CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1950-1951 Vol. 4 of CWM (Fre) 471 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.

Entretiens - 1950-1951

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The Mother

Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.

Collection des œuvres de La Mère Entretiens - 1950-1951 Vol. 4 471 pages 2009 Edition
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1951




avril




Le 19 avril 1951

« Notre yoga ne peut être fait jusqu’au bout que par ceux qui sont prêts à s’y engager totalement et à abolir leur petit ego humain et ses exigences afin de se découvrir eux-mêmes en le Divin. Il ne peut pas être fait dans un esprit de légèreté ou de laxisme; l’entreprise est trop haute et trop difficile; les pouvoirs adverses dans la Nature inférieure trop prêts à profiter du moindre assentiment ou de la plus petite ouverture; l’aspiration et la tapasyâ sont trop constamment et trop intensément nécessaires. Il ne peut pas être fait si les idées du mental humain s’affirment avec humeur ou si on se laisse délibérément mener par les exigences, les instincts et les prétentions de la partie la plus basse de l’être que l’on justifie en général sous l’étiquette de nature humaine. »

(Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga, 1987, vol. 5, p. 260)

Tout le monde sait cela ; ceux qui ne veulent pas changer leur manière de faire ou leur manière d’être disent toujours : « Oh! que voulez-vous, c’est la nature humaine. » C’est ce que l’on appelle « une complaisance volontaire ». C’est-à-dire qu’au lieu d’être conscient que ce sont des infériorités et des difficultés sur le chemin, on légitime ces choses en disant : « Oh! on n’y peut rien, c’est la nature humaine. » On veut continuer à faire ce que l’on fait sans changer, on est plein d’une complaisance volontaire pour ses exigences. Parce que la nature inférieure de l’homme exige toujours des choses, elle dit : « Ce sont des nécessités, ce sont des besoins, je ne peux pas m’en passer. » Puis, les instincts — une sorte d’instinct de satisfaction propre — et les prétentions : l’être inférieur prétend qu’il a une importance considérable et qu’il faut lui donner ce qui lui est nécessaire, autrement il ne pourra pas vivre; il affirme que lui seul est important, et ainsi de suite. C’est tout cela qui fait obstacle, tous ces mouvements obscurs, ignorants, toutes ces justifications des vieilles manières d’être. Ceux qui se mettent en colère et qui disent : « Que voulez-vous, on n’y peut rien », et tout ce que l’on fait en disant : « Oh! c’est la nature humaine », tout ce qu’on légitime en disant : « Que voulez-vous, les gens sont comme cela, on n’y peut rien. » C’est la vieille idée que nous sommes nés avec une certaine nature et qu’il faut s’en accommoder, parce que l’on ne peut pas la changer.

Alors Sri Aurobindo nous dit que si l’on ne peut pas changer la nature, ce n’est pas la peine de faire le yoga, parce que le yoga est justement fait pour changer la nature, autrement cela n’a pas de sens.

Quand le petit ego est aboli, est-ce que l’on ne peut pas « se découvrir dans le Divin » directement?

Mais on peut se découvrir dans le Divin avant même d’avoir complètement aboli son petit ego, parce que, abolir son petit ego n’est pas une petite affaire!

Mais comment faire?

Comment faire? Comment abolir l’ego? Il faut d’abord le vouloir, et il y a très peu de gens qui le veulent. Et c’est justement ce qu’ils disent, c’est cette légitimation de leur manière d’être : « C’est comme cela que je suis fait, je ne peux pas faire autrement. Et puis, si je changeais ceci, si je changeais cela, ou si je me passais de telle chose, ou si j’abolissais telle autre, je n’existerais plus! » Et si on ne le dit pas ouvertement, on le pense. Et tous ces petits désirs, toutes ces petites satisfactions, toutes ces petites réactions, toutes ces petites manières d’être, on y tient, on y tient — on s’y cramponne, on ne veut pas les laisser partir. J’ai vu des centaines de cas où l’on avait enlevé la difficulté de quelqu’un (avec un certain pouvoir, on lui avait enlevé une certaine difficulté), mais au bout de quelques jours, il la reprenait avec enthousiasme! Il disait : « Mais je n’existe plus sans cela ! » J’ai connu des personnes à qui l’on avait donné presque spontanément le silence mental et qui, au bout d’un jour ou deux, sont revenues épouvantées : « Est-ce que je serais devenue bête? », parce que la machine mentale ne marchait pas tout le temps... Vous ne pouvez pas vous imaginer, vous ne savez pas à quel point il est difficile de se séparer de ce petit ego; comme il est encombrant, bien qu’il soit tout petit. Il tient tant de place, tout en étant si microscopique. C’est très difficile. Et on le repousse pour certaines choses très évidentes; par exemple, s’il y a quelque chose de bon, celui qui se précipite dessus pour être sûr de l’avoir le premier et même bouscule le voisin (c’est très fréquent dans la vie ordinaire), là, on se rend bien compte que ce n’est pas très, très joli, alors on commence par supprimer ces grossièretés, on fait un gros effort — et on devient très content de soi : « Je ne suis pas égoïste, je donne ce qui est bon à l’autre, je ne garde pas pour moi », et on commence à se gonfler. Et alors, on se remplit d’un égoïsme moral qui est bien pire que l’égoïsme physique, parce qu’il est conscient de sa supériorité. Et puis, il y a ceux qui ont tout laissé, tout abandonné, qui ont quitté leur famille, distribué leurs biens, qui sont partis dans la solitude, qui vivent d’une vie ascétique, et qui sont terriblement conscients de leur supériorité, qui regardent la pauvre humanité du haut de leur grandeur spirituelle — et ils ont, eux, un ego tellement formidable qu’à moins qu’on ne le casse en petits morceaux, jamais, jamais ils ne verront le Divin. Alors, ce n’est pas une besogne si facile. Cela prend beaucoup de temps. Et il faut vous dire que, même quand le travail est fait, il faut toujours le recommencer.

