Letters on the integral yoga, other spiritual paths, the problems of spiritual life, and related subjects.
Letters on subjects including 'The Triple Transformation: Psychic - Spiritual - Supramental', 'Transformation of the Mind, the Vital, the Physical, the Subconscient and the Inconscient', 'Difficulties of the Path' and 'Opposition of the Hostile Forces'. Sri Aurobindo wrote most of these letters in the 1930s to disciples living in his ashram.
Tous ceux qui s'engagent sur le chemin spirituel doivent faire face aux difficultés et aux épreuves de ce chemin, qu'elles viennent de leur propre nature ou du monde extérieur. Les difficultés de la nature continuent à se répéter jusqu'à ce qu'on les ait surmontées ; pour les affronter, il faut user à la fois de force et de patience. Mais la partie vitale a tendance à se décourager lorsque des épreuves et des difficultés se présentent. Cette tendance ne vous est pas particulière, elle affecte tous les sâdhak ; elle n'indique pas une inaptitude à la sâdhanâ, pas plus qu'elle ne justifie un sentiment d'impuissance. Mais vous devez vous entraîner à surmonter cette réaction de découragement en appelant la Force de la Mère pour qu'elle vous vienne en aide.
Tous ceux qui demeurent résolument fidèles au sentier peuvent être assurés de leur destinée spirituelle. Si certains échouent, ce ne peut être que pour l'une des deux raisons suivantes : ou bien ils abandonnent le chemin, ou bien, appâtés par l'ambition, l'orgueil, la vanité, le désir, etc., ils s'en écartent et cessent de s'en remettre sincèrement au Divin.
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On peut dire, d'une manière générale, qu'il n'est pas sage de mettre trop d'empressement à attirer les gens, en particulier les très jeunes gens, vers la sâdhanâ. Le sâdhak qui vient à ce yoga doit ressentir un véritable appel, et même si l'appel est réel, le chemin est souvent déjà assez difficile. Mais quand on attire les gens dans un esprit de propagande enthousiaste, on risque d'allumer une flamme factice qui n'est qu'une imitation du véritable Agni, ou un feu éphémère bientôt submergé par l'assaut des vagues vitales. C'est particulièrement le cas chez les jeunes gens, car ils sont influençables et se laissent aisément prendre à la contagion
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d'idées et de sentiments qui leur sont étrangers ; par la suite, le vital se lève avec ses exigences insatisfaites et ils sont ballottés entre deux forces contraires, ou bien ils se laissent rapidement attirer par la vie et l'action ordinaires et par la tendance à satisfaire les désirs qui est naturelle à l'adolescence. Ou encore le réceptacle humain (âdhâr), inapte, tend à souffrir sous la tension d'un appel pour lequel il n'était pas prêt, ou du moins pas encore prêt. Quand on a en soi la vraie flamme, on passe à travers toutes les embûches et on finit par s'engager tout entier dans la sâdhanâ, mais seule une minorité en est capable. Mieux vaut ne recevoir que ceux qui viennent d'eux-mêmes, et parmi ceux-là, seulement ceux en qui l'appel est durable et vient authentiquement d'eux-mêmes.
Une telle souffrance n'est pas obligatoirement de règle. Ce n'est pas l'âme qui souffre ; le Moi est calme et égal envers toutes choses et le seul chagrin de l'être psychique a pour cause la résistance de la Nature à la Volonté divine, ou la résistance des choses et des gens à l'appel du Vrai, du Beau et du Bien. La souffrance n'affecte que la nature vitale et le corps. Quand l'âme attire l'être vers le Divin, il peut y avoir une résistance dans le mental et la forme la plus fréquente en est la négation et le doute qui peuvent engendrer une souffrance mentale et vitale. La nature vitale peut aussi opposer une résistance qui se traduit principalement par le désir et l'attachement aux objets du désir, et si, dans ce domaine, un conflit se déclare entre l'âme et la nature vitale, entre l'Attirance pour le Divin et l'attraction de l'Ignorance, les parties mentales et vitales peuvent évidemment en souffrir beaucoup. La conscience physique peut, elle aussi, offrir une résistance qui est en général celle d'une inertie fondamentale, une obscurité dans la substance même du physique, une incompréhension, une incapacité à répondre à l'appel de la conscience supérieure, une habitude d'obéir passivement et
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mécaniquement à la conscience inférieure, même contre sa propre volonté ; une souffrance à la fois vitale et physique peut en être la conséquence. En outre, la Nature universelle résiste parce qu'elle ne veut pas que l'être échappe à l'Ignorance pour entrer dans la Lumière. Cette résistance peut prendre la forme d'une véhémente insistance à perpétuer les anciens mouvements qui se jettent par vagues sur le mental, le vital et le corps pour que les idées, impulsions, désirs, sentiments, réactions d'autrefois continuent, même après avoir été rejetés et expulsés, et puissent revenir comme une armée d'envahisseurs venue du dehors, jusqu'à ce que la nature tout entière, s'étant donnée au Divin, refuse de les admettre. C'est la forme subjective de la résistance universelle, mais celle-ci peut aussi prendre une forme objective : opposition, calomnie, attaques, persécutions, infortunes de toutes sortes, conditions et circonstances adverses, douleur, maladie, assauts venant des hommes ou des forces. Là aussi la possibilité de souffrir est évidente. Il y a deux manières de faire face à tout cela : la première est celle du Moi, le calme, l'égalité, un esprit, une volonté, un mental, un vital, une conscience physique qui demeurent résolument tournés vers le Divin et ne se laissent ébranler par aucune suggestion de doute, de désir, d'attachement, de dépression, de chagrin, de douleur, d'inertie. C'est possible lorsque l'être intérieur s'éveille, lorsqu'on devient conscient du Moi, du Mental intérieur, du Vital intérieur, du Physique intérieur, car il leur est plus facile de se mettre au diapason de la Volonté divine ; alors l'être se divise en deux, et c'est comme s'il y avait deux êtres, l'un au-dedans, calme, fort, égal, imperturbable, véhicule de la Conscience et de la Force divines, l'autre sur lequel la Nature inférieure continue à empiéter ; mais alors les ennuis de celui-ci deviennent superficiels et ne sont plus qu'une ride à la surface, jusqu'à ce qu'ils s'estompent et disparaissent sous la pression intérieure et que l'être extérieur reste lui aussi calme, concentré, insensible aux attaques. Il y a aussi la manière du psychique : le psychique émerge, et avec lui son pouvoir intrinsèque, sa
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consécration, son adoration, son amour pour le Divin, son don de soi, sa soumission ; il les impose à la conscience mentale, vitale et physique et l'oblige à orienter tous ses mouvements vers Dieu. Si le psychique est fort et domine tout l'être, la souffrance subjective est faible ou nulle et la souffrance objective ne peut affecter ni l'âme, ni les autres parties de la conscience ; le chemin est ensoleillé, une grande joie et une grande douceur donnent le ton à toute la sâdhanâ. Quant aux attaques extérieures et aux circonstances adverses, elles subissent l'action de la Force qui transforme les relations de l'être avec la Nature extérieure ; à mesure que la victoire de la Force progressera, elles seront éliminées ; mais quelle que soit leur durée, elles ne peuvent retarder la sâdhanâ, car même les incidents et les circonstances adverses deviennent alors des instruments de son progrès et de la croissance de l'esprit.
Les difficultés qui subsistent, bien qu'elles ne soient pas identiques, s'apparentent dans leur cause et leur nature essentielle à celles que vous avez en grande partie ou complètement surmontées, et elles peuvent être vaincues de la même manière ; c'est une question de temps, et il s'agit aussi pour vous de consentir intérieurement à la pression du Divin qui transforme l'être humain.
La nature humaine et le caractère de l'individu sont une formation issue de l'inconscience du monde matériel où elle a pris naissance, et elle ne peut jamais se libérer tout à fait de la pression de cette Inconscience. À mesure que la conscience grandit dans l'être né dans ce monde matériel, elle prend la forme d'une Ignorance qui admet lentement la connaissance ou s'efforce avec difficulté de l'atteindre ; la nature humaine est constituée de cette Ignorance, et le caractère de l'individu est constitué d'éléments de cette Ignorance. Comme tout ce qui existe dans la Nature matérielle, la nature humaine est plus ou moins une mécanique,
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et la résistance y est presque inévitable ; c'est, la plupart du temps, une résistance énergique et obstinée qui s'oppose à tout changement que l'on exige d'elle. Le caractère est fait d'habitudes auxquelles il se cramponne ; il est enclin à les considérer comme la loi même de son être, et l'amener tant soit peu à changer exige un dur labeur, à moins que les circonstances ne le soumettent à une forte pression. Cette résistance se manifeste particulièrement dans les parties physiques : corps, mental physique, mouvements de la vie physique ; l'élément tamasique dans la Nature y est puissant ; c'est ce que la Guîtâ qualifie d'aprakâsha, absence de lumière, et apravritti, tendance à l'inertie, à l'inactivité, à refuser l'effort, ce qui a pour conséquence, même quand l'effort se fait, une constante aptitude à douter, à se décourager, à désespérer, à abandonner, à renoncer au but de l'entreprise, à s'effondrer. Heureusement, la nature humaine contient aussi un élément sattwique qui se tourne vers la lumière, et un élément radjasique ou dynamique qui désire l'action et en a besoin, et que l'on peut amener à désirer non seulement le changement, mais le progrès continu. Mais ces deux éléments, en raison des limitations de l'ignorance humaine et des obstructions de l'ignorance fondamentale, sont eux aussi sujets à l'étroitesse et à la division et peuvent résister à l'entreprise spirituelle autant qu'y contribuer. La transformation spirituelle que le yoga exige de la nature humaine et du caractère individuel est par conséquent pleine de difficultés : c'est, pourrait-on dire, la plus exigeante de toutes les aspirations et le plus ardu de tous les efforts de l'homme. Tant qu'elle peut s'assurer le concours de l'élément sattwique et de l'élément radjasique (dynamique), son chemin en est facilité ; mais l'élément sattwique lui-même peut résister par son attachement aux idées anciennes, aux préjugés, aux préférences mentales et aux jugements partisans, aux opinions et aux raisonnements qui barrent la route à la vérité supérieure, et dont il ne peut s'affranchir ; l'élément dynamique résiste par son égoïsme, ses passions, ses désirs, ses attachements profonds, sa vanité,
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son amour-propre, son habitude constante de revendiquer et bien d'autres obstacles. La résistance du vital est plus violente que les autres et vient à la rescousse avec sa violence et sa passion, et c'est la source de toutes les difficultés intenses, de toutes les révoltes et de tous les bouleversements, de tous les désordres qui altèrent le cours du yoga. Le Divin est là, mais Il respecte les conditions, les lois, les modalités de la Nature ; ce sont les conditions mêmes de Son œuvre, de Son œuvre dans le monde et en l'homme, et aussi, par conséquent, dans le sâdhak, l'aspirant et même en ceux qui L'ont approché par la Connaissance et l'Amour ; même le sage et le saint continuent à souffrir des difficultés et des limites de leur nature humaine. Il est possible d'atteindre une libération et une perfection complètes, ou de posséder complètement le Divin et d'en être complètement possédé, mais en général cela ne se produit pas par miracle, ni même par une série de miracles. Le miracle existe, mais il se produit seulement lorsque l'appel est total, la consécration de l'âme complète et l'ouverture de la nature entière et vaste.
Pourtant, s'il y a un appel de l'âme, même s'il est encore incomplet, l'échec ne peut en aucun cas être définitif et irréparable, si grandes et si obstinées que soient les difficultés ; même quand le fil est rompu, il est repris, renoué et suivi jusqu'au bout. La nature elle-même obéit à la nécessité intérieure qui finit, si lentement que ce soit, par porter ses fruits. Mais un certain consentement intérieur est nécessaire ; le progrès que vous avez remarqué en vous-même est dû à ce consentement qui était là, dans l'âme, et aussi dans une partie de la nature ; le mental insistait pour que le changement s'opère et une partie du vital le désirait ; la résistance, dans une partie du mental et une partie du vital, le ralentissait et l'entravait, mais ne pouvait l'empêcher de se produire.
Vous me demandez ce que je veux que vous fassiez. Je veux que vous persévériez et que vous donniez de plus en plus ce consentement intérieur qui vous a fait progresser, afin qu'ici aussi la résistance puisse diminuer et à la longue disparaître.
Et cessez d'attacher tant d'importance à l'usage de la
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raison, à l'exactitude de votre raisonnement personnel et à son droit de décider de tout. La raison a sa place, surtout en ce qui concerne certains problèmes matériels et les questions extérieures en général - bien que même dans ce domaine elle soit un juge bien faillible - ou dans la formulation de conclusions et de généralisations métaphysiques ; mais sa prétention à être l'autorité décisive en matière de yoga ou de choses spirituelles est insoutenable. Dans ce domaine, l'activité de l'intellect extérieur ne conduit qu'à la formation d'opinions personnelles et non à la découverte de la Vérité. En Inde, il a toujours été entendu que la raison et sa logique ou son jugement ne peuvent mener à la réalisation des vérités spirituelles, mais peuvent tout au plus contribuer à la présentation intellectuelle des idées ; la réalisation vient par l'intuition et l'expérience intérieure. La raison et l'intellectualité ne peuvent vous faire voir le Divin, c'est l'âme qui voit. Le mental et les autres facultés ne peuvent que participer à la vision, quand elle leur est dispensée par l'âme, lui faire bon accueil et s'en réjouir. Mais le mental peut aussi l'empêcher de venir ou du moins s'opposer longtemps à la réalisation ou à la vision. Car ses préjugés, ses opinions préconçues et ses préférences mentales peuvent élever un mur d'arguments contre la vérité spirituelle qui doit être réalisée et refuser de l'admettre si elle se présente sous une forme qui ne s'accorde pas à ses idées antérieures ; elle peut de même vous empêcher de reconnaître le Divin, si le Divin se présente sous une forme à laquelle l'intellect n'est pas préparé ou qui, par un détail, va à l'encontre de ses préjugés et de ses idées préconçues. On peut se fier à sa raison dans d'autres domaines, pourvu que le mental essaie d'être ouvert, impartial, dégagé de toute passion abusive, et prêt à concéder qu'il n'a pas toujours raison et peut se tromper ; mais se fier à lui seul dans des domaines qui échappent à sa juridiction n'est pas sans danger, surtout dans les domaines de la réalisation spirituelle et du yoga qui appartiennent à un autre ordre de connaissance.
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Il n'y a pas de contradiction entre ce que j'avais dit au sujet du sentier ensoleillé et ce que j'ai dit des passages difficiles et désagréables que doit traverser le yoga dont le développement normal suit celui de la nature humaine. Le chemin ensoleillé peut être emprunté par ceux qui sont capables de pratiquer la soumission, d'abord une soumission centrale et ensuite un don de soi plus complet dans toutes les parties de l'être. S'ils peuvent parvenir à cette attitude de soumission centrale et la conserver, s'ils peuvent se reposer entièrement sur le Divin et accepter joyeusement tout ce qui vient du Divin, alors leur sentier devient ensoleillé et peut même être direct et aisé. Ils n'échapperont pas à toutes les difficultés, aucun chercheur n'en est capable ; mais ils pourront y faire face sans chagrin ni abattement, comme en vérité la Guîtâ nous recommande de pratiquer le yoga : anirvinnacetasâ, en se fiant à la direction intérieure et en la percevant de plus en plus, ou en se fiant à la direction extérieure du Gourou. Cette voie peut aussi être suivie même si l'on ne sent ni lumière ni direction, lorsqu'il existe, ou que l'on peut acquérir, une foi lumineuse et ferme et une bhakti heureuse, ou si l'on est d'une nature spirituelle optimiste, ou encore si l'on s'en tient à la foi ou au sentiment que tout ce qui est fait par le Divin est fait pour le mieux, même lorsqu'on ne comprend pas son action. Mais tous n'ont pas cette nature, beaucoup en sont très éloignés ; la soumission complète ou même centrale n'est pas facile à atteindre, et la garder sans cesse est bien difficile pour notre nature humaine. Quand nous n'avons rien de tout cela, l'âme n'atteint pas la liberté et nous devons au contraire subir la loi ou nous plier à une difficile et pénible discipline.
Cette loi nous est imposée par l'Ignorance qui est la nature de toutes les parties de notre être ; notre être physique est visiblement une masse d'ignorance, l'être vital est plein de passions et de désirs ignorants, le mental est aussi un instrument de l'Ignorance qui s'efforce vers une sorte de connaissance imparfaite, en grande partie inférieure et extérieure. Le chercheur se fraie un chemin à travers cette
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ignorance ; pendant longtemps, il ne trouvera aucune lumière d'expérience solide ou de réalisation, mais seulement les espoirs, les idées, les croyances du mental qui ne lui donnent pas la vraie vision spirituelle ; ou il perçoit des rais de lumière, ou traverse des périodes de lumière, mais souvent la lumière s'éteint et les périodes lumineuses sont suivies de longues ou fréquentes périodes d'obscurité. Il y a de constantes fluctuations, des déceptions persistantes, des chutes et des échecs innombrables. Aucun sentier du yoga n'est vraiment facile ou exempt de ces difficultés ou de ces fluctuations ; même sur la voie de la bhakti, réputée la plus facile, on entend constamment les plaintes de celui qui cherche toujours mais ne trouve jamais, et même dans les meilleures conditions le mouvement de flux et de reflux, de milana et de viraha, de joie et de pleurs, d'extase et de désespoir est constant. Si l'on a la foi ou, en l'absence de foi, la volonté d'aller jusqu'au bout, on passe outre et on entre dans la joie et la lumière de la réalisation divine. Si l'on prend une certaine habitude de vraie soumission, alors tout cela n'est pas nécessaire ; on peut entrer dans la voie ensoleillée. Ou si l'on peut obtenir ne serait-ce qu'une goutte de ce qui s'appelle la pure bhakti, shouddhâ bhakti, alors quoi qu'il arrive cela suffit ; le chemin devient facile, ou bien c'est un début suffisant pour nous soutenir jusqu'au bout sans les souffrances et les chutes qui adviennent si souvent au chercheur ignorant.
Dans tout yoga le chercheur doit atteindre trois objectifs essentiels : l'union ou le contact permanent avec le Divin, la libération de l'âme ou du Moi, de l'esprit, et une certaine transformation de la conscience, la transformation spirituelle. C'est cette transformation nécessaire pour atteindre les deux objectifs - ou du moins nécessaire jusqu'à un certain point - qui est la cause de la plupart des luttes et des difficultés ; car elle n'est pas facile à réaliser ; une transformation du mental, une transformation du cœur, une transformation des habitudes de la volonté est requise, et notre nature ignorante y résiste obstinément. Notre yoga a pour
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but une transformation complète de la nature, car celle-ci est nécessaire à l'union complète et à la complète libération, non seulement de l'âme et de l'esprit, mais aussi de la nature elle-même. C'est aussi un yoga des œuvres et de la vie divine intégrale : pour cela, la transformation intégrale de la nature est évidemment nécessaire ; l'union avec le Divin doit permettre de plonger dans la conscience divine et la nature divine ; il doit y avoir non seulement sâyoujya ou sâlokya, mais aussi sâdrishya ou, comme dit la Guîta, sâdharmya. Le yoga complet, Pourna Yoga, est un quadruple sentier : un Yoga de la Connaissance pour le mental, un Yoga de la Bhakti pour le cœur, un Yoga des Œuvres pour la volonté et un Yoga de la Perfection pour la nature entière. Mais d'ordinaire, si l'on peut se donner entièrement à l'une de ces voies, on aboutit au résultat auquel elles arrivent toutes les quatre. Au moyen de la bhakti, par exemple, on entre dans l'intimité du Divin, on devient intensément conscient de lui, et on parvient à la connaissance, car le Divin est Vérité et Réalité ; en le connaissant, disent les Oupanishads, on arrive à tout connaître. Par la bhakti, la volonté est amenée, elle aussi, à prendre le chemin des œuvres d'amour et du service du Divin, et à faire régner le Divin sur la nature et ses actions ; et c'est le Karma Yoga. Par la bhakti vient aussi la spiritualisation de la conscience et de l'action de la nature, qui est le premier pas vers sa transformation. Ainsi en est-il de toutes les autres voies du quadruple sentier. Mais dans l'être, beaucoup d'obstacles peuvent s'opposer à la domination du mental, du cœur et de la volonté par la bhakti et au contact avec le Divin qui en découle. Un mental intellectuel trop actif, orgueilleusement attaché à ses propres conceptions, à ses préjugés, à ses idées rigides et à sa raison ignorante, peut fermer les portes à la lumière intérieure et empêcher le flot de la bhakti de tout submerger ; il peut s'en tenir à une activité mentale de surface et refuser d'aller au-dedans pour se laisser guider par la vision psychique et les sentiments du cœur intérieur, bien que ce soit par cette vision et ce sentiment que la bhakti s'accroisse et remporte
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la victoire. Les passions et les désirs de l'être vital et de son ego peuvent aussi barrer la route et empêcher le don de soi du mental et du cœur au Divin. L'inertie, l'ignorance et l'inconscience de la conscience physique, son attachement à des habitudes rigides de pensée, de sentiment et d'action, son obstination à suivre les vieilles ornières peuvent s'opposer fâcheusement au changement nécessaire. Il se peut que, dans de telles circonstances, le Divin soit obligé d'attendre son heure ; mais s'il y a dans le cœur une soif véritable, tous ces obstacles ne peuvent s'opposer à la réalisation finale ; cependant, il peut être nécessaire d'attendre que les obstacles soient éliminés ou du moins suffisamment déblayés pour que le Pouvoir divin soit admis à agir sans entraves sur la nature de surface. En attendant, il peut y avoir des périodes de bien-être intérieur et une certaine lumière dans le mental, des périodes aussi où l'on sent la bhakti ou la Paix, des périodes de joyeuse consécration de soi par les œuvres et le service ; car il faudra du temps pour que tout cela devienne permanent, et il faudra beaucoup de luttes, d'agitation et de souffrance. Mais l'action du Divin finira par se révéler et l'on sera capable de vivre en sa présence.
J'ai décrit les difficultés du yoga dans leur pire aspect, telles qu'elles peuvent retarder et affliger ceux mêmes qui sont prédestinés à la réalisation, mais tout aussi souvent, il y a une alternance ou un mélange de lumière et d'obscurité, un premier accomplissement peut-être, suivi de grosses difficultés, un progrès suivi d'attaques et de retards, de grands progrès après lesquels on patauge dans les marais de l'Ignorance. Il peut même venir de grandes réalisations, de hautes splendeurs de lumière et d'expérience spirituelle, et pourtant le but n'est pas atteint ; car selon l'expression du Rig Veda, "à mesure que l'on monte de cime en cime se découvre tout ce qu'il reste à faire". Mais toujours quelque chose nous porte en avant ou nous oblige à poursuivre. La forme peut en être quelque chose de conscient vers lequel on va, une idée spirituelle dominante, une aspiration indestructible ou une foi inébranlable ; celles-ci peuvent
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parfois sembler entièrement voilées ou même anéanties dans les périodes d'obscurité ou de violent bouleversement, mais elles réapparaissent toujours quand la tempête s'est éloignée ou quand les ténèbres de la nuit se dissipent, et elles reprennent leur influence. Mais ce peut être aussi, dans l'essence même de l'être, quelque chose de plus profond que toutes les idées et toutes les volontés du mental, plus profond et plus permanent que l'aspiration du cœur, mais caché au regard. Celui qui est poussé vers le yoga par une curiosité intellectuelle ou même par un désir de connaissance peut se détourner du chemin à cause d'une déception ou pour toute autre raison. Ceux qui s'y consacrent par ambition intérieure ou désir vital risquent plus encore de s'en détourner par révolte, par dépit ou parce qu'ils auront été découragés par des interruptions et des échecs fréquents. Mais si l'on a en soi ce quelque chose de plus profond, on ne peut plus abandonner définitivement le sentier de l'effort spirituel : on peut décider de quitter le sentier, mais l'être intérieur ne le permet pas ; ou on le quitte, mais on est contraint d'y revenir par le besoin spirituel caché au-dedans.
Ces écueils sont communs à tous les sentiers du yoga ; ce sont les difficultés, les fluctuations et les luttes que l'on rencontre normalement sur le chemin de l'effort spirituel. Mais dans notre yoga, les opérations de la Force cachée se succèdent dans un ordre dont les détails peuvent varier grandement d'un sâdhak à un autre, tout en suivant la même ligne générale. Notre évolution a fait sortir l'être de la Matière inconsciente pour le soulever vers l'Ignorance du mental, de la vie et du corps, tempérée par une connaissance imparfaite ; elle s'efforce de nous mener jusqu'à la lumière de l'Esprit, de nous élever dans cette lumière et de faire descendre la lumière en nous, tant dans le corps et la vie que dans le mental et le cœur, et d'en emplir tout ce que nous sommes. C'est cette évolution, avec ses conséquences, dont la plus grande est l'union avec le Divin et la vie dans la conscience divine, qui donne sa signification à la transformation intégrale. Le mental est actuellement notre plus haute
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faculté ; c'est par le mental pensant et le cœur - soutenus par l'âme, l'être psychique à l'arrière-plan - que nous devons croître dans l'Esprit, car ce que la Force essaie d'abord de faire, c'est de concentrer le mental sur l'idée centrale, la foi ou l'attitude mentales justes, de concentrer le cœur sur l'aspiration et l'attitude justes, et de renforcer, de raffermir suffisamment tous ces éléments pour qu'ils persistent en dépit de tous les autres qui, dans le mental et le cœur, en diffèrent ou sont en conflit avec eux. La Force apporte en même temps autant d'expériences et autant de réalisations, fait croître ou descendre autant de connaissances que le mental de l'individu est prêt à en recevoir à ce moment-là, ou autant qu'il en faut, si peu que ce soit, pour son progrès futur; tantôt ces réalisations et ces expériences sont très grandes et très abondantes, tantôt elles sont peu nombreuses, petites ou négligeables ; certaines, à ce stade initial, semblent ne contenir que peu de chose ou rien de décisif ; la Force semble se concentrer seulement sur une préparation du mental. Dans bien des cas, la sâdhanâ semble commencer et se poursuivre par des expériences dans le vital ; mais en réalité cela se produit rarement sans préparation mentale, même si ce n'est qu'une certaine orientation du mental ou une sorte d'ouverture qui rend possible les expériences vitales. Il est en tout cas périlleux de commencer par le vital ; les difficultés y sont plus nombreuses et plus violentes que sur le plan mental et les traquenards innombrables. L'âme - l'être psychique - est moins facile d'accès parce qu'elle est cachée par un épais voile d'ego, de passion et de désir. On risque de s'engouffrer dans un dédale d'expériences vitales pas toujours stables, de se laisser séduire par de petites siddhi, par l'attraction qu'exercent sur l'ego les pouvoirs des ténèbres. On doit franchir ces épaisseurs pour atteindre l'être psychique et l'amener au premier plan ; alors seulement la sâdhanâ dans le plan vital sera sans danger.
Quoi qu'il en soit, la descente de la sâdhanâ, de l'action de la Force dans le plan vital de notre être, devient nécessaire au bout d'un certain temps. La Force ne change pas l'être mental
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et la nature en bloc, encore moins les transforme-t-elle intégralement, avant de s'être engagée dans ce plan ; si c'était possible, le reste de la sâdhanâ serait relativement facile et sans danger. Mais le vital est là et fait sans cesse pression sur le mental et le cœur, troublant la sâdhanâ et la mettant en péril, et il ne peut être longtemps abandonné à lui-même. Il faut agir sur l'ego et les désirs du vital, ses dérèglements et ses bouleversements, et s'ils ne sont pas immédiatement expulsés, ils doivent être au moins dominés et devenir prêts à être modifiés, changés, illuminés progressivement, sinon rapidement. Cela ne peut être fait sur le plan vital que par une descente à ce niveau. L'ego vital lui-même doit devenir conscient de ses propres imperfections et vouloir s'en débarrasser ; il doit décider de rejeter ses vanités, ses ambitions, ses désirs, ses envies, ses rancœurs, ses révoltes et tout ce qu'il reste en lui de substance impure et de mouvements troubles. C'est la période des difficultés majeures, des révoltes et des dangers les plus grands. L'ego vital déteste que l'on s'oppose à ses désirs, s'indigne des déceptions, se déchaîne contre les atteintes à son amour-propre et à sa vanité ; il hait le processus de purification et peut très bien proclamer le satyâgraha contre lui, refuser de coopérer, justifier ses exigences et ses penchants, exercer de nombreuses formes de résistance passive, retirer le soutien vital nécessaire à la vie comme à la sâdhanâ et essayer de détourner l'être du chemin de l'effort spirituel. À tout cela il faut faire face jusqu'à la victoire, car le temple de l'être doit être rendu parfaitement propre pour que le Seigneur de notre être puisse y prendre place et y recevoir notre adoration.
La question que vous posez soulève l'un des problèmes les plus ardus et les plus compliqués qui soient, et pour le traiter comme il le mérite, ma réponse devrait être aussi longue que le plus long chapitre de La Vie divine. Je ne puis qu'affirmer ma propre connaissance, fondée non sur le raisonnement,
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mais sur l'expérience : il y a en effet quelque chose qui guide l'univers et rien ne s'y fait en vain.
Si nous ne regardons que les faits extérieurs sous leur apparence superficielle, ou si nous considérons les événements autour de nous comme définitifs et non comme des processus momentanés au sein d'un tout en évolution, le fait que l'univers soit guidé n'est pas apparent ; tout au plus pouvons-nous voir certaines interventions plus ou moins fréquentes. Cela ne peut devenir évident que si nous pénétrons derrière les apparences et commençons à comprendre les forces à l'oeuvre, leur manière d'agir et leur signification secrète. Après tout, la vraie connaissance - et même la connaissance scientifique - s'acquiert en allant chercher derrière les phénomènes de surface leurs processus et leurs causes cachés. Il est tout à fait évident que notre monde est plein de souffrance et frappé de précarité à un degré qui semble justifier la Guîta lorsqu'elle le qualifie de "monde malheureux et éphémère", anityam asoukham. Il s'agit de savoir s'il est une pure création du Hasard, s'il est gouverné par une Loi mécanique et inconsciente, ou s'il a une signification et s'il y a, au-delà de son apparence actuelle, quelque chose vers quoi nous nous dirigeons. S'il a un sens, s'il y a quelque chose vers quoi tout évolue, ce monde doit inévitablement être guidé ; et cela signifie qu'il existe une Conscience et une Volonté qui le soutiennent et avec lesquelles nous pouvons entrer intérieurement en contact. S'il existe une telle Conscience-Volonté, il est peu probable qu'elle s'annulerait elle-même en déniant au monde toute signification, ou en le transformant en un échec perpétuel ou final.
