Essais sur la Guîtâ

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Sri Aurobindo

Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Essays On The Gita Vol. 13 576 pages 1970 Edition
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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.

French Translations of books by Sri Aurobindo Essais sur la Guîtâ 675 pages 2008 Edition
French Translation
Translators:
  Archaka
  Pavitra
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VIII

 

Dieu En Pouvoir De Devenir

 

Une étape très importante a été atteinte; un exposé décisif de sa synthèse métaphysique et psychologique a été ajouté au développement de l'évangile, selon la Guîtâ, de la libération spirituelle et des œuvres divines. Le Divin a été révélé dans la pensée à Ardjouna, rendu visible à la quête du mental et à la vision du cœur comme l'Être suprême et universel, la Personne céleste et universelle, le Maître de notre existence qui réside au-dedans et que cherchaient la connaissance, la volonté et l'adoration de l'homme dans les brumes de l'Ignorance. Il ne reste plus que la vision du Virât Pourousha multiple pour que la révélation soit complète sur encore un de ses nombreux aspects.

La synthèse métaphysique est complète. Le Sânkhya a été admis pour la séparation de l'âme d'avec la nature inférieure — séparation devant s'effectuer par la connaissance de soi au moyen de la raison discriminante et par la transcendance de notre sujétion aux trois gounas qui constituent cette nature. Une vaste révélation de l'unité de l'Âme suprême, et de la suprême Nature, para pourousha, para prakriti, y a mis un point final et en a dépassé les limitations. Le Védânta des philosophes a été admis pour l'effacement de la personnalité naturelle séparatrice édifiée autour de l'ego. On a recouru à sa méthode pour remplacer le petit être personnel par l'être impersonnel et vaste, pour annuler en l'unité du Brahman l'illusion séparatrice et substituer à l'aveugle vision de l'ego la vision plus vraie de toute chose en un Moi unique et d'un Moi unique en toute chose. Sa vérité s'est trouvée parachevée grâce à l'impartiale révélation du Parabrahman, origine à la fois du mobile et de l'immobile, du mutable et de l'immuable, de l'action et du silence. Ses possibles limitations ont été transcendées par l'intime révélation de l'Âme suprême, du suprême Seigneur, qui a son devenir ici-bas en toute la Nature, se manifeste en toute personnalité et projette en toute action le pouvoir de sa Nature. On a admis le Yoga

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pour la soumission de la volonté, du mental, du cœur, de tout l'être psychologique à l' Îshwara, le divin Seigneur de la nature.. La révélation du céleste Maître de l'existence comme Divin originel dont le djîva est l'être partiel dans la nature en a fourni la conclusion. La vision, par l'âme, que toute chose, à la lumière d'une parfaite unité spirituelle, est le Seigneur en a dépassé les limitations possibles.

Il en résulte une vision intégrale de l'Existant divin à la fois comme Réalité transcendante, origine supracosmique du cosmos, comme Moi impersonnel de toute chose, calme réceptacle du cosmos, et comme Divinité immanente en tous les êtres, personnalités, objets, pouvoirs et qualités, l'Immanent qui est le Moi constitutif, la nature effective, le devenir intérieur et extérieur de toutes les existences. Le Yoga de la connaissance a été souverainement accompli en cette vision et cette science intégrales de l'Un. Le Yoga des œuvres a été couronné par la soumission de toutes les œuvres à leur Maître car l'homme naturel n'est à présent qu'un instrument de sa volonté. Le Yoga de l'amour et de l'adoration a été déclaré en ses formes les plus amples. L'intense accomplissement de la connaissance, des œuvres et de l'amour conduit à une union, qui est un couronnement, de l'âme et de la Sur-Âme en une suprême amplitude. Dans cette union, les révélations de la connaissance sont rendues réelles pour le cœur autant que pour l'intelligence. Dans cette union, le difficile sacrifice de soi en une action instrumentale devient l'expression aisée, libre et bienheureuse d'une vivante unité. Toute la méthode de la libération spirituelle a été donnée; toute la base de l'action divine édifiée.

