Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita.
Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book.
Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita. These essays were first published in the monthly review Arya between 1916 and 1920 and revised in the 1920s by Sri Aurobindo for publication as a book. A translation, by Pavitra, of the first seven chapters appeared in 1947. The present edition includes this translation and that, carried out by Archaka, of the forty-one other chapters.
IX
SÂNKHYA, YOGA ET VÉDÂNTA
Tout l'objet des six premiers chapitres de la Guîtâ est de synthétiser en un vaste cadre de vérité védântique les deux méthodes, ordinairement supposées différentes et même contraires, des sânkhyens et des yogis. Le Sânkhya est pris comme point de départ et comme base; mais dès le début et avec une insistance peu à peu grandissante, il est imprégné des idées et des méthodes du Yoga et remodelé dans son esprit. La différence pratique, telle qu'elle semble s'être présentée aux esprits religieux de l'époque, résidait d'abord en ce que le Sânkhya procédait par la connaissance et au moyen du Yoga de l'intelligence, tandis que le Yoga procédait par les œuvres et la transformation de la conscience active; en second lieu corollaire de cette première distinction -, le Sânkhya conduisait à une entière passivité et au renoncement aux œuvres, sannyâsa, tandis que le Yoga tenait pour parfaitement suffisants le renoncement intérieur au désir, la purification du principe subjectif qui entraîne à l'action et l'orientation des œuvres vers Dieu, vers l'existence divine et vers la libération. Tous les deux avaient cependant le même but : dépasser la naissance et cette existence terrestre et unir l'âme humaine au Suprême. C'est du moins la différence telle que nous la présente la Guîtâ.
La difficulté qu'Ardjouna éprouve à comprendre toute synthèse possible de ces oppositions est une indication de la ligne rigide qui fut tracée entre les deux systèmes dans les idées courantes de l'époque. L'Instructeur commence par réconcilier les œuvres et le Yoga de l'intelligence : celui-ci, dit-il, est de loin supérieur aux simples œuvres; c'est par le Yoga de la bouddhi, par la connaissance exhaussant l'homme hors du mental humain ordinaire et de ses désirs jusqu'en la pureté et l'égalité de la condition brahmique pure de tout désir que l'on peut rendre les œuvres acceptables. Et pourtant, les œuvres sont un moyen de salut, mais les seules œuvres ainsi purifiées par la connaissance.
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Empli des notions de la culture qui prévalait alors, égaré par le relief que l'Instructeur donne aux idées propres au Sânkhya védântique, conquête des sens, retrait du mental dans le Moi, ascension en la condition brahmique, extinction de notre personnalité inférieure en le nirvâna de l'impersonnalité – car les idées particulières au Yoga sont jusqu'à présent traitées sur un mode mineur et, pour une grande part, inexprimées –, Ardjouna, confondu, demande : "Si tu tiens l'intelligence pour plus grande que les œuvres, pourquoi m'assignes-tu alors une œuvre terrible? Tu semblés déconcerter mon esprit par un discours confus et embrouillé; dis-moi pour lors de façon décisive cette chose unique par laquelle je puisse atteindre au bien de mon âme."
En réponse, Krishna affirme que le Sânkhya se règle sur la connaissance et le renoncement, le Yoga sur les œuvres; mais le renoncement réel est impossible sans Yoga, sans œuvres accomplies en sacrifice, avec égalité et sans désir du fruit, avec la perception que c'est la Nature qui agit, et non pas l'âme; mais aussitôt après, il déclare que le sacrifice de la connaissance est le plus haut, que toutes les œuvres trouvent leur achèvement dans la connaissance, que par le feu de la connaissance toutes les œuvres sont réduites en cendres; dès lors, on renonce aux œuvres par le Yoga, et leur esclavage est vaincu pour l'homme qui est en possession de son Moi. Ardjouna est de nouveau dérouté; voici les œuvres sans désir, le principe du Yoga, et le renoncement aux œuvres, le principe du Sânkhya, mis côte à côte comme s'ils faisaient partie d'une seule méthode, et pourtant il n'y a pas entre eux de réconciliation manifeste. Car le genre de réconciliation que l'Instructeur a déjà donnée – dans l'inaction extérieure voir l'action qui persiste encore, et dans l'action apparente voir une inaction réelle puisque l'âme a renoncé à son illusion d'être l'ouvrière et qu'elle a remis les œuvres entre les mains du Maître du sacrifice – est, pour le mental pratique d'Ardjouna, trop mince, trop subtile et quasiment énoncée en termes d'énigme; il n'en a pas saisi le sens ou du moins n'en a pas pénétré l'esprit et la réalité. En conséquence, il demande à nouveau : "Tu m'exposes le renoncement
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aux œuvres, ô Krishna, et d'un autre côté m'exposes le Yoga; laquelle de ces deux voies est la meilleure, dis-le-moi clairement et pour de bon."
