CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


mai




Le 19 mai 1954

Suite de la lecture de Les Éléments du Yoga, chapitre VII, « L’Amour ».

Il y a une affection pure pour le Divin et un amour pour le Divin. Quelle est la différence?

Cela dépend du sens que tu mets dans tes mots. Cela dépend de ce que tu appelles affection. Je ne sais pas, généralement affection veut dire quelque chose de personnel et d’extérieur et un peu superficiel ; cela dépend tout à fait du sens que tu donnes à tes mots. Généralement, quand on dit : « Oh! j’ai beaucoup d’affection pour lui », cela veut dire que l’on a un bon sentiment, une sorte d’amitié, mais ce n’est pas une chose très profonde; mais on peut aussi employer le mot dans un sens plus profond. Il est très difficile de faire des distinctions entre les mots, à moins que l’on n’ait déjà défini tout son vocabulaire d’une façon tout à fait précise. C’est au moment où l’on parle, quand on veut dire quelque chose, si l’on met une sorte d’intensité de pensée, de perception, de connaissance dans le mot qu’on emploie, alors il peut porter cet état — cet état d’âme — avec les mots. Mais si l’on se sert des mots d’une façon tout à fait intellectuelle et pour ainsi dire arbitraire, il faut, avant de s’en servir, dire : « Quand je dis cela... » et une longue explication, une définition.

Que veut dire « la vision psychique » ?

Vision? Tu sais ce que c’est, la vision physique, n’est-ce pas — physique, tu sais? Eh bien, c’est la même chose dans le psychique. C’est-à-dire qu’au lieu de voir avec des organes physiques, tu vois avec des organes psychiques. Tu as des yeux, n’est-ce pas, ici, eh bien, il y a des yeux dans le psychique qui voient psychiquement. Cela ne dépend pas de la qualité de la vision, cela dépend de l’état d’être qui voit, des organes qui voient. Une vision psychique voit ce qui se passe dans le psychique, ou dans l’état psychique ou dans les domaines psychiques ou dans l’être psychique. Une vision mentale voit ce qui se passe dans le mental : il voit. C’est une vision, comme une vision physique, vraiment physique.

Avec tes yeux physiques, tu ne peux pas avoir une vision psychique; c’est seulement ton être psychique qui peut avoir une vision psychique. Tu peux avoir une relation avec ton être psychique assez étroite pour te souvenir de ce qu’il a vu, pour être conscient de ce qu’il a vu, mais ce n’est pas ton être physique qui voit, c’est ton être psychique. Ce n’est pas ton être physique qui voit d’une différente manière, c’est ton être psychique qui voit.

Douce Mère, ici il est écrit : « L’intensité de l’Amour divin ne crée jamais de perturbation nulle part dans l’être. »

Oui.

Mais si une personne a un corps faible, l’intensité de l’Amour divin ne crée-t-il pas une perturbation?

Le corps? Pourquoi l’Amour divin créerait-il une perturbation dans le corps?

Mais s’il ne peut pas supporter l’intensité?

Ce n’est peut-être pas de l’Amour divin alors, je ne comprends pas. Automatiquement on ne reçoit que ce que l’on peut supporter, quand il s’agit d’Amour divin.

