CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1953 Vol. 5 of CWM (Fre) 472 pages 2008 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.

Entretiens - 1953


mai




Le 27 mai 1953

« Il y a un état de conscience en union avec le Divin, dans lequel on peut jouir de tout ce qu’on lit, ainsi que de tout ce que l’on observe, même du livre le plus banal ou des choses les moins intéressantes. On peut entendre de la très pauvre musique — ce genre de musique qui donne généralement envie de s’enfuir — et quand même y trouver un plaisir, non pas dans sa forme extérieure, mais dans ce qui se trouve par-derrière. On ne perd pas le discernement entre la bonne et la mauvaise musique, mais on passe par-delà l’une et l’autre également, pour atteindre à ce qu’elles expriment. Car il n’existe rien dans ce monde qui n’ait, dans le Divin, son soutien et sa vérité ultimes. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Qu’est ce qui se trouve « par-derrière » la forme exté rieure de la musique?

La musique est un moyen d’exprimer certaines pensées, certains sentiments, certaines émotions, certaines aspirations. Il y a même un domaine où tous ces mouvements sont là, et de là, en les faisant descendre, ils prennent une forme musicale. Celui qui est un très bon compositeur peut, avec une certaine inspiration, produire une très belle musique, parce que c’est un bon musicien. Celui qui est un mauvais musicien peut avoir aussi une très bonne inspiration, il peut recevoir quelque chose qui est bien; seulement, comme il n’a pas la capacité musicale, ce qu’il produit est terriblement banal, ordinaire et pas intéressant. Mais si l’on passe par-delà, si l’on va justement à l’endroit où il y a cette origine de la musique — de l’idée, de l’émotion, de l’inspiration — si l’on va là, on peut goûter ces choses sans du tout être gêné par les formes; cette forme musicale banale peut être reliée à cela, parce que c’est cela qui a été l’inspiration de celui qui a écrit cette musique. Naturellement, il y a des cas où il n’y a pas d’inspiration, où l’origine est simplement une sorte de mécanique musicale. Ce n’est pas toujours intéressant dans tous les cas. Mais je veux dire qu’il y a une condition intérieure dans laquelle la forme extérieure n’est pas la chose la plus importante; c’est l’origine de la musique, c’est l’inspiration qui est au-delà, qui est importante; ce ne sont pas purement les sons, c’est ce que les sons expriment.

Alors l’expression ne peut pas être mieux que l’inspi ration?

Il y a des musiques qui n’ont pas d’inspiration, qui sont comme des mécaniques. Il y a des musiciens qui ont une grande virtuosité, c’est-à-dire qui ont appris la technique à fond et qui, par exemple, exécutent sans faire de fautes les choses les plus rapides et les plus difficiles. Ils peuvent faire de la musique, mais cela n’exprime rien : c’est comme une machine. Cela ne veut rien dire, sauf qu’ils ont beaucoup d’habileté. Parce que le plus important c’est l’inspiration, dans tout ce que l’on fait; dans toutes les productions humaines, le plus important est l’inspiration. Naturellement, il faut que l’exécution soit à la hauteur de l’inspiration; pour pouvoir exprimer vraiment bien les choses les plus hautes, il faut avoir une très bonne technique. Ce n’est pas pour dire que la technique n’est pas nécessaire, elle est même indispensable, mais elle n’est pas seule à être indispensable, elle est moins importante que l’inspiration.

La qualité essentielle de la musique dépend de la place d’où vient cette musique, de son origine.

Qu’est ce que cela veut dire, son origine?

Son point de départ. Comme la source est l’origine de la rivière.

Il y a beaucoup d’origines pour toute chose?

Toute la vie physique a la vie vitale et mentale comme origine. La réalité mentale et la réalité vitale elles-mêmes ont une autre origine, et ainsi de suite. Rien ne peut être manifesté physiquement sur la terre qui n’ait à son origine une vérité supérieure, autrement le monde n’existerait pas. Si c’était une chose plate, qui ait son origine en elle-même, elle cesserait d’exister très vite. C’est parce qu’il y a une force qui pousse, une énergie qui pousse vers la manifestation, que la vie continue à exister. Autrement elle s’épuiserait très vite.

