Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur ses Entretiens 1929.
« ... il y a un plan du mental où le souvenir de toutes les choses est préservé et existe toujours. Tous les mouvements du mental appartenant à la vie terrestre sont enregistrés et conservés dans ce domaine. Ceux qui sont capables d’aller à cet endroit, peuvent, s’ils en prennent la peine, y lire et y apprendre tout ce qu’ils veulent. Mais cette région ne doit, en aucune façon, être prise pour l’un des plans du supramental. Et cependant, pour atteindre seulement là, il faut faire taire les bruits du mental physique ou matériel, mettre de côté toutes les sensations et arrêter les mouvements ordinaires de la pensée, quels qu’ils soient; il faut sortir du vital et se libérer de l’esclavage du corps. C’est alors seulement que l’on peut entrer dans cette région et y voir. Toutefois, si vous êtes suffisamment intéressé pour faire l’effort nécessaire, vous pouvez aller à cet endroit et y lire ce qui est écrit dans la mémoire de la terre. » (Entretien du 23 juin 1929)
« ... il y a un plan du mental où le souvenir de toutes les choses est préservé et existe toujours. Tous les mouvements du mental appartenant à la vie terrestre sont enregistrés et conservés dans ce domaine. Ceux qui sont capables d’aller à cet endroit, peuvent, s’ils en prennent la peine, y lire et y apprendre tout ce qu’ils veulent. Mais cette région ne doit, en aucune façon, être prise pour l’un des plans du supramental. Et cependant, pour atteindre seulement là, il faut faire taire les bruits du mental physique ou matériel, mettre de côté toutes les sensations et arrêter les mouvements ordinaires de la pensée, quels qu’ils soient; il faut sortir du vital et se libérer de l’esclavage du corps. C’est alors seulement que l’on peut entrer dans cette région et y voir. Toutefois, si vous êtes suffisamment intéressé pour faire l’effort nécessaire, vous pouvez aller à cet endroit et y lire ce qui est écrit dans la mémoire de la terre. »
(Entretien du 23 juin 1929)
Tu as dit que pour aller à l’endroit où tous les mou vements du mental appartenant à la vie terrestre étaient enregistrés et conservés, il fallait « faire taire les bruits du mental, physique ou matériel... et arrêter les mou vements ordinaires de la pensée ». Toute la journée nous avons quelque chose à faire.
Non, juste à ce moment-là. Pas d’une façon permanente.
Mère, mais si l’on oublie? Il y a du travail à faire : à deux heures il faut faire ceci, et à dix heures et demie il faut faire ça, si on oublie...
Non, tu ne comprends pas. Pour aller dans cet endroit-là, au moment d’y aller, il faut pouvoir faire le silence complet dans le mental (et toutes les autres choses que j’ai dites), mais juste pour y aller. Par exemple, tu décides : « Maintenant, je vais aller lire tel chapitre de l’histoire terrestre », alors tu te mets confortablement dans une chaise longue, tu demandes aux gens de ne pas te déranger, tu t’intériorises, tu arrêtes complètement ta pensée, et tu envoies ton messager mental dans cet endroit-là... Il est préférable de connaître quelqu’un qui puisse t’y conduire, parce que, autrement, tu pourrais te tromper de chemin et aller ailleurs! Et alors, tu vas. C’est comme une très vaste bibliothèque avec un tas de petits compartiments. Alors tu trouves le compartiment qui correspond à la connaissance que tu veux avoir. Tu presses un bouton et ça s’ouvre. Et làdedans, tu trouves comme un rouleau, une formation mentale qui se déroule devant toi comme un parchemin, et tu lis. Alors tu notes ce que tu as lu, et puis tu reviens tranquillement avec ta nouvelle connaissance dans ton corps, et tu traduis physiquement, si tu peux, ce que tu as trouvé, et puis tu te lèves et tu recommences ta vie comme avant... Ça peut te prendre dix minutes, ça peut te prendre une heure, ça peut te prendre une demi-heure, cela dépend de tes capacités, mais il est important de savoir le chemin, comme je dis, pour ne pas se tromper.
Alors pourquoi ne fait-on pas cela au lieu de lire des livres!