L’Amour divin est là avec toute son intensité, une puissance formidable. Mais la plupart des gens — quatre-vingt-dixneuf sur cent — ne sentent rien du tout! Ce qu’ils en sentent est exclusivement proportionné à ce qu’ils sont, à leur capacité de réception. Imagine, n’est-ce pas, que tu baignes dans une atmosphère entièrement vibrante d’Amour divin — tu ne t’en aperçois pas du tout. Quelquefois, ra-re-ment, pendant quelques secondes, il y a tout d’un coup l’impression de « quelque chose ». Alors tu dis : « Oh ! l’Amour divin est venu vers moi ! » C’est une plaisanterie. C’est tout simplement que tu as été, pour une raison quelconque, un tout petit peu ouverte, alors tu as perçu. Mais il est là, toujours. Comme la Conscience divine. C’est la même chose, elle est là, tout le temps, en pleine intensité; mais on ne s’en aperçoit même pas; ou bien comme ça, spasmodiquement — tout d’un coup on est dans un bon état, alors on sent quelque chose et on dit : « Oh ! la Conscience divine, l’Amour divin se sont tournés vers moi, se sont dirigés vers moi ! » Ce n’est pas du tout ça. On a une toute petite ouverture, toute petite, quelquefois comme une tête d’épingle, naturellement ça se précipite dedans. Parce que c’est comme une atmosphère active; dès qu’il y a une possibilité d’être reçu, il est reçu. Mais c’est la même chose pour toutes les choses divines. Elles sont là, seulement on ne les reçoit pas, parce qu’on est fermé, on est bloqué, on est occupé d’autres choses la plupart du temps. La plupart du temps on est plein de soi-même. Alors comme on est plein de soi-même, il n’y a pas de place pour autre chose. On est très activement (riant) occupé d’autres choses. On est rempli de choses, il n’y a pas de place pour le Divin.

Mais il est là. C’est comme toutes les merveilles qui sont là autour de vous, vous ne les voyez pas. Vous les voyez?... Non. Quelquefois, à un moment où vous êtes un tout petit peu plus réceptif, ou bien quand, dans le sommeil, vous êtes moins exclusivement occupé de vos petites affaires, alors vous avez une lueur de quelque chose et vous voyez, vous sentez quelque chose. Mais généralement, dès que vous êtes réveillé, tout cela est oblitéré — d’abord, n’est-ce pas, par l’ego formidable qui est tout plein de lui-même, et tout l’univers est en fonction de cet ego : vous êtes au centre, et l’univers tourne autour de vous. Si vous vous regardez attentivement, vous vous apercevrez que c’est comme ça. Votre vision de l’univers, c’est vous au centre, et l’univers tout autour. Alors il n’y a pas de place pour autre chose. Ce n’est pas l’univers que vous voyez : c’est vous que vous voyez dans l’univers.

Alors, d’abord, pour commencer, il faut être capable de sortir de cet ego. Après, il faut qu’il soit, n’est-ce pas, dans un certain état d’inexistence. Alors vous commencez à percevoir les choses comme elles sont, d’un peu plus haut. Mais si vous voulez savoir les choses telles qu’elles sont vraiment, il faut être ab-so-lu-ment comme un miroir : silencieux, paisible, immobile, impartial, sans préférences et dans un état de totale réceptivité. Et si vous êtes comme ça, alors vous commencerez à voir qu’il y a beaucoup de choses dont vous ne vous apercevez pas, mais qui sont là, et qui commenceront à être actives en vous.

Alors vous pourrez être dans ces choses au lieu d’être exclusivement enfermé dans un petit point que vous êtes dans l’univers.

Il y a toutes sortes de façons de sortir de soi. Mais c’est indispensable si vous voulez commencer à connaître les choses telles qu’elles sont et non en fonction de vous-même.

Quelle attitude doit-on prendre pour sortir de l’ego ?

L’attitude? C’est plutôt une volonté, n’est-ce pas! Il faut le vouloir... Ce qu’il faut faire, tu demandes?

