La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.
Ces Entretiens ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois d'août 1929. La Mère s'adressait alors en anglais à un petit nombre de disciples, et particulièrement à une Anglaise qui posait toutes les questions que nous retrouvons ici. Ces textes furent traduits en français par la Mère, d'après les notes prises par un disciple, et publiés pour la première fois en 1933 sous le titre Entretiens avec la Mère.
Quel rapport y a-t-il entre l’amour humain et l’amour divin? L’amour humain est-il un obstacle à l’amour divin? Ou la capacité d’aimer humainement n’est-elle pas un indice de la capacité d’amour divin ? De grandes figures spirituelles, telles que le Christ, Râmakrishna et Vivékânanda n’avaient-elles pas une nature remarquablement aimante et affectueuse?
L’amour est une des grandes forces universelles; il existe en lui-même, indépendamment des objets dans lesquels, à travers lesquels et pour lesquels il se manifeste, et son mouvement est toujours libre. Il se manifeste partout où il trouve une possibilité de manifestation, partout où il y a une réceptivité, en tout ce qui s’ouvre à lui. Ce que vous appelez amour, en pensant que c’est une chose personnelle ou individuelle, n’est que la capacité de recevoir et de manifester cette force universelle. Mais, parce que cette force est universelle, il ne s’ensuit pas qu’elle soit inconsciente; bien au contraire, c’est une puissance souverainement consciente. C’est consciemment qu’elle cherche sa manifestation et sa réalisation sur terre; c’est consciemment qu’elle choisit ses instruments, éveille à ses vibrations ceux qui sont capables d’une réponse, essaye de réaliser en eux son but éternel, et quand l’instrument se montre incapable, elle l’abandonne et se tourne vers d’autres. Les hommes pensent qu’ils sont soudain tombés amoureux ; ils voient leur amour naître, croître et s’évanouir, ou bien durer un peu plus longtemps chez ceux qui sont plus spécialement adaptés à la prolongation de son mouvement. Mais en tout cas, la sensation qu’ils ont d’une expérience personnelle, leur appartenant en propre, est une illusion : ce n’était qu’une vague de l’océan sans fin de l’amour universel.
L’amour est universel et éternel ; toujours il se manifeste et toujours identique en son essence. C’est une force divine, car les déformations que nous voyons dans son expression sont dues à ses instruments. Ce n’est pas dans les êtres humains seuls que l’amour se manifeste, il est partout. Son mouvement est là dans les plantes, peut-être dans les pierres elles-mêmes; il est facile de reconnaître sa présence chez les animaux. Toutes les altérations de cette grande puissance divine viennent de l’obscurité, l’ignorance et l’égoïsme de ses instruments limités. L’amour, force éternelle, n’a pas de convoitise, de désir, de soif de possession, d’attachement personnel ; dans son mouvement pur, c’est la recherche de l’union du moi avec le Divin, une recherche absolue, ne tenant nul compte d’aucune autre chose. L’amour divin se donne et ne demande rien. Ce que les êtres humains en ont fait, il vaut mieux ne pas en parler; ils l’ont travesti en quelque chose de laid et de répugnant! Et cependant, même chez les êtres humains, le premier contact de l’amour apporte avec lui un reflet de sa plus pure substance; pour un moment, ils sont capables de s’oublier eux-mêmes; pour un moment le toucher divin de l’amour éveille et magnifie tout ce qui est noble et beau. Mais bien vite la nature humaine reprend le dessus, pleine de demandes impures, exigeant quelque chose en échange de ce qui est donné, trafiquant de ce qui devrait être un don désintéressé, réclamant à grands cris la satisfaction de désirs inférieurs, dénaturant et salissant ce qui fut divin.
Pour manifester l’amour divin, on doit être capable de le recevoir. Car ceux-là seuls peuvent le manifester, qui sont ouverts à son mouvement essentiel. Plus est vaste et claire l’ouverture en eux, plus ils manifestent l’amour divin dans sa pureté originelle; plus, au contraire, il se mélange en eux aux sentiments humains inférieurs, plus grande devient la déformation.
Celui qui n’est pas ouvert à l’amour dans son essence et sa vérité ne peut approcher le Divin. Même ceux qui le cherchent par le chemin de la connaissance arrivent à un point au-delà duquel, s’ils veulent aller plus loin, ils sont obligés d’entrer en même temps dans l’amour et de sentir les deux comme un : la connaissance, lumière de l’union divine, et l’amour, âme même de cette connaissance. Il y a un moment du progrès de l’être où les deux se rencontrent et où l’on ne peut plus les distinguer l’un de l’autre. La division, la distinction que l’on fait entre les deux, sont une création du mental ; dès qu’on s’élève à un plan supérieur, elles disparaissent.
