Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
« Rejetez aussi l’attente fausse et indolente que le pouvoir divin accomplisse même la soumission pour vous. Le Suprême demande votre soumission, mais ne l’impose pas; jusqu’à ce que vienne la transformation irrévocable, vous êtes libre à tout moment de nier et de rejeter le Divin ou de revenir sur le don de vous-même, si vous êtes disposé à en subir les conséquences spirituelles. » (Sri Aurobindo, La Mère, I)
« Rejetez aussi l’attente fausse et indolente que le pouvoir divin accomplisse même la soumission pour vous. Le Suprême demande votre soumission, mais ne l’impose pas; jusqu’à ce que vienne la transformation irrévocable, vous êtes libre à tout moment de nier et de rejeter le Divin ou de revenir sur le don de vous-même, si vous êtes disposé à en subir les conséquences spirituelles. »
(Sri Aurobindo, La Mère, I)
Que veut dire « une transformation irrévocable » ?
La transformation est irrévocable quand votre conscience est transformée de telle façon que vous ne pouvez plus revenir en arrière à votre vieille condition. Il y a un moment où le changement est si total qu’il est impossible de redevenir ce que l’on était avant.
La transformation même n’implique-t-elle pas qu’elle soit irrévocable?
La transformation peut être partielle. La transformation dont Sri Aurobindo parle ici est un renversement de conscience : au lieu d’être égoïste et tournée vers les satisfactions personnelles, la conscience est tournée vers le Divin en soumission. Et il a bien expliqué que la soumission pouvait se faire par partie, d’abord — il y a des morceaux qui la font et des morceaux qui ne la font pas. Alors c’est seulement quand l’être entier, intégralement, dans tous ses mouvements, a fait sa soumission que c’est irrévocable. C’est une transformation irrévocable d’attitude.
Quelle différence y a-t-il entre la Shakti divine et la Puissance divine?
La Puissance divine est seulement une partie de la Shakti divine; la Puissance divine est un attribut de la Shakti divine. Sri Aurobindo emploie le mot Shakti divine, ici, au sens de chittapas, le pouvoir créateur, la conscience créatrice; par conséquent, la Puissance divine est seulement une partie de la Shakti.
(Mère poursuit sa lecture) « On confond constamment une inerte passivité avec la soumission réelle; mais d’une passivité inerte rien de vrai et de puissant ne peut résulter. C’est la passivité inerte de la nature physique qui la laisse à la merci de toutes les influences obscures et antidivines. Une soumission heureuse, forte et utile est demandée pour que la Force divine puisse travailler. »
Qu’est-ce qu’une « soumission heureuse, forte et utile »?
Tu sais ce que cela veut dire, être heureux ? Tu sais ce que cela veut dire, être fort? Tu sais ce que cela veut dire, être utile? Eh bien, il faut que la soumission, c’est-à-dire le don de soi au Divin soit heureux, joyeux, que l’on soit content, qu’il soit fort, que ce ne soit pas par faiblesse et impuissance que l’on se donne, que ce soit par une volonté active et forte. Et puis, la soumission ne doit pas rester absolument indolente : « J’ai fait ma soumission, je n’ai plus rien à faire dans la vie, je n’ai qu’à rester assis, ma soumission est faite. » Et il faut qu’elle soit utile, c’est-à-dire qu’elle soit active — qu’elle entreprenne la transformation de l’être ou qu’elle fasse un travail utile.
« Votre soumission doit être la soumission d’un être vivant, non d’un automate inerte ou d’un outil mécanique. »
Vous pouvez parler de la soumission de votre montre, par exemple : vous la remontez et elle marche, mais ce n’est pas une réponse de collaboration consciente.
