Letters on the integral yoga, other spiritual paths, the problems of spiritual life, and related subjects.
Letters on subjects including 'The Triple Transformation: Psychic - Spiritual - Supramental', 'Transformation of the Mind, the Vital, the Physical, the Subconscient and the Inconscient', 'Difficulties of the Path' and 'Opposition of the Hostile Forces'. Sri Aurobindo wrote most of these letters in the 1930s to disciples living in his ashram.
Mépriser l'être physique ne sert à rien : il a été voulu dans la manifestation.
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La raison en est qu'au cours de la sâdhanâ, votre conscience est entrée en contact avec la nature physique inférieure et la voit maintenant telle qu'elle est lorsqu'elle n'est ni réprimée, ni maîtrisée par le mental, le psychique ou la force spirituelle. À l'état brut, cette nature est pleine de désirs obscurs et bas, c'est la partie la plus animale de l'être humain. Il faut entrer en contact avec elle pour en connaître le contenu et le transformer. La plupart des sâdhak de la vieille école se contentent de s'élever dans les régions spirituelles ou psychiques en abandonnant à elle-même cette partie de leur être, mais par là elle demeure inchangée, même si elle est dans l'ensemble apaisée ; aucune transformation complète n'est alors possible. Vous n'avez qu'à rester tranquille, à ne pas vous agiter et à laisser la Force supérieure agir pour transformer cette obscure nature physique.1
C'est là une bien belle théorie, mais dans la pratique on s'aperçoit que l'impureté physique est assez forte pour barrer la route au progrès intérieur et imposer à l'expérience intérieure une limite rigide qui la réduit à une paix passive.
L'occasion est donnée à ces forces contraires d'agir lorsque le sâdhak est inévitablement conduit par le cours même de la
1. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre IV.
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sâdhanâ à descendre des plans du mental ou du vital supérieur pour pénétrer dans la conscience physique. Dans le même temps, invariablement les expériences profondes d u début s'estompent et la descente le mène dans l'inertie obscure et neutre qui est l'assise de la nature physique non régénérée. C'est là que la Lumière, le Pouvoir, l'Ânanda du Divin doivent descendre pour tout transformer en chassant à jamais toute obscurité et toute inertie, et en instaurant l'Énergie irradiante, la Lumière parfaite et la Béatitude immuable. C'est là, et non dans le mental ou le vital supérieur, que réside toute la difficulté, mais c'est là aussi qu'il faut remporter la victoire et jeter les bases d'un monde nouveau. Je ne veux pas vous dissimuler la difficulté de cette grande, de cette énorme transformation, ni l'éventualité qui s'ouvre pour vous d'une longue période de dur labeur, mais ne voulez-vous vraiment pas y faire face et prendre part à la grande œuvre? Rejetterez-vous la grandeur de cette entreprise au profit de l'impulsion folle et irrationnelle qui vous pousse vers une tâche immédiate qui vous passionnera davantage, mais pour laquelle aucune partie de votre nature n'a de réelle vocation ?
Vous n'avez aucune véritable raison de vous décourager ; je n'en trouve aucun motif valable dans tout ce qui s'est passé. Vos difficultés ne sont rien, comparées à celles que d'autres, qui n'étaient pas plus forts que vous, ont éprouvées et ont pourtant vaincues. Tout ce qui est arrivé, c'est que cette descente dans la conscience physique a amené au premier plan la nature humaine extérieure et ordinaire avec ses imperfections élémentaires et ses pulsions subconscientes insatisfaites, et ce sont elles qui sont sollicitées par la force contraire. Le mental et le vital supérieur se sont débarrassés des idées et des illusions qui donnaient à la satisfaction de ces pulsions une justification, une apparence de légitimité ou même de noblesse. Mais leur besoin inné et irrationnel de se satisfaire n'a pas été déraciné ; par exemple, c'est là la raison du mouvement sexuel que vous avez ressenti récemment en dormant ou au réveil. C'était inévitable. Tout ce qu'il faudrait, c'est que votre être psychique vienne au premier
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plan et vous ouvre au contact intérieur direct, réel et constant avec la Mère et avec moi. Jusqu'à présent votre âme s'est exprimée par le mental, ses idéaux et ses élans d'admiration, ou par le vital, ses joies et ses aspirations supérieures ; mais cela ne suffira ni à vaincre l'obstacle physique, ni à illuminer et à transformer la Matière. C'est votre âme elle-même, votre être psychique qui doit venir au premier plan, s'éveiller entièrement et opérer la transformation fondamentale. L'être psychique n'aura nullement besoin d'être soutenu par des idées intellectuelles, des signes ou des adjuvants extérieurs. Lui seul peut vous donner le sentiment direct du Divin, la proximité constante, le soutien et l'aide intérieurs. Alors vous n'aurez plus cette impression que la Mère est lointaine, et vous ne douterez plus de la réalisation ; car le mental pense et le vital brûle de désir, mais l'âme sent et connaît le Divin.
Rejetez loin de vous ces mouvements de doute, de dépression et tout le reste, qui n'appartiennent pas à votre vraie nature supérieure. Rejetez toutes ces idées d'incapacité et d'inaptitude, tous ces mouvements irrationnels qui vous sont suggérés par une force étrangère à vous-même. Demeurez fidèle à la Lumière de votre âme, même lorsque des nuages vous la cachent. Mon aide sera là, comme celle de la Mère, travaillant en secret, même dans les moments où vous serez incapable de la sentir. La seule chose nécessaire, pour vous comme pour les autres, est de rester, jusque dans l'obscurité de la conscience physique et de ses ténébreux pouvoirs, obstinément fidèle à votre âme et au souvenir de l'Appel divin. Soyez fidèle et vous vaincrez.
Quand j'ai parlé d'être fidèle à la lumière de l'âme et à l'Appel divin, je ne faisais allusion à rien dans le passé ni à aucun manquement de votre part. J'affirmais seulement le grand besoin, dans toutes les crises et toutes les attaques, de refuser d'écouter aucune suggestion, aucune impulsion,
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aucun leurre, et de leur opposer à tous l'appel de la Vérité, le signe impérieux de la Lumière. Dans tous les doutes et toutes les dépressions, dire : "J'appartiens au Divin, je ne peux pas échouer." À toutes les suggestions d'impureté et d'incapacité, répondre : "Je suis un enfant de l'Immortalité, choisi par le Divin ; je n'ai qu'à être fidèle à moi-même et à Lui, la victoire est certaine ; même si je -tombais, je me relèverais." À toutes les impulsions de départ pour servir un plus petit idéal, répliquer : "Celui-ci est le plus grand, il est la Vérité qui seule peut satisfaire mon âme ; j'endurerai toutes les épreuves et toutes les tribulations jusqu'à l'aboutissement final du voyage divin." Voilà ce que j'entends par fidélité à la Lumière et à l'Appel.2
Ces mouvements apparaissent presque inévitablement, avec une plus ou moins grande intensité, à une certaine étape critique que tous ou presque doivent franchir, et dont la durée est en général d'une longueur inconfortable sans pour autant être forcément concluante ou définitive. En général, si l'on persévère, cette période correspond à la nuit plus sombre qui précède l'aurore ; tous les aspirants spirituels ou presque doivent en passer par là. Elle est due à la plongée que l'on doit effectuer dans la conscience physique essentielle, sans le soutien d'aucune lumière mentale vraie ni d'aucune joie de vivre vitale, car celles-ci, en général, se retirent derrière le voile, bien qu'elles ne soient pas, malgré les apparences, perdues à jamais. Durant cette période le doute, la négation, l'aridité, la grisaille et toutes sortes de choses similaires surgissent avec une grande vigueur et souvent règnent pour un temps en souverains absolus. C'est seulement lorsque cette étape a été victorieusement franchie que la vraie lumière commence à venir, la lumière qui n'est pas celle du mental, mais celle de l'esprit. La
2. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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lumière spirituelle, il est vrai, apparaît dès les premiers stades, dans une faible mesure aux uns, aux autres (moins nombreux) dans une mesure considérable, bien que ce ne soit nullement général : car certains doivent attendre d'avoir déblayé le mental, le vital et la conscience physique de ce qui les obstrue, avant d'en recevoir autre chose qu'un contact intermittent. Même dans les meilleures conditions, cependant, cette lumière spirituelle initiale n'est jamais complète tant que l'obscurité de la conscience physique n'a pas été affrontée et surmontée. Si l'on tombe dans cet état, ce n'est pas par sa propre faute ; il peut apparaître alors même que l'on fait de son mieux pour avancer. Il n'est pas vraiment l'indication d'une incapacité radicale dans la nature, mais c'est certes une épreuve pénible et l'on doit s'accrocher fermement pour la traverser. Ces choses sont difficiles à expliquer parce que la raison humaine ordinaire a du mal à en comprendre ou à en admettre la nécessité psychologique.
Il n'y a aucune raison de se décourager. Le fait est qu'après être resté si longtemps dans le plan mental et vital, vous avez commencé à percevoir la conscience physique, et la conscience physique est ainsi chez tout le monde. Elle est inerte, conservatrice, ne veut pas bouger, ne veut pas changer, se cramponne à ses habitudes (que les gens appellent leur caractère), ou bien ses habitudes (ses mouvements habituels) se cramponnent à elle et se répètent avec la persévérance mécanique d'un mouvement d'horlogerie. Quand vous avez plus ou moins nettoyé votre vital, les déblais descendent dans cette conscience physique et s'y incrustent. Si vous êtes devenu intérieurement conscient, vous voyez ce qui se passe, vous exercez peut-être une pression, mais le physique réagit très lentement et tout d'abord semble à peine bouger. Le remède est une aspiration ferme et immuable, un travail patient, la présence du psychique dans le physique, l'appel
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à la lumière et à la force pour qu'elles descendent dans ces obscures parties de l'être. La lumière fait prendre conscience de ce qui s'y trouve ; la force doit suivre pour agir sur ces choses jusqu à ce qu'elles se transforment ou disparaissent.
Lorsque la conscience physique prédomine, elle produit toujours cet effet, tant qu'elle n'a pas été entièrement transformée : on se sent comme un individu ordinaire, ou pire, tout entier dans la conscience extérieure ; la conscience intérieure est voilée, l'action du pouvoir yoguique apparemment suspendue. Cet état apparaît aussi dans les premiers stades, mais il est en général moins absolu parce qu'une partie du mental et du vital continue à agir dans le physique ; ou même si la sâdhanâ s'interrompt complètement, cela ne dure pas et on y fait moins attention. Mais lorsqu'après avoir parcouru l'étape mentale et vitale du yoga, on descend au niveau physique, cet état, qui est naturel à la conscience physique, se manifeste pleinement et persiste pendant de longues périodes. Il en est ainsi parce que l'on doit descendre dans cette partie de l'être et y pénétrer pour agir directement sur elle, faute de quoi la nature ne peut pas être entièrement transformée. Il faut comprendre que ce n'est qu'une étape et persévérer dans la foi qu'elle sera surmontée. Si on fait cela, la Force, travaillant d'abord derrière le voile, puis au premier plan, pourra plus aisément faire émerger la conscience du yoga dans cette enveloppe physique extérieure pour la rendre lumineuse et sensible à son influence. Si l'on conserve une foi et une tranquillité constantes, ce sera plus rapide ; si la foi est éclipsée ou la tranquillité troublée parce que la difficulté se prolonge, il faudra davantage de temps, mais même dans ce cas ce sera fait ; car la Force est là, à l'œuvre, même si on ne la sent pas. On ne peut empêcher cette évolution qu'en interrompant la sâdhanâ ou en l'abandonnant parce qu'en raison des
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Cela signifie qu'il y a une seule sâdhanâ pour toutes les parties de l'être et non, séparément, une sâdhanâ mentale, une sâdhanâ vitale ou une sâdhanâ physique. La sâdhanâ agit tantôt séparément sur chacune des parties, tantôt au contraire sur le mental et le vital ensemble, ou sur le vital et le physique ensemble, ou sur les trois à la fois, mais c'est toujours la même sâdhanâ.
Dans mon explication concernant l'inertie physique, je voulais dire que c'était elle qui avait toujours empêché l'élimination des vieux mouvements et leur avait donné la force de revenir après avoir été expulsés, car c'est dans le semi-conscient ou le subconscient matériel que la résistance trouve son assise. Quand cette partie de l'être émerge et apparaît isolément, non soutenue par le mental et le vital, agissant par le pouvoir de sa propre inertie et non avec l'approbation du mental ou du vital, ne faisant que répéter les anciens mouvements par la force d'une vieille habitude, il devient possible d'affronter la résistance à sa racine au lieu d'en couper les fleurs, les fruits et les branches à mesure qu'ils font leur apparition.
C'est précisément de cette répugnance à faire quoi que ce soit qu'il faut se débarrasser ; car elle n'est qu'un acquiescement à la force de l'inertie. Si vous ne pouvez rien faire d'autre, les vieilles méthodes de mortification, etc., seront évidemment inefficaces ; vous devriez faire appel à la Paix et à la Force divines pour qu'elles descendent, agissent sur l'inertie et vous ouvrent à leur action. Si cette conscience physique obstructrice est amenée à les laisser pénétrer et à accepter leur influence, vous aurez la clé du problème.
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J'ai dit que votre conscience, en descendant, était entrée en contact direct avec la nature physique extérieure qui est toujours pleine de mouvements inférieurs et quand cela se produit, vous les voyez tels qu'ils sont lorsqu'ils ne sont pas dominés par le mental et le psychique. Tous doivent entrer ainsi en contact direct avec cette partie de l'être ; sinon elle ne peut pas se transformer.
Oui, certainement, c'est là-dessus que j'insiste : il faut amener la réalisation dans cette partie physique inerte qui est devenue prépondérante. Quand une partie de l'être s'avance ainsi en laissant apparaître ses défauts et ses limitations - ici, l'inertie ou l'incapacité (apravritti), l'obscurité (aprakâsha) ou l'oubli -, c'est pour qu'il y soit mis bon ordre : elle se montre pour subir une transformation initiale ou préliminaire. La paix et la lumière dans le mental, l'amour et la compassion dans le cœur, le calme et le pouvoir dans le vital, une réceptivité et une bonne disposition constantes (prakâsha, pravritti) dans le physique, tels sont les changements nécessaires.
Si vous vous sentez ainsi, c'est seulement parce que vous vous identifiez dans une large mesure à la partie de l'être qui n'a pas encore subi de transformation ; vous avez donc l'impression qu'il est difficile et même impossible de changer. Mais bien que cette difficulté existe, l'impossibilité, elle, n'existe pas. Et cette identification peut même être utile, car grâce à elle le changement pourra être radical, qu'il se fasse par une action directe, dans cette partie elle-même, ou par une influence indirecte sur elle, agissant par l'intermédiaire du mental ou du vital supérieur. Reposez-vous, retrouvez vos forces physiques, ouvrez-vous pour que la Force de la Mère puisse agir librement sur vous, pour que tous les
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Ce que vous décrivez est la conscience matérielle. Elle est en grande partie subconsciente ; mais même sa partie consciente est mécanique, inertement mue par les habitudes ou les forces de la nature inférieure. Répétant toujours les mêmes mouvements sans intelligence et sans lumière, elle est attachée à la routine et au règne établi de ce qui existe déjà ; elle refuse de changer, refuse de recevoir la lumière ou d'obéir à la Force supérieure. Ou si elle en a la volonté, elle n'en a pas la capacité. Et même si elle en a la capacité, elle change l'action inspirée par la Lumière et la Force en une nouvelle routine mécanique, et lui retire ainsi toute âme et toute vie. Elle est obscure, stupide, indolente, pleine d'ignorance et d'inertie, de ténèbres, et de la lenteur du tamas.
C'est dans cette conscience matérielle que nous voulons introduire, d'abord la Lumière, le Pouvoir et l'Ânanda supérieurs (spirituels ou divins), puis la Vérité supramentale qui est le but de notre yoga.3
Je ne vois pas pourquoi vous doutez que la réalisation puisse s'effectuer dans votre conscience matérielle. Si la foi, la tranquillité, l'ouverture sont présentes dans les autres parties de l'être, la partie matérielle ne pourra que s'ouvrir aussi. Le tamas, l'inertie, l'ignorance, la stupidité, la mesquinerie, l'opposition aux mouvements vrais sont des caractéristiques universelles de la conscience matérielle tant qu'elle n'est pas illuminée, régénérée et transformée d'en haut, et ces caractéristiques ne vous sont pas particulières.
3. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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Par conséquent le doute que vous exprimez ne repose sur aucune raison, aucune justification suffisante
Quand le supramental sera complètement descendu dans la conscience matérielle, il y créera les conditions appropriées. Il y créera l'unité ; l'être matériel sentira sans cesse le contact et la présence, et tout le contact physique nécessaire sera véritablement établi. La tristesse dont vous parlez n'est pas psychique, car cette "envie douloureuse" appartient au vital et non au psychique. Le psychique ne s'attriste pas d'un désir déçu, ce n'est pas sa nature ; il peut parfois être chagriné s'il constate que le Divin est rejeté ou que le mental, le vital et le physique, dans l'individu ou dans la nature, se détournent de la Vérité pour s'attacher à la perversion, à l'obscurité ou à l'ignorance. Cependant, lorsque le supramental régnera, la nature vitale extérieure elle-même sera obligée de se transformer ; les sentiments de ce genre n'auront par conséquent plus aucune chance d'apparaître.
Vous êtes devenu conscient de la conscience la plus physique ; il en est ainsi chez presque tout le monde. Quand on y entre pleinement ou exclusivement, on la sent comme celle d'un animal, soit obscure et agitée, soit inerte et stupide, et dans les deux cas, fermée au Divin. C'est seulement en y amenant la Force et la conscience supérieures que l'on peut la changer fondamentalement. Quand ces mouvements se montrent, ne soyez pas bouleversé par leur émergence, mais comprenez qu'ils se présentent pour être transformés.
Ici comme partout ailleurs, la tranquillité est la première chose requise. Il faut garder la conscience paisible, ne pas lui permettre l'agitation et le tourbillon ; puis, dans la tranquillité, appeler la Force pour qu'elle éclaircisse toute cette obscurité et la transforme.4
4. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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Si j'ai bien compris, votre sâdhanâ passe par une période prolongée d'accalmie ou de vide. C'est fréquent, surtout lorsqu'on est projeté dans la conscience physique et extérieure. Les parties nerveuses et physiques deviennent alors prépondérantes et semblent ramener tout l'être à leur niveau ; en même temps la conscience yoguique disparaît et on devient exagérément sensible aux petits incidents de l'extérieur comme ceux que vous décrivez. Un intermède comme celui-ci peut cependant fort bien préluder à un nouveau progrès. Vous devez absolument trouver le temps de méditer - à une heure de la journée où vous serez à peu près sûr de ne pas être dérangé - et par la méditation, rétablir le contact. Comme la conscience physique est au premier plan, ce sera peut-être difficile, mais par une aspiration persévérante, le contact se rétablira. Quand vous sentirez que l'être intérieur est de nouveau relié à l'être extérieur, appelez la paix, la lumière et le pouvoir dans cet être extérieur afin de construire dans l'être et le mental les plus extérieurs la base d'une conscience permanente qui vous accompagnera dans le travail et l'action autant que dans la méditation et la solitude.
"À la merci des bruits extérieurs et des sensations corporelles externes", "n'ayant pas le pouvoir de quitter la conscience ordinaire à volonté", "toute la tendance de l'être éloignée du yoga" - tout cela s'applique indiscutablement au mental physique et à la conscience physique quand ils s'isolent, pour ainsi dire, et occupent toute la surface en poussant le reste à l'arrière-plan.
Quand une partie de l'être est amenée en avant pour être soumise au travail de transformation, ce genre d'émergence qui accapare tout et l'activité prépondérante de cette partie comme si elle existait seule se produisent très souvent ; et malheureusement, c'est toujours ce qui doit être changé - les conditions indésirables, les difficultés de cette partie - qui se
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lève d'abord, occupe tout le champ de la conscience et se répète obstinément. Dans le physique, c'est l'inertie, l'obscurité, l'incapacité, qui montent à la surface avec toute leur obstination. La seule chose à faire dans cette phase désagréable est d'être encore plus obstiné que l'inertie physique et de persister résolument dans sa tentative (une persistance soutenue, sans lutte agitée) afin de faire une large ouverture permanente dans le roc solide de l'obstruction.5
Cela signifie que vous luttez maintenant corps à corps avec le physique subconscient. Si forte et si lassante que soit la résistance, vous devez persévérer jusqu'à ce que la Paix, la Connaissance et la Force descendent dans cette partie de l'être et y remplacent l'inertie
La sâdhanâ physique consiste à faire descendre la lumière, le pouvoir, la paix et l'Ânanda des plans supérieurs dans la conscience corporelle, à se débarrasser de l'inertie du physique, des doutes, des limitations du mental physique et de sa tendance à s'extérioriser, des énergies défectueuses du physique vital (des nerfs) et à remplacer tout cela, dans cette partie de l'être, par la vraie conscience afin que le physique devienne un parfait instrument de la Volonté divine. L'attention particulière portée à la nourriture et aux soins corporels n'a pour but que d'arriver à une bonne condition physique ; plus tard, ce ne sera plus nécessaire.
[La somnolence :] Ne vous faites pas de souci à ce sujet. Quand on a une forte tendance à s'intérioriser, le corps, n'étant pas encore assez conscient pour participer à l'expérience à l'état de veille, essaie d'assimiler par le sommeil les
5. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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La différence réside dans le fait que ceux qui font la sâdhanâ vivent dans le plan physique en vue de le transformer, sous la pression d'une Force engendrée par la sâdhanâ qui pousse à cette transformation et doit poursuivre son action jusqu'à son terme. Ceux qui ne font pas la sâdhanâ vivent dans le plan physique non pas pour le transformer, mais pour le perpétuer tel qu'il est; aucune Force de ce genre, aucune pression, aucune nécessité ne les pousse. Ceux qui ne sont pas des sâdhak, mais dont le mental est orienté vers la conscience supérieure, se préparent à la sâdhanâ et feront un jour une sâdhanâ d'un genre ou d'un autre.
Les difficultés physiques prédominent lorsqu'on descend dans le physique, tout comme les difficultés vitales lorsqu'on est dans le plan vital. La transformation entraîne la nécessité d'affronter les difficultés, de transformer ou de surmonter ce qui se soulève dans chaque partie de l'être, afin que cette partie puisse répondre à l'appel d'en haut, mais la transformation complète de l'ensemble ne peut venir que par une ascension dans la Conscience supérieure et une descente de cette Conscience. Le premier pas en est généralement (mais pas toujours) la réalisation du moi au-dessus et la descente de la paix d'en haut dans l'être tout entier, jusqu'au physique le plus matériel.
[Vivre dans la conscience physique :] Dans la mesure où cet état peut se définir par des signes extérieurs, on peut dire qu'il consiste en une passivité fondamentale où l'on est ce que les forces du plan physique vous font être, où l'on fait ce qu'elles vous font faire. Quand on vit dans le mental, une intelligence mentale et une volonté mentale actives essaient
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de maîtriser et de modeler l'action, l'expérience, la vie et tout le reste. Quand on est dans le vital, on est plein d'énergie, d'enthousiasme, de passion, de force ; ceux-ci peuvent être bons ou mauvais, mais en tout cas débordent de vie. Dans l'inertie physique, tout cela disparaît ou s'atténue ; ou ce sont des forces qui agissent de temps en temps sur l'organisme, mais que lui-même ne possède pas. Cet état peut ne pas être absolu, car le mental et le vital sont toujours là, mais c'est lui qui prédomine. 11 y a deux manières d'en sortir : l'une consiste à s'élever dans le moi et à voir le physique d'en haut, comme un instrument et non comme soi-même ; l'autre consiste à faire descendre la Force divine et à transformer le physique en un instrument de cette Force.
Tant que vous avez un corps, vous ne pouvez pas vivre sans la conscience physique, mais vous pouvez centrer davantage votre vie sur le psychique et d'autres parties de l'être, et par elles transformer la conscience physique.
[Les défauts de la conscience physique :] Ils sont nombreux ; ce sont principalement l'inertie, l'obscurité, le tamas, une acceptation passive du jeu des forces mauvaises, l'incapacité à changer, l'attachement aux habitudes, le manque de plasticité, l'oubli, la perte des expériences et des réalisations précédemment acquises, le refus d'accepter la Lumière ou de lui obéir, l'incapacité (due au tamas, à l'attachement ou à une réaction passive aux forces d'habitude) de cette conscience physique à faire ce qu'elle reconnaît comme le Juste et le Bien.
Cette négation est la nature même de la résistance physique, et la résistance physique constitue toute la base de la négation
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du Divin dans le monde. Tout, dans le physique, est tenace, obstiné, plein d'une force pesante de négation et d'inertie ; s'il n'en était pas ainsi, la sâdhanâ se ferait en un rien de temps. Vous devez faire face à ce caractère obstiné de la résistance physique et la vaincre aussi souvent qu'elle se soulèvera. C'est seulement à ce prix que la conscience terrestre pourra se transformer.
La difficulté de la nature physique n'est pas seulement individuelle, elle est aussi générale et terrestre. La nature physique est lente, inerte, et répugne au changement; elle tend à rester immobile et à exiger beaucoup de temps pour faire le moindre progrès. La volonté, même la plus forte, qu'elle soit mentale, vitale ou même psychique, a la plus grande difficulté à surmonter cette inertie. Ce n'est possible que si l'on fait descendre sans cesse la conscience, la force et la lumière d'en haut. Par conséquent, la volonté et l'aspiration doivent être sans cesse tendues vers cet objectif et vers la transformation; cette volonté doit être soutenue, patiente, et ne pas se lasser même lorsque la résistance de la nature physique atteint son paroxysme.
Le mental physique est, par nature, obstiné. La nature physique existe par la répétition constante : elle ne fait que se présenter sans cesse elle-même sous des formes différentes. Lorsque la conscience physique est active, cette répétition obstinée fait par conséquent partie de sa nature. Sinon, elle reste lourdement inerte. Quand nous voulons nous débarrasser des anciens mouvements de la nature physique, leur résistance se traduit donc par cette sorte de répétition obstinée. Il faut les rejeter avec une grande persévérance pour s'en débarrasser.
La Nature physique - comme toute Nature - a deux
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aspects : l'aspect individuel et l'aspect universel. Tout ce qui pénètre en nous vient de la Nature universelle, mais le physique individuel en conserve une partie et rejette le reste, en donnant à ce qu'il garde une forme personnelle. On peut donc dire que ces choses sont en lui et issues de lui, ou créées par lui (parce qu'il leur donne une forme spéciale), mais sont en même temps extérieures à lui et le pénètrent du dehors. Lorsqu'on veut s'en débarrasser, on rejette d'abord dans la Nature environnante tout ce qui est à l'intérieur ; la Nature universelle essaie de ramener tout cela à l'intérieur ou d'y introduire pour le remplacer d'autres éléments semblables tirés d'elle-même. Il faut donc repousser sans relâche l'invasion. Par ce rejet constant, la répétition finit par perdre de sa force ; l'individu se libère et devient capable de faire pénétrer dans l'être physique la conscience supérieure et ses mouvements.
La conscience terrestre ne veut pas changer; elle rejette donc ce qui lui vient d'en haut ; c'est ce qu'elle a toujours fait. Ce refus ne pourra disparaître que si ceux qui ont entrepris ce yoga sont ouverts et prêts à transformer leur nature inférieure.
L'opposition vient évidemment, comme toujours, de l'ego vital, de son ignorance et de son orgueil ignorant, et de la conscience physique, de son inertie qui s'insurge contre tout appel au changement et y résiste, et de son indolence qui refuse l'effort ; celle-ci trouve plus confortable de suivre son chemin en répétant toujours les mêmes mouvements et, au mieux, en s'attendant à ce que tout soit fait pour elle par un moyen quelconque, un jour ou l'autre.
La première chose est d'avoir la bonne attitude intérieure, et vous l'avez ; pour le reste, il faut la volonté de se transformer et la vigilance, pour percevoir et rejeter tout ce qui fait partie de l'ego et de l'obstination tamasique de la nature inférieure. Il faut enfin veiller à rester toujours
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ouvert à la Mère dans toutes les parties de l'être, pour que le processus de transformation ne rencontre aucune entrave.
L'inertie et la dispersion sont les deux faces de la résistance du physique à la paix et au pouvoir concentré. Elles correspondent à l'inertie et à l'activité chaotique de la Nature physique ; c'est cet aspect de la Nature physique qui incite maintenant certains savants à dire que tous les phénomènes sont l'effet du hasard et sont déterminés non par des certitudes, mais seulement par des probabilités.
L'inertie de la conscience physique est toujours difficile à éliminer ; c'est elle, plus encore que les résistances du vital, qui font que les mouvements de l'ignorance continuent à se répéter même lorsqu'on a la connaissance et la volonté de changer. Mais le sâdhak doit faire face à cette difficulté et la surmonter par une volonté tout aussi persévérante. Une flamme régulière doit brûler, aussi régulière que l'obstruction est têtue. Ne vous découragez donc pas si l'ignorance persiste dans son obstruction. La persévérance de votre propre volonté de vaincre, soutenue par la force de la Mère, finira par venir à bout de la résistance.
Le physique a une très forte tendance à l'inertie ; même lorsqu'on a pris l'habitude de vivre dans la conscience supérieure, certaines parties de l'être - en général les parties les plus extérieures ou les plus matérielles - peuvent encore sentir cette pression de l'inertie. L'inertie vient, en général, du subconscient. Elle n'abolit pas la. conscience supérieure dans le physique, mais en atténue l'action, ou encore la fait descendre d'un niveau élevé à un niveau inférieur, par
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exemple de l'intuition au mental supérieur,ou des régions supérieures du surmental à ses régions inférieures. Par sa résistance, elle empêche pendant quelque temps la siddhi de devenir complète. C'est seulement lorsque la conscience la plus matérielle, le subconscient et la conscience environnante sont complètement libérés que ce retard ou cet abaissement causé par l'inertie fondamentale peut être totalement éliminé.
Tout peut susciter une réaction : l'inertie peut se propager en vagues, comme le reste.
Lorsqu'elle s'applique au physique et au subconscient, l'action est toujours plus lente que lorsqu'elle s'effectue dans le mental et le vital, car la résistance de la substance physique est toujours plus pesante, moins intelligente et moins capable de s'adapter; mais en compensation, le travail accompli dans l'être par ce mouvement plus lent est en fin de compte plus complet, plus solide et plus durable.
L'obstruction physique est moins turbulente [que l'obstruction vitale], mais je ne l'ai trouvée ni moins obstinée, ni moins gênante.
La difficulté de la nature physique se présente inévitablement au cours du déroulement de la sâdhanâ. Son pouvoir d'obstruction, son inertie, son absence d'aspiration, son immobilisme doivent se montrer avant que l'on puisse s'en débarrasser; sinon ils ne se révéleront jamais, entraveront
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même la meilleure sâdhanâ et l'empêcheront d'aboutir. Ce soulèvement de la nature physique dure plus ou moins longtemps selon les circonstances, mais il n'épargne personne. Il faut éviter de se troubler, de s'inquiéter ou de s'impatienter ; cela ne fait que le prolonger ; on doit au contraire placer toute sa confiance en la Mère et persévérer tranquillement dans la foi, la patience et une volonté imperturbable pour que s'opère la transformation complète. C'est dans ces conditions que la force de la Mère peut le mieux agir dans l'être.
Le premier moyen est de ne pas être bouleversé quand l'inertie apparaît ou s'installe. Le deuxième est de se détacher, non seulement au-dessus, mais aussi en bas, et de ne pas s'identifier. Le troisième est de rejeter tout ce qui est soulevé par l'inertie et de ne pas le considérer comme sien, de ne pas l'accepter du tout.
Si vous en êtes capable, quelque chose en vous restera parfaitement tranquille, même dans l'inertie la plus grande. À travers cette partie tranquille, vous pourrez faire descendre la paix, la force, et même la lumière et la connaissance au cœur de cette inertie.
L'inertie - ou quoi que ce soit d'autre - doit être ressentie comme quelque chose de séparé et non comme une partie du vrai moi qui est un avec le Divin.
Les forces adverses sentent qu'en vous quelque chose est décontenancé et rétif parce que l'inertie se prolonge, et elles espèrent, en renforçant leur pression, susciter une révolte. L'important, dans ces circonstances, est de faire en sorte que votre foi, votre soumission et votre samatâ deviennent
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absolues. C'est un progrès aussi grand et aussi essentiel que d'avoir des expériences supérieures, etc.
Certains s'en sont servi [de la violence, pour transformer le physique], mais je ne crois pas qu'elle soit utile. Le physique constitue sans aucun doute un obstacle tenace, mais il faut l'illuminer, le persuader de changer et même l'y obliger, mais non le réprimer ou le contraindre par la violence. Ceux qui traitent le mental, le vital et le corps par la violence agissent ainsi parce qu'ils sont pressés, mais j'ai invariablement remarqué que cela entraîne une recrudescence des réactions et des obstacles et non un progrès vraiment solide.
[L'effet produit par l'obstruction de la conscience physique :] Cela dépend des points faibles de l'individu et du stade qu'il a atteint dans son progrès. D'une manière générale, cette obstruction engendre une inertie qui entrave l'action des Pouvoirs supérieurs. Dans les premiers stades, elle peut bloquer complètement le progrès. Ensuite, elle a pour effet de le ralentir ou de l'entraver par des périodes d'inertie et d'immobilisme. La principale difficulté de la conscience physique est qu'avant d'être transformée, elle est incapable de soutenir la tension de la tapasyâ : elle a besoin de périodes d'assimilation où elle replonge dans la conscience ordinaire pour se reposer ; elle a aussi tendance à oublier sans cesse ce qui a été fait, etc.
Lorsqu'on descend dans la conscience physique,ou que la conscience physique émerge et impose sa présence, l'un de ses premiers effets est d'affaiblir la volonté : auparavant, vous viviez surtout dans le mental et le vital. La conscience
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physique est pleine d'inertie, elle ne veut pas bouger, mais se laisser mouvoir par n'importe quelles forces ; c'est son habitude. Il faut remédier à cette inertie en la mettant en contact avec les forces supérieures appropriées. C'est pourquoi je vous ai demandé d'aspirer à l'immensité, à la pureté et à la paix d'en haut, pour qu'elles viennent emplir le physique et que la vraie Force agisse, à la place des idées et des impulsions qui vous envahissent.
Cette période où l'on est incapable de faire un effort apparaît en général lorsque la conscience physique prédomine, car elle est par nature inerte ; elle est mue par les forces supérieures, par les forces inférieures ou par n'importe quelles forces, mais d'elle-même elle ne bouge pas. Il faut tout de même utiliser l'effort, si l'on en est capable, mais l'essentiel est de pouvoir faire descendre la Force dans le physique - ou alors, demeurer parfaitement tranquille et sans se troubler, attendre sa venue.
Seule la descente plus constante d'une force dynamique dans une égalité et une paix inaltérables peut extirper la tendance normale de la nature physique.
Normalement, cette nature physique tend à rester inerte et dans cette inertie, à ne réagir qu'aux forces vitales ordinaires et non aux forces supérieures. Si l'égalité et la paix sont parfaites, on peut ne pas être affecté par l'inertie qui se propage et y faire descendre, peu à peu ou rapidement, cette même paix, accompagnée d'une force de la conscience supérieure capable de la modifier. Quand ce sera fait, cette difficulté et les fluctuations du genre de celles que vous subissez en ce moment, et où l'inertie prédomine, ne pourront plus se produire.
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La difficulté est plus grande parce que la sâdhanâ se situe maintenant directement sur le plan physique où une habitude - un mouvement habituel - une fois installée, a une très grande force. Quand la sâdhanâ se déroule dans le plan mental ou vital, il est plus facile de parvenir à la maîtrise ou à la transformation, parce que le mental et le vital sont plus plastiques que le physique. En revanche, sur le plan physique, l'acquis est plus durable et plus complet que lorsque la réalisation ne concerne que le mental ou le vital.
En 1933, vous faisiez sans doute davantage de tapasyâ, en vous soumettant à une maîtrise vigoureuse ? Quoi qu'il en soit, c'était ainsi à une certaine époque. Ensuite, quand vous êtes descendu du mental-vital, vous vous êtes laissé aller pendant quelque temps, et vous avez cessé en grande partie d'exercer cette maîtrise ; c'est pourquoi vous éprouvez maintenant une certaine difficulté à la rétablir, à cause de l'habitude de répétition automatique qui caractérise la nature physique. Vous devez maintenant retrouver cette maîtrise autrement, en établissant la paix et en construisant sur elle la conscience supérieure, la maîtrise spirituelle remplaçant celle de la tapasyâ mentale.
Non, il n'est pas nécessaire de perdre la maîtrise mentale ; le mieux est de la remplacer peu à peu par la maîtrise psychique ou spirituelle. Mais de nombreux sâdhak perdent l'une tandis que l'autre n'est pas prête ou est encore imparfaite ; alors les forces de la Nature agissent dans une conscience physique possédée tantôt par la Paix ou le Pouvoir supérieur qui descend, tantôt par les forces ordinaires de la Nature. Presque tous subissent cette alternance, au moins à un certain stade, avant que l'état supérieur ne l'emporte.
Il est malsain de ressasser ainsi, avec une sensibilité
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excessive, les souvenirs des coups reçus autrefois par le vital. Le passé ne devrait pas avoir une telle emprise ; il faut au contraire le laisser s'estomper.
Dans l'être physique, ces impressions laissées par le passé ont un très grand pouvoir, car c'est à force d'impressions répétées que la conscience a été amenée à se manifester dans la matière, et aussi par les réactions habituelles de la conscience à ces impressions ; c'est, je suppose, ce que les psychologues appelleraient le comportement. L'une de leurs écoles soutient que la conscience n'est rien de plus, mais c'est là un effet de cette pratique qui consiste à généraliser un détail de la Nature pour en expliquer la totalité.
La réalisation que vous décrivez est celle dont parle la Guîtâ, où toute action est perçue comme accomplie par la Prakriti. Cette action vous paraît automatique parce que vous êtes dans la conscience physique ; là, tout est automatisme. On peut avoir la même expérience sur le plan mental et vital, mais les actions sont alors ressenties comme un jeu de forces. Ce qui vous manque actuellement, c'est l'autre aspect de l'expérience : celle de l'Âtman silencieux ou bien celle du Pourousha témoin, calme, tranquille, libre, pur, non troublé par le jeu de la Prakriti. L'expérience essaie de venir et vous êtes sur le point d'y accéder, mais votre tendance à vous extérioriser est encore trop forte. Cette tendance s'est emparée de vous lorsque vous êtes descendu dans le physique, car la conscience physique ordinaire se précipite, de par sa nature même, dans l'action de la personnalité extérieure. Il vous faut retrouver le pouvoir de la conscience intérieure : en haut l'Âtman, en bas le Pourousha d'abord témoin, puis maître de la nature.
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C'est dû à l'influence de la conscience physique. La conscience physique - du moins dans ses parties les plus extérieures - est, comme je vous l'ai dit, par nature inerte : elle obéit à toutes les forces auxquelles elle a l'habitude d'obéir, mais n'agit pas de sa propre initiative. Quand l'inertie physique exerce une forte influence, ou quand on est descendu dans cette partie de la conscience, le mental, comme la Nature matérielle, a l'impression que la volonté est incapable d'agir. La nature mentale et la nature vitale, au contraire, aiment la volonté et l'initiative ; lorsqu'on est dans le mental ou le vital, ou que l'on agit sous leur influence, la volonté se sent par conséquent toujours prête à l'action.
C'est la neutralité de la conscience physique qui dit : "Je ne bouge que lorsqu'on me fait bouger. Me fasse bouger qui peut."
Le physique est l'esclave de certaines forces qui créent une habitude et le font mouvoir grâce au pouvoir automatique de l'habitude. Tant que le mental donne son assentiment, l'esclavage passe inaperçu ; mais si le mental retire son consentement, alors on sent l'asservissement, on sent une force qui pousse en dépit de la volonté du mental. Cette force est très obstinée et récidive jusqu'à ce que l'habitude - l'habitude intérieure qui se révèle dans l'acte extérieur - soit rompue. C'est comme une machine qui, une fois mise en route, répète le même mouvement. Vous n'avez aucune raison de vous alarmer ou de vous affliger : une aspiration tranquille et persévérante vous mènera au point où l'habitude se rompra et où vous serez libre.
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Dans le physique, l'habitude est obstinée et semble immuable parce qu'elle réapparaît sans cesse, même lorsqu'on la croit partie. Mais elle n'est pas vraiment immuable ; si le mental physique se détache, s'en sépare, refuse de l'admettre, l'habitude ancrée dans le physique commence à perdre le pouvoir de se répéter. Tantôt elle disparaît peu à peu, tantôt (mais c'est plus rare) elle cesse d'un coup et ne se répète plus.
Vous y parviendrez à condition de faire descendre la sâdhanâ dans votre conscience physique et de vivre uniquement pour la sâdhanâ et pour le Divin. Vous devez rejeter activement les mauvaises habitudes que vous avez conservées et ne jamais retomber dans celles qui ont cessé ou se sont interrompues. Les expériences intérieures sont utiles à la transformation du mental et du vital supérieur, mais pour le vital inférieur et l'être extérieur, une sâdhanâ d'auto-discipline est indispensable. Les actions extérieures et l'esprit qui les anime doivent changer ; vos pensées et vos actions extérieures ne doivent s'adresser qu'au Divin. Vous devez avoir de la retenue, une véracité entière, et penser sans cesse au Divin dans tout ce que vous faites. C'est le moyen de transformer le vital inférieur. Votre constante consécration et la discipline constante que vous vous imposerez feront descendre la force dans l'être extérieur et le transformeront.
II
Vous avez déjà eu l'expérience de cet état de séparation dont la faculté est présente dans votre être psychique. Naturellement, il n'est là que de temps en temps, parce que la conscience extérieure subit une préparation qui lui permettra d'y prendre part, et c'est seulement lorsqu'elle sera prête que la conscience intérieure pourra se montrer en permanence et s'exprimer dans l'être extérieur.
