La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.
Ces Entretiens ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois d'août 1929. La Mère s'adressait alors en anglais à un petit nombre de disciples, et particulièrement à une Anglaise qui posait toutes les questions que nous retrouvons ici. Ces textes furent traduits en français par la Mère, d'après les notes prises par un disciple, et publiés pour la première fois en 1933 sous le titre Entretiens avec la Mère.
Est-ce que toutes les maladies physiques peuvent être attribuées à un désordre du mental comme cause ultime? Dans ce cas, quelle sorte de désordre mental serait la cause, par exemple, d’une éruption ou d’un mal de gorge?
Il y a autant de raisons à une maladie qu’il y a de malades; l’explication est différente dans chaque cas. Si vous me demandez : « Pourquoi ai-je telle maladie ou telle autre? » je puis regarder en vous et vous en donner la raison; mais il n’y a pas de règle générale.
Les maladies du corps ne sont pas toujours le résultat d’un désordre, d’une désharmonie ou d’un mouvement faux du mental. La source de la maladie peut être dans le mental, mais elle peut être aussi dans le vital ; ou elle peut encore être quelque chose de plus ou moins purement physique comme dans les maladies qui proviennent de contacts extérieurs. Pour finir, certains troubles résultent d’un mouvement du yoga ; et dans ce cas aussi, il y a une multitude de causes possibles.
Occupons-nous des maladies provenant du yoga, car elles nous intéressent plus directement et intimement. Quoiqu’une raison unique ne puisse être donnée à aucune indisposition particulière, nous pouvons cependant séparer les maladies en groupes variés suivant la nature de la cause qui les a provoquées.
La force qui descend en celui qui fait un yoga et l’aide dans sa transformation, agit de bien des façons, et les résultats diffèrent suivant la nature qui la reçoit et le travail qui est à faire. Tout d’abord, elle hâte dans l’être la transformation de tout ce qui est prêt à changer. Si c’est dans son mental qu’il est ouvert et réceptif, le mental, touché par la puissance du yoga, se met à progresser rapidement. La même promptitude de changement peut se produire dans la conscience vitale si elle est prête, ou même dans le corps. Mais dans le corps, le pouvoir transformateur du yoga agit seulement jusqu’à un certain point, car la réceptivité du corps est limitée. La condition de la région la plus matérielle de l’univers est encore telle que la réceptivité y est largement mélangée de résistance. Un rapide progrès d’une partie de l’être, qui n’est pas suivi d’un progrès équivalent des autres parties, produit un désaccord dans la nature, une dislocation quelque part; et partout où cette dislocation se produit, elle peut se traduire par une maladie. La nature de la maladie dépend de la nature de la dislocation. Un certain genre de désharmonie affecte le mental, et le dérangement qui en résulte peut conduire même à la folie; un autre genre affecte le corps, et on voit apparaître la fièvre, ou une éruption, ou tout autre désordre d’importance plus ou moins grande.
Ainsi, d’un côté, l’action des forces du yoga précipite le mouvement de transformation dans les parties de l’être qui sont prêtes à recevoir le pouvoir à l’œuvre et à y répondre. C’est de cette façon que le yoga gagne du temps. Le monde entier est en voie de transformation progressive : en prenant la discipline du yoga, on active en soi-même ce procédé. Le travail qui demanderait des années par la méthode ordinaire, peut être fait par le yoga en quelques jours, ou même en quelques heures. Mais c’est la conscience intérieure qui obéit à l’impulsion d’accélération, car les parties les plus hautes de l’être suivent volontiers le mouvement rapide et concentré du yoga, et se prêtent facilement aux adaptations et aux ajustements constants que ce mouvement exige.
