Essais sur la Guîtâ

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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Essays On The Gita Vol. 13 576 pages 1970 Edition
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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.

French Translations of books by Sri Aurobindo Essais sur la Guîtâ 675 pages 2008 Edition
French Translation
Translators:
  Archaka
  Pavitra
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VII

 

LA FOI DU GUERRIER ARYEN*

 

Au premier flot de l'examen de conscience passionné d'Ardjouna, à sa répugnance du massacre, à son sentiment de douleur et de péché, a son affliction devant une vie vide et désolée et à sa prévision des mauvais résultats d'une mauvaise action, l'Instructeur divin répond par un blâme sévère. Ces diverses réactions ne sont, lui dit-il, que confusion d'esprit et illusion, que faiblesse de cœur et pusillanimité, qu'une déchéance de la virilité du guerrier et du héros. Elles ne conviennent pas au fils de Prithâ : jamais ainsi le champion et le principal espoir d'une juste cause ne devrait l'abandonner à l'heure de la crise et du danger, ni tolérer que la stupeur de son cœur et de ses sens, l'obscurcissement de sa raison, l'effondrement, de sa volonté le trahissent jusqu'à lui faire déposer ses armes divines et refuser l'œuvre à lui confiée par Dieu. Ce n'est pas là l'attitude approuvée et adoptée par l'homme aryen : cette sombre humeur ne vient pas du ciel et ne peut y conduire, et sur terre elle est une déchéance de la gloire qui est réservée au courage, à l'héroïsme et aux nobles actions. Qu'il rejette loin de lui cette pitié molle et; égoïste, qu'il se lève ci qu'il écrase ses ennemis.

C'est là, dirions-nous, la réponse d'un héros à un héros, mais non celle d'un Instructeur divin à son disciple; nous nous attendrions plutôt à ce qu'il l'encourageât constamment à la bonté, à la sainteté, à l'abnégation et à ce qu'il le détournât des buts et des voies du monde. Or la Guîtâ dit expressément qu'Ardjouna vient de glisser ainsi dans une basse faiblesse, "les yeux pleins de détresse et de larmes, le cœur vaincu par la tristesse et le découragement", parce qu'il est envahi par la pitié, kripayâvishtam. N'est-ce donc pas une faiblesse divine? La pitié n'est-elle pas une émotion divine qu'on ne devrait pas décourager par un blâme si dur? Ou bien sommes-nous simplement  

 

*Guîtâ, II. 1-38

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devant un évangile de la guerre et de l'héroïsme, une foi nietzschéenne dans la puissance et la force hautaine, une leçon de cette dureté hébraïque ou teutonique qui tient la pitié pour une faiblesse et approuve le héros norvégien qui rend grâce à Dieu de lui avoir donné un cœur dur? Mais l'enseignement de la Guîtâ émane d'une foi indienne, et l'esprit indien a toujours placé la compassion parmi les cléments les plus grands de la nature divine. L'Instructeur énumère lui-même dans un chapitre postérieur les qualités de ce qui est -semblable au Divin dans la nature humaine et cite parmi elles la compassion envers les créatures, la bonté, la libération de la colère et de l'envie de tuer et de blesser, tout autant que l'intrépidité, l'entrain et l'énergie. Par contre, la brutalité, la dureté, la cruauté, la satisfaction de tuer ses ennemis et d'amasser iniquement des richesses et des possessions, sont des qualités asouriques; elles proviennent de la nature violente du titan qui nie le Divin dans le monde et le Divin dans l'homme et qui n'adore comme seule divinité que le Désir, Ce n'est donc pas d'un pareil point de vue que la faiblesse Ardjouna mérite le blâme.

"D'où t'est venue cette faiblesse, cette honte, cette obscurité de l'âme à l'heure de la difficulté ci du péril?" demande Krishna à Ardjouna Cette question fait entrevoir la vraie nature de ce qui a fait dévier Ardjouna de ses qualités héroïques. Il y a une divine compassion qui descend en nous d'en haut; mais pour l'homme dont la nature ne la possède pas et n'a pas été formée dans son moule, de prétendre qu'il est l'homme supérieur, le maître-homme ou le surhomme, c'est une folie, une insolence, car celui-là seul est le surhomme qui manifeste le mieux la plus haute nature du Divin dans l'humanité. Cette compassion observe avec amour, sagesse ci calme vigilance la bataille et la lutte, la force et la faiblesse de l'homme, ses vertus et ses vices, ses pies et ses souffrances, sa science et son ignorance, sa sagesse et sa folie, ses aspirations et ses chutes, et elle intervient en tout pour aider et guérir. Dans le saint et le philanthrope elle peut prendre la forme de la plénitude de l'amour ou de la charité; dans le penseur et le héros, elle assume l'ampleur et la puissance d'une sagesse et d'une force secourables. Dans le