Parce que très peu de gens pourraient le faire, tandis que beaucoup peuvent lire des livres — il n’y en a pas beaucoup qui les comprennent, mais il y en a beaucoup qui peuvent les lire! Et ça, c’est encore plus difficile que de comprendre un livre.
Si l’on enseignait cela aux enfants quand ils sont petits?
Il est possible que cela remplacerait avantageusement la lecture des livres!
C’est exactement tout ce qui s’est passé sur la terre — depuis le commencement de la terre jusqu’à maintenant, tous les mouvements du mental sont inscrits, tous. Alors, quand tu as besoin d’un renseignement précis sur quelque chose, tu n’as qu’à aller là, tu trouves ton chemin. C’est un endroit très curieux ; c’est fait comme des petites cellules, ce sont comme des petits casiers; et comme cela, en suivant des rayons et des sortes de... comment dire? Il y a des bibliothèques qui sont comme cela. Tiens, j’ai vu une image que l’on nous a montrée au cinéma, c’était l’image d’une bibliothèque à New York. Eh bien, c’est arrangé un peu comme cela. C’est un arrangement similaire. Cela m’avait intéressée à cause de cela. Mais au lieu d’être des livres, ce sont comme des petits carrés. C’est tout fermé, et alors on met son doigt, on presse sur un bouton et ça s’ouvre. Et puis il y a comme un rouleau qui sort, et on ouvre ça et on peut lire — tout, tout ce qui est écrit dessus concernant un sujet. Il y en a des millions et des millions et des millions. Et alors, heureusement, dans le mental, on peut aller en bas, on peut aller en haut, on peut aller tout en haut. On n’a pas besoin d’échelle!
Comment lit-on? Comme on lit dans les livres?
Oui. C’est une sorte de perception mentale. Cela correspond à cela. On voit très, très bien toute la description, ou le renseignement — cela dépend de ce que c’est. Quelquefois ce sont des images : c’est comme une image qui est gardée. Quelquefois c’est un récit. Quelquefois c’est simplement une réponse à une question. Toutes les choses possibles et imaginables qui ont été enregistrées mentalement sont là. On peut trouver beaucoup de rectifications (justement des faits qui ont été mis dans les livres et qui ne sont pas corrects). Et on n’a pas besoin de marcher ni de monter : on envoie tout simplement quelque chose qui est une conscience mentale concentrée et qui se promène. Alors elle touche ça. Seulement, si en le faisant on n’est pas complètement détaché du fonctionnement de son propre cerveau, je soupçonne que l’on doit voir ce que l’on a dans sa propre tête! Au lieu de voir la chose telle qu’elle est, peut-être fait-on une promenade dans son cerveau et y voit-on ce qui s’y trouve — c’est un danger. Il faut pouvoir faire taire absolument sa tête et être complètement détaché, ne pas avoir (par exemple, tu cherches la solution d’un problème), ne pas avoir déjà dans ta tête la solution qui te paraît vraie, ou meilleure, ou profitable. Ça, il ne faut pas que cela existe. Il faut être absolument comme une feuille blanche, sans rien. Et on va, comme ça, avec une très sincère aspiration de savoir ce qui est vrai, mais sans postuler à l’avance que ce sera comme ceci ou comme cela, parce que, autrement, on ne verra que sa propre formation. La première condition, c’est que la tête se taise complètement pendant le temps où l’on voit.
