La Mère répond ici aux questions sur le yoga et sur la vie posées par des disciples en 1929 et en 1930–31.
Ces Entretiens ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois d'août 1929. La Mère s'adressait alors en anglais à un petit nombre de disciples, et particulièrement à une Anglaise qui posait toutes les questions que nous retrouvons ici. Ces textes furent traduits en français par la Mère, d'après les notes prises par un disciple, et publiés pour la première fois en 1933 sous le titre Entretiens avec la Mère.
Si notre volonté n’est que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle, quelle place reste-t-il à l’initiative individuelle? L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? N’a-t-il aucun pouvoir de création?
Tout dépend du plan de conscience d’où vous regardez les choses pour en parler, ou de la partie de votre être qui agit.
Si vous regardez d’un certain niveau de conscience, l’individu ne vous paraîtra pas seulement un instrument et un enregistreur, mais un créateur. Cependant, regardez d’un plan différent et plus élevé, et vous verrez que cela n’est qu’une apparence. Dans le déroulement de l’univers, tout ce qui arrive est le résultat de tout ce qui est arrivé auparavant. Comment vous proposez-vous de séparer un être du jeu intégral de la manifestation, ou un mouvement de la masse entière des mouvements? Où placerezvous l’origine d’une chose ou son commencement? Le jeu dans sa totalité est une chaîne rigoureusement liée; chaque chaînon est imperceptiblement soudé à l’autre. Rien ne peut être retiré de la chaîne ni expliqué en soi-même, comme si c’était une source et un commencement.
Et que voulez-vous dire quand vous parlez de l’individu créant ou engendrant un mouvement? Le tire-t-il tout entier de lui-même, ou de rien du tout, pour ainsi dire? Si un être était capable de créer de la sorte une pensée, un sentiment, une action ou quoi que ce soit d’autre, il serait le créateur du monde.
C’est seulement si l’individu remonte dans sa conscience jusqu’à la plus Grande Conscience qui est l’origine de toutes choses, qu’il peut devenir un créateur; il peut engendrer un mouvement seulement en s’identifiant au Pouvoir conscient qui est la source ultime de tous les mouvements.
Il y a beaucoup de plans de conscience, et le déterminisme d’un plan n’est pas le même que le déterminisme d’un autre. Ainsi, quand vous parlez de l’individu créateur, à quelle partie de lui-même pensez-vous? Car il est une entité très complexe. Est-ce de son être psychique que vous parlez, du mental, du vital, ou du physique? Entre la source invisible d’un mouvement et sa manifestation, son expression extérieure à travers l’individu, il y a toutes ces étapes et beaucoup d’autres; et à chacune d’elles, nombre de déformations, d’altérations, viennent modifier le mouvement originel. Ce sont ces changements qui donnent l’illusion d’une nouvelle création, d’une nouvelle origine, d’un nouveau point de départ pour un mouvement. C’est à peu près comme lorsque vous enfoncez un bâton en partie dans l’eau; vous voyez le bâton, non avec sa vraie ligne, mais formant un certain angle. Et cependant, c’est une illusion, une déformation de la vision; ce n’est même pas un angle véritable.
Vous pouvez dire de chaque conscience individuelle qu’elle apporte au mouvement universel quelque chose qu’il est possible d’appeler, d’un certain point de vue, sa déformation propre, ou d’un autre point de vue, sa qualité propre de mouvement. Ces qualités individuelles font partie du jeu du mouvement divin; elles ne portent pas en elles-mêmes leur origine; ce sont des transformations de choses dont il faut chercher l’origine dans l’univers en sa totalité.
Le sens de la séparation est partout répandu, mais c’est une illusion, c’est l’une de ces fausses tournures d’esprit dont nous devons nous guérir si nous voulons entrer dans la vraie conscience. Le mental découpe le monde en petits bouts; il dit : « Ceci s’arrête ici ; ceci commence là » et, par cette fragmentation, il réussit à déformer le mouvement universel. C’est le grand flot d’une Conscience Unique embrassant, contenant tout, qui se manifeste dans un univers en perpétuel déroulement. Telle est la vérité qui se trouve derrière toute chose, mais il y a aussi cette illusion qui vous cache la vérité, l’illusion de tous ces mouvements s’imaginant qu’ils sont séparés l’un de l’autre, qu’ils existent par eux-mêmes, en euxmêmes et pour eux-mêmes, et que chacun est une chose en soi, à l’écart du reste de l’univers. Ils ont l’impression que leurs actions et leurs réactions réciproques sont extérieures, comme s’ils étaient des mondes différents se tenant en face les uns des autres, sans points de contact, excepté quelques relations extérieures à distance. Chacun se voit comme s’il était une personnalité séparée, existant de son plein droit. Cette erreur du sens de la séparation a été permise comme une partie du jeu universel, parce qu’il était nécessaire que la Conscience Unique s’objectivât et fixât ses formes. Mais parce que cela a été permis dans le passé, il ne s’ensuit pas que l’illusion de la séparation doive toujours persister.
