Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.
S’il est « impossible pour le mental de trouver la connaissance », quelle est la partie de l’être qui trouve la connaissance?
Il faut entrer dans la connaissance qui appartient au domaine supramental.
Mais pour la faire descendre?
Chaque fois qu’il y a quelque chose qui attire cette connaissance (et qui est évidemment prêt à la recevoir), elle vient.
Ça ne descend pas dans le mental, Douce Mère?
Oui, ça descend dans le mental. Dans une partie supérieure du mental ou bien dans le psychique. On peut avoir la connaissance du psychique — quoiqu’elle soit d’une autre nature et ne se formule pas comme dans le mental. C’est une sorte de certitude intérieure qui vous fait faire la vraie chose au vrai moment et de la vraie manière, sans nécessairement passer par le raisonnement ni la formation mentale.
Par exemple, on peut agir avec une connaissance parfaite de ce qui doit être fait et sans intervention — sans la moindre intervention — du raisonnement mental. Le mental est silencieux : simplement il regarde et il écoute pour enregistrer les choses, et n’agit pas.
>Ici, tu as dit : « La connaissance appartient à un domaine beaucoup plus élevé que celui de la mentalité humaine, bien au-dessus de la région des idées pures. »
(Éducation, « La Science de Vivre »)
Douce Mère, qu’est ce que tu entends par « idées pures » ?
Nous avons déjà dit cela une fois et il n’y a pas très longtemps. Les idées pures, c’est ce qui se traduit par des pensées multiples. Une idée peut donner naissance à beaucoup de pensées, et elle peut s’exprimer de beaucoup de manières différentes; et pourtant elle reste ce qu’elle est.
Quelquefois, nous regardons fixement un point; on oublie tout à ce moment-là et s’il y a un bruit, on est dérangé. Quel est cet état?
La concentration! C’est justement le principe même de la concentration. Est-ce que tu peux le faire spontanément?
Oui, beaucoup de fois.
Tiens, c’est très bien!
Oui, Douce Mère, mais ce que j’avais pensé à ce moment-là, je ne peux pas l’attraper.
Ah!... Si on te tire de là brusquement, la pensée s’évanouit?
Oui.
C’est parce que tu entres dans un état de conscience qui est différent de ton état de conscience ordinaire, et probablement le lien entre les deux n’est pas très bien établi. Cela prend du temps. C’est comme si l’on devait construire un pont. Autrement, on fait un saut brusque d’un côté ou de l’autre, et alors, en sautant, on oublie ce qui était là, on laisse derrière l’expérience que l’on a eue. Mais si l’on fait la chose méthodiquement, c’est-à-dire si tous les jours on prend un certain temps pour cela et que l’on fasse une méditation de dix minutes ou de quinze minutes pour établir le contact entre ça et la vie extérieure, eh bien, au bout d’un certain temps on réussit, et alors on se souvient, et cela devient très utile. C’est très utile. Et si ton pouvoir de concentration est complet, alors il n’est pas de problème que tu ne puisses résoudre — je ne veux pas dire des problèmes d’arithmétique (rires), je veux dire des problèmes de conduite de vie, de décisions à prendre, des problèmes psychologiques à résoudre. Il n’en est pas qui résistent à ce pouvoir de concentration.
Et en effet, c’est très commode de prendre un point : on fixe le point, et on le fixe tellement qu’à un moment donné on devient le point. On n’est plus quelque chose qui regarde dans le point : on est le point. Et alors, si l’on continue avec assez de force et de tranquillité sans que rien vous dérange, on peut tout d’un coup se trouver en face d’une porte qui s’ouvre et on passe de l’autre côté. Et alors on a la révélation.
Depuis quand fais-tu cela ? Ça t’est toujours arrivé? Ou est-ce récent?
Tu ne sais pas? Peut-être le faisais-tu et tu ne t’en apercevais pas!
Je ne savais pas.
Mais tu ne le fais pas à volonté? Ça te prend comme cela, ça te saisit?
Ah! c’est peut-être aussi l’une des raisons pour lesquelles tu ne te souviens pas.
(Un autre enfant) Douce Mère, quand on passe dans la région de la connaissance, est ce qu’il faut passer par des régions intermédiaires?
