Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Quelle est la méthode pour augmenter les « capacités d’expansion et d’élargissement » ? (Éducation, « L’Éducation mentale »)
Quelle est la méthode pour augmenter les « capacités d’expansion et d’élargissement » ?
(Éducation, « L’Éducation mentale »)
Je dis là qu’il faut prendre des sujets d’étude très variés. Je crois que c’est cela. Par exemple, si vous êtes à l’école, étudier tous les sujets possibles. Si vous lisez chez vous, ne pas lire seulement un genre de choses, lire toutes sortes de choses différentes.
Mais, Douce Mère, à l’école, il n’est pas possible d’étudier beaucoup de sujets. On doit se spécialiser.
Oui, oui! j’ai entendu dire cela, spécialement par vos professeurs. Je ne suis pas d’accord. Et je sais bien, on me rabâche cela tout le temps : si l’on veut faire une chose convenablement, il faut se spécialiser. C’est la même chose aussi pour les sports. C’est la même chose pour tout dans la vie. On le dit et on le répète, et il y a des gens pour le prouver : pour faire quelque chose bien, il faut se spécialiser. Il faut faire cela et se concentrer. Si l’on veut être un bon philosophe, il faut faire seulement de la philosophie, si l’on veut être un bon chimiste, il faut faire seulement de la chimie. Et si l’on veut être un bon joueur de tennis, il faut jouer seulement au tennis. Ce n’est pas mon avis, c’est tout ce que je puis dire. Mon expérience n’est pas comme ça. Je crois qu’il y a des facultés générales, et qu’il est beaucoup plus important de les acquérir que de se spécialiser. À moins, naturellement, que ce ne soit comme M. et Mme Curie qui voulaient développer une science, trouver une chose nouvelle, alors, naturellement, ils étaient obligés de se concentrer sur leur science. Mais encore était-ce seulement jusqu’à ce qu’ils aient trouvé; une fois qu’ils avaient trouvé, rien ne les empêchait d’élargir leur cerveau.
C’est une chose que j’ai entendue depuis ma plus petite enfance, et je crois que les arrière-grands-parents ont entendu la même chose, et que de tout temps il a été prêché que si vous voulez réussir quelque chose, il ne faut faire que cela. Et moi, on me grondait tout le temps parce que je faisais beaucoup de choses différentes! Et on me disait toujours que je ne serais jamais bonne à rien. Je faisais des études, je faisais de la peinture, je faisais de la musique, et puis je m’occupais encore d’autres questions. Et on m’a dit que ma musique ne vaudrait rien, ma peinture ne vaudrait rien, et que mes études seraient tout à fait incomplètes. C’est probablement tout à fait vrai, mais enfin j’ai trouvé que cela avait des avantages — justement les avantages dont je parle, d’élargir, d’assouplir son cerveau et la compréhension. Il est vrai que si j’avais voulu être un exécutant de premier ordre et jouer dans les concerts, il aurait fallu que je fasse comme ils disent. Et pour la peinture, si j’avais voulu être parmi les grands peintres de l’époque, il aurait fallu que je ne fasse que cela. C’est bien entendu. Mais enfin, c’est un point de vue. Je ne vois aucune nécessité d’être le plus grand peintre, le plus grand musicien. Ça m’a toujours paru être une vanité. Et d’ailleurs, c’est une question de jugement...
Il n’y a qu’un cas, c’est celui où l’on veut faire une découverte. Alors, naturellement, il faut consacrer tout son effort là-dessus. Mais ce n’est pas nécessairement l’effort de toute une vie. À moins que l’on ne choisisse un sujet très difficile comme l’ont fait les Curie. Il y a eu un moment où ils avaient fait leur découverte — ils pouvaient aller au-delà.
Mais spontanément, les gens qui veulent garder leur équilibre se reposent d’une activité en en prenant une autre. On cite toujours l’exemple des grands exécutants ou des grands peintres, ou des grands savants, qui ont une sorte de manie, un délassement. Vous avez peut-être entendu parler du violon d’Ingres.