Notre monde présente un double aspect. Il paraît fondé sur une Inconscience matérielle et sur un mental et une vie ignorants et pleins de cette Inconscience : erreur et chagrin, mort et souffrance en sont l'inéluctable conséquence. Mais il est évident qu'il représente aussi un effort, en partie couronné de succès, et une croissance imparfaite vers la Lumière, la Connaissance, la Vérité, le Bien, le Bonheur, l'Harmonie, la Beauté, ou du moins leur partielle floraison.
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La signification de notre monde doit évidemment se trouver dans cette contradiction ; il ne peut être qu'une évolution conduisant ou s'efforçant vers des états supérieurs, ayant pour origine une apparence initialement plus sombre. Ce quelque chose qui le guide doit donc agir dans ces conditions de contradiction et de lutte, et doit conduire à cet état supérieur. L'individu est certainement guidé, et probablement le monde, vers cet état supérieur, mais à travers les dualités de la connaissance et de l'ignorance, de la lumière et de l'obscurité, de la mort et de la vie, de la douleur et du plaisir, du bonheur et de la souffrance ; aucun de ces termes ne peut être exclu tant que le statut supérieur n'est pas atteint et établi. Ce qui nous guide ne rejette pas, et en général ne peut pas rejeter dès l'abord les termes obscurs ; moins encore peut-il s'agir de quelque chose qui nous apporte, uniquement et invariablement, le bonheur, la réussite et la bonne fortune. Son souci principal est la croissance de notre être et de notre conscience, la croissance vers un moi plus grand, vers le Divin, et finalement vers une Lumière, une Vérité, une Béatitude plus grandes; le reste est secondaire, tantôt moyen tantôt résultat, et non objectif primordial.
La véritable signification de cette direction apparaît plus clairement lorsque nous devenons capables de nous intérioriser profondément, de voir de plus près le jeu des forces et de recevoir des indications de la Volonté qui les dirige. Le mental de surface ne peut en avoir qu'un aperçu imparfait. Quand nous sommes en contact avec le Divin ou avec une connaissance et une vision intérieures, nous commençons à voir tous les événements de notre vie sous un jour nouveau, et nous pouvons discerner comment ils tendaient tous, à notre insu, vers la croissance de notre être et de notre conscience, vers l'œuvre que nous avons à réaliser, vers quelque progrès qui devait se faire : non seulement ceux qui semblaient un bien, une chance ou un succès, mais aussi les conflits, les échecs, les obstacles, les catastrophes. Mais chacun est guidé différemment selon sa nature, les circonstances
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de sa vie, la forme de sa conscience, le stade de son évolution, les expériences dont il a besoin. Nous ne sommes pas des automates, mais des êtres conscients, et notre mentalité, notre volonté et ses décisions, notre attitude devant la vie et ce que nous exigeons d'elle, nos motivations et nos mouvements contribuent à déterminer notre chemin ; ils ont beau entraîner quantité de souffrances et de mal, ce qui nous guide à travers eux s'en sert pour nous faire grandir par l'expérience et par conséquent faire évoluer notre être et notre conscience. Nous avançons tous, si détournés que soient les chemins, en dépit même de ce qui semble un recul ou un égarement, en accumulant toute l'expérience nécessaire à la destinée de l'âme. Quand nous sommes en contact étroit avec le Divin, une protection peut venir nous aider, ou nous guider, ou nous faire agir directement : elle n'écarte pas toutes les difficultés, toutes les souffrances ou tous les dangers, mais nous porte à travers eux et nous en délivre, sauf si, pour une raison particulière, c'est le contraire qu'il nous faut.
À plus grande échelle et d'une manière plus complexe, le mouvement du monde est guidé de la même façon. Ce mouvement semble obéir aux conditions et aux lois ou aux forces du moment, et passer par de continuelles vicissitudes, mais il y a pourtant en lui quelque chose qui le pousse vers le dessein évolutif, bien que cette évolution soit plus difficile à discerner, à comprendre et à suivre que dans le domaine plus étroit et plus familier de la conscience et de la vie d'un individu. Un événement qui se produit dans une conjoncture particulière de l'action mondiale ou de la vie de l'humanité, si catastrophique soit-il, ne détermine pas l'avenir. Ici aussi, il faut voir non seulement le jeu des forces extérieures dans un cas particulier ou à un moment particulier mais aussi le jeu intérieur et secret, le résultat ultime, l'événement plus lointain qui se prépare et la Volonté à l'œuvre derrière tout cela. Le Mensonge et l'Obscurité sont puissants partout sur la terre, l'ont toujours été et par moments semblent prévaloir ; mais il y a eu aussi des lueurs et même des flambées de
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Lumière. Dans la masse des événements et la longue course du Temps, quel qu'ait pu être en apparence telle ou telle époque ou tel ou tel mouvement, la Lumière grandit et la lutte pour un meilleur état de choses se poursuit sans relâche. Actuellement le Mensonge et l'Obscurité ont rassemblé leurs forces et sont extrêmement puissants ; pourtant, même si nous refusons de croire les mystiques et les prophètes qui, depuis les temps les plus reculés, ont annoncé qu'un tel état de choses doit précéder la Manifestation et est même un signe de son avènement, cela n'indique pas forcément une victoire décisive - ou même temporaire - du Mensonge. Cela signifie seulement que la lutte entre les Forces est à son paroxysme. Le résultat pourra fort bien être l'émergence plus assurée du meilleur état de choses possible : car c'est souvent ainsi que va le monde. J'en resterai là et ne dirai rien de plus.
Notre yoga est certes difficile, mais existe-t-il un yoga vraiment facile? Vous parlez de l'appât de la libération dans l'Absolu extra-cosmique, mais parmi ceux qui s'embarquent sur le Chemin du Nirvana, combien l'atteignent durant cette vie-ci ou sans un effort pénible, ardu et prolongé ? Quel est le sentier qui n'oblige pas à traverser le désert aride pour atteindre la terre promise ? Même le chemin de la Bhakti, réputé le plus facile, retentit des lamentations des bhakta qui se plaignent que le Bien-Aimé échappe à leur étreinte en dépit de leurs appels, que Krishna ne vient pas, même quand le lieu de la rencontre est prêt. Même la joie d'avoir un instant aperçu le Bien-Aimé, ou la passion du milana, est suivie de longues périodes de viraha. C'est une erreur de croire qu'un yoga puisse être facile, qu'il existe une voie royale ou un raccourci pour rejoindre le Divin, ou qu'il peut y avoir une méthode de "yoga sans peine" ou de "yoga sans larmes", comme il y a un "français sans peine" ou un "français sans larmes". Quelques grandes âmes, préparées
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par leurs vies antérieures ou ayant de quelque autre manière dépassé les capacités spirituelles ordinaires, peuvent atteindre plus rapidement la réalisation ; certaines peuvent avoir dès les débuts des expériences exaltantes, mais pour le plus grand nombre la siddhi du chemin, quel qu'il soit, ne peut être que l'aboutissement d'un effort prolongé, ardu et persévérant. On ne peut gagner la couronne de la victoire spirituelle sans la bataille, ni atteindre les hauteurs sans l'ascension et son labeur. De tous les yogas on peut dire : "Difficile est cette route et tranchante comme le fil du rasoir." 1
Vous trouvez le chemin aride précisément parce que vous n'y avez pas encore posé le pied. Mais tous les chemins ont leurs périodes d'aridité et pour la plupart des sâdhak, sinon pour tous, il en est ainsi au début. Une longue période de préparation est nécessaire pour parvenir à l'état psychologique intérieur où les portes de l'expérience peuvent s'ouvrir et où l'on peut cheminer en découvrant sans cesse de nouveaux horizons, bien que même à ce stade on puisse rencontrer d'autres portes qui refusent de s'ouvrir avant que tout soit prêt. Cette période peut être aride et désertique, à moins que l'ardeur à se connaître et à se conquérir soit telle que l'on trouve à chaque pas un intérêt dans l'effort et la lutte, ou à moins que l'on possède ou découvre le secret de la confiance et du don de soi qui voit la main du Divin à chaque étape du sentier, sa grâce et ses conseils jusque dans la difficulté. Le yoga est, dit-on, "à ses débuts amer comme le poison", à cause des obstacles et des luttes, mais "doux comme le nectar à la fin",2 à cause de la joie de la réalisation, de la paix de la libération, ou de l'Ânanda divin ; les descriptions que font souvent les sâdhak et les bhakta de leurs périodes d'aridité sont une preuve suffisante qu'elles
1. Katha Oupanishad, I, 3, 14.
2. Bhagavad-Guîtâ, XVIII, 36-37 : "Le bonheur de l'homme qui parvient à la joie par la discipline de soi et met fin à la douleur ressemble à un poison au début et au nectar à la fin."
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ne sont pas spéciales à notre yoga. Toutes les anciennes disciplines l'ont constaté, et c'est pourquoi la Guîtâ dit que l'on doit pratiquer le yoga avec patience et régularité, en refusant de se laisser abattre par le découragement. Cette recommandation peut s'appliquer à notre sentier, mais aussi à celui de la Guîtâ et au dur "fil de rasoir" du Védânta comme à tous les autres. Il est tout naturel que plus l'Ânanda qui doit descendre est élevé, plus le commencement risque d'être difficile, plus les déserts à traverser sur le chemin sont arides.
La manifestation supramentale n'apporte certes pas seulement la paix, la pureté, la force, le pouvoir ou la connaissance ; ceux-ci procurent les conditions nécessaires à la réalisation finale et en font partie, mais l'Amour, la Beauté et l'Ânanda sont l'essence de son accomplissement. Et bien que l'Ânanda suprême vienne avec le suprême accomplissement, il n'y a pas vraiment de raison que l'on ne trouve pas aussi, chemin faisant, l'Amour, l'Ânanda et la Beauté. Certains les ont même rencontrés aux premiers stades, avant toute autre expérience. Mais le secret s'en trouve dans le cœur et non dans le mental, dans le cœur qui ouvre ses portes intérieures et laisse apparaître le rayonnement de l'âme resplendissante de confiance et de don de soi. À la chaleur de ce feu intérieur, les débats du mental et ses difficultés se flétrissent et le sentier, si long ou si ardu soit-il, devient une route ensoleillée non seulement vers l'amour et l'Ânanda, mais à travers eux.
Même si, néanmoins, cela ne vient pas au début, on peut y parvenir par une patiente persévérance ; la transformation psychique est en vérité le préliminaire indispensable à toute approche du chemin supramental et au cœur même de cette transformation se trouve l'épanouissement de l'amour, de la joie et de la bhakti intérieure. Certains commencent par l'ouverture mentale qui peut apporter la paix, la lumière, un premier début de connaissance, mais cette ouverture par le haut est incomplète si elle n'est pas suivie d'une ouverture du cœur vers l'intérieur. Croire que le yoga est aride et sans
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joie parce que les conflits de votre mental et de votre vital l'ont rendu aride au premier abord est une incompréhension et une erreur. Les sources cachées de la douceur se révéleront si vous persévérez, même si elles sont, pour le moment, défendues par les dragons du doute et du désir insatisfait. Grommelez, si votre nature vous y contraint, mais persévérez.
Le supramental n'est pas, comme vous l'imaginez, froid et dur comme un roc. Il porte en lui la présence de l'Amour divin aussi bien que la Vérité divine, et son règne ici-bas signifie, pour ceux qui l'acceptent, le chemin direct et sans épines, sans murs et sans obstacles, dont les anciens Rishis avaient vu la lointaine promesse.
Le sentier obscur existe et beaucoup, comme par exemple les Chrétiens, font de la souffrance spirituelle un évangile ; beaucoup la considèrent comme l'inévitable prix de la victoire. Il peut en être ainsi dans certaines circonstances, comme il en fut au début durant de nombreuses existences ; on peut aussi choisir qu'il en soit ainsi. Mais il faut alors en payer le prix par la résignation, la force d'âme, ou une résistance tenace. J'admets que les attaques des forces obscures ou les épreuves qu'elles imposent ont un sens, si on les endure ainsi. Après chaque victoire remportée sur elles, l'avance est sensible ; souvent, elles semblent révéler en nous les obstacles que nous devons surmonter et dire : "C'est ici qu'il faut vaincre" ; mais ce chemin est tout de même par trop sombre et trop difficile et nul ne devrait le suivre à moins d'y être contraint.
Nombreux sont ceux qui ont fait le yoga en se reposant sur la tapasyâ ou autre chose, mais sans être persuadé qu'il existe une Grâce divine. Ce n'est pas cette croyance qui est indispensable, c'est l'exigence de l'âme qui aspire à une Vérité ou une vie plus haute. Si l'on a cette exigence, la Grâce divine, que l'on y croie ou non, interviendra. Si vous
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croyez, cela hâte et facilite les choses ; si vous ne pouvez pas encore croire, l'aspiration de l'âme trouvera sa justification, quelles que soient les difficultés et les luttes.
Vous avez raison d'adopter une attitude optimiste et non pessimiste dans la sâdhanâ : une foi et une confiance assurées contribuent énormément au progrès de la sâdhanâ. Cette confiance aide à la réalisation, car elle est dynamique et tend à s'accomplir.
Quant aux sceptiques... ma foi, l'optimisme, même injustifié, trouve pourtant une justification parce qu'il donne à la fois une chance d'aboutir à un résultat et la force de l'atteindre, alors que le pessimisme, en dépit de toutes les justifications que les apparences peuvent lui donner, n'est qu'un boulet au pied qui vous empêche de faire le moindre pas. Le vrai mouvement consiste à aller de l'avant et à faire tout ce que l'on peut, si possible tout ce qui doit être fait ; au minimum, il faut en faire assez pour que tout ce qui devrait être fait soit obligé de se faire en conséquence de ce que nous avons fait. C'est la loi et les prophètes.
Si ces mouvements faux avaient déjà disparu, ce serait déjà la victoire. Je voulais parler3 de la certitude de la victoire finale qui est une question de foi et de confiance intérieure en le soutien du Divin. La paix née de cette certitude vous portera à travers toutes les difficultés, persistantes ou répétées.
3. "Vous devez faire croître en vous la paix qui est née de la certitude de la victoire."
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Je suis bien d'accord avec vous : la perspective d'une nouvelle attaque de cette nature n'est pas réjouissante. Si je suis moi-même un héros, c'est, je crois, plutôt par nécessité que par choix ; les tempêtes et les batailles n'exercent sur moi aucun attrait, du moins sur le plan subtil. Le chemin ensoleillé est peut-être une illusion, bien que ce ne soit pas mon avis, car j'ai vu bien des gens le parcourir pendant des années ; mais il est certes possible de trouver un chemin où l'on ne rencontre que des passages normaux ou même modérés de gros temps ; il existe sûrement une route sans typhons : il y en a quantité d'exemples : dourgam pathastat est peut-être vrai, en général, et le chemin du Laya ou du Nirvana est certes extrêmement difficile pour la plupart (bien qu'en ce qui me concerne, je sois entré dans le Nirvana sans le faire exprès, ou plutôt le Nirvana est entré en moi comme en passant, peu après le début de ma carrière yoguique et sans me demander la permission). Mais le sentier n'est pas forcément entrecoupé de bourrasques périodiques, bien qu'il faille reconnaître à l'évidence qu'il en est ainsi pour la plupart des sâdhak. Mais même pour ceux-ci, s'ils tiennent bon, je m'aperçois que passé un certain point, les tempêtes perdent de leur force, sont moins fréquentes et durent moins longtemps. C'est pourquoi j'insiste tant pour que vous persévériez, car si vous tenez bon, le tournant viendra sûrement. J'ai eu récemment des exemples étonnants où ces typhons ont commencé à s'espacer après avoir fait rage pendant de longues années.
Ces incidents ne font pas partie des difficultés normales de la nature, si aiguës soient-elles, mais sont des formations spéciales, des tornades qui se forment (en général en un point particulier, parfois variable) et vont tourbillonnant en tournant toujours en rond jusqu'à leur terme [...] Il devrait être possible de les dissoudre, si on les reconnaît pour ce qu'elles sont et que l'on est résolu à s'en débarrasser : ne leur accordez jamais aucune justification mentale, si logique, légitime et plausible qu'elle puisse paraître; à tous les arguments du mental ou à tous les sentiments du vital
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en leur faveur, répondez invariablement, comme Caton aux orateurs: "Delenda est Carthago" Carthage doit être détruite", Carthage étant, dans ce cas, la formation et sa ronde néfaste.
De toute façon, l'idée par laquelle vous concluez votre lettre est juste. "Le Divin vaut bien la peine qu'on le déniche, même si pour cela il faut traverser des océans de ténèbres." Si vous pouvez toujours affronter cette formation avec cette ferme résolution, cela devrait apporter la victoire.
La soif du Divin est une chose, la dépression en est une autre ; la dépression n'est pas non plus une conséquence nécessaire de cette soif insatisfaite qui peut donner lieu à une soif plus ardente encore ou à une ferme résolution et à un effort persévérant, un appel plus intense ou un chagrin psychique qui n'a rien à voir avec la dépression et le désespoir. La dépression est, par nature, un état grisâtre et brumeux, et la lumière a plus de mal à percer à travers les nuages et la grisaille qu'à travers une atmosphère de clarté. Que la dépression obstrue la lumière intérieure est un fait d'expérience générale. La Guîtâ dit expressément : "Le yoga doit être pratiqué avec persévérance et sans jamais céder au découragement", anirvinnacetasâ. Bunyan, dans le Voyage du Pèlerin, lui donne pour symbole le Bourbier du Désespoir ; c'est l'un des périls qu'il faut surmonter sur le chemin. Il est nul doute impossible d'échapper à des attaques de dépression, presque tous les sâdhak doivent en passer par là, mais en principe on doit réagir et non les laisser se perpétuer ou devenir chroniques en les encourageant mentalement ou en acceptant leurs suggestions.
Il n'est pas vrai que le chagrin soit nécessaire pour que l'âme se mette en quête du Divin. C'est l'appel intérieur de l'âme vers le Divin qui la fait se tourner vers lui, et cela peut venir dans n'importe quelle circonstance : dans la prospérité et la jouissance, au plus haut de la victoire et de la conquête
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extérieures, sans chagrin ni déception, mais par une illumination soudaine ou progressive, par un éclair de lumière jailli en pleine passion sensuelle, comme c'est arrivé à Bilwamangal, par la perception qu'il existe quelque chose de plus grand et de plus vrai que cette vie extérieure vécue dans l'ego et l'ignorance. Aucun de ces retournements n'a besoin de s'accompagner de chagrin ou de dépression. Souvent, on se tourne dans une nouvelle direction en disant : "La vie, c'est très bien, c'est un jeu très intéressant, mais ce n'est qu'un jeu, la réalité spirituelle dépasse la vie du mental et des sens." Quelle que soit la manière dont il vient, c'est l'appel du Divin ou l'appel de l'âme au Divin qui importe, et l'attraction qu'il exerce est bien plus grande que tout ce qui d'ordinaire retient la nature. Certes, si la vie nous satisfait, nous séduit au point d'exclure tout sentiment de l'âme au-dedans ou de contrarier l'attirance vers le Divin, une période de vairâgya, de chagrin, de dépression, une rupture douloureuse des liens vitaux peut être nécessaire, et beaucoup sont passés par là. Mais une fois que l'on s'est tourné vers le Divin, on doit rester dans cette direction et un vairâgya perpétuel n'est pas nécessaire. Lorsque nous disons que la bonne humeur est le meilleur état, nous n'entendons pas non plus par là une joyeuse poursuite de la vie vitale, mais une joyeuse poursuite du chemin vers le Divin, ce qui n'est pas impossible si le mental et le cœur adoptent la bonne attitude et le point de vue qui convient. En tout cas, si, pour ce qui est de soi-même, on ne peut adopter une attitude positive de bonne humeur, on ne doit pas pour autant accepter une dépression et une tristesse constantes, ni leur accorder son soutien mental. Ce n'est nullement indispensable pour rester tourné vers le Divin.
En citant, parmi d'autres, l'exemple du bouddhiste qui avait passé neuf ans devant un mur, la Mère voulait seulement apporter un démenti à l'opinion selon laquelle le fait de ne pas avoir réussi en sept ou huit ans prouve que l'on est inapte et que tout espoir vous est à jamais refusé. Cet homme devant son mur est l'une des grandes figures du bouddhisme
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japonais et la longue stérilité de son effort ne traduisait pas son incapacité ou son inaptitude spirituelle ; mais à part lui, nombreux sont ceux qui ont persévéré pendant de longues périodes et ont fini par remporter la victoire. Cette expérience est fréquente et n'a rien d'exceptionnel.
Je ne crois guère en cette Nuit divine. C'est une conception chrétienne. Pour nous, le Divin est Paix, Pureté, Immensité, Lumière, Ânanda.
Le bouddhisme se détourne du douhka et de ses causes pour se tourner vers le côté séduisant du Nirvana. Le douhkhavâda n'existait pas en Inde, sauf dans la théorie du viraha vishnouïte ; autrement, il n'était pas considéré comme un moyen ni même une étape de la sâdhanâ. Mais cela ne signifie pas que le doukha n'apparaît pas au cours de la sâdhanâ ; il vient et doit être rejeté et surmonté, dépassé, contrairement au chagrin psychique qui ne dérange pas, ne déprime pas, mais libère plutôt le vital. Il est dangereux de faire du chagrin un vâda ou un évangile, parce que le chagrin, si l'on s'y abandonne, devient une habitude, s'incruste, et peu de choses, une fois incrustées, sont aussi tenaces.
La souffrance n'est pas infligée en punition du péché ou de l'hostilité : c'est là une idée fausse. La souffrance vient comme le plaisir et la chance, elle fait inévitablement partie de la vie dans l'ignorance. Les dualités du plaisir et de la peine, de la joie et du chagrin, de la bonne et de la mauvaise fortune sont les conséquences inévitables de l'ignorance qui nous sépare de la vraie conscience et du Divin. Ce n'est qu'en revenant à cette vraie conscience que nous pouvons
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nous débarrasser de la souffrance. Le karma des vies passées existe, bien des événements en découlent, mais pas tous. Car nous pouvons corriger notre karma par notre conscience et nos efforts. Mais la souffrance est simplement une conséquence naturelle des erreurs passées, non une punition, tout comme une brûlure découle naturellement du fait de jouer avec le feu. C'est une partie de l'expérience par laquelle l'âme, à travers ses instruments, apprend et grandit jusqu'à ce qu'elle soit prête à se tourner vers le Divin.
Parfois la peine et la souffrance sont des moyens par lesquels l'âme est éveillée et poussée vers le Divin. C'est une expérience sur laquelle X revient sans cesse, car il a beaucoup souffert dans sa vie, mais tous ne sentent pas les choses de la même façon.
L'attitude qui s'exprime dans votre lettre est tout à fait juste : quelles que soient les souffrances qui viennent sur le sentier, ce n'est pas payer trop cher la victoire qui doit être remportée, et si on les accueille avec l'attitude juste, elles deviennent même un instrument de la victoire.
L'idéaliste se demande pourquoi la douleur existe, même si elle est compensée par le plaisir fondamental de vivre. La véritable énigme, c'est de savoir pourquoi l'imperfection, la limitation et la souffrance font obstacle à ce plaisir naturel de vivre. Cela ne signifie pas que la vie soit, par sa nature même, essentiellement misérable.
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Je ne puis affirmer que je saisis parfaitement la logique de vos doutes. Comment la souffrance d'un ami noble et désintéressé peut-elle infirmer l'espoir du yoga ? Le monde offre bien des spectacles affligeants, mais c'est là, après tout, la raison même pour laquelle il faut faire le yoga. Si le monde était entièrement beau, heureux et idéal, qui voudrait le changer ou jugerait nécessaire de faire descendre une conscience supérieure dans le Mental et la Matière terrestres? Votre second argument est que le travail du yoga est lui-même difficile et non facile, que l'on n'est pas porté dans un fauteuil jusqu'au but. C'est entendu, le monde et la nature humaine étant ce qu'ils sont Jamais je n'ai dit que c'était facile, ni que cet effort n'était pas entravé par des difficultés opiniâtres. Je ne comprends pas non plus ce que vous voulez dire lorsque vous m'accusez de vouloir faire naître une espèce nouvelle en passant dix heures chaque jour à écrire des lettres "insignifiantes". Évidemment non ; pas plus d'ailleurs qu'en écrivant des lettres importantes ; même si je devais passer mon temps à écrire de beaux poèmes, cela ne créerait pas une espèce nouvelle. Chaque activité est importante à sa place : un électron, une molécule, un grain de sable ont beau être minuscules, ils sont, à leur place, indispensables à la construction d'un monde ; ce monde ne peut être fait uniquement de montagnes, de couchers de soleil, de ruissellements d'aurores boréales, bien que ceux-ci y aient aussi leur place. Tout dépend de la force qui est derrière ces choses et du dessein qui anime leur action, et celui-ci est connu de l'Esprit cosmique qui est à l'œuvre ; et j'ajouterais qu'il opère, non selon le mental ou les normes humaines, mais par une conscience plus grande qui, partant de l'électron, peut bâtir un monde et, utilisant un entrelacs de ganglions, peut en faire ici la base des œuvres du Mental et de l'Esprit dans la Matière, produire un Râmakrishna, un Napoléon ou un Shakespeare. La vie d'un grand poète n'est-elle faite que d'événements sublimes et importants? N'a-t-il pas dû venir à bout d'une multitude de petits riens avant de pouvoir produire un "Roi Lear" ou un "Hamlet" ? Selon
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votre raisonnement, les gens n'auraient-ils pas raison de se moquer du tintouin que vous vous donnez - ce n'est pas moi qui emploierais cette expression - pour scander un vers et déterminer la valeur métrique d'une syllabe? Pourquoi, diraient-ils, perd-il son temps avec ces menus détails prosaïques, alors qu'il pourrait le consacrer à produire un beau poème lyrique ou de la belle musique ? Mais le travailleur connaît la matière qu'il doit travailler et la respecte, il sait pourquoi il se préoccupe de "bagatelles" et de petits détails, et quelle est leur place dans la perfection de son labeur.
Quant à la foi, vous en parlez comme si jamais je n'avais eu le moindre doute ou la moindre difficulté. J'ai eu des doutes et des difficultés pires que tous ceux que le mental humain peut imaginer. Ce n'est pas parce que je n'ai pas connu de difficultés, mais parce que je les ai vues plus clairement, que je les ai expérimentées sur une plus large échelle que tous mes contemporains et tous mes prédécesseurs que, les ayant affrontées et mesurées, je suis sûr des résultats de mon travail. Mais même si je devais m'apercevoir qu'il risque de n'aboutir à rien (ce qui est impossible), je le poursuivrais imperturbablement, parce que j'aurais tout de même fait, au mieux de mes capacités, le travail que j'avais à faire, et que ce que l'on fait ainsi compte toujours dans l'économie de l'univers. Mais pourquoi devrais-je penser que tout cela pourrait n'aboutir à rien, alors que je vois chaque pas ainsi que le but vers lequel il conduit, et que chaque semaine, chaque jour - autrefois c'était chaque année, puis chaque mois, et plus tard ce sera chaque jour et chaque heure - me rapproche de mon but ? Sur le chemin que l'on parcourt avec la grande Lumière d'en haut, la moindre difficulté apporte son aide et a sa valeur, et la Nuit est porteuse de la Lumière qui doit être.
Et les coups, sont-ils tous donnés par le yoga? N'est-ce pas parfois le sâdhak du yoga qui se frappe lui-même ? Dans la
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vie ordinaire, on reçoit quantité de coups, selon mon expérience. Les coups sont dans l'ordre de l'existence : notre propre nature et la nature des choses nous les assènent jusqu'à ce que nous apprenions à leur présenter un dos qu'elles ne peuvent toucher.
La vie nous enseigne que tout dans ce monde trahit toujours l'homme : seul le Divin ne le trahit point, s'il se tourne entièrement vers le Divin. Ce n'est pas parce qu'il y a en vous quelque chose de mauvais que vous recevez des coups : tous les êtres humains reçoivent des coups, car ils désirent des choses qui ne peuvent pas durer et les perdent, ou s'ils les obtiennent, elles les déçoivent et ne peuvent les satisfaire. Se tourner vers le Divin est la seule vérité dans la vie.
Tous les ennuis de X sont dus pour une part au karma d'une vie antérieure, et pour l'autre à son caractère qui ne peut ni s'harmoniser avec les circonstances qui l'entourent, ni les maîtriser par une forte volonté et une compréhension claire, ni leur faire face d'une manière calme et équilibrée. La vie est faite pour l'expérience et la croissance, et tant qu'on n'a pas appris sa leçon, il se produit sans cesse des événements qui sont le résultat d'un manque d'harmonie avec la Nature ou d'imperfections intérieures. Dire que tout ce qui arrive est pour le mieux n'est vrai que si nous avons la vision cosmique qui tient compte de l'évolution passée et future à laquelle contribuent la mauvaise fortune comme la bonne, le danger, la mort, la souffrance et les calamités autant que le bonheur, le succès et la victoire. C'est faux si l'on veut dire par là que seuls se produisent des événements heureux ou visiblement bons pour l'individu au sens humain.
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Il faut faire face à toutes ces difficultés avec un esprit plus tranquille et moins égoïste.
Notre yoga est une bataille spirituelle; le seul fait de l'entreprendre soulève toutes sortes de forces adverses et l'on doit être prêt à faire face aux difficultés, aux souffrances, aux revers de toutes sortes avec un esprit calme et stoïque.
Les difficultés rencontrées sont des épreuves, et si on les affronte avec la bonne attitude, on en sort plus fort et spirituellement plus pur et plus grand.
Aucune infortune ne peut vous advenir, les forces adverses ne peuvent ni vous atteindre, ni vous vaincre si vous n'avez pas, en vous, une impureté, une faiblesse ou, à tout le moins, une ignorance. Vous devez alors rechercher en vous-même cette faiblesse et la corriger.
Quand une attaque vient d'êtres humains qui sont les instruments de forces adverses, on doit essayer de la repousser non dans un esprit de haine personnelle, de colère ou d'égoïsme blessé, mais avec un esprit calme, plein de force et d'équanimité, et en appelant la Force divine pour qu'elle agisse. Le succès ou l'échec dépend alors du Divin.
Il y a, dans les rapports avec les autres, une manière de parler et d'agir qui est très offensante et ouvre à coup sûr la porte aux malentendus ; il y a aussi une manière tranquille et ferme, mais conciliante à l'égard de ceux qui peuvent être conciliés - de ceux qui ne sont pas tout à fait de mauvaise volonté. Mieux vaut utiliser la seconde que la première. Ni faiblesse, ni arrogance, ni violence : telle est l'attitude qu'il faut prendre.
Les difficultés vitales échoient à tous les êtres humains et tous les sâdhak. Il faut y faire face avec une détermination tranquille et une calme confiance en le Divin.
