Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.
Douce Mère, tu nous as dit, un jour, que tout ce qui nous arrive était décidé d’avance. Qu’est ce que c’est?
C’est une façon de parler. C’est parce que, pour exprimer quelque chose, je ne peux pas dire tous les mots en même temps, n’est-ce pas, je suis obligée de les dire l’un après l’autre. Autrement, si l’on disait tous les mots en même temps, cela ferait un grand bruit et personne ne comprendrait rien! Eh bien, quand on essaye d’expliquer l’univers, on fait comme on fait quand on parle : on dit une chose après l’autre. Mais pour dire la vérité, il faudrait dire tout d’un seul coup. Alors comment faire?... N’est-ce pas, puisque tu me le répètes, il est probable que j’ai dû dire cela quelque part... j’ai dû dire aussi le contraire! Mais si tu dis comme cela, que tout ce qui arrive était décidé à l’avance, alors toi, dans ta conscience du temps comme tu l’as, c’est comme si tu disais : hier, on a décidé ce qui allait arriver aujourd’hui; cette année-ci on décide ce qui arrivera l’année prochaine. C’est comme cela que cela se traduit dans ta conscience — naturellement, parce que c’est comme cela que nous voyons, que nous pensons, que nous comprenons et surtout que nous parlons, que nous nous exprimons. Mais ce n’est pas comme cela !
Certains ont perçu cette irréalité d’une façon si forte qu’ils ont senti qu’il n’y avait pas de raison qu’ils ne puissent pas aller en arrière au lieu d’aller en avant, parce que l’arrière, l’avant, le présent, tout ce que nous exprimons de cette façon, c’est tout en même temps! C’est dans des plans différents. Si je te dis : « Ce qui t’arrive était décidé d’avance », je pourrais dire aussi : « Ce qui arrive ici était déjà arrivé ailleurs », ce serait aussi vrai, et aussi faux, parce que c’est impossible à exprimer avec des mots.
Je vais vous donner un exemple qui vous fera peut-être comprendre. Je ne sais plus exactement quand c’était; ce devait être quelque part dans l’année 1920 probablement (peut-être avant, peut-être en 1914-15, mais je ne crois pas, c’était quelque part en l’année 1920). Un jour... Tous les jours je méditais avec Sri Aurobindo : il était assis d’un côté d’une table et moi j’étais assise de l’autre côté, dans la véranda — et un jour comme cela, en méditation, je suis entrée... comment dire... je suis allée très haut, entrée très profondément, ou sortie de moi-même (très bien, dis comme tu veux, tout cela ne veut pas dire ce qui est arrivé, mais ce sont des façons de dire), je suis arrivée dans un endroit, ou dans un état de conscience, où j’ai dit à Sri Aurobindo, comme cela, très simplement : « L’Inde est libre. » C’était en 1920. Alors il m’a posé une question : « Comment? » Et je lui ai répondu : « Sans lutte, sans bataille, sans révolution : ce sont les Anglais eux-mêmes qui partiront parce que l’état du monde sera tel qu’ils ne pourront rien faire d’autre que de s’en aller. »
C’était fait. Je lui ai dit au futur quand il m’a posé la question, mais là où j’avais vu, j’ai dit l’Inde est libre, c’était un fait. Or, l’Inde n’était pas libre à ce moment-là : c’était en 1920. Pourtant c’était là, c’était fait. Et c’est arrivé en 1947. C’est-àdire que je l’ai vu du point de vue physique extérieur vingt-sept années en avant. Mais c’était fait.
As-tu pu voir le Pakistan?
Non, parce que la libération aurait pu se faire sans Pakistan. Justement, si l’on avait écouté Sri Aurobindo, il n’y aurait pas eu de Pakistan.
Eh bien, extérieurement cela a l’air de prendre du temps, mais en fait, c’est comme cela.
Douce Mère, si tu vois quelque catastrophe qui arrive, est ce que tu peux la changer par un effort?
