Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Cet Entretien est basé sur le chapitre VI de La Mère.
Juste au commencement, il est écrit : « Les quatre pouvoirs de la Mère ». Quels sont ces quatre pouvoirs, Douce Mère?
Ceux-là !
Les aspects, non, Mère?
(long silence)
Oui.
Que veut dire : « ... il se manifeste à travers elle dans les mondes comme la conscience unique et duelle de l’Îshwara-Shakti et le principe duel de PurushaPrakriti... » ?
Qu’est-ce que cela veut dire? Cela veut dire ce que cela dit. (rires) Cela veut dire que dans le monde, la force unique de l’énergie créatrice se divise dans toutes les manifestations, même les manifestations les plus opposées, n’est-ce pas. C’est cette force unique qui, dans la création, se divise en Purusha et Prakriti, et, n’est-ce pas, l’énergie et la résistance. C’est cela que ça veut dire; à l’origine la force est unique et c’est dans la manifestation qu’elle se divise, et qu’elle se divise dans tous les opposés, qui sont en même temps des complémentaires. Parce que, pour la création, cette division était nécessaire, autrement il n’y aurait jamais eu qu’une chose unique tout le temps.
Que veut dire « Vibhûti » ?
Cela veut dire l’incarnation d’une émanation. Une émanation de la Mère s’incarne dans un être et cet être devient une Vibhûti.
Douce Mère, ici je n’ai pas compris : « Mais quelque chose de ses voies peut être vu et senti à travers ses personnifications, d’autant plus perceptible que sont plus définis et limités le tempérament et l’action des formes de déesses dans lesquelles elle consent à se manifester à ses créatures. »
Cela veut dire que, n’est-ce pas, justement, il y a des qualités différentes, des manières d’être différentes qui se manifestent sous des formes différentes, et que chacune de ces formes est une des divinités que les hommes ont adorées et qu’ils comprennent, parce que c’est limité. Quand une chose est limitée, elle est plus compréhensible pour l’homme que quand elle est illimitée, parce que l’homme a une nature limitée et qu’il comprend naturellement ce qui est limité. Et alors, pour être compréhensibles, il faut que les choses se divisent et se limitent. Autrement, le Pouvoir dans son essence, qui est indivisible et illimité, est absolument au-dessus de la compréhension humaine — tel que l’homme est maintenant, dans l’état où il est actuellement.
Qu’est-ce que c’est que « le triple monde de l’ignorance » ?
Le triple monde...?
« ... de l’ignorance ».
L’ignorance?
Matière, vie et l’esprit; c’est-à-dire, le physique, le vital et le mental, le triple monde de l’ignorance.
Quelle est l’apparence de Mahâsaraswatî et de Mahâlakshmî?
Quoi?
Quelle est l’apparence...
Mon petit, il faut les voir. Quand tu les verras, tu sauras 18 ...
l’aspect est différent suivant les cas, suivant les gens à qui elle se montre, selon le travail qu’elle fait...
... pas celui qu’on voit dans ce corps.
Est-ce que les images qu’on voit de Mahâsaraswatî sont vraies?
Oh, seigneur! (rires) Quand un tout petit enfant essaye de faire le portrait de quelque chose, est-ce que ça lui ressemble? C’est à peu près comme ça, quelquefois pire! Parce que l’enfant est candide et sincère, tandis que celui qui fait les images des dieux est plein de préjugés et d’idées préconçues ou bien de tout ce que les autres en ont dit et de ce qui est écrit dans les Écritures et de ce qui a été vu par les gens. Et alors il est lié par tout cela. Il y a quelquefois, de temps en temps, des artistes qui ont une vision intérieure, une grande aspiration, une grande pureté d’âme et de vision, qui ont fait des choses qui sont acceptables. Mais c’est extrêmement rare. Et d’une façon générale, je crois que c’est à peu près le contraire.
J’ai vu de ces formes dans le monde vital et dans le monde mental qui étaient vraiment des créations humaines. Il y a une force de l’au-delà qui se manifeste. Mais dans ce triple monde du Mensonge, l’homme a vraiment créé Dieu à son image — plus ou moins —, et il y a de ces êtres qui se manifestent sous des formes qui sont le résultat de la pensée humaine formatrice. Et alors, là, n’est-ce pas, c’est vraiment effrayant! J’ai vu de ces formations! (silence) et c’est tellement obscur, incompréhensible, inexpressif...