« La transformation doit être intégrale, et intégral aussi le rejet de tout ce qui s’y oppose. »
Cela se comprend bien. Il ne suffit pas d’avoir un mouvement positif, il faut aussi le mouvement négatif du rejet. Parce que vous ne pouvez pas arriver à une transformation stable tant que vous gardez dans votre être des éléments qui s’y opposent. Si vous gardez des obscurités au-dedans de vous, elles peuvent pendant un temps rester silencieuses et immobiles, si bien que l’on n’y attache pas d’importance, et un jour elles se réveilleront et votre transformation n’y résistera pas. Il faut non seulement le mouvement positif du don de soi, mais il faut aussi le mouvement négatif du rejet de tout ce qui s’oppose à ce don en vous. Il ne faut pas laisser les choses « comme ça », enterrées quelque part, de façon qu’à la première occasion ça se réveille et ça défasse tout votre travail. Il y a des parties de l’être qui savent très bien faire cela, il y a des éléments du vital qui sont extraordinaires à ce point de vue : ça se tient tranquille, ça se cache dans un coin, ça reste absolument silencieux et immobile, au point que vous croyez que ça n’existe pas; alors vous n’êtes plus sur vos gardes, vous êtes satisfait de votre transformation et de votre soumission, vous croyez que tout va bien, et puis, tout d’un coup, un beau jour, sans crier gare, ça bondit comme un diable d’une boîte, et ça vous fait faire toutes les bêtises du monde. Et c’est d’autant plus fort que c’est resté comprimé — comprimé et serré dans un coin —, c’est resté comme enterré pour ne pas attirer votre attention, c’est resté bien, bien tranquille, et au moment où vous ne l’attendiez pas, ça surgit et vous dites : « Oh! à quoi servait toute ma transformation? » Ça, c’était là, et voilà. Justement, ces choses restent là et se cachent si bien que, si vous n’allez pas les chercher avec une lanterne, comme ça, bien allumée, vous ne vous apercevrez pas qu’elles sont là, jusqu’au jour où elles viendront démolir tout votre travail en une minute.
Est-ce que cela arrive même si l’on a une grande aspiration?
Il faut que l’aspiration soit très vigilante.
J’ai connu des gens (beaucoup, pas seulement quelques-uns, je veux dire parmi ceux qui font un yoga), j’en ai connu beaucoup, chaque fois qu’ils avaient une bonne aspiration, que leur aspiration était très forte et qu’ils avaient une réponse à cette aspiration, chaque fois, le jour même ou au plus tard le lendemain, ils avaient un renversement complet de conscience et ils étaient en face de tout le contraire de leur aspiration. Ces choses arrivent presque constamment. Eh bien, ce sont des gens qui n’ont développé que le côté positif. Ils font une espèce de discipline d’aspiration, ils demandent l’aide, ils essayent d’entrer en contact avec les forces supérieures, ils y arrivent, ils ont des expériences; mais ils ont complètement négligé de nettoyer leur chambre, elle est restée aussi sale qu’avant, et alors, naturellement, quand l’expérience est passée, cette saleté devient encore plus repoussante qu’elle n’était avant.
Il ne faut jamais négliger de nettoyer sa chambre, c’est très important; la propreté intérieure est au moins aussi importante que la propreté extérieure.
Vivékânanda a écrit (je ne connais pas l’original, j’en ai lu une traduction française) : « Il faut tous les matins nettoyer son âme et nettoyer son corps, mais si vous n’avez pas le temps de faire les deux, il vaut mieux nettoyer son âme que de nettoyer son corps. »
Comment savoir si les « petites saletés » se cachent ou si elles sont parties?
On peut toujours faire des petites expériences. J’ai dit qu’il fallait se servir d’une torche, d’une lumière forte; alors il faut se promener au-dedans de son être. Si l’on est très attentif, on peut très bien s’apercevoir des vilains coins. Supposez que vous ayez une belle expérience, que, tout d’un coup, en réponse à votre aspiration, arrive une grande lumière; vous vous sentez tout inondé de joie, de force, de lumière, de beauté, et vous avez l’impression que vous êtes sur le point d’être transfiguré... et puis, ça passe — ça passe toujours, n’est-ce pas, surtout au début —, tout d’un coup, ça s’arrête. Alors vous vous dites, quand vous n’êtes pas vigilant : « Voilà, c’est venu, puis c’est reparti, pauvre moi! c’est venu et c’est passé, ça m’a simplement donné le goût de la chose et puis ça m’a laissé tomber. » Eh bien, c’est une bêtise. Ce qu’il faut se dire, c’est : « Tiens, je n’ai pas été capable de le garder, et pourquoi n’ai-je pas été capable de le garder? » Alors, vous prenez votre torche et vous vous promenez au-dedans de vous en cherchant une relation très intime entre le changement de conscience et les mouvements qui accompagnaient l’arrêt de l’expérience. Et si vous êtes très attentif, très attentif, et que vous fassiez la promenade très scrupuleusement, vous trouverez que, tout d’un coup, quelque part dans le vital, ou quelque part dans le mental ou quelque part dans le physique, quelque chose n’a pas suivi, en ce sens que, mentalement, au lieu d’être immobile et attentif, quelque chose a commencé à se demander : « Tiens, qu’est-ce que cette expérience? Qu’est-ce que cela veut dire?... », à essayer de se l’expliquer (ce qu’il appelle « comprendre »). Ou bien, dans le vital, quelque chose a commencé à jouir de l’expérience : « Comme c’est agréable, comme je voudrais que ça augmente, comme il faudrait que ce soit constant, comme... » Ou quelque chose dans le physique a dit : « Oh! c’est un peu dur à supporter, ça, combien de temps vais-je pouvoir garder ça ? » Ce n’est peut-être pas aussi évident que je vous le dis, mais c’est un tout petit peu caché comme ça, quelque part. On trouvera toujours l’une de ces trois choses, ou d’autres analogues. Alors c’est là qu’il faut la lanterne : où est le point faible? où est l’égoïsme? où est le désir? où est cette vieille saleté dont nous ne voulons pas? où est la chose qui se retourne sur soi au lieu de se donner, de s’ouvrir, de se perdre? qui se retourne sur soi, essaye de tirer avantage de ce qui est arrivé, qui veut prendre pour soi le fruit de l’expérience? ou bien, qui est trop faible, trop dure, trop rigide pour pouvoir suivre le mouvement?... C’est cela, vous êtes sur la trace, vous commencez justement à y mettre cette lumière que vous venez d’acquérir; c’est cela qu’il faut faire, la braquer là-dessus, la tourner de telle façon que ça ne puisse pas résister.
