas là?...

Non, Mère.

Ah! quand il n'y a personne sur le palier, il y a des gens qui montent et qui entrent!... (Mère rit) Une fois, il y a eu une histoire comme cela: c'était le matin et j'étais en train de voir les gens, lorsque tout d'un coup arrive en bombe, dedans, un homme très grand. Alors tout le monde s'est précipité, on l’a emmené dehors. Et c'était un homme, paraît-il, qui m'avait écrit pour me dire qu'il voulait me voir, et je ne lui avais pas répondu, (riant) alors il avait décidé qu'il viendrait sans réponse!... Un homme assez jeune. Et il a dit après (il connaissait des gens ici, qui lui ont dit que c'était un grand scandale), il a dit: «Je ne sais même pas pourquoi ni comment je l’ai fait!...» Il attendait là devant la porte de la terrasse, et M qui venait de me voir est sorti, et, croyant qu'il était venu pour le voir, M lui a dit: «Venez avec moi», et l’autre a répondu: «Je vous suis, allez», puis au lieu de le suivre, il est entré ici! Et il a dit qu'il ne savait pas du tout ni comment ni pourquoi il l’avait fait... Alors, cela veut dire qu'il y a des «formations» qui sont là et qui s'emparent des gens.

(silence)

Je suis devenue un petit peu trop «publique» pour mon goût... Hier, depuis le commencement de la matinée, j'ai vu les gens du gouvernement ici. Le gouverneur vient très souvent: il vient, il s'asseoit, il enlève son Gandhi cap [bonnet de Gandhi], puis il s'installe là en face de moi, et il reste au moins cinq minutes comme cela (à absorber les énergies)... comme une éponge.10

(silence)

Tu n'as rien à dire?

La dernière fois, tu avais parlé du physique subtil: du sommeil et du physique subtil...

Oui.

Et puis tu m'avais dit...

Oui-oui-oui, je n'ai pas oublié!

Je dois être bouché parce que...

Et alors?

Eh bien, oui, je suis bouché!

(après un long silence)

Il ne s'est rien passé?

Non, douce Mère. Mais j'ai recommencé à faire du «japa». Au lieu de faire mon mantra «un peu comme ça», j'ai recommencé à le faire systématiquement. Avant de m'endormir, par exemple...

Ah!

Pendant à peu près une demi-heure. Je ne sais pas, enfin je pense que c'est un processus de longue haleine et qu'il faut être patient.

Oui, oui.

(silence)

Il y a un phénomène nouveau dans les nuits. Il y en a un qui existait avant, mais qui s'est précisé: c'est un endroit du physique subtil où ceux qui ont un corps et ceux qui n'ont plus de corps sont mélangés sans que cela fasse aucune différence. Ils ont la même réalité, la même densité et la même existence consciente, indépendante. J'y vois... La nuit dernière (ou la nuit d'avant, je ne sais pas), il y avait des choses comme cela: Chandoulal11 était là et Amrita, et ils se sont rencontrés et ils se parlaient, et ils faisaient des projets ensemble, tout à fait comme ils l’auraient fait physiquement sur la terre. Ce n'était pas la première fois qu'ils se rencontraient et ils se disaient: «Je vous dirai demain ce que...» N'est-ce pas, comme cela, à propos de leur idéal. Des choses intéressantes. Il y en a encore un autre... (Mère cherche) Ah! oui, Pourani12 aussi, c'est comme cela. Ils se promènent là. Il y a une similitude extraordinaire avec la vie matérielle, excepté que l’on sent qu'ils sont plus libres de mouvement. Mais ça, ce n'est pas nouveau, seulement cela devient plus concret et plus précis. Mais ce qui est nouveau, c'était ces dernières nuits...

Le sommeil n'est plus du tout du sommeil, je ne sais plus, c'est une espèce de... (geste comme si Mère retirait à l’intérieur ses énergies) «withdrawal», c'est-à-dire que je rentre au-dedans, et alors je suis active; et c'est dans le même état où se trouvent ces gens-là; et parmi eux, il y en a qui sont avec des gens qui ont encore un corps: ce n'est pas seulement ceux qui n'ont plus de corps. Et alors, je suis là aussi et dans le même genre d'état. Mais ce qui est étrange, c'est que quand je me soi-disant «réveille» et que je me lève, je continue quelque chose (riant) qui n'est pas physique! Tu comprends, l’état de là-bas continue, et c'est aussi réel, aussi tangible que les choses physiques; et je m'aperçois au bout d'une demi-heure que j'ai bougé ici et fait tout cela ENTIÈREMENT dans cette conscience!13... Qu'est-ce que c'est que cette conscience?...

C'est une conscience très claire, très harmonieuse, où il n'y a pas de difficultés, et très créative... Je ne sais pas ce que c’est14... Ce matin, c'était particulier: littéralement, pendant une demi-heure j'étais là [dans ce monde-là], je ne le savais pas! Et c'est après cela que je me suis dit: «Mais... est-ce que c'est physiquement comme cela?» Il y avait quelqu'un, n'est-ce pas, j'étais avec quelqu'un [dans ce monde-là], et je me suis demandé: «Mais est-ce que cette personne est comme cela physiquement? Est-ce que c'est physique?» Et j'étais debout!... Alors c'est comme si les deux mondes étaient... (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche). Étrange...

Le physique paraît moins impératif, moins... Avant, on avait l’impression que, oui, ce n'était pas un «rêve» comme les gens disent, mais que c'était une conscience plus subtile et moins précise, et que la conscience physique était tout à fait concrète et précise (Mère fait le geste de se cogner). Mais maintenant, cette distinction... l’autre est devenue presque plus concrète et réelle que la conscience physique; la conscience purement matérielle est plus flottante que ça: l’impression de quelque chose de pas très... pas très sûr – pas très sûr, c'est curieux.15

Ça, c'est curieux, c'est nouveau, depuis deux jours.

On verra.

(long silence)

Peut-être une nouvelle conscience veut-elle se servir de ce corps?... C'est une nouvelle conscience dans le sens que ce corps, ce qu'il a fait, ses activités, tous les événements de sa vie, lui apparaissent dans le souvenir tout a fait différents du souvenir qu'il en avait – non pas que les événements aient changé: le sentiment ou la sensation ou la vision ou la compréhension des choses est tout à fait, tout à fait différente. Tout à fait différente. Et l’état dans lequel il se trouvait avant, lui apparaît... comme une stupidité d'inconscience – tout-tout-tout. Et il y a comme... comme un étrange décalage: l’état de conscience qu'il avait, maintenant lui paraît artificiel, pas vrai, et... incroyablement stupide; et alors, les mêmes circonstances, dans la nouvelle conscience, ont tout à fait un autre sens – un autre sens et donnent une autre sensation.

Je crois qu'il y a quelque chose qui est en train de changer là-dedans.

Et alors, en même temps, un sens de... (comment dire?) nullité sans importance, nothingness, et puis la sensation, la perception de la Présence divine tellement concrète et tellement puissante... que quelquefois j'ai l’impression que les gens vont craquer! (Mère rit) C'est comme cela, quand ils sont là, j'ai l’impression que... (geste). Ce soi-disant «accident» de mercredi dernier a eu un effet très considérable sur la conscience du corps: elle est très différente. La perception d'un Pouvoir qui n'est limité que par... la prudence d'une Patience infinie. Comme cela. Et en même temps... tiens, ce que l’on pourrait appeler des «déchets de personnalité», réduite à un état poussiéreux et absolument sans importance (Mère parle de son propre corps). Et les deux sont ensemble. Mais c'est très difficile... N'est-ce pas, ils ont fait de nouvelles photos (de Mère), je les ai vues hier, j'en ai vues hier un certain nombre: je regardais ces photos comme je regardais les photos d'une autre personne – c'était tout à fait comme les photos d'une autre personne! et je faisais des remarques, mon petit! (riant) Je me souviens des impressions que j'avais en regardant... Et je crois, ma parole, que j'ai pas mal changé d'apparence aussi, non? Je n'ai pas changé?

Je ne me rends pas compte.

Tu n'as pas remarqué.

Tu as vu ces photos?...

Non, douce Mère.

Il doit y avoir là une grande enveloppe beige.

(Sujata apporte l’enveloppe)

Je ne sais pas si ce sont celles-là... Il y a une photo de profil...

(Mère et le disciple regardent les photos)

Tu as des expressions très différentes!

N'est-ce pas!

Oui, mais tu as l’air de te moquer aussi beaucoup!

Il y en a une spécialement...

Un air un peu «mischievious» [malicieux]!

(Mère cherche encore parmi les photos)

Ce sont les yeux que je trouve différents.

Elle n'est pas là, cette photo, je ne sais pas où elle est... Ah! la voilà (Mère montre une photo de profil). Tu ne la trouves pas étrange?

Si... un peu... oui, ce n'est pas la même chose que d'habitude.

N'est-ce pas.

Étrange... Hier, on me faisait signer (parce qu'ils en ont fait beaucoup pour les distribuer), et je ne sais même pas qui a parlé, mais quand j'ai regardé... (j'ai pris la loupe et j'ai regardé), et j'ai dit: «O... O she is a dangerous person, she knows too much!» [oh! c'est une personne dangereuse, elle en sait trop!]... Et c'était tout à fait l’impression comme... ce que l’humanité ordinaire sent: une espèce de crainte de quelqu'un qui en sait trop – parce que c'est vrai, quand les gens sont là, assis devant moi, je les regarde: je vois ce qu'ils pensent, je vois ce qu'ils sentent, je vois ce qu'ils veulent, n'est-ce pas, comme cela, tout-tout. Ce n'est pas que je cherche à voir: c'est plus visible pour moi que les traits de leur figure. Et alors, c'était comme leur impression: brrr! il faut faire attention! (rires)

Tu as l’air un peu Chinois sur ces photos.

Très Chinois, très Chinois. Mais j'ai vu un vieux Chinois qui était entré en moi, il y a longtemps. C'était un homme, mais c'était un vieux Chinois16...

Ça frappe dans l’ensemble de ces photos.

Oui. Mais c'est surtout-surtout ce changement de conscience du corps qui est extraordinaire!... Tu comprends, c'est comme s'il revivait... ce sont les choses qui sont restées dans la conscience parce que l’être psychique y a participé – c'est très clair et très précis; le reste est très effacé (ça, il y a longtemps que c'est comme cela). Eh bien, ces choses-là étaient enregistrées par l’être psychique, et le corps avait eu une impression, n'est-ce pas, une impression à lui, et maintenant, la conscience psychique est la même, elle voit de la même façon, et l’impression physique est tout à fait différente!... C'est-à-dire que c'est la conscience PHYSIQUE qui a changé. Et ces jours-ci, c'est devenu très-très-TRÈs clair. C'est depuis mercredi – de mercredi à aujourd'hui: mercredi, jeudi, vendredi... Il n'y a pas longtemps.

(Riant) Une personne dangereuse!17

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère et s'apprête à partir)

(Mère regarde le disciple) J'ai comme cela l’impression que... il va y avoir aussi un changement pour toi, pour la nuit.

On verra.

23 juillet 1969

(Notons que les astronautes américains, Armstrong et Aldrin, sont descendus sur la lune le 21 juillet. Mère montre le texte suivant qui lui a été proposé comme «message» pour le 15 août prochain.)

C'est Nolini qui avait suggéré ce texte... à cause des gens qui sont descendus sur la lune! (Mère rit) Mais c'est beaucoup trop personnel – je lui ai dit non. Je te le montre simplement, mais je lui ai dit: non, je ne veux pas.

Q. I have been wondering whether the Mother has been able to establish a direct connection with Mars or any other far off planet which is probably habitable and inhabited.1

C'est quelqu'un qui a posé la question à Sri Aurobindo. Alors maintenant que les gens sont descendus sur la lune...

A. A long time ago Mother was going everywhere in the subtle body but she found it of a very secondary interest. Our attention must be fixed on the earth because our work is here. Besides, the earth is a concentration of all the other worlds and one can touch them by touching something corresponding in the earth-atmosphere.2

Sri Aurobindo (XXV. 373)
13.1.1934

Il dit ce que je faisais, mais je n'aime pas que l’on parle de moi.

Ils sont tellement excités à propos de cette lune! Tu as entendu?

Oui, mais qu'est-ce qu'il y a d'excitant là-dedans?

D'entendre la voix d'un monsieur qui est dans la lune... Au moment où il parle, on l’entend.

Moi, ça me semble puéril, tout cela.3

C'est enfantin.

Mais j'ai entendu aussi la radio... Ça m'a fait une drôle de sensation: je suis allée vite là-bas, comme cela (geste, comme une flèche qui part du front vers la lune); quand j'ai entendu, je suis allée vite là-bas parce qu'on m'avait dit qu'il y avait un moment dangereux quand ils devaient quitter la lune pour rejoindre l’autre qui se promenait – il paraît que c'était dangereux. On venait de me le dire... D'abord, quand j'ai entendu la voix, je n'ai rien compris de ce qu'il a dit (d'ailleurs c'était sans intérêt: qu'il avait ramassé un caillou et qu'il y avait des montagnes et des choses comme cela, tout à fait sans intérêt), mais hop! j'ai envoyé comme cela (même geste au front), et actuellement j'ai senti que j'allais là-bas (ça, ça m'a amusée), comme cela, prrt! direct, partie d'ici.

Ils sont en route pour revenir. Mais les Russes ont envoyé un robot dans une machine qui a fait le tour de la lune, qui est descendue sur la lune et qui a ramassé des cailloux, et c'était un robot! ils ont dit: jamais nous ne risquerons une vie humaine – un robot, c'est très bien.4

Mais les enfants à l’École ici étaient dans un état d'agitation extraordinaire... Alors on m'a demandé de leur dire quelque chose. J'ai dit: il vaut mieux que je ne leur dise pas parce que je dirais que ce sont les grands enfants qui s'amusent! (Mère rit) Ça les doucherait!

(silence)

Et quelles nouvelles as-tu?

Eh bien, je suis allé une fois dans ce physique subtil.

Aah!

Tu as dû m'appeler.

Et alors?

Alors tout cela est un peu chaotique, mais enfin j'ai vu Sri Aurobindo. J'ai une image de lui où il me disait (il parlait français d'ailleurs): «Viens, on a besoin de faire des exercices physiques»! Et c'est comme s'il m'emmenait pour aller me promener...

(Mère rit)

Parce qu'il y avait une foule qui était là, oh! une foule de gens. Et c'était un Sri Aurobindo... non pas qu'il était plus jeune, mais il avait l’air très jeune quand même. Et il avait...

Il est particulier, tu sais, là; il est très particulier, il a une forme très particulière. Je veux dire... Au fond, il se ressemble à lui-même, mais il n'a pas d'âge.

Oui, pas d'âge.

Il n'a pas d'âge.

Mais il avait l’air beaucoup plus agile, si tu veux, et sa peau avait une couleur rouge-doré, rouge-rose doré.

Oui.

Et une foule de gens.

Oui, j'ai remarqué que... Il n'était pas habillé?... Moi, je le voyais à peine habillé, avec une lumière, une sorte de lumière (par exemple ici: geste) qui cachait le bas du corps, on voyait de la lumière.

Je n'ai pas remarqué, mais j'ai eu l’impression qu'il était nu (ou du moins torse nu).

Nu, c'est cela, moi aussi. Je l’ai vu toujours nu, mais il ne paraît pas nu. Et il y a une couleur spéciale, c'est cela.

Oh! alors tu es allé te promener...

Mais ce qui m'a déçu, c'est que tout cela était très familier.

Mais c'est très familier! C'est très familier, extraordinaire. Moi aussi, c'est comme cela. Beaucoup plus familier que notre vie physique... Oh! mais alors tu y es allé pour de bon, c'est vrai.

C'est-à-dire que j'ai vu, je me souviens d'avoir vu Sri Aurobindo il y a quinze ans: il est venu dans mon sommeil, et puis il avait posé sa main sur mon cœur, et ça avait été une telle émotion... je pleurais-pleurais dans mon sommeil... alors j'imaginais que quand je le reverrais, j'aurais cette même émotion...

Non!

Mais pas du tout! il m'a dit: «Viens, on a besoin de faire des exercices physiques»! Et puis c'est comme s'il m'emmenait pour me promener.

Oui.

Et ça avait l’air d'être... «comme ça».

Oui, c'est cela, ça prouve que tu y es allé vraiment. C'est vraiment comme cela. C'est vraiment «comme ça». Moi, je sens cela plus... plus familier, plus (comment dire?) simple, tu sais, que notre vie à nous. Notre vie physique ici semble (Mère se gonfle les joues)... nous faisons beaucoup d'embarras pour peu de chose... Ça, tu peux être sûr que tu y es allé vraiment!

Mais l’endroit où je l’ai rencontré ressemblait un peu à ta chambre en dessous...

C'est cela!

Et c'était plein d'un encombrement de choses, tu sais: des piles de choses à droite et à gauche...

C'est ça.

Et une foule de gens.

C'est cela, c'est correct. Des gens qui vont, qui viennent...

Oui! Il y avait même un détail amusant: parmi cette pile de choses qui étaient là, il y avait des livres; alors Sri Aurobindo, au passage, en a pris un pour regarder ce qu'il y avait dedans, puis il y avait B qui était là (tu sais l’Italien), qui lui a dit: «Vous ne devez pas toucher ça sans la permission de Mère»!5

(Mère rit aux éclats) Oh! ça, c'est impayable!...

Mais tu n'as pas vu Mridou?6

Non.

Elle est là (riant, geste énorme) elle est là telle qu'elle était!... J'ai vu Pourani; j'ai vu Mridou; j'ai vu l’autre jour (je te l’ai dit), Amrita et Chandoulal qui s'étaient rencontrés; et tout cet endroit ressemble à en bas, mais ce n'est pas en bas. Alors c'est bien cela.

Il y a très longtemps de cela (très longtemps, plusieurs années après le départ de Sri Aurobindo), une nuit (parce que je le voyais déjà), je l’ai vu: j'étais allée dans l’endroit où il était et je l’ai trouvé assis sur une espèce de lit... avec des bandages herniaires, comme cela, trois ou quatre sur son corps! (Mère rit) Alors il m'a appelée et il m'a dit (en anglais): «Regarde! Regarde ce qu'ils font de moi! Regarde, ils me mettent des bandages partout!» Alors je me suis renseignée – et ils voulaient faire des coupures dans ce qu'il avait écrit...

Ooh!

J'ai dit: «Faites attention! Voilà ce qu'il en pense, de vos coupures.»7

C'est comme cela, c'est tout à fait familier mais c'est très expressif.

J'ai eu des centaines de visions là, j'en ai presque toutes les nuits, et c'est toujours à peu près pareil. Mais il y a une foule! Et toutes sortes de gens...

Mais on travaille? Qu'est-ce que l’on fait là? Qu'est-ce que font tous ces gens?

D'après ce que Sri Aurobindo m'a dit, il prépare ce qui va se passer sur la terre, avec ces gens.

La nuit dernière (c'est la première fois), j'étais dans un endroit (encore dans ce physique subtil), un endroit comme sur le haut d'une montagne assez aride, mais enfin où l’on se rencontrait, où les gens se rencontraient (il y avait même des espèces de sièges pour s'asseoir). Et j'étais là pour voir... je ne sais qui (je ne me souviens plus maintenant), mais c'étaient des gens «sages et connus» de l’Inde. Il semblait (dans ma vision) que j'étais là en permanence et que ces gens étaient venus pour me voir. Et il en venait de tous les côtés; toutes les sectes spirituelles de l’Inde étaient représentées, et ils venaient s'asseoir et chacun me disait... (riant) les «vertus» de sa croyance. C'était impayablement amusant! C'était... J'ai passé un bon moment, mais vraiment je me suis bien amusée! Il y en avait qui avaient de grands turbans et qui étaient habillés en blanc et qui étaient «très importants», qui avaient fait apporter des sièges spéciaux pour qu'ils soient assis, et ils étaient tout à fait... (Mère se rengorge) ils plastronnaient, ils regardaient les autres du haut de leur grandeur! Il y en avait qui étaient presque tout nus, il y en avait... de tous les genres et ils étaient tous dans un grand groupe comme cela (geste en cercle), et moi j'étais habillée avec une petite robe blanche comme cela, toute simple (de la même forme que celle-ci, mais en blanc); j'étais assise dans un coin et je m'amusais beaucoup; mais je tenais très peu de place! (Mère se fait toute petite) C'était tout à fait drôle. La nuit dernière.

Un grand cercle: un groupe, un autre groupe, un troisième groupe, un quatrième groupe, un cinquième groupe, un sixième groupe... et qui faisaient des embarras, il fallait voir ça!

Mais c'est la première fois.

Sri Aurobindo n'était pas là – il était comme il est toujours, un peu plus subtil au-dedans de moi: pas de la même densité. Mais pas visible.8


ADDENDUM

(À titre d'exemple, nous publions ici deux lettres de Sri Aurobindo, qui ont été omises de la collection «complète» de ses œuvres, ou simplement tronquées.) (traduction)

«Afin de dissiper beaucoup de malentendus qui semblent s'être élevés au sujet de son Ashram à Pondichéry, Sri Aurobindo considère qu'il est nécessaire d'émettre la déclaration explicite suivante.

«Un Ashram veut dire la maison, ou les maisons, d'un Instructeur ou Maître de philosophie spirituelle, dans lesquelles celui-ci reçoit et loge ceux qui viennent à lui pour l’enseignement et la pratique. Un Ashram n'est pas une association, ni un corps religieux, ni un monastère – c'est seulement ce que nous venons de dire, et rien de plus.

«Tout ce qui est dans PAshram appartient à l’Instructeur; les sadhakas (ceux qui pratiquent sous sa direction) n'ont aucun titre, droit ou voix en aucune matière. Ils restent ou ils s'en vont suivant sa volonté. l’argent que l’Instructeur reçoit est sa propriété et non celle d'une institution publique. Ce n'est ni un dépôt, ni une fondation, car ce n'est pas une institution publique. De tels Ashrams ont existé dans l’Inde bien des siècles avant le Christ et existent encore en grand nombre. Tout dépend de l’Instructeur et prend fin avec son existence,9 à moins qu'il n'y ait un autre Instructeur qui puisse prendre sa place.

«l’Ashram à Pondichéry prit naissance de la façon suivante. Tout d'abord, Sri Aurobindo vivait à Pondichéry avec un petit nombre de commensaux dans sa maison. Ensuite, quelques autres vinrent se joindre à lui. Plus tard, après que la Mère l’eût rejoint en 1920, le nombre commença à augmenter tellement qu'il fut trouvé nécessaire de faire un arrangement pour loger les nouveaux arrivants; à cette fin, des maisons furent achetées et louées suivant les besoins. Des arrangements durent être faits aussi pour l’entretien, la réparation, la reconstruction des maisons, pour le service de la nourriture et pour une vie décente et hygiénique. Tout cela représentait un certain nombre de règles privées faites par la Mère et entièrement à sa discrétion si elle voulait en ajouter d'autres, les modifier ou les changer; ces règles n'ont aucun caractère public.

«Toutes les maisons de 1'Ashram appartiennent à Sri Aurobindo ou à la Mère. Tout l’argent dépensé appartient à Sri Aurobindo ou à la Mère. l’argent est donné par de nombreuses personnes pour aider le travail de Sri Aurobindo. Quelques-uns, qui sont ici, donnent leurs biens; mais ils les donnent à Sri Aurobindo ou à la Mère et non à l’Ashram en tant qu'institution publique, car une telle institution n'existe pas.

«l’Ashram n'est pas une association; il n'y a pas de corps constitué, ni de fonctionnaires, ni de propriétés communes appartenant à l’association, ni de conseil ou de comité directeur, ni d'activité entreprise ayant un caractère public.

«l’Ashram n'est pas une institution politique; tout contact avec les activités politiques est abandonné par ceux qui vivent ici. Toute propagande religieuse, politique ou sociale doit être évitée par eux.

«l’Ashram n'est pas une association religieuse. Ceux qui sont ici viennent de toutes les religions et quelques-uns n'ont pas de religion du tout. Il n'y a pas de croyance ni d'ensemble de dogmes, ni de corps religieux directeur. Il y a seulement les enseignements de Sri Aurobindo et certaines pratiques psychologiques de concentration et de méditation, etc. pour l’élargissement de la conscience, la réceptivité à la Vérité, la maîtrise des désirs, la découverte de la conscience divine et de l’être divin cachés au-dedans de chaque être humain, l’évolution supérieure de la nature...»10

Sri Aurobindo
16 février 1934


(Voici un autre exemple parmi beaucoup d'autres, que nous avons choisi volontairement anodin pour faire mieux comprendre l’intention qui préside à ces coupures. Nous avons indiqué en italiques le passage censuré.)

C'est le manque d'attitude vraie qui empêche de traverser les épreuves pour changer la nature. La pression devient plus forte maintenant et pousse à ce changement de caractère plus qu'à des expériences yoguiques décisives, car si ces expériences viennent, elles ne peuvent pas être décisives parce qu'il manque le changement nécessaire dans la nature. Par exemple, le mental arrive à l’expérience de l’Un en toutes choses, mais le vital ne peut pas suivre parce qu'il est dominé par les réactions de l’ego ou les mobiles de l’ego, tandis que les habitudes de la nature extérieure gardent une manière de penser, de sentir, d'agir et de vivre qui est tout à fait en désaccord avec l’expérience. Ou bien le psychique et une partie du mental et de l’être émotif sentent fréquemment la proximité de la Mère, mais le reste de la nature ne s'est pas donné et continue son chemin en prolongeant la séparation de sa proximité et en créant des distances. [Ceci tient à ce que les disciples n'ont jamais même essayé d'avoir l’attitude yoguique en toutes choses, ils se sont contentés des idées ordinaires, des façons de voir ordinaires, des mobiles de vie ordinaires, en les agrémentant de quelques expériences intérieures et en les transposant dans le cadre de l’Ashram au lieu du cadre du monde extérieur.] Cela ne suffit pas; il est très nécessaire que cela change.11

Sri Aurobindo
9 septembre 1936

26 juillet 1969

(Mère veut revoir avec le disciple quelques passages de sa traduction de «Savitri».)

Alors, maintenant, je suis en train de m'apercevoir que ces citations, ils coupent au milieu, ils enlèvent deux lignes, et alors tout d'un coup, je me dis: «Mais ça ne se suit pas!» Je demande, et F me dit: «Oui, ils ont enlevé une ligne, ils ont enlevé deux lignes...» Alors, que faire?

C'est absurde.

Voilà, il y a tout ça qui est prêt...

Moi, je n'ai pas besoin de voir: c'est toi qui dois voir. C'est ma traduction.

Qu'est-ce que je dois faire?

(Riant) Voir si ma traduction est bonne!

Mais écoute, douce Mère... pourquoi?

Non, parce qu'il y a des choses que l’on pourrait faire mieux.

Oui, mais je me méfie. Tu sais, j'ai appris que ce que l’on croit «mieux» avec la connaissance littéraire, n'est pas forcément mieux avec la force vraie.

Ça, je suis d'accord.

Écoute, au fond, ce qu'il faudrait, c'est que tu voies (tu peux voir tout de suite) et s'il y a quelque chose qui ne te paraît pas très bien... Moi, j'ai fait ça «comme ça»; je ne peux pas dire que je tienne à ma traduction, pas du tout, mais si tu pouvais me proposer quelque chose... (le disciple commence à lire un passage à haute voix)

Comme tu dis, le français peut être un peu maladroit, mais c'est peut-être la seule façon de traduire exactement. Certaines fois, je l’ai fait exprès.

Admis à travers le rideau d'un mental brillant
Qui est suspendu entre notre pensée et la vision absolue,
Il trouva la cave occulte, la porte mystique
Près du puits de vision dans l’âme,
Et entra là où les Ailes de Gloire couvent
Dans l’espace ensoleillé où tout est pour toujours connu.

(I.V.74)

Couvent?...

C'est l’image comme d'une poule qui couve des œufs! «The wings of Glory» [les Ailes de Gloire] couvent les choses pour qu'elles se réalisent.

Là, dans une chambre cachée, fermée et muette
Sont gardés les registres des archives cosmiques
Et là sont les tables de la Loi sacrée...
Les pouvoirs symboliques du nombre et de la forme
Et le code secret de l’histoire du monde,
Et la correspondance de la Nature avec l’âme
Sont écrits dans le cœur mystique de la vie.
Dans l’incandescence de la chambre des souvenirs de l’Esprit
Il put recouvrer les lumineuses notes marginales
Parsemant de lumière le parchemin morose et ambigu.

(ibid.)

(Mère rit) «The crabbed ambiguous scroll!...»

C'est tout?

Il vit la pensée sans forme dans les formes sans âme,
Connut la Matière enceinte du sens spirituel.
Le Mental osant l’étude de l’Inconnaissable,
La Vie en gestation de l’Enfant Doré.

(I.V.76)

Une Volonté, un espoir immense s'emparèrent de son cœur,
Et pour discerner la forme du surhomme,
Il leva les yeux vers des hauteurs spirituelles invisibles,
Aspirant à faire descendre un plus grand monde

(ibid.)

(silence)

Hier, j'étais en train de lire une autre partie de «Savitri» qui raconte comment le roi est transformé1 – ce sont TOUTES les expériences que mon corps est en train d'avoir! C'est intéressant.

Il y a TOUT dans ce «Savitri»!

Et il a dû les avoir pour pouvoir les décrire comme cela.

(silence)

Le mystère, c'est toujours pourquoi il est parti...

Oui.

Je me souviens d'une façon tout à fait claire et précise (je vois encore le cadre et tout, dans sa chambre), d'une conversation que j'ai eue une fois avec lui – à la suite de quoi, je ne sais pas?... C'était... (je ne sais plus ce qui a précédé, tu comprends), mais il me disait: «We can't both remain upon earth, one must go.» [nous ne pouvons pas rester tous les deux sur terre, l’un de nous deux doit partir.] Et alors, moi, je lui ai dit: «I am ready, I'll go.» [je suis prête, je vais partir.] Alors il m'a dit: «No, you can't go, your body is better than mine, you can undergo the transformation better than I can do.» [Non, vous ne pouvez pas partir, votre corps est meilleur que le mien, vous pouvez mieux que moi subir la transformation.]

Et ce qui est curieux, c'était... Ça a précédé toutes ses difficultés physiques.

Mais je n'y avais pas attaché beaucoup d'importance (à cette conversation); c'est seulement quand il est parti que, tout d'un coup, c'est venu et je me suis dit: «Mais voilà, il savait!»... C'était... je ne sais pas. C'était presque comme une spéculation, tu comprends, qu'il disait comme cela. C'était au moment où l’on a déménagé de l’autre maison à celle-ci,2 parce que c'était dans cette chambre ici (en bas), un jour, et c'était avant son accident, avant qu'il ne se casse la jambe.3 Et à la suite de quoi? je ne sais pas. C'est parti. Mais je me souviens clair-clair, je vois encore la chambre et tout, comment il était, comment il m'a dit: «We can't both remain upon earth.» [nous ne pouvons pas rester tous les deux sur terre.] C'est tout.

Mais pourquoi «deux» ne peuvent pas rester?

Ah! voilà.

Pourquoi?

Mais quand il me l’a dit, cela m'a paru si évident que je ne lui ai même pas demandé. Par conséquent, ce devait être à la suite de quelque chose, et ce quelque chose est parti.

Parce que je me souviens, je lui ai dit: «I am absolutely ready, I'll go» [je suis absolument prête, je vais partir], et alors il m'a regardée, il m'a dit: «No, no, your body is better than mine, it can undergo...» [non, non, votre corps est meilleur que le mien, il peut subir...]

Pourquoi?... Que de fois je me suis demandé cela depuis.

Oui, on serait tenté de penser qu'à deux, on peut se porter l’un l’autre mieux...

(après un silence)

C'est venu ces jours-ci encore une fois; encore une fois, j'ai regardé-regardé, et puis... (Mère ouvre les mains d'un geste de ne pas savoir).

Ça dépendait de quelque chose, mais de quoi? Je ne sais pas.

(silence)

Je me souviens d'une autre chose, alors beaucoup plus récente. Quand il était parti, j'étais en bas (il y a très longtemps, il y a des années et des années – pas très longtemps, c'était peut-être un an ou deux après son départ), j'étais dans la salle de bains en bas, et dans cette salle de bains, le matin de bonne heure, je prenais mon petit déjeuner sur un coin de table, comme cela. Et alors, pendant que je commençais à manger, il est venu et il s'est tenu là (geste debout près de Mère), et il était tellement concret que j'avais l’impression que... il suffisait de très peu de chose pour qu'il redevienne matériel. Et alors je lui ai dit: «Oyou are coming back!» [oh! vous revenez!] Comme cela. And then... [et puis...] et il m'a répondu: «I'll be with you, but I can't come back materially – I MUST NOT come back materially.» [je serai avec vous, mais je ne peux pas revenir matériellement – je ne dois pas revenir matériellement.]

Et c'était tellement matériel, j'ai eu tout d'un coup l’impression: oh! mais rien, un rien, et puis... [il se matérialiserait].

Mais est-ce que cela ne veut pas dire que ta présence ici pourrait l’aider, un jour, à se matérialiser dans un autre corps?

Oui-oui... Ça, il a dit clairement (je le lui ai demandé), il a dit clairement: «I'll come back only in a supramental body.» [je reviendrai seulement dans un corps supramental.]

Ça, c'était avant ce que je viens de dire.

Alors c'est toi qui l’aiderais à se matérialiser?

Oui-oui.

Mais c'est la grosse question de ce corps supramental, je ne sais pas.

Oui, mais s'il se matérialise, c'est différent. Ce n'est pas la même chose que de le créer.

Oui.

Si Sri Aurobindo se rematérialise, mais dans un autre corps...

Ah! dans un corps vivant...

Dans un corps vivant mais d'une autre substance que la substance physique.

Oui, mais c'est ce que je dis – cette substance, quand, comment, quoi?...

Mais à un niveau très inférieur, on fait des matérialisations qui durent: comme ces cailloux que l’on a jetés sur le «Guest House».4

Oui.

Alors pourquoi cette substance de lumière ne pourrait-elle pas se matérialiser de la même façon?

(long silence)

Les êtres qui font ces matérialisations ont un corps toujours très gras, et c'est une substance spéciale (tous ces médiums). Et ce ne sont pas des matérialisations permanentes.

Celle des pierres était permanente, ces cailloux que l’on a jetés.5

(silence)

Tiens, cela me fait penser à une chose, tu sais ce S.B. qui a de grands cheveux?... le docteur S vient d'aller le voir – il est revenu avec une bague. Moi, j'ai toujours pensé que c'était un truc de prestidigitation quelconque, mais le docteur a l’air de dire... il a dit: «Il a fait un geste (comme un tour de passe-passe), et puis il a mis ça dans ma main.»

C'est peut-être une matérialisation.

Oui, mais ce genre de matérialisation, il le fait – il le fait beaucoup, cet homme-là –, mais il se sert des entités les plus basses du monde vital; c'est un homme qui a un commerce dégoûtant avec des entités inférieures.6

Ah?

Oui, tandis que ça (la matérialisation supramentale], c'est un autre genre de matérialisation... Il se sert d'entités tout à fait en bas.

En tout cas, j'ai vu quand le docteur est revenu: ça se passe uniquement dans le Vital. Ça, je suis sûre.

Mais il matérialise.

Il matérialise.

(silence)

En tout cas, tout cela, je ne sais pas. C'est tout à fait en dehors de ma conscience.

Oui, mais ça [le truc de la bague], c'est tout à fait en bas. Il s'agirait d'un autre genre de matérialisation.

(long silence)

On verra.

Moi, je ne sais pas.

(silence)

Dans une imagination enfantine, on peut imaginer un Sri Aurobindo dont la substance lumineuse grandit, se développe, et puis quand le moment est prêt, il y a peut-être juste un passage à faire.

C'est possible. En tout cas, qu'il soit dans le physique subtil, c'est sûr. Il est tout le temps là.

Mais ce corps sait très bien qu'il n'est pas doué de capacités exceptionnelles... il ne se fait pas d'illusions. Tout ce qu'il a, c'est une foi ardente-constante-intense, ça!... Et que rien ne peut remuer. Mais c'est tout.

Et il n'a jamais eu le désir ou l’ambition de faire des miracles – ça ne l’intéresse pas. Il a vu beaucoup de choses miraculeuses, mais il a toujours senti que c'était... c'était le Seigneur Surpême qui faisait comme cela (ça lui paraît tout à fait naturel, d'ailleurs). Mais les imaginations de choses... Quand elles viennent, il les repousse, il dit: «Non, ça ne m'intéresse pas.» Les choses que les gens trouvent «merveilleuses», tout ça ne l’intéresse pas. Il ne serait pas étonné de voir entrer Sri Aurobindo un jour – ça non; mais il n'a pas... il n'a pas envie de le faire, tu comprends! il ne sent pas le besoin d'épater les gens – pas du tout.

Oui-oui!

On verra.7 (Mère rit)

30 juillet 1969

(Le «guérisseur» dont il va être question ici, reviendra souvent dans cet Agenda et jouera un rôle décisif dans la vie du disciple, en ce sens qu'il lui fera soudain comprendre, par l’absurde, qui est vraiment Mère.)

On t'a parlé de ce guérisseur?... Il y a un homme qui a écrit de France, qui est (je crois) fils de cultivateur, enfin pas du tout intellectuel, et qui s'est aperçu accidentellement que ses mains avaient le pouvoir de guérir, et alors il a écrit une très longue lettre (tout ce qu'il a fait, comment il s'est développé, etc.), et finalement il est tombé sur ton livre,1 et quand il a lu le livre, ça a été pour lui une révélation (il n'avait pas l’esprit philosophique, ni rien), il a dit: «Est-ce que par hasard, sans le savoir, je suivrais le yoga de Sri Aurobindo?» Alors il m'a écrit pour me raconter tout et me demander cela.

Comment cet homme sans éducation a lu le livre et ça a été comme une révélation!... Il a dit qu'il aimerait venir ici pour quelques semaines – en fait, il va venir, il a déjà pris son billet. Ce sera intéressant.

Oui, sûrement.

C'est un homme... je ne sais pas, je crois qu'il est âgé maintenant; il a travaillé dans le métro, des choses comme cela, mais ses parents étaient de la terre et cultivaient.

Il a raconté plusieurs de ses expériences, qui sont étranges. Ça n'a pas l’air du tout des guérisseurs habituels, ça a l’air... Il a l’air d'avoir quelque chose.

Il s'est aperçu que ses mains guérissaient sur lui-même, en imposant sa main... D'après sa lettre, ça a l’air d'être un pouvoir dans la famille, parce qu'il avait une nièce, je crois, qui guérissait les animaux en imposant ses mains.

Mais ce que j'ai trouvé intéressant, c'est un homme sans éducation – sans éducation, sans instruction –, qui a lu ton livre et qui a senti «la Chose».

Oh! mais ceux-là sont beaucoup plus réceptifs que les autres!

Oh! oui.

(silence)

Tu sais que j'ai envoyé mon «Sannyasin» à Paris, et l’éditeur qui avait publié «l’Orpailleur» n'en a pas voulu. Il a trouvé que c'étaient des «spéculations», des «abstractions».2

Oh!... C'est un imbécile, ton monsieur?

Alors il y a ici F, qui a lu mon livre (je ne sais pas pourquoi j'ai été poussé à le lui donner, parce que je n'en avais pas l’intention), elle l’a lu et ça l’a beaucoup touchée, paraît-il. Elle a une amie en France et elle veut essayer de le faire présenter à un autre éditeur.3

(Mère approuve de la tête)

Qu'est-ce que tu penses de ce «Sannyasin»?

Moi, je pense que ça va bien.

Moi, je pense que ton livre est très bien.

Tu penses, oui?

Oui.

Eh bien, ça me fait du bien de l’entendre dire!

Mais non, ton livre est très bien! Mais c'est un livre de demain, ce n'est pas un livre d'hier. Et ton monsieur est probablement un monsieur d'hier.

Moi, j'ai bon espoir.

(silence)

N'est-ce pas, pour que l’on ne sente rien en lisant ce livre, cela veut dire qu'on est com-plè-te-ment bouché intérieurement – c'est le mental qui tourne en rond.

Mais ce qui est très étrange, c'est que pour ces gens... Tout ce qui, pour nous, est abstrait et faux, est pour eux concret et vrai!

Oui.

C'est très étrange.

Oui, c'est vrai.

C'est exactement le contraire!

Oui, exactement, ils vivent dans le Mensonge complètement.

Mais écoute, hier, j'ai vu une douzaine de jeunes gens et jeunes filles qui venaient, je crois, d'Amérique (il y en avait de toutes nationalités), et ils avaient demandé à me voir. J'avais dit: je ne tiens pas à les voir. Mais ils avaient demandé, et L s'est laissé apitoyer et il me les a amenés. Mon petit, si tu savais à quel point c'est CREUX!... Creux, juste des mots. Ils m'ont posé des questions!... «Qu'est-ce que c'est que la responsabilité?»... Et il y en a une qui m'a dit: «Qu'est-ce que c'est que le Divin?» (tout cela, ce sont des gens ultra-modernes, n'est-ce pas, qui ne sont pas assez bêtes pour croire à une divinité quelconque! Ils sont beaucoup au-dessus de ça), elle m'a demandé avec un petit air narquois: «Qu'est-ce que c'est que le Divin?» Alors je l’ai regardée (Mère a l’air de s'amuser beaucoup), et puis je lui ai dit (je traduis): «Le Divin, c'est la perfection qu'il faut que vous réalisiez.»

Ça, je me suis amusée!... Il n'y avait rien à dire! (Mère rit)

Oui, il n'y a plus rien à dire!4

(silence)

Dans une cinquantaine d'années, ton livre sera très célèbre. Mais il est en avance. Mais il se peut qu'il y ait des gens qui aient du flair – c'est une question de flair: ils ne comprennent rien mais ils sentent.5

(long silence)

Je me suis demandé si l’on ne pourrait pas avoir une maison d'édition à Auroville, parce qu'Auroville est une ville internationale et on pourrait avoir une maison d'édition INTERNATIONALE. Il y aurait des livres de toutes les langues. Ce serait intéressant.

Auroville commence à être assez connu en Amérique. Il y a une dame (je te l’ai dit) qui pense venir avec un bateau pour 1972 – elle est très intéressée par Auroville et elle fait des réunions, elle est en rapport avec le gouvernement. Ça a l’air d'aller assez bien là-bas. Alors on pourrait avoir une maison d'édition en plusieurs langues.

Ce qu'il faudrait avoir aussi, et qui a un pouvoir si formidable, c'est le cinéma.

Ah!

Avoir un studio.

Tiens, F m'a dit que ce livre, elle le voyait en cinéma.

Oui, c'est bien possible.

Ce serait intéressant.

Parce que l’on touche des millions d'hommes avec le cinéma. Et on a tout: on a la lumière, la musique, les couleurs, les visages... on a tout!

Mais ce serait possible.

Seulement ce sont des capitaux formidables.

Oui.

Mais ça m'amuserait beaucoup de travailler à faire un film... Je trouve que c'est un moyen d'expression si complet: les images, la musique, tout y est.

Tu connais Paolo?... Il fait du cinéma. Pourquoi ne feriez-vous pas cela ensemble?... Il va revenir.

J'ai l’impression qu'il y a là un moyen de travail extraordinaire.

Oui.

Un livre touche, mais c'est encore assez limité, tandis qu'un film, ce sont des millions d'hommes qui sont touchés tout de suite. Alors faire un beau film, un vrai film...

Ah! mais avec ce livre-là, on ferait un très bon film! Tu pourrais voir cela quand Paolo va revenir, il a l’habitude.

Ça ne fait rien, ça pourrait commencer par l’Italie, puis ça irait en France, puis... Ça va partout.

Oui, c'est une idée!

Le pouvoir d'une belle image!... Ça rentre si facilement, on peut convertir tant de gens – ouvrir, en tout cas, ouvrir les portes.

Oui-oui.6

(long silence)

Et la... (comment s'appelle cette chose... je n'arrive plus à retrouver le mot, tu sais le cinéma que l’on a chez soi?)...

Télévision.

Télévision... Mais ce serait mieux en cinéma qu'en télévision.

Oui, la télévision, c'est très restreint. Et puis le public de la télévision est généralement assez vulgaire. Ça touche beaucoup de monde aussi, mais c'est limité.

Je te dis cela parce que l’idée d'Y est d'avoir la télévision à Auroville (ils sont en train de s'en occuper). Un, centre récepteur et émetteur – pas dépendre d'autres: avoir un poste de télévision à Auroville même.

Mais la télévision est très bien adaptée pour les diffusions scientifiques, techniques, documentaires, information – sur ce plan-là, c'est très utile.

Oui, mais pas pour la littérature.

Pas pour la beauté des images.

Je ne connais pas, je n'ai jamais vu.

C'est un tout petit écran comme cela.7

Moi, j'aimais beaucoup le cinéma. J'ai toujours pensé que l’on pourrait en faire quelque chose.

Oh! oui, c'est un moyen extraordinaire.

(silence)

Mais tu pourrais toi-même changer ton bouquin en film?

Oui. Il y a un travail à faire mais c'est possible.

Mon idée, c'est par Paolo, mais naturellement il faudrait... Paolo pourrait te donner des indications techniques, mais il faudrait que ce soit toi qui le fasses.

Oui, c'est possible à faire, sûrement.

J'ai l’impression que si je lui en parle, il le ferait volontiers.

Le mouvement en Italie va très bien.

Ils sont beaucoup plus réceptifs, en Italie.

Ah! c'est qu'ils ont eu des expériences pénibles, mon petit. Ils savent ce que c'est que d'être brimés.

Et puis ils n'ont pas cette arrogance intellectuelle – ça, c'est français.

(long silence)

Il y a quelqu'un qui vient d'écrire d'Amérique (je crois que c'est d'Amérique), ils sont en train de préparer un film qu'ils pensent être une «révolution»: il est question d'Hitler et de la guerre et des enfants!... Mais c'est vieux! Ils ne savent pas comme c'est vieux-vieux-vieux!

Il faudrait que ce livre soit en film: en italien si c'est pour l’Italie, en français et en anglais, et alors (souriant) on verrait... Il faudrait que l’on en tire trois films différents, tu comprends!

Oui, ce serait très amusant!

Pour voir...

Non, ce serait intéressant. En Amérique, en France et en Italie. Ce serait très intéressant de comparer!

Moi, j'ai vu des images de ton livre, j'en ai vues – je vois toujours des images. Encore maintenant, je vois des images... C'est dans ce livre-là que tu parles de quelqu'un qui a rêvé qu'il était mort?

Oui.

Ça, je le vois. Et puis la fin. La fin aussi, je vois. Je vois plusieurs images. Alors, cela m'intéresserait beaucoup de savoir lequel prendrait ces images-là – ces images sont quelque part dans un monde subtil.

On va s'occuper de ça.

Même si ça prend quelques années, deux ou trois ans, ça ne fait rien. Ça ne fait rien.

Mais tu auras une suite?

(le disciple ouvre les mains)

Il faut une suite.

Envoie-la moi!

Oui.

(long silence)


(Puis Mère reparle de la dernière conversation sur les matérialisations et de la lettre du disciple, où celui-ci disait: «Mais Savitri va chercher Satyavan dans la mort!... Donc Mère va ramener Sri Aurobindo?»)

J'ai reçu ton mot... Mais tu sais que Sri Aurobindo a dit qu'il ne voulait revenir sur terre que dans un corps de surhomme8... un corps supramental.

(silence)

Il y a tout de suite un tas de problèmes qui se sont posés... N'est-ce pas, il y a une différence considérable entre la vie humaine et la vie animale – il y aura une différence considérable entre la vie surhumaine et la vie humaine (la vie supramentale et la vie humaine). Mais alors, dans quel sens?... Prend des choses tout à fait... tout à fait pratiques. Auront-ils des maisons? Comment vivront-ils?...

On conçoit que l’on ne mange plus, que ce soit un autre procédé de préservation, mais...

Pas besoin de maison!

(Mère n'entend pas et poursuit)

Vie individuelle ou vie collective? Habitation construite, ou habitation... spontanée?

Ils n'ont pas besoin de maison, ils se retirent à l’intérieur!

Tu crois qu'ils peuvent se rendre invisibles?

Oui, se retirera l’intérieur.

Ah! c'est ce qui m'était venu, mais je ne...

Ils se retirent et ils se projettent, comme cela [geste de contraction et d'expansion].

(Mère approuve et «regarde»)

C'était ce qui m'était venu. (Riant) C'était même... ce n'était pas venu en pensée du tout: c'était venu EN FAIT – un Sri Aurobindo qui devient visible, qu'on entend, qui... et puis (Mère rit) qui disparaît!

Ça, c'est merveilleux, mon petit! Ce serait merveilleux.

(Mère sourit et reste à regarder)

Tout un ensemble de choses qui auraient le pouvoir d'être visibles ou invisibles: d'apparaître au moment où il y a une raison d'être, de disparaître quand ce n'est plus nécessaire... Ça ouvre des horizons magnifiques!

Mais c'est déjà comme cela dans le physique subtil.

Oui – oui, mais...

Au fond, c'est l’écran entre la vie et ce que les gens appellent la «mort» qui... qui doit disparaître. Parce que quand je dis que ces êtres «se retirent à l’intérieur», eh bien, pour nous, ils deviennent «morts», tu comprends? Pour les êtres humains, c'est qu'ils sont morts. Mais en fait, il faudrait qu'il y ait un passage.

Non-non! mais il reste un corps que l’on détruit ou que l’on enterre.

Oui, mais dans cet être supramental, justement il ne reste pas de «corps»: il s'intériorise (c'est-à-dire que pour les humains, il devient «mort») ou il s'extériorise, c'est-à-dire qu'il devient vivant pour les êtres humains – passer d'un état à l’autre à volonté.

Mais ça, c'est toute mon expérience: que ce n'est pas vrai, qu'il n'y a pas «la vie et la mort».

Eh bien, oui, justement! il n'y a pas. Mais seulement il y a quand même un voile ou un écran entre les deux états.

Mais ça, c'est encore comme cela – on peut prévoir un moment où il n'y en a plus.

Oui! alors quand il n'y en aura plus, justement Sri Aurobindo pourra passer.

Oh! ça, il serait constamment là, il apparaîtrait constamment.

Comment faire tomber l’écran?

Ah!...

Comment passer?

(long silence)

On va voir ça. Ça ouvre un... tout un champ d'expérience.

(Mère reste longtemps à «regarder», puis tout à coup a l’air très amusée)

Je viens d'avoir une vision... de ce que sera une vie où les êtres du supramental seront mélangés à la vie physique... Ce sera... Tu sais, pour les trois quarts de l’humanité, ce sera une épouvante terrible! Quelqu'un qui apparaît tout d'un coup (Mère rit), et puis juste au moment où l’on veut lui dire quelque chose, ploff! il n'y a plus personne!

Tu vois ça d'ici... le brigand qui est sur le point de faire son mauvais coup, et quelqu'un qui apparaît... et au moment où il veut se défendre, poff! (Mère rit) il n'y a plus personne.

Un moyen d'action for-mi-da-ble!

Alors, au fond, plus tard, quand cette vie-là sera installée, ce ne sera plus que le résidu intransformable qui... qui sera vraiment la mort. Et ça, ça va aller en diminuant.

(silence)

On va voir! (Mère rit)

J'ai l’impression que des portes se sont ouvertes.9

(Mère regarde l’avenir)

août




2 août 1969

J'ai reçu un mot de P.L. Il arrive le 8. Il dit seulement ceci: «La détresse de ces dernières semaines se transforme peu à peu en force et calme... Je vous avoue que j'ai bien souffert de mon échec vis-à-vis du Vatican, mais après ce que vous m'avez transmis de la part de Mère, tout commence à être clair...» Oui, je lui avais dit que ce n'était pas du tout une question de triomphe ou d'échec extérieurs: que le simple fait de sa présence là-bas était comme un «relais» qui permettait à la Lumière d'entrer là-dedans – simplement le fait qu'il était là. Voilà ce que je lui avais dit.

Et moi, j'ajoute quelque chose. Tu comprends, ils avaient fait une combinaison pour unifier toute la chrétienté, et le pape était parti à Genève pour s'unir aux Protestants – ce n'aurait pas été si bien. Ce n'est pas cela qu'il faut, parce que cela aurait fortifié le christianisme – et la division lui enlève de la puissance. Et c'est l’unification de toutes les religions qui est nécessaire, pas l’unification du christianisme – ils n'en sont pas encore là. Alors, après avoir bien regardé, j'ai vu que c'était, au contraire, une grâce divine que ce ne se soit pas arrangé.

Si tu en as l’occasion, tu peux lui dire cela.

Lui-même, je ne sais pas s'il n'est pas encore chrétien...

Et tout ce qui donne de la force au christianisme, ce n'est pas bon. Le christianisme a eu l’espoir de dominer la terre. Et c'est cette division qui a empêché la domination. C'est-à-dire que je ne pense pas que de s'unir aux Protestants aiderait le travail d'unification générale. Et pour le moment, ils ne peuvent pas le moins du monde concevoir autre chose que de mettre ensemble tous les chrétiens.


Peu après

Je suis en train de lire Savitri: c'est le deuxième livre, je crois, celui de la transformation du Roi, son expérience.1 Mais je l’ai lu il y a très longtemps; je ne me souvenais pas du tout, du tout, et je le relis ces jours-ci... et c'est comme une description détaillée de l’expérience de mon corps maintenant! C'est ex-tra-or-di-nai-re. Quand je l’ai relu, j'ai été ahurie. C'est absolument comme si mon corps essayait de copier ça! Et je ne me souvenais plus du tout, du tout – du tout... Ce qui voudrait dire que Sri Aurobindo avait VU la chose – est-ce qu'il l’a vue ou est-ce qu'il en a eu l’expérience? Je ne sais pas... Et c'est cela qu'il considère comme la supramentalisa-tion de l’être physique.

Tu te souviens de cela dans Savitri?

Je vais le relire.


(Vers la fin de l’entrevue.)

Tu as vu la lettre de ce guérisseur?

Oui, et j'ai été frappé par une chose: l’impression d'une absence d'ego naturelle chez cet homme.

Ça paraît, n'est-ce pas.

Je n'ai à aucun moment senti de «je» là-dedans.

Oui, c'est cela, c'est très intéressant. Il faut le faire venir.

Il a dit qu'il viendrait vers le mois de septembre, seulement il dit que ses moyens sont limités et que son séjour dépendra des conditions financières ici.

Mais ici, on ne lui demandera pas d'argent, voilà tout. Il n'aura pas besoin de payer. S'il voulait nous montrer ce qu'il sait faire, ce serait le contraire (riant), c'est lui qui nous donnerait!

Mais quand tu vas le voir, tu vas comprendre avec quel genre de force il est en rapport.

Oui, oh! mais je comprends déjà. C'est très intéressant.

Mais je voudrais avoir le contact physique pour voir.

6 août 1969

*(Après avoir examiné divers problèmes d'imprimerie, Mère demande soudain:)-

Je voulais te demander un détail matériel: as-tu assez de fromage pour une semaine (!)

Oui-oui, douce Mère!

Sûrement?... Parce que le fromage fait du bien. Si tu en veux plus, il n'y a rien de plus facile...

(Mère regarde la figure du disciple)

Ah! c'est oui (s'adressant à Sujata), va demander un tube.

Tu penses à tout!

Tu sais, je ne «pense» pas, mais les choses viennent comme cela (geste comme sur un écran). Je vois tout d'un coup, alors ça doit être vrai, ce n'est pas mon imagination.

Mais pourtant ce n'est pas dans ma conscience!

Ah! ça, mon petit, je vois beaucoup plus que tu ne sais! (Mère rit) C'est dans ton subconscient.

Tu as des nouvelles de P.L.?

Non, il doit arriver ces jours-ci.

(Sujata arrive avec le tube) Voilà! mange, ça fait du bien, le fromage.

Si l’on pouvait être plus conscient...

Oui!

Mais je ne sais pas comment faire!

(Mère rit)... La nuit dernière, toute la nuit, je l’ai passée avec Sri Aurobindo quelque part, je ne sais pas où, mais il y avait beaucoup de monde. Nous étions seuls tous les deux, mais on voyait passer des gens en quantité. Et alors, ce qu'il y a de particulier, c'est que je me réveille, mais ça ne s'en va pas! Et quand je me recouche, c'est là, à l’endroit où je l’avais laissé: ça continue. Il n'y a plus... Tu sais, dans les rêves, on fait un rêve, et puis soudain (geste de décalage brusque ou de dénivellation), soudain on change de conscience et c'est fini, il faut faire un effort pour retrouver le rêve ou l’état – ça, ça ne bouge pas! Ça ne bouge pas, c'est là comme cela (Mère passe les doigts d'une main entre les doigts de l’autre) tout le temps: ça continue, que je m'en occupe ou que je ne m'en occupe pas.

C'est assez nouveau.

Je n'ai plus l’impression de rêver, tu comprends: c'est une activité dont je deviens consciente.

Mais Sri Aurobindo était... C'est curieux, il était comme rajeuni. Il était content, il était très amusé, et il me faisait toutes sortes de réflexions – des réflexions pleines d'humour, tu sais! – sur les choses et les gens. J'ai remarqué, il était... comme plus brillant, je ne sais pas comment dire.

C'était très particulier la nuit dernière. Je n'ai plus du tout l’impression de rêver, plus du-tout-du-tout. Ça n'a plus rien à voir avec un rêve: c'est une activité qui continue et continue. Si je reste très tranquille comme cela, ça continue.

(long silence)

Au fond, c'est tout une question de conscience.

Le corps devient intensément conscient de ce qui répond à l’Influence vraie et de ce qui est encore le résidu de l’habitude et du développement universel terrestre (général, terrestre), très conscient. Et parfois, c'est... c'est presque douloureux, n'est-ce pas, cette vieille manière d'être.

Et alors, il y a des moments où la vision est comme voilée, comme si je voyais à travers un voile; il y a des moments où c'est absolument précis. Je ne peux pas croire que cela dépende des yeux.

Il y a des gens, ils viennent, je les vois absolument précis; il y en a d'autres, je vois à peine, à peine je distingue la place des yeux, de la bouche... Ça doit dépendre d'autre chose.

(Mère entre dans une longue contemplation qui va durer jusqu'au moment où l’entrevue aurait dû se terminer)

Qu'est-ce que tu as senti, juste maintenant?

...

Rien de spécial?

Je sens toujours la Puissance qui est là.

C'était ce monde dont je te parlais... comme s'il voulait entrer dans ce monde-ci (et en effet, il y a une grande puissance là-dedans), mais je ne sais pas comment expliquer... c'est comme s'il voulait se forcer un chemin dans ce monde-ci. Et c'est venu... (ça vient, n'est-ce pas, il n'y a pas de volonté personnelle du tout, je suis comme ça: geste immobile, silencieux), ça vient et ça se force, ça s'installe avec une puissance comme cela. Et le rapport avec les choses et les gens et la conscience marche d'une façon différente. Et c'est venu très fort, et tu étais dedans: tu n'étais pas en dehors, tu étais dedans. Alors j'espérais que tu avais senti quelque chose.

Moi, c'est toujours la Puissance que je sens.

C'est comme cela, oui.

Mais au lieu d'une transformation comme nous l’imaginons, est-ce que ce ne sera pas une sorte d'invasion de ce monde subtil, qui percera le voile, la barrière, et entrera dans le monde physique, manifeste?

C'est bien possible... C'est bien possible!

Parce qu'il y a quelques jours, j'ai relu un texte de Sri Aurobindo, avec tout à fait une autre compréhension...

Ah! quel texte?

