Dans ces conversations, la Mère confie à un disciple ses expériences sur le chemin du « yoga du corps », au cours des années 1961-1973.
Il y a longtemps que tu n’as pas parlé...
(silence)
Pour exprimer, il faut un minimum de mentalisation, et c’est cela qui est très difficile, parce que c’est le corps qui est en train d’avoir toutes sortes d’expériences et d’apprendre, mais dès que ça essaye de s’exprimer, il dit : « Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas comme ça. » (Mère dessine des petits carrés étroits) C’est comme si l’on faisait des dessins géométriques avec la vie. C’est cela, son impression.
Et autrement, c’est inexprimable parce que c’est multiple, complexe, et si l’on ne déploie pas ça dans une explication... ça ne peut même pas se dire. Et dès qu’on le déploie dans une explication, ce n’est plus vrai.
Tous ces jours-ci, c’est cette expérience de la conscience qu’un tout petit déplacement... comment dire... un tout petit changement d’attitude, qui n’est même pas exprimable, et, dans un cas on est dans la béatitude divine, et les choses restant exactement les mêmes, ça devient presque une torture! Et c’est une chose constante. N’est-ce pas, il y a des moments où le corps hurlerait de douleur, et... un tout petit, un tout petit changement, qui est presque inexprimable, et ça devient une béatitude — ça devient... c’est autre chose, ça devient cette extraordinaire chose du Divin partout. Et alors le corps est tout le temps à passer de l’un à l’autre; comme une sorte de gymnastique, de lutte de la conscience entre ces deux.
Et ça devient extrêmement aigu; quelquefois, à certaines secondes, au moment où le corps dit : « Ah! j’en ai assez, j’en ai 255 assez » et pfft!... (Mère fait un geste de renversement). Alors c’est impossible à dire. Tout ce que l’on dit, ce n’est plus vraiment vrai.
Et toutes les vibrations qui souffrent, sont comme soutenues par la masse de la conscience humaine générale — c’est cela. Et l’autre, c’est soutenu par quelque chose qui semble ne pas intervenir, être comme cela (geste immuable), en comparaison de cette masse humaine qui tend à s’exprimer... Alors c’est impossible à dire, tout cela.
Et constamment, constamment, il y a ou cette Paix immuable — cette Paix superlative, n’est-ce pas, qui est plus que n’importe quelle paix que l’on peut sentir — et en même temps, on sait (on ne peut pas dire on « sent », mais on sait) que c’est une rapidité de mouvement de transformation qui est tellement grand qu’il ne peut pas être perçu matériellement. Et les deux sont concomitants, et ce corps passe de l’un à l’autre, et quelquefois... quelquefois presque les deux ensemble (Mère hoche la tête, constatant l’impossibilité de s’exprimer).
Et alors, ça donne, pour la vision des choses ordinaires, enfin de la vie telle qu’elle est, ça donne la perception, au point de vue — pas au point de vue divin mais comparé au Divin — d’une folie générale, et aucune différence vraiment sensible entre ce que les hommes appellent fou et ce qu’ils appellent raisonnable... Ça, c’est... c’est comique, la différence que les hommes font. On serait tenté de leur dire : mais vous êtes tous comme ça, à des degrés différents!... Alors...
Et tout cela, c’est un monde de perceptions simultanées, alors vraiment c’est impossible de parler.
Ça, il n’y a rien là (Mère touche sa tête), ça ne passe pas par là, il n’y a rien là. C’est quelque chose... quelque chose qui n’a pas de forme précise et qui a une expérience innombrable en même temps, avec une capacité d’expression qui est restée ce qu’elle est, c’est-à-dire incapable.
Par exemple, en même temps, pour n’importe quoi qui se passe, il y a l’explication (« explication » n’est pas le mot exact, mais enfin...), l’explication de la conscience humaine ordinaire (« ordinaire », je ne veux pas dire banale, je veux dire la conscience humaine), l’explication comme la donne Sri Aurobindo dans un mental illuminé, et la perception divine. Les trois simultanées pour la même chose — comment, comment décrire!
Et c’est constant, c’est tout le temps comme cela. Et alors ça (Mère désigne son corps), ce n’est pas en état d’exprimer, ce n’est pas le moment de l’expression.
C’est au point que, quand j’écris aussi, c’est comme cela. Alors j’essaye de mettre ce qui peut tenir dans nos formules idiotes — et je mets tant! tant! qui ne peut pas s’exprimer par des mots —, et quand on me relit ce que j’ai écrit, j’ai envie de dire : vous vous moquez de moi, vous avez tout enlevé!...
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