Parmi ceux qui sont venus dans ce monde afin d’y révéler le Divin et de transformer la vie terrestre, certains ont manifesté plus pleinement l’amour divin. En quelques-uns, la pureté de la manifestation est si grande qu’ils sont incompris de l’humanité entière, et sont même accusés d’être durs et sans cœur; et pourtant, l’amour divin est en eux. Mais en eux, il est divin et non humain en sa forme et sa substance. Car lorsque l’homme parle d’amour, il l’associe à une faiblesse émotive et sentimentale. Mais l’intensité divine de l’oubli de soi, cette capacité de se donner entièrement, sans réserves ni restrictions, sans rien demander en échange, n’est guère connue des êtres humains. Et quand elle se manifeste sans aucun mélange émotif de faiblesse sentimentale, elle est accusée par les hommes de dureté et de froideur; ils ne peuvent pas reconnaître en elle le plus haut, le plus intense pouvoir d’amour.
Voulez-vous savoir comment le Divin manifesta son amour dans le monde? Il le fit sous la forme d’un grand holocauste, du don de soi suprême. La conscience parfaite accepta de plonger et d’être absorbée dans l’inconscience de la matière, afin que la conscience puisse être éveillée dans les profondeurs mêmes de l’obscurité, et que, peu à peu, la puissance divine émerge et fasse de l’univers manifesté tout entier une plus haute expression de la conscience et de l’amour divins. Tel fut vraiment l’amour suprême : accepter de perdre l’état divin parfait, sa conscience absolue, sa connaissance infinie, pour s’unir à l’inconscience et demeurer dans le monde avec l’ignorance et l’obscurité. Et pourtant, personne peut-être ne l’appellerait amour; car il ne se drape pas de sentiments superficiels, il n’exige rien en échange de ce qu’il a fait, il ne fait pas parade de son sacrifice.
La force d’amour dans le monde essaye de trouver des consciences qui soient capables de recevoir ce mouvement divin dans sa pureté et de l’exprimer. Cette course à l’amour de tous les êtres, cet irrésistible élan, cette recherche du cœur du monde et de tous les cœurs sont le résultat de l’impulsion donnée par l’amour divin caché derrière les passions humaines. Il touche des millions d’instruments, essayant toujours, toujours déçu; mais par ce contact constant, les instruments sont préparés, et soudain, un jour, s’éveillera en eux la capacité du don de soi, la capacité d’aimer.
Le mouvement de l’amour n’est pas limité aux êtres humains, et peut-être est-il moins déformé en d’autres mondes que dans le leur. Regardez les fleurs, regardez les arbres. Au soleil couchant, quand tout devient silencieux, asseyez-vous un moment sous les arbres et entrez en communion avec la Nature; vous sentirez s’élever de la terre, des racines les plus profondes des arbres, pour monter à travers les fibres jusqu’aux branches qui s’étendent le plus haut, l’aspiration d’un amour et d’un besoin intenses — le besoin de quelque chose qui apporte la lumière et donne le bonheur, de la clarté qui est partie et dont le retour est imploré. Cela monte comme une action de grâces où la gratitude la plus vibrante s’unit à la plus fervente prière. Cet élan est si pur et si spontané que si vous pouvez vous mettre en rapport avec ce mouvement dans les arbres, votre propre être aussi s’élèvera dans une ardente invocation à la paix, la lumière et l’amour qui ne sont pas encore manifestés ici.
Une fois que vous serez entré en contact avec cet amour divin pur, vaste et vrai, ne l’auriez-vous senti que pour un temps très court et dans sa plus petite forme, vous vous rendrez compte de la chose abjecte que le désir de l’homme en a fait. Dans la nature humaine, il est devenu bas, brutal, égoïste, violent, laid ou, sinon faible et sentimental, tout fait des sensations les plus mesquines, fragile, superficiel, exigeant. Et cette bassesse, cette brutalité, ou cette faiblesse ne s’occupant que de soi, c’est cela qu’on appelle amour!
Notre être vital doit-il participer à l’amour divin ? Si oui, quelle est la forme juste et correcte que cette participation devrait prendre?
Y a-t-il une limite à la manifestation de l’amour divin? Doit-elle être confinée dans une région irréelle ou immatérielle? L’amour divin plonge, dans sa manifestation sur terre, jusque dans la matière la plus matérielle. Il est vrai qu’on ne peut le trouver dans les distorsions égoïstes de la conscience humaine. Mais en lui-même, le vital est un élément aussi important pour la manifestation de l’amour divin que pour toute autre manifestation dans l’univers. Il n’y a aucune possibilité de mouvement progressif sans l’intermédiaire du vital. Mais parce que ce pouvoir de la nature a été si terriblement déformé, certains préfèrent croire qu’il doit être complètement arraché et rejeté de l’être et du monde. Pourtant, c’est seulement à travers le vital que la matière peut être touchée par la puissance transformatrice de l’esprit. Si le vital n’était pas là pour infuser son dynamisme et sa force vivante, la matière resterait morte; car les plus hautes parties de l’être, ne pouvant pas entrer en contact avec la terre et être concrétisées dans la vie se retireraient insatisfaites et disparaîtraient.