C'était un texte très «ordinaire» (je l’ai amené avec moi), c'est dans «l’Énigme de ce Monde».

Ah!

Et à la fin, il dit ceci, qu'il a dit beaucoup de fois mais que je comprends d'une manière différente: «His full liberation and enlightenment will come when he crosses the line into the light of a new supraconscient existence...» Et alors, il dit:

«But in itself this would change nothing in the creation here, the evasion of a liberated soul from the world makes to that world no difference. But this crossing of the line, if turned not only to an ascending but to a descending purpose, would mean the transformation of the line from what it now is, a lid, a barrier, into a passage for the higher powers of consciousness of the Being now above it...»

(La traduction)

«La pleine libération [de l’homme mental], sa complète illumination, viendront quand il aura traversé la ligne et sera entré dans la lumière d'une existence supra-consciente nouvelle. Telle est la transcendance qui était le but de l’aspiration des mystiques et des chercheurs spirituels. Mais ceci, en soi, ne changerait rien à la création ici-bas; l’évasion d'une âme libérée du monde ne fait aucune différence pour ce monde. Cependant, cette traversée de la ligne, si elle était utilisée à des fins non seulement ascendantes mais descendantes aussi, amènerait la transformation de la ligne elle-même, et changerait la barrière, le couvercle qu'elle est maintenant, en un passage pour les hauts pouvoirs de conscience de l’Être qui sont à présent au-dessus d'elle...»

Ooh!... Ça a l’air d'être ça.

Oui! je le comprenais d'une façon différente, mais on peut comprendre... que ce monde subtil va briser l’écran, la barrière, et pouvoir se manifester physiquement!

Oui, c'est ce qui a l’air de vouloir se passer... Parce que, mainta-nant, c'était très impératif.

(silence)

La seule chose est de savoir si ce sera un phénomène perceptible à certaines consciences seulement ou si ce sera un phénomène perceptible pour tous?... Par exemple, juste maintenant, j'ai... ce n'est pas seulement senti: c'est une sorte de vision, c'est une sorte de... comme si l’atmosphère avait changé; mais justement, je t'ai demandé parce que je voulais savoir si j'étais seule à m'en apercevoir ou si toi, tu étais...

Mats moi, je sens seulement la Puissance, toujours.

C'est curieux, c'est comme si... la nature des images changeait, je ne sais pas comment expliquer.

(silence)

Et à la fin, n'est-ce pas, il dit que si cette ligne, si cette barrière pouvait être changée en un passage des pouvoirs supérieurs: «...It would mean a new creation on earth, a bringing in of the ultimate powers which would reverse the conditions here.» («... Ce serait une nouvelle création sur la terre, l’entrée des puissances ultimes qui renverseraient les conditions de ce monde...»1)

Oui, c'est évidemment cela. C'est évidemment ça.

Mais jusqu'à présent, on comprenait tout cela comme de vagues phénomènes de conscience là-haut, mais si c'est une manifestation des...

Ah! non, c'est ici.

Oui.

Mais c'est cela: c'est quelque chose qui pousse pour se manifester. Je t'ai dit, la nuit je sentais cela, et puis on se réveille mais c'est là, ça n'a pas bougé; on ne change pas d'un monde dans l’autre: les deux consciences sont ensemble (Mère passe les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche). La conscience ordinaire paraît artificielle, mais elle est «dominante»; mais elle n'est pas plus vraie: elle est moins vraie. Cette nuit, c'était très-très clair.

Et ça fait des nuits admirables, mon petit! On ne dort pas et on est beaucoup plus reposé que si l’on dormait.

Mais la conscience ordinaire devient un petit peu gênante, un petit peu douloureuse, physiquement comme cela.

Oh! c'est intéressant, je crois qu'on a attrapé la queue de quelque chose!

Oui-oui, j'ai l’impression!

On va voir!2 (Mère rit)

9 août 1969

l’Unesco veut publier une brochure sur la «tolérance», et ils ont écrit à K pour lui demander un message de moi. Alors j'ai écrit quelque chose (Mère rit), voilà:

«La tolérance n'est qu'un premier pas vers la sagesse.

La nécessité de tolérer indique la présence de préférences.

Celui qui vit dans la Conscience Divine regarde toutes choses avec une égalité d'âme parfaite.»

Ils se gonflent comme cela, ils se croient encore très supérieurs parce qu'ils ont encore «de la tolérance» – et la tolérance, ça regarde les choses d'en haut avec mépris.

(silence)

Est-ce que je t'ai vu depuis cette expérience?... J'ai eu une nuit, je ne me souviens plus laquelle, mais c'était étrange... J'étais avec Sri Aurobindo, mais un Sri Aurobindo... (comment dire?) tout joyeux, plein d'animation, et un petit peu plus matériel que ce que je vois d'habitude, comme si... pas matériel mais (je ne sais pas comment expliquer) plus précis, et nous avons passé des heures ensemble à travailler: à voir des choses, à voir des gens, faire des choses, etc.; mais alors, ce qui était curieux, ce qui était particulier, c'était que cela ne dépendait pas de ce que mon corps dorme: il ne dormait pas, il était seulement tranquille, mais j'ai été obligée au milieu de me lever, et en me levant, cette conscience et cette activité n'ont pas cessé. Et c'était la conscience ordinaire (c'est-à-dire la perception des choses ordinaires: de la chambre et de tout cela) qui était un peu moins précise. C'était comme retourné, tu comprends. Et c'est resté longtemps, même dans la matinée, jusqu'au moment où j'ai été obligée de voir des gens et de faire des choses.

C'était très particulier, c'est la première fois que c'est arrivé comme cela. C'est-à-dire que cette conscience un peu intérieure était plus concrète que la conscience ordinaire.

Ce qui est drôle, c'est que cette conscience ordinaire, ces choses ordinaires, ce n'est pas qu'elles s'estompent et qu'elles s'effacent: elles deviennent... comme du papier! (Mère rit) du papier ou de l’écorce ou... quelque chose de sec – sec et mince et sans réalité véritable, simplement comme une apparence mince. La sensation comme cela (Mère fait le geste de palper): comme du papier ou une écorce.

C'était la première fois que cela arrivait.

Et un Sri Aurobindo tout joyeux... C'est curieux... C'était comme s'il était très content de la manière dont les choses se passent.

(Mère reste longtemps silencieuse)

Je t'ai dit qu'il y avait en Italie un vétérinaire qui a trouvé la gué-rison du cancer?... C'est un homme qui a découvert que les chèvres, l’espèce chèvre (chèvres et boucs) n'ont jamais de cancer! Ils ont été même jusqu'à essayer de leur faire avoir le cancer, et ils n'ont pas réussi. Conclusion: dans leur constitution, il y a quelque chose qui est contraire au cancer; et ils ont découvert ce quelque chose dans l’estomac (je ne sais pas au juste): il a fait un sérum. Lui, étant vétérinaire, n'a pas le droit de le donner, mais il a des amis docteurs et ces docteurs (une douzaine à peu près) ont essayé – guérison extraordinaire, immanquable. Mais c'est différencié: la chèvre guérit certains cas et le bouc d'autres cas; ce n'est pas la même chose chez la chèvre et le bouc, ça guérit des espèces de cancer différentes (je n'y entends rien). Enfin, il est quelque part en Italie, je ne sais où, et je lui ai fait demander s'il viendrait ici – et il a accepté. Et il va venir: il y a tout un groupe de jeunes Italiens qui veulent venir pour le yoga de Sri Aurobindo à la fin de cette année, et probablement il viendra avec eux, ou bien il viendra avec Paolo si Paolo veut bien lui payer son voyage. Et moi, je compte le mettre en rapport avec le docteur S, qu'ils voient ensemble, et si ça marche bien, je lui demanderai de rester. Parce que tu sais que S a maintenant une espèce de dispensaire à «Auromodèle» (il y a même un jeune étudiant de médecine français qui est venu et qui est là aussi, et qui est très content). Alors on pourrait ouvrir une «clinique pour les cancers», ce serait très intéressant! Parce que, ici, avec la présence de S, il n'y a aucune difficulté – à Auroville, il peut faire ce qu'il veut. Ce serait magnifique!

Il va venir avant la fin de l’année. Et l’autre, le guérisseur, va arriver au mois de septembre... l’autre, on va voir, s'il veut guérir des gens ici, ce sera bien.

Ça donnerait tout de suite une orientation intéressante... «Auroville, la ville où l’on guérit»! Ce serait bien!

Il va falloir que la Nature invente d'autres moyens de se débarrasser du surplus humain!

Oh! il ne manque pas de moyens...

C'est effrayant!

Il y aurait un moyen: c'est de rendre les êtres humains stériles, ce serait le meilleur moyen. Et ma foi, ils ont déjà trouvé quelque chose; si les femmes le prennent régulièrement, elles n'ont pas d'enfant – une pilule.

Oui, mais les gens n'en veulent pas.

Il y en a de plus en plus qui en veulent... Oh! il y a encore ce vieil attachement sentimental. Non, tant qu'il y a la mort, il y a le sentiment de la nécessité de la reproduction; c'est la présence de la mort qui rend les choses comme cela, comme un besoin. Mais s'il n'y avait plus de mort...

Je ne sais pas dans les autres pays, mais ici, tout avortement volontaire était un crime, c'est-à-dire punissable par la loi – ils sont en train de supprimer cela. Il y en a trop.

Quand on regarde simplement Pondichéry, c'est effrayant.

Oh! quand ils sont cinq, six... jusqu'à douze, mon petit! Il y a des familles de douze enfants. Alors vraiment c'est une multiplication trop rapide.1

(long silence)

Cette Conscience qui est en train de travailler depuis janvier, elle insiste beaucoup pour que l’on devienne conscient qu'il faut faire les choses à volonté: que l’on naisse à volonté, que l’on meure à volonté, que l’on soit malade à volonté – que ce soit la volonté qui soit le principe dominant. Elle insiste beaucoup.

Je crois que ça changerait beaucoup de choses.

(silence)

Figure-toi, il m'est venu un souvenir... du commencement du siècle. Je ne sais pas pourquoi, et ça ne veut pas s'en aller. Alors, comme cela ne veut pas s'en aller, je vais te le raconter – peut-être y a-t-il une raison, je ne sais pas du tout.

À quatre, nous avons fait une excursion depuis... je ne sais quel endroit sur les bords du Rhône (je ne me souviens plus de l’endroit), pour aller à Genève à travers la montagne, à pied, à quatre – deux hommes, deux femmes.2 Et on marchait, puis quand on arrivait quelque part à l’heure du déjeuner et que l’on avait faim, on mangeait; quand on arrivait quelque part à l’heure de dormir, on dormait, et puis on continuait – c'était tout à fait l’aventure. On ne connaissait même pas le chemin, on avait des espèces de cartes. Alors, une fois, très loin de toute ville, de tout village, sur une route de montagne, nous sommes arrivés à l’heure du déjeuner à une sorte d'auberge – quelque chose qui ressemblait à une auberge, qui était toute seule, il n'y avait rien autour. Nous sommes entrés. Il y avait là un vieil homme et une vieille femme... qui avaient un air très bizarre. Ils étaient très vifs, très alertes – ils avaient l’air bizarre. Alors on a demandé si l’on pouvait manger. Ils ont dit oui. Ils nous ont regardé, bien regardé, puis ils nous ont fait entrer dans une grande salle où il y avait une table dans un coin, avec des chaises autour, et puis de grands bancs – je ne sais pas à quoi servait cette salle. Et ils nous ont fait manger là. Et ils ont demandé si nous voulions... ils avaient un bon petit vin blanc – si nous en voulions. Alors les trois autres ont dit oui (moi, déjà je ne buvais rien). Ils ont dit oui. Et ils ont bu le vin (c'était un vin léger), ils ont bu le vin en mangeant; moi, je n'y ai pas touché. À la fin du repas, ils ont dit: «Oh! comme nous avons sommeil! nous voudrions bien nous reposer, nous voulons dormir.» Alors ils se sont étendus sur les bancs et ils ont dormi. Moi, j'avais une paire de chaussures qui ne m'allait pas et qui m'abîmait un des gros orteils: ça avait fait une inflammation et ça me faisait mal, et je voulais le baigner pour le désinfecter. Je n'avais pas sommeil du tout; je me suis assise (il y avait une cuvette, de l’eau) et j'ai baigné mon pied... Une demi-heure après, lentement, la porte d'entrée de la chambre s'est ouverte, et les deux vieux sont entrés comme cela (geste furtif)... Moi, j'étais cachée par les tables parce que j'étais assise assez bas, ils ne me voyaient pas. Ils sont entrés sur la pointe des pieds, ils regardaient comme cela, et ils allaient se diriger vers les bancs où étaient couchés les autres... Et alors, à un moment donné, ils m'ont vue... ah! (Mère fait un geste de sursaut) ils se sont arrêtés. Alors j'ai levé la tête et je les ai regardés, j'ai dit: «Vous voulez?...»

– «Oh! (ils ont été très malins, ils ont dit) oh! nous étions venus voir si vous n'aviez besoin de rien.» Et puis ils sont partis.

J'ai su imédiatement qu'ils étaient venus pour voler – qu'ils avaient mis une drogue dans le vin et qu'ils étaient venus pour voler, ils pensaient que moi aussi je dormais... Mais le tableau qui est revenu était tellement vivant, c'était comme s'ils avaient un coutelas dans la main!...

Pourquoi est-ce venu, je n'arrive pas à comprendre?

Les choses viennent quand j'ai quelque chose à faire... C'est une histoire d'il y a presque... ce devait être 1910 ou 12 tout au plus, c'est-à-dire plus de cinquante ans. Ces gens-là étaient vieux, ils sont morts depuis longtemps – pourquoi est-ce venu, qu'est-ce qu'il y avait à m'apprendre? Je ne sais pas... Et c'est resté vivant, n'est-ce pas, comme une chose vivante. Qu'est-ce que cela voulait apprendre?... Naturellement, toujours la présence de la Grâce, c'est une affaire entendue – mais je n'ai pas besoin qu'on me le montre, je le sais!

Ils étaient loin de tout, il n'y avait rien, à une distance de bien des kilomètres...

C'était tout à fait une scène de cinéma, mais tout arrangée: il n'y aurait eu qu'à prendre le film.

C'était en Savoie, côté français, sur la montagne.

(long silence)

Curieux...3

16 août 1969

(Mère avait recommandé au disciple d'aller se promener sur la plage d'Auroville pour se reposer, mais il se trouve que quelqu'un voulait absolument nous accompagner.)

Rien d'intéressant... Toi, ça va? Tu es allé te promener avec F?

Oui, l’autre jour nous sommes allés faire un tour à la plage.

Oui. Tu étais absorbé ou quoi?

Pourquoi?

Je ne sais pas, elle m'a dit qu'elle avait l’impression que tu n'étais pas là. Alors je me suis demandé...

Oui, c'est vrai, je n'étais pas là. J'avais envie de... de balayer un peu tout.

(Mère reste silencieuse)

C'est une erreur?

Non, pas du tout! Pas du tout, elle craignait seulement... Elle m'a dit: «Est-ce que Satprem est en bonne santé?»... Je pense que oui!

Oui!

Non, ce n'est pas comme cela qu'elle l’a pris, elle a eu peur que tu ne sois pas bien.

Non, je veux dire: est-ce une erreur de balayer tout, de faire le vide, ou quoi?

Oh! non! Oh! non...

Je me suis souvent demandé si je me trompais dans ma manière de procéder. Ma manière de procéder spontanée, c'est de tout balayer, faire le vide complet, puis de me tourner vers quelque chose là-haut, et d'être absolument silencieux et immobile.

Oui, ça c'est le meilleur des moyens, il n'y en a pas de meilleur que cela.

Ça, c'est ce que je fais tout le temps.

Et si l’on ne faisait pas cela!... De tous les côtés ça vient comme cela (geste comme des vagues d'assaut). Et ils veulent me tirer de force dans la politique... Et c'est un bourbier infâme! Je ne l’ai jamais vu comme je le vois, parce que, maintenant, je vois: les gens, les choses, les réactions, ce qui se passe... C'est tellement dégoûtant!... Sri Aurobindo m'avait toujours dit: «Il ne faut pas se mêler de politique» et je ne m'en mêlais pas.

De tous les côtés, ils1 me demandent des bénédictions... et je donne des bénédictions à tout le monde! (Mère rit) Mais je les préviens, je leur dis: bénédictions pour faire le Travail. Chacun demande que ce soit lui qui ait la victoire, mais «ça» ne bouge pas. Tout ce que j'ai fait (parce qu'on m'a tirée là-dedans), c'est de demander que ce qui arrive soit le meilleur pour l’avenir du pays – il a eu déjà assez de difficultés! N'est-ce pas, il y a eu deux centenaires de servitude avec les Anglais: ça les a com-plè-te-ment pourris. Et ça suffit. Il faudrait qu'ils se tirent d'affaire. Oh!... inimaginable, c'est inimaginable; le chef de la police ici qui dit: «Je ne peux plus intervenir parce que, maintenant, on me dit que le "droit démocratique" vous permet de tout faire... Si les gens entrent chez vous (il a dit cela personnellement), si les serviteurs révoltés entrent chez vous et que j'intervienne, on me grondera, en me disant: «Vous êtes intervenu dans le droit démocratique.» – Ils ont le droit démocratique d'envahir une maison! Voilà ce qu'ils ont fait des idées!... C'est-à-dire que l’on est en pleine folie.

C'est à C que l’on a dit cela, et C a répondu: «Oui, mais alors si vous n'avez plus le droit de protéger, les gens ont le droit de se défendre; ils n'ont pas le droit de se défendre tant que vous avez le pouvoir de protéger et que vous avez le droit de protéger, mais si vous n'avez plus le droit de protéger, les gens ont le droit de se défendre.» Alors (riant), le chef de la police a dit: «Dans ce cas-ci, il vaudrait mieux que ce ne soient pas les garçons de l’Ashram qui défendent parce que...»2 Et il a dit: «Oui-oui, j'arrangerai»! (Mère rit)

En plein démence!

*À Delhi aussi, c'est la démence complète.

Oh!... Oh!... Ils sont en train de voter en ce moment, et de tous les côtés chacun m'a demandé de l’aide... Ils sont en train de voter... Et quels candidats!

Il y a un candidat qui est un homme respectable, un homme bien,3 mais on l’a mis là seulement pour diminuer le pouvoir des autres!... Ouvertement. On n'a pas du tout l’intention de le nommer.

Non, c'est incroyable, incroyable de... de pourriture.

Mais en fait, l’enjeu n'est pas la présidence, c'est une contestation pour savoir si l’on démolira Indira ou non.

Oui, c'est cela.

Et ils sont puissants, ceux qui veulent la démolir.

Entre les deux candidats, c'est le candidat le meilleur qui a pris cette position de vouloir démolir Indira.4 C'est un homme intègre, il est de bonne volonté, mais il ne comprend pas, il ne sait pas – ils ne comprennent pas, ils ne savent rien, personne! Mais je lui ai envoyé dire que j'étais derrière Indira (parce qu'il a demandé que je l’aide), que j'étais derrière Indira, qu'il n'avait qu'à faire attention – derrière Indira ET CE qu'ELLE fait. Parce que ce qu'elle fait, elle l’a fait en me demandant si elle devait le faire, et j'ai dit oui.

C'est toute cette histoire de banques5 et des filous qui sont là.

Je ne sais pas...

Je crois que la démocratie... Déjà, à dix ans, je trouvais la démocratie une imbécillité (là-bas, en France), mais enfin... Et elle est une imbécillité là-bas, en France (mais cela ne fait rien); en tout cas, je ne crois pas que la démocratie soit du tout, du tout une organisation en accord avec l’esprit de l’Inde – pas du tout. Et la preuve, c'est que ce n'est pas du tout l’ensemble des gens qui fait les choses: ce sont quelques fripons qui se mettent en avant en disant: je représente ça, je représente6...

(silence)

Le malheur est que le nouvel envahisseur serait la Chine, et ça... ce serait effroyable.

(silence)

Enfin...

Mais tu sais que dans «l’Idéal de l’Unité Humaine», Sri Aurobindo dit noir sur blanc que le prochain terrain de bataille sera l’Inde?

Oui-oui.

Que le conflit se déroulera en Asie avec l’Inde comme premier champ de bataille.7

Oui, je le sais bien, nous en avons parlé tous les deux avant qu'il l’écrive. Je sais bien.

(long silence)

Il y a un Chinois à Shantinikétan (je ne me souviens plus de son nom)8 qui est venu voir Sri Aurobindo et je le connais, il m'a parlé. C'est un homme (c'est un philosophe), un homme qui avait de la propriété en Chine (il vit dans l’Inde) et qui a donné aux communistes tout ce qu'il avait en leur disant: je vous le donne pour que vous n'ayez pas à le prendre!... Et il m'a dit personnellement (j'étais en bas, il y a longtemps, Sri Aurobindo était là),9 il m'a dit: «La Chine est un pays très intelligent; ils seraient capables de comprendre ce que Sri Aurobindo écrit, et je ne vois QUE CELA qui puisse sauver le monde d'une confusion»... Seulement, naturellement, il faudrait que ce soit en chinois – c'est ce que S.H.[^10 a fait, il l’a mis en chinois, et maintenant ce n'est même pas imprimé et ça n'entre pas en Chine.]

Et puis ils coupent la tête de tous les intellectuels là-bas,11 on est en train de démolir toute une génération – abrutir toute une génération.

Oui.

(Mère entre dans une longue concentration)

Au fond, je suis tout à fait convaincue que la confusion, c'est pour nous apprendre à vivre au jour le jour, c'est-à-dire à ne pas nous préoccuper de ce qui peut arriver ou de ce qui arrivera, et à juste s'occuper au jour le jour de faire ce que l’on doit faire. Toutes les pensées et les prévisions et les combinaisons et tout cela favorisent beaucoup le désordre.

Vivre presque à la minute la minute, être comme cela (geste tourné vers le haut), seulement attentif à «la chose» qu'il faut faire au moment – et puis laisser la Conscience du Tout décider... Nous ne savons jamais les choses, même avec la vision la plus générale; on ne sait jamais les choses que TRÈS partiellement – très partiellement. Alors, l’attention est attirée par ceci, attirée par cela, mais telle autre chose existe aussi. Et donner beaucoup d'importance aux choses dangereuses ou nuisibles, c'est leur donner de la force.

(Mère entre en contemplation)

Quand on est assailli par la vision de ce désordre et de cette confusion, il n'y a qu'une chose à faire, c'est d'entrer dans la conscience où l’on sait qu'il n'y a qu'UN Être, UNE Conscience, UN Pouvoir – il n'y a qu'UNE Unité –, et que tout cela, ça se passe à l’intérieur de cette Unité. Et que toutes nos petites visions, nos petites connaissances, nos petits jugements, nos petits... tout cela, ce n'est rien, c'est microscopique en comparaison de la Conscience qui préside au Tout. Et alors, si on a le moins du monde le sens de pourquoi les individualités séparées existent, c'est peut-être seulement pour permettre l’aspiration – l’existence de l’aspiration; de ce mouvement, ce mouvement de don de soi et d'abandon, de confiance et de FOI; que c'est cela, la raison d'être de la construction des individus; et alors, que l’on devienne ÇA dans toute son intensité et toute sa sincérité... c'est tout ce qu'il faut.

C'est tout ce qu'il faut, c'est la SEULE chose; c'est la seule chose qui subsiste; tout le reste... fantasmagorie.

Et c'est la seule chose valable dans tous les cas: quand on veut faire quelque chose, quand on ne peut pas faire quelque chose, quand on a agi, quand le corps ne peut plus agir... Dans TOUS-tous-tous les cas, seulement ça – seulement ça: entrer en contact conscient avec la Conscience Suprême, s'unir à elle et... attendre. Voilà.

Alors on reçoit l’indication exacte de ce que l’on doit faire à chaque minute – faire ou ne pas faire, agir ou être immobile. C'est tout. Et même être ou ne pas être. Et c'est la seule solution. De plus en plus, de plus en plus la certitude est là: c'est la SEULE solution. Tout le reste, ce sont des enfantillages.

Et toutes les activités, toutes les possibilités peuvent être utilisées naturellement – ça supprime l’arbitraire du choix personnel, c'est tout. Toutes les possibilités sont là, tout-tout-tout est là, toutes les perceptions sont là, toutes les connaissances sont là – seulement l’arbitraire personnel est supprimé. Et cet arbitraire personnel paraît tellement enfantin! tellement enfantin... une sottise – une sottise, une stupidité ignorante.

Et je sens, je sens comme cela (Mère palpe l’air) cette agitation, ouf! ça tourbillonne dans l’atmosphère!

Pauvre humanité.

(long silence)

Voilà.

Tiens (Mère donne des roses).

Tout cela pour apprendre au monde à retourner vers le Seigneur, dans sa Conscience... Pourquoi? C'est pour cela qu'il y a eu une création?...

(silence)

Mais j'ai un problème pratique: chaque fois que je fais ce vide, justement pour me brancher là-haut vers... ce quelque chose, j'ai l’impression que je n'ai jamais de réponse précise: c'est une MASSE de Puissance qui est là, solide, et puis voilà.

Ah! tu n'as jamais de réponse?

C'est toujours la même chose: cette Puissance qui est là, impassible...

Tiens!

Hier, par exemple, pendant cette méditation,12 c'est la même chose – c'est toujours la même chose –, cette Chose massive, puissante, qui est là, mais qui ne «veut rien dire».

Mais tu n'as pas le sens d'une... Je ne sais pas comment expliquer parce que ce n'est ni bien-être ni... je ne sais pas comment expliquer; c'est quelque chose qui... il n'y a pas de mots pour le dire, mais qui vous laisse absolument satisfait.

On est bien.

Ah!

Oui, on est bien; ça, c'est sûr.

Ah! alors ça va, c'est ça. Tout-tout le reste est inutile.

Oui, mais comment avoir l’impulsion vraie, juste, tu comprends?

Mais ça, c'est AU-DESSOUS de cet état-là.

C'est au-dessous?

C'est au-dessous.

Cet état-là... Par expérience, je sais que c'est l’état dans lequel ON PEUT CHANGER LE MONDE. On devient une espèce d'instrument (qui est même inconscient d'être un instrument, n'est-ce pas), mais qui sert à... (geste montrant la coulée des Forces à travers l’instrument) à la projection des forces (geste dans toutes les directions à partir du centre instrumental). N'est-ce pas, le cerveau est tout à fait, tout à fait trop petit – même quand il est très grand, il est trop petit pour pouvoir comprendre; c'est pour cela qu'il y a ce blanc dans le mental. Et «la chose» se passe.

Et alors, on s'aperçoit que pour les besoins de la toute petite vie que l’on représente, automatiquement ça se passe, et on vous fait faire à chaque minute simplement ce qu'il faut faire sans... sans calcul, sans spéculation, sans décision, rien, comme ça (même geste de coulée à travers l’instrument).

J'ai eu l’expérience, alors personnelle, que si quelque chose dans le corps est dérangé (une douleur ou un malaise ou quelque chose qui ne fonctionne pas convenablement), quand on a passé par cet état-là, ça part – ça s'en va, ça disparaît. Des douleurs aiguës, n'est-ce pas: complètement disparues, on ne sait même pas comment! «Ah! fini», comme ça.

Et alors, dans le contact avec les gens et le contact avec les choses de la vie, une simplicité d'enfant. C'est-à-dire que l’on fait les choses sans... surtout sans spéculation.

Tiens, avec ces ouvriers... Tu sais que les ouvriers (pas les ouvriers: les domestiques) m'avaient envoyé une lettre de menace (tu sais cela?) il y a trois jours; une lettre de menace en me disant (c'était en anglais) qu'il fallait que je les reçoive et que je discute avec eux des conditions de leur travail, ou bien qu'ils feraient du grabuge hier, le 15 août. Ça m'a été lu. J'étais comme cela (geste tourné vers le haut), il est venu simplement... (ah! j'oubliais: et puis que si je ne répondais pas, ils penseraient que la lettre ne m'a pas été donnée, que je ne l’ai pas vue, et ils commenceraient l’agitation), alors c'est venu comme cela (pas pensé, tu comprends, complètement blank, rien, comme ça), c'est venu, j'ai pris un papier et j'ai écrit (en anglais): «J'ai reçu votre lettre et je l’ai lue...», et après: «Il you have the slightest fear of God, keep quiet.» [si vous avez la moindre crainte de Dieu, tenez-vous tranquilles.] Et on a envoyé la lettre – ils n'ont rien fait, ils n'ont pas bougé.

C'est comme cela, n'est-ce pas. J'essaye d'être toujours dans cet état que tu décris, comme cela, quoi qu’il arrive, et toujours – toujours, sans exception –, s'il y a quelque chose à faire, on me le fait faire.

Je ne peux pas dire autre chose, c'est comme ça.

Et j'ai remarqué que l’on me fait agir très différemment à des moments différents, avec des gens différents, et l’expérience même est très différente – tout cela, même chose, comme cela (geste tourné vers le haut, immobile).

Seulement, il faut arriver à l’état où, naturellement, il n'y a plus ni de préférences ni de désirs ni de dégoûts ni d'attraits ni rien – tout ça, c'est parti.

Et surtout-surtout pas de crainte – surtout. Ça, c'est de toutes choses la plus nécessaire.

Généralement, je n'en parle pas parce que... parce que je crois que cela n'est donné à chacun qu'au moment où il est prêt.

Il faut que ce soit spontané, naturel.

Voilà, mon petit.13

20 août 1969

(Le disciple du Vatican est arrivé à Pondichéry.)

J'ai vu P.L.... Il y a deux choses, d'abord une chose personnelle, puis une chose plus générale. Il dit que la dernière fois qu'il t'a vue, après l’avoir quittée, il est allé au samâdhi, et là, il avait eu soudain une douleur extrêmement aiguë dans le bas-ventre. Mais il disait que c'était très curieux parce que cela n'avait pas l’air d'une douleur habituelle: ça ne l’empêchait pas de marcher, d'aller, mais ça restait centré là: une douleur aiguë.

Moi, je crains qu'ils l’aient envoûté, ces gens là-bas.

Tu crois que c'est cela?... Je ne sais pas; quand il m'a dit cela, j'ai eu l’impression que c'était un «centre» d'en bas qui était touché par la Lumière.

(Mère hoche la tête) Et cette douleur est restée longtemps?

Je ne sais pas, peut-être un quart d'heure, vingt minutes.

Et puis parti.

C'était après t'avoir vue et en étant au samâdhi.

Moi, je les crois tout à fait capables d'envoûtement, ces gens.

Oui, mais ça ne devrait pas pouvoir le toucher, toi étant là.

Ah! non, ce n'est pas comme cela! C'est fait consciemment contre... pas contre lui, mais contre ce qu'il reçoit d'ici. Et alors ça change sa sensation personnelle (ils sont très calés pour ces choses-là); pour sa sensation personnelle, le sentiment d'Ananda, de... (enfin ce n'est pas une «joie»: c'est vraiment PAnanda de la présence de la Force), est changé en douleur. C'est cela qu'ils savent faire. Pour la sensation elle-même.

Parce qu'il est connu d'une façon générale que quand la Lumière touche les centres inférieurs, quelquefois cela provoque cette sensation violente.

Oui... Mais ça ne lui a pas fait de mal; c'est-à-dire qu'il avait mal, mais ça ne lui a pas fait de mal.

Oui, il n'y a pas eu d'effet physique.

Oui, c'est cela.

N'est-ce pas, s'il n'y avait rien dans sa constitution mentale ou vitale ou physique qui réponde à la force de ces gens, il n'aurait pas senti de douleur – mais nécessairement, il y a quelque chose. Et c'est cela qui a fait qu'il l’a senti comme une douleur,, alors que ce n'était pas une douleur vraie.

Certainement, il y a encore en lui quelque chose qui peut avoir peur (ça, je l’ai vu), et ça suffit. Ça sert de lien.

Il va s'en aller ou il reste encore quelque temps?

Il reste encore plusieurs semaines.

Alors je le verrai encore une fois parce que je voudrais faire quelque chose.

Il avait eu une vision, la veille de cet incident (je ne sais pas si cela a un rapport), mais il était avec moi, nous marchions ensemble, et c'était une route de montagne, je le tenais par la main, puis au bout de quelque temps, il était fatigué; il me disait: «Oh! je suis fatigué»; mais je le tenais par la main et je lui disais «Viens.» Nous avons continué à marcher dans cette montagne, puis encore une fois il a dit: «Vous allez trop vite pour moi, je ne peux pas vous suivre.» Alors je lui ai dit «Viens» et je l’ai tiré avec moi. Et nous sommes arrivés au sommet de cette montagne, c'était tout dans la lumière, et puis il y avait comme un précipice. Et alors, il paraît que je l’ai projeté dans le précipice – sans aucune violence, sans aucun mouvement de passion: simplement je l’ai jeté dans ce précipice. Et il est descendu – il m'a dit: «Ce n'était pas une chute: c'était plutôt une descente; je n'allais pas du tout m'écraser en bas: je descendais.» Et il voyait en haut mes yeux. Et il ne sentait aucune passion, violence, rien du tout en moi, mais simplement, tranquillement, je le projetais dans le vide.

Ça veut dire que le mental est affecté.

Affecté?

Oui, par eux.

(long silence)

Je le verrai encore une fois.

Je continue encore?

Oui, oui.

Il me disait qu'il avait senti qu'il allait être éliminé du Vatican cette année.

Ah!

Il a eu cette sensation. Et il a dit: «Ils feront comme ils font d'habitude; généralement, ils vous donnent une promotion quelque part (peut-être, par exemple, être nomé êvêque de [tel pays]», puis il sera écarté du Vatican. Mais quand une chose de ce genre arrive, on est mis «sous le Saint Office», c'est-à-dire que l’on ne peut pas parler à qui que ce soit et on est obligé de répondre oui ou non. «Si cette situation arrive, qu'est-ce que je vais faire? Est-ce qu'il faut que je me batte pour affirmer ma place au Vatican, parce qu'ils doivent me donner les raisons de mon élimination (il peut faire un "procès d'intention"), ou bien est-ce qu'il faut accepter, se mettre dans l’engrenage d'un poste comme, par exemple, êvêque [de tel pays] avec, en même temps, un pouvoir d'action assez général puisqu'il y a quelques millions d'habitants – est-ce qu'il faut accepter pareil engrenage, ou quoi faire dans ce cas-là?» Mais il a la sensation qu'on va l’éliminer du Vatican cette année.

Officiellement, c'est le pape qui fait cela, ou ce sont les cardinaux?

C'est toujours sur la suggestion des cardinaux. Ce n'est pas le pape qui fait cela, c'est mis à sa signature.

Non, mais je veux dire...

Non-non! je ne crois pas que le pape ait rien contre P.L., mais il y a une petite clique qui est autour du pape et qui manipule les choses – et qui emprisonne le pape.

Oui, c'est cela, il est emprisonné.

Oui, P.L. m'a dit: «Il est emprisonné.»

Quel poste a-t-il au Vatican?

Il est au Tribunal qui statue sur tous les cas de divorce, etc. Ça s'appelle la «Rota», c'est le plus haut tribunal ecclésiastique.

Et là, il est quoi?

Ils sont, je crois, six juges, et il est l’un des six.

Il vaut mieux qu'il ne soit plus là.

Il vaut mieux?... Et qu'il accepte une «promotion» ailleurs?

Oui. Ça n'a pas d'importance.

Ils sont payés, ces gens?

Oui. D'ailleurs on lui joue des tas de mauvais tours, justement en le payant moins; on lui fait toutes sortes de petites saletés pour essayer de l’écarter.

Il vaut mieux qu'il s'en aille.

Qu'il s'en aille de sa propre autorité ou qu'il attende le moment?

Non, qu'il attende.

(silence)

Ça, c'est la première leçon que l’on doit apprendre pour le vrai travail: il ne faut pas avoir d'amour-propre. Il faut que ça glisse sur vous sans rien faire. Ça, c'est TRÈS important.

(silence)

Les évêques sont libres de faire ce qu'ils veulent? C'est-à-dire est-ce qu'ils peuvent voyager?

Oui-oui.

Ils peuvent?

Oui, ils ont une grande indépendance; seulement, évidemment, ils doivent en référer pour toutes les décisions religieuses; sinon ils sont très libres.

Pour leur vie privée.

Oui.

S'ils font comme cela, ce sera bien.

Il n'a qu'à se tenir tranquille.

Il y a autre chose?

Oui, il a eu une vision d'un ordre beaucoup plus général. Tout d'un coup, il a eu la sensation que le pape était mort. C'était la même atmosphère qu'au moment de la mort de Pie XII et au moment de la mort de Jean XXIII: «Le pape était mort.» Alors, tous les cardinaux ont été réunis en conclave, enfermés pour élire un nouveau pape comme d'habitude. Et ils n'arrivaient pas à élire un nouveau pape. Et le temps passait, et ils n'arrivaient pas à élire un nouveau pape – on ne pouvait pas élire de pape, le pape était mort. Puis, tout d'un coup, sur le Vatican, est tombée une bombe, et tous les cardinaux ont été écrasés, tout le Vatican était écrasé par cette bombe. Et alors, il a vu tout d'un coup, cette bombe qui se changeait en une espèce de soleil d'or, ou de boule d'or, et de tous les musées du Vatican (qui avaient été écrasés: là où il y avait des Michel-Ange et tous ces trésors), il sortait une armée de rats!

(Mère sourit)

... De rats et de bêtes «mal formées», m'a-t-il dit. De tous ces trésors du Vatican, il ne sortait que des rats partout... Et en même temps, il y avait la sensation de ces quelques centaines de millions de fidèles qui étaient là et qui disaient: «Qu'est-ce qu'il faut faire, qu'est-ce qu'on va faire?...»

C'est intéressant.

(silence)

Les papes sont toujours élus parmi les cardinaux?

Toujours, oui, parmi le Collège des cardinaux.1

(long silence)

Il y a déjà eu deux papes de plus que ce qui a été prédit.

Ah! oui?!

Les deux derniers: celui-là et le précédent.

On va voir.

23 août 1969

J'ai vu Y hier. Elle m'a raconté ce qu'elle voulait faire: sa nouvelle méthode d'éducation... C'était plutôt amusant!... Il paraît que dans une boîte, il y a la reproduction minuscule d'autant de choses terrestres qu'il est possible d'en représenter: hommes, animaux, objets, maisons, etc. Tout cela est mélangé dans une grande boîte et il y a une sorte de table, et alors on met les grands, les petits, tous ensemble là, et on leur donne un temps fixe (je crois): il faut qu'ils fassent quelque chose sur la table avec les objets – absolument libres, ils font ce qu'ils veulent. Et il paraît que d'après ce qu'ils font, l’usage qu'ils font des objets et l’assemblage, on connaît leur caractère... Alors elle m'a raconté, comme illustration, que l’on a mis là un homme (elle ne m'a pas dit qui c'était), mais il paraît que c'est un sage, un sage qui connaît l’existence du yoga, et le résultat de son travail était comme cela: un Peau-rouge qui visait pour en tuer un autre, l’autre Peau-rouge qui visait pour en tuer un autre, et un troisième Peau-rouge qui visait pour en tuer un autre – quatre comme cela, à la suite. Et alors, le dernier Peau-rouge (le quatrième) visait pour tuer un lion, et le lion se précipitait pour tuer une biche... Et voilà son tableau! Et il a dit que ça, c'était comme une image de la vie...

Et d'après cela, ils sont sûrs qu'ils connaissent son caractère! (Mère éclate de rire, moqueuse)... J'ai trouvé ça prodigieusement amusant!

Mais le sage a dû faire une bonne plaisanterie (!) il a dû se ficher d'eux et ils ne s'en sont pas aperçus. Ils ont pris cela sérieusement... On lui a demandé, paraît-il, ce que c'était; il a dit: «Ça, c'est la vie...» Nous, nous voyons dans ce sens-là, mais c'est dans l’autre sens: c'est-à-dire que ça commence par le lion qui court après la biche, puis le Peau-rouge vient empêcher le lion et tire dessus, puis... Ça m'a amusée beaucoup!

Elle est convaincue que c'est le moyen de découvrir le caractère.

Mais ça m'a l’air très superficiel, tout cela.

Tout à fait!

Tout à fait. Mais naturellement, tout ce qu'ils font est superficiel. Ils ne connaissent pas même l’existence d'une profondeur. Ou si on leur en parle, ils la nient.

Non, mais ceux qui organisent cela, qui sont censés connaître l’existence d'une profondeur, pensent qu'à travers un jeu comme cela on touche une profondeur?

Je ne crois pas qu'ils pensent cela. Je crois que l’on considère qu'ils sont arrivés au maximum du développement mental.

C'est l’éducation des enfants, pris tout petits. Et on les laisse libres dans un endroit, et ils font ce qu'ils veulent – absolument libres, avec à leur disposition tout ce qu'il faut. Et alors, ceux qui passent leur temps à se battre, on dit: ils ont un caractère combatif! (Mère rit) Il y en a d'autres qui restent tout seuls, d'autres qui se mettent ensemble – d'après tout cela, on décide quel est leur caractère. Alors, elle veut faire cela à Auroville. Je lui ai dit: «Comment les empêche-t-on de se blesser, ou les accidents graves?» Elle m'a dit qu'il faut les mettre dans un endroit où ils peuvent tomber sans se faire de mal – ça me paraît un peu insuffisant! Mais en tout cas, c'est l’idée. Et elle veut faire ce jardin au bord de la mer. Je lui ai dit (riant): «Comment allez-vous empêcher qu'ils se noient!» Elle m'a répondu: oh! on mettra une barrière dans la mer pour qu'ils ne puissent pas aller plus loin (elle a déjà choisi l’endroit, près de la cabane de F, ils veulent même s'approprier l’un des endroits que F a achetés: on les mettra là), j'ai dit: «Il y a des requins dans la mer.» Alors ils comptent sur leur barrière pour empêcher les requins – il faudra qu'elle soit forte!... Ils me paraissent vivre dans leur imagination, ces gens.

Et puis ils sont tellement convaincus qu'ils savent, qu'il n'y a rien à dire. De temps en temps, je fais une plaisanterie pour voir – oh! brr!...

Ce qui me frappe là-dedans, c'est que tout cela m'a l’air très vieux.

(Mère rit)

Il n'y a aucun levier du futur là-dedans.

Non, rien. Rien.

Et alors, comme bouquet, pour surveiller les enfants, c'est A qui va aller vivre là – A!! Et c'est A qui a appris en Suisse cette manière nouvelle de décrire le caractère des gens, c'est lui qui l’a rapporté, et ça l’intéresse... furieusement. J'ai simplement dit à Y: j'espère qu'il n'y aura pas d'accidents. Alors elle m'a dit: oh! plus tard, quand nous aurons l’argent, nous ferons le jardin à «Auromodèle», et alors on le fera avec toutes les précautions nécessaires. J'ai pensé: il vaudrait peut-être mieux attendre... Mais pour avoir l’argent, il faut qu'ils fassent quelque chose (c'est comme cela: il faut commencer par faire quelque chose, et après on vous donne l’argent pour le faire)... Moi, je ne dis rien, n'est-ce pas (Mère croise les doigts sur sa bouche). Je l’ai nomée «responsable à la direction de l’éducation d'Auroville» (Mère rit beaucoup). Elle m'a dit, d'ailleurs, qu'elle veut avoir un compte en banque au nom de «Auroéducation» – tu sais pourquoi? Parce que ces jeunes Américains qui sont arrivés en visite ici (tu es au courant?), une douzaine à peu près, je les ai tous vus... des gens tout à fait ordinaires. Ils m'ont demandé: qu'est-ce que c'est que la responsabilité?!... Des choses comme cela.

Oui, tu m'en avais parlé.

Eh bien, ces jeunes gens sont tous allés voir Y, et elle leur a montré ce qu'elle voulait faire – Y m'a dit qu'ils étaient enthousiastes, qu'ils avaient dit: «Enfin nous avons trouvé ce que nous cherchions!» Et alors, l’une d'entre elles (ce sont des filles qui ont vingt, vingt-deux ans) lui a dit: donnez-moi votre numéro de banque pour que je puisse vous envoyer ma contribution. Y n'avait jamais osé espérer chose pareille, elle m'a dit: figure-toi, on va m'envoyer de l’argent!... J'ai dit: oh! c'est très bien.1

Ils me paraissent tous être des enfants.

Oui.

Enfin, on va voir!

Je ne veux pas intervenir, je veux voir. De temps en temps, j'envoie un petit mot collectif, comme cela... Mais je n'interviens pas.

Oui, ce que, moi, je regarde avec curiosité, c'est TA façon d'agir avec Auroville.

Moi!

Ou de ne pas agir, je ne sais pas!

Ça t'étonne?

Non-non! mais j'essaye de comprendre!

Aaah! tu ne comprends pas?...

Peut-être que tu veux les conduire au bout de leur sottise... Ou peut-être que leur sottise est au niveau actuel nécessaire?!

Mais mon petit, leur sottise est un maximum d'intelligence dans le monde!... Tu ne sais pas comment c'est, le monde, tu as oublié?!

De temps en temps, je vois.

(Mère rit) De temps en temps, j'ai des nouvelles par Z, il me dit les conditions extérieures – c'est ef-fro-ya-ble!... Comme par exemple l’Unesco – l’Unesco est le leading association [une sommité], n'est-ce pas, alors ils en sont encore à la «tolérance»!

Tu as oublié comment c'est?

Pas tout à fait!

(Mère rit) Pas tout à fait...

De temps en temps, j'ai des réactions justement. Je m'aperçois que l’on ne comprend pas... Plusieurs fois, j'ai essayé de dire certaines choses comme je les sentais ou je les voyais, et j'ai vu que j'avais fait un scandale effroyable...

(Mère rit beaucoup)

Comme si c'était une atteinte à leur vie!2

Oui, oh!... Et n'est-ce pas, si l’on demande (ce sont des gens véridiques qui me l’ont répété), si l’on demande à Y, elle dit: «Le Bulletin, c'est passé», «l’enseignement de Sri Aurobindo, c'est passé.» Et eux, ils sont en avance. Et ils sont tellement convaincus!... Et elle a choisi M comme dieu de sa nouvelle création, alors tu comprends...

(silence)

Ce que je fais maintenant, c'est... (Mère croise les doigts sur sa bouche)... parce que cette Force, cette Conscience est là (geste de pression) et elle travaille, et je la vois travailler, et elle se sert de tout ça d'une façon merveilleuse pour... pour mettre les gens (geste contre le nez) en présence d'eux-mêmes.

Il y a un endroit («Promesse» et «Auro-orchard», tout ce coin-là qui s'occupe d'agriculture), il y a des Français, il y a des Suisses, il y a des Italiens (il y a même des Indiens!), ils sont tous à se disputer... tout le temps. De tous les côtés, on se plaint à moi: on demande mon support. Alors c'est prodigieusement instructif. Moi, je suis là (Mère croise les doigts sur sa bouche), et de temps en temps, je laisse tomber une goutte. Les X, par exemple, régulièrement, une ou deux fois par semaine, m'envoyaient une plainte contre les gens qui habitent là-bas (tantôt les uns, tantôt les autres, tous y passaient les uns après les autres). La première fois, je n'ai rien dit, mais après quelque temps (riant), j'ai simplement dit (je ne me souviens plus des mots mais du sens), que la vraie conscience pour être à Auroville est de regarder d'abord ses propres défauts avant de se plaindre des défauts des autres, et de se corriger avant d'exiger que les autres se corrigent (je l’ai mis d'une façon plus... littéraire), et je l’ai envoyé. Depuis ce moment-là, silence, un silence total: je n'existe plus – je ne viens pas donner un support à toutes leurs petites querelles, alors je n'existe plus.

Mais ça, c'est une façon de pétrir la pâte... Il faudra ou qu'ils changent ou qu'ils s'en aillent – sans rien leur dire, il n'y a besoin de rien leur dire, il n'y a que la pression de la Conscience. Ou ils doivent changer, ou ils seront obligés de s'en aller.

Ce n'est pas une méthode particulière à cette personne-ci (Mère se désigne elle-même): c'est la méthode de cette Conscience.

Je vois très bien la façon dont elle travaille: elle met une pression pour que tout ce qui résiste dans la nature de quelqu'un, vienne à la surface et se manifeste, et alors le ridicule ou le mauvais de cette chose devient évident, et il faut ou que ça s'en aille ou que... J'ai remarqué cela. C'est sa manière de procéder.

Mais alors, justement avec cette pression, on s'aperçoit que les gens sont toujours dix fois plus bêtes qu'on ne le pensait – eux n'en savent rien (mais c'est l’habitude, on est généralement très inconscient de sa propre bêtise), mais même quand on pensait être conscient de ce qu'ils étaient, on n'allait pas jusqu'à toucher du doigt ce qu'ils étaient!3

(silence)

À Y je n'ai rien dit, excepté une seule chose: j'espère qu'il n'y aura pas d'enfants qui se noieront. C'est tout. Rien d'autre. Alors elle a fait une figure... Je crois qu'elle n'y avait jamais pensé, elle n'avait jamais pensé à cette possibilité!

(long silence)

Tu sais que les élections [présidentielles] ont eu lieu, et qu'il y avait trois candidats. Parmi les trois, il y en avait un4 qui m'avait semblé le plus capable de donner à l’Inde sa vraie place parmi les pays de la terre – on m'a répondu immédiatement que c'était fantasmagorique, que c'était tout à fait impossible. Je n'ai pas insisté. On m'a dit: «Voilà les trois candidats» (je te l’ai dit la dernière fois), alors je n'avais qu'une solution, un moyen, c'était de concentrer – concentrer avec une aspiration – et de demander que ce soit le meilleur pour le pays qui arrive. C'est le message que j'ai envoyé à Delhi; je leur ai dit: «J'ai reçu l’assurance que ce qui arriverait serait le meilleur pour le pays» (dans les conditions actuelles). Il y avait donc un homme qui avait de la valeur – aucune chance; un autre qui était très vieux,5 et un autre6 qui est un homme intègre et capable, avec des qualités, mais qui est un peu en arrière, c'est-à-dire accroché au passé, et il était tout à fait épouvanté par les décisions qu'Indira avait prises.7 Alors, officiellement, il était contre sa manière de gouverner... Cet homme m'a envoyé ses photos en me demandant ma bénédiction; j'ai mis «bénédiction» sur l’une de ces photos,8 je l’ai donné à L et je lui ai dit (tu sais qu'il est parti à Delhi): «Comme vous serez là-bas, si vous voyez que c'est possible, rencontrez cet homme, donnez-lui la photo en lui disant: voilà, Mère vous envoie ses bénédictions, mais elle vous prévient qu'elle est derrière la façon d'agir d'Indira...» Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais le jour de l’élection, j'étais comme cela: AUCUNE pensée active, simplement: «Le mieux du pays, le mieux pour le pays» – et c'est le vieux qui a passé!9... Et non seulement il a passé, mais il m'a envoyé un télégramme pour me remercier! Alors tu comprends, cela te donne exactement la position. C'est comme cela10...

Activement, extérieurement, je n'aurais jamais pu dire: «Choisis-sez cet homme-là»; seulement j'ai dit: «Le mieux pour le pays.» Je ne sais pas pourquoi ni comment parce que... parce que notre conscience humaine est toute petite, mon petit! Même quand on s'identifie à la Conscience générale, on a l’impression d'être si petit, si microscopique en comparaison de la Conscience véritable qui contient tout. Nous ne pouvons pas contenir tout! Même, même quand nous nous identifions à cette Conscience, nous devenons comme cela (geste indiquant le vide à hauteur du front), absolument silencieux et immobile, avec seulement une Vibration lumineuse immense, n'est-ce pas, infinie, et un pouvoir infini aussi, mais... (même geste au front) aucune traduction d'aucune façon, rien qui ressemble à une pensée. Et alors, si nous voulons intervenir entre Ça et les circonstances, nous sommes obligés de nous tromper, nous ne pouvons pas faire autrement! Alors il n'y a qu'à rester comme cela (geste immobile, tourné vers le haut). Et c'est pour cela que je suis comme cela, silencieuse. Tu me disais: «Je ne comprends pas ta façon d'agir à Auroville...», ce n'est pas autre chose que cela. C'est parce que notre pensée limite, oppose – même, même la conscience la plus vaste, tu comprends, n'est qu'une conscience terrestre, une conscience terrestre et... c'est tout petit. C'est tout petit. Et c'est surtout tout petit au point de vue des conséquences, de la suite des circonstances (Mère dessine une trajectoire), de comment ceci va apporter cela – nous ne voyons pas. Alors il faut être comme cela (geste tourné vers le haut), et simplement laisser cette Conscience agir... Et voilà quel a été le résultat: c'est le troisième qui a passé, ça m'a bien amusée! Bien amusée, j'ai dit: voilà!

Dans ma vision (je ne peux pas affirmer qu'elle soit supramen-tale, mais en tout cas elle était très au-dessus d'une vision mentale), l’homme que j'avais choisi [Deshmukh], et tout le monde a pouffé de rire pour me dire que c'était une impossibilité – c'était la chose qui pouvait rendre l’Inde grande imédiatement. IMédiatement, ça donnait une place à l’Inde dans le monde, qui était sa vraie place. Tout le monde a trouvé cela profondément ridicule. Et alors, on m'avait donné à choisir entre trois candidats, et c'est celui qui est de toute évidence le plus incapable qui a été choisi comme... comme celui qui aidait le plus au développement et à l’épanouissement de l’Inde. Voilà.

Après cela, il n'y a plus qu'à se taire.11

Et tu sais ce télégramme... (Mère cherche auprès d'elle et tend le télégramme au disciple)

«Deep gratitude for blessing. I am always at thy services.»12

V.V. Giri

Il a été élu et le télégramme a été envoyé imédiatement, les heures coïncident... tu ne trouves pas cela intéressant?

Si, très.

(silence)

C'est après une quantité considérable de constatations de ce genre que j'ai commencé à être comme cela: simplement mettre, presque par force (Mère abat ses deux bras), le contact de la Conscience Suprême avec la terre. C'est tout.13

(silence)

F m'a dit qu'il y avait un bout de terrain là-bas au bord de la mer, où tu aimerais avoir une cabane?

Oh! tu sais, c'est une façon de parler!

Mais non! Dès qu'elle me l’a dit, je lui ai répondu: «Eh bien, on s'arrangera.» On va essayer de l’avoir. Heureusement que ce n'est pas trop près de leur futur Kindergarten!

Il y a un petit bout de dune ou de colline, là, qui est très joli.

Ah!

Alors, par hasard, nous nous sommes assis là et j'ai dit: tiens! ce serait bien d'avoir une cabane ici...

Mais ce n'est pas à nous encore.

Mais, douce Mère, je n'ai aucune idée ni même désir...

Oui, oh! je le sais bien, c'est simplement comme tu le dis: on sent un courant qui passe et on dit: oh! ce serait bien... – Pourquoi pas! (Mère rit) On est toujours obligé de faire quelque chose – tant que l’on est ici, on fait quelque chose –, il vaut mieux faire les choses qui vous mettent en contact avec le courant le plus harmonieux!14

Mais je dois dire qu'au point de vue de l’action (même pas seulement de l’action matérielle parce que l’action matérielle, je n'en ai pour ainsi dire plus), mais de l’action invisible, j'ai BEAUCOUP appris avec cette Conscience, beaucoup. Elle a... nous avons des moyens très enfantins et elle a... elle a un sens de l’humour, tu sais! admirable, une façon de mettre les gens en face de leur stupidité, qui est vraiment... vraiment charmante. Et je vois cela tout le temps, tout le temps, tout le temps, pour de toutes petites choses, pour de grandes choses, pour la politique d'un pays ou bien pour l’organisation d'une maison – tout la même chose. Et avec une ironie délicieuse – et si bienveillante: il n'y a aucun sens de réprobation, de... l’idée du mal, de la faute, de tout cela – prrt! tout parti.

C'est seulement la pression de la Conscience sur l’inconscient – et alors, chez les gens, la mesure de la résistance qui vient de leur réceptivité. C'est comme cela. Chez certaines gens (et pas toujours ceux qui sont apparemment mauvais), il y a une résistance!... C'est comme... comme du fer. Et d'autres...

Ça va beaucoup plus vite. En ce moment les choses vont vite.

Nous allons voir, nous allons voir!15... (Mère rit)

27 août 1969

On a retrouvé un papier que j'ai écrit peu de temps après le départ de Sri Aurobindo.

Je t'en ai dit une partie déjà, mais ça, c'est le papier complet. C'est daté du...

(Mère tend le papier au disciple)

26 janvier 1951.

Mais c'est très privé.

(suit le texte de Mère)

(Il s'agit d'une personne de l’entourage de Sri Aurobindo, qui a essayé de détruire Mère et de séparer Mère de Sri Aurobindo. En fait, il est évident et compréhensible que l’ombre la plus forte est imédiatement sous la lumière et que celui ou celle qui vient faire le travail divin doit prendre sur lui ou elle tout le fardeau de l’Opposition. C'est donc près de Sri Aurobindo et près de Mère que se trouveront les plus grands adversaires. C'est aussi ce qui explique le départ de Mère et l’obscure situation à Auroville comme à l’Ashram après le départ de Mère. Pour des raisons évidentes, nous ne publierons pas le texte de la note de Mère ni l’intégralité de la longue conversation qui a suivi, mais seulement quelques brefs extraits dans la mesure où ils illustrent le «problème», ou peut-être le mystère du départ de Sri Aurobindo et du départ de Mère, car ils ont une seule et même raison.)

Ça, naturellement, ça ne doit pas être publié, mais c'est à garder.

Mais quel rôle a-t-elle joué?

Elle a été jusqu'à lui dire que je trahissais son travail – tout, tout ce que l’on peut imaginer.

Mais Sri Aurobindo n'a pas voulu intervenir?

Jamais.

C'est étonnant... C'est étonnant, la façon dont Sri Aurobindo n'intervenait pas.

Jamais – jamais.

Il avait tellement la conviction: «C'est le Seigneur Suprême qui fait tout.» Alors... ce doit être comme cela.

Mais je trouve cela sidérant, dans ma petite conscience, qu'un être aussi ridicule, infime, que cette petite bonne femme, ait pu avoir un pouvoir pareil!

Mais il y avait un grand Asoura derrière!1 Il y avait les forces adverses derrière. La femme elle-même n'était rien, mais très réceptive à ces forces-là.

Et lui ne voulait pas la briser?

Oh! il ne voulait pas. Il était seulement: compassion, bonté, patience...

Je l’ai vu deux fois se mettre en colère contre elle – deux fois. Mais tout de suite, il s'est repris.

(silence)

Une triste histoire, mais enfin... Après, j'ai vu, j'ai compris. Maintenant, je sais. Au point de vue du travail, c'était... c'était ce qui devait arriver.

Je n'ai jamais rien dit, Sri Aurobindo n'a jamais rien dit – tout ce que j'ai écrit, c'est ça (cette note), je n'ai jamais rien dit.

(silence)

Les petites individualités humaines servent d'instrument, ce n'est rien.

Mais en cédant (parce que, en quelque sorte, il a cédé), est-ce qu'il a remporté une plus grande victoire sur cet Asoura?

Oh! oui, infiniment plus grande.

C'est cela qui m'échappe.

Infiniment plus grande. Et il n'a pas quitté le travail, n'est-ce pas; il ne m'a jamais quittée, il n'a jamais quitté le travail. Ce qu'il avait accumulé de forces supramentales dans son corps, il me l’a passé – et je l’ai reçu. Et le reste est resté dans le physique subtil où il fait tout le travail. Et il a dit: «Je ne reprendrai un corps que quand ce sera un corps supramental.»