 

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guerrier aryen, c'est cette compassion, âme de sa chevalerie, qui refuse de briser le roseau meurtri, mais aide et protège le faible as et l'opprimé, !c blessé et le vaincu. Mais c'est aussi la divine compassion qui renverse le dur tyran et l'oppresseur présomptueux, non pas dans un geste de colère et de haine car celles-ci ne sont pas de hautes qualités divines, et la colère de Dieu contre le pécheur, la haine de Dieu pour le méchant sont des fictions de croyances à demi éclairées, tout autant que les tortures externes des enfers que ces croyances ont inventées -, mais, comme l'a compris clairement l'ancienne spiritualité indienne, avec autant d'amour et de compassion pour le puissant titan égaré par sa force et mis à mort pour ses péchés, que pour  les malheureux opprimés qu'il s'agit de sauver de sa violence et de son injustice. 

Mais telle n'est pas !a compassion qui pousse Ardjouna à rejeter son œuvre et sa mission. Ce n'est pas la compassion, mais  une impuissance faite de lâche pitié pour lui-même, un recul  devant la souffrance mentale que son acte doit lui causer. "Je ne vois pas ce qui pourra me débarrasser de cette douleur qui dessèche mes sens," Et de toutes choses Sa pitié pour soi-même compte parmi les sentiments les plus bas et les moins dignes d'un Aryen. Sa pitié pour les autres est aussi une forme de cette faiblesse envers lui-même; c'est l'horreur physique des nerfs inspirée par l'acte de tuer, le recul émotionnel et égoïste du cœur devant la destruction des Dhritarâshtriens, parce qu'ils  sont "ses proches" et parce que sans eux la vie sera vide. Cette pitié-là est une faiblesse de l'esprit et des sens, une faiblesse pouvant très bien être salutaire pour des hommes d'un moindre degré de développement, qui, s'ils n'étaient pas faibles, seraient durs et cruels; car il leur faut remédier aux formes les plus dures de l'égoïsme de leur sensibilité par les p!us douces; il leur faut appeler le tamas. le principe débile, au secours du réactions, le principe de lumière, pour réduire la force et l'excès de leurs passions radjasiques. Mais cette voie n'est point faite pour l'homme aryen développé qui doit grandir non par la faiblesse, mais par une ascension continue de force en force. Ardjouna est l'homme divin, le maître-homme en voie de formation et,

 

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comme tel, il a été choisi par les dieux.  Une œuvre lui a été assignée; il a sur son char à cote de lui Dieu, dans sa main l'arc divin. Gândîva, en face de lui les champions du mal. ceux qui s'opposent à ce que le Divin conduise le monde. Ce n'est pas à lui qu'appartient le droit de décider selon ses émotions et ses passions, ce qu'il fera ou ne fera pas. ni de reculer devant une destruction nécessaire en invoquant son cœur ou sa raison égoïste, ni de refuser la tâche parce qu'elle apportera douleur et solitude dans sa vie ou parce que son résultat terrestre est, en l'absence des milliers d'hommes qui doivent périr, sans valeur à ses yeux. Tout cela est déchoir, par faiblesse, de sa plus haute nature. Il ne doit voir que l'oeuvre à accomplir, kartavyam karma, il ne doit écouter que le commandement divin qui lui est insufflé à travers sa nature guerrière, il ne doit s'intéresser qu'au monde et à la destinée de l'humanité qui l'appelle comme l'homme envoyé par les dieux pour l'assister dans sa marche et dégager son chemin des sombres armées qui l'assaillent.

