Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Mère lit Les Éléments du Yoga, chapitre XII, « Les Difficultés et le Progrès ».
« Q : Est-ce que nos pensées (bonnes ou mauvaises) concernant les autres les affectent d’une manière quelconque?
R : Oui, il y a une influence.
Q : Est-il possible que les désirs, les doutes, etc., d’une personne puissent passer à une autre?
R : Tout peut passer de l’une à l’autre. Cela arrive tout le temps à travers le monde entier. »
Qui a des questions?
Douce Mère, pourquoi ne reçoit-on pas le Divin comme on reçoit les autres choses?
Qu’est-ce que tu entends par « autres choses »?
La question n’est pas très bien posée. Est-ce que tu veux dire... On parle ici des influences qui passent de l’un à l’autre — c’est ça que tu veux dire? Pourquoi l’on ne reçoit pas le Divin, par exemple, aussi facilement que l’on reçoit la mauvaise volonté de son voisin? C’est ça ?
Parce que ce n’est pas sur le même plan. La mauvaise volonté du voisin ou la bonne volonté du voisin sont sur le même plan, tandis que le Divin appartient à un autre monde. C’est pour cela. Si vous voulez une image : tout ce qui est sur un plan horizontal par rapport à vous, c’est très facile à recevoir; mais tout ce qui vient d’un point vertical, c’est beaucoup plus difficile. Il faut d’abord regarder en haut, au-dedans de soi, et puis s’ouvrir de façon que cela descende; tandis que comme ça... on bouge comme ça, tout le temps... Comprends pas?
Et malheureusement, il est beaucoup plus facile de glisser, de tomber, que de grimper. Il est beaucoup plus facile de répondre à une influence qui vous tire en bas que de répondre à une force qui vous tire en haut. Ce n’est pas plus facile de descendre que de grimper? Si tu es comme ça, et que tu as à grimper un rocher, c’est beaucoup plus difficile que si tu te laisses glisser pour descendre. Non?
Douce Mère, quand on réalise le Divin, alors, on n’a plus d’ennemis?
Ah, par exemple! Pourquoi? Je crois que c’est plutôt le contraire.
C’est parce qu’il y a des forces adverses?
Mais oui. La terre est remplie de forces adverses, et d’hommes qui répondent à ces forces adverses; généralement, plus on réalise le Divin, plus on a d’ennemis autour de soi.
Est-ce qu’ils agissent contre le Divin?
Oh, oui! Ils essayent en tout cas. Je ne sais pas s’ils réussissent, mais ils essayent. Ils essayent, ils ont toujours essayé.
Pourquoi? Le Divin n’a fait de mal à personne!
(Riant) Tu crois qu’on agit contre des gens seulement quand ils ont fait du mal? C’est généralement le contraire. Veux-tu me dire pourquoi les gens forts usent de leur force contre les gens faibles? Ce n’est pas que les gens faibles leur ont fait du mal, mais simplement parce qu’ils ont de la force, et qu’alors ils veulent s’en servir pour leurs propres fins et qu’ils veulent contraindre les gens faibles d’obéir à leur force; alors ils les battent; quand ils ont l’occasion, ils les maltraitent. Ce n’est pas parce que les gens faibles ont fait des erreurs, c’est parce qu’ils veulent utiliser leur force pour leurs propres fins, pour la satisfaction de leurs désirs.
Admets, par exemple, qu’il y a dans l’univers des forces qui ont l’habitude de gouverner, comme il y a certaines forces âsouriques qui gouvernent la terre. Ils ne veulent pas perdre leur autorité. Alors tous ceux qui manifestent une force qui pourrait les contraindre à se retirer, ils se jettent dessus avec autant de puissance qu’ils en ont. Ça, c’est pour garder leur pouvoir... Mais ce n’est pas parce que ces gens... au fond, n’est-ce pas, ce n’est pas parce qu’ils sont méchants, ou qu’ils sont mauvais, c’est parce que la lumière et la puissance qu’ils représentent sont en contradiction avec la force que représentent ces autres forces.
Mère, on dit qu’il y a du Divin même dans les asuras.
Naturellement!
Alors, quand le Divin se bat contre l’asura, que fait le Divin qui est dans l’asura ?
Il rentre dans le Divin. On vous a raconté. Il est réabsorbé par le Divin, comme dans le Râmâyana 12 ; cette histoire est tout à fait vraie, dans ce sens-là.
Si le Divin se retirait de l’asura, l’asura se dissoudrait, non? le Divin qui est dans l’asura ?