(silence)

C'était... monstrueux, tu comprends... Je ne disais rien, je n'ai jamais rien dit... Si: une fois, elle a été tellement épouvantable que je l’ai fait sortir de chez Sri Aurobindo, de sa chambre, et elle était tellement effroyable que je lui ai donné une claque. Et quand je suis retournée, Sri Aurobindo m'a dit: «You ought not to have done it...» [Vous n'auriez pas dû faire cela.]

C'était... C'est la façon la plus – la plus haute, la plus, on pourrait presque dire sublime, d'épuiser la force hostile.

(long silence)

Ah! tiens...

(Mère prend une note près d'elle)

Il y a un druide (riant), un druide qui existe encore, de Bretagne, qui a écrit une lettre à F pour lui dire qu'il avait entendu parler d'Auroville par des amis à elle, et qu'il voulait venir. Il dit: je suis pauvre, je n'apporte rien (il a une femme, ils ont l’intention de venir ensemble), et il écrit qu'il apportera un livre; un livre de l’un de ses amis qui a eu la «vision financière et économique» du monde; il va apporter cela (il dit que c'est une révélation) pour que l’on s'en serve à Auroville. Alors, dans la réponse, je veux lui dire: «Voilà la base sur laquelle Auroville est établi...»

(Mère tend la note)

l’argent ne doit pas servir à gagner de l’argent...

Je l’avais écrit en anglais, il y a très longtemps; j'ai envoyé cela en Amérique: ça a fait une révolution! – la majorité des gens: indignés que l’on puisse penser une chose pareille!

...l’argent doit servir pour préparer la terre à manifester la nouvelle création.

Alors nous allons voir le druide!... Ça fait la quatrième personne: nous avons un guérisseur de cancer qui va venir; nous avons un guérisseur tout court qui va venir; nous avons... (Mère cherche) ah! oui, un inventeur persan qui a fait des inventions «extraordinaires» (il a envoyé un papier) pour l’éducation (surtout pour l’éducation des enfants), il va arriver en septembre...

Ce sera très amusant, tout cela!

Oui! au moins nous aurons de la variété!

Mais le druide a dit qu'il n'avait pas le sou, alors on va l’envoyer à R (l’architecte d'Auroville), qui pourra peut-être arranger quelque chose...

Il a étudié toutes les religions, et... (riant) il s'est arrêté au drui-disme.

Il est Breton.

Oui, je m'en doute!

Et il considère le livre de cet ami comme un don très précieux (je ne sais pas s'il est publié ou non), comme une révolution. Alors j'aime mieux lui envoyer cette note d'avance, parce que je ne sais pas ce qu'il y a dans ce livre, mais si c'est une idée analogue, je veux qu'il sache que nous l’avons eue avant!

(long silence)

Il faut détruire ça. (Mère désigne la bande magnétique)

Oui. C'est un problème qui me... que je ne vois pas, ce problème de la non-intervention. Dans quelle mesure faut-il intervenir et quand peut-on intervenir? Ou faut-il toujours laisser les choses?

On n'a le droit de ne pas intervenir que lorsqu'on est constamment – constamment et intimement – uni au Suprême: quand on est le représentant de la Force, de la Conscience suprême. C'est tout. Autrement, il faut intervenir. Et lui, avait ce sens-là au maximum, n'est-ce pas, c'est avec lui que j'ai appris à ne pas le faire.

Autrement, c'est le jeu des forces et il est nécessaire d'intervenir.

Mais là, si on est comme cela (geste immobile tourné vers le haut), alors c'est la Puissance Suprême qui vient. Alors...

C'est une épreuve effroyable.

Oui.!, oui – pour voir si nous étions capables de faire le travail!

(silence)

Ça a été le plus puissant moyen de purification que l’on puisse imaginer... Ça, je le sais... C'est au point que, même physiquement, toute-toute possibilité de réaction, fini.

Je t'ai dit: la seule chose que j'aie faite une fois, et ça m'a paru comme une faiblesse dégoûtante, c'était de la gifler.

Voilà.

(Mère donne à Satprem et à Sujata des fleurs de la «Compassion de Sri Aurobindo»)

30 août 1969

Des choses commencent à venir pour Auroville (Mère désigne plusieurs notes écrites), il y en a beaucoup-beaucoup d'autres, mais il y a surtout la question financière intérieure: je voudrais qu'à l’intérieur d'Auroville, il n'y ait pas d'argent (on verrait à arranger les choses), que l’argent soit gardé seulement pour les relations avec le dehors. Mais ça, je ne l’ai pas écrit; j'ai écrit autre chose (Mère tend une première note). Ça, je te l’ai dit plusieurs fois:

Auroville voudrait être le berceau des surhommes

Et puis celle-ci:

Auroville La ville internationale libre. Pas d'armée pas de police...

Bravo!

...Elles sont remplacées par un bataillon de sauveteurs, composé d'athlètes et de gymnastes.

Oh! c'est épatant tout cela!

Ça, tout de suite. C'est à faire tout de suite.

Oui, pas d'armée, pas de police. Oui-oui!

Et puis (Mère désigne une troisième note), ça, c'est pour l’entrée, parce qu'il y a un port à Auroville, alors l’entrée est libre naturellement, mais conditionnée parce que nous n'avons pas de frontières, nous n'avons pas de murs, nous débordons dans l’Inde, alors je ne peux pas imposer ma loi à toute l’Inde (!) mais ce sera remplacé par un contrôle au port: nous n'admettrons que ce qui peut être consomé dans Auroville – ne pas servir d'entrée clandestine à une inondation de marchandises gratuites.

(le disciple lit)

Pas de douanes, mais permis d'importer accordé seulement aux marchandises destinées à être consomées dans la ville.

C'est tout.

Oui, pour éviter le trafic avec le reste de l’Inde.

Oui, si les gens étaient honnêtes, ce serait bien, mais ils ne le sont pas!

Pas de police et pas d'armée.

Oui, ça, c'est bien!

Et alors, ça donne à l’éducation physique une raison d'être profonde: les gens capables d'arrêter les incendies, de sauver les gens qui se noient, etc. Et il n'y en aurait pas besoin de beaucoup: s'il y en avait cinq cents, ça suffirait pour toute la ville, par petits groupes, en se promenant comme cela.

Et le Dr S a aussi des idées pour remplacer les prisons (parce que nous n'avons pas de prisons et on ne peut pas déverser tous les malhonnêtes gens dans le reste de l’Inde! ce ne serait pas bien). Il faudrait remplacer les prisons et les «hospices» de vieillards par quelque chose... On est en train de voir cela. On a trouvé quelque chose. Ça va être très intéressant!

Et une dernière chose: un endroit où l’on pourrait garder tous les enfants quand les parents ne veulent pas s'occuper de leurs enfants ou s'en occupent mal. Et tout cela, avec l’impossibilité d'accidents ou de fuite – mais pas la prison et pas l’hôpital, pas ces choses-là.

Mais c'est en train de s'élaborer.

(silence)

Il y a au Nord de Pondichéry, au bord de la mer, des endroits dont on n'a jamais rien pu faire (c'est constamment inondé) et on a le moyen d'utiliser cela, alors je suis en train d'essayer d'avoir du gouvernement la permission d'occuper tout cela. Si l’on peut avoir tout cela, alors on aura un port libre, un aéroport libre, un aérodrome (mais plus à l’intérieur), et puis des cultures selon les méthodes nouvelles avec arrosage à l’eau de mer, et naturellement la transformation de l’eau de mer – mais on a trouvé quelque chose pour transformer l’eau de mer en eau potable (Mère prend une brochure à côté d'elle). C'est français je crois, une méthode économique, c'est très intéressant. C'est en route, si l’on attend encore quelques années, on aura trouvé tout à fait bien.

(long silence)

J'ai passé une bonne partie de la nuit (presque toute la nuit jusqu'à trois heures du matin), avec Sri Aurobindo, et non seulement il me montrait et m'expliquait, mais lui-même ÉTAIT ce qu'il montrait: il se préparait pour la nouvelle création. Et il m'a dit cette nuit, il m'a montré comment telle et telle chose serait, comment le corps serait. Je me souviens que quand je me suis réveillée, il était étendu sur un lit, j'étais à genoux à côté du lit, et je le regardais, et alors, en même temps qu'il était ce corps nouveau, il m'expliquait comment serait le corps du surhomme (l’être supramental)1 et c'était tellement vivant que même quand je me suis réveillée, c'est resté, je le vois encore. Mais les détails... (comment dire?) le souvenir n'a pas la précision qui fait que l’on peut expliquer (je ne sais pas comment dire). J'ai encore la vision... ça avait une couleur... ça ne jetait pas des rayons de lumière, pas cela, mais... et pas phosphorescent comme un objet, mais c'était une luminosité spéciale et qui était de cette lumière... un peu comme la fleur d'Auroville (mais ce n'était pas comme cela, ça paraissait tout à fait naturel). Il me montrait son corps; il était étendu, il me montrait son corps, il me disait: «Voilà comment c'est.» La forme était presque semblable avec des... J'ai encore le souvenir là (geste dans l’atmosphère), mais je ne sais pas comment expliquer... Et ces temps derniers, je me disais: «C'est curieux, nous ne savons pas du tout comment ce sera», et je me disais à moi-même: «Il n'y a personne pour me le dire», parce que cette Conscience qui est venue, elle agit par la conscience mais pas tant par la vision. Et alors j'ai eu ça cette nuit. Longtemps-longtemps, j'étais avec Sri Aurobindo, longtemps, pendant des heures.

C'est entré dans la conscience, ça ressortira un jour. Mais j'ai gardé le souvenir de la dernière chose: je me voyais moi-même, j'étais dédoublée (et peut-être que moi-même aussi, je n'étais pas tout à fait comme je suis, mais ça ne m'intéressait pas: je le regardais, lui, qui était couché et il m'expliquait), et c'était... c'était la même chose qu'un corps phosphorescent, mais ce n'était pas phosphorescent, c'était... un peu, si je ne me trompe, de la couleur de ce sari (Mère désigne le sari de Sujata), quelque chose comme cela.

Orange?

Non... C'est un rose qui a un rayonnement doré, tu comprends? Alors on voit les deux ensemble, ça fait comme cela.2 (geste fondu).

(long silence)

C'est amusant... J'essaye de mon mieux d'orienter le gouvernement ici, et Indira est très ouverte, mais alors la masse de la population dit: «Elle est devenue communiste!», et les communistes disent: «C'est un gouvernement bourgeois!» C'est tout à fait amusant parce que cela donne exactement l’attitude des deux partis vis-à-vis des idées de Sri Aurobindo!

(silence)

Qu'est-ce que tu apportes?

J'ai eu hier une longue conversation intéressante avec un garçon de dix-neuf ans qui a fait la «révolution du mois de mai» à Paris et qui était parmi les leaders communistes des étudiants... Il a lu ce petit texte que j'ai écrit, que j'ai appelé «Le Grand Sens», où j'essaye de dire le vrai sens des choses, qui n'est ni dans la violence ni dans la non-violence, qui est «autre chose». Il est communiste mais ça l’a beaucoup bouleversé, ça l’a profondément touché et il a tout remis en question. Alors j'ai essayé de lui expliquer ce que tu m'as dit une fois: cette idée d'une révolution silencieuse, immobile;3 des centaines de milliers d'étudiants qui refusent, qui ne bougent pas, qui disent: nous ne voulons plus des diplômes, nous ne voulons plus de la structure actuelle de la société, nous ne voulons plus être ingénieurs ni médecins ni rien – nous voulons autre chose.4

Il a compris?

Oui, il a compris, c'est entré, c'était comme une espèce de révélation.

Ah!

Il y a eu beaucoup de violences en France?

Oui, cette révolution, qui au départ était animée vraiment par une force divine, elle a été pourrie tout de suite par la violence. Alors je lui ai expliqué: si vous voulez l’avenir, eh bien, il faut employer les moyens de l’avenir. Et les moyens de l’avenir, ce ne sont pas les pistolets: ce sont des moyens intérieurs – la puissance intérieure. Vous voulez autre chose, eh bien, appelez cette autre chose.

Oui.

Et elle vous répondra... C'était très amusant, toutes ses structures étaient volatilisées... dans la simplicité.

C'est cela.

Devant la simplicité de la chose.

Oui, c'est cela.

Ah! j'ai eu comme cela une expérience (je ne sais pas si c'est ce matin ou hier matin ou dans la nuit, mais enfin), pendant un certain temps, j'étais dans une conscience où l’individualité séparée n'existait plus, mais le principe... (comment dire?) le principe particulier de chaque individu persistait dans la Conscience universelle. Et à ce moment-là, mon petit, tout est devenu tellement merveilleux!... Ça a peut-être duré une heure, ou un peu plus ou un peu moins, je ne sais pas, mais enfin assez longtemps pour... (Mère sourit) je veux dire pour s'étaler là-dedans. Il n'y avait plus, il n'y avait plus de séparation, ça avait disparu, mais un certain... (comment dire?) c'était presque comme une manière de voir; la manière de voir de chaque individu (c'est non seulement la manière de voir, mais c'est la position dans l’action en même temps, la «position» c'est-à-dire la part de l’action qui est initiée5 par cette manière de voir), ça persiste. Ça persistait dans l’Un – aucune séparation. Et alors, chaque chose a sa place – le tout d'une efficacité merveilleuse. Et en même temps... Je ne peux pas, les mots sont impuissants. Je me suis souvenue, quand j'avais l’expérience, d'une phrase de Sri Aurobindo où il disait qu'après tout, le Seigneur n'est qu'un enfant qui joue (tu sais cela, il l’a mis d'une certaine façon)6 et j'ai compris pourquoi il a employé ces mots, c'était... c'était quelque chose... évidemment que notre langage ne peut pas formuler, mais vivre là-dedans, vivre ça, n'est-ce pas, c'est... c'est l’impression d'une toute-puissance si-si parfaite, si harmonieuse, et en même temps, oui, tellement harmonieux que c'est tout souriant. C'est inexprimable. Inexprimable. J'ai eu l’expérience, et puis c'est parti. Ça s'est retrouvé mélangé avec le travail quotidien.

Et je me souviens... C'est intéressant parce que pendant que j'étais dans cet état-là, je me suis souvenue de la question que tu avais posée à propos de Pavitra, me demandant si le principe de l’individualité persistait; alors il y a quelque chose de moi qui t'a dit: «Tu vois bien, c'est comme ça!» (Mère rit) Je me suis souvenue de ta question, j'ai dit: c'est comme ça, il n'y a plus de séparation, mais... mais cette merveille de complexité reste – la merveille d'une complexité. Et l’impression, c'est que tout-tout-tout ce qui est, a sa place, mais quand c'est à sa place, c'est parfaitement harmonieux.

Oh! c'était... c'était vraiment une révélation.

Je pense que toutes ces expériences font partie de la conscience du supramental, du surhomme (comment il s'appellera lui-même? nous ne savons pas).

C'était ce matin, après ma nuit avec Sri Aurobindo, et c'était là (Mère désigne la salle de bains), j'étais en train de faire autre chose, mais ça n'a aucune importance – ce qui est merveilleux, c'est que ces expériences-là n'impliquent pas que tout le reste ne bouge plus! Ça vient, on peut continuer à faire quelque chose, et on se voit faire en même temps, c'est tout à fait drôle... C'était ce matin (il n'y a pas longtemps). J'avais un commencement de ça hier, puis l’expérience de la nuit, et puis ce matin...

Ça, ça vaut la peine de vivre.

On a l’impression: oui, ça, c'est la vie! ça, c'est quelque chose. Tout le reste, c'est... Tout le reste, même le corps, a l’impression de tout le temps se cogner contre des obstacles: des incompréhensions, des choses qui ne répondent pas. Il a l’impression de se cogner tout le temps comme cela, et puis là, voilà (geste vaste qui englobe tout).

Ça, un être qui vit constamment dans cet état-là... Et j'ai vu, je te dis, j'ai vu: le corps faisait autre chose, ça n'empêche pas – ça n'empêche pas. J'ai même pu, tu vois, me souvenir de quelque chose que tu avais dit. Tout cela ensemble.

C'est peut-être comme cela que sera le surhomme?...

(silence)

Il aura un pouvoir de changer la vie.7

septembre




3 septembre 1969

Depuis deux jours, j'ai une sorte de vision rétrospective des horreurs de la vie... comme si c'était vu avec la nouvelle Conscience, et ce qui est curieux, c'est que l’on se demande comment il a été possible de passer par toutes ces horreurs...

Ça a commencé par une sorte de perception tout à fait repoussante de la condition des gens au point de vue conscience – de l’obscurité et de cette espèce de vision égocentrique tellement étroite. C'était le commencement, et puis c'était comme si la Conscience voulait me dire: «Oh! mais ne t'en fais pas, c'est beaucoup mieux que ce n'était avant!» (Mère rit) Et elle m'a fait voir tout comme cela (geste comme un film) oh!... C'était tellement effrayant que je me suis demandé comment c'était possible.

l’état d'esprit des gens qui ont brûlé Jeanne d'Arc, par exemple.

C'est charmant...

(long silence)

Il semble que ce mois-ci, il va y avoir une véritable invasion de l’Ashram... Il y a ces gens qui viennent (le guérisseur, le druide, etc.), et puis il y a Indira qui veut venir, et puis il y a le ministre de l’Éducation qui s'est mis de travers et qui a exprimé une horreur de l’Ashram – elle lui demande de venir!... Alors, nous allons avoir une invasion au mois de septembre.1

(long silence)

(Mère rit)... J'ai eu aujourd'hui, à propos de quelqu'un, une expérience bien amusante... N'est-ce pas, il y a eu d'abord sur la terre ces énormes bêtes hideuses (je ne connais pas leurs noms, mais enfin de véritables monstres, ceux qui avaient des peaux de pachyderme). Et alors, j'ai eu la vision (comme si j'étais là) d'un premier ours, mais beaucoup plus gros qu'un ours (beaucoup plus gros que les ours de maintenant), mais avec une BELLE fourrure soyeuse (Mère caresse cette fourrure), qui était assis – il était assis près d'un lac, dans une sorte de... presque de contemplation comme cela, très paisible, avec l’impression d'une grande force, mais d'une force très paisible, pas batailleuse. Et ces grosses bêtes, comme des...?

Dinosaures?

Oui, toutes ces bêtes venaient de tous les côtés et regardaient ça (Mère écarquille les yeux) avec presque du respect et de l’admiration; c'était très curieux, comme quelque chose de merveilleux qu'ils n'avaient jamais vu... Tu sais, c'était extraordinaire, et tellement-tellement vivant, réel! Et Dieu sait que je n'y ai pas pensé – j'ai vu. Et je regardais ça, et l’espèce d'admiration de ces bêtes pour cet animal extraordinaire... Une fourrure soyeuse (Mère palpe), c'était très soyeux, une grosse fourrure – une grosse fourrure épaisse d'un brun doré. Et c'était une femelle. Elle était comme cela, paisible, comme consciente de sa supériorité!

Très amusant.

Et alors, je me suis aperçue que déjà il y avait un atome de conscience – de conscience qui devait devenir l’être psychique –, dans ça. Et que c'était ça qui la rendait si paisible et si... sûre. Et que ça, ça devait évoluer et devenir la conscience de l’homme. C'était cela qui était vraiment intéressant.

C'était beaucoup plus gros, beaucoup plus gros qu'un ours tel que nous les connaissons, mais à cause de cela (cet air paisible), tous les autres étaient comme cela autour, venaient de tous les côtés, regardaient avec de grands yeux admiratif s! C'était vraiment amusant.

Je viens de voir ça ce matin à propos de quelqu'un dont c'était la première incarnation (!) Et toutes ces histoires... Tu sais, les histoires théosophiques, j'ai toujours pensé que c'étaient des histoires à dormir debout, mais ça, c'était... pas une pensée, rien-rien: la personne était là, assise à côté de moi, et alors elle est entrée en méditation très profonde, et je regardais (elle avait sa tête ici, près des genoux de Mère), je regardais, et tout d'un coup j'ai perdu tout contact avec la vie présente, et puis je me trouvais là et j'ai vu ça. Et j'ai vu ça longtemps, pas comme un éclair: longtemps, pendant plusieurs minutes. Et j'ai vu bouger: c'était vivant, ce n'était pas un tableau – je les ai vus bouger, venir, arriver de tous les côtés du lac ou à travers le lac!... Et c'était comme une grosse masse, une belle fourrure qui brillait au soleil, c'était joli comme tout!

Et déjà, il y avait un atome de conscience.

Intéressant.

Au fond, c'est tout le chemin du mental qui est affreux et pourri.

Oui-oui!

Oui, c'est surtout cette cruauté inconsciente, oh!...

(Mère entre dans une longue méditation, puis ouvre les yeux et parle en anglais)

The day when you corne is the only day when I can sit quietly here – the other days it's a constant-constant-constant... [Le jour où tu viens est le seul jour où je peux rester assise tranquille ici – les autres jours, c'est un constant-constant-constant...]

I have nothing to say.2 [Je n'ai rien à dire.]

6 septembre 1969

Je t'ai dit qu'Indira devait venir, mais le Président (Giri) vient aussi, le 14...

C'est curieux, on dirait que de tous les côtés, les gens sont poussés à venir...

Oui.


Plus tard

C'est une chose curieuse: la majorité des hommes a peur de ce qui est invisible, au point que quand quelqu'un est mort (qu'ils aimaient beaucoup quand il était vivant), ils ne veulent pas le voir après sa mort!

J'ai encore eu l’exemple aujourd'hui. C'est une femme qui a été assassinée; son psychique, je m'en suis occupée tout de suite, il est parti là; mais une partie du vital est restée, et elle est restée avec eux (la famille). Je croyais qu'ils allaient être contents – ils ont peur!... C'est une chose curieuse. Alors j'ai dit: «Oh! c'est très simple (riant), je vais le prendre avec moi, comme cela...» N'est-ce pas, j'ai une foule autour de moi – ça n'a rien de gênant.

Je ne comprends pas. Qu'est-ce que c'est?... Je ne comprends pas parce que même quand j'étais petite et que je ne savais rien (je ne savais même pas que vraiment ça existait), je n'ai jamais eu peur des choses invisibles... Pourquoi?... C'est moins gênant, quelqu'un qui n'a pas de corps, que quelqu'un qui a un corps – quelqu'un qui a un corps, il occupe de la place, il faut qu'il en ait; quelqu'un qui n'est pas vivant, il ne tient pas de place, il peut être là sans être gênant du tout... Alors ce n'est que l’apparence que les hommes aiment: le corps?... C'est curieux.

Mais j'ai eu des centaines d'exemples. Quelqu'un qui, huit jours avant, était ami avec une personne, elle est morte, et huit jours après, il la voit, et dans son rêve il la renvoie brutalement!... C'est arrivé plusieurs fois.

C'est curieux.

Peut-être parce qu'ils ont peur des apparences trompeuses, des forces mauvaises qui veulent prendre des apparences – des choses comme cela? Mais on doit pouvoir sentir la différence... (Mère palpe l’air)


(Peu après, à propos du frère du disciple, qui commence à s'intéresser au yoga.)

J'ai dû voir ton frère dernièrement, parce qu'il y a deux nuits, je crois, Sri Aurobindo avait rencontré quelqu'un et lui expliquait quelque chose, et c'était en français, et cette personne s'étonnait, et j'ai dit: «Oh! mais Sri Aurobindo sait très bien le français!» Et il lui expliquait en français (je voyais, on était sur une route), et je crois bien que c'était ton frère.

Mais c'était vraiment intéressant parce que l’on devait apprendre à avoir une vision d'ensemble des choses, et nous étions sur une belle route, bien commode, et Sri Aurobindo disait: «Non, voyez, il faut que vous montiez ça», et c'était un sentier qui montait, abrupt, qui était de terre noire gluante (on se demandait si le pied n'allait pas glisser à chaque pas), aussi difficile que possible, et il disait: «Vous voyez, c'est ça qu'il faut monter; quand vous serez en haut, vous verrez vraiment.» Et j'étais là, je me disais (il parlait à quelqu'un, je n'avais pas remarqué qui c'était, mais je crois maintenant que ce devait être ton frère), je me disais: «C'est curieux (parce que je ne croyais pas que Sri Aurobindo sentait comme cela), c'est curieux, alors il ne faut jamais avoir peur de la difficulté...» C'était une longue histoire, mais ça m'a beaucoup frappée. Et je le vois encore, je me souviens, je voyais Sri Aurobindo qui était petit à côté de quelqu'un qui était plus grand {ton frère est grand, n'est-ce pas?) et il lui parlait, il lui disait, puis il lui montrait le chemin, et je voyais le chemin: un chemin d'une terre noire bien dégoûtante qui montait presque à pic, et c'était difficile, et il disait: «C'est ça, c'est ça qu'il faut grimper, et en haut, on voit – en haut, on a la vision.»

Le matin, je me suis demandé qui c'était, à qui Sri Aurobindo parlait, et maintenant je vois bien, ce devait être ton frère. Et il parlait en français, alors ton frère disait: «Oh! vous parlez français», et j'ai dit: «Oh! Sri Aurobindo sait très bien le français!» (Mère rit) C'est amusant.

10 septembre 1969

Je n'ai rien à dire.

Mon corps a des expériences extraordinaires, mais ça ne peut pas se dire... C'est comme si on lui montrait dans toutes sortes de circonstances – d'innombrables circonstances –, comment on va vers la mort et comment on va vers la vie: tout-tout, tu comprends, toutes les parties du corps, tous les organes, toutes les activités, l’une après l’autre – impossible à dire. On ne peut pas en parler.

C'est intéressant.

Mais ce corps a été curieusement bâti, parce que chaque fois qu'il est en rapport extérieurement avec la méchanceté, c'est-à-dire la volonté de nuire, la volonté de détruire, la volonté de faire du mal, il ne comprend pas, et alors ça lui donne... tu sais, comme une espèce de chagrin d'enfant: «Comment est-ce possible?...» Et je vois que c'est utilisé pour un certain travail, mais...

(silence)

Et il y a aussi tout un petit enseignement de chaque minute pour les différentes façons de recevoir les sensations (corporelles, n'est-ce pas), comme l’enseignement que l’on vous donne quand on fait le yoga: l’attitude vis-à-vis de toutes les pensées, les réactions, les sentiments, toutes les choses; on apprend à avoir l’attitude vraie (tout cela, c'est du passé); eh bien, on donne au corps le même enseignement de détail: l’attitude à prendre vis-à-vis de toutes les sensations – toutes les sensations, tous les événements, tout ce qui arrive, tous les contacts. Et c'est un travail minutieux, de détail. Et puis, accompagné d'une attitude générale; mais l’attitude générale, il l’a prise, c'est une affaire faite – c'est le working out [mise en pratique], c'est-à-dire le travail minutieux de chaque minute... Ce n'est pas intéressant. Ce n'est intéressant que pour lui; et encore, ça ne le passionne pas – c'est quelque chose de minutieux, un travail minutieux. Les réactions vis-à-vis de l’attitude dans les actions (pas ce que les gens disent, pas cela), seulement leurs gestes, leurs attitudes, tout cela. Comment avoir la vraie attitude corporelle constante.

C'est un travail long, minutieux, sans... qui n'a rien de passionnant.


(Puis le disciple suggère de publier la conversation du 16 août dernier où Mère dit que la «seule solution» est d'être dans un état d'immobilité intérieure qui ne cherche pas à prévoir, savoir, etc., et de laisser la Force couler à travers l’instrument; alors, automatiquement, ce qui doit être fait est fait, ce qui doit être reçu est reçu.)

Je ne crois pas, pourtant, que l’on puisse recommander à tout le monde d'être dans cet état-là.

Oui, évidemment, je comprends bien. Mais ça peut montrer quand même l’état auquel on doit aspirer.

Oui, mais... C'est très bon pour moi parce que je vis tranquille, parce que je ne bouge pas, mais quelqu'un qui agit?... ce n'est plus tout à fait la même chose. Surtout quand il s'agit de «ne pas prévoir»; dans la vie, on fait une chose pour en amener une autre et encore une autre et encore une autre... comme cela (geste qui s'enroule indéfiniment), moi, je ne bouge pas, alors c'est pour cela que je n'ai pas besoin de faire cela... Je mets ça en pratique constamment, d'une façon de plus en plus précise (par exemple avec toutes les questions du gouvernement), et c'est très bien parce qu'il ne faut pas faire POUR cela: il faut faire comme cela (Mère abat ses deux bras comme pour faire descendre la Force), et puis la conséquence viendra après. Mais est-ce possible de faire cela pour quelqu'un, par exemple, qui a la responsabilité d'un groupe ou d'une administration ou de...?

Ce que je ne voudrais pas, c'est que... (silence) Je ne sais pas.

(long silence)

II est évident que cela dépend entièrement de ce que l’on reçoit – tout est possible, je ne voudrais pas que l’on croie qu'il n'y a qu'UN genre de choses que l’on reçoit. Et je ne sais pas s'il est clair, dans ce que j'ai dit, que l’on peut recevoir n'importe quoi.

Oui, tu dis surtout qu'il ne faut avoir ni désirs, ni craintes, ni préférences, etc.

Ça, c'est évident.

Mais évidemment tu ne dis pas que toutes sortes de choses peuvent venir.

N'est-ce pas, si l’état [vrai] est perpétuel, ça suffit, mais...

Les mots sont impossibles.

(silence)

Tant pis! (Mère rit) On va le donner.

13 septembre 1969

P.L. a vu quelque chose. Il croit que c'est moi qu'il a vu, mais en fait, c'est sa propre projection mentale qu'il a vue, je crois. Mais enfin, cela exprime assez bien le problème devant lequel il se trouve... Au fond, la pensé le trouble de savoir s'il fait un meilleur travail en restant au sein de l’Église ou s'il ferait un meilleur travail en en sortant. Il a un peu ce problème-là dans la tête parce que, par exemple, le mois prochain à Rome, tous les évêques doivent se réunir pour un synode, et à cette occasion, il y a un certain nombre de prêtres, disons récalcitrants ou réfrac-taires ou rebelles, qui veulent se réunir à Rome pour faire une sorte d'anti-synode et pousser publiquement l’Église sur une voie plus révolutionnaire. Alors la pensée l’avait effleuré...

De se joindre à eux... Non.

Moi, je lui ai répondu que tu lui avais dit d'être tranquille.

Oui, ça fait descendre le niveau beaucoup.

Alors, il a eu une vision là-dessus, et il s'imagine que c'est moi qu'il a vu, mais je ne crois pas du tout... C'était au bord de la mer, un paysage assez désolé et plein de rochers, et il y avait comme une caverne, une énorme caverne qui s'ouvrait au bord de la mer, et de cette immense caverne sortaient des religieux – une foule de religieux, obscurs, avec des cagoules, des robes noires –, des religieux qui sortaient de là, dans un paysage désolé et plein de vent: c'était obscur, c'était sinistre. Et lui, voyait cela et il avait envie de s'enfuir. Et alors, au moment où il a eu envie de s'enfuir, il a vu dans cette foule quelqu'un qui était moi, habillé en prêtre, et j'étais le seul visage lumineux là-dedans, et je lui disais: «Tu vois, il faut rester là pour amener la lumière là-dedans.» Je lui disais: «Moi, je resterais là jusqu'à ce que je sois êvêque.»

Ça ne peut pas être toi.

Non, bien entendu!Mais enfin, comme je suis, en quelque sorte, la représentation «idéale» (!) de sa recherche, c'est moi qu'il a dû projeter là-dedans. Enfin je lui disais soi-disant: «Tu vois, il faut rester là pour mettre la lumière dans cette foule religieuse.»

Je ne crois pas que le moment soit venu.

J'ai beaucoup regardé...

Je voudrais un renseignement pratique, je ne sais pas si tu peux me le donner... Il n'y a qu'une chose dans les deux cas (qu'il reste là-dedans ou qu'il en sorte): dans les deux cas, il peut faire du travail utile – pas de la même façon, mais il peut faire du travail utile. Alors, pour moi, je veux qu'il choisisse celui où il est le plus en sécurité – tu sais, je n'ai aucune confiance dans ces gens, je sais qu'ils sont capables de TOUT. Alors, dans les deux cas, ils peuvent faire autant de mischief [mal] qu'ils veulent – peut-être sait-il dans quel cas il est le plus en sûreté: s'il reste ou s'il sort? Moi, je ne sais pas... Rester, peut être une protection, peut les empêcher de faire certaines choses; sortir, le rend moins «détestable» pour eux, c'est-à-dire qu'ils peuvent le rejeter et ne plus s'en occuper.

Mais alors, lui, dit: «Si je suis rejeté et que je sorte, je n'ai plus de pouvoir, je ne peux plus rien faire.» Et c'était justement l’objet de sa vision: c'est en restant là-dedans qu'il peut apporter de la lumière. C'est cela, son problème. «Si je sors, je ne peux plus rien faire.» Et il me disait: tous ces prêtres qui sont sortis pour essayer de faire avancer l’Église, ils sont rejetés de l’Église et ils n'ont plus de pouvoir.

Naturellement qu'ils sont rejetés de l’Église! seulement l’Église n'est pas le monde tout entier.

Ce que je crains, c'est qu'il soit encore très chrétien sans le savoir, qu'il ait l’impression que le christianisme est la chose la plus importante.

Oui, mais il ne peut plus rien faire pour le christianisme, c'est cela.

Ah! ça, sûrement pas!

Oui, mais il garde au fond de lui ce désir de faire quelque chose pour le christianisme – d'apporter la lumière là-dedans.

Alors il faut qu'il reste! Et c'est évident: s'il a encore cette idée de «faire quelque chose pour le christianisme», il faut qu'il reste – arrive ce qui arrivera!

Mais il comprend cela comme une sorte de travail qui lui est donné par toi.

Moi, je réponds que, dans les deux cas, je peux l’utiliser. Dans les deux cas, j'ai du travail pour lui.

Je vais lui dire cela. Parce que c'est symbolique: il voulait s'enfuir de cet endroit, et c'est au moment où il voulait s'enfuir qu'il a vu tout d'un coup mon visage dans cette foule.

Oui. Il y a évidemment (peut-être pas très-très conscient encore), mais il y a en lui une volonté de rester, je crois.

Oui, je sens cela aussi.

Mais ces prêtres qui se réunissent à Rome, ils vont être excommuniés, non?

Oh! ils sont déjà plus ou moins excommuniés, on a fermé leur église...

Oh!...

Mais c'est une petite minorité qui est faite de gens assez intelligents généralement – surtout de gens intelligents –, et la presse, le monde est là tout prêt, les journaux, à exploiter l’histoire.

Ils en profitent.

Oui, je crains que ce soit seulement une chose «intelligente». Comme ce qui était arrivé au commencement du protestantisme. Une chose intelligente, n'est-ce pas: une mentalisation de l’opposition.

Oui, je ne crois pas qu'il y ait de mystiques là-dedans – ce sont des néo-protestants, au fond.

Oui. Mais je ne sais pas, je ne les connais pas.

Mais c'est cela, en fait.

Mais ce pape, il ne peut pas durer très longtemps s'il a un cancer... Moi, je connais quelqu'un qui guérit le cancer!... Ce serait amusant que l’on guérisse le pape! Ça les mettrait tous dans un... oh! tu ne peux pas t'imaginer comme ils seraient embêtés! (rires)

Ce pape, en bonne santé, serait, je crois, un appoint très utile au travail – mais ils ne le laisseront jamais soigner et guérir. Ce sont des forbans, tous ces gens.1

(silence)

Mais il n'est pas ecclésiastique, P.L.?

Si-si! il est prêtre.

Il est prêtre... Oh! je ne savais pas. Mais il ne porte pas de robe?

Là-bas, sûrement.

Oh! mais il est prêtre...

Et ces prêtres partout, ils ont le même costume, non?

Maintenant, ils ont modernisé cela, c'est-à-dire qu'ils ont des pantalons avec un petit col à la manière protestante – ce sont leurs grandes «réformes»!

(après un long silence)

Alors il faut qu'il reste.

(silence)

Ce sont seulement les cardinaux qui nomment le pape?

Oui.

Et parmi eux.

Oui.

C'est obligatoire?

Oui, toujours.2

Et cet ami de P.L., ce cardinal, c'est le cardinal d'où?

Il n'est pas cardinal, il est je ne sais quoi, on l’appelle «monseigneur», mais c'est un homme qui a une fortune formidable, des «crores». Il a le don d'attirer l’argent. Alors il a fondé des œuvres pieuses ou sociales avec tout cela.

Oh! il n'est pas cardinal.

Non, mais c'est un ami du cardinal de France, je crois.

Il est «en avant» ou en arrière?

C'est un homme bien, mais il est vieux.

Les cardinaux vivent toujours à Rome?

Ils vivent dans leurs pays. Il y a un cardinal par pays.

Moi, je croyais qu'ils étaient tous à Rome!

Non-non, ils viennent souvent à Rome. Au moment de la mort du pape, tous les cardinaux sont réunis en conclave, et alors, de temps en temps, ils ont des réunions, mais ils ne vivent pas là, sauf un certain nombre qui entoure le pape.

Les gens du pays.

Je crois, généralement.

Et les ambitieux.

En principe, il y a un cardinal par pays.

Il y a un cardinal en Chine?... (rires)

17 septembre 1969

J'ai écrit quelque chose pour Auroville...

La terre a besoin d'un endroit où les hommes puissent vivre à l’abri de toutes les rivalités nationales, de toutes les conventions sociales, de toutes les moralités contradictoires et de toutes les religions antagonistes; un endroit où, libérés de tous ces esclavages du passé, les êtres humains pourront se consacrer totalement à la découverte et à la mise en pratique de la Conscience Divine qui veut se manifester.

Auroville veut être cet endroit et s'offre à tous ceux qui aspirent à vivre la vérité de demain.

Maintenant, les choses ont pris l’habitude de venir comme cela (Mère abat ses bras), et puis elles m'embêtent jusqu'à ce que j'écrive! Quand j'écris, c'est fini.

Et le Président1 est allé là-bas [à Auroville], l’après-midi, et au moment de s'en aller, il a dit: «It is a work of God»... [c'est une œuvre de Dieu]. Il a senti quelque chose.

On verra. Peut-être que l’on arrivera à quelque chose – «peut-être»: sûrement.


J'ai vu P.L. avant son départ, il avait l’air un peu... Il ne t'a rien dit?

Je l’ai vu longuement et je lui ai dit tes paroles, et il avait l’air très rassuré et apaisé. Je lui avais dit que tu voulais qu'il reste tranquille, de ne pas se mêler à ces groupements réfractaires ou autres, de rester tranquille, de ne pas attirer «leur» attention. Et il avait l’air très rassuré.

Il était très concentré, comme quelqu'un qui a l’impression d'aller à... quelque chose d'important.

Mais j'ai regardé: il a tous ses cheveux! – ils ne sont plus tonsurés maintenant?

Je ne sais pas... Je crois que ça tombe en désuétude.

Il a même beaucoup de cheveux! (Mère rit)

Ah! je t'ai induit en erreur. Tu m'avais posé une question (deux fois d'ailleurs) en me demandant si le pape devait être élu parmi les cardinaux. Alors il n'y a, en fait, aucune loi qui dise que le pape doive être nécessairement élu parmi les cardinaux.

Ah!

Ce sont les cardinaux qui l’élisent, mais pas nécessairement parmi eux, il n'y a pas de loi comme cela: quelqu'un de l’extérieur peut être choisi. En fait, au XIIIe siècle, il y a eu un pape célèbre, Célestin V, qui a été élu parmi les moines mendiants.

Ooh!...

Et cinq mois après sa nomination, il a abdiqué – ce qui était un scandale unique dans l’histoire de l’Église – et son successeur l’a fait emprisonner tout de suite. Puis il a été canonisé après, d'ailleurs... Mais en fait, depuis cette époque-là, les cardinaux ont toujours élu un pape parmi eux.

Ils ont trop peur!

Mais il n'y a pas de loi. On peut même élire un laïc, et dans ce cas, rapidement, on doit lui donner la prêtrise, puis le nommer évêque, archevêque, etc..

Mais ils ne sont pas libres du tout.

Pas du tout, ils sont emprisonnés. l’exemple de Célestin V est bien symbolique. Mais alors P.L. m'a dit une chose (qui l’a beaucoup frappé d'ailleurs), c'est que le premier acte du pape quand il a été nomé, a été d'aller s'incliner sur la tombe de Célestin V, le seul pape qui ait abdiqué.

Tiens!...

J'ai vu une photo du pape faisant un «pranam» complet dans le Jardin des Oliviers, à un endroit où le Christ s'est tenu...

Mais je t'ai dit que je l’avais rencontré deux fois: une fois avant sa nomination et une fois après, et que nous avons parlé. C'étaient des conversations vraiment intéressantes. Mais la seconde fois, avant de s'en aller, il m'a demandé: «Qu'est-ce que vous allez dire à vos disciples?» (Je t'ai dit cela.) Cela prouve qu'il...

Je me souviens, j'ai été frappée par ma propre réponse. Je lui ai dit: «Je dirai que nous avons communié dans un même amour pour le Suprême.»2

Curieux... On verra.

P.L. m'a dit que c'est un homme très angoissé: il passe des nuits blanches, il se torture un peu l’esprit. Il est poussé à faire des réformes, et puis à la dernière minute, il revient sur sa décision; deux ou trois fois, il avait pris une décision de faire un pas en avant, et chaque fois il a fait un pas en arrière. Il est en fait entouré, emprisonné par des gens très puissants. Il doit être torturé, cet homme.

On verra.


Qu'est-ce que tu apportes?

Il y a quelque chose qui n'entre pas du tout dans mon rôle ici auprès de toi, mais je crois que c'est urgent et que je devais t'en parler. Il s'agit de G.

Ah!

Oui, il est en train de se battre avec la mort. Il est venu me trouver, il m'a expliqué tout. Depuis deux ans, il lutte contre des crises cardiaques. Il n'en a jamais parlé à personne, il a une confiance immense en la Grâce; il m'a dit: «J'ai eu des expériences merveilleuses, d'avoir appelé Mère et que Mère soit venue et en un instant, le danger était écarté» (c'est revenu plusieurs fois). Et il me disait, par exemple, que le Bulletin de février, il l’avait relu cent fois et il y avait trouvé une aide immense, justement là où tu parles de cette Présence qui descend et tout disparaît comme si c'était irréel. Mais enfin, il est arrivé à un point où son corps est devenu très faible. Alors il t'a écrit une lettre:

(traduction partielle)

«Depuis deux ans environ, ma santé n'est pas normale. Parfois, l’état est si sérieux que c'est une lutte entre la vie et la mort. Cela a commencé par une légère douleur dans la poitrine et un malaise dans le cœur, puis, lentement, tout le corps a été atteint, au point que très souvent j'ai l’impression qu'il va s'écrouler. À ces moments-là, j'appelle seulement Mère et sa Grâce, et dès que je le fais, tout s'arrange et redevient normal. Je n'ai jamais consulté de médecin ni essayé aucun traitement. Je n'ai même pas dit autour de moi ce qu'il en était, car, depuis mon enfance, je crois que ce genre d'attaques ne doit pas recevoir le support de la parole... Parfois, des choses très inexplicables arrivent: deux fois, j'ai senti une force entrer dans mon corps pour le tuer, mais chaque fois j'ai appelé la Grâce et cette force a été obligée de partir, me laissant tout enveloppé dans la Grâce. Une nuit (les attaques viennent surtout la nuit), j'ai vu une femme de 40 à 45 ans avec un visage terrible, qui m'a déclaré: "Je suis la Mort et je suis venue te prendre; maintenant, tu ne peux pas échapper. " Mais je ne sais pas ce qui est arrivé, je me suis redressé sur mon lit et je l’ai défiée en appelant Mère et sa Grâce. Alors, cette femme s'est mise à rire et à faire des grimaces, et j'ai été très étonné d'entendre son rire avec mes oreilles physiques et de voir son visage avec mes yeux physiques. Mais elle a disparu instantanément, dès que la présence de la Grâce est venue, et je me suis retrouvé avec toutes mes forces, entouré seulement par la Grâce. Dans cette lutte, j'ai eu aussi l’expérience de mon vrai "moi" dans le cœur de Mère, avec une force infinie. J'ai trouvé non seulement la présence de Mère, mais Mère elle-même pendant des heures et des heures avec moi (derrière ou devant moi). Aussi, j'ai vu Mère dans un corps très jeune et tellement différent que, pendant quelques moments, je n'arrivais pas à reconnaître Mère, puis elle m'a pris dans un Amour immense...»

(après un long silence)

Cette femme, il l’a vue les yeux ouverts ou les yeux fermés?

Les yeux grands ouverts.

Alors, c'est dans le physique subtil.

Est-ce qu'elle ressemblait à quelqu'un qu'il connaît?

Je ne sais pas.

(Mère entre dans une longue contemplation)

Je vais voir... On va essayer... Dans quelques jours, tu lui demanderas de venir te voir et de te dire comment il se sent.

20 septembre 1969

Tu as vu ça?

(Mère tend une note)

Auroville est l’endroit idéal pour ceux qui veulent connaître la joie et la libération de ne plus avoir de possession personnelle.

C'est la dernière chose venue. «Possession personnelle» au singulier; je veux dire le sens de la possession personnelle.

(silence)

Ton guérisseur est arrivé, paraît-il.

Oui, ce matin, je crois.

Alors j'ai dit à A de te l’amener – c'est toi qu'il vient voir.

Moi!

Oui, bien sûr (rires), l’auteur de ton livre!... Non, tu pourras lui parler, puis voir. Tu me diras comment il est... Je le mets à «Castel-lini» parce qu'il y a un grand jardin – j'espère qu'il sera bien là. Mais tu verras, tu tâcheras de lui faire dire un peu ce qu'il cherche en venant ici.

Ce qu'il cherche.

Surtout ça. Et aussi, il y a des personnes ici qui ne veulent pas de docteurs et qui ne veulent pas de remèdes, j'aimerais bien essayer – s'il a l’intention de faire quelque chose ici.

Je crois, d'ailleurs, qu'il aurait plutôt besoin d'être protégé, parce que dès que l’on va savoir qu'il est guérisseur, tout le monde va se précipiter.

Ah! mais je ne l’ai pas dit à tout le monde.

Mais ça va se savoir!

Là, il faut le protéger, il ne faut pas qu'on laisse les gens, ce serait épouvantable.

Il suffirait qu'il dise que l’on n'a le droit d'aller le voir qu'avec la permission de Mère.

Oui, c'est cela. Mais ça dépend du monsieur, c'est justement cela que je veux que tu voies: si c'est un homme qui a besoin d'être protégé... ou un homme qui a besoin d'être calmé!

D'après la photo, on a l’impression de quelqu'un de très solide, pas exalté.

Oui.

Mais évidemment, il ne doit pas être non plus très mentalisé, alors... ce qu'il comprendra, je ne sais pas.

Oh! tu sais, là-bas en Occident, tout le monde est mentalisé.

Mais il comprendra mieux subtilement.

Oui.

(silence)

Mais cette chose – les mains qui guérissent –, tu ne l’as pas, toi?... Parce qu'A m'a dit que, lui, quand il avait une douleur, il n'avait qu'à mettre sa main et se concentrer – ça s'en va. Moi, il y a... (j'allais dire il y a des siècles!) que je le fais, même petite, je faisais cela. Ça m'a toujours paru une chose tout à fait naturelle.

Mais se concentrer de quelle façon? On met sa main, et quoi? on appelle...

On met sa main et on concentre sur... ce que l’on conçoit comme force supérieure – ou Force d'Harmonie, ou Force d'Ordre. Comme cela. On met et on sent, ça passe comme cela et puis ça entre.

Je crois que tout être humain a cela en possibilité. En tout cas, ça m'a toujours paru être une chose très naturelle. Et quand on le développe, ça se développe comme toute chose. Naturellement, quand ça prend des proportions miraculeuses, c'est différent.

Mais c'est très instinctif. Je ne sais pas, même quand j'étais toute petite, j'avais une douleur quelque part, ou mal aux dents, je le faisais – et quand on est tout petit, on ne pense à rien –, je le faisais simplement comme cela (Mère serre sa joue), et puis ça soulage.

J'essaierai!

Oui (Mère se moque du disciple).

Qu'est-ce que tu apportes?

Il faut d'abord que je te donne des nouvelles de G. Je l’ai vu ce matin, il m'a dit que depuis que je t'ai parlé, il se sent mieux, beaucoup mieux. Ensuite, il n'y a plus eu d'attaques la nuit.

Ah!

Et il dit que depuis ce moment-là, il sent, un peu au-dessus de sa tête, comme s'il y avait Sri Aurobindo qui «versait» quelque chose dans son corps («pouring»), quelque chose qui entre dans le corps, qui est très matériel, dit-il.

Oui. Ça correspond à quelque chose que j'ai fait. Ça va bien.

Tu le vois régulièrement?

Mais non, jamais!... Quand il a écrit cette lettre, il s'est dit: «À qui vais-je la donner?» Et puis, paraît-il, tout d'un coup mon image lui est venue devant les yeux. Mais je ne le voyais jamais.

Il a bien fait, d'ailleurs, il ne s'est pas trompé!

Mais il dit: «Depuis que je ne rencontre plus Mère, je suis obligé de me débrouiller avec ce que je peux au-dedans», et il m'a dit: «Très souvent, quand j'ai des problèmes difficiles, matériels, à régler, je me concentre, j'appelle Mère, et tout d'un coup, je vois comme des mains blanches qui arrivent et puis qui se mettent à tout arranger. Alors quand je vois ces mains qui arrivent, je suis sûr que tout va s'arranger!

Tiens, ça, c'est bien, c'est très bien.

Il sent cette aide matérielle, concrète. Quand il a des problèmes et qu'il se réfère à toi, ça s'arrange.

Mais moi, je ne sais pas pourquoi les gens ne sentent pas cela concrètement! Cette Nouvelle Conscience est tout à fait concrète, mon petit. Tout à fait concrète;

C'est un manque de vision. On sent bien la Force, mais on a l’impression que c'est... répandu, général.

Mais C'EST comme cela.

Mais est-ce que c'est particulier aussi?

Oui, c'est les deux. C'est particulier au point que ça donne des suggestions précises pour une toute petite chose. Et quelquefois ça vient, ça m'oblige à dire un mot, ou ça me fait prendre une attitude vis-à-vis de quelque chose – et de toutes petites choses, des choses qui, dans la conscience de l’être, n'ont aucune importance. Ça l’amuse! Elle joue avec tout comme cela, tout le temps.

Elle est très utile: quelquefois quand je ne sais plus où j'ai mis un papier, elle me le dit. Elle dit: «C'est là.» C'est vraiment très intéressant! Et la plupart du temps, c'est elle qui me fait écrire, surtout pour Auroville.

Mais je t'ai dit (je t'ai vu après avoir vu le Président?), je t'ai dit que quand le Président était là, tout d'un coup cette Conscience a commencé à me presser sur la tête: «Dis ça.» Je n'avais pas envie de parler; alors je suis restée tranquille. Alors la pression est devenue telle que j'ai commencé à transpirer partout! Alors je me suis décidée et j'ai parlé. Et c'était fini. C'était... Sans la Force dedans, c'est une banalité, mais à ce moment-là, ça avait la puissance d'une révélation, figure-toi, quand elle m'a fait dire...

(Mère cherche à se rappeler)

Qu'est-ce que j'ai dit?

«Let us work...»

Ah! c'était en anglais – c'est cela (je cherchais en français!) «Let us all work for the greatness of India.» [travaillons tous à la grandeur de l’Inde.] Tu comprends, c'est une banalité – c'était devenu une révélation. Et alors je remarque cela: quand ça me fait dire quelque chose et que je le vois après avec la conscience ordinaire, ça me paraît être tout à fait une banalité! ou quelque chose de bien entendu, ou quelque chose qui ne vaut pas la peine d'être dit; et quand ça descend, ça prend une force! Et ÇA A une force (Mère abat ses deux poings). Et ça m'a dit toutes sortes de choses comme cela; elle m'a dit: si telle personne (comme, par exemple, Indira), si telle personne avait dit cela (dans sa réunion, quand elle a des difficultés), tout le monde aurait été conquis. Et c'est une Puissance tellement compacte qu'on a l’impression que l’on pourrait couper des tranches dedans, tu comprends, tellement c'est matériel! C'est d'un doré foncé (assez foncé quand ça vient comme cela), et puis ça fait comme ça (geste de pression sur la tête), et puis on a l’impression que ça peut très bien vous écraser (!) Et ça a une action extraordinaire sur les gens.

Ce jour-là, c'était vraiment remarquable.

Hier, j'ai eu la visite du Vice-président1 – un intellectuel. Il paraît que c'était un avocat très remarquable, un homme de loi, et il a lu les livres de Sri Aurobindo, il se dit disciple de Sri Aurobindo. Il est venu exprès de Delhi avec toute sa famille pour me voir. Il est venu – la Conscience ne s'est pas du-tout-du-tout manifestée: rien. C'était comme cela (geste impassible, étal). Comme cela, immobile, rien, absolument rien... C'est curieux. Il m'a donné des livres à signer (qu'il venait de prendre ou de recevoir, je ne sais pas), un livre de Sri Aurobindo, ma photographie... Enfin, il a agi comme un disciple, il avait amené toute sa famille, toute la famille a exprimé beaucoup de dévotion, etc. – rien. Je ne sais pas si elle était là, mais elle ne se manifestait pas: c'était comme cela (même geste impassible). C'est curieux.

Mais elle sent les gens, parce que je t'ai raconté ce que le Président avait dit en s'en allant?

Oui, à Auroville: «It is a work of God.» [C'est une œuvre de Dieu.]

Yes.

Elle est très intéressante! Je vais voir comment elle se conduit avec notre guérisseur... Avec le Persan, l’inventeur persan qui était ici (qui s'en va aujourd'hui), elle était très bien. Elle a voulu que je lui donne des «bénédictions», elle était très active. Avec d'autres gens: rien – ignore. C'est très curieux.

Mais pour percevoir correctement ce que «Ça» veut, il faut être tout à fait pur.

Oui. Il ne faut SURTOUT PAS avoir de préférences mentales: c'est surtout le mental qui empêche. Des désirs matériels, des choses comme cela, ça lui est égal, mais les idées mentales, les conceptions fixes, oh!... Ça, elle semble ne pas être touchée, ça ne l’intéresse pas.

C'est très difficile de savoir ce qui vient de la vraie source et ce qui est une vieille réaction de notre formation.

Oh! non, mon petit! Oh! non! Ça... c'est comme si tu me disais que l’alcool ressemble au lait, tu comprends! (Mère rit) Non.

Par exemple, je vois toutes sortes de gens qui viennent me voir; eh bien, je ne sais jamais si ma réaction est la vraie réaction ou si c'est simplement quelque chose qui vient d'une formation de moi... J'essaie d'être aussi tranquille que possible et puis de voir ce qui vient...

Oui, c'est cela.

Mais ce qui vient, est-ce vraiment «ça», ou est-ce que c'est...

Mais est-ce que la tête est silencieuse?

Oh! oui, il n'y a pas d'idées dans ma tête.

Ah! alors ça va.

Mais je crains des vieilles réactions surtout. D'idées, non, il n'y a pas d'idées.

Alors...

Mais des vieilles réactions.

(après un silence)

Quand je te prends les mains comme cela, ici, tu sens quelque chose?

Ah! bien sûr!

Oui?

Il y a ta Puissance qui est là.

Eh bien, mon petit, c'est comme cela: on sent Ça qui vous enveloppe partout.

Ah! mais ça, je la sens toujours – à des degrés divers, mais je la sens toujours, la Puissance. Mais je ne sais jamais si c'est la Vraie Chose... J'aimerais BIEN faire la Vraie Chose – j'aimerais...

Moi, j'ai confiance. J'ai confiance dans ta réaction.

(le disciple ouvre les mains)

Par exemple, avec la femme du Consul, c'était parfait! c'était juste ce qu'il fallait.2

Je ne sais pas, parfois je suis poussé à être très brutal, et pourquoi? je n'en sais rien du tout.

Mais tu peux voir: si tu es poussé à être très brutal et que tu ne sentes aucune... (comment dire?) aucun déplaisir ou aucune répugnance ou aucune – bien entendu aucune colère –, mais qu'au contraire, le sentiment reste toujours de la même bonne volonté égale, comme cela (geste immuable): vouloir le mieux; quand c'est comme cela, qu'au-dedans de ta conscience, il y a cette chose, qui est vraiment de travailler seulement pour le Seigneur (pour le dire d'une façon aussi simple que possible), pas: «Oh! quel idiot» ou «Quel stupide! quelle méchanceté il dit», rien de tout cela, mais la même bonne volonté égale, alors si l’on est obligé de dire un mot sévère, c'est bien. C'est s'il y avait un remous vital en même temps qu'il faudrait se méfier, mais quand il n'y a rien...

(silence)

Nous avons du travail à faire?

Il y a le «Bulletin»: les Entretiens.

Ça vaut la peine de les publier?

Ah! oui, sûrement! sûrement.

(Mère rit)*

Ils sont bien, ces Entretiens.

Ce sont les vieux que tu reprends?

Oui, de 53.3

(Le disciple lit l’Entretien du 19 août où il est tout d'abord question du pouvoir des pierres. Puis Mère commente.)

Il y a des pierres qui peuvent contenir une force de protection. Ça, c'est remarquable, mon petit! On peut accumuler dans une pierre (surtout dans les améthystes), accumuler une force de protection, et la protection vraiment protège celui qui porte la pierre... Ça, c'est très intéressant, j'en ai eu l’expérience. J'ai connu quelqu'un à qui j'avais donné une pierre comme cela (une améthyste) qui était pleine d'une puissance de protection, et c'était merveilleux quand il la portait, et puis il l’a perdue, et ça a été presque une catastrophe... Surtout les améthystes: la puissance de protection.

(Dans ce même Entretien, un enfant demande à Mère la différence entre ce qu'elle appelle «Divin» et ce que les hommes appellent «Dieu». Mère remet la question à plus tard.)

J'ai répondu?

Non, tu n'as pas répondu.

Ah! bon!

Tu ne dis pas la différence. Et maintenant, tu la dirais?

Peut-être... quoique ça n'aime pas à être formulé en des mots: ça devient tout petit, tout de suite.

Pas maintenant!4 (Mère rit)

(Puis le disciple lit le très beau passage où Mère dit:)

«Les êtres humains ont le sens de leur limitation et ils ont l’impression que pour grandir, pour augmenter, et même pour subsister, ils ont besoin de prendre du dehors, parce qu'ils vivent dans la conscience de leur limitation personnelle. Alors, pour eux, ce qu'ils donnent fait un trou, et il faut boucher ce trou en recevant quelque chose... Naturellement, c'est une erreur. Et le vrai, si au lieu d'être enfermés dans les étroites limites de leur petite personne, ils pouvaient élargir leur conscience au point de non seulement pouvoir s'identifier aux autres dans leurs étroites limites, mais de sortir de ces limites, de passer au-delà, de se répandre partout, de s'unir à la Conscience unique et de devenir toutes choses, alors, à ce moment-là, les limites étroites s'évanouiraient, mais pas avant. Et tant que l’on a le sens des limites étroites, on veut prendre, parce qu'on a peur de perdre. On dépense, on veut récupérer. C'est à cause de cela, mon petit! Parce que si l’on était répandu en toute chose, si toutes les vibrations qui viennent ou qui s'en vont exprimaient le besoin de se fondre en tout, de s'élargir, de croître, non pas en restant dans ses limites mais en sortant des limites, et finalement de s'identifier au tout, on n'aurait plus rien à perdre, parce qu'on aurait tout. Seulement, on ne sait pas. Et alors, comme on ne sait pas, on ne peut pas. On essaie de prendre, d'accumuler-accumuler-accumuler, mais c'est impossible, on ne peut pas accumuler: il faut s'identifier. Et alors, le petit peu qu'on a, on veut le récupérer: on donne une bonne pensée, on s'attend à une reconnaissance; on donne un petit peu de son affection, on s'attend à ce qu'on vous en donne... Parce qu'on n'a pas la capacité d'être la bonne pensée en tout, on n'a pas la capacité d'être l’affection, la tendresse en tout. On a le sens d'être comme cela, tout coupé et limité, et on a peur de perdre tout, on a peur de perdre ce que l’on a parce qu'on serait amoindri. Tandis que si l’on est capable de s'identifier, on n'a plus besoin de tirer. Plus on se répand, plus on a. Plus on s'identifie, plus on devient. Et alors, au lieu de prendre, on donne. Et plus on donne, plus on grandit.»

