CWM (Fre) Set of 18 volumes
Notes sur le Chemin Vol. 11 of CWM (Fre) 422 pages 2009 Edition
French

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Dans ces conversations, la Mère confie à un disciple ses expériences sur le chemin du « yoga du corps », au cours des années 1961-1973.

Notes sur le Chemin

The Mother symbol
The Mother

Dans ces conversations, la Mère confie à un disciple ses expériences sur le chemin du « yoga du corps », au cours des années 1961-1973.

Collection des œuvres de La Mère Notes sur le Chemin Vol. 11 422 pages 2009 Edition
French
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1969




Le 31 mai 1969

La nuit d’avant-hier, j’ai passé plus de trois heures avec Sri Aurobindo et je lui montrais tout ce qui allait descendre pour Auroville. C’était assez intéressant. Il y avait des jeux, il y avait de l’art, il y avait même de la cuisine! Mais tout cela, très symbolique. Et je lui expliquais comme sur une table, devant un grand paysage; je lui expliquais sur quel principe on allait organiser les exercices physiques et les jeux. C’était très clair, c’était très précis, je faisais même comme une démonstration, et c’était comme si je lui montrais en tout petit... une représentation toute petite de ce qui allait se faire. Je bougeais des gens, des choses (geste, comme sur un échiquier). Mais c’était très intéressant, et il était très intéressé : il donnait comme des grandes lois d’organisation (je ne sais pas comment expliquer). Il y avait de l’art et c’était joli, c’était bien. Et comment rendre les maisons agréables et belles, avec quel principe de construction. Et puis la cuisine aussi, c’était très amusant, chacun venait avec son invention... Ça a duré plus de trois heures — trois heures de nuit, c’est énorme! Très intéressant.

Pourtant, les conditions de la terre semblent très loin de tout cela...

(Après une hésitation) Non... C’était juste là, ça ne paraissait pas étranger à la terre. C’était une harmonie. Une harmonie consciente derrière les choses : une harmonie consciente derrière les exercices physiques et le jeu; une harmonie consciente derrière la décoration, l’art; une harmonie consciente derrière la nourriture...

Je veux dire que tout cela a l’air d’être aux antipodes de ce qui est maintenant sur la terre.

Pas...

Non?

J’ai vu X. aujourd’hui et je lui disais que toute l’organisation artistique, sportive, même culinaire, et toutes les autres, étaient prêtes dans le physique subtil — prêtes à descendre et à s’incarner —, et je lui ai dit : « Il n’y a besoin que d’un peu de terre (geste au creux des mains), un peu de terre pour que l’on fasse pousser la plante... Il faut trouver un peu de terre pour faire pousser... »

(silence)

Je ne sais pas si c’est une perception juste, mais depuis quelques mois, j’ai l’impression que la terre n’a jamais été dans autant d’obscurité. J’ai l’impression d’une obscurité formidable.

Oui, oui. Mais il y a les deux. C’est vrai. La confusion — c’est une confusion —, une confusion obscure, oui. Une confusion obscure, mais ça, c’est ce que Sri Aurobindo disait toujours : la confusion devient beaucoup plus intense et obscure au moment où la lumière doit venir. C’est juste. Ça paraît être un chaos obscur. Et les Chinois...

Mais Douce Mère, sais-tu qu’en Occident, les livres qui ont de l’influence (non seulement de l’influence, mais qui sont lus et dévorés par toute la jeunesse), ce sont les livres de Mao Tsé-Toung.

Et qu’est-ce qu’il dit, cet homme-là ?

Cet homme-là, il dit que le « pouvoir sort de la poudre des fusils ».

(Mère reste silencieuse)

C’est cela qui est lu en Occident. Et le dernier grand livre à succès, c’est un livre qui s’appelle quelque chose comme « Les maudits », et qui est une apologie de la violence : il faut s’emparer du pouvoir par la violence. C’est cela qui a du succès en Occident, c’est cela que tous les étudiants dévorent35 .

Un évangile de la violence.

Ça, c’est le vital en plein.

Oui.

Oh ! cela m’explique toutes les visions que j’ai eues. Je croyais... je m’en prenais à mon corps, je me disais : ce pauvre corps, il a un atavisme malencontreux : tout le temps des imaginations effroyables, effroyables — et ce n’étaient pas des imaginations, il était conscient de ce qui se passait... oh!...

C’est très intéressant ce que tu viens de me dire, parce que, hier (ces jours-ci, ces trois jours-ci), devant l’horreur de la perception des choses, ce corps (qui est bien l’opposé d’un sentimental, il n’a jamais, jamais été sentimental), il a pleuré... Il ne pleurait pas physiquement, naturellement, mais c’était... Et il a dit, dans une intensité intérieure : « oh! pourquoi ce monde existe-t-il? » Comme cela, tellement c’était... c’était affreux, triste, misérable... tellement c’était misérable et... si horrible, n’est-ce pas, oh!... Mais tout de suite, il a la Réponse — et ce n’est pas une réponse avec des mots, c’est simplement... comme une immensité qui s’ouvre dans la Lumière. Alors, il n’y a plus rien à dire.

