Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.
« Il y a un vrai mouvement de l’intellect, et il y a un faux mouvement; l’un aide, l’autre gêne la sâdhanâ. » (Entretien du 5 mai 1929)
« Il y a un vrai mouvement de l’intellect, et il y a un faux mouvement; l’un aide, l’autre gêne la sâdhanâ. »
(Entretien du 5 mai 1929)
Quel est le vrai mouvement de l’intellect?
Qu’est-ce que tu entends par intellect exactement? Est-ce une fonction du mental, ou est-ce une partie de l’être humain? Comment l’entends-tu?
Une fonction du mental.
Une fonction du mental? Alors c’est la partie du mental qui s’occupe des idées, c’est cela que tu veux dire?
Pas des idées, Douce Mère.
Pas des idées? Alors de quoi?
Des idées, mais...
Il y a une partie du mental qui reçoit les idées, les idées qui sont formées dans un mental supérieur. Enfin, je ne sais pas, c’est une question de définition et il faut savoir ce que tu veux dire exactement.
L’intellect, c’est ce qui met les idées en forme de pensées, puis qui assemble et organise les pensées. Il y a de grandes idées qui sont au-delà de la mentalité humaine ordinaire, qui peuvent se revêtir de toutes les formes possibles. Ces grandes idées ont tendance à descendre et à vouloir se manifester dans des formes précises. Ces formes précises, ce sont les pensées — et c’est généralement, je crois, ce que l’on entend par intellect : c’est ce qui donne la forme de pensée aux idées.
Et puis, il y a aussi l’organisation des pensées entre elles. Il faut que tout cela soit mis dans un certain ordre, autrement on est incohérent. Et après, alors, il y a l’utilisation de ces pensées pour l’action; c’est encore un autre mouvement.
Pour pouvoir dire quel est le vrai mouvement, il faut savoir d’abord de quel mouvement on parle. Tu as un corps, n’est-ce pas, tu n’attends pas de ton corps qu’il marche sur sa tête ou sur ses mains, ou qu’il se traîne à plat ventre, ou bien que ta tête soit en bas et que tes pieds soient en l’air. Tu donnes à chacun de tes membres une occupation spéciale qui lui est propre. Cela te paraît tout naturel parce que c’est une habitude; autrement les tout petits, ils ne savent pas du tout quoi faire, ni avec leurs jambes, ni avec leurs mains, ni avec leur tête; c’est seulement petit à petit qu’ils apprennent cela. Eh bien, c’est la même chose avec les fonctions mentales. Il faut savoir de quelle partie du mental on parle, quelle est sa fonction propre, et alors on peut dire quel est son vrai mouvement et quel n’est pas son vrai mouvement. Par exemple, pour la partie qui doit recevoir les idées maîtresses et les changer en pensée, son vrai mouvement est d’être ouverte aux idées maîtresses, de les recevoir et de les changer en une pensée aussi exacte, aussi précise, aussi expressive que possible. Pour la partie du mental qui est chargée d’organiser toutes ces pensées entre elles afin que cela fasse un ensemble cohérent et classifié, pas un chaos, le vrai mouvement est justement de faire la classification selon une logique supérieure et dans un ordre tout à fait clair, précis et expressif, qui puisse servir chaque fois que l’on doit se référer à une pensée afin que l’on sache où la trouver et qu’on ne mette pas ensemble des choses très contradictoires. Il y a des individus dont la mentalité ne travaille pas comme cela ; toutes les idées qui viennent, sans même qu’ils s’aperçoivent de ce qu’est l’idée, se traduisent par des pensées confuses qui restent dans une sorte de chaos intérieur. J’ai connu des gens qui, au point de vue philosophique — quoique cela n’ait rien eu de philosophique! — pouvaient mettre côte à côte les choses les plus contradictoires, comme des idées d’ordre hiérarchique et en même temps des idées d’indépendance absolue de l’individu et d’anarchisme, et les deux étaient reçues avec la même sympathie, se cognaient dans la tête dans un désordre fou et ils ne s’en apercevaient même pas!... Tu sais ce que l’on dit : « Une question bien posée est aux trois quarts résolue. » Alors maintenant, pose ta question. De quoi veux-tu parler? Je t’ai tendu la perche, tu n’as qu’à l’attraper. De quoi parles-tu, qu’est-ce que tu appelles intellect? Sais-tu la différence entre une idée et une pensée?