Si chaque chose qui est manifestée dans le monde phy sique a pour origine la Vérité supérieure, qu’est ce qui la rend laide quand elle s’exprime? Pourquoi y a-t-il des choses laides, alors?

Parce qu’il y a des forces qui interviennent entre l’origine et la manifestation.

Si je te demande à toi : « Est-ce que tu connais la vérité de ton être? », qu’est-ce que tu diras?... Tu la connais?... Eh bien, c’est la même chose pour tout. Et toi, pourtant, tu es déjà un être pensant suffisamment évolué qui as déjà passé par toutes sortes de raffinements. Tu n’es plus tout à fait comme, disons, le lézard qui court sur le mur; et pourtant tu serais incapable de dire quelle est la vérité de ton être. C’est justement le secret de toutes les déformations dans le monde. C’est parce qu’il y a toute l’inconscience qui s’est produite par le fait de la séparation de l’Origine. C’est cette inconscience qui fait que l’Origine, elle est là, mais elle ne peut pas se manifester. Elle est là, c’est pour cela que le monde existe. Mais dans son expression elle est déformée, parce qu’elle se manifeste à travers l’inconscience, l’ignorance et l’obscurité.

C’est quelque chose que je vais essayer d’expliquer dans le prochain numéro du Bulletin 6 . Mais enfin, en très court résumé, c’est ceci :

Pour créer l’univers tel qu’il était, la Volonté était une projection individuelle — individuelle, tu comprends, un morcellement : au lieu d’être une unité qui contient tout, c’est une unité qui est faite d’innombrables petites unités qui sont des individualisations, c’est-à-dire des choses qui se sentent séparées. Et du fait que c’est séparé de tous les autres, c’est cela qui, en toi, te donne l’impression que tu es un individu. Autrement tu aurais l’impression que tu es une masse fluide. Par exemple, au lieu d’être conscient de ta forme extérieure et de tout ce qui, dans ton être, fait de toi une individualité séparée, si tu étais conscient des forces vitales qui se meuvent partout, ou bien de l’inconscience qui est à la base de tout, tu aurais l’impression d’une masse mouvante avec toutes sortes de mouvements contradictoires, mais que l’on ne pourrait pas séparer l’un de l’autre; tu n’aurais pas du tout l’impression d’être un individu : tu aurais l’impression de quelque chose comme une vibration dans un tout. Eh bien, la Volonté originelle était de former des êtres individuels qui seraient capables de redevenir conscients de leur Origine divine. Le procédé d’individualisation a fait que, pour être un individu, il faut se sentir séparé. De la minute où l’on est séparé, on est coupé de la Conscience originelle, au moins apparemment et on tombe dans l’inconscience. Puisque la seule chose qui est la Vie de la vie, c’est l’Origine, si vous vous coupez de cela, la conscience naturellement se change en inconscience. Et alors, c’est cette inconscience même qui fait que vous ne vous rendez plus compte de la vérité de votre être...

C’est un processus. On ne peut pas discuter si c’était inévitable ou évitable : le fait est que c’est comme cela. Ce processus de formation, de création, a fait que la pureté ne se manifeste plus dans son essence et sa pureté, mais à travers la déformation de l’inconscience et de l’ignorance. Si tu m’avais répondu immédiatement : « Mais oui, je sais la vérité de mon être! », c’était fini, il n’y avait plus de problème.

C’est pour cela qu’il y a toutes les laideurs, qu’il y a la mort. C’est pour cela qu’il y a les maladies, c’est pour cela qu’il y a la méchanceté; c’est pour cela qu’il y a la souffrance. Il n’y a pas d’autre remède, il n’y a qu’une seule façon pour toutes ces choses. Cela se produit dans des domaines différents et avec des vibrations différentes, mais la cause de tout cela est la même. C’est cette inconscience qui s’est produite à cause de la nécessité de la formation individuelle. Je le dis encore : je n’affirme pas que c’était indispensable. Cela, c’est un autre problème que, peut-être, plus tard, nous serons à même de résoudre; mais enfin, pour le moment, nous sommes obligés de constater que c’est comme cela.