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Un yoga, quel qu'il soit, comporte toujours des difficultés. De plus son action s'exerce différemment selon les chercheurs. Certains doivent d'abord surmonter les difficultés inhérentes à leur nature avant d'avoir des expériences dignes de ce nom ; d'autres prennent un brillant départ et ne se heurtent que plus tard à toutes les difficultés ; d'autres encore alternent longtemps entre la crête de la vague et le fond de l'abîme, et ainsi de suite jusqu'à ce que la difficulté soit épuisée ; d'autres enfin suivent un chemin sans heurts, ce qui ne signifie pas qu'ils ne rencontrent aucune difficulté ; ils en ont des quantités, mais s'en moquent parce qu'ils sentent que le Divin les aidera à atteindre le but, ou qu'il les accompagne même s'ils ne sentent pas sa présence : leur foi les rend imperturbables.
Il faut soit une volonté calme et résolue gouvernant tout l'être, soit un très grand samatâ pour que la transformation s'effectue sans heurts. Dans ce cas, il n'y a pas de révoltes, bien que des difficultés puissent se présenter ; pas d'attaques, mais seulement une action consciente sur les défauts de la nature ; pas de chutes, mais seulement une rectification des actes ou des mouvements faux.
Le mal de tête, s'il apparaît, n'est dû qu'à la pression à laquelle le corps n'est pas accoutumé, ou à une résistance à cet endroit. Les difficultés surviennent évidemment, mais pas toujours au début. Quelquefois, le premier effet du yoga est tel qu'on a l'impression qu'il n'y a aucune difficulté ; elles surviennent par la suite, quand l'exultation fléchit et que la conscience normale a l'occasion de s'affirmer en s'opposant au pouvoir ou à la lumière qui se déverse d'en haut. Il faut combattre ou éliminer cette résistance : la combattre si la nature est instable ou s'impose avec violence, l'éliminer si la
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volonté est stable et si la nature sait modérer ses réactions. D'autre part, si la préparation a été longue et que le psychique ou la volonté mentale illuminée ont déjà en grande partie surmonté la résistance de la nature, aucune aggravation ne se produira, ni au début, ni par la suite, mais la transformation se poursuivra stable et tranquille et les difficultés qui subsistent tomberont d'elles-mêmes à mesure que la nouvelle conscience se développera ; ou bien aucune difficulté n'apparaîtra, seuls se produiront la réadaptation et le changement nécessaires.
Souvent, au début, l'expérience fait irruption avec une telle puissance que les éléments qui résistent demeurent assoupis ; ils se réveillent plus tard. Il faut alors faire descendre aussi l'expérience dans ces autres parties de l'être et l'y établir.
Jamais je n'ai dit que le chemin du yoga, que ce soit celui-ci ou un autre, était facile et sans danger. Ce que j'ai dit, c'est que tous ceux qui ont la volonté d'aller jusqu'au bout peuvent le faire. Pour le reste, si vous visez haut, vous courez toujours le danger de piquer au sol si vous conduisez mal votre avion. Mais ce danger n'existe que pour ceux qui se permettent d'avoir un être double, en visant haut tout en s'abandonnant à leur vision inférieure et à leurs passions. Que peut-on espérer lorsque les gens agissent ainsi ? Vous devez concentrer tous vos efforts sur un but unique, alors les difficultés du mental et du vital seront surmontées. Ceux qui, au contraire, oscillent entre leurs sommets et leurs abîmes seront toujours en danger tant qu'ils n'auront pas fait converger leurs efforts sur un seul but. Cela s'applique au sâdhak "avancé" tout autant qu'au débutant. Ce sont des réalités de la nature ; je ne puis, pour rassurer quiconque,
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feindre de croire le contraire. Mais il est vrai aussi que nul n'est obligé de se maintenir dans cette dangereuse position. La concentration sur un but unique, la consécration au Divin, la foi, un amour véritable pour le Divin, une complète sincérité de la volonté, l'humilité spirituelle (authentique et non de pure forme), il y a tant de choses qui peuvent protéger contre le risque d'une chute. Tout le monde est sujet aux dérapages, aux faux pas, aux difficultés, aux déséquilibres ; on ne peut être sûr d'y échapper, mais si l'on est protégé, ils sont transitoires, aident la nature à apprendre sa leçon et sont suivis d'un plus grand progrès.
Oui, mais c'est davantage l'absence d'une aspiration concentrée qu'un manque de force de volonté : certains sâdhak sont partis parce qu'ils ont succombé à un désir incompatible avec l'aspiration ferme et unique vers la Réalisation divine.
Si le Bouddha n'avait pas eu de volonté avant sa tapasyâ, comment se fait-il qu'il n'a eu aucune hésitation à tout abandonner pour chercher la Vérité sans jamais regarder en arrière, sans jamais avoir de regrets ni de conflits intérieurs ? Sa seule difficulté était de savoir comment trouver la Vérité ; sa détermination de la trouver n'a jamais chancelé ; même l'intensité de sa tapasyâ n'aurait pas été possible sans cette force de volonté. Ceux qui sont moins forts que le Bouddha devront sans doute la cultiver par l'effort. Ceux qui en sont incapables doivent trouver la force en s'en remettant à la Mère divine.
Un cœur sincère vaut tous les pouvoirs extraordinaires du monde.
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Si X s'est laissée aller dans sa conscience et son action à une chute qui retarde sa sâdhanâ, et qu'elle n'est pas encore entièrement capable de surmonter sa faiblesse, ce n'est pas une raison pour que vous permettiez à sa difficulté de triompher de votre foi et de votre effort. Il n'y a aucun lien naturel entre les deux, aucune raison pour qu'il y en ait un : c'est seulement votre mental qui crée ce lien. Chaque sâdhak a une sâdhanâ distincte, ses propres difficultés, sa propre voie à suivre. Sa sâdhanâ ne concerne que lui et le Divin ; personne d'autre n'y a aucune part. Aucune raison non plus pour que, si A tombe ou échoue, B se tourmente, perde sa foi et abandonne son chemin. Le combat de X, quelles que soient sa nature et ses limites, n'appartient qu'à elle seule et ne concerne qu'elle-même et la Mère. Ce n'est pas le vôtre, et cela ne devrait ni vous toucher ni vous concerner ; si vous vous laissez toucher et bouleverser par cela parce qu'il se trouve qu'elle est votre sœur, vous ajoutez inutilement une difficulté supplémentaire aux vôtres et vous entravez votre propre progrès. Restez fidèle à votre chemin, concentrez-vous sur vos obstacles pour les surmonter. Quant à elle, tout au plus pouvez-vous prier le Pouvoir divin de l'aider, et vous en tenir là.
Il n'y a pas de raison d'entretenir quant à l'avenir des doutes confus qui n'ont d'autre raison d'être que l'échec des autres. C'est ce que font sans cesse X et Y, et cela trouble énormément leur progrès. Pourquoi, au contraire, s'il faut s'inspirer des autres, ne pas trouver espoir dans l'exemple de ceux qui sont satisfaits et progressent ? Il est vrai que ceux-ci n'exhibent pas leur succès comme ceux-là leurs échecs. Pourtant, cela mis à part, l'échec découle d'erreurs très précises et surtout de l'absence d'une aspiration ou d'un effort invariable et inlassable. L'effort exigé du sâdhak est fait d'aspiration, de rejet et de don de soi. S'il fait ce triple effort, tout le reste viendra de soi-même par la Grâce de la
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Mère et l'action de sa force en vous. Mais des trois, le plus important est le don de soi, dont la forme la plus nécessaire est la confiance et la patience dans les difficultés. Ce n'est pas une règle que la confiance ne puisse pas demeurer s'il n'y a pas d'aspiration. Au contraire, même quand l'aspiration disparaît sous la pression de l'inertie, la confiance et la patience peuvent demeurer. Si la confiance et la patience disparaissaient quand l'aspiration est inactive, cela signifierait que le sâdhak compte seulement sur son propre effort, cela voudrait dire : "Oh, mon aspiration a disparu, il n'y a donc plus d'espoir pour moi. Si mon aspiration disparaît, que peut la Mère ?" Au contraire, le sâdhak devrait se dire : "Peu importe, mon aspiration reviendra. En attendant, je sais que la Mère est avec moi, même quand je ne la sens pas ; elle me guidera, même à travers la période la plus sombre." Telle est la seule attitude à adopter. Contre ceux qui l'ont, le découragement ne peut rien ; même s'il vient, il doit s'en retourner déconfit. Ce n'est pas là une consécration tamasique. La consécration tamasique consiste à dire : "Je ne ferai rien ; que Mère fasse tout. L'aspiration, le rejet, la consécration même ne sont pas nécessaires. Qu'elle fasse tout cela en moi." Ces deux attitudes sont très différentes. L'une est celle d'un tire-au-flanc qui ne veut rien faire, l'autre celle du sâdhak qui fait de son mieux, mais quand il en est réduit momentanément à l'inaction et que les circonstances sont contraires, il garde toujours sa confiance en la force et la présence de la Mère derrière toutes choses, et par cette confiance déconcerte la force d'opposition et rappelle l'activité de la sâdhanâ.
Les raisons de la chute de X,après un an de progrès rapide, sont évidentes ; elles se trouvent dans son caractère et n'existent pas chez les autres. Tous les yogis savent bien qu'une chute est possible et la Guîtâ en parle à plusieurs reprises. Mais comment la chute prouverait-elle que l'expérience
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spirituelle n'est pas véritable et authentique ? Si un homme tombe d'un sommet, cela ne signifie pas qu'il ne l'a jamais atteint.
Un homme qui est monté très haut peut tomber très bas, surtout si ses expériences sont venues seulement par l'intermédiaire du mental spirituel, alors que le vital et le physique restent tels quels. Mais dire qu'il tombera sûrement très bas est une absurdité.
II
Tous ceux que leur être psychique appelle à suivre le chemin spirituel en sont capables et peuvent arriver au but s'ils entretiennent ou acquièrent une volonté dirigée vers lui seul. Mais tout sâdhak est aussi en présence de deux éléments en lui : l'être intérieur qui veut le Divin et la sâdhanâ, et l'être extérieur, principalement vital et physique, qui n'en veut pas et reste attaché aux choses de la vie ordinaire. Le mental est conduit tantôt par l'un, tantôt par l'autre. L'une de ses tâches les plus importantes est par conséquent de trancher fondamentalement la querelle entre ces deux parties et de persuader ou de contraindre, par l'aspiration psychique, par la fermeté de la pensée et de la volonté du mental, par le choix du vital supérieur dans son être émotif, les éléments antagonistes d'abord à se calmer, puis à donner leur consentement. Tant qu'il ne sera pas capable de le faire, son progrès sera soit très lent, soit fluctuant ou en zigzag, puisque l'aspiration au-dedans ne peut pas avoir une action continue ni un résultat durable. Par ailleurs, tant qu'il en sera ainsi, il est probable que le vital se révoltera périodiquement, se plaindra de la lenteur du progrès, se désespérera, sera en proie au découragement, déclarera que l'âdhâr est inapte ; des appels de la vie d'autrefois viendront, attirant des circonstances qui
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sembleront les justifier; des suggestions viendront d'êtres humains, mais aussi de pouvoirs invisibles, pressant le sâdhak de s'éloigner de la sâdhanâ en lui rappelant sa vie passée. Et pourtant, de cette vie, il ne tirera vraisemblablement aucune véritable satisfaction.
Les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez ne diffèrent pas de celles que les autres ont rencontrées au début et pendant longtemps par la suite. Vous avez quitté la vie de famille, mais par habitude quelque chose dans votre vital y reste encore sensible et c'est cela qui est employé pour vous éloigner d'ici. L'impatience du vital y contribue, parce que le progrès spirituel n'est pas rapide et que vous n'êtes pas continuellement en bonne condition; toutes choses que même les plus grands sâdhak mettent du temps à acquérir. Les circonstances se combinent pour contribuer à vous attirer : par exemple, la maladie de X ou les appels de votre mari qui, quand il vous apaise, vous flatte et vous prodigue supplications et promesses au lieu de vous attaquer, réussissent à vous amadouer et à saper vos défenses. Par ailleurs la Nature vitale et ses pouvoirs suggèrent ceci et cela, que vous êtes inapte, que vous manquez d'aspiration, que la Mère et Sri Aurobindo ne vous aident pas, sont mécontents, indifférents, et qu'il vaut mieux rentrer à la maison.
Tout cela, la plupart des sâdhak l'ont éprouvé et en sont sortis, ont laissé derrière eux les liens du passé. Il n'y a pas de raison que vous n'en fassiez pas autant. Notre aide est toujours là, nous ne la donnons pas à un moment pour la retirer à un autre, nous ne la donnons pas non plus à certains pour la refuser à d'autres. Elle est là pour tous ceux qui font l'effort et ont la volonté d'arriver au but. Mais vous devez être ferme dans votre volonté et ne pas vous laisser duper ou abuser par les suggestions du dehors, ni par celles qui revêtent la forme de vos propres pensées adverses et de vos dépressions ; vous devez les combattre et les surmonter. Cela prendra plus ou moins longtemps selon l'énergie que vous mettrez à les combattre et à les vaincre. Mais chacun
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doit faire cet effort de maîtrise et triompher de la vieille nature vitale.
Quant à retourner là-bas, vous devez regarder en vous-même et voir clairement ce qui veut vous y mener. Votre incapacité à faire la sâdhanâ n'est qu'un prétexte sans valeur avancé par les éléments antagonistes du vital et renforcé par la suggestion des forces adverses. Si vous dites que vous sentez pour votre mari, votre fils ou d'autres personnes un attachement si fort que votre âme et votre aspiration ne peuvent rien contre lui, et que votre vraie place est dans votre foyer, alors évidemment, votre départ est inévitable ; mais dans votre cas il est difficile d'admettre que ce soit vrai. Ou si vous dites que l'attirance est encore si grande que vous jugez préférable de partir quelque temps pour vous mettre à l'épreuve et la laisser s'épuiser, alors cela peut à la rigueur être temporairement vrai, si le vital s'est violemment révolté, et nous ne dirions pas non, pas plus que nous n'avons refusé quand vous avez voulu partir pour soigner X. Mais même dans ce cas, il serait plus sage que vous examiniez sérieusement cette éventualité et que vous ne preniez aucune décision sous l'effet d'un état qui, autrement, serait passager. Les lettres de votre mari n'ont pas de valeur pour nous ; il a toujours écrit de cette façon chaque fois qu'il a eu l'espoir de vous voir partir d'ici ; à d'autres moments son ton est tout différent.
Je vous ai exposé toute la question en détail. Pour nous, la bonne manière d'avancer est toujours de poursuivre son chemin quelles que soient les difficultés, jusqu'à ce que l'on ait acquis la maîtrise et que le chemin s'aplanisse. Mais au fond la décision doit être laissée au sâdhak lui-même : on peut le presser de faire le bon choix, non lui ordonner de le faire.
Il y a d'ordinaire, dans l'être humain, deux tendances différentes dans deux parties distinctes de l'être : l'une,
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psychique, ou mentale et soutenue par le psychique, cherche le bon chemin et les choses élevées ; l'autre, située principalement dans la partie vitale de l'être, est faite d'instincts et de désirs vitaux, est attachée aux choses de la nature inférieure ou orientée vers elles, et est asujettie aux passions, à la colère, au sexe, etc. Si la partie supérieure domine, la partie inférieure est maîtrisée et ne cause guère d'ennuis. Mais elle est souvent encouragée du dehors par des forces et des pouvoirs de la Nature inférieure universelle qui parfois font intrusion dans la partie la plus vile de l'être et lui confèrent une personnalité distincte et une indépendance qui lui est propre. Cela explique peut-être le rêve où vous avez vu ce monstre horrible, et aussi la résistance de cette autre personnalité. Si c'est bien cela, il ne faut pas considérer cette partie de l'être comme une partie de soi-même, mais comme un élément étranger à l'être véritable. C'est seulement en choisissant systématiquement d'obéir aux édits de la personnalité supérieure et en rejetant systématiquement l'autre personnalité que celle-ci perdra du terrain et finira par se retirer. Ces incidents doivent être affrontés aussi calmement que possible, sans permettre à aucune chute ou aucun échec de troubler le mental, avec une vigilance tranquille et constante et une volonté résolue.
Il n'est pas nécessaire de poser tant de questions et d'en recevoir séparément les réponses. Vos dix questions se résument toutes à une seule. Chaque être humain contient deux parties : d'une part le psychique avec tout ce qui, dans le mental pensant et le vital supérieur, le vital plus vaste, émotif et dynamique, est ouvert au psychique, s'attache aux objectifs de l'âme et accepte les expériences supérieures, et d'autre part le vital inférieur et l'être physique ou extérieur (mental et vital extérieurs inclus) qui sont attachés à la personnalité et à la nature ignorantes et ne veulent pas changer. C'est le conflit entre ces deux parties qui fait toute la
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difficulté de la sâdhanâ. Toutes les difficultés que vous énumérez proviennent de cela et de rien d'autre. C'est seulement en éliminant cette dualité que l'on peut les surmonter. Il faut pour cela devenir capable de vivre au-dedans, être conscient de son être intérieur et s'identifier à lui, et considérer le reste comme étranger à soi, comme une création de la Nature ignorante dont on s'est détaché et qui doit disparaître ; il faut aussi, en s'ouvrant constamment à la Lumière et la Force divines, ainsi qu'à la présence de la Mère, toujours maintenir l'action dynamique de la sâdhanâ qui repousse avec fermeté les mouvements de l'ignorance et leur substitue, jusque dans le vital inférieur et l'être physique, les mouvements de la nature intérieure et supérieure. 11 n'y a plus alors de conflit ; les éléments divins se développent automatiquement et les éléments non divins s'estompent. La dévotion du cœur et une activité de plus en plus intense de l'être psychique, favorisée par la dévotion et le don de soi plus que par toute autre chose, sont les moyens les plus puissants de parvenir à cet état.
Tout être humain a une double nature s'il n'est pas né Asoura, Râkshasa ou Pishâtcha, et même ceux-ci, s'ils sont incarnés, ont un être psychique dissimulé quelque part, du fait de leur humanité latente. Mais par être double (ou double nature, dans ce sens particulier), on entend ceux dont l'être est nettement divisé en deux parties fortement contrastées et qui sont encore incapables d'exercer sur elles une maîtrise qui les relierait l'une à l'autre. Tantôt ils sont attirés vers les sommets et alors tout va bien, tantôt ils sont attirés par les abîmes et indifférents aux sommets ou n'ont même pour eux que sarcasmes et railleries et lâchent la bride à l'homme inférieur. Ou encore ils substituent aux sommets un volcan qui fume dans l'abîme. Ce sont des exemples extrêmes, mais d'autres, sans aller jusque là, sont tantôt une chose tantôt le contraire. S'ils convertissent l'homme
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inférieur ou découvrent leur être central, un tout harmonieux et vrai pourra se créer.
La difficulté est que dans chaque individu il y a deux personnes au moins : l'une, dans le vital et le physique extérieurs, est attachée au moi passé et tente de gagner ou de retenir l'assentiment du mental et de l'être intérieur ; l'autre - qui est l'âme - réclame une nouvelle naissance. Ce qui a parlé en vous et a formulé cette prière, c'est l'être psychique qui s'exprimait à l'aide du mental et du vital supérieur, et c'est cela qui, par vos prières et par votre orientation vers la Mère, doit toujours se manifester en vous et vous donner l'idée juste et l'impulsion juste.
Il est exact que si vous repoussez sans cesse l'action qui vous est suggérée par le vieil Adam, vous aurez fait un grand pas. Le combat se porte alors sur le plan psychologique où il sera beaucoup plus facile de venir à bout du problème. Je ne nie pas qu'il y aura des difficultés pendant quelque temps ; mais si l'action est maîtrisée, la maîtrise de la pensée et des sentiments ne pourra que venir aussi. Si, au contraire, vous cédez, vous donnez au vieux moi une nouvelle jeunesse.
Ces humeurs changeantes ont pour cause les deux éléments différents qui sont en vous. D'un côté, il y a l'être psychique qui essaie de se développer en vous ; lorsqu'il s'éveille, il vous donne ce sentiment de proximité ou d'union avec la Mère et ce sentiment d'Ânanda ; de l'autre, il y a votre nature vitale d'autrefois, agitée, pleine de désirs et malheureuse à cause de cette agitation et de ces désirs. Cette ancienne nature vitale, parce que vous l'avez acceptée et vous y êtes abandonné, vous a fait sortir du droit chemin et vous a empêché de progresser. Quand le désir et l'agitation du vital sont rejetés, le psychique en vous vient au premier
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plan, le vital lui-même change et se sent plein de joie et proche de la Mère. Quand ce vital malheureux et agité réapparaît, vous vous sentez inapte et n'avez de goût pour rien. Ce qu'il faut faire, alors, c'est ne pas y consentir, appeler la Mère pour qu'elle redevienne proche et laisser l'être psychique grandir en vous. Si vous le faites avec persévérance, en rejetant l'agitation et le désir, la partie vitale en vous changera et deviendra apte à la sâdhanâ.
Ces mouvements différents viennent de différentes parties de l'être. C'est, comme vous le dites, quelque chose en vous, quelque chose dans le vital qui a cette "insincérité" ou qui est attiré vers cet état de confusion et de mensonge ; vous ne devriez cependant pas considérer cette partie de votre être comme vous-même, mais comme une partie de l'ancienne nature qui doit être transformée. L'obscurité et l'inconscience appartiennent de même à quelque chose dans le physique ; mais cela non plus, vous ne devriez pas le considérer comme vous-même, mais comme quelque chose qui s'est formé dans la nature extérieure qui doit être transformée et le sera. Le vrai "vous" est l'être intérieur, l'âme, l'être psychique, celui qui appelle la paix, la tranquillité et l'action de la force.
Discuter avec les autres, surtout s'ils sont en mauvaise condition, est toujours une erreur. Le dérangement qui les affecte peut très facilement s'abattre sur vous pendant que vous leur parlez, sans même que vous vous en aperceviez ; vous ne le sentez que plus tard. C'est pourquoi je vous ai dit de ne pas faire attention à X et à ce qu'il dit quand il est dans une mauvaise passe.
L'être se compose de plusieurs parties. L'une peut avoir la connaissance alors que l'autre ne s'en soucie pas ou n'agit
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pas en conformité avec elle. Il faut unifier l'être tout entier dans la lumière, pour que toutes ses parties agissent en harmonie et selon la Vérité.
Tout individu est un amalgame non de deux, mais de nombreuses personnalités. Dans notre yoga, la perfection yoguique consiste, entre autres choses, à les harmoniser et à les transmuer afin d'"intégrer" la personnalité.
Je ne crois pas que l'on puisse dire que vous n'avez pas de personnalité. Chez beaucoup de gens les différentes parties de l'être ne sont pas coordonnées et harmonisées ; c'est un état qu'il faut atteindre ou construire. En outre, à un certain stade de la sâdhanâ, il y a presque toujours une disparité ou une opposition entre les parties qui sont déjà tournées vers la Vérité et capables de recevoir l'expérience, et d'autres qui ne le sont pas et vous tirent à un niveau inférieur. Cette opposition n'a pas toujours la même acuité, mais à un degré plus ou moins grand, elle est presque universelle. La coordination et l'organisation ne peuvent s'effectuer de manière satisfaisante que lorsque cette disparité est surmontée. Jusque là, les oscillations sont inévitables [...] Ces difficultés ne doivent pas vous empêcher de regarder plus loin, vers l'ultime accomplissement spirituel qui vous fera sortir de ce tourbillon de forces antagonistes de la Nature.
Vous devez vous rappeler que votre être n'est pas un tout unique et simple, homogène et d'une seule pièce, mais qu'il est complexe, fait de nombreux éléments. Il y a les parties intérieures de l'être qui prennent facilement conscience de la Vérité du Divin ; quand elles viennent au premier plan, tout
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va bien. Il y a l'être extérieur qui est plein de l'ignorance, des défauts et des faiblesses du passé, mais qui a commencé à changer. Il n'est pas encore assez transformé, ou n'est pas transformé dans toutes ses parties. Quand une partie quelconque, partiellement transformée, s'ouvre résolument à la paix et à la force, tout le reste devient soit tout à fait tranquille, soit peu actif, et vous percevez la paix et la force, vous vous sentez bien, ou du moins vous n'avez qu'une vague perception de confusion, etc., quelque part. Mais si quelque chose d'ignorant émerge d'en bas ou est un peu en évidence (ou encore si quelque ancien mouvement de conscience, qui avait été rejeté, revient vous obscurcir), vous sentez la paix, la force comme quelque chose qui vous est étranger ou n'existe pas, qui est extérieur à vous ou se trouve à une certaine distance. Si vous persévérez dans la tranquillité, cette instabilité ira en diminuant ; la Force de la Mère pénétrera partout et même s'il reste encore beaucoup à faire, une solide fondation aura été construite pour que ce soit fait.
Je vous ai expliqué qu'il y a une division entre votre être intérieur et votre être extérieur, comme c'est le cas chez la plupart des gens. Votre être intérieur veut et a toujours voulu la Vérité et le Divin ; quand la paix et le pouvoir se font sentir, il vient au premier plan, vous le sentez comme vous-même, vous comprenez les choses, votre connaissance augmente, votre bonheur s'accroît et votre sentiment devient plus vrai. La nature extérieure se transforme sous l'influence de l'être intérieur, mais ce qui est expulsé revient sans cesse par l'effet d'une vieille habitude ; alors vous sentez cette ancienne nature comme si elle était vous-même. Cette nature extérieure, comme celle de presque tous les êtres humains, comme celle de la plupart des sâdhak ici, était égoïste, pleine de désirs ; elle voulait obtenir ce qu'elle désirait et non la Vérité et le Divin. Quand elle revient ainsi
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et vous submerge, toutes ces idées et ces sentiments anciens, qui sont toujours les mêmes, s'emparent de vous et essaient de vous pousser au désespoir ; car c'est une force ennemie qui veut les réintroduire en vous. La difficulté est que votre conscience physique ne sait pas encore rejeter ce mouvement quand il apparaît. L'être intérieur le rejette, mais comme la conscience physique le laisse entrer, l'être intérieur est, pour un moment, rejeté en arrière. Vous devez absolument apprendre à ne pas laisser entrer ce mouvement, à ne pas vous y abandonner, à ne pas l'encourager quand il vient. C'est un mensonge et cela ne peut être rien d'autre, et par mensonge j'entends non seulement qu'il est contraire à la sâdhanâ et contraire à la Vérité divine, mais contraire aussi à la vérité de votre être intérieur, à l'aspiration de votre âme et au désir de votre cœur. Comment une telle chose pourrait-elle être vraie ? Elle existe, mais elle n'est pas pour autant la vérité de votre être. C'est l'âme, l'être intérieur qui, en chacun, est le vrai moi. C'est cela que vous devez reconnaître comme votre moi, et le reste doit être rejeté, comme quelque chose de faux qui vous est imposé par la Nature inférieure ignorante.
Il y a deux ou trois choses que je crois nécessaire de vous dire au sujet de votre vie spirituelle et de vos difficultés.
Premièrement, je voudrais que vous vous débarrassiez de l'idée que ce qui est la cause de vos difficultés fait tellement partie de vous-même qu'il vous est impossible d'avoir une véritable vie intérieure. La vie intérieure est toujours possible s'il y a, dans la nature, une possibilité divine qui, si cachée qu'elle soit par d'autres choses, permet à l'âme de se manifester et de prendre sa vraie forme dans le mental et dans la vie : une parcelle du Divin. Cette possibilité divine existe en vous à un degré marqué et exceptionnel. Il y a en vous un être intérieur fait de lumière spontanée, de vision intuitive, d'harmonie et de beauté créatrice qui s'est révélé
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d'une manière caractéristique chaque fois qu'il a pu disperser les nuages qui s'accumulent dans votre nature vitale. C'est lui que la Mère a toujours cherché à faire croître en vous et à amener au premier plan. Quand on possède cela, il n'y a pas lieu de se désespérer, aucune raison valable de parler d'impossibilité. Si vous pouviez un jour vous convaincre que c'est votre vrai moi (ce qu'il est en fait, car l'être intérieur est votre vrai moi et l'être extérieur, auquel appartient la cause de vos difficultés, est toujours quelque chose d'acquis et d'impermanent et peut être changé), et si vous pouviez faire de son développement votre objectif fixe et permanent dans la vie, la voie serait libre et votre avenir spirituel ne serait pas seulement une forte possibilité, mais une certitude.
Très souvent, lorsque la nature est dotée ainsi d'un pouvoir exceptionnel, l'être extérieur renferme un certain élément contradictoire qui l'ouvre à une influence tout à fait opposée. C'est ce qui fait que la recherche de la vie spirituelle est si souvent un difficile combat : mais une contradiction de ce genre, même si elle est intense, n'empêche pas de mener la vie spirituelle. Le doute, le conflit, les efforts suivis d'échecs, les chutes, les alternances d'états heureux et malheureux, bons et mauvais, les états de lumière et les états d'obscurité sont le partage de tous les êtres humains. Ils ne sont pas engendrés par le yoga ou la quête de la perfection ; seulement dans le yoga, on devient conscient de leurs mouvements et de leurs causes au lieu de les sentir confusément et on finit par en sortir pour pénétrer dans une conscience claire et heureuse. La vie ordinaire reste jusqu'au bout une succession de problèmes et de conflits, mais le sâdhak du yoga en émerge et finit par trouver une base de sérénité fondamentale que les bouleversements superficiels peuvent encore toucher, mais ne peuvent plus détruire, et tous les bouleversements finissent par cesser complètement.
Même cette expérience qui vous inquiète tant, ces états de conscience où vous parlez et agissez contrairement à votre vraie volonté, n'est pas une raison de désespérer. Sous
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une forme ou une autre, elle est fréquente chez tous ceux qui essaient de dépasser la nature ordinaire. Non seulement ceux qui font le yoga, mais les pratiquants d'une religion, et même ceux qui ne cherchent qu'à se discipliner moralement, à devenir meilleurs, se heurtent à cette difficulté. Là non plus, ce n'est pas le yoga ou l'effort vers la perfection qui crée ces conditions : il y a, dans leur nature humaine et dans chaque être humain, des éléments contradictoires qui le font agir d'une manière que réprouve son mental plus éclairé. Cela arrive à tout le monde, aux hommes les plus ordinaires dans la vie la plus ordinaire. Ce phénomène ne se dégage et ne devient évident pour notre mental que lorsque nous cherchons à nous élever au-dessus de notre moi ordinaire et extérieur, parce que nous voyons alors que ce sont les éléments inférieurs qui sont contraints de se révolter consciemment contre la volonté supérieure. Pendant un certain temps, la nature semble alors divisée, parce que l'être vrai et tout ce qui le soutient reculent et se séparent de ces éléments inférieurs. Tantôt l'être vrai envahit toute la nature, tantôt la nature inférieure, utilisée par quelque Force contraire, le repousse et s'empare du terrain ; et maintenant nous le voyons, alors qu'auparavant l'événement se produisait sans que sa nature nous apparaisse clairement. Si la volonté de progrès est ferme, cette division est surmontée et dans la nature unifiée - unifiée autour de cette volonté - d'autres difficultés peuvent se produire, mais ce genre de discorde et de bataille disparaîtra. J'ai longuement écrit sur ce sujet parce que je crois qu'on vous a donné l'idée fausse que c'est le yoga qui engendre cette difficulté, et aussi que cette contradiction ou cette division dans la nature est le signe d'une inaptitude ou d'une impossibilité à le mener à bien. Ces deux idées sont complètement fausses et tout deviendra plus facile si vous les rejetez totalement de votre conscience.
