L’Agenda de Mère Set of 13 volumes
L’Agenda de Mère 1971 Vol. 12 399 pages 1981 Edition   Satprem
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ABOUT

Agenda de l’action Supramentale sur la Terre. Others too had to understand Her secret - her own disciples, Nations. Will she be heard? Will she be allowed to pursue her experience? '... The body knows that the work will go on and on and on...'

L’Agenda de Mère 1971

The Mother symbol
The Mother

The last turning point of Mother's yoga, and she comes out of it with this cry: "I have walked a long, long time. There was nothing but a constant cry, as if everything were torn away from me. It was the whole problem of the world." And this Agenda is more and more strewn with heartrending little cries. It was not enough to have found the secret for herself, the others too had to understand, her own disciples, Nations locked in their egoistic power: "They have no faith! 'She is old, she is old', an atmosphere of resistance to the change; 'it is impossible, impossible' from all sides.... Not a single minute should be wasted - I am in a hurry.... The reign of the Divine must, oh, must come!.... If the entire Russian block were to turn to the right side, that would be an enormous support! The victory is certain, but I don't know which path will be followed to reach it.... We must cling, cling so tightly to Truth.... They don't listen to me any more." She is 93, groping her way into the unknown: "I see more clearly with eyes closed than with eyes open, and it is a physical vision, purely physical, but a kind of physical that seems more complete. The consciousness of the cells is what has to change, all the rest will follow naturally! I have the feeling I am on my way to discovering the illusion that must be destroyed so that physical life may go on uninterrupted - death is the result of a distortion of consciousness." Will she be heard? Will she be allowed to pursue her experience? "Only a violent death could halt the transformation; otherwise the body knows that the work will go on and on and on...." And this cry again: "There will be a miracle! But what, I don't know."

L’Agenda de Mère L’Agenda de Mère 1971 Editor:   Satprem Vol. 12 399 pages 1981 Edition
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Mother's Agenda 1971 Conversations with Satprem

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janvier




1er janvier 1971

(Ce jour-là, tous les disciples ont défilé silencieusement devant Mère encore souffrante allongée dans sa chaise longue.)

Image 1

Bénis soient ceux qui font un bond vers l’avenir.

Mère

11 janvier 1971

(Le fragment suivant a été noté de mémoire par un disciple à la suite de la longue épreuve physique que Mère a traversée depuis près d’un mois et demi.)

Dans la vision physique, il faut une concentration beaucoup plus continue. La vision physique sert à stabiliser. Elle donne de la continuité aux choses. C’est la même chose avec l’ouïe. Alors quand elles ne sont plus là, on prend une conscience directe de la chose, ce qui donne la vraie connaissance. C’est sûrement comme cela que fonctionnera le Supramental.

La vision physique et l’ouïe ont été mises en arrière pour faire place à l’identification par la conscience, pour la croissance de la conscience.

Le moyen de relation, de connaissance, est la conscience qui s’identifie avec la chose ou la personne. Au lieu d’avoir le sens normal de la séparation, on a le sens de l’union constante. Il y a des expériences tout à fait intéressantes. Des gens m’appellent et pensent à moi; ça vient dans le champ de ma conscience; et après un temps, on me dit: «Telle personne est arrivée», ou «Quelque chose est arrivé à telle personne», et je dis: «Je sais.» Au moment où c’est arrivé, on ne m’a rien dit, mais j’ai été consciente comme si cela arrivait à une partie de moi-même.

16 janvier 1971

(Nous n’avions pas vu Mère depuis le 2 décembre dernier. C’était le dernier tournant de son yoga, semblable à celui de 1962 et de 1968. Sa petite voix est trébuchante et se perd dans un murmure, et pourtant son rire est frais comme celui d’une jeune fille.)

Je suis contente de te voir!

Bonjour, douce Mère...

Ça va mieux?

Oui, douce Mère. Voilà longtemps que je ne t’ai pas vue...

Oui... J’ai eu une jambe qui a été morte pendant longtemps – elle commence seulement à revivre –, paralysée. Cette jambe (gauche). Alors, naturellement, tout était difficile... J’ai eu un abcès à l’intestin, mais cela n’a pas duré très longtemps. C’était plus sérieux mais ça n’a pas duré. Un abcès à l’intestin. Mais ce qui me cloue, c’est cette jambe qui s’est paralysée (Mère touche sa jambe gauche), la partie inférieure, depuis le genoux jusqu’au talon. Alors, naturellement, on devient imbécile!

Oh!

On ne peut plus rien faire.

Mais ça veut dire que beaucoup de travail se fait, non?

Ce qui a été remarquable (je veux te le dire tout de suite), c’est que la conscience établie là (geste au-dessus de la tête) est devenue de plus en plus forte et de plus en plus claire. Et ça, CONSTANT. J’ai travaillé – j’ai continué de travailler – non seulement pour l’Inde mais pour le monde, et en relation («consultée», tu comprends), activement.

La transformation, ça, je ne sais pas... Ce que j’avais expliqué du «remplacement de la conscience» (le transfert) s’est fait méthodiquement-méthodiquement-méthodiquement, continuellement-continuellement, mais alors avec... des dégâts apparents, ou en tout cas, pendant un certain temps, une grande diminution de capacités. Mais c’est un curieux phénomène de vision et d’audition: de temps en temps, c’est clair, aussi clair que cela peut être, et de temps en temps, c’est complètement voilé. Et ça a très-très clairement une autre origine – une autre origine d’influence. Mais il faudra des mois, je crois, avant que je puisse voir clair. En tout cas, la conscience générale (geste au-dessus de la tête), ce que l’on pourrait appeler la conscience universelle (en tout cas terrestre), n’a pas bougé une minute – pas une minute. C’est resté là tout le temps. Seulement, on est tout à fait imbécile; tu sais comment c’est quand on ne peut rien: on est incapable, on ne peut pas aller de sa chaise à son lit, on ne peut rien faire – une jambe qui n’existe pas. Encore maintenant, je ne peux pas marcher toute seule, il faut que l’on me tienne.

Mais ça va revenir, douce Mère.

C’est en train de revenir. Ça revient petit à petit. Il y a eu un moment où c’était complet: c’était froid comme de la glace. Il n’y avait aucune circulation. C’était quelque chose qui avait bouché la circulation. Maintenant, ça va mieux, c’est en train de revenir à la vie.

Seulement, j’ai pensé au Bulletin, nous ne pouvons pas laisser le Bulletin comme cela. Est-ce que tu l’as préparé?

Oui, il est tout prêt, douce Mère, je l’ai même donné à l’Imprimerie.

Ah! qu’est-ce que tu as donné?

Tiens...

(Mère donne des paquets de potage)

Merci, douce Mère... Il y a d’abord «La Synthèse» (c’est la «libération de l’esprit»), puis les «Conversations avec Pavitra», puis les «Pensées et Aphorismes» commentés par toi, et puis «Mère Répond», et enfin deux anciens Entretiens de 1953...

Oh! ça, c’est... [vieux].

Mais qui sont très intéressants.

À propos de quoi?

Par exemple, on te demande pourquoi, pour faire le travail ici, tu n’as pas des disciples de meilleure qualité?

(Mère rit beaucoup, son rire est si frais!)

C’est un critique sévère!

Alors tu réponds que si tu avais des êtres très «réalisés», ils seraient probablement plus rebelles à ton influence.

(Mère hoche la tête)

Tu as vu ce que Z a noté [note du 11 janvier 1971]

Oui, douce Mère, j’ai vu.

Qu’est-ce que tu en as pensé?

J’ai pensé que ce doit être comme cela probablement: c’est un nouveau fonctionnement qui s’installe.

C’est un nouveau fonctionnement. C’est intéressant. Justement, je pensais que je pourrais peut-être t’expliquer si tu me poses une question ou deux. Et dans ce cas, on pourrait peut-être en faire quelque chose [pour le Bulletin], pour qu’il n’y ait pas une coupure brusque dans la suite.

C’est ta perception des êtres et des événements qui a changé? Ta façon de percevoir qui a changé?

Oui, tout à fait – tout à fait. C’est très curieux...

Au fond, tout ce temps a été utilisé pour développer la conscience de l’être physique. Et cet être physique (Mère touche son corps), il semble vraiment qu’il ait été préparé pour une autre conscience parce qu’il y a des choses... ses réactions sont tout à fait différentes, son attitude est différente. J’ai passé par une période d’une indifférence totale où le monde ne représentait... ne signifiait rien. Et puis, petit à petit, est sorti de là quelque chose comme une nouvelle perception.

C’est seulement en cours de route.

Mais je pensais que pour le Bulletin, on pourrait peut-être mettre une note qui servirait d’accrochage aux différentes périodes, parce que si l’on passait de ce qui était à ce qui sera – ce que je sens qui sera –, brusquement, sans intermédiaire, cela deviendrait très difficile à comprendre.

Quelle impression t’a fait cette note?... Ça m’intéresse parce que justement je n’étais en contact avec personne: il se trouvait que Z nettoyait la chambre, et les autres s’occupaient – me servaient de jambes pour agir! C’était tout à fait matériel, n’est-ce pas: me mettre d’une chaise sur un fauteuil et du fauteuil sur un lit... c’était comme cela, comme un gosse – pire, pire parce que le reste du corps, tout le reste du corps est normal, mais tout simplement j’ai une jambe qui à un moment donné... c’était comme si elle était finie, comme s’il n’y avait rien. Et petit à petit, petit à petit c’est revenu. C’était la dernière période. Mais ce n’était pas une paralysie innocente (!), il y a eu pendant au moins trois semaines – au moins –, pendant trois semaines une douleur continue, nuit et jour, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sans fluctuations, rien: c’était comme si l’on m’arrachait tout... N’est-ce pas, je n’ai pas l’habitude de me plaindre mais j’étais obligée presque de crier tout le temps. Alors, il n’était pas question de voir personne naturellement. Maintenant, c’est fini. La douleur est très supportable et le corps a repris son existence un peu normale.

Mais je voulais te dire que ma conscience était tout le temps active avec toi; je me suis dit: s’il le sent, tant mieux; s’il ne le sent pas... ça ne fait rien.1

J’ai senti très puissamment le Pouvoir.

Ah! alors c’est cela.

Oui, et très instantanément, très imédiatement.

Alors c’est bien.

J’ai surtout pensé que si c’était descendu dans tes jambes, cela voulait dire que c’était descendu tout à fait dans la matière maintenant.

Oui! oui. Mais moi, je l’ai pris comme cela aussi. C’était non seulement une jambe, mais le bas de la jambe (Mère touche ses pieds). Celle-là (Mère touche sa jambe droite) a failli être prise aussi, mais le jour où c’est arrivé, je me suis concentrée terriblement, j’ai marché pendant longtemps-longtemps pour empêcher que celle-là ne soit prise. J’ai réussi à empêcher que celle-là soit prise; il n’y a eu que celle-ci (gauche) qui a été atteinte.

Mais le corps tout entier n’est plus du tout le même. Par exemple, au point de vue de la nourriture, je n’ai absolument pas faim – absolument. Il y a eu un moment même où j’ai eu le dégoût, une espèce de dégoût de la nourriture – c’était très difficile parce qu’on voulait m’obliger à manger tout de même.2 Manger me paraissait une chose-misérable, n’est-ce pas, qui n’avait pas de sens, absolument comme si je n’avais jamais mangé de ma vie. Je suis arrivée par une sorte d’effort à continuer à pouvoir prendre juste ce qui est considéré comme indispensable (riant) pour garder la vie dans le corps!

Ça a failli devenir sérieux quand il y a eu un abcès dans les intestins. J’ai eu un abcès, et là naturellement, il n’était pas question de manger... Mais j’ai remarqué comme les choses, les soi-disant catastrophes ou calamités ou malchances ou difficultés ou... comme tout cela, ça vient juste à point pour vous aider – juste comme il faut pour vous aider... N’est-ce pas, tout ce qui, dans la nature physique, appartenait encore au vieux monde et à son habitude et à ses manières de faire et manières d’être, manières d’agir, tout cela ne pouvait pas être (on dit handled), ça ne pouvait pas être manipulé d’une autre façon que celle-ci: par la maladie.

Et l’abcès dans l’intestin a donné de l’anxiété aux docteurs. S’il s’était ouvert du mauvais côté, ça aurait été très difficile, très difficile – le cours ordinaire, c’est l’opération, alors... Ça donnait de l’anxiété aux docteurs. Mais ils n’ont rien montré, je ne l’ai pas su – je n’ai su l’abcès que quand il était guéri (c’est-à-dire quand il était en train de se guérir).

Je ne peux pas dire que ce n’ait pas été intéressant.

Mais moi (même physiquement), j’ai gardé le contact avec tout le monde – je ne sais pas ceux qui sont restés conscients ou non, mais j’ai gardé le contact avec tout le monde, spécialement avec toi; avec toi, j’ai eu l’impression que rien n’a cessé, que je te voyais régulièrement, que rien n’a cessé. Et Sujata aussi, je la voyais. Cela dépend de la réceptivité des gens. Je n’ai pas eu du tout l’impression qu’il y avait eu une coupure de relation ou quoi que ce soit de ce genre – du tout, du tout. Et c’est seulement... au fond, c’est seulement avant-hier que je me suis dit: «Tiens, mais ce doit être le moment du Bulletin, il vaudrait peut-être mieux que je sache ce qu’il a fait...» Et il y a eu cette note de Z... (comment dire?) ça a été le résultat de quelque chose, et le commencement de quelque chose aussi, et d’une façon très précise. Je ne savais pas, et Z était là à ce moment-là en train de nettoyer la chambre, alors je le lui ai dit, et après lui avoir dit, j’ai pensé que peut-être on pourrait s’en servir.

Je ne sais pas comment elle l’a noté, si c’est compréhensible...

Oui, c’est compréhensible.

Cela t’a paru compréhensible?

Oui, tu disais que tout le fonctionnement de la vue et le fonctionnement de l’ouïe avaient probablement été supprimés pour que tu aies la conscience directe des choses, sans passer par les organes des sens.

Oui, mais cette note, c’est déjà du passé, parce que j’ai recommencé à voir, mais d’une autre façon. J’ai recommencé à voir et à entendre.

Au fond, tu vois et tu entends selon ce qui est nécessaire.

Oui-oui, oh! ça, c’est très clair. C’est très clair. Ce qu’il m’est nécessaire d’entendre, je l’entends, même si c’est un tout petit bruit, et tous les bruits des conversations, toutes les choses qui font beaucoup de bruit, je n’entends rien!... Il y a quelque chose de changé. Seulement c’est vieux – c’est vieux, c’est-à-dire que ça a de vieilles habitudes. Mais heureusement, je n’étais pas une personne d’habitudes... Oui (souriant), on pourrait dire: c’est comme quelque chose de coriace qui est en train de changer! Alors, ça n’a pas la souplesse, la facilité. Mais le changement est là – le changement est évident. J’ai BEAUCOUP changé, même comme caractère, comme compréhension, comme vision des choses – beaucoup-beaucoup... Il y a eu tout un reclassement.

Seulement, je ne savais pas s’il y avait moyen de se servir de cette note d’une façon compréhensible pour les gens.

Si, douce Mère, c’est possible en ajoutant ce que tu viens de dire aujourd’hui.

On peut arranger?

Oui, douce Mère.

C’est bien. C’est simplement pour ne pas laisser tomber les gens comme cela: tout d’un coup, plus rien. Après, on est si loin qu’ils ne comprennent plus du tout. C’est cela, j’ai pensé que tu pourrais peut-être arranger quelque chose – ça n’a pas besoin d’être long.

Je suis contente que tu aies senti ma présence parce que, pour moi, c’était une chose évidente... Et toi, ça va?

Oui, douce Mère, très bien.

Santé?

Oui-oui, douce Mère.

Ta maman est venue?

Oui, elle est là.

Elle est contente?

Très contente.

Elle va rester jusqu’à quand?

Vers la fin du mois.

Alors je la verrai avant qu’elle ne parte.

Oh! douce Mère, il y a beaucoup de gens qu’il faut que tu voies avant elle!

En tout cas, l’une des choses, c’est que je me sens libérée de toutes les règles et obligations! (rire général) Cela a été le principal résultat de tout cela. Tous les «il faut faire cela, il faut faire ceci...», partis!

Mais certainement, le principe de la nouvelle conscience, c’est que les choses se font à la minute où il faut, et puis c’est tout.

Oui, oui.

Il n’y a pas de plans et de prévisions.

Oui-oui, c’est cela.

(Mère reste à regarder)

Le monde est dans un état épouvantable.

Mais je n’ai jamais senti autant que maintenant que c’était proche.

Oui-oui-oui, c’est juste. Oui.

J’ai l’impression que c’est tout proche.

Oui-oui, tout proche.

Alors, mon petit, je te verrai quand tu crois que c’est nécessaire.

Je pourrais te lire ce que je vais préparer pour le Bulletin. Nous sommes samedi... quand tu voudras.

Quand est-ce que ce sera prêt?

Ce peut être prêt demain, douce Mère.

Tu peux venir demain, ça vaut mieux pour l’Imprimerie. Je suis contente de te voir...

(Mère prend les mains du disciple)

Toi (se tournant vers Sujata), tu sais que j’étais avec toi tout le temps? Est-ce que tu le sais (Mère désigne du doigt le bout du nez de Sujata)? Ah!...

(Mère reste un moment à regarder Sujata, puis reprend)

Il y a eu toute une période où j’étais absolument inaccessible parce que je souffrais d’une façon continue, alors on ne vaut rien – continue-continue. On pourrait dire que je n’étais qu’un cri tout le temps. Ça a duré longtemps. Ça a duré plusieurs semaines (je n’ai pas compté). Petit à petit, alors, ça a alterné avec des moments de tranquillité où la jambe ne se faisait pas sentir. Et depuis deux ou trois jours seulement, ça a l’air de se remettre en ordre... N’est-ce pas, c’était tellement... c’était tout le problème du monde – un monde qui n’était plus que de douleur et de souffrance, et un grand point d’interrogation: pourquoi?

J’ai essayé tous les remèdes que l’on emploie: changer la douleur en plaisir, supprimer la capacité de sentir, s’occuper d’autre chose... J’ai essayé tous les «trucs» – il n’y en avait pas un qui aille! Il y a quelque chose dans ce monde physique tel qu’il est qui n’est pas... (comment expliquer?) qui n’est pas encore ouvert à la Vibration Divine. Et c’est ce «quelque chose» qui fait tout-tout, tout le mal... La Conscience Divine n’est pas perçue. Et alors, il y a des quantités de choses imaginaires (mais très réelles dans la sensation), qui existent, et ça, la seule chose qui soit vraie, n’est pas perçue... Seulement, ça va mieux. Ça va mieux.

C’est vraiment intéressant. Je crois que quelque chose aura été fait au point de vue général (Mère fait le geste de triturer); ce n’était pas seulement la difficulté d’un corps ou d’une personne: je crois que quelque chose a été fait pour préparer la Matière à recevoir comme il faut, convenablement – c’est comme si ça recevait de travers, et ça a appris à recevoir de la vraie manière.

Ça viendra. Peut-être, je ne sais pas si ce seront des mois ou des années pour que la chose devienne... claire. Et alors ça pourra être guéri.

Voilà, au revoir, mon petit, j’ai été bien contente de te revoir, très contente.

Toi, mon petit (se tournant vers Sujata), j’ai l’impression que je te voyais: je t’ai vue tous les jours et je te demandais des choses.

J’étais là, douce Mère, constamment.

Oui, j’ai eu tout à fait, tout à fait l’impression... comme si je te disais: «Tiens, donne-moi ça, fais ça...» Très intéressant. Tu es un cher petit.

(au moment de s’en aller, l’assistante de Mère remet une note écrite par Mère)

Je ne me souviens plus de ce que c’est.

C’est un message que tu as donné à la Radio.

Oui, c’était pour la Radio ici, ils m’avaient demandé ça.

(le disciple lit)

«Nous voulons être messagers de Lumière et de Vérité.
«Un avenir d’harmonie s’offre pour être annoncé au monde.»

Oui, c’est bien!

Ils l’ont transmis. (Riant) La première chose qu’ils aient faite, c’est de l’envoyer à Delhi: au lieu de le diffuser ici, ils l’ont envoyé à Delhi. On a fait un embarras à propos de ça. Mais c’est bien, ça donne du courage aux gens.

Oui, douce Mère, mais moi, je ne sais pas, j’ai la très forte sensation que c’est tout proche.

Oui.

C’est ce que je sens.

Oui, tu as raison. Tu as raison; pour moi, il faut être tout à fait aveugle pour ne pas le voir. C’est à ce point-là.

Au revoir, douce Mère.

À demain, mon petit.3

(Mère caresse Sujata)

17 janvier 1971

(Le disciple lit à Mère quelques extraits de la conversation d’hier qui seront publiés dans le «Bulletin». La voix de Mère est comme un long gémissement, mais son rire est toujours prêt à fuser, comme si le rire restait la seule chose physique vraie.)

C’est bien, tu as fait juste ce qu’il fallait. C’est exactement ça, tu as dit exactement.

Vraiment, ça n’a pas été inutile.1

(silence)

J’ai tellement l’impression – tellement l’impression et si claire: le contact était conscient tout le temps (avec le disciple). C’était un contact conscient. Comme quand on fait un effort ensemble pour arriver à comprendre les choses – les circonstances sont là pour vous aider et favoriser votre compréhension.

Même au moment où, extérieurement, je souffrais comme cela et les gens pensaient que j’étais toute à ma souffrance, ça ne m’occupait pas. Je ne sais pas comment expliquer... Je voyais bien, ce pauvre corps n’était pas brillant, mais ça ne m’occupait pas; c’était tout le temps l’impression de cette... cette Vérité qui doit être comprise et manifestée.

Je me suis demandé, je me suis dit: «Comment se fait-il que je sois restée sans te voir pendant tant de jours?» Et l’impression que j’étais tout le temps avec toi. C’était clair – clair-clair-clair, fort, très fort... Une impression tout à fait naturelle – pas cherchée, pas l’effet d’un effort, rien: tout à fait naturelle; l’impression que nous étions ensemble là (geste au-dessus de la tête), juste-juste au sommet de la tête – juste au sommet de la tête ensemble. Et ce que tu as lu là, c’est exactement ce que j’aurais pu dire.

C’est ce que tu as dit.

C’est très bien. Je suis contente.

Ça a servi à quelque chose.

(Mère prend les mains du disciple)

Alors... Je ne sais pas, je peux te voir comme cela un matin, si c’est nécessaire – tu n’as qu’à me le faire dire.

C’est toi qui dois me dire! C’est toi qui me diras quand tu penseras...

Moi... tu sais, en apparence (en apparence, toutes les apparences!), je suis devenue un pauvre petit chiffon (riant) qui a mal. Ce n’est pas fini. Il y a des heures encore; pendant des heures, ça fait mal encore. Ce n’est pas fini. Alors... L’apparence est tout à fait vraie: une espèce de chiffon douloureux. Mais ça n’a pas d’importance, si tu me dis: «Il serait nécessaire que je te voie», ou «J’ai quelque chose à te demander», ou... alors, je dirai oui et je t’appellerai. Ce sera plus commode pour moi.

Je n’oserai jamais.

Je ne peux rien organiser parce que...

Oui, douce Mère, oui.

Parce que je suis encore une... un quart de personne!

Douce Mère, quand tu verras, toi-même tu m’appelleras.

En tout cas, quand le Bulletin sera prêt, tu me le montreras et tu viendras me voir.

Au revoir.

(le disciple sort Mère prend les mains de Sujata)

(Riant) J’ai donné tes fleurs à Satprem!... Alors, tu n’as rien!

J’ai tes mains, douce Mère!

Ça va bien, mon petit?

Oui, douce Mère.

Tu avais quelque chose qui n’allait pas, là (geste à la poitrine), c’est fini?

C’est presque fini.

Presque seulement... Tu tousses?

Non, douce Mère.

(Mère reste concentrée)

Est-ce que tu aimerais avoir une petite photo à garder avec toi, ou tu en as?

J’aimerais, douce Mère.

(À l’assistante:) Apporte-moi la boîte des photos.

Quelque chose que tu puisses garder comme cela (sur la poitrine).

Tu la connais, celle-là?

Non, douce Mère.

Tu ne la connais pas!

(Mère garde la photo serrée dans ses mains)

Je te la donne spécialement pour que tu guérisses complètement. Complètement, qu’il n’y ait plus d’ennuis.

Oui, douce Mère.

Au revoir, mon petit.

Alors, tu peux me faire signe pour me dire (riant): «Ce serait bien que tu voies Satprem!» hein? (rires)

Bon, douce Mère.

Quand tu auras bien envie de me voir.

J’ai toujours envie de te voir, alors!...

(Riant) Tu peux passer [tous les jours] dire: «Bonjour, Mère! bonjour Mère! bonjour...» (Mère fait un petit geste de la main)

Bien Mère!

C’est toujours possible. Maintenant, ce n’est plus comme avant. J’ai du temps.

Au revoir, mon petit.

Je ne te quitte pas.2

23 janvier 1971

(Mère reçoit le disciple à l’occasion de la traduction anglaise des dernières «Notes sur le Chemin» pour le prochain Bulletin. Après le travail:)

Douce Mère, je pensais à l’Agenda...

?...

Tu comprends: si je ne te vois pas, l’Agenda est vide.

L’agenda? Quel agenda?

L’Agenda, ce sont toutes les notes du travail de transformation.

Ah!... Il y en a eu, mais... Si ce n’est pas pour publication, il y a... c’est formidable ce qu’il y a eu. Mais ce n’est pas pour publication.

Mais ça reste seulement avec moi.

Je me souviens avoir dit certaines choses à R – si elle a une bonne mémoire, je ne sais pas?... N’est-ce pas, elle est arrivée à un moment où la chose venait de se passer, alors je l’ai dite. Mais je ne lui ai pas demandé de le noter et je ne sais pas ce qu’elle a fait.

Mais s’il doit y avoir une continuité dans la notation de tout ce travail, il faudrait que tu puisses me voir de temps en temps.

Oui, mon petit, ça, très volontiers! Seulement, tu comprends, je ne t’appelais pas parce que je ne parlais pas. Je ne disais rien. Ma seule capacité de contrôle était le silence... Maintenant, c’est fini. La jambe me fait encore mal, mais c’est tout à fait tolerable.

Il faut que je te voie... Seulement j’hésitais à te dire de venir parce qu’il y a des jours où... (geste d’intériorisation).1

Mais, douce Mère, cela ne fait rien, ça n’a aucune importance!

Des jours où je ne dis rien du tout.

Oui, douce Mère, mais je serais là simplement à ta disposition.

Bien, mon petit.

On peut rester à ne rien dire, et puis si tu as envie de dire, tu dis.

Bon, c’est bien... À cette heure-ci. Eh bien, nous reprenons les jours – ou bien tu veux plus souvent? Ce peut être plus souvent.

C’est comme tu veux, douce Mère; autrefois, je te voyais mercredi et samedi.

Oui, mais est-ce que tu voudrais trois fois ou...

Non-non, douce Mère!c’est comme tu veux; c’est comme c’est le mieux.

Moi, je ne sais pas... C’est tout à fait étrange, tout ce sens d’organisation, c’est pour moi... (geste de dissolution). Je pourrais dire tout d’un coup: «Tiens, si Satprem était ici...» Tu comprends? C’est plutôt comme cela, mais ce n’est pas commode.

Mais tu pourrais me faire appeler, je viendrai tout de suite.

Oui, mais tu peux être occupé.

Non-non, il n’y a rien de plus important!

Écoute, nous gardons ces jours habituels, le mercredi et le samedi, et puis, si, un jour, j’ai quelque chose à te dire, je t’enverrai un mot ou je te ferai appeler.

Oui, à n’importe quel moment je viens, c’est très facile.

C’est bien... Je ne sais pas, tout le «planning», «organising», tout cela, parti.

Tout d’un coup, il y a quelque chose qui se présente – là, oui... Si je pouvais écrire... Seulement je ne peux pas.

Eh bien, tu me fais appeler.

Oui, c’est cela. Ce serait toujours environ à la même heure. Et puis mercredi et samedi, tu viens régulièrement.

(le disciple se retire et Sujata s’approche de Mère)

Douce Mère, j’ai quelque chose pour toi.

Qu’est-ce que c’est?

Nous avons fait une promenade hier et on a trouvé ça sur la rive. C’est de la nacre, douce Mère.

Bah!... c’est joli. Oh! comme c’est joli... Ce devait être tout un coquillage.

C’est pour toi, douce Mère.

Mon petit, je n’ai pas de place pour garder les choses, il vaut mieux que vous le gardiez... Je n’ai pas de place (se tournant vers la chambre), tout cela est devenu un chaos. Il vaut mieux que vous le gardiez.

Oui, douce Mère.

J’ai l’impression d’avoir une personne fluide qui ne tient pas de place et qui ne peut rien garder! (Mère rit) C’est comme cela. Quand les choses viennent à moi, elles viennent toujours pour pouvoir les diriger vers la vraie place – que chaque chose ait sa place. Moi, je suis... simplement l’endroit de direction (geste dans toutes les directions): ça là, ça là, ça là... Comme ce serait beau si c’était comme je le vois! oh!...

27 janvier 1971

(Mère tend une note qu’elle a envoyée à un Aurovilien.)

«Ce sont les vieilles méthodes de yoga qui demandent le silence et la solitude.

«Le yoga de demain est de trouver le divin dans le travail et la relation avec le monde.»


(Puis une citation de Sri Aurobindo que Mère veut inclure dans le prochain Bulletin.)

Le pouvoir qui est à l’œuvre dans ce yoga est d’un caractère complet et minutieux et ne tolère finalement rien, grand ou petit, qui fasse obstacle à la Vérité et à sa réalisation.

Sri Aurobindo
Letters on Yoga, XXIII.803


Dis-moi, pour ton livre,1 l’introduction devait être publiée en janvier... Mais maintenant, janvier va être fini.

On l’a envoyée en France, à l’éditeur de «Planète» – je ne sais pas encore s’ils vont le prendre, mais on l’a envoyé.

En Amérique, ça marche très bien. Déjà, ça a été envoyé à beaucoup de personnes. Et alors, tu as maintenant un lecteur enthousiaste: c’est R! Elle est absolument emballée, elle m’a dit qu’elle est transformée. Alors elle va travailler très activement là-bas, en Amérique.

Il y a N qui presse fort avec ses traductions pour l’espagnol et l’italien. Il y a des gens qui veulent le faire en portugais.

Mais quand j’ai vu l’effet sur R... N’est-ce pas, R est une personne qui ne s’emballe pas facilement – elle était transformée, absolument transformée, et elle m’a dit que c’était pour elle comme la révélation de sa vie... C’est le chapitre sur la «Nouvelle conscience».

Je voudrais entendre la fin... Si tu te mets ici (geste à la droite de Mère), je crois que je t’entendrai.

Si tu veux, douce Mère. Il restait, je crois, six chapitres à lire.

Oui, six. Nous avions lu le dixième.

Oui! Tu as une mémoire!

(Mère sourit) Ça...

Ta mémoire fonctionne quand elle veut!

Non, ça dépend de la place que cela prend dans la conscience. C’est une mémoire de conscience, ce n’est pas une mémoire mécanique.

Il s’est passé beaucoup de choses, ces temps derniers, non?

Oui, beaucoup. Beaucoup.

Mais j’attends surtout, surtout en Amérique, un effet formidable de ce livre... Je ne pense pas que je me trompe.

Pour te dire vrai, j’aurais l’idée, ou le désir, que ce livre soit traduit en américain par un Américain.

Oui.

Parce qu’ils n’ont pas le même langage vraiment que les Anglais.

Oui.

L’anglais est trop poli, il est trop neutre, il n’est pas assez direct.

Tu pourrais peut-être voir R et lui demander si elle connaît quelqu’un en Amérique qui pourrait traduire... Il faudrait un Américain américanisant, c’est-à-dire tout à fait convaincu. Il y a S qui était ici longtemps, qui est retournée en Amérique... Elle est vraiment Américaine; je ne sais pas si elle est très littéraire, mais elle connaît du monde.

J’avais pensé, figure-toi, à la petite fille de N.D., qui s’appelle Debbie.

Ah!

Elle a quelque chose, cette petite.

Celle qui était ici?

Oui, elle est venue ici. Elle est toute jeune.

Oui, toute jeune. C’est très bien. C’est beaucoup mieux que ce soit une jeune, beaucoup mieux. Oui, ça, c’est excellent.

La traduction anglaise... Pour moi, l’Angleterre est un pays à demi mort – mais cela ne fait rien, beaucoup de pays parlent anglais. Mais une traduction spéciale en Amérique, c’est très bien.

Je ne me suis plus occupée de rien pendant longtemps, mais maintenant ça va.

Ça va?

Oui, ça va.

Il faudrait faire marcher ce livre maintenant.

Il va sortir en français [ici] le mois prochain, en principe.

Justement, il faudrait que ce soit préparé partout – partout.

Il y a des pays du Nord... Nous avons quelqu’un là-bas qui vient de nouveau d’être nomé à son poste en Suède ou en Norvège... Il pourrait travailler là-bas. Il faudrait lui donner l’introduction et le livre quand il paraîtra.

Oui, il faudrait faire marcher ça. J’ai l’impression que c’est le livre qui va bouleverser l’Amérique. Et quand j’ai vu cet effet sur R, j’ai vu que je ne m’étais pas trompée, parce qu’elle représente l’élément intellectuel du pays. C’était un tel enthousiasme que si ça les prend... ça peut faire un mouvement formidable là-bas.

Je compte là-dessus.

(Puis le disciple lit à Mère une lettre de l’ami du Vatican.)

...Quand le pape était en voyage [dans le Pacifique], on a essayé deux fois de l’assassiner – on n’a pas réussi. Je considère le pape comme spécialement protégé par moi, à travers moi. Deux fois, on a essayé de l’assassiner, et deux fois on n’a pas réussi.

Je ne sais pas pourquoi on veut l’assassiner... S’il y a quelqu’un de compréhensif dans tout ce fatras, c’est lui.

(silence)

Alors, tu as le prochain chapitre?

Oui, douce Mère, j’ai appelé ça, «La sociologie du surhomme.» C’est Auroville sans le nommer.

Tiens!...

Mais un Auroville tout à fait idéal!

Oui! (riant) loin de ce qu’il est.

(le disciple lit quelques pages du chapitre)

Oh! c’est magnifique, mon petit!

À la conquête du monde...

Vraiment c’est venu, tu comprends. On a appelé-appelé-appelé, et c’est venu (geste de descente). C’est venu. Je suis très contente.

C’est magnifique... Moi, j’ai l’impression qu’il y a une relation étroite et invisible entre l’aspiration de l’Amérique, qui est comme cela maintenant, et ce livre. J’ai l’impression que c’est là que sera le centre de transformation. Les pays d’Europe sont vieux.

Vieux, oui.

Ils ont perdu cet élan qui fait que l’on ne pense pas aux conséquences. Ils sont tout le temps à calculer les conséquences de tout ce qu’ils font. En Amérique, il y a l’aspiration. C’est là que sera l’effort, c’est de là que doit partir... (désignant le manuscrit) la bombe! (rires)

30 janvier 1971

(De nouveau, Mère n’est pas très bien portante, elle nous reçoit avec une heure de retard; et d’abord, elle reçoit quelques minutes la mère du disciple.)

Alors, comment le trouvez-vous?

(Ma mère, solide comme un roc breton:) Bien.

Il a écrit un livre magnifique. Je compte sur ce livre pour révolutionner le monde... Vous pouvez être fière de votre fils.

(ma mère sourit et sort)

Alors, tu as amené le livre?

Tu veux que je te lise ce matin?

Oui, c’est cela que j’attends!

Tu n’es pas fatiguée, non?

Oh! ça ne fatigue pas. Ce n’est pas cela qui fatigue.

Qu’est-ce qui fatigue en ce moment?

Le système a commencé à ne plus vouloir fonctionner de la vieille manière, alors comment faire pour manger?... Aucune attraction pour la nourriture – aucune. Ça paraît une chose idiote, et pourtant «il faut» en prendre. Et alors, les docteurs veulent que ça fonctionne comme d’habitude – c’est impossible. Et ça me met dans un état... ça fait une espèce de conflit dans la nature.

N’est-ce pas, les choses vont à la fois trop vite et en même temps avec une résistance de la vieille nature – encouragée par les docteurs et par les habitudes.

Il y a des moments où... (geste de tiraillement).

Mais tout cela, c’est le symbole d’autre chose.

(Mère rit) Sûrement!... C’est le symbole de tout ce qui, dans la Nature, résiste à la transformation.

Eh bien, tout le monde!

Mais je comprends bien que si la transformation était foudroyante, ce serait affolant pour les gens.

Oui...

Par exemple, ils disent que mes misères proviennent du fait que je ne mange pas assez – selon l’ancien système, c’est vrai; alors ils voudraient que je mange plus, et moi, je sens qu’en mangeant plus, je vais à l’encontre du Travail.

C’est difficile aussi... L’attraction pour la nourriture n’existe plus du tout, du tout – cela paraît une chose inutile, et tout de même je vois qu’en n’en prenant pas, ça dérange trop vite l’ancien système. Alors... (geste de tiraillement entre deux).

Ah! lis-moi, c’est plus intéressant.

(Le disciple lit la suite de la «Sociologie du surhomme» et notamment, au cours du texte, il cite ce passage de Sri Aurobindo à propos de la propagande:)

«Je ne crois pas en la publicité, sauf pour les livres, ni en la propagande, sauf pour la politique et les produits pharmaceutiques. Mais pour le travail sérieux, c’est un poison. Cela signifie un coup de publicité ou la célébrité; or, les célébrités ou les coups publicitaires épuisent ce qu’ils portent sur la crête de leur vague et l’abandonnent sans vie, brisé sur les rivages de nulle part. Ou cela veut dire un “mouvement”. Un mouvement, dans le cas d’un travail comme le mien, signifie la fondation d’une école ou d’une secte, ou quelque autre damné non-sens. Cela veut dire des centaines ou des milliers de gens inutiles qui viennent se mettre de la partie et corrompre le travail ou le réduire à une farce pompeuse d’où la Vérité qui commençait à descendre se retire dans le secret et le silence. C’est ce qui est arrivé aux “religions”, et c’est la raison de leur faillite.»

2.10.1934
On Himself, XXVI.375

Il faudrait copier ce passage et l’afficher à Auroville. C’est indispensable. Ils ont tous la fausse idée de propagande et de publicité. Il faut le copier en grosses lettres; en dessus, «Sri Aurobindo a dit», puis mettre la citation, et l’envoyer à Auroville.

Tu diras que c’est moi qui l’envoie.

(après la fin de la lecture)

C’est tout?

C’est la moitié de ce chapitre.

C’est dommage... Ça, j’écouterais pendant des heures, c’est vraiment très bien.

Il y en a encore?

Une dizaine de pages peut-être.

Ce sera pour la prochaine fois.

Tu me donnes de la joie.

Oh! douce Mère, c’est toi qui m’as donné tout.

Il faut s’occuper de la traduction... Oui, je voudrais absolument – il y a quelque chose qui me dit (geste en haut) qu’il faut que ce soit traduit en russe.

N’est-ce pas, ils ont passé par une expérience, et alors ils ont épuisé leur possibilité et vu que ça ne menait à rien, et malheureusement ils sont en train de retourner en arrière – ce serait le moment de leur donner ça.

Si c’était vraiment traduit en un très bon langage russe... il faudrait inonder le pays avec ça. C’est juste le moment où il a besoin de quelque chose. Il a perdu foi dans ce qu’il croyait avoir trouvé.

Et c’est très obstinément que ça revient: «En russe, il faut que ce soit en russe.»

Est-ce que nous connaissons un Russe?

Il y a S, veux-tu que je lui en parle?

Elle ne connaît pas le russe.

Non, mais elle connaîtra peut-être des Russes?

Tu pourras le lui demander. Tu pourras lui dire que je voudrais beaucoup que le livre soit traduit en russe par quelqu’un qui écrit bien, dont le style est vivant – pas quelque chose de sec et d’aride: quelqu’un qui ait un style vivant et attractif. Et on s’arrangerait pour l’imprimer quelque part.

Je vais en parler à S.

(silence)

Ça m’a fait du bien.

Oh! douce Mère, c’est toi qui nous fais du bien!

février




3 février 1971

Alors je suis prête à t’écouter.

Il faut aussi un message pour le 21 février.

Quel message?...

Je ne sais pas.

Qu’est-ce que tu suggères?... Je peux dire quelque chose, ou bien on peut trouver une citation.

Si tu veux dire quelque chose...

(silence)

Moi, je dis toujours la même chose: une vie consacrée à l’union avec le Divin est la seule vie qui vaille d’être vécue... A life consecrated to the Divine is the only life worth living.

Ça suffit?

Oui, douce Mère, ça suffit bien!

Il faudra que tu viennes ici (à droite) pour lire, parce que... Ça va mieux, je suis en train de rééduquer mes yeux, ils commencent à voir mieux. Et je vais rééduquer mon oreille – celle-là (droite) est libre, celle-là...

Ça va mieux. Mais ce n’est pas encore ça.

(Après la lecture du livre, Mère demande qu’il soit traduit dans les langues de l’Inde et nomme le bengali, le hindi, l’oriya et le tamoul.)

(À Sujata:) Tu ne sais pas suffisamment une langue indienne pour le traduire?

(Sujata rit)

Et puis les pays nordiques...

6 février 1971

(Fin de la lecture du chapitre XII: «La sociologie du surhomme.» Mère exprime son contentement et le disciple proteste:)

Douce Mère, c’est venu vraiment. Ça m’a été tout donné, c’est comme si c’était dicté, tu comprends? Je n’ai rien fait.

Oh! mais ça, je vois. Pour moi, ça se voit.

C’est comme cela (geste de descente).

Ça crée une atmosphère magnifique, magnifique.

Nous aurons fini la lecture avant le 21?...

Ça me rend toute joyeuse.

(Mère prend les mains du disciple)

10 février 1971

Bonjour, douce Mère.

Alors?...

Comment vas-tu, douce Mère?

Ça ne va pas vite... Ça va, la jambe est presque guérie – presque, il reste encore un tout petit quelque chose dans le pied, mais ce n’est rien. Mais la vision n’est pas très claire. Ça va mieux – tout va mieux, mais lentement, lentement. Et la volonté semble n’y avoir rien à faire. C’est quelque chose qui est tout à fait en dehors de mon contrôle – qu’est-ce que c’est au juste? Je ne sais pas.

Ça doit dépendre du reste du monde, peut-être?

Oui, probablement... Oui, ce n’est pas une question personnelle parce que... La volonté personnelle est là, mais elle est tenue comme cela (geste en retrait, immobile). Elle est en paix. Alors...

Tout d’un coup, je peux me redresser (n’est-ce pas, j’avais peur d’être penchée pour toujours), tout d’un coup je peux me redresser. Et puis à un autre moment, je vois de ces cartes pour exercer les yeux;1 alors tout d’un coup, un matin, c’est très clair, je vois très clair – comme pour prouver que la possibilité est là. Mais ce n’est pas encore le moment. Alors j’attends.

Il n’y a que cette date du 21... J’ai dit (peut-être trop tôt, je ne sais pas) que j’irai au balcon; par conséquent, je dois aller au balcon. Pour le moment ça paraît... problématique, mais... Je ne peux pas faire un pas sans être soutenue.

On va voir. Il y a encore une semaine.

C’est tout à fait en dehors de ma volonté – ce n’est pas que la volonté ne soit pas là, mais... (geste immuable). Alors je suis obligée de dire: «Bien, ce sera ce que ce sera.»

J’ai l’espoir d’entendre un chapitre?

Oui, douce Mère.

(Après la lecture du chapitre XIII: «Et après?»)

Moi, je trouve ça miraculeux, ce que tu écris.

(longue contemplation)

13 février 1971

(Mère lit son message pour la Radio indienne.)

«La vraie liberté est un mouvement ascendant, non un abandon aux instincts inférieurs.

«La vraie liberté est une manifestation divine.

«Nous voulons la vraie liberté pour l’Inde afin qu’elle puisse être un juste exemple pour le monde comme une démonstration de ce que l’humanité doit devenir.»


(Après lecture du chapitre XIV de la Genèse du Surhomme: «La victoire sur la mort.»)

J’ai l’impression d’une nouvelle conscience qui se construit.

17 février 1971

Quoi de neuf?

Quoi de neuf! C’est moi qui te demande quoi de neuf?

Un état bizarre... Une sorte d’inexistence existante.

C’est bizarre.

Si tu n’as rien à me dire, j’attends d’entendre ton chapitre.

20 février 1971

(Après lecture du chapitre XV de La Genèse: «L’être transformé.» Par quelque caprice du sort, Sujata a conservé l’enregistrement de la fin de notre lecture.)

Alors la prochaine fois, tu finiras?...

Oui, douce Mère.

Le livre sortira quand?

Ils sont en retard. J’espère au début du mois prochain.

(silence)

Est-ce que la terre répond un peu?

Je crois que oui, un peu partout.

Je voudrais que ton livre soit traduit dans toutes les langues.

(Mère prend les mains du disciple, le regarde, sourit)

21 février 1971

(Pose de la première pierre du Matrimandir. Mère a quatre-vingt-treize ans. Elle donne le message suivant:)

«Le Matrimandir veut être le vivant symbole de l’aspiration d’Auroville au Divin.»

24 février 1971

(Satprem donne une rose blanche à Mère.)

Oh! que c’est beau!...

Comment s’est passé le 21?

C’est à toi qu’il faut le demander! (rires) Toi, qu’est-ce que tu dis, comment était-ce, le 21?

Moi, je sens toujours la puissance, tu comprends, formidable.

Oh! formidable. Ça... ça vient comme ça (geste massif).

Il paraît en général que les gens étaient très contents, alors c’est tout ce qu’il faut.

Toi (à Sujata) qu’est-ce que tu dis?

(Sujata regarde Mère avec des yeux perdus, Mère caresse sa joue et rit)

N’est-ce pas, c’est comme l’histoire de quelqu’un que je suis avec un intérêt... même pas avec un grand intérêt, même pas de curiosité... Je ne peux pas dire que ce soit un sens du devoir, je ne sais pas ce que c’est – c’est une nécessité, et voilà tout.

Le corps a pris définitivement l’attitude de ne pas penser à lui-même parce que... il serait profondément dégoûté.

Mais je dois dire qu’il y a des jours où j’entends très bien, des jours où je vois très clair, des jours où je n’entends rien, des jours où je ne vois rien. Alors... c’est comme cela (geste onduleux).

C’est décentré (je ne sais pas comment dire), tout à fait décentré. Alors, si je regarde – si je regardais – avec la vieille conscience, ce serait plutôt... plutôt déplaisant, peut-on dire, mais la vieille conscience: partie. C’est quelque chose... quelque chose qui n’est pas une conscience individuelle, mais qui n’est pas non plus seulement une conscience collective: il y a «quelque chose» là-haut – ça, là –, qui voit, qui sait, qui décide, qui... Ça, là, ça va bien, ça n’a pas bougé – ça n’a pas bougé. Mais ça... (Mère désigne le corps)

Il y avait une appréhension pour le 21 d’aller au balcon,1 le sentiment que ce serait très difficile – ça n’a pas été très difficile, ça a été quelconque: ni facile, ni difficile... Les valeurs ne sont pas les mêmes.

Voilà.

Ah! j’aime mieux entendre ton chapitre.

Tiens: ça, c’est la pension, douce Mère.

Tu n’as pas besoin de quelque chose?

Non-non, douce Mère! tu me donnes tout ce qu’il faut.

Vraiment?...

(À Sujata:) Tu me diras si c’est vrai qu’il n’a pas besoin de quelque chose.

Non, Mère, il n’a pas besoin!

(lecture de la fin de La Genèse: chapitre XVI, «La saison de la vérité.»)2

25 février 1971

(Mère à Sujata:)

C’est une cohue...

27 février 1971

Quelles nouvelles as-tu?...

(long silence)

Le problème, c’est la nourriture. Les docteurs ont mis des restrictions à tout ce que je mangeais très facilement, alors maintenant...

Au fond, de plus en plus, je vois que nous vivons dans une ignorance totale. Nous ne savons pas vraiment, ni ce qu’il faut faire ni comment le faire.

Mais pourtant, cette Nouvelle Conscience-là devrait faire faire ce qu’il faut.

Je crois que nous ne savons pas écouter.

Nous ne savons pas écouter...

(silence)

C’est très difficile de démêler ce qui est la vieille impulsion et...

Oui-oui.

C’est très difficile.

Très difficile.

N’est-ce pas, notre connaissance pratique est basée sur une expérience qui n’a plus de valeur.

(longue contemplation les yeux ouverts)

Mais il vaut mieux se tromper en écoutant, ou en essayant d’écouter la Conscience nouvelle, que de ne pas se tromper en écoutant les médecins! Non?

(Mère sourit) Mais la Conscience ne contredit pas.

Tu veux dire qu’elle est neutre?

La Conscience ne discute pas... Je ne sais pas comment expliquer... 50

(long silence)

S’il y avait une indication forte et précise, je l’écouterais sûrement, mais ce n’est pas cela... Il y a la cuisine qui a l’habitude de faire des choses et qui les fait comme cela; il y a le docteur qui a dit de me donner telle chose et on l’écoute; il y a... J’ai dit: «J’aimerais prendre telle chose», on me le donne grudgingly [en rechignant], tu sais! comme si c’était une concession à... presque à une gourmandise! Alors...

Je vis dans une telle convention que c’est très difficile.

Et toujours l’idée que je suis v-i-e-i-l-l-e, je deviens v-i-e-i-l-l-e, et puis ma conscience, pour eux, doit être à moitié voilée. Ils n’ont pas la foi, qu’est-ce que tu veux!

Pas tous.

Seulement ne va pas répéter ça, il ne faut pas le dire parce qu’ils font tous... chacun fait du mieux qu’il peut et se donne beaucoup de mal – ils se donnent beaucoup de mal.

Mais j’aurais besoin de quelqu’un qui ait la vision et qui me dise: il y a ça, il faut faire ça.

Alors j’ai pris l’attitude de dire: bien. Je me fais aussi passive que possible – passive vis-à-vis de la Volonté divine –, et je prie qu’elle me dirige. C’est le seul moyen.

Tu entends?

Oui-oui, douce Mère!

mars




1er mars 1971

(Note de Mère)

Il y a une Divinité Suprême,
témoin de toutes nos actions,
et le jour des conséquences viendra bientôt.

2 mars 1971

(Extrait du calepin de Sujata. Depuis deux jours, Mère a la joue bien gonflée par un abcès dentaire.)

Mère est mieux. Tendance intériorisée.

Pendant qu’Elle me tenait les mains, il me semblait que quelque chose passait de moi en Elle.

Mère avait l’air de se bien reposer.

3 mars 1971

(Après avoir approuvé la maquette de la couverture de «La Genèse» dessinée par Sujata.)

Tu n’as rien à demander?

J’ai l’impression que ton regard a beaucoup changé...

(Mère approuve de la tête)

Depuis près d’un an déjà, et de plus en plus, ça ressemble au regard de Sri Aurobindo.

Tiens... (souriant) c’est possible!

Avant, ton regard était un «regard de diamant», un regard... c’était toi, c’était puissamment toi. Maintenant, c’est... ça devient comme de l’infini.

Oh! mais ma façon de voir n’est pas la même.

Oui, Sujata justement voulait te demander: quand tu regardes comme cela les gens, qu’est-ce que tu vois?

Je crois que je vois... le plus exact, c’est leur condition, l’état dans lequel ils se trouvent. Et puis surtout, il y a ceux qui sont comme fermés, qui, pour moi, ne voient pas, qui sont dans la conscience tout à fait extérieure; et puis il y a ceux qui sont ouverts – il y en a... certains enfants, c’est remarquable, c’est comme s’ils étaient tout ouverts (geste, comme une fleur au soleil) et prêts à absorber. C’est surtout la réceptivité des gens que je vois: ceux qui viennent avec une aspiration, ceux qui viennent avec une curiosité, ceux qui viennent comme... une espèce d’obligation, et puis il y a ceux qui sont assoiffés de lumière – il n’y en a pas beaucoup, mais il y a plusieurs enfants. Aujourd’hui, j’en ai vu un qui était gentil!... Son père habite au lac, il a acheté une propriété au lac; il est là avec sa femme et ses enfants, et c’était la fête d’un petit – oh! (Mère écarquille ses yeux) admirable!

Et je ne vois que ça. Pas ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent (tout cela paraît superficiel et inintéressant): c’est l’état de réceptivité dans laquelle ils se trouvent. C’est surtout cela que je vois.

(silence)

Je crois vraiment que c’est parmi les enfants que se trouvent ceux qui peuvent commencer la race nouvelle. Les hommes sont... coriaces.

N’est-ce pas, je suis tout le temps à lutter contre des gens qui sont venus ici pour être confortables et «libres de faire ce qu’ils veulent», alors... Je leur dis: «Le monde est grand, vous pouvez aller.» Pas d’âme, pas d’aspiration, rien... Je compte beaucoup sur ton livre.

T [celle qui traduit en anglais] a fini sa traduction?

Pas encore, mais ça avance.

Qu’est-ce qu’elle dit? Elle répond?

Eh bien... je ne sais pas.

(Mère hoche la tête)

Par endroits.

Tu sais mon impression? C’est qu’ils sont tous vieux et que je suis la seule à être jeune!1 C’est cela, n’est-ce pas, cette flamme, cette volonté... ce qu’on appelle push [élan] – satisfaits de petites satisfactions personnelles stupides... qui ne mènent à rien, préoccupés de ce qu’ils vont manger et... oh!

J’ai l’impression que maintenant il y a comme un display (tu sais, «display»?), un étalage de tout ce qui ne doit pas être.

Oui.

Mais la flamme, la flamme d’aspiration (Mère hoche la tête), il n’y en a pas beaucoup qui me l’apportent.

Pourvu qu’ils soient ce qu’ils appellent «confortables», c’est tout ce qu’il leur faut – et libres de faire quelques bêtises qu’ils ne feraient pas dans le monde! Tandis que l’on sent que pour hâter la venue – on pourrait la hâter si l’on était... si l’on était un conquérant!

Oui.

Enfin...

(silence)

Au fond... au fond, ça leur est égal.

Pas à tous.

Non, mais ceux qui sont autrement, c’est une quantité minime – du moins parmi ceux que je vois, je ne sais pas. Il y a naturellement ceux qui sont proches – ceux qui sont proches, qui ne vivent que pour cela; mais c’est entendu, ceux-là je n’en parle pas. Ceux-là, ça va bien, je crois... De temps en temps, je reçois un cri d’appel, vraiment une aspiration – ça, oui, et quand c’est là, c’est très bien, c’est d’une très bonne qualité. Autrement...

Je pourrais me gronder, moi, parce que je donne un mauvais exemple: je ne devrais pas avoir un corps si fatigué, mais c’est comme si... La nuit, par exemple, je ne dors pas, mais j’entre dans un repos très profond; eh bien, toutes les choses qui ne vont pas (Mère touche sa joue gonflée) augmentent. Ce n’est que quand je suis concentrée ici que ça commence à aller mieux; quand je laisse le corps à sa paix propre... il est encore du vieux côté – il ne devrait pas être comme cela. Je sais que la plus grosse difficulté pour les gens, c’est mon âge – ils sont tous à penser: «Oh! elle est vieille, elle est vieille, elle est vieille...» Et alors je... Au fond, je suis plus jeune qu’eux! (rires)

Oui.

(silence)

Mais la difficulté vient de ce que beaucoup ne comprennent pas la simplicité de la chose.

Oui.

Ils en sont encore (beaucoup, je dis) à chercher des expériences là-haut, des visions, du silence mental, etc., alors que ce n’est pas tout ça!

Non, ce n’est pas ça.

Je vois des quantités de gens et je suis obligé... Je reviens toujours la simple chose, qui est d’avoir BESOIN.

Mais c’est sur ton livre que je compte pour secouer ça – c’est très bien expliqué là, très bien.

Je me souviens, Pavitra, la première fois qu’il a lu quelque chose de toi2 (il y a longtemps, plusieurs années), il m’a dit: «Aah! c’est pour moi une révélation!» Il y avait combien d’années qu’il était ici!3... Il m’a dit: «Ah! j’ai compris enfin que c’est dans la simplicité...»

C’était pour lui une révélation... Je compte vraiment beaucoup sur le livre.

Et quand j’essaie de leur expliquer, ils sont toujours étonnés de la simplicité de la chose.

Oui-oui!

Ça les étonne comme si...

Ce n’est pas assez compliqué.

(silence)

S a trouvé pour le russe?

Elle a fait une première démarche, qui n’a rien donné, et elle en a fait une deuxième, et elle attend.

J’ai l’impression que c’est ce livre-là qui donnera la nouvelle orientation là-bas. C’est pour cela que j’insiste. Et la Russie... La Russie, changée du vrai côté, ce serait magnifique!... Je ne sais pas pourquoi... Naturellement, j’ai été Russe dans une récente incarnation, quand j’étais cette... C’était Catherine?

Catherine, oui.

Et ça, c’est très vivant en moi.

J’ai l’impression que si tout le bloc russe tournait du bon côté, ce serait un appui formidable... Et ils ne sont pas satisfaits; n’est-ce pas, ils sont dans cet état où l’on est capable de le faire parce qu’on n’est PAS satisfait – ils ne sont PAS satisfaits. Leur expérience... au fond ils ne l’avouent pas, mais leur expérience a échoué.

(silence)

Tout cela, tout ce qui concerne la politique et les pays, ça ne peut pas paraître, c’est à garder. Parce que, officiellement, je ne fais pas de politique.

Oui, douce Mère, sûrement.

Le prochain jour?

C’est samedi, douce Mère.

Il sera sorti, le livre?

Je ne crois pas. La semaine prochaine, je pense.

On mettra plein de force dedans.4

(Mère prend les mains du disciple, puis Sujata s’approche. Notons que Sujata avait suggéré à l’une de celles qui préparent la nourriture de Mère, de préparer de l’eau de coco pour elle. Cette suggestion avait été rapportée à Mère. La réponse de Mère laisse entrevoir un monde de choses.)

C’est la MANIÈRE de préparer plutôt que des choses nouvelles.

4 mars 1971

(Mère répond à un Aurovilien:)

[Question:] Tu as dit que tu ne voulais pas faire de règles pour Auroville. Or, dernièrement, tu as écrit: «Les drogues sont interdites à Auroville.» Y a-t-il une modification dans ta vision d’Auroville?

Peut-être que les Auroviliens n’ont pas atteint le niveau de conscience que l’on attend d’eux.


«Il faudrait vous élever si haut dans la conscience que cela domine l’opposition. C’est la solution.»

5 mars 1971

(Extrait du calepin de Sujata, après une visite à Mère.)

Des yeux de Mère émane une lumière dorée chaude. Ça rentre en moi.

6 mars 1971

(L’entrevue commence avec une heure et demie de retard.)

C’est la cohue! la cohue... C’est effrayant... Je ne sais pas comment faire.

Et toi, tes nouvelles?

Mes nouvelles!... Je ne sais pas.

Le livre a paru?

Non. J’espère vers la fin de la semaine prochaine.

La fin!... Les gens en ont bien besoin. Je reçois des lettres de dix pages pour me raconter des «expériences spirituelles» – c’est tout en plein vital. Ils ne comprennent rien. Même à Auroville, ils sont comme cela, ils ne comprennent pas.

Alors, j’ai mis... (Mère cherche à se rappeler) Qu’est-ce que j’ai mis?... Je ne me souviens plus. «True spirituality...» [la vraie spiritualité]. Je sais que j’ai mis «simplicity» [simplicité]. «True spirituality» en grosses lettres.

J’aurais dû mettre: true spirituality is VERY simple! (Mère rit) [la vraie spiritualité est très simple.] Ça, c’est mieux.

Et des querelles pour rien, des gens qui veulent plus d’argent – oh! de la sous-humanité. Et ils croient qu’ils... N’est-ce pas, ils sont d’une ignorance totale; ils arrivent comme cela, sans expérience, sans instruction, sans préparation, et ils croient qu’ils vont réaliser imédiatement le Supramental... Alors c’est lamentable.

Des choses... des réactions et des attitudes dont on aurait honte dans la vie ordinaire, ils étalent ça.

Ils ont besoin de quelque chose pour les rectifier.

Douce Mère, on pourrait peut-être, dans le prochain «Bulletin», publier partiellement ce que tu as dit l’autre jour sur ta perception de l’état intérieur des gens, et l’absence de flamme souvent.