Dans sa réponse à Krishna, Ardjouna, tout en protestant contre l'ordre qu'il reçoit et en le repoussant, accepte le blâme. Il a conscience de sa faiblesse et pourtant il v cède. Il convient que c'est la pauvreté d'âme qui l'a dépouillé de sa vraie et héroïque nature; sa conscience tout entière est égarée dans ses vues sur le bien et le mal et dans ce trouble il accepte l'Ami divin pour instructeur; mais les appuis émotionnels et intellectuels par lesquels il soutenait son sens du bien ont été entièrement détruits; aussi ne peut-il accepter un ordre qui semble ne faire appel qu'à son ancien point de vue et qui ne lui donne pas de nouvelle base d'action. Il essaye encore de justifier son refus d'agir et donne pour excuse les griefs de son être nerveux et physique, qui recule devant le massacre ci sa suite de jouissances sanglantes, les droits de son cœur reculant lui aussi devant les peines et le vide de la vie, qui seraient l'effet de son acte, le droit de ses habituelles notions morales qui frémissent de la nécessité de tuer ses gourous, Bhîshma et Drôna, les droits de sa raison qui ne voit que de fâcheux résultas, sans aucun avantage, à l'œuvre terrible et violente qui lui est assignée. Il a résolu que, sur son ancienne base de pensées et de mobiles, il ne

 

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combattrait pas et il attend en silence la réponse à des objections qui lui semblent irréfutables. Ce sont ces droits de l'être égoïste Ardjouna que Krishna se met d'abord à réduire à néant, afin de faire place nette à la loi plus haute qui dépassera tous les motifs égoïstes d'action.

La réponse de l'Instructeur suit deux lignes différentes; d'abord une brève riposte fondée sur les idées les plus hautes de la culture générale aryenne, selon laquelle Ardjouna a été élevé; et puis une autre explication, plus vaste, fondée sur une connaissance plus intime et donnant accès à des vérités plus profondes de l'être humain; celle-ci constitue le vrai point de départ de l'enseignement de la Guîtâ. La première réponse s'appuie sur les conceptions philosophiques et morales du Védânta et sur les idées sociales de devoir et d'honneur qui forment les fondements éthiques de la société aryenne. Ardjouna s'est efforcé de justifier son refus par des raisons d'ordre éthique et rationnel, mais il a tout au plus revêtu de mois d'une apparente rationalité la révolte de ses émotions ignorantes et indisciplinées. Il a parlé de la vie physique et de la mort du corps, comme si elles étaient les réalités premières; mais elles n'ont pas cette valeur essentielle aux yeux du sage et du penseur. Le chagrin pour la mort corporelle de ses amis et parents est une affliction que la sagesse et la vraie connaissance de la vie ne ratifie pas; l'homme éclairé ne s'afflige ni pour les vivants ni pour les morts, car il sait que la souffrance et la mort ne sont que de simples incidents au cours de l'histoire de l'âme, C'est l'âme et non le corps qui est la réalité. Tous ces rois des hommes dont il pleure la mort prochaine, ont déjà vécu auparavant et vivront de nouveau dans un corps humain; car, de même que l'âme passe physiquement par l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr, de même elle passe d'un corps à un autre. L'esprit calme et sage, dhîra, le penseur, qui regarde la vie fermement sans se laisser distraire ou aveugler par ses sensations et ses émotions, n'est pas trompé par les apparences matérielles; il ne permet pas aux clameurs de son sang, de ses nerfs et de son cœur d'obnubiler son jugement ou de contredire sa connaissance. Il regarde au-delà des faits apparents de la vie du corps et;

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des sens vers le fait réel de son être; il s'élève au-dessus des désirs émotionnels et physiques de la nature ignorante vers le seul et vrai but de l'existence humaine.

Quel est ce fait réel, ce but le plus haut? Ceci, que la vie et la mort de l'homme, répétées à travers les âges des grands cycles du monde, ne sont que le long parcours par lequel l'être humain se rend apte et prêt pour l'immortalité. Et comment faut-il s'y préparer? Quel est l'homme qui y est apte? C'est celui qui cesse de se regarder comme une vie et un corps, celui qui n'accepte pas les expériences matérielles et sensorielles du monde à leur propre valeur ou à celle que leur attribue l'homme physique, celui qui se connaît lui-même et les autres comme des âmes, celui qui apprend à vivre dans son âme et non dans son corps, et qui dans ses rapports avec les autres les traite en âmes et non en simples êtres physiques. Car par immortalité il faut entendre non la survivance à la mort, car celle-ci appartient déjà à toute créature douée d'un mental, mais la transcendance de la vie et de la mort. Cela signifie cette ascension par laquelle l'homme cesse de vivre comme un corps anime par le mental, pour vivre enfin comme un esprit et dans l'Esprit, Quiconque est sujet au chagrin et à l'affliction, quiconque est l'esclave de ses sensations et de ses émotions, et s'absorbe dans les contacts des choses transitoires ne peut être apte à l'immortalité. Tout ce!a doit être enduré jusqu'à ce qu'on l'ait conquis, jusqu'à ce que l'homme libéré ne puisse en éprouver aucune douleur, jusqu'à ce qu'il soit capable d'accueillir tous les événements matériels du monde, joyeux ou tristes, d'une même âme égale, calme et sage, ainsi que les accueille l'Esprit éternel, tranquille, au plus secret de nous. Être troublé par l'affliction et l'horreur, comme le fur Ardjouna, être détourné par elles du chemin qu'il faut parcourir, être vaincu par la pitié envers soi-même, l'incapacité de supporter la douleur et l'effroi devant des circonstances aussi inévitables et insignifiantes que la mort du corps, c'est faire preuve d'une ignorance non aryenne. Ce n'est pas ainsi que l'Aryen doit monter avec une calme énergie vers la vie immortelle.