Mais il est vrai que dans votre cas, comme dans d'autres, cette contradiction prend une intensité particulière et très déconcertante en raison d'une faiblesse congénitale du système nerveux qui s'est toujours traduite chez vous par des
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accès de mélancolie, de tristesse, d'agitation, d'une obscurité pleine de tourments et vous a empêché d'apprécier la vie. Votre erreur est de penser que vous êtes asservi à cela, que vous ne pouvez y échapper, que c'est une fatalité qui rend impossible une transformation spirituelle de votre nature. J'ai connu d'autres familles affectées de ce genre de faiblesse nerveuse héréditaire qui s'accompagnait très souvent de dons exceptionnels d'intelligence, de sens artistique ou de possibilités spirituelles. Un ou deux individus, comme X, ont pu y succomber, mais d'autres, parfois après une période de graves difficultés, ont surmonté les déséquilibres causés par cette faiblesse ; elle a disparu ou a pris une forme mineure ou inoffensive qui ne s'opposait pas au développement de leur vie et de ses capacités. Pourquoi, par conséquent, désespérer de vous-même ou vous ancrer sans raison valable dans la conviction que vous ne pouvez pas changer et que vous ne vous en débarrasserez jamais? Cette mélancolie, cette conviction antagonique est pour vous le vrai danger; elle vous rend incapable d'une résolution ferme et tranquille et d'un effort permanent et efficace ; à cause d'elle, cet état obscur se renouvelle et vous fait rapidement abdiquer, ce qui permet à la Force extérieure hostile de profiter de cette déficience pour jouer avec vous et vous manipuler à son gré. C'est cette idée fausse qui est responsable de plus de la moitié de vos ennuis.
Il n'y a aucune véritable raison que vous ne surmontiez pas ce défaut de votre être extérieur, comme beaucoup d'autres l'ont fait. Seule une partie de votre nature vitale en est affectée, même si elle obscurcit souvent le reste ; les autres parties de votre être peuvent aisément devenir de bons instruments au service de la possibilité divine dont j'ai parlé. D'autant plus que vous avez une intelligence claire et subtile qui, lorsqu'elle est bien utilisée, devient un instrument prêt à servir la lumière et peut vous être très utile pour surmonter cette faiblesse vitale. Et cette possibilité divine, cette vérité de votre être intérieur, si vous l'acceptez, peut à elle seule assurer votre libération et la transformation de
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votre nature extérieure.
Acceptez cette divine possibilité en vous ; ayez foi en votre être intérieur et en sa destinée spirituelle. Ayez pour but dans la vie de développer cet être intérieur qui est une parcelle du Divin ; car un but élevé et sérieux dans la vie est une aide très puissante pour se débarrasser de ce genre de faiblesse nerveuse déséquilibrante ou paralysante ; elle donne à tout l'être une fermeté, un équilibre, un soutien solide, et à la volonté une puissante raison d'agir. Acceptez aussi l'aide que nous pouvons vous donner, et ne vous y fermez pas par incrédulité, par désespoir ou par une révolte sans fondement. À présent, vous ne pouvez pas vaincre, parce que vous n'avez pas établi en vous une foi, un but, une confiance résolue : l'humeur sombre a donc pu obscurcir toute la conscience. Mais quand vous aurez établi cette foi en vous et que vous pourrez vous y tenir, le nuage ne pourra plus demeurer longtemps, l'être intérieur pourra vous venir en aide. Cette meilleure partie de vous-même pourra même rester à la surface, préserver votre ouverture à la lumière et garder à l'âme son terrain intérieur, même si le terrain extérieur est partiellement obscurci ou troublé. Quand cela se produira, la victoire sera acquise et pour éliminer complètement la faiblesse vitale, il suffira d'un peu de persévérance.
Je réponds brièvement aux questions que vous m'avez posées. (1) Pour vous rétablir, vous devez amender votre nature et vous rendre maître de votre être vital et de ses impulsions ; (2) Votre situation dans la société est ou peut devenir celle de bien d'autres qui, dans leur jeune âge, ont commis des excès de toutes sortes, puis sont parvenus à se maîtriser et ont pris dans la vie la place qui leur revenait. Si vous connaissiez mieux la vie, vous sauriez que votre cas n'a rien d'exceptionnel, mais est au contraire très fréquent, et que bien des gens qui en ont fait autant que vous sont devenus par la suite des citoyens utiles et même des hommes
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de premier plan dans divers domaines de l'activité humaine. (3) Il vous est parfaitement possible de dédommager vos parents et de combler les espoirs que, me dites-vous, ils avaient placés en vous, si c'est là le but que vous vous fixez. Seulement vous devez d'abord recouvrer la santé et équilibrer correctement votre mental et votre volonté. (4) C'est à vous qu'il appartient de choisir l'objectif que vous vous fixerez dans la vie ; le moyen de l'atteindre dépendra de sa nature. De même, votre situation sera ce que vous en ferez. Mais vous devez avant tout retrouver la santé ; et ensuite, avec un mental tranquille, déterminer votre but dans la vie selon vos capacités et vos préférences. Il ne m'appartient pas de décider pour vous. Je ne puis que vous indiquer ce que je considère moi-même comme les buts et les idéaux dignes d'être poursuivis.
Toute considération extérieure mise à part, un homme a le choix entre deux idéaux intérieurs possibles. Le premier est l'idéal le plus élevé dans la vie humaine ordinaire, et le second l'idéal divin du yoga. (Je dois ajouter, étant donné ce que vous semblez avoir dit à votre père, que le but du premier n'est pas de devenir un grand homme, ni celui du second de devenir un grand yogi). L'idéal de la vie humaine est d'établir sur l'être tout entier la maîtrise d'un mental clair, puissant et rationnel et celle d'une volonté juste et rationnelle, de maîtriser l'être émotif, vital et physique, d'harmoniser le tout et de développer ses capacités, quelles qu'elles soient, puis de les exercer pleinement dans la vie. Dans la terminologie de la pensée hindoue, il consiste à instituer le règne de la bouddhi purifiée et sattwique, à suivre le dharma, à accomplir son propre swadharma et à travailler conformément à ses capacités, à satisfaire kâma et artha sous la domination de la bouddhi et du dharma. Par ailleurs, le but de la vie divine est de réaliser le moi le plus élevé ou de réaliser Dieu, et d'accorder l'être tout entier à la vérité du moi supérieur, ou à la loi de la nature divine, de découvrir ses propres capacités divines, petites ou grandes, et de les exercer dans la vie comme un sacrifice à ce qu'il y a de
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plus haut, ou comme un fidèle instrument de la divine Shakti. Je vous écrirai peut-être plus tard au sujet du deuxième idéal. Pour le moment, je ne parlerai que de la difficulté que vous éprouvez à vous conformer à l'idéal ordinaire.
Cet idéal implique la formation du mental et du caractère et il s'agit toujours d'un processus long et difficile, qui exige des années de labeur patient, parfois la plus grande partie d'une vie entière. La principale difficulté que presque tout le monde rencontre sur ce chemin est de maîtriser les désirs et les impulsions de l'être vital. Dans de nombreux cas, comme dans le vôtre, certaines impulsions vigoureuses persistent à aller à rencontre de l'idéal et des exigences de la raison et de la volonté. La cause en est presque toujours une faiblesse de l'être vital lui-même, car lorsqu'il en est affecté, il est incapable d'obéir à ce que lui dicte le mental supérieur et est au contraire forcé d'agir sous l'influence des impulsions qui lui viennent par vagues de certaines forces de la nature. Ces forces sont en réalité extérieures à la personne, mais trouvent dans cette partie d'elle-même une sorte de disposition automatique à les satisfaire et à leur obéir. La difficulté s'aggrave si la faiblesse a son siège dans le système nerveux. Il y a alors ce que la science européenne appelle une tendance à la neurasthénie qui, dans certaines circonstances, peut conduire à des dépressions nerveuses et à des effondrements. C'est ce qui arrive lorsque les nerfs sont soumis à une trop grande tension, ou lorsqu'on s'adonne avec excès au sexe ou à d'autres tendances, parfois aussi lorsque le conflit entre la contrainte de la volonté mentale et ces tendances devient trop aigu et trop prolongé. C'est la maladie dont vous souffrez, et si vous observez ces faits, vous y verrez la vraie raison de la dépression que vous avez eue à Pondichéry. Votre système nerveux était faible ; il ne pouvait obéir à la volonté et résister aux exigences des forces vitales extérieures, et dans cette lutte le mental et les nerfs ont subi une tension trop forte ; un effondrement s'en est suivi, qui a pris la forme d'un accès aigu de neurasthénie. Ces difficultés ne signifient pas que vous êtes incapable de vaincre et de
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maîtriser peu à peu vos nerfs et votre être vital pour harmoniser le mental et le caractère. Seulement vous devez comprendre correctement les choses, et non vous laisser aller à des idées fausses et malsaines à leur sujet ; vous devez aussi employer la bonne méthode. Ce qui vous manque, c'est un mental tranquille, une volonté tranquille, patiente, persévérante, qui refuse de céder à l'exaltation comme au découragement, mais insiste tranquillement et sans cesse pour obtenir la transformation nécessaire dans l'être. Une volonté tranquille de ce genre ne peut à la longue échouer. Son effet est inéluctable. Elle doit d'abord rejeter à l'état de veille non seulement les actions habituelles de l'être vital, mais les impulsions qui les provoquent ; elle doit comprendre que celles-ci sont extérieures à la personne, même si elles se manifestent en elle, et rejeter aussi les suggestions qui sont derrière les impulsions. Ainsi rejetées, les pensées et les mouvements naguère habituels peuvent encore se manifester en rêve, parce que selon une loi psychologique bien connue, s'ils sont refoulés ou rejetés dans l'état de veille, ils peuvent continuer à revenir dans le sommeil et le rêve, puisqu'ils existent toujours dans l'être subconscient. Mais si l'état de veille en est tout à fait débarrassé, ces mouvements oniriques disparaîtront peu à peu, faute d'être alimentés, et les impressions s'effaceront graduellement du subconscient. Telle est la cause de ces rêves qui vous effraient tant. Vous devriez voir qu'ils ne sont qu'un symptôme subsidiaire dont vous n'avez pas à vous alarmer, pourvu que vous puissiez acquérir la maîtrise de votre état de veille.
Mais vous devez vous débarrasser dès idées qui vous ont empêché d'arriver à la maîtrise de soi :
1. Comprenez que ces mouvements en vous n'ont pas pour origine une véritable dépravation morale, car celle-ci ne peut exister que si le mental lui-même est corrompu et soutient les impulsions perverses du vital. Quand le mental et la volonté les rejettent, l'être moral est sain et il ne s'agit plus que d'une faiblesse ou d'une maladie des parties vitales ou du système nerveux.
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2. Ne ressassez pas le passé, mais tournez-vous vers l'avenir avec une espérance et une confiance patientes. Ressasser les échecs du passé vous empêchera de recouvrer la santé et affaiblira votre mental et votre volonté en les empêchant de participer à votre conquête de vous-même et à la reconstruction de votre caractère.
3. Ne cédez pas au découragement si le succès tarde à venir, mais continuez avec patience et ténacité jusqu'à ce que le nécessaire soit fait.
4. Ne vous torturez pas la tête en vous appesantissant constamment sur vos faiblesses. Ne vous imaginez pas qu'elles vous rendent incapable d'affronter la vie ou de réaliser l'idéal humain. Quand vous aurez reconnu leur existence, cherchez les sources de votre force et appuyez-vous plutôt sur elles et sur la certitude de la victoire.
Votre premier souci doit être de retrouver la santé mentale et physique, et pour cela vous avez besoin de tranquillité d'esprit et, pendant quelque temps, d'une vie tranquille. Ne vous torturez pas la cervelle avec des questions que vous n'êtes pas encore prêt à résoudre. Ne ressassez pas toujours la même chose. Occupez le plus possible votre mental par des activités saines et normales et donnez-lui le plus de repos possible. Plus tard, lorsque l'état et l'équilibre de votre mental seront satisfaisants, vous aurez un jugement clair pour décider de la forme à donner à votre vie et de ce que vous devrez faire à l'avenir.
Ce sont là les meilleurs conseils que je puisse vous donner et je vous ai dit ce qui me semble essentiel pour vous, à présent. Mieux vaut ne pas venir tout de suite à Pondichéry. Je ne puis rien vous dire de plus que ce que je vous ai écrit. Tant que vous serez malade, il vaudra mieux rester auprès de votre père pour qu'il prenne soin de vous ; et surtout, dans les maladies comme la vôtre, la règle de prudence est de ne revenir sur les lieux et dans le milieu où l'on a eu sa crise que lorsqu'on est parfaitement rétabli et que les souvenirs qui s'y associent ont perdu leur intensité, ont relâché leur emprise sur le mental et ne peuvent plus produire
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sur lui aucune impression trop vive ou perturbatrice.
Oui, la solution est certes la Grâce divine ; elle vient d'elle-même, tout à coup ou progressivement, quand tout est prêt. En attendant, elle est présente derrière tous les conflits, et l'"invincible aspiration à la lumière" dont vous parlez est le signe visible de son intervention future. Quant à la double nature, ce n'est que l'une des formes de la dualité perpétuelle de la nature humaine à laquelle nul n'échappe, si universelle que de nombreux systèmes la reconnaissent comme un fait établi dont ils doivent tenir compte dans leur discipline : deux Personnes, l'une lumineuse et l'autre obscure, dans chaque être humain. Si cela n'existait pas, le yoga ne serait qu'un jeu d'enfant et il n'y aurait pas de conflit. Mais l'existence de cette double personnalité n'est nullement une raison de croire à une incapacité ; l'obstination de l'élément profane n'en est pas non plus une raison, car il est toujours, par nature, obstiné. C'est comme les Allemands dans leurs tranchées : ils reculent et se retranchent de nouveau en vue d'une nouvelle attaque en niasse chaque fois qu'ils sont mis en déroute. Mais en dépit de tout cela, si la Personne lumineuse est tout aussi déterminée à ne se satisfaire de rien si ce n'est la couronne de lumière, si elle est assez forte pour rendre l'être incapable de se contenter de voler moins haut, c'est le signe que l'être est appelé, qu'il est parmi les élus maigre les apparences extérieures, malgré ses propres doutes et ses désespoirs - nul n'y échappe, pas même un Christ et un Bouddha - et que l'esprit intérieur finira sûrement par triompher. Il n'y a aucune crainte à avoir à cet égard.
Ce que vous dites au sujet du "Double Mauvais" m'intéresse au plus haut point, car cela vient confirmer mon expérience
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réitérée qu'un individu exceptionnellement doué pour notre œuvre a toujours, ou presque toujours (mieux vaut peut-être ne pas établir de règles rigides en ces matières) un être qui lui est attaché et apparaît parfois comme une partie de lui-même, et qui est l'exacte contradiction de l'essence même de ce qu'il représente dans l'œuvre à accomplir. Ou si cet être n'est pas là au début, s'il ne s'est pas attaché à la personnalité, une force de ce genre pénètre dans l'atmosphère de cette personne dès qu'elle se met en route vers la réalisation. Ce double semble avoir pour objet de susciter des faux pas et de mauvaises conditions, en un mot de placer devant elle tout le problème de l'œuvre qu'elle a entreprise. C'est, semble-t-il, comme si le problème ne pouvait, dans l'économie occulte des choses, se résoudre autrement qu'au moyen d'un instrument prédestiné qui s'approprie la difficulté. Cela expliquerait bien des choses qui pourraient paraître très déconcertantes à la surface.
Je vous ai déjà fait savoir que j'acceptais les deux personnes dont vous m'avez envoyé les photographies. Pour A, vous avez raison de penser qu'il est un yogi né. Son visage est celui d'un mystique soufi ou arabe ; il l'a certainement été dans une vie passée, et il a dû transporter dans cette existence-ci une grande part de la personnalité qui était alors la sienne. Son être n'est pas exempt de défauts et de limitations. Le mental physique étroit dont vous parlez est visible sur la photographie, bien qu'il ne ressorte pas dans son expression, et pourrait le pousser vers un dénuement ascétique au lieu de le laisser s'élargir et s'ouvrir aux abondantes richesses du Divin. Il pourrait aussi le mener, dans d'autres circonstances, à un certain fanatisme. Mais si, au contraire, il est bien dirigé et s'ouvre aux pouvoirs bénéfiques, ces défauts pourraient se transformer en éléments précieux ; sa capacité pour l'ascétisme se transformerait en une force contre les dangers du vital physique et sa tendance au fanatisme en une intense
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dévotion pour la Vérité qui lui serait révélée. Certains problèmes dans l'être vital physique sont aussi à prévoir, mais je ne saurais dire de quelle nature. Dans son cas, l'évolution ne se poursuivra pas entièrement sans danger, ce qui ne peut être assuré que si la base vitale et physique est forte et s'il règne un certain équilibre naturel entre les différentes parties de l'être. Ici, cet équilibre doit être créé, et c'est tout à fait possible. Quel que soit le risque, il faut le prendre, car cette nature est née pour le yoga et l'occasion ne devrait pas lui en être refusée. Il faut lui faire bien comprendre le caractère et les exigences du Yoga intégral.
Passons à B. Il représente sans aucun doute, comme vous le dites, un certain type d'homme riche et heureux en affaires, mais dans cette catégorie il est parmi les meilleurs et présente un caractère solide et magnanime. Par ailleurs, son visage et son expression indiquent un raffinement et une capacité d'idéal peu communs. Nous ne devons certes pas accepter les candidats au yoga parce qu'ils sont riches, mais d'autre part nous ne devons pas non plus être enclins à les rejeter à cause de leurs richesses. La richesse peut être un grand obstacle, mais elle est aussi une grande opportunité, et notre travail a en partie pour but non pas de rejeter, mais de conquérir, pour la manifestation divine, le pouvoir vital et le pouvoir matériel - y compris celui de l'argent - qui sont maintenant détenus par d'autres influences. Si, par conséquent, un homme comme celui-ci manifeste une volonté réelle et sincère de passer dans notre camp et d'y apporter son pouvoir, il n'y a aucune raison de ne pas l'accepter. Il ne s'agit évidemment pas d'un homme né pour le yoga comme C, mais d'un individu qui a en lui la capacité de s'ouvrir à un éveil spirituel, et, je crois, d'une nature qui pourrait échouer à cause de certains manques, mais non à cause d'un élément adverse dans l'être. La seule nécessité est qu'il comprenne et accepte ce que le yoga exige de lui : d'abord la quête d'une Vérité plus grande, ensuite la consécration de lui-même, de ses pouvoirs et de sa fortune au service de cette Vérité, et enfin la transformation de toute sa vie pour qu'elle devienne une expression de cette
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Vérité ; il ne lui suffira pas non plus de donner avec enthousiasme une nouvelle tournure à son idéalisme, mais il lui faudra une volonté ferme et délibérée tendue vers le but. Ces hommes riches ont particulièrement besoin de se rendre compte que dans notre yoga, il ne suffit pas de déployer d'un côté un effort spirituel alors que de l'autre le reste des énergies s'adonnent aux motivations ordinaires, mais que la vie et l'être doivent être tout entiers consacrés au yoga. C'est probablement parce que leur vie s'est trouvée partagée ainsi que des hommes comme D n'ont pu progresser, malgré un don inné. Si cela est bien compris et admis, la consécration dont il parle est évidemment, dans sa situation, le premier pas sur le chemin. S'il s'y engage, il sera sans doute bien avisé de venir à bref délai me voir à Pondichéry. Mais cela devra évidemment se décider plus tard...
P.S. J'avais fini d'écrire cette lettre quand j'ai reçu la vôtre du 12. Ce que vous dites de E correspond à ce que j'avais déjà compris à son sujet, avec seulement davantage de précisions. Je ne crois pas que tout cela ait beaucoup d'importance. Toutes les natures vigoureuses ont en elles cette force d'extériorisation active et radjasique, et si cela suffisait à rendre inapte au yoga, très peu d'entre nous auraient eu une chance de pouvoir le faire. Quant au mental physique qui doute que ce yoga soit possible, qui n'en a pas eu l'expérience ? En ce qui me concerne, ce doute m'a poursuivi pendant des années et c'est seulement au cours de ces deux dernières années4 que l'ultime trace de doute, qui ne portait plus vers la fin sur la possibilité théorique du yoga, mais sur la certitude pratique de sa réalisation dans l'état actuel du monde et de la nature humaine, m'a entièrement quitté. On peut dire la même chose de l'attitude égoïste : presque toutes les fortes personnalités sont fortement égoïstes. Mais à en juger par sa photographie, je ne crois pas que son attitude - mi-taureau, mi-bouledogue - soit la même que celle de F. Ces traits de caractère ne peuvent disparaître qu'avec le développement et
4. Cette lettre est datée du 16 avril 1923.
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l'expérience spirituels ; alors la force qui est derrière devient un atout. Il ressort évidemment aussi de ce que vous dites au sujet de son expérience (la voix, l'immensité) qu'il a en lui, comme je le pensais, un élément psychique en attente, sur le point de s'éveiller spirituellement. J'ai cru comprendre qu'il attendait d'être convaincu intellectuellement et que cette conviction ne pourrait lui être assurée que par une expérience intérieure. À cela non plus il n'y a rien à redire. Mais la question - qui me semble cruciale dans son cas - est de savoir s'il sera prêt à apporter dans le yoga la volonté et la consécration fermes, entières et absolues qui lui permettront de surmonter tous les conflits et toutes les crises de la sâdhanâ. La disparité entre son attitude mentale et son action est toute naturelle, parce qu'il s'agit précisément d'une attitude mentale. Cette attitude doit devenir spirituelle pour que la vie et l'idéal ne fassent plus qu'un. A-t-il été gâté par le luxe, comme vous le dites, la vie du monde a-t-elle sapé en lui la possibilité de diriger complètement sa volonté vers le Divin ? Si ce n'est pas le cas, on peut lui donner sa chance. Je ne puis dire avec certitude qu'il est ou sera adhikârî. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il en a la capacité dans la meilleure partie de sa nature. Je ne puis pas dire non plus qu'il est parmi les "meilleurs". Mais il me semble avoir à l'origine plus de capacité que certains - sinon la plupart - de ceux qui ont été acceptés. En parlant des "meilleurs", je ne voulais pas dire que son âdhâr était sans défauts et à l'abri des dangers, car je ne crois pas qu'un tel âdhâr existe. Mon impression se fonde évidemment sur le sentiment général favorable produit par la physionomie et l'apparence, sur certaines observations bien déterminées que j'ai faites à leur sujet et sur certaines indications psychiques qui, sans être tout à fait sans mélange, étaient dans l'ensemble favorables. Je n'ai pas, comme vous, vu cet homme. Acceptez l'argent qu'il offre, ne lui en demandez pas plus pour le moment, et pour le reste, faites-lui comprendre clairement non seulement ce qu'est le yoga, mais aussi tout ce qu'il exige de la nature. Voyez comment il réagit et si oui ou non on peut lui donner sa chance.
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Il n'y a que trois obstacles fondamentaux qui puissent barrer le chemin :
1. L'absence de foi ou une foi insuffisante.
2. L'égoïsme : le mental qui s'accroche à ses idées, le vital qui préfère ses désirs à une vraie consécration, le physique qui tient à ses habitudes.
3. Une inertie ou une résistance fondamentale dans la conscience qui ne veut pas changer parce que l'effort est trop grand, ou parce qu'elle ne veut pas croire en sa capacité ou au pouvoir du Divin - ou pour une autre raison plus subconsciente.
À vous de voir de quel obstacle il s'agit dans votre cas.
La principale difficulté, dans la sâdhanâ, vient des mouvements de la nature inférieure - idées du mental, désirs et attirances du vital, habitudes de la conscience corporelle - qui font obstacle à la croissance de la conscience supérieure ; il y a d'autres difficultés, mais celles-ci constituent le plus gros de la résistance.
Sous une forme ou sous une autre, la résistance du mental et le Prâna qui prend prétexte de la réalisation spirituelle pour rechercher son indépendance et l'épanouissement de l'ego sont des obstacles fréquents dans le yoga.
Chaque partie de la nature veut continuer ses vieux mouvements et refuse autant qu'elle peut d'admettre un changement et un progrès radicaux, parce que cela la soumettrait à quelque chose de plus haut qu'elle et la priverait de sa
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souveraineté dans son propre domaine, de son empire séparé. C'est cela qui fait de la transformation une opération si longue et si difficile.
Le mental devient lourd parce que sa base inférieure repose sur le mental physique et sur son principe d'inertie, tannas ; car dans la matière, l'inertie est le principe fondamental. Si les expériences supérieures se poursuivent longtemps ou constamment, cela produit dans cette partie du mental une sensation d'épuisement ou une réaction de malaise ou de lourdeur.
L'extase, samâdhi, est un moyen d'échapper: le corps est tranquillisé, le mental physique est dans un état de torpeur, la conscience interne est alors libre de poursuivre ses expériences. L'inconvénient est que l'extase devient indispensable et que le problème de la conscience de veille n'est pas résolu : elle reste imparfaite.5
La rigidité venait de l'obstination avec laquelle votre mental et votre vital restaient attachés à leurs idées et à leurs habitudes vitales et ne voulaient pas changer. Mais le résultat était plutôt un laisser-aller, une mollesse générale qui refusait d'accorder la nature à l'effort spirituel, mais permettait à toutes sortes de choses de venir jouer leur note sur elle. La plasticité de la conscience est nécessaire, mais une plasticité au véritable Pouvoir, et non aux forces ordinaires de la Nature. Tout mettre en harmonie avec le Très-Haut, tel devrait être votre but ; alors toute la poésie de l'esprit s'exprimera non seulement par écrit, mais dans la vie.
La présence d'imperfections, et même d'imperfections nombreuses et sérieuses, ne saurait être un empêchement
5. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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permanent au progrès du yoga (je ne parle pas de retrouver l'ouverture antérieure, car, suivant mon expérience, ce qui vient après une période d'obstruction ou de lutte, est généralement une ouverture nouvelle et plus large, une conscience plus vaste et un progrès par rapport à ce que l'on avait gagné auparavant et qui pour un temps semblait perdu - mais ne l'était qu'en apparence). Le seul empêchement qui puisse être permanent - mais qui ne l'est pas nécessairement, car cela aussi peut changer - c'est l'insincérité, et elle n'existe pas en vous.
Si l'imperfection était un empêchement, nul homme ne pourrait réussir dans le yoga, car tous sont imparfaits, et je ne suis pas sûr d'après ce que j'ai vu que ce ne soient pas ceux qui ont la plus grande capacité pour le yoga qui n'aient aussi le plus souvent, ou n'aient eu, les plus grandes imperfections.
Vous connaissez, je suppose, le commentaire de Socrate sur sa propre nature. Beaucoup de grands yogis pourraient en dire autant de leur propre nature initiale. Dans le yoga, la seule chose qui compte finalement, c'est la sincérité, et avec elle la patience de persister sur le chemin. Beaucoup, même sans cette patience, vont jusqu'au bout, car en dépit de la révolte, de l'impatience, de la dépression, du découragement, de la fatigue, de la perte temporaire de la foi, c'est une force plus grande que leur moi extérieur - la force de l'Esprit, l'élan du besoin de l'âme - qui les pousse à travers les nuages et les brouillards, vers le but devant eux. Les imperfections peuvent être des pierres d'achoppement et faire faire de mauvaises chutes momentanées, mais elles ne peuvent pas être un empêchement permanent. Les obscurcissements qui viennent de quelque résistance de la nature peuvent être des causes de retard plus sérieuses, mais eux non plus ne durent pas toujours.
La longueur de votre période de marasme n'est pas non plus une raison suffisante pour que vous perdiez foi en votre capacité ou en votre destinée spirituelle. Je crois que les alternances de périodes sombres et brillantes sont
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l'expérience presque universelle des yogis et que les exceptions sont très rares. Si l'on cherche les raisons de ce phénomène, tellement désagréable pour notre nature humaine impatiente, on en trouvera, je pense, deux principales. La première est que la conscience humaine ne peut pas supporter une descente constante de Lumière, de Pouvoir ou d'Ânanda, ou bien elle ne peut pas à la fois les recevoir et les absorber ; elle a besoin de périodes d'assimilation. Mais cette assimilation se poursuit derrière le voile de la conscience de surface ; l'expérience ou la réalisation qui sont descendues, se retirent derrière le voile et laissent en jachère la conscience extérieure, de surface, pour qu'elle se prépare à une nouvelle descente. Aux stades plus mûrs du yoga, ces périodes sombres ou ternes deviennent plus courtes, moins pénibles, et elles sont aussi allégées par le sentiment d'une conscience plus grande qui. bien qu'elle n'agisse pas pour un progrès immédiat, demeure cependant et soutient la nature extérieure.
La seconde cause est une résistance, quelque chose dans la nature humaine qui n'a pas senti la descente antérieure, qui n'est pas prêt et peut-être ne veut pas changer - souvent, une forte formation habituelle du mental ou du vital, ou bien une inertie momentanée de la conscience physique, mais pas exactement une partie de la nature - et ceci, ouvertement ou secrètement, fait surgir l'obstacle. Si l'on peut détecter en soi-même la cause, la reconnaître, voir son fonctionnement et appeler le Pouvoir qui la fera disparaître, les périodes d'obscurité peuvent être grandement raccourcies et leur acuité diminue. Mais dans tous les cas, le Pouvoir divin poursuit son travail par derrière, et un jour, peut-être au moment où l'on s'y attend le moins, l'obstacle se brise, les nuages s'évanouissent et de nouveau la lumière et le soleil sont là. La meilleure attitude dans ces circonstances, si l'on peut la prendre, est de ne pas se tourmenter, de ne pas se décourager, mais de persévérer tranquillement et de se garder ouvert, étalé à la Lumière, en attendant avec foi sa venue. J'ai constaté que cela raccourcissait la durée de
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l'épreuve. Après, quand l'obstacle a disparu, on s'aperçoit qu'un grand progrès s'est accompli et que la conscience est bien plus capable qu'auparavant de recevoir et de retenir. Il y a une compensation à toutes les épreuves et les tribulations de la vie spirituelle. 6
Le yogi parvient à une sorte de division dans son être où le Pourousha intérieur contemple, calme et inébranlable, les perturbations de l'individu extérieur comme on regarde les passions d'un enfant déraisonnable ; une fois cette attitude stabilisée, il peut commencer à maîtriser aussi l'individu extérieur, mais cette maîtrise complète de l'individu extérieur exige une tapasyâ longue et ardue.
