Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
« Il y a même une nécessité à l’existence des forces hostiles : elles rendent la résolution plus forte, l’aspiration plus claire. Il est vrai, aussi, qu’elles existent parce que vous leur donnez des raisons d’exister. Tant qu’il y a en vous quelque chose qui leur répond, leur intervention est parfaitement légitime. Si rien en vous ne répondait, si elles n’avaient de prise sur aucune partie de votre nature, elles se retireraient et vous laisseraient tranquille. » (Entretien du 5 mai 1929)
« Il y a même une nécessité à l’existence des forces hostiles : elles rendent la résolution plus forte, l’aspiration plus claire. Il est vrai, aussi, qu’elles existent parce que vous leur donnez des raisons d’exister. Tant qu’il y a en vous quelque chose qui leur répond, leur intervention est parfaitement légitime. Si rien en vous ne répondait, si elles n’avaient de prise sur aucune partie de votre nature, elles se retireraient et vous laisseraient tranquille. »
(Entretien du 5 mai 1929)
La meilleure manière de faire face aux forces hostiles est d’aspirer toujours, de se rappeler toujours le Divin. Et ne jamais avoir peur.
L’Entretien se poursuit par une question sur les forces hostiles : viennent-elles du dehors ou du dedans? Un disciple répond :
Elles viennent du dehors de la conscience ou de l’être.
Où s’arrête l’être?... Quelle différence y a-t-il entre le dehors et le dedans, si la conscience est partout!
On dit toujours aux chercheurs : « Si vous voulez vous débarrasser de quelque chose, dites que c’est en dehors. » Ce n’est qu’une impression, mais il est plus facile de rejeter une difficulté si l’on a l’impression qu’elle est en dehors de soi. Pourtant, je viens de vous dire le contraire que, si rien « en vous » ne répond aux forces hostiles, jamais elles ne vous attaqueront. Donc, ce qui est dedans est aussi dehors et ce qui est dehors est aussi dedans! Le secret est de savoir le mettre là où c’est le plus commode pour l’action immédiate.
Si vous avez une grosse difficulté de caractère, par exemple, l’habitude de vous mettre en colère, et que vous décidiez : « Il ne faut plus que je me mette en colère », c’est très difficile; mais si, au contraire, vous vous dites : « La colère est quelque chose qui circule dans le monde entier, ce n’est pas moi, elle appartient à tout le monde; elle se promène ici et là, et si je ferme ma porte, elle n’entrera pas », c’est beaucoup plus facile. Si vous pensez : « C’est mon caractère, je suis né comme cela », cela devient presque impossible. Il est vrai qu’il y a quelque chose dans votre caractère qui répond à cette force de colère. Tous les mouvements, toutes les vibrations sont générales, n’est-ce pas — ça entre, ça sort, ça se promène —, mais dans la mesure où vous avez en vous une porte ouverte, elles se précipitent sur vous et entrent en vous. Et si vous avez, en plus, une affinité avec ces forces, vous pouvez vous mettre en colère sans même savoir pourquoi. Chaque chose est partout et il est arbitraire de tracer des limites.
J’ai lu quelque part, dans un livre écrit par un matérialiste enragé, que les êtres humains sont comme enfermés dans un sac de cuir et qu’ils n’ont aucun contact avec les autres êtres. C’est une ânerie, évidemment, mais il y a des gens que cela aide; cette idée qu’ils sont enfermés dans une coquille et qu’ils n’ont de contact avec les autres qu’à travers cette coquille les protège et les empêche de recevoir n’importe quoi du dehors. C’est une ânerie, soit, mais il y a des âneries parfois utiles! Nous avons dit, l’autre jour, que le mental n’est pas un instrument de connaissance et que dans le domaine des idées tout est relatif, tout est une façon de voir, tout est une façon de vivre. Chaque science a son langage, chaque religion a son langage, chaque philosophie a son langage, chaque activité a son langage, et plus vous apprenez ces langages, plus vous avez l’impression de savoir beaucoup de choses. Ce qui importe, c’est de connaître tous les langages. Il faut arriver au point où tous ces mouvements du mental sont pour vous des jeux tout à fait relatifs — vous pouvez jouer bien ou mal, mais ce sont des jeux. Il y a des gens qui savent s’en servir, ce sont les gens dits « intelligents » et il y a ceux qui ne savent pas s’en servir, ce sont les gens dits « bêtes ».