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Vous me demandez si le mental et le vital ne font pas obstacle, autant que le physique. Si, mais lorsque je parle de la conscience physique, j'y inclus le mental physique et le vital physique tout autant que la conscience corporelle proprement dite. Ce mental physique et ce vital physique ont pour champ d'action les petits mouvements ordinaires de la vie et sont gouvernés par une vision très extérieure des choses et par de petites réactions habituelles; ils ne répondent pas aussitôt à la conscience intérieure, non parce qu'ils s'y opposent activement - comme peuvent le faire le mental vital et le vital proprement dit - mais parce qu'il leur est difficile de modifier leurs mouvements habituels. C'est ce que vous ressentez maintenant, et c'est pourquoi vous croyez que l'expérience intérieure éveille en vous peu d'écho. Mais ce n'est pas le cas ; votre mental et une grande partie de votre vital recèlent une considérable capacité de répondre à l'appel. Quant au physique, sa difficulté est commune à tous : elle ne vous est pas particulière. Elle est apparue parce qu'elle apparaît toujours dans la sâdhanâ lorsqu'il faut agir sur la conscience physique pour y opérer les changements nécessaires. Dès que ce sera fait, la difficulté que vous éprouvez commencera à diminuer, puis disparaîtra.
C'est cette action qui est en cours ; lorsque, en méditation, vous avez senti la lumière blanche dont vous avez continué à ressentir l'effet (fraîcheur de la tête et des yeux, élargissement et immensité partout même après avoir ouvert les yeux), c'était cette action qui se poursuivait dans votre mental physique pour le transformer. Le reste de la conscience physique continuait à subir un autre genre d'action et a par conséquent ressenti de la chaleur, et non cette libération et cet élargissement. Mais par la suite, l'action peut descendre d'abord dans le cœur, puis encore plus bas et dans tout le corps ; la même libération, le même élargissement pourront descendre aussi. Pour le moment, ces résultats ne sont naturellement pas permanents, mais passagers ; ce sont des expériences et non des réalisations durables. Mais au stade actuel, il ne peut en être autrement. Ces expériences, même
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passagères, ont pour but de préparer les différentes parties de la nature, et c'est ce qu'elles font.
Je vous ai dit que X a en elle deux éléments différents. C'est son mental extérieur qui veut faire de la broderie, dans l'idée que les autres en font et que cela lui vaudra une faveur spéciale de la Mère, ce qui est faux ; c'est lui aussi qui dit Qu'elle fait tout le travail, etc. Si nous la laissons suivre cette pente, ce sera mauvais pour elle, spirituellement, surtout en ce moment où son être intérieur a besoin de se renforcer par la soumission, la consécration et le sacrifice de son ego. C'est pourquoi nous n'avons pas envisagé favorablement ce changement d'activité. Il a déjà été fait une fois et elle s'en est repentie, elle a senti qu'elle avait fait une erreur. Mais le mental physique ne cesse de revenir à ses mouvements habituels et il lui faut du temps pour recueillir la leçon de l'expérience.
Gardez le stylo et utilisez-le. C'est un cadeau de la Mère. Servez-vous-en pour écrire vos expériences et acceptez-le comme un signe de l'amour et de la grâce de la Mère qui agissent en vous.
Auparavant la volonté mentale, le vital supérieur et le psychique étaient actifs ; leur assentiment suffisait à calmer le vital inférieur ou à le neutraliser. Mais maintenant c'est le mental physique qui est actif en vous ; or le mental physique attribue une valeur au vital inférieur et par là lui confère un pouvoir qu'il n'avait pas auparavant.
L'ouverture du physique et du subconscient prend toujours beaucoup de temps, car ils sont faits d'habitudes et d'une constante répétition des anciens mouvements ; ils sont obscurs et rigides, et non plastiques, et ne cèdent que petit à petit. Le mental physique peut s'ouvrir et se convertir plus
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facilement que le reste, mais le physique vital et le physique matériel sont obstinés. Les choses anciennes reviennent en eux sans raison et par la force de l'habitude. Une grande partie du physique vital et la plus grande part du physique matériel sont dans le subconscient ou en dépendent. Une action vigoureuse et soutenue est nécessaire pour y progresser.
Tant que le physique matériel et le subconscient n'aspirent pas ou du moins ne donnent pas leur plein consentement à l'aspiration et à la volonté de l'être supérieur, aucun changement en eux ne peut être durable.
Non, cette résistance [du mental physique et du vital physique] n'est pas illimitée. Ou du moins un moment vient où la résistance fondamentale est brisée pour de bon et où il ne reste plus que quelques détails à régler, ce qui n'est pas gênant.
La conscience corporelle est en grande partie subconsciente : la conscience corporelle et le subconscient sont étroitement liés.
La conscience corporelle et la conscience physique ne sont pas identiques ; la conscience corporelle n'est qu'une partie de la conscience physique.
Le mental physique et le physique vital sont très proches de l'inconscient, à l'exception de la partie du mental physique qui a été entraînée à s'occuper d'objets physiques et de
questions matérielles. Mais celle-ci n'est alerte, active, compétente que dans ses propres limites. Lorsqu'elle doit agir dans le domaine supraphysique, elle devient incompétente, souvent stupide et pourtant péremptoire, arrogante et dogmatique dans son ignorance. Pour le reste, la conscience physique est proche de l'inconscient. Elle aussi, dans son propre domaine, est capable de perceptions et d'instincts exacts, si elle est libre d'agir spontanément; d'ordinaire, chez l'être humain, elle n'en a pas la latitude, car le mental et le vital interviennent. L'action du vital physique est complètement irrationnelle; même lorsqu'il a raison, il est incapable d'expliquer pourquoi, car il est fait en majeure partie d'instincts, d'impulsions, de sensations et de sentiments automatiques et habituels. C'est le mental qui explique et Justine ses mouvements, et si le mental se tient à l'écart pour juger et poser des questions, le physique vital ne peut que répondre : "je veux","j'aime", "je déteste", "j'ai envie".
Persévérez tranquillement et que rien ne vous décourage. Si la tranquillité et la bonne humeur ne sont pas encore constantes, cela n'a rien d'étonnant ; il en est toujours ainsi quand l'action commence à s'exercer sur la conscience physique et ses obstructions. Si vous persévérez, cette tranquillité et cette bonne humeur deviendront de plus en plus fréquentes et durables, jusqu'à constituer en vous une base de paix et de bonheur qu'aucun trouble apparaissant à la surface ne pourra plus ni pénétrer, ni ébranler, ni même voiler, sinon peut-être durant un court instant.
Les sautes d'humeur sont aussi assez fréquentes parce que l'action se poursuit en même temps dans le physique vital dont le caractère est, par nature, changeant. Que cela ne vous décourage pas ; dès que la base sera plus solide, cela diminuera et le vital deviendra plus stable et plus égal.
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L'instabilité dont vous parlez est naturelle au mental physique humain ; presque tout le monde en est affecté, car le mental physique poursuit toutes sortes d'objectifs extérieurs. Fixer la conscience au-dedans, la maintenir concentrée sur le Divin seul est pour tous d'une grande difficulté ; c'est pour cette raison que la sâdhanâ exige beaucoup de temps et qu'un lent développement de la conscience est en général nécessaire, du moins au début. Que cela ne vous décourage donc pas. Votre vital intérieur est plein d'une forte volonté et au plus profond de vous-même, dans le psychique, règnent la véritable aspiration et l'amour véritable qui apparaissent lorsque le psychique est actif; à la longue, ils finiront par posséder toute la nature.
Il est tout à fait normal que l'instabilité du mental physique intervienne et empêche la tranquillité et la foi de s'établir complètement et de devenir permanentes : il en est de même pour tout le monde ; mais cela ne signifie pas que cette quiétude et cette foi ne s'établiront pas ou ne pourront jamais s'établir dans la nature. Tout ce que je voulais dire, c'est que vous devriez essayer de vouloir constamment cette tranquillité, de sorte que votre volonté s'oppose aussitôt à l'agitation ou à l'instabilité dès qu'elles s'interposent, ou soit prête à resurgir pour dissiper le trouble. L'agitation, ou l'impatience, deviendrait ainsi plus facile à éliminer ; mais de toute façon la force de la Mère est là, agissant derrière les fluctuations de la conscience de surface, et grâce à elle vous en viendrez à bout.
Vos expériences ont apporté de nouveaux aperçus de l'action psychique qui se poursuit sans cesse, même si aucun signe n'en apparaît à la surface. Le glaive d'or était le glaive de la Vérité qui anéantira les difficultés.
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Ces petites choses du mental physique, tout le monde en a, et elles tomberont d'elles-mêmes lorsqu'émergera la conscience vraie et juste. Votre mental comprend, mais ces choses persistent parce qu'en fait elles appartiennent à la petite partie vitale et quand cette partie s'élargira, elles ne pourront plus revenir. On peut les écarter en gardant certaines idées présentes à l'esprit, par exemple : que les choses qui vous agacent appartiennent à la nature et ne peuvent disparaître que par un changement de nature ; que l'on doit bien faire son travail, sans être troublé si les autres font mal le leur ; qu'il est plus efficace d'appliquer une volonté intérieure tranquille pour qu'ils le fassent bien que d'être agacé et bouleversé par leurs erreurs. Mais fondamentalement, c'est par un élargissement de conscience dans votre mental, votre vital et votre physique que vous vous libérerez complètement de ces petites réactions. Vous n'avez qu'à continuer en laissant agir la Force de la Mère en vous, et tout cela s'aplanira par la suite.
Ces petits mouvements [bavardages inutiles, etc.] sont les plus difficiles à changer, précisément parce qu'ils sont petits et que l'habitude de s'y laisser aller à tout propos paraît naturelle et sans importance dans la vie de tous les jours. La meilleure chose à faire est d'amener en masse la force, la lumière et la paix dans le mental et le vital supérieur jusqu'à ce qu'elles puissent remplir même le mental physique ; alors à travers le mental physique, qui en général soutient plus ou moins ces mouvements, on peut agir sur eux avec davantage de succès.
III
Le sentiment d'impuissance, d'impossibilité d'éliminer l'obstacle, est, comme l'obscurité elle-même, caractéristique de la conscience physique qui est inerte, mécanique et a l'habitude de se laisser mouvoir sans réagir par toutes les forces
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qui s'emparent d'elle. Mais ce sentiment d'impuissance ou d'impossibilité ne repose sur rien de réel et il est tout à fait possible et très nécessaire de ne pas y céder, de ne pas l'admettre, de le faire disparaître pour surmonter l'obstacle physique qui autrement retarderait considérablement le progrès.
Oui, cela aussi, c'est la faute de la conscience physique. Elle est obsédée par l'idée que ce qui est doit continuer à être, que le cours des choses est immuable. Ce caractère immuable, elle l'attribue non seulement à ce qui est, mais aussi à ce qu'elle croit être un fait : elle s'ouvre passivement à toute suggestion ou possibilité qui semble être légitimée par le cours des choses. C'est le principal obstacle à la transformation matérielle.
C'est la stupidité habituelle du mental physique qui vous suggère que je vous mens pour vous encourager ; si tel était le cas, ce n'est pas vous qui seriez inapte au yoga, mais moi qui serais inapte à guider quiconque dans la recherche de la Vérité divine. Car si l'on peut conduire quelqu'un d'une vérité moindre à une Vérité plus grande, on ne peut le mener d'un mensonge à la Vérité. Quant à savoir si, oui ou non, vous êtes apte au yoga, votre mental physique ne peut être juge en ce domaine : il juge les choses sur leur apparence immédiate et n'a aucune connaissance des lois qui gouvernent la conscience, ni des pouvoirs qui agissent dans le yoga. En fait, il ne s'agit pas d'être apte ou inapte, mais d'accepter la Grâce. En aucun être humain la conscience physique extérieure - cette partie de vous-même où vous vivez en ce moment - n'est apte au yoga. C'est par la Grâce et par une lumière d'en haut que cette conscience peut en acquérir la capacité et pour cela, il faut être persévérant et
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l'ouvrir à la Lumière. Nul n'échappe à cette difficulté en entrant dans la conscience physique ; on a l'impression que l'on est inapte, que rien n'a été fait, que rien en soi n'a changé depuis qu'on a commencé le yoga ; on est alors enclin à oublier tout ce qui s'est passé avant, à croire qu'on a tout perdu ou que tout était irréel ou faux.
C'est, je suppose, la raison pour laquelle vous protestez quand je dis que vous avez déjà bien avancé. Je voulais dire par là que vous avez eu des ouvertures dans le mental pensant, dans le cœur et dans le vital supérieur, et aussi des expériences ; que vous aviez vu l'état de votre être et de votre nature avec beaucoup de lucidité, et que vous aviez suffisamment avancé pour que ces parties soient prêtes pour la transformation spirituelle. Restent le physique et la conscience extérieure qu'il faut contraindre à accepter la nécessité de la transformation. C'est, sans aucun doute, la partie du travail la plus difficile à accomplir, mais c'est aussi la partie qui, si l'on y réussit, rend possible la transformation totale de l'être et de la nature. J'ai dit par conséquent qu'ayant déjà bien avancé, il serait absurde de revenir maintenant en arrière et d'abandonner parce que cette conscience physique résiste. Elle résiste toujours chez tout le monde, et elle est aussi très obstinée. Ce n'est pas une raison pour abandonner l'effort.
C'est cette conscience qui s'exprimait dans votre lettre, ou sa partie obscure qui reste attachée à son ancienne attitude. Elle ne veut pas faire la sâdhanâ à moins qu'elle ne puisse par là recevoir ce qu'elle voulait. Elle veut la satisfaction de l'ego, "l'épanouissement personnel", la considération des autres, la réalisation de ses désirs. Elle mesure l'Amour divin aux faveurs matérielles qu'il fait pleuvoir sur elle et regarde jalousement autour d'elle pour savoir qui en reçoit davantage ; puis elle dit que le Divin n'a pas d'amour pour elle et en donne des raisons peu obligeantes pour le Divin ou qui, comme dans vos lettres, la rabaissent elle-même et la plongent dans le désespoir. Vous n'êtes pas la seule chez qui cette partie de l'être sent et agit ainsi ; presque
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tout le monde en est là. S'il n'y avait qu'elle en vous, et dans les autres, le yoga serait en effet impossible. Mais bien qu'elle soit forte, elle n'est pas tout : il y a aussi un être psychique, un mental et un cœur que cet être psychique influence et illumine, qui ont d'autres sentiments, une autre vision des choses et un autre but dans la sâdhanâ. Tout cela est maintenant recouvert en vous par cette partie qui se soulève et doit changer. Elle est tamasique et ne veut pas changer, ne veut pas croire à moins que l'on ne puisse la convaincre en rassurant l'ego vital. Mais rien n'est nouveau dans tout cela : c'est une partie de la nature humaine qui a toujours été là et qui a toujours retardé et limité la sâdhanâ. Le fait qu'elle existe n'est pas une raison de désespérer, tout le monde l'a et la sâdhanâ doit être faite malgré elle, malgré le mélange qu'elle introduit, jusqu'au moment où elle devra être définitivement rejetée. C'est difficile à faire, mais parfaitement possible. Je sais tout cela et je le comprends, et c'est pourquoi j'insiste pour que vous persévériez et vous encourage à continuer ; ce n'est pas ma description de la situation qui est fausse, c'est le point de vue adopté par cette partie de votre être qui est sans fondement, et qui est une erreur. '
Si cet état dure plus longtemps qu'il ne le devrait, ce n'est ¦ pas parce que vous ne pouvez pas retrouver la vraie attitude, c'est parce que dans une certaine partie de votre mental, vous laissez pénétrer cette fausse suggestion d'incapacité. Une partie de votre conscience physique garde le souvenir des anciens mouvements et a l'habitude de les laisser entrer, les croyant inévitables. Vous devez persister à vouloir la vraie Vérité avec la partie claire de votre conscience et rejeter sans cesse ces suggestions et ces sentiments, jusqu'à ce que Cette partie obscure s'ouvre, elle aussi, et laisse entrer la Lumière.
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Ce sont les forces tamasiques qui, en persistant à suggérer cette difficulté, la créent ; et la conscience physique l'accepte. Il n'est jamais vraiment difficile d'aspirer. Le rejet peut ne pas avoir un effet immédiat, mais il est toujours possible d'entretenir la volonté de rejeter et de refuser.
Qu'appelez-vous des moyens actifs ?Le pouvoir de refuser et de rejeter est toujours là dans l'être, et aussi celui de continuer à rejeter jusqu'à ce que le rejet produise son effet. Rien ne peut arrêter une aspiration tranquille, si ce n'est votre propre acceptation de l'inertie.
Les pensées et les sentiments exprimés dans votre lettre proviennent de votre dépression et, sortis de ce contexte, ils ne correspondent à rien de vrai. En restant ici, vous ne prenez en aucun cas une place qui pourrait être occupée par de meilleurs sâdhak. Un bon sâdhak trouvera toujours une place, d'une manière ou d'une autre. L'incapacité que vous découvrez en vous est simplement la résistance de la nature ordinaire, extérieure et physique, à laquelle personne n'échappe et que nul sâdhak, si bon soit-il, n'a encore été capable de transformer radicalement : c'est la dernière chose qui changera et cette résistance est actuellement aiguë parce que c'est contre elle que s'exerce le pouvoir de la sâdhanâ pour que la transformation puisse s'opérer. Quand cette partie se présente, elle essaie toujours de paraître immuable, incapable de changer, imperméable à la sâdhanâ. Mais il n'en est rien et il ne faut pas se laisser prendre à cette apparence. La peur de la folie n'est qu'une impression nerveuse que vous devez rejeter. Ce n'est pas la faiblesse vitale qui mène à de tels déséquilibres, c'est une obscurité et "ne faiblesse dans le mental physique, accompagnées de "mouvements d'une nature exagérément vitale (par exemple,
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une ambition spirituelle excessive) qui sont trop forts pour que le mental puisse les supporter. Ce n'est pas votre cas. Vous avez eu une longue expérience de paix et d'élargissement intérieurs, d'Ânanda, une vie intérieure tournée vers le Divin, et lorsqu'on a vécu cela, on ne doit pas parler d'une incapacité générale, quelles que soient les difficultés de la nature extérieure ; difficultés qui, sous une forme ou une autre, sont communes à tous.
Je ne doute pas le moins du monde que vous puissiez faire la sâdhanâ, si vous vous y tenez, certainement pas par vos propres forces et sans aide, car personne ne peut le faire, mais par la volonté de l'être psychique en vous, soutenue par la Grâce divine. Il y a, dans la conscience physique et vitale de tout être humain, une partie qui n'a aucune volonté de faire la sâdhanâ, ne s'en sent pas la capacité, ne se fie à aucun espoir ni à aucune promesse d'avenir spirituel et reste inerte et indifférente devant toute chose de ce genre. À un certain stade de la sâdhanâ, cette partie apparaît et on se sent identifié à elle. C'est ce qui vous arrive en ce moment, mais cela s'accompagne d'ennuis de santé et d'un malaise nerveux qui a transformé cette traversée du physique obscur en une période de désordre sombre et intense. Si vous dormez assez, si vos nerfs se calment et que l'énergie physique revient, cela devrait disparaître et il serait alors possible de faire descendre la Lumière et la Conscience dans cette partie obscure. Ce qu'il vous faut ce n'est pas une concentration intense qui engendre le conflit, mais une attitude très tranquille d'ouverture. Ne faites aucun effort de sâdhanâ en ce moment ; ce qui est nécessaire, actuellement, c'est de retrouver le bien-être et la tranquillité pour que la nature recommence à s'ouvrir.
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La raison n'est certainement pas que la Mère a eu envers vous une attitude différente de ce qu'elle est d'habitude, ou vous a tenue à l'écart, mais bien plutôt que vous êtes venue à elle tout enfermée dans cette partie de votre être physique qui se rétracte encore devant la Lumière. C'est cette partie qui a toujours été à la base de toutes vos mauvaises passes et de tous vos mouvements douloureux, même lorsque la difficulté elle-même se situait à un niveau supérieur. Sa nature est de rester attachée aux vieilles habitudes, de se rétracter devant la conscience yoguique, de fermer portes et fenêtres pour empêcher l'aide offerte de pénétrer, et de se lamenter dans le noir quand elle se sent blessée. Tous ceux qui veulent progresser doivent s'en débarrasser. Cessez de vous identifier à elle et de la considérer comme vous-même. Réintégrez votre être intérieur et regardez-la comme une partie minime, mais obstinée, de la nature qui doit se transformer. Car mise à part cette résistance obstinée, il n'y a pas de raison que votre chemin se poursuive dans un désert. Il devrait vous conduire à une conscience vaste et libérée, ouverte au calme, à la paix, au pouvoir, à la lumière, à une conscience plus vaste que la conscience personnelle et où l'ego pourra joyeusement disparaître.
Ce qui est arrivé à votre sâdhanâ, c'est que vous vous êtes laissé tomber dans une ornière du mental physique et de la nature vitale extérieure ; vous vous êtes enfermé dans la répétition constante ou constamment renouvelée des idées et des sentiments qu'ils vous présentent : des sentiments solidement établis de déception, de découragement et de pessimisme quant à vous-même et à votre avenir spirituel, et des idées - ou, si vous me passez l'expression, des lubies - qui viennent étayer ces sentiments et les justifient. Le résultat en est que vous vous fermez au contact et à l'influence, à l'aide spirituelles qu'à une certaine époque vous sentiez venir de nous ou commenciez à sentir. Cela vous ferme aussi
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à votre moi profond et rend stérile votre effort personnel. Il est assez fréquent qu'un accident de ce genre se produise sur le chemin de l'effort spirituel, et la première chose à faire pour en éliminer les conséquences est de rejeter résolument les idées et les sentiments qui, par leur persistance, vous maintiennent dans l'ornière. Je ne sais pas si vous pourrez revenir à votre état antérieur, car on revient rarement au point où l'on était arrivé précédemment ; mais il vous est toujours possible d'aller de l'avant, de retrouver la force propulsive de ce qui a déjà été acquis et qui demeure certainement en vous, assimilé par votre être intérieur. Si vous voulez poursuivre activement certaines parties du yoga par vos efforts et votre aspiration, il n'y a aucune raison que vous n'en retrouviez pas la capacité ; mais le premier effort à faire est de rejeter en bloc, avec persévérance et ténacité - et pas seulement pendant un jour ou deux, mais aussi longtemps qu'ils persisteront et reviendront - ces pensées et ces sentiments débilitants qui paralysent en vous tout espoir et toute foi, de ne pas les admettre, de ne pas les justifier, de ne pas leur donner, par votre acceptation, le droit de continuer à jouer toujours cette même note de découragement, d'incapacité et d'échec. Les idées par lesquelles vous les justifiez ne sont, je le répète, que des lubies du mental physique et non des réalités : le fait que vous vous croyez, par exemple, incapable de comprendre une certaine idée (l'accepter ou non intellectuellement, c'est autre chose) ; or il est parfaitement certain que votre intelligence pensante est bien assez entraînée pour comprendre toute idée qui lui est proposée. Seul le mental physique est limité - même chez les sujets les plus intelligents - et est pris d'accès de stupidité, ou du moins laisse paraître des étendues plus ou moins vastes d'incompréhension totale, face à des idées inhabituelles, à la perspective d'un nouveau champ d'expérience ou à tout ce qui est soit contraire aux habitudes du mental, soit désagréable à une certaine partie du vital. Je suppose que nous avons tous rencontré cet élément incapable dans notre nature et si l'on s'y enferme, il peut même faire paraître
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difficile des choses qui d'ordinaire nous sembleraient faciles, et impossibles les choses difficiles. Mais pourquoi un mental entraîné à penser laisserait-il cette partie déficiente de lui-même le dominer ? De même pour les autres lubies. Rien de ce que n'importe qui d'autre peut faire en matière de yoga ne vous est inaccessible, si vous avez la ferme volonté de le faire ; certaines choses prendront peut-être plus de temps à cause du passé : éducation, habitude, associations d'idées, mais rien n'est impossible, rien n'est trop difficile, aucun obstacle n'est en lui-même insurmontable.
C'est la volonté instinctive (et non mentale) dans l'être extérieur qui est aveugle ; le mental intérieur sait et comprend, et quand il émerge, il illumine le reste ; ainsi tout devient clair. Par un mouvement faux du vital, ou une acceptation inerte de l'obscurité de la conscience physique ignorante, l'être extérieur laisse entrer de nouveau l'ombre et la confusion, et la connaissance est obscurcie. Mais elle est toujours là et n'a qu'à ressortir. La conscience physique, de par sa constitution, est ignorante ; on peut l'amener à comprendre, mais elle passe son temps à oublier et à croire qu'elle n'a jamais rien su, jusqu'à ce que la Force et la Lumière finissent par s'en emparer; alors elle n'oublie plus.
IV
Ce qui s'est passé, c'est que vous avez pénétré plus avant dans la conscience physique où il faut faire descendre la paix et la lumière de la conscience supérieure. Souvent il en résulte d'abord un relâchement de l'intensité de l'expérience, une dispersion et le retour d'anciens mouvements qui avaient été expulsés des autres niveaux de l'être, mais il "e faut pas s'en décourager. Le remède est de persévérer
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davantage pour faire descendre les forces supérieures (paix, etc.) dans cette région.
L'impulsion à s'extérioriser doit toujours être rejetée ; c'est, pour la conscience physique, un moyen d'échapper à l'état de sâdhanâ concentrée. Rester dans la conscience intérieure et de là, agir sur l'être extérieur jusqu'à ce qu'il soit prêt lui aussi, est très nécessaire lorsque le travail de transformation s'oriente plus particulièrement vers la conscience physique.
Le maidân baigné de lune est la conscience spirituelle ; vous vous tenez, pour ainsi dire, à ses portes, et vous sentez sa paix et son bien-être.
L'obstacle ou le mur de servitude que vous sentez est simplement celui des habitudes de la conscience physique ordinaire. C'est général : la nature vitale ordinaire, son ego, son désir, ses passions, ses bouleversements, et la nature physique ordinaire, ses habitudes fortement ancrées, sa tendance à l'extériorisation, sont les principaux obstacles qu'il faut surmonter dans la nature. Lorsqu'ils s'apaisent, on entre plus facilement dans la vraie conscience pour s'unir à la Mère. Mais ils ne sont pas habitués à la tranquillité et dès qu'ils la sentent, ils veulent en sortir et reprendre leurs mouvements ordinaires. Cela disparaîtra lorsque la conscience intérieure aura suffisamment gagné sur la conscience extérieure pour la dominer. La conscience intérieure se développera, se manifestera de plus en plus, à mesure que vous sentirez se dessiner le sentier intérieur, et sera un jour assez forte pour gouverner la vie extérieure. Les obstacles que vous sentez, la recrudescence de difficultés anciennes, l'agitation répétée, etc., tout cela est dû à la force de l'habitude dans la nature physique ; la nature physique n'existe qu'en reproduisant constamment les choses et les mouvements
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auxquels elle a été accoutumée dans le passé. L'influence intérieure, à mesure qu'elle émergera, créera peu à peu en elle de nouvelles habitudes de pensée, de sentiments et d'action ; alors elle s'y ancrera et abandonnera les mouvements de l'ancienne nature.
L'étroitesse, etc., dont vous vous plaignez sont normales à la nature physique. C'est la même chose, agissant d'une manière différente, qui fait que X se rebelle contre les conseils, est vexée et se fâche quand on lui fait voir ses fautes. Chez presque tout le monde la nature physique est ainsi : intolérante, irascible, manquant de patience dans ses relations avec les autres. Mais la nature psychique peut venir remplacer cette nature physique et la transformer : vous avez eu l'expérience de ce qu'est cette nature psychique et de sa manière d'agir. Vous savez donc quelle transformation doit s'opérer en vous, et vous savez aussi que cette nouvelle nature est déjà là, en vous, se préparant à sortir. Ayez par conséquent la foi qu'elle viendra à coup sûr ; quand le physique apparaît et recouvre tout de ses anciens mouvements, essayez de vous souvenir de cela et rappelez au mental physique que c'est seulement par cette transformation, en vous-même et en tous, que les choses peuvent changer. Ce qui est nécessaire maintenant, c'est que tous fassent de cette transformation psychique leur objectif principal, chacun en ce qui le concerne. Si certains y réussissent, elle se propagera plus rapidement chez les autres. C'est seulement ainsi que la conscience physique, qui dans son état actuel est pleine d'ego et de conflits, pourra devenir ce qu'elle doit être.
Ce qui est arrivé, c'est que le psychique en vous, qui auparavant était toujours actif dans le mental et le vital, s'est voilé pendant un moment ou a été recouvert par l'ignorance
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de la conscience physique. C'est par le psychique que vous êtes relié à la Mère, et c'est lui qui oriente vers elle tous les mouvements de votre être ; c'est lui qui les a puisés en elle ou les a unis à elle en les rendant dépendants d'elle. Il l'avait fait pour tout votre être mental et vital et ses mouvements, et vous avait préservé de toutes les suggestions fausses du mental et de toutes les attaques du vital, vous faisant distinguer le vrai du faux. Maintenant cet être psychique se manifeste de nouveau en vous et agit aussi dans votre conscience physique. Vous n'avez qu'à vivre en lui et tout votre être sera tourné vers la Mère, restera en union avec elle et sera préservé du doute, de l'erreur et des suggestions fausses ; et vous pourrez de nouveau, comme auparavant, progresser vers la pleine réalisation de la sâdhanâ.
Tout cela est excellent ; c'est l'état psychique qui progresse. La paix et la connaissance spontanée sont dans l'être psychique et s'étendent de là au mental, au vital et au physique. C'est dans la conscience physique extérieure que la difficulté essaie encore de persister en portant l'agitation tantôt dans le mental physique, tantôt dans les nerfs, et tantôt dans le corps sous forme de malaises physiques. Mais tout cela peut et doit disparaître. Même les maladies peuvent disparaître si la paix et le pouvoir augmentent dans les nerfs et les cellules du corps : maux d'estomac, troubles de la vue et tout le reste.
Ces sentiments reviennent par une habitude qui fait partie de la conscience physique, et dans cette conscience physique, l'être humain est toujours faible et incapable de se débarrasser de ses mouvements habituels ou d'y résister. Trois choses l'aident à le faire (mise à part sa volonté mentale, qui n'est pas toujours assez forte). Il y a d'abord l'être
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psychique ; pendant quelques jours, votre psychique était extrêmement actif et repoussait ces mouvements chaque fois qu'ils essayaient de venir, ou ne tardait guère à les rejeter lorsqu'ils entraient. Cette activité du psychique reviendra et à la longue descendra jusque dans la conscience physique ; alors la difficulté sera minime. En second lieu, il y a l'éveil constant de la conscience intérieure. Actuellement c'est difficile, car pour maintenir la conscience intérieure sans cesse en éveil, il vous faudra pénétrer de plus en plus profondément en vous-même, afin que le voile qui sépare la conscience extérieure de la conscience intérieure, et qui ne se lève que pendant la concentration, n'existe plus même lorsque vous serez dans un état ordinaire où la concentration est absente. La forte tendance à vous intérioriser que vous ressentez a pour but de vous mener à cet approfondissement. Et troisièmement, la force de la Mère doit être toujours présente et entraîner une réponse immédiate de la conscience physique. Ensemble, ces trois choses peuvent tout accomplir. Les rendre constamment actives toutes les trois à la fois demande du temps, mais cela viendra certainement et grâce à elles, ces difficultés intérieures disparaîtront.
Il est inévitable qu'au cours de la sâdhanâ on ait à passer par toutes sortes d'états pour atteindre la plénitude de la vraie conscience. Vous êtes maintenant - comme la plupart des sâdhak - dans la conscience physique dont la principale difficulté est la tendance à s'extérioriser et à voiler l'expérience active, de sorte que l'on ne sait pas ce qui se passe à l'intérieur ou que l'on a l'impression qu'il ne s'y passe rien. Quand cela se produit, c'est le signe qu'une certaine partie ou une certaine couche du physique a émergé parce qu'il faut s'en occuper, et quand le nécessaire a été fait - ce qui prend plus ou moins longtemps - l'expérience intérieure active et consciente reprend. Un mental muet n'est pas mauvais en soi ; c'est un état favorable au travail intérieur.
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Vous décrivez aussi quelque chose qui se passe dans la tête : ce doit être une action de la Force à cet endroit ; cela donne parfois l'impression d'un mal de tête. Une action se poursuit sans doute dans le mental physique pour le débarrasser d'une difficulté ou pour mieux le préparer à accueillir ce qui vient d'en haut.
Une grande patience est nécessaire pour passer par ces différents états sans agitation ni frayeur, et aussi la confiance que toutes les difficultés seront surmontées.
Ce n'est pas qu'il y a toujours en vous quelque chose "qui ne va pas", mais il y a encore, dans l'être physique subconscient, une partie qui peut toujours réagir très favorablement aux vibrations de ces pensées et de ces sentiments comme elle avait coutume de le faire. D'ordinaire vous n'auriez nullement laissé apparaître ces vibrations, ni sous forme de pensées, ni sous forme de sentiments - elles ne se seraient manifestées que par un état physique dépressif ou une fatigue - ou si ceux-ci étaient apparus, vous auriez réagi aussitôt et les vibrations seraient retombées et auraient disparu. Mais dans cette atmosphère lourdement surchargée par une invasion de la conscience ordinaire, la conscience physique est moins plastique et ses vibrations ont pu apparaître. C'est une expérience extrêmement fréquente. Il faut se détacher de ces parties encore faibles et les considérer comme un détail à rectifier dans le mécanisme. En outre, en ce qui vous concerne, votre être nerveux (physique vital) est extrêmement conscient et sensible, et tout ce qui ne va pas dans l'atmosphère l'affecte davantage que la plupart des autres sâdhak.
Cette sensation dans la poitrine était une attaque physique de la vieille Ignorance qui tentait par là de faire revenir
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l'agitation, la dépression, la confusion vitales; car c'est maintenant sur l'obscurcissement de la conscience physique que celles-ci comptent pour empêcher la Lumière et la Force de venir, pour assombrir leur action, créer le trouble et détruire la tranquillité. Rejetez cette attaque comme vous l'avez fait cette fois-ci, chaque fois qu'elle essaie de venir.
C'est très bien que tout ait disparu ainsi et que la vraie conscience ait affirmé sa maîtrise dans le physique. Ces incidents sont en fait des attaques dont le but est d'empêcher la maîtrise de s'établir dans l'être physique, comme elle l'a déjà fait dans les parties intérieures. Partout où la conscience physique s'ouvre, la Force peut balayer ce qui risquerait d'entraîner des difficultés. Il lui faut parfois un peu de temps pour surmonter la résistance, mais tout finit par disparaître devant elle.
C'est en fait la conscience corporelle qui continue à faire des difficultés, mais quand l'agitation et la confusion apparaissent, vous devez aussitôt les offrir et appeler pour que s'ouvre la partie qui résiste. De cette manière, il est possible d'instaurer un état où dès que la difficulté se présente, la Force de contre-attaquer vient aussi. Alors aucune difficulté ne pourra se prolonger très longtemps.
Pour votre sâdhanâ, il faut tout d'abord ouvrir l'être physique de façon complète et permanente et stabiliser en lui la descente du calme, de la force, de la pureté et de la joie, et aussi le sentiment que la Force de la Mère est présente et active en vous. C'est seulement sur cette base sûre que l'on peut devenir un instrument entièrement efficace pour le
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travail. Une fois que c'est fait, la transformation dynamique de l'être en un instrument du Divin reste à accomplir, et elle ne peut s'opérer que par la descente d'un pouvoir de conscience de plus en plus élevé dans le mental, le vital et le corps ; de plus en plus élevé, c'est-à-dire de plus en plus proche de la Lumière et de la Force supramentales. Mais cela ne peut se faire que sur la base dont j'ai parlé, et il faut que le psychique soit sans cesse au premier plan agissant comme un intermédiaire entre l'instrument mental, vital et corporel et ces plans supérieurs de l'être. Cette stabilisation fondamentale doit donc d'abord être achevée.
Oui, le moment est venu de persévérer jusqu'à ce que vous ayez définitivement pris position dans la conscience intérieure ; la persistance du silence et de la paix indique que c'est maintenant possible. Quand on sent cette sorte de silence, de paix et d'immensité, on peut être sûr que ce sont ceux de l'être vrai, du moi réel, pénétrant dans le mental et le vital et peut-être aussi (si c'est complet) dans la conscience physique. L'agitation du physique est probablement due au fait que la paix et le silence n'ont pas encore pénétré la conscience matérielle et corporelle, bien qu'ils aient atteint la conscience physique. L'ancienne agitation est là, dans le corps, essayant de s'accrocher, bien qu'elle ne puisse envahir ni le mental, ni le vital, ni même - d'une manière générale - la conscience physique dans son ensemble. Si la paix descend jusque là, l'agitation disparaîtra.
La sensation sexuelle vient du subconscient qui l'a emmagasinée durant les heures de veille. Lorsqu'elle ne peut pas se manifester dans la conscience de veille, elle émerge du subconscient pendant le sommeil. Le mental ne doit pas se laisser troubler ; cela s'en ira avec le reste.
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Dans le physique, la résistance revêt souvent la forme d'une agitation due à un malaise dans le système nerveux. Si les jambes en sont affectées, cela signifie que la perturbation se situe dans la partie la plus matérielle de la conscience. Puisqu'elle est apparue, il faut l'expulser une fois pour toutes. Cette partie est sans doute devenue assez consciente pour sentir la pression augmenter lorsque la Mère descend, mais pas suffisamment pour être capable de recevoir la descente et de l'assimiler, d'où le malaise et la résistance. Si c'est le cas, cela devrait s'en aller tout seul par une ouverture un peu plus grande à ce niveau.
Les réactions que vous décrivez - lourdeur, malaise, faiblesse, impression de vieillesse, d'épuisement ou de maladie - sont celles qui apparaissent lorsque l'inertie de la Nature physique résiste à la Lumière ; les autres - sentiment de sa propre dignité, respect de soi-même (de son ego) sont des réactions du vital. Il faut refuser de les admettre, les unes comme les autres. Il n'y a qu'un seul but à poursuivre : l'augmentation de la Paix, de la Lumière, du Pouvoir et la croissance d'une conscience nouvelle dans l'être. Avec cette nouvelle conscience viendront la vraie connaissance, la vraie compréhension, la vraie force, le vrai sentiment qui substitueront l'harmonie à la révolte et à la lutte et amèneront l'union avec la conscience et la volonté du Divin.
Une certaine inertie, une tendance au sommeil, une indolence, une répugnance ou une incapacité à trouver la force de travailler longtemps ou de soutenir un effort spirituel prolongé, tout cela appartient à la conscience physique humaine. Quand on descend dans le physique pour qu'il se transforme (c'est la situation qui prédomine ici depuis longtemps), cet état tend à empirer. Lorsque la pression de la sâdhanâ
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augmente dans le physique, ou lorsqu'on doit s'intérioriser souvent, il lui arrive même parfois de s'aggraver temporairement : le corps a besoin de se reposer davantage ou transforme le mouvement d'intériorisation en une tendance à dormir ou à se reposer. Vous n'avez cependant pas à vous en inquiéter. Au bout d'un certain temps, tout cela finit par rentrer dans l'ordre ; la conscience physique reçoit le vrai calme et la vraie paix dans les cellules et se sent reposée, même en plein travail ou dans l'état le plus concentré, et cette tendance à l'inertie se retire de la nature.
L'inertie a toujours plus de chances de se manifester la nuit parce que le subconscient joue un grand rôle dans le sommeil ; mais à part cela, il faut réagir (intérieurement) contre son apparition. Une tranquillité dans les cellules du corps, et même une sensation d'immobilité (où le corps se sent mû plutôt qu'il ne se meut lui-même), ce n'est pas la même chose, et c'est facile à distinguer de l'inertie. L'influx de paix apporte en général une grande descente du Brahman statique dans la conscience, jusqu'au physique, de sorte que l'on sent le "immobile il se meut" de l'Oupanishad.
À ma connaissance, aucun moyen extérieur n'est efficace pour se débarrasser de l'inertie. Certains, aux heures où ils ne peuvent pas pratiquer la sâdhanâ, consacrent leur temps à d'autres occupations : ils lisent, écrivent ou travaillent et n'essaient pas du tout de se concentrer. Mais je soupçonne que ce qu'il vous faut, c'est un corps plus vigoureux.
Il est tout à fait vrai que l'exercice physique est très nécessaire pour écarter le tamas. Je suis heureux que vous ayez
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commencé et je compte bien que vous continuerez.
Le tamas physique ne peut être extirpé que par la descente et la transformation, mais l'exercice physique et une activité corporelle régulière peuvent toujours empêcher un état tamasique d'envahir le corps.
Un mental, une force de vie et un corps solides sont nécessaires dans la sâdhanâ. On doit tout spécialement faire le nécessaire pour rejeter le tamas et pour amener la vigueur et la force dans la structure de la nature.
La voie du yoga doit être une chose vivante et non un principe mental ni une méthode fixe à laquelle on s'accroche en dépit de toutes les variations nécessaires.6
La faiblesse corporelle doit être guérie et non négligée. Elle ne peut être guérie qu'en faisant descendre la force supérieure et non par une simple contrainte exercée sur le corps.
Une tension excessive ne fait qu'accroître l'inertie : la volonté mentale et vitale peut contraindre le corps, mais le corps ressent de plus en plus la tension et finit par reprendre ses droits. C'est seulement si le corps ressent lui-même la volonté et la force de travailler qu'on peut augmenter la tension.
La première règle est que le sommeil et le repos doivent être suffisants : ni trop, ni trop peu.
6. Les Bases du Yoga, chapitre I. Traduction de la Mère.
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Le corps doit être entraîné à travailler ; il ne faut pas aller au-delà des limites de sa résistance.
Les procédés extérieurs ne sont pas efficaces sans les procédés intérieurs. Par un entraînement progressif on peut, jusqu'à un certain point, rendre le corps capable de travailler davantage. Mais l'important, c'est de faire descendre dans le corps la force du travail et le rasa du travail. Le corps fera alors ce qui lui est demandé, sans rechigner ni ressentir de fatigue.
Même dans ce cas, même si l'on a la force et le rasa, on doit conserver son sens de la mesure.
Le travail est un moyen de se donner au Divin, mais il doit être fait avec la conscience intérieure nécessaire, où le vital et le physique extérieurs ont eux aussi leur part.
Un corps paresseux n'est certes pas un instrument adapté au yoga : il doit cesser d'être paresseux. Mais un corps fatigué et rétif n'a pas non plus une bonne réceptivité et ne peut pas être un bon instrument. Ce qu'il faut, c'est éviter les extrêmes.