Pas bien.
Ah! c’est la première pierre d’achoppement. Quelqu’un peut-il me dire cela ici? (À un enfant) Toi, tu sais la différence entre une idée et une pensée?
Une pensée, c’est vague, plus vague que l’idée?
Non, ce n’est pas une question de pensée vague dans un esprit vague, ni de pensée claire si l’esprit est clair. Ce n’est pas comme cela.
Tu as dit juste maintenant que les idées venaient d’en haut et se traduisaient en pensées...
Oui, mais elles viennent d’en haut comment?
Des parties supérieures du mental.
Oui, mais si tu me donnais une idée et les pensées dans lesquelles elle peut s’exprimer. C’est cela que je demande. Que quelqu’un me donne un exemple. (Regardant un disciple) Il brûle de parler. Dites-nous quelque chose, nous allons voir.
La manifestation du Divin sur la terre est une idée, et la transformation est la pensée.
Tiens, vous êtes moniste? Si je ne me trompe, c’est le principe du monisme.
C’est une pensée de Dieu qui a fait l’univers, mais alors au lieu d’une pensée, nous disons une idée.
Quelqu’un a-t-il quelque chose d’intéressant à dire?
(Un professeur) En logique, on dit : « la mortalité est une idée », et « l’homme est mortel est une pensée ».
Maintenant, vous avez compris la différence entre l’idée et la pensée? C’est clair. L’idée se traduit par toutes sortes de pensées. Ce peuvent être les pensées les plus contradictoires, et le tout est de les organiser d’une façon cohérente. Je pense vous avoir déjà dit plusieurs fois que les pensées contradictoires peuvent se trouver en union si l’on monte assez haut, si l’on remonte vers l’idée... On pourrait peut-être jouer à ce petit jeu-là, ce serait très intéressant. Nous avons une thèse, on va trouver une antithèse, puis on trouvera la synthèse.
Qui pose la thèse?... Ah! moi, je vais vous poser cela tout de suite : « L’homme est mortel. » L’antithèse est : « L’homme est immortel. » Maintenant trouvez l’endroit où cela s’accorde : la synthèse.
C’est une ignorance qui empêche l’homme de s’unir à l’immortalité.
C’est une façon un peu vague de dire la chose. On pourrait le dire plus intellectuellement. On pourrait dire : dans sa réalité, l’homme est immortel ; et à cause de l’ignorance ou de l’inconscience, il est devenu mortel. Cela va mieux ? Et alors un peu plus loin : pourquoi est-il immortel? pourquoi est-il mortel? et comment, de mortel, peut-il devenir immortel?
Quelle que soit la partie de l’être, que ce soit l’intellect ou une autre partie, que ce soit le mental, que ce soit le vital, que ce soit n’importe où, le vrai mouvement est double : d’abord, qu’il n’intercepte pas la Vérité divine dans sa manifestation, et secondement qu’il l’aide à se manifester. Un côté négatif qui consiste à ne pas être un écran, à ne rien intercepter, à ne pas boucher le passage à la Force divine qui veut s’exprimer; l’autre côté, c’est d’être suffisamment clair et pur pour pouvoir aider à cette manifestation.
On peut appliquer cela partout, c’est très commode.
Voilà.
Maintenant une autre question?
Si les hommes ne mouraient pas, avec l’âge leur corps deviendrait inutile?
Ah ! non. Tu vois à l’envers. Ils pourraient ne pas mourir seulement si leur corps ne dégénérait pas. C’est justement parce que leur corps dégénère qu’ils meurent. C’est parce que le corps devient inutile qu’ils meurent. Pour qu’ils ne meurent pas, il faudrait que leur corps ne devienne pas inutile. C’est juste le contraire. C’est justement parce que le corps dégénère, se détériore et finit par une dégradation complète que la mort est nécessaire. Mais si le corps suivait le mouvement de progression de l’être intérieur, s’il avait le même sens de progrès et de perfectionnement que l’être psychique, il n’aurait pas besoin de mourir. Il n’est pas nécessaire qu’une année sur l’autre apporte une détérioration. C’est seulement l’habitude de la Nature. C’est seulement l’habitude de ce qui se passe en ce moment. Et c’est justement cela qui est la cause de la mort. On peut très bien prévoir, au contraire, que ce mouvement de perfectionnement qui est au commencement de la vie puisse continuer sous une autre forme. Je vous ai déjà dit qu’on ne prévoit pas une croissance ininterrompue, parce qu’il faudrait changer la taille des maisons au bout d’un certain temps! Mais cette croissance en hauteur peut se changer en une croissance en perfection : la perfection de la forme. Toutes les imperfections de la forme peuvent petit à petit s’améliorer, toutes les faiblesses peuvent être remplacées par des forces, toutes les incapacités par des habiletés. Pourquoi ne serait-ce pas comme cela ? Vous ne pensez pas comme cela parce que vous avez l’habitude de voir les choses autrement. Mais il n’y a aucune raison que cela ne soit pas.
