Dans ces conversations, la Mère confie à un disciple ses expériences sur le chemin du « yoga du corps », au cours des années 1961-1973.
X. a fait un rêve plutôt mauvais : elle arrivait dans une maison sur laquelle on devait veiller, et personne n’avait veillé; des ennemis étaient entrés. X. est entrée dans cette maison, elle a trouvé une chambre où était Sri Aurobindo et Sri Aurobindo avait été blessé au pied, il gémissait. Il avait été blessé par les adversaires que l’on avait laissé pénétrer dans la maison. Voyant Sri Aurobindo blessé, elle a couru, couru pour te chercher.
C’est peut-être tout simplement l’image de ce qui est arrivé le 11 février4 ?
Le pied, cela veut dire quelque chose de physique.
Je crois que c’est cela, c’est seulement l’image symbolique de ce qui est arrivé.
Ce n’est pas quelque chose qui va se produire?
Prémonitoire? Non.
Le pied, c’est son action physique à travers certaines gens ou à travers l’Ashram ou à travers moi.
Je ne crois pas que ce soit sérieux. C’est l’image de ce qui a eu lieu, qui s’est enregistrée quelque part.
(silence)
C’est un développement assez curieux. Depuis quelque temps, mais d’une façon de plus en plus précise, quand j’entends quelque chose, qu’on me lit quelque chose, ou quand j’écoute de la musique, que quelqu’un me raconte un fait, je sens tout de suite l’origine de l’activité ou le plan sur lequel elle se passe; ou l’origine de l’inspiration se traduit automatiquement par une vibration dans l’un des centres. Et alors, suivant la qualité de la vibration, c’est une chose constructive ou négative, et quand cela touche si peu que ce soit, à un moment donné, à un domaine de Vérité, il y a... comment dire... comme l’étincelle d’une vibration d’Ânanda. Et la pensée est absolument silencieuse, immobile, rien — rien (Mère ouvre les mains vers le haut dans un geste d’offrande totale). Mais cette perception devient de plus en plus précise. Et je sais comme cela — je sais d’où vient l’inspiration, où se situent l’action et la qualité de la chose.
C’est d’une précision! oh! infinitésimale, de détail. La première fois que j’ai senti cela d’une façon claire, c’était lorsque j’ai entendu la musique composée pour « The Hour of God »5 ; c’était la première fois, et à ce moment-là je ne savais pas que c’était quelque chose de tout organisé, une sorte d’organisation d’expérience. Mais maintenant, après tous ces mois, cela s’est classé et c’est pour moi une indication absolument sûre, qui ne correspond à aucune pensée active, aucune volonté active — simplement, je suis une machine, infiniment délicate, de réception des vibrations. C’est comme cela que je sais d’où viennent les choses. Il n’y a aucune pensée. C’est comme cela que m’est venue la vibration de ce rêve (Mère fait un geste en bas, sous les pieds), c’était dans le domaine du subconscient. Alors j’ai su qu’il s’agissait d’un enregistrement.
Et l’autre jour, quand Y. m’a lu son article, c’était neutre (geste vague à hauteur moyenne), tout le temps neutre, puis, tout d’un coup, une étincelle d’Ânanda ; c’est cela qui m’a fait apprécier. Et tout à l’heure, lorsque tu m’as lu ce texte de Z., il y a eu une petite raie de lumière (geste à hauteur de la gorge), alors j’ai su. Une raie de lumière agréable — pas l’Ânanda, mais une lumière agréable, alors j’ai su qu’il y avait là quelque chose.
Et il y a des degrés, n’est-ce pas, c’est presque infini de qualités.
C’est la façon qui m’est donnée d’apprécier la position des choses.
Et tout à fait, tout à fait en dehors de la pensée. C’est après, quand tu m’as demandé, par exemple, pour ce rêve, j’ai dit : « Logiquement, puisque la vibration est là (geste en bas), ce doit être un souvenir. » Et avec une sorte de certitude, parce que... parce que la perception est tout à fait impersonnelle.
C’est un mécanisme d’une délicatesse extraordinaire, et avec un champ de réceptivité (geste de gradation) presque infini.
Ma façon de connaître les gens est comme cela aussi, maintenant. Mais depuis longtemps, quand je vois une photographie, par exemple, cela ne passe pas du tout par la pensée, ce ne sont pas des déductions ni des intuitions — cela crée une vibration quelque part. Et il arrive même des choses amusantes; l’autre jour, on me donne la photographie de quelqu’un, alors je sens très bien : d’après l’endroit qui est touché, à la vibration qui répond, je sais que cet homme-là a l’habitude de manier les idées et qu’il a l’assurance de quelqu’un qui enseigne. Je demande, pour voir : « Que fait cet homme? » On me dit : « Il fait des affaires. » J’ai dit : « Mais il n’est pas fait pour faire des affaires, il n’y entend rien. » Et trois minutes après, on me dit : « Ah ! pardon, excusez-moi, c’est un professeur! » (Mère rit) c’est comme cela.
Et c’est constant, constant.
L’appréciation du monde, des vibrations du monde.
C’est pour cela que je t’ai demandé de me donner tes mains, tout à l’heure — pourquoi? C’est pour avoir justement la vibration. Eh bien, j’ai senti ce que l’on appelle en anglais a sort of dullness6 ; je me suis dit : « Ça ne va pas. »
Et aucune pensée, rien, simplement comme cela (Mère reste immobile dans un geste d’offrande vers le haut).