Dans le jeu universel, la plupart sont des instruments ignorants, tels des acteurs ne sachant rien, qui seraient mis en mouvement comme des marionnettes. D’autres sont conscients, et ceux-ci jouent leur rôle sachant que c’est un jeu. Et quelques-uns, tout en ayant la pleine connaissance du mouvement universel et lui étant identifiés ainsi qu’à la Divine Conscience, consentent cependant à agir comme s’ils étaient quelque chose de séparé, des fragments du tout. Il y a beaucoup de stades intermédiaires entre l’ignorance et cette pleine connaissance, beaucoup de manières de participer au jeu.
Il y a un état d’ignorance dans lequel vous faites une chose en croyant que c’est vous qui l’avez décidée. Il y a un état de moindre ignorance dans lequel vous faites la chose avec la connaissance que vous êtes poussé à la faire, tout en ne sachant ni comment ni pourquoi. Et il y a aussi un état de conscience dans lequel vous êtes pleinement éveillé, car vous savez ce qui agit à travers vous, vous savez que vous êtes un instrument, vous savez pourquoi et comment votre action est faite, son processus et son mobile. L’état d’ignorance, dans lequel vous croyez que vous êtes l’auteur de vos actes, persiste tant qu’il est nécessaire à votre développement. Mais dès que vous êtes prêt à passer à une plus haute condition, vous commencez à vous apercevoir que vous êtes un instrument de la Conscience Une. Alors vous montez d’un échelon et vous vous élevez à un niveau supérieur de conscience.
Est-ce que l’on est attaqué par les forces hostiles sur le plan mental aussi bien que sur le plan vital?
Il est difficile de répondre de façon précise sans entrer dans nombre d’explications, qu’il est impossible de donner ici.
Le mental est un mouvement; mais il y a beaucoup de variétés de ce mouvement, beaucoup de couches qui se touchent et même s’interpénètrent. En même temps, le mouvement que nous appelons mental s’infiltre en d’autres plans. Dans le monde mental lui-même, il y a des plans nombreux. Toutes ces régions et ces forces mentales sont interdépendantes; et cependant, il y a une différence dans la qualité de leurs mouvements, et, pour la facilité de l’expression, nous devons les séparer l’une de l’autre. C’est ainsi que nous parlons du mental supérieur, du mental intermédiaire, du mental physique, et même d’un mental tout à fait matériel ; et beaucoup d’autres distinctions pourraient encore être faites.
Certaines régions mentales se trouvent très au-dessus du monde vital et échappent à son influence; on n’y rencontre pas de forces ni d’êtres hostiles. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, qui peuvent être touchées et pénétrées par les forces vitales. Le plan mental appartenant au monde physique (ce que nous appelons généralement le « mental physique ») est plus matériel dans sa constitution et son mouvement que le mental véritable, et il est considérablement sous l’emprise du monde vital et des forces hostiles. D’ordinaire, ce mental physique est dans une sorte d’alliance avec la conscience vitale inférieure et ses mouvements; quand le vital inférieur manifeste certains désirs et impulsions, le mental le plus matériel vient à son aide pour les justifier et les supporter au moyen d’explications, d’excuses et de raisonnements spécieux. C’est cette région du mental qui est la plus ouverte aux suggestions venant du monde vital ; c’est elle qui est le plus souvent envahie par les forces adverses. Mais nous avons en nous un mental supérieur qui se meut dans la région des pensées désintéressées et des spéculations lumineuses et qui est le producteur des formes; celui ci n’est plus le complice des impulsions vitales. Et plus haut encore, se trouve le mental des idées pures, avant leur mise en formes; en ce dernier on ne trouve plus trace de l’influence des mouvements du vital et des forces adverses, parce qu’il se tient loin au-dessus d’eux. Il peut y avoir là des mouvements contradictoires, des mouvements qui ne soient pas en conformité avec la Vérité ou soient en conflit les uns avec les autres; mais il n’y a pas de trouble vital, rien qui puisse être appelé, à proprement parler, hostile. La vraie mentalité philosophique, le mental qui est uniquement occupé à penser, explorer et construire des formes, et aussi le mental des idées pures, au-delà de toutes formes, sont hors d’atteinte de l’invasion des mondes inférieurs et de leur influence. Mais il ne faudrait pas en conclure que les mouvements de ces régions mentales ne peuvent pas être imités, ou qu’un mauvais usage ne peut pas être fait de leurs créations, par des êtres pervers et hostiles de plus grande envergure et d’une plus haute origine que tous ceux dont j’ai parlé jusqu’à présent.