Cela dépend de la nature de l’événement. Il y a beaucoup de choses... Cela dépend aussi du plan où l’on voit. Il existe un plan où il y a toutes les possibilités, et dans ce plan-là, comme il y a toutes les possibilités, il y a aussi la possibilité de changer ces possibilités. Et si l’on voit dans ce plan-là une catastrophe, on peut aussi avoir le pouvoir de l’empêcher. Dans d’autres cas on est prévenu, et cependant on n’a aucune action sur l’événement. Et encore là, cela dépend du plan dans lequel on voit.
Il m’a été rapporté l’histoire d’un cas comme cela, où de voir empêche la chose d’arriver. Il y avait un monsieur américain qui était descendu dans l’un des grands hôtels d’Amérique où il y a des lifts, des ascenseurs (on ne descend pas l’escalier, on prend l’ascenseur pour monter ou pour descendre), et alors, il avait eu de bonne heure le matin, avant de se réveiller, un rêve dont il se souvenait bien, et il avait vu un garçon habillé comme le garçon de l’ascenseur, et qui faisait le même geste que le garçon de l’ascenseur pour vous faire signe de monter. Il était là. Et alors, au bout du geste, au lieu d’un ascenseur, il y avait un corbillard! c’est-à-dire cette espèce de voiture... oh! vous avez pu en voir ici de temps en temps, il y en a pour transporter les morts au cimetière : quand on ne les brûle pas, on les transporte avec un catafalque et des étoffes noires, etc. Alors, il y avait comme cela une voiture, un corbillard pour transporter les morts. Et le garçon lui faisait signe de monter dans la voiture. Quand il est sorti de sa chambre, le garçon était là avec l’ascenseur pour le faire descendre : exactement le même garçon, la même figure, le même costume, le même geste. Il s’est souvenu du corbillard — il n’est pas monté dans l’ascenseur. Il a dit : « Non, non! » et il est descendu à pied. Et avant qu’il ne soit arrivé en bas, il a entendu un bruit terrible et l’ascenseur s’était écrasé par terre et tous les gens qui étaient dedans étaient morts. Et c’était à cause de ce rêve qu’il n’était pas monté, parce qu’il avait compris.
Par conséquent, dans ce cas-là, quand on a une vision, on peut empêcher la catastrophe.
Il y a d’autres cas, comme je l’ai dit, où l’on est simplement prévenu. On est prévenu. Au fond, c’est pour que vous vous prépariez intérieurement à ce qui doit arriver, que vous preniez l’attitude intérieure convenable pour faire face à l’événement. C’est comme une leçon pour vous dire : « Ça doit vous apprendre cela. » On ne peut pas changer la chose, mais on change son attitude et sa réaction intérieure : au lieu d’avoir une mauvaise réaction, une mauvaise attitude vis-à-vis de l’expérience qui se produit, on a la bonne, et on tire autant de profit que possible de ce qui est arrivé.
Dans les deux cas, cela dépend absolument du plan dans lequel on voit. Quand on a le contrôle de ses nuits et que l’on est conscient de son sommeil et de ses rêves, ou bien de ses visions, on voit aussi la différence entre les deux cas; on peut déterminer la différence : ce qui vous est donné comme un avis pour que vous interveniez, et ce qui vous est donné comme un avis pour que vous preniez l’attitude convenable vis-à-vis de ce qui va arriver. C’est toujours une leçon, mais ce n’est pas toujours la même leçon. Parfois, on peut agir avec sa volonté; parfois, on doit apprendre la leçon intérieure que cet événement va vous donner, de façon à être prêt pour que l’événement ait sa pleine conséquence favorable. C’est la même chose pour tout ce que l’on voit, il y a des centaines de genres de visions et de rêves différents, et chacun vous apporte la leçon qu’il doit vous apporter.
Par exemple, quand les gens sont malades, ou qu’il leur arrive quelque accident : eh bien, que je le voie moi-même ou que je sois prévenue extérieurement parce qu’on me le dit, pour tous les cas, ce n’est pas la même chose. Il y a des cas où, quand je suis prévenue, je vois que c’est pour intervenir et que j’ai le plein pouvoir de changer le résultat, c’est-à-dire de guérir la personne qui est malade. Il y a d’autres cas où je vois qu’il n’y a pas à intervenir. Par exemple, c’est le moment où cette personne doit quitter son corps : elle quittera son corps. Mais il faut que, sachant cela, je fasse pour cette personne et pour son entourage ce qu’il faut pour que l’événement ait son maximum d’effet bienfaisant ou le minimum d’effet malfaisant — cela dépend des circonstances.