La mort n'existe pas, puisque c'est le corps qui meurt et que le corps n'est point l'homme. Ce qui est réellement ne peut pas

 

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sortir de l'existence, quoiqu'il puisse changer de forme et d'apparence à nos veux, de même que ce qui est inexistant ne peut pas venir à l'être. L'âme est et ne peut cesser d'être. Cette opposition entre ce qui est et ce qui n'est pas, cet équilibre entre l'être et le devenir, qui constituent le point de vue mental de l'existence, se résolvent enfin dans la réalisation par i'âme de  l'unique et impérissable Moi par qui tout cet univers a été développé. Les corps finis ont une fin, mais Ce qui les possède  et s'en sert est infini, illimité, éternel et indestructible. Cela abandonne l'ancien corps et en prend un nouveau, de même qu'un homme change pour un nouveau vêtement celui qui est usé; qu'y a-t-il là qui doive affliger, angoisser ou effrayer? Cela n'est pas né et cela ne meurt pas et pas davantage n'est-ce une chose qui vient une fois à l'existence et disparaît ensuite pour n'y jamais revenir. Il est non né, antique, éternel; il n'est pas tué quand on tue le corps. Car qui peut tuer l'esprit immortel? Les armes ne peuvent le blesser, ni le feu le brûler, ni l'eau le mouiller, ni le vent le dessécher. Éternellement stable, immobile, pénétrant toute chose, il est pour toujours. Il n'est pas manifesté comme l'est le corps, mais plus grand que toute manifestation, il ne peut être analysé par la pensée, mais il est plus grand que toute intelligence; il n'est pas sujet au changement et à la modification comme le sont la vie, ses organes et leurs objets, mais au-delà des changements du mental, de la vie et du corps. Et pourtant il est la Réalité que tout le reste s'efforce de représenter.

Même si la vérité de notre être était moins sublime et moins immense, moins intangible à la vie et la mort, même si le moi était constamment sujet à la naissance et au trépas, même alors la mort des êtres ne devrait causer nul chagrin, car elle est une condition inévitable de la manifestation propre de l'âme. La naissance est une apparition hors d'un état où l'âme n'est pas inexistante, mais seulement non manifestée à nos sens mortels, et la mort est le retour à ce monde ou à cet état non manifesté, d'où elle réapparaîtra à nouveau dans le inonde physique. Tout  le bruit fait par les sens et le mental physiques autour de la  mort et de l'horreur qu'elle inspire, que ce soit sur le champ de

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bataille ou sur un lit de souffrance, est la plus ignorante des réactions nerveuses. Pleurer les morts, c'est s'affliger d'une manière ignorante pour ceux qu'il n'y a point de cause de pleurer, puisqu'ils ne sont jamais sortis de l'existence et qu'ils n'ont souffert aucun changement d'état douloureux et terrible, et que, après la mort, ils ne sont ni moins vivants ni dans des circonstances plus pénibles que pendant la vie.

Mais en réalité, la vérité la plus haute est la seule vraie. Tout est ce Moi. cet Un, ce Divin que nous regardons, dont nous parlons et entendons parler comme étant la merveille qui dépasse noire compréhension, car après toutes nos recherches et toutes nos déclarations de connaissance et malgré ce que nous avons appris de ceux qui possèdent la connaissance, aucun esprit humain n'a jamais connu cet Absolu. C'est Cela qui est ici voile par le monde, le maître du corps; toute vie n'est que son ombrer; la venue de l'âme dans la manifestation physique et notre sortie hors d'elle par la mort ne sont que l'un de ses mouvements mineurs. Une fois que nous nous connaissons comme Cela, il devient absurde de parler de nous comme de tueurs ou de tués. Une seule chose est la vérité dans laquelle nous avons à vivre: l'Éternel se manifestant comme l'âme de l'homme dans le grand cycle de son pèlerinage, avec la naissance et la mort comme bornes milliaires, les mondes de l'au-delà comme lieux de repos, avec toutes les circonstances de la vie, heureuses ou malheureuses, comme moyens de progrès, comme champ de rimaille et de victoire, avec enfin l'immortalité comme le terme vers lequel l'âme voyage.

