Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur deux de ses livres, Éducation et Entretiens 1929, et sur La Mère, de Sri Aurobindo.
Mère lit une question qui lui fut posée autrefois par une disciple anglaise :
« Si le Divin, qui est tout amour, est à la source de la création, d’où proviennent tous les maux qui abondent sur terre? » (Entretien du 30 juin 1929)
« Si le Divin, qui est tout amour, est à la source de la création, d’où proviennent tous les maux qui abondent sur terre? »
(Entretien du 30 juin 1929)
D’où viennent les maux ?... Qui va me répondre? Une réponse philosophique, une réponse scientifique, une réponse psychologique et une réponse poétique!
Ils viennent de la même source que l’ignorance et l’obscurité.
Réponse mystique, réponse religieuse. Oh! vous n’avez pas d’imagination!
Pour que le travail sur la terre se fasse parfaitement, les mauvaises forces sont envoyées.
Le mal est envoyé pour que l’on puisse se perfectionner? Ce que tu dis est très défendable, mais cela aurait choqué terriblement la dame qui m’a posé la question, elle aurait dit : « Comment Dieu a-t-il pu faire cela, Lui qui est tout amour?... La création n’était pas bien faite! »
Quelqu’un me disait après avoir lu la Genèse : « Dieu a mis sept jours à faire ça, puis Il a dit que c’était bien fait! Il a une curieuse opinion! »
À un moment donné, la grande Thérèse a dû faire face à beaucoup de calamités. Elle s’est plainte à Dieu en Lui disant : « Pourquoi ces choses m’arrivent-elles à moi qui suis pleine de bonne volonté? » Alors Dieu a répondu, paraît-il : « C’est ainsi que je traite mes amis. C’est pour cette raison que nous en avons si peu ! »
Maintenant, nous touchons à la source de la difficulté. Je ne sais pas si vous l’avez compris, mais il y a un défaut central dans la question de cette dame, c’est qu’elle fait de Dieu ou du Divin une personnalité tout à fait indépendante de sa création. Elle aurait dit : « Quelqu’un ayant le pouvoir de création et qui a créé un monde comme cela, vraiment, il faut qu’il soit masochiste », et elle aurait eu raison, n’est-ce pas?... La question est mal posée, parce que le Divin dont on parle ici n’est pas le vrai Divin, c’est le Divin de la religion — et d’un certain genre de religion —, mais ce n’est pas le Divin tel qu’Il est, du tout.
(Mère reprend son livre) « Tout vient du Divin ; mais le Suprême n’a pas fait sortir le monde directement hors de Lui-même; un pouvoir conscient est sorti de Lui et s’est répandu à travers beaucoup de gradations descendantes, en passant par beaucoup d’agents. Beaucoup de créateurs, ou plutôt de formateurs, de faiseurs de formes, ont participé à la création du monde. Ce sont des agents intermédiaires, et je préfère les appeler formateurs plutôt que créateurs, car ils n’ont fait que donner à la matière sa forme, son caractère, sa nature. Ils ont été nombreux ; certains ont formé des choses harmonieuses et bienfaisantes, d’autres en ont produit de mauvaises et de malfaisantes. Certains aussi ont été des déformateurs plutôt que des constructeurs, car ils sont intervenus et ont gâté ce qui avait été bien commencé par d’autres. »
Je ne répondrais pas comme cela maintenant, c’est une réponse tout à fait gouvernementale! C’est comme cela que les gouvernements répondent toujours, ils disent : « Ce n’est pas moi qui suis responsable, ce sont mes agents. » Ce n’est pas joli, il vaut mieux prendre la responsabilité sur soi.
