Essais sur la Guîtâ

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Sri Aurobindo

Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.

Sri Aurobindo Birth Centenary Library (SABCL) Essays On The Gita Vol. 13 576 pages 1970 Edition
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Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.

French Translations of books by Sri Aurobindo Essais sur la Guîtâ 675 pages 2008 Edition
French Translation
Translators:
  Archaka
  Pavitra
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XII

 

La Signification Du Sacrifice

 

La théorie du sacrifice selon la Guîtâ est exposée dans deux passages différents; l'un se trouve dans le troisième chapitre, l'autre dans le quatrième; le premier la donne en un langage qui, tel quel, pourrait n'évoquer apparemment que le sacrifice formel; le second, l'interprétant dans le sens d'un vaste symbolisme philosophique, en transforme aussitôt toute la signification et l'élève à un plan de haute vérité psychologique et spirituelle. "Avec le sacrifice, le Seigneur des créatures créa jadis les créatures et dit : "Par cela vous produirez (des fruits ou une progéniture), que cela soit la vache nourricière de vos désirs. Par cela, nourrissez les dieux et que les dieux vous nourrissent; vous nourrissant mutuellement, vous atteindrez au bien suprême. Nourris par le sacrifice, les dieux vous donneront les plaisirs désirés." Celui qui jouit des jouissances qu'ils procurent et qui ne leur a fait de don, celui-là est un voleur. Les bons qui mangent les reliefs du sacrifice sont libérés de tout péché; mais ils sont mauvais et goûtent le péché, ceux qui cuisent (les aliments) pour eux-mêmes. Des aliments, naissent les créatures, de la pluie découle la naissance des aliments, du sacrifice naît la pluie, le sacrifice naît du travail; le travail, sachele, naît du Brahman, le Brahman naît de l'Immuable; ainsi donc le Brahman qui pénètre tout est-il établi dans le sacrifice. Celui qui, ici-bas, ne suit point la roue mise ainsi en mouvement, son être est mauvais, sensuel son plaisir; en vain, ô Partha, vit cet homme." Ayant ainsi exposé la nécessité du sacrifice nous verrons par la suite dans quel sens nous pouvons interpréter un passage qui semble à première vue ne transmettre qu'une théorie traditionnelle du ritualisme et la nécessité de l'offrande cérémonielle -, Krishna passe à la supériorité de l'homme spirituel sur les œuvres : "Mais pour l'homme dont le délice est en le Moi, qui trouve son contentement en la jouissance du Moi et qui en le Moi est satisfait, il n'existe aucun travail qui nécessite

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d'être fait. Il n'a point d'objet ici-bas qu'il doive gagner par l'action accomplie, ni d'objet qu'il doive gagner par l'action inaccomplie; il ne dépend nullement de toutes ces existences, n'ayant aucun objet à gagner."

Voici donc les deux idéaux, védique et védântique, se présentant pour ainsi dire en tout ce qui, à l'origine, les sépare, les oppose de façon aiguë : d'un côté l'idéal actif qui consiste à acquérir ici-bas des plaisirs et le bien suprême au-delà grâce au sacrifice et à la dépendance mutuelle de l'être humain et des pouvoirs divins; et de l'autre, lui faisant face, l'idéal plus austère de l'homme libéré qui, indépendant en l'Esprit, n'a que faire du plaisir ni des œuvres, non plus que des mondes humain ou divin, mais existe uniquement dans la paix du Moi suprême, se réjouit seulement dans la calme joie du Brahman. Les versets suivants créent un terrain de conciliation pour les deux extrêmes; le secret n'est pas l'inaction à peine se tourne-t-on vers la vérité supérieure; c'est l'action sans désir tant avant qu'après l'accession à cette vérité supérieure. L'homme libéré n'a rien à gagner par l'action, mais rien non plus à gagner par l'inaction, et ce n'est pas du tout dans un but personnel qu'il doit faire son choix. "En conséquence, sans attachement accomplis toujours l'oeuvre qui doit être accomplie (accomplie pour le monde, lôka-sangraha, comme il est clairement montré aussitôt après); car en accomplissant les œuvres sans attachement l'homme atteint au suprême; et ce fut simplement par les œuvres que Djanaka et les autres atteignirent à la perfection." Il est vrai que les œuvres et le sacrifice sont un moyen d'arriver au bien suprême, shréyah param avâpsyatha mais il existe trois sortes d'œuvres : celle qui, accomplie sans sacrifice, pour le plaisir personnel, est entièrement égoïste, tournée vers soi et manque la vraie loi, le vrai but, la vraie utilité de la vie, môgham pârtha sa djîvati; celle qui est accomplie avec désir, mais comme un sacrifice et avec le plaisir seulement comme résultat du sacrifice et qui est ,donc consacrée et sanctifiée dans cette mesure-là; et celle qui est accomplie sans désir ni attachement d'aucune sorte. C'est la dernière qui conduit l'âme de l'homme au suprême, param âpnôti poûroushah.