Et pour être plus sûr (mais là, il faut être tout à fait dressé, il faut avoir une éducation très bien faite), pour être tout à fait sûr de rapporter clairement la connaissance reçue sans rien déformer, il vaut mieux dire ce que l’on voit et ce qu’on lit (nous disons lire, mais enfin ce que l’on perçoit), le dire au fur et à mesure qu’on le perçoit, et que ce soit quelqu’un d’autre qui l’écrive... Je répète : tu es tranquillement étendue sur ta chaise longue, immobile et tout à fait tranquille, et tu envoies un messager de ta tête. Alors, quelqu’un est assis à côté de toi, et quand tu arrives à l’endroit et que tu as ouvert la porte et que tu tires le manuscrit (ou appelle-le comme tu veux), tu commences, au lieu de lire seulement avec tes yeux qui sont partis, à exprimer ce que tu vois. Tu prends l’habitude de parler, et à mesure que tu perçois là-bas, tu parles ici. Tu te racontes justement ton voyage au milieu de ces salles immenses, et que tu es arrivée à cet endroit, et que cet endroit avait la petite marque qui était le signe de ce que tu voulais voir. Alors tu ouvres ce petit endroit, et puis tu sors ce rouleau et tu commences à lire. Et tu le lis à haute voix. Et la personne qui est là, assise à côté de toi, note au fur et à mesure ce que tu lis. Comme cela, il n’y a pas de danger que ce soit changé quand tu reviens; parce que, pour la partie de ton être qui est là, au moment de l’expérience c’est très clair et très précis, mais quand on revient dans le monde matériel tel qu’il est, il y a quelque chose qui échappe presque toujours, et qui n’échappe pas quand on parle directement au moment où l’on travaille... Alors, tout cela, ce sont beaucoup de conditions à remplir, ce n’est pas si facile que de prendre un livre à la bibliothèque et de le lire! Ça, c’est à la portée de tout le monde. L’autre est un petit peu plus difficile à réaliser.
Qu’est ce que la théorie de la relativité 30 ?
(Mère se tourne vers un disciple mathématicien) Pavitra ! Voulezvous expliquer ça à ces enfants?
(Pavitra) : C’est-à-dire que la description de l’univers varie avec chaque observateur — pour dire les choses en une phrase.
C’est tout! Pourquoi fait-on tant d’embarras pour cette découverte?
(Pavitra) : C’est une révolution, Mère!
C’est une révolution? Que ce que l’on voit dépend de qui voit? Ah! bien...
(Pavitra) : Ce que l’on mesure dépend de l’univers phy sique, au point de vue des sciences physiques.
Sciences physiques, oui. Pour mesurer l’univers, chacun le mesure à sa manière.
(Pavitra) : Mais alors, comme complément, on a trouvé qu’il y a, derrière, quelque chose qui est indépendant de l’observateur.
Ah! on a « découvert » ça ! (rires) Une révolution encore plus grande!... (rire général) Bon.
Mère, tu as dit 31 qu’il y avait beaucoup de plans intermédiaires entre le mental et le supramental, et que si l’homme ordinaire entrait en contact avec l’un des plans intermédiaires, il serait ébloui. Pourquoi, alors, puisque les hommes sont dans cet état si peu développé, parle-t-on de la descente du plan supramental, au lieu d’une descente des plans intermédiaires?
Pour une raison très simple, parce que, jusqu’à présent, tout le monde matériel, physique, toute la terre (prenons la terre) a été gouvernée par des forces et des consciences venant de ce que Sri Aurobindo appelle l’Overmind, le Surmental. Même ce que les hommes ont appelé Dieu est une force, une puissance qui vient du Surmental, et tout l’univers était sous la domination du Surmental. Pour arriver là, il y a beaucoup de plans intermédiaires, et il y a très peu de gens qui peuvent y atteindre sans être éblouis. Mais ce que Sri Aurobindo a dit, c’est que, maintenant, le temps du rule (c’est décidément difficile de parler en français!), du gouvernement du Surmental arrive à sa fin et va être remplacé par le gouvernement du Supramental. Le Surmental, tous ceux qui ont fait des expériences spirituelles et qui ont découvert le Divin et qui se sont unis à Lui, tous ceuxlà savent ce que c’est. Mais ce que Sri Aurobindo dit, c’est que, au-delà du Surmental, il y a quelque chose, et que c’est le tour de ce quelque chose de venir gouverner la terre — de se manifester sur la terre et de gouverner la terre. Et, par conséquent, il n’est pas besoin de parler de Surmental, parce qu’il y a beaucoup de gens qui en ont parlé avant et qui en ont fait l’expérience; tandis que cela, c’est une chose nouvelle, qui va se manifester d’une façon nouvelle et dont personne n’avait pris conscience auparavant. C’est pour cela. Les vieilles histoires, il ne manque pas de gens qui en ont fait l’expérience ou qui les ont décrites, ou de livres qui ont été écrits à ce sujet. Il n’est pas besoin de répéter encore une fois ce que les autres ont dit. Sri Aurobindo est venu dire quelque chose de nouveau. Et c’est justement parce que les gens n’arrivent pas à sortir des expériences qu’ils ont connues et dont on leur a parlé, qu’ils essayent d’identifier cette Force, que Sri Aurobindo appelle supramentale, avec leur expérience des mondes intermédiaires, y compris le Surmental. Parce qu’ils ne conçoivent pas qu’il y ait quelque chose d’autre... Sri Aurobindo a toujours dit que son yoga commence là où les yogas précédents finissent; que pour pouvoir réaliser son yoga, il fallait d’abord avoir réalisé l’extrême limite de ce que les yogas précédents avaient réalisé, c’est-à-dire la perception du Divin, l’union, l’identification avec le Divin. Mais ce Divinlà, Sri Aurobindo disait que c’était le Divin du Surmental, qui est déjà, par rapport à la conscience humaine, quelque chose de tout à fait impensable, parce que, même pour y aller, on devait traverser plusieurs plans, et que dans ces plans on avait l’impression d’un éblouissement.