(Mère poursuit sa lecture par une question de la même personne et la réponse qu’elle lui avait faite) « Notre monde matériel n’est-il pas très bas dans l’échelle des mondes qui constituent la création? »
« Notre monde est le plus matériel, mais ce n’est pas une raison pour qu’il soit “très bas”. S’il est bas, c’est parce qu’il est obscur et ignorant, non parce qu’il est matériel. C’est une erreur de faire du mot “matière” le synonyme d’obscurité et d’ignorance. De plus, le monde matériel n’est pas le seul dans lequel nous vivions; c’est plutôt l’un des nombreux mondes où nous existons simultanément, et, d’une certaine manière, le plus important de tous. C’est le champ de concrétisation de tous les mondes; c’est le lieu où tous auront à se manifester. Il est vrai que, pour le moment, il est désharmonieux et obscur, mais c’est seulement un accident, un faux départ. Un jour, il deviendra beau, rythmique, plein de lumière; car c’est là l’accomplissement pour lequel il a été fait. »
Cette dame avait décidément une idée tout à fait chaldéenne de Dieu qui, de rien, a fait un monde (qui est mal fait, je le reconnais; s’il a été fait comme cela, c’était vraiment mal fait), et encore un Dieu qui le regarde et qui dit : « Je l’ai fait exprès », alors cela met le comble à l’horreur de cette dame!
Pourquoi y a-t-il tant de misères dans le monde? Allons, je vous demande une réponse scientifique, philosophique, mystique, religieuse, poétique...
Pour y mettre un peu de fantaisie, autrement ce serait trop monotone!
Ce n’est pas une réponse poétique — il faut employer beaucoup d’images et de paraboles pour cela ! Vous êtes comme celui qui disait que, si l’on n’était pas malheureux, on ne pourrait pas être heureux, parce que l’on ne saurait pas ce que c’est que d’être heureux ! Comme d’autres disent : « S’il n’y avait pas d’ombre, il n’y aurait pas de lumière. On ne saurait pas ce que c’est que la lumière si tout était lumière »... Et ainsi de suite. Alors, vous dites que, sans le malheur, il n’y aurait pas de fantaisie dans le monde? C’est une fantaisie un peu lugubre, non?
Si tout le monde était heureux, le monde serait heureux.
Si chacun entrait dans un état béatifique, le monde serait béatifique; comme raison, c’est très bon. Mais c’est une cure, ce n’est pas une cause. On vous demande ici quelle est la cause? D’où vient le malheur si ce n’est pas de Dieu — qui est, bien entendu, tout bienfaisant et qui ne ferait jamais une chose aussi horrible!
Le monde n’existe pas, c’est une illusion de notre conscience mensongère.
Ah! allez dire cela à quelqu’un qui souffre de coliques hépatiques, par exemple!
Le monde a été fait, disait quelqu’un, pour apprendre aux pauvres à souffrir et aux riches à donner.
C’est ce que je disais, n’est-ce pas, (riant) s’il n’y avait pas de misère sur la terre, que deviendrait la philanthropie?... Si nous explorons tous les domaines comme cela, nous finirons peutêtre par comprendre que tout était nécessaire, autrement le monde n’aurait pas été. C’est peut-être une conclusion. Non, ce n’est même pas une conclusion, car cela légitimerait la perpétuation indéfinie de ce qui est.
Pourquoi l’imperfection, si le monde est tel qu’il doit être?
Personne n’a dit cela, sinon il n’y aurait qu’à s’asseoir et à ne plus bouger!
Nous avons déjà établi le fait que le monde n’est pas ce qu’il doit être et que nous sommes ici pour faire en sorte qu’il soit ce qu’il doit être. Mais pour savoir cela, il faut d’abord savoir ce qu’il doit être, non? Voilà le problème. Que doit être le monde?
X. — Il doit être conscient de la Conscience divine.
Y. — Pas de souffrance dans le monde.
Quand on fait une construction, on ne commence pas par dire : « Je ne veux pas de cela, je ne veux pas de ceci », sinon vous ne ferez jamais votre construction. Il faut dire ce qu’il doit être, non ce qu’il ne doit pas être. D’abord, ce qu’il ne doit pas être, nous le savons déjà : c’est ce qu’il est! Nous n’avons pas besoin d’aller très loin — tel qu’il est, nous ne l’acceptons pas. Alors, qu’est-ce qu’il doit être?
Un jardin où l’on joue un jeu éternel avec le Divin.