Si, après le travail, votre corps est endolori, c'est peut-être parce que vous travaillez au-delà de vos forces physiques et exigez trop de votre corps. Quand vous travaillez, la Force descend en vous, prend la forme d'une énergie vitale et soutient votre corps de sorte que sur le moment, il ne ressent pas la tension ; mais quand vous vous arrêtez, le corps retrouve son état normal et sent les effets : il n'est pas encore assez ouvert pour être capable d'emmagasiner la Force. Vous devez voir si cet effet douloureux se prolonge ; s'il disparaît, tout va bien ; sinon, vous devez veiller à ne pas vous surmener.
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Cette impression de légèreté et cette puissance de travail vous viennent de votre bon état psychique, car vous êtes ouvert à la Force de la Mère et c'est elle qui travaille en vous ; alors il n'y a pas de fatigue. Auparavant, vous sentiez la fatigue après le travail, parce que votre vital était ouvert et que l'énergie vitale était l'instrument du travail, mais la conscience corporelle n'était pas tout à fait ouverte et ressentait une certaine tension. Cette fois-ci le physique semble s'être ouvert, lui aussi.
La douleur, la sensation de brûlure, l'agitation, les larmes, l'incapacité à travailler que vous ressentez apparaissent lorsqu'on rencontre une difficulté ou une résistance dans une partie quelconque de la nature. Quand cela se produit, appelez la Mère et rejetez tout cela; tournez-vous vers elle pour que la paix et la tranquillité reviennent dans votre mental et s'établissent dans le cœur de sorte qu'il n'y ait plus de place pour toutes ces réactions.
V
L'attachement à ce que l'on mange, l'avidité et la convoitise qui font de la nourriture une partie indûment importante de la vie sont contraires à l'esprit du yoga. Être conscient qu'un aliment est agréable au palais n'est pas une faute ; seulement on ne doit en avoir ni désir ni envie, ni exultation de l'avoir, ni regret ou déplaisir de ne pas l'avoir. Il faut être calme et égal, sans trouble ni mécontentement quand la nourriture est insipide ou peu abondante, et manger la quantité nécessaire - ni plus ni moins. Il ne doit y avoir ni envie ni répugnance.
Penser tout le temps à la nourriture et en préoccuper le mental, est une manière tout à fait mauvaise de se débarrasser du désir de la nourriture. Mettez l'élément nourriture
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à sa vraie place dans la vie, dans un petit coin, et ne vous concentrez pas sur lui mais sur d'autres choses.7
Il n'est certes pas très yoguique de se laisser tourmenter à ce point par les insatisfactions du palais. Je remarque que ces petits désirs, que beaucoup de gens qui ne sont en rien des yogis ni des aspirants au yoga savent mettre à leur place, semblent prendre ici une importance démesurée, dans la conscience des sâdhak (pas tous, certes, mais beaucoup). En cela, comme en beaucoup d'autres domaines, ils ne semblent pas se rendre compte que si l'on veut faire le yoga, on doit adopter de plus en plus et dans tous les domaines, petits ou grands, l'attitude yoguique. Dans notre chemin, cette attitude n'est pas celle de la répression par la violence, mais du détachement et de l'égalité vis-à-vis des objets du désir. La répression violente8 se situe au même niveau que l'assouvissement sans frein : dans les deux cas, le désir persiste ; dans l'un, il se perpétue par l'assouvissement, et dans l'autre il reste latent et s'exaspère par la répression. C'est seulement lorsqu'on prend du recul, que l'on se sépare du vital inférieur, en refusant de considérer ses exigences et ses désirs comme siens, et que l'on cultive vis-à-vis d'eux une égalité et une équanimité complètes dans la conscience, que le vital inférieur se purifie peu à peu et devient calme et égal. Chaque vague de désir, lorsqu'elle vient, doit être observée aussi tranquillement et avec un détachement aussi imperturbable que si l'on observait un événement extérieur à soi, et on doit la laisser passer, la rejeter de la conscience, et la remplacer fermement par le vrai mouvement, la vraie conscience.
Et si les gens se rappelaient qu'ils sont ici pour faire le yoga, s'ils en faisaient le sel et la saveur de leur existence et acquéraient la samatâ du goût ? Alors, selon mon expérience,
7. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
8. Le jeûne entre dans cette catégorie ; il n'est d'aucune utilité dans ce domaine. Abandonnez complètement cette idée (Note de Sri Aurobindo).
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tous ces ennuis disparaîtraient et même, il n'y aurait plus de problèmes à la cuisine et la nourriture y gagnerait.
Ne laissez pas votre mental se préoccuper de la nourriture. Prenez-en la quantité nécessaire (ni trop ni trop peu) sans convoitise ni répulsion, comme le moyen que vous donne la Mère pour entretenir le corps, dans le véritable esprit, en offrande au Divin en vous. Alors la nourriture ne créera pas de tamas.9
Il faut manger suffisamment et ne plus y penser, en ne considérant la nourriture que comme un moyen d'entretenir l'instrument physique. Mais s'il ne faut pas trop manger, il ne faut pas non plus diminuer inconsidérément la quantité de nourriture : la réaction va à l'encontre du but recherché, qui est de ne permettre ni à l'avidité pour la nourriture, ni au lourd tamas du physique qu'engendre un excès de nourriture d'entraver la concentration sur l'expérience spirituelle et le progrès. Si le corps n'est pas assez nourri, il pensera plus encore à la nourriture.
Ces difficultés continuent à se manifester en vous parce qu'elles ont longtemps prédominé, et parce qu'en ce qui concerne la première, vous l'avez étayée à une certaine époque par de nombreuses justifications mentales. Si la conscience supérieure continue à croître, elles disparaîtront certainement. Mais si elles apparaissent, ne les entretenez pas. Votre attitude à l'égard de la gourmandise n'a peut-être Pas été exactement celle qu'il fallait. Il faut surmonter la
9. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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gourmandise, mais il ne faut pas trop y penser. La bonne attitude, en ce qui concerne la nourriture, est une certaine égalité. La nourriture est faite pour entretenir le corps et à cette fin, on doit en absorber suffisamment, selon les besoins du corps ; si on lui en donne moins, le corps en ressent le besoin et devient avide ; si on lui en donne trop, c'est céder au vital. Quant aux préférences du goût, l'attitude du mental et du vital devrait être : "Si on me donne ce que j'aime, je prends ; sinon, je m'en passe." Le mieux est de ne pas trop penser à la nourriture : ni trop manger, ni se priver inconsidérément.
Si l'on mange trop, le corps devient lourd et matériel ; si l'on ne mange pas assez, il devient faible et nerveux ; on doit trouver la véritable harmonie, le bon équilibre entre les besoins du corps et la nourriture absorbée.
Tout dépend de ce que vous pouvez digérer. Si vous pouvez digérer, il n'y a aucun mal à manger davantage, puisque vous avez faim. Tout cela dépend des besoins véritables du corps qui peuvent varier, selon le cas, avec la constitution du corps et la quantité de travail ou d'exercice physique. Peut-être avez-vous exagérément diminué la quantité de nourriture ; vous pouvez donc essayer de manger davantage.
Mais c'est tout naturel. L'exercice a toujours été censé augmenter l'appétit, puisque le corps a besoin d'une plus grande quantité de nourriture pour compenser la dépense supplémentaire d'énergie. Normalement, plus le corps travaille physiquement et plus il a besoin de nourriture. Le travail mental, au contraire, n'exige aucune augmentation de la
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quantité de nourriture ; des expériences scientifiques l'ont prouvé L'appétit peut augmenter pour d'autres raisons, mais s'il apparaît alors qu'on vient de commencer à pratiquer un sport ou un exercice physique intense, cela suffit à l'expliquer.
Il est vrai qu'à mesure que l'on avance en âge, il peut devenir souhaitable de diminuer la quantité de nourriture.
Ne négligez pas cette tendance de la nature (le désir de nourriture), mais n'en faites pas trop de cas. On doit s'en occuper, la purifier et la maîtriser, mais sans y attacher trop d'importance.
Il y a deux manières de la conquérir. L'une est le détachement : apprendre à considérer la nourriture comme une simple nécessité physique et ne donner aucune importance à la satisfaction vitale du palais et de l'estomac. L'autre est d'être capable de prendre sans insistance et sans recherche la nourriture qui vous est donnée, quelle qu'elle soit, et d'y trouver (que les autres la trouvent bonne ou mauvaise) un égal rasa, identique en tout, non pas de la nourriture en elle-même, mais de l'universel Ânanda.10
Dans un sens comme dans l'autre, ces généralisations n'ont pas grande valeur. Il est inutile de se mettre à détester la nourriture pour se débarrasser de la gourmandise. Par ailleurs, cultiver le dégoût de certaines choses peut aider à les rejeter ; mais ce remède n'est pas toujours efficace, car il leur arrive de persister malgré le dégoût.
10. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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Négliger le corps et le laisser s'épuiser est une erreur ; le corps est l'instrument de la sâdhanâ et doit être gardé en bon état. Il ne faut pas avoir d'attachement pour lui, mais pas de mépris non plus, ni de négligence pour la partie matérielle de notre nature.
Le but de ce yoga n'est pas seulement l'union avec la conscience supérieure, mais la transformation de la conscience inférieure, y compris la nature physique, par le pouvoir de la conscience supérieure.
Il n'est pas nécessaire d'avoir de la gourmandise ni un désir de nourriture pour manger. Le yogi ne mange pas par désir, mais pour entretenir son corps.11
L'attachement à la bonne nourriture doit être abandonné, comme l'attachement personnel au rang social et à la domesticité ; mais à cette fin il n'est pas rigoureusement indispensable de suivre un régime ascétique ou d'abandonner tout moyen d'action comme l'argent et la domesticité. Le yogi doit devenir nihsva, c'est-à-dire sentir que rien ne lui appartient. mais que tout appartient au Divin, et être à tout moment prêt à tout abandonner au Divin. Mais tout dilapider afin de devenir extérieurement nihsva, sans raison impérieuse, n'a pas de sens.
Je suppose que vous avez commencé à percevoir le principe de la faim dans le physique vital. Ce n'est ni en le satisfaisant, ni en le niant avec violence que vous pourrez vraiment le faire disparaître ; c'est en lui imposant une volonté de changer et en faisant descendre une conscience supérieure qu'il pourra se transformer.
11. Les Bases du Yoga. chapitre IV. Traduction de la Mère.
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Il n'est pas bon de réprimer ainsi la faim, cela suscite souvent des désordres. Je doute que quand on est en bonne santé, le fait d'être gros ou mince dépende de la quantité de nourriture absorbée : il y a des gens qui mangent bien et restent minces, et d'autres qui ne font qu'un repas par jour et restent gros. On peut maigrir par sous-alimentation (c'est-à-dire en mangeant moins que le corps n'en a réellement besoin), mais alors on n'est plus en bonne santé. Les médecins disent que cela dépend du fonctionnement de certaines glandes. Quoi qu'il en soit, l'important est maintenant de revigorer le système nerveux.
Quant au foie, manger peu, là non plus, ne sert pas à grand-chose ; très souvent le foie devient paresseux et fonctionne moins bien. Contre les troubles du foie, il est recommandé d'éviter les aliments gras et les excès de sucreries, et c'est aussi une façon d'éviter de grossir. Mais il n'est pas bon de manger trop peu ; ce qui peut être nécessaire dans certaines maladies de l'estomac ou de l'intestin ne vaut rien dans le cas d'un simple mal du foie.
Les Sannyâsi ont mis un interdit sur ces désirs, dans le domaine de la nourriture comme dans d'autres ; ils ont pour principe de manger une nourriture ascétique ; mais cela n'anéantit pas forcément la gourmandise ; elle reste refoulée, et si l'interdit ou le principe est retiré, elle peut réapparaître plus forte qu'avant, car le refoulement sans élimination renforce souvent ces désirs au lieu de les annihiler.
J'ai toujours remarqué que lorsque le désir de manger a été réprimé, le corps ressent pendant quelque temps une forte avidité pour la nourriture, ou un besoin de manger beaucoup, comme pour compenser ce qui lui a manqué.
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La première chose que je dis aux gens qui veulent cesser de manger ou de dormir est qu'on ne saurait faire le yoga sans une quantité suffisante de nourriture et de sommeil (voir sur ce point la Guîtâ). Le jeûne et l'insomnie mettent les nerfs dans un état d'excitation maladive, affaiblissent le cerveau et produisent des hallucinations et des fantasmes. La Guîtâ dit que le yoga n'est pas pour celui qui mange ou dort trop, ni pour celui qui ne mange pas et ne dort pas, mais que si l'on mange et dort convenablement (youktâhârî youktanidrah}, on peut alors le pratiquer dans les meilleures conditions. De même pour tout le reste. J'ai dit et répété qu'une vie trop retirée me paraît suspecte et qu'une sâdhanâ où l'on ne fait que méditer est une sâdhanâ déséquilibrée et donc chancelante !
L'idée de cesser de manger est une mauvaise inspiration. On peut subsister avec une petite quantité de nourriture, mais pas sans nourriture du tout, sauf pour un temps assez court. Souvenez-vous de ce que dit la Guîtâ : "Le yoga n'est pas pour celui qui mange avec excès, ni pour celui qui s'abstient complètement de manger."
L'énergie vitale est une chose à part : on peut en absorber beaucoup sans nourriture, et souvent elle augmente avec le jeûne ; mais la substance physique est d'un autre ordre : sans elle, la vie perd son support.12
On peut faire descendre la force, mais il faut veiller aussi à ce que le corps ait assez de nourriture, de sommeil et de repos ; leur absence entraîne une tension nerveuse et si les nerfs sont tendus, le corps se sent fatigué et s'affaiblit.
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Ne pas manger pour se débarrasser de la gourmandise, c'est la méthode ascétique. La nôtre est l'équanimité et l'absence d'attachement.
C'est un fait que par le jeûne, si le mental et les nerfs sont solides et si la force de volonté est dynamique, on peut obtenir momentanément un état d'énergie intérieure et de réceptivité très séduisant pour le mental, et les réactions habituelles de faim, de faiblesse, de dérangement intestinal, etc., peuvent être entièrement évitées. Mais le corps souffre de la diminution de nourriture, et le vital manifeste facilement une condition morbide de surtension, due à l'irruption de plus d'énergie vitale que le système nerveux ne peut en assimiler ou en coordonner. Les gens nerveux doivent éviter la tentation du jeûne ; il s'accompagne souvent ou est suivi d'aberrations et d'une perte d'équilibre.
En particulier, s'il a pour motif la grève de la faim, ou s'il s'y mêle quelque élément de ce genre, le jeûne devient périlleux, car alors on cède à un mouvement vital qui peut facilement devenir une habitude pernicieuse, nuisible à la sâdhanâ
Même si toutes ces réactions sont évitées, le jeûne n'a tout de même pas une utilité suffisante car l'énergie et la réceptivité supérieures devraient venir, non pas par des moyens artificiels ou physiques, mais par l'intensité de la conscience et par une forte volonté de sâdhânâ.13
Jamais je n'en ai entendu parler; mais le jeûne prolongé conduit précisément à une mauvaise réalisation. Les nerfs entrent dans un état d'excitation et de tension (à moins qu'ils ne lâchent) et inventent des réalisations ou vous ouvrent à une Force mauvaise. Du moins c'est souvent le cas.
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Je crois qu'obéir à cette suggestion et se priver de nourriture n'est pas sans danger, car parfois cela ouvre la porte à une force de jeûne qui s'empare du mental, et les ennuis commencent. Cela peut facilement arriver parce que l'être intérieur n'a évidemment pas besoin de nourriture et certaines forces essaient de projeter aussi sur le corps cette absence de besoin ; mais le corps ne saurait suivre une aussi charmante loi. Mieux vaut laisser cet état [de concentration et de paix] s'intensifier jusqu'à ce qu'il puisse se prolonger même pendant le repas et au-delà. Je suppose que ce n'est pas vraiment le fait de manger qui dérange, mais plutôt l'extériorisation de la conscience qu'il est un peu difficile d'éviter lorsqu'on va prendre son repas ; mais avec le temps on peut surmonter cela.
Vous ne devez pas laisser ce mouvement [tendance à réduire la quantité de nourriture] aller trop loin. C'est l'un des dangers de la sâdhanâ, dû à la tendance ascétique des yogas d'autrefois : avec les expériences vient la suggestion que la nourriture, le sommeil, etc. ne sont pas nécessaires ; le corps peut avoir aussi un penchant à ne pas manger ou à ne pas dormir. Mais si l'on y cède, les conséquences sont souvent désastreuses. Il ne faut pas admettre cela, pas plus que l'inertie.
Si vous souffrez beaucoup, vous pouvez vous abstenir de travailler pendant un jour ou deux, jusqu'à ce que les douleurs s'apaisent. Évidemment, si vous sentez que toute nourriture non liquide vous fait mal, la question est réglée. Vous ne pourrez absorber que de la nourriture liquide, et si vous ne prenez rien d'autre, vous n'aurez pas assez de force pour travailler. Mais en général, toutes ces questions dépendent, dans une large mesure, de l'idée qu'on s'en fait. Le
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mental a l'impression que toute nourriture solide provoquera des douleurs et le corps lui emboîte le pas; alors naturellement, toute nourriture solide commence vraiment à faire souffrir.
La vigueur mentale ou vitale ne dépend pas - ou pas forcément - de la nourriture ; c'est le physique qui, au bout d'un certain temps, commence à se fatiguer s'il n'est pas suffisamment nourri.
La transformation à laquelle nous aspirons est trop vaste et trop complexe pour se produire d'un seul coup ; il faut lui permettre de se faire par étapes. Le changement physique est la dernière de ces étapes, et il se fait lui-même par un processus progressif.
La transformation intérieure ne peut pas s'obtenir par des moyens physiques, qu'ils soient de nature positive ou négative. Par contre, le changement physique ne peut s'accomplir que par une descente de la plus haute conscience supramentale dans les cellules du corps. Jusqu'à ce moment-là du moins, le corps et les énergies qui le soutiennent doivent être partiellement entretenus par les moyens ordinaires : nourriture, sommeil, etc. La nourriture doit être prise dans le vrai esprit, avec la vraie conscience ; le sommeil doit progressivement se changer en repos yoguique.
Des austérités physiques prématurées et excessives (tapasyâ) peuvent compromettre la marche de la sâdhanâ en amenant un dérangement et des forces anormales dans les différentes parties du système. Une grande énergie peut se déverser dans les parties mentales et vitales, mais les nerfs et le corps risquent d'être surtendus et perdent la solidité nécessaire pour supporter l'action de ces énergies supérieures. C'est pourquoi des austérités physiques extrêmes ne font pas
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partie de la sâdhanâ ici et n'en sont pas un élément substantiel.
Il n'y a pas de mal à jeûner de temps à autre pendant un ou deux jours ni à réduire la nourriture à une quantité petite mais suffisante ; cependant, une entière abstinence pour une longue période n'est pas à recommander.14
Je crois qu'on a accordé une importance exagérée, du point de vue spirituel, à la nourriture sattwique. Les questions de nourriture relèvent plutôt de l'hygiène et bien des sanctions et des interdits édictés par les anciennes religions avaient un motif plus hygiénique que spirituel. Les définitions de la Guîtâ semblent aller dans ce sens : elle semble dire que la nourriture tamasique est celle qui est rance ou pourrie, et qui a perdu toute vertu ; que la nourriture radjasique est celle qui est trop acide, trop piquante, etc., qui échauffe le sang et nuit à la santé ; que la nourriture sattwique est celle qui est agréable, saine, etc. Il se pourrait bien que ces différentes sortes d'aliments nourrissent l'action des différents gouna et soient ainsi, indirectement, salutaires ou nuisibles, mise à part leur action physique. Mais on ne peut guère s'aventurer plus loin. Quant à savoir quels aliments particuliers sont ou non sattwiques, c'est une autre affaire et c'est bien plus difficile à déterminer. D'un point de vue spirituel, je dirais que l'effet de la nourriture dépend plus de l'atmosphère et des influences occultes qui l'entourent que du contenu même de la nourriture. Le végétarisme est une tout autre affaire; il repose, comme vous le dites, sur la volonté de s'abstenir de nuire aux formes de vie les plus conscientes pour satisfaire l'estomac.
L'exercice qui consiste à prendre toutes sortes d'aliments pour y trouver un égal rasa n'est pas nécessaire et n'est pas le vrai moyen d'y parvenir. Il faut acquérir l'égalité intérieure
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dans la conscience et à mesure que cette égalité s'accroît, on peut retendre ou l'appliquer aux divers domaines d'activité de la conscience.
On peut dire, je crois, que les oignons sont d'un caractère radjo-tamasique. Ils sont lourds et matériels, et en même temps éveillent certaines forces vitales-matérielles puissantes. Si l'on veut vaincre les passions physiques et que l'on est encore très soumis à la nature corporelle et à tout ce qui l'affecte, il est évidemment préférable de ne pas se laisser aller à une débauche d'oignons. Ce n'est sans importance que pour ceux qui se sont élevés au-dessus de la conscience corporelle et l'ont maîtrisée, et que ces questions ne concernent plus ; le fait d'absorber ou de désirer tel ou tel aliment est sans effet sur eux. Je dois ajouter qu'il ne suffit pas de s'abstenir de nourritures radjasiques ou tamasiques pour être délivré des désirs qu'elles contribuent à stimuler. Les végétariens, par exemple, peuvent être aussi sensuels et passionnés que les mangeurs de viande ; un individu peut s'abstenir de consommer des oignons sans s'améliorer en rien à cet égard. C'est un changement de conscience qui est efficace et ce genre d'abstinence n'y contribue que dans la mesure où elle tend à créer une conscience physique moins Jourde, plus raffinée, plus plastique, sur laquelle la volonté supérieure pourra agir. C'est quelque chose, mais ce n'est pas tout ; la transformation de la conscience peut se faire même sans privation.
La consommation des oignons est autorisée à l'Ashram parce que le palais des sâdhak exige quelque chose qui donne du goût à la nourriture. Nous n'accordons pas d'importance à ces détails et nous n'en faisons pas une règle absolument stricte, car ici l'accent est mis davantage sur un changement intérieur dont le changement extérieur est une conséquence. Nous insistons seulement sur ce qui est essentiel à l'organisation et à la discipline intérieure et extérieure, et à
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l'acquisition d'une indispensable maîtrise de soi. Tous sont enjoints de surmonter la gourmandise, mais cette victoire doit, en dernier ressort, être remportée de l'intérieur, tout comme la victoire sur les autres passions et les autres désirs de la nature inférieure.
La suppression totale du goût, rasa, ne fait pas partie de notre yoga. Ce qu'il faut rejeter, c'est le désir vital et l'attachement, la gourmandise, l'exultation quand on a la nourriture que l'on aime, le regret et le mécontentement quand on ne l'a pas, et l'habitude de lui donner une importance excessive. En ceci, comme en bien d'autres choses, l'égalité est la pierre de touche.15
Non, le goût n'est pas un esclavage, s'il n'y a pas d'attachement. Le goût est naturel et tout à fait admissible, tant que l'on n'est pas l'esclave de son palais. On peut certes faire l'offrande des plaisirs du goût. Je ne crois pas que l'expression de la Guîtâ : "Renonce aux fruits de l'action" s'applique à l'action de manger.
Le goût n'est pas plus un péché quelle vue ou l'ouïe. C'est le désir qu'il éveille qui doit être rejeté.
Il est possible de se débarrasser du goût, comme Chaïtanya, car il est tributaire de la conscience ; on peut donc l'inhiber. On s'est aperçu par des expériences d'hypnotisme qu'une suggestion pouvait donner au sucre un goût amer et aux aliments amers un goût sucré. Berkeley et la physiologie ont tous deux raison. Il y a une certaine relation fixe et
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habituelle entre la conscience dans le palais et le gouna de la nourriture, mais la conscience peut modifier à volonté cette relation ou l'inhiber complètement. De même certains yogis se rendent insensibles à la douleur, ce qui peut se faire aussi par l'hypnose.
Une autre méthode consiste à trouver tous les aliments agréables au goût sans s'attacher à aucun.
Mieux vaut être prudent en ce qui concerne la nourriture, etc., car votre sâdhanâ passe par un stade où la sensibilité, dans la partie physico-vitale de l'être, est considérable et peut aisément être dérangée par une mauvaise influence ou un mauvais mouvement, un excès de nourriture par exemple.
Quand la conscience physique est devenue sensible, une nourriture trop lourde ou trop abondante l'incommode.
C'est le subconscient matériel qui ressent par habitude un besoin artificiel créé par le passé et ne se soucie pas des effets nuisibles ou gênants qui peuvent ou non se répercuter sur les nerfs. Telle est la nature de tous les stupéfiants (vin, tabac, cocaïne, etc.) : à cause de ce besoin artificiel (il n'est pas réel) les gens continuent même quand les effets délétères se sont manifestés, et même après que tout le plaisir qu'ils en retirent a disparu. La volonté doit se saisir de cette persistance subconsciente et la dissoudre.
Ces stupéfiants [chanvre indien, etc.] vous mettent en relation avec un monde vital où ces choses [musique, chants, etc.] existent.
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VI
Notre yoga n'est pas de ceux où l'on doit pratiquer des austérités physiques pour elles-mêmes. Le sommeil est nécessaire au corps, tout comme la nourriture. La durée du sommeil doit être suffisante, sans excès. Par suffisante, j'entends celle dont le corps a besoin.
Si vous ne dormez pas assez, votre corps et votre enveloppe nerveuse s'affaibliront ; or le corps et l'enveloppe nerveuse sont la base même de la sâdhanâ.
C'est sans doute le manque de sommeil qui entretient dans votre système nerveux cette tendance à la faiblesse ; ne pas dormir assez est une grande erreur. Le minimum requis est de sept heures. Quand le système nerveux est très fort, on peut réduire à six, parfois même à cinq, mais c'est rare et il ne faut pas tenter de le faire sans nécessité.
On dit que la durée normale du sommeil est de sept ou huit heures, sauf à un âge avancé où elle serait moindre. Si l'on dort moins (cinq ou six heures, par exemple), le corps s'en accommode tant bien que mal, mais dès que la contrainte ne s'exerce plus, il veut aussitôt combler son déficit par rapport aux huit heures normales. Il en est de même lorsqu'on a cherché à subsister en ne mangeant pas assez : si la contrainte cesse, le corps devient souvent très vorace jusqu'à ce qu'il ait soldé son compte de profits et pertes. Du moins c'est souvent le cas.
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On ne peut pas faire du corps ce que l'on veut du premier coup. Si l'on ordonne au corps de ne dormir que deux ou trois heures, il obéira peut-être, à condition que la volonté soit assez forte ; mais ensuite il sera peut-être excessivement fatigué et même s'effondrera faute d'un repos suffisant. Les yogis qui réduisent leur sommeil à un minimum n'y réussissent qu'après une longue tapasyâ où ils apprennent à maîtriser les forces de la Nature qui gouvernent le corps.
Tant pour les fièvres que pour les troubles mentaux, le sommeil est d'un grand secours et son absence est très indésirable : on perd un agent de guérison.
Certaines forces agissent et certaines parties de la personnalité les utilisent. Dans la conscience ordinaire, ces fragments de personnalité sont voilés et les forces sont limitées par le mental extérieur, mais quand on passe derrière le voile cette limitation disparaît, l'action des forces s'élargit et réalise automatiquement ce qui doit être fait.
Mais chacune de ces forces se concentre sur son propre travail et ne se soucie de rien d'autre ; par exemple, dans le cas présent, elles ne tiennent aucun compte des besoins du corps en ce qui concerne le repos et le sommeil, ce qui est mauvais. La conscience centrale doit intervenir pour dire : "Non, maintenant c'est l'heure de dormir et non de s'occuper de cela ; ces activités auront leur place à un autre moment."
C'est le manque de sommeil lui-même qui provoque ces malaises. L'action de la sâdhanâ ne peut, par elle-même, amener ce genre de réaction : c'est seulement lorsque le corps subit une tension par manque de sommeil, insuffisance de
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nourriture, surmenage ou excitation nerveuse que ces symptômes apparaissent. Si vous avez du mal à dormir, c'est sans doute parce que vos nerfs sont tendus pendant la journée et que vous n'arrivez pas à vous détendre pour vous sentir à l'aise.
C'est votre agitation qui vous empêche de rester endormi, intérieurement ou extérieurement. Pour bien dormir, il faut apprendre au vital, au physique et aussi au mental à se détendre et à rester tranquilles.
Veillez à prendre assez de repos. Vous devez vous méfier de la fatigue, car elle peut provoquer le relâchement et le tamas. Un bon repos n'est pas le tamas, contrairement à ce que certains imaginent ; on peut se reposer dans la conscience juste, pour entretenir l'énergie du corps : c'est ce que fait le Hathayogi énergique en shavâsana.
Cette lecture [d'un roman, avant d'aller au lit] vous a évidemment jeté dans une conscience tamasique, et par conséquent vous avez dormi d'un sommeil lourd, dans une subconscience épaisse ; d'où la fatigue.
Le sommeil, en raison de sa base subconsciente, amène généralement une chute à un plan inférieur, à moins que ce ne soit un sommeil conscient. Le rendre de plus en plus conscient est le seul remède permanent ; mais tant que l'on n'y est pas parvenu, on doit toujours, au réveil, réagir contre cette tendance à l'abaissement et ne pas permettre à l'effet
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des nuits lourdes de s'accumuler. Mais ces choses nécessitent toujours une discipline et un effort soutenus et elles prennent du temps, parfois beaucoup de temps. Il n'est pas bon de se refuser à l'effort sous prétexte que l'on n'obtient pas des résultats immédiats.
Tâcher de rester éveillé la nuit n'est pas une bonne méthode ; la suppression du sommeil nécessaire rend le corps tamasique et incapable de la concentration voulue pendant les heures de veille. La vraie manière est de transformer le sommeil et non de le supprimer, et surtout d'apprendre à être de plus en plus conscient dans le sommeil même. Si l'on y parvient, le sommeil se change en un mode interne de conscience, où la sâdhanâ peut continuer autant qu'à l'état de veille, et en même temps on devient capable d'entrer en d'autres plans de conscience que le physique et de disposer d'un immense champ d'expériences informatrices que l'on peut utiliser.17
Les expériences qu'il a maintenant sont les vraies expériences spirituelles et psychiques et non celles du plan vital qu'ont la plupart des sâdhak au début. Les expériences du plan vital (qui contiennent une grande part d'imagination et de fantaisie) sont utiles pour ouvrir la conscience ; mais le vrai progrès commence quand elles font place à la conscience spirituelle et psychique.
La plupart des sâdhak ont du mal à rester conscients pendant la nuit, parce que c'est l'heure du sommeil et de la détente et que le subconscient émerge. La vraie conscience vient d'abord à l'état de veille ou en méditation, elle prend
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possession du mental, du vital, du physique conscient, mais le vital et le physique subconscients demeurent obscurs et cette obscurité émerge dans les moments de sommeil ou de détente inerte. Quand le subconscient est illuminé et pénétré par la vraie conscience, cette antinomie disparaît.
La femme pischâtcha qui essayait d'entrer est la fausse Shakti vitale et impure, et la voix était celle de l'être psychique. Son psychique, s'il le maintient éveillé et au premier plan, le protégera toujours contre ces forces obscures, comme il l'a fait cette fois-ci.
Vous ne devez pas essayer de vous passer de sommeil pendant la nuit ; si vous vous y obstinez, les effets néfastes n'apparaîtront peut-être pas tout de suite, mais le corps se fatiguera et l'effondrement qui en résultera risquera de détruire ce que vous avez acquis par votre sâdhanâ.
Si vous voulez rester conscient pendant la nuit, entraînez-vous à rendre conscient votre sommeil : non à l'éliminer complètement, mais à le transformer.
Le sommeil ne peut pas être remplacé par autre chose, mais il peut être changé : vous pouvez devenir conscient dans le sommeil. Si vous êtes conscient ainsi, la nuit peut être employée à une activité supérieure - pourvu que le corps ait le repos dont il a besoin, car le but du sommeil est le repos du corps et le renouvellement de la force vitale physique. C'est une erreur de priver le corps de nourriture et de sommeil, comme certains le veulent par idée ou impulsion ascétique ; ceci ne fait qu'user le support physique, et bien que l'énergie yoguique ou vitale puisse faire fonctionner longtemps un système physique surmené ou déclinant, vient un temps où cette sorte de tirage n'est plus si facile, ni même peut-être possible. On doit donner au corps ce dont il a
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besoin pour l'efficacité de son fonctionnement. Une nourriture modérée, mais suffisante (sans gourmandise ni désir), un sommeil suffisant mais non d'un genre lourd et tamasique, telle devrait être la règle.18
Il n'y a pas la moindre raison que l'intensité de la sâdhanâ empêche de dormir suffisamment.
La sâdhanâ peut se poursuivre durant le rêve ou le sommeil tout autant que dans l'état de veille.
La conscience de rêve ou de sommeil ne peut pas se convertir tout entière et d'un seul coup en une sâdhanâ consciente. Cela doit se faire peu à peu. Mais le pouvoir de samâdhi conscient doit s'accroître pour que ce soit possible.
On ne peut pas agir avec efficacité sur la conscience de sommeil tant que le mental de veille n'a pas accompli un certain progrès.
En général, c'est seulement lorsque la sâdhanâ est très active pendant la journée qu'elle se prolonge aussi pendant le sommeil.
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Une fois qu'on est en pleine sâdhanâ, le sommeil en fait¦ partie tout autant que la veille.
C'est très bien. C'est le signe que la sâdhanâ devient continue, que vous êtes conscient et que vous utilisez une volonté consciente pendant le sommeil autant qu'à l'état de veille. Ce pas en avant est très important dans la sâdhanâ.
Lorsqu'après avoir été dans un bon état de conscience, on a sombré pendant la nuit dans le subconscient, on s'aperçoit que cet état de conscience a disparu, et il faut faire un effort pour le retrouver. Au contraire, si le sommeil est de meilleure qualité, on peut s'éveiller dans un bon état de conscience. Évidemment, si l'on en est capable, mieux vaut rester conscient pendant le sommeil.
Il y a chez presque tout le monde une solution de continuité entre la nuit et le réveil d'une part, et de l'autre la conscience ordinaire (la conscience "ordinaire" varie évidemment en fonction du progrès) ; mais il est inutile de chercher à être conscient en dormant ; vous devez prendre l'habitude de retrouver le fil du progrès dès que possible et pour cela, il faut se concentrer un peu après s'être levé.
Vous n'avez pas besoin de méditer aussitôt [après vous être réveillé le matin], mais prenez pendant quelques instants une attitude concentrée, en appelant la présence de la Mère pour qu'elle vous accompagne pendant la journée.
Le soir, il faut passer de la concentration au sommeil ; vous devez être capable de vous concentrer les yeux fermés, couché, et la concentration doit s'approfondir jusqu'au
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sommeil ; c'est-à-dire que le sommeil doit devenir une intériorisation concentrée qui s'éloigne de l'état extérieur de veille. Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez rester assis pendant un moment, mais ensuite couchez-vous en maintenant la concentration jusqu'à ce que l'intériorisation se fasse.
[Pour devenir conscient pendant le sommeil :] Vous devez commencer par vous concentrer avant de vous endormir, avec toujours une volonté ou une aspiration particulière. La volonté ou l'aspiration peut mettre un certain temps à atteindre le subconscient, mais si elle est sincère, forte et imperturbable, elle le rejoint au bout d'un moment, si bien qu'une conscience et une volonté s'établissent automatiquement durant le sommeil et font le nécessaire.
Ce n'était ni un demi-sommeil ni un quart de sommeil ni même un seizième de sommeil que vous avez eu ; c'était une intériorisation de la conscience, qui dans cet état reste consciente mais fermée aux choses extérieures et ouverte seulement à l'expérience intérieure. Vous devez clairement distinguer ces deux conditions, qui sont tout à fait différentes ; l'une est nidrâ, l'autre le commencement au moins de samâdhi (pas le nirvikalpa, bien entendu !). Ce retrait à l'intérieur est nécessaire parce que le mental actif de l'être humain est tout d'abord trop tourné vers les choses extérieures ; il doit rentrer complètement au-dedans afin de vivre dans l'être interne (mental interne, vital interne, physique interne, psychique). Mais avec de l'entraînement, on peut arriver au point où l'on reste conscient extérieurement tout en vivant dans l'être intérieur et où l'on entre à volonté dans l'état de retrait ou dans celui d'expansion. Vous pourrez alors avoir la même immobilité dense et le même influx d'une
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conscience plus grande et plus pure à l'état de veille autant que dans ce que vous appelez à tort le "sommeil".19
Vous êtes plus conscient quand vous dormez que lorsque vous êtes éveillé. C'est parce que la conscience physique n'est pas encore assez ouverte ; elle est tout juste en train de commencer à s'ouvrir. Quand vous dormez, l'être intérieur est actif et en lui, le psychique peut influencer plus activement le mental et le vital. Quand la conscience physique sera spirituellement éveillée, vous ne sentirez plus comme maintenant ce trouble et cette obstruction et vous serez aussi ouvert dans la conscience de veille que pendant le sommeil.
C'est la bonne attitude : avoir la foi et ne pas se préoccuper des difficultés. Des difficultés - et de graves difficultés -, il ne peut manquer d'y en avoir sur le chemin du yoga, parce qu'il n'est pas facile de changer d'un seul coup toute la conscience humaine ignorante et d'en faire une conscience spirituelle ouverte au Divin. Mais avec la foi, on n'a pas à se préoccuper des difficultés ; la Force divine est là pour les surmonter.
Le sommeil que vous décrivez où règne un silence lumineux, ou le sommeil qui donne l'Ânanda dans les cellules, sont évidemment les états les meilleurs. Les autres heures (celles dont vous êtes inconscient) peuvent être des périodes de sommeil profond où vous êtes sorti du physique pour entrer dans le mental, le vital ou d'autres plans. Vous dites que vous étiez inconscient, mais il se peut simplement que vous ne vous souveniez pas de ce qui s'est passé ; car au retour, il y a une sorte de renversement de conscience, une transition ou un changement qui fait que tout ce dont on a eu
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l'expérience pendant le sommeil (sauf peut-être ce qui s'est passé en dernier ou bien un événement très impressionnant) se retire de la conscience physique, et tout devient comme vide. Il y a un autre état similaire, un état d'inertie qui n'est pas seulement vide mais lourd aussi et sans souvenir, mais il ne se produit que quand on s'enfonce profondément et épaissement dans le subconscient. Ce plongeon souterrain est très indésirable ; il obscurcit, abaisse, et souvent fatigue plus qu'il ne repose ; c'est tout le contraire du silence lumineux.20
Pendant le sommeil, on passe très souvent par une longue succession d'états de conscience de plus en plus profonds, jusqu'à ce qu'on atteigne le psychique pour s'y reposer, ou par des niveaux de conscience de plus en plus élevés jusqu'à ce qu'on atteigne un repos silencieux et paisible. Ces quelques minutes de repos constituent le vrai sommeil réparateur : sans lui, on ne se repose qu'à moitié. C'est quand on s'approche de l'un de ces domaines de repos que l'on commence à avoir ces rêves d'essence supérieure.
Selon une théorie médicale récente, le dormeur passe par de nombreuses phases jusqu'à ce qu'il parvienne à un état fait de repos et de silence absolus. Cet état ne dure qu'une dizaine de minutes ; le reste du temps, on se dirige vers cet état et on en revient vers l'état de veille. Je suppose que ces dix minutes de sommeil peuvent être appelées soushoupti dans le Brahman ou le Brahmaloka, le reste étant un swapna ou passage à travers les autres mondes (plans ou états d'existence consciente). Ce sont ces dix minutes qui restaurent les énergies de l'être, et sans elles le sommeil n'est pas réparateur.
20. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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Selon l'expérience et la connaissance de la Mère, on part de l'état de veille et on traverse une succession d'états de la conscience de sommeil qui sont en fait autant de mondes que l'on pénètre et par lesquels on passe pour arriver à l'état de pur Satchidânanda fait de repos complet, de lumière et de silence ; ensuite on revient sur ses pas jusqu'à l'état physique de veille. C'est cette période de Satchidânanda qui donne au sommeil tout son pouvoir réparateur. Ces deux descriptions - la description scientifique et la description spirituelle et occulte - sont pratiquement identiques. Mais la première n'est qu'une découverte récente de ce que la connaissance spirituelle et occulte savait depuis longtemps.
Les gens se font les idées les plus fausses au sujet du "sommeil profond". Ce qu'ils appellent un sommeil profond est simplement une plongée de la conscience extérieure dans une subconscience complète. Ils appellent cela un sommeil sans rêves ; mais ce n'est qu'un état où la conscience superficielle de sommeil, prolongement subtil de la conscience extérieure qui reste active même pendant le sommeil, est incapable d'enregistrer les rêves et de les transmettre au mental physique. En fait le sommeil tout entier est plein de rêves. C'est seulement durant le bref moment où l'on est dans le Brahmaloka que les rêves s'interrompent.
Un sommeil ininterrompu et prolongé est nécessaire parce que ce n'est que pendant une dizaine de minutes que l'on pénètre dans un vrai repos, une sorte d'immobilité de la conscience analogue à celle du Satchidânanda, et c'est cela qui a un effet vraiment réparateur sur l'organisme. Le reste du temps se passe d'abord à traverser les différents états de conscience jusqu'à celui-là, et ensuite à en sortir pour revenir à l'état de veille. Certains médecins ont constaté l'existence de ces dix minutes de véritable repos, mais évidemment ils ne savent rien du Satchidânanda !
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VII
Tout sommeil est plein de rêves. Pourquoi y aurait-il une différence entre le sommeil diurne et le sommeil nocturne ?