Vous n’y arriverez pas le premier jour, mais vous le faites avec persistance et, petit à petit, ou peut-être un jour tout d’un coup, ça va s’évanouir. Alors vous vous apercevrez, au bout de quelque temps, que vous êtes quelqu’un d’autre.
Mais si vous prenez l’attitude dont j’ai déjà parlé et que vous jetiez le blâme sur la Grâce et sur la Lumière, si vous vous dites : « Voilà, elle est partie, elle m’a plantée là », vous pouvez être sûr que trente, quarante, cinquante ans après vous serez toujours au même point, vous n’aurez pas changé. Il y aura toujours quelque chose qui s’éveillera tout d’un coup et qui mangera votre expérience. Et alors, au lieu de progresser, vous serez là à trépigner sur place parce que vous ne pouvez pas avancer. Mais si, immédiatement, on profite de l’occasion... Notez, quelquefois, ça fait un peu mal ; si vous allez brutalement mettre la lumière sur la chose qui veut jouir de l’expérience ou qui veut acquérir la connaissance ou maîtriser l’expérience avec la compréhension mentale, ou qui est trop paresseuse pour faire l’effort nécessaire afin de recevoir l’expérience et de la supporter, ou pour changer assez vite; si vous mettez la volonté avec la lumière de la conscience là-dessus, avec fermeté, ça peut faire un tout petit peu mal. Et l’on se dit : « Oh! pas si vite! j’ai besoin de me reposer, je me suis fatigué inutilement. » Alors tout est à recommencer. Quelquefois, il se passera des jours ou même des mois, et quelquefois des années, sans que cela revienne. Quelquefois, si vous êtes un peu plus actif et intense dans votre aspiration, cela reviendra plus tôt. Mais si vous refaites la même bêtise, il se produira la même chose. Tandis que si, immédiatement, vous êtes très vigilant et quand le mental commence à lever son nez, là, pour comprendre ce qui se passe, vous lui dites : « Silence, tiens-toi tranquille », alors l’expérience peut continuer. Quand le vital commence à dire : « Je veux beaucoup, beaucoup, de plus en plus... » vous dites : « Tranquille, tranquille, ne bouge pas, calme-toi, ne t’agite pas. » Ou bien le physique : « Oh! je vais être écrasé... » — « Un peu d’endurance, s’il vous plaît, vous êtes un lâche, vous ne savez pas supporter l’épreuve. » Si vous arrivez à faire cela à temps, avec la tranquillité qu’il faut, avec la détermination et la volonté qu’il faut, vous arriverez à quelque chose. Mais si vous êtes comme ça, passif, indolent, fataliste, et que vous vous disiez : « Maintenant, je me suis soumis, ce qui arrivera arrivera, nous verrons bien ce qui va arriver, voilà », là, vous savez, je vous donne cinquante ans pour ne pas changer d’un demi-pas.
Dans la dernière leçon, je vous ai dit que ce n’était pas si facile... Si vous voulez le faire, il faut le faire convenablement, autrement cela ne vaut pas la peine; c’est inutile de faire les choses à moitié, il faut les faire bien.
