Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
« ... tant que la nature inférieure est active, l’effort personnel du sâdhak reste nécessaire. » (Sri Aurobindo, La Mère, II)
« ... tant que la nature inférieure est active, l’effort personnel du sâdhak reste nécessaire. »
(Sri Aurobindo, La Mère, II)
Extérieurement, on croit à sa propre personnalité et à son propre effort. Tant que vous croyez à l’effort personnel, il faut faire un effort personnel.
Il y a une partie de l’être qui n’est pas du tout consciente d’être une partie du Divin. Tout l’être extérieur est convaincu qu’il est quelque chose de séparé, d’indépendant et qu’il n’a de rapport qu’avec lui-même. Cette partie de l’être doit nécessairement faire un effort personnel. On ne peut pas lui dire : « Le Divin fait la sâdhanâ pour vous », car il ne ferait jamais rien, il ne serait jamais changé. Quand on parle à quelqu’un, il faut se servir de son langage 20 , n’est-ce pas.
Qu’est-ce que le « tamas physique » ?
Tu ne connais pas cela, toi, non? Alors, tous mes compliments! Il ne t’arrive jamais, par exemple, d’être assis et ne pas avoir envie de te lever? d’avoir quelque chose à faire et de dire : « Oh! il faut faire tout cela... »
C’est la même chose que la paresse?
Pas tout à fait. Évidemment, la paresse est un tamas, mais dans la paresse, il y a une mauvaise volonté, il y a un refus de faire un effort. Tandis que le tamas est une inertie : on veut, mais on ne peut pas.
Je me souviens d’avoir été, il y a très longtemps, avec des jeunes gens, et ils ont remarqué que quand je décidais de me lever, je me levais d’un bond, sans difficulté. Ils m’ont demandé : « Comment faites-vous? Quand nous, nous voulons nous lever, il faut que nous fassions une concentration de volonté pour arriver à nous lever. » Ils étaient tellement étonnés! et moi j’étais étonnée du contraire. Je me disais : « Comment se fait-il? Quand on a décidé de se lever, on se lève. » Non, le corps était là, comme ça, et il fallait mettre une volonté dedans, pousser ce corps pour qu’il se lève et qu’il agisse. C’est comme cela, c’est du tamas. Le tamas est une chose purement matérielle; il est très rare d’avoir du tamas vital ou du tamas mental (cela peut arriver, mais par contagion), je crois que c’est plutôt un tamas des nerfs, un tamas du cerveau, qu’un tamas vital ou un tamas mental. Mais la paresse, il y en a partout, dans le physique, dans le vital, dans le mental. Généralement, les gens paresseux ne le sont pas toujours, ils ne le sont pas dans tous les cas. Si vous leur proposez quelque chose qui leur plaît, qui les amuse, ils sont tout prêts à faire un effort. Il y a beaucoup de mauvaise volonté dans la paresse.
Sri Aurobindo parle de « la volonté d’ouvrir et de rendre plastiques la conscience et la nature physiques ».
Parce que la conscience et la nature physiques sont fermées et rigides — c’est enfermé dans ses habitudes, ça ne veut pas en changer, ça n’accepte qu’une routine régulière. Il n’y a rien de plus routinier qu’un corps. Si vous changez le moins du monde ses habitudes, il est tout à fait ahuri, il ne sait plus que faire, il dit : « Pardon, pardon! mais ce n’est pas comme cela que ça se fait de vivre. »
Ceux qui ont un vital très actif et très dominateur peuvent arriver à éveiller le corps, et s’ils ont l’esprit d’aventure (ce qui arrive très souvent, parce que le vital est un être d’aventure), le physique obéit, il obéit à l’impulsion, à l’ordre intérieur; alors il consent au changement, à la nouveauté, mais c’est pour lui un effort. Mais pour que l’être physique et la conscience physique soient prêts à recevoir l’impulsion divine, il faut qu’ils soient extrêmement plastiques, parce que le vital se sert de la coercition, il impose sa volonté, et ce pauvre corps n’a qu’à obéir, tandis que le Divin montre la lumière, Il donne la conscience, alors il faut que l’on obéisse consciemment et volontairement — c’est une question de collaboration, ce n’est plus une question de coercition. Il faut que le physique et la conscience physique soient très plastiques afin de pouvoir se soumettre à tous les changements nécessaires; qu’un jour il puisse être d’une façon, le lendemain d’une autre, et ainsi de suite.
Sri Aurobindo parle ici de la « stabilité de la Lumière, du Pouvoir et de l’Ânanda ».
Mais le pouvoir n’est-il pas toujours dynamique?