Il y a certains dieux qui sont plus maltraités que les autres. Par exemple, cette pauvre Mahâkâlî, n’est-ce pas, on en fait des choses!... C’est tellement effroyable, c’est inimaginable! Mais ça, ça ne vit que dans un monde très bas... oui, dans le vital le plus inférieur; et ce que cela possède de l’être originel, c’est quelque chose... une réflexion si éloignée de l’origine que c’est méconnaissable. Pourtant, généralement, c’est cela qui est attiré par la conscience humaine. Et quand on construit une idole, n’est-ce pas, et que le prêtre fait descendre... quand la cérémonie se fait d’une façon régulière, il se met dans un état d’invocation intérieure et il tâche de faire descendre une forme ou une émanation de la divinité dans l’idole, pour lui donner un pouvoir; si le prêtre est un homme qui a vraiment un pouvoir d’invocation, il peut réussir. Mais généralement — il y a des exceptions à tout —, mais généralement, ce sont des êtres qui ont été éduqués dans les idées communes, selon la tradition. Et alors, quand ils pensent à la divinité qu’ils invoquent, ils y pensent avec tous les attributs et les apparences qu’on leur a donnés, et cela s’adresse généralement à des entités du monde vital, ou au mieux du monde mental, mais pas à l’Être lui-même. Et ça, ce sont ces petites entités-là qui se manifestent dans une idole ou dans une autre. Toutes ces idoles dans les petits temples, ou même dans les familles — les gens qui ont leurs petits « shrines 19 », n’est-ce pas, chez eux, et qui gardent une image de la divinité qu’ils adorent —, cela se manifeste là-dedans; quelquefois, cela a des résultats assez fâcheux, parce que ce sont justement des formes qui sont tellement loin de la divinité originelle que... Elles sont des formations malencontreuses. Il y a de ces Kâlî qu’on adore dans certaines familles qui sont des véritables monstres!
Je peux dire sur ma conscience — si on peut dire — avoir conseillé à certaines gens de prendre la statue et de la jeter dans le Gange, afin de se débarrasser d’une influence tout à fait désastreuse. D’ailleurs cela a très bien réussi. Il y en a qui sont des... qui sont des présences fâcheuses. Mais ça, c’est la faute de l’homme. Ce n’est pas la faute des divinités. On aurait tort de mettre le blâme sur les divinités. C’est la faute de l’homme. Il veut construire les dieux à son image. Les uns, quand ils sont méchants, ils les ont rendus encore plus autocratiques; et quand ils sont jolis, ils les ont rendus encore plus jolis : c’est-àdire qu’ils ont un peu plus magnifié les défauts.
Comment est-ce que la pensée humaine peut créer des formes?
Dans le monde mental, la pensée humaine crée tout le temps des formes. La pensée humaine est tout à fait créatrice dans le monde mental. Constamment, quand vous pensez, vous créez des formes et vous les envoyez se promener dans l’air et elles vont faire leur travail. Constamment, vous êtes entouré d’un tas de petites formations.
Naturellement, il y a des gens qui ne peuvent même pas penser clairement. Alors ceux-là ne forment rien du tout que des remous. Mais les gens qui ont une pensée claire, et forte, les gens qui pensent clairement, ils sont entourés d’un tas de petites formes qui, quelquefois, s’en vont se promener, pour faire un travail chez d’autres gens; et quand on y repense, elles reviennent.
Et il y a des exemples de gens qui sont harassés par leurs propres formations, qui reviennent constamment comme pour les posséder, et dont ils ne peuvent pas se débarrasser, parce qu’ils ne savent pas comment défaire les formations qu’ils ont faites. Il y en a plus que l’on ne croit. Quand ils ont fait une formation particulièrement forte — pour eux-mêmes, n’est-ce pas, d’une façon relative —, cette formation est toujours reliée au formateur et revient frapper le cerveau pour avoir des forces, et finit par véritablement agir comme une nécessité. C’est tout un monde à apprendre; on vit vraiment dans l’ignorance, on a des pouvoirs que l’on ne connaît pas, alors, naturellement, on s’en sert très mal. On s’en sert d’une façon inconsciente, et très mal.
Je ne sais pas si vous avez jamais entendu parler de Madame David-Néel, qui est allée au Tibet, et qui a écrit des livres sur le Tibet, et qui était une bouddhiste, et comme tous les bouddhistes... Les bouddhistes de la tradition la plus sévère, ils ne croient pas au Divin, et ils ne croient pas à Son Éternité, et ils ne croient pas à des divinités qui soient vraiment divines. Mais ils savent admirablement se servir du domaine mental ; et la discipline bouddhiste vous rend très maître de l’instrument mental et du domaine mental.