Intermédiaires? Mais tu vois, si on le fait par une discipline méthodique, généralement on est obligé de passer d’un plan à l’autre : on s’éveille dans un certain plan, et puis, là, on entre dans le repos et on s’éveille dans un autre plan, et ainsi de suite. Et si on le fait comme cela, alors on se souvient, parce qu’on le fait avec sa volonté consciente et on assiste à l’opération — ces mouvements pour tranquilliser l’être afin de pouvoir justement entrer quelque part et voir ce qui s’y passe, et le mouvement de prendre des notes de ce qui s’y passe et de se préparer à une autre ouverture plus haute, tout cela établit le contact conscient entre les différentes parties de l’être, et alors on peut avoir des expériences sans rien oublier, et par-dessus le marché à volonté.
Mais il y a des personnes peu éduquées, par exemple, qui ont tout d’un coup une faculté et qui ont une expérience directe quelque part dans le mental supérieur, ou dans l’être psychique, ou dans une autre partie de l’être. Il y a beaucoup de raisons à cela : ce peut être le résultat de vies antérieures, ce peut être un phénomène de conscience actuel, ce peut être beaucoup de choses. En tout cas, pour que ce soit pleinement utile, il faut que ce soit fait avec la volonté de l’utiliser pour son progrès et de devenir conscient des différentes parties de l’être afin de pouvoir faire ce que l’on doit faire au mieux de ses capacités. Par exemple, j’ai connu des gens qui étaient absolument ignorants et inéduqués, mais qui avaient un don de vision, et un don remarquable : on les mettait en transe et ils voyaient merveilleusement et ils décrivaient (ils savaient voir et décrire tout ce qu’ils voyaient pendant qu’ils le voyaient). Et quand ils étaient sortis de cette condition-là, c’étaient des êtres absolument ordinaires et sans aucune éducation et sans intelligence. Mais c’était un don merveilleux. C’est-à-dire qu’il y a des êtres qui peuvent faire les plus grands progrès au point de vue spirituel, et même intellectuel, et qui en apparence et dans leur vie extérieure sont tout à fait ordinaires. Il y en a d’autres — j’en ai connu qui avaient une réalisation spirituelle absolument merveilleuse, qui vivaient constamment dans la Présence divine, et qui n’avaient jamais eu une vision de leur vie! Et ils s’en plaignaient... C’est une question de tempérament, de destinée, et probablement de travail que l’on doit faire, parce qu’il est évident que l’on ne peut pas tout faire — physiquement c’est impossible. Par conséquent il faut choisir.
Quand le corps tombe malade, est ce que le mental et le vital tombent malades aussi?
Pas nécessairement. Les maladies (je vous l’ai expliqué) viennent généralement d’une dislocation entre les différentes parties de l’être, d’une sorte de désharmonie. Eh bien, il se peut très bien que le corps n’ait pas suivi certain mouvement de progrès, par exemple, qu’il soit resté en arrière, et que, au contraire, les autres parties de l’être aient progressé, et alors ce déséquilibre-là, cette rupture d’harmonie, crée la maladie, et le mental peut être en très bon état et le vital aussi. Il y a des gens qui ont été malades pendant des années — des maladies terribles et incurables — et qui ont gardé leur capacité mentale merveilleusement claire, et qui progressaient mentalement. Il y a un poète français (un très bon poète) qui s’appelait Sully Prudhomme, il était mortellement malade; et c’est à ce moment-là qu’il a produit ses plus beaux poèmes. Il restait d’une humeur charmante, aimable, souriante — aimable avec tout le monde —, et pourtant son corps s’en allait en morceaux. Cela dépend des gens. Il y en a d’autres, au contraire, dès qu’ils ont le moindre mal, tout est déséquilibré du haut en bas, ils ne valent plus rien. Pour chacun, la combinaison est différente.
On dit qu’il y a une relation entre le physique et le men tal. Si le mental ne va pas bien, alors?
Mais certainement il y a une relation entre le physique et le mental ! Il y a même plus qu’une relation : c’est un lien très étroit puisque, la plupart du temps, c’est le mental qui rend le physique malade. En tout cas, il est le principal facteur.
Et si le corps ne va pas bien?