Les choses sont « en » nous dans la mesure où nous nous identifions à elles — si nous repoussons l’identification, elles sont dehors?
C’est une façon de parler tout à fait subjective. Pour agir, on a besoin de faire des classifications, et c’est justement à cela que sert le mental : il organise, il met chaque chose à sa place, il joue le jeu; et c’est cette activité-là qui crée les règles du jeu, et en obéissant à ces règles il peut gagner la partie. Mais la vraie connaissance vient d’ailleurs.
(Mère passe à une autre question) « La foi mentale n’est pas suffisante; elle doit être complétée et fortifiée par une foi vitale et même physique — une foi du corps. Si vous réussissez à créer en vous-même, dans tout votre être, une force intégrale de ce genre, alors rien ne peut lui résister; mais vous devez établir la foi jusque dans les cellules de votre corps. Il y a maintenant, par exemple, une connaissance qui commence à se répandre parmi les savants et qui tendrait à prouver que la mort n’est pas une nécessité. Mais l’humanité, dans son ensemble, croit fermement à la mort [...] Si cette croyance pouvait être rejetée, d’abord de la mentalité consciente, puis de la nature vitale et des couches subconscientes du physique, la mort ne serait plus inévitable. »
C’est une façon négative de regarder le problème. Si l’on avait la foi que l’immortalité était une chose possible, ce serait une façon plus active de regarder; et non seulement qu’elle est possible, mais qu’elle se produira plus tard, on serait très fort pour résister.
« ... une forme fixe était nécessaire pour que la conscience individuelle organisée pût avoir un support stable. Et en même temps, ce fut la fixité des formes qui rendit la mort inévitable. »
Qui va me dire ce qui constitue un individu? Qu’est-ce qui vous donne l’impression que vous êtes une personne existante en soi?
On peut dire avec Descartes : « Je pense, donc je suis. »
Ah non! cela ne prouve pas que vous êtes individualisé.
Qu’est-ce qui vous donne l’impression d’être un individu?... Quand vous aviez dix ans, vous étiez très différent de ce que vous étiez à votre naissance, et maintenant vous êtes très différent de ce que vous étiez à dix ans, n’est-ce pas? La forme se développe dans certaines limites et il y a une similitude, mais quand même elle est bien différente de ce qu’elle était à votre naissance; vous pouvez presque dire : « Ce n’était pas moi. » Ceci pour le physique. Maintenant, prenez votre conscience intérieure, à cinq ans et maintenant. On ne dirait pas que c’est la même personne. Et vos pensées, à cinq ans et maintenant? Toutes sont différentes. Mais malgré tout, qu’est-ce qui vous donne l’impression que c’est la même personne qui pense?
Prenons l’exemple d’une rivière qui suit son cours : ce n’est jamais la même eau qui coule. Qu’est-ce que la rivière? Jamais une goutte d’eau n’est la même, il n’y a pas de stabilité là-dedans, alors où est la rivière? (Certains prennent cet exemple pour prouver qu’il n’y a pas de personnalité — ils sont très anxieux de prouver qu’il n’y a pas de personnalité.) Pour les êtres c’est la même chose : la conscience change, les idées changent, les sensations changent, alors qu’est-ce que l’être? D’aucuns disent que l’individualité est basée sur le souvenir, sur la mémoire : vous vous souvenez, donc vous êtes un être individuel. C’est absolument faux, car si vous n’aviez pas de mémoire, vous seriez toujours un être individuel.
Le lit de la rivière constitue la rivière.
Le lit situe la rivière, mais le lit change aussi beaucoup ; ce qui veut dire que tout est inconstant, tout est fugitif, et c’est vrai. Mais c’est une partie seulement de la vérité, ce n’est pas le tout. Vous sentez bien qu’il y a quelque chose de « stable » en vous, n’est-ce pas, mais où se trouve cette sensation de stabilité?
