Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
Dans le monde vital, il existe des forces; est-ce qu’il existe des formes mentales dans le monde mental?
Oui, il y a un monde mental concret et il y a des formes mentales, qui ne ressemblent pas aux forces vitales et qui ont leur loi propre. Il y a beaucoup, d’innombrables formes mentales. Elles sont presque indestructibles; on peut seulement dire qu’elles changent de forme et de relations, c’est quelque chose de très fluide qui bouge tout le temps.
(Mère passe à un autre sujet) « ... l’on ne peut comprendre que ce que l’on sait déjà dans son être intérieur. Vous êtes frappé, dans un livre, par ce que vous avez déjà expérimenté profondément au-dedans de vous. [...] La connaissance qui semble vous venir du dehors, est seulement une occasion d’amener à la surface la connaissance qui était au-dedans de vous. » (Entretien du 19 mai 1929)
(Mère passe à un autre sujet) « ... l’on ne peut comprendre que ce que l’on sait déjà dans son être intérieur. Vous êtes frappé, dans un livre, par ce que vous avez déjà expérimenté profondément au-dedans de vous. [...] La connaissance qui semble vous venir du dehors, est seulement une occasion d’amener à la surface la connaissance qui était au-dedans de vous. »
(Entretien du 19 mai 1929)
Pourquoi certains sujets sont-ils très difficiles?
Cela dépend de beaucoup de choses : de la formation du cerveau, de l’atavisme, des premières années d’éducation, surtout de l’atavisme. Mais il y a un phénomène très intéressant : chaque idée nouvelle forme dans le cerveau comme une petite circonvolution, et cela prend du temps. N’est-ce pas, on vous dit quelque chose que vous n’avez jamais entendu; vous écoutez, mais c’est incompréhensible, cela n’entre pas dans votre tête. Mais si vous entendez la même chose une seconde fois, un peu plus tard, elle a un sens. C’est parce que le choc de la nouvelle idée a fait un petit travail dans le cerveau et a préparé juste ce qui était nécessaire pour comprendre. Et non seulement cela se construit, mais cela se perfectionne. C’est pourquoi, si vous lisez un livre difficile, au bout de six mois ou un an vous le comprenez infiniment mieux qu’à la première lecture, et parfois d’une façon très différente. Ce travail dans le cerveau se fait sans la participation de votre conscience active. De la façon dont l’être humain est formé actuellement, il faut toujours compter avec le facteur temps.
Est-ce le cerveau ou la présence de la pensée qui donne le choc?
Non, c’est la conscience. La plupart des gens n’en sont pas conscients, mais elle travaille tout le temps en chacun.
(Mère reprend sa lecture) « ... on dit une chose qui est parfaitement claire; mais la manière dont elle est comprise est stupéfiante! Chacun voit en elle quelque chose d’autre que ce que l’on voulait dire, et même parfois lui donne un sens contraire à celui qu’elle avait. Si vous voulez comprendre vraiment et éviter ce genre d’erreur, vous devez passer derrière le son et le mouvement des mots et apprendre à écouter en silence. »
Comment apprendre à écouter en silence?
C’est une question d’attention. Si l’on concentre son attention sur ce qui est dit, avec la volonté de comprendre correctement, le silence se fait spontanément — c’est l’attention qui fait le silence.
Est-il possible de sortir de la « forteresse mentale 13 » ?
Mais il y a des gens qui sortent de la forteresse! On peut même envoyer une armée hors de la forteresse!
Non, ce n’est pas le chef de la place qui sort, il tient beaucoup à sa forteresse : il envoie des soldats. Il tient beaucoup à sa forteresse, car c’est elle qui lui donne l’impression d’exister et d’être une individualité.
Et si l’on se débarrasse de la forteresse?