Ardjouna accepte l'entière connaissance que lui a ainsi donnée l'Instructeur divin. Son mental est déjà délivré de ses doutes et de ses poursuites; son cœur, à présent tourné non plus vers l'aspect extérieur du monde et son apparence déconcertante, mais vers son sens et son origine suprêmes et ses réalités intérieures, est déjà affranchi du chagrin et de l'affliction, et touché par l'ineffable bonheur d'une révélation divine. La langue qu'on lui fait parler pour formuler son consentement est telle qu'une fois de plus elle souligne avec insistance la profonde intégralité

 

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de cette connaissance ainsi que sa finalité et sa plénitude universelles. D'abord, il accepte l'Avatâr, le Divin en l'homme, qui lui parle, et il L'accepte comme le Brahman suprême, le Tout et l'Absolu supracosmiques de l'existence où l'âme peut résider lorsque, s'élevant hors de cette manifestation et de ce devenir partiel, elle regagne sa source, param brahma, param dhâma. Il L'accepte en tant que suprême pureté de la toujours libre Existence à laquelle on parvient en effaçant l'ego dans l'immuable personnalité à jamais calme et silencieuse du moi, pavitram paramam. Il L'accepte ensuite comme le Permanent unique, l'Âme éternelle, le divin Pourousha, pourousham shâshwatam divyam. Il salue en Lui la Divinité originelle, en Lui adore le Non-Né, maître immanent de toutes les existences, qui imprègne et s'épand, âdi-dévam adjam vibhoum. Il L'accepte dès lors non seulement comme le Merveilleux qui dépasse toute expression possible, car rien ne suffit pour Le manifester "ni les dieux ni les titans, ô bienheureux Seigneur, ne connaissent Ta manifestation", na hi té bhagavan vyaktim vidour dévâ na dânavâh —, mais comme le seigneur de toutes les existences et l'unique et divine cause efficiente de tout leur devenir, Dieu des dieux de qui ont jailli toutes les divinités, maître de l'univers qui, d'en haut, manifeste l'univers et le gouverne par le pouvoir de sa Nature suprême et de sa Nature universelle, bhoûta-bhâvana bhoûtésha déva-déva djagat-paté. Et enfin, il accepte en Lui ce Vâsoudéva qui, au-dedans et autour de nous, est toutes les choses ici-bas par la vertu des maîtres pouvoirs de son devenir, pouvoirs qui imprègnent le monde, résident en tout et constituent tout, vibhoûtayah, "les souverains pouvoirs du devenir, par lesquels, immobile, tu pénètres ces mondes", yâbhir vibhoûtibhir lôkan imâns twam vyâpya tishthasi¹.

Il a accepté la vérité avec l'adoration de son cœur, la soumission de sa volonté et la compréhension de son intelligence. Il est déjà préparé pour agir en instrument divin dans cette connaissance et avec cette soumission. Mais le désir d'une réalisation spirituelle constante et plus profonde a été éveillé en son cœur

 

¹Guîtâ, X. 12-15.

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et sa volonté. Cette vérité-là n'est évidente que pour l'Âme suprême en sa connaissance de soi car, s'écrie Ardjouna, "Toi seul, ô Pouroushôttama, Te connais Toi-même et par Toi-même Te connais", âtmanâ âtmânam vettha. C'est une connaissance

