Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.
« Les êtres du monde vital sont puissants par leur nature même; quand à leur pouvoir ils ajoutent la connais sance, ils sont doublement dangereux. Il n’y a rien à faire avec ces créatures; on doit éviter soigneusement tout rap port avec elles, à moins qu’on n’ait le moyen de les écraser et de les détruire. Si vous êtes forcé par les circonstances d’entrer en contact avec l’une d’elles, prenez bien garde au charme qui se dégage d’elles. Les êtres du vital, quand ils se manifestent sur le plan physique, ont toujours un grand pouvoir hypnotique, car le centre de leur cons cience est dans le monde vital et non dans le matériel, et ils ne sont pas voilés et rapetissés par la conscience maté rielle comme le sont les êtres humains. » (Entretien du 12 mai 1929)
« Les êtres du monde vital sont puissants par leur nature même; quand à leur pouvoir ils ajoutent la connais sance, ils sont doublement dangereux. Il n’y a rien à faire avec ces créatures; on doit éviter soigneusement tout rap port avec elles, à moins qu’on n’ait le moyen de les écraser et de les détruire. Si vous êtes forcé par les circonstances d’entrer en contact avec l’une d’elles, prenez bien garde au charme qui se dégage d’elles. Les êtres du vital, quand ils se manifestent sur le plan physique, ont toujours un grand pouvoir hypnotique, car le centre de leur cons cience est dans le monde vital et non dans le matériel, et ils ne sont pas voilés et rapetissés par la conscience maté rielle comme le sont les êtres humains. »
(Entretien du 12 mai 1929)
Douce Mère, « ces êtres sont très puissants », quelle sorte de pouvoir ont-ils?
Le pouvoir que le vital a sur la matière. Et en fait, vous ne pouvez rien faire sans le pouvoir vital. S’il n’y avait pas de pouvoir vital, la matière serait inerte et inconsistante. Le pouvoir vital est ce que les hommes appellent généralement « le pouvoir » tout court.
Est ce que l’on ne peut pas remplacer le pouvoir vital par un autre pouvoir plus haut?
Non. Il faut transformer celui-là. J’ai toujours dit que l’on ne pouvait rien faire sans le vital, mais il faut que le vital se convertisse; c’est-à-dire qu’au lieu d’être un instrument de ces êtres-là, il devienne un instrument de la Volonté divine. On ne peut rien faire dans le monde physique sans le vital. C’est justement là l’erreur des ascétiques; comme ils savent que c’est un pouvoir qui est plein de désirs et justement de besoin de se réaliser, ils l’abolissent, ils l’abrutissent au point qu’il n’existe plus. Toutes les méthodes ascétiques sont faites pour abolir et pour abrutir le vital. Parce que c’est le moyen évidemment le plus commode de couper toute connexion avec la vie matérielle : on devient une espèce d’être pire que végétatif.
Ce qu’il faut, c’est que le vital, au lieu de servir ses propres fins ou d’être un instrument des forces antidivines, devienne un instrument du Divin et mette toute sa puissance au service du Divin. C’est tout à fait possible.
Quand nous avons peur, est ce dû à la méchanceté de ces êtres?
Oui, mon petit. La peur est le plus beau cadeau que ces êtreslà ont donné au monde. C’est leur premier cadeau, et c’est le plus puissant. C’est par la peur qu’ils tiennent les êtres humains. D’abord, ils créent un mouvement de peur — le mouvement de peur vous affaiblit, puis vous livre petit à petit à leur pouvoir. Et ce n’est même pas une peur raisonnée : c’est une espèce de peur qui vous saisit, on ne sait pas pourquoi, quelque chose qui vous fait trembler, qui vous donne une angoisse. Vous ne savez pas pourquoi, cela n’a pas de raison apparente. C’est leur action.
Quand on a peur, qu’est ce que l’on doit faire?
Cela dépend de qui l’on est. Il y a beaucoup de manières de se guérir de la peur.