L’amour divin dont je parle, est un amour qui se manifeste ici, sur cette terre physique, dans la matière; cependant, il doit être gardé pur de toutes les perversions humaines pour qu’il accepte de s’incarner. En ceci, comme en toute manifestation, le vital est un agent indispensable; mais ainsi qu’il arrive toujours, à cause même de sa valeur, les puissances adverses s’en sont emparées. C’est l’énergie du vital qui pénètre la morne et insensible matière pour la faire répondre et vivre. Mais les forces hostiles ont déformé cette énergie; elles l’ont changée en un champ de violence, d’égoïsme, de désirs et de tous genres de laideurs, et ainsi elles l’ont empêchée de prendre sa place dans l’œuvre divine. La seule chose à faire est de la transformer, non de supprimer ses mouvements ni de la détruire. Car sans elle, aucune intensité n’est possible nulle part. Le vital, dans sa nature même, est en nous ce qui peut se consacrer généreusement. Justement parce qu’il a toujours l’impulsion et la force de prendre, il est aussi capable de se donner à l’extrême; parce qu’il sait comment posséder, il sait aussi s’abandonner sans réserve. Le vrai mouvement vital est l’un des plus beaux, des plus magnifiques; mais il a été tourné et tordu en le plus laid, le plus corrompu, le plus répugnant de tous.
Partout où, dans une histoire humaine d’amour, s’est trouvé même un atome d’amour pur et qu’il lui ait été permis de se manifester sans trop de déformation, nous sommes en présence de quelque chose de vrai et de beau. Et si le mouvement ne dure pas, c’est qu’il n’est pas conscient de son but véritable; il ignore que ce n’est pas l’union d’un être avec un autre qu’il veut obtenir, mais l’union de tous les êtres avec le Divin.
L’amour est une force suprême que la Conscience Éternelle a émanée et envoyée dans un monde inerte et obscur afin de ramener vers le Divin ce monde et ses êtres. Dans son obscurité et son ignorance, le monde matériel avait oublié le Divin. L’amour descendit dans les ténèbres; il éveilla tous ceux qui étaient endormis; il murmura, ouvrant ainsi les oreilles scellées : « Il existe quelque chose qui vaut que l’on s’éveille et que l’on vive : l’amour! » Et avec l’éveil à l’amour, entra dans le monde la possibilité du retour au Divin. À travers l’amour, la création s’élève vers le Divin, et en réponse, l’amour divin et sa Grâce se penchent à la rencontre de la création. L’amour ne peut exister dans sa pure beauté, il ne peut revêtir son pouvoir naturel, la joie intense de sa plénitude, que dans cet échange, cette fusion entre la terre et le Suprême, ce mouvement d’amour qui va du Divin à la création et de la création au Divin. Ce monde était un monde de matière morte jusqu’à ce que l’amour divin y descendît et l’éveillât à la vie. Depuis lors, il est parti en quête de cette source divine de vie; mais dans sa recherche, il a pris tous les mauvais tournants et tous les faux chemins, il s’est égaré en tous sens dans la nuit. La masse de cette création s’est avancée sur la route comme un aveugle cherchant l’inconnu, ignorant même ce qu’il cherche.
Le maximum atteint est ce qui apparaît aux êtres humains comme l’amour sous sa forme la plus haute, dans son genre le plus pur et le plus désintéressé, l’amour de la mère pour son enfant, par exemple. Ce mouvement humain d’amour cherche secrètement quelque chose d’autre que ce qu’il a déjà trouvé; mais il ne sait pas où le trouver, il ne sait même pas ce que c’est. Du moment où sa conscience s’éveille à l’amour divin, pur et indépendant de toute manifestation dans les formes humaines, l’homme connaît ce pour quoi, depuis toujours, son cœur soupirait vraiment. C’est le début de l’aspiration de l’âme éveillant la conscience au besoin de l’union avec le Divin. Dès lors, toutes les formes nées de l’ignorance, toutes les déformations produites par elle doivent s’effacer et disparaître pour faire place à un mouvement unique de la création répondant à l’amour divin par son amour pour le Divin. Dans une création consciente, éveillée, ouverte à l’amour pour le Divin, le Divin déverse, en réponse, son amour sans limite. Le cercle du mouvement complet est achevé; les deux extrémités se rencontrent; les deux extrêmes, l’Esprit suprême et la matière manifestée, se joignent, et leur divine union devient complète et constante.
De grands êtres ont pris naissance dans ce monde pour y faire descendre quelque chose de la pureté et de la puissance souveraines de l’amour divin. Ou plutôt, l’amour divin s’est projeté en forme personnelle dans leur être, pour que sa réalisation sur terre puisse être à la fois plus facile et plus parfaite. L’amour divin, quand il est manifesté dans un être personnel, est compris plus aisément que lorsque son mouvement reste impersonnel. Un être humain, éveillé à la conscience de l’amour divin par ce contact personnel et par l’intensité qui lui est propre, s’aperçoit que l’œuvre de transformation est rendue plus facile; l’union qu’il s’efforçait d’atteindre devient plus naturelle et plus intime. Cette réalisation, cette union sera aussi plus pleine et plus parfaite; car la vaste uniformité d’un amour impersonnel et universel sera éclairée et vivifiée par la couleur et la beauté de toutes les relations possibles avec le Divin.
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