qui vient de l'identité spirituelle; le cœur, la volonté, l'intelligence de l'homme naturel ne peuvent y atteindre sans aide ni de leur propre mouvement, ils ne peuvent arriver qu'à des reflets mentaux imparfaits qui révèlent moins qu'ils ne cachent et ne  défigurent. C'est une sagesse secrète que l'on doit recevoir de la bouche des voyants qui ont vu la face de cette Vérité, en ont entendu le Verbe et sont devenus un avec elle en âme et en esprit. "Tous les rishis le disent de Toi, ainsi que les voyants divins, Nârada, Asita, Dévala, Vyâsa." Ou bien on doit la recevoir du dedans par la révélation et l'inspiration venues du Divin intérieur qui élève en nous la lampe flamboyante de la connaissance, swayantchaïva bravîshi mé, "et Toi-même me le dis". Une fois révélée, on doit l'accepter par l'assentiment du mental, le consentement de la volonté ainsi que la joie et la soumission du cœur, les trois éléments de la foi mentale complète, shraddhâ. C'est ainsi qu'Ardjouna l'a acceptée : "Tout cela que Tu dis, mon mental le tient pour la vérité." Mais le besoin n'en demeurera pas moins d'une plus profonde possession en l'être même de notre être et, venant de son centre psychique le plus intime, l'exigence de l'âme en vue d'une réalisation spirituelle inexprimable et permanente l'expérience mentale n'en est qu'un préambule ou une ombre sans laquelle il ne peut exister d'union complète avec l'Éternel.

Le moyen d'accéder à cette réalisation a maintenant été donné à Ardjouna. Et tant qu'il s'agit des grands principes divins évidents en soi, son mental n'est point déconcerté, qui peut s'ouvrir à l'idée du Divin suprême, à l'expérience du Moi immuable, à la perception directe de la Divinité immanente, au contact de l'Être conscient universel. Une fois que cette idée illumine le mental, on peut aisément suivre le chemin et, quelque difficile effort qu'il faille faire au début pour dépasser les perceptions mentales habituelles, on peut en fin de compte arriver à l'expérience spontanée de ces vérités essentielles qui se

 

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trouvent derrière notre existence et toutes les autres, âtmanâ âtmânam. On le peut aisément car, une fois conçues, ces vérités sont de toute évidence des réalités divines; il n'y a rien dans nos associations mentales qui nous empêche d'admettre Dieu en ces aspects élevés. Mais le problème est de le voir dans les vérités apparentes de l'existence, de le détecter dans ce fait qu'est la Nature et dans les déguisements que sont les phénomènes du devenir universel; car là, tout s'oppose à la sublimité de cette conception unificatrice. Comment pouvons-nous consentir à voir le Divin comme homme, comme être animal et comme objet inanimé, dans le noble et le bas, dans le doux et le terrible, le bon et le mauvais? Si, acceptant une idée de Dieu répandu dans les choses du cosmos, nous le voyons dans la lumière idéale de la connaissance, dans la grandeur du pouvoir, le charme de la beauté, la bienfaisance de l'amour et l'ample vastitude de l'esprit, comment éviterons-nous que l'unité ne soit rompue par leurs opposés qui, en fait, s'accrochent à ces choses élevées, les enveloppent et les obscurcissent? Et si, en dépit des limitations de la nature et du mental humains, nous pouvons voir Dieu dans l'homme de Dieu, comment le voir dans ceux qui s'opposent à lui et qui représentent, en acte et en nature, tout ce qui, pour notre conception, est non divin? Si Nârâyana se laisse voir sans mal dans le sage et le saint, comment nous sera-t-il aisé de le voir dans le pécheur, le criminel, la prostituée et le paria? Cherchant partout la pureté et l'unité suprêmes, le sage renvoie le cri austère "pas ceci, pas ceci", néti néti, à toutes les différenciations de l'existence universelle. Même si nous consentons, de gré ou de force, à bien des choses dans le monde et que nous admettions le Divin dans l'univers, le mental ne doit-il pas, quand même, persister le plus souvent dans ce cri "pas ceci, pas ceci"? L'assentiment de la compréhension, le consentement de la volonté et la foi du cœur deviennent ici une difficulté constante pour une mentalité humaine toujours ancrée dans le phénomène et l'apparence. Du moins quelques indications irrésistibles sont-elles nécessaires, quelques chaînons et quelques transitions, quelques supports dans le pénible effort vers l'unité.