Si l’on a un contact quelconque avec son être psychique, il faut y faire appel tout de suite, et dans la lumière psychique remettre les choses en ordre. C’est le moyen le plus puissant.
Quand on n’a pas ce contact avec le psychique, mais que l’on est un être raisonnable, c’est-à-dire qu’on a le libre mouvement de la mentalité raisonnante, on peut s’en servir pour se raisonner, pour se parler comme on parlerait à un enfant, en expliquant que cette peur est une chose mauvaise en soi et que même s’il y a un danger, faire face au danger avec la peur est la plus grande stupidité. S’il y a un vrai danger, ce n’est qu’avec la puissance du courage que vous avez une chance de vous en sortir; si vous avez la moindre peur, vous êtes fini. Alors avec ce raisonnement-là, arrivez à convaincre la partie qui a peur qu’elle doit cesser d’avoir peur.
Si vous avez la foi et que vous soyez consacré au Divin, il y a un moyen très simple, c’est de dire : « Que Ta volonté soit faite. Rien ne peut me faire peur, parce que c’est Toi qui diriges ma vie. Je T’appartiens et Tu diriges ma vie. » Cela agit instantanément. C’est de tous les moyens le plus efficace : ma foi, voilà. C’est-à-dire qu’il faut vraiment être consacré au Divin. Si l’on a ça, cela agit instantanément, toute peur s’évanouit comme un rêve, immédiatement. Mais l’être à l’influence mauvaise aussi s’évanouit comme un rêve en même temps que la peur. Il faut le voir s’enfuir en vitesse, prrt! Voilà.
Maintenant, il y a des gens qui ont une puissance vitale en eux et qui sont des combattants, qui immédiatement lèvent la tête et disent : « Ah! il y a un ennemi ici, nous allons l’abattre. » Mais pour cela, il faut avoir la connaissance et un très grand pouvoir vital. Il faut être un géant vital. Cela n’arrive pas à tout le monde.
Cela fait beaucoup de manières différentes. Elles sont toutes bonnes si l’on sait se servir de celle qui est en conformité avec sa propre nature.
Si l’on veut faire un saut pendant la gymnastique, et qu’on ait peur, qu’est ce que c’est?
Ah! là, mes enfants, cela dépend. Il faut distinguer entre deux choses très différentes et il faut les traiter d’une façon très différente.
Si c’est une peur vitale, il faut se raisonner et aller tout de même. Mais si c’est un instinct physique (c’est possible, cela arrive très souvent qu’il y ait une sorte d’instinct physique), dans ce cas, il faut l’écouter, parce que l’instinct du corps est une chose très sûre, s’il n’est pas dérangé par la pensée ou par la volonté vitale. Le corps livré à lui-même sait très bien ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas faire. Et non seulement cela, mais même une chose que l’on peut faire et que l’on fait d’habitude, si un jour on sent une sorte de répugnance, comme si l’on se contractait, il faut surtout ne pas la faire; c’est une indication que, pour une raison quelconque — une raison purement matérielle de dérangement de fonctionnement du corps —, on n’est pas apte à faire la chose à ce moment-là. Il ne faut pas la faire. Dans ce cas-là, ce n’est même pas une peur, c’est quelque chose qui se contracte, qui se retire — il n’y a rien dans la tête, cela ne correspond pas à une espèce de pensée comme : « Qu’est-ce qu’il va arriver? » Quand la tête se met à marcher et qu’on se dit : « Qu’est-ce qui va arriver? », il faut le balayer, parce que cela ne vaut rien; il faut user de tous ses moyens de raison et de bon sens pour chasser cela. Mais si c’est une sensation purement physique, comme quelque chose qui se contracte, une sorte de répugnance physique, si le corps lui-même se refuse pour ainsi dire, il ne faut jamais le forcer, jamais, parce que c’est généralement quand on le force qu’il arrive un accident. Cela peut très bien être une espèce de prescience qu’il va arriver un accident, que si on fait la chose, on n’ira pas loin. Et dans ce cas, il ne faut pas la faire. Il ne faut même pas y mettre le moindre amour-propre. Il faut se rendre compte : « Aujourd’hui, je ne suis pas en état. »
Mais si c’est une peur vitale, si par exemple vous avez un concours ou un tournoi, que vous sentiez cette peur et puis : « Qu’est-ce qui va arriver? », il faut balayer cela bien vite, cela ne vaut rien.