Il y a des événements qui appartiennent à une nécessité universelle et que l’on ne peut pas changer. Il y a des événements qui sont encore dans la balance et qui peuvent être décidés d’un côté ou de l’autre. Le tout est d’avoir la perception, non seulement clairvoyante, mais il faut aussi qu’elle soit tout à fait impartiale et impersonnelle, qu’il n’y ait pas même l’ombre de préférence. Alors, quand vous êtes dans cet état parfait — on ne peut pas dire de neutralité, ce n’est pas de la neutralité : c’est un état de conscience qui est immobile comme un miroir —, alors on voit là-dedans la qualité de ce qui arrive, on peut voir les choses qui sont décidées en sorte qu’elles ne peuvent pas changer, et les choses qui sont encore dans la balance et que l’on peut changer.
À dire vrai, pour chaque événement, la situation est différente. Il y en a qui peuvent changer du tout au tout, se renverser comme cela ; il y en a qui peuvent subir un changement assez considérable; il y en a qui peuvent subir une petite différence — une petite différence qui a une conséquence considérable; il y en a qui sont inéluctables : ils sont comme cela, ils sont comme cela ; si l’on essayait d’aller contre, on se casserait la tête contre un mur; cela ne servirait à rien du tout. Le tout est d’avoir cette perspicacité, de savoir à quel domaine l’événement appartient, de ne pas vouloir autre chose que ce qui doit être.
Je pourrais vous donner des centaines d’exemples de cas différents.
Une chose apparaît comme étant complètement déterminée : ça va être comme cela. Mais on a au-dedans de soi une volonté qui se lève, une flamme qui s’allume, une grande aspiration qui est d’accord avec une Volonté plus haute, et on impose cela à l’événement. Et alors, il y a une sorte de combinaison qui se produit : la chose qui devait être sera, mais avec une autre chose qui vient en même temps et qui change la nature de la première. Pour les événements d’une importance terrestre, cela arrive très souvent. Par exemple, quand tout un ensemble de mouvements, de circonstances, de combinaisons de forces, amène la nécessité absolue d’une guerre, on peut, en faisant appel à une autre force, changer l’étendue, les conséquences, et quelquefois même la nature de la guerre, mais on ne peut pas empêcher la guerre. Je pourrais vous donner des exemples comme cela, d’un ordre très général.
Je vous ai dit l’autre jour, à propos du génie de la mort, ce que l’on pouvait faire pour empêcher la Mort d’aller chez une personne, par une action intérieure. Mais alors elle s’en va chez une autre. Vous ne pouvez pas la priver du mort auquel elle avait droit. Je vous ai expliqué cela. Il y a d’autres cas où l’on pourrait dire d’une façon un peu enfantine : « La Mort n’était pas encore prévenue », et alors on peut lui enlever son butin, sans conséquences. Mais cela n’arrive pas toujours. Il y a des cas où l’on fait comme cela. Mais dit de cette façon-là, ça a l’air d’un enfantillage de conte de fées. Pourtant, cela correspond à quelque chose dans l’ensemble des circonstances, cela dépend de la façon dont les circonstances se meuvent.
