CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1953 Vol. 5 of CWM (Fre) 472 pages 2008 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.

Entretiens - 1953


mai




Le 13 mai 1953

« Certains, quand ils s’assoient pour méditer, entrent dans un état qu’ils pensent très remarquable et déli cieux. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Quel est cet état?

Quel qu’il soit, ils pensent que leur état est délicieux et remarquable. Ils ont une très bonne opinion d’eux-mêmes. Ils croient qu’ils sont des gens remarquables parce qu’ils peuvent s’asseoir tranquillement sans bouger; et s’ils ne pensent à rien, c’est remarquable. Mais généralement, c’est une espèce de kaléidoscope qui marche dans leur tête, ils ne s’en aperçoivent même pas. Enfin ceux qui peuvent rester un petit moment sans bouger, sans parler et sans penser, ont certainement une très bonne opinion d’eux-mêmes. Seulement, comme je l’ai dit, si on les tire de là, si on vient frapper à la porte et qu’on leur dise : « Il y a quelqu’un qui vous attend », ou : « Madame, l’enfant est en train de crier », alors on est furieux, et on dit : « Voilà, ma méditation est abîmée! Tout est abîmé. » Je dis là des choses que j’ai vues de mes propres yeux. Des gens qui étaient très sérieux dans leur méditation, et on ne pouvait pas interrompre leur méditation sans qu’ils entrent dans une grande colère... Naturellement ce n’est pas un signe de grand progrès spirituel. Ils tempêtaient contre tout le monde parce qu’on les avait tirés de leur béatifique méditation.

Parmi les gens qui méditent, il y en a un certain nombre qui savent méditer et qui se concentrent non pas sur une idée, mais dans un silence, une contemplation intérieure, où ils disent arriver jusqu’à une union avec le Divin; et cela, c’est parfaitement bien. Il y en a d’autres, un petit nombre, qui peuvent suivre une idée attentivement et tâcher de trouver exactement ce qu’elle veut dire; cela, c’est bien aussi. La plupart du temps, les gens essayent de se concentrer et entrent dans une sorte d’état semi-somnolent, et en tout cas très tâmasique. Ils deviennent une espèce de chose inerte : la pensée est inerte, le sentiment est inerte, le corps est immobile. Ils peuvent rester comme cela pendant des heures, parce qu’il n’y a rien de plus durable que l’inertie! Tout ce que je vous raconte là, ce sont des expériences de gens que j’ai rencontrés. Et ceux-là, quand ils sortent de leur méditation, ils croient sincèrement qu’ils ont fait quelque chose de très grand. Mais ils sont tout simplement descendus dans l’inertie, dans l’inconscience. Des gens qui savent méditer, il y en a très peu. Et en plus de cela, admettez que par une grande discipline et des années d’efforts, vous soyez arrivé dans votre méditation à entrer en relation consciente avec la Présence divine; c’est évidemment un résultat, et ce résultat doit nécessairement avoir un effet sur votre caractère et sur votre vie. Mais cet effet est très différent suivant les individus. Il y a des cas où ils sont coupés en deux d’une façon si radicale que, dans leur méditation, ils peuvent entrer en contact avec le Divin et avoir cette félicité suprême de l’identification, et puis, quand ils en sortent et qu’ils mènent leur vie, qu’ils se mettent à vivre et à agir, ils peuvent être les individus les plus ordinaires, avec les réactions les plus ordinaires et quelquefois même les plus vulgaires. Cela aussi, je connais des gens qui deviennent tout à fait l’homme ordinaire, et alors, par exemple, qui font toutes les choses qu’il ne faut pas faire, comme passer leur temps à bavarder sur les autres, ne penser qu’à soi, avoir toutes les réactions égoïstes et vouloir organiser leur vie pour leur petit bien-être personnel; qui ne pensent pas du tout aux autres et qui ne rendent jamais un service à personne, qui n’ont aucune idée générale. Et pourtant, dans leur méditation, ils ont eu ce contact. Et alors c’est cela qui fait dire à ceux qui ont découvert à quel point c’est difficile de changer cette petite nature extérieure que l’on a prise avec son corps, comme c’est difficile de se surmonter soi-même, de transformer ses mouvements : « Ce n’est pas possible, ce n’est pas la peine d’essayer. En venant au monde, vous avez pris un corps de poussière, vous n’avez qu’à le laisser tomber et vous préparer à vous en aller, laisser le monde comme il est; et la seule chose à faire est de s’enfuir aussi vite qu’on peut; et si tout le monde s’enfuit, alors il n’y aura plus de monde, donc plus de misère. » C’est une logique. Si on leur dit : « Mais c’est peutêtre très égoïste ce que vous faites là, de vous en aller, de laisser les autres patauger? » — « Eh bien, ils n’ont qu’à faire comme moi. Si tout le monde faisait comme moi, ils s’en sortiraient, il n’y aurait plus de monde, plus de misère. » Comme si cela pouvait dépendre de la volonté d’individus qui n’ont même pas participé à la fabrication du monde! Comment peuventils espérer le faire cesser? Si encore c’étaient eux qui l’avaient fait, ils pourraient savoir comment cela se fait et essayer de le défaire (quoique ce ne soit pas toujours facile de défaire les choses que l’on a faites), mais ce ne sont pas eux qui l’ont fait! ils ne savent même pas comment cela s’est fait! et ils ont la prétention de vouloir le défaire, parce qu’ils s’imaginent que, eux, peuvent s’enfuir... Je ne pense pas que ce soit possible. On ne peut pas s’enfuir, même si l’on essaye. Mais enfin cela, c’est un autre sujet. En tout cas, pour moi, mon expérience (qui est assez longue parce que voilà à peu près cinquante-trois ans que je m’occupe des gens, de leur yoga et de leurs efforts intérieurs; j’en ai vu beaucoup ici et là, un peu partout dans le monde), eh bien, je ne crois pas que ce soit par la méditation que vous puissiez vous transformer. Je suis même absolument convaincue du contraire.