Nous discutions de beaucoup de choses, et alors elle m’a dit : « Écoutez, moi, j’ai fait une expérience. » (Elle avait étudié un peu la théosophie aussi.) Elle a dit : « J’ai formé un mahâtmâ ; avec ma pensée, j’ai formé un mahâtmâ. » Et elle savait (ça a été prouvé) qu’à un moment donné, les formations mentales ont une vie personnelle, indépendante du formateur — quoi qu’elles soient reliées au formateur —, mais indépendantes dans ce sens qu’elles peuvent avoir une volonté propre. Et alors, elle m’a raconté : « Figurez-vous que j’avais si bien fait mon mahâtmâ, qu’il est devenu une personnalité indépendante de moi, et qu’il venait m’ennuyer tout le temps! Il venait, il me grondait pour ceci, il me donnait des conseils pour cela, et il voulait conduire ma vie; et je n’arrivais pas à m’en débarrasser. C’était tout à fait difficile, et je ne savais pas comment faire! »
Alors je lui ai demandé comment elle avait essayé. Elle me l’a dit. Elle m’a dit : « Ça m’ennuie beaucoup, mon mahâtmâ est très ennuyeux. Il ne me laisse pas de repos. Il me dérange dans mes méditations, il m’empêche de travailler; et pourtant je sais très bien que c’est moi qui l’ai créé, et je ne peux pas m’en débarrasser! » Alors j’ai dit : « C’est parce que vous n’avez pas le “truc”... » (Mère rit) Et je lui ai expliqué ce qu’il fallait qu’elle fasse. Et le lendemain — je la voyais presque tous les jours à ce moment-là, n’est-ce pas —, le lendemain elle est arrivée et elle m’a dit : « Ah, je suis libérée de mon mahâtmâ ! » (rires) Elle n’avait pas coupé la connexion, parce que cela ne sert à rien. Il faut savoir réabsorber sa création, c’est le seul moyen. Réavaler ses formations.
Mais voilà, dans une mesure moindre, et avec une moindre perfection, on fait tout le temps des formations. Mais quand, par exemple, on pense avec force à quelqu’un, il y a une petite émanation de substance mentale qui, instantanément, se trouve auprès de cette personne, n’est-ce pas, une vibration de votre pensée qui va toucher la sienne; et si elle est réceptive, elle vous voit. Elle vous voit et alors elle vous dit : « Vous êtes venu me trouver cette nuit. » C’est parce que vous avez fait une petite formation et que la formation est allée faire son travail, qui consistait à mettre une relation entre vous et la personne, ou bien à lui porter un message si vous aviez quelque chose de spécial à lui dire; et cela a été fait. Cela arrive constamment, mais comme c’est un phénomène tout à fait constant et spontané et fait dans l’ignorance, on ne se rend même pas compte qu’on le fait, on le fait automatiquement.
Les gens qui ont des désirs, ils ajoutent à la formation mentale une espèce de petite enveloppe, une coque vitale qui lui donne encore une réalité plus grande. Ces gens-là sont généralement entourés d’une quantité de petites entités qui sont leurs propres formations — et leurs propres formations mentales revêtues de force vitale — qui viennent tout le temps les frapper pour essayer de vous faire réaliser matériellement la formation que vous avez faite vous-même.
Vous avez lu peut-être des livres de Maurice Magre; il y en a à la Bibliothèque. Il décrit cela. Il est venu ici, Maurice Magre, et nous avons parlé, et il m’a dit qu’il avait toujours remarqué (il était très sensitif), il avait toujours remarqué que les gens qui ont des désirs sexuels sont entourés d’une espèce de petite nuée d’entités qui sont plus ou moins visqueuses et pas jolies, et qui les harassent constamment, qui réveillent en eux le désir. Il disait qu’il avait vu cela autour de certaines gens. C’était comme quand on est entouré d’une nuée de moustiques, hein! Mais c’est plus gros, et c’est beaucoup plus laid encore, et c’est visqueux, et c’est affreux, et ça tournoie autour de vous et ça ne vous laisse jamais de repos, et ça réveille en vous le désir qui les a formés et ils s’en repaissent. C’est leur nourriture. C’est absolument vrai. Sa réflexion était tout à fait juste. Sa vision était très vraie. C’est comme cela.
