Essais sur la Guîtâ

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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Essays On The Gita Vol. 13 576 pages 1970 Edition
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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.

French Translations of books by Sri Aurobindo Essais sur la Guîtâ 675 pages 2008 Edition
French Translation
Translators:
  Archaka
  Pavitra
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Sri Aurobindo

 

Essais sur la Guîtâ

 

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Note de l'éditeur

 

Essays on the Gita a d'abord paru dans l'Arya, à Pondichéry, entre le mois d'août 1916 et le mois de juillet 1920.

Lue et corrigée par Sri Aurobindo lui-même, une traduction, par Pavitra, des sept premiers chapitres a paru en 1947. La présente édition comprend cette traduction et celle, effectuée par Archaka, des quarante et un autres chapitres.

 


   

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LIVRE PREMIER

 

I

 

CE QUE LA GUÎTÂ PEUT NOUS DONNER

 

Le monde est riche en écrits sacrés et profanes, en révélations et demi-révélations, en religions et en philosophies, en sectes, en écoles, en systèmes, auxquels s'attachent avec intolérance et passion les nombreux esprits dont la connaissance est incomplète ou nulle. Ils prétendent que tel ou tel livre est seul le Verbe éternel de Dieu, que tous les autres ne sont qu'impostures ou qu'ils sont, tout au plus, imparfaitement inspirés; ils veulent que telle ou telle philosophie soit le dernier mot de l'intelligence raisonnante, que tous les autres systèmes soient des erreurs ou qu'ils soient valables seulement par certaines vérités partielles qui les rattachent au seul culte philosophique vrai. Même les découvertes des sciences physiques ont été érigées en articles de foi et, au nom de ces sciences, la religion et la spiritualité ont été bannies comme œuvres de l'ignorance et de la superstition, et la philosophie comme vieille friperie et rêverie. À ces exclusions sectaires et ces vaines querelles, 1rs sages eux-mêmes se sont souvent prêtés, égarés qu'ils furent par un esprit obscurantiste qui, se mêlant à leur lumière, l'a voilée de quelque nuage d'égoïsme intellectuel ou d'orgueil spirituel. Il semble pourtant que l'humanité soit maintenant disposée à un peu plus de modestie et de sagesse. Nous ne mettons plus à mort nos semblables au nom de la vérité révélée, ou parce que leur esprit est autrement éduqué ou autrement constitué que le nôtre; nous sommes moins prompts à insulter notre voisin quand il est assez pervers ou assez présomptueux pour nourrir d'autres opinions que nous; nous sommes même prêts à admettre que la Vérité est partout et ne peut être noire exclusif monopole; nous commençons à considérer d'autres religions et d'autres philosophies pour la vérité et l'aide qu'elles renferment et non plus seulement pour les condamner comme fausses ou pour en critiquer ce que nous pensons être des erreurs. Mais nous sommes toujours portés à proclamer que notre vérité nous

 

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donne cette suprême connaissance que les autres religions ou philosophies n'ont pas su saisir ou n'ont: comprise qu'imparfaitement, de telle sorte qu'elles ne traitent que d'aspects subsidiaires ou inférieurs de la vérité des choses, ou bien qu'elles peuvent tout au plus préparer des esprits moins évolués aux hauteurs que nous avons atteintes. Et nous sommes encore enclins à faire peser, sur les autres comme sur nous-mêmes, tout le poids sacré du livre ou de l'évangile que nous admirons, insistant pour que tout en soit accepté comme vérité éternellement valable et qu'à chaque iota. à chaque accent, à chaque tréma soit reconnue sa part de l'inspiration plénière.

