La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.
Ces Entretiens ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois d'août 1929. La Mère s'adressait alors en anglais à un petit nombre de disciples, et particulièrement à une Anglaise qui posait toutes les questions que nous retrouvons ici. Ces textes furent traduits en français par la Mère, d'après les notes prises par un disciple, et publiés pour la première fois en 1933 sous le titre Entretiens avec la Mère.
Un yogi peut-il atteindre un état de conscience dans lequel il soit à même de savoir toute chose, de répondre à toutes les questions, même celles qui ont trait à des problèmes scientifiques abstrus tels que, par exemple, la théorie de la relativité?
Théoriquement et en principe, il n’est pas impossible à un yogi de connaître toute chose. Naturellement, tout dépend du yogi.
Mais il y a connaissance et connaissance. Le vrai yogi ne connaît pas à la façon du mental. S’il connaît toute chose, ce n’est pas parce qu’il a accès à toutes les possibilités d’information, ni parce qu’il contient, en son mental, tous les faits de l’univers, ni parce que sa conscience ressemble à une encyclopédie miraculeuse. Il connaît par sa capacité de contenir les choses, les personnes et les forces, ou de s’identifier à elles dynamiquement, ou bien encore il connaît parce qu’il vit dans une conscience, ou est en contact avec une conscience où se trouvent la vérité et la connaissance.
Car si vous êtes dans la conscience de vérité, la connaissance que vous aurez sera celle de la vérité. Et dans ce cas aussi, on peut savoir directement, en étant un avec ce que l’on veut savoir. Si un problème vous est posé, ou qu’il vous soit demandé ce qui doit être fait dans une circonstance particulière, vous pouvez, en regardant avec assez d’attention et de concentration, voir apparaître spontanément la connaissance requise et la réponse juste.
Ce n’est pas par la rigoureuse application d’une théorie que vous atteignez à la connaissance, ni par un travail mental d’analyse et de déduction. La mentalité scientifique a besoin de ces procédés pour arriver à ses conclusions. Mais le savoir du yogi est direct et immédiat; il n’est pas déductif. Quand un ingénieur veut trouver la position exacte d’une arche à construire, la courbe de son profil et la dimension de son ouverture, il le fait par des calculs, en compulsant et comparant ses informations, en déduisant et raisonnant d’après ses données. Mais un yogi n’a besoin d’aucune de ces choses; il regarde, il a la vision de l’arche, il voit qu’elle doit être faite de cette manière et non d’une autre, et cette perception est sa connaissance.
Quoiqu’il puisse être vrai, d’une façon générale et dans un certain sens, qu’un yogi sache toute chose et puisse répondre à toutes les questions du propre point de vue de sa vision et de sa conscience, il ne s’ensuit pas cependant qu’il n’y ait aucun genre de questions auxquelles il ne voudrait ou ne pourrait pas répondre. Un yogi qui a la connaissance directe, la connaissance de la vraie vérité des choses, se soucierait peu, ou peut-être trouverait difficile de répondre à des questions appartenant complètement au domaine des constructions mentales humaines. Peut-être ne pourrait-il pas ou ne voudraitil pas résoudre des problèmes ou des difficultés qui lui seraient présentés et n’auraient rapport qu’à l’illusion des choses et à leur apparence. Le fonctionnement de sa connaissance n’est pas dans le mental ; si vous lui posez quelque sotte question mentale de ce genre, probablement ne répondra-t-il pas. Il est stupide de croire, comme on le fait communément, que l’on peut lui poser n’importe quelle question ignorante comme à un supermaître d’école et lui demander toutes sortes d’informations sur le passé, le présent et le futur, et que sûrement il répondra. C’est aussi inepte que d’attendre de l’homme spirituel des exploits et des miracles qui satisferaient le mental extérieur vulgaire et le laisseraient béat d’admiration.
De plus, le terme yogi est très vague et vaste. Il y a beaucoup de types de yogis, beaucoup de lignes et de classes de recherches spirituelles et occultes, et des hauteurs différentes de développement. Il y a des yogis dont les pouvoirs ne s’étendent pas au-delà du plan mental; d’autres l’ont dépassé. Tout dépend du champ et de la nature de leur effort, de la hauteur à laquelle ils sont arrivés, de la conscience avec laquelle ils sont en rapport et dans laquelle ils entrent.