Quelle année est-ce?

1953, douce Mère... il y a seize ans.

Ça, c'était la condition de mon mental, il était tout plein de lumière – il est parti, mais... À ce moment-là, il était très utile!

Mais ce n'est pas seulement mental, tout cela!

C'est un mental éclairé.

*Ça reçoit.

Je veux dire que la Force s'exprimait à travers le mental, et maintenant... Tu sais, Sri Aurobindo avait dit que le mental physique (c'est-à-dire le mental du corps) était hopeless [sans espoir] – il avait essayé. Et je suis sûre que tant que le vrai mental est là, ce mental corporel ne bouge pas, il ne fait pas de progrès; et depuis que le mental a été chassé, celui-là lentement-lentement-lentement a commencé à se former, se former... et maintenant, il commence à s'exprimer. Et il n'a AUCUNE des difficultés de l’autre mental; par exemple, il n'a nullement le sens de sa supériorité: très modeste, comme le corps. Et toujours, à la moindre chose: le besoin d'apprendre – il sait qu'il ne sait rien, qu'il lui faut tout apprendre, et il est toujours ouvert comme cela. Et n'importe quelle connaissance, il n'a pas de... il ne «prend pas des airs», tu comprends.

(silence)

Il vient d'avoir une ou deux GRANDES émotions pendant que tu lisais – des émotions qui vous font faire un bond en avant.

Il est émouvant, ce texte, il y a des choses là-dedans...

(silence)

Je voudrais que tu voies ce guérisseur et que tu m'en parles, puis je l’appellerai – parce que je ne parle pas, alors au bout d'une conversation, on tire quelque chose des gens, mais comme je ne parle pas, ça ne va pas: ils restent là, et la plupart du temps quand les gens ne parlent pas, ils mettent une bonne petite carapace!

C'est cela qui était intéressant, je te l’ai dit: le Président, «ça»

s'est ouvert; le Vice-président: rien – parce que c'était un homme intelligent. C'est très intéressant!

Oui, je suis tout à fait convaincu que la plus grande forteresse, c'est l’intellect.

Oui-oui...

Je suis convaincu.

Parce que cela donne confiance aux gens, ça leur fait croire qu'ils savent.5

24 septembre 1969

Alors, tu l’as vu, ce guérisseur?

Oui, je l’ai vu.

Dis-moi.

Je suis très frappé, je dois dire. D'abord, pour dire les choses physiquement, le premier jour que je l’ai vu, je suis resté pendant trois heures et demie de suite avec lui – il n'a pas arrêté de parler...

Oh!

Mais alors, ce qui est extraordinaire, d'habitude quand je vois les gens, au bout d'une demi-heure je suis épuisé – au bout de trois heures et demie (je n'avais pas bougé, je n'avais pas arrêté de le regarder), j'étais frais comme une rose! et plein d'une telle énergie que je n'ai pas dormi de la nuit! Et j'ai passé trois heures et demie à écouter cet homme... Et hier soir (hier soir, j'étais fatigué, j'ai eu une journée assez lourde), je l’ai vu, j'ai passé seulement une demi-heure avec lui à bavarder – j'étais frais comme une rose.

Oh! mais il est épatant!

J'étais tout frais, comme je ne le suis pas après un repos... Mais alors, je veux te signaler une chose: je l’ai vu avant qu'il n'arrive à Pondichéry. Le jour où il est arrivé à Bombay, j'ai eu une espèce de vision que je n'ai pas comprise: j'ai vu un énorme cheval blanc, gigantesque, mais massif, comme un énorme animal de labour, un cheval de la terre:pas beau, mais d'une puissance massive formidable. Un gigantesque cheval blanc. Et quand je l’ai vu ici, je me suis dit: mais c'est mon cheval blanc!

Oui, sûrement.

Une bête de labour, tu sais, pas belle mais formidable.

Et qu'est-ce qu'il dit?

Il est venu ici avec une question – pas une question mentale... Mais il faudrait peut-être que je te dise les étapes de sa découverte. Il a donc découvert expérimentalement sur lui ce qui se passait. Il a voulu comprendre. Alors il a acheté des bouquins, il est allé voir des «guérisseurs» soi-disant. Les premières personnes qui l’ont enseigné étaient des «spirites». Ils lui ont dit: «Servez-vous d'un pendule.» Il s'est servi d'un pendule pour détecter les maladies et ça marchait très bien. Puis au bout d'un certain temps, il s'est dit: «Mais ce n'est pas la réalité.» Et puis son pendule a cessé de fonctionner! Après, il est allé voir une autre personne, qui lui a dit: «Mais faites donc des passes magnétiques.» On lui a appris à faire des passes magnétiques, et ça marchait très bien. Avec les doigts, il sentait les organes qui n'étaient pas en harmonie (parce que, pour lui, le grand mot est «Harmonie» ou «pas harmonie»). Et puis, au bout d'un certain temps, il s'est dit: «Mais ce n'est pas la réalité non plus.» Et puis plus rien ne marchait.

Ah! c'est très intéressant.

Il s'est dit: mais je n'ai plus rien, ni pendule, ni mes mains, ni rien... Et tout d'un coup, il a eu une révélation: tu n'as plus rien parce que tu n'as plus besoin de rien! Alors il a commencé, il s'est aperçu qu'en une fraction de seconde, quand sa pensée rencontrait la pensée ou l’appel de la personne, en une fraction de seconde c'était fait. Par exemple, un jour, une femme lui envoie un pneumatique à Paris: elle avait accouché et elle avait une déchirure du périnée. Il a reçu le pneumatique, il a pensé, il a dit: «Elle est guérie.» Il est allé voir le lendemain matin: le périnée était cicatrisé... Un autre cas extraordinaire: une femme est en train de mourir enceinte d'un bébé de cinq mois (mourir d'une tuberculose méningée). l’hôpital ne peut plus rien, on emène la femme chez elle. En réalité, cette femme ne voulait pas de son enfant. Il va la voir plusieurs fois et, un jour, elle a des convulsions terribles et elle meurt dans ses bras. Alors il dit: «J'ai eu comme une prière au fond de mon cœur, j'ai dit: mais cette femme, elle n'a pas suivi la loi d'amour, et c'est juste qu'elle meure, mais cet enfant qui est dedans, pourquoi mourrait-il?...» Il a eu comme une prière. Et cinq minutes après, cette femme ressuscitait dans ses bras. Elle a ouvert les yeux et elle a dit: je suis guérie. Et effectivement, elle était guérie, mais elle ne pouvait plus bouger. Quinze jours après, elle a accouché d'un enfant, non seulement normal mais viable et à terme, c'est-à-dire qu'en quinze jours, la gestation de l’enfant s'était accélérée et l’enfant était absolument à terme comme un enfant de neuf mois...

À cinq mois...

Oui, et la femme est morte le lendemain de l’accouchement, et l’enfant a maintenant dix-sept ans, je crois... Il m'a dit: c'est comme cela, il n'y a «PAS DE POUVOIR», ça n'existe pas: il y a Ça, il y a l’Harmonie; et tous les hommes ont la capacité d'appeler cette Harmonie, et puis Ça agit, Ça fait. Et «Ça» fait en une seconde, tout de suite... Mais alors, il m'a dit: voilà ma question (pour autant que je puisse t'exprimer ce qu'il a dit)... Il a, au fond, conscience d'un Pouvoir tout à fait extraordinaire – quoique, je dois le dire, je n'ai pas senti l’ombre d'un ego chez cet homme, il n'y a pas la trace d'un ego... Il a lu mon livre, mais mon livre ne lui a pas appris les choses: ça lui a confirmé des expériences... Cet homme m'a parlé pendant plus de trois heures, je n'ai jamais, à part toi et Sri Aurobindo, je n'ai entendu personne parler comme lui. C'est un sage qui parlait, c'est de l’expérience vivante qui jaillissait, et il n'y a pas une chose qu'il ait dite à laquelle tu ne souscrirais: ces «grandes Forces d'Harmonie» qu'il faut incarner sur la terre, faire descendre sur la terre... Vraiment c'était un sage qui parlait, et c'étaient tes paroles, les paroles de Sri Aurobindo.

C'est ce que A m'a dit; le premier jour qu'il l’a reçu, il m'a dit: je croyais entendre parler ou toi ou Sri Aurobindo!

Mais l’étonnant, quand il me parlait, ce n'était pas son mental qui parlait: c'était de l’expérience vivante qui jaillissait, c'était cela qui était extraordinaire!... Il dit: «J'ai l’expérience de la transformation, j'ai l’expérience de la régénération des cellules...» Il dit: «Je sais d'expérience qu'il y a de l’intelligence, de la divinité au fond des cellules – je sais tout cela, mais il faut l’incarner. Il faut faire quelque chose.» Alors voici sa question...

Qu'est-ce qu'il veut savoir?

Il a conscience de ce Pouvoir, mais il me dit: il faut avoir la vision totale, il faut avoir la vision de l’Harmonie totale. Parce que, dit-il, tout cela est un équilibre, une harmonie merveilleuse, mais il ne faut pas créer de déséquilibre, il faut obéir à la Loi, il faut suivre la Loi d'Harmonie, mais c'est une Loi totale, n'est-ce pas, il ne faut pas faire d'erreur. Il faut que j'aie la vision totale. Il m'a dit: «Par exemple, supposons l’Ashram: c'est un centre de lumière où il y a l’harmonie totale; puis il y a un cercle autour, qui est Pondichéry, mais déjà là, c'est plus obscur...

Très obscur!

... et c'est moins réceptif; alors on ne peut pas faire entrer la loi de l’Ashram dans cette obscurité sans créer un déséquilibre; on peut en faire entrer seulement une fraction ou quelque chose qui est adaptable à cette obscurité. Puis encore, il y a un troisième cercle, plus obscur, où il est encore plus difficile d'appliquer la loi de l’Harmonie Totale – alors comment faire pour savoir ce qu'il faut faire selon le point? Comment connaître la loi juste, la loi totale?...» Il dit: «Je ne veux pas créer de déséquilibre, je veux obéir à la Loi...»

A. m'a dit que tu avais demandé à venir avec lui samedi?

Ce n'est pas que j'aie demandé, j'avais pensé (sans plus) qu'il serait intéressant peut-être qu'il essaie de te dire lui-même sa question.

Ce qui serait intéressant, c'est de savoir ce qu'il sent quand il me voit.1 Ça, ce serait intéressant... Je le vois demain pour la première fois, mais ce serait bien que tu l’amènes samedi. Demain, je ne crois pas qu'il parlera.

Je lui ai dit: Mère ne parle pas. Il m'a dit: «Mais oui, bien sûr! Ce ne sont pas des paroles que je veux, ça ne sert à rien d'exprimer; ce que je veux, c'est la vibration, c'est l’expérience.» Il comprend très bien le silence.

Alors on verra. Le résultat viendrait samedi comme cela.

Parce qu'il serait intéressant que, devant toi, il essaye de formuler extérieurement sa question... Il comprend très bien que l’évolution est arrivée à un point tel que les choses doivent s'accélérer et qu'il faut faire entrer ces Forces d'Harmonie dans le monde, mais au fond, il se sent un tel pouvoir qu'il ne voudrait pas agir arbitrairement: il ne voudrait pas «rompre l’équilibre», il voudrait «suivre la Loi». Et pour cela, il faut avoir la vision totale... Il me dit: «Par exemple, les miracles que le Christ faisait (d'ailleurs il dit qu'il n'y a pas de "miracles", ça n'existe pas), tout cela, je peux le faire, mais avec les moyens de communication de la science moderne, si je le faisais, ce serait su imédiatement dans le monde, et un genre de choses comme cela pourrait porter, par exemple, un "grand coup" au mental ordinaire qui ne croit qu'aux vérités de la matière.» Il dit: «Ce serait un moyen d'action, mais est-ce que je dois le faire?...» Son problème est un problème d'action...

Qu'est-ce qu'il fait pour l’instant?

Pour l’instant, depuis trois jours, il s'est mis en jeûne, il ne mange plus. Il dit: «Je vais aller voir Mère comme cela, sans avoir rien pris.» Alors depuis trois jours, il ne prend plus que de l’eau... Ce qui est merveilleux, c'est qu'il n'y a pas un atome de mentalisation, tout est le jaillissement d'une expérience. Et tout ce que tu as dit, tout ce que Sri Aurobindo a dit, il en a eu l’expérience... Il a conscience du «moment» de l’Histoire de la terre, il sent tout cela. Alors il veut participer au Travail.

(après un silence)

Qu'est-ce qui parle en lui, alors? C'est son mental ou son mental physique?

Je crois qu'il est inspiré. Parce que le premier jour, quand j'ai passé trois heures et demie avec lui, la première heure (il est très lent à se mettre en route), c'était long et il essayait de trouver ses mots et de bien s'exprimer, comme quelqu'un qui n'a pas de culture et qui essaye de bien s'exprimer. Et après, j'ai essayé de le pousser dans son expérience, alors ça coulait. C'était beau, ce qu'il disait. C'était un jaillissement comme cela, spontané. C'était vraiment un inspiré... Et en même temps, tellement ému parce que, pour la première fois de sa vie, il peut parler de ces choses à des gens qui le comprennent. Il me dit: «On ne me comprend pas, personne ne me comprend – ici, tout le monde me comprend.» Alors ça sort, ça jaillit.

Je le vois demain. Seulement je crois qu'il vaudrait mieux lui dire que c'est seulement une prise de contact et que ça ne va pas durer longtemps, parce que demain j'ai une liste longue comme ça – tous les jours c'est comme cela! Et puis samedi, il reviendra avec toi, il restera plus longtemps.

(long silence)

Quel âge a-t-il? Tu sais l’année de sa naissance?

Non, douce Mère, il a environ soixante-cinq ans peut-être.2

À quel âge s'est-il aperçu de cela?

Il s'en est aperçu au moment où il a failli mourir, c'est-à-dire vers 45 ans.

Oh! si tard que cela!

Quand il était complètement perdu, il a été guéri en vingt minutes; alors, tout d'un coup, ça l’a mis en quête de la Vraie Chose.

Alors il y a vingt ans de cela...

Il ne t'a pas dit en quelle année ça lui est arrivé?

Non, mais je peux demander.

Demande-lui.3

Alors, pour résumer en deux mots sa question: «Accélérer le mouvement sans créer de déséquilibre», et puis «Appliquer la Loi sans faire d'erreur», c'est ce qu'il veut.

27 septembre 1969

(Entre le guérisseur, A.R., à qui Mère tend une rose rouge.)

(A.R.:) Merci... Je viens vers vous comme un enfant assoiffé et affamé de la Vérité, de la Justice, de la Connaissance des lois spirituelles. Daignez me donner cette nourriture, qui est la connaissance de ces lois, afin de servir le Divin dans l’Harmonie universelle la plus parfaite.

(silence)

(À Satprem:) Tu lui as dit que je ne parle pas?

(Satprem à A.R.:) Mère ne parle pas.

S'il a quelque chose à dire, il peut le dire.

(Satprem:) Quelle est la question centrale qui vous préoccupe?

(A.R.:) La question centrale... La question centrale, dans le cas des expériences faites, est pour moi de comprendre la Loi – la comprendre d'une façon parfaite et non pas d'une façon imparfaite, c'est-à-dire d'une façon empirique, afin que, en remplissant les conditions de la Loi, nous puissions créer les mêmes phénomènes.

(Satprem:) Vous avez dit qu'il y avait un «blocage» quelque part?

(A.R.:) Oui, justement, le blocage est exactement cela... Je donne une image: lorsqu'on connaît une loi parfaitement, on ne peut pas se mettre en infraction avec la loi; mais si on la connaît imparfaitement, on peut risquer une contravention à chaque instant.

(Satprem à Mère:) Douce Mère, c'est la connaissance de la Loi qu'il voudrait avoir, pour ne pas commettre d'erreur.

Mais je ne connais pas de «lois»!... Je ne sais pas ce qu'il appelle la «loi» – je ne connais pas de lois.

(Satprem à A.R.:) Qu'est-ce que vous appelez la «loi»?

(A.R.:) La Loi... Je pense que si l’on réalise dans une méditation profonde l’union avec le Divin selon les règles justes, chaque fois que l’on fait la même méditation pour la même cause, on doit obtenir certainement le même résultat.

Dans la Manifestation, il n'y a pas deux minutes semblables, c'est un mouvement continu; alors, quand on entre en rapport avec le Divin, c'est la Vérité de ce Mouvement à laquelle on collabore.

C'est probablement cela qu'il appelle «la Loi».

(A.R.:) C'est cela.

Dans la Manifestation, c'est la Conscience qui s'exprime, et c'est cette Conscience Suprême, cette Conscience Divine, qui, si l’on s'identifie à Elle, vous fait agir. Mais comme moi, je le comprends, la «loi» dont il parle est une mentalisation de ce Mouvement, et ça, ce n'est pas nécessaire – c'est l’IDENTIFICATION de conscience qui est nécessaire... Mais c'est une question de mots.

(A.R.:) Exactement, je suis entièrement d'accord avec Mère. Mais le problème reste malgré cette explication. Le point d'interrogation subsiste toujours car, évidemment, j'ai eu des occasions nombreuses et je l’expérimente – c'est une chose que je réalise fréquemment –, et pourtant les résultats sont différents, c'est-à-dire que l’on n'obtient pas le résultat que l’on pourrait espérer et qui semble (je dis bien «qui semble») qui semble vraiment normal selon les choses.

(Satprem à A.R.:) Vous voulez dire: quand vous voulez guérir quelqu'un?

(A.R.:) Oui, c'est cela.

(Satprem à Mère:) Douce Mère, il dit que, par exemple, quand il veut guérir, il n'y a pas deux systèmes, il n'y en a qu'un: il se met en communion intime, profonde, avec le Divin, et puis il laisse passer Ça...

Oui, c'est cela.

(Satprem:) Alors il demande pourquoi, dans certains cas, le résultat n'est pas obtenu?

Mais c'est parce que, suprêmement, il est décidé que ça ne doit pas être obtenu!

C'est la conscience partielle qui a l’idée que n'importe quoi qu'il fasse, cela doit avoir toujours le même résultat, mais ce n'est pas comme cela!

(Satprem à A.R.:) Oui, ce n'est pas comme cela. C'est la conscience partielle qui vous dit que ça doit avoir un résultat, mais la Conscience totale...

(A.R.:) Je l’ai toujours bien compris comme cela aussi, seulement je voulais en avoir la confirmation.

(Satprem à Mère:) Il avait compris cela, mais il voulait en avoir la confirmation. Parce que, par exemple, il a le cas d'une personne qu'il connaît intimement, qui est devenue paralytique. Il a mis tout son cœur pour la guérir, et il dit qu'il sent les Forces qui entrent dans cette personne, qu'elle est réceptive...

Et elle ne guérit pas.

(Satprem:) Elle ne guérit pas. Il a même donné la photo de cette personne, et il voudrait comprendre pourquoi, par exemple, cette personne ne guérit pas.

(Mère regarde la photo)

Cet homme a la foi?

(A.R.:) C'est-à-dire qu'au début, il ne l’avait pas, mais la foi a grandi.

C'est parce que, pour chacun, ce qui lui arrive est la meilleure chose pour conduire son individualité vers le but – le but de conscience –, et s'il a la foi, c'est d'une façon plus précise encore, et on pourrait dire plus rapide, que l’action est prise. Et alors, dans ce cas, ce serait justement que cette paralysie l’aide à aller vite vers son but.

(A.R.:) Je vous remercie.

(méditation)

Il n'a rien à demander?

(A.R.:) Oui, je voudrais demander: est-ce que vous pensez qu'il est bon de continuer dans ce chemin de guérison?

Ah! oui.

(A.R.:) Pensez-vous que ce soit une limitation momentanée?

Ce n'est pas une limitation, même le plus petit travail n'est pas une limitation! C'est seulement un moyen d'expression; mais ça ne limite pas la possibilité, c'est-à-dire que si l’on est capable de faire un Travail d'ensemble, il se fait toujours, sans l’occupation matérielle. Je veux dire que le vrai Travail se fait comme cela (geste de rayonnement) dans le silence.

(A.R.:) Je vous remercie.

(Mère donne une photo et le guérisseur se retire)

Je ne sais pas... depuis avant-hier que je l’ai vu, tout le corps est très-très secoué. Je veux dire: difficulté de manger, toutes sortes de choses... J'ai l’impression que c'est une accélération du Travail, mais... Il y a une étrange (comment dire?)... fatigue. N'est-ce pas, je ne me servais jamais de ma tête et elle était toujours pleine de la Lumière, et je pouvais faire n'importe quoi sans me fatiguer – c'est comme si cette Lumière là-dèdans (Mère désigne sa tête) était partie. Alors la tête me fait mal. Elle est vide, elle me fait mal. Et... je ne sais pas... c'est peut être une accélération de la transformation –je le prends comme cela, tu comprends –, mais c'est difficile.

Il parle de cela aussi, il parle de cette transformation «depuis la pointe des pieds jusqu'à la racine des cheveux», dit-il, et il veut que ça aille vite, lui.

Oui, ça doit être cela.

(Mère entre en méditation)

Et toi, comment ça va?

Ça va mieux maintenant qu'avant.

Ah! ça va mieux... Ça t'a fait du bien?

Au corps, oui. Je ne sais pas, quand mon corps est près de lui, il est plein d'énergie... Mais, douce Mère, il est bien, cet homme?

Je ne sais pas comment dire... Je n'ai de contact avec lui qu'une réceptivité: il prend, il prend, il prend, il absorbe, il absorbe, il absorbe...

Mais je n'ai pas du tout l’impression qu'il tire rien d'ici (Mère désigne son corps ou elle-même), c'est... je pourrais dire qu'il y a la Présence (geste vaste, partout) et puis voilà, tout le temps comme cela. Mais ce que je me demande, c'est pourquoi mon corps est dans cet état?... Je te l’ai dit, j'ai VOULU le prendre comme cela, comme une accélération du travail, et ça semble être vrai, mais... c'est très difficile. N'est-ce pas, le travail pendant des mois et des mois et des mois, le travail ne me fatiguait jamais; maintenant, tout d'un coup, je me sens épuisée: le corps. Il a de la difficulté à manger, il a tout le temps l’impression... la nausée. Et en même temps, si je concentre et que je fasse attention, je sens la Présence comme d'habitude. Maintenant je te dis, tout cela (Mère désigne sa tête), c'est vide – c'est presque douloureusement vide.

(silence)

Pas du tout – pas du tout – la sensation de quelque chose qui ne devrait pas être là ou que je devrais rejeter: absolument pas. La conscience est comme cela (geste immuable). Alors je me dis que c'est peut-être que le Mouvement, au lieu de suivre le rythme naturel de ce corps, est précipité.

Quand je lui ai posé ta question, si cela faisait une «différence» avant de t'avoir vue et après, il a ajouté ceci (en toute simplicité d'ailleurs): «Ça doit faire une différence pour Mère aussi.»

(après un silence)

Tout le temps, j'ai la nausée, et cela indique l’insuffisance de forces matérielles.

Mais c'est curieux, parce que moi, mon corps, quand il est près de lui, il est plein d'énergie.

Oui, c'est cela, mais c'est pour cela que je te le demande. Alors ce serait vraiment une précipitation dans le travail de transformation.

Au point même que la première fois, je n'ai pas dormi de la nuit, j'en avais tellement!

Oui... je ne sais pas... ce doit être cela.

(Mère reste «pensive»)

octobre




1er octobre 1969

Est-ce que F t'a dit ce que le guérisseur lui a dit?... Ils se sont rencontrés hier ou avant-hier et il lui a fait des «confessions». Il a dit qu'il était venu dans l’Inde avec l’espoir de trouver un endroit où il pourrait être tranquille pour plusieurs semaines, ou même pour plusieurs mois, parce qu'il avait trouvé le moyen de tout guérir, excepté une hernie qu'il a, et il voulait trouver le moyen de guérir sa hernie en étant tranquille. Alors F lui a dit: mais vous pouvez être tranquille ici. Il a répondu: «Oh! mais si l’on me demande, je ne peux pas refuser de soigner.» Alors, peut-être vaudrait-il mieux cesser de lui envoyer des gens... mais il faudrait qu'il change de maison, qu'il soit seul quelque part. Il faudrait lui demander s'il accepte.

C'est comme cela que les choses se sont passées: l’autre jour, celui qui fait la cuisine avec F, à «Tout ce qu'il faut», avait une très forte fièvre et il était tout à fait à plat. Elle a dit: je vais chercher A.R. Elle l’a cherché – il l’a guéri en cinq minutes. Mais c'est à cette occasion qu'il a parlé. Alors, vois avec lui. Si on ne lui envoie personne, personne n'ira. S'il pense que l’endroit ici est salutaire à sa recherche, on lui trouvera bien un coin où il pourra être tranquille.

Et toi, tu vas bien, tu as dormi (!)

Oui!... Mais l’effet de ce guérisseur, l’effet d'accélération que tu sentais dans ton corps, les nausées et tout cela, ça s'est arrangé ou bien...

Oui, (riant) je me suis arrangée!

Moi-même, quand F m'a transmis cette «confession», à ce moment-là, quelque chose est venu, je me suis concentrée, puis je lui ai fait dire par F que j'avais fait le nécessaire [pour le guérir], qu'il n'avait plus qu'à se reposer. Mais ça peut attendre encore quelques jours, il y a encore deux personnes que je voudrais lui faire voir... Si j'étais lui, je resterais ici (!) Parce qu'il est REMARQUABLEMENT réceptif à la Force; alors s'il reste ici, il pourra guérir – j'ai vu hier qu'il pouvait très bien guérir. J'ai fait ce qu'il faut, c'est à lui de la recevoir – je n'ai pas besoin de le voir pour cela.

Mais toi, ça va?

Oui-oui!

R a eu des difficultés après l’avoir rencontré, et M a eu des difficultés!... Je crois que tout cela s'est remis en place.

Des difficultés? Des conséquences physiques?

Oui.

Moi, j'ai toujours senti son contact comme quelque chose de très bénéfique.

Ça dépend de... ce dont on a besoin.

Mais ça ne fait rien. Pour moi, ça m'a donné beaucoup de travail, parce que j'avais harmonisé la transformation du corps avec les besoins du travail, et j'étais arrivée à trouver une harmonie qui faisait que je n'étais JAMAIS fatiguée. Avec lui, les deux fois que je l’ai vu, j'ai eu, après, plusieurs heures de fatigue, qui m'était inconnue depuis des années. Il a fallu que je travaille beaucoup. Mais maintenant, ça va.

Mais je te dis: des cas comme cela, cet homme qui avait la fièvre, en dix minutes il l’a guéri. Et ça ne m'étonne pas.

Moi, je le trouve touchant, cet homme.

Oui, il est touchant.

C'est bien qu'il ait dit cela: qu'il était venu dans l’Inde avec presque la certitude d'y trouver un endroit tranquille où il pourrait se concentrer jusqu'à ce qu'il trouve le moyen de guérir sa hernie, et il dit: «C'est la dernière chose; tout le reste a été guéri, mais cela, ça reste.»

C'est accessoirement pour cela qu'il est venu dans l’Inde, parce que la vraie raison de sa venue dans l’Inde, c'était vraiment les questions qu'il t'a posées l’autre jour.

Oui... Moi, je crois qu'il peut guérir vite. Je ne sais pas dans quel état est sa hernie, cela dépend (il y en a de mauvaises), mais si c'est une hernie ordinaire, ça peut être vite guéri.1


(Puis Mère écoute la lecture de l’Entretien du 26 août 1953 sur l’amour)

Sujata voudrait te demander quelque chose.

(Sujata:) Douce Mère, cette Force d'Amour qui vient – ça vient parfois, on sent, n'est-ce pas, on aime vraiment –, mais pourquoi ne peut-on pas la garder constamment?

On doit pouvoir la garder!

(Sujata:) Je pense aussi, on devrait, mais on n'arrive pas à la garder.

Mon petit... elle est constamment ici! Constamment, quoi que ce soit que le corps fasse – qu'il voie des gens ou qu'il s'occupe de lui-même ou qu'il dorme –, et c'est toujours-toujours-toujours là, conscient, vibrant.

Je dis «C'est possible»: c'est un fait. Seulement, ce qu'il faut... ce qui l’empêche généralement, c'est que la conscience physique dans la plupart des gens est très obscure; elle est seulement faite des besoins, des désirs, des réactions les plus matérielles, mais ce qu'il faut, c'est éveiller dans les cellules l’amour du Divin, et une fois qu'elles aiment le Divin, c'est comme cela tout le temps: ça ne bouge plus – ça ne bouge plus. C'est même BEAUCOUP plus constant qu'aucun mouvement vital ou mental: c'est comme cela (Mère ferme ses deux poings), ça ne bouge pas. Les cellules sont tout le temps comme cela, dans un état d'amour pour le Divin.

C'est cela qui est remarquable dans le physique, c'est que, quand le physique a appris quelque chose, il ne l’oublie jamais. Les cellules, quand elles ont appris ça, ce don de soi, cette offrande au Divin, et ce BESOIN de s'offrir, c'est appris, ça ne BOUGE PLUS. C'est constant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans arrêt et jour après jour, et il n'y a pas de changement, et même quand il y a quelque chose qui ne va pas (on a une douleur, ou il y a quelque chose), le premier mouvement, c'est cela: c'est de l’offrir, c'est de le donner – spontanément. La conscience supérieure n'intervient pas, c'est spontané: c'est la conscience contenue dans les cellules.

C'est le vital et le mental qui sont comme cela (geste zigzagant) instables. Surtout-surtout le vital qui s'intéresse à toutes sortes de choses.

Naturellement, les deux sont interdépendants: il faut que l’ego soit aboli – que le gouvernement de l’ego soit aboli. Ça, généralement, les gens croient que ce n'est pas possible, d'abolir l’ego physique; non seulement c'est possible mais c'est fait, et le corps continue, et il continue à marcher – il n'est pas parti! (il a eu un petit moment difficile... un petit moment).

Maintenant ces cellules se demandent comment il est possible de continuer à exister sans ce mouvement d'adoration. Elles sont comme cela, partout (geste d'aspiration intense), partout. C'est très intéressant.

Toutes ces difficultés que l’on a avec le développement intérieur quand on s'occupe du vital et du mental, les retours des vieilles choses et tout cela, là (dans le corps) c'est fini, ce n'est pas comme cela.2

8 octobre 1969

(À propos d'une^lettre du guérisseur demandant à Mère s'il ne pourrait pas contacter le gouvernement de l’Inde et obtenir sa collaboration pour répandre le «.message spirituel» tel qu'il le comprend.)

J'ai reçu une lettre d'A.R. Il faut que tu la lises...

Je suis absolument convaincue qu'il ne peut rien faire avec le gouvernement, absolument rien. Mais pour lui faire plaisir, j'avais arrangé un rendez-vous avec N.S.,1 elle avait accepté, mais elle a dû faire quelque chose et elle n'a pas pu être là. Il ne t'a rien dit?

Il ne m'en a pas parlé, mais il m'a dit surtout qu'il aimerait pouvoir atteindre toutes les classes les moins mentalisées. Il dit: «Là, il y a beaucoup plus de gens prêts qu'on ne le pense et ils ne sont pas embarrassés par le mental et on pourrait faire beaucoup de choses.»

Oui, bien sûr.

Mais il me dit: «Je ne connais pas la langue, alors qu'est-ce que je peux faire?»

Il ne peut rien faire. Et puis, mentalement, ils ont eu tout ce que l’on pouvait avoir! et encore, il y a des tas de gens qui prêchent. Moi, je suis convaincue que mentalement il ne peut rien.

Ce serait plutôt un travail de service, de guérison, comme cela, partout.

Oui, c'est cela. Mais il ne se rend pas compte de ce qu'il dit! ce qu'il m'écrit là, cela paraîtrait enfantin aux gens d'ici.

La seule différence, c'est qu'il s'agit d'un témoignage vivant.

Oui, c'est cela, sa force. Mais moi, je le trouve beaucoup plus utile et beaucoup plus puissant quand il ne dit rien que quand il parle – quand il parle, on voit, n'est-ce pas... Oui, c'est très utile en Europe, mais pas ici. Ici, ils sont saturés de gens qui prêchent.

C'est une action invisible et silencieuse qu'il faut.

Oui... S'il guérissait les gens, alors il pourrait avoir de l’influence. Mais je me suis demandé si ce n'était pas mieux qu'il se retire pour faire sa guérison (de la hernie).

Alors, il faut vraiment que tu le lui dises, parce que je connais cet homme, il ne prendra jamais lui-même la décision de le faire; il ne se sent pas la possibilité de s'occuper de lui-même et d'arrêter de servir les autres. Si tu lui dis...

Je peux lui écrire un petit mot.


Puis Mère sort diverses notes

C'est le Message du jour de l’an [19701:

«The world is preparing for a big change. Will you help?»

[«Le monde se prépare à un grand changement: voulez-vous aider?»]

Et ça2... j'ai donné quatre messages à Indira, l’autre jour.

Elle était réceptive?

Oui. Je n'ai pas parlé, elle est restée là quinze minutes sans dire un mot. Puis N.S. est entrée et elle m'a posé quelques questions. Mais ça (Mère désigne les notes), je les avais reçues avant: je les ai reçues l’une après l’autre.

«Let India work for the future and take the lead. Then she will recover her true place in the world.»

[«Il faut que l’Inde travaille pour l’avenir et donne l’exemple. Ainsi elle reprendra sa vraie place dans le monde.»]

«Since long it was the habit to govern through division and opposition.

The time has come to govern through union, mutual understanding and collaboration.»

[«Depuis longtemps l’habitude était de gouverner par la division et l’opposition.
Le temps est venu de gouverner par l’union, la compréhension mutuelle et la collaboration.»]

«Pour le choix d'un collaborateur, la valeur de l’homme est plus importante que le parti auquel il appartient.»

Il paraît que c'était juste ce qu'elle devait entendre! Mais c'est toujours comme cela maintenant; quand ça vient comme cela, je suis sûre que... Je le lui ai donné sans rien dire; je l’ai mis dans une enveloppe. Et N.S. a dit: c'est juste ce qu'elle avait besoin d'entendre.

«La grandeur d'un pays ne dépend pas de la victoire d'un parti, mais de l’union de tous les partis.»

(Mère désigne une autre note)

Ils m'ont demandé à la Radio de Pondichéry un message pour mettre dans leur bureau, alors je leur ai donné ça – et ils l’ont mis!

«Teach your listeners to love the Truth. This is a work worth doing.»
[«Apprenez à vos auditeurs à aimer la Vérité. C'est un travail qui vaut la peine.»]

(Mère rit) Ils l’ont mis, c'est cela qui m'amuse!

(Mère se met à écrire sa note pour le guérisseur)

«Le moment semble opportun pour que vous fassiez votre dernière conquête sur la maladie, et pour cela, d'avoir un peu de repos dans un endroit solitaire. Pour cela, tout peut être facilement arrangé. Satprem vous expliquera.»

C'est bon, son contact, tu sais.

Oui. Il y a le petit de S qui n'a plus mal du tout, il est tout à fait bien.

Mais sa réflexion sur l’Ashram est de dire: «Il y a ici une matière privilégiée qui a la connaissance comme il ne l’a vue nulle part ailleurs, mais qui manque d'intensité et d'énergie, et de pratique.»

De pratique, oui.

Ils se laissent vivre.

Oui, parce qu'ils ont la vie facile.

Ça le choque: avec tout ce qui est là, ne pas faire le travail!

C'est parce qu'ils ont la vie trop facile. Le moindre effort qu'on leur demande, ils se révoltent.


(Peu après, à propos de la question sur l’amour dans la conversation du 1er octobre.)

J'ai eu cette nuit une très intéressante expérience... J'avais une longue vision (activité: une activité), dont je ne me suis pas souvenue parce que je n'ai pas fait assez attention, mais à la fin, il y avait quelqu'un (c'était sûrement symbolique), un grand homme noir. Ce ne devait pas être un être humain, ce devait être le symbole de quelque chose dans ma vie, ou de quelque chose dans les gens avec qui j'ai vécu, ou même le symbole de quelque chose contre quoi je lutte dans l’existence. Et alors, après beaucoup-beaucoup d'histoires, je m'étais retirée dans un petit endroit avec quelques personnes (ceux que je vois toujours, qui sont toujours là), et j'étais là avec eux, lorsque cet homme noir, ou cet ÊTRE noir... Il n'y avait pas de toit; c'était un petit endroit où il y avait des murs, mais il n'y avait pas de toit (c'était dans le physique subtil). Alors cet être noir est arrivé, a arraché un immense morceau de mur (le mur était fait de grosses briques), un immense morceau comme cela, et, d'en haut (il était au-dessus de moi), il l’a jeté sur mon ventre... Je l’ai senti. Et en même temps, j'ai entendu un coup de tonnerre – est-ce qu'il y a eu un coup de tonnerre cette nuit?... Un seul. De bonne heure dans la nuit?

Je ne pense pas.

Tu ne sais pas... J'ai vu un éclair dehors avant de me coucher, alors je me suis dit que peut-être... Mais je n'en suis pas sûre; le coup de tonnerre était peut-être aussi dans le physique subtil... C'est tombé comme cela (Mère frappe son ventre). Et je l’ai senti tomber (Mère rit), j'ai souri et j'ai dit: «Il peut pas!» (Mère rit) Et cela ne m'a rien fait du tout! Et il est parti. Et c'était comme pour m'apprendre... Je regardais, je me disais: comment se fait-il que je l’aie reçu? Et alors, la réponse a été très claire: c'était pour apprendre à mon corps qu'il pouvait être attaqué mais qu'il ne sentirait rien.

Je l’ai senti, mais ça n'a pas fait mal! Et il n'y a rien – il y avait assez de quoi vous écraser! (Mère rit) et il n'y a rien. Et le corps était tranquille-tranquille-tranquille... Ça m'a réveillée, et alors je me suis demandé si j'avais mal, mais il n'y avait rien. Et je l’ai vu quand c'est tombé, le choc je l’ai senti – je l’ai senti, c'est cela qui m'a réveillée: un choc et comme un poids, et un trou, grand comme une porte dans le mur. Et alors, la réaction du corps, mais instantanée (c'est-à-dire sans réflexion ni rien), instantanée, c'était...: «Oh! Seigneur», comme cela (Mère ouvre ses bras vers le haut), en souriant. Pas du tout ni effrayé ni... Et puis j'ai bien regardé, je me suis dit: «Est-ce que j'ai mal quelque part?» Il n'y avait rien... Parce que j'ai regardé les deux ensemble: l’état de vision et l’état physique ensemble, et dans l’état de vision, je voulais savoir si cela m'avait fait mal – ça n'a rien fait –, et dans les deux états, la réaction était la même, comme cela (même geste, bras ouverts), avec un sourire. Alors cela prouve que... c'est vraiment fait.

Après, quand j'ai été réveillée tout à fait ce matin, je me suis dit: «Comment se fait-il que j'aie eu cela, que cet être ait été capable de le faire?» (Parce que c'est ARRIVÉ, je l’ai reçu! Mère rit – il n'a pas été empêché de le faire.) Et alors, la réponse était très claire: c'était pour que ton corps apprenne qu'il est vraiment, effectivement protégé, même s'il arrive quelque chose.

C'était intéressant.

Cet être noir, je le vois très souvent... Ce doit être le symbole de la force qui s'oppose dans le monde (pas seulement sur la terre, mais dans le monde) à l’Action qui m'a été donné de faire. Il est associé à mon corps. Un grand-grand être noir, tout noir...

Il y avait une longue histoire. Ce matin encore, je m'en souvenais; maintenant je ne me souviens plus.

Mais c'était intéressant. C'est la première fois qu'il m'arrive une chose comme cela; c'est la première fois que quelqu'un a réussi à me faire du mal dans le physique subtil – il ne m'a pas fait mal, mais il a réussi son attaque.

(silence)

Mais c'est curieux... Par exemple, le corps, quand il a reçu la chose (ça a fait un choc), mais il n'a pas eu une minute... (peur, il n'en est pas question), mais pas même une minute, il n'a dit: «Ah! c'est dégoûtant, d'avoir fait cela» – rien-rien-rien, le même sourire, partout... C'est arrivé à cela, n'est-ce pas: une espèce de conscience que tout ce qui arrive, arrive par la Volonté divine, et que c'est toujours pour le mieux, et que c'est seulement la bêtise humaine, l’incompréhension, la vision trop courte qui fait que l’on dit: «Oh! quel malheur, oh!...» C'est tout merveilleusement arrangé.

Et quand le corps le sait, alors c'est bien... Il est loin d'avoir atteint la perfection – d'abord il est en train... je ne sais pas s'il est en train de se transformer, ce n'est pas visible, mais en tout cas, le fonctionnement dépend de la Conscience supérieure, ne dépend plus du mécanisme ordinaire (cela se fait petit à petit); eh bien, même là-dedans, il y a une espèce de confiance souriante qui fait que même quand on a un peu mal, que ce n'est pas trop confortable, ça ne fait rien – ça ne fait rien. On a le sens de cette Présence Divine toujours, partout, à tout moment, ça ne quitte pas.

(silence)

Oh! tu sais, on se croit très intelligent, mais... (riant) comme on comprend mal! Comme s'il y avait un petit morceau découpé dans le Tout, alors on ne voit plus rien.

Maintenant, ça commence à aller mieux.3

(silence)

Est-ce que cela a rendu tes nuits plus conscientes?

Un peu, de temps en temps.

Je te vois souvent.

11 octobre 1969

(Mère commence par traduire en français les messages qu'elle a donnés à Indira, notamment: «La valeur de l’homme est plus importante que le parti auquel il appartient... La grandeur d'un pays ne dépend pas de la victoire d'un parti mais de l’union de tous les partis.»)

Tu sais qu'il y a une phrase de Sri Aurobindo qui dit exactement la même chose...

Tiens!

Je m'étais demandé si l’on ne pourrait pas le publier aussi...: «Les hommes libres dans leur mental et libres dans leurs habitudes ont une âme trop forte pour être les esclaves de leurs sentiments de parti et un mental trop robuste pour se soumettre à ce qui demande le sacrifice de leurs principes sur l’autel de la commodité. C'est seulement dans une nation servile et non accoutumée aux habitudes des hommes libres que le parti devient un maître au lieu d'être un instrument.»

C'est bien! Où était-ce?

Dans un article qui s'appelle: «Les partis et le pays», en 1908.

Oh! longtemps avant que je le rencontre. C'était quand il écrivait dans les journaux1...


Alors, qu'est-ce que tu as à me raconter?

A.R. (le guérisseur), au lieu d'aller se guérir sur la plage, est allé à Thirouvannamalai!2...

C'est demain qu'il doit aller à la plage.

Je ne sais plus qui l’a rencontré au Bureau de Poste juste avant son départ, mais on m'a dit: «Oh! il était excité.» – Lui, excité! C'était tout à fait étonnant, il était excité.

Il n'y a rien à voir là-bas.

Ah! oui, c'est M qui l’a rencontré. Il a demandé à M: «Comment se fait-il que Maharshi se soit laissé mourir d'un cancer?» Alors M lui a répondu que quand il était encore vivant, quelqu'un lui avait demandé pourquoi il laissait ce cancer, et il a répondu: «Oh! le corps lui-même est un cancer»... Alors il paraît que A.R. était indigné.

Il y a de quoi.

(Mère rit)

Moi, je l’ai vu, ce Maharshi3...

Tu l’as vu?

J'ai passé une demi-heure en méditation là-dedans, et puis j'en ai eu assez et je suis parti. Tu comprends, on baignait... c'était la paix, la paix, la paix, et puis encore la paix – et puis après?... Ça me semblait tout à fait inconsistant. Pour moi, ça n'avait aucun sens matériel.

Ah! mais le but était de se retirer de la Matière. Le but était de se retirer là (geste de tirer toutes les énergies vers le haut) et de rejeter la Matière, comme tous les illusionnistes, n'est-ce pas. Et c'est la suite du bouddhisme aussi.

(silence)

Alors, c'est demain qu'il va à la plage?4

Oui. Il me disait: «Mon inquiétude, c'est que cela peut prendre longtemps (si ça réussit), et j'ai un temps limité dans l’Inde.» Je lui ai répondu: mais pourquoi voulez-vous que cela prenne longtemps!...

(Mère ne dit rien)

Je lui ai d'ailleurs dit que tu avais «fait le nécessaire»,5 mais ça n'a pas eu l’air d'entrer dans sa conscience.

Oh! il est très comme cela (Mère fait un geste autour de sa tête, indiquant que A.R. est enfermé dans sa réalisation).

Tu sais que je me suis fâché?

(Mère rit)

Je t'ai souvent dit que quand je parlais aux gens, quelquefois il y a quelque chose qui s'empare de moi et je parle avec brutalité; eh bien, tout d'un coup, ça m'a pris; et pourtant, j'ai vraiment de l’affection pour cet homme.

Qu'est-ce que tu lui as dit?

C'était à propos du gouvernement. Tu sais qu'il voulait voir les gens du gouvernement de l’Inde, et je lui avais transmis ton message en lui disant qu'il n'y avait rien à faire avec ces gens-là. Alors il insistait, il disait: «Mère dit, mais moi, je pense», et puis «moi, je pense» et puis... Alors, la colère a commencé à me prendre et je lui ai dit: «Écoutez, voilà cinquante ans que Mère est ici et qu'elle s'occupe des gens de l’Inde, est-ce que vous croyez qu'elle ne sait pas un peu mieux que vous?...» Je me suis un peu fâché, et puis tout d'un coup, j'ai planté mon doigt au creux de sa poitrine et je lui ai dit: «Monsieur A.R., il vous manque une chose, c'est d'avoir compris qui était Mère.»

C'est ça qui l’a agité! (Mère rit beaucoup) Pauvre!...

Oh! je regrette. J'étais désolé parce que je l’aime bien, cet homme.

Et quelle a été sa réaction?

Il a été très gentil, je dois dire. Il m'a dit: «Mais moi, je suis venu pour comprendre justement; s'il n'y avait pas à comprendre, je ne serais pas venu ici.» II a été très gentil; c'est moi, je ne sais pas ce qui m'a pris, c'est venu comme cela.

(Mère rit) C'est cette Nouvelle Conscience.

Tu crois?

Elle est comme cela, oui!

Je te l’avais dit, j'avais arrangé pour qu'il rencontre N.S., et ça ne s'est pas fait.

Mais alors, j'ai eu la perception après. Parce que, quand cet homme parle, je sens toujours la Vérité qui parle, toujours, vraiment je sens que ça coule de source; mais quand il me parlait de cette histoire du gouvernement de l’Inde, je sentais que ce n'était pas la Vérité qui parlait (c'est d'ailleurs pour cela que j'ai commencé à n'être pas content), et après, tout d'un coup, j'ai perçu que ce n'était pas lui qui parlait, mais que ce devait être la formation mentale de ces gens de la «Divine Life Society» [Société de la Vie Divine] qui t'ont envoyé une lettre de recommandation pour lui. J'ai l’impression que c'est leur formation mentale.

C'est cela.

Il n'y a rien à faire avec ces gens du gouvernement. Ils sont encore en plein dans le Mensonge, c'est-à-dire que l’on gouverne avec le Mensonge. Ils n'ont pas encore renoncé au mensonge, alors-Pourtant, cette Indira, elle est gentille, elle fait ce qu'elle peut. Tu l’as vue, non?...

Je me suis bien gardé d'aller dans cette foule.

Elle fait ce qu'elle peut.6

(silence)

Tu n'as rien d'autre?

Il y a aussi des nouvelles de P.L.

Ah! donne.

Une lettre un peu découragée parce qu'il est victime de toutes sortes de machinations vexatoires au Vatican...

Oh! oui... Tu sais, entre nous (il ne faut pas le lui dire), mais il a été en grand danger après avoir parlé,7 et ça m'a donné du travail pendant plusieurs jours – longtemps. J'ai travaillé-travaillé-travaillé pour rendre impossible qu'ils fassent... quelque chose de radicalement mauvais. Il l’a échappé belle. Ça a été presque miraculeux qu'on ne l’ait pas fait disparaître – ils savent très bien faire ça. Alors...

(lecture de la lettre de P.L.)

Tu lui donneras ça (Mère tend un paquet de «bénédictions»), tu lui dis que c'est un symbole de ma présence constante.

Tu m'avais dit qu'il y avait deux évêques qui avaient donné leur démission? Est-ce qu'on les a excommuniés?

J'ai l’impression, oui, mais8...

(silence)

Il y a deux ou trois jours, j'ai lu un Aphorisme de Sri Aurobindo (tu le connais peut-être). Je ne me souviens plus des mots, mais il dit que le Christ était venu pour purifier l’humanité et qu'il n'avait pas réussi, et il avait dit qu'il reviendrait, mais cette fois en tenant le glaive de Dieu...

169 – Le Christ est venu dans le monde pour purifier, non pour accomplir. Il a lui-même prévu l’échec de sa mission et la nécessité de revenir avec le glaive de Dieu en main dans un monde qui l’avait rejeté.

On m'a demandé ce qu'était le «glaive de Dieu» (!) J'ai dit que c'était le Pouvoir irrésistible.

(silence)

Oh! on m'a raconté ces jours derniers une histoire effroyable – dans quel bas-fond l’humanité est descendue... c'est incroyable. Est-ce que tu as été au courant de cette histoire du massacre des petits phoques?

Quand les phoques naissent (une certaine espèce de phoques), ils sont tout blancs (et pendant quelques semaines, ils sont tout blancs), puis ils perdent leurs poils et ils deviennent gris – gris ou jaunâtres, comme le père et la mère. Or, c'est devenu la mode de se mettre des manteaux de fourrure toute blanche. Alors, il y a des gens... c'est organisé par un commerçant quelconque... (les phoques se réunissent au moment de la naissance, ils se réunissent à un endroit, là, dans le Nord, dans une île, par milliers, et chaque mère donne naissance seulement à un enfant). Alors, ces gens vont avec des bateaux et tout ce qu'il faut, et quand ces phoques sont nés, ils les tuent – des milliers à la fois. Il faut une dizaine ou une quinzaine de peaux pour un manteau... Et ils massacrent ça. Et alors, pour que ce soit une tuerie bon marché, tu comprends, que ça ne coûte pas cher, on donne des coups de bâtons sur la tête de l’animal, puis ils ont un grand coutelas et ils coupent la peau là, et ils enlèvent la peau quand ils sont encore vivants...

C'est-à-dire... il paraît qu'ils hurlent, n'est-ce pas, ils ne sont pas morts. Il paraît que c'est...

Ce qui est arrivé, c'est qu'un reporter de la télévision est allé par-là sans savoir du tout ce qu'il y avait (il y allait pour autre chose), puis il est tombé là-dessus. Il a été tellement épouvanté, n'est-ce pas, tellement dégoûté qu'il a résolu de le faire cesser. Et depuis peut-être deux ans, il fait une campagne dans le monde entier – par la télévision, par toutes sortes de moyens – pour que les gens interviennent. On avait fait une forte pression sur le Premier Ministre (c'est au Nord du Canada et au Nord de la Norvège, je crois, des îles qui sont toujours gelées), et on avait obtenu du Premier Ministre du Canada (ils sont charmants!), qu'au lieu de les soi-disant tuer à coups de bâton, on leur jetterait du mazout, parce que c'est un asphyxiant qui agit vite... Mais les gens ont trouvé que c'était trop cher, alors ils ont demandé (tu sais, c'est incroyable de bas-fond!), ils ont été redemander au Ministre d'enlever son interdiction – et il l’a enlevée! Il a permis qu'on les massacre comme cela... Il paraît que les mères (il y a des mères, n'est-ce pas, elles viennent d'accoucher), les mères qui sont en train d'allaiter les enfants essayent de les défendre – alors on leur crève les yeux pour qu'elles ne voient plus ce qui se passe... C'est-à-dire que quand on m'a dit cela, j'ai vu une humanité qui sombrait dans un... un gouffre d'ignominie.

Alors on m'a apporté des cartes (ils sont en train de préparer un nouveau mouvement), des cartes avec de grandes photos – ces petits, si tu savais comme ils sont gentils! et intelligents! Ils sont épatants. Et j'avais vu la photo avant de rien savoir de l’histoire; je regardais, j'ai dit: «Oh! quel joli petit!» Et j'ai vu tout de suite: réceptif, admirable, un admirable gosse! Alors, il y a des photos de ces petits, il y a le portrait du forban qui arrange tout, et il y a le portrait du reporter, et puis des cartes sur lesquelles il y a le portrait d'un de ces petits et, en haut, en français et en anglais: «Laissez la vie aux petits phoques.» Comme cela. Et puis la place pour le nom et la signature. Et au dos de la carte, une place si l’on veut mettre quelque chose. On m'a demandé si je voulais signer. J'ai dit oui. Il y en avait une adressée au Ministre des Pêcheries en Norvège, une autre au Ministre des Pêcheries au Canada, et puis au Premier Ministre du Canada. Alors j'ai mis mon cachet: «La Mère, Ashram de Sri Aurobindo», et je n'ai rien mis du tout, j'ai laissé la phrase, et j'ai signé. Et on va leur envoyer.

Mais quand on m'a raconté cela... Pourquoi-pourquoi?... Et ces femmes qui portent ça... la douleur de tous ces animaux, l’horreur, l’épouvante de tous ces animaux – elles portent ça sur leur dos. Et ça ne leur donne pas des rêves!... C'est incroyable.

Il paraît que c'est la mode d'aller au bal avec une petite écharpe faite de deux ou trois peaux de ces pauvres bêtes...

Les hommes deviennent fous!

Naturellement, là-haut [dans le Nord], il y a ça [ce genre de sauvagerie]. C'est seulement UN exemple, une sorte de résumé. Mais cette conscience IGNOBLE, elle est partout sur la terre... Ça, je l’ai vue comme cela. Seulement, c'est quelque chose qui s'est comme cristallisé pour réveiller la réaction.

Oh! ces petits...

Les phoques sont des animaux très évolués, ce ne sont pas parmi les inconscients. Il y en avait un sur la couverture, avec des yeux qui vous regardaient comme cela, il était délicieux!...

(silence)

Alors, cette histoire m'a mis en rapport avec tout cela. C'est le signe que ça va s'en aller.

Oui

C'est en Suisse qu'ils ont commencé le mouvement (c'est un reporter suisse), et c'est Z qui m'a rapporté l’histoire. Z lui a dit qu'elle revenait dans l’Inde, alors il lui a donné tout un paquet de cartes en lui disant: «Oh! si l’Inde protestait, ça aurait du poids.»

(le disciple pense au Tibet mais ne dit rien)

Ce n'est pas tant pour les pauvres petits parce qu'ils ont une protection spéciale (tout ce qui est conscient en eux est comme cela, choyé). C'est l’ignominie de l’humain... Il faut qu'ils deviennent conscients de leur ignominie... Ils trouvent ça tout naturel.

Ce monde, il est révoltant d'un bout à l’autre. Il n'y a rien – je n'en garderais rien de ce monde, rien.

(Mère rit)

Non, ça, ce n'est pas révoltant (Mère pose sa main sur un bouquet de roses près d'elle). Ça, c'est... c'est une adoration vraiment-vraiment belle.

Oui, sans les humains, c'est très bien.

Oh! ce sont les humains, parce que même les animaux ne sont pas si dégoûtants.

Pas du tout.

Une bête comme un tigre ou un lion ne tue que quand elle a faim. Mais pour gagner de l’argent – c'est pour gagner de l’argent... Les femmes, c'est de l’inconscience; je suis sûre que l’immense majorité de celles qui les portent, si on leur disait: vous êtes en train de porter sur vous la peau qui a été arrachée d'un animal vivant qui hurlait, ça leur donnerait des cauchemars – l’immense majorité. Il n'y en a que très peu qui diraient: qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse! Très peu.

Mais ce sont les brutes qui s'enrichissent.

(silence)

Il y a une histoire qui s'est passée il y a beaucoup-beaucoup d'années, mais à cause des petits phoques, je m'en suis souvenue. Il y avait l’une des parentes de K (je crois que c'était sa tante), qui est morte du choléra (je la connaissais, elle m'avait connue avant; elle était partie, elle était allée je ne sais où et elle a attrapé le choléra, et elle est morte). Et quelque temps après, une nuit, je ne sais plus où j'étais, mais tout d'un coup, je me suis trouvée tout entourée d'une foule immense de gens qui criaient, protestaient; puis tout d'un coup, elle est sortie de cette foule, elle est venue à moi et elle . m'a dit: «Ce sont tous ceux qui sont morts du choléra qui viennent vous demander POURQUOI c'est comme cela?»... Et ça m'avait beaucoup frappée, beaucoup-beaucoup, parce que tu sais... C'était noir de gens, une foule immense, et puis dans la nuit comme cela, et puis elle est venue vers moi et elle m'a dit ça...

Naturellement, c'est seulement UNE des misères au milieu de tant. Seulement c'est une misère qui est très brutale, ça vient d'une façon très brutale, c'est pour cela... Et quand on m'a raconté cette histoire des petits phoques, je me suis tout d'un coup souvenue que je me trouvais là, comme cela, et ces milliers de gens disaient: «Pourquoi permet-on une chose pareille?... Pourquoi est-ce qu'on permet?»

(silence)

C'était toujours ce que Bharatidi disait; elle disait toujours: «C'est le Divin le plus coupable, c'est Lui qui permet toutes ces horreurs!» (Mère rit)

Elle l’a dit une fois quand on préparait une pièce que l’on a jouée ici9 (je ne sais pas si tu étais là). Il y avait celui qui était le «chef des montagnes» et le «chef de la vallée», et puis une incarnation du Divin. Les deux chefs se disputaient et une incarnation du Divin est arrivée, et quand il a voulu arrêter leur bataille, ils l’ont tué. Et quand ils l’ont eu tué, tout d'un coup ils se sont éveillés à la conscience de l’horreur de ce qu'ils venaient de faire, par le fait qu'ils l’avaient tué. N'est-ce pas, quand ils ont commencé à se battre, il a fait nuit, et cette Incarnation est venue entre eux pour les empêcher, et ils ne l’ont pas vu et ils l’ont tué... C'était une histoire comme cela, nous avions joué cela. Et on distribuait les rôles, etc., et c'est par Bharatidi que l’on avait eu cette pièce. Alors elle était là et elle m'a dit à ce propos: «Mais c'est le Divin le plus grand coupable! c'est tout naturel qu'il souffre puisque c'est Lui qui a permis que les hommes soient comme cela!» (Mère rit)

Ah!...