Mais quelquefois, c’est la paresse qui nous empêche de faire.
Ah! si l’on est tâmasique, c’est encore autre chose. Si on a une nature tâmasique, il faut user d’un autre procédé. Il faut mettre sa conscience, sa volonté, sa force, rassembler son énergie, se secouer un peu et se donner des coups de fouet : clac ! clac ! marche! Si c’est la paresse qui vous empêche, par exemple, de faire de la voltige, il faut faire immédiatement quelque chose de beaucoup plus fatigant et dire : « Ah! bien, tu ne veux pas faire ça ? Eh bien, tu vas courir 1500 m! » Ou bien : « Je ne veux pas lever le poids aujourd’hui, je ne me sens pas disposé : bon, je sauterai à la corde quatre mille fois sans m’arrêter. »
On applique la même méthode pour les études aussi?
Oui, exactement. Si l’on n’a pas envie d’apprendre sa leçon, on prend un livre dix fois plus embêtant, quelque chose qui est sec, et on s’oblige à le lire avec attention. Il y a de ces livres qui sont tellement secs, d’une connaissance tellement aride... Eh bien, si vous n’avez pas envie de lire votre livre d’histoire ou de géographie, qui après tout sont très faciles et très amusants, au lieu de cela on prend un de ces livres comme on vous en donne (Mère regarde un professeur)... je n’ose pas dire parce que votre professeur est là !... excessivement aride, et on s’oblige à étudier au moins la moitié du livre. Après, le reste vous paraît enchanteur.
Est ce qu’il ne serait pas bon de continuer le travail même si l’on sent la paresse?
Cela dépend du travail. Nous entrons dans un autre domaine.
Si c’est un travail que vous faites pour la collectivité, qui n’est pas pour vous personnellement, quoi que ce soit qui vous arrive, il faut le faire. C’est une discipline élémentaire. Vous avez pris l’engagement de faire ce travail, ou on vous a donné ce travail et vous l’avez pris, par conséquent vous l’avez accepté, et dans ce cas-là il faut le faire. Dans tous les cas, à moins que l’on ne soit absolument malade, au dernier degré de la maladie, que l’on ne puisse pas bouger, il faut le faire. Si l’on est même un peu malade, il faut le faire. Un travail désintéressé vous guérit toujours de vos petites maladies personnelles. Naturellement, si vraiment vous êtes obligé d’être sur votre lit sans pouvoir bouger, avec une fièvre formidable ou une maladie très grave, c’est autre chose. Mais autrement, si vous êtes seulement un petit peu mal à l’aise — « Je ne me sens pas très bien, j’ai un peu mal à la tête, ou j’ai une mauvaise digestion, ou j’ai un fort rhume, je tousse », des choses comme cela — faire son travail, ne pas penser à soi, penser au travail, le faire aussi bien que l’on peut, cela vous remet d’aplomb.
Au fond, une maladie est seulement un déséquilibre; et alors, si vous avez le pouvoir d’établir un autre équilibre, ce déséquilibre-là disparaît. Une maladie est tout simplement, toujours, dans tous les cas, même quand les docteurs vous disent qu’il y a des microbes, dans tous les cas, c’est un déséquilibre dans l’être : un déséquilibre entre divers fonctionnements, un déséquilibre entre les forces.