Oh! mais il faut faire attention! Il ne faut pas s’en débarrasser si l’on n’est pas capable de vivre sans forteresse, ce qui est infiniment plus difficile. Ce que les hommes font généralement, avec beaucoup d’effort et une quantité de souffrances qui leur donne l’impression d’être des héros, c’est de jeter bas leur forteresse... pour entrer aussitôt dans une autre! Cela ne fait pas beaucoup de différence du point de vue de la Vérité, mais cela leur donne l’impression d’avoir fait un grand progrès, parce que la vieille forteresse est par terre et qu’ils en ont construit une autre.
Vivre sans forteresse est extrêmement difficile — les gens ont l’impression qu’ils ne vivent pas, qu’ils ne sont pas individualisés, qu’ils sont flottants. Il est extrêmement difficile de vivre dans quelque chose d’infiniment vaste, mouvant, constamment changeant, perpétuellement en progrès, de n’être fixé par rien à quoi l’on puisse s’accrocher en disant : « C’est moi, c’est ma façon de penser. » C’est très difficile, il ne faut pas essayer trop tôt; il y a des êtres à qui cela trouble la raison.
Qu’est-ce qui fait la construction mentale?
C’est l’ego mental qui fait la construction et il s’y accroche désespérément.
Le « je » et l’ego sont-ils une même chose?
Généralement!
Comment se fait-il qu’il y ait des gens qui pensent une chose et en disent une autre?
Oui, cela arrive souvent. Ils pensent une chose et, quand ils se mettent à parler, ils disent juste le contraire. Si la pensée contrôlait la langue, beaucoup de bêtises seraient évitées. On perd le contrôle et dans une impulsion on dit n’importe quelle stupidité, c’est comme une machine qui se met à parler pour le plaisir de parler. Cela a l’air d’une absurdité, mais cela arrive tout le temps; il y a très peu de gens à qui cela n’arrive pas. Ils disent toutes sortes de choses, puis ils se demandent : « Pourquoi ai-je dit tout cela ? » Ils ne savent même pas pourquoi. J’en connais qui disent toujours ce que l’autre veut. La personne avec qui ils parlent se dit : « Il va me dire ceci ou cela », ou elle craint : « J’espère qu’il ne me dira pas cela », et l’autre, comme un petit pantin, commence à le dire tout tranquillement sans savoir pourquoi!
Est-ce à cause d’un manque de volonté?
Non, c’est la déformation mentale. Il n’y a pas beaucoup de volonté là-dedans. Si la volonté intervient, cela devient moins absurde, peut-être.
Non, ce sont des mouvements du mental, la formation du mental, la force mentale qui bouge tout le temps, qui va, qui vient, comme un écureuil dans une cage qui court, qui court et qui ne sait pas pourquoi.
Alors, c’est un jeu universel?
Non, pas très universel, c’est de l’humanité, c’est très humain. Combien d’êtres ont-ils une pensée propre? Je crois bien qu’il n’y en a pas dans l’humanité ordinaire avec la mentalité ordinaire. Combien d’êtres ont-ils une pensée parce qu’ils ont réfléchi? Très peu, et s’ils en ont, on considère qu’ils sont terriblement durs, ou remarquablement intelligents, ou despotiques ou autoritaires — on les couvre de toutes sortes de compliments! Et cela, simplement parce qu’ils ont une façon précise de penser.