La réponse est d'importance, car elle pose très clairement toute la distinction et indique, bien que sans la développer entièrement, la ligne de réconciliation "Le renoncement et le Yoga des œuvres aboutissent tous les deux au salut de l'âme, mais des deux le Yoga des œuvres se montre supérieur au renoncement aux œuvres. On doit toujours voir un sannyâsi en celui-là (même lorsqu'il agit) qui n'a ni aversion ni désir; car libre des dualités il est aisément et heureusement délivré de la servitude. Les enfants disent du Sânkhya et du Yoga qu'ils sont séparés l'un de l'autre, les sages non; si un homme s'applique intégralement à l'un, il reçoit le fruite des deux"' parce qu'en son intégralité chacun contient l'autre. "L'état auquel on accède par le Sânkhya, les hommes du Yoga y accèdent également; celui qui voit que Sânkhya et Yoga sont un, celui-là voit. Mais il est difficile d'atteindre au renoncement sans Yoga; le sage qui a le Yoga parvient bientôt au Brahman; son moi devient le moi de mutes les existences (de toutes les choses qui sont devenues), et quand il accomplirait des œuvres, il n'y est point engagé." Il sait que les actions ne sont point siennes, mais celles de la Nature et, de par cette connaissance même,. il est libre; il a renoncé aux œuvres, n'accomplit nulle action, bien que les actions s'accomplissent par son intermediare; il devient le Moi, le Brahman, brahmabhoûta, il voit toutes les existences comme des devenirs (bhoûtâni) de cet Être existant en soi, la sienne simplement comme l'une d'entre elles, toutes leurs actions seulement comme le déploiement de la Nature cosmique. œuvrant par le canal de leur nature individuelle, et ses propres actions aussi comme une partie de la même activité cosmique. Ce n'est pas là tout l'enseignement de la Guîtâ; car Jusqu'à présent, il y a seulement l'idée du moi ou Pourousha immuable, l'akshara Brahman, et de la Nature, Prakriti, en tant que responsable du cosmos, et pas encore l'idée, clairement exprimée, de l'Ishwara, du Pouroushôttama; jusqu'à présent, seulement la synthèse des œuvres et de la connaissance, et pas encore, en dépit de
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certaines allusions, l'introduction du suprême élément qu'est la dévotion, si importante par la suite; jusqu'à présent, seulement le Pourousha unique inactif et ta Prakriti inférieure, et pas encore la distinction que représentent le triple Pourousha et la double Prakriti. Il est vrai que l'on parle de l'Ishwara, mais sa relation avec le moi et la nature n'est pas encore précisée. Les six premiers chapitres portent simplement la synthèse aussi loin qu'elle peut l'être sans la claire expression et la décisive entrée en scène de ces vérités capitales qui, lorsqu'elles interviennent doivent nécessairement élargir et modifier ces premières réconciliations, sans toutefois les abolir.
