Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Suite de la lecture d’Éducation, « L’éducation psychique et l’éducation spirituelle ».
Une fois que l’être entre en contact avec le psychique, pourquoi le psychique se cache-t-il encore?
Ce n’est pas le psychique qui se cache, c’est l’être qui retourne dans sa conscience ordinaire!... C’est difficile de se maintenir au plus haut de soi-même. On glisse, on retombe. Seulement, la seconde fois, la découverte est plus facile. Et chaque fois le chemin est plus facile, jusqu’à ce que l’on ne retombe plus.
Douce Mère, ici je ne comprends pas : « D’une façon assez générale, on associe cette découverte [du principe éternel] à un sentiment mystique et à une vie religieuse, parce que ce sont surtout les religions qui se sont occupées de cet aspect de la vie. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi; et si l’on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique de Vérité, la découverte restera essentiellement la même, mais la route pour y arriver pourra être parcourue par le positiviste le plus intransigeant. »
Qu’est-ce que tu ne comprends pas? Je veux dire que ce que l’on pense n’a pas une très grande importance, parce que la pensée est formée par le milieu dans lequel on est né et l’éducation que l’on a reçue — mais ce n’est qu’une façon de dire les choses. Et on peut les dire de toutes sortes de manières : elles restent ce qu’elles sont. Qu’est-ce que tu ne comprends pas?
« ... si l’on remplace la notion mystique de Dieu par la notion plus philosophique... »
Tout dépend de ce que tu mets dans le mot « Dieu ». C’est un mot (je vous l’ai dit déjà au moins quatre ou cinq fois) pour exprimer « quelque chose » que vous ne connaissez pas et que vous essayez d’atteindre. Eh bien, si l’on a reçu une éducation religieuse, on est habitué à appeler cela « Dieu ». Si l’on a reçu une éducation plus positiviste et plus philosophique aussi, on est habitué à appeler cela par toutes sortes de noms, et on peut en même temps avoir la conception que c’est la suprême Vérité. Si l’on veut parler de Dieu et Le décrire, on est obligé de faire appel aux choses les plus inaccessibles pour notre conscience et d’appeler Dieu ce qui est au-delà de ce que nous connaissons et de ce que nous pouvons saisir et de ce que nous pouvons être — tout ce qui est trop loin pour que nous puissions le comprendre, nous l’appelons Dieu. Il n’y a que certaines religions (il y en a) qui donnent une forme précise à la Divinité; et quelquefois elles donnent plusieurs formes et elles ont plusieurs dieux ; quelquefois elles donnent une forme et n’ont qu’un Dieu ; mais c’est tout de la fabrication humaine. Il y a « quelque chose », il y a une réalité qui est par-delà toutes nos expressions, et que l’on peut, par une discipline suivie, arriver à contacter. On peut s’identifier. Une fois que l’on est identifié, on sait ce que c’est, mais on ne peut pas l’exprimer parce que les mots ne peuvent pas le dire. Alors, si l’on emploie un certain genre de vocabulaire, si l’on est dans une certaine conviction mentale, on emploiera le vocabulaire qui est en conformité avec cette conviction. Si vous appartenez à un autre groupe qui ait une autre façon de parler, vous l’appellerez, ou même vous le penserez, de cette manière-là. Je vous dis cela pour vous donner l’impression vraie, c’est-à-dire qu’il y a là quelque chose qui est insaisissable — insaisissable par la pensée —, mais qui existe. Mais peu importe le nom que vous lui donnez, cela n’a aucune importance, ça existe. Et alors la seule chose à faire, c’est d’entrer en contact avec ça — ce n’est pas de lui donner un nom ni de le décrire. En fait, cela sert à très peu de chose de lui donner un nom et de le décrire. Il faut tâcher d’entrer en contact, de se concentrer là, de vivre ça, cette Réalité-là, et quel que soit le nom que vous lui donniez, cela n’a aucune importance une fois que vous avez l’expérience. C’est l’expérience seule qui compte. Et quand les gens associent l’expérience à une certaine expression (et d’une façon tellement étroite et tellement enfermée en elle-même que, en dehors de cette formule, on ne peut rien trouver), c’est une infériorité. Il faut être capable de vivre cette Réalité à travers tous les chemins possibles, toutes les occasions, toutes les formations; il faut vivre ça, parce que ça, c’est vrai, parce que ça, c’est suprêmement bon, parce que ça, c’est tout-puissant, parce que ça, ça connaît tout, parce que ça, n’est-ce pas... Ça, on peut