Et alors, le remède? Puisque telle est la cause, le seul moyen de tout arranger, c’est de reprendre conscience. Et c’est très simple, c’est très simple.

Admets qu’il y ait dans l’univers deux éléments opposés et contradictoires, comme certaines religions l’ont prêché : il y avait le bien et le mal, et il y aura toujours le bien et le mal, ce sera un conflit, une bataille, une lutte. Celui qui sera le plus fort, que ce soit le bien ou le mal, triomphera : s’il y a un peu plus de bien ce sera le bien, s’il y a un peu plus de mal ce sera le mal ; mais les deux existeront toujours. Si c’était comme cela, ce serait sans espoir, et alors il n’y aurait pas à dire ni que c’est difficile ni que c’est facile : ce serait impossible. On ne pourrait pas s’en sortir. Mais il se trouve que ce n’est pas comme cela.

Il se trouve qu’il n’y a qu’une Origine, et que cette Origine c’est la perfection de la Vérité, puisque c’est la seule chose qui soit vraiment existante; et en s’extériorisant, en se projetant audehors, en s’éparpillant, cela produit ce que nous voyons, et des tas de petits cerveaux qui sont tous très gentils, très brillants, mais qui sont à la recherche de quelque chose qu’ils n’ont pas encore attrapé — mais qu’ils peuvent attraper, parce que la chose qu’ils cherchent est au-dedans d’eux. Cela, c’est une certitude. Cela peut prendre plus ou moins de temps, mais c’est sûr d’arriver. Le remède est au centre même du mal, voilà.

On a appelé cela de toutes sortes de noms, chacun l’a présenté à sa façon. Selon l’angle on a une expérience. Tous les gens qui ont trouvé le Divin au-dedans d’eux l’ont trouvé d’une certaine façon, après une certaine expérience et sous un certain angle, et cet angle était pour eux évident. Et alors, s’ils ne sont pas bien sur leurs gardes, ils commencent à dire : « Pour trouver le Divin, il faut faire ceci et cela. Et c’est comme cela, et c’est ce chemin-là qu’il faut suivre », parce que c’est celui qui leur a réussi. Quand on est un peu plus loin, quand on a un peu plus d’expérience, on se rend compte que ce n’est pas nécessairement comme cela, que cela peut être par des millions de moyens... Il n’y a qu’une chose qui est sûre, c’est que ce que l’on trouve est le même. Et c’est cela qui est remarquable, c’est que quel que soit le chemin suivi, quelle que soit la forme qu’on lui ait donnée, le résultat est le même. Leur expérience à tous est la même. Quand ils ont touché à la Chose, c’est pour tous la même chose. C’est justement la preuve qu’ils ont touché à Ça, parce que c’est la même chose pour tous. Si ce n’est pas la même chose, cela veut dire qu’ils n’ont pas encore touché à Ça. Quand ils ont touché Ça, c’est la même chose. Et à Cela, vous pouvez donner tous les noms que vous voulez, cela ne fait rien.