"C'est pourquoi, dit l'Instructeur, écarte ce vain souci, cet effroi, et combats, ô fils de Bharata." Mais pourquoi une pareille conclusion? Cette haute et vaste connaissance, cette discipline ardue du mental et de l'âme par lesquelles nous devons nous élever, au-dessus des clameurs des émotions et des tromperies des sens, vers la vraie connaissance de nous-mêmes peuvent en vérité nous libérer de la tristesse et de l'illusion; elles peuvent nous guérir de la peur de la mort et du chagrin pour les morts; elles peuvent nous faire voir que ceux que nous pleurons comme morts ne sont pas morts du tout et n'ont pas à être

 

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pleures, puisqu'ils n'ont fait que passer dans l'au-delà; elles  peuvent nous enseigner à considérer avec calme les assauts les plus terribles de la vie et à envisager la mort du corps comme de peu d'importance; elles peuvent nous élever jusqu'à concevoir toutes les circonstances de la vie comme des manifestations de l'Unique et comme des moyens pour nos âmes de se hausser au-dessus des apparences par une évolution ascendante qui nous conduise jusqu'à nous reconnaître comme l'Esprit immortel. Mais comment cela justifie-t-il l'action exigée Éternel et le massacre de Kouroukshétra? La réponse est que telle est l'action exigée d'Ardjouna sur le chemin qu'il a à parcourir; elle se présente, inévitable dans l'accomplissement de sa fonction, telle que la lui commande son swadharma, son devoir social, la loi de sa vie et la loi de son être. Ce inonde, cette manifestation du Moi dans l'univers matériel n'est pas seulement un cycle de développement intérieur, mais aussi le terrain sur lequel les circonstances extérieurs de la vie doivent être acceptées comme conditions et occasions de ce développement. C'est un monde  d'aide mutuelle et de lune; le progrès qu'il nous permet n'est pas un glissement serein et paisible à travers des joies faciles; chaque pas en avant doit être gagné par un effort héroïque au milieu du conflit des forces contraires. Ceux qui acceptent le combat intérieur et extérieur, même dans le choc physique le plus grand, celui de la guerre, sont les kshatriyas, les hommes ce forts; la guerre, l'énergie, la noblesse, le courage sont leur nature; ta défense du droit et une acceptation sans réserve de l'enjeu de la bataille leur vertu et leur devoir. Car il y a continuellement lutte entre le bien et le mal. entre le juste et l'injuste, l'e entre les forces qui protègent et celles qui violentent et oppriment, et, une fois que l'aboutissement final en est la bataille physique, le champion et le porte-drapeau du droit ne doit plus trembler et hésiter en face de la violence terrible de l'œuvre qu'il a à accomplir; par molle pitié en faveur du violent et du cruel par horreur physique de l'immense destruction décrétée, il ne doit pas abandonner ceux qui le suivent ou qui combattent à ses côtés, ni trahir Sa cause, ni laisser traîner dans la boue et fouler par les pieds sanglants de l'oppresseur l'étendard du droit et de

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la justice. Sa vertu et son devoir sont dans le combat et non dans l'abstention du combat; le péché serait pour lui non de tuer, mais le refus de tuer.

Pour un moment l'Instructeur quitte ensuite ce point pour donner une autre réponse à la plainte Ardjouna que la mort des siens le priverait de toute raison de vivre. Quel est le véritable objet de la vie de tout kshatriya, et son véritable bonheur? Non pas son propre plaisir, le bonheur domestique et une vie de confort et de joies paisibles en compagnie d'amis et de parents, car son vrai but est de combattre pour le droit, et son plus grand bonheur de trouver une cause qui lui permette de donner sa vie, ou, s'il obtient la victoire, de gagner la gloire et la couronne du héros.