Si en faisant ce que vous avez à faire — quoi que ce soit, quelque travail que ce soit — si vous le faites, et qu’en le faisant vous ayez soin de ne pas oublier le Divin, de Lui offrir ce que vous faites, et d’essayer de vous donner à Lui de façon qu’Il puisse changer toutes vos réactions — au lieu qu’elles soient égoïstes, mesquines, stupides et ignorantes, en faire quelque chose de lumineux, de généreux —, alors là, vous aurez fait un progrès. Et non seulement vous aurez fait un progrès, mais vous aurez aidé au progrès général. Je n’ai jamais vu de gens qui aient tout lâché pour venir s’asseoir dans une contemplation plus ou moins vide (parce qu’elle est plus ou moins vide), je n’ai jamais vu que ceux-là fassent des progrès, ou en tout cas leurs progrès sont très minimes. J’ai vu des êtres qui n’avaient aucune prétention de faire le yoga, qui seulement étaient enthousiasmés par l’idée de la transformation terrestre et de la descente du Divin dans le monde, et qui faisaient leur petit peu de travail avec cet enthousiasme dans le cœur, en se donnant totalement, sans réserve, sans idée égoïste de salut personnel, ceux-là, je les ai vus faire des progrès magnifiques, vraiment magnifiques. Et quelquefois ils sont admirables. J’ai vu des sannyâsis, j’ai vu des gens qui vivent dans des monastères, j’ai vu des gens qui faisaient profession d’être des yogis, eh bien, je ne donnerais pas un des autres pour une dizaine de ceux-là (je veux dire, en se plaçant au point de vue de la transformation terrestre et du progrès du monde, enfin de ce que nous voulons faire, tâcher que ce monde ne soit plus ce qu’il est et devienne vraiment l’instrument de la Volonté divine, avec la Conscience divine). Ce n’est pas en vous enfuyant du monde que vous allez le changer. C’est en y travaillant, modestement, humblement, mais avec une flamme dans le cœur, quelque chose qui brûle comme une offrande. Voilà.

Alors la méditation ne sert à rien?