Durant la nuit, la conscience descend presque toujours au-dessous du niveau atteint par la sâdhanâ dans la conscience de veille, à moins que l'on n'ait des expériences spéciales d'un caractère élevant pendant le sommeil ou que la conscience yoguique acquise soit assez forte dans le physique lui-même pour contrecarrer l'attraction de l'inertie subconsciente. Dans le sommeil ordinaire, la conscience qui reste dans le corps est celle du physique subconscient, qui est une conscience diminuée ; elle n'est pas éveillée et vivante comme le reste de l'être. Le reste de l'être se retire en arrière et une partie de sa conscience sort et s'en va en d'autres plans, d'autres régions, et y a des expériences qui se traduisent par des rêves comme celui que vous avez raconté. Vous dites que vous allez en de très mauvais endroits et que vous y avez des expériences comme celle que vous relatez ; mais ce n'est pas nécessairement le signe qu'il y a quelque chose de mauvais en vous. Cela veut dire simplement que vous allez dans le monde vital, comme tout le monde ; or le monde vital est plein d'endroits et d'expériences de ce genre. Ce que vous devez faire, ce n'est pas tant d'éviter tout à fait d'y aller, car on ne peut pas complètement l'éviter, mais d'y aller avec une pleine protection, jusqu'à ce que vous obteniez la maîtrise des régions de la Nature supraphysique. C'est l'une des raisons pour lesquelles vous devriez vous souvenir de la Mère et vous ouvrir à la Force avant de vous endormir, car plus vous en prendrez l'habitude et réussirez à le faire, plus la protection sera avec vous.21
2l. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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C'est le mental de veille qui pense, exerce sa volonté et domine plus ou moins la vie à l'état de veille. Dans le sommeil, ce mental n'est pas là et aucune surveillance ne s'exerce. Ce n'est pas le mental pensant qui voit les rêves, etc., et qui est conscient - avec une certaine incohérence - pendant le sommeil. C'est en général ce que l'on appelle le subconscient qui émerge alors. Si le mental de veille était actif dans le corps, on ne pourrait pas dormir.
Vous confondez des choses complètement différentes, c'est pourquoi vous n'arrivez pas à comprendre. J'expliquais simplement la différence entre la conscience ordinaire de veille et la conscience ordinaire de sommeil, telles qu'elles fonctionnent dans l'être humain, qu'il soit ou non un sâdhak, et cela n'a rien à voir avec le vrai moi ou l'être psychique. Le sommeil et la veille sont déterminés non par le vrai moi ou l'être psychique, mais par l'état éveillé ou l'activité du mental pendant la période de veille ; quand cet état ou cette activité cessent pendant quelque temps, c'est le subconscient qui est à la surface, et l'on dort.
Là aussi c'est différent : c'est dans la conscience yoguique que l'on sent le subconscient situé sous les pieds, mais son influence ne se fait pas sentir seulement à cet endroit ; elle s'étend à tout le corps. À l'état de veille, il est supplanté par l'intellect et le vital conscients, et par le mental physique conscient, mais dans l'état de sommeil il vient à la surface.
C'est le subconscient qui est actif dans les rêves ordinaires. Mais dans les rêves où l'on sort pour aller dans d'autres plans de conscience (mental, vital, physique subtil), c'est en général une partie de l'être intérieur (mental, vital ou physique intérieurs) qui est active.
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Ces rêves ne sont pas tous de simples rêves ; ce ne sont pas tous des constructions fortuites, incohérentes ou subconscientes. Beaucoup d'entre eux sont des notations ou des transcriptions d'expériences du plan vital, où l'on entre pendant le sommeil ; certains sont des scènes ou des événements du plan physique subtil. Souvent, on y subit des circonstances ou s'y livre à des activités qui ressemblent à celles de la vie physique, avec le même entourage et les mêmes gens, quoique généralement il y ait dans l'arrangement et les formes une certaine différence, parfois considérable. Mais on peut aussi entrer en contact avec d'autres entourages et d'autres personnes que l'on ne connaît pas dans la vie physique ou qui n'appartiennent pas du tout au monde physique.
À l'état de veille, vous n'êtes conscient que d'un certain champ, d'une certaine action limitée de votre nature. Pendant le sommeil, vous pouvez devenir intensément conscient de ce qui est au-delà de ce champ : une nature vitale ou mentale plus vaste derrière l'état de veille, ou un physique subtil, ou une nature subconsciente qui contient une grande part de ce qui est en vous, mais qui n'est pas active d'une façon discernable à l'état de veille. Tous ces sentiers obscurs doivent être clarifiés sinon Prakriti ne peut pas être changée. Vous ne devriez pas vous laisser troubler par la multitude de rêves du vital ou du subconscient (la plus grande part des expériences de rêve vient en effet de ces deux endroits), mais aspirer à être délivré de ces choses et des activités qu'elles révèlent, à être conscient et à rejeter tout ce qui n'est pas la Vérité divine ; plus vous toucherez cette Vérité et vous vous attacherez à elle à l'état de veille, rejetant tout le reste, plus ce tissu de rêves inférieurs s'éclaircira.22
22. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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Je parlais de votre état de conscience : plus vous deviendrez conscient, plus les rêves que vous ferez auront de valeur.
À moins qu'il ne s'agisse de rêves vraiment significatifs, l'étude des rêves est une perte de temps.
Vous semblez attacher trop d'importance aux rêves. N'encombrez pas votre mental et votre vital de veille ; plus tard, vous pourrez vous occuper des rêves qui ne seront plus alors que des souvenirs issus du subconscient.
Tous les rêves de ce genre sont évidemment des formations comme l'on en rencontre souvent sur le plan vital, et plus rarement sur le plan mental. Parfois, ce sont les formations de votre propre mental ou de votre vital ; parfois, les formations du mental d'un autre avec une transcription exacte ou modifiée dans le vôtre ; parfois viennent des formations faites par des forces ou des êtres non humains de ces autres plans. Ces formations ne sont pas vraies et ne deviennent pas nécessairement vraies dans le monde physique ; mais elles peuvent tout de même avoir de l'effet sur le plan physique si elles ont été formées avec cette tendance ou dans ce but, et si on le leur permet, elles peuvent réaliser leurs événements ou leur signification (car elles sont le plus souvent symboliques ou schématiques) dans la vie intérieure ou extérieure. Avec elles, la méthode à suivre est simplement d'observer et de comprendre, et si elles viennent d'une source hostile, de les rejeter ou les détruire.
Il y a d'autres rêves, qui n'ont pas le même caractère ; ils sont la représentation ou la transcription de choses qui se passent réellement en d'autres plans, d'autres mondes, en
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d'autres conditions que les nôtres. Là aussi, il y a des rêves qui sont purement symboliques, et d'autres qui indiquent des mouvements et des propensions qui existent en nous, familiers ou inconnus du mental de veille, ou qui exploitent de vieux souvenirs, ou font surgir des choses emmagasinées passivement ou qui sont encore actives dans le subconscient - toute une masse de matériaux variés qu'il faut changer ou chasser à mesure que l'on s'élève à une conscience supérieure. Si l'on apprend à les interpréter, on peut acquérir par les rêves, une grande connaissance des secrets de sa propre nature et de la nature des autres.23
Ces personnages qui vous apparaissent et ces communications que vous recevez en rêve peuvent avoir trois origines différentes:
(1) Il peut s'agir d'êtres que vous rencontrez dans le monde supraphysique et qui s'intéressent à vous ;
(2) Il peut s'agir de Forces de la Nature - de la nature mentale ou de la nature vitale - qui revêtent ces apparences humaines et vous transmettent, par un rêve symbolique, une formation issue du Mental universel ou de la Vie universelle. Ces messages peuvent prendre la forme de communications ou d'avertissements concernant des événements futurs. La femme était sans doute l'une de ces Forces de la Nature, car son enfant et la boîte qu'elle portait sont évidemment des symboles : l'enfant représentait une de ses créations ou de ses formations qu'elle voulait vous faire accepter et conserver dans votre conscience, la boîte symbolisait certaines habitudes que cette Force voulait aussi vous faire adopter. En vous offrant de prendre soin de vous, elle ne faisait que manifester sa volonté de vous asservir. Vous avez bien fait de dissoudre tout cela.
(3) Il peut s'agir de constructions de votre propre mental
23. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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qui vous transmettait ainsi, sous forme de rêves, des communications ou des perceptions qu'il avait reçues d'une force de la nature et qu'il voulait, comme dans le dernier rêve, faire rejeter par l'être intérieur.
C'est l'exemple d'un rêve où la prémonition s'est révélée exacte dans le domaine physique. Le pouvoir de faire des rêves de ce genre est relativement rare : en général, ces prémonitions se manifestent sous forme de visions intérieures et non dans le sommeil. Il arrive souvent que des formations mentales et vitales se produisent dans les rêves et elles se réalisent parfois en essence, mais pas avec cette précision dans le détail.
[Cette indication exacte du passé et de l'avenir] n'est donnée que par une certaine catégorie de rêves. Les rêves cohérents sont pour la plupart symboliques; sinon ils indiquent des événements qui se passent sur le plan mental ou vital plutôt que sur le plan physique.
C'est le signe d'un pouvoir d'émettre consciemment des formations mentales. Les pensées ont un pouvoir effectif, en général parce qu'elles créent une atmosphère ou des tendances ; ainsi, dans l'entourage d'un malade, il ne faut pas émettre des pensées de mauvais augure, de chagrin ou de peur, car elles vont à l'encontre de la guérison; mais la faculté d'émettre consciemment des pensées formatrices est un pouvoir spécial et peu répandu. Il peut être acquis ou venir de lui-même par la sâdhanâ.
Les rêves de ce genre viennent du subconscient. On est rarement aussi embarrassé, dans la poursuite du yoga, que lorsqu'on découvre avec quelle obstination le subconscient retient ce qui, dans les régions supérieures de la conscience, a été réglé et éliminé. Mais précisément pour cette raison,
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les rêves donnent souvent une indication utile, car ils nous permettent de poursuivre ces choses jusqu'à leurs obscures racines dans ce monde souterrain et de les extirper. Non, cela n'indique pas que dans une certaine partie de votre conscience, vous considérez votre poursuite actuelle du yoga comme une occupation temporaire, mais simplement que les vieilles tendances et les vieilles activités vitales sont toujours là, dans ces limbes subconscientes mystérieuses et obscures, et que leurs fantômes peuvent venir voleter à la surface quand la volonté consciente est inactive. Si c'était un rêve ordinaire, il semblerait montrer que ce fantôme n'était pas un puissant démon comme les revenants24 combatifs des sagas norvégiennes, mais une ombre sortie de quelque Hadès sans substance.
Il arrive souvent que lorsqu'un mouvement est expulsé de la conscience de veille, il continue à se produire en rêve. Cela arrive de deux façons. Dans le premier cas, le mouvement est parti, mais il a laissé dans le subconscient un souvenir et une impression qui reviennent durant le sommeil sous forme de rêve. Ces phénomènes subconscients en rêve n'ont aucune importance ; ce sont des ombres plutôt que des réalités. Dans l'autre cas, les rêves se produisent dans le vital pour vérifier ou pour témoigner jusqu'à quel point, dans une certaine partie de l'être intérieur, l'ancien mouvement persiste ou est vaincu. Car dans le sommeil, la domination de la conscience de veille et de la volonté est absente. Si, malgré cela, on est conscient pendant le sommeil et que l'on ne sent pas l'ancien mouvement lorsque les circonstances qui le déclenchaient autrefois se répètent en rêve, ou qu'il est rapidement vaincu et rejeté, on doit comprendre que là aussi, on a remporté la victoire. Votre rêve, qui semble avoir reflété quelque chose de réel, était une véritable expérience
24. En français dans le texte.
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de ce genre ; l'ancien mouvement est bien venu par habitude, mais vous êtes aussitôt devenu conscient et l'avez rejeté. C'est un signe encourageant et la promesse d'une élimination complète dans très peu de temps.
Ces rêves, qui se forment à partir d'impressions subconscientes combinées au hasard (mental, vital ou physique subconscient), ou bien n'ont aucune signification, ou bien en ont une qu'il est difficile de découvrir et qui, même si on la découvre, ne vaut guère la peine d'être connue. D'autres rêves sont simplement des événements dans les mondes du mental, du vital ou du physique subtil, ou appartiennent aux plans plus vastes du mental, du vital ou du physique subtil, et ont une signification que les personnages du rêve essaient de transmettre.
Quand on est dans la conscience physique, le sommeil a plutôt tendance à être du genre subconscient, souvent lourd et peu reposant ; les rêves aussi sont du genre subconscient, incohérents, dépourvus de sens, ou s'ils ont une signification, les symboles du rêve sont si confus et si obscurs qu'il est impossible de la saisir. C'est en apportant la Lumière de la Mère dans le subconscient que cette confusion peut être dissoute ; le sommeil devient reposant ou lumineux et conscient.
Ces expériences sont normales quand la conscience intérieure se développe et devient de plus en plus la résidence naturelle de l'être ; c'est la connaissance intuitive et spontanée de cette conscience intérieure qui devient prédominante et non plus le fonctionnement ordinaire du mental extérieur qui
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dépend des données sensorielles et des événements extérieurs. C'est la substance de la conscience qui commence à percevoir les choses, et non une partie extérieure qui lui sert d'instrument.
Durant le sommeil, une partie de la conscience sort pour aller dans d'autres plans de l'être où elle voit et sent ce qui s'y passe. Il est tout à fait possible que la conscience témoin suive ces événements qui, en général, se communiquent par une transcription cohérente à la partie endormie de la conscience ; celle-ci les reçoit et ils apparaissent comme des rêves clairs et pleins de sens, par opposition aux rêves incohérents du subconscient. Ou bien la conscience témoin peut se sentir là observant les événements, et en même temps ici. C'est sans doute ce qui va se développer dans quelque temps.
Le mental physique (ou bien le subconscient) intervient presque toujours dans le rêve pour donner sa propre version. C'est seulement lorsqu'une expérience claire se produit dans le plan mental ou vital qu'il n'essaie pas d'intervenir.
Dans ces rêves, qui appartiennent aux plans du mental et du vital supérieur, les événements ne se produisent pas au même rythme qu'ici et les forces agissent plus librement, mais certains sont formateurs de phénomènes et d'événements qui se produiront ici ; non que ces rêves se réalisent exactement comme des prophéties, mais ils créent des forces qui les aident à se réaliser.
Il n'y a pas de lien substantiel [entre l'état de veille et l'état de rêve], mais il peut y avoir un lien subtil. Les événements de l'état de veille influencent souvent le monde du rêve,
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pourvu qu'ils aient assez de répercussion sur le mental ou le vital. Les formations et les activités des plans de rêve peuvent projeter quelque chose d'elles-mêmes ou de leur influence dans l'état physique de veille, bien qu'elles s'y reproduisent rarement d'une manière exacte. C'est seulement lorsque la conscience de rêve a atteint un très haut degré de développement qu'on peut voir fréquemment en rêve des choses qui sont ensuite confirmées par ce que d'autres pensent, disent ou font, ou par des événements dans le monde physique.
Ce sont des rêves du plan vital où ce plan s'empare de l'expérience spirituelle pour essayer d'en transformer le contenu en formes de l'ego et ensuite de suggérer une perte de pouvoir et de conscience, puis une chute. Vous ne devez attacher aucune importance à ces rêves, sauf dans la mesure où ils donnent une indication sur votre nature dans l'état de sommeil.
Ils veulent simplement dire que lorsqu'ils reviennent à eux, ils n'ont pas conscience d'avoir rêvé. Pendant le sommeil, la conscience va dans d'autres plans où elle a des expériences, et quand celles-ci sont transcrites - parfaitement ou imparfaitement - par le mental physique, on les appelle des rêves. Ces rêves se déroulent tout au long du sommeil, mais tantôt on s'en souvient, tantôt on n'en garde aucun souvenir. Il arrive aussi que l'on descende très profondément, dans le subconscient, et que les rêves s'y déroulent, mais ils sont si profondément enfouis que lorsqu'on en sort, on n'a même pas conscience d'avoir rêvé.
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Il est naturel d'être tantôt silencieux, tantôt très disert lorsque l'être physique subit une action venant de l'intérieur. Quand le sommeil est, si l'on peut dire, plus éveillé, on fait des rêves de toutes sortes ; quand on ne perçoit pas les rêves, c'est que le sommeil du corps est plus profond ; les rêves se déroulent, mais la conscience corporelle ne les remarque pas ou ne se souvient pas de les avoir faits.
Cela dépend de la relation entre les deux états de conscience au moment du réveil. En général, un renversement de conscience fait disparaître plus ou moins subitement l'état de rêve et efface l'impression fugitive laissée par les événements du rêve - ou plutôt par leur transcription - sur l'enveloppe physique. Si le réveil se fait plus progressivement, est moins abrupt, ou si l'impression est très forte, on garde au moins le souvenir du dernier rêve. Dans ce dernier cas, le souvenir du rêve peut même persister longtemps, mais en général dès qu'on s'est levé les rêves s'estompent. Ceux qui veulent se souvenir de leurs rêves s'exercent parfois à rester immobiles et à remonter le cours des rêves, en les retrouvant un par un. Quand l'état de rêve est très léger, on peut se rappeler davantage de rêves que lorsqu'il est pesant.
[Pendant le sommeil,] le subconscient reste dans le corps. En réalité l'être sort pour aller dans différents plans de conscience, mais ses expériences ne sont pas conservées par la mémoire parce que la conscience qui les enregistre est trop profondément enfouie pour pouvoir en communiquer le récit au mental de veille.
Oui,certainement, les expériences en rêve peuvent être d'une grande valeur et communiquer des vérités qu'il n'est
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pas si facile de recevoir dans l'état de veille.
Cela se passe souvent de la façon suivante. Un changement ou un renversement de conscience se produit et la conscience de rêve, en disparaissant, emporte avec elle ce qu'elle a vu et éprouvé. On peut parfois éviter cela si, au lieu de se précipiter dans l'état de veille ou de se lever rapidement, on reste tranquille pendant quelque temps pour voir si le souvenir du rêve subsiste ou revient. Sinon la mémoire physique doit apprendre à se souvenir.
La plupart des dormeurs se promènent surtout dans le vital parce que ce plan est le plus proche du plan physique et c'est celui où il est le plus facile de s'attarder. On pénètre en effet dans les plans supérieurs, mais on y passe rapidement ou on ne s'en souvient pas. Car en revenant à la conscience de veille, on repasse par le vital inférieur et le physique subtil, et comme c'est là qu'ont eu lieu les derniers rêves, il est plus facile de s'en souvenir. On ne se remémore les autres rêves que (1) s'ils ont fortement imprégné la conscience qui enregistre les rêves ; (2) si l'on s'éveille aussitôt après l'un d'eux ; (3) si l'on a appris à être conscient pendant le sommeil, c'est-à-dire que l'on suit consciemment le passage de plan en plan. Certains s'entraînent à se souvenir de leurs rêves en restant immobiles au moment du réveil et en remontant le fil des rêves.
Ce qui s'est exprimé venait du plan psychique, et la musique appartenait à ce domaine. Très souvent, lorsqu'on sort d'un sommeil conscient comme celui-ci, la conscience intérieure (celle qui entendait la musique) persiste pendant quelques secondes, même après le réveil, avant de s'en retourner et d'être entièrement recouverte par le mental de veille. Dans ce cas, ce que l'on a vu ou entendu pendant le sommeil
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persiste pendant les quelques secondes qui suivent le réveil.
Dans les rêves du plan vital, le fait physique est toujours déformé par rapport à la norme ; cela tient parfois à ce que le vital est un domaine où les formes jouent librement, mais d'autres fois ce n'est qu'une formation fantaisiste soit dans le vital lui-même, soit dans le mental subconscient qui transcrit les incidents du rêve et parfois les modifie par ses propres adjonctions.
Les personnes que l'on rencontre en rêve sont très souvent différentes de ce qu'elles sont dans la vie. Tantôt c'est le véritable individu qui apparaît sur un autre plan, tantôt c'est une pensée, une force, etc. qui revêt son apparence par une association d'idées ou pour une autre raison.
Ce rêve, contrairement à bien d'autres, est un rêve symbolique sur le plan vital. Mais il est difficile d'interpréter ces rêves symboliques du vital à moins qu'ils ne fournissent leur propre clé ; leurs formes sont des sortes de hiéroglyphes. Une fois qu'on a la clé, certains peuvent être chargés de sens ; d'autres sont évidemment assez banals.
Très peu de rêves peuvent s'expliquer de cette façon [par des stimuli extérieurs] et souvent l'explication est tout à fait arbitraire ou ne s'appuie sur aucune preuve. Les rêves provenant d'impressions subconscientes du passé, sans aucun stimulus extérieur, sont bien plus nombreux. La grande majorité des rêves dont se souviennent ceux qui vivent principalement
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dans le mental appartiennent à cette catégorie. D'autres rêves traduisent certains mouvements et certaines tendances du vital dont la nature est coutumière et sont des formations personnelles sur le plan vital. Mais quand on commence à avoir une vie intérieure, les rêves sont souvent des transcriptions d'expériences sur le plan vital ; et au-delà s'étend le vaste domaine des rêves, symboliques et autres, qui n'ont rien à voir avec la mémoire. Évidemment il a été prouvé qu'un rêve très long et plein de détails peut se dérouler en quelques secondes, de sorte que l'objection à ce que dit Bergson ne tient pas. Mais il y a aussi des rêves prophétiques et bien d'autres. La mémoire assure le lien entre toutes les expériences, mais il est absurde d'identifier la conscience (même au sens étroit qu'on donne à ce mot en Europe) à la mémoire. Cette théorie de la mémoire fait partie de la conception fondamentale de Bergson selon laquelle le Temps est tout. Quant au mot spirituel, la plupart du temps, en Europe, aucune distinction n'est faite entre le spirituel et le mental ou le vital.
Beaucoup de gens font des rêves de ce genre. C'est l'être vital qui sort pendant le sommeil et qui, en se promenant dans les mondes du vital, a cette sensation de flotter dans l'air dans son propre corps (vital). Les vagues d'un océan couleur d'éclair étaient sans doute l'atmosphère d'une certaine région vitale. Je sais que certains sâdhak, lorsqu'ils sortent du corps pour la première fois d'une manière consciente, se croient véritablement en lévitation, tant est saisissante la perception de ce mouvement, mais c'est seulement le corps vital qui sort.
Ces rêves sont des expériences sur le plan vital, des contacts véritables avec la Mère et moi dans votre être intérieur ; bien
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qu'ils puissent contenir certains éléments symboliques, ils ne sont pas eux-mêmes symboliques, mais expriment des relations, des influences ou des échanges entre notre conscience et la vôtre. Le second rêve contient des éléments symboliques. L'échelle représente évidemment une ascension d'étape en étape. Le serpent indique une énergie parfois bonne, plus souvent mauvaise (vitale ou hostile). Cette énergie était peut-être assoupie et n'avait par conséquent rien d'alarmant, mais en la touchant pour voir ce qu'elle était, vous l'avez éveillée et vous vous êtes rendu compte qu'il était dangereux de la manipuler. La nature de cette énergie n'est pas clairement indiquée. Ces expériences que l'on fait en rêve ne sont pas liées aux pensées de veille comme les rêves subconscients ordinaires, qui ne sont que des rêves et non des expériences. Elles ont une vie, une structure, une organisation, des formes, des significations qui leur sont propres ; mais elles sont souvent liées à l'état intérieur et aux expériences ou aux mouvements de la sâdhanâ. Quant à la fleur que vous avez donnée, rien n'indique clairement si cet incident était symbolique ou se déroulait simplement dans le plan intérieur. Il aurait peut-être été possible de le dire si l'on avait su de quelle fleur il s'agissait.
Ces mauvaises passes sont dues à une chute (dont la cause est souvent tout à fait insignifiante) ; vous êtes tombé de l'équilibre intérieur dans la conscience extérieure. Quand cela arrive, n'en soyez pas ému, mais restez calme, appelez la Mère et retournez à l'intérieur.
Les rêves que vous décrivez sont très clairement des rêves symboliques sur le plan vital. Ces rêves peuvent symboliser bien des choses : le jeu des forces, la structure et la trame souterraines de choses faites ou éprouvées, d'événements réels ou potentiels, de mouvements ou de changements vrais ou suggérés dans la nature interne ou externe.
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La timidité, exprimée par l'appréhension dans le rêve, ne correspondait probablement à rien dans le mental conscient ni dans le vital supérieur, mais à quelque chose de subconscient dans la nature vitale inférieure. Cette partie se sent toujours petite ou insignifiante, elle a très facilement peur d'être submergée par la conscience plus vaste ; une peur qui chez certains, au premier contact, va jusqu'au saisissement ou à la terreur panique.25
Ces expériences appartiennent au plan vital ; elles ont un sens, si l'on sait les interpréter. Celle-ci indique la possibilité de fortes attaques sur le plan vital, mais promet en même temps la protection. Ce sont des formations du plan vital qui essaient parfois de se réaliser, mais n'y réussissent pas forcément. On peut les observer et les comprendre, mais il ne faut pas les laisser influencer le mental : souvent les forces adverses essaient en effet d'influencer le mental au moyen de ces expériences de rêve.
J'ai dit que ce ,rêve était un incident réel sur le plan vital et non une formation. Si quelqu'un vous attaque dans la rue, ce n'est pas une formation. Mais si quelqu'un vous hypnotise et vous suggère que vous êtes malade, cette suggestion est une formation introduite par l'hypnotiseur.
Ce sont des rêves du plan vital ; ils ont sans doute un rapport avec quelque chose qui se passe dans votre vital, mais ces rêves ne peuvent être interprétés avec précision à moins qu'un indice apparaisse clairement à la surface, ou que vous puissiez vous-même établir un lien avec un incident vécu dont vous êtes conscient. Les images de l'ascension et de
25. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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l'eau qui descend (la conscience ou quelque autre don d'en haut) sont fréquentes et le sens général est toujours le même, mais ici la signification précise n'est pas claire.
C'est un rêve du plan vital. Dans ces rêves, les personnages de la vie physique prennent une autre forme et une autre signification, et la conscience qui vit et agit parmi eux n'est pas la conscience physique extérieure, mais une certaine partie vitale intérieure de l'être. L'insurrection des soldats français symbolise un certain bouleversement sur le plan vital qui veut se produire et affecter la vie intérieure. L'importance de ce rêve réside dans la promptitude avec laquelle la conscience vitale intérieure a placé sa confiance en la Mère et a pris refuge en elle contre tous les bouleversements ou tous les périls possibles de la vie intérieure.
Oui, votre sentiment au sujet de la protection est tout à fait juste.
Le rêve concernant X, où vous alliez voir la Mère, était l'expérience de quelque chose qui s'est passé sur le plan vital. Dans ce plan, des événements ont lieu qui ont un certain rapport avec la nature et la vie de ce plan-ci, mais ils se déroulent autrement parce que là, les gens ne se rencontrent pas dans leur être physique mais dans leur être vital. On peut se faire une idée de la nature de son propre être vital intérieur, souvent très différent de la personnalité physique qui agit en surface dans le corps. Grâce à la conscience qui agit dans ces rêves, les parties intérieures de l'être commencent à être plus actives et à avoir davantage d'influence sur la nature extérieure. D'après ce que vous me dites des expériences que vous avez eues en rêve, votre vital intérieur semble être très fort, fidèle, lucide, résolu, capable de faire face aux forces hostiles et à leurs activités
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et d'agir à bon escient.
Quand on a l'impression d'aller quelque part, cela signifie qu'une partie de la conscience va dans un autre plan, différent du plan physique. Les hommes que vous avez vus, et aussi la vision qui a suivi, appartenaient à ces mondes supraphysiques. La vision semble être symbolique de quelque chose qui venait d'en haut, mais de quoi, ce n'est pas tout à fait clair d'après les détails. L'or est la couleur de la Vérité qui vient d'en haut.
Le monde physique n'est pas le seul ; il y en a d'autres dont nous devenons conscients par la transcription qu'en donnent les rêves, par les sens subtils, par les influences et les contacts, par l'imagination, l'intuition et la vision. Dans certains mondes la vie est plus vaste et plus subtile que dans le nôtre, ce sont les mondes du vital ; dans d'autres, le Mental construit ses formes et ses personnages, ce sont les mondes du mental ; d'autres sont des mondes psychiques qui sont la demeure de l'âme ; enfin il y en a d'autres, plus élevés, avec lesquels nous avons peu de contacts. En chacun de nous il y a un plan de conscience mental, un plan psychique, un plan vital, un plan du physique subtil, outre le plan physique et matériel. Les mêmes plans se retrouvent dans la conscience de la Nature générale. Quand nous pénétrons dans ces autres plans ou entrons en contact avec eux, nous établissons une relation avec les mondes situés au-dessus du monde physique. Quand nous dormons, nous quittons le corps physique en n'y laissant qu'un résidu subconscient, et nous entrons dans tous les plans et dans toutes sortes de mondes. Dans chacun nous assistons à des scènes, nous rencontrons des êtres, nous prenons part à des événements, nous nous heurtons à des formations, des influences, des suggestions qui appartiennent à ces plans. Même lorsque nous sommes éveillé, une partie de nous-même se meut dans ces plans, mais leurs événements ont lieu derrière un voile ; notre mental de
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veille n'en est pas conscient. Souvent les rêves ne sont que des constructions incohérentes de notre subconscient, mais il y en a d'autres qui sont des récits (souvent très frelatés et déformés) ou des transcriptions d'expériences qui ont lieu dans ces plans supraphysiques. Quand nous faisons la sâdhanâ, les rêves de ce genre deviennent très fréquents ; les rêves subconscients cessent alors de prédominer.
Les forces et les êtres du monde vital ont une grande influence sur les êtres humains. Le monde vital est, par l'un de ses aspects, un monde de beauté : le poète, l'artiste, le musicien sont en contact étroit avec lui ; mais c'est aussi un monde de pouvoirs et de passions, de désirs, sexuels et autres : nos propres désirs, nos passions, nos ambitions peuvent nous mettre en relation avec les mondes vitaux, leurs forces et leurs êtres. C'est donc aussi un monde plein de choses obscures, dangereuses, horribles. Les cauchemars, comme ceux de X,sont des contacts avec cet aspect du plan vital. Ses influences sont aussi, en grande partie, à l'origine de ce qui, dans l'homme, est démoniaque, sale, cruel et bas.
Dans cette expérience, X est entrée en contact avec quelque chose qui appartient au mauvais aspect du plan vital. Ses visions de dieux, de déesses, etc., sont des expériences appartenant à l'autre aspect de ce plan. Ici, une force vitale tentait de prendre sur elle une certaine emprise en se servant pour cela de sa frayeur. Si elle n'avait pas peur, cette force ne pourrait pas l'envahir. Si, lorsqu'elle est éveillée, elle est en proie à des désirs ou à des découragements et des dépressions, cela aussi peut contribuer à la faire entrer dans ces mondes pendant son sommeil ou à entretenir un lien avec eux. Ses expériences, telles que vous les avez relatées, montrent qu'elle possède à un très haut degré le pouvoir de pénétrer dans le bon côté du plan vital ; ces expériences qu'elle a en rêve sont l'autre côté du même plan. Comme il s'agit de rêves, elles ne sont pas aussi dangereuses qu'une expérience similaire qui se produirait en méditation, mais elles sont tout de même tout à fait indésirables.
Si une tentative d'invasion comme celle-ci se produit, la
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seule chose à faire est de lutter jusqu'au bout, comme elle l'a fait, tout en appelant la Mère. Elle devrait avoir pour règle d'appeler la Mère avant de s'endormir, de se concentrer sur elle, d'essayer de sentir la protection de la Mère autour d'elle et d'entrer, ainsi entourée, dans le sommeil. Il faut prendre l'habitude d'appeler la Mère pendant le rêve lui-même, lorsqu'on est en difficulté ou en danger; de nombreux sâdhak le font. Ne permettre en aucune manière à aucun pouvoir ou à aucun être, que ce soit en rêve, en méditation ou autrement, à aucune force si ce n'est la Force divine de vous envahir, c'est rejeter l'invasion, ne jamais y consentir, que ce soit en lui prêtant attention ou par faiblesse. Elle peut couper le contact par la volonté intérieure, par une volonté de rejet, par une concentration sur les choses supérieures à celles du plan vital, et aussi par le rejet des désirs vitaux, des découragements ou des dépressions, si elle en est affectée. Qu'elle aspire surtout aux expériences spirituelles supérieures : l'ouverture psychique, le calme, la paix, la pureté, l'ouverture à la lumière, à la force, à la béatitude, à la connaissance d'en haut.
Encore une chose. Elle ne devrait pas mener une vie trop retirée ; une certaine ouverture au monde physique est nécessaire, et aussi une activité intellectuelle normale et saine.
C'est du monde vital que ces rêves lui sont envoyés. Elle doit cultiver trois choses en ce qui les concerne :
(1) prendre l'habitude d'appeler la Mère immédiatement, pendant le rêve même ;
(2) ne pas avoir peur ; si l'on n'a pas peur, les forces de cet autre monde deviennent impuissantes ;
(3) ne pas croire que les formations de ce genre sont réelles et les considérer seulement comme des suggestions revêtues d'une forme, tout comme lorsqu'on imagine avec terreur que tel ou tel événement va se produire alors que
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la raison sait que ce n'est rien d'autre qu'une création de l'imagination et ne s'en émeut pas.
Votre expérience de la paix dans le corps était très positive. Quant au mauvais rêve, c'était une formation hostile venue du monde vital, une suggestion envoyée sous forme de rêve pour vous troubler. Il faut chasser cela ; vous devriez vous dire en vous-même : "C'est faux, rien de tel ne peut arriver" et rejeter cela comme vous rejetteriez une suggestion fausse à l'état de veille.
Ces incidents qui vous effraient sont simplement des impressions projetées sur vous par de petites forces vitales qui veulent vous empêcher (en agissant sur vos nerfs) de faire avancer votre sâdhanâ. Ils ne peuvent en réalité vous faire aucun mal, à condition que vous rejetiez toute peur. Gardez cette pensée sans cesse présente à l'esprit lorsqu'un de ces incidents se produit : "La Mère me protège, rien de néfaste ne peut arriver", car l'ouverture psychique et la foi en la Mère suffisent à vous en protéger. De nombreux sâdhak apprennent à prononcer le nom de la Mère tout en rêvant, lorsqu'ils font des rêves angoissants, et les apparitions qui les menacent deviennent impuissantes ou se dissipent. Vous devez par conséquent refuser de vous laisser intimider et rejeter ces impressions en les traitant par le mépris. Si quelque chose d'effrayant apparaît, faites appel à la protection de la Mère.
La sensation de chaleur venait sans doute d'une difficulté qui empêchait la force de descendre au-dessous du centre situé entre les sourcils, où elle avait agi jusqu'à présent. Quand des sensations de ce genre apparaissent - ou bien un malaise comme celui que vous avez déjà eu, ou quelque chose de similaire - vous ne devez pas vous alarmer, mais
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rester tranquille et laisser passer la difficulté.
L'expérience qui a précédé - le clair de lune sur le front - traduisait cette action sur le centre situé à cet endroit, entre les sourcils : centre du mental, de la volonté et de la vision intérieurs. Le clair de lune que vous avez vu est la lumière de la spiritualité ; c'est elle qui pénétrait dans votre mental par ce centre et avait pour effet d'élargir le cœur en un ciel plein de lumière lunaire. Ensuite un effort a été fait pour préparer la partie inférieure du mental - dont le centre se trouve dans la gorge - à se joindre au mental intérieur et à s'ouvrir; mais une difficulté s'est présentée, comme c'est très souvent le cas, et a produit cette chaleur. C'était sans doute le feu de tapas, Agni, qui essayait d'ouvrir la voie vers ce centre.
Cette expérience où l'on a l'impression d'être soulevé jusqu'au ciel est très fréquente et signifie que la conscience s'élève dans un monde supérieur de lumière et de paix.
L'idée que vous devez vous intérioriser de plus en plus et vous tourner totalement vers la Mère est tout à fait juste. C'est lorsqu'il n'y a pas d'attachement aux choses extérieures pour elles-mêmes, que tout n'existe que pour la Mère, et que la vie, à travers l'être psychique intérieur, est concentrée sur elle, que sont réunies les meilleures conditions de la réalisation spirituelle.
Ce rêve était de ceux que l'on a souvent dans le plan vital, où l'on s'enferre dans des difficultés inextricables jusqu'au moment où tout à coup on trouve le moyen d'en sortir. Le Gujerat du rêve n'était pas le Gujerat, mais symbolisait une région du monde vital opposée à la vie spirituelle et pleine de pouvoirs vitaux qui font obstruction par la force ou par la ruse. Ces rêves donnent des indications sur certaines parties de la nature vitale (non de la nature vitale individuelle, mais de la Nature vitale générale) qui constituent des obstacles à l'accomplissement spirituel. Quand on va dans ces régions et
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qu'on en devient le maître, on est libéré de toute possibilité d'intervention de ces parties de la Nature dans la sâdhanâ.
Ces rêves sont tout à fait symboliques des forces vitales qui viennent vous attaquer. Si vous les affrontez avec courage, elles sont réduites à l'impuissance. Je crois que ce n'est nullement votre père ou votre frère que vous rencontrez, bien que ces forces aient pu profiter de certains de leurs sentiments hostiles pour revêtir leur forme ; elles ont pu aussi le faire pour créer en vous un mouvement de sympathie et vous empêcher d'agir contre elles. Mais à part cela, les images des parents physiques, ou des proches, symbolisent très souvent la nature physique ou héréditaire, ou en général la nature ordinaire où nous sommes nés.
Dans ces rêves, les parents ou les proches représentent les forces ordinaires de la conscience physique (l'ancienne nature).
Ces rêves appartiennent au plan vital. Ceux où vous rentrez chez vous viennent d'une partie du vital qui conserve encore le souvenir des relations passées et y retourne pendant le sommeil. Les rêves concernant la Mère relatent des rencontres avec elle sur le plan vital. Vous devez rejeter les premiers dès le réveil et ne pas laisser votre vital en conserver l'empreinte. Les expériences que vous avez eues là (la Mère descendant dans le cœur et vous adressant la parole) avaient un caractère psychique et n'appartenaient pas à la catégorie des rêves du vital.
La difficulté que vous rencontrez dans votre sâdhanâ vient peut-être du mental vital ou physique qui devient actif.
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Cela se produit souvent après les premières expériences de calme et de silence. Il faut se détacher de ces activités lorsqu'on médite, prendre l'attitude du témoin et rappeler le calme pour qu'il descende aussi dans ces parties de l'être. Mais cela peut prendre du temps. Si l'on peut, en méditation, s'isoler assez de l'entourage et s'intérioriser, la tranquillité vient plus vite.
Quand on pratique le yoga, la conscience s'ouvre et on commence à percevoir - surtout en dormant - des objets, des spectacles, des êtres, des événements appartenant à d'autres mondes (non physiques) où l'on pénètre soi-même pendant le sommeil pour y agir. Très souvent ces choses sont importantes pour la sâdhanâ. Vous n'avez donc pas lieu de vous affliger lorsque vous voyez tout cela pendant le sommeil ou la méditation.
Mais en aucun cas vous ne devez avoir peur. Il est bon que vous ayez été capable de détruire vos adversaires (qui étaient des êtres d'un monde vital hostile) car cela prouve que votre nature vitale contient quelque part de la force et du courage. De plus, en utilisant le nom de la Mère et revêtu de sa protection, vous ne devriez avoir peur de rien.
La fuite [en rêve] symbolise, dans une partie de l'être, l'inertie qui permet aux forces de vous envahir et fait que l'on se retire devant elles et qu'on perd du terrain au lieu de leur faire face et de les détruire.
Il est évident que l'expérience de X était simplement ce que l'on appelle un cauchemar : une attaque émanant d'une certaine force du monde vital, pendant le sommeil, à laquelle il
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s'est sans doute ouvert d'une manière ou d'une autre, peut-être en répondant dans la rue à cet homme qui transportait autour de lui la pire des atmosphères vitales. L'image de la femme n'était qu'une forme donnée par son mental subconscient à cette force. Ces forces sont partout autour de nous, et pas seulement dans une pièce ou une maison en particulier, et si on leur ouvre la porte, elles entrent, où que l'on soit. Cela n'aurait aucune importance si X ne s'était pas laissé aller à cette réaction nerveuse de terreur irrationnelle. Pour qui veut faire la sâdhanâ, il n'est pas question de se laisser aller à de telles paniques ; si l'on ne peut pas se débarrasser de cette faiblesse incompatible avec les exigences du yoga, il est plus prudent de ne pas s'aventurer dans cette voie.
La dépression qui s'est abattue sur vous alors que vous dormiez est probablement due à l'une des deux causes suivantes. Il se pourrait que ce soit la trace laissée par une expérience désagréable dans une région déplaisante des mondes vitaux, et des endroits de ce genre, il y en a là des quantités. Cela ne peut guère être une attaque, car si quelque chose s'était passé, cela aurait sûrement laissé une impression plus nette, même si vous n'en aviez gardé aucun souvenir ; mais le simple fait de pénétrer dans certains endroits, de rencontrer leurs habitants ou d'entrer en contact avec leur atmosphère peut avoir un effet déprimant ou épuisant, à moins d'être un lutteur né et de prendre un plaisir agressif à affronter ces épreuves et à les surmonter. Si telle est la cause, il s'agit alors soit d'éviter ces endroits, ce que l'on peut faire par un effort de volonté une fois que l'on sait que c'est cela qui se passe, soit de s'entourer d'une protection spéciale pour se garantir du contact de cette atmosphère. L'autre cause possible est une plongée dans un sommeil trop subconscient et trop obscur ; l'effet en est parfois celui que vous décrivez. Quoi qu'il en soit, ne vous laissez pas
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décourager par des incidents de ce genre ; ce sont des phénomènes fréquents auxquels on ne peut manquer de se heurter dès que l'on commence à passer derrière le voile et à entrer en contact avec les causes occultes des événements psychologiques qui se produisent en nous. Il faut apprendre quelles sont ces causes, prendre note de la difficulté et y faire face, et toujours réagir, ne jamais admettre la dépression qui s'abat sur vous, mais réagir comme vous l'avez fait la première fois. S'il y a sans cesse aux alentours des forces dont le but est de déprimer et de décourager, il y a toujours d'autres forces, au-dessus et autour de nous, auxquelles nous pouvons puiser et nous abreuver pour nous restaurer, nous emplir à nouveau de force, de foi, de joie, et de ce pouvoir qui persévère et remporte la victoire. Il faut en fait prendre l'habitude de s'ouvrir à ces forces salutaires et les recevoir passivement, ou puiser activement en elles, car on peut faire l'un ou l'autre. C'est plus facile si vous les concevez comme étant au-dessus et autour de vous, si vous avez foi en elles et si vous avez la volonté de les recevoir, car ainsi vous en avez l'expérience, vous les sentez concrètement et vous devenez capable de les recevoir quand vous voulez ou quand vous en avez besoin. Il s'agit d'habituer votre conscience à entrer en contact avec ces forces salutaires et à rester en contact avec elles, et pour cela vous devez vous accoutumer à rejeter les impressions que les autres forces cherchent à vous imposer : dépression, manque de confiance en vous, mécontentement et autres troubles similaires.