Bien qu'il accepte la révélation que Vâsoudéva est tout et

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bien que son cœur en soit empli de joie car il trouve déjà que cette révélation le délivre de la perplexité et des trébuchantes différenciations de son mental qui réclamait à cor et à cri un fil conducteur, une vérité qui pût le guider parmi les problèmes déroutants d'un monde d'oppositions, et elle est pour son oreille le nectar d'immortalité, amritam —, Ardjouna éprouve cependant le besoin de ces supports et de ces indices. Il sent qu'ils sont indispensables pour surmonter la difficulté que présente une réalisation solide et complète; par quel autre moyen, en effet, peut-on faire de cette connaissance une chose du cœur  et de la vie? Il veut des indications pour se diriger et va jusqu'à demander à Krishna une énumération complète et détaillée des pouvoirs souverains de son devenir et désire que la vision ne laisse rien de côté, que rien ne demeure pour le désorienter. "Tu dois me parler, dit-il, de Ta divine auto-manifestation en Ton souverain pouvoir de devenir, divyâ âtma-vibhoûtayah, tout m'expliquer sans exception ashéshéna, sans rien omettre -, Tes vibhoûtis par lesquelles Tu pénètres les mondes et 1es peuples. Comment Te connaîtrai-je, ô yogi, en pensant à Toi en tout lieu et à tout moment, et en quels devenirs prééminents dois-je penser à Toi?" Ce Yoga par lequel Tu es un avec tout et un en tous et par lequel tous sont les devenirs de Ton être, tous des pouvoirs perméants ou prééminents ou déguisés de Ta nature, parle-m'en en détail, dis-m'en toute l'ampleur, s'exclame-t-il; même si j'en entends beaucoup parler, je ne suis point rassasié. Nous avons ici l'indication de quelque chose que' la extérieur elle-même ne formule pas expressément, mais qui apparaît souvent dans les Oupanishads et que le vaïshnavisme et le shaktisme développèrent plus tard en une plus grande intensité de vision, la joie du Divin que l'homme peut trouver dans l'existence cosmique, l'universel Ânanda, le jeu de la Mère, la douceur et la beauté de la lîlâ de Dieu¹.

L'Instructeur Divin accède à la requête du disciple, mais en lui rappelant d'entrée de jeu qu'une réponse complète n'est pas possible. Car Dieu est infini, et sa manifestation aussi, Les

 

¹X. 16-18.

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formes de sa manifestation sont d'autre part innombrables. Chaque forme est le symbole d'un pouvoir divin, vibhoûti, qui y est caché; et pour l'œil qui voit, chaque forme finie porte en elle sa propre révélation de l'infini. Oui, dit-il, Je te parlerai de Mes divines vibhoûtis, mais seulement dans quelques-unes de Mes figures majeures, à titre d'indication et par l'exemple de choses ou tu puisses le plus facilement voir la puissance du Divin, prâdhânyatah, ouddéshatah. Car il n'est point de fin ni de nombre à la façon dont le Divin détaille son auto-expansion dans l'univers, nâsti anto vistarasya me. Ce rappel ouvre le passage et il est répété à la fin, de façon que lui soit donnée une force plus grande sur le sens de laquelle on ne puisse se tromper. Puis, tout le reste du chapitre¹ nous fournit une description sommaire de ces indications principales, de ces signes prééminents de la force divine présente en les choses et les personnes de l'univers. Il semble d'abord qu'ils soient donnés pêle-mêle, sans aucun ordre, mais il y a toutefois un certain principe dans l'énumération qui, une fois dégagé, peut conduire par une utile direction au sens intérieur de l'idée et de ses conséquences. On a appelé le chapitre le vibhoûti-yoga un yoga indispensable. En effet, lors même que nous devons nous identifier impartialement avec le Devenir divin universel en tout son déploiement, son bien et son mal, sa perfection et son imperfection, sa lumière et son obscurité, il nous faut réaliser qu'il y existe un pouvoir évolutif ascendant, une croissante intensité de sa révélation dans les choses, un quelque chose de hiérarchique et de secret qui, depuis les premières apparences qui dissimulent, nous emporte vers les hauteurs, vers la vaste nature idéale du Divin universel en passant par des formes de plus en plus élevées.