Non, et dans la mesure où elle est nécessaire, elle vous viendra spontanément. Tout d’un coup, vous serez pris par quelque chose qui vous immobilise, qui vous concentre dans la vision d’une idée, ou dans la vision d’un état psychologique. Cela vous saisit. Il ne faut pas résister. Alors vous faites le progrès nécessaire. À ce moment-là vous voyez, vous comprenez quelque chose; et puis la minute d’après, vous repartez dans votre travail avec cela de gagné en vous, mais sans prétention. Ce que je crains le plus, ce sont les gens qui se croient très exceptionnels parce qu’ils s’assoient et qu’ils méditent. C’est de toutes choses la plus dangereuse, parce qu’ils deviennent si vaniteux et si pleins de satisfaction vis-à-vis d’eux-mêmes, qu’alors ils se bouchent toutes les voies de progrès...

Il y a une chose que l’on a toujours dite, mais qu’on a toujours mal comprise, c’est la nécessité de l’humilité. On le prend mal, on le comprend mal, et on s’en sert mal aussi. Soyez humble, si vous le pouvez de la vraie manière; ne le soyez surtout pas de la mauvaise manière parce que cela ne vous mène nulle part. Mais il y a une chose : si vous pouvez sortir de vous cette graine de mauvaise herbe qu’est la vanité, alors là vous aurez fait quelque chose. Mais si vous saviez comme c’est difficile! Vous ne pouvez pas faire une chose bien, vous ne pouvez pas avoir une bonne idée, vous ne pouvez pas avoir un bon mouvement, vous ne pouvez pas faire un progrès sans vous gonfler intérieurement (sans même vous en rendre compte) d’une satisfaction pleine de vanité. Et vous êtes obligé alors de donner des coups de marteau là-dessus pour que cela casse. Et encore, il en reste des morceaux ! et ces morceaux recommencent à germer. Il faut travailler toute sa vie et ne jamais oublier de travailler pour enlever cette mauvaise herbe, qui repousse et repousse d’une façon si insidieuse que vous croyez que c’est parti, et vous vous sentez très modeste, vous dites : « Ce n’est pas moi qui ai fait cela, je sens que c’est le Divin, je ne suis rien s’Il n’est pas là », et puis la minute d’après, vous êtes si content de vous, simplement parce que vous avez pensé cela !

Quelle est la vraie manière et la mauvaise manière d’être humble?

C’est très simple, quand on dit aux gens « soyez humbles », ils pensent tout de suite à « être humble vis-à-vis des autres hommes » et cette humilité-là est mauvaise. La vraie humilité, c’est l’humilité vis-à-vis du Divin, c’est-à-dire le sens précis, exact, vivant, que l’on n’est rien, que l’on ne peut rien, que l’on ne comprend rien sans le Divin, que même si l’on est un être exceptionnellement intelligent et capable, ce n’est rien en comparaison de la Conscience divine; et cela, on doit le garder toujours, parce que toujours on a la vraie attitude de réceptivité — réceptivité humble, qui n’oppose pas de prétention personnelle vis-à-vis du Divin.

Tu as dit : « Si vous suivez le chemin de la soumission, vous devez mettre fin à l’effort personnel ; mais cela ne veut pas dire qu’il vous faille aussi abandonner toute volonté dans l’action. »

(Entretien du 21 avril 1929)

Mais si l’on « veut » faire quelque chose, c’est un effort personnel, non? Qu’est ce que la volonté?

Il y a une différence entre la volonté et ce sentiment de tension, d’effort, de ne compter que sur soi, de n’avoir recours qu’à soi, qu’est l’effort personnel ; cette espèce de tension, de quelque chose qui est très aigu, et quelquefois même très douloureux : vous ne comptez que sur vous et vous avez l’impression que si vous ne faites pas à chaque minute un effort, tout sera perdu. Ça, c’est l’effort personnel.