Ils vont être désespérés.

C’est peut-être un «challenge»![défi]

Tu peux me le lire?

(lecture)

C’est bien, très bien.

Oui, c’est cela, tout à fait cela.

(long silence Mère reste à regarder au loin)

Évidemment, il y a un grand changement dans la nature, je le vois. C’est comme si en voyant mon corps vivre, je voyais le corps de quelqu’un de tout à fait nouveau. Malheureusement, il est... il manque de souplesse, je crois.

Il y a toute la «formation» de l’âge comme cela (geste autour de Mère), l’idée presque subconsciente que: «Elle est vieille, elle est vieille...», ça fait une atmosphère de résistance au changement. Ça fait presque un conflit dans l’être. Extérieurement: pas fameux.

Et alors, par exemple, quand j’étais malade, je me suis penchée de plus en plus; je voudrais me redresser: le docteur dit d’un ton péremptoire que si j’essaye brutalement de me redresser, je me casserais le dos!... Tu comprends, des choses comme cela. «C’est impossible, c’est impossible, c’est impossible...», de tous les côtés.

Ça, il ne faut pas en parler; je te le dis pour que tu le gardes.

Alors il n’y a pour moi qu’une solution... Au fond, il n’y a qu’une Volonté qui soit toute-puissante, c’est la Volonté Divine – ce qu’il veut sera en dépit de tout, ou à cause de tout. Voilà. Je ne me préoccupe pas. Seulement, ça manque de la rapidité qui pourrait être si les circonstances étaient autres. Mais probablement c’est mon jugement. Probablement c’est aussi bien que cela peut être.

On verra! (Mère rit)

Oh! je compte beaucoup-beaucoup-beaucoup sur ton livre.

(Mère prend les mains du disciple)

10 mars 1971

(Le disciple commence par lire à Mère une lettre inédite de Sri Aurobindo.)

Une aventure très fructueuse

«De même qu’il existe une catégorie de faits pour lesquels nos sens sont les meilleurs guides disponibles mais très imparfaits, de même qu’il existe une catégorie de vérités que nous cherchons à la lumière pénétrante mais encore imparfaite de notre raison, de même, selon les mystiques, il existe une catégorie de vérités plus subtiles qui dépassent la portée des sens et de la raison, mais qui peuvent être vérifiées par une connaissance directe, intérieure, et par une expérience directe. Ces vérités sont suprasensibles mais elles n’en sont pas moins réelles: elles ont d’immenses effets dans la conscience et changent sa substance et son mouvement, elles apportent en particulier une paix profonde et une joie permanente, une grande lumière de vision et de connaissance, la possibilité de surmonter la nature animale inférieure, et des perspectives de développement spirituel qui n’existeraient pas sans elles. Une nouvelle vision des choses se révèle et apporte, si on la pousse pleinement jusqu’au bout, une grande libération, une harmonie intérieure, une unification – et bien d’autres possibilités. Il est vrai qu’une petite minorité dans l’espèce humaine a eu l’expérience de ces choses, mais une multitude d’observateurs indépendants en ont témoigné à toutes les époques, sous toutes les latitudes et dans toutes les conditions, et l’on compte parmi eux quelques-unes des plus grandes intelligences du passé et des plus remarquables personnalités mondiales. Faut-il condamner tout de suite ces possibilités comme des chimères sous prétexte qu’elles dépassent non seulement l’homme moyen de la rue mais qu’elles ne sont pas aisément saisissables, même par de nombreux intellects cultivés, ou que leur méthode est plus difficile que celle des sens et de la raison ordinaires? Si elles sont tant soit peu véridiques, ne vaut-il pas la peine d’explorer la possibilité qu’elles offrent et les hautes étendues de découverte de soi et de découverte du monde qu’elles révèlent à l’âme humaine? Au mieux, si elles sont vraies, il doit en être ainsi; au pire, s’il s’agit seulement d’une possibilité – et toutes les réalisations de l’homme sont seulement une possibilité aux premiers stades –, c’est une grande, et peut-être bien une très fructueuse aventure.»

Sri Aurobindo
7.1.1934
Letters on Yoga, XXII.188


(À propos d’un disciple qui voulait continuer «La vie de Sri Aurobindo» laissée incomplète par Rishabhchand.)

Je croyais que Rishabhchand avait terminé la «Vie de Sri Aurobindo»?

Cela s’est arrêté quand Sri Aurobindo est arrivé à Pondichéry [en 1910].

Ça suffit. Il n’y a plus besoin d’en parler, il n’y a qu’à dire un mot – une ou deux phrases suffisent.

Il n’y a rien à dire de sa vie ici... Au fond, personne ne sait bien la vie qu’il a menée ici. J’ai peur que l’on ne dise beaucoup de bêtises. J’aimerais mieux que l’on ne dise rien – que l’on dise qu’il s’est retiré à Pondichéry pour y mener le Yoga et qu’il n’y a plus que cela qui compte, et qu’il vaut mieux ne pas en parler. Voilà tout.

Ça n’a pas besoin d’être long: un article pour clore la série, pour dire que sa vie à Pondichéry était exclusivement occupée au Yoga et qu’il a écrit ce qu’il voulait dire, et que, par conséquent, il n’y a rien à dire.

Nous avons tout ce qu’il a écrit, et c’est mieux que tout ce que l’on peut raconter.

Qu’est-ce qui sonne?

Rien... On joue de la flûte à l’École... C’est quelqu’un qui doit avoir du cœur!

(Mère caresse la tête de Satprem et plonge)

13 mars 1971

Il y a une question de C.S. [un traducteur d’allemand]. Oui, il y a des différences entre C.S. et T.K. [une autre traductrice] à propos du vocabulaire à adopter. Il y a déjà trois ou quatre ans de cela, quand C.S. a traduit mon premier livre, il y avait eu toute une discussion et tu avais fait certaines suggestions. Tu avais dit notamment que le mot «mental» et le mot «esprit» ne devaient pas se traduire de la même manière.

Oh! non!

Alors, on avait suggéré divers mots pour mental et pour esprit, et finalement on avait choisi deux mots: le mot «Geist» pour mental (si je me souviens bien) et le mot «Spirit» pour esprit, quoique ce mot Spirit ne soit pas allemand. Et alors, C.S. voudrait imposer ces mêmes termes à tous les traducteurs allemands et notamment à T.K. – et les autres traducteurs ne sont pas d’accord.

Comment T.K. traduit-elle esprit?

Je ne sais pas.

Évidemment «Spirit» n’est pas très bon, mais il n’y a pas de mot en allemand pour Esprit?

Ils ont, je crois, le même mot que pour mental: Geist et Geist.

Quelle horreur!

(silence)

Il faudrait savoir ce que met T.K., parce que... II est impossible de se servir du même mot.

Mais sans se servir du même mot, T.K. peut avoir un vocabulaire différent aussi.

Oui, mais il vaudrait mieux savoir lequel.

Nous avons des Allemands ici, n’est-ce pas?

Aucun n’est d’accord avec l’autre! (rires)

Alors, que va-t-on faire?

Je vais demander à T.K. ce qu’elle emploie.

Oui.

Mais j’ai l’impression qu’il faut dire à C.S. qu’on ne peut pas imposer.

Non, on ne peut pas imposer. Comment peut-il?... D’ailleurs, il n’en a pas le moyen.

Il a déclaré, par exemple, puisqu’il a un bureau de vente de livres, qu’il refusera de vendre tous les livres où il y aura une autre terminologie!

C’est absurde.

Ce qu’il faudrait faire pour ces livres, c’est mettre une note, glisser une note dans le livre en disant que tel mot employé ici correspond à tel mot employé dans les autres livres – pour prévenir les gens. Parce que si c’est le même mot que mental, cela amène des confusions terribles – terribles, les pires confusions. Il faut coûte que coûte qu’il y ait une distinction: ou bien il faut que T.K. mette une note ou il faut... Parce que tu comprends, si l’on met mental pour les deux, ou même un autre mot qui veut dire la même chose, ça fausse l’enseignement imédiatement. IMédiatement, cela fait des confusions terribles.

Il faut en tout cas une note pour expliquer que ce mot est pris dans tel sens.

N’est-ce pas, C.S. aurait voulu que, puisqu’on a employé un certain vocabulaire dans «L’Aventure de la Conscience», on emploie le même vocabulaire dans l’autre livre.

C’est assez raisonnable.

Oui. Seulement je crois que T.K. objecte beaucoup à l’emploi du mot «Spirit», qui n’est pas allemand.

Je n’aime pas cela non plus.

L’allemand est-il une langue si pauvre? Est-ce que ce n’est pas de l’ignorance de leur part?... Ils peuvent prendre un mot qui n’est pas un mot courant et lui donner cette signification – la signification spéciale qu’ils donnent à ce mot, en une note. Mais employer un mot qui veut dire mental, c’est de la folie, c’est déformer l’enseignement tout de suite.

Oui. La difficulté est que le mot qu’ils emploient pour esprit, est le mot généralement employé pour mental. Alors, si on le laisse exclusivement pour signifier le mental, on n’a plus rien pour esprit, ou si on l’utilise exclusivement pour esprit, ça risque d’avoir le sens du mental.

Non, mais il faut mettre une note.

Et alors, ils n’ont pas un autre mot pour mental?

Je ne sais pas ce qu’emploie T.K., mais certains ont fabriqué le mot «mental» (je crois «der Mental» ou «das Mental», je ne sais pas exactement).

Si la distinction est claire... Il faut qu’elle soit explicite.

Bien, douce Mère.

Pas le laisser à l’intuition des gens: explicite.

(Mère lève les bras dans un geste lourd, puis plonge)

17 mars 1971

Tu n’as rien à dire, pas de nouvelles?

Non, douce Mère. Où en sont les choses?

(après un silence)

Tu sais, j’ai l’impression que le corps... comme il veut aller vite, il est traité à coups de fouet. Mais ça, c’est tout à fait personnel... Je ne me plains pas.

Ce n’est pas intéressant pour les autres.

C’est comme si c’était un son de cloche constant (Mère fait le geste de marteler): «Tu dis que tu veux vivre seulement pour le Divin – vis seulement pour le Divin [au corps, comme cela], vis seulement...» (même geste de martèlement)

Et alors, il voit à quel point il appartient encore à ce vieux monde.

Mais enfin, ça va.

(long silence)

Nous sommes en pleine transition – pour tout. Et combien de temps cette transition va durer? Je ne sais pas... J’ai l’impression que les choses vont aussi vite qu’elles peuvent aller, que si ça allait plus vite, ça casserait tout.

(long silence)

Et toi?

Moi, j’ai l’impression d’assister à un étalage du subconscient et de la nature inférieure...

(Mère confirme de la tête)

Terrible.

Oui, ça résiste autant que ça peut.

Oh! mais c’est terrible, douce Mère! on a l’impression d’une puissance en soi qui n’écoute rien, sur laquelle on n’a aucune prise, qui se moque de tout, qui est simplement orientée dans son sens destructeur – parce que c’est vraiment une puissance de destruction –, et qui se moque de tout: rien ne compte. C’est quelque chose au fond de l’être qui est prêt à tout – à tuer, à... n’importe quoi.

(Mère approuve de la tête)

Et ça a un pouvoir en soi: on peut lui dire, on peut le menacer, on peut le prévenir: «Si tu fais ceci, il t’arrivera ça» – il s’en fiche complètement.

(Mère approuve de la tête)

On a l’impression qu’on est là devant quelque chose... On ne sait pas quoi faire, on ne sait pas ce qui peut guérir ça, ou arracher ça.

Oh! ça ne peut pas sortir du monde. N’est-ce pas, c’est cela: il faut que ce soit à l’endroit où ce sera FORCÉMENT transformé, nécessairement transformé.

Oui, mais où... où est l’endroit?

Ah! voilà... Nous ne savons pas. Si nous pouvons devenir des instruments transparents – nous avons des tas d’opacités! c’est cela qui est terrible, ces opacités. Si nous pouvions être comme un... quelque chose comme un phare du Divin qui brillerait constamment et que rien ne pourrait voiler – c’est le seul moyen. Être comme le phare projetant le Divin sur le monde. Il est là, mais le monde ne... comme tu dis, ne le voit pas, ne s’en soucie pas. Il faudrait en faire un phare éblouissant que l’on est obligé, contraint de subir.

Mais est-ce qu’il y a un point, LA, qui puisse entendre raison?

Ah! oui – tout est divin. Ça, il n’y a que le Divin. Mais qui s’est séparé en opposés; et c’est l’extrême opposé qui peut être touché, vaincu, si on le transformait par l’extrême divin – ce ne sont pas les moyens termes qui peuvent servir. C’est l’extrême divin qui pourra transformer l’extrême obscur: absorber (geste de prendre en soi), absorber et annuler l’obscurité. C’est en l’absorbant qu’il peut annuler son action.

Mais il faut une puissance formidable.

Oui.

C’est surtout une puissance d’endurance. Ce qui est le plus important, c’est une puissance d’endurance que rien-rien ne peut secouer.

(long silence)

Quand on regarde cela de près, c’est réellement une force de destruction, parce que si l’on dit à ce point-là: «Mais si tu vas dans ce sens-là, tu vas mourir, c’est ta perte» – ça lui est tout à fait égal,

(Mère approuve de la tête)

Tout à fait.

Oui.

On lui dira: «Tu vas attraper un cancer, tu vas...» Il s’en fiche, rien ne compte – rien.

(Mère hoche la tête)

C’est vraiment quelque chose qui veut votre perte – qui veut LA perte.

(après un silence)

Oui, mais c’est en soi-même le pire mensonge, parce que c’est impossible – c’est impossible: le monde ne peut pas disparaître, n’est-ce pas. Par conséquent, en soi-même, c’est l’incarnation du Mensonge.

(très long silence Mère regarde)

Ça vient comme cela (geste de martèlement): la seule solution, c’est le UN – il y a une Unité. Toujours, la seule solution, c’est l’Unité. C’est une espèce d’incapacité de voir que tout ce que nous appelons «mensonge», c’est la même Chose, c’est nous qui le voyons mal. Et ça, naturellement, ça a l’air tout à fait imbécile, et pourtant c’est cela: UN – UN-UN-UN... (même geste de martèlement)

(silence)

La solution est dans la capacité d’unification. Mais comment?... (Mère hoche la tête)

(long silence)

Tu sais, la création est le résultat de la division; mais il faut que cette création devienne l’Unité pour redevenir divine. Maintenant, ça a l’air d’un absolu non-sens, et c’est pourtant ça... La création est le résultat de la division (ou du moins, plutôt, pour être plus exact, c’est la division qui est devenue le résultat de la création), et alors il faut que ce soit... C’est seulement l’Unité qui peut réparer – comment réparer? Je ne sais pas.

Mais ça, on comprend bien, par éclairs, que quand on est en présence de ce... ce Noir-là, cette obscurité et ce mensonge, ce n’est pas définitivement pour nous perdre, mais pour nous entraîner vers quelque chose d’autre.

Oui-oui. Oui.

Ça, on le comprend par éclairs; c’est pour nous entraîner vers un point de lumière plus fort.

Oui.

Mais le passage, c’est pas drôle.1

(Mère secoue la tête, longue concentration, Mère prend les mains du disciple)

24 mars 1971

(Autre signe des temps: le disciple-postier de l’Ashram refuse de mettre des timbres sur les lettres de Satprem – pourquoi? nous n’en savons rien. À cette époque, nous donnions tout notre argent à Mère et ne possédions rien personnellement. Mère est donc obligée de signer une note de sa main afin que nos lettres soient timbrées. Puis elle reste très intériorisée durant toute l’entrevue. C’était la même chose le 20 mars, lors de la dernière entrevue; ce jour-là, elle nous avait donné le premier exemplaire de La Genèse, puis avait plongé tout le reste du temps.)

Qu’est-ce que tu dis?

(Mère secoue la tête négativement et plonge)

Rien à dire. Tu as des questions à poser?

Je n’ai pas de questions. J’aurais plutôt des souhaits...

La situation est très difficile. Je préfère ne pas parler.

(Mère replonge)

27 mars 1971

(Mère reste très intériorisée. On a l’impression d’une passivité totale dans une action formidable. On est comme dans un bain de puissance presque écrasante.)

Tiens!

(Mère tient sur ses genoux une pleine page de journal)

C’est l’introduction de ton livre... en Amérique.

C’est dans l’«Ulster County».

(Mère sourit et plonge)

Tu n’as rien?

Quand on regarde les événements du monde1, et même les événements dans les consciences individuelles, on a de plus en plus l’impression qu’il y a un changement radical...

(Mère approuve vivement de la tête)

Ce n’est plus le Mensonge qui attaque la Vérité, c’est la Vérité qui attaque le Mensonge.

(Mère fait oui de la tête puis plonge longtemps)

Est-ce que ce n’est pas le prélude de la réunion de l’Inde?

Oui.

(Mère replonge)

Au dernier Darshan [de février), quelqu’un a eu une vision – c’est G, d’ailleurs.

Ah!

Pendant que tu étais là, il a vu ton corps comme d’habitude, mais tout d’un coup, tu avais des bras... formidables, immenses, qui étaient ouverts comme cela, des bras fantastiques, et alors, il y avait ici, en bas, tout près, ceux de l’Ashram, et derrière, comme des foules et des foules et des foules... qui venaient dans ces bras. Comme si c’était toute l’humanité qui, de loin, venait, s’approchait.

(Mère hoche la tête et plonge)

31 mars 1971

Il y a longtemps que tu n’as pas parlé de Sri Aurobindo.

Moi, je n’ai rien à dire.

Et Sri Aurobindo, est-ce qu’il dit quelque chose?

(après un silence)

Il est très occupé de... (geste vers le Nord) de tout ce qui se passe dans le pays.

C’est sérieux, n’est-ce pas.

Mais qu’est-ce que l’Inde attend?

Attend pour quoi?

Eh bien, pour reconnaître ce pays.1

Ah! elle l’a reconnu.

Non, douce Mère, elle ne l’a pas reconnu.

Ils m’ont dit...

Elle a dit sa «sympathie», c’est tout. Mais elle n’a pas reconnu.

Aujourd’hui, j’ai reçu des nouvelles du gouvernement. Ils m’ont dit qu’ils allaient s’entendre avec l’Amérique pour faire une reconnaissance officielle.2

Bon... Oui, il est temps.

(silence)

Mais elle ne devrait pas avoir besoin de l’Amérique pour faire cela!

C’est contre la Chine, n’est-ce pas. La Chine est le seul pays qui soutienne le Pakistan.3

Je crois que le monde entier attend que l’Inde reconnaisse le Bangladesh pour suivre le mouvement – ils attendent cela.

Pas tout à fait – ils se sont tous prononcés.4

(silence)

Parce qu’il y a beaucoup de morts, là-bas.

Oh!... (Mère a un geste d’horreur) effroyable.

Oui.

C’est un massacre.

Oui. Alors, chaque jour, ils envoient des troupes [le Pakistan-Ouest] et ils envoient des tanks et des avions... Il me semble que... Je ne sais pas... il n’y a pas de temps à perdre.

(silence)

C’est l’Inde qui devrait avoir le courage d’intervenir, douce Mère.

(Mère plonge profondément, puis longtemps après, a un geste comme pour dire «Quoi faire?» et replonge)

Ce matin même, ils m’ont demandé ce qu’il fallait faire, mais ils ne font... Ils demandent, mais ils ne font que ce qu’ils pensent.

On verra... Moi, je n’ai qu’un moyen, n’est-ce pas, c’est... (geste de pousser la Force sur le monde). Tout ce que je peux faire (même geste), c’est faire une pression avec la Force.

avril




1er avril 1971

(Ce jour, Mère a donné le message suivant à l’occasion de l’ouverture de la saison des sports.)

«Nous sommes à l’une de ces “Heures de Dieu” où la base tout entière est ébranlée et il y a une grande confusion. Mais c’est une merveilleuse occasion pour ceux qui veulent faire un bond en avant, les possibilités de progrès sont exceptionnelles.

«Ne serez-vous pas de ceux qui profitent de l’occasion?

«À l’aide de l’éducation physique, préparez votre corps à ce merveilleux changement.»

3 avril 1971

(Autre signe des temps. À propos de l’une des Imprimeries de l’Ashram qui s’apprêtait, malgré les instructions de Mère, à vendre frauduleusement en Europe et au Canada une édition bon marché de «La Genèse», alors que les droits de ce livre sont déjà réservés. Cette édition bon marché était exclusivement destinée à l’Inde. Le disciple proteste surtout contre la couverture et la présentation qui sont évidemment faites pour gagner autant d’argent que possible à peu de frais. Mère a le visage gonflé, les yeux aussi.)

Je suis dégoûtée, je ne peux pas avoir confiance!

Ils vendent des livres comme on vendrait de la margarine ou des cacahuètes.

Quand quelqu’un ment comme cela, c’est fini. Je ne peux plus avoir confiance. Il faut avoir une cuirasse pour mentir devant moi.

Je peux dire d’arrêter tout.

Non, douce Mère, si c’est pour la présentation, les gens n’y verront que du feu.

Ça, c’est sûr!

Alors, je vais en parler à M [le directeur de cette Imprimerie], ou tu lui en parleras?

Je peux lui en parler, mais c’est bien si tu le lui dis.

Je lui dirai de toutes façons.

Enfin...

(Mère soupire et plonge)

7 avril 1971

Il faudrait un message pour le Darshan du 24...

(après un silence)

Je ne sais pas si c’est bon... C’est mon expérience de ces jours-ci:

(Mère écrit les yeux fermés)

L’aveuglement humain est tel que beaucoup d’hommes espèrent atteindre la Vérité tout en gardant l’habitude de mentir.

Au moins quatre ou cinq personnes autour de moi, qui mentent – qui me mentent!

Ces jours-ci. Je mets ça?... Tu n’es pas content!

Si-si! j’approuve tout à fait... Parce que le Mensonge a beaucoup d’étages.1

En tout cas, je dis «l’habitude de mentir», je ne dis pas «le Mensonge».

Oui, douce Mère, je sais bien, c’est pour moi que je disais cela!

(Mère rit) Ce que je dis là, c’est tout à fait, tout à fait en bas: ils me disent des mensonges pour me faire faire certaines choses. Ces jours-ci. Et c’est tellement spontané qu’ils ne réfléchissent même pas que je vais le savoir.

La première histoire était celle de M.2

Si je donne ce message, ils penseront: «Oh! bien, s’il y en a «beaucoup», ça ne fait rien!...» (rires) Ils tournent toujours les choses comme cela!

Je pourrais le mettre d’une autre façon:

Il est impératif de ne pas dire de mensonges quand on aspire à la Vérité.

Les gens diront: «Oh! c’est bien entendu.»

Ce n’est pas si entendu, oui!

Mais ils le font tout de même.

On peut mettre:

Est-il nécessaire de dire que lorsqu’on est un aspirant à la Vérité, il est indispensable de ne pas dire de mensonges.3

Ce sont les mensonges de la nature inférieure qui sont difficiles à... dissoudre.

(Mère hoche la tête) Oui, mais ça, ce n’est pas «dire un mensonge».

Les mensonges sont toujours le signe d’un manque de courage. On ne fait pas face à la situation telle qu’elle est.

(Mère plonge, longue contemplation)

Rien à demander?

(Sujata glisse un billet à Satprem: «L’Inde marche?»)

Qu’est-ce que l’Inde fait, douce Mère?

J’ai reçu des nouvelles d’Indira, qui m’a dit que l’on envoie toute l’aide que l’on peut là-bas [au Bangladesh]. Ils prennent une position très positive. Mais elle dit que comme résultat, probablement il va y avoir la guerre avec le Pakistan, et peut-être même avec la Chine – ils s’attendent à cela.

C’est bien! – Que le Mensonge éclate!

Tu sais qu’ils m’avaient demandé mon avis? Et je leur avais dit qu’il fallait aider d’urgence4 (cette lettre a été portée chez elle). Et on m’a rapporté la réponse. Elle a dit que c’était entendu, qu’ils le faisaient déjà: même des services médicaux, tout. On envoie tout. Mais le Pakistan de l’Ouest a écrit à la Russie... (Mère cherche à se rappeler). Ils sont fâchés [la Russie?] parce qu’ils avaient donné le conseil de ne pas faire la guerre, et qu’on ne l’a pas suivi. Et alors, ils ont dit [les Pakistanais]: et maintenant nous donnons à l’Inde le conseil de ne pas aider parce que... ce serait la guerre. Et la Russie a informé l’Inde. Et la Chine a pris position clairement pour le Pakistan.

Alors, cela peut devenir très vilain.

Il faut que ça se liquide, douce Mère.

Et l’Angleterre et l’Amérique sont encore comme cela (geste vacillant).

Pour eux, c’est une «affaire intérieure» du Pakistan!

Oui.

Mais il me semble qu’ils tardent dans l’Inde à prendre une position effective pour reconnaître ce pays.

Oh! c’est ces jours-ci. Il y a déjà deux ou trois jours...

???... Je parle de la reconnaissance officielle du gouvernement du Bangladesh.

Il n’y a pas de gouvernement.

Si, ils ont dit qu’il y avait un gouvernement – un gouvernement provisoire.

Quand l’ont-ils dit?

Il y a déjà au moins cinq ou six jours.

Oui, mais le monsieur [Sheikh Mujibur] est fait prisonnier – et torturé par-dessus le marché, pour lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire.5

C’est horrible, mon petit!

Oui, oui.

(silence)

Mais j’ai l’impression que plus l’Inde reculera ou tergiversera, plus la situation sera difficile pour elle.

Ah! mais c’est fini, elle ne tergiverse plus.

Oui, sauf qu’elle ne veut pas reconnaître officiellement le gouvernement du Bengale.

Si.

!??

Ils ont même aidé à le former.

!??

C’était ces jours-ci – les nouvelles ne sont pas sorties encore. J’ai des nouvelles qui ne sont pas sorties.

(silence)

C’est beaucoup plus grave que cela n’en a l’air.

Oui, douce Mère.

(silence)

Mais, douce Mère, j’ai l’impression que l’Inde est le symbole de la bataille du monde et que la nouvelle Conscience ne peut pas s’instaurer dans le monde tant que l’Inde n’aura pas retrouvé son unité.

Oui.

(silence)

Il est évident que le symbole du Nouveau Monde qui est en train de se faire, c’est l’Inde, et que l’Inde doit être «une», symboliquement, pour que ce Nouveau Monde puisse se faire...

Oui.

Par conséquent, il faut que le Pakistan disparaisse.6

Mais oui!

Ça, il n’y a aucun doute. Eh bien, ce doit être l’heure.

Mais ils ont manqué l’occasion déjà.7

Ils ont déjà manqué l’occasion, oui. Mais c’est maintenant... il ne faut pas la manquer.

(silence)

Mais l’Inde elle-même est divisée.

Divisée?

Oui, en Orissa, par exemple. Il y a une grande partie de l’Orissa qui est entièrement sous l’influence de Sri Aurobindo, et il y en a une autre qui se révolte... N.S. a des ennemis acharnés là-bas. Elle a été nomée là-bas [aux élections], et elle a des ennemis acharnés – l’Inde elle-même est divisée.

(silence)

C’est sérieux.8

Il faudrait une foi si ardente... mais... (geste qui s’effrite entre les doigts).

Tu comprends, la Force agit tellement... Des mensonges qui se faisaient depuis des années, c’est devenu visible ici aussi – le mélange est partout.

Il faudrait... n’est-ce pas, il faudrait une force de vérité si grande qu’elle serait capable de submerger ça.

(silence)

Pour moi, la Victoire est certaine, mais je ne sais pas si c’est demain ou... (geste au loin).

Je ne sais pas par quel chemin on passera pour y aller.

La Victoire est certaine, c’est évident, mais par quel chemin va-ton passer?

Et cela dépend beaucoup de notre position individuelle, et c’est cela qu’ils ne comprennent pas. Il faudrait être accroché, tellement accroché à la Vérité, que rien ne puisse vous toucher.

(silence)

Ça revient toujours au même: «Ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu voudras.»

Mais c’est devenu formidable.

Sans date

(Note manuscrite de Mère)

They don’t want a Divine whom they cannot deceive.
Ils ne veulent pas d’un dieu qu’ils ne peuvent pas tromper.

10 avril 1971

J’ai trouvé deux citations pour le Bulletin d’avril...

«L’Inde libre, une et indivisible, telle est la réalisation divine vers laquelle nous nous avançons.»1

avril 1907
Sri Aurobindo

Oh! c’est très bien. C’est de l’actualité.

«La fin d’un stade de l’évolution est généralement marqué par une puissante recrudescence de tout ce qui doit sortir de l’évolution.»2

1909-1910
Sri Aurobindo

C’est tout à fait cela, c’est exactement ce qu’il faut!... Il faut les mettre ensemble.

(Mère plonge)

Il n’y a rien?

Comment vois-tu les choses?

Dangereux.

(Mère replonge)

Il vaut mieux ne rien dire. Je n’aime pas beaucoup parler maintenant.

11 avril 1971

(Le disciple avait donc protesté contre la couverture «nietzschéenne» de «La Genèse» où le «surhomme» s’étalait en énormes caractères, et surtout protesté contre les procédés de vente de cette Imprimerie. Cela a soulevé une tempête. Nous ne savons pas exactement ce qui fut rapporté à Mère, mais elle nous a envoyé un mot sévère. Ce qui nous échappait complètement alors, c’était l’animosité qui régnait contre nous, sans doute parce que nous étions le confident de Mère. Nous vivions complètement à l’écart des combinaisons ashramites et lorsque nous sortions de notre maison, c’était pour être assailli par des visiteurs, ce qui nous valait une autre sorte d’animosité. Par souci d’exactitude et d’intégralité, nous relatons ces faits, car ils sont symptomatiques du tout.)

De Mère à Satprem

Satprem,

Ce matin, j’ai vu B1 qui m’a apporté la lettre que tu as écrite à M2.... Elle m’a fait de la peine parce qu’un «outburst» [éclat] c’était d’un mental excité et qui n’est certes pas l’intelligence lumineuse qui a écrit le livre. J’ai arrangé avec B de te demander un ou deux modèles de couverture que tu trouves convenable pour que je décide finalement.3

Mais la leçon à tirer de tout cela est de rester plus calme pour ne pas perdre le contact avec le Seigneur Suprême,

Malheureusement ma mauvaise vue m’oblige toujours à compter sur des intermédiaires et cela nuit à l’harmonie du fonctionnement.

Avec toute ma tendresse et mes bénédictions

Signé: Mère

14 avril 1971

(À la suite de la dernière lettre de Mère au disciple.)

Mon petit! si je t’ai fait de la peine, je le regrette beaucoup (Mère prend les mains du disciple).

Oh! écoute, douce Mère!

Tu vois, je t’ai parlé comme je me parle à moi-même [la lettre de Mère au disciple], aussi franchement que possible. Mais vraiment, je ne pensais pas que cela te ferait de la peine. Je voyais en toi que tu savais les choses... Dis-moi ce que tu as sur le cœur.

Non, douce Mère, maintenant c’est tout à fait parti. C’est parti. Il y a eu un ou deux jours un peu... difficiles, et puis c’est parti.

(Mère tient serrées les mains du disciple)

Finalement, ce que je regrettais, c’est que cela te prenne tout ce temps et que l’on fasse tant d’histoires pour cela, c’est tout...

Oh! ça, cela ne fait rien.

... Alors qu’il y a des choses bien plus importantes.1

Oh! mon petit, la situation est... terriblement dangereuse.

Oui.

Il n’y a que... C’est seulement en s’accrochant désespérément au Divin – mais au Divin le plus pur et le plus puissant – que l’on peut éviter une... une catastrophe générale. C’est terrible.

C’est l’impression qu’il ne faudrait pas perdre une minute, qu’il faudrait tout le temps, tout le temps, tout le temps s’accrocher au Divin pour l’obliger à descendre ici. Autrement... autrement c’est terrible.

Alors j’ai besoin... j’ai besoin que tous ceux qui m’aiment me comprennent.

Oui, douce Mère, oui.

(silence)

*Oui, en moi-même aussi, j’ai traversé (je n’ose pas parler au passé) une période où il semblait y avoir une désintégration complète.

Oui. Moi aussi.

Un assaut.

Je sais, je sais.

Quelque chose qui veut m’atteindre très...

Je sais, j’étais avec toi jour et nuit, mais d’une façon si concrète, tu ne peux pas t’imaginer.

Tu sais tout ce que j’ai traversé?

Oui, je sais... Je sais... Oublie-le, veux-tu? C’est ce qu’il y a de mieux à faire. C’est une partie de l’être qui doit disparaître – ce n’est pas toi.

Je sais, douce Mère, que ce n’est pas moi. Mais ça a cherché beaucoup à me frapper.

Oui, oui, ça... Je te dis, la nuit, le jour, tout le temps, tout le temps ça venait comme cela... Mais si l’on pouvait – non... pas «si»: on DOIT, on doit changer ça en une grande victoire, petit. Que tout ce qui s’accroche encore en bas, parte – fini, qu’on n’en parle plus.

Oui, douce Mère, je voudrais. Avec ton aide, oui.

C’est comme si... comme si tu montais, comme si tu rejetais une vieille robe et que tu montais tout droit dans la Lumière – je l’ai vu... Je l’ai vu.

(silence Mère garde toujours serrées les mains du disciple)

Justement, cette citation que nous avons mise dans le «Bulletin», c’est tellement vrai!2

Oui. Oui, ça se débat. Tout ce qui doit partir se débat.

Oui, se débat avec férocité.

(silence)

Mais la situation du pays est dangereuse, très dangereuse.

Oui.

La Chine... Il y avait longtemps (longtemps, plus d’une année), j’avais vu cette intention de la Chine. Maintenant, elle a l’occasion.3 Et la Chine, cela veut dire que l’Inde tout entière, brff! (geste de submersion). Non, je te dis, il n’y a que le Divin qui peut sauver. Il faut une intervention divine, elle seule peut sauver – quelque chose d’extraordinaire, d’anormal, d’inattendu. Autrement... autrement...

(long silence)

Vraiment... vraiment cela peut s’exprimer comme cela: seulement la Volonté Divine peut nous sauver – toutes les circonstances sont... (geste, doigts entremêlés). Et alors, il faut... il faut, n’est-ce pas, que nous nous débarrassions de tout ce qui nous accroche encore en bas de façon à être vraiment prêts à recevoir cette Volonté Divine.

Je comprends bien, douce Mère, profondément. Seulement je ne crois qu’en la Grâce, tu comprends – parce que nos propres forces, c’est...

Oui, je sais, mon petit.

(très long silence)

Oh! tu sais, le corps, le corps tout entier vraiment, il veut, il veut la transformation, et il est... Ce monde d’insincérité qu’il y a là-dedans, c’est une chose effrayante – dans les cellules, dans ces... oh!... Et alors, l’urgence, cette urgence – l’urgence POUR cela... effrayant... C’est jour et nuit la volonté, la volonté de devenir... de devenir divin.

(silence)

Ces jours-ci, TOUTES les vieilles notions se sont écroulées, toutes les vieilles réactions se sont écroulées, ça a été... Et alors, et alors quoi? quoi?... C’est cela, n’est-ce pas, il ne reste plus rien, plus rien, plus rien... (geste poings fermés) seulement, seulement une volonté – une volonté, une aspiration, un besoin impérieux: oh! il faut, il faut que le règne du Divin vienne.

(silence)

Avoir le sens de son infériorité et de son incapacité, et dans cette aspiration que seul le Divin existe.

(silence)

Et toi, mon petit, c’est ton destin. C’est ton destin: que tu deviennes conscient et que tu manifestes le Divin – c’est ton destin. Il faut... Moi, je suis pressée parce que je vois que les circonstances deviennent de plus en plus... aiguës – dangereuses. C’est seulement un miracle qui peut nous sauver – c’est-à-dire ce qui est pour nous un miracle: une intervention... une intervention de la Volonté Divine dans sa pureté, sans déformation, sans contradiction, sans obstacle – seulement Ça.

(silence)

Il faut être à notre maximum possible – et c’est encore loin de ce que ça doit être.

(Mère plonge. Longue contemplation qui est comme une prière commune pour la douleur de la terre)

Oh! mon petit...4

(Mère replonge)

17 avril 1971

A. m’a dit qu’il avait beaucoup aimé ton livre.1

Ah! oui, bon!

C’est bien... J’étais contente pour lui! (rires)

Mais tu sais, d’après les premiers échos qui commencent à venir, ça fait comme un schisme, ce livre!

Quoi?

Comme un schisme, oui.

Comment?

Eh bien, il semble y avoir toute une partie de gens jeunes, ouverts et enthousiastes qui voient la Possibilité nouvelle, et puis il semble qu’il y ait une autre «école», qui a fait beaucoup de tapasyâ [austérités] et qui croit beaucoup en la vertu de toutes sortes de disciplines, et qui dit: «Mais non! ce n’est pas possible que ce soit comme cela!»

Aah!

Des gens qui croient en la vertu de la méditation, de la tapasyâ, des disciplines, etc., et puis «il faut faire beaucoup d’efforts» – alors, plus ils ont fait d’efforts, plus ils sont scandalisés par lïMédiateté de la Chose!

(Mère rit) Mais il est beaucoup plus difficile de faire ce que tu dis!2

Oui, en fait.

(Mère rit) Beaucoup plus difficile... Cela veut dire qu’ils ne comprennent pas.

C’est cela, exactement.

Ils ne voient que les mots.

Mais malheureusement, j’ai eu ce genre de réaction chez T, par exemple [la traductrice d’anglais].

Oui, oui.

Alors, cela m’ennuie parce que je me demande ce que vaut sa traduction.

Elle ne t’a pas dit ce que je lui ai écrit?

Non, douce Mère.

Ah!... elle m’avait écrit qu’il y avait des passages qu’elle n’aimait pas dans ton livre...

Oui, elle m’a dit «répulsive» [répugnant].

Alors, je lui ai dit: «Écris-les moi, ces passages.» Et il y en avait un justement qui était celui que j’aimais le mieux! (rires)

Alors je lui ai dit: «Je suis désolée, mais je suis obligée de te dire que tu n’as pas compris ce livre...» Elle ne m’a jamais répondu.

Oui, elle m’a écrit aussi.

Elle t’a dit ce que je lui avais dit?

Non-non, douce Mère! mais elle m’a dit qu’il n’y avait pas la «Présence» dans ce livre.

Pas?

La Présence.

Mais ce n’est pas vrai!3

Mais enfin, cela m’ennuie du point de vue de la traduction.

Oui, mais sa traduction ne peut pas être bonne... Il faudra en faire une autre.

Mais elle m’avait envoyé un passage de ton livre en supprimant une partie de la phrase, ce qui fait que cela voulait dire tout le contraire de ce que ça dit... Alors j’ai compris qu’il y a une... (geste de torsion)

Oui, ils coupent toujours les choses.

Et comment peut-elle traduire dans ce cas-là?

Oui, cela m’ennuie. Elle m’a soumis sa traduction, alors je peux lui dire: «Tel mot n’est pas juste; là il y a un contresens», mais c’est tout ce que je peux faire – il ne suffit pas que les mots y soient, il faut qu’il y ait quelque chose d’autre.

Ah! oui.

Et je ne sais pas s’il y a le «quelque chose d’autre».

A. savait très bien l’anglais, il pourrait lire peut-être, et te dire.

(silence)

Mais elle ne m’a rien répondu [à la lettre de Mère]. Elle doit penser que je suis ramollie!

Ah! non! je ne crois pas, douce Mère.

Ils sont... les trois quarts pensent comme cela, mon petit.

Non, douce Mère, non.

Parce que je ne peux pas faire comme eux, que je ne vois plus très clair et que j’entends mal, alors je dois être absolument abrutie.

Non-non, douce Mère! Vraiment je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup.

Ça ne fait rien! (Mère rit, moqueuse)

(silence)

Mais si l’on veut faire une autre traduction anglaise, il faut que ce soit quelqu’un qui n’est pas ici.

Pas ici?

Oui, parce que ça lui ferait de la peine.

(long silence Mère plonge)

Tu as quelque chose à dire?

Oui, à un autre sujet tout à fait... Au sujet des événements.

Oh!...

Pour cet «Agenda» où l’on garde note de tout ce qui se fait, j’ai pensé qu’il serait bon de noter, si tu le veux bien, ce que tu as écrit à Indira exactement. On dit que tu lui as dit d’intervenir [au Bangladesh], mais... Qu’est-ce que tu lui as écrit exactement?

Je ne me souviens pas... Je lui ai écrit deux notes, une le 3 et une le 4 – je sais que c’était le 4 parce que c’était le jour d’arrivée de Sri Aurobindo ici. Mais ce qu’il y avait sur ces notes... À moins qu’on n’en ait gardé une copie?...

(l’assistante de Mère cherche)

On dirait qu’on est en train de laisser écraser ce pays sans rien faire.

Non. Il y a déjà (je ne me souviens plus) trois ou quatre pays qui l’ont reconnu.

Mais non, douce Mère, personne!

On me l’a dit ce matin.

Personne, douce Mère! Personne.

Si, on me l’a dit ce matin.

Les gens du Bangla ont envoyé des délégués pour essayer d’obtenir la reconnaissance, mais jusqu’à présent...

Mais oui. Ils ont travaillé. Il y a déjà trois pays qui ont reconnu.

Mais non, douce Mère, je t’assure!... À moins que ce ne soient des nouvelles secrètes, personne n’a reconnu le Bengale.

Mais les nouvelles que l’on a ne sont pas du tout complètes... Mais enfin je n’en sais rien.

D’après les nouvelles, les troupes du Pakistan sont en train de reprendre possession des villes, et non seulement cela mais de sceller la frontière avec l’Inde, si bien que même l’aide secrète que l’on pouvait donner ne pourra plus passer.

D’où as-tu ces nouvelles?

Eh bien, ce sont les nouvelles officielles.

(long silence l’assistante apporte la note de Mère)

Tu as écrit: «The urgent recognition of Bangla-Desh is imperative.» [La reconnaissance du Bangla-Desh est urgente et impérieuse.)

Oui, «the urgent recognition...» [reconnaître d’urgence]. C’est la seconde note, c’est celle du "The urgent recognition of Bangla-Desh is imperative."4

Eh bien, ils ne t’ont pas écoutée! On ne t’écoute pas.

On m’avait dit que c’était fait.

Mais non, douce Mère, ce n’est pas fait du tout!

Et qu’il y a même un gouvernement formé et tout.

Ah! ça, oui. Au Bangladesh, ils ont formé un gouvernement provisoire, mais on ne les a pas reconnus.

(silence)

Et alors, plus on tarde, plus il devient impossible d’intervenir.

(après un silence)

Mais les nouvelles qui viennent de là sont très contradictoires. J’ai des nouvelles par Surendra Mohan [un conseiller d’Indira] qui travaille activement...

Alors, c’est une reconnaissance secrète, parce que, officiellement, ce n’est pas reconnu du tout.5

(silence)

En tout cas, le fait est que les troupes du Pakistan regagnent du terrain et qu’ils sont en train d’essayer d’établir un pseudogouvernement provisoire sous leurs ordres. C’est ce qu’ils font. Un gouvernement de traîtres, tu comprends, comme Pétain.

(Mère plonge longtemps puis lève les mains)

Je ne sais pas (voix triste).

(Mère replonge)

La vérité doit être tout autre, j’en suis sûre – ni ce que les uns disent, ni ce que les autres disent. Mais ce qu’elle est?...6

(silence)

En tout cas, il y a une chose beaucoup plus dangereuse encore, c’est qu’il va y avoir la famine.

Oui, douce Mère.

Et Surendra Mohan va essayer de faire venir toutes les provisions nécessaires d’Amérique.

Oui, mais ce sont les bateaux pakistanais qui sont là et qui prennent tout pour eux.

Il faudrait que ça vienne de l’Inde.

Mais ils sont en train de fermer les frontières!... Douce Mère, le fait est que l’on ne t’a pas écoutée et qu’ils ont perdu l’occasion – ils sont en train de la perdre!

(Mère plonge puis prend les mains du disciple d’un air las)


ADDENDUM

«Le schisme»

Le disciple avait donc reçu une lettre enthousiaste d’un lecteur de «La Genèse», qui lui disait ceci:

«Jusqu’en l’an de grâce 1969 [la descente de la Nouvelle Conscience], toutes les philosophies, toutes les religions, tous les “ismes”, toutes les spiritualités ne sont que des produits raffinés du “cercle mental” [selon La Genèse]. Toutes les expériences ne sont que des «plans supérieurs du mental». Ces «pics de l’Esprit» ne sont que des «paroxysmes de moi», p. 61; “nous devons nous désencombrer des sagesses du passé, des ascensions du passé, des illuminations du passé et de tout le tintamarre des vieilles saintetés de l’Esprit”, p. 29, etc. Bref, tout ce qui s’est passé avant 1969 est une sublimation de la “vieille peau”, p. 28. C’est très clair. Ce Secret, certains l’ont touché: les rishis, les Égyptiens – le lecteur comprend qu’ils en ont eu l’intuition et non pas l’expérience. Il en est de même pour Sri Aurobindo qui Va “annoncé”, mais pourtant son yoga continuait le raffinement de la “bulle mentale»; le lecteur comprend donc qu’il ne connaissait pas la clef de ce yoga du surhomme et qu’en attendant, il enseignait le yoga intégral...»

L’aberration de ce lecteur enthousiaste est comme une démonstration à l’envers de ce que les «orthodoxes» reprochaient précisément à «La Genèse», c’est-à-dire d’avoir trahi Sri Aurobindo. Derrière ce prétendu «schisme», se cachaient, d’une part, ceux qui voulaient séparer Mère et Sri Aurobindo et trouvaient plus commode de philosopher que de faire concrètement le yoga, et d’autre part, à Vautre pôle, ceux qui trouvaient plus commode d’abandonner toutes les disciplines spirituelles pour vivre selon leur fantaisie. Deux pôles d’une même aberration. Voici donc la lettre que nous avons répondue à ce lecteur enthousiaste:

Pondichéry, le 6 avril 1971

Vous avez un fameux toupet de dire que Sri Aurobindo n’avait pas la clef du yoga du surhomme et que son yoga intégral était un raffinement de la bulle mentale! Et où donc ai-je appris ce que j’écris, sinon de Mère et de Sri Aurobindo? Vous oubliez que c’est grâce à lui que ce yoga du surhomme est possible, que c’est lui qui l’a préparé, lui qui a fait descendre le grand flot de la Nouvelle Conscience afin que, au lieu de chercher là-haut la divine Vérité, les hommes puissent la vivre ici-bas et marcher dedans à chaque pas. Autant dire que Sri Aurobindo n’avait pas la clef de la porte qu’il a ouverte!

Son yoga est intégral parce que, au lieu de confiner la quête sur les hauteurs spirituelles, il nous a dit et répété qu’il fallait y mettre son corps aussi et faire descendre, dans son corps et dans sa vie, la Vérité spirituelle. La voie de l’ascension et tous les autres chemins, les autres plans de conscience, font partie d’un développement intégral – pour ceux qui ont le temps et les capacités spéciales que cela exige. Mais l’heure n’est plus à ces excursions, puisque tout peut être trouvé ici – puisque, justement, Sri Aurobindo et Mère ont ouvert ce chemin d’ici. Rappelez-vous, je vous prie, la déclaration de Mère: «Sri Aurobindo est venu nous dire: il n’est pas nécessaire de quitter la terre pour trouver la Vérité, il n’est pas nécessaire de quitter la vie pour trouver son âme, il n’est pas nécessaire d’abandonner le monde ni d’avoir des croyances limitées pour entrer en relation avec le Divin. Le Divin est partout, en toutes choses, et s’il est caché, c’est que nous ne nous donnons pas la peine de le découvrir.» (Entretiens, 13.8.1958) Et encore ceci: «La vie spirituelle, pour beaucoup, c’est la méditation. Tant que cette sottise ne sera pas déracinée de la conscience humaine, la force supramentale éprouvera toujours une difficulté considérable à ne pas être engloutie dans l’obscurité d’une pensée humaine qui ne comprend rien.» (Entretiens, 17.4.1957) Et si vous savez lire Sri Aurobindo et Mère, vous verrez qu’ils ont parfaitement décrits ce chemin d’ici et cette voie ensoleillée – la Genèse ne fait que mettre l’accent volontairement exclusif sur cet «ici», parce qu’il n’y a pas de temps à perdre, parce que tout le monde n’a pas les capacités spéciales pour faire des explorations en grand, parce que, enfin, nous sommes à l’Heure de Dieu – nous y sommes! C’est là. Parce que, vraiment, il y a quelque chose de changé dans le monde depuis 1969.

Ce n’est pas le yoga de Sri Aurobindo qui est changé, c’est le yoga de Sri Aurobindo qui est en fleurs, si j’ose dire. Je ne pense pas que la fleur du flamboyant soit le contraire de l’arbre du flamboyant?

Maintenant, vous faites une confusion complète entre le psychique et le spirituel. Le psychique, l’âme, le Feu dedans, Agni, n’appartient pas à la «bulle mentale» ni à aucune bulle: c’est le Divin dans la matière. C’est ce petit Feu-là qui ouvre la porte du grand Feu solaire de la Nouvelle Conscience. C’est lui, l’instrument du yoga du surhomme (quand je parle de ces gens qui tournent leur «bouton psychique», je prends ici ce mot au sens vulgaire et ridicule que les hommes lui donnent généralement quand ils cherchent des expériences visionnaires et occultes – pas au sens vrai). D’autres, à tous les âges, ont eu l’expérience du psychique, de ce Feu intérieur, mais à part les Rishis, nul ne s’en est servi pour transformer la matière; les religions en ont fait une histoire purement dévotionnelle et «mystique». Quant au «spirituel», il comprend tous les plans de conscience au-dessus du mental ordinaire. C’est la voie de l’ascension. Et c’est là que je dis et répète avec force, et par expérience, que ces grandes Expériences, dont on a fait des sommets spirituels, se situent dans la bulle mentale (y compris le surmental): ce sont des sommets raréfiés où l’être se dilue dans une merveilleuse blancheur, immense, royale, sans un souffle de trouble, dans une paix éternelle – qui peut durer des millénaires sans que cela change un iota au monde, par définition. Mais le spirituel n’est pas le supramental, et quand on touche au supramental, on dirait presque que c’est un tout autre Esprit tellement c’est dense, chaud, puissant, présent, incarné, et radieuse-ment solide en pleine rue. C’est cette Radiance-là que Sri Aurobindo et Mère sont venus tirer sur la terre – ils n’ont pas cessé de dire que leur yoga était nouveau, nouveau, nouveau –, et c’est par notre simple petit feu dedans que nous pouvons entrer en contact direct avec Ça, sans nous asseoir en lotus et sans quitter la vie. Quand on a touché Ça, les «hauteurs spirituelles» paraissent pâles. C’est tout ce que j’ai à dire. Alors il n’est pas du tout besoin d’être un super-yogi pour entrer en contact, et ceux qui ont trouvé le nirvana ou que sais-je ne sont pas avancés d’un centimètre pour toucher Ça, parce que le fil conducteur de Ça n’est pas du tout là-haut ni en dehors, mais dans votre propre petite capacité de flamme.

Et si au lieu de couper les cheveux en quatre, vous vous lanciez sur le chemin, avec feu, vous découvririez peut-être que nous sommes à l’Heure de Dieu, en effet, et qu’une seule étincelle d’effort sincère, à votre niveau, ouvre des portes qui ont été fermées pendant des millénaires.

Satprem

P.S. Pour que vous sachiez lire Mère, je vous envoie ci-joint deux textes d’Elle.


«On pourrait dire qu’il est beaucoup plus difficile de passer de la vie mentale à la vie supramentale que de passer d’une certaine émotion psychique dans la vie – quelque chose qui est comme une réflexion, une émanation lumineuse de la Présence divine dans la matière – à la conscience supramentale; il est beaucoup plus facile de passer de cela à la conscience supramentale que de la spéculation intellectuelle la plus haute à toute vibration supramentale. Peut-être est-ce le mot qui nous trompe! Peut-être est-ce parce que nous appelons cela le “supramental”, que nous nous attendons à y arriver par une activité mentale intellectuelle supérieure, mais le fait est très différent. On semble aller, par cette activité intellectuelle très haute, très pure, très noble, vers une sorte d’abstraction froide et sans pouvoir, une lumière glacée qui est certainement très loin de la vie, et encore plus loin de l’expérience de la réalité supramentale.

«Il y a, dans cette nouvelle substance qui se répand et agit dans le monde, une chaleur, une puissance, une joie si intense, que toute activité intellectuelle paraît froide et sèche à côté. Et c’est pourquoi, moins on parle de ces choses, mieux cela vaut. Un seul instant, un seul élan d’amour profond et vrai, une seule minute de communion profonde dans la Grâce divine, vous mène beaucoup plus près du but que toutes les explications possibles.»

(Entretiens, 14.5.1958)


«Il y a, dans l’autre hémisphère, une intensité et une plénitude qui se traduisent par un pouvoir différent de celui d’ici. Comment exprimer? – on ne peut pas. Il semblerait que la qualité de la conscience elle-même change. Ce n’est pas quelque chose qui est plus haut que le sommet auquel nous pouvons atteindre ici, ce n’est pas un échelon de plus: nous sommes au bout ici, au sommet... C’est la qualité qui est différente, la qualité en ce sens qu’il y a une plénitude, une richesse, une puissance – ceci est une traduction n’est-ce pas, à notre manière –, mais il y a un “quelque chose” qui nous échappe... c’est vraiment un nouveau renversement de conscience.

«Quand nous commençons à vivre la vie spirituelle, il se produit un renversement de conscience qui est pour nous la preuve que nous sommes entrés dans la vie spirituelle; eh bien, il se produit un autre renversement de conscience quand on entre dans le monde supramental.

«D’ailleurs, peut-être que chaque fois qu’un monde nouveau s’ouvrira, il y aura encore un nouveau renversement de ce genre.

«C’est comme si toute notre vie spirituelle était faite d’argent, tandis que la supramentale est faite d’or, comme si toute la vie spirituelle d’ici était une vibration d’argent, pas froide mais simplement une lumière, une lumière qui va jusqu’au sommet, une lumière tout à fait pure – pure et intense –, mais il y a dans l’autre, la supramentale, une richesse et une puissance qui font toute la différence. Toute cette vie spirituelle de l’être psychique et de toute notre conscience actuelle, qui paraît si chaude, si pleine, si merveilleuse, si lumineuse à la conscience ordinaire, eh bien, toute cette splendeur paraît pauvre par rapport à la splendeur du monde nouveau.

«On peut très bien expliquer le phénomène de cette façon: des renversements successifs qui feront qu’une richesse de création toujours nouvelle se produira d’étape en étape et que tout ce qui précède paraîtra une pauvreté en comparaison. Ce qui, pour nous, par rapport à notre vie ordinaire, est une suprême richesse, paraît une pauvreté par rapport à ce nouveau renversement de conscience.»

(Agenda I du 15 novembre 1958, pp. 236-237)

21 avril 1971

J’ai reçu des nouvelles de mon ami à Paris qui s’est occupé d’éditer «L’Orpailleur» et «L’Aventure de la Conscience». Et alors, je lui avais parlé du «Sannyasin», ou plutôt des difficultés du «Sannyasin», et puis de «La Genèse»...

La Genèse du Surhomme, c’est celui-là qui est important.

Mon ami pense qu’il faut offrir les deux en bloc.

Mais La Genèse du Surhomme est comme cela (geste en haut) par rapport au Sannyasin.

Ce sont deux modes très différents.

Oh! oui... Pour moi, c’est La Genèse qui est important.

Il ne faudrait pas attirer l’attention sur l’autre et puis que...

Non, ce qui se passera, c’est qu’ils les prendront tous les deux probablement, ou ils les refuseront tous les deux.

Crois-tu?... Il ne faudrait pas qu’ils prennent le Sannyasin et qu’ils laissent l’autre.

Ça, je peux y veiller. Mais je ne crois pas, parce que vraiment la Genèse est beaucoup plus accessible; alors je ne crois pas qu’ils feraient le choix inverse.

Tu sais, il n’y a pas de limites à la stupidité humaine.

D’abord, il faut qu’ils lisent et qu’ils voient.

Je n’aime pas beaucoup que la destinée des deux livres soit mélangée. Tu comprends, j’avais fait une formation spéciale [sur La Genèse], j’avais mis une force spéciale, mais c’était sur celui-là.

Je peux le lui dire, ce n’est pas difficile.

Il vaudrait mieux que tu le lui dises.

Je vais lui écrire. Mais je ne crois pas qu’il y ait de danger d’aucune sorte.

(Mère fait la moue) On verra.

Mais tu sais (c’est un aparté), il n’est pas si bas que ça le Sannyasin.

Mais je n’ai pas dit qu’il était «bas». C’est tout à fait un autre genre.

Mais au fond, dans La Genèse, il y a l’essence du Sannyasin; tout ce qui est dans le Sannyasin, est dans La Genèse. La Genèse, c’est simplement concentré et dit avec une force, mais dans le Sannyasin tout est là aussi.

(Mère hoche la tête)

Le Sannyasin, c’est l’«histoire» de La Genèse.

Mais c’est pour cela, mon petit! c’est justement pour cela! Je pense que les hommes aiment les choses plus faciles.

Mais l’expérience a montré qu’ils ne comprennent rien à mon histoire, tandis que La Genèse, ils la comprendront.

Tu crois?

Oui, mon histoire, ils ne la comprennent pas. Il y a quatre éditeurs qui l’ont lue et les quatre ont dit que c’était incompréhensible.

(Mère est rassurée)

Alors je ne crois pas qu’il y ait de danger! [avec un peu d’amertume]

Alors, ça va bien.


(Peu après. À propos d’un jeune Français qui vient d’arriver à Pondichéry.)

J’ai vu ce garçon qui est allé deux fois te voir... (Mère fait un geste ténu entre deux doigts.) Très mince. Je ne crois pas qu’il ait beaucoup de force, mais... Je devais décider s’il rentrerait en France ou s’il allait dans les Himalayas... L’Himalaya est un peu au-dessus de sa force, mais aller en France, il va sombrer.

Sûrement.

Alors, je crois qu’il faut lui donner sa chance, qu’il essaye. S’il ne tient pas le coup, il sera écrasé.

Il vaut mieux être écrasé en cherchant que d’être écrasé en dégringolant!

Ça, c’est NOTRE opinion. Mais les êtres ordinaires... il n’y en a pas deux sur cent qui choisiraient cela. Tu n’imagines pas, oh!... Enfin, il a montré de la bonne volonté, alors on va lui donner sa chance.

Je voulais t’en parler, j’ai dit que je répondrai ce soir.

Entre les deux possibilités, qu’il aille dans l’Himalaya.

Je le lui dirai.

Dis-lui que c’est sa plus haute possibilité qu’on lui donne... Il aura fait dans sa vie son maximum s’il va là.

(long silence)

Je suis tellement une autre personne que je ne me souviens pas de ma vie passée! On m’a posé une question ce matin: je me suis trouvée devant un trou! On me demandait si, la première fois que je suis venue à Pondichéry, j’étais venue par le train ou par le bateau1 (la première fois). La seconde fois, j’ai encore un souvenir [par bateau]. Logiquement, c’est par le train; mais c’est une réponse comme je pourrais la donner pour quelqu’un d’autre.

Une impression de quelque chose qui appartient à quelqu’un d’autre – c’est tout à fait curieux. D’habitude, c’est le corps qui garde la continuité de l’être, mais cette continuité est dans un domaine tellement matériel et tellement superficiel que... (Mère hoche la tête) incroyable. Tout cela me paraît... c’est comme si je parlais de quelqu’un d’autre. C’est curieux. Pas le sens – pas le sens du tout de la personnalité. Quelqu’un dont je connais bien l’histoire, c’est tout. C’est tout à fait curieux. Je ne savais pas que c’était à ce point-là.

28 avril 1971

(À l’occasion de la pose de la première pierre du Matrimandir, le 21 février, le disciple avait écrit une lettre à l’architecte d’Auroville.)

J’ai vu ta lettre (je l’ai vue en anglais), la lettre que tu as écrite à R pour le «Matrimandir»... C’est amusant, c’est bien... Ils ont un bulletin, une «Gazette», ce sera publié là.1

Je suis beaucoup sollicité de toutes sortes de côtés: ou pour dire ou pour agir ou pour commenter ou pour... J’ai l’impression que ce n’est pas bon.

Qu’est-ce que l’on te demande?