Est-ce que les savants ne vont pas quelquefois au-delà du plan mental? On dit qu’Einstein a découvert sa théorie de la relativité non par un procédé de raisonnement, mais par une soudaine inspiration. Cette inspiration a-t-elle quelque chose de commun avec le supramental?
Le savant qui a une inspiration lui révélant une vérité nouvelle, la reçoit du mental intuitif. La connaissance lui arrive sous forme d’une perception directe dans le plan mental supérieur, lui-même illuminé par une lumière venant de plus haut encore. Mais tout cela n’a rien à voir avec l’action du supramental, et cette région du mental supérieur est bien éloignée du plan supramental.
Les hommes croient trop facilement qu’ils sont montés jusqu’à des régions tout à fait divines, quand ils se sont élevés un peu seulement au-dessus du niveau moyen. Il y a de nombreuses gradations entre le mental humain ordinaire et le supramental, beaucoup d’étapes et beaucoup de plans intermédiaires. Si un homme ordinaire entrait en contact direct, ne serait-ce qu’avec un de ces plans intermédiaires, il serait ébloui et aveuglé; il se sentirait écrasé sous le poids de l’immensité perçue, et perdrait son équilibre; et pourtant, ce n’est pas le supramental.
Pour en revenir à ce que nous disions, derrière l’idée commune qu’un yogi peut savoir toute chose et répondre à toutes les questions, se tient le fait réel qu’il y a un plan du mental où le souvenir de toutes les choses est préservé et existe toujours. Tous les mouvements du mental appartenant à la vie terrestre sont enregistrés et conservés dans ce domaine. Ceux qui sont capables d’aller à cet endroit, peuvent, s’ils en prennent la peine, y lire et y apprendre tout ce qu’ils veulent. Mais cette région ne doit, en aucune façon, être prise pour l’un des plans du supramental. Et cependant, pour atteindre seulement là, il faut faire taire les bruits du mental physique ou matériel, mettre de côté toutes les sensations et arrêter les mouvements ordinaires de la pensée, quels qu’ils soient; il faut sortir du vital et se libérer de l’esclavage du corps. C’est alors seulement que l’on peut entrer dans cette région et y voir. Toutefois, si vous êtes suffisamment intéressé pour faire l’effort nécessaire, vous pouvez aller à cet endroit et y lire ce qui est écrit dans la mémoire de la terre.
Ainsi, si vous entrez profondément dans le silence, vous pouvez atteindre à un niveau de conscience où il devient possible de recevoir une réponse à toutes vos questions. Et si quelqu’un est ouvert consciemment à l’entière vérité du supramental et reste en contact constant avec elle, il peut certainement répondre à toute question qui mérite une réponse de la lumière supramentale. Les questions doivent provenir du sens de la vérité et de la réalité derrière les choses. Beaucoup de questions et de problèmes très débattus ne sont qu’un tissu d’abstractions mentales, ou bien se meuvent sur la surface illusoire des choses. Ces pseudo-problèmes n’appartiennent pas à la connaissance véritable; ils sont une déformation de la connaissance; leur substance même est faite d’ignorance.
Certainement, la connaissance supramentale peut donner une réponse — sa propre réponse — aux problèmes soulevés par l’ignorance mentale; mais cette réponse ne serait probablement pas du tout satisfaisante, ni même intelligible pour ceux qui, du plan mental, posent la question. Vous ne devez pas vous attendre à ce que le supramental travaille de la même manière que le mental, ou bien que la connaissance propre à la vérité puisse être mise bout à bout avec le demi-savoir propre à l’ignorance. Le système mental est une chose, mais le supramental est quelque chose d’autre, de tout à fait différent, qui cesserait d’être supramental s’il s’adaptait aux exigences du système mental. Les deux n’ont point de commune mesure et ne peuvent être mis ensemble.
Quand la conscience a obtenu les joies supramentales, prend-elle encore intérêt aux choses du mental?