Oui, il y a un pouvoir statique. Comment vous expliquer cela ? Tenez, il y a la même différence entre un pouvoir statique et un pouvoir dynamique qu’entre un jeu de défense et un jeu d’attaque, vous comprenez? C’est la même chose. Un pouvoir statique est quelque chose qui peut résister à tout, rien ne peut agir sur lui, rien ne peut le toucher, rien ne peut l’ébranler — il est immobile, mais il est invincible. Le pouvoir dynamique est quelque chose en action, qui quelquefois se projette et quelquefois peut recevoir des coups. C’est-à-dire que, si vous voulez que votre pouvoir dynamique soit toujours victorieux, il faut qu’il soit soutenu par un pouvoir statique considérable, une base inébranlable.
Je sais ce que tu veux dire... qu’un être humain ne prend conscience du pouvoir que quand il est dynamique; un être humain ne considère un pouvoir que quand il agit; s’il n’agit pas, il ne s’en aperçoit même pas, il ne se rend pas compte de la force formidable qui est derrière cette inaction — quelquefois, souvent même, une force plus formidable que dans le pouvoir qui agit. Mais vous pouvez essayer en vous-même, vous verrez, il est beaucoup plus difficile de rester tranquille, immobile, inébranlable contre quelque chose de très désagréable — que ce soient des mots ou des actes qui viennent contre vous —, infiniment plus difficile que de répondre par la même violence. Admettez que quelqu’un vous dise des injures; si vous pouvez, en face des injures (pas seulement extérieurement, je veux dire intégralement) rester immobile, sans être ébranlé ni touché d’aucune façon — vous êtes là comme une force contre laquelle on ne peut rien et vous ne répondez pas, vous ne faites pas un geste, vous ne dites pas un mot, toutes les injures qu’on vous jette dessus vous laissent absolument insensible, dedans et dehors; vous pouvez garder les battements de votre cœur absolument tranquilles, vous pouvez garder les pensées dans votre tête tout à fait immobiles et tranquilles sans qu’elles soient le moins du monde ébranlées, c’est-à-dire que votre tête ne répond pas tout de suite par des vibrations analogues et vos nerfs ne se sentent pas crispés avec le besoin de donner quelques coups pour se soulager —, si vous pouvez être comme cela, vous avez un pouvoir statique, et il est infiniment plus puissant que si vous aviez cette espèce de force qui vous fait répondre à l’injure par l’injure, aux coups par les coups et à l’agitation par l’agitation.
Sri Aurobindo parle du « rejet de la stupidité, du doute, de l’incrédulité ».
Si l’on « rejette la stupidité », est-ce que l’on devient intelligent?
Vous voulez dire si l’on peut se débarrasser de la stupidité? oui, il y a un moyen. Il n’est pas facile, mais il y a un moyen. J’ai connu des gens qui étaient extrêmement stupides, vraiment stupides, eh bien, ces gens-là sont arrivés par une aspiration — une aspiration non formulée, qui n’avait même pas le pouvoir de s’exprimer par des mots —, ils sont arrivés à entrer en contact avec leur être psychique. Ce n’était pas un contact constant, c’était un contact momentané, quelquefois très fugitif. Mais pendant le moment où ils étaient en contact avec leur être psychique, ils étaient remarquablement intelligents, ils disaient des choses merveilleuses. J’ai connu une fille qui n’avait aucune éducation, rien, vraiment stupide, on disait : « Il n’y a rien à faire, ce n’est pas possible. » Eh bien, au moment où elle était en contact avec son être psychique, elle comprenait les choses les plus profondes et elle vous faisait des remarques ahurissantes. Mais quand le contact cessait, elle redevenait stupide. Ce n’était pas une chose permanente, c’était seulement le contact qui lui enlevait sa stupidité. Par conséquent, c’est une guérison difficile, c’est-à-dire qu’il faut établir le contact avec son être psychique et le garder toujours.
Il y a une légende musulmane comme cela, concernant le Christ. Vous savez l’histoire : le Christ a guéri des malades, fait marcher les boiteux, fait voir les aveugles et a même ressuscité les morts. Voyant tous ces miracles, quelqu’un s’est approché du Christ et lui a dit : « Oh! j’ai un cas très intéressant à vous soumettre... Oui, j’ai un fils qui est stupide. » Le Christ a ouvert les yeux et il s’est enfui! Il paraît que c’était la seule chose qu’il ne pouvait pas faire! C’est une plaisanterie, bien sûr, et la chose est difficile, mais c’est possible.