Quelles sont les conditions dans le monde psychique?
Quelle est sa situation vis-à-vis des forces hostiles?
Le monde ou plan de conscience psychique est cette partie du monde, de même que l’être psychique est cette partie de notre être, qui est directement sous l’influence de la Conscience Divine; les forces hostiles ne peuvent avoir sur lui la moindre influence. C’est un monde d’harmonie, et tout y évolue de lumière en lumière et de progrès en progrès. C’est la demeure de la Divine Conscience, du Moi divin dans l’être individuel. C’est un centre de lumière, de vérité, de connaissance et de beauté, que le Moi divin crée par sa Présence en chacun de nous, petit à petit; il est influencé, formé et mû par la Conscience Divine dont il est une part, une parcelle. En chacun, c’est l’être interne qu’il faut trouver afin d’entrer en contact avec le Divin en soi. Il est l’intermédiaire entre la Conscience Divine et la conscience ordinaire, c’est lui qui manifeste, dans la nature extérieure, l’ordre et la loi de la Volonté Divine. Si votre conscience extérieure s’aperçoit de la présence de l’être psychique en vous et s’unit à lui, vous pouvez découvrir la Conscience Éternelle pure et vivre en elle. Au lieu d’être mû par l’ignorance, comme le sont constamment les êtres humains, vous devenez conscient de la présence d’une lumière et d’une connaissance éternelles au-dedans de vous, et c’est à Cela que vous faites votre soumission, que vous vous consacrez intégralement afin de l’exprimer dans tous vos mouvements.
Car l’être psychique est cette partie de vous qui est déjà donnée au Divin. C’est son influence, se répandant graduellement du dedans au dehors, vers les frontières les plus matérielles de votre conscience, qui effectuera la transformation de votre nature entière. La plupart des gens sont inconscients du psychique au-dedans d’eux ; l’effort du yoga est de vous en rendre conscient afin que le processus de la transformation, au lieu d’être un lent labeur se poursuivant à travers les siècles, puisse être condensé en une vie unique ou même en plusieurs années.
L’être psychique est ce qui persiste après la mort, parce qu’il est le moi immortel ; c’est lui qui perpétue la conscience de vie en vie.
’être psychique possède la réelle individualité du vrai individu divin en vous; car l’individualité signifie le mode spécial d’expression, propre à chacun, et votre être psychique est l’un des innombrables aspects particuliers de la Conscience Divine unique qui a pris forme en vous. Mais dans la conscience psychique, il n’y a pas ce sens d’une division entre l’individuel et l’universel, qui affecte les autres parties de votre nature. En elle, vous savez que votre individualité est votre propre ligne d’expression, mais en même temps vous avez la connaissance que cette expression est seulement une objectivation de la Conscience Universelle une. C’est comme si vous aviez extrait une portion de vous-même et que vous l’ayez mise en face de vous pour permettre un échange mutuel de regards et de jeux entre les deux. Cette dualité était nécessaire pour créer et établir la relation objective et pour en jouir; mais pour l’être psychique, la séparation qui rend la dualité coupante n’est qu’une illusion, une apparence, et rien de plus.
Y a-t-il une différence entre le « spirituel » et le « psychique » ? S’agit-il de deux plans différents ?
Oui. Le plan psychique appartient à la manifestation personnelle; le psychique est la partie divine de l’être individuel jetée comme un dynamisme dans le jeu. Mais quand nous parlons du spirituel, nous pensons à quelque chose qui est concentré dans le Divin plutôt que dans la manifestation de surface. Le plan spirituel est statique et se tient derrière et au-dessus du jeu universel ; il supporte les instruments de la Nature, mais n’est pas lui-même inclus ni plongé dans la manifestation extérieure.