Les mots sont des mots. Au fond, cela ne veut rien dire s’il n’y a pas quelque chose derrière. Tu n’as jamais remarqué que quand tu parles à certaines gens, tu peux t’exprimer tout à fait clairement, ils ne comprennent rien; et à d’autres gens, tu dis deux mots, ils comprennent tout de suite? Tu n’as pas eu cette expérience? Non? Moi, je l’ai eue souvent. Par conséquent cela ne dépend pas de la forme extérieure, des mots que l’on dit, mais de la force de pensée que l’on met dedans; et plus la force de pensée est grande, puissante, précise, claire, plus ce que vous dites a une chance d’être perçu par les gens qui sont capables de recevoir cette force-là. Mais si quelqu’un parle sans penser, généralement il est impossible de comprendre ce qu’il dit. Ça fait une sorte de bruit, c’est tout. Par exemple, quand vous avez l’habitude de parler avec quelqu’un, d’échanger vos idées, et que vous vous êtes ajustés mentalement, c’est-à-dire que vous avez pris la précaution de dire : « Quand je dis ce mot-là, je veux dire cela » et que l’autre a dit : « Quand je dis ce mot-là, je veux dire cela », et ainsi de suite; quand on a pris l’habitude de l’échange, que l’on a établi une sorte de contact entre cerveau et cerveau — même ne serait-ce que cela —, on se comprend très facilement. Mais avec des gens qui viennent tout à fait d’ailleurs, avec qui vous n’avez jamais parlé, il vous faut un petit moment d’ajustement, d’adaptation pour comprendre ce qu’ils veulent dire avec les mots qu’ils emploient... Qu’est-ce qui fait que vous vous comprenez? C’est justement cette espèce de sens mental qui est derrière les mots. Quand la pensée est pensée fortement, on a une puissance de vibrations, et c’est cela qui est perçu; le mot n’est qu’un moyen intermédiaire. On peut développer cela au point d’avoir un contact mental direct avec un minimum de mots, ou même pas de mots du tout; mais alors il faut avoir une très grande force de concentration de pensée. Et pour tout ce que l’on fait, c’est comme cela. Quand la conscience est développée derrière, quand on a le pouvoir de la concentrer, alors on peut faire n’importe quoi, cette conscience agira 7 . Ce n’est certainement pas la mécanique corporelle qui vous fait agir; la mécanique est simplement un instrument, pas plus. Le jour où vous attrapez cela (c’est invisible mais on peut le saisir), quand on attrape cela et qu’on le met dans son mouvement, ce mouvement devient conscient et on fait bien tout ce que l’on fait. Le jour où on ne l’attrape pas, cela vous échappe comme de l’eau à travers les doigts; et alors vous êtes maladroit, vous ne comprenez pas, vous ne savez pas ce qu’il faut faire. Par conséquent ce n’est pas la mécanique physique qui compte, c’est ce qui est derrière.

De quel plan vient la musique, généralement?

Cela va en échelons. Il y a toute une catégorie de musique qui vient d’un vital supérieur, qui est très prenante, un petit peu (pour ne pas dire exactement) vulgaire, c’est quelque chose qui vous tord les nerfs. Cette musique n’est pas forcément désagréable, mais généralement ça vous prend là, dans les centres nerveux. Il y a donc une musique qui a une origine vitale. Il y a une musique qui a une origine psychique — c’est tout à fait autre chose. Et puis il y a une musique qui a une origine spirituelle : c’est tout à fait brillant et cela vous emporte, cela vous prend tout entier. Mais si vous voulez exécuter exactement cette musique-là, il faut être capable de la faire passer par le passage vital — votre musique qui vient d’en haut peut être extérieurement tout à fait plate si vous n’avez pas cette intensité de vibration vitale qui lui donnera sa splendeur et sa puissance. J’ai connu des gens qui avaient vraiment une inspiration tout à fait haute, et cela devenait très plat parce que le vital ne bougeait pas. J’avoue que par leurs pratiques spirituelles, ils avaient endormi complètement leur vital — il dormait littéralement, il n’agissait pas du tout — et la musique venait tout droit dans le physique, et si l’on était branché sur l’origine de la musique, on voyait que c’était quelque chose de très merveilleux, mais extérieurement cela n’avait pas de force, c’était une petite mélodie très pauvre, très mince : il n’y avait pas toutes les puissances de l’harmonie. Quand on peut faire jouer le vital, alors toute la puissance de vibration est là. Si l’on met dedans cette origine supérieure, cela devient de la musique de génie.