Si je devais la situer physiquement, je dirais que c’est quelque part dans la poitrine. Quand je dis : « Je vais faire quelque chose », ce n’est pas le vrai « moi » qui parle. Quand je dis : « Je pense », ce n’est pas le vrai « moi » qui pense — le vrai « je » regarde penser, il regarde les pensées qui arrivent. Naturellement c’est une façon de parler.
Quand l’immense majorité des gens disent « je », c’est une partie d’eux, de leur sentiment, de leur corps, de leur pensée, indifféremment, qui parle; c’est une chose qui change toujours. Par conséquent, leur « je » est innombrable, ou le « je » varie toujours. Quelle est la chose constante là-dedans?... L’être psychique, évidemment. Car, pour qu’une chose soit constante, il faut d’abord qu’elle soit immortelle. Autrement elle ne peut pas être constante. Ensuite, il faut aussi qu’elle soit indépendante des expériences par lesquelles elle passe : elle ne peut pas être les expériences elles-mêmes. Donc, ce n’est certainement pas le lit de la rivière qui constitue la rivière; le lit est une circonstance.
Si l’on pousse plus loin la comparaison (d’ailleurs les comparaisons ne valent rien, les gens y trouvent tout ce qu’ils veulent), on peut dire que la rivière est un bon symbole de la vie, que ce qui est constant dans la rivière, c’est l’espèce « eau ». Ce n’est pas toujours la même goutte d’eau, mais c’est toujours de l’eau — sans eau il n’y aurait pas de rivière. Et ce qui est durable dans un être humain, c’est l’espèce « conscience ». C’est parce qu’il a une conscience qu’il est durable. Ce ne sont pas les formes qui sont durables, c’est la conscience, le pouvoir de lier toutes ces formes, de traverser toutes ces choses, non seulement en gardant le souvenir (le souvenir est quelque chose de très extérieur), mais en gardant la même vibration de conscience.
Et c’est cela, le grand mystère de la création, car c’est la même conscience, la Conscience est une. Mais de la minute où cette Conscience se manifeste, s’extériorise, se déploie, elle se morcelle innombrablement pour les besoins de l’expansion, et chacun de ces morcellements a été le commencement, l’origine de l’être individuel. L’origine de toute forme individuelle est la loi de cette forme ou la vérité de cette forme. S’il n’y avait pas de loi, de vérité de chaque forme, il n’y aurait jamais aucune possibilité d’individualisation. Ce serait quelque chose qui s’allongerait indéfiniment; il y aurait peut-être des concentrations, des rassemblements, mais pas de conscience individuelle. Chaque forme représente donc un des éléments du changement de l’Unique en multiple. Cette multiplicité implique une quantité innombrable de lois, d’éléments de conscience, de vérités qui, en se déployant dans l’univers, finissent par devenir des individualités séparées. Alors, de plus en plus, l’être individuel semble s’éloigner de son origine, de par la nécessité de l’individualisation. Mais une fois que cette individualisation, c’est-à-dire cette prise de conscience de la vérité intérieure, est complète, il devient possible, par une identification intérieure, de rétablir dans la multiplicité l’unité originelle; c’est cela la raison d’être de l’univers tel que nous le percevons. C’est pour que ce phénomène se produise que l’univers a été fait. Le Suprême s’est manifesté à Lui-même pour pouvoir prendre conscience de Lui-même.
En tout cas, c’est la raison d’être de cette création. Contentons-nous de notre univers, faisons le meilleur usage possible de notre vie sur terre et le reste viendra en son temps.
C’est exprès, notez bien, que je n’ai pas mentionné l’ego comme l’une des causes du sens de l’individualité. Car l’ego étant un mensonge et une illusion, le sens de l’individualité lui-même serait mensonger et illusoire (comme l’affirment le Bouddha et Shankara), tandis que, l’origine de l’individualisation étant dans le Suprême Lui-même, l’ego n’est qu’une déformation, passagère, momentanément nécessaire, et qui disparaîtra lorsque son utilité sera passée, quand sera établie la Conscience de Vérité.
Home
The Mother
Books
CWM
French
Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.