Prenons n’importe quelle idée générale; par exemple : « Le monde a-t-il une durée indéfinie? » ou : « Est-ce qu’il commence et est-ce qu’il finit? » Qui a une pensée précise à ce sujet? Ou encore : « Comment cette terre a-t-elle commencé et comment l’humanité a-t-elle commencé sur la terre? » Le mental est incapable de résoudre cette question, il se trouvera devant une quantité indéfinie de possibilités et il ne saura pas choisir. Alors, que fait-il, que choisit-il? Une préférence personnelle, la pensée qui lui donne une sensation agréable, confortable; il dit : « Oui, ce doit être cela. » Mais si vous êtes tout à fait honnête et scrupuleux et que vous ne laissiez pas vos préférences entrer en jeu, comment déciderez-vous? C’est un sujet assez proche de l’humanité pour qu’elle s’y intéresse, n’est-ce pas, la terre est son domaine! Bon, si vous lisez un livre, il vous dira une chose, si vous en lisez un autre, il vous dira autre chose. Puis, les religions s’en mêlent avec leurs théories et, de plus, elles vous diront que telle et telle idée est la « vérité absolue » et qu’il faut y croire, autrement vous serez damné. Vous lisez les hommes de science — ils vous diront des choses scientifiques. Vous lisez les philosophes — ils vous diront des choses philosophiques. Vous lisez les spiritualistes, ils vous feront de la spiritualité et... vous en serez exactement au même point qu’avant de partir. Mais il y a des gens qui aiment avoir une sorte de stabilité dans la tête (justement ceux qui font des « forteresses » — ils aiment bien être dans une forteresse, cela leur donne une sensation confortable), alors ils font un choix, et s’ils ont une force mentale suffisante, ils font un choix entre une quantité considérable d’idées; puis ils vous arrangent cela, ils en font un bon mur en mettant chaque chose à ce qu’ils considèrent être sa place (c’est-à-dire qu’il ne faut pas trop de contradictions l’une près de l’autre, sinon cela s’entrechoque; il faut que cela fasse une organisation convenable) et ils vous disent : « Maintenant, je sais! » Ils ne savent rien du tout!
C’est tout à fait intéressant, car plus on a d’activité mentale, plus on se livre à ce petit jeu. Et il y a des idées auxquelles on tient! On y est accroché comme si toute la vie en dépendait. J’ai connu des personnes qui avaient mis au centre de leur formation une idée, et qui disaient : « Tout le reste peut s’écrouler, cela m’est égal, mais cette idée-là ne bougera pas. C’est la vérité. » Et quand elles viennent au yoga (et c’est le plus amusant de tout), c’est sur cette idée qu’elles reçoivent tout le temps des coups, constamment! Tous les événements, toutes les circonstances viennent taper là-dessus jusqu’à ce que cela commence à chanceler, puis, un beau jour, elles disent avec désespoir : « Ah! mon idée est partie. »
Quelqu’un a dit d’une façon assez poétique : « Il faut savoir tout perdre pour tout gagner. » Et c’est vrai, surtout pour le mental, car si l’on ne sait pas tout perdre, on ne peut rien gagner.
Comment cette terre a-t-elle commencé?
Demandez aux savants, ils vous le diront!
Si, finalement, le progrès consiste à désapprendre tout ce que l’on a appris, pourquoi apprendre?
Mais c’est comme pour la gymnastique. Vous faites toutes sortes de mouvements pour former votre corps et le rendre fort, mais cela ne veut pas dire que vous allez passer toute votre existence à lever des poids et à faire des barres parallèles! Vous pouvez continuer à le faire comme une distraction, comme une occupation, mais enfin ce n’est pas un but suprême. Pour la mentalité, c’est la même chose. Pour avoir un mental capable de progresser, de s’adapter à une vie nouvelle, de s’ouvrir à des forces supérieures, il faut lui faire faire toutes sortes de gymnastiques. C’est pour cela que l’on envoie les enfants à l’école, ce n’est pas pour qu’ils se souviennent de tout ce qu’ils apprennent — qui se souvient de ce qu’il a appris? Quand ils sont obligés d’enseigner aux autres, plus tard, il faut qu’ils rapprennent tout, ils ont tout oublié. Cela revient vite, mais ils ont oublié. Mais s’ils ne sont jamais allés à l’école, s’ils n’ont jamais appris et qu’ils doivent tout commencer... quand on commence à faire des barres parallèles à quarante-cinq ans, n’est-ce pas, cela fait mal. C’est la même chose, le cerveau manque de plasticité. Savez-vous quelle est la meilleure gymnastique? C’est d’avoir une conversation quotidienne avec un métaphysicien, parce qu’il n’y a rien de concret, vous ne pouvez pas vous concentrer sur quelque chose qui ait une forme, une réalité objective; tout se passe, justement, exclusivement avec des mots, dans le domaine de l’abstraction, c’est une gymnastique purement mentale. Et si vous pouvez entrer dans la formation mentale d’un métaphysicien et arriver à comprendre et à lui répondre, c’est une gymnastique parfaite!