Même d'un yogi réalisé, on ne peut cependant pas toujours attendre une absolue perfection : nombre d'entre eux ne s'intéressent même pas à la perfection de la nature extérieure, ce qui n'invalide en rien leur réalisation et leur expérience. Si vous n'admettez pas cela, vous devez récuser la grande majorité des yogis d'autrefois et aussi tous les Rishis de l'antiquité.
Je reconnais que l'idéal de mon yoga est différent, mais je ne puis l'imposer à d'autres personnalités spirituelles, ni les obliger à y conformer leurs réalisations et leur discipline. J'ai pour idéal la transformation de la nature extérieure, une perfection aussi absolue que possible. Mais vous ne pouvez pas dire que ceux qui ne l'ont pas atteinte ou ne s'en souciaient pas n'avaient aucune spiritualité. Une belle manière de se comporter - non la politesse, qui est quelque chose d'extérieur, bien qu'elle ait sa valeur - fait certainement partie de la parfaite harmonie dès lors que sa beauté se fonde sur la réalisation spirituelle de l'unité et de l'harmonie projetée dans la vie.
6. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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Mais depuis quand la politesse et les bonnes manières en société sont-elles considérées comme une partie ou comme une preuve de l'expérience spirituelle ou de la véritable siddhi yoguique ? Ce n'est pas plus une preuve que la capacité de bien danser ou de s'habiller avec élégance. De même que certains hommes bons et bienveillants se conduisent comme des rustres et des malotrus, de même certains hommes très spirituels (par homme spirituel, j'entends ceux qui ont eu des expériences spirituelles profondes) n'ont aucune prise sur la vie ou l'action physiques (et aussi bon nombre d'intellectuels, soit dit en passant) et ne surveillent nullement leurs manières. Je suppose qu'on m'accuse d'être impoli et arrogant parce que je refuse de voir les gens, parce que je ne réponds pas aux lettres et parce que je me rends coupable de toutes sortes d'autres méfaits. J'ai entendu parler d'un célèbre reclus qui jetait des pierres à tous ceux qui approchaient de sa retraite, parce qu'il ne voulait pas de disciples et n'avait pas trouvé d'autre moyen de se protéger de la foule des postulants. En ce qui me concerne, j'hésiterais à déclarer que des yogis comme celui-ci n'avaient aucune expérience et aucune vie spirituelles. Je préfère certes que les sâdhak se traitent mutuellement avec un minimum d'égards, mais il s'agit là d'une règle d'harmonie dans la vie collective et non d'une siddhi du yoga ou d'un signe indispensable d'expérience intérieure.
À ce que vous dites, dès l'instant où l'on a une expérience ou une réalisation spirituelle, quelle qu'elle soit, on devrait aussitôt devenir parfait, sans défaut ni faiblesse. C'est là une exigence impossible à satisfaire, et c'est méconnaître le fait que la vie spirituelle est une croissance et non un miracle soudain et inexplicable. On ne peut juger un sâdhak comme s'il était un yogi réalisé, et moins encore ceux qui n'ont parcouru que le quart, ou moins encore, d'un très long chemin. Même les grands yogis ne revendiquent pas la perfection et vous ne pouvez dire que, puisque leur perfection n'est pas absolue, leur spiritualité est fausse ou sans utilité pour le monde. Par ailleurs, les hommes spirituels
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sont de toutes sortes : certains se satisfont de l'expérience spirituelle et ne recherchent pas une perfection ou un progrès extérieurs, d'autres sont des saints, d'autres encore ne recherchent pas la sainteté ; d'autres enfin se contentent de vivre dans la conscience cosmique, en contact ou en union avec le Tout, mais permettent à toutes sortes de forces de les traverser : c'est, par exemple, la description typique du Paramhansa. L'idéal que je propose à notre yoga est une chose, mais il n'engage pas toute vie et tout effort spirituels. La vie spirituelle ne peut pas se formuler en une définition rigide, ni être liée par une règle mentale fixe, c'est un vaste champ d'évolution, un royaume immense, potentiellement plus vaste que tous ceux qui s'étendent au-dessous de lui, qui possède des centaines de provinces et où l'on trouve des milliers de modèles, d'étapes, de formes, de chemins, de variations dans l'idéal spirituel, de degrés d'avancement spirituel. C'est du point de vue de cette vérité que l'on doit juger de tout ce qui concerne la spiritualité et ses chercheurs, si l'on veut les juger en toute connaissance de cause. C'est seulement en la comprenant ainsi que l'on peut vraiment comprendre la spiritualité, passée ou à venir, donner aux hommes spirituels, passés et présents, la place qui leur revient ou relier entre eux les divers idéaux, les différents stades, etc. qui ont marqué l'évolution spirituelle de l'être humain.
Je réponds à votre lettre, car Mère est encore trop occupée pour écrire.
Ce qu'elle avait dans l'idée, à l'époque, était ce qui, dans la psychologie du yoga indien, s'appelle une perfection "sattwique", perfection qui se traduit en qualités et en actions propres à satisfaire un idéalisme mental, et que les autres peuvent très bien voir et apprécier. Cette perfection engendre souvent un certain genre d'orgueil et de pharisaïsme. un égoïsme "sattwique" qui rend la conscience rigide et non
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souple et malléable à la Volonté divine. La vraie perfection spirituelle n'est pas tellement une question de forme ; elle appartient à la substance même de la conscience et a comme elle pour base une harmonie complète avec la Conscience divine, et une faculté de s'adapter à tout instant d'une manière libre et souple à la Volonté divine ; ses formes et les formes de son action ne sont pas si faciles à voir ou à apprécier. Le mot "vertueux" ne s'applique pas à ses mouvements : ils sont justes simplement parce qu'ils sont à l'unisson du Divin.
Il ne faut évidemment pas se laisser entraîner par les véritables imperfections ; adopter ce principe serait dangereux ; les imperfections "apparentes" sont celles qui pourraient apparaître comme telles à une vision purement extérieure. Une colère "vertueuse" pourrait très bien faire partie du pharisaïsme auquel Mère faisait allusion, et il est spirituellement indésirable de s'identifier à un mouvement de colère, vertueux ou non. Mais un mouvement du genre de celui dont elle voulait parler peut, pour un point de vue extérieur, avoir une apparence identique aux mouvements d'imperfection dans la nature, et pourtant être juste au sens que j'ai indiqué plus haut. Il ne s'agit pas d'accomplir une action ou d'adopter une attitude particulière, mais que la conscience intérieure donne à la Volonté divine agissant à travers elle une expression libre et souple.
Çâkya-Mouni est l'un des noms du Bouddha : "le sage des Çâkya", Çâkya étant le clan auquel le Bouddha appartenait de par sa naissance et dont son père était le "roi".
IV
Peu importent les défauts que vous pouvez avoir dans votre nature ; la seule chose qui importe est de vous garder ouvert à la Force. Personne ne peut se transformer par ses propres efforts et sans aide. C'est la Force divine seule qui peut vous
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transformer. Si vous vous gardez ouvert, tout le reste sera fait pour vous.7
Toutes les limitations peuvent être surmontées, mais si elles sont gravées dans la constitution de l'être, on ne peut les vaincre qu'en faisant appel à un pouvoir et à une conscience supérieurs au mental et à la volonté personnels. La conscience supérieure peut, par son apport, rectifier ou reconstruire ce qui est défectueux dans la nature personnelle.
Presque personne n'est assez fort pour surmonter sans aide, par sa propre aspiration et sa propre volonté, les forces de la nature inférieure. Même ceux qui le font n'obtiennent qu'une certaine sorte de contrôle et non la maîtrise complète. La volonté et l'aspiration sont nécessaires pour faire descendre l'aide de la Force divine et pour que l'être se range de son côté pendant qu'elle agit sur les pouvoirs inférieurs. La Force divine, accomplissant la volonté spirituelle et l'aspiration psychique du cœur, peut seule effectuer la conquête.8
Comme je vous l'ai dit, il n'est plus d'aucune utilité de se préoccuper de la bonne compréhension ou des mouvements faux et de se mettre dans tous ses états lorsqu'on sent que l'une est absente ou que les autres sont imparfaits. Nul ne peut se transformer lui-même ; même les plus forts parmi les sâdhak de l'Ashram le reconnaissent. Leur effort a pour but de laisser entrer et de développer en eux la Paix, la Force, la Lumière, l'Ânanda de la Mère, car ils savent que c'est cela
7. Les Bases du Yoga, chapitre Il Traduction de la Mère.
8. Les Bases du Yoga, chapitre Il Traduction de la Mère.
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qui les transformera. Tant qu'ils n'ont pas acquis cela, qu'ils n'en ont pas encore été touchés, tant que cela n'a pas encore commencé à se développer en eux, ils sont aux prises avec le mental et le vital, parce qu'ils ne peuvent pas s'en empêcher et que c'est nécessaire pour préparer un peu la conscience à recevoir la Paix et la Force. Mais une fois qu'on est en contact avec la Paix et la Force, elles seules doivent compter et l'on doit s'en remettre à elles, se consacrer et se donner à elles - car on a trouvé alors la route directe, on a senti le vrai pouvoir et la vraie conscience.
Je veux que vous soyez ouvert à la Paix, à la Présence et à la Force et en contact avec elles. Tout le reste viendra par surcroît et l'on n'aura plus alors à se soucier du temps que prennent les péripéties9 de la sâdhanâ.
La seule vérité dans votre autre expérience - qui vous paraissait, dites-vous, si vraie sur le moment - est qu'il est impossible pour vous, ou pour quiconque, de sortir de la conscience inférieure par l'effort personnel et sans aide. C'est pourquoi, quand vous sombrez dans cette conscience inférieure, tout vous semble désespéré, car pour un temps vous perdez le contact avec la vraie conscience. Mais cette suggestion est mensongère, parce que vous avez une ouverture au Divin et que vous n'êtes pas obligé de rester dans la conscience inférieure.
Quand vous êtes dans la vraie conscience, vous voyez que tout est possible, même si pour le moment il n'y a qu'un petit commencement ; mais un commencement suffit une fois que la Force et le Pouvoir sont là. Car en vérité, ils peuvent tout ; seuls le temps et l'aspiration de l'âme sont
9. En français dans le texte.
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nécessaires pour le changement total et l'accomplissement de l'âme.10
Tout ce que l'on fait par le pouvoir du mental est toujours difficile quand ce que l'on tente va à l'encontre de la tendance de la nature humaine ou de la nature personnelle. Une forte volonté, dirigée avec patience et persévérance sur son objet, peut effectuer un changement, mais d'habitude cela prend longtemps, et au commencement le succès peut n'être que partiel et mitigé de bien des échecs.
Changer automatiquement toute action en acte d'adoration ne peut se faire par le seul pouvoir de la pensée ; il faut dans le cœur une forte aspiration qui amène une certaine perception ou sentiment de la présence de Celui à qui l'adoration est offerte. Le bhakta ne se fie pas à son seul effort, mais à la grâce et au pouvoir du Divin qu'il adore. 11
Ces obstacles sont courants aux premières phases de la sâdhanâ. Ils viennent de ce que la nature n'est pas encore assez réceptive. Il faut découvrir où se situe l'obstacle, dans le mental ou le vital, et essayer d'élargir la conscience en ce point, d'y apporter plus de pureté et de paix, et dans cette paix et cette pureté, offrir cette partie de votre être sincèrement et totalement au Pouvoir divin.12
La véritable raison de cette difficulté et de cette constante oscillation se trouve dans la lutte entre l'être intérieur vrai,
10. Les Bases du Yoga, chapitre Il Traduction de la Mère.
11. Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.
12. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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qui est voilé, et la nature extérieure, en particulier le vital inférieur plein de désirs et le mental physique plein d'obscurité et d'ignorance. Ce conflit est inévitable dans la nature humaine et aucun sâdhak n'y échappe ; chacun doit affronter cette obscurité et cette résistance, leur obstination et leur constante réapparition ; car ce n'est pas seulement la nature inférieure qui revient et se répète obstinément ; même lorsqu'elle est sur le point de changer, les Pouvoirs généraux de ce plan de la Nature universelle essaient de prolonger la résistance en rappelant à chaque pas les anciens mouvements, pour empêcher le progrès de se confirmer pour de bon et de devenir définitif. Il est par conséquent vrai qu'une sâdhanâ constante, persévérante et ininterrompue est nécessaire, si l'on veut avancer vite, bien qu'il soit possible d'arriver même en s'y prenant autrement, si l'âme au-dedans est appelée ; car l'âme persévérera et après chaque obscurcissement, chaque faux pas, elle fera revenir la lumière et vous fera revenir sur le chemin jusqu'à ce qu'elle se sente enfin assurée d'une marche aisée jusqu'au but.
Une difficulté ou une interruption survient, alors que vous veniez d'amorcer un mouvement ou que vous le poursuiviez depuis quelque temps. Comment l'affronter? - car les interruptions de ce genre sont inévitablement assez fréquentes, non seulement pour vous, mais pour tous les chercheurs ; on pourrait presque dire que chaque pas en avant est suivi d'un arrêt ; du moins c'est une expérience très fréquente, sinon universelle. Il faut d'abord devenir de plus en plus tranquille, de plus en plus ferme dans sa volonté d'aller jusqu'au bout, en s'ouvrant de plus en plus pour que toute absence de réceptivité qui fait obstacle dans la nature puisse diminuer ou disparaître, en affirmant sa foi même au milieu de l'obscurité, une foi en la présence d'un Pouvoir agissant derrière le nuage et le voile, en la direction du Gourou, et en s'observant soi-même pour découvrir la cause de cet arrêt, non dans
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un esprit de découragement ou d'abattement, mais avec la volonté de trouver cette cause et de l'éliminer. C'est la seule attitude juste et si on l'adopte avec persévérance, les périodes d'arrêt ne seront pas éliminées - à ce stade, c'est impossible - mais deviendront considérablement plus courtes et plus faciles à supporter. Tantôt ces arrêts sont des périodes plus ou moins longues d'assimilation ou de préparation invisible, et leur apparence d'immobilité stérile est trompeuse ; dans ce cas, en adoptant la bonne attitude, on peut, au bout d'un certain temps, en s'ouvrant, en s'observant, en accumulant les expériences, commencer à sentir, à entrevoir ce qui se prépare ou se fait. Tantôt c'est une vraie période d'obstruction où le Pouvoir à l'œuvre doit lutter contre les obstacles qui se présentent : ceux que l'on porte en soi, ceux qui viennent des forces cosmiques adverses, d'autres forces, ou de toutes ces forces à la fois, et ce genre d'interruption peut être longue ou brève selon l'ampleur, l'obstination ou la complexité des obstacles que l'on rencontre. Mais ici aussi, l'attitude juste peut alléger ou raccourcir l'épreuve, et si l'on persévère, elle peut contribuer à éliminer plus radicalement les difficultés, de sorte que les interruptions totales soient par la suite beaucoup moins nécessaires.
Si, au contraire, vous êtes déprimé, si vous n'avez pas foi en l'aide et en la direction, ou en la certitude de la victoire du Pouvoir qui vous guide, si vous vous enfermez dans vos difficultés, cette attitude nuit à votre rétablissement, prolonge les difficultés, tend à faire revenir en force les obstructions au lieu de les espacer peu à peu. Vous devez écarter résolument cette attitude, soit qu'elle persiste, soit qu'elle revienne, si vous voulez surmonter cette obstruction que vous ressentez si intensément et que votre découragement, tant qu'il dure, ne fait que rendre plus aiguë.
Je ne crois pas qu'aucun sâdhak, si avancé soit-il, puisse être toujours pleinement conscient. Ces fluctuations se produisent
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et l'on n'y peut rien, parce que quelque chose, dans la conscience ordinaire, subsiste et apparaît pour qu'on s'en occupe. Il faut le comprendre et ne pas en être bouleversé, car cela ne fait que retarder le processus. Si la vraie conscience était pleinement établie et permanente, la sâdhanâ serait terminée et ce serait la siddhi. Cela ne peut pas venir d'un seul coup.
Je ne cesse de vous le répéter : vous ne pouvez vous attendre à ce que tout s'illumine d'un coup. Même les plus grands yogis ne peuvent procéder que par étapes, et c'est seulement à la fin que toute la nature participe à la vraie conscience qu'ils commencent par établir soit dans le cœur ou derrière lui, soit dans la tête ou au-dessus d'elle. Cette conscience descend ou se répand lentement, prenant possession successivement de chaque plan de l'être, mais chaque étape prend du temps.
Vous devriez comprendre que ces périodes d'obscurcissement ne sont pas dues à une incapacité ou à une perversité qui vous serait particulière : elles atteignent même les meilleurs sâdhak. C'est le problème de la nature humaine qui ne veut pas se laisser transformer. Cette difficulté prend parfois la forme d'une mauvaise volonté quelque part dans le vital, ou d'une tendance du physique à rester attaché aux vieilles erreurs et aux vieilles habitudes, ou à reculer devant l'effort exigé par la transformation, mais sous ce rapport vous avez fait de grands progrès. Ce qui reste, c'est l'habitude automatique de la nature inférieure en général - automatique et non volontaire - de répéter les anciens mouvements auxquels elle s'est accoutumée par le passé ou tout récemment, quand ils viennent de la Nature universelle environnante par vagues puissantes. C'est ce qui fait que vous retombez constamment
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dans des états que le progrès spirituel voudrait éliminer, et il n'est pas facile d'empêcher ces rechutes. L'essentiel est de ne pas se laisser affliger ou bouleverser lorsqu'elles se produisent, de comprendre de quoi il s'agit et de rester très tranquille, tout en appelant la Force de la Mère pour qu'elle écarte la difficulté. Ainsi, ces rechutes deviennent moins fréquentes, leur force et leur intensité diminuent aussi et d'autre part on arrive de plus en plus facilement et rapidement à ramener l'état lumineux, heureux, paisible et ouvert. On peut alors poursuivre sur une base assurée un progrès de plus en plus positif.
Ces périodes de difficulté sont inévitables ; nul n'y échappe, car la nature inférieure est présente en chacun. Ce que vous devez faire, c'est garder la fermeté dont vous parlez et persévérer jusqu'à ce que le Pouvoir divin et votre volonté, agissant de concert, en finissent avec ce qui vient d'en bas. Pourquoi considérez-vous ce qui émerge au grand jour comme si cela vous était particulier ? Ces choses font partie de la substance même du vital inférieur de l'être humain, et nul n'en est exempt. Leur présence ne signifie donc pas que vous ne pouvez pas atteindre la Mère. Quand le mental et l'âme ont choisi ce but, les autres parties de l'être ne peuvent que suivre ; seulement comme elles sont plus obscures, la résistance est en elles plus aveugle et plus obstinée. Mais la volonté d'atteindre le but s'est maintenant fixée jusque dans votre vital; seule une partie inférieure a pris l'habitude d'obéir à ces mouvements faux, et par conséquent lorsqu'ils viennent par vagues, elle ne sait pas comment les éviter et se trouve submergée pendant quelque temps. Cela ne peut durer longtemps, car ces mouvements ne sont pas vraiment vôtres, puisque l'être central et la plus grande partie de la nature ne les désirent plus. Vous n'avez qu'à poursuivre fermement votre chemin et un temps viendra où les vagues ne s'élèveront plus.
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C'est sans aucun doute la pression de votre psychique que vous exprimez dans cette lettre. L'être psychique veut qu'il en soit ainsi. Mais c'est une erreur d'écouter tout ce qui vous incite à manquer de confiance en vous, à croire en votre incapacité, sous prétexte qu'il n'en est pas encore ou pas toujours ainsi. Cela prend toujours du temps : même une fois commencé, cela prend toujours du temps. On ne peut s'attendre à ce que la nature humaine impure et confuse soit toujours dans un état d'ardente aspiration, de foi et d'amour parfaits ou d'ouverture pleine et constante à la Force divine. Il y a le mental, sa connaissance limitée et ses hésitations ; il y a le vital, ses désirs, sa mauvaise volonté et ses luttes ; il y a le physique, son obscurité, sa lenteur et son inertie. Déblayer le terrain, ne serait-ce que pour avoir un début d'expérience, est en général un labeur très long. Mais ensuite, si la paix ou un autre état favorable survient, il subsiste pendant un certain temps ; alors ce qui reste de la nature inférieure se soulève sous un prétexte quelconque - ou sans aucun prétexte - et voile cet état. La paix et l'ouverture peuvent être si fortes que toutes les difficultés semblent avoir disparu pour de bon, mais ce n'est qu'une indication, une promesse qui montre ce qu'il en sera lorsque la paix et l'ouverture se seront établies irrévocablement dans toute la nature. Pour cela, il faut de la persévérance : continuer sans se décourager, en reconnaissant que le processus de la nature et l'action de la force de la Mère sont à l'œuvre, même au milieu des difficultés, et feront tout le nécessaire. Notre incapacité n'a aucune importance - il n'est aucun être humain qui ne soit incapable, dans quelque partie de sa nature - mais la Force divine est là aussi. Si l'on s'en remet à elle, l'incapacité se transformera en capacité ; la difficulté et la lutte deviendront alors elles-mêmes un moyen d'arriver à la réalisation.
Votre expérience est juste. Tout est préparé en haut, puis mis en œuvre par l'être intérieur jusqu'à ce que les résultats
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soient acquis et portés à leur perfection dans la personnalité extérieure. Le sâdhak ne doit donc pas se laisser alarmer, perturber, chagriner ou décourager par les difficultés apparentes du moment. Il doit savoir que tout a été préparé au-dessus et, dans le calme et la confiance, en observer le développement dans son être et y participer.
En général, l'action de la conscience supérieure ne commence pas par transformer la nature extérieure : elle s'exerce sur l'être intérieur, le prépare, puis passe à la nature extérieure. Auparavant, tout changement accompli dans la nature extérieure doit être effectué par le psychique.
Ne vous laissez pas ébranler ni troubler par ces choses. Ce qu'il faut toujours faire, c'est rester ferme dans votre aspiration vers le Divin et affronter avec équanimité et détachement toutes les difficultés et toutes les oppositions. Pour ceux qui veulent mener la vie spirituelle, le Divin doit toujours passer d'abord ; tout le reste doit être secondaire.
Restez détaché et regardez ces choses avec la calme vision interne de celui qui est profondément consacré au Divin.13
On ne peut pas dire si la victoire est proche ou non ; il faut poursuivre régulièrement et méthodiquement la sâdhanâ, sans se préoccuper de ce qui est proche ou lointain, sans dévier du but, sans exaltation s'il semble se rapprocher, ni dépression s'il semble encore lointain.
13. Les Bases du Yoga, chapitre I. Traduction de la Mère.
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V
Le Pouvoir ne descend pas dans le but de soulever les forces inférieures, mais étant donné la façon dont il doit travailler à présent, ce soulèvement arrive par réaction contre le travail. Ce qu'il faut, c'est établir à la base de la Nature entière une conscience calme et vaste ; ainsi, lorsque la nature inférieure apparaîtra, ce ne sera pas comme une attaque ni un conflit, mais comme si un Maître des forces était là, qui voyait les défauts du mécanisme actuel et faisait pas à pas le nécessaire pour y porter remède et le changer.14
La méthode dont vous parlez consiste, à ce que je comprends, à susciter les difficultés afin de les connaître et de les épuiser ou de les détruire. Une fois que l'on a entrepris le yoga, il est inévitable que les difficultés apparaissent et continuent à surgir tant qu'il en reste la moindre trace dans l'être. On peut alors croire qu'il vaut mieux les susciter soi-même en bloc, afin d'en finir une fois pour toutes. Mais bien que cette méthode puisse réussir dans certains cas, elle n'est pas du tout sûre et certaine, même dans le mental et le vital. Épuiser les difficultés est évidemment impossible ; elles sont engendrées par des forces cosmiques, des forces de l'Ignorance cosmique qui ne peuvent être épuisées. Les gens parlent de difficultés qui s'épuisent parce qu'au bout d'un certain temps, elles perdent de leur force et diminuent, mais cela ne peut se faire que par la force de rejet exercée par le Pourousha et par la force d'une intervention divine qui contribue à ce rejet et dissout ou détruit la difficulté chaque fois qu'elle se présente. Même dans ce cas, il est rare que l'on puisse se débarrasser en bloc des difficultés ; quelque chose demeure et revient jusqu'à ce que soudain se produise une intervention divine qui y met fin, ou un changement de conscience qui rend impossible le retour de la difficulté.
14. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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Dans le mental et le vital, on peut cependant le faire.
Dans le physique, c'est beaucoup plus dangereux, parce que là, c'est l'âdhâr physique lui-même qui est attaqué, et une trop grande masse de difficultés physiques peut le détruire, le mutiler ou l'endommager définitivement. Ici la seule chose à faire est d'ouvrir la conscience physique, jusque dans ses parties les plus matérielles, au Pouvoir, et ensuite de l'habituer à y réagir, à y obéir, et devant chaque difficulté physique, dès qu'elle se présente, à exercer ou à appeler le Pouvoir divin afin qu'il expulse la force qui l'assaille. La nature physique est faite d'habitudes : c'est par habitude qu'elle obéit aux forces de la maladie ; on doit lui inculquer l'habitude contraire de n'obéir qu'à la Force divine. Cela, bien entendu, tant que la conscience supérieure, inaccessible à la maladie, n'est pas descendue.
Il est certainement possible de tirer des forces d'en bas. Il se peut que ce soient les forces divines cachées en bas qui montent à votre appel ; en ce cas, ce mouvement ascendant complète le mouvement et l'effort de la force divine d'en haut, particulièrement en l'aidant à faire descendre sa force dans le corps. Il se peut aussi que ce soient les forces obscures d'en bas qui répondent à l'invitation ; en ce cas, les tirer ainsi amène le tamas ou le désordre - quelquefois de grandes masses d'inertie ou un soulèvement et une confusion formidables.
Le vital inférieur est un plan très obscur, et il n'est avantageux de l'ouvrir pleinement que quand les autres plans au-dessus ont déjà été largement ouverts à la lumière et à la connaissance. Celui qui se concentre sur le vital inférieur sans cette préparation supérieure et sans la connaissance, tombera vraisemblablement dans bien des confusions. Cela ne veut pas dire que les expériences de ce plan ne puissent pas venir plus tôt, ni même dès le début ; elles viennent d'elles-mêmes, mais on ne doit pas leur donner une trop grande place.15
15. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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Si vous descendez dans les parties ou les zones inférieures de la nature, vous devez toujours avoir soin de garder une connexion vigilante avec les niveaux supérieurs de conscience déjà régénérés et de faire descendre à travers eux la Lumière et la Pureté dans ces régions d'en bas encore non régénérées. Sans cette vigilance, on est absorbé par les mouvements non régénérés des couches inférieures et il se produit un obscurcissement et des difficultés.
Le plus sûr chemin est de demeurer dans la partie supérieure de la conscience et, de là, faire pression sur la partie inférieure afin qu'elle change. On peut travailler de cette façon, seulement il faut attraper le coup et avoir l'habitude. Si vous obtenez le pouvoir de le faire, votre progrès sera beaucoup plus facile, plus égal et moins pénible.16
Vous pouvez sans aucun doute en venir à bout ; ces conflits n'épargnent personne ; ce qui est nécessaire pour s'en sortir, c'est d'avoir de la patience et de la persévérance.
Il est inutile de provoquer ces conflits, comme beaucoup le font, ou même de les accepter quand ils se produisent, dans le seul but d'en finir avec eux, car ils se répètent indéfiniment. Quand on ne peut les éviter, il faut y faire face ; on ne peut y échapper complètement, surtout au stade initial du yoga ; mais si vous pouvez les éviter tranquillement, c'est déjà un progrès. Devenir tranquille et tranquillement, rappeler le véritable état psychique jusqu'à ce qu'il devienne l'état normal et élimine le conflit ou le réduise au minimum, telle est la meilleure manière de progresser.
La meilleure méthode consiste à rejeter tranquillement ces conflits, tout en augmentant la conscience, au lieu de les
16. Les Bases du Yoga, chapitre V. Traduction de la Mère.
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provoquer ; cependant, si un conflit s'impose à vous, vous devez y faire face avec calme et courage.
C'est la vieille habitude de la conscience extérieure qui refuse de s'en libérer. Tant que cette volonté de répéter l'ancien mouvement n'est pas rejetée, la Force poursuit son œuvre, mais avec difficulté et à l'arrière-plan, au lieu d'agir à l'avant de la conscience comme elle pourrait le faire si elle avait le consentement de la nature extérieure. Il y a aussi la vieille habitude qui s'obstine à faire naître les difficultés et à les amplifier, au lieu de les rejeter : l'idée fausse que la seule manière de s'en débarrasser est d'accepter leur présence, de l'approuver et de lui donner de l'importance. Je vous ai dit que cette méthode n'était pas la bonne et ne faisait que prolonger le conflit.
Il n'y a pas d'objection à faire la sâdhanâ, mais il faut la faire tranquillement, sans ces conflits et ces inquiétudes continuels, sans se préoccuper du temps que cela prendra, sans entrer dans un cycle constant de "lutte contre les difficultés". C'est là-dessus que j'insiste.
Aucune objection : il est très bon de faire la sâdhanâ dans la conscience supérieure. C'est plus efficace que de lutter tout le temps en bas contre les forces inférieures.
Il y a des forces supérieures et des forces inférieures ; il faut agir sur celles-ci en les mettant en contact avec les forces supérieures, et au cours de ce processus, elles se soulèvent
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ou disparaissent, jusqu'à ce qu'elles soient éliminées. Le fait qu'elles se soulèvent n'est pas forcément la conséquence d'une faute ou d'une erreur.
Jamais je n'ai eu connaissance d'un cas où les forces inférieures ne s'étaient pas soulevées. Si pareil cas se présentait, j'imagine que ce serait bien la première fois dans l'histoire de l'humanité.
Toutes les difficultés ne peuvent que disparaître avec le temps, sous l'action de la Force. Elles apparaissent parce que si elles ne le faisaient pas, l'action ne serait pas complète ; car il faut faire face à tout et triompher de tout pour que rien ne puisse subsister et réapparaître par la suite. L'être psychique peut lui-même projeter la lumière grâce à laquelle la pleine conscience apparaîtra et plus rien ne restera dans l'obscurité.
Tout vient en son temps. On doit continuer tranquillement et régulièrement à faire croître la conscience supérieure jusqu'à ce qu'elle prenne possession de la partie physique et vitale.
VI
L'apparition d'une faiblesse doit être considérée comme une occasion de découvrir ce qu'il reste à accomplir et de faire descendre la force dans cette partie de l'être. Le découragement n'est pas la bonne manière d'y faire face.