Le plus sûr moyen, c’est de se donner au Divin; et non pas d’essayer d’attirer le Divin vers soi, mais essayer de se donner dans le Divin. Alors tu es obligé, au moins, de sortir un peu de toi-même pour commencer. Généralement, n’est-ce pas, quand les gens pensent au Divin, la première chose qu’ils font, c’est de « tirer » autant qu’ils peuvent au-dedans de soi. Et alors généralement ils ne reçoivent rien du tout. Ils vous disent : « Ah! j’ai appelé, j’ai prié et je n’ai pas eu de réponse. Je n’ai pas eu de réponse, rien n’est venu. » Mais alors si vous demandez : « Est-ce que vous vous êtes offert? » — « Non, j’ai tiré. » — « Ah! oui, c’est pour ça que ce n’est pas venu! » Ce n’est pas que ce ne soit pas venu, c’est que, quand vous tirez, vous restez tellement enfermé dans votre ego (comme je vous le disais tout à l’heure) que cela fait une muraille entre ce qui est à recevoir et vous-même. Vous vous mettez en prison, et alors vous êtes étonné que dans votre prison vous ne sentiez rien.

Prison, et encore sans fenêtres sur la rue!

Jetez-vous au-dehors (Mère ouvre les mains), donnez-vous sans rien retenir, simplement pour la joie de se donner. Alors là, il y a une chance que vous ressentiez quelque chose.

Mais si on essaye de sentir...

Si on essaye de sentir? Est-ce que ce n’est pas encore un égoïsme, ça, essayer de sentir?... Si on veut sortir de l’ego en restant égoïste, c’est très difficile, n’est-ce pas! Les deux sont assez contradictoires.

« Essayer de sentir », pourquoi, pour ta propre satisfaction?

Si l’on essaye de sentir que l’on n’existe pas, que c’est le Divin qui existe, est-ce que c’est un moyen de sortir de l’ego ?

On n’existe pas? Ça, je ne sais pas si on réussit à quelque chose en essayant mentalement, parce que ça, c’est une espèce d’effort mental. Alors on fait des constructions mentales et on n’arrive pas à grand-chose. Non, il faut quelque chose qui soit spontané, intense, une flamme qui brûle dans l’être, une flamme d’aspiration, quelque chose... je ne sais pas comment dire ça.

Si ça se passe dans la tête, rien, rien n’arrive.

L’effort qu’on peut faire ne peut être que mental. Comment peut-on faire pour que ce soit spontané?

Hein?

L’effort qu’on...

Oui, j’ai bien entendu. Mais pourquoi affirmes-tu que tout l’effort qu’on fait ne peut être que mental?

Mais comment peut-on faire pour que ce soit spontané?

Je crois qu’il y a une très grande différence entre un effort de transformation qui vient justement du centre psychique de l’être, et une sorte de construction mentale pour obtenir quelque chose.

Je ne sais pas, c’est très difficile de se faire comprendre, mais tant que ça marche dans la tête comme ça (Mère tourne un doigt près de son front), ça n’a pas de puissance. Ça a une très petite puissance, extrêmement limitée. Et tout le temps ça reçoit des démentis. On a l’impression qu’avec une grande difficulté on assemble une volonté, assez artificielle d’ailleurs, et on essaye d’attraper quelque chose, et la minute d’après c’est tout évanoui. Et on ne se rend même pas compte, on se dit : « Comment se fait-il que c’était comme ça ? »

Je ne sais pas, moi, cela me paraît très difficile de faire le yoga avec sa tête — à moins qu’on ne soit saisi.

La volonté n’est pas dans la tête.

La volonté (ce que moi, j’appelle la volonté), c’est quelque chose qui est là (Mère désigne le centre de la poitrine), qui a une puissance d’action, une puissance de réalisation.

Ce que l’on fait dans la tête exclusivement, est sujet à d’innombrables fluctuations; il n’est pas possible de construire une théorie, par exemple, sans qu’immédiatement viennent en travers des choses qui donnent tous les arguments contraires. Et alors, c’est le grand art du mental, n’est-ce pas : il peut prouver n’importe quoi, discuter n’importe quoi. Alors on n’avance pas d’un pas. Même si, à un moment donné, on attrape une idée qui a une certaine force, à moins qu’on ne soit dans cet état d’intensité, dès qu’il y a un relâchement, toutes les choses contraires arrivent, et toutes avec, n’est-ce pas, comme ça, le charme de leur expression. Alors c’est une bataille qui n’arrête pas.