De l’autre côté, le corps est en général dense, inerte et apathique; et si, en lui, quelque chose ne répond pas et résiste à l’action des forces supérieures, c’est qu’il est incapable d’avancer aussi rapidement que le reste de l’être. Le temps lui est nécessaire; il ne peut marcher qu’à son propre pas, comme il le fait dans la vie ordinaire. Il en est de même lorsque les adultes marchent trop vite pour les enfants qui les accompagnent; ils doivent s’arrêter de temps en temps et attendre que les enfants qui sont en arrière puissent les rejoindre. Cette divergence entre le progrès de l’être intérieur et l’inertie du corps, crée souvent dans l’organisme un désordre qui se manifeste par une maladie. C’est ce qui explique pourquoi ceux qui entreprennent le yoga souffrent souvent, au début, de quelque malaise ou indisposition physique. Cela n’est certes pas inévitable s’ils sont soigneux et sur leurs gardes. Il va de soi aussi qu’ils sont à l’abri si leur corps possède une réceptivité remarquable et inaccoutumée. Mais une réceptivité sans mélange, permettant à l’être physique de suivre pas à pas la transformation intérieure, n’est guère possible, à moins que la substance du corps n’ait été déjà préparée dans le passé à une discipline yoguique.
Dans la vie ordinaire de l’homme, une dislocation progressive est de règle. Le mental et le vital humains suivent de leur mieux le mouvement des forces universelles, et le courant d’évolution et de transformation du monde les porte une partie du chemin; mais le corps, soumis aux lois de la nature la plus matérielle, se meut très lentement. Après quelques années, soixante-dix ou quatre-vingts ans, cent ou deux cents ans — et ceci est peut-être le maximum — la discordance est si grande que l’être extérieur tombe en morceaux. La divergence entre la demande et la réponse, l’incapacité croissante du corps à suivre, amènent le phénomène de la mort.
Par le yoga, la transformation intérieure, qui se poursuit constamment mais lentement dans la création, est rendue plus intense et rapide; mais l’allure de la transformation extérieure reste à peu près la même que dans la vie ordinaire. Il en résulte que la désharmonie entre l’être interne et l’être externe de quelqu’un qui pratique le yoga tend à être d’autant plus grande, à moins que des précautions ne soient prises et qu’une protection spéciale ne vienne aider le corps à suivre la marche intérieure d’aussi près que possible. Mais même en ce cas, il est dans la nature du corps de retarder la marche. C’est pour cette raison que nous devons dire à beaucoup de sâdhaks : « Ne tirez pas, ne vous pressez pas; donnez à votre corps le temps de suivre. » Certains doivent être retenus pendant des années entières, et il ne leur est pas permis de trop faire ou de progresser loin. Quelquefois il devient impossible d’éviter le déséquilibre; et alors se produit un dérangement qui varie suivant la nature de la résistance et suivant la mesure de la négligence ou du soin que l’on a pris.
Telle est la raison aussi pour laquelle chaque sérieux mouvement de progrès est presque invariablement suivi d’une période d’immobilité. Celle-ci apparaît à ceux qui ne sont pas avertis comme une vague d’engourdissement, de stagnation et de découragement, arrêtant tout progrès; et ils pensent anxieusement : « Qu’arrive-t-il? Suis-je en train de perdre mon temps? Rien n’est fait. » Mais la vérité est que ce temps est nécessaire pour l’assimilation ; c’est une pause donnant au corps le moyen de s’ouvrir davantage, de devenir plus réceptif et de s’approcher plus près du niveau atteint par la conscience intérieure. Les parents sont allés trop loin sur le chemin : ils doivent faire halte afin que l’enfant, laissé en arrière, puisse courir et les rattraper; alors seulement ils pourront repartir et voyager de concert.
Chaque point du corps est symbolique d’un mouvement intérieur; il y a là un monde de correspondances subtiles. Mais c’est un sujet long et complexe et nous ne pouvons pas entrer dans les détails pour le moment. La partie particulière du corps qui est atteinte de maladie est l’indice de la nature du désordre intérieur qui a pris place; elle nous indique l’origine de la maladie, elle est un signe de sa cause. Elle révèle aussi la nature de la résistance qui empêche l’être d’avancer dans son ensemble avec la même rapidité. Et ceci nous apprend quels sont le traitement et la guérison. Si l’on pouvait comprendre parfaitement où gît l’erreur, trouver ce qui a manqué de réceptivité, ouvrir cette partie à la force et à la lumière, il serait possible de rétablir en un moment l’harmonie qui a été dérangée, et la maladie disparaîtrait immédiatement.