Une chose, une autre, un commentaire, une explication, «ce que je pense de...»

Mais ça vient d’Auroville?

Surtout, oui.

Écoute, il y a un groupe à Auroville, de paresseux!

Oh! oui, oh! ça...

Ce sont des gens qui ne veulent pas travailler. Maintenant ils disent que, dans ton livre, pour avoir la vraie conscience, il ne faut pas travailler!

Oui, c’est ça. On m’a dit cela aussi. Ils m’ont dit: «Le travail, ça fait partie du vieux monde»...!

Oui, voilà comment ils comprennent. Alors, quoi faire?... Qu’est-ce que tu leur as répondu?

J’ai parlé à R. Je lui ai dit ce que je pensais. J’ai dit que le travail, c’était le fondement.

Oui.

Que c’était en manipulant la matière que l’on pouvait faire entrer un peu de conscience.

Oui, c’est ça.

Et que s’il n’y a pas de travail, il n’y a pas de transformation.

Oui, c’est exactement ce que je leur ai écrit.2 Il m’a dit: «Ils s’en fichent complètement.»

Oh! ça, oui.

Peut-être qu’ils t’écouteraient si tu leur disais cela?

Si tu veux, je peux l’écrire.

Oui, tu peux l’écrire. Peut-être qu’ils t’écouteraient, parce qu’ils disent cela au nom de ton livre, tu comprends!

Ah! tu sais, on a dit au nom de mon livre que, maintenant, Sri Aurobindo, Mère, c’est du passé, n’est-ce pas, et qu’en quelque sorte mon livre supplante tout ça!

Oui, oh! c’est ça (rire général).

J’en ai entendu dire de toutes sortes.

Ah! c’est ça... (rires)

Alors, devant des choses pareilles, qu’est-ce que je peux dire!?

(Mère rit)

Il y en a même un qui m’a écrit: «Alors, Sri Aurobindo n’avait pas la clef du yoga du surhomme.»

Ah?

Oui, c’est moi qui l’ai donnée, tu comprends.

Bah! bah!

C’est effarant.

(Mère rit) Je crois qu’il n’y a pas de limites à l’imbécillité humaine.

Ah! oui.

(silence)

On ne sait pas quoi faire ni quoi dire parce que c’est...

Non, il faut leur dire: vous dites des sottises.

Ah! ça, oui, je le leur ai dit, mais enfin... Je leur ai dit qu’ils avaient un fameux toupet. Et je leur ai demandé: «Mais d’où ai-je appris ce que j’ai écrit!?»

Oui! (Mère rit)

Moi, ils m’en veulent terriblement parce que je leur ai dit: la discipline est indispensable.

Mais oui!

Ça, c’est vieux-jeu.

Mais douce Mère, j’ai dit à R que l’erreur de base dans tout cela, c’est que quand ces gens sont arrivés, il leur a tout donné: il leur a donné des maisons toutes faites, on leur a donné tout ce qu’il fallait pour manger – ils avaient tout, tout cuit dans la bouche. Alors que ces gens-là, il aurait fallu leur faire construire leur maison, et s’ils voulaient manger, ils devaient planter leurs pommes de terre, et ils devaient faire tout par eux-mêmes.

Oui, c’est cela.

Et je leur ai dit: «Comment peut-on bâtir un Nouveau Monde avec des coolies? Ce n’est pas avec des coolies payés que l’on fait un nouveau monde!»

Je crois qu’il y a toute une partie de la population qui devra s’en aller.

Oui, j’ai l’impression.

(silence)

J’ai dit à l’un deux: «Si j’allais là-haut, j’irais avec le fouet!»

(Mère rit) Il y a vraiment là-bas un groupe qui est une sous-humanité.

Oui, certainement... Mais comment faire pour éliminer ça?

(silence)

Un exemple: ils ont même un cuisinier payé pour leur faire la cuisine, ces gens!

Oh!...

Tu comprends, c’est une erreur complète, tout cela.

Mais comment cela se fait?

Ah! c’est comme cela. Ils ont un cuisinier payé.

Bah!...

(long silence)

Alors?

Alors rien, je ne sais pas, douce Mère.

(silence)

J’ai l’impression que R devrait arranger les choses pour que les gens soient obligés de travailler.

Oui... Oui, il va falloir faire quelque chose.

Comme cela, ça fera le tri, tout de suite.

Oui... Mais il faut qu’on me donne le nombre de gens qu’il y a dans ce groupe, et là-dessus, ceux qui travaillent et ceux qui ne font rien. Et on...

(silence)

Naturellement, on pourrait faire des choses très «drastiques».

Oui

C’est-à-dire qu’il faut travailler tant d’heures par jour pour être nourri, autrement on ne mange que si l’on paye.

Oui, douce Mère, il faudrait. Parce que tu comprends, leur astuce, c’est qu’ils disent tous qu’ils travaillent: ils font des petites bricoles à droite, des petites bricoles à gauche, ils vont travailler pendant une demi-heure ou une heure au Matrimandir... Alors, pour eux, ils ont «travaillé». Tu comprends, ils font des bricoles.

(après un silence)

Moi, j’ai senti tout d’un coup que j’avais perdu le poids de mon influence sur ces gens. Je leur dis des choses – ils s’en fichent complètement.

Tu pourrais parler avec R et voir.

Oui, douce Mère... Mais R me dit: «Mère ne veut pas intervenir. Mère ne veut pas prendre de décision...» Mais je pense que, peut-être, c’est à lui de prendre la décision.

Mais personne ne l’écoutera. N’est-ce pas, je ne peux plus prendre de décision parce qu’on ne m’écoute pas. Tant que l’on m’écoutait, c’était facile – c’était facile, il y avait une influence. Maintenant, quelque chose est arrivé, je n’ai plus du tout d’autorité,3 alors qu’est-ce que l’on peut faire?

Mais si tu dis à R, il exécutera.

(Mère plonge longtemps)

Il faudrait trouver un moyen...

Douce Mère, il me semble que tu pourrais réunir les responsables, et avec eux, prendre une décision.

Oui, c’est cela.

(silence)

L’ennui, c’est que quand ils sont plusieurs ensemble, ils parlent entre eux, je n’entends pas. Alors...

Si cela t’aide, je peux être là. Je crois que ça aiderait.

(long silence Mère plonge)

J’ai vraiment l’impression qu’il faut repartir sur de nouvelles bases et réellement que l’endroit soit tout à fait vidé de tous ces gens, et que l’on reparte à un autre endroit en les faisant travailler.

Oui, mais le logement?

En attendant, ils habiteraient dans des huttes, qu’ils feraient eux-mêmes.

Mais ils sont dans des huttes.

Je veux dire sous des toits de paille.

(silence)

Je vais voir.

Je vais tâcher d’organiser quelque chose. Je te dirai samedi.

29 avril 1971

(Ces quelques paroles ont été dites à Sujata lors de son entrevue quotidienne. Mère demande d’abord des nouvelles de Sujata, puis de Satprem. Ensuite elle reste plongée.)

Le monde est en train de devenir fou.

Il faut garder la foi comme cela (les deux poings serrés). Pas là (indiquant le front), mais ici, comme ça, dans le Divin.

mai




1 mai 1971

(L’entrevue commence avec plus d’une heure de retard.)

Une avalanche...

Alors qu’est-ce que tu as à me dire?

Rien de spécial, douce Mère.

Mais moi non plus!... Je n’ai que des gens qui se disputent.

Enfin... ça s’arrangera, peut-être.

J’ai envoyé beaucoup de messages... (Mère cherche des papiers) Un ministre est venu,1 qui a quatre cent mille ouvriers en grève; ils m’ont écrit pour me dire de lui demander d’avoir pitié des pauvres gens (Dieu sait! je ne sais pas comment est l’histoire), mais le monsieur est venu, il m’a donné des fleurs, il m’a pris ma fleur, et puis il s’est sauvé! Je n’ai eu l’occasion de rien faire.

Je voulais lui dire ça:

(Mère tend un papier)

Most of the suffering is due to men's ignorance. We must have compassion and help them.

(La traduction)

«La plupart des souffrances viennent de l’ignorance des hommes. Il faut avoir de la compassion et les aider.»

Mais je n’ai pas eu l’occasion de le lui dire. Il m’a l’air d’un monsieur... (geste comme du fer). Je ne sais pas ce qui se passe, mais c’est partout-partout comme cela.

Oui, partout. On a vraiment l’impression que le monde est dans la tourmente.2

Oui, oh! oui.

Et les individus.

(silence)

Depuis le matin, c’est comme cela: des grèves, des... L’école de Delhi est fermée3... Et alors, l’impression qu’il faut rétablir l’ordre A L’AIDE DE CEUX QUI ONT CRÉÉ LE DÉSORDRE. C’est venu très fort chez moi. Et c’est cela que j’essaye de faire à Delhi, à l’aide de celui qui a été à l’origine de la grève des professeurs. Il est venu me voir, alors je lui ai dit (c’est à cause de son renvoi de l’école que toute l’histoire est arrivée): «Je vous remets dans l’école pour que vous remettiez en ordre!» Et il a accepté. Et je crois que l’on peut essayer cela. Il est parti aujourd’hui.

(texte du message de Mère à ce professeur)

"We (human beings) are not living for the satisfaction of our ego; we live to fulfill God's will. But to be able to perceive and to know the will of God, we must be without desires and preferences. Otherwise we mistake for God's will our own limited ideas and principles.

It is in the wide peace of an absolute and devoted sincerity free from fixed ideas and preferences that we can realize the conditions required to know God's Will and it is with a fearless discipline that we must execute it."

April 30, 1971

(La traduction)

«Nous ne vivons pas (les êtres humains) pour la satisfaction de notre ego; nous vivons pour accomplir la volonté de Dieu. Mais pour pouvoir percevoir et connaître la volonté de Dieu, il faut être sans désirs ni préférences. Sinon, nous prenons nos idées et nos principes limités pour la volonté de Dieu.

C’est dans la vaste paix d’une sincérité absolue et consacrée, libre de toute idée préconçue et de toute préférence, que nous pouvons réaliser les conditions nécessaires pour connaître la volonté de Dieu, et c’est avec une discipline intrépide que nous devons l’exécuter.»

Et c’est cela qu’il faut faire. Au lieu de la base de bonne volonté ordinaire et de toutes les règles morales, sociales – tout ça, brrm! par terre –, il faut monter au-dessus, il faut la Volonté divine et l’Harmonie divine, et c’est ça que nous voulons; et alors ceux qui sont révoltés contre l’ordre ordinaire des choses et les conventions sociales ordinaires: prouvez que vous êtes en rapport avec une conscience plus haute et une vérité plus vraie.

C’est le moment de faire... (geste de bond au-dessus).

Et au point de vue pouvoir d’organisation, c’est un pouvoir... extrêmement puissant qui est venu – j’ai l’impression qu’en faisant ça (Mère ferme tranquillement sa main), je peux écraser les choses. C’est étonnant. Et alors, si ce pouvoir est mis au service de l’ordre supérieur, de la conscience plus vraie... quelque chose pourra être fait.

Il faut... faire un bond en haut.

Tous les gens qui veulent rétablir l’ordre tirent en arrière dans toutes les vieilles idées – c’est pour cela qu’ils ne réussissent pas. Fini, ça. C’est fini. Nous montons. Seuls ceux qui peuvent monter, peuvent faire.

(long silence)

Tu n’as rien? Rien à demander?

Non, douce Mère.

Tout va bien?

Oui, douce Mère... Je ne sais pas très bien dans quelle direction je vais.

Il n’y a qu’une direction – vers le Divin. Et comme tu le sais, c’est aussi bien au-dedans qu’au-dehors, en haut qu’en bas. C’est partout. C’est dans le monde tel qu’il est qu’il faut trouver le Divin et s’accrocher à Lui – à Lui seul, il n’y a pas d’autre moyen. Ce n’est pas ici ou là, c’est partout, mais4...

(Mère entre en transe en tenant les mains du disciple dans sa main droite, tandis que sa main gauche reste tournée vers le haut, suspendue en l’air, puis lentement le bras se repose)

5 mai 1971

J’ai reçu des nouvelles de S au sujet de la traduction russe [de La Genèse]. La personne qui s’en est occupée a traduit déjà l’introduction et envoyé le texte. S dit ceci: «... En russe, c’est très beau – prenant. Le son même de la langue porte quelque chose qui va droit au cœur. Et à mon sens, dans le peu que j’ai lu, j’ai retrouvé la coulée de votre style...»1

Ah! c’est bien, c’est bien.

Moi, j’ai beaucoup d’espoir pour les Russes... Je ne sais pas pourquoi... Ils ont fait une expérience et ils ont vu l’inanité de la chose.

(Mère plonge longtemps)

Rien à dire?

Il y a le problème de la traduction anglaise du livre.

A. ne m’a pas dit comment il l’avait trouvée.

A. a dit que ça ne passait pas – ce qu’il y a derrière ne passe pas. À chaque instant, on se demande ce que ça veut dire.

Oh!

Mais alors il dit que, réflexion faite, les gens seront amenés, parce qu’ils ne comprennent pas ce que cela veut dire, à revenir sur ce qu’ils ont lu (!) à faire un effort pour comprendre et... au deuxième coup, ils comprendront et ils entreront peut-être en contact...

(Mère hoche la tête)

C’est une traduction qui est littéralement très fidèle, mais ce qu’il y a derrière ne passe pas.

Les gens ne se donneront pas tant de mal... Il y en aura peut-être un sur...

(silence)

Veux-tu la faire lire par un Indien?

Lui demander s’il comprend?

(Sujata suggère un jeune professeur de l’École. silence)

Oui, il faut quelqu’un de jeune.

Il y a des gens qui ont compris que ce que l’on avait mis dans le Bulletin la dernière fois, c’était pour les gens de l’Ashram. Alors je crois qu’il serait bon de mettre une note pour dire que non.

???

Ce passage où je dis: «Les hommes sont coriaces.»2

Oui.

Beaucoup de gens à l’Ashram l’ont pris pour eux.

Eh bien, ce n’est peut-être pas faux! Moi, je me trouve assez coriace!

(Mère rit) Mais je ne veux pas leur dire des choses désagréables!

Ça ne fait pas de mal, tu sais.

Tu crois qu’il vaut mieux laisser ça comme cela?

Moi, je crois que... Je ne sais pas... Ça me semble si évident, n’est-ce pas. Qu’est-ce qui, en nous, est parfaitement malléable et transparent?

(Mère désigne son corps en riant) Ça ne l’est pas!

Bon, alors laissons.

Définitivement, je comprends que les gens ne lisent pas les choses comme elles sont: ils lisent uniquement ce qu’ils ont dans leur tête et dans leur désir.

Oui.

Alors ceux qui veulent mal comprendre comprendront mal de toutes les façons.

Justement, je suis arrivée à la même conclusion. Alors j’ai dit: je ne dirai plus rien.

C’est cela finalement, on ne dit plus rien!

(Sujata:) Seulement, ceux qui veulent bien comprendre, ils perdent – il y en a beaucoup.

(Satprem:) Mais, douce Mère, tu reçois peut-être des protestations d’un certain nombre, mais il y en a beaucoup ici, beaucoup plus que... enfin je ne peux pas dire que tu ne crois (!) mais qui font leur boulot tranquillement et qui essayent de comprendre – il y en a beaucoup. Et ça les aide, ça leur fait du bien.

Pour dire la vérité, cela m’est vraiment tout à fait égal... Mais je ne veux pas être méchante.

Mais ce n’est pas méchant, enfin!

(Mère plonge)

8 mai 1971

Ça va?

Ce n’est pas facile!

Qu’est-ce qu’il y a?

Non, on a l’impression que TOUT est comme cela. On a l’impression qu’il y a quelque chose de très acharné sur le monde, sur les gens.

Oui.

Quelque chose de très acharné, qui veut tout démolir.

Tout a l’air topsy-turvy [à l’envers, sens dessus dessous].

Oui.

Qu’est-ce qui est arrivé là-haut [à Delhi]? Je n’en sais rien... Indira simplement a dit...

Tiens, je te donne un exemple: hier, de source tout à fait reliable [sûre], on me dit que tous les pays – presque tous les pays étrangers – ont reconnu le Bangladesh et qu’il ne reste que l’Inde (et puis je ne sais plus, un autre). Aujourd’hui, on me dit qu’Indira a déclaré qu’il n’y avait pas un pays qui l’ait reconnu. Alors... N’est-ce pas, c’est officiellement qu’il y a des mensonges.

Oui, officiellement. Mais tu as vu... Je viens de voir à l’instant dans les journaux la déclaration d’Indira:

«The Prime Minister Mrs. Indira Gandhi today set at rest all speculations about an early recognition of Bangla Desh by indicating quite clearly that the government of India did not propose to do so in the near future.»1

Hindu, 8th May 1971

Alors, on m’a dit que c’était la Russie qui s’opposait à la reconnaissance parce qu’elle voulait amener un compromis avec le Pakistan. Voilà ce que l’on m’a dit. Maintenant, comme tout est mensonge, on ne sait pas.

Oui, en tout cas aucun pays, personne n’a reconnu officiellement le Bangladesh – personne.

Ah! ce qu’elle a dit était donc vrai.

Oui, et ils disent ici [dans le Hindu]:

«The Soviet Prime Minister, Mr. Kosygin, is reliably reported to have sent two letters to President Yahya Khan of Pakistan urging a negotiated settlement on East Bengal crisis, and to have asked Mrs. Indira Gandhi not to escalate the crisis so that the peaceful solution which both Russia and India want may be achieved.»2

Oui, ils cherchent un compromis, comme la dernière fois à Tachkent.

(Mère lève les bras)... Tout à recommencer.

Oui, tout à recommencer.

(silence)

Mais est-ce vrai, il y avait une rumeur qui circulait à l’Ashram hier et avant-hier, que tu avais envoyé un nouveau message à Indira Gandhi en lui disant que si elle ne reconnaissait pas le Bangladesh, il était inutile qu’elle vienne demander ton avis...

Non, je n’ai pas envoyé le message.

Mais il se peut... Si U3 la voit (je ne lui ai pas recommandé de ne pas le dire), il se peut qu’il le dise... J’ai dit cela à U «comme cela».

Ah! bon.

Alors il se peut qu’il ait mis dans sa tête de lui dire cela, je ne sais pas.

Et on dit aussi que tu aurais dit que si elle ne reconnaissait pas le Bangladesh, il y aurait des conséquences encore plus graves dans l’avenir.

Ça, je le pense.

Tu penses cela, oui.

Chaque fois, ça devient plus difficile.

Chaque fois qu’ils reculent la chose... Oh! si on l’avait fait tout de suite, cela aurait été très bien. Maintenant, il y a cinq semaines déjà...

Oui, cinq semaines.

C’est déjà plus difficile. Si on le remet encore, ce sera encore plus difficile.

Mais enfin, je n’ai pas envoyé de message.4

Naturellement, elle pense que je ne connais pas toutes les circonstances – c’est bien entendu!

Elle sait mieux que toi, évidemment! Mais enfin, si elle avait un minimum de discernement intérieur, elle comprendrait que tu as une vision plus large.

Oui, mais ça...

N’est-ce pas, il y a différentes... (comment dire?) ce sont comme des «couches de conditionnement» (geste en étage), et j’essaye toujours de mener les gens à la couche la plus haute de façon que les choses se passent sans trop de difficultés; et eux, s’obstinent à vouloir toujours être à la plus basse, la plus proche. Alors ça fait... C’est comme cela que les choses se compliquent. Si ceux qui sont capables de tirer le haut en bas d’un seul coup sont là [au pouvoir], les choses vont vite et sans difficulté, mais ce sont ceux qui ont le conditionnement le plus proche et qui comprennent naturellement le plus proche, qui sont là – ces hommes sont là [au pouvoir]. Et alors, il faut que ça suive le chemin (geste tortueux), et alors c’est interminable.

Eh bien, cela veut dire que le monde n’est pas prêt!

(silence)

Il faudra encore quelques centaines d’années.

C’est terrible...

(Mère lève les bras) Eh bien, il faudra quelques centaines d’années.

Oh! mais alors moi, je préfère Kâli, du coup!

(Mère rit)

Les gens ne comprennent pas. Il faut que ça suive son petit bonhomme de chemin (Mère dessine des méandres). Comme cela, ils comprennent.

Bien.

(silence)

N’est-ce pas, la foi des hommes est une superstition – ce n’est pas la foi, c’est une superstition. Maintenant il y a de plus en plus de gens qui pensent avoir la foi, et ils me demandent des choses ridicules! Ils ont des superstitions telles que... On m’amène un enfant qui est né avec un bras tordu, alors la superstition est que si je mets ma main sur le bras de cet enfant, il va guérir... Des choses comme cela. C’est tout à fait idiot. Ce n’est pas le Pouvoir! Ils ont besoin du petit miracle, tu sais, à leur portée.

Oui.

L’humanité est encore très petite, très petite, très petite.

Oui, on a l’impression.

Mais même ceux qui auraient un pouvoir... Regarde comment c’est: certaines gens auraient un pouvoir, il suffirait qu’ils aient la vraie inspiration – ils en ont peur, mon petit! Ils refusent la vraie inspiration, parce qu’ils pensent qu’il faut que les choses suivent leur chemin «naturel» – soi-disant naturel.

L’humanité repousse le vrai miracle. Elle ne croit qu’au...

Alors, dire que je ne dirai plus rien parce qu’on ne m’a pas écoutée, j’ai l’air d’une personne de mauvaise humeur, ce qui est tout à fait ridicule, cela m’est bien égal! enfin, personnellement, il n’y a rien eu ni pour ni contre ni... Seulement je VOIS, je vois que comme la relation directe n’a pas été possible [le conditionnement le plus haut], naturellement il va falloir que ça suive... (geste sinueux) toutes les complications de la chose à venir.

Alors que l’on est en plein dans le vrai miracle!

Alors, si l’on va dire: «Mère est fâchée, elle vous laisse», c’est une autre imbécillité ajoutée à toutes celles qui sont déjà. Voilà.

Tout cela...

Ils ont choisi, ils ont choisi le chemin de la tortue. Et ce sera comme cela.

Il y a des moments – ce que Sri Aurobindo a appelé The Hour of God [l’Heure de Dieu] –, il y a des moments où le VRAI, le vrai miracle est possible; si l’on manque ce moment-là, alors le monde ira avec... avec son allure de tortue.

Et c’est dur – beaucoup de souffrances, beaucoup de complications... Mais la foi, qui a la foi? La vraie foi.

(silence)

Mais même, c’est au point que même ceux qui sont ici me prêtent des sentiments et des réactions purement humaines... Alors...

Mais douce Mère, moi j’ai un espoir.

Oui?

J’ai un espoir. Il y a quelque chose que je sens comme une forte possibilité, et de plus en plus.

Quoi?

C’est que toute la jeunesse, celle qui a seize ans, dix-sept ans, vingt ans maintenant, qui est en train de devenir apparemment complètement folle, eh bien, en fait, toute cette jeunesse-là ne VEUT PLUS de la Mécanique actuelle – elle n’en veut plus. Alors elle fait des bêtises...

Oh!...

Elle se drogue, elle fait toutes sortes de bêtises...

Oh! pire que cela, mon petit! ils sont devenus des assassins.5

Oui, il y a toutes sortes de choses, mais en dépit de tout, j’ai l’impression que c’est un bon signe, que ça va être de plus en plus formidable et que toute la Mécanique des vieux bonshommes va s’écrouler – la Mécanique sociale, politique et tout le reste...

Oui-oui, tu as tout à fait raison. Mais en s’écroulant, elle écrasera beaucoup de choses. C’est cela; c’est vrai, c’est cela qui va arriver, mais en s’écroulant elle écrasera beaucoup de choses.

(silence)

Moi, je vois beaucoup de ces soi-disant «hippies», tu sais, ces errants, ces gens qui ont flanqué en l’air la société, qui font toutes sortes de bêtises; eh bien, plusieurs fois, j’en ai attrapé un, je lui ai parlé simplement le langage de la Vérité, mais il comprenait tout de suite! – simplement, on ne lui avait jamais dit les choses.

Ah!...

Et tous ces gens, on ne leur a jamais dit la chose vraie. Et j’ai l’impression que toute cette jeunesse qui est soi-disant perdue ne l’est pas! Il lui manque simplement de recevoir la parole vraie.

Oui, mais qui va la donner?

Eh bien, je ne sais pas, douce Mère. Moi, si j’avais le pouvoir, je le ferais volontiers. Et le miracle est encore possible avec ceux-là.

Oui. Oui, mais... ça exige quelqu’un pour le dire.

Oui, il faudrait un Vivékananda de Sri Aurobindo.

(Mère rit, très amusée)

Et le renversement se ferait vite et facilement, je suis sûr. Tu comprends, ils ne sont pas pervertis, ils sont simplement... ils ne savent pas.

(silence)

C’est cela, douce Mère, c’est cela qu’il faudrait que tu appelles: c’est un grand inspiré.

Ah!

C’est cela qu’il faudrait que tu appelles.

Mais il y a longtemps que je l’appelle.

Oui, douce Mère, un grand inspiré avec une force physique.

Oui, oh! oui.

Il faut quelqu’un de solide physiquement.

Oh! oui.

(Mère regarde, puis plonge longtemps)

Tout le temps, nuit et jour: comme ça (Mère tient ses poings serrés devant elle comme pour tirer ou appeler la Force).

(silence)

C’est un événement mondial. Ce n’est pas l’événement d’un pays [le Bangladesh], c’est un événement mondial. Et c’est pour cela que6...

12 mai 1971

Je ne sais pas si tu les as vus...

(Mère tend plusieurs papiers)

«Je désapprouve totalement la violence. Chaque acte de violence est un pas en arrière sur le chemin qui mène vers le but auquel nous aspirons.

«Le Divin est partout et toujours suprêmement conscient. Il ne faut jamais rien faire qu’on ne puisse faire devant le Divin.»

C’est pour quelqu’un d’assez primaire, mais enfin...

(d’autres papiers encore)

Tout cela, c’est pour Auroville. Je te les donne pour que tu saches.1


Où en sont les choses?

Oh!... horrible – un gâchis!

Des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

C’est comme s’il y avait une concentration de forces adverses qui veulent faire autant de confusion que possible... Et ce qui est amusant, c’est que de tous les côtés ils viennent [demander l’avis de Mère], excepté le Pakistan – Pakistan ne vient pas demander, mais autrement... Et tout ça...

Mais on m’a dit des choses fantastiques, par exemple que le Pakistan désirait que l’Inde lui déclare la guerre parce que, imédiatement, elle appellerait l’aide de la Chine. Et que, déjà, le Pakistan reçoit des armes d’Amérique par la Turquie... Des choses...

Mais l’Amérique a recommencé doucement à donner son aide économique au Pakistan.

Alors...

Ils recommencent doucement, prudemment, mais ils recommencent.2 Leur intention est de remettre le Pakistan à flot.

Mais alors, c’est fini!

Oui, c’est tout à recommencer.

Ils sont fous! – ils sont tous fous-fous-fous...

(silence)

C’est-à-dire que la première chance, ils l’ont ratée;3la seconde chance, ils l’ont ratée; maintenant, nous ne savons pas quand ce sera...

(silence)

Et il paraît que presque toute l’Inde est officiellement pour la reconnaissance du Bangladesh.

Oui, presque toute l’Inde... Mais elle [Indira] est obstinément, avec ses raisons soi-disant supérieures, à ne pas bouger.

(silence)

Mais on ne t’a pas dit ce qui se passe à Ceylan?

Non.

On ne t’a pas parlé de Ceylan!

Non.

Ah! mais c’est formidable, c’est très important, douce Mère. Depuis un mois, il y a quelque quarante mille étudiants qui sont en guérilla contre le gouvernement et qui sont massacrés par le gouvernement.

Oh!

Alors ils se réfugient dans la jungle et ils font la guérilla. Et il y a eu des milliers d’arrestations. Et ce sont tous des étudiants... Mais alors, l’extraordinaire, c’est que l’Inde, qui n’intervient pas pour le Bangladesh, est intervenue à Ceylan pour envoyer des hélicoptères et des bateaux pour aider le gouvernement à arrêter...

Oh!... oh! c’est complet... Oh! (Mère couvre ses yeux d’un air effaré)

(silence)

Ils se préparent un Karma terrible!

Oui, ils entassent des choses sur leur tête.

(long silence, puis Mère secoue la tête et plonge)

Le dernier argument, c’est que c’est le Pakistan qui veut que l’Inde lui déclare la guerre afin d’appeler la Chine à son aide, voilà.

Mais de toutes façons, les Chinois sont du côté du Pakistan. De toutes façons. Les Chinois sont déjà là, au Pakistan, tu sais?

Hier, P est revenu de Calcutta et il m’a montré une balle d’un «rifle», et c’est une balle chinoise.

Déjà, ils ont des... [des hommes là-bas]

(silence)

Mais, douce Mère, il ne faut pas oublier que l’Inde a trahi le Tibet: quand le Tibet a été envahi par les Chinois, Nehru a fermé la bouche, les yeux et les oreilles et il n’a rien fait pour aider les Tibétains...

(Mère secoue la tête)

Tout cela, c’est la leçon de Gandhi qui continue – ce sont les fils de Gandhi qui font cette fausse politique.

Non, tu vois... tu vois, ils vont se battre du mauvais côté à Ceylan.

Non, ce n’est pas cela – bien pire que Gandhi.

(Mère plonge longtemps)

Tu n’as rien?

Tout cela n’est pas très encourageant.

(Mère hoche la tête) Non, c’est plus terrible: c’est une formation TRÈS catastrophique qui est sur l’Inde, et ils sont en train de la tirer, ces imbéciles!

Mais justement, douce Mère, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il faut que Kâli intervienne.

(après un silence)

Mais il y a longtemps déjà que j’ai vu la Chine envahir l’Inde, même le Sud de l’Inde. Et ça, c’est la pire des catastrophes – les Chinois n’ont pas d’être psychique. L’origine des Chinois est lunaire et ils n’ont pas d’être psychique (il y a des exceptions mais d’une façon générale), et alors on peut s’attendre à tout – toutes les horreurs possibles. Je les ai vus – tout, partout... horrible!

J’ai vu les Chinois dans cette chambre.

Mais plusieurs fois, cette pensée m’est venue depuis quelques années, douce Mère – plusieurs fois, cela m’est venu.4

Mais c’est la fin de tout. C’est-à-dire qu’il faudra probablement des siècles pour que cela puisse recommencer.

N’est-ce pas, il y a des limites aux horreurs que les hommes peuvent faire parce que, malgré tout, il y a un être psychique derrière qui freine – mais les Chinois n’en ont pas.

Et ils sont TRÈS intelligents.

(Mère plonge longtemps)

Douce Mère, le problème est de savoir comment on peut contrecarrer tout cela, parce que, déjà en 1950, Sri Aurobindo avait dit aux Américains: si vous cédez en Corée, point par point vous serez amenés à céder toutes les positions.5 Sri Aurobindo avait dit cela en 1950. Eh bien, depuis 1950, point par point on a cédé toutes les positions, et maintenant l’Inde est complètement encerclée par la Chine – point par point on a cédé: et le Cachemire, le Tibet et tout cela – nous sommes encerclés par les Chinois. Et on continue de céder [au Bangladesh]. Alors, comment contrecarrer tout cela?

(silence)

Par exemple, douce Mère, le raisonnement des Américains: ils sont en train, doucement, de redonner de l’aide au Pakistan parce qu’ils disent: si nous ne donnons pas de l’aide, alors nous laissons tout le terrain pakistanais aux Chinois.

Ça, c’est de la... [folie].

Nous allons voir.6

(Mère frappe son front, puis plonge, secoue la tête plusieurs fois, puis prend les mains du disciple et tous deux plongent)

15 mai 1971

Qu’est-ce que tu apportes?

L’idée m’est venue d’écrire un article sur «Sri Aurobindo et le Bangladesh»... Mais je ne sais pas si c’est utile ou s’il faut dire quoi que ce soit.

Mais où le publier?

Je pense que dans l’un des journaux de l’Inde, c’est facile.

Qu’est-ce que tu dis? Ça m’intéresse.

(Le disciple lit cet article. Au cours du texte, nous disons brièvement ce que chaque pays représente, selon nous: la France = la clarté de l’intellect; l’Allemagne = l’ingéniosité; la Russie = la fraternité des hommes... Mère nous interrompt:)

Tu n’as rien dit pour les États-Unis?...

Qu’est-ce que c’est?

C’est l’organisation pratique.

(le disciple achève sa lecture)1

Oh! c’est bien... Il faut que ce soit mis dans un anglais convenable.

Est-ce que ça a une utilité – est-ce que ça a ENCORE une utilité?

Oh! oui, oh! oui – imédiatement il faut...

Ce n’est pas trop tard?

Non... Il faut essayer en tout cas.

Il faut un anglais convenable... Qu’est-ce qui peut écrire ça?

Sujata peut essayer?

Sujata, tu es un littérateur? (rires)

C’est plein de puissance, il faut que cette puissance reste.

(après avoir cherché le nom d’un traducteur)

Alors, qu’est-ce que l’on fera de la traduction?

On peut essayer de l’envoyer à un journal de Madras, un de Delhi et un de Calcutta?

Il faudrait... Les journaux n’oseront pas – ils auront peur de représailles gouvernementales.

Oh! douce Mère, dans l’ensemble toute l’Inde a été contre la décision de Delhi. Partout, dans tous les journaux, j’ai vu qu’ils désapprouvaient complètement la décision de Delhi. L’Inde entière est contre Indira sur ce point-là.

Il faut y penser; il ne faut pas qu’on l’envoie comme cela, il faut que quelqu’un s’en charge. Il faut trouver le moyen de le faire passer tout de suite.

Combien de temps mets-tu pour écrire ça?

Une matinée.

(silence)

Tu n’es pas pessimiste?

Non, tu comprends, ce que Dieu veut sera. Et je prends Dieu dans le sens...

Et c’est ce que j’ai dit... N.S.2 a envoyé U exprès pour me demander ce qu’elle pouvait faire, parce qu’Indira ne l’écoute plus du tout – plus du tout – et qu’elle a l’air d’être tout à fait... enfin comme noyée dans une formation hostile.3 Alors j’ai répondu que, moi, personnellement, je n’ai plus qu’un espoir (Mère serre ses deux poings devant elle comme pour s’accrocher): «Que la Volonté divine s’accomplisse», et «Il faut que tous ceux qui sont capables de faciliter le contact et de hâter la réceptivité ici, de cette Volonté, qu’ils y mettent toute leur conscience et toute leur aspiration.» Voilà ce que j’ai répondu... Et ça (désignant l’article), au point de vue de l’action, c’est une dernière chance – non pas que les gens écoutent beaucoup, mais ça crée un courant de force.

(silence)

Le grand argument, c’est que les gens du Bangladesh s’en fichent et qu’ils ont cessé d’organiser la défense.

Mais...!

Et il y a déjà plus de deux millions [de réfugiés] qui sont venus dans l’Inde, et on s’attend à ce que ces deux millions deviennent dix millions. Et l’Inde n’aura pas de quoi manger. Voilà ce qui va arriver demain, imédiatement. Alors c’est le trou... Dix millions qui sont en train d’envahir le Nord de l’Inde.

J’ai appelé – j’ai appelé, j’ai demandé le secours –, et c’est venu (cet article), et c’est bien, c’est très bien. Comme c’est venu, c’est un dernier espoir.

Il faut trouver un grand nombre de journaux, partout dans les provinces.

Et je ne mettrais pas ton nom à la signature. Je mettrais... «A lover of India» [un amant de l’Inde], quelque chose comme cela.

Tu ne voudrais pas que l’on mette: «A letter from the Sri Aurobindo Ashram»?... [une lettre de l’Ashram de Sri Aurobindo?...] Non, tu as raison, «A lover of India», c’est bien le mot.

Oui, il y a beaucoup de choses autour.

Oui, c’est correct.

Ce serait bien de mettre: «A disciple of Sri Aurobindo, a lover of India» [un disciple de Sri Aurobindo et amant de l’Inde]. Mais ça... on verra.

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ADDENDUM

Sri Aurobindo et le Bangladesh

Derrière la mêlée des points de vue provisoires et des intérêts imédiats, il est des grands repères éternels, et les perdre, c’est perdre son chemin et conduire notre barque sur l’écueil d’un compromis confortable ou d’une utilité passagère qui nous engloutira la minute d’après. Derrière les petites histoires, il y a une grande Histoire, et l’oublier, c’est perdre son sens et lâcher le fil d’or qui nous conduit à notre accomplissement parfait, individuel ou national. Ceux qui ont laissé leur marque suprême à travers le dédale de l’Histoire sont ceux qui ont saisi le fil d’or et affirmé la Grande Histoire et le Grand Sens contre toutes les raisons imédiates et les utilités passagères.

La Grande Histoire nous dit que toute la terre est un corps unique et qu’elle a un Destin unique, mais que dans ce Destin unique, chaque partie du grand corps, chaque nation, a son rôle spécial et ses rares minutes de choix où elle doit faire le geste décisif – son vrai geste dans la somme totale de la Grande Histoire éternelle. Chaque nation est un symbole, chaque geste de chaque nation représente potentiellement une petite victoire de la grande victoire de tous, ou une petite défaite de la grande défaite de tous. Et parfois, toute l’Histoire se joue en un point symbolique du globe, et ce petit geste-là, ce tout petit tournant à droite ou à gauche, a ses répercussions sur des âges et sur tout le corps de la terre, en bien ou en mal.

L’Inde est justement l’un de ces symboles, et le Bangladesh, un autre symbole, un petit tournant du grand tournant terrestre. C’est le moment de prendre ses repères éternels et de lire la Grande Histoire dans la petite. Or, cette Grande Histoire nous dit que le rôle de l’Inde dans le corps terrestre, est d’être le coeur spirituel du monde, de même que le rôle de la France est d’exprimer la clarté de l’intellect, ou celui de l’Allemagne, l’ingéniosité, celui de la Russie, la fraternité des hommes, et les États-Unis, l’enthousiasme de l’aventure et l’organisation pratique, etc. Mais ce rôle, l’Inde ne peut le jouer que si elle est UNE, car comment ce qui est divisé pourrait-il conduire les autres? La division de l’Inde est le premier Mensonge qui doit disparaître et le symbole de la division de la terre. Tant que l’Inde ne sera pas une, le monde ne pourra pas être un. L’unité de l’Inde est le drame symbolique où se joue l’unité du monde.

De ce simple Fait éternel, découlent toutes les conclusions et toutes les politiques qui iront dans le sens de la Destinée terrestre, Sri Aurobindo l’a déclaré dès 1947: «La division doit disparaître et disparaîtra.» Et si nous n’écoutons pas ce Théorème éternel, c’est un grand dommage pour le corps de l’Inde et pour le corps de la terre entière: «La vieille division religieuse entre hindous et musulmans semble s’être durcie et être devenue une division politique permanente du pays. Il faut espérer que ce fait accompli ne sera pas accepté comme accompli à jamais, ou que ce sera seulement un expédient provisoire. Car s’il se perpétuait, l’Inde pourrait s’en trouver sérieusement affaiblie, voire mutilée: la guerre civile resterait toujours possible, possible même une nouvelle invasion et une conquête étrangère.» Nous savons maintenant, vingt-quatre ans après cette déclaration prophétique, que la Chine est à nos portes et qu’elle attend l’heure d’envahir tout le continent, se saisissant justement de cette division de l’Inde pour frapper au cœur spirituel du monde, et peut-être frustrer la destinée terrestre tout entière ou remettre son accomplissement à un prochain cycle, après bien des souffrances et des complications.

La Grande Histoire nous dit que l’Inde doit redevenir une. Et cette coulée de l’Histoire est si impérieuse que deux fois déjà, le Destin s’est arrangé pour mettre l’Inde devant la possibilité de sa réunification. Une première fois en 1965, la sotte agressivité du Pakistan permettait à l’Inde de riposter et de conduire la bataille jusque dans les faubourgs de Lahore – et jusqu’à Karachi si elle avait eu le courage d’assumer le sens de son histoire. C’était l’heure du choix décisif. La Mère déclarait catégoriquement: «C’est pour le triomphe de la Vérité que l’Inde se bat et doit se battre jusqu’à ce que l’Inde et le Pakistan redeviennent UN, car telle est la vérité de leur être...» Nous avons cédé sur la crête d’un petit compromis, à Tach-kent, qui devait nous conduire à un deuxième écueil plus douloureux, plus lourd de sang et de souffrances, au Bangladesh. Là aussi, le Destin s’est arrangé gracieusement pour que l’Inde puisse voler au secours de ses frères massacrés – même le fameux détournement d’avion du mois de janvier4 était comme arrangé par la Grâce pour éviter à l’Inde d’avoir à intervenir quand il serait trop tard (ou pour lui éviter la honte de ne pas intervenir et de laisser les avions chargés de mitraille et de bourreaux passer sur sa tête pour massacrer ses frères). Et là aussi, obéissant aux petites raisons imédiates et aux petits intérêts à courte vue, nous n’avons pas voulu assumer le Grand Sens de notre histoire, et nous sommes maintenant au bord d’un nouveau compromis qui nous conduira à un nouvel et troisième écueil inévitable, encore plus douloureux et plus lourd de sang – car il est inévitable qu’un jour l’Inde doive faire face à ce qu’elle a déjà fui deux fois. Et chaque fois, les conditions sont plus désastreuses pour elle et pour le monde – peut-être même si désastreuses que la terre entière s’en trouvera engouffrée dans un nouveau conflit général, alors que toute l’histoire pouvait se jouer en ce petit point symbolique du Bangladesh, à l’heure juste, avec le geste juste et le minimum de souffrances.

Car il ne faut pas s’y méprendre. L’histoire du Bangladesh n’est pas un événement de l’Inde: c’est un événement mondial. La division de l’Inde n’est pas une contingence locale, c’est un Mensonge mondial qui doit disparaître si la division du monde doit disparaître. Et là encore, c’est la voix de Sri Aurobindo que nous entendons, six mois avant sa mort, devant un autre phénomène qui paraissait si peu important, si lointain, une si petite histoire «locale» à l’autre bout du monde: l’invasion de la Corée du Sud en 1950, il y a vingt-et-un ans. Et pourtant, ce petit symbole Coréen, comme le petit symbole du Bangladesh (ou celui de la Tchécoslovaquie en 1938), contenait en germe toute la course fatale qui est en train d’emporter le monde vers une sinistre destinée: «L’affaire de Corée, écrivait Sri Aurobindo, est le premier pas du plan de campagne communiste pour dominer et posséder, d’abord ces régions septentrionales, puis le Sud-Est de l’Asie comme un prologue à leurs desseins sur le reste du continent – le Tibet en passant, comme une porte de l’Inde.» Maintenant, nous savons, vingt-et-un ans après, que tout le Sud-Est de l’Asie et le Tibet ont été engouffrés et que la «porte de l’Inde» est bien ouverte par la blessure du Mensonge Pakistanais – déjà, ou bientôt, les Chinois sont, ou seront, à Khulna, à quelque cent-vingt kilomètres de Calcutta pour aider Yahya Khan à «pacifier» le Bengale. Et Sri Aurobindo ajoutait: «S’ils réussissent, il n’y a pas de raison que la domination du monde entier ne suive pas à pas, jusqu’à ce qu’ils soient prêts à affronter l’Amérique.»

Nous en sommes là. Ce que nous voulons fuir, nous le rencontrerons avec dix fois plus de force. L’heure n’est plus aux calculs politiques, aux pour et aux contre de nos petites mathématiques momentanées, qui ratent toujours, mais de retrouver le Grand Sens de l’Inde, qui est vraiment le Grand Sens du monde, et d’avoir foi en l’Esprit qui conduit sa Destinée plus qu’en les petites peurs d’une opinion mondiale fantôme ou les petites aides qui aident seulement l’ennemi. Demain, l’Amérique redonnera peut-être son aide économique au Pakistan sous prétexte de contrecarrer la présence chinoise, et la tuerie du Bangladesh sera honorablement couverte par un pseudo-régime qui fonctionnera avec les bénédictions de la communauté internationale – mais on ne triche pas avec la coulée de l’Histoire: une troisième fois, nos petits compromis s’écrouleront et nous nous trouverons devant une terrible épreuve que nous aurons grossie par nos propres défaillances successives. Le plus tôt, non seulement l’Inde mais l’Amérique et la Russie comprendront l’irréalité du Pakistan et la grandeur de l’enjeu qui se joue aux frontières de l’Inde, le plus vite sera arrêtée la catastrophe avant qu’elle ne soit totalement et définitivement catastrophique. «Une chose est certaine, écrivait Sri Aurobindo quelques mois avant son départ, c’est que si l’on tergiverse trop et si l’Amérique abandonne maintenant la défense de la Corée [nous pourrions dire encore plus: la défense du Bangladesh], elle se trouvera forcée [et l’Inde encore plus] de céder position après position jusqu’à ce qu’il soit trop tard. À un point ou à un autre, elle devra faire face à la nécessité d’une action radicale, même si cela conduit à la guerre.»

Car la bataille de l’Inde est la bataille du monde, c’est là que se prépare le destin tragique de la terre, ou son sursaut d’espoir en un Nouveau Monde de Vérité et de Lumière, car, toujours, il est dit que le plus obscur se trouve à côté du plus lumineux.

Le dernier Asoura doit mourir aux pieds de la Mère éternelle.

(Un amant de l’Inde)

19 mai 1971

Il y a quelque chose de Nolini... Une pensée lui est venue et il l’a notée, à propos de Mujibur, celui qui a fait la révolution au Bangladesh et que l’on a emprisonné.

Oui, il est maintenant au Pakistan.

Je ne sais pas. Mais une pensée était venue à Nolini et il l’a notée:

Mujibur’s Bengal risked her body but saved her soul. Indira’s India neither risked her body nor saved her soul.

(La traduction)

«Le Bengale de Mujibur a risqué son corps, mais sauvé son âme. L’Inde d’Indira n’a ni risqué son corps, ni sauvé son âme.»

Je ne veux pas, je ne veux rien dire d’Indira!

Oui, mais ce qui s’est passé, c’est qu’il a noté cette pensée, l’a laissée sur sa table, et comme d’habitude il y a des gens qui passent; ils ont vu cela, ils ont pris cela, copié cela et distribué cela.

Oh!... Ça va nous mettre dans une grande difficulté. C’est très ennuyeux – très ennuyeux, je ne voulais rien dire contre Indira.

Mais ce qui est terrible, c’est que les gens rentrent chez lui, prennent les papiers sur sa table et qu’ils vont les distribuer!

Mais pourquoi les laisse-t-il sur sa table! (Mère a l’air très fâchée) C’est une calamité. C’est une maladresse effroyable. Cela va me mettre en grande-grande difficulté – juste ce que je voulais éviter.

Je pense, ou j’espère en tout cas, que cela ne sortira pas de la petite collectivité de l’Ashram.

Ça sort toujours. Et il y a quelqu’un (on ne sait pas qui), qui envoie au gouvernement tout ce qui paraît ici.

C’est une catastrophe.

(Mère plonge longtemps elle a des gémissements)

Rien à demander?

Ce n’est pas facile.

(Mère fait un geste pour dire non et replonge)

22 mai 1971

Et toi, qu’est-ce que tu apportes?

Qu’est-ce que tu dis, toi?

Moi, je ne dis rien... C’est-à-dire que si le Seigneur veut pour nous le succès, il peut être formidable. Il y a la possibilité d’un succès for-mi-da-ble – pas en l’air: ici. Le tout est de savoir si le temps est venu pour le succès.

(long silence)

Il paraît que ça va beaucoup mieux à Auroville. S est particulièrement intéressée et y va, et elle m’a fait dire qu’il y a un progrès dans l’atmosphère.

Ah! bon.

Partout, il y a la possibilité, je te dis, d’un succès... extraordinaire. Est-ce que le moment est venu? Je ne sais pas... Moi, je me fais comme cela (geste minuscule), physiquement toute petite, et je laisse... (geste ouvert au Seigneur).

Je voudrais... N’est-ce pas, il y a la Volonté qui vient, et puis il y a toutes les formations qui entrent et qui retardent son exécution – je voudrais... je voudrais que mon atmosphère soit... un transmetteur limpide, tout à fait limpide. Je ne tâche même pas de savoir quoi, parce que ça aussi, ça introduit une humanité ordinaire. Le transmetteur limpide-limpide: que ça vienne comme cela (geste de descente directe), pureté, dans toute sa pureté – même si c’est formidable.

Et au fond, nous ne savons pas pourquoi «ceci est comme cela», pourquoi «cela est comme cela», et nous avons une vue... même si notre vue est terrestre, elle est si petite, si petite – si exclusive: nous voulons ça, nous ne voulons pas ça. D’abord, d’abord faire des instruments: il faut qu’on soit LIMPIDE, limpide, que ça passe sans déformation et sans obstacle.

Au fond, c’est à cela que je passe mon temps: essayer d’être comme cela.

Mais cette possibilité de victoire que tu sens, c’est quelque chose de récent?

Oui.

C’est récent; parce que, apparemment, les circonstances ne sont pas si bonnes évidemment – apparemment.

Oh! tu sais... Toutes les circonstances semblaient s’organiser pour une catastrophe.

Oui.

Il y a seulement quelques jours, c’était comme si la catastrophe s’approchait. Et alors, à ce moment-là, ça a été comme si tout mon être... comment dire? (Mère serre les poings), c’était, oui, on peut appeler cela une aspiration à la Victoire véritable – non pas celle que veut celui-ci ou que veut celui-là ou... –, à la Victoire véritable. C’est cela qui semble avoir amené toutes les difficultés [ces volontés exclusives]. Et puis tout d’un coup, comme une lumière a paru: la possibilité de la Victoire. C’est encore... Ce n’est pas miraculeux, mais c’est l’intervention... l’intervention de la Sagesse Suprême – est-ce qu’elle sera concrète? On verra. Elle semble, elle semble venir comme cela (geste à une certaine hauteur, les deux paumes tournées vers le bas), comme une possibilité.

Non, c’est récent, c’est tout récent. Je ne peux pas dire parce que ce n’est pas venu brusquement, mais c’est une question de jours.

Oui, parce que depuis quelque temps, je sentais un grand pessimisme.

Ça, c’est une mauvaise attitude.

Je n’avais pas cette attitude, d’ailleurs, mais c’est comme une atmosphère pessimiste qui venait.

Il y a toujours cela... C’est tout ce qui ne veut pas le Divin, qui crée cette atmosphère exprès pour décourager ceux qui veulent le Divin. Il faut... il ne faut pas faire attention. Ça, c’est le moyen du diable. Le pessimisme est l’outil du démon, et il sent sa situation... (geste branlant). N’est-ce pas, si ce que je vois possible se réalise, ce sera vraiment une Victoire décisive sur les forces adverses – naturellement, il se défend de son mieux. Ça, c’est toujours le diable, dès que tu vois même la queue du pessimisme, c’est le diable. C’est son grand outil.

(long silence)

(le disciple s’apprête à partir, Sujata s’approche)

Mon petit...

(Sujata:) Douce Mère, est-ce que l’autre soir, ce que j’ai vu, ces deux yeux qui se dessinaient sur ton front1 (tu te souviens, je te l’ai raconté?) est-ce que c’est la Sagesse qui apparaissait?

Peut-être?... Peut-être... C’était peut-être la Victoire... Si c’était la Victoire, c’est bien.

Tu les vois encore?

Non, Mère.

On verra.2

(Mère caresse les joues de Sujata)

25 mai 1971

(Billet de Satprem à Mère)

Je suis dans le plus grand Noir de ma vie.

S.


(Réponse)

C’est le moment de s’accrocher exclusivement et définitivement au Divin.

M.


(Visite de Sujata à Mère.)

Il sent le besoin de ta protection.

S’accrocher au Divin.

Je voudrais l’envelopper comme ça (geste). Je suis dedans (pas «moi», mais...) et agissant dedans.

Dedans profondément. Sentir la Lumière, la Force, la Joie, la Certitude – la Certitude. La Victoire Divine est certaine. Ça ne peut pas être autrement.

Qu’il laisse le Divin l’envelopper entièrement.

26 mai 1971

(Mère avait demandé à un jeune disciple indien, M, professeur de mathématiques à l’École, de lire la traduction anglaise de «La Genèse» afin de donner son opinion.)

Alors?

(M:) Ma première réaction était celle-ci: j’ai trouvé le livre très poétique, très joli – le français.

Il est bien, n’est-ce pas.

Oui, l’anglais m’a semblé moins poétique. C’est une traduction, mais cela ne m’a pas donné la même impression que le français.

Alors, que faire? Une autre traduction?

Je ne sais pas, Mère, je ne suis pas capable de dire. Je ne peux pas dire si c’est une bonne traduction ou une mauvaise traduction mais lorsque je l’ai lue, j’ai senti que c’était une traduction. Et c’était moins poétique – le français est beaucoup plus poétique.

Bien... On peut l’utiliser ou pas?

Je crois qu’on peut l’utiliser.

Si ça ne déforme pas la pensée.

Non, il ne m’a pas semblé que cela déformait la pensée.

(À Satprem:) Qu’est-ce que tu dis, toi?

Moi, je sens que l’essentiel n’est pas là.

(Mère rit) Oui, c’est ça!

Tu sais la pensée qui m’est venue? En Amérique, la petite D va commencer une traduction pour l’Amérique, est-ce que l’on ne pourrait pas s’en servir pour ici aussi bien?

C’est américain. Ici, on parle anglais. Il y a une différence, oh!...

Mais si le Pouvoir est là, ça ne fera pas de différence.

Non, il faut que ce soit de l’anglais.

Mais alors qui?... Parce que, à mon avis, il vaut mieux pas de traduction que quelque chose qui ne transmet pas la Force qu’il y a là-dedans. Il vaut mieux rien du tout.

(silence)

(Satprem à M:) Est-ce que vous avez senti la Force là-dedans?

(M:) Moi, je ne suis pas vraiment capable de dire ces choses, mais je peux dire que lorsque j’ai lu le français, il m’a semblé que ce n’était pas adressé à l’intellect, que c’était peut-être le cœur, je ne sais pas – c’est pour un aspirant.

Oui.

(M:) Ce n’est pas même un lecteur ordinaire qui pourra saisir cela: ce doit être un aspirant. L’anglais, on le comprend mieux parce que c’est adressé à l’intellect. Mais... je suis tout à fait incapable de juger.

(À Satprem:) Qui a traduit ton article [sur le Bangladesh]?

C’est Z, douce Mère.

Ah! oui.

(M:) Ça, je l’ai trouvé très bon, parce que là, j’avais lu l’anglais tout d’abord et j’ai pensé que c’était l’original.

Z sait traduire.

(Satprem:) Elle sait attraper la Force et la faire passer – c’est l’essentiel.

C’est elle qui aurait dû traduire ton livre!... Seulement elle est occupée et elle écrit elle-même... Je vais lui demander. Seulement l’autre va être désespérée! (rires)

Mais j’avais demandé à T [la traductrice d’anglais] quelles étaient les phrases auxquelles elle objectait, et alors je lui ai dit: «Je suis désolée, mais je vois que tu n’as rien compris à ce livre!» Elle le sait.

(Satprem:) T m’a dit des choses assez terribles sur mon livre...

Ah? (Mère rit beaucoup)

Ça m’avait beaucoup troublé.

Qu’est-ce qu’elle t’avait dit?

Elle m’avait dit qu’elle trouvait certaines choses «répulsive» [répugnantes].

Elle les trouvait quoi?

«Répulsive.»

Oh!

Alors j’ai essayé de lui dire: «Écoutez, je ne sais pas, ce livre m’est tombé sur la tête...

(Mère rit)

... C’est descendu sur moi.» Alors elle m’a dit avec une espèce de force qui m’a beaucoup atteint: «Oui-oui, n’est-ce pas, c’est très facile de confondre ce qui vient du subconscient et une inspiration.»

Oh!

Elle a dit cela d’une telle façon que j’étais plongé dans un affreux doute.

Babah!

En tout cas, elle m’a écrit à ce sujet en me disant qu’elle ne sentait pas la Présence dans ce livre – elle me l’a écrit: «Dans ce livre, il n’y a pas la Présence.»

Elle sait mieux que moi.

Mais enfin, dans ces conditions, il n’est pas possible que la Force passe.

Oui, ça ne peut pas être utilisé.

(S’adressant à M:) C’est tout ce que tu as à dire?

(M:) Je n’ai pas lu cela avec un esprit très critique, Mère, mais une réaction que j’ai eue, je peux le dire franchement, j’ai senti que ce qu’il dit [Satprem], c’est la chose naturelle, ce doit être comme cela, simple. Cela m’a donné un peu la même analogie que quand je fais un problème de mathématiques que je trouve extrêmement difficile, mais lorsque j’ai trouvé la solution, je me demande toujours: «Mais c’était si simple! On n’avait qu’à tracer cette ligne et tout sort!...» J’ai trouvé le livre un peu comme cela.

(Mère approuve)

Mais alors, je voudrais demander une chose que je n’ai pas trouvée dans ce livre: on ne mentionne pas expressément le gourou. Est-ce qu’un individu pourrait faire cela tout seul, sans gourou?

(après un silence)

C’est possible. Mais moi, n’est-ce pas, je ne peux donner que mon expérience – je peux dire seulement: c’est possible. Mais dans quelles conditions, je ne sais pas.

(Satprem à M:) On ne peut pas, dans un livre, parler manifestement du gourou, dire aux gens: «C’est telle personne qu’il faut suivre.» On peut seulement leur faire sentir quelque chose et les tourner vers ce quelque chose, mais on ne peut pas leur dire: «Vous savez, il faut suivre telle personne.»

Ah! oui.

On ne peut pas, n’est-ce pas.

(M:) Non, je dis cela parce que j’ai senti en lisant ce livre: «Si quelqu’un commence à suivre ce chemin sans gourou, il y a des dangers...» Mais c’est un livre qui vous inspire à suivre ce chemin.

(silence)

Je ne sais pas, je ne peux pas dire parce que je ne peux que parler d’expérience personnelle – ça n’a pas de valeur.

(M:) Mais il m’a semblé que c’était ton expérience, surtout vers la fin du livre.

(Riant) C’est moi qui suis responsable!

(Satprem:) Il doit bien y avoir quelqu’un de responsable là-dedans!

(Mère rit)

(M:) Les chapitres qui suivent «La sociologie du surhomme»: «Après» et «La conquête de la mort», etc., m’ont tout à fait évoqué ce que tu dis dans les «Notes sur le Chemin».

(Mère sourit) Ça, c’est le yoga du corps.

(M:) Mais c’est toi seule qui es en train de faire cela, alors...

Tu crois? (rires)

(Satprem:) J’ai l’impression, oui! (rires)

Je dois dire que si cela vient sur vous comme cela, comme une nécessité, c’est bien, mais il ne faut pas chercher à le faire... Ce n’est pas très agréable!

(silence)

(Se tournant vers M:) Alors, quand cela te fait plaisir de me voir, tu le dis.

(M riant:) Ça, c’est très difficile!

Je vois une moyenne de cent personnes par jour – une moyenne.

(M:) Oui, c’est pourquoi cela devient difficile de te demander, Mère.

Mais ça ne fait rien – seulement un.

(M:) C’est comme cela que ça devient cent! (rire général)

Évidemment... Ça ne fait rien, je te vois avec plaisir.

(M sort, Mère reste longtemps absorbée)

Alors, comment ça va, mon petit?... Ça va mieux?1

J’espère, avec ta grâce.

(silence)

Il y a toute une partie de moi qui doit disparaître.

Oui, mais je croyais qu’elle était partie... C’est très curieux. Pour moi, ce n’est pas toi du tout.

Oui.

Je croyais que c’était parti. J’ai l’impression de quelqu’un qui avait été chassé et qui est revenu. Mais ça ne fait rien... Tu n’as qu’à... tu sais, comme cela (Mère serre ses poings), refuser de bouger. C’est tout.

Ce n’est pas toi.

(long silence)

J’aime mieux ne pas dire cela... Tu comprends, il y a deux choses que je pourrais dire. L’une, c’est que tu as vraiment quelque chose à faire et qui est en train de se cristalliser – les sornettes des gens qui ne comprennent pas, il ne faut pas les écouter. Et l’autre, c’est qu’il y a toute une partie de ta nature qui n’était pas ta nature lumineuse (atavisme, éducation, un tas de choses), et que c’est tellement parti, c’est tellement surmonté que je croyais que cela n’existait plus. J’étais étonnée quand on m’a dit que c’était venu t’embêter encore. Ça, c’est... ce n’est pas Satprem.