C’est sans solution.

Tu demandes comment ça peut être spontané? Même simplement dans le corps, quand il y a quelque chose, comme une attaque, un accident, une maladie qui essaye de venir — quelque chose, une attaque sur le corps. Un corps qui est laissé à sa spontanéité naturelle, il a un élan, une aspiration, une volonté spontanée pour appeler à l’aide. Mais dès que ça vient dans la tête, ça prend la forme des choses auxquelles on est habitué : tout est gâté. Mais si on voit le corps en lui-même, tel qu’il est, il y a quelque chose qui, tout d’un coup, s’éveille et qui appelle à l’aide, mais avec une telle foi, une telle intensité, comme le tout petit bébé, n’est-ce pas, appelle sa maman (ou n’importe quoi, il ne dit rien s’il ne peut pas parler). Mais le corps livré à lui-même sans cette espèce d’action constante du mental sur lui, il a cela : dès qu’il y a quelque chose qui se dérange, immédiatement il a une aspiration, un appel, un effort pour avoir l’aide, et c’est très puissant. Si rien n’intervient, c’est très puissant. C’est comme si les cellules elles-mêmes jaillissaient dans une aspiration, dans un appel.

Il y a, dans le corps, des trésors inestimables et inconnus. Dans toutes ces cellules, il y a une intensité de vie, d’aspiration, de volonté de progrès, dont on ne se rend même pas compte habituellement. Il faut que la conscience corporelle soit complètement dévoyée par l’action vitale et mentale pour qu’il n’y ait pas une volonté immédiate de rétablir l’équilibre. Quand cette volonté n’est pas là, cela veut dire que toute la conscience corporelle a été abîmée par l’intervention mentale et vitale. Les gens qui, d’une façon plus ou moins subconsciente, chérissent leur maladie avec une espèce de morbidité sous prétexte que ça les rend « intéressants », ce n’est pas du tout leur corps — pauvre corps! — c’est quelque chose qu’ils ont imposé avec une perversion mentale et vitale. Le corps, lui, s’il est laissé à lui-même, il est remarquable, parce que non seulement il aspire à l’équilibre et au bien-être, mais il est capable de rétablir l’équilibre. Si on laisse son corps sans intervenir avec tout ça — toutes les pensées, toutes les réactions vitales, toutes les dépressions, et puis toutes les soi-disant connaissances et puis toutes les constructions mentales et toutes les peurs — si on laisse le corps à lui-même, spontanément il fera ce qu’il faut pour se remettre d’aplomb.

Le corps, dans son état naturel, aime l’équilibre, aime l’harmonie; ce sont les autres parties de l’être qui abîment tout.

Mère, comment empêcher le mental d’intervenir?

Ah! d’abord il faut le vouloir, et puis il faut, comme quand les gens font beaucoup de bruit et qu’on leur dit : « Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous! », il faut faire comme ça quand le mental vient avec toutes ses suggestions et tous ses mouvements. Il faut le tranquilliser, l’apaiser, le faire taire.

La première chose, c’est de ne pas l’écouter. La plupart du temps, dès que ça vient, toutes ces pensées-là, on regarde, on cherche à comprendre, on écoute, alors naturellement cet imbécile croit que vous êtes très intéressé : il augmente son activité. Il ne faut pas écouter, il ne faut pas faire attention. S’il fait trop de bruit, il faut lui dire : « Tiens-toi tranquille! allez, silence, tais-toi! » sans faire trop de bruit soi-même, n’est-ce pas! Il ne faut pas faire comme les gens qui se mettent à hurler : « Taisez-vous », et qui font tellement de bruit eux-mêmes qu’ils en font encore plus que les autres!

(Le magnétophone s’arrête; la bande est terminée)

(Au disciple) N’en mettez pas une autre, c’est fini.

La destinée!

Voilà, au revoir, bonne nuit!









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