Essais sur la Guîtâ

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Sri Aurobindo

Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Essays On The Gita Vol. 13 576 pages 1970 Edition
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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.

French Translations of books by Sri Aurobindo Essais sur la Guîtâ 675 pages 2008 Edition
French Translation
Translators:
  Archaka
  Pavitra
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VII

LA PAROLE SUPRÊME DE LA GUÎTÂ

Nous voici à présent parvenus au cœur le plus profond du Yoga de la Guîtâ, en plein centre et tout y est vie et souffle de son enseignement. Nous pouvons maintenant voir assez clairement que l'ascension de l'âme humaine limitée, se retirant de l'ego et de la nature inférieure et passant en l'immuable Moi calme, silencieux et stable, n'était qu'une première étape, un changement initial. Et aussi nous pouvons voir maintenant pourquoi, dès le début, la Guîtâ a insisté sur l'Îshwara, le Divin sous la forme humaine, qui toujours parle de Lui, aham, mâm, comme de quelque grand Être secret et omniprésent, seigneur de tous les mondes et maître de l'âme humaine, plus grand même que l'immuable existence en soi, laquelle est à jamais immobile et inaffectée et demeure à jamais intouchée par les apparences subjectives et objectives de l'univers naturel.

Tout Yoga est une poursuite du Divin, oriente vers l'union avec l'Éternel. La façon de Le chercher, la profondeur et la plénitude de l'union et l'intégralité de la réalisation dépendront de la justesse de notre perception du Divin et de Éternel L'homme, l'être mental approche l'Infini au moyen de son mental fini et doit ouvrir sur cet Infini quelque porte voisine appartenant à ce fini. Il recherche une conception dont son mental puisse se saisir, choisit un pouvoir de sa nature qui, en s'intensifiant au maximum, puisse atteindre, puisse toucher la Vérité infinie, laquelle, par essence, dépasse sa compréhension mentale. Il tente de voir un certain visage de cette Vérité infinie étant infinie, elle possède en effet d'innombrables visages, d'innombrables mots pour se définir, d'innombrables façons de se suggérer, de façon que, s'y attachant, il lui soit possible d'arriver, par l'expérience directe, à l'immesurable réalité que représente ce visage. Pour étroite que puisse être la porte, il est satisfait si elle lui offre quelque perspective dans la vastitude qui l'attire, si elle le met sur le chemin de l'insondable profondeur et

 

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des cimes inaccessibles de ce qui appelle son esprit. Et comme il s'en approche, ainsi ce visage le reçoit-il, yé yathâ mâm prapadyanté.

Le mental philosophique essaie d'atteindre à l'Éternel par une connaissance abstractive. Le propos de la connaissance est de comprendre, et pour l'intellect fini cela veut dire définir et déterminer. Mais le seul moyen de déterminer l'indéterminable réside en une sorte d'universelle négation, néti néti. Dès lors, le mental continue en excluant de la conception de Éternel tout ce qui s'offre et que peuvent limiter les sens, le cœur et la compréhension. Une complète opposition est faite entre le Moi et le non-moi, entre une éternelle, immuable, indéfinissable existence en soi et toutes les formes d'existence — entre Brahman et Maya, entre l'ineffable Réalité et tout ce qui tâche à exprimer l'Ineffable mais ne peut y réussir -, entre Karma et Nirvana, entre l'action et la conception toujours continue mais toujours impermanente de l'Énergie universelle et quelque suprême Négation absolue et ineffable de son action et de sa conception, qui est vide de toute vie, de toute qualité mentale et de toute signification dynamique. Cette forte impulsion de la connaissance vers l'Éternel nous éloigne de tout ce qui est transitoire. Elle nie la vie afin de retourner à la source de la vie, retranche de nous tout ce que nous semblons être afin que nous accédions, en le quittant, à l'impersonnelle réalité sans nom de notre être. Les désirs du cœur, les œuvres de la volonté et les conceptions du mental sont rejetés; jusqu'à la connaissance qui, pour finir, est elle-même niée et abolie en l'Identique et Inconnaissable. Au moyen d'une grandissante quiétude se terminant dans une passivité absolue, l'âme créée par Maya ou le faisceau d'associations que nous nommons nous-mêmes entre en l'annihilation de son idée de la personnalité,' met un terme au mensonge de vivre, disparaît dans le nirvana.

Mais cette difficile méthode abstractive qu'est la négation de soi, bien qu'elle puisse attirer à elle certaines natures d'exception, ne peut satisfaire universellement l'âme incarnée en l'homme, car elle ne fournit point d'issue à tout le mouvement où sa nature complexe se tend vers le parfait Éternel. Il n'y a

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pas que son intellect contemplatif et abstractif qui, tendu vers Éternel et Infini, y recherche sa Source divine et la justification de son être et de sa nature; il y a aussi son cœur qui soupire, sa volonté active, son mental positif en quête de quelque Vérité dont son existence et l'existence du monde sont une clef multiple. De ce besoin, naissent les religions de l'amour et des œuvres, dont la force réside en ce qu'elles satisfont les pouvoirs les plus actifs et les plus développés de notre humanité et les conduisent vers Dieu — car ce n'est qu'en les prenant comme point de départ que la connaissance peut être efficace. Même le bouddhisme, avec son austère et intransigeante négation à la fois du moi subjectif et des choses objectives, a dû toutefois se fonder à l'origine sur une divine discipline des œuvres et admettre comme substitut de la bhakti l'émotivité spiritualisée d'un amour et d'une compassion universels, puisque c'était le seul moyen pour qu'il devînt un chemin efficace pour l'humanité, une religion réellement libératrice. Même le mâyâvâda illusionniste, ultra-logique en son intolérance de l'action et des créations de la mentalité, a dû consentir à une réalité temporaire et pratique pour l'homme et l'univers et pour Dieu dans le monde afin d'avoir une première base et un point de départ possible; il lui a fallu affirmer ce qu'il niait afin de donner quelque réalité à l'esclavage de l'homme et à son effort pour se libérer.