L’origine d’une maladie peut être dans le mental; elle peut être dans le vital ou dans toute autre partie de l’être. La même maladie peut être due à des causes diverses; dans des cas différents, elle provient de sources de désharmonie différentes. Il peut y avoir aussi une apparence de maladie, sans qu’il y ait aucune maladie réelle. Dans ce dernier cas, si vous êtes suffisamment conscient, vous verrez qu’il y a tout juste une friction quelque part, un arrêt dans le mouvement, et, en ajustant la chose, vous serez guéri de suite. Cette sorte de maladie n’a pas de vérité en elle, même quand elle semble avoir des effets physiques; elle est à moitié faite d’imagination et n’a pas la même prise sur la matière qu’une maladie véritable.
En résumé, les sources d’une maladie sont multiples et obscures; chacune peut avoir une multitude de causes, mais toujours elle est l’indication d’un point faible de l’être.
D’ailleurs, que la cause d’une maladie soit matérielle ou mentale, extérieure ou intérieure, elle doit, avant de pouvoir affecter le corps physique, toucher une autre couche de l’être, qui entoure et protège ce corps. Cette couche plus subtile est appelée de noms divers dans les différents enseignements : le sous-degré nerveux, le double éthérique, l’enveloppe nerveuse. C’est un corps subtil, et pourtant presque visible. Il ressemble, en densité, aux vibrations que l’on perçoit autour d’un objet très chaud; il émane du corps physique et le recouvre étroitement. Toutes les communications avec le monde extérieur se font à travers cet intermédiaire, et c’est lui qui doit être pénétré et envahi avant que le corps puisse être atteint. Si cette enveloppe est absolument forte et intacte, on peut aller dans les endroits infectés des pires maladies, même de la peste ou du choléra, avec une impunité totale. C’est la plus efficace des protections contre les attaques possibles de maladie, mais pour cela, il faut que cette enveloppe soit complète et entière, d’une constitution cohérente, composée d’éléments en parfait équilibre.
Ce corps subtil est construit, d’une part avec une base matérielle, faite de conditions matérielles plutôt que de matière physique, et d’autre part avec les vibrations de nos états psychologiques. Ce deuxième élément en lui est constitué par la paix, l’égalité d’âme, la confiance, la foi en la santé, un repos et une bonne humeur invariables, un brillant contentement, qui lui donnent sa force et sa substance. C’est un intermédiaire très sensible, qui a des réactions faciles et promptes; il est ouvert à toutes sortes de suggestions, et celles-ci peuvent, en un moment, changer et presque reformer sa condition. Une suggestion mauvaise agit sur lui très fortement, de même qu’une bonne opère en sens contraire avec la même force. La dépression et le découragement ont un effet désastreux ; ils le criblent de trous, pour ainsi dire, affaiblissent son étoffe, lui enlèvent toute résistance et ouvrent en lui un passage commode pour les attaques hostiles.
C’est l’action de ce médium qui explique partiellement pourquoi les gens sentent souvent l’un pour l’autre une attraction ou une répulsion spontanée et irraisonnée. Le premier siège de ces réactions est dans cette enveloppe protectrice. Nous nous sentons facilement attirés par ceux qui apportent une force nouvelle à notre enveloppe nerveuse; nous éprouvons de l’aversion pour ceux qui la dérangent ou lui font du mal. Tout ce qui lui donne une sensation d’expansion, de confort, de bien-être, tout ce qui la fait répondre avec bonheur ou plaisir, exerce sur nous une attraction immédiate; quand l’effet est en sens inverse, la réponse est une antipathie protectrice. Lorsque deux personnes se rencontrent, cette impression est souvent mutuelle. Ce n’est certes pas la seule cause des affinités; mais c’est l’une des causes, et la plus fréquente.