Il y a des êtres du vital qui, s’ils apparaissaient aux hommes (ou pour dire les choses plus exactement, chaque fois qu’ils sont apparus aux hommes), les hommes les ont pris pour le Dieu suprême — des entités du vital! Si vous voulez, nous appellerons cela un déguisement, mais c’est un déguisement très réussi parce que ceux qui le voyaient étaient tout à fait convaincus qu’ils avaient vu la Divinité suprême. Et pourtant, c’étaient des êtres du vital. Et ces entités du Surmental, ces dieux du Surmental, ce sont des entités formidables par rapport à notre humanité. Quand les êtres humains ont une relation avec eux, ils sont vraiment... bewildered (c’est curieux, je pense en anglais)... ahuris.
Mais il y a une sorte de grâce qui fait que l’expérience des autres peut profiter. C’est l’équivalent du système de l’enseignement scientifique. Si chaque savant avait besoin de refaire toutes les expériences passées pour arriver à une découverte nouvelle, repasser tout ce que les autres avaient trouvé, il y passerait toute sa vie, alors il ne resterait plus de temps pour faire la découverte nouvelle! Maintenant, on n’a pas besoin de tout cela : on ouvre un livre et on voit les résultats, et à partir de là on peut aller plus loin. Eh bien, Sri Aurobindo a voulu faire la même chose. Il vous dit où vous pouvez trouver les résultats de ce que les autres ont trouvé avant lui — les expériences qu’ils ont faites et les résultats — et où on en est : historiquement où on en est dans l’histoire spirituelle du monde. Et alors, il vous prend à partir de là, après vous avoir établi la base, et puis il vous fait gravir la montagne plus haute.
Alors, dans cet Ashram, on ne devrait avoir que des gens déjà arrivés au niveau surmental? Au lieu de cela...
Je ne veux pas parler de ceux qui étaient là au début, de ce qu’ils savaient, ou ne savaient pas, et de leur expérience. Mais vous tous, mes enfants, à quel âge êtes-vous venus ici? Ce n’était pas un âge à avoir réalisé le Surmental !
Si tu avais autour de toi des gens comme Vivékânanda, par exemple, ton travail serait plus facile, non? Au lieu d’avoir de la matière brute comme nous? (rires)
Peut-être auraient-ils été plus récalcitrants!... Parce que, ce qu’il y a de plus difficile, c’est de convaincre quelqu’un qui a déjà une réalisation. Il se croit très supérieur à tout progrès.