Oui, je sais.

Alors tu t’accroches à Satprem.

Non, j’aime mieux m’accrocher à toi!

Accroche-toi tant que tu peux – ça, tant que tu peux.

On a l’impression qu’il n’y a que la Grâce qui peut faire cela.

Mon petit2...

(Mère serre les mains de Satprem, long silence)

Il y a quelque chose que je sens très profondément... (silence) Les mots... les mots (Mère hoche la tête)... Mais pour le dire de la façon la plus simple possible, je pourrais dire: «Le Seigneur aime Satprem.» Et c’est une chose profonde-profonde-profonde... Le Seigneur aime Satprem. Voilà.

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

27 mai 1971

(Extrait du carnet du disciple.)

Pranab-desh.1

29 mai 1971

(L’entrevue commence avec près de deux heures de retard. Mère s’excuse! Il est tout d’abord question de la traduction russe de «La Genèse». La traductrice demande 2000 francs.)

Je ne sais pas si j’ai le droit de dépenser l’argent! Il n’y a que des règles, des règles...

(silence)

Il y a autre chose?

Non, douce Mère... Et toi, qu’est-ce que tu dis?

Oh! mensonge-mensonge-mensonge – tous les gens mentent, oh!... c’est horrible.

Et puis le gouvernement a taxé TOUT. Le prix de la moindre chose a doublé... Les gens ne me donnent plus d’argent, ou ils en donnent beaucoup moins en disant: nos dépenses ont augmenté. Et moi, mes dépenses sont plus que doubles. Voilà.

Et du mensonge partout-partout-partout... c’est effrayant.

30 mai 1971

(Visite de Sujata à Mère.)

Le Mensonge est devenu aigu et terrible. Il doit s’en aller, alors il s’accroche. Depuis hier, c’est devenu terrible de telle manière qu’on ne peut plus avoir confiance en personne.

juin




2 juin 1971

(À propos des difficultés du disciple.)

Moi, j’avais senti chez toi une partie de la conscience – une partie très extérieure, très superficielle – qui tirait.

Oui, c’est cela.

Et je me disais: comment se fait-il?...

Quand c’est venu, j’ai toujours dit: les choses sont conduites, par conséquent il y a une raison et j’ai quelque chose à apprendre. Mais je vois que c’est réellement quelque chose qui est intransformable.

Il faut le rejeter de la nature. N’est-ce pas, c’est quelque chose qui doit de vie en vie se transformer – il faut que ce soit en dehors de ta personnalité.

(le disciple pose sa tête sur les genoux de Mère, qui se penche pour l’embrasser)

J’ai beaucoup souffert... Puissè-je te servir, Mère.

C’est ce qui, dans le passé, doit disparaître, qui s’accroche désespérément – en chacun sous une forme différente.1

(Mère plonge, respiration haletante, cherche à parler à moitié en transe sans y parvenir)

...Ne vouloir que ce que Dieu veut.

(Puis Mère ferme les yeux et sourit, les paumes ouvertes, et plonge)

S’accrocher au Divin comme cela (poings fermés). S’accrocher... (Mère a des larmes aux yeux, elle halète)... afin que ce soit le Divin qui nous porte. C’est tout.

(Mère cherche à parler à moitié en transe)

...Tout, il faut être tout une aspiration intense-intense, constante...2

3 juin 1971

(À Sujata)

Tu diras à Satprem que quoiqu’il arrive, il faut aller très profond, très profond dans le cœur: «Seigneur ce que Tu veux, Seigneur ce que Tu veux...» Pas questionner, pas se demander pourquoi – ça (front) silencieux, et ici (cœur) rester comme cela (geste poings fermés) avec une prière intense: Seigneur, ce que Tu veux, ce que Tu veux...

5 juin 1971

Il y avait un acharnement de toutes les circonstances pour apprendre au corps à... tout le temps, tout le temps appeler – appeler le Divin. Et alors, maintenant, il a pris l’habitude de répéter son mantra, et il le répète tout le temps. C’est une chose curieuse: s’il le répète, tout va bien; s’il ne le répète pas, il ne peut pas avaler ce qu’il mange – il semblerait que tout va se disloquer; et puis il répète son mantra: tout se passe très bien. Quand il ne pense plus qu’au Divin, tout va bien. Ce matin, c’était tellement clair! Quand j’ai pris mon petit déjeuner, c’était comme cela. Si le corps pense à manger, tout va de travers; s’il répète son mantra, il peut manger, il ne s’en aperçoit même pas, tout devient si facile. C’est très intéressant... C’est comme pour les gens: ils sont là, si je pense à eux, si je pense qu’il y a des difficultés... (geste grinçant), mais si je suis comme cela (geste immuable, paisible, dans le Seigneur), tout va bien, tout naturellement.

C’est une leçon, mais une leçon comme cela: acharnée.

(silence)

Et il a de vieux restes d’atavisme. Il y a (Mère rit) une sorte de crainte – une crainte tout à fait enfantine – que: «Si je pense au Divin, il va y avoir des difficultés à surmonter»; c’est comme cela dans les cellules (pas partout, très peu, comme un vieux reste de quelque chose qui a été traîné de vies antérieures), et alors je ris. Le corps ne demande qu’une chose, c’est de se fondre dans le Divin, de n’être plus que Ça, de ne plus exister séparément – alors tout va bien. Tout devient tranquille. C’est très intéressant. Dans les cellules du corps. C’est très intéressant. C’est vraiment la sâdhanâ du corps, et d’une façon si impérieuse – c’est tout à fait impérieux. Et quand il sort de Ça, il a l’impression qu’il va se dissoudre la minute suivante – que c’est la seule chose qui le tienne ensemble; sans Ça, il n’existe plus.

C’est devenu tout à fait concret aujourd’hui.

(silence)

L’humanité (ce devait être nécessaire à un moment donné, il y a des milliers d’années, je ne sais pas) a une frayeur, une frayeur du Divin – l’animal humain. Pour lui, ça correspond à la disparition. Et c’est en effet la disparition de l’ego. Et la disparition de cet ego [physique]... pendant longtemps, on a l’impression que si l’ego disparaît, l’être disparaît, la forme disparaît – mais ce n’est pas vrai! Ce n’est pas vrai. En tout cas, c’est devenu prêt [le corps de Mère] à vivre sans ego... Le difficile est que les lois ordinaires de la vie ne sont plus vraies. Alors là, il y a toute la vieille habitude, et il y a la nouvelle chose à apprendre.

C’est comme si les cellules – pas les cellules du corps: l’organisation qui fait une forme (qui tient tout cela ensemble et fait une forme, une forme que nous appelons humaine), c’est comme si ça devait apprendre que ça peut persister sans le sens de l’individualité séparée. C’est curieux. Sans le sens de l’ego. Et depuis des milliers d’années, ça a l’habitude de n’exister séparé qu’à cause de l’ego – sans ego, ça continue... par une autre loi qu’il ne connaît pas encore mais... qui pour lui est incompréhensible. Ce n’est pas une volonté, ce n’est pas... je ne sais pas... c’est quelque chose... une manière d’être. Alors, des milliards de manières d’être.

Il doit apprendre à être une manière d’être.

9 juin 1971

(Mère dit tout d’abord au disciple que l’article sur «Sri Aurobindo et le Bangladesh» a été traduit en hindi et envoyé à Delhi.)

Il y a une ruée des forces adverses. Une ruée enragée. Mais on commence à avoir la Réponse – c’est seulement un tout petit commencement. Dans chacun, c’était comme un ouragan, et ce n’est pas complètement fini. Tout ce que l’on croyait vaincu et repoussé se reprécipite – chez les plus inattendus –, sous toutes les formes, mais surtout caractère, oh!... les doutes, les révoltes, tout cela...

(silence)

On m’a demandé un message pour toute l’Inde [à l’occasion de la crise du Bangladesh]. Je l’ai donné.

(Mère tend le texte)

Supreme Lord, Eternal Truth
Let us obey Thee alone
and live according to
Truth.

Seigneur, Vérité Éternelle
Permets que nous n’obéissions qu’à Toi
et que nous vivions selon
la Vérité.

C’est une ruée du Mensonge, effroyable. C’était comme si tout le monde mentait, même les gens les plus inattendus – partout-partout-partout. Et c’était pour moi vivant (Mère fait le geste de voir), oh! horrible, tu ne peux pas t’imaginer... Une petite torsion à droite, une petite torsion à gauche, une petite torsion – rien-rien-rien de droit. Et alors, le corps s’est dit: «Où est ton mensonge?», il s’est regardé. Et il a vu cette vieille histoire: «Il faut appeler le Seigneur seulement quand c’est important!... (Riant) Tu ne peux pas espérer être avec Lui tout le temps!» Alors il a reçu une bonne tape.

Ce n’était pas agressif, ça avait l’apparence d’une humilité – il a reçu une bonne gifle.

C’était un acharnement de choses désagréables – plus que désagréables: vraiment-vraiment méchantes et mauvaises et destructrices. Un acharnement, jusqu’à ce qu’il ait compris. Alors ce sentiment est venu dans tout le corps, toutes les cellules, partout, tout le temps (c’était même arrivé au point que je ne pouvais pas avaler quand je mangeais), jusqu’à ce que tout-tout comprenne: «Je n’existe que par le Divin, je ne peux persister que par le Divin... et je ne peux être moi-même qu’en étant le Divin.» Après cela, c’était mieux. Maintenant le corps a compris.

(long silence)

Tu n’as rien à demander? Rien à dire?

J’ai l’impression qu’il y a une mauvaise destinée sur moi.

Non, ce n’est pas vrai! Ça fait partie du Mensonge, c’est ce Mensonge – c’est une partie du Mensonge. J’avais vu ça, je l’ai vu; j’ai essayé de l’enlever, je n’ai pas réussi... Il n’y a pas de mauvaise destinée, c’est une blague! C’est un vrai mensonge. Ce n’est pas vrai – ce n’est pas vrai du tout, du tout, du tout.

Voilà, ça te donne justement un exemple: c’est comme cela – c’est comme cela partout (Mère fait un geste avec des griffes). Moi, j’ai l’impression que je vois des diablotins avec des mains crochues qui essayent de s’agripper à tout le monde.

Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai, au contraire! Au contraire, la ligne que j’avais vue [pour toi] ces temps derniers, c’est justement une ascension d’influence bienfaisante sur les gens par les idées, et une chose (je t’en ai parlé) qui se répand, qui va faire son travail partout. Mais ça, naturellement, le diable ne veut pas, alors il essaye... (geste crochu) Ah! tu devrais le regarder et puis rire – lui tirer la langue comme un enfant mal élevé.

(long silence)

En tout cas, on est bien assailli.

Oh!... je te dis, c’est une ruée en masse – mais ça ne fait rien. Il faut s’élever au-dessus, et puis... (geste de regarder d’en haut). Ce que j’ai dit, c’est la Vérité, et c’est le seul remède:

n’exister que pour le Divin
n’exister que par le Divin
n’exister qu’au service du Divin
n’exister que... en devenant divin.

Voilà.

Il n’y a pas «toi», il n’y a pas «il faut attendre», il n’y a pas «ça viendra en son temps», il n’y a pas... toutes ces choses très raisonnables, ça n’existe plus – c’est Ça (Mère abat son poing), comme une lame d’épée. C’est Ça. Et c’est Ça envers et contre tout: le Divin. Le Divin seul. Tout le fatras de mauvaises volontés et de révoltes et de... tout ça (Mère lève un doigt immuable), ça doit être balayé.

Et ce qui dit qu’on périra ou qu’on sera détruit par Ça, c’est l’ego – c’est Monsieur l’Ego qui essaye de se faire prendre pour l’être véritable.

Mais le corps a appris que même sans ego, il est ce qu’il est, parce qu’il est ça par la Volonté divine et pas du tout par l’ego – nous existons par la Volonté divine et non par l’ego. L’ego était un moyen – un moyen d’il y a des siècles. Il y a des siècles. Maintenant, ça ne vaut plus rien, son temps est passé. Il a eu son temps, il a eu son utilité – c’est fini, c’est passé, c’est là-bas. Maintenant... (Mère abat son poing): la conscience, c’est le Divin; le pouvoir, c’est le Divin; l’action, c’est le Divin; l’individualité, c’est le Divin.

Et ce corps a très bien compris, senti; il a «réalisé» comme on dit en anglais, realized, understood, que ce sens d’être une personnalité séparée est tout à fait inutile, tout à fait inutile, n’est pas du tout indispensable à son existence, elle est tout à fait inutile. Il existe par un autre pouvoir et une autre volonté qui n’est pas individuelle, qui n’est pas personnelle: c’est la Volonté Divine. Et il ne sera ce qu’il doit être que le jour où il sentira: il n’y a pas de différence entre lui et le Divin. Voilà tout.

Tout le reste est mensonge – mensonge-mensonge-mensonge, et mensonge qui doit disparaître. Il n’y a qu’une réalité, il n’y a qu’une vie, il n’y a qu’une conscience (Mère abat son poing): le Divin.1

(Mère regarde le disciple avec une grande intensité, le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

12 juin 1971

(Tout d’abord, Mère donne au disciple quelques exemplaires de la traduction suédoise de l’introduction à La Genèse, puis nous lisons un certain nombre d’extraits de Sri Aurobindo pour le prochain Bulletin.)

«Chaque sâdhak a par nature certaines caractéristiques qui sont un grand obstacle sur le chemin de la sâdhanâ; elles restent avec obstination et ne peuvent être surmontées qu’après très longtemps, par une action intérieure du Divin. Votre erreur n’est pas d’avoir ces défauts – d’autres ont très fortement des défauts de colère, de jalousie, d’envie, etc., et non seulement ils les ont au fond d’eux-mêmes, mais ils les étalent très ouvertement –, mais l’erreur est d’en faire une raison de désespoir et de vouloir vous en aller. Partir n’a absolument aucun sens, vous n’y gagnerez rien. On n’échappe pas à ce qui est au-dedans de soi en changeant d’endroit; les difficultés suivent et se reproduisent en d’autres circonstances et dans un autre milieu. Partir et mourir ne résout rien non plus, car notre être et notre nature ne finissent pas avec la mort – ils continuent. La seule façon de se débarrasser de ces défauts est de les rejeter dehors, et le seul endroit où vous puissiez vous en débarrasser est ici. Ici, si vous restez, un temps viendra certainement où ces choses sortiront de vous. La souffrance qu’elles causent ne peut pas cesser en s’en allant au-dehors – elle ne peut cesser qu’en supprimant la cause intérieure, ou bien en vous retirant de ces choses et en réalisant votre vrai moi qui ne sera pas troublé par elles, même si elles surgissent, et refusera de les considérer comme faisant partie de lui-même – cette libération aussi ne peut venir qu’ici, par la sâdhanâ.»

24.5.1937
Sri Aurobindo

C’est épatant! Il y a tant de gens à qui l’on pourrait dire cela.


«Cette sorte d’état entre deux mondes, l’un que l’on a quitté mais qui ne lâche pas prise, et l’autre qui est presque saisi ou proche mais que l’on ne peut pas mettre en action, se produit toujours à un certain stade de transition entre la conscience ordinaire et la conscience yoguique. C’est évidemment très pénible. Il faut autant que possible garder ferme son mental. Il y a deux façons de s’y prendre. L’une est de rester tranquille avec une volonté silencieuse de traverser le passage rapidement pour aller à la vraie chose et de laisser la Force résoudre la difficulté. L’autre est l’effort, mais cet effort aussi doit être tranquille – si c’est un effort de lutte ou trop impatient, il risque d’accroître le conflit et l’agitation dans le mental et dans le corps. Le mieux est de se tenir tranquille, d’observer, d’avoir la volonté de changer en s’en remettant à l’action de la Force, mais aussi de se servir d’un effort tranquille chaque fois qu’il est possible. Si l’on fait cela, on s’aperçoit, au bout d’un certain temps, qu’une action tranquille devient habituelle et que chaque fois que les forces extérieures viennent déranger le mental, cette action tranquille les repousse automatiquement et garde l’équilibre de la conscience.»

19.1.1937
Sri Aurobindo

C’est excellent!


«Il y a quelque vérité dans ce que vous dites à propos de la “coupe vide”: il est nécessaire que la conscience soit plus ou moins vidée des vieilles choses avant que quoi que ce soit de positif puisse s’établir. C’est ce qui arrive dans votre conscience physique; les vieux mouvements sont en train de se vider et tout devient tranquille, mais ils se reprécipitent encore et la coupe doit être vidée d’une façon répétée. Si le rejet est ferme et persistant, le retour répété des vieux mouvements cessera d’être si tenace; les périodes de tranquillité et l’intensité de la tranquillité grandiront, jusqu’à ce que la paix et la quiétude s’établissent d’une façon permanente.

«Cependant, il n’est pas vrai que la nature tout entière doive être vidée des vieilles choses avant que la Lumière et la Grâce puissent venir. D’habitude, le vidage se fait en différentes parties de la nature, à différentes périodes. Vos dernières expériences ont pu venir parce que le mental et le vital supérieurs étaient suffisamment vidés et tranquilles pour recevoir certaines expériences de la nouvelle conscience. Maintenant, c’est le mental physique, le vital physique et le corps qui doivent être vidés – ceux-ci prennent plus de temps que les autres parties parce que le physique est davantage plein de vieilles habitudes, plus lent à recevoir ce qui est nouveau ou à changer. Mais par le détachement, par un rejet régulier, et avec la confiance en la force de la Mère, cette obstination peut être surmontée et la coupe se videra pour s’emplir de la Lumière divine.»

15.1.1937
Sri Aurobindo


«Quant à la sâdhanâ, il n’est pas vrai que vous n’ayez aucune capacité, mais il vous arrive ce qui est arrivé à beaucoup d’autres: la conscience physique s’est soulevée et a voilé le psychique qui s’apprêtait à venir en avant. Elle s’est soulevée en insistant sur l’importance de ses petites idées et de ses petits sentiments ignorants et elle refuse de les laisser partir. Quand le psychique vient en avant, tout cela quitte peu à peu la conscience et fait place à des mouvements plus larges et plus éclairés. Mais d’habitude, avant que cela ne se produise, ces choses montent d’en bas et dominent la conscience pendant un temps. Ce n’est pas nécessairement un état permanent, et si l’on voit clairement ces mouvements ignorants et les rejette consciemment, on peut en venir à bout plus rapidement – et même si cet état dure longtemps, il peut être surmonté à la longue, et c’est ce qui arrive à beaucoup maintenant. Naturellement, la conscience physique persuade le mental que c’est un état éternel et que l’on ne peut pas en venir à bout, mais ce n’est pas vrai.»

21.5.1937
Sri Aurobindo

C’est bien! Cela paraît juste le moment de le dire.

16 juin 1971

(Le disciple propose un certain nombre d’extraits de l’Agenda pour les «Notes sur le Chemin», et d’abord celui du 22 mai sur l’intervention de la Sagesse Suprême: «La possibilité d’un succès for-mi-da-ble – pas en l’air: ici.»)

C’est bien, ça. Ça fait revenir l’atmosphère... Est-ce trop tôt pour le dire? Je ne sais pas.

Oui, j’avais un peu l’impression justement...

Oui, c’est trop tôt. Il faut attendre.

C’est pour le Bulletin d’août.

Oui, mais le mois d’août est bientôt... Je ne sais pas. On verra le mois prochain s’il faut l’envoyer ou non, ou le garder. De toutes façons, on l’utilisera un jour. Ça paraît... Je semble aller trop vite.

Ça paraît loin, oui.

Peut-être n’ai-je pas la foi, c’est possible!

Je me souviens maintenant (en lisant, ça a ramené l’atmosphère), je me souviens dans quel état j’étais... J’étais en avant.


(Puis le disciple propose des extraits de la conversation du 9 juin sur la «ruée du Mensonge» et notamment le passage sur la disparition de l’ego.)

C’est d’une vérité tout à fait actuelle [la ruée].

Oh! ça [la disparition de l’ego], c’est parfait; ça, il faut le publier, c’est mon expérience de tous les jours, toutes les minutes, tout le temps... Ça, il faut le publier maintenant.

Tu sais, c’est mon expérience de chaque minute, pour tout, pour toutes choses, constamment: pour le repos, pour l’activité, pour la nourriture, pour tout, pour l’action avec les gens, pour tout-tout-tout; c’est une espèce de... je pourrais presque dire: c’est une possession par le Divin. Et mon corps sent qu’il n’existe que comme ça (geste poings fermés, accroché au Divin): sans Ça, il n’y a rien. Ah! ça, l’expérience est constante et totale.

(Mère plonge)

C’est intéressant: tout est utile – tout est utile, tout est nécessaire, à sa place dans le temps et dans l’espace (c’est quelque chose qui n’est ni le temps ni l’espace: dans la Manifestation, peut-on dire), et ça devient mensonge quand ça veut durer alors que son temps est passé. Et ce qu’il faut, c’est pouvoir être dans le Mouvement – le Mouvement du Déploiement éternel –, où les choses... deviennent de plus en plus vraies. Mais dans le Mouvement total et éternel, toutes les choses deviennent de plus en plus vraies.

(Mère replonge)

Magnifique!...

(Mère plonge)

23 juin 1971

(Mère écoute la lecture de diverses lettres de Sri Aurobindo pour le prochain Bulletin et s’arrête à celle-ci:)

«Votre vital semble tout du long avoir gardé une attitude de “marchandage” ou une attitude de “mess”, dans cette affaire. On donne un certain genre d’article que l’on appelle dévotion ou soumission, et en échange, la Mère est dans l’obligation de fournir satisfaction à toutes les exigences et désirs spirituels, mentaux, vitaux et physiques, et si elle ne remplit pas sa tâche, elle a rompu le contrat. L’Ashram est une sorte d’hôtel ou de mess communautaire, et la Mère est l’hôtelière ou la directrice du mess. On donne ce qu’on peut ou ce qu’on veut bien donner, ou peut-être rien du tout, sauf le susdit article, et en échange, il faut que le palais, l’estomac et toutes les exigences physiques soient satisfaites au grand complet – sinon, on a tous les droits de garder son argent, et d’injurier l’hôtelier ou le directeur du mess. Cette attitude n’a absolument rien à voir avec la sâdhanâ et avec le yoga et je refuse absolument à qui que ce soit le droit d’imposer cela comme base à mon travail et à la vie de l’Ashram.

«Il n’y a que deux fondements possibles pour la vie matérielle ici. L’un est que vous êtes membre d’un Ashram fondé sur le principe du don de soi et de la soumission. On appartient au Divin et tout ce que l’on a appartient au Divin; quand on donne, on ne se sépare pas de ce qui nous appartient, mais de ce qui appartient déjà au Divin. Il n’est pas question de paiement ni d’échange, ni de marchandage – pas de place pour les exigences et les désirs. La Mère est exclusivement responsable et arrange les choses aussi bien qu’elle le peut dans les limites des moyens à sa disposition et des capacités de ses instruments. Elle n’est nullement dans l’obligation de suivre les règles mentales ni les désirs vitaux, ni les réclamations des sâdhaks; elle n’est pas obligée de se soumettre à une égalité démocratique dans ses rapports avec les sâdhaks. Elle est libre de traiter chacun selon ce qu’elle voit comme son vrai besoin, ou selon ce qui est le mieux pour lui et pour son progrès spirituel. Personne ne peut la juger ni lui imposer ses règles et ses mesures; elle seule peut faire des règles, et elle peut s’en départir aussi si elle le juge bon, mais personne ne peut exiger d’elle qu’elle le fasse. Les exigences et les désirs personnels ne peuvent pas lui être imposés. Si quelqu’un a ce qu’il croit être un vrai besoin ou une suggestion à faire dans la sphère de travail qui lui est assignée, il peut le faire; mais si elle ne donne pas son approbation, il doit se tenir satisfait et en rester là. Telle est la discipline spirituelle dont le centre est celle qui représente ou incarne la Vérité Divine. Ou bien elle est cela, et tel est le simple bon sens de toute l’affaire, ou bien elle ne l’est pas, et alors personne n’a besoin de rester ici. Chacun peut aller son chemin et il n’y a pas d’Ashram et pas de yoga.»

11.4.1930
Sri Aurobindo,
The Mother, XXV.233

Ça va donner un tableau de l’Ashram pas très flatteur... Mais c’est vrai, c’est terriblement vrai. On dirait que c’est juste ce qui se passe maintenant! – ça pourrait être écrit maintenant.

Qu’est-ce que tu en penses [pour la publication]?

Je ne pense rien.

Qu’est-ce que tu sens?... Mais tu vas me dire que tu ne sens rien!... Moi, si ça (désignant le corps), ce n’était pas ce que les gens appellent «la Mère», si ce n’était pas moi, je dirais oui. C’est tout à fait ce qu’il faut.

Eh bien, il faut le publier.

Je ne veux pas avoir l’air de me défendre!

Pourquoi donc! De toutes façons, ça n’a aucune importance.

Bon, comme cela j’aime mieux.

Il n’y a qu’à le publier. Les autres citations1 donnent une image un peu obscure de l’Ashram, surtout accumulées.

Oui, une seulement.

Il y a vingt ans qu’il est parti – il est parti en 50, il y a vingt-deux ans, vingt-trois ans qu’il est parti.

Vingt-et-un ans.

Mais ça a marché tout de même.

(Mère plonge)

Ton article [sur le Bangladesh] semble avoir eu beaucoup d’effet – beaucoup.2 Il y a un renversement général. On s’attend à la guerre.

Mais tu sais que les Américains envoient des armes au Pakistan?

Il paraît. On a dit que ce n’étaient pas les Américains en tant que gouvernement.

Oui, ça, c’est facile!

Mais ce sont des fabricants américains.

C’est facile, on peut dire tout ce que l’on veut.

On s’attend à la guerre d’ici une semaine environ.

Mais les Indiens ne bougeront pas à moins qu’on ne leur donne des coups sur la tête!

Mais c’est le gouvernement indien qui l’a dit – ils se préparent. Ils n’étaient pas prêts [en mars].

Bah! ils n’étaient pas prêts il y a un mois, maintenant ils sont prêts!

(Mère hoche la tête) Moi, j’ai des nouvelles de gens qui ont organisé les troupes, et qui sont prêts à entrer dans le Pakistan demain, si on leur dit.

Si on leur dit.

Si on leur dit.

Oui.

Mais justement, il y a un ministre3 qui est allé dans les différents pays pour leur dire qu’ils avaient l’intention de faire la guerre.

!!!

Et il revient aujourd’hui, je crois, ou demain, avec les réponses. Et puis on va voir. C’est une question de jours. J’ai les dernières nouvelles du gouvernement – c’est le gouvernement qui m’a envoyé les nouvelles.4

Je suis sceptique.

Ce qu’on dit est toujours pire – pire ou mieux – que ce qui est. Voilà.

En tout cas, on m’a prévenue officiellement.

On verra.

On verra.

(silence)

N’est-ce pas, il y a les réfugiés5 – les réfugiés coûtent plus cher que la guerre.

Eh bien, oui!

Alors ils se sont éveillés, ils ont enfin compris.

Ils ont enfin compris! Quelle couche!

Alors ils veulent renvoyer tous ces gens chez eux avec des troupes pour les protéger.

!!!

On verra.

(silence)

Tu n’as rien?

J’ai reçu des nouvelles de P.L. Tu sais qu’on avait présenté le livre, «La genèse du surhomme», en même temps que «Le sannyasin», à Flammarion, un éditeur à Paris. Et ils ont refusé.

Ah! ils ont refusé.

Tu veux que je te lise ce qu’ils ont dit?

Oui.

Paris, le 14 juin 1971

«Nous vous remercions d’avoir bien voulu nous communiquer les deux manuscrits de Sri Satprem: “Par le corps de la terre” et “La genèse du surhomme”.

«Malheureusement, dans un cas comme dans l’autre, il a semblé à nos lecteurs que Sri Satprem ne parvenait pas à fonder ses croyances, finalement assez vagues et en tous cas difficilement communicables. Quant à l’écriture, elle ne réactive que très rarement ces indicibles souvent suspects. Ce sont ces lacunes, principalement, qui nous ont amenés à ne pouvoir envisager la publication.»

Signé: O.L.

Qu’est-ce qu’ils veulent dire?

Eh bien, cela veut dire que, d’abord, je n’arrive pas à donner une base solide à mes croyances, qui sont assez vagues...

Oh! ça naturellement.

Et quant au style (l’écriture), il ne rend que très rarement vivantes ces choses soi-disant «indicibles», qui sont suspectes. Voilà ce que ça veut dire.

Qu’est-ce que ça veut dire?

Ça veut dire que ces choses soi-disant indicibles sont suspectes, elles ne sonnent pas juste – elles ont l’air de mensonges, ou de faussetés ou d’imaginations, ou de je ne sais pas quoi.

(silence)

Et ces trois mille exemplaires [de La Genèse], qu’est-ce qu’on va en faire?

Je n’en sais rien.

On va les faire envoyer tout de même?

Mais les envoyer à qui, où?

Au dépositaire qu’A. a vu.

Mais celui-là en prend deux cents!

(Mère rit)

Il en prend deux cents et il va lui falloir deux ans ou trois ans pour les vendre.

Bah!

Si l’on ne passe pas par un éditeur, il n’y a pas de publicité, et s’il n’y a pas de publicité, il n’y a pas de vente. Voilà, c’est simple.

(Mère plonge longtemps)

Il doit y avoir un homme. Je sens qu’il y a sûrement un éditeur qui le prendrait avec plaisir. Mais je ne sais plus...

Est-ce que je n’ai pas fini ma tâche?

Jamais de la vie!

(Mère plonge)

Non, je vois un grand succès pour ce livre, je vois, c’est concret... Il y a un éditeur qui le prendra avec plaisir, mais je ne sais pas les noms.

(silence)

Pour moi, c’est clair, seulement c’est en avant.

(silence)

Tu n’as pas un moyen d’avoir le nom de tous les éditeurs en France?

Si, il y a un moyen. Tu veux que je te fasse une liste?

Oui, fais-moi une liste. Je verrai si la Lumière s’accroche à l’un.

Je vois... Je vois... N’est-ce pas, on l’a donné à lire à quelque vieux bonhomme – je ne veux pas dire vieux d’âge, je veux dire d’intelligence vieille.

Mais ils sont tous comme cela!6

Non, ils ne sont pas tous comme cela. Il y a ceux qui le considèrent comme sans importance – c’est l’un de ceux-là.

(silence)

C’est peut-être quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’argent et qui serait content d’avoir nos livres imprimés – il mettrait seulement sa couverture.

Je sens ça fort, tu comprends.

Eh bien, je t’amènerai une liste.

Non, ce n’est pas du tout bloqué; au contraire, ça va très loin en avant – ce n’est pas du tout bloqué, ça va très loin, c’est une question d’une dizaine d’années. Dans dix ans, ce sera fort. Je vois ça.

26 juin 1971

Il paraît que la guerre est inévitable.

Inévitable?

On l’attend du jour au lendemain... L’Amérique a envoyé des bateaux d’armes au Pakistan; alors avant de déclarer la guerre, le gouvernement de l’Inde veut demander à l’Amérique d’arrêter les voyages au Pakistan, d’intercepter les bateaux.1

On attend cela, et quand ce sera décidé, on déclarera la guerre. Ça, je le sais presque directement.

Mais qu’est-ce que tu vois, toi?

(Mère plonge)

C’est très confus. Je veux dire qu’il n’y a pas clairement les Forces d’un côté et l’Opposition de l’autre – ce n’est pas comme cela. Le Pakistan est en plein mensonge, mais même là... C’est confus, c’est très confus.

L’Inde aussi.

La Force travaille nettement en faveur de l’Inde, ça je vois, mais... Qu’est-ce que tu voulais dire?

Je voulais dire que l’Inde aussi est autant dans le mensonge que le Pakistan.

Mais oui, justement! c’est ça, le malheur. – Pas autant.

Pas autant, non.

Pas autant.

Il y a Indira qui vient de... (cela te donne une idée), Indira m’a fait envoyer un mot par J, le gouverneur, pour me dire que si j’ai quelque chose à lui dire, que je le lui dise par le gouverneur, sous double enveloppe, parce qu’il y a des gens [de l’Ashram] qui viennent lui dire des mensonges en mon nom, alors... elle commence à se méfier.

(silence)

C’est une bouillie, tu sais.

(silence)

On a terriblement peur de la famine.

Et nous avons de la peine à nous défendre contre une invasion.2 Il faut faire bien-bien-bien attention.

(Mère plonge)

Tu n’as rien à demander?

Moi, j’ai l’impression d’être dans une démolition complète.

(Mère plonge longtemps)

Moi, je n’ai rien à dire.

(Mère replonge, puis le disciple se retire et Sujata vient auprès de Mère)

(Sujata:) Douce Mère, quand tu regardes comme cela, qu’est-ce que tu vois?

(après un silence)

C’est extrêmement mêlé. Justement la sensation qu’il n’y a pas un clear-cut [une division nette] de la vérité d’un côté et du mensonge de l’autre, que c’est tout une bouillie.

J’ai l’impression que les choses sont maintenues comme cela (geste d’immobilisation sous une pression): on veut que le Centenaire de Sri Aurobindo puisse avoir lieu – s’il y avait une guerre, ce serait difficile. Alors, à Delhi, ils pensaient avoir la guerre dans huit jours – ils l’avaient dit, encore aujourd’hui ils me l’ont dit: c’est imminent. Et il y a, en même temps, quelque chose qui fait comme cela (même geste de pression immobilisatrice) pour garder les choses dans cet état incertain afin que le Centenaire de Sri Aurobindo puisse avoir son plein développement – alors je vois cette confusion. Le sentiment, c’est que le Centenaire a l’importance primordiale, et en même temps la conscience extérieure dit que s’il y a la guerre, ce sera la fin du Centenaire. Voilà, c’est comme cela. Alors je ne vois rien de précis parce que les choses sont comme cela, toutes emêlées... Si je vois quelque chose de clair, naturellement je le dirai, mais je ne vois pas. C’est confus-confus, très confus – très confus. Et une insistance sur nous, une pression sur nous pour que nous nous occupions surtout du Centenaire, que ce doit être notre préoccupation primordiale; n’est-ce pas, ne pas trop tenir compte des événements. Voilà ce que je vois – pas intéressant! (Mère rit)

(Sujata:) Mais douce Mère, est-ce que le problème de l’Inde et du Pakistan ne devrait pas être réglé pour le Centenaire justement?

C’était ce que j’espérais.

(Sujata:) Oui, Mère.

Mais il n’y a rien de clair. Ce serait magnifique, mais...

Mais il n’y a rien de clair. Ce serait magnifique, mais...

Et à dire vrai, toujours plus, je suis plus préoccupée d’être le transmetteur tout à fait limpide plutôt que de savoir – cela m’est égal de savoir; c’est seulement d’être aussi limpide que possible pour que Ça puisse, au moins à un endroit, se manifester sans trop d’opposition. Voilà tout.

Il faut avoir de la patience.

Ne pas avoir hâte de savoir. Il faut être plus anxieux d’être l’intermédiaire sans obstacle que de savoir – tu comprends? C’est plus important de maintenir l’atmosphère aussi limpide, aussi transparente que possible, plus important que de savoir d’avance ce qui va se passer. Voilà ma position.

30 juin 1971

C’est une confusion effroyable, tout le monde se dispute... Avant, au moins, Indira et N.S. s’entendaient, maintenant... Indira m’a fait dire par le gouverneur que si j’avais quelque chose à lui dire, je devais le lui dire par lui – je n’ai rien à dire.

On reçoit des lettres de partout, avec la «vraie connaissance» de ce qu’il faut faire d’après Sri Aurobindo, et puis... C’est un mélange, les choses sont toutes entrecroisées, oh!...

C’est le Mensonge qui a mis un manteau de vérité pour se faire croire.

Maintenant, elles ne s’entendent plus toutes les deux parce qu’Indira dit que je lui ai dit ça, et N.S. dit: «Non, Mère a dit ça.» Voilà.1

Eh bien, il faut dire ce que tu as dit!

Oui, mais ils l’interprètent à leur manière!...

D’un côté, on dit que la guerre est pour demain; de l’autre côté, la guerre est inutile – tout cela appuyé sur ce que j’aurais dit.

Enfin...

Pourquoi ne ferais-tu pas lire mon article [sur le Bangladesh] à Indira?

Mais je crois qu’on lui a fait lire.

Cela m’étonnerait beaucoup... Fais-le lui envoyer par J. [le gouverneur]!

(après un silence, Mère secoue la tête)

Ils ont passé le moment. Ils ont perdu la chance.

Oui, c’est ce que je pense aussi.

(long silence)

Figure-toi qu’avec les réfugiés, il y a des gens du Pakistan qui sont entrés en Inde et qui ont empoisonné les puits et les rivières. On en a attrapé sur le fait. C’est effroyable...

Mais ils ont ce qu’ils méritent! Ils veulent être comme de sages petits saints, ne pas intervenir et ne rien faire. Alors, résultat, il y a des millions de réfugiés, on empoisonne leurs puits et tout est pire. Ils ne veulent pas faire la guerre, tu comprends!

(Mère plonge longtemps)

Il paraît que le Parlement est pour la guerre – le Parlement veut la guerre, et c’est le gouvernement qui ne veut pas.

Oui.

(Mère replonge)

Mais c’est une maladie qui a pris le monde entier. Il y a une Américaine qui était venue ici et qui devait revenir, et elle a été poignardée dans la nuit en rentrant chez elle – à New York. Il paraît qu’on ne peut plus sortir le soir à New York, il faut être au moins trois ou quatre ensemble... Le monde est devenu fou – partout.

juillet




3 juillet 1971

Tu sais, c’est comme si les deux extrêmes – un état merveilleux et une décomposition générale – étaient là comme cela (geste inextricablement entremêlé). Tout-tout se désorganise: les gens sur lesquels on compte lâchent pied, il semble qu’il y ait une déshonnêteté générale qui se répand, les gens tombent malade tout le temps... Au point de vue difficulté, il n’y en a JAMAIS eu autant, jamais, et combinées: les grosses difficultés avec des difficultés ruineuses. Et en même temps, pendant... un éclair (ça vient quelques minutes, et puis ça s’en va), un état... merveilleux (c’est le corps qui le sent), inimaginable, n’est-ce pas, comme l’extrême opposé. Comme si c’était ça qui voulait prendre la place – mais le reste se défend d’une façon terrible. Et alors, toutes les circonstances sont comme cela, tous les gens sont comme cela, depuis le gouvernement jusqu’aux gens d’ici. Et puis cet état merveilleux: ça vient quelques minutes dans mon corps, et puis ça s’en va.

N’est-ce pas, c’est tellement... affreux – tout le monde, tous les gens sur qui l’on compte, tout-tout-tout dégringole; au point que la conscience se demande: «Mais qu’est-ce que cet enfer, ce n’est pas une vie!» Et alors, à un autre moment – mais pour quelques minutes seulement –, un état tellement merveilleux que c’est inimaginable. Voilà. Alors c’est cela que je vis depuis... la nuit, le jour, sans arrêt.

Ce matin, pendant quelques minutes, c’était absolument merveilleux, et tout le reste du temps c’est infernal. Voilà, c’est ça, la vie. Il semble que tout-tout se désorganise, les gens sur lesquels on compte lâchent pied, et en même temps, tout d’un coup... C’est 90% comme cela, mais les 10% sont tellement merveilleux que c’est inimaginable. Voilà.

Et toutes les idées de volonté personnelle, d’attitude à prendre... Mon corps, sans arrêt, nuit et jour, quelles que soient les difficultés, simplement: «Mon Dieu, que Ta Volonté soit faite.» L’attitude du corps ne bouge pas: complètement comme cela (mains ouvertes en offrande). Et le sens de son impuissance... non: pour autant qu’il reste le sens de la personnalité (ce n’est pas beaucoup, il n’en reste pas beaucoup), mais le peu qui reste est d’une telle impuissance, d’une telle incapacité, d’une telle ignorance!... ignorance! effrayante, de tout. C’est quelque chose... On se demande pourquoi-pourquoi c’est, ça (Mère touche son corps). Et puis... (geste d’éclair merveilleux). Voilà.

Et l’autre côté n’a pas d’histoire. C’est... comme si l’on était absolument malade, une déchéance complète, et tout d’un coup on est merveilleusement bien portant, puissant. Et ça vient tout naturellement, sans faire d’embarras. Et ça reste, et puis pfft!

Tous nos raisonnements, toutes nos...: par terre – vaut plus rien.

Et tous les gens nécessaires pour que l’organisation marche, tous les gens sur qui l’on compte, ploff! ils lâchent.

N’est-ce pas, c’est au point que manger devient un problème, dormir devient un problème, parler devient un problème – tout est un problème –, et puis en même temps... ça se fait, on ne sait pas comment: les choses s’arrangent, et on mange, on se repose... Un exemple: on est couchée, on a tellement mal qu’on se dit: «C’est impossible, je ne peux pas rester là», et puis tout d’un coup, poff! plus rien: un repos merveilleux. Et il n’y a plus ni corps, ni problème ni rien. Et puis, sans que l’on sache pourquoi ni comment, tout d’un coup, toutes les difficultés reviennent. Et c’est comme cela, et toute la vie est comme cela.

Alors les gens viennent me dire: «J’ai telle difficulté, telle difficulté...» – «Ah! je leur dis (tort excédé), c’est entendu, le monde entier est comme cela!» Il peut périr que ça me ferait... ce serait un soulagement. Voilà. Et puis... (geste d’éclair merveilleux). Trois minutes de splendeur pour douze heures de misère. C’est la proportion. Et pour un corps qui vraiment, sincèrement... il ne pense qu’au Divin, il ne veut que le Divin. Mais il est tout à fait conscient de son incapacité.

N’est-ce pas, c’est comme une démonstration par le fait, de l’existence du Divin et de ce qu’est l’existence du Divin – d’une existence absolue et de ce qu’elle est –, et puis de ce que c’est devenu.

(silence)

Je n’entends pas, je ne vois pas, je ne peux pas manger, je ne peux pas parler – tout cela comme une détérioration –, je ne comprends pas, je ne me souviens plus; et en même temps, tout d’un coup, le sens d’une... d’une toute-puissance souveraine, dans une... quelque chose... une béatitude qui n’a pas d’équivalent dans notre monde. C’est comme cela. Mais ça, c’est simplement comme pour me dire: «Oui, c’est vrai: c’est ça; c’est ça que l’on veut et c’est ça qui devra être...» Mais quand?... Voilà.

Et alors, cela vous rend... (tout le monde se plaint, tout le monde gémit, tout le monde dit des misères), ça vous rend comme cela, on dit: «Eh bien, qu’est-ce que vous voulez, le monde est comme cela!»

Le monde est «comme cela», mais ce n’est pas vrai! il n’est PAS comme cela – il est comme cela pour notre conscience... Pendant un moment ce matin, je me suis demandé: «Pour la conscience des animaux sauvages, comment est-ce?...» Et alors j’ai vu que cette conscience capable de voir le tout n’existe pas pour les animaux, ils ne l’ont pas – ils vivent au jour le jour et à la minute la minute ce qui leur arrive. Voilà tout. J’ai compris cela, j’ai vu, c’est... (geste au front, signifiant que le mental abîme tout).

(silence)

C’est-à-dire que ça devient très-très aigu: à quel point le monde n’est pas ce qu’il doit être. D’habitude, on dit: il y a un mélange de bonnes et de mauvaises choses; mais tout cela, ce sont des enfantillages – les bonnes choses ne valent pas mieux que les mauvaises. C’est pas ÇA. Le Divin, c’est autre chose.

(Mère plonge)

Alors, toi, qu’est-ce que tu apportes?

Rien de particulier.

Rien?

Je voudrais savoir une chose. Je voudrais savoir si j’ai encore un travail à faire.

Oh! nonsense! [sottise] Ça fait partie des forces adverses. Quand ça vient, tu n’as qu’à dire: «Ah! bon, je suis en train d’écouter le Mensonge...» Tu as toute une vie de réalisation devant toi!

Je veux dire: quelque chose à créer?

Mais bien sûr – bien sûr!

(silence)

Dès qu’il y a une influence défaitiste – que ce soit une sensation, une pensée, ou n’importe –, dis-toi que c’est le diable.

Mais ce n’est pas une sensation défaitiste, c’est qu’en fait TOUT EST DÉFAIT.

Mais oui! mais c’est ça. C’est ça que j’appelle une sensation défaitiste.

Mais ce n’est pas une sensation, c’est un fait.

Mais oui, mais c’est ce que je viens de te dire: tout se désorganise – tout-tout, tout le monde. C’est un fait – eh bien, ce fait, c’est pour nous dire: «Voilà ce qui ne doit plus être.» Pour la conscience humaine ordinaire, c’est ça la réalité – eh bien, ce n’est pas vrai, voilà tout. Il n’y a qu’à se dire: ce n’est pas vrai.

Je veux dire que, par exemple, ce que j’ai écrit n’a plus de réalité vivante pour moi.

Oui, voilà... C’est parce que tu es en train de passer de l’autre côté, comme moi. Voilà tout.

Rien n’a de réalité.

Rien, oui.

Rien-rien...

Tu me dis «Le Divin» ou tu me dis «Ceci...» – pour moi, rien n’a de réalité.

Ah! pardon, je te dis cela (et j’insiste): pour moi, le Divin est devenu aussi concret – plus concret et plus impératif – que-Seulement, nous ne sommes pas capables de Le sentir: une minute, plusieurs minutes tout d’un coup, et après, prrt!

Tu n’as jamais senti tout d’un coup...

Je sens la Force.

Oui, c’est ça.

C’est la seule chose qui ait une réalité.

Oui.

Parce que, autrement, tout le reste m’apparaît comme une fabrication du mental supérieur.

Oui, c’est ça.

À volonté, on peut s’imaginer ou se penser dans des consciences immenses, et puis il n’y a rien du tout, du tout, du tout.

Oui, c’est ça. C’est une autre façon de dire ce que je dis.

Mais tout d’un coup... tout d’un coup, c’est la Force... une Force... – nous disons «force» parce que... parce que nous ne savons pas ce que c’est –, une Force toute-puissante. Mais comme ça: ça vient, ça disparaît.

Mais mon corps a l’expérience, mon corps sait que ça ne part pas; il sait qu’il est incapable de le sentir, mais il sait que ça ne part pas.

C’est pour moi comme une faillite de tout l’enseignement. Tout l’enseignement m’apparaît comme une fabrication du mental supérieur et c’est tout – quelque chose qui n’a pas de réalité concrète.

Mon petit...

C’est comme si je n’en voulais plus. Comme si le mental ne voulait PLUS de tout ça.

C’est du Mental que l’on ne veut plus – il devrait se taire et se tenir tranquille.

Oui, mais c’est aussi, en même temps, un appui – enfin c’était un appui. Moi, je m’appuyais là-dessus, c’était une espèce de base derrière, de base d’expérience derrière. Eh bien, c’est comme si cette base-là était partie.

Oui, mais il y en a une autre qui... une autre que je viens de te dire... et celle-là... mon petit, c’est inimaginable. La conscience ordinaire ne peut pas s’imaginer ce que c’est. Ce sont des moments tellement merveilleux... que le reste en paraît encore pire.1

(Mère plonge)

10 juillet 1971

(À propos de quelques paroles de Mère notées de mémoire par une disciple.)

«Quand la vie est harmonieuse, ce n’est pas une récompense donnée par le Divin. Si la vie était normalement ce qu’elle doit être, tout serait toujours harmonieux...

Oui, quand c’est harmonieux, on croit: «Le Divin est content de moi»! Les gens croient comme cela, mais ce n’est pas vrai: c’est l’état NORMAL.

«...C’est à cause de nos imperfections qu’elle ne l’est pas, et quand les imperfections disparaissent, les difficultés disparaissent en même temps.»1


Peu après

L’expérience dans le corps est très intéressante. Toutes les soi-disant souffrances morales, intellectuelles, psychologiques, c’est-à-dire de la conscience qui n’est pas purement matérielle, ça lui paraît des enfantillages. Hier, il a eu... (comment dire? je ne sais pas comment expliquer). Il ne sent pas les choses par rapport à lui-même, il sent les choses... (silence) DANS les autres, mais avec une conscience générale, pas une conscience personnelle; et la souffrance physique, c’est-à-dire les maladies, les accidents, il a une telle horreur de cela qu’il s’est demandé pourquoi-pourquoi le monde existe comme cela?2 Et alors, il a compris pourquoi les gens ne veulent plus avoir de corps (ça lui paraissait toujours ridicule avant), il a compris pourquoi. C’était une expérience tellement intense! il a eu une aspiration, quelque chose comme une prière (mais ce n’est pas une prière): «Que le monde change! que le monde change, il FAUT qu’il change – ou qu’il disparaisse.» Mais l’idée de disparaître ne lui était pas venue, ça lui paraissait... il lui semblait que le monde tendait vers une perfection harmonieuse; mais, n’est-ce pas, ça dure – cette durée du temps est terrible! Il y avait une aspiration d’une intensité incroyable pour la transformation. Tout paraît si épouvantable parce que... parce qu’il FAUT, il faut la transformation. Et que l’on puisse être satisfait d’un monde comme cela, c’est impossible – c’est impossible à une conscience physique qui est consciente du Divin. C’est impossible, il faut que ça change absolument. Et ça, c’était tellement aigu... ça m’a tenue toute la nuit, toute la journée comme cela pendant que je vois les gens, une intensité: il faut que ça change, il faut que ça change...

L’être, la conscience intérieure peut dire, peut être consciente que cette souffrance-là est irréelle, mais la conscience physique ne peut pas – elle ne peut pas, il FAUT que ça change. Il ne s’agit pas d’entrer dans une conscience où on laisse cette conscience physique disparaître: il faut qu’elle change, il faut qu’elle change... Je ne sais pas m’exprimer, je ne peux pas dire.

Si, si, je comprends.

Il est tellement conscient que dans tous les mondes, même le monde vital, tout dépend de l’attitude, et si vous êtes en union avec le Divin, tout peut aller, ça n’a pas d’importance, mais ça (Mère touche son corps), cette souffrance physique – le cancer, toutes ces choses –, c’est tellement concret: il FAUT que ça change, il faut que ça change. Ça ne peut pas être considéré comme une chose que l’on doit «voir autrement». Il faut réellement qu’elle change. Tu comprends ce que je veux dire?

Oui, douce Mère.

Dans tous les autres domaines, ça dépend de l’attitude; ici, ça ne dépend pas de l’attitude – on peut souffrir plus, souffrir moins, mais... N’est-ce pas, il faut que le FAIT change. Mais ça, le monde, le monde matériel vu tel qu’il est, est une chose EFFROYABLE.

N’est-ce pas, elle est tolerable à cause de l’influence mentale (vitale et mentale), mais cette influence ne suffit pas, il faut que ce soit transformé.

Je vais le dire d’une façon tout à fait ordinaire: par exemple, un être supramental qui a la conscience supramentale, si son corps a un cancer, ça restera un cancer, tu comprends?... Il peut ne pas sentir, mais à condition de se détacher de son corps; et alors, pour que la transformation soit vraie, il faut que le corps AUSSI atteigne une harmonie au-dessus – au-dessus de toutes les maladies, au-dessus de tous les accidents.

C’est la seule partie. Les autres parties de l’être peuvent se transformer, transformer leur conscience en restant ce qu’elles sont – le corps physique, lui, a besoin de changer.

Je ne sais pas si c’est une expérience de passage ou si c’est une expérience finale – ça, je ne sais pas. On verra.

Mais pourtant, avec une conscience supramentale, il ne devrait pas être possible d’avoir un cancer, par exemple.

Oui, mais alors ça veut dire... ça veut dire que la substance matérielle est transformée.

Non, je veux dire simplement la conscience: si quelqu’un a la conscience supramentale, cette conscience-là devrait pouvoir protéger le corps suffisamment, non?

Je ne sais pas, c’était ça.

Moi, cela ne me semble pas possible. Il ne me semble pas possible que quelqu’un ayant une conscience de Vérité puisse être atteint d’un Mensonge.

(silence)

S’il y a un mensonge dans le corps, c’est qu’il y a un mensonge dans la conscience.

(silence)

Je ne t’imagine pas, toi, ayant un cancer! ça ne me semble pas possible.

C’est justement.

Ça ne me semble pas possible.

Avant, c’était comme cela; avant, je pensais que c’était impossible. Mais je n’en suis plus si sûre.

Je ne sais pas.

Sauf si cela te venait comme une expérience à traverser ou comme quelque chose à conquérir pour la terre.

Oui, peut-être.

Mais ce ne pourrait être qu’un phénomène de travail, passager, ce ne pourrait pas être quelque chose qui atteigne ton corps vraiment. Cela ne me semble pas possible.

Oui, j’étais convaincue de cela... C’est probablement une expérience nécessaire, une phase nécessaire.

N’est-ce pas, j’avais l’impression toujours, toujours l’impression: s’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est que ce quelque chose n’est pas vraiment tourné vers le Divin. Et si tout est tourné vers le Divin, n’obéit qu’au Divin, forcément ce sera harmonieux. C’était ma conviction. Et c’est hier que l’expérience est venue autrement.

Probablement, c’est une expérience nécessaire.

Oui, c’est probablement parce que ton corps est universel (enfin il est terrestre en tout cas), alors ça peut venir comme un phénomène de travail, pour un moment – ce ne peut pas être un phénomène personnel de ton corps.

Non, mon corps est de moins en moins personnel.

Oui, cela ne me semble pas possible, tu comprends.

Probablement, c’est une phase à traverser.

N’est-ce pas, ton corps est à volonté dans toutes sortes de personnes, alors il peut être très bien dans le corps d’une personne qui a un cancer...

(silence)

Non, c’est probablement pour lui donner l’intensité de consécration nécessaire.

(silence)

Il n’a pas eu peur, ni d’angoisse, ce n’est pas cela, c’était... C’était comme une expérience (je ne sais pas comment dire), mais probablement c’est une question de mots... Avec la transformation, l’impossibilité de certains désordres doit venir automatiquement.

(Mère plonge longtemps)

Nous sommes juste à la période la plus difficile.

Oui.

Parce que ce n’est plus ça, ce n’est pas encore ça.

Et le corps a des expériences curieuses: tout d’un coup, pendant quelques minutes, il sent que la fixité de la matière est une illusion et qu’elle peut... Tiens, je te donne un exemple tout à fait pratique: une chose intérieure, par exemple une inflammation quelque part; eh bien, tant que l’on est dans la conscience ordinaire, physique, elle est là, elle est concrète et elle fait mal, mais il y a une conscience où elle n’existe plus – physiquement. Si l’on sait (comment dire?)... pour dire simplement: approcher le Divin comme il faut, entrer en relation avec le Divin comme il faut, de la manière qu’il faut – ça disparaît. J’ai vu cela ces jours-ci. Et après, ça recommence comme c’est toujours.

(Mère se retourne) Il est là?

Pranab est là.

Oh! au revoir!3...

14 juillet 1971

Le rhume s’acharne, il ne veut pas me quitter...

Alors, qu’est-ce que tu apportes?

Une question posée par Z. Elle a un ami à Calcutta qui lui a écrit à propos de l’organisation de la guerilla clandestine au Bangladesh. Il lui dit que pour l’entraînement de ces guerillas, et pour leur donner les armes, les vêtements et tout le nécessaire, ils ont besoin d’argent, et il lui demande si elle pourrait écrire à ses amis en Suisse, en France, en Allemagne, etc., pour récolter de l’argent. Mais elle demande si elle doit le faire. Elle ne veut rien faire sans ta permission.

Elle peut le faire, seulement il ne faut pas qu’elle mentionne mon nom. Moi, je ne demande rien. Tu comprends, si elle demande et si jamais... Elle peut le faire en son nom, comme une oeuvre de charité, mais moi, je ne parais pas, je ne demande rien.

(silence)

Moi, ça me met dans une situation difficile... C’est très difficile.

Comment?

Les gens me disent: tout a doublé, nous sommes minables, nous ne pouvons pas donner. Pour moi aussi, tout a doublé et je ne reçois plus d’argent.

La situation est devenue très difficile.

(long silence)

Mon rhume s’acharne, ne veut pas s’en aller.

Qu’est-ce qui te donne ça?

Pour moi, comme je le vois, c’est un mélange – un mélange de contagion que j’ai prise de gens qui sont venus et qui m’ont fait ce cadeau, et en même temps de choses qui veulent changer... Tu n’imagines pas les formations (geste autour), c’est incroyable – les formations qui sont là à bouger, à...

J’ai retrouvé des lettres de Sri Aurobindo où il décrit (des lettres adressées à moi), il décrit la condition actuelle – on dirait que c’est maintenant!1

Des formations adverses?

Oui, naturellement! tout ce qui doit disparaître, mais qui s’acharne.

Pour moi, toutes ces formations (plus que catastrophiques, tu comprends), pour moi ce n’est rien, ça n’a aucune valeur, mais ça affecte les gens, et alors eux, ils se mettent de travers, et alors... On peut dire que la répercussion sur mon corps est le minimum de ce qui peut être.

Le corps voit très bien, très clairement, la protection merveilleuse qui est sur lui, autrement, tu sais, il serait déchiqueté.

(Mère entre en contemplation)


ADDENDUM

(Traduction de quelques fragments de lettres de Sri Aurobindo à Mère en France.)

6 mai 1915

Tout est toujours pour le mieux, mais parfois, d’un point de vue extérieur, c’est un mieux pas très commode...

Toute la terre est maintenant sous une même loi et répond aux mêmes vibrations et je doute que l’on puisse trouver un seul endroit où nous ne serons pas poursuivis par le conflit et les chocs. En tout cas, il ne semble pas qu’une retraite effective me soit destinée. Il faut que je reste en contact avec le monde jusqu’à ce que j’aie maîtrisé les circonstances adverses ou succombé ou mené le combat entre le spirituel et le physique aussi loin que je suis destiné à le mener. C’est comme cela que j’ai toujours vu les choses et continue de les voir. Quant aux échecs, difficultés et apparentes impossibilités, j’y suis trop habitué pour qu’ils m’impressionnent beaucoup avec leur théâtre constant, sauf pour de brefs moments...

Il faut avoir un cœur calme, une volonté stable, une abnégation totale et les yeux constamment fixés au-delà pour vivre sans découragement à une époque comme celle-ci qui est vraiment une période de décomposition universelle. Quant à moi, je suis la Voix et ne regarde ni à droite ni à gauche. Le résultat ne m’appartient pas, ni même vraiment, maintenant, le labeur.


28 juillet 1915

Toutes les choses intérieures sont mûres ou en train de mûrir, mais c’est une sorte de lutte nouée où nul côté n’arrive à faire une avancée perceptible (un peu comme dans la guerre des tranchées en Europe); la force spirituelle s’obstine contre la résistance du monde physique tandis que la résistance dispute chaque pouce de terrain et lance des contre-attaques plus ou moins efficaces... S’il n’y avait pas la force et l’Ananda au-dedans, ce serait une besogne harassante et dégoûtante; mais l’oeil de la connaissance regarde au-delà et voit que c’est seulement un épisode qui traîne en longueur.


16 septembre 1915

Rien ne semble capable de faire bouger l’immobilité des choses; tout ce qui est actif en dehors de nous-mêmes est dans une sorte de tourmente de confusion obscure et ténébreuse d’où rien de lumineux ni de défini ne peut émerger. C’est un singulier état du monde, la définition même du chaos avec la forme superficielle du vieux monde qui reste apparemment intacte à la surface. Est-ce le chaos d’une longue désintégration ou de quelque nouvelle naissance prochaine? C’est l’objet même de la bataille qui se livre jour après jour, mais jusqu’à présent encore, sans rien de décisif.

Sri Aurobindo
On Himself, XXVI.424 sqq.*

17 juillet 1971

Avant-hier j’étais presque guérie, je croyais que c’était fini, puis hier il y a eu une avalanche de choses... oh! de mauvaises volontés, de disputes, de... c’était tellement effroyable que le rhume a recommencé. C’est cela qui empêche. Je vois ici, si les choses s’apaisent et que je puisse rentrer dans mon atmosphère normale, c’est comme si tout disparaissait – je n’ai plus de rhume, je ne souffre plus. Et ça revient du dehors comme une attaque furibonde: des gens qui se querellent, qui se disputent, les circonstances qui vont de travers, tout. Et tout cela, on me le jette dessus, alors...