Avez-vous jamais regardé un arbre pousser, un palmier? Il y en a un dans la cour de l’Ashram (dans la cour du Samâdhi), tout près de la porte d’entrée par où vous venez tous les jours, vous n’avez jamais vu comment il pousse? Vous savez que cet arbre a quelque chose comme quarante, quarante-cinq ou cinquante ans peut-être. Voyez comme il est petit. Ils peuvent devenir bien plus grands que la maison. Ils peuvent vivre plusieurs centaines d’années, facilement, dans leur état naturel, sans accident. Vous n’avez jamais vu comment il fait? Moi, je vois cela d’en haut. C’est tout à fait joli. Cela arrive une fois par an. D’abord, on voit une espèce de petite boule brune. Puis cette petite boule brune commence à grossir et à devenir d’une couleur un peu plus claire, moins foncée. Petit à petit, on voit que c’est fait d’un tas de petites lignes un peu complexes, qui ont le bout recroquevillé, comme cela, tourné sur soi-même; et cela commence à pousser, cela sort, cela devient de plus en plus clair, jusqu’à ce que cela commence à devenir vert, d’un vert jaunâtre un peu pâle et cela pousse en forme de crosse d’évêque. On les voit ensuite qui se multiplient et qui se séparent. C’est encore un peu brun, un peu bizarre (presque comme vous), quelque chose comme une chenille. Et tout d’un coup, c’est comme si cela jaillissait, cela s’élance. C’est vert pâle, c’est frêle. C’est d’une couleur délicieuse. Cela s’allonge. Cela dure un jour, deux jours; et puis le lendemain, il y a des feuilles. Ce sont des feuilles que je n’ai jamais comptées, je ne sais pas combien il y en a. Chaque fois il y a une nouvelle rangée de feuilles. Elles restent très pâles. Elles sont exquises. Elles sont comme un petit enfant, avec ce quelque chose de tendre, joli et gracieux d’un petit enfant. Mais on a encore l’impression de fragilité; et en effet, si cela reçoit un coup, c’est abîmé pour la vie. C’est très frêle, mais c’est délicieusement tendre. Cela a son charme et on dit : « Tiens, pourquoi est-ce que la Nature ne reste pas comme cela ? » Le lendemain... ploff! elles sont séparées, elles sont d’un vert brillant, elles sont admirables, avec toute la puissance, la force d’une jeunesse, et d’un vert éclatant magnifique. Cela devrait s’arrêter là — pas du tout. Cela continue. Alors vient la poussière, vient la détérioration des gens qui passent. Alors cela commence à retomber, à devenir jaunâtre, d’un autre jaune, le jaune de la sécheresse, jusqu’à ce que ce soit complètement abîmé et que cela tombe. C’est remplacé par le tronc. Tous les ans, le tronc augmente un peu. Et cela mettra plusieurs centaines d’années pour arriver jusqu’au bout. Mais tous les ans, cela se reproduit et passe par tous les degrés de beauté, de charme, d’attraction, et on se dit : « Tiens, pourquoi cela ne s’arrête pas là ? » Et puis la minute d’après, c’est autre chose. On ne peut pas dire que c’est mieux, mais c’est autre chose. Et alors cela passe d’une chose à l’autre par tous les degrés de l’épanouissement. Après commencent les accidents; avec les accidents vient la détérioration, et avec la détérioration, il y a la mort.