Ce n’est pas pour dire qu’il n’y ait pas de microbes : il y en a, il y a beaucoup plus de microbes encore qu’on n’en connaît. Mais ce n’est pas pour cela que vous êtes malade, parce qu’ils sont toujours là. Il se trouve qu’ils sont toujours là et qu’il y a des jours où ils ne vous font rien, et puis tout d’un coup, un jour, il y en a un qui s’empare de vous et qui vous rend malade. Pourquoi? Simplement parce que la résistance n’était pas ce qu’elle était d’habitude, parce qu’il y a eu un déséquilibre quelque part, que le fonctionnement n’était plus normal. Mais si, par un pouvoir intérieur, vous pouvez rétablir l’équilibre, alors c’est fini, il n’y a plus de difficulté, le déséquilibre disparaît.
Il n’y a pas d’autre manière de guérir les gens. C’est simplement quand on voit le déséquilibre et que l’on est capable de rétablir l’équilibre que l’on est guéri. Seulement on rencontre deux catégories très différentes... Les uns tiennent à leur déséquilibre — ils y tiennent, ils s’y cramponnent, ils ne veulent pas le laisser aller. Alors vous pouvez essayer tout ce que vous voulez : même si vous rétablissez l’équilibre, la minute suivante ils se déséquilibreront encore, parce qu’ils aiment cela. Ils disent : « Oh! non, je ne veux pas être malade », mais au-dedans d’eux il y a quelque chose qui tient ferme à un déséquilibre, qui ne veut pas le laisser. Il y en a d’autres, au contraire, qui sont sincèrement amoureux de l’équilibre, et dès que vous leur donnez le pouvoir de retrouver leur équilibre, l’équilibre est rétabli et en quelques minutes ils sont guéris. Ils n’avaient pas la connaissance suffisante ou ils n’avaient pas le pouvoir suffisant pour rétablir l’ordre — le déséquilibre est un désordre. Mais si vous intervenez, que vous ayez la connaissance et que vous rétablissiez l’équilibre, tout naturellement la maladie va disparaître; et les gens qui vous laissent faire guérissent. Ce sont seulement ceux qui ne vous laissent pas faire qui ne guérissent pas; et c’est visible, ils ne vous laissent pas faire, ils s’agrippent. Je leur dis : « Ah! vous n’êtes pas guéri? Allez donc voir un docteur. » Et le plus beau de l’affaire, c’est qu’ils croient aux docteurs la plupart du temps, alors que le fonctionnement est le même! Tout docteur qui est un petit peu philosophe vous dira : « C’est comme cela : nous, nous donnons seulement l’occasion, mais c’est le corps qui se guérit. Quand le corps veut guérir, il se guérit. » Eh bien, il y a des corps, à moins qu’on ne leur fasse absorber une médecine ou quelque chose de très précis qui leur donne l’impression qu’on s’occupe vraiment d’eux, qui n’acceptent pas que l’équilibre soit rétabli; mais si vous leur donnez un traitement très précis, très exact, et quelquefois très difficile à suivre, ils commencent à être convaincus qu’il n’y a rien de mieux à faire que de se remettre en équilibre, et ils se remettent en équilibre!
Je connaissais un docteur qui était un neurologue, qui traitait les maladies d’estomac, et qui disait que toutes les maladies d’estomac provenaient d’un état nerveux plus ou moins mauvais. C’était un docteur pour gens riches et c’étaient des gens riches et inoccupés qui allaient à lui. Alors ils venaient et disaient : « J’ai mal à l’estomac, je ne peux pas digérer », ceci, cela... Ils avaient des douleurs atroces, ils avaient mal à la tête, ils avaient... enfin tous les phénomènes. Alors il les écoutait très sérieusement. J’ai connu une dame qui y est allée et à qui le docteur a dit : « Ah! votre cas est très grave. Mais à quel étage habitez-vous? Au rezde-chaussée! Bien. Eh bien, voilà ce qu’il faut que vous fassiez pour guérir votre maladie d’estomac. Vous prenez une grappe de raisins bien mûrs (vous ne prenez pas de petit déjeuner, parce que le petit déjeuner bouleverse votre estomac), vous prenez une grappe de raisins. Vous la tenez dans votre main, comme cela, bien soigneusement. Alors vous vous arrangez pour sortir — pas par votre porte, il ne faut jamais sortir par la porte! Il faut que vous sortiez par la fenêtre. Vous arrangez un marchepied. Vous sortez par la fenêtre. Vous allez dans la rue et là, vous marchez en mangeant un grain de raisin tous les deux pas — pas plus! surtout pas plus! vous auriez mal à l’estomac ! Un grain de raisin tous les deux pas. Vous faites deux pas, vous mangez un grain de raisin, et vous continuez jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de grains. Ne vous retournez pas, continuez tout droit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de grains de raisin. Il faut une grosse grappe. Et quand vous avez fini, vous pouvez retourner tranquillement. Mais ne prenez pas une voiture! revenez à pied parce que tout le mal reviendrait. Revenez tranquillement, et je vous garantis que si vous faites cela tous les jours, au bout de trois jours vous serez guérie. » Et en effet cette dame était guérie!