Le supramental ne s’intéresse pas aux choses mentales de la même manière que le fait l’esprit humain. Il a sa propre manière de s’intéresser à tous les mouvements de l’univers, mais c’est d’un autre point de vue et avec une autre vision. Le monde revêt pour lui une apparence très différente de son apparence ordinaire. Il y a un renversement dans le point de vue. Tout ce qui est perçu de là, apparaît différent de ce que cela apparaît au mental, et même souvent opposé. Les choses ont un autre sens; leur aspect, leur mouvement, leur procédé, tout ce qui les concerne, est observé avec d’autres yeux. Tout ce qui se passe ici est suivi par le supramental ; les mouvements du mental, et aussi ceux du vital et du matériel, tout le jeu de l’univers, sont pour lui du plus grand intérêt, mais d’une autre manière.
C’est à peu près la même différence qu’entre l’intérêt pris à un théâtre de marionnettes par celui qui tire les ficelles, connaît ce que les pantins doivent faire, la volonté qui les fait mouvoir et sait aussi qu’ils ne peuvent rien faire que cela, et l’intérêt pris par les spectateurs qui regardent la comédie, mais voient seulement ce qui arrive de moment en moment, sans rien connaître d’autre. Celui qui assiste à la pièce et se trouve en dehors de son secret, s’intéresse d’une façon bien plus forte, bien plus intense, bien plus passionnée à ce qui va se passer et suit avec une attention excitée les événements imprévus et dramatiques; l’autre, qui tient les ficelles et met tout en mouvement, est lui-même immobile et tranquille. Il y a une certaine intensité d’intérêt qui vient de l’ignorance; elle est intimement liée à l’illusion et disparaît quand on en est sorti. L’intérêt que les êtres humains prennent aux choses est fondé sur l’illusion même; si elle était enlevée, le jeu ne les intéresserait plus du tout; ils le trouveraient aride et terne. Voilà pourquoi toute cette ignorance et toute cette illusion ont duré si longtemps; c’est parce que l’homme les aime, parce qu’il s’accroche à elles et au genre particulier d’attrait qu’elles apportent.
Que doit-on faire quand on veut changer la condition de son corps, obtenir une guérison ou corriger une imperfection physique? Doit-on se concentrer sur le but à réaliser et exercer sa volonté, ou doit-on seulement vivre dans la confiance que ce sera fait, ou encore s’en remettre entièrement à la puissance divine pour qu’elle produise le résultat désiré, en son temps et à sa manière?
Ce sont autant de manières de faire la même chose, et chacune, dans des conditions différentes, peut être efficace. La méthode par laquelle vous aurez le plus de succès dépend de la conscience que vous avez développée en vous et du caractère des forces que vous êtes capable de faire entrer en jeu.
Vous pouvez vivre dans la conscience de la guérison radicale et, par la force de votre formation intérieure, amener lentement le changement extérieur. Ou bien, si vous connaissez et voyez la force qui est capable d’effectuer les choses requises et que vous sachiez la manier, vous pouvez l’appeler et la concentrer aux endroits où son action est nécessaire, et elle-même amènera le changement. Ou encore, vous pouvez présenter votre difficulté au Divin et lui demander de vous guérir, en plaçant toute votre confiance dans le pouvoir divin.
Mais quoi que vous fassiez, quel que soit le procédé que vous adoptiez, et même si vous avez acquis une grande habileté et un pouvoir réel, vous devez laisser le résultat entre les mains du Divin. Vous pouvez toujours essayer, mais c’est au Divin de vous donner le fruit de votre effort ou de ne pas vous le donner. C’est là que s’arrête votre pouvoir personnel; si le résultat vient, c’est le pouvoir du Divin et non le vôtre qui le produit.
Vous vous demandez s’il est juste de solliciter du Divin de telles choses. Mais il n’y a pas plus de mal à se tourner vers le Divin pour guérir une imperfection physique qu’à prier pour la guérison d’un défaut moral. En tout cas, quoi que vous demandiez et quel que soit votre effort, vous devez sentir, alors même que vous essayez de votre mieux et en vous servant de la connaissance ou du pouvoir dont vous disposez, que le résultat dépend entièrement de la grâce divine. Une fois que vous avez entrepris le yoga, tout ce que vous faites doit être fait dans un esprit de soumission. Telle doit être votre attitude : « J’aspire, j’essaye de guérir mes imperfections, je fais de mon mieux ; mais quant au résultat, je me mets entièrement entre les mains du Divin. »
Cela aide-t-il de dire : « Je suis sûr du résultat, je sais que le Divin me donnera ce dont j’ai besoin? »
Vous pouvez le prendre de cette façon. L’intensité même de votre foi peut vouloir dire que le Divin a déjà décidé que la chose en question sera faite. Une foi inébranlable est le signe de la présence de la volonté divine, une preuve de ce qui sera.