Cela dépend des gens, je te dis. Il y a des gens, dès qu’ils ont la moindre chose à leur corps, leur mental est complètement déséquilibré. Il y en a d’autres qui peuvent être très malades et qui gardent leur mental clair. Il est plus rare et plus difficile de voir un mental qui est déséquilibré et un corps qui reste sain — ce n’est pas impossible, mais c’est beaucoup plus rare, parce que le corps dépend beaucoup de l’état du mental. Le mental (je l’ai écrit là) est le maître du physique. Et j’ai dit que le corps était un serviteur très docile et très obéissant. Seulement on ne sait pas se servir de son mental, au contraire. Non seulement on ne sait pas s’en servir, mais on s’en sert aussi mal que possible. Le mental a un pouvoir de formation considérable et une action directe sur le corps, et généralement on se sert de ce pouvoir pour se rendre malade. Parce que dès que la moindre chose ne va pas, le mental commence à former et à construire toutes les catastrophes possibles, à se demander si ce sera ceci, si ce sera cela, est-ce que ça va être comme ça, et comment ça se terminera. Eh bien, si, au lieu de laisser ce mental faire une œuvre tout à fait néfaste, on se servait de la même capacité pour faire des formations favorables — simplement, par exemple, pour donner confiance au corps, pour lui dire que c’est seulement un déséquilibre passager et que ce n’est rien, et que s’il entre dans un véritable état de réceptivité, le mal peut passer aussi facilement qu’il est venu, et que l’on peut se guérir en quelques secondes —, si l’on sait faire cela, on obtient des résultats merveilleux.
Il y a une minute de choix, même dans un accident. Par exemple, on glisse et on tombe. Juste entre le moment où l’on a glissé et le moment où l’on tombe, il y a une fraction de seconde. À ce moment-là, on a le choix : ça peut n’être rien, ça peut être grave. Seulement, naturellement, il faut avoir la conscience tout à fait éveillée et être en rapport avec son être psychique constamment : on n’a pas le temps de se mettre en rapport, il faut être en rapport. Entre le moment où l’on glisse et le moment où l’on est par terre, si la formation mentale et psychique est suffisante, ce n’est rien, il n’arrivera rien — il n’arrive rien. Tandis que si, à ce moment-là, le mental est selon son habitude un pessimiste et qu’il se dise : « Aïe! j’ai glissé! »... Ça dure une fraction de seconde (ce n’est pas une chose qui prend une minute : c’est une fraction de seconde), pendant une fraction de seconde on a le choix. Mais il faut être tellement éveillé, à chaque minute de sa vie! Pendant une fraction de seconde on a le choix, il y a une fraction de seconde où l’on peut empêcher l’accident d’être grave, où l’on peut empêcher la maladie d’entrer en soi. On a toujours le choix. Mais c’est une fraction de seconde et il ne faut pas la manquer. Si on la manque, c’est fini.
On peut le faire après? (rires)
Non. Après, il y a encore un autre moment... On est tombé, on s’est déjà fait mal; mais il y a encore un moment où l’on peut faire que cela tourne du bon côté ou du mauvais côté, que ce soit quelque chose de très fugitif dont les mauvais effets disparaîtront vite, ou quelque chose qui deviendra aussi sérieux, aussi grave que ça peut être. Je ne sais pas si vous avez remarqué qu’il y a des personnes qui jamais ne manquent l’occasion d’un accident. Chaque fois qu’il y a la possibilité d’un accident, elles l’ont. Et jamais leur accident n’est ordinaire. Chaque fois que l’accident peut être sérieux, il est sérieux. Eh bien, d’habitude, dans la vie, on dit : « Oh! c’est un guignard, c’est un malchanceux, vraiment il n’est pas veinard! » Mais tout cela est de l’ignorance. Cela dépend absolument de son fonctionnement de conscience. Je pourrais vous donner des exemples (seulement il faudrait vous parler de personnes et je ne veux pas). Mais je pourrais vous donner des exemples frappants! Et ça, ce sont des choses que l’on voit tout le temps, tout le temps ici! Il y a des personnes qui auraient pu se tuer et qui en sortent indemnes; il y en a d’autres pour qui ce n’était pas sérieux et cela devient sérieux.
Mais cela ne dépend pas de la pensée, du fonctionnement de la pensée ordinaire. Ils peuvent être apparemment avec des pensées aussi bonnes que les autres — ce n’est pas cela. C’est la seconde du choix. Des gens qui savent réagir juste de la bonne façon, à la bonne minute. Je pourrais vous donner des centaines d’exemples. C’est tout à fait intéressant.
Cela dépend absolument des caractères. Certains ont une conscience tellement éveillée, alerte, qu’ils ne sont pas endormis, ils sont éveillés au-dedans d’eux-mêmes : juste à la seconde où il faut, ils appellent l’aide. Ou ils invoquent la Force divine. Mais juste à la seconde où il faut. Alors le danger est écarté, il ne se passe rien. Ils auraient pu se tuer : ils sortent de là absolument indemnes. D’autres, au contraire, dès qu’il leur arrive la moindre petite égratignure, il y a quelque chose qui se disloque dans leur être : une sorte de frayeur, ou de pessimisme, ou de défaitisme dans leur conscience, qui se produit automatiquement — ce n’était rien, ils se sont tordu le pied et la minute d’après, ils se le cassent. Il n’y a aucune raison. Ils auraient très bien pu ne pas se casser le pied.
