Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita.
Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.
Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.
III
Tel est donc le divin Instructeur de la Guîtâ, l'éternel Avatar, le Divin qui est descendu dans la conscience humaine, le Seigneur qui se tient au cœur de tous les êtres, Celui qui conduit, caché derrière le voile, toutes nos pensées, nos actions et les aspirations de notre cœur. de même qu'il dirige, caché derrière le voile des formes, des forces et des tendances visibles ou sensibles, la grande action universelle du monde qu'il a manifesté dans son propre être. Tout l'effort de nos recherches et de nos tentatives ascendantes trouve son couronnement et s'apaise dans la satisfaction de son accomplissement, quand nous pouvons déchirer le voile et pénétrer au-delà de notre moi apparent jusqu'à ce Moi véritable, quand nous pouvons parfaire tout notre être dans ce vrai Seigneur de notre être, quand nous pouvons renoncer à notre personnalité pour l'unique et réelle Personne, immerger dans sa pleine lumière nos activités mentales toujours dispersées et toujours convergentes, offrir notre volonté aberrante, toujours en lutte, à sa volonté vaste, lumineuse et indivisée, c abandonner et satisfaire à la fois nos désirs et émotions centrages et dissipés, dans la plénitude de sa béatitude qui existe par elle-même. Tel est l'Instructeur du monde, celui dont l'éternelle connaissance se réfléchit d'une manière variée et partielle dans tous les enseignements les plus élevés; telle est !a voix à laquelle l'ouïe de noire âme doit s'éveiller.
Ardjouna, le disciple qui reçoit l'initiation sur le champ de bataille, est la contrepartie de cette conception de l'Instructeur. Il est le type de l'âme humaine qui lutte et n'a pas encore la connaissance, mais qui est devenue capable de la recevoir par son action dans le monde accomplie dans une amitié et une intimité croissantes avec le Moi supérieur et divin dans l'humanité. Selon une explication de la Guîtâ, non seulement cet épisode, mais le Mahâbhârata tout entier, ne serait qu'une
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allégorie de la vie intérieure et n'aurait rien à faire avec la vie et l'action humaines extérieures; ces batailles seraient celles que livre l'âme aux puissances qui lunent en nous pour nous posséder. Ceci est une vue que le caractère général de l'épopée et son langage tel qu'il est ne justifient pas et qui, si on la serrait d'un peu près, ferait de la langue de la Guîtâ, philosophique mais sans détours, une mystification continuelle, laborieuse et quelque peu puérile. Certes le langage des Védas et au moins d'une partie des Pourânas est nettement .symbolique, plein d'images et de représentations concrètes des choses cachées derrière le voile; mais la Guîtâ est rédigée en termes très simples, elle prétend résoudre les grands problèmes éthiques et spirituels que pose la vie humaine et l'on ne peut pas passer au delà du langage et de la pensée, si simples, et les travestir au gré de sa fantaisie. Pourtant cette façon de voir a ceci de vrai, que la présentation de la doctrine est sinon symbolique, du moins typique, comme doit l'être nécessairement la présentation d'un discours tel que la Guîtâ, s'il doit avoir une relation quelconque avec ce qui l'encadre. Comme nous l'avons vu, Ardjouna est l'homme représentatif d'une grande lutte mondiale et d'un mouvement, divinement guidé, d'hommes et de peuples; il est dans la Guîtâ le type de l'âme humaine d'action placée par cette action, au moment de sa plus haute et de sa plus violente crise, en face du problème de la vie humaine et de son apparente incompatibilité avec l'état spirituel ou même avec un idéal purement moral de perfection.
Ardjouna est le combattant, avec à son côté dans le char le divin Krishna comme conducteur. Dans les Védas nous trouvons cette même image de l'âme humaine et du Divin traversant dans un même char le champ d'une grande bataille pour atteindre le but d'un effort qui vise haut. Mais là c'est une pure figure et un symbole. Là le Divin, c'est Indra, maître du monde de lumière et d'immortalité, pouvoir de la divine connaissance qui descend aider le chercheur humain en guerre avec les fils du mensonge, de l'obscurité, de la limitation et de la mort; la bataille est la lutte contre les ennemis spirituels qui barrent le chemin vers le monde supérieur de notre être; et le but est le
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plan de vaste existence, resplendissant de la lumière de la suprême vérité, et soulevé jusqu'à la conscience immortalité de âme devenue parfaite, plan dont Indra est le maître. âme humaine est activités, celui qui, comme son nom l'indique, recherche avec constance la sagesse du voyant et il est fils d'Ardjouna, "le Blanc"; c'est dire qu'il est âme sattwique, purifiee et pleine de lumière, ouverte à la gloire ininterrompue de la connaissance divine. Et lorsque le char parvient au but du voyage, qui est la propre demeure d'Indra, l'humain activités est arrive à ressembler si complètement à son divin compagnon qu'il ne peut être distingue de lui que par Satchi, l'épouse d'Indra, parce qu'elle est "consciente de la vérité". Il s'agit évidemment d'une parabole touchant la vie intérieure de l'homme; elle est une image de l'humain qui croît à la ressemblance de l'éternel divin par l'illumination grandissante de la connaissance. Seulement, la Guîtâ part de l'action et Ardjouna est l'homme d'action et non de savoir, il est le lutteur et jamais le voyant ni le penseur.