Physiquement, nous dépendons de la nourriture pour vivre, malheureusement. Parce que, avec la nourriture, quotidiennement et constamment, nous absorbons une quantité formidable d’inconscience, de tamas, de lourdeur, de stupidité. On ne peut pas faire autrement — à moins que, constamment, sans arrêt, nous devenions complètement éveillés et que, dès qu’un élément s’introduit dans notre corps, immédiatement nous travaillions dessus pour en extraire seulement la lumière et rejeter tout ce qui peut obscurcir notre conscience. C’est l’origine et l’explication rationnelle de l’habitude religieuse de consacrer sa nourriture à Dieu avant de la prendre. En mangeant, on veut que cette nourriture que l’on prend ne soit pas pour le petit ego humain, mais comme une offrande à la conscience divine au-dedans de soi. Dans tous les yoga, dans toutes les religions, on encourage cela. C’est l’origine de cette habitude, la conscience qui est derrière, justement pour diminuer autant qu’il se peut l’absorption d’une inconscience qui augmente quotidiennement, constamment, sans que l’on s’en aperçoive.

Vitalement, c’est la même chose. On vit vitalement dans le monde vital avec tous les courants de force vitale qui entrent, qui sortent, qui se joignent et se contredisent, qui se querellent et se mélangent dans votre conscience; et même si vous avez fait un effort personnel pour purifier votre conscience vitale, pour maîtriser en elle l’être de désir et le petit ego humain, vous êtes constamment dans une sorte d’obligation d’absorber toutes les vibrations contraires qui viennent des gens avec qui vous vivez. On ne peut pas s’enfermer dans une tour d’ivoire, c’est encore plus difficile vitalement que physiquement, et on absorbe toutes sortes de choses; et à moins que l’on ne soit constamment éveillé, constamment sur ses gardes et que l’on n’ait un contrôle tout à fait efficace de tout ce qui entre, que l’on n’admette pas dans sa conscience les éléments dont on ne veut pas, on attrape la contagion constante de tous les désirs, tous les mouvements inférieurs, toutes les petites réactions obscures, toutes les vibrations dont on ne veut pas, qui nous viennent de ceux qui nous entourent.

Mentalement, c’est encore pire. Le mental humain est une place publique ouverte de tous les côtés, et sur cette place publique, de tous les côtés, il y a des choses qui viennent, vont, se croisent; et quelques-unes s’installent, et ce ne sont pas toujours les meilleures. Et là, avoir le contrôle de cette multitude, c’est le plus difficile de tous les contrôles. Essayez de contrôler les pensées qui vous viennent à l’esprit, vous verrez! Simplement, vous verrez à quel point il faut être en état de veille, comme une sentinelle, avoir les yeux du mental complètement ouverts, et puis garder une vision extrêmement claire des idées qui sont conformes à vos aspirations et des idées qui sont contraires. Et il faut faire une police de chaque minute sur cette place publique où débouchent des routes de tous les côtés, afin que tous les passants ne se précipitent pas. C’est un gros travail. Alors, dites-vous bien que, même si vous faites des efforts sincères, ce n’est pas en un jour, ce n’est pas en un mois, ce n’est pas en un an que vous arriverez au bout de toutes les difficultés. Quand on commence, il faut commencer avec une patience inébranlable. Il faut se dire : « Même si j’en ai pour cinquante ans, même si j’en ai pour cent ans, même si j’en ai pour plusieurs vies, ce que je veux accomplir, je l’accomplirai. »