Mais la volonté est quelque chose de tout à fait différent. C’est la capacité de se concentrer sur tout ce que l’on fait, de le faire aussi bien que l’on peut et de ne pas cesser de le faire à moins que l’on n’ait reçu l’indication très précise que c’est fini. C’est difficile à vous expliquer. Mais, par exemple, par un concours de circonstances, il y a un travail qui vient entre vos mains. Prenez un artiste qui d’une façon ou d’une autre a reçu une inspiration et a décidé de faire un tableau. Il sait très bien que s’il n’a pas l’inspiration, s’il n’est pas soutenu par des forces autres que la sienne, il ne fera pas grand-chose. Cela ressemblera beaucoup plus à un barbouillage qu’à une peinture. Il sait cela. Mais cela a été décidé, cette peinture est à faire; il peut y avoir beaucoup de raisons, mais cette peinture est à faire. Alors, s’il avait l’attitude de la passivité, eh bien, il aurait sa palette, ses couleurs, ses pinceaux, sa toile, et puis il s’assiérait devant et dirait au Divin : « Maintenant tu vas peindre. » Mais le Divin ne fait pas comme cela. Il faut que le peintre lui-même prenne tout et arrange tout, se concentre sur son sujet, trouve les formes et les couleurs qui l’exprimeront, et qu’il mette toute sa volonté dans une exécution de plus en plus parfaite. Il faut que sa volonté soit là, tout le temps. Mais il gardera le sens qu’il doit être ouvert à l’inspiration, il n’oubliera pas que, malgré toute sa connaissance de la technique et malgré les soins qu’il prendra pour arranger, pour organiser et pour préparer ses couleurs et préparer les formes de son dessin, malgré tout cela, s’il n’a pas l’inspiration, ce sera un tableau comme il y en a des millions, et ce ne sera pas très intéressant. Il n’oublie pas. Il essaye, il tâche de voir, de sentir ce qu’il veut que ce tableau exprime et de quelle façon il veut que ce soit exprimé. Il a ses couleurs, il a ses pinceaux, il a son modèle, il a fait son esquisse, qu’il va agrandir pour en faire un tableau, il fait appel à l’inspiration. Il y en a même qui arrivent à avoir une vision claire, précise, de ce qu’il faut faire. Mais alors, jour après jour, heure après heure, ils ont cette volonté de travailler, d’étudier, de faire avec soin tout ce qu’il faut, jusqu’à ce qu’ils reproduisent aussi bien qu’ils peuvent l’inspiration première... Celui-là, il a travaillé pour le Divin, en communion avec Lui, mais pas d’une façon passive, pas avec une soumission passive : avec une soumission active et une volonté agissante. Le résultat, généralement, est quelque chose de très bien. Eh bien, l’exemple du peintre est intéressant, parce qu’un peintre qui est vraiment un artiste est capable de voir ce qu’il va faire, il est capable de se brancher sur cette Puissance divine qui est par-delà l’expression et qui inspire l’expression. Pour le poète, l’écrivain, c’est la même chose, et pour tous les gens qui font quelque chose, c’est la même chose.

Si vous essayiez cela pour vos leçons, vous ne croyez pas que cela réussirait?

Deux jours plus tard, au cours de la « classe du vendredi », Mère a repris le même thème :

Si vous vous disiez, mes enfants : « nous voulons être des instruments aussi parfaits que possible pour exprimer la Volonté divine dans ce monde », et pour que cet instrument soit parfait, il faut qu’il soit cultivé, éduqué, instruit. Il ne faut pas le laisser comme un morceau de pierre qui n’a pas de forme. Quand on veut construire avec une pierre, on la taille; quand on veut faire d’un bloc informe un beau diamant, on le taille. Eh bien, c’est la même chose. Quand avec votre cerveau et votre corps, vous voulez faire un bel instrument pour le Divin, il faut le cultiver, l’aiguiser, le raffiner, compléter ce qui manque, perfectionner ce qui est là.