Alors, ça a recommencé hier soir. C’était fini, n’est-ce pas: mon nez, ma gorge étaient clairs, c’était fini. Vraiment ce n’est pas moi: ça vient du dehors. Un acharnement. Et naturellement, ils me rendent tous responsable! Je leur dis une chose, ils en font une autre; je leur écris une chose, ils le tordent et ils en font quelque chose d’autre, et après, alors, ils disent que c’est de ma faute. Voilà (Mère se met à tousser).

Tout à fait charmant.

Au fond, c’était comme une démonstration – comme une pièce de théâtre, tu sais, pour démontrer comment les hommes se conduisent vis-à-vis du Divin. C’était vraiment comique! On peut se mettre en colère et dire: «C’est honteux» – mais c’était comique. C’était comique: tout est la faute du Divin! Et les hommes ordinaires sont comme cela: c’est le Divin qui les maltraite, c’est le Divin qui fait des choses contre eux, c’est le Divin qui organise mal les circonstances... C’est comme cela. Ils sont tous comme cela.

Et c’est une espèce de malice semi-consciente: on fait ça, ils font juste ça (légère torsion), ils tordent un petit peu, et alors c’est tout déformé; on dit une chose, ils ajoutent un mot, ou ils en enlèvent un et c’est tout déformé. Même ce qui est écrit, ils le lisent à leur manière. C’est épatant.

Et à une grande échelle, n’est-ce pas: c’est à une échelle presque mondiale, en tout cas une échelle nationale, du pays, mais... ça a des répercussions en Chine, en Russie, en Europe, en Amérique. Et ils ont fait... tu sais a mess [un gâchis] de toute l’affaire [du Bangladesh], d’une façon épouvantable – épouvantable. Maintenant, ils se sont arrangés: les Américains essayent de s’entendre avec les Chinois – ça, c’est complet! – pour aider le Pakistan à massacrer les gens.

Oui, on a l’impression que l’Amérique fait la politique des forces adverses. Ils travaillent pour les forces adverses, dirait-on...

(silence)

Tu sais que le Président des États-Unis [Nixon] va aller en Chine?

Mais oui!

Et ils n’essayent pas de se rapprocher des Russes, au contraire.

Non, oh! non.

C’est-à-dire qu’ils font tout à l’envers.

Oui.

(silence puis Mère lève les bras dans un geste d’impuissance)

Tu as apporté quelque chose?

Oui, il y a ton message du mois d’avril qu’il faut traduire en français pour le Bulletin:

(traduction)

Nous sommes à l’une de ces «Heures de Dieu» où la base tout entière est ébranlée...

C’est exactement cela.

... et il y a une grande confusion. Mais c’est une merveilleuse occasion pour ceux qui veulent faire un bond en avant, les possibilités de progrès sont exceptionnelles.

Ne serez-vous pas de ceux qui profitent de l’occasion?

1.4.1971


Z veut remettre ses enfants ici.1

Oui, elle m’a dit que tu lui avais dit de rester.

Oh!... Non, ça, c’est effrayant!... Elle m’a dit: «Est-ce que mes enfants pourraient revenir ici?» C’est elle. (Et il y a quelque chose qu’elle ne dit pas.) Et alors naturellement, tout de suite, je lui ai dit oui. Je lui ai dit: «Si tu veux, tu peux rester.» Elle m’a dit: «Oh! je voudrais bien rester...»

C’est comme cela (geste de torsion), tout le monde est comme cela.

Oui, tout est tordu.

(puis il est question du disciple du Vatican)

Z dit que P.L. s’est très mal conduit, qu’il est pris dans un monde d’argent, de pouvoir, de femmes, de... je ne sais trop quoi – qu’il est complètement sous la coupe de Mgr R, tu sais, qui manie des milliards?

Oui, il devait venir ici.

Oui, c’est cela. C’est P.L. qui gère ses affaires, ces énormes millions. En tout cas, Z lui reproche d’être dans ce monde-là et elle a rompu avec lui.

Mais occultement, il faut te dire que j’avais vu que beaucoup d’argent pouvait venir ici par P.L. Et alors, naturellement, j’ai augmenté son rapport [avec la Force]. Mais normalement, ça devrait venir.

Son attitude est restée profondément ce qu’elle est.

Oui, douce Mère, ça j’en suis sûr! Et même si les apparences sont actuellement comme cela, je suis sûr qu’au fond il fait ton travail, ou il va le faire, ou le terrain se prépare.

Oui-oui, c’est ça. C’est ça. J’ai l’impression qu’il peut faire un travail considérable.

Je sens cela aussi.

Seulement pas ouvertement.

(silence)

Il y a une ruée du Mensonge. Et alors on sent que c’est seulement ce qui est vraiment vrai qui a le pouvoir de résister – un peu au-dessus du mental.

Mais ça [les paroles de Z], cela te donne un exemple de comment c’est – c’est vraiment une sorte de déraillement. Elle t’a dit vraiment: «Mère m’a demandé»?

Oui: «Mère m’a dit de rester.»

Elle a dit «dire» ou...

Elle m’a dit «Mère m’a dit.» Mais enfin, la façon dont c’est dit, cela veut dire... Oui, Mère m’a dit de rester, comme si c’était un ordre ou un conseil que tu lui donnais.

Oui... c’est ça.

(silence)

Oh! si tu savais les expériences... Justement des choses comme cela [les paroles de Z], partout-partout, tout le temps, tout le monde – tout-tout comme cela (geste de torsion) oh!... Et alors, mon corps, le corps a dit: «Mais je suis comme cela aussi!» Il a vu ses... Oh! mon Dieu... (Mère joint les mains). J’ai compris que si la Conscience Suprême avait eu une seule minute le genre de conscience qu’ont les hommes, le monde serait dissous. Tout spontanément, nous, notre réaction, notre réaction spontanée vis-à-vis des chocs, de ce qui nous paraît mauvais: dissoudre le Mensonge. Les réactions spontanées. Pas transformer: dissoudre. Tu comprends, il y a un abîme entre les deux.

Oui.

Et c’est spontané, c’est l’idée d’abolir – abolir le Mensonge. Mais si une seule seconde, le Seigneur Suprême avait eu ce mouvement-là, il n’y aurait plus de monde!... Et alors, je crois que le corps a compris. Je crois qu’il a compris, c’était extraordinaire... Qu’est-ce que nous sommes! Qu’est-ce que les hommes sont! Ils se croient, mon Dieu (Mère fait le geste de se gonfler), ils se croient... oh!... S’ils ont une petite volonté ou s’ils ont une petite compréhension, ou s’ils font un petit effort de perfection, oh! (même geste) ils se croient, ils se croient extraordinaires! (Mère prend sa tête entre ses mains et rit)

Quelque part, Sri Aurobindo a dit que quand on touchait à la Conscience Divine, tout d’un coup cela vous donnait le sens... à quel point le monde est risible dans sa fatuité – la fatuité des hommes. Mais même (j’ai eu des contacts avec les animaux), même déjà chez les animaux, ça commence. Vanité-vanité-vanité-vanité...

Oui, il n’y a pas de quoi se vanter.

Oh! non.

C’est sûr.

Oh! non – non, ce n’est pas tant qu’ils se vantent, mais qu’ils se croient.

(silence)

Tu sais, la tromperie et les tentatives de tromperie sont prises presque partout pour de la bonne volonté. Et ceux qui ne veulent pas tromper, mais qui se trompent eux-mêmes, ce sont déjà des êtres exceptionnels.

Ce ne sont pas des découvertes, ce sont des choses que je voyais; mais on les voit occasionnellement, exceptionnellement, ou pour ceci ou pour cela, mais alors j’ai eu la vision du monde tout entier, de la terre tout entière, de l’effort humain tout entier, de tous les hommes, tout... nous vivons dans une tromperie. C’est effroyable!

Et encore plus, on se trompe soi-même plus que de vouloir tromper les autres.

(silence)

C’est-à-dire que nous ne voyons rien comme c’est.

Oui, oui... Oui.

(silence)

La nuit, je me promène sur des chemins de terre qui s’effondrent.

Ah!

Oui, des effondrements.

Les vieilles conceptions.

(long silence)

Il n’y a qu’un salut: s’accrocher au Divin, comme ça (geste à deux poings).

Pas s’accrocher à ce que l’on pense du Divin, même pas à ce que l’on sent du Divin... à une aspiration... une aspiration aussi sincère que possible. Et s’accrocher à ça.

(silence)

Je vais te dire une chose, parce que c’est intéressant. Il y a quelque temps, avant que Z ne revienne, tout d’un coup j’ai vu que l’activité de Z avec P.L. l’empêchait de faire ce qu’il avait à faire. Et alors j’ai vraiment aspiré à ce qu’elle n’ait plus d’influence sur lui. (J’avais oublié cela, c’était quelque temps avant qu’elle ne revienne, assez longtemps.)

Oui, je me souviens, tu me l’avais même dit.

C’est curieux.

Tu sais, une chose que je t’avais déjà dite, c’est que maintenant, le corps – la conscience du corps – sait d’avance ce qui va arriver, elle sait d’avance ce que les gens vont lui dire. Mais elle ne sait pas... (comment dire?) exactement comme cela arrive matériellement, mais l’esprit dans lequel c’est fait... constamment. C’est tout à fait curieux. Je suis là immobile, essayant de n’appartenir qu’au Divin, et alors il vient des choses – ça vient comme cela (geste comme sur un écran devant Mère), ça passe comme cela: des choses, des faits, des gens qui parlent... Et alors, d’abord je croyais que c’était ma conscience matérielle qui ne savait pas se taire, et puis je me suis aperçue que ça me venait du dehors et que ça se réalisait sur le plan matériel. Ce qui fait que, maintenant, si je mentalisais ces choses, je pourrais prévoir, dire ce qui va se passer, ce qui va arriver... Cette histoire de l’Amérique et de la Chine, et toutes sortes de choses comme cela sont venues de cette façon. Seulement, dans l’humanité ordinaire, c’est le mental qui en profite pour faire des prophéties – mais heureusement, le mental, il n’y en a pas, il est tranquille, il est absent. Seulement, quand on me dit les choses, qu’on me les annonce, plus rien n’étonne ce corps, il semble savoir. C’est curieux.

Une sorte d’universalisation.

Et si tu savais à quel point il sent son imbécillité – les deux en même temps!

21 juillet 1971

Qu’est-ce que tu as à dire?

Et toi?

Moi, je suis toujours enrhumée. J’étais guérie, j’étais sur le point de guérir, mais... (geste d’avalanche qui tombe). Mais ce n’est pas intéressant.

L’intéressant, c’est que le corps devient de plus en plus conscient, mais conscient d’une façon tout à fait intéressante.

Par exemple?

Ça, il faut mentaliser, je ne peux pas.

(silence)

Je commence à savoir ce qui va se passer, ce que les gens vont me dire, tout cela. Comment expliquer?... C’est comme si j’étais DEVENUE les circonstances, les gens, les paroles, les...

Le corps est de plus en plus conscient, mais pas à la manière mentale du tout: comme... comme des choses vécues. Je ne sais comment expliquer. C’est difficile à dire... C’est sentir ou avoir (je ne sais comment expliquer ce que c’est), comment, dans la manifestation, la conscience humaine déforme l’Action divine (geste de coulée directe). C’est la constitution qui est misérable. Nous rapetissons, nous déformons, nous diminuons TOUT – tout. Nous savons les choses (la Connaissance est là autour de nous, en nous), et nous sommes tellement compliqués que nous la déformons. Tout le monde comme cela... Alors, c’est comme une sensation très précise, en même temps, de tout ce qui est organisé du dedans par le Divin au-dedans, et à mesure que ça vient à la surface, ça se déforme (ce qu’on dit est idiot, et c’est pourtant ce qu’il y a de plus proche). C’est notre manière idiote de dire quelque chose qui est... si simple et si merveilleux!... Et nous sommes tellement pervertis que nous choisissons toujours ce qui est déformé.

Je ne sais pas, mes mots eux-mêmes déforment la chose, mais c’est... c’est quelque chose que je sens si simple, si lumineux, si pur – si absolu. Et puis, nous en faisons ce que nous voyons: une vie compliquée et presque incompréhensible.

Mais toi, tu n’as pas de nouvelles?

Moi, je suis dans un passage que je ne comprends pas très bien.

Ah!... Alors explique-moi ce que c’est, comme cela on pourra trouver.

Il n’y a rien à expliquer... Je ne sais pas, c’est comme un effondrement de tout, ou une démolition de tout. Il n’y a plus aucune base. Il y avait un certain nombre de «vérités» disons...

Aah!

... qui étaient claires pour moi, comme ce que j’exprimais dans mes livres – c’est comme si tout cela était comme de la poussière. Comme si tout cela n’avait pas de... oui, c’est de la poussière. Je ne me meus plus dans une seule idée sûre. Il n’y a plus de références.

Mais c’est justement ce que je viens de te dire en d’autres mots! Tout ce que nous pensons (il y a longtemps que je n’ai plus d’idées), mais c’est cela, ça paraît tellement-tellement futile, je ne sais pas.

Oui. Je comprends bien que toute la pensée est futile et trompeuse, je comprends bien. Mais on aimerait bien avoir un phare... un phare pratique: comprendre.

Mais moi, le phare pratique est très simple: c’est le Divin. C’est pour moi la seule chose concrète.

Oui, bien sûr, il y a la Force. Ça, toujours je sens la Force et... et c’est très agréable, si je puis dire.

Oui-oui, mais c’est ça, il n’y a que ça!

Mais j’ai l’impression de marcher comme un aveugle dans cette Force.

Oui...

Eh bien, l’état d’aveugle n’est pas agréable!

Oui. Oui, mais... Mais pourquoi pas! (Mère rit) C’est au point que... N’est-ce pas, je suis là, il y a des tas de circonstances, de complications, de gens, de... tout-tout tellement embrouillé; et alors, il y a comme derrière... ce n’est pas seulement une Force, c’est une conscience-Force – c’est une Conscience –, et c’est comme un... c’est comme un sourire – un sourire... un sourire qui sait tout. C’est cela, n’est-ce pas. Alors, quand je suis tranquille (geste mains ouvertes), c’est comme s’il n’y avait plus rien et tout est merveilleux. Et puis, dès que les gens me parlent, ou dès que je vois quelqu’un, toutes les complications viennent – ils font un gâchis de tout.

Je suis sûre que c’est le passage de cette vie à cette Vie. Quand on sera tout à fait de ce côté-là, oh! on cessera de spéculer, de vouloir «expliquer», de vouloir déduire, conclure, arranger – tout cela, ce sera fini... Si on savait... être – être simplement, être. Mais pour nous, j’ai remarqué ça, si l’on ne parle pas, si l’on ne pense pas, si l’on ne décide pas, on croit que l’on est en dehors de la vie... Et puis ce n’est pas toujours le même silence. Le silence de la parole qu’on n’exprime pas, ce n’est pas cela: le silence de la contemplation... agissante. Silence d’une contemplation agissante. C’est cela.

C’est certainement le nouveau mode de vie qui se prépare. Alors il faut que l’autre cède la place.

Je vois (comme à travers un voile ou comme une chose qui est à une très grande distance) un Pouvoir, un Pouvoir extraordinaire! Mais nous sommes tellement imbéciles que nous n’acceptons même pas. Je sais, j’ai fait ces jours-ci des expériences... J’ai cette vision où la conscience psychique voit que c’est à travers cet instrument, à travers ça (mais ça – Mère pince la peau de ses mains – ça n’y est pour rien que simplement d’établir le rapport entre les choses telles qu’elles sont et les choses qui doivent être), eh bien, à travers ça, il y a une quantité de miracles qui sont accomplis, tellement extraordinaires (ces jours-ci) que personne n’a jamais pensé que c’était un miracle!... On ne sait pas. Pas un miracle tel que nous les connaissons: un miracle extraordinaire... Et alors... ils n’ont pas les moyens de comprendre.

(silence)

Alors, ce corps n’est plus ça, n’est pas encore «ça». Il est comme cela (geste d’oscillation entre les deux), et c’est pour cela que... ce n’est pas un rhume, c’est... Quelquefois, je suis absolument guérie, tout-tout fonctionne bien; la minute d’après, tout est désorganisé. Ce n’est pas un rhume que l’on peut «guérir»: on prend un remède, ça ne sert à rien; mais on entre dans la vraie conscience, et tout est fini. Mais il est incapable d’y rester. Ce n’est pas tant le contact avec les gens, c’est qu’il est incapable d’y rester, voilà tout. Il ne peut rejeter la faute sur personne.

Il n’est plus ça, il n’est pas encore «ça» – plus ça, pas encore «ça». Voilà. Alors... (même geste de bascule).

Et de «ça», il est conscient, mais momentanément: tout ce qui est indispensable pour pouvoir assurer la continuité. Voilà.

(silence)

La seule différence...

On peut dire: rien ne sait – nulle part ni personne; mais il y a ceux qui aspirent (comment dire?), qui ont la volonté, la tendance, l’aspiration, le besoin de savoir – de savoir et d’être –, et puis tous ceux qui s’en fichent... qui vivent-vivotent leur petite-vie-grande-vie – que ce soit un chef d’État ou que ce soit un balayeur, ça ne fait pas de différence. C’est la même chose, les vibrations sont les mêmes. Je ne sais pas expliquer. J’explique mal.

Non, je comprends.

C’est tellement imparfait que1...

(Mère renonce à parler et plonge)

24 juillet 1971

Ce n’est pas encore fini (geste de tiraillement)... Et toi?

Je ne sais pas, douce Mère.

Comment ça va?

Je ne sais pas... ça va.

(Mère rit)

Tu dois savoir mieux que moi!

Je te dis: on n’est plus là, on n’est pas encore là... Alors c’est idiot. Le corps est de plus en plus conscient, et il est conscient des vieilles habitudes qui tirent en arrière, et il est conscient des nouvelles possibilités qui sont là, qui veulent... Il n’y a qu’un mouvement à faire, un mouvement d’adhésion, et puis... tout irait bien – merveilleusement bien. Et la vieille chose, c’est comme un vieux mur qui se démolit. Voilà. Alors c’est une situation tout à fait ridicule.

Le corps sent qu’il n’est plus là: cela n’a plus de réalité pour lui, mais il n’est pas encore LÀ. Alors il est comme cela (geste d’oscillation entre deux). Il aspire. Il a appris à invoquer le Divin tout le temps, tout le temps, tout le temps, quoi qu’il fasse: qu’il y ait des gens, qu’il parle, qu’il ne parle pas; quoi que ce soit qu’il fasse, c’est une constante invocation. Comme cela, ça va. Mais... ce n’est pas encore positif. (Mère tousse) Et ce rhume, il semble s’en aller et il revient. Ce n’est pas un rhume ordinaire.

Mais dès que j’entre dans le silence profond, alors, pour celui qui est réceptif, ça peut être très utile. Dès que j’entre dans le silence profond, la Présence devient concrète, évidente. Alors c’est utile. Dès que je parle, je suis... (geste d’émiettement).

Alors je t’offre ça, à moins que tu n’aies quelque chose à dire...

(méditation)

28 juillet 1971

(Mère reste longtemps à regarder le disciple, les yeux ouverts, puis elle sourit.)

Ooh!...

Quand tu étais assis là [devant Mère] et que je t’ai regardé, tu as pris ton corps et tu l’as ouvert comme cela (geste, comme si le disciple déchirait son corps en deux depuis l’estomac jusqu’en bas), tout, tout ça.

Tu avais mal?

Non, douce Mère, je n’avais pas mal, mais je me bats beaucoup avec ma nature!

(Mère rit) Tu as ouvert tout grand, comme ça.

(silence)

Mais c’est drôle, c’était comme si... il y avait ici [bas-ventre] un point noir comme ça (geste), comme un point noir. C’était comme si tu voulais me montrer ce point noir... Maintenant, le point s’est effacé petit à petit. Il est parti.

(silence Mère regarde encore)

C’est tout bien, maintenant.

(silence)

Tu sais ça, il y a un phénomène intéressant: l’ambassade américaine en Inde [Kenneth Keating] est pour le Bangladesh, et le Président de la république américaine [Nixon] est pour le Pakistan!! (Mère rit) Alors, il y a maintenant, dit-on, deux Amérique! Il y a l’Amérique pakistane et l’Amérique du Bangladesh!... L’ambassade américaine est tout à fait d’accord avec ce que tu as écrit.

Il a reçu l’article?

Oui, je suppose. Je crois que oui, je crois qu’on le lui a envoyé. En tout cas, il est tout à fait d’accord. Il dit: «Je suis là, j’ai vu, je vois les choses, je sais ce qu’elles sont.» Et il est absolument contre le Pakistan. Et les autres...

Tu sais, j’ai trouvé un «Aphorisme» de Sri Aurobindo, hier, pour le prochain Bulletin, et en le lisant, je me suis dit: mais c’est exactement pour le Bangladesh! – en fait c’est plutôt exactement pour Indira Gandhi.

Ah!

Il dit:

«He who will not slay when God bids him, works in the world an incalculable havoc.»1

C’est intéressant. Il faut publier ça! (rire général)

(Mère plonge puis revient et tend un papier)

Je veux donner ça pour le 15 août:

«Un voile derrière le cœur, un écran au-dessus du mental nous séparent du Divin. L’amour et la dévotion déchirent le voile. Dans la tranquillité du mental, l’écran s’amincit et finit par s’évanouir.»

9.9.1936
Sri Aurobindo
On Himself, XXVI.215

C’est un gâchis terrible là-haut (à Delhi).

(Mère replonge)

31 juillet 1971

(À propos d’une lettre de Sri Aurobindo interdisant formellement les relations sexuelles parmi les disciples. Mère a fait imprimer cette lettre à quelques milliers d’exemplaires avec le titre suivant: «Conditions pour vivre à l’Ashram et devenir un disciple.»)

«...Il faut maîtriser l’impulsion sexuelle, devenir à tel point le maître du centre sexuel que l’énergie sexuelle soit tirée vers le haut au lieu d’être projetée au-dehors et gaspillée; c’est ainsi que la force séminale [rétas] peut se changer en l’énergie physique fondamentale [ojas] qui sert de support à toutes les autres. Aucune erreur n’est plus périlleuse que d’accepter l’intrusion du désir sexuel ou quelque satisfaction subtile du désir et de considérer cela comme faisant partie de la sâdhanâ. Ce serait le meilleur moyen d’aller tout droit à la chute spirituelle et de précipiter dans l’atmosphère les forces qui bloquent la descente supramentale, et inviter au contraire une descente de pouvoirs vitaux adverses pour semer le désordre et le désastre. Cette déviation doit être absolument rejetée si elle tente de se produire et elle doit être extirpée de la conscience si la Vérité doit descendre et le travail se faire.»

Sri Aurobindo
Letters on Yoga, XXIV.1507

C’est le message que je distribue aujourd’hui.

Il y a beaucoup de cas qui devraient s’en aller, mais... Mais tu comprends, ils sont ici, et puis quand le gosse va venir, ils vont à Auroville! Alors moi, «je crois qu’ils sont à Auroville». Plusieurs cas. Alors j’ai décidé de publier cela. Je devrais y ajouter le message où je dis: «Needless to say that those who aspire to Truth must abstain from telling lies»1 (Mère fait le geste d’asséner un coup de massue).

Beaucoup-beaucoup, en fait.

N’est-ce pas, ils disent: «Mère est vieille, elle ne sort plus, elle ne voit plus, elle ne sait plus ce qui se passe.» Mais je sais ce qui se passe – j’ai d’autres moyens de voir! (rires)


Peu après

Je t’avais parlé l’autre jour d’un Aphorisme de Sri Aurobindo, et tu m’avais dit: «Oui, il faut publier ça.» Est-ce qu’on le publie dans le Bulletin d’août?... C’était cet Aphorisme:

228 – Celui qui ne tue pas quand Dieu le lui ordonne, cause un dégât incalculable dans le monde.

Il ne faut pas mettre ça! (Mère prend sa tête entre ses mains) Il y a des quantités de gens qui ont l’impudence de dire qu’ils reçoivent l’ordre de Dieu – des quantités d’assassins.

Ça, évidemment.

Ça les encouragerait! (rires)

C’est une arme à deux tranchants, c’est vrai.

Ça légitimerait des tas de choses. Ils assassinent maintenant si facilement!... Oh! il ne faut pas mettre cela.

Ils ont déformé le sens de choses que j’ai dites... Tout le temps je reçois des lettres de gens – ça a l’air d’être une maladie répandue. Des gens entrent et vous disent: «Votre heure est venue.» Ils sont venus chez quelqu’un qui nous connaît et ils lui ont dit: «Votre heure est venue, donnez votre pistolet.» Alors il a dit: «Bon, je vais chercher mon pistolet et je vous le donnerai.» Mais il a ouvert un tiroir et des cartouches sont tombées, alors l’un des malfaiteurs s’est penché pour ramasser les cartouches. Et l’homme lui a tiré dessus avec son revolver. Alors tous les autres se sont enfuis. Mais la plupart du temps, ça finit de l’autre manière: c’est un assassinat. Là, c’était chez lui. Et en Amérique, on se promène dans la rue, on vous tire dessus. Partout. C’est une folie qui se répand. Ou on vous donne un coup de poignard – sans raison, on ne sait pas pourquoi. Et il y en a qui disent: je suis l’inspiré...

(silence)

Tu sais, c’est comme une éclosion générale de mensonge. C’est effrayant. Ils prennent les enseignements et ils les tournent – ils en font une légitimation.

(silence)

Tu as quelque chose?

La traductrice russe abandonne.

(Mère plonge)

août




4 août 1971

(Mère fait plusieurs essais infructueux pour enregistrer son message à «All India Radio» à l’occasion du 15 août, début de l’année du centenaire de Sri Aurobindo.)

C’est aujourd’hui que commence l’année du centenaire de Sri Aurobindo. Quoiqu’il ait quitté son corps, il est toujours parmi nous, vivant et agissant.

Sri Aurobindo appartient à l’avenir, il est le messager de l’avenir et nous montre toujours le chemin pour hâter la réalisation d’un glorieux avenir façonné par la Volonté Divine.

Tous ceux qui veulent collaborer au progrès de l’humanité et au vrai destin de l’Inde doivent s’unir dans une clairvoyante aspiration et un travail éclairé.

(Mère renonce, le disciple enregistre à sa place)

Je suis en pleine transformation, c’est pour cela que j’ai perdu le contrôle. Ce que je pouvais avant, je ne le peux plus. Mais je vois, je vois bien dans quelle direction ça ira, mais ce n’est pas encore là. Alors je ne suis plus bonne à rien.

La voix est gâtée tout à fait.

Ce n’est intéressant qu’au point de vue documentaire [les conditions actuelles], parce que quand cette expérience sera finie, que vraiment le supramental commencera à venir, les choses changeront et cela n’aura plus qu’une valeur historique.

C’est le moment le plus désagréable... N’est-ce pas, la Puissance est là, et le moyen de l’exprimer n’est pas encore créé.

(silence)

Le vieux contrôle est en train de disparaître. C’est très gênant pour moi – surtout pour manger, par exemple, c’est très difficile d’avaler, de... oh!

Simplement, le corps a une espèce de... perception – de perception lointaine – de ce que sera le vrai contrôle supramental, mais c’est seulement comme cela (geste au loin), presque comme une promesse, rien de plus.

C’est vraiment une transition entre deux mondes.

7 août 1971

(Mère a de nouveau un œil gonflé.)

A. ne t’a pas donné quelque chose?

Non, douce Mère.

(Mère cherche à se souvenir)

Je n’ai plus de mémoire du tout. J’ai des impressions, mais plus de mémoire. Alors, des impressions qui soutiennent tout1 – ce doit être probablement ce qui remplacera la mémoire.

Mais j’ai une forte impression qu’A. avait quelque chose à te dire2...

(long silence)

J’ai une curieuse impression d’une espèce de trame – de trame avec des fils... comme très loose [lâches], c’est-à-dire pas serrée, qui unit tous les événements, et si l’on a un pouvoir sur une de ces trames, il y a tout un champ de circonstances qui en apparence n’ont rien à voir les unes avec les autres, mais qui sont liées là et dont l’une nécessairement implique l’existence de l’autre... Et ça, j’ai l’impression que c’est quelque chose qui enveloppe la terre.

Et ce n’est pas mental. Ce sont des circonstances dépendantes les unes des autres d’une façon tout à fait invisible extérieurement, qui n’a pas de logique mentale, mais qui sont comme liées les unes aux autres.

Si l’on est conscient, vraiment conscient de ça, c’est comme cela qu’on peut changer les circonstances.

Et tu sens le pouvoir sur l’une de ces trames?

Non, c’est d’une autre façon: c’est parce que j’agissais sur l’une de ces trames que je m’en suis aperçue.

Aah!... oui.

(Mère plonge)

Tu n’as rien à demander?3

Non, douce Mère.

(silence)

Est-ce que les circonstances vont changer?

(Mère plonge tout de suite et semble ne pas avoir entendu. Plus tard, elle essaye plusieurs fois de parler, sans parvenir à sortir de son état)

C’est difficile à dire.

(Mère replonge)

Si l’on avait le pouvoir de remplacer une de ces trames par une autre, on pourrait changer toutes les choses comme cela.

(Mère secoue la tête)

C’est inexprimable.

Sur quelle trame agis-tu en ce moment?

Mais je ne sais pas... Ce sont des trames qui sont autour de la terre.

Il y en a une... je vois... Mais les toutes petites circonstances de la vie sont là-dessus, et alors quand je regarde comme cela (geste d’en haut), je vois que ça s’étend sur tout le pays, et non seulement sur tout le pays, mais sur toute la terre.

(silence)

Est-ce qu’il y en a plusieurs?... Je ne sais pas.

Sais pas.

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère et s’apprête à sortir)

Je tâche, tu comprends, je tâche... Ça passe à travers la conscience, mais tout mon effort consiste à n’y ajouter rien de personnel, tu comprends – que ce soit comme cela (geste de coulée sans obstacle à travers un canal).

Sur des petits points, je suis consciente de l’Action, mais un moment ici, un moment là (geste épars à travers l’espace); pas... ça n’a rien de continu comme dans le mental.

C’est inexprimable.4

11 août 1971

(Mère donne au disciple une note qu’elle vient d’écrire.)

«Quand les hommes seront dégoûtés du mensonge dans lequel ils vivent, le monde sera prêt pour le règne de la Vérité.»


(Puis une autre note qu’elle a fait lire à K.K. Birla, l’un des plus grands industriels de l’Inde.)

(traduction)

«La Vérité est à la portée des hommes, mais ils se fichent de la Vérité.»

--

Tu as quelque chose à dire?

Qu’est-ce qui se passe en ce moment?

(Mère reste les yeux clos, essaye plusieurs fois de parler, puis replonge presque jusqu’à la fin)

Tu n’as rien d’autre à dire?

Comment vois-tu ce pacte?1

(Mère secoue vivement les mains, puis, après un silence)

C’est comme si tu me disais: qu’est-ce qu’il faudra à l’humanité pour qu’elle soit dégoûtée de son mensonge?

C’est terrible!

(long silence)

Il n’y a qu’UN remède – il n’y a qu’UN remède, c’est de ne compter que sur la Grâce Divine.

(Mère prend les mains du disciple)

Le seul remède: s’en remettre entièrement à la Grâce Divine.

Sans date

(Aux environs du mois d’août, le message qui suit a circulé dans l’Ashram et dans Auroville. Il est intéressant de noter que ce texte est le remaniement d’un manuscrit beaucoup plus ancien que Mère nous avait donné. Nous publions à la suite le texte original.)

«La tâche de donner une forme concrète à la vision de Sri Auro-bindo a été confiée à la Mère. La création d’un monde nouveau, d’une humanité nouvelle, d’une société nouvelle exprimant et incorporant la conscience nouvelle est l’œuvre qu’elle a entreprise. De par la nature même des choses, c’est un idéal collectif, réclamant un effort collectif pour se réaliser dans les termes d’une perfection humaine intégrale.

«L’Ashram, fondé et construit par la Mère, a été le premier pas vers l’accomplissement de ce but. Le projet d’Auroville est le pas suivant, plus extérieur, cherchant à élargir la base de cet essai d’établir l’harmonie entre l’âme et le corps, l’esprit et la nature, les cieux et la terre, dans la vie collective de l’humanité.»


(manuscrit original)

[1re version] La tâche de donner une forme concrète à la vision de Sri Aurobindo a été donnée à la Mère.

[2e version] La tâche de compléter la vision de Sri Aurobindo a été donnée à la Mère. La création d’un monde nouveau, d’une humanité nouvelle, d’une société nouvelle exprimant et incorporant la conscience nouvelle est le travail qu’elle a entrepris. De par la nature même des choses, c’est un idéal parce que l’état de la Nature qui rend cela nécessaire doit être surpassé.

Nous aspirons au temps où il ne sera plus nécessaire que Sri Aurobindo meure.

14 août 1971

(Nous sommes à la veille du 15 août. Mère nous reçoit sans avoir eu le temps de terminer de voir son entourage habituel.)

Tu as quelque chose à dire?

Non, rien du tout!

Ça va – ça va bien même.

Ça va bien. Le corps commence à... je pourrais dire à avoir la vraie attitude. C’est-à-dire qu’il sent de plus en plus d’une façon concrète et aiguë, pourrais-je dire, qu’il n’y a qu’un moyen d’exister, c’est dans la Conscience Divine. Tout le reste lui paraît... lui paraît dangereux, inconnu.

Être comme baigné constamment dans la Conscience Divine, ça lui paraît être la seule façon d’exister. Il n’y en a pas d’autre. Ça, c’est l’attitude du corps. N’est-ce pas, il a... c’est plus qu’une impression, c’est... je ne sais pas, presque une sensation aiguë, qu’on ne peut exister que dans le Divin et être constamment concentré sur le Divin. Et que c’est ça, la transition pour aller vers quelque chose qui est encore... je ne dirais pas un rêve, mais un émerveillement. Ça...

Il aime de moins en moins parler.

Oui!

Tout ce qu’on dit, ça lui paraît être des enfantillages.

(silence)

Il n’a pas le besoin de savoir: il a le besoin d’être entièrement moulé et mis en mouvement, utilisé de toutes façons [par le Divin], et il n’a qu’un rêve, c’est d’oublier qu’il existe – de devenir spontanément l’expression... (Mère a un sourire béatifique) de quelque chose... de quelque chose qu’il appelle le Divin, qui est la seule chose vraie.

(silence)

Et Sri Aurobindo, lui, qu’est-ce qu’il fait?... Tu le vois?

Je ne le «vois» pas: je sens sa présence.

J’ai eu l’occasion de lire des lettres de lui sur moi... Comment? vraiment c’est un miracle que j’aie survécu [à son départ]... C’est tout mon... [être qui s’écroulait]. C’était une protection et un soutien si merveilleux!

L’être intérieur n’a pas été affecté parce que c’est resté comme c’était – cette proximité, cette intimité est restée la même –, mais l’être physique... C’est un miracle qu’il ait survécu.

Il y a quelques jours, j’ai vu Sri Aurobindo, et il s’occupait d’argent – il recevait de l’argent, il recevait même des choses en or.1

(Mère rit)

Ça m’a surpris.

Pourquoi?

Je ne sais pas, je ne le voyais pas dans ce genre d’activité!

Mais ce n’était pas nécessaire parce que j’étais là.2 Mais je sais que ça l’intéressait, dans le sens qu’il pensait que l’argent devait venir très librement et en abondance. Il pensait toujours que les gens devaient donner tout ce qu’ils avaient – ça, pour lui, c’était une règle absolue. On ne devait pas avoir à demander: ils devaient donner spontanément tout ce qu’ils avaient.

(silence Mère prend les mains du disciple)

Mercredi prochain, on sera plus tranquilles.

Le corps n’a qu’une «ambition», pourrais-je dire, c’est qu’il n’existe plus que le Divin, et que, lui, soit comme... comme quelque chose que le Divin utilise, et qu’il soit absolument plastique et expressif. C’est ça. Jusqu’au moment où il n’existera que dans le Divin.

Il y a une espèce de prescience d’un état où seule la Conscience Divine est. Ça... (Mère ferme profondément les yeux avec un sourire extatique)

Seule la Conscience Divine.3

18 août 1971

Le corps a l’impression qu’il y a une nouvelle manière de vivre qu’il doit apprendre, et il apprend tout le temps quelque chose. Mais ce sont de toutes petites choses, c’est-à-dire qu’il y a une espèce de secret à trouver, d’attitude qui doit être constante, mais qui fait que les choses sont aussi bien qu’elles peuvent être.

C’est quelque chose qui est l’équivalent du mantra. Pour le moment, le corps répète le mantra, mais il sait que c’est... Il y a quelque chose à apprendre qui remplace physiquement le mantra.

(Mère plonge)

Tu as quelque chose?

Moi, ce que je trouve difficile, c’est la permanence – établir une permanence. C’est très difficile.

Une permanence de quoi? De conscience?

Oui, de conscience.

Mais elle est permanente, la conscience.

Oui, mais la conscience extérieure n’est pas permanente.1 Le mental physique, par exemple, peut continuer à engrener toutes sortes de choses inutiles.

Oh!...

Et par ailleurs, le mantra me donne l’impression d’une imposition mentale, tu comprends? Ce n’est pas quelque chose qui jaillit du fond des cellules du corps: c’est quelque chose qu’on impose. Alors, pendant un certain temps, ça s’engrène et ça se répète – de la même façon que ça répète des idioties, ça répète le mantra. Et puis au bout d’un certain temps, c’est autre chose qui vient.

(Mère reste silencieuse)

On a l’impression qu’à moins qu’il y ait une sorte de prise de possession par quelque chose d’autre, il n’y a rien à faire – vraiment, comme une prise de possession.

Oui, la prise de possession par le Divin. C’est parfaitement exact.

Il n’y a que ça qui peut.

(long silence)

J’ai eu ces jours-ci (mais très fortement ce matin), l’impression: le Divin est toutes choses, mais nous sommes nés pour que chacun fasse un choix et manifeste une de ces choses – une ou plusieurs... Et alors, vient la question de la décision du choix, mais alors c’est là qu’il faut se soumettre entièrement et laisser le choix entièrement au Divin. Nous avons été créés comme ça et c’est pourquoi il y a eu tout ce flottement, ces complications – et ce qu’il faut apprendre, c’est à laisser... c’est-à-dire justement n’avoir aucun désir, aucune préférence, et laisser le choix entièrement au Divin.2

(Mère plonge)

21 août 1971

Tu as quelque chose à demander?

Je me demande beaucoup ce qui aurait un pouvoir sur le mental physique.

Comment cela?

Par exemple, le mantra, tu l’engrènes et il se répète pendant un certain temps, et puis hop! après, ça part en tangente et on engrène autre chose. Je n’arrive pas à une espèce de constance. Ou simplement c’est par le mental que je dois re-forcer le mouvement. C’est en appliquant le mental.

(après un silence)

Je ne sais pas, pour moi, ça vient spontanément. Il y a des moments où c’est très intense, très en avant (cela dépend des circonstances, beaucoup, ou des gens qui sont là); il y a des moments où c’est... comme quelque chose de très vaste – très vaste – et très tranquille (Mère étend ses bras dans un grand Rythme). Quand ça, c’est là... les circonstances n’ont pas d’importance, les gens n’ont pas d’importance, tout est... tout est calmement divin. Il y a des moments où ça devient puissant et actif: cela dépend des gens, des circonstances, ou de quelque chose qui arrive quelque part, et je sais après.

Je ne sais pas, je ne peux pas dire... Le Divin semble être «associé» étroitement à tout-tout, toute la conscience du physique, au point qu’il semble que ce physique ne pourrait pas avoir de support, ne pourrait pas avoir de continuité si ce n’était pas comme cela. Alors je ne peux pas dire.

En fait, je ne me rends pas du tout compte de l’état dans lequel je suis, j’ai simplement l’impression d’une attente de quelque chose.

(Mère approuve vivement) Ah! ça, je crois.

(silence)

Mais j’ai des activités la nuit maintenant, tout à fait nouvelles, comme je n’en avais pas, qui sont extrêmement concrètes et où sont mélangés les gens vivants et ceux dont on dit qu’ils sont morts – et ils sont les MÊMES, ils sont les mêmes là.1 Par exemple, cette nuit, il y a eu une très longue activité où il y avait beaucoup de gens, et parmi ces gens, il y avait Pourani (je le vois très souvent), Pourani qui avait un rôle prépondérant, et M et... (comment s’appelle-t-il?) D – D et M se disputaient!2 (rires) Et une chose... une chose... Et j’étais comme eux, avec un costume bizarre.

Je suis en train de découvrir un monde que je ne connaissais pas, qui est le monde... je ne sais pas si c’est le vital physique? Il y avait des danses, des mouvements... C’est-à-dire, pour le dire d’une façon ordinaire: j’ai des rêves comme je n’en avais jamais; mais ce ne sont pas des «rêves»: c’est une activité. C’est un monde que j’ignorais tout à fait et qui est comme cela (Mère entrelace ses doigts pour montrer une sorte d’interfusion du physique et de ce monde-là).

Il y a beaucoup-beaucoup de choses à apprendre.

Oui!

(silence)

Seuls les gens qui ont un corps physique ont le genre de réactions – plaisir, déplaisir – que l’on a dans la vie physique. Les autres ne l’ont plus. Ça paraît disparaître avec la conscience purement physique.

(silence)

J’ai de plus en plus l’impression qu’on ne sait rien. Voilà. Qu’il y a une variété infinie de choses, et qu’on ne sait rien.

Mais la nuit, je me plains souvent parce que j’ai l’impression, à partir de deux heures ou trois heures du matin, d’avoir une quantité d’activités qui me semblent complètement idiotes, avec toutes sortes de choses ou de gens ou...

C’est ça.

Et ça me paraît idiot, tu comprends, dénué de sens, et fatigant par-dessus le marché. Qu’est-ce que c’est? Je n’en sais rien du tout.

C’est peut-être ça. C’est peut-être ce monde-là.

Qu’est-ce qu’on fabrique là-dedans!

(silence)

Pour notre conscience physique, c’est idiot.3

Oui, ça a l’air idiot.

C’était cela justement que j’avais cette nuit. Et c’était tout à fait naturel et... sans réaction.4

Je crois que c’est le mental qui donne un sens aux choses, et que sans mental les choses sont, sans qu’on leur donne un sens – elles sont parce qu’elles sont. Et alors, pour nous, pour la conscience telle qu’elle est développée ici, c’est tout à fait imbécile. Et là, ça paraît tout à fait naturel.

Ce doit être cela qui fait que les gens «déménagent». S’ils n’ont pas dedans ce qu’on pourrait appeler le «support divin», une espèce de foi inébranlable en la Vérité et la Grâce divine, si on n’a pas cela...

(Mère plonge jusqu’à la fin)

C’est un moment à passer. Il faut aller... go through5 [traverser].

25 août 1971

(Mère reste très longtemps à «regarder» le disciple, semble-t-il. Son œil gauche est encore gonflé.)

Qu’est-ce que tu as à dire?

Tu vois quelque chose?

Moi, il n’y a rien.

(Mère plonge pendant 40 minutes)

Tu n’as rien à dire?

Qu’est-ce qui t’absorbe comme cela?1

(après un silence)

Tout le temps, tout le temps, il y a la «pensée» du Divin, mais comme une... une espèce de – une soif d’être et de comprendre. Toutes les notions mentales me paraissent artificielles... Il y a des fois, c’est une angoisse terrible; il y a des fois, c’est une paix parfaite.

(long silence)

C’est curieux, il y a des fois où j’ai l’impression que la mort fait beaucoup moins de changement qu’on ne croit, et d’autres fois où c’est une chose tout à fait incompréhensible... C’est curieux, comme les deux extrêmes: une fois, ça fait très peu de différence; l’autre fois, c’est une... quelque chose... qu’est-ce que ça veut dire, la mort?

J’aime mieux ne pas parler parce que... Ce n’est pas mentalisé du tout, alors ça n’a pas de...

(silence)

Je t’ai dit qu’il y a des activités la nuit (je n’ai pas l’impression de dormir, mais le corps est dans un parfait repos), et alors là, il y a des gens qui sont vivants et il y a des gens qui sont «morts» selon le langage ordinaire – et ils sont absolument pareils. Excepté que les vivants semblent avoir encore des réactions égoïstes que les autres n’ont pas. Mais c’est... (geste fluide)... Ce qui pour nous, est réel, n’existe plus. Mais c’est très concret.

Je suis dans l’état où l’on ne sait rien, voilà.

Et alors, mon seul, mon seul refuge, c’est comme si je me blottissais dans le Divin, tu comprends... Comme si...

Être Toi, c’est tout. Fais de moi ce que Tu veux, c’est tout... Même pas comme ça [avec des paroles ou une pensée], même pas ça.

(silence)

C’est la transition entre la vieille manière d’être, qui devient de plus en plus lointaine, et puis... c’est le Divin qui fait tout. Même, par exemple, la nourriture est devenue une chose très difficile, parce que la vieille manière de manger paraît de plus en plus lointaine, et c’est remplacé par quelque chose... inexprimable. C’est inexprimable.

C’est comme si l’on était sur une crête (geste), et le moindre faux pas vous jetterait dans un trou.

(silence)

Tout paraît différent, tous les... tout paraît différent. Les relations avec les autres changent de nature, tout change de nature, mais quoi? quoi?

(long silence)

C’est comme si l’on était à la veille ou sur le point, ou... en équilibre – un Pouvoir formidable (un pouvoir formidable, j’ai des exemples), et en même temps, une impuissance formidable.

J’aime mieux ne pas parler parce que... parce que ce n’est pas ça. Ce qu’on dit... (Mère hoche la tête)

(silence)

Tu sais: comme si l’on était suspendu entre le plus merveilleux et le plus ignoble. Comme ça.

(Mère plonge longtemps)

Je ne sais pas combien de temps ça prendra...

Je ne sais même pas vers quoi je vais – si je vais vers la transformation ou si je vais vers la fin. La conscience est là (geste au-dessus), elle n’est pas affectée... Je ne sais pas... Mais je suis tenue dans ce corps (geste à bout de poigne), comme si l’on voulait que je reste dans cette conscience. Et alors, toutes ces cellules deviennent conscientes, mais... Est-ce que cela dépend de la forme ou pas? Je ne sais pas.

Je ne suis pas dans un état où je peux aider les autres extérieurement.

(Mère prend les mains du disciple)

Il y a des fois où le corps a l’impression que ça peut durer une éternité comme cela; il y a des fois où il a l’impression qu’il peut se dissoudre à n’importe quel moment... Et tout-tout comme cela.

Eh bien, on verra.

La Force, la Puissance est de plus en plus grande, mais... (je ne sais pas comment dire), mais ce n’est pas une puissance personnelle, du tout.2

28 août 1971

Alors, quoi de neuf?

Qu’est-ce que tu veux ou tu as à me dire?... Rien?

Rien, ou toujours la même chose.

Quoi?

J’attends.

Ah! tu attends – moi aussi! (rires)

(silence)

C’est comme si toutes les manières de voir le monde passaient l’une après l’autre: les plus détestables et les plus merveilleuses – comme ça, comme ça, comme ça... (Mère tourne sa main comme un kaléidoscope), et toutes viennent comme pour dire: «Voilà, on peut regarder comme ça, voilà on peut regarder comme ça, voilà on peut...» Et la Vérité... qu’est-ce qui est vrai?... Qu’est-ce qui est vrai?... Tout ça (même geste de kaléidoscope), et «quelque chose» que l’on ne sait pas.

D’abord, j’ai la conviction que cette nécessité de voir les choses, de les penser, c’est purement humain et c’est un moyen de transition. C’est une période de transition, qui nous paraît à nous longue-longue, mais qui en fait est assez courte.

Même notre conscience est une adaptation de la Conscience – LA Conscience, la vraie conscience, c’est autre chose.

Et alors la conclusion pour mon corps, c’est... (ce que je peux traduire le mieux): se blottir dans le Divin. Pas essayer de comprendre, pas essayer de savoir: essayer d’être... Et se blottir. Et je passe mon temps comme cela.

Pas «essayer»: il suffit d’une minute comme cela (geste légèrement en retrait) et le temps ne compte plus. C’est très curieux, je fais des expériences pour tous les petits mouvements de la vie, comme les repas, par exemple; eh bien, quand je me blottis comme cela, que j’arrête la pensée, simplement la conscience comme cela (geste d’intériorisation), tout paraît instantané. Il n’y a pas de temps. Quand je suis dans la conscience extérieure (ce que j’appelle extérieure, c’est une conscience qui voit la création), alors ça prend un temps plus ou moins long suivant l’attention qui est donnée. Alors, tout-tout paraît... il n’y a rien qui paraisse être (comment dire?) absolu au sens de réel – réel, d’une réalité concrète –, il n’y a rien qui paraisse comme cela. Excepté les choses désagréables dans le corps, comme, par exemple, un fonctionnement qui ne va pas; alors on se rend bien compte que c’est l’imperfection. C’est l’imperfection qui rend la chose sensible, autrement c’est comme cela (même geste d’intériorisation, blotti dans le Seigneur). Et «comme cela», le Pouvoir est formidable, dans le sens que... par exemple, pour les gens, une maladie disparaît (et en fait, sans que je fasse rien extérieurement, sans même que je parle à la personne, rien-rien: guérie); pour une autre... c’est la fin, elle bascule de l’autre côté. Et alors, cet autre côté est devenu à la fois tout à fait familier et... absolument inconnu.

Je me souviens d’un temps où le souvenir des vies passées, le souvenir des activités nocturnes était tellement concret; ce monde soi-disant invisible était tout à fait concret – maintenant... maintenant tout est comme un rêve – tout –, tout est comme un rêve qui voile une Réalité... une Réalité... inconnue, et pourtant sensible. J’ai l’air de dire des bêtises.

Non-non!

Parce que ça ne peut pas s’exprimer.

Tu m’as demandé l’autre jour (ta question est restée), tu m’as demandé: quand je suis comme cela, silencieuse et immobile, qu’est-ce qu’il y a?... C’est justement un essai (je ne peux pas dire une aspiration, on ne peut pas dire un effort – c’est le mot urge en anglais): la vérité telle qu’elle est. C’est ça. C’est ça. Et non pas essayer de la savoir ni de la comprendre (tout cela est tout à fait indifférent): être – être – être... Et alors... (Mère a un sourire plein de douceur)

(silence)

Alors c’est tout à fait curieux: en même temps – en même temps –, pas l’un dans l’autre ni l’un avec l’autre, mais l’un ET l’autre, en même temps (Mère tient les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche): merveilleux et effroyable. La vie telle qu’elle est, telle que nous la sentons dans notre conscience ordinaire – telle qu’elle est pour les hommes –, paraît une chose... mais tellement effroyable que l’on se demande comment on peut vivre là-dedans seulement une minute; et l’autre, EN MÊME TEMPS: une merveille. Une merveille de lumière, de conscience, de pouvoir – merveilleux. Oh! pouvoir! un pouvoir!... Et ce n’est pas un pouvoir d’une personne (Mère pince la peau de ses mains), c’est quelque chose... c’est quelque chose qui est tout... Et puis on ne peut pas exprimer.

Alors, tout naturellement, ce qu’il y a de plus intéressant, c’est de trouver Ça. Tout naturellement, quand je n’ai rien à faire... (geste d’intériorisation, blottie dans le Seigneur). C’est pour cela que je te demande toujours s’il y a des questions ou s’il y a quelque chose, c’est parce qu’il n’y a plus de «personne» pour être actif, ce sont seulement les choses... (geste indiquant les mouvements et vibrations des gens ou des choses qui déclenchent l’activité de Mère). Et alors, quand ça, ce n’est pas là, c’est... (geste en suspens, silence)... Très loin, très loin... tout près, tout près de l’autre Conscience, il y a des moments (Mère dit d’une voix grave, profonde): ÔM Namo Bhagavaté... Ça, c’est la chose la plus matérielle. C’est déjà... ça paraît tellement... lifeless [sans vie]. Ça donne l’impression que nous donne à nous un morceau de bois. Et pourtant, c’est... Alors on peut en même temps être dans la vie douloureuse et incompréhensible et absurde, et en même temps, absolument en même temps... inexprimablement merveilleuse.

Alors naturellement, je ne peux plus parler à personne, c’est à toi seulement que je le dis, parce que les gens croiraient que je deviens folle.

(long silence)

Seulement «Toi» – voilà.

Et il est de toute évidence que la création a Ça comme but, cette joie merveilleuse... de se sentir Toi.

(Mère part dans un sourire)

Alors... Alors qu’est-ce tu veux? Tu veux Ça?

Oui, douce Mère.

Ou tu veux me demander des choses?

Non-non, Ça, c’est bien!

(Mère rit)

(Mère prend les mains du disciple, reste les yeux fermés, puis un sourire se dessine sur ses lèvres, elle plonge’)

septembre




1er septembre 1971

(À propos des années 1946-1948 quand le disciple était venu pour la première fois à Pondichéry, au gouvernement de «l’Inde française», auprès du gouverneur Baron.)

Il y a une image qui est restée et elle ne s’efface pas. Il y avait un nouveau gouverneur, celui qui a succédé à Baron [en 1949], et j’étais allée le voir avec Pavitra, et en sortant, dans le salon ou la véranda, je ne sais plus, ou le balcon, tu étais là assis – tu ne te souviens pas?

Non, douce Mère.

Vous étiez deux ou trois – tu étais là assis. Vous étiez encore là, vous n’étiez pas partis [de Pondichéry]. Et ça, ça m’est resté – encore maintenant, combien de temps y a-t-il?

Il y a... vingt-cinq ans.

C’est resté clair-clair-clair: je te vois assis là, comme ça, à contre-jour (il y avait le ciel derrière). Et ça, je ne sais pas pourquoi, cela m’avait tellement frappée, j’ai gardé le souvenir. Encore maintenant, je vois la même image. C’est curieux... On était venu voir ces gens (ça ne m’intéressait pas du tout, mais...), mais alors, quand je t’ai vu: «Ah!» Ça a été comme... tu sais, comme quelque chose qui me disait (Mère abaisse l’index): «Celui-là.» Tu comprends?

Mais c’est resté là. Tant-tant de choses que j’ai complètement oubliées, mais ça, ça reste. Tu ne te souviens pas?

Non, douce Mère... J’ai d’autres souvenirs de toi à cette époque, mais pas celui-là.1

C’est curieux. Encore maintenant, je le vois, tu comprends. Il y avait le ciel, c’était comme... Tu étais assis sur un tabouret ou une espèce de banc, il y avait une ou deux personnes (je ne sais pas) avec toi, mais je ne les ai pas remarquées, mais toi, je t’ai vu comme cela (Mère abaisse un doigt), comme...: «Celui-là.»

C’est curieux. C’est intéressant.

Heureusement que tu m’as vu!

(Mère rit et prend les mains du disciple)

C’était comme ça: (Mère fait le geste d’attraper le disciple par le poignet).

(silence)

Le corps, on lui apprend à n’exister que par le Divin, sur le Divin, pour tout – tout-tout-tout-tout sans exception. Il y a une pression pour que... C’est seulement quand la conscience est liée autant qu’elle peut à la Conscience Divine qu’il y a le sens de l’existence. C’est devenu d’une intensité extraordinaire. Quand le physique sera converti, ce sera une chose solide, tu sais! qui ne bouge pas – et complète. Et si concrète... La différence entre être dans le Divin, n’exister que par Lui et pour Lui, et puis être dans la conscience (pas ordinaire naturellement, mais la conscience humaine), est si grande que l’un semble la mort par rapport à l’autre, tellement c’est... C’est-à-dire que la réalisation physique est vraiment une réalisation concrète.

Il commence à y avoir une concentration d’énergie (oh! ce n’est pas encore ça, il s’en faut de beaucoup, mais...), il y a le commencement de perception de ce que ce sera. Ça, c’est... c’est vraiment merveilleux. C’est d’une puissance! d’une puissance et d’une réalité dans la conscience, que rien-rien d’autre ne peut avoir – tout ce qui est vital, mental, tout cela, ça paraît flou et incertain. Ça, c’est concret (Mère serre ses poings). Et si fort!

Il y a encore des problèmes à résoudre, mais pas par des mots ni avec des pensées. Et les choses viennent comme des démonstrations – non seulement les choses personnelles, mais les choses de l’entourage; les gens, les choses, les circonstances, tout cela, c’est pour apprendre, apprendre au corps à avoir la vraie conscience. Ça, c’est... c’est merveilleux.

(Mère plonge)

Le problème semble avoir été de créer un physique capable de supporter le Pouvoir qui veut se manifester – toutes les consciences corporelles ordinaires sont trop minces et trop fragiles pour supporter ce Pouvoir formidable qui doit se manifester. Et alors, le corps est en train de s’habituer. Et il est... tu sais, comme s’il apercevait tout d’un coup un horizon tellement-tellement merveilleux, mais for-mi-da-ble-ment merveilleux! et puis, on le laisse aller seulement autant qu’il peut le supporter.

Il y a une adaptation qui doit se faire.

C’est très visible pour le repos et pour la nourriture (surtout pour la nourriture). C’est très curieux... La transition... en pleine transition.

Est-ce qu’il aura la plasticité suffisante? Je ne sais pas.

C’est une question de plasticité. Pouvoir supporter et transmettre (geste de coulée à travers Mère), n’offrir aucun obstacle à la Puissance qui veut se manifester.

Les apparences, ce sont seulement des conséquences futures. C’est pour cela que... L’apparence, c’est ce qui changera en dernier.2

4 septembre 1971

Toi, qu’est-ce que tu as?... Tu n’as rien?... Des gens sont venus te voir?

Non, à part une ou deux exceptions, je refuse de voir qui que ce soit. Je ne sais pas, mais j’ai trouvé que, maintenant, il valait mieux que je reste tranquille.

Non, on m’a parlé de quelqu’un qui est venu te voir.

La seule personne que j’aie vue, c’est E.

Ah! lui, il est gentil.1

Mais autrement, je refuse de voir les gens.

C’est mieux.

Pendant un temps, j’ai vu beaucoup de gens tous les jours, et puis maintenant, je trouve que... je ne sais pas, j’ai besoin d’être tranquille.

Oui.

(silence)

Je me suis aperçue de quelque chose – il y a longtemps, mais c’est devenu très-très aigu. Quand je parle, il y a une Conscience qui est là et qui s’exprime, mais c’est cette Conscience qui a de l’importance – les gens attrapent les mots et ils laissent la Conscience! Et alors, ça fait un gâchis affreux. Alors il vaut mieux ne pas parler.

Oh! mais ça fait un gâchis peut-être pour certains, mais pas pour tous – pas pour tous.

Mais je vois aussi, n’est-ce pas; j’essaye de faire Auroville comme un intermédiaire entre la vieille manière d’être et la nouvelle, et ils sont tous plongés... C’est-à-dire que la liberté qu’ils ont, ils s’en servent pour vivre d’une façon tout à fait ordinaire. Alors... c’est décourageant. Il y en a – il y en a quelques-uns –, c’est bien, mais la majorité, c’est de la sous-humanité, une humanité tout à fait animale. Alors...

On a assez à faire soi-même, hein, pour changer!

Diable, oui!

(silence)

Être à chaque moment aussi expressif que l’on peut, de la Conscience Divine. C’est la seule chose qui ait de l’importance.

(silence)

Oui, quand on est là près de toi, on est pris dans cette espèce de rayon absolu. C’est... Autrefois, je me souviens de mes méditations «là-haut», c’était vaste, c’était bien agréable, mais ici, c’est une espèce d’absolu, on dit: c’est ça. C’est ça, tu comprends, ce n’est pas autre chose, c’est l’absolu qui est là et qui vous prend. Mais quand on n’est plus auprès de toi... Si on se concentre, on peut rattraper ça dans une certaine mesure...

Oui.

Mais dès qu’on lâche la concentration, eh bien, il faut encore... C’est cela qui est difficile, il faudrait qu’il y ait une espèce de prise de possession. Mais comment faire ça?

Je ne sais pas.

C’est la Grâce, quoi!

(après un silence)

Ce corps essaye aussi bien qu’il peut de ne plus exister que dans le Divin. S’il pouvait ne plus se sentir séparé du tout (Mère touche la peau séparatrice de ses mains), il serait parfaitement heureux.

Mais comme ça (geste d’intériorisation), quand je ne dis rien, alors ça va.

(Mère plonge)

Tu n’as rien à demander?

Est-ce que quelque chose va venir en moi? Quelque chose d’autre [un autre livre]?

Les gens ne sont pas prêts, mon petit! Tous les jours, je découvre... Ceux qui sont laissés libres, sont au-dessous de tout. Ils ont une vulgarité de conscience, effroyable – il n’y a pas d’aspiration, il n’y a pas de besoin de perfection, il n’y a rien du tout.