Ce tempérament caractéristique du disciple est clairement indiqué dès le début du livre et il est conservé jusqu'au bout. On l'observe d'abord à la manière dont Ardjouna s'éveille à la signification de ce qu'il fait, au sens du grand massacre dont il est destiné à être le principal instrument; on l'observe dans les pensées qui se lèvent immédiatement en lui, dans le point de vue et dans les mobiles psychologiques qui le font reculer devant la terrible catastrophe. Ce ne sont pas les pensées, le point de vue, les motifs d'un esprit philosophique, ni même d'un esprit très réfléchi ou d'une nature spirituelle, en face du même problème ou d'un problème similaire. Ce sont ceux, pourrions-nous dire, de l'homme pratique ou homme d'action, de l'être humain émotif et sensitif, moral et intelligent, mais qui n'est pas habitué à la réflexion profonde et originale, ni à sonder les profondeurs; ceux bien plutôt d'un homme accoutumé à des principes élevés, mais fixes, de pensée et d'action, habitué à marcher avec confiance à travers les vicissitudes et les difficultés de la vie, et qui soudain découvre que tous ses principes lui font défaut et qu'il
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est privé, d'un seul coup, de tout le fondement de la confiance en lui et dans la vie. Telle est la nature de la crise qu'il subit.
Ardjouna est. dans le langage de la Guîtâ, un homme soumis à l'action des trois gounas ou modes de la Nature-Force et habitué à se mouvoir dans ce domaine, comme la généralité des hommes, sans se poser de questions. Il ne justifie son nom que par le fait qu'il est assez pur et sattwique pour être gouverne que par des principes élevés et des impulsions claires, et qu'habituellement il dirige sa nature inférieure selon la loi morale la plus noble qu'il connaisse. Il n'est pas de disposition violente, asourique, ni l'esclave de ses passions; il a acquis un calme supérieur et le contrôle de soi; c'est un homme habitue à remplir ses devoirs avec fermeté et à obéir strictement aux meilleurs principes régnant au temps et dans la société où il vit, aux principes de la religion et de l;a morale dans lesquelles il a été élevé. Il est égoïste comme les autres hommes, mais de cet égoïsme purifie et sattwique qui tient compte de la loi morale, de la société et des droits des autres et non seulement ou principalement de ses propres intérêts, de ses désirs et de ses passions. Il a vécu, il s'est dirigé conformément au Shâstra, le code moral et social. L'idée qui le domine, la norme à laquelle il obéit est le dharma, cette conception collective hindoue de la règle de conduite religieuse, sociale et morale, et particulièrement celle de l'état et de la fonction auxquels il appartient, lui le kshatriya à l'esprit élevé, maître de lui-même, le prince chevaleresque, guerrier et chef d'hommes aryens. C'est en suivant cette loi, en mettant en pratique ces notions de venu et de droit qu'il a vecu jusqu'ici; et il découvre soudain qu'elles l'ont amené à devenir le protagoniste d'un massacre terrifiant et inouï, d'une monstrueuse guerre civile qui embrase toutes les nations aryennes civilisées, doit entraîner la complète destruction de la fleur de leur virilité, et menace de chaos et de ruine toute leur civilisation.