Double, dit Krishna, est l'application par laquelle âme pénètre dans la condition brahmique : "celle des sânkhyens par le Yoga de la connaissance, celle des yogis par le Yoga des œuvres". Cette identification du Sânkhya avec le Djnâna-Yoga, et du Yoga avec la voie des œuvres est intéressante; car elle montre qu'à cette époque prévalait un système d'idées bien différent de ceux que nous possédons aujourd'hui, issus du grand développement védantique de la pensée indienne, postérieur évidemment à la composition de la Guîtâ et du fait duquel les autres philosophies védiques en tant que méthodes pratique de libération tombèrent en désuétude. Pour justifier le langage de la Guîtâ, nous devons supposer qu'à cène époque c'était la méthode du Sânkhya qu'adoptaient très communément ceux qui suivaient la voie de la connaissance¹. Plus tard, avec l'essor du bouddhisme, la méthode de connaissance du Sânkhya a dû se trouver rejetée dans l'ombre par la méthode bouddhique. Le bouddhisme, de même que le Sânkhya non théiste et antimoniste, insista sur l'impermanence des résultats de l'énergie cosmique, qu'il présenta non comme Prakriti mais comme Karma, les bouddhistes n'admettant ni le Brahman postérieur ni l'Âme inactive des sânkhyens, et il fa de la reconnaissance de cette impermanence par le mental discriminant son moyen de libération. Quand se produisit la réaction contre le bouddhisme,
¹Les systèmes des esprit et des Tantras sont pleins des idées du Sânkhya, mais soumises à l'idée védântique et mêlées à beaucoup d'autres.
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elle reprit non l'ancienne notion du Sânkhya, mais la forme védântique popularisée par Shankara. lequel remplaça l'impermanence bouddhique par l'idée védântique analogue d'illusion. Maya, et l'idée bouddhique de Non-Être, de nirvana indéfinissable, d'un Absolu négatif, par l'idée védântique opposée et cependant analogue de Être indéfinissable. Brahman, Absolu ineffablement positif en lequel tout trait et toute action et toute énergie cessent parce que, en Cela, ils n'ont jamais réellement existé et qu'ils sont de simples illusions du mental. C'est à la méthode de Shankara, basée sur ces concepts de sa philosophie. c'est au renoncement à la vie en tant qu'illusion que nous pensons d'ordinaire lorsque nous parlons maintenant du Yoga de la connaissance. Mais à l'époque de la Guîtâ, Mâyâ de toute évidence n'était pas encore complètement le maître mot de la pensée védântique. ni n'avait, du moins avec une clarté décisive, la nuance que Shankara fit ressortir avec une force et une précision si lumineuses; car dans la Guîtâ, il est peu parlé de Maya, et beaucoup de Prakriti, et encore le premier mot est-il utilisé comme à peine plus qu'un équivalent du second, mais seulement en son mode inférieur; c'est la Prakriti intérieure définie par les trois gounas, traïgounayamayi mâyâ. La Prakriti, non la Maya qui induit en erreur, est dans l'enseignement de la Guîtâ la véritable cause de l'existence cosmique.
Cependant, quelles que soient les distinctions précises de leurs idées métaphysiques, la différence pratique entre le Sânkhya et le Yoga, telle que la fait ressortir la Guîtâ, est la même que celle qui existe aujourd'hui entre le Yoga védantique et le Yoga des œuvres, et les résultais pratiques de la différence sont également le mêmes. Comme le Yoga védantique de la connaissance, le Sânkhya procédait par la bouddhi, par l'intelligence discriminante; par la pensée réflexive, vitchâra, il parvenait à la juste discrimination, vivéka. de la vraie nature de l'âme, à laquelle l'attachement et î'identification imposaient les œuvres de la Prakriti. La méthode ineffablement arrive par les mêmes moyens à la juste discrimination de la vraie nature du Moi et à voir que lui sont imposées les apparences cosmiques par l'illusion mentale, laquelle conduit à l'identification et à l'attachement égoïstes.