L'énumération sommaire commence par un exposé du principe premier qui sous-tend tout le pouvoir de cette manifestation dans l'univers. Ce principe est qu'en chaque être et chaque objet réside Dieu, celé mais décelable; il demeure comme en une crypte dans le mental et le cœur de chaque chose et de

 

1Guîtâ, X. 19-42.

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chaque créature, moi intérieur au profond de leur devenir subjectif et objectif, être qui se trouve au début, au milieu, et à la fin de tout ce qui est, a été ou sera. Car c'est ce divin Moi intérieur caché au mental et au cœur qu'il occupe, ce lumineux Habitant dissimulé au regard de l'âme dans la Nature qu'il a émise en celle-ci pour le représenter, c'est lui qui, constamment, développe les mutations de notre personnalité dans le Temps et de notre existence d'êtres de sensations dans l'Espace le Temps et l'Espace qui sont le mouvement conceptuel et l'expansion du Divin en nous. Tout est cette Âme qui se voit, cet Esprit qui se représente. Car toujours du dedans de tous les êtres, du dedans de toutes les existences conscientes et inconscientes, ce Tout-conscient développe en qualité et en puissance son moi manifesté, le développe dans les formes des objets, dans les instruments de notre subjectivité, dans la connaissance, la parole et la pensée, dans les créations du mental et dans la passion et les actes de l'exécutant, dans les mesures du Temps, dans les pouvoirs et les divinités cosmiques et dans les forces de la Nature, dans la vie végétale, la vie animale, dans les êtres humains et surhumains.

Si nous regardons les choses avec cet œil de la vision que n'aveuglent point les différenciations de qualité et de quantité ni  les différences de valeur et les oppositions de nature, nous verrons que toutes sont en fait et ne peuvent rien être d'autre que des pouvoirs de cette manifestation, des vibhoûtis de cette Âme universelle, de cet Esprit universel, un Yoga de ce grand Yogi, des créations spontanées de ce merveilleux Créateur de soi. Non né, imprégnant tout, il est le Maître de ses innombrables devenirs dans l'univers, adjo vibhouh; toutes choses sont ses pouvoirs et ses accomplissements dans sa Nature essentielle, ses vibhoûtis. Il est l'origine de tout ce qu'elles sont, leur commencement; il est leur support en leur étant toujours différent, leur milieu; il est leur fin aussi, la culmination ou la désintégration de chaque chose créée en son arrêt ou sa disparition. Il les tire de sa conscience et, en elles, est caché; il les ramène en sa conscience et, en lui, elles sont cachées pour un temps ou à jamais. Ce qui, pour nous, est apparence n'est qu'un pouvoir du devenir de

 

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l'Un; ce qui disparaît à nos sens et à notre vision le fait de par ce pouvoir du devenir de l'Un. Les classes, les genres, les espèces, les individus sont tous de telles vibhoûtis. Mais étant donné que c'est grâce au pouvoir dans son devenir qu'il nous est apparent, il apparaît surtout dans tout ce qui est d'une valeur prééminente ou qui semble agir avec une force puissante et prééminente. Et dès lors pour chaque espèce d'êtres, c'est en ceux en qui le pouvoir propre à la nature de cette espèce atteint son maximum, sa manifestation capitale, celle qui se révèle le plus efficacement, que nous pouvons le mieux le voir. Ce sont là, dans un sens spécial, des vibhoûtis. Le pouvoir et la manifestation les plus élevés ne sont toutefois qu'une très partielle révélation de l'Infini; l'univers tout entier n'est lui-même animé que d'un seul degré de sa grandeur, illuminé que d'un seul rayon de sa splendeur, ne rayonne que d'un faible soupçon de sa joie et de sa beauté. Tel est en somme l'essentiel de l'énumération, le résultat que nous en emportons, le cœur de sa signification.