Une fois que vous avez décidé cela, une fois que vous êtes tout à fait conscient que c’est comme cela et que le but vaut la peine d’un effort constant et soutenu, vous pouvez commencer. Autrement, au bout d’un certain temps, vous tomberez à plat; vous serez découragé, vous vous direz : « Oh! c’est trop difficile — on fait et puis c’est défait, on refait et puis c’est encore défait, et puis on refait et c’est perpétuellement défait... Alors quoi? Quand arrivera-t-on? » Il faut une patience abondante. Le travail peut être défait cent fois, vous le referez cent et une fois; il peut être défait mille fois, vous le referez mille et une fois, jusqu’à ce qu’à la fin ce ne soit plus défait. Et à la fin ce n’est plus défait.

Seulement, n’est-ce pas, si l’on était fait d’un seul morceau, ce serait facile, mais on est fait de beaucoup de morceaux. Alors, il y a un morceau qui est en avant, qui a fait beaucoup de travail, qui est très conscient, qui est tout à fait éveillé et, quand il est là, tout va bien, on ne laisse rien entrer, on est sur ses gardes, et puis... on dort et, le lendemain, quand on se réveille, c’est un autre morceau qui est là et on se dit : « Mais où donc est tout le travail que j’avais fait?... » Et il faut tout recommencer. Tout recommencer jusqu’à ce que toutes les parties, l’une après l’autre, entrent dans le champ de la conscience et que chacune puisse être changée. Et quand vous arrivez au bout de votre rouleau, il y a un changement, vous avez fait un progrès — après, il faut en faire un autre, mais enfin, celui-là est fait. Mais il n’est fait complètement que quand tous les morceaux de l’être sont amenés comme cela, l’un après l’autre, en avant, et que sur tous, sans en manquer un, on a mis la conscience, la lumière, la volonté et le but, de façon que tout change.

Ce n’est pas pour vous décourager, mais c’est pour vous prévenir. Je ne veux pas que vous puissiez dire après : « Oh! si j’avais su que c’était si difficile, je n’aurais pas commencé. » Il faut savoir que c’est excessivement difficile et commencer tout ferme et continuer jusqu’au bout, même si le bout est très long — il y a beaucoup de choses à faire. Maintenant, je peux vous dire que si vous le faites sincèrement, avec application et soin, c’est extrêmement intéressant. Même ceux qui ont une vie tout à fait monotone, sans intérêt (il y a, n’est-ce pas, de pauvres gens qui ont à faire une besogne absolument sans intérêt et toujours la même, et toujours dans les mêmes conditions, et qui n’ont pas un cerveau suffisamment éveillé pour pouvoir trouver de l’intérêt à n’importe quoi), même ces gens-là, s’ils commencent à faire ce petit travail sur eux, de contrôle, d’élimination, c’est-à-dire que chaque élément qui vient avec son ignorance, son inconscience, son égoïsme, est mis devant la volonté de changer et que l’on reste éveillé, que l’on compare, que l’on observe, que l’on étudie et que l’on agit lentement, cela devient infiniment intéressant, on fait des découvertes merveilleuses et tout à fait inattendues. On trouve en soi un tas de petits replis cachés, de petites choses que l’on n’avait pas vues au début; on fait comme une chasse intérieure, on va à la chasse des petits coins noirs et on se dit : « Comment, j’étais comme cela ! il y avait cela en moi, je contiens en moi cette petite chose » quelquefois si sordide, si mesquine, si vilaine! Et une fois qu’on l’a découverte, quelle admirable chose, on met la lumière dessus et ça disparaît! et vous n’avez plus de ces réactions qui vous faisaient tant de chagrin avant, quand vous disiez : « Oh! je n’arriverai jamais. » Par exemple, vous prenez une résolution très simple (en apparence très simple) : « Je ne dirai plus de mensonges. » Et tout d’un coup, sans que vous sachiez comment ni pourquoi, le mensonge jaillit tout seul et vous vous en apercevez quand vous l’avez dit : « Mais ce n’est pas exact ce que je dis là, c’est autre chose que je voulais dire. » Alors vous cherchez, vous cherchez... « Comment se fait-il? Comment ai-je pensé comme cela et dit comme cela ? Qui a parlé en moi, qui m’a poussé?... » Vous pouvez vous donner une explication tout à fait satisfaisante et dire : « C’est venu du dehors » ou : « C’est un moment d’inconscience », et on n’y pense plus. Et la fois suivante, ça recommence. Au lieu de cela, on cherche : « Quel pourrait être le mobile de celui qui dit des mensonges?... » et on pousse, on pousse et tout d’un coup on découvre dans un petit coin quelque chose qui veut se justifier, ou se faire valoir ou affirmer sa façon de voir (n’importe quoi, il y a des quantités de raisons), se montrer un peu différent de ce que l’on est pour que les gens aient une bonne opinion de vous, qu’ils pensent que vous êtes quelqu’un de très remarquable... C’est cette chose-là qui a parlé en vous — non pas votre conscience active, mais ce qui était là et qui a poussé la conscience par-derrière. Quand vous n’étiez pas tout à fait sur vos gardes, elle s’est servie de votre bouche, de votre langue, et puis voilà, le mensonge est sorti. Je vous donne cet exemple — il y en a des millions d’autres. Et c’est formidablement intéressant. Et à mesure que l’on découvre cela au-dedans de soi et que l’on dit sincèrement : « Il faut que ça change », on s’aperçoit que l’on a une sorte de clairvoyance intérieure, on se rend compte peu à peu de ce qui se passe dans les autres et, au lieu de se mettre en colère quand ils ne sont pas tout à fait comme l’on voudrait qu’ils soient, on commence à comprendre comment les choses se passent, comment il se fait que l’on soit « comme ça », comment les réactions se produisent... Alors, avec l’indulgence de la connaissance, on sourit. On ne juge plus sévèrement, on offre la difficulté, en soi-même ou dans les autres, quel que soit le siège de sa manifestation, à la Conscience divine en Lui demandant de la transformer.