Ce que je voudrais vous faire comprendre, c’est que le problème est extrêmement compliqué et subtil, et que, parfois, on peut faire changer un peu la direction du mouvement; d’autres fois, on peut renverser le mouvement; d’autres fois, on ne peut que changer les conséquences et les attitudes intérieures à l’égard de ce mouvement. Et naturellement, les gens voient toutes ces choses d’une façon très simpliste et ils traduisent cela par leur prière à Dieu; ils disent dans un cas : « Dieu m’a donné ce que je lui ai demandé », dans l’autre cas : « Il m’a refusé. » Et puis voilà, un point c’est tout. C’est comme cela qu’ils comprennent, et cela, c’est une ânerie seulement. Pour savoir comment ça se passe, il faut avoir une conscience générale, collective, au moins terrestre. C’est le minimum. Pour comprendre vraiment bien, il faut avoir une conscience universelle. Alors on peut se rendre compte. Parce que... j’ai dit cela quelque part aujourd’hui dans ce que j’ai lu; j’ai dit que toutes les choses étaient interdépendantes et qu’il n’y avait pas un « commencement » ni une « fin ». Où mettez-vous le commencement 16 ?... Pour comprendre cela, il faut dépasser la conscience terrestre, il faut entrer dans une conscience universelle. Alors on peut comprendre.
Mais nous sommes obligés — je répète ce que j’ai dit au commencement —, nous sommes obligés de dire les choses l’une après l’autre. Nous disons : « Quand l’univers a commencé... Quand la création a commencé... Elle commence comme cela... Ceci s’est produit et puis cela s’est produit, et puis ça c’est arrivé et puis ça c’est arrivé... » Nous disons une chose après l’autre, et à dire la vérité ce n’est pas du tout comme cela ! À un certain point de vue, c’est une sottise, mais nous ne pouvons pas faire autrement. Je ne peux pas dire tous les mots en même temps. Alors c’est notre état de conscience, et les moyens dont nous disposons pour nous exprimer, qui nous font dire des choses qui, au point de vue de la connaissance absolue, sont des sottises. Mais c’est une approximation. Notre sottise est une approximation et devient moins sotte quand nous nous rendons compte que c’est seulement parce que nous ne pouvons pas nous exprimer autrement. Nous sommes obligés de dire les choses l’une après l’autre, mais elles sont d’un seul coup.
Et pour la plupart des gens, ce n’est pas seulement une question de dire, mais c’est une question de connaître — ils ne savent qu’une chose après l’autre —, les sentir encore plus et les vivre encore plus. Mais il y a une conscience où l’on sait tout en même temps, où l’on comprend tout en même temps, on peut exprimer tout en même temps, et on peut vivre tout en même temps. Mais comment faire? Ici ce n’est pas comme cela !
Et alors, n’est-ce pas, ce que l’on essaye de faire, c’est de rapprocher les deux consciences autant que l’on peut, de façon que tout en vivant extérieurement de la façon dont nous sommes obligés de vivre (parce que le monde physique est comme cela et que notre conscience physique est comme cela), qu’en même temps nous puissions joindre l’autre Conscience si près que tout en faisant les choses selon la loi matérielle et de la façon matérielle, nous ne perdions pas de vue dans notre conscience que c’est seulement une approximation, une traduction, et que ce n’est pas la Chose elle-même.
Douce Mère, je ne comprends pas la question posée ici [au début de l’Entretien du 26 mai 1929] : « Si notre volonté n’est que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle, quelle place reste-t-il à l’initiative indivi duelle? L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? N’a-t-il aucun pouvoir de création? » (Entretien du 26 mai 1929)
Douce Mère, je ne comprends pas la question posée ici [au début de l’Entretien du 26 mai 1929] : « Si notre volonté n’est que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle, quelle place reste-t-il à l’initiative indivi duelle? L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? N’a-t-il aucun pouvoir de création? »
(Entretien du 26 mai 1929)
Ah! moi non plus. Quand on me posait de ces questions-là, j’avais toutes les peines du monde à répondre, parce qu’elles sortaient tout à fait de ma compréhension des choses. Ici, justement, quand j’ai lu la question, j’avais envie de vous dire : « Je regrette beaucoup, mais la personne qui a posé cette question avait une pensée et une conscience terriblement confuses et elle mélangeait tout. » Parce que trois choses sont mélangées ici.
D’abord, je ne sais pas qui lui avait dit que notre volonté n’était que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle... Peut-être avais-je dit quelque part auparavant qu’il n’y avait qu’une Volonté et qu’elle se traduisait, ou plutôt se déformait dans la conscience individuelle, et que l’on prenait cette volonté pour sa volonté propre. J’ai dû dire quelque chose comme cela, que notre volonté devient vraiment une volonté propre par le fait qu’elle se sépare de la Volonté universelle initiale, et qu’elle est tellement déformée qu’elle ne lui ressemble plus du tout. Alors ce doit être cela qui a travaillé dans sa tête et elle a demandé si notre volonté n’était que l’expression ou l’écho de la Volonté universelle.