Ingres était un peintre; il ne manquait pas de talent, et quand il avait du temps libre, il se mettait à jouer du violon, et son violon l’intéressait beaucoup plus que sa peinture. Il paraît qu’il ne jouait pas très bien du violon, mais ça l’intéressait beaucoup. Et sa peinture, il la faisait assez bien, et ça l’intéressait moins. Mais je crois que c’est tout simplement parce qu’il avait besoin d’un équilibre. La concentration sur une chose unique pour arriver à son résultat est très nécessaire pour l’esprit humain dans son fonctionnement normal, mais on peut parvenir à un fonctionnement différent, plus complet, plus subtil. Naturellement, physiquement, on est obligé de se limiter parce que, dans le physique, on dépend beaucoup du temps et de l’espace, et puis il est difficile de réaliser de grandes choses sans avoir une concentration spéciale. Mais si l’on veut mener une vie plus haute et plus profonde, je crois que l’on peut atteindre à des capacités peut-être beaucoup plus grandes par d’autres moyens que des moyens de restriction et de limitation. Il y a un avantage considérable à se débarrasser de ses limites, sinon du point de vue de la réalisation active, du moins de la réalisation spirituelle.
Pourquoi oublie-t-on les choses?
Ah! je suppose qu’il y a plusieurs raisons. D’abord, parce que l’on se sert de sa mémoire pour se souvenir. La mémoire est un instrument mental et dépend de la formation du cerveau. Votre cerveau est en constante croissance — à moins qu’il ne commence à dégénérer, mais enfin sa croissance peut durer très, très longtemps, beaucoup plus longtemps que celle du corps. Et dans cette croissance, il y a nécessairement des éléments qui prennent la place des autres. Et à mesure que l’instrument mental se développe, les éléments qui ont servi d’étape, ou de moment transitoire dans le développement, peuvent s’effacer pour laisser place au résultat. Alors le résultat de tout ce que l’on savait est là, vivant, en soi, mais le chemin parcouru pour y arriver peut être tout à fait estompé. C’est-à-dire qu’un bon fonctionnement de la mémoire est de ne se souvenir que des résultats afin de pouvoir avoir les éléments d’une marche en avant et d’une construction nouvelle. C’est plus important que de juste retenir d’une façon mentalement rigide.
Maintenant, il y a un autre aspect. En dehors de la mémoire mentale, qui est une chose défectueuse, il y a les états de conscience. Chaque état de conscience où l’on se trouve enregistre les phénomènes de ce moment-là, quels qu’ils soient. Si votre conscience reste limpide, large et forte, vous pouvez, à n’importe quel moment, par une concentration, appeler dans la conscience active ce que vous aviez fait, pensé auparavant, vu, observé; tout cela, vous pouvez vous en souvenir en faisant surgir en vous le même état de conscience. Et cela ne s’oublie jamais. Vous pourriez vivre mille ans que vous vous souviendriez. Par conséquent, si vous voulez ne pas oublier, il faut que ce soit votre conscience qui se souvienne et non votre mémoire mentale. Votre mémoire mentale, forcément, s’effacera, s’estompera, et des éléments nouveaux prendront la place des vieux. Mais les choses dont vous êtes conscient, vous ne les oubliez pas. Vous n’avez qu’à faire resurgir le même état de conscience. Et ainsi, on peut se souvenir de circonstances qu’on a vécues des milliers d’années auparavant si l’on sait faire resurgir le même état de conscience. C’est comme ça que l’on peut se souvenir de ses vies antérieures. Cela ne s’efface jamais. Tandis que la mémoire de ce que vous avez fait physiquement quand vous étiez tout petit, vous ne l’avez même plus. On vous raconterait beaucoup d’incidents que vous ne savez plus. Ça s’efface tout de suite. Parce que le cerveau est en constante transformation et que certaines cellules plus faibles sont remplacées par d’autres beaucoup plus fortes, et par d’autres combinaisons, d’autres organisations cérébrales. Et alors, ce qui était avant est effacé ou déformé.
On peut se souvenir de choses qui se sont passées des milliers d’années avant!