Moi, je... ce corps fait ce qu’il peut. Il ne peut pas grand-chose. Il essaye... il essaye de ne pas faire de résistance. De temps en temps – de temps en temps –, il y a comme cela, quelque chose, un émerveillement, qui dure quelques secondes. Mais c’est... (Mère hoche la tête). Il faut, ou que nous nous arrangions pour que ce corps soit plus plastique et puis qu’il puisse se transformer, ou bien alors, ce sera pour une autre vie.

Mais j’avoue que... Sri Aurobindo, lui, m’a dit: «Ah! recommencer tout ça, toute l’enfance et toute cette inconscience – non.» Avant de s’en aller, il avait dit non. «Non, je reviendrai quand ça pourra être dans un corps supramental.»

(silence)

Mais il doit y avoir des corps qui doivent pouvoir durer à volonté. Il avait dit: «Le stade intermédiaire sera la durée de la vie à volonté.» Et ça, j’ai l’impression que c’est possible. Mais à condition que... il faut que le corps lui-même n’ait qu’une idée: la transformation. Qu’il soit comme cela [tranquille, concentré], alors... Je peux rester des heures – des heures comme cela – dans une espèce de contemplation réceptive, et ça passe comme une seconde. Ça, le temps, c’est curieux. N’est-ce pas, il y a une certaine contemplation réceptive, alors là... (geste suspendu dans un sourire), le temps n’existe plus.

Je sens... Je me sens sur le seuil d’un grand Secret... mais (Mère hoche la tête)... pas mental – pas des pensées. C’est... «quelque chose».

(silence)

Donne-moi tes mains.2

(un sourire s’esquisse sur ses lèvres)

8 septembre 1971

(Après une longue plongée contemplative.)

Vraiment, c’est une période de transition pour le corps.

Le corps est en train de réaliser, devenir conscient de ce qui, en lui, l’empêche d’être immortel, et en même temps de ce qui, en lui, peut être immortel. Et il a eu des moments d’angoisse comme il n’en a jamais eus de toute sa vie – à propos de la mort, ce qui ne lui était jamais arrivé. Et il a compris que c’était sa constitution même qui faisait cela, et ce qu’il fallait qu’il change. Et je suis... comme au seuil d’une découverte extraordinaire, mais...

(silence)

Je pourrais dire ceci: le pourquoi de la mort, c’est devenu clair, et le comment de l’immortalité, c’est... (silence)... Tu sais, c’est une chose curieuse, l’impression qu’il y a (Mère fait le geste de palper) quelque chose à TOUCHER.

(Mère reste à regarder, les yeux lumineusement ouverts, puis plonge pendant une demi-heure)

Ça peut durer indéfiniment... L’impression de toucher à quelque chose et... (geste qui échappe).

Qu’est-ce que tu as senti?

C’est Sujata qui m’a fait comprendre, une fois, ce que je sens près de toi; elle a dit: «Quand on est près de toi, c’est comme si ça faisait prier le corps.» Eh bien, c’est cela, ce que je sens, c’est une puissance qui a l’air de prendre dans toutes les parties du corps et de les... je ne sais pas, de les emplir d’une aspiration intense.

Oui. Mais ça, c’est ce que mon corps sent.

Oui, ça fait prier le corps. Ça l’emplit d’une Puissance qui... Je ne sais pas, c’est comme un or chaud qui soulève tout.

Oui, c’est comme cela qu’il est tout le temps.

(silence)

Je sens que Ça coule comme ça (geste à travers Mère) constamment.

C’est peut-être cela, l’Amour Divin dans la matière?

(Mère rit beaucoup)

C’est tellement intense et chaud en même temps – chaud. Mais c’est si fort... c’est si fort qu’on a du mal à dire le mot «amour», parce que ça ne correspond à rien de ce qu’on comprend.

Oui, mais moi non plus!... Je suis comme cela (geste au front): rien-rien-rien, vide-vide-vide... Là (geste haut et large), là, c’est... oui, c’est une immensité dorée.

Oui.

(silence)

J’ai une curieuse impression que c’est une espèce de... comme des écailles, ou des écorces d’arbre, des écailles de tortue, qui fondent, et que le corps n’est pas lui-même comme cela (Mère fait un geste comme si le corps se gonflait et éclatait au soleil). Ce qui, pour l’homme, semble la matière, c’est... c’est comme quelque chose de racorni qui doit tomber parce que ça ne reçoit pas. Et dans ce corps-là (Mère touche la peau de ses mains), il essaye... ça essaye de... (même geste de gonflement ou d’épanouissement). Oh! c’est curieux. C’est une sensation curieuse.

Si l’on pouvait durer assez longtemps pour que tout cela se fonde, alors ce serait le vrai commencement.1

11 septembre 1971

Tout le monde se dispute! Tout le monde, partout. Des disputes, des disputes, des disputes – tout le temps, la nuit, le jour, tout le temps.

La nuit aussi!

Oui! (rires)

Et en même temps, il y a la solution: un cal-me im-per-tur-ba-ble. C’est comme si ça voulait apprendre la leçon à ce corps. Mais des disputes ridicules, n’est-ce pas, tout le monde, tout le monde. Les uns accusent les autres – ils s’accusent réciproquement – et tout le monde dit des mensonges! Tout est tordu. Tout est tordu, rien n’est clair. Je n’ai jamais (mon Dieu, il y a longtemps que je suis ici), je n’ai jamais vu ça comme cela. Avec un acharnement terrible. Et mon corps est conscient que s’il perd une minute ce calme intérieur, il va tomber très malade. Il est juste comme cela (geste en suspens sur une crête), comme prêt à basculer dans un trou.

C’est dégoûtant.

Une seule solution (Mère étend ses bras): un calme imperturbable.

C’est un calme concret. C’est curieux. C’est concret. C’est comme si on pouvait le toucher (Mère appuie les paumes de ses mains sur un invisible roc)... C’est curieux.

(Mère entre dans le Calme pendant une demi-heure en tenant les mains du disciple)

Tu sens comme c’est concret?

Oui-oui, c’est massif.

14 septembre 1971

(Visite de Sujata à Mère. La veille, Sujata était allée dans les jardins de «Casanove», aux environs de Pondichéry, voir la tombe de Pavitra et d’Amrita.)

(Sujata:) Hier, je suis allée visiter Casanove.

Tiens, pourquoi?

Pour voir Amritada et Pavitrada... Tu sais, rien n’a été fait, aucun travail jusqu’à maintenant pour couvrir les tombes, depuis deux ans.

Comment est-ce?

C’était couvert de «Compassion de Sri Aurobindo», et près de la tête, il y avait un pot un petit peu cassé avec des «nouvelle création», et près des pieds, un pot de «dévotion»,1 pour les deux... J’ai trouvé cela très bien, mais on n’a encore rien fait.

Pavitra n’est jamais venu se plaindre! (rires)

Pavitra, je le vois très souvent, presque toutes les nuits.

Peut-être aime-t-il que ce soit comme cela.

Même cette nuit, je l’ai vu: il était au Japon.

Quand sont-ils partis?

Amritada est parti le 31 janvier 1969 et Pavitrada au mois de mai, le 16 mai.

Ah! Pavitra est parti après.

Tu sais, le temps et moi...

Pavitra est ici, il est très actif, il reste près de moi, je le vois très souvent. Amrita, je ne le vois pas beaucoup. Pavitra était absorbé en moi et je l’ai reformé petit à petit, et quand il a été complètement formé, je l’ai ressorti et il reste ici tout près.

Qu’est-ce qu’il fait?

Il rencontre des gens, il fait toutes sortes de choses.

Quel travail fait-il?

Il rencontre des gens, il parle, mais il est là, il n’a pas quitté l’atmosphère terrestre. Amrita est parti se reposer; Pavitra est là, dans le physique subtil – c’est là où est Sri Aurobindo et c’est un physique qui a très tendance à se matérialiser.

On verra...

15 septembre 1971

Tu as quelque chose à dire? Tu n’as rien?

Non, douce Mère, il n’y a rien d’encourageant.

(Mère plonge pendant une demi-heure)

Tiens, il y a un enfant à côté de toi. Un enfant qui doit avoir entre un et deux ans – blond. Et il regarde, il met sa main sur ton épaule... II est... Il a l’air très-très intelligent.

(Mère replonge)

Pas de questions?

Qui est cet enfant?

Je ne sais pas. Je l’ai regardé, il a grandi jusqu’à à peu près dix ans. Et il est resté. Je l’ai vu tout petit, deux ans, puis il a grandi-grandi jusqu’à à peu près dix ans. Et il avait la main sur ton épaule, et il te regardait toujours comme ça (grands yeux écarquillés avec une sorte de dévotion ou d’adoration).

Je ne sais pas.

Et Européen – pas un Indien.

Ce n’est pas mon frère... qui est parti de son corps?

Aah! peut-être.

Mais il est blond, ton frère?

Oui, quand il était petit, il était blond.

Ah! alors ce doit être lui.

Mais est-ce que cela veut dire qu’il a quitté son corps?

Non.

Parce qu’il a pris le mauvais cap, tu sais – à l’extérieur du moins.

(après un silence)

C’était conscient, l’enfant était conscient... C’est peut-être son être psychique qui est parti?1... Une confiance totale, tu sais (même regard écarquillé), comme ça.

Ah! mais c’est curieux, parce qu’il était blond quand il était petit [dans la vision de Mère], et quand il est devenu grand, les cheveux sont devenus plus foncés – j’avais remarqué cela. Il avait à peu près... une dizaine d’années peut-être.

N’est-ce pas, c’était la confiance totale. Il était comme ça, tranquille, et il te regardait, te regardait... la confiance totale.

Mais ce n’était pas l’être physique.

Oui, oui, je comprends.

(silence)

C’est la nuit en France, à cette heure maintenant?

Maintenant, il doit être... Ce sont les premières heures du matin, il doit être six heures du matin, cinq heures du matin.

Tu crois qu’il dort à cette heure-là?

Oui, sûrement.

Il aurait un être psychique qui devrait avoir à peu près deux ans (tu comprends, ils n’ont pas d’âge comme cela naturellement, mais comme développement). Et c’est à ton contact qu’il grandissait.2 C’est intéressant.

(long silence)

Il est plus jeune que toi?

Oui, physiquement je crois qu’il a cinq ou six ans de moins que moi... Mais il a tout à fait pris le mauvais chemin.

Oui. Est-ce que son être psychique l’a quitté?... Peut-être.

C’est bien possible... Je l’ai vu une fois coupé en deux.

Ah!

Il ne restait plus que la partie inférieure.

Alors, ce doit être cela.

Et la dernière fois que je l’ai vu, je l’ai vu la tête en bas et les pieds en l’air.

Aah!...

Il avait l’air tout à fait indépendant [cet être psychique]. Et quand il est venu – je l’ai vu venir –, il était là, à côté de toi, il a mis sa main – sa petite main – sur ton épaule, et il te regardait comme cela (mêmes grands yeux écarquillés), et alors, lentement il a grandi-grandi, et puis, à à peu près huit-dix ans, il est resté. Ce n’est pas un être psychique entièrement formé... Ça l’a peut-être quitté. Il l’a peut-être quitté.

(silence)

C’est-à-dire qu’il doit refaire une autre vie pour retrouver son être psychique?

Ah! oui.

Mais une fois que l’être psychique a quitté quelqu’un, il ne revient plus?

Oh! si, il peut revenir, mais il faut une conversion.

Il faut une conversion.

Que le psychique soit venu à toi, c’est très bon signe – c’est très bon signe, même pour lui. Parce que d’ordinaire, quand l’être psychique s’en va comme cela, il retourne dans le monde psychique et il dort jusqu’à une nouvelle vie. Mais il est resté conscient et il est venu à toi. C’est exceptionnel.

(silence)

On va voir ce qui arrive... Il est peut-être malade? Je ne sais pas.

Ou alors, si l’être vital (vital et physique) l’ont repoussé violemment, alors il est parti.

Oui, c’est plutôt cela... Il s’est lancé dans des choses bien terribles.

(après un silence)

Je ne le vois plus maintenant, mais j’ai l’impression qu’il est là, qu’il ne te quitte pas.

Mais on ne peut pas dire que ce soit ton «frère», parce que l’être psychique a été formé en d’autres vies – il était ENTRÉ dans ton frère.

Oui, c’est cela.

(Mère plonge)

On verra.3

18 septembre 1971

Qu’est-ce que tu as à me dire?

Tu m’as donné une «nouvelle création» [tubéreuse] l’autre jour, par Sujata...

C’est pour TOI.

Est-ce que ça veut dire que...

Oui.

... quelque chose va venir?

Ça veut dire que tu n’as pas fini! (Riant) Tu n’as pas fini d’écrire!1

(Mère reste longtemps à regarder le disciple, puis plonge)

Quelque chose à demander?

Non, mais toi, douce Mère?

Quelque chose à dire?

Non, douce Mère...

(silence)

J’ai eu une impression assez forte, il y a quelques jours, que l’on était comme peuplé de fantômes, c’est-à-dire qu’il n’y a pas vraiment de difficultés ni de problèmes ni de résistances ni de rien du tout, mais il y a un tas de fantômes qui sont là, de vieilles choses, et c’est simplement la mémoire qu’on en a qui nous tire.

Oui, c’est vrai! C’est vrai, j’ai eu la même expérience. C’est nous qui créons (nous, je veux dire tous les êtres humains), qui créons les problèmes.

Et puis il y a la mémoire. Le phénomène très ennuyeux, c’est la mémoire – la mémoire d’un tas de vieilles choses –, et c’est cela qui perpétue les vieux pouvoirs; mais en réalité, il n’y a plus rien – il y a seulement la mémoire de ça.

Oui-oui, c’est ça. C’est tout à fait vrai.

(Mère plonge)

Quelque chose à demander?

Non, où en sont les choses?

Quelles choses?

Eh bien, le monde et toi.

Bah!... Tout est comme ça (geste en suspens), tout. Ils sont prêts à se battre là-haut [aux frontières de l’Inde et du Bangladesh] et ils attendent indéfiniment qu’on leur dise de se battre. Les armées sont prêtes, tout est prêt et on attend. Tout est comme cela (même geste).

On attend quoi?

Que le gouvernement donne l’ordre.

Mais il ne bougera pas, le gouvernement!

Si (Mère sourit), il bougera. Il sera obligé de bouger. Mais ça tire.

Quelqu’un est venu ici, du gouvernement, envoyé par une «commission», mais par lui, le général qui commande les armées est entré en relation avec moi, et il a demandé mes bénédictions. Et ils sont tous prêts. Ils attendent – on leur dit demain-demain-demain... toujours demain. J’ai des nouvelles de là-bas.

(silence)

Il y a quelques jours, dans le sommeil, j’ai vu Indira Gandhi. Elle était ici, semble-t-il, et elle essayait de nous convaincre de quelque chose, et ce qui me frappait surtout, c’est que tout ce qu’elle disait était d’un niveau très ordinaire, et elle m’avait l’air très pâle.

Elle est influençable, n’est-ce pas. Alors il y a des... (geste de tiraillements).

Oui, elle n’a pas accepté ta seule influence.

Non. Elle l’a prise et elle l’a mélangée avec les autres. C’est pour cela que ça fait comme cela (geste de mêlée confuse).

(Mère plonge longtemps)

Nous sommes en pleine transition: ce n’est plus ça, ce n’est pas encore ça.

Et la concentration de force est de plus en plus grande.

(silence)

Une expérience curieuse. C’est une expérience curieuse. Le corps sent qu’il n’appartient plus à la vieille manière d’être, mais il sait qu’il n’est pas encore dans la nouvelle et qu’il est... Il n’est plus mortel et il n’est pas encore immortel. C’est tout à fait curieux. Très curieux. Et quelquefois, on passe du malaise le plus effroyable au... à la merveille – c’est curieux. Une béatitude inexprimable. Et ce n’est plus ça, et ce n’est pas encore ça. Voilà. Bizarre (Mère hoche la tête).

(silence)

Il y a comme une espèce de promesse d’une Puissance formidable, et en même temps des signes d’une faiblesse – pas faiblesse: désorganisation. Désorganisation, et en même temps le sens d’une Puissance formidable. Alors les deux sont comme cela (geste en équilibre instable). C’est une désorganisation en ce sens que si je ne fais pas attention, je ne peux plus manger, par exemple. Il faut que je fasse attention, il faut que je sois tout le temps concentrée-concentrée pour pouvoir faire les choses. Quelquefois, plus un mot dans ma tête, rien; quelquefois, je vois et je sais ce qui se passe partout.

C’est comme cela (même geste comme sur une crête).

Il faut que je fasse attention quand je suis avec les gens, autrement on croirait que je deviens folle! (rires)

C’est vraiment curieux. Comme, en même temps, une impuissance totale et une puissance formidable. Et les résultats de la puissance formidable sont visibles parfois chez des gens ici et là, là: tout d’un coup, des choses miraculeuses se passent. Et en même temps... quelquefois, je ne peux même pas manger. C’est curieux. (Mère rit)

22 septembre 1971

Ça continue, il n’y a rien de nouveau à dire. C’est comme cela: tantôt merveilleux, tantôt vraiment désagréable... Mais le corps progresse, c’est-à-dire qu’il sait mieux rester constamment accroché au Divin. Alors ça va. C’est tout.

Dehors, c’est comme cela (geste chaotique).

Mais... (c’est ridicule ce que l’on dit), mais je pourrais dire que l’Intervention Divine devient de plus en plus visible (et les mots sont idiots, ce n’est pas cela; mais c’est tout ce que l’on peut dire, tous les mots sont stupides).

Toi, qu’est-ce que tu as à dire?

Pas grand-chose. Il y a une nouvelle intéressante. Tu as entendu parler d’André Malraux, l’écrivain français?

Oui.

Je crois même qu’il était venu ici à Pondichéry te voir. Il a fait une déclaration à la radio, et tu sais, c’est un homme qui a beaucoup de poids internationalement: quand il dit quelque chose, il est écouté dans le monde entier. Alors, à la Radio française, il a fait une déclaration (tu sais qu’il était ministre de de Gaulle pendant longtemps), une déclaration en faveur du Bangladesh. Il dit:

(traduction)

The Indian Express, lundi 20.9.1971

À 69 ans, Malraux a offert de se battre dans les rangs du Bangladesh.

«Je reçois des piles de lettres de jeunes gens qui disent: si vous formez une légion étrangère, nous sommes prêts à nous battre pour le Bengale», dit-il.

Malraux reconnaît qu’il est trop vieux pour servir comme fantassin, mais il a déclaré qu’il pouvait servir dans un tank.

«Personne ne peut sérieusement aider le Bengale en bavardant en sa faveur, dit-il, mais en y allant aussi et en se battant pour lui.»

Malraux a constaté que l’Inde, certes, avait été créée par la non-violence, mais que cette fois, ce genre de tactique n’était pas possible. «Vous êtes devant un Vietnam. Ou bien vous vous battez et vous aurez le monde entier avec vous, ou bien vous ne vous battez pas et la cause est perdue.»

«Tandis que les intellectuels signent de bonne foi des pétitions, les Pakistanais jettent des tanks dans la bataille. Par conséquent, la seule chose sérieuse est la défense du Bengale. Faites-le intellectuellement si vous voulez, mais avec l’appui du combat.»

(Mère hoche la tête plusieurs fois et plonge pendant une demi-heure. Puis le disciple s’apprête à partir et Sujata s’approche de Mère)

Ça peut durer des heures...

(Sujata:) Douce Mère, que veut dire un paon blanc avec la queue dorée?

Ooh! ce doit être la victoire supramentale. Paon blanc, c’est la victoire intégrale; une queue dorée, c’est la réalisation supramentale... Tu as vu ça?

C’est lui qui a vu, c’est Satprem.

(Satprem:) J’ai vu ça cette nuit.

Tiens! mais c’est magnifique. C’est magnifique, c’est l’annonce de la victoire. Tu méditais sur quoi?

Mais je ne sais pas, j’ai vu ça en passant.

Ah!... c’est bien. C’est la victoire supramentale (Mère a l’air ravie), c’est bien.1

29 septembre 1971

(Dernier jour des fêtes de Dourga, «Vijaya dashami», marquant la Victoire de la Mère universelle sur un Asoura.)

Tu veux un paquet [de bénédictions]?

Tu m’en as fait donner un par Sujata, hier.

Un autre!

Si tu veux!

Ce n’est pas le même!

C’était clair, très clair aujourd’hui, une forte Pression pour dire: la Victoire, c’est l’Harmonie; la Victoire, c’est le Divin; et pour le corps, la Victoire c’est la bonne santé. Tout-tout malaise et toute maladie sont un mensonge. C’est venu ce matin. Et c’était très CLAIR. C’était convaincant, tu comprends.

Alors, ça va.

C’est comme si, par la Pression, tout le Mensonge était ressorti (geste jaillissant d’en bas). Les choses les plus inattendues. Dans les gens, les choses, les circonstances. Et c’est vraiment... il n’y a pas d’imagination qui puisse égaler ça. C’est incroyable.

Mais c’est bon signe, non?

Oh! oui. Oh! oui... Seulement, il y a des apparences dans l’Ashram qui ne... (Mère hoche la tête), c’est comme s’il y avait un poison, n’est-ce pas, et qu’en pressant, le poison sortait pour s’en aller – et il sort!

Plus tard, on pourra en parler. Mais c’est vraiment intéressant, vraiment. Oui, c’est bon signe, c’est très bon signe.

Oui, ça veut dire que toutes ces forces qui pendant des millénaires étaient cachées dessous...

Oui.

... ont perdu leur refuge.

Oui, c’est ça. C’est ça.

On verra. Seulement on ne peut pas en parler encore – plus tard.

Incroyable, mon petit!

Mais un Pouvoir! Pouvoir, oh!1... (Mère ferme les yeux et sourit)

octobre




2 octobre 1971

(L’année passée, après la mort du Général de Gaulle, notre amie Y.L. avait rencontré André Malraux à Verrières; celui-ci lui avait tout de suite demandé: «La Mère est-elle toujours vivante?» et comme notre amie était un peu ébahie, il a ajouté: «J’y suis allé avant vous, il y a 33 ans... Vous savez donc ce qu’ils ont cherché en Inde...» Puis il y a quelques jours, Y.L. a de nouveau rencontré André Malraux après son cri «Volontaire pour le Bengale»; il lui a dit: «Ce qui est essentiel dans le combat que je vais mener pour le Bengale, c’est de connaître l’attitude et l’action de Pondichéry.» Notre amie Y.L. est donc venue poser la question à Mère. Mère a demandé: «Quand André Malraux rencontre-t-il Indira Gandhi?» – «En novembre, à Paris.» Mère a encore demandé: «Quand André Malraux pense-t-il venir en Inde?» – «Je ne sais pas...» Puis Mère est restée longtemps absorbée et elle a dit: «Il aura seulement la réponse quand il arrivera en Inde, parce que la réponse est en lui...» Après avoir rencontré Indira Gandhi à Paris, André Malraux renoncera à son plan d’action. Notons que le jour où Y.L. l’a rencontré, il a feuilleté le «press-book» d’Auroville et dit: «Tout cela m’est familier – je suis dedans – je connais.» Et refermant le livre: «C’est comme si le soleil s’était levé. Et il se couche... Et on recommence...» Y.L. lui a simplement répondu: «Et si le soleil s’était vraiment levé?»)

[Ces notes sont extraites du «Carnet de voyages» de Y.L.]

Et puis?

Tu sais que Y.L. – que tu as vue il y a quelques jours – a rencontré Malraux à Paris et elle lui a remis mon article sur le Bangladesh, et puis «La Genèse du Surhomme». Et ce matin, j’ai reçu un mot de Malraux.

Ah!

Une carte. C’est gentil. Il dit simplement:

«Je vous remercie, Monsieur, de cette “Genèse du Surhomme” dont quelques-unes de nos amies m’avaient et m’ont parlé – et vous remercie aussi d’avoir eu l’attention de me l’envoyer.»

Bien...

Il a dit que tu étais «mon fils»!

Ah!... eh bien, ce n’est pas complètement faux!

J’ai dit oui! (Mère rit beaucoup)

Il paraît qu’il a de l’autorité là-bas?

Oh! beaucoup, et non seulement là-bas, mais dans le monde entier. S’il dit un mot, c’est un événement mondial!

Oh! alors, c’est bien.

Alors j’avais l’idée de lui envoyer un petit mot...

Oui.

... où je lui aurais dit ceci:

Monsieur,

Je suis très touché que vous ayez eu la bonté de me remercier de la «Genèse du Surhomme». Il y a quelque quinze ans, en cet Ashram, je faisais des classes de français aux jeunes disciples indiens, et j’essayais de leur dire qui était Malraux, dont j’admirais l’action – aujourd’hui, ils se rappellent et, comme moi, sont émus de votre intervention en faveur du Bangladesh.

Le problème est plus profond, bien sûr, comme vous le savez. Il s’agit de créer un nouvel Homme en cette fin du Cycle mental – c’est ce que nous tentons de faire ici avec la Mère et Sri Aurobindo. De grandes Forces sont à l’œuvre ici, humblement. Et je suis touché que cette «Genèse» ne vous ait pas laissé insensible. Son cri d’appel a bien besoin de vous et de votre capacité de saisir le Sens profond de notre crise humaine.

Que la Force de Sri Aurobindo et de Mère vous accompagne.

En toute fraternité dans la grande Œuvre à accomplir.

C’est bien, c’est très bien!

Si un élément comme cela était directement touché par toi, c’est un levier formidable. Deux mots de cet homme, et dans le monde entier, on écoute.

Ah!

(Mère plonge longtemps)

Qu’est-ce que tu dis, Mère?

Je ne dis rien.

(long silence)

Je parle de moins en moins.

Oui, douce Mère...

Seulement, tout le temps la Force fait comme cela (geste de Pression implacable). Elle presse sur la matière pour la transformation.

Je ne sais pas, j’ai l’impression que l’heure approche où il va y avoir de grands changements dans le monde.

Oui, oui.

Des choses visibles.

Oui. Mais c’est très consciemment que la Force fait comme cela (même geste de pression), très consciemment. Dans le moindre détail, et puis sur tout l’ensemble, très consciemment.

Quand je suis comme cela (geste immobile, intériorisé), j’ai simplement la conscience de cette Force (même geste de pression), et alors quelquefois, un point (geste, comme un rayon qui se braque), un détail passe consciemment par... par la personnalité (je ne sais pas comment dire), et là, c’est... ça paraît tout-puissant: guérir quelqu’un, faire même attraper un voleur (!), des choses comme cela. C’est curieux.

C’est curieux.

Et de plus en plus (Mère touche ses mains) impersonnel.

6 octobre 1971

(À propos du prochain «Bulletin».)

C’est intéressant?

Mais oui, douce Mère! Mais tu sais, en fait, le Bulletin, je le vois de A à Z, chaque virgule. C’est personne d’autre.

C’est bien... Tu as fini «La Synthèse»?

Non, douce Mère, on en a encore pour un ou deux ans.

Oh! tant que cela!

Non, pardon! on a calculé qu’on en avait pour jusqu’en 1975.

75!... (Mère rit)

Qu’est-ce que l’on prendra après?

Qu’est-ce que nous avons publié?

Le Cycle Humain, l’Unité Humaine, quelques chapitres de La Vie Divine...

Ah! il faudrait finir le livre.

Finir!... (rires)

C’est un travail amusant.

Oui, il y en a pour trente ans de «Bulletin».

(Mère rit)

Oui, c’est ce qu’il y aura de mieux: prendre La Vie Divine.

Savitri? Ta traduction de Savitri?

Oh! ça... Il faudrait être un poète pour faire ça... Tu parles de ma traduction?

Oui, douce Mère.

Elle ne vaut rien!

Non, douce Mère! il y a peut-être certaines choses à arranger, mais... Non-non, ça vaut.

Mais j’en ai fait très peu.

Eh bien, il faudrait que tu «complètes»! (rires)

J’ai fait la fin?

Un peu au début, et puis la fin.

Je ne vois plus... Mais il faudrait que je m’y remette alors... La Vie Divine, ça prendra combien d’années?

Je ne sais pas, trente ans peut-être [à raison de un chapitre par Bulletin].

Hein! (rires) Trente!... Alors, ça ira jusqu’en l’an 2000.

Oui.

(Riant) Eh bien, on a le temps!

Non, n’est-ce pas, forcément, ça ira d’un côté ou de l’autre, c’est-à-dire que, ou mon corps doit se renouveler et devenir plus fort (c’est-à-dire ma vision meilleure, etc.), et alors ce sera facile, ou bien fini.

Non!

Ou bien il faudra que je le laisse.

Non-non. Non, c’est sûr que ça doit changer. C’est sûr.

(Mère rit)

C’est presque mathématique, tu comprends.

Il SENT comme cela... On ne sait pas. C’est la Volonté Divine.

Parce qu’il y a une partie qui sera miraculeuse, forcément.

Oui.

S’il n’y a pas un miracle, ça ne... Alors, le miracle, ça dépend du Seigneur.

Bien. Enfin on a le temps d’y penser! (rires)

Mais ça DOIT se produire, douce Mère. Ce n’est pas seulement dans la foi, c’est dans la logique des événements.

Ça dépend (Mère touche ses mains) de la proportion de ce qui est à éliminer, n’est-ce pas. Et de la capacité de transformation.

Mais, douce Mère, je crois que ça dépend encore plus de sa nécessité pour le monde – de la nécessité de ta transformation pour le monde.

Tu crois que c’est nécessaire?

Mais bien entendu!

(Mère rit)

C’est la seule chance qu’on ait.

Ah!...

Si cela ne se fait pas dans toi, alors cela veut dire que l’affaire est remise encore à... à des siècles. Mais ce n’est pas possible! Ce n’est pas possible.

(après un silence)

Moi, je suis pleinement d’accord pour tout ce que le Seigneur veut – quoi que ce soit, même les choses les plus difficiles. Pleinement d’accord comme cela (Mère ouvre les paumes de ses mains vers le haut): ce que Tu veux, Seigneur, ce que Tu veux – c’est ma joie. Voilà.

C’est ma VIE. C’est l’essence de la vie en moi, dans le corps. Il est comme cela: ce que Tu veux – avec une joie, une joie qui... sans mélange.

Voilà.1

(silence)

Tu veux un peu de concentration?

(Mère plonge)

9 octobre 1971

Ta lettre est partie pour... comment s’appelle-t-il, en France?

Ma lettre?... À Malraux, tu veux dire. Oui-oui, je l’ai envoyée.

Par qui?

Directement, à une adresse de Paris.

Recommandée?

Non, douce Mère.

La poste est très mal faite maintenant... Tu as gardé une copie?

(Mère plonge pendant 25 minutes)

Tu as une question?

Mais tu sais, je crois que j’ai vu l’être intérieur de Malraux.

Tiens!

Oui, la veille du jour où j’ai reçu sa carte, j’ai vu, la nuit, un être qui était vêtu de vêtements dorés, tout dorés, et il avait même un turban doré. Et il venait à moi, et sur un plateau il m’offrait quelque chose... Mais les vêtements avaient beaucoup d’importance!1

(Mère rit beaucoup)

Mais il était beau... Avec un turban!

C’est son intention de venir dans l’Inde.

Peut-être a-t-il eu une vie indienne?

(Mère replonge)

13 octobre 1971

(Mère tend au disciple une fleur de «transformation» inusitée.)

Neuf pétales... C’est la nouvelle création – c’est la transformation pour la nouvelle création.

Bon!

Alors, qu’est-ce que tu apportes?

Oh! rien d’intéressant... Un peu accablé par tous les problèmes matériels.

Oh! oui...

Tu n’as rien à demander, rien à dire?

Et toi, qu’est-ce que tu dis, douce Mère?

Moi?...

(Mère plonge pendant une demi-heure)

Tu ne dis rien?

Non, rien à dire.

Est-ce que quelque chose approche?

(après un silence)

Tu connais l’histoire de la nouvelle lune?... On a découvert une nouvelle lune.1

Ah!oui, une toute petite. Ça veut dire quelque chose?

On dit que c’est la création supramentale!

Hein!

Et qu’elle s’approche de la terre.

Et alors?

Si elle tombe dessus!...

Toute petite, c’est-à-dire? Plus petite que la terre?

Oui, je crois que c’est un mille de diamètre.

C’est tout petit!

Il paraît que tous les huit ans, elle s’approche de la terre... Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le supramental!

Je ne sais pas! (Mère rit) Moi, je n’en sais rien... Un mille, mais alors elle peut tomber quelque part...

Oui, ça ferait une bosse!... Mais on a vraiment l’impression que tout cela a besoin d’être secoué, non?

(Mère fait le geste de ne pas savoir)

Mais toi, tu n’es pas pour le «secouage»?

(Même geste avec un sourire) Quand on m’a dit cela, j’ai eu l’impression que ça se joindrait à la terre... Mais ça ferait une catastrophe, non?

Peut-être pas considérable? Cela ferait assez de bouleversement, sûrement.

À moins qu’elle ne choisisse le pôle nord ou...

Est-ce que cela arrangerait les affaires de la terre?

(geste négatif)

Toi, tu n’aimes pas beaucoup que l’on secoue.

(même geste silence)

J’ai de plus en plus l’impression que l’on ne sait rien, que l’on ne peut rien, que l’on... Nous sommes vraiment... (geste impuissant) – que nous ne savons rien. Tout notre prétendu savoir, c’est...

Nous ne savons même pas notre propre destin.

Oui!

C’est lamentable.

(silence)

Et matériellement, dans la vie matérielle, on a l’impression d’être emêlé dans une situation où toutes les solutions sont fausses.

Oui-oui, c’est cela exactement.

Alors on ne sait pas que faire. Dans la vie pratique, on ne sait pas quoi faire... Tu peux de tous les côtés te retourner, de tous les côtés c’est faux.

Oui, c’est faux.2

Alors ceux qui veulent vivre véridiquement, que doivent-ils faire pratiquement? On est dans ce monde de fausseté – en soi et autour de soi – et si l’on veut intervenir dans les circonstances pour les rectifier, on est encore plus emêlé dans ce nœud. Est-ce qu’il faut simplement se retirer et laisser faire, ou quoi?

Moi, c’est ce que je fais de plus en plus (geste d’intériorisation). Je parle de moins en moins, parce que tout ce qu’on dit est faux.

(silence)

Par exemple, je dis «le Divin» – qu’est-ce que c’est, le Divin? Moi, je ne sais pas – et je ne peux pas dire que je ne sais pas. Et même de dire cela est faux – ce n’est pas ça. Tout est pas ça. Ce n’est pas ça.

Même la vie matérielle est comme cela. Pour manger, par exemple, selon une certaine attitude (est-ce une attitude? je ne sais pas, parce que la conscience est la même), mais la Même chose peut être ou absolument détestable et impossible à avaler, ou parfaitement bien... Les circonstances matérielles elles-mêmes, les Mêmes circonstances peuvent avoir des conséquences tout à fait maléfiques et graves, ou tout à fait bénéfiques, selon... De quoi ça dépend? C’est cela. Parce que la conscience est la même apparemment, on ne sait pas ce qui provoque le changement... C’est-à-dire que toute la vie matérielle est... irréelle. Tu dis qu’il faut se battre, mais se battre contre quoi? – Tout est un mirage. Nous ne savons pas ce que c’est, nous ne savons pas ce qu’IL Y A vraiment. De quoi ça dépend?

Il y a quelque chose à découvrir.

Quelquefois, le corps est pris d’une douleur intolérable, à crier – et la minute d’après, tout est parfaitement bien. Et les conditions physiques sont les MÊMES, la conscience est la MÊME... De quoi ça dépend?...

Tu vois (Mère prend son front soudain comme si elle souffrait ou elle était prise dans une impossibilité), mieux ne pas parler.

(long silence)

Quelque chose... Quelque chose...3

16 octobre 1971

Alors, quoi de neuf?

J’ai quelque chose ici... Il y a un certain temps, j’ai reçu une lettre d’un monsieur qui avait travaillé avec Théon.1

Oh!

Alors il me demandait de tes nouvelles, si tu étais toujours de ce monde, et puis il a écrit un livre sur la «tradition cosmique». Il voulait t’adresser un exemplaire de ce livre en témoignage de sa «déférente admiration». Et finalement, il a envoyé le livre par avion. Le voici: ça s’appelle «À l’ombre de la Tradition Cosmique.»

(Mère rit) Tu l’as vu?

Je ne l’ai pas lu, mais j’ai vu.

(Riant) C’est très fantaisiste!

Simplement, dans la préface, il te mentionne et il dit ceci: «La philosophie cosmique est un rayonnement qui a dépassé les frontières des groupes cosmiques de France, on le comprendra si l’on note, par exemple, que la Révérende Mère de l’Ashram de Pondichéry (!), la collaboratrice de Sri Aurobindo, avait été l’élève de Max Théon à Tlemcen...» Voilà, c’est tout ce qu’il dit à ton sujet.

Je t’ai raconté l’histoire. Il y avait des choses étonnantes... Je t’ai dit que je l’ai vu détourner un éclair!

Oui, oui.

Je l’ai VU (Mère touche ses yeux). Je ne peux pas dire que j’ai rêvé: je l’ai VU. Comment il l’a fait? Je ne sais pas.

Il n’est plus sur terre? Il a quitté son corps?

Oh! oui, il y a longtemps. Il est parti, je crois, avant que je ne vienne ici. Il y a longtemps.

Il doit le dire là-dedans?

Non, il ne le dit pas – enfin je n’ai pas lu le livre, bien sûr, mais il ne le dit pas dans la préface.

Non, la tradition cosmique, c’est très fantaisiste, mais tout de même il y a quelque chose... Tu pourrais voir si tu as le temps.

Oui, douce Mère.

Tu peux voir la préface, s’il dit quand Théon est parti.

Non, j’ai lu la préface, mais il n’est pas question du départ de Théon. Il dit: «le Sage oriental, Max Théon», c’est tout.

Il était... Je ne sais pas s’il était Russe ou Polonais.

Mais tout ce genre de pouvoirs qu’ils avaient sur les choses matérielles, tout cela ne te serait d’aucune utilité matériellement?

D’aucune utilité – AUCUNE utilité.

Seulement, il m’a bien appris l’occultisme. À ce moment-là, j’étais vraiment très calée!... (Riant) Moi aussi, j’ai fait un nombre de miracles! Mais je n’y attachais pas de valeur ni d’importance.

Et par exemple, ce pouvoir qu’avait Mme Théon d’absorber la vitalité, etc. – tu te souviens, quand elle mettait un pamplemousse sur sa poitrine?...

Oui, oui.

Des choses comme cela ne seraient pas utiles non plus?

Ça, oui. Ça pourrait être utile... Mais Théon ne pouvait même pas la protéger! – elle a perdu un œil dans une expérience comme cela (je ne me souviens plus).

Oui, c’est un changement plus profond qu’il faut.

Oh! oui.

(silence)

Alors, on lui envoie quelque chose?

Oui, douce Mère, ça a l’air d’être un brave homme d’après ce que j’ai vu. C’est un grand blessé de la première guerre. Et dans sa dédicace (il te fait une dédicace), il te pose une question. Il te demande une réponse. Voilà ce qu’il te dit:

«À la Mère. À l’Initiatrice idéale de l’universalisme spirituel divin et cosmique...

Quoi? je ne comprends pas.

Il dit:

«À l’Initiatrice idéale (c’est toi, l’initiatrice)... en témoignage d’admiration et de reconnaissance. Hommage respectueux de l’auteur, qui serait heureux de recevoir, écrit de sa main, le conseil concernant la technique psycho-mentale dont la pratique donnerait... la maîtrise et l’autorité sur les fonctions neuro-physiologiques en vue de diminuer et de vaincre la sensation de douleur et la souffrance physico-nerveuse.»

Oh! oh!... Ce qui est curieux, c’est justement les expériences que j’ai maintenant. Ça, c’est assez curieux. Je voulais justement t’en parler aujourd’hui.

Le corps est dans un état où il voit que tout dépend simplement de... comment il est branché au Divin – de son état de soumission réceptive. J’ai eu l’expérience encore ces jours-ci (je te le disais la dernière fois, mais je l’ai eue d’une façon tout à fait précise): la même chose, qui est cause, plus que d’un inconfort – d’une souffrance, d’un malaise presque insupportable –, avec juste un changement dans la réceptivité du corps vis-à-vis du Divin, tout d’un coup, ça disparaît – et même, ça peut aller vers un état béatifique. J’en ai eu l’expérience plusieurs fois. Et pour moi, c’est seulement une question d’une certaine sincérité qui touche à l’intensité – dans la conscience que tout est l’action du Divin et que Son action va vers la réalisation la plus rapide possible étant donné les conditions. Quelque chose comme cela.

Quelle est sa question?

J’imagine qu’il doit souffrir, cet homme. Il demande des conseils concernant:

«la technique psycho-mentale dont la pratique donnerait au “cerveau-centre” de l’activité des facultés psychologiques la maîtrise et l’autorité sur le “cerveau-centre” des fonctions neuro-physiologiques, en vue de diminuer et de vaincre la sensation de douleur et la souffrance physiconerveuse.»

(après un silence)

Je pourrais dire: il faut que les cellules du corps apprennent à ne chercher leur support QUE dans le Divin, jusqu’au moment où elles peuvent sentir qu’elles sont l’expression du Divin. C’est clair?

Oui, douce Mère, c’est très clair.

C’est en effet l’expérience que j’ai maintenant. L’expérience (comme je l’ai dit) de changer l’effet des choses, je l’ai; mais ce n’est pas mentalisé, alors je ne peux pas faire des phrases. Mais c’est vraiment que les cellules arrivent à sentir, d’abord qu’elles sont entièrement gouvernées par le Divin (ce qui se traduit par: ce que Tu veux, ce que Tu veux..., cet état-là), et puis une sorte de réceptivité (comment dire?), ce n’est pas immobile, c’est... Probablement, on dirait une réceptivité passive (Mère ouvre les mains dans un sourire). Mais je ne sais pas comment expliquer.

(Mère ferme les yeux dans un sourire)

Tous les mots sont faux, mais on pourrait dire: «Toi seul existes» – n’est-ce pas, que les cellules sentent: «Toi seul existes.» Comme cela. Mais tout cela, c’est comme si ça durcissait – les mots durcissent l’expérience. C’est une espèce de plasticité ou de souplesse (souplesse confiante, très confiante): ce que Tu veux, ce que Tu veux...

(silence)

Si tu peux arranger une réponse pour cet homme?

Oui, sûrement, douce Mère. Si tu lui envoyais un «paquet de bénédictions» comme support à tes commentaires?

(Mère donne un paquet)

Tu sais, le «Cosmique» a eu une très intéressante action dans ma vie. J’étais tout à fait contre «Dieu»: la notion européenne de Dieu était pour moi tout à fait repoussante. Et en même temps naturellement, cela m’empêchait d’avoir aucune expérience. Et avec l’«enseignement cosmique» du dieu intérieur (c’était ça, l’idée de Théon: le dieu intérieur – Mère touche sa poitrine –, celui qui est au-dedans de chacun), brff! (geste, comme si des murs s’écroulaient). L’expérience a été foudroyante. Je lui en suis très reconnaissante. Ça a été le moyen; en suivant son indication et en cherchant au-dedans de l’être, derrière le plexus solaire, j’ai trouvé. J’ai trouvé, j’ai eu une expérience... une expérience absolument convaincante.

Seulement, les gens vont trouver quelque force vitale et ils croient que c’est l’âme, alors... Il faut être très sincère, c’est la condition absolue. Il faut être très sincère, très sincère – non seulement il n’est pas question de tromper les autres, mais il ne faut pas se tromper soi-même, il faut être très sincère. Et alors, on trouve. On trouve, c’est une expérience absolument concrète.

C’est une expérience que j’avais eue avant de venir ici. Avant de venir, avant de connaître Sri Aurobindo, j’avais eu l’expérience. Alors c’était comme si les trois quarts du travail étaient faits... Je n’avais pas la connaissance mentale (la connaissance mentale n’était pas extraordinaire), mais elle est inutile pour l’expérience. Si l’on est sincère, on a l’expérience sans penser, on n’a PAS BESOIN de penser. Mais il faut être sincère.

Mais maintenant mon corps, c’est ça qu’il a, ce sont ces expériences-là qu’il a. Seulement les mots sont...

Dans une certaine attitude (mais ça, c’est difficile à expliquer ou à définir), dans une certaine attitude, tout devient divin. Tout. Et là, ce qui est merveilleux, c’est que quand on a l’expérience que tout devient divin, tout ce qui est contraire tout naturellement (suivant les choses: vite ou lentement, tout de suite ou peu à peu) disparaît.

Ça, c’est merveilleux. C’est-à-dire que de devenir conscient que tout est divin, est le meilleur moyen de rendre tout divin – tu comprends –, d’annuler les oppositions.

(Mère plonge)

Quand as-tu reçu ce livre?

Je l’ai reçu hier.

Aah!...

(silence)

On pourrait dire que la guérison de tous les désordres physiques, c’est que les cellules deviennent convaincues – conscientes et convaincues – qu’elles sont l’expression du Divin, ou même qu’elles sont divines dans leur essence.

Justement dans la nuit d’hier à aujourd’hui, je suis restée des heures... (maintenant je dors très-très-très peu, je reste des heures dans une espèce d’état qui n’est pas le sommeil et qui n’est pas l’activité, qui est quelque chose d’assez nouveau), et dans cet état, le corps a eu conscience qu’il n’était rien, qu’il ne savait rien, qu’il ne pouvait rien, qu’il... une espèce de nullité presque totale. Il a eu cela pendant des heures. Et alors, lentement, ça s’est changé... ça s’est changé dans une... quelque chose comme une sensation (ce n’est pas une sensation ordinaire, mais c’est quelque chose comme une sensation); le «rien» – le rien, la nullité totale – a commencé à sentir qu’elle n’existait que PAR le Divin; et puis petit à petit, POUR le Divin, et... une espèce de paix... (Mère ferme les yeux avec un sourire), de paix... (puis elle ouvre tout d’un coup des yeux immenses) toute-puissante.

Et alors, tout ce qui était douloureux a disparu.

Paisible...

Seulement, le corps [de Mère] a un avantage dans la vie: c’est qu’il a été construit et conçu de telle façon qu’il ne désire pas les sensations agréables. Il ne désire pas (comment dire?) oui, la sensation de plaisir, les choses agréables, ça lui est tout à fait indifférent – spontanément. Il n’a pas eu d’effort pour surmonter ses désirs, ça lui était toujours égal. Il protestait seulement contre la souffrance, et ça, ça disparaît totalement.

Maintenant, je crois que l’ego corporel est en train de disparaître. Alors ce sera parfait.

Vraiment, c’est tout à fait spontané – spontané et sincère: Toi, Toi, Toi... Ce que Tu veux, ce que Tu veux... ce que Tu veux.2

20 octobre 1971

(Mère commence par traduire en français le message de Sri Aurobindo qu’elle veut donner le 24 novembre.)

«Il faut s’en remettre au Divin, et cependant faire une certaine sâdhanâ pour se mettre en état – le Divin donne le résultat non pas à la mesure de la sâdhanâ, mais à la mesure de l’âme et de son aspiration. Ainsi, se tourmenter ne sert à rien – «Je serai ceci, je serai cela, que serai-je?» Dites: “Je suis prêt à être non pas ce que je veux, mais ce que le Divin veut de moi” – tout le reste s’ensuivra.»

13.4.1935
Sri Aurobindo
Letters on Yoga, XXIII.582

On a retrouvé des lettres – de vieilles lettres – de Sri Aurobindo à Barin et à l’avocat1 – extraordinaires! Elles sont formidables. Elles donnent la mesure de Sri Aurobindo comme homme d’action. En 1920, il avait l’intention encore de faire une action. Organiser des centres partout dans l’Inde, dans le monde, oh!... un plan!... Et ça, c’était avant la libération du pays!

Il dit qu’il s’est tout à fait retiré pour trouver son yoga, mais que quand il l’aura trouvé, il va agir2...


Peu après, Mère signe un contrat pour une édition allemande de «La Genèse».)

Et en russe?

(silence)

Le 30 c’est ton anniversaire...

Avoue que c’est étrange, ce livre qui est édité en Allemagne avant d’être édité en France.

Le livre?

Oui, on va l’éditer en Allemagne, mais en France on ne l’édite pas, on n’en veut pas. Je trouve ça assez...

C’est parce qu’il n’y a personne pour s’en occuper.

En tout cas, là où l’on a essayé, on a refusé.

Tu as vu la traduction de M [une autre traductrice d’anglais]?

Oui, en partie. Beaucoup de passages sont très beaux.

Ah!

Je crois que dans l’ensemble, ce sera efficace – tout n’est pas compris.

Ah?

Non, mais finalement, ça n’a pas d’importance. Ce qu’elle a compris et qui a passé, a passé avec force et bien. Il y a beaucoup de profondeurs ou de choses omises. Mais on ne peut pas faire autrement. Son mérite est que ce qu’elle a compris, a passé avec force et quelquefois même beauté... Je lui ai dit que j’étais très content. Et en fait je suis content, parce que ça suffit, c’est efficace.

Je lui ai parlé pour l’édition. Elle m’a dit qu’en Amérique, ça lui était plus facile qu’en Angleterre, mais enfin qu’elle verrait.

On verra.


ADDENDUM

(Lettres de Sri Aurobindo à C.R. Das, son avocat dans l’«affaire de la bombe d’Alipore».)

Le 18 novembre 1922

Cher Chitta,

Il y a longtemps, presque deux ans, je crois, que je n’ai écrit à personne. J’étais tellement retiré et absorbé dans ma Sâdhanâ que les contacts avec le reste du monde étaient réduits à un minimum jusqu’à ces temps derniers.

...J’ai reçu confirmation d’une perception que j’avais toujours eue, mais moins clairement et moins dynamiquement alors, et qui est devenue maintenant de plus en plus évidente, à savoir que la vraie base de la vie et du travail est spirituelle, c’est-à-dire une nouvelle conscience qui doit se développer par le Yoga seulement. De plus en plus manifestement, je vois que l’homme n’arrivera jamais à sortir de la ronde futile que notre espèce continue de suivre, tant qu’il ne se sera pas élevé jusqu’à la nouvelle base. Je crois aussi que la mission de l’Inde est de remporter cette grande victoire pour le monde. Mais de quelle nature exactement est le pouvoir dynamique de cette conscience supérieure? Quelles sont les conditions pour que sa vérité soit efficace? Comment la faire descendre, la mobiliser, l’organiser, l’appliquer à la vie? Comment nos instruments actuels, l’intellect, le mental, la vie, le corps, peuvent-ils devenir le canal vrai et parfait de cette grande transformation? Tel est le problème que j’essayais de résoudre par mon expérience; j’ai maintenant une base solide, une vaste connaissance et quelque maîtrise du secret. Mais pas encore sa totalité ni sa présence complète et impérieuse – par conséquent, je dois rester encore retiré. Je suis décidé à ne travailler dans le monde extérieur que quand je posséderai solidement et complètement ce nouveau pouvoir d’action; je ne veux construire que sur une base parfaite.

Cependant, je suis allé assez loin pour pouvoir entreprendre certain travail à une échelle plus vaste qu’avant: entraîner les autres à recevoir cette Sâdhanâ et à se préparer eux-mêmes comme je l’ai fait, car, sans cela, mon travail futur ne pourra même pas commencer. Beaucoup désirent venir ici et je peux les admettre dans ce but, mais je ne peux pas continuer si je n’ai pas les fonds suffisants pour entretenir un centre ici et au moins un ou deux autres à l’extérieur. J’ai donc besoin de ressources beaucoup plus vastes que celles dont je dispose à présent. J’ai pensé que votre recommandation et votre influence pourraient aider Barin à les recueillir pour moi...

Votre
Aurobindo
On Himself, XXVI.436


(Lettre de Sri Aurobindo à son jeune frère Barin.)

Le 18 novembre 1922

Cher Barin,

...Jusqu’à maintenant et pendant quelque temps encore, je reste retiré à pratiquer un yoga qui est destiné à devenir la base de la transformation de la vie humaine et non d’un retrait de la vie. C’est un yoga où il faut ouvrir de vastes régions d’expérience intérieure et de nouveaux chemins de Sâdhanâ, et cela demandait, par conséquent, une certaine retraite et beaucoup de temps pour qu’il soit complet. Mais le temps approche, bien qu’il ne soit pas encore venu, où il faudra que j’entreprenne un vaste travail extérieur procédant de la base spirituelle de ce Yoga.

Il est donc nécessaire d’établir un certain nombre de centres, petits et peu nombreux tout d’abord, mais qui s’élargiront et augmenteront en nombre à mesure que j’avancerai, afin de donner l’entraînement à cette Sâdhanâ... Le premier existe déjà à Pondichéry et sera transféré dans l’Inde britannique lorsque j’irai là, mais j’ai besoin de fonds pour l’entretenir et l’élargir...

Ceux qui désirent et peuvent entreprendre cette Sâdhanâ sont beaucoup plus nombreux que je n’en peux admettre pour le moment; c’est seulement si de vastes moyens sont mis à ma disposition que je puis continuer le travail nécessaire pour préparer mon propre retour à l’action...

Aurobindo Ghose
On Himself, XXVI.435


Le 1er décembre 1922

Cher Barin,

...Je dois maintenant te dire clairement les raisons pour lesquelles j’ai hésité à permettre la publication [de certains textes]... Le passage qui concerne la non-coopération conduirait, je pense, à un complet malentendu sur ma position véritable. Certains en conclueraient que j’accepte le programme de Gandhi... Comme tu le sais, je ne crois pas que les principes du Mahatma puissent être une base véritable ni que son programme puisse être le vrai moyen d’amener la liberté authentique et la grandeur de l’Inde... Ma propre politique, si j’étais sur le terrain, serait radicalement différente dans son principe et dans son programme... Mais le pays n’est pas encore prêt à comprendre ce principe ni à exécuter ce programme.

Sachant cela parfaitement, je me contente encore de travailler sur le plan spirituel et psychique, et de préparer là les idées et les forces qui, plus tard, au moment voulu et dans les conditions voulues, se précipiteront sur le terrain vital et matériel; jusque là, je dois prendre garde à ne pas faire de déclarations publiques qui risqueraient de nuire à mes possibilités d’action future. Ce qu’elles seront dépendra du cours des événements. Les tendances actuelles de la politique risquent d’aboutir à une agitation sans issue, mais elles peuvent aussi, avec l’aide de circonstances extérieures, aboutir à une sorte de simulacre de gouvernement indépendant. Dans un cas comme dans l’autre, tout le vrai travail restera à faire. Je préfère me garder libre pour cela dans un cas comme dans l’autre...

Aurobindo
On Himself, XXVI.438

23 octobre 1971

(Le disciple lit à Mère une lettre de G qui se termine par la question suivante. Mère répond en anglais. Nous donnons directement la traduction.)

Il pose une question?

Oui, il dit à la fin:

«Mère, quel genre de changement peut se produire dans la vie si l’on devient simplement Ta Volonté et rien d’autre?»

(après un silence)

La Paix Suprême, la certitude, et même le fonctionnement du corps peut changer.

(Le disciple n’a pas bien entendu:) Tu as dit: la Paix Suprême...

La Paix Suprême s’établit et devient constante, et alors...

Alors le fonctionnement du corps peut changer.

Et la certitude dans l’acte, en même temps. Quand on fait les choses: la certitude dans l’acte.

C’est tout?

C’est très difficile de savoir... On a l’impression qu’il y a un Silence, que rien ne répond – que rien ne vous dit: «Fais ceci ou fais cela.» Alors on se demande si ce silence veut dire qu’il faut rester simplement dans l’inaction et l’immobilité, ou s’il faut faire un acte positif, «tirer» quelque chose et faire.

Cela dépend des cas. Il y a une petite différence... Il y a des cas où rien ne vient – rien, tout est arrêté. Alors là, il faut attendre que ça passe. Il y a des cas où l’on est NATURELLEMENT amené à faire une chose ou une autre, qui paraît tout à fait indifférente mais qui fait partie de l’Action (je ne sais pas comment dire). J’ai éprouvé les deux. Cela dépend des cas. Il y a des cas où il ne faut rien. Il y a des cas où simplement c’est comme si l’on mettait le Divin SUR la chose (Mère fait le geste de braquer un rayon). N’est-ce pas, on est comme... pas un intermédiaire, je ne sais pas... c’est comme un pouvoir de concentration sur quelque chose; alors la Force divine passe et elle se concentre (même geste de faisceau braqué), mais soi-même, on ne fait rien – mais la chose est faite. Parfois, si l’on a un mot à dire, alors le mot vient; ou s’il y a quelque chose à faire (cela peut paraître une toute petite chose indifférente), on n’a qu’à le faire tranquillement – on est AMENÉ à le faire.

On est amené, oui, c’est cela...

(silence pluie torrentielle)

Non, ma crainte personnellement, c’est que je suis partagé entre l’idée qu’il faut intervenir, et puis l’idée que si réellement il y a quelque chose à faire, forcément le Divin me le fera faire. Mais alors, on se demande si c’est de l’inactivité, de la passivité [voire de la somnolence], ou bien s’il faut intervenir – c’est cela.

Non, il y a un moment où ça devient clair. Tout dépend... Il faut que les préférences et les désirs personnels disparaissent.

Oui, c’est cela.

Alors, dans ce cas-là, c’est très clair. Il y a des moments où l’on est comme OBLIGÉ de faire quelque chose. Et il y a des moments où... rien – on sent que la Force passe et qu’elle agit, mais soi-même (c’est-à-dire le corps), le corps ne bouge pas. Ça devient très perceptible. Et j’ai eu des preuves que c’est exact, parce que j’ai eu des exemples: certaines fois, quand je suis restée comme cela immobile, sans rien dire, en laissant simplement la Force se concentrer à travers le corps, sur quelqu’un ou sur quelque chose (même geste de rayon braqué), elle le fait, elle agit miraculeusement comme cela. Et le corps n’a rien fait, n’a pas bougé, mais seulement laissé passer et concentrer sur un endroit (même geste). Automatiquement concentrer. Parce que c’est dans notre conscience que le monde est divisé comme cela (geste en petits morceaux) et qu’il y a une personne, une autre personne, une chose, une autre chose – c’est notre conscience qui est comme cela; alors «on» se sert de ça [l’individualité] comme d’un canal pour que la Force aille exactement où elle doit aller. L’action n’est pas une action personnelle: c’est l’Action de la Force qui se sert de la conscience personnelle comme d’un tuyau – tu comprends?

C’est très difficile de dire que l’on n’a plus de préférences et plus de désirs...

(Mère rit)

Parce que c’est si subtil!

Oh!... mais ça, c’est progressif, n’est-ce pas; on peut y travailler tout le temps, tout le temps, tout le temps... C’est une occupation constante: supprimer toutes les préférences. C’est-à-dire que le moyen positif, c’est (on en revient toujours à la même chose): «Ce que Tu veux, ce que Tu veux... Ce que Tu veux, ce que Tu veux...» Et alors, quand on est tout à fait immobile et sans trépidation (ce que j’appelle une «passivité réceptive», c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’activité, et pourtant: ce que Tu veux, ce que Tu veux...), alors – alors – Ça agit. Et on a vraiment le sens (je ne sais pas comment dire), vraiment que l’on ne sert que comme un passage pour que la Chose puisse aller exactement – la Force ou l’Action –, exactement où elle doit aller. Notre conscience sert à ça1 (geste comme un tuyau).

27 octobre 1971

Qu’est-ce que tu as à dire?

Il y a un problème pratique, douce Mère...

(Mère donne une fleur de transformation)

C’est tout.

Mais c’est bien!... Un problème pratique pour la statue de Sri Aurobindo à Calcutta. Tu sais que le gouvernement du Bengale avait décidé1 d’ériger la statue de Sri Aurobindo à la place de celle de Lord Curzon – celui qui avait voulu, justement, la division du Bengale, et Sri Aurobindo avait essayé de l’empêcher. C’est là que l’on mettrait, à la place de Lord Curzon, la statue de Sri Aurobindo, en face du «Victoria Mémorial». C’est à l’entrée de Calcutta. C’est ce qu’ils avaient décidé en principe. Puis le gouvernement du Bengale a été renversé et leur décision n’a pas été mise en termes légaux, si bien que tout maintenant est en suspens. Alors, pour réactiver le mouvement, les gens du «Pathmandir»2 de Calcutta doivent faire quelque chose. Mais les gens du Pathmandir ont une autre idée. Ils ont acheté il y a quelque temps la maison où Sri Aurobindo est né à Calcutta..