 

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Tout le sens, toute la teneur de cet enseignement tournent autour de l'interprétation que nous allons donner aux mots importants yadjna, karma, brahma, sacrifice, œuvre, Brahman. Si le sacrifice est simplement le sacrifice védique, si l'œuvre dont il naît est la règle védique des œuvres et si le Brahman dont l'œuvre naît elle-même est le shabda-brahman dans le sens, uniquement, de la lettre du Véda, alors sont concédées toutes les positions du dogme védique, et il n'y a rien de plus. Le sacrifice formel est le Juste moyen d'obtenir des enfants, la richesse, la jouissance; par le sacrifice formel, on fait tomber la pluie du ciel, et la prospérité et la perpétuation de la race sont assurées; la vie est une incessante transaction entre les dieux et les hommes, où l'homme offre aux dieux des présents cérémoniels pris sur les dons qu'ils lui ont octroyés et où il est en retour enrichi, protégé et nourri. Dès lors, toute œuvre humaine doit s'accompagner d'un sacrement, se changer en un sacrement par le sacrifice formel et le culte ritualiste; l'œuvre qui n'est pas consacrée de la sorte est maudite, la jouissance obtenue sans sacrifice formel préalable ni consécration rituelle est un péché. Même le salut, même le bien suprême doivent se gagner par le sacrifice formel, qu'il ne faut jamais abandonner. Même celui qui recherche la libération doit continuer d'accomplir le sacrifice formel, bien que sans attachement; c'est par le sacrifice formel et les œuvres ritualistes accomplis sans attachement que les hommes comme Djanaka atteignirent à la perfection spirituelle et à la libération.

Ce ne peut évidemment pas être là le sens de la Guîtâ, car il serait en contradiction avec tout le reste du livre. Déjà, dans le passage lui-même, sans l'interprétation illuminatrice qui lui est donnée par la suite dans le quatrième chapitre, nous avons l'indication d'un sens plus large où il est dit que le sacrifice naît du travail, le travail du Brahman, le Brahman de l'ouvre et donc que le Brahman qui pénètre tout, sarva-gatam brahma, est établi dans le sacrifice. La logique coordonnatrice du "donc" et la répétition du mot brahma sont significatives; car elles indiquent clairement qu'il faut comprendre le Brahman dont naît toute œuvre en ayant en tête non pas tant l'enseignement

 

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védique courant où il désigne le Véda que le sens symbolique où le Verbe créateur est identique au Brahman qui pénètre tout, à l'Éternel, à l'unique Moi présent dans toutes les existences, sarva-bhoûtéshou, et présent dans tous les fonctionnements de l'existence. Le Véda est la connaissance du Divin, de Éternel "Je suis Celui que l'on doit connaître dans tous les livres de la Connaissance, védaïshtcha védyah", dira Krishna dans un chapitre ultérieur; mais c'est la connaissance de ce qu'il est dans les fonctionnements de la Prakriti, dans les fonctionnements des trois gounas, premières qualités ou modes de la Nature, traïgounya-vishayâ védâh. Ce Brahman ou Divin dans les opérations de la Nature naît, pouvons-nous dire, de Éternel, le Pourousha immuable, le Moi qui se tient au-dessus de tous les modes ou qualités ou opérations de la Nature, nistraïgounya. Le Brahman est un, mais il se révèle sous deux aspects, l'Être immuable et le créateur, origine des œuvres dans le devenir mutable, âtman, sarva-bhoûtâni il est l'omniprésente Éternel immobile des choses et il est le principe spirituel du fonctionnement mobile des choses, le Pourousha demeurant en lui-même et le Pourousha actif en la Prakriti; il est akshara et kshara. Sous ces deux aspects, Être divin, le Pouroushôttama se manifeste dans l'univers; l'immuable au-dessus de toute qualité est Son aspect de sérénité, de possession de soi-même, d'égalité, samam brahma de cet aspect, découle Sa manifestation dans les qualités de la Prakriti et leurs opérations universelles; du Pourousha en la Prakriti, de ce Brahman avec qualités, découlent toutes les œuvres¹ de l'énergie universelle, karma, en l'homme et en toutes les existences: de ces œuvres, découle le