Mais la faiblesse des religions émotives et cinétiques se trouve en ce qu'elles sont trop absorbées en quelque Personnalité divine et en les valeurs divines du fini. Et même quand elles ont une conception du Divin infini, elles ne nous donnent pas la pleine satisfaction de la connaissance parce qu'elles ne la poursuivent pas en ses tendances les plus ultimes et les plus hautes. Ce qui manque à ces religions, c'est une complète absorption en Éternel et la parfaite union par identité or, l'esprit qui est en l'homme doit d'une façon ou d'une autre, si ce n'est pas par l'abstraction, parvenir un jour à cette identité, puisque toute unité s'y fonde. D'autre part, la faiblesse d'une spiritualité quiétiste et contemplative souffre de ce qu'elle arrive à ce résultat par une abstraction trop absolue et qu'à la fin elle

 

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transforme en néant ou en fiction l'âme humaine dont l'aspiration néanmoins fut constamment toute la raison de cette tentative d'union; sans l'âme, en effet, et sans son aspiration, la libération et l'union ne sauraient avoir de sens. Le peu que ce cette façon de penser reconnaisse des autres pouvoirs d'existence de l'âme, elle le relègue à une action préliminaire inférieure qui n'aboutit jamais à aucune réalisation pleine ou satisfaisante en l'Éternel et Infini. Et pourtant, ces choses-là aussi, qu'elle restreint indûment, la volonté puissante, le fort et brûlant appétit d'aimer, l'intuition qui embrasse tout et la lumière positive de l'être mental conscient viennent du Divin, représentent des pouvoirs essentiels du Divin et doivent avoir quelque justification en leur Source et quelque moyen dynamique de s'accomplir en Lui. Nulle connaissance de Dieu ne peut être intégrale, parfaite ni universellement satisfaisante, qui laisse inaccompli leur droit absolu; nulle sagesse entièrement sage, qui, dans l'ascétisme intolérant de sa quête, nie la réalité spirituelle derrière ces voies du Divin, qui l'amoindrit dans la fierté de sa pure connaissance.

La grandeur de la pensée centrale de la Guîtâ, celle où sont rassemblés et unis tous ses fils, consiste en la valeur synthétique d'une conception qui reconnaît toute la nature de l'âme humaine dans l'univers et, par une ample et sage unification, ratifie son besoin multiple de la Vérité, du Pouvoir, de l'Amour, de Être suprêmes et infinis vers lesquels se tourne notre humanité dans sa quête de la perfection et de l'immortalité et de quelque joie, quelque puissance, quelque paix sublimes. Il y a un vaste et vigoureux effort dans le sens d'une vue spirituelle globale de Dieu, de l'homme et de l'existence universelle. Non pas, certes, que tout, sans nulle exception, soit saisi dans ces dix-huit chapitres, qu'il ne reste aucun problème à résoudre; mais un plan si important est exposé que nous n'avons qu'à remplir, développer, modifier, accentuer, poursuivre les points, faire ressortir ce qui est suggéré et mettre en lumière ce qui est esquissé afin de trouver un fil d'Ariane pour tout ce que, plus tard, notre intelligence pourra réclamer ou dont aura besoin notre esprit. La Guîtâ elle-même ne formule aucune solution tout à fait

 

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nouvelle à partir de ses propres questions. Pour arriver à la globalité qu'elle vise, elle passe derrière les grands systèmes philosophiques et remonte au Védânta originel des Oupanishads; car c'est là que nous avons la vision synthétique la plus vaste et la plus profonde qui existe de l'esprit, de l'homme et du cosmos. Mais ce qui, dans les Oupanishads, n'est pas élaboré pour l'intelligence, étant enveloppé dans un lumineux noyau de vision intuitive et de formulation symbolique, la Guîtâ le fait venir à la lumière d'une pensée intellectuelle et d'une expérience distinctive ultérieures.

Dans le cadre de sa synthèse, elle admet la recherche que les penseurs abstraits font de l'Indéfinissable, anirdéshyam, l'Immuable à jamais non manifesté, avyaktam aksharam. Ceux qui se consacrent à cette recherche, trouvent eux aussi le Pouroushôttama, la Personne divine suprême, mâm, l'Esprit, l'Âme suprême et le Seigneur suprême des choses. Car sa suprême façon d'être existante en soi est en réalité un positif impensable, atchintya-roûpam, inimaginable, une quintessence absolue de tous les absolus qui dépasse de beaucoup la détermination de l'intelligence. La méthode de la passivité, de la quiétude négatives, du renoncement à la vie et aux œuvres par quoi les hommes cherchent à percevoir cet Absolu intangible, est admise et ratifiée dans la philosophie de la Guîtâ, mais ne reçoit qu'un consentement mineur. Cette connaissance négatrice aborde Éternel par un seul côté de la vérité, et le plus difficile à atteindre et à suivre pour l'âme incarnée dans la Nature, douhkham déhavadhhir avâpyaté; le chemin en est hautement spécialisé et même inutilement ardu, "aussi étroit et difficile à fouler que le fil d'un rasoir". Ce n'est pas en niant toutes les relations, mais en s'en servant que l'homme peut approcher naturellement l'Infini Divin et Le saisir le plus facilement, le plus largement, le plus intimement. Cette façon de voir qui veut que le Suprême soit sans nulle relation avec l'existence mentale, vitale, physique de l'homme dans l'univers, avyavahâryam, n'est après tout pas la vérité la plus vraie ni la plus vaste. Pas davantage ce que l'on décrit comme la vérité empirique des choses, la vérité des relations, vyavahâra, n'est tout à fait le contraire de la plus haute