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Dans la méthode impersonnalité, la Maya cesse pour l'âme par le retour de celle-ci à son mode véritable et éternel, qui est le Moi unique, le Brahman, et l'action cosmique disparaît; dans la méthode du Sânkhya, le fonctionnement des gounas sombre dans le repos par le retour de l'âme à son mode véritable et éternel de Pourousha inactif, et l'action cosmique prend fin, Le Brahman des mâyâvâdis est silencieux, immuable et inactif; le Pourousha du Sânkhya l'est aussi; il s'ensuit que, pour les deux, le renoncement ascétique à la vie et aux œuvres est une nécessité de la libération. Mais pour le Yoga de la Guîtâ, comme pour le Yoga védântique des œuvres, l'action n'est pas qu'une préparation, elle est elle-même le moyen de la libération; et c'est la justesse de cette vue que la Guîtâ cherche à mettre en lumière avec une force et une insistance tellement soutenues insistant qui, malheureusement, ne put l'emporter en Inde sur la formidable marée du bouddhisme¹, se perdit ensuite dans l'intensité de l'illusionnisme ascétique et la ferveur des saints et des adeptes fuyant le monde et qui, aujourd'hui seulement, commence à exercer sa véritable et salutaire influence sur le mental indien. Le renoncement est indispensable, mais le vrai renoncement est le rejet intérieur du désir et de l'égoïsme. L'abandon physique extérieur des œuvres est, à défaut de cela, une chose irréel et sans effet; avec cela, il cesse même d'être nécessaire, bien qu'il ne soit pas interdit. La connaissance est essentielle, il n'y a pas de plus haute force pour la libération, mais les œuvres avec la connaissance et des œuvres, l'âme demeure entièrement dans l'état brahmique non seulement dans le repos et le calme inactif, mais au cœur même de l'action, dans l'effort et la violence même de l'action. La dévotion est de première importance, mais les œuvres accompagnées de dévotion sont également importante;
¹En même temps, la Guîtâ semble avoir beaucoup influencé le bouddhisme du Mahâyâna, et des passages en sont intégralement reprise dans les Écritures bouddhiques. Elle peut donc avoir considérablement aidé au changement du bouddhisme, qui à l'origine est une école d'ascètes quiétistes et illumines, en cette religion de la dévotion méditative et de l'action compatissante, qui a eu une si puissante influence sur la culture asiatique.
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par l'union de la connaissance, de la dévotion et des œuvres l'âme est soulevée jusqu'en le suprême mode de l'Îshwara pour y résider dans le Pouroushôttama, qui est le maître à la fois du calme spirituel éternel et de l'éternelle activité cosmique. Telle est la synthèse de la Guîtâ.
Mais à part la distinction entre la voie de la connaissance du Sânkhya et la voie des œuvres du Yoga, il y avait une autre opposition, et similaire, dans le Védânta lui-même, et la Guîtâ doit la résoudre aussi, la corriger et la fondre en son vaste et nouvel expose de la culture spirituelle aryenne. C'était la distinction entre karmakânda et djñânakânda, entre la pensée originelle qui aboutit à la philosophie de la Poûrva Mimânsâ, le Védavâda, et celle qui conduisit à la philosophie de l'Outtara Mimânsâ¹, le Brahmavâda, entre ceux qui demeuraient dans la tradition des hymnes védiques et du sacrifice védique et ceux qui écartaient ces derniers comme connaissance inférieure et menaient l'accent sur la haute connaissance métaphysique qui se fait jour dans les Oupanishads. Pour le mental pragmatique des védavâdis, la religion aryenne des rishis signifiait la stricte observance des sacrifices védiques et l'emploi des mantras védiques, sacrés afin de posséder tout ce que l'homme désire en ce monde, la richesse, la progéniture, la victoire, tous les genres de bonne fortune, et le joies de l'immortalité dans le Paradis au-delà. Pour l'idéalisme des brahmavâdis, ce n'étaient là que des préliminaires, et le réel objet de l'homme, le pouroushârtha véritable se dessinait lorsqu'il se tournait vers la connaissance du Brahman, qui devait lui octroyer la vraie immortalité d'une béatitude spirituelle ineffable, dépassant de beaucoup les joies moindres de ce monde ou de n'importe quel ciel inférieur. Quel qu'ait pu être à l'origine le sens véritable du Véda, telle était la distinction qui s'était depuis longtemps établie et que, par conséquent, la Guîtâ doit résoudre.