 

¹Cette interprétation est la bonne, cela ressort également de l'ouverture du huitième chapitre, où sont énumérés les principes universels : akshara (brahma); swabhâva, karma, kshara bhâva, pourousha, adhi-yadjña. Éternel est le Brahman immuable, l'esprit ou moi, l'Atman; le swabhâva est le principe du moi, adhyâtma, opérant comme nature originelle de l'être, "propre façon de devenir", et il procède du moi, Éternel; le karma en procède à son tour et est le mouvement créateur, visarga, qui amène à l'existence tous les êtres naturels et toutes les changeantes formes d'être, subjectives et objectives; le résultat du karma est donc tout ce devenir mutable, les changements de la nature développés à partir de la nature essentielle originelle, kshara bhâva à partir du swabhâva; le Pourousha est l'âme, l'élément divin dans le devenir, adhi-daïvata, par la présence duquel les opérations du karma deviennent un sacrifice, yadjna, au Divin intérieur; l'adhi-yadjña est ce Divin secret qui reçoit le sacrifice.

 

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principe du sacrifice. Même l'échange matériel entre les hommes et les dieux s'appuie sur ce principe; à titre d'exemple, la pluie et la nourriture qu'elle produit dépendent de ce fonctionnement et, d'elles deux, dépend la naissance physique des créatures. Car toute l'œuvre de la Prakriti est en sa vraie nature un sacrifice, yadjna, Être divin étant celui qui jouit de tous les "énergismes¹", de toutes les œuvres et du sacrifice, et étant le haut Seigneur de toute existence, bhôktâram yadjña-tapasâm sarva-bhoûta-maheshwaram. Connaître ce Divin omnipénétrant qui est établi dans le sacrifice, sarva-gatam yadjñé pratishthitam, est la vraie connaissance, la connaissance védique.

Mais on peut le connaître dans une action inférieure par l'entremise des dévas, les dieux, les pouvoirs de Éternel divine en la Nature, et dans l'éternelle interaction de ces pouvoirs et de l'âme humaine, donnant et recevant en toute réciprocité, s'aidant mutuellement, augmentant, élevant réciproquement leurs œuvres et leur satisfaction, commerce où l'homme se hisse vers une croissante aptitude au bien suprême. Il reconnaît que sa vie fait partie de cette action divine en la Nature et qu'elle n'est point une chose séparée qu'il faille posséder et poursuivre pour elle-même. Il considère ses plaisirs et la satisfaction de ses désirs comme fruit du sacrifice et don des dieux en leurs divines opérations universelles, et il cesse de les poursuivre dans l'esprit faux et mauvais de l'égoïsme personnel et pécheur comme s'ils étaient un bien qu'il doive arracher à la vie avec sa seule force, sans rien donner en retour et sans gratitude. À mesure que cet esprit grandit en lui, il subordonne ses désirs, se satisfait du sacrifice comme loi de la vie et des œuvres, et se contente des reliefs du sacrifice, abandonnant de son plein gré tout le reste

 

¹Sri Aurobindo forge en anglais le mot energism, qui évoque la mise en action de l'énergie. (N.d.T.)