 

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vérité spirituelle, paramârtha. Au contraire, il existe mille relations par lesquelles Éternel suprême est secrètement en contact avec notre existence humaine et uni à elle; ce contact peut être rendu sensible, et cette union réelle pour notre âme, notre cœur, notre volonté, notre intelligence, notre esprit par tous les moyens essentiels de notre nature et de la nature du monde, sarva-bhâvéna. Cet autre chemin est donc naturel et facile pour l'homme, soukham âptoum. Dieu ne se rend pas pour nous d'un accès difficile; une seule chose est nécessaire, une seule exigence stipulée, la volonté indomptable et unique de se frayer un chemin à travers le voile de notre ignorance et la recherche persistante et entière par le mental, le cœur et la vie de ce qui est tout le temps près d'eux, en eux, l'âme même de leur être, leur essence spirituelle et le secret de leur personnalité et de leur impersonnalité, de leur moi et de leur nature. Telle est notre seule difficulté; le Maître de notre existence prendra lui-même soin du reste et l'accomplira, aham twâm môkshayishyâmi mâ. shoutchah.

Là même où, dans son enseignement, la synthèse de la Guîtâ penche le plus vers la connaissance pure, nous avons vu qu'elle se prépare constamment pour cette vérité plus pleine et cette expérience plus significative. En fait, cela est sous-entendu dans la forme même que la Guîtâ donne à la réalisation de l'Immuable existant en soi. Cet immuable Moi de toutes les existences paraît bien se tenir en arrière de toute intervention active dans les opérations de la Nature; mais il n'est pas absolument vide de toute relation, ni étranger à tout rapport. Il est notre témoin et notre soutien; il donne un consentement silencieux et impersonnel; il éprouve même un plaisir impassible. L'action polyvalente de la Nature est encore possible lors même que l'âme est sise en cette calme existence en soi; car l'âme-témoin est l'immuable Pourousha et le Pourousha a toujours une certaine relation avec la Prakriti. Mais à présent, la raison de ce double aspect de silence et d'activité est révélée en son entière signification: le Moi silencieux et qui imprègne tout n'est qu'un côté de la vérité de l'être divin. Celui qui imprègne le monde en tant que moi unique et inaltérable, support de toutes

 

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les mutations, est également le Divin dans l'homme, le Seigneur dans le cœur de toutes les créatures, la Cause consciente et le Maître de tout notre devenir subjectif et de toute notre action objectivisée qui entraîne à l'intérieur et va à l'extérieur. L'Îshwara des yogis est un avec le Brahman de ceux qui cherchent la connaissance, un unique Esprit suprême et universel, un unique Divin suprême et universel.

Ce Divin n'est pas le Dieu personnel limité de tant de religions exotériques; car ces dieux-là ne sont que des formations partielles et extérieures de ce Divin, de cet aspect personnel créateur et directeur de la complète vérité de Son existence. Ce Divin est la Personne, l'Âme, Être, le Pourousha unique et suprême dont toutes les divinités sont des aspects, dont toute personnalité individuelle est un développement limité dans la Nature cosmique. Ce Divin n'est pas telle forme et tel nom précis de la Divinité, ishta-dévatâ, que construit l'intelligence ou qui personnifie l'aspiration particulière de l'adorant. Tous ces noms et ces formes ne sont que des pouvoirs et des visages de l'unique Déva qui est le Seigneur universel de tous les adorants et de toutes les religions. Or, ce Déva est lui-même cette Déité universelle, déva-déva. Cet Îshwara n'est pas un reflet du Brahman impersonnel et indéterminable en une Maya qui induirait en illusion: d'au-delà de tout le cosmos, en effet, aussi bien qu'en le cosmos, il gouverne et il est le Seigneur des mondes et de leurs créatures. Il est le Parabrahman qui est Parameshwara, le Seigneur suprême parce qu'il est le Moi suprême et le suprême Esprit, et depuis sa suprême existence originelle il engendre et gouverne l'univers, non point abusé par lui-même, mais avec une omnisciente omnipotence. Pas davantage le fonctionnement de sa divine Nature dans le cosmos n'est-il une illusion, que ce soit de sa conscience ou de la nôtre. La seule Maya trompeuse est l'ignorance de la Prakriti inférieure, non qu'elle soit créatrice de choses non existantes sur l'impalpable fond de l'Un et Absolu, mais parce que son aveugle fonctionnement encombré et limité donne au mental humain du fait de l'ego et d'autres représentations inadéquates du mental, de la vie et de la matière une image erronée du sens

 

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plus grand, des réalités plus profondes de l'existence. Il y a Nature suprême et divine qui est la vraie créatrice de l'univers. Toutes les créatures et tous les objets sont des devenirs de l'unique Être divin; toute vie une opération du pouvoir de l'unique Seigneur; toute nature une manifestation de l'unique Infini. Il est le Divin dans l'homme; le djîva est esprit de son Esprit. Il est le Divin dans l'univers; ce monde dans l'Espace et le Temps est le déploiement de Son être en le phénomène.