C'est pourquoi il peut être utile, lorsqu'on aborde d'anciennes Écritures, comme les Védas, les Oupanishads ou la Guîtâ, d'indiquer avec précision dans quel esprit on les approche et ce qu'exactement l'on pense pouvoir en retirer qui ait de valeur pour l'humanité présente et à venir. Affirmons avant tout l'existence certaine de la Vérité, une et éternelle, que nous cherchons; d'elle toute autre vérité découle, à sa lumière toute autre vérité se situe, s'explique et s'encadre dans !e plan général de la connaissance. Mais précisément pour cette raison, cette Vérité ne peut être enfermée dans une seule formule tranchante et il n'est pas probable qu'on la trouve, dans sa totalité et avec tout ce qu'elle soit exprimée en entier et à jamais par un Livre sacré, ni qu'elle soit exprimée en entier et à jamais par un maître, un penseur, un prophète ou un Avatâr quelconque. Nous n'avons pas non plus saisi entièrement cette Vérité, si la compréhension que nous en avons comporter intolérante exclusion de la vérité qui est à la base d'autres systèmes; car nous ne rejetons passionnément que ce que nous ne sommes pas à même d'apprécier et d'expliquer. En second lieu, cette Vérité, quoique une et éternelle, s'exprime dans le Temps et par l'esprit de l'homme. C'est pourquoi toute Écriture doit nécessairement comprendre deux éléments, l'un Temporaire et périssable, en rapport avec les idées de l'époque et du pays où elle a pris naissance, l'autre éternel, impérissable et applicable en tout âge et en tout lieu. En outre, dans l'exposé de la Vérité, il est inévitable que la forme propre qui lui est donnée, le système,

 

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l'agencement, le moule métaphysique et intellectuel et l'expression précise dont on a fait usage, soient largement soumis aux variations du Temps et perdent de leur force. Car l'esprit humain se modifie sans arrêt; divisant et réajustant constamment, il est obligé de déplacer constamment ses divisions et de recomposer ses synthèses; il abandonne sans cesse d'anciennes expressions et d'anciens symboles pour de nouveaux, ou bien, s'il continue à user des anciens, il en change la signification ou au moins le contenu exact et les associations, si bien que nous ne pouvons jamais être sûrs de comprendre un ancien livre de ce genre dans le sens et l'esprit précis qu'il avait pour ses contemporains. Ce qui garde une valeur entièrement permanente, c'est ce qui, tout en étant universel, a été expérimenté, vécu et vu par une faculté plus haute que l'intellect,

C'est pourquoi je tiens pour peu important d'extraire de la Guîtâ l'exacte signification métaphysique qu'elle eut pour les hommes de son temps, à supposer qu'on puisse le faire avec précision. Que ce ne soit pas possible est prouvé par la divergence des commentaires originaux qui en ont été faits, et qui en sont encore faits de nos jours, car ils ne s'accordent que sur le désaccord de chacun avec tous les autres; chacun trouve dans la Guîtâ son propre système métaphysique et la tendance de sa propre pensée religieuse. Et même l'érudition la plus méticuleuse et la plus désintéressée, même les théories les plus lumineuses sur Se développement historique de la philosophie hindoue ne sauraient nous sauver de l'erreur inévitable. En revanche, ce que nous pouvons faire avec profil, c'est de rechercher dans la Guîtâ ce qu'elle contient de vérités vraiment vivantes, en dehors de leur forme métaphysique; c'est d'extraire de ce livre ce qui peut nous aider, nous ou le monde en général, et de le traduire dans la forme et l'expression les plus naturelles et les plus vivantes, qui soient adaptées à l'état d'esprit de l'humanité moderne et appropriées à ses besoins spirituels. Sans doute, dans cette tentative, il se peut que nous apportions un grand nombre d'erreurs, nées de notre propre individualité ou des idées composant notre climat intellectuel, comme cela est arrivé à de plus grands que nous; mais si nous nous plongeons

 

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dans l'esprit de ce grand livre, et surtout si nous essayons de vivre selon cet esprit, nous pouvons être sûrs d'y trouver autant de réelle vérité que nous sommes capables d'en recevoir, aussi bien que l'influence spirituelle et l'aide efficace que, personnellement, nous sommes destinés à y puiser. Et c'est à cela, somme toute, que les Écritures sont destinées; le reste n'est que dispute académique ou dogme théologique. Seuls continuent à être d'une importance vitale pour l'homme les livres, les religions, les philosophies qui peuvent ainsi être constamment renouvelés, revécus, dont la substance de permanente vérité peut constamment être reformée et développée dans la pensée plus profonde et l'expérience spirituelle d'une humanité qui se développe. Les autres livres ne demeurent qu'à titre de monuments du passé; ils n'ont plus de force réelle ou d'impulsion vitale pour l'avenir.