Si l’être tout entier pouvait avancer simultanément dans sa transformation progressive, d’accord avec la marche interne de l’univers, il n’y aurait pas de maladies, il n’y aurait pas de mort. Mais il faudrait que ce soit littéralement l’être tout entier, intégralement, depuis les plans supérieurs, où il est plus plastique et se prête dans la mesure requise aux forces transformatrices, jusqu’au plus matériel qui est, par sa nature, rigide, stationnaire, réfractaire à tout rapide changement de forme.
Il y a des régions qui offrent une bien plus grande résistance que d’autres à l’action des forces yoguiques, et les maladies qui les affectent sont bien plus dures à guérir. Ce sont les parties les plus matérielles et extérieures de l’être avec des maladies qui leur sont propres, comme les maladies de peau et les maux de dents.
J’ai entendu de source certaine l’histoire d’un yogi qui, ayant vécu près d’un siècle sur les rives de la Narmadâ, jouissait encore d’une santé robuste et avait un physique magnifique. Un de ses disciples lui offrit un jour une médecine pour soulager un mal de dent; en refusant, il fit la remarque que cette dent l’avait tracassé pendant plus de deux cents ans. Ainsi ce yogi avait obtenu une telle maîtrise de la nature matérielle qu’il avait vécu pendant plus de deux cents années, et pourtant, durant tout ce temps, il n’avait pas pu vaincre un mal de dent!
Certaines maladies, qui sont considérées comme très dangereuses, sont des plus faciles à guérir; certaines, auxquelles on n’accorde que peu d’importance, peuvent offrir une résistance obstinée.
Les neuf dixièmes du danger dans une maladie proviennent de la peur. La peur peut vous donner les symptômes apparents d’une maladie; elle peut même vous rendre malade, tant sont puissants ses effets. Il n’y a pas longtemps, la femme d’un de ceux qui fréquentent l’Ashram, mais elle-même ne pratiquant pas le yoga, apprit qu’il y avait un cas de choléra dans la maison où demeurait son laitier; elle fut saisie par la peur et, le moment suivant, elle commença à montrer les symptômes de la maladie. Cependant elle fut rapidement guérie, parce qu’on ne permit pas à ces signes extérieurs de se développer en la maladie véritable.
Il y a des mouvements physiques provenant de la pression du yoga, qui créent quelquefois des craintes sans fondement, mais capables de faire du mal si la peur n’est pas rejetée. Il y a, par exemple, une certaine pression sur la tête, dont nous avons déjà parlé et que beaucoup éprouvent, spécialement dans les commencements quand quelque chose en eux est encore fermé et doit s’ouvrir. C’est un malaise sans importance et qu’on peut surmonter facilement en sachant que c’est l’effet de la pression des forces quand elles travaillent fortement dans le corps pour produire un résultat rapide et hâter la transformation. En le prenant tranquillement, cet effet peut se changer en une sensation pas du tout déplaisante. Mais si l’on est effrayé, on est sûr de se donner un violent mal de tête, qui peut même aller jusqu’à la fièvre. Le malaise est dû à une résistance dans la nature; si vous savez relâcher la résistance, vous êtes immédiatement débarrassé du malaise; mais si vous êtes effrayé, cette simple incommodité se transforme en quelque chose de bien pire. Quel que soit le caractère de l’expérience que vous avez, ne laissez jamais place à la peur; vous devez garder une confiance inébranlable et sentir que, quoi qu’il arrive, c’est cela même qui devait arriver. Une fois que vous avez choisi la voie, vous devez hardiment accepter toutes les conséquences de votre choix. Mais si vous choisissez et puis que vous reculiez, pour choisir encore et encore reculer, hésitant toujours, doutant toujours, toujours effrayé, vous créez une désharmonie dans votre être, qui non seulement retarde votre progrès, mais peut être l’origine de toutes sortes de désordres dans l’être mental et l’être vital, et de malaises ou d’indispositions dans le corps.
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