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Ce que vous voyez ne doit pas être une cause de trouble ou d'abattement. Si l'on constate un défaut, on doit le regarder avec le maximum de tranquillité et faire descendre encore plus de force et de lumière pour s'en débarrasser.
Les erreurs sont toujours possibles tant qu'une partie quelconque du mental (même sa partie subconsciente) n'est pas complètement transformée. Il est inutile d'en être troublé.
On ne doit évidemment pas commettre une erreur dans l'intention de la faire apparaître, ni l'accepter une fois qu'elle a été commise ; mais si elle se produit, il faut en profiter pour se transformer.
Un incident comme celui-ci doit toujours être considéré comme une occasion de se maîtriser. Qu'il en aille de votre fierté et de votre dignité : ne soyez pas dominé par les passions, mais devenez-en le maître.
Ne vous laissez pas inquiéter ou bouleverser pour un rien. Regardez les choses d'un point de vue intérieur et essayez de tirer profit de tout ce qui arrive. Si vous commettez une erreur, ne vous en affligez pas : profitez-en plutôt pour en découvrir la raison, afin de trouver à l'avenir le mouvement juste. Et vous n'en serez capable que si vous l'observez tranquillement avec le regard de l'être intérieur, sans en être affligé ni troublé.
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Pourquoi vous énerver pour des bagatelles ou vous laisser troubler par elles ? Si vous restez tranquille, tout ira beaucoup mieux, et si une difficulté se présente, vous aurez plus de chance de vous en sortir si votre mental est tranquille, ouvert à la Paix et au Pouvoir. C'est le secret du progrès : ne pas laisser les choses et les événements, pas même les véritables erreurs, vous bouleverser, mais rester tranquille, en vous en remettant au Pouvoir pour qu'il vous guide et rectifie les choses progressivement. Si l'on agit ainsi, tout va effectivement de mieux en mieux et même les difficultés et les erreurs deviennent des moyens d'apprendre et des étapes sur le chemin du progrès.
Nous souhaitons vous voir toujours ainsi, de bonne humeur. C'est la joie du psychique qui a trouvé sa voie et qui est assuré, quelles que soient les difficultés, d'être conduit jusqu'au but. Quand un sâdhak est en permanence dans cet état, nous savons qu'il a surmonté les difficultés majeures et avance d'un pas ferme sur le bon chemin.
Vous demandez comment réparer le tort que vous paraissez avoir fait. En admettant qu'il en soit comme vous le dites, il me semble que la réparation consiste justement à faire de vous-même un réceptacle de la Vérité divine et de l'Amour divin. Et les premiers pas dans ce sens sont une consécration et une purification complètes, une complète ouverture de soi au Divin et un rejet dé tout ce qui en soi peut barrer le chemin de cet accomplissement. Dans la vie spirituelle, il n'y a pas d'autre manière de réparer une faute, quelle qu'elle soit, aucune autre qui soit pleinement efficace. Au commencement on ne doit demander aucun autre fruit ni résultat, seulement cette croissance et ce changement intérieurs, sinon l'on s'expose à de sévères désillusions. C'est seulement
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quand on est libre que l'on peut libérer les autres, et dans le yoga, c'est de la victoire intérieure que sort la conquête extérieure.17
Vous vous débarrasserez plus aisément des mouvements faux lorsque vous ferez descendre une paix et une équanimité inébranlables dans cette partie de l'être. Le rejet de ces mouvements deviendra alors plus automatique et la tapasyâ sera moins nécessaire.
Si une partie de vous-même - l'être intérieur - conserve sa tranquillité, vous pourrez alors vous occuper du reste. L'essentiel est par conséquent de ne pas laisser la perturbation vous envahir et voiler le moi intérieur. Rejetez-la toujours.
Il suffit de rejeter fermement et tranquillement, et d'appeler tranquillement et fermement la vraie Force pour qu'elle descende. Toute cette émotivité excessive doit s'apaiser; c'est cela qui fait que le vital s'ouvre à ces forces. Si ce n'était pas le cas, tous les défauts de la nature seraient observés avec calme et rectifiés tranquillement.
Certainement, nous vous accorderons toute notre aide. Quant à la méthode, il y a toujours deux possibilités : l'une consiste à surmonter la difficulté sur son propre terrain, l'autre à développer la réalisation intérieure jusqu'à ce qu'elle devienne si forte que les racines dont vous parlez
17. Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.
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ne pourront plus s'accrocher à rien et céderont facilement par une transformation psychique spontanée.
C'est la vraie conscience qui, en se développant au-dedans, donne le pouvoir. À mesure qu'elle grandit, ces forces vitales s'extériorisent de plus en plus et deviennent étrangères à la nature. C'est seulement par la force de l'habitude qu'elles apparaissent.
Reconnaître ses faiblesses et ses faux mouvements et s'en retirer est le chemin qui mène à la libération.
Ne juger personne que soi-même, jusqu'à ce que l'on puisse voir les choses avec un mental et un vital calmes est une règle excellente. De plus, ne permettez pas à votre mental de se former des impressions hâtives sur la foi de quelque apparence extérieure, ni à votre vital d'agir en conséquence.
Il y a un endroit dans l'être intérieur où l'on peut toujours rester calme et de là regarder avec équilibre et jugement les perturbations de la conscience de surface et agir sur elle pour la changer. Si vous pouvez apprendre à vivre dans ce calme de l'être intérieur, vous aurez trouvé votre base stable.18
Ce que vous écrivez est vrai, sans aucun doute, et il faut s'en apercevoir pour être capable de comprendre et de saisir l'attitude vraie qui est nécessaire pour pratiquer la sâdhanâ. Mais comme je vous l'ai dit, il ne faut pas s'affliger ou se décourager lorsqu'on prend conscience des faiblesses
18. Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.
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inhérentes à la nature humaine et que l'on perçoit à quel point elles sont difficiles à extirper. Cette difficulté est naturelle, puisque ces faiblesses existent depuis des milliers de vies et constituent la nature même de l'ignorance vitale et mentale de l'homme. Qu'elles aient le pouvoir de tenir bon et mettent du temps à disparaître n'a rien de surprenant. Mais il y a en nous, cachés par les formations de surface de la nature, un être vrai et une conscience vraie qui, en émergeant, peuvent nous en débarrasser. En adoptant l'attitude vraie, faite de dévotion intérieure non égoïste, et en la gardant sans se laisser importuner par les interventions réitérées de la nature de surface, on donne à cet être et à cette conscience intérieurs la possibilité d'émerger et, grâce à la Force de la Mère qui agit en eux, de délivrer l'être en empêchant les mouvements de l'ancienne nature de réapparaître.
Que la paix et le don de soi augmentent jusqu'à ce qu'ils prennent possession aussi des parties de l'être où se trouvent des imperfections, et les éliminent. Il est exact que l'on ne doit pas être troublé par les imperfections, mais seulement en être conscient et avoir la volonté ferme et tranquille qu'elles disparaissent.
Si vous restez dans un état pleinement conscient, il ne devrait pas vous être difficile de purifier la nature ; ensuite, vous pourrez entreprendre le travail positif qui consiste à vous transformer en un instrument parfait.
La conscience grandit évidemment à mesure que l'on s'ouvre de plus en plus et l'un des effets de la conscience est que l'on
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devient capable de voir en soi-même ; de voir non seulement les faiblesses, mais aussi le jeu des forces dans son ensemble. Seulement, dans la conscience juste, même les faiblesses ne sont pas envisagées d'une manière trop personnelle, ce qui serait décourageant. Vous devez les considérer comme le jeu de la nature - de la nature mentale, de la nature vitale, de la nature physique - commune à tous les êtres humains ; vous devez les voir ainsi et rester calme et détaché, appeler la Force et la Lumière de la Mère pour que cette nature imparfaite se transforme en la vraie nature, sans vous impatienter si tout ne se fait pas d'un seul coup, mais en persévérant et en laissant à la transformation le temps de se produire. La transformation complète ne peut en effet s'opérer avant que tout soit prêt pour la descente d'une conscience plus grande, plus calme et plus vaste, et cela n'est possible que lorsque la conscience ordinaire y a été complètement préparée.
L'amour et la bhakti intenses ne viennent pas dès le début. Ils viennent à mesure que le pouvoir du psychique augmente dans l'être. Mais il est juste d'y aspirer et l'aspiration sincère se réalisera à coup sûr. Cherchez sans cesse à progresser en tranquillité, en bonheur et en confiance, c'est l'attitude la plus efficace. N'écoutez pas les suggestions contraires qui vous viennent du dehors.
Il est vrai que de reconnaître le Pouvoir divin et d'harmoniser sa nature avec lui ne peut se faire sans reconnaître en même temps les imperfections de cette nature ; cependant, c'est une mauvaise attitude d'insister trop sur les imperfections ou sur les difficultés qu'elles créent, ou de manquer de confiance en l'action divine à cause des difficultés que vous éprouvez, ou d'attacher trop d'importance au côté sombre des choses. Ce faisant, vous augmentez la force des difficultés et vous donnez aux imperfections un plus grand droit de persistance. Je ne demande pas un optimisme à la manière
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Coué, quoiqu'un optimisme excessif aide davantage qu'un pessimisme excessif ; la méthode Coué tend à recouvrir les difficultés et, de plus, il faut toujours garder une mesure en toute chose. Mais pour vous, le danger n'est pas de recouvrir vos difficultés et de vous illusionner par une perspective trop brillante ; tout au contraire, vous insistez toujours trop sur les ombres, et ainsi vous les épaississez et vous obstruez vos portes de sortie sur la Lumière. De la foi, toujours plus de foi ! La foi en vos possibilités, la foi en le Pouvoir qui travaille derrière le voile, la foi dans l'œuvre qui est à faire et dans la direction qui s'offre à vous.
Il ne peut y avoir de grande tentative (dans le domaine spirituel moins qu'en tout autre) qui ne rencontre ou ne soulève de graves obstacles d'un caractère très persistant. Ces obstacles sont internes et externes, et bien que dans l'ensemble ils soient essentiellement les mêmes pour tous, leur intensité relative et la forme extérieure qu'ils prennent peuvent varier beaucoup. Mais la seule difficulté réelle est de mettre la nature à l'unisson de l'action de la Lumière et du Pouvoir divins. Cette difficulté une fois résolue, les autres disparaîtront ou prendront une place subordonnée ; et même celles qui sont d'un caractère plus général, plus durable - parce que inhérentes au travail de transformation - ne pèseront plus si lourdement, car il y aura le sentiment de la Force qui soutient et un plus grand pouvoir de suivre son mouvement.19
Eh oui, c'est exact. Les difficultés engendrent elles-mêmes la difficulté, c'est un nœud de l'Ignorance ; lorsqu'une certaine perception intérieure relâche le nœud, le plus gros de la difficulté est passé.
19. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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Il est nécessaire d'observer et de connaître les mauvais mouvements en vous, car ils sont la source de votre difficulté et ils doivent être rejetés avec persistance si vous voulez être libéré. Pourtant, ne pensez pas toujours à vos défauts et à vos mauvais mouvements. Concentrez-vous plutôt sur ce que vous devez être, sur l'idéal, avec la foi que le but doit venir et viendra puisqu'il est devant vous.
Observer constamment ses fautes et ses mauvais mouvements, amène la dépression et décourage la foi. Tournez plutôt vos yeux vers la lumière qui arrive, et moins vers une obscurité présente. La foi, la bonne humeur, la confiance en la victoire finale sont des aides : elles rendent le progrès plus facile et plus rapide.
Faites plus de cas des bonnes expériences qui viennent à vous. Une expérience de ce genre a plus d'importance que les faux pas et les insuccès. Et quand elle cesse, ne vous plaignez pas et ne vous laissez pas aller au découragement, mais restez tranquille au-dedans et aspirez à ce qu'elle se renouvelle, plus forte, vous menant à une autre expérience, plus profonde et plus pleine encore.
Aspirez toujours, mais avec plus de tranquillité, en vous ouvrant au Divin simplement et complètement.20
Les défauts doivent être notés et rejetés, mais la concentration doit être positive : vous devez vous concentrer sur ce que vous deviendrez, c'est-à-dire sur le développement de la nouvelle conscience plutôt que sur le côté négatif.
Vous devez être conscient des mouvements faux, mais ils ne doivent pas être votre préoccupation exclusive.
20. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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Si vous avez été projeté du mental dans le vital, c'est que vous étiez trop préoccupé par les difficultés de la nature. Il vaut toujours mieux insister sur le bon côté des choses en vous. Je ne veux pas dire d'une manière égoïste, mais dans la foi, et avec une confiance joyeuse, en appelant l'état positif dont la nature a déjà eu l'expérience pour qu'une croissance positive et constante puisse vous aider à rejeter tout ce qui doit l'être. Le fait est, cependant, qu'aux premiers stades, on est souvent projeté dans les difficultés vitales ; alors au lieu d'aller du mental au psychique (par l'intermédiaire du cœur) on est obligé de passer par le vital perturbé.
On peut revenir sur ses pas pour aller du vital au psychique, si l'on refuse de se préoccuper des difficultés et que l'on se concentre sur des choses positives qui apportent une aide véritable. Soyez confiant et plein de bonne humeur. Doute, Désir et Cie existent, assurément, mais le Divin est là aussi, en vous. Ouvrez les yeux et regardez, regardez jusqu'à ce que le voile se déchire et qu'il - ou Elle - vous devienne visible !
Il est impossible de se débarrasser des difficultés et des perplexités en les ressassant mentalement et en essayant ainsi d'en sortir ; cette habitude du mental ne fait que les amener à se répéter sans apporter de solution et plus on rumine, plus l'imbroglio se prolonge. La solution doit venir de quelque chose de supérieur et d'extérieur aux perplexités. La difficulté du mental physique - et non du véritable intellect pensant - est qu'il ne veut pas croire en cette conscience plus vaste, extérieure à lui, parce qu'il ne la perçoit pas ; et il reste enfermé en lui-même comme dans une boîte, n'acceptant pas la lumière qui l'entoure de toutes parts et fait pression pour entrer. L'action de la conscience
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obéit à une loi subtile : si vous donnez de l'importance aux difficultés (vous devez les observer, bien sûr, mais sans leur donner d'importance, car elles s'en accorderont suffisamment elles-mêmes) ces difficultés tendent à s'incruster ou même à s'accroître ; au contraire, si vous insistez exclusivement sur la foi et l'aspiration et que vous vous concentrez fermement sur l'objet de votre aspiration, il tendra tôt ou tard à se réaliser. C'est ce déplacement, ce changement dans la position et l'attitude du mental, qui sera le plus efficace.
Quant aux détails, la méthode qui consiste à concentrer sur eux le mental en essayant de les rectifier est très lente ; il faut le faire, mais d'une manière accessoire ; ce ne doit pas être la méthode principale. S'il lui arrive de réussir, c'est parce qu'après une certaine période de lutte et de tension, quelque chose se libère, une ouverture se produit et la conscience plus vaste dont je parle émerge et entraîne un certain effet général. Mais le progrès est beaucoup plus rapide si l'on peut donner à l'ouverture le rôle essentiel et maintenir les rectifications de détail dans un rôle subalterne, comme une conséquence. Quand on s'ouvre, un progrès essentiel (et par conséquent général) peut être fait et, comme vous le dites vous-même, "s'exprimer et se traduire dans les détails". Le mental essaie toujours de manipuler les détails et de construire avec eux un résultat général ; mais ce qui est au-dessus du mental, et même les plus grands pouvoirs des régions supérieures du mental, tendent plutôt à opérer une transformation essentielle et à l'amener à s'exprimer ou à la laisser se traduire dans tous les détails nécessaires.
Je puis cependant ajouter que l'on peut sentir le changement essentiel sans qu'il s'exprime dans les détails ; par exemple, on peut sentir une paix vaste et silencieuse, ou un état de liberté et de joie, et y demeurer silencieux et en sécurité, sans avoir besoin de le traduire en toutes sortes de détails afin de sentir le progrès accompli.
Ce n'est pas une théorie, mais une expérience constante - et très tangible quand elle vient - qu'au-dessus de nous,
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au-dessus de la conscience qui est dans le corps physique, se trouve une vaste étendue qui en quelque sorte lui sert de soutien, faite de paix, de lumière, de pouvoir, de joie ; que nous pouvons en devenir conscients, la faire descendre dans la conscience physique ; et que cette conscience élargie peut, d'abord pendant un moment, puis plus fréquemment et plus longtemps, et enfin en permanence, demeurer et transformer toute la base de notre conscience quotidienne. Même avant de la percevoir au-dessus, nous pouvons soudain la sentir descendre et nous pénétrer. Pour arriver à cela, il faut y aspirer et tranquilliser le mental, afin de rendre possible ce que nous appelons l'ouverture. Un mental calmé (pas forcément immobile ou silencieux, bien qu'il soit bon de pouvoir obtenir cela à volonté ) et une aspiration persévérante dans le cœur sont les deux clés principales du yoga. L'activité du mental est un processus beaucoup plus lent qui ne mène pas à lui seul à ces résultats décisifs. C'est la différence entre une route directe et un chemin qui tourne et vire constamment.
Les moyens négatifs ne sont pas mauvais, ils sont utiles à leur fin qui est de s'évader de la vie. Mais du point de vue positif, ils sont défavorables, parce qu'ils éliminent les pouvoirs de l'être au lieu de les diviniser pour transformer la vie.21
Par moyens négatifs, j'entends ceux qui se contentent de réprimer les désirs, les mouvements faux et l'égoïsme ; par moyens positifs ceux qui tendent à faire descendre la lumière, la paix et la pureté d'en haut dans ces parties de l'être. Je ne veux pas dire que ces mouvements ne doivent pas être
21. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre IV.
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rejetés ; mais l'énergie ne doit pas être utilisée uniquement à rejeter. Il faut aussi la diriger vers une action positive qui remplace ces mouvements par la conscience supérieure. Plus cette conscience viendra, plus facile aussi sera le rejet.
Cette phrase22 a un caractère général et, comme toutes les généralités, elle a besoin d'être nuancée selon les circonstances. Je m'adressais à ceux qui sont toujours en train de s'appesantir uniquement sur leurs difficultés et leurs points faibles, et mon intention était de les en dissuader, car cette attitude les fait tourner sans arrêt, comme un écureuil en cage, dans le même cercle de difficultés sans laisser filtrer la moindre lumière à travers les nuages. Cette phrase serait plus exacte ou d'une portée plus générale, si j'avais écrit : "pas trop s'appesantir" ou "ne pas s'appesantir uniquement." Rien ne peut évidemment se faire sans rejet. Et dans les périodes ou les moments difficiles, il est impossible de ne pas se concentrer sur les difficultés. Dans les premiers stades, on doit aussi se livrer à un gros travail de déblayage pour avancer tant soit peu sur le chemin.
Si l'imperfection existe, il faut la voir. Ce qu'il faut faire, c'est vivre dans le moi intérieur et de là, voir l'imperfection et la transformer.
Ne pas être touché par les difficultés, ne pas en être troublé, s'en sentir détaché, tel est le premier pas vers la liberté.
22. "Il ne faut pas s'appesantir sur la nature inférieure ou ses obstacles."
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Dans votre manière d'agir vis-à-vis de vos difficultés et des mauvais mouvements qui vous assaillent, vous faites probablement l'erreur de trop vous identifier à eux et de les considérer comme faisant partie de votre propre nature. Vous devriez au contraire vous en retirer, vous en détacher et vous en dissocier, les considérer comme des mouvements de la nature inférieure universelle, imparfaite et impure, comme des forces qui entrent en vous et essaient de faire de vous leur instrument d'expression. En vous détachant et en vous dissociant ainsi, il vous sera plus aisé de découvrir la partie de vous - votre être intérieur ou psychique - qui n'est pas attaquée ni troublée par ces mouvements, et de vivre en elle de plus en plus ; ces mouvements lui sont étrangers, elle leur refuse automatiquement tout assentiment et se sent toujours tournée vers les Forces divines et les régions supérieures de conscience, ou en contact avec elles. Trouvez cette partie de votre être et vivez en elle. Être capable de le faire, c'est la vraie base du yoga.
En vous tenant ainsi en arrière, il vous sera plus facile aussi de découvrir derrière le conflit de surface un équilibre tranquille en vous, d'où vous pourrez plus efficacement faire appel à l'aide qui vous délivrera. La présence divine, la tranquillité, la paix, la pureté, la force, la lumière, la joie et la largeur divines sont au-dessus de vous, prêtes à descendre en vous. Trouvez cette tranquillité qui est derrière, et votre mental aussi se tranquillisera, et par ce mental tranquille, vous pourrez appeler et faire descendre, d'abord la pureté et la paix, puis la Force divine. Si vous pouvez sentir cette pureté et cette paix descendre en vous, vous pourrez les faire descendre encore et encore, jusqu'à ce qu'elles commencent à s'établir en vous ; vous sentirez aussi la Force travailler en vous pour changer les mouvements et transformer la conscience. Dans ce travail, vous percevrez la présence et le pouvoir de la Mère. Ceci fait, tout le reste est une question de temps et de développement progressif de votre vraie nature divine.23
23. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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Il peut poursuivre son effort et nous faire savoir s'il obtient un résultat. Les difficultés qui se sont soulevées en lui sont des réactions tout à fait normales et naturelles étant donné l'effort qu'il est en train de faire. Il est de règle que ces résistances apparaissent, car elles doivent se manifester pour que l'on puisse agir sur elles et les rejeter. S'il persévère, c'est ce qui se produira tôt ou tard. Mais au lieu de lutter contre ces résistances, mieux vaut prendre du recul, les observer comme un témoin, rejeter ces mouvements et appeler le Pouvoir divin pour qu'il les élimine. La consécration de la nature n'est pas facile et peut prendre longtemps ; la consécration du moi, si l'on peut la réaliser, est plus facile, et une fois qu'elle est accomplie, celle de la nature se fera tôt ou tard. Mais pour y parvenir, il faut se détacher de l'action de la Prakriti et se considérer comme étant extérieur à elle. Observer les mouvements comme un témoin, sans se laisser décourager ou bouleverser, est la meilleure manière d'effectuer le détachement et la séparation nécessaires. Cela l'aiderait aussi à devenir plus réceptif à tout soutien qui pourrait lui être apporté, et à compter de plus en plus sur ce soutien.
Pour transformer la nature, la première chose à faire est de devenir conscient de l'ancienne nature de surface et de se séparer d'elle. Car cette nature vitale radjasique est une création superficielle de la Prakriti, ce n'est pas l'être vrai ; si permanente qu'elle puisse paraître, elle n'est qu'un amalgame provisoire de mouvements vitaux. Derrière elle se trouve l'être vrai, vital et mental, soutenu par le psychique. L'être vrai est calme, vaste, plein de paix. En prenant du recul et en se détachant, on acquiert la capacité de vivre dans la paix de ce Pourousha intérieur et de ne plus s'identifier à la Prakriti de surface. Il sera ensuite beaucoup plus facile, par la force de la perception psychique et par la Paix, le Pouvoir et la Lumière d'en haut, de transformer l'être de surface.
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Ces choses apparaissent soit parce qu'elles sont là, dans la partie consciente de l'être, sous forme d'habitudes de la nature, soit parce qu'elles se tiennent cachées et risquent d'apparaître à tout moment ; ou bien ce sont des suggestions de la Nature universelle ou générale qui viennent du dehors, et auxquelles l'être personnel obéit. Quoi qu'il en soit, elles apparaissent afin que l'on puisse y faire face, les expulser et en fin de compte les rejeter pour qu'elles ne troublent plus la nature. Elles apportent plus ou moins de trouble selon la manière dont on les affronte. Le premier principe est de s'en détacher, de ne pas s'identifier à elles, de ne plus les accepter comme une partie de sa véritable nature, mais de les regarder comme des choses qui vous sont imposées, et auxquelles on dit : "Ce n'est pas moi, cela ne m'appartient pas ; c'est quelque chose que je rejette entièrement". On commence à sentir au-dedans une partie de l'être qui ne s'identifie pas, qui demeure ferme et dit : "Cela me causera peut-être des ennuis à la surface, mais ne me touchera pas." Si l'on peut sentir cet être séparé au-dedans, la moitié du problème est résolu, pourvu que l'on ait la volonté non seulement de se séparer de l'imperfection, mais d'en débarrasser aussi la nature de surface.
Vous devez toujours être conscient du moi et ne pas sentir la nature obscure comme le moi, mais comme un instrument qui doit être mis en harmonie avec le moi.
L'égoïsme, les désirs, les défauts de la nature sont à peu près les mêmes chez tout le monde. Mais dès que l'on commence à en devenir conscient et à vouloir s'en libérer, il suffit d'entretenir cette volonté pour que tout véritable danger disparaisse. Car lorsqu'on commence à devenir conscient - c'est ce qui vient de vous arriver - et que quelque chose
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au-dedans fait surgir tout ce qui était caché, c'est le signe que la grâce de la Mère est sur vous, que sa force est à l'œuvre et que votre être intérieur aide la force de la Mère à vous débarrasser de tout cela. Vous ne devez donc ni vous affliger, ni vous décourager, ni avoir peur de quoi que ce soit, mais regarder en face tout ce qui émerge et vouloir que cela s'en aille complètement et pour toujours. Si la force de la Mère est à l'œuvre et que l'être psychique soutient la force, tout peut être fait et tout sera sûrement fait. Cette purification n'a pour but que d'empêcher l'apparition ultérieure d'ennuis semblables à ceux qui sont advenus à certains sâdhak, parce qu'ils ne s'étaient pas purifiés; la conscience supérieure doit en effet descendre dans une nature purifiée pour que la transformation intérieure s'opère en toute sécurité. Poursuivez donc avec foi et courage, en vous en remettant à la Mère.
Tout ce que vous avez écrit ici est parfaitement exact. C'est ainsi, en prenant du recul, en n'étant ni attiré, ni troublé par ces forces, que l'on se libère, que l'on perçoit leur fausseté ou leur imperfection et que l'on devient capable de s'élever au-dessus d'elles et de les surmonter. La conscience qui vient au premier plan peut être soit le psychique, soit le mental spiritualisé ; c'est sans doute le psychique.
La Mère ne parlait pas d'auto-analyse ou de dissection : ces méthodes relèvent du mental et s'appliquent à ce qui est inanimé ou font mourir ce qui est vivant ; ce ne sont pas des méthodes spirituelles. La Mère parlait non d'une analyse, mais d'une vision de soi-même et de tous les mouvements vivants de l'être ou de la nature, d'une vive observation des personnalités et des forces qui animent la scène de notre être, de leurs motifs, de leurs impulsions, de leurs potentialités,
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une observation tout aussi intéressante que le fait de voir et de comprendre une pièce de théâtre ou un roman, une vision et une perception vivantes de la manière dont les choses se font en nous, qui apporte aussi une maîtrise vivante sur cet univers intérieur. Tout cela ne devient aride que si l'on y applique le mental analytique et ratiocineur, au lieu de le percevoir intuitivement comme un mouvement de la vie. Si vous aviez cette capacité d'observer du point de vue spirituel intérieur, et non éthique et intellectuel extérieur, il vous serait relativement facile de sortir de vos difficultés ; par exemple, vous trouveriez aussitôt d'où venait cette impulsion irrationnelle de fuir, et elle n'aurait plus aucune emprise sur vous. Tout cela se fait évidemment beaucoup mieux lorsque vous prenez du recul vis-à-vis des mouvements de votre nature et devenez le Maître-Témoin ou le Spectateur-Acteur-Directeur. C'est précisément ce qui se passe quand vous vous placez dans cette position où vous vous observez vous-même.
La crainte que cette méthode soit aride ou douloureuse est une idée de l'intellect qui ne la comprend pas.
Vous vous en tenez à votre version éthico-intellectuelle de la vision intérieure de soi ? Aride ? Policière ? Criminelle ? Grand Dieu ! S'il en était ainsi, elle cesserait tout à fait d'être une vision de soi, car dans la vraie vision de soi il n'y a ni police, ni crime. Tout cela appartient à l'opposition éthico-intellectuelle entre péché et vertu ; ce n'est qu'une construction mentale qui a une valeur pratique dans la vie extérieure, mais ne correspond à aucune véritable valeur intérieure. Dans la vraie vision de soi, nous ne voyons qu'harmonies et désaccords et nous remplaçons les fausses notes par des notes justes. Mais ce que j'en dis n'a pour but que de rétablir la vérité et non de vous persuader d'entreprendre cet effort de vision de soi ; car si vous le faisiez tout en conservant ces idées, vous démarreriez inévitablement sur une base policière et vous vous attireriez des ennuis. Par ailleurs, il
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est évident que dans le yoga, vous préférez être le piano plutôt que le pianiste, ce qui est fort bien mais implique un don de soi total et l'intervention du musicien et harmoniste suprême. Qu'il en soit ainsi.
Tout être humain est plein de ces contradictions parce que bien qu'il soit une personne unique, celle-ci est faite de personnalités différentes (les psychologues commencent maintenant à bien percevoir cette personnalité multiple) qui sont très souvent en désaccord. Tant que l'on ne s'est pas fixé pour but d'unifier son être en vue de réaliser un seul objectif majeur, comme de rechercher le Divin et de se consacrer à lui, elles s'entendent plus ou moins, prédominent tour à tour, se querellent ou se débrouillent tant bien que mal ; ou encore l'une d'elles prend la tête et contraint les autres à un rôle subalterne ; mais lorsqu'on essaie de les unir dans un objectif commun, le conflit devient évident.
VII
Vous ne devriez pas être aussi asservi aux choses extérieures; par cette attitude, vous donnez une importance excessive aux circonstances. Je ne dis pas que les circonstances ne peuvent pas aider ou gêner, mais ce ne sont que des circonstances et non la chose fondamentale qui est en nous ; l'aide ou la gêne ne devrait pas avoir une importance primordiale. Dans le yoga, comme dans tout effort humain lorsqu'il est grand ou sérieux, il y aura toujours nombre d'interventions adverses et de circonstances défavorables qui devront être surmontées. Leur accorder une trop grande importance, c'est augmenter leur importance et leur faculté de se multiplier, leur donner, pour ainsi dire, confiance en elles-mêmes et les habituer à revenir. Les affronter avec équanimité - si l'on ne peut pas s'arranger pour y faire face avec une inlassable bonne humeur et une volonté confiante et résolue - diminue, au contraire, leur importance et leurs effets et finit, même si ce n'est pas immédiat, par les
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empêcher de persister et de se répéter. C'est par conséquent un principe, dans le yoga, de reconnaître le pouvoir déterminant de ce qui est en nous - car c'est cela, la vérité profonde - de mettre bien en place et de faire prévaloir la force intérieure par opposition au pouvoir des circonstances extérieures. La force est présente même chez les plus faibles ; il faut la trouver, la dévoiler et la maintenir au premier plan, tout au long du voyage et de la bataille.