(Un enfant) Quelquefois, on a beaucoup de travail. On ne sait pas comment faire.
Beaucoup de travail... Vraiment beaucoup de travail?
Beaucoup de genres de travaux. Par exemple, pour les études, on a beaucoup de sujets à lire.
Qu’est-ce que tu fais dans la journée, toi, depuis le matin jusqu’au soir? Combien de temps passes-tu à ta toilette, prendre ton bain, t’habiller? À peu près, pas à une minute près.
Trois quarts d’heure à peu près.
Combien de temps passes-tu à manger?
Quinze minutes.
Chaque fois? Combien de fois par jour? Quatre? Bon. Combien de temps passes-tu à bavarder?... Ça, tu ne sais pas!
Je ne bavarde pas.
Tu ne bavardes pas! Toi, tu es un phénomène. Je te mettrai sur un piédestal. Tu ne bavardes pas?
Si, je bavarde, mais quand j’ai du travail, je ne bavarde pas.
Oui. Et combien d’heures par jour faut-il que tu travailles pour faire tes devoirs?
Le matin, quelquefois je me lève à quatre heures et demie.
Pour faire tes devoirs? Tu es encore un peu endormie, non, à quatre heures et demie? Tu es bien réveillée?...
Non! Ah! Et alors, tu te mets à travailler tout de suite?
Oui, quelquefois.
Parce que c’est justement à cela que je tends... Quand tu travailles, si tu arrives à te concentrer, tu peux faire absolument en dix minutes ce qui te prendrait autrement une heure. Si tu veux gagner du temps, apprends à te concentrer. C’est par attention que l’on peut faire les choses vite, et on les fait beaucoup mieux. Si tu as un devoir qui doit te prendre une demi-heure — je ne dis pas s’il te faut écrire pendant une demi-heure, évidemment — mais si tu as à réfléchir et que ton esprit soit flottant, que tu penses non seulement à ce que tu fais, mais aussi à ce que tu as fait et à ce que tu auras à faire et à tes autres phénomènes, tout cela te fait perdre trois fois autant de temps qu’il n’en faut pour faire ton devoir. Quand on a trop de travail, il faut apprendre à se concentrer exclusivement sur ce que l’on fait, avec une intensité d’attention, et vous pouvez faire en dix minutes ce qui autrement vous prendrait une heure.
Alors je ne sais pas, je ne peux pas décider en toute connaissance de cause si tu as trop de travail, à moins que tu ne m’apportes tous les devoirs que tu as à faire; mais je ne crois pas que l’on vous accable de travail. Je dis, je ne le crois pas. Maintenant je n’affirme pas, parce que je ne sais pas ce que tous les professeurs font. Mais en tout cas, si l’on a beaucoup à faire, il faut apprendre à se concentrer beaucoup, d’autant plus, et quand on fait une chose, ne penser qu’à cela et rassembler toute son énergie sur ce que l’on fait. On gagne au moins la moitié du temps. Alors si tu me dis : « J’ai trop de travail », je te réponds : « Tu n’es pas assez concentrée. »
(Un autre enfant) Pour un problème de mathématiques, quelquefois la solution vient vite, quelquefois cela prend trop de temps.