¹L'idée qu'à Djaïmiini de la libération est l'éternel Brahmalôka où âme qui est arrivée à connaître le Brahman continue de posséder un corps divin et d'avoir des jouissances divines. Pour la Guîtâ, le Brahmalôka n'est pas la libération; l'âme doit aller au-delà, dans le mode d'être supracosmique.
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Le premier mot, presque, de la synthèse des œuvres et la connaissance tient en une censure et une répudiation puissantes, quasi violentes du aboutit, "ce verbe fleuri que proclament ceux qui n'ont point de clair discernement et qui se vouent à la croyance en le Veda, dont la croyance est qu'il n'existe rien d'autre, âmes de désir, chercheurs de Paradis – ce verbe-là dispense les fruits des œuvres de la naissance, abonde en rites particuliers, vise la jouissance et la souveraineté." La Guîtâ semble même continuer en attaquant jusqu'au Véda qui, pour avoir été pratiquement abandonné, n'en demeure pas moins, vis-à-vis du sentiment indien, intangible, inviolable: l'origine et l'autorité sacrées en matière de toute sa philosophie et de toute sa religion. "L'action des trois gounas est le sujet du Véda; mais toi, libère-toi du triple gouna, ô Djnâna-Yoga," Les Védas au sens le plus large, "tous les Védas" – qui pourraient bien inclure les Oupanishads aussi et semblent les inclure, car le terme général de Shrouti est utilisé plus tard sont déclarés sans nécessité pour l'homme qui sait, "Autant d'usage il y a dans un puits lorsque les eaux de tous côtés sont en crue, autant d'usage il y a dans tous les Védas pour le brâhmane qui a la connaissance." Plus encore, les Écritures sont même une pierre d'achoppement; car la lettre de la Parole – du fait, peut-être, de ses textes en conflit et de ses interprétations variées et contradictoires – déconcerte l'entendement, qui ne peut trouver de certitude et de concentration que par la lumière intérieur "Lorsque ton intelligence aura franchi la spire de l'illusion, alors tu deviendras indifférent à l'Écriture que tu as entendue ou à celle qu'il le faut entendre encore, gantâsi nirvédam shrôtavyasya shroutasya tcha. Lorsque ton intelligence que déconcerte la Shrouti, shrouti-vipratipannâ. se tiendra immobile et stable en samâdhi, alors tu atteindras au Yoga." Tout cela est si offensant pour le sentiment religieux conventionnel que, bien entendu, la commode et indispensable faculté qu'a l'homme de déformer les textes, essaie de donner un sens différent à certains de ces versets, mais la signification est claire et se tient du début à la fin. Elle est confirmée et soulignée par un passage ultérieur dans lequel il est dit que la connaissance du
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connaissant dépasse la portée du Veda et de l'Oupanishad, shabda-brahâmativartaté.
Voyons cependant ce que tout cela signifie; car nous pouvons être sûrs qu'un système synthétique et universel comme celui de la Guîtâ ne traitera pas d'aussi importantes parties de la culture aryenne dans un esprit: simplement de négation et de répudiation. La Guîtâ doit faire ta synthèse de la doctrine, selon le Yoga, de la libération par les œuvres et de fa doctrine, selon le Sânkhya, de la libération par la connaissance; elle doit réaliser la fusion du karma et du Vedanta Elle doit en même temps faire la synthèse de l'idée de Pourousha et de Prakriti, qui est commune au Sânkhya et au Yoga, avec le Djnâna-Yoga du Védânta courant où le Pourousha, le Déva, l'Îshwara – l'Âme suprême, Dieu, le Seigneur des Oupanishads sont tous fondus dans le concept unique, et qui absorbe tout, du Brahman immuable; et elle doit ramener à la lumière l'idée, propre au Yoga, du Seigneur ou Ishwara, idée qu'obscurcissait ce concept qu'elle ne doit toutefois nier en rien. Elle a aussi sa lumineuse pensée à ajouter, ta couronne de son système synthétique. la doctrine du Pouroushôttama et du triple Pourousha pour laquelle, bien que l'idée y soit présente, aucune autorité précise et indiscutable ne se peut aisément trouver dans les Oupanishads; au vrai, cette doctrine semble à première vue contredire le texte de la Shrouti où ne sont reconnues que deux Pouroushas. De surcroît, en faisant la synthèse des œuvres et de la connaissance, elle doit considérer non seulement l'opposition du Yoga et du Sânkhya, mais l'opposition des œuvres et de la connaissance dans le Védânta lui-même, où le sens des deux mots et par conséquent leur point de friction ne sont pas tout à fait les mêmes que dans l'opposition Sânkhya-Yoga. Il n'est en rien surprenant, et on peut l'observer ;m passage, qu'avec le conflit de si nombreuses écoles philosophiques qui, toutes, se fondent sur les textes du Véda et des Oupanishads, la Guîtâ dise que l'entendement est ahuri et dérouté, guide qu'il est dans des directions diverses par la Shrouti, shrouti-vipratipannâ. Quelles batailles se livrent encore aujourd'hui pandits et métaphysiciens indiens sur le sens des anciens textes et à quelles conclusions différentes arrive-t-on!