 

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comme offrande dans le vaste et bienfaisant échange entre sa vie et la vie universelle. Quiconque va à Rencontre de cette loi d'action et poursuit les œuvres et les plaisirs pour son intérêt personnel isolé, vit en vain; il manque le vrai sens, le vrai but et la vraie utilité de la vie et la croissance ascendante de l'âme; il n'est point sur le sentier qui conduit au bien suprême. Or, le bien suprême vient seulement lorsque le sacrifice est offert non plus aux dieux, mais à l'unique Divin qui pénètre tout et est établi dans le sacrifice, et dont les dieux sont des formes et des pouvoirs inférieurs, et lorsque l'homme rejette le moi inférieur qui désire et qui savoure et qu'il abandonne son sentiment personnel d'être l'ouvrier à la vraie exécutante de toutes les œuvres, la Prakriti, et son sentiment personnel d'éprouver du plaisir au divin Pourousha, le Moi supérieur et universel, lequel est celui qui jouit réellement des œuvres de la Prakriti. En ce Moi, et non en quelque plaisir personnel, il trouve à présent sa seule satisfaction, son complet contentement, sa joie pure : il n'a rien à gagner par l'action ni par l'inaction, ne dépend ni des dieux ni des hommes pour rien, ne cherche d'avantages auprès d'aucun, car la joie en soi lui est toute-suffisante, mais il accomplit les œuvres pour le Divin seul, comme un pur sacrifice, sans attachement ni désir. Ainsi acquiert-il l'égalité et s'affranchit-il des modes de la Nature, nistraïgounya', son âme s'établit non en l'insécurité de la Prakriti, mais en la paix du Brahman immuable, lors même que ses actions continuent dans le mouvement de la Prakriti. Ainsi le sacrifice est-il pour lui le moyen d'atteindre au Suprême.

Tel est le sens du passage, cela ressort clairement, dans ce qui suit, de l'affirmation qui fait du lôka-sangraha l'objet des œuvres, de la Prakriti l'unique exécutante des œuvres et du Pourousha divin le soutien équanime des œuvres à qui il faut les remettre au moment même où on les accomplit cette façon de se retirer intérieurement des œuvres tout en les accomplissant physiquement est le sommet du sacrifice -, et ressort de l'affirmation selon laquelle ce sacrifice actif accompli avec un mental égal et sans désir aboutit à l'affranchissement de l'esclavage des œuvres. "Celui qui se satisfait du gain qui lui vient, quel qu'il

 

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soit, et qui est égal dans l'échec et le succès, n'est point lié même lorsqu'il agit. Lorsqu'un homme affranchi, libre de l'attachement, agit pour le sacrifice, toute son action est dissoute", elle ne laisse, en d'autres termes, aucun résultat aliénant ni aucune impression subséquente sur son âme libre, pure, égale et parfaite. Sur ces passages, il nous faudra revenir. Ils sont suivis d'une interprétation parfaitement explicite et détaillée du sens du mot yadjna, dans la langue de la Guîtâ, qui ne laisse absolument aucun doute sur l'emploi symbolique des mots et le caractère symbolique du sacrifice prescrit par cet enseignement. Dans l'ancien système védique, il y a sait toujours un double sens, physique et psychologique, extérieur et symbolique, la forme extérieure du sacrifice et la signification intérieure de tout ce qui en participait. Mais le symbolisme secret des anciens mystiques védiques, exact, curieux, poétique, psychologique, était à cette époque oublié depuis longtemps, et il est maintenant remplacé par un autre, vaste, général et philosophique, dans l'esprit du Védânta et d'un Yoga ultérieur. Le feu du sacrifice agni, n'est point une flamme matérielle, mais brahmâgni, le feu du Brahman, ou bien c'est l'énergie tournée vers le Brahman, l'Agni intérieur, prêtre du sacrifice, en lequel est déversée l'offrande; le feu est la maîtrise de soi, ou c'est une action sensorielle purifiée, ou bien c'est l'énergie vitale dans cette discipline du contrôle de l'être vital par le contrôle du souffle qu'ont en commun le Râdja-Yoga et le Hatha-Yoga, ou encore c'est le feu de la connaissance de soi, la flamme du suprême sacrifice. Il est expliqué que la nourriture consommée, quand elle provient des reliefs du sacrifice, est le nectar d'immortalité, amrita, reste de l'offrande; et ici, nous retrouvons quelque chose du vieux symbolisme védique où le vin de Sôma était le symbole physique de l'amrita, le délice immortalisateur de l'extase divine, gagné par le sacrifice, offert aux dieux et bu par les hommes. L'offrande elle-même consiste en toute œuvre de l'énergie physique ou psychologique de l'homme, qui est consacrée par lui dans l'action du corps ou l'action du mental, aux dieux ou à Dieu, au Moi ou aux puissances universelles, à son propre Moi supérieur ou au Moi dans l'humanité et dans toutes les existences.