Ah!

Et ils proposent, au lieu de mettre la statue de Sri Aurobindo sur la voie publique, de la mettre dans la maison où Sri Aurobindo est né.

Mais alors, elle sera ouverte?

Mais non, ce sera dans la maison.

Mais personne ne la verra!

C’est ce que je pense aussi. Mais ils disent (leur argument): si on la met dans la maison, elle sera protégée – les corbeaux ne feront pas de saletés dessus, et les étudiants ne viendront pas la décapiter!

Les étudiants du Bengale sont contre Sri Aurobindo?

Non-non, douce Mère! Mais il arrive qu’ils aient décapité Gandhi, par exemple!

(Avec un sourire) Ooh!

Pour Sri Aurobindo lui-même, c’est mieux dans la maison – c’est plus dans son tempérament et dans son caractère. Pour les gens, c’est mieux dehors.

Oui, sûrement. Une statue, c’est fait pour être en public, pour que l’image soit là aux yeux de tout le monde.

Oui, mais s’ils sont capables de l’abîmer ou de... Ça, il faut l’éviter à tout prix... Je ne sais pas, ils sont fous là-bas – ils sont fous partout. Ils sont fous ici aussi.

Ici aussi: c’est venu ici, la même idée de tuer, de démolir, de... C’est partout. C’est comme si tout le monde vital était descendu sur la terre (geste en masse écrasante).

Je ne voudrais pas qu’il arrive quelque chose à cette statue.

Oui, douce Mère, mais à mon avis, elle perd son sens, cette statue, si elle n’est pas en public. Si elle est faite pour être mise dans une maison, elle perd son sens.

Évidemment! Évidemment.

Ce qui avait un sens, c’est que l’on mette Sri Aurobindo en face du Victoria Memorial, à la place de ce bonhomme anglais qui a voulu diviser le Bengale – ça, ça a un sens.

Ça, évidemment. Mais il faudrait que les Indiens se comportent convenablement.

Enfin, les gens du Pathmandir feront ce que tu diras.

(Mère reste concentrée)

Le mieux est d’avoir deux statues: une en public et une dans la maison.

Bien, douce Mère.

Ce serait de beaucoup le mieux.

Je vais le leur dire.

Et cela peut ne pas être la même. L’une peut être assise et l’autre debout. Celle dans la rue: debout, et celle dans la maison: assise. Comme cela, ce sera très bien. Parce que, dans la maison, il n’y a besoin de demander la permission de personne. J’espère qu’elle est debout, celle de la rue?

Je crois que tu avais choisi une photo de Sri Aurobindo où il regardait vers l’avenir. Je crois que c’est la photo du peintre hollandais.

Oui, c’est cela. Celle dans la rue, je voudrais qu’il soit debout.3 Et alors, dans la maison, assis à la table.

À une table?

Ou assis simplement.

Comme cela, c’est bien.

(silence)

S’il arrive quelque chose à la statue dans la rue, eh bien, ce sera le symbole que le Bengale va couler. C’est tout. Ce sera tant pis pour eux.

Mais je voudrais justement que son action ne dépende pas de cela. Alors, s’il est assis dans la maison, son action continue – même si l’on démolit sa statue [dans la rue]...

Mais on n’y touchera pas, douce Mère!

Je ne crois pas.

Il est trop beau!

Oh! mais les gens deviennent fous. Non, je ne sais pas combien de temps ça durera, mais il y a un vent de folie partout. On ne parle que de tuer. C’est comme si... (geste montrant la ruée des forces vitales sur la terre), oh!... Le monde est devenu répugnant.

La division est très forte.

Mais une sincérité absolue est nécessaire pour ceux qui veulent travailler.

J’ai eu hier des expériences qui m’ont fait voir que l’habitude que l’on a de penser que «les choses s’arrangeront comme ça» au-dedans, qu’elles sont «en train de s’arranger», ça ne suffit plus. Il faut (Mère abat son poing dans la matière, comme une lame d’épée): comme ça.

Kâli?

Il faut un ABSOLU, tu comprends. Il faut que l’on n’accepte rien en soi qui dise: ça viendra, ça viendra...

J’ai eu une expérience... C’est bien, j’étais contente, j’étais très contente parce que cela exige une intégralité, n’est-ce pas – une sincérité, une intégralité absolues –, autrement... Mais l’expérience était terrible.

(long silence)

C’était une expérience physique, personnelle?

(Mère fait oui de la tête silence)

Extérieurement, il y a beaucoup de troubles dans la ville à cause de...

De l’université?4

Oui, beaucoup.

Mais ce ne sont pas les étudiants.

Ce sont les étudiants.

Oui, mais derrière, il y a quelque chose d’autre, douce Mère.

Mais c’est la Mission, n’est-ce pas.

Oui, bien sûr!

C’est la Mission. Mais le Consul français est avec eux.

*Mais oui, bien sûr!

Ils ont eu hier soir une réunion de deux mille personnes – avec des discours enflamés contre l’Ashram, contre l’Université, et contre le gouvernement central parce que le gouvernement est en faveur de l’Université.

Mais l’humanité est vraiment microscopique.

Oh! oui, elle est descendue très bas, très bas.

Sri Aurobindo!... Sri Aurobindo est pour eux un «étranger»! parce qu’il vient du Bengale – c’est effarant! Lui qui a tout fait pour ce pays. C’est effarant... Il n’y a vraiment que le Divin qui peut supporter ça.

Oui.

Parce que, humainement, je dirais: mais que cette humanité descende dans le trou! Qu’elle soit écrasée, qu’est-ce que ça fait!

Il ne resterait pas beaucoup d’êtres vivants.

Oui, douce Mère, sûrement.

(silence)

Mais on ne voit vraiment pas quel miracle peut changer tout ça.

Ah! il y AURA un miracle. Mais lequel, je ne sais pas.

(silence)

Non, toute la réaction, tout le mouvement (geste à ras de terre), c’est du mental inférieur et du vital, et c’est très bas; mais une Pression d’en haut écrabouillerait tout ça – comment elle se produira? Je ne sais pas... Mais on voit – on voit clairement que les circonstances sont amenées pour faire que tout d’un coup les choses craquent. Mais comment? Je ne sais pas.

(long silence)

On t’a donné les citations de Sri Aurobindo?... C’est intéressant.

Je ne les ai pas encore vues.

Oh! il faut les voir, c’est très intéressant.

Je les ai ici.

Il y en a deux longues et quatre petites. On les mettra en février et au mois d’août de l’année prochaine.

(Le disciple feuillette:) Je tombe sur celle-là!

«One must have faith in the Master of our life and works, even if for a long time He conceals Himself, and then in His own right time He will reveal His Presence.»

(La traduction)

«Il faut avoir la foi en le Maître de notre vie et de nos œuvres, même si pendant longtemps II se cache, car, à Son heure exacte, il révélera Sa Présence.» La citation qui vient après (de «La Vie Divine») a été omise de l’enregistrement.

C’est ça! c’est ça exactement! C’est cela. Mais celles de «La Vie Divine» sont vraiment intéressantes:

«The tree of the knowledge of good and evil with its sweet and bitter fruits is secretly rooted in the very nature of the Inconscience from which our being has emerged and on which it still stands as a nether soil and basis of our physical existence; it has grown visibly on the surface in the manifold branchings of the Ignorance which is still the main bulk and condition of our consciousness in its difficult evolution towards a supreme consciousness and an integral awareness. As long as there is this soil with the unfound roots in it and this nourishing air and climate of Ignorance, the tree will grow and flourish and put forth its dual blossoms and its fruit of mixed nature. It would follow that there can be no final solution until we have turned our inconscience into the greater consciousness, made the truth of self and spirit our life-basis and transformed our ignorance into a higher knowledge. All other expedients will only be makeshifts or blind issues; a complete and radical transformation of our nature is the only true solution.»

The Life Divine, XVIII.627

(La traduction)

«L’arbre de la connaissance avec ses fruits doux et amers est secrètement enraciné dans la nature même de l’Inconscience d’où notre être a émergé et sur laquelle il repose encore, tels le sol et la base de notre existence physique; il a grandi visiblement à la surface avec les nombreuses ramifications de l’Ignorance qui constituent encore la majeure partie et la condition principale de notre conscience en sa difficile évolution vers une suprême conscience et vers une perception intégrale. Tant que ce sol restera avec ses racines non trouvées et cet air nourrissant, ce climat d’Ignorance, l’arbre grandira, foisonnera et fera pousser sa double floraison et ses fruits de nature mélangée. Il s’ensuit qu’il ne peut pas y avoir de solution finale tant que nous n’aurons pas changé notre inconscience en une conscience plus grande et fait de la vérité du Moi et de l’Esprit la base de notre vie, transformé notre ignorance en une connaissance plus haute. Tous les autres expédients seront seulement des moyens de fortune ou des chemins sans issue – une transformation complète et radicale de notre nature est la seule solution vraie.»

La Vie Divine

Celle-là, je voudrais qu’on la garde pour le 21 février.

(silence)

Je pense à ce qu’il dit là, ces «unfound roots» [ces racines non trouvées]... Quelle est cette racine-là, cette racine non découverte?

Racine de quoi?

Cette racine que l’on n’a pas trouvée. La racine de tout le mal, de l’Ignorance, de tout cela: «As long as there is this soil with the unfound roots in it and this nourishing air..., etc.» [tant que ce sol restera avec ses racines non trouvées et cet air nourrissant...]

(après un silence)

Moi, ce que j’ai trouvé avec l’expérience d’hier – ce que l’expérience d’hier m’a prouvé –, c’est que l’être physique, qui pensait être exclusivement tourné vers le Divin, l’est d’une façon... (comment dire?) presque superficielle. C’est-à-dire qu’il est encore capable de sentir des événements comme «catastrophiques». On m’a fait vivre toutes les possibilités qui pouvaient encore m’arriver, à ce corps, si les choses se mettaient de travers et que les hommes étaient justement poussés par cette force adverse. Et alors, j’ai vu à quel point (toutes les possibilités les plus effroyables, n’est-ce pas), j’ai vu à quel point le corps n’est pas... (geste imperturbable, immobile). Il a été pendant quelques heures vraiment, oh! désorganisé, malade par l’horreur des possibilités.5 Et alors, il a pu offrir tout cela au Divin et dire, vraiment dire consciemment: «Ta Volonté.»

Mais il y avait cette espèce d’incapacité que nous avons de connaître vraiment la Volonté divine – surtout pour l’avenir, demain, ce qui va arriver imédiatement –, c’était effroyable. À quel point nous ne savons rien, nous sommes absolument ignorants!

Oui, c’est quelque chose que je sens très fort aussi. Je sens très fort aussi comme on ne sait pas – on ne sait pas!

C’était hier après-midi entre une heure et deux heures, je crois. Mais c’était effroyable, n’est-ce pas, c’était pire qu’un enfer – simplement la constatation de... à quel point on ne sait rien.

(silence)

Et c’était une expérience très complète, parce que ce n’était pas l’expérience d’une personne mais de l’humanité tout entière: j’ai vu d’une façon tout à fait concrète que tous les hommes qui ont CRU qu’ils savaient, qu’ils avaient l’Expérience [du Divin], eh bien, c’était... (geste flottant, juste au-dessus de la tête), c’était à mi-chemin pour ainsi dire. Si c’est seulement un peu plus haut que notre conscience ordinaire, tout de suite nous avons l’impression que nous avons touché au Divin.

Et cette expérience d’hier n’a pas abouti à la connaissance; ça a abouti à... (Mère ouvre les mains dans un geste d’abandon).

Alors l’existence individuelle – l’existence – paraît une chose si atroce, si horrible!... (Mère halète)

Et en même temps, la conscience très claire que ce n’est pas seulement une existence dans un corps matériel: c’est l’existence personnelle, individuelle, et à travers tous les temps, qui continue comme cela (geste infini en avant). Alors la solution était (geste mains ouvertes): se donner sans avoir l’ambition de savoir, s’unir sans avoir l’illusion de sentir l’union. Comme cela. Une abdication totale.

N’est-ce pas, la mort n’est pas une solution! pas du tout. Il n’y a pas de solution, excepté... excepté si... quoi? (Mère touche son corps, indiquant la transformation matérielle). Peut-être, quand on sera prêt – si l’on est prêt.

C’est... c’était inimaginablement atroce.

J’en suis sortie. Mais j’en suis sortie comme cela (geste mains ouvertes).

Un effort – un effort un peu plus sincère – et une réalisation un peu plus sincère: ce que Tu veux.6

(Mère part dans un silence souriant)

30 octobre 1971

Bonne fête! Bonne fête!...

(Mère distribue des cadeaux)

Ma carte est là – pas grand-chose. Je ne sais même pas ce que je t’ai écrit.

Je regarde? [le disciple ouvre.] Tu as dit: «Avec ma tendresse et mes bénédictions.»

Simplement. C’est mieux que des phrases. Je n’aime pas les phrases.

Je n’ai qu’une chose à te dire: j’ai besoin de toi, voilà! (Mère rit)

Oh! douce Mère, je voudrais te servir mieux... C’est une grâce de travailler pour toi.

Mais moi, je suis si contente de ton travail! il m’est si utile, tu sais – comme je veux qu’il soit. C’est comme cela. Pas une fois, je ne pense: oh! s’il faisait ceci, ou s’il faisait cela – non, exactement comme je veux.

Mon petit...

Alors qu’est-ce que tu as à me dire?

Je ne sais pas...

Il n’y a rien?

Je pense souvent au prochain livre que je devrais écrire, et je me demande dans quelle direction ce sera?

(Mère plonge longtemps, puis un sourire se dessine sur ses lèvres)

J’ai comme l’impression de savoir le pourquoi de la création.

C’était pour réaliser le phénomène d’une conscience qui, à la fois, aurait la conscience individuelle – la conscience individuelle que nous avons naturellement –, et la conscience du tout, la conscience (comment dire?)... on pourrait dire globale. Mais les deux consciences s’unissent dans quelque chose... qui nous reste à trouver.

Une conscience à la fois individuelle et totale. Et tout ce travail, c’est pour que les deux consciences s’unissent dans une conscience qui soit cela à la fois. Et ça, c’est la réalisation prochaine.

(silence)

C’est pour nous que cela prend du temps (ce qui se traduit pour nous par le temps), comme si ça «se faisait», comme quelque chose qui est «à faire». Mais ça, c’est l’illusion dans laquelle nous sommes encore. Parce que nous n’avons pas... nous n’avons pas traversé l’autre côté.

Mais la conscience individuelle n’est pas du tout un mensonge, elle doit être associée à la conscience du tout de telle façon que cela fasse une autre conscience que, pour le moment, nous n’avons pas encore. Ce n’est pas qu’elle doive abolir l’autre, tu comprends? Il doit y avoir un ajustement, un aspect différent, je ne sais pas... où les deux soient manifestées simultanément.

Par exemple, en ce moment, il y a toute une série d’expériences sur le pouvoir de création qui est latent dans la conscience individuelle, c’est-à-dire la capacité que les choses soient connues – connues ou ce que nous appelons voulues – dans la conscience individuelle avant qu’elles ne soient. Nous disons «nous voulons ça», mais c’est un intermédiaire,1 c’est la conscience qui est en route vers quelque chose où elle est à la fois la vision de ce qui doit être et la capacité de le réaliser.

Ça, c’est la prochaine étape. Après...

Alors, pour nous, c’est-à-dire pour la conscience individuelle, ça se traduit par le temps, le temps qu’il faut pour... Je ne sais pas comment dire...

Je sens ça comme cela: on n’est plus ça, on n’est pas encore ça, et il ne faut pas quitter ça pour être ça – il faut que les deux s’unissent et forment quelque chose de nouveau.

(long silence)

J’ai une très forte sensation d’avoir attrapé la vraie chose, comme si je pouvais (Mère serre son poing) tenir la queue de la vraie chose. Et ça, ça explique tout – tout-tout-tout. Et ça n’annule rien.

(Mère plonge longtemps)

C’est étrange comme tout d’un coup tout est devenu clair-clair-clair... Il n’y a plus de problème.

(Mère replonge dans un sourire)

Tu n’as rien à me dire?

Je ne dois pas m’inquiéter?

Non. Non-non! si tu savais, c’est merveilleux! Tout, tous les problèmes ont été résolus tout d’un coup. Seulement, je ne peux pas dire.

Pas s’inquiéter.

C’est cent fois plus merveilleux que nous ne pouvons l’imaginer.

La question est de savoir si ça [le corps] va pouvoir suivre... Pour suivre, il faut non seulement que ça dure, mais que ça acquière une nouvelle force et une nouvelle vie. Ça, je ne sais pas. En tout cas, cela ne fait rien – la conscience est claire, et la conscience n’est pas soumise à ça (Mère désigne le corps). Si ça peut être utilisé, tant mieux, sinon... On a encore des choses à trouver.

Mais on a des choses à trouver! La vieille routine est finie.

C’est fini.

C’est la plasticité de la matière qu’il faut trouver – que la matière puisse toujours progresser. Voilà.

Combien de temps il faudra? Je ne sais pas. Combien d’expériences il faudra? Je ne sais pas. Mais maintenant, le chemin est clair. Le chemin est clair.

Mon petit, tu m’as fait le plus merveilleux cadeau aujourd’hui que l’on pouvait faire!

(Rires) Ce n’est pas moi, douce Mère!

Mais ça a choisi aujourd’hui, ta fête, pour venir. C’est clair.

Alors, tu viendras un peu avant trois heures pour la musique de Sunil. (Se tournant vers Sujata) Naturellement, si elle veut, elle peut venir!

Nous sommes bien ensemble à tes pieds, douce Mère.

Oui, elle te complète bien.2

(Le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

novembre




10 novembre 1971

Alors, tu as quelque chose?

J’avais quelque chose, mais toi, qu’est-ce que tu as?

Moi... pour le moment... (Mère a l’air fatiguée) Je ne sais pas si ça viendra tout à l’heure.

La conscience [du corps] est en train de changer très vite.

Je verrai tout à l’heure si ça vient.

Dis-moi d’abord ce que tu as.

Une histoire d’Auroville.

Auroville? Quoi?

J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre d’un garçon qui est architecte là-bas, Z (je ne le connais pas). Il m’a écrit en disant qu’il voudrait bien me voir.

Tiens, pourquoi?

Parce qu’il voudrait m’expliquer des problèmes d’Auroville. Alors je lui ai répondu: «Les problèmes d’Auroville ne s’arrangeront et ne se dénoueront que dans la mesure où les Auroviliens se tourneront directement vers Mère, et par conséquent je préférerais qu’il s’adresse directement à la Source au lieu de s’adresser à un intermédiaire.» Puis je lui disais gentiment que cela ne m’empêchait pas de..., etc.

Tu as bien fait.

Il a une idée sur la façon de faire le Matrimandir, et d’autres ont une autre idée, et puis R [l’architecte] va arriver – j’aimerais attendre que R soit là et il décidera.

Parce qu’il m’a réécrit encore après, une deuxième lettre, en me disant: «Mais oui, il est vrai qu’il faut se tourner vers la Source, c’est le “point stable et accueillant”, mais malheureusement on n’a pas accès directement à la Source, on doit passer par des intermédiaires...»

(Mère hoche la tête)

Alors il y a des malentendus, et il me soumettait l’un de ces malentendus.

Dis-moi lequel.

Par exemple, il t’avait écrit il y a un mois, en octobre, et tu lui avais répondu par écrit. Il t’avait écrit ceci: «J’ai fait une étude détaillée des travaux à réaliser, et je suis arrivé à la conclusion que nous [les Auroviliens] pouvons prendre nous-mêmes la responsabilité des travaux d’excavation et de construction des quatre piliers; ensuite, une entreprise commerciale comme EEC [je ne sais pas ce que c’est, de Madras, je crois] accepterait de continuer la construction du Matrimandir..., etc. Il semble donc que le travail des Auroviliens ne soit pas un obstacle à ce que le reste des travaux soit confié à une entreprise spécialisée...» Alors, tu avais répondu: «C’est très bien, je suis pleinement d’accord. La sécurité et la solidité des travaux doit passer avant les questions personnelles. Je compte sur vous pour que tout se passe harmonieusement.»

Et puis je me suis aperçue... Après, les autres m’ont dit qu’il avait écrit cela sans les consulter.

Il me dit qu’il a fait cela «après une réunion avec une cinquantaine d’Auroviliens.»

Non... Écoute, ces histoires sont assez pour casser la tête de n’importe qui!

Le fond de l’histoire, c’est qu’il voudrait, en somme, que le travail soit confié aux Auroviliens, sans empêcher la participation des experts.

Mais c’est comme cela. Ce sera comme cela. Ce que j’ai dit, c’est bien; seulement au moment de l’exécution... Je te conseille de ne pas te fourrer là-dedans!

Oh! mais je n’y tiens pas du tout!

Oui, ils sont... C’est assez compliqué (!)

Je vais simplement lui dire d’attendre le retour de R et que la décision sera prise à ce moment-là.

Oui. Mais la décision est prise – je ne sais pas, je croyais qu’ils étaient déjà en train de travailler.

La décision «officielle», c’est qu’une entreprise de Madras fera le travail.

Pas tout le travail. On a demandé aux Auroviliens d’être là – exactement ce qu’il dit.

Ah! non, parce que, lui, dit qu’il est prêt à faire même les travaux de fondation des piliers.

Ah! non, ça... Écoute, dis-lui que R va arriver et que tout sera décidé quand il sera là.

Moi, je ne tiens pas du tout à me mêler de leurs histoires!

Non!... Tu as vu cette phrase de ma lettre – ils mettent des questions personnelles. Il ne le dit pas, mais c’est cela. Il espère trouver quelqu’un (Satprem) qui lui donnera l’autorité, tu comprends?

Je pense bien aussi.

Dis-lui cela.1

(silence)

Je ne sais pas si j’ai tort ou si j’ai raison, mais pendant très longtemps, je me suis fait une sorte de devoir de voir tous les gens, de les recevoir quand ils voulaient. Alors je voyais des tas de gens...

Ooh!

Ou d’Auroville ou de l’Ashram, ou des Français ou des Allemands... J’en ai vu des quantités – tous ceux qui venaient là-bas au terrain de tennis pouvaient me voir. J’ai fait cela pendant plusieurs années. Et puis je ne sais pas, tout d’un coup, j’ai complètement coupé. J’ai dit que je ne voyais plus personne... Je ne sais pas si j’ai eu raison. Tu comprends, je me dis parfois que ce serait bon peut-être, que cela peut aider des gens, mais par ailleurs j’ai l’impression que... ce n’est pas la solution.

À ton point de vue personnel, tu as eu tout à fait raison.

Oui, mais alors je me demande si ce n’est pas égoïste aussi?

Non, mon petit! Sri Aurobindo me disait: «Le Divin est le suprême égoïste!» (Mère rit et tout le monde rit)

(long silence)

Il y a quelque chose que je voulais te lire, et puis... (Mère cherche des papiers près d’elle, sans trouver).

Il y a une sorte d’intensité qui est venue dans les circonstances, comme s’il y avait une pression, tu sais, et les choses qui restaient dans un certain équilibre, c’est démoli.

Il y a une sorte de haine contre l’Ashram...

Mais l’Ashram a besoin d’être purifié, douce Mère!

Oui, mais oui! (Mère approuve fortement) C’est ça, n’est-ce pas!

Je me suis demandé justement s’il n’y aurait pas une nouvelle attaque sur l’Ashram comme cela, pour purifier justement.

Ils en avaient organisé une [contre «l’Université de Sri Aurobindo»].

Naturellement, on nous accuse de toutes sortes de choses qui ne sont pas du tout vraies, mais... C’est imprimé dans les journaux.2 Mais ça... C’est cela, on sent la nécessité d’une croissante sincérité.

Oui.

Tous ceux qui sont comme cela (geste vacillant), il faut qu’ils choisissent.

Mais tous ces éléments qui font du «business» ici, est-ce que réellement ce sont des éléments qui t’apportent quelque chose, ou bien est-ce qu’ils se servent?

Oui. Il y en a qui m’apportent beaucoup. Il y en a qui ne m’apportent rien, et il y en a qui profitent tout simplement.

Eh bien, oui, c’est cela.

Mais ça...

Ils se servent du nom de l’Ashram et puis ils font leurs affaires.

Oui, mais ce ne sont pas les plus importants.3

Ah?...

Non, il est évident qu’il faut que chacun – chacun – se purifie... Il y en a qui ont beaucoup à faire, il y en a qui ont un peu seulement. Mais il y en a très peu qui soient tout à fait... qui soient restés dans le vrai esprit.4

(silence)

Il y avait une phrase dans une de mes «Notes»,5 je me demandais s’il fallait la laisser?

Quelle phrase?

Je ne me souviens plus... C’est la phrase où je parle du Pouvoir.

... qui devient formidable?

Oui. Et alors j’avais donné deux exemples.

Oui, de guérison et puis de passage de l’autre côté.

Oui, et alors pour le passage de l’autre côté, je me suis demandé si les gens n’allaient pas penser que je tuais volontairement les gens! – il vaudrait peut-être mieux ne pas le mettre.

!!!

Est-ce que c’est clair?

On peut tout déduire, douce Mère, évidemment.

Oui. Mais quand les gens sont malveillants...

Alors il faudrait se vouer au silence.

Il y a aussi une phrase de Sri Aurobindo dont je me souviens toujours, où il disait: «Quand Dieu vous... (ce ne sont pas les mots exacts) quand Dieu vous demande de tuer, il faut tuer.»6

Cela peut être mal compris aussi.

Oh! je crois bien!

Mais tout peut être tordu, tout!

Oh! il n’y a qu’à laisser [la phrase de Mère], tant pis...

Il aurait suffi d’un mot pour dire «ceux qui veulent s’en aller»: que c’est la volonté de celui qui s’en va. C’est tout. Il suffit de cette indication-là.

Je peux voir à l’Imprimerie s’il n’est pas trop tard.

Seulement ajouter un mot comme cela. C’est plutôt «aider à partir» que «contre la volonté» (!)

Comme tu dis, celui qui a un esprit droit comprend, mais... Il n’y a que ceux qui sont tordus – on n’y peut rien, ils le feront toujours. Mais il vaut mieux ne pas leur en donner trop l’occasion.7

(silence)

Il y a une chose intéressante, je ne sais pas si tu le sais. Le gouvernement d’Orissa, avant, était tout à fait pour Sri Aurobindo et ils étaient très fidèles, et alors il y a eu un cyclone effroyable qui se dirigeait droit sur eux, et qui a été détourné, est allé sur le Bengale et a tué une quantité formidable de gens (c’était l’année dernière, je crois). Et puis, le gouvernement d’Orissa a changé. Ils sont devenus agressifs, obscurs, tout à fait contraires. Ils sont contre Sri Aurobindo. Et cette fois-ci, le cyclone, il y a quelques jours, vient d’aller là-bas et a fait des ravages...

Quelques-uns ont compris.

Naturellement, au contraire, certains disent: «Comment se fait-il? La dernière fois vous nous avez protégés et cette fois-ci...» – comprennent pas. Mais ceux qui comprennent ont très bien vu la différence.

Il y a des choses intéressantes. Mais on a l’impression d’être, tu sais (geste en porte-à-faux), au bord d’un précipice – il ne faut pas faire un faux pas.

Comme si la Conscience faisait une pression sur les circonstances pour qu’elles soient plus décisives et plus claires. Seulement, alors, fini de la paix et de la tranquillité.

(silence)

Mais justement sous cette Pression, la conscience [physique de Mère] devient de plus en plus claire, et combien nous avons à faire pour que tout dans l’être soit seulement branché sur le Divin! oh!... On voit – parfois je passe presque toute la nuit à voir toutes les choses qui doivent changer leur attitude, des choses que l’on croyait tout à fait bien, qui ne vous donnaient aucun souci. On voit maintenant. En comparaison de ce qui devrait être, combien il y a de chemin à faire8...

(Mère plonge)

13 novembre 1971

(À propos de la phrase rectifiée des «Notes» du 28 août sur le pouvoir de faire mourir.)

Comment a-t-on mis?

«...Pour un autre qui veut s’en aller, c’est la fin, il bascule de l’autre côté.»

C’est encore arrivé hier, j’ai su cela. On m’a parlé d’un enfant qui était très malade, incurable, et on m’a dit qu’il souffrait beaucoup, qu’il était très malheureux – les parents voulaient qu’il s’en aille. Il est parti une heure après. Ce matin, je l’ai su. Je me suis dit: tiens, c’est comme cela pour les «Notes» – ou la personne veut s’en aller, ou ceux qui en ont la charge trouvent qu’il est trop misérable, ils réclament; alors au lieu de souffrir pendant longtemps, il s’en va. C’est ce que je voulais dire.


Peu après

C’est vraiment intéressant, c’est comme si mon corps était le champ de bataille entre ce qui s’obstine à vouloir rester et ce qui veut prendre la place. Il y a des moments tellement merveilleux – des moments glorieux –, et puis, la seconde d’après, la minute d’après, une attaque si violente!... C’est comme cela. Et mon corps... Par exemple, pour la nourriture, il y a des moments où je mange sans même m’apercevoir que je mange, excepté que tout est délicieux; et puis la seconde d’après, je ne peux plus avaler! Et c’est comme cela (geste de tirage d’un côté et de l’autre). Alors je n’ai qu’un moyen, c’est d’être aussi tranquille que possible. Dès que je suis tranquille, ça s’apaise. C’est comme si... On a l’impression que tout d’un coup, c’est comme si on allait mourir, et la minute d’après, c’est... c’est l’éternité. C’est vraiment une expérience extraordinaire. Extraordinaire. Il y a un moment où tout-tout me paraît tellement confus, obscur – il n’y a pas d’espoir, il n’y a pas de possibilité de voir clair –, et la minute d’après, tout est clair.

Et pour le moment, c’est comme cela (geste de bascule). C’est seulement parce que mon corps a la foi qu’alors – alors, il peut continuer.

C’est vraiment intéressant.

(long silence)

Quand on laisse passer le Pouvoir sans le diminuer ni le déformer ni... c’est une chose incroyable! Incroyable de puissance. Et la minute d’après, on a l’impression que le monde est si obscur et si déformé que c’est hopeless [sans espoir]. Mais il y a peut-être – peut-être – un petit commencement d’amélioration dans la proportion.1

(Mère plonge longue contemplation)

Tu as senti? Qu’est-ce que tu as senti?

Je ne sais pas... J’essayais de me donner.

(Mère sourit et prend les mains du disciple) C’est venu très fort, très fort: comme cela (geste massif qui tombe d’en haut). Tu étais dedans.

(silence)

Ça va – ça va.

Oui (geste d’abandon, mains ouvertes), c’est la meilleure chose à faire.

Oh! c’est fort.

17 novembre 1971

J’avais des choses à te dire, mais... je ne me souviens plus.

Des choses de ton expérience?

Oui, comme cela.

C’est très étrange, toute la vision des choses a changé... Mais il y avait des expériences très significatives, un changement... Je me souviens que quand j’ai constaté cela, j’ai pensé: «Tiens, ce serait intéressant que Satprem sache.» Et puis, oublié.

Si totalement changé...

(long silence)

Je ne sais pas si tu as su cela. Il y a une disciple d’Allemagne qui, un jour, a vu un mendiant aveugle dans la rue, assis (tu sais qu’ils mettent une pancarte sur la poitrine), et il y avait sur la pancarte, en allemand, «l’ordre de Sri Aurobindo». L’«ordre», comment dit-on? Pas «commandement», non: le groupe.

L’association?1

Oui, c’est cela – l’ordre de Sri Aurobindo. Alors, la personne lui a demandé: «Mais il n’y a pas de mendiants dans l’ordre de Sri Aurobindo!» Et il a répondu: «Oh! Mère sait très bien!...» (tout cela en allemand naturellement).

C’est curieux.

Il y a des choses comme cela: des gens au Canada, en Amérique, en Allemagne, qui semblent recevoir des communications, des indications. Et très précises.

Sur les événements, ou quoi?

Oui, ou pour leur vie. Cela dépend. Ici [en Inde], à propos des événements.

(long silence)

Mais dans ce changement de vision radical dont tu parles, qu’est-ce qui fait la différence?

(après un long silence souriant)

C’est comme si la conscience n’était pas dans la même position vis-à-vis des choses – je ne sais pas comment dire. Alors elles apparaissent tout à fait différentes.

(silence)

Image 2

Je ne sais pas comment expliquer... La conscience humaine ordinaire, même si on a les idées les plus larges et tout cela, est toujours au centre, et les choses sont comme cela (geste convergent de tous les côtés vers ce centre), tu comprends. Les choses existent (tout ce qu’on dit, rapetisse), elles existent par rapport à un centre. Tandis que... (Mère égrène une multitude de points à travers l’espace).

Oui, c’est ce qui exprime le mieux, je crois: dans la conscience humaine ordinaire, on est dans un point et toutes les choses existent dans leur relation avec ce point de conscience (même geste en étoile). Et maintenant, le point n’existe plus, alors les choses existent en elles-mêmes. Ce [le point] n’est pas la source. C’est ce qui est le plus exact (ce n’est pas cela, mais...). N’est-ce pas, ma conscience est dans les choses – elle n’est pas «quelque chose qui reçoit» (c’est beaucoup mieux que cela mais je ne sais pas comment dire).

C’est mieux que cela parce que ce n’est pas seulement «dans les choses»: c’est dans «quelque chose» qui est dans les choses et qui... les fait mouvoir.

Je pourrais faire une phrase; je pourrais dire (mais ce n’est pas cela): ce n’est plus un être parmi les autres, c’est... c’est le Divin en toutes choses. Mais ce n’est pas comme cela que je le sens. Ce qui fait mouvoir les choses, ou ce qui est conscient dans les choses. «Ce qui est conscient»... Ce n’est pas positivement «gouverne» parce que le mot gouverne ne donne pas le vrai sens – «anime» (ce n’est pas cela non plus, tout cela rapetisse et ça matérialise).

(silence)

C’est évidemment une question de conscience, mais pas une conscience comme les êtres humains l’ont ordinairement: c’est la qualité de la conscience qui a changé.

Il y a un phénomène, par exemple (parmi beaucoup d’autres), un phénomène curieux: quand je suis comme cela, la conscience dans les choses, dans les mouvements, dans la vie, et que je prends mon déjeuner, alors la nourriture est... il n’y a pas d’effort... (Mère reste silencieuse) C’est trop difficile à dire... Je n’ai pas l’impression que «je» mange, n’est-ce pas, et alors il n’y a pas la conscience de mettre les choses dans la bouche et d’avoir à les avaler et...

Oui, je comprends.

Je ne peux pas dire, mais le fait est comme cela: quand c’est dans la nouvelle conscience, je mange très facilement et sans m’en apercevoir et tout se passe très bien; dès que je deviens consciente de la vieille conscience, qui est de manger, de goûter de la nourriture, de la mettre dans la bouche – c’est difficile! J’ai toutes les peines du monde à ne pas avaler de travers.

C’est vraiment quelque chose de nouveau parce que je ne sais pas comment en parler.

Mais là, c’est extrêmement concret: quand je suis dans cette conscience-là, tout mon déjeuner est pris sans effort, sans difficulté; on me sert, j’avale et je ne m’en aperçois... – ce n’est pas que je ne m’en aperçoive pas (j’ai le goût, j’ai tout), mais la position est différente.

Oui, à ce moment-là, ça fait partie du mouvement universel.

Non, c’est quelque chose qui est à la fois en moi et dans la nourriture, qui goûte et qui prend, mais ce n’est plus... – ce n’est plus comme c’était avant, c’est tout ce que je peux dire.

C’est vraiment nouveau.

Et c’est très marqué pour la nourriture, parce que quand je suis dans cette conscience-là – qui vient dès que je ne fais plus rien, dès que je suis assise tranquille –, ce n’est pas comme quelque chose qui «entre» (geste vers un centre), c’est comme quelque chose (geste en expansion)... qui se développe, qui est libre de se développer. Et alors – alors c’est très bien. Mais si je suis dans la conscience ordinaire et que je mange (c’est «l’heure» d’un repas), oh! c’est tellement difficile que j’ai l’impression qu’il va être impossible de manger. Et dans l’autre cas, ça passe sans même que je m’en aperçoive. Et pourtant, je suis consciente de ce que je mange.

Mais ce que je dis maintenant, ce n’est pas cela, c’est autre chose... Tu comprends, la conscience est encore comme cela (geste oscillant d’un côté à l’autre)*. Il y a les deux. Alors... Et puis je ne trouve plus le moyen de me faire comprendre, parce qu’il faudrait inventer d’autres mots.

Ça, ça augmente de jour en jour.

C’est comme la nuit: je ne dors pas et je ne suis pas réveillée; j’entre dans un état où je ne dors pas du tout – et je ne suis pas réveillée. Et je ne sais pas comment décrire ce que c’est. Et quand c’est normal, ça pourrait... ça peut durer indéfiniment, il n’y a pas de sens du temps ni de la fatigue ni de la durée; quand la vieille conscience revient, c’est presque une souffrance intolérable: j’étouffe ou je ne peux pas respirer, ou il fait froid ou il fait chaud, toutes sortes de choses... qui sont comme exaspérées par une conscience qui ne devrait plus être là. Mais alors, tout naturellement et sans effort, je suis dans le nouvel état, mais si, par les circonstances, je suis tirée dans la vieille conscience, c’est devenu presque intolérable. Voilà. Et ça se traduit par des douleurs dans le corps, des... un mauvais fonctionnement. Et quand j’entre dans la nouvelle conscience, tout se passe tout à fait... sans même que je m’en aperçoive et sans un effort.

C’est tout ce que je peux dire pour le moment.

N’est-ce pas, mon corps est plein de douleurs, de mauvais fonctionnements, et puis dès que j’entre dans cet état-là (geste vaste, paisible), tout est fait – le temps n’existe plus. Le temps est interminable dans la vieille conscience, et il n’existe plus dans celle-ci. Je ne sais pas comment décrire.

(silence)

Si je faisais des phrases, je dirais: cette vieille conscience, c’est comme si... c’est la mort, c’est comme si on allait mourir à chaque minute: on souffre, on... c’est la conscience qui mène à la mort. Et l’autre (geste vaste, immuable, souriant), c’est la vie... la vie paisible, la vie éternelle. Ça, oui.

Mais tu comprends, ce n’est pas cela, ce sont des phrases.

(Mère entre en contemplation)

Je ne peux pas exprimer.

Ce n’est pas nécessaire.2

20 novembre 1971

(Mère nous tend deux notes.)

Nous sommes à un moment de transition de l’histoire de la terre. Un moment seulement dans l’éternité du temps. Mais ce moment est long comparé à la vie humaine. La matière est en train de changer pour se préparer à la nouvelle manifestation; mais le corps humain n’est pas assez plastique et offre une résistance, c’est pourquoi le nombre des malaises et même des maladies incompréhensibles augmente et devient un problème pour la science médicale.

Le remède est dans l’union avec les forces divines à l’œuvre et une réceptivité confiante et paisible qui facilite le travail.

18.11.1971

Ceux qui veulent progresser ont une chance exceptionnelle; parce que la transformation commence par l’ouverture de la conscience à l’action des forces nouvelles; et ainsi les individus ont une occasion unique et merveilleuse de s’ouvrir à l’influence divine.

20.11.1971


(Puis Mère écoute la lecture d’une lettre du disciple du Vatican.)

Et ce cardinal qui devait venir?

Pas un cardinal.

Ce n’est pas un cardinal?

Non, mais il manie des milliards. Il est «Monseigneur».

Ça veut dire archevêque?

Je ne sais pas, douce Mère. Je sais qu’il s’occupe d’une «œuvre» énorme qui a des milliards, et qu’il ramasse tout son argent avec des femmes – il a un pouvoir sur les femmes. Une fortune colossale. S’il la tournait du bon côté, ce serait bien.

(Mère hoche la tête)

Mais c’est un homme qui est asservi par sa nature inférieure, je crois. Il a, à la fois, une intelligence qui lui permettrait de toucher très haut, et une nature inférieure...

Très forte.

Et rien entre les deux.

Non, j’avais un peu compté sur lui pour venir ici et qu’il dise aux gens de la «Mission» de se tenir tranquilles – ils sont insupportables. Ils nous créent toutes sortes de difficultés (ce ne sont pas les seuls, mais ils contribuent). Alors, j’avais espéré qu’il viendrait ici et qu’il leur dirait de se tenir tranquilles.

Je vais le dire à P.L. Il a des moyens: il est très intime ami du cardinal de France, Tisserant. Il suffirait qu’il lui dise un mot et ça s’arrangera.

Bon.

Il y a les Sœurs, celles qui ont une espèce d’hôpital – elles sont très gentilles et elles travaillent très bien et elles soignent très bien les gens qui y vont. Mais le «Collège»... ils ont contribué beaucoup aux troubles qu’il y a eu ici.1 Ce ne sont pas les Sœurs, elles sont très gentilles: c’est le «Collège».

Je vais le lui dire.

(silence)

Tu n’as pas de questions?

Et toi, qu’est-ce que tu dis?

Je demande si tu as des questions.

On parle beaucoup de guerre...

Ah! ils ont commencé à se battre.

Mais non!

Ils ont commencé à se battre; on m’a écrit hier ou avant-hier. Ils ont traversé la frontière2 [du Bengale Oriental].

Tu crois que ce sera une guerre?

(Mère fait le geste de ne pas savoir)

Ce ne sont pas des nouvelles officielles: ce sont les «combattants»3 qui m’écrivent: le général qui est venu ici...

24 novembre 1971

J’ai toujours l’impression que j’avais quelque chose à te dire...

(Mère cherche en vain à se souvenir. Puis le disciple passe à la lecture de plusieurs lettres de Sri Aurobindo, et notamment celle-ci, adressée à un disciple musulman qui voulait s’en aller de l’Ashram pour pratiquer exclusivement son islamisme, en emmenant avec lui et contre leur gré, son jeune frère, X, et sa sœur, Y.)

(traduction)

«...Quant à X et Y, vous n’avez aucune autorité sur eux et aucun droit de contrôler leurs pensées et leurs actes. X est assez grand pour choisir et décider; il est capable de penser et d’agir par lui-même et n’a nul besoin de vous pour penser et agir à sa place. Vous n’êtes pas son gardien ni celui de Y. Vous n’êtes même pas le chef de la famille. Sur quoi vous fondez-vous pour prétendre décider là où ils iront et où ils resteront? Votre prétention d’être responsable d’eux devant Dieu est une arrogante et grotesque absurdité. Chacun est responsable de lui-même devant Dieu, à moins que l’on ne décide librement de remettre cette responsabilité à quelqu’un d’autre en qui l’on a confiance. Personne n’a le droit de s’imposer aux autres et contre leur volonté comme un guide religieux ou spirituel. Vous n’avez aucun droit de dicter à X et Y leur vie intérieure ou extérieure. Encore une fois, la confusion et l’incohérence de votre état d’esprit actuel vous empêchent de reconnaître ces simples faits.

«De plus, vous dites que vous voulez seulement la Vérité, et pourtant vous parlez comme un fanatique étroit et ignorant qui refuse de croire à autre chose que la religion dans laquelle il est né. Tout fanatisme est une fausseté parce qu’il contredit la nature même de Dieu et de la Vérité. La Vérité ne peut pas s’enfermer dans un seul livre, que ce soit la Bible, le Véda ou le Coran, ni dans une seule religion. L’Être Divin est éternel et universel et infini, et il ne peut être la seule propriété des seules religions musulmanes ou sémites et de ceux qui se trouvent descendre de la lignée biblique avec des prophètes juifs ou arabes comme fondateurs. Les hindous, les confucéens et les taoïstes, et tous les autres, ont autant le droit d’entrer en relation avec Dieu et de trouver la Vérité à leur manière. Toutes les religions contiennent quelque vérité, mais aucune n’a la vérité totale; toutes sont des créations du temps et finalement déclinent et périssent. Mahomet lui-même n’a jamais prétendu que le Coran fût le dernier message de Dieu et qu’il n’y en aurait pas d’autre. Dieu et la Vérité durent plus longtemps que ces religions et se manifestent nouvellement selon la forme et la manière que la Sagesse Divine choisit. Vous ne pouvez pas enfermer Dieu dans les limites de votre étroit cerveau ni dicter au Pouvoir Divin et à la Conscience Divine comment ils se manifesteront et où et par qui; vous ne pouvez pas dresser vos barrières de nain contre la Toute-Puissance divine. Là aussi, ce sont de simples vérités, que l’on est en train de reconnaître partout dans le monde; seules les esprits enfantins et ceux qui végètent dans les formules du passé peuvent le nier.

«Vous avez insisté pour que je vous écrive et vous avez demandé la Vérité, et j’ai répondu. Mais si vous voulez être musulman, personne ne vous en empêche. Si la Vérité que j’apporte est trop grande pour que vous la compreniez ou la supportiez, vous êtes libre d’aller vivre dans la semi-vérité ou dans votre propre ignorance. Je ne suis pas ici pour convertir qui que ce soit; je ne prêche pas au monde pour qu’il vienne à moi et je n’appelle personne. Je suis ici pour établir la vie divine et la conscience divine en ceux qui, d’eux-mêmes, sentent l’appel pour venir à moi et qui restent fidèles à l’appel, et en personne d’autre. Je ne vous demande pas, ni Mère non plus, de nous accepter. Vous pouvez partir quand vous voulez et vivre la vie du monde ou une vie religieuse selon votre préférence. Mais puisque vous êtes libre, les autres aussi le sont de rester ici et de suivre leur propre chemin...»

23 octobre 1929
Sri Aurobindo
On Himself, XXVI.482


(Dans une autre lettre, Sri Aurobindo répond à un journaliste qui voulait faire paraître, 27 ans après, un article sur «The Ideal of the Karmayogin». Ce dernier livre est formé d’une série d’articles politiques écrits par Sri Aurobindo dans le journal «Karmayogin» entre 1909 et 1910 lorsqu’il dirigeait la lutte contre les Anglais.)

«Oui, j’ai vu votre article, mais je ne pense pas qu’il puisse être publié sous sa forme présente; ce serait prolonger l’Aurobindo politique de cette époque dans le Sri Aurobindo de maintenant. Vous affirmez même que j’ai «complètement» révisé le livre et que ces articles sont le summum de mes dernières opinions sur les problèmes brûlants du jour et qu’il n’y a rien eu de changé dans ma façon de voir depuis 27 ans (ce qui serait sûrement la preuve d’un esprit plutôt figé). D’où sortez-vous tout cela? Ma conscience et ma connaissance spirituelles de l’époque n’ont rien à voir avec celles de maintenant – comment pareil changement pourrait-il laisser sans aucune modification ma façon de voir la politique et la vie?...»

21 avril 1937
Sri Aurobindo
On Himself, XXVI.372

C’est très important. Ça, c’est très important. Je le savais, mais personne ne me croyait! Il avait changé complètement son point de vue.1 Je suis contente.

27 novembre 1971

Alors, ça va?

Un peu.

Un peu!...

Moi, j’ai des notes qui peuvent servir pour février – des choses que j’ai dites.

(Mère tend un premier papier au disciple)

«Une victoire remportée sur la nature inférieure donnera une joie plus profonde et durable que n’importe quel succès extérieur.»

Et puis ça (Mère tend un autre papier). Ça, c’est une expérience que j’ai eue hier... (Mère sourit les yeux clos). Tout d’un coup, j’ai vu – j’ai vu le monde d’une autre manière. Pendant un moment, tout d’un coup, j’ai vu comme... comme le Divin voit le monde, tu comprends? Il n’y avait plus la vision humaine. Et alors, j’ai vu une chose si merveilleuse... On ne peut pas décrire tellement c’est merveilleux. Et puis, lentement, la conscience humaine est revenue et... oh! (Mère prend son front entre ses mains).

«Le Divin a un amour égal pour tous les êtres humains, mais c’est l’obscurité de la conscience de la plupart des hommes qui les empêche de percevoir cet amour divin...

J’avais dit cela, et puis alors l’expérience est venue, cette expérience dont je viens de te parler:

«...La Vérité est merveilleuse. C’est dans notre perception qu’elle se déforme.»

Oui, comme si tout d’un coup... Pendant quelques instants, j’ai vu le monde comme le Divin le voit. C’est... Il n’y a pas de mots, on ne peut pas dire. Alors j’ai compris. Tout est devenu clair-clair-clair...

Je t’avais dit que le Divin voulait que la conscience individuelle ait l’expérience du Divin, et alors c’était ça. C’était ça, c’était la conscience individuelle (puisque j’en devenais consciente) qui voyait le monde... Tout d’un coup le monde est devenu ce qu’il est pour le Divin... C’est indescriptible.

Naturellement, ça doit commencer par la conscience, et après petit à petit, les choses deviendront telles, c’est-à-dire prendront conscience d’elles-mêmes telles que le Divin en prend conscience.

Ça va mieux, mon petit?

Un peu, douce Mère.

Tu as un rhume?... Tu veux rester tranquille, ou ça te fatigue?

Non-non, douce Mère, ça ne me fatigue pas; t’écouter ne me fatigue sûrement pas!


(Peu après, le disciple lit plusieurs lettres de Sri Aurobindo et notamment celle-ci:)

(traduction)

[Question:] Quelqu’un a dit à X que c’était Sri Aurobindo qui avait opéré la révolution russe à travers Lénine, X a dit à Y que les gens étaient trop crédules de croire pareilles choses. Y a répondu que s’il était possible de guérir des maladies physiques dangereuses par le pouvoir yoguique, pourquoi ne serait-il pas possible d’agir sur le mental de quelqu’un d’autre et de déverser en lui une immense force vitale capable d’amener des résultats comme ceux de la révolution russe?

[Réponse:] Ce qui a été dit à X n’était pas tout à fait correct, c’est mettre les choses sous une forme un peu trop physique. Une action spirituelle et occulte fournit des forces et l’on peut suivre les membres qui participent à l’exécution d’un événement mondial, mais dire les choses de cette façon, c’est faire un peu trop des automates de ceux qui travaillent pratiquement, et ils ne le sont pas.

25 janvier 1937
Sri Aurobindo
On Himself, XXVI.388

En tout cas, Sri Aurobindo ne nie pas qu’il ait fait quelque chose!

Non! (Mère rit)

Tu veux rester un peu tranquille?

Oui, douce Mère, mais je voudrais te demander. Par Sujata, tu m’as dit que je devais écrire quelque chose pour la Radio indienne.

Oui, ils ont demandé. Ils le veulent en français, il n’y a personne qui puisse écrire en français.

Qu’est-ce que tu veux que j’écrive?

Je ne me souviens plus de ce qu’ils ont demandé.

À la Radio, ils ont exprimé le désir qu’on parle sur «Sri Aurobindo et la fraternité ou l’unité humaine.»

C’est ce qu’ils ont dit.

C’est cela que tu veux?

Oui... Ce n’est pas pour Pondichéry: ils vont l’envoyer à Delhi, et Delhi va l’envoyer dans tous les pays qui parlent français, partout dans le monde. Ce sera une communication mondiale pour le centenaire de Sri Aurobindo. Ils veulent le diffuser partout – partout où l’on parle français.

Dans ce cas, tu ne crois pas qu’il serait plus intéressant de prendre un sujet plus général: dire ce que représente Sri Aurobindo?

Je crois que tu peux le faire, ils n’étaient pas très précis. Ils ont dit combien de temps?

Dix minutes.

Dix minutes, ce n’est rien.

C’est long! C’est long, dix minutes!

Oui, il vaut mieux dire cela, un sujet qui intéresse le monde entier.

Au fond, ce qui serait bon, c’est de dire: «Sri Aurobindo est venu dire au monde la beauté de l’avenir qui doit se réaliser.» Et alors, expliquer ça.

«Il est venu donner – pas un espoir: une certitude de la splendeur vers laquelle le monde va...» C’est ça, toutes les expériences que j’ai eues ces temps derniers. Et je vois les lettres de Sri Aurobindo, c’est cela qu’il dit. «Le monde n’est pas un accident malheureux, c’est une merveille qui va vers son expression.»

Et alors, donner toutes les citations de Sri Aurobindo à ce sujet.

Je crois que c’est de cela dont le monde a le plus besoin maintenant, une parole qui lui donne le sens de ce qui est à réaliser – et ce qui se réalisera. Et alors, éveiller en chacun le désir de collaborer.

Comprendre soi-même et le transmettre aux autres.

Le monde a besoin d’une certitude de beauté – de beauté future. Et Sri Aurobindo en a donné l’assurance.

C’est dans ce sens-là.

Ils m’ont fait demander ça. Et j’ai regardé et je n’ai vu que toi qui pouvait dire – ils veulent que ce soit parlé. Tu as entendu quand tu as parlé pour moi [le dernier message à la Radio]?

Oui-oui, douce Mère.

C’était très bien. C’était très clair, et c’est pour cela que j’ai pensé que toi, tu ferais cela.

Bien, douce Mère, je vais le faire et je te le lirai.

Si ça te fatigue, tu me le dis.

Non-non, douce Mère! je suis très bien.

Tu ne veux pas être plus confortable?

Je suis très confortable!

(méditation)

Mon petit1...

décembre




1er décembre 1971

Rien de nouveau de ton côté?

Je suis en train de devenir une nouvelle personne... Mais...

C’est intéressant.

(Mère plonge)

Tu comprends, je suis en train d’assister à la transformation de la nature. Quand je n’ai rien et que je reste très tranquille, c’est très clair, je vois trois choses: la nature qui se transforme, ou plutôt la nouvelle nature, la façon que nous pouvons appeler supramentale de voir les choses (ça devient de plus en plus clair; il reste le souvenir de la vieille nature qui va s’atténuant de plus en plus au point que parfois, c’est presque incroyable, ça paraît fantastique d’avoir été comme cela); et puis, il y a la déchéance physique qui vient de l’âge: par exemple, l’incapacité physique de faire ce que je faisais, le corps qui devient vieux; mais cette vieillesse est purement physique, c’est-à-dire que je reste là assise toute la journée et j’ai de la difficulté à me déplacer, des choses comme cela, mais au point de vue perception, conscience, il n’y a pas de diminution, au contraire: ça devient de plus en plus clair et de plus en plus précis. Mais par exemple, j’ai de la difficulté à parler (Mère touche sa poitrine, elle est essoufflée), c’est difficile pour moi de parler; je ne peux pas parler librement, c’est difficile. Des choses comme cela. Cela fait trois choses.

Mais quand je suis très tranquille (la nuit par exemple), la nouvelle conscience devient de plus en plus claire, mais elle ne peut pas encore s’exprimer facilement par des mots parce que... c’est une espèce de... (comment dire?) c’est presque comme un nouveau mental qui se forme (mais ce n’est pas mental). Et alors la parole, les mots... c’est un mauvais moyen, tandis que la communication directe devient de plus en plus précise et de plus en plus forte. C’est pour cela que je ne peux pas parler. C’est purement physique. Mais la base de l’équilibre, c’est-à-dire de la santé physique, est en train de changer, c’est-à-dire qu’elle se déplace: ce qui était la condition de bonne santé ne l’est pour ainsi dire plus et est remplacé par une autre condition qui commence à s’installer, mais qui n’est pas encore là; alors tout est en... (geste instable), tout n’est plus ça, n’est pas encore ça. C’est comme cela. Et c’est inexprimable. C’est pour cela que je ne peux pas m’exprimer.

(silence)

Je le vois d’une façon très intéressante à ma façon de comprendre; par exemple, ce qu’a écrit Sri Aurobindo est TRÈS différent... C’est un peu comme si, avant, on voyait à travers un rideau, et que, maintenant, le rideau est en train de s’en aller – ce n’est pas complètement parti, mais ce n’est plus complètement là.

Mais tu vois, parler m’essouffle – sans raison, simplement parce que... parce que ce n’est plus naturel.

(silence)

Et alors, la façon de percevoir le temps et l’espace devient très différente. C’est en train de changer totalement. Cette notion de temps et d’espace, et l’objectivité, la subjectivité – que les choses soient concrètes ou pas –, cela paraît avoir été des... devices [expédients], des moyens de préparer la conscience à une nouvelle façon d’être.

C’est le fonctionnement de la conscience qui commence à être différent. Mais je ne peux pas expliquer.

(silence)

Et alors, pour la vue, par exemple, quelquefois je vois plus clair avec les yeux fermés qu’avec les yeux ouverts, et c’est la MÊME vision: c’est la vision physique, purement physique; mais un physique qui paraît... plus complet, je ne sais pas comment dire. Par exemple, quand j’écris; parfois les yeux fermés, je vois plus clairement ce que j’écris, où j’écris, qu’avec les yeux ouverts – et c’est la même chose que je vois, mais je la vois... (comment dire?... on peut faire des phrases, mais les phrases, je n’aime pas ça). N’est-ce pas, c’est comme si ce que l’on voyait était plus complet, et c’est la même chose, mais ça contient plus que la vision purement physique.

J’écris des cartes de birthday [anniversaire], et Sri Aurobindo me... J’allais dire, j’ai l’impression que Sri Aurobindo me fait écrire, mais ce n’est pas comme cela, c’est beaucoup mieux que ça!... Mais quand je me mets à écrire, par exemple, je ferme les yeux, et je vois mieux ce que j’écris. C’est Champaklal qui me fait écrire les cartes, et il m’a dit que quelquefois j’écris trois ou quatre cartes avec les yeux tout à fait fermés, et alors l’écriture est beaucoup plus droite et c’est beaucoup plus exactement à l’endroit où ça devrait être.

Mais il n’y a pas de volonté personnelle, d’effort personnel, c’est... c’est spontané. Alors...

Et puis il y a une espèce de «quelque chose» qui s’est formé dans le corps pour remplacer le mental qui est parti, et ça a ses manières mentales de dire, mais c’est très imparfait. Et pour ce «quelque chose», les perceptions mentales paraissent si minces, comme l’écorce, l’écorce de quelque chose – c’est desséché, il n’y a pas, derrière, la vraie vie.

Mais c’est surtout cette difficulté de parler (Mère touche sa poitrine). Je ne sais pas, j’ai la même difficulté pour manger. Je ne crois pas que ce soit l’effet de l’âge parce que je me sens forte: je sens la force, ce n’est pas une fatigue, je ne me sens pas fatiguée du tout – c’est... un changement. Mais alors il y a l’âge qui fait que ça donne l’apparence de... de la raison (!) Et alors (riant) je ne sais pas si c’est ces jours-ci (hier ou avant-hier), tout d’un coup j’ai compris, comme si Sri Aurobindo me faisait comprendre que c’est venu à cet âge avancé pour donner une apparence de raison, mais que c’est pour... pour me donner (vis-à-vis de mes relations avec les gens) le maximum de tranquillité possible.

Je ne peux pas expliquer.

Les choses sont essentiellement ce qu’elles doivent être et c’est cette conscience humaine si... (comment dire?) si mince: il lui manque quelque chose qui fait qu’on ne voit pas les choses comme elles sont et qu’on ne les sent pas comme elles sont.

Pour cette question d’entendre, j’ai observé une chose: par exemple, quelqu’un peut me dire quelque chose sur un ton de voix très élevé, en faisant beaucoup de bruit – je ne comprends rien; tandis que d’autres fois, un bruit que les autres n’entendent même pas, je l’entends très clairement1... C’est une certaine atmosphère consciente dont j’ai besoin pour entendre, et cette atmosphère n’est pas perçue par la plupart des gens.

4 décembre 1971

(Le 2 décembre, huit mois après les répressions sanglantes du Bangladesh, l’Inde a lancé son offensive générale contre les troupes pakistanaises.)

Alors on a déclaré la guerre.

C’est fait.

Commencé, oui, hier.

Mais les ministres ont fait une brochure sur Sri Aurobindo, à Delhi, et ils m’ont demandé un message. Je l’ai envoyé en anglais. Ça (Mère tend un texte), c’est le français.

«Sri Aurobindo est venu annoncer au monde un glorieux avenir et a ouvert la porte sur son accomplissement.»

(silence)

Ils iront jusqu’au bout cette fois, sans s’arrêter en route?

Sais pas... Ça a l’air sérieux.

Nous recevons des nouvelles du front (d’un général qui est au front),1 mais ce matin, je crois, les nouvelles ont été annoncées à la radio. On pourra te dire exactement.

Mais ça, je sais. Ce que j’espère, c’est que pour le 15 août 72, le Pakistan sera désintégré.

Ah! ce serait bien... C’est bientôt.

Tu as quelque chose?