(long silence)

Ces petits phoques, ça m'a occupée une nuit. Et alors, la première action (la Force naturellement est allée là-bas tout de suite), mais la première tentative a été de demander à l’espèce phoque (la conscience) de changer la place de leur accouchement, d'aller dans un endroit où les gens ne peuvent pas aller, difficile à atteindre (ils allaient là parce que c'était moins froid pour les tout petits). Alors, je ne sais pas... Ce serait intéressant si ça avait réussi... Une forte pression pour que l’esprit phoque agisse sur les animaux et fasse que les mères aillent ailleurs, choisissent un autre endroit que les hommes ne connaîtraient pas (au moins pour un ou deux ans, le temps de réagir).

Mais ce qui est intéressant (c'est évident, mais...). Pour ceux qui pourraient s'élever à cette Conscience, c'est une expérience intéressante à avoir: dès que l’on a dépassé la zone de conscience humaine même la plus haute, quand on est au-dessus, tout esprit de vengeance et de punition disparaît ABSOLUMENT – absolument. C'est impossible à sentir... C'est... Ça paraît être un moyen mensonger de réagir, de guérir: au lieu de guérir, on perpétue la vibration en la changeant de direction.

Mais là-haut, c'est absolument impératif: ça n'existe pas, c'est impossible.

(silence)

Il faut du temps10...

12 octobre 1969

(De Satprem à Mère)

(Le texte intégral de la lettre qui suit a malheureusement disparue, nous n'en avons retrouvé qu'un morceau. Le guérisseur disait au disciple que ce qu'il trouvait près de Mère était «pareil» qu'ailleurs, ce même «Ça» immuable et éternel et invariable. Le disciple avait beaucoup tenté de faire sentir au guérisseur qu'il y avait tout de même autre chose près de Mère – peut-être, justement, parce que c'était la question même qui le troublait – et il demande à Mère s'il a eu raison d'écrire ainsi.)

«...votre voyage dans l’Inde. Je prie du fond du cœur que vous ne passiez pas à côté sans le voir. Dans votre retraite solitaire, j'espère que vous saurez vous ouvrir à Mère, qui vous ouvrira la porte du Secret.»

J'espère que j'ai bien fait et que Ta Grâce sera avec lui.

Avec amour,

Satprem

(De Mère à Satprem)

C'est tout à fait bien.

La Grâce est toujours avec toi et tu le sais. Tu as donné à A.R. la possibilité d'en être conscient aussi.

Tendresse et bénédictions.

Mère

15 octobre 1969

(Ce jour-là, de fortes pluies se sont abattues.)

Nous avons amené trop d'Européens ici, ça change le climat!

Tu n'as rien à me dire?... Moi, je n'ai rien, excepté des querelles, des stupidités, des mésententes, des... toutes sortes de choses stupides1...

(suit une longue histoire que nous ne rapportons pas)

Je dois dire que pour n'importe qui, sauf toi, ce serait écrasant d'avoir affaire à toute cette confusion.

(Mère rit) J'ai de la difficulté à «réaliser» au sens anglais, c'est-à-dire à comprendre ou à expliquer (ça entre difficilement dans ma conscience) que les gens, quand ils sont avec moi, osent dire quelque chose qui ne soit pas vrai... Dans le temps, cela me paraissait impossible, mais j'ai appris (!) par expérience qu'ils le font. Et comment ils le font, je ne sais pas...

Et puis, ce n'est pas la seule chose, il y en a beaucoup comme cela.

Et ils le font candidement. S'ils avaient la volonté de me tromper, je le saurais tout de suite, mais ils le font candidement – ils se trompent eux-mêmes.

Ils vont comme cela (Mère fait un geste tortueux), jamais droit... Mais quand on n'est pas constamment dirigé – exclusivement dirigé – par la Conscience supérieure, on le fait presque automatiquement: un petit «comme ça» (même geste de torsion), sans le savoir, sans préméditation.

Ça, je l’ai vu dans le temps (cette torsion). C'est devenu impossible seulement au moment où rien ne venait ni de là (tête), ni de là (gorge), ni de Ik (cœur), ni de là (plexus), ni de là... Ça vient comme ça (geste d'en haut), alors c'est impossible, mais c'est seulement alors x[ue c'est impossible.

(silence)

Évidemment, c'est un moment de transition.


(Plus tard, Mère donne au disciple la note suivante qui a été remise à sept ou huit membres du Parlement d'Orissa:)

«Socialism like all political parties belongs to the past and must be surpassed if we want to serve the Truth.»

[«Le socialisme, comme tous les partis politiques, appartient au passé et il doit être dépassé si nous voulons servir la Vérité.»]

Le plus comique – c'est-à-dire le plus extraordinaire –, c'est qu'ils étaient tous d'accord! Moi, je croyais qu'ils allaient être furieux... Ils ont tous dit: «Oh! c'est ça, nous allons prendre ça»...

Leur conviction n'était pas très profonde!

18 octobre 1969

Aujourd'hui, c'est Dourga Poudja... Tu sais, j'ai un lion sous mes pieds!

(le coussin sous les pieds de Mère)

Tire-le... (Riant) Il est gentil! Il se tient tranquille.

Alors, qu'est-ce que tu apportes?... Rien. Aujourd'hui, il n'est pas très tard!...

Tu n'as rien?... Moi non plus, excepté des nouvelles de A.R. Il est sous sa hutte et il dit qu'il est très bien, mais il s'inquiète un peu: «Est-ce que je ne serais pas plus utile si je voyais des gens?...» Je lui ai fait répondre que lui-même avait dit qu'il avait besoin d'être seul. Il avait deux hernies, il en a guéri une (il t'a dit tout cela), et volontairement il n'a pas guéri la seconde parce qu'il s'est mis dans la tête que quand il aura la vraie conscience, ça guérira tout seul... Théoriquement, c'est vrai, mais... Est-ce réalisable en une vie? Je ne sais pas. Tandis que moi, j'avais vu que s'il la faisait rentrer (c'est possible), elle guérirait. Mais il s'y refuse – il demande là presque un miracle... Alors il m'a fait demander par F s'il ne valait pas mieux qu'il recommence à voir des gens. J'ai dit: «C'est exclusivement SON affaire, il doit savoir ce qu'il veut.» – Pas «ce qu'il veut»: ce qu'il DOIT faire – recevoir l’Ordre et faire ce qu'il doit faire. Moi, je ne peux rien dire. Je lui ai donné les conditions physiques qu'il voulait. J'avais vu quand tu m'en avais parlé (j'avais vu, j'avais concentré), et j'avais vu clairement que s'il faisait rentrer sa hernie, elle guérirait. Mais il s'y refuse. Alors je ne sais plus. N'est-ce pas, théoriquement, c'est tout à fait vrai ce qu'il dit, mais, MAIS...

Il a opéré plusieurs miracles, lui-même, sur d'autres.

Oui, il l’a fait, il peut le faire. C'est possible, je te dis: théoriquement, c'est tout à fait possible – nous allons voir.

Mais quel genre de réalisation lui manque?

Je ne sais pas, il m'a fait dire qu'il voulait pouvoir dire: «Je suis.»1 Et le «je», je crois que c'est la Conscience (je ne sais pas s'il a la notion du Divin ou d'une «suprême Harmonie» ou de quoi, je ne sais pas – peut-être ne le sait-il pas lui-même). C'est cela qu'il veut: pouvoir dire «Je suis»... Pour moi, le procédé est... Je dis, il n'y a rien d'impossible, mais j'aime beaucoup mieux le procédé: «Tu es.» Tu comprends, que le «je» disparaisse.

Mais c'est un homme qui n'a pas de je.

Il en a un. Il est extrêmement généreux et désintéressé, mais il en a un.

Pourtant, je n'ai jamais eu l’impression qu'il disait: «Je guéris.»

(après un silence)

J'ai fortement l’impression qu'il veut tirer là... Il dit «le Divin est en tout», et alors il veut dire: «Je suis le Divin.» J'ai trouvé qu'au point de vue (comment dire?), au point de vue yoguique, au point de vue discipline, il est très préférable de dire: «Tu es», que de dire je suis. Tu comprends la différence?

Je comprends bien.

Et c'est parce qu'il a encore très fort le sentiment d'un corps individuel.

Mais depuis que ce corps-ci ne sent plus son individualité, c'est tout à fait spontanément et naturellement que c'est «Tu es» – toutes les cellules, chaque cellule: Tu es.

Il n'y a pas de moi pour les cellules.

Seulement, il est très concevable que chacun ait son chemin, par conséquent je ne lui ai pas dit: «Il ne faut pas cela.» Je m'en suis bien gardée.

Oui, parce qu'il a été très influencé, après sa réalisation, par les enseignements des Swamis, pour qui c'est toujours: «Tu es Cela.»2

Ils ont tort.

C'est-à-dire que, pour tout l’ancien yoga indien, le corps est une chose intransformable, et par conséquent c'est une nécessité momentanée qui disparaîtra; tandis que pour Sri Aurobindo, le corps est transformable, et de la minute où il est transformable, au lieu de se penser lui-même individuellement, il se pense le Seigneur. Et ça, tu sais, je garantis que c'est spontané, c'est naturel, c'est... et c'est béatifique. Et l’idée de personne séparée est une calamité douloureuse.

J'étais avec A.R. quand il était à méditer ici... son corps est encore un corps.

Mais il a la réalisation de «Ça».

Oui-oui, d'une certaine manière.

Et c'est pour cela (parce qu'il est très conscient de la Présence Divine), c'est pour cela que j'ai dit: «Ne me demandez pas ce que vous devez faire: c'est dans votre corps que vous devez savoir.» Moi, je ne peux pas parce que... parce que le Divin se réalise de façon différente dans chacun – autrement il n'y aurait qu'une personne!

Je ne veux pas du-tout-du-tout lui donner des conseils, je m'y refuse absolument.

Ce que je trouve remarquable dans son cas, c'est la façon dont il a incarné sa réalisation, parce que, vraiment, ce n'est pas quelque chose qu'il a les jambes croisées en méditation: il est solidement plein de cette Conscience. On le sent, n'est-ce pas. C'est cela que je trouve assez extraordinaire.

(après un silence)

Mais ça, l’immobilité vient ici, dans l’Inde, du mépris pour le corps: il faut qu'on l’annule autant que possible. Que l’on annule son existence. Et c'est justement contre cela que Sri Aurobindo s'est élevé en disant: «Non! il faut que le corps PARTICIPE à l’expérience.» Alors, naturellement, A.R. est convaincu que le corps doit participer à l’expérience, et c'est pour cela qu'il a la bonne attitude. Mais il veut, pour être convaincu, réaliser MAINTENANT la conscience qui sera la conscience de ce que Sri Aurobindo appelle le Supramental. C'est-à-dire ÊTRE le Divin, sans distinction entre le corps et le reste – être le Divin...

Si le moment est venu de cela, c'est très bien; et c'est pour cela que je ne veux pas intervenir. Mais pour cela, je ne sais pas, je ne sais pas si le moment est venu... Il y a des moments où le corps est tout à fait convaincu – des moments où il paraît impossible que ce moment ne soit pas venu –, mais il y a d'autres moments où ça se voile tout à fait. Et ça vient de ce que, malgré tout, encore maintenant, la conscience du mélange devient très claire. C'est-à-dire que la réalisation est partielle; elle est partielle, elle est fragmentaire. Et pour une raison très simple (c'est sans argument): c'est que d'une façon ou d'une autre, l’apparence devra changer. Ce corps a des capacités – c'est visible –, il a des capacités que beaucoup d'autres corps n'ont pas, mais c'est encore incertain, pas établi et pas total. Alors, dans cette période de transition, il y en aura sûrement un qui passera de l’autre côté, c'est-à-dire qui arrivera à la réalisation – il faut bien, n'est-ce pas, à un moment donné, qu'il y ait une réalisation. Eh bien, il faut que ce soit... En tout cas, chez lui, A.R., l’attitude est bonne, par conséquent il n'y a rien à dire. Mais comme, mentalement, il n'est pas développé, c'est là qu'il reste un mélange d’influences3 – c'est là. Ce n'est pas le mental: c'est dans le mental. Et je ne veux pas remplacer ce mélange par une... (Mère fait un geste d'autorité qui s'impose)... Tout ce que je peux faire, c'est de donner l’atmosphère qu'il faut, et puis voilà.

J'ai reçu une lettre de N.S.4 me disant qu'elle était presque désespérée d'avoir manqué le rendez-vous que je lui avais donné avec A.R. Et je ne suis pas sûre... (que ce ne soit pas tant mieux). Elle dit qu'au lieu d'être à l’heure qu'on lui avait indiqué, elle est arrivée une heure plus tard parce qu'elle avait été quelque part, je ne sais pas où, et elle avait été complètement mouillée, et elle devait changer de vêtements, et elle avait fait prévenir qu'il veuille bien attendre. Mais quand elle est arrivée, il était parti. Alors elle ne sait pas si L n'a pas reçu le message, ou bien s'il ne l’a pas transmis. Et elle m'écrit qu'à la première occasion, elle voudrait venir le voir... Je lui ai fait répondre que, pour le moment, il s'était retiré, mais que dès qu'il rentrera en activité, je la préviendrai. Mais je ne l’ai pas dit à A.R. parce que...

Je souhaite pour N.S. qu'elle le rencontre, mais je ne souhaite pas du tout qu'il se mette à lui faire part de ses grands plans de conversion de l’Inde!5

Ça, sûrement! Ça, je peux assurer que le moment n'est pas venu!

J'espère qu'il ne va pas pousser N.S. dans des choses... inutiles.

C'est pour cela qu'il ne l’a pas rencontrée!... N'est-ce pas, tout ce qui arrive, arrive EXPRÈS. Nous avons beaucoup de difficulté à le comprendre, mais... on commence à le comprendre ici (Mère désigne son corps), et quand on m'a dit qu'ils ne s'étaient pas rencontrés, j'ai pensé: «C'est très sage, ce n'est pas le moment.»

Oui, je crois.

C'est pour cela que j'ai dit à N.S. que je la préviendrai. Alors nous verrons.

Mais avec cet homme, j'ai l’impression d'être devant un secret que, moi, j'aurais besoin de réaliser et de comprendre.

Oui-oui.

Il me donne cette impression-là: qu'il tient quelque chose dont, moi, j'aurais besoin.

Oui. Et ce qui lui a permis de le «tenir», c'est que le mental n'est pas développé. La balance du mental dans la combinaison de l’être est suffisamment... pauvre pour ne pas intervenir.

C'est comme cela. Pour une réalisation PARFAITE, il faut que l’être tout entier soit illuminé; mais pour une réalisation du début, c'est probablement plus facile pour un corps qui n'a pas un mental très développé. Ça, j'ai beaucoup regardé depuis qu'il est ici, et je suis tout à fait convaincue de cela, c'est pour cela que... Pour nous, n'est-ce pas, qui avons été jusqu'au maximum de la possibilité mentale, c'est par le maximum que nous avons dépassé – c'est quand le mental avait réalisé son maximum qu'il a abdiqué –, et ça, c'est très bien pour la réalisation intégrale, mais généralement le corps est trop habitué à obéir au mental, n'est pas assez souple pour se transformer. Et c'est la raison pour laquelle on a envoyé mon mental se promener... Mais ça, c'est un procédé que l’on ne peut pas... on ne peut pas encourager les autres à le faire. Parce que, sur dix personnes, neuf mourraient.

Le mental?

Si le mental s'en va.

Tu crois que je mourrais?

Mental et vital.

Ah! oui, le vital, je comprends, mais si tu m'enlevais mon mental...

Non, mon petit! je me refuse à le faire! (Mère rit) Il faut... il faut qu'il abdique.

Il n'a pas abdiqué, mon mental?

Oui. Abdiquer et se taire.

J'ai l’impression qu'il y a un chaînon manquant entre «quelque chose» que je sens très bien là-haut, qui est concret, et puis cette réalité que je vis.

Ça, c'est très matériel.

Mais j'ai l’impression de quelque chose qui manque, d'un chaînon, quelque chose...

Pas un «chaînon»...

Ce serait plutôt une passivité qui manque. Tout est trop actif.

Et pour que la Force puisse passer rapidement pour atteindre le corps, il faut une grande passivité. Je vois cela: chaque fois qu'il y a une pression pour agir sur une partie du corps ou une autre, ça commence toujours par une absolue passivité qui est... la «perfection de l’inertie», tu comprends? Ce que l’inertie représente comme imparfait, c'est la perfection de cela... Quelque chose qui n'a aucune activité propre – c'est justement très difficile pour ceux qui ont un grand développement mental, c'est très difficile. Parce que tout le corps a travaillé toute sa vie à être justement dans cet état de réceptivité au mental, qui faisait son obéissance, sa docilité, etc., et c'est cela qu'il faut abolir.

Comment expliquer?... Le développement par le mental est un éveil constant et général de tout l’être – même le plus matériel –, un éveil qui fait qu'il y a aussi quelque chose qui est l’opposé du sommeil. Et pour la réception de la Force suprême, il faut, au contraire, l’équivalent de l’immobilité – l’immobilité d'un sommeil mais absolument conscient, absolument conscient. Le corps sent la différence. Il sent la différence au point que... par exemple, je m'étends le soir et je suis comme cela, et pendant des heures je reste comme cela, et si au bout d'un moment, je tombe dans le sommeil ordinaire, mon corps se réveille avec une angoisse épouvantable! Et alors, il recommence à se mettre dans cet État. Ça, cette angoisse-là, je la sens de temps en temps – ça s'en va imédiatement dès qu'il se remet dans la vraie attitude, qui est un état d'immobilité mais absolument conscient. «Immobilité», je ne sais pas comment dire cela... Mais c'est presque l’opposé de l’inertie dans l’immobilité.

Et c'est cela qui, maintenant, me fait comprendre pourquoi la création a commencé par l’inertie. Et alors, il fallait retrouver cet État-là (Mère dessine une courbe immense), après avoir passé par tous les états de conscience. Et c'est cela qui nous a donnés... (riant) pour nous, c'est un joli gâchis! Mais quand on le fait exprès, ce n'est plus un gâchis.

La difficulté pour moi, que je rencontre très souvent, c'est un besoin, aussi, d'activité dans l’aspiration.

Oui, oui.

J'ai l’impression que je ne dois pas cesser d'être activement aspirant Souvent, je pourrais très bien tout laisser comme cela, sans bouger, mais...

Oui, mais alors l’aspiration vient.

J'éprouve le besoin de l’activité de l’aspiration.

Oui, c'est pour contrecarrer l’inertie. C'est parce que nous avons encore un héritage d'inertie.

Mais alors, dans ce cas, qu'est-ce qu'il faut faire? Il faut tout laisser s'étaler ou bien... persister dans cette aspiration active, qui est vraiment intense?

C'est difficile à dire parce que je suis convaincue que chacun a son chemin, mais pour ce corps-là, le chemin est d'avoir cette aspiration active.

D'avoir l’aspiration active? Oui, mais alors ce n'est plus cette immobilité.

Il y est arrivé, il a compris le moyen, comment faire.

Les deux ensemble, l’union des deux?

Oui, ils sont ensemble. C'est cela qu'il est arrivé à avoir: une immobilité complète et une intense aspiration. Et c'est quand l’immobilité reste sans l’aspiration, qu'il tombe dans une angoisse épouvantable qui le réveille imédiatement. C'est cela, n'est-ce pas: une intense aspiration. Et il est absolument immobile, immobile dedans, c'est comme si toutes les cellules devenaient immobiles... Ce doit être cela; ce que nous appelons l’intense aspiration, ce doit être la vibration supramentale. Ce doit être la Vibration divine, la vraie vibration divine. Ça, je me le suis dit souvent.

Mais si, même pendant cinq minutes, le corps tombe dans l’état d'inertie – d'immobilité sans aspiration –, il est éveillé par une angoisse comme s'il allait mourir! Tu comprends, c'est à ce point-là. Et pour lui, l’immobilité, c'est... Oui, il a l’impression que la vibration la plus haute, la vibration de la vraie Conscience, est TELLEMENT INTENSE qu'elle est... elle est l’équivalent de l’inertie de l’immobilité – d'une intensité qui n'est pas perceptible (pour nous). Cette intensité est tellement grande que, pour nous, c'est l’équivalent de l’inertie.

C'est cela qui est en train de s'établir.

C'est cela qui lui a fait comprendre (parce que maintenant le corps comprend), qui lui a fait comprendre le processus de la création... On pourrait presque dire que ça a commencé par un état de perfection, mais inconsciente, et qu'elle doit passer de cet état de perfection inconsciente à un état de perfection consciente, et entre les deux c'est l’imperfection.

Les mots sont idiots, mais tu comprends.

(silence)

Tu sais, l’impression, c'est d'être juste sur le seuil de la compréhension. Et ce n'est pas une compréhension mentale du tout, du tout (celle-là, on l’a eue, mais ce n'est rien; c'est rien, c'est zéro). C'est une compréhension VÉCUE. Et ça, le mental ne peut pas l’avoir – peut pas. Et on a l’impression que seul le corps – réceptif, ouvert, en tout cas partiellement transformé –, est capable d'avoir la compréhension; la compréhension de la création, de ce que nous appelons la création: pourquoi et comment, les deux choses. Et ce n'est pas du tout une chose pensée, ce n'est pas une chose sentie: c'est une chose vécue, et c'est la seule manière de savoir... C'est vécu. C'est une conscience.

Tu sais, quand cette compréhension vient – ça vient et puis ça fait comme cela (geste comme un gonflement lumineux), ça vient comme cela, et puis ça s'estompe, et puis ça revient et puis ça s'estompe; mais au moment où ça vient, c'est tellement évident, c'est tellement simple qu'on se demande comment on a pu ne pas le savoir!

Il faut encore du temps... Combien de temps? Je ne sais pas. Mais la notion de temps aussi est très arbitraire.

Nous voulons toujours traduire toutes nos expériences dans le vieil état de conscience, et c'est ça la misère! Nous pensons que c'est nécessaire, que c'est indispensable – et c'est abrutissant. Ça retarde terriblement.

(silence)

Et tout-tout-tout ce que les hommes ont dit, tout ce qu'ils ont écrit, tout ce qu'ils ont enseigné, c'est seulement une manière de dire. C'est seulement essayer de se faire comprendre, mais c'est impossible. Et quand on pense (riant) combien on s'est battu pour des choses si relatives!...

(long silence)

En regardant la suite des journées et ce qui arrive, l’expérience du corps est comme cela... D'une certaine manière, à certains moments, il est dans la conscience d'Immortalité, et puis, par influence (et encore par vieille habitude de temps en temps), il retombe dans la conscience de mortalité, et ça c'est vraiment... Pour lui maintenant, dès qu'il retombe dans la conscience de mortalité, c'est une angoisse épouvantable; et c'est seulement quand il sort de là, quand il rentre dans la vraie conscience, que ça passe. Et je comprends pourquoi il y avait des gens, des yogis, qui parlaient de l’irréalité du monde, parce que, pour la conscience d'Immortalité, la conscience de mortalité est une absurdité irréelle. Et c'est comme cela (Mère passe les doigts d'une main entre les doigts de l’autre main, indiquant un va-et-vient entre les deux consciences). Alors, tantôt c'est comme cela, tantôt c'est comme cela. Et l’autre état, l’état d'Immortalité, est immuablement paisible, tranquille, avec... comme des ondes d'une rapidité foudroyante, tellement rapides qu'elles semblent immobiles. Et c'est comme cela: rien ne bouge (en apparence) dans un Mouvement formidable. Et alors, dès que l’autre état vient, ce sont toutes les notions ordinaires qui reviennent, c'est-à-dire... vraiment, maintenant, dans l’état où il est, ça lui donne l’angoisse et la souffrance d'un mensonge. Mais c'est encore comme cela (même geste de va-et-vient)...

Pour en sortir, la seule, la seule façon qui soit efficace, c'est justement l’abandon, le surrender. Ce n'est pas exprimé par des mots ni par des idées ni rien, mais c'est un état, un état de vibration, où il n'y a que la Vibration Divine qui ait de la valeur. Alors – alors les choses se remettent en ordre.

Mais tout cela, dès qu'on en parle...

Mais note que c'est constant: ça arrive la nuit, ça arrive le matin (les matins généralement sont très difficiles), et puis il y a d'autres fois où... (geste immense, uni, avec un sourire) il n'y a plus de problèmes – tous les problèmes sont finis –, plus de problèmes, plus de difficultés, plus rien.

(silence)

Il y a un arrière-fond (c'est ça surtout), un arrière-fond de Négation inconsciente qui est derrière tout-tout-tout, encore; il y en a encore partout: on mange, on respire – on reçoit cette Négation... Pour que tout soit transformé, c'est encore un travail colossal. Mais quand on est ce que l’on pourrait appeler de «l’autre côté» (ce ne sont pas des «côtés»), mais dans l’autre état, ça paraît si naturel, si simple que l’on se demande pourquoi ce n'est pas comme cela, pourquoi ça paraît si difficile? Et puis, dès qu'on est de l’autre côté, c'est (Mère prend sa tête entre ses mains)... Le mélange est encore là, c'est incontestable.

Vraiment, l’état ordinaire, le vieil état, c'est consciemment (c'est-à-dire que c'est une perception consciente), c'est la mort et la souffrance. Et puis dans l’autre état, la mort et la souffrance paraissent des choses absolument... irréelles – voilà.

Il semble que ce corps soit très-très conscient de... (comment dire?) une sorte de stupidité. Oui, une sorte de bonne volonté endurante et stupide. Il est très conscient de cela. Et il est amené à comprendre que cet état était indispensable pour que le travail puisse se faire, que quelqu'un qui serait... (naturellement, la moindre mauvaise volonté est hors de question), mais s'il n'y avait pas cette espèce de (ce n'est pas de l’inconscience), cette sorte de simplicité ignorante (c'est quelque chose comme cela), sans cela, l’endurance deviendrait très difficile.

Il ne pose pas de questions, mais de temps en temps, il est conscient de son état de médiocrité, et alors tout naturellement, il se demande comment il se fait qu'il ait été choisi pour faire ce travail? Et il paraît clairement que c'est une sorte de bonne volonté qui provient du sens de sa nullité... Le moindre sens de capacité, de valeur, ça enlève toute l’endurance. Alors, il n'a pas cela du tout, et ça lui permet de continuer.

Je t'ai raconté l’histoire de cet enfant qui est venu?... Cet enfant est venu, il avait ça (Mère désigne un petit oiseau jaune sur sa table), il croyait que c'était un cygne (n'est-ce pas, c'est une oie), il croyait que c'était un cygne; alors il me l’a donné très gentiment et il m'a dit: «C'est Toi.» J'ai vu dans sa pensée qu'il était convaincu que c'était un cygne, c'est-à-dire l’âme. Et alors, moi, j'ai vu avec mes yeux que c'était une oie (Mère rit), et j'ai dit: «Oui, c'est vrai!» (rires) Et ça, c'était exactement... Oh! je le garde, c'est exactement ça – une oie (Mère rit).

Voilà.

Tiens (Mère donne une fleur de transformation): la bonne.

Toi aussi...

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Pas d'impatience.

Une patience confiante.

Au fond, tout est pour chacun aussi bien que cela peut être. Tout le temps, ce sont les vieux mouvements qui s'impatientent... C'est-à-dire que quand on voit le tout, certainement l’impatience a été créée pour contrecarrer l’inertie – mais c'est^fini, ce temps-là est passé.6


**ADDENDUM***

(Questions posées à Mère par le guérisseur.)

(A.R.) J'avais deux hernies. J'en ai guéri une, et j'ai gardé l’autre volontairement, car ce que je cherche, c'est l’ouverture de Conscience maximum qu'un être humain puisse obtenir. Si ma Conscience s'élargit suffisamment, ma hernie, et la maladie de mon ami [paralytique] guériront automatiquement. Le jour où. je m'éveillerai sans trace de maladie, j'aurai la preuve, sur mon corps, que ma Conscience s'est ouverte toute grande. Ce que je veux, c'est pouvoir dire en réalité: Je Suis.

Théoriquement, c'est vrai, mais ça, évidemment, c'est son aff-faire; qu'il fasse son expérience.

On n'a aucun droit d'intervenir d'aucune façon.

(A.R.) Je me suis demandé si je ne pourrais pas être plus utile à Mère, à Son travail, plutôt que d'être là à méditer toute la journée?

Non, je ne vois pas les choses comme cela.

Il faut être d'une souplesse totale à la Conscience Divine en vous. Dans la mesure où on la laisse s'exprimer toute seule, c'est Elle qui vous fait faire les choses.

(A.R.) l’Inde a besoin d'eau. Ce qu'il faut, c'est obtenir des chutes d'eau harmonieuses, selon la loi d'harmonie, qui apportent une quantité d'eau suffisante pour la végétation, mais sans que cela fasse des dégâts. J'estime que c'est réalisable. Si ce n'est pas réalisable, rien n'est réalisable. Mais, doit-on le faire? Doit-on, par exemple, détourner un orage?... Il suffit de demander. Alors, faut-il demander à la Force Divine d'agir dans un sens plutôt que dans l’autre?7

De toutes façons, la Force Divine ne fera que ce qu'Elle voudra, et c'est la Force Divine Elle-même, en lui, qui aspire à détourner l’orage.

22 octobre 1969

Quel âge vas-tu avoir?

Quarante-six.

Oh! tu es encore un bébé.

J'ai des cheveux blancs.

Hein!... Moi, je n'en ai pas un!... C'est curieux, pas un.

C'est à cause de cela (Mère montre la petite oie sur sa table), je t'ai raconté l’histoire... Le mental ne travaille pas, alors je ne suis pas fatiguée!

J'ai beaucoup de travail à faire avec ma tête, quand même.

Je n'en fais plus.

Oui, mais moi, j'ai tous les livres à éditer!... C'est nécessaire.

Mais oui.

Alors ce doit être exprès.

Oui.

Mais maintenant, n'est-ce pas, les gens ont pris l’habitude de me demander des messages pour tout, et il y a des tas de gens qui m'écrivent et qui demandent des réponses. Alors je reste comme cela, et presque tout de suite (à part quelques rares exceptions), la réponse vient comme ça (geste de descente). Et si je n'ai pas envie d'écrire, elle s'obstine, elle s'obstine... et elle ne me lâche pas jusqu'à ce que j'aie écrit! Quand j'ai écrit, fini! Fini au point que je ne sais même plus ce que j'ai écrit.

Moi, je voudrais bien savoir le truc!

(silence)

Je ne crois pas qu'il y ait un truc.

Je ne peux même pas dire que j'aie fait des efforts pour cela, pas du tout.

25 octobre 1969

(La conversation suivante est venue à propos de deux lettres envoyées par le jeune disciple indien qui a accompagné le guérisseur, A.R., dans sa retraite solitaire.)

Le 21 oct. 1969

Monsieur A.R. m'a demandé si j'avais fini de relire «Les Notes sur le Chemin». Et moi je lui ai demandé s'il avait trouvé quelque chose après ses études de ces deux jours! Alors il y a eu une cascade de mots. Il m'a dit:

Je n'ai rien appris de nouveau. Tout ce qu'elle dit [Mère], je le connais depuis vingt ans. La base de mon expérience même était la transformation des cellules et c'est de là que je suis parti. Mère, d'après ce qu'elle écrit, je pense qu'elle a commencé cette expérience il n'y a que deux ans, et je comprends qu'elle a complété maintenant. Alors tout ce qu'elle dit est, pour moi, vrai, juste, et cela ne peut pas être autrement Seulement, je n'ai pas fait comme elle chaque étape de l’expérience en détail, jusqu'au bout. Ma méthode était directe, tout droit, tout en haut; j'ai coupé toutes ces étapes et ces visions en route car autrement je n'aurais pas pu faire comme j'ai fait. Tu comprends, je ne pouvais pas tenter ces détails, car, dans ce cas, j'aurais perdu mon but, j'aurais manqué ma réalisation. Pour elle, ça va très bien, car elle est éduquée. Elle sait de la philosophie, métaphysique, des sciences et quoi encore! De plus, elle avait la chance d'avoir rencontré Sri Aurobindo. Moi, j'aimerais bien le rencontrer. Et quant à moi, j'étais tout seul. Alors je n'avais pas d'autre choix. Je ne le regrette pas. Je suis venu ici car j'ai su qu'il y avait ici quelqu'un qui parlait mon langage. J'ai eu la confirmation de mes expériences et je donne une confirmation à son expérience. C'est cela. On peut dire que nous sommes partis main dans la main dans notre expérience – nous sommes sur le même plan. C'est comme cela que je comprends. Je ne sais pas ce qu'elle pense de moi, elle ne m'a rien dit. Je voulais discuter avec elle, mais je pense qu'elle n'est pas disposée à beaucoup parler. Alors...!

En tout cas, elle m'a dit qu'elle m'aiderait; dans ce cas sûrement quelque chose est en train de se faire. La graine qu'on sème aujourd'hui ne pousse pas demain. Il faut attendre. Peut-être que cela prendra du temps.


Le 24 oct. 1969

Je pense que ce que je vais vous écrire, vous intéressera. C'est après une longue discussion hier soir.

Sujet: La Mission de Monsieur A.R. dans cette vie.

Il m'a dit qu'il est en train d'acquérir une telle force qu'il peut faire face à tout obstacle, et il pourra ainsi affirmer aux gens le pouvoir de la force divine. «Je veux d'abord devenir tout à fait sûr que je peux manifester cette force n'importe quand et contre tous les obstacles. Alors je vais montrer aux gens, dans une foule de mille personnes, par une démonstration pratique, en appelant dix ou quinze malades parmi eux, et en les guérissant par cette force. Alors ils seront obligés d'être convaincus que, oui, il y a une Force qui peut faire tout. Mais pour cela, je dois être prêt. Car 80% des gens seront contre moi, et pour les convaincre il faut vraiment être fort, bien armé et sûr! Une fois que je serai prêt, personne ne peut m'arrêter. Tous les gouvernements et les religions s'écrouleront. Je vais écrire au Pape en demandant ce qu'ils sont en train de prêcher. Qu'est-ce que le Christ nous a dit dans l’Évangile! Il avait dit à ses apôtres d'aller guérir les malades et chasser les démons. Que font les prêtres et les Catholiques à présent?»

Je lui ai demandé: est-ce que vous êtes sûr que c'est votre mission?

– Oui, j'en suis sûr. Je le sais depuis longtemps. Et je suis en train de me préparer pour cela. Le jour n'est pas loin. Il faut être fort comme Le Christ, d'abord, pour faire cela.

– Mais ne pensez-vous pas que c'est beaucoup mieux de chercher le Divin pour Lui-même que de Le chercher pour quelque pouvoir, même le pouvoir d'affirmer son existence? Pourquoi voulez-vous faire la preuve à chaque instant et est-il nécessaire de la démontrer par des guérisons?

– Mais bien sûr que tu as raison là, quand tu dis qu'il faut chercher le Divin pour le Divin. Pour vous, c'est facile à comprendre puisque vous êtes baignés dans cette atmosphère ici. Mais pour l’homme occidental, il faut une preuve, il veut savoir ce qu'il va gagner! La plus facile et la plus frappante chose à démontrer, c'est la guérison. Voilà. C'est pourtant bien simple. Je ne sais pas si tu le comprends. Le Christ a aussi fait la même chose!


Tu as vu le frère A?1... Il a beaucoup changé – beaucoup changé. Il est incomparablement mieux qu'avant. Il est allé chez des bouddhistes, paraît-il. Il devait aller chez Vinoba Bhave, mais je ne crois pas qu'il y soit resté parce qu'il vient d'un monastère bouddhique.

Mais il reste aussi chrétien, bien sûr?

Je ne sais pas... Il ne veut pas rentrer en France parce qu'il dit qu'il serait «embêté» là-bas! Il va aller dans un monastère de Grèce, puis il a dit qu'il reviendrait ici... Mais il a beaucoup changé. Beaucoup.

Et l’autre... (le guérisseur), l’autre est très amusant!

Oui?

Il est très amusant! (Mère rit) Si c'était une conscience ordinaire, il a une outrecuidance! – Chez lui, c'est une sorte de spontanéité. C'est très amusant. Mais tous les deux (A.R. et frère A) se sont assez bien entendus; ils ont dit qu'ils se rencontreraient, ils se sont donnés rendez-vous... je ne sais plus où.

C'est amusant.

Mais que penses-tu de cette «mission miraculeuse» dans le monde?

(Mère rit) S'il réussit, ce sera intéressant. Voilà ce que je pense.

Est-ce une illusion, ou est-ce une promesse? Je ne sais pas... N'est-ce pas, pour sa hernie, c'est assez intéressant; parce que quand tu m'en as parlé, j'ai concentré, j'ai regardé, et j'ai vu la Force qui venait et que s'il faisait rentrer sa hernie, elle ne sortirait plus – c'est déjà miraculeux. Mais lui, dit qu'elle doit rentrer d'elle-même, sans que l’on intervienne!... Ça, c'est... c'est beaucoup plus loin sur l’échelle. Si ça arrive, eh bien, vraiment je m'inclinerais.

Je ne sais pas, on verra.

Je ne sais pas, mais j'ai un peu l’impression d'une illusion: cette idée d'un «grand coup» à porter sur les esprits en opérant des miracles...

Oh! oui. Ça, c'est impossible. Ça, c'est un enfantillage.

Oui, il me semble.

Surtout ici où il y a tant de gens qui ont accompli de soi-disant miracles.

Il veut faire cela en Europe.

Ah!

En Europe, avec la télévision, la T.S.F, et en remuant les masses, par des guérisons spectaculaires.

Baba! C'est un enfantillage.

Mais oui! il me semble.

Mais il n'y a qu'à le laisser faire.

Ce ne sont pas des miracles qui peuvent convertir l’humanité.

Non.

Non. Mais c'est parce qu'il n'a pas de culture qu'il pense comme cela.

Maintenant, ça peut arriver! Après tout, je ne suis pas très sûre que le Christ n'ait pas fait des miracles.

Si, il a fait des miracles.

Ah! on nous le dit – nous n'étions pas là! (rires)

Ce qui me heurte un peu, c'est cette idée de faire «mieux que le Christ»... J'ai l’impression que c'est TOUT AUTRE CHOSE qu'il faudrait faire!

(Mère rit) Oh! oui.

(silence)

Mais il paraît que le Christ lui-même a dit qu'il reviendrait «avec le glaive de Dieu» – cela veut dire que ce n'est plus du tout la même chose.

Moi, je n'ai jamais cru: j'ai eu beaucoup de difficultés, c'est Sri Aurobindo qui m'a fait croire à la réalité physique du Christ; j'ai toujours pensé que c'était une histoire que l’on racontait – on a pris n'importe qui et on en a fait une histoire. Mais Sri Aurobindo y croyait. Il disait que c'était un Avatar – un Avatar partiel.

(silence)

Mais au fond, ce que je voudrais comprendre, c'est quel genre de pouvoir il a, quel genre de réalisation il a, cet homme? Quel genre de pouvoir, est-ce que c'est un pouvoir supramental, ou quoi?

Tout ce que je peux dire, c'est que, sur tous les gens qu'il a soignés ici, il n'en a pas guéri un seul – pour tous, c'est revenu. Et selon ma vision, c'est parce que, ici, ne sont malades que ceux qui DOIVENT l’être.

Alors, cela ne peut pas être un pouvoir supramental.

(silence)

Il a demandé à me voir aujourd'hui. Je vais le voir. Naturellement je ne dis rien, et s'il parle, je ne l’écoute pas. Mais j'essaierai de VOIR.

D'après ce qu'il dit, et d'après ce que j'ai vu jusqu'à présent, il a l’impression d'une Harmonie qui est supérieure à la création et qui n'est pas encore manifestée pleinement, et qui se manifesterait à travers lui... Il y a quelque chose de vrai là-dedans, excepté qu'au lieu de se manifester à travers une personne, cette Harmonie essaie de descendre sur la terre. Ça, je l’ai vu; je crois que là où il est enfantin, c'est de prendre cela comme une chose personnelle – c'est tout. C'est cela, mon impression. Mais que cette Harmonie essaye de descendre et qu'elle favoriserait certainement la nouvelle création, cela me paraît être exact.

Le succès dans le monde dépend toujours d'une... (comment dire?) d'une diminution et d'une personnification des choses; par exemple, il n'y aurait (pour moi) rien d'étonnant à ce qu'il fasse des miracles, parce qu'une chose qui, pour une conscience – une conscience éclairée, la Conscience de la Vérité – est une conséquence logique, pour la conscience qui n'est pas éclairée, ça devient miraculeux. Alors qu'il se fasse une réputation de miracles ne serait pas du tout étonnant. Peut-être est-il appelé à devenir...

C'est amusant! (Mère rit)

Il ajustement la candeur (la candeur de l’ignorance) qui fait qu'il n'a pas un mental qui regarde et qui sourit. Il est tout entier dans sa conviction – c'est une condition pour les gens, ils en sont encore là.

On verra.

Tous ces super-miracles ne sont pas convaincants.

Oh! non, pas du tout! Pas du tout.

Pas convaincants. C'est une sorte de super-prestidigitation, et puis quand c'est passé, c'est passé – ça n'a rien changé dedans.

Non.

Alors, qu'est-ce qu'il va faire là-dedans?... J'ai l’impression qu'il va entrer dans une voie douloureuse, cet homme. Il va tomber dans la fosse aux lions.

N'est-ce pas, il n'a pas vu la lumière ici. Il est resté enfermé dans sa réalisation.

Mais oui! C'est d'ailleurs pour cela que j'aurais voulu le voir avant qu'il ne te rencontre.

Non-non! Non, c'est amusant mon petit! il faut laisser, il faut voir les choses! (Mère rit, moqueuse) Tu peux le voir APRÈS. Moi, je tiens à le voir avant – tu mettrais en lui quelque chose... Non-non! Je veux le voir.

Mais parce que, douce Mère, ce qu'il va faire, et ce qu'il fait: il est devant toi (ou il est devant n'importe qui), il s'en va, hop là! il attrape sa «chose», et puis voilà, il la tire.

Mais moi, je peux aller au-dessus!

Oui, mais alors il prendra ça pour quelque chose «du dessus»!

Ah! mais ça ne fait rien! (Mère rit) Ça ne fait rien, mon petit! C'est très amusant (Mère rit de plus belle)... Tu sais, recevoir l’Illumination DE LA VÉRITÉ; est une telle grâce – je ne sais pas... si vraiment elle est pour lui, il l’aura, et c'est cela que je veux savoir. S'il ne Ta pas, ça veut dire que... (Mère fait un geste vaste avec un rythme), il fait partie de l’immense Jeu.

(long silence)

C'est aujourd'hui qu'il vient. J'ai dit qu'il fallait qu'il aille te voir en sortant d'ici, comme cela tu pourras sentir si... si quelque chose a été ébranlé.

Oui, qu'il vienne me voir chez moi en sortant d'ici.

Il vient vers trois heures et demie – je ne vais pas le garder longtemps.

Ah!... il n'a pas appris à s'asseoir par terre, non?

Si, il peut, douce Mère.

Avec cette hernie, ce n'est peut-être pas...

Si son dos est appuyé, il peut... Chez moi, je l’ai fait asseoir par terre.

Ah! alors ça va bien.

Mais le dos appuyé...

(silence)

Moi, je comprends très bien comment ça se passe:ily a une certaine (je ne sais pas si c'est une réalisation) mais il y a quelque chose qui est là [geste au-dessus], on attrape Ça, et on peut l’attraper en se prosternant devant un caillou, en se prosternant au Samâdhi, en étant dans la rue et partout, et c'est la-même-Chose.

Oui-oui.

Et c'est irréfutable.

Oui, c'est cela.

Alors, il peut être devant toi, attraper ça, et puis c'est «la même chose»!

(Mère rit)

Mais je suis convaincue que la première fois que je l’ai vu, il n'y a pas eu de différence pour lui: il était entièrement enfermé dans sa propre création. Seulement c'est entré, mais il n'a pas senti que c'était quelque chose de nouveau... N'est-ce pas, la subtilité du discernement vient d'un raffinement de conscience qui n'est pas à la portée de tout le monde. La subtilité de discernement.

Pour moi, ce qui est mystérieux, c'est que l’on puisse avoir la conscience divine et ne pas voir. Comment est-ce possible? Parce qu'il a une conscience divine, c'est sûr. Mais comment ne voit-il pas?

(Après un silence) Tel que je le vois, lui, c'est parce qu'il a besoin que ce soit manifesté par une conscience personnelle. Une «conscience personnelle», je veux dire quelqu'un (Mère) qui est «conscient de porter le Divin» et qui sent «je porte le Divin», tu comprends? Quand ça, ce n'est pas là (le Divin est là, c'est tout, mais il n'y a pas le «je suis le Divin»), il ne peut pas sentir. Et je vais plus loin: je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'Européens ou d'Occidentaux qui puissent le sentir. Les Indiens, c'est à cause de l’atavisme. Et tous ceux qui sont westernized [occidentalisés] ne peuvent plus sentir. Ils ont besoin du sens de la personne, la personne qui dit: «Je suis», tu comprends. Mais ce corps... (riant) le corps a dépassé le stade où il dit «je suis»! l’idée même le fait rire.

C'est pour cela.

Pourtant, moi, je sens une différence. J'ai été très longtemps à me creuser la tête et à essayer de comprendre. Je me disais: quand je touche Ça là-haut, c'est la même chose, et c'est toujours la même chose... jusqu'au jour où je me suis dit: «Voyons, quelle est la différence quand je suis avec Mère et quand je suis seulement avec Ça?»

Tu as senti la différence?

Et alors là, j'ai compris quelque chose (il n'y a pas longtemps de cela).2 J'ai eu l’impression que quand j'étais avec toi, ce n'était pas quelque chose que j'attrapais là-haut, c'était plutôt quelque chose qui était du dedans.

Ah!

Comme si j'étais pris du dedans.

Oui-oui.

Et que tout s'allumait du dedans.

Oui, c'est ça! c'est ça. C'est ça même, c'est exact.

Ce n'était pas quelque chose qui me tombait sur les épaules.

Oui, c'est cela. Mais c'est la raison d'être de ça (Mère touche son corps), de la présence ici. C'est pour que ce soit... du dedans – pas une descente miraculeuse.

Oui, c'est la différence.

Mais alors, lui, ça l’a encore plus convaincu, tu comprends? Il s'est senti (devant Mère) tout à fait, oui, confortable. C'est pour cela que je t'ai dit que l’ego physique n'est pas parti... Ça lui a paru tout naturel. Il devait se sentir très confortable!

(silence)

l’état maintenant est tel que lorsque le corps se sent (se sent, c'est-à-dire qu'il a conscience d'être un corps), c'est instantanément le malaise, quelle que soit la condition. Même quand il se sent comme dans un état d'adoration ou d'aspiration ou..., c'est accompagné d'un malaise; et c'est seulement quand il n'y a plus du tout la conscience de son existence séparée qu'il est à l’aise. Et alors, l’état normal, c'est le silence, l’immobilité; mais... (comment expliquer, parce que l’image n'est pas juste), n'est-ce pas, quand la Présence, non pas passe au travers mais irradie comme cela (geste), irradie dans une activité, alors tout va bien, et il n'y a plus du tout la sensation de «ça (le corps) à travers quoi»: ça à travers quoi le Divin passe – non. C'est comme cela (geste immuable), et c'est immobile et inexistant, ça n'a pas conscience de soi-même, ça a conscience seulement de... l’Action Divine, comme ça. Alors tout va bien. Et dès qu'il y a seulement même une simple impression de la Chose qui passe «à travers», alors vient le malaise. N'est-ce pas, c'est devenu un état très aigu.

Tiens, je pourrais dire (ça a l’air d'être de la littérature), mais dans un certain état, dans cet état où il ne se sent plus, où il n'y a plus que la conscience du Divin, c'est le sens d'une Immortalité, de l’Éternité; et s'il y a la moindre sensation de «quelque chose dans quoi» le Divin se manifeste, ça devient absolument le sens de la mort – on redevient mortel imédiatement. Et aigu, tu sais, aigu comme cela. Et alors c'est très subtil parce que... la sensation (la sensation, la perception, le sentiment) de «je» a complètement disparu, tout le temps, tout le temps – ça vraiment, complètement; c'est le «quelque chose», le quelque chose qui est encore un peu différent, et alors ça, ça devient terriblement douloureux – il n'est parfaitement à l’aise que quand il ne se sent plus.

C'est difficile à expliquer, mais c'est comme cela.

(long silence)

Ce doit être cela... Il y a d'innombrables couches de conscience. Le développement (le développement universel) a permis progressivement la prise de conscience de chaque couche; plus on est développé, plus on perçoit les différences de couches; et c'est seulement quand on est conscient de TOUTES les couches de conscience et que ça ne forme plus qu'une unité (mais une unité consciente de sa multiplicité), qu'alors ce qui est tout au fond... la Suprême Conscience peut se manifester pleinement. Et dans les corps, il y a encore des couches qui ne sont pas pleinement conscientes; il y a encore des couches qui restent comme un résidu de tout ce qui a précédé: le minéral, le végétal, l’animal, tout cela. Alors, toute la partie pleinement consciente des cellules est pleinement illuminée, mais... Il n'y a qu'à voir, d'ailleurs (Mère montre la peau de ses mains, intransformée visiblement)... C'est devenu EXTRÊMEMENT sensible, le moindre choc produit un... C'est devenu extrêmement sensible... Ça paraît ne pas avoir la même «densité»... mais l’apparence est tout à fait la même. Ceux qui ont une vision intérieure voient quelque chose (une autre forme de Mère), mais c'est seulement parce qu'ils ont la capacité de vision intérieure. Alors c'est cela (ce résidu). N'est-ce pas, dans la conscience des cellules, il y a la conscience pour ainsi dire «intérieure» aux cellules qui est pleinement-pleinement consciente, mais il y a quelque chose qui reste comme cela (le résidu, Mère fait un geste qui recouvre comme une croûte). Et alors, ce travail-là, un homme comme A.R. ne l’a pas fait, n'est-ce pas: c'est une espèce de conscience globale floue. Il est lui-même conscient de quelque chose qui est «plus fort que son corps» et qui «se sert» de son corps, me paraît-il... Dans le monde, c'est très utile, et ça peut faire naître toutes sortes de choses. Mais il n'est pas prêt pour la transformation, tu comprends: lui-même, son corps. Il a l’espèce de certitude intérieure que ça PEUT être, mais... Je ne sais pas... à moins que le Seigneur ne veuille que ce soit comme cela; alors ce serait amusant – vraiment ça m'amuserait beaucoup!

Parce qu'il parle, lui, d'un travail de transformation des cellules.

Il parle, oui.

Mais alors, qu'est-ce qu'il veut dire justement?

(Mère rit) C'est vrai, n'est-ce pas!

Mais je te l’ai dit, j'ai fait l’expérience quand je l’ai vu: quand il est parti, au moment où il est parti, j'ai voulu toucher sa main pour savoir – mais j'ai touché une main, tu comprends? J'ai touché une main (Mère palpe une dureté), il y avait sa main –je n'ai pas touché le Divin: j'ai touché une main... Et alors il a l’impression, je crois, que c'est à travers sa main que la Force agit.

Oui (pour lui), il s'agit toujours d'une «descente»; ce n'est pas quelque chose qui irradie du dedans. C'est une Force qui descend.

Il a toujours cette impression?

C'est l’impression que j'ai, moi, avec lui.

C'est l’impression que j'ai aussi. Quand il était assis là, je voyais la Force qui descendait-descendait-descendait en lui, mais enfin il y avait un monsieur qui s'appelait A.R. qui était là!

Ce n'est pas du tout quelque chose qui irradie du dedans.

Non.

Mais la conscience qui est là (geste au-dessus de Mère) est très consciente que ça (Mère touche ses mains), ce ne sont pas des mains! (Mère rit) On aurait beau essayer, cela n'est pas! Ça peut être un corps raffiné, mais ce ne sont pas des mains. Mais quand je suis assise là, comme ça, quand ce corps est assis et qu'il y a quelqu'un, il n'est plus conscient de lui-même; il n'est pas du tout conscient d'une Force qui passe à travers lui, plus conscient de lui-même – il y a la Présence Divine qui agit. Et il devient conscient de la réceptivité de l’autre, de l’action que fait cette Force chez les autres, tout cela – et ça (le corps), ça n'existe plus.

Mais ce n'est qu'un commencement.

C'est un commencement.

Qu'est-ce qui se passera?...

(silence)

Tout ce qui est conscient dans ça (corps), tout cela n'a qu'une, qu'une... qu'un mouvement: c'est qu'il n'y ait plus de différence. C'est tout. Et pas du tout l’impression de «tirer» ici ou là, ni de «monter» là-haut – ce n'est pas cela: plus de différence.

Et la différence devient de plus en plus douloureuse – beaucoup plus douloureuse qu'une maladie (ce n'est pas le même genre de chose: c'est une sorte d'angoisse intérieure).3

(silence)

Alors tu le verras ce soir, après sa visite (Mère rit, moqueuse)


(Le soir, le disciple a donc vu A.R. et après une discussion difficile où nous avons essayé d'ouvrir les yeux de cet homme, nous avons envoyé la lettre suivante à Mère pour lui rendre compte de ce qui s'était passé. Nous étions devant le Monisme irréfutable – qui ne voit pas ce qui est sous son nez.)

Le 25 octobre 1969

Douce Mère,

Auprès de toi, A.R. dit qu'il sent seulement une différence d'intensité de la même Chose. J'ai essayé de lui expliquer que ce n'était pas tout à fait «la même chose», mais irréfutablement il dit qu'il n'y a qu'UNE Chose avec des intensités diverses, et que, seulement, toi tu laisses passer Ça plus purement que d'autres. Et comme nous avons parlé d'Avatar, il a dit: «Il ne peut pas y avoir de différence entre un Avatar et un Yogi réalisé, et s'il y a une différence, c'est que le Yogi n'est pas réalisé vraiment.»

Bref, nous avons tourné l’un et l’autre autour d'une indéfinissable différence – qui est peut-être la Grâce.

Et pour finir, il n'était pas très content de moi... Je le regrette. J'ai l’impression que j'ai lamentablement échoué.

Ton enfant un peu «puzzled» [troublé]

avec amour,

Satprem


(Réponse de Mère)

Satprem, mon cher enfant,

Ce que A.R. appelle moi (la mère) c'est ce corps physique, et c'est un fait qu'il ne reçoit rien de lui. Qu'il le sache et le sente ou non, il reçoit tout d'en haut, pas du dedans de son corps.

J'ai observé attentivement aujourd'hui; et la Présence est descendue, sous une forme impersonnelle, en lui d'une façon continue pendant tout le temps qu'il était assis en face de moi; rien n'allait directement de ce corps au sien. Il est resté ici moins longtemps aujourd'hui que la première fois, mais l’expérience était la même. Au moment de son départ, je lui ai pris la main pour voir si je sentais quelque chose de particulier, mais, comme la première fois, je n'ai rien senti, rien donné, rien reçu.

Ce qu'il dit de l’avatar et du yogi est logiquement vrai.

Mais peut-être y a-t-il un secret que les hommes ne peuvent pas comprendre... excepté et seulement s'ils abdiquent totalement leur humanité.

Ne sois pas «puzzled» et tu sentiras le merveilleux sourire qui préside à toute chose.

Avec toi toujours,

Mère

29 octobre 1969

(l’entrevue commence avec une heure de retard.)

C'est affreux!...

C'est dommage pour l’Agenda, parce que, quand à onze heures, tu as vu tant de personnes... Combien de fois tu m'as dit: «Ah! mais il me semble que j'avais quelque chose à te dire, et puis ce n'est plus là...» C'est dommage.

Oui, mais toute la vie est comme cela. Et j'essaye, j'essaye, mais tout le monde arrive – des birthdays [anniversaires], des visites, des... Et encore, je ne prends pas tout le monde. C'est devenu effrayant.

Je veux faire quelque chose: deux fois par semaine, je refuse de voir des gens, les jours où tu viens.

Je m'arrangerai parce que ça commence à être impossible. Je ne peux pas faire le travail dans ces conditions.


(Puis Mère écoute la traduction anglaise des «Notes sur le Chemin» proposées par le disciple. Il s'agit de la conversation du 16 août où Mère parlait de la nécessité de faire le vide et d'attendre l’Ordre d'en haut.)

Je crois que c'est incompréhensible pour les gens, ils vont tous se mettre à s'endormir!...

(À Nolini:) What do you think, they can understand? [qu'en pensez-vous, ils peuvent comprendre?]

(Nolini:) Understand does not matter, it is all right!... I tell to my class always – when I read Mother’s things, to the class I say: don't try to understand, try to feel what is there – don't understand. The understanding if it comes it's all right, if it does not come, don't worry. Try to feel what is there.1


(Peu après, à propos du prochain anniversaire du disciple et de sa dernière rencontre avec le guérisseur.)

J'ai essayé de voir quoi te donner... Je ne sais pas. Tu n'as besoin de rien? Si tu as besoin, dis... Quoi? Il n'y a rien dont tu dirais: «Ah! si j'avais ça...» Tu ne t'es jamais dit ça?

Non.

Tu es admirable!

Non-non! mais j'ai tout ce qu'il faut!

u auras quel âge?

46 ans.

Baba!

(silence)

Il parait que j'ai soulevé des torrents avec A.R.?

Pauvre homme! il a pleuré... Mais finalement, je pense que ça lui a fait du bien.

Il s'en va dans quelques jours.

C'est très difficile de savoir ce que l’on doit faire.

Oui.

(long silence)

On ne peut pas savoir. Moi, je suis convaincue que l’on ne peut pas savoir, qu'il faut être comme cela (Mère ouvre les mains vers le haut). Ce que j'ai dit là (dans les «Notes» que l’on vient de lire) est vrai: il faut être comme cela, et puis... laisser faire la Conscience à travers.

C'est ce que j'ai essayé de faire. Tu ne vois pas d'erreur là-dedans?

Non! pour moi, ça n'existe pas.

Vu de loin, je suis convaincue que ça lui a fait beaucoup de bien. Sur le moment, c'était très dur.

Mais j'ai été poussé à lui parler comme cela parce que j'aimais bien cet homme!

Oui.

S'il m'avait été indifférent, j'aurais dit: «Oui-oui, c'est très bien», et puis c'est tout.

Oui. On ne sait pas. Le corps ici commence à comprendre tout à fait qu'il faut être comme cela (geste vers le haut). La seule chose tout à fait importante, c'est d'avoir TOUJOURS la conscience tournée vers... n'est-ce pas, vers la Perfection qu'il faut manifester. C'est tout.

Avec l’entendement que l’on a, il est IMPOSSIBLE de savoir. On voit trop petit.

C'est ce que j'essaie de faire, et ce que je prie que tu me donnes, c'est cela, douce Mère, c'est de faire la Vraie Chose.

Oui, c'est cela. C'était ce que je voulais te donner demain... si je peux. Mais ce n'est pas «moi», tu comprends: demande là-haut et tu l’auras.

novembre




1er novembre 1969

(l’entrevue commence avec un retard record de une heure et demie.)

Ça devient un peu difficile...

Qu'est-ce que tu as à me dire?... Ta dernière entrevue avec A.R.? Il n'a rien dit?

Il reste ce qu'il est. Il a dit: «Je préférerais me faire tuer sur place plutôt que de changer de politique»! Et du même souffle, il dit: «Je veux trouver, je veux trouver, et si je ne trouve pas, c'est que le Divin ne veut pas.» Alors il veut trouver mais il ne veut pas changer...