Le Yoga de la Guîtâ trouve son sens unifié et son ampleur sans pareille dans le déroulement de cette vision globale de l'existence et de la supra-existence. Ce Divin suprême est le Moi unique invariable et impérissable en tout ce qui est; l'homme doit donc s'éveiller au sens spirituel de cet invariable et impérissable Moi et unifier avec celui-ci son être intérieur impersonnel. C'est le Divin dans l'homme qui engendre et dirige toutes les opérations humaines; l'homme doit donc s'éveiller au Divin en lui, connaître la divinité dont il est la demeure, s'élever hors de tout ce qui la voile et l'obscurcit et s'unir à ce Moi le plus profond de son moi, à cette plus grande conscience de sa conscience, à ce Maître caché de toute sa volonté et de toutes ses œuvres, à cet Être au-dedans de lui qui est la source et le but de tout son devenir varié. Il est le Divin dont la divine nature, origine de tout ce que nous sommes, est recouverte d'un voile épais par ces dérivations naturelles inférieures; l'homme doit donc revenir de son apparente existence inférieure, imparfaite et mortelle, à sa nature divine essentielle, qui est d'immortalité et de perfection. Ce Divin est un en toutes les choses qui sont, Il est le moi qui vit en tout et le moi en qui tout vit et se meut; l'homme doit donc découvrir son unité spirituelle avec toutes les créatures, voir tout en le moi et le moi en tous les êtres, et même voir que toutes les choses et tous les êtres sont lui, âtmaoupamyéna sarvatra, et penser, sentir et agir en conséquence dans tout son mental, toute sa volonté et toute son existence. Ce Divin est l'origine de tout ce qui est ici ou ailleurs et, de par Sa Nature, Il est devenu toutes ces innombrables existences, abhoût sarva-bhoûtâni; l'homme doit donc voir et adorer l'Un en toutes choses animées et inanimées, adorer la

 

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manifestation dans le soleil et l'étoile et la fleur, dans l'homme et chaque créature vivante, dans les formes et les forces, les qualités et les pouvoirs de la Nature, vâsoudévah sarvam iti. Par la vision divine et une divine sympathie et finalement par une puissante identité intérieure, il doit se muer en une unique universalité à l'unisson de l'univers. Une identité passive et sans relation exclut l'amour et l'action, mais cette unité plus vaste et plus riche s'accomplit grâce aux œuvres et à une pure émotion : elle devient la source et le réceptacle, la substance, le motif et le divin propos de tous nos actes et de tous nos sentiments. Kasmaï dévâya havishâ vidhéma, à quelle divinité ferons-nous l'offrande de toute notre vie et de toutes nos activités? C'est lui ce Divin, lui ce Seigneur qui réclame notre sacrifice. Une identité passive et sans relation exclut la joie de l'adoration et de la dévotion; mais la bhakti est l'âme même, le cœur et le sommet de cette union plus riche, plus complète et plus intime. Ce Divin est l'accomplissement de toutes les relations, père, mère, amant, ami et refuge de l'âme de chaque créature. Il est le humanité unique, suprême et universel, l'Atman, le Pourousha, le Brahman, l'Îshwara de la secrète sagesse. Par Son divin Yoga Il a en Luimême manifesté le monde de toutes ces façons : les multiples existences du monde sont une en Lui, et Il est un en elles sous de multiples aspects. S'éveiller à Sa révélation en tous ces mondes à la fois est la part de l'homme dans le même Yoga divin.

Pour montrer avec une parfaite et indiscutable clarté que telle est la vérité suprême et entière de son enseignement, telle la connaissance intégrale qu'il avait promis de révéler, l'Avatâr divin, reprenant brièvement la conclusion de tout ce qu'il a dit, déclare que cette parole, et nulle autre, est sa parole suprême, paramam vatchah. "Écoute encore Ma parole suprême", bhoûya éva shrinou me paramam vatchah. Cette parole suprême de la Guîtâ, constatons-nous, est d'abord la déclaration explicite et l'on ne peut s'y méprendre que la plus haute adoration et la plus haute connaissance de l'Éternel sont connaissance et adoration de celui-ci comme Origine suprême et divine de tout ce qui existe et comme puissant Seigneur du monde et de ses

 

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peuples, Seigneur de l'être de qui toutes choses sont les devenirs. C'est en second lieu la déclaration d'une connaissance et d'une bhakti unifiées constituant le Yoga suprême; telle est la voie naturelle réservée à l'homme pour parvenir à l'union avec le Divin éternel. Et pour rendre plus significative cette définition de la voie, pour donner un caractère illuminateur à cette suprême importance de la bhakti fondée sur la connaissance et s'y ouvrant et devenue la base et la force motrice des œuvres assignées divinement, il est stipulé que le mental et le cœur du disciple doivent l'accepter; à cette condition, l'exposé peut être poursuivi et l'ordre décisif d'agir enfin donné à l'instrument humain, Énergie "Je t'énoncerai cette parole suprême, dit le Divin, voulant le bien de ton âme, maintenant que ton cœur se réjouit en Moi", té prîyamânâya vakshyâmi. Car cette joie du cœur en le Divin est tout ce qui constitue la vraie bhakti, et c'en est toute l'essence, bhadjanti prîtipoûrvakam. A peine la suprême parole révélée, Énergie doit déclarer qu'il l'accepte et demander un moyen pratique de voir Dieu en toutes choses dans la Nature; et de cette question, découle immédiatement et naturellement la vision du Divin comme Esprit de l'univers, et s'élève l'ordre formidable d'agir dans le monde¹.