Non, douce Mère... La difficulté, c’est que dans la conscience des gouvernants de l’Inde, ils n’ont pas encore admis que l’Inde était UNE; ils n’ont pas encore admis l’inexistence du Pakistan, c’est cela, la difficulté.2

(Mère hoche la tête puis plonge pendant vingt minutes)


(Peu après, Mère écoute la lecture de diverses lettres de Sri Aurobindo, puis une lettre écrite par elle-même pendant la guerre de 1939 à propos de l’attitude des disciples vis-à-vis de Hitler et des Alliés.)

(traduction)

Le 25 mai 1941

«La situation du monde est critique aujourd’hui. Le destin de l’Inde aussi est en jeu. Il y avait un temps où l’Inde était absolument en sécurité, il n’y avait aucun danger qu’elle tombe victime d’une agression asourique. Mais les choses ont changé. Les gens et les forces en Inde ont agi de telle façon qu’ils ont attiré les influences asouriques sur l’Inde: ces influences ont travaillé insidieusement et miné la sécurité qui était là.

«Si l’Inde est en danger, Pondichéry ne peut pas espérer rester en dehors de la zone de danger. Pondichéry partagera le destin du reste du pays. La protection que je peux donner n’est pas inconditionnelle. Il est vain d’espérer qu’en dépit de tout, la protection sera là sur tous. Ma protection est là si les conditions sont remplies. Il va sans dire que toute sympathie ou tout appui pour les Nazis (ou quiconque de leurs alliés), brise automatiquement le cercle de protection. En dehors de ce facteur extérieur évident, il y a certaines conditions psychologiques plus fondamentales qui doivent être remplies. Le Divin ne peut donner protection qu’à ceux qui sont fidèles de tout leur cœur au Divin, qui vivent vraiment dans l’esprit de la sâdhanâ et qui gardent leur conscience et leur préoccupation fixées sur le Divin et sur le service du Divin. Le désir, par exemple, l’attachement à ses goûts et à ses commodités, tous les mouvements d’hypocrisie et d’insincérité et de mensonge sont de grands obstacles qui empêchent la protection du Divin. Si vous voulez imposer votre volonté au Divin, c’est comme si vous appeliez une bombe à tomber sur vous. Je ne dis pas que les choses arriveront nécessairement de cette façon, mais il est très probable qu’elles arriveront si les gens ne deviennent pas conscients et strictement vigilants et s’ils n’agissent pas dans le vrai esprit d’un chercheur spirituel. Si l’atmosphère psychologique ici reste la même que celle du monde extérieur, il ne peut y avoir aucun mur de sécurité pour empêcher d’entrer ici les Forces obscures qui travaillent là à semer les épreuves du danger, de la souffrance et de la destruction.»

La Mère

Je dirais: it is terribly to the point! [c’est terriblement d’actualité.]

C’est justement ce que je voyais... Si c’était de Sri Aurobindo, je dirais de le publier.

Il me semble que l’on peut publier ta lettre, étant donné les circonstances.

J’aurais pu écrire cela maintenant.

Veux-tu qu’on la republie maintenant, dans le prochain Bulletin, avec ta remarque: «It is terribly to the point»?

Dans le Bulletin? On n’a jamais parlé de politique dans le Bulletin.

Mais ce n’est pas de la politique: ce sont des circonstances mondiales!

(Mère rit) On dirait que c’était écrit maintenant.

Au mois de février, bien.3

(silence)

Douce Mère, est-ce que ce grand remous maintenant va affecter ton travail de transformation personnelle?

Ça, je ne sais pas.

Je me souviens que Sri Aurobindo avait dit que la guerre de 39 avait justement interrompu le travail de transformation...

Oui, oui.

Est-ce que...?

(silence)

On verra. Je ne sais pas.

Il y a eu quelqu’un (quelqu’un qui ne savait rien de la nouvelle annoncée à la radio), qui, la nuit dernière, a eu un rêve, et elle a vu en rêve des armées qui partaient au combat (elle ne savait pas qu’il était question de guerre, elle est tout à fait en dehors des circonstances), les armées indiennes qui partaient au combat – et alors, elle les a regardées et elle a vu que chaque soldat avait ma figure.

C’est intéressant.

Elle m’a envoyé dire ça ce matin, et elle ne savait pas que la guerre avait été déclarée.

Pour le moment, ça ne dérange pas. Mais nous verrons.

Sujata dit que son impression est que la transformation maintenant est tellement stable, la base est tellement bien établie, que n’importe quoi peut arriver, ça ne pourra plus déranger.

J’ai un peu cette impression aussi, mais...

Et c’est peut-être pour cela que cette guerre a tant tardé...

Oui.

... Pour attendre que tout soit vraiment bien stable.

C’est possible.

C’est possible. Oh! de plus en plus, je vis dans une... c’est plus qu’une conviction: c’est une certitude évidente que les choses sont le résultat de la Sagesse divine.

Même quand on se casse la figure?

Même quand on se casse la figure – que c’est la meilleure chose qui aurait pu vous arriver.

Toujours?

Toujours.

Même quand on se trompe?

Même quand on se trompe... N’est-ce pas, il y a plusieurs façons de se tromper. Je ne sais pas comment expliquer... J’ai vu aussi que cette impression de, justement, se tromper, ou d’être victime d’un accident, ou tout cela, c’est nécessaire – cette impression est nécessaire en vous pour que tout se fasse exactement comme il faut. Il n’y a que ceux qui ont (comment dire?) le destin ou le rôle de voir la Vérité et de vivre la Vérité, ceux-là le font dans tous les cas... Je ne sais pas comment expliquer ça.

(silence)

Je pourrais dire que ma capacité matérielle est diminuée terriblement par l’âge, mais je vois pourquoi c’est comme cela, pourquoi ça a dû attendre cet âge avancé.

Oui, ça je comprends, parce que si cela t’était arrivé à trente ans, par exemple, personne n’aurait compris l’épreuve physique que tu traversais – parce que c’est comme si le corps devait mourir pour passer de l’autre côté...

Oui-oui. Oui. Ah! ça, le corps le sait très bien.

Alors, si cela t’était arrivé jeune, personne n’aurait compris...

Oui.

Tandis que maintenant, on met ça sur le dos de l’âge.

Oui, on met cela sur le dos de l’âge.

Alors, ça a l’air raisonnable comme cela!

(Mère rit silence)

Mon corps est comme cela (Mère ouvre les mains): «Ce que Tu veux...» – mais même pas, même pas avec des mots.

(long silence)

Oui, tout fait partie du plan divin.

Oui, oui.

C’est seulement la nécessité, pour nous, de lutter qui fait que l’on dit: c’est mal, ce n’est pas comme cela...

Oui, oui.

... c’est une «erreur», on se «trompe» – c’est parce qu’il faut se battre.

Oui, c’est pour cela, parce qu’on DOIT se battre. Et si nous n’avions pas cette illusion, nous deviendrions passifs – passifs et souriants. Tu sais, il y a quelque chose dans la conscience maintenant qui sourit à tout – je sais très bien –, mais je vois aussi que, physiquement, ça ne doit pas être encore comme cela.

Oui.

On est encore au temps de la lutte.

(le disciple s’apprête à partir)

Maintenant, ce corps a la conviction que pour qu’il arrête d’être transformé, il doit mourir. Alors c’est impossible. Ce serait une mort violente quelconque, par un «accident» (enfin...), qui pourrait arrêter la transformation, autrement le travail se fait régulièrement, régulièrement... (geste de marche en avant irrésistible). C’est comme cela, le corps est convaincu comme cela maintenant, que ce n’est qu’une violence qui pourrait arrêter – et alors, si ça arrive, c’est certainement parce que ça devait arriver, tu comprends, pour une raison quelconque... qu’il ne désire pas savoir, ça lui est égal. Mais autrement, tant qu’il est là, il sait que le travail continuera-continuera-continuera... en dépit de tout. C’est cela.4

8 décembre 1971

(Mère donne une note qu’elle vient d’écrire.)

Notre conscience humaine a des fenêtres qui s’ouvrent sur l’Infini. Mais généralement les hommes gardent ces fenêtres soigneusement fermées. Il faut les ouvrir toutes grandes et laisser l’Infini pénétrer librement en nous pour nous transformer.

Deux conditions sont nécessaires pour ouvrir ces fenêtres.

1) Ardente aspiration.

2) Abolition progressive de l’ego.

L’aide divine est assurée à ceux qui se mettent au travail sincèrement.


(Mère reste longtemps à regarder au-dessus de la tête du disciple comme si elle voyait quelque chose. Puis elle plonge.)

Qu’est-ce que tu voyais?

(Mère secoue la tête négativement plusieurs fois, puis replonge)

C’est un constant travail qui est en train de se faire. Et alors, je vois que c’est comme si ce corps servait de... (comment?) de point de liaison (geste comme un canal passant à travers Mère), comme cela. Mais sans même qu’il sache. Parce que c’est une action très vaste, n’est-ce pas – très vaste et très complexe – et la conscience ne connaît pas les détails: elle sent seulement la Force qui travaille, c’est tout. Et ça, constant, nuit et jour, sans arrêt.

Mes nuits, je n’ai pas l’impression de dormir, et le temps passe sans que je m’en aperçoive, comme cela, simplement à sentir les Forces passer... Alors je ne sais pas ce qu’elles font – je sais qu’elles passent [à travers Mère] et qu’elles sont dirigées ici et là. Et je n’ai pas de curiosité; seulement l’impression d’être très tranquille pour que la chose se fasse sans obstacle – que rien ne fasse obstacle au passage des forces qui agissent.

Et heure après heure, heure après heure, jour après jour, c’est comme cela. Et l’impression que le temps passe sans que l’on s’en aperçoive. Ce n’est pas long, ce n’est...

(Mère part)

11 décembre 1971

(Au début de cette conversation, le disciple lit à Mère le texte qu’elle lui avait demandé d’écrire pour la Radio indienne à l’occasion du centenaire de Sri Aurobindo. Nous publions ce texte en addendum. Puis la conversation se poursuit.)

J’aurais quelque chose à te demander à propos d’un Aphorisme de Sri Aurobindo. Quand on a publié ces Aphorismes dans le Bulletin, tu avais dit d’omettre celui-là. C’est un Aphorisme assez mystérieux – que j’aimerais bien comprendre d’ailleurs. Alors, comme nous allons faire une édition intégrale de tous les Aphorismes, je voudrais savoir si l’on doit le publier ou non?... Sri Aurobindo dit ceci:

76 – L’Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J’attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.

Où avait-il écrit cela?

Dans les Aphorismes.

Oui, mais il n’a pas écrit un livre spécial: ça a été ramassé ici et là.

Non-non, douce Mère! pas du tout. Sri Aurobindo avait un cahier spécial dans lequel il mettait ces Aphorismes au fur et à mesure.

Oh! il avait écrit cela dans le cahier...

Et il avait écrit celui-là au milieu d’autres.

(après un silence)

Un «enfant»...

Qu’est-ce qu’il avait mis en anglais, au début?

«Prides herself» [se vante].

Se vante...

(silence)

Moi, je le mettrais.

Mais qu’est-ce qu’il a voulu dire?

Je ne sais pas.

Naturellement, ce ne peut être que le pouvoir qui est détruit, parce que la terre, on ne la détruit pas.

Oui, la terre, on ne la détruit pas, mais une civilisation, on peut la détruire.

Oui.

Eh bien, il dit: «L’Europe sera détruite.»

Oui... Mais quel enfant? Quel enfant?

(Mère reste absorbée)

Pour le moment, je ne sais pas.

J’ai l’impression que c’est venu comme quelque chose d’absolument vrai, une prédiction absolument vraie – mais je ne sais pas.

Tu avais dit qu’il valait mieux l’omettre.1

Mais maintenant, au contraire, j’ai l’impression qu’il FAUT le dire.

Mais je ne pense pas que le temps soit encore venu – «venu», je veux dire pour la réalisation; le temps est venu de le dire mais pas pour la réalisation.

«L’enfant...» peut-être est-ce l’enfant du Nouveau Monde?... avec un sourire, il va faire écrouler tout ça.

Oui, c’est possible – c’est possible.

(silence)

Ça contient une puissance effrayante... Quelque chose de formidable.

Tu n’imagines pas le pouvoir qu’il y a là-dedans, c’est vraiment comme si le Divin lui-même parlait: «J’attends»..,

Il a mis: «I am waiting»?

Oui.

L’année prochaine...

Je verrai si quelque chose vient.


ADDENDUM

(Texte pour «All India Radio» à l’occasion du centenaire de Sri Aurobindo.)

SRI AUROBINDO ET L’AVENIR DE LA TERRE

Parfois, une grande Pensée errante voit les âges encore inaccomplis, saisit la Force dans sa coulée éternelle et précipite sur la terre la vision puissante qui est comme un pouvoir de rendre réel ce qu’elle voit – le monde est une vision qui devient vraie, son passé et son présent ne sont pas vraiment le résultat d’une obscure poussée qui remonte du fond des temps, d’une lente accumulation de sédiments qui peu à peu nous façonnent – et nous étouffent et nous enferment – mais la puissante attraction dorée du Futur qui nous tire malgré nous, comme le Soleil tire le lotus de la boue, et nous contraint à une gloire plus grande que ni notre boue ni nos efforts ni nos triomphes du présent ne pouvaient prévoir ni créer.

Sri Aurobindo est cette vision et ce pouvoir de précipiter le Futur dans le présent. Un instant, il a vu, et ce qu’il a vu, des âges vont l’accomplir et des millions d’hommes, sans savoir, vont se mettre en quête de l’imperceptible frémissement nouveau qui a envahi l’atmosphère de la terre. Ainsi, d’âge en âge, de grands êtres viennent parmi nous ouvrir un grand pan de Vérité dans le sépulcre du passé. Et ces êtres-là, en vérité, sont les grands destructeurs du passé, ils viennent avec l’épée de la Connaissance et brisent en miettes nos fragiles empires.

Cette année, nous allons célébrer le centenaire de Sri Aurobindo – il est à peine connu d’une poignée d’hommes, et pourtant son nom retentira encore quand nos grands hommes d’aujourd’hui ou d’hier seront ensevelis sous leurs propres décombres. Son œuvre est discutée des philosophes, louée par des poètes, on parle de sa vision sociologique, de son yoga – mais Sri Aurobindo est une ACTION vivante, une Parole qui se réalise, et nous pouvons chaque jour, sous les mille circonstances qui semblent déchirer la terre et renverser ses structures, voir le premier reflux de la Force qu’il a mise en branle. Au début de ce siècle, quand l’Inde se battait encore contre la domination britannique, Sri Aurobindo s’écriait: «Ce n’est pas seulement une révolte contre l’empire britannique qui est nécessaire, mais une révolte contre la Nature universelle tout entière!»2

Car le problème est fondamental. Il ne s’agit pas d’apporter une philosophie nouvelle au monde ni de nouvelles idées ni des illuminations soi-disant. Il ne s’agit pas de rendre la Prison plus habitable ni de doter l’homme de pouvoirs toujours plus fantastiques – armé de ses microscopes et télescopes, le gnome humain reste gnome, douloureux et impuissant; nous envoyons des fusées sur la lune, mais nous ne connaissons pas notre propre cœur. Il s’agit, dit Sri Aurobindo, de «créer une nouvelle nature physique qui sera l’habitation d’un être supramental au sein d’une nouvelle évolution.»3 Car, en vérité, dit-il, «l’imperfection de l’homme n’est pas le dernier mot de la Nature, mais sa perfection non plus n’est pas le dernier pic de l’Esprit.»4 Par-delà l’homme mental que nous sommes, s’ouvre la possibilité d’un autre être qui prendra la tête de l’évolution, comme un jour l’homme a pris la tête de l’évolution parmi les singes. «Si l’animal, dit Sri Aurobindo, est un laboratoire vivant au sein duquel la Nature a, dit-on, façonné l’homme, l’homme lui-même est peut-être bien aussi un laboratoire vivant et pensant au sein duquel, et avec la coopération consciente duquel, la Nature façonnera le surhomme, le dieu.»5 Et Sri Aurobindo vient nous dire comment faire cet autre être, cet être supramental – et non seulement nous le dire, mais le faire, ouvrir le chemin de l’avenir, précipiter sur la terre le rythme de l’évolution, la vibration nouvelle qui remplacera la vibration mentale, comme une pensée, un jour, est venue troubler la lente routine des bêtes, et nous donnera le pouvoir de briser les murs de notre prison humaine.

Et elle craque déjà, notre prison: «La fin d’un stade de l’évolution, annonçait Sri Aurobindo, est généralement marquée par une puissante recrudescence de tout ce qui doit sortir de l’évolution.»6 Cet éclatement paroxystique de toutes les vieilles formes, nous le voyons partout autour de nous – nos frontières, nos Églises, nos lois, nos morales s’écroulent de tous les côtés. Et elles ne s’écroulent pas parce que nous sommes méchants, immoraux, irreligieux, ni parce que nous ne sommes pas assez rationnels, pas assez savants, pas assez humains – mais parce que nous en avons fini d’être humains! Fini de la vieille mécanique – parce que nous sommes en transition vers AUTRE CHOSE. Ce n’est pas une crise morale que traverse la terre, c’est une «crise évolutive». Nous ne sommes pas en marche vers un monde meilleur – ni pire –, nous sommes en pleine MUTATION vers un monde radicalement différent, aussi différent que le monde de l’homme pouvait l’être du monde des singes au Tertiaire. Nous entrons dans une nouvelle ère, dans un quinquennaire supramental. On quitte son pays, on erre sur les routes, on se met en quête de drogues, en quête d’aventure, on fait des grèves ici, des réformes-là et des révolutions encore – mais en fait, il n’y a rien de tout cela. On est en quête de l’être nouveau, sans le savoir, on est en pleine révolution humaine.

Et Sri Aurobindo nous donne la clef. Il est possible que le sens de notre propre révolution nous échappe parce que nous voulons prolonger l’existant – le raffiner, l’améliorer, le sublimer. Mais le singe, lorsqu’il était en pleine révolution simiesque pour produire un homme, aurait peut-être commis la même erreur; il aurait peut-être voulu faire un super-singe, capable de mieux grimper aux arbres, mieux chasser, mieux courir, doté de plus d’agilité et plus de malice. Nous aussi, avec Nietzsche, nous avons voulu faire un «surhomme», qui n’était qu’un super-homme; ou avec les spiritualistes faire un super-saint, mieux doté de vertu et de sagesse. Mais nous n’avons que faire de la sagesse et de la vertu humaines! Même poussées à leur paroxysme, c’est encore la vieille pauvreté dorée, l’envers glorieux de notre tenace misère: «La surhumanité, dit Sri Aurobindo, n’est pas l’homme grimpé à son zénith naturel, pas un degré supérieur de la grandeur humaine, de la connaissance, du pouvoir, de l’intelligence, de la volonté... du génie... de la sainteté, de l’amour, la pureté ou la perfection humaines.»7 C’est AUTRE CHOSE, une autre vibration d’être, une autre conscience.

Mais si cette conscience ne se situe pas sur les sommets de l’humain, où donc la trouverons-nous?... Peut-être, tout simplement, dans ce que nous avons le plus négligé depuis que nous sommes entrés dans le cycle mental – le corps. C’est notre base, notre fondement évolutif, la vieille souche à laquelle nous revenons toujours, et qui se rappelle douloureusement à nous en nous faisant souffrir, vieillir, mourir. «Cette imperfection même, assure Sri Aurobindo, recèle l’élan vers une perfection plus haute et plus complète. Elle contient l’ultime fini, qui pourtant aspire au Suprême Infini. Dieu est enfermé dans la boue... mais le fait même de cet emprisonnement impose la nécessité de faire un trou dans la prison.»8 C’est là, le vieux Mal jamais guéri, la racine jamais changée, l’obscure matrice de notre misère, à peine différente de ce qu’elle était du temps des lémuriens. C’est cette substance physique qu’il faut transformer, sinon elle jettera bas, l’un après l’autre, tous les artifices humains ou surhumains que nous voudrons coller dessus. Ce corps, cette substance physique, cellulaire, contient «des pouvoirs tout-puissants»9, une conscience muette qui possède toutes les lumières et toutes les infinitudes, autant que les immensités mentales et spirituelles – car, en vérité, tout est Divin, et si le Seigneur des univers n’est pas dans une seule toute petite cellule, il n’est nulle part. C’est cette obscure Prison originelle, cellulaire, qu’il faut briser; et tant que nous ne briserons pas celle-là, nous continuerons à tourner en vain dans les cercles d’or, ou de fer, de notre prison mentale. «Les soi-disant lois absolues de la Nature, dit Sri Aurobindo... sont simplement un équilibre établi par la Nature, un sillon dans lequel elle s’est habituée à travailler afin d’obtenir certains résultats. Mais si vous changez de conscience, le sillon changera aussi, inévitablement.»10

Telle est la nouvelle aventure à laquelle Sri Aurobindo nous convie, une aventure dans l’inconnu de l’homme. Bon gré, mal gré, la terre entière est en train de passer dans un nouveau sillon – mais pourquoi pas de bon gré? Pourquoi ne collaborerions-nous pas à cette aventure jamais courue, à notre propre évolution au lieu de répéter mille fois la vieille histoire, au lieu de courir après des paradis artificiels qui n’étancheront jamais notre soif, ou des paradis de l’au-delà qui laissent la terre pourrir avec nos corps. «Pourquoi commencer si c’est pour en sortir! s’écriait la Mère, qui continue l’œuvre de Sri Aurobindo. À quoi sert-il d’avoir tant lutté, tant souffert, d’avoir créé quelque chose qui, dans, son apparence extérieure au moins, est si tragique et dramatique, si c’est simplement pour vous apprendre à en sortir – il aurait mieux valu ne pas commencer!... L’évolution n’est pas un chemin tortueux pour en revenir – un peu meurtri – au point de départ; c’est, tout au contraire, dit la Mère, pour apprendre à la création totale la joie d’être, la beauté d’être, la grandeur d’être, la majesté d’une vie sublime, et le développement perpétuel, perpétuellement progressif, de cette joie, de cette beauté, de cette grandeur – alors, tout a un sens.»11

Ce corps, cette obscure bête de somme que nous habitons, est le terrain d’expérience du yoga de Sri Aurobindo – qui est un yoga de la terre entière, car on peut comprendre que si un seul être parmi nos millions de souffrances, arrive à opérer le saltus évolutif, la mutation du prochain âge, la face de la terre s’en trouvera radicalement changée et tous les soi-disant pouvoirs dont nous nous glorifions aujourd’hui apparaîtront comme des jeux d’enfant devant ce rayonnement de l’esprit tout-puissant incarné dans un corps. Sri Aurobindo nous dit que c’est possible – non seulement que c’est possible, mais que ça se fera. C’est en train de se faire. Et tout dépend, peut-être, non pas tant d’un effort sublime de l’humain pour transcender ses limites – car c’est encore employer nos propres forces humaines pour nous délivrer des forces humaines –, que d’un appel, d’un cri conscient de la terre vers cet être nouveau, qu’elle porte déjà en elle-même. Tout est là, déjà, dans nos cœurs, la suprême Source qui est le suprême Pouvoir – mais il faut que nous l’appelions dans notre forêt de béton, il faut que nous comprenions notre sens, il faut que le cri multiplié de la terre, de ces millions d’hommes qui n’en peuvent plus, n’en veulent plus de leur prison, crée une faille par où jaillira la vibration nouvelle. Alors, toutes ces lois apparemment inéluctables qui nous enfermaient dans leur sillon héréditaire et scientifique s’écrouleront devant la Joie des «fils aux yeux de soleil»12. «N’espérez rien de la mort, dit la Mère, la vie est votre salut. C’est en elle qu’il faut se transformer. C’est sur terre qu’on progresse, c’est sur terre qu’on réalise. C’est dans le corps qu’on remporte la Victoire.»13

«Et ne laisse point la prudence du monde murmurer à tes oreilles, dit Sri Aurobindo, car c’est l’heure de l’inattendu.»14

Pondichéry, le 9 décembre 1971

Satprem

13 décembre 1971

(Une note de Mère)

Les communications du psychique ne viennent pas sous forme mentale. Ce ne sont pas des idées ni des raisonnements. Elles ont leur caractère propre, nettement différent du mental, quelque chose comme un sentiment qui se comprend lui-même et qui agit.

Le psychique est, par sa nature même, calme, tranquille et lumineux, compréhensif et généreux, large et progressif, il est dans un effort constant de compréhension et de progrès.

Le mental décrit et explique.

Le psychique voit et comprend.

15 décembre 1971

Je t’ai envoyé cette note, ça peut servir?

Oui, douce Mère, sûrement.

«Les heures difficiles viennent sur la terre pour contraindre les hommes à surmonter leur petit égoïsme personnel et à se tourner exclusivement vers le Divin pour recevoir l’aide et la lumière. La sagesse des hommes est ignorante. Seul le Divin sait.»

C’est venu d’une façon imperative.

Il y avait en moi ce qui veut la Paix et l’Harmonie et1... Je sentais comme cela une sorte de contrainte, et c’est venu. C’est venu d’une façon imperative – évidente, imperative. Sans cela, les hommes n’auraient pas, progressé – ils ne progresseraient pas.

(silence)

C’est très absorbant, cette guerre.

Cette guerre?

Oui, c’est nuit et jour, nuit et jour...

Malheureusement, on a l’impression qu’à l’Ouest [sur le front occidental du Pakistan: Cachemire et Rajasthan], ils ne veulent rien faire. Indira a déclaré que l’Inde n’était absolument pas intéressée à la désintégration du Pakistan: «Not at all interested.»2 Ils veulent libérer le Bangladesh, et puis c’est tout.

(Mère reste très longtemps absorbée)

Il n’y a rien?

Non, il est tard, douce Mère.

Quelle heure est-il?

Onze heures vingt-deux.

Dix heures vingt-deux.

Non, onze heures vingt-deux!

Oh!...

Cette guerre est... Tout le temps, tout le temps je suis occupée.

Nous recevons des lettres du front: il y a des généraux et des officiers supérieurs qui disent sentir ma présence tout le temps. Et c’est vrai, je suis tout le temps occupée.

On t’a dit que les Américains étaient là avec leur «bateau nucléaire»?

Ils n’y sont pas encore, paraît-il. On n’est pas tout à fait sûr – ils l’ont envoyé, mais on n’est pas sûr.3

Ils sont complètement fous.

Ça, ce serait un désastre.

Mais ils sont fous – et stupides.

Oui. Il faudrait que ce Président soit renversé.4

Oh! oui-oui!

Celui que l’on veut mettre à la place est un ami de l’Inde. Mais personne n’aime ce... [Nixon], c’est une minorité qui le suit – pas tout le monde.

Il devrait... (geste de balayage).

Tu peux arranger cela!

(Mère rit beaucoup)

...Constamment je suis occupée.

18 décembre 1971

Bonjour! Tiens, je revoyais mes mouchoirs ces jours derniers, alors j’en ai gardé trois pour toi!

Ça va? quoi de neuf?

Eh bien, ils ont arrêté de se battre à l’Ouest1...

(Mère hoche la tête)

Si bien que l’affaire n’est pas terminée.

Ce ne sera pas encore pour cette fois-ci.

Ça ne se fera pas comme cela. J’ai vu comment. Ce n’est pas avec une bataille que ça se fera: ce seront les différentes parties du pays du Pakistan qui demanderont à se séparer. Il y en a cinq. Et alors, en se séparant, ils viendront dans l’Inde – cela fait une sorte de confédération. C’est comme cela que ça se fera.

Oui, ça se désintégrera du dedans.

C’est cela. C’est comme cela que ça se fera.

J’ai vu, je ne me souviens plus quel jour (dernièrement), il y a eu tout d’un coup, pendant plusieurs heures, le contact avec la Puissance et la Vision divines – c’était... c’était magnifique, les choses devenaient extraordinaires; mais alors, imédiatement le lendemain, toutes les nouvelles ont changé. Ça a été vraiment extraordinaire. Mais ce n’est pas ce que j’ai vu qui s’est réalisé, parce que c’est vu des années en avant... Mais ça ne fait rien, c’est bien.

(Sujata entre en retard, Mère lui tend des mouchoirs en riant)

C’est mes mouchoirs!

Nous sommes toujours pressés, parce que la vie terrestre est courte, mais quand on voit comment c’est vu... (geste vaste, général). Seulement, c’est beau, c’est beaucoup mieux! Cela prend plus de temps, mais c’est beaucoup mieux.

L’une des choses prévues, c’est la conversion de l’Amérique, des États-Unis, mais cela prendra du temps.

La conversion des États-Unis.

Déjà, la majorité du pays est contre ce Président, mais il faut que ce soit assez fort pour que... cette politique disparaisse.2

C’est-à-dire, comme toujours, il faut que cela aille jusqu’au bout de l’absurde pour que les gens comprennent comme c’est faux.

Oui. Oui.

(long silence)

Tu as quelque chose?

Rien... Peut-être des questions personnelles.

Bon, demande.

J’ai l’impression que depuis un an, il n’y a aucune force créatrice qui vient en moi – aucune inspiration et aucune force créatrice. Et alors, je parlais de cela avec Sujata il y a quelques jours, et elle a eu une vision: elle a vu comme deux énormes portes d’argent – qui étaient fermées. Alors je ne sais pas, je me demande ce que cela veut dire. Pourquoi cette fermeture?

(après un silence)

Mais depuis quelque temps, il y a beaucoup plus d’insistance sur la transformation personnelle que sur la création, pour toi. Ça, je l’ai vu. Mais pour moi, cela me paraît d’une importance capitale, tu comprends?... C’est une insistance spéciale sur la transformation personnelle. C’est-à-dire que quand ça, ce sera fait, la création sera d’un ordre TRÈS supérieur, très supérieur.

Il n’y a pas à s’inquiéter?

Non-non, au contraire.

Vraiment, pour le dire d’une façon enfantine, la Sagesse divine est beaucoup plus grande que la nôtre. Tout le temps, je m’aperçois de cela. Nous avons la vue très courte – très courte et très limitée. Et la Sagesse divine est... On a tellement l’impression que l’on ne sait rien quand on compare sa façon de voir et la façon de voir du Divin (je le dis d’une façon tout à fait enfantine).

Oui, mais pratiquement, il y a deux attitudes possibles vis-à-vis de cette force créatrice: ou bien d’être complètement passif et d’attendre (mais alors, est-ce que cette passivité n’est pas simplement une espèce d’inertie?), ou bien de faire comme ceux qui créent, c’est-à-dire qu’ils appellent la Force et ils tirent. C’est-à-dire qu’activement, ils interviennent pour créer.

Il y a une troisième attitude. C’est la meilleure. C’est d’être très attentif; au lieu d’être passif et inerte, d’être très attentif et très éveillé. Et alors, de sentir quand il y a l’Impulsion de faire une chose, et de la faire. Et ça, je l’ai mis en pratique ces jours derniers, et c’est la solution. N’est-ce pas, la difficulté, c’est l’activité SANS LES LIMITATIONS PERSONNELLES – c’est étroitement mélangé dans notre conscience, et la passivité dont tu parles, c’est pour séparer les deux; mais une fois qu’on a... je ne sais pas, la perception ou la sensation de l’état où l’on est complètement ouvert à l’Impulsion Divine, alors on peut permettre à l’action de revenir. Et ça, c’est la solution.

C’est très difficile à expliquer, mais j’ai eu l’expérience ces jours-ci (hier ou avant-hier; c’est tout récent), l’expérience de cette attitude de réceptivité sans mélange – sans mélange de l’activité personnelle –, d’une activité dont l’impulsion vient seulement du Divin (pour cette guerre, pour les événements, c’est là que j’ai eu cette expérience, et c’est comme cela que j’ai compris). Seulement on ne peut pas expliquer.

(long silence)

Alors, les choses prévues, c’est une fédération de tous les États de l’Inde, et une autre chose prévue, c’est une conversion des États-Unis. Une fédération des États de l’Inde d’après L’idéal de l’unité humaine, comme elle est conçue et expliquée par Sri Aurobindo. Et la conversion des États-Unis, c’est dans la même idée, à travers justement la révélation de Sri Aurobindo. Mais cela prendra du temps.

Ça, c’est venu d’une façon imperative.

Et puis j’ai entendu quelque chose que Sri Aurobindo a écrit, disant que pour que le Supramental soit manifesté sur la terre, il faut que le mental physique le reçoive et le manifeste, et c’est justement le mental physique, c’est-à-dire le mental corporel, le mien, le seul qui me reste maintenant. Et alors, il m’est venu d’une façon tout à fait claire que c’est pour cela que seul celui-là est resté. Et il est en train de se convertir d’une façon très rapide et très intéressante. Ce mental physique3 est en train de se développer sous l’influence supramentale. Et c’est justement cela que Sri Aurobindo a écrit, que c’était indispensable pour que le Supramental puisse se manifester d’une façon permanente sur la terre.4

Alors, ça va bien – ce n’est pas commode! (Mère rit) Mais ça va.

Oui, justement c’est un problème que je me suis posé. Tu dis que, pour moi, par exemple, l’insistance est sur la transformation personnelle – eh bien, j’ai vu une chose (enfin «j’ai vu», j’ai senti une chose), que cette transformation (de la nature inférieure, par exemple) n’est pas vraiment possible à moins qu’il n’y ait une sorte de radical changement de position dans la conscience, ou de changement de vision...

Oui.

... À moins de voir autrement les choses et les êtres.

Oui, oui.

Mais alors, je me demande comment c’est possible?

C’est possible comme cela.

Mais il faut que ce soit quelque chose de très radical.

Mais c’est radical, mon petit! Tu n’imagines pas, c’est comme... Je pourrais dire vraiment que je suis devenue une autre personne. Il n’y a que ça (Mère touche l’apparence de son corps) qui reste comme cela, semblable à lui-même... Dans quelle mesure il pourra changer? Sri Aurobindo a dit que si le mental physique est transformé, la transformation du corps suivra tout naturellement. Nous verrons.

Mais est-ce que tu pourrais me donner une clef, ou un levier, pour opérer ce changement radical?

Ah! je ne sais pas parce que, pour moi, on m’a simplement enlevé tout – le mental parti complètement. Si tu veux, en apparence, j’étais devenue imbécile, je ne savais rien. Et c’est le mental physique qui s’est développé petit à petit, petit à petit.

Moi, je ne sais pas, on a fait le travail pour moi – je n’ai rien fait. Ça a été fait comme cela, d’une façon tout à fait radicale. Ça a pu se faire parce que j’étais très consciente de mon psychique (de l’être psychique qui s’est formé à travers toutes les existences), j’étais très consciente, et lui est resté; il est resté et justement il a permis que j’aie affaire avec les gens sans que cela fasse de différence, grâce à cette présence psychique. C’est pour cela qu’il y a eu très peu d’apparents changements. Alors je ne peux dire que ce que je sais, et je dirai cela: il faut que le psychique reste très «dominant» tout l’être – tout l’être corporel – et guidant la vie, alors le mental a le temps de se transformer. Le mien, on l’a simplement renvoyé.

N’est-ce pas, la transformation du mental corporel était indispensable parce que je n’avais plus que celui-là, tu comprends?... Il y a peu de gens qui accepteraient cela. (Riant) Moi, ça a été fait sans me demander mon avis! Le travail était très facile.

C’est cela justement qui s’est passé.

Je voudrais bien quelque chose de radical...

(Mère rit)

Je me disais, par exemple (c’est enfantin), mais je me disais l’autre jour: si je pouvais arriver à voir avec les yeux de Sri Aurobindo...

(Mère rit)

Au lieu que ce soient mes yeux, que je voie les choses par ses yeux.

Mais ce n’étaient pas ses yeux physiques. Ce n’étaient pas ses yeux physiques.

Je voudrais que ce soit comme cela. Mais est-ce possible?

C’est-à-dire, voir avec la conscience de Sri Aurobindo?

Oui, c’est cela. Mais voir PHYSIQUEMENT les êtres, les choses, les circonstances, les voir comme cela.

C’est possible. C’est possible... Mais est-ce que tu accepterais ce qui m’est arrivé, c’est-à-dire que l’individu, la personne se sente absolument imbécile?

Oh! je suis prêt.

Est-ce que cela ne te désespérerait pas?

Non-non – non.

N’est-ce pas, c’est une chose qui s’installe d’une façon pour ainsi dire permanente: la nullité de la personne – absolument la nullité, l’incapacité. Et alors on est..., on est bien; on est tout naturellement comme un enfant, on dit au Divin: «Fais tout pour moi» (il n’y a plus rien, on ne peut rien faire!), alors ça va bien tout de suite – tout de suite.

N’est-ce pas, le corps s’est donné entièrement, il avait même dit au Divin: «Je Te prie de me faire vouloir ma dissolution si je dois mourir», afin que Même là, je ne résiste pas s’il est nécessaire que ce corps meure – vouloir ma dissolution. Voilà son attitude, il était comme cela (geste mains ouvertes). Et au lieu de cela, est venue une sorte de... (je pourrais traduire par des mots, mais ce n’étaient pas des mots): «Si tu acceptes la souffrance et les malaises, la transformation est mieux que la dissolution.» Et alors, quand il a du malaise, il accepte.

Ce n’est pas ça; ce que je dis est [inadéquat]. Ce n’est pas vraiment cela, mais c’est quelque chose de difficile à expliquer. C’est vraiment une attitude nouvelle et une sensation nouvelle, je ne peux pas dire.

Et évidemment, pour chacun, ce doit être différent... Pour moi, ça a été très radical – je n’avais pas le choix, tu comprends: c’était comme cela, c’est comme cela. Voilà.

Mais il faut vraiment... Ce qui a rendu la chose facile, c’est que la conscience psychique était tout à fait en avant et gouvernait la vie, alors elle a continué tranquillement sans s’occuper de ça.

C’est comme la vue et l’ouïe, je me suis aperçue que ce n’est pas une déchéance physique: c’est simplement que je ne comprends et je n’entends les gens que quand ils pensent clairement ce qu’ils disent. Et je ne vois que ce qui est... ce qui exprime la vie intérieure, autrement c’est... flou ou voilé. Et ce n’est pas que les yeux ne voient pas, c’est «quelque chose», c’est quelque chose d’autre – tout est nouveau.

(silence)

C’était ce que Sri Aurobindo m’avait dit quand je lui avais demandé de partir (nous savions tous les deux qu’il fallait que l’un des deux s’en aille); je lui ai dit imédiatement: «C’est moi qui m’en irai.» Alors il a dit non, il m’a dit: «Ton corps est beaucoup plus capable que le mien de supporter ce travail de transformation.» Sri Aurobindo m’avait dit cela. Et alors il a accepté, mais...

C’est vrai, il faut que le corps soit de TRÈS bonne volonté – il se trouve que le mien est de bonne volonté; et ce n’est pas une bonne volonté mentale, n’est-ce pas, c’est vraiment une bonne volonté corporelle. Il accepte, il accepte tous les inconvénients... Mais c’est l’attitude qui est importante, ce ne sont pas les conséquences (je suis convaincue que les inconvénients ne sont pas indispensables), c’est l’attitude qui est importante. N’est-ce pas, il faut que ce soit comme cela (geste mains ouvertes). Vraiment, je me suis aperçue que dans la majorité des cas, la soumission au Divin ne veut pas dire confiance en le Divin – parce que l’on fait la soumission au Divin, on dit: «Même si Tu me fais souffrir, je me soumets», mais c’est un manque absolu de confiance! Ça, c’est vraiment amusant, la soumission N’IMPLIQUE PAS la confiance; la confiance c’est quelque chose d’autre, c’est... une espèce de connaissance – de connaissance unshakable [inébranlable], que rien ne peut troubler – que c’est NOUS qui changeons en difficultés, en souffrances, en misères, ce qui, dans la Conscience divine, est... paix parfaite. C’est nous qui faisons cette petite «transformation».

Et des exemples extraordinaires sont venus... Il faudrait des heures pour expliquer.

Vraiment, c’est la conscience qui doit changer – et même la conscience DES CELLULES, tu comprends?... Ça, c’est un changement radical.

Et nous n’avons pas de mots pour exprimer cela, parce que ça n’existait pas sur la terre – c’était latent, mais ce n’était pas manifesté.

Tous les mots sont... à côté, ce n’est pas tout à fait ça.

(silence)

Si tu veux, on pourrait dire qu’à chaque minute, on a l’impression que, ou on peut vivre éternellement ou on peut mourir (geste de légère bascule d’un côté ou de l’autre). À chaque minute, c’est comme cela. Et la différence [entre les deux côtés] est tellement insensible que l’on ne peut pas dire: faites ça et vous serez de ce côté, faites ça et vous serez de l’autre côté – ce n’est pas possible. C’est une manière d’être presque indescriptible.5

(silence)

Quand es-tu venu à l’Ashram?

Il y a dix-sept ans, douce Mère.

Tu avais vu Sri Aurobindo?

Oui, une fois.

Le 24 novembre? quand?

Je ne me souviens plus quand je l’ai vu, mais c’était en 1947.

Oh! en 1947 – trois ans...

Je l’ai vu une fois seulement.

Seulement une fois?

(silence, puis Mère plonge longuement)

Tu as senti quelque chose?

Beaucoup ta force. Beaucoup la Force, oui.

(Mère hoche la tête négativement)

C’est une Paix si extraordinaire! Tu ne sens pas?

Si, je sens la Force, la Paix, la Puissance...

Mais moi, quand c’est comme cela, j’ai conscience qu’il n’y a plus de temps. Je ne sais pas comment expliquer. C’est tout à fait en dehors du temps – ce peut être une minute, ce peut être une heure... quelque chose d’autre.

(le disciple se retire, Sujata s’approche)

Et toi? Qu’est-ce que tu sens?

Moi, douce Mère, c’est très physique.

Oui.

Physique: un silence absolu...

Ah!

... Partout: intérieur, extérieur.

C’est physique, n’est-ce pas, c’est cela, c’est PHYSIQUE.

Les nerfs qui sont un peu tendus, tout cela se détend, absolument.

Oui, c’est cela. Ça, c’est bien. C’est bien.6

22 décembre 1971

C’est mon message de Noël:

Il est temps que le règne du mensonge prenne fin.
Dans la vérité seule est le salut.

Alors, qu’est-ce que tu apportes?

J’ai reçu un petit mot de P.L. Tu avais dit qu’il faudrait «tranquilliser» les gens de la Mission, ils nous embêtent beaucoup, et tu avais dit que l’on pourrait demander à P.L. de faire quelque chose. Alors il a fait quelque chose.

Ah!

Il dit ceci:

«J’ai parlé au Cardinal Tisserant1 du problème que vous m’avez exposé. Il écrit ce four-même à l’évêque de Pondichéry selon les indications que vous m’avez données – il est indigné de savoir que vous êtes l’objet de telles manifestations et de tels sentiments... si peu chrétiens. J’espère que sa lettre va “tranquilliser la Mission”.»

Ah! on ne bouge plus, ce doit être cela. Je n’entends plus parler d’eux. J’avais justement remarqué hier ou avant-hier qu’ils étaient devenus tout à fait tranquilles. Ce doit être cela. Alors tu peux lui dire que, pour le moment, tout le monde est tranquille, ça va bien.

(Mère cherche un papier sur sa table)

Tu lui enverras le message de Noël. Et puis ça:

«Le lotus rouge est la fleur de Sri Aurobindo, mais spécialement pour son centenaire, nous choisirons le lotus bleu qui est de la couleur de son aura physique, pour signifier le centenaire de la manifestation du Suprême sur la terre.»2


Peu après

J’ai entendu (hier, je crois, ou avant-hier) une lettre de Sri Aurobindo où il disait que pour que le Supramental soit fixé ici (il avait vu que le Supramental venait en lui et puis se retirait, et puis il revenait et il se retirait – qu’il n’était pas stable), et il a dit: pour qu’il soit stable, il faut qu’il entre et qu’il s’installe dans le mental physique.3 Et c’est ce travail qui se fait maintenant, depuis des mois en moi: le mental avait été retiré, et c’est le mental physique qui prend sa place, et j’avais justement remarqué depuis quelque temps qu’il était... (je t’ai dit qu’il voyait tout d’une façon différente, que son rapport avec les choses était différent), j’avais remarqué ces jours derniers que ce mental physique, le mental qui est dans le corps, devenait vaste, il avait des visions d’ensemble, et toute sa manière de voir, absolument différente (Mère étend ses bras dans un geste immense, tranquille). J’ai vu, c’est cela: le Supramental est en train de travailler là. Et je passe des heures extraordinaires.

Ce qu’il y a, ce sont seulement les choses qui résistent – on a l’impression (je te l’ai dit) que c’est comme si, à chaque minute (et ça devient de plus en plus fort), à chaque minute: veux-tu la vie, veux-tu la mort; veux-tu la vie, veux-tu la mort... Et c’est comme cela. Et alors, la vie, c’est l’union avec le Suprême. Et la conscience, une conscience TOUT À FAIT nouvelle qui vient. Et c’est comme cela, comme cela (Mère fait un geste de bascule tantôt d’un côté tantôt de Vautre). Mais hier ou avant-hier, je ne sais pas, tout d’un coup le corps a dit: «Non! c’est fini – je veux la vie, je ne veux plus rien d’autre.» Et alors, ça va mieux depuis.

Oh! il faudrait des volumes pour raconter ce qui se passe. C’est... extraordinairement intéressant, et TOUT A FAIT nouveau. Tout à fait nouveau.

(Mère plonge)

À cause de la mort physique, le subconscient est défaitiste. N’est-ce pas, le subconscient a l’impression que quel que soit le progrès, quel que soit l’effort, ça finira toujours par ça, parce que jusqu’à présent, ça a toujours fini comme cela. Et alors, le travail qui est en train de se faire, c’est de tâcher de faire entrer la foi, la certitude de la transformation dans le subconscient. Et ça... c’est une lutte de chaque instant.4

(Mère replonge jusqu’à la fin)

25 décembre 1971

Bon-jour! C’est la fête de la Lumière: Noël est la fête de la Lumière qui revient – c’est beaucoup plus vieux que le christianisme! c’étaient les jours qui commençaient à rallonger. (Mère rit)

Et samedi prochain, c’est le premier janvier. Je te verrai...

J’espère que 72 va être meilleur!

(Mère hoche la tête)

De plus en plus, je suis convaincue que nous avons une façon de recevoir les choses et de réagir qui CRÉE les difficultés – j’en suis de plus en plus convaincue. Parce que j’ai des expériences peu plaisantes physiquement, matériellement, sur la nourriture. N’est-ce pas, il y a très longtemps que je n’ai plus faim du tout (je mange seulement par raison, parce qu’«il faut» manger, autrement...), mais il y a des petites difficultés pour avaler, pour respirer (des choses ridicules), et alors, tout change suivant que l’on y fait attention ou non, suivant une attitude comme cela (geste tourné sur soi) où l’on se regarde vivre, ou bien une attitude où l’on est (geste vaste) dans les choses, dans le mouvement, dans la vie; et puis une attitude où l’on ne donne d’importance qu’au Divin. Si l’on arrive à être comme cela tout le temps, il n’y a pas de difficultés – et les choses sont les mêmes. C’est l’expérience: la chose en elle-même est d’une certaine manière, et c’est notre réaction vis-à-vis de la chose qui diffère. L’expérience est de plus en plus probante. N’est-ce pas, il y a trois catégories: notre attitude vis-à-vis des choses, les choses en elles-mêmes (ces deux-là donnent toujours des difficultés), et il y a une troisième catégorie où tout-tout est par rapport au Divin, dans la Conscience du Divin – tout va merveilleusement! facile! Et je parle de choses matérielles, de la vie physique matérielle (les choses morales, on sait depuis longtemps que c’est comme cela), mais les choses matérielles, c’est-à-dire les petits inconvénients du corps, les réactions, avoir des douleurs ou non, les circonstances vont mal, ne pas pouvoir avaler le dîner – les choses les plus banales auxquelles on ne fait pas attention quand on est jeune et fort et bien portant (on n’y fait pas attention, et c’est comme cela pour tout le monde), mais quand on vit dans la conscience de son corps et de ce qui lui arrive et de sa façon de recevoir ce qui vient et tout cela – oh! c’est la misère! Quand on vit dans la conscience des autres, de ce qu’ils veulent, de ce qu’il faut, de leur rapport avec vous – c’est la misère! Mais si l’on vit dans la Présence divine et que c’est le Divin qui fait tout, qui voit tout, qui est tout... c’est la Paix – c’est la Paix, le temps n’a plus de durée, tout est facile et... Ce n’est pas que l’on sente une joie ni que l’on sente... ce n’est pas cela... c’est le Divin qui est là. Et c’est la seule solution. Et c’est vers ça que le monde va: la Conscience du Divin – le Divin qui fait, le Divin qui est, le Divin... Et alors, identiquement la même circonstance (je ne parle pas de circonstances différentes), identiquement la même circonstance (c’est mon expérience de ces jours-ci, tellement concrète, tu sais! tellement concrète), avant-hier, j’étais malade comme un chien, et hier les circonstances étaient les mêmes, mon corps était dans le même état, tout était semblable et... tout a été paisible.

Ça, je suis absolument convaincue.

Si je n’avais pas autant de difficultés à parler... Ça explique tout. Ça explique tout-tout-tout-tout.

Le monde est le même – il est vu et senti d’une façon absolument opposée.

Tout est un phénomène de conscience – tout. Seulement, pas cette conscience, ni celle-ci ni celle-là, ce n’est pas cela: c’est notre façon, la façon humaine d’être conscient, ou la façon divine d’être conscient. Voilà. C’est toute l’affaire. Et je suis absolument convaincue.

(silence)

En somme, le monde est comme il doit être, à chaque instant.

Oui.

C’est nous qui le voyons mal, ou le sentons mal ou le recevons mal.

C’est comme la mort, n’est-ce pas. C’est un phénomène de transition, et il nous paraît que cela dure depuis toujours (pour nous, c’est depuis toujours parce que notre conscience est comme cela: Mère découpe un petit carré dans l’espace), mais quand on a cette conscience divine, oh!... les choses deviennent presque instantanées, tu comprends. Je ne peux pas expliquer.

Il Y A un mouvement, il Y A une progression, il Y A ce qui se traduit pour nous par le temps, ça existe, c’est quelque chose... c’est quelque chose dans la conscience... C’est difficile à dire... C’est comme une image et sa projection. C’est un peu comme cela. Toutes les choses SONT, et, pour nous, c’est comme quand nous les voyons projetées sur l’écran: l’une vient après l’autre. C’est un peu comme cela.

Oui, Sri Aurobindo disait que dans la conscience supramentale, le passé, le présent et l’avenir existent côte à côte, comme sur une seule carte de connaissance.1

Oui, c’est cela. C’est cela. Mais pour moi, c’est une expérience. Ce n’est pas une chose que je «pense» (je ne pense pas), c’est une expérience. Et c’est difficile à expliquer.

Et l’effet que cela nous produit, la sensation que nous en avons dépend exclusivement de l’attitude de notre conscience. Et alors, la conscience d’être en soi-même ou d’être dans le tout (être dans le tout est déjà un peu mieux que d’être égoïstement soi-même, mais cela a des avantages, des inconvénients, et ce n’est pas la vérité), la Vérité, c’est... le Divin en tant que totalité – totalité dans le temps et totalité dans l’espace. Et ça, c’est une conscience que le corps PEUT avoir, parce que ce corps-là l’a eue (momentanément, pour des moments), et pendant qu’il l’a, tout est tellement... n’est-ce pas, ce n’est pas la joie, ce n’est pas le plaisir, ce n’est pas le bonheur, ce n’est rien de tout cela... une sorte de paix béatifique... et lumineuse... et créatrice. C’est magnifique. Seulement, ça vient, ça va, ça vient, ça va... Et quand on en sort, on a l’impression de tomber dans un trou horrible – notre conscience ordinaire (la conscience humaine ordinaire, je veux dire), est un trou horrible. Mais on sait aussi pourquoi ça a été momentanément comme cela, c’est-à-dire que c’est nécessaire pour passer de ceci à cela: tout ce qui arrive est nécessaire au plein développement du but de la création. On pourrait dire (c’est une jolie phrase): le but de la création est que la créature devienne consciente comme le Créateur. Voilà.

C’est une phrase, mais c’est dans ce sens-là.

Le but de cette création, c’est cette Conscience de l’Infini, Éternel qui est tout-puissant – Infini, Éternel, Tout-Puissant (que nos religions ont appelé Dieu: pour nous, par rapport à la vie, c’est le Divin) – Infini et Éternel, Tout-Puissant... hors du temps: chaque parcelle individuelle possédant cette Conscience; chaque parcelle individuelle contenant cette même Conscience.

C’est la division qui a créé le monde, et c’est dans la division que l’Éternel se manifeste.

Les mots sont idiots mais c’est comme cela. Je ne sais pas si tu comprends.

(silence)

Avec, en plus (et non comme une contradiction, mais pour compléter), le sens exact de ce que l’on doit faire – de ce que l’on doit être, de ce que l’on doit faire et pourquoi on est créé. Et tout cela ENSEMBLE... oh!... (Mère a un sourire béatifique)

Cela donne, à la fois, la raison d’être et le but de la création – à la fois – et presque la méthode du développement.

(silence)

Oui, c’est comme une chose qui EST, qui est tout entière, et qui est projetée successivement sur un écran. Et pourtant elle existe tout entière – et elle est projetée successivement sur un écran.

(Mère entre en contemplation)

J’ai l’impression que je suis en route pour découvrir... quelle est l’illusion qu’il faut détruire pour que la vie physique puisse être ininterrompue – que la mort vient d’un... d’une déformation de la conscience. Voilà.

C’est comme cela, tu sais (Mère fait un geste comme si elle allait attraper le secret).

Et je te l’ai dit: quelquefois, il me semble que le fait du grand nombre d’années rend le travail un peu plus difficile, mais au point de vue général, c’est une GRANDE aide – j’ai compris que si j’étais jeune, jamais je ne pourrais faire ce que je fais. Et quand je suis dans la vraie conscience, au moment où je suis dans la vraie conscience, le nombre d’années, ce n’est rien! – le corps se sent si jeune, si plein de... autre chose que «jeune» (jeune, pour lui, c’est immature [pas mûr] et ignorant, ce n’est pas cela), c’est... on est en communion avec «quelque chose»... qui se transforme au fur et à mesure du besoin.

Notre langage est... (ou notre conscience) inadéquat. Plus tard, je pourrai dire.

Il SE PASSE quelque chose – voilà tout ce que je peux dire (Mère rit).

Bon Noël, mon petit!

Bon Noël, toi aussi.

La fête de la Lumière2...

27 décembre 1971

(Visite de Sujata à Mère)

Un disciple d’Amérique avait envoyé une caricature publiée dans un journal américain, représentant le Bangladesh («East Pakistan») sanglant et transpercé par les cornes furieuses de la «vache sacrée» indienne, pourvue des armes soviétiques. Lorsque ce dessin fut montré à Mère par Sujata, elle l’a rejeté avec colère, balayé de ses genoux: «Enlève-moi ça.» Puis, quelques instants après, a redemandé ce dessin, pris une plume et écrit ceci en travers du dessin: «This is disgustingly untrue» [c’est abominablement faux], comme l’on fait un acte occulte pour détruire ou neutraliser quelque chose.

29 décembre 1971

(Note de Mère)

Nous sommes à une heure décisive de l’histoire de la terre. Elle se prépare à la venue du surhomme, et à cause de cela, la vieille manière de vivre perd sa valeur. Il faut se jeter hardiment sur le chemin de l’avenir en dépit de ses exigences nouvelles. Les mesquineries, autrefois tolérables, ne le sont plus, il faut s’élargir pour recevoir ce qui doit naître.

29 décembre 1971

(Mère caresse l’œil gonflé de Satprem.)

Non-non-non, ça ne fait pas mal, douce Mère!... Tu as du nouveau?

Ça va – ça va vite.

Parce que ça va vite, c’est excessif (geste de tirage).

Par exemple, au même repas, je mange sans même m’en apercevoir, uniquement dans la conscience divine, puis tout d’un coup, je reviens – et je ne peux plus avaler! j’étouffe. C’est très extrême, parce que ça va vite. Mais je sais ce que c’est.

Je viens de donner une méditation à X.1 Ce n’est plus DU TOUT ce que c’était... (comment dire?) Il y a une sorte d’autorité tranquille. Mais il est réceptif.

La Force... (Mère abat ses mains d’un geste irrésistible), ooh! il y a un grand changement.

(long silence)

J’ai reçu une lettre d’Indira.

Ah! oui!

(Mère tend une enveloppe)

Revered Mother,

Through these critical months I have thought constantly of you. I can find no words with which to express my gratitude for your support. Your blessings are a great source of strength. Our difficulties are not over...

(Mère approuve de la tête)

... The American administration is most upset that its calculations were so completely wrong, and they will use their power to try to humble us and specially to create division between Bangla Desh and ourselves. I think our nation has taken a step towards maturity.

Yet there are many who look only to today. If India is to he great we must improve the quality of the minds of our people. I know that this is your desire. In my humble way I am trying to do what I can.

With respectful regards,

Yours sincerely,

Indira Gandhi2

C’est bien, oui.

C’est bien. Alors j’ai répondu ceci:

To Indira

With blessings.

India must be proud of your leadership. Let the country take its true place in the world for showing the way towards the supreme Truth.

with love
Mother3

C’est bien qu’elle soit tournée comme cela.

Oui, c’est bien.

Je ne pensais pas qu’elle était comme cela.

(Mère hoche la tête)

Mais il y a encore beaucoup de difficultés.

Oh!... oh!... c’est un brigand qui est devenu le... [président du Pakistan, Bhutto].

Oh! oui, celui-là!

Tout à fait un brigand. Mais il est en train de tuer ses propres gens. On a exécuté des professeurs parce qu’ils étaient d’une autre opinion. Il fait des atrocités dans son propre pays... Au fond, c’est ce qu’il faut pour montrer le mensonge de la chose [de la division du Pakistan et de l’Inde].

Mais pourtant, le nouveau président du Pakistan affecte une façade démocratique.

En assassinant les gens!

Plusieurs provinces du Pakistan se sont révoltées dans le Pakistan de l’Ouest, contre les gens qu’il avait mis pour les gouverner.4

On va voir.

(silence)

Les choses vont vite.

Moi, je les sens très grinçantes.

Oh!... ça va vite. Plus ça va vite, plus ça tire.

J’ai bien besoin de ton aide – de ton aide active.

Ça ne va pas?

C’est difficile.

(long silence)

Pour moi, le chemin le plus rapide a été... (comment dire?) le sens croissant de mon inanité – inexistence. Ne rien pouvoir, ne rien savoir, ne rien vouloir; et alors, TOUT l’être, avec... ce n’est même plus une aspiration, c’est comme cela (geste d’abandon, mains ouvertes), c’est inévitable: «Sans le Divin, rien-rien – je ne suis rien, je ne comprends rien, je ne peux rien. Sans le Divin, rien.» Et être comme cela (même geste, mains ouvertes). Et alors... une Paix... une Paix lumineuse... et si puissante! Et quand je suis tranquille (j’ai encore vu cela d’une façon très intéressante, parce que quand je donnais une méditation à X, il y avait toujours un effort; un effort pour méditer, un effort pour...), et cette fois-ci... (Mère abat ses mains), ça s’impose. Une Présence qui s’impose – qui s’impose. Extraordinaire... Justement, je me demandais comment serait cette méditation, si c’était comme avant – pas du tout, c’est comme cela: (Mère abat ses mains).

Alors, ça va bien.

Mais il faut d’abord avoir une sincérité absolue, c’est-à-dire une CONVICTION: on n’est rien-rien-rien-rien – on ne peut rien, on ne sait rien, on n’a absolument RIEN... (Mère lève un index vers le haut) sauf le Divin. Alors ça va.

Je te l’ai dit, c’est tellement fort qu’il y a des moments où je ne peux même pas manger; et alors quand c’est comme cela, quand la conscience devient comme cela (geste d’abandon, mains ouvertes), je finis mon dîner sans même savoir que je mange... C’est inexprimable. Mais c’est merveilleux.

Seulement, il ne faut pas avoir peur – si l’on a peur, ça devient effroyable. Heureusement mon corps n’a pas peur.

(silence)

C’est un peu difficile, oui, mais... (Mère prend les mains du disciple)

(silence)

La prochaine fois, c’est le premier.

Oui, douce Mère, samedi 1er – une chance!5

(Mère sourit) Oui, ça ira.

Oui??6

(méditation puis un si beau sourire et Mère tend la photo de 1972 où elle ressemble à un bébé chinois qui sourit)

Tu as ça?

Oh! ça, c’est très charmant!









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