Je vais te raconter quelque chose... La dernière fois qu'il est venu, je l’ai fait asseoir et je me suis dit: nous allons voir. Et j'ai commencé la méditation comme d'habitude, c'était très bien et il recevait – la même chose. C'était exactement pareil. Puis j'ai invoqué (parce que c'était le jour des «poudja»), j'ai invoqué les quatre Aspects de la Mère. Ils sont venus. Deux se sont tenus d'un côté de A.R. et deux se sont tenus de l’autre. Puis j'ai attendu. Et puis, au bout d'un moment, j'ai vu qu'il baissait la tête, et puis... tout d'un coup, il s'est mis à tousser1 (ce qu'il n'avait jamais fait). Alors j'ai arrêté. Mais je n'ai rien demandé, je lui ai donné une lettre... de consolation, et puis ce message que j'avais donné l’autre jour:

«C'est dans le silence d'une complète identification au Divin que la vraie compréhension est obtenue.»

Je lui ai donné cela sans rien dire et je l’ai laissé partir. J'ai dit «au revoir», il m'a secoué la main comme cela (!) et il est parti.

Et alors, j'avais chargé F de lui donner le petit livre «La Mère», mais quand elle est arrivée chez lui, il était déjà en méditation avec un certain nombre de gens (ils se tenaient tous par la main). Alors on ne sait pas du tout quelle a été la réaction. Tout ce que je sais, c'est que la veille de son départ, A.R. et Z ont fait le chemin ensemble, et elle lui a demandé quel était le résultat de son séjour ici et ce qu'il avait appris? Il a répondu: «Oh! il est trop tôt pour savoir, je le saurai plus tard.»

Ce procédé de se tenir les mains en méditation, c'est le procédé que l’on emploie quand on veut faire circuler les forces vitales... Je faisais cela avec un groupe en 1910. Et toutes ces choses-là me paraissaient... pas la vraie Chose dès que je suis venue ici. Et pourtant, il est ouvert et il reçoit la Force très bien. Mais dès qu'il y a quelque chose d'autre, ça ne va plus. Voilà.

Mais en même temps, il dit: je veux trouver!

Oui, mais c'est comme cela.

Et moi, dès que j'ai voulu toucher un peu à sa construction, ça a fait un drame affreux!

Oui, c'est cela. Il veut trouver, mais il veut trouver dans sa construction.

On verra. Ça va travailler! (Mère rit) On va voir..

J'espère que mercredi prochain, ce sera mieux!2

5 novembre 1969

(l’entrevue commence avec une heure et demie de retard.)

À dire vrai, je ne sais pas comment faire... Le mercredi et le samedi, je réduis au minimum, c'est-à-dire que plus de la moitié des gens, je les refuse. Et c'est comme cela. Et les autres jours, je continue de travailler quelquefois jusqu'à midi. C'est devenu...

Et je commence de bonne heure. Mais les demandes (d'entrevue) me sont faites par un minimum de une, deux, trois, quatre... huit personnes: chacun en apporte. Alors il n'y aurait qu'un moyen, c'est d'avoir plusieurs corps!

Je voulais te raconter une chose amusante. Tu sais qu'il y a deux ans que je n'ai plus joué là-bas (de musique) – impossible. Et c'était la fête de Sunil l’autre jour, et Sunil m'a dit: «Oh! il faut me jouer pour le premier janvier.» J'ai dit: «Je vais essayer.» Et je suis allée là-bas, et je me suis assise, et puis mes mains ont commencé à jouer. Pendant plusieurs minutes, je n'ai même pas entendu un son de ce que je jouais! Puis, petit à petit, le son est venu, et j'ai joué une dizaine de minutes. Et c'est venu tout seul comme si j'avais joué hier!... Alors j'ai fait des compliments à mon corps! Je lui ai dit: ça va bien. J'étais contente parce que je me suis dit: il n'a pas perdu – c'était plus facile que ce n'était les dernières fois que j'ai joué! C'est venu comme cela (geste dansant) et ça s'amusait et ça trouvait.

Et quelqu'un a joué, je ne sais pas qui – pas quelqu'un d'humain. Ça m'a un peu consolée! (Mère rit)

C'était mieux que la dernière fois,1 parce qu'il n'y avait aucune idée que je POUVAIS rien faire, le corps était sûr qu'il ne pouvait rien du tout, qu'il devait avoir perdu l’habitude, mais quand je me suis trouvée assise, les mains ont commencé à jouer...

Ça a l’air d'être de plus en plus: «Ce que Tu veux, je le fais.» C'est cela, l’attitude du corps. Le corps dit: «Ce que Tu veux, je le fais.»

Alors, à ce point de vue, ça ne recule pas: ça avance.

Pour organiser, je n'ai plus le contrôle – je n'ai plus le contrôle, chacun a pris le contrôle!... J'ai perdu l’habitude de dire «je veux», tout à fait.

Et je vois bien, tous les gens sont harcelés, c'est par vingt, vingt-cinq, trente à la fois que l’on demande. Alors là-dessus, on diminue autant que possible. Et j'avais dit d'une façon positive (et j'ai • insisté, je le redis chaque fois que j'en ai l’occasion): le mercredi et le samedi, je ne veux pas avoir beaucoup de monde... J'ai dit: «J'ai du travail à faire, je ne peux pas.»

Mais je comprends bien, chacun est harcelé. On m'apporte des paquets de demandes – je refuse tout ce que je peux.

Il y a quelque chose à trouver.

Si je t'appelais de bonne heure?

C'est ce qui est le plus commode pour toi.

Il n'y a pas de «commodité» pour moi.

Si, il y a des conditions: ces entrevues, je le comprends, ne peuvent être vraiment ce qu'elles doivent être que si tu as un minimum de temps vide vraiment, où tu n'es pressée par rien, pour pouvoir entrer dans une expérience.

Ça, je peux à n'importe quel moment.

Oui, mais enfin il y a un minimum...

Non.

Parce que, combien de fois tu m'as dit: «Oh! j'avais quelque chose à te dire, et puis c'est parti», combien de fois!

Non, c'étaient des expériences qui ne me paraissaient plus valoir la peine d'être dites. Non, ce n'est pas cela – l’état est immuable, mon petit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Oui, l’état ne change pas, mais pour exprimer, il faut un minimum de disponibilité. Quand tu es harcelée à onze heures et demie, ce n'est évidemment pas le moment.

Non, si j'avais quelque chose à dire, je le dirais. Tu vois, je t'ai raconté l’histoire de Sunil – je le dirais. Non, ce que j'ai à dire n'est pas... Il y a une courbe, et en ce moment, il y a des choses très-très contradictoires qui sont présentes et actives: un accroissement de confiance et une diminution de confiance – les deux en même temps.

Je reçois des lettres très impertinentes de gens qui me demandent pourquoi j'ai fait ceci ou pourquoi j'ai fait cela (ça m'est absolument indifférent: quand je lis, je ris – ça m'est tout à fait égal), mais je vois, je vois l’atmosphère: il y a une progression de confiance et de dépendance, une progression très rapide et très grande. Et il y a en même temps... tous les petits ego qui se révoltent et qui sont furieux! Mais c'est très bien parce que ça vient de la Pression de la Conscience qui veut que les choses soient... ouvertes.

N'est-ce pas, il y avait des gens qui avaient des rancœurs pendant longtemps, ils ne disaient rien – ils sont obligés de dire. C'est comme cela. Il y a une très forte pression pour la transformation. Et c'est cela qui fait que, naturellement, je suis débordée par les gens... Parce qu'il y a un point sur lequel je ne cède pas: ce sont les heures de soi-disant sommeil; à partir de huit heures du soir jusqu'à huit heures du matin à peu près, cela fait douze heures où le travail intérieur peut se faire, et ça, je ne veux pas y toucher. Naturellement, douze heures, c'est beaucoup: c'est la moitié de la journée. Alors, les douze autres heures, c'est l’avalanche. Mais je tiens à ça, parce que ce sont les heures où le plus important est fait. (C'est un peu moins, ce serait de neuf heures à cinq heures du matin où vraiment c'est comme cela; là, c'est vraiment le moment où le travail est concentré sur la transformation.) Ce n'est pas que le reste démente, pas du tout: cet état de conscience est immuable. Au fond, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de minutes, même de minutes dans les vingt-quatre heures, où le corps ne soit pas conscient de la Présence divine – il est comme cela. Mais les heures de journée, c'est dans l’action, c'est pour les autres; les heures de nuit, c'est pour sa propre transformation.

Alors, ces heures d'action, elles sont comme cela... Tous les jours, je vois au moins trois ou quatre personnes qui étaient tout à fait inutiles; alors c'est noté, mais ce n'est pas beaucoup; pour la majorité, quelque chose est fait, vraiment c'est quelque chose qui se fait. Ça remue, tu comprends – ça remue. Il y a même des choses, quelquefois, qui sont tout à fait étonnantes.

Alors comment faire?

Seulement je voudrais... J'ai dit: il n'y a que deux jours par semaine où je demande à avoir au moins une heure tranquille pour pouvoir travailler... Je ne sais pas comment faire. J'élimine autant que possible, mais ça vient, ça arrive tout le temps. Et il y a beaucoup de choses qui devraient être faites et qui ne sont pas faites.

Je ne sais pas comment faire. Je voudrais vraiment... je considère que ce devrait être au moins une heure, un minimum d'une heure, deux fois par semaine. Il y a longtemps que j'avais pris la résolution.

Je pourrais fixer une heure plus tôt, mais alors il y aurait tous les gens qui attendent, qui presseraient.

Ce n'est pas pour moi.

Je sais bien.

C'est plutôt pour ce que l’on fait que je m’attriste.2

Oui, je sais bien.

Il est midi.

8 novembre 1969

(l’entrevue commence avec dix minutes d'avance. Mère tend au disciple une fleur de «transformation».)

Tu veux?

Oui, c'est nécessaire!

Elles sont jolies... Il n'y en a qu'une qui soit nécessaire: tout en bas, celle-là (Mère donne la fleur en riant).

Toi (à Sujata), je t'en donne quatre.

Voilà.

Mais est-ce que ça se fait indépendamment de notre effort?

Quelque chose est fait, ça, je sais. Quelque chose est fait.

Et même la Pression est très forte et il y a des gens qui prennent cela pour des malaises. J'ai fait l’expérience dans mon corps: que le moment du changement d'autorité – tu sais, ça passe d'une autorité à une autre –, c'est toujours difficile, et si l’on n'est pas averti, on peut prendre cela pour les signes d'une maladie, tu comprends? le commencement d'une maladie. J'ai remarqué que chez beaucoup de personnes ici, à l’Ashram, c'est comme cela. Elles se croient malades – ce n'est pas cela, c'est l’incertitude... ce sont les cellules qui ne savent plus à qui elles doivent obéir. Alors, s'il y a la Pression consciente, ça finit très vite. Mais j'ai vu des choses... Vraiment, si toutes ces choses étaient racontées en détail, ça aurait l’apparence d'une quantité de petits miracles; et ce n'est pas cela, c'est tout simplement que la Conscience travaille, mais alors au lieu de s'étendre sur très longtemps, ça se fait très vite. Ça commence comme une grande douleur ici ou là, quelque chose qui est tout désorganisé, mais si l’on reste bien tranquille et que l’on appelle la Conscience, alors... ça fond, ça disparaît – mais «comme cela», en quelques minutes. J'ai ça tout le temps, c'est quatre ou cinq fois par jour comme expérience. Et pourtant, il y a encore beaucoup de travail à faire. Et l’apparence (c'est de toute évidence), ce sera la DERNIÈRE chose à changer, et qui prendra peut-être beaucoup plus longtemps1 que le changement intérieur.

À la dernière attaque, je me suis voûtée, et ce n'est pas parti (j'avais même pensé à un moment donné, que A.R., quand il viendrait, pourrait peut-être faire quelque chose – ça n'a rien fait du tout... ce n'était pas le moment), et alors, tout dernièrement, deux ou trois fois, est venue la conscience de se redresser – j'ai très bien pu me redresser, mais... C'est venu comme pour me dire: «Tu vois, c'est comme cela que ça se fera.» Et puis c'est parti, parce que ce n'était pas encore le moment. C'est parti. Le changement apparent semble devoir être le dernier, et... Dieu sait quand ça viendra.

Le changement intérieur se fait. Mais c'est trompeur pour les gens qui ne sont pas avertis, parce que ça peut même commencer par une douleur assez forte.

Et la conscience physique («conscience», si l’on peut appeler cela conscience: la conscience contenue dans les cellules – pas tout au fond, mais celle qui fait fonctionner les cellules), elle est habituée à l’effort, à la lutte, à la misère, à la défaite... tellement habituée, c'est tout à fait universel. Chez les gens, c'est seulement leur conscience mentale (et souvent, quand ils sont plus avancés, leur conscience vitale) qui tient; mais la conscience physique a tendance à prévoir la catastrophe tellement elle est habituée: la fin, n'est-ce pas, cette fin qui a été inévitable pendant des siècles et des siècles... ça pèse. C'est très difficile. C'est un travail très lent et très constant pour remplacer cette espèce d'habitude... de la défaite au fond, par une... Il ne faut pas que ce soit une volonté, il faut que ce soit une foi; il faut qu'il y ait la foi; et alors, pour que cette foi puisse s'installer, il faut d'abord que les cellules soient tout à fait, tout à fait soumises, c'est-à-dire qu'elles soient constamment tournées vers le Suprême avec... «Que Ta Volonté soit faite», quelle qu'elle soit. «Ça ne me regarde pas, ce n'est pas mon affaire: que Ta Volonté soit faite.» Et alors, quand ça, c'est bien établi, petit à petit peut venir la vraie conscience; la vraie conscience que la vérité, c'est l’Harmonie, la vérité c'est le Progrès, la vérité c'est la Lumière, la vérité... Alors, petit à petit, ça vient. Mais c'est un long travail.

Seulement, comme je l’ai dit dans les dernières Notes,2 ce qui est appris est appris, il n'y a plus de fluctuations. Mais, n'est-ce pas, il y a beaucoup de cellules. Tu sais scientifiquement combien il y en a?

Non! ce doit être des milliards.

Oui, quelque chose comme cela. Alors on les sent: il y en a qui vibrent et qui sont lumineuses, mais c'est noyé dans la masse...

Je t'ai dit la dernière fois, quand j'étais au piano, je me suis aperçue que mes mains étaient très conscientes, c'est-à-dire qu'elles étaient extrêmement réceptives, ça leur paraissait tout à fait naturel – il n'y avait aucun rapport avec la conscience du corps, elles étaient mues par la Conscience d'en haut... Les mains, elles ont eu une éducation spéciale. Mais tu comprends...

Et il y a une partie, la partie du corps qui est le plus en rapport avec l’extérieur (Mère touche la région de la bouche et delà gorge), celle-là, ce centre-là qui est le rapport avec le dehors, tout ça... oh! c'est difficile, c'est très difficile – très difficile. De temps en temps, avec une aspiration, il y a un commencement de changement, alors ça fait une sorte de catastrophe! étouffer et tousser et... horrible. Alors je suis obligée de calmer – attendre. Il faut que ça prenne du temps. l’organisme n'aurait pas le pouvoir de résister au désordre que ça crée.

Et d'ailleurs, Sri Aurobindo me l’a dit très carrément; il m'a dit: on ne peut pas espérer que ce soit moins de deux ans.

Deux ans?

Deux cents ans! On ne peut pas espérer que ce soit moins de deux cents ans. Il a dit: «Normalement, cela devrait prendre trois cents ans.» Il avait lui-même commencé, n'est-ce pas, et il savait – il savait très bien, j'ai vu cela quand il est parti: la conscience qui est sortie de son corps, qui est entrée tout droit dans le mien... et il y en avait! Et ça ne l’a pas empêché d'être malade.

C'est une grosse besogne.

Mais cette Conscience est très active. Et elle est active pour rendre conscient; alors celui qui a mauvais caractère a encore plus mauvais caractère, et celui qui est méchant est encore plus méchant! Et c'est comme cela. Celui qui est sensitif est encore plus sensible. Et ça rend la vie extrêmement difficile, extrêmement.

C'est de plus en plus comme cela.

Il est évident que le temps – le temps, cette espèce de travail de la Nature qui semblait être un gaspillage de temps et de tout, tout le temps –, c'était peut-être une charité. C'était pour ne pas bousculer les choses! Je vois ça. Je vois ça: n'est-ce pas, la confusion devient de plus en plus aiguë et les difficultés de plus en plus difficiles – naturellement la conscience est de plus en plus claire, ça, très claire, oh! très claire... Ça, c'est vraiment intéressant. Je regarde quelqu'un, j'entends un mot, on me raconte une chose, imédiatement le tableau complet (geste comme un cinéma devant les yeux), avec toutes les impressions de chacun; et puis si je suis bien tranquille et bien attentive: les conséquences, ce qui va arriver.

(silence)

Je t'avais dit que j'avais fait ce que Sri Aurobindo avait fait, c'est-à-dire: être absolument passive avec l’aspiration – seulement vivre dans l’aspiration pour s'unir et manifester le Divin: la seule occupation. Et alors, j'ai vu que la vie se désorganisait de plus en plus! (comme ces entrevues qui commencent avec une heure et demie de retard). Alors j'ai décidé que, sur certains points, ce que je verrai comme la vraie chose, je l’imposerai. Et alors je dois dire que le Pouvoir est vraiment puissant! (Mère rit) tu vois l’effet! (Ventre-vue a commencé à 9h50). J'ai décidé. Je m'attendais à plus de résistances, mais pas une. On va voir si ça continue maintenant3...


(Peu après, à propos d'un texte écrit par le disciple, «Le Grand Sens», et de sa traduction anglaise.)

J'avais écrit cela pour la télévision italienne, et puis la télévision est sous le contrôle du Vatican, alors ils n'en ont pas voulu.

C'est très-très-très bien. Il faut imprimer ça.

Pour l’anglais, je ne suis pas absolument sûre de moi, c'est pour cela que je veux que quelqu'un d'autre le revoie, mais en dernière analyse... Parce que la connexion avec Sri Aurobindo est constante, alors je peux lui demander. Et de plus en plus, il me fait connaître l’anglais exactement. Mais les langues sont en train d'évoluer beaucoup: le français est en train d'évoluer, l’anglais aussi beaucoup. Et ce qui est curieux, c'est que les langues se rapprochent; au lieu de s'éloigner, elles se rapprochent. Il y a une langue terrestre qui est en train de se préparer quelque part – pas ici: quelque part.

Sri Aurobindo disait toujours que de franciser la forme anglaise, la rendait supérieure, mais qu'au contraire, si l’on anglicise la langue française, on la diminue. La langue française est plus claire. Mais elle est un peu rigide, elle a besoin de souplesse.

(silence)

Ça ne m'étonne pas qu'ils ne l’aient pas pris (Le Grand Sens), c'est, une œuvre de combat.

C'est pour les jeunes, c'est là que ça doit aller; c'est pour ceux qui ne sont pas satisfaits et qui cherchent quelque chose.

12 novembre 1969

(Mère cherche quelque «bouche-trou» pour le prochain Bulletin.)

J'ai quelque chose ici:

In life the most precious things are among those you do not see with your physical eyes.

(le disciple traduit)

Les choses les plus précieuses dans la vie sont celles que vous ne voyez pas avec vos yeux physiques.

Non! Je n'ai pas dit «celles», j'ai dit «parmi celles», parce qu'il y a aussi les plus mauvaises!1

On peut mettre aussi une chose de Sri Aurobindo, courte?

(le disciple lit)

Every truth, however true in itself, yet, taken apart from others which at once limit and complete it becomes a snare to bind the intellect and a misleading dogma...

Oh! c'est très bien.

...For in reality, each one is a thread of a complex weft and no thread must be taken apart from the weft.2

Il faut mettre ça!3


Alors...

Tu n'as rien à demander? Rien à dire?...

Toi?

Travail à un pas accéléré.

J'ai l’impression d'être très harcelé.

Harcelé?

Dans le subconscient surtout.

Oh! moi aussi, oh! il y a une révolte générale.

Mais la conscience du «comment», c'est-à-dire de ce qu'il faut faire intérieurement, devient de plus en plus claire et précise. Mais tout-tout-tout semble se mettre de travers: les gens, les choses, tout. Il n'y a pas de jour qui ne se passe sans que l’on me raconte quatre ou cinq histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête... et il y en a qui se passent ici.

Et en même temps, la conscience est claire-claire, de plus en plus claire.

Moi, je n'arrive pas à voir ce qui peut dissoudre ça, parce que, dans la conscience de veille, on est à peu près... je ne veux pas dire lumineux, mais enfin tendant vers la Lumière; on ferme les yeux et on s'endort: trois minutes après, on est poursuivi et on se bat avec des choses... Pourquoi est-ce comme cela? Qu'est-ce qui peut dissoudre ça?

Oh! c'est comme cela?

Oui, qu'est-ce qui peut dissoudre ça?

La conscience du Suprême, la vraie conscience.

Oui, mais alors justement, on a l’impression que l’on ferme les yeux et on est une autre personne, et puis voilà.

(Mère est très haletante)

C'est vrai, j'ai passé des années et des années et des années à changer ça, c'est-à-dire à faire que la conscience reste consciente toute la nuit. Mais ça prend très longtemps.

Tu fais une concentration avant de dormir?

Oh! toujours. C'est cela qui est surprenant, d'ailleurs.

Quelle est la nature? C'est vital ou mental?

J'ai l’impression que c'est vital... Par exemple, cette nuit, c'était comme un énorme bateau sur lequel j'étais clandestinement ou sans billet, et alors j'ai passé je ne sais pas combien d'heures à courir d'un endroit à l’autre pour me cacher, poursuivi parce que je n'avais pas de billet, ou parce que je n'avais pas le droit d'être là, et j'étais poursuivi-poursuivi. Qu'est-ce que c'est que ce monde?

Le vital.

Et qu'est-ce que c'est que ce bateau?... La Société?

Mais c'est très intéressant, dis-moi!

(après un silence)

N'est-ce pas, tous les mouvements de l’évolution – tous, que ce soit sur n'importe quel plan –, tous les mouvements de l’évolution se traduisent par un moyen de transport: bateau, train, auto, n'importe. Et alors... Il y avait beaucoup de monde sur le bateau?

Oui, beaucoup.

C'était un grand bateau?

C'était un grand paquebot, oui.

Alors (riant) c'est sûrement ça! C'est l’évolution collective, telle qu'elle est selon les lois de la nature ordinaire, et toi, tu représentais là, la connaissance supérieure qui voulait changer l’allure, changer la marche du bateau. C'est très clair. Et naturellement (riant), tu sais comment est le monde: il ne veut pas qu'on le dérange! Alors tu devais te cacher.

Oh! oui, j'étais poursuivi, j'allais d'une cabine à une autre, je cherchais des coins partout pour me réfugier.

Oui, c'est cela.

C'est très fatigant.

Seulement, si, dans ton sommeil, tu restais branché sur la Conscience Suprême, au lieu de te sentir poursuivi, tu aurais probablement senti que tu VOULAIS être là et que l’on ne te voulait pas, et que tu te cachais pour pouvoir faire ton travail. C'est simplement une nuance de sensation, tu comprends? Mais cette image... oh! ça m'est arrivé combien de fois!

Moi aussi, plusieurs fois.

Oui, et des endroits avec une foule énorme qui veut vous attaquer. Mais alors, quand on reste comme cela, en contact, on a la sensation de cette Conscience qui vous guide de façon à vous faire échapper à toutes les mauvaises volontés.

C'est très intéressant! c'est une image très correcte. C'est comme cela qu'ils sont, ceux qui montrent le chemin.

Ils sont assaillis.

Assaillis, oui, littéralement.

C'est dans le vital, mais si le vital garde le contact, alors on voit bien que l’on est assailli, mais on sait que l’on est tout à fait protégé. Et alors, on fait ce qu'il faut pour que l’on ne vous trouve pas, mais on n'a pas la sensation de menace.

Oui, ces choses-là ne changeront que quand... quand le monde changera. Mais en ce moment, il est en pleine révolte, oh! c'est comme si l’on avait jeté dedans quelque chose qui avait produit une ebullition de fureur partout.

Parce que même dans la journée, sans raison aucune, ilm'arrive d'avoir ce sentiment que tout grince et que je suis mal à l’aise et que je ne suis pas bien; et pourtant, dans ma conscience claire, il n'y a aucun motif.

Oui, c'est cela. Mais il m'est arrivé dernièrement (c'est tout dernièrement, une fois hier, une fois vendredi dernier), j'ai eu cette espèce de... (comment dire? je ne sais pas comment ils appellent cela, mais il pense4 que c'est une «maladie» – j'ai dit: je n'ai pas de maladies!)... ce sont les nerfs, les nerfs qui sont attaqués nerveusement par l’atmosphère nerveuse des autres – ça fait des souffrances presque intolérables. Depuis que j'étais installée ici, je ne l’avais jamais eu, c'était Sri Aurobindo qui m'avait enlevé cela (je lui avais expliqué: ça m'était arrivé quand j'étais rentrée de l’Inde en France et ça a été assez sérieux). Mais depuis que j'étais ici, jamais. Et c'est revenu l’autre jour par quelqu'un qui était ici et qui a produit cela. Et ce quelqu'un ne sait pas du tout, n'a pas de mauvaise volonté CONSCIENTE. Et hier encore, avec une autre personne, c'était la même chose. Et alors j'ai dû... mettre le Seigneur sur les nerfs avec force – ça m'a pris plus d'une demi-heure, trois quarts d'heure pour arriver à remettre de l’ordre. Et là, je me suis dit: «Diable! la bataille devient sérieuse.»

C'est une «maladie». Ils appellent cela une maladie des nerfs: ce sont tous les nerfs qui sont sensibilisés et qui souffrent terriblement. Quand je l’avais eu, je ne pouvais plus manger, pouvais plus dormir, pouvais plus bouger, pouvais plus... Et ça, c'était parce que5... J'avais fait une folie: j'étais rentrée en France en laissant mon être psychique ici; alors ça m'a prise dès que je me suis éloignée suffisamment de l’atmosphère; dès que je suis entrée dans la Méditerranée, ça a commencé. Et ça a été très sérieux.

Et de temps en temps, il y avait des attaques comme cela, mais quand je suis revenue ici définitivement, Sri Aurobindo l’a com-plè-te-ment fait partir (il y a longtemps de cela). C'est seulement vendredi dernier que c'est venu et hier... J'espère que ça ne recommencera pas.

Mais c'est la bataille... C'est comme ce qui se passe là-bas pour P.L.: c'est la bataille partout. Surtout dans le vital; surtout, encore plus que dans le mental; dans le mental, il y a un mouvement de compréhension, mais dans le vital... une rage, n'est-ce pas, une rage.

Il faut tenir le coup. C'est ce que je me suis dit: il n'y a qu'à tenir le coup, il n'y a rien d'autre à faire.

Et la seule façon, c'est... tu comprends, c'est de s'accrocher à la Conscience Suprême (Mère ferme ses deux poings), et de s'accrocher au point que ce soit Elle seule qui existe – ne pas être conscient directement de la mauvaise volonté qui entoure. Ça, c'est très important. N'est-ce pas, il n'y a que le Suprême, tout le reste n'existe pas, n'est pas vrai. Comme ça (même geste poings fermés). Et alors, il faut faire comme cela et se tenir comme cela, comme on se tient sur un pic entouré de vagues qui vous attaquent.

N'est-ce pas, la conscience ne peut plus sentir (elle voit, est consciente de), mais elle ne peut plus sentir, c'est fini. Mais le physique encore... je croyais que c'était fini, mais il peut encore sentir.

C'est de la mauvaise volonté vitale, partout. Ça rend les gens désagréables, ça les met en colère, ils ont des réactions...

Il n'y a qu'à tenir le coup, c'est tout – rien à faire, il n'y a pas autre chose à faire.

(silence)

Si l’on n'est pas capable, alors il faut tout recommencer!

(silence)

C'est la possibilité pour les cellules physiques de tenir le coup de la transformation physique. C'est pour cela que... c'est pour cela, la mort! (riant) Quand on ne peut pas tenir le coup, on meurt.

Ce n'est pas une plaisanterie, n'est-ce pas. Mais c'est intéressant.

C'est intéressant parce que, je me souviens, j'avais déjà fait le yoga; j'avais déjà une expérience plus grande que la majorité des gens quand j'ai eu cette difficulté des nerfs (c'était en 1915), et je me souviens comment c'était et comment j'ai tenu le coup, et c'est revenu après... 1915, maintenant nous sommes en 1969, c'est-à-dire plus de cinquante ans après. Et vraiment, j'ai senti la différence de mon corps, vraiment. J'ai vu, le premier jour quand c'est venu (il faut te dire que c'est l’une des douleurs qui est considérée comme la plus difficile à supporter), et quand c'est venu, la seule... il n'y a eu rien d'autre que: «Ah! Toi.» Voilà. Comme cela. Et puis s'accrocher comme ça (même geste poings fermés), et puis ne plus bouger. Et ce sont des douleurs qui vous empêchent de respirer, qui vous empêchent de bouger, qui sont extrêmement pénibles, tous les nerfs se mettent de travers; eh bien, avant, je savais, j'appelais, mais j'étais en quelque sorte (au moins en partie) identifiée à la douleur, tandis que cette fois-ci, la réaction n'a pas été une réaction de souffrance – la souffrance était là, mais pas une réaction de... oh! qui pourrait se traduire par cette merveilleuse «pitié de soi» que l’on a toujours. Eh bien, ça, c'était complètement parti, c'était seulement: «Ah!... Toi-Toi-Toi-Toi-Toi...» Et c'était une pression sur la personne qui était là – qui d'ailleurs ne s'est aperçue de rien du tout, ni l’autre jour, ni hier (la première fois, c'était une femme; hier, c'était un homme): aperçus de rien.

Mais je me suis dit: «Eh bien, ça devient sérieux!» Le monde vital a commencé à se mettre en révolte.

C'est cela: avant de t'endormir, il faudrait te concentrer avec la volonté – une volonté obstinée – d'être complètement identifié à la Conscience Suprême, comme cela (même geste poings fermés), quoi qu'il arrive. Alors, ce seront les mêmes circonstances, mais au lieu d'avoir ce malaise d'être poursuivi, on voit tout avec... on voit comme la Conscience est avec vous pour vous aider en toutes circonstances. Alors ça devient très intéressant. Très intéressant.

Tu es fatigué quand tu te réveilles?

Généralement, oui.

Mais moi, je prends cela pour un bon signe! (Mère rit) Ça veut dire que tu vas bien, ça va bien!6

Bon!

15 novembre 1969

Nous cherchions l’autre jour quelque chose pour «boucher un trou» dans le Bulletin et on m'a apporté ça (Mère tend un texte), c'est de Sri Aurobindo.

Sri Aurobindo is in no way bound by the present world's institutions or current ideas whether in political, social or economic field; it is not necessary for him either to approve or disapprove of them. He does not regard either capitalism or orthodox socialism as the right solution for the world's future; nor can he admit that the admission of private enterprise by itself makes the society capitalistic, a socialistic economy can very well admit some amount of controlled or subordinated private enterprise as an aid to its own working or a partial convenience without ceasing to be socialistic. Sri Aurobindo has his own views as to how far Congress economy is intended to be truly socialistic or whether that is only a cover, but he does not care to express his views on that point at present.

15.4.1949

La traduction

«Sri Aurobindo n'est d'aucune manière lié par les institutions du monde actuel ni par les idées courantes, que ce soit dans le domaine politique, social ou économique; il n'a pas besoin de les approuver ni de les désapprouver. Il ne considère pas que le capitalisme ni le socialisme orthodoxe soient la solution juste pour l’avenir du monde; il ne peut pas admettre non plus que de reconnaître l’entreprise privée suffise en soi à rendre capitaliste une société; une économie socialiste peut très bien admettre une certaine somme d'entreprise privée, contrôlée ou subordonnée, comme une aide à son propre fonctionnement ou comme une commodité partielle, sans pour autant cesser d'être socialiste. Sri Aurobindo a sa propre façon de voir dans quelle mesure l’économie du Congrès le rend vraiment socialiste ou si c'est seulement un camouflage, mais il ne se soucie pas d'exprimer pour le moment son point de vue à ce sujet.» Sri Aurobindo

(15.4.1949)

C'est intéressant.

On dirait que ça sort maintenant, c'est maintenant que ça commence à se montrer.1

Oui, c'est une réponse à maintenant.

Il paraît qu'il y a beaucoup de choses écrites de sa propre main où il dit: «Sri Aurobindo a dit», il parle de lui-même comme cela: Sri Aurobindo a dit.

Oui, j'ai vu cela plusieurs fois aussi; ça me frappait. Je me demande pourquoi?

C'était pour ne pas mettre «je» – je crois que c'est cela. C'était pour qu'il n'y ait pas de sentiment de «je» là-dedans. Ou bien c'est la Conscience qui, à travers lui, dit: «Sri Aurobindo a dit», parce qu'on a demandé à Sri Aurobindo, et la Conscience répond. C'est comme cela. Ça veut dire que ce sont des choses qui viennent directement d'en haut.2

(silence)

Tu as apporté quelque chose de spécial?... Moi, je n'ai rien, excepté une toute petite chose, c'est que cette nuit, pour la première fois, pendant à peu près deux heures de suite (j'étais simplement comme je suis toujours, comme cela, tranquille), et la Force... c'était comme si j'étais une éponge. Je ne sais pas comment dire; ce n'est pas que ça venait d'«en haut», ni comme ça (geste latéral), mais ça entrait – j'étais comme un tuyau –, et alors elle sortait-sortait-sortait... Pendant une heure, la Force, d'une couleur dorée intense, sortait comme cela, et puis se répandait sur le monde. Et c'est la première fois que je l’ai sentie physiquement – je sentais physiquement. Et c'était d'une puissance extraordinaire! Et ça (le corps), c'était comme si j'étais... un robinet ou un tuyau, tu comprends – mais ça ne venait pas d'un endroit précis: c'était comme si j'étais plongée dedans et que, par moi, ça passait et ça passait (geste à travers Mère, se répandant partout). Et ça, pendant plus de deux heures, de bonne heure le matin, c'est-à-dire entre une heure et quatre heures du matin (je ne sais pas exactement); j'ai l’impression que ça a duré plus de deux heures et demie comme cela. Et je voyais la Force. Le corps servait seulement comme moyen de toucher la terre – n'est-ce pas, ça venait et puis ça sortait et ça se répandait. Et ça allait... je voyais comme cela, je voyais que tous ceux qui appellent, ça allait vers eux. C'était dirigé par une conscience tout à fait consciente, mais moi, j'étais... tranquille, (riant) simplement j'étais le tuyau!

C'est la seule chose que j'avais à dire.

C'est la première fois que ça arrive physiquement, c'était physique.3

(silence)

Ça va mieux, la nuit? Tu n'as pas eu de rêves?

Rien de particulier.

Rien à la suite de ce que tu as dit?

Non... j'ai eu un rêve avec A.R. seulement.

Tiens!... Moi, je ne l’ai jamais vu la nuit, pas une fois.

Et tes nuits sont bien?

Oui, douce Mère, pas très conscientes mais ça va.

Bon.4

J'ai l’impression qu'il y a une pression pour que les choses aillent vite. Et la nature physique a été habituée à considérer qu'il faut faire attention aux malaises, autrement... À l’observation, j'ai remarqué que beaucoup de malaises ont un but précis pour agir sur une chose afin qu'elle change. Je t'en avais parlé la dernière fois. Ce n'est pas revenu du tout depuis ces deux fois-là (ces douleurs des nerfs), et j'ai eu la preuve que ça avait fait un changement considérable dans l’une des personnes; l’autre, je ne sais pas encore, je ne l’ai pas revue...

C'est-à-dire que le physique est un peu peureux de nature. Et maintenant, il apprend – il apprend.

Il a aussi une sorte de méfiance pour tout ce qui est nouveau dans son fonctionnement, c'est-à-dire que si le fonctionnement que l’on considère comme «normal» est changé, il a une méfiance, il se demande si... Je ne sais pas si tous les corps physiques sont comme cela, mais je m'aperçois que les autres gens, la moindre de ces choses que j'ai tout le temps maintenant, brr! ils en font une histoire! comme s'ils allaient être très malades. Alors je pense que c'est assez général. D'abord, j'avais commencé par gronder beaucoup ce corps en lui disant: «Tu es un poltron!» (Mère rit) mais le pauvre! je crois que c'est très général.

C'est sa spontanéité maintenant: n'importe quoi arrive (bon, mauvais, difficile, n'importe), tout de suite: l’aspiration, l’appel, l’expression de la confiance, qui ne se traduit pas par des mots mais c'est... vraiment: «Que Ta Volonté soit faite» – et lumineusement. Et j'ai l’impression que ça va vite – il faut que ça aille vite.

(silence)

Et au point de vue de l’attitude vis-à-vis des circonstances et du caractère des autres, il y a cet admirable atavisme que l’on a, qui est tellement «naturel» qu'on ne le remarque même pas, et maintenant... Pendant des années, j'ai regardé-regardé, eh bien, tu sais, quand on est né bourgeoisement, on est affreusement bourgeois! Et on ne s'en aperçoit même pas! (Mère rit) Et c'est tellement ridicule!... J'ai remarqué ici, pour les Indiens, qu'ils ont l’atavisme de leur caste; même quand, volontairement, ils sont sortis de la caste, ils ont cet atavisme; et c'est comme cela que j'ai commencé à voir; et puis je me suis aperçue que c'est juste la même chose pour moi! N'est-ce pas, on est né bourgeoisement, on est bourgeois affreux, affreusement – ridiculement!

Ça s'en va dans un sourire.

C'est dans la relation avec les autres. Je ne sais pas si dans ton «bourgeoisisme» c'est comme cela: une espèce de méfiance de l’aventurier.

Oh! oui.

C'est cela! Ce qui n'est pas «solidement admis». J'ai vu cela. Mais c'est fini maintenant. Maintenant, on peut voir tout cela et sourire – tout cela est parti. Dans T action, n'est-ce pas (dans la pensée, il n'en est pas question depuis très longtemps), mais c'est dans l’action, dans la façon d'agir avec les autres – là, on peut s'attraper!... C'est cela qui est amusant.

(silence)

Et Auroville est une grande Aventure.

Je vois comment c'est en train de s'organiser, c'est vraiment intéressant, vraiment intéressant.5

Est-ce que tu as rencontré ce Persan?

Non, je ne l’ai pas vu.

Ce n'est pas un intellectuel.

Qu'est-ce qu'il veut faire?

C'est un inventeur, homme d'action – je pourrais dire «inventeur-aventurier», mais je ne le dis pas: il est encore ici! (Mère rit) Mais c'est vraiment intéressant.

Mais qu'est-ce qu'il veut faire ici?

Oh!... il veut «aider» à la création d'Auroville. Il a déjà une société: Auroville International, et il va commencer son action – et il se promène. C'est un homme qui sait quatre ou cinq langues et il a un mental d’inventeur;6 il paraît que son invention... il y a des ingénieurs ici qui l’ont vue et qui ont dit que c'était remarquable, par conséquent... Moi, je ne peux pas en juger. C'est pour ces machines-là (Mère désigne le magnétophone), c'est une transformation des machines de réception et de reproduction. Je ne sais pas, mais les autres m'ont dit que c'était remarquable. Il aime organiser, mais il est... c'est justement: il aime l’aventure, c'est dans son tempérament (au fond, les inventions sont des aventures, et il est comme cela). Et alors, il a déjà fondé une société qui s'appelle «Auroville International», qui a des membres en Europe et son siège aux États-Unis... tout ce que l’on peut imaginer. Moi, je regarde et je m'amuse beaucoup! En apparence, il est très soumis et très dévoué, mais... Pour le moment, je n'ai pas de preuve que ce soit autre chose qu'une «apparence nécessaire». Mais il est gentil, c'est un homme de bonne volonté vraiment... mais je le vois avec un plumet sur son chapeau!

Alors on va voir.

a réagi à la lecture de ce «Grand Sens»?7

Oh! il a réagi, il «sait faire» les choses, mon petit (!) Il a dit: c'est très beau – d'un ton tout à fait convaincu! Mais... Je ne sais pas, je ne l’ai pas vu assez après, pour voir si ça avait changé son point de vue. Je crois que ça l’a fait se replier un peu sur lui-même, j'ai remarqué qu'intérieurement il a réagi. Et ce que j'ai vu, c'est que ça l’a rendu un peu prudent à mon égard!... Peut-être cela lui a-t-il donné l’impression que je pouvais voir à travers lui!8 (Mère rit)

Mais il est de ces gens qui vraiment ne sont pas bourgeois au point de vue de l’argent, c'est-à-dire qui n'ont pas beaucoup la notion de la propriété personnelle. Et alors, je me suis attrapée (c'est comme cela que je me suis attrapée!)... J'ai fait un effort, moi-même, pour arriver à ce point de vue: que l’argent est une force qui doit circuler et qui ne doit pas être une propriété personnelle; et dans la conscience, tout va bien, mais le corps a sa vieille habitude, et il a observé que cet homme est dans cet état-là: pour lui, l’argent est une force qui doit circuler, aller où elle doit aller, elle n'appartient pas à celui-ci ou celui-là – alors, il (le corps) a d'abord eu la réaction: «Ah! attention, c'est un aventurier.» (Mère rit) Je me suis attrapée, j'ai dit (riant): «Tu vois, tu prêches, et quand on fait comme tu dis!...» J'ai trouvé cela très amusant. Mais j'ai vu, il s'est enthousiasmé pour l’idée d'Auroville et ça paraît être tout à fait sincère, il a même dit que c'était ce qu'il avait cherché depuis longtemps. Alors, il y va «bon-jeu-bon-argent»... Il a été ministre en Perse; mais la Perse a eu des révolutions et il n'y est plus, il est en Amérique; mais c'est un homme qui a l’habitude de gagner de l’argent.

Là, je me suis bien attrapée, je me suis bien amusée. Je me suis dit: «Voyons, tu es tombée sur l’homme qui te comprend!» (Mère rit) C'est amusant, tu sais!

Cet Auroville va être une expérience très intéressante.

À première vue, Auroville n'est pas fait de gens encombrés par la morale!

Oh! non... Ah! nous avons beaucoup de petits Auroviliens, beaucoup, mais tu sais, il y en a là-dedans qui sont absolument remarquables au point de vue de la conscience; ils sont grands comme une botte, mon petit, ils sont conscients! C'est épatant. J'ai tenu un petit bébé tamoul dans mes mains, il y a quelques jours, il était grand comme cela, comme une poupée (formé délicieusement, des petits pieds exquis), et alors, cet enfant, j'ai voulu faire l’expérience: je l’ai pris sur mes genoux et puis j'ai mis la Force – si tu avais vu la transformation de son expression! Il n'a pas encore les yeux ouverts, et c'était comme une paix béatifique qui est venue sur lui. Je me suis dit: «Voyons s'il dort ou s'il est conscient?» Alors j'ai touché son pied – il a sauté, c'est-à-dire qu'il ne dormait pas du tout. Admirable! une expression admirable... J'en connais un autre qui n'a pas encore deux ans, mais mon petit, il a une façon de voir et d'agir d'un enfant de cinq ans! Alors, tout de même, il se passe quelque chose. Et la dernière expérience, c'est une femme (elle est venue avec la «caravane»), elle a eu en France un premier enfant: elle a souffert pendant trente-cinq heures pour l’avoir. Elle en a eu un ici (avant-hier, je crois): une heure sans souffrir. Et une heure après, quand c'était fini, elle était debout! Alors elle a dit: «Ça, c'est Mère, parce que moi, je ne sais pas comment ça se fait!»

Il se passe quelque chose.

(Mère entre dans une longue contemplation pendant laquelle le disciple sent comme une force créatrice très puissante.)

Je pense souvent à une autre création qui servirait un peu ce monde nouveau.

Quoi?

Je ne sais pas justement... l’aspiration à faire descendre quelque chose – par écrit puisque je n'ai rien d'autre – qui aiderait ce monde nouveau.

Oui, ce serait bien.

Mais quoi? Je ne sais pas.

Oh! si tu pouvais cristalliser... (comment dire?) l’intermédiaire; cristalliser le prochain pas, pour donner à ces gens quelque chose qu'ils puissent voir, qu'ils puissent... Ils sont dans une... une grande confusion.

Cette chose que tu as écrite (Le Grand Sens), c'est déjà très bien, mais il faudrait encore quelque chose d'autre.

Ça va venir9 si tu...

Mais je ne sais pas sous quelle forme!

Ah?

On peut dire les choses d'une façon psychologique, comme dans «l’Aventure de la Conscience» (psychologique et raisonnée), et puis on peut les dire d'une façon plus poétique, c'est-à-dire sous une forme de roman, ou sous une forme de théâtre ou sous une forme de poème – je ne sais pas.

Poème? Tu n'as jamais écrit de poèmes?

Non, jamais!... Je ne sais pas quelle forme.

(Après un silence) Ça viendra, ça va venir.

Il y avait une très forte présence juste maintenant.

Sûrement, ça viendra.10


ADDENDUM

(Dernières notes de Mère sur Auroville.)

Qui a pris l’initiative de la construction d'Auroville?

Le Seigneur suprême.

Qui participe au financement d'Auroville?

Le Seigneur suprême.

Si l’on veut vivre à Auroville, qu'est-ce que cela signifie pour soi?

Essayer d'atteindre à la perfection suprême.

Doit-on être un étudiant du yoga pour pouvoir vivre à Auroville?

Toute la vie est un yoga. Ainsi on ne peut pas vivre sans pratiquer le yoga suprême.

La vie de famille continuera-t-elle à Auroville?

Si on en est encore là.

Peut-on conserver la religion à Auroville?

Si on en est encore là.

Peut-on être athée à Auroville?

Si on en est encore là.

Y aura-t-il une vie sociale à Auroville?

Si on en est encore là.

Y aura-t-il des activités communautaires obligatoires à Auroville?

Rien n'est obligatoire.

Y aura-t-il une circulation d'argent à Auroville?

Non. C'est seulement avec le dehors qu'Auroville aura des relations d'argent.

Qui sera propriétaire des terrains, des constructions?

Le Seigneur suprême.

En quelles langues l’enseignement sera-t-il donné?

Dans toutes les langues parlées sur terre.

8.10.1969


Un jour viendra-t-il où il n'y aura plus de pauvres et plus de souffrances dans le monde?

Ceci est absolument certain pour tous ceux qui comprennent l’enseignement de Sri Aurobindo et ont foi en lui.

C'est avec l’intention de créer un endroit où il puisse en être ainsi que nous voulons fonder Auroville.

Mais pour que cette réalisation soit possible, il faut que chacun fasse effort pour se transformer lui-même, car la majorité des souffrances des êtres humains est le produit de leurs propres erreurs, physiques et morales.

8.11.1969


Comment crois-tu qu'à Auroville il n'y aura plus de souffrance – tant que les gens qui viendront vivre à Auroville seront des hommes de ce même monde, nés avec les mêmes faiblesses et les mêmes défauts?

Je n'ai jamais pensé qu'il n'y aurait plus de souffrance à Auroville, parce que les hommes, tels qu'ils sont, aiment la souffrance et l’appellent, tout en la maudissant.

Mais on tâchera de leur enseigner à aimer vraiment la paix et à essayer de pratiquer l’égalité d'âme.

C'est de la pauvreté involontaire et de la mendicité dont je voulais parler.

La vie à Auroville sera organisée de telle sorte que cela n'existera pas – et si des mendiants viennent du dehors, ou bien ils devront partir, ou bien on les hospitalisera et leur apprendra la joie du travail.

9.11.1969


Quelle est la différence fondamentale entre l’idéal de l’Ashram et celui d'Auroville?

Il n'y a pas de différence fondamentale dans l’attitude à l’égard de l’avenir et du service du Divin.

Mais les gens de l’Ashram sont considérés comme ayant consacré leur vie au yoga (excepté, naturellement, les élèves qui ne sont ici que pour leurs études et à qui l’on ne demande pas d'avoir fait leur choix dans la vie).

Tandis qu'à Auroville, la seule bonne volonté de faire une expérience collective pour le progrès de l’humanité suffit pour être admis.

10.11.1969

19 novembre 1969

Ce matin vers huit heures, j'aurais pu te dire beaucoup de choses...

Parce qu'il y a eu un jour où beaucoup de problèmes se sont posés, à la suite de quelque chose qui s'est passé... puis ce matin (à la fin de la nuit), j'ai eu l’expérience qui était l’explication. Et pendant deux heures, j'ai vécu dans une perception absolument claire (pas une pensée: une perception claire) de... pourquoi et comment la création. C'était tellement lumineux! tellement clair! c'était irréfutable. Et ça a duré pendant au moins quatre ou cinq heures, puis ça s'est décanté; petit à petit, l’expérience a diminué d'intensité, de clarté... Et puis je viens de voir beaucoup de monde, alors... c'est difficile à expliquer maintenant.

Mais tout était devenu si limpide! Toutes les théories contraires, tout cela se trouvait en bas (Mère regarde d'en haut), et toutes les explications, tout ce que Sri Aurobindo a dit, et aussi certaines choses que Théon avait dites, tout cela, comme conséquence de l’expérience: chaque chose à sa place et absolument claire. À ce moment-là, j'aurais pu te le dire, maintenant ça va être un peu difficile.

N'est-ce pas, beaucoup de choses que Sri Aurobindo avait dites restaient... malgré tout ce qu'on a lu et toutes les théories et toutes les explications, il y avait quelque chose qui restait (comment dire?) difficile à expliquer (ce n'est pas «expliquer», ça, c'est tout petit). Par exemple, la souffrance et la volonté de faire souffrir, ce côté-là de la Manifestation. Il y avait bien une sorte de prévision de l’identité originelle de la haine et de l’amour, parce que ça allait aux extrêmes, mais pour tout le reste, c'était difficile. Aujourd'hui, c'était si lumineusement simple, c'est cela! si évident!... (Mère regarde une note qu'elle a écrite) Les mots, ce n'est rien. Et puis j'ai écrit avec un crayon qui écrit mal...

Je ne sais pas si tu peux voir ces mots. Ils représentaient quelque chose de très exact pour moi; maintenant, ce ne sont rien que des mots.

(le disciple lit)

Stabilité et changement
Inertie et transformation...

Oui, c'étaient des choses évidemment identiques dans le Seigneur. Et c'était cela surtout: c'était la simplicité de cette identité. Et maintenant, ce ne sont plus que des mots.

Stabilité et changement
Inertie et transformation
Éternité et progrès

Unité =...

(le disciple n'arrive pas à déchiffrer)

Ce n'est pas moi qui écris, c'est-à-dire que ce n'est pas la conscience ordinaire, et le crayon... Je ne sais plus ce que j'ai mis.

(Mère cherche à lire en vain)

C'était la vision de la création: la vision, la compréhension, le pourquoi, le comment, le où ça va, tout y était, tout ensemble, et clair-clair-clair... Je te dis, j'étais dans une gloire dorée – lumineuse, éblouissante.

N'est-ce pas, il y avait la terre comme centre représentatif de la création, et alors c'était l’identité de l’inertie de la pierre (de ce qu'il y a de plus inerte), et puis... (Mère cherche encore à lire)

Je ne sais pas si ça viendra.

Je me souviens que vers 7h30 du matin (c'est à ce moment-là que j'ai écrit), je t'ai appelé en pensée, parce que je disais: «Si tu étais là, je pourrais te le dire.» C'était la vision.

(Mère reste longtemps concentrée)

On pourrait dire comme cela (pour la facilité de l’expression, je dirai: le «Suprême» et la «création»). Dans le Suprême, c'est une unité qui contient toutes les possibilités parfaitement unies, sans différenciation. La création est pour ainsi dire la projection de tout ce qui compose cette unité, en divisant les opposés, c'est-à-dire en séparant (c'est cela qu'avait attrapé celui qui a dit que la création était la séparation), en séparant: par exemple, le jour et la nuit, le blanc et le noir, le mal et le bien, etc. (tout cela, c'est notre explication). Tout ensemble, tout cela ensemble, est une unité parfaite, immuable et... indissoluble. La création, c'est la séparation de tout ce qui «compose» cette unité – on pourrait appeler cela la division de la conscience –, la division de la conscience, alors qui part de l’unité consciente de son unité, pour arriver à l’unité consciente de sa multiplicité dans L’unité.

Et alors, c'est ce trajet qui, pour nous – pour les fragments –, se traduit par l’espace et le temps.

Et pour nous tels que nous sommes, chaque point de cette Conscience a la possibilité d'être conscient de lui-même et conscient de l’Unité originelle. Et ça, c'est le travail qui est en train de s'accomplir, c'est-à-dire que chaque élément infinitésimal de cette Conscience est en train, tout en gardant cet état de conscience, de retrouver l’état de conscience originel total – et le résultat, c'est la Conscience originelle consciente de son Unité et consciente de tout le jeu: tous les innombrables éléments de cette Unité. Alors, pour nous, cela se traduit par le sens du temps: aller depuis l’Inconscient jusqu'à cet état de conscience. Et l’Inconscient est la projection de l’Unité première (si l’on peut dire: tous ces mots sont tout à fait idiots), de l’unité essentielle qui n'est consciente que de son Unité – c'est cela, l’Inconscient. Et cet Inconscient devient de plus en plus conscient en des êtres qui sont conscients de leur infinitésimale existence et en même temps – par ce que nous appelons le progrès ou l’évolution ou la transformation –, qui arrivent à être conscients de l’Unité originelle.

Et ça, tel que c'était vu, ça expliquait tout.

Les mots ne sont rien.

Tout-tout, depuis la chose la plus matérielle jusqu'à la plus éthé-rée, tout entrait là-dedans, clair-clair-clair: une vision.

Et le mal, ce que nous appelons le «mal», a sa place indispensable dans le tout. Et il ne serait plus senti comme mal de la minute où l’on devient conscient de Ça – forcément. Le mal, c'est cet élément infinitésimal qui regarde sa conscience infinitésimale; mais parce que la conscience est une essentiellement, elle reprend, elle regagne la Conscience de l’Unité – les deux ensemble. Et c'est cela, c'est cela qui est à réaliser. C'est cette chose merveilleuse. J'ai eu la vision: à ce moment-là il y avait la vision de ça... Et pour les débuts (est-ce que c'est «débuts»?), ce qu'on appelle en anglais outskirts [la périphérie], ce qui est le plus éloigné de la réalisation centrale, cela devient la multiplicité des choses, et la multiplicité aussi des sensations, des sentiments, de tout – la multiplicité de la conscience. Et c'est cette action de séparation qui a créé, qui crée le monde constamment, et qui en même temps crée tout: la souffrance, le bonheur, tout-tout-tout ce qui est créé, par sa... ce que l’on pourrait appeler «diffusion»; mais c'est absurde, ce n'est pas une diffusion – nous, nous vivons dans le sens de l’espace, alors nous disons diffusion et concentration, mais ce n'est rien de cela.

Et j'ai compris pourquoi Théon disait que nous étions au temps de l’«Équilibre»; c'est-à-dire que c'est par l’équilibre de tous ces points innombrables de conscience et de tous ces opposés, que se retrouve la Conscience centrale... Et tout ce que l’on dit est idiot – en même temps que je le dis, je vois à quel point c'est idiot; mais il n'y a pas moyen de faire autrement. C'est quelque chose... quelque chose qui est tellement concret, tellement vrai, n'est-ce pas, tellement ab-so-lu-ment... ÇA.

Pendant que je le vivais, c'était... Mais peut-être n'aurais-je pas pu le dire à ce moment-là. Ça (Mère désigne sa note), j'ai été obligée de prendre un papier et d'écrire, et c'est au point que je ne sais plus ce que j'ai mis... La première chose écrite était celle-ci:

Stabilité et changement

C'était l’idée de la Stabilité originelle (pourrait-on dire) qui, dans la Manifestation, se traduit par l’inertie. Et le développement se traduit par le changement. Bon. Après, est venu:

Inertie et transformation

Mais c'est parti, le sens est parti – les mots avaient un sens!

Éternité et progrès

C'étaient les opposés (ces trois choses).

Puis il y a eu un temps d'arrêt (Mère tire un trait sous la triple opposition), et de nouveau une Pression, et alors j'ai écrit cela:

Unité =...

(suivent trois mots illisibles)

Et ça, c'était l’expression beaucoup plus vraie de l’expérience, mais c'est illisible – je crois que c'était volontairement illisible. Il faudrait avoir l’expérience pour pouvoir lire.

(le disciple cherche à lire)

Il me semble qu'il y aie mot «repos»?

Ah! ce doit être cela. Repos et...

(Mère entre en concentration)

Ce n'est pas «puissance»?

Ah! oui! «Puissance et repos combinés».

Oui, c'est cela.

Ce n'est pas moi qui ai choisi les mots, alors ils doivent avoir une force spéciale (quand je dis «moi», je veux dire la conscience qui est là: geste au-dessus); ce n'est pas cette conscience-là, c'était quelque chose qui faisait pression, qui m'obligeait à écrire.

(Mère recopie sa note)

Stabilité et changement
Inertie et transformation
Éternité et progrès

Unité = puissance et repos combinés.

C'est l’idée que ces deux-là, combinés, redonnaient cet état de conscience qui voulait s'exprimer.

C'était à la mesure de l’univers – pas à la mesure de l’individu.

Je mets un tiret entre les deux pour dire que ce n'est pas venu ensemble.

Je me souviens, j'avais écrit les deux (puissance et repos) et les deux points pour exprimer qu'ils étaient ensemble, puis le mot «combiné» est venu.

Ça, il faudrait le mettre dans l’Agenda.

Mais déjà, souvent, quand tu parles de cette expérience supra-mentale, tu dis que c'est un mouvement foudroyant, et en même temps, c'est comme complètement immobile. Souvent, tu as dit cela.

Mais tu sais que la plupart du temps, je ne me souviens pas après l’avoir dit.

Tu dis: une vibration si rapide qu'elle est imperceptible, qu'elle est comme coagulée et immobile.

Oui. Mais ça, c'était vraiment une Gloire dans laquelle j'ai vécu pendant des heures ce matin.

Et alors, tout-tout, toutes nos notions, tout, même les plus intellectuelles, tout cela était devenu comme... comme des enfantillages. Et c'était tellement évident que l’on avait l’impression: il n'y a pas besoin de le dire!

Toutes les réactions humaines, même les plus hautes, les plus pures, les plus nobles, ça paraissait si enfantin!... Il y avait une phrase que Sri Aurobindo avait écrite quelque part, qui me revenait tout le temps (un jour, je ne sais plus où, il a écrit quelque chose, une assez longue phrase), et dedans, il y avait: And when I feel jealous, I know that the old man is still there [et quand je me sens jaloux, je sais que le vieil homme est encore là].1 Je l’ai lue il y a plus de trente ans peut-être – oui, à peu près trente ans –, et je me souviens que quand j'ai lu jealous, je me suis dit: «Comment est-ce que Sri Aurobindo can be jealous!» [comment Sri Aurobindo peut-il être jaloux!] Et alors, trente ans après, j'ai compris ce qu'il voulait dire par être jealous – ce n'est pas du tout ce que les hommes appellent jaloux, c'était tout à fait un autre état de conscience, que j'ai vu clairement. Et ce matin, c'est revenu: and when I feel jealous, I know that the old man is still there. Et ce matin, j'ai compris. Être «jealous», for him [pour lui], ce n'est pas ce que nous appelons jaloux... C'est cette parcelle infinitésimale que nous appelons l’individu, cette parcelle de conscience infinitésimale, qui se met au centre, qui est le centre de la perception. Et alors qui perçoit quand les choses viennent comme cela (geste vers soi) ou quand elles vont comme cela (geste en dehors de soi), et tout ce qui ne vient pas vers elle, lui donne une espèce de perception que Sri Aurobindo appelait «jalousie»: la perception que les choses vont vers la diffusion au lieu de venir vers la centralisation. C'était cela qu'il appelait jaloux. Et alors, il a dit: «When I feel jealous (c'était ce qu'il voulait dire), I know that the old man is still there»> c'est-à-dire que cette parcelle infinitésimale de conscience peut être ENCORE au centre d'elle-même: qu'elle est le centre de l’action, le centre de la perception, le centre de la sensation...