Pour la musique, c’est très particulier; c’est difficile, cela a besoin d’un intermédiaire. Et c’est comme cela pour toute chose, pour la littérature aussi, pour la poésie aussi, pour la peinture aussi, pour tout ce que l’on fait. La valeur véritable de ce que l’on crée dépend de l’origine de son inspiration, du plan, de la hauteur à laquelle on la trouve. Mais la valeur de l’exécution dépend de la puissance du vital qui l’exprime. Pour que le génie soit complet, il faut que les deux y soient. C’est très rare. Généralement c’est l’un ou l’autre, plus souvent le vital. Et alors, il y a de ces musiques que l’on donne — les musiques de café-concert, de cinéma — c’est d’une habileté extraordinaire, et en même temps c’est d’une platitude extraordinaire, d’une vulgarité extraordinaire. Mais comme c’est d’une habileté extraordinaire, cela vous attrape dans le plexus solaire et c’est de cette musique dont on se souvient; immédiatement cela vous prend et ça vous tient, et c’est très difficile de s’en débarrasser, parce que c’est bien fait, c’est de la musique qui est bien faite. Elle est faite vitalement avec des vibrations vitales, mais ce qui est derrière est épouvantable.

Mais imaginez cette même puissance vitale d’expression avec l’inspiration venant de tout en haut — la plus haute inspiration possible, quand tous les cieux s’ouvrent à nous —, alors cela devient merveilleux. Il y a certaines choses de César Franck, il y a certaines choses de Beethoven, certaines choses de Bach, il y en a d’autres aussi qui ont cette inspiration et cette puissance. Mais c’est un moment, ça vient comme un moment, cela ne dure pas. Vous ne pouvez pas prendre toute l’œuvre d’un artiste comme située à ce niveau-là. L’inspiration vient comme un éclair; quelquefois elle dure assez longtemps, quand l’œuvre se tient; et quand ça, c’est là, alors cela produit le même effet, c’est-à-dire, si vous avez un esprit attentif et concentré, tout d’un coup cela vous soulève, ça soulève toutes vos énergies, c’est comme si l’on vous ouvrait la tête comme cela, et cela vous lance en l’air dans des hauteurs extraordinaires et des lumières magnifiques. Cela produit en quelques secondes l’effet que l’on obtient avec tant de difficultés par des années de yoga. Seulement, généralement, après on peut tomber, parce qu’il n’y a pas la base de la conscience; on a l’expérience et après on ne sait même pas ce qui est arrivé. Mais si l’on est préparé, si justement on a préparé sa conscience par le yoga et que cela vous arrive, c’est presque une chose définitive.

Qu’est ce qui fait cette grande différence entre la musique européenne et la musique indienne? C’est l’origine ou l’expression ?

Ce sont les deux, mais en sens inverse.

Cette très haute inspiration n’arrive que rarement dans la musique européenne; rarement aussi il y a une origine psychique, très rarement. Ou bien cela vient de très haut, ou bien c’est vital. L’expression est presque toujours, à part quelques cas très rares, une expression vitale — intéressante, puissante. La plupart du temps, l’origine est purement vitale. Quelquefois cela vient de tout en haut, alors c’est merveilleux. Quelquefois c’est psychique, surtout dans ce qui a été une musique religieuse, mais ce n’est pas très fréquent.

La musique indienne, presque toujours, quand ce sont de bons musiciens, a une origine psychique; par exemple les râgas ont une origine psychique, cela vient du psychique. L’inspiration ne vient pas souvent de plus haut. Mais la musique indienne est très rarement revêtue d’un vital puissant. C’est plutôt d’origine intérieure et intime. J’ai entendu beaucoup de musique indienne, beaucoup; j’ai rarement entendu de la musique indienne qui ait une puissance vitale, très rarement; peut-être pas plus de quatre ou cinq fois. Mais très souvent, j’ai entendu de la musique indienne qui avait une origine psychique; elle se traduit presque directement dans le physique. Et vraiment il faut alors se concentrer, et comme c’est... comment dire... très mince, très ténu, qu’il n’y a pas ces vibrations vitales intenses, on peut très facilement glisser là-dedans et remonter à cette origine psychique de la musique. Cela vous fait cette effet, c’est une espèce de transe extatique, comme d’une intoxication. Cela vous fait un peu entrer en transe. Alors, si on écoute bien et qu’on se laisse aller, on va comme cela et on glisse, on glisse dans une conscience psychique. Mais si on reste seulement dans la conscience extérieure, c’est tellement mince qu’il n’y a aucune réponse du vital; cela vous laisse plat comme tout. Quelquefois, il y avait une force vitale, alors cela devenait bien... Moi, j’aime beaucoup cette musique-là, cette espèce de thème qui se développe en un jeu. C’est très essentiellement musical, le thème; et alors il se développe avec des variations, d’innombrables variations, et c’est toujours le même thème qui se développe d’une façon ou de l’autre. Il y avait des musiciens qui étaient vraiment musiciens en Europe, et ils avaient cela aussi : Bach avait cela, il faisait des choses comme cela ; Mozart avait cela, sa musique était purement musicale, il n’avait pas l’intention d’exprimer autre chose, c’était de la musique pour la musique. Mais cette façon de prendre un certain nombre de notes dans une certaine relation (ce sont comme des variations presque infinies), moi, je trouve cela merveilleux pour vous mettre au repos, et vous entrez au-dedans profondément. Et alors, si vous êtes prêt, cela vous donne la conscience psychique : quelque chose qui vous fait reculer de la conscience extérieure, qui vous fait entrer autre part, entrer au-dedans.