(Un disciple mathématicien) C’est la même chose pour les mathématiciens, je suppose!
Oui.
Si au moment de la mort, le vital est attaqué dans le monde vital par des forces ou des entités hostiles, ne cherche-t-il pas un abri quelque part?
Oui, c’est pour cette raison que l’on recommande dans tous les pays et dans toutes les religions de se rassembler pendant sept jours, au moins, après la mort de quelqu’un pour penser à lui. Parce que, quand vous pensez à lui avec affection (sans désordre intérieur, sans sanglots, sans toutes ces passions désespérées), si vous pouvez être tranquille, votre atmosphère devient comme un phare pour lui; et quand il est attaqué par des forces hostiles (je parle de l’être vital, n’est-ce pas, pas de l’être psychique qui va se reposer), il peut se sentir tout à fait perdu, ne pas savoir que faire et être en grande détresse, alors il voit, par affinité, la lumière de ceux qui pensent à lui avec affection et il se précipite là. Il arrive presque constamment qu’une formation vitale, une partie du vital de la personne qui est morte (ou parfois la totalité du vital s’il est bien organisé) se réfugie dans l’aura, dans l’atmosphère des gens ou de la personne qui l’ont aimée. Il y a des personnes qui portent toujours avec elles une partie du vital de celui qui est parti. C’est cela l’utilité réelle de ces soi-disant cérémonies, qui n’ont pas de sens autrement.
Il est préférable de le faire sans cérémonies. Les cérémonies sont plutôt nuisibles, pour une raison très simple : quand on est occupé à faire une cérémonie, on pense plus à elle qu’à la personne. Quand on est occupé à faire des gestes, des mouvements, à suivre un rituel, on pense beaucoup plus à tout cela qu’à la personne qui est morte. D’ailleurs, les gens le font pour cela, la plupart du temps, car ils ont une très constante habitude d’essayer d’oublier. Le fait est que l’une des deux principales occupations de l’homme est d’essayer d’oublier ce qui lui est pénible, et l’autre, d’essayer de se distraire pour échapper à l’ennui. Ce sont les deux principales occupations de l’humanité, c’est-à-dire que l’humanité passe la moitié de son temps à ne rien faire de vrai.
Et quand les gens s’ennuient (certains ne sont pas dans la nécessité absolue de s’occuper, ou ils ont le malheur d’être riches), ils font des bêtises! L’origine de tous les débordements, de toutes les stupidités humaines est l’ennui, ce que l’on appelle en anglais « dullness », cet état où l’on est comme un chiffon mouillé : on ne réagit plus à rien et on est obligé de se fouetter (au figuré) pour se faire bouger et marcher.
Dans l’économie de la Nature, des moments de répit sont donnés pour que les hommes se retrouvent eux-mêmes, mais ils ne savent pas s’en servir.
En revoyant la fin de cet Entretien, Mère a fait la réflexion suivante (le 10 mars 1965) :
Je dirais beaucoup de choses maintenant...
Ainsi, lorsque le Seigneur s’approche le plus près des hommes pour établir un rapport conscient avec eux, dans leur folie, c’est à ce moment-là qu’ils font les plus grosses bêtises.
C’est vrai, c’est tout à fait vrai, c’est au moment où tout se tait pour que l’homme devienne conscient de son Origine, que, dans sa folie, pour se distraire, l’homme conçoit ou exécute les pires stupidités.
Pour se distraire, parce qu’il ne peut pas supporter la force de la Lumière?
La pression est trop forte.
Oui, il y en a qui ont peur, ils s’affolent. Ils ne peuvent pas le supporter, alors ils font n’importe quoi pour se sortir de là.
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