Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Les Bases du Yoga, « Foi, Aspiration, Soumission ».
Qu’est-ce que ça veut dire exactement : « ... dans le yoga, c’est de la victoire intérieure que sort la conquête extérieure » ?
Oui. D’abord, il faut obtenir la conscience vraie, être en rapport avec le Divin et Le laisser gouverner votre action; et alors, vous pouvez agir sur les circonstances extérieures, sur les actions, même, et surmonter les difficultés extérieures. Il faut d’abord avoir l’expérience intérieure avant d’espérer pouvoir [...24 ] quelque chose d’extérieur. Au fond, tout est basé sur une prise de conscience de la Conscience divine; et à moins que ça ne soit fait, tout le reste est incertain. Rien ne peut être établi d’une façon permanente. C’est seulement quand on a pris conscience; alors on peut suivre son chemin d’une façon rapide, sans crainte. Autrement il y a toujours... on risque toujours de se tromper, d’aller sur un faux chemin.
Douce Mère, que veut dire « l’équilibre psychique » ?
L’équilibre psychique, cela veut dire l’équilibre de l’être, qui provient du fait que le psychique, qui gouverne les mouvements de l’être, est le maître de tous les mouvements de la conscience. Le psychique est toujours en équilibre. Alors, quand il est actif et qu’il gouverne l’être, il amène forcément l’équilibre.
Mère, la dernière fois, il y avait écrit : « Peu importe quels défauts vous pouvez avoir dans votre nature; la seule chose qui importe est que vous vous gardiez ouvert à la Force. » Mère, si on a des défauts, comment est-ce qu’on peut s’ouvrir à la Force?
Je crois que tout le monde a des défauts. Alors s’il ne fallait pas avoir de défauts pour s’ouvrir, personne ne pourrait s’ouvrir. On a toujours des défauts en commençant. On n’est pas fait d’un seul morceau. C’est surtout ça. Il y a dans l’être beaucoup de parties différentes, qui sont quelquefois tout à fait indépendantes les unes des autres, et qui prennent possession de la conscience presque à tour de rôle, et quelquefois même dans un ordre tout à fait régulier. Alors, quand il y a dans l’être une partie qui est de bonne volonté, et qui a déjà une sorte de perception de ce que c’est que la Force divine, alors, n’est-ce pas, cela ouvre l’être et le met en rapport avec cette Force. Mais ce n’est pas toujours là. Il y a d’autres parties qui viennent en avant, qui ont des défauts, de mauvaises habitudes, et qui peuvent tout à fait voiler la conscience. Mais si l’on garde le souvenir de la partie qui était ouverte, on peut garder l’ouverture tout de même, bien qu’extérieurement la partie qui est là, active, ne soit pas particulièrement intéressée et qu’elle ne soit pas même capable de comprendre. Mais l’autre partie peut continuer à être ouverte et à recevoir la Force.
Peut-on avoir la foi par l’aspiration?
Quoi? La foi par aspiration? Je pense que oui, parce que c’est [rare] de l’avoir d’une façon innée et spontanée. Il y a très peu de gens qui ont ce bonheur, d’avoir une foi spontanée. Mais si l’on est très sincère dans son aspiration, on l’obtient. L’aspiration peut obtenir tout, pourvu qu’elle soit sincère et constante. On a toujours en soi un petit élément de foi, ne serait-ce que la foi en ce que vos parents ont dit, ou dans les livres que vous avez étudiés. Après tout, toute votre éducation est basée sur une foi de ce genre. Les personnes qui vous ont éduqué vous ont dit certaines choses. Vous n’aviez aucun moyen de contrôle, parce que vous étiez trop petit et vous n’aviez pas d’expérience. Mais vous avez la foi en ce qu’ils vous ont dit, et vous avancez sur cette foi. Alors tout le monde a un petit peu de foi, et c’est pour l’augmenter qu’on peut se servir de son aspiration.
Mère, dans ton symbole, les douze pétales signifient les douze plans intérieurs, n’est-ce pas?
Cela signifie tout ce que l’on veut, n’est-ce pas. Douze, c’est le chiffre d’Aditi, de Mahâshakti. Alors, cela s’applique à tout; toute son action a douze aspects. Il y a aussi ses douze vertus, ses douze pouvoirs, ses douze aspects, et puis ses douze plans de manifestation et bien d’autres choses qui sont douze; et le symbole, le chiffre douze, est en lui-même un symbole. C’est le symbole de la manifestation, perfection duelle, dans l’essence et dans la manifestation, dans la création.
Quels sont les douze aspects, Douce Mère?
Ah, mon enfant, j’ai décrit cela quelque part, mais je ne me souviens pas maintenant. Parce que c’est toujours un choix, n’est-ce pas; suivant ce que l’on veut dire, on peut choisir douze aspects ou douze autres; ou leur donner différents noms. Le même aspect peut s’appeler de différentes façons. Cela n’a pas la fixité d’une théorie mentale.