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Cette explication détaillée du yadjna commence par une vaste définition globale où il est déclaré que l'acte, l'énergie et les matériaux du sacrifice, celui qui donne et celui qui reçoit le sacrifice, le but et l'objet du sacrifice, sont tous l'unique Brahman. "Le Brahman est l'action de donner, le Brahman est l'offrande de nourriture, par le Brahman elle est offerte en le feu qu'est le Brahman, le Brahman est ce qu'il faut atteindre par le samâdhi en l'action qu'est le Brahman." Telle est donc la connaissance à partir de laquelle l'homme libéré doit accomplir les œuvres du sacrifice. C'est la connaissance déclarée jadis dans les grandes formules védântiques "Je suis Lui", "Tout ceci, en vérité, est le Brahman, le Brahman est ce Moi." C'est la connaissance de l'entière unité; c'est l'Un manifesté en tant que celui qui fait et ce qui est fait et qu'objet des œuvres, que connaissant et connaissance et objet de connaissance. L'énergie universelle en quoi l'action est versée est le Divin; l'énergie consacrée du don est le Divin; quoi que l'on offre, ce n'est qu'une forme du Divin; celui qui donne l'offrande est le Divin Lui-même en l'homme; l'action, l'oeuvre, le sacrifice sont eux-mêmes le Divin en mouvement, en activité; le but à atteindre par le sacrifice est le Divin. Pour l'homme qui a cette connaissance et qui vit et agit en elle, il ne peut exister d'œuvres asservissantes, d'action personnelle et que l'on s'approprie égoïstement; il n'y a que le divin Pourousha agissant par la divine yadjñé en Son être propre, offrant toute chose en le feu de Son énergie cosmique consciente de soi, tandis que la connaissance et la possession de Son existence et de Sa conscience divines par l'âme unifiée avec Lui constituent le but de tout ce mouvement et de toute cette activité dirigés vers Dieu. Connaître cela, vivre et agir dans cette conscience unificatrice, c'est être libre.

Mais tous les yogis eux-mêmes n'ont pas atteint à cette connaissance. "Certains yogis suivent le sacrifice qui est des dieux; d'autres offrent le sacrifice par le sacrifice lui-même en le feu qu'est le Brahman." Les premiers conçoivent le Divin sous diverses formes et divers pouvoirs et Le cherchent par différents moyens, ordonnances, dharmas, lois, ou, pourrait-on dire, par des rites établis pour l'action, par la discipline de soi, par les

 

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œuvres consacrées; pour les autres, ceux qui savent déjà, le simple fait du sacrifice, le fait d'offrir quelque œuvre que ce soit au Divin Lui-même, de jeter toutes leurs activités dans la conscience et l'énergie divines unifiées, est leur unique moyen, leur unique dharma. Les moyens de sacrifier sont variés; les offrandes sont de diverses sortes. Il y a le sacrifice psychologique de la maîtrise de soi et de la discipline de soi qui conduit à la possession et à la connaissance supérieures de soi. "Certains offrent leurs sens dans les flammes de la maîtrise, d'autres les objets des sens dans les flammes des sens, et d'autres toutes les actions des sens et toutes les actions de la force vitale dans le feu du Yoga de la maîtrise de soi allumé par la connaissance." En d'autres termes, il y a la discipline qui reçoit les objets de la perception sensorielle sans permettre au mental d'être dérangé ni affecté par ses activités sensorielles, les sens devenant eux-mêmes les flammes pures du sacrifice; il y a la discipline qui tranquillise les sens de façon que, calme et paisible, l'âme en sa pureté puisse apparaître de derrière le voile de l'action mentale; il y a la discipline par laquelle, quand le moi est connu, toute l'action des perceptions sensorielles et toute l'action de l'être vital sont reçues en cette âme une, immobile et tranquille. L'offrande de celui qui s'efforce vers la perfection peut être matérielle et physique, dravya-yadjña, comme celle que l'adepte consacre à sa déité en son culte; l'offrande peut être l'austérité de sa discipline de soi et l'énergie de son âme dirigées vers un but élevé, tapo-yadjña, ou être une forme de Yoga, tel le prânâyâma des râdja-yogis et des hatha-yogis, ou tout autre yôga-yadjña. Toutes ces offrandes visent à la purification de l'être tout sacrifice est un chemin vers la possession du suprême.

