Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
Après lecture d’un passage de La Mère consacré à Mahâkâlî :
Les histoires que l’on raconte à propos de l’image représentant Mahâkâlî sont-elles vraies? Quelles histoires?
On raconte des centaines d’histoires, mon enfant. De quelle histoire parles-tu? Quelle Mahâkâlî? Les images qu’on en fait, les statues? C’est la façon humaine de voir la chose. Elle n’est pas comme cela.
Je crois que je vous l’ai déjà dit une fois, il y a des êtres originels, dans leur réalité supérieure, et qui sont d’une certaine manière, puis à mesure qu’ils se manifestent dans des régions de plus en plus matérielles et de plus en plus proches de la terre, ils assument des formes différentes et aussi se multiplient étrangement. Si vous voulez, les êtres dont Sri Aurobindo parle ici, appartiennent aux régions toutes proches du Supramental, ils sont encore en contact tout à fait clair et conscient avec l’origine supramentale. Ces entités-là se manifestent aussi dans ce que Sri Aurobindo appelle le « Surmental », et là, la forme devient pour ainsi dire plus singulière, un peu plus précise et en même temps réduite de pouvoir et de capacité. Puis, du Surmental, elles descendent dans le mental humain, le mental terrestre, et là... Prenez, par exemple, cette pauvre Mahâkâlî; vous avez une multitude de Kâlî, qui sont de plus en plus horribles; quelques-unes sont absolument terrifiantes et horrifiantes, et cela devient quelquefois des êtres tout à fait repoussants, qui sont exclusivement des formations humaines, c’est-à-dire que la forme extérieure est donnée par l’imagination humaine, par la capacité de formation mentale humaine. Il peut y avoir là-dedans comme un vague reflet de la force de Mahâkâlî, mais c’est tellement diminué, déformé, rapetissé, mis à la portée de la conscience humaine, que vraiment elle peut très bien nier que ce soit elle! J’ai vu tout ce que l’on peut voir d’horreurs en fait d’images représentant Mahâkâlî. Des images, nous n’en parlerons pas. Si ce sont de grands artistes, peut-être reste-t-il encore quelque beauté, mais comme généralement ce sont des barbouilleurs, il n’en reste plus rien. Quant aux images (statues ou peintures) qui doivent être installées dans un temple, on fait une cérémonie religieuse, et si le prêtre ou l’assistant est un homme ayant des pouvoirs occultes, même limités, il peut, dans son aspiration et par sa cérémonie, amener une conscience extra-terrestre dans ces entités. C’est le principe; on vous dit : « Ce n’est pas un morceau de bois, ce n’est pas une pierre, ce n’est pas une peinture; il y a là-dedans une force que la cérémonie religieuse a attirée et à laquelle vous pouvez vous adresser. » C’est exact, mais reste à savoir la nature du prêtre, sa connaissance occulte et aussi les forces avec lesquelles il est en affinité. Alors, il peut y avoir beaucoup de choses là-dedans... Il y a « quelque chose » (excepté si c’est un ignare stupide qui a fait la cérémonie, qui n’a aucun pouvoir du tout, qui n’a rien attiré, qui a fait un simulacre, mais c’est assez rare; je ne peux pas dire que ce soit fréquent, c’est assez rare), généralement, il y a quelque chose, mais alors la nature, la qualité de ce quelque chose, vous savez... cela varie infiniment et c’est quelquefois un peu inquiétant. J’ai donné l’exemple de Mahâkâlî, parce que la conception de Mahâkâlî dans la conscience humaine est spécialement horrible. Quand on s’adresse à d’autres divinités, comme Mahâsaraswatî, par exemple, à qui l’on attribue toutes sortes de capacités artistiques, littéraires, etc., ce n’est plus si terrible. Mais Mahâkâlî spécialement... Leur conception du pouvoir, de la force, de l’énergie guerrière est si terrible que vraiment ce qu’ils attirent est un peu dangereux pour les gens qui l’adorent. J’ai entendu d’innombrables histoires depuis que je suis en Inde. J’ai été mise en rapport avec d’innombrables images, et j’ai connu beaucoup de gens qui avaient chez eux une Kâlî et qui l’avaient adorée et à qui, quelquefois, il était arrivé des choses assez épouvantables. Je les ai toujours mis sur leurs gardes, je leur ai dit : « Ne croyez pas du tout que Mahâkâlî soit responsables de vos infortunes, parce qu’elle n’en est pas responsable. Mais il se trouve que la Kâlî que vous avez chez vous doit abriter un être assez vindicatif, probablement très jaloux, extrêmement arbitraire et avec un esprit de vengeance très fort, et comme vous aviez foi et que c’est un pouvoir généralement vital, il peut y avoir des conséquences vraiment dangereuses. » J’ai connu des personnes qui, après avoir eu toutes sortes d’expériences infortunées, ont pris la statue de Mahâkâlî et l’ont jetée dans le Gange. Si, en même temps, ils ont acquis une certaine liberté d’esprit, tous les méfaits s’en vont; mais il y en a qui ont tellement peur de ce qu’ils ont fait, que les mauvais effets continuent.