Je connais des gens qui ont rejeté leur être psychique, et qui continuent à exister; et pourtant, il semblerait, logiquement, qu’un être humain sans être psychique doit mourir, et pourtant ils continuent à vivre. Et, n’est-ce pas, il faudrait peut-être, pour arriver à dissoudre ces forces âsouriques dans le monde, il faudrait peut-être que le Divin ramène toute sa création à Lui, parce qu’elles sont à l’origine de la création.
Alors, la transformation ne peut avoir lieu que si le Divin se ramène au Divin?
Ça, c’est le pralaya ! Ce n’est pas la transformation, c’est la dissolution de la Terre. On dit qu’il y a eu six créations, c’est-àdire, six extériorisations de l’univers, et que six fois cet univers est rentré — on en parle, n’est-ce pas, dans les Écritures —, est rentré dans le Divin. Mais on dit que c’est la fin. C’est évidemment une fin, mais ce n’est pas un accomplissement. C’est parce qu’il manquait quelque chose à la création et qu’il fallait la retirer, et la refaire. Et on dit que notre création présente est la septième, et qu’étant la septième, elle est la bonne, c’est-à-dire qu’elle est finale, et qu’elle ne sera plus retirée, qu’elle ira se transformant, et se perfectionnant de plus en plus, de façon à ne pas avoir besoin de se retirer.
Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’on dit?
Nous verrons ça !
Mais les six dernières fois, est-ce que c’est arrivé?
Les six « premières », oui, c’est vrai. On donne même l’ordre dans lequel... Parce que chaque création est faite sur attributs, et on donne l’ordre de ces attributs. Je les connais, j’ai écrit cela quelque part. Mais je ne l’ai pas devant moi. Alors je ne peux pas vous le donner, je me tromperais. Mais un jour je pourrai vous apporter le papier sur lequel c’est écrit. Tout ce que je sais, c’est que cette fois-ci c’est la création basée sur l’équilibre. Mais un équilibre particulier, parce que c’est un équilibre progressif. Ce n’est pas un équilibre statique. L’attribut de cette présente création, c’est l’équilibre. C’est pour cela qu’on dit que, dans cette création, si chaque chose se trouve exactement à sa place, dans un équilibre parfait, eh bien, il n’y a plus de mal. Qu’est-ce que le mal? Ce sont les choses qui ne sont pas en équilibre. Il n’y a rien qui soit mal en soi, c’est seulement la position qui est mauvaise, qui n’est pas dans une vraie position.
Alors quelle est la position des asuras?
D’être retournés dans le Divin. Il y avait quatre grands asuras. Sur les quatre, deux sont convertis. Ils sont en train de prendre part à l’Œuvre divine. Les deux autres tiennent bon. Combien de temps ils tiendront? On verra. Alors ils ont le choix entre se convertir, c’est-à-dire prendre leur place, équilibrés, dans l’ensemble, ou bien être dissous, c’est-à-dire, être réabsorbés par leur Origine.
Il y en a un qui a presque fait une tentative de conversion, et il n’a pas réussi. Quand il a fallu le faire, ça lui a paru tout à fait désagréable. Alors il a remis ça à une autre fois.
Quant à l’autre, il refuse d’essayer. Il a pris une position très, très importante dans le monde, parce que les gens qui ne savent pas l’appellent le « Seigneur des Nations ». (Justement, je parlais tout à l’heure des forces qui gouvernent le monde et qui ne veulent pas du tout abandonner leur gouvernement. Elles sont parfaitement satisfaites comme ça.) Ce n’est pas qu’il ne sait pas que sa fin viendra un jour, mais enfin, il repousse toujours autant qu’il peut.
Mais comme ils ne sont pas à la dimension humaine, ça peut être assez long, n’est-ce pas. Tant qu’ils trouveront quelque part sur la terre une conscience humaine prête à répondre à leur influence, ils resteront. Alors vous voyez d’ici le problème! Maintenant ce n’est pas par l’individu, c’est par les nations qu’ils mènent leur influence.
Quelles sont ces deux forces qui sont déjà converties?
Vous connaissez les quatre asuras?
Non, je ne les connais pas.
Vous savez quelle est l’origine de ces quatre asuras? (À un autre enfant) Qui est-ce qui sait cela ?
Tu avais dit ça une fois en classe.
Mais oui, c’est justement pour cela que je vous le demande, pour savoir si vous vous rappelez les choses que je vous dis.
Tu as dit qu’il y avait quatre forces divines : l’Amour, la Lumière, la Vérité et l’opposé de la Mort.