Sous quelle forme la musique se manifeste-t-elle chez les grands compositeurs? C’est-à-dire, est ce seulement la mélodie qui vient, ou bien ce que l’on entend ?

Mais cela dépend du musicien. C’est justement ce que je disais. Par exemple, ici dans l’Inde, la science harmonique n’existe pas beaucoup, alors cela se traduit par la mélodie. Dès que le vital intervient, il y a une sorte de complexité harmonique qui se produit dans la musique. Cela lui donne une richesse, une plénitude qu’elle n’avait pas trouvée.

Mais c’est la mélodie qui vient?

Non, c’est la musique, et la musique n’est pas nécessairement une mélodie. C’est une relation de sons qui n’est pas nécessairement mélodique. La mélodie fait partie de cette relation de sons.

« Quand votre résolution a été prise, quand vous avez décidé que votre vie entière serait consacrée au Divin, il vous reste encore à vous en souvenir à chaque mo ment, et à la mettre à exécution dans tous les détails de votre existence. Vous devez sentir à chaque pas que vous appartenez au Divin ; vous devez avoir constamment l’expérience que, dans tout ce que vous pensez et faites, c’est toujours la Conscience divine qui agit à travers vous. »

(Entretiens du 28 avril 1929)

Est ce que, quand on est conscient, on perçoit le Divin dans sa forme en toute chose?

Oh! c’est-à-dire que tu t’attends à voir une forme divine dans chaque chose!... Je ne sais pas, cela peut arriver. Mais j’ai l’impression qu’il y a une grande partie d’imagination là-dedans, parce que ce n’est pas comme cela. On change de conscience — on change d’état de conscience et on change d’état de perception.

Si je comprends bien ce que tu veux dire, tu t’attends à voir une forme, comme par exemple la forme de Krishna, ou la forme du Christ, du Bouddha, dans chaque personne? Cela me paraît être un enfantillage. Mais enfin, je ne dis pas que cela ne puisse pas se produire. Je pense que cela doit se produire. Mais là-dedans, il y a beaucoup de la conscience humaine ajoutée à la perception, parce que ce ne serait plus justement ce que je viens de vous dire : pour ceux qui ont la conscience du Divin, quand ils ont le contact avec le Divin, qui que ce soit, à quelque époque qu’ils appartiennent, à quelque pays qu’ils appartiennent, l’expérience est la même. Tandis que si c’était comme tu le dis, les Hindous verraient une de leurs divinités, les Européens une de leurs divinités, les Japonais une de leurs divinités, et ainsi de suite. Alors ce ne serait plus une perception pure, il y aurait déjà une addition de leur propre formation mentale. Ce n’est plus la Chose dans son essence et sa pureté, qui est au-delà de toute forme.