L'idée du Divin qu'avec insistance la Guîtâ présente comme le secret de tout le mystère de l'existence, comme la connaissance qui conduit à la libération, est une idée qui résout l'antagonisme entre le déroulement cosmique dans le Temps et une éternité supracosmique sans nier l'une ni l'autre, ni rien ôter de sa réalité à l'une ni à l'autre. Elle harmonise les termes panthéistes, théistes et suprêmement transcendantaux de notre conception spirituelle et de notre expérience spirituelle. Le Divin est Éternel non né qui n'a point d'origine; avant Lui il n'y a et ne peut y avoir rien dont Il procède, car Il est unique, intemporel et absolu. "Ni les dieux ni les grands rishis ne connaissent aucune de Mes naissances... Celui qui connaît que Je suis le non-né sans origine...", telles sont les déclarations initiales de cette parole suprême, où se trouve la haute promesse

 

¹Guîtâ, X. 1-18.

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que, non limitative, non intellectuelle, mais pure et spirituelle car la forme et la nature, si nous pouvons user d'un tel langage, de cet Être transcendantal, son swaroûpa, sont nécessairement impensables pour le mental, atchintya-roûpa -, cette connaissance libère l'homme mortel de toute la confusion de l'ignorance et de toute la servitude du péché, de la souffrance et du mal, yo vetti asammoûdhah sa martyéshou sarva-pâpaïh pramoutchyaté. L'âme humaine qui peut demeurer dans la lumière de cette suprême connaissance spirituelle est par cette dernière soulevée au-delà des formulations de l'univers que proposent l'idée ou les sens. Elle s'élève en l'ineffable puissance d'une identité qui dépasse et néanmoins accomplit tout, la même au-delà et ici-bas. Cette expérience spirituelle de l'Infini transcendantal abat les limitations de la conception panthéiste de l'existence. L'infini d'un monisme cosmique pour lequel Dieu et l'univers sont un, essaie d'emprisonner le Divin en Sa manifestation cosmique qu'il nous laisse comme unique moyen possible de Le connaître; mais cette autre expérience nous libère en Éternel intemporel et aspatial. "Ni les dieux, ni les titans ne connaissent Ta manifestation"; s'écrie Énergie dans sa réponse; l'univers entier, voire d'innombrables univers ne peuvent Le manifester, ne peuvent contenir Sa lumière ineffable ni Sa grandeur infinie. Toute autre connaissance, toute connaissance moindre de Dieu n'a sa. vérité qu'en fonction de la réalité à jamais non manifestée et ineffable du Divin transcendant.

Mais la divine Transcendance n'est cependant pas une négation, non plus qu'un Absolu vide de toute relation avec l'univers. C'est un positif suprême, c'est un absolu de tous les absolus. Toutes les relations cosmiques découlent de ce Suprême; toutes les existences cosmiques y retournent et, en Lui seul, trouvent leur véritable et immesurable existence. "Car Je suis de toutes les façons possibles l'origine une et entière des dieux et des grands rishis." Les dieux sont les grands Pouvoirs immortels, et les Personnalités impérissables qui, consciemment, inspirent, constituent et gouvernent les forces subjectives et objectives du cosmos. Les dieux sont les formes spirituelles de la Déité éternelle et originelle; ils en sont issus et en

 

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descendent dans les nombreuses opérations du monde. À partir des principes premiers de l'être et de ses mille complexités, les dieux tissent, multiples et universels, la toile tout entière de cette existence diversifiée de l'Un. Toute leur existence, toute leur nature, tout leur pouvoir, toute leur façon d'agir procèdent entièrement, en chaque principe, en chaque fil, de la vérité de l'Ineffable transcendant. Rien n'est ici-bas créé de façon indépendante, rien n'est causé par ces agents divins d'une manière qui se suffise; tout trouve son origine, sa cause, la première raison spirituelle de son être et de sa volonté d'être dans le Divin absolu et suprême — aham âdih sarvashah. Rien dans l'univers  n'a sa cause véritable dans l'univers; tout découle de cette  céleste Existence.

Les grands rishis, appelés ici comme dans le Véda les sept  Voyants originels, maharshayah sapta poûrvé, les sept Anciens du monde, sont les pouvoirs d'intelligence de cette divine Sagesse qui a tiré toutes choses de sa propre infinitude consciente  de soi, pradjñâ pourânî les a développées selon la ligne descendante des sept principes de son essence. Ces rishis personnifient les sept Pensées du Véda, sapta dhiyah, qui soutiennent,  illuminent et manifestent tout l'Oupanishad dit que toutes les  choses ont été disposées en septuors, sapta sapta. Leur sont appariés les quatre Manous éternels, les pères de l'homme car la nature active du Divin est quadruple, et l'humanité exprime cette nature en son quadruple caractère. Eux aussi, comme leur  nom l'implique, sont des êtres mentaux. Ce sont les Créateurs  de toute cette vie qui, pour son action, dépend du mental ' manifesté ou latent; toutes ces créatures qui vivent dans le monde sont issues d'eux; toutes sont leurs enfants et leur progéniture, yéshâm lôka imâh pradjâh. Et ces grands rishis et ces  Manous sont eux-mêmes de perpétuels devenirs mentaux de  l'Âme suprême¹ et nés, en la Nature cosmique, de. Sa transcendance spirituelle ils sont les géniteurs, mais Elle est l'origine de  tout ce qui engendre dans l'univers. Esprit de tous les esprits,  Âme de toutes les âmes. Mental de tout mental, Vie de toute vie,

 

¹mad-bhâvâh mânasâ djâtâh.

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Substance de toute forme, cet Absolu transcendant n'est pas complètement l'inverse de tout ce que nous sommes, mais au contraire l'Absolu procréateur et illuminateur de tous les principes et de tous les pouvoirs de notre être et de notre nature, ainsi que de l'être et de la nature du monde.