Il y en a d’autres qui grimpent à un premier étage sur une échelle qui croule sous eux. Ils auraient pu s’aplatir par terre — ils sortent de là sans avoir le moindre mal. Comment ont-ils fait? Apparemment, cela paraît admirable, et pourtant ça leur arrive comme cela. Ils se retrouvent par terre tout à fait en bon état, il ne leur est rien arrivé. Je pourrais vous donner des noms, je vous raconte des faits exacts.
Alors, de quoi cela dépend? Cela dépend si l’on est suffisamment éveillé pour que, à la seconde du choix... Et note que ce n’est pas du tout mental, ce n’est pas cela : c’est une attitude de l’être, c’est la conscience qui réagit de la bonne manière. Ça va très loin, très loin, c’est formidable le pouvoir de cette attitude. Mais comme c’est une fraction de seconde, cela implique une conscience tout à fait éveillée, qui ne s’endort jamais, qui n’entre jamais dans l’inconscient. Parce que l’on ne sait pas quand ça va arriver, n’est-ce pas, par conséquent on n’a pas le temps de se réveiller. Il faut être éveillé.
J’ai connu quelqu’un qui, justement, aurait dû mourir, et qui n’est pas mort à cause de cela — parce que sa conscience a réagi très vite. Il s’était empoisonné par erreur : au lieu de prendre une dose de médecine, il en avait pris douze, et c’était un poison; il aurait dû mourir, le cœur devait s’arrêter (il y a des années de cela) et il est encore tout à fait vivant. Il a réagi convenablement.
Si l’on racontait ces choses, on dirait que ce sont des miracles. Ce ne sont pas des miracles : c’est une conscience éveillée.
Comment a-t-on été sauvé l’autre jour, quand on tra vaillait là-bas avec la grue 47 ?
Je suppose que vous devez le savoir!
On le sait partiellement.
Très partiellement, vaguement, une sorte d’impression « comme ça » — une impression, presque une attitude, mais pas une connaissance. Comment cela fonctionne, on ne saurait pas le dire!
C’était par la Grâce.
Mais si tu veux m’expliquer comment ça fonctionne, ce serait intéressant pour tout le monde. Ce serait très intéressant de savoir qui, justement, avait la conscience éveillée, avait la foi, et une sorte de... quelque chose qui a répondu automatiquement, et peut-être pas consciemment.
Il y a des degrés, il y a beaucoup de degrés. L’intelligence humaine est telle qu’à moins qu’il n’y ait un contraste, elle ne comprend pas. N’est-ce pas, j’ai reçu des centaines de lettres de gens qui me remerciaient parce qu’ils avaient été sauvés; mais c’est très, très rare que quelqu’un m’écrive pour me remercier parce qu’il n’est rien arrivé, vous comprenez! Prenons un accident, c’est déjà un commencement de déséquilibre. Naturellement, quand c’est un accident public ou collectif, l’atmosphère de chacun a sa part dans la chose, et cela dépend de la proportion des défaitistes et de ceux qui, au contraire, sont du bon côté. Je ne sais pas si je l’ai écrit — c’est écrit quelque part —, mais c’est une chose très intéressante. Je vais vous la raconter... Les gens ne s’aperçoivent du fonctionnement de la Grâce que quand il y a eu un danger, c’est-à-dire quand il y a eu un commencement d’accident, ou quand l’accident s’est produit et qu’ils y ont échappé. Alors ils se rendent compte. Mais jamais ils ne se rendent compte que si, par exemple, un voyage, ou n’importe, se passe sans accident, c’est une grâce infiniment supérieure. C’est-à-dire que l’harmonie est établie de telle façon que rien ne peut arriver. Mais ça leur paraît tout naturel. Quand les gens sont malades et qu’ils guérissent vite, ils sont pleins de reconnaissance; mais jamais ils ne pensent à être reconnaissants quand ils se portent bien; et pourtant c’est un miracle beaucoup plus grand! Dans les accidents collectifs, ce qui est intéressant, c’est justement la proportion, la sorte d’équilibre ou de déséquilibre, la combinaison produite par les différentes atmosphères des gens.