Quant à la faculté de maîtriser véritablement une situation par les pouvoirs occultes, elle ne peut venir que par la pratique et l'expérimentation, tout comme on développe la force musculaire par la culture physique, ou que l'on met au point un procédé en laboratoire ; c'est en utilisant un pouvoir que l'on découvre comment il peut et doit être appliqué au domaine dans lequel il opère. Il est inutile d'attendre d'en avoir la force avant d'essayer : elle viendra par des essais répétés. Vous ne devez pas non plus redouter l'échec ni en être découragé ; ces tentatives ne réussissent pas toujours du
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premier coup. Il faut apprendre, par l'expérience personnelle, comment entrer en contact avec les forces cosmiques, comment relier notre action individuelle à la leur ou mettre les deux à l'unisson, comment devenir un instrument de cette Conscience souveraine que nous appelons le Divin.
Votre attitude a quelque chose d'un peu trop personnel ; je veux parler de votre obstination à considérer la force ou la faiblesse personnelle comme un facteur déterminant. Après tout, qu'il s'agisse des plus grands ou des plus petits d'entre nous, la vigueur n'est pas nôtre, elle nous est donnée pour le jeu qui doit se jouer, pour le travail que nous avons à faire. La vigueur peut s'être formée en nous, mais sa formation actuelle n'est pas définitive, qu'elle soit formation de pouvoir ou formation de faiblesse. À tout moment cette formation peut changer ; à tout moment l'on voit, surtout sous la pression du yoga, la faiblesse se transformer en pouvoir, l'incapable devenir capable, la conscience, lentement ou subitement, atteindre, en tant qu'instrument du Divin, une stature nouvelle ou développer ses pouvoirs latents. Au-dessus de nous, en nous, autour de nous est la Vigueur universelle et c'est à elle que nous devons nous en remettre pour notre travail, notre évolution, notre transformation. Si nous avons foi en notre travail, en notre capacité, en tant qu'instrument, à accomplir ce travail, en ce Pouvoir qui nous en a chargés, alors pendant cette mise à l'épreuve, tandis que nous affrontons et surmontons les difficultés et les échecs, la vigueur viendra et nous découvrirons notre aptitude à contenir, dans la mesure exacte de nos besoins, cette Vigueur universelle dont nous devenons des réceptacles de plus en plus parfaits.
VIII
Tout le principe de notre yoga est de se donner entièrement au~seul Divin et à personne ni à rien d'autre, et de faire descendre en nous, par l'union avec le Pouvoir de la Mère divine, toute la lumière, la force, l'ampleur, la paix, la
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pureté, la conscience de vérité et l'Ânanda transcendants du Divin supramental. Par conséquent, il ne peut y avoir dans ce yoga aucune place pour des relations vitales ou des échanges vitaux avec autrui. Toute relation ou tout échange de ce genre enchaîne immédiatement l'âme à la conscience et à la nature inférieures, empêche la vraie et pleine union avec le Divin et entrave non seulement l'ascension vers la Conscience de Vérité supramentale, mais la descente de l'Îshwarî Shakti supramentale. Ce serait encore pire si cet échange prenait la forme d'une relation ou d'une jouissance sexuelles, même si elles étaient exemptes de tout acte extérieur ; par conséquent, ces choses sont absolument interdites dans la sâdhanâ. Il va sans dire qu'aucun acte physique de ce genre n'est permis ; mais même toutes les formes plus subtiles sont à éliminer. C'est seulement après nous être unis au Divin supramental que nous pouvons trouver notre vraie relation spirituelle avec les autres dans le Divin ; en l'unité supérieure, il n'y a pas de place pour ce genre de mouvement vital, inférieur et grossier.
En maîtrisant l'impulsion sexuelle - en devenant le maître du centre sexuel de telle sorte que son énergie soit tirée vers le haut au lieu d'être jetée au-dehors et gaspillée - on peut en effet changer la force de la semence en une énergie physique fondamentale qui sert de support à toutes les autres : on peut changer retas en odjas. Mais nulle erreur ne saurait être plus périlleuse que d'accepter un mélange de désir sexuel et sa satisfaction sous quelque forme subtile, et de considérer que cela fait partie de la sâdhanâ. Ce serait la façon la plus efficace de se diriger tout droit vers la chute spirituelle et de précipiter dans l'atmosphère des forces qui bloqueraient la descente supramentale et feraient descendre à leur place des puissances vitales adverses semant le désordre et le désastre. Au cas où cette déviation tenterait de se produire, il faut absolument la rejeter et l'effacer de la conscience si l'on veut que la Vérité descende et que l'œuvre s'accomplisse.
C'est une erreur également de s'imaginer que s'il faut
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abandonner l'acte sexuel physique, sa reproduction interne puisse faire partie de la transformation du centre sexuel. L'action de l'énergie sexuelle animale dans la Nature est un artifice pour accomplir certain dessein particulier dans l'économie de la création matérielle dans l'Ignorance. Mais l'excitation vitale qui l'accompagne, crée dans l'atmosphère une opportunité et une vibration des plus favorables à l'irruption des forces et des êtres du vital, dont justement l'occupation principale consiste à empêcher la descente de la Lumière supramentale. Le plaisir attaché à l'acte sexuel est une dégradation et non la vraie forme du divin Ânanda. Le vrai Ânanda divin dans le physique a une qualité, une substance et un mouvement différents ; il existe par lui-même en son essence, et sa manifestation dépend seulement de l'union intérieure avec le Divin. Vous avez parlé d'Amour divin ; mais l'Amour divin, quand il touche le physique, n'éveille pas ces grossières tendances du vital inférieur ; l'assouvissement ne peut que le repousser et faire qu'il se retire de nouveau vers les hauteurs, d'où il est déjà si difficile de le faire descendre dans la grossièreté de la création matérielle que lui seul peut transformer. Cherchez l'Amour divin par la seule porte qu'il consente à franchir - la porte de l'être psychique - et rejetez l'erreur du vital inférieur.
La transformation du centre sexuel et de son énergie est nécessaire à la siddhi physique, car ce centre est le support corporel de toutes les forces mentales, vitales et physiques de la nature. Il doit se changer en une masse et un mouvement de Lumière intime, de Pouvoir créateur, de pur Ânanda divin. Seule la descente de la Lumière, de la Puissance et de la Béatitude supramentales dans ce centre peut le changer. Quant à son fonctionnement plus tard, c'est la Vérité supramentale et la vision, la volonté créatrices de la Mère divine qui le détermineront. Mais ce sera un fonctionnement de la Vérité consciente et non de l'Obscurité et de l'Ignorance auxquelles la jouissance et le désir sexuels appartiennent ; ce sera un pouvoir de conservation et une libre radiation sans désir des forces de vie, et non leur dissipation et leur gaspillage.
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Gardez-vous d'imaginer que la vie supramentale sera simplement un accroissement de la satisfaction des désirs du vital et du corps. Rien ne peut être un plus grand obstacle à la descente de la Vérité que cet espoir de glorification de l'animal dans la nature humaine. Le mental voudrait que l'état supramental soit une confirmation de ses propres idées chéries et de ses préjugés; le vital voudrait que ce soit une glorification de ses propres désirs ; le physique, que ce soit une riche prolongation de son confort, de ses plaisirs et de ses habitudes. S'il devait en être ainsi, ce serait seulement le couronnement exagéré et hautement grossi de la nature animale humaine, non une transition de l'humain au Divin.
Il est dangereux de songer à abandonner "toute barrière de discernement et de défense contre ce qui essaye de descendre" en vous. Avez-vous réfléchi à ce que cela voudrait dire si ce qui descendait n'était pas en accord avec la Vérité divine, était peut-être même contraire à la Vérité divine ? Le pouvoir adverse ne saurait demander meilleure condition pour prendre possession du chercheur. C'est seulement la force de la Mère et la Vérité divine que l'on doit admettre sans barrière. Et même alors, il faut garder le pouvoir de discernement afin de déceler toutes les faussetés qui viennent en travestissant la force de la Mère ou la Vérité divine ; il faut aussi garder le pouvoir de rejet qui écartera tout mélange.
Gardez la foi en votre destinée spirituelle ; retirez-vous de l'erreur et ouvrez davantage votre être psychique à la direction directe de la lumière et du pouvoir de la Mère. Si la volonté centrale est sincère, chaque aveu d'erreur peut devenir un échelon vers un mouvement plus vrai et un progrès supérieur.26
Il est vrai que le centre sexuel et ses réactions peuvent être transformés et que l'Ânanda d'en haut peut descendre pour
26. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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remplacer la réaction sexuelle animale. L'impulsion sexuelle est une dégradation de cet Ânanda. Mais recevoir cet Ânanda avant que la conscience physique (y compris le vital physique) soit transformée peut être dangereux ; car d'autres choses, plus basses, peuvent en profiter pour s'y mêler, ce qui bouleverserait l'être tout entier et pourrait l'engager sur une fausse route en lui donnant l'impression que ces choses inférieures font partie de la sâdhanâ et reçoivent l'approbation d'en haut, ou simplement parce que les éléments inférieurs l'emportent sur la véritable expérience. Dans ce dernier cas, l'Ânanda cesserait et le centre sexuel serait possédé par les réactions inférieures.
J'ai énoncé très brièvement dans ma lettre précédente ma position à l'égard de l'impulsion sexuelle dans le yoga. J'ajouterai ici que mes conclusions ne sont fondées sur aucune opinion mentale, aucune idée morale préconçue, mais sur des faits probants et sur l'observation et l'expérience. Je ne nie pas que tant que l'on admet une sorte de séparation entre l'expérience intérieure et la conscience extérieure, celle-ci étant laissée à elle-même comme une activité inférieure contrôlée mais non transformée, il est tout à fait possible d'avoir des expériences spirituelles et de faire des progrès sans une cessation totale de l'activité sexuelle. Le mental se sépare du vital extérieur (les instruments de la vie) et de la conscience physique et vit sa propre vie intérieure. Mais très peu de gens peuvent vraiment faire cela d'une manière complète ; et dès l'instant où les expériences s'étendent aux plans vital et physique, on ne peut plus traiter le sexe de cette manière. A tout moment, il peut devenir une force qui dérange, bouleverse et déforme. J'ai observé que le sexe, au même degré que l'ego (l'orgueil, la vanité et l'ambition) et les convoitises et désirs radjasiques, est l'une des causes principales des accidents spirituels qui arrivent dans la sâdhanâ. Vouloir le traiter par le détachement, sans
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l'extirper totalement, échoue tout à fait ; vouloir le "sublimer" comme le préconisent beaucoup de mystiques modernes en Europe, est une expérience tout à fait téméraire et périlleuse. Car c'est le mélange du sexe et de la spiritualité qui cause les plus grands ravages. Même vouloir le "sublimer" en le tournant vers le Divin comme dans le madhoura bhâva vishnouïte comporte de sérieux dangers ainsi que le prouvent si souvent les mauvais résultats d'une fausse tournure ou d'un mauvais usage de cette méthode.
En tout cas, dans notre yoga, qui ne recherche pas seulement l'expérience essentielle du Divin, mais la transformation de tout l'être et de toute la nature, j'ai trouvé que de viser à une complète maîtrise de la force sexuelle est une nécessité absolue de la sâdhanâ. Autrement, la conscience vitale reste un trouble mélange dont la turbidité affecte la pureté du mental spiritualisé et entrave sérieusement la poussée ascensionnelle des forces du corps. Ce yoga exige une ascension complète de toute la conscience inférieure ou ordinaire et sa jonction avec la conscience spirituelle au-dessus, et une descente complète de la conscience spirituelle (finalement, de la conscience supramentale) dans le mental, la vie et le corps afin de les transformer. L'ascension totale est impossible tant que le désir sexuel bloque le chemin ; la descente est dangereuse tant que le désir sexuel a du pouvoir dans le vital. Car à tout moment, un désir sexuel non extirpé ou latent peut être la cause d'un mélange qui repousse la vraie descente et se sert à d'autres fins de l'énergie acquise, ou tourne toutes les actions de la conscience vers de fausses expériences, troubles et trompeuses. Par conséquent, il faut se débarrasser de cet obstacle sur le chemin, sinon il ne peut y avoir ni sécurité ni libre mouvement vers l'aboutissement décisif de la sâdhanâ.
L'opinion contraire dont vous parlez, vient peut-être de l'idée que le sexe est une partie naturelle de l'ensemble vital-physique humain, une nécessité comme la nourriture et le sommeil, et que sa totale inhibition peut mener à un déséquilibre et à de sérieux désordres. C'est un fait que le sexe,
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si l'on supprime son activité extérieure tout en s'y livrant d'autres manières, peut produire des désordres dans le système et des troubles cérébraux. Telle est la base de la théorie médicale qui déconseille l'abstinence sexuelle. Mais j'ai remarqué que ces désordres se produisent seulement quand une satisfaction secrète ou pervertie remplace l'activité sexuelle normale, ou quand on se laisse aller à cette activité d'une manière vitale subtile, par l'imagination ou par un échange vital invisible de genre occulte. Je ne pense pas qu'aucun mal se produise jamais quand il y a un véritable effort spirituel vers la maîtrise et l'abstinence. En Europe maintenant, bien des autorités médicales soutiennent que l'abstinence sexuelle, si elle est authentique, est bienfaisante ; car l'élément du retas qui sert à l'acte sexuel est alors transformé en l'autre élément, odjas, qui nourrit les énergies du système - mentales, vitales et physiques ; et c'est la justification de l'idée indienne du brahmatcharya : la transformation de retas en odjas et l'ascension des énergies pour les changer en force spirituelle.
Quant à la méthode de maîtrise, on ne peut pas y parvenir par une simple abstinence physique ; il faut un procédé combiné de détachement et de rejet. La conscience se détache de l'impulsion sexuelle, sent qu'elle n'est pas à elle, que c'est quelque chose d'étranger qui est jeté sur elle par la force de la Nature, et refuse de consentir ou de s'identifier ; chaque mouvement de refus la rejette de plus en plus au-dehors. Le mental reste impassible; au bout de quelque temps, l'être vital, principal support de l'impulsion sexuelle, s'en retire de la même manière ; enfin la conscience physique cesse de la soutenir. Ce processus continue jusqu'à ce que le subconscient lui-même ne puisse plus le faire surgir en rêve et qu'aucun autre mouvement ne vienne de la force de la Nature extérieure pour rallumer ce feu inférieur.
Tel est le processus quand les tendances sexuelles persistent avec obstination. Mais certains peuvent s'en débarrasser d'une façon définitive en les laissant tomber de la nature, promptement et radicalement, quoique ce soit plus
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rare. Il faut dire que l'élimination totale de l'impulsion sexuelle est l'une des choses les plus difficiles de la sâdhanâ, il faut s'attendre à ce que cela prenne du temps. Mais sa totale disparition est chose faisable et il est assez commun d'en être pratiquement libéré, à part quelques mouvements de rêve de temps à autre venant du subconscient 27.
Le sexe (sur le plan occulte) se tient à peu près à égalité avec l'ambition, etc., du point de vue du danger pour la sâdhanâ, seulement son action est en général moins évidente ; par exemple, les Pouvoirs hostiles ne le présentent pas aussi ouvertement comme un objectif à poursuivre dans la vie spirituelle.
Je n'ai pas dit que l'impulsion sexuelle n'avait pas été maîtrisée dans les autres yogas. J'ai dit qu'il était difficile de s'en libérer entièrement et qu'essayer de la sublimer, comme dans la sâdhanâ vishnouïte, présentait certains dangers. Tout ce que l'on sait de ce qui est arrivé souvent, et même généralement, chez les vishnouïtes le démontre. Transcender et transformer sont deux choses différentes. Notre sâdhanâ prévoit trois sortes de transformation, ou trois étapes dans la transformation : la transformation psychique, la transformation spirituelle et la transformation supramentale. Les deux premières ont été réalisées dans d'autres yogas, à leur manière ; la dernière est une entreprise nouvelle. Les deux premières suffisent pour atteindre la réalisation spirituelle, mais la divinisation de la vie humaine n'est, à mon avis, possible que par la transformation supramentale.
27. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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Qu'est-ce que notre yoga a à voir avec le sexe et les contacts sexuels ? Je vous ai dit et répété qu'il fallait se débarrasser du sexe et surmonter l'impulsion sexuelle avant que la siddhi de notre yoga soit possible.
Transmuer les formes actuelles de la nature humaine ordinaire est une chose, les accepter en est une autre. La raison invoquée pour s'adonner à l'acte sexuel n'a rien d'impératif. Seule une minorité est appelée à mener la stricte vie yoguique et il y aura toujours quantité de gens pour perpétuer l'espèce. Le yogi n'a certes ni mépris ni aversion pour la nature humaine ; il la comprend et considère la place assignée à chacune de ses activités d'un regard calme et clair. Par ailleurs, il est préférable d'agir avec une pleine maîtrise de soi, sans désir, sous la direction d'une conscience supérieure ; on peut parfois être amené, en suivant cette ligne de conduite, à accomplir la volonté divine par des actions qui, dans d'autres circonstances, ne sauraient être entreprises par un yogi, comme la guerre et la destruction qui l'accompagne. Mais une telle règle invoquée trop à la légère pourrait aisément se convertir en un prétexte pour s'abandonner à la nature humaine ordinaire.
La Mère vous a déjà dit ce qu'il en était de cette idée. L'idée que l'appétit sexuel cessera et disparaîtra à jamais si on l'assouvit sans contrainte est un leurre que le vital présente au mental pour lui faire approuver ses désirs; elle n'a aucune autre raison d'être, aucune vérité, aucune justification. En satisfaisant de temps en temps le désir sexuel, on laisse le feu couver sous la cendre, tandis qu'en l'assouvissant complètement, on ne peut que s'enfoncer dans son bourbier. Cet appétit, comme tous les appétits, ne cesse pas par une satiété temporaire ; il se renouvelle après un assoupissement
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temporaire et veut de nouveau se satisfaire. Le bon remède n'est ni la petite dose, ni la grande. Il ne peut disparaître que par un rejet psychique radical, ou par une ouverture spirituelle complète accompagnée de la descente progressive d'une conscience qui n'en veut pas et qui possède le véritable Ânanda.
Il ne s'agit pas de peur ; il s'agit de choisir entre la Paix et l'Ânanda du Divin et le plaisir dégradé du sexe, entre le Divin et votre attrait pour les femmes. La nourriture est nécessaire à l'entretien du corps ; mais la satisfaction sexuelle ne l'est pas. Même le rasa de la nourriture ne peut s'harmoniser avec l'état spirituel que si toute gourmandise et tout désir gustatif disparaît. Le plaisir intellectuel ou esthétique peut aussi être un obstacle à la perfection spirituelle si l'on y est attaché, bien qu'il soit beaucoup plus proche de la spiritualité qu'un appétit physique grossier et non transformé ; en fait, pour faire partie de la conscience spirituelle, le plaisir intellectuel et esthétique doit aussi se transformer et devenir quelque chose de plus élevé. Mais on ne peut pas garder tout ce qui a un rasa. Il y a un rasa dans le fait de blesser et de tuer : c'est le plaisir sadique ; il y a un rasa dans le fait de se torturer : c'est le plaisir masochiste ; la psychologie moderne est pleine de ces deux plaisirs-là. Le simple fait que les choses aient un rasa n'est pas une raison suffisante pour les garder et en faire une partie de la vie spirituelle.
Il n'y a aucune "extase" dans l'acte sexuel, c'est forcément - et cela ne peut être - qu'une excitation et un plaisir fugitifs qui finissent par s'user avec l'usure du corps.
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Oui,dans le monde moderne, l'atmosphère sexuelle a tout envahi, d'autant plus que l'humanité a cessé de croire aux anciennes contraintes morales que rien n'est venu remplacer.
L'idée des nouveaux mystiques européens comme D.H. Lawrence, Middieton Murry, etc. est que l'activité sexuelle est la voie toute désignée pour trouver le " Moi supérieur"'- ou le "Moi inférieur", car c'est de cela, semble-t-il, qu'il s'agit en réalité. X ne s'y laisse évidemment pas prendre. Mais si l'on veut seulement le "Moi supérieur" personnel, et non le Divin, on peut admettre le sexe et toutes sortes d'autres choses. Il suffit de réaliser que l'on n'est pas le corps, pas la vie, pas le mental, mais le Moi, et de faire tout ce que le Moi supérieur vous dit de faire.
Je parlais du "Moi supérieur" personnel, c'est-à-dire de la réalisation de quelque chose en nous (le Pourousha) qui n'est ni la Prakriti, ni les mouvements du mental, du vital et du physique, mais qui est le Penseur, etc. Ce Pourousha peut donner son consentement à n'importe quel mouvement de la nature ou le refuser ; il peut aussi prescrire à la Prakriti ce qu'elle doit ou ne doit pas faire. Il peut lui permettre de s'adonner au sexe ou retirer son approbation. C'est en général le Pourousha mental (Manomaya Pourousha) que l'on réalise ainsi, mais il y a aussi un Prânamaya Pourousha ou Pourousha vital. Par ce terme "Overself 28 ils veulent sans doute désigner ce Pourousha ; ils le considèrent comme une sorte d'Âtman personnel.
28. En anglais : overself.
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Dans ce cas l'unité avec tous reviendrait à satisfaire l'instinct sexuel avec tous, ce qui serait un siddhânta très surprenant, bien qu'une pratique de ce genre existe dans le Tantra "de la main gauche*". Mais les tantriques de la main gauche sont plus logiques que vous : pourquoi l'unité, si elle doit justifier l'expression par le sexe, soutiendrait-elle seulement les formes les plus bénignes et non les formes les plus crues de l'expression amoureuse ? Mais le sexe est-il vraiment fondé sur l'amour, ou est-ce l'amour sexuel qui se fonde sur l'instinct sexuel? Et l'instinct sexuel est-il une expression du sentiment spirituel de l'Un en tous? N'est-il pas en réalité fondé sur la dualité, sauf lorsqu'il recherche simplement la satisfaction et le plaisir, où il n'est nullement question d'amour ? Sommes-nous attirés vers une femme par le sentiment qu'elle est nous-même, ou par le fait qu'elle est quelqu'un d'autre et nous attire par un charme ou une beauté dont nous voulons nous délecter, que nous voulons posséder, ou encore par le simple fait qu'elle est différente de nous, qu'elle est femelle et non mâle, de sorte que l'instinct sexuel peut trouver là l'occasion de se donner libre cours ?
L'impulsion sexuelle est certes la plus grande force du plan vital ; si elle peut être sublimée et orientée vers le haut, l'odjas qui se crée aide puissamment à atteindre la conscience supérieure. Mais la simple abstinence ne suffit pas.
L'énergie sexuelle utilisée par la Nature à des fins de reproduction est, dans sa véritable essence, une énergie fondamentale de Vie. Elle peut être utilisée non pour donner plus d'envolée à la vie vitale émotive, mais dans une certaine mesure pour l'intensifier ; elle peut être maîtrisée et détournée de son objectif sexuel pour être utilisée dans la création
* Voir Glossaire.
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et la production esthétiques, artistiques ou autres, ou conservée pour exalter les énergies, intellectuelles ou autres. Si elle est entièrement maîtrisée, elle peut aussi être transformée en une force d'énergie spirituelle. L'Inde antique connaissait bien ce phénomène qu'elle décrivait comme la conversion de retas en odjas par le une grande L'abus de l'énergie sexuelle conduit au désordre et à la désintégration de l'énergie de vie et de ses pouvoirs.
L'impulsion sexuelle est évidemment tout à fait naturelle et se retrouve chez tous les êtres humains. La Nature l'a introduite dans son fonctionnement à des fins de procréation, pour que l'espèce se perpétue. Les animaux l'utilisent dans ce but, mais les hommes se sont éloignés de la Nature et s'en servent surtout pour y trouver le plaisir, de sorte qu'elle s'est emparée d'eux et les harcèle à tout moment.
On doit naturellement vaincre l'impulsion sexuelle, mais cela ne peut pas se faire entièrement d'un seul coup ; il faut être persévérant, patient et fermement résolu à ne pas s'y abandonner, ni physiquement, ni mentalement. Même quand c'est fait et qu'il n'y a plus ni pensée ni désir, l'éjaculation peut continuer à se produire pendant le sommeil, mais si le mental reste détaché, cette réaction automatique finira par disparaître.
Les sensations sexuelles ne "deviennent" pas un principe de la conscience physique, elles sont déjà là, dans la nature physique ; partout où il y a une vie consciente, la force sexuelle est là. Elle est l'agent de reproduction de la Nature physique, et elle existe à cette fin.
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Sur terre, le mouvement sexuel est une forme de l'énergie physique fondamentale dont la Nature se sert à des fins de procréation. Le frisson dont parlent les poètes et qui s'accompagne d'une excitation très grossière est l'appât qu'elle offre au vital pour lui faire accepter ce procédé par ailleurs déplaisant ; nombreux sont ceux qui, après l'acte, reculent avec dégoût et ressentent une répulsion pour le partenaire en raison de ce dégoût, bien qu'ils y reviennent par la suite, lorsque le dégoût a disparu, à cause de cet appât.
L'énergie sexuelle est elle-même un grand pouvoir qui, dans sa base physique, a deux composantes : l'une est destinée à la procréation et au processus qu'elle nécessite, l'autre alimente les énergies générales du corps, du mental et du vital, et aussi les énergies spirituelles du corps. Les anciens yogis appelaient ces deux composantes retas et odjas. Les hommes de science européens ont en général snobé cette idée, mais commencent maintenant à en constater eux-mêmes la vérité. Quant au frisson dont les poètes font si grand cas, c'est simplement une déformation, une dégradation très grossière de l'Ânanda physique qui peut, par le yoga, s'établir dans le corps, ce qui est impossible tant qu'il continue à être dévié par le sexe.
C'est exact; si l'on empêche le liquide séminal de se répandre, il se transforme en tedjas et odjas. C'est là-dessus que les yogis basent toute la théorie du brahmatcharya. Si ce n'était pas le cas, le brahmatcharya ne serait pas nécessaire pour produire le tedjas et l'odjas.
Ce n'est pas une question de vigueur et d'énergie en soi, mais de support physique ; dans le support physique, 1''odjas produit par le brahmatcharya compte énormément. La transformation du retas en odjas est la transformation d'une substance physique en une énergie physique (qui produit nécessairement aussi une énergie physico-vitale). L'énergie spirituelle elle-même peut seulement faire mouvoir le corps,
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comme le vital et le mental, mais en le faisant mouvoir elle l'épuiserait si elle n'avait pas un support physique. (Je parle évidemment de l'énergie spirituelle ordinaire et non de l'énergie supramentale future qui devra non seulement transmuer le retas en odjas, mais aussi l'odjas en quelque chose d'encore plus sublimé).
Les hommes de science (du moins à ce que j'ai lu) considèrent que la sécrétion des glandes sexuelles transporte et fournit une grande quantité d'énergies générales. Ils considèrent même que la force sexuelle joue un grand rôle dans la production de la poésie, de l'art, etc., et dans l'activité du génie en général. Enfin, c'est un médecin qui a découvert que le liquide séminal est fait de deux parties, l'une dont la finalité est sexuelle, l'autre qui est une base de l'énergie générale, et si l'on ne s'adonne pas à l'activité sexuelle, le premier élément tend à se convertir en le second (retas en odjas ; les yogis l'avaient déjà découvert). Simples théories ? Les déclarations ou les conclusions de la partie adverse en sont aussi ; une théorie en vaut une autre. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'une atrophie des glandes sexuelles due à l'abstinence soit un fait d'expérience générale. Ce que soutient X est cependant logique, si nous prenons en considération non pas les effets individuels, mais le cours de l'évolution, et si nous postulons que cette évolution se déroulera comme la précédente ; car les organes inutiles sont censés disparaître ou s'atrophier. Mais l'évolution supramentale suivra-t-elle le même cours que l'ancienne, ou se fabriquera-t-elle de nouvelles adaptations ? Rien n'est certain à cet égard.
Vous n'avez pas compris. Je disais qu'il n'est pas vrai que les hommes de science n'attachent aucune valeur à la sécrétion
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des glandes sexuelles et croient qu'elle ne sert qu'à un but extérieur. De nombreux savants la considèrent au contraire comme la base d'une énergie productive ; entre autres, elle joue un rôle dans la production artistique et poétique. Non que les artistes et les poètes soient des anachorètes et des Brahmatchâri, mais leurs glandes sexuelles ont une activité puissante dont une partie est dirigée vers la création, l'autre vers la procréation (fructueuse ou non). Selon la théorie récente, comme selon celle du yoga, la partie procréatrice serait le retas, la partie créatrice serait la base de l'odjas. Or si nous supposons que le poète ou l'artiste conserve son retas et le transforme en odjas, le résultat serait une augmentation du pouvoir de productivité créatrice.
Cette idée d'impuissance est pour le moins irrationnelle ; l'impuissance vient de l'abus ou d'un mauvais usage (de certaines perversions) ; elle ne vient pas de la maîtrise de soi. La maîtrise de soi se traduit par un détournement de l'énergie vers d'autres pouvoirs, parce que le pouvoir sexuel, quand il est maîtrisé, devient une force pour les énergies de vie, les pouvoirs du mental et un fonctionnement de plus en plus puissant de la conscience spirituelle.
Chez la plupart des hommes l'impulsion sexuelle est la plus forte de toutes les impulsions de la Nature.
L'impulsion sexuelle trouve en elle-même sa propre raison d'être ; elle agit pour sa propre satisfaction et n'a pas à se chercher de raisons, car elle est instinctive et irrationnelle.
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[Pourquoi l'illusion du sexe subsiste-t-elle?] Elle a trop de racines dans le vital humain. Le sexe est terriblement tenace. Par ailleurs, la nature physique universelle en a tellement besoin que même lorsque l'être humain le repousse, elle le lui renvoie le plus longtemps possible.
Tous les mouvements sont, dans leur ensemble, des mouvements des forces cosmiques de la Nature, ce sont des mouvements de la Nature universelle. L'individu en reçoit quelque chose, une vague ou une pression de quelque force cosmique qui le pousse ; il croit qu'elle vient de lui, qu'elle est engendrée en lui séparément, mais ce n'est pas le cas ; cela fait partie d'un mouvement général qui agit exactement de la même façon chez les autres. Le sexe, par exemple, est un mouvement de la Nature générale qui cherche à se satisfaire et utilise indifféremment un individu ou un autre ; un homme vitalement ou physiquement "amoureux" d'une femme, comme on dit, ne fait que répéter le mouvement universel du sexe et le satisfaire ; si ce n'avait pas été cette femme-ci, c'aurait été une autre ; il n'est qu'un instrument dans le mécanisme de la Nature, son mouvement n'est pas indépendant. Il en est de même de la colère et d'autres impulsions de la Nature.
Le mouvement sexuel est naturellement en lui-même une force impersonnelle et ne dépend d'aucun objet en particulier. Il ne s'attache à l'un ou à l'autre que pour se manifester et se donner une occasion de se satisfaire. Lorsqu'il ne peut pas s'exprimer dans l'échange vital, il tend à perdre son caractère vital et attaque par ses mouvements les plus physiques et les plus élémentaires. Il n'est vaincu que lorsqu'il a été rejeté du physique vital et du physique le plus matériel.
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Le sexe existe pour sa propre satisfaction et telle ou telle personne n'est pour lui qu'un prétexte, une occasion d'agir ou un moyen d'éveiller son activité. C'est du dedans, par la paix et la pureté d'en haut descendant dans cette partie de l'être et la possédant, qu'il doit disparaître.
[Le désir d'attirer les autres par le charme physique :] C'est la vanité habituelle du vital inférieur ; c'est très répandu. N'importe quel homme peut être attiré par n'importe quelle femme, et inversement, quand les forces sexuelles sont actives, mais cette attirance ne lui est pas personnelle, c'est la pulsion de la force sexuelle.
L'attirance sexuelle appartient à une force générale qui utilise l'individu à ses propres fins et profite de la proximité d'une autre personne [...]. C'est en soi-même qu'on trouve la sécurité, en se détachant aussitôt (en prenant du recul, en n'acceptant pas cette attirance comme quelque chose de personnel) et en la rejetant.
C'est évidemment la force sexuelle universelle qui agit, mais certains en ont plus que d'autres, ont du "sex-appeal", comme on dit maintenant en Europe. Ce sont surtout les femmes qui ont du "sex-appeal", même sans aucune intention consciente de l'exercer sur quelqu'un en particulier. Elles peuvent l'orienter consciemment vers une personne en particulier, mais il peut s'exercer aussi sur beaucoup d'autres qu'elles ne tiennent pas particulièrement à séduire. Toutes les femmes ne l'ont pas, mais une certaine force d'attirance sexuelle est présente chez la plupart d'entre elles. Les
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hommes exercent évidemment une attirance similaire sur les femmes.
Un sourire, un mouvement, un air, un geste de la femme peut être le point de départ de ces vibrations. Je ne pense pas que cela tienne au sourire lui-même, mais tous ces moyens ont toujours servi à stimuler le sexe chez l'homme (hâvabhâva) et la femme en use, souvent inconsciemment et par simple habitude, lorsqu'elle aborde un homme ; qu'elle ait ou non l'intention de lui plaire ou de l'émouvoir, le mouvement vient instinctivement. X est le genre de femme qui a ce mouvement instinctif de plaire à l'homme. Mais même lorsque la femme sourit sans y penser, sans même le mouvement instinctif habituel, la vibration peut pourtant se produire chez l'homme, en raison de son habitude de réagir à l'attirance féminine. Ces mouvements commencent d'une manière presque automatique. Comme je vous l'ai déjà écrit, c'est la réponse automatique du mental physique ou vital (imagination, etc.) qui les prolonge et les rend efficaces. Sinon les vibrations se dissiperaient au bout de quelque temps.
Elle peut n'avoir aucun sentiment sexuel à votre égard, mais il y a une sorte de poussée vitale, un déploiement de tentacules - je ne sais pas exactement comment l'exprimer - dont le but secret est, dans la Nature, de séduire l'homme, d'attirer son attention et de la fixer sur la femme, de l'accrocher et en quelque sorte de le tirer à elle. Le mental de la femme peut n'avoir aucune intention consciente, c'est-à-dire que l'intention peut ne pas être claire ni même présente à son esprit, elle peut être simplement instinctive ou subconsciente. Aucune intention sexuelle physique n'est nécessaire, il suffit d'un mouvement spontané du vital. Toutes les
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femmes dont le tempérament est fortement vital (et c'est le cas de X) ont cette réaction ; certaines plus, d'autres moins. Il peut n'y avoir là aucune impulsion sexuelle, et cependant cela suscitera l'idée de sexe chez l'homme. Naturellement X n'a aucune connaissance psychologique et ces choses sont trop subtiles pour qu'elle puisse les percevoir ou les comprendre. Elle peut fort bien croire qu'elle se comporte d'une manière parfaitement innocente et naturelle, et ignorer complètement cette poussée de la Nature qui agit en elle.
La parure a toujours été utilisée par la femme pour rehausser son "sex-appeal", comme on dit maintenant, et l'homme y a toujours été sensible ; les femmes aussi trouvent dans le vêtement masculin un élément de séduction (par exemple, le prestige de l'uniforme). Il y a aussi une question de goût particulier en matière de costumes : il est tout à fait normal qu'un sari d'une certaine couleur soit séduisant. La séduction agit sur les sens et le vital, alors que c'est le mental qui a une aversion pour les défauts psychologiques et qui est refroidi lorsqu'ils sont mis au jour ; mais cette répugnance du mental ne peut durer face à la séduction vitale qui est plus forte.
Cette association [du sens du toucher] avec le sexe est physico-vitale ; autrement, il n'y a pas nécessairement une relation entre le sentiment sexuel et l'expression de l'affection par le contact physique. Sauf cas exceptionnels, quand une mère et son fils, une frère et sa sœur s'embrassent, ils n'ont aucun sentiment sexuel. C'est une sorte de conversion habituelle qui s'opère dans le passage de l'émotionnel au physique et comme ce n'est qu'une habitude, elle peut être transformée, même si elle est forte.
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[Le toucher :] Il est physico-vital. Tout mouvement sexuel contient un élément vital, mais le simple mouvement vital n'est pas directement intéressé par le contact physique ou l'acte sexuel. Il s'intéresse plutôt au jeu des émotions, à la domination et à la sujétion, aux disputes, aux réconciliations, aux échanges de forces vitales, etc. C'est une conscience physico-vitale qui donne une telle importance au contact physique, aux baisers, à l'acte sexuel, etc.
Il vaut mieux éviter de se toucher tant que d'un côté ou de l'autre, il y a une réaction sexuelle. À un stade plus élevé, toucher ou non est indifférent. Ce qu'il en sera à l'apogée du supramental, laissons le supramental en décider.
Le contact physique peut être neutre, il peut aussi entraîner un échange de forces. Quand ce sont des forces spirituelles ou spiritualisées que l'on échange, le contact physique a un sens et c'est ce qui le justifiera dans la réalisation supramentale. Mais en attendant, mieux vaut être circonspect.
Dans la société ordinaire, les gens se touchent plus ou moins librement suivant les usages de cette société. C'est tout différent [de ce qui se passe ici], parce que l'impulsion sexuelle y est admise dans certaines limites plus ou moins larges ou étroites, et il est même fréquent de s'y adonner en secret, bien que les gens essaient d'éviter d'être découverts. Au Bengale, où le peurdha est de rigueur, on ne se touche, entre hommes et femmes, que dans le cercle de famille ; en Europe cette restriction n'existe pas tant qu'il n'y a ni familiarité excessive ni indécence ; mais en Europe la liberté sexuelle est maintenant presque totale. Ici tout abandon au sexe, dans la vie intérieure ou extérieure, est considéré comme un obstacle à la sâdhanâ - ce qu'il est, de toute
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évidence - et est par conséquent indésirable. Pour cette raison, tout contact exagérément familier entre hommes et femmes doit être évité, et aussi tout genre de caresse, car cela crée ou tend à créer une tendance sexuelle ou même une forte impulsion sexuelle. Les contacts fortuits doivent être évités aussi, s'ils donnent naissance à l'impulsion sexuelle. Ce sont des règles de bon sens, si l'on admet le principe que l'on doit s'abstenir de toute activité sexuelle.
La Nature, dans le monde matériel, a commencé par instituer l'attirance sexuelle à ses fins de procréation, puis a introduit l'amour sur la base de cette attirance sexuelle, de sorte que l'un a tendance à éveiller l'autre. C'est seulement par une forte discipline, une forte volonté ou une transformation de la conscience que l'on peut éliminer cette attirance.
Le problème n'est pas qu'il est impossible de préserver à l'amour sa pureté, mais les deux [l'amour et le désir sexuel] sont si proches l'un de l'autre et ont été si étroitement liés dans l'animalité de notre espèce à son origine qu'il n'est pas facile de les maintenir complètement séparés. Dans le pur amour psychique, il n'y a pas trace de désir sexuel, mais en général l'affection vitale s'associe très fortement au sentiment psychique qui devient alors impur, même s'il continue à exclure le sexe ; l'affection vitale et l'émotion sexuelle physico-vitale sont cependant très proches l'une de l'autre, de sorte qu'à n'importe quel moment ou à la moindre occasion, l'une peut éveiller l'autre. Cette réaction devient très forte chez les individus dotés d'une grande force sexuelle, ce qui est le cas chez la plupart de ceux dont le vital est énergique. Accroître sans cesse la force du psychique, maîtriser l'impulsion sexuelle et la changer en odjas, orienter
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l'amour vers le Divin sont les vrais moyens de remédier à cette difficulté. La force séminale qui n'est pas dépensée par le sexe peut toujours être transformée en odjas.
Quand le psychique met son influence sur le vital, la première chose que vous devez éviter soigneusement est le moindre mélange d'un mouvement vital faux avec le mouvement psychique. La luxure est une perversion ou une dégradation qui empêche l'amour d'établir son règne. Ainsi, quand il y a un mouvement d'amour psychique dans le cœur, la première chose qu'il faut empêcher d'entrer est la concupiscence et le désir vital, de même que la première chose à écarter quand la force descend des hauteurs est l'ambition et la vanité personnelles, car le moindre mélange de perversion corromprait l'action psychique et spirituelle et empêcherait le véritable accomplissement.29
Qu'est-ce que c'est que cette idée? Le désir du cœur qui meurt d'envie d'aimer des femmes ne serait pas un désir sexuel? Ce désir, et le désir physique, sont tous deux des formes de désir sexuel.
Pourquoi le désir vital suscite-t-il la convoitise? Parce qu'il est une forme de sexe et qu'il éveille en général un désir plus physique.
L'impulsion sexuelle ne pousse pas seulement à accomplir l'acte, comme X semble le croire, mais cherche surtout à envelopper l'autre, l'envahir, le posséder et en être possédé. C'est particulièrement vrai pour les femmes, car très souvent
29. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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l'acte sexuel les attire beaucoup moins que les hommes; mais évidement, si le physique vital arrive à un certain point, le mouvement sexuel physique a toujours tendance à suivre.
La sensation sexuelle peut commencer n'importe où. Comme l'amour vital, elle commence dans le centre vital, cœur ou nombril ; bien des garçons sentimentaux l'éprouvent et c'est le début d'une idylle (souvent à l'âge de dix ans ou même huit ans) alors qu'ils ignorent encore tout des relations sexuelles. Chez d'autres, cette sensation s'éveille dans les nerfs, ou en eux et dans l'organe sexuel lui-même. D'autres ne ressentent rien de tel. Bien des jeunes filles passeraient leur vie entière sans en avoir l'expérience si elles n'y avaient pas été initiées et incitées par des hommes. Certaines même la détestent et ne la supportent que sous une sorte de contrainte sociale, ou pour avoir des enfants.
Un certain nombre de femmes peuvent aimer avec le mental, le psychique, le vital (le cœur), mais répugnent à ce qu'on touche leur corps et même quand cette répulsion cesse, l'acte physique continue à leur faire horreur. Elles cèdent parfois à des instances pressantes, mais ne sont pas pour autant réconciliées avec l'acte qui leur semble toujours animal et dégradant. Les femmes savent cela alors que les hommes semblent avoir du mal à le croire ; mais c'est tout à fait vrai.
Anormal est un mot que l'on peut accoler à tout ce qui n'est pas ordinaire et tout à fait sans valeur. Ainsi le génie est anormal, la spiritualité est anormale, et aussi l'effort de vivre en se conformant à un idéal élevé. La tendance des femmes à la chasteté n'est pas anormale, elle est assez fréquente et se rencontre chez des femmes de type très supérieur.
Le mental est le siège de la pensée et de la perception, le
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cœur est le siège de l'amour, le vital celui du désir ; mais en quoi cela empêcherait-il l'amour mental d'exister ? Le mental peut être envahi par les sentiments de l'être émotif ou du vital ; de même le cœur peut être dominé par le mental et mû par des forces mentales.