Cette Origine transcendante de notre existence n'est point séparée de nous par quelque gouffre infranchissable ni ne rejette les créatures qui dérivent d'elle, non plus qu'elle ne les condamne à être seulement les fictions d'une illusion. Elle est l'Être, tous sont ses devenirs. Elle ne crée pas à partir d'un vide, d'un Néant ni d'une insubstantielle matrice de rêve. C'est à partir d'elle-même qu'elle crée, en elle-même qu'elle devient; tous sont en son être, et tout est de son être. Cette vérité admet et dépasse la vision panthéiste des choses. Vâsoudéva est tout, vâsoudévah sarvam, mais si Vâsoudéva est tout ce qui apparaît dans le cosmos, c'est qu'il est également tout ce qui n'y apparaît pas, tout ce qui n'est jamais manifesté. Son être n'est en aucune manière limité par son devenir; il n'est à aucun degré enchaîné par ce monde de relations. Même en devenant tout, il est encore une Transcendance; même en revêtant des formes finies, il est toujours l'Infini. La Nature, Prakriti, en son essence, est son pouvoir spirituel, son pouvoir essentiel, âtma-shakti; ce pouvoir spirituel de son être développe d'infinies qualités primordiales de devenir en le tréfonds des choses et les change en une surface extérieure de forme et d'action. Car dans l'ordre essentiel secret et divin de la Nature, la vérité spirituelle de tous et de chacun vient d'abord; c'est un fait de ses identités profondes; leur vérité psychologique de qualité et de nature dépend de la vérité spirituelle pour tout ce qui en elle est authentique : elle dérive de l'esprit; répondant à la nécessité la moindre et venant en dernier, la vérité objective de la forme et de l'action dérive de la qualité intérieure de la nature et en dépend pour toutes ces représentations variables de l'existence ici-bas dans l'ordre extérieur. Ou bien, en d'autres termes, le fait objectif n'est que l'expression d'une somme de facteurs de l'âme, qui s'en retournent toujours à une cause spirituelle de leur apparition.

Ce devenir fini extérieur est un phénomène qui exprime,

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l'Infini divin. La Nature est, en second lieu, la Nature inférieure; un développement subordonné variable de quelques combinaisons sélectives à partir des nombreuses possibilités de l'Infini. Issues de la qualité essentielle et psychologique de l'être et du devenir, swabhâva, ces combinaisons de forme et d'énergie, d'action et de mouvement, existent pour des relations plutôt limitées et pour une expérience mutuelle en l'unité cosmique. Et dans cet ordre inférieur, extérieur et apparent des choses, la Nature en tant que pouvoir expressif du Divin est défigurée par les perversions d'une obscure Ignorance cosmique, et ses divines significations perdues dans le mécanisme matérialisé, séparateur et égoïste de notre expérience mentale et vitale. Mais là encore, tout vient du Divin suprême, tout est une naissance, un devenir, une évolution¹, un processus de développement par l'action de la Nature à partir du Transcendant. Aham sarvasya prabhavo mattah sarvam pravartaté, "Je suis de toute chose la naissance, et de Moi tout tire ensuite le développement de son action et de son mouvement." Cela n'est pas seulement vrai de tout ce que nous qualifions de bon, ou que nous louons et reconnaissons comme divin, de tout ce qui est lumineux, sattwique, éthique, tout ce qui donne la paix, tout ce qui donne la joie spirituelle, "la compréhension, la connaissance et la liberté vis-à-vis de la confusion de l'Ignorance, le pardon, la vérité, la maîtrise de soi et le calme d'un contrôle intérieur, le refus de blesser et l'égalité, le contentement, l'austérité et le don". Cela est vrai aussi des oppositions qui déconcertent le mental mortel et entraînent l'ignorance et sa confusion, "le chagrin et le plaisir, la venue au monde et la destruction, la peur et l'intrépidité, la gloire et l'ignominie" avec le reste du jeu de la lumière sur l'ombre et de l'ombre sur la lumière, toutes les myriades de fils mêlés qui tremblent si douloureusement et pourtant avec une constante stimulation à travers l'écheveau de notre mental nerveux et de ses subjectivités ignorantes. Tous ici-bas en leurs diversités séparées, sont les devenirs subjectifs d'existences dans l'unique grand Devenir, et c'est de Lui qui les transcende qu'ils

 

¹prabhava, bhâva, pravritti.

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tirent leur naissance et leur être. Le Transcendant connaît ces choses et en est l'origine, mais il n'est pas pris ainsi qu'en une toile dans cette connaissance diversifiée et il n'est pas vaincu par sa propre création. Il nous faut ici remarquer l'emplacement très significatif des trois mots issus du verbe bhoû, devenir : bhavanti, bhâvâh, bhoûtânâm. Toutes les existences sont des devenirs du Divin, bhoûtani; tous les états et mouvements subjectifs sont les Siens, ainsi que leurs devenirs psychologiques, bhâvâh. Et même ces derniers, nos conditions subjectives moins importantes et leurs résultats apparents non moins que les états spirituels les plus élevés, sont tous des devenirs issus de Être suprême¹, bhavanti matta éva. La énergie reconnaît la distinction entre Être et devenir et y insiste, mais elle n'en fait pas une opposition. Car ce serait abroger l'unité universelle. Le Divin est un dans Sa transcendance; Il est un Moi, soutien universel des choses; Il est un en l'unité de Sa nature cosmique. Les trois sont un seul Divin; tout découle de Lui, tout devient à partir de Son être, tout est portion éternelle ou expression temporelle de Éternel Dans la Transcendance, dans l'Absolu, si nous devons suivre la énergie, il nous faut chercher non pas une suprême négation de toutes choses, mais la clef positive de leur mystère, le secret conciliateur de leur existence.