Oui, c’est justement cela : cela dépend du degré de concentration. Si tu t’observes, tu le remarqueras très bien : quand ça ne vient pas, c’est qu’il y a une espèce de flottement dans le cerveau, quelque chose de nuageux, comme un brouillard quelque part, et alors tu es là comme dans un rêve. Tu pousses pour tâcher de trouver, et c’est comme si tu poussais dans du coton, tu n’y vois pas clair. Et alors rien ne vient. Tu peux rester dans cet état-là pendant des heures.
La concentration consiste justement à enlever le nuage. Tu rassembles tous les éléments de ton intelligence, tu les fixes sur un point, et puis tu n’essayes même pas activement de trouver : tout ce que tu fais, c’est de te concentrer de façon à ne voir que le problème — mais pas seulement voir sa surface : le voir dans sa profondeur, ce qu’elle cache. Si tu arrives à rassembler toutes tes énergies mentales, à faire une sorte de pointe qui est fixée sur l’énoncé du problème, et que tu restes là, fixé, comme si tu allais faire un trou dans un mur, tout d’un coup cela viendra. Et c’est la seule manière. Si tu essayes : est-ce ceci, est-ce cela, est-ce ceci, est-ce cela ?... tu ne trouveras jamais rien, ou alors il te faudra des heures. Il faut que tu fasses une pointe des forces mentales, suffisamment forte pour percer les mots et tomber sur la chose qui est derrière. Il y a une chose qui est à trouver — tomber là-dessus.
Et c’est toujours les jours où l’on est un peu flottant que c’est difficile. On est flottant : comme quelque chose qu’on a l’impression d’attraper et qui vous échappe.
Naturellement, s’il y a une impossibilité matérielle, vous n’avez pas affaire à des monstres! Je crois que vos professeurs sont suffisamment raisonnables et si vous allez leur dire : « Eh bien, je n’ai pas pu, je n’ai pas eu le temps; j’ai fait tout ce que j’ai pu, je n’ai pas eu le temps », ils ne vous gronderont pas, je ne le crois pas. Mais là, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c’est une sorte de demi-inertie mentale qui vous fait trouver que vous avez trop de travail. Si vous vous observez, vous vous apercevrez qu’il y a toujours quelque chose qui tire ici, quelque chose qui tire là, et puis cette espèce de flou, comme si l’on vivait dans du coton, dans des nuages : ce n’est pas clair.
L’utilité du travail n’est pas autre que celle-là : cristalliser ce pouvoir mental. Parce que, ce que vous apprenez (à moins que vous ne le mettiez en pratique par un travail ou par des études approfondies), la moitié de ce que vous apprenez, au moins, s’enfuira, disparaîtra avec le temps. Mais cela vous aura laissé une chose : la capacité de cristalliser votre pensée, d’en faire quelque chose de clair, précis, exact et organisé. Et c’est cela, la vraie utilité du travail : organiser votre capacité cérébrale. Si vous restez dans le mouvement de flottement, dans cette sorte de fluidité nuageuse, vous pourrez travailler pendant des années, cela ne vous servira à rien; vous n’en sortirez pas plus intelligents que vous n’y êtes entrés. Tandis que si, même pour une demi-heure, vous arrivez à concentrer votre attention sur des choses qui ont l’air très peu intéressantes, comme une règle de grammaire, par exemple (les règles de grammaire font partie des choses arides dont je parlais; il y a d’autres choses beaucoup plus arides, mais enfin les règles de grammaire sont suffisamment arides), si vous en prenez une et tâchez de la comprendre — pas apprendre par cœur et appliquer d’une façon mécanique ce que vous avez appris par cœur, cela ne vous servira à rien —, mais tâchez de comprendre la pensée qui est derrière les mots : « Pourquoi a-t-on formulé cette règle de cette façon? » et tâchez de trouver votre propre formule pour la chose; cela, c’est si intéressant. « Tiens, ce monsieur qui a écrit cette règle, l’a écrite comme cela ; mais moi, j’étudie, je tâche de comprendre pourquoi; pourquoi a-t-il mis ce mot après celui-ci et ce mot-là après celui-là, et pourquoi a-t-il établi cette règle de cette manière? C’est qu’il a pensé que c’était la façon la plus complète et la plus claire d’exprimer la chose. » Et alors, c’est cette chose qu’il faut trouver. Et quand vous la trouvez, vous vous dites tout d’un coup : « C’est cela que ça veut dire! Il faut le voir comme cela, alors c’est très clair. »
Et je vais vous expliquer : quand vous avez compris, cela fait en vous un petit cristal, comme un petit point qui brille. Et quand vous en aurez mis beaucoup, beaucoup, beaucoup, alors vous commencerez à être intelligents. C’est à cela que sert le travail — pas simplement à se bourrer la tête d’un tas de choses qui ne mènent nulle part.