Il est encore typique de l'homme d'action que ce soit par ses sensations qu'il s'éveille à la signification de son action. Il a demandé à son ami, le conducteur du char, de le mener entre les deux armées, sans y être poussé par une idée plus profonde que
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l'intention fière de voir et de regarder face à face ces mille champions de l'injustice, qu'il a pour mission de rencontrer, de vaincre et de détruire, dans "cette fête du combat", afin que la justice puisse prévaloir. C'est en les considérant que la révélation lui vient du sens d'une guerre civile et domestique, d'une guerre où non seulement les hommes de la même race, de la même nation, du même clan, mais de la même famille et du même foyer combattent dans les camps opposés. Tous ceux que l'homme social tient pour particulièrement chers et sacrés, il doit les affronter en ennemi et les tuer, que ce soient le maître et précepteur vénéré, le vieil ami, camarade et compagnon d'armes, ou ses parents, soit par le sang, soit par alliance, grand-père, oncle, père, fils ou petit-fils; tous ces liens sociaux doivent être tranchés par le glaive. Ce n'est pas qu'il ignorât ces choses auparavant; mais il ne s'était pas représenté ce qu'elles signifiaient, Il ne les avait m profondément méditées, ni éprouvées dans son cœur, au centre de son être, obsédé qu'il était par l'idée de ses droits et des torts subis, par les principes de sa vie, la lutte pour le droit, le devoir d'un conscience de protéger la justice et la loi et de combattre à mort la violence injuste. Et maintenant que cette vision lui est découverte par le divin conducteur, qu'elle est placée d'une manière si sensationnelle devant ses yeux, elle pénètre en lui comme un coup de poignard, porté au centre même de son être vital, émotif et sensitif.
Le premier effet en est une violente crise de Pâme et du corps qui entraîne le dégoût de l'action et de ses mobiles matériels, et de la vie elle-même, Ardjouna repousse le but de vie que poursuit l'humanité égoïste : le bonheur et la jouissance; il repousse le but de vie du ksatriya : la victoire, l'autorité, la puissance et le gouvernement des hommes Qu'est-ce après tout que la lutte pour la justice, quand elle est réduite à son expression pratique, si ce n'est simplement la lutte pour ses intérêts propres, ceux de ses frères et de son parti, ou pour la possession, la jouissance et le pouvoir? Mais à ce prix, ces biens ne valent pas qu'on s'en empare. Car en eux-mêmes ils sont sans valeur; ils n'en ont que comme moyen du juste maintien de la vie sociale et nationale, et c'est précisément cet objet-là qu'il va
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détruire en détruisant sa famille et sa race. Puis vient le cri de l'émotion. Voici ceux qui rendent la vie et le bonheur désirables, nos proches! Qui donc consentirait à les mettre à mort, fût-ce pour la terre entière, fût-ce même pour le royaume des trois mondes? Quel plaisir peut-il y avoir dans la vie, quel bonheur, quelle satisfaction en soi-même après une telle action? Toute l'affaire n'est qu'un affreux péché; car maintenant le sens moral s'éveille pour justifier la révolte des sens et du cœur. C'est un péché; il n'y a ni droit ni justice dans l'extermination réciproque, surtout lorsque ceux qui doivent être massacrés sont les objets naturels du respect et de l'amour, lorsque la vie sans eux n'est plus digne d'être vécue; violer ces sentiments sacrés ne peut cire vertu, mais crime odieux. Il est entendu que l'offense, l'agression, le premier péché, les crimes d'avidité et de passion égoïste qui ont poussé les choses jusqu'à ce point, vinrent de nos adversaires; et pourtant la résistance armée contre le mal serait elle-même, dans ces circonstances, un péché et un crime pire que le leur, parce qu'ils sont aveuglés par la passion et inconscients de leur faute, tandis que de ce côté-ci le péché serait commis avec un clair sentiment de culpabilité. Et dans quel but? Pour le maintien de la morale familiale, de la loi sociale et de la loi de la nation? Mais non, puisque ce sont justement ces valeurs qui seraient ruinées par la guerre civile; puisque la famille elle-même serait annihilée, puisque seraient engendrées la corruption de la morale et l'impureté de la race, puisque seraient détruites les lois éternelles de la race et la loi morale de la famille. La ruine de la race et l'effondrement de ses antiques traditions, la dégradation morale et l'enfer pour les auteurs d'un pareil crime, tels sont les seuls résultats pratiques possibles de cette monstrueuse guerre civile. "C'est pourquoi, s'écrie Ardjouna, en jetant loin de lui l'arc divin et le carquois inépuisable qui lui ont été donnés par les dieux en vue de cette heure terrible, il vaut mieux pour moi me laisser massacrer, désarmé et sans résistance, par les fils armés de Dhritarâshtra. Je ne combattrai pas."