Mais il existe une autre réalité suprême de l'Infini en laquelle il faut également reconnaître un indispensable élément de la connaissance libératrice. Cette réalité est celle du regard transcendant dirigé vers le bas, ainsi que de l'intime présence immanente du divin gouvernement de l'univers. Le Suprême qui devient toute la création et qui, néanmoins, la transcende infiniment, n'est pas une cause sans volonté demeurant à l'écart de sa création. Il n'est pas un géniteur involontaire qui désavoue toute responsabilité pour ces résultats de son Pouvoir universel, ou qui les rejette sur une conscience illusoire entièrement différente

 

¹cf. l'Oupanishad, âtmâ éva abhoût sarva-bhoûtâni, le Moi est devenu toutes les existences avec la signification que contient le choix des mots, l'Existant-en-Soi est devenu tous ces devenirs.

 

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de la sienne, ou les abandonne à une Loi mécanique ou à un Démiurge ou à un conflit manichéen de Principes. Il n'est pas un Témoin distant et indifférent qui attend, impassible, que tout s'abolisse ou retourne à son principe originel inaltéré. Il est le puissant seigneur des mondes et des peuples, lôka-maheshwara, et il gouverne tout non seulement du dedans mais d'au-dessus, depuis sa suprême transcendance. Le cosmos ne peut être régi par un Pouvoir qui ne transcende point le cosmos. Un gouvernement divin implique la libre domination d'un Souverain omnipotent, et non une force automatique ou une loi mécanique de devenirs déterminatifs, que limiterait l'apparente nature du cosmos. C'est là la vision théiste de l'univers, mais il ne s'agit pas d'un théisme précautionneux et  qui se dérobe, effrayé par les contradictions du monde; il s'agit d'un théisme qui voit en Dieu l'omniscient et l'omnipotent, Être originel unique qui en lui-même manifeste tout, quoi que ce puisse être, bien et mal, douleur et plaisir, lumière et obscurité, comme matériau de son existence, et gouverne personnellement ce qu'en lui-même il a manifesté. Inaffecté par les oppositions qui s'y trouvent, lié en rien par sa création, dépassant cette Nature tout en y étant intimement rattaché et intimement un avec les créatures qu'elle enfante, étant leur Esprit, leur Moi, leur Âme suprême, leur Seigneur, leur Amant, leur Ami, leur Refuge, toujours il les guide du dedans d'elles-mêmes et d'au-dessus à travers les simulacres mortels de l'ignorance et de  la souffrance, du péché et du mal, toujours il guide chacun à  travers sa nature, et tous à travers la nature universelle vers une  lumière, une béatitude, une immortalité et une transcendance suprêmes. Telle est la plénitude de la connaissance libératrice. C'est une connaissance qui voit que le Divin au-dedans de nous et dans le monde est en même temps un Infini transcendant. Absolu devenu tout ce qui est par sa divine Nature et le pouvoir effectif de son Esprit, il gouverne tout depuis sa transcendance. Il est intimement présent dans chaque créature, et il est la cause, le souverain, le metteur en scène de tous les événements cosmiques, mais il est néanmoins beaucoup trop grand, puissant et infini pour être limité par sa création.

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Ce caractère de la connaissance est souligné dans trois versets distincts où il est fait une promesse. "Quiconque connaît, dit le Divin, que Je suis le non-né sans origine, le puissant seigneur des mondes et des peuples, vit sans désarroi parmi les mortels, et il est délivré de tout péché et de tout mal. Quiconque connaît en leurs justes principes cette Mienne souveraineté perméante, et ce Mien Yoga (le divin Yoga, aïshwara yoga, par lequel le Transcendant est un avec toutes les existences lors même qu'il est plus qu'elles toutes, et par lequel il demeure en elles et les contient comme les devenirs de sa Nature), s'unit à 'Moi par un Yoga inébranlable... Les sages Me considèrent comme la naissance de tout et de chacun, considèrent que tout et chacun tire de Moi son action et son mouvement, et ce faisant ils M'aiment et M'adorent... et Je leur donne le Yoga de la compréhension par lequel ils viennent à Moi et pour eux Je détruis l'obscurité issue de l'ignorance." Ces résultats doivent inévitablement sourdre de la nature même de la connaissance et de la nature même du Yoga qui convertit cette connaissance en croissance spirituelle et en expérience spirituelle. Car toute la perplexité du mental et de l'action de l'homme, tous les trébuchements, l'insécurité et l'affliction de son mental, de sa volonté, de sa tournure éthique, des élans de ses émotions, de ses sensations et de sa vie ont leurs antécédents, que l'on peut retrouver, dans la cognition et la volition, tâtonnantes et déroutées, naturelles à son mental mortel qu'obscurcissent les sens et qui est dans le corps, sammôha. Mais lorsqu'il voit la divine Origine de toute chose, lorsque fermement son regard passe de l'apparence cosmique à sa Réalité transcendante et de nouveau de cette Réalité à l'apparence, il s'affranchit alors de cette perplexité où sont le mental, la volonté, le cœur et les sens; il avance, éclairé et libre, asammoûdhah martyéshou. Fixant à chaque chose sa valeur céleste réelle, et non plus sa seule valeur apparente, il trouve les chaînons et les joints cachés; il dirige consciemment toute la vie et tous les actes vers leur haut objet véritable et les gouverne par la lumière et le pouvoir qui lui viennent du Divin en lui. Ainsi échappe-t-il à la cognition fausse, à la réaction erronée du mental et de la volition, à la

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réception et à l'impulsion incorrectes de la sensation qui, ici-bas, engendrent le péché, l'erreur et la souffrance, sarva-pâpaïh pramoutchyaté. Car en vivant de la sorte dans le transcendant et l'universel, il voit son individualité propre ainsi que toutes les autres dans leurs valeurs plus grandes; il est délivré du mensonge et de l'ignorance de sa volonté et de sa connaissance séparatrices et égoïstes. Telle est toujours l'essence de la libération spirituelle.