Et quoi?
(Un autre enfant, en riant) La Vie!
Ah!
... Puis ces quatre forces se sont séparées du Divin et se sont changées en Mensonge...
Oui, c’est quelque chose comme ça, c’est quelque chose comme ça...
La Lumière ou Conscience, l’Ânanda ou Amour, la Vie, et la Vérité.
Alors, la Lumière ou Conscience est devenue l’Obscurité et l’Inconscience. L’Amour et l’Ânanda sont devenus la Haine et la Souffrance, et la Vérité est devenue le Mensonge, et la Vie est devenue la Mort. Eh bien, ce sont les deux premiers — mais pas exactement dans les mêmes conditions. Le premier est converti et travaille, mais il a refusé de prendre un corps humain, il dit que c’est une limitation dans son travail; peut-être qu’un jour il en prendra un, mais pour le moment il a refusé. Le second s’est converti et s’est dissous, volontairement. Il s’est dissous dans son Origine. Et les deux derniers tiennent bon.
Celui de la Mort a essayé une incarnation. Mais il n’a pas pu se convertir. Il a essayé une incarnation, ce qui est une chose très rare. Mais c’était une incarnation partielle, pas totale. C’est difficile, pour eux, une incarnation totale. Les corps humains sont tout petits, les consciences humaines sont trop petites.
Quant à l’autre, il a des émanations qui sont très actives dans certains corps humains, et qui ont joué de grands rôles dans l’histoire moderne de la Terre!
Les asuras ne se querellent pas entre eux ?
Oh oui, oh oui! de même que les hommes qui sont sous les influences âsouriques. Ce sont les pires ennemis entre eux. Il faut dire que c’est une bénédiction, parce que s’ils s’entendaient, les choses seraient beaucoup plus difficiles. C’est peutêtre justement parce que c’est une loi d’équilibre qui gouverne le monde. C’est pour diminuer la puissance de leur influence. Mais enfin...
Ce Seigneur du Mensonge, il a vraiment beaucoup d’influence. C’est cela qui s’attrape avec une contagion aussi grande que les maladies contagieuses. Plus grande encore!
Douce Mère, le Mensonge n’a pas essayé de s’incarner?
Il a envoyé des émanations sur la terre, mais je ne crois pas que c’était dans un but de conversion. En tout cas, il n’y a pas réussi.
Mais pourquoi l’homme est-il un centre d’attraction pour les forces adverses? Il est si limité!
Oui! Aussi ils ne s’adressent pas à un homme généralement. Mais ils essayent de prendre possession de l’atmosphère terrestre, n’est-ce pas, et sans prendre possession des hommes, l’on ne peut pas prendre possession de l’atmosphère terrestre, parce que c’est dans l’homme que se manifeste la plus haute force terrestre. Quant à prendre un corps d’homme pour les conversions, ça, c’est tout à fait... la réponse est tout à fait simple. C’est parce que dans l’homme il y a un être psychique, et qu’il n’y a pas d’asura qui puisse résister éternellement à l’influence de l’être psychique, même s’il résiste autant qu’il peut à se soumettre, à se lier étroitement. Justement, c’est ce qui est la contradiction de leur existence.
Douce Mère, Sri Aurobindo a dit qu’on peut passer de l’amour humain à l’Amour divin...
Il parlait de l’amour humain se manifestant comme bhakti, comme force de dévotion pour le Divin, et il dit au début : votre amour pour le Divin est un amour très humain, avec toutes les caractéristiques de l’amour humain. Il décrit cela très bien, d’ailleurs; mais il n’est pas impossible, si vous persistez et que vous faites les efforts nécessaires, que cet amour humain se transforme en Amour divin par identification avec ce que vous aimez. Il n’a pas dit que l’amour entre deux personnes peut se changer en Amour divin. Ce n’est pas du tout ça ! Il a toujours dit le contraire. Il a parlé de quelqu’un qui l’interrogeait, n’est-ce pas, au sujet de la dévotion, de l’amour du sâdhak pour le Divin. « Au début votre amour est tout à fait humain », et il en a parlé même comme d’un marchandage commercial. « Si vous faites des progrès, votre amour se changera en Amour divin, en dévotion véritable. »
Pourquoi a-t-on quelquefois une préférence particulière pour un chapitre quelconque, par exemple sur la sincérité ou l’aspiration?