Quelle place reste-t-il à l’initiative individuelle?... C’està-dire, qu’est-ce que l’individu peut faire? Peut-il dire : « C’est moi qui ai décidé, moi, j’ai décidé ça »? Puis la seconde question — alors là, je ne comprends pas du tout : « L’individu est-il seulement un instrument pour enregistrer les mouvements universels? »... Qu’est-ce que cela veut dire? Je ne comprends pas très bien ce qu’elle voulait dire. Un instrument pour enregistrer? Un gramophone, probablement, oui, pour enregistrer les mouvements universels... Il y a très peu d’individus qui soient capables d’enregistrer les mouvements universels, pour commencer. Généralement, ils n’enregistrent que les mouvements de leur petit milieu, d’eux-mêmes et ce qui les entoure. Et alors, une troisième idée qui vient s’ajouter : « N’a-t-il aucun pouvoir de création? » C’est encore quelque chose d’autre. Mais j’ai répondu (peut-être à ce moment-là comprenais-je mieux que maintenant ce qu’elle voulait dire!), j’ai répondu, parce que je parle des trois choses dans la suite du texte. J’ai dit que c’est seulement si l’individu remonte dans sa conscience jusqu’à la plus grande Conscience qui est l’origine de toute chose, où est l’origine de toute chose, qu’il peut devenir un créateur. C’est-à-dire que s’il s’identifie à la Conscience créatrice, il est naturellement, il devient la Conscience créatrice. S’il s’identifie, il s’identifie 17 .
Alors, qu’est-ce qui te tracassait dans la question? Qu’est-ce que tu ne comprenais pas?
Toute la question.
Toute la question? Et voilà, maintenant tu comprends?... Pas bien? Je t’ai dit que tu ne comprenais pas parce que c’était mélangé; en une question, trois idées différentes sont mises. Alors naturellement cela fait une confusion. Mais prises séparément, elles sont ce que je viens d’expliquer, très probablement; c’est-à-dire que l’on a cette conscience tout à fait ignorante et oblitérée et que l’on est convaincu qu’on est la cause et l’effet, l’origine et le résultat de soi-même, et séparé de tous les autres, séparé avec un pouvoir limité d’agir sur les autres et une capacité un peu plus grande d’être mis en mouvement par les autres ou de réagir à l’influence des autres. C’est comme cela que l’on pense d’habitude — quelque chose comme cela, non? Comment est-ce que tu sens, toi? Quel effet te fais-tu à toi-même? Et toi? Toi?...
Vous n’avez jamais réfléchi à cela ? Vous ne vous êtes jamais regardés pour voir quel effet vous vous faites à vous-mêmes? Pas réfléchi? Non? Comment tu te sens?... Personne ne me le dira ? Toi, dis-moi cela. Jamais essayé de comprendre comment vous vous sentez? Si? Non? Comme c’est drôle! Jamais tâché de comprendre comment se produisent, par exemple, les décisions en vous, d’où cela vient? Qu’est-ce qui vous fait décider une chose plutôt qu’une autre? Et quel est le rapport entre vos décisions et vos actions? Et dans quelle mesure vous avez une liberté de choix entre une chose et une autre? Et dans quelle mesure vous sentez que vous pouvez, que vous avez le choix de faire ceci ou cela, ou cela, ou rien du tout?... Tu avais réfléchi à cela ? Oui? Quelqu’un y a-t-il réfléchi parmi les élèves? Non? Personne ne s’est posé cette question? Toi? Toi?...
Même si l’on pense, peut-être que l’on ne pourra pas répondre!
On ne peut pas expliquer?
Non.
