Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
« Il y a une région de Conscience divine où tout est connu absolument et où le plan des choses, dans son ensemble, est prévu et prédéterminé. Cette manière de voir appartient aux sommets les plus élevés du Supramental ; c’est la vision même du Suprême. Mais quand nous ne possédons pas cette conscience, il ne sert à rien de nous exprimer en termes qui ne sont bons que dans cette région et ne correspondent pas à notre manière présente de voir et de comprendre les choses. Car, dans un domaine inférieur de conscience, rien n’est fixé ni réalisé d’avance; tout est en cours de fabrication. Ici, il n’y a pas de faits préétablis, il n’y a que le jeu des possibilités; et c’est du choc de ces possibilités que jaillit la chose qui doit arriver. Dans ce domaine-ci, nous pouvons choisir et sélectionner; nous pouvons refuser une possibilité et en accepter une autre; nous pouvons suivre un chemin et nous détourner d’un autre. Et cela, nous pouvons le faire, même si ce qui arrive réellement a été prévu et prédéterminé dans une région supérieure. » (Entretien du 28 avril 1929)
« Il y a une région de Conscience divine où tout est connu absolument et où le plan des choses, dans son ensemble, est prévu et prédéterminé. Cette manière de voir appartient aux sommets les plus élevés du Supramental ; c’est la vision même du Suprême. Mais quand nous ne possédons pas cette conscience, il ne sert à rien de nous exprimer en termes qui ne sont bons que dans cette région et ne correspondent pas à notre manière présente de voir et de comprendre les choses. Car, dans un domaine inférieur de conscience, rien n’est fixé ni réalisé d’avance; tout est en cours de fabrication. Ici, il n’y a pas de faits préétablis, il n’y a que le jeu des possibilités; et c’est du choc de ces possibilités que jaillit la chose qui doit arriver. Dans ce domaine-ci, nous pouvons choisir et sélectionner; nous pouvons refuser une possibilité et en accepter une autre; nous pouvons suivre un chemin et nous détourner d’un autre. Et cela, nous pouvons le faire, même si ce qui arrive réellement a été prévu et prédéterminé dans une région supérieure. »
(Entretien du 28 avril 1929)
Le mot « prédéterminé » ne correspond pas à la réalité; le mot « préexistant » serait plus exact. La conscience d’un déroulement a une réalité, ce n’est pas seulement une apparence.
Imaginez l’univers comme un tout, unique et, en un certain sens, fini, limité, mais contenant d’une façon potentielle une quantité innombrable de possibilités dont les combinaisons sont si nombreuses qu’elles équivalent à un infini (il faut se méfier des mots, n’est-ce pas, je suis très gênée par les mots, ils n’expriment pas exactement ce que je veux dire). Donc, l’univers est objectivé par la Conscience divine, par le Suprême, selon certaines lois déterminées dont nous parlerons plus tard. L’univers est tout entier unique, dans le sens qu’il est le Divin — il ne contient pas tout le Divin, mais c’est comme si le Divin se déployait Lui-même de façon à s’objectiver; c’est la raison d’être de la manifestation de l’univers. C’est comme si la Conscience divine se promenait dans toutes les possibilités divines suivant un trajet qu’elle aurait choisi. Alors, imaginez une multitude de possibles dont toutes les combinaisons possibles équivalent à un infini. La Conscience divine est essentiellement libre — Elle se promène là-dedans et s’objective Elle-même. Le chemin parcouru est libre au sein d’une multiplicité infinie qui est à la fois préexistante et absolument indéterminée suivant l’action de la Volonté divine libre. On peut concevoir que cette Volonté, étant libre, puisse changer le cours du déploiement, changer de trajet et, bien que tout soit préexistant et par conséquent inévitable, le chemin, le trajet est libre et absolument inattendu. Ces changements de trajet, si l’on peut dire, peuvent donc changer les relations entre les choses et les circonstances, et par conséquent le déterminisme est changé. On appelle ce changement de circuit « l’effet de la Grâce »; eh bien, à l’aide de la Grâce, si la Grâce le décide, les choses peuvent changer, le parcours peut être différent. Les choses peuvent changer de place et, au lieu de suivre un certain circuit, en suivre un autre. Une circonstance, qui selon certain déterminisme devrait se trouver à une place en avant, par exemple, se trouverait en arrière, et ainsi de suite. Les relations entre les choses changent, par consequent 12 .