Naturellement, il y a d’autres chemins. On peut simplement ne pas essayer de se perfectionner soi-même. On peut essayer de s’oublier soi-même dans un travail de plus en plus absorbant, c’est-à-dire faire ce que l’on fait comme une consécration au Divin, d’une façon tout à fait désintéressée, mais avec une plénitude, un don de soi, un oubli de soi total : ne plus penser à soi, mais à ce que l’on fait. Vous savez cela, je vous l’ai déjà dit : si vous voulez faire quelque chose de bien, n’importe quoi, un travail quelconque, la moindre chose, jouer un jeu, écrire un livre, faire de la peinture, ou de la musique, ou courir une course, n’importe quoi, si vous voulez le faire bien, il faut devenir ce que vous faites et ne pas rester une petite personne qui se regarde faire; car si l’on se regarde faire, on est... on est encore de connivence avec l’ego. Si, en soi-même, on arrive à devenir ce que l’on fait, c’est un grand progrès. Dans les plus petits détails, il faut apprendre cela. Prenez une chose très amusante : une bouteille que vous voulez remplir avec une autre bouteille; vous vous concentrez (vous pouvez le faire comme une discipline, comme une gymnastique), eh bien, tant que vous êtes la bouteille à remplir, la bouteille que l’on verse et le mouvement pour verser, tant que vous n’êtes que cela, tout va bien. Mais si, par malheur, vous pensez à un moment donné : « Ah! ça va bien, je fais bien », le moment d’après, ça coule à côté! C’est la même chose pour tout, pour tout. C’est pour cela que le travail est un bon moyen de discipline, parce que, si vous voulez faire le travail convenablement, il faut que vous deveniez le travail au lieu d’être quelqu’un qui travaille, autrement vous ne le ferez jamais bien. Si vous restez « quelqu’un qui travaille » et, en plus, que vous ayez des idées qui vagabondent, alors vous pouvez être sûr que, si vous maniez des choses fragiles, elles casseront, si vous faites de la cuisine, elle brûlera, ou si vous jouez un jeu, vous raterez toutes les balles! C’est en cela que le travail est une grande discipline. Parce que, si vraiment vous voulez le faire bien, c’est la seule manière de le faire bien.
Prenez quelqu’un qui écrit un livre, par exemple. S’il se regarde écrire le livre, vous ne pouvez pas imaginer comme le livre devient fade; cela sent tout de suite la petite personnalité humaine qui est là et cela perd toute sa valeur. Quand un peintre peint un tableau, s’il se regarde peindre le tableau, le tableau ne sera jamais bon, ce sera toujours une sorte de projection de la personnalité du peintre; ce sera sans vie, sans force, sans beauté. Mais s’il devient, tout d’un coup, la chose qu’il veut exprimer, s’il devient les pinceaux, la peinture, la toile, le sujet, l’image, les couleurs, la valeur, le tout, et qu’il soit tout entier là-dedans et qu’il vive ça, il fera une chose magnifique.
C’est pour tout, pour tout la même chose. Il n’est rien qui ne puisse être une discipline yoguique si on le fait convenablement. Et si ce n’est pas fait convenablement, même la tapasyâ ne servira à rien et ne vous mènera nulle part. Parce que c’est la même chose, si vous faites votre tapasyâ en vous regardant faire tout le temps et en vous disant : « Est-ce que je fais des progrès, est-ce que ça va aller mieux, est-ce que je vais réussir?... » alors c’est votre ego, n’est-ce pas, qui devient de plus en plus énorme et qui occupe toute la place, et il n’y a pas de place pour autre chose. Et nous avons dit l’autre jour que l’ego spirituel est le pire de tous, parce qu’il est tout à fait inconscient de son infériorité, il est convaincu qu’il est quelque chose de tout à fait supérieur, sinon d’absolument divin!
Voilà. Quand vous êtes à l’école, il faut devenir la concentration qui tâche d’attraper ce que le professeur dit, ou la pensée qui entre en vous, ou la connaissance que l’on vous apprend. C’est cela qu’il faut être. Il ne faut pas penser à vous-même, mais seulement à ce que vous voulez apprendre. Et vous verrez que vos capacités doubleront immédiatement.
Ce qui donne le plus le sentiment de l’infériorité, de la limite, de la petitesse, de l’impuissance, c’est toujours ce retour sur soi, c’est de s’enfermer dans les limites d’un ego microscopique. Il faut s’élargir, ouvrir les portes. Et la meilleure façon, c’est d’être capable de se concentrer sur ce que l’on fait au lieu de se concentrer sur soi-même.
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