Il y avait un aviateur qui était un des grands « as », comme on dit, de la Première Guerre, et qui était un aviateur merveilleux. Il avait remporté d’innombrables victoires, il ne lui était jamais rien arrivé. Mais quelque chose s’est produit dans sa vie, et tout d’un coup il a eu le sentiment qu’il allait lui arriver quelque chose, un accident, que c’était fini. Ce qu’ils appellent leur « bonne chance » était passée... Cet homme est sorti du militaire pour entrer dans le civil, et il pilotait sur l’une des lignes d’avion — non, pas dans le civil : il est sorti de la guerre, mais il est resté avec les avions militaires. Et alors, il voulait faire une randonnée jusqu’au sud de l’Afrique : depuis la France jusqu’au sud de l’Afrique. Évidemment, quelque chose a dû se disloquer dans sa conscience (je ne le connaissais pas personnellement, alors je ne sais pas ce qui est arrivé). Il est parti d’une certaine ville de France pour aller, je crois, à Madagascar (je n’en suis pas sûre, je crois que c’était Madagascar) et de là, il voulait remonter en France. Mon frère était à ce moment-là gouverneur du Congo, et il avait envie de rejoindre son poste vite. Il a demandé à être admis sur l’avion comme passager (c’était un avion pour faire de ces randonnées professionnelles et montrer ce que les avions peuvent faire); beaucoup de gens voulaient dissuader mon frère de monter, en lui disant : « Non, ces randonnées-là sont toujours dangereuses, il ne faut pas y aller. » Mais enfin, il y est allé tout de même. Ils ont eu une panne et ils se sont arrêtés au milieu du Sahara, ce qui n’est pas une situation très agréable. Mais enfin, tout s’est arrangé comme par miracle, l’avion est reparti et a déposé mon frère au Congo, là où il devait aller, puis il est descendu plus bas. Et après, à moitié chemin, l’avion s’est écrasé — et l’autre s’est tué... Il était évident que cela devait arriver. Mais mon frère avait une foi absolue en sa destinée, une certitude qu’il n’arriverait rien. Et cela s’est traduit comme cela : le mélange des deux atmosphères a fait qu’il n’a pas pu éviter qu’il y ait eu une dislocation, puisqu’il y a eu une panne au Sahara et que l’avion a été obligé d’atterrir, mais finalement tout s’est arrangé et il n’y a pas eu d’accident vraiment. Mais une fois que lui n’était plus là, l’autre avait toute la force de sa « mauvaise chance » (si vous voulez), et l’accident était complet et il s’est tué.
Il est arrivé une chose analogue avec un bateau. Il y avait deux personnes (c’étaient des gens connus, mais je ne me souviens plus de leurs noms), qui étaient allées en Indochine par avion. Il y a eu un accident, ils ont été les seuls sauvés — tous les passagers ont été tués, enfin c’était une affaire assez dramatique. Mais c’étaient des gens (mari et femme) qui devaient être ce qu’on appelle des porte-malheur — c’est une sorte d’atmosphère comme cela. Eh bien, ces gens-là ont voulu retourner en France (parce que, en fait, l’accident est arrivé quand ils voulaient rentrer en France), ils ont voulu retourner en France, ils ont pris un bateau. Et d’une façon tout à fait inattendue, inhabituelle, en pleine Mer Rouge, le bateau a été cogner contre un récif (une chose qui n’arrive pas une fois sur un million de voyages) et le bateau s’est engouffré; et les autres ont été noyés, et eux ont été sauvés. Et je ne pouvais rien faire, n’est-ce pas, j’avais envie de dire : « Attention, ne voyagez jamais avec eux !... » Il y a des individus comme cela : partout où ils sont, ils se sortent de là très bien, mais les catastrophes sont pour les autres.
Si l’on voit les choses d’une façon ordinaire, on ne remarque pas. Mais les associations d’atmosphère, il faut y faire attention. C’est pour cela que quand on voyage d’une façon collective, il faudrait savoir avec qui l’on voyage. Il faudrait avoir une connaissance intérieure, il faut avoir une vision. Et puis, si l’on voit quelqu’un qui a, comme cela, une espèce de petit tourbillon noir autour de lui, il faut faire attention de ne pas voyager avec lui, parce que, sûrement, il arrivera un accident — peut-être pas à lui-même. Par conséquent, il est assez utile de connaître les choses d’une façon un peu plus profonde que le tout à fait superficiel.
(Regardant l’enfant) Il a l’air de trouver que la vie devient très difficile comme cela !
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