Tu veux dire un désir de lire? Parce qu’on a besoin probablement de ce qui est dedans! Si on a une attraction vis-à-vis de quelque chose, c’est généralement qu’on a besoin de le lire, et c’est juste la chose qu’on a besoin d’entendre qui vient à soi. On peut même utiliser ça avec un moyen tout à fait matériel, que je vous ai donné plusieurs fois. N’est-ce pas, vous vous concentrez — si vous avez une difficulté ou si vous voulez être aidé —, vous vous concentrez et puis vous mettez une marque dans un livre, et vous tombez sur la chose qui est la réponse à votre demande. Ça, c’est le moyen le plus matériel; mais si le mental est dans de bonnes dispositions, eh bien, tout naturellement, quand il lira les titres, il dira : « Oh, c’est ça que je veux lire », sans même savoir ce qu’il y a dedans, parce qu’il sentira que c’est ça qu’il faut lire pour répondre à sa question ou à son besoin.
Il y a des gens qui ont ce pouvoir-là même sans essayer de faire des progrès, et il viendra toujours quelqu’un pour leur dire, sans même savoir pourquoi, en leur donnant un livre : « Lisez donc ce livre, ça vous intéressera »; ou bien ils entreront dans une maison et ils verront sur la table un livre — c’est justement celui-là qu’ils voudront lire. Ça dépend beaucoup de l’intensité de l’aspiration intérieure. Si on est dans un état d’aspiration consciente et tout à fait sincère, eh bien, tout s’arrangera autour de vous pour vous aider dans votre aspiration, soit directement, soit indirectement, c’est-à-dire, soit pour vous faire faire un progrès, vous mettre en rapport avec quelque chose de nouveau, soit pour éliminer de votre nature quelque chose qui doit disparaître. C’est une chose tout à fait remarquable. Si on est vraiment dans un état d’intensité d’aspiration, il n’y a pas de circonstance qui ne vienne vous aider à réaliser cette aspiration. Tout vient, tout; comme si c’était une conscience parfaite et absolue qui organisait autour de vous toutes choses, et vousmême, dans votre ignorance extérieure, vous pouvez ne pas le reconnaître, et protester d’abord contre les circonstances telles qu’elles se présentent, vous plaindre, essayer de les changer; mais après quelque temps, quand vous serez devenu plus sage, et qu’il y aura un recul entre vous et l’événement, eh bien, vous vous rendrez compte que c’était justement ce qu’il vous fallait faire pour que vous fassiez le progrès nécessaire. Et n’est-ce pas, c’est une volonté, une bonne volonté suprême qui arrange autour de vous toutes choses, et même quand vous vous plaignez et que, au contraire, vous protestez, c’est justement à ces moments-là qu’elle agit de la façon la plus active.
J’ai écrit une petite phrase qui paraîtra dans le Bulletin, dans le prochain Bulletin. Elle est à peu près comme ceci... je ne me souviens plus exactement des mots... Si tu dis au Divin avec conviction : « Je ne veux que Toi », le Divin arrangera toutes les circonstances de manière à t’obliger à être sincère. Quelque chose dans l’être : « Je ne veux que Toi »... l’aspiration... et puis, on veut une centaine de choses différentes tout le temps, n’est-ce pas. Quelquefois une chose vient, justement — généralement pour tout troubler —, qui se tient sur le chemin et vous empêche de réaliser votre aspiration. Eh bien, le Divin viendra sans se montrer, sans que vous le voyiez, sans que vous vous en doutiez, et il arrangera toutes les circonstances de telle façon que toutes les choses qui vous empêchent d’être uniquement au Divin seront enlevées de votre route, inévitablement.
Alors, quand elles sont enlevées, vous commencez à hurler et à vous plaindre; puis après, si vous êtes sincère et que vous vous regardez bien droit dans les yeux... Vous avez dit au Seigneur, vous avez dit : « Je ne veux que Toi. » Il restera auprès de toi; tout le reste s’en ira. Ça, c’est une grâce supérieure. Seulement il faut le dire avec conviction. Je ne veux pas même dire qu’il faut le dire intégralement, parce que si on le dit intégralement, le travail est fait. Il faut qu’une partie de l’être, n’est-ce pas, vraiment la volonté centrale, le dise avec conviction : « Je ne veux que Toi. » Même une fois, cela suffit; tout ça, ça prend plus ou moins de temps, quelquefois cela s’étend sur des années, mais on arrive au but.
Mais on a toutes sortes d’imperfections!
Hein? Plus on a d’imperfections, plus cela prend de temps; plus on a d’attachements, plus cela prend de temps.
Mais le but est sûr.
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