Le caractère propre de cène crise intérieure n'est donc point le doute du penseur. Ce n'est pas un recul devant les apparences
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de la vie ni le regard qui se tourne vers l'intérieur à la recherche de la vérité des choses, de la signification de l'existence, d'une solution ou d'une échappatoire à la sombre énigme du monde. C'est la révolte morale, émotive et sensitive d'un homme qui s'est jusqu'ici contenté de l'action et de ses principes couramment admis, et que ces mêmes principes jettent dans un horrible chaos, où ils sont tous en conflit entre eux; il y perd pied et ne peut trouver aucun point d'appui, aucune règle de conduite, aucun dharma¹. Cette situation pour l'âme d'action dans l'être mental est la pire crise qui soit, la faillite, la déroute. La révolte en elle-même est la plus élémentaire et la plus simple possible; en elle-même est la plus élémentaire et la plus simple possible; dans l'ordre de la sensation elle est le sentiment primaire d'horreur, de pitié, de dégoût; dans l'ordre vital, la pêne de tout attrait pour les motifs reconnus et familiers d'action, pour les buts de la vie, et la disparition de toute foi en eux; dans l'ordre de l'émotion, le recul des sentiments habituels de l'homme social, affection, respect, désir du bonheur et de la satisfaction pour tous, leur recul devant un austère devoir qui les outragerait tous; moralement, le sens élémentaire du péché et de l'enfer, la répulsion pour les plaisirs tachés de sang; pratiquement, l'impression que les principes d'action ont provoqué un résultat qui ôte tout but réel à l'action. Mais la conclusion de l'ensemble est cet effondrement intérieur général qu'exprime Ardjouna quand il dit que tout son être est complètement égaré, non seulement sa pensée, mais aussi son cœur, ses désirs vitaux et tout en lui, et qu'il ne trouve plus nulle part de règle d'action, de dharma qui lui paraisse valable. C'est pour cette seule raison qu'en tant que disciple, il cherche un refuge auprès de Krishna. "Donne-moi, demande-t-il en fait, ce que j'ai perdu, une loi authentique, une claire règle d'action, un chemin où je puisse de nouveau marcher avec confiance." Il ne demande pas le secret de la vie ou du monde, la signification et le but de toutes choses, mais un dharma.
¹Dharma signifie littéralement ce dont on peut se saisir et qui maintient les choses ensemble, la foi, ta nonne, la règle naturelle, la règle de conduite et de vie.
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Et pourtant, c'est précisément à ce secret qu'il ne demande pas, ou tout au moins à une connaissance de ce secret suffisante pour l'amener à une vie supérieure, que son divin Instructeur se propose de le conduire; car ce que l'Instructeur veut c'est qu'il renonce à tous les dharmas, sauf à celui, unique et vaste, qui consiste à vivre consciemment dans le Divin et à agir selon cette conscience. C'est pourquoi, après avoir mis à l'épreuve la plénitude de sa révolte contre les préceptes ordinaires de conduite, il se met à lui dire bien des choses qui concernent l'état de l'âme, mais qui ne se rapportent à aucune règle extérieure d'action : il doit conserver son égalité d'âme, abandonner tout désir du fruit de son œuvre, s'élever au-dessus de ses notions intellectuelles de vice et de vertu, vivre et agir en union avec le Divin, l'esprit en samâdhi, c'est-à-dire fixé fermement dans le Divin seul. Ardjouna n'est pas satisfait; il désire savoir comment un tel changement d'état d'âme affectera l'action extérieure de l'homme, quel effet il aura sur son langage, ses mouvements, sa manière d'être, quelles modifications il entraînera dans son être vivant et agissant. Krishna en réponse revient simplement sur l'idée qu'il a déjà énoncée et la développe : que l'état d'âme sous-Jacent à l'action est ce qui importe et non l'action elle-même. La seule chose nécessaire est que l'esprit soit fermement ancré dans un état d'équanimité sans désirs. Ardjouna s'écrie impatiemment, car ceci n'est pas une règle de conduite comme il en attendait une, mais plutôt, à ce qui lui semble, la négation de toute action ; "Si tu tiens l'intelligence pour supérieure à l'action, pourquoi m'assignes-tu cette action d'une nature si terrible? Tu troubles mon entendement par un discours équivoque. Dis-moi le mot unique et décisif par lequel je puisse arriver à ce qui vaut le mieux." Car c'est toujours l'homme d'action qui estime peu la pensée métaphysique ou la vie intérieure, sauf quand elles peuvent répondre à sa seule demande, lui donner un dharma, une loi pour vivre dans le monde ou, si besoin est, une loi pour quitter le monde, car cela aussi est une action décisive qu'il peut comprendre. Mais devoir vivre et agir en ce monde, tout en se maintenant au-dessus de lui, ce sont des mots "équivoques" et troublants dont il n'a pas la patience
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d'approfondir le sens.