Mais comment Ça, cette immensité, peut devenir ça ?... Je ne sais pas. La question : comment Ça, c’est devenu ça... C’est comme cela que c’est venu : « Comment Ça, cette Merveille, a pu devenir ça, cette chose hideuse — monstrueuse? »

Mais le procédé pour rechanger ça en Ça, je ne sais pas... Le procédé, c’est... abdication... comment peut-on dire... don de soi (ce n’est pas cela). Mais tout, tout lui paraissait si horrible. Il y a eu une journée très, très, très difficile. Et c’est curieux, j’ai su à ce moment-là, que c’était la répétition exacte de l’expérience que le Bouddha Siddhârtha avait eue, et que c’était dans cette expérience qu’il avait dit : il n’y a qu’une sortie, le Nirvâna. Et en même temps, j’ai eu l’état de conscience véritable : sa solution et la véritable. C’était vraiment intéressant. Comment la solution bouddhique est seulement un pas de fait — un pas. Et c’est pardelà ça (ce n’est pas sur un autre chemin, mais c’est par-delà ça) qu’est la vraie solution. C’était une expérience décisive.

(long silence)

Mais qu’est-ce que c’est que cette création?... N’est-ce pas, séparation, et puis méchanceté, cruauté (la soif de nuire, pourraiton dire), alors la souffrance, justement la joie de faire souffrir, et alors toute la maladie, la décomposition, la mort — la destruction. Tout cela, ça fait partie de la même chose. Qu’est-ce qui est arrivé?... Et l’expérience que j’ai eue, c’était l’irréalité de ces choses, comme si l’on était entré dans un mensonge irréel, et que tout disparaît quand on sort de ça — ça n’existe pas, ça n’est pas. C’est cela qui est effrayant! que ce qui, pour nous, est si réel, si concret, si effroyable, que tout cela, ça n’existe pas. Que c’est... on est entré dans le Mensonge. Pourquoi? Comment? Quoi?...

Mais jamais, jamais dans toute, toute l’existence de ce corps, pas une fois il n’a senti une... une douleur aussi totale et aussi profonde que ce jour-là... oh! quelque chose qui le... (Mère serre sa gorge). Et alors, au bout de ça, la Béatitude. Et puis pfft! ça s’est effacé, comme si : « Pas encore, pas encore, ce n’est pas encore le moment. » Et comme si tout cela, tout cela qui est si affreux, n’existait pas.

Au fond, probablement — probablement —, c’est seulement la terre (ça, je ne sais pas). Cela ne paraît pas comme cela, parce que la lune, c’est très concrètement une dévastation. Enfin, il y a tout de même une sensation très forte, très précise, que c’est quelque chose de limité qui est comme cela, dans ce Mensonge. Et irréel. Et que nous sommes tous dans le Mensonge et l’Irréalité, c’est pour cela que c’est comme ça. Et ce qui était intéressant, c’était que cette fuite dans le Nirvâna n’était pas la solution, n’était qu’un remède — un remède pour un temps... comment expliquer, je ne sais pas... partiel. Un remède partiel et, on pourrait presque dire, momentané.

Et alors, ça, c’est un paroxysme à un moment. Après vient le long chemin : il faut continuer, continuer le travail progressif de transformation. Et puis, la minute suivante, c’est ce que Sri Aurobindo a appelé l’être supramental. C’est comme le passage de l’un vers l’autre.

Mais comment tout cela changera ? Je ne sais pas.

Oui, l’autre jour j’ai eu une perception, mais tellement concrète, que la terre était comme sous un manteau noir — c’est ce que tu appelles le Mensonge, l’Illusion. C’était quelque chose qui couvrait la terre.

Oui, oui.

J’ai senti cela, mais très concrètement, un manteau noir.

Oui, c’est cela.

Seulement, il faudrait le tirer pour tout le monde...

(Après un silence) Je ne peux pas dire (c’est inexprimable), c’était quelque chose qui contenait l’horreur, l’épouvante, la douleur — et une compassion, oh! intense... Jamais, jamais ce corps n’avait senti comme cela. Ça l’a d’ailleurs mis dans un état assez... assez critique pour quelques heures. Et après, c’était comme si tout, tout venait — chaque chose — avec un Sourire et une Lumière resplendissante, comme si (traduit à l’image des enfants), comme si le Seigneur disait : « Tu vois, je suis partout. Tu vois, je suis en toute chose. » Et c’était incroyable — incroyable... Mais il n’y a pas de communication entre les deux.

N’est-ce pas, c’était le moment où le corps disait : « Comment? Il va falloir con-ti-nuer ça ? Il faut, il faut con-ti-nuer ça ? Le monde, les gens, toute la création, con-ti-nuer ça ?... » Ça paraissait... J’ai tout d’un coup compris : Ah! c’est cela qu’ils ont traduit par « l’enfer perpétuel ». C’est cela. C’est quelqu’un qui a eu cette perception.