Mais on peut avoir une perception, et une perception très concrète de la Présence divine, oui. On peut avoir un contact très personnel avec le Divin, oui. Mais pas comme cela. Et c’est inexprimable, excepté pour ceux qui ont eu l’expérience. Si l’on n’a pas une expérience, je pourrais vous en parler pendant des heures, vous n’y comprendriez rien; cela échappe à toute explication. Ce n’est que quand on a l’expérience qu’on pourrait dire.

Et que voulez-vous, quand on parle des choses ou quand on écrit sur les choses, nécessairement il y a une addition mentale, autrement on ne pourrait pas parler et on ne pourrait pas écrire. Eh bien, cette addition mentale fait que chacun a tâché de donner une explication à son expérience; et alors ils ont dit ou écrit des choses comme cela : « Je vois les images de Dieu. » Ce sont des façons de parler. Il se peut que la chose dont tu parles arrive : d’être tout d’un coup dans un état et de voir une Présence divine et que cette Présence prenne une forme qui vous est familière — on est habitué à associer certaines formes avec le Divin, par suite de l’éducation, de la tradition, et cela prend une forme extérieure. Mais ce n’est pas l’essence suprême de l’expérience : c’est la forme, et cela doit donner une sorte de restriction à l’expérience, cela doit lui enlever son universalité et une grande partie de sa puissance.

« De toute évidence, ce qui est arrivé devait arriver; cela n’aurait pu être si cela n’avait pas dû être. Même les erreurs que nous avons commises et les adversités qui sont tombées sur nous, devaient être; car il y avait en elles quelque nécessité, quelque utilité pour nos vies. Mais à dire vrai, de semblables choses ne peuvent ni ne doivent être expliquées mentalement. Car tout ce qui arrive est nécessaire, non pour quelque raison mentale, mais pour nous conduire bien au-delà de tout ce que le mental peut imaginer. Et est-il néces saire d’expliquer, après tout ? L’univers tout entier explique toute chose à chaque moment, et une chose particulière arrive parce que l’univers dans son en semble est ce qu’il est. »

(Entretien du 28 avril 1929)

Comment l’univers explique-t-il à chaque moment l’univers?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Si tu veux une explication de quelque chose, c’est un univers qui explique ce quelque chose; et toute chose s’explique par toute chose; et tu ne peux rien expliquer excepté par l’univers tout entier, et l’univers tout entier s’explique par toute chose... Tu peux voir : si tu lis toutes les explications qui sont données dans toutes les sciences, toutes les connaissances humaines, toujours on explique une chose par une autre, et si l’on veut expliquer l’autre on l’explique par une autre, et si l’on veut expliquer l’autre on l’explique encore par une autre. On continue ainsi et on va faire le tour de l’univers pour expliquer une chose. Seulement, généralement, les gens sont fatigués au bout d’un moment : ils acceptent la dernière explication et ils s’en tiennent là. Autrement, s’ils continuaient, pour trouver une explication il faudrait faire le tour de tout, et on reviendrait toujours au même point. Les choses sont comme cela parce qu’elles sont comme cela, parce qu’elles devaient être comme cela, autrement elles ne seraient pas. Les choses sont comme cela parce qu’elles sont comme elles sont. Il n’y a pas de doute. Et cela, c’est vraiment une sagesse suprême.

N’y a-t-il pas une loi physique qui puisse expliquer toute chose dans l’univers?

Trouve-la, je serai très contente.

Est ce que l’on peut trouver par la science?

Oui, si elle s’en va dans une direction très définie, si elle progresse suffisamment, si elle ne s’arrête pas en route, ils trouveront la même chose que les mystiques ont trouvée, que les gens religieux ont trouvée, que tout le monde a trouvée, parce qu’il n’y a qu’une chose à trouver et il n’y en a pas deux. Il n’y en a qu’une. Alors on peut faire beaucoup de chemin, on peut tourner et tourner et tourner, et si l’on tourne assez longtemps sans s’arrêter, on est obligé d’arriver au même endroit. Une fois que l’on est arrivé là, on a l’impression qu’il n’y a rien à trouver du tout. Comme je viens de dire, il n’y a rien à trouver. C’est cela, le pouvoir 8 . C’est cela, c’est tout. C’est comme cela.