L'unique chose nécessaire, le principe salvateur constant dans toutes ces variations est de subordonner les activités inférieures, de diminuer la mainmise du désir et de remplacer celui-ci par une énergie supérieure, de quitter le plaisir purement égoïste pour cette joie plus divine qui vient du sacrifice, de la consécration de soi, de la maîtrise de soi, de l'abandon des impulsions inférieures au profit d'un but plus grand et plus élevé. "Ceux qui savourent le nectar d'immortalité qui reste du

 

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sacrifice atteignent au Brahman éternel." Le sacrifice est la loi du monde, et sans sacrifice rien ne peut se gagner, ni la maîtrise ici-bas, ni la possession des deux au-delà, ni la suprême possession de tout; "ce monde n'est pas pour celui qui n'accomplit point le sacrifice, comment aucun autre monde lui appartiendrait-il alors?" Par conséquent, toutes ces formes du sacrifice, et bien d'autres ont été "éployées dans la bouche du Brahman", la bouche de ce Feu qui reçoit toutes les offrandes; elles sont toutes des moyens et des formes de l'unique grande Existence en activité, des moyens par lesquels l'action de l'être humain peut être offerte à Cela dont son Existence extérieure fait partie et avec quoi son moi le plus profond est un. Elles sont "toutes nées de l'oeuvre"; toutes procèdent de l'unique et vaste énergie du Divin par laquelle elles sont ordonnées et qui se manifeste dans le karma universel et fait de toute l'activité cosmique une offrande progressive à l'unique Moi et Seigneur et dont le dernier stade pour l'être humain est la connaissance de soi et la possession de la conscience divine ou brahmique. "Ayant cette connaissance, tu deviendras libre."

Mais il existe des gradations dans l'étendue de ces diverses formes de sacrifice, l'offrande physique étant la plus basse, le sacrifice de l'intelligence étant le plus haut. La connaissance est ce en quoi culmine toute cette action, non point quelque connaissance inférieure, mais la suprême connaissance de soi et de Dieu, celle que nous pouvons recevoir de ceux qui connaissent les vrais principes de l'existence, celle par la possession de laquelle nous ne retomberons pas dans l'égarement de l'ignorance mentale et dans son asservissement à la simple connaissance sensorielle et à l'activité inférieure des désirs et des passions. La connaissance en laquelle tout culmine est celle par laquelle "tu verras toutes les existences (les devenirs, bhoûtâni) sans exception dans le Moi, puis en Moi". Car le Moi est cette réalité une, immuable, qui imprègne et contient tout, existante en soi, ce Brahman, caché derrière notre être mental et en quoi notre conscience se déploie lorsqu'elle est libérée de l'ego; nous finissons par voir tous les êtres comme des devenirs, bhoûtâni, en cette unique existence en soi.  

 

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Mais ce Moi ou Brahman immuable, nous voyons également qu'il est, pour notre conscience psychologique essentielle, la représentation par Lui-même d'un Être suprême qui est la source de notre existence et de qui tout ce qui est mutable ou immuable est la manifestation. Il est Dieu, le Divin, le Pouroushôttama. Nous Lui offrons toute chose en sacrifice; entre Ses mains, nous abandonnons nos actions; en Son existence nous vivons et nous nous mouvons; unifiés avec Lui en notre nature et en Lui avec toute existence, nous devenons une seule âme et un seul pouvoir d'être avec Lui et avec tous les êtres; à Sa suprême réalité, nous identifions et unissons notre être essentiel. Par les œuvres accomplies pour le sacrifice, éliminant le désir, nous parvenons à la connaissance et à la possession de l'âme par elle-même; par les œuvres accomplies dans la connaissance de soi et dans la connaissance de Dieu, nous sommes libérés en l'unité, la paix et la joie de l'existence divine.

 

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