Mais chacun porte autour de lui l’entourage de ses propres désirs. Alors vous n’avez pas besoin du tout que les gens vous disent quoi que ce soit; vous n’avez qu’à regarder et vous voyez autour d’eux exactement l’état dans lequel ils se trouvent. Ils peuvent vouloir avoir des airs d’anges ou de saints, mais ils ne peuvent pas vous tromper, parce que ça, c’est là, qui tournoie autour de vous. Alors imaginez, hein! (geste de Mère montrant tous ceux qui sont assis devant elle) Vous voyez comment vous êtes, combien vous êtes, là, tous, ici, et chacun a son petit monde comme ça, des formations mentales dont certaines sont revêtues de substance vitale, et tout cela grouille ensemble, se mélange, s’entrechoque. C’est à celui qui sera le plus fort, qui essayera de se réaliser, et cela vous fait une atmosphère!...
Quand nous venons devant toi, qu’est-ce qu’ils font?
Quand vous venez devant moi, c’est cela que je vois! C’est justement cela que je vois, et c’est à cela que ça sert que vous veniez. Parce que vous donner une fleur, c’est bien gentil, n’est-ce pas, mais cela, ce n’est pas grand-chose... Il y a des choses qui sont plus importantes que ça. Mais chaque fois que je vous vois, chacun qui vient, en l’espace d’une seconde — il suffit d’un éclair, d’une seconde —, il apparaît avec toute sa formation et puis je fais juste... je fais juste comme cela... (geste) La fleur est une excuse, à travers la fleur je donne quelque chose.
Et puis, quand quelquefois, n’est-ce pas, j’ai l’air de rentrer au-dedans, mes yeux se ferment, et puis, très lentement, ou je donne quelque chose ou je ne bouge pas pendant un moment — c’est quand il y a imminence de travail à faire. Il y a quelquefois une nécessité d’intervenir pour une raison ou pour une autre, pour aider ou pour démolir quelque chose, ou pour pousser vers un progrès qui commence, ou des choses comme cela... Alors juste j’attrape la main, quelquefois, n’est-ce pas : « Ne bouge plus. » Alors la personne se dit : « Mère est entrée en transe. » Moi, je m’amuse beaucoup... (rires) Je suis en train de travailler, de mettre les choses en ordre; quelquefois je suis obligée de faire quelque opération chirurgicale, j’enlève certaines choses qui sont là, et qui ne devraient pas y être. Il suffit d’une seconde, n’est-ce pas, je n’ai pas besoin de temps pour cela ; quelquefois le travail prend un petit peu plus de temps, quelques secondes, une minute... Autrement, généralement — d’une façon générale —, quand les choses sont, on pourrait les appeler « normales », il suffit juste, n’est-ce pas, de voir, et... la réponse! Je donne la fleur... même sans fleur, comme ça... juste, on met juste le petit éclair, ou le petit fer rouge quelquefois, ou une lumière, n’importe quoi, et juste au moment et à l’endroit qu’il faut... Au revoir!
Mère, ces entités n’ont pas peur de toi?
Ah, mon petit, une peur terrible! (rires)Toutes celles qui sont de mauvaise volonté, elles essayent de se cacher, et généralement tu sais ce qu’elles font? Elles se rassemblent derrière la tête de celui qui vient (rires), pour ne pas qu’on les voie! Mais cela ne sert à rien, parce que, figure-toi que j’ai la capacité de voir au travers! (rires) Autrement, elles le font toujours, instinctivement. Quand elles arrivent à rentrer... Alors elles essayent de rentrer, mais là, j’interviens avec plus de force, parce que c’est vilain. Ce sont des gens qui ont l’instinct de cacher, n’est-ce pas. Alors, là, je poursuis à l’intérieur. Les autres, il faut très peu, très peu; mais il y a des gens — il y en a, n’est-ce pas, ils me l’ont dit euxmêmes —, quand ils sont pour venir, c’est comme s’il y avait quelque chose qui les tirait en arrière, qui leur dit : « Non, non, non, ce n’est pas la peine, pourquoi y aller? Il y a tant de gens pour Mère, pourquoi ajouter une personne? » Et cela les tire en arrière, comme ça, pour qu’ils ne viennent pas. Alors je leur dis toujours ce que c’est : « Vous feriez mieux de ne pas écouter ça, parce que ce n’est pas quelque chose qui a une très bonne conscience. » Il y a des gens qui ne peuvent pas le supporter. Il y a eu des exemples, comme ça, de gens qui ont été obligés de s’enfuir, parce que, eux-mêmes, ils étaient trop attachés à leurs propres formations, et ils ne voulaient pas s’en débarrasser. Naturellement il n’y a qu’une façon, c’est de s’enfuir!
Voilà.
Nous fermons la séance aujourd’hui.
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