Encore une question?

Est ce que le Divin peut se retirer de nous?

C’est une impossibilité. Parce que si le Divin se retirait de quelque chose, immédiatement cela s’écroulerait, parce que cela n’existerait pas. Pour dire plus clairement : Il est la seule existence 9 .

Si le Divin se retirait, cela voudrait dire qu’Il se retirerait de l’univers, il n’y aurait plus d’univers (c’est une image pour faire comprendre la chose : je parle d’une impossibilité). Les êtres humains peuvent se retirer du Divin, et ils le font assez souvent.

Mais que ce soit le Divin qui se retire des êtres humains, c’est une impossibilité.

Pourquoi, en suivant le chemin de la musique ou de l’art, ou d’autre chose, ne peut-on pas arriver à la réali sation divine et à la transformation?

Qui vous a dit cela ? Vous savez tout ce qui se passe en vous? Vous ne croyez pas qu’il y a beaucoup de gens qui ont réalisé le Divin, qui n’en ont jamais rien dit et qui n’en savaient rien 10 ? Il y a des gens qui l’ont dit — des philosophes, dont c’est nécessairement la profession d’exprimer ce qui leur est arrivé. Mais il y a des gens qui ont eu des expériences, qui n’ont jamais rien dit; et je sais qu’il y a des artistes qui, par leur art, purement, sont arrivés à la réalisation divine.

Mais quant à la transformation, je serais contente si vous pouviez me montrer un exemple. Je serais contente de le voir. Un exemple. Quelque chemin que l’on suive, que ce soit le chemin religieux, le chemin philosophique, les chemins yoguiques, le chemin mystique, personne n’a réalisé une transformation.

Puisque l’art n’arrive pas à la transformation, cela n’a pas grande valeur!

Mais qui est-ce qui y est jamais arrivé jusqu’à présent? Voulezvous me le dire? Ni la philosophie, ni la religion, ni le yoga. Si vous mettez la valeur dans la réalisation et la transformation du monde — par exemple une seule transformation individuelle, en admettant que ce soit possible, et je ne crois pas — alors rien n’a aucune espèce de valeur, parce que jamais rien n’est arrivé là jusqu’à présent. Comprenez pas?

Oui, cela je comprends.

Alors pourquoi tout d’un coup dites-vous que l’art n’a pas de valeur? Rien n’a de valeur parce que rien n’a mené vers cela ? Mais tout aide. L’univers tout entier aide à la transformation.

Mais il peut arriver qu’après avoir atteint une hauteur où il est le maître de son art, l’artiste doive arrêter son métier pour procéder à la transformation de sa vie?

Pourquoi? Pour la transformation de sa vie? Qui vous a dit cela ? Si vous faisiez un travail manuel... il y a eu nombre d’artistes qui ont eu une conversion merveilleuse. On a l’exemple d’un cordonnier qui est devenu l’un des plus grands yogis du monde. Cela ne dépend pas de ce que l’on fait, heureusement! Il faudrait s’asseoir en méditation, comme cela, avec une robe orange, sous un arbre, pour pouvoir réaliser le Divin?

Alors je ne comprends pas du tout ce que vous dites.

Il peut arriver un moment où il faut changer d’acti vité?

Mais par n’importe quel chemin, si vous le suivez assez sincèrement et d’une façon assez constante, vous arrivez, par n’importe quel chemin — je vous dis : vous pouvez faire des chaussures et trouver le Divin. Il y a eu des exemples illuminants, qui sont incontestables. Peu importe ce que l’on fait. Il y a des exemples nombreux de gens qui faisaient du jardinage, qui cultivaient, et qui ont trouvé le Divin, tout en travaillant matériellement; ils n’avaient pas du tout besoin d’arrêter leur travail pour le faire.

Vous ne comprenez pas? Vous croyez qu’il faut avoir quoi? Une connaissance philosophique?

Non, ce n’est pas cela, mais je ne sais pas comment m’exprimer...

Non, je comprends très bien ce que vous voulez dire, mais, excusez-moi, c’est une sottise.









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