Oui, si vous allez à un certain endroit, si vous arrivez à entrer en contact avec l’endroit qui a vécu des milliers d’années avant. Et en plus (je crois que je l’ai écrit quelque part), il y a l’enregistrement de la conscience de la terre, et si vous savez aller à cet endroit-là, vous pouvez non seulement vous souvenir de votre propre vie, mais de tout ce qui s’est passé sur la terre. C’est enregistré là, et c’est un phénomène de conscience.
Mais comment se souvient-on, Douce Mère, parce que, quand on change de corps, de mental...
Je viens de le dire, mon enfant, tu n’as pas écouté ce que je t’ai dit. J’ai dit que si c’est un souvenir mental, cela s’effacera ; même dans votre vie présente, vous ne pouvez pas vous rappeler d’incidents qui se sont passés vingt ans ou trente ans ou quarante ans avant. Mais un état de conscience n’est pas un état mental. Cela n’a rien à voir avec le mental. En effet, la plupart des mentalités se dissolvent avec le corps, sauf si l’on a une formation spéciale très bien faite et très « cohésive », très bien organisée, qui peut se perpétuer. Mais c’est suffisamment rare, ce sont seulement des cas exceptionnels. Mais la conscience est une chose tout à fait différente. La conscience est un état éternel. L’état de conscience est un état éternel. La création est née par la conscience et si la conscience se retirait, il n’y aurait plus de création. Et si vous entrez en rapport avec la conscience, vous pouvez retrouver toute l’histoire de la création, parce que la création vient de la conscience. La conscience est éternelle.
Mère, parfois certaines pensées désagréables viennent nous troubler. Quel est le moyen de s’en débarrasser?
Il y a plusieurs moyens. Généralement... cela dépend des gens, mais généralement le moyen le plus facile est de penser à autre chose. C’est-à-dire de concentrer son attention sur quelque chose qui n’a rien à voir avec cette pensée-là, qui n’a aucun rapport avec cette pensée-là, comme la lecture ou un travail — généralement quelque chose à créer, une création. Par exemple, ceux qui écrivent, pendant tout le temps qu’ils écrivent... prenons simplement un romancier, toutes les autres pensées sont parties, parce qu’il est concentré sur ce qu’il fait. Quand il aura fini d’écrire, s’il n’a pas le contrôle, les autres pensées reviendront. Mais justement, quand on est attaqué par une pensée, on peut essayer de faire un travail créateur. Par exemple, le savant peut faire un travail de découverte, une étude spéciale pour découvrir quelque chose — quelque chose qui absorbe beaucoup, n’est-ce pas, c’est le moyen le plus facile. Naturellement, ceux qui ont un commencement de contrôle sur leur pensée peuvent faire un mouvement de rejet : repousser la pensée comme on repousserait une chose physique. Mais c’est plus difficile et cela demande beaucoup plus de maîtrise. Si l’on y réussit, c’est plus actif, en ce sens que si vous rejetez cette activité-là, cette pensée, si vous la chassez d’une façon efficace et constamment, ou d’une façon tout à fait répétée, à la fin elle ne vient plus. Tandis que dans l’autre cas, elle peut toujours revenir. Cela fait deux moyens.
Le troisième moyen, c’est d’être capable d’amener d’en haut une lumière assez grande qui soit la « contradiction » dans le sens profond; c’est-à-dire que si cette pensée qui vient est une chose obscure (et surtout si elle vient du subconscient ou de l’inconscient et qu’elle est soutenue par l’instinct), si l’on peut amener d’en haut la lumière d’une connaissance vraie, un pouvoir supérieur, et que l’on mette la lumière sur cette pensée-là, on arrive à la dissoudre ou à l’éclairer ou à la transformer — c’est le moyen suprême. C’est encore un peu plus difficile. Mais cela peut se faire, et si on le fait, alors on guérit — non seulement la pensée ne vient plus, mais la cause est guérie.
Le premier pas, c’est de penser à autre chose (mais ça, n’est-ce pas, indéfiniment ça se répétera); le second, c’est de se battre; et le troisième, c’est de transformer. Quand on est arrivé au troisième pas, alors non seulement on est guéri mais on a fait un progrès définitif.
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