C’est difficile d’expliquer? Simplement cette petite chose-là, de voir à quel endroit dans la conscience les volontés qui viennent du dehors se rencontrent avec votre volonté (que vous appelez vôtre, qui vient du dedans), à quel endroit les deux se joignent et dans quelle mesure celle du dehors réagit sur celle du dedans et celle du dedans réagit sur celle du dehors? Vous n’avez jamais essayé de trouver cela ? Cela ne vous a jamais paru insupportable qu’il y ait des volontés du dehors qui puissent avoir une action sur la vôtre? Non?
Je ne sais pas.
Oh! je pose des problèmes très difficiles! Mais mes enfants, cela me préoccupait quand j’avais cinq ans!... Alors je pensais que cela vous avait préoccupés depuis longtemps.
En soi-même, on a des volontés contradictoires.
Oui, beaucoup. Ça, c’est l’une des premières découvertes. Il y a une partie qui veut comme cela ; et puis à un autre moment, on veut comme cela ; et puis à un troisième moment, on veut encore autre chose! Et puis, il y a même cela : une chose qui veut et l’autre qui dit non. Hein? Mais c’est cela qu’il faut trouver si l’on veut le moins du monde s’organiser soi-même! Pourquoi ne pas se mettre sur un écran, comme le cinéma, et puis se regarder bouger? Comme c’est intéressant!
C’est le premier pas.
On se projette sur un écran, et puis on observe et on voit tout ce qui bouge comme cela, et comment ça bouge et qu’est-ce qui arrive. On fait un petit schéma, alors cela devient très intéressant. Et puis, au bout d’un certain temps, quand on est bien habitué à voir, on peut faire un pas de plus et prendre une décision. Ou alors, un pas encore plus grand : on fait une organisation — arranger, prendre tout cela, mettre chaque chose à sa place, organiser de telle façon que l’on commence à avoir un mouvement rectiligne qui ait un sens intérieur. Et alors, on devient conscient de son orientation et on peut dire : « Très bien, ce sera comme cela. Ma vie se développera comme cela, parce que c’est la logique de mon être. Maintenant, j’ai arrangé tout cela au-dedans de moi, chaque chose a été mise à sa place, et alors, tout naturellement, il y a une orientation centrale qui se forme. Je suis cette orientation. Et un pas de plus et je sais ce qui m’arrivera, parce que c’est moi-même qui le décide... » Je ne sais pas, je vous dis cela, moi, cela m’a paru formidablement intéressant, la chose du monde la plus intéressante. Il n’y avait rien, il n’y avait pas de chose qui m’intéressait plus que cela.
Il m’est arrivé... J’avais cinq ans ou six ans, sept ans (à sept ans, c’était devenu très sérieux), et j’avais un père qui aimait le cirque et qui venait me dire : « Viens avec moi, je vais au cirque dimanche. » Je disais : « Non, je fais quelque chose de beaucoup plus intéressant que d’aller au cirque. » Ou alors, des petits amis m’invitaient à aller à une réunion où l’on devait jouer ensemble, s’amuser ensemble : « Non, je m’amuse beaucoup plus... » Et c’était tout à fait sincère. Ce n’était pas une pose : pour moi, c’était comme cela, c’était vrai. Il n’y avait rien au monde de plus amusant que cela.
Et je suis si convaincue que n’importe qui le ferait de cette façon, avec cette sorte de fraîcheur, de sincérité, il arriverait à des résultats passionnants... Mettre tout cela sur un écran en face de soi et regarder ce qui se passe. Et le premier pas, c’est de savoir tout ce qui se passe, et puis il ne faut pas essayer de fermer les yeux quand quelque chose ne vous paraît pas joli! Il faut les ouvrir tout grands et mettre chaque chose comme cela, devant l’écran. Alors c’est une découverte tout à fait intéressante. Et puis le pas suivant, c’est de commencer à dire : « Puisque tout cela se passe au-dedans de moi, pourquoi ne mettrais-je pas cela comme ça, et puis cela comme ça, et puis cela comme ça, et ne ferais-je pas une chose logique, qui ait un sens? Pourquoi ne déplacerais-je pas cela qui vient obstruer le chemin, ces volontés opposées? Pourquoi? Et qu’est-ce que cela représente dans l’être? Pourquoi est-ce que c’est là ? Si c’était mis là, est-ce que cela n’aiderait pas au lieu de nuire? » Et ainsi de suite.