(silence)
Suivant l’angle sous lequel on regarde la création, un jour je peux vous dire douze aspects; et puis un autre jour, parce que j’ai déplacé mon centre d’observation, alors je peux dire douze autres, et ils seront également vrais.
(Au disciple qui s’occupe du magnétophone) C’est le vent qui produit cet orage? C’est très bien pour une mise en scène de soir dramatique... Le traître approche dans la nuit... hein? On s’attend à une action terrible...
Douce Mère, quand est-ce que l’être psychique perd son équilibre?
Quoi?... Jamais.
Alors pourquoi est-ce écrit : « L’équilibre psychique est nécessaire » ?
Oui. C’est-à-dire l’aide de l’équilibre psychique est nécessaire. Ce n’est pas que l’être psychique doit devenir équilibré, c’est que l’on doit être sous l’influence de l’équilibre psychique. Le psychique est toujours en équilibre. Mais l’être n’est pas toujours sous l’influence du psychique qui amène l’équilibre. L’influence du psychique donne l’équilibre.
Comment peut-on comprendre que l’être psychique est au premier plan?
Mon enfant, quand il le devient, on le comprend. C’est justement tant qu’on ne comprend pas... cela veut dire qu’il n’est pas venu. C’est comme les gens qui vous demandent : « Comment puis-je savoir si je suis en relation avec le Divin? » Ça, ça suffit pour prouver qu’ils ne le sont pas. Parce que s’ils le sont, ils ne posent plus la question. C’est une affaire entendue. Pour le psychique, c’est la même chose. Quand le psychique est en avant on le sait, et il n’y a aucune possibilité de doute. Par conséquent, on ne pose plus la question.
Comment rendre le mental et le vital un « champ clair » ?
Rendre quoi?... Oui, c’est difficile. (rires) C’est un grand travail. Eh bien, c’est toujours la même chose : il faut d’abord comprendre ce que c’est, être clair. Et puis il faut aspirer, et avec persistance; et chaque fois que quelque chose vient vous obscurcir, l’écarter, le repousser, ne pas l’accepter.
Le mental et le vital ont une très mauvaise habitude : quand on est arrivé par une aspiration à avoir une expérience, être en rapport avec la Force divine, immédiatement ils se précipitent pour en faire leur propriété, n’est-ce pas, comme ça (geste), comme un chat se jette sur une souris. Et puis ils l’attrapent, ils disent : « C’est pour moi. » Et alors, le mental le change en toutes sortes de spéculations, et d’affirmations, et de constructions, et il s’en fait une grande gloire; et le vital se sert du pouvoir pour réaliser ses désirs.
Alors, c’est pour éviter cela que l’on dit qu’il faut qu’ils soient clairs, tranquilles, paisibles, et qu’ils ne se précipitent pas sur la Force qui essaye de se manifester pour en faire un outil pour leur usage personnel. Pour que le mental soit clair, il faut qu’il soit silencieux — au moins dans une certaine mesure —, et pour que le vital soit clair, il faut qu’il abandonne ses désirs, qu’il n’ait pas de désirs et d’impulsions, et de passions.
Ça, c’est la condition essentielle. Après, si on entre dans les détails, il faut que ni l’un ni l’autre n’ait une préférence, un attachement, une certaine manière d’être, ou un certain ensemble d’idées.
Douce Mère, que veut dire exactement « sincérité » ?
Il y a plusieurs degrés de sincérité.
Le degré le plus élémentaire, c’est de ne pas dire une chose et en penser une autre, prétendre une chose et en vouloir une autre. Par exemple, ce qui arrive assez souvent, dire : « Je veux faire des progrès, et je veux être débarrassé de mes défauts », et, en même temps, chérir dans sa conscience ses défauts et prendre très grand soin de les cacher afin que personne n’intervienne pour les faire partir. Ça, c’est un phénomène tout à fait courant. C’est déjà un second degré. Le premier degré, c’est quelqu’un qui prétend, par exemple, avoir une très grande aspiration et vouloir la vie spirituelle, et en même temps qui fait tout à fait... comment dire... sans vergogne, les choses qui sont les plus opposées à la vie spirituelle. Ça, c’est le degré de sincérité, d’insincérité plutôt, le plus évident.
Mais il y a un second degré que je viens de vous décrire, qui est comme ça : il y a une partie de l’être qui a une aspiration et puis qui dit, même pense, même sent, qu’elle voudrait bien être débarrassée des défauts, des imperfections; et puis, en même temps, d’autres parties qui cachent très soigneusement ces défauts et ces imperfections, afin de ne pas être obligées de les mettre au jour et de les guérir. Ça, c’est très courant.