Dans la Guîtâ, il n'y a que fort peu de chose qui soit purement local ou temporaire: son esprit est si profond, si large et universel qu'on peut aisément universaliser même ce peu, sans que le sens de l'enseignement en subisse diminution ni violation; bien plutôt i! gagne en profondeur, vérité et force en recevant une portée plus large que s'il se limitait à cette seule contrée et cette seule époque. Souvent d'ailleurs le texte même suggère la plus ample portée qu'on peut donner de cette manière à une idée, en elle-même locale ou temporaire. Ainsi, la Guîtâ traite de l'ancienne idée et de l'ancien système hindous de sacrifice, comme d'un échange entre hommes et dieux, système et idée qui sont depuis longtemps en fait lombes en désuétude dans l'Inde même et qui n'offrent plus de réalité à l'esprit humain en général. Mais nous trouvons ici un sens si subtil, si figuré et symbolique donné au mol; "sacrifice", a la conception des dieux est si peu locale et mythologique, mais au contraire si purement cosmique et philosophique que nous pouvons aisément accepter ces deux termes comme l'expression d'un fait psychologique réel et comme une loi générale de la Nature, et ainsi les appliquer aux conceptions modernes d'échange de vie à vie, de sacrifice éthique et de don de soi, de manière à élargir et approfondir ces termes et à leur donner un aspect plus spirituel et la lumière d'une Vérité plus profonde et plus étendue. De

 

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même, l'idée de l'action en accord avec le Shâstra, l'institution des quatre castes sociales. l'allusion aux rapports entre elles de ces quatre castes, ou à l'infériorité spirituelle relative des shoûdras et des femmes, semblent à première vue être purement locales et temporaires et, si elles sont prises trop dans leur sens littéral, étroites au point de priver la leçon de la Guîtâ de son universalité et de sa profondeur spirituelle et de restreindre sa valeur pour l'humanité en général. Mais si, regardant au-delà du nom local et de l'institution passagère, nous cherchons à en saisir le sens et l'esprit, nous constatons qu'ici aussi le sens est profond et vrai, et l'esprit philosophique spirituel et universel. Par Shâstra nous nous apercevons que la Guîtâ entend la loi que l'humanité s'est imposée à elle-même pour remplacer l'action purement égoïste de l'homme naturel non régénéré et enrayer sa tendance à voir dans la satisfaction de ses désirs la mesure et l'objet de sa vie. Nous voyons aussi que cette quadruple organisation  de la société n'est que la forme concrète d'une vérité spirituelle qui est elle-même indépendante de cette forme; elle repose sur la conception du juste travail comme l'expression justement ordonnée de la nature de l'être individuel par qui le travail est exécuté, cette nature lui assignant sa ligne et son champ d'action conformément à ses qualités natives et à ses possibilités d'expression. Puisque tel est l'esprit dans lequel la Guîtâ présente ses exemples les plus particuliers et les plus locaux, nous sommes justifiés d'appliquer toujours le même principe et de rechercher, dans chaque cas, la vérité générale plus profonde qui, nous pouvons en être sûrs, est à la base de ce qui semble, à première vue, appartenir simplement à un lieu ou à on temps. Car nous découvrirons toujours qu'une vérité et un principe plus profonds sont impliqués dans la texture de la pensée, même s'ils ne sont pas expressément énoncés par les mots.

Nous ne traiterons pas dans un autre esprit des éléments du dogme philosophique ou de la foi religieuse, soit qu'ils pénètrent la Guîtâ, soit qu'ils s'y accrochent, par suite de l'usage des termes philosophiques et des symboles religieux courants en son temps. Quand la Guîtâ parle de Sânkhya et de Yoga, nous

 

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ne discuterons pas, au-delà des limites nécessaires à notre exposé, des rapports entre le Sânkhya selon la Guîtâ, caractérisé par son unique Pourousha et sa note si fortement védântique, et le Sânkhya, non théiste ou athée, qui est parvenu jusqu'à nous avec son système de multiples Pouroushas et d'une Prakriti unique. Nous ne discuterons pas longuement non plus des rapports du Yoga de la Guîtâ, si divers, subtil, riche et souple, avec la doctrine théiste et le svstème fixe, scientifique, rigoureusement: défini et gradué, du Yoga de Patandjali. Il est évident que, dans la Guîtâ, le Sânkhya et le Yoga ne sont que deux parties convergentes de la même vérité védântique, ou plutôt deux voies concurrentes menant à sa réalisation, l'une philosophique, intellectuelle et analytique, l'autre intuitive, dévotionnelle, pratique, éthique et synthétique et qui atteint ta connaissance par l'expérience. La Guîtâ n'admet pas de véritable différence dans leurs enseignements. El nous avons encore moins besoin de discuter les théories qui considèrent la Guîtâ comme le fruit d'une tradition ou d'un système religieux particuliers. Son enseignement est universel, quelles qu'aient pu en être les origines.

