Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
Après lecture du « Surhomme divin » de Sri Aurobindo.
« Tu dois arriver à ton propre sommet », dit Sri Aurobindo. Le sommet est-il le même pour tout le monde ou chacun a-t-il un sommet particulier?
En dernière analyse, c’est toujours le même sommet — l’Unité divine qui est derrière toutes choses —, mais chacun arrivera à son propre sommet, c’est-à-dire avec sa propre nature et sa propre manière de manifester l’Unité divine. C’est ce que nous disions l’autre jour : chacun représente une manière spéciale d’avoir une relation avec le Divin et de manifester le Divin. Vous n’avez pas besoin de suivre le chemin d’un autre! Il faut suivre ton propre chemin et c’est par ce chemin que tu arriveras au sommet, qui est un, mais par ta propre route. Le but est pardelà les sommets — le but est un et par-delà les sommets —, mais on peut atteindre à ce sommet chacun par son propre chemin, gravir sa propre montagne, non la montagne d’un autre.
Mère passe à la lecture d’un autre texte de Sri Aurobindo : « Le Chemin ».
« Ne t’imagine pas que le chemin soit facile : le chemin est long, ardu, dangereux, difficile. À chaque pas il y a une embûche, à chaque tournant une trappe. Un millier d’ennemis visibles ou invisibles se dresseront contre toi, terribles de subtilité contre ton ignorance, formidables de puissance contre ta faiblesse. Et lorsque avec peine tu les auras détruits, mille autres surgiront à leur place. »
C’est pour vous donner du courage, et du courage à agir. Il faut être vigilant et vouloir, quoi qu’il arrive. Si vous mettez les deux choses bout à bout, vous avez la chose complète.
Comment rester conscient dans l’inconscient?
On doit être vigilant.
Et quand on dort?
On peut rester conscient dans le sommeil, nous avons déjà expliqué cela. Il faut travailler.
Alors on ne dort pas!
Pas du tout, on dort beaucoup mieux, on dort d’un sommeil tranquille au lieu d’un sommeil agité. La plupart des gens font tant de choses dans leur sommeil qu’ils se réveillent plus fatigués qu’avant. Nous avons déjà dit cela une fois. Naturellement, si tu t’empêches de dormir, tu ne dormiras pas. Je dis toujours à ceux qui se plaignent de ne pas pouvoir dormir : « Méditez donc et vous finirez par vous endormir. » Il vaut mieux s’endormir sur une concentration que « comme ça », éparpillé et répandu sans savoir même où l’on est.
Pour bien dormir il faut apprendre à dormir.
Si l’on est très fatigué physiquement, il vaut mieux ne pas s’endormir tout de suite, autrement on tombe dans l’inconscience. Si l’on est très fatigué, il faut s’étendre sur son lit, se délasser, détendre tous les nerfs l’un après l’autre jusqu’à ce que l’on devienne comme un chiffon sur son lit, comme si l’on n’avait ni os ni muscles. Quand on y est arrivé, il faut faire la même chose dans la tête. Se détendre, ne pas se concentrer sur une pensée ou essayer de résoudre un problème ou remâcher des impressions, des sensations ou des émotions que l’on a eues dans sa journée. Tout cela, il faut le laisser tomber tranquillement : on s’abandonne, on est vraiment comme un chiffon. Quand on a réussi cela, il y a toujours une petite flamme, là — cette flamme-là ne s’éteint pas et vous en devenez conscient quand vous avez réussi ce relâchement. Et tout d’un coup, cette petite flamme s’élève lentement dans une aspiration vers la vie divine, la vérité, la conscience du Divin, l’union avec l’être intérieur, elle se surpasse elle-même, elle monte, monte, comme ça, tout doucement. Alors tout se rassemble là, et si, à ce momentlà, vous tombez dans le sommeil, vous avez le meilleur sommeil que vous puissiez avoir. Je réponds que si vous faites cela soigneusement, vous êtes sûr de dormir, et vous êtes sûr aussi qu’au lieu de dormir dans un trou noir, vous dormez dans une lumière, et quand vous vous levez le matin, vous êtes frais, dispos, content, heureux et plein d’énergie pour la journée.
Quand on est conscient dans le sommeil, est-ce que le cerveau dort ou non?
Quand est-ce que le cerveau dort? Quand dort-il? C’est de toutes choses la plus difficile. Si vous arrivez à faire dormir votre cerveau, c’est admirable! Quelle marche! C’est un vagabondage. C’est ce que je voulais dire quand je parlais de détente dans le cerveau. Si vous le faites tout à fait bien, votre cerveau entre dans un repos silencieux et cela, c’est admirable; quand on arrive à cela, cinq minutes de ça, et vous êtes tout frais après, vous pouvez résoudre un tas de problèmes.
Si le cerveau travaille toujours, pourquoi ne se souvienton pas de ce qui s’est passé pendant la nuit?
Parce que vous n’avez pas attrapé la conscience dans son travail. Et peut-être que si vous vous souveniez de ce qui se passe dans votre cerveau, vous seriez horrifié! C’est vraiment comme un déménagement, toutes ces idées qui s’entrechoquent, tout cela qui fait une sarabande dans la tête; c’est comme si l’on jetait des balles dans tous les sens. Alors, si l’on observait cela, on serait un peu troublé.
Sri Aurobindo écrit ici : « Rares sont les Êtres de Lumière qui consentent ou qui sont autorisés à intervenir. » Pourquoi?