Les autres questions et propos Ardjouna procèdent du même tempérament et du même caractère. Il est troublé quand .il apprend que l'égalité d'âme une fois assurée, elle ne se révèle pas nécessairement par un changement apparent dans l'action, car l'homme doit toujours agir selon la loi de sa nature, même si l'acte lui-même peut sembler imparfait ou défectueux, comparé à celui qui relève d'une autre loi que la sienne. La nature! Mais que penser de ce sentiment du péché dans l'action qui le hante si fortement? N'est-ce pas cène même nature qui pousse les hommes comme par force, et même contre leur meilleure volonté, dans le péché et la faute'1 Son intelligence positive est déconcertée lorsque Krishna lui déclare que c'est lui-même dans les temps anciens, qui révéla à Vivasvân ce même Yoga, oublié depuis lors, qu'il lui révèle à nouveau aujourd'hui, à lui, Ardjouna; et par sa demande d'explication, il provoque la déclaration fameuse et souvent citée sur la nature de l'Avatar et son dessein terrestre. Il est encore une fois plongé dans la perplexité par les paroles où Krishna poursuit la réconciliation de l'action et de la renonciation à l'action; il lui demande une fois encore, au lieu de paroles "équivoques", un énoncé décisif de ce qui est le mieux et le plus élevé. Quand il réalise pleinement la nature du Yoga qu'il est invité à embrasser, sa nature toute pratique, habituée à agir par volonté, préférence et désir du mental, est terrifiée par la difficulté, et il veut savoir quel est le sort de l'âme qui tente pareille entreprise et échoue. Ne perd-elle pas à la fois cette vie humaine d'activité, de pensée et d'émotion qu'elle a abandonnée, et cette conscience de Brahman à laquelle elle aspire, et, les perdant toutes deux, ne périt-elle pas comme un nuage qui se dissout?
Quand ses doutes et ses perplexités sont levés, quand il sait que le Divin doit être dorénavant sa loi, il s'efforce toujours et encore d'atteindre une connaissance claire et incontestable qui puisse le guider pratiquement vers la source et la règle de son action future. Comment distinguer le Divin parmi tant d'états d'être qui constituent notre expérience ordinaire? Quelles sont les grandes manifestations dans le monde de l'énergie propre du
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Divin, sous lesquelles il puisse la reconnaître et l'atteindre par la méditation? Ne lui est-il pas possible de voir dès maintenant la forme divine et cosmique de Cela qui lui parle effectivement à travers le voile du corps et de l'esprit humains? Et ses dernières questions exigent une claire distinction entre la renonciation aux œvres et cette renonciation plus subtile qu'on lui demande d'adopter, entre Pourousha et Prakriti, entre le champ et Celui qui connaît le champ, distinction si nécessaire à la pratique de l'action sans désir, sous la seule impulsion de la volonté divine; il demande finalement un exposé clair des opérations et des résultats pratiques des trois modes de la Krishna qu'on l'incite à surmonter.
C'est à un tel disciple que l'Instructeur de la Guîtâ donne son divin enseignement. Il prend ce disciple à un moment de son développement psychologique par l'action égoïste où toutes les valeurs mentales, morales et émotives de la vie ordinaire, égoïste et sociale, se sont effondrées en une ruine soudaine, et il doit le hausser hors de cène vie inférieure vers un état supérieur de conscience, hors d'un attachement ignorant à l'action vers Cela qui surpasse l'action, et pourtant donne naissance et commande à l'action, hors du moi vers le Moi, hors de la vie dans un cadre mental, vital et corporel, vers cette Nature supérieure, au-delà du mental, qui est la condition du Divin.
En même temps il doit donner à son disciple ce qu'il demande et que son guide intérieur l'incite à chercher : une nouvelle loi de vie et d'action, qui dépasse de beaucoup l'insuffisante règle de l'existence humaine ordinaire, faite de conflits et d'oppositions sans fin, de doutes et d'illusoires certitudes, une loi plus haute par laquelle l'âme soit libérée de tous les liens de l'action et puisse pourtant agir et conquérir avec puissance dans l'immense liberté de son cire divin. Car l'action doit être faite, le monde doit accomplir ses cycles et l'âme de l'homme ne doit pas par ignorance se détourner de l'oeuvre qu'elle est ici pour accomplir. La ligne entière de l'enseignement de la Guîtâ est déterminée et dirigée, même dans ses plus larges détours, en vue d'atteindre ce triple but.
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