Pourtant, en parlant de ces choses, nous devons avoir soin de ne pas nous laisser emprisonner par les mots dont nous nous servons. Quand je dis le psychique ou le spirituel, je parle de choses qui sont très profondes et réelles, derrière la surface plate des mots, et en rapport intime entre elles, même dans leur différence. Les définitions et les distinctions intellectuelles sont trop superficielles et rigides pour saisir la totale vérité des choses. Et pourtant, à moins que l’on n’ait une grande habitude de se parler l’un à l’autre, il devient presque indispensable de définir le sens des mots employés, si l’on veut se faire comprendre. La condition idéale pour une conversation est que les esprits soient si bien accordés que les mots servent seulement de support à une compréhension mutuelle spontanée, ce qui évite d’avoir à expliquer à chaque pas le sens de ce que l’on dit. C’est l’avantage de parler toujours aux mêmes personnes; un accord harmonieux s’établit entre les esprits, leur permettant de saisir immédiatement la signification des paroles prononcées.
Il y a un monde des idées sans forme; c’est là que vous devez entrer si vous voulez saisir ce qui se trouve derrière les mots. Tant qu’il vous faut fonder votre compréhension sur des formes verbales, vous avez grande chance de vous tromper souvent sur le sens véritable; mais si, dans le silence mental, vous pouvez vous élever jusqu’au monde d’où les idées descendent pour prendre forme, de suite vous atteindrez à la compréhension. Pour être sûr de se comprendre l’un l’autre, il faut pouvoir se comprendre dans le silence. Il arrive que deux esprits soient si parfaitement accordés et harmonisés qu’ils peuvent réciproquement percevoir leurs pensées sans qu’aucune parole soit nécessaire. Mais si cet accord n’est pas établi, le sens de vos paroles sera toujours déformé, parce que, à ce que vous dites, votre interlocuteur substituera sa propre manière de comprendre. Par exemple, je donne à un mot un certain sens ou une certaine nuance de sens; vous êtes habitué à mettre en lui un autre sens ou une autre nuance; il est évident que quand je m’en servirai, vous ne comprendrez pas le sens exact que je lui donne, mais ce que le mot signifie pour vous. Ceci est vrai, non seulement de ce que l’on entend, mais aussi de ce que l’on lit. Pour comprendre un livre contenant un enseignement profond, il faut pouvoir le lire dans un complet silence mental ; il faut attendre et laisser l’expression s’enfoncer profondément au-dedans de soi, jusqu’à la région où les mots sont absents; de là, elle reviendra lentement jusqu’à la conscience externe et à sa compréhension de surface. Si vous laissez les mots sauter dans votre mental extérieur et que vous essayiez de les ajuster l’un à l’autre, leur vrai sens et leur pouvoir vous échapperont totalement. Il ne peut y avoir aucune compréhension parfaite, excepté dans l’union avec le mental inexprimé qui se trouve derrière le centre de l’expression.
Nous avons déjà parlé des esprits individuels comme d’autant de mondes distincts, séparés l’un de l’autre; chacun est enfermé en lui-même et n’a presque pas de points de contact directs avec les autres. Mais c’est la région du mental inférieur, où l’on est emprisonné dans ses propres formations; on ne peut pas plus sortir d’elles qu’on ne peut sortir de soi-même; on ne peut comprendre que soi et sa propre réflexion dans les choses. Mais dans la région plus haute, sur les pures altitudes du mental inexprimé, on est libre; quand on y entre, on sort de soi-même et on pénètre dans le plan du mental universel où chaque monde mental individuel est plongé comme dans une mer immense. Là, vous pouvez comprendre complètement ce qui se passe en un autre et lire dans son mental comme si c’était le vôtre, parce que là, aucune séparation ne divise un mental d’un autre. C’est seulement lorsque vous vous unissez aux autres dans cette région, que vous pouvez les comprendre; autrement, vous n’êtes pas accordés, vous n’avez pas de contact, vous n’avez aucun moyen de savoir avec précision ce qui se passe dans un autre mental que le vôtre. Le plus souvent, quand vous êtes en présence d’un autre, vous ignorez tout à fait ce qu’il pense et sent; mais si vous êtes capable d’aller au-delà et au-dessus de ce plan externe d’expression, si vous pouvez entrer dans un autre plan où une communion silencieuse est possible, alors vous pouvez lire l’un en l’autre comme vous le feriez en vous-même. Alors les mots dont vous vous servez pour vous exprimer n’ont plus que très peu d’importance, parce que la pleine compréhension se trouve au-delà d’eux, en quelque chose d’autre, et un minimum de mots suffit à rendre claire votre intention. De longues explications ne sont plus nécessaires; vous n’avez plus besoin de donner à une pensée son expression complète, car vous possédez la vision directe de ce qu’elle signifie.
Viendra-t-il un moment où les forces hostiles n’existeront plus?