Quelles forces sont à l’œuvre quand on est en silencieuse méditation ?
Cela dépend de qui médite.
Mais dans la méditation silencieuse, ne doit-on pas faire en soi le vide complet? Alors, comment cela peut-il dépendre de celui qui médite?
Mais si vous faites le vide en vous, cela n’altère pas la nature de votre aspiration, ni ne change son domaine. En certains, l’aspiration se meut dans le plan mental ou dans le plan vital ; d’autres ont une aspiration spirituelle. De la qualité de l’aspiration dépend la force qui répond et le travail qu’elle vient faire. Faire le vide en soi dans la méditation crée un silence intérieur; cela ne veut pas dire que l’on ne soit plus rien ou que l’on soit devenu une masse inerte et morte. À faire le vide, on invite ce qui va le remplir. C’est-à-dire que l’on permet une détente dans l’insistance de la conscience sur la réalisation. Cependant, la nature de la conscience et le degré habituel de l’insistance déterminent non seulement les forces que l’on met en jeu, mais également la manière dont elles agiront : si elles aideront et accompliront, ou bien échoueront, ou même si elles entraveront et seront nuisibles.
Les conditions dans lesquelles on peut méditer sont nombreuses, et chacune a son effet sur les forces qui descendent et pénètrent, et sur leur action. Si vous méditez seul, c’est votre propre condition interne et externe qui compte. Si vous méditez en groupe, c’est la condition générale qui est de première importance. Mais dans les deux cas, les conditions seront toujours variables, et les forces qui répondront ne seront jamais deux fois les mêmes.
Une concentration unifiée, faite comme il convient, peut avoir une force remarquable. Il est dit, dans une vieille tradition, que si douze hommes sincères unissaient leur volonté et leur aspiration pour évoquer le Divin, il serait obligé de se manifester. Mais la volonté doit être unique et semblable, l’aspiration d’une sincérité complète. Car ceux qui tentent l’expérience peuvent être unis dans une sorte d’inertie, ou même dans un désir erroné et perverti, et le résultat est alors désastreux.
En méditation, la première et la plus impérieuse nécessité est un état de sincérité parfaite et absolue dans la conscience entière. Il est indispensable de ne pas se tromper soi-même et de ne pas tromper les autres ou être trompé par eux. Nous avons déjà dit quelle futile et vaine entreprise serait celle de vouloir tromper le Divin. Souvent, les gens souhaitent certaines choses, ils ont une préférence mentale ou un désir vital; ils veulent que l’expérience se produise d’une certaine façon ou qu’elle prenne une certaine tournure qui satisfasse leurs idées, leurs désirs ou leurs préférences; ils ne restent pas impartiaux, comme une page blanche prête à enregistrer simplement et fidèlement le phénomène. Dans ce cas, si ce qui se passe ne leur plaît pas, ils peuvent facilement se tromper eux-mêmes; ils voient une certaine chose, mais ils la tordent juste un petit peu et en font quelque chose d’autre; ils détournent de son sens une chose qui peut être simple et droite, pour la magnifier en une expérience extraordinaire.
Quand vous entrez en méditation, vous devez être aussi candide et aussi simple qu’un enfant, n’intervenant pas avec votre mental extérieur, n’attendant rien, n’insistant sur rien. Lorsque vous avez obtenu cette condition, tout dépend ensuite de l’aspiration qui est au fond de vous-même. Si, des profondeurs, vous demandez la paix, elle viendra à vous; si c’est la force, le pouvoir, la connaissance, ils viendront aussi. Mais tous viendront dans la mesure de votre capacité de les recevoir. Et si vous appelez le Divin, alors aussi — en admettant que le Divin entende votre appel, c’est-à-dire que votre appel soit assez pur et fort pour l’atteindre — vous recevrez sa réponse.
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