Le 8 juin 1966, au moment de la publication de cet Entretien, Mère a poursuivi la même question dans les termes de son expérience actuelle qui forme la base du « yoga corporel ».

Justement, c’est ce que j’ai fait depuis deux jours. Depuis deux jours, j’ai passé tout mon temps à voir toute cette accumulation, oh ! des tas de petites choses sordides et que l’on vit constamment, des toutes petites choses sordides. Et alors, il n’y a qu’un moyen — il n’y a qu’un moyen, toujours le même : offrir.

C’est presque comme si cette suprême Conscience vous mettait en contact avec des choses tout à fait oubliées, qui appartiennent au passé, qui sont même, ou qui étaient, qui semblaient complètement effacées, avec lesquelles on n’avait plus de contact, toutes sortes de petites circonstances, mais qui sont vues dans la nouvelle conscience à leur vraie place, et qui font un ensemble si pauvre, si misérable, si mesquin, si sordide de toute la vie, toute la vie humaine générale. Et alors, c’est une joie lumineuse de l’offrande de tout cela pour la transformation, pour la transfiguration.

Maintenant, c’est devenu le mouvement même de la conscience cellulaire. Toutes les faiblesses, toutes les réponses aux suggestions adverses (je veux dire les toutes petites choses de chaque minute, dans les cellules) sont prises dans le même mouvement d’offrande (et cela vient quelquefois en vagues, au point que le corps a l’impression qu’il va défaillir devant cet assaut), et puis c’est une lumière si chaude, si profonde, si douce, si puissante, qui remet tout en ordre, en place, qui ouvre le chemin vers la transformation.

Ces périodes-là sont des périodes très difficiles de la vie corporelle; on a l’impression qu’il n’y a plus qu’une chose qui décide, c’est la Volonté suprême. Il n’y a plus aucun support — aucun support, depuis le support de l’habitude jusqu’au support de la connaissance et au support de la volonté, tous les supports ont disparu — il n’y a que le Suprême.

(silence)

L’aspiration dans la conscience cellulaire à la sincérité parfaite de la consécration.

Et l’expérience vécue — vécue intensément — que c’est seulement cette sincérité absolue de la consécration qui permet l’existence.

La moindre prétention est une alliance avec les forces de dissolution et de mort.

Alors, c’est comme un chant des cellules — mais qui ne doivent même pas avoir l’insincérité de se regarder faire —, le chant des cellules : « Ta Volonté, Seigneur, Ta Volonté. »

Et l’immense habitude de dépendre de la volonté des autres, de la conscience des autres, des réactions des autres (des autres et de toutes les choses), cette espèce de comédie universelle que tous jouent à tous et que tout joue à tout doit être remplacée par une sincérité spontanée, absolue de la consécration.

Il est évident que cette perfection de la sincérité n’est possible que dans la partie la plus matérielle de la conscience.

C’est là que l’on peut arriver à être, à exister, à faire, sans se regarder être, sans se regarder exister, sans se regarder faire, avec une sincérité absolue.









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