« Le Divin est derrière toute action, mais Il est voilé par sa Yoga-Mâyâ. »
Oui, il est voilé par la conscience de la Nature matérielle. Il y a la conscience dans son origine, qui ne voile pas le Divin, qui L’exprime. Il y a la conscience dans sa forme extérieure, qui Le voile. Certains disent que c’est volontaire, que c’est pour permettre au jeu d’être joué; que le Divin se cache derrière la Nature matérielle pour obliger les consciences à Le trouver. C’est une opinion... On dit beaucoup de choses.
L’une des grandes difficultés pour la plupart des philosophies, c’est qu’elles n’ont jamais reconnu ni étudié les différents plans de l’existence, les différentes régions de l’être. Elles ont le Suprême, et puis la Création, et puis c’est tout, rien entre les deux. Cela rend les explications très difficiles... Toutes les explications, en dernière analyse, sont simplement des langages : il y a des langages qui rendent la compréhension plus facile et d’autres qui la rendent plus difficile. Et certaines de ces théories rendent la compréhension des choses très difficile. Tandis que, si l’on reconnaît, si l’on étudie et prend conscience des différents états intermédiaires entre la Nature la plus matérielle et l’Origine suprême, si l’on reconnaît, si l’on devient conscient de toutes les régions intermédiaires, de tous les états d’être intérieurs et de toutes les régions extérieures, cela permet d’expliquer beaucoup de problèmes. Nous avons déjà étudié cela à propos des déterminismes. Si vous dites que le déterminisme est absolu et que vous en restiez là, vous ne comprenez rien; il est tout à fait évident que tous les événements de la vie vous donnent un démenti; ou alors, le problème est tellement compliqué que l’on ne peut pas le saisir. Mais si vous comprenez qu’il y a un grand nombre de déterminismes agissant les uns sur les autres, qui s’interpénètrent, qui changent l’action d’un déterminisme par l’action d’un autre, alors le problème devient compréhensible. C’est la même chose pour expliquer l’action du Divin dans l’univers. Si vous prenez une Force créatrice centrale ou une Conscience créatrice centrale ou un Témoin immobile central, et puis l’univers, c’est tout, rien entre les deux, vous ne pouvez pas comprendre. Il y a des gens qui ont utilisé cela d’une façon tellement simpliste! Ils ont fait un Dieu créateur et puis ses créatures. Alors tous les problèmes se posent. Il a créé le monde, avec quoi? Les uns vous disent que c’est avec de la poussière, mais qu’est-ce que c’est, cette poussière? que faisaitelle avant que l’on s’en serve pour faire un monde?... Ou avec rien! On a créé un univers avec rien — c’est insensé! C’est très gênant pour un esprit logique. Et par-dessus le marché, on vous dit qu’Il a fait cela consciemment, volontairement, et quand Il a eu fini, Il s’est exclamé : « Tiens! c’est très bien. » Alors, ceux qui sont dans l’univers répondent : « Nous, nous ne trouvons pas cela très bien. C’est peut-être très bien pour vous, mais pas pour nous. » Ce sont des conceptions simplistes. Ce sont tout simplement des conceptions ignorantes et simplistes qui font que le problème universel est absolument incompréhensible. Et toutes ces explications sont inadmissibles pour un cerveau un tout petit peu éveillé. C’est pour cela que l’on vous dit : « N’essayez pas de comprendre, vous ne comprendrez jamais. » Mais c’est une paresse de l’esprit, c’est une mauvaise volonté de l’esprit. N’est-ce pas, on sent au-dedans de soi que, puisque l’on a cette sorte de pouvoir d’activité de la pensée, cette aspiration à trouver une lumière, une solution, cela doit correspondre à quelque chose, autrement... autrement, vraiment (je crois l’avoir écrit quelque part) si l’on réduisait l’univers à cette notion-là, eh bien, ce serait la plus sinistre des farces et je comprendrais très bien ceux qui ont déclaré : « Échappez-vous, sortez de là le plus vite possible. » Malheureusement, je ne vois pas comment ils pourraient en sortir, puisqu’il n’y a rien d’autre — comment pouvez-vous sortir de quelque chose qui est seul à exister? Alors, on entre dans un cercle vicieux, on tourne en rond et cela mène tout naturellement au désespoir de l’esprit. Mais quand on a la clef — il y a une ou deux clefs, mais il y en a une qui ouvre toutes les portes — quand on a la clef, on suit son chemin et, petit à petit, on comprend la Chose.
Quelle différence y a-t-il entre la conscience et la Nature physique?