À quel moment le temps commence-t-il? La Conscience qui choisit est-elle dans le temps dès qu’il y a déploiement?
Non. Le temps est une succession; il faudrait que vous puissiez concevoir qu’avant de s’objectiver, la Conscience Suprême prend conscience d’Elle-même en Elle-même. Il y a une perception globale, totale et simultanée, et là il n’y a pas de temps. De même, on ne pourrait pas parler d’espace, pour la même raison, parce que tout est simultané. C’est quelque chose de plus; cela correspond à un état de conscience subjectif plutôt qu’objectif, car le but, le mobile de la création est l’objectivation; mais il y a une première étape dans cette objectivation, où il y a pleine conscience, totale et simultanée, hors du temps et de l’espace, de ce qui constituera le contenu de cet univers; et là, l’univers est préexistant, mais non manifesté, et le temps commence avec l’objectivation.
Peut-on dire que le temps commence avec le plan supramental?
Ce n’est pas le même genre de temps. Il y a seulement un commencement de temps et un commencement de forme. Le temps est d’une qualité très différente. Il y a une conscience globale, statique, avant d’arriver au niveau supramental, où tout paraît simultanément — le temps se produit par le fait qu’il y a une succession dans l’organisation de l’ensemble. Tandis que la totalité que vous percevez d’un coup, au niveau supramental, n’est pas une totalité statique — la totalité statique fait place à une autre totalité qui donne l’impression de temps. Ce sont des relations internes au sein du Supramental, en ce sens que l’on n’a pas conscience de quelque chose qui se produit en dehors de soi; on a seulement conscience de quelque chose qui est en soi, interne, mais les relations internes varient, ce qui donne une première impression de temps.
Dans cet état de conscience, on n’a pas l’impression que les choses naissent, passent, disparaissent, n’est-ce pas?
Ah! non, rien de ce genre.
(Mère reprend sa lecture) « La Conscience Suprême connaît toute chose d’avance, parce que toute chose existe dans son éternité. Mais par la nécessité de son jeu et afin d’amener à exécution dans le domaine physique ce qui a été préordonné dans son Moi suprême, elle se meut ici, sur terre, comme si Elle ne connaissait pas toute l’histoire; Elle travaille comme si Elle tissait avec un fil nouveau et pas encore essayé. »
Si vous entreprenez un travail et que l’on vous dise d’avance que tout sera inutile et que vous n’arriverez pas à faire ce que vous voulez, le feriez-vous? Non, n’est-ce pas? Eh bien, c’est un peu ce qui se passe. Quatre-vingt-dix fois sur cent, ce que l’on fait ne produit pas le résultat que l’on attend. Il n’y a pas une personne sur un million qui ferait son travail si on lui disait : « Fais cela, mais le résultat ne sera pas du tout celui que tu veux. » Mais il est nécessaire dans le jeu des forces qu’il y ait beaucoup de gens qui travaillent pour l’ensemble des forces, pour la totalité des forces, bien que ce travail, individuellement, n’ait aucune utilité personnelle pour celui qui le fait. Alors, si l’individu avait la connaissance du rôle infinitésimal qu’il joue dans l’ensemble, il ne le jouerait pas. Mais de la minute où l’on est au-dessus de cela, où l’on fait les choses non dans un but déterminé mais parce que l’on sait au-dedans de soi que c’est la chose à faire, quel que soit le résultat, alors, avec cette espèce de détachement vous savez et vous voyez dans la Conscience supérieure que toute action est faite exclusivement parce qu’elle doit être faite, quel que soit le résultat; et généralement vous êtes assez clairvoyant pour savoir, au moins vaguement, quel sera le résultat de cette action. Car, le sachant, cela ne changera rien à votre façon de faire.
Au lieu d’une explication qui va de bas en haut, il serait plus sage de chercher une explication qui va de haut en bas et plutôt concevoir que, petit à petit, la Conscience descend et en descendant s’obscurcit, et on ne comprend plus par quel mécanisme les choses se font — c’est ce que l’on appelle un état d’Ignorance.