On ne devrait jamais toucher ces choses sans, au moins, les premiers éléments d’une connaissance occulte. Malheureusement, dans les religions — toutes les religions, pas seulement ici, mais partout — la connaissance n’est jamais donnée aux croyants. Quelquefois les prêtres l’ont (je ne dis pas toujours), mais quand ils l’ont, ils se gardent bien de la donner aux croyants, parce que cela leur supprimerait leur autorité et leur pouvoir; et c’est cela, le mal derrière toutes les institutions religieuses.
Enfin, ceci est une digression. Revenons à notre sujet. Dans l’atmosphère terrestre, il y a en effet une Kâlî qui s’occupe des choses de la terre et qui est un peu... on ne peut pas dire indépendante, mais qui n’est pas tout à fait l’expression de Mahâkâlî, mais qui lui est tout à fait soumise et qui a ses qualités majeures. Elles sont diminuées en pouvoir et en efficacité, mais elles existent, et la beauté de sa nature est là. Peut-être quelques-uns d’entre vous ont-ils eu des relations avec cette Mahâkâlî-là. Elle ne se venge pas, elle ne fait jamais de mal à ceux qui l’aiment, elle ne jette pas des épidémies sur les pays qui ne lui témoignent pas assez de respect et de considération. Mais elle aime la violence, elle aime la guerre et elle a une justice foudroyante.
Maintenant, une autre question.
Quelle est la différence entre un Avatâr et une Vibhûti?
Nous avons dit, l’autre jour, que les Vibhûti sont des aspects, des qualités (ce qu’en occultisme on appelle des émanations) d’un être. Ce sont comme certaines forces, certains pouvoirs, certaines qualités, certains attributs qui sont mis en contact avec une forme extérieure — une forme physique, par exemple — et qui se manifestent à travers cette forme. Ce peut être une forme humaine. L’Avatâr (du moins quand on le comprend dans son sens véritable) est l’incarnation terrestre de la Vérité suprême. Maintenant, on donne beaucoup de sens à ce mot. Il y a même un mot « avatar » dans la langue française, qui a un sens très particulier! On dit qu’un aventurier a beaucoup d’avatars, c’est-à-dire qu’il change d’apparence, de personnalité, d’occupation... Mais originellement (comme il est dit dans la Gîtâ, par exemple), quand le Suprême décide de se manifester sur la terre, pour une raison quelconque, et qu’il prend un corps terrestre, on dit que c’est un Avatâr. Il peut prendre beaucoup de corps successifs suivant les besoins et les circonstances, mais c’est toujours ce que nous pourrions appeler l’« être central » qui prend un corps terrestre. C’est ce que l’on appelle un Avatâr. Je pensais que vous saviez cela. Sri Aurobindo l’a expliqué en bien des endroits.
« Impériale, Mahéshwarî demeure dans la vaste étendue au-dessus de l’esprit pensant et de la volonté... » (Sri Aurobindo, La Mère, VI)
« Impériale, Mahéshwarî demeure dans la vaste étendue au-dessus de l’esprit pensant et de la volonté... »
(Sri Aurobindo, La Mère, VI)
Est-ce qu’il existe un plan de volonté, comme il existe un plan mental, un plan vital, etc.?