Et finalement, si l’on va assez loin, si l’on pousse la description assez loin, tant qu’il y a une partie de l’être qui contredit l’aspiration centrale vers le Divin, on n’est pas parfaitement sincère. C’est-à-dire qu’une parfaite sincérité est une chose extrêmement rare. Et d’une façon tout à fait courante, très, très fréquente, quand il y a des choses que l’on n’aime pas dans sa nature, on a le plus grand soin de les cacher à soi-même, on trouve des explications avantageuses, ou on fait simplement un petit mouvement, comme ça. Vous avez remarqué que, quand les choses bougent, comme ça, on ne peut pas les voir Le 10 novembre 1954 439 clairement? Eh bien, à l’endroit où il y a un défaut, il y a une sorte de vibration qui fait comme ça, et alors votre vision n’est pas claire, vous ne voyez plus vos défauts. Et ça, c’est automatique. Eh bien tout ça, ce sont des insincérités.
Et la sincérité parfaite, c’est quand il y a au centre de l’être la conscience de la Présence divine, la conscience de la Volonté divine, et que tout l’être, comme une masse lumineuse, claire, transparente, exprime cela dans tous ses détails. Ça, c’est la vraie sincérité.
Quand à n’importe quel moment, quoi que ce soit qui arrive, quand l’être s’est donné au Divin et ne veut que la Volonté divine, que n’importe ce qui se passe dans l’être, à n’importe quel moment, toujours, tout l’être, avec une unanimité parfaite, peut dire au Divin, et sent pour le Divin : « Que Ta Volonté soit faite », quand c’est spontané, total, intégral, là vous êtes sincère. Mais jusqu’à ce que cela soit établi, c’est une sincérité mitigée, plus ou moins mitigée, jusqu’au moment où l’on n’est pas sincère du tout.
Douce Mère, ici il est écrit : « L’effort personnel doit être progressivement transformé en un mouvement de la Force divine. Si vous êtes conscient de la Force divine, appelez-la de plus en plus pour qu’elle gouverne votre effort, qu’elle l’adopte et qu’elle le transforme en quelque chose qui n’est plus à vous mais à la Mère. » Mais si on n’est pas conscient de la Force divine?
Il faut le devenir. Aspirez, demandez, aspirez sincèrement.
N’est-ce pas, généralement, vous êtes ici, nous avons une classe, nous venons de lire quelque chose, vous avez des questions à poser; pendant le temps que vous êtes ici, vous posez des questions et vous pensez à ce sujet. Mais dès que vous êtes sortis ou que vous rentrez chez vous, vous pensez à mille autres choses, n’est-ce pas? Alors, comment voulez-vous devenir conscients de la Force divine? Nous n’avons qu’à peine une demi-heure ici, ce n’est pas beaucoup de temps pour devenir conscient de la Force.
Mais si c’est votre unique préoccupation, si vraiment, de tout votre être, vous voulez devenir conscients de la Force divine, vous le deviendrez. C’est simplement parce qu’on y pense de temps en temps; quand il est question de ça, on se dit : « Tiens, c’est vrai, comment est-ce qu’on peut faire? » Et puis la minute d’après on n’y pense plus. Alors comment voulez-vous que cela arrive?
Il faut être très attentif, il faut être très silencieux, il faut s’observer très clairement. Et il faut être très humble; c’est-àdire accepter de ne pas jouer un grand rôle dans toute cette histoire. Le malheur est que généralement, l’être — que ce soit l’être vital, l’être mental, même l’être physique —, il est très anxieux de jouer un rôle, très anxieux. Alors ça gonfle, ça tient beaucoup de place, ça couvre le reste; et ça couvre si bien qu’on ne peut pas même s’apercevoir de la présence de cette Force divine. Parce que le mouvement personnel du physique, du corps, du vital, du mental, couvre tout de son importance
Écoute : si tous les soirs avant de t’endormir tu prenais seulement une petite minute, comme ça, et que dans cette petite minute, avec toute la concentration dont tu es capable, tu demandes à devenir conscient de la Force divine, simplement comme ça, rien de plus; le matin en te réveillant, avant de commencer ta journée, si tu fais la même chose, tu prends une petite minute, tu te concentres autant que tu peux et tu demandes à devenir conscient de la Force divine, tu verras, au bout d’un certain temps, ça arrivera. Rien qu’avec ces petites choses, qui ne sont rien du tout, et qui ne prennent pas de temps.
Un jour, ça arrivera. Seulement, il faut le faire avec concentration, intensité et sincérité; c’est-à-dire qu’il ne faut pas que, pendant que tu le demandes, l’autre partie de ton être se dise : « Après tout, ça n’a aucune importance. » Ou bien tu penses à autre chose, au costume que tu mettras, ou à la personne que tu rencontreras, n’importe quoi, mille désirs. Il faut être là, tout entier, une minute. Naturellement, si on multiplie la minute, ça va d’autant plus vite. Mais, comme je dis, si on peut ne pas contredire la minute d’après cette aspiration qu’on avait la minute d’avant, c’est plus facile; sinon, cela rejette la sincérité.
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