Cela a l’air tout à fait bien, c’est très joli — « Dieu est un enfant qui joue », a dit Sri Aurobindo 19 . Il paraît que cela a choqué beaucoup de gens. Quand nous avons traduit cela en français et que nous l’avons envoyé en Europe, il s’est trouvé des gens qui étaient choqués et qui disaient : « Eh bien, Il joue à nos dépens! »
Le monde doit être plein de lumière et d’amour.
Quelle lumière? Quel amour?
La lumière divine.
Quand vous dites « lumière divine », qu’est-ce que vous comprenez?
Le monde doit être réceptif.
Réceptif à quoi?
Il doit être une expression constante de la Volonté divine dont il s’est séparé.
Donc, c’est le monde qui s’est séparé du Divin. Nous arrivons à ceci : le monde est malheureux parce qu’il s’est séparé du Divin. Voilà une réponse qui n’est ni philosophique ni poétique ni... nous dirons que c’est une expression pratique. Et comment a-t-il fait pour se séparer du Divin, puisqu’il est le Divin?... Voilà qui devient très compliqué. Nous disons, n’est-ce pas, que le monde est divin et qu’il est malheureux parce qu’il s’est séparé du Divin. Comment s’est-il séparé?
Par son ignorance.
Diable! d’où vient l’ignorance alors? Ignorance de quoi? Ignorance de lui-même?
Ignorance de son origine.
Oui, cela veut dire ignorance de lui-même! C’est pour cela que l’on dit à chacun : « Connais-toi toi-même » — ce doit être ça !
Est-ce le monde qui est ignorant ou est-ce nous?
Ah! alors il faut que je vous demande : « Qu’est-ce que vous appelez le monde? Est-ce la terre ou l’univers? »
L’univers.
Alors, l’univers entier n’est pas ignorant — il y a des parties de l’univers qui ne sont pas ignorantes. Quand tu dis « nous », tu t’identifies à l’univers ou à l’humanité? Parce que c’est une question très importante. Nous disons que le monde est malheureux parce qu’il a oublié son origine, c’est-à-dire son origine divine. Toi, tu dis que nous sommes malheureux parce que « nous » sommes ignorants — les « nous », ce sont les hommes. Par conséquent, le malheur est venu dans le monde avec les hommes — voilà une chose grave! C’est-à-dire qu’avec l’homme, le mental est venu sur la terre, n’est-ce pas, car l’homme est un animal mental, et avec le mental est venu le malheur. Le mental est capable d’objectiver, et alors il découvre que telle et telle chose est malheureuse — sans mental, la découverte ne se fait pas et le malheur n’existe pas. Donc, il n’y a pas de malheur pour les animaux ni pour les plantes, et encore moins pour les pierres. Sommes-nous bien d’accord : il n’y a pas de malheur pour les animaux, les plantes et les pierres? Nous disons que le malheur est venu avec la mentalité, qui est devenue consciente du malheur. Notez que je suis en train de vous amener à quelque chose qui n’est pas si bête, car dans l’Enseignement ancien, on disait : « Changez de conscience et ce qui vous paraît malheureux ne vous le paraîtra plus. » Le Bouddha enseignait que, si vous sortez du désir, les choses qui vous paraissaient malheureuses ne vous paraissent plus malheureuses du tout. Par conséquent, nous arrivons à ceci : c’est la pensée que vous en avez qui fait que vous considérez ceci ou cela comme malheureux. Si vous pensiez qu’un événement était heureux, il deviendrait heureux pour vous; et c’est ce qu’il est, en fait. Dans la majorité des cas, quand la pensée a accepté qu’une chose doit être pour une raison quelconque, elle n’est plus malheureuse; quand elle n’a pas accepté, elle trouve cela malheureux. Donc, tant que vous êtes dans le domaine des émotions, des sentiments et des pensées, tout cela est vrai. C’est-à-dire que la notion de « malheur » est entrée dans le monde avec la capacité de considérer que les choses étaient malheureuses. Vous suivez la logique? Ainsi, les plantes ne souffrent pas, parce qu’elles ne savent pas qu’elles souffrent et les animaux ne souffrent pas, parce qu’ils ne savent pas qu’ils souffrent! Vous en êtes sûrs? Non?
On voit une expression de douleur dans leurs yeux.