Pas nécessairement. Ce n’est pas nécessairement celui qui a fait l’expérience qui est le plus avancé. Il lui manque un élément de simplicité, de modestie, et la plasticité qui vient du fait que l’on ne s’est pas encore développé totalement. À mesure que l’on se développe, il y a quelque chose qui se cristallise dans le cerveau; ça devient de plus en plus fixe; et à moins que l’on ne fasse de gros efforts, on finit par être fossilisé. C’est généralement ce qui arrive aux gens, surtout ceux qui ont fait un effort de réalisation et qui sont arrivés, ou qui ont cru qu’ils arrivaient au but. En tout cas, c’était leur but personnel. Ils l’ont atteint, ils sont arrivés. C’est fini, ils restent là. Ils se fixent, ils se disent : « Ça y est. » Et ils ne bougent plus. Alors, ils peuvent vivre après cela dix ans, vingt ans, trente ans, ils ne bougeront pas. Ils sont là, ils resteront là. Ceux-là manquent de toute la souplesse d’étoffe nécessaire pour pouvoir aller plus loin et progresser. Ils sont fixés. Ce sont de très bons objets pour mettre dans un musée, mais pas pour faire du travail. C’est comme des échantillons pour montrer ce qui peut se faire, mais pas des éléments pour faire davantage. Moi, j’avoue que j’aime mieux, pour mon travail, quelqu’un qui sait très peu, qui n’a pas fait trop d’efforts, mais qui a une grande aspiration, une grande bonne volonté, et qui sent en lui cette flamme, ce besoin de progresser. Il peut savoir très peu, et avoir réalisé encore moins, mais s’il a ça audedans de lui, c’est une bonne étoffe avec laquelle on peut aller très loin, beaucoup plus loin. Parce qu’il faut savoir le chemin (c’est encore la même chose que pour ta bibliothèque), il faut savoir le chemin pour aller. Eh bien, généralement, dans la vie, pour gravir une montagne ou pour aller dans un pays inconnu, on cherche quelqu’un qui y est allé, qui est un guide, et on lui demande de vous conduire. C’est la même chose. Si on se laisse guider, alors on peut arriver beaucoup plus vite que quelqu’un qui a fait de grands efforts, qui a trouvé son propre chemin, qui généralement est assez fier de lui-même et, en tout cas, qui a ce sentiment d’être arrivé, d’avoir atteint le but qu’il s’était proposé, d’être arrivé — et il s’arrête, il se fixe. Et il ne bouge plus.
Naturellement, au commencement il n’y avait pas d’enfants ici, et on n’acceptait pas les enfants, on refusait tous les enfants. C’est seulement après la guerre que l’on a pris des enfants. Mais je ne regrette pas qu’on les ait pris. Parce que je crois qu’il y a beaucoup plus d’étoffe pour l’avenir parmi les enfants qui ne savent rien que parmi les grandes personnes qui croient tout savoir... Je ne sais pas si vous connaissez grand-chose à la sculpture? Mais pour faire de la sculpture, on prend de l’argile, on l’imbibe d’eau; il faut que ce soit de l’argile comme une poudre très fine, et on l’imbibe d’eau, on en fait une pâte. On la garde toujours mouillée et on fait sa statue, ou quoi que ce soit. Quand c’est fini, on la cuit pour que ça ne bouge plus. Et à ce momentlà — en effet à ce moment-là — ça ne peut plus bouger. Si vous voulez changer quelque chose, il faut que vous la détruisiez et que vous en fassiez une autre. Parce que, autrement, telle qu’elle est, elle ne bouge plus. C’est solide et immobile comme de la pierre... C’est quelque chose comme cela dans la vie. Il ne faut pas être arrivé à quelque chose et puis rester cristallisé, fossilisé, immobilisé. Parce que, autrement, il faut briser, casser en petits morceaux, sinon on ne peut plus rien faire.
Tant que l’on reste de l’argile, comme cela, bien doux, bien malléable, qui n’est pas encore formé et qui n’a pas conscience d’être formé, alors on peut faire quelque chose. Et tant que l’on est un enfant... c’est un état béni. Je le disais hier, les enfants n’ont qu’une idée, c’est de devenir grands, et ils ne savent pas que, quand ils seront grands, ils auront perdu les trois quarts de leur valeur, qui consiste à être quelque chose qui peut être encore développé, formé, quelque chose de malléable, quelque chose de progressif, qui n’a pas besoin d’être cassé en petits morceaux pour faire des progrès. Il y a des gens qui sont obligés de faire tout le tour comme cela, de la montagne, depuis le bas jusqu’en haut, et qui prennent toute une vie pour arriver en haut. Il y a d’autres gens qui savent quel est le chemin, le raccourci que l’on peut prendre et par lequel on peut arriver tout droit en haut. Et alors, une fois qu’ils sont là-haut, ils sont encore pleins de jeunesse, d’énergie, et ils peuvent voir l’horizon et quelle est la prochaine montagne. Tandis que les autres, ils ont conscience d’avoir fait une œuvre considérable en tournant autour, tournant autour, et en passant toute leur vie pour arriver jusqu’en haut. Mais vous, mes enfants, on essaye de vous prendre tout en bas, de vous faire monter par le funiculaire jusqu’en haut, le chemin le plus court. Et quand vous serez en haut, alors vous aurez la vision des espaces en face de vous-mêmes et vous pourrez choisir la montagne que vous voulez gravir.