(Mère reprend sa lecture) « Pour faire un tableau, il est nécessaire d’avoir un projet de composition défini; on doit se fixer des limites, placer le tout dans un encadrement précis, mais les limites sont illusoires, le cadre n’est qu’une convention. Il y a une perpétuelle continuation du tableau qui se prolonge au-delà de tout cadre particulier, et chaque section de cette continuation pourrait être fixée, de la même manière, dans une série sans fin de cadres. Nous disons que notre but est ceci ou cela ; mais nous savons que c’est seulement le commencement d’un autre but qui est au-delà et qui, à son tour, conduit à un autre, et ainsi de suite... »
Si l’on me disait que les choses vont s’arrêter à un certain point, je trouverais cela très ennuyeux, si ennuyeux que je ne bougerais pas!
La seule chose qui me console, c’est que tout continue toujours, infiniment; qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à faire.
Quel que soit le but atteint, ce n’est qu’un commencement.
Quelle différence y a-t-il entre le mot « spirituel » et le mot « psychique » ?
Ce n’est pas la même chose. Le psychique est l’être organisé par la Présence divine et il est propre à la terre — je ne parle pas de l’univers, seulement de la terre, ce n’est que sur la terre que vous trouverez l’être psychique. Le reste de l’univers est formé d’une façon tout à fait différente.
L’univers contient tous les domaines supérieurs au domaine physique : il y a un physique global qui comprend le mental, le vital, etc., et tous les domaines au-dessus du domaine mental sont des domaines d’ordre spirituel, des domaines qui, pour vous, sont de l’esprit, et c’est cet « esprit » qui, petit à petit, progressivement, se matérialise pour arriver à la Matière telle que nous la concevons. Les êtres du Surmental, par exemple, et tous les êtres des régions supérieures n’ont pas d’être psychique — les « anges » n’ont pas d’être psychique. Ce n’est que sur la terre que la vie psychique commence, et c’est justement le procédé par lequel le Divin a éveillé la vie matérielle à la nécessité de rejoindre son origine divine. Sans le psychique, jamais la Matière ne se serait éveillée de son inconscience, jamais elle n’aurait aspiré à la vie de son origine, ou vie spirituelle. Par conséquent, l’être psychique dans l’être humain est la manifestation de l’aspiration spirituelle; mais il y a une vie spirituelle indépendante du psychique.
Y a-t-il une correspondance entre le monde psychique et la terre?
Mais je vous ai déjà dit que c’est seulement sur la terre que l’être psychique fait ses expériences pour s’individualiser. Donc, l’interdépendance est presque absolue entre le monde psychique et la terre.
Quel est le moyen le plus efficace d’éveiller l’être psychique?
Mais il est très éveillé! Et non seulement il est éveillé, mais il agit, mais vous n’en êtes pas conscient. Il vous paraît endormi parce que vous ne le percevez pas!
Au fond, sans cette espèce de volonté intérieure de l’être psychique, je crois que les êtres humains seraient tout à fait mornes, atones, ils auraient une vie très animale. Toute lueur d’aspiration est toujours l’expression d’une influence psychique. Sans la présence du psychique, sans l’influence psychique, il n’y aurait jamais aucun sens de progrès ni volonté de progrès.
Y aurait-il un sens de la beauté?
Oui. Peut-être pas le sens le plus haut de la beauté, mais dans le vital on trouve tout à fait le sens de la beauté et de l’harmonie. La beauté fondamentale, profonde, universelle, constante n’appartient qu’au psychique, mais le sens de la beauté des formes, des apparences, des couleurs, le vital éduqué, raffiné, l’a tout à fait.
Et pas l’amour?
Cela dépend de ce que vous entendez par « amour »! Il n’y aurait pas d’Amour divin, naturellement, mais toutes les passions, les attractions, les désirs existent dans le vital. Seulement, la qualité de ces mouvements a été complètement changée du fait de la descente et de la diffusion de la Conscience divine dans la Matière. Elle a éveillé la possibilité du véritable amour; autrement, toutes ces choses que l’on prend pour de l’amour, toutes les passions, les attractions, les désirs — le besoin de dévorer —, tout cela existe très bien dans le vital. La première forme de l’Amour dans la Matière est le besoin de dévorer : on veut posséder, assimiler; donc, la meilleure façon de le faire est d’avaler et de digérer! On peut dire que le chat est plein d’amour pour ses petits quand il les mange et le tigre plein d’amour pour l’agneau qu’il dévore!
Y a-t-il un sens de la beauté dans les fleurs?