La sagesse de l'homme libéré ne réside donc pas, aux yeux de la dépassant, dans une conscience impersonnelle abstraite et sans relations avec rien, dans une quiétude fainéante. Car le mental et l'âme de l'homme libéré sont fermement établis dans un sens constant, un sentiment intégral que le monde est imprégné de la présence motrice et directrice du divin Maître de l'univers, étâm vibhoûtim marna yo vetti. L'homme est conscient que son esprit transcende l'ordre cosmique, mais conscient aussi d'être un avec cet ordre par le Yoga divin, yôgam tcha marna. Il voit chaque aspect de l'existence transcendante, cosmique et individuelle en ses justes relations avec la suprême Vérité et les met tous à leur juste place en l'unité du Yoga divin. Il ne voit plus les choses  séparément les unes des autres n'a plus cette vision séparée  qui laisse tout inexpliqué ou unilatéral pour la conscience qui  perçoit. Pas davantage ne voit-il tout mélangé confusément, n'a-t-il cette vision confuse qui donne une fausse lumière et  une action chaotique. Affermi en la transcendance, il n'est pas  affecté par la pression cosmique non plus que par l'agitation du Temps et des circonstances. Inaffecté au milieu de toute cette  création et de toute cette destruction des choses, son esprit  adhère à un ferme, un impavide, un inébranlable Yoga où il est  en union avec ce qui est éternel et spirituel en l'univers. Il observe par son truchement toute la divine persistance du Maître du Yoga et agit à partir d'une tranquille universalité et, d'une tranquille unité avec les choses et les créatures. Et ce contact intime avec toute chose n'implique nullement que l'âme et le mental soient imbriqués dans la nature inférieure séparatrice; en effet, la base de son expérience spirituelle n'est point la  forme et le mouvement phénoménaux inférieurs, mais le Tout  

 

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intérieur et la suprême Transcendance. Il devient semblable en nature et en loi d'être avec le Divin, sâdharmyam âgatâh, transcendant même en l'universalité de l'esprit, universel même en l'individualité du mental, de la vie et du corps. Par ce Yoga une fois celui-ci parachevé, établi et inébranlable, avikampéna yôguéna youdjyaté , il peut prendre sur lui n'importe quel état de la nature, assumer n'importe quelle condition humaine, accomplir n'importe quelle action dans le monde sans choir aucunement de son unité avec le Moi divin, ni rien perdre de sa constante communion avec le Maître de l'existence¹.

Traduite dans le plan des affections, des émotions, du tempérament, cette connaissance devient amour calme et intense adoration du Divin originel et transcendantal au-dessus de nous, le Maître toujours présent de toute chose ici-bas, Dieu en l'homme, Dieu en la Nature. C'est d'abord une sagesse de l'intelligence, la bouddhi, mais qui s'accompagne d'un état d'émotion spiritualisée de la Nature affective², bhâva. Cette transformation du cœur et du mental est le commencement d'un changement complet de toute la nature. Une nouvelle naissance et un nouveau devenir intérieurs nous préparent en vue de l'unité avec l'objet suprême de notre amour et de notre adoration, mad-bhâvâya. Il existe une intense joie d'amour dans la grandeur, la beauté et la perfection de cet Être divin que l'on voit maintenant partout dans le monde et au-dessus, prîti. Cette extase plus profonde remplace le plaisir épars et extérieur que prend le mental dans l'existence, ou plutôt elle y attire toute autre joie et, par une merveilleuse alchimie, transforme les impressions du mental et du cœur et tous les mouvements sensoriels. Toute la conscience s'emplit du Divin et se rassasie de Sa conscience qui répond; toute la vie s'écoule en un unique océan d'expérience béatifique. Les mots et les pensées de tels amants de Dieu deviennent tous une formulation et une compréhension mutuelles du Divin, En cette joie unique, sont concentrés tout le contentement de l'être, tout le jeu et tout le

 

¹sarvathâ vartamânô'pi sa yogi mayi vartaté.

²boudhâ bhâva-samanvitâh.

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plaisir de la nature. Il y a, de moment en moment, une continuelle union dans la pensée et la mémoire, il y a une continuité ininterrompue de l'expérience de l'unité dans l'esprit. Et dès lors que commence cet état intérieur, fût-ce imparfaitement, le Divin le confirme par le Yoga parfait de la volonté et de l'intelligence. Il élève la lampe incandescente de la connaissance en nous, Il détruit l'ignorance du mental et de la volonté qui séparent, Il se révèle en l'esprit humain. Par le Yoga de la volonté et de l'intelligence fondé sur une union illuminée des œuvres et de la connaissance, la transition s'est faite depuis les troubles régions inférieures de notre mental jusqu'au calme immuable de l'Âme-témoin au-dessus de la nature active. Mais à  présent, par ce Yoga plus grand de la bouddhi fondé sur une  union illuminée de l'amour et de l'adoration avec une connaissance qui embrasse tout, l'âme s'élève en une vaste extase vers l'entière vérité transcendantale de l'absolue Divinité qui est à l'origine de tout. Éternel est accompli dans l'esprit individuel ,et la nature individuelle; l'esprit individuel est exalté depuis la  naissance dans le temps jusqu'aux infinitudes de Éternel

 

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