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L'entendement peut, après cela, se dégoûter et devenir indifférent, gantâsi nirvédam, refuser de prêter davantage l'oreille à des textes nouveaux ou anciens, shrôtavyasya antimoniste tcha et rentrer en lui-même afin de découvrir la vérité à la lumière d'une expérience intérieure plus profonde et directe.
Dans les six premiers chapitres, la Guîtâ jette une ample base pour sa synthèse des œuvres et de la connaissance,. sa synthèse du Sânkhya, du Yoga et du Védânta. Mais d'abord elle constate que karma, les œuvres, a un sens particulier dans la langue des védântis; le mot désigne les sacrifices et les cérémonies védiques ou. au plus, ceux-ci et l'ordonnance de la vie en accord avec les Grihya-soûtras où ces rites tiennent le rôle le plus important, constituent le noyau religieux de la vie. Par œuvres, les védântis entendaient ces œuvres religieuses, le system sacrificiel, le yadjña, marqué par un ordre soigneux, vidhi, de rites précis et compliqués, kriyâ-vishésha-bahoulâm. Mais dans le Yoga, le mot œuvres avait un sens bien plus large. La Guîtâ insiste sur ce sens plus large; dans notre conception de l'activité spirituelle, doivent s'inclure toutes les œuvres, sarva-karmâni. En même temps, et contrairement au bouddhisme, la Guîtâ n'aime pas rejeter l'idée de sacrifice, elle préfère l'élever et l'élargir. Oui, dit-elle en effet, n'est pas seule un sacrifice, yadjña, la partie la plus importante de la vie, mais c'est toute la vie que l'on doit regarder comme un sacrifice, et toutes les œuvres aussi; elles sont yadjña. bien qu'elles soient exécutées par l'ignorant sans la connaissance supérieure, et par le plus ignorant dans un ordre qui n'est pas le bon, avidhi-poûrvakam. Le sacrifice est la condition même de la vie; en leur donnant le sacrifice pour compagnon éternel, le Père des créatures a créé les peuples. Mais tes sacrifices des avidhi-poûrvakam sont des offrandes du désir en vue d'une rétribution matérielle, désir brûlant d'obtenir le résultat des œuvres, désir soucieux d'une plus vaste jouissance au Paradis sous forme immortalité et de salut suprême. Cela, le système de la Guîtâ ne peut l'admettre; car dès le début même, elle commence par le renoncement au désir, son rejet et sa destruction en tant qu'ennemi de l'âme. La Guîtâ nie pas le bien-fondé même des œuvres sacrificielles védiques;
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elle les admet, elle admet que, par ce moyen, on puisse obtenir les jouissances ici-bas et le Paradis au-delà; c'est Moi-même, dit l'Instructeur divin, qui accepte ces sacrifices et à qui ils sont offerts, c'est Moi qui, sous la forme des dieux, donne ces fruits puisque les hommes choisissent de M'approcher ainsi. Mais ce n'est pas la vraie route, et la jouissance du Paradis n'est pas non plus la libération ni l'accomplissement que doit rechercher l'homme. Ce sont les ignorants qui adorent les dieux, sans savoir qui ils adorent dans leur ignorance sous ces forme divines; bien que ce soit dans l'ignorance, ils adorent l'Un en effet, le Seigneur, l'unique Deva, et c'est lui qui accepte leur offrande. À ce Seigneur, doit être offert le sacrifice, le vrai sacrifice de toutes les énergies et activités de la vie, avec dévotion, sans désir, pour l'amour de Lui et pour le bien des peuples. C'est parce que le Védavâda obscurcit cette vérité et qu'avec l'écheveau de son rituel il attache l'homme à l'action des trois gounas qu'il faut sévèrement le censurer et l'écarter brutalement; mais son idée centrale n'est pas détruite; transfigurée, exhaussée, elle est changée en une part fort importante de la vraie expérience spirituelle et de la méthode de libération.