Dites-moi, votre corps est-il absolument conscient, conscient de lui-même, conscient de son fonctionnement? Non, alors qu’est-ce que c’est? Ce ne peut être que la Nature physique. Et s’il y a une Nature physique qui n’est pas consciente, cela veut dire que la Nature physique et la conscience ne sont pas la même chose. La Nature physique inclut tout ce qui est physique : votre corps appartient à la Nature physique, les montagnes, les pierres, le ciel, l’eau, le feu... tout cela appartient à la Nature physique. Mais votre nature physique contient une conscience, elle est animée par une conscience, bien qu’elle ne soit pas entièrement consciente. Et c’est justement parce qu’elle n’est pas entièrement consciente qu’elle peut être inerte, tâmasique, « inconsciente ». Autrement, tout serait conscient; autrement, les pierres aussi seraient conscientes (je ne sais pas dans quelle mesure elles le sont, mais c’est une mesure qui est très petite par rapport à la conscience humaine).
La « soumission » ne consiste-t-elle pas à faire le don de son travail comme un bon serviteur?
Le travail est une bonne discipline. Mais ce n’est pas cette idée, ce n’est pas l’idée d’une obéissance passive, inconsciente et presque involontaire. Ce n’est pas cela. Ce n’est pas seulement dans le travail.
La soumission la plus importante, c’est la soumission de votre caractère, de votre manière d’être afin qu’elle puisse changer. Si vous ne faites pas la soumission de la nature que vous avez en propre, jamais cette nature ne changera. C’est cela, le point le plus important. Vous avez certaines manières de comprendre, certaines manières de réagir, certaines manières de sentir, presque certaines manières de progresser, et surtout une façon spéciale d’envisager la vie et d’attendre d’elle certaines choses, eh bien, c’est cela que vous devez soumettre. C’est-à-dire que, si vous voulez vraiment recevoir la Lumière divine et vous transformer, c’est toute votre manière d’être qu’il faut offrir — offrir en l’ouvrant, en la rendant aussi réceptive que possible, afin que la Conscience divine, qui voit comment vous devez être, puisse agir directement et changer tous ces mouvements en des mouvements plus vrais, plus conformes à votre vérité propre. C’est infiniment plus important que de soumettre ce que l’on fait. Ce n’est pas ce que l’on fait (ce que l’on fait est très important, c’est bien entendu), mais le plus important, c’est ce que l’on est. Quelle que soit l’activité, ce n’est pas exactement la manière de faire mais l’état de conscience dans lequel on fait, qui est important. Vous pouvez travailler, faire un travail désintéressé sans aucune idée de profit personnel, travailler pour la joie de travailler, mais si vous n’êtes pas prêt, en même temps, à laisser ce travail, à changer de travail ou à changer la manière de travailler, si vous tenez à la façon dont vous faites le travail, votre soumission n’est pas complète. Il faut que vous arriviez au point où toute chose est faite parce que vous sentez en vous, d’une façon très claire, de plus en plus impérieuse, que c’est cela qui doit être fait et de cette manière-là, et que vous ne le faites qu’à cause de cela. Vous ne le faites pour aucune raison d’habitude, d’attachement ou de préférence, ni même de conception, même de préférence pour l’idée que c’est la meilleure chose à faire, sinon votre soumission n’est pas totale. Tant que vous tenez à quelque chose, tant qu’il y a quelque chose en vous qui dit : « Ceci peut changer, cela peut changer, mais ça, ça ne changera pas », tant que vous dites à n’importe quel propos : « Ça ne changera pas » (non pas que cela se refuse à changer, mais parce que vous ne pouvez pas concevoir que cela change), votre soumission n’est pas complète.
Il va sans dire que, si dans votre action, dans votre travail, vous avez le moins du monde ce sentiment : « Je le fais parce que l’on m’a dit de le faire » et qu’il n’y ait pas une adhésion totale de l’être, que vous ne fassiez pas le travail parce que vous sentez qu’il faut le faire, que vous aimez le faire; si quelque chose se réserve, se tient à part, séparé : « On m’a dit qu’il fallait faire comme cela, alors j’ai fait comme cela », c’est qu’il y a un grand précipice entre vous et la soumission. La vraie soumission est de se sentir vouloir, d’avoir cette adhésion complète intérieure : vous ne pouvez faire que ça, que l’on vous a donné à faire, et tout ce que l’on ne vous a pas donné à faire, vous ne pouvez pas le faire. Mais à un autre moment, ce travail peut changer; à n’importe quel autre moment, ce peut être autre chose, s’il est décidé que ce soit autre chose. C’est là qu’intervient la plasticité. Cela fait une très grande différence. Il est bien entendu que l’on dit à ceux qui travaillent : « Oui, travaillez, c’est votre manière de faire votre soumission », mais, c’est un commencement. Il faut que cette manière soit progressive. Ce n’est qu’un commencement, vous comprenez?
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