Il y a un amour vital, un amour physique. Le vital est capable de désirer une femme pour diverses raisons vitales, sans amour : pour satisfaire l'instinct de domination ou de possession, pour puiser dans les forces vitales d'une femme afin de nourrir ses propres forces, pour échanger des forces vitales, pour satisfaire sa vanité, son instinct de chasseur etc., etc. (cela, c'est le point de vue de l'homme, mais la femme aussi a ses mobiles vitaux). On appelle souvent cela l'amour, mais c'est seulement un désir vital, un genre de désir sexuel. Si, cependant, les émotions du cœur sont éveillées, cela devient un amour vital, où se mêlent tous ces mobiles vitaux ou certains d'entre eux : c'est un amour fort, mais néanmoins vital.
Il peut y avoir aussi un amour physique, une attirance pour la beauté, le sex-appeal physique ou toute autre chose de ce genre qui éveille l'émotion du cœur. Si cet éveil ne se produit pas, seul le besoin physique existe et cela, c'est le pur désir sexuel et rien de plus ; mais l'amour physique peut exister.
De la même manière il peut exister un amour mental. Il naît de la tentative de trouver son idéal dans un autre, ou d'une forte passion mentale faite d'admiration et d'émerveillement, ou encore du mental qui cherche un compagnon, un complément qui parachève sa propre nature, un sahadharmî, un guide et un soutien, un chef et un maître ; il peut aussi être motivé par toutes sortes d'autres raisons mentales. En soi ce sentiment n'est pas vraiment de l'amour, bien qu'il soit souvent si ardent qu'il s'en distingue à peine et puisse même pousser au sacrifice suprême, à un don de soi complet, etc., etc. Mais lorsqu'il éveille les émotions du cœur, il peut conduire à un amour très puissant qui est pourtant mental, par ses origines et son caractère dominant. D'ordinaire
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cependant, le mental et le vital s'associent ; mais parallèlement à cette association, il peut y avoir une désaffection pour l'acte physique et ce qui l'accompagne, ou même une franche aversion. Si l'homme devient pressant, la femme cédera sans doute, mais à contre-cœur,30 comme on dit, contre ses sentiments et leurs instincts les plus profonds.
C'est une psychologie bien ignorante que celle qui réduit tout au mobile sexuel et à l'impulsion sexuelle.
Les médecins conseillent le mariage parce qu'ils croient que la satisfaction de l'instinct sexuel est nécessaire à la santé et que le refoulement est cause de désordres dans l'organisme. Ce n'est vrai que lorsqu'il n'y a pas de véritable cessation de l'activité sexuelle, mais seulement un changement dans la manière de s'y adonner. De nos jours, une nouvelle théorie a été élaborée qui confirme la théorie indienne du le front, à savoir que par la continence le retas peut se changer en odjas et la vigueur et la puissance de l'être s'en trouvent considérablement accrues.
Quant à ce que vous dites du stimulant né de l'échange vital, c'est vrai de la vie vitale. Les hommes sont sans cesse en train de dépenser l'énergie vitale et ont besoin de la renouveler ; l'une des manières de le faire est de la puiser chez les autres au cours d'un échange vital. Ce n'est cependant pas nécessaire si l'on sait puiser dans la Nature universelle ou dans le Divin, c'est-à-dire au-dessus. En outre, lorsque le psychique est actif, il y a toujours plus à perdre qu'à gagner dans l'échange vital.
Le mot célibat signifie d'abord le fait de ne pas se marier ; on peut lui donner le sens élargi de renoncement à toute relation
30. En français dans le texte.
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sexuelle (physique), bien que ce ne soit pas sa vraie signification. Ce n'est pas la même chose que le le front Le la réalisation n'est pas obligatoire dans le Bhakti-marga ou le Karmayoga, mais il est nécessaire dans le Jnânayoga ascétique autant que dans le Râdjayoga et le Hathayoga. Il n'est pas non plus exigé des yogis grihastha. Dans notre yoga, le principe est que l'on doit surmonter le sexe, sinon la transformation de la nature vitale inférieure et de la nature physique ne peut se faire. Toute relation sexuelle physique doit cesser, sinon l'on s'expose à de graves dangers. L'impulsion sexuelle doit aussi être surmontée, mais il n'est pas exact qu'il ne puisse y avoir ni sâdhanâ ni expérience avant qu'elle ne le soit complètement ; seulement sans cette victoire, on ne peut pas aller jusqu'au bout ; il faut reconnaître clairement que cette impulsion est l'un des obstacles les plus sérieux et que s'y laisser aller entraîne un considérable désordre.
Le célibat est une chose, être libéré des impulsions sexuelles en est une autre. On doit les surmonter et les éliminer, mais si cet affranchissement devait déterminer l'aptitude à continuer le yoga, je me demande combien de sâdhak réussiraient à cet examen. On doit avoir la volonté de surmonter l'impulsion sexuelle, mais son élimination est l'une des choses les plus difficiles pour la nature humaine, et il est tout naturel que cela prenne du temps.
En ce qui concerne le mariage en général, nous ne considérons pas qu'il faut le conseiller à quelqu'un qui désire se consacrer à la vie spirituelle. Le mariage entraîne en général quantité d'ennuis, de lourdes charges, un asservissement à la vie du monde et de grandes difficultés à concentrer l'effort spirituel. Sa seule utilité naturelle serait de donner une satisfaction restreinte et mesurée à la tendance sexuelle,
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s'il était impossible de la vaincre. Je ne vois pas en quoi il pourrait vous aider à maîtriser votre mental et à le soumettre ; un mental agité ne peut être calmé que de l'intérieur.
Si vous avez l'habitude de vous concentrer entre les sourcils et que cela vous réussit, vous pouvez continuer cette pratique, mais essayez de temps en temps de vous concentrer dans le centre du cœur (au milieu de la poitrine) et voyez si vous y réussissez.
Une fois que l'on s'est tourné vers le Divin, il n'est pas légitime de laisser le découragement, d'où qu'il vienne, s'emparer de vous. Quels que soient les difficultés et les ennuis, vous devez rester confiant que le Divin, si vous vous fiez à lui, vous fera franchir tous les obstacles. Maintenant je réponds aux questions que vous me posez dans votre lettre.
1. Si vous êtes résolu à suivre le chemin spirituel, le mariage et la vie de famille ne peuvent que s'y opposer. Le mariage ne serait opportun que si l'impulsion sexuelle était si forte qu'il n'y aurait aucun espoir de la surmonter, sinon en s'y adonnant pendant quelque temps d'une manière mesurée et rationnelle, pour l'amener peu à peu à obéir à la volonté. Mais vous dites que son emprise sur vous diminue ; cela ne paraît donc pas indispensable.
2. Quant à tout quitter et à partir de chez vous, vous ne devez le faire que lorsque votre décision sera claire et ferme. Si vous cédiez à une impulsion, vous vous sentiriez attiré, après votre arrivée ici, par tout ce que vous auriez quitté, ce qui entraînerait un grand trouble et un conflit grave dans la sâdhanâ. Quand ces liens tomberont ou seront rompus, ce sera possible. Persévérez dans votre aspiration, faites pression sur votre vital pour qu'il ait la foi et soyez plus tranquille. Le moment viendra.
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Vous avez raison de penser que la protection et la grâce sont toujours là et que tout a été pour le mieux. Dans l'état où était votre femme, mieux valait qu'elle quitte son corps, ce qu'elle a pu faire dans un état d'esprit qui la mettra dans les meilleures conditions, à la fois après sa mort et par la suite, pour reprendre le développement spirituel auquel elle a commencé à aspirer. Il est bon également que vous ayez été capable de conserver votre équilibre et votre liberté d'esprit en cette circonstance.
Vous avez eu aussi tout à fait raison de décider de ne pas vous remarier ; ce serait en tout cas ouvrir la porte à des difficultés graves et sans doute insurmontables dans la poursuite de votre sâdhanâ, et comme dans notre sentier il est nécessaire d'écarter le désir sexuel, le mariage non seulement n'aurait aucun sens, mais serait de plus en contradiction complète avec votre vie spirituelle. Vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir et vous protéger pleinement dans votre décision et si vous maintenez une volonté et une résolution sincères à cet égard, vous pouvez être certain que la Grâce divine ne vous fera pas défaut.
Si elle consentait à se marier, c'est ce qu'il y aurait de mieux. Toutes ces perturbations vitales viennent d'un instinct sexuel refoulé, refoulé mais non rejeté et surmonté.
Une acceptation mentale ou un enthousiasme mental pour la sâdhanâ n'est pas une garantie ou une raison suffisante pour encourager une personne - en particulier une personne jeune - à s'y engager. Par la suite, ces instincts vitaux surgissent et rien ne parvient à les contrebalancer ou à les contrecarrer ; il ne reste que les idées mentales qui, tout en étant incapables de prévaloir contre les instincts, s'opposent aussi au moyen naturel, admis par la société, de les satisfaire. Si elle se marie maintenant et fait l'expérience de la vie vitale humaine, elle aura peut-être par la suite une
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chance de voir son aspiration mentale à la sâdhanâ se transformer en quelque chose d'authentique.
Je ne crois pas. La continence n'aurait pas par elle-même une efficacité permanente, parce que l'impulsion sexuelle serait toujours là en germe, à moins qu'elle n'ait été abolie par une transformation ; mais la continence peut contribuer à cette transformation. En Europe, les médecins après avoir dit que la continence risquait d'engendrer des complications dans l'organisme - reconnaissent maintenant qu'au contraire, une partie de la force séminale est utilisée pour entretenir la santé, la vigueur, la jeunesse, etc. (est transformée en odjas, comme disent les yogis), alors qu'une autre sert à l'activité sexuelle ; dans un individu parfaitement chaste, celle-ci se transforme de plus en plus en celle-là. Mais évidemment la continence extérieure ne contribue pas à cette transformation, si le mental se livre à des pensées sexuelles, ou le vital, ou le corps, au désir sexuel ou à la sensation sexuelle, sans les satisfaire. Si tout cela cesse, la continence est utile.
Quant au deuxième point, l'attitude juste consiste à ne pas se soucier à tout moment de sa propre faiblesse à l'égard des impulsions sexuelles et à ne pas se laisser obséder par son importance au point d'être constamment en état de lutte et de dépression, et d'autre part à ne pas la négliger au point de la laisser augmenter. C'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile à éliminer entièrement ; on doit reconnaître tranquillement son importance et la difficulté qu'elle représente et se mettre tranquillement et fermement à la maîtriser. Si quelques légères réactions subsistent, il n'y a pas lieu d'en être bouleversé ; seulement on ne doit pas leur permettre d'augmenter au point de troubler la sâdhanâ ou de devenir si fortes que la volonté de l'être mental et vital supérieur ne pourrait plus les refréner.
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Trop penser au sexe, même si c'est pour le réprimer, ne fait qu'empirer les choses. Vous devez vous ouvrir davantage à l'expérience positive. La méthode qui consiste à passer tout son temps à batailler contre le vital inférieur est très lente.
Quant à l'impulsion sexuelle, ne la considérez pas comme un péché horrible et attrayant mais comme une erreur et un faux mouvement de la nature inférieure. Rejetez-la entièrement, non pas en luttant contre elle, mais en vous retirant d'elle, en vous détachant et en refusant votre consentement ; regardez-la comme quelque chose qui n'est pas à vous mais qui vous est imposé par une force de la Nature, extérieure à vous. Refusez tout consentement à cette sujétion. Si quoi que ce soit consent dans votre vital, faites pression sur cette partie pour qu'elle retire son consentement. Appelez la Force divine pour qu'elle vous aide dans votre retrait et votre refus. Si vous pouvez faire cela tranquillement, résolument et patiemment, à la fin votre volonté intérieure l'emportera sur l'habitude de la Nature extérieure.31
Les petites tendances vitales radjasiques que vous énumérez sont d'une importance mineure. Elles doivent être éliminées dans la mesure où l'attachement à ces choses doit être abandonné ; la partie vitale de l'être doit être prête à accepter de s'en passer tranquillement et avec indifférence, en ne les acceptant que si elles sont données librement par le Divin, sans exigence, revendication ni attachement ; mais autrement rien de tout cela n'est très grave.
La seule question sérieuse est la tendance sexuelle. Elle doit être surmontée. Mais vous la vaincrez plus facilement si, au lieu d'être bouleversé par sa présence, vous détachez
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d'elle l'être intérieur, vous vous élevez au-dessus d'elle et la considérez comme une faiblesse de la nature inférieure. Si vous pouvez vous en détacher avec une complète indifférence dans l'être intérieur, elle vous apparaîtra de plus en plus comme quelque chose d'étranger à vous-même qui vous est imposé par les forces extérieures de la Nature. Alors il sera plus facile de l'éliminer.
Les tourments de l'impulsion sexuelle disparaîtront sûrement si vous êtes sincère dans votre volonté de vous en débarrasser. La difficulté vient de ce que certaines parties de votre nature (spécialement le vital inférieur et le subconscient, qui sont actifs pendant le sommeil) gardent la mémoire de ces mouvements et y restent attachés, et vous n'ouvrez pas ces parties pour leur faire accepter la Lumière et la Force de la Mère qui les purifieraient. Si vous faisiez cela et si, au lieu de vous lamenter, de vous tourmenter et de vous accrocher à l'idée que vous ne pouvez pas vous libérer de ces mouvements, vous insistiez tranquillement sur leur disparition, avec une foi calme et une résolution patiente, en vous séparant d'eux, en refusant de les accepter ou de les considérer le moins du monde comme faisant partie de vous-même, au bout d'un certain temps ils perdraient de leur force et s'éteindraient.32
La difficulté que vous éprouvez à vous débarrasser du primitif en vous persistera tant que vous essaierez de changer votre vital uniquement ou principalement par la force de votre mental et de votre volonté mentale, en appelant tout au plus à votre aide quelque pouvoir divin indéfini et impersonnel. C'est une vieille difficulté, qui n'a jamais été
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radicalement résolue dans la vie elle-même parce qu'on ne l'a jamais affrontée de la vraie manière. Pour beaucoup de voies de yoga, cela n'a pas une suprême importance, parce que le but n'est pas de transformer la vie mais de s'en échapper. Quand on cherche ce but-là, il peut suffire de tenir le vital la tête basse par une contrainte mentale et morale ou de l'immobiliser et de l'aplatir dans une sorte de sommeil et de quiétude. Il y a même des gens qui lui permettent de courir afin qu'il s'épuise (s'il se peut) tandis que son possesseur professe de n'être ni touché ni intéressé ; car, disent-ils, c'est simplement la vieille Nature qui poursuit son mouvement sous l'impulsion du passé et qui tombera d'elle-même avec la chute du corps.
Quand aucune de ces solutions ne réussit, le sâdhak quelquefois mène simplement une double vie intérieure, divisé jusqu'au bout entre ses expériences spirituelles et ses faiblesses vitales, donnant le plus d'importance possible à la meilleure partie de lui-même et le moins possible à son être extérieur.
Mais aucune de ces méthodes ne convient à notre but. Si vous voulez la vraie maîtrise et la transformation des mouvements du vital, cela ne peut se faire qu'à condition de laisser votre être psychique - l'âme en vous - s'éveiller pleinement, établir son règne, ouvrir tout votre être au contact permanent de la divine Shakti et imposer au mental, au cœur et à la nature vitale son attitude psychique de pure dévotion, d'aspiration ardente et d'élan total et sans compromis vers tout ce qui est divin. Il n'y a pas d'autre moyen, et il ne sert à rien de soupirer après un chemin plus confortable. Nânyah panthâ vidyaté ayanâya.33
C'est pour cette raison que la difficulté sexuelle du vital est celle dont il est le plus difficile de se débarrasser; même
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ceux qui ont sincèrement abandonné le sexe sous sa forme la plus physique sont encore sujets à cette impulsion sous sa forme vitale. Mais elle est nuisible, parce qu'elle permet à certaines forces, qui font obstacle à la sâdhanâ, de s'infiltrer subtilement. On doit s'en débarrasser pour que le vital devienne complètement pur et capable de contenir l'amour divin et l'Ânanda.
Le vital physique continue à réagir à l'impulsion sexuelle longtemps après que le mental et le vital supérieur s'en sont détournés. Je l'ai constaté chez des individus qui étaient tout à fait sincères dans leur mental et leur émotivité. Quelques-uns n'ont aucun mal à s'en débarrasser, mais c'est une petite minorité. On ne doit la justifier par aucun argument du genre : "Quel mal y a-t-il..."; par là, le vital inférieur tente de s'assurer l'adhésion du mental et du vital supérieur. Le "mal" peut toujours se produire, tant que la réaction sexuelle n'est pas éliminée non seulement en vous, mais des deux côtés.
L'impulsion sexuelle essaie de s'emparer complètement de l'être de sorte qu'il n'est plus possible de l'inhiber ou de la maîtriser. Aucune passion, aucune impulsion de vie n'a autant qu'elle le pouvoir de posséder temporairement l'être, pas même la colère qui ne vient qu'en seconde position. C'est pourquoi il est si difficile de s'en débarrasser : même si le mental ou le vital supérieur refuse, le physique vital sent cette force de possession et tend obstinément à subir son impulsion d'une façon passive.
[L'intrusion de l'impulsion sexuelle :] Cela signifie qu'elle prend possession de vous, de sorte que vous êtes poussé à la
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satisfaire. Ce n'est pas la même chose qu'une pression venant de l'extérieur, même fortement ressentie.
La difficulté sexuelle n'est sérieuse qu'aussi longtemps qu'elle obtient le consentement du mental et de la volonté vitale. Si elle est chassée aussi du mental, c'est-à-dire si le mental refuse son consentement tandis que l'élément vital continue d'y répondre, elle vient comme une grande vague de désir vital qui essaie d'emporter de force le mental avec elle. Si elle est chassée aussi du vital supérieur, du cœur et de la force de vie dynamique et possessive, elle se réfugie dans le vital inférieur et vient sous forme de suggestions et d'incitations plus petites. Refoulée du niveau vital inférieur, elle descend dans le physique obscur et inerte où tout est répétition et elle s'exprime sous forme de sensations dans le centre sexuel et de réponses mécaniques aux suggestions. Chassée de là aussi, elle s'enferme dans le subconscient, d'où elle remonte sous forme de rêves et d'émissions nocturnes, même sans rêves. Où qu'elle se retire, elle essaie encore pendant un temps, de cette base ou de ce refuge, de jeter le trouble et de reconquérir l'assentiment des éléments supérieurs, jusqu'à ce que la victoire soit enfin complète et qu'elle soit chassée même de la conscience environnante ou "circumconscient" qui est l'extension de nous-même dans la Nature générale ou universelle.34
Voulez-vous dire que le corps n'accepte pas les pensées et les désirs sexuels ? S'il en est ainsi, vous pouvez à juste titre rejeter le sexe comme quelque chose d'extérieur à vous, ou qui n'existe tout au plus que dans le subconscient. Car seul peut encore être considéré comme nôtre ce qui est accepté
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ou soutenu par une partie de nous-même, ce à quoi elle prend plaisir ou continue de réagir automatiquement. S'il n'en est rien, cette impulsion appartient à la Nature générale, pas à nous. Naturellement elle revient et tente de rentrer en possession du territoire perdu, mais alors elle apparaît comme une invasion étrangère. La règle, en ce qui concerne ces impulsions, est qu'elles doivent être rejetées hors de la conscience individuelle. Rejetées par le mental et le vital supérieur, elles essaient encore de s'accrocher au vital inférieur et au physique. Rejetées du vital inférieur, elles continuent à tenir le corps par un désir physique. Rejetées du corps, elles se retirent dans la conscience environnante (et aussi parfois dans le subconscient d'où elles surgissent sous forme de rêves) ; par conscience environnante j'entends une sorte d'atmosphère que nous transportons avec nous et par laquelle nous sommes en communication avec les forces universelles ; de là, elles essaient de nous envahir. Rejetées de la conscience environnante, elles finissent par devenir tellement faibles qu'elles ne sont plus que des suggestions extérieures, jusqu'à ce que cela aussi se termine ; alors elles cessent et n'existent plus.
L'impulsion sexuelle est pour vous le principal obstacle. Si elle persiste, c'est parce qu'une certaine partie de votre être continue à y être attachée ; votre mental et votre volonté sont restés partagés et ont trouvé une sorte de demi-justification pour qu'elle se perpétue. Le mental et le vital supérieur doivent d'abord lui refuser tout consentement ; cela fait, elle ne se manifestera plus que sous la forme d'un automatisme agissant de l'extérieur sur le physique et finira par ne plus être qu'un souvenir actif qui disparaîtra lorsqu'aucune partie de la nature ne l'accueillera plus.
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On ne peut éviter des réactions sexuelles de ce genre que si la conscience tout entière est éveillée et perçoit ses mouvements cachés. Cela ne signifie pas que vous êtes pire que les autres, mais que chez tous les êtres humains l'élément sexuel est là, actif ou assoupi, accepté ou refoulé. Il ne peut être surmonté que par un éveil spirituel dans toutes les parties de la nature.
L'impulsion sexuelle est profondément enracinée dans le subconscient et il est difficile de s'en débarrasser. Cela ne peut se faire que par la transformation complète de la conscience physique, sauf chez quelques individus sur qui elle a peu d'emprise.
C'est évidemment le physique qui réagit immédiatement aux suggestions sexuelles de la manière la plus matérielle. Votre manière d'agir est la bonne. Puisque vous maîtrisez le sexe à l'état de veille, il se manifeste la nuit. Cela aussi doit être éliminé.
Continuez à vous concentrer dans le cœur et à rester imperturbable devant les obstacles. Il ne faut jamais accepter les suggestions, car lorsqu'on les accepte on leur donne le droit de revenir ou de continuer. S'il n'y a aucune réaction sexuelle dans le mental ou le vital, et que seule la sensation se manifeste dans le centre organique, sans recevoir aucun soutien dans l'être, alors elle peut être surmontée séparément. Il ne doit par conséquent y avoir aucun assentiment mental ni aucune réaction vitale - c'est le premier pas.
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Le sexe est fortement lié au centre physique, mais aussi au vital inférieur ; c'est pour une grande part au vital inférieur qu'il doit son caractère intense et passionné. Il peut être dissocié du vital inférieur ; il devient alors un mouvement purement physique et automatique qui n'a guère de force, sauf pour ceux qui réagissent à des automatismes. Si le centre physique est libéré aussi, l'impulsion sexuelle cesse d'exister.
C'est évidemment le vital qui donne au sexe son intensité et son pouvoir de s'emparer de la conscience.
C'est le centre physique ; le sexe n'est que l'un de ses mouvements. Naturellement, si le sexe est actif (au lieu de laisser la place à la Beauté et à l'Ânanda), et que les mouvements inférieurs sont actifs, la conscience supérieure ne peut pas s'établir. Mais s'il y a la moindre ouverture, la conscience supérieure peut descendre avant même que les mouvements inférieurs aient définitivement disparu ; elle doit alors finir de les évincer.
Le prânâyâma et autres pratiques physiques comme les âsana ne déracinent pas nécessairement le désir sexuel. Parfois, elles augmentent énormément la force vitale dans le corps, et elles peuvent aussi exagérer d'une façon surprenante la force de la tendance sexuelle, qui, étant à la base de la vie physique, est toujours difficile à conquérir.
La seule chose à faire est de se séparer de ces mouvements, de découvrir son moi intérieur et de vivre en lui ; alors ces mouvements n'apparaîtront plus comme nous appartenant, mais comme étant imposés par la Prakriti
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extérieure au moi intérieur ou Pourousha. On peut alors plus facilement les éliminer ou les réduire à néant.35
Blesser la chair n'est pas un remède contre l'impulsion sexuelle, bien que cela puisse être une diversion temporaire. C'est le vital, et principalement le vital-physique, qui prend la perception des sens comme un plaisir ou comme son contraire.
La réduction du régime alimentaire n'a généralement pas un effet permanent. Elle peut donner un plus grand sens de pureté physique, ou vital-physique, alléger le système et réduire certaines sortes de tamas. Mais l'impulsion sexuelle peut très bien s'accommoder d'une alimentation réduite. Ce n'est pas par des moyens physiques, mais par un changement de conscience, que ces choses peuvent être surmontées. 36
La meilleure chose à faire semble être d'achever le mouvement d'ascension ; si, là-haut, vous pouvez sentir l'élargissement, la paix, le calme, le silence du Moi, s'ils peuvent descendre dans le corps en passant par tous les centres, et que, l'être physique ayant accédé à cet état, la Force peut agir en lui, on peut alors affronter la difficulté physico-vitale. Par un effort de tapasyâ personnelle, il est possible d'aller jusqu'à un certain point, d'expulser le sexe, etc., mais chez la plupart des individus, cet effort n'empêche pas les forces de revenir à l'assaut, à moins qu'elles n'aient été réduites à l'impuissance par une force de tapasyâ suffisamment intense et prolongée. Mais à mon avis, seule la descente de la conscience supérieure peut éliminer ces mouvements en apportant le calme et l'immensité absolus, la
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force supérieure et l'Ânanda qui envahissent tout jusqu'aux cellules du corps. Il est certain que ces trois choses, établies ensemble dans le corps, ne peuvent laisser aucune place au sexe ; même si le sexe apparaissait, il serait aussitôt transmué au point de ne plus exister en tant que tel.
Si la paix et le silence sont établis partout, ils apportent la pureté, et la pureté met en fuite les suggestions sexuelles.
Il existe dans la substance même de l'être une force de pureté, une pureté qui n'est pas celle du moraliste, mais une pureté essentielle de l'esprit. Quand elle se manifeste, les ondes de sexe ne peuvent vous approcher, ou elles passent sans vous communiquer aucune impulsion, sans vous toucher nulle part.
Vous devez impérativement vous débarrasser de cette habitude perverse qui est l'une des causes principales de votre abattement, de votre faiblesse vitale, etc. Rien n'a autant le pouvoir de déranger l'organisme et de l'affaiblir. Si vous étiez résolu à l'abandonner, non seulement dans votre mental, mais aussi dans votre vital, elle aurait disparu depuis longtemps.
Il existe un moyen de vous débarrasser de cette habitude perverse : établir une puissante maîtrise mentale et ainsi, éliminer ce mouvement faux. Il n'est pas vrai qu'il soit invincible : au contraire, le fait que vous ayez été capable de l'interrompre pendant quelque temps prouve que
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vous pouvez le vaincre. Il est revenu parce qu'il participe de certaines forces de vie universelles qui, dès lors qu'on a pris l'habitude de les laisser réagir de cette manière dans l'organisme individuel, tendent à se perpétuer sous cette forme, et même si elles sont évincées, essaient toujours de revenir. Votre mental les a rejetées, mais quelque chose dans votre nature vitale - la partie qui réagit directement aux forces de vie universelles - continue à y trouver du plaisir et a conservé la capacité et le désir d'y réagir de façon erronée. Un effort de volonté persévérant et résolu peut finir par imposer aussi à cette partie de la nature le rejet du désir et même de tout automatisme habituel. Seulement les rechutes ne doivent pas vous décourager ; votre volonté doit être plus persévérante que l'habitude et se poursuivre jusqu'à la victoire totale.
Ce qui est nécessaire, c'est un rejet intérieur complet des attirances sexuelles et vitales, un rejet par le vital inférieur lui-même dans sa totalité ; le rejet extérieur ne peut être efficace que si ce rejet intérieur vient le renforcer. On tente en général le rejet extérieur parce qu'autrement (si l'on s'adonne à ces actes), le rejet intérieur ne se fera vraisemblablement pas, puisque l'action extérieure renforce sans cesse la tendance du vital ; mais si l'acte extérieur est rejeté, le conflit se limite au désir intérieur et c'est là que la question se règle. Naturellement, un renoncement extérieur n'apporte pas à lui seul la libération.
On doit évidemment être capable de rencontrer des femmes sans avoir aucun sentiment ni aucune pensée de nature sexuelle ; mais rechercher les contacts pour se mettre à l'épreuve n'est pas une bonne méthode ; elle peut très aisément avoir l'effet contraire, si la maîtrise n'est pas complète.
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Le sentiment juste et la victoire doivent venir de l'intérieur ; la méthode extérieure du Tantra n'est pas indiquée.
Tout cela arrive parce que le vital est dès l'abord conscient du sexe et adopte aussitôt l'attitude "masculine" vis-à-vis de la femme. Pour se débarrasser de cela, on doit être capable de considérer la femme comme un être humain et de ne rien ressentir de plus envers elle. C'est difficile, et cela nécessite un certain entraînement ; car même si le mental est capable d'adopter cette attitude, on ne peut se fier au vital et on doit rester sur ses gardes pour qu'il ne s'immisce pas dans cette relation, subrepticement ou soudainement, en y introduisant sa prédilection pour les échanges sexuels.
Vous feriez mieux de vous débarrasser de cette influence. Si vous êtes incapable de regarder une femme ou l'image d'une femme sans avoir des sensations sexuelles, cela n'ira pas ; vous devez vous débarrasser de cela.
Si l'on admirait sans désir tout ce qui est beau, et pas seulement les femmes, il n'y aurait aucun inconvénient. Mais si cela s'applique particulièrement aux femmes, c'est un reste d'attirance sexuelle.
Force et pureté dans le vital inférieur, sentiment d'élargissement dans le cœur, telles sont les meilleures conditions pour aborder les autres et particulièrement les femmes ; si ces conditions pouvaient régner en permanence, le sexe ne pourrait guère s'immiscer.
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C'est ce qui arrive en général : lorsqu'on cesse de satisfaire l'impulsion sexuelle du vital par des échanges extérieurs, par le toucher et les contacts, l'imagination continue à travailler. Mais si l'on peut surmonter cela, alors tout est surmonté. La satisfaction extérieure entretient au contraire l'activité. C'est pour cette raison que l'on évite ces contacts extérieurs. Si l'on peut se débarrasser de quelque chose sans qu'il soit nécessaire de l'éviter, tant mieux.
Il faut veiller à ce que l'imagination sexuelle ou érotique ne s'empare pas de la conscience en se présentant comme une vérité spirituelle.
Lorsqu'on abandonne le contact, le sexe peut se réduire à deux formes : le rêve et l'imagination. Le rêve n'a pas grande importance, à moins qu'il n'affecte le mental de veille, ce qui n'est nullement inévitable ; par ailleurs on peut l'en dissuader : si rien ne l'entretient, il finit par s'estomper. On ne peut se débarrasser des imaginations que par une tapasyâ de la volonté qui ne les laisse pas se dérouler, mais y coupe court dès qu'elles commencent. Elles apparaissent très facilement lorsqu'on reste allongé après s'être éveillé d'un sommeil tamasique. Il faut les interrompre soit en secouant le tamas, soit en faisant le vide mental et en se rendormant. À d'autres moments, on devrait être capable de les arrêter en pensant à autre chose.
C'est le moment le plus dangereux pour ce qui a trait au sexe, lorsqu'on reste allongé aussitôt après le réveil : il faut soit se rendormir, si on en a le temps, soit concentrer le mental sur des pensées saines.
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C'est un heureux changement. Rien n'est plus dangereux, pour stimuler l'imagination sexuelle, que de rester ainsi au lit dans un demi-sommeil ou dans un état inerte et détendu qui n'est meublé par aucune activité ou aucune expérience.
Une atmosphère d'inactivité facilite l'apparition du sexe.
C'est la difficulté. L'imagination traduit un consentement du physique ou du mental vital. Sinon la sensation sexuelle n'est souvent due qu'à des causes physiques et si elle n'était pas soutenue par ce consentement automatique d'une partie du mental, son habitude de revenir diminuerait bientôt.
Vous n'avez aucune raison d'être déprimé ou découragé. Les défauts de la nature dont vous parlez sont des habitudes du vital inférieur et de l'être extérieur ; si vous les reconnaissez pleinement, avec franchise, que vous les détectez et les rejetez chaque fois qu'ils agissent ou essaient d'agir sur vous, en temps voulu ils disparaîtront. Les désirs sexuels montrent que le subconscient garde encore les impressions, les mouvements et les impulsions du passé ; libérez complètement les parties conscientes de l'être, entretenez l'aspiration et la volonté que la conscience supérieure pénètre complètement le subconscient pour que même dans le sommeil et le rêve, quelque chose en vous soit conscient, sur ses gardes, et rejette ces choses lorsqu'elles essaient de prendre forme à ce moment-là.
Naturellement, si vos lectures portent sur ces questions, ces préoccupations entrent dans le mental et passent dans le subconscient où elles laissent leur empreinte. Si la
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conscience n'est pas libérée de l'impulsion sexuelle, cette empreinte peut surgir du subconscient et agir sur le mental.
Je vous ai déjà dit de ne pas être bouleversé par ces rêves et ces accidents qui surviennent pendant le sommeil. Ils vous viennent de l'extérieur et dans le subconscient, qui conserve longtemps tout ce que rejette l'être conscient, quelque chose y répond. Cette partie subconsciente ne peut être libérée et devenir consciente que dans les stades ultérieurs du yoga. C'est de la conscience de veille que vous devez éliminer les impulsions et les suggestions sexuelles. Si vous le faites, plus tard la partie subconsciente pourra facilement se libérer.
Les rêves traduisent des impressions sexuelles qui émergent involontairement du subconscient ; la plupart des individus — même s'ils ne s'adonnent pas à l'acte sexuel — font ce genre de rêves de temps en temps, bien que leur fréquence varie d'une semaine, quinze jours ou un mois à trois ou quatre mois, ou même moins. Une fréquence plus grande indique soit qu'on se laisse aller à des imaginations qui stimulent le centre sexuel, soit que le système nerveux est faible dans cette partie de l'être parce qu'on s'est adonné au sexe dans le passé. Certains ont obtenu de bons résultats en imposant une volonté au corps le soir, avant de s'endormir, pour que ces rêves ne se produisent pas ; bien que cette méthode ne réussisse pas toujours dès le début, elle produit ses effets dans la plupart des cas au bout d'un certain temps, en fixant sur le subconscient, d'où émergent ces rêves, une force inhibitrice. Quant aux enfants qui s'adonnent au sexe, ce n'est pas héréditaire, mais ils l'ont appris par de mauvaises fréquentations et ont parfois été pervertis de cette façon à un très jeune âge.
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C'est une erreur d'accorder tant d'importance aux éjaculations ; tout le monde en a. Le subconscient a son propre mouvement et on ne peut remédier à l'absence de maîtrise à cet endroit que lorsque la lumière y est descendue complètement. Tout au plus peut-on agir sur ce facteur particulier en plaçant une volonté inhibitrice dans le subconscient (dans le centre sexuel ou dans l'organe lui-même) afin que même dans le subconscient, quelque chose puisse réagir pendant le sommeil. Nombreux sont ceux qui ont pu, par ce moyen, diminuer la fréquence de ce phénomène et presque s'en débarrasser, mais d'autres ont moins bien réussi : il y a eu un cas où il se répétait tous les quinze jours et a persisté en dépit de la volonté [...] Quant à la difficulté qui apparaît à l'état de veille, n'y accordez pas trop d'importance. Continuez à avancer vers la réalisation, en insistant sur l'aspect positif de la sâdhanâ ; ces difficultés s'estomperont et disparaîtront quand la conscience supérieure sera descendue dans le centre sexuel. En attendant, il faut d'abord maîtriser cela et s'en débarrasser le plus possible.
Il n'y a aucune raison d'être à ce point déprimé et de vous imaginer que vous avez échoué dans le yoga. Ce qui vous arrive n'est pas du tout le signe que vous êtes inapte au yoga. Cela veut dire simplement que l'impulsion sexuelle, rejetée par les parties conscientes, s'est réfugiée dans le subconscient, probablement quelque part dans le vital-physique inférieur et dans la conscience la plus physique où certaines régions ne sont pas encore ouvertes à l'aspiration et à la lumière. Que les choses rejetées de la conscience de veille persistent dans le sommeil est un phénomène tout à fait commun dans le cours de la sâdhanâ.
Le remède est celui-ci :
(1) faire descendre la conscience supérieure, sa lumière et l'action de son pouvoir dans les parties obscures de la nature ;
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(2) devenir progressivement plus conscient dans le sommeil en développant une conscience intérieure qui suit l'action de la sâdhanâ dans le rêve comme dans la veille ;
(3) amener la volonté et l'aspiration de veille à faire pression sur le corps durant le sommeil.
L'une des façons de procéder par cette dernière méthode est de faire au corps une forte suggestion consciente avant de s'endormir afin que l'accident ne se produise pas. Plus la suggestion est concrète et physique, et dirigée directement sur le centre sexuel, mieux c'est. Au début, l'effet ne sera peut-être pas tout à fait immédiat ni invariable ; mais généralement, si l'on sait le faire, ce genre de suggestion finit par réussir. Même quand elle n'empêche pas le rêve, elle éveille très souvent la conscience intérieure à temps pour empêcher les conséquences indésirables.
C'est une erreur de se laisser déprimer dans la sâdhanâ, même par des échecs répétés. On doit être calme, persévérant et plus obstiné que la résistance.37
Quand la conscience de veille a renoncé à céder aux désirs et aux impulsions sexuels, ceux-ci se réfugient dans le subconscient sous forme d'impressions, de souvenirs, de désirs refoulés, et apparaissent pendant le sommeil sous forme de rêves ou d'éjaculations involontaires. Si la conscience de veille elle-même n'est pas déblayée, c'est-à-dire si, bien qu'on ne cède pas au physique, il y a pourtant dans le mental des imaginations et dans le vital ou le corps des désirs, ces rêves et ces éjaculations peuvent être fréquents. Même si la conscience de veille est déblayée, ces résurgences du subconscient peuvent encore se produire pendant quelque temps, mais à la longue elles s'atténuent. Certains sont capables de s'en débarrasser en plaçant une volonté vigoureuse ou une force puissante d'inhibition sur le subconscient
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ou le centre sexuel avant de s'endormir, mais tout le monde n'y parvient pas. L'essentiel est de faire entrer de plus en plus la force du brahmatcharya dans la conscience de veille, d'expulser complètement les pensées sexuelles, les paroles, les envies ou les impulsions physiques ; les résidus du subconscient s'évanouiront ou seront déblayés plus tard, quand on sera capable d'y faire descendre la conscience supérieure.
Pour que les éjaculations pendant les rêves puissent diminuer ou cesser, il est d'abord nécessaire d'arriver au brahmatcharya complet, kâyamanovâkyéna : il faut non seulement refuser au corps toute activité sexuelle, mais aussi bannir du vital et de la conscience corporelle les impulsions sexuelles, et du mental comme de la parole les pensées et les imaginations sexuelles ; il faut aussi s'abstenir de parler du sexe. Les rêves émergent du subconscient où sont emmagasinés toutes les impressions et tous les instincts ; or toute pensée ou impulsion stimule le subconscient et augmente la quantité d'éléments qui peuvent surgir dans les rêves. Si la conscience de veille est complètement purifiée, on peut, en plaçant une volonté ou une force sur le subconscient (surtout avant de s'endormir) éliminer au bout d'un certain temps les rêves sexuels et les éjaculations.
À part le rejet total des pensées, des imaginations et des actes sexuels qui finit par agir aussi sur le subconscient, je ne connais aucun remède contre les rêves sexuels si ce n'est l'usage d'une force aussi concrète que possible que l'on place sur le centre et l'organe sexuels pour inhiber cette impulsion et sa conséquence, lorsqu'on est sur le point de s'endormir, et que l'on renouvelle chaque fois que l'on se réveille pour se rendormir. Mais cette méthode n'est pas accessible à tous, car ils utilisent une volonté mentale et non une force
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concrète (la volonté mentale peut aussi être efficace, mais elle ne l'est pas toujours). Par ailleurs, elle n'agit que temporairement, elle inhibe, mais la guérison n'est que rarement définitive ; elle ne débarrasse pas le subconscient des impressions sexuelles, et elle ramène évidemment la pensée vers le sexe, même si ce n'est que d'une façon négative.
J'ai entendu dire que ces rêves reviennent, même à des yogis très avancés, au moins tous les six mois ; je ne sais pas dans quelle mesure c'est vrai, ni ce qu'en disent les yogis eux-mêmes. Mais on peut se débarrasser des impressions sexuelles dans le cœur bien avant d'atteindre la fin de la vie et même leur persistance en germe dans le subconscient - qui se révèle par les rêves - si tenace soit-elle, n'est pas aussi impossible à éliminer qu'on le dit.
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas lieu de se préoccuper tellement de ce genre de réactions en rêve à moins qu'elles ne soient fréquentes ; c'est l'état de veille qu'il faut rigoureusement nettoyer. Si c'est fait, il arrive parfois que l'habitude de rejet s'étende au subconscient, de sorte que lorsque le rêve apparaît il s'arrête par une inhibition automatique. Soumise à un tel régime, la pression sexuelle deviendrait, je crois, sinon inexistante, du moins en permanence inactive, à l'état de germe et donc pratiquement nulle.
Dans ce genre d'affaires, il est de toute première nécessité de rester parfaitement calme et de refuser de se laisser bouleverser par ces difficultés. Si elles surgissent, on doit admettre que c'est pour être résolues. Si rien, dans la conscience de veille, n'est là pour faire naître la difficulté sexuelle, ces rêves ou ces éjaculations sans rêve ne peuvent être qu'une manifestation d'impressions anciennes assoupies dans le subconscient. Ces impressions émergent souvent lorsque la Force agit dans le subconscient pour le déblayer. Il est possible aussi que les éjaculations - en particulier lorsqu'elles ne s'accompagnent pas de rêves - soient dues à
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des causes purement matérielles, par exemple la pression de l'urine ou de matières fécales dans la région de la vessie. Mais l'essentiel, en tout cas, est de ne pas être troublé et de placer une force ou une volonté sur le centre sexuel ou l'organe sexuel pour que cela cesse. On peut le faire juste avant de s'endormir. Si on le fait régulièrement, on obtient en général un résultat au bout de quelque temps. Il faut exercer sur le subconscient physique une pression générale et tranquille, à l'aide de la volonté ou de la force. Le subconscient fait souvent preuve d'une obstination tenace, mais il est capable de s'adapter à la volonté de l'être conscient et y parvient plus ou moins rapidement.
Vos rêves se déroulaient principalement sur le plan physico-vital. Là, si un contact physique quelconque, de nature sexuelle ou autre, agit fortement sur le centre sexuel ou sur un point sensible, il peut, même sans susciter aucun désir, provoquer une éjaculation par une action mécanique, aveugle et inconsciente, de nature purement physique et pas même physico-vitale. C'est seulement lorsque le centre sexuel sera devenu fort que cela deviendra impossible.