L'idée védântique de la connaissance ne présente pas les même difficultés. La Guîtâ la reprend immédiatement et complètement à son compte et, tout au long des six chapitres, substitue tranquillement le Brahman,an immobile et immuable des vedantins, l'Un sans second immanent dans tout le cosmos, au Pourousha immobile et immuable, mais multiple des sânkhyens. Elle accepte au long de ces chapitres la connaissance et la réalisation du Brahman comme le plus important et l'indispensable moyen de la libération, alors même qu'avec insistance elle présent les œuvres sans désir comme une part essentielle de la connaissance. Elle accepte pareillement le nirvana de l'ego dans l'infinie égalité de l'immuable Brahman impersonnel comme essentiel à la libération; pratiquement, elle identifie cette extinction avec le retour sur lui-même, dans le Sânkhya, du Pourousha inactif et immuable lorsqu'il s'extrait de l'identification avec les actions de la Prakriti; elle combine et fond le langage du Seigneur et le langage du Sânkhya, comme à vrai dire l'avaient
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déjà fait certaines des Oupanishads¹. Mais il y a un défaut dans la position védântique dont il faut encore venir à bout. Peut-être pouvons-nous supposer qu'à cette époque le Védânta n'avait pas encore redéveloppé les tendances théistes développées par la suite qui, déjà présentes dans les Mimânsâ à l'étal d'éléments, n'y sont toutefois pas aussi évidentes que dans les philosophies vaïshnaviques des védântis, plus récentes, où, en fait, elles ne sont plus seulement évidentes, mais suprêmes. Nous pouvons comprendre que le Védânta orthodoxe, en tout cas pour ses principales tendances, était panthéiste à la base, moniste au sommet². Il connaissait le Brahman, un sans second; il connaissait les dieux, Vishnou, Shiva, Brahmâ et les autres, qui tous se résolvent en le Brahman; mais l'unique et suprême Brahman en tant qu'unique Îshwara, Pourousha, Déva – mots qui lui sont souvent appliqués dans les Mimânsâ et qui dans cette mesure justifient tout en les dépassant le Sânkhya et les conceptions théistes était une idée qui avait chu de son éminente position³; les noms pouvaient seulement s'appliquer dans un Guîtâ strictement logique aux phases subordonnées ou inférieures de l'idée de Brahman. La Guîtâ propose non seulement de restaurer l'égalité originelle de ces noms et, dès lors, des conceptions qu'ils désignent, mais de faire un pas de plus. Il faut que le Brahman, en son aspect suprême, et non en quelque aspect inférieur, soit présenté comme Pourousha ayant la Prakriti inférieure pour Maya, afin de synthétiser parfaitement le Védânta et le Sânkhya, et comme Îshwara, afin de parfaitement synthétiser ces deux derniers avec le Yoga; mais la Guîtâ va représenter Îshwara, le Pouroushôttama, plus haut même que le Brahman immobile et immuable, et la perte de l'ego dans l'impersonnel n'intervient au début qu'à titre de
¹Surtout la Shwétâshwatara,
²La formule panthéiste est que Dieu et le Tout sont un; la formule moniste ajoute que Dieu sel ou le Brahman seul existe et que le cosmos n'est qu'une apparence illusoire, ou bien est une manifestation réelle mais partielle.