Par exemple, vous allez à une classe. Si vous n’êtes pas très bien disposé, vous vous dites : « Oh! comme cela va être ennuyeux ! » Admettez que ce soit un professeur qui ne sait pas vous amuser (on peut être un très bon professeur, mais ne pas savoir amuser, parce que ce n’est pas toujours facile... il y a des jours où l’on n’a pas envie d’être amusant), on voudrait bien être ailleurs qu’à l’école. Mais enfin, vous allez en classe, comme cela, vous y allez parce qu’il faut y aller, parce que si vous faites toutes vos fantaisies, vous n’aurez jamais un contrôle sur vous, ce seront vos fantaisies qui vous contrôleront, ce n’est pas vous qui vous contrôlerez. Vous allez dans votre classe. Mais alors, au lieu d’y aller en disant : « Oh! comme je vais m’ennuyer, oh! là ! là ! ça ne va pas être intéressant », etc., si vous vous dites : « Il n’y a pas une minute de la vie, il n’y a pas une circonstance de l’existence qui ne puisse apporter une occasion de progrès, quel est donc le progrès que je vais faire aujourd’hui?... J’offre toute ma petite personne au Divin. Je veux que ce soit un bon instrument pour qu’Il s’exprime, qu’un jour je sois prêt, ou prête, pour la transformation. Qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui? Je vais là dans cette classe, c’est un sujet qui ne m’enthousiasme pas; mais si je ne sais pas trouver d’intérêt dans ce travail, c’est peut-être parce qu’il y a quelque chose qui me manque, qu’il y a quelque part dans mon cerveau un certain nombre de cellules qui sont absentes. Mais alors, si c’est ainsi, je vais essayer de trouver; je vais bien écouter, bien me concentrer, et surtout chasser de mon esprit cette espèce de futilité, de légèreté extérieure qui fait que s’il y a quelque chose que je ne saisis pas, eh bien, je m’ennuie. Pourquoi est-ce que je m’ennuie?... Parce que je ne progresse pas. » Quand on ne fait pas de progrès, on s’ennuie — les grands et les petits, tout le monde — parce que nous sommes sur la terre pour progresser. Si nous ne faisons pas de progrès à chaque minute, eh bien, vraiment c’est ennuyeux, c’est monotone, ce n’est pas toujours gai, c’est loin d’être joli. « Alors je vais trouver aujourd’hui le progrès que je peux faire dans cette classe; il y a quelque chose que je ne sais pas et que je peux apprendre. »

Quand on veut apprendre, on peut apprendre à chaque minute. Moi, j’ai appris même en écoutant des petits enfants bavarder. À chaque minute, il peut se passer quelque chose; quelqu’un peut vous dire un mot, même un idiot peut vous dire un mot qui vous ouvre à quelque chose qui peut vous faire faire un progrès. Et alors, si vous savez comme la vie devient intéressante! On ne peut plus s’ennuyer, c’est fini, tout est intéressant, tout est merveilleux — parce qu’à chaque minute on peut apprendre, à chaque pas on fait un progrès. Par exemple, quand vous êtes dans la rue, au lieu d’être là et puis de ne pas savoir ce que vous faites, si vous regardez, si vous observez... Je me souviens d’avoir été comme cela obligée d’être dans la rue pour faire une course, aller chez quelqu’un, aller acheter quelque chose, n’importe — n’est-ce pas, ce n’est pas toujours amusant d’être dans la rue —, mais si vous vous mettez à observer et si vous voyez comment celui-ci marche, comment celui-là bouge, comment cette lumière réagit sur cet objet, comment ce petit bout d’arbre tout d’un coup, là, rend le paysage joli, comment des centaines de choses brillent... alors à chaque minute on peut apprendre quelque chose. Non seulement on peut apprendre, mais je me souviens d’avoir eu une fois — simplement je marchais dans la rue comme cela —, d’avoir eu une sorte d’illumination, parce qu’il y avait une femme qui marchait devant moi, et qu’elle savait vraiment bien marcher. Que c’était joli ! Son mouvement était magnifique! J’ai vu cela, et tout d’un coup j’ai vu toute l’origine de la culture grecque, comment toutes ces formes descendent vers le monde pour exprimer la beauté — simplement parce que c’était une femme qui savait marcher! Vous comprenez, c’est comme cela que tout devient intéressant. Et alors, au lieu d’aller en classe et d’y faire des bêtises (et j’espère qu’aucun de vous n’en fait, je suis sûre que ceux qui viennent dans ma classe n’iront jamais faire des bêtises à l’école, que ce sont les exceptions qui confirment la règle; mais enfin, je sais que malheureusement il y en a trop qui vont là-bas pour faire toutes les idioties qu’on peut inventer), alors, au lieu de cela, si vous pouviez aller en classe pour faire un progrès, tous les jours un nouveau petit progrès — ne serait-ce que celui de comprendre pourquoi votre professeur vous ennuie — c’est une chose merveilleuse, parce que tout d’un coup il ne vous ennuiera plus, tout d’un coup vous découvrirez qu’il est très intéressant! C’est comme cela. Si vous regardez la vie comme cela, la vie devient quelque chose de merveilleux. C’est la seule façon de la rendre intéressante, parce que la vie sur la terre est faite comme un champ de progrès, et que si nous progressons au maximum, nous tirons le maximum d’avantage de notre vie sur la terre. Et alors on est content. Quand on fait aussi bien que l’on peut, on est content.