Si ces éjaculations étaient normales, pourquoi l'organisme serait-il aussi déprimé et affaibli par elles? Les gens se plaignent sans cesse de cet affaiblissement et si cela se produit souvent, ils deviennent tout à fait déprimés et tamasiques. Cette conséquence n'est évidemment pas inévitable, car si l'on réagit, on peut empêcher la dépression ou l'affaiblissement de se produire, mais la plupart le ressentent. Il est évidemment normal que cela arrive lorsqu'on a cessé toute activité sexuelle sans s'être libéré de l'imagination ou de l'impulsion sexuelle ; ou même plus tard, lorsqu'on n'est plus importuné par le sexe, ces désagréments peuvent
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persister pendant quelque temps, parce que les impressions n'ont pas été extirpées du subconscient. Cela peut parfois soulager d'un excès de sécrétion, mais l'affaiblissement qui en résulte semble plus souvent indiquer la perte de quelque chose de nécessaire, qui est source de vigueur. La bonne manière de traiter cet excès est de le transformer en pure substance d'énergie, de changer le retas en odjas.
C'est évidemment une attaque qui s'abat sur votre système nerveux par l'intermédiaire du subconscient. Elle survient quand vous dormez parce que dans la conscience de veille, vous êtes davantage sur vos gardes et capable de réagir contre les attaques. En général, les rêves de ce genre, accompagnés d'éjaculations, viennent quand la conscience physique est dans un état tamasique en raison d'une fatigue, d'une tension ou de toute autre cause, dans un sommeil lourd ou sous l'emprise de l'inertie.
La première chose à faire est de rejeter les conséquences, ce que vous avez fait cette fois-ci, puisqu'à ce que vous dites, vous n'avez ressenti aucune faiblesse ; c'était au contraire comme si rien ne s'était passé. Il n'est pas du tout inévitable de se sentir faible après un rêve de ce genre et une éjaculation ; ces forces ne suscitent des réactions de faiblesse nerveuse que par une association d'idées habituelle dans le mental physique.
On peut empêcher l'éjaculation en devenant plus conscient durant le sommeil. Vous étiez conscient de tout ce qui se passait, mais vous devez en plus développer un pouvoir de volonté consciente qui voit ce qui va arriver et intervient pour l'empêcher, soit en vous éveillant à temps, soit en arrêtant le rêve ou en inhibant l'éjaculation. Tout cela est parfaitement faisable, c'est une question d'habitude et d'un peu de persévérance.
Il est souvent aussi très efficace de placer une volonté ou une force sur la conscience corporelle avant de s'endormir
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pour que cela ne se produise pas ; il faut le faire surtout si l'on se sent prédisposé par un état de lourdeur et d'inertie. Cette volonté n'est pas toujours immédiatement efficace, mais au bout d'un certain temps le subconscient prend l'habitude d'obéir à la volonté ou à la force qui lui est ainsi imposée ; la perturbation s'atténue peu à peu et finit par disparaître complètement.
Ce genre d'attaque sexuelle pendant le sommeil ne dépend pas beaucoup de la nourriture ni de choses extérieures ; c'est une habitude mécanique dans le subconscient. Quand l'impulsion sexuelle est rejetée ou exclue des pensées et des sentiments de veille, elle vient sous cette forme dans le sommeil, car à ce moment-là, seul le subconscient est actif et vous n'avez pas de contrôle conscient. C'est le signe que le désir sexuel, supprimé dans le mental et dans le vital de veille, n'est pas éliminé de la substance de la nature physique.
Pour l'éliminer, il faut d'abord avoir soin de n'entretenir aucune imagination, aucun sentiment sexuels à l'état de veille ; ensuite, il faut mettre une forte volonté sur le corps, spécialement sur le centre sexuel, afin que rien de ce genre ne se produise pendant le sommeil. Il se peut que cela ne réussisse pas tout de suite, mais si l'on persévère longtemps, on obtient en général un résultat : le subconscient commence à obéir.38
Cette pression venant des reins ou des intestins, qui produit un rêve ou une imagination est la dernière forme que prend la difficulté sexuelle, et la plus physique ; elle persiste souvent alors que les autres ont disparu. L'occasion lui est donnée d'apparaître lorsque le corps est apathique et le mental à moitié endormi. Mais si cela ne dure que quelques
38. Les Bases du Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.
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minutes et n'engendre aucun effet, cette tendance devrait disparaître au bout de quelque temps.
Les attaques [de la force sexuelle] peuvent venir en plein jour comme de nuit ; elles peuvent donc venir aussi à. la lumière électrique. Seule la lumière intérieure détourne les attaques, bien qu'elle ne puisse pas les arrêter complètement à moins que la Force ne soit là aussi.
Oui, bien sûr, les maladies de peau sont souvent liées aux désirs sexuels ; pas toujours, évidemment, mais souvent.
Je suppose que l'acné provient souvent d'une sexualité refoulée ; refoulée en acte, mais toujours active à l'intérieur. Cela n'agit pas de la même manière chez tout le monde ; chez certains cela peut agir sur le sang, chez d'autres non, ou pas de la même façon. De plus je ne crois pas que le sexe soit la seule cause de l'acné ; d'autres choses aussi peuvent la provoquer.
IX
La maîtrise de la parole est très nécessaire à la transformation physique.
Le mauna est rarement très utile. Quand il cesse, on recommence à parler comme avant. C'est en parlant qu'il faut transformer la parole.
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Ce n'est pas comme cela qu'il faut faire. Le silence absolu et le bavardage immodéré sont deux extrêmes ; aucun n'est bon. J'ai vu beaucoup de gens pratiquer le maunavrata, mais ensuite ils étaient tout aussi bavards qu'avant. C'est la maîtrise de soi qu'il faut acquérir.
Dans l'ensemble, vous avez raison. Il vaut mieux éviter les conversations inutiles qui rabaissent la conscience et ressuscitent en partie une conscience passée. Les discussions qui portent sur la sâdhanâ entrent aussi dans cette catégorie, quand elles sont purement mentales et superficielles.
C'est quelque chose de très extérieur qui prend plaisir à bavarder et c'est seulement quand la tranquillité, et avec elle une certaine maîtrise de soi spontanée, s'est établie dans la nature vitale inférieure, que cette tendance peut être entièrement surmontée par ceux qui en sont affectés, c'est-à-dire presque tout le monde.
Tout cela se fera en temps opportun. Le plus important est de faire descendre la tranquillité dans l'être tout entier, et avec elle la vraie force porteuse d'énergie que vous décrivez ci-dessus.
Lorsqu'on parle, on a tendance à descendre dans une conscience inférieure et plus extérieure, parce que la parole vient du mental extérieur. Mais il est impossible d'éviter cela complètement. Il faut apprendre à revenir aussitôt après à la conscience intérieure, et cela tant que l'on n'est pas capable de faire en sorte que ce soit toujours l'être intérieur qui parle, ou du moins de toujours s'exprimer avec le soutien de l'être intérieur.
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La parole est plus extérieure que l'écriture, elle dépend davantage du physique et de son état. Dans la plupart des cas, il est par conséquent plus difficile de la soustraire à l'emprise de mental extérieur.
La parole - le bavardage - peut en effet très aisément disperser l'état intérieur ou l'abaisser, parce qu'elle ne vient généralement que du vital inférieur et du mental physique et exprime cette partie de la conscience; elle a tendance à extérioriser l'être. C'est évidemment pour cette raison que tant de yogis se réfugient dans le silence.
Chez certains individus la parole coule naturellement et ceux qui ont une nature très vitale ne peuvent s'en passer. Mais ce dernier cas (où l'on est incapable de s'en passer) est visiblement une infirmité du point de vue spirituel. En outre, à certains stades de la sâdhanâ, on doit s'intérioriser et le silence devient alors très nécessaire, tandis que le bavardage inutile disperse les énergies ou extériorise la conscience. C'est, en particulier, cette tendance à bavarder pour bavarder qui doit être surmontée.
Bavarder ainsi entraîne en effet une grande fatigue, pour peu que l'on soit porté par le courant d'une expérience authentique, parce que cela dissipe inutilement l'énergie et que le mouvement mental devient un ensemble de pièces et de morceaux sans valeur, au lieu de se recueillir dans son équilibre intérieur pour recevoir.
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Il y a toujours un risque qu'un élément superficiel, facteur de déséquilibre, s'introduise lorsqu'on se laisse aller à la légèreté pour elle-même. La conscience se sent un peu ébranlée dans ses assises, sinon tirée vers l'extérieur. Une fois que la conscience est bien installée au-dedans, le mouvement extérieur trouve sa source à l'intérieur et cet inconvénient disparaît.
Oui. La parole doit venir du dedans et être maîtrisée du dedans.
La difficulté que vous éprouvez vient du fait que la parole, dans le passé, a fonctionné beaucoup plus comme une expression de la volonté vitale que de la volonté mentale dans l'homme. La parole jaillit comme une expression du vital et de ses habitudes, sans se soucier d'attendre le contrôle du mental ; on a dit que la langue était l'organe indomptable. Dans votre cas, la difficulté s'est accrue du fait de votre habitude de parler des autres, de cancaner, chose à laquelle votre vital était très attaché, à telle enseigne qu'encore maintenant, il ne peut renoncer au plaisir qu'il y trouve. C'est par conséquent cette tendance qui doit disparaître dans le vital même. Ne pas être asservi à l'impulsion de la parole, être capable de s'en passer et ne plus la considérer comme un besoin, parler seulement lorsqu'on voit que c'est ce qu'il faut faire, et dans ce cas, ne dire que ce que l'on doit dire, est une partie très nécessaire de la maîtrise de soi yoguique.
C'est seulement par la persévérance, la vigilance et une forte résolution que cette maîtrise peut être obtenue, mais avec une pareille résolution, cela peut se faire en peu de temps à l'aide de la Force qui est derrière.
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Il est évident que les habitudes invétérées ne peuvent s'en aller d'un seul coup. En particulier, la parole est, chez la plupart des gens, dans une large mesure automatique et échappe à leur maîtrise. C'est la vigilance qui établit la maîtrise ; on doit donc se garder du danger dont vous parlez et ne pas relâcher sa vigilance. Seulement plus cette vigilance pourra être tranquille et pure, et moins elle sera anxieuse, mieux cela vaudra.
Les habitudes de la nature physique ou physico-vitale sont toujours les plus difficiles à changer, parce que leur action est automatique et n'est pas gouvernée par la volonté mentale ; la volonté mentale a par conséquent du mal à les maîtriser ou à les transformer. Vous devez persévérer et prendre l'habitude de cette maîtrise. Si vous réussissez plus souvent à maîtriser la parole - ce qui exige une vigilance constante - vous finirez par vous apercevoir que la maîtrise laisse son empreinte et peut, à la longue, intervenir constamment. Il faut continuer tant que ce mouvement n'est pas complètement ouvert à la Lumière et à la Force de la Mère, car si l'ouverture est complète, la maîtrise peut venir plus vite et même parfois très rapidement. Le psychique aussi peut intervenir ; si l'être psychique est assez éveillé et actif pour intervenir et dire "non" chaque fois que vous êtes sur le point de parler inconsidérément, le changement devient plus facile.
Le mal de tête et la fatigue indiquent toujours que la conscience ne veut plus de cette extériorisation par la pensée et la parole et même qu'elles entraînent pour elle une tension physique. Mais c'est l'habitude subconsciente qui veut continuer. La plupart du temps, la parole et la pensée, dans la nature humaine, suivent certains automatismes qui se
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répètent sans cesse et ne sont pas vraiment maîtrisés ou dictés par le mental. C'est pourquoi cette habitude peut se poursuivre pendant quelque temps, même lorsque le mental conscient lui a retiré son soutien et son consentement et est résolu à agir autrement. Mais si l'on persévère, cette habitude automatique et subconsciente s'épuise, comme tous les mécanismes qui ne peuvent continuer leur course lorsqu'ils ne sont pas remontés. On peut alors imprimer au subconscient l'habitude contraire de ne consentir à rien que l'être intérieur n'ait accepté de penser ou de dire.
C'est très fréquent. Le bavardage inutile fatigue l'être intérieur parce que la parole vient de la nature extérieure, alors que la nature intérieure doit fournir l'énergie qu'elle sent se dilapider.
Même ceux qui ont une vie intérieure fortement développée mettent beaucoup de temps à la rattacher à la parole et à l'action extérieures. La parole extérieure appartient au mental extériorisant ; c'est pourquoi il est si difficile de la rattacher à la vie intérieure.
Oui, bien sûr, la véracité complète de la parole est très importante pour le sâdhak et contribue beaucoup à introduire la Vérité dans la conscience. Il est cependant très difficile d'acquérir la maîtrise de la parole ; car on a l'habitude de dire ce qui vous vient à l'esprit, sans surveiller ni contrôler ce que l'on dit. Il y a dans la parole un élément mécanique qu'il n'est jamais facile d'amener au niveau de la partie la plus élevée de la conscience. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est utile d'être avare de paroles. Cela facilite l'acquisition d'une maîtrise plus délibérée et empêche la langue de parler toute seule en échappant a tout contrôle.
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Prendre du recul signifie devenir le témoin de son mental et de sa parole, les voir comme des choses distinctes de soi-même et ne pas s'identifier à elles. En les regardant comme un témoin, en s'en détachant, on en vient à les connaître pour ce qu'elles sont, à savoir comment elles agissent et ensuite à les surveiller, à rejeter ce que l'on n'approuve pas, à ne rien penser ni dire que ce que l'on sent être vrai. C'est évidemment impossible à faire du premier coup. Il faut du temps pour établir cette attitude de séparation, et plus encore pour établir la maîtrise. Mais c'est possible, par la pratique et la persévérance.
On ne peut maîtriser la parole que si l'on se sépare de la partie qui parle et que l'on est capable de l'observer. C'est le mental extérieur qui parle ; on doit le surveiller en prenant la position du témoin dans le mental intérieur et en exerçant sur lui un contrôle.
C'est en réalité un silence intérieur qui est nécessaire : il y a au-dedans quelque chose de silencieux qui regarde la parole et l'action extérieures, mais les ressent comme des choses superficielles, autres que lui, auxquelles il est complètement indifférent et insensible. Ce quelque chose de silencieux peut faire intervenir des forces pour soutenir la parole et l'action ; il peut aussi interrompre celles-ci en s'en retirant, ou les laisser se poursuivre en les observant sans y être engagé ni s'en émouvoir.
C'est évidemment parce que la conscience se projette à l'extérieur [dans les discussions et les rires] ; on sort de l'équilibre intérieur et on a du mal à y revenir, surtout parce
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qu'il se produit une sorte de dissipation de l'énergie vitale. Si l'on parvient à un état où l'on peut participer seulement en surface, en restant à l'intérieur et en observant ce qui se fait à la surface de la conscience, mais sans s'y oublier, alors l'équilibre n'est pas perdu. Mais il est un peu difficile d'arriver à se dédoubler ainsi ; on y parvient, cependant, avec le temps, surtout si la paix et le calme intérieurs deviennent très intenses et durables.
Si la paix intérieure est très forte, la parole ne l'obscurcit pas, parce que cette paix n'est pas mentale ou vitale, même si le mental et le vital en sont imprégnés ; ou alors c'est un nuage qui passe rapidement sans atteindre les profondeurs. En général, cependant, la discussion disperse la conscience et on peut y perdre beaucoup. Le seul inconvénient à ne pas parler est que l'on s'isole trop, si le silence est absolu, mais on n'a rien à perdre en s'abstenant de ce genre de discussion [sur l'actualité, etc.].
[Penser à ce qui s'est dit :] C'est une habitude du mental physique qui doit s'épuiser à la longue. Le mental doit être libre de couper court dès que la conversation est terminée.
La précipitation, en paroles et en actes (si elle est excessive, car elle existe chez tout le monde, à un degré plus ou moins grand) est une question de tempérament. Je ne crois pas que vous en soyez plus particulièrement affecté que bien d'autres ici. Évidemment il faut s'en débarrasser, mais c'est l'une des imperfections mineures sur lesquelles la Force yoguique doit agir, et non une imperfection majeure. Le mental extériorisant doit être discipliné pour qu'il ne se hâte pas trop de
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conclure ou ne saute pas précipitamment de la pensée à la parole et à l'action.
Ces discussions sont parfaitement inutiles, elles ne font que dévier le mental et ouvrir la porte aux mensonges.
La maîtrise psychique désirable, dans un pareil entourage et au cœur de la discussion, consisterait, entre autres choses :
1. À ne pas trop se laisser emporter par l'impulsion à parler, à ne rien dire sans avoir réfléchi, mais à toujours exercer une maîtrise consciente sur la parole, et à ne rien dire que ce qui est nécessaire et utile.
2. À éviter tout débat, toute controverse ou toute discussion trop animée, à dire simplement ce qui doit être dit et à s'en tenir là. On ne doit pas non plus s'entêter à prouver que l'on a raison et que les autres ont tort, mais ne dire que ce que l'on a à dire pour contribuer à l'examen de la vérité de la question.
3. À conserver dans ses paroles un ton et une expression très tranquilles, calmes et sans insistance ;
4. À ne pas s'émouvoir si les autres s'échauffent et se disputent, mais à rester soi-même calme et imperturbable, et à ne dire que ce qui peut contribuer à ramener le calme.
5. À ne pas se mêler des ragots et des critiques acerbes (particulièrement au sujet des sâdhak), s'il y en a, car cela n'est d'aucune utilité et a seulement pour effet de faire descendre la conscience de son niveau supérieur.
6. À éviter tout ce qui pourrait blesser ou peiner les autres.39
39. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.
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Les harangues et les exhortations ne touchent que la surface du mental. Si le mental est d'accord, il est content et stimulé, mais c'est tout. S'il n'est pas d'accord, il critique ou s'impatiente et pense à autre chose. Si la harangue est très énergique, elle peut parfois toucher le vital et produire un effet momentané.
Ce n'est pas de l'hypocrisie [prêcher aux autres ce que l'on n'est pas soi-même], mais un conflit entre deux parties de la nature. L'hypocrisie n'intervient que si l'on prêche une chose en laquelle on ne croit pas, ou si l'on feint délibérément d'être ou de vouloir être ce que l'on n'est pas et que l'on n'a nullement l'intention de devenir.
La dépression est entrée en vous par le subconscient, parce que vous aviez discuté avec X. Quand on discute ainsi avec les gens, on introduit quelque chose en eux, mais quelque chose d'eux entre aussi en vous. Ainsi, comme l'état de X laissait à désirer, même s'il n'était en rien comparable à ses états dépressifs d'autrefois, vous en avez tout naturellement attrapé quelque chose et dès que le subconscient a pu trouver un de ses prétextes habituels, il l'a transmis au mental. Vous devez toujours vous garder de ces échanges automatiques. Il suffit de faire un peu attention, et aussi d'éviter les discussions inutiles.
En parlant, on devrait toujours avoir une sorte de défense instinctive, sauf avec ceux qui n'ont pas les impulsions vitales ordinaires.
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C'est l'enveloppe nerveuse qui est faible ; c'est cela que vous avez vu. Le fait que vous vous sentez faible quand vous parlez avec les gens montre que l'origine du problème est une force nerveuse amoindrie. C'est elle que vous devez fortifier. Vous devez éviter de parler beaucoup avec les autres ; vous pouvez aussi vous reposer, quand vous ressentez fortement ces symptômes. Mais la foi, la tranquillité et l'ouverture à la force supérieure sont le remède fondamental.
Oui, évidemment, le pouvoir de dire "non" est indispensable dans la vie et plus encore dans la sâdhanâ. C'est le pouvoir de rejet exprimé en parole.
En toutes choses une maîtrise doit s'exercer sur la pensée et aussi sur la parole. Mais si la violence radjasique est exclue, une sévérité énergique et calme dans la pensée et la parole, là où la sévérité s'impose, est parfois indispensable.
L'habitude de critiquer - la plupart du temps, il s'agit d'une critique ignorante des autres - mêlée à toutes sortes d'imaginations, de déductions, d'exagérations, d'interprétations fausses, et même d'inventions grossières, est l'une des grandes maladies universelles. C'est une maladie du vital étayée par le mental physique qui se fait l'instrument du plaisir que l'on prend à cette activité stérile et pernicieuse du vital. Il est très nécessaire de maîtriser la parole, de refuser de se laisser contaminer par cette maladie et par cette démangeaison du vital, pour que l'expérience intérieure ait un effet véritablement transformateur sur la vie extérieure.
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Mieux vaut aussi veiller plus strictement à ne pas parler des autres et à ne pas les critiquer en restant dans une conscience ordinaire. C'est nécessaire pour cultiver une conscience et une vision plus profondes qui, dans le silence, comprennent les mouvements de la Nature, en soi-même et dans les autres, et ne sont ni émues, ni perturbées, ni intéressées superficiellement par un mouvement extérieur au point de s'y laisser absorber.
Les sâdhak de cet Ashram ne sont pas parfaits ; ils sont pleins de faiblesses et de mouvements faux. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir ; seulement il ne faut pas pour autant adopter une attitude critique ou réprobatrice à l'égard des personnes ; il faut considérer cette situation comme un jeu de forces qui doit être surmonté.
Cette maîtrise intérieure que vous sentez vous illuminer et vous guider, et la résolution qu'elle vous a inspirée de dire la vérité, montrent très clairement que l'être psychique est éveillé en vous.
Le défaut de caractère dont vous parlez est fréquent et presque universel dans la nature humaine. L'impulsion à dire quelque chose de faux, ou du moins à exagérer, minimiser ou déformer la vérité pour flatter sa propre vanité, ses préférences ou ses désirs, pour en tirer quelque avantage ou s'assurer de l'objet d'un désir est très générale. Mais on doit apprendre à ne dire que la vérité si l'on veut vraiment réussir à transformer la nature.
Le premier pas, si l'on veut transformer la nature, est de devenir conscient de ce qui doit être transformé. Mais on doit observer tout cela sans se décourager, sans penser : "C'est sans espoir", ou "Je ne peux pas changer". Vous avez raison d'avoir confiance que le changement se fera. Car dans
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la nature, rien n'est impossible si l'être psychique est éveillé et vous guide avec, à l'arrière-plan, la conscience de la Mère et sa force à l'œuvre en vous. C'est ce qui se passe en ce moment. Ayez la certitude que tout sera fait.
Inutile ou non, le mensonge doit être évité.
Si vous demandez à X de vous montrer l'original40, vous verrez que la Mère, en écrivant cette phrase, s'est placée du point de vue le plus élevé. Si vous voulez être un instrument de la Vérité, vous devez toujours dire la vérité et non mentir. Mais cela ne signifie pas que vous devez tout dire à tout le monde. Il est admissible de dissimuler la vérité par le silence ou par le refus de parler, lorsque la vérité risque d'être mal comprise ou mal utilisée par ceux qui ne sont pas prêts à la recevoir ou qui s'y opposent ; elle risque même d'être à l'origine d'une déformation ou d'un pur mensonge. Mais mentir, c'est une autre affaire. Même par plaisanterie on doit éviter le mensonge, car il tend à abaisser la conscience. Quant à votre dernière remarque, elle exprime aussi le point de vue le plus élevé : la vérité telle qu'on la connaît dans le mental ne suffit pas, car l'idée du mental peut être erronée ou incomplète ; il est nécessaire d'avoir la vraie connaissance dans la vraie conscience.
Pourquoi serait-ce un mensonge ? On n'est pas obligé de tout dire à tout le monde : cela risquerait souvent de faire plus de
40. "Si nous permettons à un mensonge, si petit soit-il, de s'exprimer par notre bouche ou notre plume, comment pouvons-nous espérer devenir les parfaits messagers de la Vérité ? Le parfait serviteur de la Vérité doit s'abstenir même de la plus petite inexactitude, exagération ou déformation." (La Mère, Quelques Paroles, Quelques Prières, 1939, p. 50)
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mal que de bien. On ne doit dire que ce qui est nécessaire. Évidemment, ce que l'on dit doit être vrai et non faux, et il ne doit jamais y avoir aucune intention de tromper.
La formule "comme on veut" ne mène jamais à la vérité, elle revient à mettre le vital et ses désirs au sommet de l'échelle des valeurs ou à suivre les préférences du mental, ce qui, même dans le cas d'une discipline mentale, est considéré comme contraire au principe même de la recherche de la Vérité.
En premier lieu, il y a une grande différence entre énoncer comme une vérité ce que l'on croit ou sait être faux, et énoncer comme une vérité ce que l'on croit, en toute conscience, être vrai, mais qui en fait ne l'est pas. Dans le premier cas, on va de toute évidence à rencontre de l'esprit de vérité ; dans le second on lui rend hommage. Le premier énoncé est un mensonge délibéré, le second n'est, au pire, qu'une erreur ou une ignorance.
Cela, c'est le point de vue pratique de renonciation de la vérité. Du point de vue de la Vérité supérieure, on ne doit pas oublier que chaque plan a sa propre norme : ce qui est vérité pour le mental peut n'être que vérité partielle pour une conscience plus élevée, mais c'est par la vérité partielle que le mental doit passer pour atteindre, au-delà d'elle, la vérité plus parfaite et plus vaste. Il suffit pour cela que le mental soit ouvert et plastique, qu'il soit prêt à reconnaître la vérité supérieure quand elle vient, à ne pas s'accrocher à la vérité inférieure parce que c'est la sienne, à ne pas laisser les désirs et les passions du vital le rendre aveugle à la Lumière, déformer les choses et les pervertir. Dès que la conscience supérieure commence à agir, la difficulté s'atténue et l'on progresse clairement de vérité en vérité supérieure.
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Il n'est pas exact que si quelqu'un dit la vérité (c'est-à-dire ne ment pas), tout ce qu'il dit doit arriver. Pour que ce soit possible, il doit connaître la Vérité, être en contact avec la vérité des choses, et pas seulement dire la vérité telle que son mental la connaît.
Il y a deux sortes de timidité : la première est égoïste et consiste à avoir honte d'exprimer la Vérité ou de montrer qu'on y est fidèle d'une manière qui serait incompréhensible pour les autres, la seconde est une certaine réserve, une répugnance à exposer ses sentiments profonds au regard des autres, un désir de préserver le caractère sacré et secret de ses relations d'amour avec le Divin ; c'est un sentiment psychique.
X
Je ne crois pas que le fait que X soit tombée malade ait un rapport quelconque avec sa transe ; jamais à ma connaissance, l'habitude d'entrer dans ce genre de transe n'a de telles conséquences ; seule l'interruption brutale d'une transe peut avoir un effet néfaste, sans toutefois forcément aboutir à une catastrophe. Mais si l'être conscient sort du corps dans une transe absolument complète, il est possible que le fil qui le relie au corps se brise ou soit rompu par une force adverse ; dans ce cas, il ne pourrait plus réintégrer le corps. Sans parler d'une éventualité aussi désastreuse, un choc pourrait se produire et entraîner un désordre temporaire ou même une sorte de lésion ; en règle générale, cependant, la seule conséquence serait un état de choc. Quant à généraliser, c'est une autre affaire. Selon une sorte de croyance traditionnelle très répandue, la pratique du yoga serait défavorable à la santé du corps, tendrait à avoir un effet néfaste d'un genre ou d'un autre et finirait même par entraîner un
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abandon prématuré ou rapide du corps. Il semble que Râmakrishna ait partagé ce point de vue, si nous pouvons en juger d'après ses remarques concernant le lien entre le progrès dans la spiritualité accompli par Keshav Sen et la maladie qui le minait, l'une étant, selon Râmakrishna, l'effet désirable de l'autre, une libération qui le délivrait de la vie en ce monde : la moukti. Peut-être est-ce vrai, peut-être pas ; mais j'ai peine à croire que la maladie et la détérioration du corps soient l'effet naturel et général de la pratique du yoga, ou que cette pratique entraîne inévitablement la perte de la santé ou une maladie qui se termine par l'abandon du corps. Sur quelles bases devons nous supposer, comment peut-il être prouvé que si les non-yogis tombent malades et meurent en raison des désordres de la Nature, les yogis meurent de leur yoga? À moins de pouvoir établir une corrélation directe entre leur mort et leur pratique du yoga - et la preuve ne pourrait être apportée de façon indubitable que dans certains cas particuliers, et même alors la certitude ne serait pas absolue - il n'y a aucune raison de croire à une telle différence. Il est plus rationnel de conclure que la maladie et la mort, chez les yogis comme chez les non-yogis, ont des causes naturelles et sont soumises au même décret de la Nature; puisque la Shakti du yoga est à leur disposition s'ils choisissent d'en faire usage, on pourrait même soutenir que le yogi tombe malade et meurt non à cause de son yoga, mais en dépit de son yoga. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que Râmakrishna (ou n'importe quel autre yogi) soit tombé malade à cause de ses transes ; rien ne prouve qu'il ait jamais souffert ainsi après une transe. Je crois qu'il a été dit quelque part - ou qu'il a dit lui-même - que le cancer de la gorge dont il est mort était dû au fait qu'il avalait les péchés de ses disciples et de ceux qui venaient à lui : là aussi, peut-être est-ce vrai, peut-être non; mais il s'agit là d'un cas bien particulier. Il est, sans aucun doute, possible de prendre sur soi les maladies des autres et même de le faire volontairement : le cas du roi grec Antigonos et de son fils Demetrios
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n'est un exemple historique célèbre ; les yogis aussi le font quelquefois ; ou ce sont des forces adverses qui projettent des maladies sur le yogi, en utilisant ceux qui l'entourent comme une porte ou un passage, ou en se servant des pensées mal intentionnées de certaines personnes comme d'une force déterminante. Mais toutes ces circonstances sont particulières et bien qu'elles soient en effet reliées au fait que Râmakrishna pratiquait le yoga, elles ne permettent pas d'ériger l'hypothèse générale en une règle absolue. Une tendance comme celle de X à désirer la mort, à lui faire bon accueil ou à l'accepter comme une délivrance pourrait, à cause de sa conscience spirituelle avancée, être douée d'une force qu'elle n'aurait pas chez des individus ordinaires. Mais on peut se servir de la conscience yoguique pour obtenir un résultat opposé : on peut expulser la maladie de son propre corps ou la guérir, on peut même guérir ou chasser des maladies chroniques ou enracinées et des anomalies de constitution constatées de longue date, et même retarder longtemps une mort prédestinée. Du temps où mon nom n'était pas encore connu en politique, un astrologue de Calcutta, Narayan Jyotishi, avant de savoir qui j'étais, avait prédit ma lutte contre des ennemis mlechchha et ensuite les trois procès intentés contre moi et mes trois acquittements ; il avait aussi prédit que bien que ma mort soit fixée par avance dans mon horoscope à l'âge de soixante-trois ans, je prolongerais ma vie par le pouvoir yoguique pendant une très longue période et parviendrais à un âge avancé. En fait je me suis débarrassé, par la pression du yoga, d'un certain nombre de maladies chroniques qui s'étaient établies dans mon corps. Mais aucun de ces exemples, qu'ils confirment ou infirment la théorie, ne peut être érigé en règle ; la tendance qu'a la raison humaine de faire un absolu de ce qu'ils ont de relatif ne se justifie nullement. Je puis dire en conclusion des transes de X qu'elles sont du genre savikalpa ordinaire qui ouvre à toutes sortes d'expériences, mais les grandes réalisations permanentes du yoga ne viennent généralement pas en transe, mais par une sâdhanâ
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persévérante dans l'état de veille. On peut en dire autant de l'élimination des attachements : on peut en éliminer certains par une expérience en état de transe, mais on doit plus souvent le faire par un effort persévérant de sâdhanâ dans l'état de veille.
Avant tout, cessez d'entretenir cette idée que votre corps est inapte : toutes les suggestions de ce genre sont des attaques subtiles dirigées contre votre volonté d'atteindre la siddhi, et elles sont particulièrement dangereuses lorsqu'elles s'appliquent au domaine physique. Cette idée a surgi chez plusieurs personnes qui font le yoga et la première chose à faire est de l'expulser avec armes et bagages. Elle peut être étayée par les faits et les apparences, mais justement pour devenir un yogi - ou d'ailleurs pour accomplir quoi que ce soit de grand ou d'inhabituel - la première condition est d'être supérieur aux faits et de refuser de croire aux apparences. Ayez la volonté de vous libérer de la maladie, si formidables, si multiformes ou si constantes que soient ses attaques, et repoussez toutes les suggestions contraires.
Il est évident que toutes les maladies ont pour origine l'imperfection du corps et de la nature physique. Le corps ne peut être immunisé que s'il est ouvert à la conscience supérieure, pour que celle-ci puisse descendre en lui. En attendant, ce qu'écrit X est le remède ; la force, s'il peut aussi l'appeler pour qu'elle pénètre en lui et expulse la maladie, est l'aide la plus puissante qui soit.
Le corps humain a toujours eu l'habitude d'accueillir toutes les forces qui choisissent de s'emparer de lui, et la maladie
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est le prix qu'il paie pour son inertie et son ignorance. Il doit apprendre à ne réagir qu'à la seule Force unique, mais il ne lui est pas facile d'apprendre à le faire.
Les attaques de maladies sont des attaques de la nature inférieure ou des forces adverses qui profitent d'une faiblesse, d'une ouverture ou d'une réponse dans la nature ; comme tout le reste, elles viennent du dehors et doivent être rejetées. Si on peut les sentir quand elles s'approchent et si on a la force et l'habitude de les rejeter avant qu'elles puissent entrer dans le corps, on peut rester exempt de toute maladie. Même si l'attaque semble venir du dedans, cela veut dire seulement qu'elle n'a pas été perçue avant son entrée dans le subconscient ; une fois qu'elle est dans le subconscient, la force qui l'a amenée la pousse tôt ou tard, et elle envahit l'organisme. Si vous la sentez juste après son entrée, c'est parce que, bien qu'elle soit venue directement et non à travers le subconscient, vous n'avez pas pu la détecter pendant qu'elle était encore dehors. Très souvent elle vient ainsi, de face (ou plus souvent de côté, tangentiellement) et force son passage à travers l'enveloppe vitale subtile qui est notre principale armure de défense ; mais on peut l'arrêter dans l'enveloppe même, avant qu'elle ne pénètre le corps matériel. Alors on peut éprouver quelque effet, par exemple un état fiévreux ou une tendance au rhume, mais il n'y a pas un envahissement complet de la maladie. Si on peut l'arrêter plus tôt, ou si l'enveloppe vitale résiste d'elle-même et reste forte, vigoureuse et intacte, alors il n'y a pas de maladie ; l'attaque ne produit pas d'effet physique et ne laisse aucune trace.41
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Toutes les maladies passent par l'enveloppe nerveuse (ou vitale-physique) du corps subtil avant d'entrer dans le physique. Si l'on est conscient du corps subtil ou si on a la conscience subtile, on peut arrêter une maladie en cours de route et l'empêcher d'entrer dans le corps physique. Mais elle peut venir inaperçue, ou pendant le sommeil, ou à travers le subconscient, ou par une brusque poussée quand on n'est pas sur ses gardes ; dans ce cas, il n'y a rien d'autre à faire qu'à lutter pour la déloger du terrain déjà gagné dans le corps. L'auto-défense par ces moyens intérieurs peut devenir si puissante que le corps acquiert pratiquement l'immunité, comme l'ont beaucoup de yogis. Cependant, ce "pratiquement" ne veut pas dire absolument. L'immunité absolue ne peut venir qu'avec la transformation supramentale. Car au-dessous du supramental, l'immunité est le résultat de l'action d'une Force parmi beaucoup d'autres forces, et elle peut être dérangée par une rupture de l'équilibre établi ; dans le supramental, l'immunité est une loi de la nature : dans un corps supramentalisé, l'immunité contre la maladie sera automatique, inhérente à sa nouvelle nature.
Il y a une différence entre la Force yoguique sur les plans inférieurs (mental et autres) et la Nature supramentale. Ce qui, dans la conscience mentale et corporelle, doit être acquis et gardé par la Force du yoga, est inhérent au supramental et y existe, non par acquisition mais par nature, absolument et indépendamment.42
C'est ainsi que les maladies essaient de se propager d'une personne à une autre ; elles attaquent l'être nerveux par une suggestion comme celle-ci, ou d'une autre manière, pour essayer d'y pénétrer. C'est souvent le cas, même si la maladie n'est pas contagieuse, mais cela se produit plus
42. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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facilement lorsqu'elle l'est. La suggestion ou le contact doit être rejeté aussitôt.
Il y a, autour du corps, une sorte de protection que nous appelons l'enveloppe nerveuse ; si elle conserve sa résistance et refuse de laisser entrer la force de maladie, on peut rester en bonne santé même au milieu d'une épidémie, peste ou autre ; si l'enveloppe est percée ou faible, la maladie peut pénétrer.
L'attaque que vous avez sentie n'était pas en réalité dirigée contre le corps physique, mais contre cette enveloppe nerveuse et contre le corps nerveux (prânakosha) dont elle est une extension ou un revêtement.
Les forces subtiles de maladie commencent par affaiblir l'enveloppe nerveuse - l'aura - ou la transpercer. Si elle résiste et reste intacte, mille millions de microbes ne pourront rien contre vous. L'enveloppe une fois percée, elles attaquent le mental subconscient dans le corps, parfois aussi le mental vital ou le mental proprement dit ; elles préparent la maladie par la peur ou la pensée de la maladie. Les médecins eux-mêmes disent qu'en Extrême-Orient, quatre-vingt dix pour cent des gens atteints de grippe ou de choléra tombent malades sous l'effet de la peur. Rien ne sape la résistance autant que la peur. Mais c'est pourtant le subconscient qui joue le rôle essentiel.
Si la Force qui s'oppose à la maladie est vigoureuse dans le corps, on peut se promener au milieu d'une épidémie de peste ou de choléra sans être jamais contaminé.
Les souffrances physiques sont dues aux attaques des forces de l'Ignorance. Mais si l'on sait s'y prendre, on peut en faire un moyen de purification. Il y a cependant d'autres moyens de purification plus efficaces et moins pénibles.
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Votre théorie de la maladie est une croyance plutôt périlleuse, car la maladie est une chose à éliminer, non à accepter ni à goûter. Il y a quelque chose dans l'être qui jouit de la maladie ; il est même possible de transformer les douleurs de la maladie, comme toute autre douleur, en une forme de plaisir ; car la douleur et le plaisir sont l'un et l'autre des dégradations d'un Ânanda originel et peuvent se réduire l'un à l'autre, ou se sublimer en leur principe originel d'Ânanda. Il est vrai aussi que l'on doit être capable de supporter la maladie avec calme, équanimité, endurance, et même, puisqu'elle est venue, de reconnaître que cela fait partie des expériences à traverser. Mais l'accepter et en jouir, c'est l'aider à durer, et il ne le faut pas ; car la maladie est une déformation de la nature physique, de même que la luxure, la colère, la jalousie, etc., sont des déformations de la nature vitale, et l'erreur, les préjugés, l'habitude du mensonge, sont des déformations de la nature mentale. Toutes ces choses doivent être éliminées, et le refus est la première condition de leur disparition, tandis que l'acceptation a un effet totalement contraire.43
C'était le mental qui n'en voulait pas; ce vital [le vital physique], lorsqu'il est livré à lui-même, souhaite souvent la maladie : il la trouve dramatique, pense qu'elle le rend intéressant pour son entourage, aime à s'abandonner au tamas, etc., etc.
Cette faiblesse constante du corps est aussi du tamas. Si vous rejetiez l'idée de faiblesse, la vigueur reviendrait. Mais. il y a toujours dans le vital physique quelque chose qui se complaît
43. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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à devenir de plus en plus faible et de plus en plus malade, afin de sentir le tragique de son cas et de s'en plaindre.
En parlant de volonté d'être malade, je voulais dire qu'il y a dans le corps quelque chose qui accepte la maladie et réagit de telle façon que cette acceptation produit son effet ; il doit donc y avoir sans cesse, dans les parties conscientes de l'être, une volonté contraire de se débarrasser de cette acceptation très physique.
Ce que je voulais dire, c'est que la conscience corporelle, par une habitude ancienne, accepte la force de maladie et subit les phénomènes qui l'accompagnent (par exemple, congestion des poumons par les mucosités, sensation d'étouffement, difficulté à respirer, etc.). Pour s'en débarrasser, on doit éveiller dans le corps lui-même une volonté et une conscience qui refusent de laisser ces symptômes s'imposer à lui. Mais il est difficile d'y parvenir et plus encore d'y parvenir complètement. On peut commencer par établir une séparation entre la conscience intérieure et le corps, par sentir que l'on n'est pas soi-même malade, mais que quelque chose se passe dans le corps qui affecte la conscience. Il devient alors possible d'observer séparément cette conscience corporelle, ce qu'elle sent, comment elle réagit aux symptômes, comment elle fonctionne. On peut ensuite agir sur elle pour transformer la conscience et les réactions du corps.
A mesure que la conscience corporelle s'ouvrira davantage à la Force (c'est toujours elle qui s'ouvre en dernier et qu'il est
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le plus difficile d'ouvrir complètement), ces accès fréquents de la maladie iront en diminuant et finiront par disparaître.
Tout malaise physique vient d'une inertie, d'une faiblesse, d'une résistance ou d'un mouvement à l'endroit qu'il affecte, mais tantôt il est plutôt physique que psychologique et tantôt c'est l'inverse. Les médicaments peuvent contrecarrer les effets physiques.
La maladie est le signe d'une imperfection ou d'une faiblesse, ou bien d'une ouverture à des contacts adverses dans la nature physique, et souvent aussi elle est liée à quelque obscurité ou quelque manque d'harmonie dans le vital inférieur, le mental physique ou ailleurs.
C'est très bien si l'on peut se débarrasser de la maladie uniquement par la foi et le pouvoir du yoga, ou par l'influx de la Force divine. Mais très souvent, ce n'est pas tout à fait possible parce que la nature n'est pas entièrement ouverte ou capable de répondre à la Force. Le mental peut avoir la foi et répondre, mais il se peut que le vital inférieur et le corps ne suivent pas ; ou bien, même si le mental et le vital sont prêts, il se peut que le corps ne réponde pas ou réponde seulement partiellement parce qu'il a l'habitude d'obéir aux forces qui produisent un certain genre de maladie, et l'habitude est une puissance très obstinée dans la partie matérielle de la nature. Dans ce cas, on peut avoir recours à des moyens physiques, non comme moyen principal mais comme une aide et un support matériel pour l'action de la Force. Pas de remèdes forts ni violents mais ceux qui font du bien sans déranger le corps.44
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Oui, si l'on a la foi et l'ouverture, les médicaments ne sont pas indispensables.