Rallier une organisation de défense, c'est admettre qu'il y a une guerre civile.24 Du point de vue de la sâdhanâ, on ne doit pas admettre la possibilité d'une guerre civile. Un sâdhak devrait toujours se souvenir que tout dépend de l'attitude intérieure; s'il a une foi parfaite en la Grâce divine, il s'apercevra qu'à chaque pas la Grâce divine lui fera faire ce qu'il faut. Quelque chose le fera sortir de la maison, par exemple, s'il est dangereux d'y rester, et il restera dans la maison s'il y a un danger pour lui au dehors. La Grâce le poussera à faire exactement la chose qui le fera échapper au danger. Mais pour qu'il en soit ainsi, il faut que votre foi soit profondément enracinée, qu'elle imprègne tout votre être et que rien en vous ne la contredise. Et naturellement c'est difficile. Mais il se peut aussi que vous ayez vous-même la foi et que ceux qui vous entourent ne partagent pas votre attitude. Étant au milieu d'eux, vous pouvez être obligé d'admettre des mesures extérieures, de "rallier une organisation de défense", comme vous dites. Même dans ce cas, vous devez vous souvenir que c'est seulement votre attitude intérieure et votre foi qui comptent. Tous les moyens extérieurs ne signifient rien, ils peuvent se révéler absolument inutiles et ne mener à rien, seule la Grâce divine vous protège.
24. Cette lettre a été écrite durant les troubles du Bengale, avant la partition de l'Inde.
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C'est l'inconvénient de fuir devant une difficulté : elle vous court après, ou plutôt on l'emporte avec soi, car en réalité la difficulté est en soi et non à l'extérieur. Les circonstances extérieures ne font que lui donner l'occasion de se manifester et tant que la difficulté intérieure ne sera pas vaincue, les circonstances surviendront toujours, d'une manière ou d'une autre.
C'est la vraie raison de tout ce qui arrive à X. Quand, dans la nature, quelque chose doit être surmonté, celle-ci s'attire toujours des incidents qui la mettent à l'épreuve jusqu'à ce que le sâdhak ait vaincu et se soit libéré. Du moins cela se produit souvent, surtout quand la personne fait un effort sincère pour surmonter l'obstacle. On ne sait pas toujours si ce sont les êtres hostiles qui s'efforcent de briser la résolution ou la mettent à l'épreuve (car ils revendiquent le droit de le faire), ou si ce sont, disons, les dieux qui le font pour forcer et accélérer le progrès, ou encore insistent pour que la transformation à laquelle on aspire soit assurée et parfaite dans le détail. Peut-être est-il plus profitable d'adopter ce dernier point de vue.
Vous avez tout à fait raison : c'est ainsi que vous devez considérer cela, comme une occasion qui vous est offerte d'éliminer cette pierre d'achoppement dans la nature. Quand on fait la sâdhanâ, on ne cesse de s'apercevoir que tant qu'il y a, quelque part, un défaut important, les circonstances s'organisent pour donner au défaut l'occasion de se manifester jusqu'à ce qu'il soit rejeté de l'être. Si l'on peut considérer ces circonstances avec clairvoyance lorsqu'elles surviennent et les accepter comme une incitation à vaincre le défaut et une occasion de le faire, on peut progresser très rapidement.
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En ce qui concerne l'autre question, il est très bon que vous ayez été capable de critiquer les autres en adoptant une attitude juste et en percevant correctement leurs défauts ; mais cette attitude, il faut aussi l'étendre à leurs erreurs, s'ils en commettent. Car si leurs défauts découlent de leur nature, qui est semblable à celle de tous les êtres humains, leurs actions proviennent de la même source, et il suffit de voir et de comprendre ; la même règle doit s'appliquer dans les deux cas.
On ne peut pas surmonter une difficulté en s'enfuyant devant elle.
Tout cela vient de ce que vous n'avez pas su vous prendre en main comme il le fallait. Ce n'est pas en vous torturant par des remords et des pensées tracassantes que vous pouvez vaincre. C'est en vous regardant en face, très tranquillement, avec une résolution tranquille et ferme, et ensuite en avançant avec bonne humeur, courageusement, en pleine confiance, en vous fiant à la Grâce, avec sérénité et vigilance, en vous ancrant à votre être psychique, en faisant descendre de plus en plus l'amour et l'Ânanda, en vous tournant de plus en plus exclusivement vers la Mère. C'est la vraie manière, et il n'y en a pas d'autre.
Vous avez agi sagement aussi en vous réconciliant avec cet endroit, et en vous sentant assez fort pour régler la situation qui y règne. Une certaine faculté de s'adapter et de s'harmoniser au milieu est nécessaire ; elle était très forte en vous et en conséquence vous réussissiez partout où vous alliez. Votre régression vous a rendu nerveux, vous a déprimé, et a empêché pendant un certain temps cette faculté d'agir aussi bien en vous. Maintenant, grâce à votre nouvelle attitude, j'espère qu'elle redeviendra aussi active et vous aidera
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à résoudre toutes vos difficultés.
Nous vous envoyons nos bénédictions. Gardez-vous toujours ouvert au Pouvoir d'en haut et à l'aide que nous vous envoyons d'ici, et restez ferme et fort face à toutes les difficultés qui peuvent encore subsister soit dans la vie extérieure, soit dans la sâdhanâ. Si ces conditions sont réunies, la victoire est toujours assurée.
Le désespoir est absurde et parler de suicide est tout à fait hors de propos. Aussi souvent qu'un homme puisse tomber, la Grâce divine sera là tant qu'il y aspirera et elle finira par le mener à bon port.
Le suicide est une solution absurde. Cette personne se trompe tout à fait en pensant que cela lui donnera la paix ; elle ne fera qu'emporter ses difficultés au-delà, en des conditions de vie plus misérables, et les rapportera dans une. autre vie sur terre. Le seul remède est de se débarrasser de ces idées morbides et de faire face à la vie avec la volonté claire d'accomplir un travail déterminé dont elle fera le but de la vie avec un courage tranquille et actif.25
La sâdhanâ doit se faire dans le corps ; elle ne peut pas se faire par l'âme sans un corps. Quand le corps tombe, l'âme s'en va errer en d'autres mondes, et finalement revient à une autre vie dans un autre corps. Et dans la vie nouvelle, elle retrouve toutes les difficultés qu'elle n'avait pas résolues. Alors à quoi sert-il de quitter le corps ?
De plus, si l'on rejette son corps volontairement, on
25. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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souffre beaucoup dans les autres mondes, et quand on renaît, c'est en des conditions pires et non en de meilleures. La seule chose sensée est d'affronter les difficultés et de les conquérir dès cette vie et dans ce corps.26
La mort n'est pas un moyen de réussir dans la sâdhanâ. Si vous mourez ainsi, vous ne ferez que retrouver les mêmes difficultés, dans des circonstances probablement moins favorables.
Le moyen de réussir dans la sâdhanâ est de refuser de se décourager, d'aspirer avec simplicité et sincérité pour que la force de la Mère puisse agir en vous et fasse descendre ce qui est au-dessus. Nul n'a jamais réussi dans la sâdhanâ par ses propres mérites. S'ouvrir et devenir plastique à la Mère est la seule chose nécessaire.
Ce n'est pas exact. Rejeter la vie n'améliore pas les chances de réussir la prochaine fois. C'est dans cette vie-ci, dans ce corps-ci que l'on doit réaliser ce que l'on a à faire.
Ce n'est pas une bonne tranquillité. La paix du Nirvana aurait un certain sens, mais mourir pour entrer dans la tranquillité par l'extinction de la Prakriti n'est nullement une libération.
Le vrai repos se trouve dans la vie intérieure fondée sur la paix, le silence et l'absence de désirs. Il n'y a pas d'autre repos, car sans cela la machine continue à tourner, que l'on s'y intéresse ou non. La moukti intérieure est le seul remède.
26. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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VIII
Il n'y a aucune raison d'abandonner l'espoir de réussir dans le yoga. L'état de dépression que vous sentez en ce moment est temporaire et il s'abat même sur les plus forts sâdhak à un moment ou à un autre, et même revient fréquemment. La seule chose à faire est de tenir ferme avec la partie éveillée de l'être, de rejeter toutes les suggestions contraires et d'attendre en vous ouvrant autant que vous le pouvez au vrai Pouvoir jusqu'à la fin de la crise ou du changement dont cette dépression est une étape. Les suggestions qui assaillent votre mental et vous disent que vous n'êtes pas apte et que vous devez retourner à la vie ordinaire sont des incitations de source hostile. Les idées de ce genre doivent toujours être rejetées comme des inventions de la nature inférieure, et même si elles reposent sur des apparences qui semblent convaincantes pour le mental ignorant, elles sont fausses, parce qu'elles exagèrent un mouvement passager et le présentent comme une vérité exacte et définitive. Il y a une seule vérité en vous, à laquelle vous devez vous accrocher constamment : la vérité de vos possibilités divines et l'appel de la Lumière supérieure à votre nature. Si vous vous tenez à cela toujours ou si vous y retournez constamment quand vous lâchez prise un moment, la vérité se justifiera à la fin en dépit de toutes les difficultés, tous les obstacles et tous les faux pas. Tout ce qui résiste disparaîtra à la longue avec le développement progressif de votre nature spirituelle.
Ce qui est nécessaire, c'est la conversion et la soumission de la partie vitale. Elle doit apprendre à ne demander que la plus haute vérité et à abandonner toute insistance à satisfaire ses impulsions et ses désirs inférieurs. C'est cette adhésion de l'être vital qui apporte la pleine satisfaction et la joie de toute la nature dans la vie spirituelle. Quand cette adhésion est là, il devient impossible même de penser à retourner à l'existence ordinaire. En attendant, la volonté mentale et l'aspiration psychique doivent être votre soutien ; si vous insistez, le vital finira par céder, se convertir et se soumettre.
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Fixez dans votre mental et dans votre cœur la résolution de vivre pour la Vérité divine et pour elle seule ; rejetez tout ce qui est contraire ou incompatible avec elle et détournez-vous des désirs inférieurs ; aspirez à vous ouvrir au Pouvoir divin et à nul autre. Faites-le en toute sincérité et l'aide vivante et présente dont vous avez besoin ne vous manquera pas.27
La volonté doit être fixée sur la vie spirituelle ; c'est le seul moyen de surmonter tous les obstacles.
Aucun cas n'est désespéré, à moins que la volonté ne choisisse le plus mauvais chemin.
Pourquoi n'êtes-vous pas capable de voir que cet état n'est pas une vraie conscience, mais seulement un obscurcissement de la vérité, obscurcissement dont vous pouvez toujours vous affranchir si vous choisissez fermement de le faire? Ce que vous exprimez ici n'est pas un manque de compréhension, mais un manque de volonté, et ce manque de volonté n'est pas vôtre, il vous est imposé par une conscience inférieure qui vous domine et vous oblige à renverser toutes les vraies valeurs du sentiment et de la connaissance. Votre être ne demande qu'à être libre, en paix et heureux dans la lumière ; c'est ce Mensonge qui, en s'emparant de votre mental extérieur, vous fait souhaiter d'être plus sombre, plus malheureux, plus révolté, de vous haïr, de quitter la vie. De tels sentiments, une volonté aussi pervertie sont entièrement à l'opposé des sentiments normaux de la nature et ne peuvent être "vrais" et justes. Personne ne vous demande de faire semblant : ce que nous vous demandons,
27. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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c'est de rejeter les perversions du mensonge, les sentiments erronés et l'ignorance, et de ne pas continuer à les soutenir, comme ils veulent que vous le fassiez. Les accepter comme la loi de votre nature, ce n'est pas du courage et de la noblesse, pas plus que ce n'est de la mesquinerie et de la lâcheté d'aspirer à une Vérité plus haute et d'essayer d'agir en accord avec elle et d'en faire la loi de votre nature.
Il y a peu d'espoir qu'il surmonte ses difficultés et ses ennuis s'il ne comprend pas qu'ils viennent de lui-même et non du dehors. C'est la faiblesse de sa nature vitale, l'incapacité déplorable de son être nerveux qui toujours pleurniche, se plaint et se lamente au lieu de regarder la vie en face et de surmonter ses difficultés, c'est l'attitude larmoyante et sentimentale que prend cet être nerveux qui l'empêche de résoudre ses problèmes et les maintient en vie. C'est un tempérament que les dieux n'aideront pas, parce qu'ils savent que leur aide est inutile, car ou bien il ne la recevra pas, ou bien il la répandra et la gaspillera ; et tout ce qu'il y a de radjasique et d'asourique dans le monde méprise et piétine ce genre de nature.
S'il avait acquis une calme vigueur et un courage tranquille et sans faiblesse, sans agitation ni violence, fondés sur une confiance en l'aide qu'il aurait pu recevoir d'ici et sur une ouverture à la force de la Mère, tout aurait déjà été réglé dans le bon sens. Mais il est incapable de profiter de l'aide qui lui est donnée parce que sa nature vitale chérit sa propre faiblesse et est sans cesse en train de s'y abandonner et d'en faire tout un roman au lieu de la rejeter avec mépris, comme une chose indigne d'un être humain et impropre à un sâdhak. C'est seulement s'il la rejette ainsi qu'il pourra recevoir la force qu'il lui faut pour se tenir debout dans la vie ou progresser dans la sâdhanâ.
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C'est parce que vous êtes vous-même agité, nerveux, partagé et indécis que nous sommes incapables de prendre une décision définitive.
Si vous acceptez votre faiblesse - ce qui signifie que vous acceptez la chose qui vous tente - une certaine partie de votre nature l'accepte et vous lui cédez ; alors à quoi bon vous dire ce qu'il faut faire? Cette partie de votre vital pourra toujours dire : "J'étais trop faible pour faire ce que vous m'avez dit." La seule façon de vous en sortir est de cesser d'être faible, de congédier cette partie sentimentale de vous-même, d'appeler la force pour qu'elle descende et la remplace, et de le faire avec une résolution ferme et déterminée. Si nous ne pouvons pas vous amener, vous qui avez établi certaines bases de la sâdhanâ, à surmonter cet élément en vous, comment pouvez-vous vous attendre à ce que nous amenions X à le faire, lui qui dit n'avoir aucune base mais au contraire être encore flottant ?
La Mère et moi sommes toujours là pour vous aider. Vous n'avez qu'à vous tourner résolument vers cette aide et elle agira sur vous.
Ce sont des idées fausses qui sont venues s'interposer : idées que vous êtes inapte, que de mauvais éléments en vous vous empêchent de recevoir la grâce de la Mère, que votre manque d'aspiration vous empêche d'accéder à la réalisation et à l'expérience. Ces pensées sont complètement erronées et contraires à la vérité ; elles ne viennent même pas de vous, ce sont des suggestions qui sont jetées sur vous comme sur les autres sâdhak, dans l'intention de vous déprimer. Vous n'avez aucune inaptitude, rien de mauvais au-dedans qui fasse obstacle, aucun manque d'aspiration qui provoque l'arrêt de l'expérience. C'est la dépression, le manque de
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confiance en soi, la tendance au désespoir qui sont la seule cause ; il n'y en a pas d'autre. Tous les sâdhak, je vous l'ai dit, même les meilleurs et les plus forts, subissent des interruptions dans le cours de la sâdhanâ ; ce n'est pas une raison pour croire que l'on est inapte et vouloir partir en pensant que tout espoir est perdu. Avec un peu de tranquillité, la sâdhanâ reprendrait son cours. Vous aviez les expériences nécessaires, le progrès nécessaire, et seule l'apparition de certaines difficultés de la conscience physique les a arrêtés pendant un moment. Cela arrive à tout le monde et ne vous est pas particulier, comme je vous l'ai expliqué. Ces difficultés se présentent toujours et doivent être surmontées. Quand l'action de la Force les a surmontées, la sâdhanâ se poursuit comme auparavant. Mais vous commencez à entretenir cette idée fausse que la cause en est votre inaptitude et votre manque d'aspiration, et vous sombrez dans la dépression. Vous devez rejeter tout cela et refuser de croire à ces suggestions. Aucun sâdhak ne devrait se laisser aller à des pensées d'inaptitude et de désespoir : elles sont tout à fait hors de propos, parce que nul ne réussit par son aptitude et sa valeur personnelles, mais par la grâce et le pouvoir de la Mère et par l'assentiment de l'âme à Sa grâce et à l'action de Sa force.
Détournez-vous de ces sombres pensées et regardez uniquement vers la Mère, non dans l'impatience d'obtenir un résultat et dans le désir, mais avec foi et confiance, et laissez son action vous apporter la tranquillité et de nouveaux progrès vers l'ouverture psychique et la réalisation. Cela vous apportera, certainement et sans aucun doute, la foi plus entière et l'amour que vous cherchez.
Par changement, j'entendais un grand progrès dans votre attitude et vos réactions mentales et vitales aux choses extérieures et à la vie, qui ressort très clairement des lettres où vous relatez ces événements et leur donnez une atmosphère nouvelle, chaleureuse, claire et psychique. Naturellement,
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le changement n'est pas encore absolu et intégral, mais il semble vraiment fondamental. De plus il est dû sans aucun doute à une bhakti de plus en plus intense au-dedans, et surtout au fait que vous avez accepté le chemin de la bhakti et aux conséquences qui en découlent. Le mental a adopté une nouvelle attitude moins intellectuelle et plus psychique. Ce qui vous empêche de voir augmenter la bhakti (parfois vous l'avez vu et avez écrit dans ce sens), c'est le mental physique qui se remet à brasser ses idées fixes en un tourbillon perpétuel chaque fois qu'il est tant soit peu atteint par la dépression. L'une de ces idées est que vous ne progressez pas, que vous ne ferez jamais et ne pourrez jamais faire aucun progrès ; c'est elle qui disait : "Le yoga n'est pas fait pour les gens comme moi", etc. Après l'activité intempestive du vital, c'est l'activité du mental physique qui maintient la conscience à la surface et l'empêche d'être active intérieurement et de percevoir ce qui se poursuit au-dedans ; elle voit un peu ce qui se passe à la surface de la nature, les effets du mouvement intérieur, mais non la cause des événements qui est le mouvement intérieur lui-même. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'aime voir le mental physique occupé par la poésie, la musique, etc., et d'autres activités salutaires et favorables à la croissance intérieure, où la bhakti intérieure trouve à s'exprimer, car cela occupe le mental physique et le sort de sa ronde mécanique, ce qui permet et favorise la croissance intérieure. Il tourne déjà moins qu'avant et je m'attends à ce qu'un jour ou l'autre il se lasse et abandonne ta partie.
Ces idées ne sont que des suggestions qui apparaissent toujours lorsque vous vous laissez envahir par cette tristesse ; au lieu de vous y abandonner, vous devriez les rejeter immédiatement loin de vous. Il n'y a pas lieu de demander pourquoi vous sentez cet éloignement et cette indifférence, car ceux-ci n'existent pas, et ce sentiment surgit automatiquement, sans aucune raison véritable, en même temps que cette vague de
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conscience fausse. Dès que ce sentiment apparaît, vous pouvez être sûr que vous prenez un mauvais tournant ; vous devez le faire cesser et rejeter toutes ses suggestions si caractéristiques. C'est ce que vous avez su faire pendant longtemps et vous avez fait alors un grand progrès, votre conscience et vos idées sont devenues plus justes et vous avez pris la véritable attitude psychique. Vous ne nous gênez pas dans notre travail, pas plus que vous n'empêchez d'autres sâdhak de venir ici ; en vous accrochant à la sâdhanâ en dépit de toutes les difficultés, vous ne vous trompez pas vous-même ; vous faites au contraire ce qu'il faut, et vous ne trompez certainement pas le Divin qui connaît très bien à la fois votre aspiration et vos difficultés. Il n'y a donc pas la moindre raison que vous partiez. Si vous voulez "sincèrement faire le yoga" - et à cela il ne peut y avoir aucun doute - c'est une raison suffisante pour que vous soyez ici. Peu importe que vous n'ayez eu jusqu'à présent aucune expérience occulte telle que la montée de la Koundalinî, etc. : à certains ces expériences viennent tout au début, à d'autres plus tard ; et par ailleurs chacun a des expériences qui se développent différemment selon sa nature. Vous ne devez pas en être avide, ni être déçu et découragé parce qu'elles n'ont pas encore eu lieu. Si on les laisse faire, elles viennent d'elles-mêmes quand la conscience est prête. C'est à la bhakti, à la purification de la nature, à la conscience psychique juste et à la consécration que vous devez aspirer. Aspirez à la bhakti et elle grandira en vous. Elle est déjà là, au-dedans, et c'est elle qui s'exprime dans vos poèmes, dans votre musique et dans les sentiments qui s'élèvent en vous comme dans le temple de la Mère au Cap [Comorin]. À mesure que la bhakti et la pureté grandiront dans la nature, la conscience psychique juste augmentera aussi et vous mènera à la consécration complète. Mais restez ferme et ne vous laissez pas aller à ces idées d'incapacité, de déception et de départ ; elles sont faites de tamas et bonnes tout juste à être jetées de côté.
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Rien de ce qui vous est demandé ne dépasse vos capacités : vous l'avez déjà fait, et par conséquent vous en êtes capable. On ne vous demande pas de transformer votre nature par votre propre effort, mais seulement de prendre du recul vis-à-vis de ces idées et de ces pensées, de refuser de vous y abandonner et de rester tranquille au-dedans en laissant la Force, que vous avez sentie à plusieurs reprises, vous transformer. Répéter sans cesse : "Je suis faible, je suis inapte, je ne vaux rien" ne vous mènera nulle part.
Rappelez-vous constamment que la Force divine est là, que vous l'avez sentie, et que même si, pendant un moment, vous avez l'impression de ne plus en être conscient, qu'elle vous paraît lointaine, elle est pourtant là et triomphera certainement. Car ceux que la Force a touchés et pris sous sa protection appartiennent dès lors au Divin.
C'est bien. Plus vous gardez ce sentiment dominant de la Force et du calme et plus vous le laissez s'amplifier, plus l'autre sentiment diminuera et s'estompera. Il en est toujours ainsi au début : le Pouvoir et la Paix ne font qu'exercer leur pression, entrer en contact, envahir par endroits, jusqu'au moment où une partie de l'être se sent constamment dans cet état, si intense que soit la perturbation qui l'assaille à la surface. Ensuite la perturbation est de plus en plus poussée au-dehors, jusqu'à ce qu'on la sente non plus au-dedans de l'être, mais à l'extérieur. Quand cela disparaît aussi, la paix est complète et la sâdhanâ est pleinement établie.
C'est là la question : il est inévitable qu'au cours de l'a sâdhanâ, certaines parties de l'être soient moins ouvertes,
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moins avancées, demeurent moins conscientes de la Paix et de la Force, moins proches d'elles que les autres. Il faut agir sur ces parties de l'être et les transformer, mais cela ne peut se faire sans heurts que si vous en êtes détaché, capable de ne pas les considérer comme votre vrai moi, bien qu'elles fassent partie de la nature que vous devez transformer. Alors quand elles apparaîtront avec leurs défauts, vous n'en serez pas bouleversé, vous ne vous laisserez pas emporter par leurs mouvements, vous ne perdrez pas le sentiment de la Paix et de la Force ; vous pourrez agir sur elles (ou plutôt laisser agir la Force) comme si elles constituaient un mécanisme qui doit être mis au point ou un travail qui a été mal fait et doit être repris. Si l'on s'identifie à ces parties de l'être, on a toutes sortes d'ennuis. Le travail se fera tout de même, la transformation s'opérera, mais avec des retards, de graves bouleversements, d'une manière pénible et non en douceur. C'est pourquoi nous conseillons toujours aux sâdhak de rester calmes et détachés et de regarder tout cela non comme leur véritable moi, mais comme une partie extérieure sur laquelle il faut agir tranquillement pour qu'elle devienne ce qu'elle doit être.
Évidemment, c'est souvent une fluctuation de la volonté mentale qui empêche une connaissance acquise d'être systématiquement mise en pratique. Si la volonté n'est pas assez forte, il faut faire appel à la Volonté plus grande qui se tient à l'arrière-plan, et qui est celle de la Mère, sa Force consciente en laquelle connaissance et volonté ne font qu'un, pour qu'elle la renforce et la soutienne. Très souvent, cependant, même si l'on a la volonté et la connaissance, la nature vitale fait revenir par habitude les anciennes réactions. Seule une aspiration régulière que rien ne décourage pourra surmonter cela et faire émerger progressivement le psychique et ses vrais mouvements pour qu'ils expulsent et délogent les mouvements faux. La transformation qui doit
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s'accomplir dans le yoga consiste à remplacer graduellement, progressivement la vieille conscience ignorante et ses mouvements par la vraie conscience psychique et spirituelle. Mais cela prend du temps et ne peut se faire facilement ni d'un seul coup. On ne doit par conséquent pas s'inquiéter ni se décourager si, chemin faisant, on s'aperçoit que les anciens mouvements reviennent en dépit de la connaissance que l'on a acquise. On doit seulement se tenir de plus en plus séparé d'eux, afin que s'ils reviennent, l'être ne leur accorde plus son consentement.
Les difficultés du caractère persistent tant que l'on y cède en acte lorsqu'elles apparaissent. On doit se faire une règle stricte de ne pas agir sous l'impulsion de la colère, de l'ego ou de toute faiblesse dont on veut se débarrasser, ou si on s'est laissé emporter à agir, on ne doit ni justifier ni poursuivre son action. Si l'on suit cette règle, au bout de quelque temps la difficulté s'atténue ou se réduit à un mouvement subjectif que l'on peut observer et dont on peut se détacher pour le combattre.
On est toujours ouvert [aux forces ignorantes de la Nature] tant que la transformation n'est pas achevée. Si rien ne pénètre, c'est parce que la conscience est vigilante ou que le psychique est au premier plan, mais dès que la vigilance cesse ou se relâche, quelque chose peut entrer.
On ne doit pas se tracasser, mais il ne faut pas non plus être négligent ; c'est-à-dire qu'on ne doit pas accorder à ces mouvements le consentement de sa volonté ou de sa raison. Car tout assentiment les fait se prolonger ou se répéter. S'ils ne
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disparaissent pas lorsqu'ils sont rejetés par le mental et la volonté, c'est que les parties moins conscientes de la nature réagissent à leur manière habituelle. Celles-ci doivent devenir conscientes grâce à la Lumière et à la Force qu'elles reçoivent et finir par refuser d'obéir aux appels de la nature inférieure.
C'est tout à fait juste. Si vous vous maintenez dans cet état, sans lui permettre de s'obscurcir entièrement ou de rester longtemps voilé, vous pourrez avancer rapidement et votre nature connaîtra une nouvelle naissance ; votre vie, toutes vos pensées, tous vos actes et tous vos mouvements auront pour fondement votre être vrai, votre être psychique. Ne donnez jamais votre assentiment aux idées, aux suggestions, aux sentiments qui ramènent l'obscurité, la confusion et la révolte. C'est le consentement qui leur donne la force de revenir. Refusez votre assentiment et ils seront obligés de se retirer aussitôt ou un peu plus tard.
Demeurez dans la lumière ensoleillée de la vraie conscience, car là seulement se trouvent le bonheur et la paix. Ceux-ci ne dépendent pas d'événements extérieurs, mais d'elle seule.
IX
C'est ainsi que se déroule en général le processus par lequel la conscience se transforme. Les forces inférieures abandonnent rarement le terrain sans livrer une longue bataille et souvent plusieurs. Ce qui a été gagné peut se voiler, mais n'est jamais perdu.
Pourquoi vous laisser aller à ces sentiments de remords et de désespoir excessifs quand ces mouvements surgissent du
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subconscient ? Cela ne vous aide en rien et rend plus difficile l'élimination, au lieu de la faciliter. L'ancienne nature expulsée depuis longtemps des parties conscientes de l'être revient toujours ainsi dans la sâdhanâ. Cela ne signifie .nullement que la nature soit immuable. Essayez de retrouver la tranquillité intérieure, détachez-vous de ces mouvements et regardez-les avec calme en les réduisant à leurs vraies proportions. Votre vraie nature est celle où vous trouvez la paix, l'Ânanda et l'amour du Divin. L'autre n'est jamais que la périphérie de votre personnalité extérieure qui, en dépit de ces assauts réitérés, est destinée à tomber à mesure que l'être vrai s'étend et s'accroît.
Vous n'avez aucune raison d'être aussi abattu ou de désespérer de votre progrès. Évidemment, vos anciens mouvements ont resurgi, mais cela peut toujours arriver tant que l'ancienne nature n'est pas entièrement transformée, dans la conscience comme dans les parties subconscientes. Quelque chose est apparu qui vous a fait perdre votre équilibre et vous a replongé dans le tourbillon de vos sentiments d'autrefois. La seule chose à faire est de vous calmer et de revenir à la vraie conscience et au véritable équilibre.
La libération que vous ressentez a de bonnes chances d'être fondamentale et définitive. Mais en ces matières, on doit rester vigilant, même après la libération, car souvent ces mouvements se retirent et se tiennent à bonne distance, pour voir s'ils ne pourraient pas, dans certaines conditions, profiter des circonstances pour lancer une attaque et reconquérir leur royaume. Si la purification est complète jusque dans les profondeurs, et que rien n'est là pour leur ouvrir la porte, ils seront impuissants. Mais c'est seulement longtemps
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après avoir été libéré que l'on peut dire : "Maintenant tout ira bien, c'est fini, pour toujours."
Votre attitude intérieure doit rester la même. La règle est de ne pas être énervé ou tiré au-dehors par ces "incidents" de la vie extérieure ou par l'apparition d'éléments nouveaux ; ceux-ci doivent entrer comme des vagues dans une mer calme, se mêler à elle et devenir eux-mêmes calmes et sereins.
Votre état actuel est ce qu'il doit être ; seulement vous ne devez pas relâcher votre vigilance. Car lorsqu'on est en bonne condition, les mouvements inférieurs ont pour habitude de s'apaiser et de s'assoupir, d'aller se cacher pour ainsi dire ; ou ils sortent de la nature et restent à une certaine distance. Mais s'ils voient que le sâdhak relâche sa vigilance, ils commencent tout doucement à se soulever ou à s'approcher, invisibles la plupart du temps, et quand il n'est plus du tout sur ses gardes, soudain ils surgissent ou font tout à coup irruption. Cela continue jusqu'à ce que toute la nature, mentale, vitale, physique et même subconsciente, soit illuminée, consciente, emplie du Divin. Tant qu'on n'en est pas arrivé là, on doit toujours rester sur le qui-vive.