Dieu est le Temps impérissable, sans commencement ni fin; c'est son plus évident Pouvoir de devenir et l'essence de tout le mouvement universel. Aham éva akshayah kâlah. Dans ce mouvement de Temps et de Devenir, Dieu apparaît à la conception QU à l'expérience que nous avons de lui par l'évidence de ses œuvres comme le Pouvoir divin qui ordonne toutes choses et les met à leur place dans le mouvement. Sous sa forme d'espace, c'est lui qui nous fait face dans toutes les directions, avec ses millions de corps, ses myriades mentales, manifesté en chaque existence; nous voyons ses visages tout autour de nous. Dhâtâ'ham vishwatô-moukhah. Car simultanément, dans tous ces millions de millions de personnes et de choses, sarva-bhoûtéshou, est à l'oeuvre le mystère de son moi, de sa pensée et de sa force, de son divin génie créateur et de son merveilleux art formateur, de son sens impeccable de la disposition des relations, des possibilités et des conséquences inévitables. Il nous apparaît aussi dans l'univers comme l'esprit universel de Destruction qui semble ne créer que pour défaire à la fin ses créations — "Je suis la Mort qui emporte tout", aham mrityouh sarva-harah. Et pourtant, son Pouvoir de devenir n'interrompt

 

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point ses œuvres, car la renaissance et la force de création nouvelle vont toujours de pair avec la force de mort et de destruction "et Je suis également la naissance de tout ce qui viendra au monde". Le Moi divin dans les choses est l'Esprit, qui soutient, du présent; l'Esprit, qui se retire, du passé; l'Esprit, qui crée, de l'avenir.

Puis, d'entre tous ces êtres vivants, ces divinités cosmiques, ces créatures surhumaines, humaines et sub-humaines, et parmi toutes ces qualités, tous ces pouvoirs et tous ces objets, le chef, la tête, le plus grand de chaque classe en qualité est un pouvoir particulier du devenir du Divin. Je suis, dit le Divin, Vishnou d'entre les âdityas, Shiva d'entre les roudras, Indra d'entre les dieux, Prahlâda d'entre les titans, Brihaspati le chef des grands-prêtres du monde, Skanda le dieu de la guerre, chef des chefs guerriers, Marîtchi d'entre les marouts, le seigneur de la richesse d'entre les yakshas et les rakshas, le serpent Ananta d'entre les nâgas, Agni d'entre les vasous, Tchitraratha d'entre les gandharvas, et d'entre les progéniteurs Kandarpa le dieu de l'amour et Varouna d'entre les peuples de la mer, Aryaman d'entre les pères, intégrales d'entre les sages divins, Yama le seigneur de la Loi d'entre ceux qui maintiennent la règle et la loi, le dieu du Vent d'entre les pouvoirs de l'orage. A l'autre extrémité de l'échelle, Je suis le soleil rayonnant d'entre les lumières et les splendeurs, la lune d'entre les astres de la nuit, l'océan d'entre les eaux vives, le mont Mérou d'entre les cimes du monde, l'Himalaya d'entre les chaînes de montagnes, le Gange d'entre les fleuves, le foudre divin d'entre les armes. D'entre toutes les plantes et tous les arbres, Je suis l'Ashwattha, d'entre les chevaux Outchaïshravas, le cheval d'Indra, Aïrâvata d'entre les  éléphants, d'entre les oiseaux Garouda, d'entre les serpents  Vâsouki le dieu serpent, Kâmadhouk la vache d'abondance  d'entre les bestiaux, l'alligator d'entre les poissons, le lion  d'entre les bêtes de la forêt. Je suis Mârgashîrsha, le premier des  mois; Je suis le printemps, la plus belle des saisons.