Alors qu’est-ce qui ne va pas? (Mère rit) Oui, c’est cela, c’est une sorte de dullness.
Oui, je suis très englouti par la matière.
C’est cela.
Ce n’est pas drôle.
Non, mais tu ne peux pas en sortir?
On est assailli. Et mon corps ne m’aide pas beaucoup non plus.
Ah ! non, le corps n’aide jamais, maintenant j’en suis convaincue. On peut, dans une certaine mesure, aider son corps (pas trop grande, mais enfin c’est une mesure), on peut aider son corps; mais le corps ne vous aide pas. Toujours, sa vibration est par terre.
Oui, c’est lourd.
Sans exception. Sans exception c’est un abaissement, et surtout cela : c’est quelque chose qui rend terne, terne — qui ne vibre pas.
C’est lourd.
Mais avec cette sâdhanâ que je suis en train de faire, il y a certains fils conducteurs que l’on suit, j’ai certaines phrases de Sri Aurobindo... Pour les autres sâdhanâ, j’avais l’habitude : tout ce qu’il disait était clair, cela indiquait le chemin, on n’avait pas à chercher; mais là il ne l’a pas fait, seulement il a dit ou fait certaines remarques, de temps en temps, et ces remarques me servent (il y a la nuit, aussi, quand je le rencontre, mais je ne veux pas trop compter là-dessus, parce que... on devient trop anxieux d’avoir ce contact, et cela gâte tout). Il y a plusieurs remarques qui me sont restées ainsi, et qui sont, oui, comme des fils conducteurs; par exemple : « Endurer... endurer. »
Vous avez, supposons, une douleur quelque part; l’instinct (l’instinct du corps, l’instinct des cellules) est de se crisper et de vouloir rejeter — c’est la pire chose, cela augmente, invariablement. Par conséquent, la première chose à enseigner au corps est de rester immobile — n’ayez pas de réaction. Surtout pas de crispation, mais même pas de mouvement de rejet — une parfaite immobilité. Cela, c’est l’égalité corporelle.
Une parfaite immobilité.
Après la parfaite immobilité, c’est le mouvement d’aspiration intérieure (je parle toujours de l’aspiration des cellules — j’emploie des mots pour ce qui n’a pas de mots, mais il n’y a pas moyen de s’exprimer autrement), le « surrender », c’est-àdire l’acceptation spontanée et totale de la Volonté suprême (que l’on ne connaît pas). Est-ce que la Volonté totale veut que les choses aillent de ce côté-ci ou de ce côté-là, c’est-à-dire vers la désintégration de certains éléments ou vers...? Et là encore, il y a des nuances infinies : il y a le passage entre deux hauteurs (je parle de réalisations cellulaires, n’est-ce pas, ne pas oublier cela), je veux dire que l’on a un certain équilibre intérieur, un équilibre de mouvement, de vie, et il est entendu que pour passer d’un mouvement à un mouvement supérieur, presque toujours il se produit une descente puis une remontée — c’est une transition. Alors, est-ce que le choc reçu vous pousse à descendre pour remonter, ou est-ce qu’il vous pousse à descendre pour abandonner de vieux mouvements, parce qu’il y a des façons d’être cellulaires qui doivent disparaître pour faire place à d’autres? Il y en a d’autres qui s’inclinent pour remonter avec une harmonie, une organisation supérieures. C’est le second point. Et il faut attendre et voir, sans postuler d’avance ce qui doit être. Surtout, n’est-ce pas, il y a le désir — le désir d’être confortable, le désir d’être en paix, tout cela — qui doit absolument cesser, disparaître. Il faut être absolument sans réaction, comme cela (geste, paumes ouvertes, d’offrande immobile vers le haut). Et alors, quand on est comme cela (« on », ce sont les cellules), au bout d’un moment vient la perception de la catégorie à laquelle appartient le mouvement, et il n’y a qu’à suivre, soit qu’il s’agisse de quelque chose qui doive disparaître et être remplacé par autre chose (que pour le moment on ne connaît pas), soit qu’il s’agisse de quelque chose qui doive se transformer.
Et ainsi de suite. Et c’est tout le temps comme cela.
Tout cela pour te dire que la pensée est absolument immobile, tout se passe directement : des questions de vibration. Eh bien, ce n’est que comme cela que l’on peut savoir ce que l’on doit faire. Si ça passe par le mental, surtout cette pensée physique qui est absolument imbécile, absolument, on ne peut pas savoir; tant qu’elle marche, on est toujours amené à faire ce que l’on ne doit pas faire, à avoir surtout la réaction mauvaise — la réaction qui aide les forces de désordre et d’obscurité au lieu de les contredire. Et je ne parle pas de l’anxiété, parce qu’il y a extrêmement longtemps qu’il n’y a plus d’anxiété dans mon corps — longtemps, des années... mais l’anxiété, c’est comme si l’on avalait une tasse de poison.
C’est cela que l’on appelle le yoga physique.
Surmonter tout cela. Et la seule façon de le faire : à chaque seconde, que toutes ces cellules soient (geste d’offrande immobile vers le haut) dans une adoration, une aspiration — une adoration, une aspiration, une adoration... et rien d’autre. Alors, au bout de quelque temps, il y a aussi la joie, puis cela finit par la confiance béatifique. Quand cette confiance sera établie, tout ira bien. Mais... c’est très facile à dire, c’est beaucoup plus difficile à faire. Seulement, pour le moment, je suis convaincue que c’est le seul moyen, il n’y en a pas d’autres.
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