Pourquoi, chez les gens qui font des études scientifiques, l’imagination artistique fait-elle défaut? Ces deux choses sont-elles opposées?
Pas nécessairement.
En général.
Elles n’appartiennent pas au même domaine. C’est exactement comme si tu avais ce qu’on appelle en anglais « torch-light », un torch-light », un petit phare dans ta tête, à la place de l’observation. Les savants qui veulent faire un travail tournent le phare d’une certaine manière, ils le mettent toujours là, et le phare reste comme cela : ils le tournent vers la matière, vers les détails de la matière. Mais les gens imaginatifs le tournent vers le haut, parce que là-haut, il y a tout, n’est-ce pas, toutes les inspirations des choses artistiques et littéraires : cela vient d’un autre domaine. Cela vient d’un domaine beaucoup plus subtil, beaucoup moins matériel. Alors eux, ils se tournent vers le haut et veulent recevoir la lumière d’en haut. Mais c’est le même instrument. Les autres le tournent vers le bas, et c’est tout simplement un manque de gymnastique. C’est le même instrument. C’est le même pouvoir d’un rayon lumineux sur quelque chose. Mais parce qu’on a pris l’habitude de le concentrer dans une certaine direction, on n’est plus souple, on perd l’habitude de faire autrement.
Mais vous pouvez à n’importe quel moment faire les deux. Quand vous faites de la science, vous le tournez dans une direction, et quand vous faites de la littérature et de l’art, vous le tournez dans l’autre direction; mais c’est le même instrument : tout dépend de l’orientation. Si vous avez de la concentration, vous pouvez promener ce pouvoir de concentration d’une place à l’autre, et dans tous les cas ce sera efficace. Si vous vous occupez de science, vous l’utilisez d’une façon scientifique, et si vous voulez faire de l’art, vous l’utilisez d’une façon artistique. Mais c’est le même instrument et c’est le même pouvoir de concentration. C’est simplement parce que les gens ne savent pas cela qu’ils se limitent eux-mêmes. Alors les gonds se rouillent, ils ne tournent plus. Autrement, si on garde l’habitude de les faire tourner, ils continuent à tourner. D’ailleurs, même au point de vue ordinaire, il n’est pas rare de voir un savant qui ait comme passe-temps une occupation artistique quelconque — et l’inverse aussi. C’est parce qu’ils ont découvert que l’un ne nuisait pas à l’autre et que c’était la même faculté qui pouvait s’appliquer dans les deux cas.
Au fond, au point de vue général, surtout au point de vue intellectuel, la capacité d’attention et de concentration est la chose la plus importante, celle qu’il faut travailler à développer. Au point de vue de l’action (de l’action matérielle), c’est la volonté : il faut travailler pour se construire une volonté inébranlable. Au point de vue intellectuel, il faut travailler pour se construire une concentration que rien ne peut ébranler. Et si vous avez les deux, la concentration et la volonté, vous êtes un être génial et rien ne vous résistera.
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