(silence)

Mais j'ai pu constater (c'est le moment où je fais ma toilette et où je prends mon petit déjeuner, où j'écris les «cartes de fête» et tout cela), j'ai pu constater que tout le travail pouvait être fait sans que la conscience soit altérée. Ce n'est pas cela qui a altéré ma conscience: ce qui a voilé ma conscience, c'est de voir les gens; c'est quand j'ai commencé à être ici et à faire ce que je fais tous les jours: la projection de la Conscience divine sur les gens.

Mais c'est revenu... (comment pourrait-on appeler cela?) en bordure, c'est-à-dire qu'au lieu d'être dedans, j'ai commencé à le percevoir, quand tu m'as demandé. Mais cette sensation n'est plus là – il n'y avait plus que ça, n'est-ce pas! Il n'y avait plus que ça, et tout-tout avait changé – d'apparence, de sens, de...

Ce doit être la conscience supramentale, je crois que c'est cela, la conscience supramentale.

Mais on peut concevoir très bien que pour une conscience qui est assez vaste, assez rapide, si je puis dire, qui pourrait voir, pas seulement un bout de la trajectoire mais toute la trajectoire en même temps...

Oui-oui.

... tout serait une perfection en mouvement.

Oui.

Le «mal», c'est simplement si l’on arrête la vision sur un petit angle, alors on dit «c'est mal», mais si l’on voit toute la trajectoire... Dans une conscience totale, il n'y a pas de mal évidemment.

Il n'y a pas de contraires. Pas de contraires – même pas de contradictions, je dis: pas de contraires. C'est cette Unité-là, c'est de vivre dans cette Unité. Et ça ne se traduit pas par des pensées et des mots. Je te dis, c'était... une immensité sans limite et une lumière... une lumière sans mouvement, et en même temps, un bien-être... sans même appréciation de bien-être.

Maintenant, je suis convaincue que c'est cela, la conscience supramentale.

Et forcément, forcément petit à petit, ça doit changer les apparences.

(long silence)

Il n'y a pas de mot qui puisse exprimer la magnificence de la Grâce: comment tout est combiné pour que tout aille aussi vite que possible. Et les individus sont misérables dans la mesure où ils ne sont pas conscients de «ça», où ils prennent une position fausse vis-à-vis de ce qui leur arrive.

Mais ce qui est difficile à penser, c'est qu'à chaque instant, ça doit être... C'EST la perfection.

Oui, c'est cela.

À chaque instant, c'est la perfection.

À CHAQUE instant, il n'y a pas autre chose! Quand j'étais là, il n'y avait pas autre chose.

Et pourtant, je te dis, c'est le moment où je suis matériellement très occupée: je fais ma toilette, je prends mon petit déjeuner, j'écris des cartes – tout cela était fait, ça ne dérangeait en RIEN; au contraire, je crois que j'ai fait les choses mieux que d'habitude... Je ne sais pas comment expliquer. Et ce n'était pas comme une chose «ajoutée»: c'était tout à fait naturel. Seulement voilà, des différences comme ceci: j'écris des cartes, et au moment où je les écris (on m'a préparé des notes avec les noms, les dates, etc.), généralement je suis obligée de demander qui est cette personne (il y en a très peu que je connaisse sur la multitude des cartes que j'écris); ce matin, je ne demandais rien: je savais. C'est cela, c'est cette différence-là: je n'avais pas besoin de demander, je savais ce qu'il fallait écrire et puis voilà, sans question aucune.

La vie telle qu'elle est peut être vécue dans cette conscience-là – mais on la vit bien, alors!... On n'a besoin de rien changer: ce qui est à changer se change de soi-même tout naturellement.

Je vais te donner un exemple. Depuis quelques jours, j'avais des difficultés avec Z et il y avait comme un besoin de faire pression sur lui pour qu'il rectifie quelques-uns de ses mouvements. Aujourd'hui, il avait fait au moins quatre ou cinq fautes (elles n'étaient pas perceptibles, dans le sens que je n'en avais pas la sensation: ça se passait là, comme ça: à une distance), et il en a été conscient d'une façon TOUTE DIFFÉRENTE que d'habitude et il l’a avoué (chose qu'il ne faisait jamais), et à la fin, il a dit qu'il était en train de changer (ce qui est vrai), et tout cela, non seulement sans un mot, mais sans même un mouvement de la conscience: simplement, la Pression. Voilà. Ça, c'est une preuve... Tout se fait automatiquement, comme une imposition de la Vérité, sans besoin d'intervenir: simplement, rester dans la vraie conscience, c'est tout, ça suffit.

Voilà.

Et alors, malgré tout, le corps gardait un tout petit peu conscience de ses besoins tous ces temps (quoiqu'il ne soit pas occupé de lui-même – je disais toujours: il n'est pas occupé de lui-même, il n'est pas intéressé), mais c'est ce que Sri Aurobindo disait: «Je sens que je suis encore le vieil homme», j'ai compris ça ce matin, parce que ce n'était plus là! N'est-ce pas, cette espèce de perception très calme, mais encore de ce qui ne «va pas» (d'une douleur ici, d'une difficulté là), très calme, très indifférente, mais c'est PERÇU (sans que cela prenne de l’importance), et même ça, prrt! parti! complètement balayé!...

Ça, je souhaite que ça ne revienne pas. Ça, c'est vraiment... ça, je comprends, c'est une transformation! On est conscient dans une immensité dorée (mon petit, c'est merveilleux!), lumineuse, dorée, paisible, éternelle, toute-puissante.

Et comment c'est venu?... Vraiment, il n'y a pas de mots pour exprimer cela, cet émerveillement pour la Grâce... La Grâce, la Grâce est une chose qui dépasse toute compréhension, de clairvoyante bonté...

Naturellement, le corps avait l’expérience. Il s'est passé quelque chose que je ne dirai pas et il a eu la vraie réaction; il n'a pas eu l’ancienne réaction, il a eu la vraie réaction: il a souri, n'est-ce pas, de ce Sourire du Seigneur suprême – il a souri. Ça, pendant un jour et demi, c'était là. Et c'est cette difficulté qui a permis au corps de faire le dernier progrès, qui lui a permis de vivre dans cette Conscience; si tout avait été harmonieux, les choses auraient pu durer encore pendant des années – c'est merveilleux, tu sais! c'est merveilleux!

Et à quel point les hommes sont imbéciles! Quand la Grâce vient à eux, ils la repoussent en disant: «Oh! quelle horreur!...» Ça, je le savais depuis longtemps, mais mon expérience est... un éblouisse-ment.

Oui, chaque chose est parfaitement, merveilleusement, ce qu'elle doit être à chaque instant.

C'est cela.

Mais c'est notre vision qui n'est pas accordée.

Oui, c'est notre conscience séparée.

Le tout est amené avec la rapidité de l’éclair vers la conscience qui sera cette Conscience du point et du tout en même temps.

(long silence Mère achève de recopier sa note)

Voilà, alors je vais écrire la date d'aujourd'hui.

Nous sommes le 19.

19 novembre 1969: conscience supramentale.

La première descente de la Force supramentale,2 c'était un 29. Et ça, c'est un 19. Le 9 a quelque chose à voir là-dedans... Il y a tant de choses que nous ne savons pas!

(silence)

J'avais déjà eu l’expérience, partiellement, que lorsqu'on est dans cet état d'harmonie intérieure et que rien, aucune partie de l’attention, n'est tournée vers le corps, le corps fonctionne parfaitement bien. C'est cette... self-concentration [concentration sur soi] qui dérange tout. Et ça, je l’ai observé beaucoup de fois, beaucoup de fois... Vraiment, on se rend malade. C'est l’étroitesse de la conscience, la division. Quand on laisse fonctionner, il y a... il y a partout une Conscience et une Grâce qui font tout ce qu'il faut pour que tout aille bien, et c'est cette imbécillité qui tout le temps dérange tout, c'est curieux! – l’imbécillité égocentrique, c'est cela: ce que Sri Aurobindo appelait «le vieil homme».

C'est vraiment intéressant.3

22 novembre 1969

(Le disciple remet sa pension à Mère.)

Tu donnes de l’argent comme cela! Mais tu n'en as pas besoin?

Non-non-non! douce Mère.

Ici, c'est un abîme, l’argent s'en va comme...

J'ai quelque chose pour le mois de février: j'ai «reçu» certaines choses à propos de l’argent et de ce qui se passe là-bas, à Delhi.1 Le gouvernement est branlant; jusqu'à présent, ça va bien. Tout tend à la dissolution du Congrès, mais c'était prévu et voulu. Mais alors, le président du Congrès2 est d'un côté et le Premier Ministre est de l’autre et ils se regardent... Mais enfin, je crois que ça ira bien. Mais tout cela, c'est surtout à cause de l’argent: le parti le plus puissant contre le présent gouvernement, contre Indira, ce sont les financiers. Ils sont furieux. Et alors, à ce propos, j'ai repris ce que j'avais dit il y a longtemps:

«Money is not meant to make money, money is meant to prepare the earth for the new creation.»3

Et j'ai ajouté ceci (c'est parti déjà à Delhi):

«The men of finance and the business men have been offered the possibility to collaborate with the future, but most of them refuse, convinced that money is stronger than the future.

Thus, the future will crush them with its irresistible power.»

Je l’avais écrit en français avant de l’écrire en anglais, mais en français, je m'étais adressée directement aux financiers:

Aux financiers et aux hommes d'affaires

La possibilité de collaborer à l’avenir vous a été offerte, mais vous avez pensé que le pouvoir de l’argent était plus fort que celui de l’avenir. Et l’avenir vous écrasera de sa puissance irrésistible.

Mais c'est une première version, j'ai l’intention de le réécrire. En anglais, j'ai mis most of them, «la plupart d'entre eux ont refusé».

C'est plus combatif.

Un peu trop combatif. Et il y en a qui ont accepté de collaborer, alors je ne voudrais pas qu'ils disent que je continue à leur annoncer des catastrophes!

Oui, évidemment, c'est un peu comminatoire.

Oui, c'est trop comminatoire. Nous allons traduire l’anglais.

(Mère traduit)

La possibilité de collaborer à l’avenir a été offerte aux financiers et aux hommes d'affaires; la plupart d'entre eux refusent, convaincus que le pouvoir de l’argent est plus fort que celui de l’avenir. Mais l’avenir les écrasera de sa puissance irrésistible.

Et alors, autre chose. Je suis en train d'écrire un tas de notes sur l’éducation des enfants. On m'a demandé: «Comment faire?...» Il y a des enfants qui sont méchants, d'une méchanceté... vraiment des inventions invraisemblables, et on ne sait pas comment faire. Alors, j'ai écrit beaucoup de choses, mais il y en a une que j'ai écrite et qui, je crois, est importante:

Un enfant doit cesser d'être méchant parce qu'il apprend à avoir honte d'être méchant, non pas parce qu'il a peur d'une punition...

C'est le premier pas. Quand il est arrivé là, alors il peut faire encore un progrès de plus et apprendre le bonheur d'être bon, la joie d'être bon. Mais ça, je ne l’ai pas écrit.

Dans le premier cas, il fait un progrès; dans le second cas, il descend d'un échelon dans la conscience humaine.

La peur est une dégradation de la conscience humaine.

Je crois que ça, c'est très important. Parce que les gens, partout, sont convaincus que ce sont les punitions qui... C'est horrible!

J'ai des quantités de questions comme cela – c'est T qui me les donne et j'écris dans son cahier. Je ne sais pas ce qu'elle va en faire... Il y a certaines choses que je voudrais revoir; par exemple, j'emploie des mots quelquefois un peu plus faciles pour qu'elle comprenne – on pourrait remplacer par le vrai mot. Mais pour cela, il faudrait que je le revoie.

Je peux -le voir si tu veux?

Mais je n'ose pas le lui demander! Je ne sais pas si elle te le donnerait.4 On verra...


Peu après

Ce que tu as dit la dernière fois [sur la Conscience supramentale] pourrait peut-être faire des «Notes sur le Chemin»?

(Mère ouvre de grands yeux) Je ne sais pas... Je ne sais pas.

Je viens d'apprendre que d'autres commencent à sentir. Tu connais le docteur V? Il était à la tête de l’hôpital ici pendant longtemps. Il a été très intéressé par A.R. (le guérisseur), très intéressé, et je crois que ça a hâté quelque chose en lui, et alors, depuis quelques nuits, il a des «phénomènes» que, moi, j'ai eu des quantités de fois, mais je savais ce que c'était et je ne m'en inquiétais pas. Mais lui, c'est un docteur (!) alors il s'est inquiété un peu. C'est une espèce de malaise du cœur – on ne peut pas dire que ce soit une douleur: c'est un malaise, et qui est suivi de grandes transpirations. J'en ai eu encore un ce matin – peut-être parce que je voulais voir ce qui se passait en lui (on m'a raconté le fait hier, alors j'ai voulu voir si c'était ça). C'est peut-être pour cela que je l’ai eu, je n'en sais rien. C'est peut-être qu'il y avait encore quelque chose...

Je te l’ai dit plusieurs fois, les organes sont «supportés» dans leur fonctionnement par les forces de la Nature, et alors, dans ce processus de transformation, les forces de la Nature sont retirées et remplacées par la Présence divine. Mais tu comprends, il y a un moment où ça fait un décalage – ce peut être imperceptible, mais tout de même cela a un effet; il y a un moment où il y a une angoisse. Et puis certaines choses ne sont transformées que partiellement; alors, une partie, puis une autre partie, puis une autre partie est reprise, et comme le cœur est une chose très importante, je suis convaincue que ça se fait très lentement. Par conséquent, on a souvent la même chose, plus ou moins fort. Plus on est calme, plus on est confiant, plus on est dans la vraie attitude, moins c'est fort – les conséquences sont moins fortes. Mais tout de même, il y a une conséquence, et lui, a été pris par surprise, il ne savait pas ce que c'était.

Mais ça m'a intéressée. Ce que A.R. disait: «Être entièrement gouverné par la Conscience divine», ça lui a beaucoup plu, c'était une approche qu'il a comprise; il a dû essayer, et ce doit être le résultat. J'ai vu d'autres gens qui avaient eu des douleurs, mais celle-là est plus «inquiétante»; les autres ont des douleurs ici, là, là..., mais quand ça va au cœur, les gens commencent à s'inquiéter davantage. Mais j'ai vu dans plusieurs cas, que cette Force n'agit pas seulement ici (en Mère): elle agit chez d'autres. Et toujours-toujours, le moment de la transition (ce peut être très rapide, ça peut prendre assez longtemps), c'est un peu... difficile. Il faut être prévenu.

J'ai vu cela partout; le moment de transition dans les autres fonctionnements est quelquefois désagréable, mais ce n'est pas aussi inquiétant; là, les gens ont généralement... ils sont un peu effrayés! Lui, est un homme très fort, il n'a pas eu peur; il m'a envoyé un mot pour me dire que si c'est le signe qu'il doit s'en aller, que je le prépare à partir comme il faut.

Mais cela m'est arrivé des quantités de fois. Si l’on n'a pas peur, ce n'est rien.

(Sujata:) Douce Mère, pourquoi cela arrive-t-il la plupart du temps la nuit?

Parce qu'on est couché!

(Satprem à Sujata:) Vous avez senti quelque chose la nuit?

(Sujata:) Cette nuit, j'ai eu la même chose, et puis transpiré.

Parce que la nuit, tu es en repos et passive, c'est-à-dire plus réceptive. Dans la journée, on est plus actif, on est moins réceptif.

La confiance, n'est-ce pas: savoir que c'est une intervention supérieure – d'abord, confiance. Et puis l’abandon parfait: «Ce que Tu voudras» – que le corps, en toute sincérité, soit prêt à n'importe quoi. Et alors, cette espèce de paix parfaite qui vient de l’abandon: on est comme cela (Mère ouvre les bras). Ça, ce sont les conditions les meilleures.

Il faut éviter les émotions, toutes ces choses.

Mais plus on est sincère – plus le corps est sincère –, plus vraiment il est prêt à n'importe quoi: il s'est donné entièrement et... ce qui arrivera, arrivera, voilà. Et vraiment, c'est cela: «Ce que Tu VOUDRAS, ce que Tu voudras, je le ferai, quoi que ce soit, je ne demande même pas à le savoir.» Alors il est tranquille et ça va assez vite.

l’anxiété donne une vibration qui n'est pas bonne.

(silence)

C'est comme cela, c'est une chose et une autre, une chose et une autre... Mais alors, il y a la vieille manière qui est de moins en moins forte et la nouvelle qui est de plus en plus forte. C'est-à-dire que l’une, c'est tout le sentiment et la conscience de l’instabilité, l’incertitude, la fragilité – l’impermanence (c'est vraiment quelque chose qui n'a aucune solidité véritable); et puis l’autre, c'est le sentiment de la Permanence (Mère étend ses bras) et de... la progression sans chute, comme cela, dans quelque chose qui est vaste et... un mouvement si puissant qu'il est immobile, qu'il donne la sensation d'immobilité. Alors on est comme cela (geste d'oscillation d'un état à l’autre).

Ce matin, je me suis souvenue de ce que je t'ai dit mercredi (pas souvenue de ce que j'ai dit: souvenue de l’ÉTAT dont j'ai parlé), et alors, il y avait le corps qui était comme cela (geste d'aspiration intense), oh! qui disait: «Cette Conscience, cette Conscience, cette Conscience...» Il la voulait, n'est-ce pas, intensément, et il y avait une telle perception, si claire, de ce qui empêche qu'elle soit là... Ce qui empêche, c'est une vibration «concentrique», une espèce de vibration concentrique, c'est-à-dire qu'au lieu d'être comme cela (Mère ouvre les bras), dans une Éternité infinie, les choses sont regardées par rapport à soi. C'est ça qui empêche.

(silence)

Il faut vraiment arriver à l’état où... on ne tient pas à vivre et on ne tient pas à ne pas vivre – absolument indifférent (ce n'est pas de l’indifférence, c'est une... comment dire? une acceptation paisible et... qui ne questionne pas). Et surtout-surtout pas d'inquiétude.

N'est-ce pas, le mouvement de soumission est un mouvement préliminaire (le mouvement de soumission, il est total et constant), eh bien, c'est un mouvement préliminaire; il y a un autre mouvement où l’on n'a plus rien à soumettre! C'est comme cela, c'est tout naturel.

(silence)

Je vois beaucoup-beaucoup de gens, et le corps s'aperçoit que même ceux qui ont la meilleure volonté ne comprennent pas – une incompréhension totale et générale de la condition dans laquelle il est.

Et alors, des choses qui sont vraiment amusantes, tout le temps, tout le temps, à chaque minute... Il y a extrêmement longtemps qu'il n'est plus vexé, extrêmement longtemps, mais il y avait encore un moment où il voyait, il percevait l’incompréhension comme une chose ridicule ou... comme une ignorance. Maintenant, c'est fini. Maintenant... Pendant longtemps, chaque fois, il disait: «Ah! qu'est-ce que Tu veux m'apprendre?», maintenant, ça aussi c'est passé. Parce que dès qu'il y a quelque chose (ce que Sri Aurobindo appelait the old man: le vieil homme), quelque chose de l’ancienne personnalité qui reste, qui se montre comme ça, il n'y a besoin de rien pour lui faire voir le vrai imédiatement: ça paraît profondément ridicule.


Peu après

Tu avais quelque chose à demander?... Rien à dire?... Non?... Quoi? (Mère rit)

Je me posais une question à propos de ce que tu m'as dit il y a une quinzaine de jours. Tu parlais d'écrire un nouveau livre. Et tu me disais: «Il faudrait cristalliser le prochain pas, l’intermédiaire...»

Oui.

Je me demandais dans quel sens devait être ce livre? Est-ce que ce serait (comme j'ai écrit «l’Aventure» sur Sri Aurobindo) un autre livre sur toi?

Oh! non, pas sur moi! Je t'en prie, ça complique tellement mon travail quand les gens pensent à moi.

Alors ce serait simplement une suite de «l’Aventure de la Conscience», mais plus développée?... Qu'est-ce que ce serait?

Si c'était possible que ce soit une vision de ce qui va être – je voudrais que tu aies ça. Une vision du prochain pas.

Très loin en avant, on voit bien la possibilité (comme tu le disais toi-même) d'une «matérialisation», mais entre maintenant et là, il y a quelque chose... Ces temps derniers, j'ai découvert pas mal de choses en regardant comme cela. J'ai vu (je ne sais pas si je l’ai noté, je crois que j'ai oublié de l’écrire), j'ai vu que, pour la majorité des gens qui font des enfants presque sans le vouloir, «comme ça», c'est pour eux une sorte de... (naturellement, il y a beaucoup de femmes qui désirent avoir des enfants mais sans même savoir ce que ça veut dire), mais pour l’immense majorité de ceux qui ont été éduqués, c'est-à-dire à qui l’on a bourré le crâne sur les défauts qu'il ne faut pas avoir, les qualités qu'il faut avoir..., tout ce qu'ils ont refoulé dans leur être, tous les instincts mauvais, pernicieux, tout cela, ça sort. Je me suis souvenue (j'ai observé et j'ai vu), et je me suis souvenue de quelque chose que j'avais lu il y a très-très longtemps (je crois que c'était de Renan), il avait écrit quelque part de se méfier des parents qui étaient bons et très respectables parce que... (riant) la naissance est une «purge»! Et il avait dit aussi: observez soigneusement les enfants des gens mauvais parce que ceux-là sont souvent une réaction! Et alors, après cela, après mon expérience, quand j'ai vu, je me suis dit: «Mais il avait raison, cet homme!» C'est une façon, pour les gens, de se purger. Ils rejettent au-dehors d'eux-mêmes tout ce qu'ils ne veulent pas. Il y a des enfants ici... affreux! Et c'est cela, on se demande: «Comment! leurs parents sont des gens très bien?.,.» Et c'est très intéressant, parce que ça donne la clef de ce qu'il faut faire – en vous montrant ce qu'il ne faut pas faire, ça vous donne la clef de ce qu'il faut faire.

Dans ce cas-là, cette «éducation prénatale» dont parle Y n'est, après tout, pas un mensonge. C'est quelque chose qui peut être vrai.

Les enfants, les petits enfants qui ont quelques mois (comme je l’ai dit, ceux qui sont nés à Auroville), sont remarquables – ils sont remarquables. Je croyais que c'était un cas, mais tous ceux que j'ai vus maintenant, tous: une concentration de conscience.

Ce petit Tamoul était une merveille.

Alors, en somme, ce qu'il faudrait écrire, c'est la genèse ou la préparation du Surhomme?

Oui-oui, c'est cela. C'est ça.

Tu as vu ça (Mère désigne la brochure du «Grand Sens» qui vient de sortir)? Ça, ça va être très utile – la suite de ça, tu comprends?

Oui, mais sous forme d'un livre, tout de même?

Oui, oui.

Le développement de la conscience qui conduit à...

Un livre... ce pourrait être une histoire, ça je ne sais pas. Mais alors les gens le prennent moins sérieusement!

Ce serait dans le même genre que «l’Aventure de la Conscience»?

Ah! tu sais, ça a un succès croissant.

Oui, mon éditeur m'a écrit; il me dit que ça démarre et qu'il veut faire une autre édition.

Ah!

Il me dit: «Pourtant, la presse n'a pas dit un mot sur votre livre, mais il se vend!»

Ce n'est pas la presse! (Riant) C'est la conscience!

Ah! non, il faut que ton bonhomme d'éditeur comprenne que ça n'appartient pas au passé, que toutes les méthodes du passé ne valent plus rien.

En Amérique, le livre a un succès formidable.

Oui, très manifestement on sent la conscience qui est derrière ce livre et qui pousse les gens, parce qu'ils ont tous la même réaction: tous, partout, à tous les niveaux, les plus intellectuels ou les moins intellectuels.

Oui, comme le cas de A.R., par exemple.5

Par contre, «Le Sannyasin» a l’air d'être perdu...6

Perdu?

Je ne sais pas.

Tu sais, je vais te dire très franchement: c'est très intéressant, mais ça m'a rendue triste.

Pourquoi?

Pourquoi, je ne sais pas.

Le Sannyasin? Qu'est-ce que t'a rendue triste?

Le livre, ce que tu m'as lu... C'est très intéressant, j'étais très intéressée, j'étais très bien, et puis il y avait comme... C'est quelque chose qui vous met (je ne sais pas pourquoi) en relation avec toute la partie de l’atmosphère qui vous tire hors de la vie – le bouddhisme et toutes ces choses: tout le nihilisme. Ça vous met en rapport avec ça: la fuite hors de la vie. Et ce n'est pas intellectuel, ce ne sont pas les idées, ce ne sont pas les mots, ce ne sont pas les faits, c'est... Qu'est-ce que c'est? Je me suis demandé plusieurs fois ce qui avait accroché ce livre à l’atmosphère nihiliste du bouddhisme? C'est cela qui expliquerait que... Ce n'est pas que les gens ne l’aiment pas, mais... c'est une force non créative qui agit. Pourquoi? Je ne sais pas.

Mais ce que ce livre essayait de dire, de montrer, c'est justement le passage au-delà de ça.

Oui, mais... Peut-être les gens ne sont-ils pas prêts? Maintenant, je ne l’ai pas lu en entier, je ne peux pas savoir. Tu ne m'en as lu que des passages. Mais ce ne sont pas tant les mots, tu comprends, c'était la vision.

Mais je l’ai réécrit depuis que je t'ai lu ces passages. J'ai réécrit le livre une deuxième fois après te l’avoir lu.

Tu ne me l’as cas montré, c'est ça.

Mais quand F s'en est occupée, j'ai eu, moi, l’impression que ça allait réussir.7

Ah! oui, alors il n'y a qu'à attendre.8

(long silence)

Tu ne te sens pas l’âme d'un prophète?

Je me sens l’âme qu'on me donne!

(Mère rit) On aimerait un beau livre prophétique.

C'est là quelque part: ce qui va se passer ici, c'est DÉJÀ là quelque part. Et ce n'est pas dans un domaine où l’on «voit», c'est... (geste indiquant le monde de la conscience).

Moi, j'ai l’impression que tu peux l’écrire.

(le disciple ouvre les mains)

On verra.9

Je vais tâcher de me mettre dans l’atmosphère.

Oui – non! je viens de voir: ça va! (Mère rit)

26 novembre 1969

(Toute la durée de l’entrevue se passe en méditation.)

Rien à dire...

Chaque fois que j'essaye de regarder quelque chose, ça part comme ça (geste dans l’infini).

(Mère repart en méditation)

Tu n'as rien senti de particulier hier [au darshan]?

J'ai l’impression que ce n'était pas tout à fait comme d'habitude, mais je ne sais pas quoi.

Le matin, j'ai eu l’expérience d'une Force formidable qui est venue, pesant sur toutes choses. Et c'est ce que les autres ont senti aussi toute la journée. Une force... la plupart m'ont dit «une force joyeuse». Mais pour moi, quand je suis allée là-bas (au balcon), la différence est que le corps était plus conscient de... son état d'incertitude transitoire.

(Mère repart)

C'est presque comme une interdiction de parler.

29 novembre 1969

J'ai des nouvelles du guérisseur – pas de lui, mais indirectement. D'abord, le mari de N.S. [du gouvernement] a dit que A.R. était allé la voir plusieurs fois et il a écrit: «Elle est tout à fait guérie. Elle n'a plus mal nulle part.» Il a dit qu'elle allait écrire (elle était très occupée – ils sont terriblement occupés là-bas en ce moment). On va attendre sa lettre pour voir si ça continue.

La seconde chose, c'est T de Calcutta: il m'a dit que A.R. allait à Calcutta et lui avait demandé de le loger avec son gourou!... Il paraît qu'il a trouvé un gourou...

Bon!

Alors T n'aimait pas beaucoup cela, il m'a dit: «Le gourou, je n'ai pas envie de le recevoir.» J'ai dit: «Recevez-le et dites qui c'est» – pour savoir qui est ce fameux gourou, ce que c'est.

C'est étrange, il a une absence complète de discernement

Oui, c'est mon impression, il n'a aucun discernement.

Entre son corps et là-haut, il n'y a rien – rien entre les deux.

Oui, ce sont les intermédiaires qui manquent. Il n'a pas de discernement. Alors, c'est peut-être tout simplement quelqu'un avec une force vitale considérable qu'il a sentie... C'est justement pour cela, je voulais savoir qui c'est. J'ai dit à T de voir et d'écrire ce que c'est que ce fameux gourou.

Mais tu sais, j'ai eu un rêve très étrange avec A.R., il y a de cela deux ou trois semaines. Je l’ai rencontré une nuit et je suis allé très affectueusement vers lui, et j'avais l’impression qu'il était affectueux avec moi aussi, et j'étais comme serré contre lui, ou il s'était serré contre moi, et à un moment, j'ai senti qu'il prononçait une sorte de mantra, qui avait un rythme de plus en plus puissant... C'était très curieux, la vibration de ce mantra, c'était comme quelque chose qui se martelait, qui avait une cadence de plus en plus puissante. Et en même temps que je sentais cela, j'avais conscience que c'était un mantra pour «exorciser les démons»... Et à la seconde où j'ai senti cela, j'ai appelé la Force. J'ai appelé la Force et j'ai dit ÔM... Et à ce moment-là, je suis devenu beaucoup plus grand que lui, puis j'ai fait ce geste-là [Abhay]: 1 qu'il soit en paix. Et puis tout s'est arrêté.

(Mère reste silencieuse)

Exorciser les démons...

C'est cela qu'il s'était mis en tête. Il avait écrit (je ne me souviens plus exactement par qui et comment ni quoi), mais enfin c'était une lettre de lui (je crois qu'elle était adressée à moi, mais je ne m'en souviens plus), qui m'a été lue, dans laquelle il exprimait un regret de ce qui s'était passé entre lui et toi, et alors il disait dans cette lettre (il a mis ces quelques mots): «Je sais maintenant qui il est...» Et c'est tout.

Satprem?

Toi. Je n'ai pas demandé, ça ne m'intéressait pas du tout! Alors avec ton rêve, ça devient amusant!

Exorciser un démon... C'était sur moi qu'il faisait ça!

Oui, c'est cela.

C'était sur moi!

(Mère rit)

(Un peu inquiet:) Il y a un démon?

(Mère rit de plus belle)

Un démon, c'est ça qui lui est entré dans la tête. Ça ne m'a pas intéressée de savoir ce qu'il pensait que tu étais – j'ai eu l’impression que c'était une ânerie de quelqu'un qui ne voit que la surface des choses. Et c'est tout. Et ça ne me gênait pas, je n'ai pas insisté. Mais avec ton rêve, ça devient intéressant! (Mère rit)

Mais dès que j'ai pris conscience de cela (j'en ai pris conscience comme de quelque chose de sérieux), j'ai appelé tout de suite la Force, et instantanément je suis devenu plus grand que lui.

Oui, bien entendu – bien entendu! Mais c'était une ânerie, n'est-ce pas, une bêtise... Quelqu'un vous dit quelque chose de désagréable, alors ce quelqu'un est un «Hostile». Je me souviens du temps où tout le monde devenait «des Hostiles»!

Et alors c'est pour cela, à cause de ce que j'ai vu, de sa complète incapacité de discernement vis-à-vis des gens (absolument, complète incapacité), à cause de cela, quand on m'a dit qu'il avait un «gourou», je me suis dit: «Dans quel piège est-il tombé, le pauvre homme!» Parce qu'il ne manque pas de farceurs qui ont de ces petits pouvoirs du vital qui font beaucoup d'effet.

Alors il va aller à Calcutta et j'ai demandé à T de m'écrire pour me dire tout de suite ce qu'était ce monsieur et me donner son nom.

Mais tu sais, finalement, l’impression que me fait A.R., c'est qu'il a une atmosphère chrétienne, cet homme.

C'est bien possible.

Il est en dehors de la religion, mais il est plus chrétien que les chrétiens. Il est hanté par le Christ, l’idée de faire du bien aux autres, de faire des miracles, de soigner les gens – il a une atmosphère chrétienne, cet homme. Et de toutes les atmosphères, pour moi, c'est la plus irréductible. Ceux-là, ils sont intouchables.

En tout cas, mon impression, c'est qu'il est absolument ignorant – IGNORANT – et le mental simpliste de quelqu'un qui n'est pas développé. Alors, ça l’empêche de faire une distinction entre un pouvoir vital tout à fait ordinaire et le vrai Pouvoir.

Nous allons voir... Mais je sais, dans un cas comme N.S., c'est parce que c'est moi qui ai dit à N.S. de le voir, c'est cela qui a fait toute la chose (qui l’a guérie).

Je sais que chaque fois que je le voyais... C'était une chose curieuse, je l’ai vu trois fois: chaque fois que je le voyais, les parties du corps qui n'étaient pas encore suffisamment... (comment dire?) imprégnées de Force, et qui par conséquent étaient capables d'aller de travers, celles-là allaient toujours de travers avec lui. Je le voyais: ça commençait à faire comme cela (geste grinçant). Alors il me fallait quelques heures de concentration pour qu'elles se tiennent tranquilles; je suis arrivée à faire tenir tout tranquille en attendant la transformation graduelle, mais là, ça commençait à faire des bêtises, à vouloir s'exprimer. Alors j'ai dit non.

Et les trois fois.

La première fois, beaucoup plus, parce que je n'étais pas sur mes gardes; les deux autres fois, c'était très peu parce que j'étais sur mes gardes et je voyais – mais je voyais que la tendance (au désordre) était là.

Ce n'est pas un très bon signe.

Nous allons voir (Mère rit), pauvre bougre! s'il est tombé entre les pattes d'un... Enfin, ça lui servira de leçon.

Ah! il nous fait bien comprendre la nécessité d'un yoga intégral.

Oh! oui.2


(Mère cherche parmi ses papiers.)

J'ai ici quelque chose:

To listen is good but not sufficient,
You must understand.
To understand is good but not yet sufficient,
You must act!
3

(Riant) J'ai envoyé ça en Amérique.

Et puis, on m'a apporté des extraits de Sri Aurobindo pour le prochain «Bulletin».

(le disciple lit à haute voix)

Knowledge, when it goes to the root of our troubles, has in itself a marvellous healing-power as it were. As soon as you touch the quick of the trouble, as soon as you, diving down and down, get at what really ails you, the pain disappears as though by a miracle. Unflinching courage to reach true knowledge is therefore the very essence of yoga. No lasting superstructure can be erected except on a solid basis of true Knowledge...

C'est juste pour A.R.! (Riant) On dirait que c'est fait pour lui!

...The feet must be sure of their ground before the head can hope to kiss the skies.4

(Letters, XXIV. 1394)

(le disciple lit un autre extrait)

The supramental eye can see a hundred meeting and diverging motions in one glance and envelop in the largeness of its harmonious vision of Truth all that to our minds is clash and opposition and collision and interlocked strife of numberless contending truths and powers. Truth to the supramental sight is at once single and infinite and the complexities of its play serve to bring out with an abundant ease the rich significance of the Eternal’s many-sided oneness.5

The Hour of God, XVII.35

C'est mon expérience de maintenant.6

(Mère entre en contemplation)

l’exemple de A.R. est une très claire démonstration de... pourquoi il y a eu un développement mental dans le monde – indispensable.

Quand on a eu le complet développement mental, on peut dire: «Oui, je n'en ai plus besoin» – mais pas avant.

Il y a un petit détail humoristique, c'est que dans «l’Aventure de la Conscience» (qu'il a lue), à propos du silence mental, j'ai dit à un endroit (j'ai même mis cela en note): «Évidemment, nous ne recommanderons pas le silence mental à un paysan breton, par exemple!...» Parce que le silence mental, c'est très bien quand on a fini la courbe.

Oui, c'est cela!

(long silence)

Il y a un'phénomène assez intéressant qui s'est produit... Le vital et le mental étaient partis, et la Conscience, quand elle a travaillé dans le corps, elle a reconstitué un vital et un mental dans le corps même. Mais c'est très intéressant, parce que le corps s'est pris d'un intérêt extrême à savoir des tas de choses: il a posé des questions sur les choses extérieures, les choses mathématiques, toutes ces choses qui appartiennent en propre au mental. Et il les a apprises très facilement – le principe de ces choses a été appris très facilement. Et il a senti tout de suite qu'il avait besoin de le savoir.

C'est intéressant.

Seulement, son approche n'est pas la même. C'est comme si (c'est curieux), comme si la Force était de haut en bas et pas de bas en haut, c'est-à-dire que le sens dans le corps est le même que celui quand l’Énergie ou la Force descend dans le corps pour utiliser les organes; c'est la même chose: c'est la Force, la Conscience qui utilise un certain pouvoir de compréhension. C'est comme cela (geste de haut en bas), l’origine n'est pas cérébrale. Toujours-toujours, la Conscience est toujours là (geste au-dessus de la tête), même la conscience qui fait fonctionner le corps. Seulement le pouvoir d'analyse mentale, le corps a senti qu'il avait besoin de l’avoir.

Mais c'est venu comme une activité impersonnelle, tout à fait, il n'y a aucun-aucun sens même d'individualisation de pensée, tu comprends? Ce n'est pas là. C'est... comme un instrument dont on se sert. Un instrument d'organisation, vraiment c'est cela.

Oui, c'est cela, c'est tout à fait cela: ce n'est pas du tout un instrument de connaissance, pas du tout (la Connaissance est là-haut et tout le temps), c'est un instrument d'organisation et de travail – d'organisation, le corps est devenu très conscient du manque d'organisation dans les choses et dans les gens. Et ça, c'est très intéressant: comment une activité devrait être organisée, comment les pensées devraient être organisées dans le cerveau, comment... tout-tout. C'est surtout comme cela, et ça, c'est très intéressant.

Au fond, le pouvoir mental est vraiment un pouvoir d'organisation: chaque chose à sa place, et la VRAIE relation entre les choses.

(silence)

La vie, c'est vraiment très intéressant.

(silence)

Mais je crois que le monde va vite parce que, au commencement du siècle, l’union des religions (c'est-à-dire la perception et la compréhension que toutes les religions sont l’aspect et l’expression d'une vérité supérieure), c'était une chose presque nouvelle à faire admettre; maintenant... c'est vieux, c'est passé. Maintenant, c'est une perception extra et supra-religieuse qui s'impose comme indispensable. l’esprit religieux est en dessous; et a ce moment-là, il était encore au-dessus. C'est-à-dire que ça va vite.

Par exemple, je suis tout à fait sûr que si, maintenant, Sri Aurobindo écrivait ces Aphorismes, là où il a employé le mot Dieu (presque partout il a employé le mot Dieu), il ne mettrait pas ça. Il ne mettrait pas ce mot-là. Dieu, pour l’homme, c'est vraiment la religion... Je ne sais pas comment expliquer, c'est une espèce de sensibilité quelque part qui se rebelle – le mot est comme faux. II est presque devenu le symbole d'une incompréhension.

Je suis en train, en ce moment encore, de donner des explications des Aphorismes, et dans presque tous ces Aphorismes, il emploie le mot Dieu – maintenant il ne mettrait pas ça.

(long silence)

Tu n'as rien?

Je me sens bien un peu encombré par toutes les activités mentales... D'une façon, je ne me plains pas parce que c'est mon travail, c'est ce que j'ai à faire. Mais d'autre part, je sens évidemment que c'est quelque chose qui s'interpose.

Mais tu peux être silencieux, non?

Ah! oui, tout à fait.

Voilà, alors c'est tout ce qu'il faut.

Oui, mais pratiquement, toute la journée je suis occupé par des choses mentales.

Eh bien, et moi avec les gens, c'est bien pire! (Mère rit) Je me sens constamment comme... comme si j'étais presque... enterrée sous les prières, les supplications, les demandes – toutes pour des choses personnelles.

C'est comme cela, c'est comme une masse qui m'entoure.

Et chacun est là, arrive... Ça, je ne le sens plus (Mère désigne son corps), je ne le sens plus, mais je vois, je vois ça comme cela (geste enveloppant), et je vois la difficulté qu'il y a, pour chacun, à percer ça pour... pour aller trouver quelque chose de vrai. Et c'est cela qu'ils attendent de moi, n'est-ce pas. Et alors, quand ils sont là (c'est uniforme et général), c'est comme si je m'accrochais à la Conscience Suprême et puis... je la tire comme ça, sur la personne qui est là, sans dire un mot. Et alors, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a cette Conscience qui est là et qui voit, qui voit les réactions, et d'après les réactions des gens, je sais comment ils sont: dans quel état ils sont, à quel degré ils sont.

Mais pour toi... c'est ta mission, tu comprends. Je ne sais pas comment expliquer. Je te vois toujours-toujours en rapport direct et constant avec... avec cette Conscience qui s'exprime; et alors, arrivée au niveau mental, tu es comme là à... à arranger les pions sur un échiquier. Et j'ai regardé très-très souvent: c'est indispensable, c'est un travail indispensable, c'est d'une utilité extrême. Naturellement, mon corps aussi pourrait dire: «Si, au lieu de voir tous ces gens, j'étais toujours comme cela (geste blotti dans le Seigneur), à hâter la transformation, ce serait très agréable!» Pour toi aussi, c'est comme cela, mais nous sommes ici pour faire quelque chose. C'est cela. Et c'est une certitude, et une certitude parce que, plusieurs fois quand les choses devenaient critiques, j'ai dit au Seigneur: «Voilà, c'est à Toi de décider: rester ou aller... se reposer béatifiquement.» Et la réponse a été toujours-toujours la même: il y a du travail à faire.

Et nous sommes ici parce qu'on nous y a envoyés pour faire le travail, et tant que le travail est nécessaire, il faut le faire. Et quand il devra cesser, on nous laissera aller... nous reposer béatifiquement.

Et c'est dans le travail Même – ça, je vois –, c'est dans le travail même que se fait cet autre travail, individuel alors, de transformation du corps; si nous étions concentrés là-dessus (le corps), probablement nous dérangerions beaucoup de choses; il vaut mieux... C'est en faisant le travail comme il faut que le corps est mis dans la condition nécessaire pour qu'il profite de la...

Parce que, moi, j'avais l’impression que l’activité mentale faisait comme un «coussin», si tu veux, et empêchait...

Non-non! Non. Cette activité mentale, c'est ce que le Seigneur Suprême attend de toi. C'est ça. C'est ça. Et alors, au lieu d'être un obstacle, c'est à travers elle que se fait ce travail sur le corps. N'est-ce pas, le seul travail vraiment individuel, c'est le travail du corps; eh bien, ça se fait pour toi à travers ton travail, comme pour moi à travers mon travail. Et le tout est d'être seulement comme cela, de savoir que ce n'est pas un empêchement – ce travail, c'est ce qui est attendu de ce corps, voilà tout.

Ça, j'en suis sûre parce que j'ai regardé plusieurs fois pour toi: ça a toujours été identiquement la même réponse. Ça, je suis sûre.

Dans l’éternité... c'est un moment! (Mère rit)

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

C'est toujours ça, la même réponse: un oui, n'est-ce pas; tout est bien, tout est bien, tout est bien, tout est bien... comme ça doit être, dès qu'on est là-dedans. Tout est bien comme ça doit être. Voilà. Tout le temps. C'est tout.7

décembre




3 décembre 1969

Tous les jours, il y a deux filles (presque tous les jours) qui me posent des questions et je leur réponds, et certaines réponses seraient vraiment intéressantes à avoir... Je ne sais pas comment faire pour les avoir. Naturellement, ce sont des questions personnelles, mais moi, je réponds d'une façon générale.

Ça commence à lever. l’effet de cette nouvelle Conscience (ça a mis un an), mais ça commence à lever.


(Puis il est question des prochaines «Notes sur le Chemin» où Mère parle de son expérience de la Conscience supramentale: conversation du 19 novembre.)

Ce que j'ai dit de la conscience supramentale, c'est clair?

Je crois que c'est très clair!

Parce que je n'étais pas dedans quand je t'en ai parlé, c'était seulement le souvenir.

Mais c'est clair, je pourrais te le lire.

On verra.

Comment exprimer?... Ce que j'ai vécu, il n'y avait que cette Conscience; maintenant... ce n'est pas un souvenir, elle est restée – elle est restée mais elle est voilée; alors elle s'exprime à travers la conscience habituelle qui est là (geste au-dessus de la tête), la conscience habituelle est là. Et cette Conscience a vraiment un effet intéressant sur le corps, parce qu'elle a, dans ce corps, avec les éléments qui y étaient, construit un vital et un mental. Maintenant, j'ai trouvé ça, le corps se sent comme il se sentait avant, c'est-à-dire pleinement en possession de sa faculté. Mais le mental et le vital ne sont plus indépendants dans le sens qu'ils font ce qu'ils veulent: ils sont sous le complet contrôle de la Conscience. Alors, le corps a encore des timidités mais il recommence à retrouver l’état dans lequel il était avant... C'est un travail qui est très lent et long, mais... (je ne sais pas combien de temps ça prendra), mais quand ça aura atteint une certaine perfection, le corps sera de nouveau capable de beaucoup de choses qu'il avait perdues à cause de cela (le départ du mental et du vital). Ce n'était pas une détérioration physique, c'était ça qui le privait, et ça recommence à venir lentement-lentement-lentement.

On verra.

Mais c'est un long, lent travail.

(silence)

Avant, ils étaient les maîtres du corps, et c'est cela qu'il fallait: qu'ils s'en aillent; c'est à travers eux que le psychique et tout le reste travaillait – maintenant, c'est fini: c'est direct. Mais alors les possibilités du corps se multiplient de nouveau – s'intensifient, se multiplient.

Maintenant, tout le temps (je ne sais pas, au moins dix fois par jour), on me pose des questions, et la réponse vient imédiatement, comme ça (geste de descente), avec une facilité que je n'ai jamais eue. Il suffit de quelques secondes d'attention et ça vient. Et les réponses sont beaucoup plus hardies – quelque chose qui touche une vérité intérieure et qui ne se soucie pas des réactions extérieures. Mais les termes sont beaucoup plus hardis qu'avant, beaucoup plus clairs... Quelquefois, quand je les écris, je me dis que ce serait amusant si tu pouvais les voir – la plupart du temps ce sont des choses tout à fait personnelles, mais la forme est intéressante.

On ne pourrait pas demander à ces deux filles ta réponse – pas leurs questions mais la réponse?

Je verrai... Il n'y a pas qu'elles: il y en a des quantités tous les jours. C'est griffonné sur une lettre.

6 décembre 1969

(Le disciple lit à Mère la conversation sur la Conscience supramentale, qu'il propose de publier pour le prochain Bulletin.)

Je connais beaucoup de gens qui le liront avec... Mais ce n'est pas suffisant.

Pas suffisant, tu veux dire?

Je veux dire qu'il y a des quantités de gens qui n'y comprendront rien du tout.

Non-non, je ne crois pas.

Je ne sais pas... Il faudra consulter Nolini.

Moi, je crois que ça fera faire un effort aux gens.

(Mère rit) À moins qu'ils ne disent: ça n'a plus de sens!

Non, ce n'est pas possible, parce qu'il y a tout de même des choses qui sont trop pleines de sens évident!

Vraiment – vraiment –, cela m'est indifférent: oui ou non. J'aimerais que ce soit vous qui décidiez, toi et Nolini.

Je crois qu'il faut publier. Même s'il y a des choses qui leur échappent, il y a des points qui sont très clairs et ça leur ouvrira des horizons.

(longue méditation)

Tu n'as rien senti de particulier hier?... (méditation du 5 décembre). La pression était si forte! plus forte encore que le 24.

10 décembre 1969

(Mère commence par rédiger d'une traite un message pour la rentrée des classes.)

Il faut avoir vécu
ce que l’on veut enseigner.

Pour parler de la conscience nouvelle,
laissez-la pénétrer en vous pour vous révéler
ses secrets. Car, alors seulement,
vous pourrez en parler avec compétence.


Pour jaillir dans la conscience nouvelle,
La première condition
est une modestie mentale
suffisante pour être convaincu que
tout ce que l’on croit savoir n'est rien
en comparaison de ce qui reste à apprendre.

Tout ce que l’on a appris extérieurement
ne doit être qu'un échelon pour permettre
de s'élever vers les connaissances supérieures.


(silence)

Le dressage de la conscience physique continue à une allure accélérée, très accélérée. Le corps a une petite difficulté à garder son équilibre. C'est comme s'il recevait des coups de partout! (Mère rit)

Intérieurement, il est tout à fait bien. Extérieurement, les choses ont été très difficiles pendant ces trois derniers jours et il a été un petit peu fatigué – avant, il ne connaissait plus la fatigue, il ne savait plus ce que c'était. Mais ça n'a pas duré: dès qu'il a eu un moment où il pouvait se concentrer et se remettre dans la vraie attitude, c'est parti. Et le progrès (geste comme un bond), oh! tout à fait disproportionné à l’effort. l’effort est tout petit et le progrès est grand. On voit bien.

Et alors, sur d'autres gens (proches, qui sont en relation proche), c'est cela aussi, le progrès va à pas de géant – ça secoue la maison un peu, mais ça va à pas de géant. Et pour certains, comme Z par exemple, c'est très conscient, elle est très consciente. Elle a eu un accident à une jambe il y a longtemps, et cette jambe est un peu plus faible que l’autre, il y a une possibilité de dérangement. Elle a remarqué que tant qu'elle était dans la bonne attitude, elle ne sent plus rien; il n'y a plus rien, c'est comme tout à fait parti. Dès qu'elle retombe dans la conscience ordinaire, le mal revient... Et elle a eu d'innombrables expériences. J'ai trouvé cela très intéressant. D'autres aussi.

Et c'est vraiment intéressant. C'est vraiment intéressant parce que c'est d'une clarté tout à fait limpide et tout à fait évidente que c'est uniquement un état de conscience. Quand on est dans la conscience (c'est-à-dire la conscience qui devient de plus en plus vraie: pas quelque chose qui est arrêté mais une conscience en ascension), quand on est là-dedans, tout va bien; dès que l’on en sort pour retomber dans l’ancienne conscience non progressive ou d'une progression tout à fait lente et invisible, alors le désordre revient. Et ça, c'est comme une leçon donnée d'une façon tout à fait claire et évidente.

C'est vraiment intéressant.

Et le corps est en train d'apprendre. Il apprend très vite.

(silence)

(Riant) Il se dit toujours: «On est vraiment de pauvres bougres!» C'est comme cela son impression vraiment! Nous qui sommes si fiers d'être des hommes et d'être conscients et de pouvoir être autre chose qu'un animal pensant... nous sommes encore tout en bas en comparaison de... ce qui est à conquérir – pas même le premier échelon de l’ascension.

On croit bien faire, on se caresse un peu comme cela pour s'encourager!... C'est vraiment cela, l’impression: on est vraiment des pauvres bougres! (Mère rit)

(silence)

Certainement, un grand pas sera fait quand il sera naturel pour l’homme de chercher à se perfectionner lui-même au lieu de s'attendre à trouver la perfection dans les autres... Ça, ce renversement, est à la base de tout vrai progrès. Le premier instinct humain: «C'est la faute des circonstances, la faute des gens, la faute... Celui-ci est comme ceci, celui-là est comme cela, celui-là...» Et ça dure indéfiniment. Le premier pas, le premier pas est de dire: si j'étais comme je dois être, ou si ce corps était comme il doit être, tout serait pour lui parfaitement bien. Et si, pour faire un progrès, vous attendez que les autres le fassent, vous pouvez attendre indéfiniment.

Ça, c'est la première chose qu'il faudrait répandre partout.

Ne jamais mettre la faute sur les autres et sur les circonstances parce que, quelles que soient les circonstances, même celles qui sont en apparence les pires, si vous êtes dans la vraie attitude et que vous ayez la vraie conscience, cela n'a aucune importance pour votre progrès intérieur, aucune importance – je dis cela: y compris la mort.

Vraiment, ça paraît être la première leçon à apprendre.

(silence)

Tu te souviens où Sri Aurobindo avait écrit cela (je traduis librement), que pour faciliter le progrès, la notion de péché avait été introduite, et imédiatement (riant) l’homme a vu le péché chez tous les autres – il ne l’a jamais vu pour lui-même!... La phrase de Sri Aurobindo est charmante, mais je ne me souviens plus.1

(long silence)

Tu as vu le Message du nouvel an? (Mère cherche un papier)

Le monde se prépare à un grand changement. Voulez-vous aider?

C'est amusant, il y a N.S. (du gouvernement de l’Inde) qui veut faire des cartes de vœux (elle est obligée de distribuer une quantité de cartes le jour de l’an), alors elle veut faire une carte avec, de ce côté-ci, mon message, et de ce côté-là, ses vœux de bonne année! Elle veut envoyer ça. Amusant!

J'ai l’impression que 70 sera mieux que 69, non?

Je crois.

J'ai l’impression qu'en 72, il y aura vraiment un changement. Un changement sérieux.

Partout-partout dans le monde, dans les endroits les plus inattendus, on reçoit des lettres de gens qui suivent et qui comprennent, qui attendent... Le Canada est très secoué. Même en Norvège, en Suède, en Italie beaucoup de gens, en Allemagne beaucoup, en France... ça commence – un petit peu! (Mère rit) Aux États-Unis, c'est bien, c'est en train de bien marcher, et au Canada, ça va bien. Même au Japon il y a des gens...

13 décembre 1969

Je continue à recevoir presque quotidiennement des Aphorismes de Sri Aurobindo, que j'avais totalement oubliés. Il y a vraiment des choses bien intéressantes... Il y en a qui me donnent tout à fait l’impression d'un revêtement (on pourrait dire intellectuel mais ce n'est pas cela, c'est d'un mental supérieur, mais c'est mentalisé, c'est-à-dire que c'est accessible à la pensée), de l’expérience que j'ai eue, de la Conscience supramentale, où cette différence du mal et du bien et tout cela, paraissait un enfantillage, et Sri Aurobindo l’exprime d'une façon accessible à l’intelligence dans ces Aphorismes. Seulement... ceux qui comprennent, ne comprennent pas bien! Parce qu'ils comprennent en dessous.

Tu te souviens de ces Aphorismes?... Il y en a un où il dit: «Si je ne peux pas être Râma, alors je veux être Râvana...» et il explique pourquoi. C'est cette série-là.1

(silence)

J'ai le nom du «maître» de A.R. Je t'ai dit qu'il avait un gourou...

(Mère cherche un papier)

Sitaram Ômkarnath.

Je ne connais pas du tout... En tout cas, il n'est pas célèbre.

Ah! L est allé à Delhi (il a même rencontré A.R.), alors je lui ai demandé pour N.S.; il a dit qu'elle a été très soulagée, mais pas guérie. C'est ce que tous ceux ici ont eu, la même chose: un soulagement, mais pas de guérison.

Oui, pour tous ceux qui sont en rapport avec toi, le cas est différent.

Oui. Mais je vois bien, c'était ce que Sri Aurobindo avait aussi: il y a un certain pouvoir qui vient du rapport avec les forces supra-mentales et que Sri Aurobindo avait, dont j'ai eu l’expérience (quand je disais: «Il enlève les choses comme on les enlève avec une main», il ne reste plus rien), mais ce n'est pas guéri, dans le sens que la faiblesse fait que l’on fait revenir le mal. Je vois bien, j'ai la même expérience maintenant, mais... ce n'est pas ce que j'appelle «guérison»; et je vois bien que, pour guérir, il faudrait autre chose. Il faudrait autre chose. Au fond, pour le dire d'une façon tout à fait banale: on ne peut guérir que si la maladie n'est pas nécessaire au développement de l’individu.

On peut donner au corps l’indication du sens dans lequel il faudrait aller pour guérir, mais... fois sur cent, il ne le fera pas.

Oui, les gens appellent ça des miracles, mais pour moi, ce sont des miracles incomplets!... Dans tous les «transferts» (ce que j'appelle «transfert de pouvoir»), dans le corps, au moment du transfert, il y a une sorte de déséquilibre, et si l’on n'est pas très attentif, ou si ce déséquilibre est un peu plus fort que d'habitude, ça se traduit par une douleur; si on a le malheur de prendre la mauvaise attitude, la douleur se transforme en une maladie; mais avec la vraie attitude, la douleur peut être enlevée en quelques secondes – ça, l’expérience est presque quotidienne, c'est-à-dire que je l’ai eue des centaines de fois. Et pour les autres, c'est la même chose – on peut le faire pour quelqu'un d'autre. Mais tout ce que l’on peut faire, c'est... lui apprendre à comment se guérir – et il n'apprend pas! (Mère rit)

(silence)

Il y a un problème pratique là: on voit bien, il y a certains mouvements que l’on voudrait supprimer parce que l’on se rend compte que c'est une faille, mais on ne sait pas comment faire. Est-ce que c'est d'au-dessus?... On met la lumière là-dessus chaque fois que tel mouvement vient, et puis...

Ça dépend du genre de mouvement, mon petit, dans quelle partie de l’être et quel est le genre de mouvement.

Je suis convaincue que chaque difficulté est un problème spécial. On ne peut pas faire une règle générale.

Par exemple, l’autre jour, tu disais que la naissance était une «purge»...

(Mère rit)

Tu te souviens: que les gens qui avaient tout refoulé, ça ressortait dans les enfants.

Oui-oui!

Et tu disais que cela donnait la clef de ce qu'il ne faut pas faire.

Oui.

Alors je voudrais savoir quelle est la clef de la guérison SANS REFOULEMENT? Parce que, justement, d'habitude, on met la Lumière, et puis le faux mouvement s'enfonce en dessous.

Ah! ça, oui, c'est la règle générale. C'est le contraire qu'il faut! au lieu de repousser, c'est de l’offrir. C'est de mettre la chose, le mouvement lui-même, de le projeter dans la Lumière... Généralement, il se tortille et il refuse! Mais... (riant) c'est la seule façon. C'est pour cela que c'est si précieux, cette Conscience... N'est-ce pas, ce qui a produit le refoulement, c'est l’idée du bien et du mal – une espèce de mépris, de honte de ce qui est considéré comme mal –, et alors, on fait comme cela (geste de repousser), on ne veut pas le voir, on ne veut pas le laisser être. Il faut... La première chose – la première chose à réaliser, c'est que c'est l’infirmité de notre conscience qui fait cette division, et qu'il y a une Conscience (maintenant j'en suis sûre), il y a une Conscience où ça n'existe pas, où ce que nous appelons «mal» est aussi nécessaire que ce que nous appelons «bien», et que si nous pouvons projeter notre sensation – ou notre activité ou notre perception –, la projeter dans cette Lumière-là, c'est ça qui guérit.2 Au lieu de refouler ou de rejeter comme une chose que l’on veut détruire (ça ne peut pas se détruire!), il faut le projeter dans la Lumière. Ça, j'ai eu plusieurs jours d'une expérience très intéressante à cause de cela; justement, au lieu de vouloir rejeter loin de soi certaines choses (que l’on n'admet pas, qui produisent un déséquilibre dans l’être), au lieu de cela: les accepter, les prendre comme une partie de soi-même et... (Mère ouvre les mains) les offrir – elles ne veulent pas être offertes, mais il y a un moyen de les obliger. Un moyen de les obliger: la résistance est diminuée d'autant que nous pouvons diminuer en nous le sens de désapprobation. Si nous pouvons remplacer ce sens de désapprobation par une compréhension supérieure, alors on arrive. C'est beaucoup plus facile.