le vivre, mais on ne peut pas en parler. Et si l’on en parle, tout ce que l’on en dit n’a pas beaucoup d’importance. C’est seulement une façon de dire, c’est tout. Il y a toute une série de philosophes et de gens qui ont remplacé la notion de Dieu par une notion d’Absolu impersonnel, ou par une notion de Vérité, ou par une notion de Justice, ou même par une notion de Progrès — de quelque chose qui est éternellement progressif —, mais pour celui qui a, au-dedans de lui, la capacité de s’identifier à Cela, ce que l’on en dit n’a pas beaucoup d’importance. Quelquefois on peut lire tout un livre de philosophie et ne pas faire un pas de progrès. Quelquefois on peut être tout à fait un fervent d’une religion et ne pas faire de progrès. Il y a des gens qui ont passé des existences entières assis en contemplation et qui ne sont arrivés à rien. Il y a des gens (on a eu des exemples fameux) qui faisaient un travail manuel des plus modestes, comme un savetier qui raccommodait de vieilles chaussures, et qui ont eu une expérience. C’est tout à fait en dehors de ce que l’on en pense et de ce que l’on en dit. C’est quelque don qui est, c’est tout. Et tout ce qu’il faut, c’est l’être; c’est arriver à s’identifier et à le vivre. Quelquefois vous lisez une phrase dans un livre et cela vous conduit là-bas. Quelquefois vous lisez des livres entiers de philosophie ou de religion, cela ne vous mène nulle part. Il y a des gens aussi, quand ils lisent des livres de philosophie, cela les aide à marcher. Mais tout ça, ce sont des choses secondaires. Il n’y a qu’une chose importante : c’est une volonté sincère et persistante, parce que cela ne se fait pas du jour au lendemain. Alors il faut persévérer. Quand on sent que l’on n’avance pas, il ne faut pas se décourager; il faut chercher à savoir ce qu’il y a dans la nature qui s’oppose, et alors faire le progrès nécessaire. Et tout d’un coup on avance. Et quand vous arrivez au bout, vous avez une expérience. Et ce qui est remarquable, c’est que des individus qui ont suivi des chemins tout à fait différents, avec des constructions mentales tout à fait différentes, depuis le plus croyant jusqu’au plus incroyant, même des matérialistes, quand ils sont arrivés à cette expérience-là, elle est pour tous la même. Parce qu’elle est vraie — parce que c’est réel, parce que c’est l’unique Réalité. Et c’est tout simplement ça. Je ne dis pas autre chose. Cela n’a aucune importance, la façon dont on en parle; ce qui est important c’est de suivre le chemin, votre chemin, n’importe quel chemin — oui, d’aller là.
Je n’ai pas compris l’explication que tu as donnée du psychique : « On pourrait dire, par exemple, que la création d’un être individuel provient de la projection, dans l’espace et le temps, d’un des innombrables possibles latents dans l’origine suprême de toute manifestation qui, par l’intermédiaire de la conscience unique et universelle, se concrétise en la loi ou la vérité d’un individu et devient ainsi, par un développement progressif, son âme ou être psychique. »
C’est un peu philosophique... Tu sais la différence entre ce qui est subjectif et ce qui est objectif? Tu sais! Eh bien, imagine justement cette Réalité dont nous parlions, qui est à l’origine de toutes choses, qui passe de l’état subjectif à l’état objectif. C’est-à-dire que ce qui était en dedans devient comme projeté en dehors. C’est la même chose : c’est l’état qui change. Et alors, en dedans, il y a toutes les possibilités d’existence objective; du dedans, elles sont inexprimées, non manifestées; au-dehors, elles sont projetées comme l’image est projetée sur l’écran du cinéma : on le voit devant soi. Et chaque élément qui était audedans une possibilité, une loi, devient la loi d’une réalisation. Et chacune de ces possibilités devient la réalité d’un être (d’une individualité, si tu veux), de quelque chose qui existe d’une façon objective. Et c’est cette loi qui est l’origine du centre de l’être psychique : c’est la vérité de l’être ou la loi de l’être. Le Bouddha l’appelait la « loi », il disait le dharma. C’est la vérité de l’être. C’est ce qui le relie d’une façon indestructible à son origine. Et c’est ça qui est le point de départ de l’être psychique. Et alors, à mesure que cela se développe, comme l’image sur l’écran, cela prend une forme de plus en plus complexe et précise dans la manifestation. Mais la réalité de cette forme est unique, elle est reliée à l’Unique. Et toutes les unités sont reliées ensemble et reproduisent l’Unique.