Il faut aller le leur demander! Mais il y a une conclusion, les dernières phrases donnent une explication très claire. Il est dit : « En vérité, l’immortalité est-elle un jouet que l’on donne légèrement à un enfant, la vie divine, un prix reçu sans effort, une couronne pour l’homme débile? »... Cela revient à demander pourquoi les forces adverses ont le droit d’intervenir, de vous harceler? Mais c’est justement l’épreuve nécessaire à votre sincérité. Si le chemin était très facile, tout le monde s’embarquerait sur le chemin, et si l’on arrivait au bout sans obstacle et sans effort, tout le monde arriverait au bout, et quand on serait arrivé au bout, la situation serait la même que quand on est parti, il n’y aurait pas de changement. C’est-à-dire que le nouveau monde serait exactement ce qu’a été l’ancien. Ce n’est vraiment pas la peine! Il faut évidemment un procédé d’élimination pour qu’il reste seulement ce qui est capable de manifester la vie nouvelle. C’est pour cela, il n’y a pas d’autre raison, c’est la meilleure des raisons. Et, n’est-ce pas, c’est une trempe, c’est l’épreuve du feu, il n’y a que ce qui peut résister qui reste absolument pur; quand tout est flambé, il n’y a que le petit lingot d’or pur qui reste. Et c’est comme cela. Ce qui dérange beaucoup dans tout cela, ce sont les idées religieuses de faute, de péché, de rachat. Mais il n’y a aucune décision arbitraire! C’est au contraire, pour chacun, les conditions les meilleures et les plus favorables qui sont données. Nous disions l’autre jour que ce sont seulement ses amis que Dieu traite avec sévérité; vous avez cru à une plaisanterie, mais c’est la vérité. Ce sont seulement ceux qui sont pleins d’espoir, ceux qui passeront à travers cette flamme purificatrice, à qui les conditions sont données pour arriver au maximum de résultat. Et le mental humain est construit de telle manière que vous pouvez en faire la preuve; quand quelque chose d’extrêmement désagréable vous arrive, vous pouvez vous dire : « Tiens, c’est la preuve que je vaux la peine de recevoir cette difficulté, c’est la preuve qu’il y a quelque chose en moi qui peut résister à la difficulté », et vous vous apercevrez qu’au lieu de vous tourmenter, vous vous réjouissez — vous serez tellement content et tellement fort que même les choses les plus désagréables vous paraîtront tout à fait charmantes! C’est une expérience très facile à faire. N’importe quelle circonstance, si votre mental est habitué à la regarder comme une chose favorable, ne vous sera plus désagréable. C’est très connu, tant que la pensée se refuse à accepter une chose, qu’elle lutte contre elle, qu’elle essaye de l’empêcher, il y a des tourments, des difficultés, de l’orage, des luttes intérieures et toutes les souffrances. Mais de la minute où la pensée dit : « Bon, c’est ce qui doit arriver, c’est comme cela que ça doit arriver », quoi qu’il arrive, vous êtes satisfait. Il y a des êtres qui sont arrivés à un tel contrôle de leur mental sur leur corps qu’ils ne sentent rien; je l’ai dit l’autre jour à propos de certains mystiques : s’ils pensent que la souffrance qu’on leur impose va leur faire franchir les étapes en un moment et leur donner une sorte de marche-pied pour atteindre la Réalisation, le but qu’ils se sont donné, l’union avec le Divin, ils ne sentent plus la souffrance, du tout. Leur corps est comme galvanisé par la conception mentale. C’est arrivé très souvent, c’est une expérience très courante parmi ceux qui ont vraiment de l’enthousiasme. Et après tout, s’il est nécessaire pour une raison quelconque de quitter son corps et d’en avoir d’autres, ne vaut-il pas mieux faire de sa mort une chose magnifique, joyeuse, enthousiaste, que d’en faire une défaite dégoûtante? Ces gens qui s’accrochent, qui essayent par tous les moyens possibles de retarder la fin d’une minute ou deux, qui vous donnent l’exemple d’une angoisse épouvantable, c’est qu’ils n’ont pas conscience de leur âme... Après tout, c’est peut-être un moyen, n’est-ce pas? On peut changer cet accident en un moyen; si l’on est conscient, on peut en faire une belle chose, une très belle chose, comme de tout. Et notez, les gens qui n’en ont pas peur, qui ne la craignent pas, qui peuvent mourir sans sordidité, ce sont ceux qui n’y pensent jamais, qui ne sont pas tout le temps hantés par cette « horreur » qui est en face d’eux et à laquelle il faut échapper et qu’ils essayent de repousser aussi loin d’eux qu’ils peuvent. Ceux-là, quand l’occasion se présente, peuvent lever la tête, sourire et dire : « Me voilà. »
Ce sont ceux qui ont la volonté de faire de leur vie le maximum de ce que l’on peut en faire, ce sont ceux qui disent : « Je resterai ici tant qu’il faudra, jusqu’à la dernière seconde, et je ne perdrai pas une minute pour réaliser mon but », ceux-là, quand la nécessité vient, font la plus belle figure. Pourquoi? C’est très simple : parce qu’ils vivent dans leur idéal, dans la vérité de leur idéal, que c’est la chose réelle pour eux, c’est leur raison d’être, et en toutes choses ils peuvent voir cet idéal, cette raison d’être, et jamais ils ne descendent en bas dans la sordidité de la vie matérielle.
Alors, conclusion :
Il ne faut jamais souhaiter la mort. Il ne faut jamais vouloir mourir. Il ne faut jamais avoir peur de mourir. Et il faut en toute circonstance vouloir se surpasser soimême.
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