Et petit à petit, petit à petit, on voit clair, et puis on voit pourquoi on est construit comme cela, quelle est la chose que l’on a à faire — celle pour laquelle on est né. Et alors, tout naturellement, puisque tout s’organise pour que cette chose arrive, le chemin devient tout droit, et on peut d’avance dire : c’est comme cela que ce sera. Et quand les choses viennent du dehors pour essayer de déranger tout cela, on devient capable de dire : « Non, cela j’accepte, parce que ça aide; cela je refuse, parce que ça nuit. » Et puis au bout de quelques années, on se tient comme on tient un cheval en bride : on fait ce que l’on veut, comme l’on veut et on va où l’on veut.
Il me semble que cela vaut la peine. Je crois que c’est la chose la plus intéressante.
Douce Mère, quel est ce petit écran?
Cet écran? C’est la conscience psychique.
Et ce jeu 18 ?
Jeu? C’est le jeu de la conscience centrale. C’est justement la conscience qui est à l’origine de l’être psychique. Et alors là, il n’y a qu’un tout petit pas à faire pour se rendre compte comment cette conscience psychique doit refléter et traduire la Conscience unique suprême. Et c’est fini. Ce dernier pas-là devient très facile.
Mais c’est le secret qu’on découvre à la fin. Et quand on le découvre, il n’y a plus de bataille, parce qu’on a déjà fait la bataille avant, on a tout arrangé; alors c’est d’un seul mouvement et d’une façon aussi simple, aussi naturelle, aussi droite que possible que l’événement se produit, sans réaction.
Je pense que c’est cela que les sages du passé voulaient dire quand ils disaient : « Connais-toi toi-même. » Ce n’est pas autre chose. Mais alors, au lieu d’aller là-dedans comme avec un bandeau sur les yeux et de se cogner le nez, ou le front, sur quelque chose de dur pour savoir que c’est dur, ou que c’est un mur, ou que c’est une porte fermée, ou que c’est une obstruction, ou que c’est une mauvaise volonté, au lieu de cela, on n’a pas besoin d’années d’expériences et de toutes sortes d’infortunes et de circonstances plus ou moins désagréables pour apprendre à se connaître soi-même : on fait le travail tranquillement, comme cela.
Quand j’ai fait cela, il n’y avait pas de cinéma, alors je ne pouvais pas comparer ce que je faisais à un cinéma — il n’y en avait pas encore —, mais c’est exactement projeter sur l’écran ce qui est au-dedans, l’objectiver. Et un écran qui est bien blanc, bien droit, qui ne déforme pas. Si l’écran n’était pas très droit et pas très blanc, votre image serait toute brouillée, vous ne pourriez plus rien voir. Eh bien, c’est la même chose. Il faut que l’écran soit bien blanc, bien droit, bien net, bien pur. Alors on voit les choses comme elles sont.
Il faut beaucoup de sincérité, un peu de courage, de la persévérance, et puis une sorte de curiosité d’esprit, n’est-ce pas, curieux, qui cherche à savoir, qui est intéressé, qui aime à apprendre. Aimer à apprendre. Cela, il faut l’avoir dans sa nature. Ne pas pouvoir tolérer d’être en face de quelque chose qui est gris, tout brouillé et dans lequel on ne voit pas clair et qui vous donne une impression tout à fait désagréable parce que vous ne savez pas où vous commencez ni où vous finissez, ce qui est vôtre, ce qui n’est pas vôtre, et ce qui se décide, ce qui ne se décide pas — quelle est cette espèce de bouillie que vous appelez vous-même où les choses s’enchevêtrent et agissent les unes sur les autres sans même vous en rendre compte? On se demande : « Tiens, pourquoi ai-je fait cela ? » Vous n’en savez rien. « Et pourquoi ai-je senti cela ? » Vous n’en savez rien non plus. Et alors, vous êtes projeté dans un monde dehors qui est une fumée, et vous êtes projeté dans un monde dedans qui est aussi pour vous un autre genre de fumée, encore plus impénétrable, où vous vivez, comme cela, comme un bouchon qui est rejeté sur l’eau, et les vagues l’emportent et le jettent en l’air et il retombe et il roule. C’est une condition assez désagréable. Je ne sais pas, cela me paraît désagréable.