J'avais tout un bagage comme cela, qui restait, de choses que j'avais faites quand j'étais jeune; ça restait comme cela (geste de côté), et justement, après cette expérience supramentale, j'ai pu rassembler tout cela et puis, tout d'un coup, ça s'est tout éclairé et j'ai tout compris et... ça s'est évaporé. Des choses que je traînais depuis très longtemps – je ne voulais pas savoir, tu comprends, je ne voulais plus rien avoir à faire avec elles –, et puis c'est tout fini. Ça fond, ça s'est éclairé comme... Tiens, c'était à sa place.

Je crois que c'est cela. Tous-tous les mouvements qui tirent vers le bas, il faut les mettre en contact avec la compréhension supérieure.

Seulement, c'est évidemment au-delà du mental. Parce que je disais tout à l’heure que ces Aphorismes de Sri Aurobindo étaient des expressions compréhensibles pour l’intellect, mais ça diminue tout de même; ça diminue, ce n'est plus cet éblouissement de la compréhension sans mots – c'est LÀ, c'est là que les choses peuvent être arrangées.

Et même quand on se les explique à soi-même, ça diminue. Il ne faut rien dire: c'est comme si... (riant) on mettait une couche de peinture qui déforme!

(Mère prend soudain un bloc-note près d'elle et écrit la réponse à une lettre qu'elle avait lue au début de l’entrevue.)3

Est-ce que ça peut se lire? Parce que je ne suis pas sûre, je ne vois pas clair.

(le disciple lit)

«C'est une heure excellente pour lire, méditer et, petit à petit, entrer dans un silence réceptif qui permettra à la Conscience supérieure d'entrer dans le corps pour le transformer.»

C'est venu comme cela; c'est comme cela que ça se produit: tout d'un coup, brff! et puis ça reste, ça ne veut plus s'en aller jusqu'à ce que j'écrive. C'est amusant!

C'est amusant parce que ça ne correspond pas... (je ne peux même pas dire à «ce que je pense» parce que, à dire vrai, je ne pense plus), à mon expérience, mais à ce dont l’autre a besoin. La réponse est dictée pour l’autre. Les mots, les expressions, la tournure de phrase, la présentation diffèrent tout à fait suivant les gens à qui c'est écrit. Et cette conscience-là (celle de Mère) qui est là (geste au-dessus), n'y est pour rien du tout. Elle reçoit. Elle reçoit, et alors ça descend et puis ça fait comme ça (geste de martèlement) jusqu'à ce que j'écrive! Ça ne veut pas s'en aller avant que ce soit écrit. C'est très amusant... Comme cela, on peut faire beaucoup de travail sans fatigue!

J'aimerais bien en prendre de la graine!

Tiens! (Mère donne ses mains en riant)

Parce que, même dans un silence mental (je suis toujours habitué à écrire dans le silence mental), mais malgré tout, dans ce silence, je me méfie que ce ne soient pas de vieilles formations ou réactions qui viennent s'exprimer dans le silence.

Ah! oui.

J'ai peur de cela.

Oui, de vieilles choses qui remontent.

Mais tu ne sens pas que ça vient d'en haut?

Je sens que la Force est là et que ça descend.

Oui, et alors?

Eh bien, oui, mais après, quand j'ai écrit certaines choses, je me dis...

Ah! ça se mélange.

Je me dis: peut-être n'aurais-je pas dû dire cela?

Mais alors c'est le mental qui intervient.

Je ne sais pas.

Ça m'arrive aussi. Parfois, j'écris et puis j'envoie, et après, je me souviens de ce que j'ai écrit, je me dis: «Diable! je n'aurais pas dû dire cela!...» Et je m'aperçois, après, que c'est très bien – que c'est la réaction qui est une réaction mentale.

Ça m'est arrivé plusieurs fois. Par exemple l’autre jour, j'ai dû écrire à C.S. [un traducteur d'allemand]. Il m'avait écrit des choses... Très souvent, il écrit des choses inadmissibles, mais je ne dis rien; et l’autre jour, j'ai écrit une lettre assez forte pour lui dire: «Qu'est-ce que ça signifie?» Et après, je me suis dit: «Non, il ne faut pas bouger», et je n'ai pas envoyé ma lettre... Qu'est-ce qu'il faut faire, je ne sais pas?

Ça, mon petit... (silence)

C'est difficile.

Oui... Mais quand tu te tournes vers le haut, ou que tu aspires ou que tu es comme cela, ouvert à la Conscience Suprême, c'est concret?

Ah! oui, c'est solide.

C'est concret? Il faudrait que... Tu comprends, il n'y a qu'UN moyen, c'est que l’ego s'en aille, voilà. C'est cela. C'est quand, là, au lieu de «je», il n'y a plus rien: tu sais, c'est tout à fait plan comme cela (geste immense, uni, sans une ride), avec une espèce de... pas même exprimé par des mots, mais une sensation très STABLE de: «Ce que Tu voudras, comme Tu voudras.» (Les mots deviennent tout petits.) Vraiment avoir une sensation concrète que ça (le corps), ça n'existe pas, c'est seulement comme «utilisé» – qu'il n'y a que Ça. Ça qui fait comme cela (geste de pression). Cette impression de Ça, cette immensité consciente qui (Mère étend ses bras)... On finit par le voir, n'est-ce pas (le «voir», ce n'est pas une vision avec des images, mais c'est une vision... je ne sais pas avec quoi! mais c'est très concret, c'est beaucoup plus concret que les images), vision de cette Force immense, cette Vibration immense, qui presse-presse-presse-presse... et puis alors, le monde qui gigote dessous (!) et la chose qui s'ouvre, et quand ça s'ouvre, ça entre et ça se répand.

C'est vraiment intéressant.

C'est la seule solution, il n'y en a pas d'autres. Tout le reste, c'est... des aspirations, des conceptions, des espoirs, des... c'est encore du super-homme, mais ce n'est pas du supramental. C'est d'une humanité supérieure qui essaye de tirer toute son humanité vers le haut, mais ça... ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien.

l’image est très claire, de toute cette humanité qui s'accroche pour grimper, qui essaye d'attraper comme cela, mais qui, elle, ne se donne pas – elle veut prendre! Et ça, ça ne va pas. Il faut qu'elle s'annule. Alors autre chose peut venir, peut prendre sa place.

Tout le secret est là.

Par exemple, tout ce côté (tout ce qu'ici, à l’Ashram, Y représente), de cette humanité qui veut prendre par force les choses et qui les tire là (geste à hauteur du front)... C'est intéressant (on ne peut pas dire: c'est intéressant!), mais c'est pas ça! C'est pas ça! il faut que toutes ces possibilités soient épuisées pour que quelque chose dans l’humanité comprenne... qu'il n'y a que ça (Mère ouvre les mains dans un geste d'abandon), voilà, et puis se laisser aplatir jusqu'à disparition.

Au fond, c'est ça le plus difficile: apprendre à disparaître.

(silence)

Bien, mon petit (riant), on y arrivera!4

17 décembre 1969

J'ai eu une révélation.

Ah!

C'était très intéressant. C'est-à-dire que j'étais tout à fait silencieuse et, tout d'un coup, c'est venu, et ça insistait comme toujours jusqu'à ce que je le note.

C'était à la suite d'une question: «Qu'est-ce que la mort?...» Mais alors la réponse n'est pas du tout sur le plan ordinaire, c'est-à-dire le mental tout à fait silencieux.

C'est venu comme cela, impératif (Mère lit):

La mort est la décentralisation de la conscience contenue dans les cellules du corps.

Avec tout un monde de perceptions en même temps (Mère fait un geste autour de sa tête), comme une conscience terrestre générale, avec des exemples montrant que c'est seulement quand la conscience qui est contenue dans les cellules se décentralise que l’on est mort. Autrement rien, même l’arrêt du cœur ne peut faire mourir.

Cette décentralisation provient d'innombrables causes naturellement, mais ce sont des causes que l’on pourrait appeler psychologiques. Et les cellules contenues dans le corps, ou qui constituent le corps, sont tenues en forme par une centralisation de la conscience qui est en elles, et tant que cette puissance de concentration est là, le corps ne peut pas mourir; c'est seulement quand la puissance de concentration disparaît que les cellules s'éparpillent. Et alors on meurt. Alors le corps meurt.

Et la suite était comme ceci...

(Mère prend une autre note)

La concentration habituelle de la Nature (produite par la Nature) est une concentration MÉCANIQUE et elle est soumise à toutes sortes de lois mécaniques aussi, mais... (Mère lit sa note) Voici ce qui est venu:

Le tout premier pas vers l’immortalité est de remplacer la centralisation mécanique par une centralisation volontaire.

...qui vient de la Présence intérieure, c'est-à-dire que la Présence divine, par sa volonté, concentre les cellules.

Voilà.

En anglais, j'ai mis comme cela:

Death is the consequence of the decentralisation of the Consciousness contained in the cells composing the body.

Et puis:

Decentralisation produced by Nature is mechanical it must be replaced by a willed centralisation.


Et puis... (Mère prend d’autres notes) je continue les réponses aux Aphorismes, et hier... (ces Aphorismes de Sri Aurobindo sont extrêmement intéressants, je ne me souvenais plus), et hier T m'a posé une question (parce que Sri Aurobindo, dans ces Aphorismes, parlait du courage, de l’amour, de la bassesse, l’égoïsme, la noblesse, la générosité1), alors elle m'a demandé: «Peux-tu me donner la définition de ces mots?» Tout d'abord, j'ai pensé que ça ne viendrait pas, puis tout d'un coup c'est venu. Et alors je l’ai noté, c'est intéressant.

(Mère lit)

Le COURAGE est l’absence totale de peur sous toutes ses formes.

Il ne faut pas le comprendre mentalement, il faut le comprendre comme ça (geste au-dessus de la tête), parce que les mots ont un sens très... aussi vaste que possible, très universel.

l’AMOUR est le don de soi sans rien demander en échange.

Je répète, ce n'est pas du tout sur ce plan-ci (geste en bas), parce que c'était... l’exacte définition de l’Amour divin tel qu'il agit.

Puis les deux choses obscures:

La bassesse est une faiblesse qui calcule et... (riant) exige des autres les vertus que l’on n'a pas.

l’ÉGOÏSME, c'est de se mettre au centre de l’univers et de vouloir que tout existe pour votre propre satisfaction.

La NOBLESSE, c'est de se refuser à tout calcul personnel.

La GÉNÉROSITÉ, c'est de trouver sa propre satisfaction dans la satisfaction des autres.

Ces choses-là viennent d'une façon imperative – je ne cherche pas, je n'appelle pas. Et même, quand j'avais lu les questions, je me disais: oh! je ne vais pas répondre à ça, et puis poff!2


(Puis Mère écoute la lecture de quelques textes de Sri Aurobindo et notamment celui-ci:)

Certainly, when the Supramental does touch earth with a sufficient force to dig itself in into the earth consciousness, there will be no more chance of any success or survival for the Asuric Maya.

On Himself, XXVI.472
18.10.1934

La traduction

«Certainement, quand le Supramental touchera la terre avec une force suffisante pour s'implanter dans la conscience terrestre, la Mâyâ asourique [les forces du Mensonge] n'aura plus aucune chance de succès ni de survie.»

C'est intéressant parce que l’Asoura est en train de se débattre justement comme quelqu'un qui s'attend à disparaître. Ça, c'est intéressant...

20 décembre 1969

(Mère donne au disciple une fleur de «Champak».)

Tu sais ce que c'est?... C'est la «perfection psychologique divine.» Alors quelqu'un m'a demandé: «Qu'est-ce que la perfection psychologique divine?» – Le sourire en toutes circonstances...

Bon... Tu sais que je suis allé à l’aéroport de Madras hier, chercher ma mère. Chaque fois, j'ai vraiment l’impression d'entrer dans un monde... je ne sais pas... un autre monde. Un autre monde. Réellement, je n'ai jamais eu cette impression autant dans ma vie, d'entrer dans un monde qui n'est pas humain, qui est je ne sais pas quoi – comme un monde de rêve, un monde qui n'a pas d'existence, qui est faux, qui est vide.

Mécanique.

Oui, des petits pantins habillés qui se meuvent. C'est... inexistant.

Oui, c'est cela, il n'y a pas de conscience intérieure.

C'est douloureux presque.

Oui.


(Peu après, Mère regarde du courrier ancien.)1

C'est de Y. Elle voudrait me voir, je crois?

Oui: «Je voudrais bien te voir et regarder certaines choses à travers toi.»

(Mère rit beaucoup)... Elle veut toujours me persuader que ce qu'elle fait est parfait, alors...

Ça va «au coin».

(Mère désigne l’endroit où s'accumulent les lettres à classer)

J'ai dit que l’on fasse une école à «Auromodèle».

Qui va s'occuper de l’école?

Il y a une Française qui était institutrice (on m'a dit qu'elle était gentille, je ne l’ai pas vue), et puis il y a une Indienne (que j'ai vue) et qui veut enseigner à Auroville, et elle est bien, enfin sa position mentale est bonne. Alors, toutes deux vont commencer (riant): il y a cinq enfants!

Il y a des gens intéressants qui sont venus à Auroville, vraiment des gens qui cherchent quelque chose... Alors, je les laisse mijoter là pour voir ce qui va sortir!

(silence)

Tu connais l’ancien prince du Cachemire? K.S.? Il a fondé une espèce de «comité pour le centenaire de Sri Aurobindo». Il est très actif et ils veulent fonder... un «institut» ou je ne sais quoi pour «étudier les œuvres» de Sri Aurobindo et les «mettre en pratique» au point de vue gouvernemental et international. Il avait d'abord pensé à fonder ça à Delhi – j'avais dit: «Ça va.» Mais il y a eu un grand mouvement pour que ce soit fait ici, à Auroville... Il y a deux choses qu'ils veulent faire à Auroville, cet institut et puis, en 1972, ils veulent envoyer un satellite de l’Inde pour les «communications», et ils ont à peu près décidé que ce sera d'Auroville qu'ils enverront le satellite, qu'on l’appellera «Sri Aurobindo»... Et puis, je t'avais déjà parlé d'un bateau qui partira d'Amérique aussi en 72: le «Bateau de Sri Aurobindo»? Ils essayent de faire quelque chose...

Mais pour moi, j'essaye de ne pas être trop mélangée parce que... dès que ça touche la Manifestation, ça devient comme ce que tu as senti là-bas (à Madras), et alors, c'est tellement ridicule que, dès que ça entre dans ma conscience, ça commence à trépider, alors j'aime mieux me tenir en retrait.


Je voudrais que tu prennes la responsabilité du «Bulletin».2

(suivent divers détails)

Dans ces Aphorismes, T me demande toujours: «Qu'est-ce que Sri Aurobindo veut dire?» ou «Qu'est-ce que Sri Aurobindo veut?» Et alors, moi, je suis comme cela (geste passif) et il me répond. Et c'est vraiment amusant: il répond JUSTE le genre de choses qu'elle peut comprendre.3 C'est cela que je trouve toujours merveilleux! Tout le temps que j'ai vécu avec lui, j'étais dans un état presque d'émerveillement de cette souplesse – souplesse extraordinaire – qui faisait que, pour chacun, c'était comme s'il se servait de son propre mental pour lui répondre! C'était vraiment merveilleux. Le point de vue, l’attitude, les mots, la tournure de phrase, tout: que l’autre pouvait comprendre.

Et c'est pour cela qu'en apparence, il semble y avoir des contradictions, mais c'est seulement une apparence.

(silence)

Le passage – ce court passage – de la vraie conscience, la conscience supramentale, a laissé une certaine... c'est entre une attitude et une vision dans le corps (l’être physique), et il ne voit plus les choses du tout de la même manière, et la réaction est tout à fait différente. Ça a fait une différence... Pendant ces quelques heures, il n'y avait pas autre chose que cette conscience-là, c'était merveilleux; maintenant, il y a... ce qui s'est formé. Mais l’attitude intérieure, même dans la conscience physique, est changée; il y a une sorte de vision des choses, une POSITION: la position vis-à-vis du monde, de la création, est changée. Elle n'est plus la même – plus la même. Et alors, une sorte de sensibilité clairvoyante de tout ce qui vient pour... pour être fait ou pour être dit ou pour être décidé (ça vient des gens et des circonstances)...

Comment dire?... J'ai refusé d'être un prophète. Cette Conscience qui est là (geste au-dessus) a l’impression que pour être prophète, il faut... coaguler les choses. C'est leur donner une sorte de fixité ou de dureté (comment expliquer cela?), oui, c'est une fixité qu'elles n'ont pas. Les choses sont vues (elles sont vues tout le temps, constamment), mais il faut un temps (ce qui, pour nous, se traduit par le «temps») entre la vision et l’exécution (Mère dessine une trajectoire descendante), et si l’on est dans la vraie conscience et la vraie vision, ce qui était là comme cela (geste flottant au-dessus), peut être changé. N'est-ce pas, toute la création est dans un mouvement d'une rapidité si formidable que c'est imperceptible pour la conscience physique, mais entre le moment où les choses sont vues (geste là-haut) et le moment où elles s'expriment matériellement, il y a un changement. Et si l’on est très soigneux – très soigneux et très (comment dire?) objectif –, il y a le temps d'une transformation. Et c'est cette habitude de fixer qui empêche la rapidité de la transformation du monde. Et alors, prophétiser, est une façon de fixer et... la conscience se refuse à le faire, elle veut laisser toute la souplesse aux choses pour qu'elles puissent à chaque moment changer.

Malheureusement ici, sur la terre, tout devient comme cela (Mère serre ses deux poings), coagulé, et c'est ça le mensonge de la création. Mais il ne faut pas l’aider!

Autrement, quand il y a des problèmes à résoudre, je les vois: ils viennent, ils restent, ils s'obstinent jusqu'à ce que la solution soit trouvée. Et ça, c'est vraiment intéressant. Pour tout-toutes les choses. C'est-à-dire que l’on pourrait le traduire d'une façon très ordinaire: tous les gens qui pensent à moi ou qui comptent sur moi («moi», tu comprends ce que je veux dire, moi, ce n'est pas ça: Mère désigne son corps) et qui attendent la solution de leur problème, tout cela me vient cons-tam-ment, nuit et jour, nuit et jour, avec la solution. Mais ce n'est pas mental, et par conséquent ce n'est pas fixe; c'est une chose souple qui est tout le temps changeante; et alors si l’on prophétise, on fixe un moment – et on gâche tout. Tandis que si on laisse... Et tout le temps, les gens veulent que l’on prophétise, qu'on leur dise: «Ce sera comme ça.» Je m'y refuse obstinément! Il faut garder la vraie attitude et laisser les choses – laisser aux choses leur fluidité ascendante.

Il n'y a plus de «petit», «grand», «important», «pas important», tout ça, c'est...

De toutes petites choses, que le mental considère comme com-plè-te-ment insignifiantes, parfois elles ont une lumière plus intense que les «grands,» problèmes, enfin que le mental considère comme des problèmes d'importance: des problèmes de gouvernement, par exemple, de relations avec d'autres pays; c'est quelquefois plus-plus inconsistant que de toutes petites choses qui en apparence ne sont rien. Et tout ça, c'est relié au mouvement total de la création vers... vers la prise de conscience véritable.

Ça, c'est devenu la manière d'être constante-constante.

(silence)

Et c'est très intéressant. Le premier effet de chaque nouveau progrès, c'est une perception plus totale et plus complète de l’incapacité dans laquelle on se trouve dans la vie ordinaire. C'est le premier résultat, parce qu'on commence à sentir, voir, pressentir, percevoir, comment ça doit être, et alors... (geste de décalage brusque). Et c'est vraiment l’effet de la Grâce que ce soit gradué et en apparence lent, parce que tout rapide mouvement produirait un tel... désespoir de l’opposition entre les deux, que l’on ne pourrait pas le supporter. Le corps devient de plus en plus conscient de son infirmité, de son incapacité; plus la conscience devient claire, plus le corps devient conscient, et alors il faut faire attention parce que... il ne faut pas que ça bascule.

(Mère s'adresse brusquement à Sujata)

Tu as reçu la boîte de marrons glacés? Non?... (On apporte la boîte) C'est joli! – Au moins la boîte est jolie.

Tu vas en prendre au moins?

Pas pour moi.

Oh! écoute, tu n'es pas raisonnable!

C'est ennuyeux de manger!

Non, toutes ces difficultés me sont données justement pour... ce n'est pas pour m'encourager à manger!

Non, on est en train de faire une expérience, de savoir comment il faut faire pour passer de la vieille méthode à la nouvelle méthode, et alors... Le corps ne sait rien. Il ne sait rien, il est absolument ignorant – aucune expérience, il ne sait rien, il est seulement de bonne volonté (Mère ouvre les mains). Il ne sait même pas... Il a (riant), un certain nombre de sensations de ce qui se passe, qui ne sont pas toujours très agréables, et c'est tout, il ne sait pas. Il ne sait pas l’effet: comment, pourquoi, tout cela... Et alors, c'est entendu, ça fait partie des choses exigées: il doit manger; mais dans quelle mesure et comment?... La transition: comment faire la transition? l’allure de la transition, le mode de transition?... Il ne sait rien. Ce pauvre corps ne peut rien dire parce qu'il ne sait pas; tout ce qu'il croyait avoir appris pendant quatre-vingt-dix ans, on lui a démontré d'une façon tout à fait claire que ça n'avait aucune valeur! (Mère rit)* et que tout est à apprendre. Alors il est comme cela, de bonne volonté, mais absolument ignorant... Alors ce qu'il essaye, c'est d'être attentif à la moindre indication – mais les indications sont... pas très claires.

C'est devenu comme cela: quand il met quelque chose dans sa bouche, il s'attend à un oui ou à un non; et il est en train d'observer que ça dépend absolument de son attitude; que s'il n'attache pas d'importance à ce qu'il fait, ça va généralement assez bien (c'est-à-dire s'il s'occupe d'autre chose), mais alors il n'apprend rien! Alors il ne sait pas.

C'est au point que toutes les choses qui sont admises et entendues (depuis tout petit, on a des sortes d'habitudes que les choses se passent «comme ça»), c'est devenu absolument irréel et fantastique! Toutes les choses qui ne se discutent pas, qui vont d'elles-mêmes – irréelles et fantastiques. Des fois, il se demande comment, comment un geste peut être fait?... Tu sais, tout le fonctionnement, tout-tout est mis en question.

Alors il faut faire attention que ça n'aille pas trop loin.4 (Mère fait un geste de bascule en riant)

(silence)

Ta maman est en train de penser à toi!

24 décembre 1969

Sujata a découvert la photo du gourou de A.R. [le guérisseur]. La voilà.

(Mère regarde) Qu'est-ce qu'il a sur la tête?

Il a sa «jatâ»1 et une sorte de plumet ou de plume de paon dans les cheveux.

(Riant) Il a l’air d'un brave homme.

Ce doit être un homme simple.

Il a 78 ans et sa mission est de se promener constamment dans l’Inde. Il donne l’initiation à qui veut, et sa méthode est très simple, il dit qu'il suffit de répéter le Nom divin: «Haré Krishna, Haré Rama, Haré Krishna...» Ça suffit à purifier.

Haré Krishna?... Il a vraiment l’air d'un brave homme!

Oui, il a l’air gentil.

Le yoga pour les cœurs simples!

Ça va bien, je suis contente du choix de A.R. Oui, c'est un brave homme... A.R. doit sentir comme cela (geste au cœur) une sorte de chaleur, et il est content. (Riant) Nous sommes trop là-haut pour lui!


(Mère donne son message de Noël)

Salut à la Lumière nouvelle.
Qu'elle croisse dans tous les cœurs.


Peu après

Dans ses Aphorismes, Sri Aurobindo employait partout le mot «God», et nous avons traduit par «Dieu»... Et le mot Dieu évoque maintenant dans l’esprit des hommes des choses inacceptables. Alors je suis embarrassée. Même «Divin», n'est-ce pas... En anglais, Divin est bien parce que ce n'est pas «God» (!) c'est Divine. Mais en français, «Divin» ressemble à Dieu! Et pourtant, c'est le seul mot, parce que, autrement, «vérité» est partiel, «conscience» est partiel, tout ce que l’on met est partiel.

J'ai reçu hier un mot de M.H. (très poli, d'ailleurs), me demandant pourquoi le mariage (qui était interdit à l’Ashram), maintenant est autorisé puisque les gens se marient et ont des enfants... Ce doit être des racontars, ou bien il a vu de ces femmes à Auroville qui sont enceintes. Mais je lui ai envoyé mon explication; je lui ai dit que s'il était vrai que, maintenant, le mariage est autorisé et que les enfants naissent ici, je dirais simplement: «C'est parce que le Divin l’a voulu ainsi.» (C'est une façon de lui dire que c'est une conscience très ordinaire qui pose cette question.) Et alors, quand j'ai écrit, j'ai mis «le Divin», parce que je ne savais pas quoi mettre... Après, je lui ai dit comment étaient les choses, que ce n'est pas du tout comme cela, mais qu'à Auroville, les gens ont des enfants; j'ai même mis dans la réponse que l’on avait créé la maternité d'Auroville pour tous ceux qui voulaient que leur enfant soit citoyen du monde! (Riant) Et il y en a beaucoup!

Mais au moment où j'ai écrit «Divin»... Comment faire? Quoi dire?... C'est une convention, mais les mots... Dans l’un de ses Aphorismes, Sri Aurobindo dit que l’athéisme était nécessaire pour contrebalancer les religions qui avaient fait tant de dégâts!2... Et c'est pour cela que d'employer le mot Dieu est fâcheux.

Souvent, je dis «Vérité», souvent je dis «Conscience suprême», mais je sais parfaitement bien que ce n'est pas ça. Et «Divinité» aussi... Les Anciens ici, disaient «That»: Ça – mais en français, «Ça»?...

On peut l’employer, mais pas partout... Les rishis disaient «Le Vaste» [Brihatj.

(après un silence)

À la rigueur, ce qui donne le plus l’impression, c'est «la suprême Divinité», parce que ce n'est pas trop... Je ne sais pas comment dire. Tout a un cachet mental, on ne peut pas s'en empêcher.

Mais le mot le plus large encore, c'est «conscience», la «Suprême Conscience».

Oui, mais la «Suprême Conscience», c'est parfait quand il est question de la création; la Suprême Conscience, c'est justement ce qui a créé, mais (riant) il y a ce qui est au-delà!

Par-delà, c'est «Ça».

Oui.

On peut souvent employer le mot «Ça» avec une majuscule.

(Mère hoche la tête)

Dans les langues de l’Inde, ils ont ce ÔM... qui est une chose merveilleuse. Tu sais ce qu'ils disent? Que ÔM est l’ensemble des bruits de la création perçus par le Suprême: il entend ÔM comme un appel vers Lui – c'est magnifique comme idée! comme symbole, comme... Seulement...

Et comme pouvoir! Non seulement comme symbole mais comme pouvoir.

Oh! un pouvoir formidable – formidable. La première fois que je l’ai entendu... C'était un certain Bernard qui avait passé un an dans l’Inde, dans l’Himalaya, et il avait été visité par des yogis qu'il ne connaissait pas (il était dans une hutte, dans l’Himalaya, tout seul), et il y avait un yogi qui était venu le trouver (qui ne lui avait rien dit; il s'était assis à côté de lui et il était parti), et ce yogi lui avait simplement dit: ÔM... Et il est revenu en France, il a raconté ses expériences de l’Inde, et alors il a dit ça. Moi, je ne savais absolument rien de l’Inde à ce moment-là, et quand il a prononcé le mot ÔM... (Mère abat ses deux bras), c'est venu: une Force comme cela, tout-tout mon corps, tout a vibré d'une façon extraordinaire! C'était comme une révélation – tout-tout-tout s'est mis à vibrer. Et alors, j'ai dit: «Enfin voilà le vrai son!» Et je ne savais rien-rien-rien, ni ce que cela voulait dire ni rien.

(long silence)

Je ne sais plus qui c'est, je ne sais pas si c'est un Russe ou un Anglais, mais c'est un homme célèbre: le créateur du matérialisme dans le monde (je ne me souviens plus lequel c'est). Et tu sais ce qu'il a dit?... Il a dit (je ne sais plus dans quelle langue): «Je remercie Dieu de m'avoir rendu athée – de m'avoir créé athée!...»

J'ai trouvé ça charmant. Je l’ai lu en anglais: Thank god, he made me an atheist! [Dieu merci! il m'a fait athée.]


(Vers la fin de l’entrevue)

Une petite chose. Ce corps est devenu très-très sensible. Si quelqu'un vient mécontent de quelque chose que j'ai fait ou que j'ai dit (je ne sais pas quel genre, c'est arrivé avec trois personnes dont le contact est d'ordinaire tout à fait bon)... C'est une chose tout à fait récente. Ça (Mère désigne le front), c'est silencieux, il n'y a rien, ne perçoit rien, et alors, tout d'un coup, tous les nerfs (les nerfs du corps) sont comme torturés. Et ça vient de la personne qui est là – qui donne tous les signes de la dévotion, etc., absolument aucun signe extérieur, aucune manifestation parlée ni directe: tous les nerfs torturés. Cette maladie que j'ai eue en France quand j'ai quitté l’Inde et que je suis rentrée – c'est la même chose [maintenant], seulement extrêmement aigu. Et puis, quand la personne est partie et que je rentre à l’intérieur (ou seule, ou avec d'autres gens qui sont là), petit à petit, ça s'atténue et ça s'en va.

C'est l’indication exacte des gens quand ils ne sont pas contents (quand ils ne sont pas contents de ce que j'ai dit ou de ce que j'ai fait, ou de la façon dont le Divin les traite à travers quelqu'un ou...), c'est cela, c'est leur mécontentement qui donne ça. Et des gens avec des caractères tout à fait différents, tous les trois, une position tout à fait différente, des pensées tout à fait différentes... Et je me suis demandé: est-ce vraiment l’action de ce qu'il est convenu d'appeler «les forces adverses» qui agissent à travers les gens?

Je suis en train d'étudier cela.

C'est inattendu; je sais qu'ils vont venir, mais je ne m'attends pas du tout à ce que ce soit comme cela, ça ne correspond à rien du tout – tout d'un coup, bah! baba!... (geste de douleur). Et quand ils s'en vont, ça se calme; quand je me concentre dans la vraie conscience, alors ça s'atténue et les nerfs se remettent. C'est ce qu'on appelle une «névrite», ce sont les nerfs qui sont malades.

Et je l’avais eue en France parce que, quand je suis partie, j'ai laissé mon être psychique ici, et ça a été le résultat... C'est quelque chose... c'est une influence qui coupe, qui doit couper le corps de son contact avec le Divin, probablement. C'est à l’étude, tu comprends. Je n'en disais rien parce que c'est encore à l’étude. Mais la première fois que ça s'est passé, c'était il y a assez longtemps, il y a plus d'un mois;3 la dernière fois, c'était hier – trois fois, c'est arrivé. Trois personnes absolument-absolument différentes: différentes de caractère, différentes d'occupation, de tout, différentes de relation aussi.

Ça donnera le secret de quelque chose. (Riant) Je suis en train d’étudier.4

27 décembre 1969

Tu n'as rien à dire?...

Je suis tellement plongé dans tant de choses pratiques ou matérielles...

(Mère rit)

On a un peu l’impression d'être englouti dans la Matière... non?

Ces jours-ci, moi, j'ai eu plutôt l’impression d'être entourée d'une incompréhension totale – mais ça, j'y suis habituée! Mais c'était devenu très aigu; je recevais des questions, des reproches, enfin tout-tout... C'était comme l’esprit d'incompréhension qui se levait partout, et ça m'a fait l’effet de se lever exprès parce que c'était le moment de faire quelque chose... «Pourquoi fait-on ceci, pourquoi fait-on cela, pourquoi est-ce comme cela?...» Et la plupart du temps, basé sur des renseignements tendancieux ou des observations incorrectes.

(silence)

En dépit de cette espèce d'apparent engloutissement par les problèmes et le travail pratique, est-ce que quelque yoga se fait ou quelque chose se fait, même si nous, extérieurement, sommes tellement absorbés que nous n'avons pas l’impression de faire quelque chose?

Oh! mais maintenant, l’être tout entier (le corps a bien compris), mais l’être tout entier sait que tout vient pour vous faire avancer aussi vite que possible, tout: les obstacles, les contradictions, les incompréhensions, les occupations superflues, tout-tout-tout pour faire avancer; c'est pour toucher un point, un autre point, un autre... et vous faire progresser aussi vite que possible. Si l’on ne s'occupe pas de cette Matière, comment est-ce qu'elle va changer?

Et c'est très clair, il est tout à fait évident que toutes les objections, toutes les contradictions viennent seulement d'un mental superficiel qui ne voit que l’apparence des choses. C'est justement pour mettre en garde la conscience contre cela: qu'elle ne soit pas trompée par ces choses, qu'elle puisse voir clairement que c'est tout à fait extérieur, superficiel, et que, derrière cela, tout ce qui se fait, est comme une marche aussi rapide que possible vers... la transformation.

(long silence)

l’intelligence à son degré supérieur comprend très facilement qu'elle ne sait rien et elle est très facilement dans l’attitude requise pour progresser, mais même ceux qui ont cette intelligence, quand il s'agit de choses matérielles, ils ont instinctivement l’impression que tout ça, c'est connu, c'est su, c'est fondé sur des expériences établies; et alors là, on est vulnérable. Et c'est justement cela que l’on est en train d'apprendre au corps: c'est l’inanité de cette actuelle façon de voir et de comprendre les choses, basée sur le bon, le mauvais, le bien, le mal, le lumineux, l’obscur... toutes ces contradictions; et tout le jugement, toute la conception de la vie est basée là-dessus (la vie matérielle), et c'est pour vous apprendre l’inanité de cette base. Et je vois cela. Le travail est devenu très aigu, très persistant, comme si l’on voulait aller vite.

Il faut que même la partie pratique qui pensait avoir appris à vivre et savoir ce qu'il faut faire et comment il faut faire, il faut que ça aussi comprenne que ce n'est pas le vrai savoir et que ce n'est pas la vraie manière d'utiliser les choses extérieures.

(silence)

Il y a des choses même amusantes... Cette Conscience qui est à l’œuvre, c'est tout le temps comme si elle «taquinait» le corps; tout le temps, elle lui dit: «Tu vois, tu as cette sensation; eh bien, c'est basé sur quoi? Tu crois savoir, sais-tu vraiment ce qu'il y a derrière?», et pour toutes les petites choses de la vie de chaque minute. Et alors, le corps est comme cela (Mère ouvre de grands yeux étonnés) à se dire: «C'est vrai, je ne sais rien!» Mais sa réponse est toujours la même, il dit: «Moi, je ne prétends pas savoir: que le Seigneur fasse ce qu'il veut.» Il est comme cela. Et alors, il y a cette chose (si l’on pouvait attraper ça d'une façon permanente, ce serait bien): la non-intervention dans le travail du Seigneur (pour le dire d'une façon tout à fait simple).

(silence)

Il y a une démonstration par le fait – par l’expérience de chaque minute –, que quand on fait les choses avec cette espèce de sensation d'une sagesse acquise, ou d'une connaissance acquise, d'une expérience qui a été vécue, etc., à quel point c'est... on peut dire «mensonger» (c'est trompeur en tout cas), et qu'il y a quelque chose D'AUTRE qui est derrière, et qui se sert de ça (comme elle se sert de tout), mais qui n'est pas lié ni du tout dépendant de cette connaissance, ni de ce que nous appelons l’«expérience de la vie», ni de rien de tout cela. Ça a une vision beaucoup plus directe et beaucoup plus profonde et beaucoup plus «lointaine», c'est-à-dire qu'elle voit beaucoup plus loin, beaucoup plus large et en avant – ce que toute expérience extérieure ne donne pas... Mais ça, c'est un développement modeste, sans éclats, qui ne peut pas «faire montre» de quelque chose: c'est une toute petite chose de chaque minute – chaque minute, chaque seconde, chaque chose. Comme si, tout le temps, il y avait quelque chose qui vous montrait la façon ordinaire de vivre, de voir et de faire, et puis... la vraie façon. Les deux comme cela. Pour toutes les choses.

C'est au point que l’attitude vis-à-vis de certaines vibrations vous donne un bien-être total, ou peut vous rendre tout à fait malade! Et c'est la même vibration. Des choses comme cela, qui sont ahurissantes. Et à chaque minute, c'est comme cela – à chaque minute, pour chaque chose.

Hier, j'ai entendu la musique de Sunil (et ça a été tellement intéressant à cause de cela). Elle est très bien sa musique, et alors cette Conscience m'a montré comment... N'est-ce pas, la conscience ici prend une certaine attitude, et alors elle a toute la joie et l’harmonie; et la chose reste la même, mais alors... (Mère fait un geste de légère bascule à gauche) un tout petit changement dans l’attitude de la conscience, et ça devient presque insupportable! Des expériences comme cela, tout le temps, tout le temps... pour montrer vraiment qu'il n'y a qu 'UNE CHOSE qui ait de l’importance, c'est l’attitude de la conscience: la vieille attitude de l’être individuel (Mère fait un geste de contraction sur soi), ou ça (geste d'expansion). Ce doit être probablement (pour le mettre en mots que nous comprenions), la présence de l’ego et l’abolition de l’ego. C'est cela.

Et alors, comme je l’ai dit, pour toutes les activités les plus ordinaires de la vie, il y a la démonstration que si la présence de l’ego est tolérée (pour vous faire comprendre ce que c'est sûrement), ça peut mener vraiment à un déséquilibre de santé, et que le seul remède, c'est la disparition de l’ego – et en même temps la disparition de tout le malaise. Pour les choses que nous considérons les plus indifférentes, les plus... Et c'est pour tout, pour tout, pour tout, tout le temps, tout le temps, tout le temps, nuit et jour.

Et alors, ça vient se compliquer de toutes les incompréhensions et tous les mécontentements qui s'expriment (geste comme un tombereau qui se déverse sur Mère), comme s'ils étaient débridés et qu'ils s'exprimaient; et alors, tout cela tombe en même temps pour... pour que l’expérience soit totale et dans tous les domaines.

C'est comme si l’on démontrait pratiquement, à chaque minute, la présence de la mort et la présence de l’immortalité, comme cela (Mère fait légèrement basculer sa main à droite ou à gauche), dans les MOINDRES choses – dans toutes les choses, les moindres et les plus grandes, et d'une façon constante; et constamment, on voit... si l’on est ici ou si on est là (même geste de bascule d'un côté ou de l’autre). À chaque seconde comme si l’on était amené à choisir entre la mort et l’immortalité.

Et ça, je vois, il faut que le corps ait une préparation sérieuse et très complète pour pouvoir tenir le coup de l’expérience sans... sans vibration d'inquiétude ou de recul ou de... qu'il puisse garder sa paix et son sourire constants.

(long silence)

Il y a des choses... les plus invraisemblables.

Comme si, en toute chose, on voulait vous faire vivre la présence des opposés, pour trouver... pour trouver ce qui EST quand les opposés se joignent – au lieu de se fuir, quand ils se joignent. Ça produit un résultat. Et ça, dans la vie pratique.1

31 décembre 1969

(Mère donne des cadeaux de nouvel an et plusieurs exemplaires de «l’Aventure de la Conscience» en italien.)

Çâ, c'est de l’italien... J'en ai plusieurs, si tu veux en avoir?

Oh! tu sais, douce Mère, je ne connais pas beaucoup d'Italiens... Tu savais l’italien, autrefois, un peu?

Oh! je savais l’italien, dans le temps, très bien. J'en ai tant appris...

(Mère donne d'autres cadeaux... un «stylophone», dont elle joue!)

Naturellement, ça a un son bizarre... Tu veux jouer? En Italie, le livre (l’Aventure) a beaucoup de succès, beaucoup: les Italiens viennent en grand nombre...

Tu connais Paolo, tu l’as vu? Il est gentil.

Il est gentil. Mais justement j'ai quelque chose à ce sujet. J'ai reçu hier la visite de Paolo et de N, tous les deux, et Paolo m'a expliqué une sorte d'inspiration qu'il a eue à propos d'Auroville. J'ai trouvé cela très beau, très bien, et important. Et alors, je lui ai dit: il faut absolument que vous en parliez vous-même à Mère, directement. Alors, quand pourrais-tu voir Paolo?

Est-ce que je l’entendrai? Parce que la difficulté, c'est que les gens ne savent pas parler, ils parlent trop vite, et je ne peux pas suivre.

Dis-moi ce qu'il veut me dire!

Je vais déflorer le sujet.

Ça ne fait rien!

Il dit que les énergies à Auroville, depuis quelques années, sont dispersées: elles sont égoïstes, chacun veut faire sa petite cabane, sa petite histoire ou, au mieux, espère faire une superville, qui sera seulement une amélioration de toutes les villes existantes du monde. À cette Auroville, il manque un axe, il manque un centre. Il manque... une unification des consciences autour d'un centre, d'un axe. Alors il disait: autrefois, on a construit des pyramides, on a construit des cathédrales, et autour de cette construction symbolique, des consciences pouvaient s'unifier...

(Mère approuve de la tête)

... et s'élever et se purifier. Eh bien, il faudrait qu'à Auroville on fasse un axe, un centre, un temple symbolique du monde nouveau que l’on veut créer, et que toutes les consciences s'unissent dans la construction de cette pyramide du nouveau monde, ou de ce temple du nouveau monde – et en même temps, cela aidera à faire descendre ce qui doit s'exprimer là.

C'est très bien, c'était cela la première idée: il y avait le centre, et la ville s'organisait autour. Maintenant, ils font le contraire! Ils veulent construire la ville et mettre le centre après...

Et c'est pour cela que ça ne marche pas, dit-il. Il dit: il faut commencer par ça, et si l’on ne commence pas par ça, on ne fera rien.

C'était ma première impression. Mais comment faire comprendre cela à R (l’architecte d'Auroville), je ne sais pas? Parce que c'est R qui a changé; c'est lui qui a voulu commencer par «Auromodèle», c'est-à-dire par des essais et des tentatives.

Alors, ce qui se produit, c'est que les gens s'occupent chacun de sa petite histoire et de sa petite cabane, et il n'y a pas le «ciment», la Chose qui les lierait et les élèverait au-dessus d'eux-mêmes et de leurs petites histoires.

Théoriquement, il a tout à fait raison.

Ah! oui. Et c'est curieux, parce que quand il m'en a parlé, je voyais presque, je voyais. C'est un garçon qui pourrait «tirer» ça.

Oui, il a le pouvoir.

Mais pourquoi ne rencontre-t-il pas R?

Il m'a dit: dois-je en parler à R? Parce qu'il dit que c'est un problème: si c'est moi qui en parle, R va se retirer ou se... Alors je lui ai dit: non, ne parlez pas à R: parlez à Mère, et c'est Mère qui dira ce qu'il faut faire.

Je vais voir R demain, je peux lui dire. Paolo est architecte, n'est-ce pas.

Il n'y a que toi qui aies autorité sur R.

Oui... non, si je lui dis «fais-le», il ne dira pas non, mais il ne le fera pas!... Il faut qu'il soit convaincu... Tout ce que je peux faire, c'est de lui dire que je connais l’idée, que je l’approuve pleinement et que je lui demande de voir Paolo et de s'entendre.

Mais je crois que Paolo a un pouvoir de conviction en lui.

Oui, en tout cas quand il me parlait, je sentais l’inspiration et la «chose» qui était prête à venir.

Elle est prête à venir! Moi, je la connais depuis longtemps! Elle est là (geste au-dessus), elle attend.

Eh bien, il a le contact avec ça.

Oui-oui.

Il parlait, on sentait qu'il avait touché la vraie chose. Alors que les autres ne pensent qu'à tirer des millions, faire de la propagande – ils font les choses complètement à l’envers.

Je crois que Paolo et R ne se sont jamais rencontrés jusqu'à présent?

Si, ils se sont rencontrés. Mais, n'est-ce pas, le point de vue de R est un point de vue très matérialiste.

Ah! oui.

Je crains qu'il ne dise tout de suite: «Oh! de quoi se mêle-t-il?»

Ah! non. Si, moi, je lui dis, il ne dira pas cela...

Il n'y a que toi qui puisses...

Non, il faut que ce soit moi qui lui en parle.

Oui, douce Mère, parce qu'ils mettent la charrue avant les bœufs, ils font les choses à l’envers.

(après un silence)

Je crains qu'ils n'aient même pas le terrain. C'est cela, la difficulté. Parce que l’on a fixé le centre de la ville et il y a encore une grande partie de ce centre qui appartient, je crois, au gouvernement, et ils sont en train d'essayer de négocier pour l’avoir.

(silence)

l’idée de R, c'est une île au centre avec de l’eau autour, et c'est de l’eau courante qui servira à toute l’alimentation en eau de la ville; et quand elle aura passé à travers la ville, elle sera envoyée à une usine et elle s'en ira pour l’irrigation de toute la culture autour. Alors, ce centre est comme un îlot, et dans ce centre, il y a ce que l’on avait appelé d'abord le Matri Mandir – que moi, je vois toujours comme une très grande salle et absolument nue, n'est-ce pas, et qui reçoit une lumière d'en haut; et que ce soit arrangé de telle façon que la lumière qui vient d'en haut soit concentrée sur un endroit où il y aurait... ce que l’on veut mettre comme le centre de la ville. D'abord, on avait pensé au symbole de Sri Aurobindo, mais on peut mettre tout ce que l’on veut. Comme cela, avec un rayon de lumière qui frappe dessus toujours – qui tourne-tourne-tourne..., tu comprends, avec le soleil. Ça, si c'est bien fait, ce sera très bien. Et alors, en bas, que les gens puissent s'asseoir et méditer, ou simplement se reposer, mais rien – rien que quelque chose de confortable en bas pour qu'ils puissent s'asseoir sans se fatiguer, avec probablement des piliers qui serviraient de dossiers en même temps. Quelque chose comme cela. Et ça, c'est ce que je vois toujours. Et une salle assez haute de façon que le soleil puisse entrer comme un rayon, suivant les heures, et frapper ce centre qui sera là.

Si ça, c'est fait, ce sera très bien.

Et alors, pour le reste, ça m'est égal, ils feront ce qu'ils voudront. On avait d'abord pensé à faire un logis pour moi, mais je n'irai jamais, alors ce n'est pas la peine, c'est tout à fait inutile. Et pour garder cet îlot, il était entendu qu'il y aurait une petite maison pour H qui voudrait être là simplement comme la gardienne... Et alors, R avait arrangé tout un système de ponts pour relier ça à l’autre rive. Et l’autre rive serait entièrement faite de jardins tout autour. Ces jardins... nous avons pensé à douze jardins (diviser la distance en douze), faire douze jardins, chacun concentré sur quelque chose: un état de conscience et les fleurs qui le représentent. Et alors, le douzième jardin serait dans l’eau, autour (pas autour, mais à côté) du Mandir et avec l’arbre, le banian qui est là. C'est cela qui est au centre de la ville. Et là, il y aurait une répétition des douze jardins qui sont autour, et les fleurs pareillement arrangées... Il y a maintenant ici, deux Américains, un mari et sa femme, et le mari a étudié pendant plus d'une année, je crois, là-bas, pour savoir faire les jardins, et il est arrivé avec cette connaissance. Et je lui ai dit de commencer tout de suite à faire le plan du jardin intérieur: ils sont en train de travailler.

Et alors, la réponse est toujours la même: mais nous n'avons pas d'argent!

Mais, douce Mère, ce que je crois, et ce que Paolo a touché aussi, c'est qui si, sincèrement, ces... mettons vingt ou cinquante Auroviliens unissent leur cœur dans la construction de cette pyramide ou de ce temple du nouveau monde, ça attirera l’argent, les millions.

Ça devrait.

Ils viendront. Ce n'est pas «chercher les millions» qu'il faut, c'est d'abord unir les consciences autour de quelque chose.

Oui.

C'est ça, la clef des millions.

Tu expliqueras à Paolo tout ce que j'ai dit... Comme cela, on aurait quelque chose de vraiment très bien.

Mais évidemment, ce qu'il faut... Il y a des difficultés matérielles: pour cet îlot, il faut de l’eau – naturellement, autrement ce n'est pas un îlot! Pour l’eau, il faut qu'on la transforme – il n'y a pas assez d'eau souterraine.

Il n'y a pas assez d'eau?

Il y a de l’eau, mais ça suffit pour une maison, deux maisons, enfin il n'y a pas d'eau pour faire un flot perpétuel. Il faudrait de l’eau de mer transformée. En Israël, on a trouvé le moyen de le faire d'une façon économique (nous avons même les brochures pour cela), mais tu comprends: économique pour une ville, pas économique pour un individu! Et alors, il faudrait que l’on ait de l’eau pour faire cet îlot, c'est cela la difficulté.

Mais avant de construire l’îlot, on peut déjà commencer à construire le «temple» même... Il faut commencer à soulever un caillou.

Oui, on pourrait faire cela.

C'est cela, l’important, que les gens prennent un premier caillou avec leurs mains et puis qu'ils le posent, et qu'ils s'unissent là-dedans – parce qu'ils ne s'uniront jamais à travers leurs petites cabanes et leurs petites histoires.

Oui, ce serait beaucoup mieux.

Mais oui, sûrement!

Évidemment, logiquement, ou plutôt psychologiquement, c'est une erreur de faire autour et le centre après.

Mais oui!

Comment lui faire comprendre cela?...

Puisque l’on veut faire «autre chose», le minimum est d'avoir confiance en autre chose.

Oui. Je vais en parler à R demain et je vais lui demander de voir Paolo.

Je crois, dans une certaine mesure, que Paolo peut faire venir de l’argent, s'il est intéressé.

Bon.

C'est-à-dire, construire avant même que ce soit un îlot.

(silence)

Pour l’extérieur de cette espèce de temple, R avait pensé à faire un grand lotus. Mais alors, cet intérieur, ce jeu de lumière, je ne sais pas si, avec une forme de lotus, ce sera possible?

S'ils pouvaient collaborer tous les deux... S'ils se mettaient tous les deux ensemble et que l’un soit ici toujours – l’un des deux: tantôt l’un tantôt l’autre, qu'il y en ait toujours un des deux ici –, avec un plan unique qu'ils feraient, ça irait beaucoup plus vite, cent fois plus vite.

Et ça prendrait le cœur des gens.

Oui.

Cette idée de rayon de soleil, ça... quand je regarde, tout de suite c'est cela que je vois. Et un rayon de soleil qui pourrait venir à toutes les heures – ce serait arrangé de telle façon que ça vienne tout le temps (geste qui suit le mouvement du soleil). Et alors, il y aurait là quelque chose, un symbole, qui serait à la fois debout pour qu'il puisse se voir tout autour, et à plat pour recevoir en plein la lumière – quoi?... Et que cela ne devienne pas une religion, pour l’amour du ciel!

Oui.

(silence)

Tu sais que je suis en rapport avec quelques Éthiopiens (je crois que c'est le pays qui est resté le plus chrétien de toute la terre). Et il y a un garçon qui est secrétaire d'ambassade à Delhi (l’ambassade d'Ethiopie), qui est tout à fait pris, tout à fait, et alors... (riant) c'était sa fête il y a deux jours, il est venu avec un cadeau... Quelque chose en bois (en ébène), grand comme cela, et d'un côté, il y avait mon portrait, de l’autre côté, il y avait le portrait de Sri Aurobindo, et au milieu, il y avait une croix... en argent. Et sur la croix, en haut, à la jonction des deux branches, il y avait d'un côté, mon symbole, de l’autre côté, le symbole de Sri Aurobindo... Qu'est-ce que c'est dans sa tête?!...

C'est affreux!

Et naturellement, dès que je l’ai vu, il m'a mis ça sur les genoux... C'était grand comme cela.

Dès que je l’ai vu, tout de suite, c'est venu (geste de descente massive), comme cela, comme une réponse à la volonté de transformer le christianisme. Et c'était tellement puissant, il y avait une vibration tellement puissante, que j'avais l’impression que c'était EN TRAIN de se faire...

La croix, c'est le symbole de la transformation, n'est-ce pas: la Matière (geste transversal) pénétrée par l’Esprit; et la jonction = la transformation. Et une Force formidable est venue, comme cela, pour que cette croix devienne vraiment... la fleur de transformation.

Mais je ne lui ai rien dit! Et lui-même ne sait pas, c'est-à-dire qu'il n'y a pas pensé – il n'a pas pensé, c'est instinctivement qu'il a fait cela.

Il avait écrit à l’Empereur pour lui parler d'Auroville, et il y a eu une réponse. Je te l’ai montrée? (Mère cherche les papiers) C'est tout en dessous, tout en bas...

«I have written to my Emperor Haile Selassie I, about Auroville International Township aim, and Ethiopia to be the second country to support this idea. He has written me a good letter. In his letter he has appreciated and admired your work very much. I wish you to bless him for peace of mind, good health to live long – peace for his people.»1

Ce n'est pas compromettant! Enfin il y a une bonne volonté.

(Mère reclasse les papiers près d'elle sous une pile de dossiers)

Je garde tout cela près de moi parce que ça garde le contact.

(silence)

Que la Force soit en train de travailler, cela ne fait pas l’ombre d'un doute. Et il y a une si grande... (comment dire?) une volonté très active: pas de religion, pas de religion, pas de formes religieuses. Et les gens, tout naturellement, tout de suite... Alors c'est pour cela que j'ai laissé les gens très libres. C'était pour cela que je n'avais pas insisté sur la construction, d'abord, du centre, parce que justement c'est l’ancienne cathédrale, l’ancien temple, l’ancien tout cela d'abord (Mère fait le geste de planter en terre), et puis tout s'organise autour: la religion – nous ne voulons pas de religion.2

Oui, mais on peut «tirer» autre chose que la religion.

Mais on ne la tire pas! Ce sont les gens qui l’ont! Ils sont tout petits, ils ont besoin d'une religion, ou du moins ils le croient.

Ils ont besoin, je vois ça, j'ai reçu encore des lettres auxquelles je réponds... (Mère cherche en vain d'autres papiers près d'elle). Tous les jours, ça vient. Et Sri Aurobindo a écrit des choses admirables là-dessus... Tout dernièrement (hier ou avant-hier), j'ai répondu à une question au sujet d'un Aphorisme de Sri Aurobindo où il dit que l’athéisme était NÉCESSAIRE à cause des religions et de tous leurs méfaits.3 On m'a posé une question et j'ai répondu à cela aussi.

242 – «Combien de haine et de stupidité les hommes ont-ils réussi à emballer décorativement et à étiqueter "religion"!»
Récemment, Mère avait ainsi commenté ces deux textes: «Tant qu'il y aura des religions, l’athéisme sera indispensable pour les contrebalancer. Tous les deux doivent disparaître pour faire place à une recherche sincère et désintéressée de la Vérité et à une consécration totale à l’objet de cette recherche.»

Les hommes sont encore tout petits.

Mais un signe intéressant: du nord de l’Europe, de Suède et de Norvège et du Danemark, il y a des prêtres qui m'écrivent; il y en a un qui est à la tête d'une Église; il y en a un qui est à la tête d'un couvent. Ils écrivent pour demander et dire qu'ils veulent collaborer pour sortir de... C'est très fort là-haut. Il y en a un ou deux qui m'ont envoyé leur photo en demandant de les aider. Et ils font un travail, ils font du travail pour Auroville là-bas. Ça veut dire que...

Mais même nos enfants ont des réactions si stupides! Il y a une fille ici qui m'a écrit parce que je lui avais mentionné que la Conscience était descendue sur la terre, s'était concentrée sur la terre pour aider les hommes à se préparer à la transformation; elle m'a dit: «Comment se fait-il qu'on ait laissé les hommes sans les aider pendant si longtemps?...» C'est à hurler de désespoir! Elles ont fait leur éducation ici et elles posent encore des questions comme cela!... J'ai dû me contrôler pour ne pas lui dire: ma pauvre fille (riant), tu es vraiment bête!

(silence)

Qui est-ce qui serait capable de trouver le moyen de réaliser ça?... Parce que le soleil ici ne manque pas (évidemment, il y a des jours où il n'y en a pas, mais enfin, il y a beaucoup de jours où il y en a): que de tous les côtés, de n'importe quel angle, le rayon tombe [sur le symbole]... Que ce soit arrangé comme cela. C'est une question de géométrie.

Tu peux en parler à Paolo parce que s'il avait une idée...

Quand il parlait, je sentais qu'il pouvait tirer ça.

Oui. Et c'est cela qu'il faut: quelque chose, un symbole – on trouvera ce qu'il faut, on verra –, évidemment comme un autel mais... quoi? Un symbole qui, à la fois, reçoive directement la lumière d'en haut et latéralement.

Et alors: pas d'autres fenêtres, tu comprends? Tout le reste dans une sorte de pénombre, et ça comme une lumière... Ce serait bien, ça peut être très bien. Je voudrais quelqu'un qui puisse sentir cela. Je ne sais pas du tout si R est capable de sentir cela, mais Paolo est capable.

Et si c'était bien réalisé, ce serait déjà très intéressant pour les gens. Ce serait une concrétisation de quelque chose... Ils se mettront à dire que c'est une religion du soleil! (rires) Oh! tu sais, je suis habituée à TOUTES-toutes les bêtises!

(silence)

l’idée de R et de son entourage, c'est d'avoir des industries qui soient capables de ramasser de l’argent pour Auroville, alors...

Ils se trompent, ils se trompent!

C'est-à-dire qu'au lieu que cela puisse se faire vite, ça prendra des siècles.

Et puis, c'est partir de la vieille idée et du vieux principe.

Oui.

Il faut partir d'autre chose.

C'est par peur des religions.

On peut très bien faire cela, pas comme une religion, mais comme le symbole du nouveau monde.

Oui... Il faut quelqu'un qui le comprenne – peut-être que Paolo comprendra.

Sûrement oui! Et il aurait le pouvoir de conviction sur les gens, je crois.4

(silence)

Oui, je verrai Paolo. Ce serait mieux qu'il vienne un jour où tu es là parce que je crains de ne pas entendre... Ça les trouble beaucoup d'avoir à parler fort. Alors, par exemple, samedi? Et je vais en parler à R demain, c'est-à-dire que je vais lui dire qu'il voie Paolo qui a des idées excellentes, enfin qu'il s'entende avec lui.

N'est-ce pas, c'est très simple; on va essayer de faire comprendre à R et de créer la collaboration. R ne me dira pas non – mais il ne fera rien (!) tu comprends c'est comme cela! Mais enfin, s'il peut faire, s'il peut s'entendre, si ça s'accorde avec R, alors c'est très bien, il n'y a pas de difficultés. Mais s'il ne peut pas, alors il faudra que Paolo soit ici quand R n'y sera pas, et puis que nous fassions!... Tu comprends, pour moi c'est comme cela! (Mère rit) Parce que R a assez de travail (il a un travail formidable). Ce n'est pas qu'on lui enlève du travail, c'est que, s'il refuse de faire, on le fait, voilà tout.

Je vais voir s'ils s'accordent.

Maintenant, les choses pour moi ne sont plus exclusives, du tout. Je vois très bien la possibilité d'utiliser les tendances les plus opposées en même temps... avec une petite habileté, c'est tout. Ce n'est pas exclusif, je ne dis pas: «Ah! non, pas ça!» Non-non-non: tout-tout ensemble. C'est cela que je veux: arriver à créer l’endroit où les contraires puissent s'unir.

Ça...

À moins que l’on ne puisse faire cela... (geste qui tourne en rond), ça continue, on continue.5

C'est bien. Oui, je comprends: la chose est de construire le centre, même si l’on ne peut pas en faire un îlot.

Peut-être que Paolo pourra convaincre R. Je vais lui en parler demain, pour commencer la nouvelle année.

Voilà.

Alors, je te souhaite une bonne année.

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Nous changeons de décade cette fois-ci. Il faut secouer tout ça (Mère fait un geste par-dessus l’épaule). Tout neuf et tout petit... pour pouvoir grandir.6









Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates