Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
Mère lit une ancienne étude consacrée aux rêves, dans Paroles d’autrefois.
« ... plus d’un tiers de notre existence se passe à dormir... »
Le sommeil physique mérite donc bien notre attention. J’ai dit « sommeil physique », car nous avons tendance à croire que notre être tout entier dort quand le corps physique est endormi.
« On dit parfois que c’est dans le sommeil des hommes que se découvre leur vraie nature. »
Leur vraie nature, cela ne veut pas dire leur nature profonde, mais leur nature spontanée, qui n’est pas contrôlée, car le contrôle de la volonté cesse pendant le sommeil. Et tout ce que l’on ne fait pas à l’état de veille, on le fait pendant le sommeil, parce que le contrôle de la volonté est enlevé.
« Tous les désirs qui sont refoulés sans être dissous, [...] tentent de se satisfaire pendant que la volonté est assoupie. Et comme les désirs sont de véritables centres dynamiques de formation, ils tendent à organiser, en nous et autour de nous, l’ensemble de circonstances le plus favorable à leur satisfaction. »
Dans une autre leçon, nous avons parlé du pouvoir de formation mentale : le mental forme des entités, qui ont une vie plus ou moins indépendante et qui essayent de se manifester. Ici, je ne parle pas de la pensée, mais du désir. Le désir appartient au domaine vital, mais au centre de ce désir, il y a toujours une pensée, et le désir devient d’autant plus actif et plus dynamique qu’il contient en lui ce pouvoir de formation mentale et le pouvoir de réalisation vitale. Le vital est le centre du dynamisme de l’être, de l’énergie active, et les deux combinés font quelque chose de très fort qui a une tendance considérable à se réaliser — d’ailleurs, tout dans l’univers tend à la manifestation, et les choses qui sont empêchées de se manifester perdent, du fait même, leur force et leur capacité. La plupart des méthodes qui visent au contrôle de soi se sont servies, justement, de la répression, du refoulement des mouvements, avec l’idée que si l’on continue assez longtemps cette suppression, on arrive à tuer l’élément que l’on ne veut pas. Ce serait tout à fait vrai s’il s’agissait seulement du monde physique, mais derrière le monde physique, il y a le monde subconscient, et derrière le monde subconscient, il y a l’immensité de l’Inconscient. Et ce que vous ne savez pas, c’est qu’à moins que vous ne détruisiez en vous le désir même, c’est-à-dire le germe de la formation, cette formation, que vous empêchez de se manifester, est pour ainsi dire comprimée dans le subconscient — chassée et comprimée tout au fond — et si vous allez chercher dans le subconscient, vous verrez qu’elle attend là de faire son œuvre. C’est pourquoi tant de gens qui, pendant des années et des années, ont pu contrôler un mouvement qu’ils ne voulaient pas, sont tout d’un coup pris par surprise par ce mouvement qui jaillit d’en bas, avec d’autant plus de force qu’on l’a comprimé plus longtemps. Donc, les rêves sont d’une grande utilité, parce que ce mouvement de suppression n’existe plus, la volonté consciente n’étant plus là (elle dort ou elle s’en va ailleurs), et le désir refoulé jaillit d’en bas et se manifeste sous forme de rêve, si bien que l’on apprend beaucoup de choses sur sa propre nature; c’est pourquoi il est dit que dans le sommeil et dans les rêves, l’homme peut découvrir sa vraie nature — ce n’est pas sa nature vraie, sa nature profonde, qui est sa nature psychique, mais la nature spontanée, non contrôlée.
« Ainsi peut se trouver détruit en quelques heures de nuit le fruit de bien des efforts faits par notre pensée consciente pendant le jour. [...] Il faut donc apprendre à connaître nos rêves, et tout d’abord à distinguer entre eux, car ils sont de nature et de qualité très diverses. Souvent, dans une même nuit, nous pouvons avoir des rêves qui appartiennent à des catégories différentes suivant la profondeur de notre sommeil. »
Je ne sais pas si quelqu’un ici a observé ce phénomène, mais suivant les heures de la nuit, ou suivant le temps que vous avez dormi, votre sommeil change de qualité. Si vous vous donnez la peine d’observer (il y a d’ailleurs peu de gens qui se donnent cette peine), il se peut qu’ayant été réveillé subitement à une heure anormale, vous ayez remarqué que vous n’étiez pas dans le même état de sommeil dans les deux cas. Il y a aussi des heures où vous avez différents genres de rêves; si vous vous observez, vous le verrez très bien. Il y a des heures où il est très difficile de vous réveiller, car vous dormez très profondément, vous êtes tout à fait inconscient des choses extérieures. À d’autres moments, au contraire, il suffit d’un tout petit bruit, très léger, pour vous réveiller en sursaut.
Pendant la nuit, je n’ai pas peur de certaines choses, mais pendant la journée j’en ai peur, pourquoi?
Cela veut dire que votre être vital est plus « vieux » que votre être physique.
(Mère poursuit sa lecture) « Il n’est pas douteux qu’à de nombreux points de vue, notre subconscient a plus de savoir que notre conscience habituelle. »
Ici, je vais corriger un mot : ce n’est pas le « subconscient » qui a plus de savoir que notre conscience habituelle, mais le « supraconscient », ce qui échappe à notre conscience, non parce qu’il est inférieur, mais parce qu’il est supérieur. Quand nous nous posons un problème pendant la nuit, ce problème va trouver les régions supérieures de notre être et, le matin, nous recevons la réponse, la solution, parce que là-haut, dans les profondeurs de notre conscience, nous savons des choses que nous ne savons pas dans notre conscience extérieure.
Pendant le sommeil, on a souvent l’impression de pénétrer dans une région de lumière, de connaissance supérieure, mais au réveil on n’en rapporte que l’impression, le souvenir, pourquoi?
C’est que dans l’échelle de l’être, qui s’étend de la conscience la plus extérieure à la conscience la plus haute, il y a des vides, des solutions de continuité, et quand la conscience monte, descend et remonte l’échelle, elle passe par des espèces de trous noirs où il n’y a rien. Alors elle entre dans un sommeil, une sorte d’inconscience, et se réveille tant bien que mal de l’autre côté et se souvient mal de ce qu’elle a rapporté d’en haut. C’est ce qui arrive très fréquemment et spécialement dans cet état que l’on appelle samâdhi 3 . Les gens qui entrent en samâdhi, découvrent qu’entre leur conscience extérieure active et leur conscience de méditation, il y a un vide. Là-haut, ils sont presque nécessairement conscients — conscients de l’état dans lequel ils se trouvent —, mais quand ils redescendent vers leur corps, en route, ils entrent dans une sorte de trou où ils perdent tout : ils ne peuvent pas rapporter l’expérience avec eux. Il faut toute une discipline pour créer en soi les marches multiples qui permettent à la conscience de ne pas oublier ce qu’elle a éprouvé là-haut. Ce n’est pas une discipline impossible, mais elle est extrêmement longue et il faut une patience inébranlable, car c’est comme si vous vouliez construire en vous un être, un corps; et pour cela il faut d’abord les connaissances nécessaires, mais aussi une persistance, une persévérance dont la longueur décourage beaucoup de gens. Mais c’est tout à fait indispensable si vous voulez participer à la connaissance de votre être supérieur.
Est-ce qu’il est utile de noter ses rêves?
Oui, pendant plus d’un an je me suis livrée à cette sorte de discipline de soi. Je notais tout — quelques mots, une petite chose, une impression — et j’essayais de passer d’un souvenir à un autre. Au début, ce n’était pas très productif, mais au bout de quatorze mois à peu près, je pouvais suivre, en commençant par la fin, tous les mouvements, tous les rêves jusqu’au commencement de la nuit. Cela vous met dans un état si conscient, si continu, que finalement je ne dormais plus du tout. Mon corps était étendu, profondément endormi, mais il n’y avait aucun repos dans la conscience. Le résultat était absolument merveilleux ; on devient conscient des différentes phases du sommeil et d’absolument tout ce qui s’y passe, dans le moindre détail ; alors plus rien ne peut échapper à votre contrôle. Mais si, pendant la journée, vous avez beaucoup à faire et que vous ayez vraiment besoin de sommeil, je vous conseille de ne pas essayer!
En tout cas, il y a une condition tout à fait indispensable, c’est de ne pas faire le moindre mouvement en se réveillant; il faut arriver à se réveiller dans un état de complète immobilité, autrement tout disparaît.
Est-ce que le mental a besoin de repos, indépendamment du corps physique et du cerveau physique?
Oui, absolument besoin. Et ce n’est que dans le silence que le mental peut recevoir la vraie lumière d’en haut. Je ne crois pas que l’être mental soit exposé à la fatigue; s’il se trouve fatigué, c’est plutôt une réaction du cerveau. C’est seulement dans le silence qu’il peut s’élever au-dessus de lui-même. Mais au point de vue du sommeil et des rêves dont nous parlions, il y a un phénomène très remarquable. Je l’ai expérimenté. Si vous arrivez à établir, non seulement le silence dans votre tête, mais aussi le repos dans votre vital, l’arrêt de toutes les activités de votre être, et si, sortant du domaine des formes vous entrez dans cet état que l’on appelle le Satchidânanda, la Conscience suprême, avec trois minutes de cet état-là, vous êtes plus reposé qu’en huit heures de sommeil. Ce n’est pas très facile, non... C’est la Conscience absolument consciente, mais complètement immobile, en pleine lumière d’origine. Si vous obtenez cela, si vous arrivez à tout immobiliser en vous, alors tout votre être participe à cette Conscience suprême, et j’ai bien noté que trois minutes de cet état-là équivalaient comme repos (et j’entends par là, le repos corporel, le repos des muscles) à huit de sommeil ordinaire.
Le corps vital a-t-il aussi besoin de repos?
Oui. Le corps vital entoure le corps physique d’une sorte d’enveloppe qui a, à peu près, la densité de ces vibrations de chaleur que l’on observe quand il fait très chaud. Et c’est cela qui est l’intermédiaire entre le corps subtil et le corps vital le plus matériel. C’est cela qui protège le corps contre toutes les contagions, les fatigues, les surmenages, et même les accidents. Alors, si cette enveloppe est complètement intacte, elle vous protège de tout, mais il suffit d’une émotion un peu trop forte, d’une fatigue, d’un mécontentement, d’un choc quelconque pour qu’elle soit comme égratignée, et une toute petite égratignure permet n’importe quelle intrusion. La science médicale aussi s’est aperçue que si l’on est en parfait équilibre vital, on n’attrape pas de maladies, ou en tout cas on a une sorte d’immunité aux contagions. Si vous avez cet équilibre, cette harmonie intérieure qui garde l’enveloppe intacte, elle vous protège de tout. Il y a des gens ainsi qui mènent une vie tout à fait ordinaire, qui savent dormir comme il faut, manger comme il faut, et leur enveloppe nerveuse est si intacte qu’ils passent à travers tous les dangers comme si cela ne les regardait pas. C’est une capacité que l’on peut éduquer en soi. Si l’on devient conscient du point faible de son enveloppe, il suffit parfois de quelques minutes de concentration, d’appel de force, de paix intérieure, pour que cela s’arrange, se guérisse et que la chose malencontreuse disparaisse.
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