Le conseil de la Mère à X était plutôt une directive concernant son séjour à l'Ashram qu'une règle absolue pour l'avenir. Si un sâdhak peut faire descendre la Force pour qu'elle le guérisse sans qu'un traitement médical soit nécessaire, c'est toujours préférable, mais ce n'est pas toujours possible tant que la conscience tout entière, mentale, vitale, physique, jusqu'au subconscient le plus profond, n'est pas ouverte et éveillée. Il n'y a aucun mal à ce qu'un médecin qui est en même temps un sâdhak exerce son métier et utilise ses connaissances médicales ; mais il doit le faire en se reposant sur la Grâce divine et la Volonté divine ; s'il peut recevoir la véritable inspiration pour étayer son savoir, tant mieux. Aucun médecin ne peut guérir tous les malades. Vous devez faire de votre mieux pour obtenir les meilleurs résultats possibles.
Certainement, on peut agir du dedans sur une maladie et la guérir. Seulement ce n'est pas toujours facile car la Matière oppose une grande résistance : la résistance de l'inertie. Une persistance infatigable est nécessaire ; au début, on peut échouer complètement, ou les symptômes peuvent s'aggraver, mais graduellement la maîtrise du corps ou d'une maladie particulière devient plus forte.
Aussi, il est relativement facile de guérir une attaque fortuite de maladie par des moyens intérieurs ; mais immuniser le corps contre toute attaque future est plus difficile. Une maladie chronique est plus difficile à manier, plus récalcitrante à disparaître qu'un désordre accidentel du corps. Tant que la maîtrise du corps est imparfaite, toutes ces imperfections et ces difficultés, et bien d'autres, entravent l'usage de la force intérieure.
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Si par l'action intérieure vous réussissez à empêcher une aggravation, c'est déjà quelque chose ; vous devez alors, par abhyâsa, fortifier ce pouvoir jusqu'à ce qu'il devienne capable de guérir. Notez que tant que le pouvoir n'est pas entièrement là, il n'est pas nécessaire de rejeter complètement l'aide des moyens physiques.45
Vous devez vous séparer de la maladie et faire appel à la Force de la Mère pour qu'elle la guérisse, ou bien utiliser la force de votre volonté en ayant foi en son pouvoir de guérison, avec le soutien de la Force de la Mère derrière vous. Si vous ne pouvez utiliser ni l'une ni l'autre de ces méthodes, vous devez vous en remettre à l'action des médicaments.
Quand la maladie devient aiguë et chronique dans le corps, il est souvent nécessaire de recourir à un traitement physique qui est alors utilisé pour soutenir la Force. Le Dr X, lorsqu'il soigne un malade, ne se fie pas seulement aux médicaments, mais les utilise comme des instruments au service de la Force de la Mère.
Les médecines sont un pis-aller dont on doit se servir quand quelque chose dans la conscience ne répond pas ou ne répond que superficiellement à la Force. Très souvent, c'est une partie de la conscience matérielle qui n'est pas réceptive ; d'autres fois, c'est le subconscient qui barre le chemin, même quand tout le mental, le vital et le physique éveillés acceptent l'influence libératrice. Si le subconscient aussi répond, alors même un léger contact de la Force peut non
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seulement guérir une maladie particulière, mais aussi rendre cette forme ou ce genre de maladie pratiquement impossible à l'avenir.46
Pas nécessairement, mais si une forte résistance se tient derrière la maladie, ou si quelque chose se cache derrière elle, cela peut sortir sous sa pression. Cette règle n'est cependant pas invariable. Souvent l'effet de la Force est immédiat et sans réaction, ou il y a une oscillation, mais pas d'aggravation, pas d'augmentation.
Les suggestions qui créent la maladie ou la mauvaise santé dans l'être physique sont en général transmises par le subconscient, car la plus grande partie de l'être physique - sa partie la plus matérielle - est subconsciente, c'est-à-dire que cet être physique a une conscience obscure qui lui est propre, mais elle est si obscure et si repliée sur elle-même que le mental ignore ses mouvements et ce qui se passe en elle. Mais c'est tout de même une conscience et elle peut, tout comme le mental et le vital, recevoir des suggestions émanant des Forces de l'extérieur. Si ce n'était pas le cas, il serait impossible de l'ouvrir à la Force et la Force ne pourrait pas non plus la guérir ; car sans cette conscience en lui, l'être physique serait incapable de réagir. Beaucoup de gens en Europe et en Amérique reconnaissent ce fait et soignent leurs maladies en faisant au corps des suggestions mentales conscientes qui contrecarrent les suggestions obscures et secrètes de maladie dans le subconscient. En France, un médecin célèbre a guéri des milliers de malades en les faisant placer sur le corps, avec persévérance, des contre-suggestions de ce genre. Cela prouve que les causes de la
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maladie ne sont pas purement matérielles, mais que celle-ci est due à une désorganisation de cette conscience corporelle secrète.
Supporter le chagrin tranquillement et en silence aide en effet à se libérer de cette réaction, si l'on tranquillise le vital ; mais il faut en même temps offrir le chagrin à la Mère. Il ne suffit pas que la Mère sache par le contact intérieur ; il faut aussi placer le chagrin devant elle et le lui abandonner pour que la réaction disparaisse.
La morphine insensibilise localement ou autrement la conscience et l'empêche de réagir à la pression du subconscient ; elle interrompt ainsi la douleur ou l'endort. Et même cela, elle ne le fait pas toujours ; X a reçu des piqûres de morphine cinq fois de suite sans que cela soulage ses douleurs du foie. Qu'est devenu, dans son cas, le pouvoir du médicament sur son subconscient? La résistance était trop forte, comme la résistance du subconscient de Y à la Force.
L'action des médicaments est très analogue au système de suggestion par lequel Coué a guéri la plupart de ses malades, mais le moyen est physique au lieu d'être mental. La conscience corporelle réagit à la suggestion du médicament et l'on est temporairement guéri, ou elle ne réagit pas et il n'y a pas de guérison. Comment se fait-il que le même médicament, employé contre la même maladie, réussisse sur un malade et non sur un autre, ou réussisse sur un certain malade à un certain moment et ensuite échoue complètement? Pour guérir parfaitement d'une maladie au point qu'elle ne puisse plus revenir, il faut que le mental, le vital et la conscience corporelle soient débarrassés de la réaction psychologique à la Force qui apporte la maladie. Parfois cela se fait par une sorte d'ordre d'en haut (quand la conscience est prête, mais cela ne peut pas toujours se faire de cette façon). L'immunité complète à l'égard de toutes les maladies, à laquelle notre yoga s'efforce de parvenir, ne pourra
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venir que d'en haut, par une illumination totale et permanente de l'être inférieur, dont l'effet sera d'extirper les racines psychologiques de la mauvaise santé ; cela ne peut pas se faire autrement.
Pourquoi les gens font-il de tels pronostics ? On ne devrait jamais émettre des idées de ce genre, pas même mentalement ; elles peuvent agir comme des suggestions et faire plus de mal que les médicaments ne peuvent faire de bien.
Il ne faut pas faire de pronostics de ce genre à la légère, que ce soit en pensée ou en paroles, surtout lorsqu'il s'agit de la Mère ; dans d'autres cas, même s'il y a une possibilité ou une probabilité, celles-ci ne doivent pas être portées à la connaissance de la personne concernée, à moins qu'il ne soit nécessaire de l'en informer. La raison en est le rôle important joué par l'état de conscience et la suggestion dans la maladie.
L'impression d'être malade n'est d'abord qu'une suggestion : elle devient une réalité parce que votre conscience physique l'accepte. C'est comme une suggestion fausse dans le mental : si le mental l'accepte, il se voile, s'embrouille et doit lutter pour retrouver l'harmonie et la clarté. De même pour la conscience corporelle et la maladie. Vous ne devez pas accepter la suggestion, mais la rejeter avec votre mental physique et aider ainsi la conscience corporelle à la rejeter. Au besoin, faites une suggestion contraire : "Non, je me porterai bien, tout va bien et tout ira bien." Et dans tous les cas, faites appel à la Force de la Mère pour rejeter la suggestion et la maladie qu'elle apporte.
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Par suggestion je n'entends pas simplement des pensées ou des mots. Quand l'hypnotiseur dit : "Dormez", c'est une suggestion ; mais s'il ne dit rien et ne fait qu'imposer sa volonté silencieuse pour vous endormir ou agite ses mains devant votre visage, c'est aussi une suggestion.
Quand une force ou une vibration de maladie se projette sur vous, elle apporte au corps cette suggestion. Une onde contenant une certaine vibration entre dans le corps qui se rappelle : "Ah, c'est un rhume", ou sent les vibrations d'un rhume et se met à tousser, à éternuer ou à sentir des frissons ; la suggestion vient au mental sous la forme : "Je suis faible, je ne me sens pas bien, je suis en train de m'enrhumer."
Hostile, ici, signifie hostile au yoga. Une maladie qui survient de la manière ordinaire, sous l'effet de causes physiques - même si les forces adverses universelles en sont la cause première - est une maladie ordinaire. Une maladie apportée par les forces hostiles au yoga pour déséquilibrer l'organisme et empêcher ou troubler le progrès - sans aucune raison physique suffisante - est une attaque hostile. Elle peut revêtir l'apparence d'un rhume ou de n'importe quelle autre maladie, mais pour le regard qui voit l'action des forces et pas seulement les symptômes ou les résultats extérieurs, la différence est claire.
C'est la partie subconsciente de la conscience corporelle qui reçoit la suggestion de faiblesse; le plus souvent, par conséquent, le mental n'en est pas conscient. Si le corps lui-même était vraiment conscient, les suggestions pourraient être détectées à temps et rejetées avant de produire leurs effets. Le rejet par la conscience centrale serait soutenu en outre par un rejet conscient dans le corps et agirait plus rapidement.
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Une suggestion n'est pas une pensée ou un sentiment qui vous est propre, c'est une pensée ou un sentiment qui vient du dehors, des autres, de l'atmosphère générale ou de la Nature extérieure ; si on l'accepte, elle s'incruste et agit sur l'être, et on la prend pour sa propre pensée ou son propre sentiment. Si on la reconnaît pour ce qu'elle est, il est plus facile de s'en débarrasser. Ce sentiment de doute, ce manque de confiance en soi, cette impression que tout est perdu se promène dans l'atmosphère, essaie d'entrer dans les sâdhak et de se faire admettre ; je veux que vous le rejetiez, car sa présence non seulement vous dérange et vous fait souffrir, mais vous empêche aussi de recouvrer la santé et de revenir à l'activité intérieure de la sâdhanâ.
Quant au traitement médical, c'est parfois une nécessité. Si l'on peut se guérir par la Force, comme vous l'avez souvent fait, c'est ce qu'il y a de mieux ; mais si, pour une raison quelconque, le corps n'est pas capable de répondre à la Force (par exemple par doute, lassitude ou découragement, ou par une incapacité à réagir contre la maladie), il faut alors se faire aider par un traitement médical. Non que la Force cesse d'agir et laisse tout faire aux médicaments : elle continuera à agir par l'intermédiaire de la conscience, mais prendra appui sur le traitement pour agir directement sur la résistance du corps qui, dans sa conscience ordinaire, répond plus volontiers aux moyens physiques.
C'est la force hostile qui vient par vagues pour essayer de toucher quelqu'un. Quand vous vous sentez ainsi attaqué, vous devez comprendre que l'attaque vous vient du dehors et touche en vous un point faible, et vous devez rester aussi tranquille que possible, la rejeter et vous ouvrir. À en juger d'après ce que vous m'avez écrit, l'attaque a perturbé la conscience physique et physico-vitale et l'a incitée à la révolte, sans s'emparer de la totalité de la conscience. Si vous pouvez limiter ainsi son action quand elle intervient, garder
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un mental et un cœur tranquilles et la rejeter, il vous sera plus facile de l'expulser. Il faut appeler la paix et la force pour qu'elles descendent dans cette partie physico-vitale (nerveuse) et dans tout le corps, jusqu'à ce que vous sentiez l'atmosphère et la force vous imprégner et demeurer en vous, dans tout le corps et pas seulement au-dessus et autour de vous. Si une difficulté subsiste, c'est que l'être nerveux garde l'habitude de réagir et qu'il y a en lui une certaine faiblesse ; mais persévérez, ne consentez pas à vous laisser envahir par les forces du passé. L'habitude se relâchera et disparaîtra, et la vraie Force emplira le corps et chassera la faiblesse.
C'est le physique vital non régénéré qui revient ainsi vers vous et ces résurgences sont certainement la cause de toutes ces impressions de maladie, de faiblesse et de tamas que vous ressentez. Il est indispensable, pour votre sâdhanâ, que cette partie de l'être soit purifiée par une descente de la conscience supérieure.
Le physico-vital non régénéré peut se retirer en deux endroits : dans le vital subconscient en bas, ou dans la conscience environnante autour de vous. Quand il revient, dans le premier cas il surgit d'en bas, dans le deuxième il s'approche de vous et vous envahit du dehors.
Il n'y a aucun mystère. Ces forces ont longtemps été violentes et obstinées en vous et vous vous y abandonniez ; par là elles ont acquis un grand pouvoir de revenir, même après que vous avez commencé à les rejeter, d'abord parce que vous y êtes habitué, ensuite parce qu'elles croient avoir
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acquis un droit sur vous, et en troisième lieu parce que votre habitude de les accepter, d'y réagir passivement ou de les tolérer reste gravée dans la conscience physique. Cette conscience physique n'est pas encore libérée, elle n'a pas commencé à réagir aussi positivement que le vital à la conscience supérieure et ne peut par conséquent résister à leur invasion. Ces forces, lorsqu'elles sont rejetées, se retirent donc dans la conscience environnante, y restent cachées et profitent de la moindre occasion pour s'attaquer aux centres qui ont l'habitude de les recevoir (le centre mental extérieur et le centre émotif extérieur) et les pénètrent. C'est ce qui arrive à la plupart des sâdhak. Deux choses sont nécessaires : (1) ouvrir complètement le physique aux forces supérieures ; (2) arriver à un point où même si les forces attaquent, elles ne peuvent tout envahir, l'être intérieur demeurant calme et libre. Alors même si une difficulté subsiste en surface, ces attaques ne seront plus irrésistibles.
Toutes ces suggestions qui vous sont venues faisaient évidemment partie de l'attaque lancée contre la conscience physique ; l'attaque contre le corps fait naître ces idées, et ces idées font qu'il est plus difficile au corps de guérir. À un certain stade, les attaques s'abattent lourdement sur le corps parce que les forces contraires ont plus de mal qu'auparavant à déséquilibrer directement le mental et le vital ; elles attaquent donc le physique dans l'espoir qu'ainsi le tour sera joué, le physique étant plus vulnérable. Mais le fait que le corps soit sensible aux attaques ne prouve pas son incapacité - pas plus que la sensibilité plus subtile du mental et du vital aux attaques n'impliquait une incapacité - celle-ci peut, à la longue, être surmontée. Quant aux sentiments concernant la Mère et à l'idée qu'elle ne donne son amour qu'en échange d'un travail ou à ceux qui font bien la sâdhanâ, c'est l'idée habituelle du mental physico-vital; elle est absurde et ne vaut rien.
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Il n'y a aucun mal à prendre soin de la santé du corps et quand le foie est déréglé, l'instinct qui porte à refuser les aliments trop sucrés, trop gras ou trop lourds est un instinct juste. La Mère n'a pas d'objection à ce que vous restiez à la diète tant que durera la maladie ; elle n'a pas non plus insisté pour que vous mangiez du dal. Elle s'élevait simplement contre l'attitude de beaucoup de gens qui se font des idées sur cet aliment-ci ou celui-là et s'en abstiennent, même en l'absence d'une maladie aiguë. Durant une crise de foie, la diète est souvent nécessaire. Seulement il ne faut pas qu'une idée fausse suscite une incapacité nerveuse de l'estomac ou une dyspepsie nerveuse chronique. La Mère ne voulait rien dire de plus.
J'espère que vous serez bientôt rétabli. Si le corps ne se remet pas de lui-même, tenez-moi au courant.
Il semble que la difficulté physique qui pèse sur vous comporte deux éléments. Le premier est la maladie de foie qui vous affaiblit ; elle vous affaiblira plus encore si elle vous pousse à réduire votre ration alimentaire en deçà de la quantité dont le corps a besoin pour avoir la force de réagir. Cette réduction pourrait aussi engendrer une tendance nerveuse à l'insomnie, avec toutes ses conséquences. Le deuxième élément est une inertie de la conscience physique et vitale inférieure qui l'empêche de rejeter la lassitude, de réagir contre les attaques et de s'ouvrir progressivement à la Force qui les éliminerait. Tout cela est dû à une rupture de l'équilibre que vous avez si longtemps conservé, au trouble vital qui a engendré cette rupture et à la réaction du vital inférieur devant votre insistance à rejeter les causes de ce trouble. Il semble que le vital inférieur, constatant qu'il perdait les choses auxquelles il tenait encore, ait réagi par l'agitation ; une réaction de ce genre entraîne toujours l'inertie de la conscience physique, alors que la réaction juste, dans le vital inférieur, apporte au contraire un sentiment de
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paix, de libération, de tranquillité qui ouvre définitivement les parties physiques inférieures à la conscience et à la force supérieures. Si vous pouvez surmonter cette crise et retrouver l'équilibre antérieur, tout cela pourra être amené à disparaître.
Il faut certes prendre soin du corps, c'est-à-dire veiller à ce qui est nécessaire pour le maintenir en forme : repos, sommeil, nourriture convenable, exercice en quantité suffisante ; ce qui est mauvais, c'est de trop s'en préoccuper : anxiété, découragement lorsqu'on est malade, etc., car cela tend seulement à prolonger la mauvaise santé ou la faiblesse. Pour les crises de foie, etc., on peut toujours suivre un traitement si c'est nécessaire.
Mais les vrais moyens de guérison sont toujours le juste équilibre intérieur, la tranquillité intérieure et extérieure, la foi, l'ouverture de la conscience corporelle à la Mère et à sa Force ; les autres moyens ne peuvent être que des soutiens accessoires.
La cause de tous les ennuis de X est la volonté d'affirmer son ego, les idées, les revendications, les désirs, les intentions de son ego, et son agressivité à les exprimer qui le conduit à se disputer avec tout le monde. Cette manie l'ouvre à toutes sortes de forces du plan vital et à leurs attaques. C'est pour cela aussi que son foie et ses organes digestifs se sont détériorés, car l'agressivité et la colère finissent toujours par abîmer le foie et par répercussion l'estomac et les intestins. Comme son agressivité est colossale, la détérioration de son foie et de sa digestion est, elle aussi, considérable. Il doit se débarrasser de son égoïsme, de sa hargne et des mauvais sentiments qu'il nourrit à l'égard des autres s'il veut recouvrer la santé et sa sâdhanâ.
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Si vous ne vous sentez plus déprimé quand le corps subit une attaque, c'est un grand progrès.
Il ressort évidemment de votre description que la douleur est d'origine nerveuse et si vous vous ouvrez sur les plans les plus physiques de l'être, l'action de la Force pourra toujours l'éliminer, ou bien vous deviendrez capable d'utiliser vous-même la Force pour la repousser» Il s'agit de donner à la conscience corporelle l'habitude de s'ouvrir.
La conscience ou l'inconscience - vous l'avez vu à l'occasion de votre étude du français - dépend de votre état. Vous n'êtes pas inconscient, mais l'être physique a tendance à entrer dans un état tamasique (un état d'inertie) ; il devient alors soit inactif, soit obscur, stupide et inconscient ; quand le tamas s'éloigne, son état s'éclaircit et ce qui était auparavant difficile devient naturel et facile. Toute la question est de faire perdre au physique cette habitude de retomber dans le tamas ou inertie, et vous pouvez le faire en l'ouvrant et en l'accoutumant à l'action de la Force. Quand l'action de la Force deviendra constante, le tamas disparaîtra.
C'est une dépression du vital (ou d'une partie du vital, pas du vital tout entier) et non quelque chose de physique, qui empêche le corps de retrouver sa souplesse. Une certaine partie du vital résistait à une transformation radicale et essayait même, à l'insu de votre mental, de se perpétuer sous couvert du changement qui s'opérait dans le reste de l'être. L'incident récent a porté un coup à cette partie du vital qui est tombée dans la dépression, et quand le vital est ainsi déprimé, le corps en subit les conséquences. Vous dites, à juste titre, que cela fait partie d'une transformation ou d'un tournant qui est en train de se produire. Mais l'inertie et la faiblesse qui en découlent ne devraient pas se prolonger ; dès que la partie vitale consentira de bon cœur à ce tournant ou à cette transformation, la souplesse et l'énergie reviendront.
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Les douleurs dans le corps ont la même origine que l'agitation dans la nature vitale ; les unes comme l'autre proviennent des attaques de la même force extérieure qui veut vous égarer ou, quand elle ne peut y réussir, vous agiter et vous troubler. Lorsque vous serez capable de vous débarrasser de cette invasion vitale et de l'empêcher de revenir, il vous sera plus facile de vous débarrasser aussi des ennuis de santé d'origine nerveuse (physico-vitale) ; bien que les symptômes semblent dénoter une maladie physique, la douleur provient généralement d'une attaque sur la partie nerveuse qu'elle affaiblit temporairement.
Restez toujours calme et persistez à vous ouvrir. La Force qui vous délivre de cette agitation vitale peut éliminer aussi la perturbation dans la partie nerveuse et le corps physique.
C'est ce que font les douleurs, en premier lieu ; quand on les chasse d'un endroit, elles se réfugient ailleurs. Cela vaut mieux que si elles se fixaient quelque part.
Ces maladies ne sont contenues ni dans le vital, ni dans le corps : elles sont créées par une force venant de l'extérieur, et l'être nerveux (vital physique) et le corps les accueillent par habitude ou par incapacité à les rejeter. Il vaut toujours mieux s'abstenir de dire : "Je ne serai plus malade" ; cela attire l'attention de ces pouvoirs malveillants et ils veulent aussitôt prouver qu'ils sont encore capables de déranger le corps. Quand ils viennent, contentez-vous de les rejeter.
C'est en attaquant votre conscience physique que les anciennes forces vous font retomber dans cet état indésirable.
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Vous aviez autrefois le pouvoir de vous retirer du mouvement vital et de le circonscrire, alors que le reste de votre conscience observait sans être réduit à l'impuissance ; vous devez de même apprendre à vous détacher de la douleur ou du malaise physique et à le circonscrire. Si vous y arrivez, et si vous le faites complètement, l'élimination de la douleur ou du malaise sera plus facile et plus tranquille, et vous ne serez pas ainsi accablé par cette sensation de faiblesse. Vous pouvez constater que la Force a le pouvoir de faire disparaître les douleurs ; mais vos nerfs se laissent dominer et il lui est par conséquent difficile d'avoir une efficacité constante. Ce qui avait été fait à cette époque dans le vital doit être fait aussi dans le physique. C'est la seule façon de se libérer de ces attaques.
Vous devez arriver à séparer complètement votre conscience des sensations du corps et de son acceptation de la maladie, et agir sur le corps en vous tenant dans cette conscience séparée. C'est le seul moyen de vous débarrasser de ces sensations ou du moins de les neutraliser.
Si la conscience est séparée, elle ne devrait pas souffrir de ces douleurs. Même si le corps souffre, la conscience ne doit pas sentir la douleur, ni se laisser dominer par elle.
La cause de la douleur est que la conscience physique dans l'Ignorance est trop limitée pour supporter les contacts qu'elle subit. Sinon, pour la conscience cosmique dans son état de complète connaissance et de pleine expérience, tous les contacts sont ressentis comme Ânanda.
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pour supporter la chaleur et le froid extrêmes, il faut d'abord avoir la paix dans les cellules, et ensuite une force consolidée. La douleur et l'inconfort viennent d'une conscience physique qui n'est pas assez énergique pour déterminer ses propres réactions.
C'est le corps, naturellement [qui ressent la douleur physique], mais il la transmet au vital et au mental. Dans la conscience ordinaire, le vital se trouble, se désole et voit ses forces diminuer, le mental s'identifie à la douleur et en est bouleversé. Le mental doit rester impassible, le vital ne doit pas être affecté, et le corps doit apprendre à supporter la douleur dans l'égalité pour que la Force supérieure puisse agir.
Le Moi n'est jamais affecté par la souffrance, quelle qu'elle soit. Le psychique l'accepte avec calme et l'offre au Divin pour qu'il fasse le nécessaire.
C'est en se détachant de la douleur jusque dans le mental physique que l'on peut continuer à agir comme st de rien n'était, mais ce détachement du mental physique n'est pas si facile à acquérir.
Votre principale difficulté, semble-t-il, est que vous laissez trop facilement vos nerfs prendre le dessus ; c'est seulement en apportant la tranquillité et le calme dans l'être tout entier que vous serez assuré d'un progrès régulier dans la sâdhanâ. La première chose à faire, pour vous rétablir, est de
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cesser de céder à vos nerfs ; plus vous y cédez, plus vous vous identifiez à ces idées et à ces sentiments et plus ils augmentent. Vous devez prendre du recul et retrouver en vous-même quelque chose qui n'est pas affecté par les douleurs et les dépressions; de là, vous pourrez vous débarrasser des douleurs et des dépressions.
Si vous écoutez ce que disent les autres et que vous agissez conformément à leurs idées, comment pourrez-vous garder l'attitude juste qui seule peut vous soutenir dans votre travail ? C'est pour la Mère que vous devez travailler, pour la trouver en vous-même par le travail, et non pour vous protéger des critiques des autres.
Je suis heureux de savoir que cette perturbation a été expulsée hier soir ; maintenant il faut veiller à ce que le corps reste réceptif, pour qu'elle ne puisse plus revenir ou soit aussitôt expulsée si elle tente de le faire. Vous devez essayer de conserver sans cesse la tranquillité, de ne pas laisser des pensées ou des sentiments dépressifs ou troublants pénétrer en vous ou s'emparer de votre mental ou de vos paroles ; lorsqu'on a acquis la tranquillité et l'élargissement intérieurs, il n'y a pas de raison de les perdre et de laisser entrer ces éléments perturbateurs. Et si le mental reste tranquille et réceptif aux seules forces supérieures, il n'a aucun mal à communiquer cette quiétude et cette réceptivité à la conscience corporelle et même aux cellules matérielles du corps.
La maladie, quelle qu'elle soit, ne doit pas avoir le pouvoir d'arrêter la sâdhanâ. La conscience yoguique et ses activités doivent demeurer, que l'on soit malade ou en bonne santé.
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Cesser le travail pour cause de rhumatisme est inutile (sauf si ce rhumatisme est de nature à vous rendre inapte au travail) ; cela ne fait qu'empirer les choses.
C'est parce que vous aviez ouvert votre conscience que la douleur a disparu. Si elle est revenue pendant que vous dormiez, c'est sans doute parce que vous avez perdu le contact et que vous êtes retombé dans la conscience ordinaire. Cela arrive souvent.
Oui. Si l'on ne dort pas assez, l'organisme physique s'ouvre davantage à ces attaques [de la maladie]. S'il est maintenu en bonne forme, en général il les repousse automatiquement et on ne s'aperçoit même pas qu'il y a eu une attaque.
J'ai dit que si le corps est en forme, il repousse automatiquement toute attaque d'une maladie qui est dans l'air, sans que le mental ait même besoin de s'apercevoir qu'une attaque a eu lieu. Si l'attaque est repoussée automatiquement, à quoi bon s'en occuper?
C'est une pression hostile qui crée une habitude dans le corps, ce qui provoque des crises à heure fixe. Cette habitude tend fortement à faire durer la maladie, car la conscience corporelle s'attend à la crise, et cette attente favorise son retour.
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C'est surtout cette attente dans le mental qui contribue à maintenir le rythme de l'attaque. Si vous pouviez vous en débarrasser, le rythme aussi pourrait être rompu.
Je ne crois pas que le bégaiement soit lié à une insuffisance respiratoire ; il n'a pas non plus pour cause une malformation des organes vocaux ; il est le plus souvent d'origine nerveuse (physico-nerveuse) et peut parfaitement se guérir. Je ne connais pas vraiment de méthode particulière ; on a utilisé différentes méthodes pour le vaincre, mais toutes exigeaient d'être soutenues par la volonté et de patients exercices d'élocution.
Vous devez surveiller votre vue. Il n'est pas bon de lire trop longtemps le soir. Cet homme qui soigne par la lumière solaire donne deux conseils que j'ai trouvé assez fondés. D'abord il faut cligner des yeux souvent en regardant ou en lisant et éviter de regarder fixement. Ensuite il indique un exercice très utile pour reposer les yeux, qui consiste à faire l'obscurité en croisant les doigts et en maintenant les paumes des mains sur les yeux fermés (sans appuyer).
Ce que vous décrivez arrive très souvent quand on a un rhume de cerveau, puisqu'on général la pensée mentale se transmet par les cellules du cerveau. Quand le mental est moins dépendant des cellules cérébrales, l'obscurcissement causé par le rhume n'empêche pas la vision et la pensée d'être claires et on ne retombe pas dans le mental mécanique.
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I a fièvre est évidemment, le plus souvent, une lutte du corps pour éliminer les impuretés qui y ont pénétré, mais parfois le remède est aussi mauvais, sinon pire, que le mal. Il en est de même des difficultés : une maladie a souvent pour effet de rejeter certaines impuretés, mais elle peut aussi faire plus de mal que de bien.
[Après une grippe :] La première chose à faire est de conserver en tout temps une égalité parfaite et de ne laisser entrer en vous aucune pensée agitée qui vous inquiète ou vous déprime. Après une forte grippe de ce genre, il est tout naturel que vous vous sentiez faible et que votre convalescence ait des hauts et des bas. Vous devez rester calme et confiant et ne pas vous inquiéter ni vous agiter ; soyez parfaitement tranquille et prêt à vous reposer aussi longtemps que ce sera nécessaire. Vous n'avez aucune raison de vous inquiéter ; reposez-vous, la santé et la force reviendront.
La sciatique n'est pas seulement nerveuse, elle agit aussi sur les mouvements musculaires par l'intermédiaire des nerfs. Il est cependant possible de s'en débarrasser immédiatement, si l'on peut diriger la Force sur le point douloureux.
Il n'y a pas de remède extérieur. La sciatique ne cède qu'à une force intérieure concentrée, ou bien elle s'en va d'elle-même et revient d'elle-même. Les remèdes extérieurs n'apportent au mieux qu'un soulagement passager.
L inertie vient de ce que votre être extérieur a toujours été en proie à une grande force de tamas, et c'est d'elle que se
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sert la résistance. De plus, la volonté du mental extérieur a toujours manqué de fermeté, ce qui fait que la Force a plus de mal à descendre que la Connaissance. Quand vous êtes entièrement ouvert, la Force peut agir sur la sciatique qui diminue ou disparaît, mais quand la conscience est bloquée par l'inertie, ces difficultés s'y opposent.
Nous avons toujours remarqué que la sciatique ne peut résister à la force appliquée tranquillement et avec persistance. D'autres maladies peuvent résister, mais pas la sciatique, car elle est entièrement tamasique. Vous n'arrivez sans doute pas encore à appliquer la force, c'est pourquoi vous avez l'impression d'une lutte et non d'une domination tranquille ; d'où l'agitation, etc.
Si vous ne pouvez pas vous débarrasser de la sciatique par des moyens intérieurs, le remède médical (non pour la guérir, mais pour espacer le plus possible les crises) est de ne pas vous fatiguer. La sciatique vient périodiquement et peut parfois durer des semaines, puis tout à coup s'en va. Si vous restez tranquille physiquement et que vous n'êtes pas trop actif, il se peut qu'elle vous épargne pendant de longues périodes. Mais évidemment, cela signifie que vous devrez mener une vie inactive, que vous serez incapable de rien faire physiquement. C'est ce que je voulais dire par éterniser la sciatique... et aussi l'inertie.
La tuberculose résulte d'une forte dépression vitale et psychique. Le sexe ne peut en être une cause directe, bien qu'il puisse y contribuer en provoquant un effondrement des forces vitales et un retrait des forces psychiques qui soutiennent l'être, et engendrer ainsi la tuberculose. Le manque de vitalité que favorise la civilisation moderne est par conséquent un facteur secondaire très puissant. L'homme
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moderne n'a pas le solide système nerveux de ses ancêtres, ni leur joie de vivre naturelle (qui chez lui est devenue artificielle et morbide). En ce qui concerne les soldats, je ne sais pas ; l'horrible guerre des tranchées et les circonstances effroyables dans lesquelles elle s'est déroulée ont été, j'imagine, bien plus difficiles à supporter que les marches et les batailles au grand air de l'époque napoléonienne.
D'après tous les rapports, les décès prématurés sont beaucoup moins nombreux en Europe et la vie y est en général plus longue. Mais certaines maladies ont beaucoup augmenté malgré les progrès de l'hygiène : grippe, tuberculose et maladies vénériennes. On voit aussi apparaître de nouvelles maladies qui n'existaient guère autrefois. Il semble évident que ce soit l'œuvre des Êtres hostiles.
On peut, bien sûr, guérir du cancer par le yoga, à condition d'avoir la foi, ou l'ouverture, ou les deux. Même une suggestion mentale peut guérir le cancer, avec de la chance, bien sûr ; c'est ce qui a été démontré dans le cas de cette femme qui avait été opérée sans succès d'un cancer ; les médecins lui avaient menti et lui avaient dit que l'opération avait réussi. Résultat : les symptômes du cancer ont tous disparu et elle est morte de longues années plus tard d'une tout autre maladie.
La médecine n'est pas précisément une science. C'est un mélange de théorie, de tâtonnement expérimental et de chance.
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(La médecine allopathique] est, en théorie, imposante, mais quand on passe à l'application, elle comporte trop de tâtonnements et de conjectures pour que l'on puisse la ranger parmi les sciences exactes. Bien des hommes de science (et d'autres) grognent quand ils entendent dire que la médecine est une science. L'anatomie et la physiologie sont, bien entendu, des sciences.
Les piqûres sont très à la mode ; à tout propos c'est "piquez, piquez, piquez encore". La médecine a connu trois étapes dans les temps modernes : d'abord (au début, du temps de Molière), c'était : "saignées et lavements", puis : "médicaments et régimes", et maintenant : "sérum et piqûres". Le Ciel soit loué ! non pour les maladies, mais pour les médecins. Chacune de ces formules cache cependant une vérité partielle, avec ses avantages et ses inconvénients. De même que toutes les religions et toutes les philosophies sont tournées vers le Suprême, mais chacune dans une direction différente, de même toutes les vogues médicales sont autant de chemins vers la santé, bien qu'elles ne l'atteignent pas toujours.
Vous pouvez dire ce que vous voulez sur les théories homéopathiques, j'ai vu X les appliquer point par point à des cas où il avait toute sa liberté d'action, la confiance de ses patients, et leur stricte obéissance ; j'ai vu les résultats correspondre exactement à ce qu'il disait, et ses prédictions - basées sur ces théories - se réaliser non seulement à la lettre, mais exactement dans le temps prévu, et cela non pas selon ses propres rapports, mais selon les longs rapports détaillés et précis du médecin allopathe qui l'assistait. Après cela, je refuse de croire, même si tous les allopathes se mettent à brailler en chœur, que la théorie homéopathique ou l'interprétation et l'application qu'en fait X ne sont que
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sottises et absurdités. Quant aux erreurs, tous les médecins en font, et même de graves erreurs, et ils tuent autant qu'ils guérissent... Une théorie, qu'elle soit bonne ou mauvaise, en vaut une autre, selon l'application qui en est faite dans chaque cas particulier. Mais c'est quelque chose à l'arrière-plan qui décide du résultat.
J'ai jeté ces quelques commentaires sur le papier pour éteindre l'incendie allumé par votre ardeur allopathique. Mais toutes ces furieuses disputes me semblent maintenant de peu d'utilité. J'ai vu les deux systèmes [allopathie et homéopathie] à l'œuvre, et d'autres aussi, et je ne puis croire qu'aucun d'entre eux détienne à lui seul la vérité. Ceux qui sont en totale contradiction avec l'opinion orthodoxe, et sont à ses yeux les plus condamnables, ont leur vérité et leur part de réussite ; il arrive aussi que les deux systèmes - orthodoxe et hétérodoxe - mènent à l'échec. Une théorie n'est que la transcription schématique d'une série de processus que suit ou peut suivre la Nature, processus imparfaitement observés par l'homme ; une autre théorie transcrit un schéma différent, représentant d'autres processus que la Nature suit ou peut suivre également. Allopathie, homéopathie, naturopathie, ostéopathie, Kavirâjî, Hakîmî, toutes se sont emparées de la Nature et l'ont soumise à certaines méthodes ; chacune remporte des succès et subit des échecs. Que chacune fasse son travail à sa manière. Je ne vois pas pourquoi elles devraient se battre et s'accuser mutuellement. Pour moi, toutes ces méthodes ne sont que des moyens extérieurs et ce sont en réalité des forces invisibles qui œuvrent derrière elles ; le moyen extérieur marche ou ne marche pas selon qu'elles agissent ou non ; si l'on peut faire du procédé un bon moyen de canaliser la force appropriée, alors il prend tout son dynamisme, voilà tout.
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Il ne suffit pas qu'un médicament soit spécifique. Certains médicaments ont ou peuvent avoir des effets secondaires que le médecin peut négliger s'il ne cherche qu'à guérir une certaine maladie, mais qui ne peuvent être ignorés dans une vue d'ensemble de l'organisme et de ses réactions. L'opinion médicale elle-même admet qu'il existe des réactions indésirables à la quinine et en Europe, les médecins lui cherchent depuis longtemps un produit de remplacement.
Le traitement des tumeurs, de la syphilis, etc. est une spécialité, mais au cours de mon expérience psycho-physique je me suis aperçu que la plupart des désordres physiques ont un lien entre eux, comme s'ils constituaient des familles, mais il y a aussi un lien entre les familles. Si l'on peut les attaquer à leur racine psycho-physique, on peut les guérir même sans connaître la situation pathologique dans son ensemble, en se servant des symptômes comme d'une indication possible. Certains médicaments inventés par des demi-mystiques ont ce pouvoir. Je me demande maintenant si l'homéopathie a une base psycho-physique. Son fondateur était-il un demi-mystique? Sinon, certaines particularités dans la manière d'agir des médicaments de X seraient pour moi incompréhensibles.
Vous retardez considérablement. Ne savez-vous pas que de nombreux médecins admettent maintenant, par écrit et en public, que les médicaments ne sont qu'un élément de guérison et que le facteur psychologique compte tout autant et même plus ? J'ai souvent entendu des médecins le dire, et je l'ai lu sous des signatures médicales de grand renom. Et parmi les facteurs psychologiques, l'un des plus importants, disent-ils, est l'optimisme du médecin et sa confiance en lui-même (sa foi, n'est-ce pas ? ce n'est qu'un autre terme pour
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désigner la même chose) et la confiance, l'espoir, l'atmosphère mentale salutaire qu'il peut inspirer au patient ou à son entourage. J'ai entendu affirmer catégoriquement que le médecin qui peut inspirer cette confiance est beaucoup plus efficace que celui qui ne le peut pas, même s'il connaît mieux la médecine [...] Je ne voulais pas dire que la guérison ne pouvait pas être obtenue sans médicaments, mais si elle doit l'être avec leur aide, le bon médicament y contribuera tandis que le mauvais risque évidemment d'être dangereux.... Comment cette connaissance empêcherait-elle l'intuition de s'exercer ? Même un médecin allopathe doit souvent se fier à son intuition pour déterminer quel médicament ou quelle préparation pharmaceutique il doit administrer à son patient, et ceux dont l'intuition est la plus sûre réussissent le mieux. Dans tout cela rien ne se fait selon une règle unique, un livre ou une méthode empirique uniques, même dans la Science orthodoxe.
Quelle absurdité ! La confiance en soi est innée ; elle ne repose pas sur la connaissance et l'expérience... Qui a dit cela ? Jamais je n'ai entendu dire que Napoléon ait échoué à Waterloo par manque de confiance en lui-même. D'après tout ce que j'ai lu, il a échoué parce qu'en raison de sa récente maladie, il n'avait plus la même rapidité et la même sûreté de décision, et ses ressources mentales n'étaient plus aussi déliées qu'auparavant. Je vous prie de ne pas récrire l'histoire, à moins de pouvoir étayer votre nouvelle version par des faits.
Vous n'avez qu'à admettre que le mental et le vital peuvent influencer le corps ; alors plus aucune difficulté ne subsiste. Dans cette action du mental et du vital sur le corps, la foi et l'espoir ont une immense importance. Je ne veux nullement
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dire qu'ils sont omnipotents ou d'une efficacité infaillible ; ce n'est pas le cas. Mais ils soutiennent l'action de toute force que l'on peut appliquer, même s'il s'agit en apparence d'une force purement matérielle; quand il s'agit d'objets matériels, l'action peut être purement matérielle. En revanche, quand on a affaire à la vie, ou au mental, ou aux deux, on ne peut isoler ainsi l'aspect matériel de l'action. D'autres forces entrent toujours en jeu, au moins chez celui qui reçoit la force, et, aussi et surtout, chez celui qui l'émet et la dirige.
Les miracles sont possibles, mais il n'y a pas de raison qu'ils soient tous instantanés, qu'ils viennent des Dieux ou des médecins.
Ces faits ont été démontrés et les preuves de succès de Coué sont surabondantes. Nombre de grands guérisseurs47 dans le monde entier ont aussi obtenu des succès dûment constatés. Les guérisons par la foi et la psychothérapie sont aussi des faits.
Ces auto-suggestions - il s'agit, en réalité, d'une forme mentale de la foi - agissent en même temps sur le subliminal et le subconscient. Dans le subliminal, elles déclenchent les pouvoirs de l'être intérieur, son pouvoir occulte, pour rendre efficace l'action de la pensée, de la volonté ou simplement de la force consciente sur le corps ; dans le subconscient elles réduisent au silence ou à l'immobilité les suggestions de mort ou de maladie (exprimées ou non) qui empêchent le retour de la santé. Elles aident aussi à combattre les
47. En français dans le texte.
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gestions adverses dans la conscience mentale, vitale et corporelle. Lorsque tout cela est fait complètement ou presque, les effets peuvent être très remarquables.
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