L'attitude que vous avez adoptée - conserver le calme intérieur et transformer peu à peu ce qui doit être transformé, en remettant certaines choses à plus tard - bien qu'elle ne soit pas mauvaise en elle-même, vous a peut-être rendu quelque peu négligent, et vous avez laissé s'ébattre à la surface certaines choses (désirs, etc.) qui auraient dû être refrénées. Ce parti pris a pu ouvrir la porte aux vieux mouvements qui sont réapparus à travers cette partie de l'être qui n'était encore nullement prête à se transformer, et les forces hostiles, constatant que vous n'étiez plus sur vos
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gardes, en ont profité pour mener à fond leur attaque. Elles sont toujours en éveil, à l'affût d'une occasion que de son côté, le sâdhak doit être suffisamment vigilant pour leur refuser. Il est possible aussi qu'en descendant dans l'atmosphère générale et en exerçant une certaine pression sur la conscience des sâdhak pour les obliger à être plus alertes, plus éveillés, moins absorbés par les mouvements de la nature ordinaire qu'ils ne le sont actuellement, la Force soit tombée sur cette partie de l'être et que la résistance qui s'y trouvait, et depuis longtemps restait surtout passive, soit soudain devenue active sous l'effet de cette pression.
Tous ces mouvements signifient simplement qu'une certaine partie de la nature, pleine de mouvements émotifs habituels, est restée refoulée, et que vous n'en êtes pas encore venu à bout ; elle s'est maintenant soulevée avec le maximum de force, en profitant du fait que la conscience est descendue de ses hauteurs de paix et d'Ânanda. C'est une vieille habitude du vital égoïste qui revient. Vous l'aviez refoulée en bas, dans le subconscient, et reléguée à la périphérie de votre nature, de sorte que celle-ci n'en était pas entièrement débarrassée. Il n'est pas surprenant que ce mouvement ait, pour le moment, repoussé à l'arrière-plan le moi intérieur et ses expériences; s'il ne l'avait pas fait, il ne pourrait pas durer un instant. Mais il n'y a aucune raison pour que vous parliez de cela comme d'une chute irrémédiable : il n'en est rien, malgré la gravité de ce faux pas. Vous devez le reconnaître pour ce qu'il est, sortir de cette vague et rejeter cela loin de vous. Retrouvez votre équilibre et regardez en face ce qui s'est passé, sans en exagérer l'importance ; alors cela passera plus vite.
Mais en réalité, ce ne sont pas là des raisons suffisantes pour tomber dans la tristesse et la dépression. Il est tout à fait
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normal que les difficultés reviennent ainsi, et cela ne prouve pas qu'aucun progrès n'a été fait. Ce retour des difficultés (alors qu'on croit avoir triomphé) n'est pas inexplicable. J'ai décrit dans mes ouvrages ce qui se passe. Quand une habitude ancrée depuis longtemps dans la nature est rejetée, elle se réfugie dans une partie moins éclairée de la nature, et quand elle est rejetée du reste de la nature, elle se réfugie dans le subconscient ; de là, elle surgit au moment où vous vous y attendez le moins, réapparaît en rêve ou tout à coup dans des mouvements inconscients ; ou elle sort et reste en attente dans l'être environnant à travers lequel agit la Nature universelle, et de là attaque comme une force venue du dehors qui essaie de recouvrer son empire par une suggestion ou une répétition des anciens mouvements. Il faut tenir bon jusqu'à ce qu'elle ait perdu le pouvoir de revenir. On ne doit pas considérer ces retours ou ces attaques comme des parties de soi-même, mais comme des invasions, et il faut les repousser sans céder à la dépression ou au découragement. Si le mental ne les laisse pas faire, si le vital refuse de les accueillir, si le physique demeure ferme et refuse d'obéir au besoin physique, la pensée, l'impulsion vitale, la sensation physique commenceront à lâcher prise et à ne plus pouvoir se répéter et finiront par devenir trop faibles pour être gênantes.
Il n'y a pas de raison de se décourager. Quand on a progressé aussi loin que vous, c'est-à-dire assez loin pour sentir le calme et le faire durer, et pour avoir autant de discrimination psychique et de sentiment psychique, on n'a pas le droit de désespérer de son avenir spirituel. Vous n'avez pas encore pu passer de la discrimination à la transformation psychique complète, parce qu'une grande partie de la conscience physique extérieure prenait encore plaisir aux anciens mouvements, et leurs racines sont par conséquent restées vivantes dans le subconscient. À un moment où vous n'étiez
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plus sur vos gardes, tous ces mouvements sont réapparus en provoquant momentanément une rechute brutale. Mais cela ne veut pas dire que la nature est incapable de se transformer. Seulement le calme équilibre intérieur conscient, la discrimination psychique et surtout une volonté de changer plus forte et plus ferme qu'auparavant doivent s'établir de sorte qu'aucun soulèvement, aucune invasion ne pourra voiler même en partie la discrimination ou suspendre la volonté. Vous avez vu la vérité, mais cette partie de l'ancienne nature qui s'est soulevée refusait de la reconnaître ; elle voulait agir à sa guise et vous a imposé sa volonté. Cette fois-ci, vous devez exiger de tout l'être une sincérité complète qui refusera de démentir ce que voit la discrimination psychique et qui n'accordera ni soutien, ni consentement, dans aucune partie de l'être, à ce qu'elle réprouve ; vous devez exiger l'humilité spirituelle, refuser d'être content de vous, de vous justifier, de chercher à vous imposer, de juger les autres, etc. Tous ces défauts, vous savez qu'ils sont en vous ; les rejeter peut prendre du temps, mais si la volonté d'être en toutes choses fidèle au moi intérieur est forte, persévérante et vigilante, et si elle fait constamment appel à la Force de la Mère, cela pourra se faire plus vite qu'il ne semble possible actuellement.
Tant que vous n'aurez pas appris la leçon que le passé avait à vous enseigner, elle se répétera. Notez soigneusement quel genre de souvenirs vous reviennent, vous verrez qu'ils ont trait à certains mouvements psychologiques en vous dont vous devez vous débarrasser. Vous devez donc être prêt à reconnaître tout ce qui n'était pas parfait en vous et n'a pas encore été corrigé, ne laisser aucune vanité, aucun pharisaïsme voiler votre vision.
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X
Notre aide sera là. Elle peut être efficace en dépit de votre mental physique, mais elle sera plus efficace si la volonté ferme et active peut lui servir d'instrument. Il y a toujours deux éléments dans la réussite spirituelle : la fermeté de la volonté et de l'effort personnels, et le Pouvoir qui, d'une manière ou d'une autre, apporte son aide et permet à l'effort d'aboutir.
Vous aviez tendance à monter et à laisser la conscience supérieure s'occuper de la nature inférieure sans faire aucun effort personnel à cette fin. Cela aurait pu très bien marcher à condition : (1) que la paix et la force soient descendues et aient tout occupé, jusqu'au physique ; (2) que vous ayez réussi à empêcher la nature extérieure de voiler l'être intérieur. Le physique n'a pas réussi à absorber la paix et à sa place l'inertie est apparue ; la force n'a pas pu descendre ; les suggestions de la nature extérieure se sont révélées trop fortes pour vous, et les suggestions et l'inertie, agissant ensemble, ont interrompu la sâdhanâ.
Je n'ai pas dit que vous aviez commis une erreur. J'ai simplement décrit ce qui s'était passé et les causes. Si vous aviez été capable de demeurer au-dessus et de laisser la Force descendre et agir, tandis que vous restiez détaché de la nature extérieure, cela aurait été très bien. Vous avez pu monter parce que la Paix descendait. Vous n'avez pas pu rester en haut parce que la Paix ne pouvait pas occuper suffisamment le physique et que la Force ne descendait pas assez. Entre temps l'inertie est apparue, vous avez été de plus en plus troublé à cause des suggestions vitales dans la nature inférieure et de l'irruption de l'inertie, de sorte que vous n'avez pas pu rester détaché et laisser la Force descendre ou la faire
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descendre progressivement. Vous êtes donc descendu dans la conscience physique. En vous disant tout cela, je ne formule aucun blâme, pas plus que je ne dis que vous avez commis une erreur ou agi à rencontre de la Volonté de la Mère. Ces idées - commettre une faute, contrevenir à la Volonté - sont les vôtres, non les miennes.
Quand le mental et le vital s'emparent du physique pour en faire un instrument, il n'y a pas d'inertie. Mais ici c'est de la conscience physique qu'il s'agissait. Si elle avait pu recevoir en elle la paix du moi, sans le recouvrir d'inertie, tout serait allé très bien. Mais pour une raison ou une autre, le vital est intervenu, avec son exigence et son mécontentement, ce qui a engendré cette obstruction et cette incapacité de progresser. Ce phénomène se produit souvent dans la sâdhanâ et on doit avoir le pouvoir soit de le rejeter dynamiquement, soit de rester détaché jusqu'à ce qu'il soit épuisé. Alors le vrai mouvement repart.
Vous vous attendez toujours à ce que la Mère fasse tout, et voilà revenus la paresse et le tamas : c'est un esprit de soumission tamasique. Si la Mère vous remet en état, votre vital vous tire à nouveau vers le bas. Comment cela pourrait-il s'arrêter tant que vous direz oui au vital et que vous vous identifierez à son découragement, à ses violences et à tout le reste ? Le détachement est absolument nécessaire.
Je voulais faire ressortir deux choses, c'est pourquoi j'ai tant écrit à leur sujet.
1. La soumission à la Mère ne doit pas être tamasique (inerte, passive), car la réaction sera une impuissance passive et inerte face aux forces ou aux suggestions inférieures
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ou hostiles dont les incursions seront acceptées ou subies sans résistance ou avec une résistance inefficace. Un état passif peut apporter beaucoup de paix, de tranquillité et même de joie, mais disperse l'être au lieu de la concentrer dans l'immensité, et la volonté s'atrophie. La soumission doit être lumineuse, active, offrande volontaire à la Mère, réceptivité à sa force et soutien à son action, accompagnés d'une volonté forte et vigilante de rejeter tout ce qui ne vient pas d'elle. Trop de sâdhak s'écrient, devant les attaques de leur nature inférieure : "Je suis impuissant, je ne peux pas réagir, elles viennent et me font faire ce qu'elles veulent." C'est une mauvaise passivité.
2. On ne doit pas s'habituer à un état de lutte continuelle contre les suggestions et les forces. Les gens tombent très facilement dans ce travers et en font une habitude. La partie vitale trouve une sorte de satisfaction enthousiaste à s'écrier : "On m'attaque, je suis submergé, je souffre, malheur à moi ! Quel destin tragique ! Pourquoi ne m'aides-tu pas, ô Divin ? N'y a-t-il aucune aide, aucune Grâce divine? Je suis abandonné dans mon malheur, dans ma déchéance, etc., etc." Je ne veux plus voir un seul sâdhak tomber dans cet état, c'est pourquoi je vous dis : "Halte !" avant que vous ne soyez empêtré dans cette sorte d'habitude de lutter sans cesse. C'est ce que veulent ces forces : que vous vous sentiez impuissant, battu, submergé. Vous ne devez pas les laisser faire.
Tout cela vient du mental physique qui refuse de se donner le mal d'entreprendre le labeur et de livrer la bataille nécessaire à l'accomplissement spirituel. Il veut parvenir aux cimes, mais désire parcourir tout le chemin en douceur : "Pourquoi diable se donner tant de peine pour conquérir le Divin?" Tel est, au fond, son sentiment. L'obstacle des pensées est l'un de ceux que tous les yogis ont dû surmonter - d'où le piètre résultat obtenu après plusieurs jours d'effort. C'est seulement lorsqu'on a déblayé, labouré, semé et
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entretenu le terrain que l'on peut espérer les grandes moissons.
On doit soit utiliser l'effort (et alors il faut être patient et persévérant), soit se reposer sur le Divin en l'appelant et en aspirant sans cesse. Mais dans ce cas, la confiance doit être authentique et ne pas exiger de fruits immédiats.
Le Pouvoir peut tout faire, tout transformer, et le fera, mais il ne pourra le faire parfaitement, aisément et durablement que lorsque votre volonté mentale, vitale et physique aura pris parti pour la Vérité. Si vous vous rangez aux côtés de l'ignorance vitale et que vous voulez lutter contre votre propre transformation spirituelle, vous livrerez un combat pénible et difficile avant que le travail ne soit terminé. C'est pourquoi j'insiste sur la tranquillité - c'est la moindre des choses - et la confiance patiente, dans la mesure où vous en êtes capable, pour que le progrès se fasse par un mouvement tranquille et régulier, et non pénible, tourmenté, plein de rechutes et de conflits.
Notez aussi que la Force n'apporte pas de résultats définitifs et durables, à moins que le sâdhak n'ait en lui la volonté et la résolution d'atteindre le but.
Vous m'avez écrit : "Je n'ai pas à m'en préoccuper ; si la paix est nécessaire, elle viendra d'elle-même." C'est certes à la Force qu'il faut accorder le plus d'importance, mais le consentement actif du sâdhak est nécessaire ; dans certains cas, sa volonté aussi peut être un instrument nécessaire à la Force.
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L'action supérieure n'exclut pas l'usage de la volonté : la volonté est un élément de l'action supérieure.
Les choses ne peuvent pas se faire ainsi. Pour que la transformation soit authentique, l'obstacle doit être rejeté par toutes les parties de l'être. La Force peut seulement les aider à le faire ou les en rendre capables, mais elle ne peut remplacer cette action nécessaire par un processus sommaire. Votre mental et votre être intérieur doivent communiquer leur volonté à tout l'être.
Tant qu'il n'y a pas une action constante de la Force venant d'en haut, ou une volonté profonde venant du dedans, la volonté mentale est nécessaire.
La Force peut faire venir la volonté au premier plan et l'utiliser.
Il y a une volonté dans le mental, et pas seulement le pouvoir de penser.
Pour surmonter la difficulté, le premier pas est d'être conscient ; mais la force est nécessaire et aussi le détachement et la volonté de surmonter.
L'énergie qui dicte l'action ou empêche l'action fausse est la volonté.
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Il ne peut y avoir ni persistance ni persévérance sans volonté.
La volonté peut s'obliger elle-même à agir : elle est, par nature, force ou énergie.
Une volonté inerte et passive, cela n'existe pas. La volonté est dynamique par nature. Même si elle n'est pas en train de lutter ou de faire effort, sa présence même est dynamique et agit dynamiquement sur la résistance. Ce dont vous parlez est une velléité : j'aimerais que ce soit comme cela, je voudrais que ce soit comme cela. Ce n'est pas de la volonté.
Dans ce cas, ce n'est pas cette volonté-là qu'il faut : ils emploient sans doute une certaine volonté combative ou laborieuse, au lieu d'une volonté tranquille, mais vigoureuse qui fait descendre la conscience et la force supérieures.
La paix n'est pas un préalable nécessaire à l'action de la volonté. Quand l'être est troublé, c'est souvent le rôle de la volonté de lui imposer la tranquillité.
La volonté est la volonté, qu'elle soit calme ou agitée, qu'elle s'exerce d'une manière yoguique ou non yoguique, dans un but yoguique ou non yoguique. Croyez-vous que Napoléon et César n'avaient pas de volonté, ou qu'ils étaient des yogis? Vous avez des idées bizarres. Vous pourriez aussi bien dire que la mémoire n'est mémoire que quand elle se
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rappelle le Divin, et qu'elle n'est pas la mémoire quand elle se souvient d'autres choses.
Il n'y a pas de processus. La volonté agit d'elle-même quand le mental et le vital sont d'accord, comme dans le cas d'un désir. Si le désir n'est pas satisfait, le vital s'acharne, s'efforce d'obtenir ce qu'il veut, insiste, réitère son exigence, se sert de cette personne-ci ou de celle-là, de cet artifice ou de cet autre, engage le mental à le soutenir par ses arguments, dépeint l'objet de son désir comme un besoin qui doit être satisfait, etc., etc., jusqu'à ce que le désir soit satisfait. Tout cela est la preuve d'une volonté à l'œuvre. Quand vous devez utiliser la volonté pour la sâdhanâ, vous n'avez pas la même persévérance, le mental trouve des prétextes pour ne pas poursuivre l'effort ; dès que la difficulté s'intensifie, l'effort est abandonné, il n'y a pas de continuité, la volonté ne reste pas fixée sur son objet.
En se développant, la volonté devient capable de se fondre à la volonté de la Mère. Une volonté qui n'est pas forte est un grand obstacle dans la sâdhanâ.
Si la volonté est utilisée constamment, le reste de l'être apprend, si lentement que ce soit, à obéir à la volonté ; alors les actions se conforment à la volonté et non aux impulsions et aux désirs du vital. Pour le reste (les sentiments, désirs, etc. eux-mêmes), si l'on ne s'y abandonne pas en acte ou en imagination, et qu'ils ne sont pas soutenus par la volonté, si l'on ne fait que les regarder et les rejeter quand ils viennent, après une période de lutte ils commencent à perdre leur force et s'amenuisent peu à peu.
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Je crois que c'est parce que vous n'avez pas pris l'habitude d'utiliser votre volonté pour contraindre les autres parties de la nature ; quand vous voulez le faire, elles refusent d'obéir à une autorité à laquelle elles ne sont pas accoutumées, et celle-ci n'a pas non plus établi sur elles son emprise.
La volonté fait partie de la conscience et devrait, chez les êtres humains, être le principal moyen de maîtriser les activités de la nature.
C'est l'inertie physique qui vous suggère que vous manquez de volonté. Elle a recouvert votre volonté et vous a persuadé que vous n'en avez plus, que vous êtes devenu incapable d'en avoir.
Vous ne pouvez vous attendre à ce qu'une inertie aussi tenace disparaisse en trois jours, sous prétexte que vous avez timidement commencé à faire un effort pour y résister.
[L'origine de l'incapacité à tenir tête aux forces d'opposition :] Elle se trouve dans l'indolence de la volonté qui ne veut pas soutenir son effort pendant une période prolongée. C'est comme une personne qui allongerait la jambe à moitié pendant une seconde et puis se demanderait pourquoi elle n'a pas déjà avancé de cent kilomètres vers le but après avoir fourni un effort aussi gigantesque.
Cela signifie simplement que votre volonté est faible et n'est pas une vraie volonté. Drôle de volonté ! Un peu comme une automobile qui ne veut pas démarrer, il faut la pousser.
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Quand vous vous sentez en meilleure condition, que la paix et la force sont à l'œuvre, mieux vaut laisser agir la force en restant silencieux et tranquille, sans essayer d'agir par le mental.
Quand règne la confusion ou une mauvaise condition, vous devez faire appel au calme pour qu'il descende en vous et essayer de retrouver l'attitude vraie, sans écouter les pensées fausses, mais au contraire en les rejetant. Si vous ne pouvez pas le faire tout de suite, restez cependant aussi tranquille que possible et aspirez en vous offrant. La Force divine peut toujours plus que l'effort personnel ; l'essentiel est donc, après avoir retrouvé la tranquillité, de l'appeler et de la faire descendre ou revenir au premier plan, car elle est toujours là, à l'arrière-plan ou au-dessus de vous.
X a toujours été comme cela. C'est son mental qui est toujours en train de s'agiter; parfois il a une ouverture psychique et tout va bien ; puis le mental s'interpose et X s'embrouille et se sent malheureux. Il ne guérira pas en s'en allant ; "réfléchir à tout cela" ne fera que l'embrouiller et l'égarer davantage. Il est de ceux qui ne peuvent être sauvés de tout cela que par une ouverture psychique complète et permanente, par le cœur et non par le mental.
Toute résistance dans l'être extérieur partira; seulement cela prendra du temps. Il est toujours préférable de se baser sur cette certitude et de demeurer tranquille et ferme, en la gardant présente à l'esprit, même lorsqu'on est incapable de réagir activement contre la difficulté. Car la résistance passive et tranquille la fera partir plus tôt, même si l'on est troublé et anxieux.
Même lorsqu'on ne peut pas faire appel activement à la Force de la Mère, on doit avoir confiance qu'elle viendra.
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La manière dont les douleurs sont parties vous indique comment il faut s'y prendre avec toute la nature ; car la méthode est la même, que le malaise ou la perturbation ait des causes mentales ou vitales, ou que ces causes soient physiques : rester intérieurement tranquille, demeurer convaincu, par la foi et l'expérience, que la seule manière est de rester tranquille et ouvert et de laisser agir la Force. Naturellement, vous ne pouvez pas encore en être pleinement conscient, mais la sentir, s'ouvrir, la laisser agir, observer son effet, c'est la première chose. C'est le commencement de la conscience et la voie vers la conscience totale.
Accrochez-vous à l'aide, toujours : quand vous ne la sentez pas, appelez-la et restez tranquille jusqu'à ce que vous recommenciez à la sentir. C'est seulement le voile dont vous avez parlé qui s'interpose entre vous et le sentiment de sa présence, car elle est toujours là.
Si vous ne pouvez rien faire d'autre, vous devez au moins rester détaché ; il y a toujours dans l'être une partie qui peut rester détachée et continuer à persévérer, en appelant la force d'en haut.
La vérité dans le cœur, la sincérité et la foi dans l'effort peuvent en effet rendre facile tout ce qui est difficile ; même ce qui est impossible peut devenir possible. On constate souvent aussi qu'après une certaine période de pratique et d'effort sincère, une intervention du dedans se produit, et ce qui aurait pu prendre très longtemps se fait, définitivement et rapidement.
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Votre prière recevra sûrement une réponse, car c'est vers cela que vous vous dirigez.
L'aide est accordée de toutes les manières nécessaires ou possibles. Elle ne se limite pas à la Force, à la Lumière, à la Connaissance. Évidemment, si par Force, etc., vous voulez dire tout ou n'importe quoi, la formule tient.
Cela dépend. Si la conscience est développée dans son aspect de connaissance, elle ne fera que vous avertir. Si c'est dans son aspect de volonté ou de pouvoir, elle vous aidera à réaliser.
Le besoin d'appeler à l'aide diminue à mesure que l'on s'élève de plus en plus haut, ou plutôt à mesure que s'accroît la plénitude, car il est progressivement remplacé par l'action automatique de la Force.
Il n'y a aucune raison que vous cessiez de nous écrire : il n'était question que d'une certaine catégorie de lettres, celles qui ne sont pas un bon moyen de rester en contact ; vous avez senti vous-même que la réaction n'était pas favorable. Je vous ai demandé de m'écrire parce que vous aviez grand besoin, à cette époque, de vous décharger des éléments périlleux en vous, et bien que cela ne vous ait pas soulagé aussitôt, j'ai été tenu informé avec exactitude de la tournure prise par votre combat ; cela m'a aidé à exercer une certaine pression, à un moment critique, sur les forces qui vous attaquaient. Mais je ne crois pas qu'aucune de ces
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nécessités subsiste. Vous avez plutôt besoin maintenant d'inhiber, par des moyens intérieurs, la source de ces mouvements ; mais les traduire en mots tendrait, comme je vous l'ai dit, à leur donner plus de corps et de substance.
C'est un fait indubitable, démontré par des centaines d'exemples, que pour beaucoup de gens, nous faire part avec exactitude de leurs difficultés est le meilleur moyen de s'en délivrer, et souvent - sinon toujours - les effets en sont immédiats et même instantanés. C'est ce que bien des sâdhak ont constaté, non seulement ici, mais au loin, et non seulement lorsqu'ils luttaient contre des difficultés intérieures, mais aussi contre des maladies et contre la pression de circonstances extérieures défavorables. Mais pour cela une certaine attitude est nécessaire : soit une foi intense dans le mental et le vital, soit une habitude de recevoir l'aide et d'y réagir positivement dans l'être intérieur. Là où cette habitude s'est établie, j'ai vu qu'elle était d'une efficacité presque absolue, même quand la foi était incertaine ou l'expression extérieure du mental vague, ignorante ou, dans sa forme, fautive ou inexacte. De plus, cette méthode a les meilleurs résultats quand le sâdhak peut écrire comme un témoin de ses propres mouvements et les décrire avec une précision exacte et presque impartiale, comme un phénomène survenu dans sa nature ou le mouvement d'une force qui l'affecte et dont il cherche à se libérer. Au contraire, si, lorsqu'il écrit, son vital est saisi par ce dont il parle et prend la plume à sa place - exprimant le doute, la révolte, la dépression, le désespoir, et souvent les soutenant - cela de- vient une tout autre affaire. Même dans ce cas, le fait de s'exprimer agit parfois comme une purge ; mais la description de cet état peut aussi donner de l'énergie à l'attaque, du moins pour un moment, et peut paraître la renforcer et la prolonger ; elle peut aussi l'épuiser temporairement par sa violence même, ce qui finit par apporter un répit, mais à un prix très élevé : bouleversement, cataclysme, risque que le mouvement se perpétue indéfiniment parce que ce répit est dû à un épuisement temporaire des attaquants et non à un
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rejet et une purification par l'intervention de la Force divine agissant avec le soutien et le consentement sans réserve du sâdhak. Il y a eu une lutte confuse, une intervention tumultueuse, et non un clair alignement des forces ; et l'intervention de la force salvatrice passe inaperçue dans la confusion et le tourbillon. C'est ce qui arrivait en général pendant vos crises ; le vital en vous était profondément affecté et commençait à soutenir et à exprimer les arguments de la force attaquante : au lieu que le mental vigilant observe et exprime clairement la difficulté en étalant les choses au grand jour, pour que la Lumière et la Force supérieures agissent sur elles, il y avait une véhémente plaidoirie en faveur de l'Opposition. De nombreux sâdhak (et même des sâdhak "avancés") ont pris l'habitude d'exprimer ainsi leurs difficultés, et certains continuent à le faire ; même maintenant ils n'arrivent pas encore à comprendre que ce n'est pas la bonne manière. À une certaine époque, c'était une sorte d'évangile à l'Ashram ; on disait que c'était cela qu'il fallait faire - je ne sais pas pour quels motifs, car cela n'a jamais fait partie de mon enseignement yoguique - mais l'expérience a montré que cela ne marche pas : on se retrouve dans le mouvement indéfiniment perpétué, dans un cycle sans fin de conflits. Cela n'a rien à voir avec le mouvement d'ouverture de soi qui réussit, mais pas forcément non plus en un instant, et pourtant d'une manière sensible et progressive, et auquel pensent ceux qui insistent pour que tout soit ouvert au Gourou afin que l'aide soit plus efficace.
Il est inévitable que des doutes et des difficultés se soulèvent dans une entreprise aussi ardue que la transformation de la nature normale de l'homme en une nature spirituelle, où son système de valeurs extériorisées et son expérience de surface doivent être remplacés par des valeurs et une expérience intérieures plus profondes. Mais on ne peut surmonter les doutes et les difficultés en leur donnant leur pleine force ; on le fera plutôt en apprenant à prendre du recul et en refusant de se laisser emporter par eux ; il y a alors quelque chance que la petite voix tranquille qui s'élève du
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dedans se fasse entendre et repousse les vociférations et les mouvements du dehors. C'est à la lumière du dedans que vous devez faire place ; la lumière du mental extérieur est loin de suffire à la découverte des valeurs intérieures, ou pour juger de la vérité de l'expérience spirituelle.
Il ne faut pas trop en demander à la Protection divine, car étant donné notre constitution et celle du monde, la Protection divine est obligée d'agir dans d'étroites limites. Il y a évidemment des miracles, mais ce n'est pas un dû.
L'attitude que vous avez prise est la bonne. C'est ce sentiment et cette attitude qui vous aident à surmonter si rapidement les attaques qui parfois tombent sur vous et vous jettent hors de la vraie conscience. Comme vous le dites, prises ainsi, les difficultés deviennent des opportunités. Quand on a fait face à la difficulté dans le bon esprit et qu'on l'a conquise, on s'aperçoit qu'un obstacle a disparu et que l'on a fait un premier pas en avant. Questionner et résister dans quelque partie de l'être augmente le désordre et les difficultés. C'est pourquoi les anciens yogas de l'Inde déclaraient indispensables une soumission sans réserve et une obéissance sans discussion aux directives du gourou. C'était exigé, non pour le bien du gourou, mais pour celui du shishya.28
Ce genre de conflit intense apparaît très souvent chez un sâdhak lorsqu'il veut faire un progrès complet et décisif au lieu de procéder par élimination lente comme dans le cours ordinaire de la nature ; à l'élan qui le pousse vers le haut
28. Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.
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s'oppose une résistance véhémente qui le tire vers le bas. Mais l'avantage est que lorsqu'on persévère et que l'on triomphe, on s'est beaucoup enrichi par la lutte, et dans cette partie de l'être qui a résisté, l'avantage est décisif. Persévérez donc et ne vous laissez pas affliger par les vacillements ou les faux pas qui peuvent aisément se produire de temps en temps dans un aussi rude combat. Le sâdhak devrait toujours avoir pour règle de ne pas s'arrêter à cela, mais de se relever et d'aller résolument de l'avant.
Notre aide, notre force, nos bénédictions seront toujours avec vous pour vous soutenir à chaque pas jusqu'à la victoire finale.
La grâce et la protection sont toujours avec vous. Quand une difficulté ou un ennui, intérieur ou extérieur, se présente, ne les laissez pas vous oppresser ; réfugiez-vous dans la Force protectrice du Divin.
Si vous le faites toujours, avec foi et sincérité, vous vous apercevrez que quelque chose s'ouvre en vous, qui restera toujours calme et paisible en dépit de toutes les perturbations à la surface.
Oui, c'est ainsi. Chaque victoire remportée sur soi-même donne davantage de force pour remporter de nouvelles victoires.
Il est vrai, en effet, que lorsqu'on triomphe d'une difficulté ou que l'on avance, un courant favorable se crée dans l'atmosphère. De plus, chaque fois qu'une ouverture se produit, on peut la faire durer plus longtemps.
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Oui, un grand progrès devrait seulement vous inciter à un progrès plus grand auprès duquel le premier paraîtra insignifiant.
Oui, on devrait toujours tourner son regard vers l'avenir ; la rétrospection est rarement saine, car elle vous ramène à une conscience passée.
Emportez avec vous la paix, la tranquillité et la joie, et gardez-les en vous par le souvenir constant du Divin.
Si les pensées concernant le passé et l'avenir ne viennent que comme des souvenirs et des imaginations, elles sont inutiles et vous devriez en détourner tranquillement votre mental et le ramener vers le Divin et le yoga. Si elles peuvent servir à quelque chose, référez-en au Divin, placez-les dans la lumière de la Vérité afin de voir ce qu'il y a de vrai en elles, ou, s'il faut prendre une décision, afin de prendre la bonne décision ou de faire une formation juste pour l'avenir.
Les larmes dont vous parlez n'ont rien de mauvais ; elles viennent de l'âme, de l'être psychique ; elles sont une aide et non un obstacle.29
On ne peut pas revenir en arrière, on doit toujours aller vers l'avenir.
Il vaut toujours mieux être tourné vers l'avenir que vers le passé.
Le passé ne doit pas être conservé ; on doit aller vers la réalisation future. Tout ce qui, dans le passé, est nécessaire pour l'avenir sera recueilli et recevra une forme nouvelle.
29. Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.
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