Le système philosophique de la Guîtâ, son exposé de la vérité, n'est pas la partie de son enseignement la plus vitale, la plus profonde, la plus éternellement durable; pourtant la plupart des matériaux dont le système est composé, les principales idées suggestives et pénétrantes qui sont tissées dans sa complexe harmonie on[ une valeur et une validité éternelles, car ce ne sont pas seulement de lumineuses idées ou de brillantes spéculations d'une intelligence philosophique, mais bien plutôt de durables vérités d'expérience spirituelle, des faits vérifiables de nos plus hautes possibilités psychologiques que nul ne peut prétendre ignorer, qui s'essaye à percer les plus profonds mystères de l'existence. Quel que puisse être ce système, il n'est pas, comme ses commentateurs s'efforcent de le présenter, composé avec l'intention de servir de support à telle école exclusive de pensée philosophique ni pour mettre en évidence le titres de telle forme de Yoga. Car le langage de la Guîtâ, la structure de sa pensée, la combinaison et l'équilibre des idées ne sont pas du

 

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tempérament d'un instructeur sectaire, ni de l'esprit d'une dialectique rigoureusement analytique découpant un pan de la vérité à l'exclusion des autres; on y trouve plutôt un mouvement d'idées, large, ondoyant, encerclant, qui révèle un vaste esprit et une riche expérience synthétiques. C'est une de ces grandes synthèses ou abonda la spiritualité de l'Inde, comme elle abonda aussi dans la création de mouvements intenses et exclusifs de connaissance et de réalisation religieuse qui poursuivent jusqu'au bout, en absolue concentration, un fil directeur, une voie jusqu'à son issue dernière, Cette œuvre ne tend pas à séparer et à opposer, mais à concilier et à unifier.

La pensée da la Guîtâ n'est pas pur monisme, quoiqu'elle voie dans le Moi unique, immuable, pur et éternel le fondement de toute existence cosmique; elle n'est pas davantage Mâyâvâda, omniprésente dans le monde créé: il ne s'agit pas non plus d'un monisme qualifie, quoiqu'elle consiste plutôt à ses yeux suprême Prakriti, manifestée sous la forme de djîva, et que l'état suprême de conscience spirituelle consiste plutôt à ses yeux dans la vie en Dieu que dans la dissolution. Sa pensée n'est pas davantage Sânkhya, quoiqu'elle explique le monde créé par le double principe Pourousha ci de Prakriti; elle n'est pas non plus un théisme visnouite quoiqu'elle nous présente Krishna, qui est suivanrt les Pourânas l'Avatâr de Vishnou, comme la Déité suprême et qu'elle ne reconnaisse au Brahman indéfinissable et sans relation aucune réelle supériorité de rang, due à une différence essentielle, sur ce Seigneur des êtres qui est le Maître de l'univers et l'Ami de toute créature. De même que la première synthèse spirituelle des Oupanishads. cette postérieure synthèse-ci, à la fois spirituelle et intellectuelle, évite naturellement toute détermination rigide qui limiterait son universelle compréhensive. Son but est précisément l'opposé de celui des commentateurs polémistes uni, trouvant ce Livre établi comme une des trois plus hautes autorités védântique, essayèrent d'en faire une arme défensive et offensive contre d'autres écoles ou d'autres systèmes que les leurs. La Guîtâ n'est pas faite pour servir d'arme au cours d'une dispute dialectique;

 

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elle est une porte ouverte sur le monde entier de la vérité et de l'expérience spirituelles; la vue qu'elle permet, embrasse toutes les provinces de cette suprême région; elle en trace la carte, mais ne la découpe pas en fragments et ne construit ni murs ni haies pour limiter notre vision.