Ce n’est pas plus facile?... (Regardant l’enfant) C’est encore plus difficile!... Mais enfin c’est ce que j’ai dit ici.
Douce Mère, tu as dit : « Renonce à toute recherche personnelle de confort, de satisfaction, de jouissance ou de bonheur; sois seulement un feu brûlant pour le progrès et prends tout ce qui vient à toi comme une aide pour progresser et accomplis immédiatement le progrès requis. »
Oui, ça, c’est simple! C’est très clair!
Oui, mais si je veux progresser dans les sports, par exemple, alors ça devient un progrès personnel, n’est-ce pas?
Hein! Quoi? Dans les sports? Non, la valeur de la volonté dépend de ton but. Si c’est pour avoir du succès et te faire une réputation et être supérieur aux autres — toutes sortes d’idées comme ça —, cela devient une chose très égoïste, très personnelle et tu ne pourras pas faire de progrès — oui, tu pourras faire un progrès, mais enfin il ne te mènera nulle part. Mais si tu le fais dans l’idée d’être ouvert, même physiquement, à l’Influence divine pour être un bon instrument et Le manifester, alors c’est très bien. Pas compris?
Oui.
Les choses physiques ne sont pas nécessairement plus égoïstes que les choses mentales ou sentimentales. Il s’en faut de beaucoup. Elles le sont quelquefois beaucoup moins. L’égoïsme n’est pas cela, l’égoïsme est dans l’attitude intérieure. Cela ne dépend pas du domaine dans lequel on se concentre, cela dépend de l’attitude que l’on a. Cela ne dépend pas de ce que l’on fait, cela dépend de la manière dont on le fait.
Douce Mère : « Ne prends jamais les événements physiques pour ce qu’ils semblent être. Ils sont toujours des essais maladroits pour exprimer quelque chose d’autre qui est la vraie chose et échappe à notre compréhension superficielle. »
Alors, Douce Mère, on dit qu’il ne faut pas être pessimiste, et ici tu as dit que ce sont toujours des « essais maladroits ».
C’est que le monde matériel, tel qu’il est, est très maladroit à exprimer la vérité qui est derrière. C’est évident. Je crois que nous n’avons pas besoin de beaucoup réfléchir pour nous en apercevoir, à moins qu’il y ait des gens... Oui, dans Les Quatre Austérités 4 , je parle de ceux qui sont parfaitement adaptés à la vie et qui trouvent que tout est admirable, mais je n’en ai pas encore rencontré beaucoup qui puissent le croire pendant toute leur existence. Je parle des optimistes — on est optimiste tant que l’on se porte bien et qu’on est très jeune, et puis dès que l’on commence à être moins fort et moins bien portant, l’optimisme s’évanouit. Mais enfin, si l’on a un petit peu de bon sens et de sensibilité, il est facile de s’apercevoir que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, parce que si, vous, vous êtes confortable et que vous avez tout ce qu’il vous faut, que vous vous portez bien et que vous n’avez pas de soucis, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des millions d’êtres qui soient dans des situations tout à fait pénibles et douloureuses. Alors il peut être très facile de ne penser qu’à soi. Mais ce n’est pas une chose très recommandable. J’ai connu des personnes qui étaient très riches et qui n’avaient jamais eu l’occasion d’entrer en rapport avec ceux qui n’avaient rien ou qui n’avaient pas assez, et pour eux c’était une chose impensable. J’ai connu une dame (j’en ai connu beaucoup) qui était là et qui vivait dans un très bel appartement avec beaucoup de domestiques et tout le confort possible — elle avait toujours vécu comme ça et n’avait jamais connu que des circonstances faciles. Et un jour, je lui ai parlé de quelqu’un, qui était une personne de valeur et de mérite, mais qui n’avait rien — n’avait pas de quoi manger — et je lui ai demandé d’aider cette personne, non pas avec de l’argent parce qu’elle n’en aurait pas pris, mais avec du travail ou en l’invitant à passer quelque temps avec elle (parce que c’était un esprit philosophique et quelqu’un qui était capable d’aider intellectuellement). Alors je lui ai dit : « Vous savez, elle ne mange pas tous les jours à sa faim. » J’ai vu qu’elle ne comprenait pas. J’ai dit : « Eh bien, oui, elle n’a pas toujours assez d’argent pour acheter de la nourriture : acheter le pain et ce qu’il faut pour manger. » — « Il y a toujours du pain et de la nourriture à la cuisine, voyons! » (rires) Elle a dit cela si spontanément!
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