Je vous ai expliqué cela à propos du Satchidânanda. Le Satchidânanda existe tout à l’origine des mondes, mais il y a un Satchidânanda derrière tous les autres états d’être. On peut faire un graphique (quoique cela n’explique pas grand-chose, c’est une notion tout à fait erronée, mais c’est pour se faire comprendre plus facilement), vous rangez les états d’être suivant une échelle. Alors, vous avez la terre en bas et le Suprême en haut (ce n’est pas du tout comme cela, je m’empresse de vous le dire! mais enfin, c’est facile à comprendre), vous mettez en bas la terre et en haut le Suprême, et vous divisez cela en un tas de petits morceaux dont chacun représente un état d’être; cela fait une sorte d’échelle. Et puis, vous avez comme derrière cela, derrière votre échelle, quelque chose qui la soutient, contre quoi elle est appuyée. Ce n’est pas un mur (!) mais c’est quelque chose qui soutient votre échelle. Et cela, c’est justement le premier principe de la forme universelle. Dans la terminologie hindoue, on l’appelle « Satchidânanda ». C’est là, tout est appuyé contre cela ; sans cela, rien ne pourrait exister. C’est cela qui soutient et qui permet d’être. Alors, si vous entrez dans un certain état de conscience et que vous vous trouviez, par exemple, dans le mental supérieur (parce que, généralement, c’est plus facilement là que ça arrive; vous êtes parti du physique et vous êtes monté lentement, de degré en degré, jusqu’au mental supérieur), mais au lieu de continuer votre ascension de l’échelle, vous entrez dans une sorte d’intériorisation et vous essayez de sortir de la forme, de passer dans une sorte de silence hors de la forme. Vous passez entre les barreaux de votre échelle et vous entrez tout droit dans le Satchidânanda, qui supporte tout par-derrière. Et alors, vous pouvez avoir mentalement l’expérience du Satchidânanda. J’ai connu des gens qui l’avaient et qui croyaient être arrivés tout en haut du Suprême. Parce qu’il y a une analogie dans l’expérience, une similitude très grande, seulement elle est limitée au mental, il n’y a que le mental qui y participe. Eh bien, pour la volonté, c’est la même chose. Au lieu d’être le support de l’échelle, c’est une sorte de force, de courant très puissant qui traverse tous ces états et qui part d’en haut — c’est la Volonté suprême — pour arriver en bas dans la manifestation physique. Par conséquent, si vous vous mettez en affinité avec cette vibration ou cette force, vous pouvez entrer dans l’« état de volonté ». C’est-à-dire que quel que soit l’état d’être dans lequel vous vous trouviez — physique, vital, mental, etc. —, si vous entrez dans un certain état de conscience et de force, vous entrez en contact avec cette puissance de volonté : elle pénètre en vous et vous pouvez vous en servir pour faire ce que vous voulez. Si votre réception est débarrassée de tout égoïsme, si vous êtes un être pur, complètement soumis et acceptant seulement ce qui vient du Divin, et que vous n’y mélangiez rien, ni égoïsme, ni désirs, ni limitations... enfin, c’est un état un peu difficile à obtenir, mais si vous l’obtenez, vous recevez cette force de volonté à l’état originel, pur, parce qu’elle va de haut en bas, pure (c’est quand on la reçoit qu’on la déforme); alors, au lieu d’être votre volonté, cela devient l’expression de la Volonté divine. Et c’est comme cela sans quitter le physique, vous pouvez recevoir en vous la force de la Volonté divine sans quitter le physique. Seulement, n’est-ce pas, il ne faut pas la transformer et la déformer, l’abîmer en la recevant. Quand vous sentez en vous une sorte d’énergie indomptable pour réaliser quelque chose, quand vous vous dites : « Je ferai cela coûte que coûte, j’irai jusqu’au bout et j’userai de toute ma volonté » (parce que vous dites toujours ma volonté), eh bien, vous ne pouvez être dans cet état que si vous êtes entré en contact avec ce courant de force de volonté. Seulement, naturellement, avec votre petite réaction personnelle, vous la déformez et vous vous en servez tout de travers, et alors vous entrez en conflit avec d’autres éléments. Mais si vous êtes vraiment un yogi, vous recevez le courant et rien ne peut arrêter l’élan de votre action, même physiquement.
Il y a d’autres choses comme cela, d’autres états, d’autres forces, il y en a beaucoup. Au fond, si l’on étudie très attentivement, on s’aperçoit qu’il n’y a rien dans l’être individuel qui ne soit l’expression ou la déformation ou la diminution, la réduction et l’amoindrissement de quelque chose qui a son origine dans le Suprême et qui est d’ordre universel. Alors, n’est-ce pas, toutes ces idées de « tirer », d’« appeler », ce n’est pas très correct. Au fond, la seule chose que l’on doit faire, c’est de se préparer soi-même, c’est de se rendre digne de ce contact et, quand on l’a eu, de ne pas le déformer. Et ceci n’exclut personne. Même un tout petit enfant peut, à certaines minutes de sa vie, entrer en rapport avec l’une de ces grandes forces universelles, d’origine divine, et s’en servir pour ses besoins de tout petit enfant. Malheureusement, on y ajoute tant de limitations, d’égoïsme, d’ignorance, de stupidité que c’est généralement complètement défiguré. On ne peut pas la reconnaître, ce n’est pas reconnaissable. Mais l’origine de la force est la même, et c’est pour cela que, quand on arrive à un certain état de conscience, on s’aperçoit que si ces forces n’étaient pas là on ne serait rien, on n’existerait pas. Et au lieu de dire avec la suffisance habituelle : « je fais cela, je ne fais pas ceci, j’ai décidé ça, je veux telle chose, je réussirai... », tout cela part de vous de telle façon que vous ne pouvez plus jamais penser comme cela ; cela vous paraît tellement ridicule — tellement ridicule. Dès que le petit « je » vient, cela veut dire une déformation, une limitation, un avilissement. Tout ce que, au fond, vous n’appréciez pas, vient avec votre « je » — vous enlevez le « je » et tout cela s’en va en même temps.
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