Dès qu’il y a vie organique, l’élément vital est là, et c’est cet élément vital qui donne aux fleurs le sens de la beauté. Ce n’est peut-être pas individualisé au sens où nous le comprenons, mais c’est un sens de l’espèce, et l’espèce essaye toujours de le réaliser. J’ai remarqué un premier rudiment de présence, de vibration psychique dans la vie végétale, et vraiment, cet épanouissement qu’on appelle fleur est la première manifestation de la présence psychique. Le psychique ne s’individualise que dans l’homme, mais il était présent avant lui; mais ce n’est pas le même genre d’individualisation que dans l’homme, c’est plus fluide : cela se manifeste comme force, comme conscience plutôt que comme individualité. Prenons la rose, par exemple; sa grande perfection de forme, de couleur, d’odeur traduit une aspiration et un don psychiques. Regardez une rose qui s’ouvre le matin au premier contact du soleil, c’est un don de soi dans l’aspiration, magnifique.
Chaque fleur a sa signification propre, n’est-ce pas?
Pas comme nous l’entendons mentalement. Il y a une projection mentale quand on donne une signification précise à une fleur. Elle peut répondre, vibrer au contact de cette projection, accepter la signification, mais la fleur n’a pas l’équivalent de la conscience mentale. Dans le règne végétal, il y a un commencement de psychique, mais il n’y a pas de commencement de conscience mentale. Chez les animaux, c’est autre chose; la vie mentale commence à se former et pour eux les choses ont un sens. Mais dans les fleurs, cela ressemble plutôt au mouvement d’un tout petit enfant — ce n’est pas une sensation ni un sentiment, mais quelque chose qui tient des deux ; c’est un mouvement spontané, une vibration très spéciale. Alors, si l’on est en contact avec cela, si on le sent, on reçoit une impression qui peut se traduire par une pensée. C’est comme cela que j’ai donné une signification aux fleurs et aux plantes — il y a une sorte d’identification avec la vibration, une perception de la qualité qu’elle représente et, peu à peu, par une sorte d’approximation (quelquefois cela vient subitement, parfois il faut du temps), se produit un rapprochement entre ces vibrations (qui sont d’un ordre vital-émotif) et la vibration de la pensée mentale, et s’il y a un accord suffisant, on a une perception directe de ce que cette plante peut signifier.
Dans certains pays (surtout ici), on se sert de certaines plantes comme moyen d’adoration, d’offrande, de dévotion. Certaines plantes sont données dans certains cas spéciaux. Et j’ai vu souvent que cette identification était tout à fait en accord avec la nature de la plante parce que, spontanément, sans rien savoir, il s’est trouvé que j’ai donné la même signification que celle que l’on donnait dans les cérémonies religieuses. Cette vibration se trouvait vraiment dans la fleur elle-même... Est-ce que cela venait de l’usage que l’on en avait fait ou est-ce que cela venait de très loin, de très bas, d’un commencement de vie psychique? Il serait difficile de le dire.
Arrive-t-il que l’être psychique ne tombe pas à l’endroit où il voulait s’incarner?
Si un être psychique voit de son monde psychique une lumière sur la terre, il peut se précipiter là sans savoir au juste où elle est. Tous les cas sont possibles. Mais si l’être psychique est très conscient, suffisamment conscient, c’est dans un endroit précis qu’il cherchera la lumière d’aspiration, à cause de la culture, de l’éducation qu’il pourra trouver là. C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit, surtout dans les sphères un peu éduquées. Une femme intelligente qui a une certaine culture artistique ou philosophique, un commencement d’individualité consciente, peut aspirer à ce que l’enfant qu’elle va mettre au monde soit le meilleur possible selon sa conception ou suivant les notions qu’elle a lues. Alors ce n’est pas tellement compliqué de trouver un endroit. Le nombre des êtres psychiques qui s’incarnent constamment étant considérable, s’il fallait chaque fois trouver des conditions exceptionnelles, ce serait difficile. Bien sûr, il y a des cas où l’être psychique semble être tombé sur la tête et comme abruti, mais c’est une malchance; dans ce cas, il lui faut généralement longtemps pour se réveiller. C’est une malchance en ce sens qu’il lui manquait probablement un certain pouvoir de discernement, ou peut-être se trouvait-il en face de certaines forces qui contrecarraient sa décision et remportaient une victoire partielle sur lui. Il y a des milliers de possibilités, n’est-ce pas. On ne peut pas dire que tout se passe d’après le même plan — tous les êtres psychiques sont différents.
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