Dans les êtres humains, dit le Divin à Ardjouna, Je suis la conscience par laquelle ils sont conscients d'eux-mêmes et de ce qui les entoure. D'entre les sens, Je suis le mental, le mental par

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lequel ils reçoivent les impressions des objets et agissent dessus. Je suis les qualités de leur mental, de leur caractère, de leur corps et de leur action; Je suis la gloire, la parole et la mémoire, l'intelligence, la fermeté et le pardon, l'énergie de l'énergique et la force du puissant. Je suis la résolution, la persévérance et la victoire. Je suis la qualité sattwique des bons, Je suis le goût du risque du rusé; Je suis la maîtrise et le pouvoir de tous ceux qui gouvernent, domptent et vainquent, et la politique de tous ceux qui réussissent et conquièrent; Je suis le silence des choses secrètes, la connaissance du connaissant, la logique des discuteurs. Je suis la lettre A d'entre les lettres, le duel d'entre les composés, la syllabe sacrée ÔM d'entre les mots, la gâyatrî d'entre les mètres, le Sâma-Véda d'entre les Védas et le grand Sâma d'entre les mantras. Je suis le Temps, maître de tout calcul pour ceux qui comptent et mesurent. Je suis la connaissance spirituelle d'entre le nombre des philosophies, des arts et des sciences. Je suis tous les pouvoirs de l'être humain et toutes les énergies de l'univers et de ses créatures.

Ceux en qui Mes pouvoirs s'élèvent aux suprêmes hauteurs de l'accomplissement humain, ceux-là sont Moi, toujours, sont Mes vibhoûtis particulières. D'entre les hommes, Je suis le roi des hommes, le chef, le puissant, le héros. Je suis Rama d'entre les guerriers, Krishna d'entre les Vrishnis, Ardjouna d'entre les vibhoûtibhir Le rishi illuminé est Ma vibhoûti; Je suis Bhrigou d'entre les grands rishis. Le grand voyant, le poète inspiré qui voit et révèle la vérité par la lumière de l'idée et le son du mot, est Moi-même lumineux en le mortel; Je suis Oushanas d'entre les poètes visionnaires. D'entre les hommes, le grand sage, le grand penseur, le grand philosophe est Mon pouvoir, Ma vaste intelligence; Je suis Vyâsa d'entre les sages. Mais quelque varié qu'en soit le degré dans la manifestation, tous les êtres sont à leur façon et dans leur nature des pouvoirs du Divin; il n'est rien de ce qui se meut ou de ce qui est immobile, rien d'animé ou d'inanimé dans le monde qui puisse être sans Moi. Je suis la semence divine de toutes les existences, et elles sont les branches et les fleurs de cette semence; cela qui se trouve en la semence du moi, c'est cela seulement qu'elles peuvent développer

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dans la Nature. Il n'est point de nombre ni de limite à Mes divines vibhoûtis; ce que J'ai dit n'est rien de plus qu'un développement sommaire, et Je n'ai donné que la lumière de quelques indications directrices et qu'une forte ouverture à d'infinies vérités. Toute belle et glorieuse créature que tu vois dans le monde, tout être qui, d'entre les hommes, au-dessus de l'homme et au-dessous de lui, est puissant et plein de force, sache qu'il est de Moi, précisément, une splendeur, une lumière et une énergie, qu'il est né d'une puissante portion et d'un  intense pouvoir de Mon existence. Mais quel besoin est-il d'une  multitude de détails pour cette connaissance? Qu'il en soit ainsi  pour toi : Je suis ici dans ce monde et partout, Je suis en tout et  Je constitue tout : il n'y a rien d'autre que Moi, rien n'existe sans Moi. Je supporte tout cet univers avec un seul degré de Mon  illimitable puissance et une part infinitésimale de Mon esprit  insondable; tous ces mondes ne sont que des étincelles, des suggestions, des lueurs de l'éternel et immesurable Je Suis.  

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