"Rien de meilleur n'arrive au kshatriya qu'une juste guerre, et quand un tel combat s'offre de lui-même, comme si s'ouvraient les portes du ciel. heureux alors sont les kshatriyas. Et toi, si tu ne livres pas cette bataille pour le droit, alors tu renonceras à [on devoir, à ça vertu et à ta gloire et le péché sera ton partage." Par un pareil refus il encourra la home et le reproche de lâcheté et de faiblesse et la perte de son honneur de kshatriya. Et quel est le pire malheur pour un kshatriya? C'est de perdre son honneur, sa réputation, sa noble condition parmi les hommes puissants, les hommes de courage et de pouvoir; cela est pour lui pire que la mort. La bataille, le courage, la puissance, l;autorité, la discipline, l'honneur des braves, de ciel de ceux qui tombent noblement, tel est l'idéal du guerrier. Avilir cet idéal, permettre que cet honneur soit terni, donner l'exemple être un héros glorieux parmi les héros, mais dont l'action appelle le reproche de lâcheté et de faiblesse et ainsi abaisser les normes morales de l'humanité, c'est être infidèle envers soi-même et envers le monde en ce qu'il exige de ses chefs et de ses rois. "Tué, tu gagneras le ciel, victorieux tu jouiras de la terre; lève-toi donc, ô fils de Kounti, résolu à la bataille."

Cet appel héroïque peut sembler d'un degré inférieur à celui de la spiritualité stoïque qui précède et celui de la plus profonde spiritualité qui va suivre. Dans les prochains vers en effet l'Instructeur

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enjoint à Ardjouna de considérer comme egaux aux yeux de l'âme la bonne et la mauvaise fortune, la pêne et le gain,  la victoire et la défaite, et puis alors de marcher vers la bataille ce qui est le vrai enseignement de la Guîtâ, Mais l'éthique indienne a toujours reconnu la nécessité pratique d'idéaux gradués pour le développement de la vie morale et spirituelle de  l'homme. Ici l'idéal du kshatriyas, l'idéal des quatre castes ou  ordres est présenté sous son aspect social et non dans sa signification spirituelle, comme il le sera dans la suite. Telle est ma  réponse, dit Krishna en fait, si vous persistez à considérer la joie  et la douleur et le résultai de vos actions comme vos motifs d'action. Je vous ai montré dans quelle direction vous guide la plus haute connaissance de soi et du monde; maintenant, je viens de vous montrer dans quelle voie vous dirige \votre devoir social et les valeurs morales de votre ordre, swadharmam api tchâvékshya. Que vois considériez l'un ou l'autre, le résultat est le même Mais si vous n'êtes pas satisfait de votre devoir social et de la vertu propre à votre ordre, si vous pensez qu'ils vous conduisent à la douleur et au péché, alors je vous conjure de vous élever à un idéal plus haut et non de vous abaisser à un idéal inférieur. Écartez tout égoïsme. ignorez joie et douleur, dédaignez perte et gain et tout résultat mondain, ne considérez que la cause que  vous devez servir et l'œuvre que vous devez accomplir sur le commandement divin, et ''ainsi tu ne commettras pas le péché". De cette façon, à tous les arguments Ardjouna, il est répondu selon la connaissance et l'idéal moral les plus élevés qu'aient atteints sa race et son temps, que ce soit l'excuse de sa douleur ou celle de son recul devant le massacre, celle de son sens du péché, ou celle des résultats malheureux de son action.

Telle est la foi du guerrier aryen : "Connais Dieu, connais-toi toi-même, aide les hommes défends le droit et, sans crainte ni faiblesse ni hésitation, accomplis en ce monde ton œuvre de combattant. Tu es l'Esprit éternel et impérissable; ton âme est ici-bas sur son chemin ascendant vers l'immortalité. La vie et la mort ne sont rien; chagrins, blessures et souffrances ne sont rien; car tout cela doit être surmonté et conquis. Ne t'arrête pas à ton propre plaisir, à ton succès, à ton profit, mais regarde plus

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haut et regarde autour de toi — plus haut, regarde les sommets lumineux vers lesquels tu montes et tout alentour, regarde ce monde de bataille et d'épreuve où le bien et le mal, le progrès et la régression s'étreignent dans un conflit acharne. Les hommes t'appellent à leur secours, toi leur homme fort. toi leur héros! Aide-les donc et combats. Détruis, quand c'est par la destruction que le monde doit avancer; mais ne hais pas ce que tu détruis, ni ne pleure tous ceux qui doivent périr. Reconnais en chacun l'unique Moi, sache que tous sont des âmes immortelles et que le corps n'est que poussière. Fais ton œuvre d'un esprit calme, fort et serein; combats et tombe noblement ou vaincs puissamment. Car telle est l'œuvre que Dieu et ta nature t'ont donnée à accomplir."

 

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