Et surtout, ne vous hâtez pas de ne plus être un enfant! Il faut être un enfant toute sa vie, tant que l’on peut, aussi longtemps que l’on peut. Soyez heureux, joyeux, contents d’être un enfant, et restez un enfant, de la matière plastique à former. Voilà.
Est ce que vous ne pouvez pas changer quelqu’un qui a déjà fait des progrès? On peut changer les hommes qui vieillissent?
On peut, on peut. On le fait. On peut, mais c’est beaucoup plus difficile, et plus ils sont convaincus qu’ils sont arrivés à quelque chose, plus c’est difficile.
Ça peut se faire, ça a été fait, mais c’est beaucoup plus difficile. Et quelquefois cela prend plus de temps.
Pourquoi, avant la guerre, n’acceptait-on pas les enfants?
Ah! mes enfants, c’est très simple. C’est parce que là où il y a des enfants, on ne s’occupe plus guère que d’eux ! Les enfants sont des créatures très absorbantes. Il faut que tout soit organisé pour eux, il faut que tout soit arrangé en vue de leur bien-être, et tout l’aspect de la vie change. Les enfants sont les personnages les plus importants. Quand ils sont là, tout tourne autour d’eux. Et toute l’organisation de l’Ashram a complètement changé. Avant, c’était tout à fait différent. D’abord, il y avait une austérité que l’on ne peut pas imposer aux enfants. Il y a des simplicités et des austérités de vie que l’on peut imposer à des grandes personnes parce qu’on leur dit : « C’est à prendre ou à laisser. Si vous ne pouvez pas le supporter ou si ça ne vous plaît pas, eh bien, allez-vous-en. Voilà comment il faut que ce soit; si vous n’en voulez pas, vous pouvez partir, la porte est toujours ouverte. » Mais un enfant... De quel droit exiger d’un enfant des choses qui ne sont pas en rapport normal avec sa croissance? Les enfants, il faut qu’ils soient arrivés à une certaine maturité pour pouvoir faire un choix. Vous ne pouvez pas les obliger à faire une chose avant qu’ils aient la capacité de choisir. Vous devez leur donner tout normalement tout ce dont ils ont besoin. Et ça change totalement l’existence. Et je le savais très bien. J’avais déjà l’expérience de ce qu’est une vie de solitaires, d’un ensemble de solitaires, ou d’une vie dans laquelle les enfants sont admis. C’est absolument, c’est totalement différent. On n’a pas le droit d’exiger d’un être quelque chose quand il n’a pas le libre choix ; et tant que l’on n’est pas formé, que l’on n’est pas arrivé à une certaine maturité, on ne fait pas choisir. Quand on arrive à cette maturité, alors on choisit. Et les enfants, ici, ne sont pas venus d’eux-mêmes. La plupart d’entre vous étiez hauts comme une botte — quand vous êtes arrivés, quel âge aviez-vous?... On ne peut pas leur dire : « Tu as choisi, par conséquent c’est à prendre ou à laisser : ou tu fais comme cela ou tu t’en vas. » On l’a amené, par conséquent on a le devoir de lui donner ce dont il a besoin; et les besoins de l’enfant ne sont pas du tout les mêmes que les besoins des grandes personnes. C’est beaucoup plus compliqué.