On dit que vous voyez dans les autres ce que vous portez en vous-même!
Descartes raconte qu’une dame battait son chien et disait : « Il ne souffre pas, il n’a pas d’âme, c’est un réflexe. » Descartes prétend que seuls les hommes peuvent sentir!
On m’avait toujours dit que c’était un homme intelligent!
Si le malheur est entré dans le monde avec la pensée, le bonheur est entré aussi, n’est-ce pas?
Ah! voilà la logique. Quand il y a malheur, il y a bonheur... sans malheur, pas de bonheur. Comme c’est difficile, la philosophie!... Est-ce que votre Monsieur Descartes nous a dit d’où venait l’âme des hommes?
Il dit que c’est une création de Dieu.
Le reste du monde n’est pas une création de Dieu?
Oui, aussi.
Alors, tout d’un coup, il s’est avisé qu’il fallait mettre dans la création quelque chose qu’il appelle « une âme » et il a choisi cet animal-là, l’homme, pour l’y mettre! Alors c’est très difficile d’en sortir... Mais nous étions à la recherche de ce que doit être le monde. C’est cela qu’il faut trouver, car de la minute où nous savons ce qu’il doit être, il faut commencer à y travailler.
Il doit être ouvert à la Force qui veut se manifester.
Le malheur est qu’il est justement ouvert à certaines forces et qu’il les manifeste! C’est la qualité de la force qui importe. Le monde tel qu’il est manifeste des forces, il n’existe pas sans une manifestation de forces; mais quelles forces manifeste-t-il? Pour le moment, il a l’air de manifester des forces d’obscurité, d’ignorance, de désharmonie, de souffrance et tout le reste.
Il faut qu’il ait du discernement.
Vous voulez dire qu’il choisisse la force qu’il faut? Oui, mais ce n’est pas la transformation du monde, c’est pour nous. C’est nous qui devons avoir du discernement pour savoir quelle force nous voulons manifester, c’est entendu. Mais pour revenir à notre sujet, vous êtes tous d’accord que, dans le monde que nous allons construire, il ne doit pas y avoir de souffrance? Vous êtes d’accord?... Vous n’en êtes pas sûrs?... Alors, vous êtes satisfaits de la souffrance? Je ne sais pas, peut-être a-t-elle sa raison d’être. Mais voyez-vous, tant que l’on est satisfait d’une chose, il y a beaucoup de chances qu’elle demeure. On nous a dit dans les Écritures plus ou moins sacrées, que la souffrance venait de l’ignorance; donc, si vous ne songez pas à supprimer la souffrance, c’est que vous voulez aussi garder l’ignorance? Cela devient très difficile. C’est comme le peintre à qui l’on parlait du monde futur qui serait tout de lumière, et il répondait : « Alors, je ne pourrai plus faire de tableaux », et il était malheureux! Peut-être, en effet, y a-t-il beaucoup de gens qui tiennent à leur ignorance!...
C’est la souffrance qui nous rend conscients d’une force plus haute.
C’est vrai, dans beaucoup de cas c’est comme cela et c’est l’apparente légitimation de la souffrance. Si les êtres humains ne souffraient pas, peut-être ne feraient-ils jamais de progrès. L’aspiration est très tiède quand on est parfaitement content.
Allons, nous voilà tout embrouillés! Eh bien, c’est l’exemple exact de la façon dont la mentalité humaine fonctionne; et après cela il y a des gens qui ont attrapé la queue de quelque chose et ils sont si contents de cette queue, ils disent : « J’ai la vérité, et vous devez croire ce que je vous dis, autrement vous n’en sortirez jamais. » Le fait est que dans l’état où se trouve votre pensée en ce moment, n’importe qui viendrait vous dire : « J’ai la vérité », vous seriez contents d’attraper cela pour sortir de la confusion où vous êtes... Voyons, nous avons deux minutes et, pendant ces deux minutes, nous ne parlerons pas, et toute notre confusion va s’en aller. Après, nous lèverons la séance. Alors, ne parlez pas, tâchez d’être aussi silencieux que possible pendant deux minutes.
(méditation)
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