Et tous les moyens — que l’on pourrait appeler artificiels, y compris le Nirvâna —, tous les moyens d’en sortir ne valent rien. À commencer par l’imbécile qui se tue pour « mettre fin » à sa vie, ça, c’est... de toutes les imbécillités, c’est la plus grande, ça rend son cas encore pire. Depuis ça, jusqu’au Nirvâna (où l’on s’imagine qu’on peut sortir), tout cela, tout ça, ça ne vaut rien. C’est à différents stades, mais ça ne vaut rien. Et alors, après cela, au moment où vraiment on a l’impression d’un enfer perpétuel, tout d’un coup... (rien qu’un état de conscience, ce n’est pas autre chose que cela), tout d’un coup, un état de conscience où tout est lumière, splendeur, beauté, bonheur, bonté... Et tout cela, inexprimable. Et c’est comme cela : « Tiens, voilà », et puis pfft! Ça se montre et puis hop ! parti. Et alors, la Conscience qui voit, qui s’impose et qui dit : « Maintenant, next step, le prochain pas. » Et alors c’est cela, c’est en présence de tout cela, que ce corps a eu... jamais, jamais dans toute sa vie il n’a éprouvé une douleur pareille, et encore maintenant...

Est-ce ça, est-ce ça, le levier?... Je ne sais pas. Mais le salut est physique — pas du tout mental, mais physique. Je veux dire que ce n’est pas la fuite, c’est ici. Ça, je l’ai senti très fort.

Mais le corps a eu quelques heures très difficiles. Et toujours, pour lui, ça lui est égal, il dit « bon », il est tout à fait prêt à la dissolution ou... Il n’était pas question de cela. Il n’était pas question de cela, il était question de... savoir recevoir la Guérison... Et comment elle est? Inexprimable avec nos moyens.

Mais ce n’est pas que ce soit voilé ou caché ou quoi : c’est . Pourquoi? Qu’est-ce qui, dans le tout, vous enlève le pouvoir de vivre ça ? Je ne sais pas. C’est . C’est là. Et tout le reste, y compris la mort et tout, cela devient vraiment un Mensonge, c’est-à-dire quelque chose qui n’existe pas.

Oui, c’est un manteau à tirer.

Si ce n’était que cela, ce n’est rien!

Non, je veux dire que tout cela, cette Illusion, c’est comme un manteau à tirer sur la terre.

Oui, c’est cela. Mais oui, c’est cela ! Mais est-ce seulement la terre? Je ne sais pas. Ils vont se promener là-haut pour voir!

Tout ce que je sais, l’impression que j’ai, c’est que c’est concentré ici. C’est ici la concentration, c’est ici le travail. Mais il se peut que ce soit... tout le système solaire, je ne sais pas.

(silence)

Mais on ne peut pas sortir tout seul.

Oui!... Douce Mère, l’autre jour tu as dit quelque chose. Tu as dit : « Il est temps de prendre position. » Tu as dit : « Lui, le corps, a pris position », mais jusqu’à présent tu n’osais pas pousser les autres à le faire, et tu as dit : « Maintenant, il est temps de prendre position. »

Oui, je crois.

Mais qu’est-ce que tu entends par « prendre position » ?

Ça, cette conscience dans laquelle le corps est maintenant, que tout cela est irréel.

Le corps, si on lui demandait, il dirait : « Je ne sais pas si je vis, je ne sais pas si je suis mort. » Parce que c’est vraiment comme cela. Pendant quelques minutes, il a tout à fait l’impression d’être mort; à d’autres moments, il a l’impression d’être vivant. Il est comme cela. Et il sent que ça dépend exclusivement de... si on perçoit la Vérité ou pas.

(silence)

De quoi est-ce que ça dépend?...

(silence)

D’après ce que les autres disent, ou écrivent, ou leur expérience, j’ai vu que l’immense majorité de l’humanité, ce qu’elle craint le plus, c’est cette perception-là, que c’est un Mensonge, et tout ce qui mène vers ça. J’ai connu des gens (ils m’ont écrit) qui justement ces jours-ci ont eu des frayeurs épouvantables parce que tout d’un coup ils étaient pris de force, il y avait quelque chose qui commençait à les toucher : la perception de l’irréalité de la vie. Alors, cela indique l’immensité du chemin à parcourir. Ce qui fait que tout espoir d’une solution proche, paraît un enfantillage. À moins que... les choses se passent autrement.

Si cela doit suivre le mouvement que ça a suivi jusqu’à présent... Il y en a eu des siècles et des siècles et des siècles... Alors, le surhomme, ce ne serait encore qu’une étape, et après il y aurait encore beaucoup d’autres choses...

Chaque fois que je pense à cela, j’ai toujours l’impression que la seule solution, c’est que tu aies un corps glorieux, visible pour tous, alors tout le monde pourrait venir voir — venez voir le Divin, comment c’est!

(Mère rit) Ça, ce serait bien commode!

Ce serait un tel bouleversement de toutes leurs notions...

Oui, bien sûr! Ça, ce serait bien commode. Est-ce que ce sera comme ça ?... Ça, sûrement, je suis tout à fait d’accord! Et je serais très contente que ce soit n’importe qui, je n’ai pas le moindre désir que ce soit à moi!

Venez voir le Divin, comment c’est!

Oui, comment c’est!

(Mère reste longtemps à « regarder »)









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