Maintenant, les choses sont différentes, parce que maintenant, on ne dit plus aux gens : « Vous allez venir pour faire un yoga »; on leur dit : « Vous allez venir pour tâcher d’apprendre les conditions dans lesquelles la vie terrestre peut être améliorée. » Alors on vient, on étudie. Quand on pense savoir ce que l’on veut apprendre, on s’en va. Ce n’est pas la même chose. Et ce n’est pas la même condition que de venir avec un but précis et unique comme de réaliser le Divin dans sa vie physique, et que rien d’autre au monde ne compte, sauf cela. Pour choisir, il faut au moins savoir un petit peu les éléments du choix. Et pour cela, il faut avoir une certaine formation intérieure, une certaine culture. Et on ne l’a certainement pas quand on a cinq ans — excepté quelques-uns; quelques-uns d’entre vous (plus même qu’on ne pourrait le croire) savaient très bien pourquoi ils étaient venus, bien qu’ils ne puissent pas le formuler avec des mots. Ils le sentaient très intensément. Et quand les parents essayaient de les retirer, ils refusaient obstinément, disant : « Non, non, je veux rester ici! » Même à cinq ans, quoique dans la tête vous ne pouviez pas savoir pourquoi, parce que le cerveau n’était pas formé. Mais la conscience psychique était là, et ils sentaient. Eh bien, ces enfants-là sont d’une étoffe infiniment supérieure à celle des gens qui ont déjà eu la tête aux trois quarts abrutie par l’enseignement qu’on leur donne dans les écoles ordinaires, et qui vous arrivent tout à fait convaincus qu’ils savent beaucoup de choses, qu’ils sont au courant de la vie. Ils ont le caractère formé, ils ont pris beaucoup de mauvaises habitudes. Voilà.
Est ce que le souvenir est synonyme de mémoire?
Pas nécessairement. La mémoire est un phénomène mental, purement mental. Le souvenir peut être un phénomène de conscience. On peut se souvenir dans tous les domaines de son être : on peut se souvenir vitalement, on peut se souvenir physiquement, on peut se souvenir psychiquement, on peut se souvenir mentalement aussi. Tandis que la mémoire est un phénomène purement mental. La mémoire peut d’abord se déformer, et elle peut aussi s’oblitérer, on peut oublier. Le phénomène de conscience est très précis : si vous pouvez ramener la conscience à l’état dans lequel elle était, les choses reviennent exactement comme elles étaient. C’est comme si vous reviviez le même moment. Vous pouvez le revivre une fois, deux fois, dix fois, cent fois, mais vous revivez le phénomène de conscience. C’est très différent de la mémoire d’un fait que vous inscrivez quelque part dans votre cerveau. Et si les associations cérébrales se dérangent le moins du monde (parce qu’il y a beaucoup de choses dans votre cerveau et c’est un instrument très délicat), s’il y a le moindre petit dérangement, votre mémoire se fausse. Et alors il y a des trous qui se forment et vous oubliez. Tandis que si vous savez ramener un certain état de conscience en vous, il revient identiquement à ce qu’il était. Maintenant, il se peut aussi qu’un souvenir soit purement mental et que ce soient des activités cérébrales qui continuent, mais ça, c’est un souvenir mental. Et on a des souvenirs dans le sentiment, des souvenirs dans la sensation.
L’autre jour, tu as dit : « Pour augmenter ta mémoire, il faut augmenter la conscience. » C’est la même chose pour le souvenir?
Je voulais dire qu’il fallait remplacer le phénomène de mémoire pure par un phénomène de conscience. Je ne sais pas dans quel sens on employait le mot mémoire l’autre jour. Ce ne peut être que dans ce sens-là.
Mémoire dans l’étude.
Eh bien, oui, c’est cela. C’est ce que je voulais dire : remplacer la mémoire purement mentale par des états de conscience. C’est exactement ce que je voulais dire. Parce que, si vous essayez d’apprendre une chose par cœur, au bout d’un certain temps vous êtes sûrs de l’oublier. Ou bien il y a des trous : vous vous souvenez d’une chose, vous ne vous souvenez pas d’une autre. Mais si vous avez un phénomène de conscience associé à une certaine connaissance, vous pouvez toujours le ramener, et la connaissance reviendra telle quelle.
Voilà, au revoir mes enfants.
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