Voir clair, voir son chemin, où l’on va, pourquoi on va là, comment on va y aller, et qu’est-ce qu’on va faire et quel est le genre de relation avec les autres. Mais c’est un problème si merveilleusement intéressant — il est intéressant — et on peut toujours découvrir des choses à chaque minute! On n’a jamais fini son travail.
Il y a un moment, il y a une certaine condition de conscience où on a l’impression qu’on est comme cela, avec tout le poids du monde qui pèse sur soi, et puis vous avez des œillères et vous ne savez pas où vous allez mais il y a quelque chose qui vous pousse. Et cela, c’est vraiment une condition très désagréable. Il y a un autre moment où on s’est redressé et puis on est arrivé à voir ce qui est là-haut, et on le devient, et puis on regarde le monde comme du haut d’une très, très haute montagne, et on voit tout ce qui se passe en bas, et alors on peut décider le chemin et le suivre. C’est une condition plus agréable. Et cela, c’est vraiment la vérité, on est sur la terre pour ça, n’est-ce pas. Tous les êtres individuels et toutes les petites concentrations de conscience ont été créés pour faire ce travail. C’est la raison même de la vie : arriver à prendre pleinement conscience d’une certaine somme de vibrations qui représente un être individuel, et mettre de l’ordre là-dedans et trouver son chemin et suivre le chemin.
Et alors, comme les gens ne le savent pas et ne le font pas, la vie vient qui leur donne un coup ici : « Ah! ça fait mal », puis un coup là : « Ah! ça me fait mal. » Et ça va comme ça, et c’est tout le temps comme ça. Et tout le temps ils ont mal ici ou là. Ils souffrent, ils crient, ils gémissent. Mais c’est tout simplement pour cette raison, il n’y en a pas d’autres : c’est qu’ils n’ont pas fait ce petit travail-là. Si, quand ils étaient tout petits, quelqu’un leur avait appris à faire le travail et qu’ils l’aient fait sans perdre de temps, ils pourraient aller à travers la vie glorieusement et, au lieu de souffrir, ils seraient les maîtres tout-puissants de leur destinée.
Ce n’est pas pour dire que, nécessairement, toutes les choses deviendraient agréables. Ce n’est pas du tout comme cela. Mais la réaction que l’on a vis-à-vis des choses devient la réaction vraie et, au lieu de souffrir, on apprend; au lieu d’être malheureux, on fait un progrès.
Après tout, je crois que c’est pour cela que vous êtes ici; c’est pour qu’il y ait quelqu’un qui puisse vous dire : « Voilà, eh bien, essayez cela. Ça vaut la peine d’essayer. » Au fond, on devrait le dire quand les enfants sont tout petits. Mais à moins que ce ne soit éveillé dans leur conscience, ils ne comprennent pas. Pourtant, cela peut se faire même avec un tout petit cerveau ; parce que, à cinq ans, on n’a pas un très grand cerveau : on a surtout l’impression qu’il y a des trous, qu’il y a beaucoup de choses que l’on devrait savoir, mais on ne les sait pas. C’est le cerveau qui n’est pas formé. Il y a la conscience, là, pleinement consciente, lumineuse, clairvoyante, tout est là ; mais il y a des trous, et alors on essaye de tirer, mais ça ne se traduit pas. C’est ce qui arrive quand on est tout petit. Mais si l’on continue, petit à petit, petit à petit, les idées s’organisent à mesure qu’elles viennent, et au lieu d’être un chaos qu’il faut mettre en ordre après, ça s’organise au fur et à mesure que ça se forme. C’est un grand avantage.
Enfin, vous êtes encore tous très jeunes. Vous pouvez essayer. Essayez pendant cinq minutes tous les jours — pas plus — de vous regarder, de voir ce qui se passe là-dedans. C’est si intéressant!
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