Douce Mère, quand on s’ennuie, est ce que cela veut dire qu’on ne progresse pas?

À ce moment-là, oui, certainement, sans aucun doute; non seulement on ne progresse pas, mais on manque une occasion de progresser. Il y avait un concours de circonstances qui vous paraissait terne, ennuyeux et stupide, et dans lequel vous vous trouviez; eh bien, si vous vous ennuyez, cela veut dire que vous êtes aussi ennuyeux que les circonstances! et c’est une preuve évidente que vous n’êtes pas en état de progrès, simplement. Cette vague d’ennui qui passe, il n’y a rien qui soit plus contraire à la raison d’être de l’existence. Si vous faites au-dedans de vous le petit effort à ce moment-là, si vous vous dites : « Tiens, qu’est-ce qu’il faut que j’apprenne? qu’est-ce que tout cela m’apporte pour que j’apprenne quelque chose? quel est le progrès que je dois faire sur moi-même? quelle est la faiblesse que je dois surmonter? quelle est l’inertie qu’il faut que je vainque? », si vous vous dites cela, vous verrez la minute d’après que vous ne vous ennuierez plus. Vous serez tout de suite intéressés, et vous ferez un progrès! C’est une platitude de la conscience.

Et alors, n’est-ce pas, la plupart des gens quand ils s’ennuient, au lieu de tâcher de monter à un degré plus haut, ils descendent un degré plus bas, ils deviennent encore au-dessous de ce qu’ils étaient, et ils font toutes les bêtises que les autres font, toutes les vulgarités, toutes les crapuleries, tout cela, pour s’amuser. On s’intoxique, on s’empoisonne, on abîme sa santé, on abîme son cerveau, on dit des grossièretés. On fait tout cela parce qu’on s’ennuie. Eh bien, si au lieu de descendre on était monté, on aurait profité des circonstances. Au lieu d’en profiter, on tombe un peu plus bas encore que l’on n’était. Quand les gens ont un grand coup dans leur vie, un malheur (ce que les hommes appellent des « malheurs », il y a des gens qui ont des malheurs), la première chose qu’ils essayent de faire, c’est d’oublier — comme si l’on n’oubliait pas assez vite! Et pour oublier, ils font n’importe quoi. Quand ils ont quelque chose de pénible, ils veulent se distraire — ce qu’ils appellent se distraire, c’est-à-dire faire des bêtises, c’est-à-dire descendre dans leur conscience, descendre un petit peu au lieu de monter... Il vous est arrivé quelque chose d’extrêmement pénible, de très douloureux ? Alors il ne faut pas s’abrutir, il ne faut pas oublier, il ne faut pas descendre dans l’inconscience; il faut aller jusqu’au fond et trouver la lumière qui est derrière, la vérité, la force et la joie, et pour cela, il faut être fort, et refuser de glisser. Mais cela, nous verrons un peu plus tard, mes enfants, quand vous serez un peu plus grands.









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