Il y a eu d'autres synthèses dans la longue histoire de la pensée hindoue. La première fut: la synthèse védique de l'être psychologique de l'homme dans ses plus hauts essors et ses plus vastes atteintes de divine connaissance, de pouvoir, de joie, de vie et de gloire, avec l'existence cosmique des dieux, synthèse poursuivie par-delà les symboles de l'univers matériel sur ces plans supérieurs qui sont cachés aux sens physiques et à la mentalité matérielle. Le couronnement de cette synthèse fut, selon l'expérience des rishis védiques, quelque chose de divin, de transcendant et de béatifique, dans l'unité de quoi l'âme grandissante de l'homme et l'éternelle plénitude divine des dieux cosmiques se rencontrèrent parfaitement et trouvèrent leur accomplissement. Les Oupanishads reprirent cette expérience culminante des premiers voyants et en firent le point de départ d'une haute et profonde synthèse de connaissance spirituelle. Ils rassemblèrent en une grande harmonie tout ce qui avait été vu et expérimenté durant une riche et fertile période de recherches spirituelles par ceux qui, inspirés et libérés, connurent l'Éternel. La Guîtâ part de cette synthèse védântique et sur le fondement de ses idées essentielles construit une nouvelle harmonie réunissant les trois grands moyens et pouvoirs : amour, connaissance et action, par lesquels l'âme humaine peut directement approcher l'Éternel et s'y fondre. Il y en a encore une autre, la tantrique¹ qui, quoique moins subtile et spirituellement moins profonde, est plus hardie encore et plus puissante que la synthèse de la Guîtâ; car se saisissant même des obstacles qui s'opposent à la vie spirituelle, elle les contraint à devenir les moyens d'une conquête spirituelle plus riche; elle nous met à même d'embrasser dans notre horizon divin la

 

¹Il faut se rappeler que toute la tradition des Pourânas tire du Tantra la richesse de son contenu.

 

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totalité de la vie comme la divine lîlâ¹. Et, dans certaines directions, elle est plus immédiatement riche et féconde, car elle fait passer au premier plan, non seulement la connaissance divine, les œuvres divines et une dévotion enrichie d'amour divin, mais aussi les secrets du Hatha-Yoga et du Râdja-Yoga, c'est-à-dire l'emploi du corps et de l'ascèse mentale pour la révélation de la vie divine sur tous ses plans, à quoi la Guîtâ ne prête attention qu'en passant et par manière d'acquit. De plus, cette synthèse tantrique essaye de s'emparer de la notion de la divine perfectibilité de l'homme que possédaient les rishis védiques, mais que les âges intermédiaires ont refoulée dans l'ombre, notion destinée à remplir une si large place dans toute synthèse future de la pensée, de l'expérience et des aspirations humaines.

Nous qui sommes du jour que se lève, nous nous tenons en tête d'un nouvel âge de développement qui doit conduire à une synthèse nouvelle et plus large. Nous ne sommes pas obligés d'être des orthodoxes védântique de l'une des trois écoles, ni des tantriques, ni d'adhérer à l'une des religions théistes du passé, ni de nous retrancher derrière les quatre murs de l'enseignement de la Guîtâ. Ce serait nous limiter nous-mêmes, ce serait essayer de construire notre vie spirituelle à l'aide de l'être, de la connaissance et de la nature d'autres hommes, d'hommes du passé, au lieu de l'édifier à l'aide de notre être propre et de nos propres possibilités. Nous n'appartenons pas aux aurores passées, mais aux midis de demain.

Une masse de nouveaux éléments nous pénètre; nous avons non seulement à assimiler les influences des grandes religions théistes de l'Inde et du monde, ainsi que la compréhension retrouvée de la signification du bouddhisme, mais aussi à  tenir pleinement compte des révélations, puissantes quoique limitées, de la connaissance et de la recherche modernes; outre cela, le lointain passé sans âge, qui semblait mort, revient sur nous, resplendissant de nombreux et lumineux secrets depuis longtemps perdus pour la conscience humaine, et qui réapparaissent de derrière le voile. Tout cela indique une nouvelle synthèse très

 

¹Le Jeu cosmique

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vaste et très riche. Une nouvelle harmonisation, au large horizon, de tous nos gains est une nécessité à la fois intellectuelle et spirituelle de l'avenir. Mais de même que les synthèses du passé ont pris comme point de départ celles qui les avaient précédées, de même celle de l'avenir, pour être sur un terrain solide, doit procéder de ce qu'ont laissé, dans le passé, les grands corps de pensée et d'expérience spirituelles réalisées. Parmi ceux-ci la Guîtâ occupe une place des plus importantes

Donc notre objet, en étudiant la Guîtâ, ne sera pas un examen scolastique ou académique de sa pensée, ni une recherche de la place qu'occupe sa philosophie dans l'histoire de la spéculation métaphysique, pas plus que nous n'en traiterons à la manière d'un dialecticien analytique Nous t'approchons pour y trouver aide et lumière, et notre but est d'en extraire le message essentiel et vivant, ce que l'humanité doit en saisir pour son perfectionnement et sa plus haute prospérité spirituelle.

 

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