C’est comme cela. Mais les accidents ne sont pas indispensables. Et même, ce qui a l’air d’une mort aide à la croissance de l’arbre. On se dépouille de quelque chose, mais c’est pour pouvoir grandir encore et avoir quelque chose de plus. On doit pouvoir garder l’harmonie et la beauté jusqu’au bout. Il n’y a aucune raison que l’on ait un corps qui n’ait plus de raison d’être, d’exister, parce qu’il ne serait plus bon à rien. N’être plus bon à rien, c’est justement cela qui le fait disparaître. On pourrait avoir un corps qui va de perfection en perfection. Il y a beaucoup de choses dans votre corps qui vous font dire : « Ah! si c’était comme cela ! Ah! je voudrais que ce soit comme cela ! » Je ne parle pas de votre caractère, parce que là, il y a tant de choses à changer; je parle simplement de votre apparence physique, on s’aperçoit d’une désharmonie quelque part, on dit : « Si cette désharmonie disparaissait, comme ce serait mieux !... » Mais pourquoi ne pensez-vous pas que cela pourrait être? Si vous vous regardez d’une façon tout à fait objective — pas avec cette espèce d’attachement que l’on a pour sa petite personne, mais d’une façon tout à fait objective; on se regarde comme on regarderait quelqu’un d’autre et on se dit : « Tiens, cette chose-là n’est pas tout à fait en harmonie avec celle-là », et si l’on regarde encore plus attentivement, cela devient très intéressant : on s’aperçoit que cette désharmonie est l’expression d’un défaut dans le caractère. C’est parce que, dans votre caractère, il y a quelque chose d’un peu tordu, de pas tout à fait harmonieux, et dans votre corps cela se reproduit quelque part. Vous essayez de l’arranger dans votre corps, et vous vous apercevez que pour remonter à la source de cette désharmonie physique, il faut que vous trouviez le défaut dans votre être intérieur. Et alors vous commencez à travailler et le résultat s’obtient.
Vous ne savez pas à quel point le corps est plastique! D’un autre point de vue, je dirais qu’il est terriblement rigide, et c’est pour cela que le corps se détériore. Mais c’est parce que nous ne savons pas nous en servir. Nous ne savons pas, quand nous sommes encore frais comme les petites feuilles, vouloir un épanouissement somptueux, magnifique, sans défaut. Et au lieu de se dire d’un air un peu misérable : « Comme c’est malheureux que mes bras soient trop maigres ou que mes jambes soient trop longues, ou que mon dos ne soit pas droit, ou que ma tête ne soit pas tout à fait harmonieuse », si l’on se dit : « Il faut que ce soit autrement, il faut que mes bras soient proportionnés, que mon corps soit harmonieux, que toutes mes formes soient expressives d’une beauté de plus haut », alors vous y arriverez. Et vous y arriverez si vous savez le faire avec la vraie volonté, persistante, tranquille, qui n’est pas impatiente, qui ne s’occupe pas des apparences de défaite, qui continue son travail tranquillement, très tranquillement, qui continue à vouloir que ce soit, à chercher la raison intérieure, à la découvrir, à travailler avec énergie. Tout de suite, quand on voit un petit ver noir quelque part, qui n’est pas joli, qui fait une petite tache un peu déplaisante, dégoûtante, on le prend, on l’arrache, on l’enlève, et on met une jolie lumière à la place. Et au bout de quelque temps, on s’aperçoit : « Tiens! cette désharmonie que j’avais dans la figure est en train de disparaître; ce signe de brutalité, d’inconscience qui était dans mon expression, mais cela s’en va ! » Et puis dix ans après, on ne se reconnaît plus.
Et vous êtes tous, là, de la matière jeune; il faut savoir en profiter — et pas pour des petites raisons égoïstes et sottes, mais par amour de la beauté, par besoin d’harmonie.
Pour que le corps dure, il ne faut pas qu’il se détériore. Il ne faut pas de déchéance. Il faut qu’il gagne d’un côté : que ce soit une transformation, que ce ne soit pas une déchéance. Avec la déchéance, il n’y a pas de possibilité d’immortalité.
Où va-t-on après la mort?
Ah! mon enfant, tu veux un livre! Ce n’est pas une question! Eh bien, ce sera pour la prochaine fois. D’ailleurs, je crois qu’il y a un chapitre qui nous en parle, si je me souviens bien. Nous aurons l’occasion d’en parler... Je vais te dire tout de suite une chose : quand tu nais sur la terre, tu sais où tu vas? Et tous les gens qui sont sur la terre, est-ce qu’ils vont tous au même endroit? Dis-moi cela !
Chacun suit son chemin. Chacun a une destinée différente. Pourquoi veux-tu que ce soit pareil pour tous les gens quand ils sont morts? Pour chacun c’est autre chose.
Bonne nuit.
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