³Ceci est légèrement douteux, mais du moins pouvons-nous dire qu'il y a eu dans cette direction une forte tendance dont la philosophie de Shankara a été l'ultime aboutissement.
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grande étape initiale et nécessaire en vue de l'union avec le Pouroushôttama. Car le Pouroushôttama est le Brahman suprême. La Guîtâ dépasse donc courageusement le Véda et les Mimânsâ tels que les enseignaient leurs interprètes les plus autorisés, et affirme un enseignement qui lui est propre et qu'elle a fait dériver d'eux, mais qui peut ne pas s'ajuster au cadre de la signification que, d'habitude, v voient les védântis¹. En fait, sans ces rapports libres et synthétiques avec la lettre de l'Écriture, un travail de vaste synthèse eût été impossible dans l'étal de conflit qui régnait alors entre de nombreuses écoles, et impossible si l'on avait suivi les méthodes courantes d'exégèse védique.
Dans les chapitres suivants, la Guîtâ célèbre les Védas et les Mimânsâ Ils sont Écritures divines, ils sont le Verbe. Le Seigneur Lui-même est le connaissant du Véda et l'auteur du Védânta, védavid védântakrit; le Seigneur est l'unique objet de connaissance dans tous les Védas, sarvaïr védaïr aham éva védyah, langage qui implique que le mot Véda signifie le livre de la connaissance et que ces Écritures méritent le nom qu'on leur donne. Depuis sa haute suprématie, qui est au-dessus de l'Immuable et du mutable, le Pouroushôttama s'est déployé dans le monde et dans le Véda. Et pourtant, la lettre de l'Écriture enchaîne et trouble, comme le dit l'apôtre chrétien lorsqu'il mit ses disciples en garde, énonçant que la lettre tue et que c'est l'esprit qui sauve; et il existe un point par-delà lequel l'Écriture elle-même perd son utilité. La source réelle de la connaissance est le Seigneur dans le cœur, "Je suis établi dans le cœur de tous les hommes, et la connaissance vient de Moi", dit la Guîtâ; 'Écriture n'est qu'une forme verbale de ce Véda intérieur, de cette Réalité lumineuse en soi, elle est shabda-brahma : le mantra, dit le Véda, s'est élevé du cœur, du siège secret de la
¹En réalité, l'idée du Pouroushôttama est déjà annoncée dans les Oupanishads, mais d'une façon plus diffuse que dans la Guîtâ. Ainsi que dans la Guîtâ, le Brahman suprême ou Pourousha suprême est constamment décrit comme contenant en lui-même l'opposition du Brahman avec qualités et du Brahman sans qualités, nirgouno gounî. Il n'est pas l'une de ces deux choses, à l'exclusion de l'autre qui, pour notre intellect, semble en être le contraire.
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vérité, sadanâd ritasya, gouhâyâm. Cette origine la sanctionne; mais la Vérité infinie est quand même plus grande que le mot. Et contrairement à ce que les védavâdis ont dit du Véda, nânyad astîti vâdinah, vous ne devez dire d'aucune Écriture qu'elle seule suffit à tout et que nulle autre vérité ne se peut admettre. C'est une parole qui sauve et qui libère, et il faut l'appliquer à toutes les Écritures du monde. Prenez toutes les Écritures qui existent ou ont existé, le Bible et le Coran et les livres des Chinois, le Véda et les Oupanishads et les Pourânas et le Tantra et le Shâstra et la Guîtâ elle-même, et les maximes des penseurs et des sages, des prophètes et des Avatars, vous ne devez quand même pas dire qu'il n'est rien d'autre, ni que la vérité que votre intellect ne peut y trouver n'est pas vraie parce que vous ne pouvez l'y trouver. C'est là la pensée bornée du sectaire ou la pensée hétéroclite du zélateur éclectique, non la recherche sans entraves de la vérité que font le mental libre et illuminé et l'âme qui a l'expérience de Dieu. Que cela ait ou non été entendu avant, ce que le cœur de l'homme voit en ses profondeurs illuminées, ce qui est entendu intérieurement et qui vient du Maître de toute connaissance, le connaissant du Véda éternel, cela est toujours la vérité
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