Quand leur présence dans le monde ne sera plus d’aucune utilité, elles disparaîtront. Leur action est utilisée en manière d’épreuve, afin que rien ne soit oublié, que rien ne soit laissé de côté dans l’œuvre de transformation. Ces forces hostiles ne laissent passer aucune erreur. Si, dans votre propre être, vous avez fermé les yeux, serait-ce sur un tout petit détail, elles viendront toucher le point négligé, jusqu’à ce qu’il devienne si douloureusement évident que vous serez obligé de le changer. Quand elles ne seront plus nécessaires pour cette opération, leur existence deviendra inutile et prendra fin. Il leur est permis de persister ici, parce qu’elles sont nécessaires dans la Grande Œuvre; dès qu’elles ne seront plus indispensables, elles devront changer ou disparaître.
Est-ce qu’il faudra beaucoup de temps pour que cela arrive?
Tout dépend du point de vue. Car le temps est relatif; vous pouvez en parler du point de vue humain ordinaire, ou de celui, plus profond, d’une conscience interne, ou du haut de la perspective divine.
Si vous êtes un avec la conscience divine, il est de fort peu d’importance que la chose à réaliser prenne, d’après l’évaluation humaine, des milliers d’années ou seulement une année; car alors vous avez quitté les choses de la nature humaine pour entrer dans l’infinité et l’éternité de la nature divine. Alors, vous échappez à cette sensation d’extrême impatience qui obsède les hommes parce qu’ils veulent voir les choses accomplies. L’agitation, la hâte, l’inquiétude ne mènent nulle part. C’est l’écume sur la mer, beaucoup d’embarras ne produisant rien. Les hommes ont la sensation qu’ils ne font rien s’ils ne courent pas tout le temps, de tous côtés, en se précipitant dans des accès d’activité fiévreuse, en fondant des groupes, des sociétés, des mouvements. C’est une illusion de croire que tous ces soi-disant mouvements changent quelque chose. Cela revient à prendre une tasse et à agiter l’eau qu’elle contient; l’eau se déplace, mais n’est en aucune façon changée par cette agitation.
Cette illusion de l’action est l’une des plus grandes illusions de la nature humaine. Elle nuit au progrès, parce qu’elle incite à se jeter constamment dans quelque mouvement turbulent. Si seulement on pouvait se rendre compte de l’illusion, de l’inutilité de tout cela, voir à quel point cela ne change rien! Nulle part on ne peut accomplir quelque chose de cette manière. Ceux qui courent ainsi, de-ci, de-là, sont des jouets de forces qui les font danser pour leur propre amusement, et ce ne sont certes pas des forces de la meilleure qualité.
Tout ce qui a été fait dans le monde, l’a été par le petit nombre de ceux qui se tiennent en dehors de l’action, dans le silence, car ce sont eux qui sont les instruments du Pouvoir divin. Ils sont ses agents dynamiques, ses intermédiaires conscients; ils font descendre les forces qui transforment le monde. C’est ainsi que les choses peuvent être faites, non par une activité agitée. Dans la paix, le silence et le calme, le monde a été construit; et de même, chaque fois que quelque chose est à construire véritablement, c’est dans la paix, le silence et le calme que cela doit être fait. C’est une grande ignorance de croire que l’on doit courir du matin au soir et travailler à toutes sortes de choses futiles, afin d’accomplir quelque chose pour le monde.
Il suffit de faire un pas hors de ces forces tourbillonnantes et d’entrer dans les régions tranquilles pour voir combien grande est l’illusion! De là, l’humanité apparaît comme une masse de créatures aveugles, se précipitant en tous sens, sans savoir ce qu’elles font ni pourquoi elles le font, se heurtant constamment et trébuchant l’une contre l’autre. Et c’est cela qu’elles appellent action et vie! Ce n’est que vaine agitation; ce n’est certes pas une action réelle, ni une vie vraie.
J’ai dit, une fois, que pour parler utilement dix minutes on devrait rester silencieux pendant dix jours. Je pourrais ajouter que pour agir utilement une journée, il faudrait se tenir tranquille pendant un an. Il va de soi que je ne parle pas des actions ordinaires de la vie quotidienne, car elles sont nécessaires au maintien de cette vie; je parle pour ceux qui ont, ou croient avoir quelque chose à faire pour le monde. Et le silence dont je parle est cette quiétude intérieure que ceux-là seuls possèdent qui peuvent agir sans être identifiés à leur action, submergés par elle, aveuglés et assourdis par la forme et le bruit de leur propre mouvement. Tenez-vous en dehors de votre action; montez jusqu’à un sommet qui domine ces mouvements temporels; entrez dans la conscience de l’éternité. Alors vous saurez ce qu’est l’action véritable.
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